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Full text of "New Jersey banker"

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•JV-v\o  ► 


MIREIO 

POfiME  PROYENCAL 


FREDERIC  MISTRAL 

AVEC  LA  TRADUCTION  LITTERALE  EN  REGARD- 


deuxi£me  edition 

RBYUB,  COHRIGBB  ST  ACC0MP1G>BB    DB  KOI  83 
BT  ARGUMENTS 


PARIS 

GHARPENTIER,  LIBRAIRE-EDITEUR 

28,   QUAI    DB    l'eGOLE 
1850 


THE  NEW  YORK 

FUSLIC  U5RARY 


ASTOR,  LESOX  AWO 

T.LDLN    FOUNDATIONS, 


I 


MIRElO 


f^ 


^^ 


MIREIO 

pouEmo  prouvencau 


FREDERI  MISTRAL 


EHfi  LA  TRADUClOilN   LITERALO  EN   REGARD 


PARIS 

ENCb  DE  CHARPENTIER,  LIBRAIRE-EDITOUR 

J8,    QUKI    DK     l'eSCOLO. 
ATieNOVN,    BNC6    VK    BOVmANIHO,    LIBBAIHC 

i860 

Li  dre  de  Iraducioun  e  do  roprouducioun  soiiii  resorva. 


MIREILLE 


POEME    PROVENCAL 


iD£ 


FREDERIC  MISTRAL 


AVEC  I,A  TRADUCTION   LITT^RALE  EN    nEGARB 


PARIS 

CHARPEMIER,  LIRRAIRE-EDITEUR 

S8  ,   QUAl  DE   l'£C0LE. 


1800 

Di'oils  dt'  tradutflion  el  dc  reproduclion  reserves. 


THE  NEW  YORK 
PUBLICUBRARy 

108891 

AiTO«,  LCNOX  AMD 
Tli,OCll  FOUMOAflONt. 

1890 


A  LAMARTINO 


Te  counsacre  Mireio  :  es  moun  cor  e  moun  amo, 

Es  la  Hour  de  mis  an ; 
Es  un  rasin  de  Crau  qii'eme  touto  sa  ramo 

Te  porge  un  paisan. 


MISTRAL. 


Maiano  {SiDuco^dif  -  Hose) ,  8  de  selembre  1859. 


A   LAMARTINE 


Je  (e  consacre  Mireille  :  c'est  mon  coeur  et  mon 
ame;  —  c'est  la  fleur  de  mes  annees;  —  c'est  un 
raisin  de  Crau  qu'avec  toutes  ses  feuilles  —  t'offre 
un  paysan. 


MISTRAL. 


Maillane  {Bauches-dn-mdne).  8  iepfembre  1859. 


AVIS 

SUR  LA  PROKONCIATION  PROVENgALE 


Afin  d'aider  le  lecteur  stranger  a  la  langue  provenQale  a 
lire  le  texte  du  po^me,  nous  allons  dire  ici  brievement  en 
quoi  la  prononciation  proven^ale  difPfere  de  la  prononciation 
frangaise. 

En  Provencal,  on  prononce  toutes  les  lettres,  et,  sauf 
les  exceptions  suivantes,  on  les  prononce  comme  en  Fran- 
^ais. 

Le  g  devant  un  e  ou  un  i,  et  le  ;,  se  prononcent  dz.  Ainsi 
gemi,  gibous,  image,  jalous,  doivent  se  prononcer  dx-emU 
dzibous,  imadze,  dzalous. 

Ch  se  prononce  te,  comme  dans  le  mot  espagnol  muchachOy 
Ainsi  charra,  machoto,  rhima,  se  prononcent  tsarra,  matsoto, 
Uinta. 

Passons  aux  voyelles. 

A ,  desinence  caracteristique  du  feminin  dans  Tancienne 
langue  romane,  est,  dans  cet  emploi,  remplace  aujourd'hui 
par  0. 

L'o  final  represenle  done  en  Provencal  Ve  muet  des  Fran- 
^ais,  Va  final  des  Italiens  et  des  Espagnols. 

E  sans  accent,  ou  surmont^  d'un  accent  aigu,  se  pro- 
nonce comme  Ye  ferm6  frangais  ;  ainsi  les  e  de  teU ,  de 
deoif  sonnent,  a  peu  de  chose  pres,  comme  ceux  de  iUy  vi- 
TiU. 

£,  surmonte  de  Taccent  grave,  comme  dans  ne,  vengui,  se 
prononce  ouvert. 

Ve  ou  Fi,  quoique  suivis  de  consonnes,  comme  dans  sacra- 
men  y  vbiy  envperaire  y  conservent  toujours  leur  son  alpha- 
betique. 


?ni     AVIS   SUH  LA  PRONONCIATION  PROVENCALE. 

Void  maintenant  les  regies  de  I'accent  tonique  : 

1°  Dans  les  mots  termini  simplement  par  e  ou  par  o, 
Taccent  tonique  porte  sur  la  p^nulti^me  :  ainsi  ferraniento^ 
capello,  fibre,  se  prononcent  exactement  comme  les  mots 
italiens  ferramento,  capello,  febbre. 

^  Lorsqu'il  se  trouve,  dans  le  corps  (les  mots,  une  syllabe 
accentuee,  il  porte  generalement  sur  cette  syllabe;  exemple  : 
Wuli,  armdri,  cachafid,  argSnty  av6,    • 

3**  II  porte  sur  la  derniere  syllabe  dans  tous  les  mots  ter- 
minus par  un  a,  un  t\  un  u,  ou  une  consonne;  exemple  :  Y;e- 
rita,  peri,  vengu,  pichot,  resoun. 

Cette  derniere  regie  a  une  exception  :  dans  les  personnes 
des  verbes  terminSes  pares  oupar  on,  comme  anaves  (tu  allais), 
que  digues  (que  tu  dises),  courron  (ils  courent),  sabon  (ils 
savent).  Taccent  tonique  porte  sur  la  p^nultieme. 

II  existe  en  Provengal  des  diphthongues  et  des  triphthon- 
gues,  mais  les  voyelles  y  conservent  toujours  leur  valeur 
propre.  Dans  les  diphthongues,  la  voix  doit  dominer  sur  la 
premiere  voyelle,  comme  en  Italien;  ainsi  :  mni,  rii,  galoi, 
doivent  se  prononcer  mM,  rei,  galdi.  Dans  les  Iriphlhon-^ 
gues,  come  biai,  piei,  vuei,  nine,  la  voix  doit  dominer 
sur  la  voyelle  interm^diaire,  tout  en  faisant  sentir  les  au- 
tres. 

La  voyelle  u  se  prononce  comme  en  Fran^ais,  excepte  lors- 
qu'elle  suit  immediatement  une  autre  voyelle ;  dans  ce  der- 
nier cas,  elle  prend  le  son  on.  Ainsi,  dans  les  diphthongues 
au,  iu,  du,  et  dans  les  Iriphthongues  iau,  iiu,  idu,  prouon- 
cez  dou,  ecu,  dou,  idou,  ieou,  idou. 

Cette  r^gle  a  ete  constamment  suivie  par  les  Troubadours 
classiques. 

On  vient  de  voir  que  les  sons  eu,  du,  Uu,  idu,  sont  accen- 
tues  :  c'est  afm  de  les  distinguer  des  sons  eu  et  ou,  qui 
existent  aussi  dans  la  langue  d'Oc  (comme  dans  Enfant  J euse, 
enfant  Jesus,  tout,  urous,  mounde,  etc.);  c'est  encore  pour 
montrer  que  le  son  doit  ^tre  plus  ou  moins  ouvert  ou  ferme, 
selon  que  Taccent  est  grave  ou  aigu. 


MIKEIO 


MIHEIO 


CAM  PHOLiMIE 

lOU   MAS  DI  FALABREGO 


K&pousiciouu.  —  liivoucacioun  au  Ciist,  iiascu  dins  la  pastiiho.—  In 
▼i^i  panieraire,  Meste  Ambr6si ,  erne  boun  drole,  Vinc^n  ,  van  de- 
inanda  la  retirado  au  Mas  di  Falabrego.  —  Mir^io ,  flho  de  M^ste 
Ramoun,  lou  mestre  duu  inas,  ie  fai  la  benvengudo.— Li  rkfL,  api^s 
suupa,  fan  canla  Meste  Ambr^si.  —  Lou  vi^i,  autri-tesmarin,  canto 
un  coumbat  navau  dou  Daile  Sufren.  —  Mir^io  questiouno  Vinc^ii. 
—  Rccit  de  Vinc^n  :  la  casso  di  cantarido,  la  pesco  disiruge,  lou 
miracle  di  Santi  Hai  io ,  la  courso  dis  ome  k  Ninnes.  —  Mir^io  es 
espantado  e  soun  amour  poanchejo. 


Caiile  uno  cliato  de  Prouven^o. 
Dins  lis  amour  de  sa  jouveriQO, 

A  Uaves  de  la  Crau,  vers  la  mar,  dins  li  bla, 
Urnble  escoulati  dou  grand  Oumoro, 
leu  la  vole  segui.  Coume  ero 
Ken  qu'uno  chato  de  la  terro, 

Kii  foro  de  la  Crau  se  n*es  gaire  parla. 


Emai  soun  front  noun  lusiguesse 

Que  de  jouinesso ;  emai  n'agu^ssc 
Ni  diademo  d'or  ni  mant6u  de  Damas, 

Volequ'en  glori  fugue  aussado 

Goume  uno  r^ino,  e  caressado 

Per  nosto  lengo  mespresado, 
Car  caulaii  que  per  vautre,  o  pastie  e  gent  di  inas ! 


MIKEILLE 


CHANT  PREMIER 

LE  MAS  DES  MICOCOULES  » 


Expofiition.  —  Invocation  au  Christ,  ne  parmi  les  pAlres.  —  I'n  vicu\ 
vannier,  Maltre  Ambrolse,  et  sonflis,  Vincent,  vont  demandcr  I'hos- 
pitalit^  ail  Mas  dcs  Micocoules.  —  Mireiilc,  fille  de  Naltie  Ramon, 
le  maitre  de  la  ferme ,  leur  fail  la  bienvenue.  —  Les  laboureurs, 
apr^s  le  i-epas  du  soir,  invitent  Mailre  Ainforois4>  &  cliantcr.  —  Lf 
vieiliard  ,  auti^fois  marin ,  chante  iin  combat  naval  du  Bailli  d(> 
Suffren.  —  Mireille  questionne  Vincent.  —  R^cit  de  Vincent  :  la 
chasse  aux  cantharides,  la  pCche  des  sangsues,  le  miracle  des 
Saintes  Maries,  la  course  des  hommes  h  Mmes.  —  Ravis^rmont  de 
Mireille,  naissance  de  son  amour. 


ie  chante  une  jeiuie  fille  de  Provence.  —  Dans  les 
amours  de  sa  jennesse,  —  k  travers  la  Crau  *,  vers 
la  mer,  dans  les  bles,  —  luunble  ecolier  du  grand 
Homere,  — jeveux  la  suivre.  Conime  c'elait  —  seii- 
lement  une  fille  de  la  glM)e,  —  en  dehors  do  la  (Iran 
il  s'enost  penparl^. 


Bienque  son  front  ne  resplendit  —  que  de  jeunesse; 
bien  qu'elle  n'eAt  —  ni  diademe  d'or  ni  manteau  do 
Damas,  —  je  veux  qu*en  glohe  elle  soil  6levee  — 
comme  une  reine,  et  caressee  —  par  notre  languo 
mepris^e,  —  car  nous  no  chantons  que  pour  vous,  i) 
patios  et  habitants  des  mas. 


^*  NIRRIO,  CAM  ! 

Tu,  Segnour  Dit'ii  de  ma  patrio, 

Que  nasqiieres  dins  la  pastriho, 
Enfioro  mi  paraiilo  e  dono-ine  d'alon! 

Lou  sabes :  enire  la  verduro, 

All  souleu  ein'i  bagnaduro, 

Qiiand  li  figo  se  fan  maduro, 
Yen  Tomft  aloubali  desfrucha  I'anbro  en  plon. 

Mais  sus  Taubre  qu'en  espalanco, 

Tu  toujour  quilies  quauco  branco 
Ounic  Tome  abrama  noun  posque  aussa  la  ninn, 

Bello  jilello  proumierenco, 

E  redoulento,  e  yierginenco, 

Bollo  frucho  madalenenro 
Ounte  Tauceu  de  I'er  se  ven  leva  la  fam. 

leu  la  vese,  aquelo  brauquoio, 

E  sa  froscour  me  fai  lingueto ! 
leu  \ese,  i  venloulet,  boulega  dins  lou  eeu 

Sa  ramo  e  sa  frucho  inmourtalo... 

B^u  Dieu,  Di6u  ami,  sus  lis  alo 

De  nosto  lengo  prouveucalo, 
Fai  que  posque  avera  la  branco  dis  auceu ! 

De-long  dou  Rose,  entre  li  pibo 

Elisauselode  la  ribo, 
En  un  paure  oustalouu  per  Taigo  rousiga 

In  panieraire  demouravo, 

Qu'em^  soun  drole  piei  passavo 

De  mas  en  mas,  e  pedassavo 
l.i  canestello  routo  e  li  panie  traucu 


MIRKILLE,  CHANT  I.  5 

Toi,  Seigneur  Dieu  de  ma  patrie,  —  qui  naquis 
parmi  les  pAtres, — enflamme  ines  paroles  et  donno- 
moi  du  souffle !  —  Tu  le  sais  :  parmi  la  verdure,  — 
an  soleil  et  aux  rosees,  —  quand  les  figues  mnris- 
sent,  —  vient  I'homme,  a  vide  comme  iiri  loup,  de- 
poiiiller  enlierement  Tarbre  de  ses  fruits. 


Mais  sur  Tarbre  doiit  il  brise  les  ramemix,  —  toi, 
toujours  tu  el^ves  quelque  branche  —  ou  riiomino 
insatiable  ne  puisse  porter  la  main,  —  belle  pousse 
bativo ,  —  et  odorante,  et  \irginale,  —  beau  fruit 
imir  a  la  Magdeleine,  —  ou  vient  Toiseau  de  I'air 
apaiser  sa  faini. 


Moi,  jela  vois,  cette  branchelte,  —  et  sa  fraicheur 
provoque  nies  desirs!  —  Je  vois,  au  (souffle  des) 
brises,  s'agiter  dans  le  ciel  —  son  feuillage  et  ses 
fruils  immortels...  —  Dieu  beau,  Dieu  ami,  sur  les 
ailes  —  de  notre  langue  provenoale,  —  fais  que  ji> 
puisso  aveindro  la  branche  dos  oiseaux ! 


Au  bord  du  Rhone ,  entre  les  peupliers  —  el  les 
saulaies  de  la  rive,  —  dans  une  pauvre  maisonnelle 
rongee  par  I'eau,  —  un  vannier  demeurait,  ~  qui, 
avec  son  fils,  passait  ensuite  —  de  ferme  enfernie,  et 
raccommodait  —  les  eorbeilles  roinpurs  et  les  pa- 
niei's  Iron  OS. 


1. 


0  MlllfelO,  CNNT  I. 

Un  jour  qu'eron  aiisin  per  orto, 

Em^  si  long  fais  de  redorto  : 
—  Paire,  digii^  Vinc^n,  cspinchas  lou  soul^ii ! 

Ves^s,  eila  sus  Hagalouno, 

Couine  lou  nivo  Teinpielouno ! 

S'aquelo  emparu  s*amoulomio, 
Pairo,  avans  qu  estre  au  mas  nous  bagnaren  1)oI»mi. 

—  H6u!  lou  vent-larg  brando  li  fueio.... 
Noun ! . . .  aco  sara  pas  de  plucio, 

Hr^poundegue  lou  viei...  All!  s*ac6  *ro  lou  Ran, 
Es  diferfent!....  —  Quant  fan  d'arairo, 
Au  Mas  di  Falabrego,  paire? 

—  Sieis,  respounde  lou  panieraire. 
Ah  !  *co's  un  tonainen  di  pu  fort  de  la  Crau ! 

To,  veses  pas  soun  ('ndivelo? 

Entre-mitan  i*a  qu5uqui  veto 
!)(» vigno  e  d'amelie...  Mai  lou  beu,  recoups, 

(E  n*i'a  pas  dos  dins  la  coustiero !) 

Lou  beu,  OS  que  i'atantde  tiero 

Coume  a  de  jour  Tannado  entiero 
E,  tan!  coume  de  tiero,  en  chasco  i'a  de  ped ! 

—  Mai,  fague  Vincen,  caspitello ! 
Deu  ben  fale  d'dulivarello 

Per  6uliva  tant  d'aubre !  —  IIou !  toul  aco  se  fai ! 

Vengue  Toussant,  e  li  Banssenco, 

De  vermeialo,  d*amelenco, 

Te  van  clafi  saco  e  bourrnico !... 
Tout  en  cansounejant  n'acamparien  ben  mai ! 


Vn  jour  qu'Us  allaient  ainsi  par  les  champs,  — 
avec  leurs  longs  fagots  de  scions  d'osier  :  —  «  P^re, 
clit  Vincent,  regardez  le  soleil!  —  Voyez-vous,  la-bas,' 
surMaguelonne^,— les  piliers  dennageqiiiretayent? 
—  Si  ce  rempartvient  as'amonceler,  —  pore,  avant 
d'etre  an  mas.  nous  nous  moiiillerons  penl-efre.  >» 


—  ((  Oh!  lo  vent  largiie*  agitc  les  feuilles...  ~ 
Xon!...  ce  ne  sera  pas  de  la  phiie,  —  r^pondit  le 
vieillard...  Ah!  si  c'elail  ie  Rau»,  —  c'est  diffc^- 
rent!...  »  —  «  ComUen  fait'07i  de  charrues,  —  aii 
Mas  des  Micocoules,  pere?  »  —  (/  Six,  repondit  ]v 
vannier.  —  Ah!  cVst  la  un  domalne  des  pins  forts 
de  la  Cran ! 

«  Tiens !  ne  vois-tii  pas  leur  verger  d*oliviers? 

Parmi  enxsont  quelques  rubans  —  de  vignes  el  d'a- 
mandiers. . . .  Mais  le  bean,  reprit-il  en  s*interrompanl , 
—  (et  de  tels,  il  n'en  est  pas  deux  snr  la  cdte !)  —  lo 
beau,  c'est  qn'il  y  a  autant  d'allees  —  qu*a  de  jonrs 
Tannee  entiere,  —  et  dans  chacnne  (d'elles),  antant 
qne  d'allees  il  y  a  de  pieds  (d'arbre) !  » 

—  «  Mais,  fit  Vincent,  caspitello  •!  —  qne  tVoli- 
veuses  il  doit  falloir  —  pour  cueillir  les  olives  de  lant 
d'arbres!  »  —  «  Oh!  tout  cela  s'acheve!  — Viennela 
Toussaint,  et  les  filles  des  Banx  '  —  d' (olives)  ver- 
meilles  on  amygdalines  —  te  vont  combler  et  sacs 
et  draps!...  -  Tout  en  chantant,  6?lles  en  amasse- 
raient  bien  davantage !  » 


8  MIRfilO,  CANT  I. 

E  M6ste  Ambroi  toujour  parlavo... 
E  lou  soul^u  que  trecoulavo 

Di  plus  b^lli  coulour  legni^  li  nivonluii ; 
E  li  bouie,  sus  si  coulado, 
Venien  plan-plan  a  la  soupado, 
Tenant  en  I'er  sis  aguhiado... 

E  la  nine  sonmbrejavo  alin  dins  la  pnlnn. 

—  An !  deja  s'enlrevei  dins  Tici o 
Lou  camelun  de  la  paiero, 

DIgur  inai  Vincenet :  sian  au  recatadon !... 

—  Aqui,  ie  v^non  b^n  li  fedo! 
Ah !  per  restiou,  an  la  pinedo, 
Per  dins  i'ivor,  la  claparedo, 

lirconmencelou  viei...  Hon!  aquii'a  dc  lonl ! 

E  lonli  aqueli  grands  aubrage 
Que  sus  li  t(^nle  fan  oumbrage ! 

E  'quelo  bello  font  que  raio  en  un  pesq»iio ! 
E  t6uti  aqueli  brusc  d'abiho 
Que  chasco  aulouno  desabiho, 
E,  tre  que  Mai  s'escarrabiho, 

Pendoulon  cent  eissanie  i  grand  falabreguie  ! 

—  Ho!  pi^i,en  touto  la  terrado, 
Paire,  lou  niai  qu  a  ieu  m'agrado, 

Aqni  fague  Vinctm,  es  la  cbato  diSu  mas... 
E,  se  vous  n'en  souv^n,  moun  paiiv, 
L'cstieu  passa,  nous  fague  faire 
Dos  canestello  d'oulivaire, 

E  metre  uni  manibo  a  soun  picliot  cabas 


MIREILLE,  CHANT   I.  0 

Et  Maitre  Ambroise  continuait  dd  parler....  —  Kl 
le  soleil,  qui  disparaissait  au  dela  des  collines,  —  des 
plus  belles  couleurs  teignait  les  legers  nuages ;  —  et 
les  laboureurs,  sur  leurs  b^tes  accoupl^es  par  le  cou, 
—  venaient  lentement  au  repas  du  soir,  —  tenant  le- 
ves  lenrs  ^iguillons....  —  Et  la  nuit  commencait  a 
bninir  dans  les  lointains  marecages. 

—  ((AUons!  dej3i  s'entrevoit,  dans  Taire,  —  \o 
eomble  de  la  meule  de  paille,  —  dit  encore  Vincent : 
nous  voici  au  refuge!  »  —  a  T/est  la  que  pros- 
perent  les  brebis !  —  Ah !  pour  V^te,  elles  ont  lo  bois 
de  pins,  —  pour  I'hiver,  la  plaine  caillouteuse,  — 
rocommenca  le  vieillard...  Oh!  la,  il  y  a  de  tout! 


«  Et  tons  ces  grands  massifs  d*arbres  —  qui  sur 
1  s  luiles  font  ombrage!  — Et  cette  belle  Fontaine  qui 
coule  en  un  vivier !  —  Et  toutes  ces  ruches  d'abeilles 
—  que  chaque  automne  d^pouille,  —  et  (qui),  des 
que  mai  s*6veille,  —  suspendont  cent  essaims  aux 
f^rands  inicx)couliers !  » 


—  «  Oh !  puis,  en  toute  cette  terre,  —  p^re,  co  qui 
ni*agr6e  Ic  plus,  —  fit  la  Vincent,  c*esl  la  fille  de  la 
ferine....  —  El,  s'il  vous  en  souvienl,  mon  pere,  — 
olle  nous  fit.  Fete  passe,  faire  —  deux  corbeilles  de 
cueilleur  d'olives,  —  et  mettrc  des  anses  A  son  petit 
cabas,  n 


10  MlRfclO,  CANT  I. 

Ell  devisant  de  talo  sorto, 
Se  capit^ron  vers  la  porto. 
Tifl  chatouno  veni6  d'arriba  si  magnan; 
E  sus  lou  lindau,  k  Teigagno, 
Anavoalor  torse  uno  escagno. 

—  Bon  v^spre  en  touto  la  coumpagno ! 
Fague  lou  panieraire  en  jitant  si  vergan. 

—  M^ste  Arabr6si,  Di6uvous  loii  douno! 
Digu6  la  chato ;  mouscouloune 

la  pouncho  de  moun  fns,  vel...  Vautre?  sias  tardie! 
D'ounte  venes?  de  Valabrego? 

—  Just !  e  lou  Mas  di  Falabrego 
Se  devinant  sus  nosto  rego, 

Se  fai  tard,  aven  di,  coucharen  au  pale. 

E*  me  soun  fieu,  lou  panieraire 

S*ane  *seta  su*n  barrulaire. 
Senso  mai  de  resoun,  a  trena  t6uti  dons 

(Ino  banasto  coumencado 

Se  group^ron  uno  passado, 

K  de  sa  garbo  desnousado 
Crousavon  c  toursien  li  vege  voulountous. 

Vincen  avie  sege  an  pancaro; 

Mai  lant  d6u  cors  que  de  la  caro, 
Certo,  aco  *ro  un  b^u  drole,  e  di  mieu  estampa ; 

Em^  li  gauto  proun  moureto, 

Se  voules...  mai  terro  negrelo 

Adus  toujour  bono  seisseto, 
K  sort  di  rasin  negre  un  vin  que  fai  trepa 


illUEILLE.  CHANT  I.  11 

En  devisaiit  ainsi,  —  ils  se  trouverent  vers  la  porte. 
—  La  fillette  venait  de  donner  la  feuill^c  a  ses  vers  a 
soie;  —  et  sur  le  seiiil,  a  la  rosee,  —  elle  allait,  en 
ce  moment,  tordre  un  6cheveau.  —  « Bonsoir  k  loute 
la  compagnie !  »  —  fit  le  vannier,  en  jetanl  bas  ses 
brins  d'osier. 


-—  «  Maitre  Ambroise,  Dieu  vous  le  doime !  —  dit 
la  jeune  fiUe ;  jemets la  thie  —  kla  pointe  de  mon  fu- 
seau,  voyez!...  Et  vous  autres?  vous  voilS  attardes! 
—  D'ouvenez-vous?de  Valabr^gue*?  »  —  «  Juste! 
et  le  Has  des  Micocoules  —  se  rencontrant  sur  notre 
sillon,  —  il  se  fait  tard,  avons-nous  dit,  nous  couche- 
rons  a  la  meule  de  paille.  » 

Et,  avec  son  fils,  le  vannier  —  alia  s*asseoir  sur  un 
rouleau  (de labour).  —  Sans  plus  de  paroles,  k  tres- 
ser  tons  les  deux  —  une  manne  commencee,  —  ils 
se  mirent  (avec  ardeur)  un  instant,  —  et  de  leur 
gerbe  denouee —  ils  croisaient  et  tordaient  les  osiers 
dociles. 


Vincent  n*avait  pas  encore  seize  ans;  —  niais  taut 
de  corps  que  de  visage,  —  c'etait,  certes,  un  beau 
gars,  et  des  mieux  d6coupl6s,  —  aux  joues  assez 
brunes,  —  en  verity...  mais  terre  noir^tre  —  tou- 
jours  apportebonfroment,  —  et  sort  des  raisins  noirs 
un  vin  qui  fait  danser^ 


12  MIUEIU,  CAM  I. 

lU'.  quisle  biais  fau  que  luu  vegc 

K  se  prepare  e  se  gaubeje, 
Kii  lou  sable  de  founs ;  noun  pas  que  sus  lou  fni 

Travaiejesse  d'ourdin^ri  : 

Mai  de  banasto  per  ensarri, 

Tout  ce  qu*i  mas  ei  necessari, 
K  do  rous  terreirdu,  e  de  bravi  coufiii; 

De  panie  de  canofendudo, 
Qu*es  tout  d'eisino  leu  vendudo, 

Vj  d'escoubo  de  ini,...  tout  acd,  'niai  benniai, 
Eu  lou  fa90unavo  a  grand  destro, 
Bon  e  poulit,  de  man  de  uiestre... 
Mai,  de  I'estoublo  e  d6u  campesln', 

Lis  ome  eron  deja  revengu  dou  travai. 

Deja  deforo,  a  la  fresquiero, 

Mireio,  la  gento  niasiero, 
Sus  la  taulo  de  peiro  avie  nies  lou  bujau ; 

E  d6u  platas  que  treviravo, 

Ghasque  rafi  deja  tiravo, 

A  plen  cuie  de  bonis,  li favo... 
E  lou  vi6i  e  soun  fieu  trenavon.  —  Ben?  vejan! 

Venes  pas  soupa,  Meste  Anibrosi? 

Erne  soun  er  un  pau  ren6si 
Digue  Meste  Ranioun,  lou  majourau  dou  mas. 

An !  leissas  dounc  la  canestello ! 

Veses  pas  naisse  lis  estello?... 

Mireio,  porge  uno  escudello. 
An !  k  la  taulo!  d'aut!  que  deves  estre  las. 


MIUEIILE,  CHANT  I  ir. 

Do  quelle  iiianiere  doit  I'osier  —  se  preparer,  se 
iiianier,.—  lui  le  savait  k  fond ;  non  pas  que  sur  le 
liu  —  il  travaillat  d'ordinaire:  —  mais  des  marines 
d  suspendre  an  dos  des  bites  de  somme,  —  tout  ce 
qui  aux  ferines  est  necessaire,  —  des  tetriers  roux 
et  des  coffins  commodes ; 


Des  paniers  de  roseaux  refendus,  — tous  ustensiles 
de  prompte  vente,  —  et  des  balais  de  millet v  tout 
cela,  et  bien  plus  encore,  —  il  le  faisait  rapidement, 
—  bon,  gracieux,  de  main  de  maitre. . .  —  Mais,  de 
la  Jachere  et  de  la  lande, —  les  hommes,  deja,  etaient 
revenus  du  travail. 


Deja,  dehors,  a  la  fraicheur,  —  Mireille,  la  gentille 
fermi^re,  —  sur  la  tablede  pierre  avait  mis  la  salade 
de  legumes  ;  —  et  du  large  plat  chavirant  (sous  la 
charge),  —  chaque  valet  tirait  deja,  —  a pleine cuiller 
de  buis,  les  feves. . .  —  Et  le  vieillard  et  son  fils  tres- 
saient.  —  a  Eh  bien?  voyons  1 


«  N6  venez-vous  pas  souper,  Maftre  Ambroise  ?  — . 
avec  son  air  un  peu  bourru,  —  dit  Maitre  Ramon,  le 
chef  de  la  fernie.  — AUons,  laissez  done  lacorbeille ! 
—  Ne  voyez-vous  pas  naitre  les  etoiles  ?  —  Mireille, 
apporle  une  ecuelle.  —  AUons !  a  table !  car  vous 
devez  ^tre  las. » 


li  MlUtilO,  CA.\T  I. 

—  Aueii !  fagu6  lou  paniettiire. 

E  s'avanc^ron  ^-n-un  cairc 
1^  la  taulo  de  peiro,  e  coup6ron  de  pan. 

Mireio,  vitainen,  braveto, 

Eme  I'dli  de  I'ouliveto 

le  garnigu6*n  plat  de  faveto ; 
Veiigue  piei  en  courreni  i*adurre  de  si  man. 

Uins  81  quinge  an  ero  Mireio.... 

Coustiero  bluio  de  Font-vieio, 
K  vous,  colo  baussenco,  e  vous,  piano  de  Uraii, 

N*aves  pu  vist  de  tant  poulido ! 

Lou  gai  souleu  I'avie  'spelido ; 

E  nouveleto,  afrescoulido, 
Sa  caro,  a  flour  de  gauto,  avie  dous  pichot  trau. 

E  soun  regard  ero  uno  eigagno 

Quesvalissie  iouto  magagno... 
Dis  estello  mens  dous  ei  lou  rai,  e  mens  pur  ; 

le  negrejavo  de  trenello 

Que  lout-de-long  fasien  d'anello  ; 

E  sa  peitrino  redounello 
Ero  un  pessegue  double  e  panca  ben  madur. 

E  fouligaudo,  e  belugueto, 

E  s6uvagello  uno  brigueto ! . . . 
Ah !  dins  un  veire  d'aigo,  entre  veire  aqueu  biai, 

Touto  a  la  fes  Faurias  begudo ! 

Quand  piei  chascun,  a  Tabitudo, 

Ague  park  de  sa  batudo, 
i^Coume  auniasjcoumeaut^ms  de  mounpaire,ai!  ai!  ai!  j 


MIREIME.  CHANT  I.  15 

—  a  AHon8  !  »  fit  le  vannier.  —  Et  ils  s'avancerenf 
vers  un  coin  — de  la  table  de  pierre,  et  coup6rent  dn 
pain.  —  Mireille,  teste  et  accorte,  —  avec  Thuile  des 
oliviers  —  assaisonna  pour  eux  un  plat  de  feveroles. 
—  Elle  vint  ensuite  en  coiirant  Ic  leur  apporter  de 
ses  mains. 


Mireille  etait  dans  scs  qiiinze  ans...  —  C^te  bleuo 
de  Font-vieille",  —  et  vous,  coWme^  baussenqnes^^, 
et  vous,  plaines  de  Crau,  —  tous  n*en  avez  plus  vn 
d'aussi  belle !  —  Le  gai  soleil  Yavait  6close ;  —  of 
frais,  ing6mi,  —  son  visage,  k  fleur  de  joues,  avait  deux 
fossettes. 


Et  son  regard  6tait  une  rosee  —  qui  dissipait  louU^ 
douleur...  —  Des  dtoiles  moins  doux  est  le  rayon,  el 
nioins  pur;  —  il  lui  brillait  de  noires  tresses  —  qui 
lout  le  long  formaieni  des  boucles ;  —  et  sa  poitrine 
arrondie  —  etait  une  p^che  double  et  pas  encore  bien 
mure. 


Et  folAtre,  et  s^millante,  —  et  sauvage  quolque 
pen  !...  —  Ah !  dans  un  verre  d'eau,  en  voyant  cette 
grAce,  —  toute  h  la  fois  vous  Teussiez  bue  !  —  Quand 
puis  chacun,  selon  la  coutume,  —  eut  parl6  de  son 
travail  —  (comme  au  masy  comine  au  temps  di?  mon 
p6re,  h^las!  helas !) 


iO  MIUKIO,  CANT  1. 

— -  Ben?  Mesle  Ambroi,  aqiiesto  biuno, 
Nous  n'en  canlan^s  pas  quaucuno? 
Dlgut^ron :  es  eico  lou  repas  que  se  dor 

—  Chut !  mi  bons  ami...  Quau  se  Iruf'o, 
Ucsponnde  lou  viei,  Dieu  lou  bufo 

E  fai  vira  coume  baudufo?. .. 
(laiilas  vaulre,  jonv^nt,  que  sias  joninc  omai  fori ! 

—  Meste  Ambroi,  digneron  li  rati, 
Noun,  noun,  parlan  pas  per  cscafi  ! 

Mai  ve !  lou  vin  de  Crau  vai  toutaro  escampa 
Do  vosto  got...  D'aul !  touquen,  pairo  ! 

—  Ah  !  de  moun  t6ms  ere  un  cantaire, 
Alor  fague  lou  panieraire  ; 

Mai  aro,  que  voules?  li  mirau  soun  creba  ! 

—  Si !  Meste  Ambroi,  aco  recreio : 
Canlas  un  pan,  digue  Mireio. 

—  Bellocliatouno,  Ambroi  vongue  dounc  coume  a<\'), 
Ma  voues  noun  a  plus  que  Taresto ; 
Mai  per  te  plaire  es  deja  presto. 
K  tout-d'un-tems  coumence'questo,. 

Apres  ague  de  vin  escoula  soun  pl^n  got : 


F.ou  Baile  Sufren,  que  sns  mar  conmando, 
Au  port  de  Touloun  a  douna  signan... 
Part^n  de  Touloun  cinq  cent  Prouvenran. 


MIREILLE,   CHANT  l.  17 

—  «  Eh  bieii?  Maitre  Ambroise,  ce  soir,  —  ne  nous 
chanterez-vous  rien?  —  dirent-ils :  c'est  ici  le  repas 
ou  Ton  dort!  »  —  «  Chut!  mos  bons  amis...  (Sur) 
cehii  qui  raille,  —  repondit  le  vieillard,  Dieu  souf- 
fle, —  et  le  fait  lournor  comme  toupie ! . . .  —  Chan- 
tez  vous-m^mes,  jouvenceaux,  qui  ^tes  jeunes  of 
forts !  » 

«  Matlre  Ambroise,  dirent  les  laboureurs,  —  non, 
lion,  nous  ne  parlons  point  par  moquerie !  —  Mais 
voyez'  levin  de  Crau  va  lout  a  Then  re  d^border  — 
de  voire  verre...  Qk !  trinquons,  pfere!  »  —  «  Ah!  do 
inon  lefnps,  j'elais  un  chanleur,  —  fit  alors  le  van- 
nier;  —  mais  k  present,  que  voulez-vous?  les  mivoin 
sont  creves*^ !  » 

—  «  De  grSce !  Mnitre  Ambroise,  cela  recrt^o :  — 
cljanlez  un  peu,  »  dit  Mireille!  —  «  Belle  fillette,  re- 
partit  done  Ambroise,  —  ma  voix  est  un  ^pi  ^grene ; 
—  mais  pour  te  plaire,  elle  est  deja  prfite.  »  —  lit 
aussit6i  il  commenga  cette  (chanson),  —  apres  avoir 
vide  son  plein  verre  de  vin  : 


Lc  Bailli  Suffren,  qui  sur  mer  commande,  —  au 
port  de  Toulon  a  donne  signal...  —  Nous  partons  de 
Toulon  cinq  cents  Provencaux. 


iH  MIRfciO,  CANT  I. 

D'ensaca  TAngl^s  Tenvejo  ^ro  grando: 
Voul6n  plus  tourna  dins  n6stis  oustaii 
Que  noun  de  TAngl^  vegnen  la  desbrando. 

II 

Mai  lou  proumie  ines  que  navegaviau, 
N*av^n  vist  degun,  que  dins  lis  enteno 
lii  \(n\  do  gabian  voulant  pftr  centeno.. 

Mai  lou  segound  ines  que  vanogaviaii, 
IJno  brouFounie  nous  bale  proun  peno ! 
K,  la  nine,  lou  Jour,  dur  agoulavian. 


Mai  lou  tresen  mcs,  nous  prengue  Tenr^hi; 
Nous  boui6  lou  sang,  de  degun  trouba 
Que  noste  canoun  pousqu^sse  escouba. 

Mai  alor  Sufren;  Picboun,  di  la  g&bi ! 
Nous  fai ;  e  subran  lou  gabi^  courbn 
Kspincho  eilalin  vers  la  coslo  ar^bi... 


0  tron-de-bon-goi !  cride  lou  gable, 
Tres  gros  bastimen  lout  dre  nous  arribo ! 
—  Alerto,  pichoun !  li  canoun  en  ribo  ! 

Ciid^  quatecani  lou  grand  marini^. 
Que  taston  d'abord  li  figo  d'Antibo  ! 
N  Ten  pourgiren,  piei,  d'un  aulivpanie. 


yiUEILLE,  CHANT   I  19 

De  battre  I'Anglais  grande  6tait  Tenvie:  — nous  iie^ 
voiilons  plus  retourner  dans  nos  maisons  —  avant  que 
de  TAnglais  nous  n  ayons  y\\  la  d^route. 


II 

Mais  le  premier  mois  que  nous  naviguions,  —  nous 
n'avons  vu  personne,  sinon,  dans  les  antennes,  —  le 
vol  des  goelands  volant  par  centaiiios. 

Mais  le  deuxieme  niois  que  nous  courions  (la  nier), 
—  assez,  une  tourmente,  nous  donna  de  peine !  — 
et  la  nuit  et  le  Jour,  nous  vidions,  ardents,  Teau  (du 
navire). 

Ill 

Mais  le  troisi^me  mois,  la  rage  nous  prit :  —  le  sang 
nous  bouillait,  de  ne  Irouver  personne  —  que  notre 
canon  put  balayer. 

Mais  alors  SufTren: «  Enfants,  h  la  hune  !  9  —  II  dit, 
et  soudain  le  gabier  courbe  —  epie  an  lointain  vers 
la  cote  arabo... 


—  «  0  tvon^de-bon-goi  I  criSL  le  gabier,  —  trois  gros 
batiments  tout  droit  nous  arrivent !  »  —  <i  Alerte, 
enfants  !  les  canons  aux  sabords ! » 

Cria  aussitdt  le  grand  marin.  —  «  Qu'ils  tAtent  da- 
bord  des  figues  d'Antibes !  —  nous  leur  en  olTrirons, 
ensuite,  d*un  autre  panier. » 


20  Min(^:iO,  CANT  L 


rravi6  panca  di,  se  vei  qu'iino  flamo ; 
Quaranio  boulet  van  coume  d'uiaii 
Trauca  de  1  Angles  li  veissen  reiaii... 

(In  di  baslimen,  ie  resle  que  Tamo  I 
[iOntems  s'ent^nd  plus  que  li  canoun  rau, 
Lou  bos  que  cracino  e  la  mar  que  bramo. 


VI 

Di  nemi  pamens  un  pas  tout-au-mai 
Nous  ten  separa:  quo  bonur !  quecbalol 
Lou  Baile  Sufren,  entrepide  e  pale, 

E  que  sus  lou  pont  brandavo  jamai : 

—  Pichot!  crido  enfin,  que  vostc  fio  ralol 

I']  vougnen-i^i  dur'm^  d'oli  de-z-Ai ! 


VII 

N'avi6  panca  di,  niai  tout  I'equipage 
Lampo  is  alabardo,  i  visplo,  i  destrau, 
E,  grapin  en  man,  Tardi  Prouvencau, 

Dun soulel  alen,  crido :  A  I'arrambage ! 
Sus  lou  bord  angles  sautan  dins  qu  un  saut, 
E  coumenco  alor  lou  grand  mourtalage  ! 


MinElLLE,  CHANT  I.  21 


11  n'avait  pas  encore  dit,  onne  voit  qu'uiie  flainme : 
—  qnarante  boulels  vont,  comme  des  eclairs,  — 
f  roucr  de  I'Anglais  les  vaisseaux  royaux.  . 

A  Tun  des  Mtiinents  ne  resta  que  I'^ine !  —  Lon^- 
femps  on  n'entend  plus  que  les  canons  rauques,  — 
lo  bois  qui  craque  et  la  nier  qui  mugil. 


VI 


Pes  ennemis,  cependant,  un  pas  tout  au  pins  — 
nous  tient  separ^s :  quel  bonhenr  !  quelle  volupt^ ! — 
Le  Bailli  Suffren,  intr6pide  et  p^le, 

Et  qui  sur  le  pontetait  immobile  :  —  «  Enfant s! 
crie-t-il  enfin,  que  volr^  feu  cesse!  —  El  oignons- 
Ics  fcrme  avec  Thuile  d*Aix !  » 


VII 


n  n'avait  pas  encore  dit,  mais  T^quipage  entier  — 
s*('lance  aux  hallebardes,  aux  vouges,  aux  baches,  — 
ct,  grappin  en  main,  le  hardi  Provencal, 

D'un  souffle  unanimc,  crio  :  «  A  Tabordage !  »  — 
Sur  le  bord  anglais  nous  sautons  d  un  saut,  —  et 
commence  alors  le  grand  massacre ! 


S3  MlBftlO.  CANT  I. 

VII 

Oh !  qu^nti  bac6u !  oh !  que  chapladis ! 
Que  cr6bis  que  fan  I'aubre  que  s'esclapo, 
Souto  li  marin  lou  pont  que  s'aclapo  ! 

Mai  que  d*un  Angles  cabusso  e  peris; 
Mai  d'un  Prouvengau  k  I'Angles  s'arrapo, 
L'estren  dins  sis  arpo,  e  s'aprmifoundis. 

—  Seinblo,  parai?  qu'es  pas  de  creire! 
Aqui  se  coupe  lou  bon  reire. 

Ks  painens  arriba  tau  que  dins  la  cansoun. 
Certo,  pouden  parla  s^ns  crento, 
l^u  i'^re  que  ienieu  Tempento  I 
fla!  ha!  tamben,  dins  ma  memento, 

Quand  visqu^sse  milo  an,  milo  an  sara  rejoun ! 

—  Iloi!...  sias  esta  d'aqu6u  j^rand  chaplo? 
Mai,  coumc  un  dai  souto  Tenchaple, 

Degueron,  tres  conlro  un,  vous  cscrapouchina ! 

—  Quau?  lis  Angles?  fai  en  coul^ro 
Lou  viei  marin  que  s'engimerro... 
Toumamai,  risoulet  coume  ero, 

Reprengue  fieramen  soun  cant  enlamena  : 


Fii  ped  dins  lou  sang,  dure  'quelo  gm?rro 
Desempi^i  dos  ouro  enjusqu'a  la  nine. 
Verai,  quand  la  poudro  embournie  pu  I'iue, 


MIREILLE,  GUAM  I. 


Oh  1  quels  coups !  oh !  quel  carnage  I  —  Quel  fi'ac*.as 
font  le  m&t  qui  se  rompt,  —  sous  Ics  marins  le  pont 
qui  s'etTondre ! 

Plus  d'un  Anglais  plongc  et  p^rit ;  —  plus  d  uu 
Proven^l  empoigne  l' Anglais,  —  Telreint  dans  ses 
griffes,  et  s'engloutit. 


—  «  M  seinble,  •  n  est-ce  pas?  que  ce  n'est  pas 
croyablel  —  La  s'interrompit  le  bon  aieul.  — 
C'est  pourtant  arrive  tel  que  dans  la  chanson.' — 
Certes,  nous  pouvons  parler  sans  crainte,  —  j  y  etais, 
iiioi,  tenant  le  gouvemail!  —  Ah!  ah!  aussi,  dans 
ina  m^inoire,  —  duss6-je  vivre  inille  ans,  mille  ans 
cela  sera  serr§.  o 

—  (i  Quoi  L. .  vous  avez  ete  de  ce  grand  massacrel? 

—  Mais,  comine  une  faux  sous  le  inarteau  qui  la  bat, 

—  Us  durept,  trois  conlre  uii,  vous  ecraser!  »  — 
«  Qui?  les  Anglais ! »  dit  —  le  vieux  marin  se  cabrant 
de  colere...  —  De  nouveau,  redevenu  sourianl,  —  il 
reprit  fierenient  son  chant  entam^  : 


IX 

Les  pieds  dans  le  sang,  dura  cette  gUerre  *^  dc- 
pms  deux  heures  jusques  k  la  nuit.  —  Ue  vrai^  quand 
la  poudre  n'aveugla  plus  Toeil, 


i  lIlKtiO,  CAM  I. 

Maiicavo  cent  ome  a  nosto  galero ; 
Mai  tres  bastiinen  passerDn  per  iuo, 
Ties  beu  bastiinen  dou  rei  d'Aiiglo-terro ! 


Pi^i  quand  s'envenian  au  pais  tant  doiis, 
Erne  c^nt  boulet  dins  nosti  murado. 
Erne  vergo  en  tros,  velo  espeiandrado. 

Tout  en  galejant,  lou  Baile  amistows  : 

—  Boutas,  nous  digue,  bouia^,  cairibarado ! 
Au  rei  de  Paris  parlarai  de  vous. 

XI 

—  0  nosle  amirau,  ta  parauio  es  fi'anco, 
I'aven  respoundu,  lou  rei  I'ausira... 
Mai,  pauri  marin,  de-quc  nous  fara? 

Aven  tout  quita,  I'oustau,  la  calaiico, 
Per  courre  a  sa  guerro  e  per  Tapara, 
K  vcscs  painens  que  lou  pan  nous  manco ! 


Mai  se  vas  amount,  ensouv6ne-tc, 
Quand  se  clinaran  sus  toun  beu  passage, 
Que  res  t*amo  autant  que  toun  equipage. 

Gar,  0  bon  Sufren,  s'avian  lou  poude, 
Davans  que  tourna  dins  nosti  vilage, 
Te  pourtarian  rei  sus  lou  bout  dou  det  I 


IIIKEILLE,  CHAiNT   I.  t2r. 

A  noire  galere  il  manquait  cent  homnies;  —  luais 
sombrerent  trois  bailments,  —  trois  beaux  b^timeuts 
jdu  roi  d*Angleterre ! 


Puis,  quand  nous  revenions  au  pays  si  doi:x,  — 
avec  cent  boulets  dans  nos  bordagcs,  —  avec  vergues 
en  trongons,  voiles  en  lambeaux, 

Tout  en  plaisantant,  le  Bailli  affable  :  — -  «  Allez, 
nous  dit-il,  allez,  camarades!  —  au  roi  de  Paris  je 
parlerai  de  vous.  » 


—  «  0  notre  aniiral,  ta  parole  est  fmiche,  —  lui 

avons-nous  repondu,  le  roi  t'entendra — Mais, 

pauvres  niarins,  que  nous  scrvira-t-il? 

((  Nous  avons  tout  quitte,  la  maison,  Tanse  (du 
rivage),  —  pour  courir  h  sa  guerre  et  pour  le  d6fen- 
dre,  —  et  tu  vols  pouiiant  que  le  pain  nous  man- 
que! 

XI  I 

«  Mais  si  tu  vas  la-haut,  souviens-toi,  —  lorsqu'ils 
s'inclineront  sur  ton  beau  passage,  —  que  nul  ne 
t*aime  comme  tes  matelots  1 

«  Car,  6  bon  Suffren,  si  nous  (en)  avions  le  pou- 
voir,  —  avant  de  retourner  dans  nos  villages,  —  nous 
le  porterions  roi  stir  le  bout  dti  doigt! » 


m  MlKlhU),  CANT   I. 

XIII 

Ks  III)  Mailegau  qu'S  la  vesperado 
A  fa  la  cansoun,  en  calant  si  lis... 
Lou  Baile  Sufren  part^  per  Paris ; 

11  dieii  que  li  gros  d'aquelo  encouiitrado 
Fugu^ron  jalous  de  sa  renoumado, 
Vj  si  yi6i  marin  jamai  l*an  pu  vist! 


M 


A  teiiis  lou  viei  dis  aaiarino 

Acabe  sa  cansoun  marino. 
Que  sa  voues  dins  li  plour  anavo  s  eniiega ; 

Mai  per  li  rkC\  noun  pas  certo, 

Ci'dT  sens  muta,  la  testo  alerto, 

E'me  li  bouco  enlreduberto, 
Lunlems  apres  lou  cant  escoutavon  encu. 

—  E  vaqui,  quand  Marto  fielavo, 
Li  cansoun,  dis,  que  se  cantavo ! 
I^jron  bello,  o  jouv^nt,  e  tiravon  de  long... 
L*6r  8*ei  fa'n  pau  viei,  inai  que  provo? 
Aro  n'en  canton  de  pu  novo. 
En  franchiman,  ounte  satrovo 
Do  mot  force  pu  fin  ..  niai  quau  i'entend  ([uiconV 

E  d6u  viei  sn'quelo  paraulo, 

Li  bouiS,  s*aussant  de  la  taulo, 
t\  on  ana  mena  si  si^is  couble  an  rai6u 

De  ia  bello  aigo  couladisso ; 

E  sout  la  triho  penjadisso, 

En  zounzounant  la  cantadisso 
Dou  viei  Valabregan,  abeuravon  li  mioUi 


MIREILIE,  ClfAKT  I.  27 

XI 11 

C'est  un  Mart^gal "  qui,  a  la  v6pr6e,  —  a  fait  la 
chanson,  en  tendant  ses  tramaux...  —  Le  Bailli  Siif- 
fren  partit  pour  Paris ; 

Et,  dit-on,  les  grands  de  cette  contree  —  fureni 
jaloux  de  sa  gloire,  —  et  ses  vieiix  marins  jamais  ne 
Tont  plus  vw ! 

A  temps  le  vieillard  aux  brins  d' osier  —  acheva  sa 
chanson  marine,  —  car  sa  voix  dans  les  pleurs  allait 
se  noyer ;  —  mais  trop  t6t,  certes,  pour  les  gar^^ons 
de  labour,  —  car,  sans  mot  dire,  la  t^te  eveillee  — 
et  les  levres  entr  ouverles ,  —  longlemps  apr^s  It* 
chant  ils  ecoiitaient  encore. 

—  «  Et  voilS,  quand  Marthe  filait  ^',  —  les  chan- 
sons, dit-il,  que  Ton  chantaiti  —  Elles  etaient  belles, 
6  jouvenceaux,  et  tiraient  en  longueur...  —  L'aira 
un  peu  vieilli,  mais  quMmporte?  —  Maintenant  on  en 
chante  de  plus  nouvelles,  —  en  fran^^s,  ou  Ton 
trouve  —  des  mots  beaucoup  plus  fins...  mais  qui  y 
entend  quelque  chose?  » 

Et  sur  cette  parole  du  vieillard,  —  les  laboureurs, 
se  levant  de  table,  —  etaient  all6s  conduire  leurs 
six  paires  (de  bfetes)  au  jet  —  de  la  belle  cau  cou- 
lante;  —  et  sous  la  treille  (aux  rameaux)  pendants, 
—  en  fredonnant  la  chanson  —  du  vienx  de  Valabre- 
gue,  ils  abreuvaient  les  mulcts. 


2H  MIRE10,  CANT  1. 

Bfai  Mireio,  touto  soulcio, 

Ero  restado,  risouleto, 
Hestado  eme  Vinc6a,  lou  fieii  de  Meste  Ainbroi ; 

E  Umii  dous  ensen  parlavon, 

K  si  dos  iesto  pendoulavon 

[Fno  vers  I'autro,  que  semblavon 
Dos  cahridello  en  flour  que  clino  un  vent  galoi. 

—  Ace!  Vincen,  fasie  Mireio, 
Quand  sus  Tesquino  as  ta  bourreio 

E  que  tenvas  per  orto  adoubant  li  panie, 
N'en  deves  veire,  dins  ti  viage, 
De  caslelas,  de  lio  s6uvage, 
O'endre,  de  vot,  de  roumavage ! . . . 

Naiil re,  sourlen  jamai  de  noste  pijouiiie ! 

—  Ac6  's  ben  di,  madam isello  ! 
De  Venter i go  di  grounsello 

Tan!  vous  levas  la  sol  que  de  beure  au  boucau; 
E  se,  p6r  acampa  r6ubrage, 
D6u  l^ms  fau  eissuga  l'6utrage, 
Tamb6n  a  soun  plesi,  lou  viage, 

E  Toumbro  d6u  camin  fai  6ub1ida  la  caud. 

Coume  toularo,  Ire  qu'estivo, 

Tanl  leu  que  lis  aubre  d'oul.vo 
Se  saran  tout-de-long  enrasina  de  flour, 

Dins  li  planlado  emblanquesido 

E  sus  li  frais,  a  la  sentido, 

Anan  cassa  la  cantarido, 
(Juand  verdejo  e  lusis  au  gros  dela  calour. 


MlllFll.LK,  CHAN!   I.  2?» 

Mais  Mireille,  loule  seuklte, — elaitreslee,  rienso, 

—  restee  avec  Vincent,  le  fils  de  Mailre  Ambroise;  — 
et  tous  deux  parlaient  ensemble,  —  et  leurs  deux 
t^les  se  pencbaient  —  I'line  vers  Taulre,  semblables 

—  a  deux  cahiideUes^^  (»n  flenr  qif  incline  nn  vent 
joyeux. 


—  «  Ah  ck !  Vincent,  disait  Mireille,  —  quand  In 
as  snr  le  dos  ta  bourree,  —  et  que  tn  erres  ca  et  la, 
raccommodant  les  paniers,  —  en  dois-ln  voir,  dam 
tes  courses,  —  des  chMeaux  antiques,  des  lieux  san- 
vages,  —  des  endroits,  des  fetes,  des  pardons!...  — 
Nous,  nons  ne  sortons  jamais  de  notre  colombier !  » 


—  «  C'est  bien  dit,  mademoiselle !  —  De  I'agaee- 
iKont  (prodnit  aiix  dents)  par  Irs  groseilles  —  autani 
la  soif  s'etanche  cornnie  de  boire  aupot;  —  et  si, 
pour  amasser  I'ouvrago,  —  il  faut  essuyer  Toulrage 
du  temps,  —  tout  de  m^me  le  voyage  a  son  plaisir, 
—  et  I'ombre  de  la  roiile  fait  ou]>lier  le  chaud. 


K  Aiusi,  tout  a  Theure,  des  que  I'etfe  vient,  —  sitot 
que  les  arbres  d'olives  —  so  seront  lotalement  cou- 
verts  de  grappes  de  fleurs,  — dans  les  vergers  devenus 
b'.ancs,  —  et  sur  les  fr^nos,  au  flair,  —  nous  allons 
chasser  la  cantharide,  —  lorsqu'elle  verdoie  elhiit  au 
fort  de  la  chaleur. 


:.0  ^URftlO,  CANT  I. 

Piei  nous  li  croumpon  i  botitigo... 

Quouro  cuien,  dins  li  garrigo, 
Lou  venne  rouge;  quouro»  i  clar,  anan  pesca 

De  tiro-sang.  La  bravo  pe.scoI 

Pas  besoun  de  flelat  ni  d'esco  : 

I'a  que  de  batre  I'aigo  fres(to, 
l/irufjo  a  vosli  cainbo  arribo  s^empega. 

Mai  j>ias  jamai  estado  i  Santo?... 

Ms  aqui,  pauro!  que  se  canto, 
A«|ui  que  de  perlout  s'adus  li  malandrousl 

le  passerian  qu'ero  la  voto.. 

Certo,  la  gloiso  ero  piehoto, 

Mai  quenti  crid !  e  quant  d'esvoto ! 
—  0  Santo,  gr6ndi  Santo,  agues  pieta  de  nous! 

Ks  Tan  d'aqueutant  grand  miracle.. 

Moun  Di6u !  moun  Di6u !  quet  espetacle ! 
l)ii  enfant  ero  au  86u,  plourant,  malaulounet, 

l^oulit  coume  Sant  Jan-Batisto; 

K  d*uno  voues  pietouso  e  tristo  ; 

—  0  Santo,  rend^s-me  la  visto, 
Fasie^  vous  adurrai  moun  agneloun  banet. 

A  soun  entour  li  plour  coulavon. 
D6u  terns,  li  caisso  davalavon, 

Pian-plan,  d'eilamoundaut,  sus  lou  pople  agi^onva: 
K  pas-pu-leu  la  tourtouiero 
Monlavo  un  pau,  la  gleiso  entiero, 
Coume  un  gros  vent  dins  li  broutiero, 

Cridavo:  Grandi  Santo,  oh !  venes  nous  sauva  ! 


MIAEILLE,  CHANT  L  Hi 

«  Puisy  on  nous  les  achate  aux  boutiques...  — 
Tant^t  nous  cueillons,  dans  les  fjarrigues^*,  -  -  le 
kermis  rouge;  tantdt,  aux  lacs,  nous  allons  p^cher 
—  des  sangsues.  La  charmante  p^che!  —  Pas  be- 
soin  de  filet  ni  d'app&l :  —  il  n'y  a  qu'ft  battre  I'oaii 
fratche,  —  la  sang^ie  a  vos  jainbes  vient  se  coller. 


«  Mais  n'avez-vous  jamais  6te  aux  Saintes  *•?  — 
CVst  U,  pauvrette!  que  Ton  chante ;  —  la  que  do 
toute  part  on  apporte  les  inflrmes !  —  Nous  y  passa- 
mes  lors  de  la  f^te...  —  Certes,  I'oglise  etail  petite, 
—  mais  quels  oris!  et  que  d*e.x-voto!  —  «  0  Saintes, 
crrandes  Saintes,  ayez  pitie  de  nons!  » 


n  C/estTaiuiee  de  ce  grand  miracle...  — Quel  spec- 
tacle I  mon  Dieu!  mon  Dieu  !  —  Un  enfant  6tait  par 
terre,  pleurant,  malingre,  —  joli  comme  Saint  Jean- 
Baptiste;  et  d'une  voix  triste  et  plaintive:  —  aOSain* 
les,  rendez-moi  la  vue,  —  disail-il !  je  vous  apportorai 
monagnelelcornn. » 


«  .\utour  de  lui  coulaient  les  pleurs.  —  En  m^me 
temps,  les  chesses  descendaient^'  —  lentement  de 
la-haut  sur  le  peuple  accroupi;  —  et  sit6t  que  le  cSble 
— mollissait  tant  soit  pen,  Teglise  enti^re,  —  comme 
un  gi'and  vent  dans  les  taillis,  —  criait:  «  (Iraiides 
Saintes,  oh !  venez  nous  sauver ! » 


ri2  MIIIKIO,   CANT  I. 

Mai,  dins  li  bras  de  sa  meinno, 

De  si  menoto  mistoulino 
Tre  que  1  enfantounet  pousque  louca  lis  os 

Di  Ires  Mario  benurouso, 

S'arrapo  i  caisso  miraclouso, 

Eine  Uarpiado  vigourouso 
D6n  negadis  en  quau  la  mar  jito  uno  post ! 

Mai  pas-pu-l^u  sa  man  aganto 

Em*afecioun  lis  os  di  Santo, 
(Lou  veguere !)  subran  cride  renfantouncl 

Em6*no  fe  merevihouso : 

—  Yese  li  caisso  miraclouso ! 

Vese  ma  grand  touto  plourouso ! 
\non  querre,  leu,  leu,  mounagneloun  banol! 

E  vous  tamben,  madamisello, 

Di^u  vous  mantengue  urouso  e  bello! 

Mai  s'un  chin,  un  leseit,  un  loup,  o'n  serpalns, 
0  touto  autro  besti  courrento, 
Vous  fai  senti  sa  dent  pougnento ; 
Se  lou  malur  vous  despoutento, 

Courres,  courr6s  i  Santo  I  aur6s  leu  de  soulas. 

Ansin  fusavo  la  viliado. 

La  carreto  desatalado 
Erne  si  gr^ndi  rodo  oumbrejavo  pas  linn; 

Tems-en-t6ms  dins  li  palunaio 

S'entendie  dinda  *no  sounaio. . . 

E  la  machoto  que  pantaio 
Au  cant  di  roussignou  apoundie  sounplagnun. 


BIIREILLE,  CHANT  I.  oS 

«  Mais,  dans  les  bras  de  sa  marraine,  —  de  ses  pe- 
lites  mains  fluettes, — desque  I'enfantelet  put  toucher 
aux  ossenients  —  des  trois  bienheureuses  Maries, 
—  il  se  cramponne  aux  chasses  miraculeuses  —  avpc 
la  vigoureuse  elreinte  —  du  naufrage  a  qui  la  mor 
jelteune  planche! 


«  Mais  a  peiuc  sa  main  saisit,  —  avec  amour,  los 
ossements  des  Saintes,  •—  (je  le  vis!)  soudain  rria 
I'enfantelet  —  avec  une  merveilleuse  foi :  —  «  Je  vols 
les  chasses  miraculeuses !  —  Jc  vois  mon  aieule 
^ploree !  —  AUons  querir,  vite,  vite,  mon  agnelol 
cnrnn!  » 


«  Et  vous  aussi,  madomoiscUe,  —  Dieu  vous  main- 
tienne  en  bonheur  et  beanie!  —  Ma's  si  (jamais)  nn 
chien,  un  lizard,  un  loup,  ou  un  serpent  enorme,  — 
on  toute  autre  b^e  erranle,  —  vons  fait  sentir  sa 
dent  aigue ;  —  si  le  malheur  accable  vos  forces,  — 
courez,  courez  anx  Saintes!  vous  anrezt^t  du  soula- 
gement.  » 

Ainsi  s'6coulait  la  veillee.  —  La  cliarrette  delelee 
—  €le  ses  grandes  roues  projetait  I'onibre  non  loin 
(de  1^) ;  de  temps  h  autre,  aux  marecages,  —  on  en- 
tendait  tinter  une  clochette...  —  Et  la  chouette 
r^veuse  —  au  chant  dos  rossignols  ajonlait  sa 
plainie. 


Til  MrnfilO,  CANT  I. 

—  Mai,  dins  lis  aubre  e  dins  li  lono 
D*abord  qu'aniue  la  luno  dono^ 

Youl^s,  dis,  que  vous  conte  uno  fes  qu'en  eminent 

DVn-t^nt-16u  gagnave  li  joio? 

La  chatouneto  digii^ :  Soio ! 

K  mai  qu'urouso,  la  ninoio 
Kn  tenent  soun  alon  s'aprouch^  do  Yincen. 

—  Ilro  k  Nimes,  sus  I'Esplanado, 
Qu*aqueli  courso  6ron  dounado, 

A  Nimes,  o  Mireio!...  Un  pople  amouloiinn 

E  mai  espes  que  p6u  de  testo, 

Kro  aqui  p6r  veire  la  f6sto. 

En  p6u,  descaus  e  s^nso  vesto, 
Proim  courreire  au  mitan  deja  venien  d'ana. 

Tout-en-un-cop  van  entreveiro 

Lagalanto,  rei  di  courreire, 
Lagalanto,  aqueu  foi  I  que  soun  noum  de  segur 

Es  couneigu  de  vosto  auriho, 

Aqueu  cel^bre  de  Marsiho, 

Que  de  Prouvenco  e  d'italio 
A  vie  desalena  lis  ome  li  pu  dur. 

T'avie  de  cambo,  avie  de  cueisso 

Coume  lou  Senescau  Jan  Cueisso ! 
i)e  large  plat  d'eslan  avi6'n  plen  estanie, 

Mounte  si  courso  eroa  escricho  ; 

E  tant  n*avie,  de  cherpo  richo, 

Qu'aurias  jura  qu*a  si  traficho, 
Mir^io,  Varc-de-sedo  espandi  se  tenie ! 


MIKKILLE,   CHAM   I.  r»5 

—  ((  Mais,  dans  les  arbres  et  dans  les  mares,  — 
puisque  cette  nuit  la  lune  donne,  —  voulez-vous, 
dit-il,  que  je  vous  raconte  une  course  —  dans  la- 
quelle  je  pensai  gagner  le  prix?  »  —  L'adolescente 
dit :  a  Volontiers !  »  —  Et  plus  qu'heureuse,  Tenfant 
naive,  —  en  tenant  son  haleine,  s'approcha  de 
Vincent. 

— « C'esta  Nimes,  sur  TRsplanade, —  qu'ondonnaii 
ces courses, — a  Nimes,  6  Hireiiie ! . . .  Un  peuple  agglo* 
m^, — et  plus  dru  que  cheveux,  —  6tait  la  pour  voir 
la  fiSte.  —  Nu-tfite,  nu-pieds,  sans  veste,  —  de  noui- 
breux  coyreurs  au  milieu  (de  la  lice)  deja  venaient 
d'aller; 


«  Tout&  coup  ils  apergoivent  —  Lagalante,  roi  des 
coureurs,  —  Lagalante,  ce  fort  dont  le  nom  a  coup 
stir  —  est  connu  de  votre  oreille,  —  ce  Marseillais  ee- 
lebre  —  qui  de  Provence  et  d' Italic  —  avait  essouffle 
les  hommes  les  plus  durs. 


(( 11  avait  des  jambes,  il  avait  des  cuisses — cotnme 
le  S6n6chal  Jean  de  Cossa  *» !  —  II  avait,  de  larges 
plats  d'elain,  un  plein  dressoir^  —  ou  6taient  gravees 
ses  courses ;  —  il  aVait  tant  d'^charpes  riches  —  que 
vous  auriez  jur6  qu'aux  clous  (de  ses  solives),  — 
MireillC)  Taro-en-ciel  se  tenait  deploye  I 


3ti  MIRfciO,   CANT  I. 

Mai  toul-d'iui-teiiis,  beissaiit  la  teslo, 
Us  autre  cargon  inai  si  Y^sto... 

Mes  eine  Lagalanto  auso  courre.  Lou  Cri, 
Un  jouveinet  de  primo  traco, 
(Mai  qu'avie  pas  la  cambo  flaco  !) 
£ro  vengu  meiia  de  vaco 

ANiines,  aqueujour:  soul,  ause  Tagarri. 

leu  que  d'asard  me  ialrouvere : 
Eh  I  iioum-d'un-garri !  iri'escridei'e, 

Siuii  couiTeire  per6u !...  Mai  qu'ai  di,  fouligau ! 
Tout  aco  \  en  :  —  D'aut !  to  fan  coun^e ! 
E  jujas  veire :  sus  li  moure, 
E  per  temouiii  ren  que  li  roure, 

N'avieu  just  courregu  qu'apres  li  perdigaii ! 

1  augue  i'ana !  I'a  Lagalanto, 

Qu'entre  me  veire,  ansiu  m'aplauto : 
—  Pos,  mouu  paure  pichot,  liga  ti  courrejouii  I 

E'  nteriuy  de  si  cueisso  redo 

Eu  estremavo  la  mouledo 

En  de  braieto  lacho  en  sedo, 
Uue  des  cascaveu  d'or  a  I'entour  i'eron  jouii. 

Per  que  I'alen  se  ie  repause, 
Prenen  i  bouco  un  brout  de  sause  ; 

Touti,  coume  d'ami,  nous  toucan  leu  la  man. 
TrefouU  de  la  petelego, 
Erne  lou  sang  que  nous  boulego, 
Touli  tres,  lou  ped  sus  la  rego, 

Esperan  lou  signau !...  Es  douna !  Coume  un  lamp 


MIREILLE,  CHANT  I.  37 

« Mais  sur-le-charap,  en  baissant  la  l^te, — ^les  autres 
de  nouveau  mettent  leurs  vestes...  —  Nul  avec  Laga- 
lante  n'ose  courir.  Le  Cri,  —  un  jouvenceau  de  race 
deli^e  —  (mais  n'ayant  pas  la  jambe  flasque !)  —  etait 
venu  conduire  des  vaches —  a  Nimes,  ce  jour-la :  seul, 
il  I'osa  provoquer. 


Moi  qui,  par  hasard,  m'y  trouvai :  —  ^^  Eh ! 
d'un-rat!  in'6criai-je,  —  nous  aussi  sommes  cou- 
reur ! »  Mais  qu*ai-je  dit,  folMre !  — Tout  (le  monde) 
iTi*entoure : «  Sus !  il  faut  courir !  »  —  Et  jugez  voir ! 
sur  les  mamelons,  —  et  pour  t^moins  rien  que  les 
chines,  —  je  n'avais  guere  couru  qu'apr^s  les  per- 
dreaux ! 

« II  fallut  y  aller!  Lagalaiite,  —  d6s  qu'il  me  voit, 
ainsi  m*arr^te :  —  «  Tu  peux,  raon  pauvre  petit,  lier 
les  courroies  (de  la  chaussure)  *•  1 » — En  in^me  temps, 
de  ses  cuisses  tendues  —  il  enfermait  les  muscles  — 
dans  un  cale^on  de  soie,  —  autour  duquel  dix  grelols 
d'or  ^taient  attaches. 


{( Afin  d'y  reposerl'haleine, — nous  prenons  aux  le- 
vres  un  brin  de  saule ;  —  tons,  comme  des  amis, 
nous  nous  louchons  rapidement  la  main ;  —  tressail- 
lant  dimpatience,  —  le  sang  agit6,  —  tous  trois  pi6- 
tant  sur  la  raie,  —  attendons  le  signal!...  11  est 
donn^ !  Comme  un  eclair. 


38  MIUEIO,  CANT  I. 

Touti  tres  avalan  la  piano ! 

Te  tu !  te  i^u !  E  dins  Fa  :dano 
Un  revoulun  de  p6usso  einbarro  n6$ti  saut ! 

E  Ter  nous  porto,  e  lou  pen  tubo... 

Oh !  qirafecioun !  oh !  quelo  estubo ! 

Lontenis,  dou  vane  que  nous  atubo, 
Cresegu^ron  qu'en  front  empourtarian  Tassaut ! 

leu  a  la  fin  prene  lavan^o. 
Mai  fugue  ben  ma  inaluran^o  ! 

Car,  en  estent  que  i6u,  coume  un  fier  Fouletoun, 
A  la  perdudo  m*abrivave, 
Tout-en-un-cop,  mour^nt  e  Wave, 
Au  b^u  moumen  que  li  passave, 

Darboune,  court  d'alen,  e  de  mourre-bourdoun! 

Mai  eli  dous,  coume  quand  danson 

A-z-Ais  li  Chivau-frus,  se  lan^on, 
lAegla,  toujour  regla.  Lou  famous  Marsihes 

Cresie  segur  de  I'av^  bello!... 

S'ei  di  qu'avie  ges  de  ratello  : 

Lou  Marsihes,  madamisello, 
Paniens  trouve  soun  ome  en  lou  Cri  de  Mouries  1 

Dintre  lou  pople  que  i'afloco, 

Deja  brulavon  de  latoco... 
Ma  bello,  aguessias  visl  landalou  Cri !...  Velou  I 

Ni  p6r  li  mount  ni  p^r  li  servi, 

I'a  ges  de  lebre,  ges  de  cervi 

Qu*agon  au  courre  tant  de  nervi ! 
Lagalanio  s'alongo  en  ourlant  coume  un  loup*;. 


MIP.EILLE,  CHANT  I.  39 

«  Toustroisnous  avalonslaplaine!  — Atoi !  k  moi ! 
Et  dans  la  carriftre  —  un  tourbillon  de  poudre  enve- 
loppe  nos  bonds!  —  Et  I'air  nous  porte,  et  le  poil 
fume...  —  Oh!  quelle  ardeur!  quelle  course  effre- 
nee!  — Longtemps,  tel  est  i'^an  qui  nous  enflamme, 

—  on  cnit  que  de  front  nous  emporterions  Tas- 
saut. 

«  Moi,  enfin,  je  prends  le  devant,  — Maisce  fut  1^ 
mon  malheur !  —  Car  comme,  tel  qu  un  fler  follet, 

—  je  m'^lan^ais  6perdument,  —  tout  k  coup,  mou- 
rant  et  blSme,  —  au  beau  moment  ou  je  les  depas- 
sais,  — je  roule,  court  d'haleine,  et  je  mords  la  pom" 
sUre ! 


((  Mais  eux  deux,  comme  quand  dansent  —7  h  Aix 
les  Chevaux-frux**,  s'elancent  —  (d*un  pas)  r6gl6, 
toujours  r6gl6.  Lefameux  Marseillais  —  croyait  assu- 
rement  avoir  (la  partie)  belle!...  —  On  a  dit  qiiM 
n^avait  pas  de  rate :  —  le  Marseillais,  mademoiselle, 
—  pourtant  trouva  son  homme  dans  le  Cri  de  Mou- 
ries"! 

«  Parmi  les  flots  du  peuple,  —  d6j&  ils  brulaient  le 
but ". . .—  Eussiez-vous  vu,  ma  belle,  bondir  le  Cri ! . . . 
Voyez-le!  —  Ni  sur  les  monts  ni  dans  les  pares,  —  il 
n'est  pas  de  cerf,  pas  de  lifevre,  —  qui  aient  au  courir 
tant  de  nerf !  —  Lagalante  se  rue  en  hurlant  comme 
unloup.. 


40  MIRfilO,  CANT  1. 

E  lou  Cri,  courouna  de  gloio, 

Einbrasso  la  barro  di  joio ! 
T6uti  li  Nimausen,  en  se  precepitant, 

Volon  coun^isse  sa  patrio ; 

Lou  plat  d*estan  au  soul^u  briho, 

Li  palet  dindon,  is  auriho 
Canto  I'auboi...  Lou  Gri  re^up  lou  plat  d>stan. 

ELagalanto?f^Mir6io. 
Agroumouli,  dins  la  tub^io 

Quo  lou  trape  d6u  pople  aubouravo  k  rontour, 
Tenie  sarra  de  si  man  jouncho 
Si  dous  geinoun ;  e  Tamo  pouncho 
De  Tescorno  que  tant  lou  councho, 

1  degout  de  soun  front  eu  mesclavo  de  plour. 

Lou  Gri  Tabordo  e  lou  saludo : 

—  Souto  Tautin  d'uno  begudo, 
Fraire,  digu6  lou  Gri,  *m6  i6u  v6ne-t-en  16u ! 

Vuei  lou  plesi,  deman  la  reno ! 
V^ne,  que  beguen  lis  estreno  1 
Alin,  darrie  li  grands  Areno, 
P6r  tu,  coume  p6ri6u,  vai,  i*a*nca  proun  soul^u! 

Mai,  aubourant  sa  caro  blavo, 
E  de  sa  car  que  trampelavo 
Arrancant  si  braieto  eiiie  d*esquerlo  d'or  : 

—  D*abord  que  i6u  Tage  m*esbr6uno, 
T^ !  ie  respoundegu6,  soun  ti6uno ! 
Tu,  Gri,  la  jouinesso  t*aci6uno  : 

Em'ounour  pos  pourta  li  braio  d6u  pu  fort. 


MIREILLE,  CHANT  I.  41 

<K  Et  le  Cri,  couronn^  de  gloire,  -*-  embrasse  le  po- 
teau  des  prix !  —  Tous  les  Nimois  se  pr^cipitent,  — 
ils  veulent  connaitre  (le  nom  de)  sa  patrie.  —  Le 
plat  d'^tain  au  soleil  brille;  -^  les  palets''  tintent; 
aux  oreilles  —  chante  le  hautbois...  Le  Gri  regoit  le 
plat  d'^tain.  » 


—  «  Et  Lagalante?  »  demanda  Mireille.  —  «  Ac- 
croupi,  dans  le  brouillard  de  poussiSre  —  que  le  tre- 
pignemejit  du  peuple  soulevait  aulour  (de  lui),  —  il 
pressait  de  ses  mains  jointes  —  ses  deux  genoux;  el, 
TAme  navr6e  —  de  Taffront  qui  tant  le  souille,  — 
aux  goultes  de  son  front  il  mSlait  des  pleurs. 


«  Le  Gri  Taborde  et  le  salue  :  —  a  Sous  le  berceau 
d*une  buvette,  —  fr6re,  lui  dit  le  Gri,  avec  moi  viens- 
t'en  vite!  —  Aujourd'hui  le  plaisir,  h  demain  les 
plaintes! — Viens,  etbuvonsles  etrennes!  —  L^-bas, 
demure  les  grandes  Argues,  —  pour  toi,  comme 
pour  moi,  va,  il  est  encore  assez  de  soleil!  » 


«  Mais,  levant  son  visage  blSme,  —  et  de  sa  chair 
qui  palpitait  —  arracbant  son  calecon  aux  sonnettes 
d'or :  —  «  Puisque  T^ge  brise  mes  forces,  —  tiens  I 
lui  repondit-il,  il  est  k  toi!  —  Toi,  Gri,  la  jeunesse  te 
pare  comme  un  cygne :  —  tu  peux*avec  honneur  por- 
ter les  braies  du  plus  fort !  » 


4. 


42  MIRtiO,  CANT  I. 

Acd-d'aqui  fugu6  sa  dicho. 

E  dins  la  pr^isso  que  s'esquicho, 
Tiiste  coume  un  long  frais  que  Tan  descapela, 

Despareigu^  lou  grand  courr^ire. 

Ni  p^r  Sant-Jan  ni  p6r  Sant-Pfeire, 

En-lio  jamai  s'es  plus  fa  veire 
Per  conrre  vo  sauta  sus  Touire  boudenfla. 

Davans  lou  Mas  di  Falabrego, 

Ansin  -Vincen  fasie  desplego 
Di  causo  que  sabi6.  Li  rouito  ie  venien, 

E  soun  iue  negre  flamejavo. 

Ce  que  disie,  lou  brassejavo, 

E  la  paraulo  i  'aboundavo 
Coume  un  ruscle  subit  su  'n  revi^ure  maien. 

Li  grihet,  cantant  dins  li  mouto, 

Mai  dun  cop  fagueron  escouto; 
Sonv^nt  li  roussign6u,  souv^nt  Tauceu  de  niuo 

Dins  lou  bos  fagueron  calamo ; 

E  pretoucado  au  founs  de  Tamo, 

Elo,  assetado  sus  la  ranio, 
Enjusqu*^  la  primo  aubo  aurie  pas  plega  I'iue. 

—  I6u  m'es  d  avis,  fasi'  a  sa  maire, 
Que,  p6r  Tenfant  d'un  panieraire, 

Parlo  rudamen  ben!...  0  maire,  es  unplesi 
De  soumiha,  I'iv^r;  mai  aro 
P^r  soumiha  la  niue's  trop  claro  : 
Escouten,  escouten-rencaro... 

Passari^u  mi  vihado  e  ma  vido  k  I'ausi! 


MIREILLE,  CHANT  I.  43 

((  Telles  furent  ses  paroles.  —  Et  dans  la  foule  qui 
se  presse,  —  triste  comme  un  long  fr6ne  que  Ton  a 
teinie,  —  disparut  le  grand  coureur. — Ni  k  la  Saint- 
Jean  ni  h  la  Saint-Pierre,  —  nulle  part,  jamais  plus, 
il  ne  s'est  montr^  —  pour  courir  on  sauter  sur  Tou- 
Ireenfl^e.  » 


Devant  le  Mas  des  Micocoules,  —  ainsi  Vincent  fai- 
salt  le  d^ploiement  —  des  choses  qu'il  savait  :  Tin- 
camat  venait  k  (ses  joues),  —  et  son  oeil  noir  jetait 
des  flanimes.  —  Ce  qu*il  disait,  il  le  gesticulait,  — 
et  sa  parole  coulait  abondante  —  comme  une  ond^e 
subite  sur  un  regam  de  mai. 


Lea  griilons,  chantant  dans  les  motte$,  —  plus 
d'une  fois  se  turent  pour  ecouter ;  —  souvent  les  ros- 
signols,  souvent  Toiscau  de  nuit  —  dans  le  bois  firent 
silence;  —  et,  impressionnee  au  fond  de  T^me,  — 
die,  assise  sur  la  ramee,  — jusqu'a  la  premiere  aube 
n'aurait  pas  ferm^  roeil. 


—  «  n  m'est  avis,  disait-elle  a  sa  m^re,  —  que, 
pour  Tenfant  d'un  vannier,  —  il  parle  merveiUeuse- 
ment!...  0  m^re,  c'est  un  plaisir  —  de  dormir,  Thi- 
ver;  naais  k  present,  —  pour  dormir  la  nuit  est  trop 
claire :  —  Rontons,  ecoutons-le  encore.  —  Je  pas- 
serais,  k  Tentendre,  mes  veill^es  et  ma  vie! » 


NOTES 

nil   CHANT   PREMIER. 


*  Lc  Mas  des  Micocoules  (Um  Mas  di  Falabrego).  Le  mot  mas,  mai- 
son  rustique,  ferine,  m^tairie,  est  usit^  surtout  dans  rarrondiase- 
ment  d' Aries  et  en  Languedoc.  Dans  ia  Provence  orientaie,  on  em- 
ploie  de  pr^fi^rence  le  mot  bastido,  et  dans  le  Gomtat  celui  de 
granjo. 

Ghaque  Mas  porte  un  nom  distinctif  et  caract^ristique  :  ainsi 
lou  Mas  de  la  Font,  lou  Masde  I'Oste,  lou  Mas  Crema,  lou  Mas  di 
Faiabrego. 

La  faiabrego  est  le  ihiit  du  micocoulier,  en  provengal  fiUabre- 
guU  [celiis  australis  de  Linnde),  grand  arbre  commun  en  Pro- 
vence. Les  mots  mas  et  faiabrego  sont  tous  deux  d'origine  celtique . 
On  pretend  mgme  que  Marseille,  MassaUa,  vient  de  mas  Salyumt 
habitation  des  Salyens. 

*  Atravers  la  Grau  [dtrav^dela  Crau).  La  Grau(dugrec  xparjpoi, 
aride),  vaste  plaine  aride  et  caillouteuse,  bomee  au  nord  par  la 
chaine  des  Alpines,  au  sud  par  la  mer,  au  levant  par  les  ^tangs  du 
Martigue,  au  couchant  par  le  Rhdne.  G'est  I'Arabie  P^tr^  de  la 
France.  EUe  est  travers^e  par  le  canal  de  Craponne,  qui  la  par- 
s^me  d'oasis.  (Yoycz  le  Chant  YIII.) 

3  Maguelonne  (Magalouno) ,  snr  le  littoral  du  d^partement  de 
I'Hdrault.  De  celte  cit^,  ancienne  colonic  grecque,  il  ne  reste  au- 
jourd'hui  qu'une  ^lise  en  mine.  M.  Moquin-Tandon,  jnembre  de 
rinstitut  et  po^te  langucdocien,  a  compost,  sous  le  nom  de  Carya 


NOTES  DU  CHANT  I.  45 

fnagai&nenM,  une  spirituelle  chronique  en  laQgue  romane  sur  les 
principaux  ^v^nements  dont  cette  ville  fiit  le  th^tre  pendant  les 
premieres  ann^es  du  quatorzi^me  siMe. 

♦  \ent  largue  {v^t-larg)t  qui  souffle  du  large,  brise  de  mer. 

"  Le  Rau  (hu  Rau),  vent  d'ouest  qui  amene  quelquefois  la  plui^. 

^  CaspitdlOy  ou  cdspi^  interjection  qui  marque  la  surprise,  pou- 
vant  se  rendre  par  dame!  tudieu! 

''  Les  fiUes  des  Baux  (UBaussenco).  Les  Baux  (U  Baus)y  ville  rui- 
n^e,  ancienne  capitale  de  la  maison  princt^re  des  Baux.  a  A  trois 
lieucs  d' Aries,  au  sommet  rocailleux  d'un  versant  des  Alpines,  sont 
^pars  les  debris  d'une  ville  qui,  par  le  grandiose  du  sire,  par  Tan- 
ciennet^  de  sa  fondation  et  I'importance  du  r61e  qu'elle  a  jouo 
dans  les  annales  du  pays,  attire  les  pas  du  voyageur,  exalte  I'ima- 
^ination  de  I'artiste,  oft're  a  lacuriosite  des  archdologues  une  abor.- 
dante  pftture,  irrite  et  confond  souvent  leur  docte  sagacity.  » 
(Jules  Canonge,  HisUnre  de  la  ville  des  Baux  eti  Frwence. ] 

Conune  le  nom  de  cette  po^tique  locality  reparait  plusieurs  ibis 
dans  le  po§me,  nous  croyons  que  le  lecteur  lira  avec  plaisir  la 
descriptiou  suivante,  empruntde  au  mftme  auteur  : 

«...  Eniin  s'ouvrit  une  ^troite  vall^;  je  m'inclinai  devant  uno 
croix  de  pierre  dont  les  debris  sanctifient  la  route,  et  quand  men 
regard  se  releva,  11  s*arrSta  dtonne  sur  uu  ensemble  de  tours  et  do 
iniirailles  perch^es  a  la  cime  d'un  roc,  tel  que  je  n'en  avals  jamais 
YU,  excepts  sur  les  oeuvres  ou  le  g^nie  de  la  peinture  s'est  inspin* 
des  plus  fabuleuses  imaginations  de  TAriostc.  Mais  si  mon  6tonne- 
ment  fut  grand  a  ce  premier  aspect,  il  redoubla  lorsque  j'eus  gravi 
luie  Eminence  d'ou  la  ville  enti^re  se  deploya  devant  moi  :  c*6tait 
un  tableau  de  grandeur  d^l^e  comme  ceux  que  nous  fait  rdver 
la  lecture  des  prophfetes;  c'^tait  ce  dont  je  ne  soupconnais  pas 
I'existence,  c'^tait  une  ville  presque  monolithe.  Ceux  qui  les  pre- 
miers eurent  la  pensee  d'habiter  ce  rocber  taiUerent  leur  abri 
dans  ses  flancs ;  ce  nouveau  systeme  d'arcbitccture  fut  jugd  boii 
par  leurs  snccesseurs,  car  la  masse  ^tait  vaste  et  compacte :  une 
ville  en  sortit  bientdt  comme  une  statue  du  bloc  d'ou  Tart  la  fait 
jaillir  :  une  ville  imposante,  avec  ses  fortifications,  ses  chapelles  et 
ses  hospices,  une  ville  oi!i  Thomme  semblait  avoir  ^temis^  sa  de- 
meure,  L'empirede  cette  cites'^endit  au  loin;  de  brillants  faitsj 


'.(i  NOTES  or  CHANT  I. 

d'armos  lui  conquirenl  line  noble  place  dans  I'histoire;  mais  elle 
n'en  fut  pas  plus  durable  que  lanl  d'autres  moins  solidement  con- 
st ruites.  » 

L'action  du  po€me  commence  au  pied  de  ces  ruines. 

*  Valabr^gue  [Valabrego) ,  village  situe  sur  la  rive  gauche  du 
Rfi6ne,  entro  Avignon  et  Tarascon. 

8  Font-Yieille  [Fant-vieio),  village  situd  dans  une  vallee  des  Al- 
pinos,  aux  environs  d'Arlos. 

*"  CoUines  des  Baux  [colo  Baussenco).  (Voyez  la  note  7.) 

**  Ijes  miroirs  sont  crev^s  {Umirau  soun  creka).  En  provencal  on 
appelle  mirau,  miroirs,  deux  petites  membranes  luisantes  et  so- 
norcs  que  les  cigales  ont  sous  Vabdoraen,  et  qui,  par  leur  frotte- 
ment,  produisent  le  bruit  connu  sous  le  nom  de  chant.  On  dit  pro- 
vorbialement  d'une  personne  dont  la  voix  est  briste  par  I'Sge  : 
A  li  mirau  creba,  elle  a  les  miroirs  creves. 

**  Mart^gal  [Martegau),  habitant  du  Martigue,  en  provenQal  hu 
Martegue^  curieuse  ville  de  Provence,  presqae  enti^reraent  peupl^ 
de  p^cheurs,  bdtie  sur  des  ilots,  au  milieu  de  lamer  et  de  nomforeux 
^tangs,  sillonn^e  de  canaux  en  guise  de  rues,  ce  qui  lui  a  valu  le 
snrnom  de  Venise  provenQale.  Elle  a  donn^  le  jour  k  Gerard  Ten- 
quo,  fondateur  des  Hospitaliers  de  Sahit-Jean-de-J^rusalem. 

*5  Quand  Marthefilait  [quand  Mario  fielavo)y  expression  prover- 
biale  qui  signifio  :  Dans  un  temps  plus  heureux,  dans  le  bon  \ieux 
temps,  par  allusion  peut-etre  a  Marthe,  Thbtesse  du  Christ,  qui, 
aprfes  avoir,  selon  la  l^gende,  delivre  Tarascon  du  monstre  qui  ra- 
vageait  son  territoire,  termina  ses  jours  dans  cette  contr^e,  habi- 
tant une  maisonnette  aux  bords  du  Rhone,  et  filant  modestement 
sa  quenouille  au  milieu  de  ses  neophytes. 

**  Cabridellc  [cabrideUo]  [aster tripoUum,  Lin.),  plante  corammie 
dans  les  mar^cages  du  Midi. 

•s  Garrigue  (garrigo),  lande  ou  il  ne  croit  que  des  ch^nes-nainst 
agarrtis. 

*«  N'avez-vous  jamais  6te  aux  Saintes?  [sias  jamai  esiedo  t 
Santo).  Les  Saintes-Maries-de-la-Mer ,  en  provengal  U  Santo, 
petite  ville  de  cinq  cent  quarante-trois  habitants,  situ^e  dans  Tile 
de  Camargue,  au  bord  de  la  mer,  entre  les  embouchures  du  Rh6ne. 


NOTES    DU  CHAST  I.  47 

ITiic  venerable  ct  po^tique  tradition  y  attire,  Ic  25  uiai  de  cliaque 
a.niiee,  de  tous  les  points  de  la  Provence  ct  dii  Bas-Languedoc,  uue 
allluence  innoinbrable  de  pelerins. 

La  l^gende  rapporte  qu'apres  la  mort  du  Christ,  les  Juifs  contrai- 
^iiireiit  quclques-uns  de  scs  pins  fervents  disciples  a  nionter  sur  uu 
iiavire  d^sempar^,  et  les  livrerent  a  la  luerci  des  Hots.  Voici  com- 
ment un  vieux  cantique  frangais  decrit  cette  sc^nc  • 

LES  JUIFS 

Entrez,  Sara,  dans  la  nacelle, 
l.azare,  Marthe  et  Maximin, 
Cl^on,  Trophime,  Saturnin, 
Les  trois  Maries  et  Marcelle, 
Kutrope  et  Martial,  Sidoine  avec  Joseph  {d'AritMtkie). 
Vous  perir^  dans  cette  nef. 

AUez  sans  voile  et  sans  cordage, 
Sans  m^t,  sans  ancre,  sans  timon, 
Sans  aliments,  sans  aviron, 
AUez  faire  un  triste  naufrage ! 
Retirez-vous  d*ici,  laissez-nous  en  repos, 
Allez  crever  parmi  les  flots ! 

Couduite  par  la  Providence,  la  barque  vuit  aborder  en  Provence, 
a  Textr^mit^  de  Tile  de  Gamargue.  Les  pauvres  bannis,  miraculeu- 
sement  echappes  aux  perils  de  la  mer,  se  dispei'sercnt  dans  la 
Gaule  m^ridionale  et  en  fwent  les  premiei-s  apotres. 

Marie-Magdeleme,  Tune  des  trois  Maries,  se  retira  dans  le  desei*t 
de  la  Sainte-Baunie,  pour  y  pleurer  ses  pech^s.  Les  deux  autres, 
Marie-Jacobe,  mere  de  saint  Jacques  le  Mineur,  et  Marie-Salom^, 
mere  de  sauit  Jacques  le  Hajeur  et  de  saint  Jean  rEvang^listc,  ac« 
compagn^es  de  leur  servante  Sara,  apr6s  avoir  converti  a  la  loi 
iiouvelle  quelques-unes  des  peuplades  voisines ,  revinrent  mouiir 
au  lieu  de  leur  debarquement.  (Voyezle  Chant  XL) 

M.  B.  Lam'ens,  qui  a  raconte  et  dessine,  dans  le  journal  \'H* 
lustration  (t.  XX,  p.  7),  le  pelerinage  des  Saint es  Maiios,  ajoute  : 
«  On  dit  qu'un  prince  dont  le  nom  n'est  pas  designe,  sachant  que 
les  corps  des  Saintes  Maries  reposaient  en  cet  endroit,  y  fit  b^tir 
ime  ^glise  en  forme  de  citadelle,  pour  la  mettrc  a  convert  de  Tin- 
vasion  des  pix^ates*  II  tit  biktir  egalcment  a  I'entour  dc  Tegliso  des 
luaisoiiii  et  des  renipaiHs  itoui*  met  (re  les  habitants  du  i)ays  en  sii« 


48  NOTES  OU  CHANT  I. 

i*et^.  Les  constructions  que  Ton  voit  encore  aujourd'hui  repondeut 
pai'faiteinent  k  cette  derni^re  tradition. 

«  En  1448,  apr^s  avoir  entendu  un  sennon  sur  le  bonheur  qu'a- 
vait  la  Provence  de  poss^der  les  d^pouilles  des  Saintes  Maries,  Ic 
roi  Ren^  alia  visiter  T^glise  bfttie  en  leur  honneur,  fit  faire  des 
fouilles  pour  trouver  les  saints  ossemeuts,  et  le  succte  de  son  en- 
treprise  fut  constats  par  I'odeur  merveilleuse  qui  s'exbala  au  mo- 
ment ou  chaque  corps  fut  mis  k  d^ouvert.  II  est  inutile  de  dire 
tous  les  honneurs  qu'on  rendit  k  ces  reliques  et  tout  le  soin  qu'oo 
en  prit.  » 

17  los  chlisses  descendaient  {li  caiiso  davalav&n). 

«  Le  clioBur  de  I'^glise  pr^nte  cette  particnlarite  d'etre  forme 
de  trois  etages  :  une  crypte,  qui  est  d^sign^  comme  ^tant  la  placo 
mdme  de  Tantique  oratoire  des  Saintes,  un  sanctuaire  exhausse 
plus  qu'i  Tordinaire,  et  une  chapellc  sup^rieure,  ou  sont  expose 
les  ch&sses  des  reliques...  dependant  d'innombrables  cierges  tonus 
par  les  assistants  s'allument,  et  le  cabestan  dont  la  chaine  retenait 
la  chksse  des  reliques  se  deroulant,  cette  chdsse  descend  lente- 
ment  de  la  chapelle  superieure  dans  le  choeur.  G'est  le  moment 
favorable  aux  miracles.  Aussi  un  concours  immense  de  supplications 
s'eleve  de  tous  cdtes  :  Saintes  Maries j  guirissez  man  enfimtlte] 
est  le  cri  p^n^trant  qui  vient  arracher  des  larmes  au  coeur  le  plus 
froid.  Tout  le  monde  attend,  en  chantant  des  cantiques,  le  moment 
ou  il  pourra  faire  asseoir  sur  la  chSsse  un  pauvre  uveugle  ou  un 
epileptique,  et  quand  il  y  est  parvenu,  tout  le  monde  se  cruit 
cxauce.  »  (B.  Laurens.) 

'*  Jean  de  Cossa  {Jan  Cueisso),  seigneur  napolitain,  qui  avail  sui\i 
le  roi  Rene,  grand  senechal  de  Provence,  mortent476.  JanCudsso 
est  tr^s-populaire  a  Tarascou,  ou  le  peuple  lui  attribue  la  construc- 
tion du  clocher  de  Saiute-Martlie.  II  est  enten^^  dans  la  crypte  dc 
cette  eglise,  et  sa  statue  couchee  surmonte  son  tombeau. 

*9  Tu  peux,  mon  pauvre  petit,  lier  les  courroies  (de  tes  souliei*s], 
ipos,  moun  paure  piclwt,  liga  ti  courrejoun,)  c'est-i-dire  te  prepa- 
rer a  une  course  rapide  :  express,  prov. 

*°  Les  chevaux  frux  [Hchfvau-ff'us),  chevaux  de  carton  point,  en 
usage  dans  les  r^jouissances  publiques  de  la  Provence,  etparticulie* 
rement  a  Aix,  lors  de  la  F6te-Dieu.— Les  cavaliers  les  ajustenti  leui* 
ceinture,  et  parcOurent  les  rues  en  dansant  au  son  du  tambourin. 


NOTES    DU  CIIAIST  I.  40 

2*  Mouries  [Mouri^s),  village  au  midi  des  Alpines. 

**  lis  briUaient  du  but  [brulawn  de  la  toco) ,  pour  dire  :  lis  lou- 
cbaiont^resque  le  but. 

^  Les  palets  (li  palet  ou  cimbaleto)  sont  des  disques  d'acier 
qu'on  frappe  I'un  contre  I'autre  comme  les  cymbales. 


CAM  SEGOCND 


LA  CrLIDO 


Mireio  cuei  de  fueio  d'amouri^  p^r  si  magnan.  —  D'asard,  Vinc«n  lou 
paiiieraire  passo  au  carreiroun  vesin.  —  La  chato  lou  sono.  —  Lou 
drole  cour,  e  per  i'syuda,  inounto  em'elo  sus  I'aubre.  —  Charra- 
disso  di  dous  enfant.  —  Vincen  fat  la  coumpare/soun  de  sa  son*e 
\incenelo  era^  Miieio.— Lou  nis  de  pimparrin.  —  La  branco  routo; 
Mir6to  em^  Vincen  touinbon  de  I'aubre.  —  L'amourouso  chatouno 
86  declaro.  —  Lou  drole  apassiouna  desboundo.  —  La  Cabro  d*or, 
la  figuiero  de  Vaucluso.  —  Mireio  es  sounado  p^r  sa  maire.  ~ 
Escaufdslre  e  separaciouu  di  calignaire. 


Cantas,  canlas,  magnanarello, 
Que  la  culido  es  cantarello ! 

Galant  soun  li  magnan  e  s'endormon  di  tres; 
Lis  amouri6  soun  plen  de  fiho 
Que  lou  beu  terns  escarrabiho, 
Coume  un  vou  de  bl6undis  abiho 

Que  raubon  sa  melico  i  roumanin  d6u  gres. 

En  desfuiant  vosti  verguello, 

Cantas,  cantas,  magnanarello ! 
Mireio  es  a  la  fueio,  un  beu  matin  dc  Mai* 

Aqueu  matin,  per  pendeloto, 

A  sis  auriho,  la  faroto ! 

Avi6  penja  dos  agrioto* .... 
Vincen,  aqueu  matin,  passe  'qui  touruamai* 


CHANT  DEFXIflME 


1.A  ClIEILLETTR 


Mireille  cueille  ties  feuilles  de  miirier  pour  ses  vers  a  soie.  —  Par 
liasard,  Vincent,  le  raccommodenr  de  eorbeilles,  passe  an  srnlin 
voisin.  —  La  jeune  ftlle  Tappelle.  —  Le  gars  accouii,  et,  pour 
raider,  monte  avec  elle  siir  Tarbre.  —  Causerie  des  deux  enrants. 
—  Vincent  fait  le  parall^le  de  sa  soeur  Vincenelte  et  de  Mireille.— 
Le  nid  de  m^sauges  bleues.  —  La  branche  rompue.  —  Mireille  et 
Vincent  tombent  de  I'arbre.  —  La  jeune  fllle  declare  son  amour. 
— BrAlante  explosion  du  jeune  homme.  —  La  Chevrc  d'or,  le  nguier 
(le  Vaucluse.  —  Mireille  est  rappel^  par  sa  mere.  —  l&moi  et  sepa- 
ration des  deux  amants. 


Chantez,  cliaiitez,  magnanarelles  M  —  car  la  cueil- 
lette  aime  les  chants.  —  Beaux  sont  los  vers  k  soie, 
et  ils  s'endorment  de  leur  troisi^me  somme  ';  -  les 
miiriers  sont  pleins  de  jeunes  filles  —  que  le  beau 
temps  rend  alertes  et  gaies,  —  telles  qu'un  essaim 
de  blondes  abeiUes  —  qui  derobent  leur  miel  aux  ro- 
marins  des  champs  pierreux. 

En  defeuillant  vos  rameaux,  —  chantez,  chantez, 
magnanarelles!  —  Mireille  est  a  la  feuille,  un  beau 
matin  de  mai  :  —  cette  matin6e-la,  pour  pendelo- 
ques,  —  a  ses  oreilles,  la  coquette  —  avait  pendu 

deux  cerises —  Vincent,  cette  matinee,  passa  \k 

de  nouveau. 


.12  MIRfilO,  CA!?T  II. 

A  sa  barrcto  escarlatino, 

Coume  an  li  g^nt  di  mar  latino, 
Avi^  poulidamen  uno  plumo  dc  gau; 

E'n  trapejant  dins  li  draiolo 

Fasie  fugi  li  serp  courriolo, 

E  di  dind&nti  clapeirolo 
Eine  soun  bastounet  bandissi^  li  frejau. 

—  0  Vinc^n,  ie  fagu6  Mireio 
D'entre-mitan  li  verdi  l6io, 

Passes  l)en  vite,  que!  —  Vincenet  toul-d'iin-t^in 

Se  revir6  vers  la  plantado, 

E,  sus  un  amouri^  quihado 

Coume  une  gaio  couquihado, 
Destousqu^  la  chatouno,  e  ie  land^,  count^nt. 

—  B6n?  Mireio,  ven  ben  la  fueio? 

—  He !  pau-&-pau  tout  se  despueio. . . 

— Voul^squevousajude? — 0! .  .I}6u  t6ms  qu'eilaniount 
Elo  risi^  jitant  de  si^ule, 
Vinc6n,  picant  d6u  p6d  lou  tr6ule, 
Escale  Taubre  coume  un  gr6ule. 

—  Mireio,  n  a  que  vous  lou  vi6i  M6ste  Ramoun : 

Fas^s  li  baisso!  aurai  li  cimo, 

leu,  boutas!  —  E'me  sa  man  primo, 
Elo  en  m6usent  la  ramo  :  —  Engardo  de  langui 

De  travaia  *n  pau  en  coumpagno ! 

Souleto,  vous  ven  uno  cagno! 

Dis.  —  leu  per6u  ce  que  m'enlagno, 
Respoundegu^  lou  drole,  ei  jusl  ac6-d*aqui. 


MIREILLE,  CHANT  II.  53 

A  son  bonnet  6carlate,  —  comme  en  ont  les  rive- 
rains des  mers  latines, — il  avail  gentiment  una  plume 
de  coq;  —  et  en  foulant  les  senlters,  —  il  faisail  fuir 
les  couleuvres  vagabondcs,  —  et  des  sonores  tas  de 
pierres  —  avec  son  bMon  il  chassait  les  cailloux. 


«  0  Vincent!  lui  cria  Mireille,  —  du  milieu  des 
varies  allies,  —  pourquoi  passes-tu  si  vile !  »  Vin- 
cent aussit6t  —  se  retourna  vers  la  plantation,  —  et, 
sur  un  mdrier  perchee  —  comme  un  gai  coche- 
vis*,  —  il  decouvrit  la  fiUetle,  et  vers  elle  vola, 
joyeux. 


—  €  Eh  bien!  Hircille,  vient-elle  bien,  la  feuille?  » 
—  ((Eh!  peu  h  peu  tout  (rameau)  se  d^pouille.  »  — 
((  Voulez-vous  que  je  vous  aide?  »  —  «  Oui!  »  Pen- 
dant qu*elle  riait  IMiaut  —  en  jetant  de  folMres  cris 
de  joie,  —  Vincent,  frappant  du  pied  le  lr6fle,  — 
grimpa  sur  Tarbre  comme  un  loir.  —  «  Mireille,  il 
n'a  que  vous,  le  vieux  Haitre  Ramon : 


r>' 


((  Faites  les  branches  basses!  j'atteindrai  les  ci- 

meS;  —  moi,  allez !  »  Et  de  sa  main  16g6ro,  —  celle- 

ci  irayant  la  ram^e  :  «  Cela  garde  d*ennui,  —  de  tra- 

vailler  (avec)  un  peu  de  compagnie!  —  Seule,  il  vous 

vient  un  nonchaloir !  »  —  dit-elle.  —  ((  Moi  de  m^me, 

ce  qui  m'irrite,  —  repondit  le  gars,  c*est  justement 

cela. 

5 


54  MIRftlO,  CANT  If. 

Quand  sian  eiqa  dins  nosto  b6ri, 

Mounte  n'aus^n  que  lou  tafdri 
D6u  Rose  tourmentau  que  manjo  lis  auvas, 

Ok!  de  fes,  queti  languitudo! 

Pas  tant  Testi^u,  que,  d'abitudo, 

Fas^n  n6stis  escourregudo, 
L'esti^u,  eme  moun  pai,  d'un  mas  k  Tautre  mas. 

Mai  quand  lou  verbouisset  vfen  rouge, 
Que  li  jour  se  fan  ivemouge, 

E  longo  H  vihado ;  autour  d6u  recalieu, 
Entanterin  qak  la  cadaulo 
Quauque  esperitoun  siblo  o  miaulo, 
S^nso  lume  e  s^ns  grand  paraulo 

Fau  pspera  la  som,  tout  soulet  i6u  em'6u!... 

La  chato  ie  fai  a  la  l^sto  : 

—  Mai  dounc  ta  maire,  mounte  reslo? 

—  ftimorto!...  Lou  drouloun  se  teise  'n  moumenet, 
Pi6i  reprengue  :  Quand  Vinceneto 
£ro  em6  nautre,  e  que,  jouineto, 
Gardavo  enca  la  cabaneto, 

.4lor  ero  un  plesi !  —  Mai  coume?  Vincenef , 

As  uno  sorre?  —  E  la  jouv6nto, 

Braveto  qu'es  e  b6n  fas6nto, 
Digue  lou  vergani6;...  trop!  qnk  la  Font-d6u-Rei, 

Alin  en  terro  de  B^ucaire, 

£lro  anado  apr^s  li  segaire, 

Tant  i'  agrad6  soun  galant  faire 
Que  p^  tanlo  Tan  presso,  e  tanto  i'  e^  dempiei« 


MIREILLE,  CHANT  II.  55 

«  Quand  nous  sommes,  li-bas,  dans  notre  hutte, 
—  ou  nous  n'entendons  que  le  bruissement  —  du 
Rh6ne  impelueux  qui  mange  les  graviers,  —  oh !  par- 
fois,  quelles  (heures)  d'ennui!  —  Pas  autant  1*616; 
car,  d*habitude, —  nous  faisons  nos  courses,  —  Fete, 
avec  mon  pere,  de  m^tmrie  en  m^tairie. 


«  Mais  quand  le  petit  houx  devient  rouge  (de  baies) ; 
—  que  les  journ^es  se  font  liivemales  —  et  longues 
les  veill^es ;  autour  de  la  braise  ^  demi  ^teinte,  — 
pendant  qu'au  loquet  —  siffle  ou  miaule  quelque  hi- 
tin,  —  sans  lumi^re  et  sans  grandes  paroles,  —  il  faut 
attendre  le  sonuneil,  moi  tout  seul  avec  lui!...  » 


La  jeune  fiUe  lui  dit  promptement :  —  a  Hals  tn 
m^re,  ou  demeure-t-elle  done?)) — « Elle  est  morte ! . . . » 
Le  garcon  se  tut  un  petit  moment,  —  puis  reprit  : 
«  Quand  Vincenette  —  6tait  avec  nous,  el  que,  toulo 
jeunn,  —  elle  gardait  encore  la  cabane,  —  pour  lors 
e*6tait  un  plaisir!  »  —  «  Mais  quoi?  Vincent, 


«  Tu  as  une  soeur? » —  «  Et  la  jouvencelle,  —  sage 
qu'elle  est  et  faisant  bien  (les  choses),  —  dit  le  tres- 
seurd'osier;...  Irop!  car,  a  la  Fonlaine-dii-Roi,  — 
la-bas  en  terre  de  Beaucaire,  —  elle  elait  allee  apres 
les  fauchenrs ;  —  tant  lour  plut  sa  genlille  adresse 
—  que  pour  servante  ils  I'ont  prise,  et  servante  elle  y 
est  depuis  lors.  » 


50  MIRfilO,  CANT  IT. 

—  le  dones  d'^,  k  ta  sounreto? 

~  Quau?  i^u?  pas  mai !  Elo  di  saureto, 
E  i^u  si^u,  lou  Yes6s,bruncoumeuncourcoussoun. 

Mai  pul^u,  sabes  quau  reverto? 

Vous!  V6stit^sto  disaverto, 

Coume  li  fueio  de  la  nerto 
Vdsti  p^u  aboundous,  dirias  que  soun  bessoun. 

Mai  per  sarra  la  claro  lelo 

De  vosto  couifo,  b6n  mies  qu'elo 
Mir^io,  av6s  lou  fi6u!...  N'es  pas  laido,  tamb^n, 

Ha  sorre,  nimai  endourmido ; 

Mai  vous,  de  quant  sias  pu  poulido ! 

Mir^io  aqui,  mita  culido, 
Leissant  anasabranco  :  Oh!  dis,  d'aqu^u  Yiiicen!.. 

Cantas,  cantas,  magnanarello ! 

Dis  amount  la  fueio  es  bello, 
Galani  soun  li  magnan  e  s'endormon  di  tres ; 

Lis  amount  soun  plen  de  fiho 

Que  lou  beu  t^ms  escarmbiho, 

Coume  un  v6u  de  bl6undis  abiho 
Que  raubon  sa  melico  i  roumanin  dou  gres. 

—  Alor,  m'atroves  galantouno 
Mai  que  ta  sorre?  La  chatouno 

Fagu«  *nsin  k  Vincen.  —  De  for^o,  eu  respound^. 

—  E  qu'ai  de  mai?  —  Maire  divino ! 
E  qu*a  de  mai  la  cardelino 

Que  la  petouso  mistoulino, 
Senoun  la  beuta  menie,  e  lou  cant,  e  Teste! 


MIUEILLE,  CHANT  11.  57 

—  «  Lui  ressembles-lu,  k  ta  jeune  soeur?  »  — 
«  Qui?  moi?...  Qu'il  s'en  laut!  Elle  est  blondine,— et 
je  suis,  vous  le  voyez,  brun  comme  un  cuceron... — 
Mais  plut6t,  savez-vous  qui  elle  rappelle?  —  Vous ! 
Vos  tfites  eveillees,  —  comme  les  feuilles  du  myrte 

—  vos  chevelures  abondantes,  —  on  les  dirait  ju- 
melles. 

c  Mais  pour  serrer  la  toile  claire —  de  voire  coiflo, 
bien  mieux  qu'elle,  —  Hireille,  vous  avez  le  fill.,, 
Elle  n'est  pas  laide,  non  plus,  —  ma  soeur,  niendor- 
iTiie ;  —  mais  vous,  combien  etes-vous  plus  belle !  » 

—  La  Mireille,  k  moiti^  cueillie,  —  laissant  aller  sa 
branche  ;  «  Oh!  dit-elle,  ce  Vincent!...  » 


Gbantez,  chantez,  magnnnarelles!  —  Des  mi)riers 
lo  feuillage  est  beau,  —  beaux  sont  les  vers  k  soie, 
et  ils  s'endorment  de  leur  troisi^me  (somme).  — Les 
mi)riers  sont  pleins  de  jeunes  filles  —  que  le  beau 
temps  rend  alertes  et  gales,  —  telles  qu'un  essaim 
de  blondes  abeilles  —  qui  derobeiit  leur  miel  aux  ro- 
marins  des  champs  pierreux. 

—  «  Ainsi,  tu  me  trouves  gentille  —  plus  que  ta 
soeur?  »  la  fillette  —  dit  ^  Vincent.  —  «  Beaucoup 
plus,  »  r^pondit-il.  —  «  Et  qu'ai-je  de  plus?  »  — 
«  M6re  divine!  —  Et  qu  a  le  chardonneret  de  plus  — 
que  le  troglodyte  gr^le,  —  sinon  la  beaute  m^me,  et 
le  chant,  et  la  gr^ce !  » 


58  MIRfilO,  CANT  II. 

—  Mai  encaro?  —  Ma  pauro  sorro. 

Noun  vas  agu6  lou  Wane  d6u  porre ! 
(bourne  Taigo  de  mar  Vinceneto  a  lis  iue 

Que  ie  bluiejon  e  clarejon.... 

Li  vostre  coume  un  jai  negrejon ; 

E  quand  dessus  me  beluguejon, 
len  me  s^mblo  que  rhourle  un  cigau  de  vin  cue. 

De  sa  voues  linjo  e  clarinello, 

Quand  cantavo  la  Peirounello, 
Ma  sorre,  avieu  grand  gau  d*ausi  soun  dous  acord ; 

Mai  vous,  la  mendro  resouneto 

Que  me  digues,  o  jouveineto ! 

Mai  que  pas  ges  de  cansouneto 
Encanlo  moun  auriho  e  bourroulo  moun  cor. 

Ma  sorre,  en  courrent  p6r  li  p&ti, 

Ma  sorre,  coume  un  brout  de  d^ti 
S*^i  roustido  lou  coui  e  la  caro  au  souleu ; 

Vous,  bello,  crese  que  sias  facho 

Coume  li  flour  de  la  pourracho ; 

E  de  TEsti^u  la  man  mouracho 
Noun  auso  caressa  voste  front  blanquin^u  I 

Coume  uno  damo  de  gandolo 

Ma  sorre  es  enca  primacholo; 
Pecaire!  dins  un  an  a  fa  tout  soun  creissent... 

Mai  de  I'espalo  enjusqu  a  Tanco, 

Vous,  0  Mir6io,  r6n  vous  manco! 

Hir^io,  lachant  mai  la  branco, 
E  loulo  rouginello  :  Oh!  dis,  d  aqueu  Vinc6n ! 


MIREILLE,  CHANT  II.  5'J 

-^  tt  Mais  encore?  »  —  a  Ma  pauvre  soeur,  —  lii 
ii' auras  pas  le  Ijlancdu  porreau !  —  Conime  Feaii  de 
nier  Vincenetlea  les  yeux  —  bleus  et  limpides...,  — 
Les  v6tres  sont  noirs  coimiie  jais ;  —  et  quand  sur 
iiioi  ils  elincellent,  —  il  me  seiuble  que  je  bois  uiie 
rasadede  vin  cuit*. 


«  De  sa  voix  deliee  et  claire,  —  lorsqu'elle  chantait 
la  Peyronelle,  —  ina  soeur,  j*avais  grand  plaisir  a  en- 
tendre son  doux  accord ;  —  mais  vous,  la  moindre 
petite  parole  —  que  vous  me  disiez,  6  jouvencelle !  — 
plus  que  nulle  chansonnelte  —  enchanle  mon  oreille 
et  trouble  mon  coeur. 


«  Ma  soeur,  en  courant  par  les  p^turages,  -~  mo 
soeur,  comme  un  rameau  de  dattes  —  s'est  brdle  le 
cou  et  le  visage  au  soleil ;  —  vous,  belle,  je  crois  que 
vous  6tes  faite —  comme  les  fleurs  de  Tasphod^le ;  — 
et  la  main  hA16e  de  I'Ete  — n'ose  caresser  voire  front 
blanc ! 


((  Comme  une  libellule  de  ruisseau,  —  ma  swur 
est  encore  gr^le ;  —  pauvrelle  1  elle  a  £ait  dans  un  an 
toute  sa  croissance. . .  —  Mais  de  I'epaule  a  la  hanche^ 
~  vous,  6Mireille,  il  ne  vous  manque  rien!  »  — 
Laissant  de  nouveau  echapper  la  branche,  Mireille, 
—  toute  rougissante,  dit  ; «  Oh!  ce  Vincent  I  » 


60  MlKfilO,  CANT  II. 

En  desfuiant  vdsli  verguello, 

Canias,  cantas,  magnanarello ! . . . 
Ansin  li  b^us  enfant,  de  Taubre  panouious 

Escoundu  souto  lou  ramage, 

Dins  rinnoucenci  de  soun  age 

S*assajavon  au  calignage. 
Pamens,  de  mens  en  mens,  li  serre  eron  neblous. 

Amount  sus  li  roco  pelado, 

Sus  li  grand  tourre  esbarboulado 
Uunte  tr^von,  la  nine,  li  viei  prince  di  Baus, 

Li  capoun-fer,  que  blanquejavon, 

Dins  I'estendudo  s'euauravon, 

E  sis  alasso  fouguejavon 
Au  souleu,  que  deja  caufavo  lis  avaus. 

—  Oh !  n*av6n  ren  fa !  que  vergougno ! 
Elo  vengu6  *m6  'n  ^r  de  fougno. 

Aqueu  galabontems  dis  que  ven  m*ajuda, 
Pi6i  me  fai  ren  que  faire  rire. . . . 
Anen!  d'aut!  que  la  man  s'estire, 
Que  piei  ma  maire  pourri6  dire 

Qu'ai  panca  proun  de  biais,  o,  per  me  marida. 

Vai,  vai,  dis,  tu  que  te  vanlaves, 
Moun  paure  ami !  se  te  lougaves 
P6r  la  cueie  a  quintau,  la  fueio,  crese  que, 
Quand  fuguesse  touto  en  pivello, 
Pourri^s  manja  de  regardello ! 

—  Me  crests  dounc  uno  ganchello? 
liespoundegue  lou  drole,  un  brigouloun  mouquet. 


)IIREILLE,  GHAr^T  11.  Gl 

En  defeuillant  vos  rameaux,  —  chantez,  chantcz, 
magnanarelles!.,.  —  Ainsi  les  beaux  enfants,  de 
Farbre  feuillu  —  caches  sous  la^ramee,  —  dans  Yin- 
nocence  de  leur^ge  —  s*essayaient  a  Tauiour.  — Les 
crates,  cependant,  de  moins  en  inoins  etaient  bru- 
meuses. 


La-haut  sur  les  roches  nues,  —  sur  les  graudes 
lours  ecroulees  —  ou  reviennent,  la  nuit,  les  vieux 
princes  des  Baux,  —  les  sacres  ',  6clatanfs  de  blan- 
cheur,— dans  T^lendue  s'elevaient,  —  et  leurs  grandes 
ailes  etincelaient  —  au  soleil,  qui  d^ja  chaulTait  les 
chenes  nains. 


—  «  Oh !  nous  n'avons  rien  fait !  quelle  honte  ! 

—  dit-elle  d'un  air  de  bouderie.  —  Ce  dr6le  dit 
qu'il  vient  m'aider ;  —  toul  son  travail,  ensuite,  est 
deme  fairerire...  -—  Aliens!  sus!  que  la  main  sc 
degourdisse,  —  parce  qu'apres  ina  mere  pourrait 
dire  —  que  je  suis  trop  gauche  encore,  oui,  pour  me 
niarier. 

«  Va,  va,  dit-elle,  loi  qui  te  vantais,  —  mon  pau\ re 
ami !  si  tu  ie  uiettais  k  gages  —  pour  cueillir  h  quin- 
tal la  feuille,  je  crois  que,  —  ful-elle  toute  en  brin- 
dilles,  —  tu  pourrais  manger  des  regardelles  ® !  )> 

—  «  Vous  me  croyez  done  une  mazette?  »  —  repar- 
lit  le  gars,  l^g^rement  penaud. 


02  MIRfilO,  CANT  il. 

B6n !  quau  sara  ineiour  cuifeire, 

Madamisello,  l*anan  vMre ! 
K  z6u!  *me  li  dos  man,  ftiroun,  atravali, 

Yague  do  torse  e  mouse  ramo! 

Plus  de  resoun!  plus  de  calamo! 

(l*erd  lou  mouceu  fedo  que  braino.) 
L'ainourie  que  li  porlo  es  toutaro  culi. 

Fugu^ronleu,  pamens,  a  pauso. 

Quand  sias  jouine,  la  bello  cause! 
Estent  qu  au  meme  sa  metien  la  fueio  enseii, 

Un  cop  li  poulit  det  cherescle 

De  la  cliatouno,  dins  I'arescle, 

Se  devinercn  entremesclc 
Eme  li  det  brulant,  li  det  d'aqueu  Vincen. 

EIo  eiiiai  6u  trefouligueron; 

D'amour  si  gauto  s'enftourerou, 
E  touti  dous  au  cop,  d'un  fio  noun  couneigu 

Sentigueron  Tescandihado . 

Mai  coume  aquesto,  a  I'esfraiado, 

Sourti6  sa  man  de  la  fuiado, 
fiu,  de  la  treboulino  enca  tout  esmougu  : 

—  Qu'aves?  Uno  guespo  escoundudo 

Vous  a  beleu,  dis,  pougnegudo? 
—  Noun  sai!  clinantlou  front,  elo  respounde  plan. 

E  seiiso  mai,  chascun  se  bouto 

A  tourna  cueie  quaiico  brouto. 

Eme  d  iue  couquiiij  testo  soitto, 
S'espiiichavon  pamens  quau  ririe  de  diivnn* 


MIREILLE,  CHANT  IT.  6!^ 

«  Ehbien!  qui  cueillera  plus  vile,  —  mademoi- 
selle, nous  allons  le  voir!...  »  — El  courage!  des 
deux  mains,  passionnes,  ardents  au  Iravail,  —  et  de 
tordre  et  de  traire  ram6e !  —  Plus  de  paroles,  plus  de 
cesse!  —  (Brebis  qui  b^le  iperdsa  denize  d*herbe.)  — 
Le  mArier  qui  les  porle  est  cueilli  tout  h  Thoure. 


lis  firent,  pourtant,  bientdt  halte.  — Quand  on  est 
jeune,  la  belle  chose !  —  Comme,  dans  le  m^me  sac, 
ils  mettaient  la  feuille  ensemble,  —  une  fois  les  jolis 
doigts  ef&l^s  —  de  la  fiUetle,  dans  le  cerceau  ',  —  se 
rencontrerent  emmSl^  —  avec  les  doigts  brtilants, 
les  doigts  de  ce  Vincent. 


Elle  el  lui'tressaillirenl;  leurs  joues  se  color^rent 
de  la  fleur  d'amour,  —  et  tons  deux  k  la  fois,.  d*uii 
feu  inconnu  —  sentirent  l'echapp6e  ardente.  —  Mais 
comme  celle-ci,  avec  effroi,  —  sortait  sa  main  de  la 
feuill^e,  —  lui,  par  le  trouble  encore  tout  6mu  : 


—  ((  Qu'avez-vous?  Une  gu6pe  cach^e  —  vous  a 
peut-Mrepiqu6e?  »  dit-il.  —  «  Je  ne  saisl  •  en  bais- 
sant  le  front  r6pondit-elle  k  voix  basse.  —  Et,  sans 
plus,  cbacun  se  met  —  k  cueillir  de  nouveau  quelque 
brindille.  —  Avec  des  yeux  malins,  en  dessous,  —  ils 
s'^piaienl  pourtant  h  qui  rirait  le  premier. 


Oi  NIRfciO,  CANT  II. 

Ix)u  pitre  ie  batie!...  La  fueio 
Toumb^  piei  mai  coume  la  plueio ; 

E  quand  pi^i  au  saqiiet  veni^  que  la  metion, 
Li  dos  menoto  bianco  e  bruno, 
Que  fugue  espres  o  per  fourtuno, 
Venien  toujour  uno  vers  Tunc, 

Mcmamen  qu*au  travai  grand  joio  6li  pronion. 

Cantas,  cantas,  magnanarello, 
En  desfuiant  v6sti  verguello ! . . . . 
—  Ve!  ve!  tout-en-un-cop  Mireio  crido,  ve ! 

—  Qu'es  aco?  —  Lou  del  sus  la  bouco, 
Vivo  coume  un  cr6u  su  'no  souco, 
Dre  de  la  branco  ounle  s'ajouco 

Fasi^  signe  d6u  bras. . .  —  Un  nis. . .  qu*anan  ave ! 

—  Esp^ro!...  E  'n  retenent  soun  greule, 
Coume  un  passeroun  long  di  t^ule, 

Vincen  de  branco  en  branco  a  boumbi  voi*s  Ion  nis. 

Au  founs  d'un  trau  que  de  naturo, 

Entre-milan  la  rusco  duro, 

S'ero  fa,  de  I'emboucaduro 
IJ  pichot  se  vesien,  flame  e  boulegadis. 

Mai  Vinc^n  quk  la  branco  torto 
Yen  de  nousa  si  cambo  forto, 
K  penja  d  uno  man,  dins  lou  trounc  baumelu 
Furno  erne  I'autro.  Un  pau  pus  auto, 
Mireio  alor,  la  flamo  i  gauto  : 

—  Qu'ei?  ie  demando  cauta-cauto. 

—  l)e  pimparrini  —  De-qne?  —  l)e  b^ii  sarraie  h\\\ 


MIREILLE,   CUAIST  II.  G.> 

Leur  poitrinebattait!...  La  feuille  —  tomba  puis 
de  nouveau  comme  pluie;  — el  puis,  venu  (i'instant) 
ou  ils  ia  mettaient  au  sac,  —  la  main  blanche  et  la 
main  brune,  —  soil  k  dessein  ou  par  bonheur,  — 
toujours  venaient  Tune  vers  Tautre,  —  mSinement 
qu'au  travail  ils  prenaient  grande  joie. 


Chantez,  chantez,  magnanarelles^  —  en  d^feuil- 
lant  vos  rameaux!...  —  «  Vois!  vois!  tout  k  coup 
Mireille  crie,  vois !  »  —  «  Qu'est-ce?  »  —  Le  doigt 
sur  la  bouche,  —  vive  comme  une  locustelle  sur  un 
cep,  —  vis-^vis  de  la  branche  ou  elle  juche  —  elle 
mdiquait  du  bras...  —  «  Un  nid...  que  nous  aliens 
avoir!  » 

—  ((  Attends !... »  Et  retenant  son  souffle  haletant, 

—  tel  qu*un  passereau  le  long  des  tuiles,  —  Vincent 
de  branche  en  branche  a  bondi  vers  le  nid.  —  Au  fond 
d'un  trou  qui  naturellement,  —  entre  la  dure  ecorce, 

—  s*etait  form6,  par  Fouverture  —  les  petits  se 
voyaient,  deji  pourvus  de  plumes  et  remnant. 


Mais  Vincent,  qui  a  la  branche  torlue  —  vient  de 
nouer  ses  jambes  vigbureuses,  —  suspendu  dune 
main,  dans  le  tronc  caverneux  —  fouille  de  Tautre. 
Un  pen  plus  61evee,  —  Mireille  alors,  la  flamme  aux 
joues  :  —  «  Qu'est-ce?  »  demande-t-elle  avec  pru- 
dence. —  «  ])es  pimparrins !  »  —  «  Comment?  » 
—  «  De  belles  m^sanges  bleues !  » 

c.' 


CO  MlRftlO,  CANT  11. 

Mir^io  esclafigu^  lou  rire. 

—  Que !  dis,  Tas  jamai  ausi  dire? 

Qtiand,  dous,  trouvas  un  nis  au  bout  d*un  amourie, 
0  de  tout  aubre  que  lou  s^mble, 
Passo  pas  I'an  que  noun  ensemble 
La  santo  Gl^iso  vous  assemble 

Pronv^rbi,  dis  moun  paire,  es  toujour  vertadi^. 

—  0,  ie  fai  eu ;  mai  fau  apoundre 
Qu*aquelo  espero  pdu  se  foundre, 

S'avans  que  d*^stre  en  gabio  escapon  li  pichot. 

—  Jeuse,  moun  Di6u!  dono-te  gardo! 
Crid^  la  chato;  c  senso  tardo 
Rejoun-l^i  ben,  que  nous  regardo! 

—  Ma  fisto !  lou  Jouvent  ie  respond  coume  ei(;6, 

Lou  mi6u  que  li  poud6n  rejougne 
Sari6  bessai  dins  voste  jougne. . . 
-  Ah !  t^,  baio  I  verai ! . . .  Lou  drole  quatecanf 
Mando  sa  man  dins  la  caforno ; 
E  sa  man  pleno  que  s'entorno 
Quatre  n'en  tiro  de  la  borno. 

—  Boudieu !  digue  Mireio  en  aparant,  oh !  quant ! 

Queto  nisado  galantouno  I 
T6!  ih\  pecaire,  uno  poutouno! 
E,  folo  de  plesi,  de  milo  poutounet 
Li  devouris  e  poumpounejo ; 
Pi6i  em'  amour  plan-plan  li  vejo 
Souto  soun  jougne  que  gounflejo. .. 

—  T^!  te!  parola  man,  eride  mai  Vincenet. 


MIREILLE,  CHANT  II.  67 

Mireille  6clata  de  rire.  —  «  Ecoute !  dit-elle,  ne 
Vas-tu  jamais  oui  dire?  —  Lorsqu'on  trouve,  a  deux, 
un  nid  au  faite  d'un  mtirier,  —  ou  de  tout  arbre  pa- 
reil,  —  Fannee  ne  passe  pas  qii' ensemble  —  la  sainte 
Eglise  nevous  unisse....  —  Proverbe,  dit  mon  pere, 
est  toujours  veridiquo.  » 


—  «  Oui,  replique  Vincent ;  mais  il  faut  ajouter  — 
que  cet  espoir  peut  se  fondre,  —  si,  avant  d'jfttre  en 
cage,  s*6chappent  lespetits.  »  —  «  Jesus,  mon  Dieu! 
prends  garde  I  —  cria  la  jeune  fiUe,  et  sans  retard,  — 
serre-les  avec  soin,  carcela  nous  regarde!  »  —  «  Ma 
foi !  repond  ainsi  le  jouvenceau. 


«  Le  meiUeur  (endroit)  pour  les  serrer,  —  serait 
peut-6tre  voire  corsage. . .  »  —  «  Tiens !  oui,  donne ! 
c'est  vrai!...  u  Le  gar^on  aussitdt  —  envoie  sa  main 
dans  la  cavit6;  et  samain,  qui  retourne  pleine,  — 
en  tire  quatre  du  creux.  —  «  Bon  Dieu  !  dit  Mi- 
reille en  tendant  (la  main),  oh !  combien  ! . .. 


«  La  gentille  nichee  i  —  Tiens  I  tiens !  pauvres  pe- 
tils,  un  bon  baiser !  »  —  Et  foUe  de  plaisir,  de  mille 
doux  baisers  —  elle  les  devore  et  les  caresse ;  — 
puis  avec  amour  doucement  les  coule  —  sous  son  cor- 
sage qui  renfle.  —  «  Tiens !  tiens !  tends  la  main,  » 
derechef  cria  Vincent. 


68  yil\£l0,  CANT  II 

—  Oh !  li  poulit !  Si  t^sto  bluio 
An  d  uioun  fin  couine  d'aguhio! 

E  l^u  mai,  dins  la  bianco  e  lisqueto.presoun, 

Tres  pimparrin  elo  recato; 

E,  dins  lou  sen  caud  de  la  chato. 

La  couvadeto  que  s*amato 
Se  crei  que  Fan  remesso  au  founs  de  soun  nisoun. 

—  Mai,  de  bon?  Vincenet,  n*i*a  'ncaro? 

—  0 !  —  Santo  Vierge !  Ve,  ioutaro 

Dirai  qu*as  la  man  fado !  —  Eh !  pauro  que  vous  sias? 
Li  pimparrin?  quand  v^n  Sant  Jorge, 
Fan  d6s,  douge  i6u,  emai  qualorge, 
Souvenli-fes!...  Mai  le !  16!  porge, 

Li  cago-nis ! . . .  E  vous,  bello  borno,  adessias ! 

Goume  lou  drole  se  desp^njo, 
E  qu'elo  vile  lis  arrenjo 
B^n  delicadamen  dins  soun  fichu  flouri... 

—  Ai!  ai !  ai!  d*uno  voues  tendrino 
Subitamen  fai  la  mesquino. 

E,  vergougnouso,  k  la  peitrino 
S'esquicho  li  dos  man.  —  Ai !  ai  ai !  vau  mouri ! 

Houi !  houi !  plouravo,  me  grafignon ! 

Ai !  me  grafignon  e  m*espignon ! 
Courre  leu,  Vincenet,  leu ! . . .  Es que,  i*a  'n moumen. ., 

Que  vous  dirai?  dins  Tescoundudo 

Grando  e  vivo  ero  I'esmougudo  ! 

Ta  'n  moumen,  dins  la  bando  aludo 
Avien,  li  cago-nis,  mes  lou  bourroulamen. 


MIREILLE,.  CHANT  II.  69 

«  Oh !  les  jolis !  Leurs  t^tes  bleues  —  ont  de  petit? 
yeux  fins  comme  des  aiguilles  !  »  —  Et  vile  encore, 
dans  la  prison  blanche  et  lisse,  elle  cache  trois  me- 
sanges  ;  —  et,  dans  le  ti6de  sein  de  la  jeuiie  fille,  — 
la  petite  couv6e  qui  se  blottit,  croit  qu'on  Ta  remise 
an  fond  de  son  nid. 


—  «  Mais  tout  de  bon?  Vincent,  y  en  a-t-il  encore? » 

—  «  Oui !  fl  —  «  Sainte  Vierge!  vois,  tout  a  I'heure 

—  je  dirai  que  tu  as  la  main  fee !  »  —  «  Eh !  bonne 
lille  que  vous  6tes  !  —  les  mesanges  !  quand  vient  la 
Saint-Georges,  elles  font  dix,  douze  oeufs,  el  mtoe 
quatorze,  —  maintes  fois !...  Mais  tiens  I  tiens!  tends 
(la  mahi),  —  les  derniers  eclos !  et  vous,  beau  creux, 
ndieu !  » 

A  peine  le  jeune  homme  se  decroche,  —  a  peine 
celle-ci  arrange  les  (oiseaux) — bien  d^licatement  dans 
son  fichu  fleuri...  —  ((Aie!  aie!  aie!  »  d'une  voix 
chatouilleuse  —  fait  soudain  la  pauvrette.  —  Et,  pu- 
dique,  sur  la  poitrine  —  elle  se  presse  les  deux  mains. 

—  «  Aie !  aie !  a!e !  je  vais  mourir. 

«  Ho !  pleurait-elle,  ils  m'^gratignent !  —  alel  m'6- 
gratignent  et  me  piquent !  —  Cours  vite,  Vincent, 
vita!...))  C'est  que,  depuis  un  moment,  —  vous 
le  dirai-je?  dans  la  cachette  —  grand  et  vif  6tait 
r^moi !  —  Depuis  un  moment,  dans  la  bande  ail^e 

—  avaient,  les  derniers  eclos,  mis  te  bouleverse- 
inent, 


70  MinfciO,  CANT  ri. 

E  dins  restrecho  valounado. 

La  fouligaudo  moulounado 
Que  noun  p6u  libramen  faire  soun  roudelet, 

A  grand  varai  d'arpioun  e  d'alo, 

Fasi^,  dins  li  mounto-davalo, 

Cambareleto  s6nso  egalo, 
Fasie  long  di  galis  milo  beu  redoulet. 

—  Ai  1  ai !  \ene  lei  quorre !  lampo, 
le  souspiravo,  E  coume  pampo 

Que  Fauro  atremoulis,  coume  di  cabrian 
Quand  se  sent  pouncho  uno  junego, 
Ansin  gemis,  sauto  e  se  plego 
La  chaiouno  di  Falabrego... 

Eu  pamens  i'a  voula...  —  Gantas,  en  desftiiant, 

En  desfuiant  vdsti  jitello, 
Cantas«  cantas,  inagnanarello ! 
Sus  la  branco  ounte  plouro  6u  pamens  a  voula : 

—  La  cregnes  dounc  b6n,  la  coutigo? 
Eu  ie  fai  de  sa  bouco  amigo. 

Eh!  coume  i6u,  dins  lis  ourtigo, 
^Se  descausso  proun  fes  vous  falie  barrula, 

Coume  farias?  E  p^r  rejougne 

Lis  enfourniau  qu'a  dins  soun  jougne, 
Eu  ie  porge,  en  ris6nt,  soun  bounet  de  mariii. 

Deja  Mir^io,  soutl'estofo 

Que  la  nisado  rendi6  gofo, 

.Mando  sa  man,  e  dins  la  cofo 
Un  p6r  un  adeja  torno  li  pimparrin ; 


MIREILLE,  CHANT  II.  1i 

Et,  dans  Tttroit  vallon,  —  la  folMre  multitude  — 
qui  ne  peut  librement  se  caser,  —  se  ddmenant  des 
griffes  et  des  ailes,  -^  faisait,  dans  les  ondulations, 
—  culbutes  sans  pareilles,  —  faisail,  le  long  des 
talus,  mille  belles  roulades. 


—  (( Aie!  aie !  viens  les  queiir !  vole, »  —  lui  sou- 
pirait-elle.  Et  comme  le  pampre  —  que  le  vent  fait 
frissonner,  coinme  une  g^nisse  qui  se  sent  piqu^e  par 
les frelons,  —  ainsi g^mit,  bondit  et  se ploie  —  lado- 
lescente  des  Micocoules... — Lui  pourtant  a  vole  vers 
elle...  —  Ghantez,  en  defeuillant, 


En  d^feuillant  vos  rarneaux,  —  chantez,  chantez, 
magnanarelles !  —  Sur  la  branche  ou  elle  pleure,  lui 
pourtant  a  vol6.  —  «  Vous  le  craignez  done  bien,  It' 
chatouillement?  — luidit-il  de  sabouche  amie— Eh! 
comme  moi,  dans  les  orties,  —  si,  nu-pieds,  mainle- 
fois  il  vous  fallait  vaguer, 


^  Counnent  feriez-vous  ?  »  —  Et  pour  deposer  — 
les  oisillons  qu'elle  a  dans  son  corsage,  ~  il  lui  offiv 
en  riant  son  bonnet  de  marin.  —  Deja  Mireille,  sous 
Tetoffe  —  que  la  nicliee,  rendail  bouffante,  —  envoie 
la  main,  et  dans  la  coiffe  —  d6j^,  une  a  unc,  rapporto 
losmesanges; 


72  MlHfelO,  CA^iT  II. 

Deja,  'melou  front  clin,  pecaire! 

E  revirado  un  pau  de  caire, 
Deja  lou  risoulet  se  inesclavo  k  si  ploiir ; 

Semblablainen  k  I'eigagnolo 

Que,  lou  matin,  di  courrejolo 

Bagiio  li  campaneto  molo, 
E  perlejo,  e  s'esb6u  i  proumi^ri  clarour... 

E  souto  eli  v^n  que  la  branco 

Tout-en-un-cop  pelo  e  s'escranco ! . . . 
Au  coui  d6u  panieraire,  elo,  en  quilant  d*esfrai, 

Se  precepilo  e  se  i'  embrasso  ; 

E  d6u  grand  aubre  que  s'esfrasso, 

En  un  rapide  viro-passo 
Tounibon,  embessouna,  sus  lou  souple  inargai.... 

Fres  ventoulet,  Larg  e  Gregali, 

Que  di  bos  boulegas  lou  pali, 
Sus  lou  jouine  par^u  que  voste  gai  murmur 

Un  moumenet  mole  e  se  taise! 

F61is  aureto,  alenas  d'aise  1 

Dounas  lou  t6ms  que  Ton  pantaise, 
Lou  lems  qu'^  tout  lou  mens  pantaison  lou  bonur ! 

Tu  que  lalejes  dins  ta  gorgo, 

Vai  plan,  vai  plan,  pichouno  sorgo ! 

DinUe  ti  cascagnou  menes  pas  tant  de  brut ! 
Pas  tant  de  brut,  que  si  dos  amo 
Soun,  dins  lou  meme  rai  de  flamo, 
Partido  coume  un  brusc  qu'eissanio... 

Leissas-lei  s'emplana  dins  lis  or  benaslru ' 


MIREILI.E,  CHANT  II.  73 

D6ja  le  front  baisse,  pauvrelle !  —  et  d^tournee 
uii  peu  de  c6te,  —  deja  le  sourire  se  m^lait  a  ses 
larmes  ;  —  seinblablenieiit  a  la  rosee  —  qui,  le  ma- 
tin, des  liserons  —  inouillc  les  clochettes  moUes, 
—  ct  roule  en  perles,  et  s'6vapore  aux  premieres 
claiies 


Et  sous  eux  voild  que  la  branche  —  tout  a  coup 
eclate  et  se  rompt ! . . .  —  Au  cou  du  vannier,  la  (jeune 
fille)  effray^e,  avec  un  cri  per^nt,  —  se  precipite 
et  enlace  ses  bras ;  —  et  du  grand  arbre  qui  se  de- 
chire,  —  en  une  rapide  virevolte,  —  ils  tombent, 
serr6s  corame  deux  jumeaux,  sur  la  souple  ivraie*. . . . 


Frais  zephyrs,  (vent)  largueet  (vent)  grec', —  qui 
des  bois  reniuez  le  dais,  —  sur  le  jeune  couple  que 
votre  gai  munnure  —  un  petit  moment  mollisse  ot 
se  taise  !  —  Folles  brises,  respirez  doucement  I  — 
Donnez  le  temps  que  Ton  r^ve,  —  le  temps  qu*a  tout 
le  moins  ils  r^vent  le  bonheur ! 


Toi  qui  gazouilles  dans  ton  lit,  —  va  lentemeut, 

va  lentement,  petit  riiisseau!  —  parmi  tes  galets 

sonores  ne  fais  pas  tanl  de  bniit !   —  pas  tant  de 

bruit,  car  leurs  deux  Ames  —  sont,  dans  le  inline 

I'ayon  de  feu,  —  parties  comme  une  ruche  qui  es- 

saime....  —  Laissez-les  se  perdre  dans  les  airs  pleiiis 

d  ctoiles  I 

7 


74  MinfelO,  CANT  II. 

Mat elo,  au bout  duno passado, 

Se  daver^  de  la  brassado 

Mens  palinello  souii  li  flour  d6u  coudounie. 

Pi^i  sus  la  ribo  s'asseteron, 

Un  contro  I'autre  se  bout^ron, 

Un  uioumeaet  se  regarderon, 
E'm*  acd  parle  'nsin  lou  drole  di  panic : 

Vous  sias  ren  facho  mau,  Mireio?... 

0  la  vergougno  de  la  leio, 
Aiibrc  d6u  diable,  aubras  qu'un  divendre  an  planta. 

Que  la  manano  ragarrigue, 

Que  I'arlisoun  te  devourigue, 

E  que  toun  m^stre  t*abourrigue ! 
Mai  elo,  em*  un  tramblun  que  noun  p6u  arresta  : 

—  Me  sieu  pas,  dis,  facbo  mau,  nkn\ ! 
Mai,  coume  un  enfant  dins  si  lani, 

Que  de  fes  plourinejo  e  noun  saup  per-de-que, 
Ai  quaucar^n,  dis,  que  uie  grevo  ; 
L*ausi,  lou  v^ire,  ac6  me  16 vo  ; 
Moun  cor  u*en  boui,  moun  front  n'en  revo, 

E  lou  sang  de  moun  cors  noun  pdu  demoura  quel ! 

—  Beleu,  digue  lou  panieraire, 
Es  de  la  pou  que  vosto  maire 

Vous  charpe  qu*^  la  fneio  aves  mes  trop  de  Icm  ? 
Coume  ieu,  quand  venieu  subr'ouro, 
Estrassa,  moustous  coume  un  Monro, 
Per  estre  ana  cerca  d'amouro.... 

•^  Uh  !  noun,  digue  Mireio,  autre  peno  me  ten* 


MTREILIiE,   C1IA3JT   TI.  75 

Maiselle,  aubout  d'un  instant,  —  se  d61ivra  de 
Tembrassade...  —  Moins  pales  sont  les  fleurs  du  co- 
gnassier.  —  Puis  ils  s'assirent  sur  le  talus,  —  Tun 
pr6s  de  I'autre  se  mirent,  —  un  petit  moment  se  re- 
gard erent,  —  et  void  comment  parlale  Jeune  homme 
aux  paniers : 


((  Vous  Mes-vous  point  fait  de  mal,  Mireille?...  — 
0  honte  de  l'all6e,  —  arbre  du  diable,  arbre  funeste 
qu*on  a  plants  un  vendredi,  —  que  le  marasme  s'em- 
pare  de  toi !  —  que  Tartison  te  d^vore,  —  et  que  ton 
maitre  te  prenne  en  horreur!  n  —  Mais  eUe,  avec 
un  tremblement  qu*elle  ne  peul  arreter  : 


—  «  Je  he  mesuis  pas,  dit-elle,  fait  de  mal,  nenni! 
—  Mais,  telle  qu  un  enfant  dans  ses  langes  —  qui 
parfois  pleura  et  ne  sait  pourquoi,  —  J'ai  quelque 
chose,  dit-elle,  qui  me  tourmente;  —  cela  m*ote  le 
voir  et  Touir;  —  mon  coeur  en  bout,  mon  front  en 
r^ve,  —  et  le  sang  de  mon  corps  ne  pent  rester 
calme,  >» 

—  «  Peut-^tre,  dit  le  vannier,  —  est-ce  la  peur  que 
voire  m^re  —  ne  vous  gronde  pour  avoir  mis  trop  de 
temps  h  la  fmille?  —  comme  moi,  quand  je  m'en 
venais  k  heure  indue,  —  dechir6,  barbouill6  comme 
un  Maure, —  pour  etre  alle  chercher  des  mtires...  » 
— - «  Oh !  non,  dit  Mireille,  autre  peine  me  tient.  » 


70  MIRfelO,   CANT  11. 

—  0  beleu  uno  souleiado, 
Fague  Vinc^n,  vous  a'mbriado. 

Sabe,  (lis,  uno  vieio,  aperamount  i  Bau 
(le  dison  Taven)  :  vous  asaigo 
B^n  sus  lou  front  un  got  plen  d'aigo, 
E  16u,  di  cervello  einbriaigo, 

U  Fai  escounjura  giscloii  dins  lou  cristau. 

—  Noun,  noun !  respound^  la  Craenco ; 
Lis  escandihado  niaienco 

NVs  pa'i  chato  dc  Crau  que  podon  faire  p6u !... 

Mai  on  que  ser  de  te  decaupre? 

Dins  moun  sen  aco  pdu  plus  caupre ! 

Vincen,  Vinc^n,  vos-tilou  saupre? 
De  tu  si^li  amourouso !...,  Au  bord  d6u  rajeir6u, 

Emai  F^r  linde,  eniai  la  lopo, 
Emai  li  vi6i  sause  de  cepo, 
Fugneron  claramen  espanta  de  plesi  I... 

—  Ah !  princesso,  que,  tant  poulido, 
Agues  la  lengo  tant  marrido, 

Lou  panieraire  aqui  s'escrido, 
Ta  de  que  p6r  lou  s6u  se  traire  estabousi! 

Coume !  de  ieu  vous  amourouso? 
De  ma  vidasso  encaro  urouso 

An^s  pas  vous  jouga,  Mir6io,  au  noum  de  Dieu ! 
Me  fagu^s  pas  cr6ire  de  causo 
Qu*,  aqui  dedins  uno  fe  'nclauso, 
Dema  mort  sarien  pi6i  Tencauso ! 

Mir^io,  d'aqueu  biais  vous  trufes  plus  de  i6u ! 


MIREILLE,  CH\T«T  II.  77 

—  «  Ou  peut-6tre  un  coup  de  soleil,  — fit  Vincenl. 
vous  a  enivr6e.  — ^  Je  sais,  dit-il,  line  vieille,  dans  les 
montagnes  des  Baux  —  (on  l*appelle  Taven)  :  elle 
vous  applique  —  bien  sur  le  front  un  verre  plain 
d'eau,  et  promptement,  de  la  cervelle  ivre,  —  les 
rayons  charmes  jaillissent  dans  le  cristal.  » 


—  «  Non,  non!  r^pondit  la  fille  de  Crau  ;  —  les 
echapp^es  du  soleil  de  mai,  —  ce  n  est  pas  aux  filles 
de  Crau  qu*elles  peuvent  faire  peur !  —  mais  k  quo! 
bon  t'abuser?  —  Mon  sein  ne  peut  plus  le  contenir ! 
—  Vincent,  Vincent,  veux-tu  le  savoir?  —  Je  suis 
amoiirouse  de  toi ! . .  »  Au  bord  du  ruisseau , 


Et  I'air  limpide,  et  le  gazon,  —  et  les  vieux  saul«  s 
taillis  —  furent  clairement  ^merveilles  de  plaisir !... 

—  ((Ah!  princesse,  que,  si  jolie,  —  vous  ayez  la 
langue  si  m^chante,  —  le  vannier  s'6crie  a  Tinstant, 

—  il  y  a  de  quoi  se  jeter  par  terre,  stup^fait ! 


((  Quoi  I  vous  amoureuse  de  moi?  —  De  ma  pauvre 
vie  encore  heureuse — n'allez  pas  vous  jouer,  Mireille, 
au  nom  de  Dieu !  —  Ne  me  faites  pas  croire  des  choses 
—  qui,  \k  dedans  une  fois  enferm6es,  —  seraient  en- 
suite  la  cause  de  ma  mort !  —  Mireille,  de  cette  sorte 
ne  vous  moquez  plus  de  moi !  » 


78  MinftTO,  CANT  TT 

—  Que  l>i6ii  jamai  in'emparadise, 
Se  i'a  messorgo  en  ce  que  dise ! 

Vai,  de  crfeire  que  fame  ac6  fai  pas  mouri, 
Vincfen ! . . .  Mai  se,  p6r  marndesso. 
Noun  vos  de  ieu  p^r  ta  mestresso, 
Sara  i6u,  de  malo  tristesso, 

Sara  ieu  qu'^  ti  ped  me  veiras  coumbouri ! 

—  Oh !  digues  plus  de  causo  ansinlo ! 
De  ieu  a  vous  i'a  *n  laberinto, 

L'enfant  de  M^ste  Ambroi  fague  'n  bretounejant. 
Yous,  sias  d6u  Mas  di  Falabrego 
La  reino  davans  qiiau  tout  plego... 
I6u,  banastie  de  Valabrego, 

Sieu  qu'un  gandard,  Mir6io,  un  trevaire  de  champ! 

—  Eh !  que  m'enchau  que  moun  fringaire 
Siegue  un  baroun  o  'n  panieraire, 

Mai  que  m'agrade  k  i6u !  ie  respoundegu6  lei> 

E  touto  en  fio  coume  uno  b'andro. 

Mai  se  noun  vos  que  la  malandro 

Pure  moun  sang,  dins  ti  peiandro 
Perque  dounc,  o  Vinc6n,  m'apareisses  tant  beu? 

Davans  la  vierge  raubalivo, 
Eu  rest6  m6,  coume  di  nivo 
Quand  toumbo  pau-a-pau  un  auceu  pivela. 

—  Sies  dounc  masco,  pi6i  fague  promnte,    ^ 
P6r  queta  visto  ansin  me  doumte, 

Per  que  ta  voues  au  su  me  mounte, 
E  me  rende  foulas  coume  un  ome  enchuscla  ? 


MIREILLE,   CHANT  II  70 

—  «  Que  Dieu  jamais  ne  m'einparadise^  —  s*il  est 
mensonge  en  mes  paroles ! —  Va,  croire  que  je  t'aime, 
cela  ne  fait  pas  mourir,  —  Vincent!...  Mais' si,  par 
cruaut^,  —  tu  ne  veux  pas  de  moi  pour  amante,  — 
ce  sera  moi,  malade  de  tristesse,  —  ce  sera  moiqu'a 
tes  pieds  tu  verras  se  consumer!  » 


—  «  Oh !  ne  dites  plus  des  choses  pareilles !  —  De 
moi  k  vous  il  y  a  un  labyrinthe,  —  Fenfant  de  Maitre 
Ambroise  fit  en  balbutiant.  —  Du  Has  des  Hicocoules 
vous  Mes,  vous,  —  lareine  devant  qui  toutplie...  — 
Moi,  vannier  de  Valabr^gue,  —  je  ne  suis  qu'un  vau- 
rien,  Mireille,  un  batteur  de  campagne  I  » 


—  «  Eh !  que  m'importe  que  mon  bien-aimS  — 
soit  un  baron  ou  un  vannier,  —  pourvu  qu'il  mo 
plaise,  k  moi!  r^pondit-elle  vite,  —  et  tou*e  en  feu 
comme  une  lieuse  (de  gerbes).  —  Mais  si  tu  ne  veux 
que  la  langueur  — mine  mon  sang,  dans  tes  haillons 
— pOurquoi  done,  6  Vincent,  m'apparais-tu  si  beau? » 


Devant  la  vierge  ravissante,  —  lui  resta  interdit, 
comme  des  nues  —  un  oiseau  fascine  *®  qui  tombe 
peu  k  peu.  —  «  Tu  es  done  magiciennc,  dit-il  ensuite 
brusquement,  —  pour  que  la  vue  me  dompte  ainsi, 
—  pour  que  ta  voix  me  monte  a  la  t6te,  —  et  me 
rende  insens6  comme  un  homme  pris  de  vin? 


80  VIRt;iO,  CANT  II. 

Lou  yeses  pas  que  ta  brassado 

A  mes  lou  fio  dins  mi  pensado? 
Cap,  16 !  se  vos  lou  saupre,  h  Tagrat  que  de  i6u, 

Paure  pourtaire  de  bourr^io, 

Vogues  faire  que  la  ris^io, 

T'ame  per6u,  fame,  Mir^io ! 
T*ame  de  tanl  d'amour  que  le  devouriri^u! 

Tame,  que  se  disien  ti  labro  : 
Vole  la  Cabro  d'or,  la  cabro 

Que  do^fun  de  mourtau  ui  la  pais  ni  la  mous, 
Que  soul  lou  ro  de  Baus-Maniero, 
Lipo  la  moufo  roucassiero,  — 
0  me  pcrdr^u  dins  li  peiriero, 

0  ine  veiries  tourna  la  cabro  dou  peu  rous ! 

T'ame,  ochatounoencantarello, 
Que  se  disies  :  Vole  uno  eslello ; 

la  ni  Iraves  de  mar,  ni  bos,  ni  gaudre  foui, 
la  ni bourr^u,  ni  fio,  ni  ferre 
Que  m'aplant^sse !  Au  bout  di  serre, 
Toucant  lou  ceu,  Tanarieu  querre, 

E  Dimenche  Tauries,  pendoulado  k  toun  coiii. 

Mai,  0  bellasso !  au  mai  t'aluque, 
Au  mai ,  pecaire !  m'emberluque ! . . . 

Vegu^re  uno  figuiero,  un  cop,  dins  moun  camin 
Arrapado  &  la  roco  nuso 
Conlro  la  baumo  de  Vaucluso  : 
Maigro,  pecaire!  i  lagramuso 

le  dounarie  mai  d*oumbro  un  clot  de  jaussemin ! 


MIRKIME,    CHANT  II.  81 

«  Ne  vois-lu  pas  que  ton  embrassement  —  a  mis  le 
feu  dans  mes  pens6es?  —  Car,  tiens!  si  tu  veux  le 
savoir,  au  risque  que  de  moi,  —  pauvre  porteur  de 
falourdes,  —  tu  ne  veuilles  faire  que  ta  ris6e,  —  Je 
I'aime  aussi,  je  t'aime,  Mireille !  —  je  t'aime  de  tant 
d'amour  que  je  te  d^vorerais! 


«  Je  t'aime  (au  point)  que  si  tes  16vres  disaient :  — 
.le  veux  la  Chevre  d*or  **,  la  ch^vre  —  que  nul  mor- 
tal ne  pait  ni  ne  trait,  —  qui,  sous  le  roc  de  Bans- 
Meniere  ",  —  16che  la  mousse  des  rochers,  —  ou  je 
me  perdrais  dans  les  carri^res,  —  ou  tu  me  verrais 
ramener  la  chevre  au  poil  roux ! 


«  Je  t'aime,  6  jeune  fiUe  enchanteresse,  —  (au 
point)  que  si  tu  disais  :  Je  veux  une  etoile!  —  il  n'est 
traversee  de  mer,  ni  bois,  ni  torrent  fou,  —  il  n*est 
ni  bourreau,  ni  feu,  ni  fer  —  qui  m'arr^tat !  Au  bout 
des  pics,  —  touchant  le  del,  j'irais  la  prendre,  —  et, 
Dimanche,  tu  I'aurais  pendue&  ton  cou. 


«  Mais,  6  la  plus  belle !  plus  je  te  contemple,  — 
plus,  helas!  je  m'eblouis!....  —  Je  vis  un  figuier , 
une  fois,  dans  mon  chemin,  —  cramponn^  k  la  roclie 
nue  —  contre  la  grotte  de  Yaucluse,  —  si  maigre, 
b^las!  qu'aux  lezards-gris  —  donnerait  plus  d'ombre 
une  touffede  jasmin. 


82  MIRfilO,  CANT  II 

Un  cop  per  an  vers  si  racino 
Veil  flouqueja  I'oundo  vesino; 

K  I'aubret  secarous,  a  I'aboundouso  font 
Que  mounto  a-n-6u  per  que  s'abeure, 
Tant  que  n  en vou,  se  bouto  a  beure..,. 
D*ac6  tout  l*an  n'a  proun  p6r  vieure. 

Coume  aTaneu  la  peiro,  a  ieu  ac6  respond; 

Que  sieu,  Mireio,  la  figuiero, 

E  tu,  la  font  e  la  fresquiero 
E  basto,  a  ieu  pauret!  basto,  uno  fi»s  de  Tan, 

Que  pousquessc,  a  geinoun  coume  arc, 

Me  souleia  i  rai  de  ta  caro ! 

E  subretout  de  poude  'ncaro 
To  floureja  li  det  d'un  poutoun  tremoulant ! 

Mirc'io,  d'amour  tresananto, 
L'escoutavo...  Mai  eu  I'aganlo, 

En  Taganto  esperdu ;  conlro  soun  pilre  fort 
L'adus  esperdudo. . .  —  Mireio ! 
Subran  coume  eicjo  dins  la  leio 
S'entendegue  'no  voues  de  vieio, 

Li  magnan,  k  miejour,  manjaran  ren,  alor? 

Dedins  un  pin,  en  grando  fogo, 
Dn  v6u  de  passeroun  que  jogo, 

Emplisson,  i'a  de  fes,  d'un  chamatan  galoi 
La  vesprado  que  s'enfresqueiro ; 
Mai  d'un  glenaire  que  li  gueiro 
Se  tout-d'un-cop  toumbo  la  peiro, 

De  tout  caire,  esfraia,  tabouscon  dins  lou  boi. 


31IREILLE,   CHANT  il.  83 

«  Vers  ses  racines,  une  fois  par  an,  —  vient  da- 
poter  I'onde  voisine ;  —  et  I'arbuste  aride,  a  I'aboii- 
danle  fonlaine  —  qui  monle  a  lui  pour  le  desalterer, 
—  autanl  qu'il  veut,  se  met  a  boire...  —  Cela  toule 
Taiinee  lui  suffit  pour  vivre.  —  Comme  la  pierre  a  la 
bague,  a  moi  cela  s*applique. 


f  Car  Jesuis,  Mireille,  le  figuier,  —  ettoi,  la  fon- 
taine  et  la  fraicheur!  —  Et  plutauciel,  moi  pau- 
vret !  pWt  au  del,  une  fois  Tan,  —  que  je  pusse,  a 
geiiouX)  comme  a  present,  — me  soleiller  aux  rayons 
de  ton  visage,  —  et  surtout  que  je  pusse  encore  — 
t'effleurer  les  doigts  d'un  baiser  Iremblant!  » 


Mireille,  palpitante  d'amour,  —  I'^coutait. . . .  — 
Mais,  lui,  la  prend,  —  lui  la  prend  eperdu;  conlre 
sa  poitrine  forte  —  Tamene  eperdue. . .  —  « Mireille !  o 
—  ainsi  tout  a  coup  dans  I'allee  —  r^sonna  une  voix 
de  vieille  (femme),  —  «  les  vers  a  soie,  &  midi,  ne 
mangeront  done  rien?  » 


Dans  un  pin,  en  grande  animation,  — unevoleede 
passereaux  qui  s'ebat  —  remplit,  quelquefois,  d  un 
gai  ramage  —  la  soiree  qui  fraichit.  —  Mais  d'un 
glaneur  qui  les  guette  —  si  tout  d'un  coup  tombe  la 
pierre,  —  de  toule  part,  eflrayes,  ils  s'enfuient  dans 
le  bois 


81  MIREIO,   CANT  II. 

Di5sinemouria  de  rescauf^stre, 
Ansin  fugis  per  lou  camp^strc 

Loupareu  amourous.  Elo,  devors  lou  mas, 
S^nso  inuta,  part  a  la  l^slo, 
Etne  sa  fueio  sus  la  testo... 
Eu,  planta  coume  un  sounjo-resto, 

I/arregardo  laiida  peralin  dins  Tennab. 


MIREILLE,   CHANT  IT.  85 

Trouble  d'^moi,  —  ainsi  fuit  par  la  lande  —  le 
couple  amoureux.  Ell6,  de  vers  le  masj  —  sans  dire 
mot,  part  a  la  Mle,  sa  feuill^e  sur  la  f^le...  —  Lui, 
immobile  comme  un  songe-f^tesy  ~  la  regarde  courir, 
au  loin,  dans  la  fricbe. 


NOTES 

DC  CHAM  DEUXifeME. 


'  Muguaiiarelles  [magnanarello).  Onrlesignc  par  cc  mot  les  feni- 
lues  pr^posces  a  1' Education  des  vers  a  sole,  magnan. 

^  lis  s'endorment  de  leur  troisi^me  somme  (s'endormon  di  tres). 
Les  vers  a  soie  vivent  a  I'etat  de  larve  trente-quatrc  joui*s  environ, 
et  dans  cet  intervalle  cliangent  quatre  fois  de  peau.  A  rapproche 
de  chaque  mue,  ils  s'engourdissent  et  ccssent  de  manger,  dormon. 
On  dit  dourmi  de  la  poumiero,  di  dos,  di  tres^  di  quatre,  ce  qui 
signilie  litteralement  dormir  de  lapremiire  [mue),  des  deux  (mues], 
des  trois  [mues],  etc. 

s  Cochevis  (couquihado),  [alauda  cristala,  Lin.). 

♦  Vin  cuit  {vin  cue) :  mout  qu'au  sortir  de  la  fouloire  on  fait 
bouillir  dans  un  chaudron,  et  qui  ^tant  cuit  k  point,  rappelle,  aprcs 
lui  an  de  bouteille,  la  couleur  et  le  gout  des  meilleurs  vins  d'Es- 
pagne.  Les  Provengaux  le  boivent  dans  les  festins,  et  principale- 
nient  au  repas  de  Noel. 

5  Sucre  [capoun-fer),  sacre  d'figypte  [vultur  perctiopterus.  Gin.), 
oiseau  de  proie. 

6  Regardelles  {regard ello),  metsimaginaire.  Mattja  deregardelk, 
manger  des  yeux,  mficher  a  vide,  comme  dit  Rabelais. 

.  ''  Arescle,  cerceau  qu'on  adapte  k  la  gueule  d'mi  sac  pour  le 
tenir  ouvert.  On  donne  en  gendral  le  nom  d'arescle  aux  bois  de 
fente  dont  on  fait  les  sas,  les  cribles,  les  tambours^  les  boisseaux. 

8  Ivraie  [margai).  II  s'agit  de  I'ivraie  vivace  [lolium  perenne^ 
Lin.),  ray-grass  des  Anglais. 


WOTES,  ^"7 

®  Vent  grec  {gregali,  gregau,  ou  simplement  Gre),  vent  du  nord- 
est. 

*<>  Fascin6  (fiivela).  Le  verbepivWa  on  pipa  signifie  Taction,  vraic 
ou  imaginaire,  par  laquelle  un  reptile  attire  k  lui  un  oiseau,  ct 
m^me  une  personne.  Le  peuple  attribue  cette  attraction  a  une  as- 
piration irresistible,  qui  pent  n^anmoins  6tre  interceptee  par  le 
passage  subit  d'un  corps  Stranger 

**  La  Ch^Tre  d'or  [la  Cabro  d'or),  tr^sor  on  talisman  que  le  peu- 
ple pretend  avoir  &.&  enfoui  par  les  Sarrasins  sous  Tun  des  anti- 
ques monuments  de  la  Provence.  Les  uns  pr^tcndent  qu'elle  git 
sous  le  mausolde  de  Saint-Remy,  d'autres  dans  la  grotte  de  Cordo, 
d'aulres  sous  les  roclios  des  Baux.  «  Cette  tradition,  dit  George 
Sand  (les  Visions  de  la  nuit  dans  lescampagnes),  est  universclle;  ii 
y  a  pcu  de  mines,  chSiteaux  ou  raonast^res,  peu  de  monuments 
celtiques  qui  ne  recelent  leur  tr^sor.  Tons  sont  gardes  par  un 
animal  diabolique.  M.  Jules  Ganonge,  dans  un  charmant  recueil  de 
contes  m^ridionaux,  a  rendu  gracieuse  et  bieniaisante  la  po^tique 
apparition  de  la  Ch6vre  d'or,  gardienne  des  richesses  cach^es  a« 
8?in  de  la  terre.  » 

La  tradition  d'un  tr^sor,  qui  prend  des  formes  sans  nombre, 
mais  ayant  toutes  leur  raison  d'etre,  et  garde  par  un  animal 
etrange,  est  universelle.  On  la  retrouve  chez  tons  les  peuples,  on 
die  se  lie  aux  plus  anciens  souvenirs  sans  cesser  d'etre  toujour 
vivante.  On  la  verra  compl^tement  ramende  h  sa  source,  sous 
toutes  ses  transformations,  dans  les  quatri^me  ct  cinqui^me  volumes 
du  Monde  paieUj  que  publie  en  ce  moment  M.  d':VnseUne.  Nous 
sommes  heureux  de  citcr  ici  les  ^tonnants  travaux  d'ex^^se  my- 
thologique  de  notre  savant  compatriote. 

**  Bau-maniere  [baus-maniero],  rocher  apic  au  nord  de  la  ville 
des  Baux.  Cette  locality  tire  son  nom  des  escarpements  qui  Tenton- 
lent;  car  en  provengal  le  mot  Baus  veut  dire  escarpement, 
precipice,  et  Baus-maniero  y  Uaus-heaso,  Baus-mirano,  Baus-cous- 
Umpiej  sont  lesnomsque  portent  encore  divers  quartiers  du  ter- 
ritoire  des  Baux 


C\NT  TRESEN 


LA  DESCOUCOUNADO 


Li  recordo  prouvenQalo.  —  Au  Mas  di  Falabrego,  un  gai  roudelet  de 
chalo  descoucounon.  — Jano-Mario,  maire  de  Mir^io.  Taven,  la 
masco  di  Bans.  —  La  malo-visto.  — Li  dcsconcounarello  fan,  per 
passo-t^ms,  de  catUu  en  Prouvtnpo.  —  La  Hero  Lauro,  rdino  de 
Paraparigousto.  —  Cleinenco,  r^ino  di  Baus.  —  Lou  Yentour,  Ion 
Rose,  la  Duren^o.  —  Azalats  e  Vioulano.  —  La  Court  d'amour.  — - 
Lis  amour  de  Mir^io  e  de  Vincdn  descuberto  per  Nourado.  —  Li 
^alejado.  —  Taven  la  niasco  fai  teisa  li  chato  :  I'ennitan  dou  Lu- 
'  biToun  e  lou  sant  pastre.  —  Noro  canto  Magali. 


Ouand  li  pausito  soun  braveto, 
Qu'ft  plen  barrau  lis  ouliveto 

Dins  li  gerio  d'argelo  escanipon  Tdli  rous , 
Quand,  sus  li  lerro  e  dins  li  draio, 
Dou  garbejaire  que  varaio 
Lou  grand  carri  reno  e  trantraio, 

E  luerlo  de  perlout'm^  soun  front  auturons  ; 

Nus  e  gaiard  coume  un  luchaire, 
Quand  Bacus  v^n,  e  di  chauchaire 

Coundus  la  farandoulo  i  vendemio  de  Crau; 
E,  de  la  caucadouiro  emplido, 
Quand  la  bev^nto  benesido, 
Souto  li  cambo  eninoustousido, 

Dins  loscumouso lino escapo  a  plen  de trau ; 


r.HANT  TROISIEME 

LK  DEPOUILLEMENT  DES  COCONS 


Les  recoUes  provencales.  —  Au  Mas  des  Micocoules,  une  joyeuse 
reunion  de  jeunes  fitles  d^achc  des  raineaux  les  cocons  des  vers  a 
soie.  —  Jeanne-Marie,  m6re  de  Mireille.  —  Tav^n,  la  sorci^re  des 
Baux.  —  Lamauvais^oeillade.  —  Les  deponiileuses  de  cocons,  pour 
passer  le  temps,  font  des  chateaux  en  Provence.  —  La  fiere  Laure, 
reine  de  Pamparigouste.  --  Glemence,  reine  des  Baux,  ~  Le  Ven- 
lour,  le  Bh6ne,  la  Durance.  —  Azalais  et  Violane.  —  La  Cour  d'a  - 
niour. —  Les  amours  de  Mireille  etde  Vincent  divulgues  par  Norade. 
—  Railleries  des  jeunes  filles.  —  la  sorciere  Taven  leur  impose 
silence  :  Termite  du  Lub^ron  et  le  saint  pdtre.  —  Nore  chants 
Magali. 


Quand  les  recoltes  sonl  honn^tes,  —  qu'S  pleins 
barils  les  vergers  d'oliviers  —  dans  les  jarres  d'ai^- 
gile  epanchent  riuiile  rousse;  —  quand,  par  les 
champs  et  les  chemins,  —  du  rannasseur  de  gerbes 
qui  erre  ch  ot  1^  —  le  grand  chariot  geint  et  cahole, 
—  el  heurte  de  toute  pant  avec  son  front  altier ; 


Nu  el  vigoureux  comme  un  lutteur,  —  quand 
Bacchus  vient,  et  des  fouleurs  —  conduit  la  farandolo 
aux  vendanges  de  Crau;  — et,  de  la  fouloire  comble, 
—  quand  la  boisson  b^nie,  —  sous  les  jambes  bar- 
bouill6es  de  moijt,  —  dans  I'ecumante  cuve  echappe 
Spleine  bcnde; 


8. 


90  MIRfi!0,  CANT  I!T. 

E,  clarineu,  sus  ii  gen^sto 

Quand  Ii  magnan  mounton  en  f^sto 
P^r  fiela  si  presoun  bloundinello ;  e  que  leii 

Aqu^li  toro  mai  qu'abilo 

S*ensevelisson,  k  cha  milo, 

Dins  si  brcssoio  tant  sutilo 
Que  voiis  sfemblon  teissudo  em*  un  rai  de  soul^u  ; 

Alor,  en  tenro  de  Prouv^nco, 

Ta  mai  que  mai  divertissfen^o! 
Loii  bon  muscat  de  Baumo  e  lou  Ferigoiilel 

Alor  se  chourlo  k  la  gargato ; 

Alor  se  canlo  e  Ton  se  trato ; 

Alor  se  v^i  e  drole  e  chato 
All  son  d6u  tambourin  fourma  si  verloulet. 

—  I6u  claramen  si6u  fourtunado ! 
Sus  mi  canisso  encabanado 

Qneli  flo  de  coucounl...  Un  bos  mi^uenseda, 
Un  pu  riche  descoucounage, 
L*avi6u  pu  vist  dins  lou  meinage, 
Vesino,  dempiei  moun  jouine  age, 

Oesempi^i  Tan  de  Dieu  que  nous  sian  marida. 

D6u  tems  que  lou  coucoun  se  trio, 

Ansin  disi6  Jano-Mario, 
Wn\  vi^i  M^ste  Ranioun  ounourado  inouie, 

De  Mirfeio  ourgueiouso  maire; 

E  Ii  vesino  e  Ii  coumaire, 

En  trin  de  rire  e  de  desfaire, 
Kron  a  soun  entour,  dins  la  magnanari^. 


MIREIME,  CHANT  HI.  m 

Et,  diaphanes,  sur  les  genets  —  qiiand  les  vers  a 
sole  montent  en  f6te  —  pour  filer  leurs  prisons  blon- 
des ;  et  que  rapidement  —  ces  chenilles,  artistes 
consommes,  —  s'ensevelissent  a  milliers  —  dans 
leurs  berceaux  si  subtils  —  qu'ils  semblent  tissus 
d*un  rayon  de  soleil ; 


Alors,  en  terre  de  Provence,  —  il  y  a,  plus  que  ja- 
mais, 6baudissement !  —  Le  bon  muscat  de  Baume  * 
et  le  Ferigoulet  •  —  alors  se  boivent  a  la  r^galade ;  — 
alors  on  chante  et  Ton  banquette ;  —  alors  se  voient 
gargons  et  filles  —  an  son  du  tambourin  former  leurs 
rondes. 


— «  Moi,  clairement,  je  suis  heureuse !  —  Sur  mes 
claies  de  roseaux  ou  la  bmy^e  en  herceaitx  s'entrelace, 

—  quels  bouquets  de  cocons!...  line  rain^e  plus 
soyeuse,  -  unoplusricher^colte, — je  neTavaisplus 
viiedans  la  ferine,  —  voisines,  depuismonjeune  ftge, 

—  depuis  Tan  de  Dieu  que  nous  nous  maridmes.  » 


Pendant  que  le  cocon  se  depouille,  —  ainsi  disait 
Jeanne-Afarie,  —  du  vieux  Maitre  Ramon  Spouse 
honor^e,  —  m6re  orgueilleuse  de  Hireille;  —  etles 
voisines  et  les  coramferes,  —  en  train  de  rire  et  de 
detacher  (les  cocons),  —  etaient  aufour  d*elle,  dans 
la  magnanerie. 


02  MIREIO,   CANT     II. 

Descoucoiinavon :  elo-memo, 

Hir^io,  a  tout  moumen,  i  femo 
Poiirgi6  li  brout  d'avaus,  li  clot  de  roumanin, 

Ounte,  k  l'6udour  de  la  mounlagao, 

Tant  voulountie  *m6  soun  escagno 

La  iioblo  toro  s'embarragno 
Que,  coume  rampau  d'or,  n  6ron  clafi  dedin, 

—  Sus  Taular  de  la  Bono  Mairo, 
Jano-Mario  a  si  coumaire 

Venie  dounc,  ai6r,  femo,  anere  l^u  pourta 
De  mi  brout  lou  pu  beu  per  deinie : 
Ansin  fau,  t6uti  li  mil^ime ; 
Car  OS  pi6i  elo  qu*S  b61  6ime 

Conmando,  quandie  plais,  i  magiian  de  mounln. 

—  leu,  digu6  Zeu  d6u  Mas  de  TOste, 
Ai  bello  p6u  que  me  ii'en  coste ! 

Lou  jour  que  tant  boufavo  aqueu  gros  Levantas, 
(D'aqueu  laid  jour  vous  n'en  remembre !) 
Avi6u  leissa,  per  destinembre, 
A  brand  lou  fenestroun  ddu  m^mbre,.., 

Ades  n*ai  coumta  vint,  canela  sus  lou  jas  ! 

Taven,  p^r  douna  soun  ajudo, 

Per6u  di  Baus  ero  vengudo. 
A  Z^u  Taven  digu6 :  Toujour,  mai  que  li  viei. 

Crests,  li  jouine,  de  counouisse ! 

Mai  fau  que  Tage  nous  angouisse, 
.    Fau  que  Ton  ploure  e  que  Ton  gouisse : 
Alor,  mai  b6n  trop  tard.  Ton  v6i  e  Ton  coun6i ! 


MIREILLE,  CHANT  HI.  0^ 

On  faisailla recolle :  ellem^me,  —  Mireille,  k lout 
moment,  aux  femmes  —  presentait  les  brindilles  de 
ch^ne-nain,  les  touffes  de  romarin,  —  ou,  (attir^e) 
par  la  senteiir  de  la  montagne,  —  si  volontiers  avec 
son  6cheveau  —  la  noble  chenille  s*emprisonne,  — 
que,  semblables  k  des  palmes  dor,  elles  en  etaient 
pleines. 

—  «  Sur  Tautel  de  la  Bonne  M^re',  —  disait 
done  k  ses  comm6res  Jeanne-Marie,  —  hier,  fem- 
mes, j'allais  porter  en  hMe  —  le  plus  beau  de  ines 
brins,  pour  dime.  —  Ainsi  je  fais  toutes  les  annees  ; 
—  car,  apr6s  tout,  c'est  elle  qui,  avec  largesse,  — 
commande,  lorsqu'il  lui  plait,  aux  vers  k  soie  de 
rnonter.  » 

—  ((  Pour  raoi  ,  dit  Iseult  du  Mas  de  THdle,  — 
j'ai  grande  peur  qu*il  ne  m'en  coute!  —  Le  jour  que 
tant  soufftait  ce  grand  vent  d*Est,  —  (de  ce  jour 
affreux  qu'il  vous  souvienne!)  —  j*avais  laiss6,  par 
m^garde,  —  lout  ouverte  la  fen^tre  de  I'apparte- 
ment...  —  tantdt  J*en  ai  compt6  vingt,  blanchis^  sur 
la  lili^re !  )> 

Taven,  pour  donner  son  aide,  —  etait  aussi  venue 
des  Baux.  —  Tav6n  dit  k  Iseult:  «  En  toute  chose, 
plus  que  les  vieillards,  —  vous  croyez,  jeunes  gens, 
de  connaitre!  —  Mais  il  faut  que  Tage  nous  afflige,— 
ilfaut  pleurer,  il  faut  gemir:  — alors,  mais  beau- 
coup  trop  lard,  on  voit  et  on  connait. 


94  MIRfciO,   CANT  III. 

V&utri,  li  femo  tartavello, 

Se  I'espelido  pareis  bello, 
Leu-leu  que  p^r  carriero  anas  en  bardouiant : 

Fa  mi  magnan  qu'es  pas  de  cr^ii^e 

Goume  soun  b6u  !  Venes  lei  v6ire  ! 

L*Envejo  r6slo  pas  k  r^ire : 
Darri^  vous  k  la  chambro  escalo  en  remoumiant. 

—  Fan  gau !  te  dira  la  vesino ; 

Es  b^n  tout  clar  qu'as  ta  crespino  ! 
Mai  tant  leu  de  contro  elo  auras  vira  lou  ped, 

Te  ie  dardaio,  I'envejouso, 

Uno  espinchado  verinouso 

Que  te  li  brulo  e  te  li  nouso  ! . . . 
Es  I'auro,  dir^s  pi^i,  que  me  lis  engipe ! 

—  Disc  pas  qu*acd  noun  ie  fague, 
Respounde  Zeu.  Coume  que  vague, 

Poudieu  ben,  aqueu  jour,  barra  moun  fenestroun ! 

—  Di  verinado  que  I'iue  lan<?o, 
Quand  dins  la  t^sto  briho  e  danso, ' 
Fagu6  Taven,  n'as  dounc  doutango?... 

E  sus  Zeu  entremen  mandavo  d'iuefurouir. 

—  Oh !  pau-de-sen  qu*  erne  Tescaupre 
Furnant  la  mort,  creson  de  saupre 

La  vertu  de  I'abiho  e  lou  secret  d6u  meu ! 

Quau  t'a  pas  di  que,  davans  tenne, 

Pdu,  un  regard  lus^nt  e  ferme, 

D6u  femelan  torse  lou  germe, 
Di  vaco  poussarudo  agouta  li  mam^u ' 


MIREILLE,  CHA^T  III.  95 

«  Vous,  femmes  etourdies,  —  «i  re<;losion  parait 
belle,  —  vite,  vile  par  la  rue  allez  bavardant :  — 
«  Mes  vers  a  soie,  c*esl  incroyable  —  comme  ils  sonl 
beaux  !  Yenez  les  voir !  »  —  L'Envie  iie  reste  pas  eii 
arrifere  :  —  derri6re  vous,  a  la  chainbre,  elle  monte 
en  groinmelant. 


—  «  Us  font  plaisir  (a  voir) !  te  dira  la  voisine ; 

—  il  est  tout  clair  que  lu  es  iiee  coiffee  ^ !  »  — 
Mais  sit6t  que  d'^  c6t6  d  elle  tii  auras  tourn^  le  pied, 

—  Tenvieuse  leur  darde  —  une  oeillade  veniineuse 

—  qui  te  les  brAle  et  te  les  noue. . .  —  «  C  est  le  venl, 
direz-vous  ensuite,  qui  jne  les  pldtra  * !  » 


—  «  Je  ne  dis  pas  que  cela  n'Y  fasse,  —  r^pondit 
Iseult.  Quoi  qu'il  en  soit,  —  que  n'ai-je,  cc  jour-lS, 
clos  ma  fendtre !  »  —  «  Des  inal^fices  que  Toeil  lance, 
—  lorsqu'il  brille  et  danse  dans  la  t^te ,  —  re- 
pliqua  Taven,  tu  en  doutes  done?...  »  — Et  sur 
Iseult,  en  meme  temps,  elle  langait  des  yeux  ar- 
dents. 

— a  Oh !  inseuses!  qui,  avec  le  scalpel — fouillaiil  la 
inort,  croient  savoir  —  la  verlu  de  I'abeille  el  le 
secret  du  miel  1  —  Sais-tu  bien  si,  avant  terme,  — 
ne  peut,  un  regard  luisant  et  fixe,  —  tordre  le 
gerine  de  la  feinme,  —  des  vaches  mauielues  tarir 
les  pis? 


m  lilIR£lO,  CANT   III. 

Is  aucelouii  ven  la  inascoto, 
R6n  qu*k  Tasp^l  de  la  machoto ; 

All  regard  de  la  serp  degoulon  tout-d*abord 
lis  auco,...  c  souto  I'iue  de  Tome, 
Tu,  vos  qu*un  verme  noun  s'endrome?... 
Mai,  contro  Tiue  d6u  juvenonie, 

Quand  trespiro  Tamour,  la  ilamo,  o  I'estramboid, 

Mounte  es  la  chato  proun  savento 
Per  s'apara?  Quatre  jouv^nto 

Leiss^ron  de  si  man  escapa  li  coucoun : 
Que  fugue  en  jun,  fugue  en  6utobre, 
Toun  aguhioun  fau  toujour  qu'obre, 
Que!  ie  crideron,  viei poulobre ! 

Li  drole?...  digo-ie  qu'avan^on  un  brigoun ! 

Noun !  veni6  la  gaio  nin^io, 

N'en  voul^n  ges  !  parai,  Mireio? 
—  Se  descoucouno  pas,  fague,  16uli  li  jour : 

Sabe  une  fiolo,  dins  Testivo, 

Qu'anas  trouva  fort  agradivo... 

E  Mireio,  despachativo, 
Davalo  dins  lou  mas  escouiidre  sa  roujour. 

—  B611!  ieu,  mi  bono,  sieu  b^n  pauro  I 
Acoumence  la  fi^ro  Lauro. 

Mai  se,  d'escouta  res,  i^u,  I'avi^u  envela, 
Quand  lou  rei  de  Pamparigousto 
De  sa  man  me  farie  soumousto, 
Sarie  moun  chale,  ma  coungousto, 

Ue  lou  v^ire  set  an  k  mi  p^d  barbela ! 


i|IRElLLE,  CHAM  111.  07 

«  Les  oisillons  sonl  ensorcel^s — a  Taspect  seul  de  la 
chouette ;  —  au  regard  du  serpent,  (du  del)  toinbont 
soudain  —  les  oiey,...  et,  loi,  sousroeildeVhoiiiine, 
—  tu  veux  qu'un  ver  ne  sendoiiue  pas?...  —  Mais, 
centre  Foeil  du  jeune  honiine,  —  lorsqu'il  en  jaillit 
i'amour,  la  flamme  ou  Tenthousiasme, 

«  Ou  est  la  vierge  assez  savauie  —  pour  se  defen- 
dre?  »  Quatre  jouvencelles  —  laisserent  de  leurs 
mains  echappcr  les  cocons  :  —  «  Que  ce  soil  en  juiii 
ou  en  octobre,  —  il  faut  sans  cesse  que  ton  aiguillon 
soil  a  ToBuvre,  —  eh !  vieille  couleuvre!  lui  cri^rent- 
elles...  —  Les  gargons?....  dis-leur  d'approcher 
tant  soil  peu ! 

«  Non  I  s*ecriait  le  gai  troupeau  de  filles,  — 
nous  n*en  voulons  point !  n*est-ce  pas  Mireille?  »  — 
«  La  recolte  des  cocons  n'a  pas  lieu,  repondit-elle, 
tons  les  jours:  —  je  sais  une  bouteille,  dans  le 
cellier,  —  que  vous  allez  Irouver  fort  agreable.  »  — 
Et  Hireille,  legere,  —  descend  dans  la  inaison  pour 
cachcr  sa  rougeur. 

—  «  Kh  bien!  mes  bonnes  (amies),  je  suis  bien 
pauvre,  moi!  —  connnen^a  la  fi^re  Laure.  —  Mais 
si  de  n'ecouter  personne  j'avais  r^solu, — quand  le  roi 
de  Pamparigouste '  —  me  ferait  offre  de  sa  main,  — 
ina  volupt^,  ma  delectation  serait —  de  le  voir  sept 
aiis  k  mes  pieds  agoniser  d*amour  I  » 


08  MIRfciO,  CANT.  111. 

—  I6u  noun!  aqui  digue  Gieinenru. 

Se  quauque  r^i,  p6r  escasen^o, 
De  ieu  veni*  amourous,  pou  arribabessai, 

Subrelout  s'ero  jouine  e  leri 

E  lou  pu  beu  de  soun  emperi, 

Que,  senso  tant  de  refouleri, 
Me  leissesse  per  eu  mena  dins  soun  palai. 

Mai  uno  fes  que  m^aurie  inesso 

Emperairis  e  segnouresso, 
Erne  capo  ufanouso,  a  paparri  d*orfre, 

Em*  autour  de  ma  testo  caudo 

Dno  courouno  qu*esbrihaudo, 

R^n  que  de  perlo  e  d'esmeraudo, 
M*envendreu,ieu  la  reino,i  Baus,mounpaure  endre! 

Di  Bans  farieu  ma  capitalo ! 

Sus  lou  roucas  que  iuei  rebalo, 
De  nou  rebastirieu  noste  viei  castelas : 

I*apoundrieu  uno  tourrello 

0u'em6  sa  pouncho  blanquinello 

Ajougneguesse  lis  estello  1 
E  piei,  quand  voudrieu  unpauquetde  soulas, 

Au  tourrihoun  de  ma  lourriho, 

Senso  courouno  ni  mantiho, 
Soulelo  eme  moun  prince  amarieu  d'escala. 

Souleto  em'  eu,  sane,  ma  fisto ! 

Causo  de  bon  e  de  requisto 

Peralin  de  perdre  sa  visto^ 
Conlro  lou  releisset,  couide  a  couide  apiela ! 


BITREILIE,    CHANT  III,  99 

—  «  Non  pas  moi!  dit  \k  Cl6mence.  —  Si  quel- 
que  roi,  par  hasard,  —  de  moi  devenait  amoureux, 
il  pourrait  bien  sefaire,  — surtout  s*il  ^tait  jeuiie, 
brillant,  —  et  le  plus  beau  de  son  empire,  —  que, 
sans  tant  de  caprices,  —  je  me  laissasse  einmener 
par  lui  dans  son  palais. 


«  Mais  d^s  qu*il  m'aurait  mise  —  imp^ratrice  et 
souveraine,  —  avec  un  manteau  magnifique,  a  ra- 
mages  d'orfroi,  —  el  (qu*il  aurait)  ceint  ma  t^te  ar- 
dent e  —  d  une  couronne  qui  ^blouit  —  de  perles  et 
d*emeraudes,  —  je  m*enviendiais,  moi  la  reine,  mix 
Baux,  mon  pauvre  pays ! 


«  Des  Baux  je  ferais  ma  capitale !  —  Sur  le  rocher 

oil  il  rampe  aujourd'hui,  —  je  rebMirais^neuf  notre 

vieux  chftteauen  mine  :  — j'y  ajouterais  une  tourelle, 

—  qui,  de  sa  pointe  blanche,  —  attcignit  les  6toiles! 

^ — Fit  puis,  quand  je  voudrais  un  pen  de  sonlas, 


«  Au  donjon  de  ma  tourelle,  —  sans  couromie  ni 
manliile,  seule  —  avec  mon  prince,  j'aimerais  k  mon- 
ter.  -—  Seule  avec  lui,  ce  serait,  je  vous  jure !  — 
chose  plaisante  et  d6licieuse  —  (que)  de  perdre  au 
loin  sa  vue,  —  centre  le  parapet,  coude  k  conde, 
appuy^s » 


108891 


1<!0  MmrJO,  CANT   III 

De  veire  en  plen,  fasie  Clem^^o, 

Moun  gai  reiaume  de  Prouv^nQO 
Coiime  un  claus  d'arangi^  davans  ieu  s*espandi; 

E  sa  mar  bluio  estalouirado 

Soiilo  si  colo  e  si  terrado, 

E  li  grand  barco  abandcirado, 
Poujanto  k  plen  de  velo  i  ped  dou  Casteu  d*I ; 

E  Vent  our  que  lou  Iron  labouro, 
Ventour  que,  nenerablo,  aubouro 

Subre  11  mountagnolo  amatado  souto  6u, 
Sa  bianco  teste  fin  qu*is  astre, 
Coume  un  grand  e  viM  baile-pastre 
Qu'enlre  li  fau  e  li  pinaslre, 

Couta  *ine  soun  bastoun,  count^mplo  soun  vacien; 

E  lou  Rose,  ounte  tant  de  vilo 

Per  b6ure  v6non  k  la  filo 
En  lis^nt  e  cantant  s'amourra  toul-de-long, 

Lou  Rose,  tant  fi^r  dins  si  ribo, 

E  qirAvignoun  lant-l^u  arribo, 

Conusant  pamens  a  faire  gibo, 
Per  veni  saluda  Nostro-Damo  de  Dom; 

Ela  Dur6n?o,  aquelo  cabro, 

Alandrido,  feroujo,  alabro, 
Cue  rousigo  en  passant  e  cadee  rebMudin, 

Aquelo  chato  bonlegueto 

Que  v6n  d6u  pons  'm6  sa  dourgneto, 

E  que  degaio  soun  aigueto 
En  jougant  *m6  li  chat  que  Irovo  per  camin. 


MIUEILLE,  CHANT  III.  101 

«  De  voir  en  ploin,  disail  Cl6mence,  —  mon 
gai  royaume  de  Provence,  —  lei  qu*ua  clos  d'oran- 
gers,  devant  moi  s'6panouir;  —  etsa  mer bleue mol- 
lement  6tendue  —  sous  ses  colUnes  et  ses  plaines, 
—  et  les  grandes  barques  pavois6es  —  cingldnl  i 
pleine  voile  au  pied  du  Chateau  d'If. 


«  Et  le  Ventour'  que  laboure  la  foudre,  —  le  Ven- 
tour  qui,  venerable,  61eve  —  sur  les  montagnes  blot 
ties  au-dessouii  de  lui  —  sa  blanche  tMe  jusqu'aux 
aslres,  —  tel  qu'un  grand  el  vieux  chef  de  pasteurs 
—  qui,  entre  les  liMres  et  les  pins  sauvages,  —  ac- 
cole  de  son  b^lon,  contemple  son  troupoau ; 


«  Et  lo  Rh6ne,  ou  lant  de  cit^s,  —  pour  boire, 
viennenl  a  la  file,  —  en  riant  et  chantant,  plongor 
leurs  16vres,  tout  le  long;  —  le  Rli6ne  si  fier  daris 
ses  bords,  —  et  qui,  d^s  qu'il  arrive  a  Avignon,  — 
consent  pourtant  a  s'infl^chir,  —  pour  venir  saluer 
Notre-Danie  des  Doins; 


« Et  la  Durance,  celte  ch6vre, —  ardeiite  -^  la  course, 
farouche,  vorace,  —  qui  ronge  en  passant  et  cades  et 
argousiers;  —  cetle  fllle  s6millante  —  qui  vienl  du 
puits  avec  sa  cruche,  —  et  qui  repand  son  onde  — 
en  jouant  avec  les  gars  qu*elle  trouve  par  la  route.  » 


102  MIRfilO,  CANT  HI. 

Tout  en  dis^nt  ei^6,  CLem^n^, 

La  g^nto  r^no  de  Prouv^n^o, 
Qoit^  sa  cadiereto,  e  dins  lou  canesteu 

An^  veja  sa  faudadouno. 

Azalais,  bruno  chatouno, 

Em6  Vi6ulano,  sa  bessouno, 
(Qne  si  g^nt  d'Estoubloun  menavon  lou  casteu), 

Azalais,  bruno  cbatouno, 

Em6  Yi6ulano,  sa  bessouno, 
An  Mas  di  Falabrego  ens^n  veni«i  souv^nt. 

L*Araour,  aqu^u  terrible  gl^ri 

Qu'is  aino  t^ndro  e  nouvel^ri 

Se  plais  qu'^  faire  de  countr^ri, 
Favi^  douna  d'ardour  per  lou  meme  jouv^nt. 

Azalais  lev^  la  t^sto  : 

Fiheto,  perqu6  sian  en  ffesto, 
Meten,  dis,  qu'S  moun  tour  fugue  la  rfeino,  ieu! 

E  que  Marsiho  eme  si  velo, 

E  la  Ci6utat,  que  ris  em*  elo, 

Em6  Seloun  e  sis  amelo, 
B^ucaire  em6  soun  Prat,  tout  acd  fugue  ini6u ! 

—  Damiseleto  e  bastidano, 
D*Arle,  di  Bans,  de  Bai^bentano, 

;Diri^ii,  k  mounpalais  landas  coumed'aucou! 
Vole  chausi  li  s^t  pu  bello, 
E  pesaran  dins  Farchimbello 
L'amour  que  troumpo  o  que  barbelo... 

Gaiainen,  t6uti  set,  ven^s  teni  couns^ui 


MIREllLE,  CHANT   HI.  iOS 

Tout  en  disant  ceci,  Cl^mence,  —  la  geniiUe  reine 
de  Provence,  —  quitta  sa  chaise,  et  dans  la  corbeille 
—  alia  vider  son  tablier  plein.  —  Azalals,  brune  fll- 
lette,  — el  Violane,  sa  jumelle,  —  (leurs  parents,  du 
chateau  d'Estoublon  conduisaient  le  domaine); 


Azalais  •,  brune  iUlette,  —  et  Violane,  sa  jumello, 

—  au  Mas  des  Micocoules  venaieni  souvent  ensemble. 

—  L* Amour,  ce  Icrrible  hitin  —  qui,  aux  ftmes  ten- 
dres  et  nalves,  —  ne  se  plait  qu*a  faire  des  niches, 

—  les  avail  enflamm^  pour  le  m^me  jeune  homme. 


Azalais  leva  la  tSte :  —  a  Jeunes  fiUes,  puisqne  nous 
sommes  en  f^te,  —  admettons,  dit-elle,  qixk  mon 
tour  je  sois  reine,  moi !  —  et  que  Marseille  avec  ses 
voiles,  —  et  la  Ciotat,  qui  rit  avec  elle,  —  et  Salon  et 
ses  amandeSy  —  Beaucaire  avec  son  Pr6,  lout  cela 
m*appartienne ! 


— «  Demoiselles  etfiUes  des  champs, — d'Arles,  des 
Baux,  de  Barbentane,  —  dirais-je,  k  mon  palais  volez 
comme  des  oiseaux  1  —  Je  veux  choisir  les  sept  pins 
belles,  —  et  elles  pteeront  dans  la  balance  —  Tamour 
trompeur  ou  brilklant  do  d^sir...  —  Toutes  les  sepl, 
venez  gaiement  teoir  conseil !  » 


101  MIRKIO,  CANT  III. 

N*  i*a  pas  per  6slro  maucourado, 
Se  i'a  n  pareu  que  Wn  s*agrado, 

Que,  la  mita  d6u  lems,  noun  posque  s'aparia? 
Mai  ieu,  Azalals  la  r6ino, 
Dins  moun  emperi,  malapeino  ! 
De  quauco  injusto  e  laido  g^ino 

Se  jamai  un  par^u  se  v^i  countraria, 

Au  tribunau  di  set  chatouno 
Trouvara  lei  que  ie  perdouno ! 

Per  joui^u  o  p6r  or,  de  sa  raubo  d*ounour 
Quau  fara  pache  ;  a  sa  mestresso 
Quau  fara  *scorno  vo  traitesso, 
Au  tribunau  di  set  bailesso 

Trou varan  lei  terriblo  e  venjanco  d'a incur ! 

E  quand  per  uno  se  rescontro 
'         Dous  calignaire ;  vo,  per  contro, 
Quand  se  vei  dos  cliatouno  amourouso  que  d'un, 
Vole  que  lou  couns^u  designe 
Quau  niies  anie,  quau  mies  caligne, 
E  d'eslre  ama  quau  es  pu  digne. 
Enfin,  e  per  coumpagno  au  b^u  dainiselnn, 

SM  felibre  vole  que  vengon ; 

E,  'm6  de  mot  que  s'endev^ngon, 
E  mounte  enaussaran  lou  noble  roudelet, 

Vole  qu'escrigon  sus  de  rusco 

0  sus  de  fueio  de  lambrusco 

Li  16i  d*amour ;  e  tau  di  brusco 
Lou  bon  men  coulo,  tau  van  coula  si  coublct. 


MIREILLE,    CHANT   HI.  10.) 

«  N*est-ce  pas  decourageant,  —  s'il  est  un  couple 
qui  bien  s* agree,  —  que,  la  moitie  du  temps,  il  ne 
piiisse  s*unir  ?  —  Mais  moi,  Azalais  la  reine,  —  dans 
man  empire,  je  vous  Vatteste!  —  par  quelque  g^ne 
injuste,  odieuse,  —  si  jamais  un  couple  se  volt  coiv 
trari6, 


«  Au  tribunal  des  sept  Jeunes  fiUes  —  il  trouvera 
loi  de  cl^mence !  —  Pour  joyau  ou  pour  or,  de  sa 
robe  dlionneur  —  qui  fera  pacte ;  a  son  amante  — 
qui  fera  insulte  outrabison,  —  au  tribunal  des  sept 
baillives  —  trouvera  loi  terrible  et  vengeance  d'a^ 
mour! 


«  Et  quand,  pour  une,  il  se  rencontre  —  deux 
amants ;  ou  au  contraire,  —  lorsqu'on  voit  deux  jeu- 
nes filles  amoureuses  du  m^me,  — je  veux  que  le 
conseil  designe  —  qui  mieux  aime,  qui  mieux  cour- 
tise  —  et  qui  est  plus  digne  d'dtre  aim6.  — Enfin,  et 
pour  compagnie  aux  belles  demoiselles, 


«  Je  veux  qu'il  vienne  sept  poetes ;  —  et  avec  des 
mots  qui  s*accordent^  —  et  dans  lesquels  ils  exalte- 
ront  le  noble  choeur,  —  je  veux  qu*ils  ecrivent  sur 
des  ecorces  —  ou  sur  des  feuilles  de  vigne  sauvage 
—  les  lois  d/amour ;  et  tel  —  le  bon  miel  coule  des 
rucbes,  tels  vont  couler  leurs  couplets. » 


106  MinftlO,  CANT  III. 

Aiitan,  di  pin  souto  lou  t^ume, 

Ansin  Faneto  de  Gani^ume 
Devie  parla  segur,  quand  soun  front  estela 

De  Roumajiin  e  dis  Aupiho 

Enluminavo  li  mountiho ; 

Ansin  la  Coiimtesso  de  Dio, 
Quand  teni^  court  d'amour,  segur  devi^.  parla. 

Mai,  k  sa  man  tenant  un  flasco, 
Bello  coume  lou  jour  de  Pasco, 
Dins  la  chambro  di  femo,  en  aqueu  t^ms  d'aqui, 
Mir6io  6ro  tourna  vengudo : 

—  An  !  se  fasian  uno  begudo  ! 
Aco  'sgaiejo  la  batudo, 

Fague ;  femo,  aparas,  avans  de  persegui. 

E  ddu  flasquet  ben  garni  d*aufo, 

La  liquoureto  que  rescaufo, 
Dins  )a  tasso,  aderren,  rai6  coume  un  fi6u  d'or. 
—  16u  Tai  facho,  aquelo  men^stro, 

Digu6  Mireio;  s'amaj^slro 

Quaranto  jour  sus  la  fen^stro, 
Per  fin  que  lou  souleu  n'adoucigue  Ion  fort. 

Ta  de  Ires  erbo  de  mountagno  ; 
E  lou  sumoustat  que  li  bagno 
N'en  gardo  uno  sentour  qu'embaimo  Testouma. 

—  Mai,  que !  Mireio,  —  veici  qu'uno 
V(;n  ft-n-aquesto,  —  ve,  chascuno, 

Se  quauquc  jour  fero  en  fourtuno, 
Nous  a  di  ce  que,  r6ino,  auri6  lou  mai  ama  *, 


MIRElLIiE,  CHANT  III  i07 

Jadis,  sous  le  couvert  des  pins,  —  ainsiFaiiette  de 
Gantelme  •*  —  devait  parler  assurement,  quand  son 
front  eloile  —  des  Alpines  et  de  Romanin  —  illumi- 
naitlescollines;  —  ainsi  la  Comtesse  de  Die  *S  — 
lorsqu'elle  tenait  cour  d^amour,  assurement  devait 
parler. 

Mais,  a  la  main  tenant  un  flacon,  —  belle  coirmie 
le  jour  de  Piques,  —  dans  la  chambre  des  femmes, 
pendant  ce  temps-la,  —  Mireille,  de  nouveau,  etait 
venue  :  —  «  Allons!  n*est-il  pas  temps  de  boire?  — 
Qa  ^gaye  le  travail,  —  dit-elle ;  femmes,  tendez  (la 
coupe),  avant  de  poursiiivre.  » 

Et  du  flacon  garni  de  sparterie  —  la  liqueur  qui 
rechauffe,  —  dans  la  tasse,  tour  k  tour,  coula  comine 
un  fild*or.  —  «  J*ai  fait  moi-m^me  cet  Elixir,  —  dit 
Mireille ;  il  s'61abore  —  quarante  jours  sur  la  fen^tre, 
—  afin  que  le  soleil  en  adoucisse  TAcrele. 


«  II  y  entre  de  trois  herbes  de  montagne,  —  et  le 
sunnout  qui  les  baigne  —  en  garde  une  senteur  qui 
embaume  la  poitrine.  »  —  «  Mais  6coute,  Mireille ! 
soudain  dit  I'une  (d'elles)  —  k  celle-ci,  vois-tu,  cha- 
cune,  —  si  quelque  jour  elle  etait  dans  Fopulence, 
^— nous  adit  ce  que,  reine,  elleauraitle  mieux  aim6  j 


108  MlftEIO,  COT  m. 

Tu  pereii,  digo  leu,  Mirfeio, 
Digo-nous  tamWn  toun  ideio ! 
—  Que  voul^s  que  vous  digue?. .  Urouso  eiue  mi  gent , 
A  noste  mas  de  Crau  couniento, 
Fa  pas  ren  autre  que  me  t^nto. 

—  Ah!  fague  1or  uno  jouvento, 
Verai,  ce  que  t'agrado  es  ni  d'or  ni  d*argeiit ! 

Mai,  un  matin,  ieu  m'ensouveno... 

(Perdouno-me,  se  noun  lou  tene, 
Mireio!),  ero  un  dimars;  venieu  de  busca'a ; 

Coume  anave  estre  k  la  Crous-Blanco, 

Eme  moun  fais  de  bos  sus  Tanco, 

T'entreveguere,  dins  li  branco, 
Que  parlaves  cm*un,  proun  escarrabiha !.... 

— -  Quau?  quau?  erid^ron.  De  mounte  ero? 

—  Eme  lis  aubre  de  la  terro, 
Nourado  respounde,  destriave  pas  ben ; 

Mai,  se  noun  Iroumpo  lou  pareisse, 
Me  sembl6  ben  de  recouneisse 
Aqueu  que  li  pani6  saup  teisse, 
Aqueu  Valabregan  que  ie  dison  Vinc^n. 

—  Oh !  la  capouno,  la  capouno ! 
Esclafigueron  lichatouno. 

Avie'nvejo,  pareis,  d*un  poulil  gourbelin, 

E  i'a  la  *ncr^ire  au  panieraire 

Que  lou  voulie  per  cahgnaire! 

Oh !  la  pu  bello  d6u  terraire 
Uu  a  chausi  per  galani  Yincen  lou  rampelin ' 


NIREILLE,  CHANT  III.  109 

«  Toi  aussi,  dis  vite,  Mireille,  —  dis-nousdemtoe 
Ion  idee  !»■:—«  Que  voulez-vous  que  je  vous  dise?. . . 
Heureuse  avec  mes  parents,  —  contente  en  noire  mas 
de  Crau,  —  il  n*est  rien  autre  qui  me  tente.  »  — 
«  Ah!  dit  lors  une  jouYencelle,  —  il  est  vrai,  ce 
cpii  te  plait  n'est  ni  d*or  ni  d'argent ! 


«  Mais,  un  matin,  je  mesouviens...  —  (pardonne- 
moi,  si  je  ne  le  tais,  —  Mireille !)  C*6tait  un  mardi ;  je 
Yenais  dc  glaner  des  billchettes;  —  comme  j'allais 
^tre  k  la  Croix-Blanche,  —  (portant)  sur  la  hanche 
mon  fagot  de  bois,  —  je  fentrevis  dans  les  bran- 
chages  —  parlant  avec  quelqu  un,  assez  degourdi!  » 


—  «  Qui?  qui?  crierent-elles,  d'ou  etail-il?  »  — 
a  Avec  les  arbres  du  len-ain,  —  repartit  Norade,  j*a- 
vi\is  peine  k  distinguer ;  —  mais  si  le  paraitre  n'est 
pas  frompeur,  —  il  me  sembla  fort  reconnaitre  — 
cdui  qui  sait  tisser  les  paniers,  —  ce  (gars)  de  Vala- 
bregue  qu'on  appelle  Vincent.  » 


—  «  Oh!  la  friponne,  la  fripomie!  —  dirent  les 
jeunes  fiUes  en  riant  aux  Eclats ;  —  elle  avait  envie, 
apparemment,  d'un  joli  corbillon,  —  et  elle  a  fait  ac- 
croire  au  vannier  —  qu*elle  le  voulait  pour  amant! 
—  Oh!  la  plus  belle  du  terroir  —  qui  a  choisi  pour 
galant  Vincent  le  va-nu-pieds!  » 


10 


MO  MIUEIO.  CANT  III. 

K  la  galejavon.  Tout-d'uno, 

hi  sus  la  caro  de  caduno 
Perinenant  tout  au  tour  un  regard  de  gaUs  : 

Malavalisco  vftutri,  pfeco ! 

Fague  Taven.  Que  la  Roum^ 

Vous  rendegu^sse  tduti  m^  1 
Passant  lou  bon  Di^u  dins  soun  camiii  d*Alis, 

Que  se  n*en  trufarien,  esturto  > 
D*aqu^u  Vinc6n,  k  touto  zurto, 

Ks  beu,  parai?  de  lire ! ...  E  sab^s  ce  que  teiu 
Paure  que  paure?...  Aus^Touracte  : 
Meme  davans  soun  tabernacle, 
Di^u,  uno  fes,  moustre  miracle! 

Vous  lou  pode  afourti,  s'6i  passa  demount^m. 

Ero  un  pastre  :  touto  sa  vido, 

L*avi^  passado  assouvagido, 
Ditis  Taspre  Luberoun,  en  gardant  soun  av^. 

Enfln,  de-vers  lou  ^amenl^ri 

'Sentent  plega  soun  cors  de  ferri, 

A  I'ermitan  de  Saul  Ouqueri 
Voii^ue  se  counfessa,  coume^ro  soun  deve. 

Soul,  esniarra  dins  la  Vaumasco, 
Deseinpiei  si  proumieri  pasco, 

Dins  gleiso  ni  capello  avie  pu  mes  li  ped ; 
ravi6  passa  de  la  meniori 
Meme  sis  ourol...  De  sa  bori 
Eu  mounle  dounc  a  Termitdri, 

E  davans  Termilan  jusqu*au  s6u  se  courbe* 


IIIRErLLE,  CHANT  III.  Ill 

Et  elles  la  plaisantaient.  Aussitdt,  —  et  sur  le  vi- 
sage de  chacune  —  proinenaiit,  tout  autour,  uii  re- 
gard oblique  :  — « Maudites  soyez-vous,  p^cores !  — 
s'^cria  Tavfen.  La  Roumeque  "  —  puisse-t-elle,  toutes, 
vous  stupefler!  —  Passerait  le  bon  Dieii  dans  son 
chemin  elys6en, 


a  Qu'elles  s'en  moqueraient,  les  foUes !  —  De  ce 
Vincent,  inconsid6r6menl,  —  il  est  beau,  n*est-ce 
pas?  de  rire !...  Et  savez-vous  ce  qui  est  en  lui,  -^ 
quelque  pauvre  qu'il  soit?...  Ecoutez  Toracle  :  — 
devant  son  tabernacle  m^me  —  Dieu  une  fois  montra 
miracle!  —  Je  puis  vous  raffirmer,  (cela)  s'est  passe 
de  mon  temps 

«  C'itait  un  p^tre  :  toute  sa  vie,  —  il  Tavait  pas- 
s6e,  sauvage,  —  dans  Tapre  Luberon  '*,  en  gardant 
sontroupeau.  —  Enfin  devers  le  cimetifere  —  sentaiit 
son  corps  de  fer  ployer,  —  k  Termite  de  Sainl-Eu- 
cher  —  il  voulut  se  confesser,  comme  c'6tail  son  de- 
voir. 


((  Seul,  perdu  dans  la  Valmasque  ^*,  —  depuis  ses 
premieres  piques,  —  dans  ^glise  ou  cbapelle  il  n'^- 
tait  plus  entr6 ;  —  avaient  fui  de  sa  m^moire  — 
m^me  ses  pri6res!...  De  sa  cabane  —  il  monta  done 
a  Termitage,  —  el  devant  Termite  jusqu'4  t<*rre  il  sf 
courba. 


112  MIRfllO,  CANT  III. 

—  De  que  vous  acusas,  raoun  fraire? 
Digu6  lou  capelaii.  —  Pecaire! 

Respoundegu6  lou  vi^i,  ieu  m'acuse  qu'uu  cop, 
Dins  moun  troup^u,  un  galapastre 
(Qu'es  un  auc^u  ami  di  pastre) 
Voulaslrejavo. . .  P6r  inalastre 

Tnftre  em'un  caiau  lou  paure  guigno-co ! 

—  Se  noun  lou  fai  k  b^l  espr^ssi, 
Aquel  ome  d^u  ^stre  n^sci ! 

Pens^  rermito...  E  l^u  roump^nt  la  counfessioun : 

Anas  penja  su  'quelo  barro, 

le  fai  en  estudiant  sa  caro, 

Vostc  mant^u,  que  i6u  vau  aro, 
Moun  fraire,  vous  douna  la  santo  assoulucioun. 

Aquelo  barro  que  lou  pr6ire, 

P6r  lou  prouva,  ie  fasi^  v6ire, 
firo  un  rai  de  soul6u  que  toumbavo  en  galis 

Dins  la  capello.  —  De  sa  Jargo 

Lou  bon  viei  pastre  se  descargo, 

E,  creser6u,  en  Ter  la  largo... 
E  la  jargo  tengu^,  pendoulado  au  rai  lisc! 

—  Ome  de  Dieu !  crid6  Termito.... 
E  tout-d*un-t6ms  se  precepito 

I  gpinoun  d6u  sant  pastre,  en  plourant  soun  sadou 

—  I6u,  se  pdu-li  que  vous  ass6ugue? 
Ah !  de  mis  iue  que  Taigo  pl6ugue, 

E  sus  i^u  vosto  man  se  m6ugue, 
Que  vous  sias  un  santas,  e  i^u  un  pecadou ! 


MIREILLE,  CHANT  III.  115 

—  «  De  quoi  vous  accusez-vous,  mon  frere?  »  — 
dit  le  chapelain.  —  «  Helas !  —  r6pondit  le  vieillard, 
(voici  ce  dont)  je  m* accuse  :  une  fois  —  dans  mon 
Iroupeau,  une  bergeronnetle  —  (qui  est  un  oiseau 
ami  des  bergers)  —  voletait...  Par  malheur,  —  je 
Inai  avec  uncaillou  le  pauvre  hoche-queue!  » 


—  S*il  ne  le  fait  k  dessein,  —  cei  homme  doit  ^tre 
idiot!  — pensarermite....  Et  aussit6t,  brisant  la 
confession  :  —  «  Allez  suspendre  a  cette  perche,  — 
lui  dit-il  en  6tudiant  son  visage,  —  YOtre  manteau, 
car  je  vais  maintenant,  —  mon  frere,  vous  donner  la 
sainte  absolution.  » 


La  perche  que  le  pr^re,  —  afm  de  Teprouver , 
lui  montrait,  —  6lait  un  rayon  de  soleil  qui  tombait 
obliquement  —  dans  la  cbapelle.  De  son  manteau  — 
le  bon  vieux  pAtre  se  decharge,  —  et,  cr^dule,  en  Tair 
lejette....  —  Etle  manteau  resta,  suspendu au rayon 
lisso » 


—  «  Homme  deDieu!  »  s'ecria  Termite....  —  Et 
aussildt  de  se  pr6cipiter  —  aux  genoux  du  saint 
p^tre,  en  pleurant  a  chaudes  larmes  :  —  «  Moi,  se 
peut-il  que  je  vous  absolve?  —  Ah !  que  Teau  pleuve 
de  mes  yeux !  —  et  sur  moi  que  votre  main  so  meuve, 
—  car  vous  6tes,  vous,  un  grand  saint,  et  moi  uup6- 
chcnr!  » 

ID. 


lU  NlRftlO,  CANT  MI. 

E  Tayen  fenigu^  soun  dire. 
I  chato  avi6  coupa  lou  rire. 

—  Acd  mostro,  Laureto  alor  ajust6  'nsiii, 
Ac6  mostro,  e  noun  lou  count^sti, 
Que  noun  fau  se  trufa  d6u  vi^sti, 
E que  de tout  p6u  bono  b&sti. ... 

Mai,  chato,  revenen.  Goume  un  gran  de  rasin, 

Nosto  jouineto  majouralo, 

Ai  vist  que  veni6  vermeialo, 
Tniit  16u  que  de  Vinc^n  lou  dous  noum  s'ei  ausi;. 

Ta  mai  que  mail...  Vejan!  poulido, 

Quant  dur^  de  t^ms  la  culido? 

En  est^nt  dous,  Touro  s'6ubiido, 
Es  que!  'me'n  calignaire,  av6s  toujour  lesi!... 

—  Travaias,  descoucounarello ! 
•     N'  i'a  panca  proun,  galejarello? 

Mir^io  respound6;  farias  dana  li  sant! 

Oh!  dis,  mai  ve!  p6r  vous counfoundre 
Pu  16u  que  de  me  veire  apoundre 
A-n-un  marit,  me  vole  escoundre 

En  un  convent  de  mourgo,  k  la  flour  de  mis  an. 

—  Tan-deran-lan !  tan-deran-16ron ! 
T6uli  li  chato  ensen  cantferon. 

Anen !  eic6  sara  la  hello  Hagali, 

Magali,  que,  d6u  grand  esgUsi 
Qu*avi6  perFamourous  est^si. 
En  Arle  au  couv^t  de  Sant-Bl&si, 

Touto  vivo,  ame  mai  courre  s'enseveli. 


MIREILLE,  CHANT  III.  115 

Et  Tav6n  termina  son  r6cit.  —  Aux  jeunes  lilies 
elle  avait  coup6  le  rire.  —  «  Cela  moiitre,  lore  ajoula 
Laurette,  —  cela  montre,  et  je  ne  le  conleste  pas,  — 
qu  il  ne  faut  point  se  inoquer  de  Thabit,  —  et  qu*(il 
pent)  de  tout  poll  (y  avoir)  bonne  b^te...  —  Mais, 
fiUes,  revenons.  Comme  un  grain  de  raisin, 


(( Notre  jeune  maitresse,  —  (je  I'ai  vu),  estdevenue 
vermeille,  —  sit6t  que  de  Vincent  le  doux  nom  s'est 
GUI...  —  La  est  quelquemystdre,.,  Voyons,  belle,  — 
combien  de  temps  dura  la  cueillette?  —  En  6tant 
deux,  rheure  s'oublie;  —  avec  un  amant,  on  a  ton- 
jours  du  loisir !  » 


—  «  Travaillez,  detachez  les  cocons !  —  N*esl-ce 
point  encore  assez,  railleuses?  —  Hireille  r^pondit; 
vous  feriez  damner  les  saints!  —  Oh!  mais,  pour 
vous  confondre,  dit-elle,  —  plutot  que  de  me  voir 
luiir  —  a  un  mari,  je  veux  me  cacher  —  en  un  cou- 
vent  de  nonnes,  h  la  fleur  de  mes  ans.  » 


—  «  Tra  la  la  I  tra  la  la !  -—  Toutes  les  filler 
chanterent  ensemble.  —  Allons!  ce  sera  U  la  belle 
Magali,  — Magali,  dont  telle  6lait  I'horreur  —  pour 
Famoureuse  extase,  —  qu'en  Aries,  au  couvent  de 
Saint-Blaise,  — elle  aima  mieux,  toute  vive,  aller  s'en- 
sevelir. 


no  MIRfilO,  CANT  III. 

Noro,  an!  d'aut!  tu  que  tant  ben  cantes, 
Tu  que,  quand  vos,  I'ausido  espantes, 

Cianto-ie  Magali,  Magali  qu'&  i'amour 
Escapavo  p6r  milo  escampo, 
Magali  que  se  fasie  pampo, 
Auc^u  que  volo,  rai  quelampo, 

E  que  iQumbe  pamens,  amourouso  a  soun  tour. 

—  0  Magali,  ma  tant  arnado!... 

Coumence  Noro;  e  I'oustalado 
A  I'obro  redouble  de  gaieta  de  cor; 

E  couine,  quand  d'uno  cigalo 

Brusis  la  cansoun  estivalo, 

En  Cor  t6uli  rcprenon,  lalo 
Li  chalouno  au  refrin  partien  I6ulis  en  Cor. 


MAGAI.l 


0  Magali,  ma  tant  amado, 
Mete  la  teslo  au  fenestroun  I 
Escoulo  un  pau  aqueslo  aubado 
De  tambourin  e  de  viouloun. 

Ei  plen  d*estello,  aperamount! 

L'auro  es  toumbado, 
Mai  lis  estello  paliran, 

Quand  te  veiran! 


MIREILLE,  CHANT  III.  117 

«  AUons !  Nore,  toi  qui  chantes  si  bien ,  —  toi 
qni,  quand  tu  le  veux,  ^merveilles  Touie,  —  chante- 
Ini  Magali,  Magali  qui  k  Tamour  •--  ^chappait  par 
mille  subterfuges,  —  Magali  qui  se  faisait  pampre, 
—  oiseau  qui  vole,  rayon  qui  brille,  —  el  qui  tomba, 
pourtant,  amoiircuse  a  son  tour.  » 


—  ((0  Magaliyma  tantaimee!,.,. »  —  commen^i 
Nore;  et  lamaisonn^ — k  I'ouvrage  redoubla  de  gaiete 
de  coeur,  —  et  telles,  quand  d'une  cigale  —  bruit  la 
chanson  d'6t6,  —  toules  (les  autres)  en  clioeur  re- 
.prennent,  telles  —  les  jeunes  fllles  au  refrain  par- 
taient  toutes  en  chopur. 


MAGALI 


«  0  Magali,  ma  tant  aimee,  —  mets  la  t^te  k  la  fe- 
r.6tre !  —  Ecoute  un  peu  cclte  aubade  —  de  lambou- 
riiis  etdeviolons. 


(Le  ciel)  est  l&-haut  plein  d'^toiles.  —  Le  vent  est 
tombe,  —  niais  les  etoiles  p^liront  —  en  le  voyanl.  » 


118  MIR6I0,  CANT  III. 

—  Pas  mai  que  d6u  murmur  di  broundo 
De  toun  aubado  i^u  fau  casi 

Mai  i6u  m'envau  dins  la  mar  bloundo 
Me  faire  anguielo  de  roucas. 

—  0  Magali !  se  tu  te  fas 

Lou  p^is  de  l*oundo, 
leu,  lou  pescaire  me  farai, 
Te  pescarai ! 

—  Oh!  mai,  se  tu  te  fas  pescaire, 
Ti  vertodet  quand  jitaras, 

I^u  me  farai  Tauc^u  voulaire, 
MVnvoularaidins  li  campas. 

—  0  Magali,  se  tu  te  fas 

L'auceu  de  Tairo, 
leu  Ion  cassaire  me  farai, 
Te  cassarai. 


—  I  perdigau,  i  bouscarido, 
Se  v6nes,  tu,  cala  ti  las, 
leu  me  farai  Terbo  flourido 

E  m'escoundrai  dins  li  pradas. 

—  0  Magali,  se  tu  te  fas 

La  margarido, 
leu  Taigo  lindo  me  farai, 
T'arrousarai. 


MiREILLE,  CHANT  HI.  HO 

—  «  Pas  plus  que  dumurmure  des  branches  —  de 
ton  aubade  je  ne  me  soucie!  —  Mais  je  m'en  vais  dans 
la  mer  blonde  —  me  faire  anguille  de  rocher.  » 


—  «  OMagali,  si  tu  ie  fais  —  le  poisson  de  Tonde, 
—  moi,  le  pftcheui*  je  me  ferai,  —  je  te  p^cherai!  » 


-  «  Oh !  mais,  si  tu  te  fais  p^cheur,  —  quand  tu 
jetteras  tes  verveux,  —  je  me  feral  Toiseau  qui  vole, 
— je  m'envolerai  dans  les  landes.  » 


—  «  0  Magaii,  si  tu  te  fais  —  Toiseau  de  Tail*,  — 
je  me  ferai,  moi,  le  chasseur,  — je  te  chasscrai.  » 


—  «  Aux  perdreaux,  aux  becs-iins,  —  si  tu  viens 
tendre  tes  lacets,  —  je  me  ferai,  moi,  Therbe  fleurie, 
—  et  me  cadierai  dans  les  pres  vastes.  » 


*—  «  0  Magaii,  si  tu  te  fais  —  la  marguerite,  — jo 
u  ferai,  moi,  Teau  limpide,  —  je  t'arroserai.  » 


tiie 


1'20  MIRtllO,  CAM  III. 

—  Se  tu  te  fas  Taigueto  lindo, 
i^u  me  farai  lou  nivoulas, 

E  l^u  m*enanarai  ansindo 
A  rAmerico,  perabas ! 

—  0  Hagali,  se  tu  t*en\as 

Alin  is  Indo, 
L'auro  de  mar  ieu  me  farai, 
Tepoiirlarai! 


—  Se  tu  te  fas  la  marinado, 
leu  fugirai  d'un  autre  las  : 
leu  me  farai  rescandikado 

D6u  grand  soul^u  que  found  lou  glai^l 

—  0  Magali,  se  lu  te  fas 

La  souleiado, 
Lou  verd  limbert  i^u  me  farai, 
E  Ic  beurai ! 


—  Se  tu  te  r^ndes  Talabreno 
Que  se  rescound  dins  lou  bertas, 
I^u  me  rendrai  la  luno  pleno 
Que  dins  la  nine  fai  lume  i  masc! 

—  0  Magali,  se  tu  fas 

Luno  sereno, 
leu  bello  n^blo  me  farai, 
T'acatarai. 


MIUEELLE.  CHANT  111.  121 

—  «  Si  til  te  fais  Tonde  linipide,  —  je  me  ferai, 
moi,  le  grand  nuage,  —  et  promptement  m'en  irai 
ainsi  —  en  Am^rique,  la-bas  bien  loin !  » 


—  «  0  Magali,si  tu  t'en  vas —  aux  loinlaines 
hides,  —  je  me  ferai,  moi,  le  vent  de  mer,  — je  le 
porterai! » 


—  ft  Si  tu  te  fais  le  vent  inariii,  —  Je  fuirai  d'un 
autre  c6te  :  —  je  me  ferai  I'^chappee  ardente  —  du 
grand  soleil  qui  fond  la  glace !  o 


—  «  0  Magali,  si  tu  te  fais  —  le  rayonnemenl  du 
soleil,  — je  me  ferai,  moi,  le  verd  lezard,  —  et  te 
boirai.  » 


—  «  Si  tu  te  rends  la  salamandre  —  qui  se  cacli<^ 
dans  le  hallier,  —  je  me  rendrai,  moi,  la  lune  pleine 
—  qui  ^claire  les  sorciers  dans  la  nuit !  » 


—  «  0  Magali,  si  tu  te  fais  —  lune  sereine,  —  je 
me  ferai,  moi,  belle  brume,  —  je  t*envelopperai. « 


11 


122  MlBfilO,  CANT  III. 

—  Mai  se  la  neblo  m'enmantcUo, 
Tu,  per  aco,  noun  me  tendras ; 
leu,  bello  roso  vierginello, 
M'espandirai  dins  respinas! 

—  0  Magali,  se  tu  le  fas 

La  roso  bello, 
Lou  parpaioun  i6u  me  farai, 
Te  beisarai. 


—  Vai,  calignaire,  courre,  courre! 
Jainai,  jamai  m'agantaras. 
leu,  de  la  rusco  d'un  grand  roure 
Me  veslirai  dins  lou  bouscas. 


—  0  Magali,  seta  tefas 
L'aubre  di  nioure, 

leu  lou  clot  d'^urre  me  farai, 
T'embrassarai! 


—  Se  me  vos  prene  a  la  brasseto, 
Hen  qu'un  vi6i  chaine  arraparas... 
leu  me  farai  bianco  moungeto 

D6u  mounastie  d6u  grand  Sant  Bias  1 

—  0  Magali,  se  tu  te  fas 

Mounjo  blanqueto, 
ieU)  capelauj  counfessai^aij 
E  t'ausirai ! 


MIIVEILLE,  CHANT  III.  ir> 

—  «  Mais  si  la  brume  m'enveloppe,  —  pour  cela 
tu  ne  me  tiendras  pas ;  —  moi,  belle  rose  virginale, 
—  je  m'£panouirai  dans  le  buisson ! » 


—  4  0  Magali,  si  tu  te  fais  —  la  rose  belle,  —  je 
me  ferai,  moi,  le  papillon,  — je  te  baiserai. » 


—  <  Va,  poursuivant,  cours,  cours !  —  jamais, 
jamais  tu  ne  m'atteindras.  —  Moi,  de  I'^corce  d*un 
grand  ch^ne  —  je  me  T^tirai  dans  la  forM  sombre. » 

—  «  0  Magali,  si  tu  te  fais  —  Tarbre  des  mornes', 
—  je  me  ferai,  moi,  la  touRe  de  lierre,  —  je  t*em- 
brasserai!  » 


—  «  Si  tu  veux  me  prendre  k  bras-lc-corps,  —  lu 
ne  saisiras  qu'un  vieux  ch^ne...  —  Je  me  ferai  blan- 
che nonnette  —  du  monast^re  du  grand  Saint  Blaise! » 


—  ((0  Magali,  si  tu  te  feis  —  nonnette  blanche, — 
—  moi,  pr6tre,  k  confosse  —  je  t'entendrai !  » 


121  MIRfilO,  CANT  III. 

Aqui  li  femo  ressaut^ron ; 

Li  rous  coucoun  di  man  toumb^ron.. 
E  cridavon  a  Noro  :  Oh !  digo,  digo  pi^i 

Ce  que  fagu^,  'n  estM  moungeto, 

Hagali,  que  deja,  paureto ! 

S*6i  facho  roure  emai  floureto, 
Luno,  soul^u  e  nivo,  erbo,  auceloun  e  p^i. 


—  De  la  cansoun,  reprengu6  Noro, 
Vous  vau  canta  ce  que  demoro. 

NVrian,  se  m'ensouv^n,  au  rode  ounte  elo  dis 
Que  dins  la  clastro  vai  se  traire, 
E  que  respond  I'ard^nt  cassaire 
Que  i*  intrara  p6r  counfessaire.. 

Mai  d  elo  tournaniai  aus6s  Tenlravadis  : 


—  Se  d6u  couv6nl  passes  li  porto, 
T6uli  li  mounjo  trouvaras 
Qu'a  moun  entour  saran  pfer  orlo, 
Car  en  sus^ri  me  veiras ! 


—  0  Magali,  se  tu  te  fas 
La  pauro  morto, 

Adounc  la  terro  me  farai, 
Aqui  t*aurai ! 


MIREILIE,  CHANT  III  125 

Lk  les  femmestressaillirent; — les  cocons  roux  tom- 
berent  des  mains,  —  et  elles  criaient  k  Nore :  «  Oh! 
dis,  dis  ensuite  —  ce  que  fit,  etant  nonnain,  —  Ma- 
gali,  qui  d6ji,  pauvrettel  — s'est  fg^ite  chene  et  fleur 
aussi,  —  lune,  soleil  et  nuage,  herbe,  oiseau  et 
poisson.  » 


—  «  De  la  chanson,  reprit  Nore,  —  je  vais  vous 
chanter  ce  qui  reste,  —  Nousen^tions,  s'il  m*en  sou- 
vient,  k  Tendroit  on  elle  dit  —  que  dans  le  cloitre  elle 
va  se  jeter,  —  et  ou  Tardent  chasseur  r^pond  —  qu'il 
y  entrera  commeconfesseur... — Mais  de  nouveau, 
oyez  Tobstacle  qu'elle  (oppose) : 


—  «  Si  du  convent  tu  passes  les  portes, —  lu  trou- 
veras  toutes  les  nonnes  —  autour  de  moi  errantes, 
—  car  en  suaire  tu  me  verras  \  j» 


—  «  0  Magali,  si  tu  te  fais  —  la  pauvre  morte,  — 
adoncques  je  me  ferai  la  terre,  —  \k  je  t'aurai !  » 


120  MIRfilO,  CANT  III. 

—  Aro  coumence  enfin  de  cr^ire 
Que  noun  me  paries  en  ris^nt : 
Yaqui  moun  aneloun  de  v^ire 
Per  souven^nQO,  o  b^u  jouvent! 

—  0  Magali>  me  fas  de  b6n!... 

Mai,  tre  te  \6ire, 
Ye  lis  estello,  o  Hagali, 
Coume  an  pali ! 


Noro  se  taiso;  res  mutavo. 

Talamen  ben  Noro  canlavo, 
Que  lis  aulro,  enterin,  d'un  clinamcn  do  front 

L'acoumpagnavon,  amistouso : 

Coume  li  mato  de  moutouso 

Que,  penjouleio  e  voulountouso, 
Se  laisson  ana  'ns^mble  au  courr^nt  d'uno  font. 

—  Oh!  lou  b6u  t^ms  que  fai  deforo! 

En  acabant  ajust^  Noro. .. 
Mai  deja  li  segaire,  k  Taigo  d6u  pesqui^, 

De  si  daioun  la  von  la  goumo... 

Guei-nous,  Mir^io,  quduqui  poumo 

Di  sant-janenco,  e  'me  'no  toumo 
Nautre  anaren  gousta  sout  li  falabregui^. 


MIREILIE,  CHANT  III.  127 

—  «  Maintenant  je  commence  enfin  k  croire  —  que 
1u  ne  me  paries  pas  en  riant.  —  \oM  mon  annelet  de 
verre  —  pour  souvenir,  beau  jouvenceau ! » 

—  «  0  Magali,  tumefaisdu  bien!...  —  Mais,  d^s 
qu'elles  font  vue,  —  6  Magali,  vois  les  6toiles,  — 
comme  elles  ont  p4li  ** !  » 


Nore  se  tait;  nul  ne  disait  mot.  —  Tellement  bien 
Nore  chantait,  —  que  les  autres,  en  m^me  temps, 
d'un  pencbement  de  front —  Taccompagnaient,  sym- 
pathiques :  —  comme  les  touffes  de  souchet  —  qui, 
pendantes  et  deciles,  —  se  laissent  aller  ensemble 
au  courant  d*une  fontaine. 


— «  Oh  1  le  beau  temps  qu'il  fait  dehors! » — ajouta 
Nore  en  achevant...  —  «  Mais  d^ja  les  faucheurs, 
k  Teau  du  vivier,  —  lavent  la  gomme  de  leurs  faux. . . 
—  Cueille-nous,  Hireille,  quelques  pommes  —  de 
celles  qui  mibrissent  k  la  Saint-Jean,  et  avec  un  fro- 
mage  frais  —  nous  irons,  nous,  godter  sous  les  mico- 
couliers.  » 


NOTES 

PU  CnVNT  TROISlfeME. 


*  Lc  bon  muscat  dc  Baunic  [lou  bon  mtucat  de  Battmo).  Baume, 
village  du  ddpartement  de  Yaucluse,  produit  un  vin  muscat  estim^. 

-  Le  Ferigoulet  (lou  Ferigoulet),  excellent  vin  qu'on  r^olte  sur  un 
coleau  des  colUnes  de  Gravoson  (Bouches-du-Rh6ne).  —  Ferigoulo 
si^Tiifiant  thpm  en  provengal,  le  vin  de  Ferigonlet,  comme  son  noni 
rindiquc,  rappclle  agr^ablement  le  parfum  de  cette  plante. 

'  La  Bonne  M6re  (ia  Bono  Maire),  la  sainte  Vierge. 

*  Canela  (blanchis),  se  ditdes  vers  k  sole  atteints  de  ia  ten^ible 
maladie  appel^e  muscardine,  due  au  d^veloppement  d'une  moisis- 
sure  qui  leur  donne  une  apparence  piatr^e. 

5  Tu  esn^ecoiffee  [asta  crefpino).—'  Creiptno,  coiffe,  membrane 
que  quelques  enfants  portent  sur  la  t^te  en  venant  au  monde,  ot 
qui  est  aux  ycux  du  peuple  un  indice  de  Iwnheur. 

^  Pl&tra  [engipi).  [Yoyez  la  nolo  4,  mdme  Chant.) 

'  Pamparigouste(Pfl«i|Mir»^<>iM/o).  Pays  imaginaire,  comme  cclui 
(lc  Cocagne. 

8  Le  Yentour  {louVentour),  haute  montagne,  iiquai^ante-huit  ki- 
lometres au  nord-est  d' Avignon,  s'^levant  tout  h  coup  k  dix-neuf 
cent  onze  metres  au-dessus  du  niveau  de  la  mer,  isol^e,  es- 
carp^e,  visible  de  quarante  lieues,  couronn^  de  neige  durant 
Six  mois  de  Tannic.  C'est  a  tort  que  ies  gciographes  dcrivent  Ven- 
toux  au  lieu  de  Yentour.  Les  populations  voisines  de  cette  monta- 
gne prononcent  unanimement  Yentour,  Un  de  ses  appendices  porte 
ie  nom  de  Yentouret,  et  mi  certain  vent  du  nord  s'appelle  la  Yen- 
tottreso,  parce  qu*il  vieut  de  ce  c6t^. 


NOTES  DU  CHANT  111.  129 

3  Azalati,  forme  provencale  du  nom  propre  Adelaide. 

*®  Fanctte  de  Gantelme.  —  Est^fanettc,  et  par  abriSviation  Fa- 
nettc,  de  la  noble  famille  des  Gantelme,  pr^idait,  vers  1540,  la 
Cour  d'amourde  Romania.  On  sail  que  les  Cours  d' amour  6taient  des 
assises  po^tiques  ou  les  dames  les  plus  nobles,  les  plus  belles,  les 
plus  savantes  en  Gay-saher,  jugeaient  les  questions  de  galanterie, 
les  litigesd'amom%  et  d^cernaient  des  prix  &  la  po^sie  provengale. 
La  belle  et  c^l^bre  Laure  dtait  la  ni^ce  de  Fanette  de  Gantelme, 
ct  faisait  partic  du  gracieux  ar^page. 

Non  loin  de  Saint-Remy,  au  pied  du  versanl  septentrional  des 
Alpines,  on  voit  encore  les  ruines  du  ch&teau  de  Romanin. 

**  La  comtesse  de  Die,  c^l6bre  trouvereste  du  milieu  du  dou- 
zieme  si^cle.  Les  chants  qui  nous  restent  d'elle  contiennent  des 
elans  plus  passioim^s  quelquefois  ct  plus  vohiptueux  qno  coux  de 
Sapho : 

Bels  amies,  aven^ns  e  bos, 
Quora'us  tendrai  en  men  poder? 
E  que  jugu^s  ab  vos  un  ser, 
E  que'us  des  im  bnis  amoros ! 

**  La  Roumequc  [la  Houm^co) ,  espfece  de  vampire  meridional.  Voici 
comment  la  ddcritle  marquis  de  I^fnre-Alais.  dans  ses  Castagnndos : 

Sus  vint  arpo  d'aragno 
S'escasso  soun  cors  bnin... 
Soiin  ventre  que  regagno, 
De  febre  e  de  magagno 
Suso  Torre  frescun. 

*'  \Mb6roJi{Luber(ntn),  cbaine  dc  montagnes  du  dt^partement  de 
Yaucluse. 

**  Valmasque,  [Yau  masco,  valine  des  sorciers);  valine  dn  Lube- 
ron,  habitue  jadis  par  les  Yaudois. 

"  On  trouvera  k  la  lin  du  volume  lair  populaire  surlequci  a  eu' 
compost  la  chanson  de  Magali. 


CANT  QDATREN 

M  DKM.\NDAIUE 


Lou  tdms  di  vi6uleto.  —  Li  pescadon  d6a  Nartegue.  ^  Tres  cali- 
gnaire  v^non  denianda  Mir^io  :  AUri  lou  pastre ;  Veran  loo  gardian; 
Ourrias  lou  loucadou.  ~  AlAii,  si  capitau  d'ave.  —  La  toundesoun. 

—  Visto  d'lyi  escabot  que  davalo  dis  Anpo,  anant  eu  ivemage.  - 
Entrevisto  d*Al^ri  em^  Hir^io.  —  Lis  Antico  de  Sant>RouiBi&  ~ 
Li^ur^o  d6u  pastre,  lou  coucourelet  de  bouis  escrincela.  —  Al^i 
es  chabi.  —  Lou  gardian  Veran.  —  Li  cavalo  bianco  de  Gamargo. 

—  Veran  deinando  Hir^io  d  M^ste  Ramoun. —  Lou  vidi  lou  re(;aup 
en  grand  joio,  Mir^io  lou  refuso.  —  Ourrias,  lou  doumtaire  de  tan- 

—  Li  brau  negre  souvage.  —  La  Ferrado.  —  Currias  e  Mir^o  a  la 
font.  -^  Lou  toucadou  es  chabi. 


Vengue  lou  I6ms  que  li  vi6ulelo, 

Dins  li  pradello  frescouleio, 
RspeHsson  a  flo,  manco  pas  de  par^u 

P^r  ana  li  cueie  a  roumbrino ! 

Y^ngue  lou  terns  que  la  marir.o 

Abauco  sa  fi^ro  peitrino, 
Fl  respiro  plan-plan  de  touti  si  mameii, 

Hanco  pas  beto  e  sicelando 
Que  dou  Martegue,  a  b^lli  bando, 

S'envau  de  si  paiolo  embourgina  lou  ptis, 
S'envan,  sus  Talo  de  si  remo, 
Escampiha  sus  la  mar  senio ; 
V6ngue  lou  t6ms  qu'entre  li  femo, 

f/eissanie  di  chalouno  e  flouris  e  partis, 


CHANT  QCATRIEME 


LES   PRETENDANTS 


La  saisou  des  violettes.  —  Les  p^cheun  du  Narligue.  —  Troi»  pr^len- 
dants  briguent  la  main  de  Nireille  :  Alari.  le  berger;  V^ran,  le 
gardien  de  chevaux;  Ourrias,  le  toucheur  de  taureaux.—  AIM,  ses 
richesses  en  brebis.  —  La  tonte.  —  La  transhumance  :  description 
d'un  grand  troupeau  qui  descend  des  Alpes.  —  Enlrcvue  d'Aliri  et 
de  Hireille.  —  Le  mausolee  de  Saint-Remy.  ~  Olfrande  du  berger, 
la  coupe  de  buis  scolpte.  —  Alari  est  ^conduit.  —  Veran,  le  gardien 
de  cbevaiix.  —  Les  cavales  blanches  de  Camargue.  -<--  V^ran  de- 
tuande  Mireille  k  Haitre  Ramon.— Joie  ct  bon  accueil  du  vieillard; 
rerns  de  Hireille.  ~  Ourrias,  ie  dompteur  de  taureaux.  —  Les 
taureaux  noirs  sauvages.  —  La  Ferrade.  ~  Ourrias  et  Hireille  d  la 
fontaine.  —  Le  toucheur  est  econduit. 


Vieiine  le  temps  oil  les  violettes,  —  dans  les  frai- 
ches  prairies  —  6closent  k  bouquets,  ne  manqueiit 
pas  les  couples  —  pour  aller  les  cueillir  k  Tombre ! 
—  Vienne  le  temps  oii  la  mer  —  apaise  sa  fl6re  poi- 
trine,  —  et  respire  lentement  de  toutes  sea  mamelles, 


Ne  inan(}uent  pas  les  praines  et  les  sicelandes  -^ 
qui,  du  Mailigue*,  a  belles  troupes,  —  partent,  et 
vont  de  leurs  patUofe*  *  entortiller  le  poisson,  —  et 
vont,  sur  Taile  de  leurs  ramesj  —  s'6parpiller  dans  la 
Jiier  traiiquille.  —  Vienne  le  temps  ou,  parmi  les 
fcinmes,  —  Tessaim  des  jeunes  filles  fleurit  et  paratt^ 


i"2  miRfelO,  CANT  IV. 

Que  pastourello  vo  couintesso 
Prenon  renoum  de  poulidesso, 

Matico  pas  calignaire,  en  Crau  e  i  castelus; 
E  ren  qu'au  Mas  di  Falabrego 
N'en  vengu^  Ires  :  un  gardian  d  ego, 
Un  paissejaire  de  junego, 

Em*  un  pastre  d'av6,  I6uli  tres  b6u  droulas. 

Vengue  pi  oumie  lou  pastre  Al^ri. 

Dison  qu'avi6  milo  besti^ri 
Arrapa,  tout  I'iver,  long  d6u  clar  d'Entressen, 

1  bonibauco  salabrouso. 

Dison  qu*eica  quand  lou  blad  nouso, 

Dins  li  grands  Aupo  fresqueirouso 
Eu-meme  li  mountavo,  enlie  que  Mai  se  sent. 

Dison  pereu,  —  e  nres  de  cr^ire,  — 
Que,  vers  Sant  Marc,  i'a  n6u  toundeire 

Que,  tres  jour,  ie  toundien,  e  d'ome  renounia! 
E  i^u  noun  comte  aqueu  que  levo 
Lis  au  de  lano  bianco  e  grevo, 
Ni  lou  inendi  que  s6nso  trfevo 

Carrejavo  i  toundeire  un  douire  leu  chinia. 

Mai  quand  la  caud  piei  sapasimo, 
E  que  la  neu  sus  li  grand  cimo 

Adeja  revouluno  i  terraire  gavot, 
De  I'inmenso  piano  Craenco 
P6r  destepa  Tcrbo  ivernenco, 
Dis  auti  coumbo  Daufinenco 

Falie  veire  descendre  aqueu  riche  escaboti 


^IREILLE,   CHANT  IV.  153 

Oil  pastourelles  ou  comtesses  —  prennent  renoin 
de  beaute,  —  ne  manquent  pas  les  poursuivants,  en 
Crau  et  aux  manoirs ;  —  et  rien  qu*au  Mas  des  Mico- 
coules  —  il  en  vinl  trois  :  un  gardiea  de  cavales,  — 
iin  pasteur  de  genisses  —  et  un  berger  de  brebis, 
tons  les  trois  beaux  gargons. 


Vint  d*abord  le  berger  Al^ri.  —  On  dit  qu'il  posse- 
dait  mille  bMes  (a  laine),  —  attachees,  tout  I'hiver,  le 
long  du  lac  d'Entressen ', —  aux  bons  gramens  sal6s. 
—  On  dit  qu'a  Tepoque  ou  le  froment  forme  ses 
noeuds,  —  dans  les  fraiches  hauteurs  des  grandes 
Alpes  —  il  les  conduisait  lui-mSme,  d6s  que  Ton  sent 
niai. 

On  dit  aussi,  et  je  le  crois,  —  que,  vers  la  Saint- 
Marc,  neuf  tondeurs  —  trois  jours  tondaient  (pour) 
lui,  et  des  homuies  fameux!  —  Et  J'oniels  celui  qui 
enleve  —  les  toisons  de  laine  blanche  et  pesante ;  — 
et  le  bergerot  qui,  sans  relache,  —  charriait  aux  ton- 
deurs un  broc  promptement  bu. 


Mais  lorsque  ensuite  la  chaleur  s'apaise,  —  et  que 
la  neige  sur  les  grandes  cinies  —  deja  tourbilloiuie 
aux  pays  aiontagnards,  —  de  I'immense  plaine  de 
Crau  —  pour  brouter  I  herbe  hivernale,  —  il  fallait 
voir,  des  hautes  valines  dauphinoises,  —  descendre 
ce  riche  troupeau ! 


12 


\ol  MlRfelO,  CANT  IV. 

Falie  v6ire  aquelo  escarrado 

S'esperlounga  dins  la  peirado! 
Kii  front  de  tout  lou  rai,  Tagnelun  prouniieren 

Sautourlejo  perbando  gaio... 

Ta  Tagneti^  que  lis  endraio. 

L*ensounaiado  bourriscaio, 
E  li  poutre,  e  li  saumo,  k  baudre  li  seguien. 

D'escambarloun  dessus  la  bardo, 

Es  I'aseni^  que  n'a  la  gardo : 
Dins  lis  eus^rri  d'aufo,  es  ^li,  sus  lou  bast, 

Eii  que  porlon  la  raubiho, 

E  la  bevento  e  la  mangiho, 

E  d6u  bestial  que  s'espeio 
La  peu  enca  saunouso,  e  I'agneloun  qu'6i  las. 

Capitiinide  la  bregado, 

E  li  bano  revertegado, 
Apres  venien  de  front,  en  brandant  si  rcdoun^ 

E  lou  regard  vira  de  caire, 

Cinq  fi6r  menoun  cabessejaire ; 

Darri^  li  b6chi  v^n  li  maire, 
E  li  foli  cabreto,  e  li  blanc  cabretouiii 

Troupo  courriolo  eniai  groumando^ 
Es  lou  cabri^  que  la  coumando. 

Li  masele  de  lave,  li  grands  esparradou 

De  quau  li  mourre  en  T^r  se  dreissoti^ 
Dins  la  carrairo  aqlii  parciisson  : 
A  si  grand  bano  sc  couneisson, 

Treb  fes  cnvertouiado  aulour  de  Tausidouj 


MIREIMK,  CHANT  fV.  VS 

II  fallait  voir  cette  multitude  —  sc  dSvelopper  dans 
lechemin  pierreux!  —  Au  front  de  toute  la  troupe, 
les  agneaux  h^tifs  —  cabriolent  par  joyeuses  bandes. 
—  Vagnelier  les  dirige.  —  Les  ^nes  portant  son- 
naillesy  —  et  les  dnons,  et  les  Anesses,  en  desordre 
les  siiivaient. 


A  califourchon  sur  la  bardelle,  —  Tinier  en  a  la 
«rarde.  —  Dans  les  mannes  de  sparterie,  ce  sont  eux, 
sur  le  bat,  —  eux  qui  portent  les  hardes,  —  et  la 
boisson,  et  les  vivres,  —  et  du  b^tail  qu'on  ecorche 
—  la  peau  encore  saignante,  et  I'agneau  fatigu^. 


Capitaines  de  la  phalange, —  avec  leurs  comes 
retroussees,  —  apres  venaient  de  front,  en  branlant 
leurs  clarines,  —  el  le  regard  de  travers,  —  cinq 
fiers  boucs  k  la  tSte  menacante;  —  derrierelesboucs 
viennentles  m6res,  —  et  les  folles  chevrettes,  et  les 
blancs  petits  chevreaux. 


Troupe  gourmande  et  vagabonde,  —  le  chevrier  la 
coramande. — Les  mftlesdesbrebis,  les  grands  beliers 
conducteurs,  —  dont  les  museaux  dans  Fair  se  dres- 
sent,  —  alors  paraissent  dans  la  voie ; —  on  les  recon- 
nait  k  leurs  grandes  comes,  —  trois  fois  entortillees 
autour  de  Toreille. 


136  MIRfcIO,  CANT  IV. 

E  per6u  (ounourable  signe 
Que  d6u  troup^u  ac6  's  li  segne) 

An  li  costo  floucado  e  Tesquino  tamb^n. 
Camino  en  t^sto  de  la  troupo 
Lou  baile-pastre,  e  de  sa  roupo 
Li  dos  espalo  s'agouloupo. 

Mai  lou  gros  de  Tarmado  arribo  d*un  tenant. 

E'n  uno  pousso  nivoulouso, 

E  di  proumiero,  e  di  couchouso, 
Courron  lis  agnelado,  en  bramant  loungamon 

An  belamen  de  si  berouge ; 

E,  lou  coutet  flouca  de  rouge, 

Ens^n  poussejon  lis  anouge 
E  li  moutoun  lanu  que  van  paloutamen; 

Li  pastrihoun  de  v6ulo  en  vduto, 

E  qu'i  chin  cridon :  A  la  vdiito! 
E,  pega  BUS  lou  flanc,  I'innoumbrable  vaci^u, 

Li  nouvello,  li  tardouniero, 

E  li  segoundo,  e  li  maniero, 

E  li  fegoundi  bessouniero 
Qu'an  peno  a  tirassa  soun  ventre  empachatifeu. 

Escarradoun  tout  espei6ti, 

Entre  li  turgo,  li  viei  mdti 
Qu'an  agu  lou  dessouto  i  bat^sto  d'amour, 

Em6  li  berco  e  li  panardo, 
#Clauson  enfm  la  r^ire-gardo, 

Aret  creba,  tristo  desfardo, 
Qu'an  perdu  tout  ensen  e  li  bano  e  Tounour. 


MIREILLE,  CHANT  IV,  137 

Et  encore  (honorable  signe —  qu*ils  sont  les  sires du 
Iroupeau)  —  ils  ont  les  c6tes,  ils  ont  le  dos  orn6s  de 
houppes.  —  En  t6te  de  la  troupe  marche  —  le  chef 
des  pStres,  de  son  manteau  —  s'enveloppant  les 
deux  ^paules.  —  Mais  le  gros  de  Tarm^e  arrive  a 
la  suite. 


Et  dans  un  nuage  de  poussi^re,  —  et  pr6cedant 
(la  foule),  et  empress^es,  —  courenl  les  (brebis) 
m^res,  repondant  par  de  longs  bSlements — au  b6le- 
ment  de  leurs  pet  its ;  —  el,  la  nuque  omee  de  bouf- 
fettes  rouges,  —  ensemble  poudroient  les  antenois, 
—  et  les  moutons  laineux  qui  vont  k  pas  lents  ; 

Les  aides-bergers ,  d'intervalle  en  intervalle, — 
criant  aux  chiens  :  A  la  voUe !  —  et,  le  flanc  marque 
de  poix,  Finnombrable  plebe,  —  les  adultes,  les  bre- 
bis qui  mettent  has  deiix  foisy  —  et  celles  dont  deux 
fois  les  dents  de  marque  ont  pei'ce^  et  celles  qu'on  a 
privees  de  lettrs  agneaux,  —  et  les  fecondes  besson- 
nieres''  —  qui  ont  peine  a  trainer  leur  ventre  embar- 
rassant. 

Escadron  depenaille,  -—  parmi  les  brehaignes,  les 
vieux  b^liers  —  qui  ont  6te  vaincus  aux  combats 
d'amour, — avec  les  6dent6es  et  les  boiteuses,  —  fer- 
ment enfin  I'arri^re-garde,  —  beliers  crev6s,  tristes 
debris,  —  qui  ont  perdu  tout  ensemble  et  les  cornes 
el  Vhonneur. 


12 


ir.8  MlRfelO.  CANT  W. 

K  tout  ac6,  fedo  e  cabrairo, 
Taiit  que  iri'avi^  dins  la  carrairo, 

Ero  d'Aliri,  lout,  jouine  e  viei,  b6u  o  laid.. . 
R  davans  6u  quand  davalavon, 
Qu'^  cha  centeno  defilavon, 
A  vie  sis  iue  que  se  chalavon. . . 

Pourtavo,  coume  uu  sc6tre,  un  rebatun  de  plai. 

K  *id6  si  blanc  chinas  de  pargue 
Que  lou  seguien  dins  li  relargue, 

I.i  geinoun  boutouna  dins  si  gueto  de  peu, 
E  Ter  seren,  e  lou  front  savi, 
L'anrias  cresu  lou  hhn  r6i  D^vi 
Qnand,  sus  la  tardo,  au  pous  dis  ^vi 

Anavo,  en  est6nt  jouine,  abeura  li  troup^u. 

—  Vaqui  Mir^io  que  vanego 

Davans  lou  Mas  di  Falabrego ! 
Digue  lou  pastre...  Oh!  Di6u!  m'an  di  la  verila : 

Ni  dins  lou  plan,  ni  sus  Fauturo, 

Ni  p6r  verai,  ni  per  pinluro, 

I^u  n*ai  ges  vist  qu*a  la  centuro 
le  vague,  p^.r  lou  biais,  la  graci,  la  b^uta! 

Que,  r6n  que  p^r  la  v6ire,  Alari 

S'6ro  escarta  de  soun  bestiari. 
A  dre  d*elo  pamens  quand  fugue  :  Pourries-ti, 

le  fai  d'uno  voues  que  tremolo, 

Me  faire  veire  uno  draiolo 

P6r  travessa  li  mountagnolo? 
Aulramen,  chato,  ai  p6u  depas  me  n'en  sourli! 


MIREILLE,  CHANT  IV.  139 

Et  tout  cela,  brebis  et  chevres,  —  autant  qu*eii 
contenait  la  voie,  —  6tait  k  Al^ri,  tout,  jeune  et vieux, 
beau  et  laid...  —  Et  devant  lui lorsqu'elles  dcscen- 
daient,  —  qu'elles  d^filaient  par  centaines,  —  ses 
yeiix  se  d61ectaient  (&cette  vue)...  —  II  portait, 
comme  un  sceptre,  un  rondin  d*6rable.  • 


Et,  avec  ses  blancs  et  grands  chiens  de  pare  — 
qui  le  smvaient  dans  les  p^turages,  —  les  genoux 
boutonn^s  dans  ses  gu6tres  de  peau,  —  et  Fair  se- 
rein et  le  front  sage...  —  voiis  Teussiez  cm  le  beau 
roi  David,  —  quand,  vers  le  soir,  au  puits  des  aioiix, 
—  il  allait,  dans  sa  jeunesse,  abreuver  les  troupeanx. 


—  «  Voil^  Mireille  qui  va  et  vient  —  devant  le  Mas 
des  MicocoulesI  —  dit  le  pMre...  Oh!  Dieul  Ton 
iTi'a  dit  vrai  :  —  ni  dans  la  piaine,  ni  sur  les  hau- 
teurs, —  ni  en  peinture,  ni  en  r6alite,  —  Je  n'en  ai 
vu  aucune  qui  k  la  ceinture —  lui  aille,  pour  les  ma- 
niferes,  la  grAce,  la  beaut6 !  n 


Car,  rien  que  pour  la  voir,  Al&ri  —  s'^tait  eloign^ 
de  ses  b^tes.  —  dependant,  quand  il  fut  devant  elle  : 
«  Pourrais-tu,  —  lui  dit-il  d'une  voix  qui  tremble, 
—  me  montrer  un  senliei'  —  pour  traverser  les 
collbes?  —  Sinon,  jeune  fille,  j*ai  peur  de  ne  pas  en 
sorlir!  » 


1W  MFRfifO,  CANT  IV. 

—  Ta  que  de  prene  la  drechiero, 
V^!  respound^  la  masagiero, 

E  pi^i  de  P^iro-malo  enregas  lou  desert , 
E  caminas-dins  la  vau  torlo. 
Fin  que  vegu^s  uiio  grand  porto, 
Kme  'no  toumbo  que  suporto 

Dous  generau  de  p^iro,  eilamount  dins  lis  6r; 

tA  ce  qu'apellon  lis  Antico 

—  Gramaci!  lou  Jouvftnt  replico... 
Milo  b^sti  d'avd,  pourtant  ma  marco,  en  Crau, 

Mounton  deman  k  la  mountagno, 
E  i^u  precede  la  coumpagno 
P^r  ic  marca  dins  la  campagno, 
Li  coussou,  la  couchado,  e  per6u  lou  carrau. 

E  tout  deb^stio  fino!...  E  quouro 
Que  me  maride,  ma  pastouro 

Entendra  tout  lou  jour  canta  lou  roussign6u... 
E  s'avi^u  I'ur,  bello  Mireio, 
Que  tu  vougu6sses  ma  li^ur^io, 
Te  semoundreu,  noun  de  daur^io, 

Mai  un  vas  que  I'ai  fa,  de  bonis,  e  flame-nou. 

E  de  parla  tant  leu  s*arresto, 
Goume  un  relicle,  de  sa  v6sto 

Sort  un  coucourelet  taia  dins  lou  bonis  vi^u , 
Car,  k  sis  oureto  de  pauso, 
Amavo,  asseta  su  'no  lauso, 
De  s'espassa  *n-aqu6li  causo ; 

E  r^n  qu  em^  'n  cout^u  fasi6  d'obro  de  Di^u! 


MIREtLLE.  CHANT  IV.  141 

—  «  U  n'y  a  qu'a  prendre  le  droit  chemin,  — 
voyez!  r^pondit  la  fille  des  champs,  —  vous  enfilez 
ensuite  le  desert  do  Peyrc-male,  —  et  vous  marchez 
dans  le  val  tortueux  —  jusqu'^  oe  qu'un  *porlique  se 
monlre  a  vos  regards,  —  avec  un  tombeau  qui  sup- 
porte  —  deux  g^neraux  do  pierre,  1^-haut  dans  les 
airs';  • 

«  C'esl  ce  qu'on  nomme  les  Antiques. »  — « Gran 
inerci !  r^plique  le  jeune  homme  ..  —  Mille  Wtes  k 
laine,  portant  ma  marque,  dans  la  Crau,  —  montent 
demain  h  la  montagne;  —  et  je  pr^c^de  le  bataillon, 
—  pour  lui  marquer  h  travers  champs  —  les  pa- 
cages,  la  couch^,  et  aussi  le  chemin. 


«  Et  (c'est)  tout  bfttes  fines !. ..  Et  en  quelque temps 
—  que  je  me  marie,  ma  bergere  —  entendra  tout  le 
jour  chanter  le  rossignol...  —  Et  si  j'avais  I'heur, 
belle  Mireille,  —  que  tu  acceptasses  ma  livr^Cy  —  je 
t'offrirais,  non  pas  des  bijoux  d'or,  —  mais  un  vase 
que  j'ai  fait  pour  toi,  dc  buis,  et  battant-neuf.  » 


Et  comme  il  cesse  de  parler,  —  telle  qu'une  re- 
lique,  de  sa  veste  —  il  sort  une  coupe  taillto  dans  le 
buis  vif ;  —  car,  k  ses  heures  de  loisir,  —  il  aimait, 
assis  sur  une  pierre,  —  ^  se  distraire^  ces  choses ;  — 
et  seulement  avec  un  couteau  il  faisait  des  ceuvres 
divines! 


i«  MIRtiO,  CANT  lY. 

E  iTunamaii  cascareleto 

Escrincelavo  de  clindeto 
Per  la  niue,  dins  lou  champ,  mena  sona  abci^ ; 

E  sus  lou  c^mbis  di  sounaio, 

E  sus  I'os  blanc  que  li  mataio, 

Fasie  de  taio  e  d*entre-taio, 
K  d«'  flour,  e  d*auceu,  e  lout  ce  que  voulie. 

Mai  lou  vas  que  venie  d*adurre, 

Aurias  nega,  vous  Tassegure, 
<Jue  i'aguesse  passa  couteu  de  pastrihoun  : 

Uno  massugo  b^n  flourido 

A  soun  entour  ^o  espandido ; 

E  dins  si  roso  alangourido, 
Dous  cabr6u  ie  paissien,  fourmant  li  manihoun. 

Un  pau  plus  bas,  vesias  tres  fiho 

Qu  ^roQ  segur  tres  mereviho!... 
Pas  liuen,  dessouto  un  cade,  un  pastoureu  dourmie. 

li  fouligaudi  chatouneto 

Se  n'aprouchavon  {^an-planeto, 

E  ie  metien  sus  la  bouqueto 
Uno  alo  de  rasiu  qu*ayien  dins  soun  panie. 

E  lou  pichot  que  soumihavo 

Tout  risoulet  se  revihavo ; 
K  1  uno  di  chatouno  avie  T^r  esmougii... 

Sens  la  coulour  d6u  racinage, 

Aurias  di  que  li  persounage 

£ron  vieu  dins  aquel  6ubrage... 
Senti6  'ncaro  lou  n6u,  i*avi6  panca  beg^ii. 


MIREILLE,  CHANT  IV.  145 

Et  d'une  main  fantaisiste, —  il  sculptait  des  cli- 
quettes  —  pour,  la  nuit,  dans  les  champs,  conduire 
son  troupeau;  —  et  sur  le  collier  des  clarines,  —  et 
sur  Fosblanc  qui  leur  sert  de  battant,  — il  faisait  des 
tallies  et  des  entre-tailles,  —  et  des  lleurs,  et  des  oi- 
seaux,  et  tout  ce  qu'il  voulait. 


Mais  le  vase  qu'il  venait  d'apporter,  —  vous  auriez 
ni^,  je  vous  Tassure,  —  que  couteau  de  berger  eut 
t>ass6 1ft  :  —  un  ciste  bien  fleuri  —  autour  de  lui  s'6- 
panouissait;  —  et  dans  ses  roses  langoureuses,  — 
deux  chevreuils  paissaient,  formant  les  anses. 


Un  peu  plus  bas,  on  voyait  trois  jeunes  lilies  —  qui 
elaient  certainement  trois  merveilles!...  —  Non  loin 
(delft),  sous  un  cade,  un  pastoureau  dormait.  —  Les 
folfttres  fillettes  —  s'approchaient  de  lui  doucement, 
—  et  mettaient  sur  sa  bouche  —  un  grappillon  do 
raisin  qu'elles  avaient  dans  leur  panier.  ' 


Et  Tenfanl  qui  somnieillait  —  s'eveillait  tout  sou- 
riant;  —  et  Tune  des  fillettes  avail  Tair  6mu...  — 
Sans  la  couleur  de  la  racine,  —  vous  eussiez  dit 
que  les  figures  — -  6taient  vivantes  dans  cet  ouvrage. . . 
—  II  sentait  encoro  le  neuf,  il  n'y  avail  pas  bu  eiv 
cope* 


Ui  MIREIO,  CAM  IV. 

—  En  verita,  digue  Hireio, 
Pastre,  fai  gau,  vosto  lieureio... 

K  respinchavo.  Pi6i  partigu^  tout  d'un  bound  : 
Moun  bon-ami  n'a  no  plus  bello : 
Soun  amour,  pastre!  E  quand  me  belo, 
0  fau  que  baisse  li  parpello, 

0  dins  i4.u  s^nte  courre  un  bonur  que  me  poun., 

E  la  chatouno,  coume  un  gj^ri 

Despareigu6...  Lou  pastre  AlSri 
Estreme  soun  vaseu  ;  e  plan-plan,  a  labour, 

Eu  s'enan^  de  la  bastido, 

E  la  pensado  entreboulido 

Qu'aquelo  chato  tant  poulido 
P^r  autre  que  per  eu  aguesse  lant  d'amour! 

An  meme  Mas  di  Falabrego 

Vengue  tamben  un  gardian  d'ego, 
Veran.  Aqueu  Veran  ie  vengu6  dou  Sambu. 

Au  Sambu,  dins  li  grand  pradello 

Ounte  flouris  la  cabridello, 

Avie  cent  ego  blanquinello 
Despounchant  di  palun  li  rouseu  escanibu. 

Cent  ego  bianco!  La  creniero, 

Coume  la  sagno  di  sagniero, 
Oundejanto,  fougouso,  e  franco  dou  ciseu. 

Dins  sis  ardenlis  abrivado, 

Quand  piei  partien,  descaussanado, 

Coume  la  clierpo  d'uno.  fado, 
En  dessus  de  si  cou  floutavo  dins  lou  c^u. 


MIREILLE,  CHAM  IV.  145 

«  En  v6rit6,  dit  Mireille,  —  pAtre,  votre  livree 
tente  la  vue..,  »  —  Et  eile  I'examinait.  Puis  partant 
tout  d'un  bond  :  —  «  Mon  bien-aim6  en  a  une  plus 
belle  :  —  son  amour,  p^tre !  Et  lorsque,  passionne, 
il  me  regarde,  —  il  me  faut  baisser  les  paupieres, — 
ou  bien  je  sens  courir  en  moi  un  bonheur  qui  me 
navre.  » 

Et  la  jeune  fflle,  comme  un  lutin,  —  disparut... 
Le  berger  Alan  —  remit  son  vase  sous  (sa  veste) ;  et 
l^itement,au  cr^puscule*,  —  s'en  alia  de  la  bastide, 
— trouble  par  la  pensee  — qu'une  si  belle  fille — pour 
un  autre  que  lui  etit  tant  d'amour  ! 


Au  mSme  Mas  des  Micocoules  —  vint  aussi  un 
gardien  de  ca vales,  —  Veran.  Ce  V6ran  y  vint  du 
Sambuc ''.  —  Au  Sambuc,  dans  les  grandes  prairies 
—  ou  fleurit  la  cabridelle  *,  —  il  avait  cent  cavales 
blanches  —  epointant  les  hauts  roseaux  des  inar6- 
cages. 


Cent  cavales  blanches !  La  crini6re,  —  conime  la 
niasseite  des  marais,  —  ondoyante,  touffue,  et  fran- 
che  du  ciseau.  —  Dans  leurs  ardenls  elans,  —  lors- 
qu'elles  partaient  ensuite,  effr^nees,  —  comme  Te- 
charpe  d'une  fee  —  au-dessus  de  leurs  cous  ellc 
flotlait  dans  le  cid. 


15 


\U\  lUlKfelO,   CANT  IV. 

Vergougno  ^tii,  ra(^  omeiienco ! 

Li  cavaloto  Camarguenco, 
An  poiign6nt  esperoun  qiie  f  estrasso  lou  flanc, 

Coume  k  la  man  que  li  caresso, 

Li  vegu^ron  jamai  soumesso. 

Kncabestrado  per  traitesso, 
N*ai  vist  despatria  liuen  ddup^ti  salan ; 

E'n  jour,  d  un  bound  rabin  e  proumte, 
Gmbardassa  qoau  que  li  mounte, 

i)*un  galop  avala  vint  l^go  de  palun, 
La  narro  an  v6nt !  e  revengudo 
Au  Vacar6s,  que  soun  nascudo, 
Apr^s  des  an  d'esclavitudo, 

Respira  de  la  mar  lou  libre  salabrun. 

Qu  aquelo  meno  s6uvagino, 

Soun  elemen  es  la  marino  : 
Dou  c^rri  de  Netune  escapado  segur, 

Ks  encaro  tencho  d'escumo  ; 

E  quand  la  mar  boufo  e  s'embruuio, 

Que  di  veisseu  pet  on  li  gumo, 
Li  grignoun  de  Camargo  endihon  de  bonur, 

E  fan  brusi  coume  uno  chasso 

Sa  longo  CO  que  ie  tirasso ; 
E  gravachon  lou  sdu,  o  senton  dins  sa  <*Mr 

Intra  lou  trent  dou  dieu  terrible, 

Qu'en  un  barrejadis  ourrible 

M6u  la  tempesto  e  Fendouliblc, 
E  bourroulo  defouns  11  toumple  do  ia  uiur. 


tl 


MIREriLE,  CHANT  IV.  a 

Honte  k  toi,  race  humaine!  —  Lescavales  de  Ca- 
margue*,  —  au  poignant  6peron  qui  leur  dtehire  le 
flanc,  —  comme  k  la  main  qui  les  caresse,  —  jamais 
on  ne  les  vit  soumises.  —  Enchev6tr6es  par  trahison, 
—  yen  ai  vu  exiler  loin  des  prairies  salines; 


Et  un  jour,  d'un  bond>ev6che  et  prompt,  —  jeter 
has  quiconque  les  monte,  —  d'un  galop  devorer 
vingt  lieues  de  mar^cages,  —  flairant  le  vent !  et  re- 
venues —  au  Vaccar^s*o,  ou  elles  naquirent,  — 
apr^s  dix  ans  dVsclavage,  —  respirer  I'^manation 
salee  et  libre  de  la  mer. 


Car  (k)  cette  race  sauvage,  —  son  6l^ment,  c'esJ 
la  mer  :  —  du  char  de  Neptune  6chapp6e  sans  doute, 
—  elle  est  encore  teinte  d'^cume ;  —  et  quand  la 
mer  souffle  et  s'assombrit,  —  quand  des  vaisseaux 
rompent  les  cables,  —  les  ^talons  de  Camargue 
hennissent  de  bonheur ; 


Et  font  claquer  comme  la  ficelle  d*un  fouet  — 
leurlongue  queue  trainante;  —  et  graltent  le  sol, 
et  sentent  dans  leur  chair  —  entrer  le  trident  du 
dieu  terrible,  —  qui,  dang  un  horrible  p61e-m61e,  — 
meul  la  lempdte  et  le  d61uge,  —  et  bouleverse  de 
fond  en  comble  les  abimes  de  la  mer. 


148  MlRillO,  CANT  IV. 

Aqu^u  Veran  li  pasturgavo. 

En  Crau  un  jour  que  traficavo, 
Enjusquo  vers  Mir^io,  aco  8*6i  di,  Veran 

Se  gandigu^.  Gar  en  Camai^o, 

E  fill  qu*alin  i  bouco  largo 

D*ounte  lou  Rose  se  descargo, 
Se  disi^  qu'^ro  bello,  e  lont^ms  lou  diran ! 

le  vengu^  fier,  em6  reboundo 

A  TArlatenco,  longo  e  bloundo, 
Jiiado  sus  Tespalo  en  guiso  de  manteu; 

Eni6  taiolo  chimarrado 

Coume  uno  esquino  de  rassado, 

E  capeu  de  telo  cirado 
Ounte  se  rebatie  lou  trelus  d6u  soul^u. 

E  quand  fugu^  davans  lou  m^stre  : 
Bon  jour  a  vous  emai  ben^stre ! 

D6u  RoseCamarguen  sieu,  dis,  un  ribeirdu  ; 
Sieii  lou  felen  d6u  gardian  Peire  : 
Es  pas  que  noun  lou  d6ugu6s  veire, 
Qu'au  mens  vint  an  'ni6  si  courreire, 

Moun  grand,  lou  gardian  Peire,  a  cauca  voste  eirou ! 

Dins  lapalun  que  nous  enrodo, 

Moun  segne  grand  n'avie  tres  rodo, 
Vous  n'en  souv6n !  Mai,  mfestre,  oh !  se  vesias  dempiei 

Lou  riche  creis  d*aqu6u  levame  ! 

Podon  n  en  loumba  li  voulame ! 

N*av6n  s6l  rodo  eme  s6t  liame  ! 
—  Longo-mai  I  o  moun  fi6u,  respoundegu6  lou  viei, 


MIREILLE.  GHAMT  IV.  149 

Ce  V6ran  les  gardait  au  p^turage.  —  Un  jour  qu'il 
parcourait  la  Chrau,  —  jusqu'aupres  de  Mireille  V6- 
ran,  dit-on,  —  poussa  ses  pas.  Car  en  Camargue,  — 
et,  jusque,  1^-bas,  aux  larges  bouches  —  par  ou  le 
Rhdne  se  decharge,  —  on  disait  qu  elle  6tait  belle,  et 
longtemps  on  le  dira ! 


II  y  vint  fi6rement,  avec  veste  —  k  TArl^sienne, 
longue  et  blonde,  ^-  jette  sur  F^paule  en  guise  de 
manteau,  —  avec  ceinture  bariolee  —  comme  un  dos 
de  lizard,  —  et  chapeau  de  toile  cir6e  —  ou  se  re- 
fl^chissait  I'^clat  du  soleil. 


Et  lorsqu'il  fut  devant  le  maitre  :  —  «  Bonjour  k 
vous  et  bien-6tre  aussi !  —  Du  Rhdne  Camarguais  je 
suis,  dit-il,  un  riverain;  —  je  suis  le  petit-fils  du  gar- 
dien  Pierre :  —  au  reste,  vous  devez  le  voir,  — car,  au 
inoins  vingt  ans,  avec  ses  coursiers,  —  inon  aieul, 
le  gardien  Pierre,  a  foule  votre  air6e ! 


«  Dans  le  marais  qui  nous  entoure,  —  mon  v6n6. 
rable  aieul  avait  trois  rodes^^  (de  coursiers)...  —  II 
vous  en  souvient !  Mais,  maitre,  oh !  si  vous  voyiez, 
depuis,  —  le  riche  croit  de  ce  levain !  —  EUes  peu- 
vent  en  abattre  les  faucilles !  —  nous  en  avons  sept 
rodes  et  sept  liens  "  !  »  —  « Longtemps,  6  mon  fils, 
r^pondit  le  vieillard, 

13. 


ihi)  WIRfciO,   CANT  IV. 

0,  loiigo-mai  n'en  vegues  naiss*^ , 

E  li  coundngues  dins  lou  paiss^ ! 
Ai  counelgu  toun  grand ;  e  certo,  aco  'ro  ora  eu 

Uno  amista  de  longo  toco  ! 

Mai  quand  piei  Tage  nousdesfioco, 

A  la  clarta  de  nosto  moco 
Demonran  en  repaus,  e  Tamistan^,  adi6u! 

—  Es  pas  lou  tout !  \engue  lou  drolo, 
E  noun  sabes  qu'ei  que  vous  vole  : 

Mai  d*un  cop,  au  Sambu,  quand  venon  li  Craen 
Querre  de  c&rri  d'apaiage, 
Entandaumens  que  de  si  viage 
I'ajudan  faire  lou  bihage, 

l)i  chatouno  de  Crau  arribo  que  parlen  ; 

E  ni'an  retra  voslo  Mireio 
Tantde  moun  goust,  qu'a  vostoid^io 
Se  Ipouvas  Veranet,  voste  gendre  sara... 

—  Veranet !  Pousquesse  loa  veiro 
Cridi^  Ramoun,  que  de  loun  rehire, 
De  inoun  ami  lou  gardian  Ptiire 

Lou  sagatun  flouri  noun  pou  que  m'ounoura ! 

E  coume  un  ome  que  rend  gr^ci 
Au  Segnour  Dieu,  dins  lis  espaci 

Aubour^  si  dos  man  *m*  aqueslo  esclamacioun  : 
Mai  qu*agrades  a  la  picholo, 
(Car  M  souleto  e  la  mignoto !) 
En  proumiprage  de  la  doto 

Lou  sant  tousl^ms  t'av^ngue  e  la  benedicioun  ! 


MIREILIF,  CHANT  IV.  I.M 

«  Oui,  longtemps  puisses-iu  les  voir  multiplier,  — 
et  les  conduire  au  p&turage  1  —  J'ai  connu  ton  aieul, 
et  certes,*c'6tait  avcc  lui  — une  amitie  de  longue 
main !  — Mais  lorsque  enfin  FAge  nous  glace,  —  §  la 
clart^  de  notre  lampe  ** —  nous  demeurons  en  repos, 
et  les  amis,  adieu!  » 


—  «  Ce  n'est  pas  tout,  dit  le  jeune  homme,  —  et 
vous  ne  savez  pas  ee  que  je  veux  de  vous  :  —  plus 
d'une  fois,  au  Sambuc,  quand  viennent  les  gens  de 
Crau  —  querir  des  chariots  de  litiere,  —  pendant  que 
de  leurs  chargements  —  nous  leur  aidons  k  serrer  la 
liure,  —  il  nous  arrive  de  parler  des  fillettes  de  Crau. 


«  Et  ils  m'ont  peint  votre  Mireille  —  tellement  de 
mon  goAt,  qu*a  votre  id6e  —  si  vous  trouvez  V6ran, 
votre  gendre  sera...  »  —  «  Veran  !...  pusse-je  voir 
cela  I  —  s*6cria  Ramon,  car  de  ton  ancMre,  —  de 
mon  ami  le  gardien  Pierre  —  le  rejelon  fleuri  ne  pent 
que  m'bonorer ! » 


Et,  tel  qu  un  homnie  qui  rend  graces  —  au  Sei- 
gneur Dieu,  dans  T^tendue  —  il  leva  ses  deux  mains, 
en  s'toiant :  —  «  Pourvu  que  tu  plaises  a  la  pelite, 
—  (car  etant  seule,  elle  est  la  bien-aimee!)  — en 
pr^mice  de  la  dot,  —  r6temit6  des  saints  t'advienne, 
et  la  benediction  !  » 


162  MIRftiO,  CANTIV. 

E  sono  quatecant  sa  chato, 

E  le  dis  )6u  de  que  se  trato. 
Palo  subitamen,  lou  regard  enebi,  * 

E  tremoulanto  de  cregn^n^o  : 

Mai  Yosto  sanio  couneiss^nco, 

le  fagu6  'nsin.  paire,  en  que  penso, 
Que  vougu6s,  liuen  de  vous,  tant  jouino  me  chabi  ? 

—  Ve,  fau  que  plan  acd  se  meiie, 

M'aves  agu  di,  per  se  prene ! 
Fau  counfeisse  li  g^nt,  fau  n*6stre  couneigu... 

E  li  coun6isse,  qu'es  encaro  ?. . . 

E  dins  la  n^blo  de  sa  caro 

Subitamen  pareigu6  claro 
Unodou^o  pensado.  Un  matin  qu*a  pl6ugu, 

Se  v^i  ansin  li  flour  negado 

Atraves  Taigo  bautugado. 
La  maire  de  Mireio  aprouv6  sa  resoun... 

E  lou  gardian  em6  *n  sourrire  : 

M^ste  Ramoun,  dis,  me  retire ! 

Car  d6u  mouissau,  ai  h  vous  dire 
Qu*un  gardian  Gamarguen  coun^is  ]&  pougnesoun. 

Au  mas,  dins  lou  meme  estivage, 

Vengu^,  di  p^ti  d6u  S6uvage, 
Pfer  veire  la  chatouno,  Ourrias  lou  toucadon. 

D5u  S6uvage,  negro,  malino, 

E  renoumado  es  la  bouvino. . . 

1  souleias,  k  la  plouvino, 
Souio  lou  balcdis  di  glavas  negadou, 


MIUEILLE,  CHA!rr  IV.  153 

Et  sur-le-chainp  il  appelle  sa  fiUe,  —  et  iui  dit 
vite  ce  qui  se  traite.  —  PAle  soudain,  \e  regard  in- 
lerdit,  —  et  tremblante  d'appr^hension  ;  —  «  Mais 
voire  sainte  intelligence,  —  Iui  parla-t-ello  ainsi, 
p6re  k  quoi  pense-t-elle,  —  pour  vouloir,  sijeune, 
m'^loigner  de  vous? 

«  —  Vois ,  il  faut  que  lentement  cela  se  m6ne,  — 
m'avez-vous  eu  dit,  pour  s'^pouser!  —  U  faut  con- 
naitre  les  gens,  il  faut  entire  connu...  —  Et  les 
connaitre,  qu'est-ce  encore?  » . . .  —  Et  dans  la  brume 
de  son  visage  —  soudain  apparut  claire  —  une 
douce  pens^.  Un  matin  qu'il  a  plu, 

On  voit  ainsi  les  fleurs  noy^es  -^  k  travers  Teau 
troublee.  —  La  m6re  de  Mireille  approuva  ses  pa- 
roles, —  et  le  gardien,  en  souriant  :  —  «  Maitre 
Ramon,  dit-il,  je  me  retire!  —  car  du  cousin,  je 
vous  le  dis,  —  un  gardien  Camarguais  connait  la 
piqure.  » 


Au  mas,  dans  le  courant  du  m^me  616,  —  vint, 
des  pMuragos  du  Sauvage  **,  —  pour  voir  la  jeune 
fille,  Ourrias  "  le  toucheur.  —  Du  Sauvage,  noirs, 
mechanls  —  et  fameux  sont  les  boeufs....  —  Aux 
grands  soleils,  sous  les  frimas,  —  sous  le  battement 
des  pluies  diluviennes. 


^''»*  MIRftiO,  CANT  IV. 

Aqui,  lout  soul  eni6  si  bravo, 

Ourrias  tout  Tan  ii  pasquieravo. 
iNascn  dins  la  manado,  abari  'in6  li  bioii, 

Avie  di  biou  restampaduro, 

E  I'iue  s6uvage,  e  la  negruro, 

E  r^r  menebre,  e  Tamo  duro. 
Un  bihoiin  k  la  man,  lou  vi^sti  tra  per  s6u, 

Quant  de  cop,  rufe  desmamaire, 

D'entre  li  pousso  de  si  maire 
^'avie  pas  derraba,  desteta  li  vedeu! 

E  sus  la  niaire  encourroussado 

Hout  de  barroun  uno  brassado, 

D'aqui  que  fuge  Tespoussado, 
Ourlanto,  e  revirado  entreli  pinateu ! 

Quant  de  doublen  e  de  temenco, 

Dins  li  ferrado  Camarguenco, 
N'avie  pas  debana!  N'en  gardavo,  tamb^n, 

A  rentreciho,  uno  crelasso 

Coume  lou  nieu  qu'un  tron  estrasso  ; 

E  lis  engano  e  li  tirasso 
De  soun  sang  regoulant  s'^ron  tencho  p6r  t6in. 

Ero  un  b6u  jour  de  grand  ferrado, 

P^r  veni  faire  la  virado, 
hi  Santo,  Faraman,  Aigui-Morto,  Aubaroun, 

Avien  manda  dedins  lis  erme 

C^nt  cavalie  de  si  pu  ferme. 

Aqui  pamens  ounte  es  lou  terme, 
E  niounte  un  pople  foui  embarro  un  vaste  round, 


MIREILLE,  CHANT  IV.  155 

L^,  seul  avec  ses  vaches,  —  Ourrias  les  paissail 
toute  Fannie.  —  M  dans  le  troupeau,  —  61eve  avec 
les  boeufs,  —  des  boeufs  il  avait  la  structure,  —  et 
Toeil  sauvage,  et  la  uoirceur,  —  et  Tair  rev^che,  et 
I'toe  dure.  —  Un  rondin  k  la  main,  le  veteuient  jete 
par  terre. 


Gombien  de  Ibis,  rude  sevreur,  — des  uianielles 
de  leurs  meres  —  n*avait-il  pas  arrach6,  sevre  les 
veaux !  —  et  sur  la  mere  en  courroux  —  rompu  de 
gourdins  une  brass6e,  —  jusqu'a  ce  quelle  fuie 
Torage  de  coups.,  —  huriante,  et  retournant  la  t^te 
entre  lesjeunes  pins! 


Combien  de  bouvillons  et  de  genisses  *®,  —  dans 
les  fen^ades  "  Camai^aises,  —  n*avait-il  pas  ren- 
vers^s  par  les  cornes !  Aussi  en  gardait-il,  —  entre 
les  sourcils,  une  balafre  —  pareille  k  la  nuee  que  la 
foudre  dechire ;  —  et  les  salicornes  et  les  Irai- 
nasses  —  de  son  sang  ruisselant  s'etaient  teintes 
jadis. 

C'^tait  un  beau  jour  de  grande  fervade.  —  Pour 
rassembler  (les  boeufs),  —  les  Saintes,  Faraman, 
Aigues-Mortes,  Albaron  **^  —  avaient  envoys  dans 
les  friches  —  cent  cavaliers  de  leurs  plus  fermes.  — 
Cependant  au  lieu  determine,  —  oil  un  peuple  en  de- 
lire  enferme  un  vaste  cirque, 


150  MIUEIO,   CANT  IV. 

Destrassouna  dins  la  saiisouiro, 
Acoussegui  de  la  fichouiro 

Que  ie  tanco  au  galop  lou  bouient  toucadou, 
A  courso  foio,  tau  e  tauro 
Venien  coume  un  brounsimen  d'auro, 
En  escrachant  sagno  e  centauro, 

Venien  de  s'acampa,  tres  c^nt,  au  marcadou. 

La  troupelado  banarudo 
S'oplanto,  espavoiirdido  e  inudo. 

Mai,  Tarmo  dinsli  costo,  h  coucho  d'esperoun, 
Tres  ies  encaro  ie  fan  batre 
Lou  virouioun  de  ranfitiatre, 
Coume  lou  chin  apres  lou  matre, 

Counie  apr6s  li  ratie  I'aiglo  d6u  Luberoun. 

Quau  lou  creirie?  de  sa  cavalo, 
Contro  lusage,  Ourriasdavalo. 

I  porto  de  Tareno  amoulouna,  li  bi6u 
Terriblamen  subran  s'esbrandon, 
E  dins  Tareno  leu  s'alandon 
Cinq  bouvachoun,  que  sis  iue  brandon, 

E  que  traucon  lou  ceu  de  si  fier  cabass6u ! 

Coume  lou  v^nt  Ourrias  s'abrivo, 

Coume  lou  v6nt  apr^s  li  nivo, 
Li  secuto  a  la  courso,  k  la  courso  li  poun ; 

Quouro  k  la  courso  li  davan^o, 

Quouro  li  coto  em6  la  lango, 

A  Teudavans  quouro  ie  danso, 
Quouro  li  remouchino  emi  n  dur  cop  depouug. 


MIREILLE,  CHANT  IV.  157 

Eveilles  en  sursaut  dans  la  plaine  salee,  —  poui^ 
suivis  du  trident  —  dont  les  perce  au  galop  le  bouil- 
lant  toucheur,  —  a  course  folle,  laureaux  et  taures 
—  venaieiit,  comme  un  rugissement  de  vent,  —  en 
ecrasant  typhas  et  centaurees,  —  venaient  de  se  ras- 
sembler  trois  cents,  au  lieu  du  marquement. 


La  multitude  cornue  —  s*arrete,  effaree,  muette. 
—  Mais,  Tarme  dans  les  c6tes,  k  hate  d'eperon,  — 
trois  fois  encore  ils  lui  font  parcourir  —  le  circuit 
de  ramphitfaedtre,  —  tels  que  le  chien  apr6s  la 
martre,  —  tels  que  Taigle  du  Luberon  "  apr6s  les 
crecerelles. 


Qui  le  croirait?  de  sa  cavale,  —  centre  la  coutume, 
Ourrias  descend.  —  Aux  portes  de  I'arene  aggloine- 
r6s,  les  boeufs — terriblement  soudain  s*6branlent, — 
et  dans  Tarene  promptement  s*elancent  —  cinq  bou- 
villons  dont  les  yeux  flamboient  —  et  qui  percent  le 
ciel  de  leurs  t^les  superbes ! 


Comme  le  vent  Ourrias  se  precipite;  —  comme  le 
vent  apr6s  les  nues,  —  il  les  poursuit  a  la  course,  k 
la  course  les  pique,  — a  la  course  tant6t  les  devance, 
— tant6t  de  sa  lance  les  heurte, — tantdl  danse  devant 
eux,  —  tantdt  les  gourmande  d*un  vigoureux  coup 
de  poing. 

14 


i58  M!REIO,  CANT  IV. 

Ai !  tout  lou  pople  di  man  pico  : 

Ourrias,  blanc  de  p6usso  oulimpico, 
Per  li  bano,  a  la  courso,  k  la  fin  n  a  pres  un, 

E  testo  e  mourre,  e  forco  a  for^o  ! 

Vou  desclava  si  bano  torso, 

Lou  negre  moustre,  e  se  bidorso, 
E  braino  de  furour,  e  niflo  sang  e  furn. 

Vano  furour !  bound  inutile ' 

Lou  bouvati^,  d*un  cop  sulile, 
Aniourro  a  soun  espalo,  en  ie  troussant  lou  c6u, 

L'orro  testasso  d6u  bestiari ; 

E  rudamen  e  per  countr^ri 

Butant  la  besti,  counie  un  barri 
E  crestian  e  bestiau  barrulon  p6r  lou  sdu. 

Uno  esglaiado  cridadisso 

Estrementis  li  tamarifiso  : 
Bon  onie,  Ourrias !  bon  oine  !...  E  cinq  drole  espalu 

Tenien  lou  brau.  De  soun  emp^ri 

Per  ie  marca  lou  batist6ri, 

Ourrias  eu-meme  pren  lou  ferri, 
K'  ine  lou  f^rri  caud  ie  rimo  lou  malu. 

Un  v6u  de  fiho  d'Arle,  en  sello^ 

Erne  lou  sen  que  ie  bacello, 
Enflourado  au  galop  de  si  cavalot  blanc^ 

Venon  i'adurre  uno  grand  bano^ 

Raso  de  vin ;  e  dins  la  piano, 

Zoumai  1  lou  fouleloun  s*esvano.ii; 
Un  v6u  de  cavali^  li  seguisson,  brulant. 


MIREILLE,  CHANT    IV.  150 

Aie !  tout  le  peuple  bat  des  mains  :  —  Ourrias, 
blanc  de  poussi^re  olympique,  —  par  les  comes,  h 
la  course,  enfln  en  a  pris  un,  —  et  tete  et  mufle,  et 
force  a  force !  —  ]1  veut  degager  ses  cornes  retrous- 
sees,  —  le  noir  monstre,  et  il  tord  sa  croupe,  —  et 
mugit  de  fureur,  etrenifle  sang  etfiimee. 


Vaine  fureur !  inutiles  bonds  1  —  Le  bouvier,  d'uu 
roup  subtil,  —  appuie  a  son  6paule,  en  lui  lordant 
le  cou,  —  Fhorrible  t6te  de  la  brute  ;  —  et  rude- 
ment  et  en  sens  contraire  —  poussant  la  b6te, 
conrnie  un  rempart  —  chretien  et  bSte  roulent  par 
terre. 


Une  clameur  fr^netique  —  fait  trembler  les  tama- 
ris  :  «  Bon  homme!  Ourrias!  ban  homme! »  Et  cinq 
gars  aux  larges  6paules  —  tenaient  le  taureau  :  de 
son  triomphe  —  pour  lui  marquer  le  baptisterey  — 
(Jurrias  lui-m6me  prend  le  fer,  —  et  avec  le  fer 
chaud,  il  lui  briile  la  croupe. 


Un  vol  de  filles  d'Arles,  en  selle,  —  le  sein  forte- 
ment  agit^,  —  empourpr^es  au  galop  deleurshaque- 
n6es  blanches,  —  viennent  lui  apporter  une  grande 
corne  —  rase  de  vin ;  et  dans  la  plaine,  —  alerie !  le 
lourbiUon  de  nouveau  s'evapore;  —  un  vol  de  cava- 
liers les  suivent,  brAlants. 


160  MIRlSlO,  CANT  IV. 

Ourrias  vei  que  bidu  ^-n-abatre. . . 

E  n*en  demoro  encaro  quatre ; 
Mai  coume  lou  daiaire  es  k  toumba  lou  fen 

Tant  mai  ardent  que  mai  n'en  r^sto, 

I  durs  esfors  de  la  bat^sto 

S^mpre  que  mai  ^u  teni6  t^sto, 
C  de  quatre  animau  despouder^  li  ren. 

Taco  de  blanc,  bano  superbo, 

Lou  que  restavo  toundi6  Verbo... 
— Ourrias !  n  i'aproun!  n*i*aproun !  t6uti  li  vi^i  vaqui^ 

le  cridSron.  Vano  restanco  ! 

Contro  lou  brau  di  taco  bianco, 

Lou  ficheiroun  pausa  sus  Tanco, 
Rf'lent,  despeitrina,  deja  se  bandissi^. 

Zan !  coume  en  plen  mourre  Tencapo, 

Lou  ficheiroun  volo  enesdapo. 
L'atrogo  pougneduro  endemounio  lou  brau  ; 

Lou  toucadou  ie  sauto  i  bano ', 

Parton  ens6n,  e  de  la  piano 

Cns^n  afoudron  lis  engano. 
Sus  si  I6ngui  fourquello  apiela  A'k  chivau, 

Li  vaqui6  d'Arle  e  d'Aigui-Morto 

Tenien  d*k  ment  la  lucho  forlo : 
A  vincre,  t6uti  dous  furoun,  acarnassi, 

L'oine  doumtant  lou  bi6u  bramaire, 

Lou  bi6u  empourtani  lou  douintaire, 

E*m*un  lengau  escuinejaire 
Lipaiit,  tout  en  courr^nt,  soun  mourre  ensaunousi. 


MIREILLE,  CHANT  IV.  161 

Ourrias  ne  voit  que  boeufs  a  terrasser —  Qua- 

tre  restaient  encore ;  —  mais,  comme  le  faucheur, 
k  abattre  le  foin,-^e&t  d'autant  plus  ardent  qu'il 
en  reste  davantage,  —  aux  durs  efforts  du  combat 
—  de  plus  en  plus  il  tenait  t^te,  —  et  de  qualre 
animaux  il  6nerva  les  reins. 


Taches  de  Wane,  comes  superbes,  —  le  dernier 
tondait  le  gazon.  —  «  Ourrias!  assezt  assez! »  tous 
les  vieux  vachers  —  lui  crierent.  Vaine  6cluse !  — 
Sur  le  taureau  aux  blanches  taches,  —  le  trident 
po66  sur  la  hanche,  —  moite  de  sueur,  la  poitrino 
nuc,  il  fondait  d^jS. 


Zan !  comme  il  Tatteint  en  plein  mufle,  —  le  tri- 
dent vole  en  6clats ;  —  I'atroce  blessure  rend  le  tau- 
reau d^moniaque ;  —  d*un  bond  le  toucheur  le  saisil 
aux  cornes ;  —  ils  partent  ensemble,  et  de  la  plaine 
—  ravagent  ensemble  les  salicornes.  —  A  cheval, 
appuy^s  sur  les  longues  (hampes)  de  leurs  aigiiil- 
lons, 

Les  vachers  d' Aries  et  d'Aigues-Morles  —  contem- 
plaient  la  forte  lutte :  —  pour  la  victoire,  tous  deux 
furieux,  acham6s,  —  I'homme  domplant  le  boeuf  qui 
mugit,  —  le  boeuf  entrainant  le  dompteur,  —  et 
d'une  langue  epaisse,  ecumeuse,  —  lechant  k  la 
course  son  mufle  ensanglanl^. 


n 


1fi2  MIRfcIO,  CAIfT  IV. 

Misericdrdi !  lou  bidu  gagno ! 
Coume  ano  vilo  rastelagno, 
L*ome  i'a  darbouna  davans,  d6u  fane  qu'avi^... 

—  Fai  lou  mort !  fai  lou  mort  I  -—  En  tftiro 
Low  bidu  'me  si  piv^u  rafeiro, 

E,  dins  lis  6r,  sa  t^sto  f^ro 
A  s^t  cano  d'autour  Ion  bandis  k  Farri^ ! 

Uno  esglaiado  cridadisso 

Estrementis  li  taiiiarisso.... 
Alin  liuen  lou  pauras  vai  toumba  d'abonchoun, 

Amaluga.  Dempiei  pourtavo 

F^a  creto  que  lou  descaravo. 

Sus  la  cavalo  que  mountavo, 
Vengu^  dounc  vers  Mir^io,  arma  de  soun  pounchoun. 

Aqu6u  matin,  la  pi^uceleto 

Ero  a  la  font  touto  souleto ; 
Avie  'stroupa  si  mancho  em6  soun  coutihoun 

E  netejavo  li  fiscello 

Em*  la  couns6udo  fretarello. 

Santo  de  Dieu !  coume  6ro  bello, 
Qiiand  dins  lou  sourgent  clar  gafavon  si  petoun ! 

Ourrias  fagu6  :  Bonjour,  la  bello ! 
B6n?  refrescas  vdsti  fiscello? 
A-n-aqu6u  sourgent  clar,  se  vous  fasie  pas  ni.ii, 
Abeurari6u  ma  besli  bianco. 

—  Oh !  n'es  pas  Taigo,  eici,  que  manco, 
Respoundegu^  :  dins  la  restanco 

Poud^s  la  faire  bMire,  autant  coume  vous  plai. 


MIREIIiLE,   CHANT  IV.  165 

Misericorde !  le  boeuf  I'emporte !  —  Comme  une 

vile  r&telee  —  rhomme  a  roul^  devant  lui,  entraine 

par  Telaii —  «  Fais  le  mort !  fais  le  mort !  »  De 

terra  —  avec  ses  pointes  le  boeuf  Tenleve,  —  et  dans 
les  airs,  sa  t^le  farouche  —  k  sept  Cannes  de  haul 
le  lance  en  arriere ! 


Une  dameur  fren^tique  —  fak  trembler  les  ta- 

maris —  Au  loin  le  malheureux  va  tomber,  la 

face  contre  terre,  —  bris6.  II  portait  depuis  (lors)  — 
la  cicatrice  qui  le  d^figurait.  —  Sur  la  cavale  qu'il 
inontait,  —  il  vint  done  chez  Mireille,  arme  de  sa 
pique. 


Cette  matinee-la,  la  jeune  vierge  —  6tait  seulette 
a  la  fontaine ;  —  elle  avait  retrousse  ses  manches  el 
son  jupon,  —  et  netloyait  les  Pelisses*  —  avec  la 
pr^le  polisseuse.  —  Saintes  de  Weu!  qu'elle  6tait 
belle,  —  gueant  ses  petits  pieds  dans  la  source 
claire ! 


Ourrias  dit :  i(  Bonjour,  la  belle !  —  Eh  bien  ! 
vous  rincez  vos  Pelisses  ?  —  A  cette  source  claire, 
si  vous  le  permettiez,  —  j'abreuverais  ma  b^te  blan- 
che. »  —  «  Oh!  I'eau  ne  manque  pas,  ici,  —  repon- 
dit-elle  :  dans  T^cluse  —  vous  pouvez  la  faire  boire, 
—  anient  qu'il  vous  plait.  » 


i64  MIRfilO,  CANT  IV. 

— Bello,  digufe  I'enfant  86uvage, 

Sc,  p^r  manage  o  roumavage, 
Venias  k  Seuvo  riau,  ounte  la  mar  s'entfend, 

Bello,  n'aurias  pas  tant  de  peno ; 

Car  la  vaco  de  negro  meno, 

Libro  e  feroujo,  se  permeno, 
E  jamai  noun  se  mous,  e  li  femo  an  b6u  l^m. 

—  JouvM,  mounte  li  bi6u  demoron, 
De  languimen  li  chato  moron. 

—  Bello,  de  languimen,  en  est^nl  dous,  n'i'a  ges ! 

—  Jouv6nt,  quau  eilalin  s'esmarro, 
Dison  que  b^u  uno  aigo  amaro, 

E  lou  soul6u  i'usclo  la  caro... 

—  Bello,  soulo  li  pin  k  Toumbro  vous  tendres. 

—  Jouvent,  dison  qu'i  pin  i'escalo 
De  tourtouioun  de  serp  verdalo ! 

—  Bello,  aven  li  flamen,  av^n  li  serpatie 

Qu*en  desplegant  soun  manleu  rose 
le  fan  la  casso,  long  d6u  Bose 

—  Jouvent,  escoutas  (que  vous  crose), 
Soun  trop  liuen,  vdsti  pin,  de  mi  falabreguie, 

—  Bello,  entre  capelan  e  fiho, 
Noun  podon  saupre  la  patrio 

Ounte  anaran,  se  dis,  manja  soun  pan  un  jour, 

—  Mai  que  lou  manje  em6  quau  ame, 
Jouvent,  r6n  autre  noun  reclame 

Per  que  de  moun  nis  me  desmame. 

—  Bello,  s'ac6*s  ansin,  dounas-me  voste  amour! 


MIREILIE.  CHANT  IV.  1G5 

—  «  Belle,  dil  le  sauvage  enfant,  —  si  comme 
epbuse  ou  pelerine,  —  vous  veniez  a  Sylvartal'S  ou 
Ton  entend  la  mer,  —  belle,  vous  n'aurieic  pas  tant 
de  peine ;  —  car  la  vache  de  race  noire  —  se  pro- 
m^ne,  libre  et  farouche,  —  et  jamais  on  ne  la  trait, 
et  les  femmes  ont  du  bon  temps.  » 

—  «  Jeune  homme,  au  pays  des  boeufs,  —  d'en- 
nui  les  jeunes  filles  meurent.  »  —  «  Belle,  d'ennui, 
quand  on  est  deux ,  il  n'en  est  pas !  »  —  «  Jeune 
homme,  qui  s'dgare  dans  ces  contrees  lointaines  — 
boit,  dit-on,  une  eau  amere,  —  et  le  soleil  lui  brdle 
le  visage. .. »  — «  Belle,  sous  les  pins  vous  vous  tien- 
drez  k  Tombre.  » 

—  «  Jeune  homme,  on  dit  qu'il  monte  aux  pins  — 
des  tortis  de  serpents  verdAlres !  >>  —  «  Belle,  nous 
avons  les  flamants,  nous  avons  les  herons  —  qui, 
d^ployant  leur  manteau  rose,  —  leur  font  la  chasse, 
le  long  du  Rhdne. »  —  «  Jeune  homme,  6coutez  (quo 
je  vous  interrompe !),  —  ils  sont  Irop  loin,  vos  pins, 
de  mes  micocouliers.  » 

—  a  Belle,  prfttres  et  filles  —  ne  peuvent  savoir 
la  patrie  —  ou  ils  iront,  dit  le  proverbe,  manger 
leur  pain  un  jour.  »  —  «  Pourvu  que  je  le  mange 
avec  celui  que  J'aime,  —  jeune  homme,  je  ne  re- 
clame rien  de  plus  —  pour  me  sevrer  de  mon 
nid. »  —  «  Belle,  s'il  en  est  ainsi,  donnez-moi  voire 
amour !  » 


fcr.  Minftio,  CAM  IV. 

—  Jouvfent,  Taur^,  digu6  Mir6io ; 

Mai  'qu^H  planto  de  ninf^io 
Pourtaran  peravans  de  rasin  couloumbau ' 

Aaperavans  vosto  fourcolo 

Jitara  flour ;  aqu6li  colo 

Coume  de  ciro  vendran  molo, 
E  s'anara  p^r  aigo  k  la  vilo  di  Bau  ! 


MIREILLE,  CHANT  IV.  167 

—  «  Jeune  homme,  vous  Taurez^  dit.iMireille.  — 
Mais  ces  plantes  de  nymphsea  —  porteront  aupa- 
ravant  des  raisins  colomtntis!  —  auparavant  votre 
trident  —  jettera  des  fleurs ;  ces  collines  —  s'amol  - 
liront  comme  la  cire,  —  et  Ton  ira  par  mer  k  la  ville 
des  Baux !  » 


NOTES 

hV  CHiNT  QUATRIEME. 


1  Hartigue  [Martegue]  (Voyez  Chant  I,  note  12.] 
Skelande  (»ceUnido],  csp^e  de  bateau. 

*  Paillole  [paiolo),  espece  de  grand  filet  &maiUes  ^troites. 
^  Lac  d'Entressen  [clar  (fEntressin),  dans  laCrau. 

*  Bessonniere  (besiouttiero),  brebis  qui  met  bas  des  jumeaux. 
'  Un  portique,  ayec  un  tombeau,  qui  supporte  deux  gen^raux  de 

pieire. 

A  unc  demi-beure  de  Saint -Remy,  au  pied  mtoe  des  Alpinet^, 
s'elevent,  a  c6te  Tun  de  I'autre,  deux  beaux  monuments  romainS. 
L'un  est  un  arc  de  triompbe,  I'autre  un  magnificpie  mausol^  con- 
struit  sur  trois  etages,  ome  de  riches  bas-reliefs,  et  surmonte  d'un 
gracieux  campanile,  que  soutiennent  dix  colonnes  corinthiennes  a 
travers  lesquelles  se  montrent  debout  deux  statues.  Ge  sont  les 
demiers  vestiges  de  Glanum,  colonie  marseillaise  d^truile  par  les 
barbares. 

®  Gr^puscule  (ahoufy  xfapiott  heure  indue,  nuitprofonde). 

"  Le  Sambuc  {lou  Sambu)^  hameau  du  territoire  d' Aries,  dans 
rile  de  Camargue. 

8  Cabridellc  (Cabridello).  (Voyex  Chant  I,  note  i4.) 

®  La  Camargue  (laCamargo)^  vaste  delta  form^  par  la  bifurcation 
duRhdne.  Cette  lie,  qui  s'^tend  depuis  Aries  jusqu'^  la  mer,  contient 
soixante-qualorze  mille  sept  cent  vingt-sept  hectares  de  superficie. 
L'immensit^  de  ses  horizons,  le  silence  grandiose  de  ses  plaines 
unies.  son  strange  vegetation,  son  mirage,  ses  Clangs,  ses  essaims 
de  moustiques,  ses  grands  troupeaux  de  boeufs  et  de  chevaux  sau- 
vages,  etonnent  le  voyageur  et  font  penser  aux  pampas  de  I'Ame- 
riquedu  Sud.  (Voyez  Chant  X.) 

«o  Le  Vaccares  {lou  vacar^s)^  dans  Tile  de  Camargue ,  est  mi 
vaste  ensemble  de  mar^cages,  d'^tangs  sal^  et  de  lagunes.  Va- 
caH$  est  form^  du  mot  vaco  et  de  la  desinence  provengale  ar^, 


NOTES  DU  CHANT  IV.  169 

qui  indique  la  reunion,  lag^n^ralite.  II  signifie  un  lieu  ousont  de 
iiombreuses  vaches.  G'est  ainsi  que  de  vignOj  vigne,  barcOi  barque, 
rito,  rive,  on  a  fait  vignards,  vignoble,  barcar^St  flotte,  ribeir^s, 
rivage. 

**  Rodes  (rodo).  La  racesauvage  deschevaux  camargues  est  em- 
ployee au  foulage  des  gerbes.  Ces  aniraaux  se  comptent  par  rode 
(roue,  cercle).  La  rode  est  compos^e  de  six  liens  [liame] ;  le  lien 
est  une  paire,  la  rode  contient  par  consequent  douze  chevaux. 
•*  Lien  (liame).  (Voyez  la  note  precedente.) 
*'  A  la  Claris  de  notre  lampe  (A  la  clarla  de  nostromoco).  La 
tnoco  est  un  trongon  de  roseau  qu'on  suspend  dans  les  mas  aux 
solives  de  la  salle  a  manger.  EUe  porte  la  lampe  romaine  appelee 
caleu, 

**  Le  Sauvage  (lou  Sduvage],  vaste  contrde  deserte,  nomm^e 
aussi  petite  Gamargue,  circonscrite  au  levant  par  le  petit  Rhdne, 
qui  la  s^pare  de  la  grande  Gamargue,  au  midi  par  la  Mediterra- 
nee,  au  couchant  ct  au  nord  par  le  Rhone  mort  et  le  canal  d'Ai- 
gues-Mortes.  G'est  le  principal  s^jour  des  taureaux  noirs  sauvagcs. 
*5  Ourrias,  forme  provengale  du  nom  propre  Elz^ar, 
*®  Gombien  de  bouviUons  et  de  genisses  (quant  de  dmblen  e  de 
lemenco).  Unbouvillon  d'un  ans'appelle  en  provengal  un  anouble; 
de  deux  ans,  un  doublen;  de  trois  ans,  un  temen.  Une  temenco 
est  une  genisse  de  trois  ans. 

*'  Ferrade  (ferrado) ,  operation  pastorale  qu'on  c^lebrc  a  Aries 
Uvec  beaucoup  d'appareil,  ct  qui  consiste  a  rdunir  tous  les  jeunes 
boeufs  dans  un  espace  determine,  pour  les  marquer  au  chiffre  du 
propri^taire  avec  un  fer  rouge. 

••  Les  Saintes  (li  Santo)  (voyez  Ghant  I,  note  45).  —  Faraman, 
Aibaron  (Faraman ,  Aubaroun),  hameaux  de  la  Gamargue.  —  Ai- 
gues~Mortes(Gard),  [Aigui-Morto.]  G'est  dansle  port  de  cette  villc 
que  saint  Louis  s'embarqua  deux  fois  pour  la  Terre  sainte.  Fran- 
gois  I*'  et  Gharles-Quint  y  eurent  une  entrevue  en  1539. 
^^  Luberon  [Luberoun).  (Voyez  Gbant  III,  note  12.) 
*®  fcclisse,  [fiscello),  faisselle,  vase  de  terre  dont  le  fond  est 
percd  de  petits  trous,  destine  a  former  et  a  faire  ^goutter  les  fro- 
mages  FiscellOf  du  latin  fiscellOy  mdme  signification. 

'*  Sylvar^al  (S^uvo-riau),  forSt  de  pins-parasols,  situ^e  dans  la 
petite  Gamargue  (Voyez  ci-dessus,  note  14.).  Un  petit  fort,  con- 
struitdans  ces  parages  pour  protdger  la  navigation,  domine  cette 
lie,  et  porte  aussi  le  nom  de  fort  de  Sylvar^al. 

15 


CANT  CINQUEN 

LA   BATfiSTO 


Lou  bouvati^  s'entoruo,  furious  (16u  refus  de  Mir^io.  —  Caltgnage 
de  Mir^io  em^  Vincen.  —  L'erbo  di  frisoun.  —  Ourrias  rescontro 
Viiicenet,  e  brutal  amen  ie  cerco  reno.  —  Li  prejit :  Jan  de  rOurse. 
—  Nourtalo  batesto  di  dous  rivau  dins  la  Crau  vasto.  — -  Vitori  e 
generouseta  de  Vincenet.  -—  Traitesso  d6u  toucadou.  —  Ourrias 
trauco  Yinc^n  d'un  cop  de  flclieiroun,  e  fugis  au  galop  de  sa  ca- 
valo.  —  Arribo  au  Rose.  —  Li  tres  barqui^  fantasti.  —  Lou  bat^ii 
b'enarco  souto  lou  pes  de  4fassassin.  ~-  La  niue  de  sant  Nedard  : 
proucessioun  di  negadis  sus  lou  dougan  dou  flum.  —  Ourrias 
V.iproufoundis.  —  Danso  di  Tr^vo  sus  lou  pont  de  Trincalaio. 


L'oumbro  dis  aubo  s'aloungavo  ; 

La  Ventoureso  boulegavo ; 
Lou  soiil^u  avi6  'ncaro  un  pareii  d'ouro  d'aut ; 

E  1i  boui6  que  labouravon 

Vers  lou  souleu  se  reviravon 

De  t^nis  en  terns,  car  desiravoii 
Lou  retour  d6u  seren,  e  si  femo  au  lindau. 

Lou  toucadou  se  retournavo  : 

Dins  sa  cabesso  remenavo 
L'escorno  que  veniS  de  regaupre  a  la  font. 

Sa  testo  ero  destitnbourlado, 

E  de  sa  rabi  recatado 

De  i€»ms  en  tems  li  lancejado 
Ic  jilavon  lou  sang  e  la  vergougno  au  front: 


CHANT  CINQUIEME 

LE  COMBAT 


I.e  bouvier  s'en  retonrne,  furieux  du  refus  de  Mireille.  —  Lesaraoui-s 
dc  Vincent  et  de  Mireille.  —  La  Valmeria  spiralis,  —  Rencontre 
d'Ourrias  et  de  Vincent.  —  Brutale  agression  du  bouvior.  —  Lcs 
invecflves  :  Jean  de  I'Ours.  —  Combat  ^  mort  des  deux  rivaux  dans 
la  Crau  d^serte.  —  Yictoire  et  generosity  de  Vincent.  —  Felonie  du 
toucheur.  —  Ourrias  perce  Vincent  d'un  coup  de  trident  et  fuit  an 
galop  de  sa  cavale.  —  11  arrive  au  Rhdne.  —  Les  trois  bateliers 
fantastiques.  —  La  barque  se  revolte  sous  le  poids  de  I'assassin. 
—  La  nuit  de  Sam(-M<^dard  :  procession  des  noy^  sur  la  rive  du 
fleuve.  —  Ourrias  est  englouti.  —  Danse  des  Treves  sur  le  pont  de 
Trinquetaille. 


L'ombre  des  peupUers  blancs  s'allongeait ;  —  la 
brise  du  Ventour  remuait ;  —  le  soleil  avail  encore 
une  couple  dlieures  de  haul ;  —  et  les  laboureurs 
—  se  retournaient  vers  le  soleil  —  de  temps  eii 
temps,  car  ils  desiraient  —  le  relour  du  serein  et  (la 
vue  de)  leurs  femmes  sur  le  seuil. 


Le  toucheur  s'en  allait  :  —  il  roulait  dans  son 
esprit  —  Taffront  qu'il  venait  de  recevoir  a  la  Fon- 
taine. —  Sa  t^te  etait  bouleversee,  —  et  de  temps  a 
autre,  les  61ancements  —  de  sa  rage  concent  ree  — 
lui  jetaient  au  front  le  sang  et  la  lionte. 


172   •  MIRfilO,  CANT    V. 

E  tout  en  lampant  dins  li  terro, 
Remi^utejavo  sa  coul^ro ; 

E  de  I'aspre  despi^  que  ie  gounflo  soun  Ito, 
I  code  que  la  Grau  n'es  pleno 
Coume  un  bouissoun  de  sis  agrrno, 
P^r  se  batre  auri^  cerca  reno ! 

Aurie  de  soun  pounchoun  fichouira  lou  souleu  !. 

Un  porc-singli^  que  de  sa  tousco 

An  fa  parti,  e  que  tabousco 
Sus  li  moure  desert  de  TOulimpe  negras, 

Avans  de  courre  sus  li  chino 

Que  lou  secuton,  revechino 

Lou  rufe  p6u  de  soun  esquino, 
En  amoulant  si  pivo  i  peje  di  blacas. 

A  Tendavans  d6u  gardo-vaco 

Que  lou  mourbin  pounchouno  e  maco, 
Dins  lou  meme  draiou  lou  b6u  Vinc^n  venie 

E  dins  soun  amo  risouleto, 

Revassejavo  i  paraulelo 

Que  Tamourouso  pieuceleto 
I'avie  dicho  un  matin  dessouto  raqfiourie. 

Dre  coume  un  cani6  de  Dur6n^o, 

fiu  caniinavo  ;  e  de  plas^nco, 
E  de  pas,  e  d'amour  clarejavon  sis  er ; 

L'aureto  molo  s'engourgavo 

Dins  sa  camiso  que  badavo ; 

Dins  li  coudelet  caminavo, 
Descaus,  e  lougeret,  e  gai  coume  un  lesert. 


MIREILLE,  CHANT  V.  173 

Et,  tout  galopant  dans  les  terres,  —  il  grommelail 
son  courroux ;  —  et  de  YApre  d^pit  qui  gonfle  son 
poumon,  —  aux  cailioux  dont  la  Crau  est  pleine  — 
comme  un  buisson  Test  de  prunelies,  —  pour  se 
hattpe,  il  eiit  cherche  noise  ;  —  il  eAt  de  son  trident 
perce  le  soleil  I . . . 


Un  sanglier  qu'on  a  relanc^  dans  ses  broussailles, 
et  qui  court  —  sur  les  inamelons  deserts  du  sonibre 
Olympe  *,  ~  avant  de  fondi^e  sur  leschiennes  — 
qui  le  pourchassent,  h^risse  —  le  rude  poil  de  son 
dos,  —  en  aiguisant  ses  defenses  aux  Ironcs  des 
chines. 


A  la  rencontre  du  vacher  —  que  le  ressentimenl 
aiguillonne  et  meurtrit,  —  dans  le  m^mc  sentier  ve- 
nait  le  beau  Vincent ;  —  et,  dans  son  ftme  souriante, 
—  il  r6vait  des  douces  paroles  —  que  Tamou- 
i^use  vierge,  —  un  matin,  sous  le  mArier,  liii  avait 
dites. 


Droit  comme  une  cannaie  de  Durance,  —  il  che- 
minait;  et  de  bonheur,  —  et  de  paix,  et  d'amour 
rayonnaient  ses  traits ;  —  la  brise  moUe  s'engouf- 
frait-  —  dans  sa  chemise  beante;  —  il  cheminait 
dans  les  galels,  —  pieds  nus,  I6ger,  el  gai  comme 
un  lezard. 


15. 


in  MiRfciO,  CANT  V. 

Souv6iiti-fes,  k  Touro  fresco 

Ounte  la  terro  s*enmouresco, 
Alor  que  dins  li  prat  ii  fueio  de  tr^uloun 

Se  replegon  afrejoulido, 

Is  alentour  de  la  bastido 

Ounte  restavo  la  poulido, 
Veni^,  tout  treboula,  faire  lou  parpaioun. 

E  d'escoundoun,  em6*n  fin  g&ubi, 
D6u  lucre  d'or  o  ddu  reinaubi, 

Imitavo  de  liuen  lou  canta  dindoulet  : 
La  jouveineto  afeciounado 
Qu'a  i^u  coumpr^  quau  Ta  sounado, 
Yeni^  leu  k  la  bouissounado, 

Cauta-cauto,  e  lou  cor  doucamen  tremoulet. 

K  lou  clar  de  luno  que  dono 
Sus  li  boutoun  de  courbo-dono  ; 

E  Taurelo  d'estieu  que  frusto,  k  jour  fall, 
I/auto  barbeno  dis  espigo, 
Quand,  souto  la  molo  coutigo, 
En  milo  e  milo  rigo-migo 

Se  fringouion  d*amour  coume  un  sen  trciouli ; 

E  la  joio  desmemouriado 

Qu'a  lou  cliamous,  quand  a  si  piado 

Tout  un  jour  a  senti,  dins  li  ro  dou  Queiras, 
Li  cassaire  que  lou  fan  courre, 
E  qu'6  la  longo  sus  un  moure 
Escalabrous  coume  uno  tourre, 

Se  v^i  soul,  dins  li  inele,  au  mitan  di  counglas ; 


MIBEILLE,  CHANT  V.  17ft 

Maintes  fois,  k  Theure  fratche  —  ou  la  terre  se 
voile  d  ombre,  —  alors  que  dans  les  pr6s  les  feuil- 
les  de  trifle  —  se  replient,  frileuses,  —  aux  alen- 
tours  de  la  bastide  —  ou  restait  la  belle,  —  il  venait, 
tout  trouble,  faire  le  papillon. 


Et  en  cachelle,  habilement,  —  du  lucre  d'or  ou  du 
motteux  —  il  iiiiitait  de  loin  le  cbant  gr^le  :  —  la 
jeune  fiHe  ardente,  —  qui  a  vite  compris  qui  Tappelle, 
—  venait  vite  k  la  haie  d'aubepine,  —  furtivement, 
et  le  coBur  doucement  agite. 


Et  le  clair  de  lune  qui  donne  —  sur  les  boutons  de 
narcisse;  —  el  labrise  d'el6  qui  fr61e,  au  jourtom- 
bant,  —  les  hautes  barbes  des  ^pis,  —  quand,  sous 
le  mol  cbatouillenrient,  —  en  mille  et  mille  ondula- 
tions  —  ils  se  tr^moussent  d'amour,  comme  un  sein 
quitressaiile; 


Et  la  joie  eperdue  —  qu*eprouve  le  chamois,  lors- 
qu'^  ses  traces  —  il  a  senti  tout  un  jour,  dans  les 
rocs  du  Queyras  *,  —  les  chasseurs  qui  le  poursui- 
vent,  —  et  qu'enfin,  sur  un  pic  —  escarp^  comme 
une  tour,  —  il  se  voit  seul,  dans  les  m^l^zes,  au  mi- 
lieu des  glaciers ; 


no  MIREIO,  CANT  V. 

N'es  qu  uno  eigagno,  en  coumparanco 

Di  moumenet  de  benuran^ 
Que  passavon  alor  e  Nir^io  Vinc^n... 

Mai  parlen  plan,  o  mi  bouqueto, 

Que  li  bouissounan  d'auriheto ! 

Escoundu  dins  Toumbro  caieto, 
Si  man  d'^  pau  a  pau  se  mesclavon  ens^n. 

Pi^i  se  teisavon  de  long  rode, 

R  si  p^d  turtavon  li  code ; 
E  tantost,  noun  sach^nt  que  se  dire  autramen, 

Lou  calignaire  nouvel&ri 

Countavo  en  risent  lis  auvSri 

Que  i*arribayon  d'ourdinSri : 
E  ii  nine  que  dourmi6  souto  lou  fiermamen, 

E  di  chin  de  mas  li  dentado 

Contro  sa  cueisso  enca  crelado. 
E  Mir^io,  tantost,  de  la  vueio  e  d6u  jour 

le  racounlavo  sis  oubreto, 

E  li  prepaus  de  sa  maireto 

Erne  soun  paire,  e  la  cabrefo 
Qu*avi6  desverdega  toulo  uno  triho  en  flour. 

Un  cop  Vincen  fugue  plus  m^stre : 

Sus  I'erbo  rufo  d6u  campestre 
Concha,  coume  un  cat-fer,  vengu^  de  rebaloun 

Toucant  ii  ped  de  la  jouineto... 

Mai  parlen  plan,  o  mi  bouqueto, 

Que  li  bouissoun  an  d'auriheto ! 
—  Mireio  !  acordo-me  que  te  fague  un  pouioun ! 


MIREILLE,  CHANT  V.  177 

Ce  n'est  qu'une  ros6e,  au  prix  —  des  courts  mo- 
ments de  f61icil6  —  que  passaient  alors  et  Mireille  et 
Vincent...  —  Mais  parlons  bas,  mesl^vres,  —  car 
les  buissons  ont  des  oreilles!  —  Caches  dausTombre 
pie,  —  leurs  mains,  petit  k  petit,  se  m^laient  en- 
semble. 


Ensuite,  ils  se  taisaient  de  longs  intervalles,  —  et 
leurs  pieds  heurtaient  les  cailloux ;  —  et  tantdt,  ne 
sacbant  se  dire  autre  chose,  —  Tamant  novice  — 
contait  en  riant  les  m^saventures  —  qui  lui  arri- 
vaient  d'ordinaire  :  —  et  les  nuits  qu'il  dormait  sons 
le  firmament. 


Et  les  dentees  des  cliiens  de  ferme  —  dont  sa 
cuisse  portait  encore  les  cicatrices. — Tant^t  Hireille, 
de  la  veille  et  du  jour,  —  lui  racontait  ses  pelits  tra- 
vaux,  —  et  les  propos  de  sa  m^re  —  avec  son  p6re, 
et  la  ch^vre  —  qui  avail  ravage  toute  une  treille  en 
fleur. 


Une  fois  Vincent  ne  fut  plus  maitre :  —  sur  Therbe 
rude  de  la  lande  —  couch6,  tel  qu'un  cbat  sauvage, 
il  vint  en  rampant  —  jusqu'aux  pieds  de  la  jouven- 
celle...  —  Mais  parlons  bas,  mes  l^vres,  —  car  les 
buissons  ont  des  oreilles!...  —  a  Mireille !  accorde- 
moi  de  te  faire  un  baiser ! 


178  MlRfelO,   CANT  V 

Mirfeio,  dis,  manje  ni  beve, 
De  Tamour  que  de  tu  receve ! 

Mirftio !  voudri^u  eslrema  dins  moun  sang 
Toun  alen  que  lou  v6nt  me  raubo ! 
A  tout  lou  mens,  de  Taubo  k  Vaubo, 
R6n  que  sus  Vorle  de  ta  raubo 

Laisso-me  que  me  vieule  en  la  poutouneyanl  ! 

—  Yincen !  ac6*s  un  pccat  negre  I 
E  li  bouscarlo  eme  li  piegro 

Van  piei  dicalignaire  esbrudi  lou  secret. 

—  Agues  pas  p6u  que  se  n*en  parle, 
Que  ieu  deman,  ve,  desbouscarle 
Toulo  la  Crau  enjusqu*en  Arle  ! 

MirMo !  vese  en  tu  lou  paradis  escr^t ! 

Mirfeio,  escouto  :  dins  lou  Rose, 
Disi6  lou  fieu  de  Meste  Ambrose, 

ra*no  erbo,  que  nouman  Verbeto  dj  frisouu; 
A  dos  flourelo,  separado 
Ben  sus  dos  planto,  e  retirado 
Au  founs  dis  oundo  enfresqueirado. 

Mai  quand  v^n  de  Tamour  p6r  eli  la  sesoun, 

Uno  di  flour,  touto  souleto, 

Mounlo  sus  Taigo  risouleto, 
E  laisso,  au  bon  souleu,  espandi  soun  boutoun  , 

Mai,  de  la  veire  tant  poulido, 

I'a  Tautro  flour  qu'6i  Irefoulido, 

E  la  ves6s,  d'amour  emplido, 
Que  nado  tant  que  pou  per  ie  faire  un  poutoun. 


MIREILLE,  CHAIST  Y.  179 

a  Mireille !  dit-il,  je  ne  uiaiige  ni  rie  bois,  —  telle- 
ment  tu  me  donnes  d'amour !  —  Mireille !  je  voudrais 
enfermer  dans  mon  sang  —  ton  haleine  que  le  vent 
me  derobe !  —  A  tout  le  moins,  de  Taurore  k  Tau- 
rore,  —  seulement  sur  I'ourlet  de  ta  robe  —  laisse 
que  je  me  route  en  la  couvrant  de  baisers  I  » 

—  «  Vincent !  c'est  \k  un  pech6  noir  !  —  et  les 
fauvettes  et  les  pendulines  —  vont  ensuile  ebruiter  le 
secret  des  amants.  »  —  «  N'aie  pas  peur  qu*on  en 
parle, — car  moidemain,  vois-tu,  je  depeuple  de  fau- 
vettes —  la  Crau  enti^re  jusqu'en  Aries  !  —  Mireille ! 
je  vois  en  toi  le  paradis  pur ! 


((  Hii'eille,  6coute  :  dans  le  Rh6ne,  -^  disait  le  ills 
de  maitre  Ambroise,  —  est  une  herbe  que  nous  nom- 
mons  Y herbette  anxboiicles^ ;  —  elle  a  deux  fleurs, 
bien  s^par6es  —  sur  deux  plantes,  et  retirees  —  au 
fond  des  fraiches  ondes.  —  Mais  quand  vient  pour 
elles  la  saison  de  Tamour^ 


«  L'une  des  fleurs^  toute  seuie,  —  monte  sur  Teau 
rieuse,  —  et  laisse  au  bon  soleil,  6panouir  son  bou- 
ton  ;  —  mais,  la  voyant  si  belle,  —  I'autre  fleur  tres- 
saille,  —  et  la  voilS,  pleine  d*amour,  —  qui  nage 
tant  qu'elle  pent  pour  lui  faire  un  baiser. 


180  MIUEIO.  CANT  V. 

E,  tant  que  p6u,  se  desfrisouno 

De  rembuscun  que  I'empresouno, 
D*aqui,  paureto!  que  roumpe  soun  pecoidet ; 

E  libro  enfin,  mai  inourtineUo, 

De  si  bouqueto  palinello 

Fnisto  sa  sorre  blanquinello... 
Un  poutoun,  pi^i  ma  mort,  Mir^io  !...  e  sian  soulet ! 

Elo  6ro  palo ;  eu  per  delice 

La  miravo...  Dins  soun  broulice, 
Coume  un  cat-fer  s'enarco,  alor,  e  vitamen 

De  soun  anqueto  enredounido 

La  chatouneto  espavourdido 

V6u  escarta  la  man  aidido 
Que  deja  Tencenturo ;  6u  lournamai  la  pren.... 

Mai  parlen  plan,  o  mi  bouqueto, 

Que  li  bouissoun  an  d'aurihelo  ! 
—  Fenissc!  elo  gemis,  e  lucho  en  sc  loursent ; 

Hui  d'uno  caudo  caranchouno 

Deja  lou  drole  I'empresouno, 

Gauto  sus  gauto...  La  cbatouno 
Lou  pessugo,  se  courbo,  e  s'escapo  en  risent. 

E*  m'  aco  piei  la  beluguelo 

De  liuen  en  se  trufant :  Lingueto  ! 
Lingueto !  ie  cantavc...  Es  ansin,  eli  dous, 

Que  semenavon  a  la  bruno 

Soun  blad,  soun  poulit  blad  de  luno, 

Mauno  flourido,  ur  de  fourluno, 
Qu*i  paean  coume  i  rei  Diuu  li  mando  aboundous. 


MIREILLE,   CHANT  V.  181 

<f  Et,  tant  qu*elle  peut,  elle  deroule  ses  boucles 
—  (hors)  de  Talgue  qui  remprisonne,  —  jusqu'a 
tant,  pauvrelte !  qu'elle  rompe  son  p^doncule ;  —  et 
libre  enfin,  mais  mourante,  —  de  ses  levres  p^lies  — 
elle  eflleure  sa  blanche  soeur...  —  Un  baiser,  puis 
ma  inort,  Mireille !...  et  nous  sommes  seuls !  » 

Elle  6tait  pMe;  lui,  avec  delices,  —  Tadmirait. . . 
Dans  son  trouble,  —  tel  qu'un  chat  sauvage  il  se 
dresse  alors,  et  proraptement  —  de  sa  banche  ar- 
rondie  —  la  fillette  efTarouchee  —  veut  ecarter  la 
main  bardie  —  qui  d6j^  lui  ceint  la  taille ;  il  la  saisit 
de  nouveau... 


Mais  parlons  bas,  6  mes  levres,  —  car  les  buissons 
out  des  oreilles!.  .  — «  Laisse-moi!  »  gemil-elle,  et 
elle  lutte  en  se  tordant.  —  Mais  d'un^  chaude  ca- 
resse  —  d6ja  le  jeiine  hornme  I'^treint,  ~  joue 
contre  joue ;  la  fillette  —  le  pince,  se  courbe,  et  s  e- 
chappe  en  riant. 


Et  puis  apres,  vive  —  et  moqueuse,  elle  lui  chan- 
lait  deloin  :  Lingueto !  lingueto^ !  —  Ainsi  eux  deux 
—  semaient  au  cr6puscule  —  leur  ble,  leur  joli  ble 
de  lune*,  —  manne  ileurie,  hour  fortune  —  quaux 
manants  comme  aux  rois  Dieu  envoie  en  abondance. 


16 


m  MlUfclO,  CANT  V. 

Un  vespre  dounc,  en  la  Crau  vasto, 

Lou  beu  treiiairo  de  banasto 
A  J'endavans  d'Ourrias  venie  dins  lou  draiou. 

Lou  tron  d'uno  chavano  acipo 

Lou  proumier  aubre  que  lou  pipo, 

E,  Tiro  bourroulant  si  tripo, 
Veici  coume  parle  lou  doumtaire  de  bi6u : 

—  Es  beleu  tu,  Mn  de  baudreio, 
Que  las  enclauso,  la  Mireio  ? 

En  lout  cas,  o  'speia,  d'abord  que  vas  d  alin, 
Digo-ie*n  pau  que  m*enchau  d'elo 
E  de  soun  mourre  de  moustelo, 
Pas  mai  que  d6u  vi^i  tros  de  telo 

Que  ie  cuerbe  la  p^u  I . . .  Fauses,  beu  margoulin  ? 

Vincenet  ressaute ;  soun  aino 
Se  revih^  coume  la  flanio  ; 
Soun  cor  ie  boumbigue  coume  un  fio  gre  que  part : 

—  Panto  1  vos  dounc  que  Ie  coustible, 
E  que  moun  arpo  en  dous  te  giblet 

Ie  fai  en  Talucant,  terrible 
Coume  quand,  afama,  se  reviro  un  leupard. 

E  de  soun  iro  li  Irambleto 

Fasien  ferni  si  carvi6uleto* 
-^  Sus  la  gravo,  dis  Tautre^  anaras  mourreja ! 

Car,  as  U  man  trop  misloulinOj 

E  noun  sies  bon,  raubo-galino^ 

Que  p6r  gibla'n  J)rout  d'amarino, 
Per  camina  dins  I'oumbroj  e  p€Jr  gourrinejd ! 


MIREILLE,  CHANT  V.  183 

Cn  soir  done,  dans  la  vasle  Crau,  —  le  beau  tres- 
seur  de  bannes,  —  a  la  rencontre  d'Ourrias,  venait 
dans  le  senlier.  —  La  foudre  d*un  orage  frappe  —  le 
premier  arbre  qui  Tattire,  —  el,  les  enlrailles  boule- 
vers6es  par  la  colere,  —  voici  comme  parla  le  domp- 
tenr  de  boeufs : 


«  C'esttoi  peut-^tre,  fils  de  prostitute,  —  qui  Fas 
ensorcel6e,  la  Mireille  ?  —  En  tout  cas,  6  d^guenille, 
puisque  tu  vas  devers  1^-bas,  —  dis-lui  done  quo  je 
no  me  soucie  d*elle  —  et  de  son  museau  de  belelte  — 
pas  plus  que  du  vieux  lambeau  de  toilo  —  qui  l*^ 
couvre  la  peau!...  entends-tu,  beau  marjolet?  » 


Vincent  tressaillit ;  son  ^me  —  se  reveilla  conune 
la  ilamme ;  —  son  coeur  bondit  corame  im  feu  gr6- 
geois  qui  8*61ance  :  —  «  Rustre,  veux-lu  done  que  jc 
f^reinte,  —  et  que  ma  griffe  en  deux  te  ploio  ?  »  — 
lui  dit-il  avec  un  regard  terrible  —  comme  (celui  d) 
un  leopard  qui,  affame,  retourne  (la  tete). 


Et  de  sa  colere  le  tremblement  —  faisait  fremir 
ses  cbairs  violeltes.  —  «  Sur  le  gravier,  repartitTau- 
tre,  lu  iras  rouler  par  t6te !  —  car  tes  mains  sont 
Irop  d6biles,  —  et  tu  n'es  bon,  vil  maraudeur,  —  que 
pour  ployer  un  brin  d'osier,  —  pour  cheminer  dans 
I'ombre,  et  pour  vagabonder !  » 


181  MinElO,  CANT  V. 

—  0,  couine  torse  I'amarino, 
Respond  Vincen  qu'eigd  'nveriiio, 

Van  torse  toun  galet !...  Ve  !  ve  I  fuge,  se  pos, 

Fuge,  capoun,  qu'ailamali^o! 

Fuge,  0,  Sant  Jaque  de  Gali^o  ! 

Reveiras  plus  ti  famarisso, 
Car  vai,  'quest  poung  de  ferre,  embreiiiga  tis  os! 

Hereviha  de  trouva  'n  oine 
Sus  quau  enfin  sa  rabi  goine  : 

—  Ua  moumen  !  ie  respond  lou  vaquie  regagnous, 
Un  inoumenet,  moun  jouine  t6chi, 
Qu'abren  la  pipo ! . . .  E  de  sa  p5chi 
Tiro  un  boursoun  de  p^u  de  b6cbi, 

E'n  negre  cachimbau  qu*embouco  ;  e  desdegnous : 

—  Quand  te  bressavo  au  p6d  d'un  ourse, 
T'a  jamai  counta  Jan  de  TOurse, 

Ta  boumiaiio  de  maire?  a  Vinc6n  digue  'nsin. 
I'a  Jan  de  I'Ourse,  Tome  double, 
Que,  quand  soun  m^stre,  em^  dous  couble, 
Lou  mand6  fouire  si  restouble, 

Arrape,  couine  un  pastre  arrapo  un  barbesin, 

Li  besti  t6utis  atalado, 
E  su*no  pibo  encimelado 
Li  bandigue  p6r  Ter,  eni6  Taraire  apres ! 
E  tu,  marrias,  bonur  t'arribo 
Qu'apereici  i*a  ges  depiboi... 

—  Levaries  pa*n  ai  d*uno  ribo, 

Grand  pore!  n'as  que  de  lengo!  E  Vincen,  a  Tarr^st, 


MIREILLE,  CHANT  V.  185 

—  a  Oui,  comme  je  lords  Tosier,— repond  Vincent 
que  ces  (mots)  exasp6rent,  —  je  vais  lordre  ta 
gorge !...  Vois !  vois!  fuis,  si  tu  peux,  —  fuis,  Mche, 
ma  colore  I  —  fuis,  ou  par  Saint  Jacques  de  Galice  ! 
tu  ne  reverras  plus  tes  tamaris,  —  car  il  va,  ce  poing 
de  fer,  broyer  tes  os  !  » 


fimerveille  de  trouver  un  homme  —  sur  qui  enfin 
sa  rage  se  d6gorge  :  —  «  Un  moment !  lui  replique  le 
vacher  hargneux,  —  un  petit  moment,  mon  jeune 
fou,  —  que  nous  allumions  la  pipe!  »  Et  de  sa 
poche  —  il  tire  un  bourson  en  peau  de  bouc  —  et 
un  noir  calumet,  qu  il  euibouche ;  et  d^daigneux  : 


—  «  Lorsquelle te bergait au pied d'une anserine • 
—  ne  t*a-t-elle  jamais  raconte  Jean  de  TOurs',  —  ta 
m^re  boh6mienne?  dit-il  k  Vincent.  —  Jean  de 
rOurs,  I'homme  double,  —  quand  son  maitre,  avec 
deux  paires  (de  boeufs),  —  Tenvoya  labourer  ses 
chaumes,  —  saisit,  comme  un  p^tre  saisit  un  hippo- 
bosque, 

«  Les  bMes  toutes  attelees,  —  et  sur  un  peuplier  k 

haute  cime  —  il  les  lanca  dans  les  airs,  la  charrue 

avec.  —  Et  pourtoi,  chetif,  c'esl  fort  heureux  — que 

par  ici  ne  soit  point  de  peuplier !  »  —  a  Tu  n  dterais 

pas  un  kae  de  la  lisi^re  (dun  champ),  —  grand 

pore!  tu  n*as  que  de  la  langue!  »  —  Et  Vincent,  a 

Tarr^t, 

16. 


180  MIRfilO,  CANT  V. 

Coume  un  lebrie  tanco  un  besti^ri , 

Tancavo  aqui  soun  aversM. 
—  Que,  digo !  ie  cridavo  a  s'e^argamela. 

Long  galagu,  que  t'estrampales 

Sus  ta  gancKello,  b^a?  davales 

0  te  davale?...  Gales?  cales, 
Aro  qu'anan  sach^  quau  tet^  de  bon  in  ? 

Es  tu,  gusas,  que  portes  barbo  ? 

Te  caucarai  coume  uno  garbo  ! 
Es  tu  qu'as  mespresa  la  vierge  d*aquMi  mas, 

Mir^io,  la  flour  d6u  terraire? 

0,  i6u,  lou  marrit  panieraire, 

leu,  Vincenet,  soun  calignaire, 
Vau  lava  ti  mespres  dins  loun  sang,  se  n*en  as  ! 

Mai  lou  vaqui6  bramo  :  Arri !  km ! 

B6umian,  calignaire  d'armSri ! 
Espero,  esp6ro-me  I....  Sus-lou-cop  sauto  au  s6u ; 

Apereila  li  v6sto  volon  ; 

Picon  di  man,  lis  6r  tremolon  ; 

Souto  eli  li  caiau  regolon  ; 
Un  sus  Tautre  k  la  fes  parton  coume  dous  bi6u. 

Ansin  dous  brau,  quandsus  lis  erme 

Lou  souleias  dardaio  ferme, 
An  vist  lou  p6u  courous  e  li  large  malu 

D*uno  vaco  jouiuo  e  moureto 

Bramant  d'amour  dins  li  sarreto... 

E  sus-lou-cop  lou  tron  li  peto, 
E  d'amour  sus-lou-cop  v^non  foui  e  calu% 


MIREILLE,  CHANT  V.  187 

Comme  un  levrier  tient  une  b^te  fauve,  —  tenait 
la  son  adversaire.  —  «  Dis  done !  lui  criait-il  h  se 
briser  la  gorge,  —  long  goinfre,  qui  t'6carquilles  or- 
gueilleusement  —  sur  ta  baridelle,  descends-tu,  — 
ou  je  te  descends?...  Tu  mollis?  tu  mollis,  — 
mainienant  que  nous  allons  savoir  qui  teta  de  bon 
lait? 

«  C'est  toi,  sceleral,  qui  portes  barbe?  —  Je  te 
foulerai  comme  une  gerbe!  —  C'esl  toi  qui  as  me- 
pris6  la  vierge  de  ce  was,  —  Mireille,  la  fleur  du  ter- 
roir?  —  Oui,  moi-mtoe,  le  mechant  vannier,  — 
moi,  Vincent,  son  poursuivant,  —  je  vais  laver  tes 
m^pris  dans  ton  sang,  si  tu  en  as !  » 


Mais  le  vaclier  hurle  :  «  Hue!  hue!  —  Bohemien, 
poursuivant  de  cuisine!  — Attends,  attends-moi!  » 
Sor-le-champ  il  saute  k  terre...  —  Au  loin  les  vestes 
volent ;  —  ils  frappent  des  mains,  les  airs  tremblent ; 
—  sous  eux  les  cailloux  roulent ;  —  I'un  sur  Tautre 
ils  fondent  k  la  fois  comme  deux  taureaux. 


Ainsi  deux  taureaux,  quand  sur  les  savanes  —  le 
grand  soleil  darde  avec  force,  —  ont  vu  le  poil  lui- 
sant  et  la  large  croupe  —  d*une  bnme  et  jeune  vacbe 
—  beuglant  d'amour  au  milieu  dcs  typhas...  — 
et  sur-le-champ  la  foudre  eclate  en  eux,  —  et 
d'amour  sur-le-champ  ils  deviennent  fous  et  aveu- 
gies. 


188  MIRfclO,  CANT  V. 

Piei  arpaiejon,  pi^i  s*alucon, 

Prenon  lou  vane,  e  z6u !  s'ensucon. 
E  prenon  mai  lou  vane,  e  de  mourre-bourdoun 

Fan  restounti  li  cop  de  t^sto. 

Longo  e  marrido  es  )a  bat^sto, 

Car  cs  TAmour  que  lis  entesio, 
Es  I'AiTiour  ponderous  que  li  bwlo  e  li  poun. 

Ansin  eli  dous  tabassavon, 
Ansin,  furoun,  s*eseabassavon. 

Ourrias  a  recassa  lou  proumi^  lavo-dent ; 
Mai  coumc  I'aulre  lou  mena^ 
D'un  nouveu  cop,  sa  grand  manasso 
S'aubouro  en  T^r  coume  uno  masso, 

Vj  d'nn  large  gautas  ainassolo  Vinc6n. 

—  T6  !  16  1  fresl^u,  paro  aqu6u  16pil 

—  Tasto,  moun  ome,  s'ai  lou  gr^pi ! 

iSe  cridon  Tun  al'autre.  —  Ardi!  eomlo,  bastard, 
Li  blaveirdu  mounte  s'enfounso 
La  rintraduro  de  mis  ounso ! 

—  E  lu,  moustras,  eomto  lis  ounQo, 
Lis  oungo  de  sang  vi^u  qu'espiron  de  ta  ear ! 

Alor  s'arrapon,  se  p6utiron, 

S'agroumoulisson  e  s'esliron, 
Espalo  conlro  espalo,  em*  arleu  contro  art^u ; 

Li  bras  se  Irosson,  se  fringouion 

Coume  de  serp  que  s'entourtouion  ; 

Souto  la  peu  li  veno  bouion, 
Lis  esfors  fan  tibia  li  lento  di  bouteu. 


MIREILLE,  CHANT  V.  180 

Puis  ils  tr6pignent,  puis  se  regardent,  —  prennent 
61an,  el  s'entre-choquent.  — Et  de  nouveau  prennent 
^lan,  et  abaissant  leurs  mufles,  —  font  retentir  les 
coups  de  t6te.  —  Long  et  cruel  est  le  combat,  — 
car  c*est  TAmour  qui  les  enivre,  —  c*est  IWmour 
puissant  qui  les  pousse  et  les  aiguillonne. 


Ainsi  frappaient  les  deux  (champions),  —  ainsi, 
furieux,  ils  se  gourmaient  la  t6te,  — Ourrias  a  recn 
le  premier  horion ;  —  mais  comme  Faulre  le  menace 
—  d*un  nouveau  coup,  sa  main  enorme  —  se  I6ve 
dans  Fair  comme  une  massue,  —  el  d  un  large  soiif- 
flet  il  assomme  Vincent. 


—  ft  Tiens !  tiens !  ch6tif,  pare  cette  gourmade! » 
— « TAte,  mon  brave,  si  j*ai  Tonglee !  »  —  se  crienl- 
ils  Tun  iTautre.  —  «  Courage!  compte,  b^tard,  — 
les  meurtrissures  ou  s'enfoncent  —  mes  phalanges 
pointues !  »  —  «  Et  toi,  monstre  hideux,  compte  les 
onces,  —  les  onces  de  sang  vif  qui  jaillissent  de  ta 
chair!  » 

Alore  ils  se  saisissent,  se  l.ouspillent,  —  s'accrou- 
pissent  et  s'allongent,  —  epaiile  centre  ^paule  et  or- 
teil  centre  orteil ;  —  les  bras  se  tordent,  se  frottent 
—  comme  des  serpents  qui  s*entortillent ;  —  sous  la 
peau  les  veines  bouillent,  —  les  efforts  tendent  les 
muscles  des  mollets. 


190  hir£io,  cant  V. 

LonfSins,  inmoubile,  s*estellon, 

Erne  li  flanc  que  ic  bacellon, 
Coume  quand  bat  de  Talo  un  palot  estardoun  : 

Imbrandable,  la  lengo  muto, 

Un  coutant  Tautre  dins  sa  buto, 

Coume  li  pielo  grando  e  bruto 
l)6u  pont  espetaclous  qu'encambo  lou  Gardoun. 

E  tout-d'un-cop  so  desseparon, 
E  tournamai  li  poung  se  barron, 

Lou  trissoun  tournamai  engruno  lou  mourtio  : 
Dins  la  furourque  li  counjounglo, 
le  van  di  d^nt,  ic  van  dis  ounf^lo... 
Di6u  !  quenti  cop  Vinc^n  i'ajounglo ! 

Dieu !  quenti  bacelas  mando  lou  bouvatie ! 

Abasimanto  ^ron  li  mougno 
Qu'aquest  largavo  k  plen  de  pougno ; 

Mai  lou  Yalabregan,  rapide  c  picadis 
Coume  uno  grelo  que  desboundo, 
A  soun  entour  boundo  e  reboundo, 
Revoulunous  coume  uno  froundo. 

—  Veici,  dis,  lou  turlau,  gourrin,  que  t*esp6ulis! 

Mai  coume  tors  Tesquino  k  r^ire, 
P^r  mieu  pica  soun  empegn^ire, 

Lou  gaiard  toucadou  subran  Tarrapo  i  flanc ; 
A  la  maniero  prouven^alo 
Te  lou  bandis  darri^  I'espalo, 
Coume  lou  blad  dessus  la  palo, 

E  vai  pica  de  costo  apereila  au  mitan ! 


MIREILLE,  GHAMT  Y.  191 

Longtemps  ils  se  roidisseni,  immoblles;  —  les 
flancs  leur  battent,  —  comme  quand  bat  de  Taile  un 
outardeau  pesant ;  — in^branlables,  la  langiie  muette, 
—  Tun  I'autre  s*accotant  dans  leur  poussee ,  — 
comme  les  piles  grandes  et  brutes  —  du  pont  prodi- 
gieux  qui  enjambe  le  Gardon  *. 


Et  tout  d'un  coup  ils  se  separent,  —  et  derechef 
les  poings  se  ferment,  —  derechef  le  pilon  egruge  le 
mortier  :  —  dans  la  fureur  qui  les  etreint  ensemble, 
—  ils  y  vont  des  dents,  ils  y  vont  desongles...  — 
Dieu !  quels  coups  Vincent  lui  assfene !  —  Dieu !  quels 
soufflets  ^normes  lance  le  bouvier! 


Accablantes  '^taient  les  bourrades  ->  que  celui-ci 
d^chargeait  a  plein  poing ;  —  mais  (renfant)  de  Yala- 
br^gue,  frappant  avec  la  rapidite  —  d'une  gr61e  sou- 
daine  et  drue,  —  autour  de  lui  bondit  et  rebondit, 
—  tel  qu'une  fronde  tourbillonnante.  —  «  Voici, 
dit-il,  le  heurt,  ruffien,  qui  te  broie !  » 


Hais  comme  il  tord  le  dos  en  arri^re,  —  pour 
mieux  frapper  son  agresseur,  —  le  vigoureux  bou- 
vier soudain  Tempoigne  par  les  flancs ;  —  k  Ja  ma* 
ni^re  provengale  —  le  lance  derriere  T^paule,  — 
comme  le  ble  avec  la  pelle ;  —  et  au  loin  il  va  frapper 
des  c^tes  au  milieu  (de  laplaine}* 


102  mirEio,  cant  v. 

—  Acainpo  I  acampo  reiminado 

Qu  em^  toun  mourre  as  darbounado, 
E  s  auies  lou  p6utras,  vermenoun,  manjo  e  beu ! 

—  Proun  de  di !  b6sti  malestrucho, 
I'a  que  li  tres  cop  que  fan  lucho ! 
Respond  lou  drole,  en  quau  s*enclucho 

L  ainar  verin.Lou  sang  ie  mounto  au  bout  di  pen. 

Se  rel^vo,  lou  panieraire, 

Goume  un  coulobre  ;  e,  fi^r  luchaire, 
A  I'agrat  de  pori  vo  de  venja  soun  noum, 

Part  sus  lou  Camarguen  s6uvage, 

E  d'uno  for^o  e  d*un  courage 

Merevihous  p6r  aquel  age, 
Talongo  dins  lou  pitre  un  mourtau  cop  de  poung. 

Lou  Camarguen  trantraio,  tasto 

Per  couta  soun  esquino  vasto ; 
Mai  a  sis  iue  neblous  ie  s^mblo  quatec^it 

Quk  soun  entour  tout  fai  que  courre ; 

La  tressusour  ie  mounto  au  mourre, 

E  patafl6u  !  coume  uno  tourre 
Tounibo  lou  grand  Ourrias,  au  mitan  dou  trescauip ! . 

La  Grau  ^ro  tranquilo  e  mudo. 

Aperalin  soun  estendudo 
Se  perdie  dins  la  mar,  e  la  mar  dins  Ter  blu : 

Li  cieune,  li  fouco  lusento, 

Li  becaru,  qu'an  d*alo  ardenlo, 

Venien  de  la  clarta  mourento 
Saluda,  long  di  clar,  li  beu  darrie  belu. 


MIREILLE,  CHAM  V.  193 

—  «  Raiiiassc !  rainasse  Tarpenl  de  teiTe  —  que 
ton  museaii  a  laboure,  —  et  si  lu  aimesla  poussi^re, 
vermisspau,  mange  etbois!  »  —  «  Assez  de  mots! 
b^te  ignorante,  —  les  trois  coups  seuls  achfevent  une 
lutte  !  »  —  repond  le  gars  en  qui  s'accumule  —  la 
haine  amere.  Le  sang  lui  monte  au  faite  des  die- 
veux. 

II  se  relive,  le  vannier,  —  coninie  un  dragon,  et 
tier  lutteur,  —  au  risque  de  perir  ou  de  venger  son 
noin,  —  il  fond  sur  le  sauvage  Gamarguais,  —  et 
d*une  force  et  d*un  courage  —  merveilleux  pour  sa 
jeunesse,  —  lui  allonge  dans  la  poitrine  un  mortel 
coup  de  poing. 


Le  Gamarguais  chancelle,  il  t^le  —  pour  etayer 
son  vaste  dos ;  —  mais  a  ses  yeux  nebuleux  il  semble 
uussit6t  —  qu'aulour  de  lui  tout  tourbillonne ;  — 
ime  sueur  glacee  lui  monte  a  la  face ;  —  et  i  grand 
bruit,  tel  qu'une  tour,  —  tombs  le  grand  Ourrias,au 
milieu  de  lalande !... 


La  Grau  etait  tranquille  et  muelle.  —  Au  loiulain 
son  ^tendue  —  se  perdait  dans  la  mer,  et  la  mer 
dans  Fair  bleu  :  —  les  cygnes,  les  macreuses  lus- 
tres, —  les  flamants  aux  ailes  de  feu  —  venaient,  de 
la  clarte  mourante,  —  saluer,  le  long  des  etangs,  Jes 
derni^res  lueurs. 


17 


194  MlRfclO,  CANT  V. 

D6u  vaquie  la  cavalo  bianco 
Toundie  dis  agarrus  li  branco ; 
E  vueje,  lis  estrieu,  li  grands  esli'ieii  ferra, 
Balin-balou  contro  soun  ventre... 

—  Breguigno  mai !  se  noun  I'esv^ntre  ! 
Lis  ome,  aro,  bregand,  pos  senlre 

S'^  la  cano  \o  au  pan  se  d^von  inesura ! 

Dins  lou  sil^nci  d6u  can>pestre, 

Lou  panieraire,  d*un  ped  meslre, 
Esquichavo  lou  pie  d'Ourrias  amaluga. 

Souto  la  cambo  que  lou  sarro, 

Lou  toucadou  luchavo  encaro, 

E  per  li  brego  e  per  li  narro 
Racavo  a  gros  mouchoun  un  sang  encre  e  maca. 

Tres  cop  vougu6  jita  de  caire 

Lou  p6d  ounglu  d6u  panieraire  ; 
Tres  cop  d  un  iai  de  man  lou  Mn  de  Meste  Ambroi 

L'esternigue  mai  sus  la  gravo  ; 

E  lou  vaquie  qu'escumejavo, 

Em6  d'iue  torge,  retoumbavo 
En  boufant  e  badant  coume  un  orre  baudroi. 

—  Lis  ome,  dounc,  o  barataire, 
Lis  a  pas  touti  fa,  ta  maire ! 

Vincenel  ie  cridavo.  I  bidu  de  S^uvo-Uiau 
Vai,  vai  counta  quento  es  ma  pougno ! 
Vai4'en  escoundre  ti  boudougno, 
Toun  arrougango  e  la  vergougno 

Au  founs  de  ta  Gamargo,  au  mitan  de  ti  brau  i 


MIREILLE,  CHANT  V.  195 

La  cavale  blanche  du  vacher  —  tondait  les  bran- 
ches des  ch^nes-kcrmes ;  —  et  vides,  les  61riers,  les 
grands  elriers  de  fer  —  sonnaient  et  se  oscillaient 
conlre  son  ventre.  —  «  Remue  encore  et  je  te  cr6ve ! 
—  Maintenant,  brigand,  tu  peux  sentir  —  si  &  la 
can7ie  ou  h  Yempan  doivent  se  inesurer  les  hom- 
ines! » 


Dans  le  silence  de  la  lande,  —  le  vannier,  d'un 
pied  viciorieux,  —  pressait  la  poitrine  d*Ourrias 
ereint6.  —  Sous  la  jambe  qui  le  serre,  —  le  toucheur 
luttait  encore,  —  et  par  les  l^vres  et  par  los  na- 
rines  —  vomissait  a  grands  dots  un  sang  noir  et 
meurtri . 


Trois  fois  il  voulut  secouer  — ^  le  pied  ongle  de 
Tenfant  aux  corbeilles;  —  trois  fois,  d'un  tranchnnt 
de  main,  le  fils  de  Maitre  Ambroise  —  le  terrassa  snr 
le  gravier ;  —  et  le  vacher  6cumant,  —  les  yeiix  ha- 
gards.  retombait — en  soufflant,  et  (la  bouche)  beante 
comme  une  horrible  baudroie '. 


—  ((  Les  hommes  done,  forban,  —  ta  m^re  ne  les 
fit  pas  tous !  —  lui  criait  Vincent.  Aux  bceufs  de 
Sylvar^al  —  va,  va  dire  quel  est  mon  poignet!  —  Va 
cacher  les  tumeurs,  —  ton  insolence  et  ta  honte  — 
au  fond  de  ta  Camargue,  parmi  tes  taureaux '.  » 


190  MIRfilO,  CANT  V. 

Acd  di,  lache  la  besliasso. 
Tau  un  loundeire,  dins  la  jasso, 

Retell  entre  si  cnmbo  un  grand  aret  banard  ; 
Mai  tant  l^u  i'a  toumba  soun  &bi, 
Sus  lou  malu  ie  mando  un  b^bi, 
E  lou  bandis.  Gounfle  de  r&bi, 

Ansin,  e  tout  p6ussous,  lou  vaquie  sauto  e  pait. 

Uno  pensado  maladito 

A  traves  champ  lou  precepito ; 

Jitnvo  d'escumenje;  ourlant  e  fernissent, 
Dins  lis  avaus,  dins  li  gen^sto 
Que  cerco  dounc?...  Ai !  ai !  s'arrftsto.. 
Ai !  ai !  ai !  brando  sus  la  t^sto 

Soun  ficbeiroun  terrible,  e  lampo  sus  Vinc^u. 

Quaiid  se  vogue  souto  la  lanco, 

Senso  revenje  ni  *speranco, 
Yinconet  paligu^  coume  au  jour  de  sa  mort  : 

Noun  que  la  mort  ie  fugue  duro, 

Mai  ce  qu'aclapo  sa  naturo, 

Es  de  se  veire  la  caturo 
D'un  feloun  que  Tengaiio  avie  fa  lou  plus  fort. 

—  Traite!  ausaries?  fagu6  que  dire. 

E;  Youlountous  coume  un  martire, 
S'aplanto...  Alin,  alin,  dins  lis  aubre  escoundu, 

Tavi^  lou  mas  de  sa  mestresso. 

Se  ie  vire  *me  grand  tendresso, 

Coume  p6r  dire  k  la  pastresso  : 
Mireio,  espincho-me,  que  vau  mouri  p6r  tu  1 


MIREILLE,  CHANT  V.  107 

Cela  dit,  il  lacha  la  bete  feroce.  —  Tel  un  londeur, 
dans  le  bercail,  —  retient  ehire  ses  jambes  un  grand 
belier  comu;  —  mais  a  peine  de  sa  robe  Ta-t-il  d6- 
pouill^,  —  sur  la  croupe  il  lui  donne  une  tape  — 
et  le  delivre.  Ainsi,  gonflS  de  rage  —  et  tout  pou- 
dreux,  le  vacher  bondit  et  part. 


Une  penste  maudite  —  le  pr6cipite  k  travers 
champs;  —  il  jetait  des  imprecations;  hurlant  et 
fremissant,  —  dans  les  ch^nes-kerm^s,  dans  les  ge- 
nets —  que  clierche-t-il  ?...  Aie  !  aie!  il  s'arrMe...  — 
Aie!  aie!  aie!  sur  la  t^e  il  brandit  —  son  trident 
terrible,  et  fond  sur  Vincent. 


Lorsqu'il  se  vit  sous  la  lance,  —  sans  revanche  ni 
espoir,  —  Vincent  pAlit  comme  au  jour  de  sa  mort : 
—  non  que  mourir  lui  soil  dur;  —  mais  ce  qui 
accable  sa  nature,  —  c'est  de  se  voir  laproie  —  d'un 
ftlon  que  la  ruse  avait  fait  le  plus  fort. 


—  «  Traitre,  oserais-tu?  »  dit-il  k  peine.  —  Et  r6- 
solu  comme  un  martyr,  —  il  s'arrfite...  Au  loin,  au 
loin,  cache  dans  les  arbres,  6tait  le  mas  de  son 
amante.  —  11  se  tourna  vers  lui  avec  grande  ten- 
dresse,  —  comme  pour  dire  k  la  pastourelle  :  — 
Regarde-moi,  Mireille,  pour  toi  je  vais  mourir! 


17. 


198  MIRftiO,  CANT  V. 

0  b^u  Vinc^n !  d'aquelo  qu'amo 

Enca  pantaiavo  soun  amo... 
—  Fai  ta  prei^ro !  Ouirias  ie  vengu^  coume  uii  tron, 

D'uno  Youes  despietouso  e  rauco. 

E  de  soun  ferre  aqui  lou  trauco. 

Em'un  fort  g^me,  sus  la  bauco 
Lou  paure  vergani6  barrulo  de  soun  long. 

E  I'erbo  plego,  ensaunousido ; 

E  de  si  cambo  enterrousido 
]a  fournigo  de  champ  fan  deja  soun  camin. 

Mai  lou  toucadou  galoupavo, 

—  Au  clar  de  luno,  sus  la  gravo, 

Tout  en  fugent  6u  prejitavo, 
Aniue  li  loup  de  Crau  van  rire,  k  tau  festin !... 

La  Crau  ero  tranquilo  e  mudo. 

Aperalin  soun  estendudo 
So  perdie  dins  la  mar,  e  la  mar  dins  I'^r  blu ; 

Li  cieurie,  li  f6uco  lus^nto, 

Li  becaru,  qu*an  d*alo  ard^nto, 

Yenien  de  la  clarta  mour^nto 
Saluda,  long  di  clar,  li  beu  darri6  belu. 

E  galopo,  vaquie,  galopo, 

Que  galouparas ! . . .  —  Hopo !  hopo ! 
le  venien  coume  ac6  lis  esclapaire  verd 

A  sa  cavalo  que  chauriho 

Dis  iue,  di  narro  e  dis  auriho. 

Souto  la  luno  deja  briho 
Lou  Rose,  entredourmi  dins  soun  lie  descubert. 


MIREILLE,  CHANT  V.  199 

Oh  !  beau  Vincent !  de  celle  qu'il  aime  —  rfivait  en- 
core son  ^me...  —  «  Fais  ta  priere !  »  Ourrias  tonna 
soudain  —  d*une  voix  impitoyable  et  rauque.  —  Et 
il  le  perce  de  son  fer.  —  Avec  un  fort  g^missement, 
sur  rherbe  —  I'infortun^  vannier  route  de  son 
long. 


Et  rherbe  ploie,  ensanglant^e ;  —  et  de  ses  jambes 
terreuses  —  les  fourmis  des  champs  font  d6ja  leur 
chemin.  —  Mais  le  toucheur  galopait.  —  (i  Sur  les 
galets,  au  clair  de  lune,  —  tout  en  fuyant  grornme- 
lait-il,  —  ce  soir,  les  loups  de  Crau  vont  rire,  a  pa- 
reilfestin!...  » 


La  Crau  etait  tranquille  etmuette.  —  Au  lointain 
son  ^tendue  —  se  perdait  dans  la  mer,  et  la  mer 
dans  Fair  bleu;  —  les  cygnes,  les  luisantes  ma- 
creuses,  —  les  flamants  aux  ailes  de  feu,  —  venaient, 
de  la  clarte  mourante,  —  saluer,  le  long  des  ^tangs, 
les  derni^res  lueurs. 


Et  galope,  vacher,  galope,  —  galope  sans  relAche! 
—  «  Hop!  hop!  )>  —  criaient  les  crabiers  verts  *®  -^ 
k  sa  cavale  qui  chauvit  —  des  yeux,  des  naseaux  et 
des  oreilles.  —  Sous  la  lune  dej^  brille  —  le  Rh6ne, 
sommeillant  dans  son  lit  d^couvert, ' 


200  MIRftIO,  CANT  V. 

Coume  un  roumi^u  de  Sanlo-Baumo 

Que,  nus,  de  lassige  e  de  caumo 
S  eslalouiro  e  s'endor  au  founs  d'un  vabre.  —  H6u  ! 

L'auses?...  h6u  de  la ratanialo ! 

H6u  !  h6u1...  En  cubcrlo  vo'n  calo, 

Me  passarias  *me  ma  cavalo? 
De  liuen  lou  capounas  crido  a  tres  barqueiroii 

—  Vene  leu,  v^ne,  bono  voio  ! 
Respoundegue  'no  voues  galoio, 

Que,  per  veire  mounta  de  la  niue  lou  caleu, 

Entre  li  remo  e  la  partego 

Lou  pMs  entrefouli  vanego... 

La  pesco  pr^sso,  aco  boulego, 
Mounome!  Touro  esbono...  Abordo,  aboido  l^u. 

En  poupo  lou  fena  s*ass^to. 

La  cavalo,  darrid  la  beto, 
Nadavo,  la  caussano  estacado  k  Testrop. 

E  li  grand  peis,  vesli  d'escaumo, 

Abandounant  si  f6unsi  baunio, 

D6u  Rose  mouvien  la  calaumo, 
E  lus^nt,  boumbissien  h  Tentourde  la  pro. 

—  Hestre  pilot,  dono-te  gardo ! 
La  nau,  s^mblo  que  ven  panardo! 

E  lou  qu'avie  parla,  p6d  sus  banc,  sus  lou  rem 
Tourna  se  plegue  coume  un  vise. 

—  I'a'n  moumenet  que  me  n'avise... 
Pourtan  un  marrit  pes,  vous  dise, 

Respounde  lou  pilot;  e  piei  digu6  plusren. 


MIREILLE,  CHANT  Y.  201 

Comme  un  pelerin  de  la  Sainte-Baume  *S  —  qui, 
nu,  de  lassitude  et  de  chaleur  —  s'etend  et  s'endort 
au  lond  d'un  ravin.  —  «  Ho  !  —  Tentendez-vous?... 
ho !  de  la  barque !  —  ho !  ho ! ...  en  pont  ou  en  cale, 
—  me  passeriez-vous,  moi  et  majument?  »  —  de 
loin  le  Uche  crie  h  trois  baleliers. 


ft  Viens  vile,  viens,  bon  gamement!  »  rSpondit 
uno  voix  goguenarde,  —  afin  de  voir  monter  la 
lanipe  de  la  nuit,  —  entre  les  avirons  et  la  gaffe  — 
le  poisson  fr^tillant  circule...  —  La  p^chepresse, 
(le  poisson)  remue ,  —  mon  brave !  L*heure  est 
bonne...  Aborde,  aborde  vile.  » 

Sur  la  poupe  le  scleral  '*  s'assied.  —  La  cavale, 
derri^re  le  bateau,  —  nageait,  le  licou  altach^  .^  Tes- 
frope.  —  Et  les  grands  poissons,  v^tus  d'^cailles,  — 
abandonnant  leurs  grottes  profondes,  —  du  Rh6nc 
mouvaient  le  calme,  —  et  Uiisants,  bondissaient  au- 
lourdela  prouo. 

—  «  Hatlre  pilote,  prends  garde!  —  la  nef  devient 
boifeuse ,  ce  me  semble!  »  —  Et  I'inlerlocuteur, 
pieds  sur  banc  *',  sur  l*aviron  —  de  nouvcau  se  ploya 
comme  un  sarment  de  vigne.  —  «  \o\h  un  instant 
que  je  m*en  aper^ois...  —  Nousporlons  un  poids 
mauvais,  vous  dis-je, »  — r^pondit  le  pilote ;  et  apres 
il  se  tut. 


202  MIREIO,  CANT  V. 

La  ralamalo  trantraiavo 
D'un  biais,  de  Tautre,  gansouiavo 
Dun  balans  esfraious  coume  un  ome embria. 
La  ratamalo  ^ro  marrido, 
Avis  li  post  mita  pourrido. . . 

—  Iron  de  Di6u !  lou  toucadou  crido... 
E  s'arrapo  h  Tempento,  e  s'aubouro  esfraia. 

Mai,  souto  uno  envesiblo  forco, 

La  nau  s6mprc  que  mai  bidorso, 
Coume  uno  serp  en  quau  un  pastre  em'un  clapas 

A  coupa  lis  esquino.  —  Soci, 

Perqu6  fas6s  aqu6u  trig6ssi  ? 

VoulSs  dounc  qne  me  nSgue?  i  mdssi 
VenguS  lou  toucadou,  pale  coume  un  gipas. 

—  Pode  plus  mestr(^a  la  barco ! 
Respounde  lou  pilot.  S*enarco 

Soulo  iSu,  e  boumbis  coume  uno  escarpo  fai  : 
As  tua  quaucun,  miserable! 

—  Uu  ?...  Quau  te  Fa  di?...  Que  lou  diable, 
S'acd's  verai,  'm6  soun  rediable 

Me  p6uf ire  subran  au  founs  di  garagai ! 

—  Ah !  countuniS  lou  pilot  blave, 
Bs  ieu  que  mo  troumpe  !  6ublidave 

Ques  aniue  SantMedard.  Tout  paure  negadis, 
Di  toumple  afrous,  di  rev6u  sourne, 
P6r  founs  que  Taigo  I'encafourne, 
Sus  terro  aniue  fau  que  retourne.... 

La  longo  proucessioun  adeja  s*espandis, 


MIREILLE,  CHANT  V.  2(n 

La  vieille  barque  chancelait,  —  de  cl,  de  la,  va- 
cillait  —  d'un  branle  effrayant  comine  uii  homine 
ivre.  —  La  vieille  barque  etait  mauvaise,  —  deini- 
pourries  etaient  lea  planches.  —  «  Tonnerre  de 
Dieu !  ))  crie  le  tSucheur...  —  Et  il  se  cramponne  au 
gouvernail,  et  il  se  16ve  effraye. 


Mais,  sous  une  invisible  force,  —  la  nef  de  plus  en 
plus  se  lord,  —  comine  un  serpent  auquel  un  pMre, 
avec  un  bloc  de  pierre,  —  a  rompu  Tcchine.  — 
«  Compagnons,  —  pourquoi  ces  secousses?  —  Vous 
voulez  done  que  je  me  noie  ?  »  Ainsi  aposlropha  les 
mousses  --  le  toucheur,  pSle  comme  un  platras. 


—  «  Je  ne  puis  plus  maitriser  la  barque !  --  repon* 
dit  le  pilote.  Elle  se  cabre  —  sous  moi  et  bondif 
comme  fait  une  carpe  :  —  tu  as  tue  quelqu^m,  mi- 
serable! »  —  ((  Moi?...  QuiteTa  dit?...  Que  Satan, 
— •  si  cela  est  vrai,  avec  son  fourgon  —  me  tire  sur- 
le-champ  au  fond  des  abim«s !  » 


—  «  Ah !  poursuivit  le  pilote  livide,  —  c*est  moi 
qtii  me  trompe  :  j*o^bliais  —  que  c'est  la  nuil  de 
Saint  Medard.  Tout  malheureux  noye,  —  des  gouffres 
affreux,  des  tourbillons  sombres,  —  dans  quelques 
profondeurs  que  Teau  Tensevelisse,  —  sur  terre, 
cette  nuit,  doit  revenir...  — *  La  longue  procession 
deja  se  d^veloppe, 


^i!)i  MIBfcIO,  CANT  V. 

Velei !...  pauris  amo  plourouso  ! 

Velei  1  sus  la  ribo  peirouso 
Mounton  a  ped  descaus  :  de  si  viesli  lima, 

De  soun  peu  amechouli,  coulo 

A  gros  degoiit  Faigo  treboulo. 

Dins  Toumbro,  souto  li  piboulo, 
Caiiiinon  ^renguiero,  em*uncire  aluiiia. 

Goume  regardon  lis  estello ! 

D6u  sablas  que  lis  empestello 
En  derrabantsi  cambo  arrampido,  pa^ai  1 

Em^  si  bras  blu,  'me  sa  t^sto 

Mounte  la  nito  encaro  resto, 

Es  eli,  coume  uno  temp^slo, 
Que  tuerton  lou  bateu  d'aqueu  rude  tranlrai. 

Toujour  quaucun  de  mai  ariibo, 

E  mounto,  afeciouna,  la  ribo. 
Coume  bevon  Ter  linde,  e  la  visto  di  Crau, 

E  la  sentour  que  veu  di  f6ure ! 

E  coume  trovon  dous  lou  moure, 

En  regardant  si  viteti  ploure  !... 
Toujour  quaucun  de  mai  mounto  d6u cadarau !... 

Ta  de  vi6i,  de  jouine,  de  femo, 

Disie  lou  meslre  de  la  remo. . . 
Coume  espousson  la  fango  e  Tourrour  dou  pesquic ! 

De  formo  descarnado  e  berco ; 

De  pescadou  qu'eron  en  cerco 

D*aganta  lou  lampre  e  la  perco, 
E  qui  perco  em*i  lampre  an  servi  de  pasquic. 


MIUEILLE,  CHANT  V.  205 

«  Les  voila!...  pauvres  Ames  eplorees!  —  Les 
voila !  sur  la  rive  pierreuse  —  ils  montent,  pieds 
nus  :  de  leurs  vMemenls  limoneux,  —  de  leor  che- 
velure  feutr^e  conle,  —  a  grosses  gouttes  Teau 
trouble.  —  Dans  Tombre,  sous  les  peupliers,  —  ils 
cheminent  par  files,  un  cierge  allum^  (a  la  main). 


it  Comme  ils  regardent  les  6toiles !  —  Du  monceau 
de  sable  qui  les  emprisonne  —  en  arrachant  leurs 
jambes  contracl^es,  fielas  I  —  avec  leurs  bras  bleuis, 
avec  leurs  t^tes  —  ou  la  vase  reste  encore,  —  ce 
sont  eux  qui,  tels  qu'une  temp^le,  —  heurtent  le  ba- 
teau de  cetle  rude  oscillation. 


«  Toujours  quelqu'im  de  plus  arrive,  —  et  gravit 
avec  ardeur  la  berge.  —  Coniuie  ils  boivent  Fair 
limpide,  et  la  vue  des  Graux,  —  et  la  senteur  qui 
vient  des  recoltes !  —  et  combien  ils  trouvent  doux 
le  mouvement,  —  en  regardant  leurs  vStements 
pleuvoir!...  — Toujours  quelqirun  de  plus  monte 
de  la  voirie!... 

«  II  y  a  des  vieillards,  des  jeunes  gens,  des  fern- 
mes,  —  disait  le  maitre  de  Taviron. . .  -  (Gonmie  ils 
secouent  la  fange  et  Thorreur  du  vivier!)  —  des 
formes  d6cbarnees  et  ^dentees  ;  —  des  pdcheurs  qui 
clierchaient  —  k  prendre  la  lamproie  et  la  perche, 
—  et  qui  aux  perches  et  aux  lamproies  ont  servi  de 

paturage. 

18 


m\  MIRfilO,  C.VM    V. 

Ve !  regardo  aqueu  v6u  qu^esquiho, 

Descoiinsoula»  sus  li  graviho... 
Es  li  belli  chatouno,  es  li  folo  d'ainour» 

Que,  de  se  veire  separado 

De  Tome  ama,  desesperado, 

An  demanda  la  retirado 
All  Rose,  per  nega  soun  imn^iiso  doulour ! 

Velei !...  0  pauri  pichounello  ! 
Dins  la  sournuro  clarinelio, 

Boulegon,  si  sen  nus,  ein'un  tau  rangouluii, 
Souto  Taugo  que  li  mascaro, 
Que,  de  soun  peu  neblant  sa  caro 
A  long  tracheu,  i6u  doute  encaro 

Ses  d'aigo que regoulo,  o s*es Tamar plourun. 

Lou  pilot  quinqu^  plus.  Lis  amo 
A  la  man  ienien  uno  ilaino, 
E  seguien  a  la  mudo,  e  plan,  lou  ribeires. 
Aurias  ausi  voula'no  mousco... 

—  Mesire  pilot!  mai,  dins  la  fousco, 
Yous  seinblo  pas  que  soun  en  bousco? 

le  fai  lou  Camarguen,  d'orre  e  d'espaime  pres. 

—  0,  soun  en  bousco...  Ye,  pecaire  ! 
Goume  testejon  de  tout  caire ! 

Cercon  li  b6nis  obro  e  lis  ate  de  fe 
Que  sus  la  terro  saraeneron, 
Espes  0  clar,  quand  ie  passeron. 
Tre  qu'apercevon  ce  qu*esperon, 

Coume  au  fres  margaioun  ves^n  courre  lave. 


MIR'EILLE,  CHANTY.  207 

«  Vois !  conlemple  eel  essaim  qui  glisse,  —  in- 
consolable, sur  la  gr^ve...  —  Ce  sont  les  belles 
jeunes  filles,  les  foUes  d'anjour,  —  qui,  se  voyant 
separees  —  de  I'bonmie  aim6,  de  desespoir  —  ont 
demands  Fhospitalit^  —  au  Rhdne,  pour  noyer  leur 
immense  dmleiir. 


«  Vois-les!...  6  pauvres  jouvencelles !  —  Dans 
Tobscurit^  diaphane,  —  palpiient  leurs  seins  nus, 
avec.  un  tel  rale,  sous  Talgue  qui  les  souille,  —  que, 
de  leur  chevelure  qui  voile  leur  visage  —  k  longs 
flols,  je  doule  encore  —  si  c'est  Teau  qui  ruisselle, 
ou  les  larmes  am^res.  )i 


Le  pilote  ne  parla  plus.  Les  ^raes  —  tenaient  une 
flamme  k  la  main,  —  et  suivaient,  silencieuses  et 
lentes,  le  rivage.  —  Vous  eussiez  entendu  le  vol 
d'unemouche...  —  (t  Maitre  pilote  !  mais,  dansTobs- 
curite,  —  ne  vous  semblent-ils  pas  en  recherche  ?  » 

—  lui  dit  le  Camarguais,  pris  d'horreur  et  d*^pou- 
vante. 

— «  Oui,  ils  sont  en  recherche..^  Vois  !  infortunes ! 

—  comme  ils  tournent  la  t^te  de  toute  part!  —  Ils 
cherchent  les  bonnes  ceuvres  et  les  actes  de  foi  — 
qu*ils  semerent,  — nombreux  ou  rares,  h  leur  pas- 
sage sur  la  terre.  —  D^s  qu'ils  aper^oivent  Tobjet 
de  leur  espoir,  —  de  mtoe  qu'^  la  fraiche  ivraie 
nous  voyonsles  brebis  courir, 


-08  MIRfciO,  CANT  V. 

Se  precepilon ;  e,  culido, 

Entre  si  man  Tobro  poulido 
V6n  uno  flour ;  e  quand,  per  un  bouquet  n'an  proun, 

A  Dieu,  al^gre,  lou  fan  y^ire, 

E  vers  li  porto  de  Sant  P6ire 

La  flour  emporto  lou  cuieiro. 
Dins  Tengrau  de  la  mort  toumba  de  reviroun, 

1  negadis  ansin  Dieu  meme 

Dono  un  relais  per  se  redeme. 
Mai  soulo  lou  glavas  ddu  fluve  segrenous, 

Avans  quo  Taubeto  s*enaure, 

Ve-n-en  que  tournaran  s'enclauro  : 

Negaire  de  Di^u,  manjo-paure, 
Tnaire  d'ome,  traite,  escabot  vermenous. 

Cerconuno  obro  que  li  sauve, 

E  noun  poussigon  dins  lis  auve 
Que  pecatas  e  crime,  en  formo  de  caiau 

Mounte  soun  arteu  nus  s'embrounco. 

Fin  de  miou,  fm  de  cop  de  rounco  ! 

Mai  eli,  dins  Verso  que  rounco, 
S^ns  fm  barbelaran  lou  perdoun  celestiau!! 

Coume  un  bregand  a-n-un  recouide, 

Ourrias  aqui  Tarrapo  au  couide  : 
—  I/aigo  dins  lou  bat^u  1!  —  Fa  Tagoutal,  respond, 

Tranquile,  lou  pilot.  En  aio, 

Ourrias  agolo,  e  z6u  !  travaio 

Coume  un  perdu ! .. .  De  Trincataio 
Li  Trevo  aquelo  niue  dansavon  sus  lou  ponl. 


MIREILLE,  CHANT  V.  200 

«  lis  se  pr6cipitent ;  el,  cueillie,  —  entre  leurs 
mains  la  belle  oeuvre  —  devienl  fleur ;  el  quand  pour 
un  bouquet  (laraoisson)  est  sufTisante,  — k  Dieuils 
le  montrent  avec  joie,  —  et  vers  les  portes  de  Saint 
Pierre  —  la  fleur  emporte  celui  qui  Ta  cueillie.  — 
Dans  la  gueule  immense  de  la  mort  tomb6s,  la  t^le 
rolouru^e, 

«  Ainsi  aux  noy^s  Dieu  lui-meine  —  doniie  un  snr- 
sis  pour  se  racheler.  —  Mais  sous  la  masse  liquide 
du  fleuve  sombre,  —  avant  que  Taube  se  16ve,  — 
on  voila  qni  reloumeront  s  ensovelir :  —  renieurs  de 
Dieu,  mangeurs  de  pauvres,  —  tneurs  d'hommes, 
traitres,  Iroupeau  ronge  de  vers. 


«  lis  cherchent  une  oeuvre  de  salut  —  et  ils  ne 
foulent  dans  les  graviers  du  fleuve  —  que  grands  pe- 
ches  et  crimes,  sous  forme  de  cailloux  —  ou  bronche 
leur  orteil  nu.  —  Fin  de  mulel,  fin  de  coups  de 
trique  !  —  Mais  eux,  dans  la  vague  qui  nigit,  —  sans 
f\n  convoiteront  le  pardon  c61esto  !!  » 


Tel  qu'un  brigand  au  toumant  d  un  cliemlrt,  — 
Ourrias  k  ce  moment  Ic  saisil  au  coude :  —  «  L*eau 
dans  le  bateau!!  »  —^11  a  I'ecope, » r6pond,  — 
tranquille,  le  pilole.  Avec  ardeur  —  Ourrias  vide  la 
barque,  et,  courage!  il  travaille  —  comme  un 
perdu !...  Sur  le  pont  de  Trinquelaille **  —  les  Tre- 
ves^'', cette  nuil-1^,  dansaient. 

18. 


210  MIRKlO,  CANT  V. 

E  zou  !  agoto,  Ourrias,  agoto, 
Qu'agoutaras  !...  La  cavaloto, 

P^r  se  descabestra,  folo  !  —  Blanco,  de-qu'as? 
As  pou  di  mort  ?  ie  dis  soun  m^stre 
Qii*a  li  p^u  dre  dj  I'escaufestre. 
E,  sournaru,  lou  toiimple  aigufestre 

De  long  d6u  bregan^u,  afloco,  ras  k  ras. 

—  Sabe  pas  nada,  capiUni !... 
La  sauvares  la  barco  ?  —  Nani ! 

Encaro  un  vira-d'iue,  la  barco  toumbo  k  foiin. 
Mai,  de  la  doiigo,  ounte  varaio 
La  proucessioun  que  tant  t'esfraio, 
Li  mort  nous  van  manda*no  traio. 

E  coume  a  di,  la  barco  au  Rose  se  prefound. 

E,  dins  la  liuencho  escuresino, 

E  di  viholo  fouscarino 
Qu'i  man  di  negadis  tremolon,  un  longrai 

D'uno  ribo  k  I'aulro  lampejo. 

E  coume,  au  soul^u  que  pounchejo, 

Coume  uno  aragno  que  fielejo 
Se  laisso  resquiba  de-long  dou  fieu  que  trai, 

Li  pescadou  (qu*6ron  de  Tr6vo !) 
Au  rai  claret  que  fai  co-levo 

Seguindon,  e  I6u-I6u  s'esquibon  tout-de-long. 
D*entre  1  aigo  que  I'enmourraio, 
Ourrias  pereu  mando  k  la  traio 
Si  mancrispado!...  ATrincataio, 

LiTr^vo,  aquelo  niue,  dans^ron  sus  loupont  i 


MIREILLE,   CHANT  V.  21! 

Et  courage  I  vide,  Ournas,  vide,  —  vide  toii- 
jours  !...  —  La  cavale  —  veut  rompre  son  licou, 
folle !  —  «  Blanque,  qu'as-tu?  —  As-tu  peur  des 
morts  ?  »  lui  dit  son  maitre,  —  les  clieveux  dresses 
d'effroi.  —  Et  taciturne,  le  gouffire  liquide  —  le  long 
du  dernier  bordage  clapole,  bord  a  bord . 


—  «  Je  ne  sais  pas  nager,  capitaine ! . . .  —  La  saii- 
verez-vous,  la  barque  ?  » —  «  Non !  —  Encore  un 
din  d'oeil,  la  barque  tombe  k  fond;  —  mais  de  la 
rive,  oik  erre  —  la  procession  qui  tant  l*effraye,  — les 
inorts  vont  nous  jeter  un  c^ble.  »  —  II  dit,  et  dans 
le  Rhdne  la  barque  s*engloutit. 


Et,  dans  Tobscurite  lointaine,  ~  et  des  lampes 
blafardes  —  qui  aux  mains  des  noyes  tremblotent, 
un  long  rayon  —  d*une  rive  k  Tautre  brille  comme 
un  6clair.  —  Et  de  ni^me,  ausoleil  qui  pouit,  — de 
mSnie  qu'une  araign^e  qui  file  —  se  laisse  glisser  le 
long  du  fil  qu*elle  jette, 


Les  p6cheurs  (qui  6taient  des  Treves !)  —  au  rayon 
clair  qui  fait  bascule  —  se  hissent,  el  rapidement  se 
gli&sent  tout  le  long.  —  Du  milieu  de  I'eau  qui  Tem- 
muselle,  —  Ourrias  envoie  aussi  au  c&ble  —  ses 
mains  crispees!...  A  Trinquetaille  —  les  Ti'i&ves, 
celle  nuit,  danserentsur  le  ponti 


NOTES 

hV  CHANT  CINOlIlfeMK. 


*  Olympe,  haute  monlairne,  siir  Irs  limit os  dii  Yar  ot  des  Bon- 
clies>du-Rh6ne. 

*  Queyras,  vallde  des  Haulos-Alpes. 

~>  L'herbette  aux  boucles  [Cerbeto  difrmun),  [valisneria  SftiralU, 
Lin.)  Plante  qu'on  trouve  dans  Ic  Rhdnect  dans  les  mares  qiii  I'a- 
voisinent,  aux  environs  de  Tarascon  et  d' Aries. 

*  IJngneto!  mot  intraduisible,  qu'on  repute  en  riant  k  quel- 
qu'uii,  ct  en  lui  montraiit  quelquc  chose  de  loin  on  de  haut.  pom 
oxcilor  sa  convoilise. 

Quasi  bramoti  fantoliul  e  vani 
Chepregano,  e  7  pregnio  non  risponde. 
Ma  per  fare  esser  ben  lor  voglia  aeatfty 
Tien  alto  lor  dim  e  nol  nagconde. 

(Dantb,  VurgatOiio,  c.  xxiv.) 

5  Ble  de  lune  \J>lad  de  luno).  Au  propre,  faire  de  biad  de  luno, 
signiiie  d^rober  du  hU  a  ses  parents  a  la  clarte  de  la  lune.  Btad 
de  luno,  au  figure,  designe  les  larcins  amoureux. 

<*Ans<^rine  ligneuse,  (ourse)  {(^lenopodmn  fhiticosum^  Lin.); 
planle  commune  au  bord  de  la  mer. 

">  Jean  de  I'Oui^  [Jan  de  VOurse),  heros  des  conies  de  veillees, 
ospero  d'Hercule  provenQal  auquel  on  altribue  ime  foule  d'ex- 


NOTES  DU  CHANT  V.  213 

ploits.  II  6tait  flls  d'une  berg^re  et  d'un  ours  qiii  I'avait  enlev^e, 
et  a\ait  pour  compagnon  de  gloire  deux  aventuriers  d'une  force 
fabiileuse.  L'un  se  nommait  Arrache-Montagne,  et  I'autre  Pien^e- 
de-Moulin.  M.  Hippolyte  Babou  a  relate  Thistoire  de  Jean  de 
rOurs  dans  ses  Patens  innocents. 

*  Lo  pont  prodigieux  qui  enjambe  le  Garden  {lou  pont  espeta- 
clous  qu'encambo  iou  Gardoun),  le  pont  du  Card. 

»  Baudroie  [baudroi],  ou  diable-de-mer,' poisson  hideux. 

*<>  Esclapaire,  crabier  vert  [ardeaviridis,  Lin.).  Oiseau  de  1  ordrc 
des  echassiers,  ainsi  nommt^  (esclapaire  signifio  fendeur  de  hois),  {\ 
caiLsc  de  son  cri :  Ha!  ha! 

"  Sainte-Baume($ff}}/0-J}tftfiff<>),  grotle  celebre,  au  milieu  d'une 
foret  vierge,  pr6s  de  Saint-Maximin  (Var),  dans  laquelle  se  relira 
sainte  Magdcleine  pour  faire  penitence.  (Voyez  le  Chant  XI* ) 

**  Fena^  mauvais  sujet,  sacripant,  sc^l^rat.  Horace  a  dit^dans 
)e  mdmc  sens  en  parlant  d'un  mechant  homme  :  Fenum  habet  in 
coniu.  C'dtait  proverbial  chez  les  Romains;  et  ce  dicton  venait 
(le  I'usage  ou  Ton  ^tait  autrefois  de  mettre  du  foiu  aux  comes  dos 
taiu'caux  dangereux,  pour  avertir  de  s'en  garder. 

•^  Pieds  sur  banc  [pid  sus  banc).  Mettre  pieds  sur  banc  (metre 
pidsus  ^aRc),en  terme  de  marine,  c'est  mettre  le  pied  surle  petit 
banc  qui  est  devant  le  siege  des  rameurs,  pour  faire  plus  de  force,  et 
lig.  travailler  avec  ardeur.  (Honnorat,  Did . proveiiQaL) 

**  Trinquetaillo(Trmcff/fli(;),  faubourg  d'Arles,  situ6  dans  la  Ca- 
niargue,  et  r^uni  a  la  cite  par  un  pont  de  bateaux. 

*^  Treves  ijrim)^  lulins  qui  dansentala  pointe  des  ondes,  quand 
le  soleil  ou  la  lune  fait  miroiter  les  eaux. 


CANT  SIEISEN 

LA   MASCO 


A  Taubo,  tres  pourcati6  trovon  Yinc^n  dins  soun  sang,  estendu  dins 
lis  orine  de.  Grau.  —  L'aduson  d  la  brasseto  au  Mas  di  Falabrego. 

—  Digressioun  :  lou  Felibre  se  recoumande  d  sis  amis,  li  felibre 
de  Prouv^n^o.  —  Doulour  de  Mir^io.  Porton  Yinc^n  an  Trau  di 
Kado,  caforno  dis  Esperit  de  niue  e  demouranoo  de  la  masco  Ta-  , 
ven,  escounjurarello  de  tout  inau.  —  l.i  Fado.  —  Mireio  acoum- 
pagno  soun  calignaire  dins  li  borno  de  ia  raountagno.  —  I.a  Man- 
dragouro.  —  Lis  aparicioun  de  la  baumo  :  Li  Fouletoun,  I'Esperit 
Fantasti,  la  Bugadiero  d6u  Yentour.  —  Raconte  de  la  masco  :  la 
Messo  di  mort,  lou  Sabatori,  la  Garamaudo,  lou  Gripet,  la  Bam- 
baroucho,  la  Cinucho-Yieio,  lis  Escarinche,  li  Dra,  lou  Chin  de 
Gambau,  lou  Baroun  Castihoun.  —  L'Agn^u   negre,  la  Cabro  d'or. 

—  Taven  escounjuro  la  plago  de  Vinc^u.  —  Enauramen  e  prou- 
feti<(0  de  la  masco. 


A  l*aubo  claro  se  marido 

Lou  clar  canla  di  bouscarido. 
Ln  terro  enamourado  espero  lou  souloii, 

Vpstido  de  frescour  e  d'aubo, 

Coume  la  chato  quo  se  raubo, 

Dins  la  plus  bello  de  si  raubo 
Esporo  lou  jouY^nt  que  i'a  di  •.  Parten  leu 

En  Crau  tres  ome  cammavon, 
Tres  pourcalie,  que  s*enlournavon 

De  Sant-Chamas  lou  riche,  ounle  ero  lou  marcat. 
Venien  de  Yendre  sa  toucado, 
E,  tout  en  fasenl  la  charrado, 
Sus  Tespalo,  k  TacousUiinado, 

PourtaYon  sis  argent  dins  si  roupo  amaga. 


CHANT  SIXIEMK 

LA   SORCIEHE 


A  I'aube  du  jour,  trois  porchers  trouveut  Vincent  eteudu  dani>  le  de- 
sert de  la  Crau,  et  baigne  dans  son  sang.  —  Us  Tapportent  dans 
leurs  bras  au  Mas  des  Bficocoulcs.  —  Digression  :  appel  du  poetc 
h  ses  amis,  les  poetes  de  Provence.  —  Oouleur  de  Mireille.  —  On 
porte  Vincent  h  Tanlre  des  F^es,  repaire  des  Esprits  de  la  nuit,  el 
habitation  de  la  sorciere  Tav^n,  charmeuse  de  tons  inaux.  —  Les 
Fees.  —  .Mireillc  accompagnc  sou  atnant  dans  los  excavations  de  la 
montagne.  —  La  Mandragore.  —  Les  apparitions  de  la  Caveme;  les 
FoUets,  I'Esprit  Fantastique,  la  Lavandi^re  du  Ventour.  —  Recits 
de  la  sorciere  :  la  Messe  des  morts,  le  Sabbat,  la  Gararaaude,  le 
Gripet,  la  Bambarouche,  le  Cauchemar,  les  Escarinches,  les  Dracs, 
leChien  deCambal,  le  Baron  Castillon —  L'Agneaunoir,  la  Chevre 
d'or.  —  Tav6n  charme  la  blessure  de  Vincent.  -•  Exaltation  et  pro- 
ph^ties  de  la  sorciere. 


A  Taube  claire  se  marie  — le  chant  clair  des  bee- 
fins.  —  La  terre  enamouree  attend  le  soleil,  —  v6tue 
de  fraicheur  et  d*aurore  :  —  ainsi  la  jeune  fille  qui  se 
fait  enlever,  —  (v^tue)  de  la  plus  belle  de  ses  robes, 
—  attend  le  jouvenceau  qui  lui  a  dit :  «  Partons  en 
HMe!  » 


Dans  la  Crau  marchaient  trois  homines,  —  troij? 
porchers,  retoumant  —  du  marclie  de  Saint-Chamas 
le  riche.  —  lis  venaient  de  vendre  leur  troupeau,  — 
et,  tout  en  faisaiit  la  causerie,  —  sur  Tipaule,  k  Tac- 
coutumee,  —  ils  portaient  leur  argent  enveloppe 
dans  leurs  mantcau.\i 


216.  HIKEIO,   CANT  VI. 

Qiiand  loul-d'iin-cop  :, —  Chut!  caiiibarado, 
Fai  iin  ditres.  ra'no  passado 
Que  nie  semblo  d'ausi  souspira  dins  li  bnis. 

—  I16u  !  fan  lis  autre,  es  la  campano 
De  Sant-Martin  o  de  MauS!>ano, 

0  beleu  ben  la  Tremouiiiano 
Que  gansouio  en  passant  li  tousco  d'agarrus. 

Coume  acabavon,  di  gen^sto 
Sort  un  plagnoun  que  lis  arr^sto, 
Un  plagnoun  tant  doulent  que  trancavo  lou  cor. 

—  Jeuse!  Maia  !  t6uU  fagu^ron, 
Fa  niai  que  mai !  e  se  sign^ron, 
K  d*aisQ,  d'aise,  camineron 

l)e  niounle  li  plagnoun  venien  toujour  plus  fort. 

Oh !  que  'spetacle!  DinsTerbage, 

Sus  li  caiau,  *ine  lou  visage 
Uevessa  per  lou  s6u,  Vincen  ero  estendii : 

La  teiTo  a  I'entour  chaupinado, 

Lis  auiarino  escampihado, 

E  sa  camiso  espeiandrado, 
E  I'erbo  ensaunousido,  e  souti  pilre  fendu  ! 

Abandouna  dins  la  campagno, 

Eme  lis  aslre  per  counipagno, 
Aqui  lou  paure  drole  avie  passa  la  nine; 

E  Taubo  umido  e  clarinclio, 

En  ie  picant  sus  li  parpello, 

Dedins  si  veno  mourtinello 
Reviscoule  la  vido,  e  ie  durbe  lis  iiie. 


MIREILLE,  CHANT  Ylf.  2l7 

Quand  tout  a  coup  :  «  Silence !  camarades,  —  £ait 
run  des  trois.  Depuis  un  instant  —  il  me  semble  ouir 
soupirer  dans  les  bruy^res.  »  —  a  Bah!  dirent  les 
autres,  c*est  la  cloche  —  de  Saint-Martin  ou  de  Maus- 
saiie ;  —  ou  bien  peut-^tre  la  Tramontane  —  qui 
agite  en  passant  les  toufiTes  de  chene-nain^  » 


A  peine  achevaient-ils,  des  genets  —  sort  une 
plainte  qui  les  arr6te,  —  une  plainte  si  dolente  qu*eUe 
tiavrait  le  coeur.  —  «  Jesus !  Maria !  dirent-ils  tons, 

—  il  y  a  de  Vetrangel  »   et  ils  firent  un  signe  de 
croix,  —  et  doucement,  doucemerit  s*achemin^rent 

—  la  d'ou  les  plaintes  venaient  de  plus  en  plus  fortes. 


Oh  !  quel  spectacle !  Dans  les  herbes,  —  sur  les 
cailloux,  le  visage  —  ren verse  par  terre,  Vincent 
etait  gisant ;  —  le  sol  foule  autour  de  lui,  —  les  brins 
d'osier  disperses  9^  et  la,  —  sa  chemise  en  lambeaux, 
—  et  rherbe  ensanglantee,  et  sa  poitrine  ouverte  I 


Abandonne  dans  les  champs,  —  avec  les  etoiles 
pourcompagnes,  —  \k  le  pauvre  jeune  homme  avait 
passe  lanuit;  —  et  Taube  humide  et  lumineuse,  — 
en  frappant  sur  ses  paupieres,  —  dans  ses  veines 
mourantes  —  ressuscita  la  vie,  et  lui  ouvrit  les 
yeux. 


10 


218  MllltlO,  CANT  VI. 

K  li  tres  ome,  tuut  en  aio. 

Quit^ron  lout-d*un-t6nis  la  draio ; 
E,  courba  t6uli  tres,  ie  fagueronun  bres 

Desi  roupo,  quespandigu^roii ; 

Piei  entre  touti  lou  prengo^ron 

A  la  brasseto,  e  TadugudFon 
Aa  Mas  di  Falabrego,  ounte  ^ro  lou  plus  pr^.... 

0  dous  ami  de  ma  jouv^n^, 

Valent  Felibre  de  Prouvtoco, 
Qu'escoutas,  atentieu,  mi  cansoun  d'autre-t^ms  : 

Tu  que  sabes,  o  Roumaniho, 

Entrena  dins  tis  armounio 

E  li  plour  de  la  pacaniho, 
E  lou  rire  di  chato,  e  li  flour  d6u  print^ms  ; 

Tu  que  di  bos  e  di  ribiero 
Gerques  lou  sourne  e  la  fresquiero, 

P^r  toun  cor  coumbouri  de  pantai  amourous, 
Fier  Aubaneu !  e  de  ti  soubro, 
Tu,  Crousihat,  qu*A  la  Touloubro 
Fas  mai  de  nouin,  que  n  en  recoubro 

De  soun  Nostradamus,  Fastrold  souloumbrous ; 

E  tu  tamben,  Hati^u  Ans^ume^ 
Que,  di  tiiho  souto  lou  I6ume, 
Hegardes)  pensatieu,  li  chato  que  fan  gau  I 
E  tu,  Pauloun,  fin  galejaire  ; 
E  tu,  iou  paure  trenquejaire, 
Tavan,  umble  cansounejaire 
grihet  brun  qu'espinchon  toun  magau ! 


MIREILLE,  CHANT  VI.  219 

Et  les  Irois  hommes,  empresses,  —  quilt^rent 
aussit6t  le  chemin  ;  —  et,  courb^s  tous  les  trois,  lui 
firent  un  berceau  —  de  leurs  manteaux  qu'ils  deployfe- 
rent;  —  puis,  entre  eux  tous,  le  prirent  —  dans 
leurs  bras,  et  I'apporterent  —  au  Mas  des  Micocoules, 
qui  etait  la  plus  proche  (habitation).... 


0  doux  amis  de  ma  jeunesse,  —  vaillants  pontes 
de  Provence,  —  qui  ecoutez,  altentifs,  mes  chan- 
sons du  temps  passe  :  —  toi  qui  sais,  6  Roumaoille,  — 
Iresser  dans  tes  harmonies,  —  et  les  pleurs  du 
peuple-,  — et  le  rire  des  jeunes  filles,  et  les  fleurs  du 
printemps ! 


Toi  qui  des  bois  et  des  rivifepes  —  cherches  le 
sombre  et  le  frais  —  pour  ton  coeur  consume  de  r^ves 
d'amour,  —  fier  Aubanel !  et,  par  les  (oeuvres)  que 
tu  laisses,  —  toi,  Crousillat,  qui  k  la  Touloubre  — 
fais  plus  de  renomm6e  qu'elle  n'en  recouvre  —  de 
son  Nostradamus,  le  sombre  astrologue"; 


Et  toi  aussi,  Malthieu  Anselme, — qui,  sous  le 
berceau  des  treilles,  —  regardes,  pensif,  les  jeunes 
filles  atlrayantes!  —  Et  toi,  cher  Paul,  6  fin  railleur; 
—  et  toi,  le  pauvre  paysan,  —  Tavan,  qui  m^les  ton 
humble  chanson  —  a  celle  des  grillons  bruns  qui 
examinent  ton  hoyau ! 


220  NIRfilO,  CAUT  VI. 

Tu  mai,  que  dins  11  duren^ado 

Trerapcs  encaro  ti  pensado, 
Tu  qiik  ndsli  souleu  caufes  lou  franchiman, 

Moun  Adofo  D6umas  :  grandido, 

Quand  pi^i  Mireio  s'es  gandido 

Liuen  de  soun  mas,  novo  e  candido, 
Tu  que  Tas,  dins  Paris,  menado  p^r  la  man ! 

Tu  'nfin,  de  quau  un  vent  de  flamo 

Ventoulo,  emporto  e  fouito  Tamo, 
Garcin,  *-  fieu ardent  d6u  manescau  d'Alenl.., 

^  ^*  -fia  frucho  bello  e  maduro, 

K)  v^utri  t6uti,  k  mesuro 

Que  i6u  escale  moun  auturo, 
Alenas  moun  camin  de  voste  sanl  alen ! . . . 

—  M^sle  Ramoun,  bonjour  1  digu^ron 

Li  pourcalie,  quand  amberon : 
Aven  Irouva,  pecaire!  aqueu  paurejouv^nt 

Aperavau  dins  la  champino ; 

Poud6s  cerca  de  pato  fmo, 

Gar  a*n  b^u  trau  k  la  peilrino ! 
Sus  la  taulo  de  peiro  alor  pauson  Vinc^n. 

Au  brut  de  la  malemparado, 

Mirfeio  cour,  despouderado, 
Que  veni6  d6u  jardin,  e  sus  Fanco  tenie 

Soun  plen  pani6  de  li6ume;  courron 

Touti  lis  ome  que  labouron.... 

Mirfeio,  en  V^r  si  bras  s'aubouron ; 
—  Maire  de  Dieu!  pi^iquilo,  e  toumbo  soun  pani6. 


MIREILLE,  CHANT  VI.  221 

Et  toi  aussi,  qui,  dans  les  debordements  de  la  Du- 
rance —  trempes  encore  tes  pens6es,  —  toi  qui 
chauffes  le  fran<^ais  a  nos  soleils,  —  mon  Adolphe  Du- 
mas :  grandie,  —  lorsque  ensuite  Mireille  s'est  lan- 
cee  —  loin  de  son  mas,  neuve  et  6tonnee,  —  toi  qui 
Tas,  dans  Paris,  menee  par  la  main ! 


Et  toi  enfm,  dont  un  vent  de  feu  —  agite,  emporte 
et  fouette  Ttoe,  —  Garcin,  6  fils  ardent  du  mar^chal 
d'Alleins !...  —  vers  le  fruit  beau  et  mur,  —  6  vous 
tous,  a  mesure  —  que  je  gravis  ma  hauteur,  — 
a^rez  mon  chemin  de  votre  sainte  haleine !... 


—  «  Haitre  Ramon,  bonjour !  dirent  —  les  por- 
chers  en  arrivant :  —  nous  avons  trouv6  ce  pauvre 
jeune  homme  —  par  M-bas  dans  la  lande ;  —  cher- 
chez  des  loques  (de  toile)  fine,  —  car  il  porle  a  la 
poitrine  une  bien  large  blessure. »  —  Alors,  sur  la 
table  de  pierre  ils  d^posent  Vincent. 


Au  bruit  du  fatal  ev6nement,  —  Mireille  accourt, 
^perdue ;  —  elle  venait  du  jardin,  et  lenait  sur  la 
hanche  —  son  panier  plein  de  legumes ;  accourent 
—  tous  les  laboureurs...  —  De  Mireille  les  bras  se 
Invent :  —  «  M6re  de  Dieu !  »  puis  s'6crie-t-elle  (d  une 
Yoix  aigue) ,  et  son  panier  tombe 


19. 


222  MfRfelO,  CANT  VI. 

—  Vinc^n!  mai,  que  t*an  fa,  pecaire! 
Qu'as  taut  de  sang?  De  soun  fringaire 

Ausso  alor  dou^amen  la  t^to,  e'n  bon  moumeii 
Lou  regardo,  mudo,  atupido, 
P^rla  doulour  coume  arrampido. 
De  lagreino  grosso  e  rapido 

S*inoundavo  enterin  Tauturoun  de  soun  sen. 

De  ramourouso  pichouneto 
Vinc^n  couneigu^  la  maneto ; 
E  d*uno  Youes  mour^nto  :  Oh  !  dis,  agu^s  pieta  < 
Ai  de  besoun  (|ue  m^acoumpagnc 
Lou  bon  Dieu,  car  si^u  b^n  de  plagne ! 

—  Laisso  que  ta  bouco  se  bagne, 
Fagu^  M^ste  Ramoun,  d'un  pau  d'agrioutat. 

—  0,  beu-lou  l^u,  qu*ac6  rcinounlo, 
Reprengufe  la  jouv^nto.  E,  proumlo, 

Arrap^  lou  flasquet ;  e  degout  k  degout, 
En  ie  parlant  lou  fasie  b^urc, 
E  ie  levavo  lou  mau-vi6ure. 

—  De  tau  malur  Di^u  vous  deli^ure, 
Vinc^n  coumenc^  mai,  e  vous  pague  de  lout ! 

En  refendent  uno  amarino, 

L*esquichave  sus  ma  peitrino, 
Quand  lou  ferri  m'esquifo  e  me  pico  au  mameu. 

Vougue  pas  dire  que  p6r  elo 

S*6ro  batu  coume  uno  grelo... 

Mai  saparaulo,  d*esperelo, 
Reveni^  vers  I'amour,  coume  la  mousco  au  m^u. 


MIREILLE,  CHANT  VI.  223 

—  «  Vincent !  que  t*a-t-on  fait,  h§las !  —  pour 
6tre  ainsi  (convert)  de  sang !  »  De  son  bien-aim^  — 
elle  rel6ve  alors  doucement  la  t^le,  et  longuement 

—  le  regarde,  muelte,  consternee,  —  comme  petri- 
fi6e  par  la  douleur.  —  De  larmes  grosses  et  rapides 

—  8*inondait  en  m^me  tentps  la  leg^re  Eminence  de 
son  sein. 

De  I'amoureuse  jeune  fille  —  Vincent  reconnut  la 
main ;  —  et  d'une  voix  mourante :  «  Oh  I  dit-il,  ayez 
piti6 !  —  J*ai  besoin  qu'il  m'accompagne,  —  le  bon 
Dieu,  car  je  suis  bien^  plaindre  !  »  —  «  Laisse  hu- 
mecter  ta  boucbe,  —  dit  Maitre  Ramon,  avec  un  peu 
i'agrioiat^,  » 


—  ((  Oui,  bois-le  vite,  car  cela  ranime,  »  —  reprit 
la  jouvencelle.  Et,  prompte,  —  elle  prit  le  flacon;  et 
goutte  k  goutte,  —  en  lui  parlant  elle  le  faisait  boire, 
et  lui  dtaitle  mal-6tre.  —  «  De  pareils  malheurs  Dieu 
vous  d6livre,  —  Vincent  commenga  de  nouveau,  et 
vous  paye  tous  (vos  soins)  ! 


«  En  refendant  un  (scion  d*)  osier,  —  jelepressais 
sur  ma  poitrine,  —  quand  le  fer  m'^chappe  et  me 
frappe  au  sein.  »  —  II  ne  voulut  pas  dire  que  pour 
elle  —  il  s'6tait  battu  comme  une  grftle. ,.  —  mais  sa 
parole,  d'elle-m^me,  —  revenait  vers  Tamour,  comme 
la  mouche  au  miel. 


224  MlRftlO,  CANT  Yl. 

—  La  doulour,  dis,  de  vosto  caro 

Hai  que  ma  plago  m'es  amaro ! 
Ce  qu'avian  couraen^a,  lou  cariesteu  pouUt, 

Fau  dounc,  partis,  que  noun  s'acabe, 

E  que  la  treno  se  derrabe ! . . . 

P^r  quant  k  i6u,  Mireio,  sabe 
Qu'aurieu  de  vosto  amour  vougu  lou  vSire  empli. 

Mai  ten^s-vous  aqui ! . . .  que  vegue 
V6stis  iue  dous,  e  que  ie  begue 

La  vido  enca*n  brisoun!  vous  demande  pas  mai... 
Vous  demande...  sepoudias  faire 
Quaucaren  p^r  lou  panieraire  : 
Ai  alin  moun  paitre  \iei  paire 

Qu*es  escranca  de  I'age,  e  mort  p6r  lou  travai. 

Mir6io  se  descounsoulavo. . . 

D6u  terns,  elo  pamens  lou  lavo, 
E  Tun  de  I'escarpido  esfato  lou  velout, 

D'autre  16u  landon  vers  TAupiho 

Cerca  li  b6nis  erbourilio. 

Mai  sus-lou-cop  Jano-Mario  : 
—  Au  Trau  di  Fado,  au  Trau  di  Fado  pourtas-lou ! 

Tant  mai  la  plago  es  dangeirouso, 

Tant  mai  la  masco  ^i  pouderouso ! 
Z6u  dounc !  au  Trau  di  Fado,  k  la  coumbo  d'lnf^r, 

Quatre  lou  porton..   Dins  li  peno 

Que  di  Baus  formon  la  cadeno. 

En  un  rode  que  Valabreno 
Trevo,  e  qu'en  virouiant  marcon  li  capoun-fer, 


MIBEILLE,  CHANT  YI..  899 

—  a  IjH  douleur,  dit-il,  de  voire  visage,  —  plus 
que  ma  plaie  m*est  am^re!  —  La  jolie  corbeille 
commenc^e  par  nous, —  il  faut  done,  parait-il,  qu'elle 
(reste)  inaclievee,  —  et  que  la  tresse  s*en  arrache ! . . . 
—  Pour  ma  part,  Mireille,  je  sais  —  que,  de  votre 
amour,  j'aurais  voulu  la  voir  s'emplir. 


«  Maistenez-vousl^!...  que  je  voie  —  vos  yeux 
doux,  et.  que  j'y  boive  —  la  vie  encore  un  peu !  je  ne 
vous  demande  rien  de  plus. . .  —  Je  vous  demande. . , 
si  vous  pouviez  faire  —  quelque  chose  pour  le  van- 
nier :  — j*ai  Ubas  mon  pauvre  vieux  pere —  qui  est 
brise  par  Tdge,  et  mort  pour  le  travail.  » 


Mireille  se  d^solait...  —  Cependant  elle  lave  sa 
(blessure),  —  et  Tun  de  la  charpie  d^chire  le  velours, 
—  d'autres,  empresses,  8*61ancent  vers  TAlpine,  — 
(pour)  chercher  les  herbes  salulaires.  — Mais  aussit6t 
Jeanne-Marie  :  —  v  Au  Trou  des  F^es  *,  au  Trou  des 
F6esportez-le! 


«  Plus  la  plaie  est  dangereuse,  —  plus  la  sorcifere 
est  puissante  1  »  —  Aliens !  au  Trou  des  Fees,  dans 
le  vallon  d'Enfer,  —  quatre  le  portent...  Dans  les 
remparts  de  roche  —  qui  ferment  la  chaine  des  Baux, 
—  en  un  lieu  que  la  salamandre  —  hante,  et  que  de 
leur  vol  tournoyant  les  sacres  indiquent, 


220  JIIRfelO.  CANT  VI 

Di  roumanin  entrc  li  mato, 

A  flour  de  roco,  un  trau  s'acato. 

Aliii  dedins,  despi^i  que  lou  sant  Angehis, 
En  Tounour  de  la  Vierge,  pico 
I^u  brounse  clar  di  baselico, 
Alin  dedins  li  Fado  antico. 

Per  tonstems,  dou  souleu  an  fugi  lou  trelus. 

Esperitoun  plen  de  mist^ri , 

Entre  la  forino  e  la  materi 
Erravon,  au  mitan  d*un  linde  calabrun. 

Di6u  lis  avi6  fa  mi6-terr^slre 

E  femelin,  coume  p6r  6stre 

L*amo  vesiblo  di  camp^stre, 
E  per  di  proumies  ome  amansi  lou  ierun. 

Mai  li  Fadeto,  —  b6u  coume  eron,  — 

Di  fieu  dis  ome  s*aflam6ron ; 
E,  li  foulasso !  au  lio  d'enaura  li  mourtau 

Vers  li  cel^slis  esplanado, 

Di  passioun  nostro  apassiounado, 

A  noslo  fousco  destinado, 
Coume  d'auceu  pipa,  ioumberon  d^amoundaut. 

Dins  la  gorgo  estrechano  e  rudo 

De  la  caforno  sournarudo, 
Li  pourlaire  pamens  avien  leissa  Vincen 

Se  davala  de  resquiheto. 

Em'^u,  dins  Teseuro  draielo 

S'aventnr6  que  Mireielo, 
Recouniandant  soun  amo  k  Di6u,  camin  fasent. 


MIREILLE,  CHANT  VI.  22? 

Entre  les  touffes  des  roinarins,  —  a  fleur  de  roche, 
un  Irou  se  cache.  —  Dans  ses  profondeurs,  depiiis 
que  le  saint  Angelus,  —  en  rhoiineur  de  la  Vierge^ 
frappe  —  le  bronze  clair  des  basiliques,  —  dans  ses 
profondeurs  les  antiques  F^es,  —  pour  jamais,  du 
soleil  ont  fui  la  splendeur. 


Esprits  I6gers,  mysterieux,  —  entre  la  forme  et  la 
matiere  —  elles  erraient,  au  milieu  d'un  limpide  cre- 
puscule.  —  Dieu  les  avail  creees  demi-terrestres  — 
et  f<gminines,  afln  qu^elles  fussent,  pour  ainsi  dire,  — 
r^e  visible  des  campagnes,  —  et  afm  d'apprivoiser 
la  sauvagerie  des  premiers  hommes. 


Mais,  si  beaux  etaient  —  les  fils  des  hommes,  que 
pour  eux  s'enflamm^rent  les  Fees ;  —  et,  insensees! 
au  lieu  d'elever  les  naortels  —  vers  les  celestes 
espaces,  — passionnees  denos  passions,  —  dans  no- 
tre  obscur  destin,  —  comme  des  oiseaux  fascines,  de 
leurs  hauteurs  elles  tomberent. 


Dans  la  gorge  ^troite  et  raboleuse  —  de  la  caverne 
sombre,  —  les  porteurs  cependant  avaient  laisse  Vin* 
cent  —  se  couler  par  glissade,  —  Avec  lui,  —  dans 
I'obscur  sentier  —  ne  s'aventura  que  Mireille,  — 
recommandant  son  kme  a  Dieu,  chemin  faisant* 


22g  MIRfelO,  CANT  VI. 

Au  founs  d6u  pous  que  li  carrejo, 

Dins  uno  grando  baumo  f  rejo 
Se  deviniron;  e,  souleto  au  b6u  initaii» 

E  dios  li  sounge  ennevouUdo, 

Tavcn,  la  masco,  agroumoulido, 

Tenie  *no  blesto  de  calido... 
E  trislo  quenouusai  tout  en  la  regardant : 

—  Paure  p6u  d'erbo  serviciable ! 

U  gent  te  nonion  blad-d6u-diable, 
Ueinieutejavo,  e  sies  un  di  signe  de  Dieu  I 

Alor  Mir^io  la  saludo; 

E  coume  entamenoy  esmougudo» 

L'estiganco  de  sa  vengudo, 
La  masco,  s^ns  leva  la  t^to  :  —  Lou  sabi^u !  — 

E  pi^i  sa  voues  atremoulido 

S'adreiss^  rnai  h  la  calido  : 
—  Pauro  flour  de  la  tepo !  es  li  fueio  e  ti  gre 

Que  li  troupeu  tout  Tan  rousigon, 

E,  pecaire !  au  mai  te  caucigon, 

Au  mai  tis  espigau  espigon , 
E  veslisses  de  verd  tant  Tuba  que  I'adre. 

Taven  aqui  fagu6  *no  pauso. 

Dins  un  cruveu  de  cacalauso 
Un  lumenoun  cremavo,  e  fasie  rougeja 

La  paret  mouisso  de  la  roco ; 

Sus  la  fourquello  d'uno  broco 

ravi6  'no  graio,  e  toco-A-toco 
Uno  galino  bianco,  em*  un  creveu  penja. 


MIREILLE,  CHANT  VI.  229 

Au  fond  du  puils  qui  les  amene,  —  dans  une  grotle 
vaste  el  froide  —  ils  se  trouv^rent ;  el  seule,  au  mi- 
lieu, —  el  voil^e  d  un  nuage  de  r^ves,  —  Tav6n,  la 
sorciere,  accroupie,  —  lenailun  6pi  de  brome...  — 
El  profondement  Iriste  en  le  consid^rant : 


—  «  Pauvre  brin  d'herbe  officieiix!  —  les  gens  te 
nommenl  ble-du-diable  —  grommelait-elle,  et  tu  es 
un  des  signes  de  Dieu  !  »  —  Alors  Mireille  la  salue; 
—  et  a  peine  commence-l-elle  {k  dire),  ^mue,  —  le 
motif  pour  lequel  ils  \iennent ,  *—  la  sorciere,  sans 
lever  la  l^te  :  «  Je  le  savais !  » 


Ensuite  sa  voix  chevrolanle  —  de  nouveau  s'a- 
dressa  au  brome  :  —  «  Pauvre  fleur  du  gazon!  ce 
sont  tes  feuilles  et  tes  germes  ->  que  les  troupeaux 
toute  Tann^e  broutent ;  —  et,  pauvrette !  plus  ils  te 
foulent,  —  plus  tes  epis  se  multiplienl  —  et  tu  revels 
de  verdure  le  nord  comme  le  midi.  » 


La,  Tav6n  fit  une  pause. —  Dans  une  coquille  d  es- 
cargot  —  une  petite  lumiere  bhllait,  6clairant  de 
reflets  rougeMres —  la  paroi  humide  de  la  roche ;  — 
sur  la  fourchelte  d'un  bAton  —  el  ait  (juch6e)  une 
corneille,  et  cdle  k  cote  —  une  poule  blanche ;  un 
crible  pendait  (aumur). 


20 


230  MIREIO,  CANT  YI. 

—  Quau  que  fugues,  digue  la  masco 
Subitamen  e  coume  nasco, 

Eh!  que  m'enchau?  la  Fe  camino  de  plegoun. 

La  Carita  porlo  li  plego, 

E  noun  s'escarton  de  la  rego. . . 

Banaslouni^  de  Valabrego, 
Te  sentes  fe?  —  Me  s^nte !  —  Enrego  moun  regoun ! 

Adraiado  coume  uno  loubo 

Qu*eme  8a  co  li  flanc  se  zoubo, 
Per  un  trau  despareis  la  masco.  Estabousi, 

Lou  Valabregan  e  Mireio 

Apres  ie  van.  Davans  la  vieio, 

S*enlendie  dins  Torro  tubeio 
Youlastreja  la  graio,  e  la  clusso  clussi. 

—  Davalas  16u,  qu'es  deja  Touro 
De  se  cencha  de  mandragouro ! 

E  leu,  de  rabaloun,  de  tirassoun,  pareu 
Que  Tun  de  Fautre  noun  se  brando, 
Van  a  la  voues  que  li  coumando. 
En  uno  baumo  enca  plus  grando 

Venie  se  relarga  Tinfernau  gourgar^u. 

—  Vaqui !  Taven  ie  fague  signc... 
0  planio  santo  de  moun  segne 

Nostradamus !  brout  d'or,  bastoun  de  Sant  Jousc, 

E  vergo  masco  de  Mouise ! 

Crido  ;  e  de  I'erbo  que  vous  disc, 

Cregn^nto,  courounci  li  vise 
feme  soun  capelet  qu'&  geinoun  ie  pause. 


MinEILLE,   CHANT  VI.  23i 

—  «  Qui  que  vous  soyez,  dit  la  sorci^re  —  subite- 
ment  et  comme  ivre,  —  eh!  que  m'imporie?  la  Foi 
marche  les  yeux  fermes,  —  la  Charity  porte  un  ban- 
deau, —  et  elles  ne  s'ecartent  pas  delaraie... — 
Vannier  de  Valabr^gue,  —  te  sens-tu  foi  ?  »  —  « Je 
me  sens  !  »  —  «  Suis  mon  sillon  !  )) 


Empressee  comme  une  louve  —  qui  de  sa  queue 
se  bat  les  flancs,  —  par  un  trou  disparait  la  sorci^re. 
Stupefaits,  —  le  Valabr^gan  et  Mireille  —  vont  apr6s 
elle.  Devant  la  vieille  —  on  entendait  dans  Thorrible 
brume  —  voleter  la  corneille,  et  la  poule  glousser. 


—  «  Descendez  vite !  il  est  d6ji  Theure  —  de  se 
ceindre  de  maudragore  I  »  —  Et  vite,  en  rampant, 
en  se  trainant,  couple  —  ne  s*6cartant  point  Tun  de 
i'autre,  —  ils  vont  k  la  voix  qui  les  commando.  — 
Dans  une  grotte  plus  grande  encore  —  venait  s'elar- 
gir  rinfernal  couloir. 


—  (( Voila  !  leur  dit  Tav6n  d'un  signe... — 0  plante 
sainte  de  mon  seigneur  —  Nostradamus !  rameau 
d'or,  bMon  de  Saint  Joseph,  —  et  verge  magique  do 
Moise!  »  —  s  eerie- t-elle ;  et  de  Therbe  que  je  vous 
dis,  —  craintive,  elle  couronna  les  pousses  —  avec 
son  chapelet  qu'elle  y  deposa,  a  genoux. 


939  HineiO,  CANT  YI. 

Pi6i  s'aubourant :  Es  Fouro,  es  I'ouro 
De  se  ceiicha  de  mandragouro ! 
De  la  pbnto  creissudo  k  Tasclo  d6u  roucas 
Cuei  tres  jiiello  :  n'en  courouno 
Elo,  lou  drole,  la  chatouno... 

—  Avans  toujour !  —  E  s'enfourgouno 
Ard^nto  mai  que  mai,  dins  li  sourne  traucas 

Eid6  de  lume  sus  Tesquino 
P6r  enclaii  Tescuresino, 
[In  v6u  d  escarava  ie  camino  davan. 

—  Jouv6nt!  k  tout  camin  dc  gl6ri 
i'a  soun  trav^sde  purgat6ri... 
An !  courage!  d6u  Sabatdri 

Anan  aro,  ai !  ai !  ai !  franqui  lis  espravant. 

N'avi^  panca  barra  la  bouco, 

IJno  auro  forto  li  remouco 
E  ie  coupo  Talen,  subit :  —  Amourren-nous ! 

Di  Fouletoun  veici  lou  trounfle ! 

Coume  un  croupas,  de  grelo  gounfle, 

Souto  li  croto  passo  k  rounfle 
LVissame  vagabound,  quilant,  revoulunous. 

Passon;  e,  de  tressusour  trempe, 
li  ires  mourtau  s^nton  si  tempe 
Ventoula,  bacela  de  Talo  di  Trevan, 
Coume  un  glas  pelado  e  jal6bro. 

—  Anas  pu  liuen  pica  ten^bro, 
Taven  crid6,  bando  menebro  ! 

Isso,  mata-blad  !  isso  !  o  garas-vous  davan ! 


MIREILLE,  CHANT  VI.  2'J3 

Puis  se  levanl :  —  «  C'esl  I'heure,  c*est  Theure  — 
de  uous  ceindre  de  mandragore !  »  —  De  la  plante 
venue  dans  la  fente  du  roc  —  eile  cueille  trois  jets  : 
s'en  couronne  —  elle-mSnie,  (en  couroime)  le  jeune 
homme,  la  jeune  filie...  —  «  Enavant  toujours!  »  Et 
elle  s'engoufTre,  —  ardente  plus  que  jamais,  dans  les 
cavit6s  sombres. 

Avec  de  la  lumi^re  sur  le  dos  —  pour  ^clairer 
Tobscurite,  —  une  troupe  d'escarbots  chemine  de- 
vant  elle.  —  «  Jeunes  gens,  tout  chemin  glorieux  — 
a  sa  traversee  de  purgatoire...  —  Qh  1  courage  !  du 
Sabbat  —  nous  allons  mainlenant,  a'ie!  ale!  aie! 
franchir  les  ^pouvantes.  » 


Elle  n'avait  pas  clos  encore  la  bouche,  —  un  vent 
violent  leur  cingle  (le  visage),  —  et  leur  coupe  brus- 
quement  le  souffle:  —  «  Prosternons-nous!  — Des 
Follets  voici  le  triomphe  1  »  —  Tel  qu'un  grattiy 
gonfl6  de  gr^le,  —  sous  les  cryptes  passe,  innom- 
brable,  —  Tessaim  vagabond,  glapissant,  tourbil- 
lonnant. 

lis  passent ;  et  baign^s  d'une  sueur  froide,  —  les 
trois  mortels  sentent  leurs  tempes  —  6vent6es , 
fouett6es  par  Taile  des  fanl6mes,  —nueet  froide 
comme  un  glagon.  —  t  Allez.plus  loin  battre  les  te- 
nebres,  —  Tav6n  cria,  bande  bourrue !  —  Allez, 
abatteurs  de  moissons  !  a11(>z  !  ou  rangez-vous  I 


20 


234  NIRfilO,  CANT  VI. 

Oh !  li  pudent !  lis  esbroufaire ! . . , 
E  dins  lou  ben  que  poud^n  faire. 

Dire  piei  que  nous  faugue  emplega  talo  g^t ! 
Car,  0,  de  meme  que  lou  m^je 
SouvSnt  tiro  lou  bon  d6u  pi^ije, 
Per  la  vertu  di  sourtil^e 

Fonr^.an,  nautre,  lou  mau  h  coungreia  lou  b^n; 

Car  sian  li  masco.  E  noun  i'a  causo 
Qu'a  nosto  Vislo  r^ste  clauso. 

E  inounle  lou  coumun  v^i  uno  p6iro,  un  fouit, 
Uno  malandro,  uno  coundorso, 
le  destrian,  nautre,  uno  forgo 
Que  dins  sa  rusco  se  bidorso, 

Coume  souto  la  raco  un  vin  nouv^u  que  boui... 

Trauco  la  lino  :  la  bevento 
N'en  gisclara  touto  boui^nto ; 

Destousco,  se  tu  pos,  la  clau  de  Salamoun ! 
Parlo  k  la  peiro  dins  sa  lengo, 
E  la  mounlagno,  k  toun  arengo, 
Davalara  dins  la  valengo ! . . . 

E  s^mpre  descendien  dins  li  cauno  d6u  mount 

Uno  pichoto  voues,  malino 
Coume  un  quilet  de  cardelino, 

Alor  ie  fai  :  Hoi !  hoi !  la  coumaire  Taven : 
Viro  lou  tour  ma  tanto  Jam, 
Viro  lou  touVy  e  piei  debanOy 
La  nive,  lou  jour,  soun  fieu  de  lanoy 

E  cr^i  fiela  de  lano,  e  fielo  que  de  fen ! 


MIREILLE,   CHANT  VI.  235 

c  Oh  I  les  vilains!  les  fanfarons!  —  Et,  dansle 
bien  que  nous  pouvons  faire,  —  dire  ensuile  qu'il 
nous  faut  employer  telle  engeance !  —  Car,  oui,  de 
mSme  que  le  medecin  —  souvent  tire  le  bon  du  pire, 
—  par  la  vertu  des  sortileges,  — nous  Ibr^ons,  nous, 
le  mal  h  engendrer  le  bien ; 


((  Car  nous  sommes  les  sorci^res ;  et  nuUe  chose  k 
notre  vue  n  est  cachee ;  —  et  ou  le  vulgaire  voit  une 
pierre,  un  fouet,  —  une  maladie,  une  perche,  — nous 
discemons,  nous,  une  force  —  qui  dans  son  ecorce 
se  tourmente  —  ainsi  que  sous  le  marc  un  vin  nou- 
veau  qui  bout. 


«  Perce  la  cuve  :  —  la'boisson  —  en  jaiilira  toute 
bouillante ;  d^couvre,  si  tu  peux,  la  clef  de  Salomon ! 
—  Parle  a  la  pierre  dans  sa  langue,  —  et  la  monta- 
gne,  a  ta  parole,  —  devalera  dans  la  valine  !  »  —  Et 
ils  descendaient  toujdurs  dans  les  cavernes  de  la 
montagne. 


Une  petite  voix,  maligne —  comme  un  cri  de  char- 
donneret,ieur  fait  alors  :  «  Hot!  hoi!  la  comm^re 
Tav6n !  —  Toume  le  rouetma  tante  Jeanne^ — toume 
le  rotiet,  etpuis  devide,  —  la  nuit,  lejour,  son  fit  de 
laine;  —  ot  elle  croit  filer  de  la  laine,  et  ne  file  que 
du  foin ! 


«30  MIRfilO,   CANT  VI. 

E  z6u !  ma  grand !  que  lou  tour  vire  ! 

—  Ein'ac6  'nT^r,  vague  de  rire, 

Tout  coume  quand  endiho  un  p6utre  desmama. 

—  De-qu'es  aquelo  voues  parlanto 
Que  quouro  ris  e  quouro  canto? 
Vengufe  Mireio  tremoulanto. . .     . 

—  Hoi !  hoi !  en  repetant  soun  rire  acoustuma, 

Fagu6  la  voues  enfantoulido, 
Quau  es  aquelo  taut  poulido? 
Ah !  laisso,  mourranchoun,  qu*auboure  toun  Gchu... 
Laisso  qu'auboure...  Es  d'avelano 
Que  i*a  dessouto,  o  de  mi6ugrano? 
E  la  paureto  bastidano  : 

—  Ai ! !  anavo  crida.  Taven  ie  fai  l^u  :  Chut ! 

Agues  pas  p6u !  ac6*s  un  gl&ri 

Bon  que  p^r  faire  de  countrari ; 
Es  aqu^u  fouligaud  d*Csperit-Fanta$ti : 

Quand  dins  si  bono  se  devino, 

Te  vai  escouba  ta  cousino, 

Tripla  lis  i6u  de  ti  galino, 
Empura  lou  gav6u  e  vira  toun  roustit. 

Mai,  que  le  prengue  un  refoul6ri, 

Pos  dire  adi6u!...  Que  treboul6ri ! 
Dins  toun  oulo,  ie  largo  un  quart eiroun  de  sau  ; 

Empacho  que  toun  fio  s*alume; 

Te  vas  coucha?  boufo  toun  lume ; 

Yos  ana  i  v^spro  k  Sant-Trefume? 
T'escound  o  te  passis  tis  ggust  dimenchau. 


MIREILLE,  CHANT  VI.  237 

«  Q^  \  graai'mere  1  tourne  le  rouel  1 »  —  Et  puis, 
eiiTair,  de  rire  et  de rire !...  —  Ainsi  hennit  un  pou- 
lain  sevre.  —  «  Quelle  est  cette  voix  qui  parle,  —  et 
tant6t  rit,  et  tant6t  chante?  »  —  demattdaMireille 
en  Iremblant...  —  «  Hoi!  hoi  I  en  repliant  son  rire 
habituel, 


Dit  la  voix  eniantine,  —  quelle  est  cette  si  jolie 
(fiUe)!...  —  Permets,  petit  minois,  quejesoul^ve 
ton  fichu...  —  Permets  que  je  soul6ve...  Y  a-t-il  de$ 
noisettes  —  dessous,  ou  des  grenades?  »  —  Etla 
pauvre  enfant  des  champs :  —  (^  Aie !  »  allait-elle 
crier.  Mais  Taven  aussitAt :  «  Silence  ! 


«  N'aie  pas  peur!  c'est  1^  un  lulin  —  bon  seule- 
ment  k  faire  des  niches.  — C'est  cet  6cervel6  d'Esprit- 
Fantastique  :  —  dans  ses  bons  (moments),  — il  ba- 
layera  ta  cuisine,  —  triplera  les  oeufs  de  tes  poules, 
—  attisera  le  sarment  et  tournera  ton  rdti. 


((  Mais  qu*il  lui  prenne  un  caprice,  —  tu  peux 
dire  adieu  !...  Quel  brouillon !  —  Dans  ta  marmite,  il 
jette  un  quarteron  de  sel ;  —  il  empSche  ton  feu  de 
s'allumer ;  —  vas-tu  te  coucher?  il  souffle  ta  lampe ; 
—  veux-tu  aller  aux  V6pres  a  Saint-Trophime  *?  — 
il  cache  ou  fane  taparure  des  dimanches.  » 


aift  MIRfcfO,  CANT  VI. 

—  Tfc !  t^ ! . . .  vifei  cro,  giblo  ti  pouncho ! 

L  aus^s,  la  carrello  mau  voiincho  ? 
Lou  leventi  l^u-l^u  ie  respond,  o,  carcan. 

La  niue,  quaiid  dormon  li  chatouno 

Tire  plan-plan  sa  cubertouno ; 

Lis  espinche^  nuso  e  redouno, 
R  que,  folo  de  p6u,  s*atnatoii  en  pregant 

Vese  si  dos  coucoureleto 

Que  van  e  v^non,  tremouleto ; 
Vese...  E  TEsperiioun  s'enanavo  eiiaiiu 

Eme  soun  rire...  Soul  li  baumo, 

Li  mascari^  fagu^on  chaumo ; 

E  dins  lis  oumbro  e  la  calaumo 
Entendien  degouta  sus  lou  s6u  cristalin, 

Degouta  lou  trespir  di  v6uto, 
E  r6n  qu  ac6,  de  vduto  en  v6uto. 

E  veici,  peravau  dins  la  vasto  negrour, 
Veici  qu'uno  grand  formo  bianco, 
Qu'ero  assttado  su'no  estanco, 
S'aubour^  drecho,  un  bras  sus  Tanco. 

Vino 6n,  coume  un  queiroun,  aplauta  de  terrour : 

E  s'aqui  meme  pousqu^sse  6stre 
Un  degoul6u,  de  Tescauf^stre 
Mir^io  tout  d'uii  vane  se  ie  trasie.  —  Que  vos, 
Taven  cride,  long  cscamandre, 
P6r  que  ta  testo  se  balandre 
Coume  uno  pibo  ?. . .  Mi  calandre, 
Faguo  pidi  au  pareu  qu'a  la  mort  dins  lis  os, 


MIUEILLE,  raiANT  VI.  259 

— «  Tiens!  tiens  !  vieux  croc,  rive  tes  pointes!  — 
L'entendez-vous,  la  poulie  inal  graissee? — luirepli- 
qiie  aussit6t  Te^iegle.  Oui,  olive  dessechee,  —  la 
nuit,  quand  dorment  les  filleltes,  —  je  tire  douce- 
ment  leur  couverture;  — je  les  epie,  nues  et  rebon- 
dies,  —  et  qui,  folles  de  peur,  se  blottisseiit  en 
priant. 

«  Je  vois  leurs  deux  coupelles  —  qui  vont  el  vieii- 
neiit,  palpitantes;  —  Je  vois...  »  Et  I'Esprit  sen 
allait  au  lointain  —  avec  son  rirc...  Sous  les  grottes, 
—  les  sorcelleries  iirent  tr^ve ;  —  et  dans  les  om- 
bres et  le  silence  —  on  entendait  degoutter  sur  le  sol 
cristallin , 


Degoutter  la  filtration  des  voiites,  —  et  cela  seul, 
d'intervalle  en  intervalle.  —  Et  voici,  par  la-bas, 
dans  rimmensite  noire, — voici  qu'une  grande  forme 
blanche  —  qui  sur  un  banc  de  rocbe  elait  assise,  — 
se  leva  droite,  un  bras  sur  la  hanclK.v  —  Vincent, 
conime  un  quarlier  de  pierre,  immobile  de  terreur ; 


Et  si  en  ce  lieu  m^me  avait  pu  etro  -  un  preci- 
pice, d'epouvante  —  Mireille  s'y  jetait  d*un  seul 
elan.  —  «  Que  veux-tu,  —  s'6cria  Taven,  longesco- 
griffe,  —  par  ces  balancements  de  t^te  —  (pareils  a 
ceux)d  un  peuptier?...  Mesdrilles,  —  dit-elle  ensuile 
au  couple  qui  a  la  mort  dans  les  os, 


240  M1U£I0,  CANT  VI. 

Couneisses  pas  la  Bugadiero? 

Sus  Mounl-Ventour  (qn*6i  sa  cadiero) 
Quand  la  veson,  d*en  bas,  per  un  longnivo  blaiic 

li  g^nt  la  prenon;  mai,  o  pastre, 

L^u !  l^u !  que  vosle  ave  s'encastre  ! 

La  Bugadiero  de  malastre 
Acampo  k  soun  entour  li  nivo  barrulant ; 

E  quand  n'i'a  proun  per  la  bugado, 

Sus  lou  mouloun,  reveriegado 
E  'm^  furour,  bacello  e  rebacello  :  a  bro, 

N'en  tors  la  raisso  erne  la  flamo, 

E,  sus  la  mar  que  inounto  e  braino, 

A  la  g&rdi  de  Nostro-Damo 
Li  marin  palinous  recuumandoii  sa  pro! 

E  lou  bouie  de-vers  Testable 

Coucho...  Un  sagan  espaventable 
le  tanco  touriiamai  la  paraulo  entre  d^iit : 

E  de  miaula  de  catamiaulo, 

E  de  brandamen  de  cadaulo, 

E  de  pieu-pi^u,  e  de  paraulo 
A  mita  dicho,  e'n  quau  lou  diable  soul  entend. 

Jin !  jin  I  poun-poun ! .  .  Quau  es  que  pico 

Sus  de  peirolo  fantastico?... 
E  d'estras,  e  de  rire,  eme  d'esquichamen 

Goume  de  femo  abasiinado 

Dins  lou  moumen  de  si  ramado ; 

Pi^i  de  badai,  pi^i  de  bramado, 
E  z6u !  lou  roumadan  e  li  gingoulamen ! 


MIREILLE,  CHAKT  VI.  2U 

«  Vous  ne  connaisscz  pas  la  Lavandierc?  —  Sur  le 
Mont  Ventour  (qui  est  son  siege)  —  lorsqti'ils  la 
voient,  d'en  bas,  pour  un  long  nuagt;  blanc  —  les 
gens  la  preunent ;  mais,  d  bergers,  —  vite !  vite !  que 
vos  brebis  rentrent  au  pare!  —  la  Lavandiere  de 
malheur  --  amasse  autourd'ellelesnu6eserrantes; 


«  Et  quand  il  en  est  assez  pour  la  lessive,  —  sur 
le  monceau,  (les  bras)  retrouss6s,  —  et  avec  fureur, 
elle  frappe  et  refrappe  :  k  brocs  —  elle  en  exprime 
en  les  tordant  et  Taverse  et  la  flainme,  —  et  sur  la  mer 
qui  monte  et  inugit,  —  a  la  gard^  de  Notre-Dame  — 
les  pales  nautoniera  recominandent  leur  proue  I 


(c  Et  le  bouvier  devers  Tetable  —  chasse...  »  Un 
^pouvantable  tumulte  —  lui  arrete  dereclief  la  pa- 
role entre  dents  :  —  miaulements  de  chattomites,  — 
branlements  de  loquet,  —  et  piatdetnents,  et  paroles 
—  a  inoitie  dites,  et  auxquelles  le  diable  seul  entend. 


Djin!  djtn!  poun-poun!....  Qui  frappe  ainsi  — 
sur  des  chaudi^res  fantastiques  ?...  ■—  Et  des  dechi- 
reinents,  et  des  (eclats)  de  rire,  et  des  ^preintes  -*' 
comme  (celles)  de  femmes  abimees  —  dans  les  dou- 
leurs  (de  leurs  couches) ;  —  puis  des  bMUements, 
puis  des  hu6es,  —  et  des  criailleries,  et  des  g6mis- 
sements  aigus ! 

21 


*2«  MIRtIO,  ilAM  V!. 

—  Pourges  la  man,  que  vous  ai  rape ! 
E  douiias  siuen  que  noun  s*e8cape 

i^a  courouno  de  inasc  que  vous  cencho  lou  li'(>jit ! 
E  dins  si  cainbo  aqui  sencoufo 
Couine  uno  pourcado  qu'esbroufu  : 
Un  quilo,  un  japoi  un  rcno,  un  boufu. 

Souto  un  lan96u  de  n^u  quand  la  Naturo  drum, 

P^r  uno  niue  ventouso  e  claro, 

Quand  li  cassaire  de  fanfaro 
Espousson  li  roumias  tout-de-long  di  valat, 

Ansin  passeroun  e  macboto, 

Destrassounsrdins  sa  liechoto 

E'  spavourdi,  partoa  a  floto, 
E  'nie  'n  brut  d'auriflant  s'embourson  au  (ielat. 

Mai  alor  rescouujurarello  : 

I,  inau-viventi  sautarello ! 
Arri ! . . .  malavalisco  a  vautri ! . . .  pa$sas«iiu* ' 

E  coussaiant  la  chourmo  iinpuro 

Em^soun  drai,  dins  la  sournuro 

Trasi6  de  cieucle,  de  figuro, 
De  raio  luminouso  e  coulourde  venue. 

—  Entraucas-vous  dins  vosli  borno, 
0  niaufaian !...  quau vous  dcstorno? 

1  dardaioua  de  fio  que  pougnon  vosti  cai', 
Senles  dounc  pas  que  sus  TAupiho 
Lou  souleu  rous  encaro  briho  If 
Pendoulas-vous  i  roucassiho  I 

Per  li  ralo-oenado  es  encaro  Irop  clari... 


MIREILLE,  CHANT  V!.  213 

—  «  Tendez  la  main,  que  je  vous  saisisse !  —  et 
prenez  garde  qu'elle  ne  s'6chappe  —  la  couronne 
magique  qui  vous  ceint  le  fronl !  >  —  Et  dans  leurs 
jambesalors  se  presse  pMe-inMe  —  (quelque  chose) 
comrae  un  Iroupeau  de  pores  qui  8*6broue  :  —  Tun 
crie,  Tun  aboie,  Tun  grogne,  Tun  souffle.  —  Sous 
un  linceul  de  neige  quand  la  nature  dort, 

Par  une  nuit  venteuse  et  claire,  —  quand  les  chas- 
seurs k  la  fou6e  —  secouent  les  ronceraies  tout  \e 
long  des  ruisseaux,  —  ainsi  moineaux  et  chouettes,  — 
^veilles  en  sursaut  dans  leur  couche,  —  effarouches, 
partent  par  bandes,  —  et,  avec  un  bruit  de  souffle! 
(de  forge),  s'engouPfrentdansle  filet. 


Mais  alors  la  cbarmeresse  :  —  «  Hue !  sauterelles 
de  mauvaise  vie!  — Arri!,..  malheur  h  vous!... 
loin  de  moi !  »  —  Et  chassant  la  horde  impure  — 
avec  son  crible,  dans  les  t^nfebres,  —  elle  jetait  des 
cercles,  des  figures,  —  des  raies  himineuses  et  cou- 
leur  de  kermes. 


—  ((  Clapissez-vous  dans  vos  cavernes,  —  artisans 
de  mal!...  qui  vous  derange?  —  Aux  aiguillons  de 
feu  qui  piquent  vos  chairs,  —  ne  sentez-vous  done 
pas  que  sur  TAlpine  —  le  soleil  roux  brille  encore? 
—  Aux  angles  de  rocher  appendez-vous !  —  pour  les 
chauves-souris  il  fait  encore  trop  clair....  » 


^44  MIRfelO,  CANT  VI. 

E  detout  caire  patusclavon, 

E  li  brut  pau-^-pau  moulavon. 
—  Fau  vous  dire,  au  par^u  digu6  Taven  alor, 

Que  di  Trevan  eig6  's  la  cauno, 

Tant  que,  sus  lis  estoublo  jauno, 

Lou  jour  laisso  toumba  sa  mauno ; 
Mai  uno  fes  que  I'oumbro  est^nd  sou  drap  de  mort ; 

.  Ei^  quand  la  Vi^io  encagnado 
Mando  k  Febrie  sa  reguignado, 

Dins  li  gl^iso  deserto  e  clavado  k  tres  lour, 
Anessias  pas,  femo  tardiero, 
I/)u  front  pendant  suno  cadiero, 
Resta  'ndourmido!...  A  lasourniero, 

Pourrias  veire  li  bard  s*eigreja  tout  aulour ; 

E  s'atuba  li  lumen&ri, 

E,  courdura  dins  lou  susari, 
Li  mort,  un  aro,  un  piei,  s'ana  metre  k  geinoun ; 

Un  capelan,  pale  coume  eli, 

Dire  la  Messo  e  TEvangeli ; 

E  li  campano,  d'esper^li 
A  brand,  ploura  de  clar  em6  de  long  plagnoun! 

Parlas,  parlas-n'en  i  b^ul61i : 

Dins  li  gl6iso,  p6r  beure  r61i 
Di  lampo,  quand,  I'iv^r,  davalon  di  cl6uquie, 

Demandas-ie  se  vous  mentisse, 

E  se  lou  clerc  que  s6r  I'dufice, 

Que  met  lou  vin  dins  lou  calice, 
N'es  pas  soulet  d'en  vido  a  la  ceremouni^! 


MIRFTLLE,  CHANT  VI.  245 

Et  ils  deguerpissaient  detoute  part; — etles  bruits 
peu  k  peu  s'eteignaient.  —  a  11  faut  vous  dire,  au 
couple  dit  alors  Tav6n,  —  que  des  fantdmes  ce 
(lieu)  est  le  repaire,  —  tant  que,  sur  les  jach^res 
jaunes,  —  le  jour  laisse  lomber  sa  manne ;  —  mais 
d6s  que  Tombre  ^tend  son  drap  de  mort; 


«  Vers  le  temps  ou  la  Vieille  •  irrit6e  —  lance  a 
Fevrier  sa  made,  —  dans  les  6glises  d^sertes  et  fer  • 
mSes  k  triple  tour  de  clef,  —  n'allez  pas,  femmes 
attardees,  —  le  front  pendant  sur  une  chaise,  — 
rester  endormies!...  Dans  les  tenebres,  —  vous 
pourriez  voir  les  dalles  se  soulever  tout  alentour; 


«  Etles  luminaires  s*allumer  ;  —  et,  cousus  dans 
leurs  suaires,  —  les  morts,  un  a  un,  aller  se  mettre 
a  genoux ;  —  un  pr^tre,  p§le  comme  eux,  —  dire  la 
Messe  et  TEvangile;  —  et  les  cloches,  d'elles^-mSmes 
en  braille,  pleurer  des  glas  avec  de  longs  soupirs ! 


«  Parlez,  parlez-en  aux  effraies  :  —  dans  les  6gli- 
ses.  pour  boire  Thuile  —  des  lampes,  quand,  Thiver, 
elles  .descendent  des  clochers,  —  demandez-leur  si  je 
vous  mens,  —  et  si  le  clerc  qui  sert  I'office,  —  qui 
dans  le  calice  verse  le  vin,  —  n*est  pas  le  seul  vivant 
alac^rcmonie! 


?W  MinfilO,  CANT  YI. 

Ei^  quand  la  Yi^io  encagnado 
Mando  k  Febri^  sa  reguignado, 

Pastre,  se  noun  voul^s,  espeloufi  dep6u> 
Resta  s^t  an,  li  cambo  redo, 
Enclaus  aqui  *m^  vdsii  fedo, 
Rintras  pul^u  dins  v6sti  dedo, 

Past  re!  lou  Trau  di  Fado  a  bandi  tout  soiin  v6u ! 

E  dins  la  Crau,  de  quatre  cainbo 

0  de  voiilado,  se  ie  rambo 
Tout  ce  qu*a  fa  lou  pache ;  e  p6r  li  draidu  tort, 

Li  Matagoun  de  Varigoulo 

E  li  Masc  de  Fanfarigoulo 

Van  veni  dins  li  ferigoulo> 
En  farandoulejant,  b^ure  k  la  tassod'or. 

Ve !  coume  danson  li  garrigo! 

En  ferniss^nt  de  Tembourigo, 
Deja  la  Garamaudo  esp6ro  lou  Gripet... 

Hui!  lapanturlo  endcmouniadol 

Gripet,  morde  la  carougnado 

E*  stripo-la  de  grafignado.... 
Despareisson!..  Ve  mai  que  fan  orre  e  tripet ! 

Aquelo,  eilavau,  que  patusclo 

Terro-bouiroun  dins  li  lachusclo, 
Coume  un  laire  de  niue  que  fuge  en  s^amourrant, 

Es  la  Bambaroucho  mourrudo ! 

Entre  sis  arpo  loungarudo 

E  sus  sa  t^sto  banarudo 
Emporto  d'enfantoun,  touti  nus  e  plourant... 


MIREILLE,  CHANT  YI.  247 

«  Vers  le  temps  oil  la  Vieille  irrit6e  -^  lance  h  F6- 
vrier  sa  made,  —  pMres,  si  vous  ne  voulez  ebou- 
riffes  de  peur,  —  rester  sept  ans  les  jambes  roides, 
—  charmes,  l^  oix  vous  6tes,  avec  vos  brebis,  — 
rentrez  moiiis  tard  dans  vos  claies, — patres !  le  Trou 
des  Fees  a  l^ch6  tout  son  vol. 


«  Et  dans  la  Crau,  k  quatre  pattes  —  ou  dune 
volte,  se  rend  —  tout  ce  qui  a  fait  le  pacle ;  et,  par 
lessentiers  tortueux,  —  les  Magiciens  de  Varigoule^ 
—  et  les  Sorciers  de  Fanfarigoule  ®  —  vont  venir 
dans  les  thyms  —  boire  a  la  tasse  d'or,  en  faisant  la 
farandole. 


«  Voyez !  comme  dansent  les  garrigues  ' !  —  Fre- 
niissante  du  nombril,  —  de]k  la  Garainaude  attend 
le  Gripet...  —  Fi!  guenipe  endiabl6e !  —  Gripet, 
mords  la  charogne  —  et  arrache-lui  les  boyaux  a 
coups  de  griffes...  —  lis  disparaissent...  Les  voil^ 
encore !  horreur  et  bacchanale! 


a  Celle  qui,  la-bas,  d^campe  —  terre  k  terre  dans 
les  tithymales,  —  comme  un  voleur  nocturne  qui 
fuit  en  se  baissant,  —  c*est  la  Bambarouche  refro- 
gnee !  —  Entre  ses  tongues  serres  —  et  sur  sa  t^te 
cornue  —  elle  emporte  des  enfantelets,  nus  et  pleu- 
rants... 


%i»  mir£;io,  cant  \i. 

Eila,  ves^s  la  Chaucho-vi^io? 

P&r  lou  canoun  di  chamiii^io, 
Davalo  d'a  cachoun  sus  Testouma  relent 

De  Tendourmi  que  se  revesso ; 

Mudo,  se  i'agrouvo;  l*6upr^sso 

Goume  uno  tourre,  e  i'entravesso 
De  sounge  que  fan  afre  e  de  pantai  doulent 

Aus^s  desgounfouna  li  porto  ? 

Us  Escarinche  soun  per  orto, 
Per  orto  iou  Marmau,  lou  Barban...  Dins  IVrmas, 

Fan  n^blo;  enjusquo  di  Ceveno, 

Erne  si  ventre  dalabreno, 

Li  Dra  s'acampon  k  dougeno, 
E  *n  passant,  patafi6u !  desteulisson  li  mas. 

Que  tarabast!...  o  Luno,  o  Luno, 

Que  mau-passage  i'encantuno, 
Per  davala,  tantroujo  e  largo,  sus  li  Bau?... 

Aviso-te  d6u  chin  que  japo, 

0  Luno  folo!  Se  t'arrapo, 

T'engoulara  coume  uno  papo, 
Gar  lou  chin  que  t'aluco  es  lou  Ghin  de  Gambau  ! 

Mai  quau  ansin  brando  lis  euse  ?. . . 

Ai !  soun  troussa  couine  de  feuse ; 
E  di  fio  de  Sant-Eume,  k  saut,  a  vcrlouioun, 

Boumbis  la  flainado  gancherlo ; 

E  d'eslrepado,  e  'n  brut  d'osquerlo 

Estrementis  la  Grau  esterlo... 
Lou  galop  cnrabia  d6u  Baroun  Gastihoun ! 


MIREILLE,  CHANT  VI.  249 

<(  Par  IS,  voyez-vous  le  Cauchemar  ?  ~  Par  le  tuyau 
des  cheminees,  —  il  descend  furlivement  siir  la  poi- 
trine  raoite  —  de  Tendormi  qui  se  renverse;  — 
muet,  il  sy  accroupit,  Foppresse—  comme  inie  tour, 
et  enchevfitre  (dans  son  esprit)  —  des  songes  qui 
font  horreur  et  des  r^ves  douloureux. 


((  Entendez-vous  arracher  les  portes  de  leurs  gonds  ? 

—  Les  Escarinches  courent  la  campagne ;  —  (courent) 
la  campagne  le  Marmal,  le  Barban...  Dans  lalande 

—  ils  forment  une  brume;  des  Cevennes  mtoes,  — 
avec  leurs  ventres  de  salamandre,  —  les  Dracs  ac- 
courent  par  douzaine,  —  et  en  passant,  patatras !  ils 
arrachent  la  toiture  des  fermes. 

«  Quel  vacarme!...  6  Lune,  6  Lune,  —  quel  mal- 
encontre  te  courrouce,  —  pour  descendre  ainsi, 
rouge  et  large,  sur  les  Baux ! . . .  • —  Prends  garde  au 
chien  qui  aboie,  —  A  Lune  folle !  S'il  te  happe,  —  il 
t'engoulera  comme  un  gateau,  —  car  le  chien  qui  te 
guette  est  le  chien  de  Cambal ! 


«  Mais  qui  branle  ainsi  les  yeuses?  —  Ale!  elles 
sont  tordues  comme  des  fougdres  ;  —  et  des  feux 
Saint-Elme,  sautants,  tourbillonnants,  —  bondit  la 
flammetortue;  —  et  des  pi6tinements,  et  nn  bruit 
de  clochettes  —  font  retentir  le  Crau  sterile...  —  Lo 
galop  enrage  du  Baron  Castillon  !... 


250  MIRRTO,  CANT  VI. 

Rauco,  desalenado.  estenco, 

S*6ro  arreslado  la  Baussenco. 
Mai  subran  :  Tapas-vous,  fagu6,  'iti6  lou  faiidau, 

Tapas  Tauriho  e  li  parpello, 

Que  I'Agn^u  negre  nous  apello  ! 

—  Quau?...  aqiiel  agneloun  que  Wlo? 
Digu^  Vinc^n.  Mai  elo  :  Auriho  sourdo,  e  d'aiit ! 

Malur,  eici,  p^r  quau  trebuco  1 

Mai  que  lou  pas  de  la  Sambuco 
Dnngeirous  6i  lou  pas  d6u  negre  Banani. 

Coume  aro  venfes  de  Tenttodre, 

A  'n  teta-dous,  un  bela  tendre 

Que  vous  atiron  k  desc^ndre. 
I  Crestian  imprudent  que  se  viron  au  brut, 

Fai  lusi  Temperi  d'Erode, 

L'or  de  Judas,  e  dis  lou  rode 
Mounte  la  Cabro  d'or  fugue  di  Sarrasin 

Aclapado.  Fin  que  degolon, 

M6uson  la  Cabro  tant  que  volon ; 

Mai  a  Tang^ni  quand  rangolon, 
Fagon  pi^i  demanda  lou  sacramen  divin  I 

L'anouge  negre  ie  resposto 

Em'  uno  rousto  sus  li  costo. 
E  pamens,  e  pamens,  i  terns  que  sian,  mau  terns 

Escoussura  de  touto  deco, 

Quant  n'i'a  d'amo  alucrido  e  seco, 

Ai!  las !  que  mordon  k  sa  leco, 
E  qu*A  la  Cabro  d'or  fan  tuba  soun  encens  1 


MIUBILLE,  CHANT   VI.  2.V. 

Enrou^e»  haletanie,  suffoqu&nt,  —  s  etait  arr^tee 
la  (sorciere)  des  Baux.  —  Mais  soudaiii :  «  Couvrcz- 
vous,  fit-elle,  du  tablier,  —  couvrez  Toreille  et  les 
paupieres!—  L'Agneau  iioirnous  appelle!...  »  — 
<»  Qui  done?...  eel  agnelet  qui  b^le?  »  —  dit  Vin- 
cent. Mais  elle  :  «  Sourde  oreille  !  et,  alerte ! 


((  Malheur,  ici,  k  qui  trebuche !  —  Plus  que  le  pas 
de  la  Sanibuque*^  --  est  perilleux  le  pas  du  noir 
Gornu.  —  Ainsi  que  maintenant  vous  \enez  de  Ten- 
tendre,  —  il  a  un  accent  doucereux,  un  tendre  b^le- 
inent  —  qui  vous  attirent  a  la  descente. —  Aux  Chre- 
tiens imprudents  qui  se  retournent  au  bruit, 


a  11  fait  luire  I'enapire  d'H^rode,  —  I'or  de  Judas, 
et  indique  la  place  —  ou  la  Chevre  d'or  fut  par  les 
Sarrasins  — enfouie.  Jusqu'a  leur  mort,  --  ilstraient 
la  Chevre  tant  qu'ils  veulenl ;  —  mais  a  Tagonie, 
lorsqu'ils  rMent,  —  qu'ensuite  ils  fassent  demander 
le  sacreinent  divin ! 


«  Le  noir  antenois  leur  replique  —  par  tin  orage 
de  coups  sur  les  c6tes.  —  Et  neanmoins,  et  neau- 
inoins,  aux  temps  oil  nous  sonimes^  temps  mauvais, 
—  marques  par  la  morsure  de  tout  vice^  —  comhien 
d'^mes  seches  et  affiunees  de  gain,  —  helas !  qui 
mordent  a  son  piege,  —  et  qui  a  la  Ch6vre  dor  font 
fumerleurencens!  » 


252  MIRfilO,  CANT  VI. 

Aqui  lou  caiit  de  la  galiuo 

Tres  cop  fende  la  nevoulino. 
—  Dins  la  tregenco  baumo,  k  la  perflii,  enfant 

Sian  arriba!  digu^  la  vieio. 

Lou  panieraire  eme  Mireio, 

Souto  uno  grando  chainin^io, 
Veguferon  s6t  cat  negre,  au  fougau  se  caufant 

V^feron,  entre  li  set  nnascle, 

Uno  oulo  de  ferre  au  cremascle; 
Vegueron  dous  coulobre  en  formo  de  tisoun, 

Que  racavon  a  plen  de  goulo 

Dos  flamo  bluio  au  qui^u  de  Toulo. 

—  Per  Gousina  vosto  bourroulo, 
Vous  serves  d'aqueu  bos,  ma  grand?  —  0,  nioun  garcoun! 

Brulo,  ac6,  inieu  que  gen  de  busco  : 

Es  de  souquihoun  de  lambrusco. 
Mai,  en  cabessejant,  Vincen :  De  souquihoun, 

De  souquihoun,  lou  voul^s  dire... 

Mai  fasen  leu,  qu'es  pas  de  rire. 

Uno  grand  taulo  de  pourfire, 
Au  centre,  espandissi^  soun  large  virouioun. 

A  proucesssioun  e  blanquinello, 

Milo  colono,  clarinello 
Counio  li  jaleiroun  que  penjou  di  cubert, 

D'aqui  parton,  p6r  ana  courre 

Souto  li  racino  di  roure 

£  la  foundamento  di  moure, 
tnmensi  galari^  que  li  Fado  an  dubert ; 


MIREILLE,  CHANT  VI.  2o3 

La  le  chant  de  la  poule — trois  fois  per^a  la  brume. 
—  «  Dans  la  treizi^me  groUe,  a  la  fin  des  fins,  en- 
fants,  —  nous  voici  arrives,  »  dit  la  vieille.  —  Mi- 
rellle  et  le  vannier,  —  sous  une  grande  cheminee,  — 
virent  sept  chats  noirs  se  chauffant  a  Tdtre. 


Us  virent,  au  milieu  des  septmatous,  —  une  mar- 
inite  de  fer  k  la  cr6maill6re  ;  —  ils  virent  deux  dra- 
gons, en  forme  de  tisons,  —  qui  vomissaient  a  pleine 
gueule  —  deux  flammes  bleuesau  cul  de  la  marmite. 
—  «  Pour  cuisiner  voire  bouillie,  —  vous  employez 
ce  bois,  grand'mere?  »  —  «  Oui,  monfils! 


«  Nulle  buchette  ne  brAle  mieux  :  —  ce  sont  des 
ceps  de  vigne  sauvage.  »  —  Mais  Vincent,  hochant  la 
tete  :  «  Des  ceps,  —  des  ceps,  cela  vous  plait  a  dire... 
—  Mais  hAtons-nous,  car  ce  n'est  point  risible...  »  — 
Une  grande  table  de  porphyre,  —  au  centre  (de  la 
grotte),  6panouissait  son  large  contour. 


Processionnellement  et  blanches, —mille  colonnes, 
diaphanes  —  comme  les  gla^ons  qui  pendent  aux 
toils,  —  de  Ik  parlent,  pour  alter  courir  —  sous  les 
racines  des  chines  —  et  les  fondements  des  mame- 
Ions,  —  immenses  galeries  que  les  F^es  ont  ou- 
vertes; 


22 


254  NIR£:10,   G\NT  VI. 

Porje  inajestuous,  qu'amago 

Uno  lusourneblouso  e  v^go; 
Merevihous  emboui  de  temple,  de  palais, 

De  peristil,  de  laberinlo, 

Coume  n'en  tai^ron  ansinto 

Ni  Babilouno  ni  Gourinto, 
E  qu'un  alen  de  Fado  esvalis,  quand  ie  plais. 

Aqui  li  Fado  varaiejon  : 
Goume  de  rai  que  traiitraiejon, 

Ein6  li  chivaliS  qu'enfaderon  antau 
Gountuoioiila  vido  amourouso^ 
Dins  lis  andano  souloumbrouso 
D'aquelo  tranquilo  chartrouso... 

Mai  chut !  pas  i  pareu  dins  Toumbro  s'acafant ! 

L'cncantarello,  deja  l^sto, 
Quouro  dreissavo  sus  la  t^sto, 

Quouro  de- version  s6u  beissavo  si  bras  nus. 
Sus  la  grand  taulo  de  pourfire, 
Goume  Lauren  lou  sant  martire, 
6ro  coucha  sfenso  r6n  dire 

Vincen  lou  panieraire,  eni6  sa  plago  au  bust. 

Furouno,  creissegudo  en  taio 

P6r  Tesperit  que  la  travaio 
E  d'un  v^nt  proufeti  ie  gounflo  lou  galet, 

Taven,  dins  Toulo  que  revouiro 

A  grdssis  oundo  boulidouiro, 

Planto  subran  Tescumadouiro. 
A  soun  entour  li  cat  fasien  lou  roudelet. 


MIREILLE,    CHANT  VI.  255 

Portiques  majestueux  qu'envdoppe  —  une  lueur 
nfebuleuse  et  vague;  —  merveilleux  p^le-m61ede 
temples,  de  palais,  —  de  peristyles,  de  labyrinthes, 
—  comme  n'en  tdill6rent  ainsi — ni  Corinthe  ni  Baby- 
lone,  —  et  qu'uii  soufHe  de  F6e  ctissipe,  quand  il  lui 
plait. 


lA  errent  les  F^es  :  —  pareilles  k  des  rayons  qui 
tremblotent,  —  avec  les  chevaliers  qu'elles  enchan- 
t^rent  jadis,  —  elles  continuent  la  vie  d'amour,  — 
dans  les  allies  ombreuses  —  de  cette  chartreuse 
tranquille...  —  Mais,  silence !  paix  aux  couples  qui 
s'enveloppent  d'ombre ! 


D^jli  prfite,  Tenchaftteresse  —  tant6tlevaitsur  la 
t^te,  —  tantdt  vers  le  sol  baissait  ses  bras  nus.  —  Sur 
la  grande  table  de  porphyre,  —  tel  que  Laurent  le 
saint  martyr,  —  6tait  couch6  sans  dire  mot  —  le  van- 
nier  Vincent,  avec  sa  plaie  au  huste. 


Exalt6e,  grandie  —  par  I'esprit  qui  la  travaille  — 
et  d'un  vent  proph^tique  lui  enfle  la  gorge,  —  Tav6n, 
dans  la  marmite  qui  d^borde  —  h  gros  bouillons,  — 
plonge  soudain  I'^cumoire. — Autour  d'elle,  les  chats 
formaient  le  cercle. 


256  MIRtrO,  CANT  VI. 

Yenerablo,  ein6  la  inentetro, 

La  masco,  de  la  man  sen^stro 
Esboui^nto  k  Vinc^n  soun  pitre  descata ; 

E,  lis  iue  fisse,  n*escounjuro 

La  doulourouso  pougneduro 

En  reraoumiant  k  voues  escuro  : 
Crist  di  na !  Crist  it  mart  I  Ciist  H  ressusciia ! 

Crist  resstiscitara!..,  Hestresso 

Coume  i  four^st  la  grand  tigresso 
Qu'alongo,  apr^s  la  casso,  un  copd'arpo  au  flanc  rous 

De  sa  tremoulanto  vitimo, 

Sus  la  fruchaio  que  trelimo 

Ansin  la  masco  alor  emprimo 
Tres  fes  em6  Tartfeu  lou  signe  de  la  crous. 

E  de  sa  bouco,  a  touto  zurlo, 

La  paraulo  desbaundo,  e  lurlo 
I  pourtau  nivoulous  de  rendevenidou  : 

0,  ressuscitara !  Lou  crese ! 

De  la  colo  entre  li  roumese 

E  li  frejau,  alin  lou  vese 
Que  mounto,  em6  soun  front  que  sauno  k  gros  degoul ! 

E  dins  li  roumio  e  dins  li  clapo 
Mounto  soulet;  sa  crous  Taclapo... 

Mounte  6i,  p6r  Teissuga,  Verounico?...  Mounte  es 
Aqu^u  brave  ome  de  Cireno, 
P6r  Tauboura,  se  'n  cop  s'arreno  ? 
Em^  sounp^u  que  se  destreno, 

Li  Mario  plagn^nto  ounte  soun?...  V  a  pas  res! 


MIREULE,  ClIAKT  VI.  257 

Venerable,  avecla  mixture,— la  sorci^re,  dela  main 
gauche,  —  ^chaude  la  poitrine  decouverte  de  Yin- 
cent  ;  —  et,  les  yeux  fixes,  en  charme  —  la  doulou- 
reuse  blessure,  —  en  murniurant  k  voix  basse  :  — 
a  Chmt  est  ne !  Chiist  est  mort !  Chnst  est  res- 
suscite! 


a  Christ ressusdtera!,..  »  Triomphante  —  comme 
aux  forSts  la  grande  f igresse  —  qui  allonge,  apres  la 
chasse,  un  coup  de  griffe  dans  le  flanc  roux  —  de  sa 
tremblante  victime,  —  sur  les  viscferes  palpitant s  — 
ainsi  la  sorci6re  imprime  alors  —  trois  fois  avec  I'or- 
teil  Ic  signe  de  la  croix. 


Et  de  sa  bouche,  d^sordonnement —  la  parole  d^- 
bonde,  et  heurte — aux  portaite  nuageux  de  Tavenir  : 
—  «  Oui,  il  ressuscitera !  Je  le  crois !...  —  De  la  col- 
line  parmi  les  ronces  —  et  les  cailloux,  je  le  vois,  au 
lointain,  —  qui  monte,  avec  son  front  saignant  a 
grosses  gouttes! 


a  Et  dans  les  ronces  et  dans  les  pierres, — il  monle 
seul ;  sa  croix  Taccable...  —  Ou  est,  pour  Tessuyer, 
Veronique  ?. . .  Ou  est  —  ce  brave  homme  de  Cyrene, 
pour  le  relever  lorsqu*il  s'affaisse?  -—  Avec  leur  clie- 
velure  d^tress^e,  —  les  Maries  plainlives,  ou  sont- 
elles?...  Personnel 


22 


258  MIRftiO,   CANT  VI. 

E  dins  roumbrun  e  la  terriho, 

Avau,  richesso  emai  pauriho 
Lou  regardon  que  mounto,  e  dison :  Mounte  vai, 

Em6  sa  fusto  sus  I'cspalo, 

Aqu6ii,  amount,  que  s^mpre  escalo? 

Sang  de  Cain.,  amo  camalo, 
Don  pourtaire  de  Grous  n'an  de  pieta,  pas  mai 

Que  se  vesien  dins  lou  camp^stre 

Un  chin  aqueira  per  soun  mdstre !... 
A]i !  raco  de  Jusidu,  que  mordes  en  furour 

La  man  que  t'abaris,  e,  torso, 

Lipes  aquelo  que  t'endorso, 

Dins  la  mesoulo  de  toun  orso 
(Lou  vos  ?)  davalaran  li  frejoulun  d'ourrour ! 

E  ce  qu'es  pMro  vendra  pousso... 

E  de  Tespigo  e  de  la  d6usso 
Vai  esfraia  ta  fam  lou  mascarun  amar... 

Oh !  que  de  lanco !  oh !  que  de  sabre  I 

Sus  qu^nti  molo  de  cadabre 

Veseboumbi  I'aigo  di  vabre!... 
Pacefico  tis  erso,  o  tempestouso  mar!... 

Ai !  de  Peire  la  barco  anlico 

Is  dspri  roco  mounte  pico 
S'ei  esclapado  !...  Oi-ve  !  lou  mestre pescadou 

A  ddumina  Toundo  rebello  ; 

])ins  uno  barco  novo  e  bello 

Gagno  lou  Rose,  e  reboumbello 
Eme  la  crous  de  Di6u  plantado  au  trepadou ! 


MIREULE,  CHANT  VI.  250 

«  Et  dans  Tombre  et  la  poussifere, —  li-bas,  riches 
et  pauvres  —  le  regardeni  monter,  et  disent : «  Ou 
va,  —  ayec  sa  poutre  sur  Fepaule,  —  celui,  l^-haut, 
qui  sans  cesse  gravit?...  —  Sang  de  Cain,  Ames 
charnelles,  —  pour  le  porte-croix  ils  n*ont  de  pili6, 
pas  plus 


a  Que  s*ils  voyaient  dans  la  lande  —  un  chien  la* 
pid6  par  son  maitre!..,  —  Ah!  race  de  Jiiifs,  qui 
mords  avec  fureur —  la  main  qui  te  nourrit,  et,  cour- 
b6e,  —  l^che  celle  qui  T^reinte  (de  coups),  —  dans 
la  moelle  de  tes  vert^bres  —  (tu  leveux?)  descen- 
dant les  frissons  d'horreur ! 


«  Et  ce  qui  est  pierre  deviendra  poussi^re...  —  Et 
de  r^pi  et  de  la  gousse  —  le  charbon  amer  va  ef- 
frayertafaim...  —  Oh!  que  de  lances!  oh!  que  do 
sabres  I  —  Sur  quels  monceaux  de  cadavres  —  vois- 
je  bondir  Teau  des  ravins !  —  Pacific  tes  vagues,  6 
mer  tempfetueuse ! . . . 


«  Aie!  la  barque  antique  de  Pierre  —  aux^pres 
roches  ou  elle  frappe  —  s*est  brisee  en  eclats ! . . .  Oh ! 
voyez !  le  maitre  p^cheur  —  a  domine  le  flot  rebelle ; 
—  dans  une  barque  belle  et  neuve  —  il  gagne  le 
Rhdne,  et  rebondit  (parmi  les  vagues) — avec  la  croix 
de  Dieu  plant^e  au  timon ! 


«60  MIRtiO,   CANT  VI. 

0  divin  arc*de-sedo!  inm^nso, 
Eterno  e  sublimo  clein^n^o ! 

Vese  uno  terro  novo,  un  soul6u  que  fai  gau 
D'6iilivdrello  en  farandou)o 
Davans  ]a  frucho  que  pendoulo, 
E  sus  li  garbo  de  paunioulo 

Li  nieissounie  jns^nt  que  tetoii  lou  barrau. 

E,  desneblaper  tanl  d'eisemple, 
Di^u  OS  adoura  dins  soun  temple... 
E  la  masco  di  Baus,  ac6  di,  'me  lou  del 

1  dous  enfant  inostro  uno  draio 
Qu'un  fieudejour  au  bout  ie  raio. 
Menu,  menu...  Partoa  en  aio, 

E  la  gaugno  aferado,  e  courbant  lou  coutet. 

De  souto  terro,  au  Trau  deCordo 
Lou  beu  pareu  enfm  abordo ; 

Remounton  au  soul^u...  Acalant  lou  rouras 
Erne  SI  rouino  e  soun  vieiounge, 
Mount-Majour,  Tabadi^  di  mounge, 
I'apareis  coume  dins  un  sounge. 

Se  ian  uno  brassado,  e  gagnon  lou  jouncas. 


MIREILLE,    CHANT  VI.  2C1 

«  0  divin  arc-en-ciel!  immense,  —  eternelie  e\ 
sublime  cl^mence !  —  Je  vols  nne  terra  neuve,  un 
soleil  qui  r6jouit,  —  des  oliveuses  en  farandole  — 
devant  les  firuits  qui  pendent,  —  et  sur  les  gerbes 
d'orge",  les  moissonneurs  gisants  qui  tettent  le 
baril. 


u  Et  d^voii6  de  ses  nuages  par  des  exemples  si 
nombreux, — Dieu  est  adore  dans  son  temple...  »  — 
Et  la  sorci6re  des  Baux,  cela  dit,  du  doigt  —  montre 
aux  deux  enfants  un  chemin  —  k  Textr^mit^  duquel 
un  filet  de  jour  se  glisse,  —  menu,  menu...  lis  par- 
tent  en  hkiey  la  joue  eflaree  et  courbant  la  nuque. 


Par  souterrains,  au  Trou  de  Corde  *•  —  le  beau 

couple  aborde  enfin;  —  its  remontent  au  soleil 

Recouvrant  le  rocber  —  de  ses  mines  et  de  sa  vieil- 
lesse,  —  Mont-Majour,  Tabbaye  des  moines,  —leur 
apparait  comme  en  un  songe.  —  lis  s'embrassent, 
et  gagnent  la  jonchaie. 


f 


NOTES 


DU  CHANT  SIXiftME. 


*  Saint-Martin,  Maussane  (Saint-Martin,  Mamsano),  villages de 
la  Crau.  Tramontane  {trafnountano)^  vent  du  nord-cst. 

*  La  Touloubrp,  petite  riviere  qui  so  jettc  dans  I'^tang  de  Berre, 
npres  avoir  traverse  le  tcixitoire  de  Salon,  patrie  du  pofite  Crou- 
sillat. 

Nostradamus,  le  sombre  mstrologvie  {Ha^troidsouloumbrous),  Mi- 
chel deNostre-Dame,ou  Nostradamus,  n^  h  Saint-Remy  en  1503, 
mort  a  Salon  en  1565,  exerga  la  m^decino  avec  un  ^rand  succ6s 
sous  les  demiers  Yalois.Il  s'adonna  aussi  aux  mathematiqu«6  et  n 
Vastrologic,  et  publia  en  1557,  sous  le  nom  de  Centuries,  les  famcu- 
ses  proph^ties  qui  ont  rendu  son  nom  si  populaire.  'Charles  IX  le 
nomma  son  meidecin  en  titre  et  le  combla  d'honneurs. 

*  Agriotat  [agrioutat),  liqueur  composite  d'eau- de-vie  et  de  sucre, 
ct  dans  laquelle  on  fait  macerer  des  cerises  courte-queue. 

*  Troudes  F^es  \Jrau  di  Fado).  Nous  aimons  kciter  noire  ami 
Jules  Canonge,  parce  quMl  a  decrit  avec  bonheur  la  plupart  des 
lieux  chant^s  dans  ce  po6me. 


I 


NOTES    DU  CHANT  VI  tJ03 

«c  Au  fond  d'une  gorge  bien  nominee  Enfeft  je  suis  descendu 
daiis  la  grotte  des  Fees ;  mais  au  lieu  des  gracieux  fant6mes  dont 
mon  imagination  I'avait  peuplee,  je  n'y  ai  trouv^  que  voutes  sous 
lesquelles  il  faut  ramper,  blocs  entass^s,  chauves-souris  et  profou- 
deurs  tenebreuses.  Je  viens  de  dire  que  cette  gorge  etait  bien 
nommee  Enfer;  nulle  part  en  ef fet  je  n'ai  vu  de  roches  aussi  etrau- 
gement  tourmentees ;  elles  se  dressent,  se  creusent,  se  prolongeut 
sur  levide  en  gigantesques  entablements,  jardins  a^riens  qui  sou- 
tiennent  des  vegetations  ^chevel^es;  elles  s'ouvrent  en  defiles 
comme  ce  bloc  des  Pyrenees  fendu  par  le  glaive  de  Holland.  » 
[HistoiredelavilledesBaux.  Avignon,  Aubanel  freres.) 

En  comparant  la  description  de  1' Enfer  de  Dante  a  ce  pay  sage 
boaleverse,  cyclopecn,  fantastique,  on  devient  convaincu  dune 
chose  :  c'est  que  le  grand  poete  florentin,  qui  voyagea  dans  nos 
contrees  et  sejourna  mdme  a  Aries,  a  visite  la  ville  des  Baux,  s'est 
assis  sur  les  escarpements  du  valouu  d'Infir,  et  frappe  de  cette 
desolation  grandiose,  a  congu,  au  milieu  de  ce  cataclysmc  de 
pierres,  la  configuration  et  le  sombre  caract6re  de  son  Inferno. 
Tout  ramene  a  cette  idee,  et  le  nom  de  la  gorge  cUe-meme,  In- 
fir,  et  sa  forme  amphitb^atrale,  qui  est  cellc  donnee  par  Dante 
a  TEnfer,  et  les  grandes  roches  detach^es  qui  en  ferment  les  gra- 
duis, 

In  su  restremitd  d'un'  alia  ripa 

Che  facevan  gran  pietre  rotte  in  cerchio 

et  le  nom  provengal  de  ces  escarpements  eux-mSmes,  baus,  itulia- 
nisej[>ar  le  poete,  balzo,  et  donne  par  lui  aux  escarpements  de  son 
lugubre  entonuoir. 

*  Saint-Trophime  (Sant-Trefufne)t  cathedrale  d' Aries,  batie  au 
septi^me  si6cle  par  I'archev^que  saint  Vbgile.  Frederic  Barbc- 
rousse  y  fut  sacr6  empereur  en  1178. 

'  Vers  le  temps  ou  la  Vieille  irritee  —  lance  a  Fevrier  su 
ruade. 

Ei^a  quand  la  Vieio  encagnado 
Mando  k  Febrie  sa  reguignado. 

Les  paysans  du  Midi  ont  remarqu^  que  les  trois  dewiiers  joiub 
tic  levrier  et  les  trois  premiers  de  mars  ameuent  presque  tou- 


264  NOTES  DU  CHANT  VI. 

joui's  une  recnidescence  de  froid,  et  Toicicomme  leur  unagioaliim 
poetique  explique  cela : 

Une  vieille  gardait  une  fois  ses  brebis.  G'^lait  a  la  fin  du  mois 
de  ft^vrier,  qui,  cettc  ann^e-la,n' avail  pas  etc  rigoureux.  La  Vieille, 
se  croyant  echappee  a  I'hiver,  se  permit  de  narguer  F^vrier  de  la 
inani^re  stiivanle  ■ 

Adi^u,  Febrie!  'lie  ta  febrerado 
M'as  fa  ni  p^u  ni  pelado ! 

«  Adieu,  F^vrier!  Avec  ta  gel^ 
Tu  ne  m'as  fait  ni  peau  ni  pelee!  t 

La  raillerie  de  la  Vieille  courrouce  F^vrier,  qui  va  trouver  Mai-s : 
t  Marst  reuds-moi  uii  service!  »  —  c  Deux,  s'il  le  fautt  »  rei)on(l 
Tobligeant  voisio.  —  «  Pr^te-moi  trois  joiu's,  et  trois  que  j'en  ai, 
je  Itti  ferai  peaux  et  pelves  1  » 

Presto-ine  leu  tres  jour,  e  tres  que  n'aii 
P^u  e  pelado  ie  fiarai ! 

Aussitdt  se  leva  un  temps  affreux,  le  verglas  tua  Tberbe  des 
cliainps,  loutes  les  Lrcbis  de  la  Vieille  moururent,  et  la  Vieille,  di- 
sent  les  paysans,  regimbait,  reffuignavo.  Depuis  lors  cette  p^riode 
tempdtueuse  porte  le  nom  de  Reguignado  de  la  ViHo,  made  de  la 
Vieille.  (Voyez  la  note  8  du  Chanr  Mil:) 

'  Varigoule,  grotte  de  Varigoule  [Varigouh.  Baumo  de  Vari- 
govUo)j  profonde  caTeme  du  Luberon,  du  c6te  de  Murs  (Vauclnse,. 

^  Fanl'angoule  [Fanpirigoalo),  vallee  delaCrau,  du  cdtd  d'lsli^ 
^bouches-du-Rhdne) . 

•  Garrigues  (Garrigo).  (Voyez  Cliant  !•',  note  15.) 

^^  Le  pasde  la  Sainbuque  [Im  pas  de  la  Sambuco^^  defile  redoutc 

dcs  voyageui's,  dans  les  montagnes   de  la  Sambuque,  a  I'orient 

d'Aix. 

"  Paumelle  jMumoulo),  orge     deux  raiigs  [lufrdetm  dutkkum 

**  Gorde  ^pordo).  a  Aroricut  d'Arles s'el^vent deux collines qui pri- 
mitivement  durcnt  n'en  former  qu'une,  mais  qu'uu  marais  sepai*e 


NOTES  DU  CUAIST  VI.  265 

aujourd'hui.  Dans le  somroet nu,  rocailleiix  et plat  de la  moins haute, 
les  Gelles  praliqu^rent  jadis  en  forme  de  glaive  une  excavation 
couverte  de  blocs  gigantesques.  Les  San^asins  camp^ent,  dit-on, 
sur  cette  coUine;  en  souvenir  de  Cordoue,  ils  lui  donn^rent  le  nom 
de  Corde,  qu'elle  porle  encore  aujourd'hui.  Des  traditions  mer- 
veilleuses  I'animent  et  la  poetisent :  c'est  la  Couleuvre-fie,  Melu- 
sine  provengale;  c'est  surtout  la  Clievre-d'Or  qui  fait  trouver  les 
tresors  caches,  mais  rend  incurableraent  tristes,  au  sein  de  leurs 
richesses,  ceux  qui  ne  les  meritent  pas. 

«  L'autre  colline,  plus  grande,  porte  le  nom  presque  romain  de 
Mout-Majour.  »  (Jules  Canonge.  Illustration^  29  mai  1852.) 

Sur  celte  colline  sont  les  mines  gigantesques  de  la  celebre  ab- 
baye  du  Mont-Majour.  Quant  a  la  grotte  de  Corde,  elle  porle 
aussi  le  nom  de  Trau-di-Fado,  comrae  la  grotte  des  Baux;  et,  d'a- 
pres  la  croyance  populaii'e,  ces  deux  excavations  communiquenl 
entre  elies. 


CANT  SETEN 

LI   Vltl 


tun  vi(*>i  paniei'aire  em^  soiin  fl^u,  assesta  davans  lou  lindau  <le  sa 
))6ri,  trenon  uno  canestello.  —  Lou  ribeir^s  d6u  Rose.  —  Vinc^ 
dis  a  soun  paire  d'ana  demanda  Mir^io  en  mariage.  —  Rrfus  e  re- 
moustran^o  dou  vi^i.  — Yinccneto,  sorre  de  Yincen.  per  ajuda  soun 
Traire  A  touca  M^ste  Ainbroi,  conto  Tistori  de  Siv^stre  em6  d'Alis. 

—  Partcn^o  de  Meste  Ambroi  per  lou  Has  di  Falabrego.  —  L'arri- 
bado  e  lou  gousta  di  meissounie.  —  N^te  Ramoun.  —  Lou  labour. 

—  Recit  d'Ambrosi,  response  de  Ramoun.  —  La  taulo  de  Gal^ndo. 

—  Nir^io  declaro  soun  amour  per  lou  Mn  ddu  panieraire.  —  Ama- 
liciado,  emprecacioun  e  refus  di  parent.  —  findignacioun  de  M^te 
Ambroi.  —  Napoleon  e  li  grindi  guerro.  —  Encaguamen  de  M^ste 
Ramoun.  --  Lou  soudard  labouraire.  —  Farandoulo  di  meissou- 
nie d  I'enlour  dou  fio  de  Sant  Jan. 


—  Yous  dise,  paire,  e  vous  redise 

Que  n'en  sieu  f6u  I ...  Creses  que  rise  ?  . 
En  iissaiit  Meste  Ambroi  erne  d'iue  treboula, 

Fasie  Vinc6u  a  soun  Yiei  paire. 

Lou  iiiistrau,  pouderous  courbaire 

Dis  auli  pibo  d6u  terraire, 
A  la  voues  d6u  jouv6nt  apoundie  soun  ourla. 

DaYans  soun  cabanoun  d6u  Rose, 

Large  coume  un  cruveu  de  nose, 
Lou  Yiei,  sus  un  lo  d*aubre,  ero  assela  au  caiau, 

E  desruscaYO  de  redorto ; 

Lou  jouiue,  agrouYa  sus  la  porto, 

Enlre  si  man  adrecho  e  forto 
PlegaYO  en  caneslello  aquoli  Yergan  blanc. 


CTIANT  SEPTIf.ME 

LES  VIEILLARDS 


La  vifrux  vannier  *et  son  fils,  assis  devant  le  seuil  de  leur  cabane, 
tressent  une  corbeillc  —  Paysage  des  bords  du  Bli6ne.  —  Vincent 
engage  son  p^re  i  aller  demander  la  main  de  Mireille.  —  Rerus 
et  remontrance  du  vieillard.  —  Yincenette,  sceur  de  Yiucent,  se 
joint  a  son  fr^re  pour  fl^cliir  Maitre  Ambroise ,  rt  raconte  i'his- 
toire  de  Sylvestre  et  d'AHx.  —  Depart  de  Maitre  Ambroise  pour  le 
Mas  des  Micocoules.  —  L'arriv^e  et  le  repas  des  moissonneurs.  — 
Maitre  Ramon.  —  Le  labour.  —  R^t  d' Ambroise,  r^ponse  de  Ra- 
mon. —  La  table  de  No^l.  —  Mireille  avoue  son  amour  pour  le 
fils  du  vannier.  —  Courroux,  imprecations  et  refus  des  parents. 
—  Indignation  de  Maitre  Ambroise.  —  Napoleon  et  les  grandes 
guerres.  —  Emporlement  de  maitre  Ramon.  —  Le  soldat  labou- 
reur.  —  Farandole  des  moissonneurs  autonr  du  feu  de  la  Saint- 
Jean. 


—  «  Je  vous  dis,  pere,  et  vous  redis  —  que  j'eii 
suis  fou!...  Croyez-vous  que  jo  rie?  »)  —  en  fixant 
ses  yeux  troubles  siir  Maitre  Ambroise,  —  disait 
Vincent  i son  vieux  p6re.  —  Le  mistral,  puissant 
courbeur  —  des  hauts  peupliers  de  la  contree,  —  k 
la  voix  du  jeune  homme  ajoutait  ses  hui  lements. 


Devant  sa  hutte  du  Rh6ne,  —  large  comme  une 
coque  de  noix,  —  le  vieillard,  sur  une  Ironche  d*ar- 
bre,  etait  assis  k  Tabri,  —  et  ecorgait  des  harts ;  — 
le  jeune  homme,  accroupi  sur  la  porte,  —  entre  ses 
mains  adroites  et  robustes  —  ployait  en  corbeille 
ces  verges  blanclies. 


208  vtr£io.  cant  \it. 

Lou  Rose,  enmalicia  p^r  Tauro, 
Fasi^,  couine  un  troup^u  de  tauro, 

Courre  sis  erso  treblo  h  la  mar ;  mai  eici, 
Entre  li  tousco  d'ainarino 
Que  fasien  calo  emai  oumbrino, 
Uno  mueio  d'aigo  azurino, 

Liuen  dis  oundo,  plan-plan  venie  s'emperesi. 

De  vibre,  long  de  la  lauseto, 

Rousigavon  de  la  sauseto 
Ln  nisco  amaro  ;  alin,  k  trav^s  lou  cristau 

De  la  calamo  countinuio, 

Apercevias  li  bruni  luio 

Barrula  dins  li  founsour  bluio, 
A  la  pesco  di  p^is,  di  b6u  p^is  argentau. 

Au  long  balans  d6u  v^nl  bressaire, 
Aqui  de-long  li  debassaire 

Avien  penja  si  nis ;  e  si  nis  blanquineu, 
Teissu,  counie  uno  molo  raubo, 
Em6  lou  coutounet  qu'is  aubo 
L'auc^u,  quand  soun  flourido,  raubo, 

Boulegavon  i  brout  de  verno  em*  i  can^u. 

Rousso  coume  uno  tourtihado, 

Uno  chato  escarrabihado, 
D'un  large  capeiroun  espandissie  li  pie, 

Trempe  d'aigo,  su  'no  figuiero. ' 

Li  bestiari  de  la  ribiero, 

Nimai  li  piegre  di  brouliero, 
N'avien  pas  mai  de  pou  que  di  jounc  iremoulel. 


MIREILLE,  CHANT  VII.  269 

Le  Rh6ne,  irril6  par  le  vent,  —  faisait,  comme  un 
troupeau  de  vaches,  —  courir  ses  vagues  troubles  k 
la  raer ;  mais  ici,  —  entre  les  c6p6es  d*osier  —  qui 
faisaient  abri  et  ombrage,  —  une  mare  d'eau  azu- 
r^,  —  loin  des  ondes,  mollement  venait  s'alentir. 


Des  bifevres,  le  long  de  la  grfeve,  —  rougeaient  de 
la  saulaie  —  F^corce  am^re  ;*  1^-bas,  h  travers  le 
cristal  —  du  calme  conlinuel,  — vous  aperceviez  les 
brunes  loulres,  —  errantes  dans  les  profondeurs 
bleues,  —  ^  la  p^che  des  poissons,  des  beaux  pois- 
sons  argent^s. 


Au  long  balancement  du  vent  berceur,  —  lo  long 
de  ce(te  rive,  les  pendulines  —  avaient  suspendu 
leurs  nids;  et  leurs  petits  nids  blancs,  —  tissus, 
comrae  une  molle  robe,  —  avec  I'ouate  qu'aux  peu- 
pliers  blancs  —  I'oiseau,  lorsqu*iIs  sont  en  flenr, 
d6robe,  —  s'agitaient  aux  raineaux  d'aune  el  aux 
roseaux 

Rousse  comme  une  tortillade  *,  —  une  alerte 
jeune  fille,  —  dun  large  filet  elendait  les  plis,  — 
tremp^s  d'eau,  sur  uu  figuier.  —  Les  animaux  de  la 
riviere,  —  et  les  pendulines  des  oseraies  —  u*avaient 
pas  plus  peur  delle  que  des  joncs  tremblants. 


25. 


270  MinftTO.  CANT  VII, 

Pecaire  !  6ro  la  chatounelo 
De  H^ste  Ambrbsi,  Vinceneio. 

Sis  aurihd,  degun  i*avi6  *ncaro  trauca ; 
Avi^  d*iu(>  blu  coume  d'agreno, 
Em^  lou  sen  boudenfle  k  peno ; 
Espinouso  flour  de  tapeno 

Que  lou  Rose  amourous  amavo  d'espouscn. 

Em^  sa  rufo  barbo  bianco 
Que  ie  toumbavo  enjusqu'  is  anco, 
Meslo  Ambroi  k  soun  Mn  rospound^  :  Bartaveu, 
De  tout  segur  lou  d6ves  ^stre, 
Car  de  ta  bouco  sies  plus  m^stre  ! 

—  Per  que  I'ase  se  descabtetre, 
Pair^,  fau  que  lou  prat  fugue  rudamen  b^u  ! 

Mai  en  que  s6r  que  tant  vous  parle  ? 

Sab6s  couine  ei!...  S'anavo  en  Arle, 
Li  fiho  de  soun  t^ms  s'escoundrien  en  plourant, 

Car  apr^s  elo  an  rout  lou  mole... 

Que  respoundres  a  voste  drole 

Quand  saubr6s  que  m*a  di :  Te  vole! 
—  Richesso  e  paureta,  foulas,  te  respoundran. 

—  Paire,  partes  de  Valabrego ; 
Anas  au  Mas  di  Falabrego, 

E  len-16u !  k  si  g6nt  racountas  tout  coumo  cs ! 
Digas-ie  que  Ton  d6u  s'encliaure 
Se  Tome  ei  brave  e  noun  s'6i  pauro ; 
Digas-ie  que  sabe  reclaure, 

Dosntaienca  H  vigno  e  laboura  H  gres. 


MTREILLE,   CHANT  VII.  271 

Pauvretle !  c'6tait  la  fille  —  de  Maitre  Ambroise, 
Vincenelte.  —  Ses  oreilles,  personne  encore  ne  les 
lui  avail  perches ;  — elle  avail  des  yeux  bleus  comme 
des  prunelles  *  —  el  le  sein  a  peine  enfl6 ;  —  6pi- 
iieuse  fleur  de  cApre  —  que  le  Rh6ne  amoureux  ai- 
iTiail  k  ^clabousser 


Avec  sa  barbe  blanche  el  rude  —  qui  lui  lombail 
jusqu'aux  hanches,  —  Maitre  Ambroise  a  son  flls 
repondil :  «  Ecervele,  —  assuremenl  tu  dois  T^tre, 
—  car  tu  n'es  plus  maitre  de  la  bouche!  »  —  « Pour 
que  r^ne  se  d^licote,  —  pftre,  il  faut  que  le  pr6  soil 
nidement  beau ! 


«  Mais  a  quoi  bon  tant  de  paroles  ?  —  Vous  savez 
comme  elle  est!...  Si  elle  allait  a  Aries,  —  les  fllles 
de  son  ftge  se  cacheraiont  en  pleurant,  —  car  apres 
elle  on  a  bris6  le  moule!...  —  Que  repondrez-vous 
k  voire  fils,  —  quand  vous  saurez  qu'elle  m*a  dil  : 
Je  te  veuxl  »  —  «  Richesse  et  pauvret^,  insense,  le 
repondront.  » 

—  «  P6re,  parlez  de  Valabr^gue;  —  allez  au 
Mas  des  Micocoules,  —  el  en  toute  hAte!  k  ses 
parents  raconlez  tout,  tel  que  c*est!  —  Dites-leur 
que  Ton  doit  se  soucier  —  de  la  vertu  de  rhomnie, 
el  non  de  sa  misere !  —  Dites-leur  que  je  sais  biner, 
—  6bourgeonner  les  vignes,  labourer  les  terrains 
pierreux. 


272  MIRfciO,  CANT  VII. 

Digas-ie  mai  que  si  si^is  couble, 
Soul  moun  gouv^r,  cavaran  double ; 

Digas-ie  que  sieu  ome  h  respeta  li  vi^i; 
Digas-ie  que,  se  nous  separon, 
P6r  toujour  n6sti  cor  se  barron, 
E,  tant  i^u  qu'elo,  nous  entarron!... 

—  Ah  !  fagu6  M6ste  Ambroi,  sies  jouine,aquisevM. 

Ac6  *s  ri6u  de  la  poulo  bianco  ! 

Ac5  *s  lou  lucre  sus  la  branco ! 
Auri6s  gau  de  Tave ;  *m'  ac5  lou  sounaras, 

fe  proumetras  la  papo  au  sucre, 

Gingoularas  lin  qu'au  sepucre.... 

Janiai  veiras  veni  lou  lucre 
Se  pausa  sus  toun  del,  car  noun  sies  qu*un  pauras. 

—  Mai  d'^stre  paure  es  dounc  la  p^sto? 

Vincen  en  grafignant  sa  teste 
Cride.  —  Mai  lou  bon  Di6u  qu*a  fa  de  causo  ansin, 

Lou  bon  Dieu  que  me  ven  esclaure 

D6u  soulet  b^n  que  me  restaure, 

Es-ti  juste?...  Perqu6  sian  paure? 
Perqu6,  d6u  vignares  embala  de  rasin, 

Lis  un  cueion  touto  la  frucho, 

E  d' autre  an  que  la  raco  eissucho  ? 
Mai  Ambroi  tout-d*un-t6ms  aussant  lou  bras  en  Tor : 

Treno,  vai,  treno  ti  pivello, 

E  levo  ac6  de  la  cervello ! 

Desempifei  quouro  la  gavello 
Reprea  lou  meissouni^?...  Lou  loumbrin  o  la  serp 


MIREILLE,  CHANT   VII.  273 

«  Dlles-leur  encore  que  leurs  sixpaires  (debates), 
—  sous  ma  conduite,  creuseront  double  ;  —  dites- 
leur  que  je  suis  homme  k  respecter  les  vieillards ; — 
dites-leur  que,  s'ils  nous  s^parent,  —  pour  toujours 
ils  ferment  nos  cceurs,  —  et,  tant  moi  qu'elle,  ils 
nous  enterrent  I  »  —  «  Ah !  fit  Mailre  Ambroise,  tu 
esjeune,  l&onle  voit. 

«  C'est  \k  I'oeuf  de  la  poule  blanche '  I  —  c'est  la 
Ic  luct'e^  sur  la  branche  !  —  Le  possedcr  ferait  la 
Joie ;  lu  Tappelleras  done,  —  tu  hii  promettras  lo 
gateau  sucr6,  —  tu gemiras  jusqu'au sepulcre...  — 
Jamais  tu  ne  verras  le  lucre\emv — se  poser  sur  ton 
doigt,  car  tu  n'es  qu'un  miserable.  » 


—  «  Mais  d'etre  pauvre  c*esl  done  la  peste  ?  — 
Vincent,  en  se  d6chirant  la  l^le,  —  s*ecria.  Mais  lo 
bon  Dieu  qui  a  fait  des  choses  telles,  —  te  bon  Dieu 
qui  vient  m'exclure  —  de  Tunique  bien  qui  me  rende 
k  la  vie,  —  est-il  juste?...  Pourquoi  sonunes-nous 
pauvros?  —  pourquoi,  du  vignoWe  charge,  de  rai- 
sins, 

«  Les  uns  cueillent-ils  tons  les  fruits,  —  et  d'au- 
Ires  n*ont  que  le  marc  desseche? »  —  Mais  Ambrois(» 
aussit6t  levant  le  bras  en  Tair :  —  «  Tresse,  va,  tresse 
tes  brindilles,  —  et  6te  cela  de  ta  cervelle!  —  De- 
puis  quand  le  faisceau  d*6pis  —  reprend  il  le  mois- 
sonnour?...  Le  lombricou  le  serpent 


274  MIRfclO.  CANT  VII. 

Adounc  p6u  dire  h  Di6u  :  Peirastre, 
Que  noun  de  i^u  fasi^s  un  astre  ? 

Perqu^,  dira  lou  bi6u,  m*as  pas  crea  bout^  ? 
A-n-6u  lou  gran,  ki^n  la  paio!... 
Mai  noun,  moun  fieu :  marrido  o  gaio, 
T6uti,  soum6s,  tfenon  sa  draio... 

Li  cinq  det  de  la  man  soun  pas  t6uti  parie ! 

Lou  M6stre  t'a  fa  lagramuso? 

T^n-te  siau  dins  toun  asclo  nuso, 
Ben  toun  rai  de  souleu  e  fai  toun  gramaci. 

—  Mai,  vous  ai  pas  di  que  Uadore 

Mai  que  moun  Dieu,  mai  que  ma  sorre  ? 

Me  la  fau,  paire,  o  senoun  more ! . .. 
E  roume  p6r  liuen  d'eu  bandi  Faspre  soueit, 

De  long  d6u  flume  que  rounflavo, 
Flu  oncourrentse  desgounflavo. 

Vinceneto,  la  sorre,  en  plourant  alor  ven, 
E  ie  fai  auviei  panieraire  : 
Avans  de  maucoura  moun  fraire, 
Aus^s-me,  pai  1  Y  a  'n  labouraire, 

An  mas  ounte  servifeu,  qu*6ro  amourous  tamb6n ; 

L'ero  de  la  fiho  d6u  m^stre, 

Alis ;  en,  ie  disien  Sivestre. 
An  travai  (tant  Tamour  Tavie  fa  courajous ! ) 

flro  un  loup !  en  touto  obro  abile, 

Abarous,  matini6,  doucile... 

Li  m^stre,  anas,  dourmien  tranquile. 
Un  matin  ..  —  regardas,  paire,  s'es  pas  fachons! 


MIREILLE,    CHANT  VU.  275 

n  Peut  done  dire  a  Dieu  :  « Mauvais  pere,— que  iie 
faisais-tu  de  moi  un  astre?  »  —  «  Pourquoi,  dira  le 
boeuf,  ne  in*as-tu  pas  cree  bouvier? — a  lui  le  grain,  a 
moi  la  paille !...  »  —  Mais  non,  mon  fils  :  iriauvaise 
ou  gaie,  —  tous,  soumis,  tiennent  leur  voie...  — 
Les  cinq  doigts  de  la  main  ne  sont  pas  tous  egaux. 


«  Le  Maitre  l*a  fait  lezard-gris? — tieiis-toi  paisible 
dans  ta  crevasse  nue,  —  bois  ton  rayon  de  soleil  et 
rends  graces !  »  —  «  Mais  ne  vous  ai-je  pas  dit  que 
jel'adore  —  plus  que  ma  soeur,  plus  que  nion  Dieu? 
—  11  me  la  faut,  pere,  ou  sinon  je  meurs !...  » —  Et 
comme  pour  baniiir  loin  de  lui  TSpre  souci, 


Sur  la  rive  du  fleuve  grondant,  —  il  exhalait  en 
courant  (sa  douleur).  — Yincenettela  soeur  en  pleu- 
rant  alors  vient,  —  et  adresse  au  vieux  vannier  (ces 
paroles)  :  —  a  Avant  de  d^courager  mon  frere,  — 
ecoutez-moi,  pere!  11  etait  un  laboureur,  --  &la 
ferme  ou  Je  servais,  amoureux  comme  lui ; 


«  11  r^tait  de  la  fille  du  maitre,  —  Alix;  lui,  on 
I'appelait  Sylvestre. —  Au  travail  (tant  I'amour  I'avait 
fait  courageux  ! )  —  c'etait  un  loup  !  habile  en  toute 
oeuvre,  —  ecouome,  matineux,  docile...  —  Les 
niaitres,  allez,  dormaient  en  repos.  —  Un  matin...-— 
regardez,  p6re,  si  ce  n*estpas  f^cheux! 


276  NIRfilO,  CANT  Vlf. 

Un  matin,  la  inoui^  ddumestre 

Ehtendegu^  parla  Siv^re : 
Countavo  d'escoundoun  soun  amour  a-n-Alis. 

A  dina,  quand  lis  ome  inir^ron 

E  qu'&  la  taulo  se  vir^ron, 

Lis  iue  d6u  m^tre  s*empureron ! 
—  Traile !  dis,  16  toun  comte,  e  passo  quo  I'ai  visl! 

Lou  bon  r^fi  partigue.  Nautre 

S'espinchavian  dis  un  is  autre, 
Maucountent  e  'spanta  de  lou  T6ire  embandi. 

Tres  semano,  dins  li  roumpido, 

Lou  veguerian  courre  bourrido 

Is  alentour  de  la  bastido, 
Tout  desvaria,  mome,  avala,  mau  vesti ; 

Uuouro  estendu,  quouroa  grand  cout^o. 

La  nine,  Tentendian  coume  uno  ourso 
Ourla  souto  li  triho  en  apelant  Alis!... . 

Mai  un  jour,  pi6i,  un  fio  venjairc 

Que  flamejavo  i  quatre  caire 

Counsum6  la  paiero,  o  paire, 
E  dou  pons  lou  treiau  davere  *n  negadis ! 

Aqui  s*auboure  Meste  Arabrosi : 

—  Enfant  pichot,  digu6  ren6si, 
Pichoto  peno ;  grand,  grand  peno.— E  uiouuto  d'aut, 

Cargo  sis  auti  garramacho 

Qu'eu-meme  autre-tfems  s'ero  facho, 

Si  bon  soulie  garni  de  tacho, 
Sa  grand  bouneto  roujo,  e  camino  k  la  Graii. 


MIREILLE,  CHANT    VII.  277 

«  Un  matin,  Vepouse  du  maitre  —  enlendit  Syl- 
vestre  parler  :  —  il  contait  en  cachette  son  amour 
a  Alix.  —  A  diner,  lorsque  enlrerent  les  hommes, — 
et  qu'ils  se  rangerent  autour  de  la  table,  —  les  yeux 
du  mailre  s  altis6rent :  —  «  Traiire !  dit-il,  voili 
ton  compte,  et  passe,  je  t'ai  vu !  » 


«  Le  bon  serviteur  partit, — Nous  nous  regardions 
les  uns  les  autres,  —  m6contents,  ahuris  de  le  voir 
chasser.  —  Trois  semaines,  dans  les  novales,  — 
nous  le  vimes  errer  —  aux  alentours  de  la  bastide, 
—  tout  hagard,  morne,  h^ve,  mal  vMu ; 


«  Tantdt  gisant,  tant6tcourant  a  tmtesjambes, — 
La  nuit,  nous  Tentendions  comme  une  ourse : —  Hur- 
ler sous  les  treilles  en  appelant  Alix.  —  Mais  un 
jour,  puis,  un  feu  vengeur  —  qui  flamboyait  aux 
quatre  coins,  —  consuma  la  raeule  de  paille,  6  pere, 
—  et  du  puits  le  c^le  tira  un  noy6.  » 


L^  se  leva  Maitre  Ambroise.  —  « Enfant  petit,  dit-il 
en  grommelant ,  —  petite  peine ;  grand ,  grandc 
peine.  »  —  Et  il  monte  en  haut,  —  il  met  ses  hou- 
seaux  elev^s  —  que  lui-m^me  s*etait  faits  autrefois, 
— -  ses  bons  souliers  garnis  de  caboches,  — son 
grand  bonnet  rouge,  et  il  marche  k  la  Crau. 


t^4 


278  NIR£10,  GAKT  VII. 

Eriaii  au  lems  que  li  terrado 

An  si  recordo  utnadurado  : 
hlro,  vous  trouvares,  la  vueio  de  Sant  Jdii. 

Dins  li  draiou,  long  di  barragnu, 

Deja,  per  nouiT)br6usi  comnpagno, 

Li  prefachi^  de  la  mountagno 
Yenien,  brun  e  p6ussous,  meissouna  nosti  champ; 

E  li  voulame  en  bandouliero. 

Dins  li  bedoco  de  figuiero ; 
Eiisouca  dous  per  dous  ;  chasco  sduco  adusent 

Sa  ligarello.  Uno  ilaveto, 

Un  tambourin  flouca  de  veto 

Acounipagnavon  li  carreto, 
Ounte,  las  d6u  camin,  li  vi^i  eron  jasent. 

E  'n  ribejant  long  di  tousello 

Que,  sout  lou  v^nt  que  li  bacello, 
Ouiidejon  a  grands  erso  :  0  nioun  Dieu  1  li  beu  blad ! 

Quenti  blad  dru  I  tasien  en  troupo. 

Ac6  sara  de  bello  coupe  ! 

Ve!  courae  I'auro  lis  estroupo, 
E  pereu  counie  en  Ter  soun  leu  mai  regibla  I 

Veici  qu'Ambroi  s'ajougn6  'in'61i: 

—  Soun  touti  preste  couine  aqu61i, 
Vosti  blad  pro uven^au,  mounsegne?  —  faisubran 

On  di  jouvent.  —  Fa  li  blad  rouge 

Que  soun  encaro  darrierouge ; 

Mai,  en  durant  lou  t^ms  aurouge, 
Veires  que  li  voulanie  h  Tobromancaran  ! 


MIREILLE,  CHANT  VII.  279 

Nous  6tions  au  temps  oh  les  lerres  —  ont  leurs 
recoUes  mAries  :  — il  se  trouve  que  c'^tait  la  veille  de 
la  .Saint- Jean.  —  Dans  les  sentiers,  le  long  des  haies, 
—  d6ja,  par  nombreuses  compagnies,  —  les  tdche- 
rons  de  la  raontagne — venaient,  bruns  et  poudrenx, 
(pour)  moissoniier  nos  champs  ; 


Les  faucilles  en  bandouliere ,  —  dans  les  carquois 
de  figuier,  —  accouples  deux  par  deux;  chaque 
couple  amenanl— sa  lieuse  (de  gerbes).  Dn  galoubet, 
—  un  tambourin  om6  de  noeuds  de  rubans,  —  ac- 
compagnaient  les  charrettes,  -^  ou,  las  du  chemin, 
les  vieillardsetaient  couches. 


Et,  en  longeant  les  louzelles  —  qui,  sous  le  vent 
qui  les  bat,  —  ondoient  k  grandes  vagues :  u  0  mon 
Dieu  !  les  beaux  bl6s !  —  quels  bl6s  touffiis !  disaient- 
ils  ensemble.  —  Voili  qui  sera  beau  a  couper !  — 
Voyez  comme  la  bise  les  trousse,  —  el  aussi  comme 
en  Fair  ils  se  redressent  vito !  » 


Voici  qu'Ambroise  se  Joignit  k  eux.  «  Sont-ils  lous 
prMs  comme  ceux-lS, — vosbl^sde  Provence,  a'ieul?» 
dit  soudain  —  un  des  jeunes.  —  «  Les  froments 
rouges  — sont  encore  en  retard ;  —  mais  si  le  temps 
venteux  vient  a  durer,  —  vous  verrez  les  faucilles 
manquer  au  travail ' 


380  HIR£I0,  cant  YIT. 

Remarqucrias  li  tres  candMo, 
Per  Nouv^?  semblavon  d'estello  ! 

Rapelas-vous,  enfant,  que  i*aura  granesoun 
Per  benuran^o !  —  Di^u  vous  ause, 
E  dins  voste  6rri  la  repause, 
Bon  segne-grand !  —  Entre  li  sause, 

Erne  lou  bouscatiS  lis  ome  de  meissoun, 

Entanterin  que  s'avan^von, 

Bounainen  ansin  devisavon. 
E  s'alrovo  qu*au  Mas  di  grand  Falabreguie 

Per6u  venien  li  nieissounaire. 

M^ste  Ramoun,  en  permenaire, 

D6u  mistralas  desengranaire 
Vonift  v6ire  pamens  ceque  lou  blad  disie. 

E  de  Tespigado  planuro 

Eu  travessavo  lajaunuro, 
D*auro  en  auro,  k  grand  pas;  e  li  blad  roussin^u  : 

—  M6stre,  murmuravon,  es  I'ouro ! 

V^,  coume  Tauro  nous  amourro, 

E  nous  estraio,  e  nous  desflouro... 
Boutas  a  vosti  del  li  dedau  de  can^u  ! 

D'autre  ie  venien  :  Li  foumigo 

Deja  nous  mounton  is  espigo ; 
Tout-escap  plen  de  cai,  nous  derrabon  Ion  gran... 

V^non  pancaro  li  gourbiho? 

Aperalin  dins  lis  aubriho 

Lou  majourau  vir6  li  ciho, 
E  soun  iue  peralin  li  descuerbe  subran. 


MIREILIE,    CHANT  VU.  281 

«  RemarquAtes-vous  les  trois  cliandelles,  —  &  la 
Nogl  ?  elles  semblaient  des  etoiles !  — Rappelez-vous, 
enfants,  qu  il  y  aura  du  grain  —  par  benediction  I  » 
—  «  Dieu  vous  entende,  -r-  et  dans  voire  grenier  le 
depose,  —  bon  aieul! »  —  Entre  les  saules,  —  avec 
ie  biicheron  les  moissonneurs, 


Pendant  qu'ils  s'aVancaient,  —  bonnement  devi- 
saient  ainsi.  —  Et  il  se  trouve  qu'au  Mas  des  grands 
Micocouliers  —  aussi' venaieDt  les  moissonneurs.  — 
Mailre  Ramon,  en  promeneur,  —  de  I'inipeiueux 
mistral  qui  egrene  (les  epis)  — venait  voir  cependant 
ce  quedisaitleble. 


Et  dela  plaiue  couverte  d'epis  —  il  traversait  (1*6- 
tendue)  jaune,  —  du  nord  au  midi,  k  grands  pas;  et 
les  bies  fauves :  —  u  Haitre,  murmuraient-ils,  c  est 
Theure!  —  voyez  comme  la  bise  nous  incline,  —  et 
nous  verse,  et  nous  defleurit. . .  —  Mettez  k  vos  doigts 
les  doigtiers  de  roseau  * !  » 


D'aulres  ajoutaient  :  «  Les  fourmis  —  deja  nous 
montent  aux  epis;  —  a  peine  caille,  elles  nous  arra- 
chent  le  grain...  —  Les  faucillesne  viennent  point 
encore?  •  —  Par  l^>bas  dans  lesarbres  —  le  chef 
lourna  les  cils,  —  et  son  ceil  par  li-bas  les  decouvre 
aussitdt. 

24. 


S82  MIRfiTO,  CANT  VIT. 

Entre  par^isse,  tout  Teissame 

Desfourrel^ron  li  voulame, 
E  dins  r^r  au  soul^u  ii  f^sientrelusi, 

E  li  brandavon  sus  la  t^sto, 

P6r  saluda  *in6  faire  ftsto. 

Mai  h  la  troupelado  agr^sto 
D6ii  pu  liuen  que  Ramoun  pousqu^  se  faire  ausi : 

—  Benvengu  sias,  toutola  bando! 
le  crid^;  lou  bonDi^u  vous  mando. 

E  leu  de  ligarello  agu6  'n  brande  nomnbrous 
A  soun  entpur :  — 0  nostemfestre, 
Toucas  un  pau  la  man!  ben^stre 
Posque  erne  vous  longo-mai  estre  ! 

N*i*aura  de  garbo  k  I'iero,  aquest  an,  Santo  Crous ! 

—  Noun  fan  juja  tout  p^r  la  mino. 
Mi  beus  ami !  Quand  per  Feimino 

Aura  passa  reir6u,  alor  de  ce  que  l^n 
Saubren  lou  just.  S'^i  vist  d'annado 
Que  proumetien  uno  granado 
A  fai  d'un  vint  p^r  eiminado, 

E  pi6i  fasien  d'untres !...  Mai  fau  estre  count^nt. 

E  *m6  la  faci  risouleto, 

Toucavo  en  t6uti  lai  paleto; 
Amistadousamen  parlavo  a  M6ste  Ambroi, 

E  tout-b&u-just  prenien  la  16io 

De  la  bastido,  que  :  —  Mir^io  I 

Garnisse  leu  la  cicoureio, 
E  vai  lira  de  vin,  cridavo,  tron-do-goii 


MTHEILLE,  CHAT^T  TIT.  285 

D6S  que  parut  Fessaini,  tous  —  degain^rent  les 
faucilles,  —  et  dans  I'air  au  soleil  ils  les  faisaient  res- 
plendir,  et  sur  la  tfite  les  brandissaient,  — -  pour  sa- 
luer  et  faire  ftte.  —  Mais,  k  la  troupe  agreste,  —  du 
plus  loin  que  Ramon  put  se  faire  ouir  : 


—  «  Bienvenus  soyez-vous,  toute  la  bande! — leur 
cria-t-il ;  le  bon  Dieu  vous  envoie !  »  Et  bient6t  de 
Ileuses  il  eut  une  ronde  nombreuse —  autour  de  lui : 
«  0  notre  maitre,  — touchez  done  la  main !  Bien-6tre 
—  puisse-t-il  avec  vous  6tre  a  jamais !  —  Y  en 
aura-t-il,  des  gerbes,  k  I'aire,  cetto  annee,  Saintt* 
Croix!  » 


—  «  II  ne  faut  pas  juger  tout  par  la  mine,  —  mes 
beaux  amis !  Quand  par  ]e  boisseau  —  aura  passe 
Tairee,  alors  de  ce  qu'elle  tient  —  nous  saurons  le 
juste.  II  s'est  vu  des  annees  —  qui  promettaient  une 
recolte  —  k  rendre  vingt  (hemines)  *  par  h^in^e, 
—  ensuite  elles  en  rendaient  trois!...  Mais  soyons 
satisfaits!  » 

Et,  la  face  riante,  —  a  tous  il  touchait  la  main;  — 
amicalement  il  parlait  a  Maitre  Ambroise,  —  et  ils 
prenaient  k  peine  Tallee  —  de  la  bastidef  que  :  «  Mi- 
reille !  —  prepare  vite  la  chicoree,  et  va  lirer  du  vin, 
criait-il,  tron-de-goi! » 


284  MIRfilO,  CANT  \l!. 

L^u  aquesto,  h  pleni  faudado, 

Vej^  SU8  taulo  la  goustado ; 
Ramoim,  lou  b^u  proumi^,  se  i*ass§to  a-n-un  bouti 

E  t6uti  fan  coume  eu.  En  briso 

Lou  pan  croustous  dejase  friso 

Souto  la  d^nt  que  Tenfreiiiso, 
Enterin  que  li  man  pescon  i  barba-bou. 

La  taulo  fasi^  gau,  lavado 

Coume  une  fueio  de  civado ; 
Lou  cachat  redoul6nl,  Vaiet  que  fai  tuba, 

Li  merinjano  k  la  grasiho, 

Li  pebroun,  cous^nto  manjiho, 

Li  bl6undi  cebo,  a  la  rapiho 
Dessusli  vesias  courre,  k  bel  6ime  esc:ampa. 

M^stre  k  la  taulo  coume  au  fouire, 

Ramoun,  qu'avi^  coniro  eu  lou  douire, 
De  l^ms  en  terns  Taussavo,  e  :  D*aut !  chourlen  un  cop ! 

Quand  i*a  de  peiro  dins  lis  erme, 

P6r  que  la  daio  se  referme, 

N'en  fau  bagna  lou  lai,  e  ferme  ! 
E  lis  ome,  aderr^n,  aparavon  lou  got. 

—  Bagnen  lou  tai !  —  E  ddu  grand  inde 

Lou  vin  raiavo,  rouge  e  linde, 
Is  Sspri  gargassoun  di  gourbihaire.  — Pi(>i, 

Vengu^  Ramoun  a  la  laulado, 

Se  'n  cop  la  fam  ei  sadoulado, 

E  li  for(?o  reviscoulado, 
Per  b^n  acoumenca,  segound  I'usage  viei, 


MIREILLE,  CHANT  YU.  285 

Vile  celled,  a  pleins  labliers, — versa le gotiter 
sur  la  table ;  —  Ramon,  le  beau  premier,  s'y  assied 
h  un  bout,  —  et  tous  font  comme  lui.  En  miettes  — 
le  pain  k  croAte  6paisse  d6j2i  se  pulverise  —  sous  la 
dent  qui  le  broie,  —  pendant  que  les  mains  plon- 
gent  dans  les  barbes-de-bouc. 


La  table  rejouissait,  iav^e  --  comme  une  feuille 
d*avoine  ;  —  le  cachaf^  odorant,  Tail  qui  brAle  (le 
palais),  —  les  aubergines  (rdties)  sur  le  gril,  —  les 
piments,  cuisant  mets,  —  les  blonds  oignons,  con- 
fus6ment  —  roulaient  sur  elle,  versus  h  profusion. 


Mailre  h  la  table  comme  au  labour,  — Ramon,  qui 
a  cdt6  de  lui  avail  la  buire,  —  de  temps  h  autre  Te- 
levait,  et  :  «  Allons !  buvons  un  coup !  —  Quand  la 
lande  est  pierreuse,  —  pour  que  la  faux  se  rafTer- 
misse,  — il  faut  en  mouiller  le  Iranchant,  et  ferme  I » 
—  Et  les  hommes,  tour  h  tour,  tendaienl  le  verre. 


—  ((  Mouillons  le  Iranchant! » ^ Et  du  grand  vase 
—  le  vin  coulait,  rouge  et  limpide,  —  aux  &pres  go- 
siers  des  faucilleurs.  —  a  Puis,  —  dil  Ramon  aux 
(hommes)  atlables,  —  quand  vous  aurez  rassasi6  la 
faim  — et  raviv6  les  forces, — pour  bien  commencor, 
selon  Vusage  antique, 


2W  MIRfilO  CANT  VII. 

Coupas,  dins  li  bos  de  rebroundo, 
Chascun  voste  balau  de  broundo ; 

Qu*enUupi  li  balau  s'amoulounon.  Mi  fieu, 
Quand  Tauto  l&upi  sara  l^std, 
De  v6spre,  coumpliren  lou  r6sto, 
Gar  de  Sant  Jan  aniue  's  la  i%sto, 

Sant  Jan  lou  meissouni6,  Sant  Jan  Tanii  de  Dieu  ^ 

Ansin  lou  m^stre  li  coumando. 

Dedins  la  sci^nci  noblo  e  grando 
Que  fau  p6r  mena  'n  b6n,  que  fau  p6r  coumanda, 

Que  fau  p6r  faire  espeli,-soulo 

La  Iressusour  que  ie  degouto, 

L'espigau  blound  i  negri  mouto, 
De  n'en  saupre  coume  6u  res  poudie  se  vanta ! 

Sa  vido  ero  paci^nto  e  sobro. 

Es  verai  que  si  16nguis  obro, 
Erne  lou  pes  dis  an,  Tavien  un  pau  gibla ; 

Mai  au  t^ms  dis  iero,  a  la  caro 

Souv6nti-fes  di  jouine  miarro, 

Fier  e  galoi,  pourtavo  encaro 
Sus  la  pauino  di  man  dous  plen  sesti6  de  blad  ! 

Couneissi^  Taflat  de  la  luno, 
Quouro  es  bono,  quouro  iropourtuno, 

Quouro  buto  la  sabo  e  quouro  Tentessis ; 
E  quand  fai  rodo,  e  quand  es  palo, 
E  quand  es  bianco  vo  pourpalo, 
Sabi6  lou  t^ms  que  n'en  davalo. 

P6r  eu  lis  auceloun,  lou  pan  que  se  mousis, 


MIREILLE,  CHANT  VI!.  2ST 

«  Coupez,  dans  les  bois  taillis,  —  chacun  voire 
fagol  de.  branches ;  —  qu'en  pile  les  fagots  s'amon- 
cellent.  Mes  fils,  —  quand  le  haut  bi^cher  sera  pr^t, 
—  ce  soir  nous  accomplirons  le  reste;  —  carde 
Saint  Jean  c'esl  la  fete  cette  nuit,  —  Saint  Jean  le 
moissonneur,  Saint  Jean  Tami  de  Dieu !  » 


Ainsi  les  commande  le  uiaitre.%—  Dans  la  noble 
et  grande  science  —  n6cessaire  pour  conduire  un 
bien,  n6cessairepour  commander,  —  n^cessaire  pour 
faire  eclore,  sous  —  la  sueur  qui  y  ruisselle,  —  des 
iioires  mottes  Tepi  blond,  —  d*en  savoir  comme  lui 
nul  ne  pouvait  se  vanter. 


Sa  vie  etait  patiente  et  sobre.  — En  v6rite  ses  longs 
labeurs — et  le  poids  des  ans  Tavaient  un  pen  courb^ ; 
—  mais  au  temps  (ou)  les  aires  (sont  pleines),  k  la 
face,  —  maintes  fois,  des  jeunes  valets,  —  fier  et 
joyeux,  il  portait  encore  —  sur  la  paume  des  mains 
deux  pleins  setiers  de  ble ! 


II  connaissait  Tinfluence  de  la  lune,  —  quand  est' 
elie  bomie,  quand  dtfavorable,  —  et  quand  pousse- 
t-elle  la  s6ve,  et  quand  I'arr^te-t-elle ;  —  et  lors- 
qu'elle  a  un  cercle,  et  'lorsqu*elle  est  p41e,  —  ou 
blanche,  ou  empourpree,  —  il  savail  le  temps  qui  en 
descend.  —  Pour  lui,  les  oisillons,  le  pain  qui  se 
inoisit. 


t!88  MIRfilO,  CANT    Vll. 

E  li  jour  negre  de  la  Vaco, 

P6r  eu  li  neblo  qu'Avoust  raco, 
E  li  contro-souleu,  e  l*aubo  de  Sanl-Clar, 

Di  quaranieno  gabinouso, 

E  di  secaresso  rouinouso, 

Di  pountannado  plouvinouso, 
E  peieu  di  boiis  an  ^ron  ii signe  clar. 

Dins  uno  terro  labourivo, 

Quand  la  faturo  es  tempourivo, 
Ai  de  fes  agu  vist,  atalado  au  coutri^, 

Sieis  b6sti  grasso  e  nervihouso ; 

6ro  uno  visto  mervihouso  I 

La  terro,  bleto  e  silenciouso, 
Plan-plan  devans  la  riho  au  souleu  se  durbi^ 

E  li  sieis  miolo,  bello  e  sano, 
Seguien  de  loiigo  la  versano, 

Seinblavon,  en  tirant,  coumprene  per-de-que 
Fau  que  la  terro  se  laboure  : 
Sens  camina  trop  plan,  ni  courre, 
Devers  lou  sou  beissant  lou  mourre, 

Atentivo,  e  lou  c6u  tiblan  coume  un  arqucl.* 

Lou  fin  bouie,  I'iue  sus  la  rego, 

K  la  cansoun  entre  li  brego, 
I'anavo  a  pas  tranquile,  en  tenent  soulanien 

L'estevo  drecho.  Ansin  anavo 

Lou  tenamen  que  sameuavo 

Meste  Ramoun,  e  que  menavo, 
Ulanous,  coume  un  rei  dins  soun  gou^vernaiuen ! 


MIREILLE,  CHANT  VII.  289 

Et  les  jours  n^fastes  de  la  Vache  S  —  pour  lui  les 
brouillards  qu  Aout  vomit,  —  et  les  parhelies,  et 
Taube  de  la  Saint-Clair, — des  quarantaines  humides, 
—  des  s^cheresses  ruineuses,  —  des  periodes  de  ge- 
lee,  —  et  aussi  des  amines  bonnes,  etaient  les  signes 
clairs. 


Dans  une  terre  labourable,  —  quand  la  culture  se 
fait  en  temps  propice,  —  J'ai  vu  parfois,  attel6es  k  la 
charrue,  —  six  b^tes  grasses  etnerveuses  ;  —  c'^tait 
un  merveilleux  spectacle !  —  la  terre,  friable,  en 
silence,  —  lentement  devant  le  soc  au  soleil  s'en- 
tr'ouvrait. 


Et  les  six  mules,  belles  et  saines,  —  suivaient 
sans  cesse  le  sillon ;  —  elles  semblaient,  en  tirant, 
comprendre  pourquoi  —  il  faut  labourer  la  terre  : 
—  sans  marcher  trop  lentement  ni  courir,  —  vers  le 
sol  baissant  le  museau,  —  attentives,  et  le  cou  tendu 
comme  un  aic. 


■  Le  fm  laboureur,  Toeil  sur  la  rale,  —  et  la  chanson 
entre  les  16vres,  —  y  allait  a  pas  Iranquilles,  en  te- 
nant seulement  —  le  manche  droit.  —  Ainsi  allait  — 
le  tenement  qu'ensemencait — Maitre  Ramon,  et  qu'il 
dirigeait,  —  magnifique,  tel  qu'un  roi  dans  son 
royaume ! 


290  ^llRfelO,  CANT    VIL 

Deja  painens  levant  la  f^ci, 

Lou  majourau  disie  )i  grdci 
E  signavo  soun  front ;  e  di  travaiadou 

L'escarrado  partis,  galoio, 

Per  alesti  lou  fio  de  joio. 

D'uni  van  acainpa  de  boio, 
D' autre,  di  pin  negras  toumba  lou  rainadou. 


Mai  11  dous  viei  r^ston  k  taulo,  ' 

'  I 

E  Meste  Ambroi  pren  la  paraulo  : 
Vtoe,  i^u,  0  Ramoun,  vous  demanda  counseu.  { 

M'arribo  un  ^rsi  qu'avans  Touro 

He  coundurra  mounte  se  plouro  ; 

Gar  noun  vese  counrie  ni  quouro 
D*aqu^u  nous  de  malur  poudrai  trouva  lou  s^u !  | 

Sabes  qu'ai  un  drole  :  jusqu  aro, 

D'uno  sagesso  mai  que  raro 
H'avi^  douna  li  provo,  e  toustems.  Auri^utort, 

Se  venieu  dire  lou  countr^ri. 

Hai  touto  p^iro  a  si  gavarri, 

Lis  agnfeu  meme  an  si  cat^rri, 
E  Toundo  la  plus  traito  es  aquelo  que  dor. 

Sab6s  qu*a  fa,  lou  sounjo-f6sto? 

S*es  ana  metre  per  la  t6sto 
Uno  chato  qu*a  vist,  de  riche  meinagi6... 

E  la  v6u,  e  la  v6u,  lou  n^sci ! 

E  tant  vi6ul^nt  el  soun  desf^ci, 

E  soun  amour  de  talo  esp6ci 
Que  m'a  fa  pou !  En  van  i'ai  moustra  sa  foulie; 


WIRETLLE,  CHAIN'T  VII.  291 

Deja,  pourtant,  levant  la  face  (au  ciel),  —  le  clief 
disait  les  graces  —  et  portait  la  main  au  front  pour 
faire  le  signe  de  la  croix;  el  des  Iravailleurs  —  la 
troupe  allait,  gaiement, — preparer  le  feu  de  joie. — 
Les  uns  vont  ramasser  des  fanes  de  souchet,  —  d*au- 
tres,  des  sombres  pins  abattre  la  ramee. 


Mais  a  table  restent  les  deux  vieillards,  —  et  Maitre 
Ambroise  prend  la  parole  :  —  «  Je  viens,  moi,  6  Ra- 
mon, vous  deniander  conseil.  — 11  in'advient  une  tra- 
verse qui  avant  Theure  —  me  conduira  oi!i  sont  les 
pleurs ;  —  car  je  ne  vois  ni  comment  ni  quand  —  de 
ce  noeud  de  malheur  je  pourrai  trouver  le  sceau ! 


a  Vous  savez  que  j'ai  un  fils  :  jusqu'^  cette  heure, 

—  d'une  sagesse  plus  que  rare  —  il  m'avait  donn6 
les  preuves,  et  toujours.  J'aurais  tort,  —  si  je  ve- 
nais  dire  le  contraire. — ^Mais  toute  pierre  a  ses  javarts, 

—  les  agneaux  meme  ont  leurs  convulsions,  —  et 
Tonde  la  plus  perfide  est  celle  qui  dort. 


((  Savez-vous  ce  qu'il  a  fait,  le  songe-creux?  —  11 
s'est  alle  mettre  par  la  t6te  —  une  fille  qu'il  a  vue, 
de  riches  tenanciers...  —  Et  il  la  veut,  et  il  la  veut, 
I'insense!  —  Et  si  violent  est  son  d6sespoir,  —  et  tel 
son  amour  —  qu'il  m'a  faitpeurl  Vainement  lui  ai-je 
d^montre  sa  folie, 


99i  MIRfelO,  CilNT  VII. 

En  van  i*ai  di  qu'en  aquest  mou[\,de 
Richesso  creis,  pauriho  founde... 

—  Courr^s  dire  k  si  g^nt  que  la  vole  a  tout  pres, 
A  respoundu ;  que  fau  s'enchaure 
Se  Tome  es  brave  e  noun  s'es  paure ; 
Digas-ie  que  sabe  reclaure, 

Desmaienca  li  vigno  e  laboura  li  gres. 

Digas-ie  mai  que  si  sieis  couble 
Sout  moun  gouv^r  cavaran  double ; 

Digas-ie  que  si6u  ome  k  respeta  li  vi^i; 
Digas-ie  que,  se  nous  separon, 
P6r  toujour  n6sti  cor  se  barron, 
E  tant  ieu  qu'elo,  nousentarron ! 

Aro  dounc,  o  Ramoun,  que  ves^s  ce  que  n'^i, 

Digas-me  s*eme  mi  roupiho 

Anarai  demanda  la  fiho, 
0  bk\  se  leissarai  mouri  moun  drole. . .  —  Pou  ! 

Ramoun  ie  fai,  noun  largu^s  velo 

Sus  un  tau  v^nt.  Eu  nimai  elo, 

Boutas,  mouriran  pas  d'aquclo ! 
Esi6ii  quevouslou  dise.  Ambroi,n'aguespasp6u. 

Moun  ome,  en  voste  lioc  e  pla(?o, 

Farieu  pas  tant  de  cambo  lasso  : 
Acoumen^o,  pichot,  degardatoun  repau, 

Ie  vendrieu  s^nso  misleii. 

Que  s*^  la  fm  ti  refoul6ri, 

Ve !  fan  esmdure  lou  temp^ri, 
Sarnipabi6une !  ve !  t*end6utrine  em'un  pau ! 


MIREILLE.  CHANT  VII.  893 

«  Vaiiiemenl  lui  ai-je  dit  qu*en  ce  monde,  —  ri- 
chesse  croit,  pauvrete  fond...  —  «  Ccyrezdire  k  ses 
parents  que  je  la  veux  k  tout  prix,  —  a-t-il  r^pondu; 
qu'il  faut  se  soucier  —  de  la  vertu  de  Thomme,  et 
non  de  sa  inis6re ;  —  dites-leur  que  je  sais  biner,  — 
ebourgeonner  les  vignes,  labourer  les  terrains  pier- 
reux. 

ff  Dites-leur  encore  que  leurs  six  paires  (debates), 
—  sous  ma  conduile,  creuseront  double ;  —  dites- 
leur  que  je  suis  homme  a  respecter  les  vieillards ;  — 
dites-leur  que,  s*ils  nous  s6parent,  —  pour  toujours 
ils  ferment  nos  coeurs,  —  et,  tant  moi  qu'elle,  ils 
nous  enterrent !  r^  — Maintenant  done,  6  Ramon,  que 
vous  Yoyez  ce  qu*il  en  est, 

a  Dites-moi  si,  avec  mes  haillons,  —  je  dois  aller 
demander  la  fiUe,  —  ou  bien  laisser  mourirmon 
fils... »  —  ((Bah!  —  Ramon  lui  dit,  ne  dSpIoyez 
point  voile  —  sur  un  tel  vent !  Lui  ni  elle ,  —  allez, 
n*en  mourront  pas !  —  C'est  moi  qui  vous  le  dis, 
Ambroise,  n*ayez  pas  peur. 


((  Ami,  en  votre  lieu  et  place,  —  je  ne  ferais  pas 
tant  de  d-marches  vaines :  —  (( Commence,  petit,  par 
garder  ton  repos,  —  lui  dirais-je  sans  dolour,  —  car 
a  la  fin  si  tes  caprices  —  vois !  font  mouvoir  la  lem- 
p^te,  —  sarnipabieoiine !  vois !  je  t'endoctrine  avec 
un  pieu !  » 


25. 


2ft4  MIRfilO,  CANT  V!!. 

A!or  Ambroi  :  Quand  Tase  bramo, 

I'anes  dounc  plus  trairede  ramo  : 
Arrapas  un  barroun,  e  'm'  aco  *nsucas-lou! 

E  Ramoiin  :  Un  paire  es  un  paire ; 

Si  voulounta  devon  se  faire ; 

Troupeu  que  meno  soun  gardajre 
Crucis,  a  terns  o  tard,  dins  la  gorgo  dou  loup. 

Qu'a  soun  paire  un  fieu  reguignesse, 
De  noste  terns,  ah!  Dieu  gardesse! 

1/aurie  tua,  beleu ! . .  Li  famiho,  tamben, 
Li  vesian  forlo,  unido,  sano, 
E  resist^nto  k  la  chavano 
Coume  un  brancage  de  plalano  ! 

Avien  proun  si  garrouio,  —  acoto,  lou  saben. 

Mai  quand  lou  vespre  de  Calendo, 
Souto  soun  cslelado  lendo, 

AcaiYipavo  Ion  r^ire  e  sa  generacioun, 
Davans  la  tanlo  benesido, 
Davans  la  taulo  ounte  presido, 
Lou  reire,  de  sa  man  frouncido, 

Negavo  tout  aco  dins  sabenedicioun! 

Mai,  afebrido  e  blavinello, 
L'enamourado  picbounello 

Ven  alor  h  soun  paire  :  Adounc  me  tuares, 
0  paire!  Es  ieu  que  Vincen  amo, 
E,  davans  Dieu  e  Nostro-Damo, 
Res  autre  qu'eu  n'auramoun  amo!... 

Un  silenci  mourlau  li  prengue  louti  tres. 


MIREFLLE,  CHANT  VII.  295 

Alors  Ambroise  :  «  Quand  Tdne  brail,  —  n'allez 
done  plus  liii  jeter  de  la  ramee  :  —  empoignez  une 
trique  et  assommez-le !  »  —  Et  Ramon :  «  Un  p^re 
est  un  pere ;  —  ses  volontes  doivenl  Mre  faites !  — 
Troupeau  qui  m6ne  son  gardien,  —  I6t  ou  lard,  cra- 
que  dans  la  gueule  du  loup. 


«  Qu'a  son  pere  un  fils  regimbM,  —  denotre  temps, 
ah !  Dieu  garde!  —  il  Teiit  tue,  peut-6tre ! . . .  Les  fa- 
milies, aussi,  —  nous  les  voyions  fortes,  unies,  sai- 
nes,  —  et  r6sistaiites  k  I'orage,  —  comme  un  bran- 
chage  de  platane !  —  EUes  avaient,  sans  doute,  leurs 
querelles,  nous  le  savons. 


«  Mais  quand  le  soir  de  Noel,  —  sous  sa  tente 
^toilee,  —  r^unissait  Taieul  et  sa  generation,  —  de- 
vant  la  table  benie,  —  devant  la  table  ou  il  preside, — 
Taieul,  de  sa  main  ridte ,  — -  noyait  tout  cela  dans  sa 
benediction " !  » 


.  Mais,  enfievr^e  et  bl^me,  —  la  jeune  fille  ena- 
mour^e  —  dit  alors  a  son  pere  :  «  Vous  me  tuerez 
done,  —  mon  pere !  C'est  moi  que  Vincent  aime,  — 
et  devant  Dieu  et  Notre-Dame,  —  nul  n'aura  mon 
ame  que  lui !...  »  —  Un  silence  de  mort  les  prit  tons 
trois* 


996  VIRtllO,  CANT  VU. 

Jano-Mario  es  la  proumiero 
Que  s*aubour^  de  la  cadiero  : 

—  Ma  fiho!  la  rcsoun  que  venes  d'alarga, 
le  fai  ansin  'm^  li  man  jouncho, 
Es  uno  escorno  que  nous  councho, 
Es  uno  espino  d'aiguespouncho 

Que  nous  a  p^r  lonlems  ndsti  cor  tratiga ! 

As  refusa  tou  pastre  Al&ri, 

Aqu^u  quavie  milo besliari! 
Refusa  Yeranet  lou  gardian ;  rebuta, 

Per  ti  inaniero  besuqueto, 

Ourrias,  lou  lant  richeenvaqueto! 

Fjn'  aco  pi^i,  em*  un  fresqueto, 
Em*  un  galabont^ms  le  vas  encoucourda! 

Ben !  i'anaras  de  porto  en  porlo, 

Erne  loun  gus  courre  p6r  orto ! 
Sies  touto  ti^uno,  parte,  ab6umianido ! . . .  Bon ! 

Associo-te  *me  la  Roucano, 

Erne  Beloun  la  Roubicano ! 

Sus  trescaiau,  em^  la  Cano, 
Vai  couire  la  bouiaco,  k  la  sousto  d*un  pont ! 

M&ste  Ramoun  leissavo  dire ; 

Mai  soun  iue,  lusent  coume  un  cire, 
Soun  iue  parpelejavo  e  jitavo  d  uiau 

Souto  sis  usso  espesso  e  bianco. 

De  sa  coulero  la  restaiico 

Piei  a  la  longo  se  desranco, 
1*  \)undo  k  boui  fuioun  s*esclafis  dins  lou  riau  : 


MIREILLE,  CHANT  VTI.  207 

Jeanne-Marie  est  la  premiere  —  qui  se  leva  de  la 
chaise:  —  «  Mafille!  la  parole  qui  vient  de  t'echap- 
per,  —  lui  fait-elle  ainsi,  les  mains  jointes,  —  est  une 
insulte  qui  nous  souille,  —  est  une  ^pine  de  nerprun 
—  qui  nous  a  pour  longtemps  perc6  le  cceur ! 


«  Tu  as  refuse  le  pMre  Alari,  —  celui  qui  poss6dait 
mille  bestiaux!  —  refuse  Veranet  lo  gardien ;  rebute, 
—  par  tes  mani^res  dedaigneuses,  —  Ourrias,  le  ri- 
che  (pasleur)  degenisses;  —  et  puis,  un  freluquet, — 
un  garnement  (suffit)  pour  te  seduire  ^^ ! 


«  Eh  bien!  vas-y,  de  porte  en  porte,  —  avec  ton 
gueuxcourir  les  champs!  —  Tu  t'appartiens,  pars! 
boh^mienne !. . .  Oui !  —  k  la Roucane,  —  k  Beloun  la 
Roubicane  —  associe-toi !  —  Sur  trois  cailloux,  avec 
la  Chienne,  —  va  cuire  ton  poiage,  abrit6e  sous  (la 
voi1te)d*unpont!  » 


jMaitre  Ramon  laissait  dire ;  —  mais  son  ceil,  lui- 
sant  <5omme  un  cierge,  —  son  ceil  clignotait  et  jetait 
des  6clairs  —  sous  ses  sourcils  epais  et  blancs.  —  De 
sa  colere  lecluse  —  a  la  longue  s'arrache,  —  et  I'onde 
a  bouillons  furieux  s'^lance  dans  la  rivi6re : 


208  MlRfelO,  CANT  VII. 

—  A  rosoun,  o,  ta  maire !  parte, 

E  que  Taurige  liuen  s'esvarte ! . . . 
Mai  noun,  deinouraras,  veses?. . .  Quand  saubrieii 

De  t'estaca  'm6  lis  enferri, 

E  dete  metre  i  narro  un  ferri, 

Couinc  se  fai  a-n-un  giinerri ; 
Veguesse-ieu  subran  toumba  lou  fio  de  Dieu ! 

De  facharie  niorno  e  malauto, 

Veguesse-ii'ii  foundre  ti  gauto, 
Coumela  neu  di  colo  a  Tuscle  dou  soul6u! 

Mir^io !  coume  aquelo  graso 

Dou  fougueiroun  porto  la  braso  ; 

Coume  lou  Rose,  quand  s'arraso, 
Fau  que  desbounde,  e  ve!  coume  ac6  *s  un  cab'ni, 

Rapello-te  de  ma  paraulo  : 

Lou  veiras  plus ! . . .  E  de  la  taulo 
Em'  un  grand  cof)  de  poung  destrantraio  Tamplonr. 

Coume  I'eigagno  sus  li  berlo, 

Coume  un  rasin  que  si  pouperlo 

Plovon  k  Tauro,  perlo  a  perlo 
MirMoentanterin  escampavo  si  plour. 

—  Quau  m*a  pas  di,  malavalisco  1 

Reprenlou  viei,  bret  de  la  bisco, 
Ambroi,  quaum'a  pasdique  vous,  vous,  Meste  Ambroi, 

Agii^s,  *me  voste  tantalori, 

Enlrepacha  dins  vosto  bori 

Aquel  infame  raubat6ri ! . . . 
L*endignacioun,  aquest,  I'enaure  toutrevoi. 


I 


MIREILLE,  CHANT  VII.  201) 

—  «  Elle  a  raison,  oui,  ta  more !  pars,  —  et  que 
Fouragan  loin  se  dissipel...  —  Maisnpn,  lurcsteras, 
vois-tu?. . .  Saurais-je  —  de  t'attacher  avec  les  entra- 
ves,  —  et  de  te  mettre  aux  narines  iin  fer,  — -  commc 
on  fait  k  un  jumart;  —  verrais-je  subitemeiit  tomber 
le  feu  du  del ! 


«  De  f^clierieinorneetmalade, — verrais-je  fondre 
tes  joues,  —  comme  la  neige  des  collines  au  hale  du 
soleil!  —  Mireille!  coiiinie  cette  dalle  — portela 
braise  du  foyer;  —  coinme  le  Rhdne,  coiiible  (par  les 
pluies),  —  forceincnt  deborde;  et  vois!  comme  cela 
est  une  lampe,     . 


u  Souviens-toi  de  ma  parole  :  —  tu  ne  le  verras 
plus!...  »  Etde  la  table  —  par  un  grand  coup  de 
poing  il  fait  trembler  I'ampleur.  —  Comme  la  rosee 
sur  les  berles,  —  comme  une  grappe  dont  les  grains 
trop  murs  —  pleuvent  au  vent,  perlea  perle,  —  Mi- 
reille, en  meme  temps,  repandait  ses  larmes. 


—  « Qui  rn'ossurey  malediction !  —  reprend  le  vieil* 
lard,  begue  de  colore,  —  Ambr>)ise,  qui  m'assure  que 
vous,  vous,  Maitre  Ambroise,  —  n  ayez  point,  avec 
votregredin, — machin6  dans  voire  hutte — ce  rapt 
inf^me!  » — L'indignation  soulcva,  chez  celui-ci,  la 
vigueur  d'autrefois* 


500  MIRfilO,  CANT  VII. 

—  Ilalan  de  Dieu !  cridfe  tout-d*iino, 

Se  I'avcn  basso,  la  fourtuno, 
Vuei  aprenes  de  ieu  que  pourtan  lou  cor  aut ! 

Que  sache  encaro,  n'es  pas  vice 

La  paureta,  nimai  brutice! 

Ai  quardnto  an  de  bon  service, 
De  service  k  Tarmado,  au  son  di  canoun  rau ! 

Just  manejave  uno  partego, 

Que  sieu  parti  de  Yalabrego 
P^r  m6ssi  de  veiss^u.  Emplana  sus  la  mar, 

Sus  la  mar  tempestouso  o  Undo, 

Ai  vist  I'empdri  de  Melindo, 

Erne  Sufren  ai  treva  Undo, 
b],  inai  que  la  marino,  agu  de  joor  amar! 

S6udard  pereu  di  gr&ndi  guerro, 

Ai  bani'ula  touto  la  terro, 
Em'  aquel  aut  guerri^  que  mounts  dou  Hiejour, 

E  permen^  sa  man  destrilici 

De  TEspagno  k  Termas  di  Russi ; 

E  coume  un  aubre  de  perussi 
Lou  mounde  s'esp6ussavo  au  brut  de  si  tambour ! 

E  dins  i'ourrour  dis  arrambage, 

E  dins  Tangouisso  dinaufrage, 
Li  riche,  per  ac6,  n'an  jamaifa  ma  part! 

E  ieu,  enfant  de  la  pauriho, 

16u  que  n  avieu  dins  ma  patrio 

Pas  un  terroun  k  planta  riho, 
Per  elo,  quaranto  an,  ai  matrassa  ma  car ! 


MIREILLE,  CHANT  VII.  501 

—  «  Malheur  de  Dieul  s'6cria-t-il  soudain,  —  si 
nous  avons  la  fortune  basse,  —encejour  apprenez 
de  moi  que  nous  portonsle  coeur  haut  I  —  Que  je  sa- 
che  encore,  elle  n'esl  point  vice  —  la  pauvrete,  ni 
souillure.  —  J'ai  quarante  ansde  bon  service,  —  de 
service  iTarmee,  au  son  des  canons  rauques! 


«  A  peine  maniais-je  une  gaffe,  — je  suis  parli  de 
Valabregue,  —  mousse  de  vaisseau.  Perdu  sur  les 
plaines  de  la  mer,  —  de  la  mer  tempetueuse  ou  lim- 
pide,  —  j'ai  vu  Terapire  de  M61inde,  —  j'ai  hante 
rinde  avec  Suffren,  —  et  eu  des  jours  plus  amers  que 
la  mer ! 


(( Soldat  aussi  des  grandes  guerres,  —  j*ai  parcouru 
tout  Tunivers,  —  avec  ce  haut  guerrier  qui  monta 
du  Midi ,  —  et  promena  sa  main  destructrice  —  de 
FEspagne  aux  steppes  russes ;  —  et,  tel  qu'un  arbre 
de  poires  sauvages,  —  au  bruit  de  ses  tambours  se 
secouaitle  mondel 


«  Et  dans  Thorreur  des  abordages,  —  et  dans  I'an- 
goisse  des  naufrages,  —  Ics  riches,  malgr^  tout, 
n  ont  jamais  fait  ma  part !  —  Et  moi,  enfant  du  pau- 
vre,  —  moi  qui  n  avais,  dans  ma  patrie,  —  pas  un 
coin  de  terre  ou  planter  le  soc,  —  pour  elle  quarante 
ans  j*ai  harasse  ma  chair ' 


26 


302  MIRfciO,   CANT  VII. 

E  couchavianli  la  plouvino, 

E  manjavian  que  de  canino ! 
E  jalous  de  mouri,  courriaii  au  chapladis, 

P^r  apara  lou  iioum  de  Franco... 

Mai,  d'acd,  res  n'a  remeinbranco ! 

En  acabant  sa  remoustraiigo, 
Per  lou  mas  bandiguesajargo  de  cadis. 

—  Qu'anas  bousca  vers  Mount-de-Vergue 
Lou  Sanl-Pieloun?  —  lou  vifeirouergue 

Rambaio  coume  eico  Mesle  Ambroi,  —  emai  ieu 
Ai  ausi  Torre  Iron  di  boumbo 
Di  Toulounen  clafi  la  coumbo ; 
D'ArcoIo  ai  vist  lou  poni  que  toumba, 

E  li  sablas  d'Egito  embuga  de  sang  vieu ! 

Mai,  de  retour  d'aqu61i  guerro, 

A  fouire,  abourjouna  la  terro 
Nous  sian  mes  coume  d'onie,  h  se  desmesoula, 

De  ped  e  d'ounglo !  La  journado 

Ero  avails  Taubo  eiitamenado, 

E  la  luno  di  vesprenado 
Nous  a  vist  mai  d'un  cop  sus  la  trenco  gibla  I 

Dison  :  La  terro  es  abelano! 
Mai,  coume  un  aubre  d'avelano^ 

En  quau  noun  la  tabasso  a  grand  cop,  dono  ren ; 
E  se  couratavon,  destre  a  destre, 
\A  moutihoun  d'aqu^u  ben6stre 
Que  moun  travai  me  n'a  fa  m^stre, 

Goumtarien  li  degout  de  moun  front  susarent ! 


MIREILLE,  CHANT  VU.  503 

«  Et  nous  couchions  sous  le  givre,  —  et  no  man- 
gions  que  du  pain  de  chien;  —  et,  jaloux  de  moii- 
rir,  nous  courions  au  carnage  —  pour  defendre 
le  nom  de  France!...  —  Mais,  decela  nul  n'a sou- 
venir !  »  —  En  achevant  sa  remontrance,  —  par  la 
ferine  il  jeta  son  rnanteau  de  cadis. 


— «  Qu'allez-vouscliercher  vers  Monl-de-Yergue  *^ 
—  le  Sainl-Pilon  **?  le  vieux  grondeur  —  ainsi  rem- 
barre  Maitre  Ambroise,  —  et  moi  aussi  j'ai  entendu 
Hiorrible  tonnerre  dcs  bombes,  —  emplir  la  vallee 
des  Toulonnais;  —  d'Arcole  j'ai  vu  le  pont  qui 
tombe,  —  et  les  sables  d'Egypte  combuges  de  sang 
vivant ! 

((  Mais,  au  retour  de  ces  guerres,  —  k  fouir,  k  bou- 
leverser  le  sol  —  nous  nous  mimes  comme  des  hom- 
mes,  (au  point)  de  nous  s6cher  la  moelle,  —  depied 
et  d'ongles!  La  journee  —  s'entamait  avant  I'aube,  — 
et  la  lune  des  soir6es  —  nous  a  vus  plus  d'une  fois 
ployes  sur  la  houe. 


«  On  dit  :  Laterre  est  gSnereuse !  —  mais,  telle 
qu'un  arbre  d'avelines,  —  k  qui  ne  la  frappe  a  grands 
coups,  elle  ne  donne  rien  ;  —  etsi  Ton  comptait,  pas 
k  pas  **,  —  les  mottes  de  lerre  de  cette  aisance,  — 
que  mon  travail  m*a  conquise,  —  on  compterait  les 
gouttes  de  sueur  qui  out  ruissele  de  mon  fiont! 


304  1IIRt:iO.  CAI9T  VII. 

Santo  Alio  d*At !  pi^i  fau  r^n  dire! 
Aurai  adounc,  coume  un  satire, 

Rtislica  de  countunio,  e  manja  mi  grapie. 
Per  qi\k  Toustau  lou  vieure  abounde, 
P^r  que  de  longo  se  i*apounde, 
P6r  me  metre  a  Tounour  d6u  mounde, 

Piei  dounarai  ma  fiho  a-n-un  gus  de  pai6 ! 

Anas-vous-en  au  Iron  de  Di^une ! 
Gardo  toun  chin,  garde  moun  cienno. 

Tau  fugue  d6u  pelot  lou  parla  rabastous. 
E  I'autre  viei,  s^aussant  detaulo, 
Prengu6  sa  jai^o  emie  sa  gaulo, 
E  n'apound^  que  dos  paraulo : 

Adessias !  Quauque  jour,  noun  fugues  regrelous  I 

E  lou  grand  DiMi  eme  sis  ange 

Menefa  barco  e  lis  arangel... 
E  coume  s'enanavo  em6  lou  jour  fall, 

Souto  lou  vent-lerrau  que  bramo, 

Baneje  d6u  mouloun  de  ramo 

lino  longo  lengo  de  fiamo. 
Au  tour,  li  meissouni^,  de  joio  trefouli, 

Em6  si  t6slo  fiero  e  libro 

Se  revessant  dins  T^r  que  vibro, 
TiHili,  d*un  meme  saul  picant  la  terro  ensSn, 

Fasten  deja  la  farandoulo. 

La  grand  flamado,  que  gingoulo 

Au  revoulun  que  la  ventoulo, 
Empuravo  k  si  front  de  rebat  trelus^nt. 


MIREILLE.  CHANT  VII.  505 

«  Sainle  Anne  d'Apt!  el  il  faut  se  taire!  —  J'aurai 
done,  commeun  satyre",  —  ahane  sans  reUche 
aux  travaux  des  champs,  et  mange  mcs  criblures, — 
pour  qu*^  la  maison  enlre  I'abondance, — pourTaug- 
menter  sans  cesse,  —  pour  me  mettre  h  Thonneur 
du  monde ;  —  puis,  je  donnerai  ma  fille  k  \\n  gueux 
(couchant)  aux  meules ! 

«  Allez  au  tonnerre  de  Dieu !  —  Garde  ton  chien, 
je  garde  mon  cygne.  »  —  Tel  fut  du  mailre  le  rude 
parler. —  L  autre  vieillard,  se  levant  de  table,  —  prit 
son  manteau  et  son  bliton,  —  et  n'ajouta  que  deux 
paroles  :  —  c  Adieu !  quelque  jour,  n'ayez  point  de 
regrets! 


«  Et  (que)  le  grand  Dieu  avec  ses  anges  —  m6ne  la 
barque  et  les  oranges !  »  —  Et  corame  il  s'en  allait 
avec  le  jour  tombant,  —  sous  le  mistral  qui  mugit, 
—  (pareille  a  une)  corne,  s'61eva  du  monceau  de  ra- 
m6e  —  une  longue  langue  de  flarame.  —  Alentour, 
les  moissonneurs,  fous  de  joie, 


Avec  leurs  t^tes  fibres  et  libres  —  se  renversant 
dansl'air  vibrant,  — tons,  dun  m6me  saut frappant 
la  terre  enisemble,  —  faisaient  deji  la  farandole.  — 
La  grande  flamme,  qui  glapit  —  sous  la  bourrasque 
qui  I'agile,  —  atlisait  sur  leurs  froftts  des  reflets 
^clatanls. 


26. 


3(M>  MIRfelO,  CANT  YII. 

Li  beliigo,  h  remoulinado, 

Mounton  i  nivo,  afurounado. 
An  crucimen  di  trounc  toumbant  dins  Ion  brasas, 

Se  mesclo  e  ris  la  musiqneto 

D6u  flaiutet,  revertigueto 

Coume  un  sausin  dins  1i  branqueto... 
Sant  Jan,  la  terro  aprens  trefonlis,  quand  passas! 

La  regalido  petejavo ; 

Lou  tambourin  vounvounejavo. 
Gren  e  countinuous,  coume  lou  jafaret 

De  la  mar  founso,  quand  afloco 

Pasiblamen  contro  li  roco. 

Li  lamo  foro  di  bedoco 
E  brandussado  en  I'er,  li  dansaire  mourel, 

Tres  fes,  k  grdndis  abrivado, 

Fan  dins  H  fiamo  la  Bravado ; 
E  font,  en  trepassant  lou  rouge  cremadou, 

D*un  r^st  d'aiet  trasien  li  veno 

Au  recali^u ;  e,  li  man  pleno 

De  trescalan  e  de  verbeno, 
Que  fasien  benesi  dins  lou  fio  purgadon  : 

Sant  Jan!  Sant  Jan!  Sant  Jan!  cridavon. 

T6uti  li  colo  esbrihaudavon, 
Coume  s'avie  pl6ugu  d'estello  dins  Toumbrun ' 

Enterin  la  rounflado  folo 

Empourtavo  Tencens  di  colo 

Em6  di  fio  la  rougeirolo 
Vers  lou  Sant,  emplana  dins  lou  blu  calabrun. 


MIREILLE,  CHANT   VII.  U)l 

Les  elincolles,  h  lourbillons,  —  montent  aux  nues, 
furibondes.  —  Au  craquement  des  troncs  toiul)ant 
dans  le  brasier,  —  se  nri^le  ei  rit  la  petite  musique 
—  du  galoubet,  vive  et  folAtre  —  comme  un  friqiiel 
dans  les  rameaux...  —  Saint  Jean,  la  terre  enceinte 
tressaille,  quand  vous  passez ! 


Le  feu  joyeux  petillait ;  —  le  tambourin  bour- 
donnait,  —  grave  et  conlimi,  comine  le  inurmure 
—  de  la  mer  profonde,  quand  elle  bat  —  paisiblo- 
ment  centre  les  rochos.  —  Les  lames  hors  des  fonr- 
reaux  —  et  brandies  dans  les  airs,^  les  danseurs 
bruns, 


Troisfois,  avec  de  grands  61ans,  —  font  dans  les 
flammes  la  Bravade  **.  —  Et  tout  en  franchissant 
le  rouge  foyer,  —  d'une  tresse  d*aulx  ils  jelaient  les 
gousses  —  dans  la  braise;  et,  les  mains  pleines — de 
mille-pertuis  et  de  verveine,  —  qu'ils  faisaient  benir 
dans  le  feu  pnrificateur : 


«  Saint  Jean !  Saint  Joan  i  Saint  Jean !  »  s'ecriaient- 
ils.  —  Tontes  les  collines  etincelaient,  —  comme  s*il 
avait  pin  des  etoiles  dans  i'ombre !  —  Cependant 
la  rafale  folle  —  emportait  I'encens  des  collines  — 
et  la  rouge  liieur  des  fenx  —  vers  le  Saint,  planant 
dans  le  bleu  crepuscule. 


NOTES 


DU  CHANT  SEPTIEME. 


*  Tortillade  [tourtihado)^  gateau  en  forme  de  coiironne,  fait  de 
fine  pate,  de  sucre,  d'oeufs  el  d'anis. 

*  Pninelle  {agreno)^  fruit  du  prunellier. 

*  Cest  lit  I  ctuf  de  la  Poule  blanclie  :  expression  proverbiale, 
pour  dire  une  chose  rare,  precieuse,  a  laquelle  on  tient  beaucoup 
Les  sorciers  allaient  avec  une  poule  blaucbc  aux  carrefoui^,  au 
clair  de  lune,  et  ^voquaienl  le  diable  par  ce  cri  trois  fois  r^p^t^  : 


NOTES  DU  CHANT  VIT.  309 

Pir  la  vertu  de  ma  pirnlo  bianco  !Jn\4ns\j  en  parlant  d'unhommo 
heureux,  dit :  Gallinx  fUim  albas. 

*  Lucre  (lucre) j  tarin  de  Provence  [fringilla  spinus,  Lin.),  oi- 
seau  d'un  beau  jaune  et  dont  le  chant  agr^able  a  passe  en  prc- 
verbe. 

*  Doigtiers  [dedau],  doigliers  de  roseau  que  les  moissonneurs 
adapt ent  aux  doigts  de  leur  main  gauche,  afin  de  ne  pas  se  bles- 
ser  avec  la  faucille. 

®  H^mine  (dmino),  boisseau.  —  nominee  (eiminado),  mesuro 
de  superficie,  8  ares  75,  variable  selon  les  pays, 

'  Gachat  [cachat],  fromage  petri  qui  acquiert  par  la  fermenla- 
liou  un  goAt  excessivement  piquant.  Ce  mets  figure  journellement 
sur  la  table  des  valets  de  ferme,  ou  rd/l. 

s  Les  jours  n^fastes  de  la  Vache,  vulgaireraent //  Vaqtieiri^u. 
Ce  sont  les  trois  demiers  jours  de  mars  et  les  quatre  premiers 
d'avril,  p^riode  redout^e  des  pay  sans.  On  a  vu,  dans  la  note  7  dii 
Chant  VI,  ce  que  les  ProvenQaux  entendent  par  la  Vieille.  Voici 
la  suite  .de  ce  fabliau  : 

Quand  la  Vieille  eut  perdu  son  troupeau  de  brehis,  elle  achela 
des  vaches;  et,  arriv^e  sans  encombre  a  la  fin  du  mois  de  mars, 
clle  dit  imprudemment  .  i 

En  eseapant  de  Mars  e  de  Mars^ii, 
Ai  escapa  ini  vaco  e  nu  vedeu. 

Mai's,  bless^  du  propos,  va  sur-le-champ  trouver  Avril 

Abri^u,  n*ai  plus  que  tres  jour  :  presto-me-n'en  quatro, 
Li  vaco  de  la  Vidio  faren  batre ! 


Avril  consenlit  au  pr^t...;  une  tardive  et  terrible  gel^ebrouit 
tonle  vegetation,  et  la  pauvre  Vieille  perdit  encore  son  troupeau. 

•  Noel  est  la  prmcipale  f6te  des  Provengaux.  En  voici  une  des- 
cription qui  primitivcment  faisait  parlie  du  po^me,  ct  que  laii- 
teur  a  supprim^e  pour  eviter  les  longueurs : 


'»I0  NOTES  DU  CHANT  Vlf. 


Ah !  Galendo,  GalSndo,  ounte  di  ta  doiigo  pas? 

Ounte  soun  li  caro  risento 

Dis  enfantoun  e  di  jouvento  ? 

Ounte  ei  la  man  rufo  e  mouv^nto 
Dou  viei  que  fai  la  crous  dessus  lou  sant  repas! 

A  lor  lou  rafi  que  labouro 

Quito  la  rego  de  bono  ouro, 
E  tanto  e  pastrihoun  patusf^Ion,  deligent; 

D6u  dur  travel  lou  cors  escapi. 

Van  a  soun  oustaloun  de  tapi 

Eine  si  gent  manja  "n  gre  d'api 
E  pausa  gaiamen  cachafio  'me  si  gent. 

D6u  four,  BUS  lo  taulo  de  pibo, 

Deja  lou  calendau  arribo, 
Flouca  de  verbouisset,  festouna  de  fagoun ; 

Deja  s'atubon  tres  candelo, 

Novo,  sacrado,  clariuello, 

E  dins  Ires  blanquis  escudello, 
Greio  lou  blad  iiouveu,  preniicio  di  meissoun. 

Un  grand  pirastre  negrejavo 
E  d6u  vieiounge  tranlraiavo,.. 

LVinat  de  Touslau  ven,  lou  cepo  per  lou  ped, 
A  grand  cop  de  destrau  Fespalo, 
E,  lou  cargant  dessus  Tespalo, 
Contro  la  taulo  calendalo 

\e\\  i  ped  de  soun  grand  lou  pausa  'me  respet. 

Lou  segne-grand,  de  gen  de  modo, 

Vou  renouncia  si  vieii  raodo  : 
A  Iroussa  lou  davans  de  soun  ample  capeu, 

E  vai,  couchous,  querre  la  fiolo; 

A  mes  sa  longo  camisolo 

De  cadis  blanc,  e  sa  taiolo, 
E  si  braio  nouvialo,  e  si  gueto  de  peu. 


NOTES  DU  CHANT  Vll.  311 


Ah  I  Noel,  Noel,  ou  est  ta  douce  paix?  —  Ou  sonl  les  vi- 
sages Hants  —  des  petits  eniknts  et  des  jeunes  lilies?  —  Oii 
est  la  main  calleuse  et  agitee  —  du  vieillard  qui  fait  la  croix 
surle  saint  repas? 


Mors  le  valet  qui  laboure  —  quitte  Je  silloii  de  bonne 
heure,  —  et  servantes  et  bergers  decampent,  diligents.  —  Le 
corps  echappe  au  dur  travail,  —  ils  vont,  a  leur  maisonnette 
de  pise,  —  avec  leurs  parents  manger  un  coeur  de  celeri  — 
et  poser  gaiemenl  la  budie  (au  feu)  avec  leurs  parents. 


Du  four,  sur  la  table  de  peuplier,  —  deja  le  (pain)  de  i\oel 
arrive,  —  orne  de  petit-houx,  festonne  d'enjolivures.  —  Deja 
s'allument  trois  chandelles,  —  neuves,  claires,  sacrees,  —  et 
dans  trois  blanches  ^cuelles  —  germe  le  ble  nouveau,  pre- 
mices  des  moissons. 


Un  noir  et  grand  poirier  sauvage  —  chancelait  de  vieil- 
lesse...  —  L'aine  de  la  maison  vient,  le  coupe  par  le  pied.  — 
a  grands  coups  de  cognee  Febranche,  —  et  le  chargeant  sur 
Tepaule,  —  pr^s  de  la  table  de  Noel,  —  il  vient,  aux  pieds  de 
son  aieul,  le  deposer  respectueusement. 


Le  venerable  aieul,  d'aucune  maniere,  —  ne  veut  renoncer 
a  ses  vieilles  modes.  —  II  a  retrousse  le  devjint  de  son  ample 
chapeau,  —  et  va,  en  se  hAlant,  chercher  la  bouteille.  —  II  a 
mis  sa  longue  camisole  -  de  cadis  blanc,  et  sa  ceinture,  — - 
et  sesbrayes  nuptiales,  et  ses  gu^tres  de  peau» 


312  NOTES  DU  CHANT  VII. 

Mai  pamens  touto  la  famiho 
A  soun  entour  s'escarrabiho... 
—  Beii?  Cachafio  bouUn,  pichot?  —  Si!  vitamen 
Tduti  ie  respondon.  —  AUgre! 
Grido  lou  viei,  aligre,  alegre! 
Que  Noste  Segne  nous  aUgre  I 
S\ui  autre  an  sian  pas  maU  moun  Didu,  fuguen  pas  men ' 

E  'mplissent  lou  got  de  clarelo, 

Davans  la  bando  risoulelo, 
Eu  n'escampo  tres  cop  dessus  Taubre  fruchau ; 

Lou  pu  jouinet  lou  pren  d'un  caire, 

Lou  viei  de  Taulre,  e  sorre  e  fraire 

Enlre-mitan,  ie  fan  piei  faire 
Tres  cop  lou  tour  di  lume  e  lou  tour  de  Touslau. 

E  dins  sa  joio  lou  bon  reire 

Aubouro  en  Ter  lou  got  de  veire  : 
0  fio,  dis,  fio  sacra,  fai  qu'aguen  de  biu  tem ! 

E  que  ma  fedo  bin  agnelle, 

E  que  ma  trueio  ben  poucelle, 

E  que  ma  vaco  bin  vedelle. 
Que  mi  chaio  e  minoro  enfanlon  tduti  ben' 

Cachafio,  bouto  fio !  Tout-d'uno, 

Prenent  lou  Irounc  dins  si  man  bruno, 
Dins  lou  vaste  fougau  lou  jiton  tout  entie. 

Veirias  alor  fougasso  a  Toli, 

E  cacalauso  dins  I'aioli 

Turta,  dins  aqueu  beu  regdli, 
Vin  cue,  nougat  d'amelo  e  frucho  dou  plantie. 

D'uno  vertu  devinarello 

Veirias  lusi  li  tres  candelo ; 
Veirias  d'Esperitoun  giscla  d6u  fio  rainu ; 

D6u  mou  veirias  penja  la  branco 

Vers  aqueu  que  sara  de  manco ; 

Veirias  la  napo  resta  bianco  i 

Souto  un  carboun  ardent,  e  li  cat  resta  rnul ! 


NOTES  DU  CHANT  VII.  313 

Cependant  toute  la  famille  —  autour  de  luijoyeusement 
s'agile...  —  «  Eh  bien!  posons-nous  labikche,  enfanls?  — 
«  Oui !  »  promplement—  touslui  repondent. «  Allegresse!  —  le 
vieillard  s'ecrie,  alUgresse,  allSgresse!  —  que  Nolre-Seigtmir 
nous  emplisse  d'allegresse!  —  etsu  une  autre  annde,  nous 
ne  sommes  pas  plus,  mon  Dieuy  ne  soyons  pas  moins ! 

Et  reraplissant  le  verre  de  clarette,  —  devant  la  troupe 
souriante  —  il  en  verse  trois  fois  sur  Tarbre  fruitier ;  — 'le 
plus  jeune  prend  (I'arbre)  d'un  c6te,  —  le  vieillard  de  I'aulre, 
et  soeurs  et  freres  —  entre  ies  deux,  ilslui  font  faire  ensuile 
—  trois  fois  le  tour  des  lumieres  et  le  tour  de  la  maison. 


Et  dans  sa  joie,  le  bon  aieul  —  el^ve  en  Tair  le  gobelet  de 
verre :  —  «  0  feu,  dit-il,  feu  sacri^  fais  que  nous  ayons  du  beau 
temps !  —  et  que  ma  hrehis  metle  has  keureusement,  —  que 
ma  truie  soit  (dconde,  —  que  ma  vache  vile  bien,  —  que  mes 
firlles  et  mesbrus  enf anient  toutes  bien! 


Bdche  b^nie,  allume  le  feu !  »  Aussilot  —  prenant  le  tronc 
dans  leurs  mains  brunes,  —  ils  le  jettent  enlier  dans  Tatre 
vasle.  —  Vous  verriez  alors  gateaux  a  Thuile,  —  et  escargols 
dans  Vaioli,  —  heurter,  dans  ce  beau  festin,  —  vin  cuit,  nou- 
gat d'amandes  et  fruits  de  la  vigne. 


D'une  vertu  fatidique  —  vous  verriez  luire  Ies  trois  chan- 
delles ;  —  vous  verriez  des  Esprits  jaillir  du  feu  touffu ;  —  du 
lumignon  vous  verriez  pencher  la  branche  —  vers  celui  qui 
nianquera  (au  banquet) ;  —vous  verriez  la  nappe  rester  blan- 
che —  sous  un  charbon  ardent,  et  Ies  chats  rester  muets! 


27 


514  NOTES  DU  CHANT  \II. 

*<>  Suffit  itour  te  s^duire.  —  S'encoucourda  sigiiifie  au  pi-oprc, 
adieter  une  courge  pour  un  meUm;  au  figure  se  tromper,  se  uial 
inarier . 

**  Monl-de-Vergue  (Mount-de-Vergue),  colline  au  levant  d'Avi- 

gllOll. 

**  Le  Saiut-Piloii  (lou  Sani-Pieloun,  le  Saint-Puy),  nom  du  vo- 
clier  k  pic  dans  lequcl  est  creus^  la  grotte  ou  se  retira  sainte 
Magdeleiiie.  (Yoycz  le  Chant  XI.) 

*'  Pas  a  pas  [distre  a  distre).  Le  D^re  est  une  mesui*e  agraire, 
la  ccntienie  parlie  de  VeiininadOy  environ  neuf  cenliafes. 

'^  Connne  un  satyre  [coume  un  Satire).  Pour  dire  travailkr 
comme  un  nigre,  ou  dit  en  Provence  travailler  comme  un  Satyre. 
Iaos  ancieiis  ont  pu  prendre  les  ncgres  sauvages  pour  des  divini- 
teb  des  Ijois  qu'ils  nommerent  salyres,  et  dans  Tespiit  du  peuplc, 
ces  deux  mots  ont  pu  devenir  synonymes. 

'^  Bravade  [Bravado],  decbarges  de  luousqueterie  qu'on  faisait 
autrefois  au  moment  d'alluniei'  ie  feu  de  la  Saint-Jean,  et,  par 
extension,  ceremonies  \  reliminaires  et  saut  de  cc  feu. 


C\M  VCrXHEN 

L\    CRAI 


DeMsperanco  d^  Viivio.  —  Atrencadoro  d'Arlatenco.  —  La  chalo,  au 
mitan  Ae  la  niup,  futfis  roustaa  pairau.  —  Vai  aa  toambeu  di 
^^nti-Nario,  que  soiin  li  patroono  de  ProoT^noo,  U  suplica  de 
lonra  si  parent.  —  Lis  Ensi'mi'.  —  Tout  en  conrrent  a  trarfe  de 
Crao,  rescontro  li  pastrc  de  soiin  paire.  —  La  Cran.  U  guerro  di 
r.i^anl.  —  Li  rassado,  li  prt'';;o-nieu  d'estoublo,  li  parpaioun, 
avertisson  Mir^io.  —  Nireio,  badanto  de  la  sei,  e  n*«i  poudent 
plus  de  la  cand ,  pr^^o  sant  G^t,  que  ven  i  soun  secours.  — 
Bescontre  d'Andreloun,  lou  cacalausi^.  —  Eloge  d'Arle.  —  Recit 
d'Andreloun  :  istori  doo  Trau  de  la  Capo,  li  canco,  li  caucaiiie 
aprouroundi.  —  ^ireio  coiicho  au  tihan^n  de  la  ramilio  d*Antlre< 
loun. 


Quau  tendra  la  forto  leiouno, 
Quand,  de  retour  i  soun  androuno, 

Vei  phis  soun  leioun^u?  Ourlanto  sus-lou-cop, 
Lougiero  e  primo  de  ventresco, 
Sus  li  mountagno  barbaresco 
Pafusclo....  Un  cassaire  mouresco 

Entre  lis  argelas  i'emporto  au  grand  galop. 

Quau  vous  lendra,  fiho  amourouso  ?. . . 
Dins  sa  chambreto  souloumbrouso 

Mounte  la  niue  que  briho  esperlongo  soun  rai, 
Mir^io  es  dins  soun  lie  couchado 
Que  plouro  toulo  la  niuechado, 
Em6  souii  front  dins  sa  junchado  : 

—  Noslro-Damo-d'Amour,  digas-me  que  farai ! 


CHANT  HUITIEME 

h\  CRAIJ 


D^sespoir  de  Mireille.  —  Toilette  d'Arl^sienne.  —  la  jeune  fllle,  au 
milieu  de  la  nuit,  fuit  la  maison  patciTielle.  —  Elle  va  au  toin- 
beau  des  Saintes-Maries  supplier  ces  patronues  de  la  Provence  de 
fl^chir  ses  parents.  —  Les  constellations.  —  Dans  sa  course  &  tra- 
vers  la  Crau,  elle  rencontre  les  bergers  de  son  p^re.  —  La  Crau» 
la  guerre  des  Geants.  —  Les  l&sards,  .les  mantes  religieuses,  les 
papillons  avertissent  Mireille.  —  Mireille  haletante  de  soif,  acca- 
bleeparla  chaleur  du  jour,  implore  saint  Gent,  qui  la  secourt. — 
Rencontre  d'Andreloun,  le  ramasseur  de  lima^ons.  —  Eloge 
d 'Aries.  —  B6cit  d'Andreloun  :  legendc  du  Trou  de  la  Cape,  le 
fonlage  das  gerbes ,  les  fouleurs  engloutis.  —  Mireille  passe  la 
niiil  sous  la  tente  de  la  famille  d'Andreloun. 


Qui  tiendra  la  forte  lionne,  —  quand,  de  retour  a 
son  antre,  — elle  ne  voit  plus  son  lionceau?  Hur- 
lanle  soudain, —  legere  et  efflanqu6e,  —  sur  les  mon- 
tagnes  barbaresques  —  elle  court...  Uii  chasseur 
maure  —  dans  les  genets  epineux  le  lui  einporte  au 
grand  galop. 


Qui  vous  tiendra,  fiUes  amoureuses?...  —  Danssa 
chambrette  sombre,  —  ou  la  nuit  qui  brille  prolonge 
son  rayon,  —  Mireille  est  dans  son  lit  couch^e  — 
qui  pleure  toute  la  nuitec,  —  avee  son  front  dans  ses 
mains  jointes  :  —  «  Notre-Danie  d*Amour,  dites-inoi 
ce  que  je  dois  faire ! 


27. 


.^18  MIREIO,  CANT  VIII. 

0  inarrit  soil  que  m'estransines  ! 

0  paire  diir  que  me  chaupines, 
Sp  vp8i6s  de  moun  cor  Testras  e  loii  counibour, 

Auries  piela  de  ta  piclioto ! 

I^u  qu'apelaves  ta  mignoto, 

Me  courbes  vuei  souto  la  joto, 
Coume  sere  un  fedoun  atrinable  au  labour ! 

All !  perque  noun  la  mar  s*enverso, 

E  dins  la  Grau  lar^o  sis  erso ! 
Gitio,  veirieu  prefoundre  aqu^u  b6n  au  souleu, 

Soulo  encauso  de  mi  lagremo ! 

0  perqu6,  d  uno  pauro  femo, 

Perque  nasquere  pas  ieu-raerao, 
Dins  quauque  trau  de  serp !...  Alor,  alor,  beleu, 

S'un  paure  drole  m'agradavo, 

Se  Vincenet  me  demandavo, 
I/'U-leu  sarieu  chabido  !...  0  moun  b^u  Vincenet, 

Mai  qu'em6  tu  pousqu^sse  vieure, 

E  I'embrassa  coume  fai  I'eurre, 

Dins  li  roudan  anari^u  b^ure  ! 
Lou  nianja  de  ma  fam  sari^  ti  poutounet ! 

E  coume,  ansin,  dins  sa  bressolo, 

La  bello  enfant  se  descounsolo, 
Lou  sen  brulant  de  febre  e  d'amour  femissent ; 

De  si  proumi^ris  amoureto 
1  Coume  repasso  lis  oureto 

E  li  passado  lant  clareto, 
le  reven  loul-d'un-cop  un  counseu  de  Vinc6n  ; 


MIREILLE,  CHANT  VIII  519 

«  0  sort  cruel,  qui  me  seches  d'ennuis !  —  0  pero 
dur  qui  me  foules  aux  pieds ,—  si  tu  voyais  de  mon 
coeur  le  dechirement  et  le  trouble,  —  tu  aurais  piti^ 
de  ton  enfant !  —  Moi  que  tu  nommais  ta  mignonne, 

—  tu  me  courbes  aujourd'hui  sous  le  joug,  — 
comme  si  j'etais  un  poulain  qu*on  peut  dresser  an  la- 
bour ! 

((  Ah  I  que  la  mer  ne  d6borde-t-elle,  —  et  dans  la 
Crau  que  ne  lAche-t-elle  ses  vagues  ^  —  Joyeuse,  je 
verrais  s*engloutir  ce  bien  au  soleil,  —  seule  cause 
de  mes  lannes!  —  Ou  pourquoi,  d'une  pauvre 
femme,  —  pourquoi  ne  suis-je  pas  nee  moi-meme, 

—  dans  quelque  trou  de  serpent!...  Alors,  alors, 
peut-Mre, 

«  Si  un  pauvre  gar^on  me  plaisait,--si  Vincent  de- 
mandait  (ma  main), —  vite,  vite  on  me  marierait!... 
0  mon  beau  Vincent,  —  pourvu  qu'avec  toi  je  pusse 
vivre,  -  et  t'embrasser  comme  fait  le  lierre, — dans  les 
ornieresj'irais  boire  ! — Le  manger  de  ma  faim  seraif 
tes  (doux)  baisers!  » 


Et  pendant  qu'ainsi,  dans  sa  couchette,  —  labellt; 
enfant  se  d^solo,  -le  sein  brAlant  de  fi^vre  et  fremis- 
sant  d'amour, — des  premiers  (temps)  de  ses  amours 

—  pendant  qu*elle  repasse  les  (charmanles)  heures 

—  et  les  moments  si  clairs,  —  lui  revient  lout  d'un 
coup  un  conseil  de  Vincent ;    - 


5S0  VIRfilO,  CANTVni. 

—  0,  crido,  un  cop  qu  au  mas  vengu^res 
Es  b^n  lu  que  me  lou  digu^res  : 

Sun  chin  foui,  un  lesert,  un  loup  o  'n  serpatas, 
0  touto  autro  best!  courrento 
Vous  fai  senti  sa  d^nt  pougn^nto ; 
Se  lou  malur  vous  despoui^nlo^ 

Counts,  courresi  Santo,  aur6s  I6u  do  soulas  ! 

Vuei  lou  malur  me  despoul^nto, 
Pflrten  I  N'en  revendren  countento 

Ac6  di,  sauto  l^u  de  soun  blanc  lincoulet ; 
Em6  la  clau  lus^nto,  duerbe 
Lou  gardo-raubo  que  recuerbe 
Soun  prouvimen,  moble  superbo, 

De  n6uguie,  tout  flouri  souto  lou  ciselet. 

Si  Iresouroun  de  cbatouneto 

Eron  aqui  :  sa  courouneto 
De  la  proumiero  fes  que  fague  soun  bon  jour; 

Un  brout  de  lavando  passido; 

Uno  candeleto,  gausido 

Quasimen  loulo,  e  benesido 
P^r  esvarta  li  Iron  dins  la  soumo  liuenchour, 

Elo,  em6  *no  courdello  bianco, 

D'abord  se  nouso,  au  tour  dis  anco, 
Un  rouge  coutihoun,  qu'elo-memo  a  pica 

D'uno  fino  carreladuro, 

Mereviheto  de  courduro ; 

E  sus  aqu^u,  k  sa  centuro, 
Un  anlreben  plus  b^u  os  leu  mai  alrenca. 


MIREILLE,  CHANT  VIII.  321 

— «  Oui,  s'ecrie-l-elle,  un  jour  que  tu  vins  au  maSy 

—  c'est  bien  toi  qui  me  le  dis  :  —  «  Si  (jamais)  un 
chien  enrag6,  un  16zarci,  un  loup  ou  un  serpent 
enorme,  —  ou  toute  autre  b^te  errante,  —  vous  fait 
sentir  sa  dent  aigue ;  —  si  le  malheur  vous  accable, 

—  courez,  courez  aux  Saintes  *,  \ous  aurez  tot  du  sou- 
laffement!  » 


rij^c 


((  Aujourd'hui  le  malheur  m'accable,  —  partons  ! 
nous  en  reviendrons  contente. » —  Cela  dit,  elle  saute, 
legere,  de  son  (petit)  drap  Wane  ;  —  elle  ouvre  avec 
la  clef  luisante,  —  la  garde-robe  qui  recouvre  —  son 
trousseau,  meuble  superbe,  —  de  noyer,  tout  fleuri 
sous  le  ciselet. 


Ses  petits  tresors  de  jeune  fille  —  etaient  la :  sa 
couronne — de  la  premiere  fois  qu'elle  fit  son  bon  jour ; 

—  un  brin  de  lavande  fletrie  ;  — un  (petit)  cierge,  use 

—  presque  en  entier,  et  b6nit  —  pour  dissiper  les 
foudres  dans  le  sombre  eloi^nement. 


Elle,  avec  un  lacet  blanc,  —  d'abord  se  noue  au- 
lourdes  hanches — un  rouge  cotillon,  qu'elle-m^me  a 
piqii6  —  d'une  fine  (broderie)  carrelee,  — petit  chef- 
d'oeuvre  de  couture;  — sur  celui-l&,  dun  autre  bien 
plus  beau  lestement  elle  s'attife  encore. 


3K  MTRtlO,  CANT  YIH. 

Pi^i,  dins  uno  ^o  negro,  esquicho 

L6ug6iramen  sa  taio  richo, 
Qu*uno  cspingolo  d  or  suQs  k  ressarra; 

Pfer  treneto  longo  e  brunello 

Soun  p^u  pendoulo,  e  renmantello 

Si  dos  espalo  blanquinello. 
Mai  elo,  n*arrapaiit  li  tracheu  separa, 

L^u  lis  acampo  e  li  restroupo, 

A  plen  de  man  lis  agouloupo 
D*uno  dentello  fino  e  clarelo ;  e  *no  fes 

Li  b^li  floto  ansin  restrencho, 

Tres  cop  poulidamen  li  cencho 

Em'  un  riban  abluio  tencho, 
Diad^mo  arlaten  de  soun  front  jouine  e  fres. 

Met  soun  faudau;  sus  la  peitrino, 

De  soun  fichu  de  mousselino 
Se  croso  a  pichot  pie  lou  vierginen  teissut ; 

Mai  soun  cap^u  de  ProuvenQalo, 

Soun  capeloun  k  grandis  alo 

P^r  apara  li  caud  mourtalo, 
Oublide,  p^r  malur,  de s'en  curbi  lou  su... 

Acd  feni,  Tard^nto  chato 

Pren  k  la  man  si  dos  sabato  ; 
Dis  escali6  de  bos,  s^ns  mena  de  vara!, 

Davalo  d'escoundoun ;  desplanto 

D6u  pourtau  latanco  pesanto  ; 

Se  rccoumando  i  boni  Santo, 
Epart,  coume  lou  v6nt,  dins  la  niue  porlo-esfrai. 


MIREILLE,  CHANT  VIIL  323 

Puis,  dans  une  casaque  noire,  elle  presse  -  16g6re- 
ment  sa  taille  riche,  —  qu'une  epingle  d'or  suffit  a 
resserrer ;  —  par  tresses  iongues  et  brunes  —  ses 
cheveux  pendent,  et  rev^tent  comme  d'un  manteau — 
ses  deux  epaules  blanches.  —  Mais  elle  en  saisit  les 
boucles  ^parses. 


Vite  les  rasseinble  et  les  retrousse, — ipleine  main 
les  enveloppe  —  d'une  dentelle  fine  et  transparente ; 
et  une  Ibis — les  belles  touffes  ainsi  6treintes, — trois 
fois  gracieusement  elle  les  ceint — (fun  ruban  a  teinte 
bleue,  —  diad^me  arl^sien  de  son  front  jeune  et 
frais. 


Elle  met  son  tablier ;  sur  le  sein,  — de  son  fichu  de 
mousseline  —  elle  se  croise  a  petits  plis  le  virginal 
tissu. — Mais  son  chapeau  deProvengale, —  son  petit 
chapeau  k  grandes  ailes  —  pour  defendre  des  mor- 
telles  chaleurs,  —  elle  oublia,  par  malheur,  de  s*en 
couvrirlatete... 


Cela  fiiii,  I'ardente  fille  —  prend  k  la  main  sa 
chaussure ;  —  par  Tescalier  de  bois,  sans  faire  de 
bruit, —  descend  en  cachette ;  enluve  —  la  barre  pe- 
sanle  de  la  porte ;  —  se  recommande  aux  bonnes 
Saintes,  —  et  part,  comme  le  vent,  dans  la  nuit  qui 
effraye. 


524  MIRClIO,  CANT  Ylll. 

(Iro  I'ouro  que  lis  Ensigne 

I  barquejaire  fan  beu  signe. 
lie  TAiglo  de  Sant  Jan,  que  se  ven  d'ajouca, 

I  ped  de  soun  Evangelisto, 

Sus  li  tres  astre  mounte  elo  isto, 

Se  vesi^  trantraia  la  visto ; 
Lou  t^ms  ^ro  seren,  e  sol,  e  'sperluca. 

E  di{is  li  planuro  esielado 

Precepitant  si  rodo  alado, 
Lou  grand  G^ri  dis  Amo,  alin,  d6u  Paradis 

Preiiiij  la  mountado  courouso, 

Em^  sa  cargo  benurouso; 

E  li  mountagno  tenebrouso 
Regardavon  passa  lou  G^rri  vouladis. 

Mir^io  anavo  davans  elo, 
Goume  antan  Magalouno,  aquelo 

Quo  corque  tant  de  terns,  en  plourant,  dins  li  bos, 
Soun  ami  P6ire  de  Prouven^o, 
Qu'eu  empourta  p6r  la  vi6ul6nQ0 
Dis  oundo,  ero  restado  senso. 

I  counflgno  pamens  d6u  terraire  entrefos, 

E  dins  lou  pargue  recampaire, 

I*avie  li  pastre  de  soun  paire 
Qu'anavon  deja  mouse ;  e  d'uni,  'me  la  man, 

Tenant  li  fedo  per  lou  mourre, 

Inraoubile  davans  li  fburre, 

Fasien  tela  lis  agn^u  bourre. 
E  de-longo  entendias  quauco  fedo  bramant 


MIREILLE,   CHANT  VIII.  325 

C'elait  rheure  ou  les  constellations —  aux  nauto- 
niers  font  beau  signe.  —  De  TAigle  de  Saint  Jean*, 
qui  vient  de  se  jucher,  —  aux  pied s  de  son  Evango- 
liste,  —  surles  trois  astres  ou  il  reside,  — on  voyait 
clignoter  le  regard.  —  Le  temps  etait  serein,  et  cal- 
ine,  et  resplendissant  d'6toiles. 


Et  dans  les  plaines  etoilees  —  precipitant  ses  I'oues 
ailees,  —  le  grand  Char  des  Ames,  dans  les  profon- 
deurs  (celestes),  du  Paradis  —  prenait  la  montee 
brillante,  —  avec  sa  charge  bienheureuse  ;  —  et  les 
montagnes  sombres  —  regardaient  passer  le  Char 
volant. 


Mireille  allait  devant  elle,  —  coinnie  jadis  Mague- 
lonne',  celle  —  qui  chercha  si  longlemps,  eploree, 
dans  les  bois,  —  son  ami  Pierre  de  Provence,  —qui, 
emporte  par  la  furour  —  des  flots,  I'avait  laissee 
abandonnee.  —  Cependant  aux  limites  du  terroir 
cultive, 


Et  dans  le  pare  (ou)  se  rassemblent  (les  brebis), 
—  les  p^tres  d(;  son  pere  —  allaient  traire  deja ;  et 
les  uns,  avec  la  main,  —  tenant  les  brebis  par  le  mu- 
seau,  -  immobiles  devant  les  abris-vent,  —  faisaient 
teter  les  agneauxbruns.  —  Et  sans  cesse  on  enten- 
dait  quelque  brebis  b^lant... 


28 


3i6  MIRfilO,  CANT  YIII. 

D'autre  couchavon  li  maniero 
Vers  lou  in6us^ire ;  a  la  sourniero, 

Asseta  su  *no  p^iro,  e  mut  coume  la  niue, 
Di  pousso  gounflo  aquest  tiravo 
Lou  bon  la  caud  :  lou  la  'spiravo 
A  long  raidu,  e  s'aubouravo, 

Dins  li  bord  escumous  d6u  cibre,  k  visto  d*iue. 

Li  chin  eron  coucha,  tranquile ; 
Li  beu  chinas,  Wane  coume  d*ile, 

Jasien  de-long  d6u  cast,  'me  lou  raourre  alounga 
Dins  li  ferigoulo ;  calaumo 
Tout  a  I'enlour,  e  som,  echaumo 
Dins  lou  campas  que  s6nt  qu'embaumo... 

Lou  tems  ero  seren,  e  sol,  e  'sperluca. 

E  coume  un  lamp,  k  ras  di  cledo 

Mireio  passo.  Pastre  e  fedo, 
Gounic  quand  lis  amourro  un  subit  fouletoun, 

S'amoulouneron.  Mai  la  fiho  : 

Erne  ieu,  i  Santi-Mario 

Res  vou  veni,  de  la  pastriho? 
E  davans,  ie  fuse  coume  un  esperitoun. 

Li  chin  dou  mas  la  couneigueroit, 

E  d6u  repaus  noun  boulegueroii. 
Mai  elo,  dis  avaus  frustant  li  cabassoUj 

Es  deja  liuencho  ;  e  sus  li  malo 

Di  panicaut,  di  canfouratOj 

Aqu6u  perdigalet  de  chato 
LandO;  lando !  Si  pedtoucavon  pas  lou  sou.ii 


MIREILLE,  CHANT  YIII.  327 

D'autres  chassaient  les  meres  (qui  n'ont  plus  d'a- 
gneau)  —  vers  le  trayeur  :  dans  Tobscurit^,  —  assis 
sur  une  pierre,  et  muet  comme  la  nuit,  —  des  ma- 
melles  gonflees  celui-ci  exprimait  —  le  bon  lait 
chaud;  le  lait,  Jaillissant — i  longs  traits,  s'elevait 
—  dans  lesbords  6cumeux  de  la  seille,  ^vue  d'oeil. 


Les  chiens  6taient  couch6s,  tranquilles;  —  les 
beaux  et  grands  chiens,  blancs  comme  des  lis,  — 
gisaient  le  long  de  Tenclos,  le  museau  allong6  — 
dans  les  thyms.  Calme  —  tout  alentour ,  et  som- 
ineil,  et  repos  —  dans  la  lande  embaum^e ;  —  le 
temps  etait  serein,  et  calme,  et  resplendissant  d*6- 
toiles. 

Et  comme  un  6clair,  k  ras  des  claies  —  Mireille 
passe  :  patres  et  brebis,  —  comme  lorsque  leur 
'  courbela  tete  un  soudain  tourbillon,  —  s*agglom6r6- 
rent.  —  Mais  la  jeune  fiUe  :  —  «  Avec  moi,  aux 
Saintes-Maries  —  nul  ne  veut  venir,  d'entre  les  ber- 
gers? »  Et  devant  (eux),  elle  fila  comme  un  esprit. 


Les  chiens  du  mas  la  reconnurent,  —  et  du  repos 
ne  boug6rent.  —  Mais  elle,  d«s  ch^nes-nains  frdlant 
les  t^tes,  —  est  d6jA  loin;  et  sur  les  touffes  —  des 
panicauts,  des  camphr6es,  —  ce  perdreau  de  fille — 
vole,  vole !  Ses  pieds  ne  touchaient  pas  le  sol ! 


328  MIREIO,  CANT  VIII. 

Souventi-fes  a  soun  passage, 

Li  courreli  que  dins  I'erbage, 
An  pod  di  reganfeu,  dourraien  agrouniouli, 

De  sa  dourmido  treboulado 

Subran  partieu  k  grand  voulado ; 

E  dins  la  Crau  sourno  e  pelado 
Cridavon :  Courreli!  courreli!  coun^eli! 

Enie  si  peu  lus^nt  d'eigagno, 

L'Aubo,  enlremen,  dela  inountagno 
Se  vesie  pau-S-pau  davala  dins  lou  plan ; 

E  di  calandro  capeludo 

Lou  y6u  cantaire  la  saludo ; 

E  de  TAupiho  baumeludo 
Seniblavo  qu'au  soul^u  se  mouvien  li  calan. 

Acampeslrido  e  secaroiiso, 
L'innienso  Crau,  la  Crau  peirouso 

An  matin  pau-^-pau  se  vesie  destapa; 
La  Crau  antico,  ounte,  di  reire 
Se  li  raconte  soun  de  cr6ire, 
Souto  un  deluge  counfoundeire 

Li  Giganl  auturous  fugu^ron  aclapa. 

Litestoulas!  em' uno  escalo, 

Em*  un  esfors  de  sis  espalo 
Cresien  de  cabussa  rOunnipoutent !  Deja 

De  Santo-Vit6ri  lou  serre 

£ro  estrassa  per  lou  pau-ferre; 

Deja  I'Aupiho  venien  querre, 
Per  n'apoundre  au  Ventour  li  grand  bans  eigreja. 


MIREILLE,  CHANT  VIII.  S29 

Souventes  tois,  k  son  passage,  —  les  courlis  qui, 
dans  les  herbes,  —  au  pied  des  ch6neteaux,  dor- 
maient  blottis,  —  troubles  dans  leur  soinmeil,  — 
soudain  partaient  k  graude  vol^e,  —  et  dans  la  Crau 
sombre  et  nue —  criaient :  Conrreli !  courreli  Icour- 


Les  cheveux  luisants  de  ros^e,  —  I'Aurore,  ce- 
pendant,  de  la  montagne  —  se  voyait  peu  a  peu  d6- 
valer  dans  la  plaine: — et  des  alouettes  huppees  —  la 
vol^e  chanteuse  la  salue ;  —  et  de  I'Alpine  caver- 
neuse  *  —  il  semblait  qu'au  soleil  se  mouvaient  les 
sommets. 


On  voyait  le  matin  d^couvrir  peu  k  peu  —  la  Crau 
inculte  et  aride,  —  la  Crau  immense  et  pierreuse,  — 
la  Crau  antique,  ou,  desanc^tres  —  si  les  r6cits  sont 
dignes  de  foi,  —  sous  un  deluge  accablant  —  les 
Grants  orgueilleux  fureiit  ensevelis. 


Les  stupides !  avec  une  echelle,  —  avec  un  effort 
de  leurs  6paules  —  ils  croyaient  renverser  le  Toul- 
Puissaiitl  D6jlL—  deSainte-\ictoire*  le  mome— 6tait 
d6chir6  par  le  levier ;  —  d6ja  ils  venaient  querir 
I'Alpine,  —  pour  en  ajouter  au  Venlour  les  grands 
escarpements  6branl6s. 


330  MIREIO,  CANT  VIII. 

Di^u  duerb  la  man ;  e  louMaistre, 
Ein6  lou  Tron,  em^  riuristre, 

De  sa  man,  coume  d*aiglo,  an  parti  i6uti  ires; 
De  la  mar  founso,  e  de  si  vabre, 
E  de  si  toumple,  van,  alabre, 
Espeirega  lou  lie  de  mabre , 

E  *m'  acd  s'enaurant,  coume  un  lourd  sagar^s, 

L*Anguieloun,  lou  Tron  e  TAuristre, 
D*uu  vaste  curbeceu  de  sisire 

Amassolon aqui  lis  omena«...  La  Grau, 
I  douge  v^nt  la  Crau  duberto. 
La  mudo  Crau,  la  Crau  deserto, 
Acounsenra  Torrocuberto... 

Hir^io,  s^mpre  mai,  d6u  terradou  pairau 

Prenid  Taldngui.  Li  raiado 

£  lou  dardai  di  souleiado 
Empuravon  dins  T^r  un  lus^nt  tremoulun ; 

E  di  cigalo  garrigaudo, 

Que  grasihavo  Terbo  caudo, 

Li  cimbaleto  fouligaudo 
Repetavon  s^ns  fin  soun  long  cascarelun. 

Ni  d'aubre,  ni  d'oumbro,  ni  d*amo ! 

Car,  del'estieu  fug^nt  la  flamo, 
Li  noumbrous  abei6  que  rasclon,  dins  Tivfer, 

L'erbeto  courto,  mai  goustouso, 

De  la  grand  piano  s6uvertouso, 

Is  Aupo  fresco  e  sanitouso 
£ron  ana  cerca  de  pasqui^  sempre  verd» 


MIREILLE,  CHANT  YIII.  331 

Dieu  ouvre  la  main;  et  le  Mistral,  —  avec  la  Foudre 
et  rOuragan,  — ^  de  s^  main,  comme  des  aigles,  sont 
partis  tous  trois;  —  de  la  mer  profonde,  et  de  «€s  ra- 
vins,— et  de  ses  abimes,  ils  vont,  avides,  — 6pierrer 
le  lit  de  marbre ;  —  et  ensuite  s'61evant  comme  un 
lourd  brouillard, 


L'Aquilon ,  la  Foudre  et  VOuragan,  —  d'un  vaste 
couvercle  de  poudingue — assomment  1^  les  colosses, . . 
La  Crau,  —  la  Crau  ouverte  aux  douze  vents,  —  la 
Crau  muette,  laCrau  d^serte, — a  conserve  Thorrible 
couverture...  —  De  plus  en  plus,  Mireille,  du  terroir 
paternel 


S*61oignait.  Les  rayonnances  —  et  I'^jaculation 
ardente  du  soleil  —  attisaient  dans  Fair  un  luisant 
tremblement ;  —  et  des  cigales  de  la  lande,  —  que 
grillait  I'herbe  chaude,  —  les  petites  cymbales  foUes 
—  r6p6taient  sans  fin  leur  long  claquetteinent. 


Ni  arbre,  ni  ombre,  ni  ftme!  —  car,  fuyant  la 
flamme  de  Fete,  —  les  nombreux  troupeaux  qui  ton- 
dent  en  hiver — ^I'herbette  courte,  mais  sa\oureuse, — 
de  la  grande  plaine  sauvage,  —  aux  Alpesfraiches  et 
salubres  —  ptaient  all6s  chercher  des  p^turages  tou- 
jours  verts. 


352  MlUfclO,  CANT  VIII. 

Soulo  li  fio  que  Jun  escampo, 
Mir6io  lanipo,  e  lampo,  e  lampo ! 

Eli  rassado griso,  au  roves  de  si  trau, 
S'entredisien  :  Fau  6stre  lolo 
Perbarrula  li  clapeirolo, 
Em*  un  souleu  que  siis  11  colo 

Fai  daiisa  li  mourven,  e  li  code  a  la  Crau ! 

Eli  pr6go-Di6u,  a  roumbrino 

Dis  argelas :  0  pelerino, 
Entorno,  entorno-te!  ie  venien.  Lou  bon  Dieu 

A  ines  i  font  d*aigo  clareto, 

Au  front  dis  aubre  a  mes  d*ounnbrelo 

Per  apara  ti  couloureto, 
E  tu,  rimes  ta  caro  h  Tuscle  de  Tesli^u! 

En  van  per6u  Tavertigu^ron 
Li  parpaioun  que  la  vogueron. 

Lis  alo  de  I'Amour  e  lou  vent  de  la  Fe 
L'emporton,  coume  I'auro  emporto 
lii  blanc  gabian  que  soun  p^r  orto 
Dins  li  sansouiro  d'Aigui-Morto. 

Tristas,  abandouna  di  pastre  e  de  rav6, 

"  De  liuen  en  liuen,  per  la  campagno, 

Partis  un  jas  cubert  de  sagno... 
Quand  pamons  se  vegu^,  badanto  de  la  set, 

Au  bruladou  touto  souleto, 

Ni  regouloun  ni  regouleto, 

Trefouligue  'no  brigouleto... 
E  fague  :  Grand  Sant  G^nt,  ermilo  d6u  Bausset! 


MIREILLE,  CHANT  VIll.  333 

Sous  les  feux  que  Juin  verse,  —  comme  V^clair 
Mireille  court,  et  court,  et  court!  — Et  les  grands  li- 
zards gris,  au  rebord  de  leurs  trous,  — disaient  entre 
eux  :  «  11  faut  6tre  folle  —  pour  vaguer  dans  les 
cailloux,  —  par  un  soleil  qui  sur  les  collines  —  fait 
danser  les  morvens^,  et  les  galets  dans  la  Crau!  » 


Et  les  mantes-religieuses,  k  Tombrelte  —  des 
ajoncs  :  «  0  pelerine,  —  retourne,  retourne-loi!  lui 
disaient-elles.  Le  bon  Dieu  —  a  mis  aux  sources  de 
Feau  claire,  —  au  front  des  arbres  a  mis  de  Tombre 
—  pour  prot^ger  les  couleurs  de  tes  (joues), — eltoi, 
tu  brules  ton  visage  au  M\e  de  Tete!  » 


Vainement  Tavejrtirent  aussi  —  les  papillons  qui  la 
virent.  —  Les  ailes  de  I'Amour  et  le  vent  de  la  Foi — 
Temportent,  comme  la  bise  emporte  — les  blancs 
goelands  qui  errent —  dans  les  plages  salees  d' Aigues- 
Mortes.  —  Profond6ment  triste,  abandonn6e  des  pA- 
Ireset  des  brebis, 


De  loin  en  loin,  par  la  campagne,  —  parait  une 
bergerie  couverte  dc  tyjjJia.  —  Quand  pourtant  elle 
se  vit,  b6ante  de  soif,  —  en  ces  lieux  brules  toute 
seule, —  sans  ruisseau  ni  niisselet, — elle  tressaillit  le- 
gerement...  —  et  dit:  «  Grand  Saint  Gent,  ermitedu 
Bausset' ! 


534  MIRfilO,  CANT  YIII. 

0  b^u  e  jouine  labouraire, 

Qu'atalerias  k  vosle  araire 
Lou  loup  de  la  mountagno !  o  divin  garrigaud, 

Que  durberias  la  roco  duro 

A  dos  pichdti  couladuro 

D'aigo  e  devin,  refrescaduro 
Per  vosto  maire,  lasso  e  moureiito  de  caud; 

Gar,  counie  ieu,  quand  tout  soumibo, 
Avias  placa  vosto  faiTiiho, 

E,  soulet  eme  Dieu,  i  gorgo  d6u  Bausset 
Vous  trouv^  vosto  maire.  Ansindo, 
Mandas-me  *n  fi6u  d*aigueto  Undo, 
0  bon  Sant  G^nt !  Lou  gres  que  dindo 

Me  cremo  li  peiado,  e  more  de  la  set ! 

Lou  bon  Sant  G^nt,  derempir6io, 

Entendegue  prega  Mireio  : 
E  Mireio,  autant  leu,  d'un  releisset  de  pous, 

Alin  dins  la  champino  raso, 

A  vist  belugueja  la  graso. 

E  d6u  dardai  fend6  la  braso, 
Coume  lou  martelet  que  travesso  un  espouse. 

£ro  un  vi^i  pous  tout  garni  d*eurre, 
Que  li  troupeu  i'  anavon  b6ure. 

Mnnnurant  douQamen  quSuqui  mot  de  cansoun, 
r  a  'n  pichot  drole  que  jougavo 
Souto  la  pielo,  ounte  cercavo 
Lou  pau  d'oumbreto  qu'amagavo ; 

Coniro,  avie  'n  panie  plen  de  blanc  cacalausoun. 


MIREILLE,  CHANT  YIII.  355 

«  0  bel  et  jeune  laboureur,  —  qui  atteMtes  a  voire 
charrue —  le  loup  de  la  montagne!  6  divin  solitaire, 

—  qui  ouvrites  la  roche  dure  —  a  deux  petits  filets 

—  d'eau  et  de  vin,  pour  rafraichir  —  voire  m^re, 
lasse  et  mouraiile  de  chaud; 


«  Car,  ainsi  que  moi,  lorsque  lout  dort,  —  vous 
aviez  deserts  voire  famille,  —  et,  seul  el  avec  Dieu, 
aux  gorges  du  Bausset  — vous  trouva  voire  mere.  De 
meine,  —  envoyez-raoi  un  filet  d'eau  limpide,  —  6 
bon  Saint  Gent!  Legalel  sonore —  brule  rempreinle 
de  mes  pieds,  et  je  meurs  de  soif !  » 


Le  bon  Saint  Gent,  de  Tempyr^e  —  entendil  prier 
Mireille : — elMireiile  aussit6t,  d'une  margelle  de  puits, 

—  au  loin  dans  la  rase  campagne,  —  a  vu  etinceler  la 
dalle.  —  Et  dcs  dards  du  soleil  elle  fendit  la  braise, 

—  conune  le  martinet  qui  traverse  une  ondee. 


C'elail  un  vieux  puits  tout  rev^tu  de  lierre,  —  oil 
les  troupeaux  allaient  boire.  —  Murmurant  douce- 
ment  quelques  mots  de  chanson,  —  un  petit  gar^on 
y  jouait  —  sous  Tauge,  ou  il  cherchail  —  le  peu 
d'ombre  qu'elle  abrilait ;  —  pr6s  de  lui,  il  avail  un 
panier  plein  de  blancs  lima^ons* 


330  MlUfelO,  CAST  Ylli. 

E  I'mifanloun,  dins  sa  man  bruno, 

Lis  agantavo,  uno  per  uno, 
Li  pauri  meissounenco ;  e  'm'  ac6  ie  vonie  : 

Cacalaiis,  aicalaiis  mourgueto, 

Sorte  leu  de  ta  cabaneto^ 

Sorte  leu  ti  belli  baneto^ 
0  senoun,  te  roumprai  tonn  pichot  moufiastie. 

La  belloCraenco  enftouiado, 
E  qu'au  ferrat  s'ero  amourrado, 
Auboure  loul-d*un-cop  soua  poulil  moiirranchouu : 

—  Mignot,  que  fas  aqui?  —  Pauseto. 

—  Dins  lou  baucage  e  11  lauseto, 
Acampes  de  cacalauselo  ?  * 

—  L'avesben  devina !  respoinide  lou  pichoun. 

V^!  quant  n'ai  dins  ma  canestello ! 

Ai  de  mourguelo,  de  platello, 
De  meissounenco . . . — E  piei ,  li  manjes? — leu? pas  mai! 

Ma  maire,  touti  U  divendre, 

Li  porlo  a-n-Arle  per  li  v^ndre, 

Enousentorno  bonpan  l^ndre.... 
le  sias  agudo  estado,  en  Arle,  vous?  —  Jamai. 

—  Hoi !  sias  jamai  eslado  en  Arle? 
Ie  sieu  esta,  ieu  que  vous  parle ! 

Ai !  pauro,  se  sabias  la  grando  vilo  qu*es, 
Arle !  Talamen  s'eslalouiro 
Que,  d6u  grand  Rose  que  revouiro, 
N'en  I6n  li  set  escampadouiro ! . . . 

Arle  k  de  biou  marin  que  paisson  dins  si  tes ; 


:,ilUEn.LE,  CHANT  VIII.  55? 

Et  le  jeune  enfant,  dans  sa  itiain  brune, —  lespre- 
nail,  une  a  une, — les  pauvres  helices  des  moissons', 
et  leur  cliantait:  —  « Escargoty  escargot  nonnaitiy  — 
sorspromptementde  ta  cellule,  —  sors  promptement  tcs 
belles  petites  corneSy — oiisinonje  romprai  ton  petit 
monastere.  b 


La  belle  fille  de  Crau,  coloree  (par  la  marche),  — 
et  qui  dans  le  seau  avait  plong^  ses  Ifevres,  —  releva 
lout  d'un  coup  son  charmant  minois:  —  «  Mignoii, 
que  fais-tu  lA!  »  —  ((Petite  pause.  »  —  «  Dans  le 
gazon  et  les  galets,  —  tu  ramasses  des  limagons  ?  » 
—  ((  Vous  avez  devine  juste !  repliqua  le  petit. 


((  Voyez!  combien  j'en  ai  dans  ma  corbeille!  — 
J'ai  des  nonnains,  des  platelles,  des  moissonnien- 
we*'...  «  —  (J  El  puis,  tu  les  manges?  »  —  «  Moi? 
nenni !  —  Ma  mere,  tous  les  vendredis,  —  les  porte 
a  Aries  pour  les  vendre,  —  et  nous  rapporte  bon 
pain  tendre...  —  Y  avez-vous  ^16  en  Aries,  vous?  » 
—  «  Jamais.  » 

—  «  Quoi!  vous  n'avez  jamais  6te  en  Aries?  —  J'y 
ai  el6,  moi  qui  vous  parle !  — Ah !  pauvrelte,  si  vous 
saviez  la  grande  ville  que  c*est,  —  Aries!  Si  loin  elle 
s*elend,  —  que,  du  grand  Rhdne  plantureux  —  elle 
tient  les  sept  embouchures!...  —  Aries  a  des  boeufs 
marins  qui  paissent  dans  les  ilots  de  sa  plage ; 


29 


558  HIR&IO,  CANT  YIII. 

Arle  a  soun  cavalin  s6uvage; 

Arle,  dins  r6n  qu'un  estivage, 
Heissouno  proun  de  Mad,  per  se  nourri,  se  vou, 

S6t  an  de  filo !  A  de  pescaire 

Que  ie  carrejon  de  tout  caire ; 

A  d'entrepide  navegairo 
Que  van  di  liu^ncbi  mar  afrounta  li  rev6u... 

E  tirant  gl6ri  inervihouso 
De  sa  patrio  souleionso, 

Disie,  lou  galant  drole,  em6  sa  lengo  d'or, 
E  la  mar  bluio  que  tremolo, 
E  Hount-Majour  que  pais  li  molo 
De  plen  gourbin  d*6ulivo  molo, 

E  lou  bram  qu*  i  palun  fai  ausi  lou  bitor. 

Mai,  0  cieuta  douQO  e  brunello, 

Ta  mereviho  courounello, 
Oublide,  lou  pichot,  de  la  dire  :  lou  ceu, 

0  drudo  terro  d*Arle,  douno 

La  b6uta  puro  k  ti  chatouno, 

Coume  li  rasin  k  Tautouno, 
De  sentour  i  mountagno  e  d'aleto  a  Tauc^u. 

La  bastidano,  inatentivo, 

Ero  aqui  drecho  e  pensativo  : 
—  Beu  jouveinet,  se  \os,  fagu6,  veni  'me  i^u* 

Erne  i6u  vene !  Sus  li  sause 

Avans  que  la  reineto  s'ause 

Canta,  fau  que  moun  ped  se  pause 
De  I'autro  man  d6u  Rose,  a  la  gi^i  de  Di^u ! 


MIKEILLE,  CHANT  VIII.  359 

«  Aries  a  sa  race  de  chevaux  sauvages;  — Aries,  en 
seul  et6,  —  moissonne  assez  de  bl6  pour  se  nourrir, 
si  elle  veut,  —  sept  ans  de  suite !  EUe  a  des  p^cheurs 
— qui  lui  charrient  de  toute  part;  —  elie  a  des  naviga- 
teurs  intr6pides  —  qui  vont  des  mers  lointaines  af- 
fronter les  tourbillons...  » 


Et  tirant  gloire  merveilleuse  —  de  sa  patrie  de 
soleil,  —  il  disait,  le  gentil  gars,  en  sa  langue  d*or, 
—  et  la  mer  bleue  qui  tremble,  —  et  Mont-Majour 
qui  pait  les  meules  —  de  pleines  mannes  d' olives 
moUes,  —  et  le  beuglement  qu'aux  mar^cages  fail 
ouir  le  butor. 


Mais,  d  cit6  douce  et  bnine,  —  ta  merveille  su- 
preme, —  il  oublia,  Tenfant,  de  la  dire  :  le  ciel,  — 
d  f6conde  terre  d'Arles,  donne — la  beauts  pure  d 
tes  filles,  —  comme  les  raisins  k  Tautomne,  —  des 
senteurs  aux  montagnes  otdes  ailes  h  I'oiseau. 


Inattentive,  la  fille  des  champs  —  6tait  1&  debout 
et  pensive  :  —  «  Beau  gars ,  si  tu  veux ,  dit-elle, 
venir  avec  moi,  —  avec  moi  viens !  Sur  les  saules 
—  avant  que  la  raine  s'entende  —  chanter,  il  faut 
que  mon  pied  se  pose  —  de  Taulre  cdte  du  Rh6ne,  a 
la  garde  de  Dieu !  » 


340  MIRfelO,  CAST  VIII. 

Lou  drouloun  ie  digu6  :  Pecaire ! 

CapitasMn :  sian  depescaire. 
Kin^  nous-autre,  aniue,  soulo  lou  tibaneu, 

Vous  couchares  au  p6d  dis  aubo, 

E  dourmir^s  dins  voslo  raubo ; 

Moun  paire,  piei,  k  la  prime  aubo, 
Deman  vouspassara,  dins  nostebregaii^u. 

—  Oh  I  noun,  me  senle  enca  proun  forto 
Per,  esto  niue,  restap6r  orlo... 

—  Que  Di6u  vous  en  preserve!  adounc  voules  aniue 

V6ire  la  barido  que  s'escapo, 

Doul^nto,  d6u  Trau  de  la  Capo? 

Ai !  ai !  ai !  ai !  se  vous  encapo, 
Km*  elo  dins  lou  gourg  vous  fai  passa  p^r  iue ! 

—  E  qu'es  aqueu  Trau  de  la  Capo? 

—  Tout  eii  caminant  dins  li  clapo, 
Vous  countarai  ac6,  fiheio!...  E  coumence  : 

Tavie  no  fes  uno  grando  iero 

Que  regounflavo  de  garbiero. 

Sus  lou  dougan  de  la  ribiero, 

Deman  veires  lou  rode  ounte  ac6  se  passe. 

Despiei  un  mes,  emai  passavo, 

Sus  lou  plantat  que  s*esp6ussavo 
Un  roudet  Camarguen  de-longo  avi6  cauca. 

Pas  uno  v6uto  de  rel5mbi ! 

S6mpre  li  balo  dins  I'engambi ! 

E,  sus  I'eirdu  p6ussous  e  gSmbi, 
De  mounlagno  d'espigo  k  s^mpre  cavauca ! 


MIREILLK,  CIIAST  YIII.  541 

Le  gars  lui  dit  :  —  a  Daine!  —  vous  rencon- 
ttrez  bien  :  nous  sommes  p^cheurs.  —  Avec  nous, 
cetle  nuit,  sous  la  tenle,  —  vous  coucherez  au  pied 
lies  peupliers  blancs, — el  dormirez  dans  voire  robe; 
—  mon  p6re,  ensuile,  k  la  premiere  aurore,  —  de- 
inain  vous  passera,  dans  noire  bord.  » 


—  «  Oh!  non,  je  me  sens  assez  forte  encore  — 
pour,  cellenuit,  rester  errante!  »  — « Que  Dieu  vous 
en  garde !  Voulez-vous  done,  cette  nuit,  —  voir  la 
bande  qui  s*6chappe,— plaintive,  du  Trou ,  de  la  Cape? 
—  Malheur  h  vous!  sielle  vous  rencontre,  —  avec 
elle  dans  le  goufire  elle  vous  fait  sombrer !  » 


— « Etqu>st-ce  que  ceTrou  de  la  Cape?  » — ((Tout 
en  marchant  parmi  les  pierres,-— je  vous  conterai  Qa, 
fillelte ! . . .  »  Et  il  commenca :  — « II  6tait  une  fois  une 
grande  aire  —  qui  regorgeaitde  meules  de  geri)es. — 
Sur  la  berge  de  la  riviere,  —  demain  vous  verrez  le 
lieu  oucelase  passa. 


«  Depuis  un  mois  el  plus,  —  sur  les  (gerbes)  dres- 
s6es  qui  secouaient  (leurs  grains),  —  un  cercle  de 
(clievaux)  Camargues  avail  sans  cesse  pi6tin6.  — 
Pas  un  instant  de  relache !  —  toujours  les  sabots 
dans  Tentrave!  —  et  sur  I'air^e  poudreuse  et  tor- 
tueuse,  —  toujours  des  montagnes  d'^pis  ^  che- 
vaucherl 

29. 


342  MlRtlO,  CANT  VIII. 

Fasi6  'n  soul^u!...  La  derrabado 

Semblavo,  dison,  atubado. 
R  li  fourco  de  bos,  de-longo,  en  T^r,  fasiea 

Sauta  de  revoulun  de  blesto ; 

E  lou  p6utras,  e  lis  aresto, 

Coume  de  fl^cho  d^aubaresto, 
I  narro  di  chivau  de-longo  se  trasien. 

0  p6r  Sant  P6ire  o  pfer  Sanl  Charle 

Poudias  souna,  campano  d' Ariel 
Ni  festo  ni  dimenche  au  paure  cavalun ! 

S^mpre  la  matrassanto  cauco, 

S^mpre  I'aguhiado  que  trauco, 

S^mpre  la  cridadisso  rauco 
D6u  gardian,  aplanta  dins  Fard^nt  revoulun ! 

I/avare  mfeslre,  i  Wane  caocaire 

Encaro  avi6  bouta,  pecaire ! 
Lou  mourraioun...  Vengu^  Nostro-Damo  d'Avoust. 

Deja,  sus  lou  plantat  que  fumo, 

Li  liame,  coume  de  couslumo, 

Viravon  mai,  trempe  d'escumo, 
Lou  fege  arrapa  i  costo  e  lou  mourre  bavous. 

Veici  que  tout-d'un-cop  s'acampo 

E  la  chavano  e  la  sisampo. . . 
Ai!  un  cop  de  mistrau  escoubeto  Teirdu; 

Dis  afama  (que  renegavon 

Lou  jour  de  Di^u)  lis  iue  se  cavon; 

Lou  batedou  mounte  caucavon 
Traiilraio,  es*entreduerb  coume  un  negre  peir6u! 


MIREILLE,   CHANT  VIII.  345 

«  II  faisail  un  soleil!...  L*air6e*®  —  semblait,  dit- 
on,  en  flammes.  —  Et  les  fourches  de  bois,  saus 
cesse,  dans  Fair  faisaient  —  bondir  des  tourbiUons 
de  gerb6e ; — et  les  ablais  et  les  barbes  (du  froment), 
—  comme  des  fl&cbes  d'arbal^te,  —  aux  naseaux  des 
chievaux  sans  cesse  ^talent  lances. 


«  Ou  k  la  Saint-Charles  ou  ila  Saint-Pierre,  — ^vous 
ponviez  sonner,  cloches  d' Aries !  —  Ni  ftte  ni  di- 
manche  aux  malhetireux  chevaux  :  —  toujours  le 
harassant  foulage !  — ^toujours  Taigiiillade  qui  perce! 
—  toujours  les  oris  raucpies  —  du  gardien,  immobile 
dans  Fardent  tourbillon ! 


1  L*avare  maitre,  aux  blancs  fmileurs  —  en  outre 
avait  mis,  helas!  —  la  museli6re...  Vint  Notre-Dame 
d'Aoiit.  —  D6j4,  sur  les  (gerbes)  dress6es  (et)  fu- 
mantes,  —  les  (b6tes)  accoupl6es,  comme  d'usage, — 
tournaient  encore,  tremp6es  d'6cume,  —  le  foie  coll6 
aux  c6tes  et  le  museau  baveux. 


«  Voici  que  tout  k  coup  accourent  —  et  Torage  et 
la  bise  g1ac6e...  —  Aie!  un  coup  de  mistral  balaye 
Tair^e;  —  des  affiim^s  (qui  reiiiaient  —  le  jour  de 
Dieu)  les  yeux  se  creusent ;  —  le  champ  du  foulage 
—  chancelle,  et  s'entr'ouvre  comme  un  noir  chau- 
dron ! 


ZU  MIRftiO,  CANT  Vfll. 

La  grand  bancado  remouHno, 

Conme  en  furour;  dela  toumptino, 
Fourquejaire,  gardian,  gardianoun,  r^n  pousqu^ 

Se  n*en  sauva !  Lou  m^tre,  I'iero, 

Lou  drai,  li  cabro,  li  garbiero, 

Li  primadie,  la  rodo  entiero, 
Dins  loutoumple  s^ns  founs  tout  s'aproufoundigue! 

—  Me  fai  ferni!  digu6  Mir^io. 

—  Oh !  n'i'a  b6n  mai,  o  viergin^io ! 
Deman,  dir6s  bessai  que  3i6u  un  foulin^u^ 

Yeires,  dins  soun  aigo  blavenco, 
Jouga  lis  escarpo  e  li  tenco ; 
E  li  merlato  palunenco 
De-countunio  k  Tentour  canta  dins  li  can^u. 

V6ngue  lou  jour  de  Nostro-Damo. 
Lou  souleu,  courouna  de  flamo, 

A  mesuro  que  mounto  k  soun  pounteficat, 
Erne  Tauriho  conlro  terro 
Boutas-vous  plan,  plan,  k  Tesp^ro : 
Veir^s  lou  gourg,  de  linde  qu*6ro, 

S'ensourni  pau-a-pau  de  1  oumbro  d6u  pecat ! 

E  di  founsour  de  Taigo  fousco, 

Counie  de  Talo  d*uno  mousco 
Ausires  pau-a-pau  s'auboura  lou  zounzoun ; 

Pi^i  es  un  clar  dindin  d'esquerlo ; 

Pi6i,  k  cha  pau,  entre  li  berlo, 

Coume  de  voues  dins  uno  gerlo, 
Un  orre  jafaret  qu*adus  la  fernisounl 


MIREILLE,  CHANT  VIII.  345 

«  Le  grana  monceau  (de  pailles)  tourbillonne,  — 
comme  en  fureur ;  de  I'abime,  —  ouvriers  aux  four- 
ches,  gardieiis,*aideS'gardiens,  rien  ne  put  —  s'en 
sauver.  I^e  maitre,  I'aire,  —  le  van,  les  chevres  (du 
van),  les  meules,  —  les  (coursiers)  conducteurs,  ie 
haras  tout  entier,  —  dans  le  gouffre  sans  fond  tout 
s*engloutit.  » 

—  «  Cela  mc  fait  frissonn^r!  »  dit  Mireille.  — 
«  Oh!  il  y  a  bien  plus,  6  vierge !  —  Deinain,  vous  di- 
rez  peut-^tre  que  je  suis  uh  petit  fou,  —  vous  verrez, 
dans  son  eau  bleu^tre, — se  jouerles  carpes  etles 
tanches ;  —  et  les  merles  de  marais  —  continuelle- 
inent  alentour  chanter  dans  les  roseaux. 


^  Vienne  le  jour  de  Notre-Dame.  —  A  mesure  que 
le  soleil,  couronne  de  feux, — monte  k  son  pontificat, 
—  avec  Toreille  contre  terre,  —  mettez-vous  douce- 
ment,  doucement  a  I'affAt!  — vous  verrez  le  gouffre, 
de  limpide  qu*il  6tait, — s*assoinbrir  pen  ^peu  de  Tom- 
bre  du  pech6. 


«  Et  des  profondeurs  de  Teau  trouble,  —  comme 
do  I'aile  d'une'mouche  —  vous  ouirez  peu  k  pen  s*6- 
lever  le  bourdonnement.  —  Puis  c'est  un  clair  tinle- 
ment  de  clochettes;  —  puis,  peu  A  peu,  enlre  les 
berles,  —  semblable  k  des  voix  dans  uneamphore, — 
un  horrible  tumulte  qui  am^ne  le  frisson ! 


346  yiRtllO.   CANT  VIII. 

Es  pi^i  un  trot  de  chWau  maigre 

Que  sus  Teirdu  un  gardian  aigre 
Us  esbramasso  e  coucho  erne  de  maugrabiea. 

Es  d  estrepado  rabastouso ; 

Es  uno  terro  despietouso, 

Aspro,  secado,  sduvertouso, 
Que  respond  coume  uno  iero  ounte  caucon,  Tesri^u. 

Mai  k  mesuro  que  declino 

Lou  sant  soul^u,  de  la  toumplino 
Li  blasteme,  11  brut,  se  fan  rau,  niouriin^u ; 

Toussis  la  manado  gancherlo 

Aperalin ;  souto  li  berlo 

Calon  U  dar  dindin  d'esquerlo, 
E  canton  mai  li  merle  au  bout  di  long  can^. 

Tout  en  parlant  d'aqu61i  causo, 

Em*  soun  panie  de  cacalauso 
Davans  la  chatouneto  anavo  lou  drouloun. 

Lindo,  sereno,  acoulourido 

Per  lou  tremount,  la  colo  arido 

Eme  lou  ceu  deja  marido 
Sis  ^uti  peno  bluio  e  si  grand  testau  blound ; 

E  lou  soul^u  que,  dins  la  cintro 

De  si  long  rai,  plan-plan  s*enintrOy 
Laisso  la  pas  de  Di^u  i  palun,  au  Grand-Clar, 

Is  dulivi^  de  la  Vaulongo, 

Au  Rose queilavau  s'alongo, 

I  meissounaire,  qu'a  la  lougo 
Aubouron  soun  esquino  e  bevon  lou  vM  Larg. 


MIREILLE,  CHANT  VIH.  347 

«  C'est  ensuite  un  trot  de  chevaux  maigres  — que 
sur  Fairee  un  aigre  gardien  —  insulte  de  ses  cris  el 
presse  de  jurous.  —  C'est  un  pielinement  penible ; 
—  c'esl  un  sol  inclement,  —  Apre,  sec  plein  d*hor- 
reur,  —  sonore  comme  une  aire  ou  Ton  depique, 
Tete. 


a  Mais  a  mesure  que  decline  —  le  saint  soleil,  du 
gouffre  —  les  blasphemes,  les  bruits,  se  font  rau- 
ques,  mourants  ;  —  tousse  le  troupeau  ecloppe  — 
dans  les  loinlaines  profondeurs ;  sous  les  berlcs  — 
s'6teignent  les  clairs  tintements  de  clochelles,  —  et 
chantent  de  nouveau  les  merles  au  bout  des  longs  ro- 
seaux. » 

Tout  en  parlant  de  ces  choses,  —  avec  son  panier 
de  limagons — deyant  la  jeunelille  allait  le  petit  gars. 
—  Limpide,  sereine,  coloree  —  parle  couchant,  la 
colline  aride  —  au  ciel  dej&  marie  —  ses  hauts 
remparts  bleus  et  ses  grands  promontoires  blonds ; 


Et  le  soleil  qui,  dans  le  cintre  —  de  ses  longs 
rayons,  lentement  se  retire,  —  laisse  la  paix  de  Dieu 
aux  marais)  au  Grand-Clar  ^S  —  aux  oliviers  de  la 
Vallongue  ",  —  au  Uhdne  qui  s' allonge  la-bas, —  aux 
moissonneurs,  qui  enfin  —  relevent  leur  dos  et  boi* 
vent  le  vent  Largue^ 


358  MlHfelO,  CANT   V  III, 

E  lou  drouloun  digue  :  Jouvcnto, 

Alin,  \^  la  telo  mouv^nto 
De  noste  tibaneu,  niouvento  au  ventouUt ! 

V^,  siis  Taubo  que  ie  fai  calo, 

V6,  ve  inoun  fraire  Not  qu'escalo ! 

Segur  aganto  de  cigalo, 
0  regardo  bel^u  se  torne  au  tendoulet. 

Ai !  nous  a  vist ! ...  Ma  sorre  Zeto, 

Que  ie  fasiS  la  courbo-sefo, 
Se  reviro...  e  vela  que  vers  ma  maire  cohi* 

Ie  dire  que,  sens  tiro-laisso, 

P6u  alesti  lou  bouiabaisso. 

Diiis  lou  barquet  deja  se  baisso, 
Ma  maire,  e  pren  li  peis  que  soun  k  la  frescour. 

Mai  ^li  dous,  d'uno  abrivado, 
Coume  escalavon  la  levado  : 

—  Te !  cride  lou  pescaire,  espincho,  que  fai  gau, 
Femo!...  Ben  16u,  per  mau  que  vague, 
Noste  Andreloun,  crese  que  fague 
Un  p(  scadou  di  fi6r  que  i'  ague ! 

Velou  que  nous  adus  la  reino  di  pougaul 


MIREILLE,  CHANT  VIIF.  549 

Et  le  gars  dit :  «  Jouvencelle,  — auloiii,  voyez- 
vous  la  toile  mouvante  —  de  noire  pavilion,  mou- 
vanle  au  zephyr?  —  Voyez,  sur  le  peuplier  blanc  qui 
rabrite,  —  voyez,  voyez  mon  frere  Not  qui  griinpe! 
— Bien  sur  il  attrappe  des  cigales, — ou  regarde  peut- 
etre  si  je  retourne  a  la  lente. 


w  Ah  I  il  nous  a  vus!...  Ma  soeur  Zelte,  —  qui  lui 
pr^iait  lepaule, — se  retourne. . .  et  la  voiU  qui  court 
vers  ma  mere  —  pour  lui  dire  que,  sans  retard,  — 
elle  peut  appr^ler  le  bouillabaisse,  —  Dans  le  bateau 
d^ja  se  courbe  —  ma  m^re,  et  elle  prend  les  pois- 
sons  qui  sont  au  frais.  )) 


Mais  comnie,  dun  elan,  eux  deux  —  gravissaient 
la  digue :  —  «  Tiens !  s'6cria  le  pficheur,  vois  comme 
c'est  charmant,  —  femme!...  Bientdt,  vienne  qui 
plante !  —  noire  Andreloun  fera,  je  crois,  —  un  pe- 
cheur  des  fiers  qu'il  y  ait !  — Le  voici  qui  nous  amene 
la  reine  des  anguiiles!  • 


50 


NOTES 

DU  CHANT  UUITlfiME. 


.    *  Courez  aux  Saintes  [courris  i  Santo).  Voyez  Chant  I,  note  15, 

"^  L'Aigle,  constellation. 

5  Maguelonne  (Magalouno).  D'apres  un  \ieux  roraan  de  cheva- 
Icrie  aussi  populaire  que  celui  de  Quatre  fils  AymoHt  le  comte 
Pierre  de  Provence,  ayant  enlev6  Maguelonne,  fiUe  du  roi  de  Na- 
ples, s'enfuit  avec  elle  a  travers  monts  et  vallte.  Un  jour  que 
Maguelonne  s'etait  endoimie  au  bord  de  la  mer,  un  oiseau  de 
proie  cnleva  un  bijou  de  santal  qui  brillait  aucou  de  laprinccsse. 
Son  amant  monta  sui*  une  nacelle  pour  suivre  I'oiseau  sur  la  mer; 
raais  soudain  une  temp^te  s'eleva,  et  emporta  Pierre  en  Egyple, 
on  il  fut  accueilli  et  comble  d'honneurs  par  le  soudan.  La  belle 
Maguelonne  s'eveilla  et  se  mil,  tout  eplor^e,  a  chercher  son  ra- 
visseur.  Apres  une  foule  d'aventures  romanesques,  ils  se  retrou- 
\ferent  en  Provence,  ou  Maguelonne,  devenue  abbessc,  avaitfonde 
un  li6pital,  autour  duquel,  selon  cette  chronique  fabuleuse,  s'e* 
leva  plus  tard  la  ville  de  Maguelonne. 

*  L'Alpinc  caverneuse  [VAupiho  baumeludo)^  epithfete  motivec 
par  les  grottes  des  Baux  et  de  Gordes  qu'on  trouve  dans  cette 
montagne 


NOTES   DU  CHANT  YIII.  351 

*  Le  mornc  ou  pic  de  Sainte-Victoirp (rf^  Santo-Vitbrilauserre), 
ii  I'orient  d'Aix  :  liaut  cscarpement  qui  tire  son  nom  de  la  grandc 
victoire  remport^e  par  Marius  sur  les  Teutons,  a  Pourriferes,  dans 
le  voisinage. 

®  Les  morvens  (/«  mourvm),  genevriers  de  Ph^nicie  {Junipenis 
Phoenicea,  Lin.) 

'  Saint  Gent,  ermite  du  Bausset  [Sant  Gint,  ermito  ddu  Bausset)^ 
jeune  laboureur,  de  Monteux,  qui,  au  commencement  du  onzi6mo 
siecle,  se  retira  dans  la  gorge  du  Bausset  (pr6s  de  Vaucluse)  pour 
y  \ivre  en  ermite.  Son  ermitage,  et  la  fontaine  miraculeuse  qu'il 
fit  jaillir,  dit  la  tradition,  en  implantant  ses  doigts  dans  le  rochcr, 
sont  le  but  d'un  p61erinage  trfes-frequentd. 

*  H^lice  des  moissons  {meissounenco),  helix  csespilum,  iiom- 
m6e  mmsounenco,  parce  qu'apres  la  moisson,  elle  monte  et  so 
colle  le  long  des  chaumes. 

^  r^onnaiu  [mourgveto),  helix  vermiculata .  — Platelle  {pla- 
feUfl),  helix  algira.  —  Mois€onniennes,  voyez  la  note  prec^dente. 

»o  Derrabado,  improprement  traduit  par  air^e,  signifie  arra- 
chis.  Ce  mot  designe  les  gerbes  qui  ont  deja  subi  un  premier 
pi^tinement  de  chevaux,  et  qu'on  an^ache  de  dessous  I'air^e  pour 
los  soumettre  k  un  nouveau  foulage. 

*•  Grand-Clar  (Grand-Clar),  vaslc  etang  de  la  Crau,  enlre  les 
Jlaux  et  Aries. 

**  Vallongue  {Vaul<mgo)y  vallee  des  Alpines. 


CANT  NOUVEN 

L'ASSEMBLADO 


Desoulacioun  de  Meste  Hamoun  e  de  Jano-Vario,  quand  trovon  plus 
Mireio.  —  Tout-d'iin-t^ms  lou  vidi  raando  soiina  e  acampo  dins 
I'iero  touti  li  travaiadou  d6u  mas.  —  Li  segairt%  li  rastelarello, 
lou  feneirage.  —  Li  carreti^,  i'estremage  di  fen.  —  Li  boaie.  — 
lii  meissouni^,  la  roeissoun,  li  glenarello.  —  Li  pastre.  —  Recit  de 
Lauren  de  Gout,  capouli^  di  meissounie :  lou  cop  de  voutame.  — 
Recit  dou  segaire  Jan  Bouquet  :  lou  nis  agarri  per  li  fournigo.  — 
Hecit  d6u  Marran,  baile  di  fird  :  la  marco  de  mort.  —  Recit  d'An- 
teume,  lou  baile-pastre.— Ant^ume  a  vist  Mireio  qu'anavo  i  Sdnti- 
Hario.  —  Estrambord  e  prejit  de  la  maire.  —  Partenfo  de  la 
famiho  p^r  ave  Mireio. 


Li  grand  falabreguie  plour^ron ; 

Adoulentido,  s'embarr^ron 
Dins  si  brusc  lis  abiho,  6ublidant  lou  pasqui^ 

Plen  de  lachusclo  e  de  sadr^io. 

—  Aves  ren  vist  mounte  6i  Mir6io? 

le  demandavon  li  ninfeio, 
I  gentis  argno  bluio  adounado  au  pesqui^. 

Lou  viei  Ramoun  em6  sa  femo, 
T6uli  dous  gounfle  de  lagremo, 

Ens^n,  la  mort  au  cor,  asseta  dins  lou  mas, 
Amaduron  soun  coudoun  :  —  Certo, 
Fau  agu6  Tamo  escalaberto ! . . . 
0  malurouso !  o  disaverto ! 

De  la  folo  jouinesso  o  terrible  estramas ! 


CHANT  NEUVIflME 

r/ASSEMBLEE 


D^olation  de  Maitre  Ramon  et  de  Jeaime-Marie,  en  s'apercevantde 
1 'absence  de  Mirellle.  —  Le  vieillard  roande  aussitdt  et  rassemble 
«lans  I'aire  tous  les  travailleurs  de  la  ferme.  —  Les  faucheurs,  le> 
faneuses,  la  fenaison.  —  Les  charretiers,  la  renlr^e  dfes  foins.  — 
I.es  laboureiirs.  —  Les  inoissonneurs ,  la  moisson ,  les  glaneuses. 
—  Les  hergers.  —  U^cil  de  Laurent  de  Goult,  chef  des  moisson- 
neurs  :  le  coup  de  faucille.  —  Recit  du  faucheur  Jean  Bouquet :  le 
nid  envahi  par  les  (buiinis.  —  R^cit  du  Marran,  chef  des  gallons 
de  charrue :  le  presage  de  mort.  —  Hecit  d'Antelrae,  chef  des 
paires.  —  Antelme  a  vu  Mireille  allant  aux  Sainles-Maries.  — 
Tiansports  et  invectives  de  ia  m^re.  —  Depart  de  la  famille  k  la 
jioursuile  de  Mireille. 


Les  grands  inicocouliers  pleurerent ;  —  afflig^es, 
s'enfennerent  —  dans  leurs  ruches  les  abeilles,  ou- 
bliant  le  pacage— plein  de  tithymales  et  de  sarrietles. 
—  a  Avez-vous  point  vu  ou  est  Mireille?  »  —  deman- 
daient  les  nymphaeas  —  aux  genlils  alcyons  bleus 
adonnesauvivier. 


Le  vieux  Ramon  et  son  epouse,  —  tous  deux  gon- 
il6s  de  larmes,  —  ensemble,  la  mortau  coeur,  assis 
dans  le  masj  —  mArissent  leur  douleur  *  :  «  Certes, 
— ilfaut  avoir  T^me  en  d^lire !...  —  0 malheureuse ! 
6  6cervel6e! — de  la  foUe  jeunesse  6  terrible  et  lourde 
chute  ! 


50. 


354  MIRSIO,  cant  IX. 

Nosto  Mir6io  bello,  o  gafo ! 

0  plour !  *iT)6  lou  darri^  di  piafo 
S*eiraubado,  raubado  em*  unab6umiani!... 

Quau  nous  dira,  desbardanado, 
Lou  lio,  la  cauno  acantounado 
Ounte  lou  laire  t'a  menado?... 
E  brandavon  ens^n  si  front  achavani. 

Eme  la  saumo  e  lis  ens&rri 

Yengu^  lou  chourlo,  h  TourdinSri ; 
E  dre  sus  lou  lindau :  Bonjour !  Veni^u  cerca, 

M^slre,  lis  idu  e  lou  grand-beure. 

—  Entorno-te,  maladicieure ! 

Crid6  lou  vi6i,  que,  tau  qu*un  si6ure. 
Me  s^mblo  que  senso  elo  aro  sieu  desrusca ! 

D'uno  souleto  escourregudo, 
Entorno-te  de  ta  vengudo, 
Chourlo  !  k  trav6s  de  champ  parte  coume  Tuiau ! 
Que  \i  segaire  e  labouraire 
Quiton  li  daio  e  lis  araire ! 

1  meissouui^  digo  de  traire 

Li  voulame;  i  mendi,  de  leissa  lou  bestiau  : 

Que  v6ngon  m'atrouva!  —  Tout-d'uno, 

Mai  lougeiret  que  la  cahruno, 
Part  lou  varlet  fideu  ;  trav^sso,  dins  ligres, 

Li  beus  esparcet  rouge ;  passo 

Entre  lis  euse  di  ribasso ; 

Franquis  d'un  bound  li  draio  basso ; 
S6nt  dqja  li  prefum  dou  fen  toumba  de  fres. 


HIREILLE,  CHANT  IX.  555 

«  Notre  Mirei]le  belle,  d  ^quip^ ;  —  d  pleurs !  avec 
le  dernier  des  truands  —  s'est  enlev6e,  enlevee  avec 
un  boh^me !...  —  Qui  nous  dira,  d6vergond6e,  —  le 
lieu,  la  caverne  reculte  —  ou  le  larron  t'a  con- 
duite?. . .  »  —  Et  ils  branlaient  ensemble  leurs  fronts 
orageux. 


Avec  r^nesse  et  les  mannes  de  sparterie — vint  1*6- 
chanson,  selon  Tusage ;  —  et,  debout  sur  le  seuil : 
«  Bonjour!  Je  venais  querir, — ^maitre,  les  oBufs  et  le 
grand-boire  *.  »  —  « Retourne-toi,  mal6diction !  — 
cria  le  vieillard,  car,  tel  qu'un  ch^ne-li^ge,  —  sans 
elle,  ores  il  me  semble  qu'on  m'a  arrach^  I'ecorce! 


«  D*une  seule  course,  —  retourne-toi  de  ta  venue, 
—  ^chanson!  A  travers  champs  pars  comme  I'e- 
clair!  —  Que  les  faucheurs  et  laboureurs  —  quittent 
les  faux  et  les  charrues!  —  aux  moissonneurs  dis  de 
Jeter  —  les  faucilles;  aux  bergers,  de  laisserle  b6- 
tail: 


«  Qu'ils  viennent  me  trouver ! »  —  Aussit6t,  — 
plus  16gerque  les  ch6vres,  —  part  le  valet  fidele;  il 
traverse,  dans  les  terrains  pierreux,  —  les  beaux 
sainfoins  rouges ;  il  passe  —  entre  les  yeuses  des 
bauts  talus ;  — il  franchit  d'un  bond  les  chemins  bas ; 
—  il  sent  d6ja  les  parfums  du  foin  fraichement 
abattUi. 


55(J  MlRfclO,  CANT  IX. 

Dins  li  luserno  b^n  nouirrido, 

Auto,  e  de  blu  t6uti  flourido, 
Ent^nd  cruci  de  liuen  la  daio ;  a  pas  egaa 

V6i  avanca  li  fort  segaire, 

Sus  I'andano  plega  :  de  caire, 

Davans  Tad^  desverdegaire, 
Cabnsso  la  panouio  en  marro  que  fan  gau. 

D'enfanl,  de  chalo  risouleto, 

Dins  Fendaiado  verdouleto 
Rastelavon ;  n'en  vei  que  meton  h  mouloun 

Lou  fen  adeja  l^st ;  cantavon, 

E  li  grihet  (que  desertavon  * 

De  davans  li  daio),  escoutavon... 
Sus  un  brancan  de  frais  que  tiron  dous  bi6u  blound, 

Alin  pu  liuen,  vM,  auto  e  largo, 

L*erbo  fenalo  que  se  cargo  : 
L'abile  carreti6,  sus  lou  viage,  eilamount, 

A  grand  brassdu,  de  la  pasluro 

Que  i'embarravo  la  centuro, 

Fasie  mounta  s^mpre  I'auturo, 
Acatant  parabando,  e  rodo,  emai  timoun. 

E  *m6  lou  fen  que  tirassavo, 
Quand  pi6i  lou  carri  s'avan^vo, 

D'un  bastimen  de  mar  aurias  di  Tembalun ! 
Veici  pamens  que  lou  cargaire 
S'aubouro  dre  coume  un  targaire, 
E  tout-d'un-t6ms  crido  i  segaire  : 

Sogaire !  aplantas-vous,  i'  a  quauque  treboiilun! 


MIREILLE,  CHANT  IX.  357 

Dans  les  luzernes  louffues,  —  hautes,  et  de  bier 
loutes  fleuries,  —  il  entend  craquer  de  loin  la  faux  , 
k  pas  6gaux  —  il  voit  avancer  les  forts  faucheurs,  — • 
ployes  sur  I'andain  :  de  cole,  —  devant  Vacier  des- 
tructeur  de  verdure,  —  se  renverse  la  fane  en  lignes 
qui  font  plaisir  (k  voir). 


Des  enfants,  des  jeunes  filles  rieuses,  —  dans  I'an- 
dain verdoyant  —  rMelaient ;  il  en  voit  qui  mettent  h 
meules  —  le  foin  deja  pr6t ;  ils  chantaient,  —  et  les 
grillons  (qui  d^sertaient  —  devant  les  faux),  6cou- 
taient...  —  Sur  un  chartil  de  frftne,  que  tirent  deux 
bOBufs  blonds, 


L^-bas,  plus  loin,  il  voit.  large  et  haute,  —  Therbe 
faucli6e  que  Ton  charge ;  —  I'habile  charrelier,  sur 
le  charroi,  lA-haut,  —  ^  grandes  brassies,  du  four- 
rage  —  qui  lui  enfermail  la  ceinture,  —  61evait  sans 
cesse  la  hauteur,  —  couvrant  ridellos,  et  roues,  et 
liijion. 


Et,  avec  le  foin  qui  trainait,  —  lorsque  ensuite  s*a- 
vangail  le  char,  —  d'un  batiment  de  mer  vous  eus- 
siez  dit  la  masse.  —  Voici  pourtant  que  le  chargeur 
—  comme  un  jouteur  se  16 ve  droit,  — et  crie  soudain 
k  ceux  qui  fauchent :  «  Faucheurs  I  arr^tez-vous,  il  y 
a  quelque  trouble!  » 


358  MintlO,  CANT  IX. 

Li  carreteiroun,  qu*a  fourcado 

!e  ponrgissien  IVrbo  secado, 
Tourqueron  li  degout  de  soun  front  lout  coulanl; 

E,  siis  la  cenglo  de  sa  taio, 

Pausant  la  costo  de  la  daio, 

Vers  la  planuro  ounte  dardaio 
Li  segaire  tenien  la  visto,  en  amoulant. 

—  Ome !  escoutas  qii'a  di  lou  mesti'e, 

le  fai  lou  mandadou  campestre  : 
Chourlo,  m'adi,  subran  parte  coume  I'uiau ! 

Que  li  segaire  c  labouraire 

Quiton  li  daio  e  lis  araire; 

I  meissounie  digo  de  traire 
Li  voulame  ;  i  mendi,  de  leissa  lou  bestiaii  : 

Que  v6ngon  m*atrouva !  —  Tout-d  uno, 

Mai  Idugeiretque  la  cabruno, 
Part  lou  varlet  fideu  :  encambo  li  regoun 

Mounte  trachisson  li  garango, 

D'Alten  preciouso  remembrance; 

Vei  de  pertout  i'Amaduran(?o 
Que  daurejo  la  terro  i  fio  de  soun  pegoun. 

Dins  li  gara  'stela  d'auriolo, 

Vei,  caminant  darri6  si  mit)lo, 
Li  r^fi  vigourous,  courba  sus  lou  doubli; 

Vei,  de  soun  ivernenco  dormo, 

La  terro  qu'en  mouto  disformo 

S'eigrejo,  e  dins  larego  einormo 
Li  guigno-co  segui  I'araire,  entrefouli. 


MIREILLE,  CHANT  IX.  550 

Les  aides-char retiers,  qui  h  pleine  fourche  —  lui 
pr6sentaient  I'herbe  fanee,  —  essuy^rent  les  gouttes 
de  leur  front  ruisselant ;  —  et  sur  le  ceinturon  de 
leur  taille — posant  le  dos  de  la  faux,  — vers  la  plaine 
ou  darde  (le  soleil)  —  les  faucheurs  tenaient  la  vue, 
en  aiguisant. 


—  ((  Homnies !  ecoutez  ce  qu'a  dit  le  maitre,  — 
leur  fait  le  messager  rustique  :  —  «  Echanson,  m'a- 
t-il  dit,  pars  soudain  comme  I'eclair !  —  Que  les  fau- 
cheurs et  laboureurs  —  quittent  les  faux  et  les  char- 
rues;  —  aux  moissonneurs  dis  dejeter — lesfau- 
cilles ;  aux  bergers,  de  laisser  le  b6tail : 


«  Qu  ils  viennent  me  trouver !  »  —  Aussitdt,  plus 
leger  que  les  chevres,  —  part  le  valet  fidele  :  il  en- 
jambe  les  billons  —  ou  croissent  les  garances,  — 
d'Althen'  precieux  souvenir ;  —  il  voit  de  partout 
la  Maturite  —  qui  dore  la  terre  aux  feux  de  sa 
torche. 


Dans  les  guerets  etoil^s  d'flwmtes*,  —  il  voit, 
cheminant  derriere  leurs  mules,  —  les  laboureurs  vi- 
goureux,  courb^s  sur  la  charrue ;  —  il  voit,  de  son 
sommeil  hivernal,  —  la  terre  en  mottes  difformes — 
se  soulever,  et  dans  Tenoraje  sillon — les  hochequeues 
suivre  I'araire,  fretillanls. 


5611  MlUfcIO,  CANT   IX. 

—  Oiiie !  escoutas  qu*a  di  k)u  niestre ! 

le  fai  lou  niandadou  camp^stre  : 
Chourlo,  in  a  di,  subran  parte  coume  I'uiau! 

Que  li  segaire  e  labouraire 

Quiton  li  daio  e  lis  araire  ; 

I  meissouiii^  digo  de  traire 
Li  voulame ;  i  mendi,  de  leissa  lou  bestiau  : 

Que  vengon  m'atrouva !  —  Tout-d'uno, 

Mai  lougeiret  que  la  cabruno, 
Part  lou  varlet  fid^u  :  e  sauto  H  valat 

T6uti  flouri  d'erbo  pradiero; 

Trauco  li  bl^nqui  civadiero ; 

Dins  li  grand  terrado  bladiero 
E  rousso  d'espigaUj  s'esmarro  apereila. 

Quaranto  uieissounie,  quaranto 
Coume  de  flamo  devouranto, 

l)e  soun  viesti  fougous,  redoulent,  agradieu, 
Despuiavon  la  terro ;  anavon 
Sus  la  ineissoun  que  meissounavon, 
Coume  de  loup !  Desvierginavon 

De  soun  or,  de  sa  flour,  e  la  terro  e  Tesli^u. 

Darrie  lis  ome,  e'n  16iiguiligno 
Coume  li  maidu  d*unD  vigno, 

Toumbavo  la  gavello  aderren  :  dins  si  braS; 
Li  ligarello  afeciounado 
Leu  acampavon  li  manado  : 
E  leu,  la  garbo  esient  quichado 

Em*  un  cop  de  geinoun,la  jitavondetras. 


MIREILLE,  CHANT  II.  361 

—  c  Hommes!  ecoutez  ce  qu'a  dit  le  mailiv,  — 
leur  fait  le  messager  rustique  :  —  «  Echanson,  in*a- 
t-il  dit,  pars  soudain  comme  T^clair !  —  Que  les  fau- 
cheurs  et  laboureurs  —  quittent  les  faux  et  les  char- 
rues;  —  aux  moissonneurs  dis  dejeler  —  les  fau- 
cilles ;  aux  bei^ers,  de  laisser  le  b^tail : 


a  Qu*ils  viennent  metrouver!  »  Aussit6t, —  plus 
leger  que  les  ch^vres,  —  part  le  valet  fiddle  :  il  saute 
les  fosses,  —  tout  fleuris  d*herbes  prairiales ;  —  il 
troue  (dans)  les  champs  d'avoine  blancs ;  —  dans  les 
grandes  pieces  de  ble,  —  rousses  d*epis,  il  se  perd 
au  loin. 


Quarante  moissonneurs,  quarante,  >-pareils  k  des 
flammes  devorantes,  —  de  son  vMement  touffu, 
odorant ,  gracieux ,  —  depouillaient  la  terre ;  iU 
allaient  —  sur  la  moisson  qu*ils  moissonnaient  — 
comme  des  loups  !  ils  devirgiiiaient  —  de  leur  or,  de 
leur  fleur,  et  la  terre,  et  I'^te. 


Derri^reles  honunes,  etenlongues  lUes— comme 
les  crosscttes  d*une  vigne,  —  tombait  la  javelle  avec 
ordre  :  dans  leurs  bras  —  les  ardentes  lieuses  — 
vite  ramassaient  les  poignees,  —  et  vile,  pressant  la 
gerbe  —  d*un  coup  de  genou,  la  jetaient  derri^re 
(elles). 

31 


362  MIRfelO,  CANT  IX. 

,  Coume  lis  alo  d  un  eissamc 

Beluguejavon  li  voulame; 
Beluguejavon  coume,  a  la  mar,  li  riseiit 

Hounte  au  souleu  jogo  la  larbo ; 

E  counfoundent  si  rilifi  barbo, 

En  garbeiroun  lis  auti  garbo, 
En  garbeiroun  pounchu,  mountavon  a  cha  cent. 

Ac6  semblavo,  per  li  lerro, 

Li  pavaioun  d'un  camp  de  gueiTo  : 
(louiue  aqu^u  de  Beucaire,  auire-tems,  quand  SimouU; 

E  la  Grousado  franchimando, 

E  lou  legal  que  li  coumando, 

Vengu^ron,  z6u !  k  touto  bando, 
Sagala  la  Prouvenco  e  lou  Comte  Ramouii ! 

Mai  enterin  li  glenarello, 
D*aqui,  d'eila,  van,  jougarello, 
E  si  gleno  a  la  man ;  enterin,  i  canie, 

0  di  garbiero  a  Toumbro  caudo, 
Manto  chatouno  fouiigaudo, 
Souto  un  regard  que  Tesbrihaudo, 

S'alangouris :  Amour  tamb6n  es  meissounie. 

—  Orae !  escoutas  qu  a  di  lou  mestre, 
Ic  fai  lou  niandadou  camp^stre  : 
Chourlo  !  m'a  di,  subran  parte  coume  I'uiau  j 
Que  li  segaire  e  labouraire 
Quiton  li  daio  e  lis  araire; 

1  meissounie,  digo  de  Iraire 

Li  voulame  ;  i  mendi,  de  leissa  lou  bestiaui 


MIREILLE,  CHANT  IX.  :»(« 

Gomme  les  ailes  d'un  essaim  —  6tincelaient  les 
faucilles ;  —  elles  etincelaient  comme,  a  la  mer,  les 
(flots)  rieurs  —  ou,  au  soleil,  s*ebat  le  carrelet ;  — 
et  confondant  leurs  barbes  rudes,  —  en  meules  les 
hautes  gerbes,  — en  meules  pyramidales,  s'61evaient 
parcentaines. 


Cela  ressemblait,  par  les  champs, — aux  pavilions 
d'un  camp  de  guerre :  —  comme  celui  de  Beaucaire, 
autrefois,  quand  Simon,  —  et  la  Groisade  francaise, 
—  et  le  16gat  qui  les  commande,  —  vinrent,  imp6- 
tueux,  h  toute  horde ,  —  ^gorger  la  Provence  et  le 
Comte  Raymond ! 


Mais,  cependant,  les  glaneuses, —  c^  et  \k  vont, 
se  jouant,  —  leurs  glanes  k  la  main ;  —  cependant, 
aux  cannaies,  —  ouh  Tombre  chaude  des  gerbiers^ 
—  mainte  fillette  folMre,  sous  un  regard  qui  la  fas- 
cine,— se  laisse  aller  k  la  langueur  :  Amour  aussi  est 
moissonneur. 


—  «  Hommes !  ecoutez  ce  qu'a  dit  le  maltre,  — 
leur  fait  le  messager  rustique  :  —  «  Echanson,  m*a- 
t-il  dit,  pars  soudain  comme  Tfeclair ;  —  que  les  fau 
cheurs  et  laboureurs  —  quittent  les  faux  et  les  char- 
rues  ;  —  aux  moissonneurs  dis  de  jeter  —  les  fau- 
cilles ;  aux  bergers  de  laisser  leb^tail. 


304  HIKlilIO,  CANT  IX. 

Que  vengon  m'atrouva !  —  Tout-d'uno, 
Mai  lougeiret  que  la  cabnino. 

Part  lou  varlet  fid^u  :  dins  lis  6ulivi6  gris 
Prenlis  ac6urchi;  mountelampo, 
Di  vignar^s  trosso  la  pampo, 
Coume  un  rev^s  de  la  sisampo ; 

E,  tout  soul,  velaqui  dins  li  canto-perdris. 

Dins  I'estendard  di  Crau  brusido, 
Souto  d'^usino  abouscassido, 

Deslousco  aperalin  li  troupeu  achauma  : 
Li  pastrihoun,  lou  baile-pastre, 
Fasien  miejour  sus  lou  mentastre ; 
En  pas  courrien  li  galapastre 

Sus  I'esquino  di  fedo  en  trin  de  remiauma, 

De  nevouUno  clarinello, 
E  voulatilo,  e  blanquinello, 

De  la  mar  plan-planet  s'enauravon :  he\hu 
Dins  lis  autour  inmaterialo, 
Quauco  santouno  celestialo, 
De  soun  velet  de  counventialo 

S'^TO  dei6ugerido  en  frustant  lou  soul6u. 

—  Ome !  escoutas  qu'a  di  lou  m^stre, 

le  fai  lou  mandadou  camp^stre  : 
Ghourlo,  m*a  di,  subran  parte  coume  Tuiau ; 

Que  li  segaire  e  labouraire 

Quiton  li  daio  e  lis  araire ; 

I  me'ssouni^  digo  de  traire 
Li  voulame ;  i  mendi,  de  leissa  lou  bestiau. 


WIREILLE,  CHANT  IX.  365 

«  Qu4ls  \iennenl  me  trouver!  »  Aussit6t,  — 
plus  l^ger  que  les  ch^vres,  —  part  le  vakt  fid61e  : 
dans  les  oliviers  gris  —  il  prend  les  raccourcis  (du 
chemin) ;  il  va  comme  Teclair ;  —  des  vignobles  il 
lord  le  pampre,  —  comme  une  rafale  de  bise ;  —  et 
le  voite,  seul,  (aux  lieux)  ou  chante  la  pordrix. 


Dans  la  vaste  etendue  des  Craux  arides,  —  sous 
des  chSneteaux  rabougri<:,  —  il  decouvre  au  loinlain 
les  troupeaux  qui  reposent ;  —  les  jeuiies  bergers,  le 
chef  des  pasteurs,  —  faisaient  la  meridienne  sur  le 
marrube ;  —  en  paix  couraient  les  bergeronnetles,— 
sur  le  dos  des  brebis  en  train  de  niminer. 


Des  vapeurs  diaphanes,  —  legeres  et  blanches;  — 
de  la  mer  lentement  s*elevaient :  peut-6tre,  —  dans 
les  hauteurs  immat^rielles,  — quelque  sainte  du  ciel, 
—  de  son  voile  de  nonne — s'6tait-elle  all^gee  en  fr6- 
lant  le  soleil. 


a  Hommes !  6coutez  ce  qu'a  dit  le  roaitre,  — 
leurfait  le  messager  rustique  :  —  a  Echanson,  m'a 
t-il  dk,  soudain  pars  comme  I'eclair ;  —  que  les  fau- 
cheu^-s  et  laboureurs  —  quiltent  les  faux  et  les  char- 
rues  {  —  au\  moissonneurs  dis  de  jeter  —  les  fau- 
cille^;  aux  bergers  de  laisserle  b^tail.  » 

./  51. 

/ 


3««  MTUfilO.  CANT  IX. 

Adounc  li  daio  s*arrest^ron, 

E  lis  araire  s'aplantfiron; 
Li  quaranto  gavot  que  toumbavon  li  blad, 

Adounc  quil^ron  li  voulame, 

E  vengu^ron  coume  un  eissame 

Que,  de  sa  bnisco  parti  flame, 
Au  brut  di  chaplach6u  su  *n  pin  vai  s'asseiubla. 

Au  mas  venga^  li  ligarello, 

Vengu^ron  li  rastelarello, 
Vengu6  lou  carreti6  *m6  si  carreteiroun ; 

Vengu6  li  pastre,  li  glenaire, 

E  li  toutobro  amonlounaire, 

Vengu6  lis  engarbeirounaire, 
Leissant  toumba  li  garbo  au  p^d  di  garbeiroun. 

Morne  e  mul,  dins  Tiero  tepouso, 

Lou  majourau  e  soun  espouso 
Esperavon  Tacamp ;  e  lis  ome,  esmougu 

De  ce  qu'ansin  li  destourbavon, 

Autour  ddu  mestre  se  rambavon, 

E  ie  disien,  coume  arribavon  : 
Nous  aves  manda  querre,  o  mestre,  sian  vengu! 

M^ste  Bamoun  auss^  la  testo  : 

—  Sempre  a  meissoun  la  grand  temp^sto  ! 
Paiiras  que  t6uti  sian !  per  lant  qu'anen  d'avis, 

Sempre  au  raalur  fau  que  Ton  pique ! 

Oh!  digu6,  s^ns  que  mai  m'esplique, 

Mi  bons  ami,  vous  n'en  suplique, 
L^u  digue-me,  chascun,  ce  que  saup,  ce  qu*a  vist. 


MIREILLE,  CHANT  IX.  367 

Alors  s'arr6t6rent  les  faux,  —  et  firent  halle  les 
charrues ;  —  les  quarante  monlagnards  qui  abat- 
taient  les  bl6s,  —  alors  quitt^rentles  faucilles,  —  et 
vinrent  commeunessaim — qui,  parti  desa  ruche,  d^s 
que  les  ailes  lui  ont  pouss^, — au  bruit  des  cymbales 
^clatantes,  sur  un  pin  va  se  rassembler. 


Au  mas  vinrent  les  lieuses  (de  gerbes),  —  vinrent 
les  r^teleuses,  —  vint  le  charretier  avec  ses  aides, 
—  vinrent  les  pMres,  les  glaneurs,  — et  les  ouvriers 
qui  ameulonnent,  —  vinrent  les  entasseurs  de 
gerbes,  —  laissant  tomber  les  gerbes  au  pied  des 
meules. 


Mornes  et  muets,  dans  Taire  gazonneuse, —  le  chef 
(de  la  ferme)  et  son  epouse —  attendaient  le  rassem- 
blement ;  —  et  les  hommes,  6mus  —  d'etre  ainsi 
troubles  (dans  leurs  travaux) ,  —  autour  du  maitre  se 
rendaient,  —  et  lui  disaient  en  arrivant :  —  «  Vous 
nous  avez  mand^s,  6  maitre,  nous  voici!  » 


Maitre  Ramon  leva  la  t^te  ;  —  «  Toujours  k  la 
moisson  le  grand  orage! — Inforlun^s  que  nous  som- 
mes  tons !  si  Men  avisos  que  nous  soyons, — ^toujours 
au  malheur  il  faut  se  heurter!  —  Oh  I  dit-il,  sans 
que  je  m'explique  davantage,  —  mes  bons  amis,  je 
vous  en  suppUe,  —  que  promptement  chacun  me  disc 
ce  qu'il  sait,  ce  qn'il  a  vu.  * 


908  NIRtiO,  CAMT  IX. 

Lauren  de  G6ut  aqui  s'avan^o. 

N*avi6  pas,  dempi^i  soun  enfan^o, 
Manca  'no  soulo  fes,  quand  bloundejon  li  Mad, 

De  se  gandi  'm^  sa  bedoco 

I  piano  d'Arle.  ViMo  roco 

Hounte  la  mar  en  van  afloco, 
Coume  un  queiroun  de  gl^iso  avi^  louten  brula. 

Vifti  capiWini  d6u  voulame, 

Que  lou  soul^u  roustigue,  o  brame 

Lou  Maistrau,  de-longo  k  Yohvo  lou  proumi^ ! 
Avi§  'm*  eu  si  s6t  drole,ruste, 
Mouret  coume  6u,  coume  £u  roubuste... 
Li  meissouni^,  coume  de  juste, 

L*avien,  tout  d*un  acord,  chausip^r  capouli^. 

—  S'acd  's  verai  que  pl6u  o  n6vo, 

Quand,  rouginas,  lou  jour  se  16vo, 
Co  qu'ai  vist,  coumenc^  Lauren  de  Gdut,  segur, 

M6stre,  nous  marco  de  lagremo. 

Di6u!  esvartaslou  terro-tremo! 

£ro  de  matin  :  Taubo  memo 
Deja  vers  lou  Poun^nt  fasie  courre  Tescur. 

Trempe  d'eigagno,  h  1  abitudo, 

Anavian  faire  la  fendudo. 
—  Sdci,  rapelen-nous  de  lou  b6n  adooba, 

le  disc,  e  d'enavans !...  MVstroupe, 

A  moun  prefa,  galoi,  me  groupe; 

D6u  proumi^  cop,  m^stre,  me  coupe ! 
Ta  trento  an,  bdu  Bondieu!  que  noun  m*6ro  arnba! 


MIREILLE,  CHANT  IX.  509 

Laurent,  de  Goull ',  s'avance  alors  :  —  il  n*avait 
pas,  depuis  son  enfance,  —  manque  une  seule  fois, 
quand  blondissent  les  bl^s,  —  de  s'acheminer  avec  le 
carquois  (de  sa  faucille)  —  vers  les  plaines  d' Aries. 
Vieille  roche  —  que  la  mer  frappc  en  vain  de  ses  va- 
gues,  —  coinme  une  pierre  d*eglise,  il  avail  le  teint 
bnil6. 

Vieux  capitaine  de  la  faucille,  —  que  le  soleil  rd- 
tisse  ou  que  mugisse  — le  Mislral,  loujours  k  I'oeuvre 
le  premier! — 11  avail  avec  lui  ses  sept  flls,  ruslauds, 
—  hftl6s  comme  lui,  comme  lui  robustes...  —  Les 
moissonneurs,  ^  juste  litre,  —  Tavaient,  d'un  accord 
unanime,  6lu  pour  chef. 


—  «  S'il  est  vrai  qu'il  pleut  ou  qu*il  neige,  —  lors- 
que,  rougeMre,  le  jour  se  16ve,  —  cequej*aivu, 
comment  Laurent  de  Goult,  k  coup  sur,  —  maltre, 
nous  presage  des  larmes.  —  Dieu !  dissipez  le  treni' 
blement  de  terre !  —  C*6tait  ce  matin  :  I'aubc  m^mo 
—  d^jk  vers  le  Ponant  cliassait  robscurile. 


((  Trempes  d'aiguail,  k  rhabilude,  —  nous  allions 
iaire  la  troupe.  —  Compagnons,  rappelons-nous  de 
bien  arranger  (le  travail),  —  leurdis-je,  et  de  Ten- 
train  !...  Je  me  retrousse,  —  k  ma  tftche,  gaiemenl, 
je  me  courbe ;  —  du  premier  coup,  maitre,  je  me 
blesse !  —  Voil^  trente ans,  beau  Dieu!  que  cela  ne 
m'^tait  arrival  b 


570  MIRfcHJ,  CANT  II. 

E  coume  a  di,  mostro  sis  ounso 
Qu*ensaunousis  la  plago  founso. 

Li  parent  de  Mir^io  an  que  mai  pregemi. 
R  Jan  Bouquet,  un  di  segaire, 
Pren  la  paraulo  de  soun  caire, 
Tarascounen  e  Tarascaire, 

R^u  clapas  de  jouvent,  mai  dous,  e  bon  ami. 

Ha !  quand  courri^  la  vieio  ma^cOy 
Lagadigadiu!  la  Tarasco! 

Que  de  danso,  de  crid,  de  joio  e  d'estamp^n 
La  vilo  morno  s*enlumino, 
Res  que  fagu^sse  en  Coundamino, 
Mies  qu*6u  o  de  meiouro  mino, 

Voulaslreja  p6r  Yhr  la  Pico  e  lou  Drap6u. 

Entre  li  mestre  d6u  segage 
Aurie  pres  r^ng,  i  pasturgage, 

S*^gu^sse  d6u  travai  ben  tengu  lou  draiou; 
Mai  quand  veni6  lou  t^ms  di  voto, 
Adi^u  Tenchaple !  I  grand  riboto 
Souto  Tautin  o  dins  li  croto, 

1 16ngui  farandoulo,  em*i  courso  de  biou, 

ilro  un  timoun,  un  fena !  —  Mestre, 
•      Coume  daiavian  k  grand  destre, 
Coumenc6  lou  jouvent,  souto  un  clot  demargai^ 

Descate  un  nis  de  francouleto 

Que  boulegavon  sis  aleto; 

Elvers  la  mato  penjouleto, 
Per  v6ire  quant  n*  i'  avi^,  me  clinave  tout  gai; 


Ml  HEILLE,  CHANT  IX.  571 

A  ces  mots,  il  montre  ses  phalanges  —  qu*en8an- 
glante  la  plaie  profonde.  —  Les  parents  de  Mireillo 
ont  d*autant  plus  gemi.  —  Et  Jean  Bouquet,  Tun  des 
faucheurs,  —  prend  la  parole  de  son  cMe  :  —  Taras- 
conais  et  chevalier  de  la  Tarasque,  —  beau  bloc  de 
gar^on,  mais  doux,  et  bon  ami. 


Ah !  quand  courait  ['antique  smxiere^  —  lagadi- 
gademi!  la  Tarasque!  — quand  de  danses,  de  cris, 
de  joie  et  de  vacarme  —  s*enlumine  la  ville  morne, — 
nul  qui  fit,  en  Condamine,  —  micux  que  lui  ou  de 
meilleure  gr^ce,  —  voltiger  dans  Ich  airs  la  pique  et 
ledrapeau*. 


Parmi  les  maitres  de  la  fauche— il  aurait  pris  rang, 
aux  pMurages,  —  s'il  eAt  du  travail  bien  tenu  le 
senlier.  —  Mais  quand  venait  le  temps  des  f^tes,  — 
adieu  le  martelage  (de  la  faux) !  Aux  grandes  orgies 

—  sous  la  tonnelie  ou  dans  les  tavernes  voutees, 

—  aux  tongues  fai^audoles  et  aux  courses  de  tau- 
reaux, 

G'6tait  un  limon,  un  forcen^!  —  « Maitre,  —  pen- 
dant que  nous  fauchions  a  grands  coups,  —  com- 
men^a  le  jouvenceau,  sous  une  touffe  d'ivraie,  —  je 
decouvre  un  nid  de  francolins  —  qui  agitaient  leurs 
ailerons;  —  et  vers  la  fanependante,  —  afin  d*en 
voir  le  nombre,  Je  me  penchais  tout  Joyeux ; 


:^n  MIRfelO,  CANT  IX. 

Oh!  noum  de  sort!  p&uri  bestiolo! 

De  fournigasso,  roujo  e  folo, 
Uou  nis  e  di  nistoun  venien  de  s'empara : 

Tres  eron  deja  mort;  lou  r^slo, 

Einpesouli  d'aquelo  pesto, 

Sourtie  foro  d6u  nis  la  testo, 
Que  semblavo  me  dire  :  Oh  !  \en6s  m'apara ! 

Mai  uiio  ii^blo  de  fournigo 
Mai  veriiiouso  que  d'ourtigo, 

Fiirouno,  acarnassido,  alabro,  U  pougnie ; 
E  ieu,  apensamenti  qu'^e 
Contro  lou  manche  de  moun  ferre, 
Dins  la  garrigo  entendeguere 

La  maire  qu'en  plourant  pieutavo  e  li  plagnie. 

Aqueu  recit  de  maluran^ 

Es  tournamai  un  cop  de  lango  : 

\>6\\  paire  e  dc  la  inaire  a  gounfla  lou  segren. 
E  counie,  en  Jun,  quand  vers  la  plana 
Mounto  en  si  lend  la  chavano> 
Que,  cop  sus  cop,  la  Tremouutano 

Uiausso,  e  que  lou  t^ms  de  tout  caire  se  pren, 

Yen  lou  Marran.  Dins  li  bastido 
Soun  noum  avi^  de  restountido ; 

E  lou  vespre,  enterin  que  li  miou  estaca 
Tiron  di  grupi  la  luserno, 
Sou  vent  li  rifi,  quand  iverno, 
Abenon  1 61i  di  lanterno, 

En  parlant  de  la  fes  que  vengue  se  louga. 


MIREILLE,    CHANT  IX.  373 

a  Oh !  sort  fatal !  pauvres  pelites  betes  1  —  D*af- 
freuses  fourmis,  rouges  et  folles, — du  nidetdes 
petits  venaient  de  s'emparer.  —  Trois  etaient  d^ja 
morts  ;  le  resle,  —  infeste  de  cette  vermine,  —  sor- 
tait  hors  du  iiid  la  t6te,  —  qui  seiriblait  me  dire  : 
Oh!  venez  me  defendre! 


« Mais  une  uu^  de  founnis  —  plus  venimeuses 
que  des  orlies,  —  furieuse,  acharn^e,  avide,  les  per- 
^ait ;  —  et  moi,  pensif  que  j*etais — contre  le  manche 
de  mon  fer,  —  dans  la  lande  j'entendis  —  la  m^re 
qui  en  pleurant  piaulait  et  Ics  plaignait.  » 


Ce  recit  de  malheur  —  est  dei'cchef  un  coup  de 
lance  :  —  du  p6re  et  de  la  mere  il  a  goufle  Tamer 
pressentiment.  —  Et  comme,  en  juin,  quand  vers  la 
plaine  —  monte  en  silence  Forage,  —  que,  coupsur 
coup,  la  Tramontane'^  —  resplendil  d'eclairs,  et  que 
le  temps  de  toute  part  se  couvre, 


Yient  le  Han  an.  Dans  les  bastides  >-  son  nom 
avait  du  retentissement;  —  etlesoir,  pendant  que 
les  mulcts  attaches  ^—  tirent  des  creches  la  luzerne, 
souvent  les  valets  de  labour,  en  hiver,  —  6puisent 
rhuile  des  falots,  —  en  parlant  de  la  fois  qu*il  vint  se 
louer. 


5tt 


374  MIHfciO,  CANT  IX. 

S'^i-o  louga  p^r  li  semen^  : 

(ihasquc  boui^  16u  acoumeu^o 
D'enrega  sa  versano ;  e  lou  Harran,  pamcn, 

Ero  darri^  que  de  sa  riho 

Tascoulejavo  lis  auriho, 

0  Taramoun  o  li  tendiho, 
Conine  un  que,  de  sa  vido,  a  touca  reslrumen. 

—  Te  vas  louga  p^r  labouraire, 
E  sabes  pas  mounta  n  araire, 

Desgaubia !  ie  crid6  lou  proumie  carretie. 
T6ne  qu'un  verre  eme  sonn  niourre 
Hieu  que  tu,  gafagnard,  laboure! 

—  Voslo  escoumesso,  i6u  Tauboure, 
Respound^  lou  Marraii ;  e  quau  sara  coustie, 

l)e  i6u  0  de  vous,  perdra,  baile, 
Tres  louvidor !...  Sounas  d6u  graile! 

Li  dos  riho  k  la  fes  an  fendu  lou  gara. 
Li  dous  bouie  vers  Tautro  ribo 
Prenon  signau  en  dos  grand  pibo... 
Li  dous  fourcat  fan  pa*  no  gibo ! 

Per  lou  rai  d6u  soul^n  li  cresten  soun  daura. 

—  Hanipau  de  Dieu !  adounc  fagueron 
Li  lougadie  touti  tanl  qa'feron, 

Vosto  enregado,  bailc,  es  d'un  ome  de  bon 
E  d'uno  man  r^n  maladrecho! 
Mai  fau  tout  dire  :  es  b^n  tant  drecho, 
Aquelo  d'eu,  qu'em'  uno  flecho 

Se  pourrie  de-scgur  enfiela  tout-de-long  I 


MIREILLE,  CHANT  IX.  575 

II  s'6tait  lou6  pour  les  semailles :  —  chaque  labou- 
peur  bientdt  commence  —  a  tracer  son  sillon ;  et  le 
Harran,  n^anmoins,  —  6tait  demure  qui  de  son  soc 
—  cognait  gauchement  les  oreilles,  —  ou  le  cep,  ou 
les  tirants,— comme  celui  qui,  de  sa  vie,  n'a  touche 
routil. 


—  «  Tu  vas  te  louer  pour  laboureur,  —  et  tu  ne 
sais  pas  monter  un  araire,  —  maladroit !  lui  cria  le 
premier  charretier.  —  Je  liens  qu*un  verrat  avec  son 
groin  — mieux  que  loi,  goujat,  laboure! »  —  « Voire 
gageure,  je  la  releve,  — reponditle  Marran,  et  qui 
manquera  le  but, 


«  De  moi  ou  de  vous,  perdra,  chef,  —  trois  louis 
d'or!...  Sonnez  du  clairon!  »  —  Les  deux  socs  a  la 
fois  ont  fendu  le  gu6ret.  —  Les  deux  laboureurs 
vers  Tautre  rive — prennent  pour  jalons  deux  grands 
peupliers...  —  Les  deux  araires  ne  font  pas  une 
inflexion  !  —  Par  le  rayon  du  soleil  les  aretes  sont 
dories. 

—  «  Pakne  de  Dieu  !  dirent  pour  lors  —  les  servi- 
teurs,  tons  tant  qu  ils  etaient,  —  voire  sillon,  chef, 
est  d'un  homme  valeureux  —  et  d*une  main  point 
maladroite !  —  Mais,  disons  tout :  tellement  droit  est 
—  celui  de  Tautre,  qu'avec  une  flectie  —  on  pour- 
rait  assnrfement  I'enfiler  tout  du  long!  » 


576  MIREIO,  CANT  IX. 

E  lou  Harran  gagn^  li  joio. 

Au  parlamen  que  desmemoio 
Lou  Marran,  6u  pereu,  vengu6  dounc  escanipa 

Soun  mot  amar ;  digu^  tout  blave  : 

—  Ad^s  en  coutreiant  siblave; 

£ro  un  brisoun  dur  :  me  tablave 
D'alounga  'n  pau  la  juncho,  e  *m*  ac6  d  acaba. 

Tout-en-uncop  vese  mib^sti 
Rebufela  soun  pelous  viesti ; 

Vese  la  fernisoun  e  Tesfrai  tout  ensen 
Que  fan  aplanta  'qui  moun  couble 
E  chauriha ;  leu,  vesi^u  double, 
Vesieu  lis  erbo  d6u  restouble 

Se  clina  vers  lou  sdu  en  s'escoulouriss^nt. 

Coucbe  mi  b^sti :  la  Baiardo 

Em  *un  6r  triste  m'arregardo, 
Mai brando  pas,  Falet  niflavo  lou  cresten. 

(Jn  cop  de  fouit  lis  enjarreto. .. 

Parton  esglaia  ;  la  cambeto, 

Uno  cambeto  d*6uroe,  peto ; 
Emporton  bassegoun  e  joto ;  e  pale,  est  en, 

A  i6u  m*a  pres  coume  un  cat^rri; 

Un  aucident  in\  oulountari 
A  fa  cruci  ma  maisso ;  un  frejoulun  ine  ven , 

E  sus  mi  car  est^ousido, 

E  sus  ma  testo  agarrussido 

Coume  li  testo  de  caussido, 
leu  ai  senti  la  Mort  qu'a  passa  coume  un  vent ! 


MIREILLE,  CHANT  IX.  577 

Et  leMarran  gagna  le  prix.  —  Dans  le  conseil  cpii 
d^concerte,  — •  le  Marran,  lui  aussi,  vint  douc  \erser 
—  son  mot  amer;  il  dit  tout  bltoe :  —  «  Tantdt  en 
labourant  je  sifflais  ;  —  c'6tait  tant  soit  pen  dur  :  je 
me  proposals  —  d*allongef  un  peu  la  seance,  afin 
d'achever. 


«  Tout  a  coup  je  vois  mes  b^tes  —  h^risser  leur 
v^tementpoilu  ;  — Je  vois  le  fremissement  et  Teffroi 
tout  ensemble  —  qui  font  arr^ter  \k  ma  paire  —  et 
chauvir  des  oreilles;  moi,  je  voyais  double, -^  je 
voyais  les  herbes  de  la  jachere  — se  penchervers  le 
sol  en  se  decolorant. 


«  Je  touche  mes  b^tes  :  la  Bayarde  —  avec  un  air 
triste  me  regarde,  —  mais  ne  remue  pas ;  Falet  flai- 
raitl'arMe  (du  sillon). — ^Un  coup  de  fouet  leur  cingle 
les  jarrets. . . — elles  partent  effar6es;  Vage,  —  un  age 
d'orme ,  6clate ;  —  elles  emportent  la  fl6che  et  le 
joug;  etp^le,  oppress^, 


«  A  moi,  il  m'a  pris  comme  une  epilepsie ;  —  une 
convulsion  involontaire— a  faitgrincermam^choire; 
un  frisson  me  vicnt ;  —  et  sur  mes  chairs  conster- 
nees,  —  et  sur  ma  I6le  ^bourifT^e — comme  les  tMes 
des  chardons,  — j'ai  senti  la  Mort  passer  comme  un 
vent!  » 


52. 


378  MTBftiO,  ('\ST  IX. 

—  Bono  Haire  de  Di^u !  acato 
De  toun  mant^u  ma  bello  chato ! 

Ci*id^  la  pauro  maire  em'  un  crid  desoula. 

Es  k  geinoun  aqui  toumbado 

E  vers  li  nivo  encaro  bado... 

Yeici  qu'arribo  k  grand  cambado 
liou  baile  Ant^ume,  pastre  e  m6us^ire  de  h. 

—  Qu*^i  qu'avi^  dounc  tant  matiniero, 
P6rtreva  'nsin  li  cadeniero? 

I>igu^  lou  baile  Ant^ume  en  intrant  au  couoseii. 

Nautre  erian  claus  dins  ndsti  cledo, 

En  trin  de  mduse  ndsti  fedo ; 

E  sus  li  v^sti  claparedo 
Lis  estello  de  Di^u  clavelavon  lou  c^u. 

Uno  amo,  uno  oumbrinello,  un  ^^ri 
Frusto  lou  pargue ;  de  Tesglari 
Se  t^non  mut  li  chin,  s'amoulouno  Tave. 

—  Parlo-me  dounc,  se  sies  bono  amo ! 
Se  sies  marrido,  tomo  i  flamo ! 

En  i6u  pens^re...  A  Nostro-Damo, 
Mestre,  n'ai  pas  lesi  d'entamena  'n  Ave. 

Erne  ieu,  i  Sinti  Mario, 

Res  \6u  veni  de  la  pastriho?... 

Uno  voues  couneigudo  alor  crido.  E  'm'  ac6 
Tout  s*esvalis  dins  lou  camp6stre. 
Quau  vous  a  pas  di,  noste  mestre, 
Qu*6ro  Mir6io !  —  Acd  pdu  6stre? 

Tout  lou  mounde  h  la  fevS  adounc  fai  sus4ou-cop. 


MIKEILLE,  CHANT  IX.  579 

—  «  Bonne  M6re  de  Dieu !  couvre  —  de  ton  man- 
leau  ma  belle  enfant !  »  —  s'ecria  la  pauvre  m6re 
d  un  cri  d^sol^.  —  A  genoiix  elle  est  tonib6e  U,  — 
et  vers  les  nues  elle  ouvre  encore  la  bouche...  — 
Void  qu*arrive  a  grandes  enjambees  —  le  chef  An- 
lelme,  patre  et  trayeur  de  lait. 


—  «  Qu'avait-elle  done,  si  niatinale,~pour  banter 
ainsi  les  taillis  de  cades?  —  dit  le  chef  Antelme  en 
entrant  au  conseil.  —  Nous  6tions,  nous,  enfermfe 
dans  nos  claies,  —  en  train  de  traire  nos  brebis ;  — 
et,  au-dessus  des  vastes  (plaines)  caillouteuses, — les 
^toiles  deDieu  clouaient  leciel. 


tt  Une  aine,  une  ombre  ieg6re,  un  spectre  —  frdle 
ie  pare ;  de  frayeur  —  restent  muets  les  chiens,  se 
pelotomie  le  troupeau.  —  Si  tu  es  une  bonne  lime, 
parle-moi  done!  —  si  tu  es  mauvaise,  retourne  aux 
flammes!  —  pensai-je  en  moi-meme....  A  Nolre- 
Dame,  -  mail  re,  je  n'ai  pas  le  loisir  d'entamer  un 
Ave. 

—  «  Avec  moi,  aux  Saintes  Maries,  —  nulne  veiit 
venir,  d'  (entre)  les  bergers?  »  —  une  voix  connue 
alors  crie.  Et  ensuite  —  tout  disparait  dans  la  lande. 
—  Le  croiriez-vous  ?  6  noire  maitre,  —  c*6tait  Mi- 
reille ! »  —  «  Se  peut-il?  » — tout  le  monde  k  la  fois, 
pour  lors,  dit  sur-le-champ. 


580  MIRfilO,  CANT  11. 

—  Mir^io !  countuni^  lou  pastre, 
L'ai  \isto  k  la  clarta  dis  astre, 

li*8i  visto,  ieu  vous  dise,  e ma  fusa davan ; 

L*ai  visto,  noun  plus  talo  qu'^ro, 

Mai  dins  sa  caro  tristo  e  f&ro 

Se  couneissie  que,  sus  la  terro, 
I'D  cousent  dcsplesi  ie  dounavo  lou  vane ! 

D'ent^ndre  la  debalausido, 

Entre  si  man  enterrousido 

Lis  ome  en  gemiss^nt  piqu^ron  k  la  fes. 

—  1  Sanlo  menas-me  leu,  drole ! 
Crido  lapauro  maire  :  vole, 
Ounte  que  vague,  ounte  que  vole, 

Segni  mouu  auceloun,  moun  perdigau  de  gres ! 

Se  li  fournigo  Tagarrisson, 

Fin  que  d'uno,  mi  d6nt  que  trisson 
Manjaran,  trissaran  fournigo  e  fournigui^ ! 

Se  Tabramado  Mort-peleto 

Te  voulie  torse,  ieu  souleto 

Embrecarai  sa  daio  bleto, 
E  d6u  t^ms,  fugiras  k  trav^s  li  jounqui^ ! 

E  p^r  lou  champ,  Jano-Hario, 
Que  la  cregn^n^o  desvario, 
Samenavo  en  courrent  si  desvaga  prejit. 

—  Carreti6,  lendo  la  carreto, 
Yougne  Tessi^u,  bagno  li  frelo, 
El^u  atalo  la  Moureto, 

Qu'es  tard,  disi^  lou  m^stre,  e  qu'av^n  long  trejit! 


MIRGILLE,   CHANT  IX.  381 

—  «  Hireille!  continuale  pMre,  —  je  Vai  vue  k  la 
clart6  des  astres,  — je  I'ai  vue,  vous  dis-je,  et  elle  a 
file  devant  moi ;  —  Je  I'ai  vue,  non  plus  telle  qu'elle 
6tait,  —  mais,  dans  sa  figure  triste  et  sauvage,  —  on 
connaissait  que,  sur  la  terre,  —  un  cuisant  deplaisir 
lui  donnait  Velan !  » 


A.  la  fatale  nouvelle,  —  dans  leurs  mains  lerreuses 
— -  les  hommes  en  g^rnissant  frapp^rent  a  la  fois.  — 
((  Aux  Saintes,  menez-moi  vite,  gars!  — s'6crie  la 
pauvre  mfere.  Je  veux,—  ou  qu'il  aille,  ou  qu*il  vole, 
—  suivre  mon  oisillon,  mon  perdreau  des  champs 
pierreux ! 


«  Si  les  fourmis  Tallaquent,  — Jusqu'^  la  derni6re, 
mes  dents  qui  broient  —  mangetont,  broieront  four- 
mis  et  fourmili^re!  —  si  I'avare  Mort  d6charn6e — te 
Youlait  tordre,  moi  seule  —  j'ebr6cherai  sa  faux 
usee,  —  ot  pendant  ce  temps ,  lu  fuiras  k  travers 
les  jonchaies !  » 


Et  par  les  champs,  Jeanne-Marie  -^  que  I'appre- 
hension  egare,  —  semait  en  courant  ses  folles  invec- 
tives. —  «  Charretirr,  tente  la  charrette!  —  oins 
I'essieu,  mouille  les  cercles  (des  moyeux),  —  et 
promptement  altelle  la  Mourjtle ',  —  car  il  est  lard, 
disait  le  maitre,  et  nous  avons  un  long  trajel !  » 


:i82  MlRfelO,  CANT  IX. 

E  sus  lou  c^rri  bacelsdre 

Jano-Mario  mounto,  e  Taire 
SVmplissi6  mai-que-mai  d  estrambord  pietadous 

Ma  hello mignoto!...  Clapouiro, 

Erme  de  Crau,  vasti  sansouiro, 

A  ma  chatouno  que  langouiro, 
Emai  tu,  souleias,  fugues  amistadous !... 

Mai,  Tabouminablo  mandrouno 

Que  p6utir^  dins  souii  androuno 
Ma  chato,  e  de-segur  i'  a  veja,  i*  a  'mpassa 

Si  trassegiin  e  si  bouc6ni, 

Taven !  que  I6uli  li  demdni 

Qu'espavent^ron  Sant  Antoni, 
Sus  li  roco  di  Baus  te  vagon  tirassa ! . . . 

Dins  lou  trantran  de  la  carreto 
S'esperd  la  voues  de  la  paureto... 

R  lis  ome  d6u  mas,  en  espinchant  se  res 
Apareissie  dins  la  Crau  liuncho, 
Plan  s*entournavon  h  la  juncho. . . 
Urous,  enlre  li  16io  juncho, 

U  v6u  de  mousquihoun  yevoulunant  au  fres ! 


MIREILLE,   CHAiNT  IX.  585 

£t  sur  le  char  retentissant  —  Jeanne-Marie  nionte, 
et  Tair  —  s*emplissait  plus  que  jamais  de  transports 
d61irants  et  plaintifs  :  —  «  Ma  belle  mignonnel... 
pierr6es,  —  landes  de  Crau,  vastes  plages  salines, — 
k  ma  fille  qui  languit,  —  et  toi  aussi,  grand  soleil, 
soyez  bienveillants !... 


«  Mais  laboniinable matrone  —  qui  attira  dans  son 
anlre  -  -  nion  enfant,  et  k  coup  sur  lui  a  verse,  lui  a 
fait  avaler  —  ses  philtres  et  ses  poisons,  —  Taveu ! 
que  tous  les  demons  —  qui  epouvant^rent  Saint 
^toine,  —  sur  les  roches  des  Baux  aillent  te  trai- 
ner!... » 


Dans  les  cahots  de  la  chanette  —  se  perd  la  voix 
de  la  malheureuse...  —  Et  les  hommes  du  mas^  en 
examinant  si  personne  —  n'apparaissait  dans  la  Crau 
lointaine,  —  lentement  retoumaient  au  travail...  — 
Heureux,  entre  les  allees  (dont  les  arbres)  se  joignent, 
—  les  essaims  de  moucherons  tourbillonnant  au 
frais ! 


NOTES 


Dl   CHANT   NElVlfeME. 


*  MOrissent  leur  douleur.  Coudoun  signitie,  au  iig.  lourd  chagrin, 
poids  douloureux  qu'on  a  £ur  ie  cceui"  au  propre,  coing.  Ce  moi, 
dans  le  dernier  sens,  ddriye  du  grec  xvde3vtev,  fruit  de  Cydon, 
coing;  dans  le  premier,  de  xotos,  profond  ressentiment. 

'  Grand-boire  [grand-b^ure],  petit  repas  que  les  raoissonneui's 
font  vers  les  dix  lieures  du  matin. 

'Jean  Althen,  aventurier  amienien  qui,  en  4774,  introdui- 
sit  la  culture  de  la  garance  dans  le  comtat  Venaissin.  En  1850 , 
on  lui  a  eleve  une  statue  sur  le  rocher  d' Avignon. 

*  Auriole  (auriolo),  ceutaurec  du  solstice  [centaurea  solstUialis, 
Lin.),  plante  qui  pullule  dans  les  chaumes,  apres  la  moisson.  Scs 
tleurs  jaunes,  et  les  epines  eloil^es  de  leiu*  involucre,  lui  ont  valu 
son  nom  provengal,  qui  signifie  aur^le, 

*  Goult,  ou  Agoult  [Gdut),  village  du  departement  de  Vaucluse^ 
qui  a  donn^  son  nom  a  Tune  des  plus  iUustres  maisons  de  Pro- 
vence. 

^  Tout  le  monde  a  entendu  parler  de  la  Tarasque,  monstre  qui, 
d'aprto  la  tradition,  ravageaii  les  bords  du  Rh6ne  et  qui  fut  dompt^ 


NOTES  DU  CHANT  IX.  S8j 

pai>  sainte  Marthe.  Ghaque  ann^e  les  Tarasconais  c^lebrent  lour 
d^Uvrance  par  Vexhibilion  d'un  simulacre  de  ce  monstre,  que  des 
hommes  portent  a  la  course  a  travers  les  rues;  et  k  des  epoques 
plus  ou  rooins  rapproch^os,  on  rebausse  cette  f^te  par  une  foule 
dejeux.  Geux  de  la  Pique  et  du  Drapeau,  mentionnds  dans  le 
poeme,  consistent  a  faire  voltiger  gracieusement,  k  lancer  k  une 
grandc  hauteur  et  a  rattraper  avec  adresse  un  ^tendard  aux  largori 
plis  ou  une  longue  javeline. 

—  Lagadigadiu  est  la  c^lebre  ritoumcUe  d'une  cbanson  popu- 
laire  attribute  au  roi  Ren^,  et  qu'on  chantc  a  Tarascon  dans  cettc 
!l§le.  En  voici  le  couplet  le  plus  connii ; 


l.a{;adigadeu ! 
La  Tarasco ! 
Lagadigadeu ! 
La  Tarasco 
De  Castcu ' 
Leissas-la  pa>sat 
La  vieio  masco! 
Leissas-la  passa 
0"C  vai  d.'.nsa. 


—  En  Gondaniine  [en  Caundamino).  La  Condamine  [camptu  Do- 
mim)  est  un  quartier  de  Tarascon.  On  retrouve  cede  denomina- 
tion dans  plusieurs  villes  du  Midi. 

^  Tramontane  \Jremountam),  vend  du  nord-esl,  et  par  extension 
nord-esl. 

^  La  Mourette  [la  Moureto]^  uom  de  mule.  Dans  les  cumpagnet?. 
on  d^igne  ordinabrement  les  bdtes  dc  somme  par  la  couleur  de 
leur  robe.  Les  noms  les  plus  communs  sont  blanquet  (blanc),  mou- 
ret  (noir),  bruniu  (bnm),  falet  (gris),  baiard  (bai).  rtmUn  (bai 
clair\ 


<:ant  deskn 


IK   0.\MAR(iO 


Mireio  passo  lou  Hoi^e  dins  lou  barqaet  d'Andreloun,  e  countnnio  6a 
couiso  a  travcs  la  i'amargo.  —  Li  dougan  dou  Rose  entre  la  mar 
e  Arle.  —  Descripcioun  de  la  Cainargo.  —  La  calour.  —  La  danso 
de  la  Vi^io.  —  Li  mountiho.  —  Li  sansoairo.  —  Nirdio  es  ensu- 
lado  p^r  un  cop  de  soul^u  sus  H  ribo  de  I'estang  dou  Vacar^s.— Lis 
arabi  la  revenon.  —  La  roumieuvo  d'amour  se  tirasso  jusqu'ii  la 
ftl^iso  di  Santo.  —  La  preiero.  —  La  visioun.  —  Descours  di  SAnU 
.Mario.  —  I  a  vanita  dou  bonur  d'aquest  mounde,  la  necessita  e  lou 
inerite  de  la  sourren^!0.  —  Li  Santo,  per  ie  refenni  lou  cor,  racon- 
lon  a  Mireio  sis  esprovo  terrestro. 


Desempi^i  Arle  jusqu'^  VenQo, 

Escoutas-me,  genl  de  Prouv6n^o ! 
Se  trouvas  que  fai  caud,  ami,  t6utis  ens^n, 

Sus  lou  ribas  di  Duren^olo, 

Anen  h  santo-ropausolo ! 

E  de  Marsiho  a  Valensolo, 
Que  se  cante  Mireio  e  se  plague  Vincen  ! 

Lou  pichot  barquet  fendie  Taigo, 
Sens  mai  de  brut  qu'uno  palaigo ; 

Lou  pichot  Andreloun  menavo  lou  barquet; 
E  Famourouso  qu'ai  cantado 
Em*  Andreloun  s*ero  avaslado 
Sus  lou  grand  Rose;  e,  d'assetado, 

Gounteniplavolis  oundo  em*  un  regard  fousquet. 


CHANT  DIXIEME 

LA  CAMARGUE 


Mireille  passe  le  Rhdne  dans  la  nacelle  d'Andreloun,  et  poursuit  sa 
course  k  Iravers  la  Camargue.  —  Les  bords  du  Hb6ne,  entre  la 
mer  el  Aries.  —  Description  de  la  Camargue.  —  La  chaleur.  —  Le 
mirage.  —  Les  dimes.  —  Les  Sansomrea.  —  Mireille  est  frappee 
dun  coup  de  soleil,  sur  les  rives  de  T^lang  du  Vaccar6s.  —  Les 
moustiques  la  rappellent  k  la  vie.  —  La  pelerine  d'amour  se 
tralne  jusqu'a  I'^glise  des  Saintes-Maries.  —  La  pri^re.  —  La 
vision.  —  Discours  des  Saintes  Maries.  —  La  vanile  du  bonheur  de 
ce  monde,  la  n^essit^  et  le  ra6rite  de  la  souffrance.  —  Les 
Saintes,  pour  raffermir  le  coura{?e  de  Mireille,  lui  font  le  r^it  de 
leurs  ^reuves  terreslres. 


Depuis  Aries  jusqu  a  Vence,  —  gens  de  Provence, 
6coutez-nnoi !  —  Si  vous  trouvez  qu'il  fait  chaud, 
—  amis,  tous  ensemble,  —  sur  la  berge  des  Duran- 
^oles  —  aliens  nous  reposer!  — et  de  Marseille  a 
Valensole,— que  Von  chante  Mireille  et  que  Ton  plai- 
gne  Vincent  *  ! 


La  petite  nacelle  fendait  I'eau,  —  sans  plus  de 
bruit  qu'une  sole ;  —  le  petit  Andreloun  conduisaitla 
nacelle ;  —  et  Tamante  que  j'ai  chantee,  —  avec  An- 
dreloun s'etait  aventur6e  —  sur  le.vaste  Rh<)ne;  et 
assise,  —  elle  contemplait  les  ondes,  d'un  regard 
nebuleux. 


388  M1R£10,  CAM   X. 

E  ie  disi^  renfant  remaire  : 

Ve!  coume  es  large  dins  sa  maire 
Lou  Rose!...  Jouveineto,  entre  Camargo  e  Craii, 

Se  ie  fari^  dc  bMli  targo ! 

Gar  aquelo  isclo  es  la  Camargo, 

E  peralin  tant  s'espalargo 
Que  d6u  fluve  arlaten  v^i  bada  li  s6t  grau. 

Coume  parlavo,  dins  lou  Rose 

Tout  resplendent  di  trelus  rose 
Que  deja  lou  matin  i'espandissi^.,  plan-plan 

Hountavo  de  lahut  :  di  velo 

L'auro  de  margounllant  la  telo, 

Li  campejavo  davans  elo 
Coume uno  pastourdlo  un  troup^u  dagn^u hUnc. 

0  magnefiqui  souloumbrado ! 

De  frais,  d*aubo  dosmesurado 
Mir.'^iavon,  di  bord,  sipeje  blanquinous; 

Delambrusco  antico,  bistorto, 

Fen  vert  ouiavon  si  redorto, 

E  d6u  cimeu  di  branco  forto 
Leissavon  pendoula  si  pampagnoun  sinous. 

Lou  Rose,  em^  sis  oundo  lasso, 
E  dourmihouso,  e  tranquilasso, 

Passavo ;  e  regrelous  d6u  palais  d'Avijinoun, 
Di  farandoulo  e  di  sinf6ni, 
Coume  un  grand  vi^i  qu*es  a  I'angdni, 
£u  pareissie  tout  malanc6ni 

D'ana  perdre  k  la  mar  e  sis  aigo  e  soun  noum. 


MIREILLE,  CHANT  X.  S8Q 

Et  lui  disait  I'enfanl  rameur  :  —  «  Vois!  comme 
est  large  dans  son  lit— le  Rhdne !...  Jeune  fille,  entre 
Camargiie  et  Crau,  —  il  se  ferait  de  belles  joAtes !  — 
car  cetle  ile,  c  est  la  Camargue ;  —  et  au  loin  telle- 
ment  elle  s'Mend,  —  que  du  fleuve  arl6sien  elle  voit 
b^erlcs  sept  embouchures.  » 


Goinme  il  parlait ,  dans  le  Bhdne  —  tout  resplen- 
dissant  des  reflets  roses  —  que  d^j&  le  matin  y  6pan- 
dait,  lentement  —  montaient  des  tartanes  :  des  vol- 
lures  —  le  vent  de  mer  gonflant  la  toile,  —  les  pous- 
sait  devant  lui,  —  comme  une  berg^re  un  troupeau 
d'agneaux  blancs. 


0  magnifiques  ombrages  !  —  Des  frftnes,  des  peu- 
pliers  blancs  gigantesques  —  miraient,  des  bords, 
leurs  troncs  blanchfttres ;  —  des  lambrusques  anti- 
ques, tortueuses,  —  y  enroulaient  leurs  lianes,  — 
et  du  faile  des  branches  fortes  —  laissaient  pendiller 
leurs  moissinesnoueuses. 


Le  Rh6ne,  avec  ses  ondes  fatigu^es,  —  dormantes, 
majestueusement  tranquilles, —  passait;  et  regretlant 
le  palais  d'Avignon,  —  les  farandoles  et  les  sympho- 
nies, —  comme  un  grand  vieillard  qui  agonise,  —  il 
semblail  tout  m61ancolique —  d'aller  perdre  k  la  mer 
et  ses  eaux  et  son  nom. 


33. 


S90  MIR£lO,  CANT  I. 

Mai  I'amourouso  qu'ai  cantado 
Sus  lou  dougan  ^o  sautado : 

—  Camino,  lou  pichot  ie  cridavo,  tant  que 
Trouvaras  de  camin!  Li  Santo 
A  sa  capello  miraclanto 
Tout  dre  te  menaran.  —  Aganto, 

Acd  di,  si  dos  remo,  e  viro  soun  barquet. 

Souto  li  fio  que  Jun  esciainpo, 
HirMo  lampo,  e  lampo,  e  lampo  1 

De  souteu  en  soul^  e  d'auro  en  auro,  v6i 
Un  plan-pals  inm^nse ;  d*erme 
Que  n'an  k  Tiue  ni  fin  ni  terme ; 
De  liuen  en  liuen  e  p6r  tout  germe, 

De  r^i  tamarisso...  e  la  mar  que  par^i... 

De  tamarisso,  de  counsdudo, 

D'engano,  de  fraumo,  de  s6udo, 
Am^ri  pradari^  di  camp^stre  marin, 

Ounte  barrulon  li  brau  negre 

E  li  cavalot  blanc  :  alegre, 

Podon  aqui  libramen  segre 
Lou  ventihoun  de  mar  tout  fres  de  pouverin. 

La  bluio  capo  souleiaiito 
S'espandissi^,  founso,  brihanto, 

Courounant  la  palun  de  soun  vaste  countour; 
Dins  la  liuenchour  qu'alin  clarejo 
De  fes  un  gabian  voulastrejo ; 
De  fes  un  aucelas  ouinbrejo, 

Krmitocainbaru  disestang  dalentour. 


MIHEIILE,  CHANT  X.  591 

Mais  I'amante  que  j'ai  chant^e  —  avail  saat6  sur 
le  rivage  :  n  Marche,  le  petit  lui  criait,  tant  que  — 
tu  trouveras  du  ehemin !  Les  Saintes  —  a  leur  cha- 
pelle  miraculeuse  —  tout  droit  te  conduiront.  » 
II  saisit,  —  cela  dit,  ses  deux  raraes,  et  tourne  la 
nacelle. 


Sous  les  feux  que  Juin  verse,  —  comme  I'Mair, 
Mireille  court,  et  court,  et  court !  —  De  soleil  en  so- 
leil  et  de  vent  en  vent  *,  elle  voit  —  une  plaine  im- 
mense :  des  savanes  —  qui  n'ont  h  Toeil  ni  fin  ni 
terme;  —  de  loin  en  loin,  el  pour  loute  v6g6tation, 
—  de  rares  tamaris«..  et  la  mer  qui  parait... 


Des  tamaris,  des  proles,  —  des  salicornes,  des  ar- 
roches,  des  sondes  ^j  —  am^res  prairies  des  plages 
marines,  —  ou  errent  les  taureaux  noirs  —  et  les 
chevaux  blancs  :  joyeux,  —  ils  peuvent  1^  librement 
suivre  —  la  brise  de  mer  tout  impregn^e  d'embrun. 


F^a  votl^te  bleue  ou  (plane)  le  soleil  —  s'^panouis 
sait,  profonde,  brillante,  —  couronnant  les  marais  de 
son  vaste  contour;  —  dans  le  lointain  clair  —  par- 
fois  un  goeland  vole ;  — parfois  un  grand  oiseau  pro- 
jette  son  ombre ,  —  ermite  aux  longues  jambes  des 
^angs  d*alentour. 


398  MiRfcIO,  CANT  \. 

Es  un  cambet  qu*a  li  pM  rouge ; 

0  'n  galejoun  qu*espincho,  aurougc, 
E  dr^isso  fieramen  soun  noble  capelut, 

Fa  de  tres  16ngui  plumo  bianco 

La  caud  deja  pamens  assanco  : 

P6r  s'al6ugeri,  de  sis  anco 
La  chat ouno  desfai  li  bout  de  soun  fichu. 

E  la  calour,  s^mpre  mai  vivo, 
S^mpre  que  mai  se  recalivo ; 

E  d6u  soul^u  que  mounto  a  Fafrest  d6ii  chi  sin, 
D6u  souleias  li  rai  e  Tuscle 
Plovon  k  jabo  eeume  un  ruscle : 
S^mblo  un  leioun  que,  dins  soun  ruscle, 

Devouris  d6u  regard  li  desert  abissin ! 

Souto  un  fau,  que  farie  bon  jaire! 
Lou  blound  dardai  beluguejaire 

Fai  par^isse  d'eissame,  ed*eissame  furouii, 
D'eissame  de  gu^spo,  que  volon, 
Mounton,  davalon,  e  tremolon 
Goume  de  lamo  que  s'amolon. 

La  roumi6uvo  d'amour  que  lou  lassige  ronmp 

E  que  la  caumo  desaleno, 

De  soun  eso  redouno  e  pleno 
A  leva  Tespingolo  ;  e  soun  sen,  bouleguiou 

Coume  dos  oundo  bessouneto 

Dins  uno  lindo  fountaneto, 

Semblo  d'aqu^li  campaneto 
Qu'en  ribo  de  la  mar  blanquejou  dins  Testi^u. 


MIREILLE.  CHANT  X  SOTi 

C'est  un  chevalier  aux  pieds  rouges^;  —  ou  un 
biboreau  •  qui  regarde,  farouche,  —  et  dresse  fi6re- 
ment  sa  noble  aigrette,  —  faite  de  irois  longues 
plumes  blanches...  —  D6ji  cependant  la  chaleur 
feerve :  —  pour  s'alleger,  de  ses  hanches  — •  la  jeune 
fille  d6gage  les  bouts  de  son  fichu. 


Et  la  cbaleur,  de  plus  en  plus  \ive,  —  de  plus  en 
plus  devient  ardente;  —  et  du  soleil  qui  monteau 
zenith  du  ciel  pur,  —  du  grand  soleil  les  rayons  et 
le  hale — pleuvent  Averse  comme  une  giboulte:  — tel 
un  lion,  dans  la  faim  qui  le  tourmente,  —  devore  du 
regard  les  deserts  abyssins ! 


Sous  un  h6lre,  qu'il  ferait  bon  s'^tendre !  —  Le 
blond  rayonnemcnt  (du  soleil)  qui  scintille  —  simulc 
des  essaims,  des  essaims  furieux,  —  des  essaims  de 
gu^pes,  qui  volent,  —  montent,  descendent  et  trem- 
blolent  —  comme  des  lames  qui  s'aiguisenl.  —  La 
pelerine  d*amour  que  la  lassitude  brise 


Et  que  la  chaleur  essoullle,  —  de  sa  casaque  ronde 
et  pleine  —  a  die  Tepingle;  et  son  sein  agit6 
—  comme  deux  ondes  jumelles  —  dans  une  limpide 
fontaine,  —  ressemble  k  ces  campanules  —  qui,  au 
rivage  de  la  mer,  6talent  en  6t6  leur  blancheur*. 


51U  MIRfciO,  CANT  X 

Mai  pau-A-pau  davans  sa  visto 

Lou  terradou  se  desentristo ; 
E  veici  pau-^-pau  qu'aperalin  se  mdu 

E  trelusis  un  grand  clar  d'aigo  : 

Li  daladSr,  li  bourtoulaigo, 

Amour  de  Terme  que  s'enaigo 
Grandisson,  e  se  fan  un  cap^u  d*ouinbro  m6ti. 

£ro  uno  visto  celestino, 

Un  fres  pantai  de  Paleslino  ! 
Ue-long  de  Taigo  bluio  uno  vilo  l^u-l^u 

Alin  s'aubouro,  em6  si  lisso, 

Soun  b^rri  fort  que  I'empalisso, 

Si  font,  si  gl^iso,  si  t^ulisso. 
Si  clduchi^  loungaru  que  cr^isson  au  souldu. 

De  bastimen  e  de  pinello, 

Em^  si  velo  blanquinello 
Intravon  dins  la  darso ;  e  lou  v6nt,  qu'ero  dons, 

Fasi^  jouga  sus  li  poumeto 

Li  bandeiroun  e  li  flameto. 

Mir^io,  em6  sa  man  primeto 
Eissugue  de  soun  front  li  degout  aboundous ; 

E  de  v^ire  tal  espelacle, 

Cuj6,  moun  Di6u  !  crida  miracle ! 
E  de  courre,  e  de  courre,  en  cresent  qu'ero  aqui 

La  toumbo  santo  di  Mario. 

Mai  au  mai  cour,  au  mai  vario 

La  ressemblanQo  que  Tesbriho, 
Au  mai  lou  clar  tabl^u  de  liuen  se  fai  segui. 


HIREILLE,  GliANT  X.  395 

Mais  peu  k  peu  devant  sa  vue  —  le  pays  perd  sa 
tristesse;  —  et  void  peu  k  peu  qu'au  loin  se  iiieut  — 
et  resplendit  un  grand  lac  d'eau  :  —  les  philly- 
rea  ',  les  pourpiers,  —  autour  de  la  lande  qui  se 
liquefie,  —  grandissent,  et  se  font  un  mol  cbapeau 
d'ombre. 


C*6tait  une  vue  celeste,  —  un  i-^ve  frais  de  Terre- 
promise !  —  Le  long  de  Teau  bleue,  une  ville  bient6t 
—  au  loin  s'el^ve,  avec  ses  boulevards,  —  sa  mu- 
raille  forte  qui  la  ceint,  —  ses  fontaines,  ses  ^glises, 
ses  toitures,  —  ses  dochers  allonges  qui  croissent 
au  soleil. 


Des  b&tinients  et  des  pineUes^  —  avec  leurs  voi- 
les blanches,  —  entraient  dans  la  darse,  et  le  vent, 
qui  etait  doux,  ~*  faisait  jouer  sur  les  ponnnettes 
— les  banderolles  et  les  flammes.  —  Mireille,  avec  sa 
main  legere  —  essuya  de  son  front  les  goutles  abon- 
dantes ; 


Et  ^pareille  vue  —  elle  pensa,  mon  Dieu  !  crier 
miracle !  —  Et  de  courir,  et  de  courir,  croyant  que 
\k  6tait  —  la  tombe  sainte  des  Maries.  —  Mais  plus 
elle  court,  plus  change  —  TiUu^ion  qui  Tfiblouit, 
—  et  plus  le  clair  tableau  s'^loigne  et  se  fait  suivre. 


3%  11IR£I0,  CANT  X. 

Obro  vaDo,  sutilo,  alado, 

Lou  Fantasli  Tavie  fielado 
Em'  un  rai  de  souleu,  tencho  erne  U  coulour 

Di  nWoulun  :  sa  tramo  feblo 

Fenis  p^  tremoula,  \en  treblo, 

E  s'esvalis  coume  uno  nebio. 
Mir^io  r^sto  soulo  e  neco,  a  la  calour. 

E  z6u  li  camello  de  sablo, 

Brulanto,  mouv^nto,  ahissaUo  ! 
E  z6u  la  grand  sansouiro,  e  sa  crousto  de  sau 

Que  lou  soul^u  boufigo  e  lustro. 

E  que  cradno,  e  qu'escalustro  ! 

E  z6u  li  plantasso  palu^tro, 
U  caneu,  li  triangle,  estage  di  niouissau ! 

Em^  Vincen  dins  la  pensado, 

Pameiis,  dempiei  I6ngui  passado* 
Ribejavo  toujour  Tesmarra  Yacares; 

Deja,  deja  di  gr&ndi  Santo 

Vesie  la  gleiso  roussejanto, 

Dins  la  mar  liuencho  c  flouquejanto 
Creisse,  coume  un  veiss^ii  que  poujo  au  ribeires. 

De  riniplacablo  souleiado 

Toul-en-un-cop  Vescandihado  i 

le  tanco  dins  lou  front  si  dardaioun  :  vela, 

0  pecaireto !  que  s'arreno,  , 

E  que,  long  de  la  mar  sereno, 

Toumbo,  ensucado,  sus  Tarono.,.  | 

0  Crau,  as  toumba  flour  !  o  joiivont,  plonras-la  !... 


MIREILLE,   CUANT  X.  597 

Oiuvre  vaine,  subtile,  ailee,  —  le  FaiilasUque 
lavait  filee  —  avec  un  rayon  de  soleil,  teiiile  avec 
les  couleurs  —  des  nuages  :  sa  Irame  faible  —  fiiiil 
par  trembler,  devient  trouble,  —  et  se  dissipe  coiniiie 
un  brouiliard.  —  Mireille  reste  seule  et  ebahie,  a  la 
chaleur. 


El  en  avant  dans  les  monceaux  de  sable,  —  bru- 
lants ,  mouvanls,  odieux !  —  it  en  avant  dans  la 
grande  sansouire^,  ix  la  croute  de  sel  —  que  le  so- 
leil boursoufle  el  lustre,  —  et  qui  craque,  et  6blouil! 
—  et  en  avant  dans  les  hautes  lierbes  paludeen- 
lies,  —  les  roseaux,  les  souchets,  asile  des  cou- 
sins ! 

Avec  Vincent  dans  la  pensee,  —  cependant,  de- 
puis  longteinps  —  elle  cotoyait  toujours  (la  plage) 
reculee  (du)  Vaccares ;  —  dej^,  deja  des  grandes 
Saintes  —  elle  voyait  Teglise  blonde,  —  dans  la  mer 
lointaineet  clapoteuse,— -  croitre,  conitne  un  vaisseau 
qui  cingle  vers  le  rivage. 


De  riniplacable  soleil  —  lout  a  coup  la  biulanlo 
echappee  —  lui  lance  dans  le  front  ses  aiguillous  : 
la  voila,  —  inlortunee!  qui  s'alTaisse,  —  el  qui, 
le  long  de  la  mer  sereine,  —  tombe,  frappee  k  inorl, 
sur  le  sable.  —  0  Crau,  la  fleur  est  tombee  !..  6  jeu- 
nes  hommes,  pleurez-la  i 


54 


308  MIRfelO,  CANT  X. 

Quand  iuu  cassaire  de  la  coumbo 

De-long  d'un  ri^u  v6i  de  coulouinbo 
Que  bevon,  innouceiito,  e  que  s'aliscon,  leu 

Qu*entre-mitan  li  bouissounaio 

Ein6  soun  armo  ven  en  aio  ; 

£  sempre  aquelo  qu'eiigranaio 
Es  la  plus  bello  :  ansiii  Tague  lou  dur  souleu. 

La  maiurouso  ero  esternido 

Sus  lou  sablas,  estavanido. 
D'asard,  aqui  de-long,  passe  'n  v6u  d'arabi ; 

E  n  la  vesent  que  rangoulavo, 

E  soun  Wane  pitre  que  gounflavo, 

E  d6u  rebat  que  la  brulavo 
Pas  un  brout  de  mourven  que  vengue  la  curbi, 

Pietousamen  li  uiouissaleto 

Fasien  viduloun  de  sis  aleto, 
E  zouiizounavon  :  L^u!  poulido,  16vo-le! 

Levo-te  leu !  qu'es  Irop  malino 

La  caud  de  la  palun  salino  ! 

E  ie  pougnien  sa  l6sto  clino. 
E  la  mar,  entremen,  de  si  fin  degoulet, 

Contro  li  llauio  de  sa  cai'o 

Bandissie  Teigagnolo  amaro. 
Mireio  se  lev6.  Doul6nlo,  e  gingoulant : 

Ai !  de  ma  thio !  plan-pianeto 

Se  tirasse  la  chalotinelo ; 

E,  d'enganelo  en  engatieto, 
1  Santo  de  la  mar  vengue  balin-balail; 


MIREILLE,  CHANT  X.  599 

Quand  le  chasseur  de  la  vallee,  — le  long  d*un  ruis- 
seau,  aper^oitdescolombes — qui  boivent,  innocentes, 
et  qui  lissent  leurs  (plumes),  vite,  —  §  travers  les 
biiissons,  —  avec  son  arme  il  vient,  ardent;  —  et 
toujours  celle  qu'il  perce  de  ses  plombs  —  est  la 
plus  belle  :  ainsi  agit  le  dur  soleil. 


La  malheureuse  etait  renversee  —  sur  la  dune, 
evanouie.  —  D'avenlure,  sur  ces  bords,  passa  un  es- 
jsaim  de  moustiques;  —  el  la  voyant  qui  rdlait,  —  et 
sa  blanche  poitrine  palpitante,  —  et  contre  la  rever- 
beration qui  la  brule  —  pas  un  brin  de  morven  *®  qui 
vienne  la  couvrir, 


Plaintivement  les  moucherons  —  faisaient  violon 
de  leurs  petites  ailes,  —  et  bourdonnaient :  «  Yite ! 
jolie,  leve-toi !  — 16ve-toi  vite,  car  trop  maligne  est— 
la  chaleur  du  marais  salin !  » — Et  ils  piquaicnt  sa  tete 
pench^e.  —  Et  la  mer,  en  meme  t^mps,  do  ses  fines 
gonttelettes, 


Contre  les  flannncs  de  son  visage  —  jetait  la  rosee 
amere.  —  Mireiile  se  leva.  Dolente  et  gemissant :  — 
Aie!  ds  ma  Utel  k  pas  lents —  se  traina  la  jeuno 
fille ;  —  et  de  salicornes  en  salicornes,  —  aux  Saintes 
de  la  mer  elle  vint,  chancelante. 


400  MIRfelO,  C\NT  X. 

E  'me  de  plour  dins  si  parpello, 

Coniro  li  bard  de  la  capello, 
Que  lou  toumple  marin  bagno  de  soun  ti'pspir, 

Piqu6  sa  t6slo,  la  paureto ! 

E,  sus  lis  alo  de  Taureto, 

Entanlerin  sa  preicreto 
Vt'ici  conme  eilamoimt  sVnanavo  on  soiispir  : 

OS^nti  Mario, 
Que  poudes  en  flour 
Chanja  ndsti  plour, 
Clinas  l^u  Taiiribo 
De-versma  doulour ! 

Quand  veir^s,  pecairo ! 
Moun  reboulimen 
R  moun  pensamen, 
Vendr6s  de  moun  cairo 
Pietadousamen. 

Si^u  uno  chatouno 
Qu*ame  un  jouveinet, 
Lou  b^u  Yincenet! 
I6u  Tame,  Santouno, 
De  lout  moun  senel ! 

leu  Tame!  i6u  Tamo, 
Coume  lou  valal 
Amodecoula, 
Goume  Tauc^u  flame 
Amode  voula. 


MIREILLE,  CHANT  X.  401 

Et  avec  des  pleurs  dans  ses  paupi^rcs,  —  contre 
les  dalles  de  la  chapelle,  —  que  le  gouffre  marin 
mouilie  de  son  infiltration,  —  elle  frappa  sa  tete, 
infortun^e ! — et  sur  les  ailes  de  la  brise, — cependant, 
voici  comme  sa  pri^re  —  au  ciol  s'en  allait  on  sou- 
pirs : 


«  0  Sainles  Maries,— qui  pouvez  en  fleurs — chan- 
<jcr  nos  larmes,  —  inclines  vite  Voreillo  —  devers  ma 
(lonleur! 


<(  Quand  vous  verrez,  helas !  —  mon  tourment  — 
el  mon  souci,  —  vous  viendrez  de  mon  ccMe  —  avec 
pitie. 


«  Je  suis  une  jouvencelle  —  qui  ainio  un  jouven- 
(*,eau, — le  beau  Vincent !  —  Jo  I'aime,  chores  Saintes, 
—  de  tout  mon  coeur. 


«  .le  Tairae !  je  Vaime  —  comme  le  ruisseau  — 
aime  de  couler,  —  comme  I'oiseau  dm  —  aime  <le 
voler. 


54 


im  mir£io  cant  x. 

E  voion  qu'amosse 
Aqueu  fio  nourri 
Que  vdu  pas  mouri ! 
E  volon  que  trosse 
L*anieli^  flouri! 


0  S^nti  Mario, 
Que  poud^s  en  flour 
Chanja  ndsti  plour, 
Clinas  l^u  Tauriho 
De-vers  ma  doulour ! 

D'alin  sieu  vengudo 
Querre  eici  la  pas. 
Ni  Crau,  ni  campas, 
Ni  maire  esmougudo 
Qu*arr6ste  mi  pas  1 

E  la  souloiado,  ^ 

Erne  si  claveu 
E  sis  aniav^u, 
La  sente,  k  raiado. 
Que  poun  moun  cerv6u. 

Mai,  poud6s  me  cr^ire ! 
Dounas-me  Vincen ; 
E  gai  e  ris6nt, 
Vendren  vous  reveire 
T6uti  dousensen. 


MIREILLE,  CHANT  X.  405 

«  Et  Ton  veul  que  j'^teigiie —  ce  feunourri  —  qui 
ne  veut  pas  naourir !  —  et  Ton  veut  que  je  lorde  — 
Tamandier  fleuri ! 


«  0  Saintes  Maries,  —  qui  pouvez  en  fleurs  — 
anger    nos  larmes 
devers  ma  douleur! 


changer    nos  larmes,  —  incHnez  vite  Toreille 


«  De  loin  je  suis  venue  —  chercher  ici  la  paix.  — 
Ni  Crau,  ni  landes,  —  ni  mere  6inue  —  qui  arrftto 
mes  pas ! 


«  Et  du  soleil  qui  darde  —  ses  clous  —  et  ses 
epines,  —  je  sens  los  rayonnances  —  qui  poignenl 
inon  cervoau. 


«  Mais,  vous  pouvez  me  croire!  —  donnez-moi 
Vincent;  —  olgais  el  sourianls,  —  nous  viendrons 
vous  revoir  —  tons  doux  ensomblo. 


404  MintlO,  CANT  X. 

L'esUas  de  ini  tempe 
Alor  calara ; 
E  d6u  grand  ploura 
Moun  regard  qu'^i  trempc, 
De  gau  lusira. 

Moun  paire  s*oupauso 
A-n-aqucl  acord  : 
De  touca  soun  cor, 
Vous  ei  pail  de  causo, 
R^Ili  Santo  d'or! 

Emai  fugue  duro 
L*6uUvo,  lou  v6nt 
Que  boufo  is  Av6nt, 
Pamens  Tamaduro 
An  ponn  que  counv^n. 

La  nespo,  Tasperbo, 
Tant  aspro  au  culi 

Que  fan  tressali,  , 

l\\  proun  d'un  pau  d'erbo  | 

•   Per  li  reniouli  I 

i 
0  Sanli  Mario,  ' 

Qui"  pondes  en  flour 
(lliaiija  nosli  plour, 
Giinas  leu  I'auriho 
De  vers  ma  donlonr! 


MTREILLB,   CHANT  X.  405 

«  Le  dechirement  de  mestempes  —  alors  cessera ; 
—  et  d'lm  torrent  de  larmes  —  mon  regard  mainte- 
nant  inoTid6,  —  luira  de  joie. 


«  Mon  pere  s'oppose  —  h  cet  accord  :  —  de  tou- 
cher son  coeur, — ce  vons  est  pen  de  chose,  —  belles 
Saintes  d'or ! 


«  Bien  que  dure  soit — ^I'olive,  le  vent — qui  souffle 
h  TAvent,  —  n^anmoins  la  mnrit —  an  point  qui  con- 
vient. 


«  La  nefle,  la  corme,  —  si  acerbes,  quand  on  les 
cueille,  —  qu'elles  font  tressaillir,  —  c*est  assez  d'nn 
pen  d'herbe  —  pour  les  ramoUir  "  ! 


«  0  Saintes  Maries,—  qui  pouvez  en  fleurs—  chan- 
ger nos  larmes^  —  inclinez  vite  Voreille  —  devers  ma 
douleur! 


406  VIRtiO,   CANT  X. 


Ai  de  farfantello? 
Qu'es?...  lou  paradis? 
TjH  gleiso  grandis, 
Un  baren  d'estello 
Amount  s*ospandis ! 

0  i^u  benurouso ! 
U  Santo,  moun  Di6u ! 
Dins  V^r  s6nso  ni6u 
Davalon,  courouso, 
Davalon  versieu!... 

0  belli  patrouno, 
Ei  vous,  ben  verai!... 
Escound^s  li  rai 
De  vdsticourouno, 
0  ieu  mourirai ! 

Vosto  voues  m'apello?.. 
Que  noun  vous  neblas. 
Que  mis  iue  soun  las  ! .. . 
Mounte  esla  capello? 
Santo!...  meparlas?... 


MIREILLE,  G HA  1ST  I.  407 


f  Ai-je  des  ^blouisseinenls?  —  Qu  est-ce?.  .  le 
Paradis?  —  L'^glise  graudit,  —  un  gouffre  d'6toiles 
—  la-haut  se  repand ! 


«  0  moi  bienheureuse  I  —  les  Saiiites,  moii  Dieu ! 
—  dans  Fair  sansnuage  —  descendent,  radieuses,  — 
descendent  vers  moi ! 


«  0  belles  patronnes,  —  c'est  vous,  reellement !... 
—  Cachez  les  rayons  —  de  vos  couronnes,  —  ou 
rnoije  mourrai! 


«  Voire  YOix  m'appelle?...  —  Que  ne  vous  voi- 
lei^-vous  d'un  nuage,  —  car  mes  yeux  sont  las!... 
—  Ou  est  la  chapelle?  —  Saintes!...  vous  me  par- 
ley?..; 


408  MlUfelO,  CANT    X. 

L  dius  1  esUisi  que  I'euiporto, 

Desalenado,  uiita  morto, 
Mir^io,  d'a-geiiiouii,  ero  aqiii  sus  li  bard, 

Li  bras  eii  ler,  la  testo  §  reire ; 

E  dins  li  porlo  de  Sant-P6ire, 

Sis  iue  fissa  pareissien  v^ire 
L'autre  mounde,  k  traves  la  teleto  de  car. 

A  si  bouqueto  que  souu  mudo ; 

Sa  caro  bello  se  Ireinudo, 
E  soun  aino  e  souu  cors  dins  la  countemplaciouji 

Nadou  eslabousi .  dinsTAubo 

Que  ccncho  d  or  lou  front  dis  aubo, 

Palis  de  uieme  e  se  desraubo 
Lou  lume  que  vihavo  un  ome  en  perdicioun. 

Tres  femo  de  b6uta  divino. 

Per  un  draidu  d'estello  lino, 
Davalavon  d'amount;  e  couine,  au  jour  levant, 

Un  escabot  se  destroupello, 

Lis  aut  pieloun  de  la  capello 

Eni6 1'arceu  que  Tencapello, 
Per  ie  durbicamin,  se  garavon  davan. 

E,  dins  Per  linde,  blanquinouso, 

Li  tres  Mario  luminouso 
Uavalavon  d'amount  :  uno,  conlru  soun  sen, 

Tcnie  sarra  'n  vas  d'alabastre ; 

E,  dins  li  nine  sereno,  Pastre 

Que  dou^amen  fai  lume  i  pastre, 
Pou  retraire  soulet  soun  front  paradisen ! 


MIUEILIK,    CHANT   X.  409 

El  dans  Fexlase  qui  I'euiporle,  —  lialelaiilo , 
iiiorle  a  deuii,  —  Mireille,  a  genoux,  elail  la  sur  les 
dalles,  —  les  bras  en  I'air,  la  t^te  en  arriere;  —  el 
dans  les  portes  de  Saint-Pierre,  —  ses  yeux  fixes  pa- 
raissaient  voir  —  I'autre  inonde,  a  travers  le  voile  de 
chair. 


EUe  a  ses  levres  uiuettes ;  —  son  beau  visage  se 
transfigure,  —  et  son  arae  et  son  corps  dans  la  con- 
templation —  nagent,  ravis  :  dans  I'Aurore  —  qui 
couronne  d'or  le  front  des  peupliers  Wanes,  —  ainsi 
pdlit  et  se  derobe  —  la  lampe  qui  veillait  un  homnie 
en  perdition. 


Trois  femmes  de  beaute  divine,  —  par  un  senlier 
de  fines  etoiles,  —  discendaient  du  ciel;  et  coninie, 
au  lever  du  jour,  —  un  troupeau  se  disperse,  —  les 
hauls  pihers  do  la  cliijpelle  —  avec  Tarceau  qui  en 
soutient  la  voute,  —  pour  leur  ouvrir  chcniin,  s'ecar- 
laientdevant(elles). 


Et,  blanches  dans  I'air  limpide,  —  les  Irois  Maries 
lumineuses  —  dcscendaient  du  ciel  :  Tune,  centre 
son  sein,  — tenait  serre  un  vase  d'albatre ;  —  et,  dans 
les  nulls  sereines,  Tastre  —  qui  doucenient  eclaire 
les  bergers,  —  peut  seul  rappeler  son  front  para- 
disien. 


410  MIREIO,   CANT  1. 

1  jo  de  I'auro,  la  segoundo 
Laisso  ana  si  treneto  bloundo, 

E  caiiiino,  moudesto,  un  rampau  k  la  man^ 
La  tresenco,  jouineto  encaro, 
De  sa  bianco  uiantiho  claro 
Escoundie  'n  pau  sa  bruno  caro, 

E  si  negre  vistoun  lusien  mai  que  diamanU 

Vers  la  doulento  quand  fugueron, 
En  dessus  d'elo  setengueron, 

ianioubilo,e'm*ac6  ie  parlavon.  Tant  dous 
E  clarineu  ero  souu  dire, 
E  tant  afable  soun  sourrire, 
Que  lis  espino  ddu  marlire 

Flourissien  dins  Hireio  en  soulas  abouadou». 


f. 


Assolo-te,  pauro  Mireio  : 

Sian  li  Mario  de  Judeio! 
Assolo-te,  fasien,  sian  li  Sanlo  di  Baus  ! 

Assolo-te !  sian  li  patrouno 

De  la  bafqueto,  qu'envirouno 

Lou  trigos  de  la  mar  furouno, 
E  la  mar,  quand  nous  vei,  retoumbo  l^u  k  pausl 


MIREIILE,    CHANT  X.  ill 

Aux  jeux  du  vent,  la  seconde  —  laisse  aller  sos 
blondes  tresses,  —  et  cheinine,  modeste,  une  palme 
h  la  main ;  —  la  Iroisi^me,  jeunette  encore,  —  de  sa 
blanche  mantille  claire  —  cachait  un  peu  son  bnni 
visage,  —  et  ses  noiros  pninelles  luisaient  plus  que 
diamant. 


Vers  la  dolente  quaud  elles  furent,  —  au-dessus 
d*elle  elles  se  linrent,  —  immobiles,  et  elles  liii 
parlaient.  Si  doux  —  ot  dair  etait  leur  dire,  —  et 
leur  sourire  si  affable,  —  que  les  6pines  du  mar- 
lyre  —  fleurissaient  dans  Mireille  en  charmes  abon- 
dants. 


t 


—  «  Console-toi,  pauvre  Mireille  :  — nous  sommes 
les  Maries  de  Jud6e  !  —  Console-loi,  disaient-ellos, 
nous  sommes  les  Saintes  des  Baux !  —  Console-toi, 
nous  sommes  les  patronnes  —  de  I'esquif  qu'entoure 
—  le  fracas  de  la  mer  furieuse,  —  el  la  mer,  k  notre 
aspect,  retombe  vite  au  calme. 


iV2  MIRfclO,  CANT   X. 

Mai,  qiieta  visio  amount  s'estaqiie! 
Yeses  Ion  camin  do  Sant  Jaque? 

Adt^si'erian  ensen,  alin  de  I'aiitre  bout; 
Regai^davian,  dins  lis  estello, 
Li  proucessioun  que  van,  fid^lo, 
En  roumavage  h  Coumpoustello 

Prega,  siis  soun  toumbeu,  noslo  fi^u  e  nehoul. 

E  *scoutavian  li  letanio.... 

E  lou  murmur  di  fountaniho, 
Lou  balans  di  campano,  e  lou  declin  dmi  jour, 

E  11  roumieu  per  la  campagno, 

Tout  rendi^  gldri,  de  coumpagno, 

A  TApoustdli  de  I'Espagno, 
Nostc  fihi  e  nebout,  Sant  Jaque  lou  Majoiir. 

E,  benurouso  de  la  gldri 

Que  remountavo  a  sa  memori. 
Sus  lou  front  di  roumieu  mandavian  lou  bagnun 

D6u  serenau,  edcdins  Tamo 

le  vejavian  joio  e  calarao. 

Pougnent  coume  de  jit  de  flamo, 
Es  alor  que  vers  nautre  an  mounta  ti  plagnun. 

0  chatouno,  ta  fe  's  di  grando ; 

Mai,  que  nous  peson  ti  demando ! 
Vos  b6ure,  dessenado,  i  font  de  Tamour  pur ! 

Dessenndo,  avans  qu'estre  morto, 

Vos  assaja  la  vido  forto 

Que  dins  Dieu  meme  nous  tresporto! 
Dempi^i  quouro  as  avau  rescountra  lou  bonur? 


MIRETLIE,  CHANT  X.  413 

«  Mais  queta  viie  ia-haiit  s'jaltache!  — Vois  tule 
cheinin  de  Saint-Jacques?  —  Tanf6t  nous y  etions en- 
semble, la-bas  a  I'aulre  extremity ;— nous  regar- 
dions,  dans  les  etoiles,  —  les  processions  fiddles  qui 
vont  —  en  pelerinage  k  Compostelle,  —  prier,  sur 
son  tombeau,  notre  fils  et  noveu. 


«  Et  nous  6coutions  les  litanies. . .  —  Et  ie  inurmuro 
des  fontaines,  —  le  branle  des  cloches,  etledeclin 
(lu  jour,  —  et  les  p^lerins  par  les  champs,  —  tout 
rendait  gloire.  de  concert,  —  k  TApdtre  de  TEs- 
pagne,  —  notre  fiis  et  neveu,  Saint-Jacques  ie 
Majeur. 


«  Et,  bienheureuses  de  la  gloire  —  qui  rcmontait  a 
son  souvenir,  —  sur  le  front  des  pelerins  nous  epan- 
dions  la  rosee  —  du  serein,  et  dans  leur  ame  —  nous 
versions  joie  etcalme.  —  Poignantes  comme  des  jels 
de  flamme,  —  cVst  alors  que  vers  nous  out  monte 
OS  plaintes. 


ff  0  jeune  fille,  ta  foi  est  des  grandes ;  —  mais  que 
tes  demandes  nous  pesent!  —  Tii  veux  boire,  insen- 
s6e,  aux  fontaines  de  Tamourpur;  — insens^e,  avanl 
la  mort,  —  tu  veux  essayer  la  forte  vie  —  qui  en 
T)ieului-m6menoustransporte!  — Depuis  quand  as- 
lu  la-bas  rencontre  le  bonheur? 


4U  MlRtllO,  CANT  X. 

L'as  vist  dins  I'oine  riche?  Gounfle, 
Estalouira  dins  soun  triounfle, 

N^go  Dieu  dins  soun  cor  e  i^n  tout  lou  camin ; 
Mai,  quand  es  plen,  toumbo  Unige; 
E  que  fara  de  soun  gounfiuge, 
Quand  se  veira  davans  lou  Juge 

Que  dins  Jerusalen  intravo  su  'n  saumin? 

L'as  vist  au  front  de  la  jacudo, 

Quand  de  soun  la,  touto  esmougudo, 
Porge  lou  proumie  rai  k  soun  enfantounel? 

Ta  proun  d  uno  male  tetado ; 

E,  sus  la  br^sso  descatado, 

Regardo-la,  despoutentado, 
Que  poutounejo  mort  soun  paure  pichounet  1 

L*as  vist  au  front  de  la  nouvieto, 
Quand,  plan-planet,  dins  la  draieto 

Caminavo  a  la  gleiso  em6  soun  ndvi?...  Vai, 
Per  lou  par^u  que  Ion  chaupino, 
Aqueu  drai6u  a  mai  d'espino 
Que  Tagrenas  de  la  champino, 

Car  tout  n'es  eilavau  qu^esprovo  e  long  travai ! 

E  *ilavau  Toundo  la  pu  claro, 

Quand  I'as  begudo,  v6n  amaro ; 
Eilavau  nais  lou  verme  em6  lou  fru  nouveu, 

E  tout  degruno,  e  lout  se  gasto. . . 

As  beu  cliausi  sus  la  banasto  ; 

L*arange,  tant  dous  a  la  taslo, 
A  la  longo  d6u  t^ms  vendra  coume  de  feu ! 


MIREILLE,    CHANT  X.  415 

«  L*as-iu  vu  dans  I'lioinine  riche?  Bouffi,  —  cou- 
che  nonchalamment  dans  son  trioinphe,  — ilnie  Dieu 
dans  son  coeur  et  tient  tout  le  chemin ;  —  niais  la 
sangsue»  quand  elle  est  pleine,  tombe...  —  Et  que 
fera-t-il  de  sa  bouffissure,  —  lorsqu'il  se  verra  de- 
vant  le  Juge  —  qui  dans  Jerusalem  entrait  sur  un 
anon? 

«  L'as-tu  vu  au  front  de  I'accouchee,  —  quand  de 
son  lait,  tout  ^mue,  —  elle  tend  le  premier  jet  k  son 
petit  enfant? — C'est  assez  d'un  trait  de  mauvais  lait; 
—  et,  sur  le  berceau  d6couvert,  —  regarde-la,  ne 
se  possedant  plus,  —  qui  couvre  de  baisers  son  pau- 
vre  petit,  mort ! 


«  L*as-tu  vii  au  front  de  la  fiancee,  —  lorsqu'a  pas 
lents,  dans  le  sentier,  —  elle  cheminait  a  Teglise, 
avec  son  fianc6?...  Va,  —  pour  le  couple  qui  le  foule, 
—  ce  sentier-14  a  plus  d'epines  —  que  le  prunelier 
de  la  lande,  —  car  tout  n  est  1^-bas  qu'^preuves  et 
lonfflabeur! 


«  Et  la-bas  la  plus  claire  des  ondes,  —  quand  tu 
Tas  bue,  devient  am6re ;  —  la-bas  nait  le  ver  avec  le 
fruit  nouveau,  —  et  tout  tombe  en  mine,  et  tout  en 
corruption...  —  En  vain  choisis-tu  sur  la  corbeille  : 
—  Forange,  si  douce  au  gout. —  k  la  longne  du  temps 
deviendra  comme  du  fiel. 


416  MIRftlO.   CANT  X.  • 

E  tau,  te  sein^lo  que  respiron, 

Uins  voste  moiinde,  que  souspiron !... 

Mai  quau  sara  'nvejous  de  b^ure  a-n-un  sourgent 
Qu(^  noun  s'agote  e  se  courroumpe, 
En  soufriss^nt,  que  se  lou  croumpe ! 
Fau  que  la  p^iro  en  tros  se  roumpe, 

Se  vou]^s  n*en  lira  la  paiolo  d'arg^nt. 

Urons  adounc  qiiau  pren  li  peno, 

E  quau  en  ben  fas^nt  s'abeno ; 
E  quau  plouro,  en  ves^nl  ploura  lis  autre ;  e  quau 

Trai  lou  manteu  de  sis  espalo 

Sus  la  pauriho  nuso  e  palo ; 

E  quau  'ine  Tumble  se  rebalo, 
E  p^r  rafrejouli  fai  lampa  soun  fougau ! 

E  lou  grand  mot  que  Tome  duhlido, 

Veleici :  La  mort  es  la  vido ! 
E  li  simple,  e  li  bon,  e  li  dous,  benura  I 

Erne  I'aflat  d*un  v^nt  sutile, 

Amount  s'envouiaran  tranquilc, 

E  quitaran,  blanc  coume  d'ile, 
lln  mounde  onnte  li  Sant  soim  de-longo  aquoira  ! 

Tainben,  oh  !  se  vesies,  Mireio, 

Perei^mount  de  Tempir^io, 
Comne  voste  univers  nouspareis  marridonn, 

E  folo,  e  pleno  de  miseri 

V6stis  ardour  p6r  la  mat«ri, 

E  v6sti  pou  dou  vamenteri ! 
0  panro !  belari^s  la  mort  o  lou  perdoun ! 


MIREILIE,  CHANT  \  Ml 

«  El  tels  losoinblenlrespirer,*-dan8YOlreinoiido, 
ciui  soupirenl ! . . .  —  Mais  qui  sera  d^sireux  de  boir^ 
a  une  gource  —  intarissable,  incorruptible ,  —  on 
souffranl,  qu'il  se  Tachetel  —  EUe  doit,  la  pierro,  en 
morceaux  elre  brisee,  —  si  Ton  vent  en  oxtrairo  la 
paillette  d*argent. 


ft  Heureux  done  qui  prend  les  peines,  —  et  qui  en 
faisant  lebiensepuise;  —  et  qui  pleure,  en  voyanl 
pleurer  les  autres ;  et  qui  —  jette  le  manteau  de  ses 
cpaules  —  sur  la  pauvrete  nuo  el  pAle ;  —  et  qui 
avec  rhumble  s*abaisse,  —  et  pour  celni  qui  a  froid 
fait  briller  son  foyer ! 


0  Et  le  grand  mot  que  rhomme  oublie, — le  voici : 
La  mort,  c*est  la  vie!  —  Et  les  simples,  et  les  bons, 
et  les  doux,  bienheureux!  —  A  la  faveur  d'un  vent 
subtil,  —  au  ciel  ils  s'envoleront  tranquilles,  —  et 
quitteront,  blancs  comme  des  lis,  —  un  monde  ou 
les  Saints  sont  continuellement  lapid^s ! 


c  Aussi,  oh!  si  tu  voyais,  Mireille,  —  dessuprd- 
mes  hauteurs  de  Tempyree,  —  combien  voire  uni- 
vers  nous  parait  souffreteux,  —  et  foUes  et  mis^ra- 
bles,  —  vos  ardeurs  pour  la  matiere  —  et  vos  peurs 
du  cimetiere!  —  6  inforlun^e!  tu  yierais  la  mort  et 
le  pardon  I 


il8  MIRtllO,  CANT  X. 

Mai,  de  davans  que  lou  bla  *spigue, 
En  terro  fau  que  rebouligue ! 

Fs  la  )^i...  Emai  nautre,  avans  d  aye  de  rai, 
Av6n  begu  Taigre  ab^urage ; 
E  p^r  enfin  que  toun  courage 
Prengue  d*den,  de  noste  viage 

Voiiten  te  recounta  lis  arsi  e  lis  esfrai. 

K  se  teis^ron  li  tres  Santo. 

E  lis  oundado  caressanto. 
Per  pscouta,  courrien  de-long  d6u  ribeires, 

A  troupelado.  Lipinedo 

Fagueron  signe  k  la  vemedo ; 

E  ii  gabian  e  lis  anedo 
Vegu^ron  s'ainata  Tinm^nse  Vacares. 

E  lou  soul^n  em^  la  luno, 

Dins  la  liuenchour  que  s*einpaluno, 

Adour^ron,  clinant  si  frountas  cremesin ; 
E  la  Garaargo  salabrouso 
Trefouligue!...  LiBenurouso, 
P^r  douna  voio  a  Tamourouso, 

Au  bout  d'un  mouinenet  conmenceron  ansiu 


t.. 


MIKEILLE,   CHANT   X.  419 

«  Mais  avant  que  le  bie  nionte  en  epis,  —  dans  la 
terre  il  faut  qu*il  fermente !  —  C*est  la  loi  ..  El  nous 
aussi,  avant  d*avoir  des  rayons,  —  avons  bu  Taigre 
breuvage ;  —  et  afin  que  ton  courage  —  prenne  ha- 
leine,  de  notre  voyage  —  nous  vouions  te  raconter  les 
tribulations  et  les  effrois.  » 


Et  les  trois  Saintes  se  lurent.  —  Et  les  vagues  ca- 
ressantes,  —  pour 6couter,  couraient  le  long  du  li- 
vage,  —  a  troupeaux.  Les  bois  de  pins  —  firent  signe 
a  Taunaie ;  —  et  les  goelands  et  les  sarcelles —  virent 
riinmense  Vaccar^s  abattre  (ses  flots)  **. 


Et  le  soleil  et  la  lune,  — dans  le  lointain  des  mare- 
cages,  —  adorerent,  inclinant  leurs  larges  fronts 
cramoisis  ;  —  et  la  Cainargue  impregn^e  de  sel  — 
tressaillit  1...  Les  BienheureuseSj —  pour  donner  des 
forces  4  Tanianle ,  —  au  bout  d*un  petit  moment 
coimnencerentainsi : 


T 


INOTES 


bli  CHANT  DIXIEME. 


Veiicc  fV^npo),  petite  ville  du  departemciit  du  Var,  du  cote 
d'Aiitil)es,  aiicien  ev6che  —  Durenpolo.  On  doonc  cc  nora  aux  di- 
vei*s  caiiaux  derives  do  la  Durance.  —  Valcnsole,  petite  ville  dcs 
Basses-Alpes. 

Dc  soleii  en  soleil  et  de  vent  en  vent  (de  souUu  en  souUu  e 
(fanro  en  auro)^  Ir.culion  usuellc  en  Provence  pour  dire  :  Du  le- 
vant au  coucliant,  du  iiord  au  midi. 

'  Taniaris  {lamarisso),  tamarix  gaUica,  Lin.  — -  Saliconie  [enga- 
no),  salicornia  fruticosa,  Lin.  —  Arroche-pourpier  (fraumo)^  atrl- 
plexporlulamdes,  Lin.  —  Sonde  («>. /do),  saUoIa  sodOt  Lin.,  vegc 
lau\  connnuns  dans  la  Caniargue. 

*  Cambet.  Ce  noin  designe  plusieui's  oiseaux  de  i'ordre  des  ecliub- 
sicis,  i>rincipalenient  Ic  petit  Chevalier  aux  pieds  rouges  [tringa 
ganibetta,  Lin.),  et  Ic  grand  Chevalier  aux  pieds  rouges  [scohpcx 
calidriXy  Lin.). 

•^  Bihoreau  [galejoun],  ardea  nyclicjrax,  Lin,  oiseau  dc  I'ordre 
des  t^chassiers,  qu'on  appelle  aussi  moita. 


NOTES    I)U  CHANT  X  421 

^  ....  Ces  campaiiules  qui,  au  rivage  tie  la  ii\er,  elalciit  en  cite 
Iciir  biaiicheur. 

L'auteur  a  voulu  parler  ici  dc  la  belle  lleur  qu'oii  noiuiiie  en 
I>rovcu^l  Ue  de  mar  {pancratium  maritimumj  Lin.). 

7  Phyllirea  {daladir,  du  latin  alaternus] ,  phyllirea  latifblia, 
Lin.  J  grand  arbrisseau  de  la  famille  des  jasminecs. 

*  Lc  Fantastique  [lau  Fantasli)y  aulremenl  nomuie  Eiprit  fun- 
tastiy  follet,  lutin  dont  ractiou  se  inanifcste  par  des  espiegleriess. 
(Pour  plus  de  details  sur  celte  croyance  populaire,  voyez  Clianl  YI, 
^5lroI»hes  41  et  suiv.) 

0  Sansouire  (sansouiro]^  wastes  espaces  sterilises  et  couvert 
d'efllorescences  salines  par  le  voisinage  et  Tinfiltration  de  la  nier 

*o  Morven  (fttourven)^  genevrier  de  Plienicie. 

"  C'esl  assez  d'un  peu  d'lierbe  pour  Ics  rainoUir. 

Oil  fait  murir  et  ramollir  sur  de  la  paille  les  nelles  et  les 
corines. 

'*  Le  Vaccares  [Vacar^).  Voyez  Chant  lY,  note  10. 


56 


CANT  VOINGEN 

LI  SANTO 


Li  Satili  Mario  raconton,  qu'apres  la  mort  dou  Crist,  tiigueron  eiu- 
bandido,  erne  d'autri  disciple,  a  la  bello  eisservu  de  la  mar,  e 
qn'abourderon  en  Prouvenco,  e  que  counverligu^rou  li  pople 
d'aquelo  encountrado.  —  La  navigacioun.  —  La  temp^to.  —  Ai-h- 
bado  &-n-Arlc  di  sant  despatria.  —  Arle  rouman.  —  La  festo  de 
Venus.  —  Sermoun  de  sant  Trefume.  —  Counversioun  dis  Arlateii 
—  Li  Tarascounen  venon  impioura  lou  secours  de  Santo  Mario.  — 
La  Tarasco.  —  Sant  Marciau  k  Limoge;  Sant  Savoui-nin  a  Touiouso; 
Sant  Estropi  en  Aurenjo.  -—  Santo  Marto  doumlo  la  Tarasco,  e  piei 
counverlis  Avignoun.  —  La  papauta  en  Avignoun.  —  Sant  Lazari  a 
Marsiho.  —  Santo  Madaleno  dins  la  baumo.  —  Sant  Massemin  a- 
z-Ais.  —  Li  Sdnli  Mario  i  Bans.  —  Lou  r^i  Reinie.  —  La  Prouvenvo 
unido  &  la  Franco.  —  Mireio ,  vierge  e  martiro. 


L'aubre  de  la  crous,  o  Mireio, 
Sus  la  mountagno  de  Jud^io 

Ero  encaro  planla  :  dre  sus  Jenisal^n, 
E  d6u  sang  de  Di6u  encaro  ime, 
Cridavo  a  la  cieuta  d6u  crinrie, 
Endourmido  avau  dins  Fabime  : 

Uue  n'as  fa,  que  n'as  fa  d6u  rei  de  Betelen? 

E  di  carriero  apasiniado 
Hountavoii  plus  li  grand  bramado ; 

Lou  Cedroun  tout  soulet  gingoulavo  eilalin ; 
E  lou  Jourdan,  de  languitudo, 
S'anavo  escoundrei  soulitudo, 
P^r  desgounfla  si  plagnitudo 

A  Toumbro  di  rastencle  e  di  verd  petelin^ 


CHANT  ONZItMK 

LES   SAINTES 


Les  Saintes  Maries  racontent  comment,  apr^  la  morl  du  Christ, 
ayant  6t£  livr^s  i  la  merci  des  flots  avec  plusieurs  autres  dis- 
ciples, elles  abord^rent  en  Provence,  et  convertirent  les  peuplcs 
dc  cette  contr^e.  —  La  navigation.  —  La  tom|)^te.  —  Arrivee  des 
Saints  proscrits  d  Aries.  —  Aries  romaine.  —  La  fftte  de  V^nus. 
—  Discours  de  saint  Trophime.  —  Conversion  des  Arl^siens.  —  Les 
Tarasconais  viennent  implorer  le  secours  de  Sainte  Marthe.  —  La 
Tarasque.  —  Saint  Martial  d  Limoges;  Saint  Saturnin  d  Toulouse ; 
Saint  Eutrope  k  Orange.—  Sainte  Marthe  dompte  la  Tarasque,  ft 
ensuite  convertil  Avignon.  — -  La  papautd  A  Avignon.  —  Saint  La- 
zare  ft  Marseille ;  Sainte  Magdeleine  dans  la  grotte ;  Saint  Maiimin 
a  Aix;  les  Saintes  Maries  aux  Baux.  —  Le  roi  R^nt^.  —  La  Provence 
unie  ft  la  France.  —  Mireille,  vierge  et  martyre. 


«  li'arbre  de  la  croix,  6  Mireille,  —  siir  la  monta- 
gne  de  Judee  —  6tait  encore  plante  :  debout  sur  Je- 
rusalem, —  et  du  sang  de  Dieu  encore  hiimide,  — il 
criait  k  la  cit6  du  crime,  —  endormie  la-bas  dans  Ta- 
bime  :  — «  Qu'en  as-tu  fait,  qu'en  as-tu  fait,  du  roi 
deB6thl6em?)) 


«  Et  des  nies  apaisees  —  ne  montaient  plus  los 
grandes  clameurs.  —  LeCedron  seul  se  lamentait  au 
loin ;  —  et  le  Jourdain,  melancQlique,  —  allait  se 
cacher  aux  solitudes,  —  pour  d^gonfier  ses  plaintes, 
—  a  Tombre  des  leniisques  et  des  verts  ler6binthes. 


'.2»  MIRtiO,  CANT  XI. 

E  lou  paiire  pople  ero  ti'isle, 

Car  vesie  Wii  qu'ero  soun  Criste, 
Aqiieii  que  de  la  toumbo  aussant  lou  curbecen, 

A  si  coumpagno,  a  si  creseire, 

6ro  tourna  se  faire  v6ire, 

E  piei,  leissant  li  clau^  P^ire, 
S'ero  couine  un  eigloun  enaura  dins  lou  ceu ! 

Ah !  lou  plagiiien,  dins  la  Jud^io, 

Lou  b^u  fustic  de  Galileio ! 
I.ou  fustic  di  peu  blound  qu*amansissie  li  cor 

Em6  lou  meu  di  parabolo, 

E  qu'^  bel  6ime  sus  li  colo 

Li  nourrissie  *m6  de  caudolo, 
E  toucavo  si  ladre,  e  reveni^  si  mort! 

Hai  li  d6utour,  li  r6i,  li  pr6ire, 

Touto  la  chourmo  di  veiid^ire 
Que  de  soun  temple  santlou  m^stre  avi6  cassa  : 

—  Quau  poudra  teni  la  pauriho, 

Se  murmurSron  k  Tauriho, 

Se  dins  Sioun  e  Samario, 
Lou  lume  de  la  Crous  n*6i  pas  16u  amoussa? 

Alor  li  rSbi  s*encagn6ron, 
E  li  marlire  temouni^ron  : 
Alor  Tun,  coume  Esteve,  ero  aqueiratout  vieii, 
Jaque  espiravo  p6r  Tespaso, 


D'aulre,  engrana  souto  uno  graso 


Mai  sout  lou  ferre  o  dins  la  braso, 
Tout  cridavo  en  mourent  :  0,  Jesu  's  Fi^u  de  Di^u! 


MIR^ILLE.  CHANT   XL      •  425 

«  Et  le  paiivre  pcuple  elait  iriste,  —  car  il  voyait 
bien  que  celui-la  etait  son  Christ,  —  qui  de  la  tombe 
haussant  le  couvercle,  —  a  ses  compagnons,  k  ses 
disciples, —  etait  revenu  se  monlrer, —  et  puis,  lais- 
santles  clefs  a  Pierre,—  s*6tait  comme  un  aiglon  en- 
Iev6  dans  le  ciel  I 


«  Ah  I  On  le  plaignait,  dans  la  Judee,  —  le  beau 
charpentier  Galileen,  —  le  charpentier  aux  chcveux 
blonds  qui  apprivoisait  les  coeurs  —  avec  le  miel  des 
parabolcs,  —  et  qui  avec  largesse  siir  les  collines  — 
nourrissait  la  foule  de  pain  azyme,  —  ot  touchait  ses 
leprenx,  et  ressusritait  ses  raorls  ! 


«  Mais  les  docleurs,  "les  rois,  les  pr^tres,  —  la 
horde  entiere  des  vendeurs  —  que  de  son  temple 
saint  le  Haitre  avait  chasses  :  —  «  Qui  reliendra  la 
multitude,  —  se  murmurerent-ils  a  Toreille,  —  si 
dans  Sion  et  Samarie  —  la  lumiere  de  la  Croix  n  est 
prompt ement  eteinte?  » 


«  Alors  les  rages  s'irriterent,  —  et  les  martyrs  16- 
nioign^ront;  —  alors  Tun,  tel  qu'Etienne,  etait  iapide 
vif,  -  Jacques  expirait  par  F^p^e,  — d*autres,  ecra- 
s6s  sous  un  blocde  pierre!...  —  Mais  sous  le  fer  on 
dans  la  braise,  —  tout  criait  en  mourant :  «  Oai, 
Jesus  est  Fils  de  Dion  I  •> 


r.«. 


4Sd  MIRfelO.  CANT  XI. 

Naulre,  li  sorre  em6  H  fraire, 
Que  lou  seguian  p^  tout  terraire, 

Sus  uno  ratamalo^  i  fiirour  de  la  mar, 
E  s^nso  velo  e  stoso  remo, 
Fuguerian  einbandi.  Li  femOy 
Toumbavian  un  ri^u  de  lagremo ; 

Lis  ome  vers  lou  c^u  pourtavon  soun  regard. 

Deja,  deja  vesen  s'encourre 

Ouliveto,  palais  e  lourre ; 
Vesen  de  Taut  Carmel  li  serre  e  lis  estras, 

Qu*aperalin  fasien  la  gibo. 

Tout-d  un-cop  un  crid  nous  arribo  : 

Nous  reviraii,  e  sus  la  ribo 
Vesen  uno  chatouno.  Aubouravo  si  bras, 

Ell  nous  cridant,  touto  afougado  : 

—  Oh !  menas-me  dins  la  barcado, 
Mestresso,  menas-me!  P6r  Jesu,  ieu  per6u, 

Vole  mouri  de  mort  amaro ! 

Rro  nosto  serv^nto  Saro ; 

E  dins  lou  ceu  la  veses  aro 
One  Ion  front  ie  lusis  coume  uno  aubo  d'Abreu. 

Linen  d'aqui  TAnguieloun  nous  tiro ; 
Mai  Salome,  que  Dieu  enspiro, 

!s  erso  de  la  mar  a  jita  soun  velet... 
0  pouderouso  fe  I . . .  sus  Toundo 
Que  sautoulrejo,  blnio  e  bloundo, 
La  chato,  que  noun  se  prefoundo, 

Vendue  d6u  ribeir^s  a  noste  veisselef ;  -. 


MIREILLE,  CHANT  XI.  427 

a  Nous,  les  soeurs  et  les  fr^res —  qui  le  suivions 
par  tout  pays,  —  sur  un  m^chant  navire,  aux  fureurs 
de  la  mer,  —  sans  voiles  et  sans  rames,  —  Mmes 
chassis.  Les  femmes,  —  nous  versions  un  ruisseau 
de  larmes ;  —  les  homrnes  vers  le  del  portaient  leur 
regard. 


«  Deja,  deji  nous  voyons  fuir  —  l)ois  d'oliviers, 
palais  et  tours  ;  —  nous  voyons  du  haut  Carmel  les 
cr^es  et  les  d6chirures  —  au  lointain  bossuer  (Iho- 
rizon).  —  Tout  k  coup  un  cri  nous  arrive...  —  nous 
nous  reloumons,  et  sur  la  plage,  —  nous  voyons  une 
jeune  fille.  Elle  61evait  sesbras, 


«  En  nous  criant,  tout  ardente  :  —  ((Oh!  emme- 
nez-moi  dans  la  batel^e,  —  maitresses,  emmenez- 
moi !  Pour  J6sus  moi  aussi  —  je  veux  mourir  de 
mort  ani6re!  »  —  C'etait  notre  servante  Sara;  —  et 
dansle  ciel  tu  la  vols  maintenant —  avec  une  aureole 
comme  une  aube  d'avril. 


((  Loin  de  \k  I'Aquilon  nous  entraine.  —  Mais  Sa- 
lome, que  TMeu  inspire, — aux  vagues  de  la  mer  a  jete 
son  voile.  —  0  puissante  foi!...  sur  Tonde  —  qui 
sautille,  blonde  et  bleue,  —  la  jeune  fille,  sans  s'en- 
gloutir,  —  vint  du  rivage  a  notre  vaisseau  fr^le ; 


428  MIRfelO,  CANT  XI. 

6  rAnguieloiin  la  cainpejavo, 

E  lou  velet  la  carrejavo. 
Paincns,  quand  dins  la  fousco  eilalin  veguerian 

Ciino  h  cha  cimo  despar&isse 

Lou  dous  pais,  e  la  mar  creisse, 
.  Fan  Tesprouva  per  lou  coun^isse 
Lou  t^ngui  segrenous  qu*alor  sentiguerinn ! 

Adieu!  adi^u,  torro  sacrado! 

Adi^u!  Jud^io  mal  astrado, 
Que  coussaies  ti  juste  e  clavelles  toun  Dieu  ! 

Aro,  li  vigno  erne  ti  dSti 

Di  rous  leioun  saran  lou  pati, 

E  ti  muraio,  lou  recMi 
Di  serpatas ! . . .  Adi^u,  patrio,  adi^u,  adi^i  I 

Uno  ventado  tcnripestouso 

Sus  la  marino  s6uvertouso 
Couchavo  lou  bat^u  :  Marciau  e  Sayournin 

Soun  ageinouia  sus  la  poupo  ; 

Apensamenti,  dins  sa  roupo 

Lou  vi^i  Trefume  s'agouloupo ; 
Contro  6n  ero  asseta  Vevesque  Massemin. 

Dre  sus  lou  leume,  aqu^u  Lazari 

Quo  de  la  tounnbo  e  dt'ni  susAri 
Avi6  'ncaro  garda  la  mourtalo  palour, 

S^mblo  afronnta  lou  gourg  quo  nmo; 

Em*  eu  la  nau  perdudo  enmono 

Mario  sa  sorro,  e  Madalono, 
Conchado  on  un  cantonn,  qno  plonro  sn  doulonr. 


WIREILLE,  CHANT  XI.  429 

a  Et  FAquilon  la  poussait,  —  et  le  voile  )a  portait. 
—  Lorsque,  pourtant,  dans  la  brume  eloign^e  nous 
vimes,  —  cime  h  ciine,  disparaitre  —  le  doux  pays, 
et  la  mer  croilre,  —  il  faut  I'eprouver  pour  la  con- 
naitre,  —  la  noslalgie  profonde  qu'alors  nous  resson- 
times ! 


a  Adieu !  adieu, terresacr^e!  —Adieu,  Judee  vouee 
au  malheur,  —  qui  pourchasses  tcs  justeset  cruci- 
fies ton  Dieu !  —  Maintenant  tes  vigncs  et  tes  daltes  — 
des  fauves  lions  seront  le  p^turage,  —  et  tes  mu- 
railles,  lerepaire  —  desliideux  serpents!...  Adieu, 
patrie !  adieu,  adieu !  » 


(L  Un  coup  de  vent  tempfttueux — sur  la  mer  ef- 
frayante  —  chassait  le  bateau  :  Martial  et  Saturnin 
—  sont  agenouill^s  sur  la  proue ;  —  pensif,  dans  son 
manteau  —  le  vieux  Trophime  s'enveloppe ;  —  au- 
pr^s  de  lui  6tait  assis  T^v^que  Maximin. 


«  Debout  sur  le  tillac,  ce  Lazare  —  qui  dela  tombe 
et  du  suaire  —  avait  encore  garde  la  mortelle  pAleur, 
—  semble  affronter  le  gouffre  qui  gronde ;  —  avec 
lui  la  nef  perdue  emmene  —  Marthe  sa  soeur,  et 
Magdeleine,  —  couchfio  on  un  coin,  etpleurant  sa 
douleur. 


430  MIR£I0,   cant  \I. 

La  nau^  que  buton  li  demdni, 

Meno  Estr6pi,  meno  Sidoni, 
J6u8^  d'Arimalio,  e  Marcello,  e  Gleoun; 

E,  d'apiela  sus  lis  escaume, 

Au  sil^nci  d6u  blu  reiaume 

Fasien  ausi  lou  cant  di  Saume; 
E  'ns^n  repetavian  :  Landamiis  te  Deum  I 

Oh !  dins  lis  aigo  belugueto 

Coume  landavo  la  barqueto! 
Nous  s^mblo  enca  de  veireaqu^li  fouletoun 

Que  retoursien  en  revoulino 

Lou  pouvereu  de  la  toumplino, 

Pi^i,  en  colono  mistoulino, 
S'esvalissien  alin  coume  d'espeij^toun. 

De  la  mar  lou  souleu  mountavo, 

E  dins  la  mar  se  recatavo ; 
E,  toujour  emplana  sus  la  vasto  aigo-sau, 

Courrian  toujour  la  bello  eisservo. 

Mai  dis  est^u  Di6u  nous  preservo, 

Car  dins  si  visto  nous  reservo 
P^r  adurre  k  sa  lei  li  pople  prouvencau. 

Un  matin  sus  t6uti  lis  autre, 
Fasie  tems  sol  :  de  davans  nautre 

Vesian  courre  la  nine  'm6  soun  lume  k  la  man, 
Coume  uno  v6uso  matiniero 
Que  vai  au  four  couire  si  tiero ; 
Uoundo,  aplanado  coume  uno  iero, 

D6u  bat^u  tout-b^u-justbatie  li  calaman. 


MIREILLE,  CHANT  XI.  451 

«  La  nef,  que  poussentles  demons,  -—  conduit  Eu- 
trope,  conduit  Sidoine,  —  Joseph  d'Arimathie,  et 
Marcelle,  el  C16on;  —  et,  appuyes  sur  les  tolets,  — 
au  silence  du  royaume  bleu  —  ils  faisaient  ouir  le 
chant  des  Psaumes ;  —  et  nous  rep^tions  ensemble  : 
Laudamus  te  Deum ! 


«  Oh!  dans  les  eaux  scintillantes  —  coinine  cou- 
rait  la  nacelle!  —  II  nous  semble  encore  voir  ces 
souffles  tournoyanls  —  qui  relordaient  en  tourbil- 
lons  —  Tembrun  de  Tabime,  —  puis,  en  colonnes 
leg^res  —  s'evanouissaient  au  loin  conime  des  es- 
prits. 


«  Le  soleil  niontait  de  la  mer, — et  se  couchait  dans 
la  mer;  —  et  loujours  errants  sur  la  vaste  plaine  sa- 
16e,  —  toujours  nous  allions  au  gr6  (du  vent).  — 
Mais  des  ecueils  Dieu  nous  garde,  —  car,  dans  ses 
vues,  il  nous  reserve  —  pouramener  k  sa  loi  lespeu- 
plesprovengaux. 


«  Un  matin  sur  tous  les  aulres,  —  le  lenips  6tait 
calme  :  devant  nous,  —  nous  voyons  fuir  la  nuit  avec 
sa  lampc  k  la  main,  comme  une  veuve  matinale  — 
qui  va  au  four  cuire  sa  rang6e  de  pains;  — Tonde, 
aplanie  comme  une  aire,  —  du  bateau  battait  k  peine 
les  madriers. 


Aol  MIUEIO,  CAM   XI 

b'aporeilaliii  uais,  se  gouiiflo, 

Et  porto  ourrour  dins  Tamo,  e  rounilo 
Un  brul  descouneissablc,  un  sourne  broansiiiieji, 

Que  nous  pen^lro  li  mesoulo, 

E  s^mpre  mai  ourlu  e  gingoulo. 

Isterian  mui!  La  visto  soulo, 
Taut  liuen  que  poudi'  ana,  teni6  Taigo  d'^-inent. 

E  sus  ia  marque  s'agrounchavo. 

La  broufouni^seraprouchavo, 
Rapido,  fourmidablo !  e  morto  k  nosle  entour 

Eronliserso;  e,  negro  marco, 

Endauso  aqui  tenien  la  barco. 

Alin,  lout-en-un-cop  s*enarco 
Uno  mountagno  d*aigo,  esfraiouso  d*autour. 

De  nivoulasencourounado, 

La  mar  entiero  amoulounado, 
E  que  boufo,  e  que  bramo,  o  Seghour !  en  courreat 

Veni6  sus  nautre  :  k  la  subilo, 

Un  cop  de  mar  nous  precepito 

Au  founs  d'un  toumplc,  e  nous  rojito 
A  la  pouncho  dis  erso,  espavourdi,  niourenl! 

Quentis  espaiuie  I  que  deslouriie ! 

De  longs  uiau  fendon  lou  sourne, 
E  pelo  cop  sus  cop  d'espaventable  tron ! 

E  tout  rinfer  se  descadeno 

P^r  englouli  nosto  careno. 

La  Labechado  siblo,  reno, 
E  contro  lou  pai6u  bacello  n6sti  front. 


I 


MIREILIE,  CHANT  Xi.  433 

«  Des  piofondeurs  de  (rhorizon)  wait,  se  gonfle, 
—  et  porte  riiorreur  dans  I'ame,  et  gronde  —  un 
bniit  inconnu,  un  mugissement  sombre,  —  qui  nous 
penetre  les  moelles,  —  et  de  plus  en  plus  hurle  et 
gemit.  —  Nous  restdmes  muets  1  La  vue  seule,  — 
aussi  loin  qu  elle  pouvaitaller,  guetlait  les  flots. 


«  Et  sur  la  mer  qui  se  blottissait  (d'effroi),  —  la 
rafale  se  rapprochait,  —  rapide,  formidable!  et 
inortes  autour  de  nous  —  etaient  les  vagues;  d, 
noir  presage,  —  comme  immobilisee  par  un  charme 
elles  tenaient  la  barque.  —  Au  loin  soudain  se  dresse 
—  une  montagne  d'eau,  effrayante  de  hauleur. 


«  De  sombres  nuages  couronnee, —  la  mer  entiere 
amoncelee,  —  en  soufflant  el  beuglant,  6  Seigneur! 
a  la  course  fondait  sur  nous  :  subitement  — un  coup 
de  mer  nous  precipite  —  au  fond  dun  gouffre,  et 
nous  rejetle  —  ^  la  pointe  des  vagues,  epouvautes, 
mourants! 


«  Quelles  transes!  quel  bouleversenient  1  —  De 
longs  eclairs  fendent  Tobscurite,  —  et  coup  sur  coup 
cclatcnt  d'epouvantables  tounerres, —  et  tout  I'Enfer 
se  dechaine  —  pour  engloutir  notre  car^ne.  —  La 
tourmente '  siffle,  gronde,  —  et  centre  le  pent  bat 
nos  fronts.  » 


37 


f3»  NIREIO,   CANT   XI. 

Sus  I'esquinau  de  si  camello 

Tantost  la  mar  nous  enciinello ; 
Tantosl,  dins  la  founsourdi  negre  garagai, 

Ounte  barrulon  li  las^mi 

Li  biou-marin  e  li  grand  l^nii, 

Allan  entendre  lou  soulSmi, 
Di  negadis,  que  I'oundo  escoubiho,  pecai ! 

Nous  veguerian  perdu !  S'enverso 

Sus  n6sti  lesto  uno  grando  crso, 
Quand  Lazdri  :  Houn  Dieu,  serVe-nous  de  timouu! 

M'as  davera  'n  cop  de  la  touinbo. .. 

Ajudo-nous!  labarco  toumbo! 

Coume  I'auroun  de  la  paloumbo, 
Soun  crid  ftnd  la  chavano  e  volo  perainount. 

De  Taut  palais  ounte  Iriounflo 
Jesu  Va  vist;  sus  la  mar  gonnflo 

Jesu  v6i  soun  ami,  soun  ami  qu*en-tant-leu 
Vai  6slre  aclapa  soulo  I'oundo. 
Sis  iue  'in6  'no  piela  prefoundo 
Nous  coiintemplon  :  subran  desboundo 

A  traves  la  tempftsto  un  long  rai  de  souleu* 

Alleluia !  sus  Taigo  amaro 

Mountan  e  davalan  encaro  ; 
E  trempe,  e  matrassa,  boumiss6n  Tainarun; 

Mai  lis  esfrai  tout-d'un-tems  parton, 

Li  lamo  fiero  s'cscavarlon, 

Li  nivoulado  alin  s'esvarton, 
La  terro  verdouleto  espelis  d6u  claruii. 


MIREILLE,  CHANT  XI.  435 

«  Sur  le  dos  de  ses  houles  —  tanl6t  la  mer  nous 
hisse;  —  tantot  dans  la  profondeur  des  noirs  abimes, 
—  ou  errent  les  paons-de-mer,  — les  phoques  et  les 
grands  requins,  —  nous  allons  entendre  la  lamen- 
table plainte  —  des  noyes,  que  Tonde  balaye,  h^las ! 


«  Nous  nous  vimes  perdus.  —  Sur  nos  tMes  se 
renverse  une  grande  vague,  —  quand  Lazare  :  «  Mon 
Dieu,  sers-nous  de  timon!  —  Tu  m*as  arrache  une 
fois  du  tombeau. . .  —  Aide-nous !  la  barque  tombe ! » 
—  Gomme  Tessordu  ramier,  —  son  cri  fend  I'orage 
et  vole  dans  les  cieux. 


a  Du  haut  palais  ou  il  triomphe,  —  J^sus  Ta  vu ; 
sur  la  mer  gonflee  —  Jesus  voit  son  ami,  son  ami 
qui,  un  moment  de  plus,  —  va  Mre  enseveli  sous  le 
flot.  —  Ses  yeux  avec  une  piti6  profonde  —  nous  con- 
templent :  soudain  jaillit  —  k  travers  la  tomp^te  un 
long  rayon  de  soleil. 


«  Alleluia!  sur  I'eau  amere  —  nous  montons  et 
descendons  encore ;  —  et  ruisselants,  et  harasses, 
nousvomissons  Famertume.  — En  m^me  temps  les 
effrois  partent,  —  les  lames  fieres  se  dispersent,  — 
les  nu^es  au  lointain  se  dissipent,  —  la  terre  ver- 
doyante  ecl6t  de  Teclaircie. 


436  MlRtlO,  CANT  XI. 

Lont^nis,  'm6  d'afr6usi  turtado, 

Nous  trigoussejon  lis  oundado. 
Piei  se  courbon  enfin  davans  la  primo  nan 

Souto  un  alen  que  lis  abauco ; 

La  primo  nau,  coume  uno  plauco, 

Fuso  entre  li  roump^nt,  e  traiico 
De  large  flo  d*escumo  eme  soun  carenau. 

Conlro  uno  ribo  s6nso  roco,  * 

Alleluia !  la  barco  loco ; 
Sus  Tareno  aigalouso  aqui  nous  amourran, 

E  cridan  t6uli :  N6sli  testo 

Qn  as  p6utira  de  la  tempesto, 

Fin  qu'au  coul^u  li  vaqui  16sto 
A  prouclama  ta  lei,  o  Crist !  Te  lou  juran ! 

A-n-aqu6u  noum,  de  jouissen^o, 
La  noblo  terro  de  Prouv^n^o 

Pareis  eslrementido;  i-n-aqueu  crid  nouveu, 
E  lou  bouscas  e  lou  campestre 
An  trefouli  dins  tout  soun  estre, 
Coume  un  chin  qu*en  sent^nt  soun  mestre, 

le  cour  a  Tendavans  e  ie  fai  lou  b6u-beu. 

La  mar  avie  jila  d'arceli. . . 

Patet'  noster,  qui  es  in  cceli, 
A  nosto  longo  fam  manderes  un  renos ; 

A  nosto  set,  dins  lis  engano 

Fagueres  naisse  uno  fountano ; 

E  miraclouso,  e  lindo,  e  sano, 
Gisclo  enca  dins  la  gleiso  ounte  soun  nostis  os! 


MIREILLE,  CHANT  XI.  457 

«  Longtemps,  avec  des  chocs  affreux.  —  nous  bal- 
lottent  les  vagues.  —  Puis  elles  se  courbent  enfin 
devant  la  mince  nef —  sous  un  souffle  qui  les  calmc; 
—  la  mince  nef,  comme  un  colymbe',  —  sille  entre 
les  brisants,  et  troue  —  de  larges  flocons  d'ecume 
avec  saquille. 


((  Centre  une  rive  sans  roche,  —  Alleluia!  la  bar- 
que louche;  —  sur  I'arene  humide,  la  nous  nous  pros- 
ternons,  —  et  nous  ecrions  tous :  «  Nos  l^tes  —  que 
tu  as  arrachees  k  la  tempMe, — jusquesous  le glaive, 
les  voici  prates  —  ^'proclamer  ta  loi,  6  Christ!  Nous 
lejurons!  » 


«  A  ce  nom,  de  joie  —  la  noble  lerre  de  Provence 
—  parait  secouee;  k  ce  cri  nouveau,  —  et  la  forfit  el 
la  lande  —  onl  tressailli  dans  tout  leur  6t re,  —  comme 
un  chien  qui,  sentant  son  maltre,  —  court  au-devanl 
de  lui  et  lui  fait  f^te. 


«  La  mer  avail  jele  des  coquillages...  —  Pntei' 
nostei\  quiesinccetis,  —  h  noire  longue  faim  tu  on- 
voyas  un  festin ;  —  h  noire  soif,  parmi  les  saHcornos 
—  tu  fis  naitre  une  fontaine;  —  et  miraculeuse,  vi 
limpide,  et  saine,  —  elle  jaillit  encore  dans  I'egliso 
ou  sonl  nos  os !  i 


4:>8  MiniilO,  CANT  XI. 

Plcii  de  la  fe  que  nous  afougo, 

D6u  Rose  pren^n  l§u  la  dougo ; 
De  palun  en  palun  caminan  k  Vasard ; 

E  pi^i,  gal'oi,  dins  lou  terraire 

Trouvan  la  trago  de  I'araire; 

E  pi^i,  alin,  dis  Einperaire 
Vos^nli  iourrc  d'Arle  auboura  i'estendard. 

A  Touro  d'iuei  sies  meissouniero, 
Arte !  e  couchado  sus  toun  iero, 

Pantaies  em' amour  ti  gl6ri  d'&u!ri-fes ; 
Mai  ^res  r^ino,  alor,  e  maire 
D*un  tant  b6u  pople  de  remaire 
Que,  de  toun  port,  lou  v6nt  bramau^e 

Noun  poudi^  travessa  Tinm^nse^barcar^. 

Roumo,  de  ndu,  t*avi6  vestido 

En  peiro  bianco  b^n  bastido ; 
I)e  ti  grandis  Areno  avi^  mes  k  toun  front 

Li  c^nt  vint  porto;  avi^s  toun  Cieri ; 

Avies,  princesso  de  TEmp^ri, 

P6r  espassa  ti  refoul^ri, 
Li  poumpous  Aquedu,  lou  Tiatre  e  Tlpoudrom. 

Intran  dins  la  ci6uta  :  la  foulo 
Mountavo  an  Tiatre  en  farandoulo. 

E  z6u !  mountan  em*elo.  Au  mitan  di  palai, 
A  Tounibro  di  temple  de  mabre, 
Se  gandissi^  lou  pople  alabre, 
Coume  quand  rounco  dins  li  vabre 

Un  lav&ssi  de  plueio,  k  Toumbrino  di  plai. 


MIREILLE,  CHANT   XL  439 

« Pleins  de  lafoi  qui  nous  brule,  —  du  Rh6ne  nous 
prenons  aussit5t  la  berge ;  —  de  marais  en  marais 
nous  niarchons  h  raveniure,;  —  et  puis,  joyeux,  dans 
le  terroir  —  nous  trouvon^  la  trace  de  la  chairue ;  — 
et  puis,  au  loin,  des  Empereurs  —  nous  voyons  les 
tours  d'Arles  arborer  T^tendard . 


((  A  cette  heure  tu  es  moissonneuse,  —  Aries !  el 
coucbee  sur  ton  aire,  —  tu  r6ves  avec  amour  de  les 
gloires  anciennes;  —  mais  tu  etais  reine,  alors,  et 
in^re  —  d*un  si  beau  peuple  de  rameurs  —  que,  de 
ton  port,  le  vent  mngissant  —  ne  pouvait  traverser 
rimmense  flotte. 


«  Rome  a  neuf  t'avaitv^tue  —  en  pierres  blancbes 
bien  bSties  :  —  de  tes  grandes  Ar6nes  elle  avail  mis 
h  ton  front  —  les  cent  vingt  portes ;  tu  avals  ton 
Cirque;  — tu  avais,  princesse  de  I'Empire,  —  pour 
distraire  tes  caprices,  —  les  pompeux  Aqueducs,  le 
ThMtre  et  I'Hippodrome. 


((  Nous  entrons  dans  la  cit6  :  la  foule — au  Tb6^tre 
monlait  en  farandole.  —  Nous  monlons  avec  elle  : 
au  milieu  des  palais,  —  k  Tombre  des  temples  de 
marbre,  —  s'elancait  le  peuple  avide,  —  comme 
quand  rugit  dans  les  ravins  —  une  averse  de  pluie,  h 
I'ombre  des  erables> 


4io  mir£:io,  cant  xi. 

0  inaladicioun !  o  vergougno ! 

1  son  moulan  de  la  zambougno, 

Sus  lou  pountin  dou  Tiatre,  eme  lou  pitre  nus, 
Un  vdu  de  chato  viroulavon, 
E  su  'n  refrin  qu'ens^n  quilavon. 
En  danso  ard^nto  se  giblavon, 

Au  lour  dun  flo de  mabre  en  quau  disien  Venus. 

La  publico  embriagadisso 

le  bandissi^  si  bramadisso ; 
JouyMo  emai  jouv6nt  repetavon  :  Canten! 

Canten  Venus,  la  grand  divesso 

De  quau  prouven  tduto  alegressol 

Canten  Venus,  la  segnouresso, 
La  maire  de  la  terro  e  d6u  pople  arlaten! 

Lou  front  aut,  la  narro  duberto, 

L  idolo,  encourouna  de  nerto, 
Dins  li  nivo  d'enc^ns  pareissi6  s'espoumpi; 

Quand,  endigna  de  tant  d'audan^o, 

E  derrounipent  e  crid  e  danso, 

Lou  viei  Treftime  que  se  lango, 
En  aussanl  si  dous  bras  sus  lou  mounde  atupi, 

D'uno  voues  forto  :  Pople  d'Arle, 

Escouto,  escouto  que  te  parle ! 
Escouto,  au  noum  ddu  Crist!...  En'en  digue  pas  mai. 

Au  frouncimen  de  sa  grando  usso, 

VaquiTidolo  que  brandusso, 

Gen^o,  e  dou  pcdestau  cabusso. 
Em*  6u  li  dansarello  an  touinba  de  I'esfrai ! 


MIREILLE,  CHANT  XI.  441 

«  0  malediction !  6  honte !  —  aux  sons  langoureux 
de  la  lyre,  —  sur  le  podium  du  TliMtre,  la  poilrine 
nue,  —  un  vol  de  jeunes  filles  tournoyait,  —  et  sur 
un  refrain  que  r6p6taient  en  choeur  leurs  voix  stri- 
denies,  —  en  danses  ardentes  elles  se  tordaienl  — 
autour  d'un  bloc  de  marbre  qu'elles  nommaient 
Venus. 

«  La  populaire  ivresse  —  leur  jetait  ses  clamours ; 

—  jeunes  filles  et  jeunes  hommesrepetaient :  «  Chan- 
tons  !  —  chantons  Venus,  la  grande  Deesse  de  qui 

—  toute  allegresse  vient!  —  Chantons  Venus,  la  sou- 
veraine,  —  la  m^re  de  la  terre  et  du  peuple  arle- 
sien!  » 


«  Le  front  haut,  la  narine  ouverte,  —  Tidole,  cou- 
ronn6e  de  myrte,  —  dans  les  nuages  d'encens  pa- 
raissait  s'enfler  d'orgueil;  —  lorsque,  indigne  do 
tant  d'audace,  —  interrompant  et  cris  et  danses,  — 
le  vieux  Trophime  qui  s*6lance,  —  en  levant  sos  deux 
bras  sur  la  foule  stup^faite, 


«  D'une  voix  forte :  «  Peuple  d'Arles,  —  6coute, 
ecoute  mes  paroles !  — Ecoute,  au  nom  du  Christ ! . . . » 
il  n'en  dit  pas  davantage.  —  Au  froncement  de  son 
grand  sourcil,—  \o\\k  Tidole  qui  chancelle,—  gemit, 
et  du  pi^destal  se  precipite. — Avecelle  les  danseusos 
sont  tombees  d'effroi ! 


f4i  MlR£lO,  CANT  XI. 

Se  fai  qu'un  crid,  s'eniend  qu'ourlado. 

Vers  li  pourtau  de  troupelado 
S'engorgon,  e  p^r  Arle  oscampon  Tespravant; 

Li  majourau  sc  descourounon, 

Li  juvenorae  s*enfurounon, 

En  cridant :  Z6u !  nous  envirounon... 
En  Tor  milo  pougnard  lusisson  tout  d*un  vane. 

Pamens,  de  nosto  vestiduro 

L^enregouido  saladuro ; 
Do  Trefume  lou  front  seren,  coume  enci^ucla 

De  clarour  santo;  e,  mai  poulido 

Que  sa  Venus  enfrojoulido, 

La  Hadaleno  ennevoulido, 
Tout  ac6,  *n  moumenet,  li  fagu^  recula. 

Mai  alor  Trefume  :  G^nl  d*Arle, 
Escoutas-me  que  i6u  vous  parle! 

lo  crid^  tournamai,  apr^s  me  chaplares! 
Pople  arlaten,  venes  de  veire 
Toun  di^u  s'esclapa  coume  un  veire 
Au  noum  d6u  mi^u!  Anes  pas  creire 

Que  ma  voues  Ta  pouscu  :  nous-autre  sian  pas  res ! 

Lou  Di^u  qu*a  'sclapa  toun  idolo 

N*a  gcs  do  temple  sus  la  colo! 
Mai  lou  jour  o  la  nine  veson  qu*6u  eilamounl : 

Sa  man,  p^r  Ion  crime  sev^ro, 

Es  alarganto  ^  la  prei^ro ; 

Ks  ^u  soulot  qu*a  fa  la  terro, 
Es  <^u  qu*a  fa  lou  c^u,  e  la  mar,  e  li  mount. 


HIREILLE,  CHANT  XI.  443 

«  U  ii'y  a  qu'un  cri;  on  n  entend  que  hurlements  ; 
—  dans  les  portails,  des  coliues  —  s'engouffrent,  ct 
dans  Aries  r^pandenl  I'epouvante ;  —  les  palriciens 
arrachent  leurs  couronnes,  —  les  jcuiies  hommes, 
furieux,  —  en  criant  :  «  Sus!  »  nous  entourent... — 
Dans  Tair  mille  poignards  luisent  d'un  seul  ^lan. 


«  Pourtant,  sur  nos  v^tenienls  —  le  sel  fig6 ;  —  de 
Trophime  le  front  serein,  comme  encercle  —  de  clar- 
ies saintes ;  et,  plus  belle  —  que  leur  Venus  transie, 
—  la  Magdeleine  voilee  d*un  nuage  (de  larmes),  — 
tout  cela,  un  instant,  les  fit  reculer. 


((  Mais  alors  Trophime  : «  Arlesieiis, —  ecoutez  nies 
paroles,  —  leur  cria-t-il  derechef,  apr^s,  vous  me 
hacherez.  —  Peuple  arlesien,  tu  viens  de  voir  —  ton 
dieu  se  briser  com  me  vcrre  —  au  nom  du  mien ! 
N*attribue  point  —  a  ma  voix  ce  pouvoir :  nous,  nous 
ne  sommes  rien ! 


«  Le  Dieu  qui  a  brise  ton  idole  —  n'a  point  de 
temple  sur  la  coUine !  —  Mais  le  jour  et  la  nuit  ne 
voient  que  lui  la-haut;  —  sa  main,  severe  pourle 
crime,  —  eftt  genereuse  a  la  priere;  —  lui  seul  a  fait 
la  terre,  —  lui  (seul)  a  fait  le  ciel,  el  la  mer,  et  les 
monts. 


4U  MIREiO,  CANT   XI. 

Uii  jour,  de  soun  auto  demoro, 

A  vist  soun  ben  nianja  di  toro; 
A  vist  b6ure  k  Tesclau  si  plour  e  soun  verin ; 

Ejamai  resquelou  counsolo! 

A  vist  lou  Mau,  pourtant  Testolo, 

Sus  lis  autar  teni  Tescolo; 
Toun  fihan,  Ta  vist  courre  a  Tafront  di  gourrin ! 

E  p6r  espurga  tau  brulice, 

P^rbouta  fin  au  long  suplice 
De  la  ra<?o  omenenco  eslacado  au  pieloun, 

A  manda  soun  Fi^u  :  nus  c  paure, 

Erne  pas  un  rai  que  lou  daure, 

Soun  Fieu  es  davala  s  enclaure 
Dins  lou  sen  d'uno  Yierge;  es  na  sus  d'esloubloun ! 

0  pople  d'Arle,  penitenci ! 

Coumpagnoun  de  soun  eisist^nci, 
To  pouden  afourli  si  miracle  :  eilalin, 

Is  encountrado  raounte  coulo 

Lou  blound  Jourdan,  entre  uno  foulo 

Espeiandrado  e  mau  sadoulo, 
L'aven^vist  blanqueja  dins  sa  raubo  de  lin! 

E  nous  parlavo  qu' entre  naulre 

Falie  s'ama  lis  un  lis  autre ; 
Nous  parlavo  de  Dieu,  tout  bon,  tout  pouderoiis; 

E  dou  reiaume  de  soun  Paire, 

Que  noun  sara  per  li  troumpaire, 

Lis  auturous,  lis  usurpairo, 
Mai  ben  per  li  pichot,  li  simple,  li  plourous. 


M1R£1LLE,  ClIAKT  XI.  145 

«  Un  jour,  de  sa  haute  demeure,  —  il  a  vu  son 
bien  devore  des  chenilles;  —  il  a  vu  resclave  boire 
ses  pleurs  et  sa  haine;  —  et  jamais  personne  qui 
Ic  console!  —  II  a  vu  le  Mai,  en  robe  sacerdolalo, 
—  sur  les  autels  tenir  ecole;  —  tes  filles,  il  les  a 
vues  courir  k  Taffronl  des  libertins ! 


«  Et  pour  laver  telles  immondices,  —  pour  nieltre 
fin  au  long  supplice  —  de  la  race  humaine  atlachee 
au  pilier,  —  il  a  envoye  son  Fils  :  nu  et  pauvre, — 
dore  d'aucun  rayon,  —  son  Fils  est  descendu  s  en- 
clore  —  dans  le  sein  d  une  vierge;  il  est  ne  sur  du 
chaume ! 


«  0  peuple  d' Aries,  penitence!  — •  Goinpagnons  do 
sa  vie,  —  nous  pouvons  faffinner  ses  miracles !  Aux 
lointaines  —  contrees  oil  coule  —  le  blond  Jourdain, 
au  milieu  d*une  foule  —  en  haillons  et  aflamce,  — " 
nous   Tavrns  vu  dans  sa  blanche  robe  de  lin! 


«  Et  il  nous  disait  qu'entre  nous  —  il  fallail  s' ai- 
mer les  uns  les  autres;  —  il  nous  parlait  de  Dieu, 
lout  bon,  tout-puissant,  —  et  du  royaume  dc  son 
P6re,  —  qui  ne  sera  point  pour  les  trompcurs,  — 
pour  les  haulains,  pour  les  usurpateurs,  —  mais 
bien  pour  les  pelits,  les  simples,  ceux  qui  pleu- 
rent. 

58 


m  MlRfelO,  CANT  Xt. 

K  fasi^  fe  de  sa  d6utrino 

bin  caminant  sus  la  marino; 
Li  inalaut,  d'ua  cop  d'iue,  d'un  mot  H  garissie; 

Limort,  inaugrat  lou  sourne  Wrri, 

Souii  revengu  :  vaqui  Lazari 

Que  pourrissie  dins  lou  sus^ri ! . . . 
Mai,  Ten  que  p^r  ac6,  boufre  de  jalousie, 

Li  rei  de  la  nacioun  Jusiolo 

!i*an  pres,  Van  mena  su  'no  colo , 

Clavela  su  'n  trounc  d'aubre,  abeura  d*amarun, 
Cubert  d'oscra  sa  santo  faci, 
E  pi^i  auboura  dins  Fespaci 
En  se  trufant  d'6u  !...  —  Grj\ci !  graci! 

Esclat^  tout  lou  pople,  estoufa  d6u  plourun; 

Graci  per  nautre !  Que  fau  faire 

Per  desanna  lou  bras  d6u  Paire? 
Parlo,  ome  de  Dieu,  parlo!  e  s'ei  de  sang  que  vou, 

Fe  semoundren  cent  sacrefice ! 

—  Inmoulas-ie  vosti  delice, 

Ininoulas  vosto  fam  de  vice , 
Uespoundegue  lou  Sant  en  se  jitant  per  sou. 

N^ni,  Segnour!  ce  que  t*agrado, 

N'es  pas  Toudour  d  uno  tuado, 
Ni  li  temple  de  peiro  :  ames,  ames  b6n  uiai 

Lou  tros  d'artoun  que  Ton  presento 

A  I'afama,  vo  la  jouvento 

Que  v6n  a  Dieu,  dou^o  e  cregnento, 
Oufri  sa  casteta  coume  uno  flour  de  Mai« 


MinElLLE,  CHANT  XI.  447 

«  Et  8a  doctrine,  il  Tallestait  —  en  marchanl  sur 
la  mer;  —  les  maladcs,  d'un  regard,  d*un  mot,  il 
les  guerissait;  —  les  morts,  malgre  le  sombre  rem- 
part,  —  sont  revenus  :  voil^  Lazare  —  qui  pourris- 
sait  dans  le  suaire...  —  Mais,  pour  ces  seuls  motifs, 
enfl^s  de  jalousie, 


«  Les  rois  de  la  nation  juive  —  Font  pris,  Tout 
conduit  sur  une  colline,  —  clou6  sur  un  tronc  d'ar- 
bre,  abreuv6  d'amertume,  —  ont  convert  sa  sainte 
face  de  crachals,  —  et  puis  Tont  6leve  dans  Tespace, 
—  en  le  raillant...  »  —  «  GrAce !  gr^ce !  Mata  tout  le 
peuple,  6touffe  de  sanglots; 


a  Gr^ce  pour  nous !  Que  faut-il  faire  —  pour  d6s- 
armer  le  bras  du  P6re?  —  Parle,  homme  divin, 
parle!  et  si  c*est  du  sang,  qu'il  veut,  — nous  lui 
offrirons  cent  sacrifices !  »  —  «  Immolez-Iui  vos  de- 
lices,  —  immolez  votre  faim  de  vice,  —  r6pondit  le 
Saint  en  se  jetant  par  terre. 


«  Non,  Seigneur!  ce  qui  te  plait,  —  ce  n'est  point 
Fodeur  d*une  tuerie,  —  ni  les  temples  de  pierro  :  tu 
aimes,  lu  aimes  bien  mieux  —  le  morceau  de  pain 
que  Ton  presente  —  a  I'affame,  ou  la  jeune  viergo 
—  qui  vient  a  Dieu,  douce  et  craintive,  —  offrir  sn 
chastet^  comme  une  fleur  de  mai.  » 


448  IIRfelO,  CANT  XI. 

Di  bouco  d6ii  grand  Apoustoli 

Ansiu  raie  counie  un  sant  6li 
ha  paraulo  de  Dieii  :  e  plour  de  regoula, 

E  malandrous,  e  rusticaire 

De  beisa  sa  raubo,  pecaire  ! 

E  lis  idolo,  de  tout  caire, 
Sus  li  graso  di  temple  alor  de  barrula  ! 

Entanterin,  en  testim6ni, 

L'Avugle-na  (qii'ero  Sid5ni), 
Houstravo  is  Arlalen  si  vistouii  neleja; 

En  d'autre  Massemin  recito 

Lou  Clavela  que  ressuscito, 

La  repent^nci  qu*es  necito... 
Arle,  aqu6u  meme  jour,  se  fagu6  batoja ! 

Hai,  counie  uno  auro  qu'escoubiho 

Davans  elo  un  fio  de  broundiho, 
Senten  T Esprit  de  Di6u  que  nous  bulo.  E  veici, 

Coume  partian,  uno  cmbassado 

Qu*a  n6sti  p^d  toumbo ,  apreissado, 

En  nous  disent ;  Uno  passado, 
Eslrangie  d6u  bon  Di^u,  vougues  b6n  nous  ausi ! 

Au  brut  de  v6sti  grand  miracle 

E  de  v6sti  nouveus  ouracle, 
Nous  mando  a  vosti  ped  nosto  pauro  cieuta... 

Sian  mort  sus  n6sti  cambo !  Alabre 

De  sang  unnan  e  de  cadabre, 

Dins  nosti  bos  e  ndsti  vabre 
Un  inoustre,  un  fl6u  di  di6u,  barrulo.. ,  Agues  pieta  ! 


MIREILLE,  CHANT  XI.  449 

a  Des  levres  du  grand  ApOtre — ainsi  coula  comine 
une  huile  sainte  —  la  parole  de  Dieu :  et  pleurs  de 
ruisseler, — et  malades  et  pauyres  travailleurs  —  de 
baiser  sa  robe,  —  et  les  idoles,  de  toute  part,  —  sur 
lesrdegr^s  des  temples  alors  de  rouler ! 


«  En  m6me  temps,  en  temoigiiage,  —  TAveugle- 
ne  (qui  6tait  Sidoine),  —  montrait  aux  Arlesiens  ses 
prunelles  nettoy6es;  —  a  d'autres,  Maximin  raconte 
—  le  Crucifi6  qui  ressuscite,  —  le  repentir  qui  est 
nteessaire .  .  —  Aries  ce  mSme  jour  se  fit  baptiser ! 


((  Hais,  tel  qu'un  vent  qui  balaye  —  devant  lui  un 
feu  d'^mondes,  —  nous  sentons  I'Esprit  de  Dieu  qui 
nous  pousse.  Et  Yoici,  —  comme  nous  partions, 
une  ambassade  —  qui  d  nos  pieds  tombe,  emprcs- 
see,  —  en  nous  disant :  «  Un  instant,  —  strangers 
du  Dieu  bon,  veuUtez  bien  nous  entendre ! 


«  Au  bruit  de  vos  grandes  meryeilles  —  et  de  vos 
nouveaux  oracles,  —  k  vos  pieds  nous  envoie  notre 
cite  malheureuse. . .  —  Nous  sommes  morts  sur  nos 
jambes !  Avides  —  de  sang  bumain  et  de  cadavrcs, 
—  dans  nos  bois  et  nos  ravins  —  un  monstre,  un 
fl^au  des  dieux,  erre...  Ayez  pitie ! 


58. 


45(1  MIR&TO,  CANT  XI. 

Li  bestio  a  la  co  d'un  coulobre, 
A  d'iue  inai  rouge  qu'un  cinobre; 

Sus  Tesquino  a  d'escaumo  e  d'Asti  que  fan  poii ! 
D*un  gros  leioun  porto  lou  mourre, 
E  si^is  p^d  d*ome  p^r  mies  courre; 
Dins  sa  caforno,  souto  un  moure 

Que  doumino  lou  Rose,  emporto  ce  que  p6ii. 

T6uli  li  jour  ndsti  pescaire 
S  esclargisson  que  mai,  pecaire ! 

E  li  Tarascounen  se  bouton  k  ploura. 
Mai,  s^nso  pauso  ni  chancello, 
Marto  s'escrido  :  Em^  Marcello 
I6u  i'anarai !  Moun  cor  baceilo 

I)e  courre  &-n-aqu^u  pople  e  de  lou  deli^ura. 

P6r  la  darriero  fes  su  terro, 
Nous  embrassan,  em^  TespSro 

Do  nous  revtire  au  ceu,  e  nous  desseparan. 
Limoge  agu^  Marciau ;  Toulouso 
De  Savournin  fugu^  Tespouso; 
E  dins  Aurenjo  la  poumpouso, 

Ef^trdpi  lou  proumi^  samen6  lou  bon  gran. 

Mai  ounte  vas,  tu,  dou^o  vierge?... 
Em'  uno  crous,  em*  un  asperge, 

Marto,  d'un  ^r  seren,  caminavo  tout  dre 
Vers  la  Tarasco  :  li  Barbare 
Noun  poudent  creire  que  s'apare, 
P^r  espincha  lou  coumbat  rare, 

kvon  t6uti  nrrounta  siis  ii  pin  de  Tendr^. 


MIREILLE,  CHANT  XI.  451 

«  La  L^te  a  la  queue  d*un  dragon,  —  des  yeux  plus 
rouges  que  cinabre,  —  sur  le  dos  des  6cailles  et  des 
dards  qui  font  peur !  —  D'un  grand  lion  elle  porte  le 
mufle,  —  elle  a  six  pieds  humains,  pour  mieux  cou- 
rir ;  —  dans  sa  caverne,  sous  un  roc  —  qui  domino 
le  Rhdne,  elle  emporte  ce  qu'elle  pent. 


«  Tous  les  jours  nos  p^heurs,  —  s*eclaircissenl 
de  plus  en  plus,  h6las  1 »  —  Et  les  Tarasconais  se 
prennent  h  pleurer.  —  Mais  sans  retard  ni  h^sitance, 
Marthe  s*6crie  :  «  Avec  Marcelle,  -^  moi,  j'irai!  Le 
ccBur  me  bat  —  de  courir  k  ce  peuple  el  de  le  deli 
vrer.  » 


«  Pour  la  derni6re  fois  sur  la  terre,  —  nous  nous 
embrassons,  avecTespoir  —  denous  revoir  au  ciel, 
et  nous  nous  s6parons.  —  Limoges  eut  Martial ;  Tou- 
louse —  deyint  i*^pouse  de  Satumin,  —  et  dans 
Orange  la  pompeuse  —  Eutrope  le  premier  sema  le 
bon  grain. 


«  Maistoi,  ou  vas-tu,  douce  vierge?...  —  Avec  uno 
croix,  avec  un  aspersoir,  —  Marthe  d'un  air  serein 
marchait  droit  —  a  la  Tarasque  :  les  Barbares, —  ne 
pouvant  croire  qu'elle  se  d6fende,  —  pour  regarder 
le  combat  insigne,  —  etaient  montes  en  foule  sur  les 
pins  du  lieu. 


452  MIRfelO,  CANT  XI. 

Destrassouna,  pouii  dins  soun  soustre, 
Aguesses  vist  bouinbi  lou  moustre ! . . . 

Mai  souto  Taigo  santo  a  b^u  se  trevira, 
De-bado  reno,  siblo  e  boufo... 
Marto,  em'  un  prim  seden  de  moufo, 
L'embourgino,  Tadus  que  broufo... 

Lou  pople  tout  entie  courregu^  I'adoura  ! 

—  Quau  sies?  La  cassarello  Diano? 

Venien  k  la  jouino  Crestiano, 
0  Minervo  la  casto  e  la  forto?  —  Noun,  noun, 

le  respoundegu6  la  jouvento  : 

Sieu  de  moun  Dieu  que  la  servento ! 

E  quatecant  lis  assavento, 
E  'm*  elo  davans  Di^u  plegueron  lou  geinoun. 

De  sa  paraulo  vierginenco 
Piqu6  la  roco  Avignounenco... 

E  la  fe  talamen  k  bello  oundo  giscl^, 
Que  li  Clemen  e  li  Greg6ri 
Pu  tard,  eme  soun  sant  cibdri, 
Vendran  ie  b6ure.  Per  sa  gl6ri 

r  a  Roumo  qu*eilalin  selanto  an  tremoul6  ! 

Pamens,  deja  de  la  Prouven^o 
Mountavo  un  cant  de  reneiss6n<^o 

Que  fasi6  gau  h  Dieu  :  Tas  agu  remarca, 
Tre  qu'a  plougu  *n  degout  de  plueio, 
Goume  tout  aubre  e  touto  brueio 
Aubouron  i^u  sa  gaio  fueio  ? 

Ansin  tout  cor  brulant  courrie  se  refresca. 


MIREILLE.  CHANT  XL  45r> 

«  Eveille  en  sursaut ,  liarceie  sur  sa  liliere,  — 
eusses-tu  vu  bondir  le  monstre!  —  Mais  sous  I'ondee 
sainte  vainemcnl  il  se  lord,  —  en  vain  il  grogne, 
siffle  ct  souffle...  —  Marthe,  avec  une  mince  laisse de 
mousse,  —  Tenlace,  Tamene  s'6brouan!...  —  Lv 
peuple  tout  enlier  courut  I'adorer  ! 


—  «  Quies-lu?  La  chasseresse  Diane?— disaient-ils 
a  la  jeune  Chrelienne,  —  ou  Minerve  la  chaste  ot  la 
forte  ?»  —  «  Non,  non,  —  leur  r^pondit  la  jciuie 
fdle  :  —  je  ne  suis  de  mon  Dieu  que  la  servanlo !  » 
—  Et  aussit6t  elle  Ics  instruit,  —  et  avec  elle  devaiit 
Dieu  ils  fl^chirent  le  genou. 


«  De  sa  parole  virginale  —  elle  frappa  la  roclie 
Avignonnaise...  —  Et  la  foi,  tellement  a  belles  ondos 
jaillit,  —  que  les  Clement  et  les  Gregoire  —  plus 
tard,  avec  leur  coupe  sainte  —  viendront  y  puiser. 
Pour  sa  gloire,  —  Rome,  la-bas,  septante  annees 
trembla. 


«  Cependant,  de  la  Provence  deja  —  s'elevait  un 
chant  de  renaissance —  qui  rejouissait  Dieu :  n'as-lu 
pas  remarque,  —  d6s  qu'il  a  plu  une  goutle  de  pluie, 
—  comme  tout  arbre  et  toute  vegetation  —  relevent 
vite  leur  feuillage  gai?  —  Ainsi  tout  coeur  brnlant 
courait  se  rafraichir. 


♦54  NIR^IO,  CANT  XI. 

Tu  memo,  auturouso  Marsiho, 

Que  siis  la  mar  ducrbes  ti  ciho, 
E  que  r6n  de  la  mar  noun  te  p6u  leva  Due, 

E  qu*en  despi^  di  vent  countrSri, 

Sounjes  qu'^  Tor  entre  li  bSrri, 

k  la  paraulo  de  Laz&ri, 
Rebal^res  ta  visto  e  vegueres  ta  niue  ! 

E  dins  rUv^une  que  s'aveno 

Em^  li  plour  de  Madaleno, 
Lavferes  davans  Di6u  toun  orre  queitivie. . . 

Vuei  tournamai  dr^isses  la  t^sto... 

Davans  que  boufe  la  temp^sto, 

Ensouvene-te,  dins  ti  fi^sto, 
Di  plour  madalenen  bagnant  tis  6ulivie ! 

Colo  de-z-Ais,  cresten  arebre 

De  la  Sambuco,  viei  gen^bre, 
firand  pin  que  vesliss^s  11  bans  de  TEstereu, 

Vous,  mourven  de  la  Trevaresso. 

Redigas  de  quinto  alegresso 

Vosti  coumbo  fugueron  presso, 
Quand  pass6  Massemin  pourtant  la  crous  em'  ^u  ! 

Mai,  alin,  la  veses  aquelo 
'  Que,  si  bras  blanc  sarra  contro  elo, 
IVego  ail  founs  d'uno  baumo?  Ail  panro  !  si  geinoun 

Se  macon  k  la  roco  duro, 

E  n'a  per  louto  vestiduro 

Que  sa  bloundo  cabeladuro, 
E  la  Inno  la  viho  em6  soun  lumenoun. 


MIREILLE,  CHANT  Xl.  455 

«  Toi-in6me,  alliere  Marseille,  —  qui  sur  la  iner 
ouvres  tes  cils,  —  el  dont  rien  (du  spectacle)  de  ta 
itier  ne  peut  dislraire  roeil,  —  et  qui,  eii  depit  des 
vents  contraires,  —  ne  songes  qu  a  Tor,  —  dans  tes 
muraiUes,  a  la  parole  de  Lazare,  —  tu  abaissas  ta 
vue  et  tu  vis  la  nuit ! 


((  Et  dans  THuveaune  qui  s'alimente  —  avec  les 
pleurs  de  Magdeleine^,  —  tu  lavas  devani  Dieu  (a  hi- 
deuse  iinmondicite...  —  Aujourd'hui  iu  dresses  la 
t^tede  nouveau...  — Avant  que  la  tetnpete  souffle, 
—  souviens-toi,  au  milieu  de  tes  f^tes,  —  que  1^ 
pleurs  de  Magdeleine  baignent  tes  oliviers  ! 


«  Collines  d*Aix,  crates  abruptes  —  de  la  Sambu- 
que,  vieux  genie vres,  —  grands  pins  qui  v6tez  les 
escarpements  de  TEslerel,  ~  vous,  morvens  de  la 
Trevaresse,  —  redites-nous  de  quelle  joie  —  vos  val- 
lees  furent  prises,  —  quand  passa  Maxiinin,  portant 
la  croix  avec  lui  * ! 

f 
a  Mais,  dans  reloigneinenl,  la  vois-tu,  ceile — qui, 
ses  bras  blancs  serres  contre  ello,  —  prie  au  fond 
dune  grotte?...  Ah  !  pauvre  infortun6e!  ses  genoux 
—  se  meurlrissenl  a  la  roche  dure,  —  el  elle  n*a 
pour  tout  vfetement  —  que  sa  blonde  chevelure,  —  et 
la  lune  la  Veille  avec  son  (pale)  flambeau. 


iMi  JimEIO.  CANT  XI. 

I'j  per  la  veire  dins  la  baumo, 

Lou  bos  sc  clino  c  fai  calauino ; 
E  i'  a  d'ango,  tcHent  lou  balre  de  si  cor, 

Que  respincbon  p^r  uno  escleiro  ; 

E  quaiid  perlejo  sus  la  peiro 

Un  dc  si  plour,  en  grand  presseiro 
Van  lou  cueie  e  lou  metre  en  un  calice  dor  ! 

N*i'a  proun,  ni'a  proun,  o  Madalenol 

Lou  Y^nt  que  dins  lou  bos  aleno 
T'adus  deinpiei  trento  an  lou  perdoun  dou  Segnour ; 

E  de  ti  plour  la  roco  memo 

Plourara  sempre ;  e  ti  lagrenio 

Sempre,  sus  touto  amour  de  ferao, 
Coume  uno  auro  de  iieu,  jilaran  la  blancour! 

Mai  dou  regret  que  reslransino 

Hen  counsoulavo  la  mesquino  ; 
Ni  lis  aucelounet  qu*en  foulo  au  Sanl-Pielouii, 

Per  estre  benesi,  nisavon, 

Ni  lis  ange  que  I'enaussavon 

A  la  brasselo,  e  la  bressavon 
Set  fes  touti  li  jour,  en  Ter  sus  li  valoun! 

f 
A  tu,  Segnour,  a  tu  revengue 

Touto  lausenjo  !  a  nautre  avengue 
De  te  \eirc  sens  fin  tout  lusenl  e  verai ! 

Pauri  feme  despatriado, 

Mai  de  toun  amour  embriado, 

De  loun  eterno  suuleiado 
Aven,  nautri  pereu,  escampa  quauqui  rai! 


MIREILLE,  CHANT   XI.  457 

«  Et  pour  la  voir  dans  la  grolte,  —  la  foret  se  pen- 
che  et  fait  silence ;  —  et  des  anges,  rclenant  le  bat- 
tement  de  leurs  coeurs,  —  I'epient  par  un  interstice, 
—  et  lorsque  sur  la  pierre  tombe  en  perle  —  un  de 
ses  pleurs,  en  grande  h^te  —  ils  vont  le  recueillir  el 
le  metlre  en  un  calice  d'or. 


«  Assez !  assez,  6  Magdeleine  1  —  Le  vent  qui'dans 
le  bois  respire  —  t'apporle  depuis  trenle  ann6es  le 
pardon  du  Seigneur.  —  De  tes  pleurs  la  roche  elle- 
m^me  —  pleurera  6terneHenient;  et  tes  larmes, — 
eternellement,  sur  tout  amour  de  femme,  —  comme 
un  vent  de  neige,  jetleront  la  blancheur  ! 


tt  Mais  du  regret  qui  la  consume  —  rieii  no  consu- 
Jail  la  malheureuse  :  —  ni  les  pelits  oiseaux  qui  en 
I'oule  au  Saint-Pilon  *,  —  pour  etre  benis,  nichaienl; 
—  ni  les  anges  qui  Tenlevaient  —  dans  leurs  bras,  et 
la  ber^aient —  septfois  tousles  jours,  dans  I'air,  sur 
les  vallons. 


«  A  toi,  Seigneur,  a  toi  revienne  — toute  louange ! 
a  nous  advienne  —  de  te  voir  a  jamais  dans  ta  splen- 
deur  entiere  et  ta  realite !  — Pauvres  feunnes  exilees, 
—  mais  enivr^es  de  ton  amour,  —  de  ton  eternelle 
irradiation  —  nous  avons,  nous  aussi,  epanche  qucl- 
ques  rayons. 


59 


4j8  MIRIEIO,  CANT  XI. 

Colo  Baussenco,  Aupiho  bluio, 

Vosti  calaii,  v6stis  aguhio, 
Do  iiosto  predicango  k  toust^ins  gardaran 

La  gravaduro  peirounenco. 

1  soulitudo  palunenco, 

Au  founs  de  Tisclo  Cainargiieiico, 
La  mort  nous  al6uj^  de  nosti  jour  6ubrant. 

'Coume  en  touto  causo  que  toumbo, 
L'oublit  rescound^  l^u  li  toumbo. 

La  Prouvengo  cantavo,  e  lou  t6ms  courregu6 ; 
E  coume  au  Rose  la  Durengo 
Perd  a  la  fin  soun  escourr^ngo, 
Lou  gai  reiaume  de  Prouvenco 

bins  lou  sen  de  la  Franco  a  la  fin  s'amague. 

—  Franco,  em^tu  meno  ta  sorre! 

Digue  soun  darrie  r^i,  ieu  more. 
Gandissesvous ensen  alin  versTaveni, 

Au  grand  prefa  que  vous  apello.*. 

Tu  sies  la  forlo,  elo  es  la  bello  : 

Veires  fugi  la  niue  rebello 
Davans  la  resplendour  de  vosti  front  uni* 

Reinie  fague  'c6  beu.  Un  sero 
Qu'enlredourmie  dins  sa  coucero, 

le  moustrerian  lou  rode  ounte  6ron  n6stis  os : 
Eme  douge  evesque,  si  page, 
Sa  bello  court,  sis  equipage, 
Lou  rei  vengue  sus  lou  ribage, 

E  souto  lis  eiigano  atrouve  nosti  cros. 


MIREILIE.  CHANT  XI.  4S9 

«  Gollines  des  Baux,  Alpines  bleues,  —  vos  mor- 
nes,  vos  aiguilles,  — denotre  predication,  dans  tons 
les  si^cles,  garderont  —  la  trace  grav^e  dans  la 
pierre  •.  —  Aux  solitudes  paludeennes,  —  au  fond 
de  File  de  Camargue,  —  la  mort  nous  all^ea  de  nos 
jours  de  labeur. 


«  Comme  en  tout  ce  qui  tombe,  —  Toubli  cacha 
bientdt  nos  tombeaux.  —  La  Provence  chantait,  et  le 
temps  courut;  —  et  de  m^me  qu'au  Rhdne  la  Du- 
rance —  perd  k  la  fin  son  cours,  —  le  gairoyaume 
de  Provence  —  dans  le  sein  de  la  France  k  la  fin  s'on- 
dormit. 


—  «  France,  avec  loi  conduis  ta  soeur  I  —  dit 
son  dernier  roijemeurs!  —  Dirigez-vous  ensemble 
la-bas  vers  TAvenir,  —  ^  la  grande  tAche  qui  vous 
appelle...  — Tu  es  la  forte,  elle  est  la  belle  :  — vous 
verrez  la  nuit  rebelle  fuir  —  devanl  la  splendeur  de 
vos  front  r6unis.  » 


«  Ren6  accomplit  ce  beau  fait.  Un  soir,  —  qu*il 
sommeillait  dans  son  lit  de  plumes,  —  nous  lui  mon- 
tr&mes  le  lieu  oii  6taient  nos  ossements  :  —  avec 
douze  6v6ques,  avec  ses  pages,  —  sa  belle  cour,  ses 
equipages,  —  le  roi  vint  sur  la  gr^ve,  —  ot  sous  les 
salicornes  trouva  nos  fosses. 


460  MIREIO,  CANT  XI 

Adi^u,  Mireio!...  L'ouro  volo, 

Ves6n  la  vido  que  tremolo 
Dins  toun  cors,  couine  un  lume  en  anant  s'amoussa. 

De  davans  que  I'aino  lou  quite, 

Parlen,  mi  sorre,  parten  vile! 

Vers  li  belli  cimo,  es  necile 
Qu*arribon  davans  elo,  es  iiecite  e  pressa. 

De  rose,  uno  raubonevenco, 

Aleslissen-ie  :  vierginenco 
K  martiro  d'amour,  la  chato  vai  mouri  I 

Eloiirisses-vons,  celesti  leio! 

Santi  clarour  de  Fempireio, 

Escampas-vous  davans  Mireio!... 
Glori  an  Paire,  em'  au  Fieu,  cm'  an  Sant  Esperit ! 


t 


MIREIO,   CANT  XI.  461 

«  Adieu,  Mireille!...  L'heure  vole.  —  Nous  voyons 
la  vie  Irembloter  —  dans  ton  corps,  comme  une 
lampe  qui  va  s'6teindre. . .  — Avant  que  T^me  le  quitte, 
—  partons,  mes  soeurs,  parlons  en  Mte !  —  Vers  les 
belles  ciines,  —  il  est  n^cessaire  —  que  nous  arri- 
vions  avant  elle,  n^cessaire  et  urgent. 


«  Des  roses,  une  robe  de  neige,  —  preparons-lui  1 
Vierge,  —  et  marlyre  d'amour,  la  jeune  fiUe  va 
mourir!  —  Fleurissez-vous,  celesles  avenues!  — 
sainles  clartes  de  TEmpyree, —  epanchez-vous  devant 
Mireille!... —  Gloire  au  Pere,  et  au  Fils,  et  au  Saint- 
Esprit!  » 


t 


39. 


NOTES 

or  CHANT  ONZlfeME. 


*  I/tbechado,  en  ilalien  Hbecciata.  Tempele  occasionneo  par 
lo  vent  dii  sud-ouest  appele  iMbiy  qu'on  fait  deliver  dii  giTc 
/t6ovoT05,  mdme  signiflcation. 

*  Colymbe  k  crfite  [plavco],  podiceps  cristatui,  Lin.,  oiseau  de 
Tordre  des  palmipedes. 

^  Et  dans  riluveaune  qui  s'alimente  avec  les  pleurs  de  Magde- 
leinc. 

I/Huveaune,  petite  riviere  qui  prend  sa  source  k  la  Sainte-Baume 
fVai },  passe  a  Aubagfne,  et  se  jette  dans  la  mor,  k  Marseille,  au  bout 
de  la  promenade  du  Prado. 

line  pieuse  el  poetique  l^gende  attribue  son  origine  aux  larmes 
de  sainte  Magdeleino. 

*  Sambuque  [Sambuco],  nionlagne  a  I'orient  d'Aix.  —  Esterei 
[Est^rel],  montagne  et  fordt  du  departement  du  Var.  — Monens 
de  la  Trevaresse  (mourven  de  la  Trevaresso) :  mourven,  genevrier 
de  Phenicic.  — La  Trevaresso,  chaine  de  montagnes  entre  la  Ton- 
loubre,  la  Durance  et  le  canal  de  Craponne. 

8  Saint-Pilon  (Sant-Pieloun) .  Voyez  Chant  VII,  note  i2. 

^  La  trace  graree  dans  la  pierre  (lagravadttrcpeirofinenco).  On 


NOTES  DU  CHANT  XF.  465 

a  YU,  dans  le  r^cit  des  Saintes>Maries,  que  la  barque  des  saints 
proscrits  aborda  a  rextr^miW  de  Tile  de  Camargue.  Ces  premiers 
apdtres  des  Gaules  i^monterent  le  Rh6ne  jusqu'^  Aries,  et  de  la 
se  dispers^rent  dans  le  Midi.  On  dit  mSme  que  Joseph  d'Arimathir 
alia  jusqu'en  Angleterre.  Telle  est  la  tradition  arl^sienne.  La  tradi- 
tion des  habitants  des  Baux  reprend  alors  et  continue  I'odyssee 
des  sainted  femmes  :  elle  dit  que  ces  dcrniferes  vinrent  pr6cher  la 
foi  dans  les  Alpines,  et  que  pour  etemiser  le  souvenir  de  leur  pre- 
dication, elles  grav6rent  miraculeuseraent  leurs  effigies  sur  un  ro- 
cher.  Au  levant  du  rocher  des  Baux,  on  voit  encore  ce  myst^rieux 
«l  antique  monument :  c*est  un  enonne  bloc  ddtacb^,  debout  sur 
\e  penchant  d'un  precipice,  ettaille  en  aiguille.  Sur  sa  face  orien- 
talesont  sculptte  trois  figures  grandioses,  objets  de  la  v^^n^ralion 
fles  populations  voisines. 


CANT  DOUGEN 

LA  MORT 


Lou  pais  dis  ai'ange.  —  Li  Santo  remounton  au  paradis.  —  Lou  paire 
em&  la  maire  arribon.  —  Li  Santen  mounton  Mir^io  k  la  capello- 
z-auto,  ounle  i'a  U  relicle.  —  La  gl^iso  di  Sinti  Mario.  —  Li  supli- 
cacioun.  —  La  plajo  camarguenco.  —  Vincen  arribo  e  sa  doulour 
desboundo.—  Lou  canlico  di  Santen.—  Darriero  visioun  de  Nireio  : 
vei  li  Santi  Mario  einplanado  dins  la  mar.  —  Darridri  paraulo,  e 
luminouso  mort  de  la  chatouno.  —  Li  coumplancho,  la  deseS' 
peran^o. 


Au  pais  dis  araiige,  a  I'ouro 

Que  lou  jour  de  Dieu  s  esvapouro ; 
E  que  li  pescadou,  qu'an  cala  si  jambin, 

Tiron  si  barco  k  la  calanco ; 

E  que,leissant  parti  la  branco, 

Sus  la  cabesso  vo  sus  Tanco 
Li  chalo  en  s'ajudant  cargon  si  plen  gouii)in ; 

Di  ribo  ounte  TArg^ns  varaio, 

Di  piano,  di  coulet,  di  draio, 
S'enausso  peraliu  un  long  Cor  de  cansoun. 

Mai  belamen  de  la  cabruno, 

Cant  d'amour,  6r  de  cantabruno, 

Pau-^  pau  dins  li  colo  bruno 
S'esperdon,  evenroumbroemela  langiiisoun. 


CHANT  DOUZIE^E 

LA  MORT 


Le  pays  des  oranges.  —  LesSaintesremonlcnl  dans  le  ciel.  —  Anivee 
du  pere  et  de  la  mere.  —  I^s  Saintins  montent  Mireille  a  la  cha- 
pelle  haute,  ou  sont  d^posees  Irs  reliqiies.  —  L'^i^lise  des  Sainton 
Maries.  —  Les  siippHcalions.  —  La  plage  de  (^ainargue.  —  Arriv^n 
(le  Vincent,  eclat  de  sa  doulour.  —  Le  cantique  des  Saiutins.  — 
Merniere  vision  de  Mireille :  les  ifaintes  Naries  lui  apparaissen) 
sur  la  haute  inor.  ^  Dernieres  paroles,  et  radieuse  mort  de  hi 
jeune  fille.  —  Les  plaintes,  le  dtisespoir. 


Au  pays  des  oranges,  k  Theure  ~  oulejourde 
Dieu  s'evapore; — lorsque  les  p^cheiirs,ayant  tendu 
leurs  nasses,  —  tirent  leurs  barques  k  Tabri  (des  ro- 
chcrs) ;  —  et  que,  laissant  aller  la  brancho,  —  sur 
la  16te  ou  sur  la  hanche  —  les  jeunes  fiUes,  en  s'en- 
tr  aidant,  chai^ent  leurs  corbeilles  pleines ; 


Des  rives  ou  I'Argens  ^  serpente,  —  des  plaines, 
des  coUines,  des  cheinins,  —  s*el6ve  dans  le  lointain 
un  long  choeur  de  chansons.  —  Mais  bflements 
de  chevres,  —  chants  d'amour,  airs  de  chalumeau, 
—  peu  a  peu  dans  les  montagnes  brunes  —  se  per- 
dent,  et  viennent  I'onibre  et  la  melancolie. 


466  MIREIO,  CANT  XIl. 

Di  Mario  que  s'envoulavon 

Ansin  li  paraulo  calavon, 
Calavon  pau-^-pau,  de  nivo  en  nivo  d'or  : 

Semblavo  un  resson  de  cantico, 

Seinblavo  uno  liuencho  nmsico 

Qu'en  dessus  de  la  gl^iso  antico 
S*enanavo  em6  Tauro.  Elo,semblo  que  dor, 

E  que  pantaio  ageinouiado, 

E  qu^uno  estranjo  souleiado 
Encourouno  soun  front  de  nouvelli  b^uta. 

Mai,  dins  lis  erme  e  li  jouncado, 

Si  vi6i  parent  tant  Tan  cercado 

Qu*^  la  periin  Tan  destouscado ; 
E  dre,  soulo  lou  porje,  alucon  espanta. 

Prenon  pamens  d*aigo  signado, 
Mandon  au  front  sa  man  bagnado. 

Sus  lou  bard  que  respond  e  la  femo  e  lou  viei 
Dedinss'avancon...  Espaurido 
Coume  quand  subran  uno  trido 
VM  li  cassaire  :  Moun  Di6u  !  crido, 

Paire  e  maire,  ounte  anas  ?  —  E  de  veire  quau  vel, 

Mireio  toumbo  aqui.  Sa  maire, 

Em'  un  visage  lagremaire, 
le  cour,  e  dins  si  bras  I'aganto,  c  ie  disie : 

Qu*as,  que  toun  front  es  caud  que  brulo? 

Noun,  es  pa  *n  sounge  que  m'embulo, 

Es  elo  qu'a  mi  p^d  barrulo, 
Es  elo,  es  moun  enfant!...  E  plouravo,  e  risi6. 


MIREILLE,  CHANT  III  4G7 

Des  Maries  qui  s'envolaient  —  ainsi  les  paroles 
s*eteignaient, —  s'eteignaientpeu  &peu,de  nu^efd'or) 
en  nuee  d'or  :  —  pareilles  a  un  echo  de  caiitique,  — 
pareilles  k  une  musique  eloigiiee  —  qui,  au-dessus 
de  r^glise  antique,  —  sen  serait  aU6e avoc  la  brise. 
Elle,  il  semble  qu'elle  dort. 


El  qu'elle  r6ve  agenouill^,  —  ct  qu'un  etrange 
rayonnement  de  soleil  —  couronne  son  front  de  nou- 
velles  beautfe.  —  Mais,  dans  les  landes  el  les  jon- 
cliaies,  —  ses  vieux  parents  Tout  tant  cherchee  — 
qu*ils  Font  a  la  fin  d^couverte;  —  et  debout,  sous  le 
porche,  ils  regardentstuptfaits. 


Us  prennenl  cependant  del'eau  b^nile,  —  ils  por- 
tent au  front  leur  main  inouill6e.  —  Sur  la  dalle  so- 
nore,  la  femme  et  le  vieillard  —  s'avancent  dans 
(reglise)...  Effray6e  —  comme  un  bruant  qui  tout  a 
coup— voil  les  chasseurs:  «  MonDieu  !  s'6crie-l-elle, 

—  p^re  et  mere,  ou  allez-vous?  »  —  Et  voyant  ceux 
qu'elle  voit, 

Mireille  tombe  IS.  Sa  mere,  —  le  visage  en  larmes, 

—  accourt,  etdans  ses  bras  la  saisit,  et  elle  lui  disait : 

—  «  Qu'as-tu?  ton  front  brtile...  —  Noii,  cc  n'esi 
point  ua  songe  qui  m'abuse,  —  c'esl  elle  qui  a  nies 
pieds  roule,  —  c'est  elle,  cVst  nion  enfant!...  »  Et 
elle  pleurait,  et  elle  riaiti 


468  NII\l;iO,  CANT    III 

—  Mireio,  ina  bello  mignolo, 
Es  i^u  que  sarre  ta  manoto, 

leu  toua  paire!...  E  lou  vi^i,  que  ladoulour  esten, 
le  recaufavo  si  man  morto. 
Lou  v^nt  deja  pamens  emporto 
La  grand  nouyello  :  k  plen  de  porto, 

Dins  la  gl^iso,  esmougu,  s'acampon  li  Santen. 

—  Mountas-la,  mountas  la  malauto ! 
Venien;  a  la  capello-z-auto 

Hounlas-la,  lout-d*un-tems !  que  toque  li  sants  os! 

Dins  si  caisso  miraclejanio 

Que  baise  n6sti  gr^ndi  Santo 

De  si  bouqiteto  angounisanto  ! 
Li  femo  toul-d'un-tems  I'arrapon  enlre  dos. 

De-per-d'aut  de  la  gleiso  bello, 

la tresautar,  i'atres  capello 
Dastido  uno  sus  Tautro  en  bio  de  roucas  vieu. 

Dins  la  capello  sousterrado 

Ta  Santo  Saro,  venerado 

Di  brun  B6umian ;  mai  aubourado, 
La  segoundo  es  aquelo  ounte  ei  Tautar  de  Dieu. 

Sus  li  pieloun  dou  santuari, 

La  capeleto  mourtu&ri 
Di  Mario,  amoundaut,  s'enarco  dins  lou  ceu, 

'Me  li  relicle,  santi  laisso 

D*ounle  la  gr&ci  coulo  a  raisso.... 

Quatre  clau  pcslellon  li  caisso, 
Li  caisso  de  cipr^s  eme  si  curbec^u. 


MIREILLE,  CHANT  XII.  46U 

—  «  Mireiile,  ma  belle  niigiionne,  —  c'esl  nioi 
qui  serre  ta  main,  —  moi  ton  pere  1...  »  Et  le  vieil* 
lard,  que  la  douleur  suflbque,  —  lui  r^chauffait  ses 
mains  inanim^es.  —  bi^k  cependant  le  vent  emporte 
—  la  grande  nouvelle :  k  plein  portail,  —  dans  I'e- 
glise,  6mus,  s'assemblent  les  Sainlins ', 


—  «  Hontez-ta,  montez  la  malade !  —  disaient-ils ; 
k  la  chapelle  haute,  —  montez-la  sur-le-champ ! 
qu*elle  touche  les  saints  os !  —  Dans  leurs  chesses 
miraculeuses  —  qu'eUe  baise  nos  grandes  Saintcs 
—  de  ses  16vres  agonisantes  I  »  —  Les  femmes  sur- 
le-champ  la  saisissent  a  deux. 


Dans  la  partie  haute  de  la  belle  eglise,  —  sont 
Irois  autels,  sont  trois  chapelles  —  bMies  une  sur 
I'aulre,  en  blocs  de  rocher  vif.  —  Dans  la  chapelle 
souterraine  —  est  Sainte  Sara,  veneree  —  des  bruns 
Bohemiens ;  plus  elevee ,  —  la  seconde  renfernie 
Tautel  de  Dieu. 


Sur  los  piliers  du  sanctuaire,  — ■  I'^troite  cha- 
pelle morluaire  —  des  Maries  6leve  sa  voute  dans 
le  ciel,  —  avec  les  reliques,  legs  sacres  —  d'ou  la 
grace  coule  en  pluie...  —  Quatre  clefs  ferment  les 
chesses,  —  les  chesses  de  cypres  avec  leurs  cou- 
vercles. 


40 


470  HIR&IO,  CANT  XII. 

Lin  cop,  chasque  cent  an,  U  duerbon. 

Urous,  urous,  quand  li  descuerbon, 
Aqueu  que  p6u  li  veire  e  li  iouca !  b^u  tems 

Aura  sa  barco  e  bono  estello, 

E  de  sis  aubre  li  jitello 

Auran  de  frucho  a  canestello, 
E  soun  amo  cres^nto  aura  lou  bon  toustems. 

Uno  bello  porto  de  chaine 
Rejun  aqu^u  sacra  doumairje, 

Richamen  fustcjado,  e  doun  di  Beucairen. 
Mai  subretoul  ce  que  Taparo, 
Noun  es  la  porto  que  lou  barro, 
Noun  es  lou  barri  que  Tembarro  : 

Es  I'aflat  que  ie  ven  di  relarg  azuren. 

La  malauto,  a  la  capeleto, 
Dins  la  viseto  virouleto 

La  mounteron.  Lou  pr^ire,  en  subrepelis  blanc, 
Buto  la  porto.  Dins  la  p6usso, 
Coume  un  6rdi  gr^u  de  si  d6usso 
Qu'un  fouletoun  subran  espousso, 

Touti  sus  lou  bardat  s*aboucon  en  quilanl : 

0  b61li  Sanlo  umanilouso, 
Santo  de  Dieu,  Santo  amistousu  ! 

D'aquelo  pauro  cbato  agues,  agues  pieta ! 
—  Agues  pieta !  la  maire  crido, 
Vous  adurrai,  se  *n  co's  garido, 
Moun  aneu  d'or,  ma  crous  flourido, 

E  per  vilo  e  p^r  champ  i^u  Tanarai  canta ! 


MIREILLE,  CHANT  XII.  471 

Une  fois  cbaque  cent ans,  on  les ouvre.  —  Heureiix, 
heureux,  lorsqiron  les  d^couvre,  —  celui  qui  pent 
les  voir  el  les  toucher !  —  Beau  temps,  —  aura  sa 
barque,  et  bonne  etoile,  —  el  de  ses  arbres  les  pous- 
ses,  —  auront  du  fruit  a  corbeillees,  —  et  son  Ame 
croyante  aura  les  biens  6ternels. 


Une  belle  porte  de  cb^ne  —  protege  ce  domaine 
sacr6,  —  richement  travaill^e,  et  don  des  Beaucai- 
rois.  —  Mais  surtout  ce  qui  le  defend, —  ce  n*est  pas 
la  porte  qui  le  cWt,  —  ce  n'est  pas  le  rempart  qui  le 
ceint :  —  c'est  la  faveur  qui  lui  vient  des  espacos 
d'azur. 


A  la  petite  chapelle,  —  dans  Tescalier  tournoyant, 

—  on  monta  la  malade.  Le  pr6lre,  en  surplis  blanc, 

—  pousse  la  porte.  Dans  la  poussiere,  —  comme  un 
orge  appesanti  par  ses  6pis  —  qu'un  tourbillon  sou- 
dain  secoue,  —  lous  sur  les  dalles  se  prosternent  en 
criant : 


({  0  belles  Saintes  pleines  d'humanite,  —  Saintes 
de  Dieu,  Saintes  amies !  —  de  cette  pauvre  fille  aycz, 
ayez  piti6 !  »  —  «  Ayez  pilie  !  s'6crie  la  mere,  —  je 
vous  apporterai,  quand  elle  sera  guerie,  —  moii 
anneau  d'or,  ma  croix  fieurie,  —  et  par  villes  et  par 
cbamps,  moi,  j1rai  le  chanter !  » 


m  illRfelO.  CANT  XII. 

—  0  Santo,  ac6  *s  ma  pesqueirolo ! 

0  Santo,  ac6  's  ma  denierolo ! 
Gemis  M^ste  Ramoun  en  turtant  dins  roumbrun 

Em^  sa  testo  atremoulido. 

0  Santo,  S-n-elo,  qu*es  poulido, 

Innoucentouno,  enfantoulido, 
l.a  vido  ic  counyen  :  mai  i^,  viM  sabourun, 

l^u,  mandas-me  fuma  li  maulo !... 

Lis  iue  barra,  s^nso  paraulo, 
Mir^io  ^ro  estendudo.  Kro  alor  sus  lou  tard. 

P^r'que  I'auro  tamarissiero 

Reviscoul^sse  la  masiero, 

Dessus  U  lauso  t6ulissiero 
L*avien  cntrepausado,  en  visto  de  la  mar. 

Car  lou  pourtau  (qu*es  la  parpeilo 

I)*aquelo  benido  capello), 
Rogardo  sus  la  gl^iso  :  alin,  pereilalin, 

D'aqui  se  v^i  la  bianco  raro 

Que  joun  ensfen  e  desseparo 

Lou  c^u  redoun  e  Taigo  amaro ; 
So  v^i  de  la  grand  mar  reierne  remoulin. 

De-longolis  erso  foulasso 
Que  s*encavaucon,  jamai  lasso 

De  s'esperdre  en  bramant  dins  li  mouloun  sablous; 
De-vers  la  terro  uno  planuro 
Qu'a  gen  de  rui ;  pas  uno  auturo 
Qu'^  soun  entour  fague  centuro  ; 

(J II  o^u  inmdnse  e  clar  sus  d*erme  espetaclous. 


MIUEILLB,  CHANT  Xll.  473 

—  «  0  Saintes,  c'est  Ik  moii  pluvier  1  —  6  Saintes, 
c'est  \k  mon  Ir^sor !  —  g6mit  Maitre  Ramon  heur- 
tant  dans  les  t^n^bres  —  avec  sa  t^te  vacillante. 
—  0  Saintes,  a  elle,  qui  est  belle,  —  innocente,  en- 
fantine,  — la  vie  convient;  maismoi,  vieil  ossement, 


•  Moi,  envoyez-moi  fumer  les  mauves!  »  —  Les 
yeux  ferm6s,  sans  parole,  —  Mireille  etait  gisante. 
C'6tait  alors  sur  le  tard.  —  Pour  que  la  brise  des  ta- 
inaris  —  ravivAt  la  campagnarde,  —  sur  les  dalles 
dn  toit  —  on  Tavait  d^pos6e,  en  vue  de  la  mer. 


Car  le  porlail  (paupi^re  —  de  cetle  chapelle  be- 
nie),  —  regarde  sur  TSglise  :  —  l^-bas,  dans  Tox- 
tr^me  lointain,  —  on  voit  de  l^  la  blanche  limite  — 
qui  joint  ensemble  et  s^pare  —  le  ciel  rond  et  I'onde 
amere ;  —  on  \oit  de  la  graiide  mer  TMernelle  revo- 
lution. 


Sans  cesse  les  \agues  insens6es  —  qui  se  monlent 
les  unes  sur  les  autres,  jamais  lasses  —  de  se  perdre 
en  mugissant  dans  les  monceaux  de  sable ;  —  du 
cdt6  de  la  terre,  une  plaine  —  interminable ;  pas  une 
Eminence  —  qui  enceigne  son  horizon ;  —  un  ciel 
immense  et  clair  sur  des  savanes  prodigieuses. 


40 


474  MIRfilO,  CANT  XII. 

De  clariii^li  tamarisso 

Au  mendre  v^nt  boulegadisso ; 
De  long  campas  d'engano,  e  dins  Toundo  perfSs 

Un  v6u  de  ci^une  que  s'espurgo ; 

0  b^n,  dins  la  sansouiro  furgo, 

Uno  manado  que  pasturgo, 
0  que  passo  en  nadant  Faigo  d6u  Vacares. 

Mir^io  enfin,  d'un  paria  feble, 

A  murniura  quiiuqui  mot  treble  : 
De-vers  la  terro,  dis,  em^  de-vers  la  mar 

S^nte  veni  dos  alenado  : 

Uno  di  dos  ^i  serenado 

Goume  Talen  di  matinado ; 
Mni  Tautro  es  espannado,  ard^nto,  e  s^nt  Tamar. 

E  se  leis6...  De-vers  la  piano, 

E  de-vers  lis  oundo  salano, 
Li  Sanlen  sus-lou-cop  regard^ron  veni : 

E  n*en  veson  un  qu'esfoulisso 

De  revoulun  de  terro  trisso 

Davans  si  pas ;  li  tamarisso 
Par^isson  davans  ^u  s*encourre  e  demeni . 

Es  Vincenet  lou  panieraire!... 

Oh  !  paure  drole  e  de  mau-trairel 
Soun  paire  M6ste  Ambroi  pas-pu-16u  i*agu^  di : 

Moun  fi6u,  sara  pas  per  ti  brego 

Lou  poulit  brout  de  falabrego  ! 

Que  tout-d*un-1ems  de  Valabrego, 
Per  la  v6ire  enca  *n  cop,  part6  coume  un  bandii. 


MIREILiE,  CHANT  XTI.  475 

Des  tamaris  (au  feuillage)  clair,  —  et  au  moindre 
vent  mobiles;  —  de  tongues  friches  de  salicornes, 
et  dans  I'onde  parfois  —  une  vol6e  de  cygnes  qui  se 
purifie ;  —  ou  bien  dans  la  sansouire  sterile  —  un 
troupeau  de  boeufs  qui  pftture,  —  ou  qui  passe  k  la 
nage  Teau  du  Vaccar6s  *. 


Hireille  enfm,  d*une  voix  faible,  —  a  murmur^ 
quelques  mots  ragues  :  —  «  Du  cdle  de  la  tcrre,  dit- 
elle,  et  du  cdt6  de  la  mer  — je  sens  venir  deux  ha- 
leines  :  — Tune  des  deux  est  fraiche  —  comme  le 
souflle  des  matinees,  —  mais  Tautre  est  pantelante, 
tirdente  et  impregnee  d'amerlume.  h 


Et  elle  se  tut...  Devers  la  plaine  —  et  deversles 
ondes  salves,  —  les  Saintins  aussitbt  regard6rent 
venir  :  —  et  ils  voient  un  (jeune  homme)  qui  soul6ve 
— des  tourbillons  de  terre  meuble  —  devant  ses  pas ; 
les  tamaris  —  paraissent  devant  lui  s'enfuir  ot  d^- 
croitre. 


C'est  Vincent  le  vannier ! . . .  —  Oh !  pauvre  gars, 
et  digne  de  piti6!  —  Sit6t  que  son  pero,  Maitre  Am- 
broise,  lui  eut  dit :  —  «  Mon  fils,  il  ne  sera  pas  pour 
tes  16vres  —  le  gentil  brin  de  micocoules!  »  —  sur- 
le-champ,  de  Valabreguc,  —  pour  la  voir  encore  une 
fois  il  partit  comme  un  bandit. 


470  NlRtlO,  CANT  XII. 

Kn  Crau  ie  dison  :  Es  i  Santo  ! 

Rose,  palun,  Crau  alassanto, 
R^ii  Tavi^  delengu  de  courre  eiijusqu*i  tes. 

Hai  pas-pu-l6u  es  dins  la  gltiso, 

Pas-pu-Ku  v^i  aquelo  pr^isso, 

Pale,  sus  lis  art6u  se  dr^isso, 
E  cridavo :  Mounte  es ?  ensignas-me  iriounte  es! 

—  Es  amoundaut  a  la  capello, 

Dins  uno  angdni  que  trampello ! 
E  l^u  coume  un  perdu  mounte  lou  marridoun. 

Entre  la  v6ire,  vers  Tespaci 

Leve  si  man  emai  sa  fkci : 

P^r  encapa  {k\i  desgr^ci, 
A  Di^u,  crid^  lou  paure,  a  Di^u  que  i'ai  fa  dounc? 

Ai-ti  coupa  la  gargamello 

En  quau  tet^re  li  mamello  ? 
Escumerga,  m*an  visl  abra  moun  cachimbau 

Dins  uno  gl6iso  h  la  viholo? 

0  tirassa  dins  lis  auriolo 

Lou  Crucpfis,  k  la  Jusiolo ?... 
Qu*ai  fa,  malan  de  Dieu  !  p^r  agu6  tant  de  mau? 

Pas  proun  que  me  Tan  refusado, 
Enca  me  Tan  marlirisado  ! 

E  'mbrass6  soun  amigo ;  e  de  vfiire  Vinc6n 
De  la  grand  forco  que  trenavo, 
Lou  mounde  foul  qu'envirounavo 
Sentien  soun  cor  que  tresanavo, 

E  p6r  6u  trasien  peno,  e  plouravon  ens^n. 


MIREILLE,  CHANT  XII.  477 

Ell  Crau,  its  lui  disent :  «  Elle  est  aux  Saintes  ! » 

—  Rhdne,  marais,  Crau  fatigante,  —  rieii  n'avait 
arr^t^  sa  course  jusqu*aux  this  sablonneux  du  ri- 
vage.  —  Mais  sil6l  qu*il  est  dans  T^glise,  —  silol 
qu'il  voit  cette  foule,  —  p^le,  sur  les  orteils  il  se 
dresse,  —  et  il  criait ;  « Ou  est-elle?  indiquez-le-moi, 
01^  est-elle? » 

—  «  Elle  est  li-haut  k  la  chapelle,  —  tremblant 
Tagonie !  »  —  Et  vite,  6perdu,  monta  le  malheureux. 

—  D6s  qu'il  la  vit,  vers  Tdtendue — il  leva  ses  mains 
et  son  visage :  —  «  Pour  recevoir  sur  ma  t6te  de 
telles  disgraces,  —  k  Dieu,  s'^cria  Tinfortunt,  k  Dieu 
qu'ai-je  done  fait  ? 


<(Ai-je  coup^  la  gorge  — &  celle  dontjetetai  les 
mamelles?  —  Anath^me,  m'a-t-on  vu  allumer  ma 
pipe,  —  dans  une  6glise,  k  la  lampe?  —  ou  bien 
trainer  dans  les  ehardons  —  le  Crucifix,  comme  les 
Juifs?  —  Qu'ai-je  feit,  mauvaise  annee  de  Dieu' 
pour  avoir  tant  de  maux  ? 


« ( Ce  n'Mait)  pas  assez  de  me  la  refuser,  —  encore 
ils  me  Font  martyris^e !  »  — Et  il  embrassa  son  amie. 
Et  en  voyant  Vincent  —  se  lamenter  de  telle  force, 
—  la  foule  press6e  qui  Tentourait  —  senlait  son 
coeur  bondir,  —  et  ils  partageaient  sa  peine,  ot  ils 
pleuraient  ensemble. 


478  MIRfelO,  CANT  XII. 

E  coume,  i  vabre  d'uno  coumbo, 

Lou  brut  d*un  gaudre  que  trestoumbo 
Vai  esmbure  lou  pastre  amount  sus  li  cresten, 

D6u  founs  de  la  gl^iso  mountavo 

La  Youes  d6u  pople  que  cantavo, 

E  tout  lou  temple  ressaulavo 
D6u  cantico  tant  b^u  que  sabon  li  Santen  : 

0  Santo,  b^lli  mariniero, 

Qu'aves  chausi  ndsti  sagniero  , 
Per  i'auboura  dins  I'^r  la  tourre  e  li  merlet 

De  Yosto  gleiso  roussinello, 

Coume  fara  dins  sa  pinello 

Lou  marin,  quand  la  mar  bacello, 
Se  ie  mandas  pas  l^u  Yoste  bon  Yentoulet  ? 

Coume  fara  la  pauro  aYuglo? 

Ah !  noun  i'a  sSuYi  nimai  buglo 
Que  poscon  ie  gari  soun  lamentable  sort ; 

E,  s6ns  muta,  tout  lou  jour  isto 

En  repassant  sa  vido  tristo... 

0  Santo,  rendes-ie  la  Yisto, 
Que  Toumbro,  e  toujour  Toumbro,  es  pirequelamort! 

Heino  de  Paradis,  mestresso 

De  la  planuro  d'amaresso, 
r4lafisses,  quand  yous  plais,  de  p^is  n6sti  fietat : 

Mai  a  la  foulo  pecadouiro 

Qn'k  Yosto  porto  se  doulouiro, 

0  bl^nqui  flour  de  la  sansouiro, 
S'ei  de  pas  que  ie  fau,  de  pas  empliss^s-la ! 


MIREILLE,  CHANT  \II.  479 

Et  comme,  aux  ravins  d'liue  vallee  —  le  bruit  d'un 
torrent  qui  tombe  en  cataracte  —  va  emouvoir  le 
pMre  li-haut  sur  les  cretes,  —  du  fond  de  I'eglise 
montait  —  la  voix  du  peuple  qui  chantait,  —  et  tout 
le  temple  tressaillait  —  du  cantique  si  beau  que 
savent  les  Sainlins : 


—  ((0  Saintes ,  belles  marinieres ,  —  qui  avez 
choisi  nos  mar^cages  —  pour  y  elever  dans  Tair  la 
tour  et  les  cr6neaux  —  de  votre  eglise  blonde,  — 
comment  fera,  dans  sa  barque,  —  le  marin,  quand  la 
mer  frappe, .  —  si  promptement  vous  ne  lui  en- 
voyez  votre  bonne  brise  ? 


u  Comment  fera  la  pauvre  (femme)  aveugle  ?  — 
Ah !  il  n'est  sauge  ni  bugle  —  qui  puisse  gaerir  son 
lamentable  sort;  — et,  sans  mot  dire,  tout  le  jour 
elle  reste  —  k  repasser  sa  triste  vie...  —  0  Saintes, 
reudez-lui  la  vue,  —  car  Tonibre,  et  loujours  I'ombre, 
cestpirequelamort! 


((  Reines  de  ParadiS)  maltresses  —  de  la  plaine 
d'amertume,  —  vous  comblez,  quand  il  vous  plait,  de 
poissons  nos  filets ;  —  mais  k  la  foule  pecheresse  — 
qui  k  votre  porte  se  lamcnte,  —  6  blanches  fleurs  (de 
nos)  landes  salves,  —  si  c'est  la  paix  qu'il  faut,  de 
paix  emplissez-la !  » 


480  HiRElO,  CANT  XII. 

Ansin  li  bon  Santen  pregavon, 

Eiii^  de  crid  que  vous  trancavon! 
E  veici  que  li  Santo  k  la  pauro  que  jai 

Bouferon  un  brisoun  de  voio, 

E  sa  caro  un  brisoun  galoio 

S*enflouro  d*uno  dou^o  joio, 
Car  de  v^ire  Yincen  i'  agrad^  quenounsai. 

—  Houn  bel  aini,  de  mounte  venes  t 

le  fagu^.  —  Digo,  t*ensouvenes 
Ue  la  fes  qu*ein6  tu  parlavian  eila  au  mas, 

Assela  'nsen  souto  la  triho? 

Se  quauque  mau  te  desvario, 

Courre  \m  i  SSnli  Mario, 
He  digu^res  alor,  auras  l^u  de  soulas. 

0  Yincenet,  que  noun  pos  \eire 
bins  inoun  cor  coume  dins  un  v6ire  ! 

be  soulas,  de  soulas ,  n  en  regounflo  moun  cor  ! 
Moun  cor  es  un  lauroun  que  verso  : 
Abelimen  de  touto  wer^Oy 
Graci,  bonur,  n'ai  k  reverso !... 

bis  Ange  dou  bon  Dieu  entrevese  li  Cor... 

Aqui  Mireio  s'abaucavo, 

E  dins  Testendudo  alucavo  : 
Seinblavo,  peralin  au  fin  founs de  ler  blu, 

Yeire  de  causo  espetaclouso. 

Piei  sa  paraulo  nivoulouso 

Uecounien^vo  :  Urouso,  urouso 
Lis  arao  que  la  car  en  terro  deten  plu ! 


MIUEILLE,  CHANT  XII.  481 

Ainsi  les  bons  Saintins  priaient,  —  avec  des  cris 
qui  vous  navraienl.  —  Et  void  que  les  Saintes,  k  la 
pauvre  qui  git  —  soufflerent  un  pen  de  vigueur;  ^- 
el  (sur)  sa  iSgure  un  peu  enjouee  —  fleurit  une  douce 
joie,  —  ear  la  vue  de  Vincent  fut  pour  elle  un  plaisir 
indicible. 


—  «  Mon  bel  ami,  d'ou  viens-tu?  —  lui  fil-elle. 
Dis,  le  souvient-il  —  de  la  fois  que  nous  causions,  1^- 
bas  a  la  fernie,  —  assis  ensemble  sous  la  treille?  — 
«  Si  quelque  mal  te  d^concerte,  —  cours  vite  aux 
Saintes  Maries,  —  me  dis-tu  alors,  tu  auras  vite  du 
soulagenient.  » 


«  0  cher  Vincent,  que  ne  peux-tu  voir  —  dans  mon 
coeur  comme  dans  un  verre?  —  De  soulagemenl,  de 
soulagement,  mon  coeur  en  surabonde !  — Mon  coeur 
est  une  source  qui  deborde  :  —  d^lices  de  toute 
sorte,  —  graces,  bonheurs,  j'en  ai  en  surcroit !...  — 
Dcs  Aiiges  du  bon  Dieu  j'entrevois  les  choeurs...  » 


Alors  Mireille  s'apaisait,  —  et  regardait  dans 
1  etendue. . .  —  Elle  semblait,  au  loin,  dans  les  profon- 
deurs  de  Tair  bleu,  — voir  des  chosesmerveilleuses. 
—  Puis  sa  parole  nuageuse  —  recommen^ait :  v  Ileu- 
reuses,  heureuses  —  les  ^mes  que  la  chair  sur  torre 
ne  relient  plus ! 


482  MIR£iO,  cant  XII. 

Yiiicen!  as  vist,  quand  remountavoii, 

Li  flo  de  luine  que  jitavon !... 
Ah!  dis,  lou  libre  b^u  que  se  n*ea  sariefa, 

S'aqueli  resoun  que  m  an  dicho, 

Fin  que  d  uno,  s'eron  escricho  ! 

Yiiicen,  que  lou  plourun  esquicho, 
Lach6  inai  soun  gounflige  un  moUmen  estoufa : 

—  Basto  lis  agu6  visto  !  basto ! 

Ku  cride,  coume  uno  langasto 
Me  sarieu  a  si  raubo  arrapa  tout  bramant.  . 

Oh  !  i'aurieu  di,  reino  celesto, 

Soulet  recati  que  nous  r^sto, 

Pren^-me  lis  iue  de  la  t^to, 
E  li  d^nt  de  la  bouco,  e  li  det  de  la  inaii  I 

Hai  elo,  uia  bello  fadeto, 

Oh !  rend^s-rae-la  gaiardeto ! . . . 
—  Velei !  velei  veni  'm^  si  raubo  de  lin  I 

Elo  subran  se  bouto  k  faire. 

E  'n  boulegant  p6r  se  desfaire 

D*entre  la  faudo  de  sa  maire, 
De  la  man  vers  la  mar  fasi6  signe  eilalin. 

Quatecant  t6uti  se  dreisseron, 

De-vers  la  mar  t6uti  fiss6ron, 
E  la  man  sus  lou  front :  Eilalin  descurben, 

Venien  enlre  eli,  ren  per  aro, 

Senoun  alin  la  bianco  raro 

Que  joun  lou  c6u  e  I'aigo  amaro... 
Nomi,  se  v^i  ren  v6ni...  —  Si  1  si !  regardas  ben  I 


MIREILLE,  CHANT  XII.       *  485 

«  Vincent !  tu  as  vu,  quand  elles  remontaient,  — 
les  flocons  de  lumfere  qu'elles  jetaienl!...  —  Ah!  le 
beaulivre,  dit-elle,  qu'il  s'en  futfait,  —  si  les  paroles 
qu'elles  m'ont  dites^  —  sans  en  oublier  une,  eussent 
6t6  ecrites !  »  —  Vincent,  que  Tenvie  de  pleurer  op- 
presse,  —  degonfla  ses  sanglots  nn  moment  6touffes : 


—  «  PMt  d  Dieu  que  je  les  eusse  vues!  pint  k  Dieu ! 
—  8*6cria-t-il.  —  Comme  une  tique  —  je  me  serais 
k  leurs  robes  cramponnfe  tout  beuglant. . .  —  Oh !  leur 
aurais-je  dit,  reines  du  ciel,  ^  seul  asile  qui  nous 
reste,  — prenez-moi  les  yeux  de  lat^te,  —  et  les  dents 
de  la  bouche,  et  les  doigts  de  la  main ! 


«  Mais  elle,  ma  belle  petite  f&e,  —  oh!  rendez-la- 
moi  saine  et  sauve !  »  —  «  Les  voici ! ...  les  voici  venir 
dans  leurs  robes  dc  lin !  »  —  elle  soudain  se  met  a 
dire.  —  Et  s'agitant  pour  se  d^gager  —  du  giron  de 
sa  mere,  —  de  la  main  vers  la  mer  elle  faisait  signe, 
au  loin. 


Tons  aussit6t  se  dress^rent,  —  tous  vers  la  mer 
fix6rent  (leurs  regards),  —  et,  la  main  sur  le  front : 
K  Au  loin  nous  ne  decouvrons,  —  se  disaient-ils, 
rien  pour  Theure,  —  si  ce  n*esl  li-bas,  la  blanche 
limite  —  qui  joint  le  ciel  et  Teau  amere...  —  Non,  il 
ne  se  voit  rien  venir... »  —  «  Si,  si!  regard ez  bien  ! 


48i  MIRfelO,  CANT  XIL 

Souu  su  no  barco  s^nso  veto, 

Crid^  Mir^io...  Davans  elo, 
Ves^s  pas  counie  Toundo  aplano  si  revou? 

Oil!  qu'es  ben  eli !  L'^r  clarejo, 

E  Taleii  siau  que  li  carrejo 

IjOu  inai  plan  que  p6u  voulastrejo.. . 
Lis  auc^u  de  la  mar  li  saludon  c^  vuu. 

—  La  pauro  chato  revassejo... 
Sus  la  marino  que  rougejo 

Vescn  que  lou  soul^u  que  vai  se  cabussa. 

—  Si !  si !  lis  6i,  fai  la  inalauto ; 
Boutas!  moun  iue  noun  me  desfauto, 
Vj  quouro  founso,  quouro*z-auto, 

0  miracle  de  Di^u !  sa  barco  y^n  d'ei^a  ! 

Mai  deja  veni6  *scoulourido, 
Coumc  uno  bianco  margarido 

Que  lou  dardai  la  rimo,  ontre  que  s'espandis ; 
E  Vinconet,  I'esfrai  dins  Tamo, 
Agrouva  contro  aquelo  qu*amo, 
La  recouinando  k  Nostro-Damo, 

La  recoumando  i  Santo  e  Sant  d6u  Paradis, 

Avien  abra  de  candeleto... 

Cencha  de  I'estolo  vi6uleto, 
Vongiie  lou  capelan  'me  lou  pan  angoli 

Refresca  soun  palai  que  cr6mo ; 

le  doun^  piei  TOuucioun  estr^mo, 

E  la  vougnfe  'm6  lou  Sant  Cr^mo 
En  s^t  part  de  soun  cors,  segound  i'us  catouli. 


HIREILLE,  CHAST  Xll,  4«5 

<i  Elles  sont  sur  une  barque  sans  Yoile,  —  s'ecria 
Mireille. . . — Devant  elles, — ne  voyei-vous  pas  comine 
I'onde  aplanit  ses  tourfaillons?  — Oh!  c'est bien  elles ! 
L'air  est  dair,  —  et  Fhaleine  suave  qui  les  am^ne,  — 
aussi  lentement  qu'elle  peut  voltige. . .  —  Les  oiseaux 
de  la  mer  les  sahient  k  volees.  i 


—  ((La  pauvre  enfant  dfelire...  —  Dans  la  merroii- 
gissante  —  nous  ne  voyons  que  le  soleil  qui  va  so 
plonger.  ii  —  «  Oui !  oui!  ce  sont  elles,  dit  la  malade; 
—  allez !  raon  ceil  ne  me  trompe  point,  —  et  taiil6t 
profonde,  tantot  haute,  —  6  miracle  de  Dieu !  leur 
barque  vientici!  » 


Mais  M]k  elle  devenait  ddcoloree,  —  comine  une 
blanche  marguerite  —  que  les  dards  (du  soleil)  bru- 
lent,  k  peine  ^panouie  ;  —  et  Vincent,  reffroi  dans 
r^me,  —  accroupi  pres  de  sa  bien-aim6e,  —  la  re- 
commande  a  Notre-Dame,  —  la  recommando  anx 
Saint es  et  aux  Saints  du  Paradis. 


On  avait  allum^  des  cierges...  —  Ceint  de  Tetole 
violette,  —  vint  le  prfitre  avec  le  pain  ang^lique  — 
rafraichir  son  palais  qui  briile  ;  —  puis  il  'lui  donna 
rOnction  extreme,  —  et  Toignit  avec  le  Chrfime  saint 
—  en  sept  parties  de  son  corps,  selon  Tus  calho- 
lique. 


41. 


4«6     •  HIHfelO,   CANT  XII. 

n*aqu^u  moumen  tout  ^ro  en  pauso; 

Noun  s^entendie  dessus  la  lauso 
Que  Yoretmis  d6u  preirc.  Au  flanc  de  la  paret, 

Lou  jour-fali  que  se  prefoundo 

Esvalissi^  si  clarta  bloundo, 

E  la  marino  k  b^Uis  oundo 
Plan-plan  veni^  se  roumpre  em'tm  long  jafaret. 

Ageinouia,  soun  t^ndre  amaire, 

Em6  soun  paire,  em^  sa  maire, 
Trasien  de  t6ms  en  t6ms  un  senglut  rau  e  sourd, 

—  Anen  !  digu6  Mireio  encaro^ 

La  despartido  se  preparo. .. 

Alien!  touquen-nous  la  man  aro, 
Que  d6u  front  di  Mario  aumento  la  lusour. 

A  Teudavans,  li  flamen  rose 
Courron  deja  di  bord  d6u  Rose... 

Li  tamarisso  en  flour  coumen^on  d'adoura... 
0  b6ni  Santo !  me  fan  signe 
Wana  *nn'  ^li,  qu'ai  r^n^  cregne, 
Que,  coume  ent^ndon  is  Ensigne, 

Sa  barco  en  Paradis  tout  dre  nous  raenara. 

M^ste  Ramoun  ie  digue  :  Migo, 
D'av^  'strassa  tant  de  garrigo, 

De  que  vai  me  servi,  se  partes  d6u  maset? 
Car  rafecioun  que  m'ajudavo, 
De  tu  veni^!  La  caud  lardavo, 
Lou  fio  di  mouto  m'assedavo... 

Mai  te  y^ire  empourtav.o  e  la  caud  e  la  set  I 


MIREILLE,  CHANT  XII.  487 

En  ce  moment,  tout  6lait  calme;  —  on  n*entendait 
sur  la  dalle  —  que  VOremus  du  pr^^tre.  Au  flanc  de 
la  muraille,  —  le  jour  d^fafllant  qui  s*engloutit  — 
^vanouissait  ses  reflets  blonds,  —  et  la  mer,  k  l)elle3 
ondes,  —  lentement  venait  se  rompre  avec  un  long 
bruissement. 


Agenouill6s,  son  tendre  amant,  —  avec  son  p^re, 
avec  sa  m^re,  —  poussaient  de  temps  en  temps  un 
sanglot  rauque  et  sourd.  —  «  Aliens !  dit  Mireille 
encore,  —  la  separation  se  prepare...  —  Allons! 
touchons-nous  la  main  ores,  —  car  du  front  des 
Maries  augmente  Taureole. 


((  Au-devant  (d*eUes),  les  flamants  roses  —  accou- 
rent  deji  des  bords  du  Rh6ne...  —  Les  tamaris  on 
fleur  commencent  d'adorcr...  —  0  bonnes  SaintesI 
elles  me  font  signe  —  d'aller  avec  elles,  —  que  je 
n'ai  rien  a  craindre,  —  que,  vu  qu'elles  entendent 
aux  constellations,  —  leur  barque  en  Paradis  tout 
droit  nous  m^nera.  >> 


Maitre  Ramon  lui  dit :  «  Amie,  —  d'avoir  essarte 
tant  de  brandes,  —  que  va-t-il  me  servir,  si  tu  pars 
de  la  maison?  —  car  I'ardeur  qui  m'aidait  —  venait 
de  toi !  Le  chaud  dardait,  — le  feu  des  globes  m'alte- 
rait...  —  mais  tevoir  emportait  et  le  cbaud  el  la 

50if.  )) 


i8K  MIREIO,  CANT  XII. 

—  Se  'ii  cop  veires  k  vosle  Iniiie 
Quauque  sani-fi&li  que  s'alume, 

Bon  paire,  sara  i^u...  Li  Santo,  sus  la  pro, 
Soun  drecho  que  m'esperon...  Eto  ! 
Csperas-me  *no  passadetb. . . 
Vau  plan,  i^u,  que  si^u  malauteto... 

La  maire  alor  esclato :  Oh!  noun,  noun,  ac6  *s  trop  I 

Vole  pas,  vole  pas  que  mores  * 
Em6  i^u  vole  que  demores ! 

E  piei,  ma  Hireiouno,  e  piti,  se  'n  cop  vas  b^n, 
Anaren  vers  ta  tanto  Aurano 
Pourta  'a  canest^u  de  mi6ugrano  : 
Di  Bans  n'ei  pas  b^n  liuen  Maiano, 

E  se  p6u  dins  un  jour  faire  lou  vai-e-v6n. 

—  Noun,  es  pas  liuen,  bono  maireto ! 
Mai,  boutas  !  Ion  far^s  souleto  !. .. 

Ma  maire,  pourg^s-me  mis  ajust  blanquin^u... 

V^  li  bianco  e  bMli  mantiho, 

Qu'an  sus  Tespalo  li  Mario  ! 

Quand  a  neva  sus  li  mountiho, 
Pas  tant  bl^ujo  ^i  la  n^u,  la  tafo  de  la  n^u ! 

Lou  brun  trenaire  de  garbello 

le  crido  alor  :  Moun  tout,  ma  bello, 
Tu  que  m'avies  dubert  toun  fres  palais  d'amour, 

Toun  amour,  aumorno  flourido ! 

Tu,  tu  p^r  quau  ma  labarido 

Coume  un  mirau  s'^ro  clarido, 
E  s^ns  crento  jamai  di  marridi  rumour ; 


MIREILLE,   CHANT  \II.  480 

—  «  Quand  vous  verrez  k  voire  lampe  —  quelque 
phal^ne  s'allumer,  —  bon  p^re,  ce  sera  moi...  Les 
Sainles,  sur  la  proue,  —  sent  debout  qui  m*atten« 
dent...  Oui  I  —  Altendez-moi  un  court  instant...  — 
Je  vais  lentement,  moi  qui  suis  malade...  »  — La 
m6re  alors  6clate  :  «  Oh !  non,  non,  cVn  est  trop ! 


a  Je  ne  veux  pas,  je  ne  veux  pas  que  tu  meures! 

—  avec  moi  je  veux  que  tu  restes !  —  Et  puis,  6  ma 
Mireille,  et  puis,  si  une  fois  tu  vas  bien,  —  nous  irons 
chez  ta  tante  Aurane  —  porter  une  corbeillc  de  gre- 
nades :  —  des  Baux  ce  n'est  pas  bien  loin,  Maillane  *, 

—  et  Ton  pent  en  unjour  alleret  revenir.  » 


—  c  Non,  ce  n'est  pas  loin,  bonne  mere !  — inais, 
nllez !  vous  ferez  seulelte  (le  voyage) !...  —  Ma  m^re, 
donnez-moi  ma  parure  blanche !... —  Voyez-vous  les 
blanches  et  belles  mantilles  —  qu*ont  sur  l^paule  les 
Maries !  —  Quand  il  a  neige  sur  les  monticules,  — 
moins  ebloiiissante  est  la  neige,  la  splendeur  de  la 
neige ! » 

Le  brun  tresseur  de  corbeiUes  —  lui  crie  alors  : 
«  Mon  tout,  ma  belle,  —  toi  qui  m'avais  ouvert  ton 
frais  palais  d'amour,  —  ton  amour,  aum6ne  fleurie '! 
—  toi,  toi  par  qui  ma  bourbe  —  comme  un  miroir 
s'elait  clarifi^e,  —  el  sans  crainte,  jamais,  des  man- 
vaises  rumours ; 


490  MIRfelO,  CANT  XII. 

Tu,  la  perleto  de  Prouv^nco, 
Tu,  lou  soul^u  de  majouvfenco, 

Sara-ti  di  que  i^u,  ansin,  d6u  glas  mourtau 
Tant  16u  te  vegue  tressusanto  ?. . . 
Sara-ti  di,  vous,  grindi  Santo, 
Que  Taurus  visto  angounisanto 

E  de-bado  embrassa  v6sti  sacra  lindau  ? 

Su  'cd-d'aquiy  la  jouveineto 
le  respoundcgu^  plan-planeto : 

0  moun  paure  Vinc^ti,  inai  qu'as  davans  lis  iue? 
La  mort,  aqu^u  mot  que  t'engano, 
Qu'es?  uno  n^blo  que  s'esvano 
Em6  ii  clar  de  la  campano, 

Uii  sounge  que  reyiho  k  la  fm  de  la  niue  ! 

'  Noun,  more  pas !  leu,  d'un  p^d  proumte 
Sus  la  barqueto  deja  mounte... 
Adieu,  adi6u!...  Deja  nous  emplanan  sus  mar! 
La  mar,  bello  piano  esmouguilo, 
D6u  Paradis  ei  I'avengudo, 
Car  la  bluiour  de  Testendudo 
Tout  &  Tentour  se  toco  eme  lou  toumple  amar. 

Ai !...  coumeTaigo  nous  tintourlo ! 

De  tant  d'astre  qu'amount  penjourlo, 
N'cn  trouvarai  ben  un,  mounte  dous  cor  ami 

Libramen  poscon  s'ama !:..  Santo, 

Es  uno  ourgueno,  alin,  que  canto?... 

E  souspir6  Tangounisanto, 
E  revess6  lou  front,  coume  p^r  s*endourmi... 


MIREILLE,  GHAxNTXn.  491 

«  Toi,  la  perle  de  Provence,  —  toi,  le  soleil  de  ma 
jeunesse,  —  sera-l-il  dit  qu  ainsi,  des  glaces  de  la 
mort,  —  sit6t  Je  te  voie  suante?  —  Sera-t-il  dit,  6 
grandes  Saintes,  —  que  vous  Taurez  vue  agoni- 
sante  —  et  vainement  embrasser  vos  seuils  sacr^s?  )) 


L^-dessus,  lajeune  fille  —  lui  r6ponditd'une(voix) 
lente :  —  a  0  mon  pauvre  Vincent,  mais  qu'as-tude- 
vant  les  yeux?  —  La  mort,  ce  mot  qui  te  trorape,  — 
qu*est-ce?  un  brouillard  qui  se  dissipe  —  avec  les 
glas  de  la  cloche,  —  un  songe  qui  ^veille  a  la  fin  de 
lanuit! 


«  Non,  je  ne  uieui  s  pas !  D'un  pied  leger  —  je 
monte  deji  sur  la  nacelle ! .  .  —  Adieu,  adieu ! . . .  D^ja 
nous  gagnons  le  large,  sur  la  mer!  —  La  mer,  belJe 
plaine  agit^e,  —  est  Tavenue  du  Paradis,  — -  car  le 
bleu  de  Fetendue—  touchc  tout  alentour  au  gouf- 
fre  amer. 


((  Aie!...  comme  I'eau  nous  dodeline!...  —  Parmi 
tant  d'astres  la-haut  suspendus,  —  j'eri  trouverai  bien 
un  ou  deux  coeurs  amis  -—  puissent  librement  s'ai- 
mer!...  Saintes,  —  est-ce  un  orgue,  au  loin,  qui 
chante?...  i  —  Et  Tagonisante  soupira,  —  et  ren* 
versa  le  front,  comme  pour  s'endormir.i. 


41I-'  MIHEIO,  CAM  Xll. 

Is  er  (le  sa  ris^to  caro, 

Aiirien  di  qiieparlavo  encaro... 
Mai  deja  li  Santen,  a  I'entour  de  I'enfant 

Un  apr^s  Taiitre  s'avaiii^avon, 

E  *in'  un  cire  que  se  passavon 

Un  apr6s  Tautre  la  signavon... 
AUipi,  si  parM  arregardon  que  fan. 

Au  liogo  d'estre  mourtinouso, 

Eli  la  veson  luminouso ; 
An  beu  la  sent!  frejo,  au  cop  descounsoula 

Noun  volon  pas,  noun  podon  creire. 

Mai  Vinc6n,  ^u,  quand  la  vai  veire 

Em^  soun  front  que  penjo  a  reire, 
Si  bras  enregoui,  sis  iue  coume  entela  : 

—  Es  morto !...  veses  pas  qu  es  iriorto?... 
E  coume  torson  li  redorto, 

A  la  desesperado  eu  toursegu6  si  poung ; 
E  'ine  si  bras  foro  di  inancho, 
Acoumenc^ron  li  coumplanclio : 
I'a  pas  que  lu  que  saras  planclio ! 

Eine  tu  de  ma  vido  a  toumba  lou  cepoun ! 

Es  morto ! . . .  Morto?  Es  pas  poussible ! 

Fau  qu  un  Demoni  me  lou  sible.... 
Parlas,  au  noum  de  Dieu,  boni  g^nt  que  sia  'qui, 

Vautre,  av6s  agu  vist  de  morto : 

Digas-me  s'en  passant  li  porto 

Risoulejavon  de  la  sorto  1 . . . 
Pas  vorai  qu*a  sis  ^r  quasimen  ajougui : 


MIREILLE,  CHANT  XH.  *    .41»5 

A  I 'air  de  son  visage  souri^ftt,  —  ^ii  aurait  dit 
qu'elle  parlait  encore...  —  Mais  d^]k  les  Saintins, 
aulour  de  I'enfant,  —  un  apr6s  Tautre,  s'avangaient, 

—  et  avec  un  cierge  qu'ils  se  passaient,  —  ils  lui 
faisaienl,  un  apr6s  I'autre,  le  signe  (de  lacroix).... 

—  Atterr^s,  les  parents  contemplent  ce  qu'ils  font. 


Loin  qu  elle  soil  livide,  —  eux  la  voient  lumineuse. 

—  Vainement  ils  la  sentent  froide ;  au  coup  inconso* 
lal)le  —  ils  ne  veulent  pas,  ils  ne  peuvent  croire.  — 
Mais  Vincent,  lui,  lorsqu'il  la  voit  —  avec  son  front 
qui  pend  en  arriere,  —  ses  bras  roidis,  ses  yeux 
comme  voiles  : 

—  «  Elle  est  morte!...  Ne  voyez-vous  pas  qu*elle 
est  morle?. . .  »  —  Et  comme  on  tord  les  harts  d'osier, 

—  en  desesper^  il  tordit  ses  poings ;  —  et,  les  bras 
hors  desmanchesy  —  commenc^rent  les  complaintes : 

—  «  II  n  est  pas  que  toi  qui  seras  pleuree!  —  Avec 
toi  de  ma  vie  est  tombe  le  tronc ! 


«  Elle  est  morte  I...  Morte?  Ce  n'est  pas  possible! 
—  Un  Demon  doit  me  le  siffler...  —  Parlez,  au  noni 
de  Dieu,  bonnes  ge  ns  qui  6tes  l^,  —  vous  avez  vu 
des  mortes :  —  dites-moi  si,  en  passant  les  portes,  — 
clles  souriaient  aiusi!...  —  Vraiment  n'at-elle  pas 
ses  traits  presquc  enjou^s? 


iOi  MIREIO,  CANT  XII. 

Mai  de-que  fan?. . .  viron  la  testo, 
Soun  touti  gounfle  !  Ah !  n'i*a  de  resto ! 

Ta  voues,  toun  dous  parla,  i^u  Tentendrai  pas  plu!. 
Aqui  de  t6uti  lou  cor  boundo, 
Un  lav^ssi  de  plour  desboundo, 
Lou  crebo-cor  au  planh  dis  oundo 

Apoundegu^  subran  un  desbord  de  senglut. 

Ansin,  dins  uno  grand  manado, 

Sc  'no  ternenco  es  debanado, 
A  Tentour  d6u  cadabre  estendu  p6r  toiyour, 

Ndu  v^spre  aderr6n,  tau  e  tauro 

Van,  souloumbrous,  ploura  la  pauro ; 

E  la  palun,  e  Toundo,  e  Tauro 
De  si  doulourous  bram  restountisson  nou  jour. 

—  Vi^i  M6ste  Ambroi,  plouro  toun  drole ! 

Ai !  ail  ai!  Yinc^n  fasie,  vole, 
Santen,  que  dins  lou  cros  em*  elo  ni'empourtes. . . 

Aqui,  ma  bello,  k  moun  auriho 

Tant-e-pi^i-mai  de  ti  Mario 

Me  parlaras;...  e  de  couquiho, 
0  tempesto  de  mar,  aqui  nous  acates! 

Br&vi  Santen,  de  vous  mefise !... 

Fas6s  p^r  ieu  ce  que  vous  dise : 
Per  un  dou  coume  aqu^u  es  pas  proun  lou  ploura ! 

Cavas-nous  dins  I'areno  molo 

Per  t6uti  dous  qu'uno  bressolo  I 

Aubouras^e  'no  clapeirolo, 
Per  que  Toundo  jamai  nous  posque  separa ! 


MIREILLE,  CHANT  XII.  495 

«  Mais  quefont-ils?...  ils  d^toument  la  t^te,  — 
tous  sorit  gros  (de  sanglots)!...  Ah!  en  voila  de 
reste!...  —  Ta  voix,  ton  doux  parier,  je  ne  Tenten- 
drai  plus ! . . .  »  —  Li,  le  coeur  de  tous  bondit,  —  une 
averse  de  pleurs  d^bonde,  —  le  cr^ve-coeur  k  la  plainte 
des  vagues  —  ajouta  tout  k  coup  un  debordement  de 
sanglots. 

Ainsi,  dans  un  grand  troupeau,  —  si  une  g^nisse 
a  succomb6,  —  autour  du  cadavre  6tendu  pour  tou- 
jours,  —  neuf  soirs  cons^cutifs,  taureaux  et  taures 
—  viennent,  sombres,  pleurer  la  inalheureuse,  —  et 
le  marecage,  et  Tonde,  et  le  vent  —  de  leurs  doulou- 
reux mugissements  retentissent  neuf  jours. 


—  «Vieux  Maitre  Ambroise,  pleure  ton  ills !  —  He- 
las  !  h61a8 !  faisait  Vincent,  je  veux,  —  Saintins,  que 
dans  la  fosse  avec  elle  vous  m'emporliez...  —  La, 
ma  belle,  k  monoreille,  —  tant  et  plus  de  tes  Maries 
—  tu  me  parleras...  et  de  coquillages,  —  6  temp^tes 
des  mers,  \k  puissiez-vous  nous  couvrir ! 


f  Bons  Saintins,  je  me  confie  en  vous...  —  Failes 
pour  moi  ce  que  je  vous  dis  i  —  Pour  undeuil  pareil, 
ce  n'est  pas  assez  que  les  pleurs !  —  Creusez-nous 
dans  TarSne  molle  —  pour  tous  deux  un  seul  ber- 
ceau!  —  Elevez-y  un  tas  de  pierres,  —  afm  que  ja- 
mais Tondene  puisse  nous  separer. 


496  triR^IO,  CANT  XII. 

R  d'enierin  qu'i  lio  mounte  6ro 

Sc  tuilaran  lou  front  sus  terro 
P(*ni  remors,  i^u  cm*  elo,  emslaus  d'un  blu  seren, 

Souto  lis  aigo  atremoiilido, 

0,  i^u  'iT)6  111,  ma  tant  poulido ! 

Dins  de  brassado  trefoiilido 
Longo-mai  c  s^ns  fin  nous  poutounejaren ! 

E,  desvaga,  lou  panieraire 

A  la  perdudo  v6n  se  traire 
Sus  lou  col's  de  Mir^io,  e  lou  desfourtuna 

Dins  si  brassado  fernetico 

Sarro  la  morto....  Lou  cantico, 

Eilavau  dins  la  gl^iso  antico, 
Coume  ei^6  touniamai  s'enlendi^  ressouna  : 

0  b6lli  Santo,  segnourcsso 

De  la  planuro  d'amaresso, 
Clafisses,  quand  vous  plais,  de  peis  nosti  fielat! 

Mai  a  la  foulo  pecadouiru 

Qu*a  vosto  porlo  se  doulouiro, 

0  blanqui  flour  de  la  sansouiro, 
SVm  de  pas  que  ie  fau,  de  pas  empliss6s-la ! 


Maiam  (Bouc0'd4u--Rose\ 

LoH  bin  jour  de  la  Candelouso,  de  Van  -IS^Q. 


ri> 


MIREILLE,  CHANT  XII.  497 

((  Et  pendant  qu'aux  Iieux  ou  elle  6tait,  —  Us  se 
heurteront  le  front  sur  la  terre  —  de  remords,  elle 
et  moi,  enveloppSs  d'un  serein  azur£,  —  sous  les 
eaux  tremblotantes,  —  oui,  moi  et  toi,  ma  si  jolie ! 
—  dans  des  embrassements  d^lirants  —  k  Jamais  et 
sans  tin  nous  m^lerons  nos  baisers !  » 


Et,  hors  delui,  le  vannier  —  6perdument  vient  se 
Jeter  —  sur  le  corps  de  Mireille,  et  Tinfortun^  — 
dans  ses  embrassements  fren^tiques  —  serre  la 
morte!...  Le  cantique  — U-bas,  danslavieille  ^glise, 
—  ainsi  de  nouveau  s'entendait  resonner : 


«  0  belles  Saint es,  souveraines  —  de  la  plaine 
d'amertume,  —  vous  comblez,  quand  il  vous  plait, 
de  poissons  nos  filets !  —  Mais  k  la  foule  pecheresse 
—  qui  k  votre  porte  selamente,  —  6 blanches  fleurs 
de  (nos)  landes  salves,  —  si  c'est  la  paix  qu'il  faut. 
de  paix  emplissez-la !  » 


Mmllane  [B<mchet-4ur-hh6ne], 
le  beau  jour  de  hi  Chandeleur,  de  Vannie  1859. 


FIN 


42. 


NOTES 

DU  CHANT   DOUZltlME 


*  Argens  I  Argons),  riviere  dii  d^partement  du  Var. 

'  les  Sainlins  (/{  Sanlen),  habitants  de»la  ville  des  Saintes-Ma* 
rios. 

^Sansouire  [iansouiro].  (Voyez  Chant  X,  nole  8.)  —  Vaccares 
(Vacar^\  (Voyez  Chant  IV,  note  iO.) 

*  Maillane,  village  de  I'arrondisseraent  d' Aries,  palrie  de  I'au- 
lenr. 

3  Aum6ne  fleurie  {aumorno  flouruh) ,  auraane  qnele  pauvreqni 
I'a  reQue  donnc  k  un  autre  paiivrc,  poetique  locution  qui  signifie 
par  extension  rare  Ifienfhit. 


MAGALI 

MfiLOPIE  PROVENgALE  POPIJLAIRE 

TKANSCRITE 

PAR    FR.   SEGUIN 


^     AlU^m. 


CHANT 


PIANO 


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0     Ma  -  ga  -  li,      ma  lanl     a 


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-  ma  -  dOyMete  la    t^lo  au  fe  -  nes-troun:    Escoulo  an 


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pau    aqueslo  au-ba  -  doDetambou-nn  c  de    Ti6n<- 


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loun.      Kiplead'es -  teUo a-pe-ramounl !  I/auro es  toum- 


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'^-  ba  -  do;  Mai  lis  es  -  tel-lo  pa-li  -ran,  Quand  te  Teiran  ! 


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PnoCiKi    I.   CtlRVBR 


TABLE 


TAULO 


Avis  srn  la  rno^iONCiATioif  pfiOTiif^ALC. 


CANT   PROUMIE   —   LOU  HAS   DI   PALABREGO 

Espousicioun.  —  Invoucacioun  ao  Ciist,  nascu  dins  la  pastriho.-—  In 
vi^i  panieraire,  Mtete  Ambrdsi ,  em^  soon  drole,  Tinc^n  ,  van  de- 
manda  la  retirado  ao  Has  di  Falabrego.  -^  Mir^io ,  fiho  de  Vl^te 
Ramoun,  lou  nitetre  d6u  mas,  ie  fai  la  benvengudo.^Li  r^fl,  apr^s 
soupa,  fan  canta  M^te  Ambrdsi.  —  Lou  viM,  dutri-fesmarin,  canto 
un  coumbat  navau  d6u  Baile  Sufren.  —  Mir^io  questiouno  Yinc^n. 
—  Recit  de  Vinc^n  :  la  casso  dt  cantarido,  la  pesco  dis  iruge,  lou 
miracle  di  Sdnti  Mario ,  la  course  dis  ome  A  Nimes.  —  M irdio  es 
pspantado  e  soun  amour  pouncheijo 2 


CANT    SEGOUND  —  LA    CULIDO 


Mir^io  cuei  de  fueio  d'amouri^  per  si  roagnan.  —  D'asard,  Vinc^nlou 
panieraire  passo  au  carreiroun  vesin.  —  La  chato  lou  scmo.  ^  Lou 
drole  cour,  e  p^r  i'ajuda,  mounto  em'elo  sus  I'aubre.  —  Charra- 
disso  di  dous  enfant.  ^  Vinc^n  fai  la  coumjiaresoun  de  sa  sorre 
Vinceneto  em&  Mirdio.— Lou  nis  de  pimparrin.  ~  La  branco  routo: 
Mir^io  emd  Yinc^n  toumbon  de  I'aubre.  —  L'amourouso  chatouno 
se  declaro.  —  Lou  drole  apassiouna  desboundo.  —  La  Cabro  d'or, 
la  flguiero  de  Yaucluso.  —  Mir^io  es  sounado  p^r  sa  maire.  — 
Escauftftstre  e  separacioon  di  calignaire SO 


TABLE 


GUANT  PR£MI£I(  —  LE  MAS  DEH    MIGOGUULES 

Exposition.  —  invocation  au  Christ,  ne  parmi  les  p^tres.  —  Un  vieux 
vannier,  Mattre  Ambroise,  et  son  fits,  Vincent,  vont  demandcr  I'hos- 
pi  tali  t^  au  Mas  des  Micocoules.  —  Mireille,  fllle  de  Maltre  Ramon, 
le  maitre  de  ia  ferme ,  ieur  fait  la  bienvenue.  —  Les  laboureurs, 
api^s  le  I'epas  du  soir,  invitent  Maitre  Ambroise  a  chanter.  —  Le 
vieillard  ,  autrefois  marin,  chante  un  combat  naval  du  Uailli  de 
^uf&•en.  —  Mireille  questionne  Vincent.  —  Recit  de  Vincent  :  la 
chasse  aux  cantharides,  la  pSche  des  sangsues,  le  miracle  des 
Saintes  Maries,  la  course  des  hommes  k  NImes.  ^  Ravissement  de 
Mireille,  naissance  de  son  amour 5 


CHANT  DEU11&H£  —  LA  GUEILLETTE 

Mireille  cueille  des  feuilles  de  murier  pour  ses  vers  a  soie.  —  I'ai' 
hasard,  Vincent,  le  raccommodeur  de  corbeilles,  passe  au  sen  tier 
voisin.  —  La  jeune  fille  I'appelle.  -  Le  gars  accourt,  et,  pour 
I'aider,  monte  avec  elie  sur  I'arbre.  -^  Causerie  des  deux  enfants. 
—  Vincent  fait  le  paralleie  de  sa  soeur  Vincenette  et  de  Mireille.— 
Le  nid  de  mesauges  bleues.  -^  La  branche  rompue  :  Mireille  et 
Vincent  tombent  de  Tarbre.  —  La  jeune  fille  declare  son  amour* 
— Brulante  explosion  du  jeune  homme.  —  La  Chevre  d'or,  le  figuier 
de  Vaucluse.  —  Mireille  est  rappel^  par  sa  mere.  —  Emoi  el  sepa- 
ration des  deux  amants. 51 


oOi  TAULO. 


CANT   TRESKN    —    Lk    DESCOUCOCKADO 


Li  recordo  prouvencalo. »  Au  Nu  di  Falabrego,  un  gai  roudelet  de 
chalo  descoucounon.  —  Jano-Maiio,  maire  de  Mir^io.  —  Taveii,  la 
inasco  di  Baus.  —  La  raalo-visto.  —  i.i  descoucounarello  fan,  per 
pasao-t^ms,  de  etut^  en  Proup^iifo.  —  La  A^ro  Lauro,  r^no  de 
Pamparigousto.  —  Clemto^,  r&'no  di  Bau».  —  Lou  Ventour,  loo 
Rose,  la  Durtogo.  —  Asalaia  e  Vi6ulano.  —  La  Court  d'amour.  — 
Lis  amour  de  Mir^o  e  de  Yincto  descuberto  p^r  Nourado.  —  Li 
gal^ado.  ~  Tayto  la  masco  bi  teisa  li  chato :  reimitan  dou  Ln- 
beroun  e  lou  sani  pastre.  —  Noro  canto  Nagali 8K 


V.KJir    QDATKEN    —    LI    OBMA^ibAIKE 

Loii  teiiis  di  viouleto.  —  Li  pescadou  dou  llartegue.  —  Ti^es  call' 
:;uatra  veiion  deinanda  Nirtio :  Alari  lou  pastre ;  Veran  lou  gardian; 
Ourrias  lou  loucadou.  —  AUri,  si  capitau  d'avi.  —  La  toundesoun. 

—  VIsto  d'un  escabot  que  davalo  dis  Anpo,  anant  en  iTemage.  — 
Entrevisto  d*AlAri  emd  Mirtio.  —  Lis  Antico  de  Sant-Roumi^.  — 
Lieur^o  d6u  paslra,  lou  coucourelet  de  bonis  escrincela.  —  Aliri 
es  diabi.  —  Lou  gardian  Veran.  ~  Li  cavalo  bianco  de  Camargo. 

—  Veran  deinaudo  Mir^o  i  Meste  Ramoun.—  Lou  viei  lou  refaup 
f>ii  ^Tand  joio,  Niroio  lou  i-efuso.  —  Ourrias,  lou  donmlaire  de  tau- 

—  Li  brau  negre  s6uvage.  —  La  Ferrado.  —  Uurrias  e  Mir^io  4  ja 
runt.  ~  Lou  toucadou  es  chabi l^t 


CANT  ClNQl'KX    —   LA    BATESfO 

Lou  biiuvatio  &*entoriio.  furious  dou  i-efus  de  Mirvio.  —  Caliguage 
de  Mir^o  emi  Vinwn.  —  L'erbo  di  frisonn.  —  Ourrias  rescontro 
Vincenet.  e  brutalaincn  ic  cerco  reno.  —  Li  prejil :  Jan  de  rihirsc. 
->  )lourla1o  batesto  ili  «ious  rivau  dins  la  Crau  vaslo.  —  Vitori  e 
geuerottseta  de  VinctMiel.  —  Ti*ail«>sso  dou  loocadoa.  —  Ourrias 
trauco  Vincen  d'un  cop  de  ficheiroun,  e  lugis  au  ^lop  de  s^  ca- 
talo. «-  Arribo  ao  Rose.  —  Li  tres  barqnie  fenlasti.  —  Lou  baleii 
sTenarco  sonto  Ion  pes  de  Tassassin.  —  La  nine  de  sanl  Medard  : 
prottcessioiin  di  nega-Jis  sns  lou  dougan  dou  flnme.  —  Ourrias 
^'aprottfouikdi&^Danso  di  Trevo  sos  loa  pont  de  Trincataki.     17(t 


TABLE.  505 


CHANT   TROISIEME    —    LB    DE  POU  IL  L  EME  NT   DBS    GOGONS 

Les  r^ltes  proven^ales.  —  Au  Has  des  Micocoules,  une  joyeuse 
r^nnion  de  jeunes  fllies  d^tache  des  rameaux  ies  cocons  des  vers  d 
soie.  ~  Jeanne-Marie,  mfire  de  Mireille.  —  Tavto,  la  sorci^re  des 
Baux.  — La  mauvaise  oeillade.  —  Les  depouiiieuses  de  cocons,  pour 
passer  le  temps,  font  des  chdteaux  en  Provence.  —  La  fl^re  Laure, 
reine  de  Pamparigouste.  —  Gl^mence,  reine  des  Baux.  —  Le  Ven- 
tour,  le  Rhdne,  la  Durance.  —  A'zalais  et  Violane.  —  La  Cour  d'a- 
mour.—  Les  amours  de  Mireille  etdeYincent  divulgu^  parNorade. 
—  Railleries  des  jeunes  fiUes.  —  La  sorcidre  Tav^n  leur  impose 
silence  :  Termite  du  Lub^ron  et  le  saint  p&tre.  —  Nore  chante 
Magali 89 


CHANT    QUATRIEME    —    LES    Pr6tENDANTS 

La  saison  des  violettes.  —  Les  pScheurs  du  Marligue.  —  Trois  pr^ten- 
dants  briguent  la  main  de  Mireille  :  Alari,  le  bergcr;  V4ran,  le 
gardien  de  chevaux;  Ourrias,  le  toucheur  de  taureaux. —  Aldri,  ses 
richesses  en  brebis.  —  La  tonte.  —  La  transhumance  :  description 
d'un  grand  troupeau  qui  descend  des  Alpes.  —  Entrevue  d' Alari  el 
de  Mireille.  —  Le  mausol^e  de  Saint-Remy.  ^  Oflfrande  du  berger, 
la  coupe  de  buis  sculpts.  —  Alari  est  ^conduit.  —  V^an,  le  gardien 
de  chevaux.  —  Les  cavales  blanches  de  Camargue.  —  V6ran  de- 
mande  Mireille  4  Maitre  Ramon. — Joie  et  bon  accueil  du  vieillard; 
refus  de  Mireille.  —  Ourrias,  le  dompteur  de  taureaux.  —  Les 
taureaux  noirs  sauvages.  —  La  Ferrade.  —  Ourrias  et  Mireille  a  la 
fontaine. '—  Le  toucheur  est  ^conduit 131 


CHANT  CINQUIEME  —  LE  COMBAT 

Le  bouvier  s'en  retourne,  furieux  du  refus  de  Mireille.  —  Les  amours 
de  Vincent  et  de  Mireille.  —  La  Valisneria  spiralis.  —  Rencontre 
d'Ourrias  et  de  Vincent.  —  Brutale  agression  du  bouvier.  —  Les 
invectives  :  Jean  de  TOurs.  —  Combat  i  mort  des  deux  rivaux  dans 
la  Crau  deserle.  —  Victoire  et  gen^rosit^  de  Vincent.  —  F^lonie  du 
toucheur.  —  Ouirias  perce  Vincent  d'un  coup  de  trident  et  fuit  au 
galop  de  sa  cavale.  —  11  arrive  au  Rhdne.  —  Les  trois  bateliers 
fantastiques.  —  La  barque  se  r^volte  sous  le  poids  de  Tassassin. 
—  La  nuit  de  Sainl-M6dard  :  procession  des  noy6s  sur  la  rive  du 
fleuve.  —  Ourrias  est  englouti.  — Danse  des  Treves  sur  le  pont  de 
Trinquetaille l"i 


506  TAl'LO. 


CAST   SIEISEN    —    LA    MASCO 

A  I'aubo,  tres  pourcati^  trovon  Yincto  dins  soun  sang,  estoidu  ding 
lis  erme  de  Grau.  —  L'aduson  A  la  brasseto  au  Mas  di  Falabrego. 

—  Digressioun  :  lou  Felibre  se  recoumando  A  sis  ami,  li  felibre 
de  Prouvtoco.  ^  Doulour  de  MirSio.  —  Porton  Vinc^  au  Trau  di 
Fado,  caforno  dis  Esperit  de  niue  e  demouran^  de  la  masco  Ta- 
ven,  escouigurarelio  de  tout  man.  —  l^i  Fado.  —  Mir^o  acoum- 
pagno  soun  calignaire  dins  li  borno  de  la  mountagno.  —  La  Man- 
dragouro.  —  Lis  aparicioun  de  la  baumo  :  Li  Fouletoun,  I'Esperit 
Fantasti,  la  Bugadiero  d6u  Vcntour.  —  Baconte  de  la  masco  :  la 
Messo  di  Mort,  lou  Sabatdri,  la  Garamaudo,  lou  Gripet,  la  Bam- 
baroucho,  la  Ghaucho-Vi^io,  lis  Escarinche,  li  Dra,  lou  Ghin  de 
Gambau,  lou  Baroun  Castihoun.  —  L*Agnda  negre,  la  Gabro  d'or. 

—  Taven  escouiguro  la  plago  de  Vinc^n.  ^  Enauramen  e  prou- 
fetiso  de  la  masco.  .  • %iA 


CANT    SETEM. 


Liiu  viei  panieraire  em6  soun  fl^u,  asseta  davans  lou  lindau  de  sa 
bdri,  trenon  uno  canestello.  —  Lou  ribeirfe  d6u  Rose.  —  Yinc^. 
dis  h  soun  paire  d'ana  demanda  Mir^io  en  mariage.  —  Refus  e  re- 
moustran^o  d6u  vi^i.  — Vinceneto,  sorre  de  Vinc^n,  per  ajuda  soun 
fraire  k  touca  M^ste  Ambroi,  conto  I'istdri  de  Sivfistre  em^d'AIis 

—  Parten^o  de  Meste  Ambroi  p^r  lou  Mas  di  Falabrego.  —  L'anri- 
bado  e  lou  gousta  di  meissouni^.  —  M^ste  Ramoun.  —  Lou  labour. 

—  Recit  d'Ambrdsi,  responso  de  Ramoun.  —  La  taulo  de  Galdndo. 

—  Mir^io  declaro  soun  amour  p^r  lou  fi6u  d6u  panieraire.  —  Ama- 
Hciado,  emprecacioun  e  refus  di  partet.—  Endignacioun  de  M^te 
Ambroi.  —  Napoleon  e  li  gr^ndi  guerro.  —  Encagnamen  de  M^te 
Ramoun.  —  Lou  s6udard  labouraire.  —  Farandoulo  di  meissou- 
iiie  d  r«nlour  d6u  fio  de  Sant  Jan ^ 


CART    VDECHEN   —   LA    CRAU 

De$esperan(o  de  Hir^io.  —  Atrencaduro  d'Arlatenco.  —  La  chato,  au 
mitan  de  la  niue,  fugis  I'oustau  pairau.  —  Yai  au  toumb^u  di 
^^nti  Mario,  que  soun  li  patrouno  de  Prouv^n^o,  li  suplica  de 
louca  si  parent.  —  Lis  Ensigne.  —  Tout  en  conrr^nt  d  trav^s  de 
Grau,  rescontro  li  pastre  de  soun  paire.  — -  La  Crau,  la  guerro  di 
Oigant.  —  Li  rassado ,  li  pr^go-Di^u  d'estoublo ,  li  parpaioun, 
avertisson  Mir^io.  —  Mireio ,  badanto  de  la  set,  e  n'en  poud^nt 
plus  de  la  caud,  pr^go  Sant  G^nt,  que  v^n  d  soun  secours. 
—  Rescontre   d'Andreloun,   lou   cacalausi6.   —  Eloge   d'Arle.  — 


TABLE.  507 


CHANT    SIXI&MB   —   LA    SORGIERE 


A  I'aube  du  jour,  trois  porchers  troovent  Vincent  6tendu  dans  le  dd- 
sert  de  ia  Crau,  et  baignd  dans  son  sang.  —  Us  I'apportent  dans 
leurs  bras  an  Mas  des  Micocoules.  —  Digression  :  appel  du  poete 
^  ses  amis,  les  pontes  de  Provence.  —  Douleur  de  MireiUe.  —  On 
porte  Vincent  i  I'antre  des  F6es,  repaire  des  Esprits  de  la  nuit,  et 
habitation  de  la  sorci^re  Tavdn,  charmeuse  de  tous  maux.  —  Les 
F^.  —  Mireille  accompagne  son  amant  dans  les  excavations  de  la 
Diontagne.  —  La  Mandragore.  —  Les  apparitions  de  la  Caveme:  les 
FoUets,  I'Esprit  Fantaslique,  la  Lavandi^re  du  Ventour.  —  Rdcit  s 
de  la  sorci^e  :  la  Messe  des  Morts,  le  Sabbat,  la  Garamaude,  le 
Gripet,  la  Bambarooche,  le  Caucheraar,  les  Escarinches,  les  Dracs, 
le  Chien  de  Cambal,  le  Baron  Castillon —  I'Agneau  noir,  la  Chdvre 
d'or.  —  TavSn  charme  la  blessure  de  Vincent.  —  Exaltation  et  pro- 
phdties  de  la  sorcidre 215 


CHANT    SBPTI&HE   —   LB8    VIEILLARD8 


Le  vieux  vannier  et  son  flls,  assis  devant  le  seuil  de  leur  cabaiie, 
tressent  une  corbeille.  —  Paysage  des  bords  du  Rhdne.  —  Vincent 
engage  son  pdre  &  aller  demander  la  main  de  Uireille.  —  Refus 
et  remontrance  du  vieillard.  —  Vincenette ,  sceur  de  Vincent ,  se 
joint  ^  son  frdre  pour  fl^liir  Maltre  Ambroise ,  et  raconte  This- 
toire  de  Sylvestre  et  d'Aiix.  —  Depart  de  Maitre  Ambroise  pour  le 
Mas  des  Micocoules.  —  L'arrivte  et  le  repas  des  moissonneurs.  — 
Mattre  Ramon.  —  Le  labour.  —  R6cit  d' Ambroise,  rdponse  de  Ra- 
mon. —  La  table  de  Noel.  —  Mireille  avoue  son  amour  pour  le 
fils  du  vannier.  —  Courroux,  impr^^tions  et  refus  des  parents. 
—  Indignation  de  Maitre  Ambroise.  —  Napoleon  et  les  grandes 
guerres.— Emportement  de  maitre  Ramon.— Lesoldat  laboureur.— 
Farandole  des  moissonneurs  autourdu  feude  la  Saint- Jean.    267 


CHANT     HUITl^ME    —    LA    CRAU 


Ddsespoir  de  Mireille.  —  Toilette  d'Arlesienne.  —  La  jeune  fille,  au 
milieu  de  la  nuit ,  fuit  la  maison  patcitielle.  —  EUe  va  au  tom- 
beau  des  Saintes  Maries  supplier  ces  patronues  de  la  Provence  de 
lUchir  ses  parents.  —  Les  constellations.  —  Dans  sa  course  k  tra- 
vers  la  Crau,  elle  rencontre  les  bergers  de  son  pere.  —  La  Crau, 
la  guerre  des  Grants.  —  Les  lizards,  les  mantes  religieuses,  les 
papillons  avertissent  Mireille.  —  Mireille  haletante  de  soif,  acca- 
blee  par  la  chaleur  ilu  jour,  implore  Saint  Gent,  qui  la  secourl.— 
Ilcjiconlre  <VAn<lrcluun,  io  rairiassrur  dc  Urnavons.— Eloge  d'Arlos. 


508  TAULO. 

Recil  d'AndretouB :  istdri  d6a  Traa  de  la  Capo,  licauco,  li  caucaire 
aproufoundi.  —  Nir^io  coucho  au  tibandu  de  l.a  famiho  d'Andre- 
loun 316 


CANT   KOUVBN  —    L   ASSKMBLADO 


Desoulacioun  de  M^sle  Ramoun  e  de  Jaiio-liaiio,  quand  trovon  plus 
Mir^io.  —  Tout-^'un-tdms  lou  vidi  mando  souna  e  acampo  dins 
riero  tduti  li  travaiadou  d6u  ma«.  —  Li  segaire,  U  rastelarello, 
lou  feneirage.  —  Li  carreti^,  I'estremage  di  fen.  —  Li  bouie.  — 
lii  meisaouni^  la  meissoun,  U  gleDarello.  ^  Li  pastre.  —  Recit  de 
Lauren  de  Gdut,  capouli^  di  meissouni^ :  lou  cop  de  voulame.  — 
Recit  d6u  segaire  Jan  Bouquet :  lou  nis  agarri  p4r  li  Iburnigo.  — 
Recit  d6a  Marran,  baile  di  r^fi  :  la  marco  de  murt.  ^  Recit  d'An- 
t^unie,  lou  baile-pastre.-rAnt^ume  a  vist  Mir^io  qu'anavo  i  S^nti- 
Marlo.  —  Eatrambord  e  pr^it  de  la  maire.  — .  Part^^  de  la 
famiho  p^r  av^  Hirdio 353 


CANT    DESBK   —    LA    CANAR60 


Mirdio  passo  lou  Rose  dins  lou  barquet  d'Andreloun,  e  countunio  sa 
course  ft  trav^s  la  Camargo.  ~  Li  dougan  d6u  Rose  entre  la  mar 
e  Arte.  —  Descripcioun  de  la  Camargo.  —  La  calour.  —  La  danso 
de  la  Vidio.  —  Li  mountiho.  — -  Li  sansouiro.  —  Mir^o  es  ensu- 
cado  p^r  nn  cop  de  soul^u  sus  U  ribo  de  reslangd6uVacar&. — Us 
arabi  la  rev^non.  —  La  roumi^nvo  d'amour  se  tirasso  jusqu'A  la 
gl^iso  di  Santo.  —  La  prei^ro.  —  La  visioun.  —  Descours  di  Sdnti 
Mario.  —  La  vanita  d6u  bonur  d'aquest  mounde,  la  necessita  e  lou 
merite  de  la  soufrgn^o.  —  Li  Santo,  p^r  ie  refenni  lou  cor,  racon- 
ton  d  Hir^io  sis  esprovo  terr^tro 386 


CANT   VOUKGEN 


Li  Sdnti  Mario  raconton,  qu'aprds  la  mort  d6u  Crist,  fugudron  em- 
bandido,  em^  d'Autri  disciple,  A  la  bello  eisservo  de  la  mar,  e 
qn'abourd^ron  en  Prouvengo,  e  que  jcounvertigueron  li  popie 
d'aquelo  encounlrado.  —  La  navigacioun.—  La  tempesto.  —  Arri- 
bado  A-n-Arle  di  Sent  despatria.  —  Arle  rouman.  --  La  feslo  de 
Venus.  —  Sermoun  de  Sant  Trefume.  —  Counversioun  dis  Arlaten . 
--  Li  Tarascounen  v6non  imploura  lou  secours  de  Santo  Mario.  — 
La  Tarasco.— Sant  Marciau  h  Limoge;  Sant  Savournin  A  Toulouso; 


TABLE.  509 

R^t  d'Andreloun  :  l^gende  du  Trou  de  la  Cape ,  le  foulage  des 
gerbes ,  les  fouieurs  engloutis.  —  Mireilie  passe  la  nuit  sous  la 
tente  de  la  famille  d*Andreloun M7 


CHANT   NEUVI^HE    —    l'aSSEHBLEE 


D^olation  de  Maltre  Ramon  et  de  Jeanue-Marie,  en  s'apercevantde 
Tabsence  de  Mireilie.  —  Le  vieillard  mande  aussitdt  et  rassemble 
dans  I'aire  tons  les  travailleurs  de  la  ferme.  —  Les  faucheurs,  les 
faneuses,  la  fenaison.  —  Les  charretiers,  la  rentr^  des  foins.  ~ 
Les  laboureurs.  —  Les  moissonneurs ,  la  moisson,  les  glaneuses. 
—  Les  bergers.  —  R£cit  de  Laurent  de  Goult,  chef  des  moisson- 
neurs  :  le  coup  de  faucille.  —  R^cit  du  faucheur  Jean  Bouquet :  le 
nid  envahi  par  les  fourmis.  —  R^it  du  Marran,  chef  des  gar^ons 
de  charrue  :  le  pr^age  de  mort.  —  R^cit  d'Antelrae,  chef  des 
p&tres.  —  Antelme  a  vu  Mireilie  allant  auz  Saintes-Maries.  — 
Transports  et  invectives  de  la  mSre.  —  Depart  de  la  famille  t  la 
poursuite  de  Mireilie 352 


CHANT    DIXI&ME  —   LA    6AMARGUB 

Mireilie  passe  le  Rhdne  dans  la  nacelle  d'Andreloun,  et  poursuit  sa 
course  k  travers  la  Camargue.  —  Les  bords  du  Rhdne,  entre  la 
mer  et  Aries.  —  Description  de  la  Camargue.  -—  La  chaleur.  —  Le 
mirage.  —  Les  dunes.  —  Les  Samonires.  —  Mireilie  est  frappte 
d'un  coup  de  soleil,  sur  les  rives  de  I'^tang  du  Yaccares.  —  Les 
moustiques  la  rappellent  k  la  vie.  —  La  pelerine  d'amour  se 
traine  jusqu'd  T^glise  des  Saintes-Maries.  —  La  pridre.  —  La 
vision.  —  Discours  des  Saintes  Maries.  ^  La  vanil4  du  bonheur  de 
ce  monde,  la  n^essit^  et  le  m^ite  de  la  souffirance.  —  Les 
Saintes,  pour  raffermir  le  courage  de  Mireilie,  lul  font  le  rdcit  de 
leurs  ^preuves  terreslres 387 


CHANT   ONZli^HE    —    LES   SAINTES 


Les  Saintes  Maries  racontent  comment,  apr&  la  mort  du  Clu-ist 
ayant  616  livr^es  k  la  merci  des  flots  avec  plusieurs  autres  disci- 
ples, elles  abord^rent  en  Provence,  et  convertirent  les  peoples 
de  cette  contr^e.  —  La  navigation.  —  La  tempete.  —  Arrivee  des 
Saints  proscrits  k  Aries.  --  Aries  romaine.  —  La  f6te  de  V6nus. 
—  Discours  de  saint  Trophime.  —  Conversion  des  Arl6siens.—  Les 
Tarasconais  viennent  iraplorer  le  secours  de  Sainte  Marthe.  —  La 
Tarasque.  —  Saint  Martial  a  Limoges;  Saint  Satumin  a  Toulouse  ; 


510  TAULO 

Sant  Estr6pi  en  Anrei^o.^  Santo  Narto  doumto  la  Taraaeo,  e  pid 
counvertis  Avignoun.  —  La  papauta  en  Avignoun.  —  Sant  Laziri  k 
Marsiho.  —  Santo  Madaleno  dins  la  baumo.  —  Sant  Massemin  k- 
z-Ais.  ^  Li  Sinti  Mario  i  Bans.  —  Lou  r^i  Reini^.  —  La  Prouvtogo 
unido  i  la  Franco.  —  Mii^o,  vierge  e  martiro 422 


CANT   DOUGEN    —    LA   MORT 

Lou  pais  dis  arange.  —Li  Santo  remounton  au  paradis.— Loupaire 
em^  la  maire  arribon.  —  Li  Santen  mounton  Mir^o  k  la  capello- 
z-auto,  mount  i'a  li  relicle.—  La  gleiso  di  SAnti  Mario.—  Li  supli- 
cacioun.  —  La  plajo  camarguenco.  —  Vinc^n  arribo  e  sa  doulour 
desboundo.  —  Lou  cantico  di  Santen. —Darriero  visioun  de  Mireio : 
v^i  li  SAnti  Mario  emplanado  dins  la  mar.  —  Darri^i  paraulo,  e 
lurainouso  mort  de  la  chatouno.  —  Li  coumplancho,  la  desespe- 
ran9o 464 


Mubico  DE  Maqali. 


TABLE.  ,  511 

Saint  fiutrope  h  Orange.  —  Sainte  Marthe  dompte  la  Tarasque,  et 
ensuite  convertit  Avign^v.  —  La  papaut^  k  Avignon.  —  Saint  La- 
zare  k  Marseille;  Sainte  Magdeleine  dans  la  grotte;  Saint  Maximin  h 
Aix;  les  Saintes  Maries  aux  Baux.  —  Le  roi  Ren^.  —  La  Provence 
unie  k  la  France.  —  Mireille,  vierge  et  martyre 423 


CHANT   DOUZI&ME   —   LA   MORT 

Le  pays  des  oranges.  —  Les  Saintes  remontent  dans  le  ciel.—  Arrive 
du  p^re  et  de  la  m^re.  —  Les  Saintins  montent  Mireille  h  la  cha- 
pelle  haute,  oi!^  sont  d^pos^  les  reliques.  —  L'^lise  des  Saintes 
Maries.  —  Les  supplications.  —  La  plage  de  Camargue.  —  Arrivte 
de  Vincent, '^clat  de  sa  douleur.  —  Le  cantique  des  Saintins. — 
Demi^re  vision  de  Mireille  :  les  Saintes  Maries  lui  apparaissent 
sur  la  haute  mer.  —  DemiSres  paroles,  et  radieuse  mort  de  la 
jeune  filler  —  Les  plaintea,  le  d^sespoir 465 

MUSIQUB  DB  MaGAI.I i   9 


IMP.  SIMON  nigox  ET  coMP.,  noE  D'RnFunrii, '1, 


Lc  KOI  Loiit  Xl> 

KtnKi.Ats. 

H.  i>K  Vkrvilik. 

K.    IILS  I'tHlBRS. 

Mm  iikhbk. 

SkTIKK  MCHIVpiB. 

BoKS.«T 
Lmai.i. 

PnfvosT  (l.'iMlF). 
J. -J.    UUI-SSS4U. 


AkPRB    ClIKNIKk. 

II.- J.  Chbhiir. 


l«0No«TeU«amiT..  S 

OEu<rT» I 

McyoD  de  parvenir..  I 
ConlM  el  joy.  Drfii.  I 
Kdil.  AudiChfOier.  I 
E.iiltun  Cb.  Labille.  I 
llitioite    uiiiver«elU.   I 

Gil    UIjs I 

.Manoo   l^ewant  ...    I 

Einile I 

Nouvrlle  H4loiM.  .  .   I 

Coufnsiont 1 

Pur»ie»  complclM  .  •  I 
Fortiei ( 


CLASSIQUBS   PRANgAIS 
MitioHB  varloram 

Dl    r.HARLRS     LOUANOBI 

MnxTAfuM.  EMaii,ed.  oompUte..  4 

Coi\>KUi.KiP.etT.)  OEo»re« ' 

I1t)i.ii,iui.  UEu«i«s  coapUtet.  .  3 

I'ascaIm  Peut«e» I 

—  Lettres  proTindale*.  I 

Caraclcre* \ 

Tht-Alre  comiilet  ...    I 


Ea  BniirkAB. 
J.  lUriNi. 

buiLKAO. 

La  FoHTAins. 


VOLTAIIB. 


Ful'lei  .  . 

CoiiIm  et  Nouvrllt't.. 

Siecle  dc  Louit  TL\\ . 


M^naoirca  at  CorrcaponilMieaa 

tor  t'PUtoirt  cl  U  SocMU  rraDjaistt. 

Ar.Mp.  D'Auaiani.  Mi'inoirt!i 

\«iiTiKB.  Leltii'8  cl  Poe»ie«. .. 

MoTihviLLmM"'*l.Mniioire» 

M.'^■rPK^sIK»(M"«).Ml■ul0^lc» ■ 

llissv   lURriiH.       Correopoiid.  in^dite.  3 
Maintbjnuii  («•"•).  I  eltie*  sur  I  EJucat     I 

—  Enlretien*    idem.      I 
~  Lettres  bill,  el  edit..  3 

—  Cori-c5pondance  gen.  4 

—  Convt-rsat.ci  Proverb.  I 

—  k'cnioires  sur  elle. .  .  3 
Chavibhitw  (d«).  Pers.Mit.dea  Proteat.  I 
Oni KANS  (DucH.DlXoirespcudaiice.  ...  3 
L  AvocAT  Uamikb  Journal  tur  le  ZTIII* 

ftit'cle 

OiBitMy:H  (&!*■«  D')Memoiret. ....... 

XIX*  aMele. 

AiMB  Mamtin.         Education  det  meres.  3 
B^K|^NTK  (db).  Tableaudelitlerature   1 

Hkiuat-SavaMW.    Physioloijie  du  Gout.   I 

UKMAM.CoHSTAWT.Adolphe  ........    I 

DKKn.tzB.               Romans,  contes,  et«.  I 

l)(-si'i.\rG.s  (A.).       I^s  Poelos  vivants.  .  I 

l^i'RAS  (M"»*  db).     Ourika.  Edouard.  ,  .  | 

Fkhhv.                      Voyage  au  Meiique.,  i 

GAjrrrKH  (Tmboph.)  Poesies   coiuideles  .  .  I 

—  Voyage  en  Espagne.  1 

—  Nouvelles I 

—  Uademois.  iMaupin.,  I 
Gerard dbNkrv At.  Voyage  en  Oiient  . .  2 
GiRAKDiH  (M""DB).L<>ltrcsi<ariaiennei.  .  i 
GnzoT.  ^  Essais  sur  Ibistoire.  I 
JuRiKN                  ,    Gucrres  makilinies.  .  3 

—  Voyage  en  Chine.  , .  3 

Km-DNER  iM""'  db).  Valerie 1 

Lappadk  (V.  UB).     PopioeseTangeliqne*.  I 

LavaixebITheop.)- Hist,  des  Fran(ais*  .  4 

—  Geographic. ...,,,  | 
SHatstrb  (Joskth).    Du   Pape.  .......  1 

—  Lettres,  etc.,  etc.  .  .  3 
*'''«TnB  (Xavibr).  OEuvres  coinpletea  .  I 
<i».,«M  (P.).          Chroniq. Charles  IX.  | 

—  Colomba,  etc.,  etc.  ,  t 
Glare  Gaiul.  .....  i 


HnXBVOTB. 

MoHVin  (B.). 

MuniT  (AuTBio). 


Mu*  I  .J. 


Pnw.HB  'fiiar.) 
iNoDiBB  (i.iiir.iit«) 


S.-MAmc-4jUuipii« 
SlnrTB-BiDTB. 


SAlWTr%B. 

Sardsau  (Jo lbs). 


SsiiAircoim. 

StABL   («"•   DB). 


Val>iori(M"»«) 

VfONT  (Au&BD) 


Wbim. 

VtiKT. 


Bkt.4«  Marie 'itatft.  3 

Notioaa 

Aatuiio  Perct. .... 

Heaaoirca  htatori^acB. 
Poeiiea  ....    .... 

Boargeois  if  '.  >ria. . 
Prrnierespoi-  **.  .. 
Poesies  aoQ*« '  t-s.  .  . 
Comedies,  ed.  ^ompl. 
Confess.  d'uB  Enfant. 

NouveMefli 

Conlef 

Les  Oricinaui 

Prmmesde  *:•  '..e^enet 
Memoir«s  dr  i\t>a\,  . 
NouTcllet  11  '..'nnea. 
Voyage  e.i  I '.-lie.  .  . 
I.e  NouT.i  \ladin.  . 
Portraits  ti  critiques.  1 
.\a  lU.olaiKQ  e>lEn- 

rir-    

6oa\e<i.  dr  Jeuncsae. 
Conteide  Ip  Veillee, 
Contes  fanuaticiaaB. 

Ronvelles 

Romans 

.Cours  de  litie'atore. 
Essaisde  litieratAra. 
Tabl.  de  ta  f«e«ie  . . 

Vftlupta 

Poesies  eoaplelM  .  . 

Picciola 

Marianna  ....... 

Doetcur  Harbcaa  . . 

Fernand I 

VaillaaoeetRiehard/ 

Valcreuse * . 

Chasaeanroiua  ..I 
H"'«deSomiBerTilJ<  ( 
HadeleiaeM  ...••* 
Mile  de  >a  SeicUem.. 
Obermana../.  . . . 

Coriune 

Delphine. ....... 

De  rAUenkfBe. . . . 

Revolution  mnfaiie. 

Mcrooirea. 

Oe  la  Ittteratare. . . 

Poeaiee  . 

Cinq>Man 

Slello 

Nourelles . 

Theitre 

Puexies 

R«^rugies  ProlesUats. 
Etudes  s.l.beaaK-arU. 


PoKTBS  on  NoKD.    Chants  p''T-. 
CofrTBuas  ALUM.  NouTelleadllei. 


Bililiolh«<iaa  ladaie-frKBi^iaMi. 

Tacitb.  Tradttct.  Loaandre..  : 

Ivixs  Cbsaa.  Traduct.  Loaandre..  1 

Horacb.  Traduction  Patin...  : 

Subtonb.  Trad.  PeaaoBaeinx. .  : 

BibliothAqaa  cr«eqae*rraaf  «iae. 


AaiSTOPHAltB. 

Aribtutb. 
DkmosthenB. 
Dkx.ekb  Labbtb 

EsCH^LB. 
El'RIPIDB. 
lll^KnuOTB. 
iloMLRB. 

Heliodorb. 

LoNurs. 

Marc-Acrblb. 

MoRALISTB^nUBCB. 

Platoh. 


Comediet,  tr.  aout. . 
PoHliqne,   etc.,  etc. 

Chefs-d'ocuTre 

Vies  d.  Philosopfaes. 
TheAlre,  tr.  Pierron. 
The&tre,  tr.  nouT. . .  ' 
Hi8toire,tr.Larcher.  : 
llliade,  tr.  Dacier.  . 
Odyssee,  tr.  Dacier.. 
Theagenes.Chariclde. 
DaphnisetChloe.eto. 
OKuvr.,  tr.  Pierron. 
Socrale,  Epictete  .  . 
La  Repnblique.  ... 

Les  Lois 

Dialo(;uea   biograpb.  ; 
Dialogues  netaphya.  i 


VwuKgn, 

Grtait     Boa 

traduetioo 

SoniocxB. 

Tbeitra,  tr^d 

TaOCtDIDB. 

Htstaire,  tr.  / 

XBsoraoa. 

OBufrea,  tr.  I 

inUiotM»q«e  Mglai-fraa 

Itfu.  B.  Stowb. 

OneleTom  t.  f 

NoaTellesanvT 

LiMGABO. 

BisUd  Angle 

MiLrun. 

Paiadis  ferJ. 

Macauult. 

Re»olntion  dt 

Trad.  B.  Un 

SrRasfE. 

(««f  MS  .  . . 

(."U»J»ITB. 

Vieaite  de  Val 

Fiiji-niiito. 

Tern  Jones,  t. 

EHBBSOa. 

Philosophic. 

GORBX. 

Tb*atra.  t.  H 

Feast,  tr.  H. 

_ 

WiUielniVeis' 

_ 

Werther,i.P.l 

.„ 

AffiaiU»,t.Ci 

.. 

Poesies,  tr.  H. 

.  .. 

MeiD0ires,t.O 

Saaujtt. 

Theitre.tr.M. 

Guerre  de  30 

_ 

Poesies,  tr.  M 

Kloktock. 

U  Messiade 

HOPFMAMT. 

Contes,  tr.  M 

La  DAirra. 

DiTine  Gomtd 

La  Tassb. 

Jerusalem  d«U 

Uahzohi. 

Les  Fiances  . . 

Silvio  Pklltco. 

MesPrisonst. 

Machiavsl- 

Hist,  de  Flor, 

. 

OEirres  polii,    i 

«_ 

OEBTres  litt«r. 

GsBTAarfts. 

Don  Qnicbotle. 

BaUsioari 

SAfitT-AiJoinTiv. 

CottfessioBS,  t. 

CitAdemeu,lr 

M.EoileSai 

BUSSOR. 

BisU  des  Van: 

EleTstions  (Mrs 

«. 

McdiUtionsit* 

_ 

OEuTres  philosi 

PiwBLtm. 

OEuvres  philosa 

Dbscartes. 

OEnTi%s,  ed.  Si 

OEuvres,  ed.  .Sn 

LaiaiHTS. 

OE«vres,ed  Jac 

Bacuh. 

OE«Tr.,«d.  Wa 

EfLBB. 

Lellresanne  prii 

Emilb  Sausbt. 

Phito«>phie-Rel 

SAOKm. 

Sermon 

Oai>aicM  diiTcn. 

QUATBBBAOBS. 

Sott^.d'Nalur 

Cabahis. 

D«  Physique  e 

moral  de  i  ho: 

BiCHAT 

VieetMort... 

ZlMMBRMAint. 

Dc  la  Soliiudo . 

KoiTSSBL. 

Syst.  de  la  Ftii  r 

J.  LlBBia. 

NouveitejUu,.. 

(a  f.h.ra.e,.    .. 

Mahomet. 

Le  Kr.ran 

Co^Fuct1». 

LcH'iv.delnC.n* 

D'Houdbtot 

U  Chasseur  ru.a. 

Petile  Veneri'.  ■ 

BuBRic  David. 

Scol}.lure  aotiijW 

^ 

Scisipittre  frjn  ti 

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VfiadesAilisifi 

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R«tic«shi»tori(iio 

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Petnt.  SB  laoyeu  ip 

P.-A.  Bou&giBB 


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OCT  2  8    1940