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•JV-v\o ►
MIREIO
POfiME PROYENCAL
FREDERIC MISTRAL
AVEC LA TRADUCTION LITTERALE EN REGARD-
deuxi£me edition
RBYUB, COHRIGBB ST ACC0MP1G>BB DB KOI 83
BT ARGUMENTS
PARIS
GHARPENTIER, LIBRAIRE-EDITEUR
28, QUAI DB l'eGOLE
1850
THE NEW YORK
FUSLIC U5RARY
ASTOR, LESOX AWO
T.LDLN FOUNDATIONS,
I
MIRElO
f^
^^
MIREIO
pouEmo prouvencau
FREDERI MISTRAL
EHfi LA TRADUClOilN LITERALO EN REGARD
PARIS
ENCb DE CHARPENTIER, LIBRAIRE-EDITOUR
J8, QUKI DK l'eSCOLO.
ATieNOVN, BNC6 VK BOVmANIHO, LIBBAIHC
i860
Li dre de Iraducioun e do roprouducioun soiiii resorva.
MIREILLE
POEME PROVENCAL
iD£
FREDERIC MISTRAL
AVEC I,A TRADUCTION LITT^RALE EN nEGARB
PARIS
CHARPEMIER, LIRRAIRE-EDITEUR
S8 , QUAl DE l'£C0LE.
1800
Di'oils dt' tradutflion el dc reproduclion reserves.
THE NEW YORK
PUBLICUBRARy
108891
AiTO«, LCNOX AMD
Tli,OCll FOUMOAflONt.
1890
A LAMARTINO
Te counsacre Mireio : es moun cor e moun amo,
Es la Hour de mis an ;
Es un rasin de Crau qii'eme touto sa ramo
Te porge un paisan.
MISTRAL.
Maiano {SiDuco^dif - Hose) , 8 de selembre 1859.
A LAMARTINE
Je (e consacre Mireille : c'est mon coeur et mon
ame; — c'est la fleur de mes annees; — c'est un
raisin de Crau qu'avec toutes ses feuilles — t'offre
un paysan.
MISTRAL.
Maillane {Bauches-dn-mdne). 8 iepfembre 1859.
AVIS
SUR LA PROKONCIATION PROVENgALE
Afin d'aider le lecteur stranger a la langue provenQale a
lire le texte du po^me, nous allons dire ici brievement en
quoi la prononciation proven^ale difPfere de la prononciation
frangaise.
En Provencal, on prononce toutes les lettres, et, sauf
les exceptions suivantes, on les prononce comme en Fran-
^ais.
Le g devant un e ou un i, et le ;, se prononcent dz. Ainsi
gemi, gibous, image, jalous, doivent se prononcer dx-emU
dzibous, imadze, dzalous.
Ch se prononce te, comme dans le mot espagnol muchachOy
Ainsi charra, machoto, rhima, se prononcent tsarra, matsoto,
Uinta.
Passons aux voyelles.
A , desinence caracteristique du feminin dans Tancienne
langue romane, est, dans cet emploi, remplace aujourd'hui
par 0.
L'o final represenle done en Provencal Ve muet des Fran-
^ais, Va final des Italiens et des Espagnols.
E sans accent, ou surmont^ d'un accent aigu, se pro-
nonce comme Ye ferm6 frangais ; ainsi les e de teU , de
deoif sonnent, a peu de chose pres, comme ceux de iUy vi-
TiU.
£, surmonte de Taccent grave, comme dans ne, vengui, se
prononce ouvert.
Ve ou Fi, quoique suivis de consonnes, comme dans sacra-
men y vbiy envperaire y conservent toujours leur son alpha-
betique.
?ni AVIS SUH LA PRONONCIATION PROVENCALE.
Void maintenant les regies de I'accent tonique :
1° Dans les mots termini simplement par e ou par o,
Taccent tonique porte sur la p^nulti^me : ainsi ferraniento^
capello, fibre, se prononcent exactement comme les mots
italiens ferramento, capello, febbre.
^ Lorsqu'il se trouve, dans le corps (les mots, une syllabe
accentuee, il porte generalement sur cette syllabe; exemple :
Wuli, armdri, cachafid, argSnty av6, •
3** II porte sur la derniere syllabe dans tous les mots ter-
minus par un a, un t\ un u, ou une consonne; exemple : Y;e-
rita, peri, vengu, pichot, resoun.
Cette derniere regie a une exception : dans les personnes
des verbes terminSes pares oupar on, comme anaves (tu allais),
que digues (que tu dises), courron (ils courent), sabon (ils
savent). Taccent tonique porte sur la p^nultieme.
II existe en Provengal des diphthongues et des triphthon-
gues, mais les voyelles y conservent toujours leur valeur
propre. Dans les diphthongues, la voix doit dominer sur la
premiere voyelle, comme en Italien; ainsi : mni, rii, galoi,
doivent se prononcer mM, rei, galdi. Dans les Iriphlhon-^
gues, come biai, piei, vuei, nine, la voix doit dominer
sur la voyelle interm^diaire, tout en faisant sentir les au-
tres.
La voyelle u se prononce comme en Fran^ais, excepte lors-
qu'elle suit immediatement une autre voyelle ; dans ce der-
nier cas, elle prend le son on. Ainsi, dans les diphthongues
au, iu, du, et dans les Iriphthongues iau, iiu, idu, prouon-
cez dou, ecu, dou, idou, ieou, idou.
Cette r^gle a ete constamment suivie par les Troubadours
classiques.
On vient de voir que les sons eu, du, Uu, idu, sont accen-
tues : c'est afm de les distinguer des sons eu et ou, qui
existent aussi dans la langue d'Oc (comme dans Enfant J euse,
enfant Jesus, tout, urous, mounde, etc.); c'est encore pour
montrer que le son doit ^tre plus ou moins ouvert ou ferme,
selon que Taccent est grave ou aigu.
MIKEIO
MIHEIO
CAM PHOLiMIE
lOU MAS DI FALABREGO
K&pousiciouu. — liivoucacioun au Ciist, iiascu dins la pastiiho.— In
▼i^i panieraire, Meste Ambr6si , erne boun drole, Vinc^n , van de-
inanda la retirado au Mas di Falabrego. — Mir^io , flho de M^ste
Ramoun, lou mestre duu inas, ie fai la benvengudo.— Li rkfL, api^s
suupa, fan canla Meste Ambr^si. — Lou vi^i, autri-tesmarin, canto
un coumbat navau dou Daile Sufren. — Mir^io questiouno Vinc^ii.
— Rccit de Vinc^n : la casso di cantarido, la pesco disiruge, lou
miracle di Santi Hai io , la courso dis ome k Ninnes. — Mir^io es
espantado e soun amour poanchejo.
Caiile uno cliato de Prouven^o.
Dins lis amour de sa jouveriQO,
A Uaves de la Crau, vers la mar, dins li bla,
Urnble escoulati dou grand Oumoro,
leu la vole segui. Coume ero
Ken qu'uno chato de la terro,
Kii foro de la Crau se n*es gaire parla.
Emai soun front noun lusiguesse
Que de jouinesso ; emai n'agu^ssc
Ni diademo d'or ni mant6u de Damas,
Volequ'en glori fugue aussado
Goume uno r^ino, e caressado
Per nosto lengo mespresado,
Car caulaii que per vautre, o pastie e gent di inas !
MIKEILLE
CHANT PREMIER
LE MAS DES MICOCOULES »
Expofiition. — Invocation au Christ, ne parmi les pAlres. — I'n vicu\
vannier, Maltre Ambrolse, et sonflis, Vincent, vont demandcr I'hos-
pitalit^ ail Mas dcs Micocoules. — Mireiilc, fille de Naltie Ramon,
le maitre de la ferme , leur fail la bienvenue. — Les laboureurs,
apr^s le i-epas du soir, invitent Mailre Ainforois4> & cliantcr. — Lf
vieiliard , auti^fois marin , chante iin combat naval du Bailli d(>
Suffren. — Mireille questionne Vincent. — R^cit de Vincent : la
chasse aux cantharides, la pCche des sangsues, le miracle des
Saintes Maries, la course des hommes h Mmes. — Ravis^rmont de
Mireille, naissance de son amour.
ie chante une jeiuie fille de Provence. — Dans les
amours de sa jennesse, — k travers la Crau *, vers
la mer, dans les bles, — luunble ecolier du grand
Homere, — jeveux la suivre. Conime c'elait — seii-
lement une fille de la glM)e, — en dehors do la (Iran
il s'enost penparl^.
Bienque son front ne resplendit — que de jeunesse;
bien qu'elle n'eAt — ni diademe d'or ni manteau do
Damas, — je veux qu*en glohe elle soil 6levee —
comme une reine, et caressee — par notre languo
mepris^e, — car nous no chantons que pour vous, i)
patios et habitants des mas.
^* NIRRIO, CAM !
Tu, Segnour Dit'ii de ma patrio,
Que nasqiieres dins la pastriho,
Enfioro mi paraiilo e dono-ine d'alon!
Lou sabes : enire la verduro,
All souleu ein'i bagnaduro,
Qiiand li figo se fan maduro,
Yen Tomft aloubali desfrucha I'anbro en plon.
Mais sus Taubre qu'en espalanco,
Tu toujour quilies quauco branco
Ounic Tome abrama noun posque aussa la ninn,
Bello jilello proumierenco,
E redoulento, e yierginenco,
Bollo frucho madalenenro
Ounte Tauceu de I'er se ven leva la fam.
leu la vese, aquelo brauquoio,
E sa froscour me fai lingueto !
leu \ese, i venloulet, boulega dins lou eeu
Sa ramo e sa frucho inmourtalo...
B^u Dieu, Di6u ami, sus lis alo
De nosto lengo prouveucalo,
Fai que posque avera la branco dis auceu !
De-long dou Rose, entre li pibo
Elisauselode la ribo,
En un paure oustalouu per Taigo rousiga
In panieraire demouravo,
Qu'em^ soun drole piei passavo
De mas en mas, e pedassavo
l.i canestello routo e li panie traucu
MIRKILLE, CHANT I. 5
Toi, Seigneur Dieu de ma patrie, — qui naquis
parmi les pAtres, — enflamme ines paroles et donno-
moi du souffle ! — Tu le sais : parmi la verdure, —
an soleil et aux rosees, — quand les figues mnris-
sent, — vient I'homme, a vide comme iiri loup, de-
poiiiller enlierement Tarbre de ses fruits.
Mais sur Tarbre doiit il brise les ramemix, — toi,
toujours tu el^ves quelque branche — ou riiomino
insatiable ne puisse porter la main, — belle pousse
bativo , — et odorante, et \irginale, — beau fruit
imir a la Magdeleine, — ou vient Toiseau de I'air
apaiser sa faini.
Moi, jela vois, cette branchelte, — et sa fraicheur
provoque nies desirs! — Je vois, au (souffle des)
brises, s'agiter dans le ciel — son feuillage et ses
fruils immortels... — Dieu beau, Dieu ami, sur les
ailes — de notre langue provenoale, — fais que ji>
puisso aveindro la branche dos oiseaux !
Au bord du Rhone , entre les peupliers — el les
saulaies de la rive, — dans une pauvre maisonnelle
rongee par I'eau, — un vannier demeurait, ~ qui,
avec son fils, passait ensuite — de ferme enfernie, et
raccommodait — les eorbeilles roinpurs et les pa-
niei's Iron OS.
1.
0 MlllfelO, CNNT I.
Un jour qu'eron aiisin per orto,
Em^ si long fais de redorto :
— Paire, digii^ Vinc^n, cspinchas lou soul^ii !
Ves^s, eila sus Hagalouno,
Couine lou nivo Teinpielouno !
S'aquelo emparu s*amoulomio,
Pairo, avans qu estre au mas nous bagnaren 1)oI»mi.
— H6u! lou vent-larg brando li fueio....
Noun ! . . . aco sara pas de plucio,
Hr^poundegue lou viei... All! s*ac6 *ro lou Ran,
Es diferfent!.... — Quant fan d'arairo,
Au Mas di Falabrego, paire?
— Sieis, respounde lou panieraire.
Ah ! *co's un tonainen di pu fort de la Crau !
To, veses pas soun ('ndivelo?
Entre-mitan i*a qu5uqui veto
!)(» vigno e d'amelie... Mai lou beu, recoups,
(E n*i'a pas dos dins la coustiero !)
Lou beu, OS que i'atantde tiero
Coume a de jour Tannado entiero
E, tan! coume de tiero, en chasco i'a de ped !
— Mai, fague Vincen, caspitello !
Deu ben fale d'dulivarello
Per 6uliva tant d'aubre ! — IIou ! toul aco se fai !
Vengue Toussant, e li Banssenco,
De vermeialo, d*amelenco,
Te van clafi saco e bourrnico !...
Tout en cansounejant n'acamparien ben mai !
Vn jour qu'Us allaient ainsi par les champs, —
avec leurs longs fagots de scions d'osier : — « P^re,
clit Vincent, regardez le soleil! — Voyez-vous, la-bas,'
surMaguelonne^,— les piliers dennageqiiiretayent?
— Si ce rempartvient as'amonceler, — pore, avant
d'etre an mas. nous nous moiiillerons penl-efre. >»
— (( Oh! lo vent largiie* agitc les feuilles... ~
Xon!... ce ne sera pas de la phiie, — r^pondit le
vieillard... Ah! si c'elail ie Rau», — c'est diffc^-
rent!... » — « ComUen fait'07i de charrues, — aii
Mas des Micocoules, pere? » — (/ Six, repondit ]v
vannier. — Ah! cVst la un domalne des pins forts
de la Cran !
« Tiens ! ne vois-tii pas leur verger d*oliviers?
Parmi enxsont quelques rubans — de vignes el d'a-
mandiers. . . . Mais le bean, reprit-il en s*interrompanl ,
— (et de tels, il n'en est pas deux snr la cdte !) — lo
beau, c'est qn'il y a autant d'allees — qu*a de jonrs
Tannee entiere, — et dans chacnne (d'elles), antant
qne d'allees il y a de pieds (d'arbre) ! »
— « Mais, fit Vincent, caspitello •! — qne tVoli-
veuses il doit falloir — pour cueillir les olives de lant
d'arbres! » — « Oh! tout cela s'acheve! — Viennela
Toussaint, et les filles des Banx ' — d' (olives) ver-
meilles on amygdalines — te vont combler et sacs
et draps!... - Tout en chantant, 6?lles en amasse-
raient bien davantage ! »
8 MIRfilO, CANT I.
E M6ste Ambroi toujour parlavo...
E lou soul^u que trecoulavo
Di plus b^lli coulour legni^ li nivonluii ;
E li bouie, sus si coulado,
Venien plan-plan a la soupado,
Tenant en I'er sis aguhiado...
E la nine sonmbrejavo alin dins la pnlnn.
— An ! deja s'enlrevei dins Tici o
Lou camelun de la paiero,
DIgur inai Vincenet : sian au recatadon !...
— Aqui, ie v^non b^n li fedo!
Ah ! per restiou, an la pinedo,
Per dins i'ivor, la claparedo,
lirconmencelou viei... Hon! aquii'a dc lonl !
E lonli aqueli grands aubrage
Que sus li t(^nle fan oumbrage !
E 'quelo bello font que raio en un pesq»iio !
E t6uti aqueli brusc d'abiho
Que chasco aulouno desabiho,
E, tre que Mai s'escarrabiho,
Pendoulon cent eissanie i grand falabreguie !
— Ho! pi^i,en touto la terrado,
Paire, lou niai qu a ieu m'agrado,
Aqni fague Vinctm, es la cbato diSu mas...
E, se vous n'en souv^n, moun paiiv,
L'cstieu passa, nous fague faire
Dos canestello d'oulivaire,
E metre uni manibo a soun picliot cabas
MIREILLE, CHANT I. 0
Et Maitre Ambroise continuait dd parler.... — Kl
le soleil, qui disparaissait au dela des collines, — des
plus belles couleurs teignait les legers nuages ; — et
les laboureurs, sur leurs b^tes accoupl^es par le cou,
— venaient lentement au repas du soir, — tenant le-
ves lenrs ^iguillons.... — Et la nuit commencait a
bninir dans les lointains marecages.
— ((AUons! dej3i s'entrevoit, dans Taire, — \o
eomble de la meule de paille, — dit encore Vincent :
nous voici au refuge! » — a T/est la que pros-
perent les brebis ! — Ah ! pour V^te, elles ont lo bois
de pins, — pour I'hiver, la plaine caillouteuse, —
rocommenca le vieillard... Oh! la, il y a de tout!
« Et tons ces grands massifs d*arbres — qui sur
1 s luiles font ombrage! — Et cette belle Fontaine qui
coule en un vivier ! — Et toutes ces ruches d'abeilles
— que chaque automne d^pouille, — et (qui), des
que mai s*6veille, — suspendont cent essaims aux
f^rands inicx)couliers ! »
— « Oh ! puis, en toute cette terre, — p^re, co qui
ni*agr6e Ic plus, — fit la Vincent, c*esl la fille de la
ferine.... — El, s'il vous en souvienl, mon pere, —
olle nous fit. Fete passe, faire — deux corbeilles de
cueilleur d'olives, — et mettrc des anses A son petit
cabas, n
10 MlRfclO, CANT I.
Ell devisant de talo sorto,
Se capit^ron vers la porto.
Tifl chatouno veni6 d'arriba si magnan;
E sus lou lindau, k Teigagno,
Anavoalor torse uno escagno.
— Bon v^spre en touto la coumpagno !
Fague lou panieraire en jitant si vergan.
— M^ste Arabr6si, Di6uvous loii douno!
Digu6 la chato ; mouscouloune
la pouncho de moun fns, vel... Vautre? sias tardie!
D'ounte venes? de Valabrego?
— Just ! e lou Mas di Falabrego
Se devinant sus nosto rego,
Se fai tard, aven di, coucharen au pale.
E* me soun fieu, lou panieraire
S*ane *seta su*n barrulaire.
Senso mai de resoun, a trena t6uti dons
(Ino banasto coumencado
Se group^ron uno passado,
K de sa garbo desnousado
Crousavon c toursien li vege voulountous.
Vincen avie sege an pancaro;
Mai lant d6u cors que de la caro,
Certo, aco *ro un b^u drole, e di mieu estampa ;
Em^ li gauto proun moureto,
Se voules... mai terro negrelo
Adus toujour bono seisseto,
K sort di rasin negre un vin que fai trepa
illUEILLE. CHANT I. 11
En devisaiit ainsi, — ils se trouverent vers la porte.
— La fillette venait de donner la feuill^c a ses vers a
soie; — et sur le seiiil, a la rosee, — elle allait, en
ce moment, tordre un 6cheveau. — « Bonsoir k loute
la compagnie ! » — fit le vannier, en jetanl bas ses
brins d'osier.
-— « Maitre Ambroise, Dieu vous le doime ! — dit
la jeune fiUe ; jemets la thie — kla pointe de mon fu-
seau, voyez!... Et vous autres? vous voilS attardes!
— D'ouvenez-vous?de Valabr^gue*? » — « Juste!
et le Has des Micocoules — se rencontrant sur notre
sillon, — il se fait tard, avons-nous dit, nous couche-
rons a la meule de paille. »
Et, avec son fils, le vannier — alia s*asseoir sur un
rouleau (de labour). — Sans plus de paroles, k tres-
ser tons les deux — une manne commencee, — ils
se mirent (avec ardeur) un instant, — et de leur
gerbe denouee — ils croisaient et tordaient les osiers
dociles.
Vincent n*avait pas encore seize ans; — niais taut
de corps que de visage, — c'etait, certes, un beau
gars, et des mieux d6coupl6s, — aux joues assez
brunes, — en verity... mais terre noir^tre — tou-
jours apportebonfroment, — et sort des raisins noirs
un vin qui fait danser^
12 MIUEIU, CAM I.
lU'. quisle biais fau que luu vegc
K se prepare e se gaubeje,
Kii lou sable de founs ; noun pas que sus lou fni
Travaiejesse d'ourdin^ri :
Mai de banasto per ensarri,
Tout ce qu*i mas ei necessari,
K do rous terreirdu, e de bravi coufiii;
De panie de canofendudo,
Qu*es tout d'eisino leu vendudo,
Vj d'escoubo de ini,... tout acd, 'niai benniai,
Eu lou fa90unavo a grand destro,
Bon e poulit, de man de uiestre...
Mai, de I'estoublo e d6u campesln',
Lis ome eron deja revengu dou travai.
Deja deforo, a la fresquiero,
Mireio, la gento niasiero,
Sus la taulo de peiro avie nies lou bujau ;
E d6u platas que treviravo,
Ghasque rafi deja tiravo,
A plen cuie de bonis, li favo...
E lou vi6i e soun fieu trenavon. — Ben? vejan!
Venes pas soupa, Meste Anibrosi?
Erne soun er un pau ren6si
Digue Meste Ranioun, lou majourau dou mas.
An ! leissas dounc la canestello !
Veses pas naisse lis estello?...
Mireio, porge uno escudello.
An ! k la taulo! d'aut! que deves estre las.
MIUEIILE, CHANT I ir.
Do quelle iiianiere doit I'osier — se preparer, se
iiianier,.— lui le savait k fond ; non pas que sur le
liu — il travaillat d'ordinaire: — mais des marines
d suspendre an dos des bites de somme, — tout ce
qui aux ferines est necessaire, — des tetriers roux
et des coffins commodes ;
Des paniers de roseaux refendus, — tous ustensiles
de prompte vente, — et des balais de millet v tout
cela, et bien plus encore, — il le faisait rapidement,
— bon, gracieux, de main de maitre. . . — Mais, de
la Jachere et de la lande, — les hommes, deja, etaient
revenus du travail.
Deja, dehors, a la fraicheur, — Mireille, la gentille
fermi^re, — sur la tablede pierre avait mis la salade
de legumes ; — et du large plat chavirant (sous la
charge), — chaque valet tirait deja, — a pleine cuiller
de buis, les feves. . . — Et le vieillard et son fils tres-
saient. — a Eh bien? voyons 1
« N6 venez-vous pas souper, Maftre Ambroise ? — .
avec son air un peu bourru, — dit Maitre Ramon, le
chef de la fernie. — AUons, laissez done lacorbeille !
— Ne voyez-vous pas naitre les etoiles ? — Mireille,
apporle une ecuelle. — AUons ! a table ! car vous
devez ^tre las. »
li MlUtilO, CA.\T I.
— Aueii ! fagu6 lou paniettiire.
E s'avanc^ron ^-n-un cairc
1^ la taulo de peiro, e coup6ron de pan.
Mireio, vitainen, braveto,
Eme I'dli de I'ouliveto
le garnigu6*n plat de faveto ;
Veiigue piei en courreni i*adurre de si man.
Uins 81 quinge an ero Mireio....
Coustiero bluio de Font-vieio,
K vous, colo baussenco, e vous, piano de Uraii,
N*aves pu vist de tant poulido !
Lou gai souleu I'avie 'spelido ;
E nouveleto, afrescoulido,
Sa caro, a flour de gauto, avie dous pichot trau.
E soun regard ero uno eigagno
Quesvalissie iouto magagno...
Dis estello mens dous ei lou rai, e mens pur ;
le negrejavo de trenello
Que lout-de-long fasien d'anello ;
E sa peitrino redounello
Ero un pessegue double e panca ben madur.
E fouligaudo, e belugueto,
E s6uvagello uno brigueto ! . . .
Ah ! dins un veire d'aigo, entre veire aqueu biai,
Touto a la fes Faurias begudo !
Quand piei chascun, a Tabitudo,
Ague park de sa batudo,
i^Coume auniasjcoumeaut^ms de mounpaire,ai! ai! ai! j
MIREIME. CHANT I. 15
— a AHon8 ! » fit le vannier. — Et ils s'avancerenf
vers un coin — de la table de pierre, et coup6rent dn
pain. — Mireille, teste et accorte, — avec Thuile des
oliviers — assaisonna pour eux un plat de feveroles.
— Elle vint ensuite en coiirant Ic leur apporter de
ses mains.
Mireille etait dans scs qiiinze ans... — C^te bleuo
de Font-vieille", — et vous, coWme^ baussenqnes^^,
et vous, plaines de Crau, — tous n*en avez plus vn
d'aussi belle ! — Le gai soleil Yavait 6close ; — of
frais, ing6mi, — son visage, k fleur de joues, avait deux
fossettes.
Et son regard 6tait une rosee — qui dissipait louU^
douleur... — Des dtoiles moins doux est le rayon, el
nioins pur; — il lui brillait de noires tresses — qui
lout le long formaieni des boucles ; — et sa poitrine
arrondie — etait une p^che double et pas encore bien
mure.
Et folAtre, et s^millante, — et sauvage quolque
pen !... — Ah ! dans un verre d'eau, en voyant cette
grAce, — toute h la fois vous Teussiez bue ! — Quand
puis chacun, selon la coutume, — eut parl6 de son
travail — (comme au masy comine au temps di? mon
p6re, h^las! helas !)
iO MIUKIO, CANT 1.
— - Ben? Mesle Ambroi, aqiiesto biuno,
Nous n'en canlan^s pas quaucuno?
Dlgut^ron : es eico lou repas que se dor
— Chut ! mi bons ami... Quau se Iruf'o,
Ucsponnde lou viei, Dieu lou bufo
E fai vira coume baudufo?. ..
(laiilas vaulre, jonv^nt, que sias joninc omai fori !
— Meste Ambroi, digneron li rati,
Noun, noun, parlan pas per cscafi !
Mai ve ! lou vin de Crau vai toutaro escampa
Do vosto got... D'aul ! touquen, pairo !
— Ah ! de moun t6ms ere un cantaire,
Alor fague lou panieraire ;
Mai aro, que voules? li mirau soun creba !
— Si ! Meste Ambroi, aco recreio :
Canlas un pan, digue Mireio.
— Bellocliatouno, Ambroi vongue dounc coume a<\'),
Ma voues noun a plus que Taresto ;
Mai per te plaire es deja presto.
K tout-d'un-tems coumence'questo,.
Apres ague de vin escoula soun pl^n got :
F.ou Baile Sufren, que sns mar conmando,
Au port de Touloun a douna signan...
Part^n de Touloun cinq cent Prouvenran.
MIREILLE, CHANT l. 17
— « Eh bieii? Maitre Ambroise, ce soir, — ne nous
chanterez-vous rien? — dirent-ils : c'est ici le repas
ou Ton dort! » — « Chut! mos bons amis... (Sur)
cehii qui raille, — repondit le vieillard, Dieu souf-
fle, — et le fait lournor comme toupie ! . . . — Chan-
tez vous-m^mes, jouvenceaux, qui ^tes jeunes of
forts ! »
« Matlre Ambroise, dirent les laboureurs, — non,
lion, nous ne parlons point par moquerie ! — Mais
voyez' levin de Crau va lout a Then re d^border —
de voire verre... Qk ! trinquons, pfere! » — « Ah! do
inon lefnps, j'elais un chanleur, — fit alors le van-
nier; — mais k present, que voulez-vous? les mivoin
sont creves*^ ! »
— « De grSce ! Mnitre Ambroise, cela recrt^o : —
cljanlez un peu, » dit Mireille! — « Belle fillette, re-
partit done Ambroise, — ma voix est un ^pi ^grene ;
— mais pour te plaire, elle est deja prfite. » — lit
aussit6i il commenga cette (chanson), — apres avoir
vide son plein verre de vin :
Lc Bailli Suffren, qui sur mer commande, — au
port de Toulon a donne signal... — Nous partons de
Toulon cinq cents Provencaux.
iH MIRfciO, CANT I.
D'ensaca TAngl^s Tenvejo ^ro grando:
Voul6n plus tourna dins n6stis oustaii
Que noun de TAngl^ vegnen la desbrando.
II
Mai lou proumie ines que navegaviau,
N*av^n vist degun, que dins lis enteno
lii \(n\ do gabian voulant pftr centeno..
Mai lou segound ines que vanogaviaii,
IJno brouFounie nous bale proun peno !
K, la nine, lou Jour, dur agoulavian.
Mai lou tresen mcs, nous prengue Tenr^hi;
Nous boui6 lou sang, de degun trouba
Que noste canoun pousqu^sse escouba.
Mai alor Sufren; Picboun, di la g&bi !
Nous fai ; e subran lou gabi^ courbn
Kspincho eilalin vers la coslo ar^bi...
0 tron-de-bon-goi ! cride lou gable,
Tres gros bastimen lout dre nous arribo !
— Alerto, pichoun ! li canoun en ribo !
Ciid^ quatecani lou grand marini^.
Que taston d'abord li figo d'Antibo !
N Ten pourgiren, piei, d'un aulivpanie.
yiUEILLE, CHANT I 19
De battre I'Anglais grande 6tait Tenvie: — nous iie^
voiilons plus retourner dans nos maisons — avant que
de TAnglais nous n ayons y\\ la d^route.
II
Mais le premier mois que nous naviguions, — nous
n'avons vu personne, sinon, dans les antennes, — le
vol des goelands volant par centaiiios.
Mais le deuxieme niois que nous courions (la nier),
— assez, une tourmente, nous donna de peine ! —
et la nuit et le Jour, nous vidions, ardents, Teau (du
navire).
Ill
Mais le troisi^me mois, la rage nous prit : — le sang
nous bouillait, de ne Irouver personne — que notre
canon put balayer.
Mais alors SufTren: « Enfants, h la hune ! 9 — II dit,
et soudain le gabier courbe — epie an lointain vers
la cote arabo...
— « 0 tvon^de-bon-goi I criSL le gabier, — trois gros
batiments tout droit nous arrivent ! » — <i Alerte,
enfants ! les canons aux sabords ! »
Cria aussitdt le grand marin. — « Qu'ils tAtent da-
bord des figues d'Antibes ! — nous leur en olTrirons,
ensuite, d*un autre panier. »
20 Min(^:iO, CANT L
rravi6 panca di, se vei qu'iino flamo ;
Quaranio boulet van coume d'uiaii
Trauca de 1 Angles li veissen reiaii...
(In di baslimen, ie resle que Tamo I
[iOntems s'ent^nd plus que li canoun rau,
Lou bos que cracino e la mar que bramo.
VI
Di nemi pamens un pas tout-au-mai
Nous ten separa: quo bonur ! quecbalol
Lou Baile Sufren, entrepide e pale,
E que sus lou pont brandavo jamai :
— Pichot! crido enfin, que vostc fio ralol
I'] vougnen-i^i dur'm^ d'oli de-z-Ai !
VII
N'avi6 panca di, niai tout I'equipage
Lampo is alabardo, i visplo, i destrau,
E, grapin en man, Tardi Prouvencau,
Dun soulel alen, crido : A I'arrambage !
Sus lou bord angles sautan dins qu un saut,
E coumenco alor lou grand mourtalage !
MinElLLE, CHANT I. 21
11 n'avait pas encore dit, onne voit qu'uiie flainme :
— qnarante boulels vont, comme des eclairs, —
f roucr de I'Anglais les vaisseaux royaux. .
A Tun des Mtiinents ne resta que I'^ine ! — Lon^-
femps on n'entend plus que les canons rauques, —
lo bois qui craque et la nier qui mugil.
VI
Pes ennemis, cependant, un pas tout au pins —
nous tient separ^s : quel bonhenr ! quelle volupt^ ! —
Le Bailli Suffren, intr6pide et p^le,
Et qui sur le pontetait immobile : — « Enfant s!
crie-t-il enfin, que volr^ feu cesse! — El oignons-
Ics fcrme avec Thuile d*Aix ! »
VII
n n'avait pas encore dit, mais T^quipage entier —
s*('lance aux hallebardes, aux vouges, aux baches, —
ct, grappin en main, le hardi Provencal,
D'un souffle unanimc, crio : « A Tabordage ! » —
Sur le bord anglais nous sautons d un saut, — et
commence alors le grand massacre !
S3 MlBftlO. CANT I.
VII
Oh ! qu^nti bac6u ! oh ! que chapladis !
Que cr6bis que fan I'aubre que s'esclapo,
Souto li marin lou pont que s'aclapo !
Mai que d*un Angles cabusso e peris;
Mai d'un Prouvengau k I'Angles s'arrapo,
L'estren dins sis arpo, e s'aprmifoundis.
— Seinblo, parai? qu'es pas de creire!
Aqui se coupe lou bon reire.
Ks painens arriba tau que dins la cansoun.
Certo, pouden parla s^ns crento,
l^u i'^re que ienieu Tempento I
fla! ha! tamben, dins ma memento,
Quand visqu^sse milo an, milo an sara rejoun !
— Iloi!... sias esta d'aqu6u j^rand chaplo?
Mai, coumc un dai souto Tenchaple,
Degueron, tres conlro un, vous cscrapouchina !
— Quau? lis Angles? fai en coul^ro
Lou viei marin que s'engimerro...
Toumamai, risoulet coume ero,
Reprengue fieramen soun cant enlamena :
Fii ped dins lou sang, dure 'quelo gm?rro
Desempi^i dos ouro enjusqu'a la nine.
Verai, quand la poudro embournie pu I'iue,
MIREILLE, GUAM I.
Oh 1 quels coups ! oh ! quel carnage I — Quel fi'ac*.as
font le m&t qui se rompt, — sous Ics marins le pont
qui s'etTondre !
Plus d'un Anglais plongc et p^rit ; — plus d uu
Proven^l empoigne l' Anglais, — Telreint dans ses
griffes, et s'engloutit.
— « M seinble, • n est-ce pas? que ce n'est pas
croyablel — La s'interrompit le bon aieul. —
C'est pourtant arrive tel que dans la chanson.' —
Certes, nous pouvons parler sans crainte, — j y etais,
iiioi, tenant le gouvemail! — Ah! ah! aussi, dans
ina m^inoire, — duss6-je vivre inille ans, mille ans
cela sera serr§. o
— (i Quoi L. . vous avez ete de ce grand massacrel?
— Mais, comine une faux sous le inarteau qui la bat,
— Us durept, trois conlre uii, vous ecraser! » —
« Qui? les Anglais ! » dit — le vieux marin se cabrant
de colere... — De nouveau, redevenu sourianl, — il
reprit fierenient son chant entam^ :
IX
Les pieds dans le sang, dura cette gUerre *^ dc-
pms deux heures jusques k la nuit. — Ue vrai^ quand
la poudre n'aveugla plus Toeil,
i lIlKtiO, CAM I.
Maiicavo cent ome a nosto galero ;
Mai tres bastiinen passerDn per iuo,
Ties beu bastiinen dou rei d'Aiiglo-terro !
Pi^i quand s'envenian au pais tant doiis,
Erne c^nt boulet dins nosti murado.
Erne vergo en tros, velo espeiandrado.
Tout en galejant, lou Baile amistows :
— Boutas, nous digue, bouia^, cairibarado !
Au rei de Paris parlarai de vous.
XI
— 0 nosle amirau, ta parauio es fi'anco,
I'aven respoundu, lou rei I'ausira...
Mai, pauri marin, de-quc nous fara?
Aven tout quita, I'oustau, la calaiico,
Per courre a sa guerro e per Tapara,
K vcscs painens que lou pan nous manco !
Mai se vas amount, ensouv6ne-tc,
Quand se clinaran sus toun beu passage,
Que res t*amo autant que toun equipage.
Gar, 0 bon Sufren, s'avian lou poude,
Davans que tourna dins nosti vilage,
Te pourtarian rei sus lou bout dou det I
IIIKEILLE, CHAiNT I. t2r.
A noire galere il manquait cent homnies; — luais
sombrerent trois bailments, — trois beaux b^timeuts
jdu roi d*Angleterre !
Puis, quand nous revenions au pays si doi:x, —
avec cent boulets dans nos bordagcs, — avec vergues
en trongons, voiles en lambeaux,
Tout en plaisantant, le Bailli affable : — - « Allez,
nous dit-il, allez, camarades! — au roi de Paris je
parlerai de vous. »
— « 0 notre aniiral, ta parole est fmiche, — lui
avons-nous repondu, le roi t'entendra — Mais,
pauvres niarins, que nous scrvira-t-il?
(( Nous avons tout quitte, la maison, Tanse (du
rivage), — pour courir h sa guerre et pour le d6fen-
dre, — et tu vols pouiiant que le pain nous man-
que!
XI I
« Mais si tu vas la-haut, souviens-toi, — lorsqu'ils
s'inclineront sur ton beau passage, — que nul ne
t*aime comme tes matelots 1
« Car, 6 bon Suffren, si nous (en) avions le pou-
voir, — avant de retourner dans nos villages, — nous
le porterions roi stir le bout dti doigt! »
m MlKlhU), CANT I.
XIII
Ks III) Mailegau qu'S la vesperado
A fa la cansoun, en calant si lis...
Lou Baile Sufren part^ per Paris ;
11 dieii que li gros d'aquelo encouiitrado
Fugu^ron jalous de sa renoumado,
Vj si yi6i marin jamai l*an pu vist!
M
A teiiis lou viei dis aaiarino
Acabe sa cansoun marino.
Que sa voues dins li plour anavo s eniiega ;
Mai per li rkC\ noun pas certo,
Ci'dT sens muta, la testo alerto,
E'me li bouco enlreduberto,
Lunlems apres lou cant escoutavon encu.
— E vaqui, quand Marto fielavo,
Li cansoun, dis, que se cantavo !
I^jron bello, o jouv^nt, e tiravon de long...
L*6r 8*ei fa'n pau viei, inai que provo?
Aro n'en canton de pu novo.
En franchiman, ounte satrovo
Do mot force pu fin .. niai quau i'entend ([uiconV
E d6u viei sn'quelo paraulo,
Li bouiS, s*aussant de la taulo,
t\ on ana mena si si^is couble an rai6u
De ia bello aigo couladisso ;
E sout la triho penjadisso,
En zounzounant la cantadisso
Dou viei Valabregan, abeuravon li mioUi
MIREILIE, ClfAKT I. 27
XI 11
C'est un Mart^gal " qui, a la v6pr6e, — a fait la
chanson, en tendant ses tramaux... — Le Bailli Siif-
fren partit pour Paris ;
Et, dit-on, les grands de cette contree — fureni
jaloux de sa gloire, — et ses vieiix marins jamais ne
Tont plus vw !
A temps le vieillard aux brins d' osier — acheva sa
chanson marine, — car sa voix dans les pleurs allait
se noyer ; — mais trop t6t, certes, pour les gar^^ons
de labour, — car, sans mot dire, la t^te eveillee —
et les levres entr ouverles , — longlemps apr^s It*
chant ils ecoiitaient encore.
— « Et voilS, quand Marthe filait ^', — les chan-
sons, dit-il, que Ton chantaiti — Elles etaient belles,
6 jouvenceaux, et tiraient en longueur... — L'aira
un peu vieilli, mais quMmporte? — Maintenant on en
chante de plus nouvelles, — en fran^^s, ou Ton
trouve — des mots beaucoup plus fins... mais qui y
entend quelque chose? »
Et sur cette parole du vieillard, — les laboureurs,
se levant de table, — etaient all6s conduire leurs
six paires (de bfetes) au jet — de la belle cau cou-
lante; — et sous la treille (aux rameaux) pendants,
— en fredonnant la chanson — du vienx de Valabre-
gue, ils abreuvaient les mulcts.
2H MIRE10, CANT 1.
Bfai Mireio, touto soulcio,
Ero restado, risouleto,
Hestado eme Vinc6a, lou fieii de Meste Ainbroi ;
E Umii dous ensen parlavon,
K si dos iesto pendoulavon
[Fno vers I'autro, que semblavon
Dos cahridello en flour que clino un vent galoi.
— Ace! Vincen, fasie Mireio,
Quand sus Tesquino as ta bourreio
E que tenvas per orto adoubant li panie,
N'en deves veire, dins ti viage,
De caslelas, de lio s6uvage,
O'endre, de vot, de roumavage ! . . .
Naiil re, sourlen jamai de noste pijouiiie !
— Ac6 's ben di, madam isello !
De Venter i go di grounsello
Tan! vous levas la sol que de beure au boucau;
E se, p6r acampa r6ubrage,
D6u l^ms fau eissuga l'6utrage,
Tamb6n a soun plesi, lou viage,
E Toumbro d6u camin fai 6ub1ida la caud.
Coume toularo, Ire qu'estivo,
Tanl leu que lis aubre d'oul.vo
Se saran tout-de-long enrasina de flour,
Dins li planlado emblanquesido
E sus li frais, a la sentido,
Anan cassa la cantarido,
(Juand verdejo e lusis au gros dela calour.
MlllFll.LK, CHAN! I. 2?»
Mais Mireille, loule seuklte, — elaitreslee, rienso,
— restee avec Vincent, le fils de Mailre Ambroise; —
et tous deux parlaient ensemble, — et leurs deux
t^les se pencbaient — I'line vers Taulre, semblables
— a deux cahiideUes^^ (»n flenr qif incline nn vent
joyeux.
— « Ah ck ! Vincent, disait Mireille, — quand In
as snr le dos ta bourree, — et que tn erres ca et la,
raccommodant les paniers, — en dois-ln voir, dam
tes courses, — des chMeaux antiques, des lieux san-
vages, — des endroits, des fetes, des pardons!... —
Nous, nons ne sortons jamais de notre colombier ! »
— « C'est bien dit, mademoiselle ! — De I'agaee-
iKont (prodnit aiix dents) par Irs groseilles — autani
la soif s'etanche cornnie de boire aupot; — et si,
pour amasser I'ouvrago, — il faut essuyer Toulrage
du temps, — tout de m^me le voyage a son plaisir,
— et I'ombre de la roiile fait ou]>lier le chaud.
K Aiusi, tout a Theure, des que I'etfe vient, — sitot
que les arbres d'olives — so seront lotalement cou-
verts de grappes de fleurs, — dans les vergers devenus
b'.ancs, — et sur les fr^nos, au flair, — nous allons
chasser la cantharide, — lorsqu'elle verdoie elhiit au
fort de la chaleur.
:.0 ^URftlO, CANT I.
Piei nous li croumpon i botitigo...
Quouro cuien, dins li garrigo,
Lou venne rouge; quouro» i clar, anan pesca
De tiro-sang. La bravo pe.scoI
Pas besoun de flelat ni d'esco :
I'a que de batre I'aigo fres(to,
l/irufjo a vosli cainbo arribo s^empega.
Mai j>ias jamai estado i Santo?...
Ms aqui, pauro! que se canto,
A«|ui que de perlout s'adus li malandrousl
le passerian qu'ero la voto..
Certo, la gloiso ero piehoto,
Mai quenti crid ! e quant d'esvoto !
— 0 Santo, gr6ndi Santo, agues pieta de nous!
Ks Tan d'aqueutant grand miracle..
Moun Di6u ! moun Di6u ! quet espetacle !
l)ii enfant ero au 86u, plourant, malaulounet,
l^oulit coume Sant Jan-Batisto;
K d*uno voues pietouso e tristo ;
— 0 Santo, rend^s-me la visto,
Fasie^ vous adurrai moun agneloun banet.
A soun entour li plour coulavon.
D6u terns, li caisso davalavon,
Pian-plan, d'eilamoundaut, sus lou pople agi^onva:
K pas-pu-leu la tourtouiero
Monlavo un pau, la gleiso entiero,
Coume un gros vent dins li broutiero,
Cridavo: Grandi Santo, oh ! venes nous sauva !
MIAEILLE, CHANT L Hi
« Puisy on nous les achate aux boutiques... —
Tant^t nous cueillons, dans les fjarrigues^*, - - le
kermis rouge; tantdt, aux lacs, nous allons p^cher
— des sangsues. La charmante p^che! — Pas be-
soin de filet ni d'app&l : — il n'y a qu'ft battre I'oaii
fratche, — la sang^ie a vos jainbes vient se coller.
« Mais n'avez-vous jamais 6te aux Saintes *•? —
CVst U, pauvrette! que Ton chante ; — la que do
toute part on apporte les inflrmes ! — Nous y passa-
mes lors de la f^te... — Certes, I'oglise etail petite,
— mais quels oris! et que d*e.x-voto! — « 0 Saintes,
crrandes Saintes, ayez pitie de nons! »
n C/estTaiuiee de ce grand miracle... — Quel spec-
tacle I mon Dieu! mon Dieu ! — Un enfant 6tait par
terre, pleurant, malingre, — joli comme Saint Jean-
Baptiste; et d'une voix triste et plaintive: — aOSain*
les, rendez-moi la vue, — disail-il ! je vous apportorai
monagnelelcornn. »
« .\utour de lui coulaient les pleurs. — En m^me
temps, les chesses descendaient^' — lentement de
la-haut sur le peuple accroupi; — et sit6t que le cSble
— mollissait tant soit pen, Teglise enti^re, — comme
un gi'and vent dans les taillis, — criait: « (Iraiides
Saintes, oh ! venez nous sauver ! »
ri2 MIIIKIO, CANT I.
Mai, dins li bras de sa meinno,
De si menoto mistoulino
Tre que 1 enfantounet pousque louca lis os
Di Ires Mario benurouso,
S'arrapo i caisso miraclouso,
Eine Uarpiado vigourouso
D6n negadis en quau la mar jito uno post !
Mai pas-pu-l^u sa man aganto
Em*afecioun lis os di Santo,
(Lou veguere !) subran cride renfantouncl
Em6*no fe merevihouso :
— Yese li caisso miraclouso !
Vese ma grand touto plourouso !
\non querre, leu, leu, mounagneloun banol!
E vous tamben, madamisello,
Di^u vous mantengue urouso e bello!
Mai s'un chin, un leseit, un loup, o'n serpalns,
0 touto autro besti courrento,
Vous fai senti sa dent pougnento ;
Se lou malur vous despoutento,
Courres, courr6s i Santo I aur6s leu de soulas.
Ansin fusavo la viliado.
La carreto desatalado
Erne si gr^ndi rodo oumbrejavo pas linn;
Tems-en-t6ms dins li palunaio
S'entendie dinda *no sounaio. . .
E la machoto que pantaio
Au cant di roussignou apoundie sounplagnun.
BIIREILLE, CHANT I. oS
« Mais, dans les bras de sa marraine, — de ses pe-
lites mains fluettes, — desque I'enfantelet put toucher
aux ossenients — des trois bienheureuses Maries,
— il se cramponne aux chasses miraculeuses — avpc
la vigoureuse elreinte — du naufrage a qui la mor
jelteune planche!
« Mais a peiuc sa main saisit, — avec amour, los
ossements des Saintes, •— (je le vis!) soudain rria
I'enfantelet — avec une merveilleuse foi : — « Je vols
les chasses miraculeuses ! — Jc vois mon aieule
^ploree ! — AUons querir, vite, vite, mon agnelol
cnrnn! »
« Et vous aussi, madomoiscUe, — Dieu vous main-
tienne en bonheur et beanie! — Ma's si (jamais) nn
chien, un lizard, un loup, ou un serpent enorme, —
on toute autre b^e erranle, — vons fait sentir sa
dent aigue ; — si le malheur accable vos forces, —
courez, courez anx Saintes! vous anrezt^t du soula-
gement. »
Ainsi s'6coulait la veillee. — La cliarrette delelee
— €le ses grandes roues projetait I'onibre non loin
(de 1^) ; de temps h autre, aux marecages, — on en-
tendait tinter une clochette... — Et la chouette
r^veuse — au chant dos rossignols ajonlait sa
plainie.
Til MrnfilO, CANT I.
— Mai, dins lis aubre e dins li lono
D*abord qu'aniue la luno dono^
Youl^s, dis, que vous conte uno fes qu'en eminent
DVn-t^nt-16u gagnave li joio?
La chatouneto digii^ : Soio !
K mai qu'urouso, la ninoio
Kn tenent soun alon s'aprouch^ do Yincen.
— Ilro k Nimes, sus I'Esplanado,
Qu*aqueli courso 6ron dounado,
A Nimes, o Mireio!... Un pople amouloiinn
E mai espes que p6u de testo,
Kro aqui p6r veire la f6sto.
En p6u, descaus e s^nso vesto,
Proim courreire au mitan deja venien d'ana.
Tout-en-un-cop van entreveiro
Lagalanto, rei di courreire,
Lagalanto, aqueu foi I que soun noum de segur
Es couneigu de vosto auriho,
Aqueu cel^bre de Marsiho,
Que de Prouvenco e d'italio
A vie desalena lis ome li pu dur.
T'avie de cambo, avie de cueisso
Coume lou Senescau Jan Cueisso !
i)e large plat d'eslan avi6'n plen estanie,
Mounte si courso eroa escricho ;
E tant n*avie, de cherpo richo,
Qu'aurias jura qu*a si traficho,
Mir^io, Varc-de-sedo espandi se tenie !
MIKKILLE, CHAM I. r»5
— (( Mais, dans les arbres et dans les mares, —
puisque cette nuit la lune donne, — voulez-vous,
dit-il, que je vous raconte une course — dans la-
quelle je pensai gagner le prix? » — L'adolescente
dit : a Volontiers ! » — Et plus qu'heureuse, Tenfant
naive, — en tenant son haleine, s'approcha de
Vincent.
— « C'esta Nimes, sur TRsplanade, — qu'ondonnaii
ces courses, — a Nimes, 6 Hireiiie ! . . . Un peuple agglo*
m^, — et plus dru que cheveux, — 6tait la pour voir
la fiSte. — Nu-tfite, nu-pieds, sans veste, — de noui-
breux coyreurs au milieu (de la lice) deja venaient
d'aller;
« Tout& coup ils apergoivent — Lagalante, roi des
coureurs, — Lagalante, ce fort dont le nom a coup
stir — est connu de votre oreille, — ce Marseillais ee-
lebre — qui de Provence et d' Italic — avait essouffle
les hommes les plus durs.
(( 11 avait des jambes, il avait des cuisses — cotnme
le S6n6chal Jean de Cossa *» ! — II avait, de larges
plats d'elain, un plein dressoir^ — ou 6taient gravees
ses courses ; — il aVait tant d'^charpes riches — que
vous auriez jur6 qu'aux clous (de ses solives), —
MireillC) Taro-en-ciel se tenait deploye I
3ti MIRfciO, CANT I.
Mai toul-d'iui-teiiis, beissaiit la teslo,
Us autre cargon inai si Y^sto...
Mes eine Lagalanto auso courre. Lou Cri,
Un jouveinet de primo traco,
(Mai qu'avie pas la cambo flaco !)
£ro vengu meiia de vaco
ANiines, aqueujour: soul, ause Tagarri.
leu que d'asard me ialrouvere :
Eh I iioum-d'un-garri ! iri'escridei'e,
Siuii couiTeire per6u !... Mai qu'ai di, fouligau !
Tout aco \ en : — D'aut ! to fan coun^e !
E jujas veire : sus li moure,
E per temouiii ren que li roure,
N'avieu just courregu qu'apres li perdigaii !
1 augue i'ana ! I'a Lagalanto,
Qu'entre me veire, ansiu m'aplauto :
— Pos, mouu paure pichot, liga ti courrejouii I
E' nteriuy de si cueisso redo
Eu estremavo la mouledo
En de braieto lacho en sedo,
Uue des cascaveu d'or a I'entour i'eron jouii.
Per que I'alen se ie repause,
Prenen i bouco un brout de sause ;
Touti, coume d'ami, nous toucan leu la man.
TrefouU de la petelego,
Erne lou sang que nous boulego,
Touli tres, lou ped sus la rego,
Esperan lou signau !... Es douna ! Coume un lamp
MIREILLE, CHANT I. 37
« Mais sur-le-charap, en baissant la l^te, — ^les autres
de nouveau mettent leurs vestes... — Nul avec Laga-
lante n'ose courir. Le Cri, — un jouvenceau de race
deli^e — (mais n'ayant pas la jambe flasque !) — etait
venu conduire des vaches — a Nimes, ce jour-la : seul,
il I'osa provoquer.
Moi qui, par hasard, m'y trouvai : — ^^ Eh !
d'un-rat! in'6criai-je, — nous aussi sommes cou-
reur ! » Mais qu*ai-je dit, folMre ! — Tout (le monde)
iTi*entoure : « Sus ! il faut courir ! » — Et jugez voir !
sur les mamelons, — et pour t^moins rien que les
chines, — je n'avais guere couru qu'apr^s les per-
dreaux !
« II fallut y aller! Lagalaiite, — d6s qu'il me voit,
ainsi m*arr^te : — « Tu peux, raon pauvre petit, lier
les courroies (de la chaussure) *• 1 » — En in^me temps,
de ses cuisses tendues — il enfermait les muscles —
dans un cale^on de soie, — autour duquel dix grelols
d'or ^taient attaches.
{( Afin d'y reposerl'haleine, — nous prenons aux le-
vres un brin de saule ; — tons, comme des amis,
nous nous louchons rapidement la main ; — tressail-
lant dimpatience, — le sang agit6, — tous trois pi6-
tant sur la raie, — attendons le signal!... 11 est
donn^ ! Comme un eclair.
38 MIUEIO, CANT I.
Touti tres avalan la piano !
Te tu ! te i^u ! E dins Fa :dano
Un revoulun de p6usso einbarro n6$ti saut !
E Ter nous porto, e lou pen tubo...
Oh ! qirafecioun ! oh ! quelo estubo !
Lontenis, dou vane que nous atubo,
Cresegu^ron qu'en front empourtarian Tassaut !
leu a la fin prene lavan^o.
Mai fugue ben ma inaluran^o !
Car, en estent que i6u, coume un fier Fouletoun,
A la perdudo m*abrivave,
Tout-en-un-cop, mour^nt e Wave,
Au b^u moumen que li passave,
Darboune, court d'alen, e de mourre-bourdoun!
Mai eli dous, coume quand danson
A-z-Ais li Chivau-frus, se lan^on,
lAegla, toujour regla. Lou famous Marsihes
Cresie segur de I'av^ bello!...
S'ei di qu'avie ges de ratello :
Lou Marsihes, madamisello,
Paniens trouve soun ome en lou Cri de Mouries 1
Dintre lou pople que i'afloco,
Deja brulavon de latoco...
Ma bello, aguessias visl landalou Cri !... Velou I
Ni p6r li mount ni p^r li servi,
I'a ges de lebre, ges de cervi
Qu*agon au courre tant de nervi !
Lagalanio s'alongo en ourlant coume un loup*;.
MIP.EILLE, CHANT I. 39
« Toustroisnous avalonslaplaine! — Atoi ! k moi !
Et dans la carriftre — un tourbillon de poudre enve-
loppe nos bonds! — Et I'air nous porte, et le poil
fume... — Oh! quelle ardeur! quelle course effre-
nee! — Longtemps, tel est i'^an qui nous enflamme,
— on cnit que de front nous emporterions Tas-
saut.
« Moi, enfin, je prends le devant, — Maisce fut 1^
mon malheur ! — Car comme, tel qu un fler follet,
— je m'^lan^ais 6perdument, — tout k coup, mou-
rant et blSme, — au beau moment ou je les depas-
sais, — je roule, court d'haleine, et je mords la pom"
sUre !
(( Mais eux deux, comme quand dansent —7 h Aix
les Chevaux-frux**, s'elancent — (d*un pas) r6gl6,
toujours r6gl6. Lefameux Marseillais — croyait assu-
rement avoir (la partie) belle!... — On a dit qiiM
n^avait pas de rate : — le Marseillais, mademoiselle,
— pourtant trouva son homme dans le Cri de Mou-
ries"!
« Parmi les flots du peuple, — d6j& ils brulaient le
but ". . .— Eussiez-vous vu, ma belle, bondir le Cri ! . . .
Voyez-le! — Ni sur les monts ni dans les pares, — il
n'est pas de cerf, pas de lifevre, — qui aient au courir
tant de nerf ! — Lagalante se rue en hurlant comme
unloup..
40 MIRfilO, CANT 1.
E lou Cri, courouna de gloio,
Einbrasso la barro di joio !
T6uti li Nimausen, en se precepitant,
Volon coun^isse sa patrio ;
Lou plat d*estan au soul^u briho,
Li palet dindon, is auriho
Canto I'auboi... Lou Gri re^up lou plat d>stan.
ELagalanto?f^Mir6io.
Agroumouli, dins la tub^io
Quo lou trape d6u pople aubouravo k rontour,
Tenie sarra de si man jouncho
Si dous geinoun ; e Tamo pouncho
De Tescorno que tant lou councho,
1 degout de soun front eu mesclavo de plour.
Lou Gri Tabordo e lou saludo :
— Souto Tautin d'uno begudo,
Fraire, digu6 lou Gri, *m6 i6u v6ne-t-en 16u !
Vuei lou plesi, deman la reno !
V^ne, que beguen lis estreno 1
Alin, darrie li grands Areno,
P6r tu, coume p6ri6u, vai, i*a*nca proun soul^u!
Mai, aubourant sa caro blavo,
E de sa car que trampelavo
Arrancant si braieto eiiie d*esquerlo d'or :
— D*abord que i6u Tage m*esbr6uno,
T^ ! ie respoundegu6, soun ti6uno !
Tu, Gri, la jouinesso t*aci6uno :
Em'ounour pos pourta li braio d6u pu fort.
MIREILLE, CHANT I. 41
<K Et le Cri, couronn^ de gloire, -*- embrasse le po-
teau des prix ! — Tous les Nimois se pr^cipitent, —
ils veulent connaitre (le nom de) sa patrie. — Le
plat d'^tain au soleil brille; -^ les palets'' tintent;
aux oreilles — chante le hautbois... Le Gri regoit le
plat d'^tain. »
— « Et Lagalante? » demanda Mireille. — « Ac-
croupi, dans le brouillard de poussiSre — que le tre-
pignemejit du peuple soulevait aulour (de lui), — il
pressait de ses mains jointes — ses deux genoux; el,
TAme navr6e — de Taffront qui tant le souille, —
aux goultes de son front il mSlait des pleurs.
« Le Gri Taborde et le salue : — a Sous le berceau
d*une buvette, — fr6re, lui dit le Gri, avec moi viens-
t'en vite! — Aujourd'hui le plaisir, h demain les
plaintes! — Viens, etbuvonsles etrennes! — L^-bas,
demure les grandes Argues, — pour toi, comme
pour moi, va, il est encore assez de soleil! »
« Mais, levant son visage blSme, — et de sa chair
qui palpitait — arracbant son calecon aux sonnettes
d'or : — « Puisque T^ge brise mes forces, — tiens I
lui repondit-il, il est k toi! — Toi, Gri, la jeunesse te
pare comme un cygne : — tu peux*avec honneur por-
ter les braies du plus fort ! »
4.
42 MIRtiO, CANT I.
Acd-d'aqui fugu6 sa dicho.
E dins la pr^isso que s'esquicho,
Tiiste coume un long frais que Tan descapela,
Despareigu^ lou grand courr^ire.
Ni p^r Sant-Jan ni p6r Sant-Pfeire,
En-lio jamai s'es plus fa veire
Per conrre vo sauta sus Touire boudenfla.
Davans lou Mas di Falabrego,
Ansin -Vincen fasie desplego
Di causo que sabi6. Li rouito ie venien,
E soun iue negre flamejavo.
Ce que disie, lou brassejavo,
E la paraulo i 'aboundavo
Coume un ruscle subit su 'n revi^ure maien.
Li grihet, cantant dins li mouto,
Mai dun cop fagueron escouto;
Sonv^nt li roussign6u, souv^nt Tauceu de niuo
Dins lou bos fagueron calamo ;
E pretoucado au founs de Tamo,
Elo, assetado sus la ranio,
Enjusqu*^ la primo aubo aurie pas plega I'iue.
— I6u m'es d avis, fasi' a sa maire,
Que, p6r Tenfant d'un panieraire,
Parlo rudamen ben!... 0 maire, es unplesi
De soumiha, I'iv^r; mai aro
P^r soumiha la niue's trop claro :
Escouten, escouten-rencaro...
Passari^u mi vihado e ma vido k I'ausi!
MIREILLE, CHANT I. 43
(( Telles furent ses paroles. — Et dans la foule qui
se presse, — triste comme un long fr6ne que Ton a
teinie, — disparut le grand coureur. — Ni k la Saint-
Jean ni h la Saint-Pierre, — nulle part, jamais plus,
il ne s'est montr^ — pour courir on sauter sur Tou-
Ireenfl^e. »
Devant le Mas des Micocoules, — ainsi Vincent fai-
salt le d^ploiement — des choses qu'il savait : Tin-
camat venait k (ses joues), — et son oeil noir jetait
des flanimes. — Ce qu*il disait, il le gesticulait, —
et sa parole coulait abondante — comme une ond^e
subite sur un regam de mai.
Lea griilons, chantant dans les motte$, — plus
d'une fois se turent pour ecouter ; — souvent les ros-
signols, souvent Toiscau de nuit — dans le bois firent
silence; — et, impressionnee au fond de T^me, —
die, assise sur la ramee, — jusqu'a la premiere aube
n'aurait pas ferm^ roeil.
— « n m'est avis, disait-elle a sa m^re, — que,
pour Tenfant d'un vannier, — il parle merveiUeuse-
ment!... 0 m^re, c'est un plaisir — de dormir, Thi-
ver; naais k present, — pour dormir la nuit est trop
claire : — Rontons, ecoutons-le encore. — Je pas-
serais, k Tentendre, mes veill^es et ma vie! »
NOTES
nil CHANT PREMIER.
* Lc Mas des Micocoules (Um Mas di Falabrego). Le mot mas, mai-
son rustique, ferine, m^tairie, est usit^ surtout dans rarrondiase-
ment d' Aries et en Languedoc. Dans ia Provence orientaie, on em-
ploie de pr^fi^rence le mot bastido, et dans le Gomtat celui de
granjo.
Ghaque Mas porte un nom distinctif et caract^ristique : ainsi
lou Mas de la Font, lou Masde I'Oste, lou Mas Crema, lou Mas di
Faiabrego.
La faiabrego est le ihiit du micocoulier, en provengal fiUabre-
guU [celiis australis de Linnde), grand arbre commun en Pro-
vence. Les mots mas et faiabrego sont tous deux d'origine celtique .
On pretend mgme que Marseille, MassaUa, vient de mas Salyumt
habitation des Salyens.
* Atravers la Grau [dtrav^dela Crau). La Grau(dugrec xparjpoi,
aride), vaste plaine aride et caillouteuse, bomee au nord par la
chaine des Alpines, au sud par la mer, au levant par les ^tangs du
Martigue, au couchant par le Rhdne. G'est I'Arabie P^tr^ de la
France. EUe est travers^e par le canal de Craponne, qui la par-
s^me d'oasis. (Yoycz le Chant YIII.)
3 Maguelonne (Magalouno) , snr le littoral du d^partement de
I'Hdrault. De celte cit^, ancienne colonic grecque, il ne reste au-
jourd'hui qu'une ^lise en mine. M. Moquin-Tandon, jnembre de
rinstitut et po^te langucdocien, a compost, sous le nom de Carya
NOTES DU CHANT I. 45
fnagai&nenM, une spirituelle chronique en laQgue romane sur les
principaux ^v^nements dont cette ville fiit le th^tre pendant les
premieres ann^es du quatorzi^me siMe.
♦ \ent largue {v^t-larg)t qui souffle du large, brise de mer.
" Le Rau (hu Rau), vent d'ouest qui amene quelquefois la plui^.
^ CaspitdlOy ou cdspi^ interjection qui marque la surprise, pou-
vant se rendre par dame! tudieu!
'' Les fiUes des Baux (UBaussenco). Les Baux (U Baus)y ville rui-
n^e, ancienne capitale de la maison princt^re des Baux. a A trois
lieucs d' Aries, au sommet rocailleux d'un versant des Alpines, sont
^pars les debris d'une ville qui, par le grandiose du sire, par Tan-
ciennet^ de sa fondation et I'importance du r61e qu'elle a jouo
dans les annales du pays, attire les pas du voyageur, exalte I'ima-
^ination de I'artiste, oft're a lacuriosite des archdologues une abor.-
dante pftture, irrite et confond souvent leur docte sagacity. »
(Jules Canonge, HisUnre de la ville des Baux eti Frwence. ]
Conune le nom de cette po^tique locality reparait plusieurs ibis
dans le po§me, nous croyons que le lecteur lira avec plaisir la
descriptiou suivante, empruntde au mftme auteur :
«... Eniin s'ouvrit une ^troite vall^; je m'inclinai devant uno
croix de pierre dont les debris sanctifient la route, et quand men
regard se releva, 11 s*arrSta dtonne sur uu ensemble de tours et do
iniirailles perch^es a la cime d'un roc, tel que je n'en avals jamais
YU, excepts sur les oeuvres ou le g^nie de la peinture s'est inspin*
des plus fabuleuses imaginations de TAriostc. Mais si mon 6tonne-
ment fut grand a ce premier aspect, il redoubla lorsque j'eus gravi
luie Eminence d'ou la ville enti^re se deploya devant moi : c*6tait
un tableau de grandeur d^l^e comme ceux que nous fait rdver
la lecture des prophfetes; c'^tait ce dont je ne soupconnais pas
I'existence, c'^tait une ville presque monolithe. Ceux qui les pre-
miers eurent la pensee d'habiter ce rocber taiUerent leur abri
dans ses flancs ; ce nouveau systeme d'arcbitccture fut jugd boii
par leurs snccesseurs, car la masse ^tait vaste et compacte : une
ville en sortit bientdt comme une statue du bloc d'ou Tart la fait
jaillir : une ville imposante, avec ses fortifications, ses chapelles et
ses hospices, une ville oi!i Thomme semblait avoir ^temis^ sa de-
meure, L'empirede cette cites'^endit au loin; de brillants faitsj
'.(i NOTES or CHANT I.
d'armos lui conquirenl line noble place dans I'histoire; mais elle
n'en fut pas plus durable que lanl d'autres moins solidement con-
st ruites. »
L'action du po€me commence au pied de ces ruines.
* Valabr^gue [Valabrego) , village situe sur la rive gauche du
Rfi6ne, entro Avignon et Tarascon.
8 Font-Yieille [Fant-vieio), village situd dans une vallee des Al-
pinos, aux environs d'Arlos.
*" CoUines des Baux [colo Baussenco). (Voyez la note 7.)
** Ijes miroirs sont crev^s {Umirau soun creka). En provencal on
appelle mirau, miroirs, deux petites membranes luisantes et so-
norcs que les cigales ont sous Vabdoraen, et qui, par leur frotte-
ment, produisent le bruit connu sous le nom de chant. On dit pro-
vorbialement d'une personne dont la voix est briste par I'Sge :
A li mirau creba, elle a les miroirs creves.
** Mart^gal [Martegau), habitant du Martigue, en provenQal hu
Martegue^ curieuse ville de Provence, presqae enti^reraent peupl^
de p^cheurs, bdtie sur des ilots, au milieu de lamer et de nomforeux
^tangs, sillonn^e de canaux en guise de rues, ce qui lui a valu le
snrnom de Venise provenQale. Elle a donn^ le jour k Gerard Ten-
quo, fondateur des Hospitaliers de Sahit-Jean-de-J^rusalem.
*5 Quand Marthefilait [quand Mario fielavo)y expression prover-
biale qui signifio : Dans un temps plus heureux, dans le bon \ieux
temps, par allusion peut-etre a Marthe, Thbtesse du Christ, qui,
aprfes avoir, selon la l^gende, delivre Tarascon du monstre qui ra-
vageait son territoire, termina ses jours dans cette contr^e, habi-
tant une maisonnette aux bords du Rhone, et filant modestement
sa quenouille au milieu de ses neophytes.
** Cabridellc [cabrideUo] [aster tripoUum, Lin.), plante corammie
dans les mar^cages du Midi.
•s Garrigue (garrigo), lande ou il ne croit que des ch^nes-nainst
agarrtis.
*« N'avez-vous jamais 6te aux Saintes? [sias jamai esiedo t
Santo). Les Saintes-Maries-de-la-Mer , en provengal U Santo,
petite ville de cinq cent quarante-trois habitants, situ^e dans Tile
de Camargue, au bord de la mer, entre les embouchures du Rh6ne.
NOTES DU CHAST I. 47
ITiic venerable ct po^tique tradition y attire, Ic 25 uiai de cliaque
a.niiee, de tous les points de la Provence ct dii Bas-Languedoc, uue
allluence innoinbrable de pelerins.
La l^gende rapporte qu'apres la mort du Christ, les Juifs contrai-
^iiireiit quclques-uns de scs pins fervents disciples a nionter sur uu
iiavire d^sempar^, et les livrerent a la luerci des Hots. Voici com-
ment un vieux cantique frangais decrit cette sc^nc •
LES JUIFS
Entrez, Sara, dans la nacelle,
l.azare, Marthe et Maximin,
Cl^on, Trophime, Saturnin,
Les trois Maries et Marcelle,
Kutrope et Martial, Sidoine avec Joseph {d'AritMtkie).
Vous perir^ dans cette nef.
AUez sans voile et sans cordage,
Sans m^t, sans ancre, sans timon,
Sans aliments, sans aviron,
AUez faire un triste naufrage !
Retirez-vous d*ici, laissez-nous en repos,
Allez crever parmi les flots !
Couduite par la Providence, la barque vuit aborder en Provence,
a Textr^mit^ de Tile de Gamargue. Les pauvres bannis, miraculeu-
sement echappes aux perils de la mer, se dispei'sercnt dans la
Gaule m^ridionale et en fwent les premiei-s apotres.
Marie-Magdeleme, Tune des trois Maries, se retira dans le desei*t
de la Sainte-Baunie, pour y pleurer ses pech^s. Les deux autres,
Marie-Jacobe, mere de saint Jacques le Mineur, et Marie-Salom^,
mere de sauit Jacques le Hajeur et de saint Jean rEvang^listc, ac«
compagn^es de leur servante Sara, apr6s avoir converti a la loi
iiouvelle quelques-unes des peuplades voisines , revinrent mouiir
au lieu de leur debarquement. (Voyezle Chant XL)
M. B. Lam'ens, qui a raconte et dessine, dans le journal \'H*
lustration (t. XX, p. 7), le pelerinage des Saint es Maiios, ajoute :
« On dit qu'un prince dont le nom n'est pas designe, sachant que
les corps des Saintes Maries reposaient en cet endroit, y fit b^tir
ime ^glise en forme de citadelle, pour la mettrc a convert de Tin-
vasion des pix^ates* II tit biktir egalcment a I'entour dc Tegliso des
luaisoiiii et des renipaiHs itoui* met (re les habitants du i)ays en sii«
48 NOTES OU CHANT I.
i*et^. Les constructions que Ton voit encore aujourd'hui repondeut
pai'faiteinent k cette derni^re tradition.
« En 1448, apr^s avoir entendu un sennon sur le bonheur qu'a-
vait la Provence de poss^der les d^pouilles des Saintes Maries, Ic
roi Ren^ alia visiter T^glise bfttie en leur honneur, fit faire des
fouilles pour trouver les saints ossemeuts, et le succte de son en-
treprise fut constats par I'odeur merveilleuse qui s'exbala au mo-
ment ou chaque corps fut mis k d^ouvert. II est inutile de dire
tous les honneurs qu'on rendit k ces reliques et tout le soin qu'oo
en prit. »
17 los chlisses descendaient {li caiiso davalav&n).
« Le clioBur de I'^glise pr^nte cette particnlarite d'etre forme
de trois etages : une crypte, qui est d^sign^ comme ^tant la placo
mdme de Tantique oratoire des Saintes, un sanctuaire exhausse
plus qu'i Tordinaire, et une chapellc sup^rieure, ou sont expose
les ch&sses des reliques... dependant d'innombrables cierges tonus
par les assistants s'allument, et le cabestan dont la chaine retenait
la chksse des reliques se deroulant, cette chdsse descend lente-
ment de la chapelle superieure dans le choeur. G'est le moment
favorable aux miracles. Aussi un concours immense de supplications
s'eleve de tous cdtes : Saintes Maries j guirissez man enfimtlte]
est le cri p^n^trant qui vient arracher des larmes au coeur le plus
froid. Tout le monde attend, en chantant des cantiques, le moment
ou il pourra faire asseoir sur la chSsse un pauvre uveugle ou un
epileptique, et quand il y est parvenu, tout le monde se cruit
cxauce. » (B. Laurens.)
'* Jean de Cossa {Jan Cueisso), seigneur napolitain, qui avail sui\i
le roi Rene, grand senechal de Provence, mortent476. JanCudsso
est tr^s-populaire a Tarascou, ou le peuple lui attribue la construc-
tion du clocher de Saiute-Martlie. II est enten^^ dans la crypte dc
cette eglise, et sa statue couchee surmonte son tombeau.
*9 Tu peux, mon pauvre petit, lier les courroies (de tes souliei*s],
ipos, moun paure piclwt, liga ti courrejoun,) c'est-i-dire te prepa-
rer a une course rapide : express, prov.
*° Les chevaux frux [Hchfvau-ff'us), chevaux de carton point, en
usage dans les r^jouissances publiques de la Provence, etparticulie*
rement a Aix, lors de la F6te-Dieu.— Les cavaliers les ajustenti leui*
ceinture, et parcOurent les rues en dansant au son du tambourin.
NOTES DU CIIAIST I. 40
2* Mouries [Mouri^s), village au midi des Alpines.
** lis briUaient du but [brulawn de la toco) , pour dire : lis lou-
cbaiont^resque le but.
^ Les palets (li palet ou cimbaleto) sont des disques d'acier
qu'on frappe I'un contre I'autre comme les cymbales.
CAM SEGOCND
LA CrLIDO
Mireio cuei de fueio d'amouri^ p^r si magnan. — D'asard, Vinc«n lou
paiiieraire passo au carreiroun vesin. — La chato lou sono. — Lou
drole cour, e per i'syuda, inounto em'elo sus I'aubre. — Charra-
disso di dous enfant. — Vincen fat la coumpare/soun de sa son*e
\incenelo era^ Miieio.— Lou nis de pimparrin. — La branco routo;
Mir6to em^ Vincen touinbon de I'aubre. — L'amourouso chatouno
86 declaro. — Lou drole apassiouna desboundo. — La Cabro d*or,
la figuiero de Vaucluso. — Mireio es sounado p^r sa maire. ~
Escaufdslre e separaciouu di calignaire.
Cantas, canlas, magnanarello,
Que la culido es cantarello !
Galant soun li magnan e s'endormon di tres;
Lis amouri6 soun plen de fiho
Que lou beu terns escarrabiho,
Coume un vou de bl6undis abiho
Que raubon sa melico i roumanin d6u gres.
En desfuiant vosti verguello,
Cantas, cantas, magnanarello !
Mireio es a la fueio, un beu matin dc Mai*
Aqueu matin, per pendeloto,
A sis auriho, la faroto !
Avi6 penja dos agrioto* ....
Vincen, aqueu matin, passe 'qui touruamai*
CHANT DEFXIflME
1.A ClIEILLETTR
Mireille cueille ties feuilles de miirier pour ses vers a soie. — Par
liasard, Vincent, le raccommodenr de eorbeilles, passe an srnlin
voisin. — La jeune ftlle Tappelle. — Le gars accouii, et, pour
raider, monte avec elle siir Tarbre. — Causerie des deux enrants.
— Vincent fait le parall^le de sa soeur Vincenelte et de Mireille.—
Le nid de m^sauges bleues. — La branche rompue. — Mireille et
Vincent tombent de I'arbre. — La jeune fllle declare son amour.
— BrAlante explosion du jeune homme. — La Chevrc d'or, le nguier
(le Vaucluse. — Mireille est rappel^ par sa mere. — l&moi et sepa-
ration des deux amants.
Chantez, cliaiitez, magnanarelles M — car la cueil-
lette aime les chants. — Beaux sont los vers k soie,
et ils s'endorment de leur troisi^me somme '; - les
miiriers sont pleins de jeunes filles — que le beau
temps rend alertes et gaies, — telles qu'un essaim
de blondes abeiUes — qui derobent leur miel aux ro-
marins des champs pierreux.
En defeuillant vos rameaux, — chantez, chantez,
magnanarelles! — Mireille est a la feuille, un beau
matin de mai : — cette matin6e-la, pour pendelo-
ques, — a ses oreilles, la coquette — avait pendu
deux cerises — Vincent, cette matinee, passa \k
de nouveau.
.12 MIRfilO, CA!?T II.
A sa barrcto escarlatino,
Coume an li g^nt di mar latino,
Avi^ poulidamen uno plumo dc gau;
E'n trapejant dins li draiolo
Fasie fugi li serp courriolo,
E di dind&nti clapeirolo
Eine soun bastounet bandissi^ li frejau.
— 0 Vinc^n, ie fagu6 Mireio
D'entre-mitan li verdi l6io,
Passes l)en vite, que! — Vincenet toul-d'iin-t^in
Se revir6 vers la plantado,
E, sus un amouri^ quihado
Coume une gaio couquihado,
Destousqu^ la chatouno, e ie land^, count^nt.
— B6n? Mireio, ven ben la fueio?
— He ! pau-&-pau tout se despueio. . .
— Voul^squevousajude? — 0! . .I}6u t6ms qu'eilaniount
Elo risi^ jitant de si^ule,
Vinc6n, picant d6u p6d lou tr6ule,
Escale Taubre coume un gr6ule.
— Mireio, n a que vous lou vi6i M6ste Ramoun :
Fas^s li baisso! aurai li cimo,
leu, boutas! — E'me sa man primo,
Elo en m6usent la ramo : — Engardo de langui
De travaia *n pau en coumpagno !
Souleto, vous ven uno cagno!
Dis. — leu per6u ce que m'enlagno,
Respoundegu^ lou drole, ei jusl ac6-d*aqui.
MIREILLE, CHANT II. 53
A son bonnet 6carlate, — comme en ont les rive-
rains des mers latines, — il avail gentiment una plume
de coq; — et en foulant les senlters, — il faisail fuir
les couleuvres vagabondcs, — et des sonores tas de
pierres — avec son bMon il chassait les cailloux.
« 0 Vincent! lui cria Mireille, — du milieu des
varies allies, — pourquoi passes-tu si vile ! » Vin-
cent aussit6t — se retourna vers la plantation, — et,
sur un mdrier perchee — comme un gai coche-
vis*, — il decouvrit la fiUetle, et vers elle vola,
joyeux.
— € Eh bien! Hircille, vient-elle bien, la feuille? »
— ((Eh! peu h peu tout (rameau) se d^pouille. » —
(( Voulez-vous que je vous aide? » — « Oui! » Pen-
dant qu*elle riait IMiaut — en jetant de folMres cris
de joie, — Vincent, frappant du pied le lr6fle, —
grimpa sur Tarbre comme un loir. — « Mireille, il
n'a que vous, le vieux Haitre Ramon :
r>'
(( Faites les branches basses! j'atteindrai les ci-
meS; — moi, allez ! » Et de sa main 16g6ro, — celle-
ci irayant la ram^e : « Cela garde d*ennui, — de tra-
vailler (avec) un peu de compagnie! — Seule, il vous
vient un nonchaloir ! » — dit-elle. — (( Moi de m^me,
ce qui m'irrite, — repondit le gars, c*est justement
cela.
5
54 MIRftlO, CANT If.
Quand sian eiqa dins nosto b6ri,
Mounte n'aus^n que lou tafdri
D6u Rose tourmentau que manjo lis auvas,
Ok! de fes, queti languitudo!
Pas tant Testi^u, que, d'abitudo,
Fas^n n6stis escourregudo,
L'esti^u, eme moun pai, d'un mas k Tautre mas.
Mai quand lou verbouisset vfen rouge,
Que li jour se fan ivemouge,
E longo H vihado ; autour d6u recalieu,
Entanterin qak la cadaulo
Quauque esperitoun siblo o miaulo,
S^nso lume e s^ns grand paraulo
Fau pspera la som, tout soulet i6u em'6u!...
La chato ie fai a la l^sto :
— Mai dounc ta maire, mounte reslo?
— ftimorto!... Lou drouloun se teise 'n moumenet,
Pi6i reprengue : Quand Vinceneto
£ro em6 nautre, e que, jouineto,
Gardavo enca la cabaneto,
.4lor ero un plesi ! — Mai coume? Vincenef ,
As uno sorre? — E la jouv6nto,
Braveto qu'es e b6n fas6nto,
Digue lou vergani6;... trop! qnk la Font-d6u-Rei,
Alin en terro de B^ucaire,
£lro anado apr^s li segaire,
Tant i' agrad6 soun galant faire
Que p^ tanlo Tan presso, e tanto i' e^ dempiei«
MIREILLE, CHANT II. 55
« Quand nous sommes, li-bas, dans notre hutte,
— ou nous n'entendons que le bruissement — du
Rh6ne impelueux qui mange les graviers, — oh ! par-
fois, quelles (heures) d'ennui! — Pas autant 1*616;
car, d*habitude, — nous faisons nos courses, — Fete,
avec mon pere, de m^tmrie en m^tairie.
« Mais quand le petit houx devient rouge (de baies) ;
— que les journ^es se font liivemales — et longues
les veill^es ; autour de la braise ^ demi ^teinte, —
pendant qu'au loquet — siffle ou miaule quelque hi-
tin, — sans lumi^re et sans grandes paroles, — il faut
attendre le sonuneil, moi tout seul avec lui!... »
La jeune fiUe lui dit promptement : — a Hals tn
m^re, ou demeure-t-elle done?)) — « Elle est morte ! . . . »
Le garcon se tut un petit moment, — puis reprit :
« Quand Vincenette — 6tait avec nous, el que, toulo
jeunn, — elle gardait encore la cabane, — pour lors
e*6tait un plaisir! » — « Mais quoi? Vincent,
« Tu as une soeur? » — « Et la jouvencelle, — sage
qu'elle est et faisant bien (les choses), — dit le tres-
seurd'osier;... Irop! car, a la Fonlaine-dii-Roi, —
la-bas en terre de Beaucaire, — elle elait allee apres
les fauchenrs ; — tant lour plut sa genlille adresse
— que pour servante ils I'ont prise, et servante elle y
est depuis lors. »
50 MIRfilO, CANT IT.
— le dones d'^, k ta sounreto?
~ Quau? i^u? pas mai ! Elo di saureto,
E i^u si^u, lou Yes6s,bruncoumeuncourcoussoun.
Mai pul^u, sabes quau reverto?
Vous! V6stit^sto disaverto,
Coume li fueio de la nerto
Vdsti p^u aboundous, dirias que soun bessoun.
Mai per sarra la claro lelo
De vosto couifo, b6n mies qu'elo
Mir^io, av6s lou fi6u!... N'es pas laido, tamb^n,
Ha sorre, nimai endourmido ;
Mai vous, de quant sias pu poulido !
Mir^io aqui, mita culido,
Leissant anasabranco : Oh! dis, d'aqu^u Yiiicen!..
Cantas, cantas, magnanarello !
Dis amount la fueio es bello,
Galani soun li magnan e s'endormon di tres ;
Lis amount soun plen de fiho
Que lou beu t^ms escarmbiho,
Coume un v6u de bl6undis abiho
Que raubon sa melico i roumanin dou gres.
— Alor, m'atroves galantouno
Mai que ta sorre? La chatouno
Fagu« *nsin k Vincen. — De for^o, eu respound^.
— E qu'ai de mai? — Maire divino !
E qu*a de mai la cardelino
Que la petouso mistoulino,
Senoun la beuta menie, e lou cant, e Teste!
MIUEILLE, CHANT 11. 57
— « Lui ressembles-lu, k ta jeune soeur? » —
« Qui? moi?... Qu'il s'en laut! Elle est blondine,— et
je suis, vous le voyez, brun comme un cuceron... —
Mais plut6t, savez-vous qui elle rappelle? — Vous !
Vos tfites eveillees, — comme les feuilles du myrte
— vos chevelures abondantes, — on les dirait ju-
melles.
c Mais pour serrer la toile claire — de voire coiflo,
bien mieux qu'elle, — Hireille, vous avez le fill.,,
Elle n'est pas laide, non plus, — ma soeur, niendor-
iTiie ; — mais vous, combien etes-vous plus belle ! »
— La Mireille, k moiti^ cueillie, — laissant aller sa
branche ; « Oh! dit-elle, ce Vincent!... »
Gbantez, chantez, magnnnarelles! — Des mi)riers
lo feuillage est beau, — beaux sont les vers k soie,
et ils s'endorment de leur troisi^me (somme). — Les
mi)riers sont pleins de jeunes filles — que le beau
temps rend alertes et gales, — telles qu'un essaim
de blondes abeilles — qui derobeiit leur miel aux ro-
marins des champs pierreux.
— « Ainsi, tu me trouves gentille — plus que ta
soeur? » la fillette — dit ^ Vincent. — « Beaucoup
plus, » r^pondit-il. — « Et qu'ai-je de plus? » —
« M6re divine! — Et qu a le chardonneret de plus —
que le troglodyte gr^le, — sinon la beaute m^me, et
le chant, et la gr^ce ! »
58 MIRfilO, CANT II.
— Mai encaro? — Ma pauro sorro.
Noun vas agu6 lou Wane d6u porre !
(bourne Taigo de mar Vinceneto a lis iue
Que ie bluiejon e clarejon....
Li vostre coume un jai negrejon ;
E quand dessus me beluguejon,
len me s^mblo que rhourle un cigau de vin cue.
De sa voues linjo e clarinello,
Quand cantavo la Peirounello,
Ma sorre, avieu grand gau d*ausi soun dous acord ;
Mai vous, la mendro resouneto
Que me digues, o jouveineto !
Mai que pas ges de cansouneto
Encanlo moun auriho e bourroulo moun cor.
Ma sorre, en courrent p6r li p&ti,
Ma sorre, coume un brout de d^ti
S*^i roustido lou coui e la caro au souleu ;
Vous, bello, crese que sias facho
Coume li flour de la pourracho ;
E de TEsti^u la man mouracho
Noun auso caressa voste front blanquin^u I
Coume uno damo de gandolo
Ma sorre es enca primacholo;
Pecaire! dins un an a fa tout soun creissent...
Mai de I'espalo enjusqu a Tanco,
Vous, 0 Mir6io, r6n vous manco!
Hir^io, lachant mai la branco,
E loulo rouginello : Oh! dis, d aqueu Vinc6n !
MIREILLE, CHANT II. 5'J
-^ tt Mais encore? » — a Ma pauvre soeur, — lii
ii' auras pas le Ijlancdu porreau ! — Conime Feaii de
nier Vincenetlea les yeux — bleus et limpides..., —
Les v6tres sont noirs coimiie jais ; — et quand sur
iiioi ils elincellent, — il me seiuble que je bois uiie
rasadede vin cuit*.
« De sa voix deliee et claire, — lorsqu'elle chantait
la Peyronelle, — ina soeur, j*avais grand plaisir a en-
tendre son doux accord ; — mais vous, la moindre
petite parole — que vous me disiez, 6 jouvencelle ! —
plus que nulle chansonnelte — enchanle mon oreille
et trouble mon coeur.
« Ma soeur, en courant par les p^turages, -~ mo
soeur, comme un rameau de dattes — s'est brdle le
cou et le visage au soleil ; — vous, belle, je crois que
vous 6tes faite — comme les fleurs de Tasphod^le ; —
et la main hA16e de I'Ete — n'ose caresser voire front
blanc !
(( Comme une libellule de ruisseau, — ma swur
est encore gr^le ; — pauvrelle 1 elle a £ait dans un an
toute sa croissance. . . — Mais de I'epaule a la hanche^
~ vous, 6Mireille, il ne vous manque rien! » —
Laissant de nouveau echapper la branche, Mireille,
— toute rougissante, dit ; « Oh! ce Vincent I »
60 MlKfilO, CANT II.
En desfuiant vdsli verguello,
Canias, cantas, magnanarello ! . . .
Ansin li b^us enfant, de Taubre panouious
Escoundu souto lou ramage,
Dins rinnoucenci de soun age
S*assajavon au calignage.
Pamens, de mens en mens, li serre eron neblous.
Amount sus li roco pelado,
Sus li grand tourre esbarboulado
Uunte tr^von, la nine, li viei prince di Baus,
Li capoun-fer, que blanquejavon,
Dins I'estendudo s'euauravon,
E sis alasso fouguejavon
Au souleu, que deja caufavo lis avaus.
— Oh ! n*av6n ren fa ! que vergougno !
Elo vengu6 *m6 'n ^r de fougno.
Aqueu galabontems dis que ven m*ajuda,
Pi6i me fai ren que faire rire. . . .
Anen! d'aut! que la man s'estire,
Que piei ma maire pourri6 dire
Qu'ai panca proun de biais, o, per me marida.
Vai, vai, dis, tu que te vanlaves,
Moun paure ami ! se te lougaves
P6r la cueie a quintau, la fueio, crese que,
Quand fuguesse touto en pivello,
Pourri^s manja de regardello !
— Me crests dounc uno ganchello?
liespoundegue lou drole, un brigouloun mouquet.
)IIREILLE, GHAr^T 11. Gl
En defeuillant vos rameaux, — chantez, chantcz,
magnanarelles!.,. — Ainsi les beaux enfants, de
Farbre feuillu — caches sous la^ramee, — dans Yin-
nocence de leur^ge — s*essayaient a Tauiour. — Les
crates, cependant, de moins en inoins etaient bru-
meuses.
La-haut sur les roches nues, — sur les graudes
lours ecroulees — ou reviennent, la nuit, les vieux
princes des Baux, — les sacres ', 6clatanfs de blan-
cheur,— dans T^lendue s'elevaient, — et leurs grandes
ailes etincelaient — au soleil, qui d^ja chaulTait les
chenes nains.
— « Oh ! nous n'avons rien fait ! quelle honte !
— dit-elle d'un air de bouderie. — Ce dr6le dit
qu'il vient m'aider ; — toul son travail, ensuite, est
deme fairerire... -— Aliens! sus! que la main sc
degourdisse, — parce qu'apres ina mere pourrait
dire — que je suis trop gauche encore, oui, pour me
niarier.
« Va, va, dit-elle, loi qui te vantais, — mon pau\ re
ami ! si tu ie uiettais k gages — pour cueillir h quin-
tal la feuille, je crois que, — ful-elle toute en brin-
dilles, — tu pourrais manger des regardelles ® ! )>
— « Vous me croyez done une mazette? » — repar-
lit le gars, l^g^rement penaud.
02 MIRfilO, CANT il.
B6n ! quau sara ineiour cuifeire,
Madamisello, l*anan vMre !
K z6u! *me li dos man, ftiroun, atravali,
Yague do torse e mouse ramo!
Plus de resoun! plus de calamo!
(l*erd lou mouceu fedo que braino.)
L'ainourie que li porlo es toutaro culi.
Fugu^ronleu, pamens, a pauso.
Quand sias jouine, la bello cause!
Estent qu au meme sa metien la fueio enseii,
Un cop li poulit det cherescle
De la cliatouno, dins I'arescle,
Se devinercn entremesclc
Eme li det brulant, li det d'aqueu Vincen.
EIo eiiiai 6u trefouligueron;
D'amour si gauto s'enftourerou,
E touti dous au cop, d'un fio noun couneigu
Sentigueron Tescandihado .
Mai coume aquesto, a I'esfraiado,
Sourti6 sa man de la fuiado,
fiu, de la treboulino enca tout esmougu :
— Qu'aves? Uno guespo escoundudo
Vous a beleu, dis, pougnegudo?
— Noun sai! clinantlou front, elo respounde plan.
E seiiso mai, chascun se bouto
A tourna cueie quaiico brouto.
Eme d iue couquiiij testo soitto,
S'espiiichavon pamens quau ririe de diivnn*
MIREILLE, CHANT IT. 6!^
« Ehbien! qui cueillera plus vile, — mademoi-
selle, nous allons le voir!... » — El courage! des
deux mains, passionnes, ardents au Iravail, — et de
tordre et de traire ram6e ! — Plus de paroles, plus de
cesse! — (Brebis qui b^le iperdsa denize d*herbe.) —
Le mArier qui les porle est cueilli tout h Thoure.
lis firent, pourtant, bientdt halte. — Quand on est
jeune, la belle chose ! — Comme, dans le m^me sac,
ils mettaient la feuille ensemble, — une fois les jolis
doigts ef&l^s — de la fiUetle, dans le cerceau ', — se
rencontrerent emmSl^ — avec les doigts brtilants,
les doigts de ce Vincent.
Elle el lui'tressaillirenl; leurs joues se color^rent
de la fleur d'amour, — et tons deux k la fois,. d*uii
feu inconnu — sentirent l'echapp6e ardente. — Mais
comme celle-ci, avec effroi, — sortait sa main de la
feuill^e, — lui, par le trouble encore tout 6mu :
— (( Qu'avez-vous? Une gu6pe cach^e — vous a
peut-Mrepiqu6e? » dit-il. — « Je ne saisl • en bais-
sant le front r6pondit-elle k voix basse. — Et, sans
plus, cbacun se met — k cueillir de nouveau quelque
brindille. — Avec des yeux malins, en dessous, — ils
s'^piaienl pourtant h qui rirait le premier.
Oi NIRfciO, CANT II.
Ix)u pitre ie batie!... La fueio
Toumb^ piei mai coume la plueio ;
E quand pi^i au saqiiet veni^ que la metion,
Li dos menoto bianco e bruno,
Que fugue espres o per fourtuno,
Venien toujour uno vers Tunc,
Mcmamen qu*au travai grand joio 6li pronion.
Cantas, cantas, magnanarello,
En desfuiant v6sti verguello ! . . . .
— Ve! ve! tout-en-un-cop Mireio crido, ve !
— Qu'es aco? — Lou del sus la bouco,
Vivo coume un cr6u su 'no souco,
Dre de la branco ounle s'ajouco
Fasi^ signe d6u bras. . . — Un nis. . . qu*anan ave !
— Esp^ro!... E 'n retenent soun greule,
Coume un passeroun long di t^ule,
Vincen de branco en branco a boumbi voi*s Ion nis.
Au founs d'un trau que de naturo,
Entre-milan la rusco duro,
S'ero fa, de I'emboucaduro
IJ pichot se vesien, flame e boulegadis.
Mai Vinc^n quk la branco torto
Yen de nousa si cambo forto,
K penja d uno man, dins lou trounc baumelu
Furno erne I'autro. Un pau pus auto,
Mireio alor, la flamo i gauto :
— Qu'ei? ie demando cauta-cauto.
— l)e pimparrini — De-qne? — l)e b^ii sarraie h\\\
MIREILLE, CUAIST II. G.>
Leur poitrinebattait!... La feuille — tomba puis
de nouveau comme pluie; — el puis, venu (i'instant)
ou ils ia mettaient au sac, — la main blanche et la
main brune, — soil k dessein ou par bonheur, —
toujours venaient Tune vers Tautre, — mSinement
qu'au travail ils prenaient grande joie.
Chantez, chantez, magnanarelles^ — en d^feuil-
lant vos rameaux!... — « Vois! vois! tout k coup
Mireille crie, vois ! » — « Qu'est-ce? » — Le doigt
sur la bouche, — vive comme une locustelle sur un
cep, — vis-^vis de la branche ou elle juche — elle
mdiquait du bras... — « Un nid... que nous aliens
avoir! »
— (( Attends !... » Et retenant son souffle haletant,
— tel qu*un passereau le long des tuiles, — Vincent
de branche en branche a bondi vers le nid. — Au fond
d'un trou qui naturellement, — entre la dure ecorce,
— s*etait form6, par Fouverture — les petits se
voyaient, deji pourvus de plumes et remnant.
Mais Vincent, qui a la branche torlue — vient de
nouer ses jambes vigbureuses, — suspendu dune
main, dans le tronc caverneux — fouille de Tautre.
Un pen plus 61evee, — Mireille alors, la flamme aux
joues : — « Qu'est-ce? » demande-t-elle avec pru-
dence. — « ])es pimparrins ! » — « Comment? »
— « De belles m^sanges bleues ! »
c.'
CO MlRftlO, CANT 11.
Mir^io esclafigu^ lou rire.
— Que ! dis, Tas jamai ausi dire?
Qtiand, dous, trouvas un nis au bout d*un amourie,
0 de tout aubre que lou s^mble,
Passo pas I'an que noun ensemble
La santo Gl^iso vous assemble
Pronv^rbi, dis moun paire, es toujour vertadi^.
— 0, ie fai eu ; mai fau apoundre
Qu*aquelo espero pdu se foundre,
S'avans que d*^stre en gabio escapon li pichot.
— Jeuse, moun Di6u! dono-te gardo!
Crid^ la chato; c senso tardo
Rejoun-l^i ben, que nous regardo!
— Ma fisto ! lou Jouvent ie respond coume ei(;6,
Lou mi6u que li poud6n rejougne
Sari6 bessai dins voste jougne. . .
- Ah ! t^, baio I verai ! . . . Lou drole quatecanf
Mando sa man dins la caforno ;
E sa man pleno que s'entorno
Quatre n'en tiro de la borno.
— Boudieu ! digue Mireio en aparant, oh ! quant !
Queto nisado galantouno I
T6! ih\ pecaire, uno poutouno!
E, folo de plesi, de milo poutounet
Li devouris e poumpounejo ;
Pi6i em' amour plan-plan li vejo
Souto soun jougne que gounflejo. ..
— T^! te! parola man, eride mai Vincenet.
MIREILLE, CHANT II. 67
Mireille 6clata de rire. — « Ecoute ! dit-elle, ne
Vas-tu jamais oui dire? — Lorsqu'on trouve, a deux,
un nid au faite d'un mtirier, — ou de tout arbre pa-
reil, — Fannee ne passe pas qii' ensemble — la sainte
Eglise nevous unisse.... — Proverbe, dit mon pere,
est toujours veridiquo. »
— « Oui, replique Vincent ; mais il faut ajouter —
que cet espoir peut se fondre, — si, avant d'jfttre en
cage, s*6chappent lespetits. » — « Jesus, mon Dieu!
prends garde I — cria la jeune fiUe, et sans retard, —
serre-les avec soin, carcela nous regarde! » — « Ma
foi ! repond ainsi le jouvenceau.
« Le meiUeur (endroit) pour les serrer, — serait
peut-6tre voire corsage. . . » — « Tiens ! oui, donne !
c'est vrai!... u Le gar^on aussitdt — envoie sa main
dans la cavit6; et samain, qui retourne pleine, —
en tire quatre du creux. — « Bon Dieu ! dit Mi-
reille en tendant (la main), oh ! combien ! . ..
« La gentille nichee i — Tiens I tiens ! pauvres pe-
tils, un bon baiser ! » — Et foUe de plaisir, de mille
doux baisers — elle les devore et les caresse ; —
puis avec amour doucement les coule — sous son cor-
sage qui renfle. — « Tiens ! tiens ! tends la main, »
derechef cria Vincent.
68 yil\£l0, CANT II
— Oh ! li poulit ! Si t^sto bluio
An d uioun fin couine d'aguhio!
E l^u mai, dins la bianco e lisqueto.presoun,
Tres pimparrin elo recato;
E, dins lou sen caud de la chato.
La couvadeto que s*amato
Se crei que Fan remesso au founs de soun nisoun.
— Mai, de bon? Vincenet, n*i*a 'ncaro?
— 0 ! — Santo Vierge ! Ve, ioutaro
Dirai qu*as la man fado ! — Eh ! pauro que vous sias?
Li pimparrin? quand v^n Sant Jorge,
Fan d6s, douge i6u, emai qualorge,
Souvenli-fes!... Mai le ! 16! porge,
Li cago-nis ! . . . E vous, bello borno, adessias !
Goume lou drole se desp^njo,
E qu'elo vile lis arrenjo
B^n delicadamen dins soun fichu flouri...
— Ai! ai ! ai! d*uno voues tendrino
Subitamen fai la mesquino.
E, vergougnouso, k la peitrino
S'esquicho li dos man. — Ai ! ai ai ! vau mouri !
Houi ! houi ! plouravo, me grafignon !
Ai ! me grafignon e m*espignon !
Courre leu, Vincenet, leu ! . . . Es que, i*a 'n moumen. .,
Que vous dirai? dins Tescoundudo
Grando e vivo ero I'esmougudo !
Ta 'n moumen, dins la bando aludo
Avien, li cago-nis, mes lou bourroulamen.
MIREILLE,. CHANT II. 69
« Oh ! les jolis ! Leurs t^tes bleues — ont de petit?
yeux fins comme des aiguilles ! » — Et vile encore,
dans la prison blanche et lisse, elle cache trois me-
sanges ; — et, dans le ti6de sein de la jeuiie fille, —
la petite couv6e qui se blottit, croit qu'on Ta remise
an fond de son nid.
— « Mais tout de bon? Vincent, y en a-t-il encore? »
— « Oui ! fl — « Sainte Vierge! vois, tout a I'heure
— je dirai que tu as la main fee ! » — « Eh ! bonne
lille que vous 6tes ! — les mesanges ! quand vient la
Saint-Georges, elles font dix, douze oeufs, el mtoe
quatorze, — maintes fois !... Mais tiens I tiens! tends
(la mahi), — les derniers eclos ! et vous, beau creux,
ndieu ! »
A peine le jeune homme se decroche, — a peine
celle-ci arrange les (oiseaux) — bien d^licatement dans
son fichu fleuri... — ((Aie! aie! aie! » d'une voix
chatouilleuse — fait soudain la pauvrette. — Et, pu-
dique, sur la poitrine — elle se presse les deux mains.
— « Aie ! aie ! a!e ! je vais mourir.
« Ho ! pleurait-elle, ils m'^gratignent ! — alel m'6-
gratignent et me piquent ! — Cours vite, Vincent,
vita!...)) C'est que, depuis un moment, — vous
le dirai-je? dans la cachette — grand et vif 6tait
r^moi ! — Depuis un moment, dans la bande ail^e
— avaient, les derniers eclos, mis te bouleverse-
inent,
70 MinfciO, CANT ri.
E dins restrecho valounado.
La fouligaudo moulounado
Que noun p6u libramen faire soun roudelet,
A grand varai d'arpioun e d'alo,
Fasi^, dins li mounto-davalo,
Cambareleto s6nso egalo,
Fasie long di galis milo beu redoulet.
— Ai 1 ai ! \ene lei quorre ! lampo,
le souspiravo, E coume pampo
Que Fauro atremoulis, coume di cabrian
Quand se sent pouncho uno junego,
Ansin gemis, sauto e se plego
La chaiouno di Falabrego...
Eu pamens i'a voula... — Gantas, en desftiiant,
En desfuiant vdsti jitello,
Cantas« cantas, inagnanarello !
Sus la branco ounte plouro 6u pamens a voula :
— La cregnes dounc b6n, la coutigo?
Eu ie fai de sa bouco amigo.
Eh! coume i6u, dins lis ourtigo,
^Se descausso proun fes vous falie barrula,
Coume farias? E p^r rejougne
Lis enfourniau qu'a dins soun jougne,
Eu ie porge, en ris6nt, soun bounet de mariii.
Deja Mir^io, soutl'estofo
Que la nisado rendi6 gofo,
.Mando sa man, e dins la cofo
Un p6r un adeja torno li pimparrin ;
MIREILLE, CHANT II. 1i
Et, dans Tttroit vallon, — la folMre multitude —
qui ne peut librement se caser, — se ddmenant des
griffes et des ailes, -^ faisait, dans les ondulations,
— culbutes sans pareilles, — faisail, le long des
talus, mille belles roulades.
— (( Aie! aie ! viens les queiir ! vole, » — lui sou-
pirait-elle. Et comme le pampre — que le vent fait
frissonner, coinme une g^nisse qui se sent piqu^e par
les frelons, — ainsi g^mit, bondit et se ploie — lado-
lescente des Micocoules... — Lui pourtant a vole vers
elle... — Ghantez, en defeuillant,
En d^feuillant vos rarneaux, — chantez, chantez,
magnanarelles ! — Sur la branche ou elle pleure, lui
pourtant a vol6. — « Vous le craignez done bien, It'
chatouillement? — luidit-il de sabouche amie— Eh!
comme moi, dans les orties, — si, nu-pieds, mainle-
fois il vous fallait vaguer,
^ Counnent feriez-vous ? » — Et pour deposer —
les oisillons qu'elle a dans son corsage, ~ il lui offiv
en riant son bonnet de marin. — Deja Mireille, sous
Tetoffe — que la nicliee, rendail bouffante, — envoie
la main, et dans la coiffe — d6j^, une a unc, rapporto
losmesanges;
72 MlHfelO, CA^iT II.
Deja, 'melou front clin, pecaire!
E revirado un pau de caire,
Deja lou risoulet se inesclavo k si ploiir ;
Semblablainen k I'eigagnolo
Que, lou matin, di courrejolo
Bagiio li campaneto molo,
E perlejo, e s'esb6u i proumi^ri clarour...
E souto eli v^n que la branco
Tout-en-un-cop pelo e s'escranco ! . . .
Au coui d6u panieraire, elo, en quilant d*esfrai,
Se precepilo e se i' embrasso ;
E d6u grand aubre que s'esfrasso,
En un rapide viro-passo
Tounibon, embessouna, sus lou souple inargai....
Fres ventoulet, Larg e Gregali,
Que di bos boulegas lou pali,
Sus lou jouine par^u que voste gai murmur
Un moumenet mole e se taise!
F61is aureto, alenas d'aise 1
Dounas lou t6ms que Ton pantaise,
Lou lems qu'^ tout lou mens pantaison lou bonur !
Tu que lalejes dins ta gorgo,
Vai plan, vai plan, pichouno sorgo !
DinUe ti cascagnou menes pas tant de brut !
Pas tant de brut, que si dos amo
Soun, dins lou meme rai de flamo,
Partido coume un brusc qu'eissanio...
Leissas-lei s'emplana dins lis or benaslru '
MIREILI.E, CHANT II. 73
D6ja le front baisse, pauvrelle ! — et d^tournee
uii peu de c6te, — deja le sourire se m^lait a ses
larmes ; — seinblablenieiit a la rosee — qui, le ma-
tin, des liserons — inouillc les clochettes moUes,
— ct roule en perles, et s'6vapore aux premieres
claiies
Et sous eux voild que la branche — tout a coup
eclate et se rompt ! . . . — Au cou du vannier, la (jeune
fille) effray^e, avec un cri per^nt, — se precipite
et enlace ses bras ; — et du grand arbre qui se de-
chire, — en une rapide virevolte, — ils tombent,
serr6s corame deux jumeaux, sur la souple ivraie*. . . .
Frais zephyrs, (vent) largueet (vent) grec', — qui
des bois reniuez le dais, — sur le jeune couple que
votre gai munnure — un petit moment mollisse ot
se taise ! — Folles brises, respirez doucement I —
Donnez le temps que Ton r^ve, — le temps qu*a tout
le moins ils r^vent le bonheur !
Toi qui gazouilles dans ton lit, — va lentemeut,
va lentement, petit riiisseau! — parmi tes galets
sonores ne fais pas tanl de bniit ! — pas tant de
bruit, car leurs deux Ames — sont, dans le inline
I'ayon de feu, — parties comme une ruche qui es-
saime.... — Laissez-les se perdre dans les airs pleiiis
d ctoiles I
7
74 MinfelO, CANT II.
Mat elo, au bout duno passado,
Se daver^ de la brassado
Mens palinello souii li flour d6u coudounie.
Pi^i sus la ribo s'asseteron,
Un contro I'autre se bout^ron,
Un uioumeaet se regarderon,
E'm* acd parle 'nsin lou drole di panic :
Vous sias ren facho mau, Mireio?...
0 la vergougno de la leio,
Aiibrc d6u diable, aubras qu'un divendre an planta.
Que la manano ragarrigue,
Que I'arlisoun te devourigue,
E que toun m^stre t*abourrigue !
Mai elo, em* un tramblun que noun p6u arresta :
— Me sieu pas, dis, facbo mau, nkn\ !
Mai, coume un enfant dins si lani,
Que de fes plourinejo e noun saup per-de-que,
Ai quaucar^n, dis, que uie grevo ;
L*ausi, lou v^ire, ac6 me 16 vo ;
Moun cor u*en boui, moun front n'en revo,
E lou sang de moun cors noun pdu demoura quel !
— Beleu, digue lou panieraire,
Es de la pou que vosto maire
Vous charpe qu*^ la fneio aves mes trop de Icm ?
Coume ieu, quand venieu subr'ouro,
Estrassa, moustous coume un Monro,
Per estre ana cerca d'amouro....
•^ Uh ! noun, digue Mireio, autre peno me ten*
MTREILIiE, C1IA3JT TI. 75
Maiselle, aubout d'un instant, — se d61ivra de
Tembrassade... — Moins pales sont les fleurs du co-
gnassier. — Puis ils s'assirent sur le talus, — Tun
pr6s de I'autre se mirent, — un petit moment se re-
gard erent, — et void comment parlale Jeune homme
aux paniers :
(( Vous Mes-vous point fait de mal, Mireille?... —
0 honte de l'all6e, — arbre du diable, arbre funeste
qu*on a plants un vendredi, — que le marasme s'em-
pare de toi ! — que Tartison te d^vore, — et que ton
maitre te prenne en horreur! n — Mais eUe, avec
un tremblement qu*elle ne peul arreter :
— « Je he mesuis pas, dit-elle, fait de mal, nenni!
— Mais, telle qu un enfant dans ses langes — qui
parfois pleura et ne sait pourquoi, — J'ai quelque
chose, dit-elle, qui me tourmente; — cela m*ote le
voir et Touir; — mon coeur en bout, mon front en
r^ve, — et le sang de mon corps ne pent rester
calme, >»
— « Peut-^tre, dit le vannier, — est-ce la peur que
voire m^re — ne vous gronde pour avoir mis trop de
temps h la fmille? — comme moi, quand je m'en
venais k heure indue, — dechir6, barbouill6 comme
un Maure, — pour etre alle chercher des mtires... »
— - « Oh ! non, dit Mireille, autre peine me tient. »
70 MIRfelO, CANT 11.
— 0 beleu uno souleiado,
Fague Vinc^n, vous a'mbriado.
Sabe, (lis, uno vieio, aperamount i Bau
(le dison Taven) : vous asaigo
B^n sus lou front un got plen d'aigo,
E 16u, di cervello einbriaigo,
U Fai escounjura giscloii dins lou cristau.
— Noun, noun ! respound^ la Craenco ;
Lis escandihado niaienco
NVs pa'i chato dc Crau que podon faire p6u !...
Mai on que ser de te decaupre?
Dins moun sen aco pdu plus caupre !
Vincen, Vinc^n, vos-tilou saupre?
De tu si^li amourouso !..., Au bord d6u rajeir6u,
Emai F^r linde, eniai la lopo,
Emai li vi6i sause de cepo,
Fugneron claramen espanta de plesi I...
— Ah ! princesso, que, tant poulido,
Agues la lengo tant marrido,
Lou panieraire aqui s'escrido,
Ta de que p6r lou s6u se traire estabousi!
Coume ! de ieu vous amourouso?
De ma vidasso encaro urouso
An^s pas vous jouga, Mir6io, au noum de Dieu !
Me fagu^s pas cr6ire de causo
Qu*, aqui dedins uno fe 'nclauso,
Dema mort sarien pi6i Tencauso !
Mir^io, d'aqueu biais vous trufes plus de i6u !
MIREILLE, CH\T«T II. 77
— « Ou peut-6tre un coup de soleil, — fit Vincenl.
vous a enivr6e. — ^ Je sais, dit-il, line vieille, dans les
montagnes des Baux — (on l*appelle Taven) : elle
vous applique — bien sur le front un verre plain
d'eau, et promptement, de la cervelle ivre, — les
rayons charmes jaillissent dans le cristal. »
— « Non, non! r^pondit la fille de Crau ; — les
echapp^es du soleil de mai, — ce n est pas aux filles
de Crau qu*elles peuvent faire peur ! — mais k quo!
bon t'abuser? — Mon sein ne peut plus le contenir !
— Vincent, Vincent, veux-tu le savoir? — Je suis
amoiirouse de toi ! . . » Au bord du ruisseau ,
Et I'air limpide, et le gazon, — et les vieux saul« s
taillis — furent clairement ^merveilles de plaisir !...
— ((Ah! princesse, que, si jolie, — vous ayez la
langue si m^chante, — le vannier s'6crie a Tinstant,
— il y a de quoi se jeter par terre, stup^fait !
(( Quoi I vous amoureuse de moi? — De ma pauvre
vie encore heureuse — n'allez pas vous jouer, Mireille,
au nom de Dieu ! — Ne me faites pas croire des choses
— qui, \k dedans une fois enferm6es, — seraient en-
suite la cause de ma mort ! — Mireille, de cette sorte
ne vous moquez plus de moi ! »
78 MinftTO, CANT TT
— Que l>i6ii jamai in'emparadise,
Se i'a messorgo en ce que dise !
Vai, de crfeire que fame ac6 fai pas mouri,
Vincfen ! . . . Mai se, p6r marndesso.
Noun vos de ieu p^r ta mestresso,
Sara i6u, de malo tristesso,
Sara ieu qu'^ ti ped me veiras coumbouri !
— Oh ! digues plus de causo ansinlo !
De ieu a vous i'a *n laberinto,
L'enfant de M^ste Ambroi fague 'n bretounejant.
Yous, sias d6u Mas di Falabrego
La reino davans qiiau tout plego...
I6u, banastie de Valabrego,
Sieu qu'un gandard, Mir6io, un trevaire de champ!
— Eh ! que m'enchau que moun fringaire
Siegue un baroun o 'n panieraire,
Mai que m'agrade k i6u ! ie respoundegu6 lei>
E touto en fio coume uno b'andro.
Mai se noun vos que la malandro
Pure moun sang, dins ti peiandro
Perque dounc, o Vinc6n, m'apareisses tant beu?
Davans la vierge raubalivo,
Eu rest6 m6, coume di nivo
Quand toumbo pau-a-pau un auceu pivela.
— Sies dounc masco, pi6i fague promnte, ^
P6r queta visto ansin me doumte,
Per que ta voues au su me mounte,
E me rende foulas coume un ome enchuscla ?
MIREILLE, CHANT II 70
— « Que Dieu jamais ne m'einparadise^ — s*il est
mensonge en mes paroles ! — Va, croire que je t'aime,
cela ne fait pas mourir, — Vincent!... Mais' si, par
cruaut^, — tu ne veux pas de moi pour amante, —
ce sera moi, malade de tristesse, — ce sera moiqu'a
tes pieds tu verras se consumer! »
— « Oh ! ne dites plus des choses pareilles ! — De
moi k vous il y a un labyrinthe, — Fenfant de Maitre
Ambroise fit en balbutiant. — Du Has des Hicocoules
vous Mes, vous, — lareine devant qui toutplie... —
Moi, vannier de Valabr^gue, — je ne suis qu'un vau-
rien, Mireille, un batteur de campagne I »
— « Eh ! que m'importe que mon bien-aimS —
soit un baron ou un vannier, — pourvu qu'il mo
plaise, k moi! r^pondit-elle vite, — et tou*e en feu
comme une lieuse (de gerbes). — Mais si tu ne veux
que la langueur — mine mon sang, dans tes haillons
— pOurquoi done, 6 Vincent, m'apparais-tu si beau? »
Devant la vierge ravissante, — lui resta interdit,
comme des nues — un oiseau fascine *® qui tombe
peu k peu. — « Tu es done magiciennc, dit-il ensuite
brusquement, — pour que la vue me dompte ainsi,
— pour que ta voix me monte a la t6te, — et me
rende insens6 comme un homme pris de vin?
80 VIRt;iO, CANT II.
Lou yeses pas que ta brassado
A mes lou fio dins mi pensado?
Cap, 16 ! se vos lou saupre, h Tagrat que de i6u,
Paure pourtaire de bourr^io,
Vogues faire que la ris^io,
T'ame per6u, fame, Mir^io !
T*ame de tanl d'amour que le devouriri^u!
Tame, que se disien ti labro :
Vole la Cabro d'or, la cabro
Que do^fun de mourtau ui la pais ni la mous,
Que soul lou ro de Baus-Maniero,
Lipo la moufo roucassiero, —
0 me pcrdr^u dins li peiriero,
0 ine veiries tourna la cabro dou peu rous !
T'ame, ochatounoencantarello,
Que se disies : Vole uno eslello ;
la ni Iraves de mar, ni bos, ni gaudre foui,
la ni bourr^u, ni fio, ni ferre
Que m'aplant^sse ! Au bout di serre,
Toucant lou ceu, Tanarieu querre,
E Dimenche Tauries, pendoulado k toun coiii.
Mai, 0 bellasso ! au mai t'aluque,
Au mai , pecaire ! m'emberluque ! . . .
Vegu^re uno figuiero, un cop, dins moun camin
Arrapado & la roco nuso
Conlro la baumo de Vaucluso :
Maigro, pecaire! i lagramuso
le dounarie mai d*oumbro un clot de jaussemin !
MIRKIME, CHANT II. 81
« Ne vois-lu pas que ton embrassement — a mis le
feu dans mes pens6es? — Car, tiens! si tu veux le
savoir, au risque que de moi, — pauvre porteur de
falourdes, — tu ne veuilles faire que ta ris6e, — Je
I'aime aussi, je t'aime, Mireille ! — je t'aime de tant
d'amour que je te d^vorerais!
« Je t'aime (au point) que si tes 16vres disaient : —
.le veux la Chevre d*or **, la ch^vre — que nul mor-
tal ne pait ni ne trait, — qui, sous le roc de Bans-
Meniere ", — 16che la mousse des rochers, — ou je
me perdrais dans les carri^res, — ou tu me verrais
ramener la chevre au poil roux !
« Je t'aime, 6 jeune fiUe enchanteresse, — (au
point) que si tu disais : Je veux une etoile! — il n'est
traversee de mer, ni bois, ni torrent fou, — il n*est
ni bourreau, ni feu, ni fer — qui m'arr^tat ! Au bout
des pics, — touchant le del, j'irais la prendre, — et,
Dimanche, tu I'aurais pendue& ton cou.
« Mais, 6 la plus belle ! plus je te contemple, —
plus, helas! je m'eblouis!.... — Je vis un figuier ,
une fois, dans mon chemin, — cramponn^ k la roclie
nue — contre la grotte de Yaucluse, — si maigre,
b^las! qu'aux lezards-gris — donnerait plus d'ombre
une touffede jasmin.
82 MIRfilO, CANT II
Un cop per an vers si racino
Veil flouqueja I'oundo vesino;
K I'aubret secarous, a I'aboundouso font
Que mounto a-n-6u per que s'abeure,
Tant que n en vou, se bouto a beure..,.
D*ac6 tout l*an n'a proun p6r vieure.
Coume aTaneu la peiro, a ieu ac6 respond;
Que sieu, Mireio, la figuiero,
E tu, la font e la fresquiero
E basto, a ieu pauret! basto, uno fi»s de Tan,
Que pousquessc, a geinoun coume arc,
Me souleia i rai de ta caro !
E subretout de poude 'ncaro
To floureja li det d'un poutoun tremoulant !
Mirc'io, d'amour tresananto,
L'escoutavo... Mai eu I'aganlo,
En Taganto esperdu ; conlro soun pilre fort
L'adus esperdudo. . . — Mireio !
Subran coume eicjo dins la leio
S'entendegue 'no voues de vieio,
Li magnan, k miejour, manjaran ren, alor?
Dedins un pin, en grando fogo,
Dn v6u de passeroun que jogo,
Emplisson, i'a de fes, d'un chamatan galoi
La vesprado que s'enfresqueiro ;
Mai d'un glenaire que li gueiro
Se tout-d'un-cop toumbo la peiro,
De tout caire, esfraia, tabouscon dins lou boi.
31IREILLE, CHANT il. 83
« Vers ses racines, une fois par an, — vient da-
poter I'onde voisine ; — et I'arbuste aride, a I'aboii-
danle fonlaine — qui monle a lui pour le desalterer,
— autanl qu'il veut, se met a boire... — Cela toule
Taiinee lui suffit pour vivre. — Comme la pierre a la
bague, a moi cela s*applique.
f Car Jesuis, Mireille, le figuier, — ettoi, la fon-
taine et la fraicheur! — Et plutauciel, moi pau-
vret ! pWt au del, une fois Tan, — que je pusse, a
geiiouX) comme a present, — me soleiller aux rayons
de ton visage, — et surtout que je pusse encore —
t'effleurer les doigts d'un baiser Iremblant! »
Mireille, palpitante d'amour, — I'^coutait. . . . —
Mais, lui, la prend, — lui la prend eperdu; conlre
sa poitrine forte — Tamene eperdue. . . — « Mireille ! o
— ainsi tout a coup dans I'allee — r^sonna une voix
de vieille (femme), — « les vers a soie, & midi, ne
mangeront done rien? »
Dans un pin, en grande animation, — unevoleede
passereaux qui s'ebat — remplit, quelquefois, d un
gai ramage — la soiree qui fraichit. — Mais d'un
glaneur qui les guette — si tout d'un coup tombe la
pierre, — de toule part, eflrayes, ils s'enfuient dans
le bois
81 MIREIO, CANT II.
Di5sinemouria de rescauf^stre,
Ansin fugis per lou camp^strc
Loupareu amourous. Elo, devors lou mas,
S^nso inuta, part a la l^slo,
Etne sa fueio sus la testo...
Eu, planta coume un sounjo-resto,
I/arregardo laiida peralin dins Tennab.
MIREILLE, CHANT IT. 85
Trouble d'^moi, — ainsi fuit par la lande — le
couple amoureux. Ell6, de vers le masj — sans dire
mot, part a la Mle, sa feuill^e sur la f^le... — Lui,
immobile comme un songe-f^tesy ~ la regarde courir,
au loin, dans la fricbe.
NOTES
DC CHAM DEUXifeME.
' Muguaiiarelles [magnanarello). Onrlesignc par cc mot les feni-
lues pr^posces a 1' Education des vers a sole, magnan.
^ lis s'endorment de leur troisi^me somme (s'endormon di tres).
Les vers a soie vivent a I'etat de larve trente-quatrc joui*s environ,
et dans cet intervalle cliangent quatre fois de peau. A rapproche
de chaque mue, ils s'engourdissent et ccssent de manger, dormon.
On dit dourmi de la poumiero, di dos, di tres^ di quatre, ce qui
signilie litteralement dormir de lapremiire [mue), des deux (mues],
des trois [mues], etc.
s Cochevis (couquihado), [alauda cristala, Lin.).
♦ Vin cuit {vin cue) : mout qu'au sortir de la fouloire on fait
bouillir dans un chaudron, et qui ^tant cuit k point, rappelle, aprcs
lui an de bouteille, la couleur et le gout des meilleurs vins d'Es-
pagne. Les Provengaux le boivent dans les festins, et principale-
nient au repas de Noel.
5 Sucre [capoun-fer), sacre d'figypte [vultur perctiopterus. Gin.),
oiseau de proie.
6 Regardelles {regard ello), metsimaginaire. Mattja deregardelk,
manger des yeux, mficher a vide, comme dit Rabelais.
. '' Arescle, cerceau qu'on adapte k la gueule d'mi sac pour le
tenir ouvert. On donne en gendral le nom d'arescle aux bois de
fente dont on fait les sas, les cribles, les tambours^ les boisseaux.
8 Ivraie [margai). II s'agit de I'ivraie vivace [lolium perenne^
Lin.), ray-grass des Anglais.
WOTES, ^"7
® Vent grec {gregali, gregau, ou simplement Gre), vent du nord-
est.
*<> Fascin6 (fiivela). Le verbepivWa on pipa signifie Taction, vraic
ou imaginaire, par laquelle un reptile attire k lui un oiseau, ct
m^me une personne. Le peuple attribue cette attraction a une as-
piration irresistible, qui pent n^anmoins 6tre interceptee par le
passage subit d'un corps Stranger
** La Ch^Tre d'or [la Cabro d'or), tr^sor on talisman que le peu-
ple pretend avoir &.& enfoui par les Sarrasins sous Tun des anti-
ques monuments de la Provence. Les uns pr^tcndent qu'elle git
sous le mausolde de Saint-Remy, d'autres dans la grotte de Cordo,
d'aulres sous les roclios des Baux. « Cette tradition, dit George
Sand (les Visions de la nuit dans lescampagnes), est universclle; ii
y a pcu de mines, chSiteaux ou raonast^res, peu de monuments
celtiques qui ne recelent leur tr^sor. Tons sont gardes par un
animal diabolique. M. Jules Ganonge, dans un charmant recueil de
contes m^ridionaux, a rendu gracieuse et bieniaisante la po^tique
apparition de la Ch6vre d'or, gardienne des richesses cach^es a«
8?in de la terre. »
La tradition d'un tr^sor, qui prend des formes sans nombre,
mais ayant toutes leur raison d'etre, et garde par un animal
etrange, est universelle. On la retrouve chez tons les peuples, on
die se lie aux plus anciens souvenirs sans cesser d'etre toujour
vivante. On la verra compl^tement ramende h sa source, sous
toutes ses transformations, dans les quatri^me ct cinqui^me volumes
du Monde paieUj que publie en ce moment M. d':VnseUne. Nous
sommes heureux de citcr ici les ^tonnants travaux d'ex^^se my-
thologique de notre savant compatriote.
** Bau-maniere [baus-maniero], rocher apic au nord de la ville
des Baux. Cette locality tire son nom des escarpements qui Tenton-
lent; car en provengal le mot Baus veut dire escarpement,
precipice, et Baus-maniero y Uaus-heaso, Baus-mirano, Baus-cous-
Umpiej sont lesnomsque portent encore divers quartiers du ter-
ritoire des Baux
C\NT TRESEN
LA DESCOUCOUNADO
Li recordo prouvenQalo. — Au Mas di Falabrego, un gai roudelet de
chalo descoucounon. — Jano-Mario, maire de Mir^io. Taven, la
masco di Bans. — La malo-visto. — Li dcsconcounarello fan, per
passo-t^ms, de catUu en Prouvtnpo. — La Hero Lauro, rdino de
Paraparigousto. — Cleinenco, r^ino di Baus. — Lou Yentour, Ion
Rose, la Duren^o. — Azalats e Vioulano. — La Court d'amour. — -
Lis amour de Mir^io e de Vincdn descuberto per Nourado. — Li
^alejado. — Taven la niasco fai teisa li chato : I'ennitan dou Lu-
' biToun e lou sant pastre. — Noro canto Magali.
Ouand li pausito soun braveto,
Qu'ft plen barrau lis ouliveto
Dins li gerio d'argelo escanipon Tdli rous ,
Quand, sus li lerro e dins li draio,
Dou garbejaire que varaio
Lou grand carri reno e trantraio,
E luerlo de perlout'm^ soun front auturons ;
Nus e gaiard coume un luchaire,
Quand Bacus v^n, e di chauchaire
Coundus la farandoulo i vendemio de Crau;
E, de la caucadouiro emplido,
Quand la bev^nto benesido,
Souto li cambo eninoustousido,
Dins loscumouso lino escapo a plen de trau ;
r.HANT TROISIEME
LK DEPOUILLEMENT DES COCONS
Les recoUes provencales. — Au Mas des Micocoules, une joyeuse
reunion de jeunes fitles d^achc des raineaux les cocons des vers a
soie. — Jeanne-Marie, m6re de Mireille. — Tav^n, la sorci^re des
Baux. — Lamauvais^oeillade. — Les deponiileuses de cocons, pour
passer le temps, font des chateaux en Provence. — La fiere Laure,
reine de Pamparigouste. -- Glemence, reine des Baux, ~ Le Ven-
lour, le Bh6ne, la Durance. — Azalais et Violane. — La Cour d'a -
niour. — Les amours de Mireille etde Vincent divulgues par Norade.
— Railleries des jeunes filles. — la sorciere Taven leur impose
silence : Termite du Lub^ron et le saint pdtre. — Nore chants
Magali.
Quand les recoltes sonl honn^tes, — qu'S pleins
barils les vergers d'oliviers — dans les jarres d'ai^-
gile epanchent riuiile rousse; — quand, par les
champs et les chemins, — du rannasseur de gerbes
qui erre ch ot 1^ — le grand chariot geint et cahole,
— el heurte de toute pant avec son front altier ;
Nu el vigoureux comme un lutteur, — quand
Bacchus vient, et des fouleurs — conduit la farandolo
aux vendanges de Crau; — et, de la fouloire comble,
— quand la boisson b^nie, — sous les jambes bar-
bouill6es de moijt, — dans I'ecumante cuve echappe
Spleine bcnde;
8.
90 MIRfi!0, CANT I!T.
E, clarineu, sus ii gen^sto
Quand Ii magnan mounton en f^sto
P^r fiela si presoun bloundinello ; e que leii
Aqu^li toro mai qu'abilo
S*ensevelisson, k cha milo,
Dins si brcssoio tant sutilo
Que voiis sfemblon teissudo em* un rai de soul^u ;
Alor, en tenro de Prouv^nco,
Ta mai que mai divertissfen^o!
Loii bon muscat de Baumo e lou Ferigoiilel
Alor se chourlo k la gargato ;
Alor se canlo e Ton se trato ;
Alor se v^i e drole e chato
All son d6u tambourin fourma si verloulet.
— I6u claramen si6u fourtunado !
Sus mi canisso encabanado
Qneli flo de coucounl... Un bos mi^uenseda,
Un pu riche descoucounage,
L*avi6u pu vist dins lou meinage,
Vesino, dempiei moun jouine age,
Oesempi^i Tan de Dieu que nous sian marida.
D6u tems que lou coucoun se trio,
Ansin disi6 Jano-Mario,
Wn\ vi^i M^ste Ranioun ounourado inouie,
De Mirfeio ourgueiouso maire;
E Ii vesino e Ii coumaire,
En trin de rire e de desfaire,
Kron a soun entour, dins la magnanari^.
MIREIME, CHANT HI. m
Et, diaphanes, sur les genets — qiiand les vers a
sole montent en f6te — pour filer leurs prisons blon-
des ; et que rapidement — ces chenilles, artistes
consommes, — s'ensevelissent a milliers — dans
leurs berceaux si subtils — qu'ils semblent tissus
d*un rayon de soleil ;
Alors, en terre de Provence, — il y a, plus que ja-
mais, 6baudissement ! — Le bon muscat de Baume *
et le Ferigoulet • — alors se boivent a la r^galade ; —
alors on chante et Ton banquette ; — alors se voient
gargons et filles — an son du tambourin former leurs
rondes.
— « Moi, clairement, je suis heureuse ! — Sur mes
claies de roseaux ou la bmy^e en herceaitx s'entrelace,
— quels bouquets de cocons!... line rain^e plus
soyeuse, - unoplusricher^colte, — je neTavaisplus
viiedans la ferine, — voisines, depuismonjeune ftge,
— depuis Tan de Dieu que nous nous maridmes. »
Pendant que le cocon se depouille, — ainsi disait
Jeanne-Afarie, — du vieux Maitre Ramon Spouse
honor^e, — m6re orgueilleuse de Hireille; — etles
voisines et les coramferes, — en train de rire et de
detacher (les cocons), — etaient aufour d*elle, dans
la magnanerie.
02 MIREIO, CANT II.
Descoucoiinavon : elo-memo,
Hir^io, a tout moumen, i femo
Poiirgi6 li brout d'avaus, li clot de roumanin,
Ounte, k l'6udour de la mounlagao,
Tant voulountie *m6 soun escagno
La iioblo toro s'embarragno
Que, coume rampau d'or, n 6ron clafi dedin,
— Sus Taular de la Bono Mairo,
Jano-Mario a si coumaire
Venie dounc, ai6r, femo, anere l^u pourta
De mi brout lou pu beu per deinie :
Ansin fau, t6uti li mil^ime ;
Car OS pi6i elo qu*S b61 6ime
Conmando, quandie plais, i magiian de mounln.
— leu, digu6 Zeu d6u Mas de TOste,
Ai bello p6u que me ii'en coste !
Lou jour que tant boufavo aqueu gros Levantas,
(D'aqueu laid jour vous n'en remembre !)
Avi6u leissa, per destinembre,
A brand lou fenestroun ddu m^mbre,..,
Ades n*ai coumta vint, canela sus lou jas !
Taven, p^r douna soun ajudo,
Per6u di Baus ero vengudo.
A Z^u Taven digu6 : Toujour, mai que li viei.
Crests, li jouine, de counouisse !
Mai fau que Tage nous angouisse,
. Fau que Ton ploure e que Ton gouisse :
Alor, mai b6n trop tard. Ton v6i e Ton coun6i !
MIREILLE, CHANT HI. 0^
On faisailla recolle : ellem^me, — Mireille, k lout
moment, aux femmes — presentait les brindilles de
ch^ne-nain, les touffes de romarin, — ou, (attir^e)
par la senteiir de la montagne, — si volontiers avec
son 6cheveau — la noble chenille s*emprisonne, —
que, semblables k des palmes dor, elles en etaient
pleines.
— « Sur Tautel de la Bonne M^re', — disait
done k ses comm6res Jeanne-Marie, — hier, fem-
mes, j'allais porter en hMe — le plus beau de ines
brins, pour dime. — Ainsi je fais toutes les annees ;
— car, apr6s tout, c'est elle qui, avec largesse, —
commande, lorsqu'il lui plait, aux vers k soie de
rnonter. »
— (( Pour raoi , dit Iseult du Mas de THdle, —
j'ai grande peur qu*il ne m'en coute! — Le jour que
tant soufftait ce grand vent d*Est, — (de ce jour
affreux qu'il vous souvienne!) — j*avais laiss6, par
m^garde, — lout ouverte la fen^tre de I'apparte-
ment... — tantdt J*en ai compt6 vingt, blanchis^ sur
la lili^re ! )>
Taven, pour donner son aide, — etait aussi venue
des Baux. — Tav6n dit k Iseult: « En toute chose,
plus que les vieillards, — vous croyez, jeunes gens,
de connaitre! — Mais il faut que Tage nous afflige,—
ilfaut pleurer, il faut gemir: — alors, mais beau-
coup trop lard, on voit et on connait.
94 MIRfciO, CANT III.
V&utri, li femo tartavello,
Se I'espelido pareis bello,
Leu-leu que p^r carriero anas en bardouiant :
Fa mi magnan qu'es pas de cr^ii^e
Goume soun b6u ! Venes lei v6ire !
L*Envejo r6slo pas k r^ire :
Darri^ vous k la chambro escalo en remoumiant.
— Fan gau ! te dira la vesino ;
Es b^n tout clar qu'as ta crespino !
Mai tant leu de contro elo auras vira lou ped,
Te ie dardaio, I'envejouso,
Uno espinchado verinouso
Que te li brulo e te li nouso ! . . .
Es I'auro, dir^s pi^i, que me lis engipe !
— Disc pas qu*acd noun ie fague,
Respounde Zeu. Coume que vague,
Poudieu ben, aqueu jour, barra moun fenestroun !
— Di verinado que I'iue lan<?o,
Quand dins la t^sto briho e danso, '
Fagu6 Taven, n'as dounc doutango?...
E sus Zeu entremen mandavo d'iuefurouir.
— Oh ! pau-de-sen qu* erne Tescaupre
Furnant la mort, creson de saupre
La vertu de I'abiho e lou secret d6u meu !
Quau t'a pas di que, davans tenne,
Pdu, un regard lus^nt e ferme,
D6u femelan torse lou germe,
Di vaco poussarudo agouta li mam^u '
MIREILLE, CHA^T III. 95
« Vous, femmes etourdies, — «i re<;losion parait
belle, — vite, vile par la rue allez bavardant : —
« Mes vers a soie, c*esl incroyable — comme ils sonl
beaux ! Yenez les voir ! » — L'Envie iie reste pas eii
arrifere : — derri6re vous, a la chainbre, elle monte
en groinmelant.
— « Us font plaisir (a voir) ! te dira la voisine ;
— il est tout clair que lu es iiee coiffee ^ ! » —
Mais sit6t que d'^ c6t6 d elle tii auras tourn^ le pied,
— Tenvieuse leur darde — une oeillade veniineuse
— qui te les brAle et te les noue. . . — « C est le venl,
direz-vous ensuite, qui jne les pldtra * ! »
— « Je ne dis pas que cela n'Y fasse, — r^pondit
Iseult. Quoi qu'il en soit, — que n'ai-je, cc jour-lS,
clos ma fendtre ! » — « Des inal^fices que Toeil lance,
— lorsqu'il brille et danse dans la t^te , — re-
pliqua Taven, tu en doutes done?... » — Et sur
Iseult, en meme temps, elle langait des yeux ar-
dents.
— a Oh ! inseuses! qui, avec le scalpel — fouillaiil la
inort, croient savoir — la verlu de I'abeille el le
secret du miel 1 — Sais-tu bien si, avant terme, —
ne peut, un regard luisant et fixe, — tordre le
gerine de la feinme, — des vaches mauielues tarir
les pis?
m lilIR£lO, CANT III.
Is aucelouii ven la inascoto,
R6n qu*k Tasp^l de la machoto ;
All regard de la serp degoulon tout-d*abord
lis auco,... c souto I'iue de Tome,
Tu, vos qu*un verme noun s'endrome?...
Mai, contro Tiue d6u juvenonie,
Quand trespiro Tamour, la ilamo, o I'estramboid,
Mounte es la chato proun savento
Per s'apara? Quatre jouv^nto
Leiss^ron de si man escapa li coucoun :
Que fugue en jun, fugue en 6utobre,
Toun aguhioun fau toujour qu'obre,
Que! ie crideron, viei poulobre !
Li drole?... digo-ie qu'avan^on un brigoun !
Noun ! veni6 la gaio nin^io,
N'en voul^n ges ! parai, Mireio?
— Se descoucouno pas, fague, 16uli li jour :
Sabe une fiolo, dins Testivo,
Qu'anas trouva fort agradivo...
E Mireio, despachativo,
Davalo dins lou mas escouiidre sa roujour.
— B611! ieu, mi bono, sieu b^n pauro I
Acoumence la fi^ro Lauro.
Mai se, d'escouta res, i^u, I'avi^u envela,
Quand lou rei de Pamparigousto
De sa man me farie soumousto,
Sarie moun chale, ma coungousto,
Ue lou v^ire set an k mi p^d barbela !
i|IRElLLE, CHAM 111. 07
« Les oisillons sonl ensorcel^s — a Taspect seul de la
chouette ; — au regard du serpent, (du del) toinbont
soudain — les oiey,... et, loi, sousroeildeVhoiiiine,
— tu veux qu'un ver ne sendoiiue pas?... — Mais,
centre Foeil du jeune honiine, — lorsqu'il en jaillit
i'amour, la flamme ou Tenthousiasme,
« Ou est la vierge assez savauie — pour se defen-
dre? » Quatre jouvencelles — laisserent de leurs
mains echappcr les cocons : — « Que ce soil en juiii
ou en octobre, — il faut sans cesse que ton aiguillon
soil a ToBuvre, — eh ! vieille couleuvre! lui cri^rent-
elles... — Les gargons?.... dis-leur d'approcher
tant soil peu !
« Non I s*ecriait le gai troupeau de filles, —
nous n*en voulons point ! n*est-ce pas Mireille? » —
« La recolte des cocons n'a pas lieu, repondit-elle,
tons les jours: — je sais une bouteille, dans le
cellier, — que vous allez Irouver fort agreable. » —
Et Hireille, legere, — descend dans la inaison pour
cachcr sa rougeur.
— « Kh bien! mes bonnes (amies), je suis bien
pauvre, moi! — connnen^a la fi^re Laure. — Mais
si de n'ecouter personne j'avais r^solu, — quand le roi
de Pamparigouste ' — me ferait offre de sa main, —
ina volupt^, ma delectation serait — de le voir sept
aiis k mes pieds agoniser d*amour I »
08 MIRfciO, CANT. 111.
— I6u noun! aqui digue Gieinenru.
Se quauque r^i, p6r escasen^o,
De ieu veni* amourous, pou arribabessai,
Subrelout s'ero jouine e leri
E lou pu beu de soun emperi,
Que, senso tant de refouleri,
Me leissesse per eu mena dins soun palai.
Mai uno fes que m^aurie inesso
Emperairis e segnouresso,
Erne capo ufanouso, a paparri d*orfre,
Em* autour de ma testo caudo
Dno courouno qu*esbrihaudo,
R^n que de perlo e d'esmeraudo,
M*envendreu,ieu la reino,i Baus,mounpaure endre!
Di Bans farieu ma capitalo !
Sus lou roucas que iuei rebalo,
De nou rebastirieu noste viei castelas :
I*apoundrieu uno tourrello
0u'em6 sa pouncho blanquinello
Ajougneguesse lis estello 1
E piei, quand voudrieu unpauquetde soulas,
Au tourrihoun de ma lourriho,
Senso courouno ni mantiho,
Soulelo eme moun prince amarieu d'escala.
Souleto em' eu, sane, ma fisto !
Causo de bon e de requisto
Peralin de perdre sa visto^
Conlro lou releisset, couide a couide apiela !
BITREILIE, CHANT III, 99
— « Non pas moi! dit \k Cl6mence. — Si quel-
que roi, par hasard, — de moi devenait amoureux,
il pourrait bien sefaire, — surtout s*il ^tait jeuiie,
brillant, — et le plus beau de son empire, — que,
sans tant de caprices, — je me laissasse einmener
par lui dans son palais.
« Mais d^s qu*il m'aurait mise — imp^ratrice et
souveraine, — avec un manteau magnifique, a ra-
mages d'orfroi, — el (qu*il aurait) ceint ma t^te ar-
dent e — d une couronne qui ^blouit — de perles et
d*emeraudes, — je m*enviendiais, moi la reine, mix
Baux, mon pauvre pays !
« Des Baux je ferais ma capitale ! — Sur le rocher
oil il rampe aujourd'hui, — je rebMirais^neuf notre
vieux chftteauen mine : — j'y ajouterais une tourelle,
— qui, de sa pointe blanche, — attcignit les 6toiles!
^ — Fit puis, quand je voudrais un pen de sonlas,
« Au donjon de ma tourelle, — sans couromie ni
manliile, seule — avec mon prince, j'aimerais k mon-
ter. -— Seule avec lui, ce serait, je vous jure ! —
chose plaisante et d6licieuse — (que) de perdre au
loin sa vue, — centre le parapet, coude k conde,
appuy^s »
108891
1<!0 MmrJO, CANT III
De veire en plen, fasie Clem^^o,
Moun gai reiaume de Prouv^nQO
Coiime un claus d'arangi^ davans ieu s*espandi;
E sa mar bluio estalouirado
Soiilo si colo e si terrado,
E li grand barco abandcirado,
Poujanto k plen de velo i ped dou Casteu d*I ;
E Vent our que lou Iron labouro,
Ventour que, nenerablo, aubouro
Subre 11 mountagnolo amatado souto 6u,
Sa bianco teste fin qu*is astre,
Coume un grand e viM baile-pastre
Qu'enlre li fau e li pinaslre,
Couta *ine soun bastoun, count^mplo soun vacien;
E lou Rose, ounte tant de vilo
Per b6ure v6non k la filo
En lis^nt e cantant s'amourra toul-de-long,
Lou Rose, tant fi^r dins si ribo,
E qirAvignoun lant-l^u arribo,
Conusant pamens a faire gibo,
Per veni saluda Nostro-Damo de Dom;
Ela Dur6n?o, aquelo cabro,
Alandrido, feroujo, alabro,
Cue rousigo en passant e cadee rebMudin,
Aquelo chato bonlegueto
Que v6n d6u pons 'm6 sa dourgneto,
E que degaio soun aigueto
En jougant *m6 li chat que Irovo per camin.
MIUEILLE, CHANT III. 101
« De voir en ploin, disail Cl6mence, — mon
gai royaume de Provence, — lei qu*ua clos d'oran-
gers, devant moi s'6panouir; — etsa mer bleue mol-
lement 6tendue — sous ses colUnes et ses plaines,
— et les grandes barques pavois6es — cingldnl i
pleine voile au pied du Chateau d'If.
« Et le Ventour' que laboure la foudre, — le Ven-
tour qui, venerable, 61eve — sur les montagnes blot
ties au-dessouii de lui — sa blanche tMe jusqu'aux
aslres, — tel qu'un grand el vieux chef de pasteurs
— qui, entre les liMres et les pins sauvages, — ac-
cole de son b^lon, contemple son troupoau ;
« Et lo Rh6ne, ou lant de cit^s, — pour boire,
viennenl a la file, — en riant et chantant, plongor
leurs 16vres, tout le long; — le Rli6ne si fier daris
ses bords, — et qui, d^s qu'il arrive a Avignon, —
consent pourtant a s'infl^chir, — pour venir saluer
Notre-Danie des Doins;
« Et la Durance, celte ch6vre, — ardeiite -^ la course,
farouche, vorace, — qui ronge en passant et cades et
argousiers; — cetle fllle s6millante — qui vienl du
puits avec sa cruche, — et qui repand son onde —
en jouant avec les gars qu*elle trouve par la route. »
102 MIRfilO, CANT HI.
Tout en dis^nt ei^6, CLem^n^,
La g^nto r^no de Prouv^n^o,
Qoit^ sa cadiereto, e dins lou canesteu
An^ veja sa faudadouno.
Azalais, bruno chatouno,
Em6 Vi6ulano, sa bessouno,
(Qne si g^nt d'Estoubloun menavon lou casteu),
Azalais, bruno cbatouno,
Em6 Yi6ulano, sa bessouno,
An Mas di Falabrego ens^n veni«i souv^nt.
L*Araour, aqu^u terrible gl^ri
Qu'is aino t^ndro e nouvel^ri
Se plais qu'^ faire de countr^ri,
Favi^ douna d'ardour per lou meme jouv^nt.
Azalais lev^ la t^sto :
Fiheto, perqu6 sian en ffesto,
Meten, dis, qu'S moun tour fugue la rfeino, ieu!
E que Marsiho eme si velo,
E la Ci6utat, que ris em* elo,
Em6 Seloun e sis amelo,
B^ucaire em6 soun Prat, tout acd fugue ini6u !
— Damiseleto e bastidano,
D*Arle, di Bans, de Bai^bentano,
;Diri^ii, k mounpalais landas coumed'aucou!
Vole chausi li s^t pu bello,
E pesaran dins Farchimbello
L'amour que troumpo o que barbelo...
Gaiainen, t6uti set, ven^s teni couns^ui
MIREllLE, CHANT HI. iOS
Tout en disant ceci, Cl^mence, — la geniiUe reine
de Provence, — quitta sa chaise, et dans la corbeille
— alia vider son tablier plein. — Azalals, brune fll-
lette, — el Violane, sa jumelle, — (leurs parents, du
chateau d'Estoublon conduisaient le domaine);
Azalais •, brune iUlette, — et Violane, sa jumello,
— au Mas des Micocoules venaieni souvent ensemble.
— L* Amour, ce Icrrible hitin — qui, aux ftmes ten-
dres et nalves, — ne se plait qu*a faire des niches,
— les avail enflamm^ pour le m^me jeune homme.
Azalais leva la tSte : — a Jeunes fiUes, puisqne nous
sommes en f^te, — admettons, dit-elle, qixk mon
tour je sois reine, moi ! — et que Marseille avec ses
voiles, — et la Ciotat, qui rit avec elle, — et Salon et
ses amandeSy — Beaucaire avec son Pr6, lout cela
m*appartienne !
— « Demoiselles etfiUes des champs, — d'Arles, des
Baux, de Barbentane, — dirais-je, k mon palais volez
comme des oiseaux 1 — Je veux choisir les sept pins
belles, — et elles pteeront dans la balance — Tamour
trompeur ou brilklant do d^sir... — Toutes les sepl,
venez gaiement teoir conseil ! »
101 MIRKIO, CANT III.
N* i*a pas per 6slro maucourado,
Se i'a n pareu que Wn s*agrado,
Que, la mita d6u lems, noun posque s'aparia?
Mai ieu, Azalals la r6ino,
Dins moun emperi, malapeino !
De quauco injusto e laido g^ino
Se jamai un par^u se v^i countraria,
Au tribunau di set chatouno
Trouvara lei que ie perdouno !
Per joui^u o p6r or, de sa raubo d*ounour
Quau fara pache ; a sa mestresso
Quau fara *scorno vo traitesso,
Au tribunau di set bailesso
Trou varan lei terriblo e venjanco d'a incur !
E quand per uno se rescontro
' Dous calignaire ; vo, per contro,
Quand se vei dos cliatouno amourouso que d'un,
Vole que lou couns^u designe
Quau niies anie, quau mies caligne,
E d'eslre ama quau es pu digne.
Enfin, e per coumpagno au b^u dainiselnn,
SM felibre vole que vengon ;
E, 'm6 de mot que s'endev^ngon,
E mounte enaussaran lou noble roudelet,
Vole qu'escrigon sus de rusco
0 sus de fueio de lambrusco
Li 16i d*amour ; e tau di brusco
Lou bon men coulo, tau van coula si coublct.
MIREILLE, CHANT HI. 10.)
« N*est-ce pas decourageant, — s'il est un couple
qui bien s* agree, — que, la moitie du temps, il ne
piiisse s*unir ? — Mais moi, Azalais la reine, — dans
man empire, je vous Vatteste! — par quelque g^ne
injuste, odieuse, — si jamais un couple se volt coiv
trari6,
« Au tribunal des sept Jeunes fiUes — il trouvera
loi de cl^mence ! — Pour joyau ou pour or, de sa
robe dlionneur — qui fera pacte ; a son amante —
qui fera insulte outrabison, — au tribunal des sept
baillives — trouvera loi terrible et vengeance d'a^
mour!
« Et quand, pour une, il se rencontre — deux
amants ; ou au contraire, — lorsqu'on voit deux jeu-
nes filles amoureuses du m^me, — je veux que le
conseil designe — qui mieux aime, qui mieux cour-
tise — et qui est plus digne d'dtre aim6. — Enfin, et
pour compagnie aux belles demoiselles,
« Je veux qu'il vienne sept poetes ; — et avec des
mots qui s*accordent^ — et dans lesquels ils exalte-
ront le noble choeur, — je veux qu*ils ecrivent sur
des ecorces — ou sur des feuilles de vigne sauvage
— les lois d/amour ; et tel — le bon miel coule des
rucbes, tels vont couler leurs couplets. »
106 MinftlO, CANT III.
Aiitan, di pin souto lou t^ume,
Ansin Faneto de Gani^ume
Devie parla segur, quand soun front estela
De Roumajiin e dis Aupiho
Enluminavo li mountiho ;
Ansin la Coiimtesso de Dio,
Quand teni^ court d'amour, segur devi^. parla.
Mai, k sa man tenant un flasco,
Bello coume lou jour de Pasco,
Dins la chambro di femo, en aqueu t^ms d'aqui,
Mir6io 6ro tourna vengudo :
— An ! se fasian uno begudo !
Aco 'sgaiejo la batudo,
Fague ; femo, aparas, avans de persegui.
E ddu flasquet ben garni d*aufo,
La liquoureto que rescaufo,
Dins )a tasso, aderren, rai6 coume un fi6u d'or.
— 16u Tai facho, aquelo men^stro,
Digu6 Mireio; s'amaj^slro
Quaranto jour sus la fen^stro,
Per fin que lou souleu n'adoucigue Ion fort.
Ta de Ires erbo de mountagno ;
E lou sumoustat que li bagno
N'en gardo uno sentour qu'embaimo Testouma.
— Mai, que ! Mireio, — veici qu'uno
V(;n ft-n-aquesto, — ve, chascuno,
Se quauquc jour fero en fourtuno,
Nous a di ce que, r6ino, auri6 lou mai ama *,
MIRElLIiE, CHANT III i07
Jadis, sous le couvert des pins, — ainsiFaiiette de
Gantelme •* — devait parler assurement, quand son
front eloile — des Alpines et de Romanin — illumi-
naitlescollines; — ainsi la Comtesse de Die *S —
lorsqu'elle tenait cour d^amour, assurement devait
parler.
Mais, a la main tenant un flacon, — belle coirmie
le jour de Piques, — dans la chambre des femmes,
pendant ce temps-la, — Mireille, de nouveau, etait
venue : — « Allons! n*est-il pas temps de boire? —
Qa ^gaye le travail, — dit-elle ; femmes, tendez (la
coupe), avant de poursiiivre. »
Et du flacon garni de sparterie — la liqueur qui
rechauffe, — dans la tasse, tour k tour, coula comine
un fild*or. — « J*ai fait moi-m^me cet Elixir, — dit
Mireille ; il s'61abore — quarante jours sur la fen^tre,
— afin que le soleil en adoucisse TAcrele.
« II y entre de trois herbes de montagne, — et le
sunnout qui les baigne — en garde une senteur qui
embaume la poitrine. » — « Mais 6coute, Mireille !
soudain dit I'une (d'elles) — k celle-ci, vois-tu, cha-
cune, — si quelque jour elle etait dans Fopulence,
^— nous adit ce que, reine, elleauraitle mieux aim6 j
108 MlftEIO, COT m.
Tu pereii, digo leu, Mirfeio,
Digo-nous tamWn toun ideio !
— Que voul^s que vous digue?. . Urouso eiue mi gent ,
A noste mas de Crau couniento,
Fa pas ren autre que me t^nto.
— Ah! fague 1or uno jouvento,
Verai, ce que t'agrado es ni d'or ni d*argeiit !
Mai, un matin, ieu m'ensouveno...
(Perdouno-me, se noun lou tene,
Mireio!), ero un dimars; venieu de busca'a ;
Coume anave estre k la Crous-Blanco,
Eme moun fais de bos sus Tanco,
T'entreveguere, dins li branco,
Que parlaves cm*un, proun escarrabiha !....
— - Quau? quau? erid^ron. De mounte ero?
— Eme lis aubre de la terro,
Nourado respounde, destriave pas ben ;
Mai, se noun Iroumpo lou pareisse,
Me sembl6 ben de recouneisse
Aqueu que li pani6 saup teisse,
Aqueu Valabregan que ie dison Vinc^n.
— Oh ! la capouno, la capouno !
Esclafigueron lichatouno.
Avie'nvejo, pareis, d*un poulil gourbelin,
E i'a la *ncr^ire au panieraire
Que lou voulie per cahgnaire!
Oh ! la pu bello d6u terraire
Uu a chausi per galani Yincen lou rampelin '
NIREILLE, CHANT III. 109
« Toi aussi, dis vite, Mireille, — dis-nousdemtoe
Ion idee !»■:—« Que voulez-vous que je vous dise?. . .
Heureuse avec mes parents, — contente en noire mas
de Crau, — il n*est rien autre qui me tente. » —
« Ah! dit lors une jouYencelle, — il est vrai, ce
cpii te plait n'est ni d*or ni d'argent !
« Mais, un matin, je mesouviens... — (pardonne-
moi, si je ne le tais, — Mireille !) C*6tait un mardi ; je
Yenais dc glaner des billchettes; — comme j'allais
^tre k la Croix-Blanche, — (portant) sur la hanche
mon fagot de bois, — je fentrevis dans les bran-
chages — parlant avec quelqu un, assez degourdi! »
— « Qui? qui? crierent-elles, d'ou etail-il? » —
a Avec les arbres du len-ain, — repartit Norade, j*a-
vi\is peine k distinguer ; — mais si le paraitre n'est
pas frompeur, — il me sembla fort reconnaitre —
cdui qui sait tisser les paniers, — ce (gars) de Vala-
bregue qu'on appelle Vincent. »
— « Oh! la friponne, la fripomie! — dirent les
jeunes fiUes en riant aux Eclats ; — elle avait envie,
apparemment, d'un joli corbillon, — et elle a fait ac-
croire au vannier — qu*elle le voulait pour amant!
— Oh! la plus belle du terroir — qui a choisi pour
galant Vincent le va-nu-pieds! »
10
MO MIUEIO. CANT III.
K la galejavon. Tout-d'uno,
hi sus la caro de caduno
Perinenant tout au tour un regard de gaUs :
Malavalisco vftutri, pfeco !
Fague Taven. Que la Roum^
Vous rendegu^sse tduti m^ 1
Passant lou bon Di^u dins soun camiii d*Alis,
Que se n*en trufarien, esturto >
D*aqu^u Vinc6n, k touto zurto,
Ks beu, parai? de lire ! ... E sab^s ce que teiu
Paure que paure?... Aus^Touracte :
Meme davans soun tabernacle,
Di^u, uno fes, moustre miracle!
Vous lou pode afourti, s'6i passa demount^m.
Ero un pastre : touto sa vido,
L*avi^ passado assouvagido,
Ditis Taspre Luberoun, en gardant soun av^.
Enfln, de-vers lou ^amenl^ri
'Sentent plega soun cors de ferri,
A I'ermitan de Saul Ouqueri
Voii^ue se counfessa, coume^ro soun deve.
Soul, esniarra dins la Vaumasco,
Deseinpiei si proumieri pasco,
Dins gleiso ni capello avie pu mes li ped ;
ravi6 passa de la meniori
Meme sis ourol... De sa bori
Eu mounle dounc a Termitdri,
E davans Termilan jusqu*au s6u se courbe*
IIIRErLLE, CHANT III. Ill
Et elles la plaisantaient. Aussitdt, — et sur le vi-
sage de chacune — proinenaiit, tout autour, uii re-
gard oblique : — « Maudites soyez-vous, p^cores ! —
s'^cria Tavfen. La Roumeque " — puisse-t-elle, toutes,
vous stupefler! — Passerait le bon Dieii dans son
chemin elys6en,
a Qu'elles s'en moqueraient, les foUes ! — De ce
Vincent, inconsid6r6menl, — il est beau, n*est-ce
pas? de rire !... Et savez-vous ce qui est en lui, -^
quelque pauvre qu'il soit?... Ecoutez Toracle : —
devant son tabernacle m^me — Dieu une fois montra
miracle! — Je puis vous raffirmer, (cela) s'est passe
de mon temps
« C'itait un p^tre : toute sa vie, — il Tavait pas-
s6e, sauvage, — dans Tapre Luberon '*, en gardant
sontroupeau. — Enfin devers le cimetifere — sentaiit
son corps de fer ployer, — k Termite de Sainl-Eu-
cher — il voulut se confesser, comme c'6tail son de-
voir.
(( Seul, perdu dans la Valmasque ^*, — depuis ses
premieres piques, — dans ^glise ou cbapelle il n'^-
tait plus entr6 ; — avaient fui de sa m^moire —
m^me ses pri6res!... De sa cabane — il monta done
a Termitage, — el devant Termite jusqu'4 t<*rre il sf
courba.
112 MIRfllO, CANT III.
— De que vous acusas, raoun fraire?
Digu6 lou capelaii. — Pecaire!
Respoundegu6 lou vi^i, ieu m'acuse qu'uu cop,
Dins moun troup^u, un galapastre
(Qu'es un auc^u ami di pastre)
Voulaslrejavo. . . P6r inalastre
Tnftre em'un caiau lou paure guigno-co !
— Se noun lou fai k b^l espr^ssi,
Aquel ome d^u ^stre n^sci !
Pens^ rermito... E l^u roump^nt la counfessioun :
Anas penja su 'quelo barro,
le fai en estudiant sa caro,
Vostc mant^u, que i6u vau aro,
Moun fraire, vous douna la santo assoulucioun.
Aquelo barro que lou pr6ire,
P6r lou prouva, ie fasi^ v6ire,
firo un rai de soul6u que toumbavo en galis
Dins la capello. — De sa Jargo
Lou bon viei pastre se descargo,
E, creser6u, en Ter la largo...
E la jargo tengu^, pendoulado au rai lisc!
— Ome de Dieu ! crid6 Termito....
E tout-d*un-t6ms se precepito
I gpinoun d6u sant pastre, en plourant soun sadou
— I6u, se pdu-li que vous ass6ugue?
Ah ! de mis iue que Taigo pl6ugue,
E sus i^u vosto man se m6ugue,
Que vous sias un santas, e i^u un pecadou !
MIREILLE, CHANT III. 115
— « De quoi vous accusez-vous, mon frere? » —
dit le chapelain. — « Helas ! — r6pondit le vieillard,
(voici ce dont) je m* accuse : une fois — dans mon
Iroupeau, une bergeronnetle — (qui est un oiseau
ami des bergers) — voletait... Par malheur, — je
Inai avec uncaillou le pauvre hoche-queue! »
— S*il ne le fait k dessein, — cei homme doit ^tre
idiot! — pensarermite.... Et aussit6t, brisant la
confession : — « Allez suspendre a cette perche, —
lui dit-il en 6tudiant son visage, — YOtre manteau,
car je vais maintenant, — mon frere, vous donner la
sainte absolution. »
La perche que le pr^re, — afm de Teprouver ,
lui montrait, — 6lait un rayon de soleil qui tombait
obliquement — dans la cbapelle. De son manteau —
le bon vieux pAtre se decharge, — et, cr^dule, en Tair
lejette.... — Etle manteau resta, suspendu au rayon
lisso »
— « Homme deDieu! » s'ecria Termite.... — Et
aussildt de se pr6cipiter — aux genoux du saint
p^tre, en pleurant a chaudes larmes : — « Moi, se
peut-il que je vous absolve? — Ah ! que Teau pleuve
de mes yeux ! — et sur moi que votre main so meuve,
— car vous 6tes, vous, un grand saint, et moi uup6-
chcnr! »
ID.
lU NlRftlO, CANT MI.
E Tayen fenigu^ soun dire.
I chato avi6 coupa lou rire.
— Acd mostro, Laureto alor ajust6 'nsiii,
Ac6 mostro, e noun lou count^sti,
Que noun fau se trufa d6u vi^sti,
E que de tout p6u bono b&sti. ...
Mai, chato, revenen. Goume un gran de rasin,
Nosto jouineto majouralo,
Ai vist que veni6 vermeialo,
Tniit 16u que de Vinc^n lou dous noum s'ei ausi;.
Ta mai que mail... Vejan! poulido,
Quant dur^ de t^ms la culido?
En est^nt dous, Touro s'6ubiido,
Es que! 'me'n calignaire, av6s toujour lesi!...
— Travaias, descoucounarello !
• N' i'a panca proun, galejarello?
Mir^io respound6; farias dana li sant!
Oh! dis, mai ve! p6r vous counfoundre
Pu 16u que de me veire apoundre
A-n-un marit, me vole escoundre
En un convent de mourgo, k la flour de mis an.
— Tan-deran-lan ! tan-deran-16ron !
T6uli li chato ensen cantferon.
Anen ! eic6 sara la hello Hagali,
Magali, que, d6u grand esgUsi
Qu*avi6 perFamourous est^si.
En Arle au couv^t de Sant-Bl&si,
Touto vivo, ame mai courre s'enseveli.
MIREILLE, CHANT III. 115
Et Tav6n termina son r6cit. — Aux jeunes lilies
elle avait coup6 le rire. — « Cela moiitre, lore ajoula
Laurette, — cela montre, et je ne le conleste pas, —
qu il ne faut point se inoquer de Thabit, — et qu*(il
pent) de tout poll (y avoir) bonne b^te... — Mais,
fiUes, revenons. Comme un grain de raisin,
(( Notre jeune maitresse, — (je I'ai vu), estdevenue
vermeille, — sit6t que de Vincent le doux nom s'est
GUI... — La est quelquemystdre,., Voyons, belle, —
combien de temps dura la cueillette? — En 6tant
deux, rheure s'oublie; — avec un amant, on a ton-
jours du loisir ! »
— « Travaillez, detachez les cocons ! — N*esl-ce
point encore assez, railleuses? — Hireille r^pondit;
vous feriez damner les saints! — Oh! mais, pour
vous confondre, dit-elle, — plutot que de me voir
luiir — a un mari, je veux me cacher — en un cou-
vent de nonnes, h la fleur de mes ans. »
— « Tra la la I tra la la ! -— Toutes les filler
chanterent ensemble. — Allons! ce sera U la belle
Magali, — Magali, dont telle 6lait I'horreur — pour
Famoureuse extase, — qu'en Aries, au couvent de
Saint-Blaise, — elle aima mieux, toute vive, aller s'en-
sevelir.
no MIRfilO, CANT III.
Noro, an! d'aut! tu que tant ben cantes,
Tu que, quand vos, I'ausido espantes,
Cianto-ie Magali, Magali qu'& i'amour
Escapavo p6r milo escampo,
Magali que se fasie pampo,
Auc^u que volo, rai quelampo,
E que iQumbe pamens, amourouso a soun tour.
— 0 Magali, ma tant arnado!...
Coumence Noro; e I'oustalado
A I'obro redouble de gaieta de cor;
E couine, quand d'uno cigalo
Brusis la cansoun estivalo,
En Cor t6uli rcprenon, lalo
Li chalouno au refrin partien I6ulis en Cor.
MAGAI.l
0 Magali, ma tant amado,
Mete la teslo au fenestroun I
Escoulo un pau aqueslo aubado
De tambourin e de viouloun.
Ei plen d*estello, aperamount!
L'auro es toumbado,
Mai lis estello paliran,
Quand te veiran!
MIREILLE, CHANT III. 117
« AUons ! Nore, toi qui chantes si bien , — toi
qni, quand tu le veux, ^merveilles Touie, — chante-
Ini Magali, Magali qui k Tamour •-- ^chappait par
mille subterfuges, — Magali qui se faisait pampre,
— oiseau qui vole, rayon qui brille, — el qui tomba,
pourtant, amoiircuse a son tour. »
— ((0 Magaliyma tantaimee!,.,. » — commen^i
Nore; et lamaisonn^ — k I'ouvrage redoubla de gaiete
de coeur, — et telles, quand d'une cigale — bruit la
chanson d'6t6, — toules (les autres) en clioeur re-
.prennent, telles — les jeunes fllles au refrain par-
taient toutes en chopur.
MAGALI
« 0 Magali, ma tant aimee, — mets la t^te k la fe-
r.6tre ! — Ecoute un peu cclte aubade — de lambou-
riiis etdeviolons.
(Le ciel) est l&-haut plein d'^toiles. — Le vent est
tombe, — niais les etoiles p^liront — en le voyanl. »
118 MIR6I0, CANT III.
— Pas mai que d6u murmur di broundo
De toun aubado i^u fau casi
Mai i6u m'envau dins la mar bloundo
Me faire anguielo de roucas.
— 0 Magali ! se tu te fas
Lou p^is de l*oundo,
leu, lou pescaire me farai,
Te pescarai !
— Oh! mai, se tu te fas pescaire,
Ti vertodet quand jitaras,
I^u me farai Tauc^u voulaire,
MVnvoularaidins li campas.
— 0 Magali, se tu te fas
L'auceu de Tairo,
leu Ion cassaire me farai,
Te cassarai.
— I perdigau, i bouscarido,
Se v6nes, tu, cala ti las,
leu me farai Terbo flourido
E m'escoundrai dins li pradas.
— 0 Magali, se tu te fas
La margarido,
leu Taigo lindo me farai,
T'arrousarai.
MiREILLE, CHANT HI. HO
— « Pas plus que dumurmure des branches — de
ton aubade je ne me soucie! — Mais je m'en vais dans
la mer blonde — me faire anguille de rocher. »
— « OMagali, si tu ie fais — le poisson de Tonde,
— moi, le pftcheui* je me ferai, — je te p^cherai! »
- « Oh ! mais, si tu te fais p^cheur, — quand tu
jetteras tes verveux, — je me feral Toiseau qui vole,
— je m'envolerai dans les landes. »
— « 0 Magaii, si tu te fais — Toiseau de Tail*, —
je me ferai, moi, le chasseur, — je te chasscrai. »
— « Aux perdreaux, aux becs-iins, — si tu viens
tendre tes lacets, — je me ferai, moi, Therbe fleurie,
— et me cadierai dans les pres vastes. »
*— « 0 Magaii, si tu te fais — la marguerite, — jo
u ferai, moi, Teau limpide, — je t'arroserai. »
tiie
1'20 MIRtllO, CAM III.
— Se tu te fas Taigueto lindo,
i^u me farai lou nivoulas,
E l^u m*enanarai ansindo
A rAmerico, perabas !
— 0 Hagali, se tu t*en\as
Alin is Indo,
L'auro de mar ieu me farai,
Tepoiirlarai!
— Se tu te fas la marinado,
leu fugirai d'un autre las :
leu me farai rescandikado
D6u grand soul^u que found lou glai^l
— 0 Magali, se lu te fas
La souleiado,
Lou verd limbert i^u me farai,
E Ic beurai !
— Se tu te r^ndes Talabreno
Que se rescound dins lou bertas,
I^u me rendrai la luno pleno
Que dins la nine fai lume i masc!
— 0 Magali, se tu fas
Luno sereno,
leu bello n^blo me farai,
T'acatarai.
MIUEELLE. CHANT 111. 121
— « Si til te fais Tonde linipide, — je me ferai,
moi, le grand nuage, — et promptement m'en irai
ainsi — en Am^rique, la-bas bien loin ! »
— « 0 Magali,si tu t'en vas — aux loinlaines
hides, — je me ferai, moi, le vent de mer, — je le
porterai! »
— ft Si tu te fais le vent inariii, — Je fuirai d'un
autre c6te : — je me ferai I'^chappee ardente — du
grand soleil qui fond la glace ! o
— « 0 Magali, si tu te fais — le rayonnemenl du
soleil, — je me ferai, moi, le verd lezard, — et te
boirai. »
— « Si tu te rends la salamandre — qui se cacli<^
dans le hallier, — je me rendrai, moi, la lune pleine
— qui ^claire les sorciers dans la nuit ! »
— « 0 Magali, si tu te fais — lune sereine, — je
me ferai, moi, belle brume, — je t*envelopperai. «
11
122 MlBfilO, CANT III.
— Mai se la neblo m'enmantcUo,
Tu, per aco, noun me tendras ;
leu, bello roso vierginello,
M'espandirai dins respinas!
— 0 Magali, se tu le fas
La roso bello,
Lou parpaioun i6u me farai,
Te beisarai.
— Vai, calignaire, courre, courre!
Jainai, jamai m'agantaras.
leu, de la rusco d'un grand roure
Me veslirai dins lou bouscas.
— 0 Magali, seta tefas
L'aubre di nioure,
leu lou clot d'^urre me farai,
T'embrassarai!
— Se me vos prene a la brasseto,
Hen qu'un vi6i chaine arraparas...
leu me farai bianco moungeto
D6u mounastie d6u grand Sant Bias 1
— 0 Magali, se tu te fas
Mounjo blanqueto,
ieU) capelauj counfessai^aij
E t'ausirai !
MIIVEILLE, CHANT III. ir>
— « Mais si la brume m'enveloppe, — pour cela
tu ne me tiendras pas ; — moi, belle rose virginale,
— je m'£panouirai dans le buisson ! »
— 4 0 Magali, si tu te fais — la rose belle, — je
me ferai, moi, le papillon, — je te baiserai. »
— < Va, poursuivant, cours, cours ! — jamais,
jamais tu ne m'atteindras. — Moi, de I'^corce d*un
grand ch^ne — je me T^tirai dans la forM sombre. »
— « 0 Magali, si tu te fais — Tarbre des mornes',
— je me ferai, moi, la touRe de lierre, — je t*em-
brasserai! »
— « Si tu veux me prendre k bras-lc-corps, — lu
ne saisiras qu'un vieux ch^ne... — Je me ferai blan-
che nonnette — du monast^re du grand Saint Blaise! »
— ((0 Magali, si tu te feis — nonnette blanche, —
— moi, pr6tre, k confosse — je t'entendrai ! »
121 MIRfilO, CANT III.
Aqui li femo ressaut^ron ;
Li rous coucoun di man toumb^ron..
E cridavon a Noro : Oh ! digo, digo pi^i
Ce que fagu^, 'n estM moungeto,
Hagali, que deja, paureto !
S*6i facho roure emai floureto,
Luno, soul^u e nivo, erbo, auceloun e p^i.
— De la cansoun, reprengu6 Noro,
Vous vau canta ce que demoro.
NVrian, se m'ensouv^n, au rode ounte elo dis
Que dins la clastro vai se traire,
E que respond I'ard^nt cassaire
Que i* intrara p6r counfessaire..
Mai d elo tournaniai aus6s Tenlravadis :
— Se d6u couv6nl passes li porto,
T6uli li mounjo trouvaras
Qu'a moun entour saran pfer orlo,
Car en sus^ri me veiras !
— 0 Magali, se tu te fas
La pauro morto,
Adounc la terro me farai,
Aqui t*aurai !
MIREILIE, CHANT III 125
Lk les femmestressaillirent; — les cocons roux tom-
berent des mains, — et elles criaient k Nore : « Oh!
dis, dis ensuite — ce que fit, etant nonnain, — Ma-
gali, qui d6ji, pauvrettel — s'est fg^ite chene et fleur
aussi, — lune, soleil et nuage, herbe, oiseau et
poisson. »
— « De la chanson, reprit Nore, — je vais vous
chanter ce qui reste, — Nousen^tions, s'il m*en sou-
vient, k Tendroit on elle dit — que dans le cloitre elle
va se jeter, — et ou Tardent chasseur r^pond — qu'il
y entrera commeconfesseur... — Mais de nouveau,
oyez Tobstacle qu'elle (oppose) :
— « Si du convent tu passes les portes, — lu trou-
veras toutes les nonnes — autour de moi errantes,
— car en suaire tu me verras \ j»
— « 0 Magali, si tu te fais — la pauvre morte, —
adoncques je me ferai la terre, — \k je t'aurai ! »
120 MIRfilO, CANT III.
— Aro coumence enfin de cr^ire
Que noun me paries en ris^nt :
Yaqui moun aneloun de v^ire
Per souven^nQO, o b^u jouvent!
— 0 Magali> me fas de b6n!...
Mai, tre te \6ire,
Ye lis estello, o Hagali,
Coume an pali !
Noro se taiso; res mutavo.
Talamen ben Noro canlavo,
Que lis aulro, enterin, d'un clinamcn do front
L'acoumpagnavon, amistouso :
Coume li mato de moutouso
Que, penjouleio e voulountouso,
Se laisson ana 'ns^mble au courr^nt d'uno font.
— Oh! lou b6u t^ms que fai deforo!
En acabant ajust^ Noro. ..
Mai deja li segaire, k Taigo d6u pesqui^,
De si daioun la von la goumo...
Guei-nous, Mir^io, quduqui poumo
Di sant-janenco, e 'me 'no toumo
Nautre anaren gousta sout li falabregui^.
MIREILIE, CHANT III. 127
— « Maintenant je commence enfin k croire — que
1u ne me paries pas en riant. — \oM mon annelet de
verre — pour souvenir, beau jouvenceau ! »
— « 0 Magali, tumefaisdu bien!... — Mais, d^s
qu'elles font vue, — 6 Magali, vois les 6toiles, —
comme elles ont p4li ** ! »
Nore se tait; nul ne disait mot. — Tellement bien
Nore chantait, — que les autres, en m^me temps,
d'un pencbement de front — Taccompagnaient, sym-
pathiques : — comme les touffes de souchet — qui,
pendantes et deciles, — se laissent aller ensemble
au courant d*une fontaine.
— « Oh 1 le beau temps qu'il fait dehors! » — ajouta
Nore en achevant... — « Mais d^ja les faucheurs,
k Teau du vivier, — lavent la gomme de leurs faux. . .
— Cueille-nous, Hireille, quelques pommes — de
celles qui mibrissent k la Saint-Jean, et avec un fro-
mage frais — nous irons, nous, godter sous les mico-
couliers. »
NOTES
PU CnVNT TROISlfeME.
* Lc bon muscat dc Baunic [lou bon mtucat de Battmo). Baume,
village du ddpartement de Yaucluse, produit un vin muscat estim^.
- Le Ferigoulet (lou Ferigoulet), excellent vin qu'on r^olte sur un
coleau des colUnes de Gravoson (Bouches-du-Rh6ne). — Ferigoulo
si^Tiifiant thpm en provengal, le vin de Ferigonlet, comme son noni
rindiquc, rappclle agr^ablement le parfum de cette plante.
' La Bonne M6re (ia Bono Maire), la sainte Vierge.
* Canela (blanchis), se ditdes vers k sole atteints de ia ten^ible
maladie appel^e muscardine, due au d^veloppement d'une moisis-
sure qui leur donne une apparence piatr^e.
5 Tu esn^ecoiffee [asta crefpino).—' Creiptno, coiffe, membrane
que quelques enfants portent sur la t^te en venant au monde, ot
qui est aux ycux du peuple un indice de Iwnheur.
^ Pl&tra [engipi). [Yoyez la nolo 4, mdme Chant.)
' Pamparigouste(Pfl«i|Mir»^<>iM/o). Pays imaginaire, comme cclui
(lc Cocagne.
8 Le Yentour {louVentour), haute montagne, iiquai^ante-huit ki-
lometres au nord-est d' Avignon, s'^levant tout h coup k dix-neuf
cent onze metres au-dessus du niveau de la mer, isol^e, es-
carp^e, visible de quarante lieues, couronn^ de neige durant
Six mois de Tannic. C'est a tort que ies gciographes dcrivent Ven-
toux au lieu de Yentour. Les populations voisines de cette monta-
gne prononcent unanimement Yentour, Un de ses appendices porte
ie nom de Yentouret, et mi certain vent du nord s'appelle la Yen-
tottreso, parce qu*il vieut de ce c6t^.
NOTES DU CHANT 111. 129
3 Azalati, forme provencale du nom propre Adelaide.
*® Fanctte de Gantelme. — Est^fanettc, et par abriSviation Fa-
nettc, de la noble famille des Gantelme, pr^idait, vers 1540, la
Cour d'amourde Romania. On sail que les Cours d' amour 6taient des
assises po^tiques ou les dames les plus nobles, les plus belles, les
plus savantes en Gay-saher, jugeaient les questions de galanterie,
les litigesd'amom% et d^cernaient des prix & la po^sie provengale.
La belle et c^l^bre Laure dtait la ni^ce de Fanette de Gantelme,
ct faisait partic du gracieux ar^page.
Non loin de Saint-Remy, au pied du versanl septentrional des
Alpines, on voit encore les ruines du ch&teau de Romanin.
** La comtesse de Die, c^l6bre trouvereste du milieu du dou-
zieme si^cle. Les chants qui nous restent d'elle contiennent des
elans plus passioim^s quelquefois ct plus vohiptueux qno coux de
Sapho :
Bels amies, aven^ns e bos,
Quora'us tendrai en men poder?
E que jugu^s ab vos un ser,
E que'us des im bnis amoros !
** La Roumequc [la Houm^co) , espfece de vampire meridional. Voici
comment la ddcritle marquis de I^fnre-Alais. dans ses Castagnndos :
Sus vint arpo d'aragno
S'escasso soun cors bnin...
Soiin ventre que regagno,
De febre e de magagno
Suso Torre frescun.
*' \Mb6roJi{Luber(ntn), cbaine dc montagnes du dt^partement de
Yaucluse.
** Valmasque, [Yau masco, valine des sorciers); valine dn Lube-
ron, habitue jadis par les Yaudois.
" On trouvera k la lin du volume lair populaire surlequci a eu'
compost la chanson de Magali.
CANT QDATREN
M DKM.\NDAIUE
Lou tdms di vi6uleto. — Li pescadon d6a Nartegue. ^ Tres cali-
gnaire v^non denianda Mir^io : AUri lou pastre ; Veran loo gardian;
Ourrias lou loucadou. ~ AlAii, si capitau d'ave. — La toundesoun.
— Visto d'lyi escabot que davalo dis Anpo, anant eu ivemage. -
Entrevisto d*Al^ri em^ Hir^io. — Lis Antico de Sant>RouiBi& ~
Li^ur^o d6u pastre, lou coucourelet de bouis escrincela. — Al^i
es chabi. — Lou gardian Veran. — Li cavalo bianco de Gamargo.
— Veran deinando Hir^io d M^ste Ramoun. — Lou vidi lou re(;aup
en grand joio, Mir^io lou refuso. — Ourrias, lou doumtaire de tan-
— Li brau negre souvage. — La Ferrado. — Currias e Mir^o a la
font. -^ Lou toucadou es chabi.
Vengue lou I6ms que li vi6ulelo,
Dins li pradello frescouleio,
RspeHsson a flo, manco pas de par^u
P^r ana li cueie a roumbrino !
Y^ngue lou terns que la marir.o
Abauco sa fi^ro peitrino,
Fl respiro plan-plan de touti si mameii,
Hanco pas beto e sicelando
Que dou Martegue, a b^lli bando,
S'envau de si paiolo embourgina lou ptis,
S'envan, sus Talo de si remo,
Escampiha sus la mar senio ;
V6ngue lou t6ms qu'entre li femo,
f/eissanie di chalouno e flouris e partis,
CHANT QCATRIEME
LES PRETENDANTS
La saisou des violettes. — Les p^cheun du Narligue. — Troi» pr^len-
dants briguent la main de Nireille : Alari. le berger; V^ran, le
gardien de chevaux; Ourrias, le toucheur de taureaux.— AIM, ses
richesses en brebis. — La tonte. — La transhumance : description
d'un grand troupeau qui descend des Alpes. — Enlrcvue d'Aliri et
de Hireille. — Le mausolee de Saint-Remy. ~ Olfrande du berger,
la coupe de buis scolpte. — Alari est ^conduit. — Veran, le gardien
de cbevaiix. — Les cavales blanches de Camargue. -<-- V^ran de-
tuande Mireille k Haitre Ramon.— Joie ct bon accueil du vieillard;
rerns de Hireille. ~ Ourrias, ie dompteur de taureaux. — Les
taureaux noirs sauvages. — La Ferrade. ~ Ourrias et Hireille d la
fontaine. — Le toucheur est econduit.
Vieiine le temps oil les violettes, — dans les frai-
ches prairies — 6closent k bouquets, ne manqueiit
pas les couples — pour aller les cueillir k Tombre !
— Vienne le temps oii la mer — apaise sa fl6re poi-
trine, — et respire lentement de toutes sea mamelles,
Ne inan(}uent pas les praines et les sicelandes -^
qui, du Mailigue*, a belles troupes, — partent, et
vont de leurs patUofe* * entortiller le poisson, — et
vont, sur Taile de leurs ramesj — s'6parpiller dans la
Jiier traiiquille. — Vienne le temps ou, parmi les
fcinmes, — Tessaim des jeunes filles fleurit et paratt^
i"2 miRfelO, CANT IV.
Que pastourello vo couintesso
Prenon renoum de poulidesso,
Matico pas calignaire, en Crau e i castelus;
E ren qu'au Mas di Falabrego
N'en vengu^ Ires : un gardian d ego,
Un paissejaire de junego,
Em* un pastre d'av6, I6uli tres b6u droulas.
Vengue pi oumie lou pastre Al^ri.
Dison qu'avi6 milo besti^ri
Arrapa, tout I'iver, long d6u clar d'Entressen,
1 bonibauco salabrouso.
Dison qu*eica quand lou blad nouso,
Dins li grands Aupo fresqueirouso
Eu-meme li mountavo, enlie que Mai se sent.
Dison pereu, — e nres de cr^ire, —
Que, vers Sant Marc, i'a n6u toundeire
Que, tres jour, ie toundien, e d'ome renounia!
E i^u noun comte aqueu que levo
Lis au de lano bianco e grevo,
Ni lou inendi que s6nso trfevo
Carrejavo i toundeire un douire leu chinia.
Mai quand la caud piei sapasimo,
E que la neu sus li grand cimo
Adeja revouluno i terraire gavot,
De I'inmenso piano Craenco
P6r destepa Tcrbo ivernenco,
Dis auti coumbo Daufinenco
Falie veire descendre aqueu riche escaboti
^IREILLE, CHANT IV. 153
Oil pastourelles ou comtesses — prennent renoin
de beaute, — ne manquent pas les poursuivants, en
Crau et aux manoirs ; — et rien qu*au Mas des Mico-
coules — il en vinl trois : un gardiea de cavales, —
iin pasteur de genisses — et un berger de brebis,
tons les trois beaux gargons.
Vint d*abord le berger Al^ri. — On dit qu'il posse-
dait mille bMes (a laine), — attachees, tout I'hiver, le
long du lac d'Entressen ', — aux bons gramens sal6s.
— On dit qu'a Tepoque ou le froment forme ses
noeuds, — dans les fraiches hauteurs des grandes
Alpes — il les conduisait lui-mSme, d6s que Ton sent
niai.
On dit aussi, et je le crois, — que, vers la Saint-
Marc, neuf tondeurs — trois jours tondaient (pour)
lui, et des homuies fameux! — Et J'oniels celui qui
enleve — les toisons de laine blanche et pesante ; —
et le bergerot qui, sans relache, — charriait aux ton-
deurs un broc promptement bu.
Mais lorsque ensuite la chaleur s'apaise, — et que
la neige sur les grandes cinies — deja tourbilloiuie
aux pays aiontagnards, — de I'immense plaine de
Crau — pour brouter I herbe hivernale, — il fallait
voir, des hautes valines dauphinoises, — descendre
ce riche troupeau !
12
\ol MlRfelO, CANT IV.
Falie v6ire aquelo escarrado
S'esperlounga dins la peirado!
Kii front de tout lou rai, Tagnelun prouniieren
Sautourlejo perbando gaio...
Ta Tagneti^ que lis endraio.
L*ensounaiado bourriscaio,
E li poutre, e li saumo, k baudre li seguien.
D'escambarloun dessus la bardo,
Es I'aseni^ que n'a la gardo :
Dins lis eus^rri d'aufo, es ^li, sus lou bast,
Eii que porlon la raubiho,
E la bevento e la mangiho,
E d6u bestial que s'espeio
La peu enca saunouso, e I'agneloun qu'6i las.
Capitiinide la bregado,
E li bano revertegado,
Apres venien de front, en brandant si rcdoun^
E lou regard vira de caire,
Cinq fi6r menoun cabessejaire ;
Darri^ li b6chi v^n li maire,
E li foli cabreto, e li blanc cabretouiii
Troupo courriolo eniai groumando^
Es lou cabri^ que la coumando.
Li masele de lave, li grands esparradou
De quau li mourre en T^r se dreissoti^
Dins la carrairo aqlii parciisson :
A si grand bano sc couneisson,
Treb fes cnvertouiado aulour de Tausidouj
MIREIMK, CHANT fV. VS
II fallait voir cette multitude — sc dSvelopper dans
lechemin pierreux! — Au front de toute la troupe,
les agneaux h^tifs — cabriolent par joyeuses bandes.
— Vagnelier les dirige. — Les ^nes portant son-
naillesy — et les dnons, et les Anesses, en desordre
les siiivaient.
A califourchon sur la bardelle, — Tinier en a la
«rarde. — Dans les mannes de sparterie, ce sont eux,
sur le bat, — eux qui portent les hardes, — et la
boisson, et les vivres, — et du b^tail qu'on ecorche
— la peau encore saignante, et I'agneau fatigu^.
Capitaines de la phalange, — avec leurs comes
retroussees, — apres venaient de front, en branlant
leurs clarines, — el le regard de travers, — cinq
fiers boucs k la tSte menacante; — derrierelesboucs
viennentles m6res, — et les folles chevrettes, et les
blancs petits chevreaux.
Troupe gourmande et vagabonde, — le chevrier la
coramande. — Les mftlesdesbrebis, les grands beliers
conducteurs, — dont les museaux dans Fair se dres-
sent, — alors paraissent dans la voie ; — on les recon-
nait k leurs grandes comes, — trois fois entortillees
autour de Toreille.
136 MIRfcIO, CANT IV.
E per6u (ounourable signe
Que d6u troup^u ac6 's li segne)
An li costo floucado e Tesquino tamb^n.
Camino en t^sto de la troupo
Lou baile-pastre, e de sa roupo
Li dos espalo s'agouloupo.
Mai lou gros de Tarmado arribo d*un tenant.
E'n uno pousso nivoulouso,
E di proumiero, e di couchouso,
Courron lis agnelado, en bramant loungamon
An belamen de si berouge ;
E, lou coutet flouca de rouge,
Ens^n poussejon lis anouge
E li moutoun lanu que van paloutamen;
Li pastrihoun de v6ulo en vduto,
E qu'i chin cridon : A la vdiito!
E, pega BUS lou flanc, I'innoumbrable vaci^u,
Li nouvello, li tardouniero,
E li segoundo, e li maniero,
E li fegoundi bessouniero
Qu'an peno a tirassa soun ventre empachatifeu.
Escarradoun tout espei6ti,
Entre li turgo, li viei mdti
Qu'an agu lou dessouto i bat^sto d'amour,
Em6 li berco e li panardo,
#Clauson enfm la r^ire-gardo,
Aret creba, tristo desfardo,
Qu'an perdu tout ensen e li bano e Tounour.
MIREILLE, CHANT IV, 137
Et encore (honorable signe — qu*ils sont les sires du
Iroupeau) — ils ont les c6tes, ils ont le dos orn6s de
houppes. — En t6te de la troupe marche — le chef
des pStres, de son manteau — s'enveloppant les
deux ^paules. — Mais le gros de Tarm^e arrive a
la suite.
Et dans un nuage de poussi^re, — et pr6cedant
(la foule), et empress^es, — courenl les (brebis)
m^res, repondant par de longs bSlements — au b6le-
ment de leurs pet its ; — el, la nuque omee de bouf-
fettes rouges, — ensemble poudroient les antenois,
— et les moutons laineux qui vont k pas lents ;
Les aides-bergers , d'intervalle en intervalle, —
criant aux chiens : A la voUe ! — et, le flanc marque
de poix, Finnombrable plebe, — les adultes, les bre-
bis qui mettent has deiix foisy — et celles dont deux
fois les dents de marque ont pei'ce^ et celles qu'on a
privees de lettrs agneaux, — et les fecondes besson-
nieres'' — qui ont peine a trainer leur ventre embar-
rassant.
Escadron depenaille, -— parmi les brehaignes, les
vieux b^liers — qui ont 6te vaincus aux combats
d'amour, — avec les 6dent6es et les boiteuses, — fer-
ment enfin I'arri^re-garde, — beliers crev6s, tristes
debris, — qui ont perdu tout ensemble et les cornes
el Vhonneur.
12
ir.8 MlRfelO. CANT W.
K tout ac6, fedo e cabrairo,
Taiit que iri'avi^ dins la carrairo,
Ero d'Aliri, lout, jouine e viei, b6u o laid.. .
R davans 6u quand davalavon,
Qu'^ cha centeno defilavon,
A vie sis iue que se chalavon. . .
Pourtavo, coume uu sc6tre, un rebatun de plai.
K *id6 si blanc chinas de pargue
Que lou seguien dins li relargue,
I.i geinoun boutouna dins si gueto de peu,
E Ter seren, e lou front savi,
L'anrias cresu lou hhn r6i D^vi
Qnand, sus la tardo, au pous dis ^vi
Anavo, en est6nt jouine, abeura li troup^u.
— Vaqui Mir^io que vanego
Davans lou Mas di Falabrego !
Digue lou pastre... Oh! Di6u! m'an di la verila :
Ni dins lou plan, ni sus Fauturo,
Ni p6r verai, ni per pinluro,
I^u n*ai ges vist qu*a la centuro
le vague, p^.r lou biais, la graci, la b^uta!
Que, r6n que p^r la v6ire, Alari
S'6ro escarta de soun bestiari.
A dre d*elo pamens quand fugue : Pourries-ti,
le fai d'uno voues que tremolo,
Me faire veire uno draiolo
P6r travessa li mountagnolo?
Aulramen, chato, ai p6u depas me n'en sourli!
MIREILLE, CHANT IV. 139
Et tout cela, brebis et chevres, — autant qu*eii
contenait la voie, — 6tait k Al^ri, tout, jeune et vieux,
beau et laid... — Et devant lui lorsqu'elles dcscen-
daient, — qu'elles d^filaient par centaines, — ses
yeiix se d61ectaient (&cette vue)... — II portait,
comme un sceptre, un rondin d*6rable. •
Et, avec ses blancs et grands chiens de pare —
qui le smvaient dans les p^turages, — les genoux
boutonn^s dans ses gu6tres de peau, — et Fair se-
rein et le front sage... — voiis Teussiez cm le beau
roi David, — quand, vers le soir, au puits des aioiix,
— il allait, dans sa jeunesse, abreuver les troupeanx.
— « Voil^ Mireille qui va et vient — devant le Mas
des MicocoulesI — dit le pMre... Oh! Dieul Ton
iTi'a dit vrai : — ni dans la piaine, ni sur les hau-
teurs, — ni en peinture, ni en r6alite, — Je n'en ai
vu aucune qui k la ceinture — lui aille, pour les ma-
niferes, la grAce, la beaut6 ! n
Car, rien que pour la voir, Al&ri — s'^tait eloign^
de ses b^tes. — dependant, quand il fut devant elle :
« Pourrais-tu, — lui dit-il d'une voix qui tremble,
— me montrer un senliei' — pour traverser les
collbes? — Sinon, jeune fille, j*ai peur de ne pas en
sorlir! »
1W MFRfifO, CANT IV.
— Ta que de prene la drechiero,
V^! respound^ la masagiero,
E pi^i de P^iro-malo enregas lou desert ,
E caminas-dins la vau torlo.
Fin que vegu^s uiio grand porto,
Kme 'no toumbo que suporto
Dous generau de p^iro, eilamount dins lis 6r;
tA ce qu'apellon lis Antico
— Gramaci! lou Jouvftnt replico...
Milo b^sti d'avd, pourtant ma marco, en Crau,
Mounton deman k la mountagno,
E i^u precede la coumpagno
P^r ic marca dins la campagno,
Li coussou, la couchado, e per6u lou carrau.
E tout deb^stio fino!... E quouro
Que me maride, ma pastouro
Entendra tout lou jour canta lou roussign6u...
E s'avi^u I'ur, bello Mireio,
Que tu vougu6sses ma li^ur^io,
Te semoundreu, noun de daur^io,
Mai un vas que I'ai fa, de bonis, e flame-nou.
E de parla tant leu s*arresto,
Goume un relicle, de sa v6sto
Sort un coucourelet taia dins lou bonis vi^u ,
Car, k sis oureto de pauso,
Amavo, asseta su 'no lauso,
De s'espassa *n-aqu6li causo ;
E r^n qu em^ 'n cout^u fasi6 d'obro de Di^u!
MIREtLLE. CHANT IV. 141
— « U n'y a qu'a prendre le droit chemin, —
voyez! r^pondit la fille des champs, — vous enfilez
ensuite le desert do Peyrc-male, — et vous marchez
dans le val tortueux — jusqu'^ oe qu'un *porlique se
monlre a vos regards, — avec un tombeau qui sup-
porte — deux g^neraux do pierre, 1^-haut dans les
airs'; •
« C'esl ce qu'on nomme les Antiques. » — « Gran
inerci ! r^plique le jeune homme .. — Mille Wtes k
laine, portant ma marque, dans la Crau, — montent
demain h la montagne; — et je pr^c^de le bataillon,
— pour lui marquer h travers champs — les pa-
cages, la couch^, et aussi le chemin.
« Et (c'est) tout bfttes fines !. .. Et en quelque temps
— que je me marie, ma bergere — entendra tout le
jour chanter le rossignol... — Et si j'avais I'heur,
belle Mireille, — que tu acceptasses ma livr^Cy — je
t'offrirais, non pas des bijoux d'or, — mais un vase
que j'ai fait pour toi, dc buis, et battant-neuf. »
Et comme il cesse de parler, — telle qu'une re-
lique, de sa veste — il sort une coupe taillto dans le
buis vif ; — car, k ses heures de loisir, — il aimait,
assis sur une pierre, — ^ se distraire^ ces choses ; —
et seulement avec un couteau il faisait des ceuvres
divines!
i« MIRtiO, CANT lY.
E iTunamaii cascareleto
Escrincelavo de clindeto
Per la niue, dins lou champ, mena sona abci^ ;
E sus lou c^mbis di sounaio,
E sus I'os blanc que li mataio,
Fasie de taio e d*entre-taio,
K d«' flour, e d*auceu, e lout ce que voulie.
Mai lou vas que venie d*adurre,
Aurias nega, vous Tassegure,
<Jue i'aguesse passa couteu de pastrihoun :
Uno massugo b^n flourido
A soun entour ^o espandido ;
E dins si roso alangourido,
Dous cabr6u ie paissien, fourmant li manihoun.
Un pau plus bas, vesias tres fiho
Qu ^roQ segur tres mereviho!...
Pas liuen, dessouto un cade, un pastoureu dourmie.
li fouligaudi chatouneto
Se n'aprouchavon {^an-planeto,
E ie metien sus la bouqueto
Uno alo de rasiu qu*ayien dins soun panie.
E lou pichot que soumihavo
Tout risoulet se revihavo ;
K 1 uno di chatouno avie T^r esmougii...
Sens la coulour d6u racinage,
Aurias di que li persounage
£ron vieu dins aquel 6ubrage...
Senti6 'ncaro lou n6u, i*avi6 panca beg^ii.
MIREILLE, CHANT IV. 145
Et d'une main fantaisiste, — il sculptait des cli-
quettes — pour, la nuit, dans les champs, conduire
son troupeau; — et sur le collier des clarines, — et
sur Fosblanc qui leur sert de battant, — il faisait des
tallies et des entre-tailles, — et des lleurs, et des oi-
seaux, et tout ce qu'il voulait.
Mais le vase qu'il venait d'apporter, — vous auriez
ni^, je vous Tassure, — que couteau de berger eut
t>ass6 1ft : — un ciste bien fleuri — autour de lui s'6-
panouissait; — et dans ses roses langoureuses, —
deux chevreuils paissaient, formant les anses.
Un peu plus bas, on voyait trois jeunes lilies — qui
elaient certainement trois merveilles!... — Non loin
(delft), sous un cade, un pastoureau dormait. — Les
folfttres fillettes — s'approchaient de lui doucement,
— et mettaient sur sa bouche — un grappillon do
raisin qu'elles avaient dans leur panier. '
Et Tenfanl qui somnieillait — s'eveillait tout sou-
riant; — et Tune des fillettes avail Tair 6mu... —
Sans la couleur de la racine, — vous eussiez dit
que les figures — - 6taient vivantes dans cet ouvrage. . .
— II sentait encoro le neuf, il n'y avail pas bu eiv
cope*
Ui MIREIO, CAM IV.
— En verita, digue Hireio,
Pastre, fai gau, vosto lieureio...
K respinchavo. Pi6i partigu^ tout d'un bound :
Moun bon-ami n'a no plus bello :
Soun amour, pastre! E quand me belo,
0 fau que baisse li parpello,
0 dins i4.u s^nte courre un bonur que me poun.,
E la chatouno, coume un gj^ri
Despareigu6... Lou pastre AlSri
Estreme soun vaseu ; e plan-plan, a labour,
Eu s'enan^ de la bastido,
E la pensado entreboulido
Qu'aquelo chato tant poulido
P^r autre que per eu aguesse lant d'amour!
An meme Mas di Falabrego
Vengue tamben un gardian d'ego,
Veran. Aqueu Veran ie vengu6 dou Sambu.
Au Sambu, dins li grand pradello
Ounte flouris la cabridello,
Avie cent ego blanquinello
Despounchant di palun li rouseu escanibu.
Cent ego bianco! La creniero,
Coume la sagno di sagniero,
Oundejanto, fougouso, e franco dou ciseu.
Dins sis ardenlis abrivado,
Quand piei partien, descaussanado,
Coume la clierpo d'uno. fado,
En dessus de si cou floutavo dins lou c^u.
MIREILLE, CHAM IV. 145
« En v6rit6, dit Mireille, — pAtre, votre livree
tente la vue.., » — Et eile I'examinait. Puis partant
tout d'un bond : — « Mon bien-aim6 en a une plus
belle : — son amour, p^tre ! Et lorsque, passionne,
il me regarde, — il me faut baisser les paupieres, —
ou bien je sens courir en moi un bonheur qui me
navre. »
Et la jeune fflle, comme un lutin, — disparut...
Le berger Alan — remit son vase sous (sa veste) ; et
l^itement,au cr^puscule*, — s'en alia de la bastide,
— trouble par la pensee — qu'une si belle fille — pour
un autre que lui etit tant d'amour !
Au mSme Mas des Micocoules — vint aussi un
gardien de ca vales, — Veran. Ce V6ran y vint du
Sambuc ''. — Au Sambuc, dans les grandes prairies
— ou fleurit la cabridelle *, — il avait cent cavales
blanches — epointant les hauts roseaux des inar6-
cages.
Cent cavales blanches ! La crini6re, — conime la
niasseite des marais, — ondoyante, touffue, et fran-
che du ciseau. — Dans leurs ardenls elans, — lors-
qu'elles partaient ensuite, effr^nees, — comme Te-
charpe d'une fee — au-dessus de leurs cous ellc
flotlait dans le cid.
15
\U\ lUlKfelO, CANT IV.
Vergougno ^tii, ra(^ omeiienco !
Li cavaloto Camarguenco,
An poiign6nt esperoun qiie f estrasso lou flanc,
Coume k la man que li caresso,
Li vegu^ron jamai soumesso.
Kncabestrado per traitesso,
N*ai vist despatria liuen ddup^ti salan ;
E'n jour, d un bound rabin e proumte,
Gmbardassa qoau que li mounte,
i)*un galop avala vint l^go de palun,
La narro an v6nt ! e revengudo
Au Vacar6s, que soun nascudo,
Apr^s des an d'esclavitudo,
Respira de la mar lou libre salabrun.
Qu aquelo meno s6uvagino,
Soun elemen es la marino :
Dou c^rri de Netune escapado segur,
Ks encaro tencho d'escumo ;
E quand la mar boufo e s'embruuio,
Que di veisseu pet on li gumo,
Li grignoun de Camargo endihon de bonur,
E fan brusi coume uno chasso
Sa longo CO que ie tirasso ;
E gravachon lou sdu, o senton dins sa <*Mr
Intra lou trent dou dieu terrible,
Qu'en un barrejadis ourrible
M6u la tempesto e Fendouliblc,
E bourroulo defouns 11 toumple do ia uiur.
tl
MIREriLE, CHANT IV. a
Honte k toi, race humaine! — Lescavales de Ca-
margue*, — au poignant 6peron qui leur dtehire le
flanc, — comme k la main qui les caresse, — jamais
on ne les vit soumises. — Enchev6tr6es par trahison,
— yen ai vu exiler loin des prairies salines;
Et un jour, d'un bond>ev6che et prompt, — jeter
has quiconque les monte, — d'un galop devorer
vingt lieues de mar^cages, — flairant le vent ! et re-
venues — au Vaccar^s*o, ou elles naquirent, —
apr^s dix ans dVsclavage, — respirer I'^manation
salee et libre de la mer.
Car (k) cette race sauvage, — son 6l^ment, c'esJ
la mer : — du char de Neptune 6chapp6e sans doute,
— elle est encore teinte d'^cume ; — et quand la
mer souffle et s'assombrit, — quand des vaisseaux
rompent les cables, — les ^talons de Camargue
hennissent de bonheur ;
Et font claquer comme la ficelle d*un fouet —
leurlongue queue trainante; — et graltent le sol,
et sentent dans leur chair — entrer le trident du
dieu terrible, — qui, dang un horrible p61e-m61e, —
meul la lempdte et le d61uge, — et bouleverse de
fond en comble les abimes de la mer.
148 MlRillO, CANT IV.
Aqu^u Veran li pasturgavo.
En Crau un jour que traficavo,
Enjusquo vers Mir^io, aco 8*6i di, Veran
Se gandigu^. Gar en Camai^o,
E fill qu*alin i bouco largo
D*ounte lou Rose se descargo,
Se disi^ qu'^ro bello, e lont^ms lou diran !
le vengu^ fier, em6 reboundo
A TArlatenco, longo e bloundo,
Jiiado sus Tespalo en guiso de manteu;
Eni6 taiolo chimarrado
Coume uno esquino de rassado,
E capeu de telo cirado
Ounte se rebatie lou trelus d6u soul^u.
E quand fugu^ davans lou m^stre :
Bon jour a vous emai ben^stre !
D6u RoseCamarguen sieu, dis, un ribeirdu ;
Sieii lou felen d6u gardian Peire :
Es pas que noun lou d6ugu6s veire,
Qu'au mens vint an 'ni6 si courreire,
Moun grand, lou gardian Peire, a cauca voste eirou !
Dins lapalun que nous enrodo,
Moun segne grand n'avie tres rodo,
Vous n'en souv6n ! Mai, mfestre, oh ! se vesias dempiei
Lou riche creis d*aqu6u levame !
Podon n en loumba li voulame !
N*av6n s6l rodo eme s6t liame !
— Longo-mai I o moun fi6u, respoundegu6 lou viei,
MIREILLE. GHAMT IV. 149
Ce V6ran les gardait au p^turage. — Un jour qu'il
parcourait la Chrau, — jusqu'aupres de Mireille V6-
ran, dit-on, — poussa ses pas. Car en Camargue, —
et, jusque, 1^-bas, aux larges bouches — par ou le
Rhdne se decharge, — on disait qu elle 6tait belle, et
longtemps on le dira !
II y vint fi6rement, avec veste — k TArl^sienne,
longue et blonde, ^- jette sur F^paule en guise de
manteau, — avec ceinture bariolee — comme un dos
de lizard, — et chapeau de toile cir6e — ou se re-
fl^chissait I'^clat du soleil.
Et lorsqu'il fut devant le maitre : — « Bonjour k
vous et bien-6tre aussi ! — Du Rhdne Camarguais je
suis, dit-il, un riverain; — je suis le petit-fils du gar-
dien Pierre : — au reste, vous devez le voir, — car, au
inoins vingt ans, avec ses coursiers, — inon aieul,
le gardien Pierre, a foule votre air6e !
« Dans le marais qui nous entoure, — mon v6n6.
rable aieul avait trois rodes^^ (de coursiers)... — II
vous en souvient ! Mais, maitre, oh ! si vous voyiez,
depuis, — le riche croit de ce levain ! — EUes peu-
vent en abattre les faucilles ! — nous en avons sept
rodes et sept liens " ! » — « Longtemps, 6 mon fils,
r^pondit le vieillard,
13.
ihi) WIRfciO, CANT IV.
0, loiigo-mai n'en vegues naiss*^ ,
E li coundngues dins lou paiss^ !
Ai counelgu toun grand ; e certo, aco 'ro ora eu
Uno amista de longo toco !
Mai quand piei Tage nousdesfioco,
A la clarta de nosto moco
Demonran en repaus, e Tamistan^, adi6u!
— Es pas lou tout ! \engue lou drolo,
E noun sabes qu'ei que vous vole :
Mai d*un cop, au Sambu, quand venon li Craen
Querre de c&rri d'apaiage,
Entandaumens que de si viage
I'ajudan faire lou bihage,
l)i chatouno de Crau arribo que parlen ;
E ni'an retra voslo Mireio
Tantde moun goust, qu'a vostoid^io
Se Ipouvas Veranet, voste gendre sara...
— Veranet ! Pousquesse loa veiro
Cridi^ Ramoun, que de loun rehire,
De inoun ami lou gardian Ptiire
Lou sagatun flouri noun pou que m'ounoura !
E coume un ome que rend gr^ci
Au Segnour Dieu, dins lis espaci
Aubour^ si dos man *m* aqueslo esclamacioun :
Mai qu*agrades a la picholo,
(Car M souleto e la mignoto !)
En proumiprage de la doto
Lou sant tousl^ms t'av^ngue e la benedicioun !
MIREILIF, CHANT IV. I.M
« Oui, longtemps puisses-iu les voir multiplier, —
et les conduire au p&turage 1 — J'ai connu ton aieul,
et certes,*c'6tait avcc lui — une amitie de longue
main ! — Mais lorsque enfin FAge nous glace, — § la
clart^ de notre lampe ** — nous demeurons en repos,
et les amis, adieu! »
— « Ce n'est pas tout, dit le jeune homme, — et
vous ne savez pas ee que je veux de vous : — plus
d'une fois, au Sambuc, quand viennent les gens de
Crau — querir des chariots de litiere, — pendant que
de leurs chargements — nous leur aidons k serrer la
liure, — il nous arrive de parler des fillettes de Crau.
« Et ils m'ont peint votre Mireille — tellement de
mon goAt, qu*a votre id6e — si vous trouvez V6ran,
votre gendre sera... » — « Veran !... pusse-je voir
cela I — s*6cria Ramon, car de ton ancMre, — de
mon ami le gardien Pierre — le rejelon fleuri ne pent
que m'bonorer ! »
Et, tel qu un homnie qui rend graces — au Sei-
gneur Dieu, dans T^tendue — il leva ses deux mains,
en s'toiant : — « Pourvu que tu plaises a la pelite,
— (car etant seule, elle est la bien-aimee!) — en
pr^mice de la dot, — r6temit6 des saints t'advienne,
et la benediction ! »
162 MIRftiO, CANTIV.
E sono quatecant sa chato,
E le dis )6u de que se trato.
Palo subitamen, lou regard enebi, *
E tremoulanto de cregn^n^o :
Mai Yosto sanio couneiss^nco,
le fagu6 'nsin. paire, en que penso,
Que vougu6s, liuen de vous, tant jouino me chabi ?
— Ve, fau que plan acd se meiie,
M'aves agu di, per se prene !
Fau counfeisse li g^nt, fau n*6stre couneigu...
E li coun6isse, qu'es encaro ?. . .
E dins la n^blo de sa caro
Subitamen pareigu6 claro
Unodou^o pensado. Un matin qu*a pl6ugu,
Se v^i ansin li flour negado
Atraves Taigo bautugado.
La maire de Mireio aprouv6 sa resoun...
E lou gardian em6 *n sourrire :
M^ste Ramoun, dis, me retire !
Car d6u mouissau, ai h vous dire
Qu*un gardian Gamarguen coun^is ]& pougnesoun.
Au mas, dins lou meme estivage,
Vengu^, di p^ti d6u S6uvage,
Pfer veire la chatouno, Ourrias lou toucadon.
D5u S6uvage, negro, malino,
E renoumado es la bouvino. . .
1 souleias, k la plouvino,
Souio lou balcdis di glavas negadou,
MIUEILLE, CHA!rr IV. 153
Et sur-le-chainp il appelle sa fiUe, — et iui dit
vite ce qui se traite. — PAle soudain, \e regard in-
lerdit, — et tremblante d'appr^hension ; — « Mais
voire sainte intelligence, — Iui parla-t-ello ainsi,
p6re k quoi pense-t-elle, — pour vouloir, sijeune,
m'^loigner de vous?
« — Vois , il faut que lentement cela se m6ne, —
m'avez-vous eu dit, pour s'^pouser! — U faut con-
naitre les gens, il faut entire connu... — Et les
connaitre, qu'est-ce encore? » . . . — Et dans la brume
de son visage — soudain apparut claire — une
douce pens^. Un matin qu'il a plu,
On voit ainsi les fleurs noy^es -^ k travers Teau
troublee. — La m6re de Mireille approuva ses pa-
roles, — et le gardien, en souriant : — « Maitre
Ramon, dit-il, je me retire! — car du cousin, je
vous le dis, — un gardien Camarguais connait la
piqure. »
Au mas, dans le courant du m^me 616, — vint,
des pMuragos du Sauvage **, — pour voir la jeune
fille, Ourrias " le toucheur. — Du Sauvage, noirs,
mechanls — et fameux sont les boeufs.... — Aux
grands soleils, sous les frimas, — sous le battement
des pluies diluviennes.
^''»* MIRftiO, CANT IV.
Aqui, lout soul eni6 si bravo,
Ourrias tout Tan ii pasquieravo.
iNascn dins la manado, abari 'in6 li bioii,
Avie di biou restampaduro,
E I'iue s6uvage, e la negruro,
E r^r menebre, e Tamo duro.
Un bihoiin k la man, lou vi^sti tra per s6u,
Quant de cop, rufe desmamaire,
D'entre li pousso de si maire
^'avie pas derraba, desteta li vedeu!
E sus la niaire encourroussado
Hout de barroun uno brassado,
D'aqui que fuge Tespoussado,
Ourlanto, e revirado entreli pinateu !
Quant de doublen e de temenco,
Dins li ferrado Camarguenco,
N'avie pas debana! N'en gardavo, tamb^n,
A rentreciho, uno crelasso
Coume lou nieu qu'un tron estrasso ;
E lis engano e li tirasso
De soun sang regoulant s'^ron tencho p6r t6in.
Ero un b6u jour de grand ferrado,
P^r veni faire la virado,
hi Santo, Faraman, Aigui-Morto, Aubaroun,
Avien manda dedins lis erme
C^nt cavalie de si pu ferme.
Aqui pamens ounte es lou terme,
E niounte un pople foui embarro un vaste round,
MIREILLE, CHANT IV. 155
L^, seul avec ses vaches, — Ourrias les paissail
toute Fannie. — M dans le troupeau, — 61eve avec
les boeufs, — des boeufs il avait la structure, — et
Toeil sauvage, et la uoirceur, — et Tair rev^che, et
I'toe dure. — Un rondin k la main, le veteuient jete
par terre.
Gombien de Ibis, rude sevreur, — des uianielles
de leurs meres — n*avait-il pas arrach6, sevre les
veaux ! — et sur la mere en courroux — rompu de
gourdins une brass6e, — jusqu'a ce quelle fuie
Torage de coups., — huriante, et retournant la t^te
entre lesjeunes pins!
Combien de bouvillons et de genisses *®, — dans
les fen^ades " Camai^aises, — n*avait-il pas ren-
vers^s par les cornes ! Aussi en gardait-il, — entre
les sourcils, une balafre — pareille k la nuee que la
foudre dechire ; — et les salicornes et les Irai-
nasses — de son sang ruisselant s'etaient teintes
jadis.
C'^tait un beau jour de grande fervade. — Pour
rassembler (les boeufs), — les Saintes, Faraman,
Aigues-Mortes, Albaron **^ — avaient envoys dans
les friches — cent cavaliers de leurs plus fermes. —
Cependant au lieu determine, — oil un peuple en de-
lire enferme un vaste cirque,
150 MIUEIO, CANT IV.
Destrassouna dins la saiisouiro,
Acoussegui de la fichouiro
Que ie tanco au galop lou bouient toucadou,
A courso foio, tau e tauro
Venien coume un brounsimen d'auro,
En escrachant sagno e centauro,
Venien de s'acampa, tres c^nt, au marcadou.
La troupelado banarudo
S'oplanto, espavoiirdido e inudo.
Mai, Tarmo dinsli costo, h coucho d'esperoun,
Tres ies encaro ie fan batre
Lou virouioun de ranfitiatre,
Coume lou chin apres lou matre,
Counie apr6s li ratie I'aiglo d6u Luberoun.
Quau lou creirie? de sa cavalo,
Contro lusage, Ourriasdavalo.
I porto de Tareno amoulouna, li bi6u
Terriblamen subran s'esbrandon,
E dins Tareno leu s'alandon
Cinq bouvachoun, que sis iue brandon,
E que traucon lou ceu de si fier cabass6u !
Coume lou v^nt Ourrias s'abrivo,
Coume lou v6nt apr^s li nivo,
Li secuto a la courso, k la courso li poun ;
Quouro k la courso li davan^o,
Quouro li coto em6 la lango,
A Teudavans quouro ie danso,
Quouro li remouchino emi n dur cop depouug.
MIREILLE, CHANT IV. 157
Eveilles en sursaut dans la plaine salee, — poui^
suivis du trident — dont les perce au galop le bouil-
lant toucheur, — a course folle, laureaux et taures
— venaieiit, comme un rugissement de vent, — en
ecrasant typhas et centaurees, — venaient de se ras-
sembler trois cents, au lieu du marquement.
La multitude cornue — s*arrete, effaree, muette.
— Mais, Tarme dans les c6tes, k hate d'eperon, —
trois fois encore ils lui font parcourir — le circuit
de ramphitfaedtre, — tels que le chien apr6s la
martre, — tels que Taigle du Luberon " apr6s les
crecerelles.
Qui le croirait? de sa cavale, — centre la coutume,
Ourrias descend. — Aux portes de I'arene aggloine-
r6s, les boeufs — terriblement soudain s*6branlent, —
et dans Tarene promptement s*elancent — cinq bou-
villons dont les yeux flamboient — et qui percent le
ciel de leurs t^les superbes !
Comme le vent Ourrias se precipite; — comme le
vent apr6s les nues, — il les poursuit a la course, k
la course les pique, — a la course tant6t les devance,
— tant6t de sa lance les heurte, — tantdl danse devant
eux, — tantdt les gourmande d*un vigoureux coup
de poing.
14
i58 M!REIO, CANT IV.
Ai ! tout lou pople di man pico :
Ourrias, blanc de p6usso oulimpico,
Per li bano, a la courso, k la fin n a pres un,
E testo e mourre, e forco a for^o !
Vou desclava si bano torso,
Lou negre moustre, e se bidorso,
E braino de furour, e niflo sang e furn.
Vano furour ! bound inutile '
Lou bouvati^, d*un cop sulile,
Aniourro a soun espalo, en ie troussant lou c6u,
L'orro testasso d6u bestiari ;
E rudamen e per countr^ri
Butant la besti, counie un barri
E crestian e bestiau barrulon p6r lou sdu.
Uno esglaiado cridadisso
Estrementis li tamarifiso :
Bon onie, Ourrias ! bon oine !... E cinq drole espalu
Tenien lou brau. De soun emp^ri
Per ie marca lou batist6ri,
Ourrias eu-meme pren lou ferri,
K' ine lou f^rri caud ie rimo lou malu.
Un v6u de fiho d'Arle, en sello^
Erne lou sen que ie bacello,
Enflourado au galop de si cavalot blanc^
Venon i'adurre uno grand bano^
Raso de vin ; e dins la piano,
Zoumai 1 lou fouleloun s*esvano.ii;
Un v6u de cavali^ li seguisson, brulant.
MIREILLE, CHANT IV. 150
Aie ! tout le peuple bat des mains : — Ourrias,
blanc de poussi^re olympique, — par les comes, h
la course, enfln en a pris un, — et tete et mufle, et
force a force ! — ]1 veut degager ses cornes retrous-
sees, — le noir monstre, et il tord sa croupe, — et
mugit de fureur, etrenifle sang etfiimee.
Vaine fureur ! inutiles bonds 1 — Le bouvier, d'uu
roup subtil, — appuie a son 6paule, en lui lordant
le cou, — Fhorrible t6te de la brute ; — et rude-
ment et en sens contraire — poussant la b6te,
conrnie un rempart — chretien et bSte roulent par
terre.
Une clameur fr^netique — fait trembler les tama-
ris : « Bon homme! Ourrias! ban homme! » Et cinq
gars aux larges 6paules — tenaient le taureau : de
son triomphe — pour lui marquer le baptisterey —
(Jurrias lui-m6me prend le fer, — et avec le fer
chaud, il lui briile la croupe.
Un vol de filles d'Arles, en selle, — le sein forte-
ment agit^, — empourpr^es au galop deleurshaque-
n6es blanches, — viennent lui apporter une grande
corne — rase de vin ; et dans la plaine, — alerie ! le
lourbiUon de nouveau s'evapore; — un vol de cava-
liers les suivent, brAlants.
160 MIRlSlO, CANT IV.
Ourrias vei que bidu ^-n-abatre. . .
E n*en demoro encaro quatre ;
Mai coume lou daiaire es k toumba lou fen
Tant mai ardent que mai n'en r^sto,
I durs esfors de la bat^sto
S^mpre que mai ^u teni6 t^sto,
C de quatre animau despouder^ li ren.
Taco de blanc, bano superbo,
Lou que restavo toundi6 Verbo...
— Ourrias ! n i'aproun! n*i*aproun ! t6uti li vi^i vaqui^
le cridSron. Vano restanco !
Contro lou brau di taco bianco,
Lou ficheiroun pausa sus Tanco,
Rf'lent, despeitrina, deja se bandissi^.
Zan ! coume en plen mourre Tencapo,
Lou ficheiroun volo enesdapo.
L'atrogo pougneduro endemounio lou brau ;
Lou toucadou ie sauto i bano ',
Parton ens6n, e de la piano
Cns^n afoudron lis engano.
Sus si I6ngui fourquello apiela A'k chivau,
Li vaqui6 d'Arle e d'Aigui-Morto
Tenien d*k ment la lucho forlo :
A vincre, t6uti dous furoun, acarnassi,
L'oine doumtant lou bi6u bramaire,
Lou bi6u empourtani lou douintaire,
E*m*un lengau escuinejaire
Lipaiit, tout en courr^nt, soun mourre ensaunousi.
MIREILLE, CHANT IV. 161
Ourrias ne voit que boeufs a terrasser — Qua-
tre restaient encore ; — mais, comme le faucheur,
k abattre le foin,-^e&t d'autant plus ardent qu'il
en reste davantage, — aux durs efforts du combat
— de plus en plus il tenait t^te, — et de qualre
animaux il 6nerva les reins.
Taches de Wane, comes superbes, — le dernier
tondait le gazon. — « Ourrias! assezt assez! » tous
les vieux vachers — lui crierent. Vaine 6cluse ! —
Sur le taureau aux blanches taches, — le trident
po66 sur la hanche, — moite de sueur, la poitrino
nuc, il fondait d^jS.
Zan ! comme il Tatteint en plein mufle, — le tri-
dent vole en 6clats ; — I'atroce blessure rend le tau-
reau d^moniaque ; — d*un bond le toucheur le saisil
aux cornes ; — ils partent ensemble, et de la plaine
— ravagent ensemble les salicornes. — A cheval,
appuy^s sur les longues (hampes) de leurs aigiiil-
lons,
Les vachers d' Aries et d'Aigues-Morles — contem-
plaient la forte lutte : — pour la victoire, tous deux
furieux, acham6s, — I'homme domplant le boeuf qui
mugit, — le boeuf entrainant le dompteur, — et
d'une langue epaisse, ecumeuse, — lechant k la
course son mufle ensanglanl^.
n
1fi2 MIRfcIO, CAIfT IV.
Misericdrdi ! lou bidu gagno !
Coume ano vilo rastelagno,
L*ome i'a darbouna davans, d6u fane qu'avi^...
— Fai lou mort ! fai lou mort I -— En tftiro
Low bidu 'me si piv^u rafeiro,
E, dins lis 6r, sa t^sto f^ro
A s^t cano d'autour Ion bandis k Farri^ !
Uno esglaiado cridadisso
Estrementis li taiiiarisso....
Alin liuen lou pauras vai toumba d'abonchoun,
Amaluga. Dempiei pourtavo
F^a creto que lou descaravo.
Sus la cavalo que mountavo,
Vengu^ dounc vers Mir^io, arma de soun pounchoun.
Aqu6u matin, la pi^uceleto
Ero a la font touto souleto ;
Avie 'stroupa si mancho em6 soun coutihoun
E netejavo li fiscello
Em* la couns6udo fretarello.
Santo de Dieu ! coume 6ro bello,
Qiiand dins lou sourgent clar gafavon si petoun !
Ourrias fagu6 : Bonjour, la bello !
B6n? refrescas vdsti fiscello?
A-n-aqu6u sourgent clar, se vous fasie pas ni.ii,
Abeurari6u ma besli bianco.
— Oh ! n'es pas Taigo, eici, que manco,
Respoundegu^ : dins la restanco
Poud^s la faire bMire, autant coume vous plai.
MIREIIiLE, CHANT IV. 165
Misericorde ! le boeuf I'emporte ! — Comme une
vile r&telee — rhomme a roul^ devant lui, entraine
par Telaii — « Fais le mort ! fais le mort ! » De
terra — avec ses pointes le boeuf Tenleve, — et dans
les airs, sa t^le farouche — k sept Cannes de haul
le lance en arriere !
Une dameur fren^tique — fak trembler les ta-
maris — Au loin le malheureux va tomber, la
face contre terre, — bris6. II portait depuis (lors) —
la cicatrice qui le d^figurait. — Sur la cavale qu'il
inontait, — il vint done chez Mireille, arme de sa
pique.
Cette matinee-la, la jeune vierge — 6tait seulette
a la fontaine ; — elle avait retrousse ses manches el
son jupon, — et netloyait les Pelisses* — avec la
pr^le polisseuse. — Saintes de Weu! qu'elle 6tait
belle, — gueant ses petits pieds dans la source
claire !
Ourrias dit : i( Bonjour, la belle ! — Eh bien !
vous rincez vos Pelisses ? — A cette source claire,
si vous le permettiez, — j'abreuverais ma b^te blan-
che. » — « Oh! I'eau ne manque pas, ici, — repon-
dit-elle : dans T^cluse — vous pouvez la faire boire,
— anient qu'il vous plait. »
i64 MIRfilO, CANT IV.
— Bello, digufe I'enfant 86uvage,
Sc, p^r manage o roumavage,
Venias k Seuvo riau, ounte la mar s'entfend,
Bello, n'aurias pas tant de peno ;
Car la vaco de negro meno,
Libro e feroujo, se permeno,
E jamai noun se mous, e li femo an b6u l^m.
— JouvM, mounte li bi6u demoron,
De languimen li chato moron.
— Bello, de languimen, en est^nl dous, n'i'a ges !
— Jouv6nt, quau eilalin s'esmarro,
Dison que b^u uno aigo amaro,
E lou soul6u i'usclo la caro...
— Bello, soulo li pin k Toumbro vous tendres.
— Jouvent, dison qu'i pin i'escalo
De tourtouioun de serp verdalo !
— Bello, aven li flamen, av^n li serpatie
Qu*en desplegant soun manleu rose
le fan la casso, long d6u Bose
— Jouvent, escoutas (que vous crose),
Soun trop liuen, vdsti pin, de mi falabreguie,
— Bello, entre capelan e fiho,
Noun podon saupre la patrio
Ounte anaran, se dis, manja soun pan un jour,
— Mai que lou manje em6 quau ame,
Jouvent, r6n autre noun reclame
Per que de moun nis me desmame.
— Bello, s'ac6*s ansin, dounas-me voste amour!
MIREILIE. CHANT IV. 1G5
— « Belle, dil le sauvage enfant, — si comme
epbuse ou pelerine, — vous veniez a Sylvartal'S ou
Ton entend la mer, — belle, vous n'aurieic pas tant
de peine ; — car la vache de race noire — se pro-
m^ne, libre et farouche, — et jamais on ne la trait,
et les femmes ont du bon temps. »
— « Jeune homme, au pays des boeufs, — d'en-
nui les jeunes filles meurent. » — « Belle, d'ennui,
quand on est deux , il n'en est pas ! » — « Jeune
homme, qui s'dgare dans ces contrees lointaines —
boit, dit-on, une eau amere, — et le soleil lui brdle
le visage. .. » — « Belle, sous les pins vous vous tien-
drez k Tombre. »
— « Jeune homme, on dit qu'il monte aux pins —
des tortis de serpents verdAlres ! >> — « Belle, nous
avons les flamants, nous avons les herons — qui,
d^ployant leur manteau rose, — leur font la chasse,
le long du Rhdne. » — « Jeune homme, 6coutez (quo
je vous interrompe !), — ils sont Irop loin, vos pins,
de mes micocouliers. »
— a Belle, prfttres et filles — ne peuvent savoir
la patrie — ou ils iront, dit le proverbe, manger
leur pain un jour. » — « Pourvu que je le mange
avec celui que J'aime, — jeune homme, je ne re-
clame rien de plus — pour me sevrer de mon
nid. » — « Belle, s'il en est ainsi, donnez-moi voire
amour ! »
fcr. Minftio, CAM IV.
— Jouvfent, Taur^, digu6 Mir6io ;
Mai 'qu^H planto de ninf^io
Pourtaran peravans de rasin couloumbau '
Aaperavans vosto fourcolo
Jitara flour ; aqu6li colo
Coume de ciro vendran molo,
E s'anara p^r aigo k la vilo di Bau !
MIREILLE, CHANT IV. 167
— « Jeune homme, vous Taurez^ dit.iMireille. —
Mais ces plantes de nymphsea — porteront aupa-
ravant des raisins colomtntis! — auparavant votre
trident — jettera des fleurs ; ces collines — s'amol -
liront comme la cire, — et Ton ira par mer k la ville
des Baux ! »
NOTES
hV CHiNT QUATRIEME.
1 Hartigue [Martegue] (Voyez Chant I, note 12.]
Skelande (»ceUnido], csp^e de bateau.
* Paillole [paiolo), espece de grand filet &maiUes ^troites.
^ Lac d'Entressen [clar (fEntressin), dans laCrau.
* Bessonniere (besiouttiero), brebis qui met bas des jumeaux.
' Un portique, ayec un tombeau, qui supporte deux gen^raux de
pieire.
A unc demi-beure de Saint -Remy, au pied mtoe des Alpinet^,
s'elevent, a c6te Tun de I'autre, deux beaux monuments romainS.
L'un est un arc de triompbe, I'autre un magnificpie mausol^ con-
struit sur trois etages, ome de riches bas-reliefs, et surmonte d'un
gracieux campanile, que soutiennent dix colonnes corinthiennes a
travers lesquelles se montrent debout deux statues. Ge sont les
demiers vestiges de Glanum, colonie marseillaise d^truile par les
barbares.
® Gr^puscule (ahoufy xfapiott heure indue, nuitprofonde).
" Le Sambuc {lou Sambu)^ hameau du territoire d' Aries, dans
rile de Camargue.
8 Cabridellc (Cabridello). (Voyex Chant I, note i4.)
® La Camargue (laCamargo)^ vaste delta form^ par la bifurcation
duRhdne. Cette lie, qui s'^tend depuis Aries jusqu'^ la mer, contient
soixante-qualorze mille sept cent vingt-sept hectares de superficie.
L'immensit^ de ses horizons, le silence grandiose de ses plaines
unies. son strange vegetation, son mirage, ses Clangs, ses essaims
de moustiques, ses grands troupeaux de boeufs et de chevaux sau-
vages, etonnent le voyageur et font penser aux pampas de I'Ame-
riquedu Sud. (Voyez Chant X.)
«o Le Vaccares {lou vacar^s)^ dans Tile de Camargue , est mi
vaste ensemble de mar^cages, d'^tangs sal^ et de lagunes. Va-
caH$ est form^ du mot vaco et de la desinence provengale ar^,
NOTES DU CHANT IV. 169
qui indique la reunion, lag^n^ralite. II signifie un lieu ousont de
iiombreuses vaches. G'est ainsi que de vignOj vigne, barcOi barque,
rito, rive, on a fait vignards, vignoble, barcar^St flotte, ribeir^s,
rivage.
** Rodes (rodo). La racesauvage deschevaux camargues est em-
ployee au foulage des gerbes. Ces aniraaux se comptent par rode
(roue, cercle). La rode est compos^e de six liens [liame] ; le lien
est une paire, la rode contient par consequent douze chevaux.
•* Lien (liame). (Voyez la note precedente.)
*' A la Claris de notre lampe (A la clarla de nostromoco). La
tnoco est un trongon de roseau qu'on suspend dans les mas aux
solives de la salle a manger. EUe porte la lampe romaine appelee
caleu,
** Le Sauvage (lou Sduvage], vaste contrde deserte, nomm^e
aussi petite Gamargue, circonscrite au levant par le petit Rhdne,
qui la s^pare de la grande Gamargue, au midi par la Mediterra-
nee, au couchant ct au nord par le Rhone mort et le canal d'Ai-
gues-Mortes. G'est le principal s^jour des taureaux noirs sauvagcs.
*5 Ourrias, forme provengale du nom propre Elz^ar,
*® Gombien de bouviUons et de genisses (quant de dmblen e de
lemenco). Unbouvillon d'un ans'appelle en provengal un anouble;
de deux ans, un doublen; de trois ans, un temen. Une temenco
est une genisse de trois ans.
*' Ferrade (ferrado) , operation pastorale qu'on c^lebrc a Aries
Uvec beaucoup d'appareil, ct qui consiste a rdunir tous les jeunes
boeufs dans un espace determine, pour les marquer au chiffre du
propri^taire avec un fer rouge.
•• Les Saintes (li Santo) (voyez Ghant I, note 45). — Faraman,
Aibaron (Faraman , Aubaroun), hameaux de la Gamargue. — Ai-
gues~Mortes(Gard), [Aigui-Morto.] G'est dansle port de cette villc
que saint Louis s'embarqua deux fois pour la Terre sainte. Fran-
gois I*' et Gharles-Quint y eurent une entrevue en 1539.
^^ Luberon [Luberoun). (Voyez Gbant III, note 12.)
*® fcclisse, [fiscello), faisselle, vase de terre dont le fond est
percd de petits trous, destine a former et a faire ^goutter les fro-
mages FiscellOf du latin fiscellOy mdme signification.
'* Sylvar^al (S^uvo-riau), forSt de pins-parasols, situ^e dans la
petite Gamargue (Voyez ci-dessus, note 14.). Un petit fort, con-
struitdans ces parages pour protdger la navigation, domine cette
lie, et porte aussi le nom de fort de Sylvar^al.
15
CANT CINQUEN
LA BATfiSTO
Lou bouvati^ s'entoruo, furious (16u refus de Mir^io. — Caltgnage
de Mir^io em^ Vincen. — L'erbo di frisoun. — Ourrias rescontro
Viiicenet, e brutal amen ie cerco reno. — Li prejit : Jan de rOurse.
— Nourtalo batesto di dous rivau dins la Crau vasto. — - Vitori e
generouseta de Vincenet. -— Traitesso d6u toucadou. — Ourrias
trauco Yinc^n d'un cop de flclieiroun, e fugis au galop de sa ca-
valo. — Arribo au Rose. — Li tres barqui^ fantasti. — Lou bat^ii
b'enarco souto lou pes de 4fassassin. ~- La niue de sant Nedard :
proucessioun di negadis sus lou dougan dou flum. — Ourrias
V.iproufoundis. — Danso di Tr^vo sus lou pont de Trincalaio.
L'oumbro dis aubo s'aloungavo ;
La Ventoureso boulegavo ;
Lou soiil^u avi6 'ncaro un pareii d'ouro d'aut ;
E 1i boui6 que labouravon
Vers lou souleu se reviravon
De t^nis en terns, car desiravoii
Lou retour d6u seren, e si femo au lindau.
Lou toucadou se retournavo :
Dins sa cabesso remenavo
L'escorno que veniS de regaupre a la font.
Sa testo ero destitnbourlado,
E de sa rabi recatado
De i€»ms en tems li lancejado
Ic jilavon lou sang e la vergougno au front:
CHANT CINQUIEME
LE COMBAT
I.e bouvier s'en retonrne, furieux du refus de Mireille. — Lesaraoui-s
dc Vincent et de Mireille. — La Valmeria spiralis, — Rencontre
d'Ourrias et de Vincent. — Brutale agression du bouvior. — Lcs
invecflves : Jean de I'Ours. — Combat ^ mort des deux rivaux dans
la Crau d^serte. — Yictoire et generosity de Vincent. — Felonie du
toucheur. — Ourrias perce Vincent d'un coup de trident et fuit an
galop de sa cavale. — 11 arrive au Rhdne. — Les trois bateliers
fantastiques. — La barque se revolte sous le poids de I'assassin.
— La nuit de Sam(-M<^dard : procession des noy^ sur la rive du
fleuve. — Ourrias est englouti. — Danse des Treves sur le pont de
Trinquetaille.
L'ombre des peupUers blancs s'allongeait ; — la
brise du Ventour remuait ; — le soleil avail encore
une couple dlieures de haul ; — et les laboureurs
— se retournaient vers le soleil — de temps eii
temps, car ils desiraient — le relour du serein et (la
vue de) leurs femmes sur le seuil.
Le toucheur s'en allait : — il roulait dans son
esprit — Taffront qu'il venait de recevoir a la Fon-
taine. — Sa t^te etait bouleversee, — et de temps a
autre, les 61ancements — de sa rage concent ree —
lui jetaient au front le sang et la lionte.
172 • MIRfilO, CANT V.
E tout en lampant dins li terro,
Remi^utejavo sa coul^ro ;
E de I'aspre despi^ que ie gounflo soun Ito,
I code que la Grau n'es pleno
Coume un bouissoun de sis agrrno,
P^r se batre auri^ cerca reno !
Aurie de soun pounchoun fichouira lou souleu !.
Un porc-singli^ que de sa tousco
An fa parti, e que tabousco
Sus li moure desert de TOulimpe negras,
Avans de courre sus li chino
Que lou secuton, revechino
Lou rufe p6u de soun esquino,
En amoulant si pivo i peje di blacas.
A Tendavans d6u gardo-vaco
Que lou mourbin pounchouno e maco,
Dins lou meme draiou lou b6u Vinc^n venie
E dins soun amo risouleto,
Revassejavo i paraulelo
Que Tamourouso pieuceleto
I'avie dicho un matin dessouto raqfiourie.
Dre coume un cani6 de Dur6n^o,
fiu caniinavo ; e de plas^nco,
E de pas, e d'amour clarejavon sis er ;
L'aureto molo s'engourgavo
Dins sa camiso que badavo ;
Dins li coudelet caminavo,
Descaus, e lougeret, e gai coume un lesert.
MIREILLE, CHANT V. 173
Et, tout galopant dans les terres, — il grommelail
son courroux ; — et de YApre d^pit qui gonfle son
poumon, — aux cailioux dont la Crau est pleine —
comme un buisson Test de prunelies, — pour se
hattpe, il eiit cherche noise ; — il eAt de son trident
perce le soleil I . . .
Un sanglier qu'on a relanc^ dans ses broussailles,
et qui court — sur les inamelons deserts du sonibre
Olympe *, ~ avant de fondi^e sur leschiennes —
qui le pourchassent, h^risse — le rude poil de son
dos, — en aiguisant ses defenses aux Ironcs des
chines.
A la rencontre du vacher — que le ressentimenl
aiguillonne et meurtrit, — dans le m^mc sentier ve-
nait le beau Vincent ; — et, dans son ftme souriante,
— il r6vait des douces paroles — que Tamou-
i^use vierge, — un matin, sous le mArier, liii avait
dites.
Droit comme une cannaie de Durance, — il che-
minait; et de bonheur, — et de paix, et d'amour
rayonnaient ses traits ; — la brise moUe s'engouf-
frait- — dans sa chemise beante; — il cheminait
dans les galels, — pieds nus, I6ger, el gai comme
un lezard.
15.
in MiRfciO, CANT V.
Souv6iiti-fes, k Touro fresco
Ounte la terro s*enmouresco,
Alor que dins li prat ii fueio de tr^uloun
Se replegon afrejoulido,
Is alentour de la bastido
Ounte restavo la poulido,
Veni^, tout treboula, faire lou parpaioun.
E d'escoundoun, em6*n fin g&ubi,
D6u lucre d'or o ddu reinaubi,
Imitavo de liuen lou canta dindoulet :
La jouveineto afeciounado
Qu'a i^u coumpr^ quau Ta sounado,
Yeni^ leu k la bouissounado,
Cauta-cauto, e lou cor doucamen tremoulet.
K lou clar de luno que dono
Sus li boutoun de courbo-dono ;
E Taurelo d'estieu que frusto, k jour fall,
I/auto barbeno dis espigo,
Quand, souto la molo coutigo,
En milo e milo rigo-migo
Se fringouion d*amour coume un sen trciouli ;
E la joio desmemouriado
Qu'a lou cliamous, quand a si piado
Tout un jour a senti, dins li ro dou Queiras,
Li cassaire que lou fan courre,
E qu'6 la longo sus un moure
Escalabrous coume uno tourre,
Se v^i soul, dins li inele, au mitan di counglas ;
MIBEILLE, CHANT V. 17ft
Maintes fois, k Theure fratche — ou la terre se
voile d ombre, — alors que dans les pr6s les feuil-
les de trifle — se replient, frileuses, — aux alen-
tours de la bastide — ou restait la belle, — il venait,
tout trouble, faire le papillon.
Et en cachelle, habilement, — du lucre d'or ou du
motteux — il iiiiitait de loin le cbant gr^le : — la
jeune fiHe ardente, — qui a vite compris qui Tappelle,
— venait vite k la haie d'aubepine, — furtivement,
et le coBur doucement agite.
Et le clair de lune qui donne — sur les boutons de
narcisse; — el labrise d'el6 qui fr61e, au jourtom-
bant, — les hautes barbes des ^pis, — quand, sous
le mol cbatouillenrient, — en mille et mille ondula-
tions — ils se tr^moussent d'amour, comme un sein
quitressaiile;
Et la joie eperdue — qu*eprouve le chamois, lors-
qu'^ ses traces — il a senti tout un jour, dans les
rocs du Queyras *, — les chasseurs qui le poursui-
vent, — et qu'enfin, sur un pic — escarp^ comme
une tour, — il se voit seul, dans les m^l^zes, au mi-
lieu des glaciers ;
no MIREIO, CANT V.
N'es qu uno eigagno, en coumparanco
Di moumenet de benuran^
Que passavon alor e Nir^io Vinc^n...
Mai parlen plan, o mi bouqueto,
Que li bouissounan d'auriheto !
Escoundu dins Toumbro caieto,
Si man d'^ pau a pau se mesclavon ens^n.
Pi^i se teisavon de long rode,
R si p^d turtavon li code ;
E tantost, noun sach^nt que se dire autramen,
Lou calignaire nouvel&ri
Countavo en risent lis auvSri
Que i*arribayon d'ourdinSri :
E ii nine que dourmi6 souto lou fiermamen,
E di chin de mas li dentado
Contro sa cueisso enca crelado.
E Mir^io, tantost, de la vueio e d6u jour
le racounlavo sis oubreto,
E li prepaus de sa maireto
Erne soun paire, e la cabrefo
Qu*avi6 desverdega toulo uno triho en flour.
Un cop Vincen fugue plus m^stre :
Sus I'erbo rufo d6u campestre
Concha, coume un cat-fer, vengu^ de rebaloun
Toucant ii ped de la jouineto...
Mai parlen plan, o mi bouqueto,
Que li bouissoun an d'auriheto !
— Mireio ! acordo-me que te fague un pouioun !
MIREILLE, CHANT V. 177
Ce n'est qu'une ros6e, au prix — des courts mo-
ments de f61icil6 — que passaient alors et Mireille et
Vincent... — Mais parlons bas, mesl^vres, — car
les buissons ont des oreilles! — Caches dausTombre
pie, — leurs mains, petit k petit, se m^laient en-
semble.
Ensuite, ils se taisaient de longs intervalles, — et
leurs pieds heurtaient les cailloux ; — et tantdt, ne
sacbant se dire autre chose, — Tamant novice —
contait en riant les m^saventures — qui lui arri-
vaient d'ordinaire : — et les nuits qu'il dormait sons
le firmament.
Et les dentees des cliiens de ferme — dont sa
cuisse portait encore les cicatrices. — Tant^t Hireille,
de la veille et du jour, — lui racontait ses pelits tra-
vaux, — et les propos de sa m^re — avec son p6re,
et la ch^vre — qui avail ravage toute une treille en
fleur.
Une fois Vincent ne fut plus maitre : — sur Therbe
rude de la lande — couch6, tel qu'un cbat sauvage,
il vint en rampant — jusqu'aux pieds de la jouven-
celle... — Mais parlons bas, mes l^vres, — car les
buissons ont des oreilles!... — a Mireille ! accorde-
moi de te faire un baiser !
178 MlRfelO, CANT V
Mirfeio, dis, manje ni beve,
De Tamour que de tu receve !
Mirftio ! voudri^u eslrema dins moun sang
Toun alen que lou v6nt me raubo !
A tout lou mens, de Taubo k Vaubo,
R6n que sus Vorle de ta raubo
Laisso-me que me vieule en la poutouneyanl !
— Yincen ! ac6*s un pccat negre I
E li bouscarlo eme li piegro
Van piei dicalignaire esbrudi lou secret.
— Agues pas p6u que se n*en parle,
Que ieu deman, ve, desbouscarle
Toulo la Crau enjusqu*en Arle !
MirMo ! vese en tu lou paradis escr^t !
Mirfeio, escouto : dins lou Rose,
Disi6 lou fieu de Meste Ambrose,
ra*no erbo, que nouman Verbeto dj frisouu;
A dos flourelo, separado
Ben sus dos planto, e retirado
Au founs dis oundo enfresqueirado.
Mai quand v^n de Tamour p6r eli la sesoun,
Uno di flour, touto souleto,
Mounlo sus Taigo risouleto,
E laisso, au bon souleu, espandi soun boutoun ,
Mai, de la veire tant poulido,
I'a Tautro flour qu'6i Irefoulido,
E la ves6s, d'amour emplido,
Que nado tant que pou per ie faire un poutoun.
MIREILLE, CHAIST Y. 179
a Mireille ! dit-il, je ne uiaiige ni rie bois, — telle-
ment tu me donnes d'amour ! — Mireille ! je voudrais
enfermer dans mon sang — ton haleine que le vent
me derobe ! — A tout le moins, de Taurore k Tau-
rore, — seulement sur I'ourlet de ta robe — laisse
que je me route en la couvrant de baisers I »
— « Vincent ! c'est \k un pech6 noir ! — et les
fauvettes et les pendulines — vont ensuile ebruiter le
secret des amants. » — « N'aie pas peur qu*on en
parle, — car moidemain, vois-tu, je depeuple de fau-
vettes — la Crau enti^re jusqu'en Aries ! — Mireille !
je vois en toi le paradis pur !
(( Hii'eille, 6coute : dans le Rh6ne, -^ disait le ills
de maitre Ambroise, — est une herbe que nous nom-
mons Y herbette anxboiicles^ ; — elle a deux fleurs,
bien s^par6es — sur deux plantes, et retirees — au
fond des fraiches ondes. — Mais quand vient pour
elles la saison de Tamour^
« L'une des fleurs^ toute seuie, — monte sur Teau
rieuse, — et laisse au bon soleil, 6panouir son bou-
ton ; — mais, la voyant si belle, — I'autre fleur tres-
saille, — et la voilS, pleine d*amour, — qui nage
tant qu'elle pent pour lui faire un baiser.
180 MIUEIO. CANT V.
E, tant que p6u, se desfrisouno
De rembuscun que I'empresouno,
D*aqui, paureto! que roumpe soun pecoidet ;
E libro enfin, mai inourtineUo,
De si bouqueto palinello
Fnisto sa sorre blanquinello...
Un poutoun, pi^i ma mort, Mir^io !... e sian soulet !
Elo 6ro palo ; eu per delice
La miravo... Dins soun broulice,
Coume un cat-fer s'enarco, alor, e vitamen
De soun anqueto enredounido
La chatouneto espavourdido
V6u escarta la man aidido
Que deja Tencenturo ; 6u lournamai la pren....
Mai parlen plan, o mi bouqueto,
Que li bouissoun an d'aurihelo !
— Fenissc! elo gemis, e lucho en sc loursent ;
Hui d'uno caudo caranchouno
Deja lou drole I'empresouno,
Gauto sus gauto... La cbatouno
Lou pessugo, se courbo, e s'escapo en risent.
E* m' aco piei la beluguelo
De liuen en se trufant : Lingueto !
Lingueto ! ie cantavc... Es ansin, eli dous,
Que semenavon a la bruno
Soun blad, soun poulit blad de luno,
Mauno flourido, ur de fourluno,
Qu*i paean coume i rei Diuu li mando aboundous.
MIREILLE, CHANT V. 181
<f Et, tant qu*elle peut, elle deroule ses boucles
— (hors) de Talgue qui remprisonne, — jusqu'a
tant, pauvrelte ! qu'elle rompe son p^doncule ; — et
libre enfin, mais mourante, — de ses levres p^lies —
elle eflleure sa blanche soeur... — Un baiser, puis
ma inort, Mireille !... et nous sommes seuls ! »
Elle 6tait pMe; lui, avec delices, — Tadmirait. . .
Dans son trouble, — tel qu'un chat sauvage il se
dresse alors, et proraptement — de sa banche ar-
rondie — la fillette efTarouchee — veut ecarter la
main bardie — qui d6j^ lui ceint la taille ; il la saisit
de nouveau...
Mais parlons bas, 6 mes levres, — car les buissons
out des oreilles!. . — « Laisse-moi! » gemil-elle, et
elle lutte en se tordant. — Mais d'un^ chaude ca-
resse — d6ja le jeiine hornme I'^treint, ~ joue
contre joue ; la fillette — le pince, se courbe, et s e-
chappe en riant.
Et puis apres, vive — et moqueuse, elle lui chan-
lait deloin : Lingueto ! lingueto^ ! — Ainsi eux deux
— semaient au cr6puscule — leur ble, leur joli ble
de lune*, — manne ileurie, hour fortune — quaux
manants comme aux rois Dieu envoie en abondance.
16
m MlUfclO, CANT V.
Un vespre dounc, en la Crau vasto,
Lou beu treiiairo de banasto
A J'endavans d'Ourrias venie dins lou draiou.
Lou tron d'uno chavano acipo
Lou proumier aubre que lou pipo,
E, Tiro bourroulant si tripo,
Veici coume parle lou doumtaire de bi6u :
— Es beleu tu, Mn de baudreio,
Que las enclauso, la Mireio ?
En lout cas, o 'speia, d'abord que vas d alin,
Digo-ie*n pau que m*enchau d'elo
E de soun mourre de moustelo,
Pas mai que d6u vi^i tros de telo
Que ie cuerbe la p^u I . . . Fauses, beu margoulin ?
Vincenet ressaute ; soun aino
Se revih^ coume la flanio ;
Soun cor ie boumbigue coume un fio gre que part :
— Panto 1 vos dounc que Ie coustible,
E que moun arpo en dous te giblet
Ie fai en Talucant, terrible
Coume quand, afama, se reviro un leupard.
E de soun iro li Irambleto
Fasien ferni si carvi6uleto*
-^ Sus la gravo, dis Tautre^ anaras mourreja !
Car, as U man trop misloulinOj
E noun sies bon, raubo-galino^
Que p6r gibla'n J)rout d'amarino,
Per camina dins I'oumbroj e p€Jr gourrinejd !
MIREILLE, CHANT V. 183
Cn soir done, dans la vasle Crau, — le beau tres-
seur de bannes, — a la rencontre d'Ourrias, venait
dans le senlier. — La foudre d*un orage frappe — le
premier arbre qui Tattire, — el, les enlrailles boule-
vers6es par la colere, — voici comme parla le domp-
tenr de boeufs :
« C'esttoi peut-^tre, fils de prostitute, — qui Fas
ensorcel6e, la Mireille ? — En tout cas, 6 d^guenille,
puisque tu vas devers 1^-bas, — dis-lui done quo je
no me soucie d*elle — et de son museau de belelte —
pas plus que du vieux lambeau de toilo — qui l*^
couvre la peau!... entends-tu, beau marjolet? »
Vincent tressaillit ; son ^me — se reveilla conune
la ilamme ; — son coeur bondit corame im feu gr6-
geois qui 8*61ance : — « Rustre, veux-lu done que jc
f^reinte, — et que ma griffe en deux te ploio ? » —
lui dit-il avec un regard terrible — comme (celui d)
un leopard qui, affame, retourne (la tete).
Et de sa colere le tremblement — faisait fremir
ses cbairs violeltes. — « Sur le gravier, repartitTau-
tre, lu iras rouler par t6te ! — car tes mains sont
Irop d6biles, — et tu n'es bon, vil maraudeur, — que
pour ployer un brin d'osier, — pour cheminer dans
I'ombre, et pour vagabonder ! »
181 MinElO, CANT V.
— 0, couine torse I'amarino,
Respond Vincen qu'eigd 'nveriiio,
Van torse toun galet !... Ve ! ve I fuge, se pos,
Fuge, capoun, qu'ailamali^o!
Fuge, 0, Sant Jaque de Gali^o !
Reveiras plus ti famarisso,
Car vai, 'quest poung de ferre, embreiiiga tis os!
Hereviha de trouva 'n oine
Sus quau enfin sa rabi goine :
— Ua moumen ! ie respond lou vaquie regagnous,
Un inoumenet, moun jouine t6chi,
Qu'abren la pipo ! . . . E de sa p5chi
Tiro un boursoun de p^u de b6cbi,
E'n negre cachimbau qu*embouco ; e desdegnous :
— Quand te bressavo au p6d d'un ourse,
T'a jamai counta Jan de TOurse,
Ta boumiaiio de maire? a Vinc6n digue 'nsin.
I'a Jan de I'Ourse, Tome double,
Que, quand soun m^stre, em^ dous couble,
Lou mand6 fouire si restouble,
Arrape, couine un pastre arrapo un barbesin,
Li besti t6utis atalado,
E su*no pibo encimelado
Li bandigue p6r Ter, eni6 Taraire apres !
E tu, marrias, bonur t'arribo
Qu'apereici i*a ges depiboi...
— Levaries pa*n ai d*uno ribo,
Grand pore! n'as que de lengo! E Vincen, a Tarr^st,
MIREILLE, CHANT V. 185
— a Oui, comme je lords Tosier,— repond Vincent
que ces (mots) exasp6rent, — je vais lordre ta
gorge !... Vois ! vois! fuis, si tu peux, — fuis, Mche,
ma colore I — fuis, ou par Saint Jacques de Galice !
tu ne reverras plus tes tamaris, — car il va, ce poing
de fer, broyer tes os ! »
fimerveille de trouver un homme — sur qui enfin
sa rage se d6gorge : — « Un moment ! lui replique le
vacher hargneux, — un petit moment, mon jeune
fou, — que nous allumions la pipe! » Et de sa
poche — il tire un bourson en peau de bouc — et
un noir calumet, qu il euibouche ; et d^daigneux :
— « Lorsquelle te bergait au pied d'une anserine •
— ne t*a-t-elle jamais raconte Jean de TOurs', — ta
m^re boh6mienne? dit-il k Vincent. — Jean de
rOurs, I'homme double, — quand son maitre, avec
deux paires (de boeufs), — Tenvoya labourer ses
chaumes, — saisit, comme un p^tre saisit un hippo-
bosque,
« Les bMes toutes attelees, — et sur un peuplier k
haute cime — il les lanca dans les airs, la charrue
avec. — Et pourtoi, chetif, c'esl fort heureux — que
par ici ne soit point de peuplier ! » — a Tu n dterais
pas un kae de la lisi^re (dun champ), — grand
pore! tu n*as que de la langue! » — Et Vincent, a
Tarr^t,
16.
180 MIRfilO, CANT V.
Coume un lebrie tanco un besti^ri ,
Tancavo aqui soun aversM.
— Que, digo ! ie cridavo a s'e^argamela.
Long galagu, que t'estrampales
Sus ta gancKello, b^a? davales
0 te davale?... Gales? cales,
Aro qu'anan sach^ quau tet^ de bon in ?
Es tu, gusas, que portes barbo ?
Te caucarai coume uno garbo !
Es tu qu'as mespresa la vierge d*aquMi mas,
Mir^io, la flour d6u terraire?
0, i6u, lou marrit panieraire,
leu, Vincenet, soun calignaire,
Vau lava ti mespres dins loun sang, se n*en as !
Mai lou vaqui6 bramo : Arri ! km !
B6umian, calignaire d'armSri !
Espero, esp6ro-me I.... Sus-lou-cop sauto au s6u ;
Apereila li v6sto volon ;
Picon di man, lis 6r tremolon ;
Souto eli li caiau regolon ;
Un sus Tautre k la fes parton coume dous bi6u.
Ansin dous brau, quandsus lis erme
Lou souleias dardaio ferme,
An vist lou p6u courous e li large malu
D*uno vaco jouiuo e moureto
Bramant d'amour dins li sarreto...
E sus-lou-cop lou tron li peto,
E d'amour sus-lou-cop v^non foui e calu%
MIREILLE, CHANT V. 187
Comme un levrier tient une b^te fauve, — tenait
la son adversaire. — « Dis done ! lui criait-il h se
briser la gorge, — long goinfre, qui t'6carquilles or-
gueilleusement — sur ta baridelle, descends-tu, —
ou je te descends?... Tu mollis? tu mollis, —
mainienant que nous allons savoir qui teta de bon
lait?
« C'est toi, sceleral, qui portes barbe? — Je te
foulerai comme une gerbe! — C'esl toi qui as me-
pris6 la vierge de ce was, — Mireille, la fleur du ter-
roir? — Oui, moi-mtoe, le mechant vannier, —
moi, Vincent, son poursuivant, — je vais laver tes
m^pris dans ton sang, si tu en as ! »
Mais le vaclier hurle : « Hue! hue! — Bohemien,
poursuivant de cuisine! — Attends, attends-moi! »
Sor-le-champ il saute k terre... — Au loin les vestes
volent ; — ils frappent des mains, les airs tremblent ;
— sous eux les cailloux roulent ; — I'un sur Tautre
ils fondent k la fois comme deux taureaux.
Ainsi deux taureaux, quand sur les savanes — le
grand soleil darde avec force, — ont vu le poil lui-
sant et la large croupe — d*une bnme et jeune vacbe
— beuglant d'amour au milieu dcs typhas... —
et sur-le-champ la foudre eclate en eux, — et
d'amour sur-le-champ ils deviennent fous et aveu-
gies.
188 MIRfclO, CANT V.
Piei arpaiejon, pi^i s*alucon,
Prenon lou vane, e z6u ! s'ensucon.
E prenon mai lou vane, e de mourre-bourdoun
Fan restounti li cop de t^sto.
Longo e marrido es )a bat^sto,
Car cs TAmour que lis entesio,
Es I'AiTiour ponderous que li bwlo e li poun.
Ansin eli dous tabassavon,
Ansin, furoun, s*eseabassavon.
Ourrias a recassa lou proumi^ lavo-dent ;
Mai coumc I'aulre lou mena^
D'un nouveu cop, sa grand manasso
S'aubouro en T^r coume uno masso,
Vj d'nn large gautas ainassolo Vinc6n.
— T6 ! 16 1 fresl^u, paro aqu6u 16pil
— Tasto, moun ome, s'ai lou gr^pi !
iSe cridon Tun al'autre. — Ardi! eomlo, bastard,
Li blaveirdu mounte s'enfounso
La rintraduro de mis ounso !
— E lu, moustras, eomto lis ounQo,
Lis oungo de sang vi^u qu'espiron de ta ear !
Alor s'arrapon, se p6utiron,
S'agroumoulisson e s'esliron,
Espalo conlro espalo, em* arleu contro art^u ;
Li bras se Irosson, se fringouion
Coume de serp que s'entourtouion ;
Souto la peu li veno bouion,
Lis esfors fan tibia li lento di bouteu.
MIREILLE, CHANT V. 180
Puis ils tr6pignent, puis se regardent, — prennent
61an, el s'entre-choquent. — Et de nouveau prennent
^lan, et abaissant leurs mufles, — font retentir les
coups de t6te. — Long et cruel est le combat, —
car c*est TAmour qui les enivre, — c*est IWmour
puissant qui les pousse et les aiguillonne.
Ainsi frappaient les deux (champions), — ainsi,
furieux, ils se gourmaient la t6te, — Ourrias a recn
le premier horion ; — mais comme Faulre le menace
— d*un nouveau coup, sa main enorme — se I6ve
dans Fair comme une massue, — el d un large soiif-
flet il assomme Vincent.
— ft Tiens ! tiens ! ch6tif, pare cette gourmade! »
— « TAte, mon brave, si j*ai Tonglee ! » — se crienl-
ils Tun iTautre. — « Courage! compte, b^tard, —
les meurtrissures ou s'enfoncent — mes phalanges
pointues ! » — « Et toi, monstre hideux, compte les
onces, — les onces de sang vif qui jaillissent de ta
chair! »
Alore ils se saisissent, se l.ouspillent, — s'accrou-
pissent et s'allongent, — epaiile centre ^paule et or-
teil centre orteil ; — les bras se tordent, se frottent
— comme des serpents qui s*entortillent ; — sous la
peau les veines bouillent, — les efforts tendent les
muscles des mollets.
190 hir£io, cant V.
LonfSins, inmoubile, s*estellon,
Erne li flanc que ic bacellon,
Coume quand bat de Talo un palot estardoun :
Imbrandable, la lengo muto,
Un coutant Tautre dins sa buto,
Coume li pielo grando e bruto
l)6u pont espetaclous qu'encambo lou Gardoun.
E tout-d'un-cop so desseparon,
E tournamai li poung se barron,
Lou trissoun tournamai engruno lou mourtio :
Dins la furourque li counjounglo,
le van di d^nt, ic van dis ounf^lo...
Di6u ! quenti cop Vinc^n i'ajounglo !
Dieu ! quenti bacelas mando lou bouvatie !
Abasimanto ^ron li mougno
Qu'aquest largavo k plen de pougno ;
Mai lou Yalabregan, rapide c picadis
Coume uno grelo que desboundo,
A soun entour boundo e reboundo,
Revoulunous coume uno froundo.
— Veici, dis, lou turlau, gourrin, que t*esp6ulis!
Mai coume tors Tesquino k r^ire,
P^r mieu pica soun empegn^ire,
Lou gaiard toucadou subran Tarrapo i flanc ;
A la maniero prouven^alo
Te lou bandis darri^ I'espalo,
Coume lou blad dessus la palo,
E vai pica de costo apereila au mitan !
MIREILLE, GHAMT Y. 191
Longtemps ils se roidisseni, immoblles; — les
flancs leur battent, — comme quand bat de Taile un
outardeau pesant ; — in^branlables, la langiie muette,
— Tun I'autre s*accotant dans leur poussee , —
comme les piles grandes et brutes — du pont prodi-
gieux qui enjambe le Gardon *.
Et tout d'un coup ils se separent, — et derechef
les poings se ferment, — derechef le pilon egruge le
mortier : — dans la fureur qui les etreint ensemble,
— ils y vont des dents, ils y vont desongles... —
Dieu ! quels coups Vincent lui assfene ! — Dieu ! quels
soufflets ^normes lance le bouvier!
Accablantes '^taient les bourrades -> que celui-ci
d^chargeait a plein poing ; — mais (renfant) de Yala-
br^gue, frappant avec la rapidite — d'une gr61e sou-
daine et drue, — autour de lui bondit et rebondit,
— tel qu'une fronde tourbillonnante. — « Voici,
dit-il, le heurt, ruffien, qui te broie ! »
Hais comme il tord le dos en arri^re, — pour
mieux frapper son agresseur, — le vigoureux bou-
vier soudain Tempoigne par les flancs ; — k Ja ma*
ni^re provengale — le lance derriere T^paule, —
comme le ble avec la pelle ; — et au loin il va frapper
des c^tes au milieu (de laplaine}*
102 mirEio, cant v.
— Acainpo I acampo reiminado
Qu em^ toun mourre as darbounado,
E s auies lou p6utras, vermenoun, manjo e beu !
— Proun de di ! b6sti malestrucho,
I'a que li tres cop que fan lucho !
Respond lou drole, en quau s*enclucho
L ainar verin.Lou sang ie mounto au bout di pen.
Se rel^vo, lou panieraire,
Goume un coulobre ; e, fi^r luchaire,
A I'agrat de pori vo de venja soun noum,
Part sus lou Camarguen s6uvage,
E d'uno for^o e d*un courage
Merevihous p6r aquel age,
Talongo dins lou pitre un mourtau cop de poung.
Lou Camarguen trantraio, tasto
Per couta soun esquino vasto ;
Mai a sis iue neblous ie s^mblo quatec^it
Quk soun entour tout fai que courre ;
La tressusour ie mounto au mourre,
E patafl6u ! coume uno tourre
Tounibo lou grand Ourrias, au mitan dou trescauip ! .
La Grau ^ro tranquilo e mudo.
Aperalin soun estendudo
Se perdie dins la mar, e la mar dins Ter blu :
Li cieune, li fouco lusento,
Li becaru, qu'an d*alo ardenlo,
Venien de la clarta mourento
Saluda, long di clar, li beu darrie belu.
MIREILLE, CHAM V. 193
— « Raiiiassc ! rainasse Tarpenl de teiTe — que
ton museaii a laboure, — et si lu aimesla poussi^re,
vermisspau, mange etbois! » — « Assez de mots!
b^te ignorante, — les trois coups seuls achfevent une
lutte ! » — repond le gars en qui s'accumule — la
haine amere. Le sang lui monte au faite des die-
veux.
II se relive, le vannier, — coninie un dragon, et
tier lutteur, — au risque de perir ou de venger son
noin, — il fond sur le sauvage Gamarguais, — et
d*une force et d*un courage — merveilleux pour sa
jeunesse, — lui allonge dans la poitrine un mortel
coup de poing.
Le Gamarguais chancelle, il t^le — pour etayer
son vaste dos ; — mais a ses yeux nebuleux il semble
uussit6t — qu'aulour de lui tout tourbillonne ; —
ime sueur glacee lui monte a la face ; — et i grand
bruit, tel qu'une tour, — tombs le grand Ourrias,au
milieu de lalande !...
La Grau etait tranquille et muelle. — Au loiulain
son ^tendue — se perdait dans la mer, et la mer
dans Fair bleu : — les cygnes, les macreuses lus-
tres, — les flamants aux ailes de feu — venaient, de
la clarte mourante, — saluer, le long des etangs, Jes
derni^res lueurs.
17
194 MlRfclO, CANT V.
D6u vaquie la cavalo bianco
Toundie dis agarrus li branco ;
E vueje, lis estrieu, li grands esli'ieii ferra,
Balin-balou contro soun ventre...
— Breguigno mai ! se noun I'esv^ntre !
Lis ome, aro, bregand, pos senlre
S'^ la cano \o au pan se d^von inesura !
Dins lou sil^nci d6u can>pestre,
Lou panieraire, d*un ped meslre,
Esquichavo lou pie d'Ourrias amaluga.
Souto la cambo que lou sarro,
Lou toucadou luchavo encaro,
E per li brego e per li narro
Racavo a gros mouchoun un sang encre e maca.
Tres cop vougu6 jita de caire
Lou p6d ounglu d6u panieraire ;
Tres cop d un iai de man lou Mn de Meste Ambroi
L'esternigue mai sus la gravo ;
E lou vaquie qu'escumejavo,
Em6 d'iue torge, retoumbavo
En boufant e badant coume un orre baudroi.
— Lis ome, dounc, o barataire,
Lis a pas touti fa, ta maire !
Vincenel ie cridavo. I bidu de S^uvo-Uiau
Vai, vai counta quento es ma pougno !
Vai4'en escoundre ti boudougno,
Toun arrougango e la vergougno
Au founs de ta Gamargo, au mitan de ti brau i
MIREILLE, CHANT V. 195
La cavale blanche du vacher — tondait les bran-
ches des ch^nes-kcrmes ; — et vides, les 61riers, les
grands elriers de fer — sonnaient et se oscillaient
conlre son ventre. — « Remue encore et je te cr6ve !
— Maintenant, brigand, tu peux sentir — si & la
can7ie ou h Yempan doivent se inesurer les hom-
ines! »
Dans le silence de la lande, — le vannier, d'un
pied viciorieux, — pressait la poitrine d*Ourrias
ereint6. — Sous la jambe qui le serre, — le toucheur
luttait encore, — et par les l^vres et par los na-
rines — vomissait a grands dots un sang noir et
meurtri .
Trois fois il voulut secouer — ^ le pied ongle de
Tenfant aux corbeilles; — trois fois, d'un tranchnnt
de main, le fils de Maitre Ambroise — le terrassa snr
le gravier ; — et le vacher 6cumant, — les yeiix ha-
gards. retombait — en soufflant, et (la bouche) beante
comme une horrible baudroie '.
— (( Les hommes done, forban, — ta m^re ne les
fit pas tous ! — lui criait Vincent. Aux bceufs de
Sylvar^al — va, va dire quel est mon poignet! — Va
cacher les tumeurs, — ton insolence et ta honte —
au fond de ta Camargue, parmi tes taureaux '. »
190 MIRfilO, CANT V.
Acd di, lache la besliasso.
Tau un loundeire, dins la jasso,
Retell entre si cnmbo un grand aret banard ;
Mai tant l^u i'a toumba soun &bi,
Sus lou malu ie mando un b^bi,
E lou bandis. Gounfle de r&bi,
Ansin, e tout p6ussous, lou vaquie sauto e pait.
Uno pensado maladito
A traves champ lou precepito ;
Jitnvo d'escumenje; ourlant e fernissent,
Dins lis avaus, dins li gen^sto
Que cerco dounc?... Ai ! ai ! s'arrftsto..
Ai ! ai ! ai ! brando sus la t^sto
Soun ficbeiroun terrible, e lampo sus Vinc^u.
Quaiid se vogue souto la lanco,
Senso revenje ni *speranco,
Yinconet paligu^ coume au jour de sa mort :
Noun que la mort ie fugue duro,
Mai ce qu'aclapo sa naturo,
Es de se veire la caturo
D'un feloun que Tengaiio avie fa lou plus fort.
— Traite! ausaries? fagu6 que dire.
E; Youlountous coume un martire,
S'aplanto... Alin, alin, dins lis aubre escoundu,
Tavi^ lou mas de sa mestresso.
Se ie vire *me grand tendresso,
Coume p6r dire k la pastresso :
Mireio, espincho-me, que vau mouri p6r tu 1
MIREILLE, CHANT V. 107
Cela dit, il lacha la bete feroce. — Tel un londeur,
dans le bercail, — retient ehire ses jambes un grand
belier comu; — mais a peine de sa robe Ta-t-il d6-
pouill^, — sur la croupe il lui donne une tape —
et le delivre. Ainsi, gonflS de rage — et tout pou-
dreux, le vacher bondit et part.
Une penste maudite — le pr6cipite k travers
champs; — il jetait des imprecations; hurlant et
fremissant, — dans les ch^nes-kerm^s, dans les ge-
nets — que clierche-t-il ?... Aie ! aie! il s'arrMe... —
Aie! aie! aie! sur la t^e il brandit — son trident
terrible, et fond sur Vincent.
Lorsqu'il se vit sous la lance, — sans revanche ni
espoir, — Vincent pAlit comme au jour de sa mort :
— non que mourir lui soil dur; — mais ce qui
accable sa nature, — c'est de se voir laproie — d'un
ftlon que la ruse avait fait le plus fort.
— « Traitre, oserais-tu? » dit-il k peine. — Et r6-
solu comme un martyr, — il s'arrfite... Au loin, au
loin, cache dans les arbres, 6tait le mas de son
amante. — 11 se tourna vers lui avec grande ten-
dresse, — comme pour dire k la pastourelle : —
Regarde-moi, Mireille, pour toi je vais mourir!
17.
198 MIRftiO, CANT V.
0 b^u Vinc^n ! d'aquelo qu'amo
Enca pantaiavo soun amo...
— Fai ta prei^ro ! Ouirias ie vengu^ coume uii tron,
D'uno Youes despietouso e rauco.
E de soun ferre aqui lou trauco.
Em'un fort g^me, sus la bauco
Lou paure vergani6 barrulo de soun long.
E I'erbo plego, ensaunousido ;
E de si cambo enterrousido
]a fournigo de champ fan deja soun camin.
Mai lou toucadou galoupavo,
— Au clar de luno, sus la gravo,
Tout en fugent 6u prejitavo,
Aniue li loup de Crau van rire, k tau festin !...
La Crau ero tranquilo e mudo.
Aperalin soun estendudo
So perdie dins la mar, e la mar dins I'^r blu ;
Li cieurie, li f6uco lus^nto,
Li becaru, qu*an d*alo ard^nto,
Yenien de la clarta mour^nto
Saluda, long di clar, li beu darri6 belu.
E galopo, vaquie, galopo,
Que galouparas ! . . . — Hopo ! hopo !
le venien coume ac6 lis esclapaire verd
A sa cavalo que chauriho
Dis iue, di narro e dis auriho.
Souto la luno deja briho
Lou Rose, entredourmi dins soun lie descubert.
MIREILLE, CHANT V. 199
Oh ! beau Vincent ! de celle qu'il aime — rfivait en-
core son ^me... — « Fais ta priere ! » Ourrias tonna
soudain — d*une voix impitoyable et rauque. — Et
il le perce de son fer. — Avec un fort g^missement,
sur rherbe — I'infortun^ vannier route de son
long.
Et rherbe ploie, ensanglant^e ; — et de ses jambes
terreuses — les fourmis des champs font d6ja leur
chemin. — Mais le toucheur galopait. — (i Sur les
galets, au clair de lune, — tout en fuyant grornme-
lait-il, — ce soir, les loups de Crau vont rire, a pa-
reilfestin!... »
La Crau etait tranquille etmuette. — Au lointain
son ^tendue — se perdait dans la mer, et la mer
dans Fair bleu; — les cygnes, les luisantes ma-
creuses, — les flamants aux ailes de feu, — venaient,
de la clarte mourante, — saluer, le long des ^tangs,
les derni^res lueurs.
Et galope, vacher, galope, — galope sans relAche!
— « Hop! hop! )> — criaient les crabiers verts *® -^
k sa cavale qui chauvit — des yeux, des naseaux et
des oreilles. — Sous la lune dej^ brille — le Rh6ne,
sommeillant dans son lit d^couvert, '
200 MIRftIO, CANT V.
Coume un roumi^u de Sanlo-Baumo
Que, nus, de lassige e de caumo
S eslalouiro e s'endor au founs d'un vabre. — H6u !
L'auses?... h6u de la ratanialo !
H6u ! h6u1... En cubcrlo vo'n calo,
Me passarias *me ma cavalo?
De liuen lou capounas crido a tres barqueiroii
— Vene leu, v^ne, bono voio !
Respoundegue 'no voues galoio,
Que, per veire mounta de la niue lou caleu,
Entre li remo e la partego
Lou pMs entrefouli vanego...
La pesco pr^sso, aco boulego,
Mounome! Touro esbono... Abordo, aboido l^u.
En poupo lou fena s*ass^to.
La cavalo, darrid la beto,
Nadavo, la caussano estacado k Testrop.
E li grand peis, vesli d'escaumo,
Abandounant si f6unsi baunio,
D6u Rose mouvien la calaumo,
E lus^nt, boumbissien h Tentourde la pro.
— Hestre pilot, dono-te gardo !
La nau, s^mblo que ven panardo!
E lou qu'avie parla, p6d sus banc, sus lou rem
Tourna se plegue coume un vise.
— I'a'n moumenet que me n'avise...
Pourtan un marrit pes, vous dise,
Respounde lou pilot; e piei digu6 plusren.
MIREILLE, CHANT Y. 201
Comme un pelerin de la Sainte-Baume *S — qui,
nu, de lassitude et de chaleur — s'etend et s'endort
au lond d'un ravin. — « Ho ! — Tentendez-vous?...
ho ! de la barque ! — ho ! ho ! ... en pont ou en cale,
— me passeriez-vous, moi et majument? » — de
loin le Uche crie h trois baleliers.
ft Viens vile, viens, bon gamement! » rSpondit
uno voix goguenarde, — afin de voir monter la
lanipe de la nuit, — entre les avirons et la gaffe —
le poisson fr^tillant circule... — La p^chepresse,
(le poisson) remue , — mon brave ! L*heure est
bonne... Aborde, aborde vile. »
Sur la poupe le scleral '* s'assied. — La cavale,
derri^re le bateau, — nageait, le licou altach^ .^ Tes-
frope. — Et les grands poissons, v^tus d'^cailles, —
abandonnant leurs grottes profondes, — du Rh6nc
mouvaient le calme, — et Uiisants, bondissaient au-
lourdela prouo.
— « Hatlre pilote, prends garde! — la nef devient
boifeuse , ce me semble! » — Et I'inlerlocuteur,
pieds sur banc *', sur l*aviron — de nouvcau se ploya
comme un sarment de vigne. — « \o\h un instant
que je m*en aper^ois... — Nousporlons un poids
mauvais, vous dis-je, » — r^pondit le pilote ; et apres
il se tut.
202 MIREIO, CANT V.
La ralamalo trantraiavo
D'un biais, de Tautre, gansouiavo
Dun balans esfraious coume un ome embria.
La ratamalo ^ro marrido,
Avis li post mita pourrido. . .
— Iron de Di6u ! lou toucadou crido...
E s'arrapo h Tempento, e s'aubouro esfraia.
Mai, souto uno envesiblo forco,
La nau s6mprc que mai bidorso,
Coume uno serp en quau un pastre em'un clapas
A coupa lis esquino. — Soci,
Perqu6 fas6s aqu6u trig6ssi ?
VoulSs dounc qne me nSgue? i mdssi
VenguS lou toucadou, pale coume un gipas.
— Pode plus mestr(^a la barco !
Respounde lou pilot. S*enarco
Soulo iSu, e boumbis coume uno escarpo fai :
As tua quaucun, miserable!
— Uu ?... Quau te Fa di?... Que lou diable,
S'acd's verai, 'm6 soun rediable
Me p6uf ire subran au founs di garagai !
— Ah ! countuniS lou pilot blave,
Bs ieu que mo troumpe ! 6ublidave
Ques aniue SantMedard. Tout paure negadis,
Di toumple afrous, di rev6u sourne,
P6r founs que Taigo I'encafourne,
Sus terro aniue fau que retourne....
La longo proucessioun adeja s*espandis,
MIREILLE, CHANT V. 2(n
La vieille barque chancelait, — de cl, de la, va-
cillait — d'un branle effrayant comine uii homine
ivre. — La vieille barque etait mauvaise, — deini-
pourries etaient lea planches. — « Tonnerre de
Dieu ! )) crie le tSucheur... — Et il se cramponne au
gouvernail, et il se 16ve effraye.
Mais, sous une invisible force, — la nef de plus en
plus se lord, — comine un serpent auquel un pMre,
avec un bloc de pierre, — a rompu Tcchine. —
« Compagnons, — pourquoi ces secousses? — Vous
voulez done que je me noie ? » Ainsi aposlropha les
mousses -- le toucheur, pSle comme un platras.
— « Je ne puis plus maitriser la barque ! -- repon*
dit le pilote. Elle se cabre — sous moi et bondif
comme fait une carpe : — tu as tue quelqu^m, mi-
serable! » — (( Moi?... QuiteTa dit?... Que Satan,
— • si cela est vrai, avec son fourgon — me tire sur-
le-champ au fond des abim«s ! »
— « Ah ! poursuivit le pilote livide, — c*est moi
qtii me trompe : j*o^bliais — que c'est la nuil de
Saint Medard. Tout malheureux noye, — des gouffres
affreux, des tourbillons sombres, — dans quelques
profondeurs que Teau Tensevelisse, — sur terre,
cette nuit, doit revenir... — * La longue procession
deja se d^veloppe,
^i!)i MIBfcIO, CANT V.
Velei !... pauris amo plourouso !
Velei 1 sus la ribo peirouso
Mounton a ped descaus : de si viesli lima,
De soun peu amechouli, coulo
A gros degoiit Faigo treboulo.
Dins Toumbro, souto li piboulo,
Caiiiinon ^renguiero, em*uncire aluiiia.
Goume regardon lis estello !
D6u sablas que lis empestello
En derrabantsi cambo arrampido, pa^ai 1
Em^ si bras blu, 'me sa t^sto
Mounte la nito encaro resto,
Es eli, coume uno temp^slo,
Que tuerton lou bateu d'aqueu rude tranlrai.
Toujour quaucun de mai ariibo,
E mounto, afeciouna, la ribo.
Coume bevon Ter linde, e la visto di Crau,
E la sentour que veu di f6ure !
E coume trovon dous lou moure,
En regardant si viteti ploure !...
Toujour quaucun de mai mounto d6u cadarau !...
Ta de vi6i, de jouine, de femo,
Disie lou meslre de la remo. . .
Coume espousson la fango e Tourrour dou pesquic !
De formo descarnado e berco ;
De pescadou qu'eron en cerco
D*aganta lou lampre e la perco,
E qui perco em*i lampre an servi de pasquic.
MIUEILLE, CHANT V. 205
« Les voila!... pauvres Ames eplorees! — Les
voila ! sur la rive pierreuse — ils montent, pieds
nus : de leurs vMemenls limoneux, — de leor che-
velure feutr^e conle, — a grosses gouttes Teau
trouble. — Dans Tombre, sous les peupliers, — ils
cheminent par files, un cierge allum^ (a la main).
it Comme ils regardent les 6toiles ! — Du monceau
de sable qui les emprisonne — en arrachant leurs
jambes contracl^es, fielas I — avec leurs bras bleuis,
avec leurs t^tes — ou la vase reste encore, — ce
sont eux qui, tels qu'une temp^le, — heurtent le ba-
teau de cetle rude oscillation.
« Toujours quelqu'im de plus arrive, — et gravit
avec ardeur la berge. — Coniuie ils boivent Fair
limpide, et la vue des Graux, — et la senteur qui
vient des recoltes ! — et combien ils trouvent doux
le mouvement, — en regardant leurs vStements
pleuvoir!... — Toujours quelqirun de plus monte
de la voirie!...
« II y a des vieillards, des jeunes gens, des fern-
mes, — disait le maitre de Taviron. . . - (Gonmie ils
secouent la fange et Thorreur du vivier!) — des
formes d6cbarnees et ^dentees ; — des pdcheurs qui
clierchaient — k prendre la lamproie et la perche,
— et qui aux perches et aux lamproies ont servi de
paturage.
18
m\ MIRfilO, C.VM V.
Ve ! regardo aqueu v6u qu^esquiho,
Descoiinsoula» sus li graviho...
Es li belli chatouno, es li folo d'ainour»
Que, de se veire separado
De Tome ama, desesperado,
An demanda la retirado
All Rose, per nega soun imn^iiso doulour !
Velei !... 0 pauri pichounello !
Dins la sournuro clarinelio,
Boulegon, si sen nus, ein'un tau rangouluii,
Souto Taugo que li mascaro,
Que, de soun peu neblant sa caro
A long tracheu, i6u doute encaro
Ses d'aigo que regoulo, o s*es Tamar plourun.
Lou pilot quinqu^ plus. Lis amo
A la man ienien uno ilaino,
E seguien a la mudo, e plan, lou ribeires.
Aurias ausi voula'no mousco...
— Mesire pilot! mai, dins la fousco,
Yous seinblo pas que soun en bousco?
le fai lou Camarguen, d'orre e d'espaime pres.
— 0, soun en bousco... Ye, pecaire !
Goume testejon de tout caire !
Cercon li b6nis obro e lis ate de fe
Que sus la terro saraeneron,
Espes 0 clar, quand ie passeron.
Tre qu'apercevon ce qu*esperon,
Coume au fres margaioun ves^n courre lave.
MIR'EILLE, CHANTY. 207
« Vois ! conlemple eel essaim qui glisse, — in-
consolable, sur la gr^ve... — Ce sont les belles
jeunes filles, les foUes d'anjour, — qui, se voyant
separees — de I'bonmie aim6, de desespoir — ont
demands Fhospitalit^ — au Rhdne, pour noyer leur
immense dmleiir.
« Vois-les!... 6 pauvres jouvencelles ! — Dans
Tobscurit^ diaphane, — palpiient leurs seins nus,
avec. un tel rale, sous Talgue qui les souille, — que,
de leur chevelure qui voile leur visage — k longs
flols, je doule encore — si c'est Teau qui ruisselle,
ou les larmes am^res. )i
Le pilote ne parla plus. Les ^raes — tenaient une
flamme k la main, — et suivaient, silencieuses et
lentes, le rivage. — Vous eussiez entendu le vol
d'unemouche... — (t Maitre pilote ! mais, dansTobs-
curite, — ne vous semblent-ils pas en recherche ? »
— lui dit le Camarguais, pris d'horreur et d*^pou-
vante.
— « Oui, ils sont en recherche..^ Vois ! infortunes !
— comme ils tournent la t^te de toute part! — Ils
cherchent les bonnes ceuvres et les actes de foi —
qu*ils semerent, — nombreux ou rares, h leur pas-
sage sur la terre. — D^s qu'ils aper^oivent Tobjet
de leur espoir, — de mtoe qu'^ la fraiche ivraie
nous voyonsles brebis courir,
-08 MIRfciO, CANT V.
Se precepilon ; e, culido,
Entre si man Tobro poulido
V6n uno flour ; e quand, per un bouquet n'an proun,
A Dieu, al^gre, lou fan y^ire,
E vers li porto de Sant P6ire
La flour emporto lou cuieiro.
Dins Tengrau de la mort toumba de reviroun,
1 negadis ansin Dieu meme
Dono un relais per se redeme.
Mai soulo lou glavas ddu fluve segrenous,
Avans quo Taubeto s*enaure,
Ve-n-en que tournaran s'enclauro :
Negaire de Di^u, manjo-paure,
Tnaire d'ome, traite, escabot vermenous.
Cerconuno obro que li sauve,
E noun poussigon dins lis auve
Que pecatas e crime, en formo de caiau
Mounte soun arteu nus s'embrounco.
Fin de miou, fm de cop de rounco !
Mai eli, dins Verso que rounco,
S^ns fm barbelaran lou perdoun celestiau!!
Coume un bregand a-n-un recouide,
Ourrias aqui Tarrapo au couide :
— I/aigo dins lou bat^u 1! — Fa Tagoutal, respond,
Tranquile, lou pilot. En aio,
Ourrias agolo, e z6u ! travaio
Coume un perdu ! .. . De Trincataio
Li Trevo aquelo niue dansavon sus lou ponl.
MIREILLE, CHANT V. 200
« lis se pr6cipitent ; el, cueillie, — entre leurs
mains la belle oeuvre — devienl fleur ; el quand pour
un bouquet (laraoisson) est sufTisante, — k Dieuils
le montrent avec joie, — et vers les portes de Saint
Pierre — la fleur emporte celui qui Ta cueillie. —
Dans la gueule immense de la mort tomb6s, la t^le
rolouru^e,
« Ainsi aux noy^s Dieu lui-meine — doniie un snr-
sis pour se racheler. — Mais sous la masse liquide
du fleuve sombre, — avant que Taube se 16ve, —
on voila qni reloumeront s ensovelir : — renieurs de
Dieu, mangeurs de pauvres, — tneurs d'hommes,
traitres, Iroupeau ronge de vers.
« lis cherchent une oeuvre de salut — et ils ne
foulent dans les graviers du fleuve — que grands pe-
ches et crimes, sous forme de cailloux — ou bronche
leur orteil nu. — Fin de mulel, fin de coups de
trique ! — Mais eux, dans la vague qui nigit, — sans
f\n convoiteront le pardon c61esto !! »
Tel qu'un brigand au toumant d un cliemlrt, —
Ourrias k ce moment Ic saisil au coude : — « L*eau
dans le bateau!! » —^11 a I'ecope, » r6pond, —
tranquille, le pilole. Avec ardeur — Ourrias vide la
barque, et, courage! il travaille — comme un
perdu !... Sur le pont de Trinquelaille ** — les Tre-
ves^'', cette nuil-1^, dansaient.
18.
210 MIRKlO, CANT V.
E zou ! agoto, Ourrias, agoto,
Qu'agoutaras !... La cavaloto,
P^r se descabestra, folo ! — Blanco, de-qu'as?
As pou di mort ? ie dis soun m^stre
Qii*a li p^u dre dj I'escaufestre.
E, sournaru, lou toiimple aigufestre
De long d6u bregan^u, afloco, ras k ras.
— Sabe pas nada, capiUni !...
La sauvares la barco ? — Nani !
Encaro un vira-d'iue, la barco toumbo k foiin.
Mai, de la doiigo, ounte varaio
La proucessioun que tant t'esfraio,
Li mort nous van manda*no traio.
E coume a di, la barco au Rose se prefound.
E, dins la liuencho escuresino,
E di viholo fouscarino
Qu'i man di negadis tremolon, un longrai
D'uno ribo k I'aulro lampejo.
E coume, au soul^u que pounchejo,
Coume uno aragno que fielejo
Se laisso resquiba de-long dou fieu que trai,
Li pescadou (qu*6ron de Tr6vo !)
Au rai claret que fai co-levo
Seguindon, e I6u-I6u s'esquibon tout-de-long.
D*entre 1 aigo que I'enmourraio,
Ourrias pereu mando k la traio
Si mancrispado!... ATrincataio,
LiTr^vo, aquelo niue, dans^ron sus loupont i
MIREILLE, CHANT V. 21!
Et courage I vide, Ournas, vide, — vide toii-
jours !... — La cavale — veut rompre son licou,
folle ! — « Blanque, qu'as-tu? — As-tu peur des
morts ? » lui dit son maitre, — les clieveux dresses
d'effroi. — Et taciturne, le gouffire liquide — le long
du dernier bordage clapole, bord a bord .
— « Je ne sais pas nager, capitaine ! . . . — La saii-
verez-vous, la barque ? » — « Non ! — Encore un
din d'oeil, la barque tombe k fond; — mais de la
rive, oik erre — la procession qui tant l*effraye, — les
inorts vont nous jeter un c^ble. » — II dit, et dans
le Rhdne la barque s*engloutit.
Et, dans Tobscurite lointaine, ~ et des lampes
blafardes — qui aux mains des noyes tremblotent,
un long rayon — d*une rive k Tautre brille comme
un 6clair. — Et de ni^me, ausoleil qui pouit, — de
mSnie qu'une araign^e qui file — se laisse glisser le
long du fil qu*elle jette,
Les p6cheurs (qui 6taient des Treves !) — au rayon
clair qui fait bascule — se hissent, el rapidement se
gli&sent tout le long. — Du milieu de I'eau qui Tem-
muselle, — Ourrias envoie aussi au c&ble — ses
mains crispees!... A Trinquetaille — les Ti'i&ves,
celle nuit, danserentsur le ponti
NOTES
hV CHANT CINOlIlfeMK.
* Olympe, haute monlairne, siir Irs limit os dii Yar ot des Bon-
clies>du-Rh6ne.
* Queyras, vallde des Haulos-Alpes.
~> L'herbette aux boucles [Cerbeto difrmun), [valisneria SftiralU,
Lin.) Plante qu'on trouve dans Ic Rhdnect dans les mares qiii I'a-
voisinent, aux environs de Tarascon et d' Aries.
* IJngneto! mot intraduisible, qu'on repute en riant k quel-
qu'uii, ct en lui montraiit quelquc chose de loin on de haut. pom
oxcilor sa convoilise.
Quasi bramoti fantoliul e vani
Chepregano, e 7 pregnio non risponde.
Ma per fare esser ben lor voglia aeatfty
Tien alto lor dim e nol nagconde.
(Dantb, VurgatOiio, c. xxiv.)
5 Ble de lune \J>lad de luno). Au propre, faire de biad de luno,
signiiie d^rober du hU a ses parents a la clarte de la lune. Btad
de luno, au figure, designe les larcins amoureux.
<*Ans<^rine ligneuse, (ourse) {(^lenopodmn fhiticosum^ Lin.);
planle commune au bord de la mer.
"> Jean de I'Oui^ [Jan de VOurse), heros des conies de veillees,
ospero d'Hercule provenQal auquel on altribue ime foule d'ex-
NOTES DU CHANT V. 213
ploits. II 6tait flls d'une berg^re et d'un ours qiii I'avait enlev^e,
et a\ait pour compagnon de gloire deux aventuriers d'une force
fabiileuse. L'un se nommait Arrache-Montagne, et I'autre Pien^e-
de-Moulin. M. Hippolyte Babou a relate Thistoire de Jean de
rOurs dans ses Patens innocents.
* Lo pont prodigieux qui enjambe le Garden {lou pont espeta-
clous qu'encambo iou Gardoun), le pont du Card.
» Baudroie [baudroi], ou diable-de-mer,' poisson hideux.
*<> Esclapaire, crabier vert [ardeaviridis, Lin.). Oiseau de 1 ordrc
des echassiers, ainsi nommt^ (esclapaire signifio fendeur de hois), {\
caiLsc de son cri : Ha! ha!
" Sainte-Baume($ff}}/0-J}tftfiff<>), grotle celebre, au milieu d'une
foret vierge, pr6s de Saint-Maximin (Var), dans laquelle se relira
sainte Magdcleine pour faire penitence. (Voyez le Chant XI* )
** Fena^ mauvais sujet, sacripant, sc^l^rat. Horace a dit^dans
)e mdmc sens en parlant d'un mechant homme : Fenum habet in
coniu. C'dtait proverbial chez les Romains; et ce dicton venait
(le I'usage ou Ton ^tait autrefois de mettre du foiu aux comes dos
taiu'caux dangereux, pour avertir de s'en garder.
•^ Pieds sur banc [pid sus banc). Mettre pieds sur banc (metre
pidsus ^aRc),en terme de marine, c'est mettre le pied surle petit
banc qui est devant le siege des rameurs, pour faire plus de force, et
lig. travailler avec ardeur. (Honnorat, Did . proveiiQaL)
** Trinquetaillo(Trmcff/fli(;), faubourg d'Arles, situ6 dans la Ca-
niargue, et r^uni a la cite par un pont de bateaux.
*^ Treves ijrim)^ lulins qui dansentala pointe des ondes, quand
le soleil ou la lune fait miroiter les eaux.
CANT SIEISEN
LA MASCO
A Taubo, tres pourcati6 trovon Yinc^n dins soun sang, estendu dins
lis orine de. Grau. — L'aduson d la brasseto au Mas di Falabrego.
— Digressioun : lou Felibre se recoumande d sis amis, li felibre
de Prouv^n^o. — Doulour de Mir^io. Porton Yinc^n an Trau di
Kado, caforno dis Esperit de niue e demouranoo de la masco Ta- ,
ven, escounjurarello de tout inau. — l.i Fado. — Mireio acoum-
pagno soun calignaire dins li borno de ia raountagno. — I.a Man-
dragouro. — Lis aparicioun de la baumo : Li Fouletoun, I'Esperit
Fantasti, la Bugadiero d6u Yentour. — Raconte de la masco : la
Messo di mort, lou Sabatori, la Garamaudo, lou Gripet, la Bam-
baroucho, la Cinucho-Yieio, lis Escarinche, li Dra, lou Chin de
Gambau, lou Baroun Castihoun. — L'Agn^u negre, la Cabro d'or.
— Taven escounjuro la plago de Vinc^u. — Enauramen e prou-
feti<(0 de la masco.
A l*aubo claro se marido
Lou clar canla di bouscarido.
Ln terro enamourado espero lou souloii,
Vpstido de frescour e d'aubo,
Coume la chato quo se raubo,
Dins la plus bello de si raubo
Esporo lou jouY^nt que i'a di •. Parten leu
En Crau tres ome cammavon,
Tres pourcalie, que s*enlournavon
De Sant-Chamas lou riche, ounle ero lou marcat.
Venien de Yendre sa toucado,
E, tout en fasenl la charrado,
Sus Tespalo, k TacousUiinado,
PourtaYon sis argent dins si roupo amaga.
CHANT SIXIEMK
LA SORCIEHE
A I'aube du jour, trois porchers trouveut Vincent eteudu dani> le de-
sert de la Crau, et baigne dans son sang. — Us Tapportent dans
leurs bras au Mas des Bficocoulcs. — Digression : appel du poetc
h ses amis, les poetes de Provence. — Oouleur de Mireille. — On
porte Vincent h Tanlre des F^es, repaire des Esprits de la nuit, el
habitation de la sorciere Tav^n, charmeuse de tons inaux. — Les
Fees. — .Mireillc accompagnc sou atnant dans los excavations de la
montagne. — La Mandragore. — Les apparitions de la Caveme; les
FoUets, I'Esprit Fantastique, la Lavandi^re du Ventour. — Recits
de la sorciere : la Messe des morts, le Sabbat, la Gararaaude, le
Gripet, la Bambarouche, le Cauchemar, les Escarinches, les Dracs,
leChien deCambal, le Baron Castillon — L'Agneaunoir, la Chevre
d'or. — Tav6n charme la blessure de Vincent. -• Exaltation et pro-
ph^ties de la sorciere.
A Taube claire se marie — le chant clair des bee-
fins. — La terre enamouree attend le soleil, — v6tue
de fraicheur et d*aurore : — ainsi la jeune fille qui se
fait enlever, — (v^tue) de la plus belle de ses robes,
— attend le jouvenceau qui lui a dit : « Partons en
HMe! »
Dans la Crau marchaient trois homines, — troij?
porchers, retoumant — du marclie de Saint-Chamas
le riche. — lis venaient de vendre leur troupeau, —
et, tout en faisaiit la causerie, — sur Tipaule, k Tac-
coutumee, — ils portaient leur argent enveloppe
dans leurs mantcau.\i
216. HIKEIO, CANT VI.
Qiiand loul-d'iin-cop :, — Chut! caiiibarado,
Fai iin ditres. ra'no passado
Que nie semblo d'ausi souspira dins li bnis.
— I16u ! fan lis autre, es la campano
De Sant-Martin o de MauS!>ano,
0 beleu ben la Tremouiiiano
Que gansouio en passant li tousco d'agarrus.
Coume acabavon, di gen^sto
Sort un plagnoun que lis arr^sto,
Un plagnoun tant doulent que trancavo lou cor.
— Jeuse! Maia ! t6uU fagu^ron,
Fa niai que mai ! e se sign^ron,
K d*aisQ, d'aise, camineron
l)e niounle li plagnoun venien toujour plus fort.
Oh ! que 'spetacle! DinsTerbage,
Sus li caiau, *ine lou visage
Uevessa per lou s6u, Vincen ero estendii :
La teiTo a I'entour chaupinado,
Lis auiarino escampihado,
E sa camiso espeiandrado,
E I'erbo ensaunousido, e souti pilre fendu !
Abandouna dins la campagno,
Eme lis aslre per counipagno,
Aqui lou paure drole avie passa la nine;
E Taubo umido e clarinclio,
En ie picant sus li parpello,
Dedins si veno mourtinello
Reviscoule la vido, e ie durbe lis iiie.
MIREILLE, CHANT Ylf. 2l7
Quand tout a coup : « Silence ! camarades, — £ait
run des trois. Depuis un instant — il me semble ouir
soupirer dans les bruy^res. » — a Bah! dirent les
autres, c*est la cloche — de Saint-Martin ou de Maus-
saiie ; — ou bien peut-^tre la Tramontane — qui
agite en passant les toufiTes de chene-nain^ »
A peine achevaient-ils, des genets — sort une
plainte qui les arr6te, — une plainte si dolente qu*eUe
tiavrait le coeur. — « Jesus ! Maria ! dirent-ils tons,
— il y a de Vetrangel » et ils firent un signe de
croix, — et doucement, doucemerit s*achemin^rent
— la d'ou les plaintes venaient de plus en plus fortes.
Oh ! quel spectacle ! Dans les herbes, — sur les
cailloux, le visage — ren verse par terre, Vincent
etait gisant ; — le sol foule autour de lui, — les brins
d'osier disperses 9^ et la, — sa chemise en lambeaux,
— et rherbe ensanglantee, et sa poitrine ouverte I
Abandonne dans les champs, — avec les etoiles
pourcompagnes, — \k le pauvre jeune homme avait
passe lanuit; — et Taube humide et lumineuse, —
en frappant sur ses paupieres, — dans ses veines
mourantes — ressuscita la vie, et lui ouvrit les
yeux.
10
218 MllltlO, CANT VI.
K li tres ome, tuut en aio.
Quit^ron lout-d*un-t6nis la draio ;
E, courba t6uli tres, ie fagueronun bres
Desi roupo, quespandigu^roii ;
Piei entre touti lou prengo^ron
A la brasseto, e TadugudFon
Aa Mas di Falabrego, ounte ^ro lou plus pr^....
0 dous ami de ma jouv^n^,
Valent Felibre de Prouvtoco,
Qu'escoutas, atentieu, mi cansoun d'autre-t^ms :
Tu que sabes, o Roumaniho,
Entrena dins tis armounio
E li plour de la pacaniho,
E lou rire di chato, e li flour d6u print^ms ;
Tu que di bos e di ribiero
Gerques lou sourne e la fresquiero,
P^r toun cor coumbouri de pantai amourous,
Fier Aubaneu ! e de ti soubro,
Tu, Crousihat, qu*A la Touloubro
Fas mai de nouin, que n en recoubro
De soun Nostradamus, Fastrold souloumbrous ;
E tu tamben, Hati^u Ans^ume^
Que, di tiiho souto lou I6ume,
Hegardes) pensatieu, li chato que fan gau I
E tu, Pauloun, fin galejaire ;
E tu, iou paure trenquejaire,
Tavan, umble cansounejaire
grihet brun qu'espinchon toun magau !
MIREILLE, CHANT VI. 219
Et les Irois hommes, empresses, — quilt^rent
aussit6t le chemin ; — et, courb^s tous les trois, lui
firent un berceau — de leurs manteaux qu'ils deployfe-
rent; — puis, entre eux tous, le prirent — dans
leurs bras, et I'apporterent — au Mas des Micocoules,
qui etait la plus proche (habitation)....
0 doux amis de ma jeunesse, — vaillants pontes
de Provence, — qui ecoutez, altentifs, mes chan-
sons du temps passe : — toi qui sais, 6 Roumaoille, —
Iresser dans tes harmonies, — et les pleurs du
peuple-, — et le rire des jeunes filles, et les fleurs du
printemps !
Toi qui des bois et des rivifepes — cherches le
sombre et le frais — pour ton coeur consume de r^ves
d'amour, — fier Aubanel ! et, par les (oeuvres) que
tu laisses, — toi, Crousillat, qui k la Touloubre —
fais plus de renomm6e qu'elle n'en recouvre — de
son Nostradamus, le sombre astrologue";
Et toi aussi, Malthieu Anselme, — qui, sous le
berceau des treilles, — regardes, pensif, les jeunes
filles atlrayantes! — Et toi, cher Paul, 6 fin railleur;
— et toi, le pauvre paysan, — Tavan, qui m^les ton
humble chanson — a celle des grillons bruns qui
examinent ton hoyau !
220 NIRfilO, CAUT VI.
Tu mai, que dins 11 duren^ado
Trerapcs encaro ti pensado,
Tu qiik ndsli souleu caufes lou franchiman,
Moun Adofo D6umas : grandido,
Quand pi^i Mireio s'es gandido
Liuen de soun mas, novo e candido,
Tu que Tas, dins Paris, menado p^r la man !
Tu 'nfin, de quau un vent de flamo
Ventoulo, emporto e fouito Tamo,
Garcin, *- fieu ardent d6u manescau d'Alenl..,
^ ^* -fia frucho bello e maduro,
K) v^utri t6uti, k mesuro
Que i6u escale moun auturo,
Alenas moun camin de voste sanl alen ! . . .
— M^sle Ramoun, bonjour 1 digu^ron
Li pourcalie, quand amberon :
Aven Irouva, pecaire! aqueu paurejouv^nt
Aperavau dins la champino ;
Poud6s cerca de pato fmo,
Gar a*n b^u trau k la peilrino !
Sus la taulo de peiro alor pauson Vinc^n.
Au brut de la malemparado,
Mirfeio cour, despouderado,
Que veni6 d6u jardin, e sus Fanco tenie
Soun plen pani6 de li6ume; courron
Touti lis ome que labouron....
Mirfeio, en V^r si bras s'aubouron ;
— Maire de Dieu! pi^iquilo, e toumbo soun pani6.
MIREILLE, CHANT VI. 221
Et toi aussi, qui, dans les debordements de la Du-
rance — trempes encore tes pens6es, — toi qui
chauffes le fran<^ais a nos soleils, — mon Adolphe Du-
mas : grandie, — lorsque ensuite Mireille s'est lan-
cee — loin de son mas, neuve et 6tonnee, — toi qui
Tas, dans Paris, menee par la main !
Et toi enfm, dont un vent de feu — agite, emporte
et fouette Ttoe, — Garcin, 6 fils ardent du mar^chal
d'Alleins !... — vers le fruit beau et mur, — 6 vous
tous, a mesure — que je gravis ma hauteur, —
a^rez mon chemin de votre sainte haleine !...
— « Haitre Ramon, bonjour ! dirent — les por-
chers en arrivant : — nous avons trouv6 ce pauvre
jeune homme — par M-bas dans la lande ; — cher-
chez des loques (de toile) fine, — car il porle a la
poitrine une bien large blessure. » — Alors, sur la
table de pierre ils d^posent Vincent.
Au bruit du fatal ev6nement, — Mireille accourt,
^perdue ; — elle venait du jardin, et lenait sur la
hanche — son panier plein de legumes ; accourent
— tous les laboureurs... — De Mireille les bras se
Invent : — « M6re de Dieu ! » puis s'6crie-t-elle (d une
Yoix aigue) , et son panier tombe
19.
222 MfRfelO, CANT VI.
— Vinc^n! mai, que t*an fa, pecaire!
Qu'as taut de sang? De soun fringaire
Ausso alor dou^amen la t^to, e'n bon moumeii
Lou regardo, mudo, atupido,
P^rla doulour coume arrampido.
De lagreino grosso e rapido
S*inoundavo enterin Tauturoun de soun sen.
De ramourouso pichouneto
Vinc^n couneigu^ la maneto ;
E d*uno Youes mour^nto : Oh ! dis, agu^s pieta <
Ai de besoun (|ue m^acoumpagnc
Lou bon Dieu, car si^u b^n de plagne !
— Laisso que ta bouco se bagne,
Fagu^ M^ste Ramoun, d'un pau d'agrioutat.
— 0, beu-lou l^u, qu*ac6 rcinounlo,
Reprengufe la jouv^nto. E, proumlo,
Arrap^ lou flasquet ; e degout k degout,
En ie parlant lou fasie b^urc,
E ie levavo lou mau-vi6ure.
— De tau malur Di^u vous deli^ure,
Vinc^n coumenc^ mai, e vous pague de lout !
En refendent uno amarino,
L*esquichave sus ma peitrino,
Quand lou ferri m'esquifo e me pico au mameu.
Vougue pas dire que p6r elo
S*6ro batu coume uno grelo...
Mai saparaulo, d*esperelo,
Reveni^ vers I'amour, coume la mousco au m^u.
MIREILLE, CHANT VI. 223
— « Vincent ! que t*a-t-on fait, h§las ! — pour
6tre ainsi (convert) de sang ! » De son bien-aim^ —
elle rel6ve alors doucement la t^le, et longuement
— le regarde, muelte, consternee, — comme petri-
fi6e par la douleur. — De larmes grosses et rapides
— 8*inondait en m^me tentps la leg^re Eminence de
son sein.
De I'amoureuse jeune fille — Vincent reconnut la
main ; — et d'une voix mourante : « Oh I dit-il, ayez
piti6 ! — J*ai besoin qu'il m'accompagne, — le bon
Dieu, car je suis bien^ plaindre ! » — « Laisse hu-
mecter ta boucbe, — dit Maitre Ramon, avec un peu
i'agrioiat^, »
— (( Oui, bois-le vite, car cela ranime, » — reprit
la jouvencelle. Et, prompte, — elle prit le flacon; et
goutte k goutte, — en lui parlant elle le faisait boire,
et lui dtaitle mal-6tre. — « De pareils malheurs Dieu
vous d6livre, — Vincent commenga de nouveau, et
vous paye tous (vos soins) !
« En refendant un (scion d*) osier, — jelepressais
sur ma poitrine, — quand le fer m'^chappe et me
frappe au sein. » — II ne voulut pas dire que pour
elle — il s'6tait battu comme une grftle. ,. — mais sa
parole, d'elle-m^me, — revenait vers Tamour, comme
la mouche au miel.
224 MlRftlO, CANT Yl.
— La doulour, dis, de vosto caro
Hai que ma plago m'es amaro !
Ce qu'avian couraen^a, lou cariesteu pouUt,
Fau dounc, partis, que noun s'acabe,
E que la treno se derrabe ! . . .
P^r quant k i6u, Mireio, sabe
Qu'aurieu de vosto amour vougu lou vSire empli.
Mai ten^s-vous aqui ! . . . que vegue
V6stis iue dous, e que ie begue
La vido enca*n brisoun! vous demande pas mai...
Vous demande... sepoudias faire
Quaucaren p^r lou panieraire :
Ai alin moun paitre \iei paire
Qu*es escranca de I'age, e mort p6r lou travai.
Mir6io se descounsoulavo. . .
D6u terns, elo pamens lou lavo,
E Tun de I'escarpido esfato lou velout,
D'autre 16u landon vers TAupiho
Cerca li b6nis erbourilio.
Mai sus-lou-cop Jano-Mario :
— Au Trau di Fado, au Trau di Fado pourtas-lou !
Tant mai la plago es dangeirouso,
Tant mai la masco ^i pouderouso !
Z6u dounc ! au Trau di Fado, k la coumbo d'lnf^r,
Quatre lou porton.. Dins li peno
Que di Baus formon la cadeno.
En un rode que Valabreno
Trevo, e qu'en virouiant marcon li capoun-fer,
MIBEILLE, CHANT YI.. 899
— a IjH douleur, dit-il, de voire visage, — plus
que ma plaie m*est am^re! — La jolie corbeille
commenc^e par nous, — il faut done, parait-il, qu'elle
(reste) inaclievee, — et que la tresse s*en arrache ! . . .
— Pour ma part, Mireille, je sais — que, de votre
amour, j'aurais voulu la voir s'emplir.
« Maistenez-vousl^!... que je voie — vos yeux
doux, et. que j'y boive — la vie encore un peu ! je ne
vous demande rien de plus. . . — Je vous demande. . ,
si vous pouviez faire — quelque chose pour le van-
nier : — j*ai Ubas mon pauvre vieux pere — qui est
brise par Tdge, et mort pour le travail. »
Mireille se d^solait... — Cependant elle lave sa
(blessure), — et Tun de la charpie d^chire le velours,
— d'autres, empresses, 8*61ancent vers TAlpine, —
(pour) chercher les herbes salulaires. — Mais aussit6t
Jeanne-Marie : — v Au Trou des F^es *, au Trou des
F6esportez-le!
« Plus la plaie est dangereuse, — plus la sorcifere
est puissante 1 » — Aliens ! au Trou des Fees, dans
le vallon d'Enfer, — quatre le portent... Dans les
remparts de roche — qui ferment la chaine des Baux,
— en un lieu que la salamandre — hante, et que de
leur vol tournoyant les sacres indiquent,
220 JIIRfelO. CANT VI
Di roumanin entrc li mato,
A flour de roco, un trau s'acato.
Aliii dedins, despi^i que lou sant Angehis,
En Tounour de la Vierge, pico
I^u brounse clar di baselico,
Alin dedins li Fado antico.
Per tonstems, dou souleu an fugi lou trelus.
Esperitoun plen de mist^ri ,
Entre la forino e la materi
Erravon, au mitan d*un linde calabrun.
Di6u lis avi6 fa mi6-terr^slre
E femelin, coume p6r 6stre
L*amo vesiblo di camp^stre,
E per di proumies ome amansi lou ierun.
Mai li Fadeto, — b6u coume eron, —
Di fieu dis ome s*aflam6ron ;
E, li foulasso ! au lio d'enaura li mourtau
Vers li cel^slis esplanado,
Di passioun nostro apassiounado,
A noslo fousco destinado,
Coume d'auceu pipa, ioumberon d^amoundaut.
Dins la gorgo estrechano e rudo
De la caforno sournarudo,
Li pourlaire pamens avien leissa Vincen
Se davala de resquiheto.
Em'^u, dins Teseuro draielo
S'aventnr6 que Mireielo,
Recouniandant soun amo k Di6u, camin fasent.
MIREILLE, CHANT VI. 22?
Entre les touffes des roinarins, — a fleur de roche,
un Irou se cache. — Dans ses profondeurs, depiiis
que le saint Angelus, — en rhoiineur de la Vierge^
frappe — le bronze clair des basiliques, — dans ses
profondeurs les antiques F^es, — pour jamais, du
soleil ont fui la splendeur.
Esprits I6gers, mysterieux, — entre la forme et la
matiere — elles erraient, au milieu d'un limpide cre-
puscule. — Dieu les avail creees demi-terrestres —
et f<gminines, afln qu^elles fussent, pour ainsi dire, —
r^e visible des campagnes, — et afm d'apprivoiser
la sauvagerie des premiers hommes.
Mais, si beaux etaient — les fils des hommes, que
pour eux s'enflamm^rent les Fees ; — et, insensees!
au lieu d'elever les naortels — vers les celestes
espaces, — passionnees denos passions, — dans no-
tre obscur destin, — comme des oiseaux fascines, de
leurs hauteurs elles tomberent.
Dans la gorge ^troite et raboleuse — de la caverne
sombre, — les porteurs cependant avaient laisse Vin*
cent — se couler par glissade, — Avec lui, — dans
I'obscur sentier — ne s'aventura que Mireille, —
recommandant son kme a Dieu, chemin faisant*
22g MIRfelO, CANT VI.
Au founs d6u pous que li carrejo,
Dins uno grando baumo f rejo
Se deviniron; e, souleto au b6u initaii»
E dios li sounge ennevouUdo,
Tavcn, la masco, agroumoulido,
Tenie *no blesto de calido...
E trislo quenouusai tout en la regardant :
— Paure p6u d'erbo serviciable !
U gent te nonion blad-d6u-diable,
Ueinieutejavo, e sies un di signe de Dieu I
Alor Mir^io la saludo;
E coume entamenoy esmougudo»
L'estiganco de sa vengudo,
La masco, s^ns leva la t^to : — Lou sabi^u ! —
E pi^i sa voues atremoulido
S'adreiss^ rnai h la calido :
— Pauro flour de la tepo ! es li fueio e ti gre
Que li troupeu tout Tan rousigon,
E, pecaire ! au mai te caucigon,
Au mai tis espigau espigon ,
E veslisses de verd tant Tuba que I'adre.
Taven aqui fagu6 *no pauso.
Dins un cruveu de cacalauso
Un lumenoun cremavo, e fasie rougeja
La paret mouisso de la roco ;
Sus la fourquello d'uno broco
ravi6 'no graio, e toco-A-toco
Uno galino bianco, em* un creveu penja.
MIREILLE, CHANT VI. 229
Au fond du puils qui les amene, — dans une grotle
vaste el froide — ils se trouv^rent ; el seule, au mi-
lieu, — el voil^e d un nuage de r^ves, — Tav6n, la
sorciere, accroupie, — lenailun 6pi de brome... —
El profondement Iriste en le consid^rant :
— « Pauvre brin d'herbe officieiix! — les gens te
nommenl ble-du-diable — grommelait-elle, et tu es
un des signes de Dieu ! » — Alors Mireille la salue;
— et a peine commence-l-elle {k dire), ^mue, — le
motif pour lequel ils \iennent , *— la sorciere, sans
lever la l^te : « Je le savais ! »
Ensuite sa voix chevrolanle — de nouveau s'a-
dressa au brome : — « Pauvre fleur du gazon! ce
sont tes feuilles et tes germes -> que les troupeaux
toute Tann^e broutent ; — et, pauvrette ! plus ils te
foulent, — plus tes epis se multiplienl — et tu revels
de verdure le nord comme le midi. »
La, Tav6n fit une pause. — Dans une coquille d es-
cargot — une petite lumiere bhllait, 6clairant de
reflets rougeMres — la paroi humide de la roche ; —
sur la fourchelte d'un bAton — el ait (juch6e) une
corneille, et cdle k cote — une poule blanche ; un
crible pendait (aumur).
20
230 MIREIO, CANT YI.
— Quau que fugues, digue la masco
Subitamen e coume nasco,
Eh! que m'enchau? la Fe camino de plegoun.
La Carita porlo li plego,
E noun s'escarton de la rego. . .
Banaslouni^ de Valabrego,
Te sentes fe? — Me s^nte ! — Enrego moun regoun !
Adraiado coume uno loubo
Qu*eme 8a co li flanc se zoubo,
Per un trau despareis la masco. Estabousi,
Lou Valabregan e Mireio
Apres ie van. Davans la vieio,
S*enlendie dins Torro tubeio
Youlastreja la graio, e la clusso clussi.
— Davalas 16u, qu'es deja Touro
De se cencha de mandragouro !
E leu, de rabaloun, de tirassoun, pareu
Que Tun de Fautre noun se brando,
Van a la voues que li coumando.
En uno baumo enca plus grando
Venie se relarga Tinfernau gourgar^u.
— Vaqui ! Taven ie fague signc...
0 planio santo de moun segne
Nostradamus ! brout d'or, bastoun de Sant Jousc,
E vergo masco de Mouise !
Crido ; e de I'erbo que vous disc,
Cregn^nto, courounci li vise
feme soun capelet qu'& geinoun ie pause.
MinEILLE, CHANT VI. 23i
— « Qui que vous soyez, dit la sorci^re — subite-
ment et comme ivre, — eh! que m'imporie? la Foi
marche les yeux fermes, — la Charity porte un ban-
deau, — et elles ne s'ecartent pas delaraie... —
Vannier de Valabr^gue, — te sens-tu foi ? » — « Je
me sens ! » — « Suis mon sillon ! ))
Empressee comme une louve — qui de sa queue
se bat les flancs, — par un trou disparait la sorci^re.
Stupefaits, — le Valabr^gan et Mireille — vont apr6s
elle. Devant la vieille — on entendait dans Thorrible
brume — voleter la corneille, et la poule glousser.
— « Descendez vite ! il est d6ji Theure — de se
ceindre de maudragore I » — Et vite, en rampant,
en se trainant, couple — ne s*6cartant point Tun de
i'autre, — ils vont k la voix qui les commando. —
Dans une grotte plus grande encore — venait s'elar-
gir rinfernal couloir.
— (( Voila ! leur dit Tav6n d'un signe... — 0 plante
sainte de mon seigneur — Nostradamus ! rameau
d'or, bMon de Saint Joseph, — et verge magique do
Moise! » — s eerie- t-elle ; et de Therbe que je vous
dis, — craintive, elle couronna les pousses — avec
son chapelet qu'elle y deposa, a genoux.
939 HineiO, CANT YI.
Pi6i s'aubourant : Es Fouro, es I'ouro
De se ceiicha de mandragouro !
De la pbnto creissudo k Tasclo d6u roucas
Cuei tres jiiello : n'en courouno
Elo, lou drole, la chatouno...
— Avans toujour ! — E s'enfourgouno
Ard^nto mai que mai, dins li sourne traucas
Eid6 de lume sus Tesquino
P6r enclaii Tescuresino,
[In v6u d escarava ie camino davan.
— Jouv6nt! k tout camin dc gl6ri
i'a soun trav^sde purgat6ri...
An ! courage! d6u Sabatdri
Anan aro, ai ! ai ! ai ! franqui lis espravant.
N'avi^ panca barra la bouco,
IJno auro forto li remouco
E ie coupo Talen, subit : — Amourren-nous !
Di Fouletoun veici lou trounfle !
Coume un croupas, de grelo gounfle,
Souto li croto passo k rounfle
LVissame vagabound, quilant, revoulunous.
Passon; e, de tressusour trempe,
li ires mourtau s^nton si tempe
Ventoula, bacela de Talo di Trevan,
Coume un glas pelado e jal6bro.
— Anas pu liuen pica ten^bro,
Taven crid6, bando menebro !
Isso, mata-blad ! isso ! o garas-vous davan !
MIREILLE, CHANT VI. 2'J3
Puis se levanl : — « C'esl I'heure, c*est Theure —
de uous ceindre de mandragore ! » — De la plante
venue dans la fente du roc — eile cueille trois jets :
s'en couronne — elle-mSnie, (en couroime) le jeune
homme, la jeune filie... — « Enavant toujours! » Et
elle s'engoufTre, — ardente plus que jamais, dans les
cavit6s sombres.
Avec de la lumi^re sur le dos — pour ^clairer
Tobscurite, — une troupe d'escarbots chemine de-
vant elle. — « Jeunes gens, tout chemin glorieux —
a sa traversee de purgatoire... — Qh 1 courage ! du
Sabbat — nous allons mainlenant, a'ie! ale! aie!
franchir les ^pouvantes. »
Elle n'avait pas clos encore la bouche, — un vent
violent leur cingle (le visage), — et leur coupe brus-
quement le souffle: — « Prosternons-nous! — Des
Follets voici le triomphe 1 » — Tel qu'un grattiy
gonfl6 de gr^le, — sous les cryptes passe, innom-
brable, — Tessaim vagabond, glapissant, tourbil-
lonnant.
lis passent ; et baign^s d'une sueur froide, — les
trois mortels sentent leurs tempes — 6vent6es ,
fouett6es par Taile des fanl6mes, —nueet froide
comme un glagon. — t Allez.plus loin battre les te-
nebres, — Tav6n cria, bande bourrue ! — Allez,
abatteurs de moissons ! a11(>z ! ou rangez-vous I
20
234 NIRfilO, CANT VI.
Oh ! li pudent ! lis esbroufaire ! . . ,
E dins lou ben que poud^n faire.
Dire piei que nous faugue emplega talo g^t !
Car, 0, de meme que lou m^je
SouvSnt tiro lou bon d6u pi^ije,
Per la vertu di sourtil^e
Fonr^.an, nautre, lou mau h coungreia lou b^n;
Car sian li masco. E noun i'a causo
Qu'a nosto Vislo r^ste clauso.
E inounle lou coumun v^i uno p6iro, un fouit,
Uno malandro, uno coundorso,
le destrian, nautre, uno forgo
Que dins sa rusco se bidorso,
Coume souto la raco un vin nouv^u que boui...
Trauco la lino : la bevento
N'en gisclara touto boui^nto ;
Destousco, se tu pos, la clau de Salamoun !
Parlo k la peiro dins sa lengo,
E la mounlagno, k toun arengo,
Davalara dins la valengo ! . . .
E s^mpre descendien dins li cauno d6u mount
Uno pichoto voues, malino
Coume un quilet de cardelino,
Alor ie fai : Hoi ! hoi ! la coumaire Taven :
Viro lou tour ma tanto Jam,
Viro lou touVy e piei debanOy
La nive, lou jour, soun fieu de lanoy
E cr^i fiela de lano, e fielo que de fen !
MIREILLE, CHANT VI. 235
c Oh I les vilains! les fanfarons! — Et, dansle
bien que nous pouvons faire, — dire ensuile qu'il
nous faut employer telle engeance ! — Car, oui, de
mSme que le medecin — souvent tire le bon du pire,
— par la vertu des sortileges, — nous Ibr^ons, nous,
le mal h engendrer le bien ;
(( Car nous sommes les sorci^res ; et nuUe chose k
notre vue n est cachee ; — et ou le vulgaire voit une
pierre, un fouet, — une maladie, une perche, — nous
discemons, nous, une force — qui dans son ecorce
se tourmente — ainsi que sous le marc un vin nou-
veau qui bout.
« Perce la cuve : — la'boisson — en jaiilira toute
bouillante ; d^couvre, si tu peux, la clef de Salomon !
— Parle a la pierre dans sa langue, — et la monta-
gne, a ta parole, — devalera dans la valine ! » — Et
ils descendaient toujdurs dans les cavernes de la
montagne.
Une petite voix, maligne — comme un cri de char-
donneret,ieur fait alors : « Hot! hoi! la comm^re
Tav6n ! — Toume le rouetma tante Jeanne^ — toume
le rotiet, etpuis devide, — la nuit, lejour, son fit de
laine; — ot elle croit filer de la laine, et ne file que
du foin !
«30 MIRfilO, CANT VI.
E z6u ! ma grand ! que lou tour vire !
— Ein'ac6 'nT^r, vague de rire,
Tout coume quand endiho un p6utre desmama.
— De-qu'es aquelo voues parlanto
Que quouro ris e quouro canto?
Vengufe Mireio tremoulanto. . . .
— Hoi ! hoi ! en repetant soun rire acoustuma,
Fagu6 la voues enfantoulido,
Quau es aquelo taut poulido?
Ah ! laisso, mourranchoun, qu*auboure toun Gchu...
Laisso qu'auboure... Es d'avelano
Que i*a dessouto, o de mi6ugrano?
E la paureto bastidano :
— Ai ! ! anavo crida. Taven ie fai l^u : Chut !
Agues pas p6u ! ac6*s un gl&ri
Bon que p^r faire de countrari ;
Es aqu^u fouligaud d*Csperit-Fanta$ti :
Quand dins si bono se devino,
Te vai escouba ta cousino,
Tripla lis i6u de ti galino,
Empura lou gav6u e vira toun roustit.
Mai, que le prengue un refoul6ri,
Pos dire adi6u!... Que treboul6ri !
Dins toun oulo, ie largo un quart eiroun de sau ;
Empacho que toun fio s*alume;
Te vas coucha? boufo toun lume ;
Yos ana i v^spro k Sant-Trefume?
T'escound o te passis tis ggust dimenchau.
MIREILLE, CHANT VI. 237
« Q^ \ graai'mere 1 tourne le rouel 1 » — Et puis,
eiiTair, de rire et de rire !... — Ainsi hennit un pou-
lain sevre. — « Quelle est cette voix qui parle, — et
tant6t rit, et tant6t chante? » — demattdaMireille
en Iremblant... — « Hoi! hoi I en repliant son rire
habituel,
Dit la voix eniantine, — quelle est cette si jolie
(fiUe)!... — Permets, petit minois, quejesoul^ve
ton fichu... — Permets que je soul6ve... Y a-t-il de$
noisettes — dessous, ou des grenades? » — Etla
pauvre enfant des champs : — (^ Aie ! » allait-elle
crier. Mais Taven aussitAt : « Silence !
« N'aie pas peur! c'est 1^ un lulin — bon seule-
ment k faire des niches. — C'est cet 6cervel6 d'Esprit-
Fantastique : — dans ses bons (moments), — il ba-
layera ta cuisine, — triplera les oeufs de tes poules,
— attisera le sarment et tournera ton rdti.
(( Mais qu*il lui prenne un caprice, — tu peux
dire adieu !... Quel brouillon ! — Dans ta marmite, il
jette un quarteron de sel ; — il empSche ton feu de
s'allumer ; — vas-tu te coucher? il souffle ta lampe ;
— veux-tu aller aux V6pres a Saint-Trophime *? —
il cache ou fane taparure des dimanches. »
aift MIRfcfO, CANT VI.
— Tfc ! t^ ! . . . vifei cro, giblo ti pouncho !
L aus^s, la carrello mau voiincho ?
Lou leventi l^u-l^u ie respond, o, carcan.
La niue, quaiid dormon li chatouno
Tire plan-plan sa cubertouno ;
Lis espinche^ nuso e redouno,
R que, folo de p6u, s*atnatoii en pregant
Vese si dos coucoureleto
Que van e v^non, tremouleto ;
Vese... E TEsperiioun s'enanavo eiiaiiu
Eme soun rire... Soul li baumo,
Li mascari^ fagu^on chaumo ;
E dins lis oumbro e la calaumo
Entendien degouta sus lou s6u cristalin,
Degouta lou trespir di v6uto,
E r6n qu ac6, de vduto en v6uto.
E veici, peravau dins la vasto negrour,
Veici qu'uno grand formo bianco,
Qu'ero assttado su'no estanco,
S'aubour^ drecho, un bras sus Tanco.
Vino 6n, coume un queiroun, aplauta de terrour :
E s'aqui meme pousqu^sse 6stre
Un degoul6u, de Tescauf^stre
Mir^io tout d'uii vane se ie trasie. — Que vos,
Taven cride, long cscamandre,
P6r que ta testo se balandre
Coume uno pibo ?. . . Mi calandre,
Faguo pidi au pareu qu'a la mort dins lis os,
MIUEILLE, raiANT VI. 259
— « Tiens! tiens ! vieux croc, rive tes pointes! —
L'entendez-vous, la poulie inal graissee? — luirepli-
qiie aussit6t Te^iegle. Oui, olive dessechee, — la
nuit, quand dorment les filleltes, — je tire douce-
ment leur couverture; — je les epie, nues et rebon-
dies, — et qui, folles de peur, se blottisseiit en
priant.
« Je vois leurs deux coupelles — qui vont el vieii-
neiit, palpitantes; — Je vois... » Et I'Esprit sen
allait au lointain — avec son rirc... Sous les grottes,
— les sorcelleries iirent tr^ve ; — et dans les om-
bres et le silence — on entendait degoutter sur le sol
cristallin ,
Degoutter la filtration des voiites, — et cela seul,
d'intervalle en intervalle. — Et voici, par la-bas,
dans rimmensite noire, — voici qu'une grande forme
blanche — qui sur un banc de rocbe elait assise, —
se leva droite, un bras sur la hanclK.v — Vincent,
conime un quarlier de pierre, immobile de terreur ;
Et si en ce lieu m^me avait pu etro - un preci-
pice, d'epouvante — Mireille s'y jetait d*un seul
elan. — « Que veux-tu, — s'6cria Taven, longesco-
griffe, — par ces balancements de t^te — (pareils a
ceux)d un peuptier?... Mesdrilles, — dit-elle ensuile
au couple qui a la mort dans les os,
240 M1U£I0, CANT VI.
Couneisses pas la Bugadiero?
Sus Mounl-Ventour (qn*6i sa cadiero)
Quand la veson, d*en bas, per un longnivo blaiic
li g^nt la prenon; mai, o pastre,
L^u ! l^u ! que vosle ave s'encastre !
La Bugadiero de malastre
Acampo k soun entour li nivo barrulant ;
E quand n'i'a proun per la bugado,
Sus lou mouloun, reveriegado
E 'm^ furour, bacello e rebacello : a bro,
N'en tors la raisso erne la flamo,
E, sus la mar que inounto e braino,
A la g&rdi de Nostro-Damo
Li marin palinous recuumandoii sa pro!
E lou bouie de-vers Testable
Coucho... Un sagan espaventable
le tanco touriiamai la paraulo entre d^iit :
E de miaula de catamiaulo,
E de brandamen de cadaulo,
E de pieu-pi^u, e de paraulo
A mita dicho, e'n quau lou diable soul entend.
Jin ! jin I poun-poun ! . . Quau es que pico
Sus de peirolo fantastico?...
E d'estras, e de rire, eme d'esquichamen
Goume de femo abasiinado
Dins lou moumen de si ramado ;
Pi^i de badai, pi^i de bramado,
E z6u ! lou roumadan e li gingoulamen !
MIREILLE, CHAKT VI. 2U
« Vous ne connaisscz pas la Lavandierc? — Sur le
Mont Ventour (qui est son siege) — lorsqti'ils la
voient, d'en bas, pour un long nuagt; blanc — les
gens la preunent ; mais, d bergers, — vite ! vite ! que
vos brebis rentrent au pare! — la Lavandiere de
malheur -- amasse autourd'ellelesnu6eserrantes;
« Et quand il en est assez pour la lessive, — sur
le monceau, (les bras) retrouss6s, — et avec fureur,
elle frappe et refrappe : k brocs — elle en exprime
en les tordant et Taverse et la flainme, — et sur la mer
qui monte et inugit, — a la gard^ de Notre-Dame —
les pales nautoniera recominandent leur proue I
(c Et le bouvier devers Tetable — chasse... » Un
^pouvantable tumulte — lui arrete dereclief la pa-
role entre dents : — miaulements de chattomites, —
branlements de loquet, — et piatdetnents, et paroles
— a inoitie dites, et auxquelles le diable seul entend.
Djin! djtn! poun-poun!.... Qui frappe ainsi —
sur des chaudi^res fantastiques ?... ■— Et des dechi-
reinents, et des (eclats) de rire, et des ^preintes -*'
comme (celles) de femmes abimees — dans les dou-
leurs (de leurs couches) ; — puis des bMUements,
puis des hu6es, — et des criailleries, et des g6mis-
sements aigus !
21
*2« MIRtIO, ilAM V!.
— Pourges la man, que vous ai rape !
E douiias siuen que noun s*e8cape
i^a courouno de inasc que vous cencho lou li'(>jit !
E dins si cainbo aqui sencoufo
Couine uno pourcado qu'esbroufu :
Un quilo, un japoi un rcno, un boufu.
Souto un lan96u de n^u quand la Naturo drum,
P^r uno niue ventouso e claro,
Quand li cassaire de fanfaro
Espousson li roumias tout-de-long di valat,
Ansin passeroun e macboto,
Destrassounsrdins sa liechoto
E' spavourdi, partoa a floto,
E 'nie 'n brut d'auriflant s'embourson au (ielat.
Mai alor rescouujurarello :
I, inau-viventi sautarello !
Arri ! . . . malavalisco a vautri ! . . . pa$sas«iiu* '
E coussaiant la chourmo iinpuro
Em^soun drai, dins la sournuro
Trasi6 de cieucle, de figuro,
De raio luminouso e coulourde venue.
— Entraucas-vous dins vosli borno,
0 niaufaian !... quau vous dcstorno?
1 dardaioua de fio que pougnon vosti cai',
Senles dounc pas que sus TAupiho
Lou souleu rous encaro briho If
Pendoulas-vous i roucassiho I
Per li ralo-oenado es encaro Irop clari...
MIREILLE, CHANT V!. 213
— « Tendez la main, que je vous saisisse ! — et
prenez garde qu'elle ne s'6chappe — la couronne
magique qui vous ceint le fronl ! > — Et dans leurs
jambesalors se presse pMe-inMe — (quelque chose)
comrae un Iroupeau de pores qui 8*6broue : — Tun
crie, Tun aboie, Tun grogne, Tun souffle. — Sous
un linceul de neige quand la nature dort,
Par une nuit venteuse et claire, — quand les chas-
seurs k la fou6e — secouent les ronceraies tout \e
long des ruisseaux, — ainsi moineaux et chouettes, —
^veilles en sursaut dans leur couche, — effarouches,
partent par bandes, — et, avec un bruit de souffle!
(de forge), s'engouPfrentdansle filet.
Mais alors la cbarmeresse : — « Hue ! sauterelles
de mauvaise vie! — Arri!,.. malheur h vous!...
loin de moi ! » — Et chassant la horde impure —
avec son crible, dans les t^nfebres, — elle jetait des
cercles, des figures, — des raies himineuses et cou-
leur de kermes.
— (( Clapissez-vous dans vos cavernes, — artisans
de mal!... qui vous derange? — Aux aiguillons de
feu qui piquent vos chairs, — ne sentez-vous done
pas que sur TAlpine — le soleil roux brille encore?
— Aux angles de rocher appendez-vous ! — pour les
chauves-souris il fait encore trop clair.... »
^44 MIRfelO, CANT VI.
E detout caire patusclavon,
E li brut pau-^-pau moulavon.
— Fau vous dire, au par^u digu6 Taven alor,
Que di Trevan eig6 's la cauno,
Tant que, sus lis estoublo jauno,
Lou jour laisso toumba sa mauno ;
Mai uno fes que I'oumbro est^nd sou drap de mort ;
. Ei^ quand la Vi^io encagnado
Mando k Febrie sa reguignado,
Dins li gl^iso deserto e clavado k tres lour,
Anessias pas, femo tardiero,
I/)u front pendant suno cadiero,
Resta 'ndourmido!... A lasourniero,
Pourrias veire li bard s*eigreja tout aulour ;
E s'atuba li lumen&ri,
E, courdura dins lou susari,
Li mort, un aro, un piei, s'ana metre k geinoun ;
Un capelan, pale coume eli,
Dire la Messo e TEvangeli ;
E li campano, d'esper^li
A brand, ploura de clar em6 de long plagnoun!
Parlas, parlas-n'en i b^ul61i :
Dins li gl6iso, p6r beure r61i
Di lampo, quand, I'iv^r, davalon di cl6uquie,
Demandas-ie se vous mentisse,
E se lou clerc que s6r I'dufice,
Que met lou vin dins lou calice,
N'es pas soulet d'en vido a la ceremouni^!
MIRFTLLE, CHANT VI. 245
Et ils deguerpissaient detoute part; — etles bruits
peu k peu s'eteignaient. — a 11 faut vous dire, au
couple dit alors Tav6n, — que des fantdmes ce
(lieu) est le repaire, — tant que, sur les jach^res
jaunes, — le jour laisse lomber sa manne ; — mais
d6s que Tombre ^tend son drap de mort;
« Vers le temps ou la Vieille • irrit6e — lance a
Fevrier sa made, — dans les 6glises d^sertes et fer •
mSes k triple tour de clef, — n'allez pas, femmes
attardees, — le front pendant sur une chaise, —
rester endormies!... Dans les tenebres, — vous
pourriez voir les dalles se soulever tout alentour;
« Etles luminaires s*allumer ; — et, cousus dans
leurs suaires, — les morts, un a un, aller se mettre
a genoux ; — un pr^tre, p§le comme eux, — dire la
Messe et TEvangile; — et les cloches, d'elles^-mSmes
en braille, pleurer des glas avec de longs soupirs !
« Parlez, parlez-en aux effraies : — dans les 6gli-
ses. pour boire Thuile — des lampes, quand, Thiver,
elles .descendent des clochers, — demandez-leur si je
vous mens, — et si le clerc qui sert I'office, — qui
dans le calice verse le vin, — n*est pas le seul vivant
alac^rcmonie!
?W MinfilO, CANT YI.
Ei^ quand la Yi^io encagnado
Mando k Febri^ sa reguignado,
Pastre, se noun voul^s, espeloufi dep6u>
Resta s^t an, li cambo redo,
Enclaus aqui *m^ vdsii fedo,
Rintras pul^u dins v6sti dedo,
Past re! lou Trau di Fado a bandi tout soiin v6u !
E dins la Crau, de quatre cainbo
0 de voiilado, se ie rambo
Tout ce qu*a fa lou pache ; e p6r li draidu tort,
Li Matagoun de Varigoulo
E li Masc de Fanfarigoulo
Van veni dins li ferigoulo>
En farandoulejant, b^ure k la tassod'or.
Ve ! coume danson li garrigo!
En ferniss^nt de Tembourigo,
Deja la Garamaudo esp6ro lou Gripet...
Hui! lapanturlo endcmouniadol
Gripet, morde la carougnado
E* stripo-la de grafignado....
Despareisson!.. Ve mai que fan orre e tripet !
Aquelo, eilavau, que patusclo
Terro-bouiroun dins li lachusclo,
Coume un laire de niue que fuge en s^amourrant,
Es la Bambaroucho mourrudo !
Entre sis arpo loungarudo
E sus sa t^sto banarudo
Emporto d'enfantoun, touti nus e plourant...
MIREILLE, CHANT YI. 247
« Vers le temps oil la Vieille irrit6e -^ lance h F6-
vrier sa made, — pMres, si vous ne voulez ebou-
riffes de peur, — rester sept ans les jambes roides,
— charmes, l^ oix vous 6tes, avec vos brebis, —
rentrez moiiis tard dans vos claies, — patres ! le Trou
des Fees a l^ch6 tout son vol.
« Et dans la Crau, k quatre pattes — ou dune
volte, se rend — tout ce qui a fait le pacle ; et, par
lessentiers tortueux, — les Magiciens de Varigoule^
— et les Sorciers de Fanfarigoule ® — vont venir
dans les thyms — boire a la tasse d'or, en faisant la
farandole.
« Voyez ! comme dansent les garrigues ' ! — Fre-
niissante du nombril, — de]k la Garainaude attend
le Gripet... — Fi! guenipe endiabl6e ! — Gripet,
mords la charogne — et arrache-lui les boyaux a
coups de griffes... — lis disparaissent... Les voil^
encore ! horreur et bacchanale!
a Celle qui, la-bas, d^campe — terre k terre dans
les tithymales, — comme un voleur nocturne qui
fuit en se baissant, — c*est la Bambarouche refro-
gnee ! — Entre ses tongues serres — et sur sa t^te
cornue — elle emporte des enfantelets, nus et pleu-
rants...
%i» mir£;io, cant \i.
Eila, ves^s la Chaucho-vi^io?
P&r lou canoun di chamiii^io,
Davalo d'a cachoun sus Testouma relent
De Tendourmi que se revesso ;
Mudo, se i'agrouvo; l*6upr^sso
Goume uno tourre, e i'entravesso
De sounge que fan afre e de pantai doulent
Aus^s desgounfouna li porto ?
Us Escarinche soun per orto,
Per orto iou Marmau, lou Barban... Dins IVrmas,
Fan n^blo; enjusquo di Ceveno,
Erne si ventre dalabreno,
Li Dra s'acampon k dougeno,
E *n passant, patafi6u ! desteulisson li mas.
Que tarabast!... o Luno, o Luno,
Que mau-passage i'encantuno,
Per davala, tantroujo e largo, sus li Bau?...
Aviso-te d6u chin que japo,
0 Luno folo! Se t'arrapo,
T'engoulara coume uno papo,
Gar lou chin que t'aluco es lou Ghin de Gambau !
Mai quau ansin brando lis euse ?. . .
Ai ! soun troussa couine de feuse ;
E di fio de Sant-Eume, k saut, a vcrlouioun,
Boumbis la flainado gancherlo ;
E d'eslrepado, e 'n brut d'osquerlo
Estrementis la Grau esterlo...
Lou galop cnrabia d6u Baroun Gastihoun !
MIREILLE, CHANT VI. 249
<( Par IS, voyez-vous le Cauchemar ? ~ Par le tuyau
des cheminees, — il descend furlivement siir la poi-
trine raoite — de Tendormi qui se renverse; —
muet, il sy accroupit, Foppresse— comme inie tour,
et enchevfitre (dans son esprit) — des songes qui
font horreur et des r^ves douloureux.
(( Entendez-vous arracher les portes de leurs gonds ?
— Les Escarinches courent la campagne ; — (courent)
la campagne le Marmal, le Barban... Dans lalande
— ils forment une brume; des Cevennes mtoes, —
avec leurs ventres de salamandre, — les Dracs ac-
courent par douzaine, — et en passant, patatras ! ils
arrachent la toiture des fermes.
« Quel vacarme!... 6 Lune, 6 Lune, — quel mal-
encontre te courrouce, — pour descendre ainsi,
rouge et large, sur les Baux ! . . . • — Prends garde au
chien qui aboie, — A Lune folle ! S'il te happe, — il
t'engoulera comme un gateau, — car le chien qui te
guette est le chien de Cambal !
« Mais qui branle ainsi les yeuses? — Ale! elles
sont tordues comme des fougdres ; — et des feux
Saint-Elme, sautants, tourbillonnants, — bondit la
flammetortue; — et des pi6tinements, et nn bruit
de clochettes — font retentir le Crau sterile... — Lo
galop enrage du Baron Castillon !...
250 MIRRTO, CANT VI.
Rauco, desalenado. estenco,
S*6ro arreslado la Baussenco.
Mai subran : Tapas-vous, fagu6, 'iti6 lou faiidau,
Tapas Tauriho e li parpello,
Que I'Agn^u negre nous apello !
— Quau?... aqiiel agneloun que Wlo?
Digu^ Vinc^n. Mai elo : Auriho sourdo, e d'aiit !
Malur, eici, p^r quau trebuco 1
Mai que lou pas de la Sambuco
Dnngeirous 6i lou pas d6u negre Banani.
Coume aro venfes de Tenttodre,
A 'n teta-dous, un bela tendre
Que vous atiron k desc^ndre.
I Crestian imprudent que se viron au brut,
Fai lusi Temperi d'Erode,
L'or de Judas, e dis lou rode
Mounte la Cabro d'or fugue di Sarrasin
Aclapado. Fin que degolon,
M6uson la Cabro tant que volon ;
Mai a Tang^ni quand rangolon,
Fagon pi^i demanda lou sacramen divin I
L'anouge negre ie resposto
Em' uno rousto sus li costo.
E pamens, e pamens, i terns que sian, mau terns
Escoussura de touto deco,
Quant n'i'a d'amo alucrido e seco,
Ai! las ! que mordon k sa leco,
E qu*A la Cabro d'or fan tuba soun encens 1
MIUBILLE, CHANT VI. 2.V.
Enrou^e» haletanie, suffoqu&nt, — s etait arr^tee
la (sorciere) des Baux. — Mais soudaiii : « Couvrcz-
vous, fit-elle, du tablier, — couvrez Toreille et les
paupieres!— L'Agneau iioirnous appelle!... » —
<» Qui done?... eel agnelet qui b^le? » — dit Vin-
cent. Mais elle : « Sourde oreille ! et, alerte !
(( Malheur, ici, k qui trebuche ! — Plus que le pas
de la Sanibuque*^ -- est perilleux le pas du noir
Gornu. — Ainsi que maintenant vous \enez de Ten-
tendre, — il a un accent doucereux, un tendre b^le-
inent — qui vous attirent a la descente. — Aux Chre-
tiens imprudents qui se retournent au bruit,
a 11 fait luire I'enapire d'H^rode, — I'or de Judas,
et indique la place — ou la Chevre d'or fut par les
Sarrasins — enfouie. Jusqu'a leur mort, -- ilstraient
la Chevre tant qu'ils veulenl ; — mais a Tagonie,
lorsqu'ils rMent, — qu'ensuite ils fassent demander
le sacreinent divin !
« Le noir antenois leur replique — par tin orage
de coups sur les c6tes. — Et neanmoins, et neau-
inoins, aux temps oil nous sonimes^ temps mauvais,
— marques par la morsure de tout vice^ — comhien
d'^mes seches et affiunees de gain, — helas ! qui
mordent a son piege, — et qui a la Ch6vre dor font
fumerleurencens! »
252 MIRfilO, CANT VI.
Aqui lou caiit de la galiuo
Tres cop fende la nevoulino.
— Dins la tregenco baumo, k la perflii, enfant
Sian arriba! digu^ la vieio.
Lou panieraire eme Mireio,
Souto uno grando chainin^io,
Veguferon s6t cat negre, au fougau se caufant
V^feron, entre li set nnascle,
Uno oulo de ferre au cremascle;
Vegueron dous coulobre en formo de tisoun,
Que racavon a plen de goulo
Dos flamo bluio au qui^u de Toulo.
— Per Gousina vosto bourroulo,
Vous serves d'aqueu bos, ma grand? — 0, nioun garcoun!
Brulo, ac6, inieu que gen de busco :
Es de souquihoun de lambrusco.
Mai, en cabessejant, Vincen : De souquihoun,
De souquihoun, lou voul^s dire...
Mai fasen leu, qu'es pas de rire.
Uno grand taulo de pourfire,
Au centre, espandissi^ soun large virouioun.
A proucesssioun e blanquinello,
Milo colono, clarinello
Counio li jaleiroun que penjou di cubert,
D'aqui parton, p6r ana courre
Souto li racino di roure
£ la foundamento di moure,
tnmensi galari^ que li Fado an dubert ;
MIREILLE, CHANT VI. 2o3
La le chant de la poule — trois fois per^a la brume.
— « Dans la treizi^me groUe, a la fin des fins, en-
fants, — nous voici arrives, » dit la vieille. — Mi-
rellle et le vannier, — sous une grande cheminee, —
virent sept chats noirs se chauffant a Tdtre.
Us virent, au milieu des septmatous, — une mar-
inite de fer k la cr6maill6re ; — ils virent deux dra-
gons, en forme de tisons, — qui vomissaient a pleine
gueule — deux flammes bleuesau cul de la marmite.
— « Pour cuisiner voire bouillie, — vous employez
ce bois, grand'mere? » — « Oui, monfils!
« Nulle buchette ne brAle mieux : — ce sont des
ceps de vigne sauvage. » — Mais Vincent, hochant la
tete : « Des ceps, — des ceps, cela vous plait a dire...
— Mais hAtons-nous, car ce n'est point risible... » —
Une grande table de porphyre, — au centre (de la
grotte), 6panouissait son large contour.
Processionnellement et blanches, —mille colonnes,
diaphanes — comme les gla^ons qui pendent aux
toils, — de Ik parlent, pour alter courir — sous les
racines des chines — et les fondements des mame-
Ions, — immenses galeries que les F^es ont ou-
vertes;
22
254 NIR£:10, G\NT VI.
Porje inajestuous, qu'amago
Uno lusourneblouso e v^go;
Merevihous emboui de temple, de palais,
De peristil, de laberinlo,
Coume n'en tai^ron ansinto
Ni Babilouno ni Gourinto,
E qu'un alen de Fado esvalis, quand ie plais.
Aqui li Fado varaiejon :
Goume de rai que traiitraiejon,
Ein6 li chivaliS qu'enfaderon antau
Gountuoioiila vido amourouso^
Dins lis andano souloumbrouso
D'aquelo tranquilo chartrouso...
Mai chut ! pas i pareu dins Toumbro s'acafant !
L'cncantarello, deja l^sto,
Quouro dreissavo sus la t^sto,
Quouro de- version s6u beissavo si bras nus.
Sus la grand taulo de pourfire,
Goume Lauren lou sant martire,
6ro coucha sfenso r6n dire
Vincen lou panieraire, eni6 sa plago au bust.
Furouno, creissegudo en taio
P6r Tesperit que la travaio
E d'un v^nt proufeti ie gounflo lou galet,
Taven, dins Toulo que revouiro
A grdssis oundo boulidouiro,
Planto subran Tescumadouiro.
A soun entour li cat fasien lou roudelet.
MIREILLE, CHANT VI. 255
Portiques majestueux qu'envdoppe — une lueur
nfebuleuse et vague; — merveilleux p^le-m61ede
temples, de palais, — de peristyles, de labyrinthes,
— comme n'en tdill6rent ainsi — ni Corinthe ni Baby-
lone, — et qu'uii soufHe de F6e ctissipe, quand il lui
plait.
lA errent les F^es : — pareilles k des rayons qui
tremblotent, — avec les chevaliers qu'elles enchan-
t^rent jadis, — elles continuent la vie d'amour, —
dans les allies ombreuses — de cette chartreuse
tranquille... — Mais, silence ! paix aux couples qui
s'enveloppent d'ombre !
D^jli prfite, Tenchaftteresse — tant6tlevaitsur la
t^te, — tantdt vers le sol baissait ses bras nus. — Sur
la grande table de porphyre, — tel que Laurent le
saint martyr, — 6tait couch6 sans dire mot — le van-
nier Vincent, avec sa plaie au huste.
Exalt6e, grandie — par I'esprit qui la travaille —
et d'un vent proph^tique lui enfle la gorge, — Tav6n,
dans la marmite qui d^borde — h gros bouillons, —
plonge soudain I'^cumoire. — Autour d'elle, les chats
formaient le cercle.
256 MIRtrO, CANT VI.
Yenerablo, ein6 la inentetro,
La masco, de la man sen^stro
Esboui^nto k Vinc^n soun pitre descata ;
E, lis iue fisse, n*escounjuro
La doulourouso pougneduro
En reraoumiant k voues escuro :
Crist di na ! Crist it mart I Ciist H ressusciia !
Crist resstiscitara!.., Hestresso
Coume i four^st la grand tigresso
Qu'alongo, apr^s la casso, un copd'arpo au flanc rous
De sa tremoulanto vitimo,
Sus la fruchaio que trelimo
Ansin la masco alor emprimo
Tres fes em6 Tartfeu lou signe de la crous.
E de sa bouco, a touto zurlo,
La paraulo desbaundo, e lurlo
I pourtau nivoulous de rendevenidou :
0, ressuscitara ! Lou crese !
De la colo entre li roumese
E li frejau, alin lou vese
Que mounto, em6 soun front que sauno k gros degoul !
E dins li roumio e dins li clapo
Mounto soulet; sa crous Taclapo...
Mounte 6i, p6r Teissuga, Verounico?... Mounte es
Aqu^u brave ome de Cireno,
P6r Tauboura, se 'n cop s'arreno ?
Em^ sounp^u que se destreno,
Li Mario plagn^nto ounte soun?... V a pas res!
MIREULE, ClIAKT VI. 257
Venerable, avecla mixture,— la sorci^re, dela main
gauche, — ^chaude la poitrine decouverte de Yin-
cent ; — et, les yeux fixes, en charme — la doulou-
reuse blessure, — en murniurant k voix basse : —
a Chmt est ne ! Chiist est mort ! Chnst est res-
suscite!
a Christ ressusdtera!,.. » Triomphante — comme
aux forSts la grande f igresse — qui allonge, apres la
chasse, un coup de griffe dans le flanc roux — de sa
tremblante victime, — sur les viscferes palpitant s —
ainsi la sorci6re imprime alors — trois fois avec I'or-
teil Ic signe de la croix.
Et de sa bouche, d^sordonnement — la parole d^-
bonde, et heurte — aux portaite nuageux de Tavenir :
— « Oui, il ressuscitera ! Je le crois !... — De la col-
line parmi les ronces — et les cailloux, je le vois, au
lointain, — qui monte, avec son front saignant a
grosses gouttes!
a Et dans les ronces et dans les pierres, — il monle
seul ; sa croix Taccable... — Ou est, pour Tessuyer,
Veronique ?. . . Ou est — ce brave homme de Cyrene,
pour le relever lorsqu*il s'affaisse? -— Avec leur clie-
velure d^tress^e, — les Maries plainlives, ou sont-
elles?... Personnel
22
258 MIRftiO, CANT VI.
E dins roumbrun e la terriho,
Avau, richesso emai pauriho
Lou regardon que mounto, e dison : Mounte vai,
Em6 sa fusto sus I'cspalo,
Aqu6ii, amount, que s^mpre escalo?
Sang de Cain., amo camalo,
Don pourtaire de Grous n'an de pieta, pas mai
Que se vesien dins lou camp^stre
Un chin aqueira per soun mdstre !...
A]i ! raco de Jusidu, que mordes en furour
La man que t'abaris, e, torso,
Lipes aquelo que t'endorso,
Dins la mesoulo de toun orso
(Lou vos ?) davalaran li frejoulun d'ourrour !
E ce qu'es pMro vendra pousso...
E de Tespigo e de la d6usso
Vai esfraia ta fam lou mascarun amar...
Oh ! que de lanco ! oh ! que de sabre I
Sus qu^nti molo de cadabre
Veseboumbi I'aigo di vabre!...
Pacefico tis erso, o tempestouso mar!...
Ai ! de Peire la barco anlico
Is dspri roco mounte pico
S'ei esclapado !... Oi-ve ! lou mestre pescadou
A ddumina Toundo rebello ;
])ins uno barco novo e bello
Gagno lou Rose, e reboumbello
Eme la crous de Di6u plantado au trepadou !
MIREULE, CHANT VI. 250
« Et dans Tombre et la poussifere, — li-bas, riches
et pauvres — le regardeni monter, et disent : « Ou
va, — ayec sa poutre sur Fepaule, — celui, l^-haut,
qui sans cesse gravit?... — Sang de Cain, Ames
charnelles, — pour le porte-croix ils n*ont de pili6,
pas plus
a Que s*ils voyaient dans la lande — un chien la*
pid6 par son maitre!.., — Ah! race de Jiiifs, qui
mords avec fureur — la main qui te nourrit, et, cour-
b6e, — l^che celle qui T^reinte (de coups), — dans
la moelle de tes vert^bres — (tu leveux?) descen-
dant les frissons d'horreur !
« Et ce qui est pierre deviendra poussi^re... — Et
de r^pi et de la gousse — le charbon amer va ef-
frayertafaim... — Oh! que de lances! oh! que do
sabres I — Sur quels monceaux de cadavres — vois-
je bondir Teau des ravins ! — Pacific tes vagues, 6
mer tempfetueuse ! . . .
« Aie! la barque antique de Pierre — aux^pres
roches ou elle frappe — s*est brisee en eclats ! . . . Oh !
voyez ! le maitre p^cheur — a domine le flot rebelle ;
— dans une barque belle et neuve — il gagne le
Rhdne, et rebondit (parmi les vagues) — avec la croix
de Dieu plant^e au timon !
«60 MIRtiO, CANT VI.
0 divin arc*de-sedo! inm^nso,
Eterno e sublimo clein^n^o !
Vese uno terro novo, un soul6u que fai gau
D'6iilivdrello en farandou)o
Davans ]a frucho que pendoulo,
E sus li garbo de paunioulo
Li nieissounie jns^nt que tetoii lou barrau.
E, desneblaper tanl d'eisemple,
Di^u OS adoura dins soun temple...
E la masco di Baus, ac6 di, 'me lou del
1 dous enfant inostro uno draio
Qu'un fieudejour au bout ie raio.
Menu, menu... Partoa en aio,
E la gaugno aferado, e courbant lou coutet.
De souto terro, au Trau deCordo
Lou beu pareu enfm abordo ;
Remounton au soul^u... Acalant lou rouras
Erne SI rouino e soun vieiounge,
Mount-Majour, Tabadi^ di mounge,
I'apareis coume dins un sounge.
Se ian uno brassado, e gagnon lou jouncas.
MIREILLE, CHANT VI. 2C1
« 0 divin arc-en-ciel! immense, — eternelie e\
sublime cl^mence ! — Je vols nne terra neuve, un
soleil qui r6jouit, — des oliveuses en farandole —
devant les firuits qui pendent, — et sur les gerbes
d'orge", les moissonneurs gisants qui tettent le
baril.
u Et d^voii6 de ses nuages par des exemples si
nombreux, — Dieu est adore dans son temple... » —
Et la sorci6re des Baux, cela dit, du doigt — montre
aux deux enfants un chemin — k Textr^mit^ duquel
un filet de jour se glisse, — menu, menu... lis par-
tent en hkiey la joue eflaree et courbant la nuque.
Par souterrains, au Trou de Corde *• — le beau
couple aborde enfin; — its remontent au soleil
Recouvrant le rocber — de ses mines et de sa vieil-
lesse, — Mont-Majour, Tabbaye des moines, —leur
apparait comme en un songe. — lis s'embrassent,
et gagnent la jonchaie.
f
NOTES
DU CHANT SIXiftME.
* Saint-Martin, Maussane (Saint-Martin, Mamsano), villages de
la Crau. Tramontane {trafnountano)^ vent du nord-cst.
* La Touloubrp, petite riviere qui so jettc dans I'^tang de Berre,
npres avoir traverse le tcixitoire de Salon, patrie du pofite Crou-
sillat.
Nostradamus, le sombre mstrologvie {Ha^troidsouloumbrous), Mi-
chel deNostre-Dame,ou Nostradamus, n^ h Saint-Remy en 1503,
mort a Salon en 1565, exerga la m^decino avec un ^rand succ6s
sous les demiers Yalois.Il s'adonna aussi aux mathematiqu«6 et n
Vastrologic, et publia en 1557, sous le nom de Centuries, les famcu-
ses proph^ties qui ont rendu son nom si populaire. 'Charles IX le
nomma son meidecin en titre et le combla d'honneurs.
* Agriotat [agrioutat), liqueur composite d'eau- de-vie et de sucre,
ct dans laquelle on fait macerer des cerises courte-queue.
* Troudes F^es \Jrau di Fado). Nous aimons kciter noire ami
Jules Canonge, parce quMl a decrit avec bonheur la plupart des
lieux chant^s dans ce po6me.
I
NOTES DU CHANT VI tJ03
«c Au fond d'une gorge bien nominee Enfeft je suis descendu
daiis la grotte des Fees ; mais au lieu des gracieux fant6mes dont
mon imagination I'avait peuplee, je n'y ai trouv^ que voutes sous
lesquelles il faut ramper, blocs entass^s, chauves-souris et profou-
deurs tenebreuses. Je viens de dire que cette gorge etait bien
nommee Enfer; nulle part en ef fet je n'ai vu de roches aussi etrau-
gement tourmentees ; elles se dressent, se creusent, se prolongeut
sur levide en gigantesques entablements, jardins a^riens qui sou-
tiennent des vegetations ^chevel^es; elles s'ouvrent en defiles
comme ce bloc des Pyrenees fendu par le glaive de Holland. »
[HistoiredelavilledesBaux. Avignon, Aubanel freres.)
En comparant la description de 1' Enfer de Dante a ce pay sage
boaleverse, cyclopecn, fantastique, on devient convaincu dune
chose : c'est que le grand poete florentin, qui voyagea dans nos
contrees et sejourna mdme a Aries, a visite la ville des Baux, s'est
assis sur les escarpements du valouu d'Infir, et frappe de cette
desolation grandiose, a congu, au milieu de ce cataclysmc de
pierres, la configuration et le sombre caract6re de son Inferno.
Tout ramene a cette idee, et le nom de la gorge cUe-meme, In-
fir, et sa forme amphitb^atrale, qui est cellc donnee par Dante
a TEnfer, et les grandes roches detach^es qui en ferment les gra-
duis,
In su restremitd d'un' alia ripa
Che facevan gran pietre rotte in cerchio
et le nom provengal de ces escarpements eux-mSmes, baus, itulia-
nisej[>ar le poete, balzo, et donne par lui aux escarpements de son
lugubre entonuoir.
* Saint-Trophime (Sant-Trefufne)t cathedrale d' Aries, batie au
septi^me si6cle par I'archev^que saint Vbgile. Frederic Barbc-
rousse y fut sacr6 empereur en 1178.
' Vers le temps ou la Vieille irritee — lance a Fevrier su
ruade.
Ei^a quand la Vieio encagnado
Mando k Febrie sa reguignado.
Les paysans du Midi ont remarqu^ que les trois dewiiers joiub
tic levrier et les trois premiers de mars ameuent presque tou-
264 NOTES DU CHANT VI.
joui's une recnidescence de froid, et Toicicomme leur unagioaliim
poetique explique cela :
Une vieille gardait une fois ses brebis. G'^lait a la fin du mois
de ft^vrier, qui, cettc ann^e-la,n' avail pas etc rigoureux. La Vieille,
se croyant echappee a I'hiver, se permit de narguer F^vrier de la
inani^re stiivanle ■
Adi^u, Febrie! 'lie ta febrerado
M'as fa ni p^u ni pelado !
« Adieu, F^vrier! Avec ta gel^
Tu ne m'as fait ni peau ni pelee! t
La raillerie de la Vieille courrouce F^vrier, qui va trouver Mai-s :
t Marst reuds-moi uii service! » — c Deux, s'il le fautt » rei)on(l
Tobligeant voisio. — « Pr^te-moi trois joiu's, et trois que j'en ai,
je Itti ferai peaux et pelves 1 »
Presto-ine leu tres jour, e tres que n'aii
P^u e pelado ie fiarai !
Aussitdt se leva un temps affreux, le verglas tua Tberbe des
cliainps, loutes les Lrcbis de la Vieille moururent, et la Vieille, di-
sent les paysans, regimbait, reffuignavo. Depuis lors cette p^riode
tempdtueuse porte le nom de Reguignado de la ViHo, made de la
Vieille. (Voyez la note 8 du Chanr Mil:)
' Varigoule, grotte de Varigoule [Varigouh. Baumo de Vari-
govUo)j profonde caTeme du Luberon, du c6te de Murs (Vauclnse,.
^ Fanl'angoule [Fanpirigoalo), vallee delaCrau, du cdtd d'lsli^
^bouches-du-Rhdne) .
• Garrigues (Garrigo). (Voyez Cliant !•', note 15.)
^^ Le pasde la Sainbuque [Im pas de la Sambuco^^ defile redoutc
dcs voyageui's, dans les montagnes de la Sambuque, a I'orient
d'Aix.
" Paumelle jMumoulo), orge deux raiigs [lufrdetm dutkkum
** Gorde ^pordo). a Aroricut d'Arles s'el^vent deux collines qui pri-
mitivement durcnt n'en former qu'une, mais qu'uu marais sepai*e
NOTES DU CUAIST VI. 265
aujourd'hui. Dans le somroet nu, rocailleiix et plat de la moins haute,
les Gelles praliqu^rent jadis en forme de glaive une excavation
couverte de blocs gigantesques. Les San^asins camp^ent, dit-on,
sur cette coUine; en souvenir de Cordoue, ils lui donn^rent le nom
de Corde, qu'elle porle encore aujourd'hui. Des traditions mer-
veilleuses I'animent et la poetisent : c'est la Couleuvre-fie, Melu-
sine provengale; c'est surtout la Clievre-d'Or qui fait trouver les
tresors caches, mais rend incurableraent tristes, au sein de leurs
richesses, ceux qui ne les meritent pas.
« L'autre colline, plus grande, porte le nom presque romain de
Mout-Majour. » (Jules Canonge. Illustration^ 29 mai 1852.)
Sur celte colline sont les mines gigantesques de la celebre ab-
baye du Mont-Majour. Quant a la grotte de Corde, elle porle
aussi le nom de Trau-di-Fado, comrae la grotte des Baux; et, d'a-
pres la croyance populaii'e, ces deux excavations communiquenl
entre elies.
CANT SETEN
LI Vltl
tun vi(*>i paniei'aire em^ soiin fl^u, assesta davans lou lindau <le sa
))6ri, trenon uno canestello. — Lou ribeir^s d6u Rose. — Vinc^
dis a soun paire d'ana demanda Mir^io en mariage. — Rrfus e re-
moustran^o dou vi^i. — Yinccneto, sorre de Yincen. per ajuda soun
Traire A touca M^ste Ainbroi, conto Tistori de Siv^stre em6 d'Alis.
— Partcn^o de Meste Ambroi per lou Has di Falabrego. — L'arri-
bado e lou gousta di meissounie. — N^te Ramoun. — Lou labour.
— Recit d'Ambrosi, response de Ramoun. — La taulo de Gal^ndo.
— Nir^io declaro soun amour per lou Mn ddu panieraire. — Ama-
liciado, emprecacioun e refus di parent. — findignacioun de M^te
Ambroi. — Napoleon e li grindi guerro. — Encaguamen de M^ste
Ramoun. -- Lou soudard labouraire. — Farandoulo di meissou-
nie d I'enlour dou fio de Sant Jan.
— Yous dise, paire, e vous redise
Que n'en sieu f6u I ... Creses que rise ? .
En iissaiit Meste Ambroi erne d'iue treboula,
Fasie Vinc6u a soun Yiei paire.
Lou iiiistrau, pouderous courbaire
Dis auli pibo d6u terraire,
A la voues d6u jouv6nt apoundie soun ourla.
DaYans soun cabanoun d6u Rose,
Large coume un cruveu de nose,
Lou Yiei, sus un lo d*aubre, ero assela au caiau,
E desruscaYO de redorto ;
Lou jouiue, agrouYa sus la porto,
Enlre si man adrecho e forto
PlegaYO en caneslello aquoli Yergan blanc.
CTIANT SEPTIf.ME
LES VIEILLARDS
La vifrux vannier *et son fils, assis devant le seuil de leur cabane,
tressent une corbeillc — Paysage des bords du Bli6ne. — Vincent
engage son p^re i aller demander la main de Mireille. — Rerus
et remontrance du vieillard. — Yincenette, sceur de Yiucent, se
joint a son fr^re pour fl^cliir Maitre Ambroise , rt raconte i'his-
toire de Sylvestre et d'AHx. — Depart de Maitre Ambroise pour le
Mas des Micocoules. — L'arriv^e et le repas des moissonneurs. —
Maitre Ramon. — Le labour. — R^t d' Ambroise, r^ponse de Ra-
mon. — La table de No^l. — Mireille avoue son amour pour le
fils du vannier. — Courroux, imprecations et refus des parents.
— Indignation de Maitre Ambroise. — Napoleon et les grandes
guerres. — Emporlement de maitre Ramon. — Le soldat labou-
reur. — Farandole des moissonneurs autonr du feu de la Saint-
Jean.
— « Je vous dis, pere, et vous redis — que j'eii
suis fou!... Croyez-vous que jo rie? ») — en fixant
ses yeux troubles siir Maitre Ambroise, — disait
Vincent i son vieux p6re. — Le mistral, puissant
courbeur — des hauts peupliers de la contree, — k
la voix du jeune homme ajoutait ses hui lements.
Devant sa hutte du Rh6ne, — large comme une
coque de noix, — le vieillard, sur une Ironche d*ar-
bre, etait assis k Tabri, — et ecorgait des harts ; —
le jeune homme, accroupi sur la porte, — entre ses
mains adroites et robustes — ployait en corbeille
ces verges blanclies.
208 vtr£io. cant \it.
Lou Rose, enmalicia p^r Tauro,
Fasi^, couine un troup^u de tauro,
Courre sis erso treblo h la mar ; mai eici,
Entre li tousco d'ainarino
Que fasien calo emai oumbrino,
Uno mueio d'aigo azurino,
Liuen dis oundo, plan-plan venie s'emperesi.
De vibre, long de la lauseto,
Rousigavon de la sauseto
Ln nisco amaro ; alin, k trav^s lou cristau
De la calamo countinuio,
Apercevias li bruni luio
Barrula dins li founsour bluio,
A la pesco di p^is, di b6u p^is argentau.
Au long balans d6u v^nl bressaire,
Aqui de-long li debassaire
Avien penja si nis ; e si nis blanquineu,
Teissu, counie uno molo raubo,
Em6 lou coutounet qu'is aubo
L'auc^u, quand soun flourido, raubo,
Boulegavon i brout de verno em* i can^u.
Rousso coume uno tourtihado,
Uno chato escarrabihado,
D'un large capeiroun espandissie li pie,
Trempe d'aigo, su 'no figuiero. '
Li bestiari de la ribiero,
Nimai li piegre di brouliero,
N'avien pas mai de pou que di jounc iremoulel.
MIREILLE, CHANT VII. 269
Le Rh6ne, irril6 par le vent, — faisait, comme un
troupeau de vaches, — courir ses vagues troubles k
la raer ; mais ici, — entre les c6p6es d*osier — qui
faisaient abri et ombrage, — une mare d'eau azu-
r^, — loin des ondes, mollement venait s'alentir.
Des bifevres, le long de la grfeve, — rougeaient de
la saulaie — F^corce am^re ;* 1^-bas, h travers le
cristal — du calme conlinuel, — vous aperceviez les
brunes loulres, — errantes dans les profondeurs
bleues, — ^ la p^che des poissons, des beaux pois-
sons argent^s.
Au long balancement du vent berceur, — lo long
de ce(te rive, les pendulines — avaient suspendu
leurs nids; et leurs petits nids blancs, — tissus,
comrae une molle robe, — avec I'ouate qu'aux peu-
pliers blancs — I'oiseau, lorsqu*iIs sont en flenr,
d6robe, — s'agitaient aux raineaux d'aune el aux
roseaux
Rousse comme une tortillade *, — une alerte
jeune fille, — dun large filet elendait les plis, —
tremp^s d'eau, sur uu figuier. — Les animaux de la
riviere, — et les pendulines des oseraies — u*avaient
pas plus peur delle que des joncs tremblants.
25.
270 MinftTO. CANT VII,
Pecaire ! 6ro la chatounelo
De H^ste Ambrbsi, Vinceneio.
Sis aurihd, degun i*avi6 *ncaro trauca ;
Avi^ d*iu(> blu coume d'agreno,
Em^ lou sen boudenfle k peno ;
Espinouso flour de tapeno
Que lou Rose amourous amavo d'espouscn.
Em^ sa rufo barbo bianco
Que ie toumbavo enjusqu' is anco,
Meslo Ambroi k soun Mn rospound^ : Bartaveu,
De tout segur lou d6ves ^stre,
Car de ta bouco sies plus m^stre !
— Per que I'ase se descabtetre,
Pair^, fau que lou prat fugue rudamen b^u !
Mai en que s6r que tant vous parle ?
Sab6s couine ei!... S'anavo en Arle,
Li fiho de soun t^ms s'escoundrien en plourant,
Car apr^s elo an rout lou mole...
Que respoundres a voste drole
Quand saubr6s que m*a di : Te vole!
— Richesso e paureta, foulas, te respoundran.
— Paire, partes de Valabrego ;
Anas au Mas di Falabrego,
E len-16u ! k si g6nt racountas tout coumo cs !
Digas-ie que Ton d6u s'encliaure
Se Tome ei brave e noun s'6i pauro ;
Digas-ie que sabe reclaure,
Dosntaienca H vigno e laboura H gres.
MTREILLE, CHANT VII. 271
Pauvretle ! c'6tait la fille — de Maitre Ambroise,
Vincenelte. — Ses oreilles, personne encore ne les
lui avail perches ; — elle avail des yeux bleus comme
des prunelles * — el le sein a peine enfl6 ; — 6pi-
iieuse fleur de cApre — que le Rh6ne amoureux ai-
iTiail k ^clabousser
Avec sa barbe blanche el rude — qui lui lombail
jusqu'aux hanches, — Maitre Ambroise a son flls
repondil : « Ecervele, — assuremenl tu dois T^tre,
— car tu n'es plus maitre de la bouche! » — « Pour
que r^ne se d^licote, — pftre, il faut que le pr6 soil
nidement beau !
« Mais a quoi bon tant de paroles ? — Vous savez
comme elle est!... Si elle allait a Aries, — les fllles
de son ftge se cacheraiont en pleurant, — car apres
elle on a bris6 le moule!... — Que repondrez-vous
k voire fils, — quand vous saurez qu'elle m*a dil :
Je te veuxl » — « Richesse et pauvret^, insense, le
repondront. »
— « P6re, parlez de Valabr^gue; — allez au
Mas des Micocoules, — el en toute hAte! k ses
parents raconlez tout, tel que c*est! — Dites-leur
que Ton doit se soucier — de la vertu de rhomnie,
el non de sa misere ! — Dites-leur que je sais biner,
— 6bourgeonner les vignes, labourer les terrains
pierreux.
272 MIRfciO, CANT VII.
Digas-ie mai que si si^is couble,
Soul moun gouv^r, cavaran double ;
Digas-ie que sieu ome h respeta li vi^i;
Digas-ie que, se nous separon,
P6r toujour n6sti cor se barron,
E, tant i^u qu'elo, nous entarron!...
— Ah ! fagu6 M6ste Ambroi, sies jouine,aquisevM.
Ac6 *s ri6u de la poulo bianco !
Ac5 *s lou lucre sus la branco !
Auri6s gau de Tave ; *m' ac5 lou sounaras,
fe proumetras la papo au sucre,
Gingoularas lin qu'au sepucre....
Janiai veiras veni lou lucre
Se pausa sus toun del, car noun sies qu*un pauras.
— Mai d'^stre paure es dounc la p^sto?
Vincen en grafignant sa teste
Cride. — Mai lou bon Di6u qu*a fa de causo ansin,
Lou bon Dieu que me ven esclaure
D6u soulet b^n que me restaure,
Es-ti juste?... Perqu6 sian paure?
Perqu6, d6u vignares embala de rasin,
Lis un cueion touto la frucho,
E d' autre an que la raco eissucho ?
Mai Ambroi tout-d*un-t6ms aussant lou bras en Tor :
Treno, vai, treno ti pivello,
E levo ac6 de la cervello !
Desempifei quouro la gavello
Reprea lou meissouni^?... Lou loumbrin o la serp
MIREILLE, CHANT VII. 273
« Dlles-leur encore que leurs sixpaires (debates),
— sous ma conduite, creuseront double ; — dites-
leur que je suis homme k respecter les vieillards ; —
dites-leur que, s'ils nous s^parent, — pour toujours
ils ferment nos cceurs, — et, tant moi qu'elle, ils
nous enterrent I » — « Ah ! fit Mailre Ambroise, tu
esjeune, l&onle voit.
« C'est \k I'oeuf de la poule blanche ' I — c'est la
Ic luct'e^ sur la branche ! — Le possedcr ferait la
Joie ; lu Tappelleras done, — tu hii promettras lo
gateau sucr6, — tu gemiras jusqu'au sepulcre... —
Jamais tu ne verras le lucre\emv — se poser sur ton
doigt, car tu n'es qu'un miserable. »
— « Mais d'etre pauvre c*esl done la peste ? —
Vincent, en se d6chirant la l^le, — s*ecria. Mais lo
bon Dieu qui a fait des choses telles, — te bon Dieu
qui vient m'exclure — de Tunique bien qui me rende
k la vie, — est-il juste?... Pourquoi sonunes-nous
pauvros? — pourquoi, du vignoWe charge, de rai-
sins,
« Les uns cueillent-ils tons les fruits, — et d'au-
Ires n*ont que le marc desseche? » — Mais Ambrois(»
aussit6t levant le bras en Tair : — « Tresse, va, tresse
tes brindilles, — et 6te cela de ta cervelle! — De-
puis quand le faisceau d*6pis — reprend il le mois-
sonnour?... Le lombricou le serpent
274 MIRfclO. CANT VII.
Adounc p6u dire h Di6u : Peirastre,
Que noun de i^u fasi^s un astre ?
Perqu^, dira lou bi6u, m*as pas crea bout^ ?
A-n-6u lou gran, ki^n la paio!...
Mai noun, moun fieu : marrido o gaio,
T6uti, soum6s, tfenon sa draio...
Li cinq det de la man soun pas t6uti parie !
Lou M6stre t'a fa lagramuso?
T^n-te siau dins toun asclo nuso,
Ben toun rai de souleu e fai toun gramaci.
— Mai, vous ai pas di que Uadore
Mai que moun Dieu, mai que ma sorre ?
Me la fau, paire, o senoun more ! . ..
E roume p6r liuen d'eu bandi Faspre soueit,
De long d6u flume que rounflavo,
Flu oncourrentse desgounflavo.
Vinceneto, la sorre, en plourant alor ven,
E ie fai auviei panieraire :
Avans de maucoura moun fraire,
Aus^s-me, pai 1 Y a 'n labouraire,
An mas ounte servifeu, qu*6ro amourous tamb6n ;
L'ero de la fiho d6u m^stre,
Alis ; en, ie disien Sivestre.
An travai (tant Tamour Tavie fa courajous ! )
flro un loup ! en touto obro abile,
Abarous, matini6, doucile...
Li m^stre, anas, dourmien tranquile.
Un matin .. — regardas, paire, s'es pas fachons!
MIREILLE, CHANT VU. 275
n Peut done dire a Dieu : « Mauvais pere,— que iie
faisais-tu de moi un astre? » — « Pourquoi, dira le
boeuf, ne in*as-tu pas cree bouvier? — a lui le grain, a
moi la paille !... » — Mais non, mon fils : iriauvaise
ou gaie, — tous, soumis, tiennent leur voie... —
Les cinq doigts de la main ne sont pas tous egaux.
« Le Maitre l*a fait lezard-gris? — tieiis-toi paisible
dans ta crevasse nue, — bois ton rayon de soleil et
rends graces ! » — « Mais ne vous ai-je pas dit que
jel'adore — plus que ma soeur, plus que nion Dieu?
— 11 me la faut, pere, ou sinon je meurs !... » — Et
comme pour baniiir loin de lui TSpre souci,
Sur la rive du fleuve grondant, — il exhalait en
courant (sa douleur). — Yincenettela soeur en pleu-
rant alors vient, — et adresse au vieux vannier (ces
paroles) : — a Avant de d^courager mon frere, —
ecoutez-moi, pere! 11 etait un laboureur, -- &la
ferme ou Je servais, amoureux comme lui ;
« 11 r^tait de la fille du maitre, — Alix; lui, on
I'appelait Sylvestre. — Au travail (tant I'amour I'avait
fait courageux ! ) — c'etait un loup ! habile en toute
oeuvre, — ecouome, matineux, docile... — Les
niaitres, allez, dormaient en repos. — Un matin...-—
regardez, p6re, si ce n*estpas f^cheux!
276 NIRfilO, CANT Vlf.
Un matin, la inoui^ ddumestre
Ehtendegu^ parla Siv^re :
Countavo d'escoundoun soun amour a-n-Alis.
A dina, quand lis ome inir^ron
E qu'& la taulo se vir^ron,
Lis iue d6u m^tre s*empureron !
— Traile ! dis, 16 toun comte, e passo quo I'ai visl!
Lou bon r^fi partigue. Nautre
S'espinchavian dis un is autre,
Maucountent e 'spanta de lou T6ire embandi.
Tres semano, dins li roumpido,
Lou veguerian courre bourrido
Is alentour de la bastido,
Tout desvaria, mome, avala, mau vesti ;
Uuouro estendu, quouroa grand cout^o.
La nine, Tentendian coume uno ourso
Ourla souto li triho en apelant Alis!... .
Mai un jour, pi6i, un fio venjairc
Que flamejavo i quatre caire
Counsum6 la paiero, o paire,
E dou pons lou treiau davere *n negadis !
Aqui s*auboure Meste Arabrosi :
— Enfant pichot, digu6 ren6si,
Pichoto peno ; grand, grand peno.— E uiouuto d'aut,
Cargo sis auti garramacho
Qu'eu-meme autre-tfems s'ero facho,
Si bon soulie garni de tacho,
Sa grand bouneto roujo, e camino k la Graii.
MIREILLE, CHANT VII. 277
« Un matin, Vepouse du maitre — enlendit Syl-
vestre parler : — il contait en cachette son amour
a Alix. — A diner, lorsque enlrerent les hommes, —
et qu'ils se rangerent autour de la table, — les yeux
du mailre s altis6rent : — « Traiire ! dit-il, voili
ton compte, et passe, je t'ai vu ! »
« Le bon serviteur partit, — Nous nous regardions
les uns les autres, — m6contents, ahuris de le voir
chasser. — Trois semaines, dans les novales, —
nous le vimes errer — aux alentours de la bastide,
— tout hagard, morne, h^ve, mal vMu ;
« Tantdt gisant, tant6tcourant a tmtesjambes, —
La nuit, nous Tentendions comme une ourse : — Hur-
ler sous les treilles en appelant Alix. — Mais un
jour, puis, un feu vengeur — qui flamboyait aux
quatre coins, — consuma la raeule de paille, 6 pere,
— et du puits le c^le tira un noy6. »
L^ se leva Maitre Ambroise. — « Enfant petit, dit-il
en grommelant , — petite peine ; grand , grandc
peine. » — Et il monte en haut, — il met ses hou-
seaux elev^s — que lui-m^me s*etait faits autrefois,
— - ses bons souliers garnis de caboches, — son
grand bonnet rouge, et il marche k la Crau.
t^4
278 NIR£10, GAKT VII.
Eriaii au lems que li terrado
An si recordo utnadurado :
hlro, vous trouvares, la vueio de Sant Jdii.
Dins li draiou, long di barragnu,
Deja, per nouiT)br6usi comnpagno,
Li prefachi^ de la mountagno
Yenien, brun e p6ussous, meissouna nosti champ;
E li voulame en bandouliero.
Dins li bedoco de figuiero ;
Eiisouca dous per dous ; chasco sduco adusent
Sa ligarello. Uno ilaveto,
Un tambourin flouca de veto
Acounipagnavon li carreto,
Ounte, las d6u camin, li vi^i eron jasent.
E 'n ribejant long di tousello
Que, sout lou v^nt que li bacello,
Ouiidejon a grands erso : 0 nioun Dieu 1 li beu blad !
Quenti blad dru I tasien en troupo.
Ac6 sara de bello coupe !
Ve! courae I'auro lis estroupo,
E pereu counie en Ter soun leu mai regibla I
Veici qu'Ambroi s'ajougn6 'in'61i:
— Soun touti preste couine aqu61i,
Vosti blad pro uven^au, mounsegne? — faisubran
On di jouvent. — Fa li blad rouge
Que soun encaro darrierouge ;
Mai, en durant lou t^ms aurouge,
Veires que li voulanie h Tobromancaran !
MIREILLE, CHANT VII. 279
Nous 6tions au temps oh les lerres — ont leurs
recoUes mAries : — il se trouve que c'^tait la veille de
la .Saint- Jean. — Dans les sentiers, le long des haies,
— d6ja, par nombreuses compagnies, — les tdche-
rons de la raontagne — venaient, bruns et poudrenx,
(pour) moissoniier nos champs ;
Les faucilles en bandouliere , — dans les carquois
de figuier, — accouples deux par deux; chaque
couple amenanl— sa lieuse (de gerbes). Dn galoubet,
— un tambourin om6 de noeuds de rubans, — ac-
compagnaient les charrettes, -^ ou, las du chemin,
les vieillardsetaient couches.
Et, en longeant les louzelles — qui, sous le vent
qui les bat, — ondoient k grandes vagues : u 0 mon
Dieu ! les beaux bl6s ! — quels bl6s touffiis ! disaient-
ils ensemble. — Voili qui sera beau a couper ! —
Voyez comme la bise les trousse, — el aussi comme
en Fair ils se redressent vito ! »
Voici qu'Ambroise se Joignit k eux. « Sont-ils lous
prMs comme ceux-lS, — vosbl^sde Provence, a'ieul?»
dit soudain — un des jeunes. — « Les froments
rouges — sont encore en retard ; — mais si le temps
venteux vient a durer, — vous verrez les faucilles
manquer au travail '
380 HIR£I0, cant YIT.
Remarqucrias li tres candMo,
Per Nouv^? semblavon d'estello !
Rapelas-vous, enfant, que i*aura granesoun
Per benuran^o ! — Di^u vous ause,
E dins voste 6rri la repause,
Bon segne-grand ! — Entre li sause,
Erne lou bouscatiS lis ome de meissoun,
Entanterin que s'avan^von,
Bounainen ansin devisavon.
E s'alrovo qu*au Mas di grand Falabreguie
Per6u venien li nieissounaire.
M^ste Ramoun, en permenaire,
D6u mistralas desengranaire
Vonift v6ire pamens ceque lou blad disie.
E de Tespigado planuro
Eu travessavo lajaunuro,
D*auro en auro, k grand pas; e li blad roussin^u :
— M6stre, murmuravon, es I'ouro !
V^, coume Tauro nous amourro,
E nous estraio, e nous desflouro...
Boutas a vosti del li dedau de can^u !
D'autre ie venien : Li foumigo
Deja nous mounton is espigo ;
Tout-escap plen de cai, nous derrabon Ion gran...
V^non pancaro li gourbiho?
Aperalin dins lis aubriho
Lou majourau vir6 li ciho,
E soun iue peralin li descuerbe subran.
MIREILIE, CHANT VU. 281
« RemarquAtes-vous les trois cliandelles, — & la
Nogl ? elles semblaient des etoiles ! — Rappelez-vous,
enfants, qu il y aura du grain — par benediction I »
— « Dieu vous entende, -r- et dans voire grenier le
depose, — bon aieul! » — Entre les saules, — avec
ie biicheron les moissonneurs,
Pendant qu'ils s'aVancaient, — bonnement devi-
saient ainsi. — Et il se trouve qu'au Mas des grands
Micocouliers — aussi' venaieDt les moissonneurs. —
Mailre Ramon, en promeneur, — de I'inipeiueux
mistral qui egrene (les epis) — venait voir cependant
ce quedisaitleble.
Et dela plaiue couverte d'epis — il traversait (1*6-
tendue) jaune, — du nord au midi, k grands pas; et
les bies fauves : — u Haitre, murmuraient-ils, c est
Theure! — voyez comme la bise nous incline, — et
nous verse, et nous defleurit. . . — Mettez k vos doigts
les doigtiers de roseau * ! »
D'aulres ajoutaient : « Les fourmis — deja nous
montent aux epis; — a peine caille, elles nous arra-
chent le grain... — Les faucillesne viennent point
encore? • — Par l^>bas dans lesarbres — le chef
lourna les cils, — et son ceil par li-bas les decouvre
aussitdt.
24.
S82 MIRfiTO, CANT VIT.
Entre par^isse, tout Teissame
Desfourrel^ron li voulame,
E dins r^r au soul^u ii f^sientrelusi,
E li brandavon sus la t^sto,
P6r saluda *in6 faire ftsto.
Mai h la troupelado agr^sto
D6ii pu liuen que Ramoun pousqu^ se faire ausi :
— Benvengu sias, toutola bando!
le crid^; lou bonDi^u vous mando.
E leu de ligarello agu6 'n brande nomnbrous
A soun entpur : — 0 nostemfestre,
Toucas un pau la man! ben^stre
Posque erne vous longo-mai estre !
N*i*aura de garbo k I'iero, aquest an, Santo Crous !
— Noun fan juja tout p^r la mino.
Mi beus ami ! Quand per Feimino
Aura passa reir6u, alor de ce que l^n
Saubren lou just. S'^i vist d'annado
Que proumetien uno granado
A fai d'un vint p^r eiminado,
E pi6i fasien d'untres !... Mai fau estre count^nt.
E *m6 la faci risouleto,
Toucavo en t6uti lai paleto;
Amistadousamen parlavo a M6ste Ambroi,
E tout-b&u-just prenien la 16io
De la bastido, que : — Mir^io I
Garnisse leu la cicoureio,
E vai lira de vin, cridavo, tron-do-goii
MTHEILLE, CHAT^T TIT. 285
D6S que parut Fessaini, tous — degain^rent les
faucilles, — et dans I'air au soleil ils les faisaient res-
plendir, et sur la tfite les brandissaient, — - pour sa-
luer et faire ftte. — Mais, k la troupe agreste, — du
plus loin que Ramon put se faire ouir :
— « Bienvenus soyez-vous, toute la bande! — leur
cria-t-il ; le bon Dieu vous envoie ! » Et bient6t de
Ileuses il eut une ronde nombreuse — autour de lui :
« 0 notre maitre, — touchez done la main ! Bien-6tre
— puisse-t-il avec vous 6tre a jamais ! — Y en
aura-t-il, des gerbes, k I'aire, cetto annee, Saintt*
Croix! »
— « II ne faut pas juger tout par la mine, — mes
beaux amis ! Quand par ]e boisseau — aura passe
Tairee, alors de ce qu'elle tient — nous saurons le
juste. II s'est vu des annees — qui promettaient une
recolte — k rendre vingt (hemines) * par h^in^e,
— ensuite elles en rendaient trois!... Mais soyons
satisfaits! »
Et, la face riante, — a tous il touchait la main; —
amicalement il parlait a Maitre Ambroise, — et ils
prenaient k peine Tallee — de la bastidef que : « Mi-
reille ! — prepare vite la chicoree, et va lirer du vin,
criait-il, tron-de-goi! »
284 MIRfilO, CANT \l!.
L^u aquesto, h pleni faudado,
Vej^ SU8 taulo la goustado ;
Ramoim, lou b^u proumi^, se i*ass§to a-n-un bouti
E t6uti fan coume eu. En briso
Lou pan croustous dejase friso
Souto la d^nt que Tenfreiiiso,
Enterin que li man pescon i barba-bou.
La taulo fasi^ gau, lavado
Coume une fueio de civado ;
Lou cachat redoul6nl, Vaiet que fai tuba,
Li merinjano k la grasiho,
Li pebroun, cous^nto manjiho,
Li bl6undi cebo, a la rapiho
Dessusli vesias courre, k bel 6ime esc:ampa.
M^stre k la taulo coume au fouire,
Ramoun, qu'avi^ coniro eu lou douire,
De l^ms en terns Taussavo, e : D*aut ! chourlen un cop !
Quand i*a de peiro dins lis erme,
P6r que la daio se referme,
N'en fau bagna lou lai, e ferme !
E lis ome, aderr^n, aparavon lou got.
— Bagnen lou tai ! — E ddu grand inde
Lou vin raiavo, rouge e linde,
Is Sspri gargassoun di gourbihaire. — Pi(>i,
Vengu^ Ramoun a la laulado,
Se 'n cop la fam ei sadoulado,
E li for(?o reviscoulado,
Per b^n acoumenca, segound I'usage viei,
MIREILLE, CHANT YU. 285
Vile celled, a pleins labliers, — versa le gotiter
sur la table ; — Ramon, le beau premier, s'y assied
h un bout, — et tous font comme lui. En miettes —
le pain k croAte 6paisse d6j2i se pulverise — sous la
dent qui le broie, — pendant que les mains plon-
gent dans les barbes-de-bouc.
La table rejouissait, iav^e -- comme une feuille
d*avoine ; — le cachaf^ odorant, Tail qui brAle (le
palais), — les aubergines (rdties) sur le gril, — les
piments, cuisant mets, — les blonds oignons, con-
fus6ment — roulaient sur elle, versus h profusion.
Mailre h la table comme au labour, — Ramon, qui
a cdt6 de lui avail la buire, — de temps h autre Te-
levait, et : « Allons ! buvons un coup ! — Quand la
lande est pierreuse, — pour que la faux se rafTer-
misse, — il faut en mouiller le Iranchant, et ferme I »
— Et les hommes, tour h tour, tendaienl le verre.
— (( Mouillons le Iranchant! » ^ Et du grand vase
— le vin coulait, rouge et limpide, — aux &pres go-
siers des faucilleurs. — a Puis, — dil Ramon aux
(hommes) atlables, — quand vous aurez rassasi6 la
faim — et raviv6 les forces, — pour bien commencor,
selon Vusage antique,
2W MIRfilO CANT VII.
Coupas, dins li bos de rebroundo,
Chascun voste balau de broundo ;
Qu*enUupi li balau s'amoulounon. Mi fieu,
Quand Tauto l&upi sara l^std,
De v6spre, coumpliren lou r6sto,
Gar de Sant Jan aniue 's la i%sto,
Sant Jan lou meissouni6, Sant Jan Tanii de Dieu ^
Ansin lou m^stre li coumando.
Dedins la sci^nci noblo e grando
Que fau p6r mena 'n b6n, que fau p6r coumanda,
Que fau p6r faire espeli,-soulo
La Iressusour que ie degouto,
L'espigau blound i negri mouto,
De n'en saupre coume 6u res poudie se vanta !
Sa vido ero paci^nto e sobro.
Es verai que si 16nguis obro,
Erne lou pes dis an, Tavien un pau gibla ;
Mai au t^ms dis iero, a la caro
Souv6nti-fes di jouine miarro,
Fier e galoi, pourtavo encaro
Sus la pauino di man dous plen sesti6 de blad !
Couneissi^ Taflat de la luno,
Quouro es bono, quouro iropourtuno,
Quouro buto la sabo e quouro Tentessis ;
E quand fai rodo, e quand es palo,
E quand es bianco vo pourpalo,
Sabi6 lou t^ms que n'en davalo.
P6r eu lis auceloun, lou pan que se mousis,
MIREILLE, CHANT VI!. 2ST
« Coupez, dans les bois taillis, — chacun voire
fagol de. branches ; — qu'en pile les fagots s'amon-
cellent. Mes fils, — quand le haut bi^cher sera pr^t,
— ce soir nous accomplirons le reste; — carde
Saint Jean c'esl la fete cette nuit, — Saint Jean le
moissonneur, Saint Jean Tami de Dieu ! »
Ainsi les commande le uiaitre.%— Dans la noble
et grande science — n6cessaire pour conduire un
bien, n6cessairepour commander, — n^cessaire pour
faire eclore, sous — la sueur qui y ruisselle, — des
iioires mottes Tepi blond, — d*en savoir comme lui
nul ne pouvait se vanter.
Sa vie etait patiente et sobre. — En v6rite ses longs
labeurs — et le poids des ans Tavaient un pen courb^ ;
— mais au temps (ou) les aires (sont pleines), k la
face, — maintes fois, des jeunes valets, — fier et
joyeux, il portait encore — sur la paume des mains
deux pleins setiers de ble !
II connaissait Tinfluence de la lune, — quand est'
elie bomie, quand dtfavorable, — et quand pousse-
t-elle la s6ve, et quand I'arr^te-t-elle ; — et lors-
qu'elle a un cercle, et 'lorsqu*elle est p41e, — ou
blanche, ou empourpree, — il savail le temps qui en
descend. — Pour lui, les oisillons, le pain qui se
inoisit.
t!88 MIRfilO, CANT Vll.
E li jour negre de la Vaco,
P6r eu li neblo qu'Avoust raco,
E li contro-souleu, e l*aubo de Sanl-Clar,
Di quaranieno gabinouso,
E di secaresso rouinouso,
Di pountannado plouvinouso,
E peieu di boiis an ^ron ii signe clar.
Dins uno terro labourivo,
Quand la faturo es tempourivo,
Ai de fes agu vist, atalado au coutri^,
Sieis b6sti grasso e nervihouso ;
6ro uno visto mervihouso I
La terro, bleto e silenciouso,
Plan-plan devans la riho au souleu se durbi^
E li sieis miolo, bello e sano,
Seguien de loiigo la versano,
Seinblavon, en tirant, coumprene per-de-que
Fau que la terro se laboure :
Sens camina trop plan, ni courre,
Devers lou sou beissant lou mourre,
Atentivo, e lou c6u tiblan coume un arqucl.*
Lou fin bouie, I'iue sus la rego,
K la cansoun entre li brego,
I'anavo a pas tranquile, en tenent soulanien
L'estevo drecho. Ansin anavo
Lou tenamen que sameuavo
Meste Ramoun, e que menavo,
Ulanous, coume un rei dins soun gou^vernaiuen !
MIREILLE, CHANT VII. 289
Et les jours n^fastes de la Vache S — pour lui les
brouillards qu Aout vomit, — et les parhelies, et
Taube de la Saint-Clair, — des quarantaines humides,
— des s^cheresses ruineuses, — des periodes de ge-
lee, — et aussi des amines bonnes, etaient les signes
clairs.
Dans une terre labourable, — quand la culture se
fait en temps propice, — J'ai vu parfois, attel6es k la
charrue, — six b^tes grasses etnerveuses ; — c'^tait
un merveilleux spectacle ! — la terre, friable, en
silence, — lentement devant le soc au soleil s'en-
tr'ouvrait.
Et les six mules, belles et saines, — suivaient
sans cesse le sillon ; — elles semblaient, en tirant,
comprendre pourquoi — il faut labourer la terre :
— sans marcher trop lentement ni courir, — vers le
sol baissant le museau, — attentives, et le cou tendu
comme un aic.
■ Le fm laboureur, Toeil sur la rale, — et la chanson
entre les 16vres, — y allait a pas Iranquilles, en te-
nant seulement — le manche droit. — Ainsi allait —
le tenement qu'ensemencait — Maitre Ramon, et qu'il
dirigeait, — magnifique, tel qu'un roi dans son
royaume !
290 ^llRfelO, CANT VIL
Deja painens levant la f^ci,
Lou majourau disie )i grdci
E signavo soun front ; e di travaiadou
L'escarrado partis, galoio,
Per alesti lou fio de joio.
D'uni van acainpa de boio,
D' autre, di pin negras toumba lou rainadou.
Mai 11 dous viei r^ston k taulo, '
' I
E Meste Ambroi pren la paraulo :
Vtoe, i^u, 0 Ramoun, vous demanda counseu. {
M'arribo un ^rsi qu'avans Touro
He coundurra mounte se plouro ;
Gar noun vese counrie ni quouro
D*aqu^u nous de malur poudrai trouva lou s^u ! |
Sabes qu'ai un drole : jusqu aro,
D'uno sagesso mai que raro
H'avi^ douna li provo, e toustems. Auri^utort,
Se venieu dire lou countr^ri.
Hai touto p^iro a si gavarri,
Lis agnfeu meme an si cat^rri,
E Toundo la plus traito es aquelo que dor.
Sab6s qu*a fa, lou sounjo-f6sto?
S*es ana metre per la t6sto
Uno chato qu*a vist, de riche meinagi6...
E la v6u, e la v6u, lou n^sci !
E tant vi6ul^nt el soun desf^ci,
E soun amour de talo esp6ci
Que m'a fa pou ! En van i'ai moustra sa foulie;
WIRETLLE, CHAIN'T VII. 291
Deja, pourtant, levant la face (au ciel), — le clief
disait les graces — et portait la main au front pour
faire le signe de la croix; el des Iravailleurs — la
troupe allait, gaiement, — preparer le feu de joie. —
Les uns vont ramasser des fanes de souchet, — d*au-
tres, des sombres pins abattre la ramee.
Mais a table restent les deux vieillards, — et Maitre
Ambroise prend la parole : — « Je viens, moi, 6 Ra-
mon, vous deniander conseil. — 11 in'advient une tra-
verse qui avant Theure — me conduira oi!i sont les
pleurs ; — car je ne vois ni comment ni quand — de
ce noeud de malheur je pourrai trouver le sceau !
a Vous savez que j'ai un fils : jusqu'^ cette heure,
— d'une sagesse plus que rare — il m'avait donn6
les preuves, et toujours. J'aurais tort, — si je ve-
nais dire le contraire. — ^Mais toute pierre a ses javarts,
— les agneaux meme ont leurs convulsions, — et
Tonde la plus perfide est celle qui dort.
(( Savez-vous ce qu'il a fait, le songe-creux? — 11
s'est alle mettre par la t6te — une fille qu'il a vue,
de riches tenanciers... — Et il la veut, et il la veut,
I'insense! — Et si violent est son d6sespoir, — et tel
son amour — qu'il m'a faitpeurl Vainement lui ai-je
d^montre sa folie,
99i MIRfelO, CilNT VII.
En van i*ai di qu'en aquest mou[\,de
Richesso creis, pauriho founde...
— Courr^s dire k si g^nt que la vole a tout pres,
A respoundu ; que fau s'enchaure
Se Tome es brave e noun s'es paure ;
Digas-ie que sabe reclaure,
Desmaienca li vigno e laboura li gres.
Digas-ie mai que si sieis couble
Sout moun gouv^r cavaran double ;
Digas-ie que si6u ome k respeta li vi^i;
Digas-ie que, se nous separon,
P6r toujour n6sti cor se barron,
E tant ieu qu'elo, nousentarron !
Aro dounc, o Ramoun, que ves^s ce que n'^i,
Digas-me s*eme mi roupiho
Anarai demanda la fiho,
0 bk\ se leissarai mouri moun drole. . . — Pou !
Ramoun ie fai, noun largu^s velo
Sus un tau v^nt. Eu nimai elo,
Boutas, mouriran pas d'aquclo !
Esi6ii quevouslou dise. Ambroi,n'aguespasp6u.
Moun ome, en voste lioc e pla(?o,
Farieu pas tant de cambo lasso :
Acoumen^o, pichot, degardatoun repau,
Ie vendrieu s^nso misleii.
Que s*^ la fm ti refoul6ri,
Ve ! fan esmdure lou temp^ri,
Sarnipabi6une ! ve ! t*end6utrine em'un pau !
MIREILLE. CHANT VII. 893
« Vaiiiemenl lui ai-je dit qu*en ce monde, — ri-
chesse croit, pauvrete fond... — « Ccyrezdire k ses
parents que je la veux k tout prix, — a-t-il r^pondu;
qu'il faut se soucier — de la vertu de Thomme, et
non de sa inis6re ; — dites-leur que je sais biner, —
ebourgeonner les vignes, labourer les terrains pier-
reux.
ff Dites-leur encore que leurs six paires (debates),
— sous ma conduile, creuseront double ; — dites-
leur que je suis homme a respecter les vieillards ; —
dites-leur que, s*ils nous s6parent, — pour toujours
ils ferment nos coeurs, — et, tant moi qu'elle, ils
nous enterrent ! r^ — Maintenant done, 6 Ramon, que
vous Yoyez ce qu*il en est,
a Dites-moi si, avec mes haillons, — je dois aller
demander la fiUe, — ou bien laisser mourirmon
fils... » — ((Bah! — Ramon lui dit, ne dSpIoyez
point voile — sur un tel vent ! Lui ni elle , — allez,
n*en mourront pas ! — C'est moi qui vous le dis,
Ambroise, n*ayez pas peur.
(( Ami, en votre lieu et place, — je ne ferais pas
tant de d-marches vaines : — (( Commence, petit, par
garder ton repos, — lui dirais-je sans dolour, — car
a la fin si tes caprices — vois ! font mouvoir la lem-
p^te, — sarnipabieoiine ! vois ! je t'endoctrine avec
un pieu ! »
25.
2ft4 MIRfilO, CANT V!!.
A!or Ambroi : Quand Tase bramo,
I'anes dounc plus trairede ramo :
Arrapas un barroun, e 'm' aco *nsucas-lou!
E Ramoiin : Un paire es un paire ;
Si voulounta devon se faire ;
Troupeu que meno soun gardajre
Crucis, a terns o tard, dins la gorgo dou loup.
Qu'a soun paire un fieu reguignesse,
De noste terns, ah! Dieu gardesse!
1/aurie tua, beleu ! . . Li famiho, tamben,
Li vesian forlo, unido, sano,
E resist^nto k la chavano
Coume un brancage de plalano !
Avien proun si garrouio, — acoto, lou saben.
Mai quand lou vespre de Calendo,
Souto soun cslelado lendo,
AcaiYipavo Ion r^ire e sa generacioun,
Davans la tanlo benesido,
Davans la taulo ounte presido,
Lou reire, de sa man frouncido,
Negavo tout aco dins sabenedicioun!
Mai, afebrido e blavinello,
L'enamourado picbounello
Ven alor h soun paire : Adounc me tuares,
0 paire! Es ieu que Vincen amo,
E, davans Dieu e Nostro-Damo,
Res autre qu'eu n'auramoun amo!...
Un silenci mourlau li prengue louti tres.
MIREFLLE, CHANT VII. 295
Alors Ambroise : « Quand Tdne brail, — n'allez
done plus liii jeter de la ramee : — empoignez une
trique et assommez-le ! » — Et Ramon : « Un p^re
est un pere ; — ses volontes doivenl Mre faites ! —
Troupeau qui m6ne son gardien, — I6t ou lard, cra-
que dans la gueule du loup.
« Qu'a son pere un fils regimbM, — denotre temps,
ah ! Dieu garde! — il Teiit tue, peut-6tre ! . . . Les fa-
milies, aussi, — nous les voyions fortes, unies, sai-
nes, — et r6sistaiites k I'orage, — comme un bran-
chage de platane ! — EUes avaient, sans doute, leurs
querelles, nous le savons.
« Mais quand le soir de Noel, — sous sa tente
^toilee, — r^unissait Taieul et sa generation, — de-
vant la table benie, — devant la table ou il preside, —
Taieul, de sa main ridte , — - noyait tout cela dans sa
benediction " ! »
. Mais, enfievr^e et bl^me, — la jeune fille ena-
mour^e — dit alors a son pere : « Vous me tuerez
done, — mon pere ! C'est moi que Vincent aime, —
et devant Dieu et Notre-Dame, — nul n'aura mon
ame que lui !... » — Un silence de mort les prit tons
trois*
996 VIRtllO, CANT VU.
Jano-Mario es la proumiero
Que s*aubour^ de la cadiero :
— Ma fiho! la rcsoun que venes d'alarga,
le fai ansin 'm^ li man jouncho,
Es uno escorno que nous councho,
Es uno espino d'aiguespouncho
Que nous a p^r lonlems ndsti cor tratiga !
As refusa tou pastre Al&ri,
Aqu^u quavie milo besliari!
Refusa Yeranet lou gardian ; rebuta,
Per ti inaniero besuqueto,
Ourrias, lou lant richeenvaqueto!
Fjn' aco pi^i, em* un fresqueto,
Em* un galabont^ms le vas encoucourda!
Ben ! i'anaras de porto en porlo,
Erne loun gus courre p6r orto !
Sies touto ti^uno, parte, ab6umianido ! . . . Bon !
Associo-te *me la Roucano,
Erne Beloun la Roubicano !
Sus trescaiau, em^ la Cano,
Vai couire la bouiaco, k la sousto d*un pont !
M&ste Ramoun leissavo dire ;
Mai soun iue, lusent coume un cire,
Soun iue parpelejavo e jitavo d uiau
Souto sis usso espesso e bianco.
De sa coulero la restaiico
Piei a la longo se desranco,
1* \)undo k boui fuioun s*esclafis dins lou riau :
MIREILLE, CHANT VTI. 207
Jeanne-Marie est la premiere — qui se leva de la
chaise: — « Mafille! la parole qui vient de t'echap-
per, — lui fait-elle ainsi, les mains jointes, — est une
insulte qui nous souille, — est une ^pine de nerprun
— qui nous a pour longtemps perc6 le cceur !
« Tu as refuse le pMre Alari, — celui qui poss6dait
mille bestiaux! — refuse Veranet lo gardien ; rebute,
— par tes mani^res dedaigneuses, — Ourrias, le ri-
che (pasleur) degenisses; — et puis, un freluquet, —
un garnement (suffit) pour te seduire ^^ !
« Eh bien! vas-y, de porte en porte, — avec ton
gueuxcourir les champs! — Tu t'appartiens, pars!
boh^mienne !. . . Oui ! — k la Roucane, — k Beloun la
Roubicane — associe-toi ! — Sur trois cailloux, avec
la Chienne, — va cuire ton poiage, abrit6e sous (la
voi1te)d*unpont! »
jMaitre Ramon laissait dire ; — mais son ceil, lui-
sant <5omme un cierge, — son ceil clignotait et jetait
des 6clairs — sous ses sourcils epais et blancs. — De
sa colere lecluse — a la longue s'arrache, — et I'onde
a bouillons furieux s'^lance dans la rivi6re :
208 MlRfelO, CANT VII.
— A rosoun, o, ta maire ! parte,
E que Taurige liuen s'esvarte ! . . .
Mai noun, deinouraras, veses?. . . Quand saubrieii
De t'estaca 'm6 lis enferri,
E dete metre i narro un ferri,
Couinc se fai a-n-un giinerri ;
Veguesse-ieu subran toumba lou fio de Dieu !
De facharie niorno e malauto,
Veguesse-ii'ii foundre ti gauto,
Coumela neu di colo a Tuscle dou soul6u!
Mir^io ! coume aquelo graso
Dou fougueiroun porto la braso ;
Coume lou Rose, quand s'arraso,
Fau que desbounde, e ve! coume ac6 *s un cab'ni,
Rapello-te de ma paraulo :
Lou veiras plus ! . . . E de la taulo
Em' un grand cof) de poung destrantraio Tamplonr.
Coume I'eigagno sus li berlo,
Coume un rasin que si pouperlo
Plovon k Tauro, perlo a perlo
MirMoentanterin escampavo si plour.
— Quau m*a pas di, malavalisco 1
Reprenlou viei, bret de la bisco,
Ambroi, quaum'a pasdique vous, vous, Meste Ambroi,
Agii^s, *me voste tantalori,
Enlrepacha dins vosto bori
Aquel infame raubat6ri ! . . .
L*endignacioun, aquest, I'enaure toutrevoi.
I
MIREILLE, CHANT VII. 201)
— « Elle a raison, oui, ta more ! pars, — et que
Fouragan loin se dissipel... — Maisnpn, lurcsteras,
vois-tu?. . . Saurais-je — de t'attacher avec les entra-
ves, — et de te mettre aux narines iin fer, — - commc
on fait k un jumart; — verrais-je subitemeiit tomber
le feu du del !
« De f^clierieinorneetmalade, — verrais-je fondre
tes joues, — comme la neige des collines au hale du
soleil! — Mireille! coiiinie cette dalle — portela
braise du foyer; — coinme le Rhdne, coiiible (par les
pluies), — forceincnt deborde; et vois! comme cela
est une lampe, .
u Souviens-toi de ma parole : — tu ne le verras
plus!... » Etde la table — par un grand coup de
poing il fait trembler I'ampleur. — Comme la rosee
sur les berles, — comme une grappe dont les grains
trop murs — pleuvent au vent, perlea perle, — Mi-
reille, en meme temps, repandait ses larmes.
— « Qui rn'ossurey malediction ! — reprend le vieil*
lard, begue de colore, — Ambr>)ise, qui m'assure que
vous, vous, Maitre Ambroise, — n ayez point, avec
votregredin, — machin6 dans voire hutte — ce rapt
inf^me! » — L'indignation soulcva, chez celui-ci, la
vigueur d'autrefois*
500 MIRfilO, CANT VII.
— Ilalan de Dieu ! cridfe tout-d*iino,
Se I'avcn basso, la fourtuno,
Vuei aprenes de ieu que pourtan lou cor aut !
Que sache encaro, n'es pas vice
La paureta, nimai brutice!
Ai quardnto an de bon service,
De service k Tarmado, au son di canoun rau !
Just manejave uno partego,
Que sieu parti de Yalabrego
P^r m6ssi de veiss^u. Emplana sus la mar,
Sus la mar tempestouso o Undo,
Ai vist I'empdri de Melindo,
Erne Sufren ai treva Undo,
b], inai que la marino, agu de joor amar!
S6udard pereu di gr&ndi guerro,
Ai bani'ula touto la terro,
Em' aquel aut guerri^ que mounts dou Hiejour,
E permen^ sa man destrilici
De TEspagno k Termas di Russi ;
E coume un aubre de perussi
Lou mounde s'esp6ussavo au brut de si tambour !
E dins i'ourrour dis arrambage,
E dins Tangouisso dinaufrage,
Li riche, per ac6, n'an jamaifa ma part!
E ieu, enfant de la pauriho,
16u que n avieu dins ma patrio
Pas un terroun k planta riho,
Per elo, quaranto an, ai matrassa ma car !
MIREILLE, CHANT VII. 501
— « Malheur de Dieul s'6cria-t-il soudain, — si
nous avons la fortune basse, —encejour apprenez
de moi que nous portonsle coeur haut I — Que je sa-
che encore, elle n'esl point vice — la pauvrete, ni
souillure. — J'ai quarante ansde bon service, — de
service iTarmee, au son des canons rauques!
« A peine maniais-je une gaffe, — je suis parli de
Valabregue, — mousse de vaisseau. Perdu sur les
plaines de la mer, — de la mer tempetueuse ou lim-
pide, — j'ai vu Terapire de M61inde, — j'ai hante
rinde avec Suffren, — et eu des jours plus amers que
la mer !
(( Soldat aussi des grandes guerres, — j*ai parcouru
tout Tunivers, — avec ce haut guerrier qui monta
du Midi , — et promena sa main destructrice — de
FEspagne aux steppes russes ; — et, tel qu'un arbre
de poires sauvages, — au bruit de ses tambours se
secouaitle mondel
« Et dans Thorreur des abordages, — et dans I'an-
goisse des naufrages, — Ics riches, malgr^ tout,
n ont jamais fait ma part ! — Et moi, enfant du pau-
vre, — moi qui n avais, dans ma patrie, — pas un
coin de terre ou planter le soc, — pour elle quarante
ans j*ai harasse ma chair '
26
302 MIRfciO, CANT VII.
E couchavianli la plouvino,
E manjavian que de canino !
E jalous de mouri, courriaii au chapladis,
P^r apara lou iioum de Franco...
Mai, d'acd, res n'a remeinbranco !
En acabant sa remoustraiigo,
Per lou mas bandiguesajargo de cadis.
— Qu'anas bousca vers Mount-de-Vergue
Lou Sanl-Pieloun? — lou vifeirouergue
Rambaio coume eico Mesle Ambroi, — emai ieu
Ai ausi Torre Iron di boumbo
Di Toulounen clafi la coumbo ;
D'ArcoIo ai vist lou poni que toumba,
E li sablas d'Egito embuga de sang vieu !
Mai, de retour d'aqu61i guerro,
A fouire, abourjouna la terro
Nous sian mes coume d'onie, h se desmesoula,
De ped e d'ounglo ! La journado
Ero avails Taubo eiitamenado,
E la luno di vesprenado
Nous a vist mai d'un cop sus la trenco gibla I
Dison : La terro es abelano!
Mai, coume un aubre d'avelano^
En quau noun la tabasso a grand cop, dono ren ;
E se couratavon, destre a destre,
\A moutihoun d'aqu^u ben6stre
Que moun travai me n'a fa m^stre,
Goumtarien li degout de moun front susarent !
MIREILLE, CHANT VU. 503
« Et nous couchions sous le givre, — et no man-
gions que du pain de chien; — et, jaloux de moii-
rir, nous courions au carnage — pour defendre
le nom de France!... — Mais, decela nul n'a sou-
venir ! » — En achevant sa remontrance, — par la
ferine il jeta son rnanteau de cadis.
— « Qu'allez-vouscliercher vers Monl-de-Yergue *^
— le Sainl-Pilon **? le vieux grondeur — ainsi rem-
barre Maitre Ambroise, — et moi aussi j'ai entendu
Hiorrible tonnerre dcs bombes, — emplir la vallee
des Toulonnais; — d'Arcole j'ai vu le pont qui
tombe, — et les sables d'Egypte combuges de sang
vivant !
(( Mais, au retour de ces guerres, — k fouir, k bou-
leverser le sol — nous nous mimes comme des hom-
mes, (au point) de nous s6cher la moelle, — depied
et d'ongles! La journee — s'entamait avant I'aube, —
et la lune des soir6es — nous a vus plus d'une fois
ployes sur la houe.
« On dit : Laterre est gSnereuse ! — mais, telle
qu'un arbre d'avelines, — k qui ne la frappe a grands
coups, elle ne donne rien ; — etsi Ton comptait, pas
k pas **, — les mottes de lerre de cette aisance, —
que mon travail m*a conquise, — on compterait les
gouttes de sueur qui out ruissele de mon fiont!
304 1IIRt:iO. CAI9T VII.
Santo Alio d*At ! pi^i fau r^n dire!
Aurai adounc, coume un satire,
Rtislica de countunio, e manja mi grapie.
Per qi\k Toustau lou vieure abounde,
P^r que de longo se i*apounde,
P6r me metre a Tounour d6u mounde,
Piei dounarai ma fiho a-n-un gus de pai6 !
Anas-vous-en au Iron de Di^une !
Gardo toun chin, garde moun cienno.
Tau fugue d6u pelot lou parla rabastous.
E I'autre viei, s^aussant detaulo,
Prengu6 sa jai^o emie sa gaulo,
E n'apound^ que dos paraulo :
Adessias ! Quauque jour, noun fugues regrelous I
E lou grand DiMi eme sis ange
Menefa barco e lis arangel...
E coume s'enanavo em6 lou jour fall,
Souto lou vent-lerrau que bramo,
Baneje d6u mouloun de ramo
lino longo lengo de fiamo.
Au tour, li meissouni^, de joio trefouli,
Em6 si t6slo fiero e libro
Se revessant dins T^r que vibro,
TiHili, d*un meme saul picant la terro ensSn,
Fasten deja la farandoulo.
La grand flamado, que gingoulo
Au revoulun que la ventoulo,
Empuravo k si front de rebat trelus^nt.
MIREILLE. CHANT VII. 505
« Sainle Anne d'Apt! el il faut se taire! — J'aurai
done, commeun satyre", — ahane sans reUche
aux travaux des champs, et mange mcs criblures, —
pour qu*^ la maison enlre I'abondance, — pourTaug-
menter sans cesse, — pour me mettre h Thonneur
du monde ; — puis, je donnerai ma fille k \\n gueux
(couchant) aux meules !
« Allez au tonnerre de Dieu ! — Garde ton chien,
je garde mon cygne. » — Tel fut du mailre le rude
parler. — L autre vieillard, se levant de table, — prit
son manteau et son bliton, — et n'ajouta que deux
paroles : — c Adieu ! quelque jour, n'ayez point de
regrets!
« Et (que) le grand Dieu avec ses anges — m6ne la
barque et les oranges ! » — Et corame il s'en allait
avec le jour tombant, — sous le mistral qui mugit,
— (pareille a une) corne, s'61eva du monceau de ra-
m6e — une longue langue de flarame. — Alentour,
les moissonneurs, fous de joie,
Avec leurs t^tes fibres et libres — se renversant
dansl'air vibrant, — tons, dun m6me saut frappant
la terre enisemble, — faisaient deji la farandole. —
La grande flamme, qui glapit — sous la bourrasque
qui I'agile, — atlisait sur leurs froftts des reflets
^clatanls.
26.
3(M> MIRfelO, CANT YII.
Li beliigo, h remoulinado,
Mounton i nivo, afurounado.
An crucimen di trounc toumbant dins Ion brasas,
Se mesclo e ris la musiqneto
D6u flaiutet, revertigueto
Coume un sausin dins 1i branqueto...
Sant Jan, la terro aprens trefonlis, quand passas!
La regalido petejavo ;
Lou tambourin vounvounejavo.
Gren e countinuous, coume lou jafaret
De la mar founso, quand afloco
Pasiblamen contro li roco.
Li lamo foro di bedoco
E brandussado en I'er, li dansaire mourel,
Tres fes, k grdndis abrivado,
Fan dins H fiamo la Bravado ;
E font, en trepassant lou rouge cremadou,
D*un r^st d'aiet trasien li veno
Au recali^u ; e, li man pleno
De trescalan e de verbeno,
Que fasien benesi dins lou fio purgadon :
Sant Jan! Sant Jan! Sant Jan! cridavon.
T6uti li colo esbrihaudavon,
Coume s'avie pl6ugu d'estello dins Toumbrun '
Enterin la rounflado folo
Empourtavo Tencens di colo
Em6 di fio la rougeirolo
Vers lou Sant, emplana dins lou blu calabrun.
MIREILLE, CHANT VII. U)l
Les elincolles, h lourbillons, — montent aux nues,
furibondes. — Au craquement des troncs toiul)ant
dans le brasier, — se nri^le ei rit la petite musique
— du galoubet, vive et folAtre — comme un friqiiel
dans les rameaux... — Saint Jean, la terre enceinte
tressaille, quand vous passez !
Le feu joyeux petillait ; — le tambourin bour-
donnait, — grave et conlimi, comine le inurmure
— de la mer profonde, quand elle bat — paisiblo-
ment centre les rochos. — Les lames hors des fonr-
reaux — et brandies dans les airs,^ les danseurs
bruns,
Troisfois, avec de grands 61ans, — font dans les
flammes la Bravade **. — Et tout en franchissant
le rouge foyer, — d'une tresse d*aulx ils jelaient les
gousses — dans la braise; et, les mains pleines — de
mille-pertuis et de verveine, — qu'ils faisaient benir
dans le feu pnrificateur :
« Saint Jean ! Saint Joan i Saint Jean ! » s'ecriaient-
ils. — Tontes les collines etincelaient, — comme s*il
avait pin des etoiles dans i'ombre ! — Cependant
la rafale folle — emportait I'encens des collines —
et la rouge liieur des fenx — vers le Saint, planant
dans le bleu crepuscule.
NOTES
DU CHANT SEPTIEME.
* Tortillade [tourtihado)^ gateau en forme de coiironne, fait de
fine pate, de sucre, d'oeufs el d'anis.
* Pninelle {agreno)^ fruit du prunellier.
* Cest lit I ctuf de la Poule blanclie : expression proverbiale,
pour dire une chose rare, precieuse, a laquelle on tient beaucoup
Les sorciers allaient avec une poule blaucbc aux carrefoui^, au
clair de lune, et ^voquaienl le diable par ce cri trois fois r^p^t^ :
NOTES DU CHANT VIT. 309
Pir la vertu de ma pirnlo bianco !Jn\4ns\j en parlant d'unhommo
heureux, dit : Gallinx fUim albas.
* Lucre (lucre) j tarin de Provence [fringilla spinus, Lin.), oi-
seau d'un beau jaune et dont le chant agr^able a passe en prc-
verbe.
* Doigtiers [dedau], doigliers de roseau que les moissonneurs
adapt ent aux doigts de leur main gauche, afin de ne pas se bles-
ser avec la faucille.
® H^mine (dmino), boisseau. — nominee (eiminado), mesuro
de superficie, 8 ares 75, variable selon les pays,
' Gachat [cachat], fromage petri qui acquiert par la fermenla-
liou un goAt excessivement piquant. Ce mets figure journellement
sur la table des valets de ferme, ou rd/l.
s Les jours n^fastes de la Vache, vulgaireraent // Vaqtieiri^u.
Ce sont les trois demiers jours de mars et les quatre premiers
d'avril, p^riode redout^e des pay sans. On a vu, dans la note 7 dii
Chant VI, ce que les ProvenQaux entendent par la Vieille. Voici
la suite .de ce fabliau :
Quand la Vieille eut perdu son troupeau de brehis, elle achela
des vaches; et, arriv^e sans encombre a la fin du mois de mars,
clle dit imprudemment . i
En eseapant de Mars e de Mars^ii,
Ai escapa ini vaco e nu vedeu.
Mai's, bless^ du propos, va sur-le-champ trouver Avril
Abri^u, n*ai plus que tres jour : presto-me-n'en quatro,
Li vaco de la Vidio faren batre !
Avril consenlit au pr^t...; une tardive et terrible gel^ebrouit
tonle vegetation, et la pauvre Vieille perdit encore son troupeau.
• Noel est la prmcipale f6te des Provengaux. En voici une des-
cription qui primitivcment faisait parlie du po^me, ct que laii-
teur a supprim^e pour eviter les longueurs :
'»I0 NOTES DU CHANT Vlf.
Ah ! Galendo, GalSndo, ounte di ta doiigo pas?
Ounte soun li caro risento
Dis enfantoun e di jouvento ?
Ounte ei la man rufo e mouv^nto
Dou viei que fai la crous dessus lou sant repas!
A lor lou rafi que labouro
Quito la rego de bono ouro,
E tanto e pastrihoun patusf^Ion, deligent;
D6u dur travel lou cors escapi.
Van a soun oustaloun de tapi
Eine si gent manja "n gre d'api
E pausa gaiamen cachafio 'me si gent.
D6u four, BUS lo taulo de pibo,
Deja lou calendau arribo,
Flouca de verbouisset, festouna de fagoun ;
Deja s'atubon tres candelo,
Novo, sacrado, clariuello,
E dins Ires blanquis escudello,
Greio lou blad iiouveu, preniicio di meissoun.
Un grand pirastre negrejavo
E d6u vieiounge tranlraiavo,..
LVinat de Touslau ven, lou cepo per lou ped,
A grand cop de destrau Fespalo,
E, lou cargant dessus Tespalo,
Contro la taulo calendalo
\e\\ i ped de soun grand lou pausa 'me respet.
Lou segne-grand, de gen de modo,
Vou renouncia si vieii raodo :
A Iroussa lou davans de soun ample capeu,
E vai, couchous, querre la fiolo;
A mes sa longo camisolo
De cadis blanc, e sa taiolo,
E si braio nouvialo, e si gueto de peu.
NOTES DU CHANT Vll. 311
Ah I Noel, Noel, ou est ta douce paix? — Ou sonl les vi-
sages Hants — des petits eniknts et des jeunes lilies? — Oii
est la main calleuse et agitee — du vieillard qui fait la croix
surle saint repas?
Mors le valet qui laboure — quitte Je silloii de bonne
heure, — et servantes et bergers decampent, diligents. — Le
corps echappe au dur travail, — ils vont, a leur maisonnette
de pise, — avec leurs parents manger un coeur de celeri —
et poser gaiemenl la budie (au feu) avec leurs parents.
Du four, sur la table de peuplier, — deja le (pain) de i\oel
arrive, — orne de petit-houx, festonne d'enjolivures. — Deja
s'allument trois chandelles, — neuves, claires, sacrees, — et
dans trois blanches ^cuelles — germe le ble nouveau, pre-
mices des moissons.
Un noir et grand poirier sauvage — chancelait de vieil-
lesse... — L'aine de la maison vient, le coupe par le pied. —
a grands coups de cognee Febranche, — et le chargeant sur
Tepaule, — pr^s de la table de Noel, — il vient, aux pieds de
son aieul, le deposer respectueusement.
Le venerable aieul, d'aucune maniere, — ne veut renoncer
a ses vieilles modes. — II a retrousse le devjint de son ample
chapeau, — et va, en se hAlant, chercher la bouteille. — II a
mis sa longue camisole - de cadis blanc, et sa ceinture, — -
et sesbrayes nuptiales, et ses gu^tres de peau»
312 NOTES DU CHANT VII.
Mai pamens touto la famiho
A soun entour s'escarrabiho...
— Beii? Cachafio bouUn, pichot? — Si! vitamen
Tduti ie respondon. — AUgre!
Grido lou viei, aligre, alegre!
Que Noste Segne nous aUgre I
S\ui autre an sian pas maU moun Didu, fuguen pas men '
E 'mplissent lou got de clarelo,
Davans la bando risoulelo,
Eu n'escampo tres cop dessus Taubre fruchau ;
Lou pu jouinet lou pren d'un caire,
Lou viei de Taulre, e sorre e fraire
Enlre-mitan, ie fan piei faire
Tres cop lou tour di lume e lou tour de Touslau.
E dins sa joio lou bon reire
Aubouro en Ter lou got de veire :
0 fio, dis, fio sacra, fai qu'aguen de biu tem !
E que ma fedo bin agnelle,
E que ma trueio ben poucelle,
E que ma vaco bin vedelle.
Que mi chaio e minoro enfanlon tduti ben'
Cachafio, bouto fio ! Tout-d'uno,
Prenent lou Irounc dins si man bruno,
Dins lou vaste fougau lou jiton tout entie.
Veirias alor fougasso a Toli,
E cacalauso dins I'aioli
Turta, dins aqueu beu regdli,
Vin cue, nougat d'amelo e frucho dou plantie.
D'uno vertu devinarello
Veirias lusi li tres candelo ;
Veirias d'Esperitoun giscla d6u fio rainu ;
D6u mou veirias penja la branco
Vers aqueu que sara de manco ;
Veirias la napo resta bianco i
Souto un carboun ardent, e li cat resta rnul !
NOTES DU CHANT VII. 313
Cependant toute la famille — autour de luijoyeusement
s'agile... — « Eh bien! posons-nous labikche, enfanls? —
« Oui ! » promplement— touslui repondent. « Allegresse! — le
vieillard s'ecrie, alUgresse, allSgresse! — que Nolre-Seigtmir
nous emplisse d'allegresse! — etsu une autre annde, nous
ne sommes pas plus, mon Dieuy ne soyons pas moins !
Et reraplissant le verre de clarette, — devant la troupe
souriante — il en verse trois fois sur Tarbre fruitier ; — 'le
plus jeune prend (I'arbre) d'un c6te, — le vieillard de I'aulre,
et soeurs et freres — entre ies deux, ilslui font faire ensuile
— trois fois le tour des lumieres et le tour de la maison.
Et dans sa joie, le bon aieul — el^ve en Tair le gobelet de
verre : — « 0 feu, dit-il, feu sacri^ fais que nous ayons du beau
temps ! — et que ma hrehis metle has keureusement, — que
ma truie soit (dconde, — que ma vache vile bien, — que mes
firlles et mesbrus enf anient toutes bien!
Bdche b^nie, allume le feu ! » Aussilot — prenant le tronc
dans leurs mains brunes, — ils le jettent enlier dans Tatre
vasle. — Vous verriez alors gateaux a Thuile, — et escargols
dans Vaioli, — heurter, dans ce beau festin, — vin cuit, nou-
gat d'amandes et fruits de la vigne.
D'une vertu fatidique — vous verriez luire Ies trois chan-
delles ; — vous verriez des Esprits jaillir du feu touffu ; — du
lumignon vous verriez pencher la branche — vers celui qui
nianquera (au banquet) ; —vous verriez la nappe rester blan-
che — sous un charbon ardent, et Ies chats rester muets!
27
514 NOTES DU CHANT \II.
*<> Suffit itour te s^duire. — S'encoucourda sigiiifie au pi-oprc,
adieter une courge pour un meUm; au figure se tromper, se uial
inarier .
** Monl-de-Vergue (Mount-de-Vergue), colline au levant d'Avi-
gllOll.
** Le Saiut-Piloii (lou Sani-Pieloun, le Saint-Puy), nom du vo-
clier k pic dans lequcl est creus^ la grotte ou se retira sainte
Magdeleiiie. (Yoycz le Chant XI.)
*' Pas a pas [distre a distre). Le D^re est une mesui*e agraire,
la ccntienie parlie de VeiininadOy environ neuf cenliafes.
'^ Connne un satyre [coume un Satire). Pour dire travailkr
comme un nigre, ou dit en Provence travailler comme un Satyre.
Iaos ancieiis ont pu prendre les ncgres sauvages pour des divini-
teb des Ijois qu'ils nommerent salyres, et dans Tespiit du peuplc,
ces deux mots ont pu devenir synonymes.
'^ Bravade [Bravado], decbarges de luousqueterie qu'on faisait
autrefois au moment d'alluniei' ie feu de la Saint-Jean, et, par
extension, ceremonies \ reliminaires et saut de cc feu.
C\M VCrXHEN
L\ CRAI
DeMsperanco d^ Viivio. — Atrencadoro d'Arlatenco. — La chalo, au
mitan Ae la niup, futfis roustaa pairau. — Vai aa toambeu di
^^nti-Nario, que soiin li patroono de ProoT^noo, U suplica de
lonra si parent. — Lis Ensi'mi'. — Tout en conrrent a trarfe de
Crao, rescontro li pastrc de soiin paire. — La Cran. U guerro di
r.i^anl. — Li rassado, li prt'';;o-nieu d'estoublo, li parpaioun,
avertisson Mir^io. — Nireio, badanto de la sei, e n*«i poudent
plus de la cand , pr^^o sant G^t, que ven i soun secours. —
Bescontre d'Andreloun, lou cacalausi^. — Eloge d'Arle. — Recit
d'Andreloun : istori doo Trau de la Capo, li canco, li caucaiiie
aprouroundi. — ^ireio coiicho au tihan^n de la ramilio d*Antlre<
loun.
Quau tendra la forto leiouno,
Quand, de retour i soun androuno,
Vei phis soun leioun^u? Ourlanto sus-lou-cop,
Lougiero e primo de ventresco,
Sus li mountagno barbaresco
Pafusclo.... Un cassaire mouresco
Entre lis argelas i'emporto au grand galop.
Quau vous lendra, fiho amourouso ?. . .
Dins sa chambreto souloumbrouso
Mounte la niue que briho esperlongo soun rai,
Mir^io es dins soun lie couchado
Que plouro toulo la niuechado,
Em6 souii front dins sa junchado :
— Noslro-Damo-d'Amour, digas-me que farai !
CHANT HUITIEME
h\ CRAIJ
D^sespoir de Mireille. — Toilette d'Arl^sienne. — la jeune fllle, au
milieu de la nuit, fuit la maison patciTielle. — Elle va au toin-
beau des Saintes-Maries supplier ces patronues de la Provence de
fl^chir ses parents. — Les constellations. — Dans sa course & tra-
vers la Crau, elle rencontre les bergers de son p^re. — La Crau»
la guerre des Geants. — Les l&sards, .les mantes religieuses, les
papillons avertissent Mireille. — Mireille haletante de soif, acca-
bleeparla chaleur du jour, implore saint Gent, qui la secourt. —
Rencontre d'Andreloun, le ramasseur de lima^ons. — Eloge
d 'Aries. — B6cit d'Andreloun : legendc du Trou de la Cape, le
fonlage das gerbes , les fouleurs engloutis. — Mireille passe la
niiil sous la tente de la famille d'Andreloun.
Qui tiendra la forte lionne, — quand, de retour a
son antre, — elle ne voit plus son lionceau? Hur-
lanle soudain, — legere et efflanqu6e, — sur les mon-
tagnes barbaresques — elle court... Uii chasseur
maure — dans les genets epineux le lui einporte au
grand galop.
Qui vous tiendra, fiUes amoureuses?... — Danssa
chambrette sombre, — ou la nuit qui brille prolonge
son rayon, — Mireille est dans son lit couch^e —
qui pleure toute la nuitec, — avee son front dans ses
mains jointes : — « Notre-Danie d*Amour, dites-inoi
ce que je dois faire !
27.
.^18 MIREIO, CANT VIII.
0 inarrit soil que m'estransines !
0 paire diir que me chaupines,
Sp vp8i6s de moun cor Testras e loii counibour,
Auries piela de ta piclioto !
I^u qu'apelaves ta mignoto,
Me courbes vuei souto la joto,
Coume sere un fedoun atrinable au labour !
All ! perque noun la mar s*enverso,
E dins la Grau lar^o sis erso !
Gitio, veirieu prefoundre aqu^u b6n au souleu,
Soulo encauso de mi lagremo !
0 perqu6, d uno pauro femo,
Perque nasquere pas ieu-raerao,
Dins quauque trau de serp !... Alor, alor, beleu,
S'un paure drole m'agradavo,
Se Vincenet me demandavo,
I/'U-leu sarieu chabido !... 0 moun b^u Vincenet,
Mai qu'em6 tu pousqu^sse vieure,
E I'embrassa coume fai I'eurre,
Dins li roudan anari^u b^ure !
Lou nianja de ma fam sari^ ti poutounet !
E coume, ansin, dins sa bressolo,
La bello enfant se descounsolo,
Lou sen brulant de febre e d'amour femissent ;
De si proumi^ris amoureto
1 Coume repasso lis oureto
E li passado lant clareto,
le reven loul-d'un-cop un counseu de Vinc6n ;
MIREILLE, CHANT VIII 519
« 0 sort cruel, qui me seches d'ennuis ! — 0 pero
dur qui me foules aux pieds ,— si tu voyais de mon
coeur le dechirement et le trouble, — tu aurais piti^
de ton enfant ! — Moi que tu nommais ta mignonne,
— tu me courbes aujourd'hui sous le joug, —
comme si j'etais un poulain qu*on peut dresser an la-
bour !
(( Ah I que la mer ne d6borde-t-elle, — et dans la
Crau que ne lAche-t-elle ses vagues ^ — Joyeuse, je
verrais s*engloutir ce bien au soleil, — seule cause
de mes lannes! — Ou pourquoi, d'une pauvre
femme, — pourquoi ne suis-je pas nee moi-meme,
— dans quelque trou de serpent!... Alors, alors,
peut-Mre,
« Si un pauvre gar^on me plaisait,--si Vincent de-
mandait (ma main), — vite, vite on me marierait!...
0 mon beau Vincent, — pourvu qu'avec toi je pusse
vivre, - et t'embrasser comme fait le lierre, — dans les
ornieresj'irais boire ! — Le manger de ma faim seraif
tes (doux) baisers! »
Et pendant qu'ainsi, dans sa couchette, — labellt;
enfant se d^solo, -le sein brAlant de fi^vre et fremis-
sant d'amour, — des premiers (temps) de ses amours
— pendant qu*elle repasse les (charmanles) heures
— et les moments si clairs, — lui revient lout d'un
coup un conseil de Vincent ; -
5S0 VIRfilO, CANTVni.
— 0, crido, un cop qu au mas vengu^res
Es b^n lu que me lou digu^res :
Sun chin foui, un lesert, un loup o 'n serpatas,
0 touto autro best! courrento
Vous fai senti sa d^nt pougn^nto ;
Se lou malur vous despoui^nlo^
Counts, courresi Santo, aur6s I6u do soulas !
Vuei lou malur me despoul^nto,
Pflrten I N'en revendren countento
Ac6 di, sauto l^u de soun blanc lincoulet ;
Em6 la clau lus^nto, duerbe
Lou gardo-raubo que recuerbe
Soun prouvimen, moble superbo,
De n6uguie, tout flouri souto lou ciselet.
Si Iresouroun de cbatouneto
Eron aqui : sa courouneto
De la proumiero fes que fague soun bon jour;
Un brout de lavando passido;
Uno candeleto, gausido
Quasimen loulo, e benesido
P^r esvarta li Iron dins la soumo liuenchour,
Elo, em6 *no courdello bianco,
D'abord se nouso, au tour dis anco,
Un rouge coutihoun, qu'elo-memo a pica
D'uno fino carreladuro,
Mereviheto de courduro ;
E sus aqu^u, k sa centuro,
Un anlreben plus b^u os leu mai alrenca.
MIREILLE, CHANT VIII. 321
— « Oui, s'ecrie-l-elle, un jour que tu vins au maSy
— c'est bien toi qui me le dis : — « Si (jamais) un
chien enrag6, un 16zarci, un loup ou un serpent
enorme, — ou toute autre b^te errante, — vous fait
sentir sa dent aigue ; — si le malheur vous accable,
— courez, courez aux Saintes *, \ous aurez tot du sou-
laffement! »
rij^c
(( Aujourd'hui le malheur m'accable, — partons !
nous en reviendrons contente. » — Cela dit, elle saute,
legere, de son (petit) drap Wane ; — elle ouvre avec
la clef luisante, — la garde-robe qui recouvre — son
trousseau, meuble superbe, — de noyer, tout fleuri
sous le ciselet.
Ses petits tresors de jeune fille — etaient la : sa
couronne — de la premiere fois qu'elle fit son bon jour ;
— un brin de lavande fletrie ; — un (petit) cierge, use
— presque en entier, et b6nit — pour dissiper les
foudres dans le sombre eloi^nement.
Elle, avec un lacet blanc, — d'abord se noue au-
lourdes hanches — un rouge cotillon, qu'elle-m^me a
piqii6 — d'une fine (broderie) carrelee, — petit chef-
d'oeuvre de couture; — sur celui-l&, dun autre bien
plus beau lestement elle s'attife encore.
3K MTRtlO, CANT YIH.
Pi^i, dins uno ^o negro, esquicho
L6ug6iramen sa taio richo,
Qu*uno cspingolo d or suQs k ressarra;
Pfer treneto longo e brunello
Soun p^u pendoulo, e renmantello
Si dos espalo blanquinello.
Mai elo, n*arrapaiit li tracheu separa,
L^u lis acampo e li restroupo,
A plen de man lis agouloupo
D*uno dentello fino e clarelo ; e *no fes
Li b^li floto ansin restrencho,
Tres cop poulidamen li cencho
Em' un riban abluio tencho,
Diad^mo arlaten de soun front jouine e fres.
Met soun faudau; sus la peitrino,
De soun fichu de mousselino
Se croso a pichot pie lou vierginen teissut ;
Mai soun cap^u de ProuvenQalo,
Soun capeloun k grandis alo
P^r apara li caud mourtalo,
Oublide, p^r malur, de s'en curbi lou su...
Acd feni, Tard^nto chato
Pren k la man si dos sabato ;
Dis escali6 de bos, s^ns mena de vara!,
Davalo d'escoundoun ; desplanto
D6u pourtau latanco pesanto ;
Se rccoumando i boni Santo,
Epart, coume lou v6nt, dins la niue porlo-esfrai.
MIREILLE, CHANT VIIL 323
Puis, dans une casaque noire, elle presse - 16g6re-
ment sa taille riche, — qu'une epingle d'or suffit a
resserrer ; — par tresses iongues et brunes — ses
cheveux pendent, et rev^tent comme d'un manteau —
ses deux epaules blanches. — Mais elle en saisit les
boucles ^parses.
Vite les rasseinble et les retrousse, — ipleine main
les enveloppe — d'une dentelle fine et transparente ;
et une Ibis — les belles touffes ainsi 6treintes, — trois
fois gracieusement elle les ceint — (fun ruban a teinte
bleue, — diad^me arl^sien de son front jeune et
frais.
Elle met son tablier ; sur le sein, — de son fichu de
mousseline — elle se croise a petits plis le virginal
tissu. — Mais son chapeau deProvengale, — son petit
chapeau k grandes ailes — pour defendre des mor-
telles chaleurs, — elle oublia, par malheur, de s*en
couvrirlatete...
Cela fiiii, I'ardente fille — prend k la main sa
chaussure ; — par Tescalier de bois, sans faire de
bruit, — descend en cachette ; enluve — la barre pe-
sanle de la porte ; — se recommande aux bonnes
Saintes, — et part, comme le vent, dans la nuit qui
effraye.
524 MIRClIO, CANT Ylll.
(Iro I'ouro que lis Ensigne
I barquejaire fan beu signe.
lie TAiglo de Sant Jan, que se ven d'ajouca,
I ped de soun Evangelisto,
Sus li tres astre mounte elo isto,
Se vesi^ trantraia la visto ;
Lou t^ms ^ro seren, e sol, e 'sperluca.
E di{is li planuro esielado
Precepitant si rodo alado,
Lou grand G^ri dis Amo, alin, d6u Paradis
Preiiiij la mountado courouso,
Em^ sa cargo benurouso;
E li mountagno tenebrouso
Regardavon passa lou G^rri vouladis.
Mir^io anavo davans elo,
Goume antan Magalouno, aquelo
Quo corque tant de terns, en plourant, dins li bos,
Soun ami P6ire de Prouven^o,
Qu'eu empourta p6r la vi6ul6nQ0
Dis oundo, ero restado senso.
I counflgno pamens d6u terraire entrefos,
E dins lou pargue recampaire,
I*avie li pastre de soun paire
Qu'anavon deja mouse ; e d'uni, 'me la man,
Tenant li fedo per lou mourre,
Inraoubile davans li fburre,
Fasien tela lis agn^u bourre.
E de-longo entendias quauco fedo bramant
MIREILLE, CHANT VIII. 325
C'elait rheure ou les constellations — aux nauto-
niers font beau signe. — De TAigle de Saint Jean*,
qui vient de se jucher, — aux pied s de son Evango-
liste, — surles trois astres ou il reside, — on voyait
clignoter le regard. — Le temps etait serein, et cal-
ine, et resplendissant d'6toiles.
Et dans les plaines etoilees — precipitant ses I'oues
ailees, — le grand Char des Ames, dans les profon-
deurs (celestes), du Paradis — prenait la montee
brillante, — avec sa charge bienheureuse ; — et les
montagnes sombres — regardaient passer le Char
volant.
Mireille allait devant elle, — coinnie jadis Mague-
lonne', celle — qui chercha si longlemps, eploree,
dans les bois, — son ami Pierre de Provence, —qui,
emporte par la furour — des flots, I'avait laissee
abandonnee. — Cependant aux limites du terroir
cultive,
Et dans le pare (ou) se rassemblent (les brebis),
— les p^tres d(; son pere — allaient traire deja ; et
les uns, avec la main, — tenant les brebis par le mu-
seau, - immobiles devant les abris-vent, — faisaient
teter les agneauxbruns. — Et sans cesse on enten-
dait quelque brebis b^lant...
28
3i6 MIRfilO, CANT YIII.
D'autre couchavon li maniero
Vers lou in6us^ire ; a la sourniero,
Asseta su *no p^iro, e mut coume la niue,
Di pousso gounflo aquest tiravo
Lou bon la caud : lou la 'spiravo
A long raidu, e s'aubouravo,
Dins li bord escumous d6u cibre, k visto d*iue.
Li chin eron coucha, tranquile ;
Li beu chinas, Wane coume d*ile,
Jasien de-long d6u cast, 'me lou raourre alounga
Dins li ferigoulo ; calaumo
Tout a I'enlour, e som, echaumo
Dins lou campas que s6nt qu'embaumo...
Lou tems ero seren, e sol, e 'sperluca.
E coume un lamp, k ras di cledo
Mireio passo. Pastre e fedo,
Gounic quand lis amourro un subit fouletoun,
S'amoulouneron. Mai la fiho :
Erne ieu, i Santi-Mario
Res vou veni, de la pastriho?
E davans, ie fuse coume un esperitoun.
Li chin dou mas la couneigueroit,
E d6u repaus noun boulegueroii.
Mai elo, dis avaus frustant li cabassoUj
Es deja liuencho ; e sus li malo
Di panicaut, di canfouratOj
Aqu6u perdigalet de chato
LandO; lando ! Si pedtoucavon pas lou sou.ii
MIREILLE, CHANT YIII. 327
D'autres chassaient les meres (qui n'ont plus d'a-
gneau) — vers le trayeur : dans Tobscurit^, — assis
sur une pierre, et muet comme la nuit, — des ma-
melles gonflees celui-ci exprimait — le bon lait
chaud; le lait, Jaillissant — i longs traits, s'elevait
— dans lesbords 6cumeux de la seille, ^vue d'oeil.
Les chiens 6taient couch6s, tranquilles; — les
beaux et grands chiens, blancs comme des lis, —
gisaient le long de Tenclos, le museau allong6 —
dans les thyms. Calme — tout alentour , et som-
ineil, et repos — dans la lande embaum^e ; — le
temps etait serein, et calme, et resplendissant d*6-
toiles.
Et comme un 6clair, k ras des claies — Mireille
passe : patres et brebis, — comme lorsque leur
' courbela tete un soudain tourbillon, — s*agglom6r6-
rent. — Mais la jeune fiUe : — « Avec moi, aux
Saintes-Maries — nul ne veut venir, d'entre les ber-
gers? » Et devant (eux), elle fila comme un esprit.
Les chiens du mas la reconnurent, — et du repos
ne boug6rent. — Mais elle, d«s ch^nes-nains frdlant
les t^tes, — est d6jA loin; et sur les touffes — des
panicauts, des camphr6es, — ce perdreau de fille —
vole, vole ! Ses pieds ne touchaient pas le sol !
328 MIREIO, CANT VIII.
Souventi-fes a soun passage,
Li courreli que dins I'erbage,
An pod di reganfeu, dourraien agrouniouli,
De sa dourmido treboulado
Subran partieu k grand voulado ;
E dins la Crau sourno e pelado
Cridavon : Courreli! courreli! coun^eli!
Enie si peu lus^nt d'eigagno,
L'Aubo, enlremen, dela inountagno
Se vesie pau-S-pau davala dins lou plan ;
E di calandro capeludo
Lou y6u cantaire la saludo ;
E de TAupiho baumeludo
Seniblavo qu'au soul^u se mouvien li calan.
Acampeslrido e secaroiiso,
L'innienso Crau, la Crau peirouso
An matin pau-^-pau se vesie destapa;
La Crau antico, ounte, di reire
Se li raconte soun de cr6ire,
Souto un deluge counfoundeire
Li Giganl auturous fugu^ron aclapa.
Litestoulas! em' uno escalo,
Em* un esfors de sis espalo
Cresien de cabussa rOunnipoutent ! Deja
De Santo-Vit6ri lou serre
£ro estrassa per lou pau-ferre;
Deja I'Aupiho venien querre,
Per n'apoundre au Ventour li grand bans eigreja.
MIREILLE, CHANT VIII. S29
Souventes tois, k son passage, — les courlis qui,
dans les herbes, — au pied des ch6neteaux, dor-
maient blottis, — troubles dans leur soinmeil, —
soudain partaient k graude vol^e, — et dans la Crau
sombre et nue — criaient : Conrreli ! courreli Icour-
Les cheveux luisants de ros^e, — I'Aurore, ce-
pendant, de la montagne — se voyait peu a peu d6-
valer dans la plaine: — et des alouettes huppees — la
vol^e chanteuse la salue ; — et de I'Alpine caver-
neuse * — il semblait qu'au soleil se mouvaient les
sommets.
On voyait le matin d^couvrir peu k peu — la Crau
inculte et aride, — la Crau immense et pierreuse, —
la Crau antique, ou, desanc^tres — si les r6cits sont
dignes de foi, — sous un deluge accablant — les
Grants orgueilleux fureiit ensevelis.
Les stupides ! avec une echelle, — avec un effort
de leurs 6paules — ils croyaient renverser le Toul-
Puissaiitl D6jlL— deSainte-\ictoire* le mome— 6tait
d6chir6 par le levier ; — d6ja ils venaient querir
I'Alpine, — pour en ajouter au Venlour les grands
escarpements 6branl6s.
330 MIREIO, CANT VIII.
Di^u duerb la man ; e louMaistre,
Ein6 lou Tron, em^ riuristre,
De sa man, coume d*aiglo, an parti i6uti ires;
De la mar founso, e de si vabre,
E de si toumple, van, alabre,
Espeirega lou lie de mabre ,
E *m' acd s'enaurant, coume un lourd sagar^s,
L*Anguieloun, lou Tron e TAuristre,
D*uu vaste curbeceu de sisire
Amassolon aqui lis omena«... La Grau,
I douge v^nt la Crau duberto.
La mudo Crau, la Crau deserto,
Acounsenra Torrocuberto...
Hir^io, s^mpre mai, d6u terradou pairau
Prenid Taldngui. Li raiado
£ lou dardai di souleiado
Empuravon dins T^r un lus^nt tremoulun ;
E di cigalo garrigaudo,
Que grasihavo Terbo caudo,
Li cimbaleto fouligaudo
Repetavon s^ns fin soun long cascarelun.
Ni d'aubre, ni d'oumbro, ni d*amo !
Car, del'estieu fug^nt la flamo,
Li noumbrous abei6 que rasclon, dins Tivfer,
L'erbeto courto, mai goustouso,
De la grand piano s6uvertouso,
Is Aupo fresco e sanitouso
£ron ana cerca de pasqui^ sempre verd»
MIREILLE, CHANT YIII. 331
Dieu ouvre la main; et le Mistral, — avec la Foudre
et rOuragan, — ^ de s^ main, comme des aigles, sont
partis tous trois; — de la mer profonde, et de «€s ra-
vins,— et de ses abimes, ils vont, avides, — 6pierrer
le lit de marbre ; — et ensuite s'61evant comme un
lourd brouillard,
L'Aquilon , la Foudre et VOuragan, — d'un vaste
couvercle de poudingue — assomment 1^ les colosses, . .
La Crau, — la Crau ouverte aux douze vents, — la
Crau muette, laCrau d^serte, — a conserve Thorrible
couverture... — De plus en plus, Mireille, du terroir
paternel
S*61oignait. Les rayonnances — et I'^jaculation
ardente du soleil — attisaient dans Fair un luisant
tremblement ; — et des cigales de la lande, — que
grillait I'herbe chaude, — les petites cymbales foUes
— r6p6taient sans fin leur long claquetteinent.
Ni arbre, ni ombre, ni ftme! — car, fuyant la
flamme de Fete, — les nombreux troupeaux qui ton-
dent en hiver — ^I'herbette courte, mais sa\oureuse, —
de la grande plaine sauvage, — aux Alpesfraiches et
salubres — ptaient all6s chercher des p^turages tou-
jours verts.
352 MlUfclO, CANT VIII.
Soulo li fio que Jun escampo,
Mir6io lanipo, e lampo, e lampo !
Eli rassado griso, au roves de si trau,
S'entredisien : Fau 6stre lolo
Perbarrula li clapeirolo,
Em* un souleu que siis 11 colo
Fai daiisa li mourven, e li code a la Crau !
Eli pr6go-Di6u, a roumbrino
Dis argelas : 0 pelerino,
Entorno, entorno-te! ie venien. Lou bon Dieu
A ines i font d*aigo clareto,
Au front dis aubre a mes d*ounnbrelo
Per apara ti couloureto,
E tu, rimes ta caro h Tuscle de Tesli^u!
En van per6u Tavertigu^ron
Li parpaioun que la vogueron.
Lis alo de I'Amour e lou vent de la Fe
L'emporton, coume I'auro emporto
lii blanc gabian que soun p^r orto
Dins li sansouiro d'Aigui-Morto.
Tristas, abandouna di pastre e de rav6,
" De liuen en liuen, per la campagno,
Partis un jas cubert de sagno...
Quand pamons se vegu^, badanto de la set,
Au bruladou touto souleto,
Ni regouloun ni regouleto,
Trefouligue 'no brigouleto...
E fague : Grand Sant G^nt, ermilo d6u Bausset!
MIREILLE, CHANT VIll. 333
Sous les feux que Juin verse, — comme V^clair
Mireille court, et court, et court! — Et les grands li-
zards gris, au rebord de leurs trous, — disaient entre
eux : « 11 faut 6tre folle — pour vaguer dans les
cailloux, — par un soleil qui sur les collines — fait
danser les morvens^, et les galets dans la Crau! »
Et les mantes-religieuses, k Tombrelte — des
ajoncs : « 0 pelerine, — retourne, retourne-loi! lui
disaient-elles. Le bon Dieu — a mis aux sources de
Feau claire, — au front des arbres a mis de Tombre
— pour prot^ger les couleurs de tes (joues), — eltoi,
tu brules ton visage au M\e de Tete! »
Vainement Tavejrtirent aussi — les papillons qui la
virent. — Les ailes de I'Amour et le vent de la Foi —
Temportent, comme la bise emporte — les blancs
goelands qui errent — dans les plages salees d' Aigues-
Mortes. — Profond6ment triste, abandonn6e des pA-
Ireset des brebis,
De loin en loin, par la campagne, — parait une
bergerie couverte dc tyjjJia. — Quand pourtant elle
se vit, b6ante de soif, — en ces lieux brules toute
seule, — sans ruisseau ni niisselet, — elle tressaillit le-
gerement... — et dit: « Grand Saint Gent, ermitedu
Bausset' !
534 MIRfilO, CANT YIII.
0 b^u e jouine labouraire,
Qu'atalerias k vosle araire
Lou loup de la mountagno ! o divin garrigaud,
Que durberias la roco duro
A dos pichdti couladuro
D'aigo e devin, refrescaduro
Per vosto maire, lasso e moureiito de caud;
Gar, counie ieu, quand tout soumibo,
Avias placa vosto faiTiiho,
E, soulet eme Dieu, i gorgo d6u Bausset
Vous trouv^ vosto maire. Ansindo,
Mandas-me *n fi6u d*aigueto Undo,
0 bon Sant G^nt ! Lou gres que dindo
Me cremo li peiado, e more de la set !
Lou bon Sant G^nt, derempir6io,
Entendegue prega Mireio :
E Mireio, autant leu, d'un releisset de pous,
Alin dins la champino raso,
A vist belugueja la graso.
E d6u dardai fend6 la braso,
Coume lou martelet que travesso un espouse.
£ro un vi^i pous tout garni d*eurre,
Que li troupeu i' anavon b6ure.
Mnnnurant douQamen quSuqui mot de cansoun,
r a 'n pichot drole que jougavo
Souto la pielo, ounte cercavo
Lou pau d'oumbreto qu'amagavo ;
Coniro, avie 'n panie plen de blanc cacalausoun.
MIREILLE, CHANT YIII. 355
« 0 bel et jeune laboureur, — qui atteMtes a voire
charrue — le loup de la montagne! 6 divin solitaire,
— qui ouvrites la roche dure — a deux petits filets
— d'eau et de vin, pour rafraichir — voire m^re,
lasse et mouraiile de chaud;
« Car, ainsi que moi, lorsque lout dort, — vous
aviez deserts voire famille, — et, seul el avec Dieu,
aux gorges du Bausset — vous trouva voire mere. De
meine, — envoyez-raoi un filet d'eau limpide, — 6
bon Saint Gent! Legalel sonore — brule rempreinle
de mes pieds, et je meurs de soif ! »
Le bon Saint Gent, de Tempyr^e — entendil prier
Mireille : — elMireiile aussit6t, d'une margelle de puits,
— au loin dans la rase campagne, — a vu etinceler la
dalle. — Et dcs dards du soleil elle fendit la braise,
— conune le martinet qui traverse une ondee.
C'elail un vieux puits tout rev^tu de lierre, — oil
les troupeaux allaient boire. — Murmurant douce-
ment quelques mots de chanson, — un petit gar^on
y jouait — sous Tauge, ou il cherchail — le peu
d'ombre qu'elle abrilait ; — pr6s de lui, il avail un
panier plein de blancs lima^ons*
330 MlUfelO, CAST Ylli.
E I'mifanloun, dins sa man bruno,
Lis agantavo, uno per uno,
Li pauri meissounenco ; e 'm' ac6 ie vonie :
Cacalaiis, aicalaiis mourgueto,
Sorte leu de ta cabaneto^
Sorte leu ti belli baneto^
0 senoun, te roumprai tonn pichot moufiastie.
La belloCraenco enftouiado,
E qu'au ferrat s'ero amourrado,
Auboure loul-d*un-cop soua poulil moiirranchouu :
— Mignot, que fas aqui? — Pauseto.
— Dins lou baucage e 11 lauseto,
Acampes de cacalauselo ? *
— L'avesben devina ! respoinide lou pichoun.
V^! quant n'ai dins ma canestello !
Ai de mourguelo, de platello,
De meissounenco . . . — E piei , li manjes? — leu? pas mai!
Ma maire, touti U divendre,
Li porlo a-n-Arle per li v^ndre,
Enousentorno bonpan l^ndre....
le sias agudo estado, en Arle, vous? — Jamai.
— Hoi ! sias jamai eslado en Arle?
Ie sieu esta, ieu que vous parle !
Ai ! pauro, se sabias la grando vilo qu*es,
Arle ! Talamen s'eslalouiro
Que, d6u grand Rose que revouiro,
N'en I6n li set escampadouiro ! . . .
Arle k de biou marin que paisson dins si tes ;
:,ilUEn.LE, CHANT VIII. 55?
Et le jeune enfant, dans sa itiain brune, — lespre-
nail, une a une, — les pauvres helices des moissons',
et leur cliantait: — « Escargoty escargot nonnaitiy —
sorspromptementde ta cellule, — sors promptement tcs
belles petites corneSy — oiisinonje romprai ton petit
monastere. b
La belle fille de Crau, coloree (par la marche), —
et qui dans le seau avait plong^ ses Ifevres, — releva
lout d'un coup son charmant minois: — « Mignoii,
que fais-tu lA! » — ((Petite pause. » — « Dans le
gazon et les galets, — tu ramasses des limagons ? »
— (( Vous avez devine juste ! repliqua le petit.
(( Voyez! combien j'en ai dans ma corbeille! —
J'ai des nonnains, des platelles, des moissonnien-
we*'... « — (J El puis, tu les manges? » — « Moi?
nenni ! — Ma mere, tous les vendredis, — les porte
a Aries pour les vendre, — et nous rapporte bon
pain tendre... — Y avez-vous ^16 en Aries, vous? »
— « Jamais. »
— « Quoi! vous n'avez jamais 6te en Aries? — J'y
ai el6, moi qui vous parle ! — Ah ! pauvrelte, si vous
saviez la grande ville que c*est, — Aries! Si loin elle
s*elend, — que, du grand Rhdne plantureux — elle
tient les sept embouchures!... — Aries a des boeufs
marins qui paissent dans les ilots de sa plage ;
29
558 HIR&IO, CANT YIII.
Arle a soun cavalin s6uvage;
Arle, dins r6n qu'un estivage,
Heissouno proun de Mad, per se nourri, se vou,
S6t an de filo ! A de pescaire
Que ie carrejon de tout caire ;
A d'entrepide navegairo
Que van di liu^ncbi mar afrounta li rev6u...
E tirant gl6ri inervihouso
De sa patrio souleionso,
Disie, lou galant drole, em6 sa lengo d'or,
E la mar bluio que tremolo,
E Hount-Majour que pais li molo
De plen gourbin d*6ulivo molo,
E lou bram qu* i palun fai ausi lou bitor.
Mai, 0 cieuta douQO e brunello,
Ta mereviho courounello,
Oublide, lou pichot, de la dire : lou ceu,
0 drudo terro d*Arle, douno
La b6uta puro k ti chatouno,
Coume li rasin k Tautouno,
De sentour i mountagno e d'aleto a Tauc^u.
La bastidano, inatentivo,
Ero aqui drecho e pensativo :
— Beu jouveinet, se \os, fagu6, veni 'me i^u*
Erne i6u vene ! Sus li sause
Avans que la reineto s'ause
Canta, fau que moun ped se pause
De I'autro man d6u Rose, a la gi^i de Di^u !
MIKEILLE, CHANT VIII. 359
« Aries a sa race de chevaux sauvages; — Aries, en
seul et6, — moissonne assez de bl6 pour se nourrir,
si elle veut, — sept ans de suite ! EUe a des p^cheurs
— qui lui charrient de toute part; — elie a des naviga-
teurs intr6pides — qui vont des mers lointaines af-
fronter les tourbillons... »
Et tirant gloire merveilleuse — de sa patrie de
soleil, — il disait, le gentil gars, en sa langue d*or,
— et la mer bleue qui tremble, — et Mont-Majour
qui pait les meules — de pleines mannes d' olives
moUes, — et le beuglement qu'aux mar^cages fail
ouir le butor.
Mais, d cit6 douce et bnine, — ta merveille su-
preme, — il oublia, Tenfant, de la dire : le ciel, —
d f6conde terre d'Arles, donne — la beauts pure d
tes filles, — comme les raisins k Tautomne, — des
senteurs aux montagnes otdes ailes h I'oiseau.
Inattentive, la fille des champs — 6tait 1& debout
et pensive : — « Beau gars , si tu veux , dit-elle,
venir avec moi, — avec moi viens ! Sur les saules
— avant que la raine s'entende — chanter, il faut
que mon pied se pose — de Taulre cdte du Rh6ne, a
la garde de Dieu ! »
340 MIRfelO, CAST VIII.
Lou drouloun ie digu6 : Pecaire !
CapitasMn : sian depescaire.
Kin^ nous-autre, aniue, soulo lou tibaneu,
Vous couchares au p6d dis aubo,
E dourmir^s dins voslo raubo ;
Moun paire, piei, k la prime aubo,
Deman vouspassara, dins nostebregaii^u.
— Oh I noun, me senle enca proun forto
Per, esto niue, restap6r orlo...
— Que Di6u vous en preserve! adounc voules aniue
V6ire la barido que s'escapo,
Doul^nto, d6u Trau de la Capo?
Ai ! ai ! ai ! ai ! se vous encapo,
Km* elo dins lou gourg vous fai passa p^r iue !
— E qu'es aqueu Trau de la Capo?
— Tout eii caminant dins li clapo,
Vous countarai ac6, fiheio!... E coumence :
Tavie no fes uno grando iero
Que regounflavo de garbiero.
Sus lou dougan de la ribiero,
Deman veires lou rode ounte ac6 se passe.
Despiei un mes, emai passavo,
Sus lou plantat que s*esp6ussavo
Un roudet Camarguen de-longo avi6 cauca.
Pas uno v6uto de rel5mbi !
S6mpre li balo dins I'engambi !
E, sus I'eirdu p6ussous e gSmbi,
De mounlagno d'espigo k s^mpre cavauca !
MIREILLK, CIIAST YIII. 541
Le gars lui dit : — a Daine! — vous rencon-
ttrez bien : nous sommes p^cheurs. — Avec nous,
cetle nuit, sous la tenle, — vous coucherez au pied
lies peupliers blancs, — el dormirez dans voire robe;
— mon p6re, ensuile, k la premiere aurore, — de-
inain vous passera, dans noire bord. »
— « Oh! non, je me sens assez forte encore —
pour, cellenuit, rester errante! » — « Que Dieu vous
en garde ! Voulez-vous done, cette nuit, — voir la
bande qui s*6chappe,— plaintive, du Trou , de la Cape?
— Malheur h vous! sielle vous rencontre, — avec
elle dans le goufire elle vous fait sombrer ! »
— « Etqu>st-ce que ceTrou de la Cape? » — ((Tout
en marchant parmi les pierres,-— je vous conterai Qa,
fillelte ! . . . » Et il commenca : — « II 6tait une fois une
grande aire — qui regorgeaitde meules de geri)es. —
Sur la berge de la riviere, — demain vous verrez le
lieu oucelase passa.
« Depuis un mois el plus, — sur les (gerbes) dres-
s6es qui secouaient (leurs grains), — un cercle de
(clievaux) Camargues avail sans cesse pi6tin6. —
Pas un instant de relache ! — toujours les sabots
dans Tentrave! — et sur I'air^e poudreuse et tor-
tueuse, — toujours des montagnes d'^pis ^ che-
vaucherl
29.
342 MlRtlO, CANT VIII.
Fasi6 'n soul^u!... La derrabado
Semblavo, dison, atubado.
R li fourco de bos, de-longo, en T^r, fasiea
Sauta de revoulun de blesto ;
E lou p6utras, e lis aresto,
Coume de fl^cho d^aubaresto,
I narro di chivau de-longo se trasien.
0 p6r Sant P6ire o pfer Sanl Charle
Poudias souna, campano d' Ariel
Ni festo ni dimenche au paure cavalun !
S^mpre la matrassanto cauco,
S^mpre I'aguhiado que trauco,
S^mpre la cridadisso rauco
D6u gardian, aplanta dins Fard^nt revoulun !
I/avare mfeslre, i Wane caocaire
Encaro avi6 bouta, pecaire !
Lou mourraioun... Vengu^ Nostro-Damo d'Avoust.
Deja, sus lou plantat que fumo,
Li liame, coume de couslumo,
Viravon mai, trempe d'escumo,
Lou fege arrapa i costo e lou mourre bavous.
Veici que tout-d'un-cop s'acampo
E la chavano e la sisampo. . .
Ai! un cop de mistrau escoubeto Teirdu;
Dis afama (que renegavon
Lou jour de Di^u) lis iue se cavon;
Lou batedou mounte caucavon
Traiilraio, es*entreduerb coume un negre peir6u!
MIREILLE, CHANT VIII. 345
« II faisail un soleil!... L*air6e*® — semblait, dit-
on, en flammes. — Et les fourches de bois, saus
cesse, dans Fair faisaient — bondir des tourbiUons
de gerb6e ; — et les ablais et les barbes (du froment),
— comme des fl&cbes d'arbal^te, — aux naseaux des
chievaux sans cesse ^talent lances.
« Ou k la Saint-Charles ou ila Saint-Pierre, — ^vous
ponviez sonner, cloches d' Aries ! — Ni ftte ni di-
manche aux malhetireux chevaux : — toujours le
harassant foulage ! — ^toujours Taigiiillade qui perce!
— toujours les oris raucpies — du gardien, immobile
dans Fardent tourbillon !
1 L*avare maitre, aux blancs fmileurs — en outre
avait mis, helas! — la museli6re... Vint Notre-Dame
d'Aoiit. — D6j4, sur les (gerbes) dress6es (et) fu-
mantes, — les (b6tes) accoupl6es, comme d'usage, —
tournaient encore, tremp6es d'6cume, — le foie coll6
aux c6tes et le museau baveux.
« Voici que tout k coup accourent — et Torage et
la bise g1ac6e... — Aie! un coup de mistral balaye
Tair^e; — des affiim^s (qui reiiiaient — le jour de
Dieu) les yeux se creusent ; — le champ du foulage
— chancelle, et s'entr'ouvre comme un noir chau-
dron !
ZU MIRftiO, CANT Vfll.
La grand bancado remouHno,
Conme en furour; dela toumptino,
Fourquejaire, gardian, gardianoun, r^n pousqu^
Se n*en sauva ! Lou m^tre, I'iero,
Lou drai, li cabro, li garbiero,
Li primadie, la rodo entiero,
Dins loutoumple s^ns founs tout s'aproufoundigue!
— Me fai ferni! digu6 Mir^io.
— Oh ! n'i'a b6n mai, o viergin^io !
Deman, dir6s bessai que 3i6u un foulin^u^
Yeires, dins soun aigo blavenco,
Jouga lis escarpo e li tenco ;
E li merlato palunenco
De-countunio k Tentour canta dins li can^u.
V6ngue lou jour de Nostro-Damo.
Lou souleu, courouna de flamo,
A mesuro que mounto k soun pounteficat,
Erne Tauriho conlro terro
Boutas-vous plan, plan, k Tesp^ro :
Veir^s lou gourg, de linde qu*6ro,
S'ensourni pau-a-pau de 1 oumbro d6u pecat !
E di founsour de Taigo fousco,
Counie de Talo d*uno mousco
Ausires pau-a-pau s'auboura lou zounzoun ;
Pi^i es un clar dindin d'esquerlo ;
Pi6i, k cha pau, entre li berlo,
Coume de voues dins uno gerlo,
Un orre jafaret qu*adus la fernisounl
MIREILLE, CHANT VIII. 345
« Le grana monceau (de pailles) tourbillonne, —
comme en fureur ; de I'abime, — ouvriers aux four-
ches, gardieiis,*aideS'gardiens, rien ne put — s'en
sauver. I^e maitre, I'aire, — le van, les chevres (du
van), les meules, — les (coursiers) conducteurs, ie
haras tout entier, — dans le gouffre sans fond tout
s*engloutit. »
— « Cela mc fait frissonn^r! » dit Mireille. —
« Oh! il y a bien plus, 6 vierge ! — Deinain, vous di-
rez peut-^tre que je suis uh petit fou, — vous verrez,
dans son eau bleu^tre, — se jouerles carpes etles
tanches ; — et les merles de marais — continuelle-
inent alentour chanter dans les roseaux.
^ Vienne le jour de Notre-Dame. — A mesure que
le soleil, couronne de feux, — monte k son pontificat,
— avec Toreille contre terre, — mettez-vous douce-
ment, doucement a I'affAt! — vous verrez le gouffre,
de limpide qu*il 6tait, — s*assoinbrir pen ^peu de Tom-
bre du pech6.
« Et des profondeurs de Teau trouble, — comme
do I'aile d'une'mouche — vous ouirez peu k pen s*6-
lever le bourdonnement. — Puis c'est un clair tinle-
ment de clochettes; — puis, peu A peu, enlre les
berles, — semblable k des voix dans uneamphore, —
un horrible tumulte qui am^ne le frisson !
346 yiRtllO. CANT VIII.
Es pi^i un trot de chWau maigre
Que sus Teirdu un gardian aigre
Us esbramasso e coucho erne de maugrabiea.
Es d estrepado rabastouso ;
Es uno terro despietouso,
Aspro, secado, sduvertouso,
Que respond coume uno iero ounte caucon, Tesri^u.
Mai k mesuro que declino
Lou sant soul^u, de la toumplino
Li blasteme, 11 brut, se fan rau, niouriin^u ;
Toussis la manado gancherlo
Aperalin ; souto li berlo
Calon U dar dindin d'esquerlo,
E canton mai li merle au bout di long can^.
Tout en parlant d'aqu61i causo,
Em* soun panie de cacalauso
Davans la chatouneto anavo lou drouloun.
Lindo, sereno, acoulourido
Per lou tremount, la colo arido
Eme lou ceu deja marido
Sis ^uti peno bluio e si grand testau blound ;
E lou soul^u que, dins la cintro
De si long rai, plan-plan s*enintrOy
Laisso la pas de Di^u i palun, au Grand-Clar,
Is dulivi^ de la Vaulongo,
Au Rose queilavau s'alongo,
I meissounaire, qu'a la lougo
Aubouron soun esquino e bevon lou vM Larg.
MIREILLE, CHANT VIH. 347
« C'est ensuite un trot de chevaux maigres — que
sur Fairee un aigre gardien — insulte de ses cris el
presse de jurous. — C'est un pielinement penible ;
— c'esl un sol inclement, — Apre, sec plein d*hor-
reur, — sonore comme une aire ou Ton depique,
Tete.
a Mais a mesure que decline — le saint soleil, du
gouffre — les blasphemes, les bruits, se font rau-
ques, mourants ; — tousse le troupeau ecloppe —
dans les loinlaines profondeurs ; sous les berlcs —
s'6teignent les clairs tintements de clochelles, — et
chantent de nouveau les merles au bout des longs ro-
seaux. »
Tout en parlant de ces choses, — avec son panier
de limagons — deyant la jeunelille allait le petit gars.
— Limpide, sereine, coloree — parle couchant, la
colline aride — au ciel dej& marie — ses hauts
remparts bleus et ses grands promontoires blonds ;
Et le soleil qui, dans le cintre — de ses longs
rayons, lentement se retire, — laisse la paix de Dieu
aux marais) au Grand-Clar ^S — aux oliviers de la
Vallongue ", — au Uhdne qui s' allonge la-bas, — aux
moissonneurs, qui enfin — relevent leur dos et boi*
vent le vent Largue^
358 MlHfelO, CANT V III,
E lou drouloun digue : Jouvcnto,
Alin, \^ la telo mouv^nto
De noste tibaneu, niouvento au ventouUt !
V^, siis Taubo que ie fai calo,
V6, ve inoun fraire Not qu'escalo !
Segur aganto de cigalo,
0 regardo bel^u se torne au tendoulet.
Ai ! nous a vist ! ... Ma sorre Zeto,
Que ie fasiS la courbo-sefo,
Se reviro... e vela que vers ma maire cohi*
Ie dire que, sens tiro-laisso,
P6u alesti lou bouiabaisso.
Diiis lou barquet deja se baisso,
Ma maire, e pren li peis que soun k la frescour.
Mai ^li dous, d'uno abrivado,
Coume escalavon la levado :
— Te ! cride lou pescaire, espincho, que fai gau,
Femo!... Ben 16u, per mau que vague,
Noste Andreloun, crese que fague
Un p( scadou di fi6r que i' ague !
Velou que nous adus la reino di pougaul
MIREILLE, CHANT VIIF. 549
Et le gars dit : « Jouvencelle, — auloiii, voyez-
vous la toile mouvante — de noire pavilion, mou-
vanle au zephyr? — Voyez, sur le peuplier blanc qui
rabrite, — voyez, voyez mon frere Not qui griinpe!
— Bien sur il attrappe des cigales, — ou regarde peut-
etre si je retourne a la lente.
w Ah I il nous a vus!... Ma soeur Zelte, — qui lui
pr^iait lepaule, — se retourne. . . et la voiU qui court
vers ma mere — pour lui dire que, sans retard, —
elle peut appr^ler le bouillabaisse, — Dans le bateau
d^ja se courbe — ma m^re, et elle prend les pois-
sons qui sont au frais. ))
Mais comnie, dun elan, eux deux — gravissaient
la digue : — « Tiens ! s'6cria le pficheur, vois comme
c'est charmant, — femme!... Bientdt, vienne qui
plante ! — noire Andreloun fera, je crois, — un pe-
cheur des fiers qu'il y ait ! — Le voici qui nous amene
la reine des anguiiles! •
50
NOTES
DU CHANT UUITlfiME.
. * Courez aux Saintes [courris i Santo). Voyez Chant I, note 15,
"^ L'Aigle, constellation.
5 Maguelonne (Magalouno). D'apres un \ieux roraan de cheva-
Icrie aussi populaire que celui de Quatre fils AymoHt le comte
Pierre de Provence, ayant enlev6 Maguelonne, fiUe du roi de Na-
ples, s'enfuit avec elle a travers monts et vallte. Un jour que
Maguelonne s'etait endoimie au bord de la mer, un oiseau de
proie cnleva un bijou de santal qui brillait aucou de laprinccsse.
Son amant monta sui* une nacelle pour suivre I'oiseau sur la mer;
raais soudain une temp^te s'eleva, et emporta Pierre en Egyple,
on il fut accueilli et comble d'honneurs par le soudan. La belle
Maguelonne s'eveilla et se mil, tout eplor^e, a chercher son ra-
visseur. Apres une foule d'aventures romanesques, ils se retrou-
\ferent en Provence, ou Maguelonne, devenue abbessc, avaitfonde
un li6pital, autour duquel, selon cette chronique fabuleuse, s'e*
leva plus tard la ville de Maguelonne.
* L'Alpinc caverneuse [VAupiho baumeludo)^ epithfete motivec
par les grottes des Baux et de Gordes qu'on trouve dans cette
montagne
NOTES DU CHANT YIII. 351
* Le mornc ou pic de Sainte-Victoirp (rf^ Santo-Vitbrilauserre),
ii I'orient d'Aix : liaut cscarpement qui tire son nom de la grandc
victoire remport^e par Marius sur les Teutons, a Pourriferes, dans
le voisinage.
® Les morvens (/« mourvm), genevriers de Ph^nicie {Junipenis
Phoenicea, Lin.)
' Saint Gent, ermite du Bausset [Sant Gint, ermito ddu Bausset)^
jeune laboureur, de Monteux, qui, au commencement du onzi6mo
siecle, se retira dans la gorge du Bausset (pr6s de Vaucluse) pour
y \ivre en ermite. Son ermitage, et la fontaine miraculeuse qu'il
fit jaillir, dit la tradition, en implantant ses doigts dans le rochcr,
sont le but d'un p61erinage trfes-frequentd.
* H^lice des moissons {meissounenco), helix csespilum, iiom-
m6e mmsounenco, parce qu'apres la moisson, elle monte et so
colle le long des chaumes.
^ r^onnaiu [mourgveto), helix vermiculata . — Platelle {pla-
feUfl), helix algira. — Mois€onniennes, voyez la note prec^dente.
»o Derrabado, improprement traduit par air^e, signifie arra-
chis. Ce mot designe les gerbes qui ont deja subi un premier
pi^tinement de chevaux, et qu'on an^ache de dessous I'air^e pour
los soumettre k un nouveau foulage.
*• Grand-Clar (Grand-Clar), vaslc etang de la Crau, enlre les
Jlaux et Aries.
** Vallongue {Vaul<mgo)y vallee des Alpines.
CANT NOUVEN
L'ASSEMBLADO
Desoulacioun de Meste Hamoun e de Jano-Vario, quand trovon plus
Mireio. — Tout-d'iin-t^ms lou vidi raando soiina e acampo dins
I'iero touti li travaiadou d6u mas. — Li segairt% li rastelarello,
lou feneirage. — Li carreti^, i'estremage di fen. — Li boaie. —
lii meissouni^, la roeissoun, li glenarello. — Li pastre. — Recit de
Lauren de Gout, capouli^ di meissounie : lou cop de voutame. —
Recit dou segaire Jan Bouquet : lou nis agarri per li fournigo. —
Hecit d6u Marran, baile di fird : la marco de mort. — Recit d'An-
teume, lou baile-pastre.— Ant^ume a vist Mireio qu'anavo i Sdnti-
Hario. — Estrambord e prejit de la maire. — Partenfo de la
famiho p^r ave Mireio.
Li grand falabreguie plour^ron ;
Adoulentido, s'embarr^ron
Dins si brusc lis abiho, 6ublidant lou pasqui^
Plen de lachusclo e de sadr^io.
— Aves ren vist mounte 6i Mir6io?
le demandavon li ninfeio,
I gentis argno bluio adounado au pesqui^.
Lou viei Ramoun em6 sa femo,
T6uli dous gounfle de lagremo,
Ens^n, la mort au cor, asseta dins lou mas,
Amaduron soun coudoun : — Certo,
Fau agu6 Tamo escalaberto ! . . .
0 malurouso ! o disaverto !
De la folo jouinesso o terrible estramas !
CHANT NEUVIflME
r/ASSEMBLEE
D^olation de Maitre Ramon et de Jeaime-Marie, en s'apercevantde
1 'absence de Mirellle. — Le vieillard roande aussitdt et rassemble
«lans I'aire tous les travailleurs de la ferme. — Les faucheurs, le>
faneuses, la fenaison. — Les charretiers, la renlr^e dfes foins. —
I.es laboureiirs. — Les inoissonneurs , la moisson , les glaneuses.
— Les hergers. — U^cil de Laurent de Goult, chef des moisson-
neurs : le coup de faucille. — Recit du faucheur Jean Bouquet : le
nid envahi par les (buiinis. — R^cit du Marran, chef des gallons
de charrue : le presage de mort. — Hecit d'Antelrae, chef des
paires. — Antelme a vu Mireille allant aux Sainles-Maries. —
Tiansports et invectives de ia m^re. — Depart de la famille k la
jioursuile de Mireille.
Les grands inicocouliers pleurerent ; — afflig^es,
s'enfennerent — dans leurs ruches les abeilles, ou-
bliant le pacage— plein de tithymales et de sarrietles.
— a Avez-vous point vu ou est Mireille? » — deman-
daient les nymphaeas — aux genlils alcyons bleus
adonnesauvivier.
Le vieux Ramon et son epouse, — tous deux gon-
il6s de larmes, — ensemble, la mortau coeur, assis
dans le masj — mArissent leur douleur * : « Certes,
— ilfaut avoir T^me en d^lire !... — 0 malheureuse !
6 6cervel6e! — de la foUe jeunesse 6 terrible et lourde
chute !
50.
354 MIRSIO, cant IX.
Nosto Mir6io bello, o gafo !
0 plour ! *iT)6 lou darri^ di piafo
S*eiraubado, raubado em* unab6umiani!...
Quau nous dira, desbardanado,
Lou lio, la cauno acantounado
Ounte lou laire t'a menado?...
E brandavon ens^n si front achavani.
Eme la saumo e lis ens&rri
Yengu^ lou chourlo, h TourdinSri ;
E dre sus lou lindau : Bonjour ! Veni^u cerca,
M^slre, lis idu e lou grand-beure.
— Entorno-te, maladicieure !
Crid6 lou vi6i, que, tau qu*un si6ure.
Me s^mblo que senso elo aro sieu desrusca !
D'uno souleto escourregudo,
Entorno-te de ta vengudo,
Chourlo ! k trav6s de champ parte coume Tuiau !
Que \i segaire e labouraire
Quiton li daio e lis araire !
1 meissouui^ digo de traire
Li voulame; i mendi, de leissa lou bestiau :
Que v6ngon m'atrouva! — Tout-d'uno,
Mai lougeiret que la cahruno,
Part lou varlet fideu ; trav^sso, dins ligres,
Li beus esparcet rouge ; passo
Entre lis euse di ribasso ;
Franquis d'un bound li draio basso ;
S6nt dqja li prefum dou fen toumba de fres.
HIREILLE, CHANT IX. 555
« Notre Mirei]le belle, d ^quip^ ; — d pleurs ! avec
le dernier des truands — s'est enlev6e, enlevee avec
un boh^me !... — Qui nous dira, d6vergond6e, — le
lieu, la caverne reculte — ou le larron t'a con-
duite?. . . » — Et ils branlaient ensemble leurs fronts
orageux.
Avec r^nesse et les mannes de sparterie — vint 1*6-
chanson, selon Tusage ; — et, debout sur le seuil :
« Bonjour! Je venais querir, — ^maitre, les oBufs et le
grand-boire *. » — « Retourne-toi, mal6diction ! —
cria le vieillard, car, tel qu'un ch^ne-li^ge, — sans
elle, ores il me semble qu'on m'a arrach^ I'ecorce!
« D*une seule course, — retourne-toi de ta venue,
— ^chanson! A travers champs pars comme I'e-
clair! — Que les faucheurs et laboureurs — quittent
les faux et les charrues! — aux moissonneurs dis de
Jeter — les faucilles; aux bergers, de laisserle b6-
tail:
« Qu'ils viennent me trouver ! » — Aussit6t, —
plus 16gerque les ch6vres, — part le valet fidele; il
traverse, dans les terrains pierreux, — les beaux
sainfoins rouges ; il passe — entre les yeuses des
bauts talus ; — il franchit d'un bond les chemins bas ;
— il sent d6ja les parfums du foin fraichement
abattUi.
55(J MlRfclO, CANT IX.
Dins li luserno b^n nouirrido,
Auto, e de blu t6uti flourido,
Ent^nd cruci de liuen la daio ; a pas egaa
V6i avanca li fort segaire,
Sus I'andano plega : de caire,
Davans Tad^ desverdegaire,
Cabnsso la panouio en marro que fan gau.
D'enfanl, de chalo risouleto,
Dins Fendaiado verdouleto
Rastelavon ; n'en vei que meton h mouloun
Lou fen adeja l^st ; cantavon,
E li grihet (que desertavon *
De davans li daio), escoutavon...
Sus un brancan de frais que tiron dous bi6u blound,
Alin pu liuen, vM, auto e largo,
L*erbo fenalo que se cargo :
L'abile carreti6, sus lou viage, eilamount,
A grand brassdu, de la pasluro
Que i'embarravo la centuro,
Fasie mounta s^mpre I'auturo,
Acatant parabando, e rodo, emai timoun.
E *m6 lou fen que tirassavo,
Quand pi6i lou carri s'avan^vo,
D'un bastimen de mar aurias di Tembalun !
Veici pamens que lou cargaire
S'aubouro dre coume un targaire,
E tout-d'un-t6ms crido i segaire :
Sogaire ! aplantas-vous, i' a quauque treboiilun!
MIREILLE, CHANT IX. 357
Dans les luzernes louffues, — hautes, et de bier
loutes fleuries, — il entend craquer de loin la faux ,
k pas 6gaux — il voit avancer les forts faucheurs, — •
ployes sur I'andain : de cole, — devant Vacier des-
tructeur de verdure, — se renverse la fane en lignes
qui font plaisir (k voir).
Des enfants, des jeunes filles rieuses, — dans I'an-
dain verdoyant — rMelaient ; il en voit qui mettent h
meules — le foin deja pr6t ; ils chantaient, — et les
grillons (qui d^sertaient — devant les faux), 6cou-
taient... — Sur un chartil de frftne, que tirent deux
bOBufs blonds,
L^-bas, plus loin, il voit. large et haute, — Therbe
faucli6e que Ton charge ; — I'habile charrelier, sur
le charroi, lA-haut, — ^ grandes brassies, du four-
rage — qui lui enfermail la ceinture, — 61evait sans
cesse la hauteur, — couvrant ridellos, et roues, et
liijion.
Et, avec le foin qui trainait, — lorsque ensuite s*a-
vangail le char, — d'un batiment de mer vous eus-
siez dit la masse. — Voici pourtant que le chargeur
— comme un jouteur se 16 ve droit, — et crie soudain
k ceux qui fauchent : « Faucheurs I arr^tez-vous, il y
a quelque trouble! »
358 MintlO, CANT IX.
Li carreteiroun, qu*a fourcado
!e ponrgissien IVrbo secado,
Tourqueron li degout de soun front lout coulanl;
E, siis la cenglo de sa taio,
Pausant la costo de la daio,
Vers la planuro ounte dardaio
Li segaire tenien la visto, en amoulant.
— Ome ! escoutas qii'a di lou mesti'e,
le fai lou mandadou campestre :
Chourlo, m'adi, subran parte coume I'uiau !
Que li segaire c labouraire
Quiton li daio e lis araire;
I meissounie digo de traire
Li voulame ; i mendi, de leissa lou bestiaii :
Que v6ngon m*atrouva ! — Tout-d uno,
Mai Idugeiretque la cabruno,
Part lou varlet fideu : encambo li regoun
Mounte trachisson li garango,
D'Alten preciouso remembrance;
Vei de pertout i'Amaduran(?o
Que daurejo la terro i fio de soun pegoun.
Dins li gara 'stela d'auriolo,
Vei, caminant darri6 si mit)lo,
Li r^fi vigourous, courba sus lou doubli;
Vei, de soun ivernenco dormo,
La terro qu'en mouto disformo
S'eigrejo, e dins larego einormo
Li guigno-co segui I'araire, entrefouli.
MIREILLE, CHANT IX. 550
Les aides-char retiers, qui h pleine fourche — lui
pr6sentaient I'herbe fanee, — essuy^rent les gouttes
de leur front ruisselant ; — et sur le ceinturon de
leur taille — posant le dos de la faux, — vers la plaine
ou darde (le soleil) — les faucheurs tenaient la vue,
en aiguisant.
— (( Homnies ! ecoutez ce qu'a dit le maitre, —
leur fait le messager rustique : — « Echanson, m'a-
t-il dit, pars soudain comme I'eclair ! — Que les fau-
cheurs et laboureurs — quittent les faux et les char-
rues; — aux moissonneurs dis dejeter — lesfau-
cilles ; aux bergers, de laisser le b6tail :
« Qu ils viennent me trouver ! » — Aussitdt, plus
leger que les chevres, — part le valet fidele : il en-
jambe les billons — ou croissent les garances, —
d'Althen' precieux souvenir ; — il voit de partout
la Maturite — qui dore la terre aux feux de sa
torche.
Dans les guerets etoil^s d'flwmtes*, — il voit,
cheminant derriere leurs mules, — les laboureurs vi-
goureux, courb^s sur la charrue ; — il voit, de son
sommeil hivernal, — la terre en mottes difformes —
se soulever, et dans Tenoraje sillon — les hochequeues
suivre I'araire, fretillanls.
5611 MlUfcIO, CANT IX.
— Oiiie ! escoutas qu*a di k)u niestre !
le fai lou niandadou camp^stre :
Chourlo, in a di, subran parte coume I'uiau!
Que li segaire e labouraire
Quiton li daio e lis araire ;
I meissouiii^ digo de traire
Li voulame ; i mendi, de leissa lou bestiau :
Que vengon m'atrouva ! — Tout-d'uno,
Mai lougeiret que la cabruno,
Part lou varlet fid^u : e sauto H valat
T6uti flouri d'erbo pradiero;
Trauco li bl^nqui civadiero ;
Dins li grand terrado bladiero
E rousso d'espigaUj s'esmarro apereila.
Quaranto uieissounie, quaranto
Coume de flamo devouranto,
l)e soun viesti fougous, redoulent, agradieu,
Despuiavon la terro ; anavon
Sus la ineissoun que meissounavon,
Coume de loup ! Desvierginavon
De soun or, de sa flour, e la terro e Tesli^u.
Darrie lis ome, e'n 16iiguiligno
Coume li maidu d*unD vigno,
Toumbavo la gavello aderren : dins si braS;
Li ligarello afeciounado
Leu acampavon li manado :
E leu, la garbo esient quichado
Em* un cop de geinoun,la jitavondetras.
MIREILLE, CHANT II. 361
— c Hommes! ecoutez ce qu'a dit le mailiv, —
leur fait le messager rustique : — « Echanson, in*a-
t-il dit, pars soudain comme T^clair ! — Que les fau-
cheurs et laboureurs — quittent les faux et les char-
rues; — aux moissonneurs dis dejeler — les fau-
cilles ; aux bei^ers, de laisser le b^tail :
a Qu*ils viennent metrouver! » Aussit6t, — plus
leger que les ch^vres, — part le valet fiddle : il saute
les fosses, — tout fleuris d*herbes prairiales ; — il
troue (dans) les champs d'avoine blancs ; — dans les
grandes pieces de ble, — rousses d*epis, il se perd
au loin.
Quarante moissonneurs, quarante, >-pareils k des
flammes devorantes, — de son vMement touffu,
odorant , gracieux , — depouillaient la terre ; iU
allaient — sur la moisson qu*ils moissonnaient —
comme des loups ! ils devirgiiiaient — de leur or, de
leur fleur, et la terre, et I'^te.
Derri^reles honunes, etenlongues lUes— comme
les crosscttes d*une vigne, — tombait la javelle avec
ordre : dans leurs bras — les ardentes lieuses —
vite ramassaient les poignees, — et vile, pressant la
gerbe — d*un coup de genou, la jetaient derri^re
(elles).
31
362 MIRfelO, CANT IX.
, Coume lis alo d un eissamc
Beluguejavon li voulame;
Beluguejavon coume, a la mar, li riseiit
Hounte au souleu jogo la larbo ;
E counfoundent si rilifi barbo,
En garbeiroun lis auti garbo,
En garbeiroun pounchu, mountavon a cha cent.
Ac6 semblavo, per li lerro,
Li pavaioun d'un camp de gueiTo :
(louiue aqu^u de Beucaire, auire-tems, quand SimouU;
E la Grousado franchimando,
E lou legal que li coumando,
Vengu^ron, z6u ! k touto bando,
Sagala la Prouvenco e lou Comte Ramouii !
Mai enterin li glenarello,
D*aqui, d'eila, van, jougarello,
E si gleno a la man ; enterin, i canie,
0 di garbiero a Toumbro caudo,
Manto chatouno fouiigaudo,
Souto un regard que Tesbrihaudo,
S'alangouris : Amour tamb6n es meissounie.
— Orae ! escoutas qu a di lou mestre,
Ic fai lou niandadou camp^stre :
Chourlo ! m'a di, subran parte coume I'uiau j
Que li segaire e labouraire
Quiton li daio e lis araire;
1 meissounie, digo de Iraire
Li voulame ; i mendi, de leissa lou bestiaui
MIREILLE, CHANT IX. :»(«
Gomme les ailes d'un essaim — 6tincelaient les
faucilles ; — elles etincelaient comme, a la mer, les
(flots) rieurs — ou, au soleil, s*ebat le carrelet ; —
et confondant leurs barbes rudes, — en meules les
hautes gerbes, — en meules pyramidales, s'61evaient
parcentaines.
Cela ressemblait, par les champs, — aux pavilions
d'un camp de guerre : — comme celui de Beaucaire,
autrefois, quand Simon, — et la Groisade francaise,
— et le 16gat qui les commande, — vinrent, imp6-
tueux, h toute horde , — ^gorger la Provence et le
Comte Raymond !
Mais, cependant, les glaneuses, — c^ et \k vont,
se jouant, — leurs glanes k la main ; — cependant,
aux cannaies, — ouh Tombre chaude des gerbiers^
— mainte fillette folMre, sous un regard qui la fas-
cine,— se laisse aller k la langueur : Amour aussi est
moissonneur.
— « Hommes ! ecoutez ce qu'a dit le maltre, —
leur fait le messager rustique : — « Echanson, m*a-
t-il dit, pars soudain comme Tfeclair ; — que les fau
cheurs et laboureurs — quittent les faux et les char-
rues ; — aux moissonneurs dis de jeter — les fau-
cilles ; aux bergers de laisser leb^tail.
304 HIKlilIO, CANT IX.
Que vengon m'atrouva ! — Tout-d'uno,
Mai lougeiret que la cabnino.
Part lou varlet fid^u : dins lis 6ulivi6 gris
Prenlis ac6urchi; mountelampo,
Di vignar^s trosso la pampo,
Coume un rev^s de la sisampo ;
E, tout soul, velaqui dins li canto-perdris.
Dins I'estendard di Crau brusido,
Souto d'^usino abouscassido,
Deslousco aperalin li troupeu achauma :
Li pastrihoun, lou baile-pastre,
Fasien miejour sus lou mentastre ;
En pas courrien li galapastre
Sus I'esquino di fedo en trin de remiauma,
De nevouUno clarinello,
E voulatilo, e blanquinello,
De la mar plan-planet s'enauravon : he\hu
Dins lis autour inmaterialo,
Quauco santouno celestialo,
De soun velet de counventialo
S'^TO dei6ugerido en frustant lou soul6u.
— Ome ! escoutas qu'a di lou m^stre,
le fai lou mandadou camp^stre :
Ghourlo, m*a di, subran parte coume Tuiau ;
Que li segaire e labouraire
Quiton li daio e lis araire ;
I me'ssouni^ digo de traire
Li voulame ; i mendi, de leissa lou bestiau.
WIREILLE, CHANT IX. 365
« Qu4ls \iennenl me trouver! » Aussit6t, —
plus l^ger que les ch^vres, — part le vakt fid61e :
dans les oliviers gris — il prend les raccourcis (du
chemin) ; il va comme Teclair ; — des vignobles il
lord le pampre, — comme une rafale de bise ; — et
le voite, seul, (aux lieux) ou chante la pordrix.
Dans la vaste etendue des Craux arides, — sous
des chSneteaux rabougri<:, — il decouvre au loinlain
les troupeaux qui reposent ; — les jeuiies bergers, le
chef des pasteurs, — faisaient la meridienne sur le
marrube ; — en paix couraient les bergeronnetles,—
sur le dos des brebis en train de niminer.
Des vapeurs diaphanes, — legeres et blanches; —
de la mer lentement s*elevaient : peut-6tre, — dans
les hauteurs immat^rielles, — quelque sainte du ciel,
— de son voile de nonne — s'6tait-elle all^gee en fr6-
lant le soleil.
a Hommes ! 6coutez ce qu'a dit le roaitre, —
leurfait le messager rustique : — a Echanson, m'a
t-il dk, soudain pars comme I'eclair ; — que les fau-
cheu^-s et laboureurs — quiltent les faux et les char-
rues { — au\ moissonneurs dis de jeter — les fau-
cille^; aux bergers de laisserle b^tail. »
./ 51.
/
3«« MTUfilO. CANT IX.
Adounc li daio s*arrest^ron,
E lis araire s'aplantfiron;
Li quaranto gavot que toumbavon li blad,
Adounc quil^ron li voulame,
E vengu^ron coume un eissame
Que, de sa bnisco parti flame,
Au brut di chaplach6u su *n pin vai s'asseiubla.
Au mas venga^ li ligarello,
Vengu^ron li rastelarello,
Vengu6 lou carreti6 *m6 si carreteiroun ;
Vengu6 li pastre, li glenaire,
E li toutobro amonlounaire,
Vengu6 lis engarbeirounaire,
Leissant toumba li garbo au p^d di garbeiroun.
Morne e mul, dins Tiero tepouso,
Lou majourau e soun espouso
Esperavon Tacamp ; e lis ome, esmougu
De ce qu'ansin li destourbavon,
Autour ddu mestre se rambavon,
E ie disien, coume arribavon :
Nous aves manda querre, o mestre, sian vengu!
M^ste Bamoun auss^ la testo :
— Sempre a meissoun la grand temp^sto !
Paiiras que t6uti sian ! per lant qu'anen d'avis,
Sempre au raalur fau que Ton pique !
Oh! digu6, s^ns que mai m'esplique,
Mi bons ami, vous n'en suplique,
L^u digue-me, chascun, ce que saup, ce qu*a vist.
MIREILLE, CHANT IX. 367
Alors s'arr6t6rent les faux, — et firent halle les
charrues ; — les quarante monlagnards qui abat-
taient les bl6s, — alors quitt^rentles faucilles, — et
vinrent commeunessaim — qui, parti desa ruche, d^s
que les ailes lui ont pouss^, — au bruit des cymbales
^clatantes, sur un pin va se rassembler.
Au mas vinrent les lieuses (de gerbes), — vinrent
les r^teleuses, — vint le charretier avec ses aides,
— vinrent les pMres, les glaneurs, — et les ouvriers
qui ameulonnent, — vinrent les entasseurs de
gerbes, — laissant tomber les gerbes au pied des
meules.
Mornes et muets, dans Taire gazonneuse, — le chef
(de la ferme) et son epouse — attendaient le rassem-
blement ; — et les hommes, 6mus — d'etre ainsi
troubles (dans leurs travaux) , — autour du maitre se
rendaient, — et lui disaient en arrivant : — « Vous
nous avez mand^s, 6 maitre, nous voici! »
Maitre Ramon leva la t^te ; — « Toujours k la
moisson le grand orage! — Inforlun^s que nous som-
mes tons ! si Men avisos que nous soyons, — ^toujours
au malheur il faut se heurter! — Oh I dit-il, sans
que je m'explique davantage, — mes bons amis, je
vous en suppUe, — que promptement chacun me disc
ce qu'il sait, ce qn'il a vu. *
908 NIRtiO, CAMT IX.
Lauren de G6ut aqui s'avan^o.
N*avi6 pas, dempi^i soun enfan^o,
Manca 'no soulo fes, quand bloundejon li Mad,
De se gandi 'm^ sa bedoco
I piano d'Arle. ViMo roco
Hounte la mar en van afloco,
Coume un queiroun de gl^iso avi^ louten brula.
Vifti capiWini d6u voulame,
Que lou soul^u roustigue, o brame
Lou Maistrau, de-longo k Yohvo lou proumi^ !
Avi§ 'm* eu si s6t drole,ruste,
Mouret coume 6u, coume £u roubuste...
Li meissouni^, coume de juste,
L*avien, tout d*un acord, chausip^r capouli^.
— S'acd 's verai que pl6u o n6vo,
Quand, rouginas, lou jour se 16vo,
Co qu'ai vist, coumenc^ Lauren de Gdut, segur,
M6stre, nous marco de lagremo.
Di6u! esvartaslou terro-tremo!
£ro de matin : Taubo memo
Deja vers lou Poun^nt fasie courre Tescur.
Trempe d'eigagno, h 1 abitudo,
Anavian faire la fendudo.
— Sdci, rapelen-nous de lou b6n adooba,
le disc, e d'enavans !... MVstroupe,
A moun prefa, galoi, me groupe;
D6u proumi^ cop, m^stre, me coupe !
Ta trento an, bdu Bondieu! que noun m*6ro arnba!
MIREILLE, CHANT IX. 509
Laurent, de Goull ', s'avance alors : — il n*avait
pas, depuis son enfance, — manque une seule fois,
quand blondissent les bl^s, — de s'acheminer avec le
carquois (de sa faucille) — vers les plaines d' Aries.
Vieille roche — que la mer frappc en vain de ses va-
gues, — coinme une pierre d*eglise, il avail le teint
bnil6.
Vieux capitaine de la faucille, — que le soleil rd-
tisse ou que mugisse — le Mislral, loujours k I'oeuvre
le premier! — 11 avail avec lui ses sept flls, ruslauds,
— hftl6s comme lui, comme lui robustes... — Les
moissonneurs, ^ juste litre, — Tavaient, d'un accord
unanime, 6lu pour chef.
— « S'il est vrai qu'il pleut ou qu*il neige, — lors-
que, rougeMre, le jour se 16ve, — cequej*aivu,
comment Laurent de Goult, k coup sur, — maltre,
nous presage des larmes. — Dieu ! dissipez le treni'
blement de terre ! — C*6tait ce matin : I'aubc m^mo
— d^jk vers le Ponant cliassait robscurile.
(( Trempes d'aiguail, k rhabilude, — nous allions
iaire la troupe. — Compagnons, rappelons-nous de
bien arranger (le travail), — leurdis-je, et de Ten-
train !... Je me retrousse, — k ma tftche, gaiemenl,
je me courbe ; — du premier coup, maitre, je me
blesse ! — Voil^ trente ans, beau Dieu! que cela ne
m'^tait arrival b
570 MIRfcHJ, CANT II.
E coume a di, mostro sis ounso
Qu*ensaunousis la plago founso.
Li parent de Mir^io an que mai pregemi.
R Jan Bouquet, un di segaire,
Pren la paraulo de soun caire,
Tarascounen e Tarascaire,
R^u clapas de jouvent, mai dous, e bon ami.
Ha ! quand courri^ la vieio ma^cOy
Lagadigadiu! la Tarasco!
Que de danso, de crid, de joio e d'estamp^n
La vilo morno s*enlumino,
Res que fagu^sse en Coundamino,
Mies qu*6u o de meiouro mino,
Voulaslreja p6r Yhr la Pico e lou Drap6u.
Entre li mestre d6u segage
Aurie pres r^ng, i pasturgage,
S*^gu^sse d6u travai ben tengu lou draiou;
Mai quand veni6 lou t^ms di voto,
Adi^u Tenchaple ! I grand riboto
Souto Tautin o dins li croto,
1 16ngui farandoulo, em*i courso de biou,
ilro un timoun, un fena ! — Mestre,
• Coume daiavian k grand destre,
Coumenc6 lou jouvent, souto un clot demargai^
Descate un nis de francouleto
Que boulegavon sis aleto;
Elvers la mato penjouleto,
Per v6ire quant n* i' avi^, me clinave tout gai;
Ml HEILLE, CHANT IX. 571
A ces mots, il montre ses phalanges — qu*en8an-
glante la plaie profonde. — Les parents de Mireillo
ont d*autant plus gemi. — Et Jean Bouquet, Tun des
faucheurs, — prend la parole de son cMe : — Taras-
conais et chevalier de la Tarasque, — beau bloc de
gar^on, mais doux, et bon ami.
Ah ! quand courait ['antique smxiere^ — lagadi-
gademi! la Tarasque! — quand de danses, de cris,
de joie et de vacarme — s*enlumine la ville morne, —
nul qui fit, en Condamine, — micux que lui ou de
meilleure gr^ce, — voltiger dans Ich airs la pique et
ledrapeau*.
Parmi les maitres de la fauche— il aurait pris rang,
aux pMurages, — s'il eAt du travail bien tenu le
senlier. — Mais quand venait le temps des f^tes, —
adieu le martelage (de la faux) ! Aux grandes orgies
— sous la tonnelie ou dans les tavernes voutees,
— aux tongues fai^audoles et aux courses de tau-
reaux,
G'6tait un limon, un forcen^! — « Maitre, — pen-
dant que nous fauchions a grands coups, — com-
men^a le jouvenceau, sous une touffe d'ivraie, — je
decouvre un nid de francolins — qui agitaient leurs
ailerons; — et vers la fanependante, — afin d*en
voir le nombre, Je me penchais tout Joyeux ;
:^n MIRfelO, CANT IX.
Oh! noum de sort! p&uri bestiolo!
De fournigasso, roujo e folo,
Uou nis e di nistoun venien de s'empara :
Tres eron deja mort; lou r^slo,
Einpesouli d'aquelo pesto,
Sourtie foro d6u nis la testo,
Que semblavo me dire : Oh ! \en6s m'apara !
Mai uiio ii^blo de fournigo
Mai veriiiouso que d'ourtigo,
Fiirouno, acarnassido, alabro, U pougnie ;
E ieu, apensamenti qu'^e
Contro lou manche de moun ferre,
Dins la garrigo entendeguere
La maire qu'en plourant pieutavo e li plagnie.
Aqueu recit de maluran^
Es tournamai un cop de lango :
\>6\\ paire e dc la inaire a gounfla lou segren.
E counie, en Jun, quand vers la plana
Mounto en si lend la chavano>
Que, cop sus cop, la Tremouutano
Uiausso, e que lou t^ms de tout caire se pren,
Yen lou Marran. Dins li bastido
Soun noum avi^ de restountido ;
E lou vespre, enterin que li miou estaca
Tiron di grupi la luserno,
Sou vent li rifi, quand iverno,
Abenon 1 61i di lanterno,
En parlant de la fes que vengue se louga.
MIREILLE, CHANT IX. 373
a Oh ! sort fatal ! pauvres pelites betes 1 — D*af-
freuses fourmis, rouges et folles, — du nidetdes
petits venaient de s'emparer. — Trois etaient d^ja
morts ; le resle, — infeste de cette vermine, — sor-
tait hors du iiid la t6te, — qui seiriblait me dire :
Oh! venez me defendre!
« Mais une uu^ de founnis — plus venimeuses
que des orlies, — furieuse, acharn^e, avide, les per-
^ait ; — et moi, pensif que j*etais — contre le manche
de mon fer, — dans la lande j'entendis — la m^re
qui en pleurant piaulait et Ics plaignait. »
Ce recit de malheur — est dei'cchef un coup de
lance : — du p6re et de la mere il a goufle Tamer
pressentiment. — Et comme, en juin, quand vers la
plaine — monte en silence Forage, — que, coupsur
coup, la Tramontane'^ — resplendil d'eclairs, et que
le temps de toute part se couvre,
Yient le Han an. Dans les bastides >- son nom
avait du retentissement; — etlesoir, pendant que
les mulcts attaches ^— tirent des creches la luzerne,
souvent les valets de labour, en hiver, — 6puisent
rhuile des falots, — en parlant de la fois qu*il vint se
louer.
5tt
374 MIHfciO, CANT IX.
S'^i-o louga p^r li semen^ :
(ihasquc boui^ 16u acoumeu^o
D'enrega sa versano ; e lou Harran, pamcn,
Ero darri^ que de sa riho
Tascoulejavo lis auriho,
0 Taramoun o li tendiho,
Conine un que, de sa vido, a touca reslrumen.
— Te vas louga p^r labouraire,
E sabes pas mounta n araire,
Desgaubia ! ie crid6 lou proumie carretie.
T6ne qu'un verre eme sonn niourre
Hieu que tu, gafagnard, laboure!
— Voslo escoumesso, i6u Tauboure,
Respound^ lou Marraii ; e quau sara coustie,
l)e i6u 0 de vous, perdra, baile,
Tres louvidor !... Sounas d6u graile!
Li dos riho k la fes an fendu lou gara.
Li dous bouie vers Tautro ribo
Prenon signau en dos grand pibo...
Li dous fourcat fan pa* no gibo !
Per lou rai d6u soul^n li cresten soun daura.
— Hanipau de Dieu ! adounc fagueron
Li lougadie touti tanl qa'feron,
Vosto enregado, bailc, es d'un ome de bon
E d'uno man r^n maladrecho!
Mai fau tout dire : es b^n tant drecho,
Aquelo d'eu, qu'em' uno flecho
Se pourrie de-scgur enfiela tout-de-long I
MIREILLE, CHANT IX. 575
II s'6tait lou6 pour les semailles : — chaque labou-
peur bientdt commence — a tracer son sillon ; et le
Harran, n^anmoins, — 6tait demure qui de son soc
— cognait gauchement les oreilles, — ou le cep, ou
les tirants,— comme celui qui, de sa vie, n'a touche
routil.
— « Tu vas te louer pour laboureur, — et tu ne
sais pas monter un araire, — maladroit ! lui cria le
premier charretier. — Je liens qu*un verrat avec son
groin — mieux que loi, goujat, laboure! » — « Voire
gageure, je la releve, — reponditle Marran, et qui
manquera le but,
« De moi ou de vous, perdra, chef, — trois louis
d'or!... Sonnez du clairon! » — Les deux socs a la
fois ont fendu le gu6ret. — Les deux laboureurs
vers Tautre rive — prennent pour jalons deux grands
peupliers... — Les deux araires ne font pas une
inflexion ! — Par le rayon du soleil les aretes sont
dories.
— « Pakne de Dieu ! dirent pour lors — les servi-
teurs, tons tant qu ils etaient, — voire sillon, chef,
est d'un homme valeureux — et d*une main point
maladroite ! — Mais, disons tout : tellement droit est
— celui de Tautre, qu'avec une flectie — on pour-
rait assnrfement I'enfiler tout du long! »
576 MIREIO, CANT IX.
E lou Harran gagn^ li joio.
Au parlamen que desmemoio
Lou Marran, 6u pereu, vengu6 dounc escanipa
Soun mot amar ; digu^ tout blave :
— Ad^s en coutreiant siblave;
£ro un brisoun dur : me tablave
D'alounga 'n pau la juncho, e *m* ac6 d acaba.
Tout-en-uncop vese mib^sti
Rebufela soun pelous viesti ;
Vese la fernisoun e Tesfrai tout ensen
Que fan aplanta 'qui moun couble
E chauriha ; leu, vesi^u double,
Vesieu lis erbo d6u restouble
Se clina vers lou sdu en s'escoulouriss^nt.
Coucbe mi b^sti : la Baiardo
Em *un 6r triste m'arregardo,
Mai brando pas, Falet niflavo lou cresten.
(Jn cop de fouit lis enjarreto. ..
Parton esglaia ; la cambeto,
Uno cambeto d*6uroe, peto ;
Emporton bassegoun e joto ; e pale, est en,
A i6u m*a pres coume un cat^rri;
Un aucident in\ oulountari
A fa cruci ma maisso ; un frejoulun ine ven ,
E sus mi car est^ousido,
E sus ma testo agarrussido
Coume li testo de caussido,
leu ai senti la Mort qu'a passa coume un vent !
MIREILLE, CHANT IX. 577
Et leMarran gagna le prix. — Dans le conseil cpii
d^concerte, — • le Marran, lui aussi, vint douc \erser
— son mot amer; il dit tout bltoe : — « Tantdt en
labourant je sifflais ; — c'6tait tant soit pen dur : je
me proposals — d*allongef un peu la seance, afin
d'achever.
« Tout a coup je vois mes b^tes — h^risser leur
v^tementpoilu ; — Je vois le fremissement et Teffroi
tout ensemble — qui font arr^ter \k ma paire — et
chauvir des oreilles; moi, je voyais double, -^ je
voyais les herbes de la jachere — se penchervers le
sol en se decolorant.
« Je touche mes b^tes : la Bayarde — avec un air
triste me regarde, — mais ne remue pas ; Falet flai-
raitl'arMe (du sillon). — ^Un coup de fouet leur cingle
les jarrets. . . — elles partent effar6es; Vage, — un age
d'orme , 6clate ; — elles emportent la fl6che et le
joug; etp^le, oppress^,
« A moi, il m'a pris comme une epilepsie ; — une
convulsion involontaire— a faitgrincermam^choire;
un frisson me vicnt ; — et sur mes chairs conster-
nees, — et sur ma I6le ^bourifT^e — comme les tMes
des chardons, — j'ai senti la Mort passer comme un
vent! »
52.
378 MTBftiO, ('\ST IX.
— Bono Haire de Di^u ! acato
De toun mant^u ma bello chato !
Ci*id^ la pauro maire em' un crid desoula.
Es k geinoun aqui toumbado
E vers li nivo encaro bado...
Yeici qu'arribo k grand cambado
liou baile Ant^ume, pastre e m6us^ire de h.
— Qu*^i qu'avi^ dounc tant matiniero,
P6rtreva 'nsin li cadeniero?
I>igu^ lou baile Ant^ume en intrant au couoseii.
Nautre erian claus dins ndsti cledo,
En trin de mduse ndsti fedo ;
E sus li v^sti claparedo
Lis estello de Di^u clavelavon lou c^u.
Uno amo, uno oumbrinello, un ^^ri
Frusto lou pargue ; de Tesglari
Se t^non mut li chin, s'amoulouno Tave.
— Parlo-me dounc, se sies bono amo !
Se sies marrido, tomo i flamo !
En i6u pens^re... A Nostro-Damo,
Mestre, n'ai pas lesi d'entamena 'n Ave.
Erne ieu, i Sinti Mario,
Res \6u veni de la pastriho?...
Uno voues couneigudo alor crido. E 'm' ac6
Tout s*esvalis dins lou camp6stre.
Quau vous a pas di, noste mestre,
Qu*6ro Mir6io ! — Acd pdu 6stre?
Tout lou mounde h la fevS adounc fai sus4ou-cop.
MIKEILLE, CHANT IX. 579
— « Bonne M6re de Dieu ! couvre — de ton man-
leau ma belle enfant ! » — s'ecria la pauvre m6re
d un cri d^sol^. — A genoiix elle est tonib6e U, —
et vers les nues elle ouvre encore la bouche... —
Void qu*arrive a grandes enjambees — le chef An-
lelme, patre et trayeur de lait.
— « Qu'avait-elle done, si niatinale,~pour banter
ainsi les taillis de cades? — dit le chef Antelme en
entrant au conseil. — Nous 6tions, nous, enfermfe
dans nos claies, — en train de traire nos brebis ; —
et, au-dessus des vastes (plaines) caillouteuses, — les
^toiles deDieu clouaient leciel.
tt Une aine, une ombre ieg6re, un spectre — frdle
ie pare ; de frayeur — restent muets les chiens, se
pelotomie le troupeau. — Si tu es une bonne lime,
parle-moi done! — si tu es mauvaise, retourne aux
flammes! — pensai-je en moi-meme.... A Nolre-
Dame, - mail re, je n'ai pas le loisir d'entamer un
Ave.
— « Avec moi, aux Saintes Maries, — nulne veiit
venir, d' (entre) les bergers? » — une voix connue
alors crie. Et ensuite — tout disparait dans la lande.
— Le croiriez-vous ? 6 noire maitre, — c*6tait Mi-
reille ! » — « Se peut-il? » — tout le monde k la fois,
pour lors, dit sur-le-champ.
580 MIRfilO, CANT 11.
— Mir^io ! countuni^ lou pastre,
L'ai \isto k la clarta dis astre,
li*8i visto, ieu vous dise, e ma fusa davan ;
L*ai visto, noun plus talo qu'^ro,
Mai dins sa caro tristo e f&ro
Se couneissie que, sus la terro,
I'D cousent dcsplesi ie dounavo lou vane !
D'ent^ndre la debalausido,
Entre si man enterrousido
Lis ome en gemiss^nt piqu^ron k la fes.
— 1 Sanlo menas-me leu, drole !
Crido lapauro maire : vole,
Ounte que vague, ounte que vole,
Segni mouu auceloun, moun perdigau de gres !
Se li fournigo Tagarrisson,
Fin que d'uno, mi d6nt que trisson
Manjaran, trissaran fournigo e fournigui^ !
Se Tabramado Mort-peleto
Te voulie torse, ieu souleto
Embrecarai sa daio bleto,
E d6u t^ms, fugiras k trav^s li jounqui^ !
E p^r lou champ, Jano-Hario,
Que la cregn^n^o desvario,
Samenavo en courrent si desvaga prejit.
— Carreti6, lendo la carreto,
Yougne Tessi^u, bagno li frelo,
El^u atalo la Moureto,
Qu'es tard, disi^ lou m^stre, e qu'av^n long trejit!
MIRGILLE, CHANT IX. 381
— « Hireille! continuale pMre, — je Vai vue k la
clart6 des astres, — je I'ai vue, vous dis-je, et elle a
file devant moi ; — Je I'ai vue, non plus telle qu'elle
6tait, — mais, dans sa figure triste et sauvage, — on
connaissait que, sur la terre, — un cuisant deplaisir
lui donnait Velan ! »
A. la fatale nouvelle, — dans leurs mains lerreuses
— - les hommes en g^rnissant frapp^rent a la fois. —
(( Aux Saintes, menez-moi vite, gars! — s'6crie la
pauvre mfere. Je veux,— ou qu'il aille, ou qu*il vole,
— suivre mon oisillon, mon perdreau des champs
pierreux !
« Si les fourmis Tallaquent, — Jusqu'^ la derni6re,
mes dents qui broient — mangetont, broieront four-
mis et fourmili^re! — si I'avare Mort d6charn6e — te
Youlait tordre, moi seule — j'ebr6cherai sa faux
usee, — ot pendant ce temps , lu fuiras k travers
les jonchaies ! »
Et par les champs, Jeanne-Marie -^ que I'appre-
hension egare, — semait en courant ses folles invec-
tives. — « Charretirr, tente la charrette! — oins
I'essieu, mouille les cercles (des moyeux), — et
promptement altelle la Mourjtle ', — car il est lard,
disait le maitre, et nous avons un long trajel ! »
:i82 MlRfelO, CANT IX.
E sus lou c^rri bacelsdre
Jano-Mario mounto, e Taire
SVmplissi6 mai-que-mai d estrambord pietadous
Ma hello mignoto!... Clapouiro,
Erme de Crau, vasti sansouiro,
A ma chatouno que langouiro,
Emai tu, souleias, fugues amistadous !...
Mai, Tabouminablo mandrouno
Que p6utir^ dins souii androuno
Ma chato, e de-segur i' a veja, i* a 'mpassa
Si trassegiin e si bouc6ni,
Taven ! que I6uli li demdni
Qu'espavent^ron Sant Antoni,
Sus li roco di Baus te vagon tirassa ! . . .
Dins lou trantran de la carreto
S'esperd la voues de la paureto...
R lis ome d6u mas, en espinchant se res
Apareissie dins la Crau liuncho,
Plan s*entournavon h la juncho. . .
Urous, enlre li 16io juncho,
U v6u de mousquihoun yevoulunant au fres !
MIREILLE, CHAiNT IX. 585
£t sur le char retentissant — Jeanne-Marie nionte,
et Tair — s*emplissait plus que jamais de transports
d61irants et plaintifs : — « Ma belle mignonnel...
pierr6es, — landes de Crau, vastes plages salines, —
k ma fille qui languit, — et toi aussi, grand soleil,
soyez bienveillants !...
« Mais laboniinable matrone — qui attira dans son
anlre - - nion enfant, et k coup sur lui a verse, lui a
fait avaler — ses philtres et ses poisons, — Taveu !
que tous les demons — qui epouvant^rent Saint
^toine, — sur les roches des Baux aillent te trai-
ner!... »
Dans les cahots de la chanette — se perd la voix
de la malheureuse... — Et les hommes du mas^ en
examinant si personne — n'apparaissait dans la Crau
lointaine, — lentement retoumaient au travail... —
Heureux, entre les allees (dont les arbres) se joignent,
— les essaims de moucherons tourbillonnant au
frais !
NOTES
Dl CHANT NElVlfeME.
* MOrissent leur douleur. Coudoun signitie, au iig. lourd chagrin,
poids douloureux qu'on a £ur ie cceui" au propre, coing. Ce moi,
dans le dernier sens, ddriye du grec xvde3vtev, fruit de Cydon,
coing; dans le premier, de xotos, profond ressentiment.
' Grand-boire [grand-b^ure], petit repas que les raoissonneui's
font vers les dix lieures du matin.
'Jean Althen, aventurier amienien qui, en 4774, introdui-
sit la culture de la garance dans le comtat Venaissin. En 1850 ,
on lui a eleve une statue sur le rocher d' Avignon.
* Auriole (auriolo), ceutaurec du solstice [centaurea solstUialis,
Lin.), plante qui pullule dans les chaumes, apres la moisson. Scs
tleurs jaunes, et les epines eloil^es de leiu* involucre, lui ont valu
son nom provengal, qui signifie aur^le,
* Goult, ou Agoult [Gdut), village du departement de Vaucluse^
qui a donn^ son nom a Tune des plus iUustres maisons de Pro-
vence.
^ Tout le monde a entendu parler de la Tarasque, monstre qui,
d'aprto la tradition, ravageaii les bords du Rh6ne et qui fut dompt^
NOTES DU CHANT IX. S8j
pai> sainte Marthe. Ghaque ann^e les Tarasconais c^lebrent lour
d^Uvrance par Vexhibilion d'un simulacre de ce monstre, que des
hommes portent a la course a travers les rues; et k des epoques
plus ou rooins rapproch^os, on rebausse cette f^te par une foule
dejeux. Geux de la Pique et du Drapeau, mentionnds dans le
poeme, consistent a faire voltiger gracieusement, k lancer k une
grandc hauteur et a rattraper avec adresse un ^tendard aux largori
plis ou une longue javeline.
— Lagadigadiu est la c^lebre ritoumcUe d'une cbanson popu-
laire attribute au roi Ren^, et qu'on chantc a Tarascon dans cettc
!l§le. En voici le couplet le plus connii ;
l.a{;adigadeu !
La Tarasco !
Lagadigadeu !
La Tarasco
De Castcu '
Leissas-la pa>sat
La vieio masco!
Leissas-la passa
0"C vai d.'.nsa.
— En Gondaniine [en Caundamino). La Condamine [camptu Do-
mim) est un quartier de Tarascon. On retrouve cede denomina-
tion dans plusieurs villes du Midi.
^ Tramontane \Jremountam), vend du nord-esl, et par extension
nord-esl.
^ La Mourette [la Moureto]^ uom de mule. Dans les cumpagnet?.
on d^igne ordinabrement les bdtes dc somme par la couleur de
leur robe. Les noms les plus communs sont blanquet (blanc), mou-
ret (noir), bruniu (bnm), falet (gris), baiard (bai). rtmUn (bai
clair\
<:ant deskn
IK 0.\MAR(iO
Mireio passo lou Hoi^e dins lou barqaet d'Andreloun, e countnnio 6a
couiso a travcs la i'amargo. — Li dougan dou Rose entre la mar
e Arle. — Descripcioun de la Cainargo. — La calour. — La danso
de la Vi^io. — Li mountiho. — Li sansoairo. — Nirdio es ensu-
lado p^r un cop de soul^u sus H ribo de I'estang dou Vacar^s.— Lis
arabi la revenon. — La roumieuvo d'amour se tirasso jusqu'ii la
ftl^iso di Santo. — La preiero. — La visioun. — Descours di SAnU
.Mario. — I a vanita dou bonur d'aquest mounde, la necessita e lou
inerite de la sourren^!0. — Li Santo, per ie refenni lou cor, racon-
lon a Mireio sis esprovo terrestro.
Desempi^i Arle jusqu'^ VenQo,
Escoutas-me, genl de Prouv6n^o !
Se trouvas que fai caud, ami, t6utis ens^n,
Sus lou ribas di Duren^olo,
Anen h santo-ropausolo !
E de Marsiho a Valensolo,
Que se cante Mireio e se plague Vincen !
Lou pichot barquet fendie Taigo,
Sens mai de brut qu'uno palaigo ;
Lou pichot Andreloun menavo lou barquet;
E Famourouso qu'ai cantado
Em* Andreloun s*ero avaslado
Sus lou grand Rose; e, d'assetado,
Gounteniplavolis oundo em* un regard fousquet.
CHANT DIXIEME
LA CAMARGUE
Mireille passe le Rhdne dans la nacelle d'Andreloun, et poursuit sa
course k Iravers la Camargue. — Les bords du Hb6ne, entre la
mer el Aries. — Description de la Camargue. — La chaleur. — Le
mirage. — Les dimes. — Les Sansomrea. — Mireille est frappee
dun coup de soleil, sur les rives de T^lang du Vaccar6s. — Les
moustiques la rappellent k la vie. — La pelerine d'amour se
tralne jusqu'a I'^glise des Saintes-Maries. — La pri^re. — La
vision. — Discours des Saintes Maries. — La vanile du bonheur de
ce monde, la n^essit^ et le ra6rite de la souffrance. — Les
Saintes, pour raffermir le coura{?e de Mireille, lui font le r^it de
leurs ^reuves terreslres.
Depuis Aries jusqu a Vence, — gens de Provence,
6coutez-nnoi ! — Si vous trouvez qu'il fait chaud,
— amis, tous ensemble, — sur la berge des Duran-
^oles — aliens nous reposer! — et de Marseille a
Valensole,— que Von chante Mireille et que Ton plai-
gne Vincent * !
La petite nacelle fendait I'eau, — sans plus de
bruit qu'une sole ; — le petit Andreloun conduisaitla
nacelle ; — et Tamante que j'ai chantee, — avec An-
dreloun s'etait aventur6e — sur le.vaste Rh<)ne; et
assise, — elle contemplait les ondes, d'un regard
nebuleux.
388 M1R£10, CAM X.
E ie disi^ renfant remaire :
Ve! coume es large dins sa maire
Lou Rose!... Jouveineto, entre Camargo e Craii,
Se ie fari^ dc bMli targo !
Gar aquelo isclo es la Camargo,
E peralin tant s'espalargo
Que d6u fluve arlaten v^i bada li s6t grau.
Coume parlavo, dins lou Rose
Tout resplendent di trelus rose
Que deja lou matin i'espandissi^., plan-plan
Hountavo de lahut : di velo
L'auro de margounllant la telo,
Li campejavo davans elo
Coume uno pastourdlo un troup^u dagn^u hUnc.
0 magnefiqui souloumbrado !
De frais, d*aubo dosmesurado
Mir.'^iavon, di bord, sipeje blanquinous;
Delambrusco antico, bistorto,
Fen vert ouiavon si redorto,
E d6u cimeu di branco forto
Leissavon pendoula si pampagnoun sinous.
Lou Rose, em^ sis oundo lasso,
E dourmihouso, e tranquilasso,
Passavo ; e regrelous d6u palais d'Avijinoun,
Di farandoulo e di sinf6ni,
Coume un grand vi^i qu*es a I'angdni,
£u pareissie tout malanc6ni
D'ana perdre k la mar e sis aigo e soun noum.
MIREILLE, CHANT X. S8Q
Et lui disait I'enfanl rameur : — « Vois! comme
est large dans son lit— le Rhdne !... Jeune fille, entre
Camargiie et Crau, — il se ferait de belles joAtes ! —
car cetle ile, c est la Camargue ; — et au loin telle-
ment elle s'Mend, — que du fleuve arl6sien elle voit
b^erlcs sept embouchures. »
Goinme il parlait , dans le Bhdne — tout resplen-
dissant des reflets roses — que d^j& le matin y 6pan-
dait, lentement — montaient des tartanes : des vol-
lures — le vent de mer gonflant la toile, — les pous-
sait devant lui, — comme une berg^re un troupeau
d'agneaux blancs.
0 magnifiques ombrages ! — Des frftnes, des peu-
pliers blancs gigantesques — miraient, des bords,
leurs troncs blanchfttres ; — des lambrusques anti-
ques, tortueuses, — y enroulaient leurs lianes, —
et du faile des branches fortes — laissaient pendiller
leurs moissinesnoueuses.
Le Rh6ne, avec ses ondes fatigu^es, — dormantes,
majestueusement tranquilles, — passait; et regretlant
le palais d'Avignon, — les farandoles et les sympho-
nies, — comme un grand vieillard qui agonise, — il
semblail tout m61ancolique — d'aller perdre k la mer
et ses eaux et son nom.
33.
S90 MIR£lO, CANT I.
Mai I'amourouso qu'ai cantado
Sus lou dougan ^o sautado :
— Camino, lou pichot ie cridavo, tant que
Trouvaras de camin! Li Santo
A sa capello miraclanto
Tout dre te menaran. — Aganto,
Acd di, si dos remo, e viro soun barquet.
Souto li fio que Jun esciainpo,
HirMo lampo, e lampo, e lampo 1
De souteu en soul^ e d'auro en auro, v6i
Un plan-pals inm^nse ; d*erme
Que n'an k Tiue ni fin ni terme ;
De liuen en liuen e p6r tout germe,
De r^i tamarisso... e la mar que par^i...
De tamarisso, de counsdudo,
D'engano, de fraumo, de s6udo,
Am^ri pradari^ di camp^stre marin,
Ounte barrulon li brau negre
E li cavalot blanc : alegre,
Podon aqui libramen segre
Lou ventihoun de mar tout fres de pouverin.
La bluio capo souleiaiito
S'espandissi^, founso, brihanto,
Courounant la palun de soun vaste countour;
Dins la liuenchour qu'alin clarejo
De fes un gabian voulastrejo ;
De fes un aucelas ouinbrejo,
Krmitocainbaru disestang dalentour.
MIHEIILE, CHANT X. 591
Mais I'amante que j'ai chant^e — avail saat6 sur
le rivage : n Marche, le petit lui criait, tant que —
tu trouveras du ehemin ! Les Saintes — a leur cha-
pelle miraculeuse — tout droit te conduiront. »
II saisit, — cela dit, ses deux raraes, et tourne la
nacelle.
Sous les feux que Juin verse, — comme I'Mair,
Mireille court, et court, et court ! — De soleil en so-
leil et de vent en vent *, elle voit — une plaine im-
mense : des savanes — qui n'ont h Toeil ni fin ni
terme; — de loin en loin, el pour loute v6g6tation,
— de rares tamaris«.. et la mer qui parait...
Des tamaris, des proles, — des salicornes, des ar-
roches, des sondes ^j — am^res prairies des plages
marines, — ou errent les taureaux noirs — et les
chevaux blancs : joyeux, — ils peuvent 1^ librement
suivre — la brise de mer tout impregn^e d'embrun.
F^a votl^te bleue ou (plane) le soleil — s'^panouis
sait, profonde, brillante, — couronnant les marais de
son vaste contour; — dans le lointain clair — par-
fois un goeland vole ; — parfois un grand oiseau pro-
jette son ombre , — ermite aux longues jambes des
^angs d*alentour.
398 MiRfcIO, CANT \.
Es un cambet qu*a li pM rouge ;
0 'n galejoun qu*espincho, aurougc,
E dr^isso fieramen soun noble capelut,
Fa de tres 16ngui plumo bianco
La caud deja pamens assanco :
P6r s'al6ugeri, de sis anco
La chat ouno desfai li bout de soun fichu.
E la calour, s^mpre mai vivo,
S^mpre que mai se recalivo ;
E d6u soul^u que mounto a Fafrest d6ii chi sin,
D6u souleias li rai e Tuscle
Plovon k jabo eeume un ruscle :
S^mblo un leioun que, dins soun ruscle,
Devouris d6u regard li desert abissin !
Souto un fau, que farie bon jaire!
Lou blound dardai beluguejaire
Fai par^isse d'eissame, ed*eissame furouii,
D'eissame de gu^spo, que volon,
Mounton, davalon, e tremolon
Goume de lamo que s'amolon.
La roumi6uvo d'amour que lou lassige ronmp
E que la caumo desaleno,
De soun eso redouno e pleno
A leva Tespingolo ; e soun sen, bouleguiou
Coume dos oundo bessouneto
Dins uno lindo fountaneto,
Semblo d'aqu^li campaneto
Qu'en ribo de la mar blanquejou dins Testi^u.
MIREILLE. CHANT X SOTi
C'est un chevalier aux pieds rouges^; — ou un
biboreau • qui regarde, farouche, — et dresse fi6re-
ment sa noble aigrette, — faite de irois longues
plumes blanches... — D6ji cependant la chaleur
feerve : — pour s'alleger, de ses hanches — • la jeune
fille d6gage les bouts de son fichu.
Et la cbaleur, de plus en plus \ive, — de plus en
plus devient ardente; — et du soleil qui monteau
zenith du ciel pur, — du grand soleil les rayons et
le hale — pleuvent Averse comme une giboulte: — tel
un lion, dans la faim qui le tourmente, — devore du
regard les deserts abyssins !
Sous un h6lre, qu'il ferait bon s'^tendre ! — Le
blond rayonnemcnt (du soleil) qui scintille — simulc
des essaims, des essaims furieux, — des essaims de
gu^pes, qui volent, — montent, descendent et trem-
blolent — comme des lames qui s'aiguisenl. — La
pelerine d*amour que la lassitude brise
Et que la chaleur essoullle, — de sa casaque ronde
et pleine — a die Tepingle; et son sein agit6
— comme deux ondes jumelles — dans une limpide
fontaine, — ressemble k ces campanules — qui, au
rivage de la mer, 6talent en 6t6 leur blancheur*.
51U MIRfciO, CANT X
Mai pau-A-pau davans sa visto
Lou terradou se desentristo ;
E veici pau-^-pau qu'aperalin se mdu
E trelusis un grand clar d'aigo :
Li daladSr, li bourtoulaigo,
Amour de Terme que s'enaigo
Grandisson, e se fan un cap^u d*ouinbro m6ti.
£ro uno visto celestino,
Un fres pantai de Paleslino !
Ue-long de Taigo bluio uno vilo l^u-l^u
Alin s'aubouro, em6 si lisso,
Soun b^rri fort que I'empalisso,
Si font, si gl^iso, si t^ulisso.
Si clduchi^ loungaru que cr^isson au souldu.
De bastimen e de pinello,
Em^ si velo blanquinello
Intravon dins la darso ; e lou v6nt, qu'ero dons,
Fasi^ jouga sus li poumeto
Li bandeiroun e li flameto.
Mir^io, em6 sa man primeto
Eissugue de soun front li degout aboundous ;
E de v^ire tal espelacle,
Cuj6, moun Di6u ! crida miracle !
E de courre, e de courre, en cresent qu'ero aqui
La toumbo santo di Mario.
Mai au mai cour, au mai vario
La ressemblanQo que Tesbriho,
Au mai lou clar tabl^u de liuen se fai segui.
HIREILLE, GliANT X. 395
Mais peu k peu devant sa vue — le pays perd sa
tristesse; — et void peu k peu qu'au loin se iiieut —
et resplendit un grand lac d'eau : — les philly-
rea ', les pourpiers, — autour de la lande qui se
liquefie, — grandissent, et se font un mol cbapeau
d'ombre.
C*6tait une vue celeste, — un i-^ve frais de Terre-
promise ! — Le long de Teau bleue, une ville bient6t
— au loin s'el^ve, avec ses boulevards, — sa mu-
raille forte qui la ceint, — ses fontaines, ses ^glises,
ses toitures, — ses dochers allonges qui croissent
au soleil.
Des b&tinients et des pineUes^ — avec leurs voi-
les blanches, — entraient dans la darse, et le vent,
qui etait doux, ~* faisait jouer sur les ponnnettes
— les banderolles et les flammes. — Mireille, avec sa
main legere — essuya de son front les goutles abon-
dantes ;
Et ^pareille vue — elle pensa, mon Dieu ! crier
miracle ! — Et de courir, et de courir, croyant que
\k 6tait — la tombe sainte des Maries. — Mais plus
elle court, plus change — TiUu^ion qui Tfiblouit,
— et plus le clair tableau s'^loigne et se fait suivre.
3% 11IR£I0, CANT X.
Obro vaDo, sutilo, alado,
Lou Fantasli Tavie fielado
Em' un rai de souleu, tencho erne U coulour
Di nWoulun : sa tramo feblo
Fenis p^ tremoula, \en treblo,
E s'esvalis coume uno nebio.
Mir^io r^sto soulo e neco, a la calour.
E z6u li camello de sablo,
Brulanto, mouv^nto, ahissaUo !
E z6u la grand sansouiro, e sa crousto de sau
Que lou soul^u boufigo e lustro.
E que cradno, e qu'escalustro !
E z6u li plantasso palu^tro,
U caneu, li triangle, estage di niouissau !
Em^ Vincen dins la pensado,
Pameiis, dempiei I6ngui passado*
Ribejavo toujour Tesmarra Yacares;
Deja, deja di gr&ndi Santo
Vesie la gleiso roussejanto,
Dins la mar liuencho c flouquejanto
Creisse, coume un veiss^ii que poujo au ribeires.
De riniplacablo souleiado
Toul-en-un-cop Vescandihado i
le tanco dins lou front si dardaioun : vela,
0 pecaireto ! que s'arreno, ,
E que, long de la mar sereno,
Toumbo, ensucado, sus Tarono.,. |
0 Crau, as toumba flour ! o joiivont, plonras-la !...
MIREILLE, CUANT X. 597
Oiuvre vaine, subtile, ailee, — le FaiilasUque
lavait filee — avec un rayon de soleil, teiiile avec
les couleurs — des nuages : sa Irame faible — fiiiil
par trembler, devient trouble, — et se dissipe coiniiie
un brouiliard. — Mireille reste seule et ebahie, a la
chaleur.
El en avant dans les monceaux de sable, — bru-
lants , mouvanls, odieux ! — it en avant dans la
grande sansouire^, ix la croute de sel — que le so-
leil boursoufle el lustre, — et qui craque, et 6blouil!
— et en avant dans les hautes lierbes paludeen-
lies, — les roseaux, les souchets, asile des cou-
sins !
Avec Vincent dans la pensee, — cependant, de-
puis longteinps — elle cotoyait toujours (la plage)
reculee (du) Vaccares ; — dej^, deja des grandes
Saintes — elle voyait Teglise blonde, — dans la mer
lointaineet clapoteuse,— - croitre, conitne un vaisseau
qui cingle vers le rivage.
De riniplacable soleil — lout a coup la biulanlo
echappee — lui lance dans le front ses aiguillous :
la voila, — inlortunee! qui s'alTaisse, — el qui,
le long de la mer sereine, — tombe, frappee k inorl,
sur le sable. — 0 Crau, la fleur est tombee !.. 6 jeu-
nes hommes, pleurez-la i
54
308 MIRfelO, CANT X.
Quand iuu cassaire de la coumbo
De-long d'un ri^u v6i de coulouinbo
Que bevon, innouceiito, e que s'aliscon, leu
Qu*entre-mitan li bouissounaio
Ein6 soun armo ven en aio ;
£ sempre aquelo qu'eiigranaio
Es la plus bello : ansiii Tague lou dur souleu.
La maiurouso ero esternido
Sus lou sablas, estavanido.
D'asard, aqui de-long, passe 'n v6u d'arabi ;
E n la vesent que rangoulavo,
E soun Wane pitre que gounflavo,
E d6u rebat que la brulavo
Pas un brout de mourven que vengue la curbi,
Pietousamen li uiouissaleto
Fasien viduloun de sis aleto,
E zouiizounavon : L^u! poulido, 16vo-le!
Levo-te leu ! qu'es Irop malino
La caud de la palun salino !
E ie pougnien sa l6sto clino.
E la mar, entremen, de si fin degoulet,
Contro li llauio de sa cai'o
Bandissie Teigagnolo amaro.
Mireio se lev6. Doul6nlo, e gingoulant :
Ai ! de ma thio ! plan-pianeto
Se tirasse la chalotinelo ;
E, d'enganelo en engatieto,
1 Santo de la mar vengue balin-balail;
MIREILLE, CHANT X. 599
Quand le chasseur de la vallee, — le long d*un ruis-
seau, aper^oitdescolombes — qui boivent, innocentes,
et qui lissent leurs (plumes), vite, — § travers les
biiissons, — avec son arme il vient, ardent; — et
toujours celle qu'il perce de ses plombs — est la
plus belle : ainsi agit le dur soleil.
La malheureuse etait renversee — sur la dune,
evanouie. — D'avenlure, sur ces bords, passa un es-
jsaim de moustiques; — el la voyant qui rdlait, — et
sa blanche poitrine palpitante, — et contre la rever-
beration qui la brule — pas un brin de morven *® qui
vienne la couvrir,
Plaintivement les moucherons — faisaient violon
de leurs petites ailes, — et bourdonnaient : « Yite !
jolie, leve-toi ! — 16ve-toi vite, car trop maligne est—
la chaleur du marais salin ! » — Et ils piquaicnt sa tete
pench^e. — Et la mer, en meme t^mps, do ses fines
gonttelettes,
Contre les flannncs de son visage — jetait la rosee
amere. — Mireiile se leva. Dolente et gemissant : —
Aie! ds ma Utel k pas lents — se traina la jeuno
fille ; — et de salicornes en salicornes, — aux Saintes
de la mer elle vint, chancelante.
400 MIRfelO, C\NT X.
E 'me de plour dins si parpello,
Coniro li bard de la capello,
Que lou toumple marin bagno de soun ti'pspir,
Piqu6 sa t6slo, la paureto !
E, sus lis alo de Taureto,
Entanlerin sa preicreto
Vt'ici conme eilamoimt sVnanavo on soiispir :
OS^nti Mario,
Que poudes en flour
Chanja ndsti plour,
Clinas l^u Taiiribo
De-versma doulour !
Quand veir^s, pecairo !
Moun reboulimen
R moun pensamen,
Vendr6s de moun cairo
Pietadousamen.
Si^u uno chatouno
Qu*ame un jouveinet,
Lou b^u Yincenet!
I6u Tame, Santouno,
De lout moun senel !
leu Tame! i6u Tamo,
Coume lou valal
Amodecoula,
Goume Tauc^u flame
Amode voula.
MIREILLE, CHANT X. 401
Et avec des pleurs dans ses paupi^rcs, — contre
les dalles de la chapelle, — que le gouffre marin
mouilie de son infiltration, — elle frappa sa tete,
infortun^e ! — et sur les ailes de la brise, — cependant,
voici comme sa pri^re — au ciol s'en allait on sou-
pirs :
« 0 Sainles Maries,— qui pouvez en fleurs — chan-
<jcr nos larmes, — inclines vite Voreillo — devers ma
(lonleur!
<( Quand vous verrez, helas ! — mon tourment —
el mon souci, — vous viendrez de mon ccMe — avec
pitie.
« Je suis une jouvencelle — qui ainio un jouven-
(*,eau, — le beau Vincent ! — Jo I'aime, chores Saintes,
— de tout mon coeur.
« .le Tairae ! je Vaime — comme le ruisseau —
aime de couler, — comme I'oiseau dm — aime <le
voler.
54
im mir£io cant x.
E voion qu'amosse
Aqueu fio nourri
Que vdu pas mouri !
E volon que trosse
L*anieli^ flouri!
0 S^nti Mario,
Que poud^s en flour
Chanja ndsti plour,
Clinas l^u Tauriho
De-vers ma doulour !
D'alin sieu vengudo
Querre eici la pas.
Ni Crau, ni campas,
Ni maire esmougudo
Qu*arr6ste mi pas 1
E la souloiado, ^
Erne si claveu
E sis aniav^u,
La sente, k raiado.
Que poun moun cerv6u.
Mai, poud6s me cr^ire !
Dounas-me Vincen ;
E gai e ris6nt,
Vendren vous reveire
T6uti dousensen.
MIREILLE, CHANT X. 405
« Et Ton veul que j'^teigiie — ce feunourri — qui
ne veut pas naourir ! — et Ton veut que je lorde —
Tamandier fleuri !
« 0 Saintes Maries, — qui pouvez en fleurs —
anger nos larmes
devers ma douleur!
changer nos larmes, — incHnez vite Toreille
« De loin je suis venue — chercher ici la paix. —
Ni Crau, ni landes, — ni mere 6inue — qui arrftto
mes pas !
« Et du soleil qui darde — ses clous — et ses
epines, — je sens los rayonnances — qui poignenl
inon cervoau.
« Mais, vous pouvez me croire! — donnez-moi
Vincent; — olgais el sourianls, — nous viendrons
vous revoir — tons doux ensomblo.
404 MintlO, CANT X.
L'esUas de ini tempe
Alor calara ;
E d6u grand ploura
Moun regard qu'^i trempc,
De gau lusira.
Moun paire s*oupauso
A-n-aqucl acord :
De touca soun cor,
Vous ei pail de causo,
R^Ili Santo d'or!
Emai fugue duro
L*6uUvo, lou v6nt
Que boufo is Av6nt,
Pamens Tamaduro
An ponn que counv^n.
La nespo, Tasperbo,
Tant aspro au culi
Que fan tressali, ,
l\\ proun d'un pau d'erbo |
• Per li reniouli I
i
0 Sanli Mario, '
Qui" pondes en flour
(lliaiija nosli plour,
Giinas leu I'auriho
De vers ma donlonr!
MTREILLB, CHANT X. 405
« Le dechirement de mestempes — alors cessera ;
— et d'lm torrent de larmes — mon regard mainte-
nant inoTid6, — luira de joie.
« Mon pere s'oppose — h cet accord : — de tou-
cher son coeur, — ce vons est pen de chose, — belles
Saintes d'or !
« Bien que dure soit — ^I'olive, le vent — qui souffle
h TAvent, — n^anmoins la mnrit — an point qui con-
vient.
« La nefle, la corme, — si acerbes, quand on les
cueille, — qu'elles font tressaillir, — c*est assez d'nn
pen d'herbe — pour les ramoUir " !
« 0 Saintes Maries,— qui pouvez en fleurs— chan-
ger nos larmes^ — inclinez vite Voreille — devers ma
douleur!
406 VIRtiO, CANT X.
Ai de farfantello?
Qu'es?... lou paradis?
TjH gleiso grandis,
Un baren d'estello
Amount s*ospandis !
0 i^u benurouso !
U Santo, moun Di6u !
Dins V^r s6nso ni6u
Davalon, courouso,
Davalon versieu!...
0 belli patrouno,
Ei vous, ben verai!...
Escound^s li rai
De vdsticourouno,
0 ieu mourirai !
Vosto voues m'apello?..
Que noun vous neblas.
Que mis iue soun las ! .. .
Mounte esla capello?
Santo!... meparlas?...
MIREILLE, G HA 1ST I. 407
f Ai-je des ^blouisseinenls? — Qu est-ce?. . le
Paradis? — L'^glise graudit, — un gouffre d'6toiles
— la-haut se repand !
« 0 moi bienheureuse I — les Saiiites, moii Dieu !
— dans Fair sansnuage — descendent, radieuses, —
descendent vers moi !
« 0 belles patronnes, — c'est vous, reellement !...
— Cachez les rayons — de vos couronnes, — ou
rnoije mourrai!
« Voire YOix m'appelle?... — Que ne vous voi-
lei^-vous d'un nuage, — car mes yeux sont las!...
— Ou est la chapelle? — Saintes!... vous me par-
ley?..;
408 MlUfelO, CANT X.
L dius 1 esUisi que I'euiporto,
Desalenado, uiita morto,
Mir^io, d'a-geiiiouii, ero aqiii sus li bard,
Li bras eii ler, la testo § reire ;
E dins li porlo de Sant-P6ire,
Sis iue fissa pareissien v^ire
L'autre mounde, k traves la teleto de car.
A si bouqueto que souu mudo ;
Sa caro bello se Ireinudo,
E soun aino e souu cors dins la countemplaciouji
Nadou eslabousi . dinsTAubo
Que ccncho d or lou front dis aubo,
Palis de uieme e se desraubo
Lou lume que vihavo un ome en perdicioun.
Tres femo de b6uta divino.
Per un draidu d'estello lino,
Davalavon d'amount; e couine, au jour levant,
Un escabot se destroupello,
Lis aut pieloun de la capello
Eni6 1'arceu que Tencapello,
Per ie durbicamin, se garavon davan.
E, dins Per linde, blanquinouso,
Li tres Mario luminouso
Uavalavon d'amount : uno, conlru soun sen,
Tcnie sarra 'n vas d'alabastre ;
E, dins li nine sereno, Pastre
Que dou^amen fai lume i pastre,
Pou retraire soulet soun front paradisen !
MIUEILIK, CHANT X. 409
El dans Fexlase qui I'euiporle, — lialelaiilo ,
iiiorle a deuii, — Mireille, a genoux, elail la sur les
dalles, — les bras en I'air, la t^te en arriere; — el
dans les portes de Saint-Pierre, — ses yeux fixes pa-
raissaient voir — I'autre inonde, a travers le voile de
chair.
EUe a ses levres uiuettes ; — son beau visage se
transfigure, — et son arae et son corps dans la con-
templation — nagent, ravis : dans I'Aurore — qui
couronne d'or le front des peupliers Wanes, — ainsi
pdlit et se derobe — la lampe qui veillait un homnie
en perdition.
Trois femmes de beaute divine, — par un senlier
de fines etoiles, — discendaient du ciel; et coninie,
au lever du jour, — un troupeau se disperse, — les
hauls pihers do la cliijpelle — avec Tarceau qui en
soutient la voute, — pour leur ouvrir chcniin, s'ecar-
laientdevant(elles).
Et, blanches dans I'air limpide, — les Irois Maries
lumineuses — dcscendaient du ciel : Tune, centre
son sein, — tenait serre un vase d'albatre ; — et, dans
les nulls sereines, Tastre — qui doucenient eclaire
les bergers, — peut seul rappeler son front para-
disien.
410 MIREIO, CANT 1.
1 jo de I'auro, la segoundo
Laisso ana si treneto bloundo,
E caiiiino, moudesto, un rampau k la man^
La tresenco, jouineto encaro,
De sa bianco uiantiho claro
Escoundie 'n pau sa bruno caro,
E si negre vistoun lusien mai que diamanU
Vers la doulento quand fugueron,
En dessus d'elo setengueron,
ianioubilo,e'm*ac6 ie parlavon. Tant dous
E clarineu ero souu dire,
E tant afable soun sourrire,
Que lis espino ddu marlire
Flourissien dins Hireio en soulas abouadou».
f.
Assolo-te, pauro Mireio :
Sian li Mario de Judeio!
Assolo-te, fasien, sian li Sanlo di Baus !
Assolo-te ! sian li patrouno
De la bafqueto, qu'envirouno
Lou trigos de la mar furouno,
E la mar, quand nous vei, retoumbo l^u k pausl
MIREIILE, CHANT X. ill
Aux jeux du vent, la seconde — laisse aller sos
blondes tresses, — et cheinine, modeste, une palme
h la main ; — la Iroisi^me, jeunette encore, — de sa
blanche mantille claire — cachait un peu son bnni
visage, — et ses noiros pninelles luisaient plus que
diamant.
Vers la dolente quaud elles furent, — au-dessus
d*elle elles se linrent, — immobiles, et elles liii
parlaient. Si doux — ot dair etait leur dire, — et
leur sourire si affable, — que les 6pines du mar-
lyre — fleurissaient dans Mireille en charmes abon-
dants.
t
— « Console-toi, pauvre Mireille : — nous sommes
les Maries de Jud6e ! — Console-loi, disaient-ellos,
nous sommes les Saintes des Baux ! — Console-toi,
nous sommes les patronnes — de I'esquif qu'entoure
— le fracas de la mer furieuse, — el la mer, k notre
aspect, retombe vite au calme.
iV2 MIRfclO, CANT X.
Mai, qiieta visio amount s'estaqiie!
Yeses Ion camin do Sant Jaque?
Adt^si'erian ensen, alin de I'aiitre bout;
Regai^davian, dins lis estello,
Li proucessioun que van, fid^lo,
En roumavage h Coumpoustello
Prega, siis soun toumbeu, noslo fi^u e nehoul.
E *scoutavian li letanio....
E lou murmur di fountaniho,
Lou balans di campano, e lou declin dmi jour,
E 11 roumieu per la campagno,
Tout rendi^ gldri, de coumpagno,
A TApoustdli de I'Espagno,
Nostc fihi e nebout, Sant Jaque lou Majoiir.
E, benurouso de la gldri
Que remountavo a sa memori.
Sus lou front di roumieu mandavian lou bagnun
D6u serenau, edcdins Tamo
le vejavian joio e calarao.
Pougnent coume de jit de flamo,
Es alor que vers nautre an mounta ti plagnun.
0 chatouno, ta fe 's di grando ;
Mai, que nous peson ti demando !
Vos b6ure, dessenado, i font de Tamour pur !
Dessenndo, avans qu'estre morto,
Vos assaja la vido forto
Que dins Dieu meme nous tresporto!
Dempi^i quouro as avau rescountra lou bonur?
MIRETLIE, CHANT X. 413
« Mais queta viie ia-haiit s'jaltache! — Vois tule
cheinin de Saint-Jacques? — Tanf6t nous y etions en-
semble, la-bas a I'aulre extremity ;— nous regar-
dions, dans les etoiles, — les processions fiddles qui
vont — en pelerinage k Compostelle, — prier, sur
son tombeau, notre fils et noveu.
« Et nous 6coutions les litanies. . . — Et ie inurmuro
des fontaines, — le branle des cloches, etledeclin
(lu jour, — et les p^lerins par les champs, — tout
rendait gloire. de concert, — k TApdtre de TEs-
pagne, — notre fiis et neveu, Saint-Jacques ie
Majeur.
« Et, bienheureuses de la gloire — qui rcmontait a
son souvenir, — sur le front des pelerins nous epan-
dions la rosee — du serein, et dans leur ame — nous
versions joie etcalme. — Poignantes comme des jels
de flamme, — cVst alors que vers nous out monte
OS plaintes.
ff 0 jeune fille, ta foi est des grandes ; — mais que
tes demandes nous pesent! — Tii veux boire, insen-
s6e, aux fontaines de Tamourpur; — insens^e, avanl
la mort, — tu veux essayer la forte vie — qui en
T)ieului-m6menoustransporte! — Depuis quand as-
lu la-bas rencontre le bonheur?
4U MlRtllO, CANT X.
L'as vist dins I'oine riche? Gounfle,
Estalouira dins soun triounfle,
N^go Dieu dins soun cor e i^n tout lou camin ;
Mai, quand es plen, toumbo Unige;
E que fara de soun gounfiuge,
Quand se veira davans lou Juge
Que dins Jerusalen intravo su 'n saumin?
L'as vist au front de la jacudo,
Quand de soun la, touto esmougudo,
Porge lou proumie rai k soun enfantounel?
Ta proun d uno male tetado ;
E, sus la br^sso descatado,
Regardo-la, despoutentado,
Que poutounejo mort soun paure pichounet 1
L*as vist au front de la nouvieto,
Quand, plan-planet, dins la draieto
Caminavo a la gleiso em6 soun ndvi?... Vai,
Per lou par^u que Ion chaupino,
Aqueu drai6u a mai d'espino
Que Tagrenas de la champino,
Car tout n'es eilavau qu^esprovo e long travai !
E *ilavau Toundo la pu claro,
Quand I'as begudo, v6n amaro ;
Eilavau nais lou verme em6 lou fru nouveu,
E tout degruno, e lout se gasto. . .
As beu cliausi sus la banasto ;
L*arange, tant dous a la taslo,
A la longo d6u t^ms vendra coume de feu !
MIREILLE, CHANT X. 415
« L*as-iu vu dans I'lioinine riche? Bouffi, — cou-
che nonchalamment dans son trioinphe, — ilnie Dieu
dans son coeur et tient tout le chemin ; — niais la
sangsue» quand elle est pleine, tombe... — Et que
fera-t-il de sa bouffissure, — lorsqu'il se verra de-
vant le Juge — qui dans Jerusalem entrait sur un
anon?
« L'as-tu vu au front de I'accouchee, — quand de
son lait, tout ^mue, — elle tend le premier jet k son
petit enfant? — C'est assez d'un trait de mauvais lait;
— et, sur le berceau d6couvert, — regarde-la, ne
se possedant plus, — qui couvre de baisers son pau-
vre petit, mort !
« L*as-tu vii au front de la fiancee, — lorsqu'a pas
lents, dans le sentier, — elle cheminait a Teglise,
avec son fianc6?... Va, — pour le couple qui le foule,
— ce sentier-14 a plus d'epines — que le prunelier
de la lande, — car tout n est 1^-bas qu'^preuves et
lonfflabeur!
« Et la-bas la plus claire des ondes, — quand tu
Tas bue, devient am6re ; — la-bas nait le ver avec le
fruit nouveau, — et tout tombe en mine, et tout en
corruption... — En vain choisis-tu sur la corbeille :
— Forange, si douce au gout. — k la longne du temps
deviendra comme du fiel.
416 MIRftlO. CANT X. •
E tau, te sein^lo que respiron,
Uins voste moiinde, que souspiron !...
Mai quau sara 'nvejous de b^ure a-n-un sourgent
Qu(^ noun s'agote e se courroumpe,
En soufriss^nt, que se lou croumpe !
Fau que la p^iro en tros se roumpe,
Se vou]^s n*en lira la paiolo d'arg^nt.
Urons adounc qiiau pren li peno,
E quau en ben fas^nt s'abeno ;
E quau plouro, en ves^nl ploura lis autre ; e quau
Trai lou manteu de sis espalo
Sus la pauriho nuso e palo ;
E quau 'ine Tumble se rebalo,
E p^r rafrejouli fai lampa soun fougau !
E lou grand mot que Tome duhlido,
Veleici : La mort es la vido !
E li simple, e li bon, e li dous, benura I
Erne I'aflat d*un v^nt sutile,
Amount s'envouiaran tranquilc,
E quitaran, blanc coume d'ile,
lln mounde onnte li Sant soim de-longo aquoira !
Tainben, oh ! se vesies, Mireio,
Perei^mount de Tempir^io,
Comne voste univers nouspareis marridonn,
E folo, e pleno de miseri
V6stis ardour p6r la mat«ri,
E v6sti pou dou vamenteri !
0 panro ! belari^s la mort o lou perdoun !
MIREILIE, CHANT \ Ml
« El tels losoinblenlrespirer,*-dan8YOlreinoiido,
ciui soupirenl ! . . . — Mais qui sera d^sireux de boir^
a une gource — intarissable, incorruptible , — on
souffranl, qu'il se Tachetel — EUe doit, la pierro, en
morceaux elre brisee, — si Ton vent en oxtrairo la
paillette d*argent.
ft Heureux done qui prend les peines, — et qui en
faisant lebiensepuise; — et qui pleure, en voyanl
pleurer les autres ; et qui — jette le manteau de ses
cpaules — sur la pauvrete nuo el pAle ; — et qui
avec rhumble s*abaisse, — et pour celni qui a froid
fait briller son foyer !
0 Et le grand mot que rhomme oublie, — le voici :
La mort, c*est la vie! — Et les simples, et les bons,
et les doux, bienheureux! — A la faveur d'un vent
subtil, — au ciel ils s'envoleront tranquilles, — et
quitteront, blancs comme des lis, — un monde ou
les Saints sont continuellement lapid^s !
c Aussi, oh! si tu voyais, Mireille, — dessuprd-
mes hauteurs de Tempyree, — combien voire uni-
vers nous parait souffreteux, — et foUes et mis^ra-
bles, — vos ardeurs pour la matiere — et vos peurs
du cimetiere! — 6 inforlun^e! tu yierais la mort et
le pardon I
il8 MIRtllO, CANT X.
Mai, de davans que lou bla *spigue,
En terro fau que rebouligue !
Fs la )^i... Emai nautre, avans d aye de rai,
Av6n begu Taigre ab^urage ;
E p^r enfin que toun courage
Prengue d*den, de noste viage
Voiiten te recounta lis arsi e lis esfrai.
K se teis^ron li tres Santo.
E lis oundado caressanto.
Per pscouta, courrien de-long d6u ribeires,
A troupelado. Lipinedo
Fagueron signe k la vemedo ;
E ii gabian e lis anedo
Vegu^ron s'ainata Tinm^nse Vacares.
E lou soul^n em^ la luno,
Dins la liuenchour que s*einpaluno,
Adour^ron, clinant si frountas cremesin ;
E la Garaargo salabrouso
Trefouligue!... LiBenurouso,
P^r douna voio a Tamourouso,
Au bout d'un mouinenet conmenceron ansiu
t..
MIKEILLE, CHANT X. 419
« Mais avant que le bie nionte en epis, — dans la
terre il faut qu*il fermente ! — C*est la loi .. El nous
aussi, avant d*avoir des rayons, — avons bu Taigre
breuvage ; — et afin que ton courage — prenne ha-
leine, de notre voyage — nous vouions te raconter les
tribulations et les effrois. »
Et les trois Saintes se lurent. — Et les vagues ca-
ressantes, — pour 6couter, couraient le long du li-
vage, — a troupeaux. Les bois de pins — firent signe
a Taunaie ; — et les goelands et les sarcelles — virent
riinmense Vaccar^s abattre (ses flots) **.
Et le soleil et la lune, — dans le lointain des mare-
cages, — adorerent, inclinant leurs larges fronts
cramoisis ; — et la Cainargue impregn^e de sel —
tressaillit 1... Les BienheureuseSj — pour donner des
forces 4 Tanianle , — au bout d*un petit moment
coimnencerentainsi :
T
INOTES
bli CHANT DIXIEME.
Veiicc fV^npo), petite ville du departemciit du Var, du cote
d'Aiitil)es, aiicien ev6che — Durenpolo. On doonc cc nora aux di-
vei*s caiiaux derives do la Durance. — Valcnsole, petite ville dcs
Basses-Alpes.
Dc soleii en soleil et de vent en vent (de souUu en souUu e
(fanro en auro)^ Ir.culion usuellc en Provence pour dire : Du le-
vant au coucliant, du iiord au midi.
' Taniaris {lamarisso), tamarix gaUica, Lin. — - Saliconie [enga-
no), salicornia fruticosa, Lin. — Arroche-pourpier (fraumo)^ atrl-
plexporlulamdes, Lin. — Sonde («>. /do), saUoIa sodOt Lin., vegc
lau\ connnuns dans la Caniargue.
* Cambet. Ce noin designe plusieui's oiseaux de i'ordre des ecliub-
sicis, i>rincipalenient Ic petit Chevalier aux pieds rouges [tringa
ganibetta, Lin.), et Ic grand Chevalier aux pieds rouges [scohpcx
calidriXy Lin.).
•^ Bihoreau [galejoun], ardea nyclicjrax, Lin, oiseau dc I'ordre
des t^chassiers, qu'on appelle aussi moita.
NOTES I)U CHANT X 421
^ .... Ces campaiiules qui, au rivage tie la ii\er, elalciit en cite
Iciir biaiicheur.
L'auteur a voulu parler ici dc la belle lleur qu'oii noiuiiie en
I>rovcu^l Ue de mar {pancratium maritimumj Lin.).
7 Phyllirea {daladir, du latin alaternus] , phyllirea latifblia,
Lin. J grand arbrisseau de la famille des jasminecs.
* Lc Fantastique [lau Fantasli)y aulremenl nomuie Eiprit fun-
tastiy follet, lutin dont ractiou se inanifcste par des espiegleriess.
(Pour plus de details sur celte croyance populaire, voyez Clianl YI,
^5lroI»hes 41 et suiv.)
0 Sansouire (sansouiro]^ wastes espaces sterilises et couvert
d'efllorescences salines par le voisinage et Tinfiltration de la nier
*o Morven (fttourven)^ genevrier de Plienicie.
" C'esl assez d'un peu d'lierbe pour Ics rainoUir.
Oil fait murir et ramollir sur de la paille les nelles et les
corines.
'* Le Vaccares [Vacar^). Voyez Chant lY, note 10.
56
CANT VOINGEN
LI SANTO
Li Satili Mario raconton, qu'apres la mort dou Crist, tiigueron eiu-
bandido, erne d'autri disciple, a la bello eisservu de la mar, e
qn'abourderon en Prouvenco, e que counverligu^rou li pople
d'aquelo encountrado. — La navigacioun. — La temp^to. — Ai-h-
bado &-n-Arlc di sant despatria. — Arle rouman. — La festo de
Venus. — Sermoun de sant Trefume. — Counversioun dis Arlateii
— Li Tarascounen venon impioura lou secours de Santo Mario. —
La Tarasco. — Sant Marciau k Limoge; Sant Savoui-nin a Touiouso;
Sant Estropi en Aurenjo. -— Santo Marto doumlo la Tarasco, e piei
counverlis Avignoun. — La papauta en Avignoun. — Sant Lazari a
Marsiho. — Santo Madaleno dins la baumo. — Sant Massemin a-
z-Ais. — Li Sdnli Mario i Bans. — Lou r^i Reinie. — La Prouvenvo
unido & la Franco. — Mireio , vierge e martiro.
L'aubre de la crous, o Mireio,
Sus la mountagno de Jud^io
Ero encaro planla : dre sus Jenisal^n,
E d6u sang de Di6u encaro ime,
Cridavo a la cieuta d6u crinrie,
Endourmido avau dins Fabime :
Uue n'as fa, que n'as fa d6u rei de Betelen?
E di carriero apasiniado
Hountavoii plus li grand bramado ;
Lou Cedroun tout soulet gingoulavo eilalin ;
E lou Jourdan, de languitudo,
S'anavo escoundrei soulitudo,
P^r desgounfla si plagnitudo
A Toumbro di rastencle e di verd petelin^
CHANT ONZItMK
LES SAINTES
Les Saintes Maries racontent comment, apr^ la morl du Christ,
ayant 6t£ livr^s i la merci des flots avec plusieurs autres dis-
ciples, elles abord^rent en Provence, et convertirent les peuplcs
dc cette contr^e. — La navigation. — La tom|)^te. — Arrivee des
Saints proscrits d Aries. — Aries romaine. — La fftte de V^nus.
— Discours de saint Trophime. — Conversion des Arl^siens. — Les
Tarasconais viennent implorer le secours de Sainte Marthe. — La
Tarasque. — Saint Martial d Limoges; Saint Saturnin d Toulouse ;
Saint Eutrope k Orange.— Sainte Marthe dompte la Tarasque, ft
ensuite convertil Avignon. — - La papautd A Avignon. — Saint La-
zare ft Marseille ; Sainte Magdeleine dans la grotte ; Saint Maiimin
a Aix; les Saintes Maries aux Baux. — Le roi R^nt^. — La Provence
unie ft la France. — Mireille, vierge et martyre.
« li'arbre de la croix, 6 Mireille, — siir la monta-
gne de Judee — 6tait encore plante : debout sur Je-
rusalem, — et du sang de Dieu encore hiimide, — il
criait k la cit6 du crime, — endormie la-bas dans Ta-
bime : — « Qu'en as-tu fait, qu'en as-tu fait, du roi
deB6thl6em?))
« Et des nies apaisees — ne montaient plus los
grandes clameurs. — LeCedron seul se lamentait au
loin ; — et le Jourdain, melancQlique, — allait se
cacher aux solitudes, — pour d^gonfier ses plaintes,
— a Tombre des leniisques et des verts ler6binthes.
'.2» MIRtiO, CANT XI.
E lou paiire pople ero ti'isle,
Car vesie Wii qu'ero soun Criste,
Aqiieii que de la toumbo aussant lou curbecen,
A si coumpagno, a si creseire,
6ro tourna se faire v6ire,
E piei, leissant li clau^ P^ire,
S'ero couine un eigloun enaura dins lou ceu !
Ah ! lou plagiiien, dins la Jud^io,
Lou b^u fustic de Galileio !
I.ou fustic di peu blound qu*amansissie li cor
Em6 lou meu di parabolo,
E qu'^ bel 6ime sus li colo
Li nourrissie *m6 de caudolo,
E toucavo si ladre, e reveni^ si mort!
Hai li d6utour, li r6i, li pr6ire,
Touto la chourmo di veiid^ire
Que de soun temple santlou m^stre avi6 cassa :
— Quau poudra teni la pauriho,
Se murmurSron k Tauriho,
Se dins Sioun e Samario,
Lou lume de la Crous n*6i pas 16u amoussa?
Alor li rSbi s*encagn6ron,
E li marlire temouni^ron :
Alor Tun, coume Esteve, ero aqueiratout vieii,
Jaque espiravo p6r Tespaso,
D'aulre, engrana souto uno graso
Mai sout lou ferre o dins la braso,
Tout cridavo en mourent : 0, Jesu 's Fi^u de Di^u!
MIR^ILLE. CHANT XL • 425
« Et le paiivre pcuple elait iriste, — car il voyait
bien que celui-la etait son Christ, — qui de la tombe
haussant le couvercle, — a ses compagnons, k ses
disciples, — etait revenu se monlrer, — et puis, lais-
santles clefs a Pierre,— s*6tait comme un aiglon en-
Iev6 dans le ciel I
« Ah I On le plaignait, dans la Judee, — le beau
charpentier Galileen, — le charpentier aux chcveux
blonds qui apprivoisait les coeurs — avec le miel des
parabolcs, — et qui avec largesse siir les collines —
nourrissait la foule de pain azyme, — ot touchait ses
leprenx, et ressusritait ses raorls !
« Mais les docleurs, "les rois, les pr^tres, — la
horde entiere des vendeurs — que de son temple
saint le Haitre avait chasses : — « Qui reliendra la
multitude, — se murmurerent-ils a Toreille, — si
dans Sion et Samarie — la lumiere de la Croix n est
prompt ement eteinte? »
« Alors les rages s'irriterent, — et les martyrs 16-
nioign^ront; — alors Tun, tel qu'Etienne, etait iapide
vif, - Jacques expirait par F^p^e, — d*autres, ecra-
s6s sous un blocde pierre!... — Mais sous le fer on
dans la braise, — tout criait en mourant : « Oai,
Jesus est Fils de Dion I •>
r.«.
4Sd MIRfelO. CANT XI.
Naulre, li sorre em6 H fraire,
Que lou seguian p^ tout terraire,
Sus uno ratamalo^ i fiirour de la mar,
E s^nso velo e stoso remo,
Fuguerian einbandi. Li femOy
Toumbavian un ri^u de lagremo ;
Lis ome vers lou c^u pourtavon soun regard.
Deja, deja vesen s'encourre
Ouliveto, palais e lourre ;
Vesen de Taut Carmel li serre e lis estras,
Qu*aperalin fasien la gibo.
Tout-d un-cop un crid nous arribo :
Nous reviraii, e sus la ribo
Vesen uno chatouno. Aubouravo si bras,
Ell nous cridant, touto afougado :
— Oh ! menas-me dins la barcado,
Mestresso, menas-me! P6r Jesu, ieu per6u,
Vole mouri de mort amaro !
Rro nosto serv^nto Saro ;
E dins lou ceu la veses aro
One Ion front ie lusis coume uno aubo d'Abreu.
Linen d'aqui TAnguieloun nous tiro ;
Mai Salome, que Dieu enspiro,
!s erso de la mar a jita soun velet...
0 pouderouso fe I . . . sus Toundo
Que sautoulrejo, blnio e bloundo,
La chato, que noun se prefoundo,
Vendue d6u ribeir^s a noste veisselef ; -.
MIREILLE, CHANT XI. 427
a Nous, les soeurs et les fr^res — qui le suivions
par tout pays, — sur un m^chant navire, aux fureurs
de la mer, — sans voiles et sans rames, — Mmes
chassis. Les femmes, — nous versions un ruisseau
de larmes ; — les homrnes vers le del portaient leur
regard.
« Deja, deji nous voyons fuir — l)ois d'oliviers,
palais et tours ; — nous voyons du haut Carmel les
cr^es et les d6chirures — au lointain bossuer (Iho-
rizon). — Tout k coup un cri nous arrive... — nous
nous reloumons, et sur la plage, — nous voyons une
jeune fille. Elle 61evait sesbras,
« En nous criant, tout ardente : — ((Oh! emme-
nez-moi dans la batel^e, — maitresses, emmenez-
moi ! Pour J6sus moi aussi — je veux mourir de
mort ani6re! » — C'etait notre servante Sara; — et
dansle ciel tu la vols maintenant — avec une aureole
comme une aube d'avril.
(( Loin de \k I'Aquilon nous entraine. — Mais Sa-
lome, que TMeu inspire, — aux vagues de la mer a jete
son voile. — 0 puissante foi!... sur Tonde — qui
sautille, blonde et bleue, — la jeune fille, sans s'en-
gloutir, — vint du rivage a notre vaisseau fr^le ;
428 MIRfelO, CANT XI.
6 rAnguieloiin la cainpejavo,
E lou velet la carrejavo.
Paincns, quand dins la fousco eilalin veguerian
Ciino h cha cimo despar&isse
Lou dous pais, e la mar creisse,
. Fan Tesprouva per lou coun^isse
Lou t^ngui segrenous qu*alor sentiguerinn !
Adieu! adi^u, torro sacrado!
Adi^u! Jud^io mal astrado,
Que coussaies ti juste e clavelles toun Dieu !
Aro, li vigno erne ti dSti
Di rous leioun saran lou pati,
E ti muraio, lou recMi
Di serpatas ! . . . Adi^u, patrio, adi^u, adi^i I
Uno ventado tcnripestouso
Sus la marino s6uvertouso
Couchavo lou bat^u : Marciau e Sayournin
Soun ageinouia sus la poupo ;
Apensamenti, dins sa roupo
Lou vi^i Trefume s'agouloupo ;
Contro 6n ero asseta Vevesque Massemin.
Dre sus lou leume, aqu^u Lazari
Quo de la tounnbo e dt'ni susAri
Avi6 'ncaro garda la mourtalo palour,
S^mblo afronnta lou gourg quo nmo;
Em* eu la nau perdudo enmono
Mario sa sorro, e Madalono,
Conchado on un cantonn, qno plonro sn doulonr.
WIREILLE, CHANT XI. 429
a Et FAquilon la poussait, — et le voile )a portait.
— Lorsque, pourtant, dans la brume eloign^e nous
vimes, — cime h ciine, disparaitre — le doux pays,
et la mer croilre, — il faut I'eprouver pour la con-
naitre, — la noslalgie profonde qu'alors nous resson-
times !
a Adieu ! adieu, terresacr^e! —Adieu, Judee vouee
au malheur, — qui pourchasses tcs justeset cruci-
fies ton Dieu ! — Maintenant tes vigncs et tes daltes —
des fauves lions seront le p^turage, — et tes mu-
railles, lerepaire — desliideux serpents!... Adieu,
patrie ! adieu, adieu ! »
(L Un coup de vent tempfttueux — sur la mer ef-
frayante — chassait le bateau : Martial et Saturnin
— sont agenouill^s sur la proue ; — pensif, dans son
manteau — le vieux Trophime s'enveloppe ; — au-
pr^s de lui 6tait assis T^v^que Maximin.
« Debout sur le tillac, ce Lazare — qui dela tombe
et du suaire — avait encore garde la mortelle pAleur,
— semble affronter le gouffre qui gronde ; — avec
lui la nef perdue emmene — Marthe sa soeur, et
Magdeleine, — couchfio on un coin, etpleurant sa
douleur.
430 MIR£I0, cant \I.
La nau^ que buton li demdni,
Meno Estr6pi, meno Sidoni,
J6u8^ d'Arimalio, e Marcello, e Gleoun;
E, d'apiela sus lis escaume,
Au sil^nci d6u blu reiaume
Fasien ausi lou cant di Saume;
E 'ns^n repetavian : Landamiis te Deum I
Oh ! dins lis aigo belugueto
Coume landavo la barqueto!
Nous s^mblo enca de veireaqu^li fouletoun
Que retoursien en revoulino
Lou pouvereu de la toumplino,
Pi^i, en colono mistoulino,
S'esvalissien alin coume d'espeij^toun.
De la mar lou souleu mountavo,
E dins la mar se recatavo ;
E, toujour emplana sus la vasto aigo-sau,
Courrian toujour la bello eisservo.
Mai dis est^u Di6u nous preservo,
Car dins si visto nous reservo
P^r adurre k sa lei li pople prouvencau.
Un matin sus t6uti lis autre,
Fasie tems sol : de davans nautre
Vesian courre la nine 'm6 soun lume k la man,
Coume uno v6uso matiniero
Que vai au four couire si tiero ;
Uoundo, aplanado coume uno iero,
D6u bat^u tout-b^u-justbatie li calaman.
MIREILLE, CHANT XI. 451
« La nef, que poussentles demons, -— conduit Eu-
trope, conduit Sidoine, — Joseph d'Arimathie, et
Marcelle, el C16on; — et, appuyes sur les tolets, —
au silence du royaume bleu — ils faisaient ouir le
chant des Psaumes ; — et nous rep^tions ensemble :
Laudamus te Deum !
« Oh! dans les eaux scintillantes — coinine cou-
rait la nacelle! — II nous semble encore voir ces
souffles tournoyanls — qui relordaient en tourbil-
lons — Tembrun de Tabime, — puis, en colonnes
leg^res — s'evanouissaient au loin conime des es-
prits.
« Le soleil niontait de la mer, — et se couchait dans
la mer; — et loujours errants sur la vaste plaine sa-
16e, — toujours nous allions au gr6 (du vent). —
Mais des ecueils Dieu nous garde, — car, dans ses
vues, il nous reserve — pouramener k sa loi lespeu-
plesprovengaux.
« Un matin sur tous les aulres, — le lenips 6tait
calme : devant nous, — nous voyons fuir la nuit avec
sa lampc k la main, comme une veuve matinale —
qui va au four cuire sa rang6e de pains; — Tonde,
aplanie comme une aire, — du bateau battait k peine
les madriers.
Aol MIUEIO, CAM XI
b'aporeilaliii uais, se gouiiflo,
Et porto ourrour dins Tamo, e rounilo
Un brul descouneissablc, un sourne broansiiiieji,
Que nous pen^lro li mesoulo,
E s^mpre mai ourlu e gingoulo.
Isterian mui! La visto soulo,
Taut liuen que poudi' ana, teni6 Taigo d'^-inent.
E sus ia marque s'agrounchavo.
La broufouni^seraprouchavo,
Rapido, fourmidablo ! e morto k nosle entour
Eronliserso; e, negro marco,
Endauso aqui tenien la barco.
Alin, lout-en-un-cop s*enarco
Uno mountagno d*aigo, esfraiouso d*autour.
De nivoulasencourounado,
La mar entiero amoulounado,
E que boufo, e que bramo, o Seghour ! en courreat
Veni6 sus nautre : k la subilo,
Un cop de mar nous precepito
Au founs d'un toumplc, e nous rojito
A la pouncho dis erso, espavourdi, niourenl!
Quentis espaiuie I que deslouriie !
De longs uiau fendon lou sourne,
E pelo cop sus cop d'espaventable tron !
E tout rinfer se descadeno
P^r englouli nosto careno.
La Labechado siblo, reno,
E contro lou pai6u bacello n6sti front.
I
MIREILIE, CHANT Xi. 433
« Des piofondeurs de (rhorizon) wait, se gonfle,
— et porte riiorreur dans I'ame, et gronde — un
bniit inconnu, un mugissement sombre, — qui nous
penetre les moelles, — et de plus en plus hurle et
gemit. — Nous restdmes muets 1 La vue seule, —
aussi loin qu elle pouvaitaller, guetlait les flots.
« Et sur la mer qui se blottissait (d'effroi), — la
rafale se rapprochait, — rapide, formidable! et
inortes autour de nous — etaient les vagues; d,
noir presage, — comme immobilisee par un charme
elles tenaient la barque. — Au loin soudain se dresse
— une montagne d'eau, effrayante de hauleur.
« De sombres nuages couronnee, — la mer entiere
amoncelee, — en soufflant el beuglant, 6 Seigneur!
a la course fondait sur nous : subitement — un coup
de mer nous precipite — au fond dun gouffre, et
nous rejetle — ^ la pointe des vagues, epouvautes,
mourants!
« Quelles transes! quel bouleversenient 1 — De
longs eclairs fendent Tobscurite, — et coup sur coup
cclatcnt d'epouvantables tounerres, — et tout I'Enfer
se dechaine — pour engloutir notre car^ne. — La
tourmente ' siffle, gronde, — et centre le pent bat
nos fronts. »
37
f3» NIREIO, CANT XI.
Sus I'esquinau de si camello
Tantost la mar nous enciinello ;
Tantosl, dins la founsourdi negre garagai,
Ounte barrulon li las^mi
Li biou-marin e li grand l^nii,
Allan entendre lou soulSmi,
Di negadis, que I'oundo escoubiho, pecai !
Nous veguerian perdu ! S'enverso
Sus n6sti lesto uno grando crso,
Quand Lazdri : Houn Dieu, serVe-nous de timouu!
M'as davera 'n cop de la touinbo. ..
Ajudo-nous! labarco toumbo!
Coume I'auroun de la paloumbo,
Soun crid ftnd la chavano e volo perainount.
De Taut palais ounte Iriounflo
Jesu Va vist; sus la mar gonnflo
Jesu v6i soun ami, soun ami qu*en-tant-leu
Vai 6slre aclapa soulo I'oundo.
Sis iue 'in6 'no piela prefoundo
Nous coiintemplon : subran desboundo
A traves la tempftsto un long rai de souleu*
Alleluia ! sus Taigo amaro
Mountan e davalan encaro ;
E trempe, e matrassa, boumiss6n Tainarun;
Mai lis esfrai tout-d'un-tems parton,
Li lamo fiero s'cscavarlon,
Li nivoulado alin s'esvarton,
La terro verdouleto espelis d6u claruii.
MIREILLE, CHANT XI. 435
« Sur le dos de ses houles — tanl6t la mer nous
hisse; — tantot dans la profondeur des noirs abimes,
— ou errent les paons-de-mer, — les phoques et les
grands requins, — nous allons entendre la lamen-
table plainte — des noyes, que Tonde balaye, h^las !
« Nous nous vimes perdus. — Sur nos tMes se
renverse une grande vague, — quand Lazare : « Mon
Dieu, sers-nous de timon! — Tu m*as arrache une
fois du tombeau. . . — Aide-nous ! la barque tombe ! »
— Gomme Tessordu ramier, — son cri fend I'orage
et vole dans les cieux.
a Du haut palais ou il triomphe, — J^sus Ta vu ;
sur la mer gonflee — Jesus voit son ami, son ami
qui, un moment de plus, — va Mre enseveli sous le
flot. — Ses yeux avec une piti6 profonde — nous con-
templent : soudain jaillit — k travers la tomp^te un
long rayon de soleil.
« Alleluia! sur I'eau amere — nous montons et
descendons encore ; — et ruisselants, et harasses,
nousvomissons Famertume. — En m^me temps les
effrois partent, — les lames fieres se dispersent, —
les nu^es au lointain se dissipent, — la terre ver-
doyante ecl6t de Teclaircie.
436 MlRtlO, CANT XI.
Lont^nis, 'm6 d'afr6usi turtado,
Nous trigoussejon lis oundado.
Piei se courbon enfin davans la primo nan
Souto un alen que lis abauco ;
La primo nau, coume uno plauco,
Fuso entre li roump^nt, e traiico
De large flo d*escumo eme soun carenau.
Conlro uno ribo s6nso roco, *
Alleluia ! la barco loco ;
Sus Tareno aigalouso aqui nous amourran,
E cridan t6uli : N6sli testo
Qn as p6utira de la tempesto,
Fin qu'au coul^u li vaqui 16sto
A prouclama ta lei, o Crist ! Te lou juran !
A-n-aqu6u noum, de jouissen^o,
La noblo terro de Prouv^n^o
Pareis eslrementido; i-n-aqueu crid nouveu,
E lou bouscas e lou campestre
An trefouli dins tout soun estre,
Coume un chin qu*en sent^nt soun mestre,
le cour a Tendavans e ie fai lou b6u-beu.
La mar avie jila d'arceli. . .
Patet' noster, qui es in cceli,
A nosto longo fam manderes un renos ;
A nosto set, dins lis engano
Fagueres naisse uno fountano ;
E miraclouso, e lindo, e sano,
Gisclo enca dins la gleiso ounte soun nostis os!
MIREILLE, CHANT XI. 457
« Longtemps, avec des chocs affreux. — nous bal-
lottent les vagues. — Puis elles se courbent enfin
devant la mince nef — sous un souffle qui les calmc;
— la mince nef, comme un colymbe', — sille entre
les brisants, et troue — de larges flocons d'ecume
avec saquille.
(( Centre une rive sans roche, — Alleluia! la bar-
que louche; — sur I'arene humide, la nous nous pros-
ternons, — et nous ecrions tous : « Nos l^tes — que
tu as arrachees k la tempMe, — jusquesous le glaive,
les voici prates — ^'proclamer ta loi, 6 Christ! Nous
lejurons! »
« A ce nom, de joie — la noble lerre de Provence
— parait secouee; k ce cri nouveau, — et la forfit el
la lande — onl tressailli dans tout leur 6t re, — comme
un chien qui, sentant son maltre, — court au-devanl
de lui et lui fait f^te.
« La mer avail jele des coquillages... — Pntei'
nostei\ quiesinccetis, — h noire longue faim tu on-
voyas un festin ; — h noire soif, parmi les saHcornos
— tu fis naitre une fontaine; — et miraculeuse, vi
limpide, et saine, — elle jaillit encore dans I'egliso
ou sonl nos os ! i
4:>8 MiniilO, CANT XI.
Plcii de la fe que nous afougo,
D6u Rose pren^n l§u la dougo ;
De palun en palun caminan k Vasard ;
E pi^i, gal'oi, dins lou terraire
Trouvan la trago de I'araire;
E pi^i, alin, dis Einperaire
Vos^nli iourrc d'Arle auboura i'estendard.
A Touro d'iuei sies meissouniero,
Arte ! e couchado sus toun iero,
Pantaies em' amour ti gl6ri d'&u!ri-fes ;
Mai ^res r^ino, alor, e maire
D*un tant b6u pople de remaire
Que, de toun port, lou v6nt bramau^e
Noun poudi^ travessa Tinm^nse^barcar^.
Roumo, de ndu, t*avi6 vestido
En peiro bianco b^n bastido ;
I)e ti grandis Areno avi^ mes k toun front
Li c^nt vint porto; avi^s toun Cieri ;
Avies, princesso de TEmp^ri,
P6r espassa ti refoul^ri,
Li poumpous Aquedu, lou Tiatre e Tlpoudrom.
Intran dins la ci6uta : la foulo
Mountavo an Tiatre en farandoulo.
E z6u ! mountan em*elo. Au mitan di palai,
A Tounibro di temple de mabre,
Se gandissi^ lou pople alabre,
Coume quand rounco dins li vabre
Un lav&ssi de plueio, k Toumbrino di plai.
MIREILLE, CHANT XL 439
« Pleins de lafoi qui nous brule, — du Rh6ne nous
prenons aussit5t la berge ; — de marais en marais
nous niarchons h raveniure,; — et puis, joyeux, dans
le terroir — nous trouvon^ la trace de la chairue ; —
et puis, au loin, des Empereurs — nous voyons les
tours d'Arles arborer T^tendard .
(( A cette heure tu es moissonneuse, — Aries ! el
coucbee sur ton aire, — tu r6ves avec amour de les
gloires anciennes; — mais tu etais reine, alors, et
in^re — d*un si beau peuple de rameurs — que, de
ton port, le vent mngissant — ne pouvait traverser
rimmense flotte.
« Rome a neuf t'avaitv^tue — en pierres blancbes
bien bSties : — de tes grandes Ar6nes elle avail mis
h ton front — les cent vingt portes ; tu avals ton
Cirque; — tu avais, princesse de I'Empire, — pour
distraire tes caprices, — les pompeux Aqueducs, le
ThMtre et I'Hippodrome.
(( Nous entrons dans la cit6 : la foule — au Tb6^tre
monlait en farandole. — Nous monlons avec elle :
au milieu des palais, — k Tombre des temples de
marbre, — s'elancait le peuple avide, — comme
quand rugit dans les ravins — une averse de pluie, h
I'ombre des erables>
4io mir£:io, cant xi.
0 inaladicioun ! o vergougno !
1 son moulan de la zambougno,
Sus lou pountin dou Tiatre, eme lou pitre nus,
Un vdu de chato viroulavon,
E su 'n refrin qu'ens^n quilavon.
En danso ard^nto se giblavon,
Au lour dun flo de mabre en quau disien Venus.
La publico embriagadisso
le bandissi^ si bramadisso ;
JouyMo emai jouv6nt repetavon : Canten!
Canten Venus, la grand divesso
De quau prouven tduto alegressol
Canten Venus, la segnouresso,
La maire de la terro e d6u pople arlaten!
Lou front aut, la narro duberto,
L idolo, encourouna de nerto,
Dins li nivo d'enc^ns pareissi6 s'espoumpi;
Quand, endigna de tant d'audan^o,
E derrounipent e crid e danso,
Lou viei Treftime que se lango,
En aussanl si dous bras sus lou mounde atupi,
D'uno voues forto : Pople d'Arle,
Escouto, escouto que te parle !
Escouto, au noum ddu Crist!... En'en digue pas mai.
Au frouncimen de sa grando usso,
VaquiTidolo que brandusso,
Gen^o, e dou pcdestau cabusso.
Em* 6u li dansarello an touinba de I'esfrai !
MIREILLE, CHANT XI. 441
« 0 malediction ! 6 honte ! — aux sons langoureux
de la lyre, — sur le podium du TliMtre, la poilrine
nue, — un vol de jeunes filles tournoyait, — et sur
un refrain que r6p6taient en choeur leurs voix stri-
denies, — en danses ardentes elles se tordaienl —
autour d'un bloc de marbre qu'elles nommaient
Venus.
« La populaire ivresse — leur jetait ses clamours ;
— jeunes filles et jeunes hommesrepetaient : « Chan-
tons ! — chantons Venus, la grande Deesse de qui
— toute allegresse vient! — Chantons Venus, la sou-
veraine, — la m^re de la terre et du peuple arle-
sien! »
« Le front haut, la narine ouverte, — Tidole, cou-
ronn6e de myrte, — dans les nuages d'encens pa-
raissait s'enfler d'orgueil; — lorsque, indigne do
tant d'audace, — interrompant et cris et danses, —
le vieux Trophime qui s*6lance, — en levant sos deux
bras sur la foule stup^faite,
« D'une voix forte : « Peuple d'Arles, — 6coute,
ecoute mes paroles ! — Ecoute, au nom du Christ ! . . . »
il n'en dit pas davantage. — Au froncement de son
grand sourcil,— \o\\k Tidole qui chancelle,— gemit,
et du pi^destal se precipite. — Avecelle les danseusos
sont tombees d'effroi !
f4i MlR£lO, CANT XI.
Se fai qu'un crid, s'eniend qu'ourlado.
Vers li pourtau de troupelado
S'engorgon, e p^r Arle oscampon Tespravant;
Li majourau sc descourounon,
Li juvenorae s*enfurounon,
En cridant : Z6u ! nous envirounon...
En Tor milo pougnard lusisson tout d*un vane.
Pamens, de nosto vestiduro
L^enregouido saladuro ;
Do Trefume lou front seren, coume enci^ucla
De clarour santo; e, mai poulido
Que sa Venus enfrojoulido,
La Hadaleno ennevoulido,
Tout ac6, *n moumenet, li fagu^ recula.
Mai alor Trefume : G^nl d*Arle,
Escoutas-me que i6u vous parle!
lo crid^ tournamai, apr^s me chaplares!
Pople arlaten, venes de veire
Toun di^u s'esclapa coume un veire
Au noum d6u mi^u! Anes pas creire
Que ma voues Ta pouscu : nous-autre sian pas res !
Lou Di^u qu*a 'sclapa toun idolo
N*a gcs do temple sus la colo!
Mai lou jour o la nine veson qu*6u eilamounl :
Sa man, p^r Ion crime sev^ro,
Es alarganto ^ la prei^ro ;
Ks ^u soulot qu*a fa la terro,
Es <^u qu*a fa lou c^u, e la mar, e li mount.
HIREILLE, CHANT XI. 443
« U ii'y a qu'un cri; on n entend que hurlements ;
— dans les portails, des coliues — s'engouffrent, ct
dans Aries r^pandenl I'epouvante ; — les palriciens
arrachent leurs couronnes, — les jcuiies hommes,
furieux, — en criant : « Sus! » nous entourent... —
Dans Tair mille poignards luisent d'un seul ^lan.
« Pourtant, sur nos v^tenienls — le sel fig6 ; — de
Trophime le front serein, comme encercle — de clar-
ies saintes ; et, plus belle — que leur Venus transie,
— la Magdeleine voilee d*un nuage (de larmes), —
tout cela, un instant, les fit reculer.
(( Mais alors Trophime : « Arlesieiis, — ecoutez nies
paroles, — leur cria-t-il derechef, apr^s, vous me
hacherez. — Peuple arlesien, tu viens de voir — ton
dieu se briser com me vcrre — au nom du mien !
N*attribue point — a ma voix ce pouvoir : nous, nous
ne sommes rien !
« Le Dieu qui a brise ton idole — n'a point de
temple sur la coUine ! — Mais le jour et la nuit ne
voient que lui la-haut; — sa main, severe pourle
crime, — eftt genereuse a la priere; — lui seul a fait
la terre, — lui (seul) a fait le ciel, el la mer, et les
monts.
4U MIREiO, CANT XI.
Uii jour, de soun auto demoro,
A vist soun ben nianja di toro;
A vist b6ure k Tesclau si plour e soun verin ;
Ejamai resquelou counsolo!
A vist lou Mau, pourtant Testolo,
Sus lis autar teni Tescolo;
Toun fihan, Ta vist courre a Tafront di gourrin !
E p6r espurga tau brulice,
P^rbouta fin au long suplice
De la ra<?o omenenco eslacado au pieloun,
A manda soun Fi^u : nus c paure,
Erne pas un rai que lou daure,
Soun Fieu es davala s enclaure
Dins lou sen d'uno Yierge; es na sus d'esloubloun !
0 pople d'Arle, penitenci !
Coumpagnoun de soun eisist^nci,
To pouden afourli si miracle : eilalin,
Is encountrado raounte coulo
Lou blound Jourdan, entre uno foulo
Espeiandrado e mau sadoulo,
L'aven^vist blanqueja dins sa raubo de lin!
E nous parlavo qu' entre naulre
Falie s'ama lis un lis autre ;
Nous parlavo de Dieu, tout bon, tout pouderoiis;
E dou reiaume de soun Paire,
Que noun sara per li troumpaire,
Lis auturous, lis usurpairo,
Mai ben per li pichot, li simple, li plourous.
M1R£1LLE, ClIAKT XI. 145
« Un jour, de sa haute demeure, — il a vu son
bien devore des chenilles; — il a vu resclave boire
ses pleurs et sa haine; — et jamais personne qui
Ic console! — II a vu le Mai, en robe sacerdolalo,
— sur les autels tenir ecole; — tes filles, il les a
vues courir k Taffronl des libertins !
« Et pour laver telles immondices, — pour nieltre
fin au long supplice — de la race humaine atlachee
au pilier, — il a envoye son Fils : nu et pauvre, —
dore d'aucun rayon, — son Fils est descendu s en-
clore — dans le sein d une vierge; il est ne sur du
chaume !
« 0 peuple d' Aries, penitence! — • Goinpagnons do
sa vie, — nous pouvons faffinner ses miracles ! Aux
lointaines — contrees oil coule — le blond Jourdain,
au milieu d*une foule — en haillons et aflamce, — "
nous Tavrns vu dans sa blanche robe de lin!
« Et il nous disait qu'entre nous — il fallail s' ai-
mer les uns les autres; — il nous parlait de Dieu,
lout bon, tout-puissant, — et du royaume dc son
P6re, — qui ne sera point pour les trompcurs, —
pour les haulains, pour les usurpateurs, — mais
bien pour les pelits, les simples, ceux qui pleu-
rent.
58
m MlRfelO, CANT Xt.
K fasi^ fe de sa d6utrino
bin caminant sus la marino;
Li inalaut, d'ua cop d'iue, d'un mot H garissie;
Limort, inaugrat lou sourne Wrri,
Souii revengu : vaqui Lazari
Que pourrissie dins lou sus^ri ! . . .
Mai, Ten que p^r ac6, boufre de jalousie,
Li rei de la nacioun Jusiolo
!i*an pres, Van mena su 'no colo ,
Clavela su 'n trounc d'aubre, abeura d*amarun,
Cubert d'oscra sa santo faci,
E pi^i auboura dins Fespaci
En se trufant d'6u !... — Grj\ci ! graci!
Esclat^ tout lou pople, estoufa d6u plourun;
Graci per nautre ! Que fau faire
Per desanna lou bras d6u Paire?
Parlo, ome de Dieu, parlo! e s'ei de sang que vou,
Fe semoundren cent sacrefice !
— Inmoulas-ie vosti delice,
Ininoulas vosto fam de vice ,
Uespoundegue lou Sant en se jitant per sou.
N^ni, Segnour! ce que t*agrado,
N'es pas Toudour d uno tuado,
Ni li temple de peiro : ames, ames b6n uiai
Lou tros d'artoun que Ton presento
A I'afama, vo la jouvento
Que v6n a Dieu, dou^o e cregnento,
Oufri sa casteta coume uno flour de Mai«
MinElLLE, CHANT XI. 447
« Et 8a doctrine, il Tallestait — en marchanl sur
la mer; — les maladcs, d'un regard, d*un mot, il
les guerissait; — les morts, malgre le sombre rem-
part, — sont revenus : voil^ Lazare — qui pourris-
sait dans le suaire... — Mais, pour ces seuls motifs,
enfl^s de jalousie,
« Les rois de la nation juive — Font pris, Tout
conduit sur une colline, — clou6 sur un tronc d'ar-
bre, abreuv6 d'amertume, — ont convert sa sainte
face de crachals, — et puis Tont 6leve dans Tespace,
— en le raillant... » — « GrAce ! gr^ce ! Mata tout le
peuple, 6touffe de sanglots;
a Gr^ce pour nous ! Que faut-il faire — pour d6s-
armer le bras du P6re? — Parle, homme divin,
parle! et si c*est du sang, qu'il veut, — nous lui
offrirons cent sacrifices ! » — « Immolez-Iui vos de-
lices, — immolez votre faim de vice, — r6pondit le
Saint en se jetant par terre.
« Non, Seigneur! ce qui te plait, — ce n'est point
Fodeur d*une tuerie, — ni les temples de pierro : tu
aimes, lu aimes bien mieux — le morceau de pain
que Ton presente — a I'affame, ou la jeune viergo
— qui vient a Dieu, douce et craintive, — offrir sn
chastet^ comme une fleur de mai. »
448 IIRfelO, CANT XI.
Di bouco d6ii grand Apoustoli
Ansiu raie counie un sant 6li
ha paraulo de Dieii : e plour de regoula,
E malandrous, e rusticaire
De beisa sa raubo, pecaire !
E lis idolo, de tout caire,
Sus li graso di temple alor de barrula !
Entanterin, en testim6ni,
L'Avugle-na (qii'ero Sid5ni),
Houstravo is Arlalen si vistouii neleja;
En d'autre Massemin recito
Lou Clavela que ressuscito,
La repent^nci qu*es necito...
Arle, aqu6u meme jour, se fagu6 batoja !
Hai, counie uno auro qu'escoubiho
Davans elo un fio de broundiho,
Senten T Esprit de Di6u que nous bulo. E veici,
Coume partian, uno cmbassado
Qu*a n6sti p^d toumbo , apreissado,
En nous disent ; Uno passado,
Eslrangie d6u bon Di^u, vougues b6n nous ausi !
Au brut de v6sti grand miracle
E de v6sti nouveus ouracle,
Nous mando a vosti ped nosto pauro cieuta...
Sian mort sus n6sti cambo ! Alabre
De sang unnan e de cadabre,
Dins nosti bos e ndsti vabre
Un inoustre, un fl6u di di6u, barrulo.. , Agues pieta !
MIREILLE, CHANT XI. 449
a Des levres du grand ApOtre — ainsi coula comine
une huile sainte — la parole de Dieu : et pleurs de
ruisseler, — et malades et pauyres travailleurs — de
baiser sa robe, — et les idoles, de toute part, — sur
lesrdegr^s des temples alors de rouler !
« En m6me temps, en temoigiiage, — TAveugle-
ne (qui 6tait Sidoine), — montrait aux Arlesiens ses
prunelles nettoy6es; — a d'autres, Maximin raconte
— le Crucifi6 qui ressuscite, — le repentir qui est
nteessaire . . — Aries ce mSme jour se fit baptiser !
(( Hais, tel qu'un vent qui balaye — devant lui un
feu d'^mondes, — nous sentons I'Esprit de Dieu qui
nous pousse. Et Yoici, — comme nous partions,
une ambassade — qui d nos pieds tombe, emprcs-
see, — en nous disant : « Un instant, — strangers
du Dieu bon, veuUtez bien nous entendre !
« Au bruit de vos grandes meryeilles — et de vos
nouveaux oracles, — k vos pieds nous envoie notre
cite malheureuse. . . — Nous sommes morts sur nos
jambes ! Avides — de sang bumain et de cadavrcs,
— dans nos bois et nos ravins — un monstre, un
fl^au des dieux, erre... Ayez pitie !
58.
45(1 MIR&TO, CANT XI.
Li bestio a la co d'un coulobre,
A d'iue inai rouge qu'un cinobre;
Sus Tesquino a d'escaumo e d'Asti que fan poii !
D*un gros leioun porto lou mourre,
E si^is p^d d*ome p^r mies courre;
Dins sa caforno, souto un moure
Que doumino lou Rose, emporto ce que p6ii.
T6uli li jour ndsti pescaire
S esclargisson que mai, pecaire !
E li Tarascounen se bouton k ploura.
Mai, s^nso pauso ni chancello,
Marto s'escrido : Em^ Marcello
I6u i'anarai ! Moun cor baceilo
I)e courre &-n-aqu^u pople e de lou deli^ura.
P6r la darriero fes su terro,
Nous embrassan, em^ TespSro
Do nous revtire au ceu, e nous desseparan.
Limoge agu^ Marciau ; Toulouso
De Savournin fugu^ Tespouso;
E dins Aurenjo la poumpouso,
Ef^trdpi lou proumi^ samen6 lou bon gran.
Mai ounte vas, tu, dou^o vierge?...
Em' uno crous, em* un asperge,
Marto, d'un ^r seren, caminavo tout dre
Vers la Tarasco : li Barbare
Noun poudent creire que s'apare,
P^r espincha lou coumbat rare,
kvon t6uti nrrounta siis ii pin de Tendr^.
MIREILLE, CHANT XI. 451
« La L^te a la queue d*un dragon, — des yeux plus
rouges que cinabre, — sur le dos des 6cailles et des
dards qui font peur ! — D'un grand lion elle porte le
mufle, — elle a six pieds humains, pour mieux cou-
rir ; — dans sa caverne, sous un roc — qui domino
le Rhdne, elle emporte ce qu'elle pent.
« Tous les jours nos p^heurs, — s*eclaircissenl
de plus en plus, h6las 1 » — Et les Tarasconais se
prennent h pleurer. — Mais sans retard ni h^sitance,
Marthe s*6crie : « Avec Marcelle, -^ moi, j'irai! Le
ccBur me bat — de courir k ce peuple el de le deli
vrer. »
« Pour la derni6re fois sur la terre, — nous nous
embrassons, avecTespoir — denous revoir au ciel,
et nous nous s6parons. — Limoges eut Martial ; Tou-
louse — deyint i*^pouse de Satumin, — et dans
Orange la pompeuse — Eutrope le premier sema le
bon grain.
« Maistoi, ou vas-tu, douce vierge?... — Avec uno
croix, avec un aspersoir, — Marthe d'un air serein
marchait droit — a la Tarasque : les Barbares, — ne
pouvant croire qu'elle se d6fende, — pour regarder
le combat insigne, — etaient montes en foule sur les
pins du lieu.
452 MIRfelO, CANT XI.
Destrassouna, pouii dins soun soustre,
Aguesses vist bouinbi lou moustre ! . . .
Mai souto Taigo santo a b^u se trevira,
De-bado reno, siblo e boufo...
Marto, em' un prim seden de moufo,
L'embourgino, Tadus que broufo...
Lou pople tout entie courregu^ I'adoura !
— Quau sies? La cassarello Diano?
Venien k la jouino Crestiano,
0 Minervo la casto e la forto? — Noun, noun,
le respoundegu6 la jouvento :
Sieu de moun Dieu que la servento !
E quatecant lis assavento,
E 'm* elo davans Di^u plegueron lou geinoun.
De sa paraulo vierginenco
Piqu6 la roco Avignounenco...
E la fe talamen k bello oundo giscl^,
Que li Clemen e li Greg6ri
Pu tard, eme soun sant cibdri,
Vendran ie b6ure. Per sa gl6ri
r a Roumo qu*eilalin selanto an tremoul6 !
Pamens, deja de la Prouven^o
Mountavo un cant de reneiss6n<^o
Que fasi6 gau h Dieu : Tas agu remarca,
Tre qu'a plougu *n degout de plueio,
Goume tout aubre e touto brueio
Aubouron i^u sa gaio fueio ?
Ansin tout cor brulant courrie se refresca.
MIREILLE. CHANT XL 45r>
« Eveille en sursaut , liarceie sur sa liliere, —
eusses-tu vu bondir le monstre! — Mais sous I'ondee
sainte vainemcnl il se lord, — en vain il grogne,
siffle ct souffle... — Marthe, avec une mince laisse de
mousse, — Tenlace, Tamene s'6brouan!... — Lv
peuple tout enlier courut I'adorer !
— « Quies-lu? La chasseresse Diane?— disaient-ils
a la jeune Chrelienne, — ou Minerve la chaste ot la
forte ?» — « Non, non, — leur r^pondit la jciuie
fdle : — je ne suis de mon Dieu que la servanlo ! »
— Et aussit6t elle Ics instruit, — et avec elle devaiit
Dieu ils fl^chirent le genou.
« De sa parole virginale — elle frappa la roclie
Avignonnaise... — Et la foi, tellement a belles ondos
jaillit, — que les Clement et les Gregoire — plus
tard, avec leur coupe sainte — viendront y puiser.
Pour sa gloire, — Rome, la-bas, septante annees
trembla.
« Cependant, de la Provence deja — s'elevait un
chant de renaissance — qui rejouissait Dieu : n'as-lu
pas remarque, — d6s qu'il a plu une goutle de pluie,
— comme tout arbre et toute vegetation — relevent
vite leur feuillage gai? — Ainsi tout coeur brnlant
courait se rafraichir.
♦54 NIR^IO, CANT XI.
Tu memo, auturouso Marsiho,
Que siis la mar ducrbes ti ciho,
E que r6n de la mar noun te p6u leva Due,
E qu*en despi^ di vent countrSri,
Sounjes qu'^ Tor entre li bSrri,
k la paraulo de Laz&ri,
Rebal^res ta visto e vegueres ta niue !
E dins rUv^une que s'aveno
Em^ li plour de Madaleno,
Lavferes davans Di6u toun orre queitivie. . .
Vuei tournamai dr^isses la t^sto...
Davans que boufe la temp^sto,
Ensouvene-te, dins ti fi^sto,
Di plour madalenen bagnant tis 6ulivie !
Colo de-z-Ais, cresten arebre
De la Sambuco, viei gen^bre,
firand pin que vesliss^s 11 bans de TEstereu,
Vous, mourven de la Trevaresso.
Redigas de quinto alegresso
Vosti coumbo fugueron presso,
Quand pass6 Massemin pourtant la crous em' ^u !
Mai, alin, la veses aquelo
' Que, si bras blanc sarra contro elo,
IVego ail founs d'uno baumo? Ail panro ! si geinoun
Se macon k la roco duro,
E n'a per louto vestiduro
Que sa bloundo cabeladuro,
E la Inno la viho em6 soun lumenoun.
MIREILLE, CHANT Xl. 455
« Toi-in6me, alliere Marseille, — qui sur la iner
ouvres tes cils, — el dont rien (du spectacle) de ta
itier ne peut dislraire roeil, — et qui, eii depit des
vents contraires, — ne songes qu a Tor, — dans tes
muraiUes, a la parole de Lazare, — tu abaissas ta
vue et tu vis la nuit !
(( Et dans THuveaune qui s'alimente — avec les
pleurs de Magdeleine^, — tu lavas devani Dieu (a hi-
deuse iinmondicite... — Aujourd'hui iu dresses la
t^tede nouveau... — Avant que la tetnpete souffle,
— souviens-toi, au milieu de tes f^tes, — que 1^
pleurs de Magdeleine baignent tes oliviers !
« Collines d*Aix, crates abruptes — de la Sambu-
que, vieux genie vres, — grands pins qui v6tez les
escarpements de TEslerel, ~ vous, morvens de la
Trevaresse, — redites-nous de quelle joie — vos val-
lees furent prises, — quand passa Maxiinin, portant
la croix avec lui * !
f
a Mais, dans reloigneinenl, la vois-tu, ceile — qui,
ses bras blancs serres contre ello, — prie au fond
dune grotte?... Ah ! pauvre infortun6e! ses genoux
— se meurlrissenl a la roche dure, — el elle n*a
pour tout vfetement — que sa blonde chevelure, — et
la lune la Veille avec son (pale) flambeau.
iMi JimEIO. CANT XI.
I'j per la veire dins la baumo,
Lou bos sc clino c fai calauino ;
E i' a d'ango, tcHent lou balre de si cor,
Que respincbon p^r uno escleiro ;
E quaiid perlejo sus la peiro
Un dc si plour, en grand presseiro
Van lou cueie e lou metre en un calice dor !
N*i'a proun, ni'a proun, o Madalenol
Lou Y^nt que dins lou bos aleno
T'adus deinpiei trento an lou perdoun dou Segnour ;
E de ti plour la roco memo
Plourara sempre ; e ti lagrenio
Sempre, sus touto amour de ferao,
Coume uno auro de iieu, jilaran la blancour!
Mai dou regret que reslransino
Hen counsoulavo la mesquino ;
Ni lis aucelounet qu*en foulo au Sanl-Pielouii,
Per estre benesi, nisavon,
Ni lis ange que I'enaussavon
A la brasselo, e la bressavon
Set fes touti li jour, en Ter sus li valoun!
f
A tu, Segnour, a tu revengue
Touto lausenjo ! a nautre avengue
De te \eirc sens fin tout lusenl e verai !
Pauri feme despatriado,
Mai de toun amour embriado,
De loun eterno suuleiado
Aven, nautri pereu, escampa quauqui rai!
MIREILLE, CHANT XI. 457
« Et pour la voir dans la grolte, — la foret se pen-
che et fait silence ; — et des anges, rclenant le bat-
tement de leurs coeurs, — I'epient par un interstice,
— et lorsque sur la pierre tombe en perle — un de
ses pleurs, en grande h^te — ils vont le recueillir el
le metlre en un calice d'or.
« Assez ! assez, 6 Magdeleine 1 — Le vent qui'dans
le bois respire — t'apporle depuis trenle ann6es le
pardon du Seigneur. — De tes pleurs la roche elle-
m^me — pleurera 6terneHenient; et tes larmes, —
eternellement, sur tout amour de femme, — comme
un vent de neige, jetleront la blancheur !
tt Mais du regret qui la consume — rieii no consu-
Jail la malheureuse : — ni les pelits oiseaux qui en
I'oule au Saint-Pilon *, — pour etre benis, nichaienl;
— ni les anges qui Tenlevaient — dans leurs bras, et
la ber^aient — septfois tousles jours, dans I'air, sur
les vallons.
« A toi, Seigneur, a toi revienne — toute louange !
a nous advienne — de te voir a jamais dans ta splen-
deur entiere et ta realite ! — Pauvres feunnes exilees,
— mais enivr^es de ton amour, — de ton eternelle
irradiation — nous avons, nous aussi, epanche qucl-
ques rayons.
59
4j8 MIRIEIO, CANT XI.
Colo Baussenco, Aupiho bluio,
Vosti calaii, v6stis aguhio,
Do iiosto predicango k toust^ins gardaran
La gravaduro peirounenco.
1 soulitudo palunenco,
Au founs de Tisclo Cainargiieiico,
La mort nous al6uj^ de nosti jour 6ubrant.
'Coume en touto causo que toumbo,
L'oublit rescound^ l^u li toumbo.
La Prouvengo cantavo, e lou t6ms courregu6 ;
E coume au Rose la Durengo
Perd a la fin soun escourr^ngo,
Lou gai reiaume de Prouvenco
bins lou sen de la Franco a la fin s'amague.
— Franco, em^tu meno ta sorre!
Digue soun darrie r^i, ieu more.
Gandissesvous ensen alin versTaveni,
Au grand prefa que vous apello.*.
Tu sies la forlo, elo es la bello :
Veires fugi la niue rebello
Davans la resplendour de vosti front uni*
Reinie fague 'c6 beu. Un sero
Qu'enlredourmie dins sa coucero,
le moustrerian lou rode ounte 6ron n6stis os :
Eme douge evesque, si page,
Sa bello court, sis equipage,
Lou rei vengue sus lou ribage,
E souto lis eiigano atrouve nosti cros.
MIREILIE. CHANT XI. 4S9
« Gollines des Baux, Alpines bleues, — vos mor-
nes, vos aiguilles, — denotre predication, dans tons
les si^cles, garderont — la trace grav^e dans la
pierre •. — Aux solitudes paludeennes, — au fond
de File de Camargue, — la mort nous all^ea de nos
jours de labeur.
« Comme en tout ce qui tombe, — Toubli cacha
bientdt nos tombeaux. — La Provence chantait, et le
temps courut; — et de m^me qu'au Rhdne la Du-
rance — perd k la fin son cours, — le gairoyaume
de Provence — dans le sein de la France k la fin s'on-
dormit.
— « France, avec loi conduis ta soeur I — dit
son dernier roijemeurs! — Dirigez-vous ensemble
la-bas vers TAvenir, — ^ la grande tAche qui vous
appelle... — Tu es la forte, elle est la belle : — vous
verrez la nuit rebelle fuir — devanl la splendeur de
vos front r6unis. »
« Ren6 accomplit ce beau fait. Un soir, — qu*il
sommeillait dans son lit de plumes, — nous lui mon-
tr&mes le lieu oii 6taient nos ossements : — avec
douze 6v6ques, avec ses pages, — sa belle cour, ses
equipages, — le roi vint sur la gr^ve, — ot sous les
salicornes trouva nos fosses.
460 MIREIO, CANT XI
Adi^u, Mireio!... L'ouro volo,
Ves6n la vido que tremolo
Dins toun cors, couine un lume en anant s'amoussa.
De davans que I'aino lou quite,
Parlen, mi sorre, parten vile!
Vers li belli cimo, es necile
Qu*arribon davans elo, es iiecite e pressa.
De rose, uno raubonevenco,
Aleslissen-ie : vierginenco
K martiro d'amour, la chato vai mouri I
Eloiirisses-vons, celesti leio!
Santi clarour de Fempireio,
Escampas-vous davans Mireio!...
Glori an Paire, em' au Fieu, cm' an Sant Esperit !
t
MIREIO, CANT XI. 461
« Adieu, Mireille!... L'heure vole. — Nous voyons
la vie Irembloter — dans ton corps, comme une
lampe qui va s'6teindre. . . — Avant que T^me le quitte,
— partons, mes soeurs, parlons en Mte ! — Vers les
belles ciines, — il est n^cessaire — que nous arri-
vions avant elle, n^cessaire et urgent.
« Des roses, une robe de neige, — preparons-lui 1
Vierge, — et marlyre d'amour, la jeune fiUe va
mourir! — Fleurissez-vous, celesles avenues! —
sainles clartes de TEmpyree, — epanchez-vous devant
Mireille!... — Gloire au Pere, et au Fils, et au Saint-
Esprit! »
t
39.
NOTES
or CHANT ONZlfeME.
* I/tbechado, en ilalien Hbecciata. Tempele occasionneo par
lo vent dii sud-ouest appele iMbiy qu'on fait deliver dii giTc
/t6ovoT05, mdme signiflcation.
* Colymbe k crfite [plavco], podiceps cristatui, Lin., oiseau de
Tordre des palmipedes.
^ Et dans riluveaune qui s'alimente avec les pleurs de Magde-
leinc.
I/Huveaune, petite riviere qui prend sa source k la Sainte-Baume
fVai }, passe a Aubagfne, et se jette dans la mor, k Marseille, au bout
de la promenade du Prado.
line pieuse el poetique l^gende attribue son origine aux larmes
de sainte Magdeleino.
* Sambuque [Sambuco], nionlagne a I'orient d'Aix. — Esterei
[Est^rel], montagne et fordt du departement du Var. — Monens
de la Trevaresse (mourven de la Trevaresso) : mourven, genevrier
de Phenicic. — La Trevaresso, chaine de montagnes entre la Ton-
loubre, la Durance et le canal de Craponne.
8 Saint-Pilon (Sant-Pieloun) . Voyez Chant VII, note i2.
^ La trace graree dans la pierre (lagravadttrcpeirofinenco). On
NOTES DU CHANT XF. 465
a YU, dans le r^cit des Saintes>Maries, que la barque des saints
proscrits aborda a rextr^miW de Tile de Camargue. Ces premiers
apdtres des Gaules i^monterent le Rh6ne jusqu'^ Aries, et de la
se dispers^rent dans le Midi. On dit mSme que Joseph d'Arimathir
alia jusqu'en Angleterre. Telle est la tradition arl^sienne. La tradi-
tion des habitants des Baux reprend alors et continue I'odyssee
des sainted femmes : elle dit que ces dcrniferes vinrent pr6cher la
foi dans les Alpines, et que pour etemiser le souvenir de leur pre-
dication, elles grav6rent miraculeuseraent leurs effigies sur un ro-
cher. Au levant du rocher des Baux, on voit encore ce myst^rieux
«l antique monument : c*est un enonne bloc ddtacb^, debout sur
\e penchant d'un precipice, ettaille en aiguille. Sur sa face orien-
talesont sculptte trois figures grandioses, objets de la v^^n^ralion
fles populations voisines.
CANT DOUGEN
LA MORT
Lou pais dis ai'ange. — Li Santo remounton au paradis. — Lou paire
em& la maire arribon. — Li Santen mounton Mir^io k la capello-
z-auto, ounle i'a U relicle. — La gl^iso di Sinti Mario. — Li supli-
cacioun. — La plajo camarguenco. — Vincen arribo e sa doulour
desboundo.— Lou canlico di Santen.— Darriero visioun de Nireio :
vei li Santi Mario einplanado dins la mar. — Darridri paraulo, e
luminouso mort de la chatouno. — Li coumplancho, la deseS'
peran^o.
Au pais dis araiige, a I'ouro
Que lou jour de Dieu s esvapouro ;
E que li pescadou, qu'an cala si jambin,
Tiron si barco k la calanco ;
E que,leissant parti la branco,
Sus la cabesso vo sus Tanco
Li chalo en s'ajudant cargon si plen gouii)in ;
Di ribo ounte TArg^ns varaio,
Di piano, di coulet, di draio,
S'enausso peraliu un long Cor de cansoun.
Mai belamen de la cabruno,
Cant d'amour, 6r de cantabruno,
Pau-^ pau dins li colo bruno
S'esperdon, evenroumbroemela langiiisoun.
CHANT DOUZIE^E
LA MORT
Le pays des oranges. — LesSaintesremonlcnl dans le ciel. — Anivee
du pere et de la mere. — I^s Saintins montent Mireille a la cha-
pelle haute, ou sont d^posees Irs reliqiies. — L'^i^lise des Sainton
Maries. — Les siippHcalions. — La plage de (^ainargue. — Arriv^n
(le Vincent, eclat de sa doulour. — Le cantique des Saiutins. —
Merniere vision de Mireille : les ifaintes Naries lui apparaissen)
sur la haute inor. ^ Dernieres paroles, et radieuse mort de hi
jeune fille. — Les plaintes, le dtisespoir.
Au pays des oranges, k Theure ~ oulejourde
Dieu s'evapore; — lorsque les p^cheiirs,ayant tendu
leurs nasses, — tirent leurs barques k Tabri (des ro-
chcrs) ; — et que, laissant aller la brancho, — sur
la 16te ou sur la hanche — les jeunes fiUes, en s'en-
tr aidant, chai^ent leurs corbeilles pleines ;
Des rives ou I'Argens ^ serpente, — des plaines,
des coUines, des cheinins, — s*el6ve dans le lointain
un long choeur de chansons. — Mais bflements
de chevres, — chants d'amour, airs de chalumeau,
— peu a peu dans les montagnes brunes — se per-
dent, et viennent I'onibre et la melancolie.
466 MIREIO, CANT XIl.
Di Mario que s'envoulavon
Ansin li paraulo calavon,
Calavon pau-^-pau, de nivo en nivo d'or :
Semblavo un resson de cantico,
Seinblavo uno liuencho nmsico
Qu'en dessus de la gl^iso antico
S*enanavo em6 Tauro. Elo,semblo que dor,
E que pantaio ageinouiado,
E qu^uno estranjo souleiado
Encourouno soun front de nouvelli b^uta.
Mai, dins lis erme e li jouncado,
Si vi6i parent tant Tan cercado
Qu*^ la periin Tan destouscado ;
E dre, soulo lou porje, alucon espanta.
Prenon pamens d*aigo signado,
Mandon au front sa man bagnado.
Sus lou bard que respond e la femo e lou viei
Dedinss'avancon... Espaurido
Coume quand subran uno trido
VM li cassaire : Moun Di6u ! crido,
Paire e maire, ounte anas ? — E de veire quau vel,
Mireio toumbo aqui. Sa maire,
Em' un visage lagremaire,
le cour, e dins si bras I'aganto, c ie disie :
Qu*as, que toun front es caud que brulo?
Noun, es pa *n sounge que m'embulo,
Es elo qu'a mi p^d barrulo,
Es elo, es moun enfant!... E plouravo, e risi6.
MIREILLE, CHANT III 4G7
Des Maries qui s'envolaient — ainsi les paroles
s*eteignaient, — s'eteignaientpeu &peu,de nu^efd'or)
en nuee d'or : — pareilles a un echo de caiitique, —
pareilles k une musique eloigiiee — qui, au-dessus
de r^glise antique, — sen serait aU6e avoc la brise.
Elle, il semble qu'elle dort.
El qu'elle r6ve agenouill^, — ct qu'un etrange
rayonnement de soleil — couronne son front de nou-
velles beautfe. — Mais, dans les landes el les jon-
cliaies, — ses vieux parents Tout tant cherchee —
qu*ils Font a la fin d^couverte; — et debout, sous le
porche, ils regardentstuptfaits.
Us prennenl cependant del'eau b^nile, — ils por-
tent au front leur main inouill6e. — Sur la dalle so-
nore, la femme et le vieillard — s'avancent dans
(reglise)... Effray6e — comme un bruant qui tout a
coup— voil les chasseurs: « MonDieu ! s'6crie-l-elle,
— p^re et mere, ou allez-vous? » — Et voyant ceux
qu'elle voit,
Mireille tombe IS. Sa mere, — le visage en larmes,
— accourt, etdans ses bras la saisit, et elle lui disait :
— « Qu'as-tu? ton front brtile... — Noii, cc n'esi
point ua songe qui m'abuse, — c'esl elle qui a nies
pieds roule, — c'est elle, cVst nion enfant!... » Et
elle pleurait, et elle riaiti
468 NII\l;iO, CANT III
— Mireio, ina bello mignolo,
Es i^u que sarre ta manoto,
leu toua paire!... E lou vi^i, que ladoulour esten,
le recaufavo si man morto.
Lou v^nt deja pamens emporto
La grand nouyello : k plen de porto,
Dins la gl^iso, esmougu, s'acampon li Santen.
— Mountas-la, mountas la malauto !
Venien; a la capello-z-auto
Hounlas-la, lout-d*un-tems ! que toque li sants os!
Dins si caisso miraclejanio
Que baise n6sti gr^ndi Santo
De si bouqiteto angounisanto !
Li femo toul-d'un-tems I'arrapon enlre dos.
De-per-d'aut de la gleiso bello,
la tresautar, i'atres capello
Dastido uno sus Tautro en bio de roucas vieu.
Dins la capello sousterrado
Ta Santo Saro, venerado
Di brun B6umian ; mai aubourado,
La segoundo es aquelo ounte ei Tautar de Dieu.
Sus li pieloun dou santuari,
La capeleto mourtu&ri
Di Mario, amoundaut, s'enarco dins lou ceu,
'Me li relicle, santi laisso
D*ounle la gr&ci coulo a raisso....
Quatre clau pcslellon li caisso,
Li caisso de cipr^s eme si curbec^u.
MIREILLE, CHANT XII. 46U
— « Mireiile, ma belle niigiionne, — c'esl nioi
qui serre ta main, — moi ton pere 1... » Et le vieil*
lard, que la douleur suflbque, — lui r^chauffait ses
mains inanim^es. — bi^k cependant le vent emporte
— la grande nouvelle : k plein portail, — dans I'e-
glise, 6mus, s'assemblent les Sainlins ',
— « Hontez-ta, montez la malade ! — disaient-ils ;
k la chapelle haute, — montez-la sur-le-champ !
qu*elle touche les saints os ! — Dans leurs chesses
miraculeuses — qu'eUe baise nos grandes Saintcs
— de ses 16vres agonisantes I » — Les femmes sur-
le-champ la saisissent a deux.
Dans la partie haute de la belle eglise, — sont
Irois autels, sont trois chapelles — bMies une sur
I'aulre, en blocs de rocher vif. — Dans la chapelle
souterraine — est Sainte Sara, veneree — des bruns
Bohemiens ; plus elevee , — la seconde renfernie
Tautel de Dieu.
Sur los piliers du sanctuaire, — ■ I'^troite cha-
pelle morluaire — des Maries 6leve sa voute dans
le ciel, — avec les reliques, legs sacres — d'ou la
grace coule en pluie... — Quatre clefs ferment les
chesses, — les chesses de cypres avec leurs cou-
vercles.
40
470 HIR&IO, CANT XII.
Lin cop, chasque cent an, U duerbon.
Urous, urous, quand li descuerbon,
Aqueu que p6u li veire e li iouca ! b^u tems
Aura sa barco e bono estello,
E de sis aubre li jitello
Auran de frucho a canestello,
E soun amo cres^nto aura lou bon toustems.
Uno bello porto de chaine
Rejun aqu^u sacra doumairje,
Richamen fustcjado, e doun di Beucairen.
Mai subretoul ce que Taparo,
Noun es la porto que lou barro,
Noun es lou barri que Tembarro :
Es I'aflat que ie ven di relarg azuren.
La malauto, a la capeleto,
Dins la viseto virouleto
La mounteron. Lou pr^ire, en subrepelis blanc,
Buto la porto. Dins la p6usso,
Coume un 6rdi gr^u de si d6usso
Qu'un fouletoun subran espousso,
Touti sus lou bardat s*aboucon en quilanl :
0 b61li Sanlo umanilouso,
Santo de Dieu, Santo amistousu !
D'aquelo pauro cbato agues, agues pieta !
— Agues pieta ! la maire crido,
Vous adurrai, se *n co's garido,
Moun aneu d'or, ma crous flourido,
E per vilo e p^r champ i^u Tanarai canta !
MIREILLE, CHANT XII. 471
Une fois cbaque cent ans, on les ouvre. — Heureiix,
heureux, lorsqiron les d^couvre, — celui qui pent
les voir el les toucher ! — Beau temps, — aura sa
barque, et bonne etoile, — el de ses arbres les pous-
ses, — auront du fruit a corbeillees, — et son Ame
croyante aura les biens 6ternels.
Une belle porte de cb^ne — protege ce domaine
sacr6, — richement travaill^e, et don des Beaucai-
rois. — Mais surtout ce qui le defend, — ce n*est pas
la porte qui le cWt, — ce n'est pas le rempart qui le
ceint : — c'est la faveur qui lui vient des espacos
d'azur.
A la petite chapelle, — dans Tescalier tournoyant,
— on monta la malade. Le pr6lre, en surplis blanc,
— pousse la porte. Dans la poussiere, — comme un
orge appesanti par ses 6pis — qu'un tourbillon sou-
dain secoue, — lous sur les dalles se prosternent en
criant :
({ 0 belles Saintes pleines d'humanite, — Saintes
de Dieu, Saintes amies ! — de cette pauvre fille aycz,
ayez piti6 ! » — « Ayez pilie ! s'6crie la mere, — je
vous apporterai, quand elle sera guerie, — moii
anneau d'or, ma croix fieurie, — et par villes et par
cbamps, moi, j1rai le chanter ! »
m illRfelO. CANT XII.
— 0 Santo, ac6 *s ma pesqueirolo !
0 Santo, ac6 's ma denierolo !
Gemis M^ste Ramoun en turtant dins roumbrun
Em^ sa testo atremoulido.
0 Santo, S-n-elo, qu*es poulido,
Innoucentouno, enfantoulido,
l.a vido ic counyen : mai i^, viM sabourun,
l^u, mandas-me fuma li maulo !...
Lis iue barra, s^nso paraulo,
Mir^io ^ro estendudo. Kro alor sus lou tard.
P^r'que I'auro tamarissiero
Reviscoul^sse la masiero,
Dessus U lauso t6ulissiero
L*avien cntrepausado, en visto de la mar.
Car lou pourtau (qu*es la parpeilo
I)*aquelo benido capello),
Rogardo sus la gl^iso : alin, pereilalin,
D'aqui se v^i la bianco raro
Que joun ensfen e desseparo
Lou c^u redoun e Taigo amaro ;
So v^i de la grand mar reierne remoulin.
De-longolis erso foulasso
Que s*encavaucon, jamai lasso
De s'esperdre en bramant dins li mouloun sablous;
De-vers la terro uno planuro
Qu'a gen de rui ; pas uno auturo
Qu'^ soun entour fague centuro ;
(J II o^u inmdnse e clar sus d*erme espetaclous.
MIUEILLB, CHANT Xll. 473
— « 0 Saintes, c'est Ik moii pluvier 1 — 6 Saintes,
c'est \k mon Ir^sor ! — g6mit Maitre Ramon heur-
tant dans les t^n^bres — avec sa t^te vacillante.
— 0 Saintes, a elle, qui est belle, — innocente, en-
fantine, — la vie convient; maismoi, vieil ossement,
• Moi, envoyez-moi fumer les mauves! » — Les
yeux ferm6s, sans parole, — Mireille etait gisante.
C'6tait alors sur le tard. — Pour que la brise des ta-
inaris — ravivAt la campagnarde, — sur les dalles
dn toit — on Tavait d^pos6e, en vue de la mer.
Car le porlail (paupi^re — de cetle chapelle be-
nie), — regarde sur TSglise : — l^-bas, dans Tox-
tr^me lointain, — on voit de l^ la blanche limite —
qui joint ensemble et s^pare — le ciel rond et I'onde
amere ; — on \oit de la graiide mer TMernelle revo-
lution.
Sans cesse les \agues insens6es — qui se monlent
les unes sur les autres, jamais lasses — de se perdre
en mugissant dans les monceaux de sable ; — du
cdt6 de la terre, une plaine — interminable ; pas une
Eminence — qui enceigne son horizon ; — un ciel
immense et clair sur des savanes prodigieuses.
40
474 MIRfilO, CANT XII.
De clariii^li tamarisso
Au mendre v^nt boulegadisso ;
De long campas d'engano, e dins Toundo perfSs
Un v6u de ci^une que s'espurgo ;
0 b^n, dins la sansouiro furgo,
Uno manado que pasturgo,
0 que passo en nadant Faigo d6u Vacares.
Mir^io enfin, d'un paria feble,
A murniura quiiuqui mot treble :
De-vers la terro, dis, em^ de-vers la mar
S^nte veni dos alenado :
Uno di dos ^i serenado
Goume Talen di matinado ;
Mni Tautro es espannado, ard^nto, e s^nt Tamar.
E se leis6... De-vers la piano,
E de-vers lis oundo salano,
Li Sanlen sus-lou-cop regard^ron veni :
E n*en veson un qu'esfoulisso
De revoulun de terro trisso
Davans si pas ; li tamarisso
Par^isson davans ^u s*encourre e demeni .
Es Vincenet lou panieraire!...
Oh ! paure drole e de mau-trairel
Soun paire M6ste Ambroi pas-pu-16u i*agu^ di :
Moun fi6u, sara pas per ti brego
Lou poulit brout de falabrego !
Que tout-d*un-1ems de Valabrego,
Per la v6ire enca *n cop, part6 coume un bandii.
MIREILiE, CHANT XTI. 475
Des tamaris (au feuillage) clair, — et au moindre
vent mobiles; — de tongues friches de salicornes,
et dans I'onde parfois — une vol6e de cygnes qui se
purifie ; — ou bien dans la sansouire sterile — un
troupeau de boeufs qui pftture, — ou qui passe k la
nage Teau du Vaccar6s *.
Hireille enfm, d*une voix faible, — a murmur^
quelques mots ragues : — « Du cdle de la tcrre, dit-
elle, et du cdt6 de la mer — je sens venir deux ha-
leines : — Tune des deux est fraiche — comme le
souflle des matinees, — mais Tautre est pantelante,
tirdente et impregnee d'amerlume. h
Et elle se tut... Devers la plaine — et deversles
ondes salves, — les Saintins aussitbt regard6rent
venir : — et ils voient un (jeune homme) qui soul6ve
— des tourbillons de terre meuble — devant ses pas ;
les tamaris — paraissent devant lui s'enfuir ot d^-
croitre.
C'est Vincent le vannier ! . . . — Oh ! pauvre gars,
et digne de piti6! — Sit6t que son pero, Maitre Am-
broise, lui eut dit : — « Mon fils, il ne sera pas pour
tes 16vres — le gentil brin de micocoules! » — sur-
le-champ, de Valabreguc, — pour la voir encore une
fois il partit comme un bandit.
470 NlRtlO, CANT XII.
Kn Crau ie dison : Es i Santo !
Rose, palun, Crau alassanto,
R^ii Tavi^ delengu de courre eiijusqu*i tes.
Hai pas-pu-l6u es dins la gltiso,
Pas-pu-Ku v^i aquelo pr^isso,
Pale, sus lis art6u se dr^isso,
E cridavo : Mounte es ? ensignas-me iriounte es!
— Es amoundaut a la capello,
Dins uno angdni que trampello !
E l^u coume un perdu mounte lou marridoun.
Entre la v6ire, vers Tespaci
Leve si man emai sa fkci :
P^r encapa {k\i desgr^ci,
A Di^u, crid^ lou paure, a Di^u que i'ai fa dounc?
Ai-ti coupa la gargamello
En quau tet^re li mamello ?
Escumerga, m*an visl abra moun cachimbau
Dins uno gl6iso h la viholo?
0 tirassa dins lis auriolo
Lou Crucpfis, k la Jusiolo ?...
Qu*ai fa, malan de Dieu ! p^r agu6 tant de mau?
Pas proun que me Tan refusado,
Enca me Tan marlirisado !
E 'mbrass6 soun amigo ; e de vfiire Vinc6n
De la grand forco que trenavo,
Lou mounde foul qu'envirounavo
Sentien soun cor que tresanavo,
E p6r 6u trasien peno, e plouravon ens^n.
MIREILLE, CHANT XII. 477
Ell Crau, its lui disent : « Elle est aux Saintes ! »
— Rhdne, marais, Crau fatigante, — rieii n'avait
arr^t^ sa course jusqu*aux this sablonneux du ri-
vage. — Mais sil6l qu*il est dans T^glise, — silol
qu'il voit cette foule, — p^le, sur les orteils il se
dresse, — et il criait ; « Ou est-elle? indiquez-le-moi,
01^ est-elle? »
— « Elle est li-haut k la chapelle, — tremblant
Tagonie ! » — Et vite, 6perdu, monta le malheureux.
— D6s qu'il la vit, vers Tdtendue — il leva ses mains
et son visage : — « Pour recevoir sur ma t6te de
telles disgraces, — k Dieu, s'^cria Tinfortunt, k Dieu
qu'ai-je done fait ?
<(Ai-je coup^ la gorge — & celle dontjetetai les
mamelles? — Anath^me, m'a-t-on vu allumer ma
pipe, — dans une 6glise, k la lampe? — ou bien
trainer dans les ehardons — le Crucifix, comme les
Juifs? — Qu'ai-je feit, mauvaise annee de Dieu'
pour avoir tant de maux ?
« ( Ce n'Mait) pas assez de me la refuser, — encore
ils me Font martyris^e ! » — Et il embrassa son amie.
Et en voyant Vincent — se lamenter de telle force,
— la foule press6e qui Tentourait — senlait son
coeur bondir, — et ils partageaient sa peine, ot ils
pleuraient ensemble.
478 MIRfelO, CANT XII.
E coume, i vabre d'uno coumbo,
Lou brut d*un gaudre que trestoumbo
Vai esmbure lou pastre amount sus li cresten,
D6u founs de la gl^iso mountavo
La Youes d6u pople que cantavo,
E tout lou temple ressaulavo
D6u cantico tant b^u que sabon li Santen :
0 Santo, b^lli mariniero,
Qu'aves chausi ndsti sagniero ,
Per i'auboura dins I'^r la tourre e li merlet
De Yosto gleiso roussinello,
Coume fara dins sa pinello
Lou marin, quand la mar bacello,
Se ie mandas pas l^u Yoste bon Yentoulet ?
Coume fara la pauro aYuglo?
Ah ! noun i'a sSuYi nimai buglo
Que poscon ie gari soun lamentable sort ;
E, s6ns muta, tout lou jour isto
En repassant sa vido tristo...
0 Santo, rendes-ie la Yisto,
Que Toumbro, e toujour Toumbro, es pirequelamort!
Heino de Paradis, mestresso
De la planuro d'amaresso,
r4lafisses, quand yous plais, de p^is n6sti fietat :
Mai a la foulo pecadouiro
Qn'k Yosto porto se doulouiro,
0 bl^nqui flour de la sansouiro,
S'ei de pas que ie fau, de pas empliss^s-la !
MIREILLE, CHANT \II. 479
Et comme, aux ravins d'liue vallee — le bruit d'un
torrent qui tombe en cataracte — va emouvoir le
pMre li-haut sur les cretes, — du fond de I'eglise
montait — la voix du peuple qui chantait, — et tout
le temple tressaillait — du cantique si beau que
savent les Sainlins :
— ((0 Saintes , belles marinieres , — qui avez
choisi nos mar^cages — pour y elever dans Tair la
tour et les cr6neaux — de votre eglise blonde, —
comment fera, dans sa barque, — le marin, quand la
mer frappe, . — si promptement vous ne lui en-
voyez votre bonne brise ?
u Comment fera la pauvre (femme) aveugle ? —
Ah ! il n'est sauge ni bugle — qui puisse gaerir son
lamentable sort; — et, sans mot dire, tout le jour
elle reste — k repasser sa triste vie... — 0 Saintes,
reudez-lui la vue, — car Tonibre, et loujours I'ombre,
cestpirequelamort!
(( Reines de ParadiS) maltresses — de la plaine
d'amertume, — vous comblez, quand il vous plait, de
poissons nos filets ; — mais k la foule pecheresse —
qui k votre porte se lamcnte, — 6 blanches fleurs (de
nos) landes salves, — si c'est la paix qu'il faut, de
paix emplissez-la ! »
480 HiRElO, CANT XII.
Ansin li bon Santen pregavon,
Eiii^ de crid que vous trancavon!
E veici que li Santo k la pauro que jai
Bouferon un brisoun de voio,
E sa caro un brisoun galoio
S*enflouro d*uno dou^o joio,
Car de v^ire Yincen i' agrad^ quenounsai.
— Houn bel aini, de mounte venes t
le fagu^. — Digo, t*ensouvenes
Ue la fes qu*ein6 tu parlavian eila au mas,
Assela 'nsen souto la triho?
Se quauque mau te desvario,
Courre \m i SSnli Mario,
He digu^res alor, auras l^u de soulas.
0 Yincenet, que noun pos \eire
bins inoun cor coume dins un v6ire !
be soulas, de soulas , n en regounflo moun cor !
Moun cor es un lauroun que verso :
Abelimen de touto wer^Oy
Graci, bonur, n'ai k reverso !...
bis Ange dou bon Dieu entrevese li Cor...
Aqui Mireio s'abaucavo,
E dins Testendudo alucavo :
Seinblavo, peralin au fin founs de ler blu,
Yeire de causo espetaclouso.
Piei sa paraulo nivoulouso
Uecounien^vo : Urouso, urouso
Lis arao que la car en terro deten plu !
MIUEILLE, CHANT XII. 481
Ainsi les bons Saintins priaient, — avec des cris
qui vous navraienl. — Et void que les Saintes, k la
pauvre qui git — soufflerent un pen de vigueur; ^-
el (sur) sa iSgure un peu enjouee — fleurit une douce
joie, — ear la vue de Vincent fut pour elle un plaisir
indicible.
— « Mon bel ami, d'ou viens-tu? — lui fil-elle.
Dis, le souvient-il — de la fois que nous causions, 1^-
bas a la fernie, — assis ensemble sous la treille? —
« Si quelque mal te d^concerte, — cours vite aux
Saintes Maries, — me dis-tu alors, tu auras vite du
soulagenient. »
« 0 cher Vincent, que ne peux-tu voir — dans mon
coeur comme dans un verre? — De soulagemenl, de
soulagement, mon coeur en surabonde ! — Mon coeur
est une source qui deborde : — d^lices de toute
sorte, — graces, bonheurs, j'en ai en surcroit !... —
Dcs Aiiges du bon Dieu j'entrevois les choeurs... »
Alors Mireille s'apaisait, — et regardait dans
1 etendue. . . — Elle semblait, au loin, dans les profon-
deurs de Tair bleu, — voir des chosesmerveilleuses.
— Puis sa parole nuageuse — recommen^ait : v Ileu-
reuses, heureuses — les ^mes que la chair sur torre
ne relient plus !
482 MIR£iO, cant XII.
Yiiicen! as vist, quand remountavoii,
Li flo de luine que jitavon !...
Ah! dis, lou libre b^u que se n*ea sariefa,
S'aqueli resoun que m an dicho,
Fin que d uno, s'eron escricho !
Yiiicen, que lou plourun esquicho,
Lach6 inai soun gounflige un moUmen estoufa :
— Basto lis agu6 visto ! basto !
Ku cride, coume uno langasto
Me sarieu a si raubo arrapa tout bramant. .
Oh ! i'aurieu di, reino celesto,
Soulet recati que nous r^sto,
Pren^-me lis iue de la t^to,
E li d^nt de la bouco, e li det de la inaii I
Hai elo, uia bello fadeto,
Oh ! rend^s-rae-la gaiardeto ! . . .
— Velei ! velei veni 'm^ si raubo de lin I
Elo subran se bouto k faire.
E 'n boulegant p6r se desfaire
D*entre la faudo de sa maire,
De la man vers la mar fasi6 signe eilalin.
Quatecant t6uti se dreisseron,
De-vers la mar t6uti fiss6ron,
E la man sus lou front : Eilalin descurben,
Venien enlre eli, ren per aro,
Senoun alin la bianco raro
Que joun lou c6u e I'aigo amaro...
Nomi, se v^i ren v6ni... — Si 1 si ! regardas ben I
MIREILLE, CHANT XII. * 485
« Vincent ! tu as vu, quand elles remontaient, —
les flocons de lumfere qu'elles jetaienl!... — Ah! le
beaulivre, dit-elle, qu'il s'en futfait, — si les paroles
qu'elles m'ont dites^ — sans en oublier une, eussent
6t6 ecrites ! » — Vincent, que Tenvie de pleurer op-
presse, — degonfla ses sanglots nn moment 6touffes :
— « PMt d Dieu que je les eusse vues! pint k Dieu !
— 8*6cria-t-il. — Comme une tique — je me serais
k leurs robes cramponnfe tout beuglant. . . — Oh ! leur
aurais-je dit, reines du ciel, ^ seul asile qui nous
reste, — prenez-moi les yeux de lat^te, — et les dents
de la bouche, et les doigts de la main !
« Mais elle, ma belle petite f&e, — oh! rendez-la-
moi saine et sauve ! » — « Les voici ! ... les voici venir
dans leurs robes dc lin ! » — elle soudain se met a
dire. — Et s'agitant pour se d^gager — du giron de
sa mere, — de la main vers la mer elle faisait signe,
au loin.
Tons aussit6t se dress^rent, — tous vers la mer
fix6rent (leurs regards), — et, la main sur le front :
K Au loin nous ne decouvrons, — se disaient-ils,
rien pour Theure, — si ce n*esl li-bas, la blanche
limite — qui joint le ciel et Teau amere... — Non, il
ne se voit rien venir... » — « Si, si! regard ez bien !
48i MIRfelO, CANT XIL
Souu su no barco s^nso veto,
Crid^ Mir^io... Davans elo,
Ves^s pas counie Toundo aplano si revou?
Oil! qu'es ben eli ! L'^r clarejo,
E Taleii siau que li carrejo
IjOu inai plan que p6u voulastrejo.. .
Lis auc^u de la mar li saludon c^ vuu.
— La pauro chato revassejo...
Sus la marino que rougejo
Vescn que lou soul^u que vai se cabussa.
— Si ! si ! lis 6i, fai la inalauto ;
Boutas! moun iue noun me desfauto,
Vj quouro founso, quouro*z-auto,
0 miracle de Di^u ! sa barco y^n d'ei^a !
Mai deja veni6 *scoulourido,
Coumc uno bianco margarido
Que lou dardai la rimo, ontre que s'espandis ;
E Vinconet, I'esfrai dins Tamo,
Agrouva contro aquelo qu*amo,
La recouinando k Nostro-Damo,
La recoumando i Santo e Sant d6u Paradis,
Avien abra de candeleto...
Cencha de I'estolo vi6uleto,
Vongiie lou capelan 'me lou pan angoli
Refresca soun palai que cr6mo ;
le doun^ piei TOuucioun estr^mo,
E la vougnfe 'm6 lou Sant Cr^mo
En s^t part de soun cors, segound i'us catouli.
HIREILLE, CHAST Xll, 4«5
<i Elles sont sur une barque sans Yoile, — s'ecria
Mireille. . . — Devant elles, — ne voyei-vous pas comine
I'onde aplanit ses tourfaillons? — Oh! c'est bien elles !
L'air est dair, — et Fhaleine suave qui les am^ne, —
aussi lentement qu'elle peut voltige. . . — Les oiseaux
de la mer les sahient k volees. i
— ((La pauvre enfant dfelire... — Dans la merroii-
gissante — nous ne voyons que le soleil qui va so
plonger. ii — « Oui ! oui! ce sont elles, dit la malade;
— allez ! raon ceil ne me trompe point, — et taiil6t
profonde, tantot haute, — 6 miracle de Dieu ! leur
barque vientici! »
Mais M]k elle devenait ddcoloree, — comine une
blanche marguerite — que les dards (du soleil) bru-
lent, k peine ^panouie ; — et Vincent, reffroi dans
r^me, — accroupi pres de sa bien-aim6e, — la re-
commande a Notre-Dame, — la recommando anx
Saint es et aux Saints du Paradis.
On avait allum^ des cierges... — Ceint de Tetole
violette, — vint le prfitre avec le pain ang^lique —
rafraichir son palais qui briile ; — puis il 'lui donna
rOnction extreme, — et Toignit avec le Chrfime saint
— en sept parties de son corps, selon Tus calho-
lique.
41.
4«6 • HIHfelO, CANT XII.
n*aqu^u moumen tout ^ro en pauso;
Noun s^entendie dessus la lauso
Que Yoretmis d6u preirc. Au flanc de la paret,
Lou jour-fali que se prefoundo
Esvalissi^ si clarta bloundo,
E la marino k b^Uis oundo
Plan-plan veni^ se roumpre em'tm long jafaret.
Ageinouia, soun t^ndre amaire,
Em6 soun paire, em^ sa maire,
Trasien de t6ms en t6ms un senglut rau e sourd,
— Anen ! digu6 Mireio encaro^
La despartido se preparo. ..
Alien! touquen-nous la man aro,
Que d6u front di Mario aumento la lusour.
A Teudavans, li flamen rose
Courron deja di bord d6u Rose...
Li tamarisso en flour coumen^on d'adoura...
0 b6ni Santo ! me fan signe
Wana *nn' ^li, qu'ai r^n^ cregne,
Que, coume ent^ndon is Ensigne,
Sa barco en Paradis tout dre nous raenara.
M^ste Ramoun ie digue : Migo,
D'av^ 'strassa tant de garrigo,
De que vai me servi, se partes d6u maset?
Car rafecioun que m'ajudavo,
De tu veni^! La caud lardavo,
Lou fio di mouto m'assedavo...
Mai te y^ire empourtav.o e la caud e la set I
MIREILLE, CHANT XII. 487
En ce moment, tout 6lait calme; — on n*entendait
sur la dalle — que VOremus du pr^^tre. Au flanc de
la muraille, — le jour d^fafllant qui s*engloutit —
^vanouissait ses reflets blonds, — et la mer, k l)elle3
ondes, — lentement venait se rompre avec un long
bruissement.
Agenouill6s, son tendre amant, — avec son p^re,
avec sa m^re, — poussaient de temps en temps un
sanglot rauque et sourd. — « Aliens ! dit Mireille
encore, — la separation se prepare... — Allons!
touchons-nous la main ores, — car du front des
Maries augmente Taureole.
(( Au-devant (d*eUes), les flamants roses — accou-
rent deji des bords du Rh6ne... — Les tamaris on
fleur commencent d'adorcr... — 0 bonnes SaintesI
elles me font signe — d'aller avec elles, — que je
n'ai rien a craindre, — que, vu qu'elles entendent
aux constellations, — leur barque en Paradis tout
droit nous m^nera. >>
Maitre Ramon lui dit : « Amie, — d'avoir essarte
tant de brandes, — que va-t-il me servir, si tu pars
de la maison? — car I'ardeur qui m'aidait — venait
de toi ! Le chaud dardait, — le feu des globes m'alte-
rait... — mais tevoir emportait et le cbaud el la
50if. ))
i8K MIREIO, CANT XII.
— Se 'ii cop veires k vosle Iniiie
Quauque sani-fi&li que s'alume,
Bon paire, sara i^u... Li Santo, sus la pro,
Soun drecho que m'esperon... Eto !
Csperas-me *no passadetb. . .
Vau plan, i^u, que si^u malauteto...
La maire alor esclato : Oh! noun, noun, ac6 *s trop I
Vole pas, vole pas que mores *
Em6 i^u vole que demores !
E piei, ma Hireiouno, e piti, se 'n cop vas b^n,
Anaren vers ta tanto Aurano
Pourta 'a canest^u de mi6ugrano :
Di Bans n'ei pas b^n liuen Maiano,
E se p6u dins un jour faire lou vai-e-v6n.
— Noun, es pas liuen, bono maireto !
Mai, boutas ! Ion far^s souleto !. ..
Ma maire, pourg^s-me mis ajust blanquin^u...
V^ li bianco e bMli mantiho,
Qu'an sus Tespalo li Mario !
Quand a neva sus li mountiho,
Pas tant bl^ujo ^i la n^u, la tafo de la n^u !
Lou brun trenaire de garbello
le crido alor : Moun tout, ma bello,
Tu que m'avies dubert toun fres palais d'amour,
Toun amour, aumorno flourido !
Tu, tu p^r quau ma labarido
Coume un mirau s'^ro clarido,
E s^ns crento jamai di marridi rumour ;
MIREILLE, CHANT \II. 480
— « Quand vous verrez k voire lampe — quelque
phal^ne s'allumer, — bon p^re, ce sera moi... Les
Sainles, sur la proue, — sent debout qui m*atten«
dent... Oui I — Altendez-moi un court instant... —
Je vais lentement, moi qui suis malade... » — La
m6re alors 6clate : « Oh ! non, non, cVn est trop !
a Je ne veux pas, je ne veux pas que tu meures!
— avec moi je veux que tu restes ! — Et puis, 6 ma
Mireille, et puis, si une fois tu vas bien, — nous irons
chez ta tante Aurane — porter une corbeillc de gre-
nades : — des Baux ce n'est pas bien loin, Maillane *,
— et Ton pent en unjour alleret revenir. »
— c Non, ce n'est pas loin, bonne mere ! — inais,
nllez ! vous ferez seulelte (le voyage) !... — Ma m^re,
donnez-moi ma parure blanche !... — Voyez-vous les
blanches et belles mantilles — qu*ont sur l^paule les
Maries ! — Quand il a neige sur les monticules, —
moins ebloiiissante est la neige, la splendeur de la
neige ! »
Le brun tresseur de corbeiUes — lui crie alors :
« Mon tout, ma belle, — toi qui m'avais ouvert ton
frais palais d'amour, — ton amour, aum6ne fleurie '!
— toi, toi par qui ma bourbe — comme un miroir
s'elait clarifi^e, — el sans crainte, jamais, des man-
vaises rumours ;
490 MIRfelO, CANT XII.
Tu, la perleto de Prouv^nco,
Tu, lou soul^u de majouvfenco,
Sara-ti di que i^u, ansin, d6u glas mourtau
Tant 16u te vegue tressusanto ?. . .
Sara-ti di, vous, grindi Santo,
Que Taurus visto angounisanto
E de-bado embrassa v6sti sacra lindau ?
Su 'cd-d'aquiy la jouveineto
le respoundcgu^ plan-planeto :
0 moun paure Vinc^ti, inai qu'as davans lis iue?
La mort, aqu^u mot que t'engano,
Qu'es? uno n^blo que s'esvano
Em6 ii clar de la campano,
Uii sounge que reyiho k la fm de la niue !
' Noun, more pas ! leu, d'un p^d proumte
Sus la barqueto deja mounte...
Adieu, adi6u!... Deja nous emplanan sus mar!
La mar, bello piano esmouguilo,
D6u Paradis ei I'avengudo,
Car la bluiour de Testendudo
Tout & Tentour se toco eme lou toumple amar.
Ai !... coumeTaigo nous tintourlo !
De tant d'astre qu'amount penjourlo,
N'cn trouvarai ben un, mounte dous cor ami
Libramen poscon s'ama !:.. Santo,
Es uno ourgueno, alin, que canto?...
E souspir6 Tangounisanto,
E revess6 lou front, coume p^r s*endourmi...
MIREILLE, GHAxNTXn. 491
« Toi, la perle de Provence, — toi, le soleil de ma
jeunesse, — sera-l-il dit qu ainsi, des glaces de la
mort, — sit6t Je te voie suante? — Sera-t-il dit, 6
grandes Saintes, — que vous Taurez vue agoni-
sante — et vainement embrasser vos seuils sacr^s? ))
L^-dessus, lajeune fille — lui r6ponditd'une(voix)
lente : — a 0 mon pauvre Vincent, mais qu'as-tude-
vant les yeux? — La mort, ce mot qui te trorape, —
qu*est-ce? un brouillard qui se dissipe — avec les
glas de la cloche, — un songe qui ^veille a la fin de
lanuit!
« Non, je ne uieui s pas ! D'un pied leger — je
monte deji sur la nacelle ! . . — Adieu, adieu ! . . . D^ja
nous gagnons le large, sur la mer! — La mer, belJe
plaine agit^e, — est Tavenue du Paradis, — - car le
bleu de Fetendue— touchc tout alentour au gouf-
fre amer.
(( Aie!... comme I'eau nous dodeline!... — Parmi
tant d'astres la-haut suspendus, — j'eri trouverai bien
un ou deux coeurs amis -— puissent librement s'ai-
mer!... Saintes, — est-ce un orgue, au loin, qui
chante?... i — Et Tagonisante soupira, — et ren*
versa le front, comme pour s'endormir.i.
41I-' MIHEIO, CAM Xll.
Is er (le sa ris^to caro,
Aiirien di qiieparlavo encaro...
Mai deja li Santen, a I'entour de I'enfant
Un apr^s Taiitre s'avaiii^avon,
E *in' un cire que se passavon
Un apr6s Tautre la signavon...
AUipi, si parM arregardon que fan.
Au liogo d'estre mourtinouso,
Eli la veson luminouso ;
An beu la sent! frejo, au cop descounsoula
Noun volon pas, noun podon creire.
Mai Vinc6n, ^u, quand la vai veire
Em^ soun front que penjo a reire,
Si bras enregoui, sis iue coume entela :
— Es morto !... veses pas qu es iriorto?...
E coume torson li redorto,
A la desesperado eu toursegu6 si poung ;
E 'ine si bras foro di inancho,
Acoumenc^ron li coumplanclio :
I'a pas que lu que saras planclio !
Eine tu de ma vido a toumba lou cepoun !
Es morto ! . . . Morto? Es pas poussible !
Fau qu un Demoni me lou sible....
Parlas, au noum de Dieu, boni g^nt que sia 'qui,
Vautre, av6s agu vist de morto :
Digas-me s'en passant li porto
Risoulejavon de la sorto 1 . . .
Pas vorai qu*a sis ^r quasimen ajougui :
MIREILLE, CHANT XH. * .41»5
A I 'air de son visage souri^ftt, — ^ii aurait dit
qu'elle parlait encore... — Mais d^]k les Saintins,
aulour de I'enfant, — un apr6s Tautre, s'avangaient,
— et avec un cierge qu'ils se passaient, — ils lui
faisaienl, un apr6s I'autre, le signe (de lacroix)....
— Atterr^s, les parents contemplent ce qu'ils font.
Loin qu elle soil livide, — eux la voient lumineuse.
— Vainement ils la sentent froide ; au coup inconso*
lal)le — ils ne veulent pas, ils ne peuvent croire. —
Mais Vincent, lui, lorsqu'il la voit — avec son front
qui pend en arriere, — ses bras roidis, ses yeux
comme voiles :
— « Elle est morte!... Ne voyez-vous pas qu*elle
est morle?. . . » — Et comme on tord les harts d'osier,
— en desesper^ il tordit ses poings ; — et, les bras
hors desmanchesy — commenc^rent les complaintes :
— « II n est pas que toi qui seras pleuree! — Avec
toi de ma vie est tombe le tronc !
« Elle est morte I... Morte? Ce n'est pas possible!
— Un Demon doit me le siffler... — Parlez, au noni
de Dieu, bonnes ge ns qui 6tes l^, — vous avez vu
des mortes : — dites-moi si, en passant les portes, —
clles souriaient aiusi!... — Vraiment n'at-elle pas
ses traits presquc enjou^s?
iOi MIREIO, CANT XII.
Mai de-que fan?. . . viron la testo,
Soun touti gounfle ! Ah ! n'i*a de resto !
Ta voues, toun dous parla, i^u Tentendrai pas plu!.
Aqui de t6uti lou cor boundo,
Un lav^ssi de plour desboundo,
Lou crebo-cor au planh dis oundo
Apoundegu^ subran un desbord de senglut.
Ansin, dins uno grand manado,
Sc 'no ternenco es debanado,
A Tentour d6u cadabre estendu p6r toiyour,
Ndu v^spre aderr6n, tau e tauro
Van, souloumbrous, ploura la pauro ;
E la palun, e Toundo, e Tauro
De si doulourous bram restountisson nou jour.
— Vi^i M6ste Ambroi, plouro toun drole !
Ai ! ail ai! Yinc^n fasie, vole,
Santen, que dins lou cros em* elo ni'empourtes. . .
Aqui, ma bello, k moun auriho
Tant-e-pi^i-mai de ti Mario
Me parlaras;... e de couquiho,
0 tempesto de mar, aqui nous acates!
Br&vi Santen, de vous mefise !...
Fas6s p^r ieu ce que vous dise :
Per un dou coume aqu^u es pas proun lou ploura !
Cavas-nous dins I'areno molo
Per t6uti dous qu'uno bressolo I
Aubouras^e 'no clapeirolo,
Per que Toundo jamai nous posque separa !
MIREILLE, CHANT XII. 495
« Mais quefont-ils?... ils d^toument la t^te, —
tous sorit gros (de sanglots)!... Ah! en voila de
reste!... — Ta voix, ton doux parier, je ne Tenten-
drai plus ! . . . » — Li, le coeur de tous bondit, — une
averse de pleurs d^bonde, — le cr^ve-coeur k la plainte
des vagues — ajouta tout k coup un debordement de
sanglots.
Ainsi, dans un grand troupeau, — si une g^nisse
a succomb6, — autour du cadavre 6tendu pour tou-
jours, — neuf soirs cons^cutifs, taureaux et taures
— viennent, sombres, pleurer la inalheureuse, — et
le marecage, et Tonde, et le vent — de leurs doulou-
reux mugissements retentissent neuf jours.
— «Vieux Maitre Ambroise, pleure ton ills ! — He-
las ! h61a8 ! faisait Vincent, je veux, — Saintins, que
dans la fosse avec elle vous m'emporliez... — La,
ma belle, k monoreille, — tant et plus de tes Maries
— tu me parleras... et de coquillages, — 6 temp^tes
des mers, \k puissiez-vous nous couvrir !
f Bons Saintins, je me confie en vous... — Failes
pour moi ce que je vous dis i — Pour undeuil pareil,
ce n'est pas assez que les pleurs ! — Creusez-nous
dans TarSne molle — pour tous deux un seul ber-
ceau! — Elevez-y un tas de pierres, — afm que ja-
mais Tondene puisse nous separer.
496 triR^IO, CANT XII.
R d'enierin qu'i lio mounte 6ro
Sc tuilaran lou front sus terro
P(*ni remors, i^u cm* elo, emslaus d'un blu seren,
Souto lis aigo atremoiilido,
0, i^u 'iT)6 111, ma tant poulido !
Dins de brassado trefoiilido
Longo-mai c s^ns fin nous poutounejaren !
E, desvaga, lou panieraire
A la perdudo v6n se traire
Sus lou col's de Mir^io, e lou desfourtuna
Dins si brassado fernetico
Sarro la morto.... Lou cantico,
Eilavau dins la gl^iso antico,
Coume ei^6 touniamai s'enlendi^ ressouna :
0 b6lli Santo, segnourcsso
De la planuro d'amaresso,
Clafisses, quand vous plais, de peis nosti fielat!
Mai a la foulo pecadouiru
Qu*a vosto porlo se doulouiro,
0 blanqui flour de la sansouiro,
SVm de pas que ie fau, de pas empliss6s-la !
Maiam (Bouc0'd4u--Rose\
LoH bin jour de la Candelouso, de Van -IS^Q.
ri>
MIREILLE, CHANT XII. 497
(( Et pendant qu'aux Iieux ou elle 6tait, — Us se
heurteront le front sur la terre — de remords, elle
et moi, enveloppSs d'un serein azur£, — sous les
eaux tremblotantes, — oui, moi et toi, ma si jolie !
— dans des embrassements d^lirants — k Jamais et
sans tin nous m^lerons nos baisers ! »
Et, hors delui, le vannier — 6perdument vient se
Jeter — sur le corps de Mireille, et Tinfortun^ —
dans ses embrassements fren^tiques — serre la
morte!... Le cantique — U-bas, danslavieille ^glise,
— ainsi de nouveau s'entendait resonner :
« 0 belles Saint es, souveraines — de la plaine
d'amertume, — vous comblez, quand il vous plait,
de poissons nos filets ! — Mais k la foule pecheresse
— qui k votre porte selamente, — 6 blanches fleurs
de (nos) landes salves, — si c'est la paix qu'il faut.
de paix emplissez-la ! »
Mmllane [B<mchet-4ur-hh6ne],
le beau jour de hi Chandeleur, de Vannie 1859.
FIN
42.
NOTES
DU CHANT DOUZltlME
* Argens I Argons), riviere dii d^partement du Var.
' les Sainlins (/{ Sanlen), habitants de»la ville des Saintes-Ma*
rios.
^Sansouire [iansouiro]. (Voyez Chant X, nole 8.) — Vaccares
(Vacar^\ (Voyez Chant IV, note iO.)
* Maillane, village de I'arrondisseraent d' Aries, palrie de I'au-
lenr.
3 Aum6ne fleurie {aumorno flouruh) , auraane qnele pauvreqni
I'a reQue donnc k un autre paiivrc, poetique locution qui signifie
par extension rare Ifienfhit.
MAGALI
MfiLOPIE PROVENgALE POPIJLAIRE
TKANSCRITE
PAR FR. SEGUIN
^ AlU^m.
CHANT
PIANO
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loun. Kiplead'es - teUo a-pe-ramounl ! I/auro es toum-
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PnoCiKi I. CtlRVBR
TABLE
TAULO
Avis srn la rno^iONCiATioif pfiOTiif^ALC.
CANT PROUMIE — LOU HAS DI PALABREGO
Espousicioun. — Invoucacioun ao Ciist, nascu dins la pastriho.-— In
vi^i panieraire, Mtete Ambrdsi , em^ soon drole, Tinc^n , van de-
manda la retirado ao Has di Falabrego. -^ Mir^io , fiho de Vl^te
Ramoun, lou nitetre d6u mas, ie fai la benvengudo.^Li r^fl, apr^s
soupa, fan canta M^te Ambrdsi. — Lou viM, dutri-fesmarin, canto
un coumbat navau d6u Baile Sufren. — Mir^io questiouno Yinc^n.
— Recit de Vinc^n : la casso dt cantarido, la pesco dis iruge, lou
miracle di Sdnti Mario , la course dis ome A Nimes. — M irdio es
pspantado e soun amour pouncheijo 2
CANT SEGOUND — LA CULIDO
Mir^io cuei de fueio d'amouri^ per si roagnan. — D'asard, Vinc^nlou
panieraire passo au carreiroun vesin. — La chato lou scmo. ^ Lou
drole cour, e p^r i'ajuda, mounto em'elo sus I'aubre. — Charra-
disso di dous enfant. ^ Vinc^n fai la coumjiaresoun de sa sorre
Vinceneto em& Mirdio.— Lou nis de pimparrin. ~ La branco routo:
Mir^io emd Yinc^n toumbon de I'aubre. — L'amourouso chatouno
se declaro. — Lou drole apassiouna desboundo. — La Cabro d'or,
la flguiero de Yaucluso. — Mir^io es sounado p^r sa maire. —
Escauftftstre e separacioon di calignaire SO
TABLE
GUANT PR£MI£I( — LE MAS DEH MIGOGUULES
Exposition. — invocation au Christ, ne parmi les p^tres. — Un vieux
vannier, Mattre Ambroise, et son fits, Vincent, vont demandcr I'hos-
pi tali t^ au Mas des Micocoules. — Mireille, fllle de Maltre Ramon,
le maitre de ia ferme , ieur fait la bienvenue. — Les laboureurs,
api^s le I'epas du soir, invitent Maitre Ambroise a chanter. — Le
vieillard , autrefois marin, chante un combat naval du Uailli de
^uf&•en. — Mireille questionne Vincent. — Recit de Vincent : la
chasse aux cantharides, la pSche des sangsues, le miracle des
Saintes Maries, la course des hommes k NImes. ^ Ravissement de
Mireille, naissance de son amour 5
CHANT DEU11&H£ — LA GUEILLETTE
Mireille cueille des feuilles de murier pour ses vers a soie. — I'ai'
hasard, Vincent, le raccommodeur de corbeilles, passe au sen tier
voisin. — La jeune fille I'appelle. - Le gars accourt, et, pour
I'aider, monte avec elie sur I'arbre. -^ Causerie des deux enfants.
— Vincent fait le paralleie de sa soeur Vincenette et de Mireille.—
Le nid de mesauges bleues. -^ La branche rompue : Mireille et
Vincent tombent de Tarbre. — La jeune fille declare son amour*
— Brulante explosion du jeune homme. — La Chevre d'or, le figuier
de Vaucluse. — Mireille est rappel^ par sa mere. — Emoi el sepa-
ration des deux amants. 51
oOi TAULO.
CANT TRESKN — Lk DESCOUCOCKADO
Li recordo prouvencalo. » Au Nu di Falabrego, un gai roudelet de
chalo descoucounon. — Jano-Maiio, maire de Mir^io. — Taveii, la
inasco di Baus. — La raalo-visto. — i.i descoucounarello fan, per
pasao-t^ms, de etut^ en Proup^iifo. — La A^ro Lauro, r^no de
Pamparigousto. — Clemto^, r&'no di Bau». — Lou Ventour, loo
Rose, la Durtogo. — Asalaia e Vi6ulano. — La Court d'amour. —
Lis amour de Mir^o e de Yincto descuberto p^r Nourado. — Li
gal^ado. ~ Tayto la masco bi teisa li chato : reimitan dou Ln-
beroun e lou sani pastre. — Noro canto Nagali 8K
V.KJir QDATKEN — LI OBMA^ibAIKE
Loii teiiis di viouleto. — Li pescadou dou llartegue. — Ti^es call'
:;uatra veiion deinanda Nirtio : Alari lou pastre ; Veran lou gardian;
Ourrias lou loucadou. — AUri, si capitau d'avi. — La toundesoun.
— VIsto d'un escabot que davalo dis Anpo, anant en iTemage. —
Entrevisto d*AlAri emd Mirtio. — Lis Antico de Sant-Roumi^. —
Lieur^o d6u paslra, lou coucourelet de bonis escrincela. — Aliri
es diabi. — Lou gardian Veran. ~ Li cavalo bianco de Camargo.
— Veran deinaudo Mir^o i Meste Ramoun.— Lou viei lou refaup
f>ii ^Tand joio, Niroio lou i-efuso. — Ourrias, lou donmlaire de tau-
— Li brau negre s6uvage. — La Ferrado. — Uurrias e Mir^io 4 ja
runt. ~ Lou toucadou es chabi l^t
CANT ClNQl'KX — LA BATESfO
Lou biiuvatio &*entoriio. furious dou i-efus de Mirvio. — Caliguage
de Mir^o emi Vinwn. — L'erbo di frisonn. — Ourrias rescontro
Vincenet. e brutalaincn ic cerco reno. — Li prejil : Jan de rihirsc.
-> )lourla1o batesto ili «ious rivau dins la Crau vaslo. — Vitori e
geuerottseta de VinctMiel. — Ti*ail«>sso dou loocadoa. — Ourrias
trauco Vincen d'un cop de ficheiroun, e lugis au ^lop de s^ ca-
talo. «- Arribo ao Rose. — Li tres barqnie fenlasti. — Lou baleii
sTenarco sonto Ion pes de Tassassin. — La nine de sanl Medard :
prottcessioiin di nega-Jis sns lou dougan dou flnme. — Ourrias
^'aprottfouikdi&^Danso di Trevo sos loa pont de Trincataki. 17(t
TABLE. 505
CHANT TROISIEME — LB DE POU IL L EME NT DBS GOGONS
Les r^ltes proven^ales. — Au Has des Micocoules, une joyeuse
r^nnion de jeunes fllies d^tache des rameaux ies cocons des vers d
soie. ~ Jeanne-Marie, mfire de Mireille. — Tavto, la sorci^re des
Baux. — La mauvaise oeillade. — Les depouiiieuses de cocons, pour
passer le temps, font des chdteaux en Provence. — La fl^re Laure,
reine de Pamparigouste. — Gl^mence, reine des Baux. — Le Ven-
tour, le Rhdne, la Durance. — A'zalais et Violane. — La Cour d'a-
mour.— Les amours de Mireille etdeYincent divulgu^ parNorade.
— Railleries des jeunes fiUes. — La sorcidre Tav^n leur impose
silence : Termite du Lub^ron et le saint p&tre. — Nore chante
Magali 89
CHANT QUATRIEME — LES Pr6tENDANTS
La saison des violettes. — Les pScheurs du Marligue. — Trois pr^ten-
dants briguent la main de Mireille : Alari, le bergcr; V4ran, le
gardien de chevaux; Ourrias, le toucheur de taureaux. — Aldri, ses
richesses en brebis. — La tonte. — La transhumance : description
d'un grand troupeau qui descend des Alpes. — Entrevue d' Alari el
de Mireille. — Le mausol^e de Saint-Remy. ^ Oflfrande du berger,
la coupe de buis sculpts. — Alari est ^conduit. — V^an, le gardien
de chevaux. — Les cavales blanches de Camargue. — V6ran de-
mande Mireille 4 Maitre Ramon. — Joie et bon accueil du vieillard;
refus de Mireille. — Ourrias, le dompteur de taureaux. — Les
taureaux noirs sauvages. — La Ferrade. — Ourrias et Mireille a la
fontaine. '— Le toucheur est ^conduit 131
CHANT CINQUIEME — LE COMBAT
Le bouvier s'en retourne, furieux du refus de Mireille. — Les amours
de Vincent et de Mireille. — La Valisneria spiralis. — Rencontre
d'Ourrias et de Vincent. — Brutale agression du bouvier. — Les
invectives : Jean de TOurs. — Combat i mort des deux rivaux dans
la Crau deserle. — Victoire et gen^rosit^ de Vincent. — F^lonie du
toucheur. — Ouirias perce Vincent d'un coup de trident et fuit au
galop de sa cavale. — 11 arrive au Rhdne. — Les trois bateliers
fantastiques. — La barque se r^volte sous le poids de Tassassin.
— La nuit de Sainl-M6dard : procession des noy6s sur la rive du
fleuve. — Ourrias est englouti. — Danse des Treves sur le pont de
Trinquetaille l"i
506 TAl'LO.
CAST SIEISEN — LA MASCO
A I'aubo, tres pourcati^ trovon Yincto dins soun sang, estoidu ding
lis erme de Grau. — L'aduson A la brasseto au Mas di Falabrego.
— Digressioun : lou Felibre se recoumando A sis ami, li felibre
de Prouvtoco. ^ Doulour de MirSio. — Porton Vinc^ au Trau di
Fado, caforno dis Esperit de niue e demouran^ de la masco Ta-
ven, escouigurarelio de tout man. — l^i Fado. — Mir^o acoum-
pagno soun calignaire dins li borno de la mountagno. — La Man-
dragouro. — Lis aparicioun de la baumo : Li Fouletoun, I'Esperit
Fantasti, la Bugadiero d6u Vcntour. — Baconte de la masco : la
Messo di Mort, lou Sabatdri, la Garamaudo, lou Gripet, la Bam-
baroucho, la Ghaucho-Vi^io, lis Escarinche, li Dra, lou Ghin de
Gambau, lou Baroun Castihoun. — L*Agnda negre, la Gabro d'or.
— Taven escouiguro la plago de Vinc^n. ^ Enauramen e prou-
fetiso de la masco. . • %iA
CANT SETEM.
Liiu viei panieraire em6 soun fl^u, asseta davans lou lindau de sa
bdri, trenon uno canestello. — Lou ribeirfe d6u Rose. — Yinc^.
dis h soun paire d'ana demanda Mir^io en mariage. — Refus e re-
moustran^o d6u vi^i. — Vinceneto, sorre de Vinc^n, per ajuda soun
fraire k touca M^ste Ambroi, conto I'istdri de Sivfistre em^d'AIis
— Parten^o de Meste Ambroi p^r lou Mas di Falabrego. — L'anri-
bado e lou gousta di meissouni^. — M^ste Ramoun. — Lou labour.
— Recit d'Ambrdsi, responso de Ramoun. — La taulo de Galdndo.
— Mir^io declaro soun amour p^r lou fi6u d6u panieraire. — Ama-
Hciado, emprecacioun e refus di partet.— Endignacioun de M^te
Ambroi. — Napoleon e li gr^ndi guerro. — Encagnamen de M^te
Ramoun. — Lou s6udard labouraire. — Farandoulo di meissou-
iiie d r«nlour d6u fio de Sant Jan ^
CART VDECHEN — LA CRAU
De$esperan(o de Hir^io. — Atrencaduro d'Arlatenco. — La chato, au
mitan de la niue, fugis I'oustau pairau. — Yai au toumb^u di
^^nti Mario, que soun li patrouno de Prouv^n^o, li suplica de
louca si parent. — Lis Ensigne. — Tout en conrr^nt d trav^s de
Grau, rescontro li pastre de soun paire. — - La Crau, la guerro di
Oigant. — Li rassado , li pr^go-Di^u d'estoublo , li parpaioun,
avertisson Mir^io. — Mireio , badanto de la set, e n'en poud^nt
plus de la caud, pr^go Sant G^nt, que v^n d soun secours.
— Rescontre d'Andreloun, lou cacalausi6. — Eloge d'Arle. —
TABLE. 507
CHANT SIXI&MB — LA SORGIERE
A I'aube du jour, trois porchers troovent Vincent 6tendu dans le dd-
sert de ia Crau, et baignd dans son sang. — Us I'apportent dans
leurs bras an Mas des Micocoules. — Digression : appel du poete
^ ses amis, les pontes de Provence. — Douleur de MireiUe. — On
porte Vincent i I'antre des F6es, repaire des Esprits de la nuit, et
habitation de la sorci^re Tavdn, charmeuse de tous maux. — Les
F^. — Mireille accompagne son amant dans les excavations de la
Diontagne. — La Mandragore. — Les apparitions de la Caveme: les
FoUets, I'Esprit Fantaslique, la Lavandi^re du Ventour. — Rdcit s
de la sorci^e : la Messe des Morts, le Sabbat, la Garamaude, le
Gripet, la Bambarooche, le Caucheraar, les Escarinches, les Dracs,
le Chien de Cambal, le Baron Castillon — I'Agneau noir, la Chdvre
d'or. — TavSn charme la blessure de Vincent. — Exaltation et pro-
phdties de la sorcidre 215
CHANT SBPTI&HE — LB8 VIEILLARD8
Le vieux vannier et son flls, assis devant le seuil de leur cabaiie,
tressent une corbeille. — Paysage des bords du Rhdne. — Vincent
engage son pdre & aller demander la main de Uireille. — Refus
et remontrance du vieillard. — Vincenette , sceur de Vincent , se
joint ^ son frdre pour fl^liir Maltre Ambroise , et raconte This-
toire de Sylvestre et d'Aiix. — Depart de Maitre Ambroise pour le
Mas des Micocoules. — L'arrivte et le repas des moissonneurs. —
Mattre Ramon. — Le labour. — R6cit d' Ambroise, rdponse de Ra-
mon. — La table de Noel. — Mireille avoue son amour pour le
fils du vannier. — Courroux, impr^^tions et refus des parents.
— Indignation de Maitre Ambroise. — Napoleon et les grandes
guerres.— Emportement de maitre Ramon.— Lesoldat laboureur.—
Farandole des moissonneurs autourdu feude la Saint- Jean. 267
CHANT HUITl^ME — LA CRAU
Ddsespoir de Mireille. — Toilette d'Arlesienne. — La jeune fille, au
milieu de la nuit , fuit la maison patcitielle. — EUe va au tom-
beau des Saintes Maries supplier ces patronues de la Provence de
lUchir ses parents. — Les constellations. — Dans sa course k tra-
vers la Crau, elle rencontre les bergers de son pere. — La Crau,
la guerre des Grants. — Les lizards, les mantes religieuses, les
papillons avertissent Mireille. — Mireille haletante de soif, acca-
blee par la chaleur ilu jour, implore Saint Gent, qui la secourl.—
Ilcjiconlre <VAn<lrcluun, io rairiassrur dc Urnavons.— Eloge d'Arlos.
508 TAULO.
Recil d'AndretouB : istdri d6a Traa de la Capo, licauco, li caucaire
aproufoundi. — Nir^io coucho au tibandu de l.a famiho d'Andre-
loun 316
CANT KOUVBN — L ASSKMBLADO
Desoulacioun de M^sle Ramoun e de Jaiio-liaiio, quand trovon plus
Mir^io. — Tout-^'un-tdms lou vidi mando souna e acampo dins
riero tduti li travaiadou d6u ma«. — Li segaire, U rastelarello,
lou feneirage. — Li carreti^, I'estremage di fen. — Li bouie. —
lii meisaouni^ la meissoun, U gleDarello. ^ Li pastre. — Recit de
Lauren de Gdut, capouli^ di meissouni^ : lou cop de voulame. —
Recit d6u segaire Jan Bouquet : lou nis agarri p4r li Iburnigo. —
Recit d6a Marran, baile di r^fi : la marco de murt. ^ Recit d'An-
t^unie, lou baile-pastre.-rAnt^ume a vist Mir^io qu'anavo i S^nti-
Marlo. — Eatrambord e pr^it de la maire. — . Part^^ de la
famiho p^r av^ Hirdio 353
CANT DESBK — LA CANAR60
Mirdio passo lou Rose dins lou barquet d'Andreloun, e countunio sa
course ft trav^s la Camargo. ~ Li dougan d6u Rose entre la mar
e Arte. — Descripcioun de la Camargo. — La calour. — La danso
de la Vidio. — Li mountiho. — - Li sansouiro. — Mir^o es ensu-
cado p^r nn cop de soul^u sus U ribo de reslangd6uVacar&. — Us
arabi la rev^non. — La roumi^nvo d'amour se tirasso jusqu'A la
gl^iso di Santo. — La prei^ro. — La visioun. — Descours di Sdnti
Mario. — La vanita d6u bonur d'aquest mounde, la necessita e lou
merite de la soufrgn^o. — Li Santo, p^r ie refenni lou cor, racon-
ton d Hir^io sis esprovo terr^tro 386
CANT VOUKGEN
Li Sdnti Mario raconton, qu'aprds la mort d6u Crist, fugudron em-
bandido, em^ d'Autri disciple, A la bello eisservo de la mar, e
qn'abourd^ron en Prouvengo, e que jcounvertigueron li popie
d'aquelo encounlrado. — La navigacioun.— La tempesto. — Arri-
bado A-n-Arle di Sent despatria. — Arle rouman. -- La feslo de
Venus. — Sermoun de Sant Trefume. — Counversioun dis Arlaten .
-- Li Tarascounen v6non imploura lou secours de Santo Mario. —
La Tarasco.— Sant Marciau h Limoge; Sant Savournin A Toulouso;
TABLE. 509
R^t d'Andreloun : l^gende du Trou de la Cape , le foulage des
gerbes , les fouieurs engloutis. — Mireilie passe la nuit sous la
tente de la famille d*Andreloun M7
CHANT NEUVI^HE — l'aSSEHBLEE
D^olation de Maltre Ramon et de Jeanue-Marie, en s'apercevantde
Tabsence de Mireilie. — Le vieillard mande aussitdt et rassemble
dans I'aire tons les travailleurs de la ferme. — Les faucheurs, les
faneuses, la fenaison. — Les charretiers, la rentr^ des foins. ~
Les laboureurs. — Les moissonneurs , la moisson, les glaneuses.
— Les bergers. — R£cit de Laurent de Goult, chef des moisson-
neurs : le coup de faucille. — R^cit du faucheur Jean Bouquet : le
nid envahi par les fourmis. — R^it du Marran, chef des gar^ons
de charrue : le pr^age de mort. — R^cit d'Antelrae, chef des
p&tres. — Antelme a vu Mireilie allant auz Saintes-Maries. —
Transports et invectives de la mSre. — Depart de la famille t la
poursuite de Mireilie 352
CHANT DIXI&ME — LA 6AMARGUB
Mireilie passe le Rhdne dans la nacelle d'Andreloun, et poursuit sa
course k travers la Camargue. — Les bords du Rhdne, entre la
mer et Aries. — Description de la Camargue. -— La chaleur. — Le
mirage. — Les dunes. — Les Samonires. — Mireilie est frappte
d'un coup de soleil, sur les rives de I'^tang du Yaccares. — Les
moustiques la rappellent k la vie. — La pelerine d'amour se
traine jusqu'd T^glise des Saintes-Maries. — La pridre. — La
vision. — Discours des Saintes Maries. ^ La vanil4 du bonheur de
ce monde, la n^essit^ et le m^ite de la souffirance. — Les
Saintes, pour raffermir le courage de Mireilie, lul font le rdcit de
leurs ^preuves terreslres 387
CHANT ONZli^HE — LES SAINTES
Les Saintes Maries racontent comment, apr& la mort du Clu-ist
ayant 616 livr^es k la merci des flots avec plusieurs autres disci-
ples, elles abord^rent en Provence, et convertirent les peoples
de cette contr^e. — La navigation. — La tempete. — Arrivee des
Saints proscrits k Aries. -- Aries romaine. — La f6te de V6nus.
— Discours de saint Trophime. — Conversion des Arl6siens.— Les
Tarasconais viennent iraplorer le secours de Sainte Marthe. — La
Tarasque. — Saint Martial a Limoges; Saint Satumin a Toulouse ;
510 TAULO
Sant Estr6pi en Anrei^o.^ Santo Narto doumto la Taraaeo, e pid
counvertis Avignoun. — La papauta en Avignoun. — Sant Laziri k
Marsiho. — Santo Madaleno dins la baumo. — Sant Massemin k-
z-Ais. ^ Li Sinti Mario i Bans. — Lou r^i Reini^. — La Prouvtogo
unido i la Franco. — Mii^o, vierge e martiro 422
CANT DOUGEN — LA MORT
Lou pais dis arange. —Li Santo remounton au paradis.— Loupaire
em^ la maire arribon. — Li Santen mounton Mir^o k la capello-
z-auto, mount i'a li relicle.— La gleiso di SAnti Mario.— Li supli-
cacioun. — La plajo camarguenco. — Vinc^n arribo e sa doulour
desboundo. — Lou cantico di Santen. —Darriero visioun de Mireio :
v^i li SAnti Mario emplanado dins la mar. — Darri^i paraulo, e
lurainouso mort de la chatouno. — Li coumplancho, la desespe-
ran9o 464
Mubico DE Maqali.
TABLE. , 511
Saint fiutrope h Orange. — Sainte Marthe dompte la Tarasque, et
ensuite convertit Avign^v. — La papaut^ k Avignon. — Saint La-
zare k Marseille; Sainte Magdeleine dans la grotte; Saint Maximin h
Aix; les Saintes Maries aux Baux. — Le roi Ren^. — La Provence
unie k la France. — Mireille, vierge et martyre 423
CHANT DOUZI&ME — LA MORT
Le pays des oranges. — Les Saintes remontent dans le ciel.— Arrive
du p^re et de la m^re. — Les Saintins montent Mireille h la cha-
pelle haute, oi!^ sont d^pos^ les reliques. — L'^lise des Saintes
Maries. — Les supplications. — La plage de Camargue. — Arrivte
de Vincent, '^clat de sa douleur. — Le cantique des Saintins. —
Demi^re vision de Mireille : les Saintes Maries lui apparaissent
sur la haute mer. — DemiSres paroles, et radieuse mort de la
jeune filler — Les plaintea, le d^sespoir 465
MUSIQUB DB MaGAI.I i 9
IMP. SIMON nigox ET coMP., noE D'RnFunrii, '1,
Lc KOI Loiit Xl>
KtnKi.Ats.
H. i>K Vkrvilik.
K. IILS I'tHlBRS.
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SkTIKK MCHIVpiB.
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J. -J. UUI-SSS4U.
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II.- J. Chbhiir.
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ConlM el joy. Drfii. I
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Coufnsiont 1
Pur»ie» complclM . • I
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CLASSIQUBS PRANgAIS
MitioHB varloram
Dl r.HARLRS LOUANOBI
MnxTAfuM. EMaii,ed. oompUte.. 4
Coi\>KUi.KiP.etT.) OEo»re« '
I1t)i.ii,iui. UEu«i«s coapUtet. . 3
I'ascaIm Peut«e» I
— Lettres proTindale*. I
Caraclcre* \
Tht-Alre comiilet ... I
Ea BniirkAB.
J. lUriNi.
buiLKAO.
La FoHTAins.
VOLTAIIB.
Ful'lei . .
CoiiIm et Nouvrllt't..
Siecle dc Louit TL\\ .
M^naoirca at CorrcaponilMieaa
tor t'PUtoirt cl U SocMU rraDjaistt.
Ar.Mp. D'Auaiani. Mi'inoirt!i
\«iiTiKB. Leltii'8 cl Poe»ie«. ..
MoTihviLLmM"'*l.Mniioire»
M.'^■rPK^sIK»(M"«).Ml■ul0^lc» ■
llissv lURriiH. Correopoiid. in^dite. 3
Maintbjnuii («•"•). I eltie* sur I EJucat I
— Enlretien* idem. I
~ Lettres bill, el edit.. 3
— Cori-c5pondance gen. 4
— Convt-rsat.ci Proverb. I
— k'cnioires sur elle. . . 3
Chavibhitw (d«). Pers.Mit.dea Proteat. I
Oni KANS (DucH.DlXoirespcudaiice. ... 3
L AvocAT Uamikb Journal tur le ZTIII*
ftit'cle
OiBitMy:H (&!*■« D')Memoiret. .......
XIX* aMele.
AiMB Mamtin. Education det meres. 3
B^K|^NTK (db). Tableaudelitlerature 1
Hkiuat-SavaMW. Physioloijie du Gout. I
UKMAM.CoHSTAWT.Adolphe ........ I
DKKn.tzB. Romans, contes, et«. I
l)(-si'i.\rG.s (A.). I^s Poelos vivants. . I
l^i'RAS (M"»* db). Ourika. Edouard. , . |
Fkhhv. Voyage au Meiique., i
GAjrrrKH (Tmboph.) Poesies coiuideles . . I
— Voyage en Espagne. 1
— Nouvelles I
— Uademois. iMaupin., I
Gerard dbNkrv At. Voyage en Oiient . . 2
GiRAKDiH (M""DB).L<>ltrcsi<ariaiennei. . i
GnzoT. ^ Essais sur Ibistoire. I
JuRiKN , Gucrres makilinies. . 3
— Voyage en Chine. , . 3
Km-DNER iM""' db). Valerie 1
Lappadk (V. UB). PopioeseTangeliqne*. I
LavaixebITheop.)- Hist, des Fran(ais* . 4
— Geographic. ...,,, |
SHatstrb (Joskth). Du Pape. ....... 1
— Lettres, etc., etc. . . 3
*'''«TnB (Xavibr). OEuvres coinpletea . I
<i».,«M (P.). Chroniq. Charles IX. |
— Colomba, etc., etc. , t
Glare Gaiul. ..... i
HnXBVOTB.
MoHVin (B.).
MuniT (AuTBio).
Mu* I .J.
Pnw.HB 'fiiar.)
iNoDiBB (i.iiir.iit«)
S.-MAmc-4jUuipii«
SlnrTB-BiDTB.
SAlWTr%B.
Sardsau (Jo lbs).
SsiiAircoim.
StABL («"• DB).
Val>iori(M"»«)
VfONT (Au&BD)
Wbim.
VtiKT.
Bkt.4« Marie 'itatft. 3
Notioaa
Aatuiio Perct. ....
Heaaoirca htatori^acB.
Poeiiea .... ....
Boargeois if '. >ria. .
Prrnierespoi- **. ..
Poesies aoQ*« ' t-s. . .
Comedies, ed. ^ompl.
Confess. d'uB Enfant.
NouveMefli
Conlef
Les Oricinaui
Prmmesde *:• '..e^enet
Memoir«s dr i\t>a\, .
NouTcllet 11 '..'nnea.
Voyage e.i I '.-lie. . .
I.e NouT.i \ladin. .
Portraits ti critiques. 1
.\a lU.olaiKQ e>lEn-
rir-
6oa\e<i. dr Jeuncsae.
Conteide Ip Veillee,
Contes fanuaticiaaB.
Ronvelles
Romans
.Cours de litie'atore.
Essaisde litieratAra.
Tabl. de ta f«e«ie . .
Vftlupta
Poesies eoaplelM . .
Picciola
Marianna .......
Doetcur Harbcaa . .
Fernand I
VaillaaoeetRiehard/
Valcreuse * .
Chasaeanroiua ..I
H"'«deSomiBerTilJ< (
HadeleiaeM ...••*
Mile de >a SeicUem..
Obermana../. . . .
Coriune
Delphine. .......
De rAUenkfBe. . . .
Revolution mnfaiie.
Mcrooirea.
Oe la Ittteratare. . .
Poeaiee .
Cinq>Man
Slello
Nourelles .
Theitre
Puexies
R«^rugies ProlesUats.
Etudes s.l.beaaK-arU.
PoKTBS on NoKD. Chants p''T-.
CofrTBuas ALUM. NouTelleadllei.
Bililiolh«<iaa ladaie-frKBi^iaMi.
Tacitb. Tradttct. Loaandre.. :
Ivixs Cbsaa. Traduct. Loaandre.. 1
Horacb. Traduction Patin... :
Subtonb. Trad. PeaaoBaeinx. . :
BibliothAqaa cr«eqae*rraaf «iae.
AaiSTOPHAltB.
Aribtutb.
DkmosthenB.
Dkx.ekb Labbtb
EsCH^LB.
El'RIPIDB.
lll^KnuOTB.
iloMLRB.
Heliodorb.
LoNurs.
Marc-Acrblb.
MoRALISTB^nUBCB.
Platoh.
Comediet, tr. aout. .
PoHliqne, etc., etc.
Chefs-d'ocuTre
Vies d. Philosopfaes.
TheAlre, tr. Pierron.
The&tre, tr. nouT. . . '
Hi8toire,tr.Larcher. :
llliade, tr. Dacier. .
Odyssee, tr. Dacier..
Theagenes.Chariclde.
DaphnisetChloe.eto.
OKuvr., tr. Pierron.
Socrale, Epictete . .
La Repnblique. ...
Les Lois
Dialo(;uea biograpb. ;
Dialogues netaphya. i
VwuKgn,
Grtait Boa
traduetioo
SoniocxB.
Tbeitra, tr^d
TaOCtDIDB.
Htstaire, tr. /
XBsoraoa.
OBufrea, tr. I
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Itfu. B. Stowb.
OneleTom t. f
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Trad. B. Un
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Tern Jones, t.
EHBBSOa.
Philosophic.
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Feast, tr. H.
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Guerre de 30
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Poesies, tr. M
Kloktock.
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Contes, tr. M
La DAirra.
DiTine Gomtd
La Tassb.
Jerusalem d«U
Uahzohi.
Les Fiances . .
Silvio Pklltco.
MesPrisonst.
Machiavsl-
Hist, de Flor,
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OEirres polii, i
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OEBTres litt«r.
GsBTAarfts.
Don Qnicbotle.
BaUsioari
SAfitT-AiJoinTiv.
CottfessioBS, t.
CitAdemeu,lr
M.EoileSai
BUSSOR.
BisU des Van:
EleTstions (Mrs
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McdiUtionsit*
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OEuTres philosi
PiwBLtm.
OEuvres philosa
Dbscartes.
OEnTi%s, ed. Si
OEuvres, ed. .Sn
LaiaiHTS.
OE«vres,ed Jac
Bacuh.
OE«Tr.,«d. Wa
EfLBB.
Lellresanne prii
Emilb Sausbt.
Phito«>phie-Rel
SAOKm.
Sermon
Oai>aicM diiTcn.
QUATBBBAOBS.
Sott^.d'Nalur
Cabahis.
D« Physique e
moral de i ho:
BiCHAT
VieetMort...
ZlMMBRMAint.
Dc la Soliiudo .
KoiTSSBL.
Syst. de la Ftii r
J. LlBBia.
NouveitejUu,..
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Mahomet.
Le Kr.ran
Co^Fuct1».
LcH'iv.delnC.n*
D'Houdbtot
U Chasseur ru.a.
Petile Veneri'. ■
BuBRic David.
Scol}.lure aotiijW
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Scisipittre frjn ti
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VfiadesAilisifi
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OCT 2 8 1940