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Full text of "Missions de la Congrégation des Missionnaires Oblats de Marie Immaculée"

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MISSIONS 


CONGREGATION  DES  MISSIONNAIRES  OBLATS 

DE  MARIE  IMMACULÉE 


I 


PARIS.    —   TYPOGRAPHIE   A,    HENNUYER,    RUE    DARCET,     /. 


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MISSIONS 

DE  LA  CONGRÉGATION 

DES  MISSIONNAIRES  OBLATS 

DE   MARIE    IMMACULÉE 


TRENTE-CINQUIÈME  ANNÉE 


^ 


PARIS 

TYPOGRAPHIE    A.    HENNUYER 

RUE   DARCET,    7 

1897 


MISSIONS 

DE  1&  CONGRÉGATION 

DES  OBIATS  DE  MARIE  IMMACULÉE 


N"  137.  —  Janvier  1897 


MISSIONS  ÉTRANGÈRES 


VICARIAT  DE  LA  SASKATGHEWAN. 

Pélican  Narrows,  l^r  novembre  1896. 
LETTRE  DU  R.  P.  BONALD  AU  DIRECTEUR  DES  ANNALES, 
RÉVÉREND  ET  CHER  PÈRE, 

Après  avoir  terminé  notre  retraite  annuelle  et  célébré 
la  fête  d'aujourd'hui  avec  les  chers  PP.  Maisonneuve  et 
Simonin  (Xavier),  je  vous  adresse  mon  rapport  habituel 
que  j'avais  rédigé  au  fort  Cumberland  pendant  le  séjour 
que  j'y  ai  fait  dans  mon  dernier  voyage.  Le  voici  tel  quel  : 

Descendu  ici  des  lointains  plateaux  du  haut  Churchill 
et  en  route  pour  aller  voir  notre  révérendissime  vicaire 
apostolique,  la  fatigue  et  l'épuisement  me  forcèrent  de 
m'arrêter.  Le  bon  P.  Gharlebois,  accompagné  de  mes 
deux  hommes,  va  pour  moi  à  Prince-Albert. 

Tâchant  pour  ma  santé  de  profiter  des  légumes  et  du 


—  6  — 

laitage  de  la  Mission,  je  veux  aussi  profiter  de  mes  loi- 
sirs pour  vous  adresser  ce  rapport  annuel.  Il  y  a,  cette  fois, 
dans  nos  différents  travaux,  divers  incidents  multiples  et 
assez  curieux  pour  intéresser  les  lecteurs  de  nos  annales. 

Reprenant  mon  récit  en  novembre  1895,  j'invite  les 
lecteurs  à  accompagner  en  esprit  le  missionnaire  dans  sa 
visite  aux  malades  sur  le  Missinipi,  à  40  milles  nord  de 
la  Mission,  Les  jours  sont  courts,  on  part  bon  matin. 
Nos  chiens  ne  sont  pas  des  pégases  ;  aussi,  me  contentant 
de  me  faire  traîner  sur  le  lac^  je  leur  épargne  cette  peine 
dans  l'étroit  sentier  des  bois.  Nous  escaladons  des  mon- 
tagnes, mon  unique  serviteur  poussant  de  toutes  ses 
forces  derrière  le  traîneau,  menaçant  et  injuriant  ses 
chiens  tandis  que  je  les  appelle  en  avant.  On  s'arrête 
deux  fois  pour  boire  le  thé  et  l'on  arrive  au  crépuscule 
chez  nos  gens.  La  première  veillée,  on  se  contente  de  la 
prière  en  commun.  Le  jour  suivant  est  consacré  tout  en- 
tier à  instruire  davantage  une  néo-catholique,  très  ma- 
lade et  qui  voudrait  se  disposer  de  son  mieux  à  faire  sa 
première  communion  avant  de  mourir. 

La  seconde  nuit  se  passe  toute  blanche  pour  le  mis- 
sionnaire. C'est  un  vieux  sauvage,  méchant,  entêté  et 
superstitieux,  qui  dans  la  maison  voisine  de  mon  hôte  a 
terriblement  exercé  la  patience  du  prêtre.  Quelle  puis- 
sance le  démon  exerce  encore  sur  ces  natures  sauvages, 
demi-croyantes  et  si  orgueilleuses  ! 

En  le  contredisant  et  lui  faisant  des  reproches,  comme 
c'était  mon  devoir,  je  voyais  ce  vieux,  ex-sorcier  encore, 
dominé  par  sa  vieille  nature  et  pour  ainsi  dire  retombé 
sous  la  puissance  diabolique,  me  regarder  d'un  air  cour- 
roucé, grincer  des  dents,  et  les  mains  crispées,  me  lancer 
des  paroles  de  dépit  et  de  colère.  J'étais  cependant  en 
surplis  et  en  étoleàcôté  de  lui,  plutôt  assis  qu'à  genoux 
sur  son  grabat.  Ses  deux  enfants,  adultes,  bons  catho- 


liques,  et  la  mère  ne  purent  s'empêcher  d'intervenir  pour 
lui  faire  des  reproches,  le  plus  jeune  surtout,  Patrick, 
qui,  les  larmes  aux  yeux  et  d'une  voix  tremblante,  lui  di- 
sait :  «  Mon  père,  est-il  possible,  es-tu  fou,  ou  bien  le 
mauvais  esprit  s'est-il  emparé  de  toi  pour  oser  répondre 
ainsi  à  l'homme  de  la  prière.  »  Cette  voix  aimée  et  cet  ac- 
cent ému  touchèrent  cette  nature  farouche.  Il  ne  dit  plus 
un  mot  et  après  un  long,  très  long  silence  :  «  Prêtre, 
mon  père,  dit-il,  pardonne-moi,  je  fais  pitié,  je  suis  mé- 
chant, aide-moi,  je  t'écouterai.  » 

A  Noël,  affluence  ordinaire  de  nos  chrétiens  qui  arri- 
vent de  tous  côtés.  Gomme  d'habitude,  les  protestants 
assistent  à  nos  fêtes.  Nous  sommes  cette  fois  deux  prêtres 
pour  la  solennité,  et  le  P.  Maisonneuve  m'allège  le  far- 
deau en  devenant  le  confesseur  ordinaire.  C'est  après 
Noël  que  ce  cher  Père  va  à  Pakitawagan  exercer  le  mi- 
nistère. Il  retourne  bientôt  dans  cette  direction  pour  un 
malade.  Dans  ces  deux  voyages,  les  misères  n'ont  pas 
manqué  pour  lui  et  pour  ses  compagnons.  Le  froid  et  la 
fatigue  sont  l'apanage  de  tout  bon  missionnaire. 

Ici  se  place  un  fait  édifiant  :  un  jeune  homme  bap- 
tisé catholique,  mais  élevé  dans  sa  parenté  protestante, 
gardait  sa  foi  intacte  et  se  conservait  au  milieu  de  mau- 
vais exemples.  Né  illégitime,  il  avait  vu  sa  mère  devenir 
catholique,  mais  s'affligeait  beaucoup  de  la  voir  encore 
trop  portée  à  vouloir  cohabiter  avec  le  père.  Cet  hiver, 
celui-ci  pressa  fortement  son  fils  de  venir  lui  et  sa  mère 
dans  les  mêmes  quartiers  de  chasse.  Le  bon  jeune  homme 
refusa  à  son  père  qui  avait  d'ailleurs  avec  lui  sa  famille 
légitime.  Colère  du  père,  qui,  désappointé  dans  ses  cou- 
pables desseins,  refusa  tout  secours  à  son  fils  et  à  la  mère, 
jusqu'à  prier  le  marchand  de  la  Compagnie  de  lui  re- 
fuser tout  crédit.  Auguste,  pour  préserver  l'âme  de  sa 
mère,  fut  ferme  dans  sa  résolution  ;  il  savait  cependant 


—  8  — 

qu'il  n'aurait  pas  ailleurs  l'abondance  comme  chez  son 
père,  chasseur  émérite,  mais  rien  ne  lui  coûtait  pour 
Dieu  et  l'âme  de  sa  mère. 

On  lui  refusa  chez  le  marchand  du  lieu  les  choses  les 
plus  nécessaires  à  la  vie  ;  on  lui  fit  même  des  reproches 
parce  qu'il  ne  suivait  pas  son  père. 

Il  vint  à  la  Mission  où  il  trouva  aide  et  encouragement. 
Moi  qui  connaissais  les  motifs  si  louables  de  sa  conduite, 
je  lui  promis  de  lui  prêter  secours  en  l'assurant  que  le 
bon  Dieu  le  récompenserait  certainement. 

Le  bon  Dieu,  en  effet,  s'est  hâté  de  le  récompenser, 
mais  non  pas  selon  les  vues  humaines  ;  il  Ta  enlevé  de 
ce  bas  monde,  plein  de  misères  et  de  dangers,  pour  le 
mettre  en  possession  du  bonheur  éternel.  Quelques  se- 
maines après  sa  communion  de  Noël,  il  tomba  malade; 
sa  mère  lui  faisait  de  la  peine  ;  il  avait  la  douleur  de  voir 
ses  bonnes  intentions  mal  secondées.  Aussi  dans  son  dé- 
lire, il  disait  :  «  Pourquoi  donc  ma  mère  ne  veut  point 
m'écouter,  je  l'aime,  et  elle  me  tue  par  sa  résistance  au 
bon  Dieu.  »  Au  passage  du  P.  Maisonneuve,  il  eut  la  fa- 
veur de  se  confesser. 

Ce  fut  la  dernière  fois  ;  il  se  sentait  mourir,  personne 
ne  voulait  y  croire.  On  vint  un  jour  à  la  hâte  m'avertir. 
Le  malade,  dans  le  délire  continuel,  ne  cessait  de  me  de- 
mander ;  j'y  courus;  c'était  à  deux  jours  de  distance;  il 
était  déjà  mort.  Je  pleurai  ce  bon  sauvage,  car  je  l'avais 
aimé,  ce  pauvre  enfant,  et  je  le  regardais  maintenant 
comme  un  martyr  de  la  charité.  Il  mourait  pour  l'âme  de 
sa  mère;  je  fis  son  éloge  en  pleine  église.  Le  bon  Dieu 
le  récompensait  sans  doute  mieux  que  nous  ne  l'avions 
pensé.  Depuis  la  mort  de  ce  jeune  homme,  on  parle  de 
lui,  de  ses  bonnes  qualités  naturelles  et  aussi  de  sa  vertu. 
On  lui  avait  proposé  récemment  un  mariage  :  «  Non,  ré- 
pondit-il, je  ne  suis  pas  capable  de  faire  vivre  une  femme 


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et  d'ailleurs  jene  serai  pas  longtemps  sur  la  terre.»  Quand, 
au  printemps,  ses  frères  et  cousins  protestants  arrivèrent, 
ils  vinrent  à  la  Mission,  me  prièrent  de  les  conduire  sur 
sa  tombe,  oti,  après  une  courte  prière  que  je  fis  en  leur 
nom,  je  leur  adressai  quelques  paroles  de  consolation  et 
d'espérance  avec  quelques  encouragements  à  entrer,  eux 
aussi,  le  plus  tôt  possible,  dans  le  véritable  bercail.  Au 
retour  du  cimetière,  ces  pauvres  et  bons  protestants  se 
cotisèrent  pour  m'offrir  un  honoraire  de  messe  et  deman- 
dèrent un  service  solennel  pour  le  défunt,  ce  qui  eut 
lieu  le  lendemain  matin,  avant  mon  départ  pour  notre 
lointaine  Mission  du  fort  Nelson.  Tous  les  protestants  de 
l'endroit  avec  nos  catholiques  assistèrent  à  la  cérémonie. 

Quelques  jours  auparavant,  le  R.  P.  Maisonneuve  par- 
tait en  canot  d'écorce  pour  Prince-Albert,  pour  les  af- 
faires temporelles  de  la  Mission.  En  lui  disant  adieu,  bon 
voyage  et  au  revoir,  sur  le  quai  de  la  Mission,  je  bénissais 
pour  la  dernière  fois  mon  pauvre  Cyrille  qui  me  disait 
adieu  à  genoux  et  partait  pour  aller  voir  quelque  doc- 
teur. 

Le  sauvage  que  je  viens  de  nommer  peut  être  indiffé- 
rent à  vos  lecteurs,  mais  il  me  touche  de  si  près,  que 
j'ose  espérer  d'eux  qu'ils  voudront  bien  s'y  intéresser  un 
peu.  Voici  son  histoire  : 

Il  y  a  un  peu  plus  de  vingt  ans,  quand  je  vins  dans  le 
pays,  il  y  avait,  au  lac  Pélican  et  dans  les  environs,  une 
population  d'environ  300  âmes,  dont  huit  familles  pro- 
testantes, deux  familles  catholiques  et  tout  le  reste  infi- 
dèle. 

Parmi  ces  infidèles,  à  peu  près  tous  sur  le  Missinipi 
ou  Churchill,  on  remarquait  un  bon  sauvage  trigame. 

Ce  fut  en  1876  que  cette  famille  entendit  pour  la  pre- 
mière fois  les  vérités  de  notre  sainte  religion.  J'en  bapti- 
sai plusieurs  membres.  Un  des  plus  jeunes  garçons  arriva 


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l'année  suivante  à  la  Mission,  en  compagnie  de  deux  de 
ses  frères  aînés  déjà  initiés  à  la  foi  chrétienne.  Il  se 
hâta  de  venir  me  voir,  me  fit  montre  de  sa  science  reli- 
gieuse. 

Il  avait  dix  ans.  «  Veux-tu  être  baptisé  ?  lui  dis-je.  — 
Ah  !  je  le  voudrais  bien,  j'y  pense  tous  les  jours,  mais 
je  crains  mes  parents.  »  Le  frère  aîné  présent  répondit: 
«Baptise-le,  Père,  nos  parents  ne  diront  rien.  »  Et  voilà 
le  petit  garçon  tout  heureux  de  se  faire  baptiser.  On 
l'appela  Cyrille.  Retourné  deux  jours  après  au  logis 
paternel,  il  n'osait  pas  trop  entrer  et  affronter  des  re- 
proches. Pendant  que  ses  frères  contaient  les  nouvelles 
dans  la  loge,  il  écoutait  dehors  et  entendait  qu'on  par- 
lait de  lui  et  de  son  baptême.  Il  entra  cependant  à  la  fin 
et  ne  reçut  aucun  blâme  ;  on  n'y  fit  pas  même  d'abord 
aucune  allusion.  Quand  l'heure  du  coucher  fut  venue, 
Cyrille  n'osait  pas  trop  imiter  ostensiblement  ses  frères 
qui  priaient  avant  de  dormir.  Mais,  aussitôt,  il  lui  fut 
dit  par  ses  vieux  parents  infidèles  :  «  Mais  fais  donc  ta 
prière,  puisque  tu  t'es  fait  baptiser  sans  nous  le  dire.  » 
La  glace  était  rompue.  Il  pria  de  tout  son  cœur  en  re- 
merciant le  bon  Dieu. 

L'automne  de  la  même  année,  le  vieillard  se  mit  en 
règle  pour  devenir  chrétien,  lui  aussi  ;  il  ne  garda  plus 
qu'une  femme  et  alla  au  lac  Pélican  demander  le  bap- 
tême. Malheureusement,  il  n'y  rencontra  que  le  ministre. 
Mais  le  bon  Antoine  Moran,  chrétien  de  vieille  roche, 
lui  donna  de  bons  conseils.  Le  bon  vieux  mourut  avant 
de  pouvoir  être  baptisé,  m.ais  avec  les  dispositions  et  les 
désirs  requis  pour  être  sauvé.  Ce  fut  l'été  suivant  que  le 
petit  Cyrille,  après  sa  confession,  me  dit  :  «  Aie  pitié  de 
moi,  c'est  toi  qui  es  maintenant  mon  seul  père;  garde- 
moi  avec  toi  ;  tu  vois  que  je  suis  tout  nu  et  j'ai  toujours 
faim.  —  Oui,  mon  enfant,  je  te  garderai,  je  serai  ton 


—  n  — 

père  pour  toujours.  »  Il  me  suivit.  Il  me  charriait  le  bois 
et  le  feu,  servait  la  messe,  me  tenait  compagnie  dans  ma 
chambre  •■,  il  s'amusait  à  imiter  les  cérémonies,  pleurait 
quand  je  partais  et  ne  se  possédait  pas  de  joie  à  mon 
retour.  Quand  il  fut  grand,  ses  frères  le  demandèrent  ; 
mais  il  ne  voulut  plus  me  quitter.  Je  le  laissai  aller  à  la 
Mission  de  l'île  à  la  Grosse,  où  il  fut  bien  aimé  des  Pères 
et  des  Frères.  C'est  là  qu'en  travaillant  il  reçut  un  choc 
qui  faillit  le  tuer  et  qui  a  été  le  germe  de  la  maladie  qui 
vient  de  l'emporter. 

Revenu  au  lac  Pélican  et  marié  à  une  métisse  de  l'en- 
droit, il  en  a  eu  quatre  enfants.  Ce  cher  enfant  n'a  pas 
été  toujours  irréprochable,  mais  il  a  toujours  montré 
une  foi  vive.  Il  a  aussi  aimé  sincèrement  le  prêtre.  Deux 
fois  il  lui  a  manqué  de  respect  et,  quelques  moments 
après,  il  est  venu,  les  larmes  aux  yeux,  se  mettre  à  ge- 
noux et  demander  pardon  sans  y  être  poussé  par  per- 
sonne, mais  de  son  propre  mouvement.  Il  était,  il  y  a 
deux  ans,  sur  le  Missinipi,  quand,  un  jour,  il  revint 
d'une  chasse  fatigante  et  eut  aussitôt,  en  entrant  chez 
lui,  une  forte  hémorragie  suivie  d'une  seconde  et  même 
d'une  troisième.  Pendant  ce  temps,  on  était  venu  à  la 
hâte  me  chercher  à  40  milles  de  distance.  Cette  visite  a 
été  racontée  dans  les  annales.  Le  pauvre  enfant  n'est 
pas  mort  sur  le  coup,  comme  naturellement  cela  aurait 
dû  arriver.  Sans  vouloir  le  guérir,  la  bonté  divine  lui  a 
laissé  le  temps  de  se  préparer  au  terrible  passage  ;  il 
avait  demandé  cette  grâce.  11  ne  demandait  pas  à  vivre, 
mais  à  bien  mourir.  Je  puis  dire  qu'il  s'est  préparé,  eu 
effet,  à  la  mort  avec  tout  le  soin  dont  il  a  été  capable. 
Revenu  à  la  Mission,  il  a  été  gardé  et  soigné  à  nos  frais, 
a  pu  se  confesser  et  communier  fréquemment.  Il  ne 
manquait  jamais  ni  la  messe  ni  sa  visite  quotidienne  au 
Très  Saint  Sacrement,  fidèle  tout  le  temps  à  son  cha- 


—  i2  — 

pelet,  au  chemin  de  la  Croix  et  à  son  Angélus  au  pre- 
mier son  de  la  cloche,  devant  tout  le  monde,  chez  lui  et 
au  dehors,  seul  ou  en  compagnie. 

Ce  printemps,  quelques  jours  seulement  avant  mon 
départ  pour  le  fort  Nelson,  son  petit  garçon  aîné  vint  me 
remettre  un  papier.  C'était  le  testament  du  malade.  En 
voici  la  teneur  :  «  Mon  Père,  toi  que  j'aime,  moi,  Cyrille, 
écris  ici  mes  dernières  volontés.  Merci  de  m'avoir  élevé 
et  enseigné  la  religion  catholique.  Pardon  des  peines  que 
je  t'ai  faites.  Je  te  donne  mes  trois  petits  garçons  ;  ma 
fille  restera  avec  sa  mère.  Je  donne  à  la  Mission  tout  ce 
qui  m'appartient.  Si,  par  la  miséricorde  de  Dieu,  je  vais 
au  ciel,  j'y  prierai  pour  toi.  Mais  toi,  en  attendant,  prie 
pour  mon  âme.  Ton  enfant  qui  t'aime,  Cyrille.  » 

J'avais  le  cœur  bien  peiné,  au  moment  de  nous  sépa- 
rer, quand  je  vis  à  mes  pieds  ce  pauvre  homme  me  de- 
mandant de  le  bénir  une  dernière  fois.  Je  partis  pour  ma 
lointaine  Mission  du  fort  Nelson,  comme  je  le  raconte 
ci-dessous.  A  mon  retour,  sans  avoir  encore  reçu  aucune 
nouvelle,  je  compris  que  mon  pauvre  Cyrille  n'était  plus, 
car  je  ne  le  voyais  pas  sur  le  rivage.  Il  venait  de  mourir 
depuis  seulement  cinq  jours.  La  vue  de  ses  petits  orphe- 
lins m'arracha  des  larmes.  Le  P.  Maisonneuve  me  ra- 
conta les  détails  édifiants  de  cette  mort.  Il  me  disait  avec 
quelle  ardeur  il  avait  souhaité  mon  retour,  m'appelant  à 
grands  cris,  puis  sa  résignation  et  l'unique  occupation 
de  son  âme  et  son  ardent  désir  de  mourir.  A  son  lit  de 
mort,  il  a  exhorté  les  protestants  à  se  faire  catholiques. 
Pardonnez-moi  d'être  si  long  sur  un  pauvre  sauvage  dont 
le  souvenir  me  lait  encore  verser  des  larmes.  Il  est  étran- 
ger à  d'autres,  mais,  pour  moi,  il  est  de  la  famille,  car, 
dans  ce  pauvre  pays  où  j'ai  eu  tant  de  misères,  il  a  été 
mon  compagnon,  ma  joie  et  mon  affection. 

Des  trois  petits  garçons  qu'il  m'avait  confiés  en  mou- 


—  13  — 

rant,  le  plus  jeune  s'est  hâté  d'aller  retrouver  son  père 
au  ciel  ;  le  second,  Etienne,  âgé  seulement  de  trois  ans, 
vient  souvent  à  moi  et  me  dit  :  «  Est-il  allé  bien  loin, 
mon  papa?  Le  verrai-je  encore  ?  Est-ce  que  toi  aussi  tu 
mourras  ?  « 

Voyage  pour  aller  voir  W  Pascal.  —  Il  nous  faut  par- 
courir 350  milles  anglais  du  lac  Pélican  à  Prince-Albert  ; 
deux  traîneaux,  huit  chiens,  deux  conducteurs,  un  troi- 
sième voyageur  pour  aller  devant.  Sur  un  traîneau,  les 
vivres  des  hommes  et  des  chiens  et  le  petit  bagage  ;  sur 
l'autre,  le  missionnaire  qui  n'est  plus  ingambe.  Nous  tra- 
versons des  lacs,  des  forêts,  nous  longeons  des  rivières 
et  deux  fois  seulement  nous  campons  à  la  belle  étoile. 

D'autres  fois,  on  arrive  chez  des  sauvages  à  l'heure  du 
campement.  On  a  l'avantage  d'être  hébergé  dans  une 
maison,  à  l'abri  de  la  neige  et  du  froid.  C'est  en  pays 
protestant  et  le  prêtre  est  reçu  avec  beaucoup  de  respect 
et  traité  avec  générosité.  Nous  arrivâmes,  un  soir,  chez 
le  protestant  le  plus  influent  et  le  plus  riche  des  envi- 
rons, le  premier  pilote  des  barques  de  la  Compagnie. 
Bonne  table,  bon  lit,  poissons  pour  nos  chiens  et  toutes 
sortes  de  bonnes  manières,  rien  ne  manquait  et  tout 
gratis.  Après  le  souper,  notre  hôte  me  pria  de  dire  en 
public  notre  prière  catholique  et  d'adresser  un  sermon 
à  l'assistance.  C'est  ce  que  je  fis.  Assis  sur  une  boîte,  je 
chantai  d'abord  un  cantique,  puis  je  leur  prêchai  sur  la 
nécessité  de  connaître  et  de  pratiquer  toute  la  religion 
chrétienne.  Suivit  la  prière,  à  laquelle  répondirent  seu- 
lement mes  compagnons  de  voyage.  Après  cet  exercice, 
le  chef  de  la  maison  vint  auprès  de  moi  et,  mettant  dans 
ma  main  la  somme  de  25  francs,  il  me  dit  :  «  Merci,  Père, 
des  bonnes  paroles  que  vous  nous  avez  dites.  Demain,  je 
vous  accompagnerai  tout  le  jour.  »  Et  c'est  ce  qu'il  fit. 

Nous  campâmes  encore  ensemble  à  40  milles  plus  loin. 


et  là,  encore,  il  voulut  payer  les  poissons  qu'il  eut  la 
bonté  d'acheter  pour  nos  chiens. 

Nous  eûmes  l'occasion  de  camper  encore  trois  fois, 
plus  loin,  chez  des  sauvages  qui  nous  obligèrent  beau- 
coup par  toutes  sortes  de  prévenances  et  de  bons  ser- 
vices, nous  donnant  la  meilleure  place  à  leur  foyer  et 
nous  servant  le  souper  et  le  déjeuner. 

Le  prêtre  catholique  passe  rarement  en  ces  parages. 
Un  jour,  vers  le  soir,  nous  arrivons  dans  un  petit  village 
de  cinq  ou  six  familles.  Tout  à  coup,  un  vieillard  sort 
lentement  pour  voir  les  voyageurs  qui  passaient;  il 
reconnaît  le  prêtre  et  appelle  aussitôt  ses  enfants  et 
petits -enfants  :  «  Venez,  venez,  leur  criait-il,  venez  tous, 
mes  enfants,  réjouissez-vous  ;  voici  un  prêtre,  l'homme 
de  la  prière  française;  il  vient  nous  voir.  »  C'était  une  fa- 
mille catholique  que  je  n'avais  pas  rencontrée  depuis  dix 
ans.  Je  passai  la  soirée  et  la  nuit  à  les  voir  et  à  les  entre- 
tenir. Les  enfants  nés  depuis  dix  ans  avaient  été  baptisés 
par  le  ministre. 

Je  me  demandai  si  ces  pauvres  abandonnés  n'avaient 
point  passé  à  l'hérésie.  Dans  la  chambre  du  grand-père, 
je  vis  le  Christ  et  l'image  de  la  Sainte  Vierge  sur  la  mu- 
raille, le  chapelet  aussi  suspendu  à  un  clou.  Quand  je 
donnai  le  signal  de  la  prière,  toute  la  famille,  grands  et 
petits,  vinrent  dans  la  petite  chambre  et  je  fus  bien  con- 
tent de  les  entendre  tous  réciter  couramment  toute  la 
prière  du  catéchisme. 

Je  les  appelai  tous  en  confession,  et  les  petits  de  dix 
ans  en  arrière,  devenus  grands  garçons,  vinrent  pour  la 
première  fois  accomplir  cet  acte  religieux  comme  de 
vieux  chrétiens,  sans  honte,  avec  soin,  et  aussi  avec 
bonheur.  Je  rebaptisai  sous  condition  tous  ceux  que  le 
ministre  avait  ondoyés.  Plus  loin,  d'autres  protestants 
nous  hébergèrent  aussi  ;  les  mères  de  famille  s'empres- 


—  15  — 

sèrent  de  venir  offrir  leurs  services  pour  raccommoder 
les  souliers  des  voyageurs.  Un  ministre  m'offrit  à  dîner 
et  voulut  aussi  me  proposer  gratis  des  vivres  de  voyage 
pour  nous  et  pour  nos  chiens. 

Nous  approchions  de  Prince-Albert,  après  la  sep- 
tième journée  de  voyage.  Après  avoir  traversé  un  lac  de 
45  milles,  nous  entrions  dans  une  réserve  sauvage.  Le 
chef  vint  visiter  le  prêtre  pour  écouter  et  donner  aussi 
des  nouvelles.  Ces  pauvres  gens  paraissaient  enchantés 
d'entendre  un  prêtre  parlant  leur  langue. 

C'est  là  qu'une  vieille  femme  vint  me  dire  :  «  Je  vou- 
lais te  demander  si  tu  ne  baptiserais  pas  la  fille  de  ma 
fille.  «  Je  lui  répondis:  «  J'ai  rencontré  votre  ministre 
qui  revenait  d'ici  ;  l'enfant  n'était-il  pas  né  encore  ?  — 
Elle  a  déjà  trois  mois,  la  petite  fille,  répondit-elle;  mais 
notre  ministre  est  très  haut  placé,  il  est  presque  évêque 
(archidiacre)  et  il  ne  baptise  pas  cette  sorte  d'enfants.  » 

Je  compris  à  son  langage  que  l'enfant  était  illégitime. 
«  Ah  !  bien,  lui  diS'je,  vous  avez-là  un  drôle  de  ministre, 
assez  orgueilleux  et  assez  vil  pour  mépriser  l'âme  d'un 
pauvre  innocent.  Un  apôtre  lui-même  aurait  baptisé  cet 
enfant.  Va,  va  chercher  ta  petite-fille,  je  la  baptiserai.  » 
Le  chef  de  la  réserve  prit  aussitôt  la  parole  et  dit  :  «  Vous, 
mes  parents,  mesenfants  et  mes  amis,  je  vous  le  dis,  voici 
(en  me  désignant),  voici  unvrai  serviteur  du  Grand-Esprit. 
Notre  ministre,  à  nous,  est  un  bourgeois  qui  aime  sa 
femme  et  ses  enfants  et  qui  aime  aussi  à  gagner  de  l'ar- 
gent, comme  ces  blancs  qui,  cet  hiver,  sont  venus  tuer 
tous  les  poissons  de  nos  lacs.  »  Le  baptême  se  fit  devant 
tous  ces  pauvres  protestants  et  c'est  le  premier  enfant 
baptisé  par  un  prêtre  en  ce  pays. 

Quand  ce  fut  fini,  la  vieille  grand'mère  dit  :  «Cette  en- 
fant sera  catholique.  »  Le  lendemain,  je  continuai  mon 
voyage.  C'est  dans  le  campement  suivant  que  deux  voya- 


—  lo- 
geurs, en  de  très  mauvaises  conditions,  vinrent  nous 
surprendre.  Pendant  le  silence  de  la  nuit,  on  les  enten- 
dait approcher,  ils  parlaient  français,  cela  émeut  tout  de 
même  d'entendre  parler  la  langue  de  la  patrie  par  d'au- 
tres que  des  Missionnaires,  c'est  si  rare  dans  nos  déserts, 
et  ces  pauvres  gens  nous  prouvèrent  bientôt  la  vérité  du 
dicton  :  le  Français  rit  de  tout,  tnême  de  ses  malheurs. 
Sans  vivres,  sans  couvertures,  sans  raquettes  et  presque 
sans  souliers,  ces  deux  Français  se  sauvaient  à  Prince- 
Albert  après  avoir  tout  perdu  dans  un  incendie  à  leur  pê- 
cherie d'hiver,  où,  installés  depuis  quatre  mois,  ils  tuaient 
les  poissons  à  travers  la  glace  d'un  lac  ;  un  beau  matin, 
au  retour  de  leur  visite  aux  filets,  ils  ne  trouvèrent  que 
des  cendres  de  leur  maisonnette,  qu'ils  venaient  de 
quitter  seulement  depuis  une  heure.  Pour  ne  pas  mourir 
de  froid  et  de  faim,  le  plus  expéditif  pour  eux  était  de 
regagner  la  colonne  voisine  avec  l'espoir  de  rencontrer 
sur  le  chemin  quelque  voyageur  qui  aurait  pitié  d'eux. 

Nous  fûmes  heureux  de  leur  procurer  le  souper,  une 
couverture  et  des  souliers, 

A  notre  arrivée  à  la  petite  ville  de  Prince-Albert,  je 
m'amusai  de  l'ébahissement  de  nos  genS;  qui  n'avaient 
jamais  rien  vu  ni  soupçonné  de  pareil  ;  le  cri  perçant 
de  la  vapeur,  la  fumée  s'échappant  en  colonnes  des  lon- 
gues cheminées  des  moulins  ;  la  ville,  assise  sur  la  rive 
opposée  de  la  Saskatchewan,  avec  ses  maisons  serrées 
et  ses  magasins,  ses  petits  palais,  la  cathédrale  et  l'évê- 
ché,  il  y  avait  de  quoi  frapper  l'imagination  de  mes  sau- 
vages, qui  ne  voient  dans  le  Nord  que  les  huttes  in- 
diennes et  quelques  maisons  bien  ordinaires  dans  les 
Missions  et  les  forts  de  la  Compagnie.  Vous  dirai -je 
qu'après  le  bonheur  de  voir  notre  révérendissime  Vicaire 
et  les  Oblats  de  sa  maison,  ce  fut  aussi  un  véritable  plai- 
sir pour  moi  de  rencontrer  en  ce  pays  un  compatriote, 


_  17  — 

un  vrai  Gabalitain  de  la  Margeride;  enfin,  il  faut  abré- 
ger; il  me  souviendra  de  notre  retour.  La  longueur  du 
chemin,  l'effet  des  rayons  du  soleil  de  mars  sur  la  figure 
et  les  yeux  nous  firent  payer  cher  le  bonheur  d'avoir  vu 
notre  Évêque.  Les  deux  premiers  jours  cependant  furent 
bien  agréables,  car  M^''  Pascal  avait  eu  la  bonté  de  me 
prêter  chevaux  et  voiture  et  les  services  des  deux  bons 
FF.  GouRBY  et  BuRNOUF  pendant  90  milles  ;  mais,  à  partir 
de  là,  je  dus  arpenter  l'espace  avec  épuisement  de  forces 
pendant  trois  jours.  Heureusement  qu'au  lac  Larouge 
je  trouvai  un  métis  catholique  qui  fut  heureux  de  me 
conduire  jusqu'au  lac  Pélican,  où  nous  arrivions  le  mer- 
credi saint.  Pendant  mon  absence,  le  R.  P.  Maisonneuve 
avait  mis  toute  sa  bonne  volonté  et  son  expérience  à 
procurer  à  notre  petit  monde,  malades  ou  enfants,  le 
pain  de  chaque  jour,  c'est-à-dire  les  poissons  du  lac  ou 
les  lièvres  de  la  forêt. 

Arrivons  maintenant  à  nos  travaux  de  la  belle  saison. 

Les  sauvages  venus  aux  fêtes  de  Pâques  sont  repartis 
pour  travailler  aux  fourrures  de  la  saison,  c'est-à-dire 
aux  ours,  loutres,  castors  et  rats  musqués.  On  s'occupe, 
dans  les  résidences  des  Missions,  au  bois  de  charpente 
et  au  bois  de  chauffage  pour  l'hiver  suivant.  Viennent 
ensuite  les  semences  dans  les  petits  champs  ou  jardins 
qu'on  s'est  ingénié  à  se  faire  sur  nos  pointes  de  sable  ou 
de  rochers.  Enfin,  c'est  l'ouverture  de  la  navigation  avec 
la  débâcle  des  glaces.  Pour  nous,  missionnaires,  c'est 
l'ouverture  de  nos  missions,  voyages  et  courses  aposto- 
liques. C'est  la  seule  époque  annuelle  des  visites  à  nos 
chrétiens  éloignés.  Le  P.  Maisonneuve  s'en  va  à  Prince- 
Albert  faire  nos  achats  et,  en  compagnie  du  R.P.  Char- 
LEB0is,les  descendre  au  moins  jusqu'au  fortCumberland. 
De  mon  côté,  je  pars  en  léger  canot  d'écorce  pour  notre 
lointaine  Mission  du  fort  Nelson. 


—  18  — 

Le  fleuve  Churchill  est  très  haut  cette  année,  et,  par 
conséquent,  le  courant  plus  dangereux.  Nous  usons  de 
beaucoup  de  précautions;  deux  fois  sur  la  route  il  faut 
m'arrêter  pour  le  ministère.  Une  première  fois,  quelques 
heures  seulement,  et  la  seconde  fois,  trois  jours,  à  Paki- 
tawagan  ;  il  y  avait  là  dix-sept  familles  réunies  attendant 
le  passage  du  missionnaire.  Confesser  tout  ce  monde,  leur 
prêcher,  écouter  leurs  doléanceset  juger  leurs  différends, 
cela  prend  tout  mon  temps  ;  on  est  content  de  repartir  et 
de  pousser  plus  loin  notre  navigation  ;  encore  deux  jours 
sur  ce  beau  fleuve,  qui  roule  ses  grandes  eaux  limpides 
à  travers  une  suite  de  lacs  parsemés  d'îles  avec  des  baies 
à  perte  de  vue  et  quelquefois  des  détroits  aux  falaises  de 
rochers  blancs  et  nus  ;  le  vent  enfle  notre  voile,  nous 
chantons  des  cantiques  et  les  montagnes  semblent  courir 
derrière  nous. 

Quelquefois,  pour  abréger  la  route,  nous  évitons  les 
détours  en  coupant  les  pointes  par  des  portages. 

Au  bout  d'une  longue,  très  longue  baie,  nous  arrivons 
à  une  petite  rivière  qui  descend  de  la  hauteur  des  terres. 
A  peine  si  notre  canot  peut  passer  sous  les  saules  qui 
nous  couvrent  littéralement,  nous  obligent  à  nous  bais- 
ser continuellement  en  nous  menaçant  à  chaque  instant 
de  nous  crever  les  yeux.  Notre  canot  se  remplit  de  bran- 
ches sèches  cassées  et  de  milliers  d'insectes.  Nous  voici 
enfin  au  bout  de  l'eau,  dans  le  bassin  de  Churchill.  Nous 
sommes  à  la  hauteur  des  terres  ;  c'est  un  plateau  très 
élevé.  Nous  allons  faire  portage  de  notre  bagage  et  du 
canot,  à  travers  la  montagne  et  le  bois,  près  de  5  milles. 
Il  y  a  des  marais  et  des  petites  rivières  ù  traverser  à 
gué;  il  ne  faut  pas  être  délicat  et  il  faut  se  résigner 
aussi  à  se  laisser  piquer  au  visage,  aux  mains  et  même 
aux  mollets  par  les  moustiques.  Enfin,  nous  voici  à  la 
lisière  du  bois,  nous  tombons  sur  la  rivière  des  Bois- 


—  19  — 

Brûlés,  c'est  le  versant  de  Nelson.  Pendant  que  mes 
hommes  retournent  à  l'autre  extrémité  pour  le  reste  du 
bagage,  je  leur  fais  de  la  galette  pour  gagner  du  temps 
et  leur  permettre  de  dîner  plus  tôt.  Nous  descendons, 
deux  jours  durant,  le  courant  de  cette  rivière  entrecou- 
pée de  chutes  et  de  rapides  et  nous  arrivons  au  fort 
Nelson.  De  loin,  nous  apercevons,  sur  la  côte,  la  maison 
de  la  prière  catholique  entourée  de  huttes  sauvages  en 
écorce  et  des  tentes  en  toile.  C'est  là  que  nous  allons  ré- 
sider, cette  fois,  six  semaines. 

Bientôt  l'arrivée  du  prêtre  est  annoncée  aux  quatre 
coins  du  pays.  Les  sauvages  protestants  les  plus  voi- 
sins viennent,  les  premiers,  nous  souhaiter  la  bien- 
venue. Nos  catholiques  arrivent  à  leur  tour.  Le  commis 
de  l'honorable  Compagnie  étant  bien  ami  de  la  Mission, 
quoique  protestant,  je  m'empresse  d'aller  le  saluer,  à 
mon  retour  du  fort  ;  on  rencontre  le  ministre,  qui,  avec 
sa  femme  et  une  sauvagesse,  traverse  le  lac.  Madame  se 
montre  très  polie  et  pousse  la  bonté  jusqu'à  nous  en- 
voyer, le  même  soir,  un  bon  pain  levé. 

Bientôt  l'on  vint  m'apprendre  que  les  sauvages  pro- 
testants ou  infidèles  du  lac  Fendu  désiraient  me  voir;  ce 
poste  étant  dans  le  vicariat  de  M^'' Pascal,  je  crus  devoir 
essayer  d'aller  y  faire  une  visite.  Pendant  mes  prépa- 
ratifs, le  ministre  eut  vent  de  la  chose  et  lui,  qui  ne  quit- 
tait plus  sa  chère  moitié,  se  prend  d'une  sainte  jalousie 
et  part  pour  le  lac  Fendu.  Je  crus  que  dans  la  circons- 
tance ma  visite  ne  serait  pas  opportune,  d'ailleurs  la  pré- 
sence des  catholiques  et  de  nombreux  protestants  qui 
affluaient  à  la  Mission  devaient  m'occuper  beaucoup, 
d'autant  plus  que  nos  autres  catholiques  du  bas  Churchill 
étaient  attendus  de  jour  en  jour.  En  effet,  ils  ne  tardèrent 
pas  d'arriver;  un  soir,  toute  une  flottille  de  canots  parut 
à  rhorizon  du  lac.  Les  blanches  tentes  plantées  autour  de 


—  20  — 

la  chapelle  furent  pour  eux,  de  loin,  un  signe  de  la  pré- 
sence de  leur  missionnaire.  En  peu  de  temps  ils  appro- 
chèrent et  n'attendirent  pas  de  débarquer  pour  nous 
saluer  du  large,  ils  nous  manifestèrent  leur  joie  en  agi- 
tant leurs  chapeaux.  Quelle  joie  sur  leurs  visages!  Ils 
n'avaient  pas  vu  leur  prêtre  depuis  un  an  !  Quelle  sainte 
chose  que  la  religion!  Quels  sentiments  inspire  la  foi  pour 
que  des  sauvages,  naguère  superstitieux,  froids  et  mé- 
fiants pour  le  prêtre,  soient  maintenant  si  franchement 
joyeux  de  le  voir  et  si  ouverts  pour  lui  !  L'adulte  sauvage 
est  enfant  par  le  cœur.  A  peine  arrivés,  s'ils  ont  quel- 
que chose  de  leur  pays  qu'ils  pensent  pouvoir  être  agréa- 
ble à  leur  prêtre,  ils  ont  hâte  de  venir  le  lui  offrir;  trois 
fois  par  jour  je  sonnais  ma  clochette  et,  chaque  fois,  ma 
chapelle  se  remplissait  de  priants.  L'école  et  le  caté- 
chisme se  faisaient  au  milieu  du  jour  et  les  protestants  y 
envoyaient  leurs  enfants. 

Au  retour  de  son  voyage,  le  ministre  en  fut  informé  et 
aussijaloux.  Lui  qui  ne  voulait  jamais  instruire  un  enfant 
ou  sy  intéresser,  se  mit  à  faire  l'école.  Dans  son  dernier 
voyage,  il  avait  eu  l'audace  de  s'emparer  d'un  livre  de 
prières  catholiques.  Or,  le  premier  dimanche  après  son 
arrivée,  il  lut  à  haute  voix  dans  son  temple  le  Confiteor 
en  cris,  et  partit  de  là  pour  insulter  la  dévotion  à  la 
Sainte  Vierge.  Il  le  fit  avec  une  telle  violence  que  ses 
ouailles  en  furent  choquées.  Quand  les  auditeurs  me  le 
rapportèrent,  je  les  invitai  à  venir  écouter  la  contre-par- 
tie, et  c'est  après  cette  instruction  que  plusieurs  me  ma- 
nifestèrent leurs  désirs  de  devenir  catholiques. 

Quatre  jeunes  gens  presque  pervertis  par  le  ministre 
revinrent  de  tout  cœur  à.  la  foi,  ne  manquant  jamais  de 
venir  chaque  jour  de  plusieurs  milles  pour  se  faire  ins- 
truire et  portant  avec  eux  le  poisson  pour  dîner.  Deux 
familles  protestantes  ne  manquèrent  pas  un  seul  exercice; 


—  21   — 

n'allant  plus  au  temple  et  venant  en  particulier  me  trou- 
ver pour  se  faire  instruire. 

Un  jour,  un  pauvre  sauvage  protestant  et  marié  à  une 
catholique  pauvre  de  fortune,  mais  riche  de  foi,  arriva  au 
fort  Nelson.  Il  alla  voir  son  ministre  qui  l'avait  demandé. 
((  Tu  as  un  enfant  à  faire  baptiser,  lui  fut-il  demandé. 
Voilà,  lui  dit  le  ministre,  3  verges  de  toile,  de  quoi  te  faire 
faire  une  bonne  paire  de  pantalons,  car  tu  es  nu.  — 
Merci  »,  dit  le  sauvage  en  prenant  le  présent,  a  Mainte- 
nant, dit  le  ministre,  tu  vas  me  donner  ton  enfant  pour 
le  baptême.  —  Ceci  c'est  autre  chose,  dit  le  sauvage,  ma 
femme  est  catholique  et  mon  enfant  doit  suivre  sa  mère, 
cela  a  été  ainsi  réglé  quand  je  l'ai  prise.  —  Alors,  je 
vais  reprendre  ma  toile,  dit  le  ministre.  —  La  voilà,  »  dit 
le  sauvage.  Le  révérend  eut  honte  cependant  et  la  lui 
rendit. 

Une  belle  cloche  de  150  livres  nous  arriva  par  les 
barques  de  la  Compagnie.  Ce  fut  un  événement  dans  le 
pays.  Jamais  pareil  instrument  religieux  n'avait  été  vu. 
Sur  le  contour  de  la  cloche  une  croix  d'abord  ;  puis,  au- 
dessous,  les  paroles  :  pinguescent  speciosa  desertî,  et  plus 
bas,  Leontina  Albertina,  avec  enfin  l'invitation  venite  ado- 
remus.  Sans  faire  encore  de  solennité  pour  le  baptême, 
j'expliquai  aux  sauvages  le  sens  allégorique  de  ces  paroles 
écrites,  puis  je  tintai  au  grand  étonnementdes  assistants. 
Imaginez-vous  leurs  impressions,  presque  leur  frayeur, 
quand  je  sonnai  à  toute  volée. 

Après  six  semaines  de  ministère  et  de  travaux  manuels 
au  milieu  de  cette  population,  je  me  préparai  au  retour. 
La  veille  de  mon  départ,  des  protestants  vinrent  me  dire 
combien  ils  regrettaient  notre  départ.  «  Nous  sommes 
plusieurs,  me  dirent-ils,  qui  désirerions  être  catholiques, 
mais  votre  trop  longue  absence  nous  fait  craindre  les 
reproches  de  nos  coreligionnaires  et  surtout  du  ministre. 


—  22  — 

Quand  j'allai  au  fort  de  la  Compagnie  une  dernière  fois, 
tous  ces  pauvres  protestants  vinrent  me  serrer  la  main 
sur  le  rivage,  ra'amenant  leurs  enfants  et  me  disant  : 
«  Viens  donc  vite  au  printemps  et  reste  ici  pour  toujours.» 

Sur  mon  chemin  de  retour,  je  vis  les  autres  catholiques 
qui  n'avaient  pu  se  rendre  au  fort  Nelson. 

Je  les  trouvai  tous  réunis  sur  une  île  d'un  lac  et  en  ce 
moment  riches  des  dépouilles  de  quatre  élans.  Mes  gens 
firent  là  bonne  chère  pendant  que  je  fus  occupé  aux  con- 
fessions. 

Deux  jours  après  nous  étions  encore  de  passage  à  Paki- 
tawagan  ;  toute  la  population  du  fleuve  Churchill  était 
réunie  là  ne  voulant  pas  me  laisser  partir  sans  s'être 
munie  une  dernière  fois  des  sacrements,  attendu  que  le 
prêtre  ne  devait  plus  revenir  avant  Noël  prochain.  Je  leur 
consacrai  quatre  jours. 

Une  pauvre  famille  isolée,  et  dont  plusieurs  membres 
étaient  malades,  m'attendait  un  peu  plus  loin.  Je  dé- 
barquai là  pour  les  voir,  les  confesser  sous  un  arbre  et 
baptiser  un  nouveau-né.  Enfin,  à  la  faveur  des  portages 
qui  nous  permirent  d'éviter  les  rapides  et  les  mauvais 
courants  du  fleuve,  nous  arrivâmes  sains  et  saufs  sur 
notre  haut  plateau  du  lac  Pélican. 

Le  R.  P.  iMaisonneuve,  revenu  depuis  longtemps  de 
Prince-Albert,  ne  ménageait  point  ses  forces  pour  amé- 
liorer le  temporel  de  la  Mission.  Après  quelques  jours 
passés  ensemble,  je  me  remis  en  voyage  pour  aller  voir 
notre  évêque. 

Je  n'ai  pas  eu  ce  bonheur,  il  a  fallu  m'arrêter  en  route. 
J'ai  attendu  au  fort  Cumberland  le  retour  du  R.  P.  Char- 
LEBOis,  et  j'ai  eu  la  joie  d'y  voir  arriver  le  jeune  P.  Simo- 
nin, Xavier. 

A  l'heure  où  j'écris  ces  lignes,  en  novembre,  ce  bon 
Père  a  déjà  beaucoup  profité  dans  la  langue  crise,  qu'il 


—  23  — 

étudie  avec  ardeur  sans  se  laisser  décourager  par  les  dif- 
ficultés. 

Voudriez-vous,  mon  Révérend  Père,  recommander 
encore  une  fois  à  nos  Pères  de  Montmartre  la  conver- 
sion des  protestants  du  fort  Nelson? 

Agréez  les  meilleurs  sentiments  et  la  respectueuse  affec- 
tion de  votre  humble  Frère  en  N.-S.  et  M.  I. 

E.  BONNALD,  0.  M.  I. 


MAISONS   D'EUROPE 


SCOLASTICAT  DE  LIEGE. 

LETTRE  DU  R.  P.  THÉVENON,  PROFESSEUR,  AU  T.  R.  P.  SUPÉRIEUR 

GÉNÉRAL. 

Mon  très  révérend  Père, 

Il  est  rare  de  lire  dans  nos  annales  quelque  rapport 
étendu  sur  les  scolasticats  de  notre  Congrégation;  moins 
fortunés  que  nos  communautés  de  missionnaires,  ils 
n'ont  point  de  rayonnement  extérieur.  Leur  existence 
se  meut  dans  un  cercle  toujours  identique  d'exercices 
de  piété,  d'études,  de  classes,  etc.,  dont  la  monotone 
trame  est  d'un  médiocre  intérêt  pour  ceux  qui  n'en  font 
point  partie.  D'ailleurs,  un  très  grand  nombre  de  Pères 
de  la  Congrégation  ont  vécu  de  cette  vie  de  scolasticat, 
ils  en  connaissent  le  gros  et  le  détail,  et,  comme  chez 
nous,  le  système  de  la  tradition  n'a  pas  encore  perdu  ses 
justes  droits  et  que  l'on  conserve  religieusement  toutes 
les  pratiques  d'un  passé  glorieux,  ils  peuvent  toujours  se 
dire  :  rien  de  nouveau  sous  le  soleil  du  scolasticat;  ce 
que  nous  avons  fait  il  y  a  vingt,  trente  ou  quarante  ans, 
nos  successeurs  le  font  encore  et  le  feront  toujours. 
Et  ils  ont  raison. 

Toutefois,  il  n'est  pas  impossible  qu'après  plusieurs 
années,  cette  monotonie  de  la  vie  d'étude  soit  entre- 
coupée d'événements  inattendus  ;  il  n'est  pas  impossible 
que  des  faits  viennent  à  se  produire  dont  la  connais- 
sance intéresserait  à  bon  droit  les  membres  de  notre 


—  23  - 

chère  famille,  ceux  d'entre  eux  surtout  qui  ont  passé  au 
milieu  de  nous  et  n'ont  point  oublié  le  berceau  de  leur 
vie  religieuse. 

C'est  ce  désir  qui  sera  mon  excuse  auprès  de  vous, 
mon  très  révérend  Père,  si  j'ose  aujourd'hui  vous  entre- 
tenir du  scolasticat  de  Liège.  Je  n'ai  point  la  prétention 
d'en  tracer  l'histoire,  ni  même  la  chronique  ;  cette  his- 
toire et  cette  chronique  trouveront  sans  doute,  un  jour, 
une  plume  plus  exercée  ;  au  reste,  nous  sommes  encore 
trop  jeunes  pour  avoir  une  histoire  et  trop  heureux  peut- 
être  pour  en  avoir  jamais.  Mon  but  est  plus  modeste.  En 
revenant  sur  les  années  écoulées  depuis  la  fondation  du 
scolasticat,  je  me  propose  de  glaner  quelques  faits,  quel- 
ques impressions,  quelques  détails  dont  la  connaissance 
ne  laissera  pas  indifférents  les  membres  de  la  Congréga- 
tion. Je  ne  sais  si  je  m'abuse;  n'importe.  J'aurai  essayé 
de  satisfaire  les  désirs  de  ceux  qui  ont  le  droit  de  me 
commander. 

Le  scolasticat  de  Liège  fut  inauguré  le  17  octobre  1891; 
ce  n'était  ni  une  constitution  totale  du  personnel,  ni  une 
fondation  nouvelle  sous  tous  les  rapports;  c'était  une 
migration,  un  changement  de  domicile,  un  vulgaire, 
mais  coûteux  déménagement.  Expulsé  par  des  décrets 
iniques  de  la  maison  du  Sacré-Cœur  d'Autun  en  1880,1e 
scolasticat  avait  d'abord  demandé  aux  Oblats  d'Irlande 
une  hospitalité  qui  lui  fut  accordée  fraternelle,  géné- 
reuse, inoubliable  :  c'était  une  première  étape.  Établi  à 
Inchicore,  puis  dans  la  magnifique  propriété  de  Belcamp 
Hall,  il  reçut,  en  1888,  l'ordre  de  plier  ses  tentes,  de 
traverser  la  mer  et  de  s'arrêter  dans  le  Limbourg  hol- 
landais, à  Bleyerheide,  à  deux  pas  de  la  frontière  alle- 
mande. Les  Rli.  PP.  Franciscains  y  avaient  laissé  un 
couvent  désert  et  inhabité;  nous  en  prîmes  possession, 
désireux  d'y  passer  en  repos  au  moins  quelques  lustres. 


—  26  — 

Ce  n'était  encore  qu'une  étape;  il  était  écrit  que  le  sco- 
lastical  n'avait  pas,  dans  ce  pays  hospitalier,  une  de- 
meure permanente.  Peu  de  temps  après  notre  installa- 
tion, les  bons  Pères  Franciscains  nous  avertissaient  que 
l'immeuble  prêté  à  notre  Congrégation  devait  revenir  à 
ses  anciens  maîtres.  Force  nous  fut  de  songer  au  départ 
et  de  nous  mettre  en  quête  d'un  nouveau  gîte.  La  Pro- 
vidence avait  décidé  que  la  catholique  Belgique  verrait 
enfin  se  fixer  sur  son  territoire  une  colonie  de  mission- 
naires Oblats.  Un  immeuble  fut  trouvé  aux  portes  de 
Liège,  immédiatement  acheté,  et  grâce  aux  intelligents 
travaux  du  R.  P.  Martinet  et  du  R.  P.  Favier,  alors 
Supérieur  du  noviciat  de  Saint-Gerlach,  promptement 
aménagé  pour  recevoir  une  communauté  nombreuse. 

Nous  avions  séjourné  en  Hollande  durant  trois  années, 
de  septembre  1888  à  octobre  1891.  Je  n'ai  rien  àajouter 
au  rapport  si  complet  et  si  intéressant  dû  à  la  plume 
d'un  habile  chroniqueur,  inséré  dans  nos  annales  en  1891  ; 
mais  je  ne  crois  pas  forcer  la  note  en  affirmant  que  la 
maison  de  Saint-François  n'avait  pas  gagné  nos  ardentes 
sympathies,  et  que  notre  départ  ne  nous  laissa  pas  d'in- 
consolables regrets  ;  je  me  trompe,  une  tristesse  était  au 
fond  de  notre  cœur  :  nous  ne  pouvions  emporter  avec 
nous  la  dépouille  mortelle  des  cinq  Oblats  scolastiques 
que  Dieu  avait  appelés  à  Lui  durant  ce  court  séjour  de 
trois  ans,  et  qui  reposent  là-bas  dans  le  silence  et  l'oubli. 

C'est  donc  le  17  octobre  1891,  fête  de  la  bienheureuse 
Marguerite-Marie,  que  nous  arrivions  à  Liège;  notre 
cœur  était  à  la  joie,  nous  étions  heureux  de  nous  trou- 
ver au  milieu  d'une  population  qui  partageait  et  notre 
langue  et  nos  mœurs  ;  il  nous  tardait  de  vérifier  toutes 
les  merveilles  que  la  renommée  avait  racontées  de  notre 
nouvelle  demeure.  Je  me  hâte  de  dire  que^  cette  fois, 
la  renommée  n'avait  pag  été  menteuse  :  notre  première 


—  27  — 

impression  fut  favorable.  Quel  contraste  entre  notre 
humble  capucinière  de  Saint-François  et  ce  luxueux 
casino  !  Ici,  du  moins,  nous  aurions  de  l'air,  de  la  lu- 
mière, de  l'espace  ;  nous  ne  serions  plus  emprisonnés 
dans  des  chambres  basses,  étroites,  incommodes...  que 
sais-je  encore  ? 

N'était-ce  point  là  peut-êlreTenthcusiasme  du  premier 
moment,  Tattraitdu  nouveau,  toujours  si  plein  de  char- 
mes pour  des  scolastiques?  Jugez  vous-même,  mon  très 
révérend  Père  : 

A  peine  descendus  à  Liège,  nous  nous  trouvions  en 
face  d'un  casino  grandiose,  étonné  sans  doute  et  attristé 
de  recevoir  une  jeunesse  si  cléricale  qui  s'empresserait 
de  troubler  sa  longue  solitude  et  de  réveiller  des  échos 
trop  longtemps  endormis.  Façade  imposante  de  40  mè- 
tres de  long  sur  20  mètres  de  large,  construite  suivant 
toutes  les  règles  de  l'architecture  classique  ;  perron  mo- 
numental, majestueusement  gardé  par  deux  superbes 
lions  dont  l'attitude  rappelle  les  lions  pleurants  du  Vati- 
can; au  premier  étage,  balcon  magnifique  divisé  par 
quatre  gigantesques  colonnes  d'ordre  corinthien;  neuf 
fenêtres  aux  baies  hautes  et  larges,  couronnées  de  gra- 
cieux ornements  ;  un  entablement  de  style  entourant 
cette  masse  monumentale  et  ombrageant  les  bustes  des 
plus  célèbres  musiciens  de  l'Europe  ;  le  tout  présentant 
un  édifice  majestueux,  largement  assis  et  adossé  à  la 
base  d'une  colline  verdoyante.  Voilà,  dans  son  apparence 
extérieure,  comment  nous  apparut  cette  nouvelle  maison 
que  des  mains  fraternelles,  et  respectueuses  de  l'art, 
avaient  préparée  aux  scolastiques  de  Saint-François. 

Que  vous  dirai-je  de  l'aménagement  intérieur  de  ce 
palais  grandiose?  Tout  devait  exciter  notre  enthousiaste 
admiration.  Le  rez-de-chaussée  nous  offre^  dans  sa  partie 
antérieure,  trois  grandes  salles,  construites  sur  un  plan 


-  28  — 

identique,  coupées  par  quatre  colonnes  d'ordre  toscan; 
au  milieu,  la  salle  des  pas  perdus,  aux  lambris  et  pen- 
dentifs semés  d'or  et  de  fleurs,  qui  abrite  dans  ses  angles 
quatre  parloirs  d'une  élévation  peu  commune;  à  droite, 
une  salle  plus  simple,  transformée  en  chapelle  de  com- 
munauté par  la  construction  d'un  demi-cercle  en  ma- 
çonnerie formant  abside  ;  à  gauche,  salle  identique  dans 
ses  dimensions  et  ses  ornements,  dont  la  destination  sera 
ultérieurement  fixée.  En  face  de  ces  trois  salles  s'ouvre 
le  réfectoire,  d'une  construction  plus  simple  et  plus 
récente;  il  occupe  la  place  de  l'ancien  escalier  d'hon- 
neur, auquel  donnait  accès  un  large  corridor,  naguère 
encore  traversé  par  les  plus  somptueux  équipages. 

Cet  escalier  d'honneur  a  été  détruit  et  remplacé  par 
deux  escaliers  plus  modestes,  moins  bien  éclairés,  d'un 
accès  moins  facile.  A  notre  arrivée,  ces  escaliers  n'étaient 
pas  achevés  ;  mais,  pour  les  scolastiques,  ce  n'est  point 
là  un  obstacle  insurmontable.  Ils  parvinrent  bientôt  aux 
étages  supérieurs  et  se  hâtèrent  de  constater,  avant  la 
fin  du  jour,  toutes  les  merveilles  de  cette  agréable  habi- 
tation. C'est  au  premier  étage  surtout  que  s'étalait  la 
splendeur  de  l'ancien  casino,  et  l'on  peut  encore  s'en 
rendre  compte,  malgré  les  modifications  que  les  exigences 
d'une  communauté  ont  contraint  d'y  apporter.  Une  salle 
immense  (40  mètres  de  long,  12  mètres  de  large,  9  mè- 
tres de  haut)  occupait  entièrement  cet  étage  :  c'était  la 
salle  des  spectacles,  des  danses,  des  réunions  mondaines 
du  high  Life,  voire  même  à  l'occasion  des  agapes  ecclé- 
siastiques, et  vraiment  elle  avait  été  somptueusement 
aménagée  pour  répondre  à  sa  première  et  profane  desti- 
nation. La  ville  de  Liège  n'en  possédait  ni  de  plus  vaste 
ni  de  plus  riche,  ni  de  plus  commode;  il  y  a  peu  de 
Liégeois  qui  ne  l'aient  visitée,  en  curieux  peut-être, 
mais  aussi  en  partisans  des  fêtes  mondaines  :  Sa  Majesté 


~  29  — 

le  roi  des  Belges  avait  daigné  l'Iionorer  de  son  auguste 
présence  et  lui  laisser  l'éclat  d'une  réception  royale. 
Et  elle  était  digne  en  tout,  cette  salle,  de  ces  hôtes  dis- 
tingués, même  royaux:  ses  vastes  proportions,  ses  larges 
et  belles  fenêtres  qui  laissent  entrer  à  flots  l'air  et  le  so- 
leil ;  sa  voûte  ornée  de  lambris  dorés,  de  rosaces,  de  rin- 
ceaux et  d'arabesques  ;  son  dôme  gracieusement  décoré 
de  seize  cartouches,  oii  sont  représentées  allégorique- 
ment  les  quatre  saisons  de  l'année,  et  couronné  d'une 
lanterne  ajourée  à  15  mètres  de  hauteur;  ses  pilastres  à 
bases  et  chapiteaux  corinthiens,  où  l'or  est  répandu  à 
profusion;  ses  peintures  de  valeur,  dues  au  pinceau  ha- 
bile d'un  peintre  liégeois  (M.  Carpet),  et  offrant,  en  des 
sujets  symboliques  et  mythologiques,  ce  qui  peut  char- 
mer le  cœur  et  les  yeux  des  Liégeois;  tout,  en  un  mot, 
avait  transformé  cette  salle  en  une  merveille  d'architec- 
ture et  de  décoration  artistique. 

Mais  que  pouvaient  faire,  d'une  telle  salle,  de  pauvres 
religieux,  peu  experts  dans  l'art  chorégraphique  et  obli- 
gés de  renoncer  aux  pompes  de  Satan  et  à  toutes  fêtes 
mondaines  et  profanes  ?  La  conserver  intacte,  on  n'y 
pouvait  songer;  avant  tout,  il  fallait  trouver  de  la  place 
et  des  salles  appropriées  aux  différents  besoins  d'une 
maison  d'études.  Mais  comment  la  transformer,  sans  lui 
ôter  à  la  fois  et  son  cachet  de  grandeur  et  la  richesse  de 
son  style  et  de  sa  décoration?  On  a  beau  être  religieux, 
on  n'est  pas  pour  cela  nécessairement  vandale,  et  l'on  ne 
se  résigne  pas  de  gaieté  de  cœur  à  la  destruction  d'une 
œuvre  d'art.  Heureusement,  le  casino  du  Beau-Mur  était 
en  de  bonnes  mains  ;  un  homme  de  goût,  un  ami  du  beau, 
un  artiste  présidait  à  notre  installation.  Le  R.  P.  Mar- 
tinet n'eût  jamais  consenti  à  faire  son  deuil  de  cette 
salle  si  belle  et  si  grandiose  ;  son  habile  talent  sut  trou- 
ver un  moyen  conciliant  à  la  fois  et  les  exigences  de 


-  30  — 

l'art  et  celles  de  la  vie  religieuse.  Faisant  conslrnire  deux 
hautes  cloisons  percées  de  trois  portes,  il  divisa  en  trois 
parties  dans  toute  sa  largeur  l'ancienne  salle  des  fêtes, 
conservant  religieusement  la  pureté  du  style  et  respec- 
tant toutes  les  règles  du  beau  ;  des  juges  compétents 
trouvent  qu'il  a  parfaitement  réussi.  L'argent,  sans 
doute,  n'a  pu  être  parcimonieusement  ménagé  ;  mais, 
enfin,  à  la  grande  satisfaction  des  amants  des  Muses, 
nous  avons  trois  grandes  salles,  splendidement  éclairées, 
largement  aérées,  dignes  en  tout  de  la  fameuse  salle  du 
Casino.  La  salle  du  milieu  est  devenue  notre  salle  des 
exercices  ;  les  autres  servent  successivement  de  salle 
d'étude  ou  de  classe  et  peuvent  abriter  aisément  plus  de 
cent  scolastiques. 

Au-dessus  du  premier  étage,  tout  est  de  construction 
récente  ;  trois  étages,  élevés,  larges,  bien  proportionnés, 
surmontent  l'ancien  casino  ;  là  sont  établis  les  dortoirs, 
Ips  chambres  des  professeurs,  les  vestiaires,  la  lingerie, 
l'infirmerie,  etc.;  tout  y  est  simple,  tout  respire  la 
modestie,  la  pauvreté  religieuse  ;  rien  ne  manque  ce- 
pendant de  ce  que  peut  réclamer  une  complète  instal- 
lation :  l'eau,  élevée  par  l'action  d'un  moteur  à  gaz  à 
30  mètres  de  hauteur  et  reçue  dans  deux  réservoirs  d'une 
capacité  de  10000  litres,  est  ensuite  distribuée  à  tous  les 
étages  de  la  maison,  suivant  les  exigences  de  la  propreté 
et  de  l'hygiène  ;  enfin,  de  nombreux  éléments  de  chauf- 
fage à  vapeur  d'eau,  répandus  çà  et  là  dans  les  salies  du 
rez-de-chaussée  et  du  premier  étage,  nous  permettront 
d'affronter  sans  crainte  les  rigueurs  des  hivers  septen- 
trionaux. 

Dès  cette  première  journée  à  Liège,  dès  cette  première 
visite  au  casino,  tout  fut  scruté,  fouillé,  découvert;  rien 
n'échappa  à  notre  curiosité  si  légitime,  rien  ne  trompa 
une  admiration  bien  justifiée.  Bientôt  la  cloche  nous 


—  31  ~ 

appela  au  réfectoire  pour  noire  premier  repas  ;  inutile 
de  vous  dire,  mon  très  révérend  Père,  si  les  langues 
furent  déliées,  inutile  de  vous  dire  quel  fut  l'objet  de 
nos  interminables  causeries  ;  vous  devinez  assez  que  cha- 
cun dut  parler  à  qui  mieux  mieux  du  Casino  de  Liège 
devenu  l'asile  définitif  du  scolasticat  d'Autun.  On  avait 
déjà  oublié  la  maison  de  Saint-François,  ou  son  souvenir 
rendait  plus  vive,  plus  profonde,  l'impression  causée  par 
cette  maison  de  Liège  :  tous  les  cœurs  étaient  à  la  joie, 
tous  les  esprits  à  l'admiration.  Sans  doute,  on  n'ose  pas 
trouver  tout  absolument  parfait  ;  il  était  aisé  déjuger  que 
la  partie  du  bâtiment  élevée  sur  l'ancien  casino  ne  répon- 
dait, ni  par  son  élégance  ni  par  sa  légèreté,  aux  lignes 
harmonieuses  de  la  façade,  que  l'abside  de  notre  chapelle 
ne  rehaussait  guère  la  belle  simplicité  de  la  salle  trans- 
formée, que  les  salles  de  classe  exigeraient  du  professeur 
une  dépense  de  voix  et  de  forces  extraordinaires,  que  les 
dortoirs  et  les  chambres  du  quatrième  étage,  perchés  t\ 
25  mètres  de  hauteur,  ne  seraient  pas  d'un  accès  fort 
commode  à  ceux  dont  l'âge  ou  les  infirmités  alourdis- 
sent le  corpb  ;  mais,  enfin,  on  n'avait  pu  faire  mieux  ;  la 
nécessité  excusait  des  imperfections  de  détail.  Du  reste, 
on  était  chez  soi  et  l'on  s'y  trouvait  bien  ;  je  me  trompe^ 
la  propriété  du  casino  nous  était  disputée,  la  justice 
était  saisie  du  litige.  Mais  quand  donc  un  doute  platoni- 
que sur  la  possession  ou  la  propriété  d'un  immeuble  a-t-il 
empêché  les  scolastiques  de  dormir  ?  Notre  sommeil 
n'en  fut  point  troublé  et  l'ange  de  notre  nouvelle  com- 
munauté n'eut  pas  de  peine  à  rassurer  notre  conscience. 
Le  lendemain,  18  octobre,  heureux  comme  des  oiseaux 
échappés  de  la  cage,  nous  prenions  la  clef  des  champs  et 
parcourions  en  tous  sens  la  propriété  de  5  hectares  qui 
entoure  ou  plutôt  surplombe  notre  casino.  C'est  un  jar- 
din anglais,  planté  sur  le  flanc  d'une  colline  de  40  mètres 


~  32  — 

d'altilude  ;  deux  ponls-levis  y  dounenL  accès  du  premier 
étage  de  la  maison  ;  deux  larges  chemins,  en  pente  douce, 
permettent  de  monter,  même  en  voiture,  aux  trois  ter- 
rasses ombragées  qui  le  divisent  dans  sa  hauteur,  et  con- 
duisent lentement  à  une  magnifique  esplanade  encadrée 
de  marronniers,  couronne  de  verdure  digne  de  ce  jardin 
de  plaisance.  Des  arbres  d'essence  variée,  des  bosquets 
plantés  çà  et  là  en  épais  fourrés,  coupent  agréablement 
la  teinte  monotone  d'un  gazon  d'ailleurs  assez  maigre 
et  promettent  à  la  jeunesse  studieuse  le  repos  et  la  fraî- 
cheur de  l'ombre  : 

Tityre,  tu  patulœ  recubaus  sub  tegmine  fagi. 

L'exposition  de  ce  parc  est  très  salubre  ;  faisant  face 
au  sud-ouest,  il  présente  à  la  fois  ses  pentes  verdoyantes 
aux  brises  rafraîchissantes  et  aux  rayons  bienfaisants  du 
soleil.  Le  sol,  sans  doute,  couvrant  à  fleur  de  terre  un 
roc  de  schiste  aride,  ne  se  prête  pas  à  la  culture  ;  mais 
aussi,  hormis  peut-être  notre  bon  F.  Guinet,  l'illustre  jar- 
dinier, qui  donc  pourrait  s'en  plaindre  ?  S'imagine-t-on 
un  vulgaire  potager,  chassant  les  oiseaux  du  bocage  et 
détruisant  les  charmes  d'un  parc  agréablement  destiné 
aux  ébats  et  au  repos  d'une  gent  studieuse  et,  qui  sait, 
aux  rêveries  silencieuses  d'une  jeunesse  poétique  ? 

Çà  et  là,  nous  rencontrons  de  nombreux  piédestaux, 
signe  irrécusable  du  peuple  de  statues  qui  animaient  ces 
promenades  ;  comme  bien  on  peut  penser,  autour  d'un 
casino  livré  aux  fêtes  bruyantes  d'un  monde  peu  prude, 
on  n'eût  point  fait  descendre  les  habitants  de  l'Elysée 
catholique  ;  ils  n'auraient  pu,  sans  rougir,  ouvrir  les 
yeux  et  les  oreilles  aux  spectacles  et  aux  chants  de  la 
salle  des  fêtes.  L'Olympe  païen  de  l'antique  mythologie, 
naturellement  moins  scrupuleux,  dut,  au  contraire,  s'y 
trouver  à  l'aise.  On  comprendra  sans  peine  que  des  yeux 


—  33  — 

de  timides  scolastiques  ne  pouvaient  contempler  décem- 
ment ces  modèles  da  vice  et  de  la  débauche  ;  ces  statues 
étaient  peut-être  des  chefs-d'œuvre,  mais  des  chefs- 
d'œuvre  malsains  ;  on  les  a  balayées  et  conduites  aux 
gémonies,  je  veux  dire  au  fond  d'une  cave  creusée  dans 
le  roc,  où  le  froid  et  l'humidité  auraient  bientôt  fait  de 
les  rappeler  à  la  modestie,  si  ces  dieux  n'étaient  de  pierre. 
Tout  vestige  de  cette  population  mythologique  n'a  ce- 
pendant pas  disparu,  une  des  Muses  antiques  a  trouvé 
grâce  devant  la  juste  indignation  du  R.  P.  Favier;  d'au- 
cuns même  disent  qu'il  l'a  laissée  sous  les  yeux  des  sco- 
lastiques pour  leur  donner  le  salutaire  exemple  de  la 
Philosophie  ou  de  la  Théologie  en  extase.  Nous  avons 
l'espoir  qu'avant  peu  d'années  les  saints  du  ciel  daigne- 
ront prendre  la  place  des  dieux  détrônés  et  nous  réjouir 
de  leur  angélique  présence. 

Oserai-je  maintenant,  mon  très  révérend  Père,  vous  dé- 
crire le  splendide  panorama  qui  se  déroule  sous  nos  yeux 
enchantés  ?  Liège,  la  vieille  cité  historique  de  saint  Lam- 
bert; Liège,  le  boulevard  moderne  du  libéralisme  belge, 
est  là,  devant  nous,  tout  entière,  avec  ses  160000  habi- 
tants, assise  dans  la  vallée  de  la  Meuse,  sur  les  rives  du 
grand  fleuve  qui  l'embellit  et  la  fertilise  ;  nous  l'embras- 
sons d'un  seul  regard.  Ses  églises  romanes  et  ses  temples 
gothiques,  restes  merveilleux  d'une  architecture  natio- 
nale, témoins  vivants  d'un  passé  disparu  ;  ses  nombreux 
établissements  d'éducation  et  ses  théâtres  modernes  ;  ses 
vastes  usines  et  ses  hautes  cheminées,  triomphe  de  son 
industrie  et  du  progrès  matériel  de  son  commerce  ;  ses 
boulevards  largement  ouverts  et  bordés  de  somptueuses 
habitations  et  ses  ruelles  tortueuses,  débris  d'un  âge 
écoulé  ;  les  méandres  sinueux  de  son  fleuve  national 
fuyant  vers  la  Hollande  ;  les  collines  élevées  qui  l'enser- 
rent, couronnées  de  bois  et  d'églises,  s'entr'ouvrant  vers 

T.   XXXV.  3 


-    34  — 

le  sud  pour  découvrir  les  riantes  vallées  qu'arrosent  la 
Meuse,  l'Ourlhe  et  la  Wesdre,  voilà  le  pittoresque  pa- 
norama que  nous  admirons  du  sommet  de  notre  parc, 
assez  rapprochés  de  la  ville  pour  jouir  de  toutes  ces 
beautés,  assez  éloignés  pour  n'être  point  troublés  par 
les  bruits  qui  expirent  à  nos  pieds. 

Vraiment,  mon  très  révérend  Père,  ne  trouvez-vous 
pas  que  vos  enfants  ont  été  favorisés  du  ciel?  Ne  trouvez- 
vous  pas  que  la  Providence  s'est  plu  à  leur  choisir  et  à 
leur  préparer  le  séjour  si  agréable,  où  doivent  s'écouler 
les  six  années  d'étude  et  de  recueillement  de  leur  sco- 
lasticat  ? 

Cette  série  d'études,  de  classes,  de  récréations,  de  pro- 
menades, d'exercices  de  piété,  fut  reprise  dès  le  lende- 
main de  notre  installation  à  Liège  et  s'est  déroulée  sans 
interruption  durant  six  années.  Peu  d'événements,  dignes 
du  relief  historique,  ont  marqué  notre  vie;  je  me  con- 
tenterai de  signaler  ici  les  faits  heureux  qui  ont  laissé 
dans  notre  souvenir  une  trace  moins  effacée  :  visites, 
fêtes  intimes,  solennités  publiques,  que  l'affection  filiale 
et  la  reconnaissance  nous  défendent  de  condamner  à  un 
éternel  oubli. 

Notre  installation  à  Liège,  mon  très  révérend  Père, 
ne  passa  pas  inaperçue  ;  ce  fut  un  véritable  événement. 
Quelle  audace  aussi  était  la  nôtre  !  Oser  nous  rendre 
acquéreurs  de  l'ancien  casino  du  Beau-Mur  ;  transformer 
en  un  cénacle  de  paix,  de  travail,  de  recueillement,  des 
salles  et  des  bosquets  naguère  encore  égayés  par  de  trou- 
blantes harmonies,  habitués  aux  bruits  enivrants  des  fêtes 
mondaines  ;  était-ce  bien  conforme  à  des  mœurs  ecclé- 
siastiques et  religieuses  ?  Nous  eûmes  l'honneur  d'être, 
durant  quelques  jours,  au  sein  de  cette  grande  cité,  l'objet 
de  conversations  plus  ou  moins  favorables,  voire  même 
le  point  de  mire  ù  l'attaque  des  journalistes  libéraux,  peu 


—  35  — 

satisfaits  de  cette  prise  de  possession.  La  ville  de  Liège, 
disaient-ils,  était  assez  riche  en  églises,  monastères,  cou- 
vents d'hommes  et  de  femmes,  rien  n'exigeait  cette  nou- 
velle fondation  ;  mieux  eût  valu  rendre  à  son  ancienne 
destination  le  casino  liégeois,  que  de  le  prostituer  ainsi 
et  de  le  livrer  aux  mains  de  religieux  fabricants  de  mis- 
sionnaires, étrangers  à  la  nationalité  belge.  C'était  l'opi- 
nion de  ces  messieurs  ;  nous  n'en  fûmes  point  émus. 
D'ailleurs,  la  majorité  des  Liégeois  nous  accueillit  avec 
bienveillance,  et  l'organe  si  méritant  du  parti  catholique, 
la  Gazette  de  Liège,  au  nom  du  peuple  liégeois,  nous  en- 
voya un  salut  affectueux  et  sut  venger  notre  œuvre  et 
notre  communauté  des  ignorantes  élucubrations  d'ad- 
versaires déloyaux  et  chagrins. 

Je  n'oserais  pas  affirmer  cependant  qu'à  ces  manifes- 
tations de  sympathie  ne  se  mêlât  un  sentiment  de  curio- 
sité, bien  légitime,  à  vrai  dire,  de  la  part  de  cette  popu- 
lation. Qu'étaient,  en  effet,  ces  nouveaux  venus?  Que 
venaient-ils  faire  à  Liège?  Quel  était  le  but  de  cette  fon- 
dation ?  Devions-nous  secourir  le  clergé  paroissial,  ouvrir 
un  collège,  donner  des  missions,  à  l'instar  des  ordres 
religieux  déjà  installés  dans  la  ville,  etc.?  Avouez,  mon 
très  révérend  Père,  que  ces  questions  étaient  bien  natu- 
relles sur  les  lèvres  d'un  peuple  plus  d'une  fois  comparé 
au  peuple  si  curieux  et  si  empressé  d'Athènes.  Avant  ce 
jour,  en  effet,  les  Oblats  étaient  à  peu  près  inconnus  ; 
notre  Congrégation  était  ignorée  non  seulement  à  Liège, 
mais  dans  toute  la  Belgique.  Je  sais  que  le  R.  P.  Michaux 
avait  séjourné  à  Liège  en  1870,  offrant  les  secours  de  son 
ministère  à  nos  soldats  réfugiés  en  Belgique,  au  fort  de 
la  Chartreuse,  à  quelques  pas  du  casino  que  nous  habi- 
tons ;  je  sais  que  ce  cher  Père,  de  regrettée  mémoire,  dans 
ses  tournées  de  mendiant  apostolique,  s'était  procuré  de 
nombreuses  relations  à  Liège  et  en  Belgique  ;  je  sais  que 


—  36  — 

plusieurs  fois  nos  Pères  du  juniorat  de  Saint-Charles,  en 
particulier  le  H.  P.  Legrand,  appelés  par  le  clergé,  avaient 
prononcé  quelques  sermons  de  circonstance  devant  les 
fidèles  de  cette  ville  ;  néanmoins,  notre  Congrégation, 
dans  son  but,  dans  ses  œuvres,  dans  son  organisation, 
dans  ses  membres,  était  une  inconnue  dans  ce  pays;  on 
ne  parlait  point  d'elle,  on  ne  pensait  pas  à  elle,  si  ce  n'est 
au  sein  des  communautés  de  la  Sainte-Famille  déjà  éta- 
blies dans  la  province  de  Liège,  qui  appelaient  de  leurs 
vœux  cette  fondation  d'Oblats. 

Ajoutez  à  cela,  mon  très  révérend  Père,  notre  genre 
de  vie  :  le  peuple  comprend  difficilement  ces  religieux 
dont  la  vie  se  passe  entièrement  au  sein  de  la  commu- 
nauté, dans  l'enclos  d'une  propriété  privée,  sans  exercer 
au  dehors  le  ministère  ecclésiastique.  Les  habitants  de 
notre  quartier  pauvre  et  populeux  ne  sont  pas  hostiles, 
mais  indifférents,  peu  soucieux  de  remplir  les  devoirs 
de  leur  religion  s'il  leur  en  coûte  trop  d'efforts  et  de 
dérangements,  disposés  toutefois  à  le  faire  si  le  clergé 
leur  en  facilite  les  moyens.  Or,  les  églises  paroissiales 
sont  éloignées  de  notre  maison  de  plus  d'un  quart 
d'heure  et  manifestement  insuffisantes  pour  recevoir  tous 
les  paroissiens;  sans  doute,  cette  distance  n'effrayerait 
guère  des  chrétiens  dont  la  foi  serait  vivace  et  l'amour 
bien  ardent,  mais  il  faut  compter  avec  l'affaiblissement 
de  la  foi,  dans  les  villes  surtout,  et  savoir  se  mettre  à  la 
portée  de  cette  foule  de  chrétiens  dont  l'état  d'âme  fait 
vraiment  pitié. 

Nous  ne  fûmes  donc  point  surpris  d'entendre  parfois, 
malgré  l'accueil  toujours  sympathique  de  notre  popula- 
tion, l'expression  d'un  désir  qui  trahissait  quelque  désap- 
pointement et  quelque  déception.  On  eût  été  si  heureux 
de  nous  voir  ouvrir  une  chapelle  publique  où  les  chré- 
tiens les  plus  rapprochés  seraient  admis,  les  dimanches 


—  37  — 

et  fêtes,  à  satisfaire  aux  obligations  essentielles  de  la  reli- 
gion. Personne,  évidemment,  ne  pouvait  en  faire  un  re- 
proche à  ces  braves  gens  ;  rien  n'était  plus  naturel,  je 
dirais  même  plus  légitime.  On  se  hasarda  souvent,  du- 
rant les  premiers  mois  de  notre  installation,  à  nous  faire 
cette  demande  formelle  ;  on  nous  mit  sous  les  yeux  le 
grand  bien  qui  en  résulterait  pour  cette  population  si 
bien  disposée  à  notre  égard;  bref,  on  nous  énuméra 
mille  raisons,  dont  chacune  eût  suffi  à  enflammer  le  zèle 
de  prêtres  et  de  missionnaires.  En  notre  for  intérieur, 
nous  abondions  dans  ce  sens  et  nous  étions  les  premiers 
à  gémir  sur  le  triste  sort  des  chrétiens  de  notre  quar- 
tier ;  mais  de  bonnes  et  sages  raisons  nous  commandaient 
de  conserver  une  attitude  prudente  et  expectante.  L'hi- 
ver de  1891-1892  s'écoula,  et  nous  n'avions  pas  modifié 
notre  manière  d'agir  ;  nous  avions  paru  faire  la  sourde 
oreille.  Les  demandes,  cependant,  ne  s'arrêtaient  pas, 
les  sollicitations  devenaient  de  plus  en  plus  pressantes  ; 
les  membres  du  clergé  paroissial  lui-même  élevaient  la 
voix  en  faveur  de  leurs  ouailles,  écartant  ainsi  d'eux- 
mêmes  un  obstacle  souvent  redoutable;  enfin,  Sa  Gran- 
deur M^'  Doutreloux,  évêque  de  Liège,  nous  exprima  ce 
même  désir  d'une  manière  si  pressante,  qu'il  parut 
désormais  impossible  de  résister  à  cette  pression  morale 
du  peuple  et  du  clergé  sans  résister  à  la  fois  à  la  volonté 
de  Dieu. 

Mis  au  courant,  mon  très  révérend  Père,  de  ces  de- 
mandes si  honorables  pour  nous  et  la  Congrégation,  vous 
daignâtes  nous  accorder  l'autorisation  d'ouvrir  une  cha- 
pelle publique  dans  notre  établissement  et  d'y  remplir 
toutes  les  fonctions  du  saint  ministère,  tout  en  sauve- 
gardant les  exigences  du  règlement  d'un  scolasticat. 
Une  grande  salle  du  rez-de-chaussée,  séparée  de  notre 
chapelle  de  communauté  par  la  salle  des  pas  perdus. 


-  38  — 

était  inoccupée  ;  elle  convenait  admirablement  à  notre 
dessein,  nous  la  fîmes  restaurer,  nous  y  élevâmes  un 
autel,  une  table  de  communion,  deux  confessionnaux, 
et  les  fidèles  apprirent  avec  plaisir  et  reconnaissance 
que,  désormais,  les  Pères  Oblats  étaient  disposés  à  leur 
faciliter  la  pratique  de  leurs  devoirs  religieux. 

Le  15  mai  18132  inaugura  pour  nous  le  ministère  pu- 
blic, et  M.  le  curé  de  Saint-Rémacle,  dont  nous  sommes, 
je  crois,  les  dignes  paroissiens,  présida  lui-même  à  celte 
cérémonie,  dont  on  peut  lire  le  récit  dans  nos  Petites 
Annales  (juin  1892).  Depuis  ce  jour,  tous  les  dimanches 
et  fêtes,  nous  avons  les  offices  publics,  messes  le  malin, 
compiles  et  salut  le  soir  ;  les  révérends  Pères  professeurs 
du  scolasticat  sont  chargés  de  la  prédication,  des  confes- 
sions et  des  autres  fonctions  du  saint  ministère,  qu'ils 
s'efforcent  de  concilier  avec  leurs  autres  devoirs  d'élat. 
Chaque  année,  le  jeudi  de  la  Fête-Dieu,  notre  parc 
ouvre  ses  pittoresques  allées  à  la  longue  théorie  des 
Liégeois  et  des  Liégeoises  qui  accourent  à  notre  belle 
procession  du  Très  Saint  Sacrement;  tous  les  ans,  le 
nombre  des  fidèles  s'accroît  et  nous  sommes  bien  édi- 
fiés de  la  bonne  tenue,  de  la  piété,  de  la  ferveur  de  celte 
foule  en  fêle. 

Bientôt,  cependant,  et  nous  devions  nous  y  attendre, 
notre  chapelle  provisoire  fut  insuffisante  et  il  fallut  son- 
ger à  donner  satisfaction  complète  aux  chrétiens  de 
notre  quartier  en  bâtissant  une  église  vaste,  belle,  digne 
en  tout  du  culte  divin.  Vous  avez  déjà  lu  dans  nos  an- 
nales, mon  très  révérend  Père,  le  récit  détaillé  et  édifiant 
des  fêles  de  la  pose  de  la  première  pierre,  le  17  septem- 
bre 1895,  et  le  transfert  solennel  d'une  relique  de  saint 
Lambert  à  noire  église  en  construction,  présidée  par 
Sa  Grandeur  M^''  Doutreloux,  entouré  de  son  chapitre 
et  d'une  immense  multitude  de  Liégeois.  Je  ne  veux  pas 


—  39  — 

revenir  sur  ces  solennités;  je  me  contenterai  de  vous 
dire  combien  vos  enfants  de  Liège  étaient  justement 
fiers  de  la  gloire  qui,  en  ces  jours  mémorables,  a  rejailli 
sur  la  Congrégation  tout  entière.  Ces  manifestations 
grandioses  ont  montré  que  désormais  les  Oblats  de  Marie 
avaient,  à  Liège,  droit  de  cité,  et  que,  selon  votre  propre 
expression,  ils  s'étaient  profondément  inct'ustés,  et  à 
jamais,  sur  le  sol  de  la  Belgique. 

Jamais  nous  n'avons  regretté  notre  condescendance  à 
faire  une  brèche  légère  à  notre  règlement  intérieur  du 
scolasticat  pour  nous  occuper  du  ministère  ecclésias- 
tique ;  au  contraire,  cette  condescendance  a  fortement 
contribué  à  resserrer  les  liens  de  sympathie  qui  nous 
unissaient  au  peuple  et  au  clergé  liégeois  ;  nous  nous 
sommes  laissé  dire  que  le  bien  se  faisait  par  notre  mi- 
nistère, nous  l'avons  constaté  nous-mêmes  maintes  fois, 
et  nous  nous  sommes  réjouis  dans  le  Seigneur,  de  voir 
notre  Congrégation,  honorée  et  bénie,  prendre  un  rang 
honorable  parmi  les  ordres  religieux  dont  Liège  a  raison 
de  se  glorifier. 

Nos  rapports  avec  le  clergé  séculier  n'en  ont  point  été 
troublés;  accueillis  avec  une  charité  toute  fraternelle 
par  les  membres  du  clergé,  nous  avons  toujours  vécu 
en  bonne  intelligence.  Chaque  année,  à  l'occasion  de 
notre  fête  patronale  de  l'Immaculée  Conception,  nous 
avons  l'honneur  d'inviter  à  notre  table  plusieurs  mem- 
bres de  l'administration  diocésaine  et  du  clergé  parois- 
sial, et  nous  voyons  alors  avec  plaisir  quelle  cordialité, 
quel  fraternel  abandon  président  à  nos  relations.  Vous- 
même,  mon  très  révérend  Père,  en  avez  élé  témoin  plu- 
sieurs lois  et  nous  savons  que  votre  cœur  paternel  en  a 
été  vivement  réjoui  et  consolé.  Je  me  reprocherais  de 
ne  point  nommer  ici  M.  Hislaire,  curé  de  Saint-Ré- 
macle,  ancien  ami  de  notre  Congrégation,  qui  n'a  cessé 


—  40  — 
de  nous  seconder  et  de  nous  témoigner  une  inaltérable 
et  chaude  amitié. 

Que  vous  dirai-je  maintenant  de  la  paternelle  affec- 
tion dont  le  saint  et  vénéré  pasteur  du  diocèse  nous 
donne  de  nombreuses  marques?  Vous  connaissez  déjà, 
mon  très  révérend  Père,  quels  titres  nombreux  recom- 
mandent Sa  Grandeur  M^""  Doutreloux,  évoque  de  Liège, 
à  l'admiration,  à  la  reconnaissance  des  catholiques  de 
Liège,  de  la  Belgique  et  du  monde  entier.  Vous  n'igno- 
rez pas,  en  particulier,  que  c'est  à  Liège,  sous  l'impul- 
sion persévérante  de  Sa  Grandeur,  qu'a  été  accentué  et 
soutenu  ce  mouvement  général  du  clergé  et  des  classes 
privilégiées  à  se  porter,  à  s'incliner  vers  le  peuple  ;  vous 
savez  avec  quelle  ardeur  et  quelle  imperturbable  éner- 
gie Monseigneur  s'efforce,  malgré  les  tristesses  et  les  dé- 
boires du  temps  présent,  de  seconder  les  vues  et  les 
intentions  du  Père  commun  des  fidèles,  du  Pape  des  ou- 
vriers, de  Léon  XIII. 

Mais  de  nouveaux  titres  ont  rendu  les  Oblats  de  Marie 
de  Liège  les  obligés  de  leur  saint  évêque.  Dès  le  début, 
Monseigneur  nous  a  accueillis  avec  une  singulière  bien- 
veillance :  «  Mon  cœur  et  mes  bras  sont  grands  ouverts 
aux  Oblats  »,  disait-il  au  R.  P.  Legrand,  chargé  de  lui 
faire  la  première  ouverture  sur  notre  installation  à  Liège, 
et  cette  parole  n'a  point  été  démentie  par  les  faits. 

Le  9  avril  189:2,  Monseigneur  nous  faisait  l'honneur 
de  sa  première  visite;  il  adressa  la  parole  à  la  commu- 
nauté réunie;  dans  un  entretien  familier,  paternel,  dans 
lequel  éclataient  son  grand  esprit  de  foi  et  sa  profonde 
piété,  Sa  Grandeur  daigna  nous  redire  avec  quel  bon- 
heur elle  avait  reçu  dans  son  diocèse,  dans  sa  ville  épis- 
copale,  cette  nouvelle  communauté  de  missionnaires  et 
d'apôtres  ;  elle  trouvait  une  grande  consolation  dans 
cette  pensée  que  tous  les  matins  des  mains  sacerdotales 


—  41   ~ 

plus  nombreuses  consacreraient  la  sainte  victime  et 
rélèveraient  au-dessus  de  celte  cité  si  justement  appelée 
la  ville  du  Saint  Sacrement  ;  elle  se  félicitait  à  l'avance 
du  grand  bien  que  nos  prières,  notre  exemple,  notre  mi- 
nistère, ne  tarderaient  pas  d'opérer  au  sein  de  la  po- 
pulation liégeoise.  Après  s'être  promené  dans  le  parc 
avec  les  révérends  Pères  professeurs,  Monseigneur  nous 
quitta,  nous  laissant  sous  le  charme  de  cette  visite  pa- 
ternelle et  profondément  édifiés  de  sa  piété  tendre  et 
forte  et  de  son  ardent  amour  pour  l'adorable  Eucha- 
ristie. Dans  la  suite,  tous  nos  rapports,  soit  avec  la  per- 
sonne de  l'évêque,  soit  avec  les  membres  de  l'adminis- 
tration diocésaine,  ont  été  empreints  d'une  véritable 
sympathie  et  d'une  cordialité  réciproque.  Nous  n'avons 
jamais  recouru  à  cette  administration  pour  notre  com- 
munauté, pour  nos  ordinations,  pour  l'exercice  de  notre 
ministère,  sans  rencontrer  l'accueil  le  plus  facile  et  le 
plus  bienveillant,  et,  mettant  le  comble  à  ces  favorables 
sentiments,  Monseigneur,  non  content  d'admettre  nos 
Frères  scolasliques  à  toutes  les  ordinations  du  grand  sé- 
minaire, veut  bien  présider  nos  ordinations  générales  à 
la  fin  de  l'année  scolaire.  Heureux  les  Oblats  qui  ont 
reçu  l'imposition  des  mains  d'un  prélat  dont  les  vertus, 
la  piété,  la  sagesse,  rappellent  si  vivement  notre  vénéré 
Père  et  Fondateur  ! 

Vous  me  pardonnerez,  mon  très  révérend  Père,  si  je 
me  suis  trop  longuement  étendu  sur  les  relations  de  notre 
communauté  avec  le  peuple,  le  clergé  et  l'évêque  de 
Liège  ;  j'ai  cru  ces  détails  capables  de  réjouir  votre  cœur 
et  d'intéresser  la  Congrégation,  en  faisant  connaître 
quelle  position  solide,  respectée  et  assurée  la  divine  Pro- 
vidence a  donnée  et  conservée  au  scolasticat  de  Liège. 
Vos  fils  en  sont  justement  fiers  et  pour  eux  et  pour  vous, 
mon  très  révérend  Père,  et  pour  notre  famille  religieuse; 


—  42  — 

puissent-ils  s'en  montrer  reconnaissants  à  l'auteur  de 
tous  les  dons  et  mériter  toujours  à  l'avenir  cette  inappré- 
ciable faveur  ! 

Je  reviens  maintenant  à  la  vie  intérieure  de  notre  com- 
munauté depuis  ses  origines.  Suivant  le  désir  manifesté 
par  le  révérendissime  Père  Fabre,  de  si  regrettée  mé- 
moire, nous  avons  adopté  dans  son  ensemble  et  dans  ses 
détails  le  règlement  du  scolasticat  à  Autun  ;  ce  règle- 
ment, du  reste,  fruit  d'une  étude  sérieuse  et  d'une  longue 
expérience*  avait  fait  ses  preuves  et  donné  les  meilleurs 
résultats  :  nous  avons  tenu  à  nous  y  conformer  religieu- 
sement, sans  repousser  toutefois  de  parti  pris  les  amélio- 
rations, les  perfectionnements,  que  les  circonstances 
imposaient  et  que  l'autorité  compétente  voulait  bien 
nous  permettre  d'y  introduire.  La  division  des  cours  en 
deux  semestres,  l'horaire  des  différents  exercices  dujour, 
du  mois,  de  l'année,  la  distribution  des  matières  de 
classe,  tout  est  calqué  sur  le  règlement  traditionnel  ;  nous 
marchons  dans  une  voie  tracée  dès  le  début  de  la  Con- 
grégation par  la  sagesse  de  nos  premiers  Pères,  nous  la 
croyons  droite  et  infaillible. 

Sans  doute,  mon  très  révérend  Père,  je  n'ai  point  qua- 
lité pour  vous  parler  des  résultats,  des  fruits  recueillis 
par  la  Congrégation  durant  ces  cinq  années  de  séjour  sur 
le  sol  de  Belgique;  de  nombreux  Oblats  ont  passé  ici  les 
années  si  importantes  de  leur  formation  sacerdotale  et 
religieuse  ;  ils  ont  été  coulés  dans  le  moule  de  l'Oblat . 
ils  ont  appliqué  leur  esprit  à  l'acquisition  des  diverses 
branches  du  savoir  ecclésiastique  ;  ils  ont  essayé  de  for- 
mer leur  caractère,  de  s'enrichir  de  vertus  ;  ils  se  sont 
préparés  à  remplir  dignement  les  différents  ministères 
que  l'avenir  leur  réservait.  Ces  scolastiques,  devenus 
prêtres,  missionnaires  Oblats  de  Marie,  ont-ils  toujours 
répondu,  répondent-ils  encore,  soit  aux  sacrifices  que  la 


-„   43  — 

Congrégation  s'est  imposés  pour  leur  formation,  soit  aux 
légitimes  exigences  des  supérieurs  sous  lesquels  ils  ont 
été  placés  et  ont  fait  leurs  premières  armes  ?  Encore  une 
fois,  je  n'ai  pas  qualité  pour  répondre  à  cette  question. 
Mais  qu'il  me  soit  permis,  mon  très  révérend  Père,  au 
nom  de  tous  mes  collègues  du  scolasticat  de  Liège,  de 
vous  remercier  du  témoignage  si  flatteur  que  vous  avez 
bien  voulu  rendre  aux  professeurs  des  scolasticats  de 
notre  Congrégation,  dans  la  magnifique  et  lumineuse 
circulaire  que  vous  avez  adressée  naguère  à  notre  famille 
religieuse.  Vous  nous  avez  jugés  avec  une  grande  indul- 
gence, vous  nous  avez  rappelé  nos  devoirs,  mais  nous 
sommes  justement  fiers  que  vous  vous  soyez  dit  heureux 
de  rendre  hommage  au  zèle  avec  lequel  nous  les  remplis- 
sions. Merci,  mon  très  révérend  Père,  merci  de  ce  témoi- 
gnage, merci  de  ces  conseils.  Oui,  nous  tâcherons  de 
nous  montrer  toujours  dignes  de  la  haute  mission  qui 
nous  a  été  confiée,  nous  redoublerons  encore  de  courage 
et  de  dévouement.  Nous  sommes  tous  heureux,  scolas- 
tiques  et  professeurs,  de  vous  remercier  aujourd'hui 
publiquement  de  l'enseignement  magistral  que  vous 
venez  de  distribuer  à  la  Congrégation  sur  les  études  de 
l'Oblat  de  Marie,  nous  y  adhérons  tous  sans  réserve,  et 
vous  assurons  que  cette  circulaire  sera  notre  règle  invio- 
lable pour  le  présent  elpour  l'avenir. 

Je  disais  plus  haut  que  la  vie  du  scolasticat  élaiL  ren- 
fermée dans  une  trame  assez  monotone  ;  ne  croyez  pas 
cependant,  mon  très  révérend  Père,  qu'elle  parcourt  tou- 
jours le  môme  cycle  rigide  et  inflexible  ;  non,  elle  a 
aussi  ses  distractions  heureuses  et  ses  charmes  imprévus; 
je  veux  parler  de  ces  solennités  périodiques,  de  ces  fêtes 
intimes  de  famille,  de  ces  ordinations,  de  ces  vacances, 
qui  apportent  toujours  aux  esprits  un  délassement  bien 
mérité  et  aux  cœurs  des  joies  avidememt  goûtées  ;  je 


—  44  — 

veux  surtout  relever  ce  plaisir  si  légitime  que  cause  parmi 
nous  la  visite  annoncée  ou  imprévue  des  membres  delà 
Congrégation  ou  de  personnages  distingués  par  leur  carac- 
tère, leur  science  ou  leurs  vertus.  Dans  toute  famille 
bien  unie  par  les  liens  de  l'affectionj  où  se  rencontrent 
des  cœurs  bien  nés,  on  se  met  en  liesse  à  l'arrivée  de 
membres  longtemps  absents ,  inconnus  peut-être  de 
visage,  mais  connus  de  cœur,  de  réputation,  dans  les- 
quels on  découvre  le  sceau  distinctif  de  la  même  famille 
et  le  sang  du  même  père.  A  ce  point  de  vue,  mon  très 
révérend  Père,  vos  scolastiques  de  Liège  sont  favorisés  ; 
qui  donc  pourrait  compter  le  grand  nombre  d'Oblats  qui 
ont  passé  sous  leurs  yeux  et  couché  sous  leur  toit,  vété- 
rans déjà  blanchis  par  les  travaux  de  l'apostolat,  jeunes 
frères  d'armes  brûlant  déjà  du  zèle  le  plus  ardent,  tous 
marqués  sur  la  poitrine  et  dans  le  cœur,  au  signe  carac- 
téristique de  rOblat,  sa  croix  et  sa  charité  ? 

La  visite  la  plus  féconde  en  joies  pieuses  et  en  conso- 
lations, c'est  la  vôtre,  mon  très  révérend  et  bien-aimé 
Père.  Appelé  à  Dieu  après  une  vie  noblement  remplie, 
votre  vénéré  prédécesseur  n'avait  pu  visiter  en  personne 
notre  scolasticat  de  Liège;  nous  savons  cependant  com- 
bien il  nous  aimait,  combien  il  s'intéressait  à  nos  progrès 
dans  la  science  et  la  piété.  Cette  affection  paternelle, 
cette  sollicitude  constante,  cet  intérêt  touchant,  il  ne  les 
a  pas  emportés  avec  lui  dans  la  tombe  ;  ils  vivent  dansle 
cœur  de  son  digne  successeur,  et  combien  de  fois  n'en 
avons-nous  pas  fait  la  douce  expérience!  Dès  le  11  jan- 
vier 1893,  après  le  deuil  universel  qui  frappa  notre  famille 
religieuse,  revêtu  de  la  dignité  de  vicaire  général,  vous 
aviez  la  bonté  de  venir  à  Liège  visiter  et  consoler  vos  en- 
fants. Et  depuis  votre  nomination  à  la  charge  de  supé- 
rieur général  de  la  Congrégation,  nous  avons  goûté  chaque 
année,  même  plusieurs  fois  dans  l'année,  ce  plaisir  récon- 


—  45  — 

fortantet  inoubliable  que  des  entants  affectueux  recueil- 
lent de  la  présence,  de  la  vue,  des  paroles,  des  conseils, 
des  encouragements  de  leur  père.  Si  je  ne  craignais  de 
faire  des  jaloux,  je  dirais  que  la  maison  de  Liège  est  sous 
ce  rapport  la  plus  forlunée  de  la  Congrégation.  Vous- 
même,  mon  très  révérend  Père,  ne  craignez  pas  d'avouer 
un  penchant  particulier,  une  tendresse  spéciale  pour 
notre  scolasticat.  C'est  ici  que  vous  établissez  votre  quar- 
tier général,  ainsi  que  vous  le  dites  vous-même,  lorsque 
les  intérêts  de  la  Congrégation  vous  conduisent  en  Bel- 
gique et  en  Hollande;  d'ici  vous  rayonnez  aux  alentours, 
vous  allez  visiterle  juniorat  de  Saint-Charles,  le  noviciat 
de  Saint-Gerlach,  le  noviciat  de  Saint-Joseph,  au  Bestin  ; 
et  durant  tous  ces  jours  si  heureux  pour  nous,  votre  pré- 
sence nous  enchante  et  nous  réjouit,  vos  conversations 
nous  intéressent  et  nous  charment,  vos  entretiens  spiri- 
tuels nous  enflamment  et  nous  édifient,  votre  sollicitude 
attentive  à  tous  les  intérêts  de  la  communauté  nous  oblige 
à  reconnaître  que  le  cœur  de  notre  vénéré  Fondateur  bat 
encore  plein  de  vie  au  sein  de  la  famille.  Notre  désir  le 
plus  ardent  est  de  réjouir  toujours  votre  cœur  paternel 
et  de  mériter  votre  approbation  et  votre  encourageante 
faveur  par  notre  fidélité  et  notre  application  à  tous  nos 
devoirs  religieux. 

Combien  de  fois  aussi,  mettant  le  comble  à  cette  faveur, 
avez-vous  envoyé  au  scolasticat  de  Liège,  pour  nous  visi- 
ter et  vous  représenter,  les  membres  de  votre  adminis- 
tration générale  !  Que  de  fois,  durant  les  trois  premières 
années  de  notre  installation,  avons-nous  possédé  au 
milieu  de  nous  le  tant  regretté  P.  Martinet  !  Il  a  présidé 
à  notre  prise  de  possession,  il  n'a  épargné  ni  peine  ni 
fatigues  pour  doter  la  Congrégation  d'un  de  ses  plus 
remarquables  établissements;  son  goût  éclairé  de  l'art 
et  du  beau  a  réussi  à  conserver  à  notre  casino  son  cachet 


—  46  — 

de  grandiose  simplicité.  Que  dirai-je  de  la  constante 
affection  dont  il  n'a  cessé  de  nous  donner  des  preuves 
non  équivoques,  de  l'intérêt  soutenu  que  sa  lumineuse 
intelligence  daignait  prendre  à  nos  travaux,  à  nos  études, 
à  la  bonne  renommée  du  scolasticat?  Nous  regrettons 
vivement  sa  perte  prématurée,  mais  il  nous  e'^t  doux  au- 
jourd'hui de  le  saluer  publiquement  et  de  le  présentera 
nos  successeurs  comme  le  Fondateur  du  scolasticat  de 
Liège. 

Nous  nous  permettrons  aussi  de  remercier  les  RR.  PP. 
AuGiER  Cassien,  et  Tatin,  assistants  généraux,  qui,  m,al- 
gré  leurs  multiples  occupations,  ont  bien  voulu  nous 
donner  un  témoignante  précieux  de  leur  intérêt,  en  venant 
présider  plusieurs  fois  nos  examens  semestriels.  Leur  pré- 
sence a  été  pour  tous,  maîtres  et  élèves,  un  précieux 
encouragement  ;  elle  est  aussi,  pour  toute  la  Congréga- 
tion, la  garantie  assurée  de  la  souveraine  orthodoxie  de 
l'enseignement  philosophique  et  théologique  au  scolas- 
ticat. 

Non  moins  vive  est  notre  gratitude  envers  le  R.  P.  Voi- 
RiN  et  le  R.  P.  Sardou,  procureur  général,  qui,  durant 
trois  retraites  annuelles,  ont  nourri  nos  âmes  d'une 
parole  substantielle  et  appropriée  à  nos  besoins. 

Je  serais  infini,  mon  très  révérend  Père,  si  je  vous 
racontais  dans  le  détail  les  agréables  visites  que  le  sco- 
lasticat de  Liège  a  reçues,  durant  ces  cinq  années,  de  la 
part  des  Pères  de  la  Congrégation  ;  la  proximité  de  nos 
maisons  de  Hollande  avec  lesquelles  nous  vivons  en  si 
fraternelle  harmonie,  le  passage  périodique  de  nos  Pères 
à  Liège,  à  l'occasion  des  retraites  de  la  Sainte-Famille, 
l'échéance  du  chapitre  général  en  1893,  qui  a  fait  con- 
verger à  Paris  un  si  grand  nombre  de  missionnaires,  voilà, 
mon  très  révérend  Père,  des  circonstances  heureuses  aux- 
quelles nous  devons  des  joies  de  famille  et  la  salutaire 


—  47  — 

édification  que  la  parole  el  l'exemple  des  aînés  procurent 
à  des  frères  plus  jeunes.  C'est  ainsi  que  nos  évoques  des 
missions  étrangères,  Nosseigneurs  Grouard,  Grandin, 
Mélizan,  Jolivbt,  Pascal,  Gaughren,  Joulain,  nous  ont 
fait  tour  à  tour  l'honneur  de  leur  auguste  visite;  c'est 
ainsi  que  tous  nous  avons  puisé  dans  le  commerce  de  ces 
vétérans,  dans  leurs  intéressantes  conversations,  dans  les 
témoignages  de  leur  affection,  un  amour  plus  filial  envers 
notre  chère  famille  religieuse  et  un  zèle  plus  ardent  pour 
le  salut  des  pauvres  âmes  abandonnées.  Rien  de  surpre- 
nant après  cela  si  le  désir  de  voler  aux  missions  étran- 
gères n'est  pas  près  de  disparaître  au  scolasticat  de  Liège  ; 
vous  savez,  mon  très  révérend  Père,  que  ce  feu  divin  y 
couve  toujours  et  vous  êtes  le  premier  à  vous  en  réjouir 
et  à  entretenir  le  dévouement  surnaturel  qui  l'allume 
dans  les  cœurs. 

Je  croirais  manquer  à  un  devoir  de  reconnaissance,  si 
je  n'associais  à  nos  vénérés  vicaires  apostoliques  et  à 
nos  Pères  des  missions  étrangères,  le  nom  d'un  prélat 
d'outre  monde,  que  notre  Congrégation,  il  est  vrai,  ne 
compte  pas  au  nombre  de  ses  enfants,  mais  auquel  nos 
scolastiquesont  décerné  par  acclamation  le  titre  d'Oblat 
honoraire  à  perpétuité  :  j'ai  nommé  sa  Grâce  M^""  Duha- 
mel, archevêque  d'Ottava.  Durant  le  peu  de  jours  que 
M>'r  Duhamel  a  passés  au  milieu  de  nous,  nous  avons 
été  touchés  de  l'émotion  avec  laquelle  le  vénéré  prélat 
rappelait  le  souvenir  de  ses  anciens  maîtres,  les  Oblats  du 
Canada,  et  nous  avons  recueilli  sur  ses  lèvres  l'expression 
des  sentiments  de  profonde  reconnaissance  que  son  cœur 
nourrit  pour  notre  Congrégation.  Monseigneur,   notre 
Congrégation  aussi  est  flère  de  vous,  elle  ne  sait  com- 
ment vous  témoigner  sa  vive  gratitude;  les  scolasliques 
de  Liège  s'unissent  à  leurs  frères  d'Archville  pour  vous 
redire  :  Ad  multos  annosi 


—  48  — 

Nos  Pères  d'Europe  sont  toujours  bien  accueillis  au 
scolasticat  ;  eux  aussi  ont  à  raconter  à  de  jeunes  recrues 
les  travaux,  les  luttes,  les  succès,  les  épreuves  de  l'apos- 
tolat dans  nos  contrées  civilisées.  Permettez-moi,  mon 
très  révérend  Père,  d'offrir  ici  le  témoignage  de  notre 
reconnaissance  au  R.  P.  Favier,  provincial  de  la  pro- 
vince du  Nord,  qui  s'est  tant  dépensé  pour  aider  le 
R.  P.  Martinet  dans  l'organisation  de  notre  scolasticat; 
nous  associerons  toujours  son  nom  à  celui  du  Fondateur 
du  scolasticat  de  Liège.  Pourrais-je  passer  sous  silence 
le  nom  si  vénéré  du  R.  P.  Rey,  supérieur  de  Notre-Dame 
de  Pontmain?Ce  bon  Père,  revenant  duBestin  où  il  avait 
canoniquement  érigé  le  noviciat  belge  de  Saint-Joseph, 
n'a  pu  résister  au  plaisir  d'embrasser  ses  enfants  de 
Liège  et  de  leur  prodiguer  les  caresses  et  les  témoignages 
de  l'affection  qu'il  a  puisée  au  cœur  de  notre  vénéré  Fon- 
dateur. 

Mentionnons  aussi  la  visite  du  R.  P.  Jean-Baptiste 
Lémius,  supérieur  de  Montmartre,  qui,  dans  son  trop 
court  passage  à  Liège,  adressa  à  nos  scolastiques  des 
paroles  nourries  et  substantielles  et  accepta  de  donner 
dans  la  vaste  église  de  Saint-Jacques  un  éloquent  ser- 
mon de  circonstance,  dont  nous  allons  encore  recueillir 
les  échos. 

Enfin,  pour  terminer,  nous  envoyons  au-delà  de  la 
tombe  un  souvenir  ému  au  R.  P.  Michaux,  l'Oblat  au  cœur 
si  généreux,  à  la  bourse  si  largement  ouverte,  que  les 
scolastiques  de  Liège  ont  maintes  fois  fêté  et  dont  ils  ont 
ressenti  l'inépuisable  charité. 

Je  vous  ai  entretenu  jusqu'ici,  et  trop  longuement 
peut-être  des  visites  que  le  scolasticat  de  Liège  a  eu  le 
plaisir  de  recevoir  ;  oserais-je  bien,  mon  très  révérend 
Père,  vous  dire  un  mot  de  celles  qu'il  s'est  lui-même 
décidé  à  faire?  Ceci,  je  l'avoue,  n'était  point  prévu  par 


—  49  — 

le  règlement   d'Autun  ;   ce  n'est  point  cependant  une 
large  brèche  à  notre  vénéré  et  traditionnel  coutumier  : 
c'est  un  perfectionnement,  une  amélioration,  un  progrès, 
une  nécessité  que  les  circonstances  nous  ont  imposée  ;  je 
veux  parler  du  séjour  que  le  scolasticat  de  Liège  a  fait  à 
diverses  reprises  au  juniorat  de  Saint-Charles.  Vous  avez 
jugé,  mon  très  révérend  Père,  que  le  changement  d'air, 
un  repos  plus  absolu,  une  liberté  plus  complète  auraient 
un  heureux  résultat,  sur  des  santés  que  des  études  pro- 
longées au  sein  de  l'atmosphère  d'une  ville  industrielle 
ne  manquent  pas  d'ébranler  et  d'affaiblir.  Déjà  en  1894 
et  1895,  quelques-uns  de  nos  scolastiques  étaient  allés 
demander  à  Saint-Charles  un  air  plus  vif  et  plus  pur,  un 
horizon  nouveau,   un  régime  varié;  en  1896,  après  la 
mi-juillet,  le  scolasticat  tout  entier  s'est  ébranlé   et  a 
planté  sa  tente,  durant  quinze  jours,  en  Hollande,  dans 
ce  Limbourg  si  religieux  et  si  hospitalier.  Pour  la  plupart 
d'entre  nous,  cette  contrée  n'était  point  inconnue  :  là 
Dieu  avait  placé  le  berceau  de  notre  vie  religieuse  j  nous 
étions  heureux  de  raviver  nos  souvenirs  et  de  saluer  de 
vieilles   connaissances.   Ces   quinze   jours   de   grandes 
vacances,  de  délassement,  de  promenades,  de  grand  air, 
de  bains  salutaires  ont  procuré  l'effet  voulu  ;  âme  plus 
saine  dans  un  corps  plus  sain  :  anima  sanain  corporesano. 
Nous  ne  saurions  assez  remercier  nos  frères  de  Saint- 
Charles,  en  particulier  le  R.  P.  Legrand  et  le  R.  P.  Ravaux, 
de  leur  cordiale  hospitalité  et  de  la  fraternelle  affection 
dont  ils  nous  ont  entourés. 

Il  ne  faudrait  pas  conclure,  de  cet  exode  insolite  du 
scolasticat,  que  la  santé  générale  eût  été  profondément 
atteinte.  Grâce  à  Dieu,  cette  épreuve  nous  a  été  épargnée 
jusqu'à  ce  jour.  Sans  doute,  la  vallée  de  la  Meuse  n'est 
pas  une  vallée  de  Campan,  sans  doute,  dans  notre  parc, 
ne  soufflent  pas  toujours  les  tièdes  zéphyrs  qui  caressent 


—  50  — 

les  jardins  élyséens  ;  sans  cloute  le  suave  climatdes  bords 
de  la  Méditerranée  ne  fait  pas  de  longs  séjours  dans  nos 
contrées  septentrionales;  mais  de  là  à  prononcer  que 
notre  terre  liégeoise  dévore  ses  habitants,  il  y  a  loin.  On 
y  meurt,  il  est  vrai,  comme  partout  ;  mais  on  y  vit  aussi  ; 
et  je  vous  assure  que  l'on  peut  y  vivre  et  très  bien  et  très 
longtemps.  Nous  avons  dû  payer  un  tribut  forcé  à  cette 
mystérieuse  maladie  qui,  sous  le  nom  à'mfluenza,  fait 
sentir  ses  méfaits  périodiques  ;  mais  quel  pays  fut  à  l'abri 
de  sa  visite  importune  ?  La  main  de  la  mort  a  su  choisir 
quatre  jeunes  victimes  et  arracher  à  notre  affection  des 
frères  bien-aimés;  mais  ces  victimes  étaient  mûres  depuis 
longtemps ,  et  il  est  douteux  qu'ailleurs  l'implacable 
phtisie  eût  laissé  échapper  sa  proie.  L'époque  du  scolas- 
ticat,  on  ne  saurait  l'ignorer,  est,  pour  la  santé  des  jeunes 
gens,  une  époque  assez  critique  ;  les  exigences  de  la  vie 
de  communauté,  les  fatigues  inséparables  de  l'application 
soutenue  à  l'étude,  nécessitent  sans  doute  des  précautions 
délicates,  dont  la  sagesse  des  supérieurs  doit  faire  la  pru- 
dente apphcation,  mais  elles  expliquent  aussi  facilement 
l'épuisement  passager  des  forces  corporelles  ou  les  rares 
catastrophes  qui  ont  jeté  le  deuil  parmi  nous. 

Ce  rapport  est  déjà  trop  étendu,  mon  très  révérend 
Père,  et  cependant  je  n'ai  rien  dit  du  personnel  du  sco- 
lasticat;  je  réclame  encore  votre  indulgence  durant  quel- 
ques instants  :  je  serai  bref. 

Nos  scolastiques,  vous  le  savez,  appartiennent  à  peu 
près  à  toutes  les  nationalités  européennes,  et  l'esprit  de 
Dieu  semble  les  avoir  réunis  ici  des  quatre  vents  du  ciel  : 
Belges,  Français,  Anglais,  Allemands,  Hollandais,ïtaliens, 
voire  même  Espagnols,  s'efforcent  de  réaliser  le  Cor 
unum  et  anima  una,  devise  de  l'Oblat  et  testament  de 
notre  vénéré  Fondateur.  Leur  nombre  n'a  cessé  d'aug- 
menter ;  les  noviciats  de  l'Osier,  de  Saint-Gerlach,  d'An- 


—  51   — 

gers,  du  Bestin,  fournissent  à  notre  maison  de  Liège  un 
contingent  de  jeunes  religieux  dont  nous  avons  à  bénir 
la  divine  Providence.  En  ce  moment,  il  y  a  cent  quinze 
scolastiques  ;  c'est  un  chiffre  bien  consolant.  Et  si  l'on 
veut  y  ajouter  les  hôtes  de  nos  florissants  scolasticats  de 
Rome,  d'Archville,  de  Hiinfeld,  il  est  permis  d'envisager 
l'avenir  avec  confiance  :  sed  quid  hxc  inter  tantos!  Les 
besoins  sont  si  nombreux,  les  provinciaux  et  les  vicaires 
des  Missions  si  attentifs  et  si  insatiables,  le  développe- 
ment des  œuvres  de  la  Congrégation  si  imprévu  et  si 
rapide,  que  longtemps  encore  nous  demanderons  au  Père 
de  famille  d'envoyer  dans  sa  vigne  de  nombreux  et  saints 
ouvriers. 

Le  personnel  enseignant  ne  suit  point  les  progrès 
ascendants  des  Frères  scolastiques;  déterminé  par  l'objet 
des  études,  le  nombre  des  professeurs  ne  saurait  varier. 
Peu  de  changements  importants  à  noter  durant  ces  cinq 
années  ;  n'oublions  pas  cependant  de  saluer  avec  recon- 
naissance le  R.  P.  Van  Laar,  appelé  par  Tobéissance  dans 
nos  Missions  d'Afrique,  et  le  R.  P.  Lerond,  de  si  douce 
mémoire,  dont  le  nom  revient  si  souvent  sur  nos  lèvres, 
avec  le  souvenir  de  son  inaltérable  affabilité.  Ainsi  que 
je  le  disais  plus  haut,  les  révérends  Pères  professeurs 
sont  aussi  chargés  provisoirement  du  ministère  dans  la 
chapelle  publique,  plusieurs  même  d'entre  eux  ont  ac- 
cepté de  donner  en  ville  quelques  sermons  de  circon- 
stance; mais  ils  n'oublient  pas,  montrés  révérend  Père, 
que  l'œuvre  du  scolasticat  est  l'œuvre  essentielle  de 
notre  Communauté,  et,  fidèles  aux  recommandations  de 
la  règle,  ils  s'efforcent  de  lui  consacrer  leur  temps  et 
leurs  travaux  intellectuels.  Je  ferai  une  exception,  toute 
à  sa  louange  cependant,  pour  le  R.  P.  Delouche.  Vous 
savez,  montrés  révérend  Père,  combien  notre  commu- 
nauté et  la  Congrégation  elle-même  doit  au  zèle,  au 


—  52  — 

dévouemenl,  à  l'activité  de  ce  cher  Père;  l'œuvre  des 
vocations,  la  diffusion  de  nos  Petites  Annales  en  Bel- 
gique, la  construction  d'une  magnifique  église  à  Liège, 
la  fondation  de  nouvelles  maisons  en  ces  contrées,  rien 
ne  l'arrête,  rien  ne  le  fatigue,  rien  ne  le  rebute.  Il  tend 
la  main,  et  Dieu  sait  avec  quel  heureux  succès,  sans  se 
lasser,  pour  toutes  les  œuvres  qui  procurent,  ici  ou  à 
l'étranger,  la  gloire  de  Dieu  et  l'honneur  de  la  Congré- 
gation; ses  œuvres,  sans  doute,  font  son  plus  grand 
éloge  et  Dieu,  un  jour,  l'en  récompensera;  mais  nous 
devions  lui  donner  ici  un  témoignage  public  de  notre 
estime  et  de  notre  gratitude.  Euge,  serve  bone. 

Je  suis  heureux  aussi,  mon  très  révérend  Père,  de  vous 
assurer  du  bon  esprit,  de  la  régularité,  du  dévouement 
à  leur  famille  religieuse,  qui  animent  nos  bons  Frères 
convers  ;  dans  une  maison  si  vaste,  occupée  par  une  jeu- 
nesse si  nombreuse,  le  travail  ne  fait  pas  délaut,  il  n'est 
guère  de  loisirs;  tous,  jeunes  et  vieux  sont  appliqués  à 
remplir  les  obligations  de  leur  état,  tous  s'efforcent  de 
suppléer  par  leur  activité  à  l'insuffisance  du  nombre. 

En  finissant  ce  trop  long  rapport,  qu'il  me  soit  permis, 
mon  très  révérend  Père,  au  nom  de  tous  les  membres  du 
scolasticat  de  Liège,  de  vous  renouveler  l'assurance  de 
notre  affection  filiale  et  de  vous  demander  votre  béné- 
diction paternelle.  Thévenon,  o.  m.  i. 

MAISON  DE  SAINT-ULRICH. 

RAPPORT  DU  R.  P.  LÉGLISE  AU  T.  R.  P.  SUPÉRIEUR  GÉiVÉRAL. 
Saint-Uirich,  25  janvier  1897. 

Mon  très  révérend  et  bien-aimé  Père, 
Il  y  a  un  peu  plus  de  quatre  ans,  le  R.  P.  Dru,  supé- 
rieur de  la  maison  de  Saint-Ulrich,  me  priait  d'écrire  sur 


les  origines  et  l'histoire  de  notre  maison  un  rapport  que 
la  maladie  ne  lui  permettait  pas  de  composer.  Je  pris 
la  plume  par  obéissance  et  charité,  et  j'adressai  au 
T.  R.  P.  Fabre  quelques  modestes  pages,  les  dernières 
sans  doute  qu'il  reçut  en  ce  genre. 

Aujourd'hui  que  mon  ancien  supérieur  m'a  cédé  ses 
fonctions  et  sa  charge,  c'est  par  devoir  que  je  reprends 
la  plume  pour  continuer  l'histoire  de  notre  maison  du- 
rant les  quelques  années  écoulées. 

Cette  histoire  est  si  simple  qu'elle  déconcerte  l'auteur. 
Saint-Ulrich,  en  effet,  est  une  demeure  solitaire,  placée 
près  d'un  pèlerinage  modeste,  connu  seulement  des 
alentours  ;  ses  missionnaires  se  livrent  à  des  travaux 
petits  et  qui  se  ressemblent  tous.  Que  dire,  ou  plutôt 
qu'écrire,  qui  offre  l'intérêt  des  attachants  récits  des  mis- 
sions étrangères,  ou  des  belles  descriptions  des  grandes 
missions  de  France  ? 

J'ai  relaté,  dans  mon  précédent  rapport,  tout  ce  que 
j'ai  pu  sur  le  pèlerinage  de  Saint-Ulrich  ;  sur  son  anti- 
quité, qui  remonte  au  dixiènle  siècle;  sur  son  site  char- 
mant, sa  ceinture  de  bois,  son  écart  du  monde  et  sa  soli- 
tude, qui  en  font  une  demeure  des  plus  en  harmonie 
avec  cette  vie  de  calme  dont  a  besoin  le  missionnaire  fati- 
gué pour  refaire  son  corps,  son  esprit,  son  âme,  et  se 
disposer,  par  le  recueillement  et  l'étude,  aux  labeurs 
futurs.  J'ai  nommé  les  diverses  mains  par  lesquelles  passa 
tour  à  tour  la  propriété  de  ces  lieux,  depuis  le  seigneur 
de  Linange  jusqu'aux  chevaliers  de  Malte,  et  finalement 
les  évoques  de  Nancy  et  de  Metz.  J'ai  raconté  enfin  com- 
ment la  bienveillance  du  maréchal  de  Manteuffel,  gou- 
verneur d'Alsace-Lorraine,  avait  permis  au  saint  et  vénéré 
M^'  Dupont  des  Loges,  évêque  de  Metz,  de  nous  établir 
ici,  pour  rétablir  le  pèlerinage,  évangéliser  son  diocèse. 

De  nouveau,  nous  exprimons  le  regret  de  ne  pas  pos- 


—  54  — 

séder  plus  de  documents  dont  le  contenu  eût  permis 
d'écrire  une  notice  intéressantejsur  Saint-Ulrich. 

A  défaut  de  parchemins  et  d'archives,  les  pierres  vien- 
nent de  parler.  Au  nord  de  notre  chapelle,  se  détache, 
sur  un  terrain  labourable,  un  vaste  monticule  irrégulière- 
ment rectangulaire,  couvert  en  partie  d'arbres  chétifs  et 
de  broussailles.  Par  je  ne  sais  quel  hasard  ou  sur  quelles 
indications,  on  se  mit  à  fouiller  ce  sol,  et  bientôt,  on  eut 
devant  soi  des  ruines  assez  intéressantes  pour  attirer  non 
seulement  les  curieux  et  les  amateurs,  mais  la  savante 
Société  archéologique  de  Lorraine  qui  se  charge  de  faire 
continuer  à  ses  frais  le  travail  commencé.  Quand  la 
pelle  de  l'ouvrier  eut  fait  son  œuvre,  on  sévit  en  face  de 
ruines,  dont  l'architecture  d'une  part,  et  la  distribution 
des  pièces  d'autre  part,  fournissaient  une  preuve  mani- 
feste du  grand  âge  de  la  construction.  C'étaient  les  ves- 
tiges d'une  villa  romaine,  avec  tout  le  confortable  de  cette 
époque  reculée.  La  tradition  est  donc  vraie  quand  elle 
dit  que  la  terre  de  Saint-Ulrich  était  célèbre  autrefois 
par  ses  habitations  romaines,  avant  de  le  devenir  par  son 
pieux  sanctuaire. 

Propriété  de  l'évèché  de  Nancy  avant  la  guerre  de  1870, 
cet  immeuble  passa  à  la  mense  épiscopale  de  Metz  à  la 
suite  de  l'annexion.  Il  n'offrait  guère  que  le  spectacle  de 
son  délabrement  quand  nos  Pères  en  prirent  possession 
en  1880;  et  si,  aujourd'hui,  chapelle,  maison,  jardins, 
offrent  un  aspect  de  bon  ordre  et  de  bon  goût,  c'est 
au  dévouement  comme  à  l'intelligence  de  nos  Pères  que 
cette  transformation  est  due.  En  retour,  et  pour  recon- 
naître en  même  temps  les  bons  services  des  Oblats  dans 
son  diocèse,  M^""  Fleck,  évêque  de  Metz,  a  répondu  avec 
la  plus  grande  bienveillance  à  la  demande  d'acquisition 
que  nous  lui  avons  faite  récemment.  Quand  le  gouver- 
nement aura  donné  l'autorisation  que  nécessite  cette 


~  53  — 

mutation,  nous  serons  possesseurs  d'un  beau  sanctuaire 
et  d'une  résidence  placée  dans  une  situation  qui  lui 
permet  d'espérer  un  bel  avenir.  Saint-Ulrich,  en  efiet, 
se  trouve  aux  confins  du  diocèse  de  Metz,  aux  portes  des 
diocèses  de  Strasbourg  et  de  Nancy,  tout  proche  égale- 
ment du  Palatinat  et  de  la  Province  rhénane.  Quel  vaste 
champ  d'action  pour  ses  missionnaires  !  Puisse  cette 
acquisition  se  réaliser  bientôt  ! 

La  communauté  se  compose  aujourd'hui  des  PP.  Lé- 
GLISE,  supérieur;  Mauss,  Loos,  Laufer,  Meyer,  Hauers- 
perger;  des  FF.  convers  Schmalz,  Meyer,  Braun.  Ce  per- 
sonnel est,  en  grande  partie,  nouveau  depuis  le  précédent 
rapport. 

Le  R.  P.  Bach,  premier  arrivé  et  fondateur  de  Saint- 
Ulrich,  a  reçu  son  obédience  pour  le  noviciat  de  Saint- 
Gerlach  au  mois  de  février  1893.  Ce  départ  a  causé,  dans 
le  diocèse,  comme  dans  la  communauté, de  vifs  regrets; 
mais  il  a  laissé  ici  le  souvenir  d'un  bon  religieux;  là, 
celui  d'un  missionnaire  qui  s'était  dévoué,  durant  plus 
de  vingt  ans,  et  avait  évangélisé  presque  toutes  les  pa- 
roisses. 

Une  année  et  demie  plus  lard,  en  novembre  1894,  la 
maison  de  Saint-Ulrich  faisait  une  perte  non  moins  sen- 
sible dans  la  personne  du  R.  P.  Dru.  (Compagnon  tout 
(.'abord,  puis  successeur  du  R.  P.  Bach,  le  P.  Dru  avait 
vraiment  été  la  seconde  pierre  fondamentale  de  notre 
établissement.  Épuisé  par  le  travail,  et  plus  encore  miné 
par  la  souffrance,  ce  cher  Père  ne  trouvait  plus  en  lui 
les  forces  qu'exigeaient  les  ressources  de  son  zèle.  Le 
climat  de  Nice,  où  l'envoya  une  obédience  du  T.R.  P.  Gé- 
néral, ne  lui  fut  pas  propice.  Dieu  veuille,  cependant, 
lui  rendre  au  plus  tôt  une  santé  meilleure.  C'est  l'objet 
de  nos  vœux,  que  l'amitié  et  la  reconnaissance  rendent 
doublement  ardents. 


—  56  — 
Puisque  je  parle  des  départs,  je  n'aurais  garde  d'omettre 
celui  de  notre  bon  F.  Dreyer.  L'obéissance  l'a  envoyé, 
il  y  aura  bientôt  un  an,  à  Notre-Dame  de  l'Osier.  L'Isère 
est  loin  de  la  Lorraine.  Mais  l'éloignement,  quelque 
considérable  qu'il  puisse  être,  ne  nous  fait  pas  oublier  les 
services  réels  rendus  par  ce  Frère  à  la  maison  et  au  pèle- 
rinage de  Saint-Ulrich,  durant  seize  années.  Il  fut  ici  dès 
le  premier  jour  de  la  fondation,  et  il  connut  la  rigueur 
de  ces  débuts  où  tout  faisait  défaut.  Son  dévouement  ne 
s'est  jamais  ralenti;  il  a  donné  ses  soins  à  tout  :  cha- 
pelle, jardin,  intérieur.  Si  la  Vierge  de  l'Osier  le  protège 
maintenant,  saint  Ulrich  ne  le  peut  oublier,  et  c'est  au 
pied  de  son  autel  que  nous  nous  souvenons  de  lui. 

Le  départ  des  RR.  PP.  Bach  et  Dru  avait  déjà  produit 
un  vide  considérable  au  milieu  de  nous,  quand  une  nou- 
velle obédience  vint  priver  notre  maison  d'un  de  ses 
meilleurs  sujets.  Mais  les  circonstances  étaient  telles, 
que  la  pensée  de  nous  plaindre  ne  pouvait  même  pas 
nous  venir.  Je  fais  allusion  à  la  fondation  de  la  province 
d'Allemagneetà  sonpremierProvincial,leR.  P.Scharsch. 
Tout  le  monde  connaît,  mon  très  révérend  et  bien- 
aimé  Père,  les  raisons  et  les  espérances  de  cette  nou- 
velle fondation,  on  les  a  lues  dans  votre  circulaire  du 
5  mai  1895  ;  je  n'ai  pas  non  plus  à  dire  les  développe- 
ments rapides  que  prend  cette  jeune  province,  grâce  au 
zèle  religieux  et  à  l'activité  intelligente  de  celui  qui  en 
a  eu  la  direction;  ce  récit  ne  m'appartient  pas.  Mais  ce 
qui  m'appartient  et  ce  qui  est  de  mon  devoir,  c'est 
d'adresser  publiquement,  dans  ce  rapport,  l'hommage 
de  notre  reconnaissance  à  la  province  du  Nord  à  laquelle 
nous  avons  appartenu  durant  tant  d'années,  et  dont  les 
divers  provinciaux  ont  su  prendre  toujours  si  à  cœur  les 
intérêts  de  notre  maison. 
L'histoire  raconte  que,  Philippe  V,  duc  d'Anjou,  pas- 


—  S7  — 

sant  les  monts  pour  aller  recevoir  la  couronne  d'Espa- 
gne, promettait  à  son  aïeul  qu'en  devenant  bon  Espa- 
gnol, il  n'oublierait  jamais  la  terre  qui  l'avait  vu  naître. 
Nous  aussi,  nous  nous  consacrerons  de  notre  mieux  à 
notre  nouvelle  province,  sans  oublier  jamais  notre  pro- 
vince d'origine. 

Le  ministère  des  Pères  missionnaires  de  Saint-Ulrich 
est  double  :  garder  et  développer  le  pèlerinage,  se  donner 
au  travail  des  missions. 

Chaque  jour  viennent  quelques  pieux  pèlerins,  qui, 
habituellement,  se  confessent  et  communient.  Les  lundis 
de  Pâques  et  de  Pentecôte,  mais  particulièrement  le  4  et 
le  16  juillet,  sont  les  jours  de  grand  concours.  Plusieurs 
milliers  de  personnes  nous  arrivent  ces  jours- là,  ainsi 
qu'un  très  nombreux  clergé.  La  chapelle  étant  trop  petite 
pour  la  circonstance,  la  grand'messe  se  célèbre  en  plein 
air.  Au  fond  de  notre  belle  allée  de  marronniers,  nous 
élevons,  sous  une  tente,  un  reposoir  aussi  grandiose  que 
possible.  Les  branches  des  arbres  forment,  au-dessus  de 
la  foule,  comme  une  voûte  gothique.  Ces  fêtes  sont  vrai- 
ment ravissantes  et  amènent,  d'année  en  année,  un 
nombre  toujours  plus  considérable  de  fidèles,  qui  nous 
arrivent  en  chantant  des  cantiques  ou  en  égrenant  leur 
chapelet. 

Puisse  ce  cher  peuple  de  Lorraine  conserver  toujours 
cette  foi  et  cette  piété  qui  le  caractérisent  !  Tel  est  le  but 
de  nos  efforts  dans  notre  ministère  extérieur.  La  presque 
totalité  des  paroisses  de  ce  diocèse  sont  bonnes,  chré- 
tiennes, pratiquantes.  Dès  l'ouverture  des  exercices,  le 
missionnaire  a,  au  pied  de  sa  chaire,  presque  tout  son 
monde.  Les  retraites  ou  missions  sont  généralement  sui- 
vies des  fêtes  de  l'adoration  perpétuelle,  qui,  en  ce  pays, 
revêtent  un  caractère  particulièrement  solennel.  Chaque 
cinq  ans,  toute  paroisse  a  sa  mission  et  son  renouvelle- 


—  o8  — 

ment  spirituel.  Mais  aussi  le  travail  est  incessant  pour 
les  Pères  de  Saint-Ulrich.  Été  comme  hiver,  printemps 
comme  automne,  il  faut  travailler  sans  relâche.  A  ces 
missions  paroissiales  viennent  s'ajouter  de  nombreuses 
retraites  dans  les  communautés  religieuses  et  dans  les 
pensionnats. 

De  temps  en  temps  nous  prêtons  notre  concours  à  nos 
Pères  de  Hollande  pour  les  travaux  qui  se  donnent  en 
Allemagne,  comme  aussi  à  nos  Pères  de  France.  Le 
P.  Laufbr  rentre  du  pays  de  Saumur,  oh  il  a  prêché 
durant  trois  semaines  dans  la  paroisse  Saint-Macaire- 
du-Bois.  Il  a  eu  le  bonheur  de  ramener  à  la  vie  chré- 
tienne cette  paroisse  auparavant  si  indifférente.  «  Ce 
Père,  disaient  ces  braves  gens  à  leur  curé,  a  été  vraiment 
créé  et  mis  au  monde  pour  nous  ;  il  nous  a  si  bien 
gagnés.  » 

L'an  dernier,  le  P.  Supérieur  est  allé  prêcher  le  carême 
français  à  la  cathédrale  de  Strasbourg.  C'était  une  occa- 
sion de  faire  connaître  le  nom  des  Oblats  de  Marie- 
Immaculée  dans  ce  religieux  diocèse.  Ce  fut  en  retour, 
pour  lui,  l'occasion  de  s'édifier  au  contact  de  ces  fer- 
vents catholiques  d'Alsace. 

Avant  de  terminer,  veuillez  me  permettre,  mon  très 
révérend  et  bien-aiméPère,de  vous  remercier  de  la  visite 
que  vous  nous  avez  faite  au  mois  de  juin  dernier,  visite 
d'autant  plus  chère  que,  depuis  longtemps,  Saint-Ulrich 
n'avait  pas  joui  de  pareille  faveur.  Merci  des  encourage- 
ments que  vous  nous  avez  donnés  durant  ces  quelques 
jours.  Nous  gardons  l'espérance  de  vous  revoir  encore. 
En  attendant,  comptez  sur  notre  religieuse  obéissance 
et  notre  filiale  affection. 

Votre  très  humble  fils  en  N,-S.  et  M.  I. 

G.  Lbglise,  o.  m.  I. 


VARIÉTÉS 


I 

CHRONIQUE  DE  LA  MAISON  DU  LAUS 

(1818-1841). 

Sous  ce  titre,  notre  archiviste,  le  R.  P.  Simonin,  nous 
communique  une  suite  d'intéressants  chapitres  dont  nous 
commençons  aujourd'hui  la  publication. 

AVANT-PROPOS. 

Les  Missionnaires  de  Provence,  Oblats  de  Saint-Char- 
les, et  depuis  1826,  Oblats  de  Marie  Immaculée,  ont 
occupé  le  sanctuaire  du  Laus  pendant  vingt-trois  ans,  de 
1818  à  1841. 

Jusque-là,  confinés  dans  la  maison  d'Aix,  leur  berceau, 
ils  acceptèrent  avec  bonheur,  en  1818,  de  desservir  ce 
sanctuaire  de  Marie,  caché  et  comme  perdu  dans  les 
montagnes  des  Hautes-Alpes,  et  dépendant  alors  du  dio- 
cèse de  Digne.  Plus  ancienne  de  trois  ans  que  la  maison 
du  Calvaire,  qui  date  de  1821,  la  maison  du  Laus,  tant 
qu'elle  a  subsisté,  a  joué  un  rôle  important,  a  tenu  une 
belle  place  dans  les  commencements  de  notre  chère  Con- 
grégation, et  mérite  d'être  signalée  parmi  tant  d'autres 
maisons  qui  lui  ont  survécu. 

C'est  au  Laus  qu'un  bon  nombre  de  nos  premiers  Pères 
ont  fait  leur  noviciat  ou  prononcé  leurs  vœux  de  religion  ; 
presque  tous  y  ont  séjourné,  les  uns  pour  travailler  au 
salut  de  leur  âme,  les  autres  pour  s'y  reposer  de  leurs 
fatigues  apostoliques,  tous  pour  y  goûter  dans  la  prière 


--  60  — 

et  la  solitude  les  joies  du  ciel.  «  Le  Laus  était  pour  eux 
comme  une  patrie  et  une  patrie  de  bénédiction,  oii  cou- 
laientle  lait  et  le  miel  de  la  grâce  divine.  Voilà  pourquoi, 
malgré  l'âpreté  du  site  et  les  frimas  d'un  long  hiver,  cette 
terre  était  plus  douce  que  les  plus  fertiles  et  les  plus 
riantes  campagnes.  Ces  champs,  si  stériles  en  biens  de  la 
terre  et  si  riches  en  biens  du  ciel,  leur  étaient  déli- 
cieux (1).  » 

Heureux  de  se  perfectionner  dans  la  vie  religieuse  sous 
le  manteau  de  leur  Mère  Immaculée,  les  Oblats  du  Laus 
se  montrèrent  dignes  du  poste  qu'on  leur  avait  confié. 
Gardiens  du  sanctuaire,  ils  l'embellirent  et  y  amenèrent 
des  pèlerins.  Avant  eux,  et  depuis  de  longues  années,  le 
Laus  ne  voyait  que  de  rares  visiteurs  ;  grâce  au  zèle  des 
Oblats,  les  pèlerinages ,  les  concours ,  les  processions 
solennelles  recommencèrent,  et  les  malades,  les  affligés, 
les  pécheurs,  vinrent  plus  nombreux  que  jamais  implo- 
rer Marie,  la  consolatrice  des  affligés,  le  secours  des  chré- 
tiens, la  mère  des  miséricordes.  A  tous,  les  Pères  fai- 
saient un  accueil  empressé  et  bienveillant  ;  pour  tous,  ils 
étaient  des  guides  éclairés,  pleins  de  compassion  et  de 
dévouement. 

Les  pieux  gardiens  du  sanctuaire  furent  aussi  des  tra- 
vailleurs infatigables  :  comme  missionnaires  et  comme 
prêtres  auxiliaires,  ils  sillonnèrent  en  tous  sens,  on  peut 
le  dire,  les  deux  départements  des  Hautes  et  des  Basses- 
Alpes,  instruisant  les  fidèles,  convertissant  les  pécheurs, 
et  ramenant  à  la  religion,  aux  bonnes  mœurs,  les  popu- 
lations de  ces  contrées.  Leur  zèle  apostolique  s'étendit 
même  plus  loin  ;  ils  ne  refusaient  pas  leur  ministère  à  ceux 
de  leurs  Frères  en  religion  qui  évangélisaient  la  basse 
Provence,  le  Languedoc  et  le  Dauphiné. 

(1)  Mélanges  historiques,  par  Mer  Jeancard,  évêque  de  Cérame,  §  9, 
p.  82. 


—  61   — 

Telle  est,  dans  ses  grandes  lignes,  la  physiunomie  de 
la  naaison  da  Laus.  Nous  allons  essayer  d'en  repro- 
duire la  chronique  pour  répondre,  dans  la  mesure  de 
nos  moyens,  à  la  pensée  de  notre  vénéré  Fondateur, 
On  sait  que,  dès  le  principe,  M^""  de  Mazenod  ne  cessa 
de  recommander  à  ses  fils  spirituels  de  noter  avec 
soin,  en  chaque  maison,  tout  ce  qui  était  de  nature  à 
entrer  dans  la  future  histoire  de  notre  famille  religieuse. 
Nous  possédons,  dans  nos  archives,  de  précieux  rensei- 
gnements sur  la  maison  du  Laus  ;  quelques-uns  ont  paru 
dans  la  Vie  de  M^^  de  Mazenod,  par  le  R.  P.  Rambert,  dans 
les  Mélanges  historiques  de  Me^  Jeancard  surtout  ;  mais 
la  plupart  sont  restés  inédits.  A  l'aide  du  Journal  de 
M^f  DE  Mazenod,  de  sa  volumineuse  correspondance,  des 
pièces  authentiques  de  la  maison  du  Laus,  des  lettres 
de  ses  supérieurs  et  de  celles  des  Pères  qui  l'ont  habitée, 
il  ne  nous  a  pas  paru  impossible  de  reconstruire  l'histoire 
de  cette  maison.  Nous  nous  proposons  donc,  en  suivant 
l'ordre  des  temps,  de  donner  la  série  des  supérieurs  qui 
ont  dirigé  la  maison  du  Laus,  relatant,  sous  chaque  su- 
périeur, ce  qui  concerne  la  communauté,  le  pèlerinage, 
les  missions  et  retraites  données  parles  Pères.  Nous  assis- 
terons ainsi  aux  origines  et  aux  développements  de  la 
maison  du  Laus  ;  nous  verrons  se  dérouler  les  événe- 
ments qui  ont  contribué  à  sa  prospérité  et  à  ses  épreuves, 
et  nous  pourrons  mettre  en  lumière  les  vraies  causes  qui 
amenèrent  l'abandon  de  la  maison  du  Laus. 

Il  a  paru,  dans  le  diocèse  de  Gap,  en  1852,  une  nouvelle 
histoire  du  Laus,  par  le  P.  Maurel,  de  la  Compagnie  de 
Jésus,  sous  le  patronage  de  Me'  Depéry,  évêque  de  Gap. 
L'auteur  parle  en  bons  termes  de  M^""  de  Mazenod  et  de 
ses  missionnaires,  mais,  comme  il  fallait  s'y  attendre,  il 
a  jeté  un  voile  discret  et  prudent  sur  la  conduite  de 
Me'  Rossât  envers  les  ObJats,  en  1841  et  1842. 


—  62  — 

Sous  le  patronage  de  M^""  Depéry  encore  parut  aussi 
à  Gap,  en  1858,  L'Histoire  des  merveilles  de  Notre-Dame 
du  Lavs,  par  l'abbé  Pron.  L'abbé  Pron  ne  consacre  pas 
même  une  page  aux  Oblats,  qui  occupèrent  le  Laus  pen- 
dant vingt-trois  ans,  et  dans  les  quelques  lignes  qu'il 
écrit  à  leur  sujet,  il  a  trouvé  le  moyen  de  glisser  une 
erreur  historique  et  d'insinuer,  d'un  ton  ironique,  que 
les  Missionnaires  de  Provence  purent  se  consoler  de  leur 
expulsion  du  Laus  :  «  ils  en  emportaient  de  riches  tré- 
sors ».  C'est  ainsi  que  s'écrivait  l'histoire  dans  le  diocèse 
de  Gap,  en  4852.  Au  nom  de  la  vérité,  de  la  reconnais- 
sance et  de  la  justice,  nous  aurions  le  droit  de  nous  en 
plaindre  et  de  réclan::er. 

Nous  offrons  ce  travail  d'histoire  rétrospective,  sorte  de 
chronique,  aux  lecteurs  des  annales,  persuadé  qu'il  aura 
pour  eux  quelque  intérêt.  C'est  un  récit  de  famille;  mal- 
gré ses  imperfections,  il  nous  mettra  en  présence  des 
travaux  et  des  œuvres  de  nos  anciens,  ces  vaillants  ou- 
vriers de  la  première  heure  qui  ont  si  bien  mérité  de  la 
Congrégation  et  de  l'Église. 

Qu'on  me  permette  de  citer  d'abord,  à  titre  de  dédi- 
cace, les  strophes  suivantes  du  P.  Jeancard  : 

A  NOTRE-DAME  DD   LAUS. 

Vallon  religieux,  solitude  chérie, 

Lieu  saint,  tout  consacré  de  pieux  souvenirs, 

0  séjour  d'une  Mère,  ô  temple  de  Marie, 

Ah  !  puissent  jusqu'à  vous  arriver  mes  soupirs  ! 

Sanctuaire  de  paix,  vous  avez  vu  mon  trouble  ; 
Votre  marbre  a  reçu  les  traces  de  mes  pleurs  ; 
Les  peines  qu'ici-bas  chaque  moment  redouble, 
Au  pied  de  vos  autels  se  changeaient  en  douceurs. 

Votre  charme  divin,  comme  un  puissant  miracle. 
Aux  jours  que  je  foulai  votre  sacré  parvis, 
Me  vainquit,  et  croyant  au  plus  sublime  oracle, 
Je  regardai  le  ciel,  j'écoutai,  j'obéis. 


—  63  — 

Je  m'offris  lent  entier  au  Dieu  du  sacrifice  ; 
Je  rendis  tout  mon  être  au  Dieu  qui  l'avait  fait; 
De  ma  vie,  en  ce  jour,  j'èciiangeai  le  calice 
Pour  un  calice  pur  qui  n'était  qu'un  bienfait. 

Ah  !  quel  baume  coula  dans  mon  âme  attendrie 
Quand  une  main  aimée,  apaisant  ma  douleur, 
Plaçait,  pour  consacrer  le  reste  de  ma  vie, 
Une  croix  sur  mon  sein  et  Dieu  même  en  mon  cœur, 

Lorsqu'heureux  du  bonheur  de  votre  nouveau  frère. 
Amis,  que  mon  cœur  seul  choisissait  à  jamais, 
Vous  éleviez  vos  voix  autour  du  sanctuaire, 
Et  vous  mêliez  vos  vœux  aux  vœux  que  je  faisais  ! 

Je  puis  donc  vous  revoir,  lieu  cher  à  ma  mémoire, 
Et  vous,  sacrés  témoins  de  mon  premier  serment, 
0  temple,  ô  saint  autel,  vous  d'où  vient  la  victoire 
Qui  subjugue  mon  âme  en  cet  heureux  moment. 

Que  ne  puis-je,  couvert  de  votre  ombre  sacrée, 

A  longs  traits  respirer  la  paix  de  ce  séjour  ; 

D'une  mère  garder  l'image  vénérée, 

Couvrant  ses  pieds  des  fleurs  qu'offrirait  mon  amour! 

J.  Jkangard, 
Avril  1824.  Fourrières  (Var).  Prêtre,  Missionnaire  de  Provence. 


CHAPITRE  PREMIER. 

SITE    ET    ASPECT    DU     LAUS. 

L'église  et  le  hameau.  —  Origine  du  pèlerinage.  —  Sœur  Benoîte 
Rencurel.  —  Apparition  de  la  Sainte  Vierge.  —  L'oratoire  de  Bon- 
Rencontre,  au  Laus.  —  Construction  de  l'église,  qui  contient  l'an- 
cienne chapelle  de  Bon-Rencontre.  —  Développement  du  pèleri- 
nage. —  Mort  de  sœur  Benoîte.  —  Les  desservants  de  l'église  du 
Laus  (1668-1818)  [11. 

Le  sanctuaire  de  Notre-Dame  du  Laus  est  situé  dans 
la  partie  du  Dauphiné  comprise  dans  l'ancien  diocèse 

(1)  Ce  chapitre,  destiné  à  nous  faire  connaître  le  Laus,  est  comme 
une  rapide  esquisse  de  la  Notice  historique  de  Notre-Dame  du  Laus, 
publiée  en  18â9,  par  le  R.  P.  Jeancard,  o.  m.  i.,  à  Marseille.  In-12, 
chez  Marias  Olive,  sur  le  Cours,  n»  4. 


—  64  — 
d'Embrun,  actuellement  département  des  Hautes-Alpes, 
à  2  bonnes  lieues  nord-est  de  Gap,  évêché  et  chef-lieu 
du  nouveau  département.  Si  Ton  y  arrive  de  cette  ville, 
on  découvre  du  haut  d'un  sommet  distant  d'un  quart 
de  lieue,  l'église  du  Laus  et  le  vallon  où  elle  est  bâtie. 
Il  y  a  là  un  petit  oratoire  où  le  pèlerin  s'agenouille 
avant  de  descendre  vers  le  sanctuaire  de  la  Sainte  Vierge. 

De  ce  même  sommet,  on  voit  à  ses  pieds  le  site  du 
Laus  dans  toute  son  étendue.  Il  est  borné  au  nord  et  au 
couchant  par  des  rochers  escarpés  et  s'élève,  du  côté  du 
levant,  au-dessus  d'une  vallée  très  basse  dont  le  fond  est 
caché  par  un  monticule  d'une  pente  assez  douce  par 
devant  et  très  rude  au  revers.  Sur  ce  monticule,  on  a 
planté  quatorze  croix  servant  de  stations  pour  le  via 
crucis  ;  c'est  sur  ce  calvaire  que  les  personnes  qui  sont 
en  neuvaine  font,  chaque  jour,  le  chemin  de  la  croix.  Par 
delà  la  vallée,  se  dessinent  les  montagnes,  assez  hautes, 
du  Théus  et  du  Saint-Maurice,  couvertes  de  sapins  et 
de  mélèzes.  Sur  une  élévation  qui  forme  comme  le  sou- 
bassement du  Théus  se  présente,  à  l'opposite  du  point 
où  l'on  se  trouve,  le  village  de  Saint-Étienne-d'Avançon, 
commune  d'environ  600  habitants,  canton  de  Bâtie- 
Neuve  (1).  Enfin,  au  midi  parfait,  une  échappée  de  vue 
nous  laisse  apercevoir  au  loin  les  sommets  des  Basses- 
Alpes. 

Le  bassin  du  Laus  (du  latin  lacm,  lac)  se  compose  de 
quelques  champs  labourés,  de  deux  bosquets  de  pins, 
du  jardin  du  couvent.  Ce  couvent,  dont  l'ensemble  est 
carré  oblong,  forme  angle  droit  avec  le  chevet  de  l'église 
à  laquelle  il  est  contigu.  iSon  loin  de  là  sont,  eu  deux 
groupes,  une   dizaine  de  maisons  dont  les  habitants 

(1)  Le  Dictionnaire  des  communes  ne  donne  que  316  habitants  à 
Saint-Etienne-d'Avançon.  Le  P.  Jeancard  écrivait  en  1829,  le  Dic- 
tionnaire pnrut  trente-cinq  ans  plus  tard,  en  1864. 


—  65  — 

donnent  l'hospitalité  aux  pèlerins.  Le  hameau  du  Laus, 
pouvant  compter  une  centaine  d'habitants,  dépend  de  la 
commune  de  Saint-Étienne-d'Avançon,  située  à  3  kilo- 
mètres. 

«  Le  paysage  du  Laus,  dit  le  P.  Jeancard,  est  triste  en 
hiver,  mais  d'un  effet  assez  heureux  pendant  l'été  ;  tout 
autour,  les  montagnes,  couvertes  de  forêts,  jettent  de 
côté  et  d'autre  des  ombres  imposantes  qui  remplissent 
la  solitude  de  recueillement  et  de  mystère  ;  vers  le  centre, 
les  teintes  sont  plus  claires  et  la  campagne  n'est  pas  sans 
agrément.  L'ensemble  du  tableau,  avec  l'église  et  le 
couvent,  présente  une  physionomie  religieuse  d'un 
charme  inexprimable  ;  quelque  chose  vous  parle  là  et 
vous  dit  qu'en  ce  lieu,  loin  des  bruits  du  monde,  vous 
trouverez  enfin  le  repos  du  cœur  dans  le  silence  et  la 
prière  (1).  » 

Ce  double  aspect  des  lieux,  tour  à  tour  sévère  et 
triste,  gracieux  et  charmant,  les  met  en  parfaite  harmo- 
nie avec  les  scènes  dont  ils  ont  été  et  sont  encore  aujour- 
d'hui le  théâtre.  La  Sainte  Vierge  est  apparue  dans  ces 
montagnes,  s'y  est  entretenue  avec  une  enfant,  a  voulu 
qu'un  sanctuaire  y  fût  construit  en  son  honneur  ;  il  con- 
venait que  la  parure  en  fût  gracieuse  ;  aussi  la  nature  a 
dressé  tout  autour  des  murailles  de  montagnes  qui  le 
protègent  et  en  font  un  jardin  bien  clos,  hortus  conclusus. 
D'autre  part,  le  but  de  Marie,  en  multipliant  ses  appa- 
ritions, était  de  convier  les  peuples  à  la  pénitence,  d'éta- 
bhr  un  asile  oii  les  pécheurs  pourraient  venir  pleurer 
leurs  fautes  et  entendre  de  graves  paroles  qui  jettent  de 
salutaires  terreurs  dans  les  âmes;  il  convenait  donc  que 
ce  site  fût  austère.  Dans  l'ensemble,  c'est  un  monastère 
avec  sa  rigidité  claustrale,  mais  il  y  a  de  jolis  jardins  qui 

(1)  Notice  historique  de  Notrs-Dame  du  Laus. 

T.    XXXY.  6 


—  6t)  — 

reposent  le  regard  el  égayent  les  pensées  de  l'anacho- 
rète (i). 

Le  P.  Jeancard  nous  décrit  Téglise  telle  qu'elle  était 
de  son  temps.  Devant  la  grande  porte,  sur  un  piédestal 
élégant,  il  y  a  une  fort  jolie  croix  eu  bronze  avec  des 
rayons  dorés  ;  elle  fut  érigée  en  1818,  par  iM.  J,  Araar, 
de  Briançon,  pour  obtenir  des  grâces  qui  lui  furent 
accordées.  Cette  église  n'a  qu'une  nef  très  large  et  assez 
longue;  deux  chapelles  latérales  lui  donnent  la  forme 
d'une  croix.  Le  maître-autel  apparaît  au  fond  d'une  pe- 
tite chapelle  enfermée  dans  le  sanctuaire  du  grand  édi- 
fice, dont  elle  est  tout  à  fait  détachée  ;  l'on  peut  cir- 
culer tout  autour.  Cette  chapelle,  dont  les  parois  sont 
en  stuc,  est  couronnée  d'une  voûte  particulière,  sorte 
de  dôme  couvrant  le  maître-autel.  Ouverte  par  devant 
et  par  les  côtés,  son  frontispice,  surmonté  de  diverses 
figures,  est  soutenu  par  deux  colonnes  d'ordre  mixte. 
Derrière  la  chapelle,  on  voit,  devant  un  vitrail,  entourée 
de  quelques  ornements,  une  statue  de  la  Sainte  Vierge, 
que  l'on  porte  dans  les  processions  et  au  pied  de  la- 
quelle les  fidèles  ne  manquent  jamais  de  s'agenouiller 
pour  offrir  leurs  hommages  et  leurs  prières  à  Marie.  Ce 
monument  rappelle  la  Santa  Casa  de  la  basilique  de 
Lorette  et  celle  de  Notre-Dame  d'Einsiedeln,  au  canton 
de  Schwitz,  Notre-Dame  des  Ermites  ;  mais  ici,  la  cha- 
pelle de  saint  Meinrad,  consacrée  par  Notre-Seigneur 
Jésus-Christ,  est  à  l'entrée,  à  gauche,  de  l'église  d'Ein- 
siedeln et  n'est  ouverte  que  par  devant,  comme  la  Santa 
Casa  de  Lorette. 

Quelle  est  l'origine  de  cette  église  et  comment  devint- 
elle  un  lieu  de  pèlerinage  célèbre?  C'est  ce  qu'il  nous 
faut  exposer  brièvement.  Nous  avons  vu,  de  nos  jours, 

(1)  Vie  du  cardinal  Guibert,  par  M.  Paguelle  de  FoUenay,  t.  1, 
ohap.  VI,  p.  305. 


—  67  ~ 

la  Très  Sainte  Vierge  manifester  sa  puissance  et  sa  misé- 
ricorde en  signifiant  ses  volontés  à  de  pauvres  enfants 
sur  la  montagne  de  la  Salette,  devant  la  grotte  de  Lourdes 
et  au  village  de  Pontmain.  De  même,  il  y  a  plus  de  deux 
siècles,  Marie  apparut  à  une  humble  petite  bergère  et  la 
choisit  pour  en  faire  l'instrument  de  ses  volontés  ;  la 
Reine  du  ciel  se  fit  l'institutrice  de  la  petite  bergère  et  lui 
donna  des  leçons  qui  conduisirent  bientôt  l'enfant  à  un 
degré  élevé  d'instruction  religieuse  et  de  sainteté. 

C'est  par  cette  bergère,  avec  laquelle  Marie  entretint 
des  rapports  presque  quotidiens,  pendant  plus  de  cin- 
quante ans,  que  le  Laus  devint  un  sanctuaire  et  le  théâ- 
tre des  grâces  sans  nombre  accordées  aux  fidèles  par  la 
Mère  de  Dieu.  Cette  bergère  s'appelait  BenoîteRencurel. 
Elle  naquit  le  jour  de  saint  Michel  archange,  le  29  sep- 
tembre 1647,  au  village  de  Saint-Étienne-d'Avançon, 
dont  dépend  le  hameau  du  Laus.  Ses  parents,  Guillaume 
Rencurel  et  Catherine  Matheron,  étaient  vertueux,  mais 
pauvres  des  biens  de  ce  monde.  A  sept  ans,  Benoîte 
perdit  son  père;  trois  ans  après,  sa  mère,  réduite  à  l'in- 
digence, fut  obligée  de  la  placer  en  service  pour  garder 
les  brebis.  Ne  sachant  guère  que  Pater,  Ave  et  Credo,  la 
petite  bergère,  prévenue  delà  grâce  à  laquelle  elle  cor- 
respondait, grandit  dans  la  piété,  la  modestie,  la  pa- 
tience dans  les  épreuves  et  la  fidélité  à  tous  les  devoirs 
de  sa  condition.  Elle  donnait  aux  petits  indigents  les 
morceaux  de  pain  noir  qu'elle  gagnait  péniblement,  mais 
surtout  elle  avait  une  tendre  dévotion  pour  la  Sainte 
Vierge  ;  dans  sa  piété  naïve,  elle  éprouvait  un  désir  très 
ardent  de  contempler  les  traits  de  celle  qu'elle  regardait 
comme  sa  mère.  Elle  fut  exaucée. 

Elle  avait  treize  ans  lorsque,  pour  la  première  fois,  en 
1660,  elle  vit,  dans  le  vallon  de  Saint-Étienne-d'Avan- 
çon oti  elle  gardait  son  troupeau,  une  Dame  à  la  figure 


-  68  — 

auguste  et  dont  les  traits  étaient  empreints  de  douceur 
et  de  majesté.  Benoîte,  à  cette  vue,  fut  comme  ravie  en 
extase  et  demeura  en  cet  état  jusqu'à  ce  que  la  vision 
eût  disparu.  Les  apparitions  se  renouvelèrent  au  même 
lieu,  à  de  rares  intervalles,  pendant  quatre  mois.  La 
Belle  Dame  l'entretenait  de  choses  célestes,  l'instruisait 
et  versait  dans  son  âme  l'amour  de  Dieu  et  de  toutes  les 
vertus.  Le  changement  qui  s'opéra  en  elle  étonna  tout 
le  monde;  elle  parlait  merveilleusement  des  choses  de 
Dieu  et  était  animée  d'un  zèle  tendre  pour  la  conversion 
des  pécheurs;  des  conversions  publiques  récompensèrent 
son  zèle  et  manifestèrent  les  dons  qu'elle  recevait  de  son 
institutrice. 

Cependant,  la  Belle  Dame,  à  la  demande  de  Benoîte, 
se  fit  connaître  et  lui  dit  avec  un  doux  sourire  :  «  Je  suis 
Marie,  mère  de  Jésus,  mon  très  cher  fils,  qui  veut  que 
je  sois  honorée  en  cette  paroisse,  mais  pas  dans  ce  lieu.  » 
Ceci  se  passait  vers  la  fin  du  mois  d'août  1664.  Un  mois 
après,  Benoîte,  ayant  conduit  ses  brebis  vers  le  vallon  du 
Laus,  au  lieu  appelé  Pindi^au,  vit  la  Sainte  Vierge  qui  lui 
dit:  «  AllezauLaus,  en  voici  le  chemin;  suivez-le  jusqu'à 
ce  que  vous  trouviez  une  petite  chapelle  oii  vous  trou- 
verez de  bonnes  odeurs.  »  Il  s'agissait  d'une  chapelle  de 
secours,  nommée  Notre-Dame  de  Bon-Rencontre,  que 
les  habitants  avaient  construite  en  1610,  parce  que  l'ac- 
cès de  l'église  paroissiale,  Saint-Étienne,  était  souvent 
très  difficile  pendant  les  neiges  d'hiver.  Benoîte  obéit, 
mais  elle  s'égara  dans  les  sentiers,  fut  obligée  de  reve- 
nir le  lendemain  et  elle  fut  plus  heureuse.  Comme  elle 
suivait  le  sentier  de  la  veille,  guidée  par  un  parfum  tout 
céleste,  elle  aperçut  à  travers  les  pins  une  petite  cha- 
pelle couverte  de  chaume  et  à  moitié  ruinée.  Elle  s'ap- 
procha et  vit  debout  sur  l'autel  la  Très  Sainte  Vierge  ra- 
dieuse et  triomphante.  La  Mère  de  Dieu  dit  à  Benoîte 


—  69  — 

qui  se  plaignait  du  dénûment  de  cette  chapelle  :  «  Ne 
vous  mettez  pas  en  peine  ;  dans  peu  de  temps,  il  n'y 
manquera  rien.  Je  veux  y  faire  bâtir  une  grande  église, 
avec  une  maison  pour  quelques  prêtres  résidants.  J'ai 
destiné  ce  lieu  pour  la  conversion  des  pécheurs.  Elle 
sera  bâtie  en  l'honneur  de  mon  fils  et  du  mien  ;  beaucoup 
de  pécheurs  et  de  pécheresses  s'y  convertiront,  et  elle 
aura  la  longueur  et  la  largeur  que  je  veux.  C'est  là  que 
vous  me  verrez  très  souvent.  »  La  jeune  bergère  répli- 
qua :  «  Bâtir  une  église  !  Mais  il  n'y  a  pas  ici  d'argent 
pour  cela.  »  Marie  répondit  :  «  Ne  vous  inquiétez  pas; 
quand  il  faudra  bâtir,  on  trouvera  tout  ce  dont  on  aura 
besoin,  et  ce  sera  bientôt.  Les  deniers  des  pauvres  four- 
niront tout,  rien  n'y  manquera,  » 

Tel  est  l'acte  de  fondation  du  sanctuaire  du  Laus.  A 
dater  de  cette  apparition,  il  se  fît  à  l'humble  oratoire  un 
concours  immense  de  pèlerins;  Marie  y  répandit  des 
faveurs  sans  nombre;  dix-huit  personnesy  recouvrèrent 
la  vue,  huit  l'ouïe  et  trois  la  parole;  il  y  eu  trois  guéri- 
sons  d'épilepsie,  six  des  écrouelles,  onze  de  paralysie  et 
trois  possédés  du  démon  furent  délivrés.  C'est  ainsi  que 
Marie  accréditait  Benoîte  auprès  de  la  population.  Les 
esprits  les  plus  prévenus,  qui  regardaient  la  bergère 
comme  une  visionnaire,  durent  se  rendre  à  l'évidence  de 
ces  faits  nombreux,  incontestables. 

L'année  qui  suivit  son  apparition,  l'autorité  diocé- 
saine délégua  au  Laus  Antoine  Lambert,  officiai  et  vi- 
caire général  d'Embrun,  accompagné  de  plusieurs 
prêtres  de  distinction  et  de  mérite. La  commission  ecclé- 
siastique fit  subir  à  Benoîte  un  long  et  rigoureux  examen 
au  sujet  de  ces  apparitions  et  des  révélations  qui  lui 
avaient  été  faites  ;  elle  reconnut,  dans  les  réponses  de 
Benoîte,  tous  les  caractères  de  la  vérité,  en  même  temps 
qu'elle  constata  les  dons  admirables  dont  Dieu  avait  favo- 


—  70  — 

risé  celte  fille  des  champs.  Un  miracle  arrivé  sous  les 
yeux  des  commissaires  ecclésiastiques  et  dont  le  vicaire 
général  rédigea  et  signa  lui-même  le  procès-verbal  juri- 
dique, le  18  septembre  166?),  dissipa  tous  les  doutes  et 
confirma  la  légitimité  de  la  dévotion  du  peuple  envers 
Marie  en  ce  lieu  béni  du  Laus.  L'autorité  ecclésiastique 
avait  parlé,  le  caractère  céleste  des  apparitions  et  la  réa- 
lité des  miracles  avaient  été  authentiquement  reconnus 
et  proclamés. 

Dès  lors,  on  se  mita  exécuter  le  programme  tracé  par 
la  Sainte  Vierge  elle-même.  Un  vicaire  général  de  Gap 
et  chanoine,  Pierre  Gaillard,  posa  la  première  pierre  de 
l'église  en  1666  ;  pendant  que  les  travaux  se  poursui- 
vaient, il  se  rendit  à  Rome  et  en  rapporta,  au  mois  de 
décembre,  de  nombreuses  indulgences  en  faveur  du  pè- 
lerinage. L'archevêque  d'Embrun,  Georges  d'Aubusson 
de  la  Feuillade,  non  seulement  approuva  tout  ce  qui 
s'était  fait,  mais  lui-même  se  recommanda  à  Notre- 
Dame  du  Laus  dans  une  grave  maladie  dont  il  fut  parfai- 
tement guéri.  En  reconnaissance  de  ce  bienfait,  il  fit 
faire  le  portail  de  la  nouvelle  église,  où  l'on  voit  encore 
ses  armoiries.  L'édifice  ne  fut  complètement  achevé  que 
vers  l'année  1669.  Gomme  nous  l'avons  vu,  on  laissa  sub- 
sister la  petite  chapelle  de  Bon-Rencontre,  on  l'embel- 
lit et  elle  devint,  pour  le  sanctuaire  oh  elle  est  placée, 
un  ornement  assez  remarquable. 

L'église  terminée  et  construite  sur  le  plan  des  instruc- 
tions de  la  Sainte  Vierge,  on  éleva  à  côté  le  bâtiment  qui 
devait  servir  de  logement  aux  prêtres  destinés  à  la  des- 
servir. Il  était  dès  lors  assez  vaste  pour  être,  dans  la 
suite,  une  maison  de  communauté.  Trois  prêtres  s'y 
installèrent  à  demeure  et  se  mirent  au  service  des  pè- 
lerins avec  un  dévouement  au-dessus  de  tout  éloge. 

La  grande  œuvre  entreprise  par  Benoîte  sur  l'ordre 


—  71  — 

de  la  Sainte  Vierge  passa  par  des  épreuves  qui  ne  firent 
que  lui  donner  plus  de  solidité.  L'archevêque  d'Embrun, 
M^""  Georges  d'Aubusson  de  laFeuillade,  ayant  été  trans- 
féré à  Metz,  eut  pour  successeur  M^'  Charles  Brulard,  de 
Senlis,  en  167i.  D'abord  circonvenu  par  certains  per- 
sonnages et  rendu  incrédule  à  la  dévotion  du  Laus,  il 
changea  d'avis  après  avoir  entendu  Benoîte,  au  Laus 
même,  lui  racontant  les  révélations  et  les  apparitions  de 
la  Sainte  Vierge,  et  il  consigna  dans  un  acte  authentique 
sa  conviction  que  le  Laus  était  un  lieu  saint,  que  les 
miracles  qui  s'y  étaient  opérés  étaient  vrais,  et  que  la 
vertu  de  Benoîte  reposait  sur  des  fondements  solides, 
qu'en  un  mot,  le  pèlerinage  du  Laus  était  bien  l'œuvre 
de  la  Sainte  Vierge. 

Benoîte,  qu'on  appelait  sœur  Benoîte  parce  qu'elle 
était  du  tiers  ordre  de  Saint-François,  fut  l'âme  du  pè- 
lerinage du  Laus  tant  qu'elle  vécut  et  se  dévoua  à  la 
mission  que  la  Sainte  Vierge  Marie  lui  avait  confiée.  Lors- 
qu'en  1692,  une  partie  du  Dauphiné  fut  envahie  par 
l'armée  des  puissances  coalisées  contre  Louis  XIV,  elle 
quitta  le  Laus  sur  un  avis  venu  du  ciel,  après  avoir  mis 
en  sûreté  le  trésor  du  sanctuaire.  A  son  retour  de  Mar- 
seille, où  elle  s'était  réfugiée,  elle  fut  le  témoin  attristé 
des  ravages  causés  par  l'invasion.  La  maison  des  prêtres 
du  Laus  avait  été  brûlée,  mais  les  flammes  avaient  res- 
pecté l'église.  Elle  se  mit  aussitôt  à  l'œuvre,  aidée  parles 
bons  habitants  d'Espinasse  et  de  Théus,  paroisses  voi- 
sines, et  les  dégâts  matériels  furent  réparés  en  peu  de 
temps.  Les  mœurs  avaient  souffert  du  passage  de  l'en- 
nemi, Benoîte  en  était  inconsolable;  elle  redoubla  ses 
prières,  ses  jeûnes  et  ses  pénitences,  ses  vives  exhorta- 
tions pour  ramener  au  sein  des  populations  l'antique 
simplicité  et  les  habitudes  chrétiennes  et  vertueuses. 

Cependant,  l'œuvre  de  la  sanctification  de  sœur  Be- 


—  72  — 

noîte  touchait  à  son  terme,  sa  mission  était  accomplie. 
Dieu  la  soumit  à  de  grandes  souffrances  physiques  et 
morales.  Depuis  plus  d'un  an,  elle  ne  goûtait  plus  les 
consolations  des  délicieuses  visites  de  la  Sainte  Vierge  ; 
c'était  la  préparation  dernière  à  son  entrée  dans  le  ciel. 
Le  jour  de  Noël  1718,  elle  reçut  les  derniers  sacrements 
avec  les  sentiments  d'un  chérubin  brûlant  d'amour  pour 
son  Dieu  et,  le  28  décembre,  fête  des  Saints  Innocents, 
elle  rendit  son  âme  entre  les  bras  de  sa  bonne  Mère,  la 
Très  Sainte  Vierge,  qui  l'avait  assistée  à  sa  dernière 
heure.  Sœur  Benoîte  était  âgée  de  soixante  et  onze  ans 
et  trois  mois. 

11  y  eut  un  concours  immense  à  ses  funérailles,  malgré 
la  rigueur  de  la  saison;  riches  et  pauvres  la  pleurèrent 
également,  car  elle  avait  été  bienfaisante  et  secourable 
pour  tous. 

Le  tombeau  où  fut  déposé  son  corps  est  creusé  dans 
le  sanctuaire  en  avant  du  grand  autel,  à  l'entrée  de  la 
petite  chapelle. 

On  lit  sur  la  pierre  tombale  cette  simple  inscription  : 

TOMBEAU   DE   LA   SŒUR  BENOITE, 
MORTE   EN   ODEUR   DE   SAINTETÉ   LE   28   DÉCEMBRE   1718 

Depuis  sa  mort,  on  vint  priera  son  tombeau  avec  une 
religieuse  vénération,  tant  on  était  persuadé  de  l'émi- 
nence  de  ses  vertus,  et  que,  duhaut  du  ciel,  elle  protégeait 
tous  ceux  qui  venaient  au  Laus  rendre  de  dignes  hom- 
mages à  Marie.  Le  7  septembre  1871,  Sa  Sainteté  le  Pape 
Pie  IX  déclarait  vénérable  sœur  Benoîte  Rencurel.  Celte 
histoire  abrégée  des  origines  du  pèlerinage  de  Notre-Dame 
du  Laus  nous  montre  en  Marie,  la  Sainte  Mère  de  Dieu, 
la  vraie  fondatrice  de  ce  célèbre  sanctuaire  ;  son  inter- 
vention active,  ses  bienfaits  sont  visibles  et  constatés. 
C'est  elle  qui  fait  choix  de  la  petite   bergère  Benoîte 


—  73  — 
Rencurel  et  lui  fait  part  de  son  intention  d'être  honorée 
en  ce  lieu,  qui  deviendra  un  foyer  de  grâces  spirituelles, 
un  asile  de  consolation,  un  refuge  pour  les  pécheurs. 
C'est  Marie  encore  qui  forme  l'instrument  dont  elle  s'est 
servie,  en  l'élevant,  par  une  série  d'apparitions,  à  la  pra- 
tique des  plus  hautes  vertus;  Marie  a  soutenu  l'humble 
bergère  dans  les  épreuves,  et  l'a  fait  triompher  des  obs- 
tacles, humainement  insurmontables,  qui  s'opposaient 
à  l'exécution  d'une  œuvre  destinée  à  honorer  Jésus- 
Christ  et  sa  Sainte  Mère,  à  sanctifier  les  âmes.  Les  faits 
que  nous  venons  d'exposer,  si  extraordinaires  qu'ils 
soient,  sont  appuyés  sur  des  témoignages  irrécusables  ; 
ils  ont  été  examinés  et  contrôlés  à  diverses  reprises  par 
de  graves  théologiens,  par  l'autorité  ecclésiastique  com- 
pétente, qui,  prévenue  d'abord  contre  eux,  les  a  reconnus 
vrais  et  a  permis  aux  fidèles  la  dévotion  à  Marie,  dans  le 
sanctuaire  de  son  choix.  Dieu  lui-même  a  contresigné 
la  réalité  de  ces  faits  par  les  miracles  éclatants  et  nom- 
breux dontleLaus  a  été  le  théâtre.  Que  penser  dès  lors 
des  lignes  suivantes  que  nous  lisons  dans  le  Dictionnaire 
des  communes  de  la  France  (1)  :  «  Notre-Dame  du  Laus, 
pèlerinage  célèbre  dans  les  Hautes-Alpes  et  les  contrées 
voisines,  depuis  deux  siècles.  Eglise  remarquable,  élevée 
en  1667,  à  la  suite  d'une  prétendue  apparition  de  la  Sainte 
Vierge  à  une  jeune  bergère  appelée  Benoîte  Rencurel.  » 
A  la  suite  d'une  prétendue  apparition!  Avec  quelle  dé- 
sinvolture on  prétend,  par  cette  assertion  fausse,  discré- 
diter un  pèlerinage  qui  dure  depuis  deux  siècles  !  Non, 
ce  n'est  pas  à  la  suite  d'une  pi'étendue  apparition,  mais 
de  plusieurs  apparitions  bien  réelles,  bien  constatées,  que 
le  pèlerinage  s'est  établi  au  Laus.  C'est  une  pure  calom- 
nie jetée  à  la  face  des  pèlerins  que  d'attribuer  leur  dévo- 

(1)  Chez  Hachette,  boulevard  Saiut-Germain,  77,  Paris,  1864,  par 
.\d.  Joanne,  arl.  Notre-Uame  du  Laus. 


—  Ti- 
tien à  Marie  en  ce  lieu,  à  une  crédulité  ignorante  et 
aveugle.  Il  faut  plaindre  ces  écrivains  qui  parlent  de 
choses  qu'ils  ignorent,  ou  qu'ils  travestissent  par  horreur 
du  surnaturel.  C'est  de  leur  part,  du  reste,  une  sorte  de 
bon  ton  de  rejeter  a  priori  le  surnaturel  dans  les  faits. 
Le  même  auteur,  aux  articles  Lourdes  et  la  Salette-Falla- 
vaux,  obéit  aux  mêmes  préjugés.  Ainsi  s'écrit  l'histoire; 
on  ne  consulte  pas  les  vrais  documents,  ou,  si  on  les  a 
consultés,  c'est  en  aveugles  volontaires,  et  l'on  n'a  pas 
le  courage  de  dire  la  vérité  à  son  public. 

Il  nous  reste  à  parler  des  desservants  du  Laus  jusqu'en 
1818.  Le  vicaire  général  du  diocèse  de  Gap,  Pierre  Gail- 
lard, nous  l'avons  vu,  se  dévoua  à  la  construction  de 
l'église  en  1666.  Il  fut  secondé  par  deux  saints  et  dignes 
prêtres,  MM.  Peitieu  et  Hermite,  qui  desservirent  le  sanc- 
tuaire jusqu'à  leur  mort,  et  recueillirent  des  fruits  in- 
croyables de  consolation  pour  eux  et  de  grâces  et  de  salut 
pour  les  fidèles.  En  1672,  ils  reçurent  au  Laus  le  nouvel 
archevêque  d'Embrun,  M»^  de  Senlis,  et  eurent  la  joie  de 
voir  cet  éminent  et  judicieux  prélat  revenir  de  ses  préven- 
tions contre  le  Laus,  se  prononcer  en  faveur  du  pèleri- 
nage et  s'en  déclarer  le  protecteur  dévoué.  M.  Hermite, 
qui  avait  accompagné  sœur  Benoîte  à  Marseille  en  1692, 
de  concert  avec  M.  Gaillard  et  sœur  Benoîte,  répara,  à 
son  retour  au  Laus,  le  logement  des  prêtres,  incendié  par 
les  armées  de  l'invasion,  et  mourut  en  1693.  M.  Peitieu 
l'avait  précédé  depuis  peu  dans  la  tombe. 

A  ces  dignes  prêtres  si  dévoués  au  Laus,  Me'  de  Senlis, 
surpris  dans  sa  bonne  foi,  donna  pour  remplaçants  des 
prêtres  d'une  vertu  rigide  et  d'une  morale  sévère.  Indo- 
lents et  durs  pour  les  pèlerins,  ils  avaient  peu  de  sympa- 
thie pour  le  sanctuaire  et  tracassèrent  sœur  Benoîte,  de 
toutes  manières.  En  de  telles  mains,  le  pèlerinage  cou- 
rait risque  de  tomber.  Heureusement,  M*""  de  Senlis  re- 


—  75  — 

connut  qu'il  avait  été  trompé,  que  la  conduite  de  ces 
hommes,  dont  la  foi  même  était  suspecte,  ne  pouvait  cou- 
vrir que  de  ronces  et  d'épines  ce  champ  du  Laus  qu'il 
aimait  cependant  de  tout  son  cœur.  Il  les  révoqua  donc 
de  leurs  fonctions  et  en  revêtit  des  prêtres  tout  à  fait 
dignes  de  son  choix,  les  prêtres  de  Sainte-Garde,  qui  fu- 
rent chargés  de  la  direction  du  pèlerinage  en  1712.  La 
Congrégation  de  Sainte-Garde,  ou  des  Gardistes,  avait 
été  fondée  à  Avignon  en  1699,  par  M.  Berthet,  prêtre  du 
diocèse  d'Avignon,  et  avait  pour  but  l'éducation  de  la 
jeunesse  ecclésiastique  et  l'œuvre  des  missions  et  des 
retraites.  Le  premier  établissement  fut  fondé  au  petit 
village  de  Sainte-Garde  (Vaucluse),  alors  diocèse  de  Car- 
pentras,  où  existe  encore  de  nos  jours  un  petit  séminaire. 
De  là,  le  nom  de  Gm'distes  donné  aux  prêtres  de  la  So- 
ciété, qui,  avant  la  Révolution,  comptait  six  maisons: 
Sainte-Garde  des  Champs,  Sainte-Garde  de  la  Ville,  à 
Avignon,  plus  les  maisons  de  Carpentras,  d'Arles,  de  Sis- 
teron  et  du  Laus  (1). 

M.  Gaillard  n'eut  pas  la  consolation  de  voir  les  nou- 
veaux gardiens,  il  venait  de  mourir  à  l'âge  de  quatre- 
vingt-treize  ans,  et  ses  dépouilles  mortelles  furent  placées 
dans  l'église,  à  côté  de  celles  de  MM.  Peitieu  et  Hermite. 
Sœur  Benoîte  fut  plus  heureuse,  et  pendant  cinq  ans, 
elle  se  réjouit  de  voir  la  dévotion  de  Notre-Dame  du  Laus 
plus  brillante  que  jamais  sous  la  direction  des  prêtres 
de  Sainte-Garde.  Ils  étaient  cinq  missionnaires  au  Laus, 
et  parfois,  accablés  par  la  foule  des  pèlerins  et  par  de 
nombreuses  processions,  ils  étaient  obligés  d'appeler  à 
leur  aide  leurs  confrères  de  Sisteron.  Les  Pères  Gardistes 
propagèrent  partout  la  bonne  renommée  du  sanctuaire 
jusqu'en  1791. 

(1)  Le  P.  Jeancard,  les  Merveilles  du  Laus,  notice. 


-  76  — 

La  Révolution  fit  son  œuvre  de  dévastation  religieuse 
au  Laus,  comme  partout  en  France.  Le  dimanche  du 
Saint-Rosaire,  1791 ,  les  Pères  Gardistes  furent  violemment 
expulsés  de  leur  paisible  retraite;  l'église,  la  maison  des 
Pères,  le  mobilier  furent  vendus  à  l'enchère  et  à  vil  prix. 
La  bibliothèque  du  couvent,  composée  en  grande  partie 
des  livres  donnés  par  M.  Gaillard,  et  le  trésor  de  la  sacris- 
tie, furent  portés  aux  bureaux  du  district  d'Embrun.  On 
brûla  la  plupart  des  tableaux  et  des  ex-voto,  sur  la  place, 
devant  l'église;  la  cloche,  donnée  à  sœur  Benoîte,  en  1692, 
fut  seule  respectée.  La  statue  miraculeuse  de  la  Sainte 
Vierge,  placée  derrière  la  petite  chapelle,  fut  dépouillée 
de  ses  riches  ornements,  mais  elle  resta  dans  l'église. 

En  1802,  Ms''  MioUis,  évêque  de  Digne  et  de  Gap,  ra- 
cheta à  ses  frais  l'église  et  le  presbytère  qu'il  donna  à  la 
fabrique,  rouvrit  le  saint  temple  à  la  piété  publique  et 
nomma  deux  prêtres,  MM.  Jacques  et  Isoard,  pour  le 
desservir.  Le  P.  Jouvent,  ancien  prêtre  de  Sainte-Garde, 
qui  s'était  joint  à  eux,  fut  ensuite  nommé  recteur^  quand 
le  Laus  fut  érigé  en  succursale.  Cependant,  un  seul  prê- 
tre ne  pouvait  suffire,  on  sentit  le  besoin  de  rétablir,  au 
Laus,  une  communauté.  C'était  en  1817.  M.  Peix,  curé 
de  Gap,  provicaire  général  pour  le  département  des 
Hautes-Alpes,  dépendant,  au  for  ecclésiastique,  del'évê- 
que  de  Digne,  racheta  l'ancien  couvent  de  Sainte-Garde, 
à  M.  Raymond,  chanoine,  curé  de  Tallard,  au  moyen 
d'une  souscription  à  laquelle  un  grand  nombre  de  prê- 
tres du  département  s'empressèrent  de  concourir.  On 
avait  eu  la  pensée  d'établir  au  Laus  une  maison  de  re- 
traite pour  les  vétérans  et  les  infirmes  du  sacerdoce  ; 
mais  ce  projet  était  irréalisable;  ce  que  voyant,  M.  Peix 
remit  le  local  entre  les  mains  de  M^'  l'évêque  de  Digne. 
Nous  verrons  au  chapitre  suivant  ce  que  devint  le  cou- 
vent. 


—  77  — 

CHAPITRE  II. 

FONDATION   DE    LA   MAISON   DU   LAUS,    SEPTEMBRE    1818. 

M6f  MioUis  et  l'abbé  de  Mazenod.  —  M.  l'abbé  Arbaud,  vicaire  gé 
néral  de  Digne,  offre  rétablissement  du  Laus  à  M.  l'abbé  de  Maze- 
nod, qui  l'accepte  (août  1818).  —  Convention  avec  Mg""  Miollis 
(20  septembre  1818).  —  Bail  de  location  pour  vingt-neuf  ans  avec 
M.  Peix,  curé  de  Gap  (âO  septembre  1815).  —  Testament  de 
M.  Peix  en  faveur  des  desservants  du  Laus  (15  avril  1819). —  L'or- 
donnance royale  du  19  juillet  1820. 

On  sait  qu'avant  la  grande  Révolution,  le  département 
actuel  des  Basses-Alpes  comptait  cinq  diocèses  :  Digne, 
Riez,  Sisteron,  Senès  et  Glandève.  Après  le  concordat 
de  1801  un  seul  fut  conservé,  celui  de  Digne  ;  il  était 
considérable  par  son  étendue  ;  les  deux  départements 
des  Hautes  et  des  Basses-Alpes,  avec  une  population 
pouvant  s'élever  à  300000  habitants,  relevaient  de  la  ju- 
ridiction de  révêque  de  Digne. 

Ce  fut  en  juillet  1802  que  M^Mrénée-Yves  Dessole  prit 
possession  du  siège  épiscopal  de  Digne  ;  il  administra 
ce  vaste  diocèse,  dont  Gap  faisait  partie,  jusqu'à  1805, 
époque  où  il  fut  transféré  à  Ghambéry.  11  eut  pour  suc- 
cesseur, à  Digue,  Me'  Melchior-Bienvenu  de  Miollis,  qui 
appartenait  à  une  famille  distinguée  de  la  ville  d'Aix,  oii 
il  était  né  le  19  juin  1753.  Ordonné  prêtre,  le  20  septem- 
bre 1777,  dans  la  chapelle  épiscopale  de  Carpentras,  par 
M^'  Joseph  de  Béni,  il  exerça  le  saint  ministère  à  Aix,  sa 
ville  natale.  Pendant  la  Révolution,  il  se  réfugia  à  iXice 
d'abord,  puis  à  Rome,  et  ne  rentra  à  Aix  qu'en  1801,  oti 
il  reprit  du  ministère  comme  vicaire  de  Saint-Sauveur, 
et  se  fit  remarquer  par  sa  grande  piété,  sa  charité  iné- 
puisable et  surtout  son  zèle  à  catéchiser  les  enfants  et  à 
évangéliser  les  classes  pauvres.  Il  était  curé  de  Brignoles, 
dans  le  diocèse  de  Fréjus,  depuis  1804,  quand  un  décret 


—  78  — 

de  Napoléon,  du  28  août  1805,  le  nomma  à  l'évêché  de 
Digne.  Préconisé  le  23  décembre  1805,  il  fut  sacré  à  Pa- 
ris, dans  l'église  des  Missions  étrangères,  le  13  avril  1806, 
par  le  cardinal  Caprara,  légat  du  Saint-Siège  et  prit  pos- 
session de  son  siège  le  1"  juin  de  la  même  année.  Il 
n'entre  pas  dans  notre  cadre  de  nous  étendre  sur  l'ad- 
ministration du  nouvel  évêque  ;  elle  fut  féconde  en 
oeuvres.  Il  releva  le  niveau  des  études  ecclésiastiques  en 
rétablissant  son  grand  séminaire,  en  créant  des  établis- 
sements d'instruction  secondaire.  Pour  l'instruction  re- 
ligieuse des  enfants,  il  fit  appel  aux  Frères  du  bienheu- 
reux de  la  Salle  et  à  des  congrégations  enseignantes  de 
femmes;  à  tous  les  fidèles,  il  procura  le  bienfait  des  mis- 
sions, et  par  ses  visites  pastorales  qu'il  multiplia  avec 
zèle  et  persévérance,  il  eut  la  consolation  de  réveiller  la 
foi,  de  relever  les  mœurs  de  son  troupeau  nombreux  en 
le  ramenant  aux  pratiques  chrétiennes. 

L' évêque  de  Digne  fut  un  des  premiers  à  connaître  et 
apprécier  l'abbé  de  Mazenod,  son  compatriote,  et  l'im- 
portance de  l'œuvre  des  missionnaires  de  Provence. 
«  M^""  Miollis,  évêque  de  Digne,  fut  le  premier  évêque 
qui  désira  faire  participer  ses  ouailles  au  bienfait  des 
missions  diocésaines  confiées  au  zèle  des  compagnons  de 
M»^  DE  Mazenod.  Ce  prélat,  d'une  si  grande  et  si  juste 
réputation  de  vertu...,  se  sentait  porté,  comme  par  un 
instinct  surnaturel,  vers  tout  ce  qui  était  apostolique.  Il 
avait  conçu  une  grande  estime  pour  M.  l'abbé  de  Maze- 
nod, et  il  s'attachait  avec  une  pieuse  affection  aux  tra- 
vaux de  ses  missionnaires,  dont  la  simplicité,  le  zèle,  la 
pauvreté  et  l'abnégation  allaient  si  bien  à  sa  manière  de 
vivre  et  à  ses  dispositions  personnelles.  Il  suivait  attenti- 
vement les  progrès  de  la  Congrégation  et  il  se  plaisait  à 
reconnaître  l'incomparable  efficacité  de  son  ministère 
pour  le  renouvellement  des  paroisses.  Il  chercha  à  la  pos- 


—  79     - 

séder  dans  son  diocèse.  »  Ainsi  s'exprime  Ms'  Jeancard 
dans  ses  Mélanges  historiques  (1). 

L'occasion  que  M»""  Miollis  attendait  se  présenta  en  1818. 

Nous  avons  dit,  au  chapitre  précédent,  que  Tévêque 
de  Digne,  ayant  racheté  l'église  et  le  presbytère  du  Laus, 
y  avait  placé  un  prêtre  pour  desservir  le  sanctuaire  et  la 
nouvelle  paroisse  qui  venait  d'être  érigée  en  succursale. 
Un  peu  après,  l'archiprêtre  de  Gap,  M.  Peix,  mit  à  la 
disposition  de  Me""  Miollis,  l'ancien  couvent  des  Pères  de 
Sainte-Garde  et  le  petit  domaine  en  dépendant,  qu'il 
avait  achetés  à  l'aide  des  souscriptions  de  soixante-seize 
prêtres  de  Gap. 

En  possession  d'un  local  et  des  biens  y  attenant, 
l'évêque  avait  pensé  d'abord  à  établir  au  Laus  une  mai- 
son pour  les  prêtres  âgés  et  infirmes,  selon  le  but  que 
M.  Peix  avait  proposé  aux  souscripteurs  ;  mais  la  réali- 
sation d'un  tel  projet,  vu  la  position  isolée  du  Laus, 
étant  jugée  impraticable,  M^' Miollis,  dans  l'intérêt  des 
pèlerins  du  Laus  et  pour  le  bien  du  diocèse,  résolut  d'ap- 
peler au  Laus  une  communauté  de  prêtres,  qui,  en 
même  temps  qu'ils  garderaient  le  sanctuaire  et  desser- 
viraient la  petite  paroisse,  pourraient  donner  des  mis- 
sions dans  tout  le  diocèse. 

Le  projet  répondait  mieux  à  la  pensée  de  M.  Raymond, 
le  premier  acquéreur  du  couvent,  rétablissait  l'ancien 
état  de  choses  en  faisant  revivre  par  les  nouveaux  reli- 
gieux les  anciens  Pères  Gardistes,  desservants  du  sanc- 
tuaire et  missionnaires.  Le  pèlerinage,  la  paroisse,  le 
diocèse,  avaient  tout  à  gagner  par  la  présence  au  Laus 
d'une  communauté  régulière.  Cette  communauté  ne  se 
trouvant  pas  dans  le  diocèse,  il  fallait  la  chercher  ail- 
leurs. M8'  Miollis  tourna  ses  regards  vers  Aix.  L'abbé 

(1)  Article  IX.  Notre-Dame  du  Laus,  p.  71-72. 


—  SO- 
DE Mazenod,  son  compatriote,  et  qu'il  avait  en  grande 
estime,  y  était  à  la  tête  d'une  petite  société,  qui,  depuis 
trois  ans,  faisait  beaucoup  de  bien,  non  seulement  à  Aix, 
mais  jusque  dans  les  départements  des  Bouches- du - 
Rhône  et  du  Var  ;  les  collaborateurs  de  l'abbé  de  Maze- 
nod se  faisaient  remarquer  par  leurs  vertus  apostoliques, 
et  leurs  travaux  étaient  visiblement  bénis  de  Dieu.  L'é- 
vêque  de  Digne,  pour  ces  raisons,  fit  appel  aux  mission- 
naires de  Provence. 

Dans  la  dernière  quinzaine  du  mois  d'aotit,  dit  le 
P.  Rambert  (1),  l'abbé  de  Mazenod  recevait  la  lettre  sui- 
vante : 

Digne, le  10  août  1818. 

Monsieur  le  Supérieur, 

Dans  les  premiers  jours  de  juillet,  il  s'est  présenté  à  vous 
un  diacre  de  ce  diocèse  (le  R.  P.  Moreau),  dans  le  dessein 
d'être  reçu  dans  votre  Association.  A  son  retour,  il  m'a  fait 
part  de  son  projet  et  du  résultat  de  son  voyage.  Il  s'attend 
à  éprouver  une  résistance  insurmontable  de  la  part  de 
M^"^  l'Évêque.  Le  désir  que  j'ai  de  seconder  son  pieux  dessein 
et  de  coopérer  en  même  temps  au  bien  des  deux  diocèses, 
m'engage  à  vous  faire  les  ouvertures  suivantes,  que  vous  pè- 
serez devant  Dieu  et  sur  lesquelles  vous  voudrez  bien  me  ré- 
pondre à  la  mi-septembre. 

Vous  avez  souvent  ouï  parler  de  Notre-Dame  du  Laus.  Un 
beau  corps  de  logis  qu'habitaient  cinq  ou  six  prêtres  de  la  Mis- 
sion de  Sainte-Garde,  et  qui  pourrait  encore  recevoir  plu- 
sieurs retraitants,  vient  d'être  racheté  par  souscription,  ainsi 
que  le  domaine  y  attenant,  pour  être  rendu  à  sa  première 
destination.  M^''  l'Évêque,  qui  est  chargé  de  l'organisation  de 
cette  maison,  serait  bien  aise  que  vous  vous  en  chargeassiez. 
Vous  pourriez  y  envoyer  dès  à  présent  deux  de  vos  prêtres,  il 
vous  en  céderait  deux  aussi  :  M.  Touche,  qui  va  être  ordonné 

(1)  Vie  de  A/8*  de  Maaenod,  liv.  II,  chap.  vu,  p.  378. 


—  81  — 

prêtre,  et  un  autre  qu'on  espérerait  pouvoir  trouver  sous  bref 
délai. 

Les  moyens  d'existence  pour  vos  deux  prêtres  ne  manque- 
raient pas,  moins  encore  la  besogne.  Dans  les  mois  d'hiver, 
où  ce  lieu  n'est  pas  abordé,  ils  se  joindraient  à  des  prêtres  de 
bonne  volonté  qu'on  leur  assignerait  et  ils  feraient  des  mis- 
sions. L'été,  ils  seraient  dans  une  solitude  où  tout  inspire  la 
piété  et  confesseraient  les  nombreux  pèlerins  qui  y  abondent 
journellement.  Dans  la  suite  du  temps,  il  s'établirait  une 
communication  plus  intime  entre  vos  deux  maisons.  Il  me 
paraît  d'ailleurs  être  de  votre  intérêt  d'avoir  sous  votre  direc- 
tion deux  maisons  pour  opérer  des  changements  que  certaines 
circonstances  peuvent  exiger.  Tenir  à  deux  diocèses  n'est  pas 
chose  indifférente  ;  ainsi,  il  peut  s'élever  quelques  brouillards 
dans  les  rapports  avec  une  des  administrations,  on  se  réfugie 
dans  le  ressort  de  l'autre. 

A  ces  motifs,  souffrez  que  j'en  joigne  un  bien  important; 
il  est  à  désirer  que  le  bien  que  votre  Association  opère  dans  le 
diocèse  d'Aix  se  propage  dans  les  contrées  voisines.  Si  les 
vœux  que  je  forme  pour  ce  projet  sont  exaucés,  un  des  avan- 
tages les  plus  précieux  pour  moi,  ce  sera  de  voir  se  resserrer 
entre  nous  des  rapports  dont  je  ne  pourrais  qu'être  édifié. 

J'ai  l'honneur  d'être,  etc. 

Signé  :  Arbaud, 
Vicaire  général  de  Digne. 

«  Cette  lettre,  tout  à  fait  inattendue,  jeta  le  P.  de  Ma- 
ZENOD  dans  une  grande  perplexité,  son  projet  n'avait  été 
jusque-là  que  de  former  une  seule  maison  de  mission- 
naires diocésains,  consacrés  exclusivement  aux  missions 
de  Provence...  Étendre  au  delà  l'action  de  ces  mission- 
naires, n'était-ce  pas  les  faire  sortir  de  leur  vocation  spé- 
ciale ?  Et  puis,  le  charme  de  la  petite  Société,  son  puis- 
sant attrait,  c'était  l'esprit  de  famille  porté  au  plus  haut 
point...  fallait-il  partager,  diviser  cette  intimité?  Gom- 
ment consentir  à  se  séparer,   même  à  petite  distance, 


—  8!2   — 

pour  un  peu  de  temps?...  Cependant  de  graves  raisons 
exposées  par  le  vicaire  général  de  Digne,  le  plus  grand 
bien  des  âmes,  celui  de  la  Société  elle-même,  l'occasion 
de  plus  grands  sacrifices,  pesaient  d'un  grand  poids  dans 
l'âme  généreuse  du  P.  de  Mazenod.  Si  Dieu  voulait  que 
la  Société,  petit  grain  de  sénevé,  devînt  un  grand  arbre, 
devait-on,  pouvait-on  s'opposer  aux  desseins  de  Dieu? 
Pour  sortir  de  ces  incertitudes,  le  Fondateur  ayant  réuni 
les  six  prêtres,  ses  compagnons,  leur  lut  la  lettre  de 
M.  Arbaud  et  leur  demanda  leur  avis.  Ils  furent  tous 
unanimes  à  répondre  qu'ils  donnaient  leur  consente- 
ment et  qu'il  fallait  répondre  affirmativement.  » 

«  A  cette  lecture,  écrivait  le  P.  Suzanne,  ce  ne  fut  qu'un 
transport  de  joie  et  d'actions  de  grâces  parmi  nous  ;  tous 
remerciaient  Dieu  de  ce  qu'il  daignait  ainsi  leur  donner 
une  preuve  sensible  qu'il  agréait  leurs  humbles  ser- 
vices. 1) 

En  conséquence,  le  P.  de  Mazenod  écrivit  à  M.  Ar- 
baud, le  23  août: 

H  Monsieur,  je  n'ai  point  d'autre  désir  que  de  faire  un 
peu  de  bien;  ainsi,  si  vous  pensez  que  le  projet  que  vous 
avez  conçu  puisse  procurer  quelque  gloire  à  Dieu  et  con- 
tribuer au  salut  des  âmes,  je  suis  tout  disposé  à  me  prêter 
à  tous  les  arrangements  qui  pourront  se  concilier  avec 
mes  engagements  avec  ce  diocèse  (Aix)  et  les  devoirs  de 
ma  charge,  dans  notre  petite  Société.  Dans  ces  sortes 
d'affaires,  on  s'entend  mal  par  lettre.  J'étais  indécis  si 
j'accompagnerais  notre  diacre  (F.  xMoreau)  à  l'ordination, 
votre  lettre  fixe  mon  incertitude;  j'irai  avec  lui  à  Digne, 
où  j'aurai  l'honneur  de  vous  voir,  de  causer  avec  vous 
sur  cette  affaire.  Nous  combinerons  notre  marche  ;  j'au- 
rai ainsi  le  double  plaisir  de  renouveler  connaissance  avec 
vous,  et  de  vous  prouver  ma  bonne  volonté  pour  secon- 
der votre  zèle  vraimeat  infatigable.  » 


—  8  ;  — 

«  Le  P.  DE  Mazenod  se  rendit  à  Digne,  au  mois  de  sep- 
tembre, emmenant  avec  lui  les  deux  diacres  de  ce  diocèse 
qui  étaient  affiliés  à  sa  Communauté,  MM.  Touche  et 
Moreau,  et  qui  furent  ordonnés  prêtres  aux  Quatre- 
Temps.  Il  s'entendit  définitivement  avec  l'administration 
diocésaine,  et  la  prise  de  possession  de  Notre-Dame  du 
Laus  fut  fixée  aux  premiers  jours  de  l'année  i8!9  (1).  » 

Les  négociations  relatives  à  l'affaire  en  question  occu- 
pèrent plusieurs  séances.  M^'  de  Digne  les  présidait, 
ayant  en  sa  présence  d'un  côté,  MM.  Arbaud,  vicaire  gé- 
néral, et  Borel,  supérieur  du  grand  séminaire,  représen- 
tants du  diocèse,  de  l'autre  le  P.  de  Mazenod,  supérieur 
des  Missionnaires  de  Provence,  assisté  du  P.  Tempier 
Tout  était  définitivement  réglé  pour  le  23  septembre, 
ainsi  que  l'annonçait  notre  vénéré  Fondateur  à  son  oncle 
M*'  Fortuné  de  Mazenod,  alors  à  Aix. 

Dans  le  traité  passé  entre  M?'  de  Digne  et  le  supérieur 
des  Missionnaires  de  Provence,  il  fut  convenu  ce  qui  suit  : 

«  1°  Mb""  l'évêque  de  Digne  désigne  la  maison  et  le  sanc- 
tuaire du  Laus  pour  lieu  d'habitation  de  la  communauté 
des  Missionnaires  ;  2°  les  Missionnaires  seront  chargés  de 
desservir  la  succursale  du  Laus;  3»  il  sera  permis  au  supé- 
rieur d'agréger  à  sa  Société,  pour  vivre  conformément 
au  règlement  de  ladite  Société,  les  sujets  du  diocèse, 
qui  demanderont  d'y  entrer  après  qu'ils  auront  reçu 
l'agrément  de  M»'  l'évêque;  4°  dans  le  cas  que  les  sujets 
du  diocèse,  qui  auront  été  agrégés  à  la  Société  des  Mis- 
sionnaires soient  obligés  d'en  sortir,  ils  rentreront,  de 
droit,  dans  le  diocèse. 

«  De  son  côté,  le  supérieur  des  missionnaires  s'engage: 

1"  A  donner  tous  les  ans  des  missions  dans  le  diocèse 
de  Digne,  dans  les  paroisses  qui  lui  seront  désignées  par 

(1)  Vie  de  Mi'  de  Mazenod,  t.  I,  liv.  Il,  chap.  vu,  p.  278-281. 


—  84  — 

iévêque,  et  à  associer  aux  membres  que  le  diocèse  aura 
fournis  à  la  Société  d'autres  membres  de  la  même  Société 
en  nombre  suffisant  pour  donner  les  missions  dans  les 
lieux  désignés;  2°  il  s'engage  aussi  à  fournir  deux  sujets 
pour  le  service  du  sanctuaire  du  Laus,  et  ce  nombre  sera 
augmenté  lorsque  le  diocèse  aura  donné  quelques  sujets 
de  plus  à  la  Société  — Fait  à  Digne,  le  20  septembre  1818. 
Ont  signé,  comme  représentants  de  l'évêque  :  Cbalvet, 
vicaire  général  ;  Arbaud,  vicaire  général,  d'une  part; 
Eugène  DE  Mazenod,  supérieur  des  Missionnaires,  d'autre 
part.» 

Dans  cette  convention,  on  ne  parle  pas  de  la  durée  de 
l'établissement  des  Missionnaires  au  Laus,  parce  que 
l'acte  du  bail  devait  la  déterminer,  mais,  la  convention 
dit  assez  clairement  que  les  Missionnaires  resteraient 
aussi  longtemps  qu'ils  seraient  fidèles  à  leurs  enga- 
gements. Ms'  DE  Mazenod  consentit  difficilement  à 
accepter  l'article  4,  par  lequel  l'évêque  stipulait  que 
les  sujets  de  son  diocèse  sortant  de  la  Société,  rentre- 
raient de  droit  dans  leur  diocèse  d'origine.  Une  telle  exi- 
gence paraissait,  aux  yeux  du  Fondateur,  ouvrir  une 
porte  de  sortie  aux  sujets  inconstants  et  porter  atteinte 
à  la  stabilité  du  vœu  perpétuel.  Il  fit  donc  ses  réserves  et 
ne  cacha  pas  qu'il  agirait  de  façon  à  empêcher  les  consé- 
quences de  cette  restriction  apportée  à  ses  droits. 

Les  Missionnaires  de  Provence  avaient  reçu  une  sorte 
d'investiture  canonique  par  la  convention  du  20  sep- 
tembre. Le  bail  passé  entre  M.  de  Mazenod,  leur  supé- 
rieur, et  M.  Peix,curé  de  Gap,  propriétaire  du  couvent  et 
du  domaine,  les  mit  légalement  en  possession  du  Laus. 
Voici  la  teneur  de  cet  acte  : 

«  Animés  du  désir  d'utiliser,  autant  que  possible,  pour 
le  bien  de  la  religion,  la  maison  située  près  de  l'église  du 
Laus  et  les  biens  en  dépendant,  appartenant  à  M.  Peix, 


—  So- 
les soussignés   ont  convenu    entre  eux   ce  qui  suit  : 

«  1»  M.  Peix  donne  à  bail  à  M.  de  Mazenod,  la  susdite 
maison,  écurie,  grenier  à  foin,  basse-cour,  jardin,  ver- 
ger contigu,  clos  de  murs,  le  champ  qui  est  au-dessous 
et  une  vigne  d'environ  12  fausserées  {sic);  se  réservant 
néanmoins  de  pouvoir  vendre  la  susdite  vigne,  dans  le  cas 
qu'il  fût  tenu  à  faire  quelques-unes  des  réparations  qui 
sont  à  la  charge  du  propriétaire,  sans  indemnités.  Le  tout 
est  situé  au  Laus,  commune  de  Saint-Étienne-d'Avançon  ; 
plus  un  pré  dans  toute  sa  contenance,  sur  le  terroir  de  la 
commune  d'Avançon;  plus  deux  bois,  l'un  appelé  la 
Grande  Pinée,  l'autre  Costebelle,  et  généralement  tout 
ce  qu'il  a  acheté  de  M.  Reymond,  chanoine  de  Gap,  curé 
de  Tailard.  M.  Peix  se  réserve  un  appartement,  au  second 
étage,  pour  son  usage. 

«  2°  Le  bail  est  fait  pour  le  terme  de  vingt-neuf  ans, 
qui  commenceront  le  1"  janvier  1819  et  finiront  à  la 
même  époque,  à  l'expiration  dudit  terme  (1848).  Le  pre- 
neur jouira,  pendant  toute  la  durée  du  présent  bail,  de 
tous  les  produits  des  biens,  en  bon  père  de  famille, 
et  qu'il  aura  la  faculté  de  sous-affermer,  en  tout  ou 
en  partie,  à  un  ou  à  plusieurs  individus,  selon  qu'il 
avisera. 

«  3°  A  la  fin  du  bail,  la  maison  et  les  biens  seront 
remis  au  même  état  qu'ils  se  trouvent  actuellement,  au- 
quel efFet  il  sera  dressé  un  état  des  lieux,  avant  la  prise 
de  possession. 

«  4°  Le  bail  ci-dessus  est  consenti  et  accepté,  à  la 
charge,  par  M.  de  Mazenod,  d'entretenir  ou  de  faire 
entretenir,  dans  la  maison  et  pendant  toute  la  durée  du 
bail,  le  nombre  d'ecclésiastiques  nécessaire  pour  le  ser- 
vice de  Notre-Dame  du  Laus,  sous  l'approbation  de  l'é- 
vêque  dont  dépend  cette  église.  Ce  nombre  sera  toujours 
au  moins  de  deux.  Le  preneur  sera  tenu  de  supporter 


—  86  - 

toutes  les  contributions  à  la  charge  des  biens  affermés, 
à  compter  du  jour  de  l'entrée  en  jouissance. 

«  Le  bailleur  fera  garnir  les  lieux  de  meubles  meu- 
blants, ustensiles  de  cuisine,  linge,  et  généralement  de 
tout  ce  qui  est  nécessaire  pour  l'habitation  des  ecclésias- 
tiques qui  occuperont  la  maison,  ce  dont  il  sera  fait  un 
état  lors  de  la  prise  de  possession. 

«  Le  preneur  ne  sera  tenu  qu'à  faire  les  réparations 
locatives  pendant  la  durée  de  la  jouissance.  La  présente 
sera  rédigée  en  acte  public  sur  la  réquisition  de  l'une 
des  parties. 

«  Fait  et  passé  en  double  original  dont  un  a  été  retiré 
par  chacun  des  contractants,  à  Digne,  le  21  septem- 
bre 1818. 

«  Signé  :  Peix,  curé,  archiprêtie  de  Gap;  Eugène 
DE  Mazenod,  prêtre  missionnaire  (1).  » 

M.  DE  Mazenod  nous  apprend,  dans  ses  lettres,  pour- 
quoi la  durée  du  bail  fut  fixée  à  vingt -neuf  ans.  Dans  le 
principe,  il  était  convenu  qu'il  serait  fait  pour  quatre- 
vingt-dix-neuf  ans.  Mais  un  jurisconsulte  observa  que  les 
baux  d'une  si  longue  durée  n'étaient  plus  en  usage  ;  que, 
d'ailleurs,  ils  n'étaient  pas  nécessaires,  puisqu'après  le 
terme  révolu  d'un  bail  à  plus  bref  délai,  on  pouvait  re- 
nouveler le  bail;  on  s'en  tint  donc  à  la  période  de  vingt- 
neuf  ans.  Dans  la  pensée  de  M.  de  Mazenod,  le  bail  pou- 
vait être  renouvelé,  mais  le  texte  de  la  convention  disant 
qu'  «  après  l'expiration  de  bail,  les  choses  rentreraient 
en  l'état»,  posait  évidemment  un  obstacle  au  renouvel- 
lement du  bail  du  H  septembre  1818.  Sur  ce  point,  la 
bonne  foi  de  M.  de  Mazenod  fut  malheureusement  sur- 
prise. Ajoutons  encore  que  l'acte  de  bail  stipulait  qu'il 
serait  rédigé  un  acte  public,  c'est-à-dire /eg-aZ/se,  sur  la 

(1)  Archives  de  la  Maison  générale;  Dosiier  du  Laus. 


—  87  — 

réquisition  de  l'une  des  parties  ;  il  paraît  que  cette 
mesure  de  précaution  fut  négligée  par  M.  de  Mazenod  ; 
ses  adversaires  ne  manquèrent  pas  de  s'appuyer  sur  ce 
défaut  de  légalité  de  l'acte  de  bail.  A  leurs  yeux,  un  acte 
privé,  consenti  et  signé  par  les  contractants,  n'engageait 
pas  la  conscience;  M.  de  Mazenod,  homme  d'honneur  et 
de  conscience  délicate,  ne  pouvait  prévoir  qu'on  recour- 
rait contre  lui  à  semblables  subterfuges  pour  renier  des 
engagements  écrits  et  signés  de  part  et  d'autre. 

Cependant  M.  Peix  mourut  au  mois  de  mai  1819. 
M.  DE  Mazenod  espérait  que  la  propriété  du  Laus  lui 
serait  cédée. Il  n'en  fut  rien.  Dans  son  testament  ologra- 
phe daté  du  15  avril  1819,  il  s'exprimait  ainsi  : 

«  Dans  la  donation  faite  de  mes  biens  à  ma  nièce... 
je  n'entends  pas  lui  laisser  la  maison  et  le  domaine  que 
j'ai  acquis  de  M.  Louis-Thomas  Reymond,  curé  de  Tal- 
lard,  situé  à  Notre-Dame  du  Laus,  terroir  de  la  commune 
de  Saint-Étienne-d'Avançon.  Je  veux,  au  contraire,  que 
ces  biens,  la  maison  et  les  meubles  qui  y  sont  n'aient 
pas  d'autre  destination  que  celle  qu'ils  ont  dans  ce 
moment,  c'est-à-dire  qu'ils  soient  pour  les  prêtres  qui 
desservent  Notre-Dame  du  Laus.  M^""  l'évêque,  qui  sera 
chargé  de  l'administration  ecclésiastique  de  cet  endroit, 
lors  de  mon  décès,  est  supplié  de  faire  accomplir  toutes 
les  formalités  voulues  par  les  lois  civiles,  pour  que  ces 
biens  aient  la  destination  que  je  leur  donne.  » 

Les  prêtres  qui  desservaient  Noire-Dame  du  Laus  lors 
du  décès  de  M.  Peix,  et  auxquels  ils  cédaient  la  propriété 
de  la  maison  et  du  domaine,  étaient  des  Missionnaires 
de  Provence.  En  conséquence ,  M.  de  Mazenod  eut  à 
remplir  les  formalités  civiles  dont  parlait  M.  Peix  dans 
son  testament,  c'est-à-dire  déclaration  en  forme  d'accep- 
tation, copie  du  testament,  procès-verbal  de  consistance 
et  d'évaluation  des  objets  légués,  dressé  par  le  maire  de 


—  88  — 

Saint-Étienne-d'Avançon.  Ces  pièces  furent  envoyées  au 
préfet  des  Hautes-Alpes  en  septembre  1819,  et  l'ordon- 
nance royale  qui  réglait  définitivement  cette  affaire  fut 
rendue  le  19  juillet  1820.  Elle  était  conçue  en  ces 
termes  : 

«  Sur  le  rapport  de  notre  ministre,  secrétaire  d'État 
au  département  de  l'intérieur,  notre  conseil  d'Etat  en- 
tendu, nous  avons  ordonné  et  ordonnons  ce  qui  suit  : 

«  Article  1".  Le  desservant  de  l'église  de  Notre-Dame 
«  du  Laus,  département  des  Hautes-Alpes,  est  autorisé  à 
«  accepter,  au  profit  des  desservants  de  cette  église,  le  legs 
a  à  eux  fait  par  le  sieur  Pierre-Charles  Peix,  suivant  son 
«  testament  olographe  du  15  avril  1819,  delà  nue  pro- 
«  priété  d'une  maison  et  d'un  domaine,  évalués  ensem- 
«  ble  à  la  somme  de  7  300  francs;  d'un  mobilier  de 
«  776  fr.  83,  à  la  charge  de  services  religieux  et  autres 
«  charges  et  conditions  qui  y  sont  énoncées.  » 

L'article  2  est  relatif  à  l'exécution  de  cette  ordon- 
nance. 

Ainsi,  en  vertu  du  testament  Peix  et  de  l'ordonnance 
royale,  les  Missionnaires  de  Provence,  en  leur  qualité  de 
desservants  de  Notre-Dame  du  Laus,  avaient  la  nue  pro- 
priété de  la  maison  et  du  domaine  à  eux  légués.  Mais, 
cette  propriété,  ils  ne  pouvaient  la  garder  qu'aussi  long- 
temps qu'ils  seraient  desservants  de  l'église  du  Laus. 
Qu'un  jour,  un  évêque  de  Gap  vînt  à  enltver  la  desserte 
du  sanctuaire  aux  Missionnaires  de  Provence,  ceux-ci 
perdaient  tous  leurs  droits  de  propriétaires.  D'ailleurs, 
l'acte  du  bail  avait  déjà  fixé  le  terme  où  ils  cesseraient 
d'être  desservantsde  l'église  du  Laus,  et,  par  conséquent, 
qu'elle  fût  locataire  ou  propriétaire,  la  Société  des  Mis- 
sionnaires de  Provence  n'avait  qu'une  possession  limitée 
par  l'acte  du  bail,  et  même  révocable  auparavant,  s'il 
plaisait  à  l'évêque  d'enlever  à  ses  membres  la  desserte  de 


—  89  — 

l'église  du  Laus.  Un  Père  missionnaire  s'étant  avancé 
jusqu'à  donner  à  M.  Paix  le  titre  de  bienfaiteur  de  la 
Société,  M.  DE  Mazenod  lui  écrivit  :  «  Nous  devons  con- 
sidérer M.  Peix  comme  un  ami  qui  nous  était  dévoué, 
nous  estimait  et  nous  affectionnait,  mais  non  comme 
bienfaiteur^  car  ses  bienfaits  n'ont  pas  été  gratuits  et 
désintéressés,  puisqu'ils  nous  imposaient  des  charges, 
do  ut  des.  )) 

M.  Peix  eût  agi  en  vrai  bienfaiteur  de  la  Société  si  son 
legs  avait  été  fait  en  personne  et  individuellement  au 
P.  DE  Mazenod  ou  au  P.  Tempier;  dès  lors,  la  Société  eût 
été  établieau  Laus  dans  des  conditions  d'indépendance  et 
de  durée  qui  l'aurait  mieux  défendue  contre  les  mesures 
épiscopales  et  surtout  contre  les  intrigues  d'une  partie 
du  clergé  de  Gap. 

A  bien  considérer  le  testament  et  l'ordonnance  royale 
que  nous  avons  citée,  c'est  à  tort,  croyons-nous,  que  le 
clergé  de  Gap  et  même  l'Évêque  de  Gap  ont  pu  se  con- 
sidérer comme  possesseurs  ou  propriétaires  de  la  maison 
et  du  domaine  du  Laus.  La  nue  propriété,  d'après  le  tes- 
tament et  d'après  l'ordonnance  royale,  n'est  attribuée 
qu'aux  desservants  actuels  de  l'église  de  Notre-Dame  du 
Laus,  et  n'est  réservée  qu'à  leurs  successeurs  de  fait,  et 
en  titre.  Il  n'est  question  ici  ni  de  la  fabrique  du  Laus, 
ni  du  clergé  de  Gap,  ni  même  de  la  mense  épisco- 
pale;  l'Évêque^  en  vertu  de  son  pouvoir  de  juridiction, 
transmet  la  propriété,  en  nommant  les  desservants,  ou 
par  révocation  les  dépouille  de  leurs  droits;  il  n'est  que 
l'exécuteur  des  volontés  formellement  exprimées  dans 
un  testament. 

Par  tous  les  actes  que  nous  avons  reproduits,  il  est  fa- 
cile de  se  convaincre  que  les  Missionnaires  de  Provence 
étaient  entrés  au  Laus  par  la  bonne  porte  et  sous  les  ga- 
ranties les  plus  respectables.  On  avait  fait  appel  à  leur 


-    90  — 

dévouement  alors  qu'ils  étaient  peu  nombreux,  on  leur 
imposa  des  conditions  et  des  charges  très  avantageuses 
au  diocèse  ;  ils  les  acceptèrent  sans  arrière-pensée,  mus 
par  le  seul  désir  de  faire  plus  de  bien  aux  âmes  et  de  tra- 
vailler à  la  gloire  de  Dieu  et  de  Marie  sur  un  théâtre  plus 
étendu. 

Dans  une  lettre  qu'il  écrivait  au  P.  Mie,  le  15  octo- 
bre 1818,  notre  vénéré  Fondateur  laissait  entrevoir  toute 
sa  pensée  sur  la  nouvelle  fondation. 

a  Nous  avons  formé  un  établissement  à  Notre-Dame 
du  Laus,  ce  qui  nous  met  en  rapport  direct  avec  trois 
diocèses  :  Digne  et  Gap,  Embrun  et  Sisteron.  Nous 
sommes  devenus  comme  les  gardiens  d'un  des  plus  cé- 
lèbres sanctuaires  de  la  Sainte  Vierge  où  le  bon  Dieu  se 
plaît  à  manifester  la  puis^sance  qu'il  a  départie  à  cette 
chère  Mère  de  la  Mission  (Aix).  Plus  de  vingt  mille  âmes 
par  an  accourent  pour  se  renouveler  dans  l'esprit  de 
ferveur,  à  l'ombre  de  ce  sanctuaire,  vraiment  imposant, 
qui  inspire  un  je  ne  sais  quoi  qui  porte  merveilleuse- 
ment à  Dieu.  De  là,  après  avoir  prêché  la  pénitence  à  ces 
bons  pèlerins,  après  leur  avoir  exalté  les  grandeurs  et  la 
gloire  de  Marie,  nous  nous  répandrons  dans  les  mon- 
tagnes pour  annoncer  la  parole  de  Dieu  à  des  âmes  sim- 
ples mieux  disposées  à  recevoir  cette  divine  semence  que 
les  habitants  trop  corrompus  de  nos  contrées.  » 

Le  rôle  de  gardien  d'un  sanctuaire  de  Marie  souriait 
au  cœur  pieux  du  P.  de  Mazenod,  il  y  voyait  un  gage  de 
l'appui  et  de  la  protection  de  la  bonne  Mère  pour  le  pré- 
sent et  pour  l'avenir.  En  sortant  de  la  maison  d'Aix,  la 
ruche  mère,  le  petit  essaim  de  Missionnaires  de  Provence, 
restait  fidèle  à  sa  devise  apostolique,  Tévangélisation  des 
humbles,  des  petits  et  des  pauvres,  evangelizare  paupe- 
ribus  misitme.  Nous  allons  voir,  à  leur  œuvre  de  gardiens 
du  Laus  et  de  missionnaires,  les  enfants  du  P.  de  Mazenod. 


-  91  — 
CHAPITRE  m. 

LE    P.    TEMPIER,    SUPÉRIEUR   DE    NOTRE-DAME  DU   lAUS, 
JANVIER  1819  A  MARS  1823. 

Première  année  :  1819  à  1820. 

Prise  de  possession  du  Laus  et  installation  du  P.  Tempier.  —  Etat 
de  la  maison  du  Laus.  —  La  première  communauté.  —  Mort  de 
M.  Peix.  —  Conséquence.  —  Comment  le  P.  Tempier  remplit  ses 
obligations  de  desservant  de  la  paroisse  du  Laus  et  de  gardien  du 
sanctuaire.  —  Relations  du  supérieur  du  Laus  avec  Aix  et  le  fon- 
dateur. —  Sa  vie  apostolique. 

Le  projet  de  Me""  Miollis,  nous  l'avons  vu,  en  appelant 
les  Missionnaires  de  Provence  au  Laus,  était  de  ranimer 
la  dévotion  à  ce  sanctuaire  et  de  faire  évangéliser  les 
habitants  des  Hautes  et  des  Basses-Alpes.  II  rattachait 
ainsi  la  nouvelle  fondation  aux  traditions  de  l'ancien  état 
de  choses,  qui,  sous  les  Pères  Gardistes,  ne  fut  pas  sans 
importance  et  sans  gloire. 

En  1819,  le  Laus  n'était  guère  qu'une  ruine;  les  popu- 
lations avaient  à  peu  près  oublié  le  chemin  du  sanc- 
tuaire et  la  dévotion  à  la  Sainte  Vierge  y  décroissait  de 
jour  en  jour.  11  ne  pouvait  en  être  autrement  ;  l'église 
était  desservie  par  un  seul  prêtre,  dont  les  habitudes  ne 
répondaient  pas  aux  besoins  des  pèlerins;  sa  santé  l'obli- 
geait de  se  lever  fort  tard,  et  il  ne  pouvait  dire  qu'une 
messe.  En  un  mot,  le  service  se  faisait  mal  et  le  sanc- 
tuaire n'était  plus  fréquenté  (1). 

11  avait  été  convenu  que  la  prise  de  possession  du  Laus, 
par  les  Missionnaires  de  Provence,  aurait  lieu  le  28  dé- 
cembre 1818,  jour  où  on  célébrait  solennellement  l'an- 
niversaire séculaire  de  la  mort  de  la  Sœur  Benoîte  ;  mais 
les  missionnaires  étaient  alors  retenus  par  la  mission  qui 
se  donnait  àBarjols,  dans  le  diocèse  de  Fréjus.  Toutefois, 

(l.    Vte  de  Mf  de  Mazenod,  t.  I,  liv.  II,  chap.  viii,  p.  297-298. 


~  92  — 

ce  jour-là,  il  y  eut,  au  Laus,  un  grand  concours  de 
fidèles;  on  s'y  était  rendu processionnellement  de  Gap  et 
de  plusieurs  autres  paroisses  voisines,  et  M.  Peix  y  pro- 
nonça un  discours  pathétique  sur  la  vie  et  les  vertus  de 
Sœur  Benoîte  Rencurel,  morte  en  odeur  de  sainteté. 

M.  DE  Mazenod  avait  décidé  de  placer  le  P.  Tempier 
à  la  tête  de  la  nouvelle  communauté.  Celui-ci  serait 
ainsi  le  premier  Supérieur  local.  Le  fondateur  comptait 
trop  sur  le  dévouement  du  Père  pour  hésiter  un  instant 
à  lui  proposer  de  quitter  sa  ville  natale  (Aix)  et  d'aller 
s'ensevelir  tout  vivant  dans  les  neiges  des  Hautes-Alpes, 
au  fond  d'une  solitude  inconnue.  Le  P.  Tempier,  ayant 
reçu  son  obédience,  partit  d'Aix,  le  3  janvier  1819,  pour 
se  rendre  à  sa  nouvelle  destination.  Il  était  accompagné 
par  un  vieux  soldat  franc-comtois  nommé  Ignace,  trans- 
formé en  espèce  de  frère  lai,  et  par  un  jeune  étudiant 
qui  s'appelait  Bourrelier,  lequel  devint  prêtre  et  Oblat. 
C'était  bien  peu  pour  constituer  une  communauté  ;  on  ne 
pouvait  lui  donner  d'autres  compagnons  pour  le  mo- 
ment, on  attendait  que  le  maître  de  la  moisson  envoyât 
des  ouvriers.  Le  P.  Tempier  alla  donc  seul  au  Laus,  don- 
nant alors  l'exemple  du  courage  et  de  la  bonne  volonté 
par  lesquels  il  a  toujours  tant  et  si  bien  mérité  de  la 
Congrégation  (I).  En  se  rendant  au  Laus,  le  P.  Tempier 
passa  par  Digne,  où  il  présenta  ses  hommages  àM^''Miol- 
lis  et  en  reçut  sa  lettre  de  commission  et  d'institution 
canonique.  Cette  pièce  est  en  latin  et  ne  brille  ni  par  l'élé- 
gance des  termes,  ni  parla  clarté  des  périodes. 

M6'  Miollis  rappelle  d'abord  les  motifs  et  les  circon- 
stances qui  l'ont  amené  à  établir  des  ouvriers  évangé- 
liques  au  Laus,  et  ensuite  s'exprime  ainsi  : 

«  Nous  nous  sommes  empressé  de  faire  choix  des  ou- 

(1)  Ms""  Jeancard,  Mélanges  historiques,  t.  IX,  p.  93. 


—  93  — 

vriers  que,  par  faveur  divine,  il  nous  était  permis  de 
loger  ensemble  et  de  sustenter.  Nous  avions  beaucoup 
entendu  parler  de  l'excellent  prêtre  Eugène  de  Mazenod, 
qui,  au  diocèse  d'Aix,  s'était  associé  plusieurs  prêtres, 
et,  avec  eux,  avait  travaillé  à  l'œuvre  des  missions,  au 
grand  profit  des  âmes. . .  Nous  lui  avons  adjoint  quelques- 
uns  des  nôtres  et  lui  avons  mandé  et  lui  mandons,  par 
les  présentes,  de  se  rendre  à  la  succursale  de  Notre-Dame 
du  Laus,  pour  desservir  l'église  et  pour  faire,  avec  ses 
compagnons,  des  missions  dans  notre  diocèse. 

«  Ils  ne  feront  aucune  mission  sans  notre  agrément 
ou  celui  de  nos  vicaires  généraux  et  recevront  pour  cela 
les  facilités  et  les  conseils  que  nous  jugerons  conve- 
nables et  opportuns.  Il  en  sera  de  même  pour  les  exer- 
cices religieux  qui  dureraient  au  delà  de  huit  jours,  dans 
les  diverses  églises.  Nous  exceptons  toutefois  leur  propre 
succursale. 

«  Notre  cher  fils  Eugène  de  Mazenod,  ainsi  que  ses  suc- 
cesseurs dans  la  direction  de  ladite  Société  se  souvien- 
dront qu'en  leur  concédant  spontanément  et  gratuite- 
ment ladite  église  (du  Laus)  et  la  maison  jusqu'à  présent 
habitée  par  un  recteur,  nous  décrétons  que  tous  les  ans, 
tant  que  nous  vivrons,  le  13  avril,  et  le  jour  anniversaire 
de  notre  mort,  on  célébrera  pour  nous  une  messe  solen- 
nelle ou  au  moins  privée  (Digne,  le  6  janvier  1819).  » 

Le  P.  Tempier  arrivait  au  Laus  le  8  janvier.  M.  Peix, 
qu'il  avait  visité  à  Gap,  lui  avait  fait  la  conduite  à  son 
nouveau  poste  et  revint  l'installer  le  dimanche  suivant, 
iO  janvier.  Les  habitants  accueillirent  leur  nouveau  rec- 
teur avec  des  sentiments  de  respect,  de  joie  et  d'espé- 
rance qui  furent  bientôt  partagés  par  le  clergé  et  la  po- 
pulation des  pays  environnants. 

Tous  se  félicitaient  à  la  pensée  que  le  sanctuaire  aimé 
de  Marie,  témoin  des  merveilles  de  la  grâce,  verrait  se 


—  94  — 

renouveler  aux  pieds  de  la  Sainte  Vierge  la  piété  des 
fidèles  et  l'affluence  des  pèlerins.  M^'  Miollis  avait  été 
bien  inspiré  en  rétablissant  l'antique  pèlerinage  ,  et 
s'était  conformé  aux  intentions  de  Marie,  qui  avait  voulu 
faire  du  Laus,  non  pas  une  maison  de  retraite  pour  les 
prêtres  âgés  et  infirmes,  mais  un  foyer  de  prières  et  une 
source  de  grâces,  confiés  au  zèle  de  quelques  prêtres  gar- 
diens de  l'église  et  dévoués  à  tous  ceux  qui  s'y  ren- 
draient. 

Le  P.  Tempier  et  ses  deux  compagnons,  le  F.  Ignace 
et  Bourrelier,  le  jeune  étudiant,  composèrent  la  pre- 
mière communauté  du  Laus.  Le  P.  Touche,  nouvelle- 
ment ordonné  prètie,  vint  les  rejoindre  en  février,  donna 
une  mission  à  Eguyères,  puis  rentra  dans  la  maison  vers 
la  fin  du  mois  de  mars.  Il  fit  son  oblation  le  15  août, 
fête  de  l'Assomption,  et  un  mois  après,  il  était  fixé  au 
Laus  avec  le  titre  de  desservant.  De  sou  côté,  le  F.  Bour- 
relier était  admis  à  faire  son  oblation  le  8  septembre, 
et  commença  à  rendre  quelques  services  aux  Pères. 
Ainsi,  le  dimanche,  quand  le  Supérieur  était  empêché, 
il  faisait  des  lectures  pieuses  aux  pèlerins.  Telle  était  la 
petite  communauté  du  Laus,  où  l'on  vivait  en  bons  reli- 
gieux, observant  fidèlement  la  règle.  Le  P.  Tempier  don- 
nait des  leçons  de  latin  à  Bourrelier,  maintenait  le  bon 
esprit  parmi  ses  sujets  et  veillait  aux  intérêts  matériels, 
car  il  était  économe  en  même  temps  que  supérieur,  ce 
qui  ne  l'empêchait  pas  de  prendre  part  à  quelques  tra- 
vaux au  dehors,  laissant  le  P.  Touche  le  remplacer  au 
Laus. 

En  avril,  M.  Peix  était  tombé  malade,  le  P.  Tempier 
quitta  une  retraite  qu'il  faisait  à  Kémollon,  pour  venir 
l'assister  et  ofi'rir  ses  services  à  ses  vicaires  ;  M.  Peix 
mourut,  le  19  mai  1819,  et  jusqu'au  dernier  moment,  le 
P.  Tempier  donna  à  ce  vénérable  prêtre  toutes  les  mar- 


-  95    - 

ques  d'une  sincère  amitié.  Il  lui  fallut  s'occuper  du  tes- 
tament de  l'archiprêtre  de  Gap,  qui  laissait  aux  mission- 
naires du  Laus  la  jouissance  du  domaine  et  du  couvent, 
et  leur  abandonnait  une  grande  partie  de  sa  biblio- 
thèque. ((  La  part  qui  nous  est  échue,  dit  le  P.  Tempier, 
livres  de  théologie,  sermonnaires ,  livres  d'Église,  est 
assez  volumineuse.  »  Le  Supérieur  du  Laus  eut  à  dresser 
un  état  des  meubles  acquis  et  donnés  par  le  défunt  aux 
Missionnaires  de  Provence.  En  homme  prudent,  il  eut 
soin  de  déclarer  «  que,  quelqu'événement  qu'il  puisse 
arriver,  il  n'entendait,  en  aucune  manière,  quela  Société 
des  Missionnaires  qui  desservaient  actuellement  le  sanc- 
tuaire fût  obligée  de  répondre  de  ces  effets,  ni  de  leur 
totalité,  ni  de  l'état  bon  ou  mauvais  dans  lequel  ils  pou- 
vaient se  trouver.  »  De  son  côté,  le  maire  de  Saint- 
Étienne-d'Avançon,  aidé  de  l'adjoint,  sur  l'invitation  du 
préfet  des  Hautes-Alpes,  rédigèrent  le  procès-verbal  de 
consistance  et  d'évaluation  des  objets  donnés  à  la  maison 
de  Notre-Dame  du  Laus  par  feu  M.  Charles  Peix,  curé 
de  Gap. 

Cet  acte,  envoyé  au  préfet,  porte  la  date  du  29  sep- 
tembre 1819.  Nous  avons  ce  procès-verbal  sous  les  yeux, 
et  nous  constatons  que  le  mobilier  était  loin  d'être  suf- 
fisant. La  literie,  généralement  en  mauvais  état,  pouvait 
servir  à  la  rigueur  pour  deux  personnes  ;  la  batterie  de 
cuisine  et  le  service  de  table  étaient  à  l'avenant.  Quant 
aux  divers  articles,  d'une  nature  commune  et  grossière- 
ment façonnée,  la  plupart  avaient  longtemps  servi  et 
étaient  mi-usés,  selon  l'expression  du  procès-verbal.  La 
valeur  totale  de  ces  effets  n'est,  du  reste,  évaluée  qu'à  la 
somme  de  627  fr.  85.  La  maison  elle-même,  juxtaposée 
à  l'église,  n'était  habitable  qu'au  rez-de-chaussée  et  qu'au 
premier  étage  ;  quatre  chambres  seulement  du  second 
étage,  et  avec  réparations,  pouvaient  recevoir  des  loca- 


—  96  — 

taires.  Tout  le  reste  avait  besoin  d'être  restauré  à  fond, 
et  dès  la  fin  de  cette  année  1819,  la  toiture  elle-même 
réclama  la  main  des  ouvriers. 

Ces  détails  de  ménage  devaient  être  signalés;  ils  nous 
prouvent  que  l'installation  des  Missionnaires  de  Pro- 
Tence  au  Laus  fut  loin  d'être  luxueuse;  on  leur  fournit 
tout  au  plus  le  nécessaire.  Avec  l'argent  des  souscrip^ 
tions  des  soixante-seize  prêtres  de  Gap,  M.  Peix  avait  payé 
le  domaine  et  le  couvent,  et,  de  plus,  avait  fait  une  dé- 
pense d'environ  1  200  francs  pour  rendre  habitable  le 
couvent,  à  demi  en  ruines.  Les  frais  de  succession  payés, 
restait  une  somme  disponible  de  2698  francs.  L'emploi 
de  cette  somme  ne  resta  pas  aux  mains  des  mission- 
naires, il  fut  réglé  par  le  P.  Tempier,  de  concert  avec 
M.  l'abbé  Blanc,  vicaire  de  Gap  et  depuis  chanoine  du 
Chapitre.  Ensemble,  ils  pressèrent  les  souscripteurs  de 
faire  honneur  à  leur  signature  et  disposèrent  des  messes 
qui  restaient  à  acquitter.  Prendre  de  telles  mesures, 
c'était  ne  rien  laisser  dans  le  mystère,  agir  en  plein  jour, 
et  par  des  faits  positifs,  renverser  les  insinuations  men- 
songères du  parti,  qui,  plus  tard,  essaya  de  mettre  en 
suspicion  le  désintéressement  des  missionnaires  du  Laus. 

Faire  face  à  ses  devoirs  de  supérieur  local  en  diri- 
geant sa  petite  communauté  et  en  veillant  au  matériel 
de  sa  maison,  était,  en  quelque  sorte,  l'obligation  la  plus 
facile  à  remplir  par  le  P.  Tempier.  En  sa  qualité  de  des- 
servant du  Laus  et  de  gardien  du  sanctuaire,  il  avait  à 
mettre  en  meilleur  état  le  mobilier  et  les  ornements  de 
l'église,  à  donner  plus  de  dignité  et  d'éclat  au  culte  afin 
d'entretenir  la  dévotion  de  son  troupeau;  déplus,  il  lui 
fallait  tous  les  dévouements  du  zèle  sacerdotal  pour  se 
prêter  au  service  des  pèlerins  qui,  en  tout  temps,  surtout 
à  certaines  époques  de  l'année,  se  présentaient  au  sanc- 
tuaire de  Marie,  isolément  ou  en  nombreux  concours. 


—  97  — 

Aidé  de  ses  compagnons,  il  ne  faillit  pas  à  cette  double 
tâche  si  chère  à  son  cœur  de  prêtre  et  de  religieux. 

Nous  dirons  ici,  pour  ne  plus  y  revenir,  comment,  pen- 
dant les  quatre  années  qu'il  -séjourna  au  Laus,  il  amé- 
liora l'église  et  le  sanctuaire.  L'église  du  Laus  n'était  pas 
riche  en  ornements,  c'est  par  là  que  commença  le  nou- 
veau des.servant.  Il  fît  acheter  cent  pans  de  damas  cra- 
moisi qu'il  confia,  par  économie,  à  des  mains  religieuses; 
elles  en  firent  un  bel  ornement  complet,  chape,  chasu- 
ble, avec  tunique  et  dalmatique.  A  la  mort  de  M.  Peix, 
la  fabrique  reçut  deux  nouveaux  ornements  complets, 
dont  l'un  avait  été  acheté  avec  l'argent  des  souscripteurs 
resté  disponible.  Un  peu  plus  tard,  en  1820,  profitant 
d'un  de  ses  voyages  à  Aix,  il  acheta  d'autres  ornements 
encore,  des  chandeliers  avec  souche,  une  garniture  de 
bouquets  pour  le  maître-autel.  Quelque  temps  après, 
le  pavé  du  sanctuaire  en  pierres  grossières  fut  entouré 
d'une  bordure  en  plaques  de  marbre,  et  le  chœur  reçut 
une  boiserie  et  de  belles  stalles  en  bois  de  noyer.  Enfin, 
par  la  générosité  d'une  pieuse  donatrice,  il  fit  mettre  dans 
l'église  un  autel  en  marbre,  œuvre  d'un  marbrier  d'Avi- 
gnon ;  chaque  année  se  faisaient  des  améliorations,  des 
embellissements  nouveaux.  En  1822,  un  chemin  de  la 
croix,  en  tableaux,  orna  les  murailles  trop  nues  de  la  nef, 
et  favorisa  grandement  la  piété  des  pèlerins  qui  aimaient 
à  en  parcourir  les  stations.  C'est  ainsi  qu'avec  peu  de 
ressources,  le  P.  Tempier  put  rehausser  la  splendeur  de 
la  maison  de  Dieu  et  du  sanctuaire  de  Marie.  Les  fidèles 
s'édifiaient  du  zèle  de  leur  recteur  et  aimaient  leur  belle 
église;  les  prêtres  nombreux  qui  venaient  au  Laus,  après 
avoir  tout  examiné,  s'en  retournaient  ravis,  et  plus  d'un, 
à  l'exemple  des  missionnaires,  se  mettait,  lui  aussi,  à 
restaurer,  à  embellir  la  pauvre  église  de  sa  paroisse. 

Les  Missionnaires  de  Provence  avaient  charge  d'âmes 

T.   XXXV.  7 


—  98  — 

au  Laus  ;  recteurs  de  ia  petite  paroisse,  ils  exerçaient 
les  fonctions  curiales  au  profit  des  âmes  et  des  intérêts 
temporels  de  la  fabrique.  A  ce  point  de  vue,  le  ministère 
du  P.  Tempier  et  de  ses  collaborateurs  fut  béni  de  Dieu  ; 
on  connaît  les  multiples  obligations  d'un  bon  pasteur 
dans  toute  paroisse,  si  petite  soit-elle  ;  le  P.  Tempier,  qui 
avait  été  vicaire,  n'en  négligea  aucune. 

La  régularité  dans  le  service  religieux,  l'instruction 
donnée  aux  fidèles,  en  l'appropriant  à  leurs  besoins,  le 
catéchisme  fait  aux  enfants,  l'administration  des  sacre- 
ments, la  visite  des  pauvres,  des  infirmes  et  des  malades, 
développèrent  dans  la  paroisse  l'esprit  de  foi,  entretin- 
rent la  pratique  des  sacrements  et,  avec  les  mœurs  chré- 
tiennes, firent  régner  l'union  et  la  paix  dans  les  familles 
et  entre  les  habitants.  En  prêtre  intelligent  et  zélé,  le 
P.  Tempier  savait  être  vigilant  pour  prévenir  le  mal,  ferme 
pour  le  réprimer  ;  joignant  la  prudence  à  la  charité,  tou- 
jours prêt  à  rendre  service,  le  nouveau  recteur  sut  bien 
vite  gagner  l'estime  et  l'affection  de  ses  paroissiens.  Ni 
les  missions,  ni  les  services  qu'il  rendait  aux  prêtres  voi- 
sins, ni  le  temps  qu'il  devait  consacrer  aux  pèlerins,  ni 
les  absences  qu'il  était  obligé  de  faire,  ne  le  détournèrent 
de  ses  graves  obligations  envers  ses  ouailles.  Dans  ces 
circonstances,  il  se  faisait  toujours  remplacer  et  jamais 
la  cure  ne  restait  vacante.  Il  y  avait  au  Laus  des  exer- 
cices religieux  particuliers  pour  les  paroissiens.  Tous  les 
samedis  soirs,  on  se  réunissait  à  l'église  pour  la  récitation 
du  chapelet,  de  la  prière,  et  entendre  une  courte  instruc- 
tion, suivie  le  dimanche,  de  la  bénédiction  du  Saint  Sacre- 
ment. Pendant  le  carême,  cette  réunion  avait  lieu  plu- 
sieurs fois  par  semaine.  Les  grandes  fêtes  de  l'année 
étaient  précédées  par  des  jours  de  préparation  ayant  des 
exercices  religieux  et  des  instructions  spéciales.  La 
retraite  se  donnait  aussi  tous  les  ans  pour  la  paroisse. 


-  99  — 

Par  ce  que  nous  venons  de  dire,  on  comprendra  que  le 
poste  de  recteur  du  Laus  n'était  pas  une  sinécure  pour 
le  P.  Tempier. 

On  ne  lira  pas  sans  intérêt  la  description,  qu'il  nous  a 
laissée  dans  une  de  ses  lettres,  d'une  de  ses  journées  de 
dimanche  : 

«  Nous  nous  levons  à  5  h.  30,  nous  faisons  la  prière  et 
l'oraison  aux  pieds  de  la  Très  Sainte  Vierge,  je  dis  ensuite 
la  première  messe,  et  après  l'action  de  grâces,  j'entends 
les  confessions  jusqu'à  la  grand'messe,  que  je  chante  à 
iO  h.  30,  précédée  de  sexte  et  none.  A  2  heures,  chant  des 
vêpres,  suivies  de  la  récitation  du  chapelet.  A  3  heures, 
on  réunit  les  neuvaim'stes  (pèlerins  qui  font  une  neuvaine) 
auxquels  le  P.  Bourrelier  fait  une  lecture,  si  je  ne  fais 
pas  d'instruction.  Après  cette  réunion,  j'entends  encore 
les  confessions,  s'il  y  en  a.  Enfin,  à  l'entrée  de  la  nuit,  a 
lieu  l'exercice  du  soir,  auquel  tout  le  monde  assiste, 
pèlerins  et  paroissiens.  On  y  récite  la  prière,  une  petite 
instruction  précède  la  bénédiction  du  Saint  Sacrement. 
Ainsi  on  peut  dire  que  nous  passons  toute  notre  journée 
du  dimanche  à  l'église. 

Les  Missionnaires  de  Provence  avaient  été  appelés  au 
Laus  surtout  pour  faire  revivre  en  ce  lieu  la  dévotion  à 
Marie.  Il  est  vrai  que  le  sanctuaire  du  Laus  n'avait  jamais 
été  complètement  abandonné,  même  aux  jours  mauvais 
de  la  grande  Révolution,  et  que  les  temps  étant  devenus 
meilleurs,  les  pèlerins  et  même  les  concours  avaient 
repris  le  chemin  du  Laus.  Toutefois,  on  peut  dire  que 
l'ancien  état  de  choses  ne  revint  qu'avec  les  Missionnaires 
de  Provence,  à  partir  de  1819.  Les  pèlerins  isolés  pou- 
vaient dès  lors  compter  sur  les  secours  spirituels  dont  ils 
avaient  besoin,  et  pour  les  concours  des  paroisses,  les 
nouveaux  gardiens,  faisant  appel  à  leurs  confrères,  don- 
nèrent complète  satisfaction  à  la  piété  publique,  soit 


—  100  — 

pour  les  instructions,  soit  pour  l'audition  des  confessions, 
soit  enfin  pour  l'éclat  des  cérémonies.  Dès  le  mois  de 
mars  1819,  le  P.  Tempier  nous  met  au  courant  du  va-et- 
vient  pieux  dont  il  est  témoin,  et  qui  rendait  la  vie  et  le 
mouvement  à  cette  solitude  perdue  dans  les  Hautes- 
Alpes.  Parmi  les  pèlerins  les  uns  ne  faisaient  que  passer, 
s'en  retournant  chez  eux  après  avoir  satisfait  à  leur  dévo- 
tion ;  les  autres  séjournaient  de  neuf  à  dix  jours  à  l'ombre 
du  sanctuaire  de  Marie;  on  les  appelait  les  neuvainistes. 
Logés  soit  à  l'hospice,  soit  chez  les  habitants,  vivant  de 
peu  et  vaquant  à  des  exercices  de  piété  nombreux,  ils  fai- 
saient leur  retraite  de  neuf  jours.  L'assistance  à  la  sainte 
messe  chaque  jour,  réunions  à  l'église  pour  entendre 
une  instruction  spéciale,  visites  aux  stations  qui  condui- 
saient au  calvaire,  longs  et  sérieux  examens  de  conscience, 
confession,  le  plus  souvent  générale,  une  communion  fer- 
vente, tels  étaient  les  exercices  publics  et  privés  par  les- 
quels ces  bons  fidèles  retrempaient  leur  âme,  dans  la  vie 
chrétienne,  aux  sources  de  la  grâce.  Aussi  s'en  retour- 
naient-ils transformés  et  heureux  dans  leur  paroisse  res- 
pective. Là,  ils  redisaient  ce  qu'ils  avaient  vu  et  entendu 
au  Laus,  les  faveurs  qu'ils  y  avaient  reçues,  les  joies 
qu'ils  y  avaient  goûtées;  le  nom  des  nouveaux  gardiens 
revenait  souvent  sur  leurs  lèvres,  ils  ne  tarissaient  pas 
d'éloges  sur  leur  compte,  ils  les  avaient  accueillis  avec 
tant  de  charité,  ils  avaient  si  bien  tranquillisé  leur  cons- 
cience par  leur  ministère  prudent,  éclairé,  miséricor- 
dieux ! 

C'est  qu'un  grand  nombre  de  ces  neuvainistes  ayant 
commencé  leur  confession  depuis  cinq  et  même  huit 
ans,  la  renouvelaient  tous  les  ans  et  n'obtenaient  pas 
l'absolution  !  Et  cela,  parce  qu'à  cette  époque  la  plu- 
part des  confesseurs,  imbus  des  principes  du  jansé- 
nisme, usaient,  au  sacré  tribunal  de  la  pénitence,  d'un 


—  101  — 

rigorisme  outré  et  laissaient  les  consciences  dans  un 
triste  état.  Formés  à  l'école  de  saint  Liguori,  tenant 
compte  de  la  préparation  des  pèlerins,  des  fatigues  d'un 
long  voyage,  les  Missionnaires  de  Provence  se  montrè- 
rent envers  leurs  pénitents  plus  justes  et  plus  miséricor- 
dieux. Sans  rien  céder  sur  les  principes,  ils  étaient  moins 
raides  dans  leur  application.  Aussi  leur  renommée  de 
bons  confesseurs,  se  répandant  au  loin,  contribua  beau- 
coup à  attirer  les  pèlerins  au  Laus  ;  il  en  vint  des  Hautes 
et  des  Basses-Alpes,  de  l'Isère  et  autres  pays  limitrophes. 

Il  n'y  avait  pas  de  semaines  où  les  neuvainistes  fussent 
absents.  «  Au  mois  de  mars,  écrit  le  P.  Tempier,  j'ai  eu 
un  surcroit  de  besogne,  plus  de  quarante  neuvainistes 
ont  réclamé  successivement  mon  ministère.  Il  y  a  ici  du 
travail  pour  deux  prêtres.  » 

Les  hommes  ne  se  montraient  pas  moins  empressés 
que  les  femmes  et  les  dévotes  à  faire  des  neuvaines. 

«  Voici  un  bataillon  coiffé  qui  se  présente,  écrit  le 
P.  Tempier  en  sa  langue  pittoresque,  il  est  précédé  par  des 
grenadiers  à  moustache,  qui  ouvrent  la  marche  et  vien- 
nent se  planter,  des  premiers,  autour  du  confessionnal.  » 

A  certaines  époques  de  l'année  ,  les  concours  de 
paroisse  venaient  se  joindre  aux  pèlerins  isolés  et  aux 
neuvainistes.  Le  mois  de  mars  était  pour  le  Champsaure, 
en  avril,  c'était  le  tour  des  Briançonnais,  puis  venaient 
les  Grenoblois  (1).  En  dehors  de  ces  concours  régionaux, 
certaines  fêtes  amenaient  une  grande  affluence  de  pèle- 
rins, organisés  en  processions  et  par  paroisses.  C'étaient 
la  Pentecôte,  la  Fête-Dieu,  au  jour  de  l'échéance,  la  fête 
de  saint  Pierre  et  saint  Paul,  les  trois  fêtes  de  la  Sainte 
Vierge,  le  2  juillet,  le  15  août  et  le  8  septembre.  Ces 

(1)  Nous  avons  sous  les  yeux  une  liste  de  dix-huit  paroisses  éloi- 
gnées qui  venaient  souvent  au  sanctuaire  du  Laus  ;  vingt-six  autres 
y  venaient  tous  les  ans. 


—  <02  — 

jours-làj  il  y  avait  souvent  dix  paroisses  et  plus  qui  arri- 
vaient au  Laus,  bannières  en  têle,  chantant  le  long  des 
chemins,  des  cantiques  à  la  Sainte  Vierge.  L'église  se 
trouvant  insuffisante  devant  une  telle  multitude,  les  pre- 
miers groupes  se  hâtaient  de  faire  place  à  ceux  qui  les 
suivaient.  En  prévision  de  ces  concours,  le  P.  Tempier 
priait  M.  de  Mazenod  de  lui  envoyer  des  aides,  pour  prê- 
cher, confesser,  présider  aux  offices,  et  maintenir  partout 
le  bon  ordre.  On  donnait  toute  la  dignité  et  tout  l'éclat 
possibles  aux  offices,  mais  quand  en  1820  et  1821,  la 
maison  du  Laus  fut  la  résidence  des  junioristes,  des 
novices  et  des  scolastiques,  les  cérémonies  revêtirent 
un  caractère  de  magnificence  incomparable,  les  pèlerins 
en  étaient  ravis  et,  selon  leur  naïve  expression,  elles  les 
transportaient  dans  le  paradis.  Prêtres  et  fidèles,  en  quit- 
tant le  Laus,  y  laissaient  leur  cœur,  et  ne  se  consolaient 
que  par  la  pensée  d'y  revenir  bientôt. 

En  1820,  M^''DE  MAZENODeut  la  joie  d'assister  aux  fêtes 
de  la  Pentecôte.  Son  cœur  si  pieux  exultait  et  il  bénis- 
sait Dieu  à  la  vue  de  ces  belles  et  pieuses  manifestations, 
dont  l'élan  était  provoqué  et  entretenu  par  ses  enfants, 
gardiens  du  sanctuaire  de  Marie. 

«  On  y  confesse  beaucoup,  écrivait-il  à  M"^  de  Ré- 
gusse;  à  peine  les  Pères  suffisent  au  travail;  ces  gens 
sont  admirables  de  foi  et  de  piété.  En  ce  moment,  ceux 
de  Gap  s'en  retournent  et  ont  près  de  trois  heures  de 
marche  à  faire  avant  d'arriver.  Après  les  vêpres,  les  pa- 
roissiens de  Prunières  regagneront  leur  pays,  d'où  ils  sont 
partis  à  3  heures  du  matin  (Prunières,  village  du  canton 
de  C.horges,  à  20  kilomètres  de  Gap).  Ils  s'en  retournent 
à  pied,  en  procession,  chantant  des  cantiques  et  récitant 
le  rosaire.  « 

Gap,  n'étant  pas  très  éloigné  du  Laus,  y  envoyait  sou- 
vent des  pèlerins  de  toute  classe,  gens  du  grand  monde 


—  103  — 

et  petites  gens.  Rendant  compte  d'un  de  ces  pèlerinages 
qui  avaient  eu  lieu  le  soir  de  la  fête  de  la  Nativité,  le 
P.  Tempier  disait  :  «  La  fête  a  été  ronflante,  c'est  la  sai- 
son des  grosses  dames.  Nous  voyons  ici  beaucoup  de 
châles  et  de  panaches  aux  chapeaux,  mais  toutes  ces 
plumes  et  ces  dentelles  ne  sont  pas  toujours  des  bre- 
vets d'absolution.  »  Passons  cette  pointe  de  malice  inof- 
fensive à  l'ancien  vicaire  d'Arles  devenu  missionnaire; 
à  l'éclat  des  toilettes  et  à  la  distinction  des  manières, 
il  pouvait  préférer  la  simplicité  de  ton  et  la  mise  des 
bonnes  chrétiennes  de  village. 

Telle  fut  la  physionomie  du  pèlerinage  du  Laus  pen- 
dant les  années  du  supériorat  du  P.  Tempier,  de  1819 
à  1823.  Pour  faire  connaître  et  favoriser  la  dévotion  à 
Notre-Dame  du  Laus,  il  fit  faire  une  nouvelle  édition  du 
petit  livre  les  Merveilles  de  Notre-Dame  du  Laus.  Le  texte 
primitif  subit  quelques  changements  et  on  y  ajouta  des 
cantiques  et  des  avis  à  l'usage  des  pèlerins  et  des  neu- 
vainistes  ;  il  obtint  de  Rome  tous  les  pouvoirs  néces- 
saires aux  directeurs  du  pèlerinage.  Dans  le  même  but, 
il  établit,  près  de  l'église,  un  dépôt  de  livres  et  d'objets 
pieux  que  les  pèlerins  pouvaient  se  procurer  et  rem- 
porter chez  eux  comme  souvenir  de  leur  visite  au  Laus. 
Il  fit  frapper  aussi  quatre  à  cinq  mille  médailles  en 
laiton  cuivré  et  deux  cents  en  argent,  portant  d'un  côté 
l'image  du  sanctuaire,  de  l'autre,  le  nom  des  Mission- 
naires de  Provence,  avec  la  date  de  leur  installation  au 
Laus.  C'est  ainsi  qu'en  peu  de  temps  il  réorganisa  le 
pèlerinage  ;  ses  successeurs  n'eurent  qu'à  continuer  et 
qu'à  développer  l'œuvre  si  bien  commencée. 

Malgré  la  distance  qui  séparait  Aix,  la  maison  mère, 
de  sa  fille,  la  maison  du  Laus,  elles  restaient  étroite- 
ment unies.  M.  de  Mazenod  était  le  vrai  supérieur  du 
Laus,  le  P.  Tempier  entretenait  une  correspondance  ac- 


—  104  — 

tive,  fréquente,  avec  le  fondateur,  aux  décisions  duquel 
toute  question  importante  était  soumise  et  qui  gardait 
son  droit  de  contrôle  sur  les  moindres  détails  laissés  à 
l'initiative  du  supérieur  local. 

D'autre  part,  les  Pères  et  les  Frères  scolastiques  d'Aix 
entretenaient  des  relations  de  services  et  de  bonne  fra- 
ternité avec  le  Laus.  Toutefois,  ils  ne  se  déplaçaient  pas 
sans  de  bonnes  raisons  et  ne  montaient  au  Laus  que 
pour  des  motifs  de  santé  ou  de  services  à  rendre.  On  était 
pauvre,  et  il  ne  fallait  pas  multiplier  les  dépenses.  Les 
PP.  Maunier  et  MiE  se  rendirent  au  Laus  pour  la  pre- 
mière fois  aux  fêtes  de  la  Pentecôte  1819;  le  premier 
s'en  retourna  à  Aix  huit  jours  après.  Quant  au  P.  Mie, 
il  ne  quitta  le  Laus  qu'après  les  concours  de  juillet.  «J'ai 
été  bienheureux,  disait-il,  de  mon  séjour  au  sanctuaire, 
malgré  l'odeur  des  vendeurs  de  fromage  et  l'art  culinaire 
tout  à  fait  primitif  de  la  cuisinière  du  logis,  qui  est  loin 
d'être  un  cordon  bleu.  »  Les  FF.  Dupuy  et  Moreau,  novices 
scolastiques,  visitèrent  aussi  le  Laus  cette  première  année 
et  rendirent  de  grands  services  aux  jours  de  pèlerinage. 

Le  P.  Tempier  alla  à  Aix  quelquefois  pour  affaires  ; 
c'est  d'Aix  et  de  Marseille  qu'il  faisait  venir  ses  provi- 
sions, c'est  là  qu'il  faisait  ses  diverses  commandes  pour 
l'église  et  pour  la  maison.  Là  aussi  qu'il  rendait  compte 
à  M,  de  Mazenod  de  son  administration  temporelle  et  ré- 
glait la  part  des  contributions  que  sa  maison  versait  dans 
la  caisse  générale. 

Les  Pères  du  Laus  avaient  charge,  d'après  les  conven- 
tions acceptées,  d'exercer  le  ministère  apostolique  dans 
le  diocèse  de  Digne,  soit  par  des  missions  proprement 
dites,  soit  par  des  secours  temporaires  donnés  aux  prêtres 
des  paroisses. 

Le  17  janvier  1819,  s'ouvrit,  à  RémoUon,  à  2  lieues  du 
Laus,  une  mission  de  trois  semaines  ;  elle  fut  dirigée  par 


~  105  — 

M.  DE  Mazenod  lui-même,  et  le  P.  Tempier  y  prit  part.  Il 
en  est  fait  mention  dans  la  vie  de  notre  vénéré  Fonda- 
teur (1),  nous  dirons  seulement  ici  que  le  beau  succès  de 
ce  travail  important  posa  bien  les  nouveaux  gardiens 
du  Laus  et  leur  attira  l'estime  et  la  confiance  du  clergé 
et  des  fidèles.  Le  P.  Touche  se  mit  en  campagne  à  son 
tour,  pendant  cinq  semaines,  de  février  au  20  mars,  et 
se  rendit  à  Eyguières,  chef-lieu  de  canton  de  l'arrondis- 
sement d'Arles,  M.  de  Mazenod  avait  commencé  la  mis- 
sion ;  mais,  obligé  de  la  quitter,  il  en  laissa  la  direction 
au  P.  Deblieu,  qui  avait  pour  collaborateur  le  P.  Mie  et 
le  P.  Touche.  Rentré  au  Laus  le  i"  avril,  le  P.  Touche  y 
exerça  un  fructueux  ministère  jusqu'en  novembre,  épo- 
que où  il  fut  le  compagnon  du  P.  Moreau,  donnant  une 
mission  à  Rougière,  dans  le  département  du  Var,  canton 
de  Saint- Maximin,  dépendant  alors  de  l'archidiocèse 
d'Aix.  Au  témoignage  de  M.  de  Mazenod  écrivant  au 
P.  Tempier,  les  Pères  obtinrent  d'excellents  résultats.  Les 
PP.  Mie  et  Tempier  ne  furent  pas  aussi  heureux  dans 
la  mission  qu'ils  donnèrent  à  Rognac  (Bouches-du- 
Rhône),  paroisse  de  800  habitants,  du  canton  de  Berre, 
arrondissement  d'Aix.  Elle  eut  lieu  en  novembre;  com- 
mencée dans  des  conditions  peu  favorables,  elle  n'eut 
qu'un  succès  médiocre.  A  cette  occasion,  le  P.  de  Ma- 
zenod écrivit  aux  deux  missionnaires  affligés  une  lettre 
touchante,  où  il  nous  découvre  la  grande  affection  qu'il 
portait  à  ses  enfants  et  la  hauteur  de  vue  oh  il  se  pla- 
çait pour  apprécier  un  résultat  auquel  il  était  si  peu 
accoutumé.  Le  P.  Rambert  a  donné  quelques  détails  sur 
cette  mission  et  cite,  en  partie,  les  belles  paroles  du  Fon- 
dateur (2). 

(A  suivre.)  G.  Simonin,  o.  m.  i. 

(1)  Vie  de  itfgr  de  Mazenod,  t.  I,  liv.  II,  chap.  viii,  p.  298. 

(2)  Vie  de  JWgt  de  Mazenod.  t.  I,  liv.  II,  p.  304. 


—  406  - 

II 

INAUGURATION  DU  COLLÈGE  DE  COLOMBO. 

Les  journaux  de  Ceylan  nous  ont  apporté  le  récit  des 
belles  fêtes  qui  ont  marqué  l'inauguration  du  collège  de 
Colombo,  le  27  novembre  1896.  Nous  regrettons  de  ne 
pouvoir  reproduire  au  long  ces  intéressants  détails  ;  mais 
nous  devons  à  l'histoire  de  la  famille  de  citer  les  docu- 
ments qu'on  va  lire. 

ADRESSE  DES  MEMBRES  DU  COMITÉ  DU  COLLÈGE  SAINT-JOSEPH. 

A  Son  Excellence  Révérendissime  Ladislas  Michel  Zaleski, 
M'chevêque  de  Thèbes,  Délégué  apostolique  aux  Indes 
Orientales. 

Excellence, 

Il  y  a  deux  années  déjà,  nous  avions  le  bonheur  de 
souhaiter  la  bienvenue  à  Votre  Excellence,  à  l'occasion 
de  la  pose  de  la  première  pierre  du  collège  Saint-Joseph. 

Aujourd'hui,  Votre  Excellence  a  couronné  cette  grande 
œuvre,  commencée  alors  par  la  bénédiction  solennelle 
de  notre  nouveau  collège. 

Le  succès  exceptionnel,  nous  pourrions  presque  dire 
inespéré,  qui  était  réservé  à  nos  efforts,  nous  l'attribuons 
à  ce  fait  que  non  seulement  l'idée  de  l'établissement  d'un 
collège  pour  la  haute  éducation  des  catholiques  dans  cet 
archidiocèse  est  émané  du  Saint-Siège,  mais  encore  que 
l'entreprise  a  constamment  joui  de  la  bénédiction  et  des 
encouragements  de  notre  Saint-Père. 

Nous  regrettons  l'absence  forcée,  au  milieu  de  nous, 
de  notre  archevêque  bien-aimé,  qui  touj  ours  a  fait  preuve, 
pour  le  collège,  d'un  intérêt  si  profond  et  si  pratiquement 
dévoué,  et  de  Son  Eminence  l'évêque  de  Jaffna.  Mais  Ja 


-•  107  — 

présence  bienvenue  de  Leurs  Eminences  les  évoques  de 
Kandy  et  de  Galle  nous  apporte  l'assurance  de  la  sym- 
pathie et  de  l'estime  de  la  hiérarchie  de  Ceylan  pour 
notre  collège. 

L'œuvre  du  collège  est  commencée  et,  nous  osons 
le  dire,  pour  ce  qui  regarde  à  la  fois  le  nombre  et  les 
résultats  obtenus,  commencée  avec  des  succès  remar- 
quables. 

Il  nous  reste,  maintenant,  à  offrir  à  Votre  Excellence 
nos  remerciements  du  cœur  pour  avoir  si  gracieusement 
consenti  à  présider  en  cette  occasion  et  à  vous  prier  de 
vouloir  bien  faire  part  à  Sa  Sainteté  de  l'expression  de 
notre  fidélité  et  de  notre  attachement  au  Saint-Siège, 
ainsi  que  de  notre  gratitude  pour  les  encouragements 
et  la  bénédiction  que  le  Saint-Père  nous  a  donnés  dans 
notre  œuvre. 

Nous  désirons  rester  de  Votre  Excellence  les  très  obéis- 
sants et  dévoués  serviteurs  dans  le  Christ. 

Les  membres  du  Comité  du  collège  Saint-Joseph. 
Colombo,  27  novembre  1896. 

ADRESSE  DES  ÉLÈVES   DU    COLLÈGE. 

A  Son  Excellence  Révérendissime  Ladislas-Michel  Zaleski, 
archevêque  de  Thèbes,  Délégué  apostolique  aux  Indes 
Orientales. 

Excellence, 
En  un  jour  aussi  solennel,  devant  une  assemblée  aussi 
grave,  la  voix  d'un  enfant  n'a  guère  le  droit  de  se  faire 
entendre.  Ce  n'est  donc  pas  sans  défiance  que  je  m'aven- 
ture en  avant  au  nom  de  mes  camarades.  D'autant  plus 
que  les  membres  du  Comité  du  collège,  investis  de  la 
pleine  autorité,  ont  déjà  fait  une  adresse  à  Votre  Excel- 
lence au  nom  de  toute  la  communauté  catholique.  Mais 


-^  108  — 

nous,  enfants,  nous  avons  des  yeux  pour  voir,  et  nous 
ne  pouvons  pas  nous  empêcher  de  voir  que  ce  qui  s'est 
fait  ici  à  tant  de  frais  et  avec  tant  de  peine,  a  été  fait  pour 
nous,  pour  notre  bonheur  du  temps  et  de  l'éternité. 
Nous  ne  pouvons  nous  empêcher  d'être  reconnaissants 
envers  ceux  qui  nous  ont  bâti  ce  collège,  véritable  pa- 
lais, et  envers  Votre  Excellence,  et  vous,  Messeigneurs, 
qui  avez  si  gracieusement  accepté  d'honorer  cette  jour- 
née de  votre  présence,  et  d'invoquer  la  bénédiction  di- 
vine sur  cet  édifice  et  ses  habitants.  Nous  ne  pouvons 
pas  non  plus  dissimuler  la  fierté  que  nous  sentons  à  être 
les  premiers  étudiants  du  collège  Saint-Joseph.  Ce  n'est 
pas  un  faible  honneur,  en  vérité,  et  nous  assurons  Votre 
Excellence  que  nous  l'apprécions  et  que  nous  porterons 
de  plus  en  plus  haut  les  couleurs  de  notre  Aima  Mater. 

C'est  l'excuse  de  notre  hardiesse  à  rompre  le  silence 
qui  convient  à  notre  âge.  Nous  prions  Votre  Excellence 
de  nous  pardonner  et  de^nous  donner  sa  bénédiction. 

Vos  enfants  dévoués, 

Les  Étudiants  du  collège  Saint-Joseph. 
Collège  Saint-Joseph,  Colombo,  27  novembre  1896. 

RÉPONSE  DE  SON  EXCELLENCE  LE  DÉLÉGUÉ  APOSTOLIQUE. 

Messeigneurs,  très  révérend  Père  Visiteur  (I), 
Révérends  Pères  et  Messieurs, 

C'est,  en  vérité,  un  jour  heureux  pour  moi  où  je  puis 
inaugurer  par  la  bénédiction  de  la  sainte  Eglise  cet  Ins- 
titut catholique  dont  j'ai  posé  la  première  pierre. 

Ce  n'est  pas  seulement  un  édifice  matériel  qui  a  été 
érigé  par  les  soins  des  Révérends  Pères  ici  présents,  aidés 
et  assistés  parles  sommités  catholiques  de  Ceylan,  dont, 
plus  d'une  fois,  j'ai  montré  l'assistance  morale  et  pécu- 

(t)  Le  R.  p.  AuGiER,  Cassien. 


—  109  — 

niaire  comme  un  exemple  à  imiter  aux  chrétiens  de  ma 
délégation.  {Applaudissements.)  Mais  le  succès  que  cette 
nouvelle  institution  a  déjà  rencontré,  succès  dû  en  grande 
partie  au  zèle  infatigable  du  très  révérend  Père  Rec- 
teur, surpasse  de  beaucoup  toute  prévision  ;  à  tel  point 
que  cette  institution  a  pris  une  place  honorable  parmi 
les  collèges  catholiques  de  l'Orient  et  a  déjà  établi  sa  ré- 
putation. Ceci,  Messieurs,  est  une  garantie  pour  vous  que 
vos  enfants  recevront  là  une  solide  et  haute  éducation. 

Je  regrette  vivement  que  votre  vénéré  archevêque  ne 
soit  pas  parmi  nous  ;  mais  je  suis  heureux  de  dire  que 
dernièrement  j'ai  reçu  des  nouvelles  de  son  prochain 
retour.  Je  ne  doute  pas  qu'en  ce  moment  il  ne  soit  uni 
d'esprit  avec  nous,  assemblés  ici  pour  couronner  une 
œuvre  qui  lui  est  si  chère  et  dont  il  a  le  droit  d'être 
considéré  tout  ensemble  comme  le  promoteur  et  le  fon- 
dateur. [Applaudissements.) 

Messieurs,  à  mon  avis,  cette  inauguration  du  collège 
Saint-Joseph  signifie  plus  que  la  simple  ouverture  d'un 
établissement  d'éducation.  En  effet,  si  j'insiste  sur  l'im- 
portance de  la  cérémonie  à  laquelle  nous  assistons,  c'est 
à  cause  de  ma  ferme  conviction  que  cette  institution 
deviendra  non  seulement  un  foyer  de  science,  mais  en- 
core un  foyer  de  vie  catholique.  [Vifs  applaudissements.) 

La  communauté  catholique  de  Geylan  manque  de 
cette  vitalité  qui  est  le  fruit  de  l'organisation  et  de  cette 
vigueur  qui  procède  de  l'union. 

Ce  n'est  pas  assez  qu'un  soldat  soit  loyal  à  son  souve- 
rain, qu'il  aime  son  pays  et  fidèlement  garde  ses  lois  ;  il 
doit  encore  savoir  comment  proclamer,  affirmer  et  dé- 
fendre les  droits  de  son  souverain  ;  il  doit  savoir  com- 
ment défendre  son  pays  et  comment  défendre  et  faire 
respecter  ses  lois. 

De  même,  Messieurs,  ce  n'est  pas  assez  qu'un  catho- 


—  110  — 

lique  professe  son  amour  pour  Dieu,  sa  vénération  pour 
l'Eglise  et  son  obéissance  à  toutes  ses  lois  ;  il  doit  savoir 
comment  proclamer  publiquement,  affirmer  et  défendre 
les  droits  imprescriptibles  de  Dieu  ;  proclamer,  affirmer 
et  défendre  les  droits  de  la  sainte  Eglise  ;  défendre  les 
lois  de  Dieu  et  de  son  Eglise. 

Tel  est,  Messieurs,  le  premier  devoir  de  tout  catho- 
lique, devoir  dont  on  ne  peut  se  dispenser  et  dont  on  ne 
doit  pas  s'acquitter  avec  négligence  et  à  la  légère.  Tout 
catholique  doit  s'acquitter  de  ce  devoir  suprême  de  tout 
son  pouvoir,  sa  force  et  son  énergie,  aller  droit  au  but, 
travailler,  persister  et  lutter  jusqu'à  ce  qu'il  gagne  pour 
lui-même  et  ses  compatriotes  pleine  et  entière  liberté 
religieuse.  (Applaudissements.) 

On  parle  beaucoup,  de  nos  jours,  des  droits  et  des  li- 
bertés du  suiei  (Applaudissements.);  mais  le  premier  droit 
du  sujet,  son  suprême  privilège,  est  la  liberté  religieuse. 
[Nouveaux  applaudissements .)  Ce  n'est  pas  seulement  le 
droit  du  sujet,  c'est  le  droit  de  Dieu  que  tout  catholique 
est  tenu  de  défendre.  (Applaudissements  prolongés.) 

Révérends  Pères  et  vous,  Messsieurs,  qui  enseignez 
dans  ce  collège,  à  qui  est  confiée  l'éducation  de  ces  en- 
fants, l'espoir  de  la  communauté  catholique  de  Geylan, 
souvenez-vous  que  c'est  votre  devoir  de  former  cette 
jeunesse  de  façon  à  devenir  les  chevaliers  de  Dieu.  (Ap- 
plaudissements.) Travaillez  donc  à  les  rendre  capables  de 
toujours  défendre  les  droits  sacrés  de  Dieu,  les  droits  de 
sa  sainte  Eglise,  et  de  lutter  courageusement  pour  la 
liberté  religieuse  de  leurs  compatriotes.  (Nouveaux  ap- 
plaudissements.) 

Faites  d'eux  de  bons  et  utiles  citoyens  ;  faites-leur 
comprendre,  dès  le  premier  âge,  que  personne  ne  peut 
être  vraiment  loyal  à  son  souverain  ;  que  personne,  en 
toutes  circonstances,  ne  défendra  son  pays  et  ses  droits 


de  citoyen,  s'il  ne  sait  défendre  les  droits  de  Dieu,  les 
droits  de  la  sainte  Eglise  et  sa  liberté  religieuse  ;  car,  la 
fidélité  à  Dieu,  voilà  l'origine  et  la  source  de  toutes  les 
vertus  du  citoyen. 

Quand  vous  aurez  atteint  cet  idéal,  vous  pourrez  dire 
alors  que  le  jour  de  l'inauguration  de  ce  collège  a  été 
réellement  un  grand  jour  pour  les  catholiques  de  Gey- 
lan.  {Applaudissements  et  acclamations  enthousiastes.) 

DISCOURS  DU  R.  P.  COLLIN,  0.  M.  I.,  RECTEUR  DU  COLLÈGE, 
A   SON   EXCELLENCE    LE  GOUVERNEUR. 

Excellence, 

Sur  l'arc  qui  domine  notre  entrée,  nous  avons  écrit  ce 
mot  :  Bienvenue.  11  n'en  est  pas  qui  puisse  mieux  expri- 
mer nos  sentiments  en  ce  jour.  C'est  du  fond  du  cœur 
que  nous  souhaitons  la  bienvenue  à  Votre  Excellence, 
dans  cette  première  visite  qu'elle  fait  au  collège.  Nous 
saluons  en  vous  la  première  autorité  civile  du  pays.  Nous 
saluons  en  vous  le  représentant  de  Sa  Gracieuse  Majesté 
la  Reine.  Nous  saluons  aussi  en  vous,  Monsieur  —  et  ceci 
n'est  pas  de  peu  d'importance  pour  des  hommes  voués, 
comme  nous,  à  l'éducation  de  la  jeunesse  —  nous  sa- 
luons en  vous  un  ami  sincère  de  l'éducation,  non  pas 
un  ami  simplement  en  parole,  mais  un  ami  en  toute 
réalité. 

J'eus,  un  jour,  l'honneur  de  faire  partie  d'une  déléga- 
tion de  l'Association  d'éducation  ceylanaise,  qui  se  pré- 
sentait à  Votre  Excellence  pour  lui  exposer  certains  abus 
des  directeurs  des  écoles.  Nous  quittâmes  tous  la  salle 
d'audience,  parfaitement  satisfaits  de  l'accueil  si  courtois 
qui  nous  avait  été  fait  et  des  promesses  substantielles  que 
nous  avions  reçues,  promesses  qui  depuis  ont  été  plei- 
nement réalisées.  Ceci  et  l'établissement  du  Bureau 


—  112  — 

d'éducation  montrent  que  les  relations  du  gouverne- 
ment et  des  corps  d'éducation  sont  désormais  établies 
sur  une  confiance  mutuelle  et  une  parfaite  entente  d'opé- 
rations. Les  propos  publics  de  Votre  Excellence  et  spé- 
cialement l'augmentation  considérable  faite  dans  les 
allocations  de  l'éducation  pour  l'année  prochaine  sont 
des  preuves  palpables  de  l'intérêt  que  vous  portez  à 
l'éducation  du  peuple,  éducation  que  vous  considérez  à 
juste  titre  comme  la  cheville  ouvrière  du  bon  gouverne- 
ment d'une  colonie.  Il  est  donc  parfaitement  convenable 
qu'à  un  ami  aussi  sincère  de  l'éducation  soit  dévolu  l'hon- 
neur d'inaugurer  un  collège  destiné,  je  l'espère,  à  être 
un  nouveau  foyer  de  lumière  dans  cette  île. 

Mais  Votre  Excellence  s'étonne  peut-être  que  nous 
vous  demandions  d'ouvrir  un  collège  qui  a  déjà  plusieurs 
mois  d'existence.  Ceci  réclame  quelques  explications  de 
ma  part.  C'est  une  règle,  parmi  les  bons  chrétiens,  qu'un 
enfant  doit  être  baptisé  aussitôt  après  sa  naissance.  Cette 
règle  cependant  souffre  des  exceptions.  Des  excuses  de 
retard  ne  manquent  pas.  Il  peut  se  faire  que  le  parrain, 
la  marraine  soient  absents,  et  il  faut  consulter  leurs 
commodités  ;  ou  encore  la  parure  du  petit  nouveau-né 
n'est  pas  prête,  et  ses  parents  désirent  qu'il  fasse  sa  pre- 
mière apparition  dans  le  monde  dans  ses  plus  beaux 
atours.  Et  ainsi  il  arrive  parfois  qu'un  enfant  de  six  mois, 
neuf  mois,  soit  porté  aux  fonts  baptismaux.  C'est  là  exac- 
tement ce  qui  nous  est  arrivé.  Quand  nous  avons  ouvert 
ce  collège,  en  mars  dernier,  la  moitié  seulement  du  bâ- 
timent était  prête,  l'autre  était  encore  entre  les  mains 
des  maçons  et  des  charpentiers.  L'extérieur  n'était  pas 
achevé  ni  même  couvert  de  chaux.  A  coup  sûr,  ce  n'était 
pas  là  une  parure  convenable  pour  produire  notre  nou- 
veau-né devant  le  public.  D'ailleurs,  parrain  et  marraine 
étaient  absents.  Votre  Excellence  était  en  tournée  quelque 


—  113  — 

part,  et  Monseigneur  le  Délégué  apostolique  était  au  loin, 
dans  l'Inde.  Voilà  nos  raisons  de  procéder  aujourd'hui 
au  baptême  de  notre  collège,  âgé  de  neuf  mois. 

Votre  Excellence  désire  peut-être  savoir  quelque  chose 
des  circonstances  qui  ont  amené  l'érection  de  ce  collège. 

Le  R.  P.  Vice-Recteur  va  nous  lire  un  rapide  aperçu 
historique  sur  l'origine  et  les  progrès  de  l'œuvre.  Mais 
je  vois  que  nos  jeunes  musiciens  sont  impatients  d'en- 
tonner le  chant  d'ouverture  du  collège.  Le  R.  P.  Lytton, 
je  l'espère,  prendra  un  peu  patience  avec  eux. 

rapport  du  r.  p.  lytton. 

L'Eglise  catholique  a  toujours  été  une  mère  aimante, 
pleine  de  vigilance  et  de  sollicitude  pour  l'éducation. 
Elle  la  reconnaît  comme  une  nécessité  pour  ses  enfants; 
la  connaissance  et  le  service  de  la  religion  révélée  le 
demande.  Elle  a  répandu  dans  le  monde  la  lumière  non 
seulement  des  connaissances  divines,  mais  encore  des 
connaissances  humaines.  Les  écoles,  les  collèges,  les 
universités,  qui  ont  surgi  par  ses  soins  maternels  partout 
où  il  lui  a  été  donné  de  prendre  racine  ;et  de  s'étendre, 
sont  là  pour  le  prouver.  Ses  missionnaires  sont  ses  agents 
volontaires,  dévoués,  et,  partout  où  ils  vont  s'établir, 
religion  et  éducation  vont  ensemble  la  main  dans  la 
main.  Partout  où  ils  élèvent  une  église,  on  est  sûr  de 
trouver  une  école  à  côté.  Le  regretté  cardinal  Manning 
disait  un  jour  que,  s'il  était  forcé  de  choisir  entre  les 
églises  et  les  écoles,  il  ferait  le  sacrifice  des  églises  pour 
garder  les  écoles. 

L'œuvre  de  l'Eglise  dans  notre  île  ne  fait  pas  exception 
à  cette  règle.  Tandis  qu'en  1846  on  ne  fait  pas  même 
mention  d'une  école  catholique,  nous  trouvons,  en  1852, 
31  écoles  catholiques;  en  1862,96,  avec  4208  élèves. 


—  114  •« 

En  1891,  le  nombre  des  écoles  catholiques  pour  l'île  est 
de  368,  fréquentées  par  24  000  élèves,  dont  9  000  filles. 
En  t895,  28  000  enfants  catholiques  fréquentent  les 
écoles.  La  fréquentation  des  catholiques  est  de  2  sur  J9 
de  la  population  catholique,  tandis  que  celle  des  autres 
enfants  est  de  1  sur  19  de  la  population.  Sur  6  enfants  fré- 
quentant l'école  à  Geylan,  1  est  catholique.  Ce  sont  là  des 
résultats  dont  nous  avons  raison  d'être  fiers.  Ils  montrent 
le  constant  et  prospère  accroissement  de  nos  écoles. 

L'anglais  n'est  pas  enseigné  dans  toutes  ces  écoles.  On 
n'a  jamais  cru  sage  de  l'encourager  là  où  il  n'était  pas 
nécessaire,  oti  il  aurait  eu  pour  effet  de  rendre  les  gens 
mécontents  de  leur  condition  et  de  leur  faire  abandon- 
ner la  carrière  des  champs  ou  d'autres,  pour  des  posi- 
tions inférieures  et  précaires  dans  les  villes. 

Des  écoles  catholiques  anglaises  n'ont  été  ouvertes  que 
là  oii  elles  étaient  nécessaires  et  oh  les  parents  pouvaient 
faire  face  aux  frais  d'une  éducation  qui  pour  leurs  en- 
fants est  du  luxe. 

A  la  tête  de  ces  écoles,  dans  l'archidiocèse,  est  l'Ins- 
titut Saint-Benoît,  dirigé  par  les  Frères  des  Ecoles  chré- 
tiennes, les  fils  dévoués  du  Bienheureux  de  La  Salle. 
Leurs  élèves,  on  les  rencontre  presque  partout,  remplis- 
sant avec  crédit  des  postes  auprès  du  gouvernement  et 
dans  les  maisons  d'affaires.  Pour  la  grande  partie  de  nos 
enfants  catholiques,  l'école  Saint-Benoît  est  complète- 
ment suffisante.  Là,  ils  trouveront  tout  ce  qui  est  néces- 
saire pour  une  éducation  commerciale  ou  cléricale.  Ce 
que  celui  de  Saint-Benoît  fait  ici,  le  collège  Saint-Patrice 
le  fait  dans  le  nord  de  l'île. 

Toutefois,  on  sentait  et  admettait  qu'il  y  avait  une 
classe  d'élèves  catholiques  obligés  de  pousser  plus  loin 
leurs  études  que  le  collège  Saint-Benoît  n'avait  coutume 
de  le  faire  :  nous  voulons  parler  de  ceux  qui  se  desti- 


—  11b  — 

naient  aux  professions  libérales  et  aux  postes  plus  élevés 
du  gouvernement,  qui  sont  ouverts  aux  enfants  du  sol. 
Pour  ceux-là,  une  éducation  classique  et  scientifique 
était  nécessaire.  Personne  ne  sentait  davantage  ce  besoin 
que  notre  regretté  archevêque  M»""  Bonjean,  un  homme 
de  Dieu,  qui  avait  fait  de  l'éducation  l'étude  de  sa  vie.  Ses 
grands  talents  et  son  expérience  le  désignaient  comme 
l'homme  suscité  par  la  Providence  pour  préparer  les 
voies  à  la  fondation  de  l'institution  destinée  à  suppléer 
à  ce  besoin. 

Pour  grandes  qu'aient  été  les  difficultés  surgies  sur  sa 
route,  plus  grandes  encore  ont  été  sa  résolution  et  sa  per- 
sévérance. Tout  en  attendant  son  heure,  il  prépara  len- 
tement, mais  sûrement,  l'établissement,  à  Colombo,  d'un 
collège  catholique.  Après  des  années  de  difficultés  et 
d'incertitudes,  encouragé,  pressé  par  le  Saint-Siège,  il 
vit  enfin  les  voies  s'ouvrir  devant  lui,  et  le  6  janvier  1892, 
six  mois  avant  sa  mort,  il  adressait  une  lettre  pastorale 
sur  ce  sujet  aux  catholiques  de  son  archidiocèse.  Dans 
cette  lettre  pastorale,  après  avoir  parlé  de  ce  qu'il  avait 
en  vue,  il  s'exprime  ainsi  : 

((  La  réalisation  de  ce  dessein  suppose,  de  notre  part, 
que  nous  serons  prêts  à  offrir  aux  jeunes  gens  catholiques 
que  leur  position  sociale  ou  leurs  aptitudes  naturelles 
portent  à  jeter  un  regard  plus  avant  vers  les  professions 
libérales  ou  les  plus  hautes  charges  du  gouvernement 
ouvertes  aux  indigènes,  à  leur  offrir  un  cours  d'études 
supérieur  à  ce  qu'on  peut  leur  procurer  actuellement, 
mais  qui  fait  pourtant  face  aux  besoins  de  la  grande 
majorité  de  nos  enfants,  nous  voulons  dire  d'un  cours 
de  formation  classique  ou  une  éducation  de  collège... 

«  Tel  est  le  problème  qui,  sans  cesse,  depuis  que  nous 
avons  reçu  la  charge  de  cette  Mission,  a  hanté  notre  esprit 
et  absorbé  nos  pensées.  Et  la  solution  de  ce  problème, 


—  H6  — 

après  des  années  d'un  examen  anxieux  du  sujet  sous 
toutes  ses  faces  multiples,  nous  nous  sommes  mis  dans 
l'esprit  de  la  tenter.  Nous  disons  un  problème,  car  c'en 
est  un  en  réalité,  et  un  problème  assailli  de  mille  diffi- 
cultés pratiques  qui  ne  sont  pas  de  peu  d'importance.  » 

Comme  conclusion,  il  disait: 

«  Et  maintenant,  nos  très  chers  frères,  le  mot  que  vous 
attendiez  de  nous,  nous  l'avons  prononcé  ;  la  marche 
que  vous  désiriez  nous  voir  prendre,  nous  l'avons  prise. 
Nous  ne  pouvons  pas,  en  vérité,  vous  promettre  des  ré- 
sultats immédiats  ;  mais,  sous  la  bénédiction  de  Dieu,  le 
temps,  le  travail,  l'argent  et  la  persévérance  sont  sûrs 
de  réaliser  le  succès  désiré. 

«  Dès  ce  jour,  puissiez-vous  être  fiers  d'attacher  votre 
nom  à  une  institution  dont  les  bienfaits  doivent  se  trans- 
mettre à  tant  de  générations  après  vous  !  Puisse  la  voix 
de  votre  vieil  Archevêque  retrouver  un  écho  en  vous  et 
faire  naître  dans  vos  cœurs  ces  résolutions  généreuses 
dont  vous  avez  si  souvent  déjà  donné  de  magnifiques 
exemples  !  Puissiez-vous  ainsi  donner  à  nos  années  qui 
déclinent  la  plus  grande  consolation  que  nous  pouvons 
encore  attendre,  et  assurer,  à  vous  et  à  vos  enfants,  les 
bienfaits  inappréciables  que  l'institution  projetée  a  en 
réserve  !  Tels  sont,  bien-aimés  frères,  les  souhaits  les 
plus  affectueux  que  nous  formulons  pour  vous  au  com- 
mencement de  cette  année.  » 

Ce  chaleureux  et  touchant  appel,  et  qui  fut  en  réalité 
le  dernier,  eut  une  réponse  de  la  part  des  catholiques 
laïques,  réunis  en  meeting  public,  le  2  avril  1892,  avec 
la  bénédiction  spéciale  du  Saint-Père.  Et  tels  furent  l'en- 
train et  l'enthousiasme  qui  s'emparèrent  de  la  réunion, 
qu'à  la  clôture  on  fit  une  souscription  de  18  500  roupies. 

11  est  un  nom  que  je  dois  mentionner  ici  (bien  que, 
j'en  suis  sûr,  la  modestie  de  ce  monsieur  ne  me  le  par- 


—  117  — 

donne  pas),  c'est  celui  de  M.  l'avocat  C.  Brito,  qui  ouvrit 
la  liste  de  souscription  par  une  somme  de  5000  roupies. 

Une  telle  souscription  décida  presque  du  sort  du  col- 
lège. En  présence  de  tous,  elle  fit  voir  ce  que  ce  mon- 
sieur pensait  du  collège  proposé  et  en  encouragea  plu- 
sieurs à  se  montrer  également  généreux.  Dans  l'espace 
de  trois  semaines,  à  la  suite  de  ce  meeting,  M.  John 
Clovis  de  Siiva  souscrivit  et  versa  également  5  000  rou- 
pies. Voici  les  noms  des  messieurs  qui  ont  contribué  pour 
i  000  roupies  ou  plus  :  L.  David  de  Silva,  N.  D.  P.  Silva, 
le  très  révérend  J.  A.  Maver  John  de  Groos,  L.  Jacob  de 
Silva,  W.Abeysundara,  F.  J.LucasFernando,R.D.S.■Wi- 
jaratna,  A.  N.  de  Silva,  Gabriel  de  Groos,  S.  Moraes  et  la 
Gongrégation  de  l'église  Saint-Sébastien,  Negombo. 

Dans  ce  meeting,  un  comité  général,  composé  des  ca- 
tholiques marquants  de  l'île,  fut  élu.  Parmi  eux,  treize 
membres  furent  choisis  pour  former  un  comité  perma- 
nent. Il  me  serait  impossible  de  trop  louer  les  services 
qu'ils  ont  rendus  au  collège. 

Gommença  alors  la  collecte  de  maison  en  maison, 
occupation  qui  n'est  pas  des  plus  agréables.  Quiconque 
n'a  pas  fait  pareille  besogne  ne  peut  s'en  faire  une  juste 
idée.  Elle  fut  dévolue  aux  missionnaires  et  se  poursuivit 
de  ville  en  ville,  de  village  en  village,  avec  une  ardeur  et 
un  dévouement  que  Dieu  seul  peut  récompenser.  Qu'il 
me  soit  permis  de  remercier  publiquement  ces  révérends 
Pères  pour  toutes  les  peines  et  les  ennuis  qu'ils  ont 
affrontés. 

A  cette  époque,  était  en  vente,  à  Muttwal,  une  pro- 
priété de  27  acres,  connue  sous  le  nom  de  Uplands.  Elle 
dominait  le  port  et  était  exposée  à  la  brise  vivifiante  du 
large.  On  décida,  sur  l'heure,  d'en  faire  l'acquisition 
pour  le  nouveau  collège,  car,  meilleur  site,  on  ne  pou- 
vait en  trouver  dans  tout  Colombo.  Mais  qu'allions-nous 


—  118  — 

faire  ?  Le  capital  en  main  n'était  pas  considérable,  et  le 
prix  à'Uplands  était  de  8000  livres  sterling.  Cela  peut 
paraître  hardi,  mais  il  fut  décidé  d'emprunter  la  somme. 
Les  événements  ont  prouvé  que  le  parti  adopté  était  le 
bon.  Et  ici  je  dois  dire  que  les  catholiques  de  Colombo 
ont  contracté  une  dette  profonde  de  gratitude  envers  le 
T.  R.  P.  Supérieur  général  des  Oblats  de  Marie  Immacu- 
lée, qui,  sans  aucune  garantie,  sur  un  simple  télégramme, 
nous  a  prêté  137  000  francs,  somme  sans  laquelle  nous 
n'aurions  pas  pu  acheter  Uplands.  N'eussions-nous  pas 
payé  pour  cette  propriété,  il  n'est  pas  probable  que  le  site 
actuel  et  le  collège,  tel  qu'il  est,  fussent  à  nous  aujour- 
d'hui. Puis-je  demander  au  T.  R.  P.  Visiteur  de  vouloir 
bien  transmettre  au  Supérieur  général  nos  chauds  re- 
merciements et  notre  inaltérable  gratitude? 

Peu  après  la  prise  de  possession,  on  nous  informait 
que  le  gouvernement  avait  besoin  d'Uplands.  Nous  nous 
persuadions  et  essayions  de  persuader  au  gouvernement 
qu'il  pouvait  s'en  passer.  Nous  n'avons  pas  réussi  ;  il  nous 
fallut  abandonner  Up/ands.  Mais  je  dois  dire,  et  je  suis 
heureux  de  le  faire,  que  le  gouvernement  nous  a  com- 
pensés avec  libéralité.  Le  site  que  voici  fut  acquis  alors 
et,  bien  que  moindre  que  Uplands  en  étendue,  il  est  plus 
central  et  donne  une  satisfaction  générale. 

On  ne  perdit  pas  de  temps  à  se  mettre  à  l'œuvre.  Les 
plans  furent  confiés  à  MM.  Walker  fils  et  C%  qui,  par 
leur  architecte,  M.  Skinner,  nous  ont  donné  le  bâtiment 
où  nous  sommes  assemblés  aujourd'hui. 

L'œuvre  d'inspection  fut  assumée  par  les  révérends 
Pères,  et  l'on  peut  se  faire  une  idée  de  la  manière  dont 
ils  se  sont  acquittés  de  ce  devoir,  si  l'on  sait  que  la  pre- 
mière pierre  fut  posée  par  Son  Excellence  le  Délégué 
apostolique,  le  12  décembre  1 894,  et  le  collège  ouvert  pour 
les  classes  le  2  mars  1896.  Sous  ce  rapport,  trois  noms 


—  119  — 
sont  restés  remarquables  :  ce  sont  ceux  du  T.  R.  P.  Bell, 
0.  M.  I.,  vicaire  général  ;  du  R.  P.  Collin,  o.  m.  i.,  rec- 
teur, et  du  R.  P.  GuGLiELMi,  0.  M.  I.  Qu'il  me  soit  permis 
de  les  remercier  de  tout  mon  cœur  pour  la  part,  la  large 
part  qu'ils  ont  prise  à  faire  le  collège  Saint-Joseph  ce 
qu'il  est. 

Le  total  des  dépenses  pour  le  gros  œuvre,  les  répara- 
tions de  l'ancienne  maison,  l'ameublement  et  les  offices, 
s'élève  à  107 300  roupies.  Le  total  perçu  par  souscription 
est  de  52  200  roupies.  Le  déficit,  de  35  300  roupies,  fut 
subi  par  l'Archevêque,  qui  le  prit  sur  son  propre  nom. 
Gonséquemment,  une  dette  vive  de  55  300  roupies  pèse 
sur  le  collège.  Il  y  a  environ  20000  roupies  de  sous- 
criptions promises,  non  encore  payées,  et  il  est  à  espé- 
rer que  ceux  qui  n'ont  pas  encore  fait  leur  devoir,  sous 
ce  rapport,  remarqueront  et  comprendront  leur  endet- 
tement. 

Librement  promises,  leurs  contributions  avaient  été 
mises  en  ligne  de  compte,  et  c'est  en  vertu  de  ces  pro- 
messes qu'on  emprunta  le  capital  à  intérêt  pour  pouvoir 
achever  le  collège.  La  cloche,  du  prix  de  3  000  roupies, 
est  le  don  de  l'Archevêque  et  de  l'Irlande.  L'  «  île  des 
Saints  et  de  l'Ecole  »  nous  a  donné  la  bibliothèque  du 
collège. 

Les  professeurs,  les  PP.  Nicolas,  o.  m.  i.,  docteur  en 
théologie.  Le  Louet,  o.  m.  i.,  Mac-Donald,  o.  m.  i.,  La- 
NiGAN,  o.  M.  I.,  FuLHAM,  0.  M.  I.,  et  MM.  Dreunan,  maître 
es  arts,  L.  Pope,  bachelier  es  arts,  et  Haughes  étaient  sur 
les  lieux  avant  que  le  collège  fût  prêt.  Les  autres  Pères 
appartenant  au  personnel  du  collège  sont  le  R.  P.  Gu- 
GLiELMi,  0.  M.  I.,  leR.  P.  BoYER,  0.  M.  I.,  doctcur  en  théo- 
logie, le  R.  P.  Vice-Recteur  et  le  P.  Recteur.  Les  classes 
ont  commencé,  le  2  mars  de  cette  année,  avec  200  élèves. 
Il  faut  y  ajouter  160  élèves  de  l'école  préparatoire  Saint- 


—  120  — 

Charles,  ouverte  sur  les  terres  du  collège  comme  une 
pourvoyeuse  du  collège,  ce  qui  fait  en  tout,  à  l'ouver- 
ture des  classes,  une  fréquentation  de  360  élèves. 

Pendant  quelque  temps,  l'œuvre  a  été  difficile,  en  rai- 
son des  dispositions  inégales  des  étudiants.  Des  efforts 
constants  et  efficaces  ont  été  faits  les  derniers  huit  mois, 
et  il  y  a  un  progrès  marqué  dans  la  conduite  et  l'appli- 
cation de  nos  enfants.  Nous  regardons  cela  comme  d'un 
encourageant  augure  pour  l'avenir.  Six  acres  de  terre 
ont  été  réservés  comme  lieu  de  récréation.  Le  succès 
que  les  étudiants  ont  eu  dans  leurs  parties  témoigne  du 
bon  usage  qu'ils  en  font,  tant  pour  le  jeu  du  cricket 
que  pour  le  foot-ball.  Déjà  même  on  a  jeté  un  regard 
de  convoitise  sur  le  lac  ;  lui  aussi  sera  mis  à  la  dispo- 
sition des  étudiants  dès  que  nous  serons  à  même  de  le 
faire. 

Les  cours  suivis  au  collège  préparent  les  étudiants  aux 
examens  de  Cambridge  et  aux  examens  de  TUniversité 
de  Londres  jusqu'au  grade  de  bachelier  es  arts  inclusi- 
vement. 

Le  collège  n'a  pas  de  fondation  ni  n'est  aidé  par  le 
gouvernement  ;  non  pas  que  nous  n'ayons  besoin  de 
cette  aide  ni  que  nous  ne  la  désirions,  mais  parce  qu'on 
a  trouvé  impossible  de  suivre  le  programme  du  gouver- 
nement imposé  pour  les  écoles  élémentaires.  On  espère 
que  le  gouvernement  trouvera  moyen  d'arranger  son 
programme  d'études  de  façon  à  procurer  plus  d'encou- 
ragements et  de  secours  à  l'éducation  supérieure.  Nous 
dépendons  uniquement  de  la  pension  des  élèves,  qui 
doit  être  préalablement  payée  avant  le  10  de  chaque 
mois,  et  de  ce  que  l'archidiocèse  peut  nous  donner.  Il 
va  sans  dire  que  le  collège  Saint-Joseph  est  un  grand 
fardeau  pour  la  Mission.  Espérons  qu'il  n'en  sera  pas 
toujours  ainsi. 


—  121  — 

Le  collège,  bien  qu'entièrement  catholique  d'esprit  et 
de  direction,  ne  refuse  pas  leur  admission  aux  externes 
non  catholiques.  Il  n'intervient  pas  non  plus,  en  aucune 
façon,  dans  ce  qui  regarde  les  sentiments  religieux  ou 
les  convictions  de  ces  derniers. 

Le  succès  du  collège  a  de  beaucoup  dépassé  notre 
attente,  et  bientôt  nous  serons  obligés  de  bâtir  une  autre 
aile.  Grâce  aux  efforts  de  notre  Archevêque  en  Europe 
et  à  la  générosité  d'un  bienfaiteur  local  bien  connu, 
nous  examinons  déjà  sérieusement  l'extension  pro- 
jetée. 

Bien  que  nous  préparions  aux  examens  publics,  notre 
but  est  toutefois  plus  haut.  Nous  nous  proposons  de  for- 
mer et  de  façonner  des  hommes  comme  il  nous  en  faut, 
non  pas  simplement  des  hommes  de  culture,  mais  des 
hommes  de  vertu,  de  devoir  et  de  caractère.  Nous  tra- 
vaillons pour  l'avenir.  Si  nous  ne  les  renvoyons  pas 
tous  hommes  capables,  nous  espérons  les  renvoyer  tous 
hommes  de  bien,  citoyens  utiles  et  loyaux  sujets.  La 
pierre  fondamentale  de  l'édifice  moral  que  nous  espé- 
rons élever  sera  «  respect  et  obéissance  à  l'autorité  ». 
C'est,  par  conséquent,  la  conduite  de  nos  élèves,  après 
qu'ils  auront  quitté  ces  murs,  qui  fera  connaître  si 
l'œuvre  accomplie  est  un  succès  ou  non. 

Que  le  collège  Saint-Joseph  soit  donc  toujours  fidèle 
à  sa  devise  :  Science  et  Vertu.  Qu'il  dissipe  toujours  les 
ténèbres,  et,  toujours  fidèle  à  sa  mission,  qu'il  répande 
la  lumière,  lumière  dans  l'intelligence  par  la  science,  lu- 
mière dans  le  cœur  par  la  vertu,  lumière  pour  le  temps, 
lumière  pour  l'éternité. 


—  122  — 

SPEECH   DE   SON   EXCELLENCE   LE   GOUVERNEUR. 

Son  Excellence  le  Gouverneur,  qui  trouve  un  accueil 
cordial,  prend  alors  la  parole. 

Révérend  Père  Collin,  Mesdames,  Messieurs, 
((  Je  ne  suis  pas  venu  préparé  pour  un  speech  et  j'es- 
pérais n'avoir  pas  à  en  faire  ;  car,  je  pensais  qu'il  y  aurait 
ce  la  musique  et...  de  quelque  manière,  la  musique,  ou, 
du  moins,  d'autre  musique,  ne  semble  pas  compatible 
avec  des  discours  publics.  Cependant,  on  me  dit  qu'on 
s'attend  à  ce  que  je  fasse  quelques  réflexions.  En  vérité, 
je  sens  que  ce  ne  serait  pas  bien  aimable  de  ma  part  si 
je  manquais  de  vous  exprimer  ma  gratitude  pour  la  ré- 
ception toute  cordiale  que  vous  m'avez  faite  aujourd'hui, 
spécialement  après  avoir  été  introduit  auprès  de  cette 
charmante  jeune  dame  qui  est  le  collège,  introduction 
qui  a  été  longtemps  différée,  faute  de  préparation  du 
trousseau  ;  mais  j'espère,  maintenant  que  l'introduction 
a  été  faite,  que  les  accointances  seront  longues  et  dura- 
bles. J'en  suis  sûr,  vous  avez  tous  entendu  avec  intérêt 
le  rapport  du  R.  P.  Lytton,  qui  décrit,  d'une  façon  si 
claire,  le  progressement  merveilleux  qu'a  pris  la  cause 
de  l'éducation  sous  les  auspices  de  votre  Eglise,  et  la 
manière  merveilleuse  dont  elle  s'est  développée  et  accrue 
dans  cette  île,  progressement  non  moins  merveilleux 
qu'il  a  produit  ce  bel  édifice  et  cet  établissement  si 
utile,  donné  à  Colombo  ou  plutôt  à  l'île  de  Ceylan  tout 
entière.  » 

Son  Excellence  paye  un  tribut  d'hommage  au  grand 
intérêt  que  porte  l'Eglise  à  l'éducation. 

«  J'ai  é  lé  au  service  de  Sa  Majesté  dans  plusieurs  parties 
du  monde  et  j'ai  toujours  vu,  avec  surprise  et  bonheur, 
la  façon  merveilleuse  dont  votre  Eglise,  sans  l'assistance 


—  123  — 

de  l'Etat  et  très  souvent  sans  le  secours  des  riches,  a 
élevé  de  belles  églises,  des  cathédrales  et  des  collèges 
dans  toutes  les  parties  du  monde.  (Applaudissements.)  Ce 
collège  ne  fait  pas  exception,  et  je  félicite  Colombo  de 
ce  que  vous  n'avez  pas  ignoré  les  exigences  de  l'esthé- 
tique ;  et,  au  lieu  de  faire  peine  à  voir,  comme  bien  des 
établissements  d'éducation,  votre  collège  est  d'une  phy- 
sionomie saisissante  et  gracieuse  au  milieu  d'un  magni- 
fique paysage.  Je  suis  heureux  d'être  ici  aujourd'hui  en 
qualité  de  gouverneur  de  l'île,  pour  vous  féliciter,  non 
seulement  vous,  mais  encore  moi-même,  de  l'établisse- 
ment d'une  nouvelle  institution  pour  procurer  une  édu- 
cation supérieure  à  la  jeunesse  de  cette  contrée  et  la 
rendre  capable  d'avancer  dans  les  emplois  du  gouverne- 
ment. Je  ne  suis  pas  seulement  ici  pour  vous  féliciter 
sur  ce  point,  mais  sur  la  possession  de  ce  magnifique 
édifice  et  sur  les  destinées  que  je  vois  en  réserve  pour 
vous.  (Applaudissements.)  Je  désire  vous  exprimer  com- 
bien j'apprécie  et  reconnais  la  belle  œuvre  que  votre 
Eglise  accomplit  dans  la  cause  de  l'éducation,  et  je 
reconnais  pleinement  l'obligation  que  le  gouvernement 
doit  aux  corps  religieux  qui  ont  entrepris  la  lourde  tâche 
de  l'éducation  dans  cette  contrée.  Et  moi,  pour  ma  part, 
je  ne  regrette  pas  les  dépenses  auxquelles,  je  pense,  le 
R.  P.  Lytton  faisait  allusion  tout  à  l'heure.  L'unité  et 
l'harmonie,  qui  dominent  entre  tous  les  partis  pour  l'ex- 
tension de  l'éducation  dans  cette  île,  sont  des  plus  conso- 
lantes et  doivent  être,  pour  ceux  qui  vivent  autour  de 
nous,  un  sujet  de  grande  édification  ;  et  je  vous  félicite 
d'avoir  établi  cette  Association  d'éducation  dont  on  a  fait 
mention  tout  à  l'heure.  C'est  là  un  souhait  tout  à  fait 
désintéressé  de  ma  part,  car  je  sais  que  le  but  et  l'objet 
de  cette  Association  seront  d'exercer  une  pression  sur 
moi,  et  je  sais  qu'elle  produira  une  forte  poussée,  une 


—  124  — 

longue  poussée,  une  poussée  aussi  à  laquelle  il  me  sera 
difficile  de  résister.  »  {Rires  et  applaudissements.) 

Il  dit  comment  l'Association  d'éducation  ceylauaise 
lui  arracha  les  dents. 

«  Je  me  rappelle  bien  cette  délégation  de  l'Associa- 
tion d'éducation  qui  vint  un  jour  à  moi  ;  je  me  rappelle 
comment,  gentiment  mais  sûrement  et  sans  me  faire 
mal,  elle  m'arracha  les  dents  les  unes  après  les  autres. 
{Rires.)  Je  regrette  presque  de  ne  m'êlre  pas  montré  plus 
sévère  et  de  n'avoir  pas  refusé  ;  car  nous  savons  main- 
tenant que  c'est  d'un  refus  du  gouvernement  qu'a  surgi 
ce  beau  collège.  Je  souhaite  que  tous  les  refus  que  j'au- 
rai la  mauvaise  fortune  de  faire  puissent  avoir  d'aussi 
bons  résultats.  {Applaudissements.)  Lorsque  j'arrivai  à 
Ceylan,  je  fus  frappé  du  manque  de  rapport  et  de  contact 
entre  les  différentes  sociétés  d'éducation  qui  travaillent 
dans  cette  île,  et  je  me  hasardai  à  établir  un  Bureau 
d'éducation,  qui,  je  l'espère,  réussira.  Une  des  dernières 
propositions  de  ce  Bureau  a  été  une  modification  du 
code  en  vertu  de  laquelle  les  étudiants  de  ce  collège  et 
des  autres  collèges  qui,  comme  celui-ci,  ne  sont  pas  enre- 
gistrés dans  le  système  des  allocations,  peuvent  concou- 
rir pour  l'université  et  les  autres  établissements  ;  et 
j'éprouve  un  grand  plaisir  à  acquiescer  à  cette  propo- 
sition. 

«  Mais  je  ne  veux  pas  davantage  me  mettre  entre  vous 
et  la  belle  musique  que  vous  allez  entendre.  Ainsi  donc, 
Mesdames  et  Messieurs,  il  ne  me  reste  qu'à  vous  remer- 
cier de  votre  réception  cordiale,  et,  du  fond  du  cœur, 
avec  ardeur,  je  souhaite  plein  succès  à  ce  beau  collège, 
si  riche  d'espérances.  »  [Tonnerre  d'applaudissements.) 


REVUE 


LA  LINGUISTIQUE 

CONSIDÉRÉE  COMME  CRITÉRIUM  DE  CERTITUDE  ETHNOLOGIQUE 

Par  le  R.  P.  Morice,  o.  m.  i. 

(Traduction  d'une  étude  publiée  en  anglais.) 

Notre  siècle  est  éminemment  un  siècle  de  recherches 
et  de  critique.  Pour  se  croire  en  pleine  possession  de  la 
vérité,  l'homme  réclame  aujourd'hui  plus  que  l'héritage 
de  données  scientifiques  que  lui  ont  léguées  la  tradition 
et  l'histoire.  Une  exubérance  d'activité  intellectuelle  le 
pousse  constamment  à  de  nouvelles  investigations,  des 
faits  dont  l'exactitude  semblait  acquise,  des  assertions 
maintes  fois  répétées  et  qui  paraissaient  destinées  à 
braver  l'assaut  des  âges  servent  de  thèmes  à  une  multi- 
tude de  savants  plus  ou  moins  diplômés  qui  les  pèsent 
dans  la  balance  de  leur  puissant  intellect  et  parfois  les 
déclarent  manquer  de  justesse.  De  nouvelles  acqui- 
sitions dans  le  domaine  de  la  science  ou  même  des  phé- 
nomènes d'occurrence  quotidienne  que  nos  pères  ne 
songèrent  jamais  à  étudier  en  critiques  sont  de  même 
analysés,  leur  cause  est  recherchée,  leurs  relations  exa- 
minées et  leurs  effets  dûment  appréciés.  L'homme,  de 
nos  jours,  a  besoin  de  se  familiariser  avec  son  milieu  ; 
il  voudrait  pénétrer  les  arcanes  de  la  nature,  mais,  avant 
tout,  il  désire  se  connaître  lui-même,  savoir  son  origine, 
son  histoire  et  sa  vraie  place  dans  le  monde  relativement 
à  ses  congénères.  D'où  les  nombreuses  sciences  qui  ont 
surgi   comme  par  enchantement   depuis  le  commen- 


—  126  — 

cernent  de  ce  siècle,  sciences  qui,  directement  ou  indi- 
rectement, ont  presque  toutes  l'homme  pour  sujet  prin- 
cipal. Telles  sont,  par  exemple,  l'anthropologie  et  ses 
corrélatifs,  l'anthropométrie,  la  sociologie,  la  mytho- 
logie, l'archéologie  et  la  philologie. 

Grâce  à  ces  précieux  auxiliaires,  l'étude  de  l'homme 
ne  manque  jamais  Me  révéler  de  notables  différences 
dans  l'espèce,  soit  que  ces  différences  portent  sur  le  type, 
les  coutumes,  la  langue  ou  les  progrès  matériels  ou  psy- 
chologiques. D'un  autre  côté,  la  comparaison  et  la  col- 
lation de  ces  divers  points  donnent  elles-mêmes  nais- 
sance à  une  nouvelle  science,  l'ethnographie. 

La  valeur  intrinsèque  de  telles  recherches  ne  pourrait 
guère  s'exagérer, mais  l'importance  relative  de  chacune  de 
ces  branches  de  la  science  considérées  comme  critériums 
de  certitude  ethnique  est  très  inégale.  On  entend  souvent 
parler  de  crâniométrie  et  autres  mensurations  anthro- 
pologiques ;  nos  revues  savantes  regorgent  de  descrip- 
tions des  us  et  coutumes  des  diverses  nations  du  monde  ; 
leur  organisation  sociale  est  maintes  fois  présentée  à 
notre  appréciation,  tandis  que  l'archéologue  ne  se  lasse 
pas  davantage  de  soumettre  à  notre  jugement  les  pré- 
tentions de  sa  science  favorite,  Et  pourtant,  quand  il  est 
question  de  déterminer  sans  ambages  et  sans  crainte 
d'erreur  les  différences  ethnographiques  sur  lesquelles 
est  basée  la  division  du  genre  humain  en  races  distinctes, 
la  philologie  a,  seule,  droit  à  tout  notre  respect  et  à  une 
confiance  illimitée.  Comme  le  dit  Gallatin,  «  le  langage 
est  un  monument  des  affinités  primordiales  plus  durable 
que  le  type  physique,  et  il  n'existe  aucune  tribu,  quelle 
que  soit  sa  position  dans  l'univers,  qui  ne  puisse  fournir 
cette  preuve  d'affiliation  (1).  » 

(1)  Am,  Antiquarian,  coll.  vol.  II. 


--  127  ~ 

Démontrer  que  cette  assertion  est  loin  d'être  exagérée 
fera  l'objet  de  la  présente  étude.  Nous  passerons  d'abord 
en  revue  les  diverses  branches  de  la  science  anthropo-» 
logique  et  nous  nous  efforcerons  d'apprécier  leurs  états 
de  services  relativement  à  la  différenciation  des  races. 
Dans  une  seconde  partie,  nous  prouverons  parun  exemple 
tiré  de  certaines  tribus  américaines  la  souveraine  im- 
portance sous  ce  rapport  de  la  philologie,  et  nous  ter- 
minerons en  proposant  certaines  règles  destinées  à  sau- 
vegarder l'investigateur  contre  l'engouement  et  les  excès 
d^une  exégèse  mal  dirigée. 

I 

Examinons  d'abord  les  prétentions  de  la  physiologie 
au  titre  de  critérium  infaillible  de  certitude  ethnologique. 
Nous  ne  tarderons  pas  à  nous  apercevoir  qu'elles  sont 
fondées  sur  les  aveugles  prédilections  des?  théoristes  et 
de  ces  savants  qui  exagèrent  l'importance  de  la  matière 
aux  dépens  de  l'esprit.  Sans  doute,  les  divisions  pri- 
maires de  l'espèce  humaine  en  blancs,  nègres,  etc.,  sont 
basées  sur  des  particularités  physiologiques.  Mais  l'eth- 
nologie, entant  que  science  distincte,  ne  s'occupe  guère 
de  divisions  de  caractère  si  général.  Personne  ne  se  basera 
sur  la  couleur  d'un  individu  ou  d'un  groupe  d'individus 
pour  leur  assigner  telle  ou  telle  nationalité.  Le  teint 
compte  assez  peu  dans  la  balance  de  l'ethnologie.  Le 
physique  des  indigènes  de  la  péninsule  indienne  diffère 
certes  assez  de  celui  des  nations  de  l'Europe  occidentale, 
et  pourtant  la  linguistique  nous  assure  que  les  Indo- 
Européens  ne  forment  qu'une  seule  et  même  famille 
d'êtres  apparentés.  Les  habitants  de  TAbyssinie,  bien  que 
parfaitement  noirs,  n'en  appartiennent  pas  moins,  par 
leur  origine,  au  stock  sémitique  et  par  conséquent  à  une 
race  blanche.  «  Sous  l'influence  du  soleil,  des  Mongols 


—  128  — 

sont  devenus  aussi  bistrés  que  des  nègres,  tandis  qu'il  y 
a  dans  les  régions  tropicales  des  blancs  qui,  sous  le  rap- 
port du  teint,  pourraient  passer  pour  de  vrais  Mon- 
gols (1).  » 

Ainsi  en  est-il  des  cheveux.  Certains  anthropologues 
ont  attaché  la  plus  grande  importance  à  ce  point  du  phy- 
sique humain  ;  quelques  polygénistes  ont  même  essayé 
de  baser  leurs  divisions  ethniques  sur  un  détail  si  banal. 
Mais  la  couleur  des  cheveux  varie  tellement,  même  entre 
représentants  de  la  même  race,  qu'on  ne  saurait  sans 
témérité  la  citer  comme  un  facteur  datant  soit  peu  d'im- 
portance ethnographique.  Les  cheveux  blonds  passent 
généralement  pour  un  indice  certain  de  sang  aryen,  et 
pourtant,  même  chez  les  aborigènes  de  l'Amérique  oii, 
de  l'aveu  de  tout  le  monde,  les  cheveux  changent  le 
moins  de  couleur  ou  de  forme,  les  chevelures  de  teint 
clair  ne  sont  point  la  grande  rareté  que  certains  anthro- 
pologues ont  tant  prônée.  Mon  expérience  personnelle 
me  permet  de  souscrire  sans  réserve  à  l'assertion  du 
docteur  Brinton  qui  remarque  que^  parmi  eux,  «  les 
cheveux  sont  rarement  complètement  noirs  ;  examinés 
à  une  lumière  réfléchie,  ils  laissent  généralement  per- 
cevoir une  légère  teinte  rouge.  Cette  nuance  est  très 
apparente  chez  certaines  tribus,  surtout  parmi  les  en- 
fants. Le  plus  souvent  plats  et  grossiers,  leurs  cheveux 
sont  pourtant  quelquefois  fins  et  soyeux,  quand  ils  ne 
sont  pas  ondulés  et  bouclés  (2).  » 

Il  y  a  quelque  douze  ans,  un  savant  habitué  à  attri- 
buer la  plus  grande  importance  aux  cheveux  considérés 
comme  moyen  de  différencier  les  races  humaines,  le 
docteur  Waldey,  professeur  d'anatomieà  l'Université  de 
Strasbourg,  dut  avouer  que  «  ce  serait  une  fatale  erreur 

(1)  Topinard,  Revue  d'anthropologie,  octobre  1886,  p.  594. 

(2)  The  American  Bace,  New-York,  1891,  p.  39. 


—  129  — 

que  de  distinguer  les  races  d'après  la  seule  caractéris- 
tique de  la  couleur  et  de  la  forme  des  cheveux  (1).  » 

Soit  ;  la  couleur  de  la  peau  et  des  cheveux  n'est  qu'un 
pur  accident,  observera  peut-être  quelque  anthropo- 
logue, mais  on  n'en  peut  dire  autant  de  la  conformation 
et  de  la  capacité  du  crâne  humain.  Ce  à  quoi  je  réponds  : 
il  est  admis  que  la  différence  entre  les  crânes  des  Euro- 
péens et  ceux  des  nègres  est  notable  et  même  essentielle  ; 
mais  cette  distinction  est  d'un  caractère  presque  aussi 
général  que  celui  de  la  couleur  de  la  peau.  Les  particu- 
larités crâniennes  peuvent  prétendre  à  quelque  influence 
relativement  à  la  classification  primaire  du  genre  hu- 
main ;  elles  seraient  de  peu  de  valeur  aux  yeux  de  l'ob- 
servateur désireux  de  différencier  les  diverses  races  ou 
nationalités. 

Et  n'oublions  pas  ici  que  nous  avons  à  compter  avec 
les  dépressions,  allongements  et  autres  déformations 
artificielles  du  crâne.  Or,  les  savants  n'ignorent  pas  que 
ces  pratiques  ne  sont  pas  le  fait  des  seuls  Indiens  de 
l'Amérique  ;  d'autres  races  les  connaissent.  Même  de  nos 
jours,  elles  se  rencontrent  dans  certaines  parties  de  la 
Turquie  et  même  de  la  France.  D'un  autre  côté,  les  au- 
teurs grecs  et  latins  nous  apprennent  qu'elles  étaient 
aussi  en  honneur  dans  l'antiquité.  Poussées  à  un  degré 
exagéré,  ces  déformations  artificielles  ne  trompent  point 
un  craniologue  exercé  ;  mais,  en  d'autres  cas,  où  est  le 
naturaliste  qui  tracera,  sans  crainte  de  se  tromper,  la 
ligne  de  démarcation  entre  les  crânes  naturellement 
allongés  et  ceux  qui  doivent  leur  forme  à  une  légère  ma- 
nipulation ? 

De  plus,  d'après  les  physiologues,  le  genre  de  vie  de 
l'individu  exerce  une  très  notable  influence  sur  la  con- 

(1)  Atlas  der  Menschlichen  vnd  Thierischen  Haare,  1884. 

T.  XXXV.  9 


—   130  — 

formation  de  son  crâne.  Pritchard  cite  cet  exemple  frap- 
pant :  n  11  y  a  deux  cents  ans,  une  grande  multitude 
d'Irlandais  furent  refoulés  des  comtés  d'Antrim  et  de 
Down  vers  le  rivage  de  la  mer,  où.  ils  ont  depuis  vécu 
dans  un  état  d'abjecte  pauvreté.  La  conséquence  en  a 
été  qu'ils  se  distinguent  encore  par  des  traits  physiques 
dénotant  une  dégradation  exceptionnelle.  Ils  ont  la 
bouche  béante  et  en  saillie,  les  dents  très  fortes  et  les 
gencives  découvertes,  tandis  que  leurs  pommettes  proé- 
minentes et  leur  nez  épaté  suggèrent  l'idée  de  barba- 
risme (1).  » 

Une  mutation  dans  la  condition  sociale  affecte,  pa- 
raît-il, non  seulement  la  forme  du  crâne,  mais  même 
la  structure  physique  entière  de  l'individu,  puisque  le 
même  auteur  ajoute  :  «  Ils  ont  en  moyenne  5  pieds 
2  pouces  de  hauteur  ;  ils  sont  ventrus,  montés  sur  de 
longues  jambes  grêles,  et  ont  des  traits  d'avortons.  Une 
stature  au-dessous  de  la  moyenne  et  une  ténuité  anor- 
male des  membres  sont  partout  l'indice  d'une  condition 
abjecte  et  barbare.  On  le  voit  surtout  chez  les  Bushmen 
et  les  aborigènes  de  la  Terre  de  Feu  et  de  l'Australie  (2).  » 

Mais  l'argument  le  plus  plausible  contre  les  préten- 
tions de  la  craniométrie  à  être  regardée  comme  un  sûr 
critérium  d'identité  ethnique  consiste  en  ce  que  la  forme 
et  la  capacité  du  crâne  varient  presque  toujours  d'une 
manière  très  remarquable,  même  dans  la  même  race. 
Ainsi,  pour  ne  citer  qu'un  exemple,  «  de  245  crânes  pé- 
ruviens qui  se  trouvent  dans  la  collection  de  l'Académie 
des  sciences  naturelles  de  Philadelphie,  168  sont  brachy- 
céphaliques,  50  dolichocéphaliques  et  27  mésocépha- 
liques  (3)  ».  D'un  autre  côté,  le  docteur  Hensels  assure 

(1)  Histoire  nattirelle,  3«  édit.,  vol.  I. 

(2)  Ubi  supra. 

(3)  The  Americati  Race,  par  le  docteur  Brinton,  p.  210. 


—   131    --- 

que  les  crânes  d'Indiens  Goroados  du  Mexique  qu'il  a 
examinés  correspondent,  sous  tous  les  rapports,  à  ceux 
des  Allemands  (1).  Il  ne  faut  donc  point  s'étonner  si  un 
ethnographe  de  la  force  du  docteur  Brinton  en  est  venu 
à  déclarer  ("2)  que  la  forme  du  crâne  n'est  point  un  fac- 
teur invariable  en  anatomie  humaine  et  que,  par  consé- 
quent, elle  n'a  que  peu  de  valeur  quand  il  est  question 
de  différencier  les  races. 

Il  me  semble  que  nous  avons  péremptoirement  dis- 
posé des  titres  de  l'anthropométrie  considérée  comme 
moyen  de  déterminer  les  distinctions  raciales.  Mais  que 
penser  des  services  rendus  par  la  sociologie  à  l'ethno- 
graphie ?  Ils  sont  précieux,  sans  doute,  et  pourtant,  com- 
parée à  la  linguistique,  la  sociologie  se  trouve  dans  la 
relation  d'un  accessoire  au  principal.  La  philologie  dif- 
férencie presque  infailliblement  les  diverses  races  ;  la 
sociologie  confirme  ou  suggère  ces  divisions  au  moyen 
de  données  qui  sont  généralement,  bien  que  non  inva- 
riablement, d'importance  secondaire. 

On  trouve,  de  par  le  monde,  une  infinité  de  coutumes 
et  d'observances  dont  l'universalité  n'est  de  service  à 
l'ethnographie  qu'en  tant  qu'elles  confirment  par  sug- 
gestion l'unité  de  l'espèce  humaine.  Prenons  comme 
exemple  une  des  plus  remarquables  de  ces  pratiques  :  la 
circoncision.  Aux  yeux  du  vulgaire,  elle  est  caractéris- 
tique de  la  nation  juive  ;  mais  il  n'en  est  pas  moins  cer- 
tain qu'elle  était  en  honneur  chez  plusieurs  peuples 
sémitiques.  Ainsi,  d'après  Hérodote,  les  Egî-ptiens  se 
circoncisaient,  non  moins  que  les  Ethiopiens.  L'épître 
de  Barnabe  nous  est  un  garant  que  les  Arabes  et  les 
Syriens  en  faisaient  autant.  La  même  remarque  s'ap- 
plique également,  d'après  saint  Jérôme,  à  la  majorité  des 

(1)  The  American  fiooe,  p.  39. 

(2)  Ibid;  poissim. 


—  132  — 

Iduméens,  des  Ammonites,  des  Moabites  et  des  Ismaé- 
lites. Les  mahométans  pratiquent  aussi  la  circoncision, 
et  ce  rite  a  été  introduit  partout  oh  le  Coran  a  pénétré. 

Mais,  dira-t-on,  tous  ces  peuples,  qu'ils  soient  hamites 
ou  eusémites,  appartiennent  au  même  stock  et,  puis- 
qu'ils connaissent  tous  la  circoncision,  la  seule  déduction 
qu'on  doive  en  tirer  c'est  que,  dans  ce  cas,  la  sociologie 
est  en  parfaite  harmonie  avec  la  philologie,  et,  par 
conséquent,  la  valeur  de  la  première  considérée  comme 
critérium  ethnique,  loin  d'en  être  affaiblie,  en  est,  au 
contraire,  grandement  augmentée.  Ce  raisonnement  ne 
manquerait  pas  de  force,  n'était  que  la  pratique  en 
question  était  commune  à  d'autres  familles  non  sémi- 
tiques. Qu'en  devons-nous  penser  quand  nous  voyons  la 
circoncision  en  honneur  chez  des  races  complètement 
hétérogènes  ?  Or,  c'est  un  fait  avéré  qu'elle  était  connue 
des  habitants  préhistoriques  du  Mexique,  et,  aujour- 
d'hui, nous  la  trouvons  chez  des  peuples  de  caractère 
ethnique  très  divers,  comme,  par  exemple,  chez  les 
Gafres,  chez  les  insulaires  des  îles  Amis,  chez  les  natifs 
de  l'archipel  Indien,  à  Madagascar,  aux  Philippines  et 
même  chez  les  Hottentots.  Bien  plus,  Petitot  prétend  en 
avoir  découvert  des  vestiges  jusque  parmi  les  Dénés  de 
l'extrême  nord  de  l'Amérique,  sous  le  cercle  polaire. 
Evidemment,  une  coutume  si  répandue  peut  tout  au 
plus  servira  prouver  l'unité  de  l'espèce  humaine;  on 
n'en  saurait  tirer  un  argument  en  faveur  d'une  affinité 
raciale  entre  les  peuples  qui  la  pratiquent. 

Je  pourrais  citer  une  foule  d'autres  observances  qui 
n'ont  pas  plus  d'importance  aux  yeux  de  l'ethnographe. 
On  nous  apprend  que  les  Gafres  ont  en  horreur  la  viande 
du  porc  ;  faut-il  en  conclure  qu'ils  sont  de  descendance 
juive?  Les  Indiens  Kansas  se  rasaient  la  tête;  or,  les 
Egyptiens  en  agissaient  de  même.  Chacun  connaît  les 


~  133  — 

fameux  troglodytes  du  Colorado  et  de  la  vallée  de  Gila  ; 
or,  M.  A.  Harvey,  le  savant  ex-président  de  l'Institut  cana- 
dien de  Toronto,  nous  parlait  récemment  de  troglodytes 
parfaitement  authentiques,  qu'il  avait  lui-même  obser- 
vés, non  pas  dans  un  coin  reculé  du  continent  améri- 
cain, mais  au  beau  milieu  de  la  France  (1).  D'une  simi- 
larité d'habitation  en  déduirons-nous  une  identité  de 
race?  Une  réponse  affirmative  ne  serait,  j'imagine,  guère 
du  goût  de  nos  compatriotes  habitant  des  cavernes  du 
Midi. 

En  outre,  on  trouve,  dans  le  sud  des  Etats-Unis  d'Amé- 
rique, les  célèbres  Puéblos  qui,  bien  que  devant  tous 
leur  nom  au  même  genre  d'habitation,  n'en  appartien- 
nent pas  moins  à  des  groupes  ethniques  différents. 

Mais,  pour  nous  cantonner  dans  les  limites  de  la  socio- 
logie, nous  lisons  que  les  cheveux  des  veuves  hindoues 
sont  coupés  ras,  quand  elles  n'ont  pas  la  tête  complète- 
ment rasée.  A  la  mort  de  leur  mari,  elles  échangent  leur 
joli  costume  contre  des  haillons  sordides.  Or,  cette  même 
coutume  s'observe,  de  nos  jours,  parmi  les  Babines  et 
les  Porteurs,  deux  divisions  de  la  grande  famille  dénée 
de  l'Amérique  septentrionale.  Du  temps  des  Pharaons, 
les  dames  égyptiennes  en  deuil  devaient  se  raser  les  sour- 
cils et  déposer  leur  perruque,  comme  si,  en  pareille  cir- 
constance, le  port  même  d'une  apparence  de  chevelure 
eût  été,  à  leurs  yeux,  une  infamie  sociale.  Et  pourtant, 
quel  ethnographe  oserait  s'appuyer  sur  une  si  fortuite 
similarité  de  coutumes  pour  assigner  aux  Dénés  et  aux 
races  asiatiques  une  communauté  d'origine  avec  les  an- 
ciens Egyptiens  ? 

J'ai  décrit  ailleurs  les  banquets  cérémoniaux  qui  sui- 
vent, chez  les  Porteurs,  la  crémation  des  morts.  Or,  nous 

(1)  Celtic,  Roman  and  Greek  types,  etc.  Traas.  Can.  Inst.,  vol.  11, 
p.  181. 


—  134  — 

lisons  que,  parmi  les  Géorgiens,  dès  qu'un  cadavre  a 
reçu  les  honneurs  de  la  sépulture  en  présence  d'un  vaste 
concours  d'étrangers,  les  hôtes  doivent  prendre  part  à 
un  festin  digne  d'un  Pantagruel  (1). 

Qui  n'a  entendu  parler  des  pleureuses  à  gages  de  l'an- 
cienne Rome  ?  Les  mêmes  marques  d'un  chagrin  de 
commande  étaient  familières  aux  Juifs,  comme  elles  le 
sont  aujourd'hui  à  la  plupart  des  tribus  américaines, 
comme  elles  le  sont,  à  un  degré  encore  plus  exagéré,  aux 
Chinois  modernes,  puisqu'un  livre  intitulé  :  Comment 
doivent  se  comporter  les  vrais  Fils  du  ciel  décerne  une 
mention  honorable  à  une  certaine  Chinoise  qui  avait 
pleuré  si  bruyamment  son  défunt  mari,  que  les  murs  de 
la  cité  en  avaient  croulé. 

De  plus,  nous  devons  observer  que  la  manière  de  dis- 
poser des  morts,  que  ce  soit  la  crémation,  la  sépulture 
ou  la  momification,  n'a  rien  à  faire  avec  la  classification 
des  races.  Toutes  ces  différentes  pratiques,  ou  du  moins 
les  deux  premières,  étaient  fréquemment  contempo- 
raines chez  des  peuples  étroitement  apparentés,  ou 
même,  dans  plus  d'un  cas,  chez  des  fractions  colimi- 
trophes  d'une  seule  nation.  D'un  autre  côté,  des  races 
hétérogènes  ont,  plus  d'une  fois,  adopté  la  même  ma- 
nière de  traiter  les  cadavres.  Si  l'Egypte  eut  ses  momies, 

(1)  «  Des  bœufs  sont  tués,  des  outres  pleines  de  vin  de  Kakhétie  sont 
débouchées,  et  le  boire  et  le  manger  continuent  jusqu'à  ce  que  les 
hôtes  roulent  sous  la  table,  je  veux  dire  sur  l'herbe,  oii  ils  se  tiennent 
accroupis  en  face  des  aliments.  Un  mois  après  la  mort  de  celui  qu'on 
veut  ainsi  honorer  et  au  jour  anniversaire,  les  mêmes  scènes  pathé- 
tiques, les  mêmes  réjouissances  recommencent.  On  parle  encore  des 
funérailles  d'un  certain  Déophale...  Après  un  délai  de  trois  semaines, 
81)000  personnes  se  trouvèrent  rassemblées  dans  les  enclos  des  bêtes 
à  cornes,  et  les  cris  et  les  hurlements  s'entendaient  à  plusieurs  milles 
à  la  ronde.  Le  banquet  dura  trois  jours  pleins,  et  des  troupeaux  de 
bœufs  et  des  moulons  furent  massacrés  pour  orner  ensuite  les  broches 
des  cuisiniers.  »(Viconite  de  Voguëjdans/ïarjuer'i  iiIonthly,imn  1*90.) 


—  135  -. 

on  peut  en  dire  autant  du  Pérou  préhistorique  et  môme 
des  îles  de  la  Reine  Charlotte,  dans  la  Colombie  britan- 
nique (1). 

On  pourrait  ajouter  à  ce  qui  précède  le  fait  encore 
plus  significatif  que  l'organisation  de  la  tribu  et  le  sys- 
tème des  clans  propre  aux  aborigènes  de  l'Amérique 
varient  notablement  même  entre  tribus  du  même  groupe 
ethnologique.  Quelques-unes  sont  gouvernées  par  l'au- 
torité patriarcale,  tandis  que  d'autres  portions  de  la 
même  race,  parfois  même  des  tribus  colimitrophes, 
reconnaissent  le  principe  matriarcal  ou  le  droit  de  la 
mère  comme  la  loi  fondamentale  de  leur  constitution. 

Voudrait-on  soumettre  à  notre  considération  les  titres 
de  la  psychologie  relatifs  à  la  différenciation  des  races? 
On  constaterait  bientôt  que  cette  science  est  alors  un 
guide  encore  moins  sûr.  Car,  bien  que  nous  ne  puissions 
pas  reconnaître  les  mêmes  facultés  psychiques  à  tous 
les  peuples,  ce  n'en  serait  pas  moins  outrepasser  les 
bornes  de  la  vérité  que  de  soutenir  la  congénéité  de 
deux  races  par  cela  seulement  qu'elles  possèdent  un  égal 
degré  de  culture  ou  de  barbarisme.  Aristote  déclare 
qu'une  nation,  chez  les  Thraces,  était  si  primitive  au 
point  de  vue  psychologique,  que  son  arithmétique  n'al- 
lait pas  au  delà  du  chiffre  4  (2). 

D'un  autre  côté,  on  nous  apprend  que  les  Chiquidos, 
Indiens  de  l'Amérique  du  Sud,  ne  dépassent  point  l'unité 
dans  leur  système  de  numération.  Pour  tout  nombre 

(1)  «  Uq  Indien,  qui  me  servait  de  guide,  me  fit  voir  plusieurs 
cavernes  oii  les  sauvages  enterraient  autrefois  leurs  morts.  Nous  en 
examinâmes  quelques-unes  et  ouvrîmes  plusieurs  des  boîtes  qui  con- 
tenaient les  restes  des  anciens  habitants.  Dans  chaque  cas,  nous  trou- 
vâmes le  cadavre  momifié  avec  les  membres  repliés  absolument  de 
la  même  manière  que  les  momies  mexicaines.  »  (James  Swan,  dans 
le  journal  de  Victoria,  Colonist,  août  1882.) 

(2)  ProUem.,  sec.  XV,  3,  t.  II,  p.  753. 


~  136  — 

complexe,  leur  rude  langue  a  recours  à  des  termes  de 
comparaison  tels  que,  par  exemple  :  autant  que  les  yeux 
d'une  personne,  autant  que  les  membranes  d'une  patte 
de  corbeau,  autant  que  les  doigts  d'une  main,  et  ainsi 
de  suite.  Les  Tasmaniens  peuvent  compter  jusqu'à  deux, 
mais  pas  davantage.  Les  noirs  de  l'Australie  vont  un  peu 
plus  loin;  ils  disent:  un,  deux,  deux-un  (trois),  deux- 
deux  (quatre);  puis  ils  ajoutent:  plus  de  quatre,  c'est- 
à-dire  un  nombre  indéfini.  Or,  il  est  évident  que  des 
races  d'habitat  si  distant,  si  isolé,  bien  qu'identiques 
sous  le  rapport  de  l'indigence  psychique,  n'en  sont  pas 
moins  totalement  distinctes  au  point  de  vue  ethnolo- 
gique. 

L'Egypte  avait  ses  hiéroglyphes,  mais  le  pays  des 
Aztèques  avait  aussi  les  siens.  Les  premiers  n'avaient 
qu'un  point  de  supériorité  sur  les  seconds,  puisque  les 
caractères  américains,  bien  qu'en  partie  idéographiques, 
étaient  aussi  phonétiques.  Quelques  tribus  aborigènes 
du  Mexique  avaient  même  fait  tant  de  progrès  en  cul- 
ture psychologique,  qu'elles  avaient  inventé  un  système 
d'écriture  purement  phonétique.  De  plus,  les  caractères 
cunéiformes  des  Assyriens  n'ont-ils  pas  de  dignes  équi- 
valents dans  les  signes  calculiformes  des  Mayas  ?  Et  les 
livres  aztèques  en  parchemin  ou  en  papier  maguey  ne 
pourraient-ils  pas  faire  pendant  aux  rouleaux  de  cuir 
des  Juifs  et  des  Moabites  et  aux  papyrus  des  Egyptiens? 
Pourquoi  ne  pas  mentionner  non  plus  le  précieux  calen- 
drier des  Aztèques  qui  reconnaissait  les  363  jours  de 
l'année  solaire,  et  celui  encore  plus  compliqué  des 
Mayas,  lequel,  outre  un  cycle  de  20  ans  et  un  autre  de 
32  ans,  comprenait  un  grand  cycle  de  252  ans  ?  Ces  ca- 
lendriers, provenant  de  peuples  emprisonnés  entre  deux 
océans,  peuvent  certainement  figurer  avec  honneur  à 
côté  des  cycles  zodiatiques  de  la  Perse  et  de  l'Egypte. 


—  137  — 

Par  conséquent,  des  talents  intellectuels  d'égale  portée 
ne  sauraient  servir  à  prouver  une  identité  raciale.  La 
même  remarque  s'applique  avec  autant  de  force  aux 
qualités  comme  aux  faiblesses  morales.  Les  Bushmen  de 
l'Afrique  australe  et  les  aborigènes  de  l'Australie  sont 
ordinairement  mis  au  rang  des  créatures  intelligentes 
les  plus  basses  et  les  plus  viles.  On  ne  pourrait  pourtant 
les  classer  pour  cela  avec  les  Caraïbes  de  l'Amérique  mé- 
ridionale, parmi  lesquels  les  mariages  entre  père  et  fille 
ou  entre  frère  et  sœur  sont,  dit-on,  loin  d'être  rares. 

Mais  il  existe  une  autre  science  qui  jouit  aujourd'hui 
d'une  grande  estime  parmi  les  ethnographes,  je  veux 
dire  l'archéologie.  Cependant,  même  dans  les  circon- 
stances les  plus  favorables,  cette  science  ne  peut  guère 
déterminer  que  de  très  vagues  divisions  du  genre  humain, 
sans  compter  que,  comme  son  nom  l'indique,  elle  traite 
presque  exclusivement  du  passé.  Hormis,  en  quelques 
cas  particuliers,  aucune  relique  archéologique,  surtout  si 
elle  appartient  à  l'âge  de  pierre,  ne  peut  indiquer  avec 
tant  soit  peu  de  précision  la  nationalité  de  l'artisan.  Des 
ruines  monumentales  seraient  peut-être  un  facteur  plus 
puissant  dans  l'identification  des  races  primitives.  Pour- 
tant, le  style  propre  à  ces  monuments,  les  diverses  formes 
de  leur  ornementation,  en  un  mot,  leur  architecture  par- 
ticulière, auraient  alors  plus  de  valeur  que  le  seul  fait 
de  leur  existence  ;  mais  il  est  douteux  que  même  ces 
détails  puissent  prétendre  au  titre  de  critérium  infaillible 
de  certitude  ethnologique.  De  semblables  travaux  se  ren- 
contrent, sous  une  forme  ou  sous  une  autre,  dans  le 
monde  entier  ;  et  les  conclusions  ethnographiques  aux- 
quelles ils  ont  jusqu'ici  donné  lieu  sont  d'importance 
inappréciable.  Le  Mexique  a  ses  pyramides  non  moins 
que  l'Egypte. 

L'honneur  de  nous  avoir  laissé  des  monuments  histo- 


—  138  — 

riques  n'appartient  pas  exclusivement  à  la  Grèce  et  à 
l'ancienne  Rome  ;  les  américanistes  connaissent  bien 
les  Casas  Grandes  des  Pumas,  les  temples  des  Téotihua- 
cans,  les  ruines  de  Mitla  et  les  superbes  structures  de 
Gopan,  de  Paienque,  etc.,  au  Mexique,  aussi  bien  que  les 
murailles  cyclopéennes  des  constructions  péruviennnes. 
Un  fait,  peut-être  ignoré  de  quelques-uns,  est  que  de 
semblables  ruines  monumentales  se  rencontrent  jus- 
qu'au fond  des  îles  les  plus  reculées  de  l'océan  Paci- 
fique (1). 

Quelle  leçon  nous  ont  enseignée  ces  monuments?  Pris 
séparément,  quelle  nation  de  l'antiquité  nous  ont-ils 
permis  d'identifier?  Leurs  inscriptions  nous  ont,  sans 
doute,  fourni  de  précieux  renseignements;  mais  des  in- 
scriptions, comme  telles,  se  rattachent  à  la  philologie 
plutôt  qu'à  l'archéologie.  Dénués  d'inscriptions  ou  de 
tout  style  d'ornementation  déjà  connu  de  la  science,  ces 


(1)  Par  exemple,  sur  l'île  de  Pâques,  qui  se  trouve  à  2  500  milles 
de  l'Amérique  du  Sud,  se  trouvent  de  grandes  plates-formes  en 
grandes  pierres  de  taille  jointes  ensemble  sans  être  cimentées  et  dont 
les  murs,  du  côté  de  la  mer,  ont  près  de  30  pieds  de  hauteur  et  de 
200  à  300  de  longueur  sur  une  trentaine  de  largeur.  Quelques-unes 
des  pierres  taillées  ont  6  pieds  de  long.  Des  images  colossales  gisent 
par  terre  près  du  piédestal  qui  les  supportait.  Une  statue  de  8  pieds 
de  haut  et  du  poids  de  4  tonnes  fut  apportée  en  Angleterre,  et  se 
trouve  maintenant  au  Musée  britannique.  Sur  l'île  de  Tonga,  il  y 
a  un  curieux  monument  formé  de  deux  blocs  rectangulaires  de 
40  pieds  de  haut  autour  duquel  une  énorme  plaque  de  pierre  sert  de 
piédestal  à  un  immense  bol  de  même  matière.  Dans  l'île  Ponape, 
une  des  Garolines,  il  y  a  de  grandes  ruiues,  dont  la  principale  repré- 
sente une  espèce  d'enclos  de  300  pieds  de  longueur  et  dont  les  murs 
sont  composés  de  prismes  basaltiques.  Ou  trouve  des  ruines  de 
moindre  importance  sur  les  îles  Ponape  et  Kusaie,  dans  le  même 
groupe.  Dans  les  îles  Larron  et  Voleur  se  dressent  des  colonnes  de 
pierre  hautes  de  14  pieds,  surmontées  d'une  pierre  semi-globulaire 
de  6  pieds  de  diamètre.  Dans  les  îles  Senidoinese  trouvent  aussi  des 
monuments  gigantesques.  (Condensé  du  Dominion  lUustrated,  6  dé- 
cembre 1890.) 


—  139  — 

restes  architecturaux  n'ont  guère  d'autre  importance 
que  d'attester  la  soif  d'immortalité  innée  au  cœur  de 
l'homme.  Ce  ne  sont  que  de  muets  témoins  d'un  passé 
dont  ils  ne  peuvent  révéler  les  secrets. 

Mais,  du  moins,  que  penser  des  mounds  ?  Ces  tumuli 
ne  sont-ils  pas  de  caractère  distinctement  américain  et  ne 
peuvent-ils  pas  prétendre  à  une  très  grande  importance 
ethnographique?  Tout  d'abord,  l'Amérique  n'est  point  le 
pays  exclusif  des  mounds  ;  on  en  trouve  ailleurs  et  en 
grand  nombre,  ne  serait-ce  qu'en  Chine  et  en  Ecosse, 
par  exemple  (l).En  second  lieu,  ces  monuments  grossiers 
n'ont  de  valeur  ethnique  que  celle  qui  revient  de  droit 
aux  reliques  archéologiques  qu'ils  recèlent  souvent  dans 
leur  sein.  L'idée  d'une  race  spéciale  de  bâtisseurs  de 
mounds,  bien  qu'encore  vivace  en  certains  quartiers, 
s'évanouira  le  jour  oi!i  le  public  savant  se  convaincra, 
avec  les  premiers  archéologues  américains,  que  «  les 
liens  déjà  découverts  rattachant  directement  les  Indiens 
aux  peuples  qui  élevèrent  ces  monuments  sont  si  nom- 
breux et  si  solides  que  les  deux  prétendues  races  n'en 
font  évidemment  qu'une  (2)  ». 

J'ai  groupé,  dans  un  autre  essai  (3),  une  telle  série  de 
faits  des  plus  authentiques  en  faveur  de  cette  thèse,  que 
je  n'ai  personnellement  pas  l'ombre  d'un  doute  qu'elle  ne 
soit  la  seule  vraie.  Au  fur  et  à  mesure  que  les  résultats 
des  explorations  dirigées  par  les  spécialistes  de  Washing- 

(1)  «  Entre  Kalgan  et  Yucho,  on  voit  des  anciens  mounds  en 
groupes  sur  la  plaine  ou  isolés  sur  des  éminences.  Ces  derniers  res- 
semblent à  des  tours  à  signaux,  tandis  que  les  premiers  suggèrent 
l'idée  de  tombes.  Ils  ont  environ  30  pieds  de  haut,  sont  de  forme  cir- 
culaire ou  ovale  et  leurs  groupes  semblent  fortuits  et  sans  idée  pré- 
conçue. »  (Mark  Williams,  Smilhsonian  Report,  part.  I,  p.  907,  1885.) 

(2)  Work  in  Monnd  Exploration  of  the  Bureau  of  Efhnology,  Wash- 
ington, p.  Il,  1887. 

(3)  Notes  archeological,ind.uslrial, commercial  on  the  Western  Dénés, 
Toronto,  1894. 


—  140    - 

ton  seront  divulguées,  je  suis  persuadé  que,  seuls,  les 
esprits  entichés  de  leurs  idées  préconçues  pourront  re- 
fuser de  croire  que,  dans  la  plupart  des  cas,  les  mounds 
ont  été  élevés  par  les  ancêtres  immédiats  des  Indiens 
établis  dans  leur  proximité  lors  de  la  découverte  de  leur 
pays.  Or,  comme  ceux-ci  appartiennent  à  des  groupes 
ethnologiques  différents,  leurs  travaux  ne  sauraient  être 
invoqués  comme  faisant  autorité  en  fait  de  classifica- 
tions raciales. 

Reste  la  mythologie.  Sa  place  légitime  dans  l'estime 
de  l'ethnographe  ne  peut  être  bien  élevée  ;  certains  my- 
thes sont,  on  le  sait,  d'une  diffusion  à  peu  près  univer- 
selle. Ensuite,  la  théogonie  même  d'un  peuple  peut  cé- 
der sous  la  pression  latente  exercée  par  des  nations 
étrangères  au  moyen  de  migrations,  de  captivités  ou  de 
commiscégénalion.  J'ai  observé  moi-même  quelques  cas 
oh  la  mythologie  d'un  peuple  a  été  en  grande  partie 
empruntée  à  une  tribu  hétérogène. 

Mais,  remarquera  le  lecteur,  quel  peut  être  l'objet  de 
ce  qui  précède  à  moins  que  ce  ne  soit  de  jeter  le  discré- 
dit sur  les  différentes  sciences  mentionnées?  Loin  de 
moi  pareille  présomption.  Chacune  d'elles  a  certaine- 
ment sa  sphère  d'utilité;  il  arrive  fréquemment  que  la 
langue  de  quelque  nation  de  l'antiquité  nous  est  si  com- 
plètement inconnue  qu'on  ne  peut  même  hasarder  la 
moindre  supposition  à  son  endroit,  et  alors  l'archéologie 
est  le  seul  moyen,  tout  imparfait  qu'il  soit,  d'identifier 
une  race.  Il  peut  se  faire  aussi  que  l'apport  de  quel- 
qu'une de  ces  sciences  peut,  par  la  quantité  de  ses  élé- 
ments ou  leur  importance  exceptionnelle,  devenir,  à  dé- 
faut de  tout  autre  témoignage,  un  véritable  critérium  de 
certitude  ethnologique.  Dans  tous  les  cas,  ces  sciences 
jouissent  d'une  force  corroborative  qui  n'est  pointa  dé- 
daigner. Mais  je  dois  répéter  qu'aucune  d'elles,  prise  se- 


—  141   — 

parement,  ne  peut  passer  pour  un  guide  infaillible  quand 
il  s'agit  de  différencier  ou  d'identifier  les  races  humaines. 
A  la  philologie  seule  est  réservé  le  privilège  de  remplir  ce 
rôle  avec  avantage,  et  ceci  s'entend  naturellement  des  cas 
oîi.par  ailleurs,  tout  document  historique  fait  défaut  (1). 
C'est  là,  je  crois,  un  fait  à  peu  près  reconnu  en  ce 
qui  regarde  l'ethnologie  américaine.  Voici  ce  que  dit  le 
docteur  Brinton  des  indigènes  de  l'Amérique  :  (^  Ces 
stocks  nous  offrent,  sans  aucun  doute,  la  base  la  plus 
sûre  de  la  classification  ethnique  des  tribus  américaines, 
la  seule  base,  en  réalité,  qui  possède  quelque  valeur. 
Les  efforts  tentés  jusqu'ici  en  vue  d'établir  une  classifi- 
cation basée  sur  les  limites  géographiques,  les  particu- 
larités politiques,  les  traits  physiques  des  peuples,  ou 
bien,  sur  la  forme  du  crâne,  ou  relativement  au  degré  de 
sauvagerie  ou  de  civilisation,  ont  tous  été  sans  résultats 
satisfaisants.  On  ne  peut  subdiviser  la  race  qu'en  pre- 
nant la  linguistique  pour  guide.  Une  similarité  d'idiome 
suppose  généralement  identité  de  descendance  et  uni- 
formité d'avantages  psychiques.  Sans  doute,  l'histoire 
du  monde  nous  révèle  plus  d'une  mutation  forcée  de  la 
langue  d'un  peuple  ;  mais  cette  imposition  a  toujours 
été  accompagnée  d'une  infiltration  de  sang  correspon- 
dante (2).  » 

(1)  L'histoire  rapportant  quelques  rares  exceptions,  cette  dernière 
restriction  est  nécessaire.  La  plus  importante  de  ces  exceptions  est 
celle  de  la  nation  juive,  dont  les  membres  perdirent  leur  idiome  par- 
ticulier lors  de  la  captivité  de  Babylone.  A  leur  retour  au  pays  de 
leurs  ancêtres,  leur  langue  devint  le  syro-chaldaïque,  et,  après  les 
conquêtes  d'Alexandre,  le  grec  devint  le  dialecte  familier  aux  per- 
sonnes instruites  et  généralement  aux  habitants  des  villes.  D'un  autre 
côté,  le  fait  qu'on  ne  peut  reconnaître  les  restes  des  dix  tribus  à  leur 
langage  ne  milite  point  contre  ma  thèse,  puisque  je  parle  de  nations 
comme  telles  et  non  de  bandes  d'individus  qui  ont  fini  par  être  ab- 
sorbées par  les  peuples  au  milieu  desquels  elles  se  sont  établies. 

(9)  The  American  Race,  p.  57 


-    442  — 

Par  race,  le  docteur  Brinton  entend  ici  l'agrégat  des 
aborigènes  du  nouveau  monde.  Par  conséquent,  la  sub- 
division de  race  dont  il  parle  équivaut  à  la  classification 
primaire  des  Indiens  en  stocks  distincts. 

Quant  à  la  mutation  du  langage,  elle  peut  s'effectuer 
de  deux  manières  :  premièrement  par  la  viDlence,  le 
droit  de  conquête  et  une  législation  coercitive,  c'est  le 
cas  des  Irlandais  et  des  Polonais.  Mais  alors  l'histoire 
relate  généralement  la  raison  de  pareilles  altérations  lin- 
guistiques. Or,  on  doit  se  rappeler  que  ma  thèse  ne  porte 
que  sur  les  cas  où  tout  document  historique  fait  défaut. 
En  second  lieu,  le  dialecte  national  peut  s'altérer  de 
lui-même,  se  désagréger  graduellement,  insensiblement, 
par  l'effet  du  temps,  une  croissance  naturelle,  un  perfec- 
tionnement logique  ou  même  ce  que  j'appellerai  une 
sorte  de  persuasion  morale  exercée  par  le  plus  fort  au 
détriment  du  plus  faible. 

Pas  n'est  besoin  de  beaucoup  d'érudition  pour  s'aper- 
cevoir que  ces  mutations  linguistiques  sont  elles-mêmes 
le  meilleur  des  critériums  ethnologiques.  Prenons,  par 
exemple,  les  soi-disant  idiomes  romans;  on  peut  facile- 
ment reconnaître  dans  leurs  parties  componentes  des 
traces  indubitables  des  divers  stocks  dont  l'amalgame 
est  devenu  ce  que  nous  appelons  aujourd'hui  les  langues 
latines.  Cette  tâche  est  même  plus  facile  encore  relative- 
ment à  l'anglais  (1),  qui  est  la  preuve  la  plus  péreraptoire 
du  sang  saxon  et  normand  qui  coule  dans  les  veines  de 
la  nation  britannique.  Dans  de  tels  mélanges,  les  formes 
linguistiques  accidentelles  et  les  mots  de  moindre  im- 
portance peuvent  disparaître  ;  les  racines  des  dialectes 
primitifs  resteront  et  se  feront  aisément  reconnaître. 

La  suprême  importance  de  la  philologie  est  donc  évi- 

(1)  L'origiDal  du  présent  essai  est  en  aoglais. 


—  143  — 

dente.  Qu'on  me  permette  de  la  démontrer  plus  claire- 
ment encore,  s'il  est  possible,  à  l'aide  d'un  exemple  tiré 
de  mon  pays  d'adoption.  Inutile  de  parler  ici  delà  ma- 
nière dont  les  ethnographes  américains  ont  découvert 
l'identité  raciale  des  Iroquois  et  des  Chérokees.  Ce  n'est 
un  secret  pour  personne,  que,  dans  ce  cas  comme  dans 
tant  d'autres,  la  linguistique  a  fourni  la  clef  qui  a  permis 
de  résoudre  le  problème.  Que  le  bienveillant  lecteur 
veuille  bien  se  reposer  maintenant  des  excursions  scien- 
tifiques dans  lesquelles  je  me  suis  permis  de  l'entraîner; 
nous  allons  étudier  ensemble  une  des  races  américaines 
les  plus  intéressantes,  je  veux  dire  la  race  dénée. 

{A  suivre.) 


NOUVELLES  DIVERSES 


Pendant  le  mois  de  décembre,  le  T.  R.  P.  Général  a 
fait  la  visite  de  nos  établissements  de  Belgique  et  de  Hol- 
lande. 

Il  quittait  Paris  le  3,  accompagné  du  R.  P.  Tatin,  et 
se  rendait  directement  au  scolasticat  de  Liège.  De  là,  il 
a  visité  successivement  le  noviciat  de  Saint-Gerlach,  le 
juniorat  de  Saint-Charles,  le  jeune  noviciat  de  Saint- 
Joseph,  au  Bestin.  Il  a  fait  aussi  le  voyage  d'Anvers  pour 
saluer  M.  Wegimont,  notre  insigne  bienfaiteur,  et  lui 
offrir  les  remerciements  de  la  Congrégation  et  des  Sœurs 
de  la  Sainte-Famille.  En  passant,  il  a  vu  la  communauté 
de  l'Espérance,  récemment  fondée  à  Lierre,  près  d'An- 
vers. Il  a  pu  également,  pendant  son  séjour  au  scolas- 
ticat, visiter  les  établissements  que  la  Sainte-Famille 
possède  dans  la  ville  de  Liège. 

Partout  notre  bien-aimé  Père  a  reçu  l'accueil  le  plus 
empressé  et  les  témoignages  de  la  plus  filiale  affection. 
A  l'ouverture  d'une  séance  de  bienvenue,  un  scolastique 
lui  exprima,  en  fort  bons  termes,  les  sentiments  qui 
doivent  animer  tout  Oblat  à  l'égard  du  Père  de  la  Fa- 
mille. Au  juniorat  de  Saint-Charles,  un  rhétoricien  les 
lui  exprima  dans  une  adresse  en  latin,  que  nous  donnons 
plus  bas.  Les  lecteurs  des  Missions  seront  heureux^  nous 
n'en  doutons  pas,  de  connaître  les  sentiments  de  ces 
chers  junioristes  à  Tégard  de  la  Congrégation  et  de  son 
chef.  Nous  ne  répondons  pas  de  donner  toutes  les  expres- 
sions de  cette  adresse,  mais  nous  sommes  sûr  d'en 
reproduire  très  exactement  le  sens. 


—   143   — 

Pendant  son  séjour  dans  ces  diverses  maisons,  le 
T.  R,  P.  Général  a  pu  adresser  la  parole  soit  à  la  com- 
munauté réunie,  soit  à  chaque  catégorie  :  aux  Pères, 
aux  Frères  scolasliques,  aux  Frères  convers,  aux  junio- 
ristes.  Plusieurs  même  ont  pu  le  voir  en  particulier.  Au 
scolasticat,  tous  ont  pu  avoir  un  entretien  avec  le 
P.  Général  ou  avec  le  P.  Assistant, 

Notre  bien-aimé  Père  a  été  heureux  de  constater  que 
nos  maisons  de  Hollande  et  de  Belgique  continuent  à 
prospérer.  A  Liège,  la  nouvelle  église  sera  un  vrai  mo- 
nument ;  on  y  travaille  avec  activité  et  tout  fait  espérer 
qu'elle  sera  consacrée  et  ouverte  au  public  vers  les  fêtes 
de  Pâques.  Le  personnel  de  la  communauté  atteint  le 
chiffre  de  135  personnes  :  8  Pères  professeurs,  Uo  sco- 
lasliques et  12  Frères  convers.  A  Saint -Gerlach,  il  y 
a  3  Pères,  22  novices  scolastiques,  avec  plusieurs 
Frères  convers,  profès  et  novices.  Saint-Charles  compte 
170  junioristes,  une  vingtaine  de  professeurs  et  environ 
40  Frères  ou  aspirants  convers.  Au  Bestin,  le  noviciat  de 
Saint-Joseph,  fondé  au  mois  de  juillet  dernier,  nous  offre 
un  personnel  plus  restreint  :  2  Pères,  6  novices  sco- 
lasliques, 3  novices  convers  et  quelques  profès  scolas- 
tiques et  convers.  Mais,  s'iln'est  qu'à  ses  débuts  pour  le 
personnel,  ce  noviciat  est,  dès  à  présent,  complet  et  par- 
fait au  point  de  vue  matériel.  La  maison  est  admirable- 
ment adaplée  à  sa  destinalion. 

Partout,  dans  ces  maisons,  la  vie  religieuse  est  en 
plein  exercice  :  régularité,  piété,  application  au  travail, 
bon  esprit,  c'est  ce  qu'a  pu  constater  notre  bien-aimé 
P.  Général  et  ce  qui  a  été  pour  lui  une  source  de  conso- 
lations. Aussi  reprenait-il  le  chemin  de  Paris  le  22  dé- 
cembre, emportant  dans  son  cœur  un  doux  souvenir  des 
quelques  jours  passés  au  milieu  de  cette  nombreuse  jeu- 
nesse, qui  donne  de  si  belles  espérances  pour  la  Famille. 

T.    XXXV.  10 


146 


Reverendissime  Pater, 

Maximam  sane  nobis  affert  voluptalem  tuae  inler  nos 
Paternitalis,  necnon  R.  P.  Assistentis  merilissimi  et  di- 
lecti  Palris  Provincialis  prsesentia  desideralissima.  Quid 
enim  amanti  filio  dulcius,  quam  patrem  secum  habere, 
patrem  quidem  amoris  plénum,  plénum  benevolenliœ? 
Jamvero  hujusmodi  te,  reverendissime  Paler,  fuisse  pa- 
trem, res  est  apud  nos  aperta,  et  nemo  est  nostrûm  qui 
pium  erga  te  amorem  non  sentiat,  qui  filinm  tuum  esse 
non  glorietur. 

Quis  ignorel  protecto  quantam  salutis  nostrae   ser- 
vandse  atque  augendse  curam  egeris,  quam  fervidas  pro 
nobis  quotidie  preces  effuderis,  quantos  denique  ceperis 
labores,  ut  haec  semper  vigeat  domus,  ut  recens  adolescat 
Germaniœ  provincia,  ut  novus  ubique  splendor  accrescat 
Socielati,  quse  in  mundum  universum  operarios  misit 
qui  laborent  in  vinea  Domini,  sive  ad  prsedicandum  Evan 
gelium  Gentibus  vel  ovibus  quae  perierunt  domûs  Israël 
juxta  illud  :  Evangelizare  pauperibus  misit  me;  sive  ad 
eos  informandos  et  edocendos  qui  missionum  opus  brev 
sunt  suscepluri.  Inler  haec  autem,  nihil  tantam  ad  te 
quantam  haec  nova  Germanise  provincia  curam  expetivit 
quœ  te  Supremo  Moderatore  orta  est,  quamque  splen- 
didissimum  administrationis  tuae  ornamentum  in  aeter- 
num  fore  speramus,  cùm  nemini  sit  ignotum,  quibus 
nos  extuleris  laudibus  et  coram  nobis  ipsis  nec  verbo 
parcius  absens,  ut  Horatius  ait  poeta. 

Quantas  igitur  tibi,  reverendissime  Paler,  pro  tanta 
benevolentia  atque  benignitale,  pro  tôt  beneflciis  quae  a 
liberalitate  tua  accepimus,  gratias  unquam  rependere 
poterimus  ?  Hoc  cerle  pium  erga  te  implebimus  debitum, 
bi  tuae  in  nos  voluntati  quam  obsequentes  nos  ostende- 
rimus.  Quid  enim  a  nobis  tu,  reverendissime  Pater,  me- 


—    147    - 

rito  jure  postulas,  nisi  ut  digne  semper  ambulemus  vo- 
catione,  ad  quam  vocali  sumus,  ut  earum  quas  a  Deo 
accepimus  gratiarum  nunquam  obliviscamur,  ut  fralerna 
nos  invicem  dilectione  diligamus,  ut  tandem  cum  studiis 
tum  orationi  instanter  instemus.  Idipsum  profecto  erit 
quod  tibi  libenti  animo  polliceamur. 

Aspice  oculos  noslros,  in  te  conversos,  gaudio  reni- 
tentes  et  Isetitia  ;  vide  corda  nostra  quœ  te  filiali  prose- 
quuntur  amore,  simul  ac  Societatem  quse  te  prsesidem 
féliciter  habet,  quœ  nos  omnes  uti  filios  materna  fovet 
caritate  et  cujus  majorem  semper  in  dies  fecunditalem 
ardenter  cupimus.  Aspice  denique  nos  omnes  circum- 
stantes,  qui  tibi  conclamare  videmur  :  Ecce  ego,  milte 
me.  Omnes  enim  parati  sumus  vitam  pro  fratribus  extra 
viam  salutis  errantibus  ponere,  parati  sumus  sanguinem 
effundere  pro  fide  catholica,  pro  Domino  Nostro  Jesu 
Christo,  qui  te,  admodum  révérende  Paler,  diu  incolu- 
mera  servet  et  sospitet  ad  multos  annos. 

—  LaT.  R.  Mère  Marie-Raphaël  Tignet,  directrice  géné- 
rale de  la  Sainte-Famille,  se  trouve  depuis  plusieurs  mois 
dans  un  état  de  santé  qui  cause  à  son  entourage  et  à 
toute  l'Association  les  plus  vives  sollicitudes.  Vers  la  fin 
de  janvier,  le  T.  R.  P.  Général,  sur  des  dépêches  alar- 
mantes, dutprendreinopinémentlechemindeBordeaux. 
Il  en  revint  pour  la  retraite  de  la  Maison  générale.  L'état 
de  la  vénérée  malade  continue  à  être  très  grave  et  nous 
la  recommandons  aux  prières  de  nos  lecteurs.  Les  mem- 
bres de  la  Congrégation  se  feront  un  devoir  de  partager 
l'anxiété  de  la  Sainte-Famille  et  de  rappeler  au  saint 
autel  le  nom  d'une  malade  que  recommandent  de  si 
belles  vertus  et  à  laquelle  se  rattachent  de  si  graves  et  de 
si  nombreux  intérêts. 

—  Le  R.  P.  AuGiER,  Cassien,  visiteur  général,  de  re- 


—   148  — 

tour  d'Australie  à  Ceylan,  visite  le  vicariat  de  Jaffna  et 
s'acheminera  bientôt  probablement  vers  le  vicariat  de 
Colombo. 

—  La  retraite  de  la  maison  générale  a  été  prêchée  par 
le  H.  P.  YuNGBLUTH,  Supérieur  de  Saint-Andelain.  Plu- 
sieurs Pères  de  la  maison  du  Sacré-Cœur  y  ont  pris  part 
avec  leur  supérieur.  Y  assistaient  également  le  R.  P.  Cou- 
brun,  supérieur  de  la  maison  de  Talence,  et  le  R.P.  Gom- 
BALUZiER  de  la  maison  de  la  rue  de  Berry,  à  Bordeaux. 

Le  jour  de  la  clôture,  le  17  février,  au  repas  de  famille, 
le  R.  P.  Lémius,  Jean-Baplisle,  adressa  quelques  paroles 
au  T.  R.  P.  Général.  Rappelant  un  mot  dit  en  confé- 
rence par  le  T.  R.  Père,  durant  la  retraite,  le  supérieur 
de  Montmartre  remercia  le  Supérieur  général  de  nous 
avoir  rappelé  que  les  Oblats  doivent  être  avant  tout  les 
hommes  de  la  pensée  et  des  désirs  du  Souverain  Pontife. 
Ce  sont  nos  traditions  de  suivre  les  directions punlificales. 

—  Le  R.  P.  Paul  Bonnet,  nouvel  éditeur  de  Capreolus, 
reçoit  les  plus  précieux  encouragements  :  S.  Ém.  le  car- 
dinal SatoUi  ;  NN.  SS.  d'Avignon,  de  Tours,  de  Trêves,  le 
T.  R.  P.  Général  l'ont  félicité.  Le  R.  P.  Berlhier,  domi- 
nicain, professeur  à  l'Université  de  Fribourg,  lui  écrit  : 

Il  y  a  bientôt  quinze  ans  que  j'avais  projeté  avec  M^f  Bourret 
(à  Monthoux,  chez  Mb'  Mermillod),  une  réédition  de  Capreolus, 
Il  n'y  a  pas  un  mois,  j'en  parlais  à  un  imprimeur  de  Rome,  et  les 
choses  semblaient  s'acheminer.  Voici  maintenant  votre  prospectus 
annonçant  que  vous  commencez  le  travaiL  Ptrmettez  moi  devons 
offrir  mes  félicitations  les  meilleures.  Vous  rendez  un  très  grand 
service  à  la  véritable  science,  et  vous  aurez  contribué  pour  une 
bonne  part  à  nous  faire  au  moins  soupçonner  combien  s'est 
effroyablement  appauvrie  la  théologie  dans  le  monde  entier,  et 
surtout  en  France  depuis  trois  siècles,  et  en  parliculier  depuis 
cent  ans,  depuis  que  trop  souvent  le  prêtre  fait  sa  théologie  chez 
le  publiciste  laïque,  tant  ses  manuels  lui  sont  insignifiants. 


i.fl 


MISSIONS 

B£  LA  CONGRË&ATION 

DES  OBLAT:i  "" 

W  138.       Juin  1897 

MISSIONS  ÉTRANGÈRES 


VICARIAT  DE  COLOMBO. 

LETTRE  DU  R.  P.  MASSIET  AU  T.  R.  P.   SUPÉRIEUR  GÉNÉRAL. 

Pussellawa,  l^r  janvier  1897. 
Mon  TRÈS  RÉVÉREND  ET  BIEN-AIMÉ  PÈRE, 

En  passant  à  Colombo,  le  R.  P.  Augier  m'a  chargé  de 
vous  envoyer  le  récit  de  la  visite  de  notre  bien-aimé  pro- 
vicaire  à  travers  le  district  de  l'Akkareipattou.  Je  venais 
de  terminer  la  visite  des  chrétientés  de  la  Mission  de  Kal- 
pentyn  et  j'étais  rentré  à  Sainte-Anne  depuis  quelques 
jours  quand  je  reçus  du  R.  P.  Le  Gan  une  lettre  par 
laquelle  il  m'annonçait  que  le  R.  P.  Provicaire  et  le 
R.  P.  Supérieur  du  district  m'attendaient  à  Puttalam.Je 
m'y  rendis  aussitôt,  et  je  trouvais  lu  nos  supérieurs  dé- 
cidés à  entreprendre  la  visite  du  district  malgré  la  pluie, 
qui,  celte  année,  a  commencé  plus  tôt  que  d'habitude. 

T<    XXXV.  11 


—  ioO  — 

Ils  pensaient  finir  cette  visite  en  quelques  jours  ;  le 
R.  P.  Provicaire  avait  sis  jours  à  peine  à  nous  consa- 
crer. N'étant  jamais  venu  dans  ce  pays,  il  croyait,  sans 
cloute,  que  les  voyages  y  étaient  aussi  faciles  que  du 
côté  de  Colombo,  oii  le  chemin  de  fer  et  les  voitures  cir- 
culent dans  toutes  les  directions  ;  il  ne  devait  pas  attendre 
longtemps  avant  d'être  désabusé  de  ses  convictions. 
A  4  heures,  nous  nous  rendîmes  sur  le  bord  du  lac  pour 
prendre  le  bateau  qui  devait  nous  conduire  à  Étale.  Pen- 
dant deux  longues  heures,  nous  attendîmes  les  bateliers, 
qui  arrivèrent  enfin,  et  à  6  heures,  nous  mîmes  à  la 
voile.  Il  était  10  heures  du  soir  quand  nous  atteignîmes 
le  rivage  opposé  à  Putlalam,  et,  malgré  le  grand  nombre 
de  charrettes  qui  attendaient,  à  Étale,  l'arrivée  du  ba- 
teau, nous  n'en  pûmes  trouver  une  seule  pour  nous  con- 
duire à  Sainte-Anne.  Force  nous  fut  de  faire  la  route  à 
pied.  Le  R.  P.  Provicaire  et  le  R.  P.  Sergent,  dont  le 
climat  n'a  pas  encore  altéré  les  forces,  firent  le  trajet  en 
moins  dedeuxheures  et  arrivèrentà Sainte-Anne  dix  mi- 
nutes avant  minuit,  juste  à  temps  pour  prendre  une  bou- 
chée, tandis  que  votre  serviteur,  moins  leste,  ne  les 
rejoignait  qu'à  minuit  et  demi.  Le  lendemain  matin, 
après  avoir  dit  la  sainte  messe,  nous  nous  mîmes  en 
route  pour  Kalpentyn,  Un  bateau  nous  attendait  à  Pa- 
lakuda.  La  distance  est  de  10  milles  à  peine;  avec  un 
bon  vent  on  la  franchit  en  moins  de  deux  heures  ;  mais, 
ce  jour-là,  le  vent  se  mit  à  souffler  du  nord  ;  il  fallut 
tout  le  temps  aller  à  la  perche  en  côtoyant  le  lac,  et, 
après  avoir  été  rôtis  toute  la  journée  par  un  soleil  tro- 
pical, nous  arrivâmes  à  Kalpentyn  vers  les  9  heures  du 
soir.  Le  R.  P.  Provicaire  pensait  pouvoir  aller  visiter  de 
là  les  églises  de  Karativou;  mais,  en  apprenant  l'impos- 
sibilité absolue  de  nous  rendre  dans  cette  île,  qui  se 
trouve  à  plus  de  20  milles  de  Kalpentyn  dans  la  direction 


—  151  — 

de  Mannar,  il  renonça  à  son  projet  et  il  fut  décidé  que 
le  lendemain  nous  visiterions,  dans  la  matinée,  Dutch- 
Bay  et  Mutival,  réservant  l'après-midi  pour  Kandakuly. 
Le  même  bateau  qui  nous  avait  amenés  la  veille  devait 
nous  conduire  dans  la  baie  des  Hollandais.  Nous  par- 
tîmes de  bon  matin,  l'estomac  lesté  d'un  peu  de  café  noir, 
et  nous  arrivâmes  à  Dutch-Bay  à  1  heure  de  l'après- 
midi  ;  la  distance  est  de  5  milles  à  peine.  Après  avoir  vi- 
sité la  hutte  qui  sert  d'église  provisoire,  dit  quelques 
miots  aux  bons  Paravers  de  l'endroit  et  leur  avoir  promis 
une  école  et  des  secours  pour  bâtir  leur  église,  deux  fois 
enlevée  parla  mer,  nous  remontâmes  en  bateau  et  fîmes 
voile  pour  Mutival.  11  était  3  heures  quand  nous  y  abor- 
dâmes. L'église  visitée,  nous  nous  disposions  à  partir 
quand  on  vint  me  chercher  pour  administrer  les  der- 
niers sacrements  à  une  mourante,  à  2  milles  de  là.  Le 
R.  P.  Provicaire  et  le  R.  P.  Supérieur  continuèrent  leur 
route  sur  Kalpentynpar  mer,  pendant  que  je  courais  voir 
la  malade.  Us  arrivèrent  à  7  heures  du  soir.  Le  dîner, 
préparé  dès  le  malin,  avait  eu  le  temps  de  refroidir;  ils 
le  trouvèrent  cependant  excellent.  Une  heure  après, 
j'arrivais  éreinté  d'une  course  de  6  milles  à  travers  le 
sable  ;  la  faim  était  passée  ;  j'avais  plus  besoin  de  som- 
meil que  de  nourriture;  aussi  ne  me  fis-je  pas  prier  pour 
gagner  ma  chambre  et  m'étendre  sur  ma  natte.  Le  len- 
demain, dimanche,  le  P.  Provicaire  célébra  la  messe  de 
paroisse  pendant  que  j'adressais  quelques  paroles  à  mes 
chrétiens.  L'après-midi,  nous  retournâmes  à  Sainte-Anne, 
où  nous  arrivâmes  à  10  heures  du  soir;  nous  avions  été 
obligés  de  laisser  de  côté  Kandakuly,  l'une  des  seules 
chrétientés  de  ma  Mission  qui  possède  une  église  en 
pierre,  bâtie  il  y  a  une  vingtaine  d'années  par  M»'  MÉ- 

LIZAN. 

Le  lendemain,  nous  voulions  visiter  la  partie  sud  du 


—  152  — 

district,  pensant  faire  en  charrette  ù  bœufs  le  trajet  de 
Sainte-Anne  à  Étale  :  mais  nous  comptions  sans  nos 
bœufs  ;  pendant  la  nuit,  l'un  d'eux  avait  pris  la  clef  des 
champs  et  était  allé  faire  une  petite  promenade  de 
22  milles  à  Puttalam.  La  voiture  de  Saint-François  fut 
donc  de  nouveau  mise  en  réquisition  et  le  R.  P.  Provi- 
caire put  goûter  à  loisir  les  avantages  d'un  voyage  à 
pied  sur  le  sable  sous  un  soleil  brûlant.  Il  visita,  en  cou- 
rant, Saint-Antoine-des-Bois,  Palakuda,  Étale  et  Sam- 
boukoulans,  et,  vers  midi,  nous  nous  trouvions  de  nou- 
veau sur  le  bord  du  lac,  en  route  pour  Narakaly.  Nous 
arrivâmes  en  face  de  l'église  vers  les  3  heures  de  l'après- 
midi.  Mais,  comme  l'eau  était  basse,  le  bateau  ne  put 
approcher  du  rivage  et,  pendant  un  demi-mille  envi- 
ron, nous  eûmes  à  traverser,  dans  l'eau  et  la  boue  jus- 
qu'aux genoux.  A  Narakaly,  nous  nous  arrêtâmes  une 
demi-heure  environ,  le  temps  de  visiter  l'église  et  l'école 
et  de  préparer  une  charrette  à  bœufs,  qui  devait  nous 
conduire  à  Tétapalai.  A  peine  nous  étions-nous  remis 
en  route  que  la  pluie  se  mit  à  tomber  et  ne  cessa  plus 
jusqu'à  notre  arrivée  à  Tétapalai,  à  9  heures  du  soir. 
Nous  visitâmes  cependant,  eu  passant,  Manibury,  Na- 
valkadou  et  Tallouvai.  Le  soleil  se  couchait  au  mo- 
ment où  nous  quittions  cette  dernière  église;  il  fallut 
désormais  chercher  sa  route  dans  l'obscurité  ;  aussi  rien 
d'étonnant  que  nous  perdîmes  deux  fois  le  sentier  dans 
les  forêts  qui  avoisinent  Tétapalai.  Nous  y  arrivâmes 
enfin  et  trouvâmes  le  P.  Fendenheim,  qui  ne  nous  atten- 
dait guère,  surtout  à  cette  heure  et  par  un  temps  pareil. 
Le  U.  P.  Supérieur  et  moi  nous  nous  dispensâmes,  le 
lendemain,  d'accompagner  le  P.  Provicaire  à  Nallan- 
tallouvai,  chrétienté  située  à  4  ou  o  milles  de  Tétapalai, 
Partis  à  7  heures  du  matin,  à  pied,  les  RR.  PP.  Bell  et 
Fendenheim  tirent  cette  course  dans  la  matinée  et  ren- 


—  1S3  — 

trèrent  à  midi.  Tous  deux  étaient  tellement  fatigués  et 
brûlés  par  le  soleil,  que  nous  eûmes  peur  pendant  quel- 
que temps  qu'ils  n'eussent  attrapé  un  coup  de  soleil. 
Le  P.  Fendeî^ïïeim  surtout  en  fut  malade,  je  crois,  pen- 
dant plusieurs  jours.  Avis  aux  jeunes  missionnaires  et 
aux  supérieurs  nouvellement  nommés  de  ne  pas  tenter 
de  nouveau  cette  expérience.  A  3  heures,  nous  partîmes 
pour  aller  rejoindre  noire  bateau  au  pont  de  Palavi. 
Les  fortes  pluies  de  la  nuit  précédente  avaient  rompu 
le  pont  et  grossi  tellement  la  rivière  qu'il  était  impos- 
sible de  la  remonter  en  bateau.  Après  plusieurs  essais 
infructueux,  nous  dûmes  nous  résigner  à  faire  en  char- 
rette à  bœufs  le  trajet  de  Palavi  à  Moundel.  Mais  où 
trouver  une  charrette  et  des  bœufs  ?  Un  de  nos  domes- 
tiques partit  en  chercher  à  Ghetty-Ghena,  à  3  milles  de 
là.  En  attendant,  le  P.  Provicaire  et  le  P.  Sergent  par- 
tirent à  pied  pour  Madurankonly  oii  ils  m'attendraient 
pour  souper.  Je  restais  seul  avec  les  bagages  atten- 
dant la  charrette  qui  n'arriva  qu'à  1  heure  du  matin. 
A  3  heures  et  demie,  je  rejoignis  mes  compagnons  de 
voyage  à  Madurankonly.  Pendant  qu'ils  prenaient  le 
frugal  souper  que  je  leur  apportais,  je  m'étendis  sur 
ma  natte  et  cherchai  à  rattraper  le  sommeil  que  j'avais 
perdu  sur  la  route  de  Palavi. 

A  6  heures  du  matin,  nous  remontions  de  nouveau 
dans  notre  charrette  pour  continuer  notre  route  sur 
Moundel.  Vous  ignorez,  sans  doute,  ce  que  c'est  que  ces 
charrettes  dont  vous  avez  si  souvent  entendu  parler, 
mais  dont  je  n'ai  jamais  lu  la  description  dans  nos 
Annales.  N'allez  pas  vous  figurer  un  de  ces  lourds 
«  omnibus  »  qui  faisaient  le  service  de  ville  en  ville 
avant  l'invention  des  chemins  de  fer.  Encore  moins  une 
des  belles  calèches  ou  voitures  qui  parcourent  les  rues 
de  Paris.  Rien  de  plus  simple  que  la  charrette  à  bœufs 


—  loi  — 

de  Ceylan.  Deux  grandes  roues  supportant  trois  pièces 
de  bois,  dont  celle  du  milieu,  plus  longue  que  les  deux 
autres,  séparant  les  bœufs,  forment  la  base  de  cette  ma- 
chine patriarcale.  Quelques  planches  mal  jointes  for- 
ment le  tablier.  Une  barre  transversale  repose  sur  le 
cou  des  deux  bœufs  qu'on  dirige  au  moyen  d'une  corde 
passée  dans  les  narines.  La  charrette  est  recouverte  de 
feuilles  de  cocotier  fixée  à  des  bambous  recourbés;  cela 
ne  ressemble  pas  mal  à  un  immense  catafalque.  Cette 
charrette,  véritable  maison  roulante,  contient  souvent 
tout  ravoir  du  missionnaire  :  sa  malle,  ses  caisses,  ses 
ustensiles  de  cuisine  et  autres  bagages  tapissent  le  fond 
du  véhicule.  Le  tout  est  recouvert  de  paille  pour  les 
bœufs,  et  quand  il  peut  y  trouver  de  la  place  pour  lui- 
même,  le  missionnaire  se  hisse  comme  il  peut  dans  ce 
puits  horizontal. 

Heureusement,  dans  cette  visite,  notre  bagage  se  ré- 
duisait à  peu  de  chose.  Une  petite  cai:<se  contenant  les 
effets  du  P.  Provicaire,  deux  sacs  de  voyage  et  le  panier 
aux  provisions.  Nous  étions  donc  partis  de  Madurankuly 
à  6  heures  du  matin.  Nous  n'avions  pas  fait  200  mètres 
que  l'esse  de  l'essieu  se  brise.  Il  faut  la  remplacer,  cela 
nous  prend  une  demi-heure  d'arrêt.  Enfin,  nous  repar- 
tons à  6  h.  30.  Nous  avions  fait  environ  un  demi-mille 
quand  la  roue  cède;  impossible  d'aller  plus  loin.  Une 
heure  se  passe  à  chercher  une  autre  charrette.  On  en 
trouve  une  enfin  et  nous  voilà  repartis.  Au  troisièmemille, 
la  route  commence  à  devenir  mauvaise  ;  l'inondation  a 
emporté  le  gravier  et,  en  beaucoup  d'endroits,  la  route 
elle-même  a  disparu.  Un  peu  plus  loin,  l'eau  s'est  creusé 
un  ravin  de  plusieurs  rnètres  de  large;  il  faut  faire  un 
détour  assez  long  dans  les  rizières  pour  aller  reprendre 
la  roule.  Tout  le  pays  est  sous  eau;  on  dirait  une  vaste 
mer  qui  couvre  le  pays;  à  peine  quelques  cocotiers  et 


—  155  — 

de  rares  arbustes  montrent  leurs  têtes  au-dessus  de 
l'eau.  Trois  fois  nous  quittons  la  route  pour  tourner  les 
ravins  creusés  par  l'inondation.  Enfin  nous  arrivons,  au 
douzième  mille,  près  d'un  pon  tj  été  sur  un  torrent  qui  s'est 
changé  en  rivière  ;  le  pont  est  emporté,  et  les  coolies  du 
gouvernement  cherchent  à  rétablir  les  communications 
entre  les  deux  rives.  Grâce  à  eux,  notre  charrette  passe 
sans  encombre,  les  bœufs  traversant  à  la  nage  et  les 
coolies  transportant  notre  charrette  pièce  par  pièce  sur 
l'autre  rive.  Un  demi-mille  plus  loin,  ils  nous  rendent  le 
même  service,  un  autre  pont  se  trouvant  emporté.  EnQn, 
il  ne  nous  reste  plus  qu'un  ravin  à  traverser;  mais,  ce- 
lui-là, impossible  de  le  tourner;  il  faut,  coûte  que  coûte, 
le  prendre  de  front  au  risque  de  chavirer  dans  l'eau  et 
la  vase.  Les  bœufs  s'avancent  comme  à  regret  dans  ce 
torrent.  Le  conducteur  crie,  frappe,  les  pousse  du  pied, 
leur  froisse  la  queue,  rien  n'y  fait  ;  la  charrette  s'em- 
bourbe au  beau  milieu;  pendant  qu'un  bœuf  tire  à 
droite,  l'autre  se  lance  à  gauche.  Je  vois  le  moment  oili 
bœufs,  missionnaires,  charrette  et  bagages,  tout  va  être 
jeté  pêle-mêle  dans  le  ravin.  Heureusement  quelques 
braves  Cyngalais,  qui  se  trouvaient  là,  viennent  nous 
tirer  d'embarras  et,  après  bien  des  efforts,  nous  sortîmes 
tant  bien  que  mal  du  bourbier.  Il  était  midi  et  demi  ;  le 
soleil  dardait  ses  rayons  sur  nos  têtes  et  nos  estomacs 
criaient  famine.  Rnfm,  la  route  devient  meilleure  et  il 
ne  nous  reste  plus  que  3  milles  à  faire.  Nous  arriverons 
avant  2  heures  à  Moundel.  Pendant  que  nous  faisions 
ces  raisonnements,  l'un  de  nos  bœufs  se  couche  au  beau 
milieu  de  la  route;  il  trouvait  sans  doute  qu'il  en  avait 
assez  fait  pour  une  matinée.  Ni  coups,  ni  caresses,  rien 
ne  réussit  à  l'émouvoir.  Il  avait  pris  son  parti  de  rester 
là;  force  nous  fut  de  prendre  le  nôtre.  Le  bois  ne  man- 
quait pas  autour  de  nous;  bientôt  le  feu  pétilla  sur  le 


—  156  — 

bord  de  la  route  et  le  pot-au-riz  ne  tarda  pas  à  bouillir. 
La  chaleur  était  insupportable;  nous  ne  savions  où  nous 
réfugier  pour  échapper  à  ce  soleil  de  plomb  qu'aucun 
vent  ne  venait  tempérer.  Bientôt  la  popote  fut  prête  et 
nous  étions  à  la  déguster,  quand  tout  à  coup  le  vent 
d'ouest  se  leva,  le  tonnerre  se  mit  à  gronder  et,  en  moins 
d'une  demi-heure,  une  pluie  torrentielle  commença  à 
tomber.  Nos  bœufs,  rafraîchis  par  cette  ondée  inatten- 
due, ne  se  firent  pas  tirer  l'oreille  pour  se  remettre  en 
route  et,  à  3  heures  et  demie,  nous  arrivions  à  Moundel. 
Le  li.  P.  Provicaire  et  le  11.  P.  Sergent  visitèrent  l'église 
et  le  village  pendant  que  je  cherchais  un  bateau  pour 
traverser  le  lac.  Une  demi-heure  après,  nous  voguions  à 
pleine  voile  vers  Bambipatam,  oti  nous  arrivâmes  au  cou- 
cher du  soleil.  Inutile  de  vous  dire  que  la  conversation 
ne  fut  pas  longue  ce  soir-là.  Nos  prières  dites,  chacun 
s'étendit  sur  sa  natte,  et,  très  peu  de  temps  après,  le 
silence  n'était  plus  rompu  que  par  les  rontlements  des 
voyageurs  épuisés  et  éreintés. 

De  grand  matin,  nous  reprîmes  le  bateau  pour  aller 
visiter  Kaltaikadou.  De  là  le  R.P.  Provicaire  voulut  aller 
voir  l'église  Saint-Pierre,  à  2  milles  de  Kattaikadou.  Ce 
n'était  pas  chose  facile;  le  pays  entier  était  sous  eau,  les 
routes  avaient  disparu,  l'endroit  où  se  trouvait  le  village 
n'était  indiqué  que  par  un  bouquet  d'arbres  dont  les 
têtes  s'élevaient  un  peu  plus  haut  que  celles  des  arbustes 
assez  clairsemés  dans  la  campagne  inondée.  La  difficulté 
ne  devait  pas  arrêter  notre  vaillant  provicaire.  Portant 
ses  bottes  à  son  cou,  il  marchait  en  tête  de  la  caravane, 
suivi  à  distance  par  le  R.  P.  Sergent,  tandis  que  moi- 
même  j'admirais  de  loin  leur  dextérité  à  patauger  dans 
l'eau  et  la  vase  jusqu'aux  genoux.  Sûrement,  mon  très 
révérend  Père,  vous  auriez  rencontré  le  R.  P.  Bell  dans 
ce  curieux  accoutrement,  que  jamais  vous  ne  l'auriez 


~  157  — 

pris  pour  l'administrateur  de  l'archidiocèse  de  Colombo  ; 
vous  vous  seriez  plutôt  cru  en  présence  de  quelque  bri- 
gand calabrais  à  la  recherche  de  butin,  ou  d'un  bandit 
corse  poursuivi  parles  gendarmes.  EnQn,il  put  se  vanter 
d'avoir  vu  l'église  de  Saint-Pierre,  une  misérable  hutte 
dont  la  construction  n'a  pas  dépassé  50  francs,  mais 
qu'il  trouva  charmante  en  comparaison  des  taudis  qui 
servent  d'églises  à  Dotch-Bay^  Étale  et  ailleurs. 

A  2  heures  de  l'après-midi,  nous  étions  de  retour  à 
Bambipatam.  A  (3  heures  du  soir,  nous  nous  rendîmes  à 
Oudappou,  dernier  village  de  l'Akkaraipatlou,  où  nous 
passâmes  la  nuit.  Le  lendemain  matin,  nous  nous  sépa- 
râmes pour  rentrer,  les  RR.  PP.  Bell  et  Sergent,  à 
Chilou,  et  moi-même  à  Sainte-Anne.  Le  courant  m'étant 
favorable,  je  suivis  la  rivière  jusqu'au  lac  de  Puttalam, 
et  j'arrivais  le  lendemain,  à  7  heures  du  matin,  à  Pala- 
kouda,  d'oii  j'eus  hâte  de  rentrer  à  Sainte-Anne.  Le 
R.  P.  Provicaire  continua  sa  visite  à  travers  le  district 
de  Kurunegala,  où  il  rencontra,  paraît-il,  bien  d'autres 
accidents  du  genre  de  ceux  rapportés  plus  haut.  Une 
plume  plus  habile  que  la  mienne  en  écrira  sans  doute  le 
récit  pour  nos  Petites  Annales. 

En  terminant,  mon  très  révérend  Père,  permettez- 
moi  de  vous  olfrir,  avec  mes  vœux  et  souhaits  d'une 
bonne  année,  l'hommage  d'un  cœur  qui  vous  est  tout 
dévoué. 

Votre  enfant  en  J.  et  M.  \. 

Ch,  Massiet,  0,  M.  î. 


—  158  — 

PROVINCE  DU  CANADA. 

JUNIORAT   DU   SACRÉ-CŒUR,    OTTAWA. 

lettre  du  r.  p.  harxois,  directeur,  au  r.  p.  ca.ssien  augier. 

Très  révérend  et  bien-aimé  Père, 
Je  sais  que  jesuisenretard  pour  mon  rapport  du  junio- 
rat.  Je  sais,  en  même  temps,  que  je  vous  contrarie  un 
peu,  puisque  votre  plus  grand  désir  doit  être  de  connaître 
en  détail  l'état  des  différents  juniorats  confiés  à  votre 
sollicitude.  Cependant,  je  dois  vous  dire  que  c'est  bien 
là,  à  moi  aussi,  tout  mon  désir.  D'abord,  pour  la  propre 
satisfaction  d'un  devoir  accompli,  puisque  l'obéissance 
m'a  imposé  celte  charge,  et,  de  plus,  pour  répondre  à 
un  besoin  de  mon  cœur.  Un  Père  n"aime-t-il  pas  à  parier 
de  ses  enfants!  à  faire  connaître  leurs  travaux,  leurs 
progrès,  leurs  dispositions  de  l'esprit  et  du  cœur  !  Mais, 
comme  le  temps  des  vacances  n'est  pas,  pour  un  direc- 
teur de  juniorat,  un  temps  de  repos,  mais  bien  celui  d'un 
plus  grand  labeur,  puisqu'il  exige  une  plus  grande  sur- 
veillance et  une  plus  grande  sollicitude  de  sa  part,  j'ai  dtî 
remettre  forcément  jusqu'à  aujourd'hui  l'accomplisse- 
ment de  ce  devoir. 

Mais,  mon  très  révérend  Père,  pour  vous  dédommager 
de  ce  retard,  tout  en  vous  parlant  de  l'état  actuel  de 
notre  juniorat  du  Sacré-Cœur,  je  me  propose,  avec  l'aide 
du  travail  déjà  fait  par  le  R.  P.  Brault,  de  vous  donner 
l'historique  du  juniorat  du  Canada,  depuis  sa  première 
création  au  noviciat  de  Notre-Dame  des  Anges,  en  1871, 
jusqu'à  aujourd'hui. 

Le  juniorat  du  Canada  eut  un  bien  humble  commen- 
cement et  passa  par  une  longue  série  d'épreuves  avant 
d'entrer  dans  la  voie  du  progrès  où  nous  le  voyons  au- 


—  <S9  — 

jourd'hui.  Il  a  été  grain  de  sénevé;  puisse-t-il  devenir  un 
grand  arbre,  comme  tant  de  ces  œuvres  sorties  pour  ainsi 
dire  du  néant,  qui  se  développent  et  grandissent  d'une 
manière  admirable  sous  la  bénédiction  de  i'Ësprit-Saint 
qui  les  a  inspirées  ! 

En  1871,  le  R.  P.  Vanderberghe,  d'heureuse  mémoire, 
étant  alors  provincial,  et  le  R.  P.  Lebret,  maître  des 
novices,  un  jeune  homme,  Jérémie  Kieran,  fut  admis 
dans  la  maison  du  noviciat  de  Notre-Dame  des  Anges, 
à  Lachine,  pour  y  commencer  ses  études  classiques.  Il 
y  fut  bientôt  suivi  par  quelques  jeunes  gens  qui  n'imitè- 
rent pas  tous  sa  persévérance. 

Le  juniorat.  confié  d'abord  à  la  direction  du  R.  P.  Le- 
MOiNE,  puis  à  celle  du  R.  P.  AMY0T,se  maintint  à  Lachine 
jusqu'au  mois  de  septembre  !876,  où  il  fut  transféré  au 
collège  d'Ottawa.  La  difficulté  de  diriger  deux  commu- 
nautés dans  une  même  maison,  jointe  à  l'embarras  de 
trouver  un  personnel  de  professeurs  suffisant,  décida  les 
supérieurs  ;\  envoyer  leurs  jeunes  élèves  suivre  les  cours 
du  collège  d'Ottawa.  Au  reste,  ce  dernier  établissement 
venant  d'être  agrandi  notablement,  offrait  un  local  assez 
spacieux  pour  l'installation  des  junioristes.  On  a'recta  à 
cette  fin  le  quatrième  étage  de  ce  qui  est  maintenant 
l'aile  centrale  de  l'Université.  Nos  junioristes  avaient  là 
leur  oratoire,  leur  salle  d'étude,  leur  salle  de  récréation 
et  leur  dortoir.  Au  même  étage  était  aussi  la  chambre 
de  leur  directeur.  Une  petite  salle  du  soubassement  leur 
servait  de  réfectoire. 

Le  juniorat  de  Lachine,  malgré  son  peu  d'importance 
apparente  et  sa  courte  durée,  produisit  cependant  quel- 
ques fruits,  à  savoir  :  les  FF.  Kieran  et  Croquet,  morts 
tous  deux  Oblats  profès;  les  RFl.  PP.  Despatis,  Émery, 
Paouette(M.),Brault,  :v!agnan  (Jos.),  Desmarais,  Jeston 
et  Lemoine  (George).   Les  trois  derniers  allèrent  finir 


—  160  — 

leurs  classiques  à  Ottawa.  Arrivés  à  la  capitale,  les  junio- 
ristes  eurent  pour  premier  directeur  le  R.  P.  Ph.  Pro- 
vosT,qui  fut  maintenu  dans  sacharge  pendant  une  année. 
En  septembre  1877,  il  fut  nommé  procureur  du  collège 
à  la  place  du  R.  P.  Harnois,  qui  devint  à  son  tour  direc- 
teur du  juniorat.  Le  R.P.  Harnois  garda  la  direction  des 
junioristes  jusqu'en  188ÎÎ,  où  il  fut  envoyé  à  la  desserte 
de  l'église  de  Huit  et  remplacé  par  le  R.  P.  Van-Laar. 
Disons,  en  passant,  que  les  junioristes  actuels  doivent 
presque  tous  les  volumes  qui  forment  leur  bibliothèque, 
environ  900,  à  la  première  administration  du  R.  P.  Har- 
nois. 

En  1883,  la  direction  du  juniorat  passa,  pour  trois  ans, 
des  mains  du  R.  P.  Van  Laar,  nommé  procureur  du 
nouveau  scolasticat,  aux  mains  du  R.  P.  Dontenville. 

En  1888,  les  junioristes,  réduits  à  un  petit  nombre, 
quittèrent  le  local  qu'ils  avaient  occupé  dans  le  collège; 
ils  cessèrent  d'avoir  leur  règlement  particulier  et  furent 
entièrement  confondus  avec  les  élèves. 

Le  juniorat,  installé  de  1876  à  1888,  a  fourni  à  la  Con- 
grégation un  certain  nombre  de  sujets  dont  voici  les 
noms  :  les  RR.  PP.  Lepage,  Gervais,  Gauvreau,  Naes- 
SENs,  DE  Vriendt,  Lemoine,  Burns,  Smith,  Paradis  (Char- 
les), Reynolds,  Lajeunesse,  Charlebois  (Charles),  Comeau 

et  GUNNINGHAM. 

On  le  voit,  Tœuvre  n'avait  pas  été  stérile,  toutefois,  le 
nombre  de  ses  fruits  ne  répondait  pas  à  l'attente  que  l'on 
avait  eue,  ou  aux  immenses  sacrifices  que  la  province 
s'était  imposés.  Le  contact  trop  immédiat,  et  cependant 
nécessaire  avec  les  élèves,  avait  pour  effet  de  détruire 
chez  un  grand  nombre  de  nos  junioristes  cet  esprit  de 
famille  qui  doit  les  animer  et  peut  seul  donner  des  ga- 
ranties de  leur  persévérance.  Douze  années  d'essai 
avaient  été  plus  que  suffisantes  pour  démontrer  le  vice 


~  161     - 

de  la  situation  ;  le  besoin  d'un  changement  devenait  ur- 
gent. C'est  pourquoi,  en  attendant  un  meilleur  état  de 
chose,  lejuniorat  fut  pratiquement  aboli  en  1888. 

Cependant,  soit  chez  les  supérieurs,  soit  chez  les  autres 
membres  de  la  Congrégation  en  cette  province,  on  nour- 
rissait le  désir  et  l'espoir  de  voir  bientôt  surgir  sur  des 
bases  solides  une  maison  où  de  jeunes  aspirants  Oblats 
pourraient  se  préparer  au  noviciat.  A  cette  fin,  on  jeta 
en  1889,  sur  les  bords  du  lac  Saint-Jean,  les  fondements 
d'un  établissement  suffisamment  spacieux  pour  recevoir 
une  cinquantaine  de  junioristes.  Cette  maison,  bâtie  en 
grande  partie  aux  frais  des  missionnaires  de  Betsiamits, 
fut  à  peu  près  terminée.  Elle  fut  construite  avec  goût  et 
économie.  Le  R.  P.  Laporte  en  fut  l'architecte,  et  il  en 
dirigea  les  travaux  aidé  du  F.  Tremblay. 

Cependant  un  obstacle  tout  à  fait  inattendu  nous  em- 
pêcha d'ouvrir  à  nos  junioristes  ce  nouvel  établissement. 
Il  faut,  au  moins  pour  le  présent,  renoncer  au  juniorat 
ou  aviser  aux  moyens  de  Tinstaller  ailleurs  qu'au  lac 
Saint- Jean. 

Dans  ces  circonstances,  nos  supérieurs  décident  de 
mettre  à  la  disposition  des  junioristes  une  maison  d'assez 
vastes  proportions,  que  la  Congrégation  possède  à  quel- 
ques pas  de  l'Université.  Cette  mesure  fut  prise,  à  titre 
d'essai,  parle  R.  P.  Martinet,  second  assistant  de  notre 
T.  R.  P.  Supérieur  général,  au  cours  de  sa  visite  dans 
notre  province.  Sous  le  nouveau  régime,  les  junioristes 
suivront  les  cours  à  l'Université  jusqu'à  la  cinquième 
forme  inclusivement,  et  n'auront  de  relation  avec  les 
élèves  que  pendant  les  classes. 

Après  certains  travaux  faits  à  la  maison  pour  la  mettre 
en  état  de  répondre  aux  besoins  de  la  petite  communauté 
qu'elle  allait  abriter,  le  R.  P.  Martinet  fit  l'ouverture 
officielle  du  nouveau  juniorat,  le  troisième  jour  de  sep- 


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tembre  de  l'année  1891,  en  la  i'èie  de  Notre-Dame  du 
Boa-Pasteur.  Le  H.  P.  Visiteur  en  a  lui-même  consigné 
l'acte  dans  le  livre  d'inscription  des  messes,  dans  les  ter- 
mes suivants  :  «  In  hoc  die  festo  B.  M.  V.  I.  MatrisDivini 
Pastoris,  tertio  nempe  seplembris,  conventualem  missam 
prima  vice  celebravi  in  bac  domo  junioratus  noviter  ins- 
tituti  et  a  Sanctissimo  Corde  Jesu  nuncupati,  ut  ab  eo 
dignetur  Dominus  arcere  mala  qucBcumque  et  cuncla 
bona  super  eura  infundere.  A.  Martinet,  o.  m.  i.,  sex  et 
quadraginta  annorum  juniorisla,  assistons  Superioris 
generalis  et  provinciae  hujus  visitator.  » 

Le  personnel  du  juniorat  se  composait  dès  lors  du 
R.  P.  Harxois,  directeur  et  curé  de  la  paroisse  du  Sacré- 
Cœur,  du  R.  P.  Vaillancourt,  professeur  à  l'Université 
et  répétiteur  des  junioristes,  et  du  R.  P.  Contlée,  profes- 
seuràl'UniversiLéet  vicaire  de  la  paroisse  du  Sacré-Cœur  ; 
enfin  des  FF.  convers  Tremblay  et  Pelletier. 

En  septembre  1891,  douze  junioristes,  qui  devaient 
être  comme  douze  apôtres,  se  joignirent  à  la  petite  com- 
munauté, dans  ce  juniorat  improvisé,  et  furent  prêts  à 
commencer  leurs  études  dès  l'ouverture  des  cours  à 
l'Université. 

Voilà  donc  la  nouvelle  petite  communauté  formée, 
organisée,  en  pleine  fonction,  et  vivant  de  sa  vie  de  priè- 
res et  d'étude.  Va-t-elle  bien  marcher?  Va-t-elle,  sous 
l'action  du  Sacré-Cœur  de  Jésus,  progresser,  devenir  un 
arbre  puissant  portant  des  fruits  abondants  ?  C'est  ce  que 
chacun  se  demande.  Les  déceptions  rendent  sage  et  pru- 
dent. Si  l'épreuve  réussit,  il  est  évident  qu'il  faudra  un 
établissement  plus  spacieux  pour  nos  junioristes,  puis- 
que la  maison  qu'ils  habitent  en  ce  moment^  ne  peut 
accommoder  convenablement  qu'une  trentaine  d'enfants. 
Le  succès  répondit  à  l'attente.  Car  à  peine  notre  junio- 
rat eut-il  l'avantage  d'être  connu,  au  moyen  de  nos  cir- 


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culaires  et  de  notre  Bannière,  que  déjà  des  demandes 
d'admission  nous  venaient  de  toutes  parts.  Un  petit  ta- 
bleau vous  montrera  l'accroissement  rapide  de  l'œuvre 
du  juniorat. 

En  septembre  1891 12  junioristes. 

—  1892 18    — 

—  1893 30    — 

—  1894 44 

—  1895 63    — 

—  1896 .,  80     — 

Dès  septembre  1893,  voyant  le  nombre  des  junioristes 
augmenter  chaque  année,  le  R.  P.  Provincial  se  décide 
à  construire  le  nouveau  juniorat.  Et  le  23  octobre,  la 
tâche  en  fut  donnée  à  M.  Joseph  Bonrque,  de  HuU.  Mais 
la  saison  était  déjà  très  avancée,  il  n'y  avait  pas  de  temps 
à  perdre.  C'est  pourquoi  le  2  novembre,  le  R.  P.  Supé- 
rieur ayant  béni  la  première  pierre,  le  constructeur 
commença  dès  ce  jour  le  travail  des  fondations.  Les  tra- 
vaux furent  poursuivis  avec  une  telle  vigueur,  que  le 
20  du  même  mois,  elles  étaient  terminées.  Dès  le  prin- 
temps suivant,  à  la  fin  de  mars,  les  travaux  de  construc- 
tion furent  repris  avec  activité.  Confiés  à  d'habiles  ou- 
vriers, sous  la  direction  de  M.  Joseph  Bourque,  l'œuvre 
faisait  chaque  jour  des  progrès  rapides. 

D'après  les  clauses  du  contrat,  la  nouvelle  bâtisse  de- 
vait être  livrée  au  commencement  de  décembre  1894. 
Mais  des  retards  imprévus  n'ont  pu  permettre  au  cons- 
tructeur de  nous  la  livrer  qu'au  commencement  de 
janvier  1895. 

Quelle  nouvelle  agréable  pour  nos  junioristes,  lorsque 
le  jour  de  l'an  1895,  on  leur  annonce  que  le  surlende- 
main et  les  jours  suivants  on  ferait  le  déménagement.  Un 
cri  de  joie  s'échappe  de  toutes  les  poitrines  :  «  (Juittons, 
quittons  enfin,  ce  niorat,  et  allons  habiter  notre  beau 


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juniorat.  »  Le  3,  immédiatement  après  le  déjeuner,  le 
signal  du  travail  est  à  peine  donné,  qu'on  fait  main  basse 
sur  tout,  et  l'on  s'en  charge  gaiement  les  épaules  sans  en 
considérer  le  poids.  Aussi  le  4  au  soir,  nous  étions  déjà 
installés  dans  notre  nouveau  j  uniorat,  et  nous  y  prenions 
notre  premier  repas.  Quel  bonheur  pour  tous  1  Nous  nous 
croyions  dans  un  petit  paradis,  tous  nous  nous  trouvions 
heureux  et  contents  ! 

Mais  cette  joie  des  cœurs  fut  troublée  pendant  quel- 
ques jours,  et  fit  place  à  l'anxiété.  Le  R.  P.  Supérieur, 
indisposé  le  vendredi  et  le  samedi,  se  crut  assez  bien  pour 
pouvoir  dire  la  première  messe  dans  la  chapelle  du  nou- 
veau juniorat.  Après  en  avoir  fait  la  bénédiction,  il  com- 
mence la  sainte  messe,  mais  ses  forces  le  trahissent  ;  il 
ne  peut  achever.  Rendu  au  Pater,  on  dut  le  transporter, 
sans  connaissance,  dans  une  chambre  voisine.  Et  deux 
jours  après,  il  partait  pour  l'hôpital  avec  les  symptômes 
d'une  maladie  très  grave.  Mais  en  quittant  le  juniorat, 
il  y  laissait,  il  en  était  convaincu,  des  enfants  qui  devaient 
faire  violence  au  ciel  en  faveur  de  leur  Père.  Aussi,  leurs 
prières  furent-elles  entendues  et  exaucées  par  le  Sacré- 
Cœur  de  Jésus.  Car,  dès  le  lendemain,  chose  qui  ne  s'ex- 
plique pas  naturellement,  tous  symptômes  de  maladie 
avaient  complètement  disparu  ;  il  était  en  pleine  conva- 
lescence. A  la  vue  d'un  fait  si  étonnant,  il  s'empresse  de 
remercier  le  Bon  Dieu  d'une  si  grande  faveur.  Après  un 
repos  de  huit  jours,  il  était  de  nouveau  au  milieu  de  ses 
enfants,  disposé  plus  que  jamais  à  travailler  à  leur  for- 
mation morale  et  intellectuelle. 

Mais  ce  beau  juniorat  n'était  pas  encore  béni.  Cet  éta- 
blissement, destiné  à  abriter  un  essaim  de  jeunes  mis- 
sionnaires, des  enfants  privilégiés  du  Sacré-Cœur  de  Jésus, 
demandait  une  bénédiction  toute  spéciale.  Aussi, 
S.  Gr.  M°'  l'archevêque  Duhamel,  sur  l'invitation  qui  lui 


—  165  — 

en  a  été  faite,  a  bien  voulu  bénir  notre  juniorat  de  la 
manière  la  plus  solennelle.  C'est  le  i6  janvier  qu'elle  eut 
lieu. 

Il  est  5  heures  du  matin.  Les  junioristes  se  lèvent 
joyeux.  Ils  ont  revêtu  leurs  habits  de  fête,  et  bientôt 
nous  les  voyons  pieusement  agenouillés  dans  leur  cha- 
pelle, offrant  à  Dieu  ce  jour,  offrant  à  Dieu  cette  maison, 
afin  d'attirer  sur  elle  et  sur  leurs  personnes  les  grâces 
les  plus  précieuses. 

A  7  heures,  Sa  Grandeur  fait  son  entrée  et  commence 
aussitôt  la  célébration  du  saint  sacrifice.  La  messe  ! 
C'est  Jésus  qui  s'immole  pour  attirer  les  regards  de  son 
Père  sur  le  monde,  sur  l'Église,  sur  celte  œuvre  du  ju- 
niorat. Les  enfants,  de  leur  côté,  disent  leur  bonheur 
de  se  trouver  dans  cette  sainte  maison,  où  ils  vivent 
sous  la  protection  maternelle  de  Marie  : 

J'ai  voué  mes  jours  à  Marie, 
J'ai  de  son  cœur  goûté  l'appât  ; 
Mon  bonheur  est  digne  d'envie  : 
Je  suis  l'enfant  du  juniorat. 

La  messe  !  C'est  Jésus  qui  réclame  à  jamais  nos  cœurs  ! 
Les  aspirants  missionnaires  le  comprennent  et  ils  s'é- 
crient : 

La  soif  qui  vous  tourmente, 
Jésus,  mon  doux  sauveur, 
Oh!  c'est  la  soif  briîlante 
De  posséder  mon  cœur  ! 

Le  saint  sacrifice  s'achève.  Les  bénédictions  du  ciel 
sont  déjà  descendues  nombreuses  sur  cette  maison.  La 
journée  est  bien  commencée. 

Vers  H  heures,  tous  les  invités  arrivent,  heureux  de 
prendre  part  à  cette  fête  de  famille.  La  cérémonie  de  la 
bénédiction  commence.  On  se  rend  tous  à  la  chapelle, 
aux  pieds  de  Jésus-Hostie.  Il  est  là,  ce  Cœur  Sacré,  pour 

T.    XXXV.  12 


-  166  — 

écouter  nos  prières  suppliantes  et  les  exaucer.  Sa  Gran- 
deur, accompagnée  du  R.  P.  Provincial  et  de  M.  le  cha- 
noine Campeau,  récite  les  prières  marquées  dans  le  Ri- 
tuel pour  la  circonstance;  puis  la  procession  se  déroule 
dans  les  larges  corridors  de  la  maison.  On  se  rend  d'abord 
à  la  porte  d'entrée  :  Miserere  mei,lJeusf  La  voix  des  en- 
fants, la  voix  des  prêtres,  la  voix  de  notre  archevêque, 
s'élèvent  vers  le  ciel  :  «  Ayez  pitié  de  nous,  selon  votre 
grande  miséricorde  !  Vous  m'arroserez  avec  l'hysope,  et 
je  serai  purifié  ;  vous  me  laverez,  et  je  deviendrai  plus 
blanc  que  la  neige  !  Créez  en  moi,  ô  mon  Dieu,  un  cœur 
pur  1  H  Autant  de  prières  qui  avaient  leurs  applications 
propres  pour  nos  chers  enfants,  et  nous  le  demandions 
avec  ferveur  au  bon  Dieu. 

De  la  porte  d'entrée,  la  procession  circule  dans  les 
diflerentes  parties  du  vaste  édifice,  et  Monseigneur  bénit, 
sur  son  passage,  chacun  des  appartements  :  la  salle 
d'étude,  le  sanctuaire  du  travail;  l'infirmerie,  le  sanc- 
tuaire de  la  patience  et  de  la  résignation  ;  les  chambres 
du  R.  P.  Supérieur  et  des  RR.  PP.  Professeurs.  Au  der- 
nier étage  se  trouve  le  dortoir  aux  vastes  proportions, 
où,  après  les  labeurs  du  jour,  les  junioristes  goûtent  un 
repos  bien  mérité. 

Tandis  que  Sa  Grandeur  fait  descendre  les  bénédic- 
tions du  ciel,  les  chants  liturgiques  continuent  à  reten- 
tir ;  c'est  le  moment  solennel  :  «  Daignez,  Seigneur,  par 
la  main  de  votre  représentant,  bénir  ces  murs  qui  vont 
nous  abriter.  Éloignez-en  Tange  mauvais  et  toutes  ses 
embûches!  Que  vos  saints  anges  y  résident  avec  nous, 
afin  de  nous  protéger  !  »  Le  cortège  reprend  sa  marche. 
Nous  voici  de  nouveau  au  pied  des  autels.  Nous  n'avons 
plus  qu'une  chose  à  demander  à  notre  Dieu.  Qu'il  nous 
l'accorde,  et  notre  joie  sera  complète  1  Unissons  nos  voix 
à  celle  de  notre  pasteur,  et  prions. 


—  167  — 

«  Seigneur,  qui  avez  dit  :  «  Laissez  venir  à  moi  les 
«  petits  enfants,  »  étendez  vos  mains  bienfaisantes  sur 
cette  jeune  Congrégation  prosternée  à  vos  pieds.  Gar- 
dez-la, protégez-la,  préservez-la  de  tout  mal  et  donnez- 
lui  d'être  à  vous  de  la  manière  la  plus  parfaite  1  » 

La  cérémonie  est  terminée.  11  ne  reste  plus  qu'à  remer- 
cier Sa  Grandeur  d'avoir  bien  voulu  bénir  elle-même 
cette  maison  et  ses  habitants.  C'est  ce  que  fait  un  junio- 
riste,  par  la  lecture  d'une  adresse  où  il  exprime  les  sen- 
timents de  ses  condisciples  et  de  ses  maîtres. 

Monseigneur  y  répond  en  des  termes  tout  paternels, 
qui  ont  trouvé  le  chemin  des  cœurs  :  «  Vous  ne  vous 
êtes  pas  trompés,  mes  chers  enfants,  en  disant  que  j'éten- 
dais ma  sollicitude  et  mon  affection  à  toutes  les  familles 
religieuses  de  mon  diocèse.  Il  me  semble  qu'un  évêque 
doit  être,  au  milieu  de  ses  collaborateurs,  comme  un 
père  au  milieu  de  la  famille  que  Dieu  lui  a  confiée. 
Aimer  ses  enfants,  leur  procurer  le  bien-être,  voilà  ce 
que  la  nature  inspire  au  père.  Aimer  ses  collaborateurs, 
religieux  et  prêtres  séculiers,  leur  procurer  tout  le  bien- 
être  qui  est  en  son  pouvoir,  voilà  ce  que  la  grâce  inspire 
à  l'évêque.  » 

Par  ces  quelques  paroles,  S.  Gr.  M*'  Duhamel  nous 
fait  bien  connaître  quels  sont  ses  sentiments  pour  nous, 
les  Oblats,  et  pour  nos  œuvres.  Nous  pouvons  le  dire  en 
toute  vérité,  Sa  Grandeur  n'est  pas  seulement,  pour  nous, 
un  ami  dévoué,  mais  un  père.  Et  les  quelques  paroles 
qu'il  adresse  directement  à  nos  junioristes  sont  une 
preuve  qu'il  aime,  d'un  amour  paternel,  notre  œuvre  du 
juniorat. 

«  Répondez,  mes  chers  enfants,  leur  dit-il,  aux  légi- 
times attentes  de  vos  maîtres,  et  vous  deviendrez  des 
missionnaires  capables  de  faire  un  grand  bien  autour 
de  vous.  Je  ne  puis  que  vous  encourager  à  entrer  dans 


—  168  — 

cette  Congrégation  qui  vient  de  vous  construire  cette 
belle  maison.  Donnez-vous  à  cette  famille  religieuse,  je 
n'y  perdrai  rien,  alors  même  qu'il  y  en  aurait  parmi 
vous  plusieurs  de  mon  diocèse;  car  je  sais  par  expé- 
rience que,  pour  un  que  je  laisse  partir,  j'en  reçois 
deux.  » 

Cette  belle  fête,  qui  laissera  de  profonds  souvenirs 
dans  le  cœur  de  nos  junioristes,  se  termina  par  le  dîner 
dans  notre  vaste  réfectoire  décoré  avec  goût  pour  la 
circonstance.  Quel  beau  spectacle  de  voir  ces  quatre- 
vingt-dix  convives  :  missionnaires  Oblats,  prêtres  sécu- 
liers, junioristes,  réunis  dans  une  cordialité  toute  fra- 
ternelle, sous  la  présidence  de  M^''  l'archevêque  !  Quelle 
charmante  réunion!  Les  junioristes  d'aujourd'hui  ne 
sont  encore  que  des  enfants,  mais  demain,  ils  seront 
Oblats  ;  demain,  ils  partageront  les  travaux  de  leurs 
Frères,  ils  aideront  les  prêtres  séculiers  dans  la  pour- 
suite d'un  but  unique,  le  salut  des  âmes.  L'illustre  chef 
de  l'Église,  le  fondateur  de  la  Congrégation  des  Oblats, 
dont  vous  apercevez  les  portraits,  semblent  contempler 
avec  bonheur  cette  réunion  de  prêtres,  de  religieux, 
d'aspirants  missionnaires.  Qu'ils  daignent  inspirer  à  cha- 
cun de  nous  leur  amour  pour  Dieu  et  pour  les  âmes  ! 

La  fête  terminée,  nous  avions  à  compléter  l'organisa- 
tion du  juniorat,  en  y  établissant  une  discipline  plus 
régulière  et  plus  suivie.  Aucune  raison  ne  pouvait  alors 
s'y  opposer;  nous  avions  à  notre  disposition  la  grandeur 
du  local,  et  toutes  les  divisions  exigées  pour  le  besoin 
de  l'œuvre.  Aussi,  ce  fut  sans  effort,  vu  les  heureuses 
dispositions  de  nos  enfants,  que  nous  pûmes  faire  accep- 
ter les  différents  règlements  qui  assurent  le  bon  fonc- 
tionnement et,  par  conséquent,  la  prospérité  d'une 
œuvre. 

J'ai  dit  qu'en  septembre  1894,  nous  avions  reçu  qua- 


—  169  — 

rante-cinq  jimioristes.  Nous  savions,  à  l'avance,  qu'en 
recevant  un  si  grand  nombre  d'enfants,  nous  serions  à 
l'étroit,  gênés  même  dans  notre  jimiorat  improvisé,  et 
que  nous  serions  obligés  de  sacrifier  notre  chapelle  in- 
térieure. Mais  comme  la  bonne  discipline  et  la  santé  de 
nos  junioristes  nous  demandaient  ce  grand  sacrifice, 
nous  n'hésitâmes  pas  un  instant.  La  chapelle  est  aussi- 
tôt convertie  en  dortoir,  et  la  chambre  d'un  révérend 
Père  en  salle  d'étude.  Nous  dûmes  marcher  ainsi  jus- 
qu'au jour  où  nous  entrâmes  dans  notre  nouvelle  bâ- 
tisse. Pour  nous  consoler  du  départ  du  bon  Jésus  de 
notre  maison,  nous  allions  tous  les  jours  à  notre  église 
du  Sacré-Cœur  :  le  matin,  pour  y  faire  notre  méditation 
et  y  dire  la  sainte  messe,  et  le  soir,  pour  y  faire  notre 
prière  et  notre  visite  au  Très  Saint  Sacrement.  Ces  visites 
à  l'église  nous  donnaient  occasion  de  voir,  deux  fois  par 
jour,  notre  nouveau  juniorat;  et  nous  nous  consolions 
par  la  pensée  que  nous  serions  amplement  récompensés 
du  sacrifice  que  nous  nous  imposions,  lorsque  nous  l'ha- 
biterions. 

-La  semence  des  vocations  était  jetée  au  loin  par  notre 
Bannière  et  notre  prospectus,  elle  ne  devait  pas  tarder 
de  produire  d'abondants  fruits.  Aussi,  dès  le  mois  de 
septembre  1894,  à  raison  de  la  petitesse  du  local,  nous 
avions  été  obligés  de  remettre  à  plus  tard  tous  les  aspi- 
rants. Et  les  mois  de  février  et  mars  nous  amenaient 
seize  nouveaux  junioristes,  tous  désireux  de  devenir  des 
Oblats  de  Marie  Immaculée. 

Mais  le  progrès  ne  devait  pas  s'arrêter  là.  Le  juniorat 
est  l'œuvre  de  la  province;  et  tous  le  comprennent.  Les 
révérends  Pères  de  chaque  maison  travaillent  avec  nous 
et  pour  nous.  Dans  les  écoles,  sous  leur  contrôle,  on 
prépare,  pour  le  juniorat,  les  enfants  qui  montrent,  par 
leur  intelligence,  leur  piété  et  leurs  vertus,  d'heureuses 


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dispositions  pour  devenir,  plus  tard,  des  religieux  Oblats 
de  Marie  Immaculée.  Un  bon  nombre  de  ces  enfants 
nous  ont  été  envoyés  par  nos  maisons  de  Montréal,  de 
Québec  et  de  Hull.  Nous  nous  faisons  un  devoir  de  les 
remercier  de  tout  cœur  pour  leur  dévouement  à  notre 
belle  œuvre. 

Mais  les  plus  actifs  au  travail,  ce  sont  nos  Pères  Mis- 
sionnaires. Avec  une  sainte  audace,  ils  ne  craignent  pas 
de  parler  du  jUniorat  à  tous  ces  bons  enfants  qu'ils 
rencontrent  dans  leurs  courses  apostoliques.  Et  leurs 
bonnes  paroles  tottibant  dans  des  cœurs  qui  n'atten- 
daient que  cette  occasion  pour  connaître  leur  vocation, 
nous  avons  pu,  par  leur  zèle  pour  l'œuvre  des  vocations, 
non  seulement  faire  connaître  le  juniofat  avec  plus 
davantage,  mais  même  recruter  un  bon  nombre  d'ex- 
cellents sujets.  Qu'ils  acceptent  donc,  ces  bons  Pères, 
notre  plus  profonde  reconnaissance  ! 

Nous  voilà  maintenant  rendu  à  septembre  1896.  Quatre- 
vingts  junioristes,  qui  nous  viennent  de  plus  de  vingt 
diocèses  différents  :  du  haut  et  du  bas  Canada,  des 
États-UniSj  de  Manitoba  et  de  Saint- Albertj  composent 
actuellement  notre  communauté.  Rien  de  plus  beau, 
mon  très  révérend  Père,  de  voir  ces  chers  enfants,  vivant 
de  cette  vie  régulière  du  travail  et  de  la  prière.  Ils  n'ont 
tous  qu'un  seul  et  unique  but  :  devenir  plus  tard  des 
Oblats  de  Marie  Immaculée.  Aussi  s'efforcent-ils,  chaque 
jour,  à  entretenir  en  eux  l'esprit  de  leur  vocation,  par 
leur  régularité,  leur  amour  de  l'étude  et  par  la  pratique 
constante  des  vertus  chrétiennes.  Ils  aiment  leur  voca- 
tion, et,  aimant  leur  vocation,  ils  aiment  le  juniorat,  la 
Congrégation  qui  les  a  reçus  au  nombre  de  ses  chers 
enfants. 

Nous  pouvons  donc  dire  avec  vérité  que  le  grain  de 
sénevé  est  devenu  presque  un  grand  arbre,  portant  déjà 


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des  fruits  abondants.  Puisse- t-il  étendre  ses  rameaux  en^ 
core  plus  au  loin  et  nous  rapporter,  chaque  année,  de 
bons  et  de  nombreux  fruits  de  vocation  religieuse.  Nous 
prierons  donc  le  Maître  de  la  moisson  d'envoyer  des  ou- 
vriers à  sa  vigne  ;  car  la  moisson  est  abondante  et  les 
ouvriers  manquent  pour  faire  le  travail.  Cependant,  nous 
avons  toute  espérance  que  le  Sacré-Cœur  de  Jésus, 
qui  a  protégé  jusqu'à  aujourd'hui  notre  œuvre  d'une 
manière  si  évidente,  continuera  de  la  bénir  et  de  la  favo- 
riser, en  dirigeant  vers  nous  tous  ces  bons  enfants  qui 
aspirent  à  l'apostolat.  Le  juniorat  est  certainement 
l'oeuvre  de  son  divin  Cœur. 

Dans  mon  rapport,  je  ne  puis  passer  sous  silence  ce 
que  font,  pour  nos  junioristes,  nos  Pères  de  l'Universitéi 
Le  juniorat  est  leur  œuvre  tout  autant  que  la  nôtre;  ils 
le  comprennent.  Aussi,  je  puis  dire,  sans  crainte  de  me 
tromper,  que  leur  part,  dans  la  formation  de  nos  enfants, 
n'est  pas  toujours  la  plus  poétique  ;  elle  est  même  ordi- 
nairement pleine  de  difficultés  et  d'ennuis.  Redire  ce 
que  l'on  sait  depuis  son  enfance,  le  répéter  à  satiété 
pour  arriver  à  être  compris  de  ces  jeunes  intelligences 
encore  plus  ou  moins  engourdies  par  le  froid  de  l'igno- 
rance, passer  les  jours,  les  semaines,  les  mois  entiers  à 
écarter  des  difficultés  sans  cesse  renaissantes  et  employer 
une  partie  des  nuits  à  la  correction  des  devoirs,  voilà  la 
tâche  des  professeurs,  voilà  le  travail  ingrat  que  s'im- 
posent, tous  les  jours  de  l'année  scolaire,  les  révérends 
Pères  de  l'Université.  Us  le  font  avec  une  joie  et  un  dé- 
vouement tout  paternels.  C'est  qu'ils  aiment  nos  jeunes 
Frères  et  ont  à  cœur  la  prospérité  du  juniorat.  De  tels 
services  ne  se  payent  pas  au  poids  de  l'or^,  et  qu'avons- 
nous  qui  soit  digne  d'être  offert  en  retour;  nous  avons 
la  monnaie  du  religieux,  la  monnaie  du  pauvre,  nous 
avons  l'affection  et  la  reconnaissance,  toutes  deuxréu- 


—  172  — 

nies  dans  un  mot  du  cœur.  Merci  !  Nous  espérons  que 
les  bons  Pères  de  l'Université  voudront  bien  l'agréer  ce 
merci  que  nous  leur  offrons  aux  yeux  de  la  Congréga- 
tion tout  entière  pour  qui  ils  travaillent  en  lui  prépa- 
rant des  enfants  vraiment  dignes  d'elle.  Puisse  ce  faible 
hommage  de  gratitude  les  dédommager  un  peu  et  leur 
rendre  la  tâche  plus  facile  et  plus  agréable! 

Il  ne  me  reste  plus  qu'à  parler  du  personnel  du  junio- 
rat.  Je  serai  sobre  ;  je  ne  voudrais  blesser  aucune  mo- 
destie. Cependant,  je  ne  voudrais  pas  taire  la  vérité.  Des 
fils  ont  droit  à  ce  que  leur  Père  sache  les  heureuses  dis- 
positions qui  les  animent.  Tous  les  jours,  je  suis  témoin 
de  leur  grand  attachement  à  l'œuvre  du  juniorat;  de 
leur  dévouement  à  faire  progresser  nos  chers  junioristes 
dans  la  voie  de  la  vertu  et  de  la  science  ;  de  leur  abné- 
gation, en  s'astreignant  à  ce  travail,  toujours  pénible, 
que  demandent  la  direction  et  la  surveillance  de  quatre- 
vingts  enfants.  Ils  méritent,  mon  très  révérend  Père,  une 
bonne  note  de  votre  part.  Pour  moi,  je  leur  offre  ce  re- 
merciement qui  vient  du  cœur. 

Ce  rapport,  tout  incomplet  qu'il  soit,  vous  montre 
notre  bonne  volonté  à  répondre  à  vos  désirs,  et,  en 
même  temps,  vous  permet  de  constater  les  efforts  qu'a 
faits  notre  province  et  les  sacrifices  immenses  qu'elle 
s'impose  pour  le  recrutement  des  sujets. 

Agréez,  mon  très  révérend  Père,  l'assurance  de  mon 
dévouement  tout  filial  en  N.-S.  et  M.  I. 

M.-E.  Harnois,  0.  M.  I. 


VARIÉTÉS 


I 

CHRONIQUE  DE  LA  MAISON  DU  LAUS  (1818  1841) 
(suite). 

CHAPITRE  IV. 

LE  PÈRE  TEMPIER,  SUPÉRIEUR  DU  LAUS  (1820-1821). 

La  communauté  du  Laus.  —  Le  noviciat  et  le  scolasticat  transférés 
d'Aix  au  Laus,  sous  la  direction  du  P.  Tempier.  —  Les  travaux 
apostoliques. 

Pendant  l'année  dont  nous  venons  de  retracer  les 
principaux  événements,  le  P.  Tempier  avait  commencé  à 
réparer  les  ruines  matérielles  et  morales  du  sanctuaire  ; 
l'ancien  couvent  avait  été  restauré  et  convenablement 
aménagé;  l'église  s'était  embellie  et  quelque  peu  enri- 
chie en  ornements.  Les  services  spirituels  de  la  paroisse 
et  du  pèlerinage  s'accomplirent  avec  une  régularité  et 
un  zèle  qui  produisirent  les  plus  beaux  résultats,  et, 
malgré  ses  multiples  obligations,  le  supérieur  local 
avait  inauguré,  dans  le  diocèse  de  Digne,  les  travaux 
des  missions.  La  maison  du  Laus,  dès  ses  commence- 
ments, répondait  ainsi  au  bat  que  l'on  s'était  proposé 
en  la  fondant. 

Le  P.  Tempier  n'avait  pas  trompé  la  confiance  du 
P.  DE  Mazenod  qui,  en  l'envoyant,  lui  uvait  dit  :  «  Je 
compte  sur  vous  plus  que  sur  moi-même.  »  Pendant  les 
deux  années  qui  vont  suivre,  le  noviciat  et  le  scolasticat 


—  174  — 

de  la  Congrégation  étant  transférés  d'Aix  au  Laus,  le 
P.  Tempier  se  trouvera  à  la  tête  d'une  communauté 
nombreuse;  tout  l'avenir  de  la  famille  reposera  entre 
ses  mains,  et  la  maison  du  Laus  sera  ainsi  comme  le  se- 
cond berceau  de  la  vie  religieuse  des  Missionnaires  de 
Provence.  Nous  allons  voir  comment  le  F.  Tempier  s'ac- 
quitta de  ses  nouvelles  charges. 

Le  P.  Tempier  ne  revint  pas  au  Laus,  après  la  mission 
de  Rognac;  il  prit  part  aux  deux  grandes  missions  de 
Marseille,  en  janvier  1820,  et  d'Aix,  aux  mois  de  février 
et  mars  suivants.  La  maladie  de  son  père  le  retint  à 
Aix,  et  il  ne  remonta  au  Laus  qu'au  mois  de  mai, 
accompagné  du  F.  Courtes,  dont  la  faible  santé  récla- 
mait un  changement  de  maison.  La  maison  du  Laus 
n'avait  pas  souffert  de  cette  longue  absence  de  son  su- 
périeur, dont  le  remplaçant,  le  P.  Touche,  pouvait  suf- 
fire au  travail,  pendant  la  saison  d'hiver.  De  loin,  le 
P.  Tempier  veillait  aux  intérêts  de  la  paroisse  et  du 
pèlerinage,  et  son  remplaçant  ne  faisait  rien  sans  avoir 
pris  son  avis,  pour  le  spirituel  comme  pour  le  tem- 
porel. Il  faut  bien  avouer,  toutefois,  que,  le  printemps 
venu,  un  seul  prêtre  au  Laus  avait  fort  à  faire  :  le 
P.  Touche  ne  cessait  de  réclamer  des  aides,  mais  on  ne 
put  les  lui  envoyer.  Il  ne  perdit  pas  courage;  grand  et 
très  robuste,  actif  et  plein  de  zèle,  ayant  à  cœur  l'hon- 
neur de  sa  famille  religieuse,  et  le  bien  des  œuvres  qui 
lui  étaient  confiées,  il  fît  tant  et  si  bien,  avec  le  F.  Bour- 
relier qui  l'aidait  en  bien  des  choses,  qu'on  n'eût  pas 
trop  à  se  plaindre.  Il  y  eut,  en  mars  et  en  avril,  des 
concours  venus  de  Gap,  d'Ancel,  d'Orcières  et  de  Saint- 
Laurent;  les  neuvainistes  se  succédaient  dans  Tinter, 
ralle  des  concours  ;  le  P.  Touche  fit  appel  pour  les  con- 
l'essions  à  des  confrères  des  paroisses  voisines.  Au  temps 
des  Pâques,  il  put  se  donner  tout  entier  à  ses  paroissiens, 


—  175  — 

et  de  plus  préparer,  par  des  catéchismes  plus  fréquents, 
un  certain  nombre  d'enfants  à  la  première  communion. 
Il  était  donc  temps,  au  mois  de  mai,  que  le  supérieur 
local  vint  reprendre  son  poste  et  soulager  son  confrère. 
Le  P.  Tempier  y  était  depuis  peu,  quand,  au  commence- 
ment de  juin,  le  P.  de  Mazenod  le  manda  à  Aix,  pour 
examiner,  plus  à  loisir  et  de  vive  voix,  une  question  im- 
portante qu'ils  avaient  déjà  traitée  par  correspondance. 
Il  s'agissait  de  la  translation  au  Laus,  du  juniorat,  du 
noviciat  et  du  scolasticat  qui  se  trouvaient  à  Aix.  Après 
mûres  délibérations,  la  translation  fut  décidée,  et  dès  le 
13  juin,  le  P.  Tempier  écrivait  d'Aix,  au  P.  TouceB,  son 
économe  :  «  Le  19  juin,  M.  de  Mazenod  et  moi  nous 
monterons  au  Laus,  avec  une  bande  d'étrangers  mascu- 
lins, et  on  logera  au  couvent  ;  faites  donc  vos  préparatifs 
pour  garnir  les  chambres  du  premier  étage;  si  vous 
n'avez  pas  assez  de  lits  au  couvent,  prenez  ceux  de 
Ihospicé.  »  Ce  voyage  se  fît,  sans  incidents,  au  jour 
qui  avait  été  annoncé,  avec  le  moins  de  frais  possible, 
et,  le  21  juin  au  soir,  jour  de  fête  de  saint  Louis  de 
Gonzague,  tous  les  émigrants  arrivaient  au  Laus,  joyeux 
et  bien  portants. 

Le  P.  de  Mazenod  séjourna  au  Laus  jusqu'au  14  août. 
Il  fallait  l'œil,  la  main  et  le  cœur  du  Père  pour  tout  orga- 
niser, pour  établir,  dans  ce  nouveau  berceau  de  la  famille, 
les  enseignements,  les  traditions  et  surtout  l'esprit  du 
fondateur;  il  fallait  que  la  communauté  du  Laus  fût  la 
digne  sœur  de  celle  d'Aix,  qu'elle  en  reproduisît  la  ré- 
gularité, la  ferveur,  les  usages  et  les  vertus. 

Le  séjour  du  P.  de  Mazenod  au  Laus  fut  marqué  par 
une  fête  de  fatnille  qui  remplit  de  joie  le  cœur  du  Père 
et  de  ses  enfants.  Nous  voulons  parler  de  l'ordination  du 
P.  Jean-Hippolyte  Courtes,  qui  eut  lieu,  avec  dispense 
d'âge  de  dix-huit  mois,  dans  la  vieille  cathédrale  de  Gap, 


—  176  — 

par  Mi"  de  MioUis,  le  30  juillet  1820.  Le  lendemain,  le 
jeune  ordonné,  assisté  par  son  supérieur  général,  célé- 
brait sa  première  messe  à  Notre-Dame  du  Laus,  entouré 
de  tous  ses  Frères.  «  C'était  alors  un  grand  événement 
dans  l'humble  société  des  Missionnaires  de  Provence, 
que  l'ordination  et  la  première  messe  d'un  nouveau 
prêtre.  La  famille  était  si  peu  nombreuse,  les  vocations 
si  rares,  la  formation  des  sujets  si  lente  et  si  difficile... 
D'ailleurs,  le  P.  Courtes,  vrai  sujet  d'élite,  disciple  par 
excellence  du  bien-aimé  Fondateur,  était  l'espoir  de  la 
famille  par  ses  vertus  aimables,  la  douceur  de  son  ca- 
ractère et  sa  vive  intelligence...  Oui,  ce  fut  une  fête  in- 
comparable 1  »  Le  P.  Rambert,  que  nous  venons  de  citer, 
rapporte  la  lettre  admirable  que  le  P.  de  Mazenod  écri- 
vit à  l'occasion  de  cette  première  messe,  à  un  condis- 
ciple du  P.  Courtes.  Elle  est  des  plus  touchantes,  et 
nous  révèle  la  vivacité  et  la  tendresse  de  son  zèle  pour 
les  jeunes  âmes  que  Notre-Seigneur  confiait  à  son 
amour  (1). 

En  quittant  le  Laus,  la  veille  de  l'Assomption,  le 
14  août  J820,  le  P.  de  Mazenod  laissait,  par  écrit,  ses 
instructions  au  P.  Tempier,  chargé  de  la  direction  spiri- 
tuelle des  novices  et  des  Oblats  scolastiques.  Ces  novices, 
parmi  lesquels  F.  Sumien,  n'étaient  que  cinq  en  ce  mo- 
ment, mais,  les  mois  suivants,  de  nouvelles  recrues  se 
présentèrent  et  furent  admises.  Le  F.  Courtes  ayant  été 
ordonné  prêtre,  restaient  deux  Oblats  scolastiques,  le 
F.  Honorât  et  le  F.  Bourrelier,  qui  ne  devaient  pas  tar- 
der à  entrer  dans  les  ordres. 

Les  novices  n'étaient  cependant  pas  tous  dignes  de 
persévérer;  quelques  esprits  indépendants  se  glissèrent 
dans  la  petite  bergerie  et,  profitant  d'une  absence  du 

(1)  Vie  de  Af?'  de  Mazenod,  t.  I,  liv.  II,  chap.  x,  p.  323-327. 


P.  Tempier,  occupé  à  la  retraite  paroissiale  de  Champo- 
léon,  ils  jetèrent  le  trouble  dans  la  communauté.  Le 
P.  Tempier,  averti  par  le  P.  Moreau,  se  hâta  de  revenir 
et  jeta  dehors  les  brebis  galeuses  :  dès  lors,  tout  marcha 
bien;  la  retraite  annuelle,  qui  eut  lieu  en  novembre, 
acheva  de  retremper  novices  et  oblats  dans  l'esprit  de 
leur  sainte  vocation.  Une  lettre  du  Fondateur,  datée  de 
Château-Gombert  oti  il  donnait  une  mission,  est  adressée 
à  ses  chers  enfants  du  Laus,  qui  lui  avaient  écrit  après 
leur  retraite.  Il  leur  répond  qu'il  a  été  ému  et  consolé, 
en  lisant  leur  lettre  si  édifiante,  et  bénit  Dieu  avec  eux 
des  fruits  qu'ils  ont  retirés  de  leur  retraite,  puis,  il  les 
exhorte  vivement  à  persévérer  dans  leurs  beaux  senti- 
ments et  à  tenir  les  promesses  qu'ils  ont  faites  à  Dieu. 
Les  lettres  que  rapporte  le  P.  Rambert  (1)  nous  mon- 
trent que  les  novices  furent  fidèles  à  leurs  résolutions. 
La  première  de  ces  lettres,  datée  du  24  novembre,  est 
adressée  au  supérieur  général  parle  P.  Tempier;  il  dit, 
entre  autres  choses  :  «  Nos  récréations  ne  sont  que  des 
conférences  spirituelles,  et  chacun  parle,  avec  aisance, 
sur  un  sujet  édifiant.  Le  plus  souvent,  nous  nous  entre- 
tenons de  l'obéissance  et  surtout  de  la  sainte  pauvreté. 
Nous  nous  animons  mutuellement  au  détachement  ab- 
solu. Quel  paradis  que  Laus  !  »  D'autres  lettres  du 
F.  CouLiN  ne  tarissent  pas  sur  les  délices  religieuses  que 
l'on  goûtait  dans  ce  paradis  du  Laus.  La  bonne  harmo- 
nie régnait  entre  tous;  tous  rivalisaient  d'amabilité  et 
de  gaieté;  ils  étaient  heureux  d'être  pauvres,  et  se  pi- 
quaient d'une  généreuse  émulation  pour  pratiquer  toutes 
les  vertus  religieuses. 

Nous  venons  de  parler  du  détachement  absolu  que 
le  P.  Tempier  inspirait  aux  novices,  au  sujet  de  la  pau- 

(l)  Vie  de  M«^  de  Mazenod,  t.  I,  liv,  II,  chap.  viii,  p.  301-303. 


-   178   - 

vreté.  Il  avait  même  adopté  la  pratique  de  l'échange, 
entre  novices  et  Oblats,  des  objets  qui  étaient  à  leur 
usage  personnel.  Le  Fondateur  désapprouva  cette  pra- 
tique, et,  dans  le  Chapitre  de  1821,  où  l'on  décida  que 
les  membres  de  la  société  feraient  le  vœu  de  pauvreté, 
on  détermina  les  limites  dans  lesquelles  ce  vœu  devait 
se  faire  selon  la  règle,  laissant  à  chacun  de  suivre  ses 
attraits  privés  sur  ce  point. 

Après  les  fêtes  de  Noël  eurent  lieu  la  bénédiction  de 
la  maison  et  l'imposition  des  noms  des  saints,  au-dessus 
de  la  porte  des  cellules.  A  ce  sujet,  le  Fondateur  décida 
que  les  noms  des  Saints  Anges,  de  la  Sainte  Vierge,  du 
Sacré-Cœur,  de  l'Enfant  Jésus  ne  devaient  pas  être  don- 
nés aux  cellules  particulières;  ils  étaient  réservés  pour 
les  salles  communes. 

Parmi  les  moyens  que  le  P.  Tempier  employa  pour 
attirer  les  bénédictions  de  Dieu  sur  sa  communauté, 
signalons  la  dévotion  au  Sacré-Cœur. 

Il  écrivait  au  P.  de  Mazenod,  le  27  août  1820: 

«  J'ai  appris  que  vous  faisiez,  à  Aix,  les  exercices  du 
Sacré  Cœur,  et  que  vous  aviez  obtenu  de  donner  la  bé- 
nédiction tous  les  premiers  vendredis  du  mois,  veuillez 
m'envoyer  des  feuilles  d'admission,  des  cantiques  et 
quelques  livres,  pour  que,  nous  aussi,  nous  puissions  ici 
honorer  le  Cœur  de  Jésus.  » 

i\l.  DE  iMazenod  avait,  en  effet,  depuis  le  8  février  1816, 
obtenu,  des  vicaires  généraux  d'Aix,  l'autorisation  d'éta- 
blir une  confrérie  du  Sacré-Cœur,  pour  sa  Congrégation 
de  jeunes  gens,  dans  l'église  de  Saint- Vincent  de  Paul, 
église  des  Missions,  auparavant  dite  àQ^  Carmélites.  Cette 
confrérie  avait  été  affiliée  canoniquement  à  l'archicon- 
frérie  du  Sacré-Cœur,  dite  de  Sainte-Marie  ad  pineam, 
à  Home. 

L'année  IBâl  fut  une  des  plus  laborieuses  pour  le 


—  479  — 

P.  Tempier.  Le  P.  Touche,  aux  mois  de  janvier  et  de  fé- 
vrier, évangélisa  successivement  plusieurs  paroisses  va- 
cantes. Resté  seul  au  Laus,  le  supérieur  local  y  cumulait 
toutes  sortes  d'emplois  ;  ayant  demandé  à  grands  cris 
un  auxiliaire,  le  P.  de  Mazenod,  qui  ne  pouvait  lui  en 
donner,  le  consolait  en  lui  disant  qu'un  missionnaire  de- 
vait faire  pour  quatre.  «  Eh  bien,  jugez-en,  répliquait  le 
P.  Tempier,  je  suis  supérieur  au  spirituel  et  au  temporel, 
d'une  nombreuse  communauté,  curé  d'une  paroisse, 
chapelain  d'un  sanctuaire,  et  tour  à  tour  professeur  de 
théologie  et  de  philosophie.  » 

Le  Laus,  en  cette  année,  était  à  la  fois  noviciat  et  sco- 
lasticat,  même  un  peu  juniorat.  Les  plus  jeunes  novices 
y  achevaient  leurs  humanités,  les  Frères  scolastiques 
poursuivaient  leurs  cours  de  théologie  et  de  philosophie. 
Il  y  avait  des  novices  qui  prenaient  les  premières  leçons 
de  latin.  Heureusement,  le  P.  de  Mazenod  établit  la  sage 
mesure  qui  défendait  d'admettre  au  noviciat  les  jeunes 
gens  qui  n'auraient  pas  commencé  leurs  études  de  latin. 

Dans  ces  premiers  temps,  le  P.  de  Mazenod  était  bien 
forcé  de  se  plier  aux  circonstances.  Il  avait  besoin  de 
prêtres,  de  longues  études  auraient  imposé  bien  des  re- 
tards à  ses  projets  de  zèle,  aux  demandes  qui  lui  étaient 
faites;  de  là,  nécessité  d'occuper  les  novices  aux  études, 
tout  en  les  formant  à  la  vie  religieuse,  et  de  prendre, 
parmi  ceux  qui  étaient  plus  avancés,  des  professeurs 
d'humanité  et  de  philosophie.  Le  P.  Tempier  s'était  ré- 
servé la  théologie  et  faisait  deux  classes  par  jour.  L'au- 
teur adopté  était  Bailly,  bon  pour  le  dogme,  mais  sujet 
à  caution  pour  la  morale;  aussi,  pour  Ja  morale,  on 
suivait  la  théologie  du  Mans.  En  autorisant  cette  der- 
nière, le  P.  de  Mazenod  faisait  ses  réserves.  «  Je  n'ai  pas 
eu  le  temps  d'examiner  la  théologie  du  Mans,  essayez- 
la,  mais,  gare  à  l'article  délicat  du  bien  d'autrui  ;  vous 


—   180  — 

savez  ce  que  l'on  doit  enseigner  dans  notre  société  sur 
cet  article.  » 

Il  n'était  pas  facile  de  concilier,  dans  un  noviciat, 
l'instruction  profane  et  la  formation  à  la  vie  religieuse; 
fatalement,  l'une  et  l'autre  restaient  incomplètes.  Le 
P.  DE  Mazenod  le  sentait  tout  le  premier  et  mieux  que 
personne;  on  voit,  par  sa  correspondance  avec  le  P.  Tem- 
piER,  combien  il  regrette  la  dure  nécessité  d'en  passer  par 
là,  et  combien  il  multiplie  ses  avis  au  supérieur  local, 
afin  que,  par  sa  sagesse,  sa  vigilance  et  son  dévouement, 
il  pût  atténuer,  quelque  peu,  les  inconvénients  d'une  si- 
tuation si  pénible.  Le  P.  Tempier  fit  de  son  mieux  pour 
maintenir  le  bon  esprit  et  la  discipline  dans  un  milieu 
composé  d'éléments  si  disparates,  son  gouvernement  fut 
h  la  fois  doux  et  ferme.  Il  arriva  que  le  P.  de  Mazenod  le 
qualifiait  de  Père  Rigide.  Le  Père  Rigide  se  défendit  res- 
pectueusement et  expliqua  sa  conduite  :  «  Tout  en  com- 
patissant, disait-il,  à  la  faiblesse  humaine,  je  ne  crois 
pas  devoir  tolérer  des  êtres  qui  exercent  la  patience  de 
tous  dans  une  communauté  régulière.  » 

Il  cite,  à  ce  propos,  un  fait  à  l'appui.  Un  Frère  Oblat, 
professeur,  avait  manqué  gravement  à  l'esprit  des  règles, 
à  la  charité  ;  le  supérieur  lui  imposa  une  réparation  pu- 
blique devant  les  novices  auxquels  il  faisait  la  classe. 
La  leçon  lui  profita,  et  tous  les  Frères  en  ressentirent 
une  salutaire  impression  (1). 

Le  P.  de  Mazenod,  on  le  conçoit,  suivait,  avec  une  sol- 
licitude, de  chaque  instant  et  jusque  dans  les  moindres 
détails,  la  marche  de  la  direction  de  la  maison  du  Laus. 
Le  P.  Tempier  le  mettait  au  courant,  le  consultait  et 
suivait  ponctuellement  ses  ordres  et  jusqu'à  ses  moindres 
avis.  C'était,  d'un  côté,  la  haute  intelligence,  le  zèle  du 

(1)  Ce  professeur,  le  F.  C...,  ne  persévéra  pas. 


—   181  — 

plus  grand  bien,  le  coup  d'oeil  juste  et  la  fermeté  qui  ne 
ménage  pas  les  blâmes,  les  reproches,  mais  en  tempère 
l'expression  par  raffection  la  plus  vive  pour  le  supérieur  ; 
de  l'autre  côté,  rien  n'égalait  la  franchise,  l'humilité,  la 
soumission  mêlées  d'un  affectueux  et  filial  respect  du 
P.  Tempier.  En  tous  deux  apparaît  un  profond  dévoue- 
ment à  l'œuvre  commune,  ils  agissent  de  concert  en 
gardant  chacun  leur  rôle.  Le  supérieur  local  a  son  ini- 
tiative personnelle,  mais  il  la  subordonne  toujours  aux 
vues  présumées  et  aux  décisions  à  venir  du  supérieur 
général.  Parfois,  le  P.  Tempier,  accablé  de  besogne,  se 
sentant  inhabile  à  diriger  sa  communauté,  demandait 
grâce,  désirant  être  déchargé  de  son  fardeau;  c'est  alors 
que  le  P.  de  Mazenod  trouvait,  dans  son  grand  cœur,  les 
motifs  les  plus  capables  de  relever  le  courage  de  celui 
qu'il  appelait  son  frère  et  son  ami,  y  mêlant  les  conseils 
et  les  avis  qui  devenaient,  pour  le  pauvre  supérieur,  une 
lumière  et  une  force. 

Nous  signalerons  quelques  exemples,  qui  ont  leur  inté- 
rêt, de  cette  vigilance  exercée  par  le  P.  de  Mazenod  sur 
la  maison  du  Laus  pendant  cette  année  1821 . 

Un  des  points  les  plus  essentiels,  aux  yeux  du  P.  de 
Mazenod,  était  l'observation  des  règles  et  des  usages  qu'il 
voulait  maintenir  dans  la  société.  Contrairement  à  ce 
qui  se  pratiquait  alors,  on  donnait,  au  Laus,  le  nom  de 
Pères  aux  Oblats  prêtres.  Le  fondateur  rappela  au  P.  Tem- 
pier, que  lui  seul  et  le  chapitre  avaient  autorité  pour  in- 
troduire une  telle  innovation  dans  les  usages  reçus  (1). 
Une  sorte  de  conflit  s'était  élevé  entre  l'économe  et  le 
supérieur  local  ;  le  P.  de  Mazenod  trace  à  celui-ci  la  ligne 
de  conduite  à  tenir  :  il  a  droit  à  se  faire  rendre  compte 
de  l'état  des  finances  et  du  temporel,  mais  en  respec- 

(1)  Les  missionnaires,  les  Oblats  prêtres,  s'appelaient  Messieurs. 

T.   XXXV.  13 


—  182  — 

tant  les  instructions  données  à  l'économe,  de  plus  haut, 
par  le  supérieur  général. 

Le  P.  Tempîer  ayiint  reçu,  comme  novices^  les  Frères 
Martin  et  Guigues,  sans  prendre  l'avis  du  Conseil  général, 
le  Pi  DE  Mazenod  lui  lit  entendre  qu'il  avait  outrepassé 
ses  pouvoirs. 

Utl  prêtre  novice  devait-il,  dans  les  réunions,  prendre 
rang  avant  les  novices  plus  anciens  et  non  dans  les  or- 
dres? On  décida  qu'en  raison  de  la  dignité  de  son  sacer- 
doce, il  devait  prendre  le  premier  rang.  Aux  novices  déjà 
avancés  dans  leurs  études  d'humanités,  le  P,  de  Mazenod 
permit  qu'on  donnât  la  soutane  ecclésiastique.  De  même, 
il  autorisa  certains  novices  à  faire  les  vœux,  en  leur  par- 
ticulier, au  bout  de  six  mois.  Le  P.  de  Mazenod,  voulant 
se  rendre  compte  de  visu  de  l'état  de  la  communal! té> 
alla  passer  un  mois  auLaus,  et  dans  l'acte  de  visite  daté 
du  12  aolit  1821,  il  rédigea  un  règlement  qui  devait  être 
ponctuellement  observé.  Nous  y  remarquons  l'insistance 
avec  laquelle  le  P.  de  Mazenod  parle  des  avantages  et  du 
mode  de  la  psalmodie  :  «  On  doit  psalmodier  l'office,  ni 
trop  haut,  ni  trop  bas,  mais  bien  distinctement,  avec 
gravité  et  en  gardant  la  médiante.  »  Plus  loin,  il  presct-it, 
t-elativement  aux  grilles  des  confessionnaux,  que  t<  les 
trous  de  ces  grilles  soient  réduits  à  la  largeur  d'une 
pièce  de  10  centimes  ». 

Cette  année  !821 ,  il  y  eut  plusieurs  ordinations  ;  nous 
avons  parlé  de  celle  du  P.  Courtes.  Le  P.  Honorât,  or- 
donné diacre  au  mois  de  juin,  quitta  le  Laus  et  alla  à 
Aix  attendre  ses  dispenses  d'âge  ;  elles  arrivèrent  en  no- 
Tembre,  et  il  reçut  l'ordre  de  prêtrise  en  décembre. 
D'autres  reçurent  l'ordre  du  diaconat,  du  sous-diaconat, 
et  les  quatre  moindres,  tantôt  à  Aix,  tantôt  à  Digne. 
Malheureusement,  quelques-uns  quittèrent  la  Société; 
ce  qui  faisait  dire  au  P.  de  Mazenod  :  «  Nous  ne  sommes 


—  183  - 

pas  gâtés  par  ceux  qui  se  présentent  dans  notre  So- 
ciété. »  Aussi,  on  résolut  de  soumettre  à  des  épreuves 
plUs  sévèt-es  ceux  qui  se  présentaient. 

Les  novices,  à  la  fin  de  l'anrtée,  étaient  au  nombre  de 
dix-huit.  Le  P.  Sumien  y  était  depuis  le  mois  de  jan- 
vier; les  FF.  Martin  et  Guigues,  encore  étudiants,  furent 
reçus  novices  le  jour  de  la  Pentecôte;  tous  deux  étaient 
du  diocèse  de  Digne.  Le  P.  Tempier  nous  dit  :  m  Martin 
est  arrivé  de  Forcalquiér,  il  a  dix-hùit  ans,  est  plein  de 
bdû  sens,  de  piété  et  de  fermeté  ;  Guigues,  quoique  plus 
jeune  d'un  an,  est  bon  aussi,  mais  moins  ferme  ;  ils  dé- 
sirent porter  la  soutane.  Ce  sont  des  piliers  d'exacti- 
tude. »  Le  P.  Arnoux,  Victor,  de  pieuse  mémoire,  mott 
en  1828,  commençait  son  noviciat  en  septembre.  Lé 
23  décembre  montait  au  Laus  le  F.  Marcou,  reçu  novice 
à  Aix,  le  21,  jour  anniversaire  de  la  prêtrise  du  Fonda- 
teur ;  il  était  accompagné  d'un  de  ses  condisciples,  le 
F.  Jeangard,  instruit  et  plein  de  talent,  professeur  au 
petit  séminaire  de  Grasse  ;  ils  avaient  vingt-trois  ans,  et 
avaient  fait  deux  ans  de  théologie. 

Au  point  de  vue  des  études,  le  F.  Martin,  tout  en  fai- 
sant sa  rhétorique,  était  le  professeur  de  deux  novices 
peu  avancés  en  latin.  Six  autres  novices  étaient  en  se- 
condêj  et  sept  en  rhétorique  ;  trois  continuaient  ledrs 
cours  de  théologie.  Avec  les  Oblats  scolastiques,  le 
P.  Touche  et  le  supérieur  local,  la  Communauté  du  Laus 
comptait  vingt-quatre  membres. 

De  plus,  six  jeunes  gens  faisaient,  au  Laus,  leurs 
classes  élémentaires  ;  deux  payaient  pension  et  vivaient 
"dans  la  communauté,  les  quatre  autres  logeaient  dehors 
et  ne  venaient  à  la  maison  que  pour  les  classes  faites  par 
un  novice. 

Tel  était  l6  personnel  de  la  maison  du  Laus,  en  1821. 

Il  fallait  faire  vivre  tout  ce  monde  et  pourvoir  à  sa 


—  184  — 

subsistance  ;  le  P.  ïempier  y  parvint,  grâce  à  sa  sagesse 
et  à  l'économie  qu'il  apporta  dans  son  administration 
du  temporel.  Quelles  étaient  les  ressources  dont  il  dis- 
posait? Le  gouvernement  lui  faisait,  comme  curé  du 
Laus,  un  traitement  de  750  francs  ;  les  terres  du  petit 
domaine  fournissaient  environ  un  quart  des  frais  d'ali- 
mentation ;  le  produit  de  la  vente  des  cantiques,  des 
objets  pieux,  des  notices,  peu  considérable,  apportait 
son  léger  appoint.  En  principe,  les  étudiants  et  les  no- 
vices devaient  payer  une  pension  (400-450  francs)  ;  mais, 
en  fait,  très  peu  la  payaient,  presque  tous  étaient  à  la 
charge  de  la  maison  et  de  la  caisse  générale  qui  donnait 
le  supplément  nécessaire.  Ajoutons,  à  ces  sources  de  re- 
venus, les  honoraires  des  missions  et  des  messes,  et  nous 
aurons  le  bilan  de  l'avoir  du  P.  Tempier.  Et  encore,  le? 
honoraires  des  missions  étaient,  en  grande  partie,  absor- 
bés par  les  voyages  ;  les  honoraires  de  messe  étaient  de 
75  centimes  seulement.  Sur  le  nombre  assez  considérable 
de  messes  reçues,  la  plupart  étaient  envoyées  à  M.  Ar- 
baud,  vicaire  général  de  Digne,  et  à  l'archiprêtre  de 
Gap,  pour  être  acquittées  par  les  prêtres  du  diocèse. 

Pour  réduire  les  frais  de  voyage,  le  P.  Tempier  s'en- 
tendit avec  le  conducteur  de  la  diligence  de  Gap  à  Aix  et 
obtint  une  remise  importante  sur  chaque  voyage.  Au 
mois  de  mars  \82\,  il  avait  fait  l'acquisition,  sous  le 
nom  de  M.  de  Mazenod,  en  prenant  du  temps  pour 
payer,  du  bien  Jouvent,  c'est-à-dire  d'une  terre  et  d'une 
vigne;  il  espérait  avoir  ainsi,  sous  la  main,  des  provi- 
sions de  blé  et  de  vin,  sans  être  obligé  de  les  acheter. 

Il  trouva  moyen  d'améliorer  le  couvent,  en  faisant  de 
nouvelles  chambres  au  deuxième  étage  et  en  ouvrant 
des  fenêtres  dans  la  charpente  de  la  toiture  réparée,  ce  qui 
lui  permit  d'avoir  des  mansardes.  De  plus,  il  commença 
la  reconstruction,  en  partie  à  neuf,  du  canal  de  la  fon- 


—  185    - 

taine  qui  fournissait  l'eau  nécessaire  à  la  communauté. 

Nous  ne  pouvons  passer  sous  silence  deux  événements 
dans  lesquels  la  maison  du  Laus  figura  en  bonne  part. 
Le  6  mai  1821,  la  Société  des  Missionnaires  de  Provence 
fondait  sa  troisième  maison,  à  Marseille;  on  peut  en  lire 
les  détails  dans  les  Mémoires  historiques  de  M'' Jeancard, 
t.  XVI,  p.  139,  et  dans  la  Vie  de  M«^  de  Mazenod,  t.  !•', 
liv.  II,  chap.  X,  p.  328. 

Le  21  octobre  de  la  même  année  se  tint,  à  Aix,  le  se- 
cond Chapitre  général  de  la  Congrégation  ;  «  les  mem- 
bres de  ce  mémorable  chapitre,  cédant  à  l'entraînement 
général  de  la  Congrégation,  portèrent,  d'une  voix  una- 
nime et  par  acclamation,  un  décret  qui  désormais  fai- 
sait obligation  à  tous  les  Missionnaires  de  Provence 
d'ajouter  aux  trois  vœux  de  chasteté,  d'obéissance,  de 
persévérance,  un  quatrième  vœu,  celui  de  pauvreté  (1).  » 
Il  y  fut  décrété  aussi  qu'on  ne  donnerait  plus  le  nom  de 
Monsieur  aux  membres  de  l'institut,  mais  qu'on  les  ap- 
pellerait du  nom  de  Pè)'e,  s'ils  sont  prêtres,  avec  la  qua- 
lification de  Très  Révérend  pour  le  supérieur  général  et 
de  Révérend  pour  les  autres  prêtres. 

Le  Chapitre  général  fut  suivi  de  la  retraite  annuelle, 
qui  eut  lieu  également  à  Aix,  et  à  laquelle  prirent  part 
les  PP.  Tempier,  Touche,  du  Laus,  et  les  FF.  Bourrelier, 

ViGUTER  et  GOULIN. 

II.  —  Il  nous  faut  maintenant  exposer  le  récit  des  tra- 
vaux apostoliques  des  Pères  du  Laus,  pendant  cette  pé- 
riode de  deux  ans  que  nous  venons  de  parcourir. 

Après  la  mission  de  Rognac,  en  novembre  1819,  le 
P.  Tempier  se  rendit  à  Aix  ;  c'est  de  là  qu'il  partit  pour 
Marseille,  en  janvier  1821,  et  prit  part  à  la  grande  mis- 
sion de  cette  ville  ;  nos  Pères  travaillaient  de  concert 

(1)  Vie  de  il/gr  de  Mazenod,  t.  I,  liv.  II,  chap.  x,  p.  336, 


—  186  — 

avec  les  Missionnaires  de  France,  à  la  tête  desquels  se 
trouvait  M.  Ilauzan.  Après  la  mission  de  Marseille  s'ou- 
vrit celle  d'Aix  ;  elle  eut  lieu  dans  les  mêmes  conditions, 
et  le  P.  Tempier  collabora,  avec  ses  frères  en  religiop, 
du  mois  de  mars  au  24  avril.  Les  Missionnaires  de  Pro- 
vence évangélisèrent,  à  Aix,  lesi  deux  paroisses  si  po- 
pulaires de  la  métropole  et  de  Saint-Jean-Baptiste  du 
faubourg.  On  peut  lire  les  détails  de  ces  deux  missions, 
qui  firent  tant  de  bien  et  eurent  un  grand  retentisse- 
ment, dans  les  Mémoires  historiques  de  M^'  Jeancard  et 
dans  la  Vie  de  M^^  de  Mazenod,  par  le  P.  Rambert  (1). 

Une  seule  mission  en  règle  fut  donnée  dans  le  diocèse 
de  Digne,  en  octobre  1820;  Ms''  de  Miollis  n'en  demanda 
pas  d'autres.  Les  PP.  Tempier  et  Mie  ouvrirent  cette  mis- 
sion dans  les  derniers  jours  de  septembre,  à  Ch^napo- 
léon,  paroisse  de  700  habitants,  du  canton  d'Orcières 
et  arrondissement  d'Embrun.  Voici  la  description  que 
le  P.  Tempier  nous  fait  des  lieux  :  «  Situé  sur  le  Drac 
qui  arrose  la  vallée  du  Champsaure  et  va  se  jeter  dans 
l'Isère,  près  de  Grenoble,  le  village  est  au  fond  d'une 
vallée  de  5  à  6  lieues  de  longueur  sur  assez  peu  de  lar- 
geur. La  vue  y  est  bornée  par  d'énormes  montagnes  ; 
pendant  de  longs  mois,  le  soleil  ne  s'y  montre  qu'à 
9  heures  et  disparaît  à  2  heures,  aussi  son  retour  est-il 
salué  par  de  grandes  réjouissances.  »  La  population  se 
montra  bien  disposée,  assidue  aux  exercices  et  docile  à 
la  parole  des  missionnaires  ;  elle  se  laissa  toucher  par  la 
grâce...  La  clôture  se  fit  le  dimanche  d'avant  la  Tous- 
saint; il  n'y  eut  que  deux  personnes  qui  ne  profitèrent 
pas  de  la  mission. 

Les  missionnaires  ^e  trouvaient  en  présence  d'une  po- 
pulation un  peu  délaissée,  ignorante,  et  les  cas  de  con- 

(1)  Voir  aussi  l'Ami  de  la  religion,  t.  XXII,  p.  315-394  ;  t.  XXIII, 
p.  371-372,  et  t.  XXIV,  p.  30. 


—  187  — 

science  embarrassants  n'étaient  pas  rares.  Le  P.  Tempier, 
se  demandant  quelle  conduite  tenir  envers  les  granc^s 
pécheurs,  exposa  sa  peine  au  P.  de  Mazenod  ;  le  P.  de 
Mazenod  répondit  qu'il  fallait  être  indulgent  et  lui  cita 
le  passage  célèbre  de  saint  Ghrysostôme  :  Peccasti,  pœni- 
tœre  ;  millies  peccasti,  millies  pœnitœre. 

Gomme  gardiens  du  Laus,  nos  Pères,  d'après  les  con- 
ventions primitives,  n'étalent  tenus  qu'à  donner  les  mis- 
sions que  leu?  demfipdpraitrévêque  de  Digne.  Mais,  au 
mois  d'août  1820,  nne  ordonnance  royale  avait  afl'ecté 
un  certain  traitement  aux  prêtres  désignés  par  l'arche- 
vêque ou  l'évêqnp,  qui  porteraient  successivement  Ipg 
secours  de  la  religion  dans  les  succursales  dépourvues 
de  pasteurs.  L'évèque  de  Digne  pria  M.  de  iVlAZENon  de 
vouloir  bien  accepter  ce  titre  de  prêtres  de  secours  dans 
son  diocèse,  et  de  désigner,  à  cet  eflet,  ^^eux  de  ses  (Mis- 
sionnaires, qui,  à  la  demande  de  l'administration,  por- 
teraient les  secours  religieux  dans  les  paroisses  et  re- 
cevraient une  indemnité  en  rapport  avec  les  travaux 
accomplis.  M.  de  Mazeisod  accepta  et  les  PP.  Tempier  et 
Touche  reçurent  le  litre  et  l'honoraire  de  prêti^es  de  se- 
cours. G'est  en  cette  qualité  de  prêtre  auxiliaire  que  le 
P.  Touche  passa  six  ou  huit  jours  en  plusieurs  paroisses 
du  diocèse,  prêchant,  confessant  et  préparant  les  fidèles 
à  l'accomplissement  de  leurs  devoirs  religieux.  Il  desser- 
vit quelques  paioisses  vacantes  et  séjourna,  deux  niois  h 
Saint-Léger,  petite  commune  du  canton  de  Saint-Bonnet, 
arrondissement  de  Gap.  Le  P.  Tempier,  de  son  côté, 
porta  des  secours  à  quelques  paroisses.  Si  donc  les  Pères 
(^u  L^us  firent  peu  de  missions  cette  année;  ils  n'en 
rempUrent  pas  moins,  comme  prêtres  auxihaires,  leurs 
engagements  envers  le  diocèse  de  Digne. 

L'année  1821  fut  des  plus  laborieuses  pour  les  Pères, 
surtout  pour  le  P.  Touche;  le  P.  Tempier,  quoique  ch^rg^ 


—  188  - 

de  la  direction  d'une  communauté  nombreuse,  parut 
plusieurs  fois  sur  le  champ  de  bataille  apostolique. 

En  janvier,  le  P.  Touche  prenait  part  à  la  mission  de 
Brignoles,  diocèse  de  Fréjus.  Après,  il  alla  porter  se- 
cours aux  paroisses  du  diocèse  de  Digne,  demeurant  en 
chacune  plus  ou  moins  de  temps,  selon  l'importance  et 
le  besoin  des  populations. 

Du  commencement  du  mois  de  mars  aux  premiers 
jours  d'avril,  nous  le  voyons  à  Saint-Chamas,  situé  sur 
l'étang  de  Berre  et  du  canton  d'Istres,  arrondissement 
d'Aix.  M.  DE  Mazenod  lui-même  dirigeait  la  mission;  il 
avait  pour  collaborateurs  les  PP.  Deblieu,  Maunier,  Mo- 
reau  et  Touche. 

De  là,  le  P.  Touche  se  rendit  à  Saint  Jean-les-Crottes, 
sur  la  Durance,  à  4  kilomètres  d'Embrun,  diocèse  de 
Digne.  Il  y  donna  une  retraite  à  ses  1 300  habitants, 
avec  l'aide  d'un  prêtre  des  environs.  Au  sortir  de  Saint- 
Jean,  il  porta  secours  à  une  paroisse,  près  d'Aucelle,  oh. 
le  deuxième  dimanche  après  Pâques,  commença  une 
grande  mission  :  «  Ancelle  est  un  gros  bourg  de  1000  à 
1300  âmes,  à  14  kilomètres  de  Gap,  son  chef  lieu  d'ar- 
rondissement, et  de  Saint-Bonnet,  son  canton.  La  mis- 
sion réussit  bien.  La  communion  des  femmes,  ainsi  que 
celle  des  hommes,  a  été  aussi  générale  que  le  comportait 
la  population,  et  très  fervente.  »  Ainsi  s'exprime  le 
P.  Tempier,  qui  dirigeait  la  mission,  ayant  avec  lui  le 
P.  Mie  et  le  P.  Touche;  les  PP.  Deblieu  et  Viguier  vin- 
rent les  aider  vers  la  fin. 

C'est  à  Ancelle  que  fut  soulevée  la  question  de  la  res- 
titution des  biens  nationaux.  Écoutons  le  P.  Tempier.  «  La 
grande  affaire  à  traiter  ici  était  celle  de  la  restitution  des 
biens  nationaux  ;  il  y  avait  lieu  de  craindre  qu'il  y  eût 
bien  des  récalcitrants;  cependant,  sous  ce  rapport  des 
injustices  réparées,  la  mission   d'Ancellc    est  une  des 


—  189  — 

meilleures, On  comptait, à  Ancelle,  quatre-vingts  acqué- 
reurs de  biens  nationaux,  tant  de  première  que  de 
deuxième  et  même  de  troisième  main.  On  a  tenu  à  ce 
qu'il  y  eût  répartition  proportionnelle  d'un  sixième 
pour  ceux  de  seconde  main  et  d'un  tiers  pour  ceux  de  la 
première  main.  » 

Le  vicaire  général  de  Digne  trouva  que  cette  conduite 
des  Missionnaires  relativement  aux  détenteurs  des  biens 
nationaux  était  bien  hardie.  Elle  s'écartait  de  la  pra- 
tique de  toutes  les  administrations  ecclésiastiques,  qui, 
s'appuyant  sur  une  décision  du  cardinal  Caprara,  ne 
troublait  pas  les  consciences  des  délenteurs,  et  sans  dis- 
tinction, ne  demandait  aucune  réparation.  M.  de  Maze- 
NOD  contestait  que  la  décision  du  cardinal  Caprara  fit  au- 
torité absolue,  n'étant  suivie  que  dans  un  certain  nombre 
de  diocèses;  de  plus, l'enseignement  professoral, à Saint- 
Sulpice,  ne  suivait  pas  l'opinion  du  cardinal  Caprara.  De 
fait,  la  question,  alors,  pouvait  encore  être  résolue  dans 
le  sens  de  la  non-réparation,  ou  dans  le  sens  de  la  répa- 
ration proportionnelle. 

Au  milieu  de  septembre,  le  P.  Tempier,  avec  le  P.  Mie, 
le  P.  ViGuiER,  prêtre  novice,  commençait  la  mission  de 
la  Chapelle-en-Valgodémar  (Hautes-Alpes),  du  canton  de 
Saint-Firmin,  arrondissement  de  Gap  (I).  «  La  Chapelle, 
dit  le  P.  Tempier,  est  située  dans  un  vallon  étroit,  entre 
des  montagnes  prodigieusement  hautes  et  couvertes  de 
neiges  et  de  glaciers.  Nous  sommes  arrivés  pour  jouir  des 
apparitions  dernières  du  soleil;  car,  bientôt  il  quittera 
la  vallée  pour  ne  reparaître  que  vers  la  fin  de  février. 
Son  retour  est  salué  par  une  fête  publique,  dont  les 

(l)  Le  Dictionnaire  des  communes  de  la  France  parle  de  la  petite 
commune  de  Lachapelle,  dépendant  de  la  commune  de  Clémence- 
d'Ambel.  Les  900  habitants  doivent  s'entendre  de  ceux  des  villages 
voisins  qui  profitaient  de  la  Mission. 


—  190  — 

omelettes  font  les  frais.  On  a  ouvert  la  mission  le 
16  septembre,  et  les  habitants,  au  nombre  de  900,  ont 
suivi  les  exercices  avec  un  empressement  qui  ne  s'est 
pas  démenti.  Leur  caractère  est  rude,  un  peu  dissi- 
mulé ;  mais,  depuis  dix  huit  ans  et  plus,  ils  ont  eu  de 
bons  curés,  qui  ont  pu  adoucir  leurs  mœurs  par  une  di- 
rection prudente  et  dévouée.  Le  curé  actuel,  excellent 
prêtre,  connaît  son  monde;  nous  n'avons  qu'à  nous  ap- 
puyer sur  son  autorité  et  à  nous  éclairer  de  son  expé- 
rience. »  Les  missionnaires  furent  très  satisfaits  des  ré- 
sultats de  la  mission. 

Dans  le  même  temps,  le  P.  Moreau  évangélisait  Ville- 
mur,  300  hai)ilunts,  canton  de  ReiUane,  arrondissement 
de  Forcalquier  (Basses-Alpes).  En  octobre,  le  même 
P.  MoREAU  donnait  une  retraite  de  quinze  jours  à  Mont- 
furon,  canton  de  Manosque,  commune  de  360  habitants, 
diocèse  de  Digne.  De  son  côté,  le  P.  Tempier  portait  des 
secours  à  Chabottes,  canton  de  Saint-Bonnet  (Hautes- 
Alpes),  commune  de  700  habitants.  Enfin,  en  novembre, 
le  P.  Touche  donnait  aussi  des  retraites  dans  deux  pa- 
roisses. 

Ainsij  en  l'année  1821,  les  Pères  du  Laus,  seuls  ou 
avec  l'aide  de  leurs  confrères,  avaient  donné  les  grandes 
missions  et  prêché  plus  de  six  retraites  paroissiales  de 
huit  jours.  Ces  travaux  opérèrent  le  plus  grand  bien.  Léi 
simple  énuméralion  que  nous  en  avons  faite,  et  il  est 
possible  que  quelques-unes  nous  aient  échappé,  nous 
montre  que  les  Pères  du  Laus  étendaient,  avec  un  succès 
non  douteux,  le  champ  de  leur  action  et  multipliaient 
les  fruits  de  leur  zèle  dans  le  diocèse  de  Digne;  l'évêque 
ne  pouvait  exiger  davantage,  caries  missionnaires  avaient 
rempli,  dans  toute  la  mesure  du  possible,  les  engage- 
ments qu'ils  avaient  contractés. 


-    191  — 
CHAPITRE  V. 

LE    PÈRE    TEMPIER,    SUPÉRIEUR   DU    LAUS   (fIN). 
Janvier  1822  à  mars  1823. 

La  communauté  du  Laus.  —  Le  pèlerinage.  —  Départ  du  noviciat  et 
du  scolasticat  pour  Aix  (octobre  1823).  —  Travaux  apostoliques 
des  Pères  du  Laus.  —  Le  P.  de  Mazenod,  vicaire  général.  — 
Ms''  Arbaud,  évêque  de  Gap.  --  La  crise.  —  Les  relations  avec 
Monseigneur  de  Digne. 

Nous  avons  dit,  l'état  de  la  maison  et  de  son  personnel 
à  la  tin  de  l'année  1821.  Pour  ceux  qui  étaient  présents 
etcepxqui  pouvaient  venir,  le  P.  Tempier  avait  préparé 
de  la  place  et  avait  commencé  à  rendre  le  second  étage 
habitable.  «Lorsque  les  cellules  seront  faites,  nous  dit-il, 
nops  aurons  16  chambres  pour  les  novices  et  7  pour 
les  prêtrps;  si  notre  personnel  augmentait  encore,  on 
aviserait  à  bâtir  une  aile  au  midi,  de  telle  sorte  que  nous 
pourrions  disposer  de  40  chambres  ou  cellules.  » 

Nous  verrons  que  cet  agrandissement  ne  fut  pas  né- 
cessaire. Il  n'est  pas  sans  intérêt  rétrospectif  de  dire 
un  mot  des  dépenses  qu'exigeait  le  personnel  fixe  de  la 
communauté  composée,  jusqu'en  octobre  iS^-2,  de  2U 
à  30  personnes,  sans  compter  les  Pères  qui  venaient 
d'Aix  au  Laus  et  y  séjournaient  plus  ou  moins  long- 
temps. Nous  citons  le  P.  Tempier  :  «  11  nous  faut  chaque 
annéç  80  charges  de  blé  et  pour  16u0  à  1  800  francs  de 
viande,  et  l'on  tue  deux  moutons  par  semaine.  Les 
terres  du  domaine,  jointes  aux  nôtres,  ne  fournissent  de 
blé  que  pour  4  personnes,  et  du  vin  pour  une  quinzaine  ; 
c'est  l'équivalent  de  1  200  francs  à  déduire  des  achats  à 
faire.  La  charge  de  blé  coûtant  environ  38  francs,  c'est 
une  dépense  à  faire  par  an,  sur  cet  article,  d'environ 
1  840  francs,  d  Nous  avions  déjà  signalé  les    frais  dp 


—  192  — 

voyage  qui  étaient  considérables;  on  pourra  s'en  faire 
une  idée  exacte  par  les  comptes  suivants  que  nous 
relevons  sur  les  registres  :  «  Au  mois  de  juin,  payé  à 
Aubert  pour  diligence,  1310  fr.  10;  au  mois  d'août,  au 
même,  145  francs,  soit  pour  huit  mois,  la  somme  de 
1  455  fr.  iO.  « 

Il  faut  dire  que  les  ressources  augmentèrent  providen- 
tiellement en  proportion  avec  les  besoins.  Ainsi,  les 
honoraires  des  deux  Pères  qui  portaient  secours  aux  pa- 
roisses rapportèrent  à  la  caisse,  en  décembre  1822, 
867  francs;  en  février  1823,  1200  francs,  et  en  mars, 
pour  compléter  ce  qui  était  dû,  333  francs,  envoyés  par 
le  vicaire  général  de  Digne,  M.  Arbaud.  L'année  précé- 
dente, on  n'avait  reçu,  au  même  titre,  que  1  200  francs. 
Disons  encore  que  l'administration  diocésaine  avait 
fourni  au  P.  Tempier  la  somme  de  1  386  francs  pour  ré- 
parations et  aménagement  urgents  de  la  maison.  Malgré 
tout,  le  P.  Tempier  était  loin  de  thésauriser. 

Son  budget  de  janvier  1821  à  janvier  1822  était  en 
déficit  de  382  fr.  85.  Le  personnel  actif  était  le  même 
que  précédemment;  c'était,  avec  le  P.  Tempier,  le 
P.  ToucoE  et  le  P.  Bourrelier.  Quand  le  P.  Touche  était 
en  mission,  presque  tout  reposait  sur  le  P.  Tempier,  car, 
dit-il,  le  P.  Bourrelier,  bon  jardinier  eimenuisier  habile, 
était  à  peu  près  nul  pour  les  choses  du  ministère.  En 
mai  1822,  le  P.  Moreau  fut  de  maison  au  Laus  ;  c'est  lui, 
comme  nous  le  verronS;,  qui  en  sera  le  supérieur,  au 
départ  du  P.  Tempier,  en  mars  18^3.  Le  service  de  la 
paroisse  et  du  pèlerinage  était  donc  toujours  assuré  ; 
nous  n'avons  rien  de  particulier  à  noter  sur  ce  point.  Le 
pèlerinage  se  maintenait  dans  un  excellent  état;  les 
concours  se  renouvelaient  périodiquement,  et  les  neu- 
vainistes  ne  faisaient  pas  défaut.  La  présence,  au  Laus, 
des  novices  et  des  scolastiques,  en  permettant  de  donner 


—  193  — 

aux  cérémonies  plus  d'éclat  et  de  solennité,  fut  un  at- 
trait de  plus  pour  les  pèlerins  ;  leur  vie  si  régulière,  leur 
fervente  piété  qui  s'épanchait  en  prières  ferventes  aux 
pieds  de  Marie,  étaient  pour  tous  une  bonne  leçon  de 
vie  chrétienne  et  un  grand  sujet  d'édification. 

Le  noviciat  et  le  scolasticat  devaient  cependant  quitter 
le  Laus,  cette  année  même  1822. 

Voici,  en  peu  de  mots,  les  motifs  qui  déterminèrent 
cette  mesure. 

Les  occupations  du  ministère  extérieur,  jointes  à  la 
conduite  de  la  communauté  et  à  son  administration 
temporelle  absorbaient  tous  les  instants  du  supérieur 
local  ;  il  lui  était  difficile  de  prévoir  et  de  prévenir  les 
incidents  fâcheux  qui  pouvaient  troubler  la  paix,  le  bon 
esprit  et  le  bon  ordre  de  la  communauté.  Divers  faits  se 
produisirent,  en  cette  année  1822,  qui  multiplièrent  les 
soucis  et  les  embarras  du  P.  Tempier.  Quelques  sujets 
montrèrent  peu  de  garanties  de  persévérance  ;  il  fallut 
les  renvoyer.  Un  hypocrite  s'était  glissé  dans  la  commu- 
nauté; on  l'expulsa.  Un  Oblat  sous-diacre,  ex-professeur 
de  philosophie,  caractère  indépendant  et  tyran  de  ses 
élèves,  dut  cesser  sa  classe  et  fut  renvoyé  à  Aix  (1).  D'un 
autre  côté,  plusieurs  sujets,  étant  tombés  malades,  de- 
mandèrent à  aller  dans  leur  famille  ;  ceux  qui  étaient 
soignés  h  la  maison  se  montraient  exigeants.  Toutefois, 
les  valides,  c'était  le  grand  nombre,  ne  perdaient  rien 
de  leur  ardeur  pour  l'étude,  et  donnaient  pleine  satis- 
faction à  leur  cher  supérieur,  par  leur  bon  esprit  et  leur 
application  à  se  former  aux  solides  vertus  religieuses. 
Les  sujets  renvoyés  ne  tardaient  pas  à  être  remplacés  ; 
signalons  parmi  les  nouveaux  venus,  le  jeune  Telmon, 
qui  n'avait  que  quatorze  ans,  et  un  prêtre  de  Gap  âgé 

(1)  Le  F.  C...,  dont  il  a  été  fait  mention  plus  haut. 


—  194  — 

de  trente  ans,  le  P.  Jouhdan,  qui,  l'année  suirante, 
après  son  oblation,  ouvrit  la  liste  trop  nombreuse  de 
nos  défunts. 

Telle  était  la  situation  de  la  communauté  quand,  à  IeI 
fin  du  printemps  1822,  le  Fondateur  fît  une  apparitioii 
de  qtielques  jollrs  à  Notre-Dame  du  LaUs.  Dès  lorâ,  l'état 
de  choses  s'améliora.  Les  novices  indécis  bU  qui  don-, 
naiètlt  peu  d'espérance  furent  renvoyés.  «  Le  noviciat, 
disait  fort  justement  le  P.  de  Mazenod,  n'est  pas  destiné 
à  convertir  les  pécheurs  ;  dn  ddity  travailler  réSOluiHent 
à  sa  perfection  religieuse.  »  Le  sbhs-diacre  professetlt", 
renvoyé  à  Aix,  était  revenu  amendé,  et  il  reprit  sa  classe  ; 
tdus  les  novices  se  raffermirent  dans  l'esprit  de  leur  vo- 
cation, au  souffle  et  par  la  présence  de  leur  vrai  Père, 
dont  la  fermeté  relevait  leur  courage,  en  même  temps 
qtie  sa  tendresse  gagnait  leur  cœur. 

Au  mois  de  juillet,  le  P.  Tempier  s'abSenta  pour  don- 
ner une  mission  à  Ancelle,  en  Valgodémar,  le  P.  MbREAu 
le  remplaça  pour  diriger  les  junioristes,  novices  et 
Oblats.  Sous  sa  direction,  le  P.  Suzanne  fut  pehdaht 
quelques  semaines  spécialement  chargé  des  Oblats  aux- 
quels il  faisait  la  classe  de  dogme,  et,  deux  fois  par  se- 
maine, il  leur  adressait  en  particulier  une  instruction, 
polit"  achever  de  les  former  à  la  vie  religiëilse. 

Au  jugement  du  P.  Moreau,  les  étudiatitS  et  les  îlti- 
vices  sont  bons,  mais  faibles  dans  leurs  études,  «  et  je 
crois,  ajoutait-il,  que  le  P.  Tempier  juge  Un  peu  trop 
favorablement  cette  jeunesse  ».  Un  des  novices,  profi- 
tant de  l'absence  du  P.  Tempier,  avait  pris  la  clef  des 
champs  ;  à  l'appel  du  P.  Moreau,  le  P.  Tempier  revint  au 
Laus  et  le  fugitif  rentra  dans  la  maison.  A  l'occasion  de 
tous  ces  contretemps  fâcheux,  le  bon  supérieur  s'humi- 
liait et  s'accusait  lui-même,  comme  s'il  était  la  cause  de 
tout  le  mal.   «  Vous  m'avez  jugé  trop  favorablement, 


195  — 

écrivait-il  au  P.  de  Mazenod,  en  me  mettant  à  la  tête 
d'une  communauté  comme  celle-ci.  » 

Le  P.  Supérieur  partit  de  nouveau  en  mission  et  le 
P.  MoREAU  reprit  la  charge  du  gouvernement  du  Laus; 
il  s'en  effrayait,  car  le  P.  Suzanne  n'était  plus  là  pour  le 
seconder  et  le  conseiller.  Il  s'acquitta  bien  cependant  de 
sa  tâche  laborieuse,  qui  dura  jusqu'aux  premiers  joUrs 
d'octobre. 

A  cette  époque,  le  P.  de  Mazenod  pril  la  mesure  qu'il 
méditait  depuis  déjà  un  cei'taih  téiiips;  elle  cohsistâit  à 
faire  revenir  à  Aix  les  novices  et  les  scolastiques  sous  là 
direction  du  P.  Courtes  ;  les  étudiants  ou  junioristes  res- 
teraient seuls  au  Laus.  Evidertimeilt  ce  qUi  s'était  passé 
celte  année  lui  avait  donné  à  réfléchir.  Tout  en  rendant 
pleine  justice  au  P.  Tëmpier,  il  avait  compi'is  qu'il  lui 
était  physiquement  et  moralement  impossible  de  mener 
de  froiit,  avec  succès,  les  charges  multiples  qui  pesaient 
sbr  ses  épaules.  Il  s'explique  sur  ce  sujet,  dans  une  lettre 
adressée  au  P.  Suzanne  :  «  Les  novices,  au  Laus,  n'ont 
pas  une  direction  siiffisante  ;  le  P.  Tempier  est  tro^ï  sur- 
mené et  absorbé,  pour  leur  donner  tous  les  soins  voulus. 
Un  grand  inconvénient  aussi  est  qu'ils  sont  trop  occdpés 
de  belles-lettres,  alors  qu'ils  ne  devraient  s'appliquer 
qu'aux  choses  de  la  perfection.  D'ailleilt-s,  l'hiver  est 
bien  long  et  bien  rude  au  Laus  et  nos  jeurlès  gens  se- 
ront mieux  à  Aix.  » 

En  conséquence,  tout  fut  disposé,  à  Aix,  pour  recevoir 
les  émigrants.  Au  Laus,  le  P.  Moreau  prépara  et  mena 
activement  la  question  du  déménagement;  le  i  octobte, 
tout  était  prêt,  le  P.  Tempier  revint  de  mission  pour  pré- 
sider au  départ,  et  le  P.  Moreau  emmena  la  première 
bande,  qui  arrivait  à  Aix  le  13  octobre,  en  bon  port. 
Quatre  jours  après,  la  translation  était  complète,  tous  les 
novices  se  trouvaient  réunis  dans  leur  nouveau  domicile. 


—  196  — 

Au  mois  de  novembre,  le  P.  Tempier  descendait,  à  son 
tour,  à  Aix,  avec  une  cargaison  de  linge  et  de  livres  d'étu- 
des, laissée  au  Laus.  Le  noviciat  avait  résidé  au  Laus 
deux  ans  et  quatre  mois  environ,  du  21  juin  1820  au 
17  octobre  1822.  Ce  départ,  comme  bien  l'on  pense,  fit 
grande  sensation  dans  le  pays;  les  bruits  les  plus  étran- 
ges se  répandirent  dans  la  ville  de  Gap  et  dans  tout  le 
diocèse.  Les  missionnaires,  disaient  les  uns,  vont  aban- 
donner le  Laus  ;  non,  répliquaient  les  autres,  mais  ils 
prennent  leurs  mesures  contre  le  futur  évêque  qui  pour- 
rait bien  leur  redemander  les  sujets  de  son  diocèse.  On 
laissa  dire,  et  les  commentaires  prirent  fin.  Depuis  ce 
départ,  le  P.  Tempier,  occupé  à  divers  travaux  apostoli- 
ques, ne  revint  guère  au  Laus  ;  les  PP.  Moreau  et  Bourre- 
lier desservirent  la  paroisse  et  le  sanctuaire,  et  au  mois 
de  mars  ^823,  croyons-nous,  le  P.  Moreau  était  nommé 
supérieur  du  Laus.  Les  années  1822  et  1823,  au  point 
de  vue  de  l'apostolat,  furent  aussi  des  plus  laborieuses 
pour  les  deux  Pères  qui  résidaient  au  Laus.  Il  nous  reste 
à  signaler  les  diverses  localités  qu'ils  évangélisèrent. 
Pendant  les  trois  premiers  mois  de  1822,  le  P.  Touche 
prend  part  aux  missions  données  par  nos  Pères  d'Aix  et 
de  Marseille.  En  janvier,  nous  le  voyons  à  Saint-Zacha- 
rie,  canton  de  Saint-Maximin,  puis  à  Signes,  au  pied 
de  la  Sainte-Beaume,  canton  du  Beausset  ;  tous  deux  du 
diocèse  de  Fréjus;  au  retour,  il  visita  Saint-Léger  qu'il 
avait  administré  en  1821.  Il  ne  resta  que  peu  de  temps 
au  Laus,  M.  de  Mazenod  l'appela  à  la  mission  qui  se  don- 
nait à  Lorgues,  du  diocèse  de  Fréjus,  chef-lieu  de  canlon, 
et  de  l'arrondissement  de  Draguignan. 

M.  de  Mazenod  lui-même  dirigeait  la  mission,  qui  dura 
tout  le  mois  de  mars  et  eut  le  même  succès  que  celle  de 
Barjols,  prêchée  en  1818  parles  Missionnaires  de  Pro- 
vence. Après  cette  campagne  dans  le  diocèse  de  Fréjus, 


-  197  — 

le  P.  Touche,  rentra  au  Laus  pour  les  Pâques,  et  en  re- 
partit quinze  jours  après  pour  la  mission  de  Barcelon- 
nelte,  chef-lieu  de  canton  (Basses-Alpes),  diocèse  de 
Digne.  La  ville,  qui  ne  comptait  guère  plus  de  2000  habi- 
tants, est  située,  sur  la  rive  droite  de  l'Ubaye,  à  i  133  mè- 
tres d'altitude.  Dirigée  par  le  P.  de  Mazenod,  cette  mission 
dura  aussi  un  mois  entier,  du  20  avril  au  20  mai.  «  La 
mission,  écrit  le  P.  Tempier,  a  réussi,  au  grand  contente- 
ment de  l'évêque  de  Digne,  et  il  a  manifesté  le  désir  que 
l'on  évangélisât  toute  la  vallée  de  Barcelonnette  cette 
année.  »  Une  des  conquêtes  de  cette  mission  fut  l'entrée 
au  noviciat  du  Laus  du  jeune  Telmon,  âgé  de  quatorze 
à  quinze  ans. 

Le  P.  Touche  revint  prendre  quelques  semaines  de  re- 
pos près  du  sanctuaire  de  Notre-Dame,  puis  se  remit  en 
campagne  ;  le  P.  Mie  et  lui  évangélisèrent  Saint-Maurice, 
en  Gaudemard,  paroisse  d'environ  400  habitants,  canton 
de  Saint-Firmin,  diocèse  de  Digne.  Après  quelques  légè- 
res épreuves  de  la  part  du  curé  et  quelques  menaces  in- 
signifiantes du  juge  de  paix,  la  mission  marcha  bien,  le 
peuple  se  montra  plein  de  bonne  volonté,  docile  et  as- 
sidu aux  exercices.  «  Les  espérances  des  missionnaires 
furent  dépassées,  et  ils  ne  laissèrent  en  arrière  que  quel- 
ques brebis  galeuses.  La  croix  de  mission  fut  plantée  le 
2  juillet;  on  laissa  à  Saint-Maurice  deux  congrégations 
bien  établies,  l'une  de  garçons,  l'autre  de  filles  (1).  » 

Le  P.  DE  Mazenod,  voulant  faire  un  bien  durable  dans 
les  paroisses  évangélisées  par  ses  missionnaires,  n'accep- 
tait de  missions  qu'autant  que  les  missionnaires,  après  un 
certain  laps  de  temps,  reviendraient  dans  les  paroisses 
où  ils  avaient  travaillé  ;  c'est  ce  qu'on  appelait  retour  de 
missions.  Aussi,  voyons-nous  les  PP.  Mie  et  Touche,  après 

(1)  Lettre  du  P,  Tempier. 

T.  XXXV,  14 


—  198  — 

avoir  quitté  Saint-Maurice,  s'en  aller  à  la  Chapelle,  qui 
avait  été  évangélisée  en  1821.  Ils  réunirent  à  la  sainte 
table,  après  huit  jours  d'exercices, 450  personnes,  autant 
d'hommes  que  de  femmes.  De  là,  ils  revirent  également 
les  paroisses  de  Villars  et  de  Clémence  d'Ambelle,  où 
leur  présence  produisit  le  même  bien.  Tandis  que  le 
P.  Touche  revoyait  les  paroisses  qu'il  avait  évangélisées, 
pendant  l'hiver,  les  PP.  Mie  et  Tempier  faisaient  aussi 
des  retours  de  mission  à  Ancelle  et  à  Chabottes,  canton 
de  Saint-Bounet,  arrondissement  de  Gap. 

Au  mois  d'août,  même  travail  par  les  PP.  Mie  et  Mo- 
REAU,  alors  de  maison  au  Laus,  à  Champolléon,  gros  bourg 
de  722  habitants,  canton  d'Orcières  (Hautes-Alpes). 

A  la  rai-septembre,  les  PP.  Tempier,  Mie  et  Touche 
s'acheminaient  vers  Saint-Etienne-en-Dévoluy,  chef-lieu 
de  canton,  arrondissement  de  Gap.  «  Le  pays  est  sauvage, 
écrit  le  P.  Tempier,  et  le  P.  Mie  s'en  effraye,  les  gens  qui 
sont  bien  disposés  ont  un  long  chemin  à  faire  pour  venir 
à  l'église  principale.  Aussi,  le  P.  Touche  s'est  installé  au 
centre  du  pays,  entre  deux  ou  trois  hameaux  éloignés 
de  1  lieue  à  1  lieue  et  demie  de  Saint-Etienne.  Il  y 
fait  les  exercices  pendant  la  semaine,  donne  les  instruc- 
tions, entend  les  gens  au  confessionnal;  le  dimanche 
seulement,  il  y  a  réunion  générale  à  Saint-Etienne.  »  La 
mission  eut  un  excellent  résultat  et  se  termina  vers  le 
20  octobre.  Le  P.  Tempier  donna,  en  novembre,  une  re- 
traite paroissiale  au  Poët,  commune  de  SOO  habitants, 
canton  de  Laragne  (Hautes-Alpes).  Le  P.  Touche,  de  son 
côté,  portait  des  secows  dans  les  Basses-Alpes,  sur  la  rive 
gauche  de  la  Durance,  à  deux  petites  paroisses,  Glaret 
et  Melve,  canton  delà  Motte,  arrondissement  de  Sisteron. 
Le  P.  Touche  dit  quelque  part  :  «  les  résultats  ne  se  res- 
semblaient pas  partout;  tandis  qu'on  adorait  le  mission- 
naire dans  une  paroisse,  dans  irautre,  il  n'y  faisait  pas 


—  199  — 

grand'chose  et  avait  même  à  subir  les  injures  et  les  atta- 
ques des  jeunes  gens  ».  Le  P.  Touche  avait  un  grain 
d'originalité  plus  ou  moins  cavalière,  et  son  zèle,  qui 
était  grand,  manquait  parfois  de  prudence,  ce  qui  lui 
suscita  quelques  aventures  peu  agréables.  On  remarquera 
que  pendant  cette  année  4822,  les  missionnaires  du  Laus 
furent  presque  tout  le  temps  en  campagne,  et  qu'ils 
évangélisèrent,  à  la  grande  satisfaction  de  1  evêque  de 
Digne,  bon  nombre  de  paroisses  importantes  de  son  dio- 
cèse. 

Nous  voici  en  l'année  1823.  Les  missions  débutent  en 
janvier,  par  la  célèbre  mission  de  Tallard,  chef-lieu  de 
canton  de  1100  habitants,  à  14  kilomètres  de  Gap,  et  si- 
tué sur  un  roc  qui  domine  la  Durance  (Hautes-Alpes).  Le 
P.  DE  Mazenod  la  dirigeait  en  personne  à  la  tête  de  qua- 
tre missionnaires,  les  PP.  Tempier,  Deblieu,  Suzanne  et 
Touche.  Plusieurs  lettres  de  notre  vénéré  Fondateur, 
écrites  de  Tallard  au  P.  Courtes,  nous  donnent  des  détails 
intéressants  sur  la  mission  de  Tallard. 

«  La  mission  n'avait  pas  d'abord  l'air  de  faire  grande 
impression  sur  les  gens  de  Tallard. ..  Mais  huit  jours  après, 
ils  sortaient  de  leur  apathie  et  se  sentaient  pris  ;  ce  mou- 
vement ne  fit  que  s'augmenter,  l'affluence  aux  exercices 
devint  considérable  ;  les  autorités  elles-mêmes  donnaient 
l'exemple;  juge  de  paix,  maire,  médecin,  assistaient  ré- 
gulièrement aux  exercices  et  se  confessèrent.  Tel  était 
l'entrain  de  la  population  et  ses  excellentes  dispositions, 
qu'une  noce  se  récréait  au  chant  des  cantiques  ;  tous  les 
soirs,  dans  les  réunions  de  famille  et  même  au  café,  il 
n'était  question  que  delà  mission,  et  là  aussi  on  chantait 
des  cantiques.  » 

Le  P.  DE  Mazenod,  dont  la  santé  exigeait  beaucoup  de 
ménagements,  se  contentait  de  faire  l'exercice  de  l'exa- 
men particulier  et  de  donner  les  avis  le  soir.  Les  mission- 


—  200  — 

naires  faisaient  vaillamment  et  bien,  beaucoup  de  beso- 
gne ;  le  P.  Suzanne  entre  autres,  se  montra  déjà  excellent 
missionnaire. 

Le  17  janvier,  le  P.  de  Mazenod  écrivait  encore  de  Tal- 
lard  ;  «  La  mission  ne  peut  aller  mieux,  tout  le  monde 
est  content.  »  C'est  quelques  jours  après  que  M.  de  Ma- 
zenod, ayant  reçu  la  nouvelle  de  la  nomination  de  son 
oncle,  M»""  Fortuné  de  Mazenod,  au  siège  épisccpal  de 
Marseille,  partit  pour  Aix,  et  laissa  le  P.  Tempier  conti- 
nuer les  exercices  avec  ses  compagnons.  La  mission  de 
Tallard,  couronnée  de  succès,  se  termina  le  31  jan- 
vier 1823.  Au  mois  de  février,  après  quelques  jours  de 
repos,  les  PP.  Tempier  et  Suzanne,  que  rejoignit  le 
P.  MoREÀU,  allaient  donner  la  mission  du  Lauzet.  Le 
Lauzet  est  aussi  un  chef-lieu  de  canton  de  1000  habi- 
tants, arrondissement  de  Barcelonnette  (Basses-Alpes). 
Le  bourg  ne  manque  pas  de  pittoresque,  il  est  situé  à 
900  mètres  d'altitude,  sur  une  sorte  d'isthme  rocailleux, 
entre  la  rive  gauche  de  l'Ubaye  et  un  joli  petit  lac.  La  mis- 
sion s'ouvrit  le  dimanche  de  la  Quinquagésime,  et  se  clô- 
tura le  deuxième  dimanche  du  mois  de  mars.  «La  mission 
fut  aussi  complète  qu'elle  pouvait  Têlre,  les  missionnai- 
res confessèrent  428  femmes  et  400  hommes  sur  une  po- 
pulation d'environ  1000  âmes...  La  croix  de  mission  fut 
plantée  sur  une  montagne  qui  domine  la  vallée  de  tous 
côtés,  dix  notables  se  sont  engagés  à  faire  construire  au 
printemps  quatorze  oratoires  ou  stations  du  chemin  de  la 
croix  pour  aller  au  calvaire  (1).  »  Le  P.  Tempier  avait 
terminé  ses  travaux  apostoliques  comme  supérieur  du 
Laus,  où,  comme  nous  l'avons  dit,  il  fut  remplacé  par 
le  P.  MoREAU.  Nous  poursuivrons,  au  chapitre  suivant,  la 
série  des  missions  qui  eurent  lieu  en  cette  année  1823. 

(1)  Compte  rendu  de  la  Mission  au  Supérieur  général  par  le 
P.  Tempier. 


—  201   — 

L'année  1823  fut  marquée  par  la  nomination,  au  siège 
de  Marseille,  de  i\Ie^  Charles-Fortuné  de  Mazenod,  oncle 
du  P.  DE  Mazenod,  Fondateur  des  Missionnaires  de  Pro- 
vence. Comme  nous  l'avons  vu,  M.  de  Mazenod  apprit 
cette  nomination  à  Tallard  ;  il  se  hâta  d'aller  près  de 
son  oncle,  qui  fut  préconisé  par  Pie  VII,  dans  le  Consis- 
toire du  16  mai  1823,  et  reçut  la  consécration  épiscopale 
le  6  juillet,  dans  la  chapelle  de  Notre-Dame  de  Lorette, 
du  séminaire  d'Issy,  près  Paris,  où  le  futur  prélat  avait 
fait  sa  retraite.  Huit  jours  après,  le  14  du  même  mois,  il 
prenait  possession  de  son  diocèse  par  procureur,  le 
R.  P.  Tempier,  Missionnaire  de  Provence,  Supérieur  du 
Laus.  Enfin,  le  10  août,  M^'  Fortuné  de  Mazenod  faisait 
son  entrée  épiscopale  d'installation  sur  le  siège  de  Mar- 
seille. Le  prélat  nomma  premier  vicaire  général  son 
neveu,  Charles-Eugène  de  Mazenod,  et  celui-ci  fit  agréer, 
comme  second  vicaire  général,  le  P.  Tempier,  qui  devint 
ainsi  son  collègue  et  son  collaborateur,  son  autre  lui- 
même.  Le  P.  Tempier  ne  pouvait  rester  supérieur  au 
Laus  ;  il  vint  résider  à  Marseille,  pour  remplir  ses  nou- 
velles fonctions  d'administrateur  du  diocèse  (1). 

L'évêché  de  Gap  fut  rétabli  en  cette  même  année  ;  le 
grand  vicaire  de  Digne,  que  nous  connaissons,  M .  Charles- 
Antoine  Arnaud,  fut  nommé  au  siège  de  Gap.  Préconisé 
au  consistoire  du  16  mai,  en  même  temps  que  le  nouvel 
évêque  de  Marseille,  il  fut  sacré  le  même  jour  et  au 
même  lieu,  le  6  juillet,  dans  la  chapelle  du  Séminaire 
d'Issy,  près  Paris.  La  maison  du  Laus  n'appartenait  plus 
à  la  juridiction  de  l'évêque  deDigne,  M^'  deMioUis  ;  elle 
fut  désormais  du  ressort  de  l'administration  du  diocèse 
de  Gap. 

«  Tandis  que  les  vœux  du  pieux  Fondateur  se  réali- 

(1)  Vie  de  il/gr  de  Mazenod,t.  I,  liv.  II,  chap.  xii,  p.  352  et  suivantes. 


—  202  — 

saient,  ce  semble,  au  delà  de  toute  espérance,  et  que 
son  œuvre,  désormais  puissamment  consolidée,  parais- 
sait devoir  se  développer  sans  obstacle,  à  l'abri  d'un 
pouvoir  épiscopal  qui  ferait  sa  force,  comme  elle  en  se- 
rait elle-même  l'appui,  Dieu  réservait  à  cette  œuvre 
répreuve  la  plus  formidable  qu'elle  eût  jusque-là  subie... 
Le  coup  lui  vint  à  la  fois  de  l'intérieur  et  de  l'extérieur  ; 
elle  vit  son  existence  même  menacée,  et  par  la  défection 
de  quelques-uns  de  ses  principaux  membres  et  par  les 
décisions  des  évêques  sous  la  juridiction  desquels  la  So- 
ciété, non  encore  approuvée  de  Rome,  était  directement 
placée  (1).  » 

Les  défections,  dont  il  est  parlé,  eurent  lieu  dans  les 
derniers  mois  de  l'année  1823;  ceux  qui  quittèrent  la 
Congrégation,  en  dépit  de  leur  vœu  de  persévérance, 
sollicitèrent  la  dispense  de  leurs  vœux  auprès  des  évê- 
ques dont  ils  étaient  les  diocésains.  L'archevêque  d'Aix 
et  l'évêque  de  Fréjus  déclarèrent  nuls  ces  engagements 
qui,  disaient-ils,  avaient  été  pris  au  préjudice  d'un  tiers, 
c'est-à-dire  de  l'autorité  épiscopale. 

La  maison  du  Laus,  sous  le  coup  de  cette  crise,  faillit 
perdre  le  P.  Moreau,  mais  pour  d'autres  raisons  que 
celles  invoquées  par  ceux  qui  quittèrent  définitivement 
la  Société.  Toujours,  il  avait  été  un  fidèle  observateur 
des  règles  de  l'institut  ;  cependant,  la  composition  des 
sermons  lui  coûtait  beaucoup,  les  travaux  des  missions 
lui  semblaient  trop  distrayants,  il  se  trouvait  troublé 
par  une  vie  si  active.  Devenu  supérieur,  il  s'effraya  des 
responsabilités,  s'exagérant  son  incapacité  pour  cette 
charge.  Dès  lors,  il  se  crut  appelé  à  un  genre  de  vie  plus 
austère  ;  s'étant  rais  en  relation  avec  un  P.  Franciscain 
d'Avignon,  il  alla  s'enfermer  dans  un  cloître  pour  y  va- 

(1)  Vie  de  Mv  de  Mazenod,  t.  I,  liv.  II,  chap.  un,  p.  371, 


—  203  — 

quer  à  la  vie  contemplative.  Une  lettre  des  plus  pater- 
nelles du  Fondateur  ramena  le  fugitif  à  la  maison  du 
LauS;  après  un  mois  seulement  d'absence.  Victime  d'une 
pieuse  illusion,  il  reconnut  sa  faute  et,  depuis  cette 
épreuve,  il  demeura  inébranlable  dans  son  attachement 
à  la  Congrégation,  dans  son  dévouement  à  toutes  ses 
œuvres. 

Terminons  ce  chapitre  en  disant  un  mot  des  relations 
de  Monseigneur  de  Digne  et  de  son  clergé  avec  les  mis- 
sionnaires du  Laus,  pendant  le  temps  que  le  P.  ïempibr 
gouverna  cette  maison. 

Il  faut  dire  que  les  Pères  n'étaient  pas  vus  du  même 
œil  par  tous  les  prêtres  des  Hautes  et  des  Basses-Alpes, 
La  plupart  ne  partageaient  pas  leurs  opinions  en  matière 
de  théologie  morale  ;  ils  ne  pouvaient  pas  ne  pas  rendre 
bon  témoignage  au  zèle  des  missionnaires,  n'être  pas 
heureux  des  bons  résultats  de  leurs  travaux  ;  mais,  en 
pratique,  ils  les  trouvaient  trop  larges. 

M^''  de  Miollis  ne  se  montrait  pas  des  plus  faciles  à 
laisser  entrer  ses  sujets  dans  la  Société.  C'était  plutôt 
par  tendance  naturelle  à  garder  pour  lui  ses  prêtres,  que 
par  méfiance  ou  mésestime  envers  les  Pères.  D'autre 
part,  comme  nous  l'avons  vu  et  comme  nous  le  verrons 
encore,  il  avait  ses  idées  à  lui  sur  la  conduite  à  tenir 
pendant  les  missions,  et  souvent  il  restreignait,  selon 
ses  vues,  la  liberté  d'action  des  missionnaires  ;  il  avait  la 
main  à  demi  fermée,  lorsqu'il  s'agissait  d'accorder  des 
pouvoirs.  Le  bon  évêque,  oublieux  des  conventions  faites 
avec  M.  de  iMazenod,  s'avisa,  entre  autres,  de  vouloir 
envoyer  au  Laus  pour  y  résider  dans  le  couvent,  quatre 
prêtres  peu  édifiants.  Le  P.  Tempier  en  écrivit  au  vicaire 
général,  M.  Arbaud,  le  priant  de  faire  entendre  raison  à 
M^'  de  Miollis.  On  ne  pouvait  et  l'on  ne  devait  recevoir  de 
telles  gens  au  Laus.  Parfois  aussi,  l'évêque  de  Digne  se 


—  204  — 

montrait  exigeant  et  réclamait,  pour  les  paroisses  va- 
cantes et  pour  les  missions,  plus  de  Pères  que  la  maison 
n'en  pouvait  donner.  Le  tableau  suivant  nous  met  sous 
les  yeux  les  services  spirituels  que  les  Pères  du  Lausont 
rendus  au  diocèse  de  Digne  pendant  cette  période,  de 
4819  à  1823,  avril. 

1819.  Mission  de  trois  semaines,  à  Remollon. 

1820.  Une  seule  mission  demandée,  à  Champolléon. 
— Secours  portés,  pendant  six  à  huit  jours,  à  plusieurs 
paroisses.  —  Desserte  de  paroisses  vacantes.  —  Deux 
mois  à  Saint-Léger. 

1821.  1°  Missions  d'Ancelle;  2°  de  la  Chapelle;  3°  de 
Villemur  et  Montfuron.  —  Retraites  :  1°  A  Saint-Jean  des 
Crottes  ;  2°  à  Chabottes  ;  3°  dans  deux  autres  paroisses. 

—  Desserte  de  plusieurs  paroisses  pendant  quelques  se- 
maines. 

1822.  r  Missions  de  Barcelonnette;  2°  de  Saint-Mau- 
rice; 3°  de  Saint-Élienne-en-Dévoluy  ;  4°  du  Poët.  — 
Six  retours  de  missions,  durant  huit  ou  dix  jours  chacun. 

—  Secours  portés  à  Claret,  à  Melve. 

1823.  Missions  :  1°  de  Tallard  ;  2°  du  Lauzet  ;  janvier, 
à  Mors. 

Ms'  de  Miollis  ne  pouvait  donc  se  plaindre  ;  non  seu- 
lement les  Pères  du  Laus,  mais  leurs  confrères  qu'ils 
appelaient  à  leur  aide,  dépensaient  généreusement  leurs 
forces  et  leur  zèle  au  profit  du  diocèse  qui  leur  donnait 
une  résidence.  Aussi,  malgré  quelques  nuages  passagers, 
l'administration  diocésaine  resta  en  excellents  termes 
avec  les  missionnaires  du  Laus. 


—  205  — 


Projet  d'un  établissement  à  Digne.  -—  Le  P.  Moreau,  supérieur  du 
Laus  (de  mars  à  octobre  1823).  —  Mouvement  du  pèlerinage.  — 
Le  nouvel  évéque  de  Gap,  Ms'  Arbaud.  —  L'accueil  qui  lui  est 
fait  par  son  clergé.  —  Il  est  sympathique  aux  Pères  du  Laus.  — 
Le  P.  Mie  remplace  le  P.  Moreau  comme  supérieur.  —  Travaux 
apostoliques  des  Père  du  Laus  (de  mars  à  décembre  1823). 

Il  nous  faut  dire  un  mot  d'un  projet  d'établissement 
d'une  nouvelle  maison  de  la  Société  que  le  supérieur  du 
Laus,  le  P.  Tempier,  essaya  d'exécuter,  sur  l'avis  du  Fon- 
dateur. Dès  1822,  le  rétablissement  du  diocèse  de  Gap 
était  regardé  comme  très  prochain.  M^''  de  Miollis,  com- 
prenant que  cette  restauration  lui  enlèverait  le  concours 
des  missionnaires  du  Laus,  laissa  entendre  à  M.  de  Ma- 
ZENOD  qu'il  verrait  avec  plaisir  un  établissement  de  ses 
missionnaires  à  Digne  même.  Tout  désireux  qu'il  était 
de  répondre  aux  avances  d'un  prélat  qui  lui  était  dé- 
voué, le  P.  DE  Mazenod  entrevoyait  bie{)i  des  difficultés 
à  la  réalisation  d'un  semblable  projet. 

Le  P.  Tempier,  en  son  nom,  fit  donc,  en  décembre  1822, 
le  voyage  de  Digne  et  s'aboucha  avec  l'administration 
diocésaine.  De  retour  au  Laus,  il  écrivait,  le  22  décembre  : 
«  Je  trouvai  l'évêque  et  les  grands  vicaires  peu  disposés 
à  former  l'établissement  qu'ils  avaient  semblé  vouloir 
établira  Digne.  L'évêque  consentait  seulement  à  fournir 
quelques  sujets,  à  condition  que  nous  continuerions  à 
missionner  dans  son  diocèse,  quand  il  serait  séparé  de 
celui  de  Gap.  Je  répondis  qu'on  ne  se  serait  prêté  au 
dessein  de  Monseigneur  de  former  un  établissement 
qu'au  prix  des  plus  grands  sacrifices,  vu  les  demandes 
qu'on  nous  adressait  de  tous  les  diocèses,  et  j'insistai 
pour  qu'on  nous  cédât  quelques  sujets.  Il  me  fut  ré- 
pondu  qu'on  était  d'autant   plus   disposé   à   le  faire, 


—  206  — 

qu'après  la  séparation,  le  diocèse  de  Digne  aurait  du 
superflu.  » 

Au  mois  de  mars  1823,  l'évêque  de  Digne  reprit  les 
pourparlers  et  envoya  ses  propositions  d'établissement, 
à  Digne,  avec  les  moyens  d'exécution.  M.  de  Mazenod 
délégua,  de  nouveau,  le  P.  Tempier  pour  traiter  l'affaire 
et  examiner  la  question  sur  les  lieux.  Voici  quelles  fu- 
rent les  propositions  de  M?""  de  MioUis;  «  Voulant  former, 
dans  son  diocèse,  une  maison  de  missionnaires  qui  se- 
raient, en  même  temps,  chargés  des  succursales  va- 
cantes, les  Missionnaires  de  Provence  logeraient  d'abord 
au  grand  séminaire  de  Digne,  oti  le  départ  des  élèves 
de  Gap  allait  faire  un  vide;  ils  exerceront  le  saint  minis- 
tère à  l'ancienne  cathédrale,  à  cinq  minutes  de  la  ville. 
Une  fois  bien  connus,  ils  recruteront  facilement  des 
sujets,  qui,  se  joignant  à  leur  Société,  augmenteront  le 
nombre  des  membres  du  nouvel  établissement.  »  M.  de 
Mazenod  entra  dans  les  vues  de  Me'  de  MioUis,  et  le  pro- 
jet eut  un  commencement  d'exécution  ;  à  diverses  re- 
prises, les  PP.  MiE,  Suzanne  et  Honorât  séjournèrent 
quelque  temps  au  grand  séminaire  de  Digne.  Mais, 
comme  il  était  aisé  de  le  prévoir,  l'évêque  de  Digne 
éleva  des  prétentions  inacceptables  par  le  supérieur  gé- 
néral.Il  voulut  avoir  la  haute  main  sur  les  missionnaires, 
en  disposer  à  son  gré,  sans  égards  aux  droits  du  supé- 
rieur général.  Il  n'accordait  de  secours  au  nouvel  établis- 
sement qu'autant  que  les  Pères  dépendraient  entière- 
ment de  lui.  C'était  dire  :  «  Servez-moi,  parce  que  je 
vous  paye  »  ;  et  enfin,  il  ne  s'engageait  nullement  à 
favoriser  l'entrée  des  sujets  de  son  diocèse  dans  notre 
Société. 

A  ces  exigences  de  l'évêque  de  Digne,  il  faut  joindre 
l'impossibilité  où,  par  suite  de  la  crise  que  subit  la  So- 
ciété dans  les  derniers  mois  de  1823,  le  P.  de  Mazenod 


—  207  — 

se  trouvait  de  fournir  des  sujets  à  rétablissement  de 
Digne. 

Le  Fondateur  s'en  expliquait  en  ces  termes  :  «  Depuis 
que  j'ai  promis  de  m'établir  à  Digne,  j'ai  perdu  trois 
prêtres  (MM .  Aubert,  Maunier  et  Deblieu).  L'archevêque 
d'Aix  nous  a  chargé  des  prisons,  c'est  un  prêtre  de  plus 
à  y  fixer;  voilà  donc  cinq  prêtres  nécessaires  à  Aix. Il  en 
reste  six  pour  Marseille  et  pour  le  Laus.  » 

C'est  ainsi  que  le  P.  de  Mazbnod  se  vit  dans  la  dure 
nécessité  de  renoncer  à  une  position  qu'il  aurait  désiré 
garder. 

Nous  avons  vu  le  P.  Moreau  remplacer,  au  Laus,  le 
P.  TEMPiER,p:pendant  les  missions  de  Tallard  et  du  Lau- 
zet,  janvier  et  février  1823.  Le  P.  Tempier  partit  pour 
Marseille,  dans  le  courant  du  mois  de  mars;  c'est  dans 
ce  mois  que  le  P.  Moreau  prit  la  direction  du  Laus,  avec 
le  titre  de  supérieur.  11  avait,  dans  sa  communauté,  le 
P.  JouRDAN,  qui  mourut  au  mois  d'avril,  à  Aix  ;  le 
P.  Touche,  le  P.  Bourrelier  et,  plus  tard,  au  mois  de 
juillet,  le  P.  Mie. 

Une  lettre  du  P.  Tempier,  datée  du  4  avril,  donne  au 
nouveau  supérieur  les  renseignements  dont  il  avait  be- 
soin pour  la  bonne  gestion  de  la  maison  :  a  Les  messes 
étaient  rétribuées,  les  unes  à  (2  sols,  les  autres  à  15  sols  ; 
sur  100  messes,  il  fallait  en  donner  15  ou  20  à  15  sols  ; 
sur  80,  les  donner  à  12  sols  :  on  les  envoie  dans  les  can- 
tons où  les  curés  en  manquent.  Le  loyer  de  l'hospice 
est  à  100  francs  ;  en  le  réparant,  on  pourrait  le  louer 
200  francs.  Le  bassin  de  la  Croix,  dont  les  honoraires 
sont  pour  nous,  peut  donner  120  francs  en  moyenne 
par  an.  J'ai  payé  à  Jouvent  environ  1500  francs,  pour 
achat  d'immeubles  et  autres  objets.  J'ai  vendu  pour 
500  francs  de  cantiques,  et  envoyé  la  contribution  de  la 
maison  à  la  caisse  générale.  Le  service  de  table  est  mi- 


—  208  — 

sérable,  cuillers  et  fourchettes  sont  dans  un  état  de 
rouille  impossible;  d'autres,  en  buis,  sont  ébréchées.  » 

Cette  année  1823,  les  pèlerins  vinrent  en  grand  nom- 
bre au  sanctuaire  du  Laus.  Parmi  les  processions  de  pa- 
roisses qui  se  présentèrent  au  mois  de  mars,  celle  de 
Tallard  se  distingua  entre  toutes  ;  les  gens  de  Tallard, 
non  contents  de  venir  en  masse,  avaient  à  cœur  de  faire 
des  neuvaines  pour  se  retremper  dans  la  prière  et  la  pé- 
nitence. Ils  prouvaient  par  là  combien  étaient  considé- 
rables et  constants  les  fruits  de  la  mission  qui  leur  avait 
été  donnée  en  janvier,  par  les  zélés  Missionnaires  du 
Laus.  Les  concours  du  mois  de  mai  furent  un  peu  moins 
nombreux,  le  temps  les  contraria.  Naturellement,  il  y 
eut  moins  d'offrandes  de  messes  que  de  coutume  ;  les 
autres  années,  à  pareille  époque,  on  recevait  de  1  200  à 
1300  messes,  il  n'y  en  eut  que  900.  Cependant,  les  fêtes 
du  mois  de  juin,  du  mois  d'août  furent  dignes  des  plus 
beaux  jours,  et  prouvèrent  que  la  dévotion  à  Notre-Dame 
du  Laus  n'était  pas  en  baisse.  «  C'est  toujours  même 
piété  fervente,  écrit  le  P.  Touche,  et  les  pèlerins  viennent 
de  loin,  de  Grenoble,  de  Vizille.  Ceux  de  Grenoble,  en 
passant  par  Gap,  sont  allés  saluer  le  Saint-Sacrement,  et 
sont  arrivés  au  Laus,  en  chantant  des  cantiques.  Le 
respect  humain  est  foulé  aux  pieds.  Vivent  nos  monta- 
gnes !  » 

Un  peu  plus  tard,  le  même  Père  écrivait  encore  au  P.  de 
Mazenod:  «Nous  avons  eu  jusqu'à  neuf  processions  parois- 
siales pour  les  Fêtes-Dieu,  pour  la  Saint-Jean  et  la  Saint- 
Pierre.  Nos  cérémonies  delà  procession  du  Saint-Sacre- 
ment se  sont  faites  avec  éclat  et  un  recueillement  qui 
allait  à  l'âme,  nombreuses  ont  été  les  communions.  On 
nous  annonce  une  paroisse  ,  Saint-Julien-en-Champ- 
saur,  que  l'on  n'a  jamais  vue  ici  ;  les  paroisses  où  nous 
avons  missionné  donnent  plus  d'édification  que  les  au- 


~  209  — 

très  ;  on  les  reconnaît  aisément  à  leur  bonne  tenue,]  à 
leur  foi  plus  ardente.  » 

Le  P.  Mie,  venu  pour  aider  les  Pères  au  mois  de  mai, 
était  encore  au  Laus,  en  juillet  et  en  août.  II  dit  de  son 
côté  :  «Je  suis  édifié  de  tout  ce  que  je  vois  au  Laus.  Les 
beaux  exemples  qui  frappent  chaque  jour  mes  yeux  me 
confondent  ;  la  ferveur  de  tant  de  pauvres  femmes,  de 
tant  déjeunes  filles  qui  ne  savent  pas  lire,  est  un  conti- 
nuel reproche  pour  ma  lâcheté  au  service  de  Dieu.  Nos 
Pères  ne  sont  pas  moins  édifiants  :  P.  Moreau,  notre  su- 
périeur, jeûne  tous  les  jours  ;  P. Touche  est  infatigable  et 
aime  ardemment  Notre-Seigneur  au  Très  Saint  Sacre- 
ment ;  P.  Bourrelier,  qui  est  revenu  ici  après  la  mort 
du  cher  P.  Jourdan,  se  livre  à  l'étude  dans  la  théologie 
de  Poitiers.  » 

Ainsi  le  P.  Moreau,  très  mortiâé,  Jei/ naît  tous  les  jours, 
il  dépassait  la  lettre  et  l'esprit  des  règles  de  l'institut  ; 
cette  tendance  à  l'austérité  fut  une  des  causes  qui  le 
portèrent  à  quitter  le  Laus  et  à  aller  s'enfermer  dans  un 
cloître,  comme  nous  l'avons  dit  plus  haut;  c'était  dans 
le  mois  de  septembre.  Il  rentrait  au  Laus  à  la  mi-octo- 
bre, cille  P.  MiE  l'avait  remplacé  comme  supérieur.  De- 
puis, il  rendit  de  grands  services,  tantôt  comme  mis- 
sionnaire, tantôt  comme  professeur,  au  grand  séminaire 
d'Ajaccio,  où  il  fut  nommé  supérieur  en  1841  et  succéda 
au  P.  GuiBERT,  appelé  au  siège  de  Viviers.  Le  P.  de  Ma- 
ZENOD  avait  dit  de  lui,  quand  éclata  la  crise  intérieure 
dont  nous  avons  parlé  plus  haut  :  «Moreau  n'est  qu'un 
homme  abusé,  les  autres  sont  des  traîtres.  » 

Il  est  temps,  avant  d'exposer  la  série  des  travaux  apos- 
toliques de  cette  année,  de  faire  connaissance  avec  le 
nouvel  évoque  de  Gap,  M^""  Arbaud. 

François-Antoine  Arbaud  était  né  à  Manosque,  au 
diocèse  de  Digne,  le  12  juin  1768.  Ordonné  prêtre  à  Nice, 


—  210  — 

en  1792,  il  vécut  à  l'étranger  jusqu'en  1799,  et  en  1801, 
il  fut  nommé  curé  à  Villeneuve,  canton  et  arrondisse- 
ment de  Forcalquier,  qu'il  administra  jusqu'en  1809.  Il 
professa  ensuite  la  théologie  au  grand  séminaire  de  Di- 
gne pendant  un  an,  et  en  1810,  M«'  MioUis  le  nommait 
grand  vicaire  du  diocèse,  mais  il  ne  fut  reconnu  que  le 
15  septembre  181 1 ,  par  le  gouvernement  de  Napoléon  I*'. 
C'est  de  lui  que  relevait  l'administration  ecclésiastique 
des  Hautes-Alpes,  comme  archidiacre  de  Gap  ;  aussi 
connaissait-il  parfaitement  cette  partie  si  importante  du 
diocèse  de  Digne.  Nous  avons  vu  qu'il  fut  sacré  à  Issy, 
6  juillet  1823,  en  même  temps  que  M^""  Fortuné  de  Ma- 
zenod,  évêque  de  Marseille.  Il  fit  son  entrée  à  Gap  le 
29juilletdela  même  année.  «Ms'^Arbaud  avait  été  promu 
à  la  charge  pastorale  à  l'âge  de  cinquante-cinq  ans, 
après  une  longue  et  laborieuse  préparation.  Sa  vie  anté- 
rieure avait  été  studieuse  et  apostolique...  La  doctrine 
ne  lui  manquait  pas.  Quand,  en  1823,  le  siège  de  Gap  fut 
rétabli,  personne  ne  parut  plus  apte  à  gouverner  un  dio- 
cèse dont  il  connaissait  déjà  fort  bien  le  clergé,  les  ha- 
bitudes et  les  besoins...  Les  disciples  du  P.  de  Mazenod, 
connaissant  la  science  et  la  piété  du  nouvel  évêque,  étaient 
convaincus  qu'ils  trouveraient  en  sa  personne  un  protec- 
teur et  un  ami  (1).  »  M.  Paguelle  de  Follenay  que  nous 
venons  de  citer,  dit  que  tous  applaudirent  au  choix  qu'on 
avait  fait  de  M^'"  Arbaud  pour  le  siège  de  Gap,  D'après 
le  P.  Tempier,  les  applaudissements  ne  furent  pas  aussi 
universels  que  veut  bien  le  dire  l'historien  du  cardinal 
Guibert.  Dans  les  derniers  jours  de  janvier,  les  PP.  Tem- 
pier et  Suzanne  quittaient  Tallard  et  se  rendaient  à  Gap; 
pour  voir,  dit  le  P.  Tempier,  la  mine  de  certaines  gens: 
«  Nous  avons  mis  exprès,  sur  les  voies,  les  personnes  que 

(1)  Vie  du  cardinal  Guibert,  t.  I,  ohap.  vt,  p.  863. 


—  2i1    — 

nous  avons  vues,  pour  voir  ce  qu'ils  pensaient  sur  leur 
évêque-nommé.  Quelles  tristes  gens  I  Curés,  vicaires,  n'ont 
pas  desserré  les  dents  ;  des  personnes  de  marque  sont 
aussi  insensibles.  Le  clergé  n'a  pas  pris  la  peine  d'écrire 
à  son  évêque,  ni  en  commun,  ni  en  particulier,  c'est  tout 
au  plus  si  le  curé  de  Gap  l'a  fait.  C'est  M.  Arbaud,  disent- 
ils,  il  n'y  a  pas  de  quoi  tant  se  gêner.  »  L'arrivée  de 
M^""  Arbaud  à  Gap  ne  paraît  pas  non  plus  avoir  excité  un 
enthousiasme  universel,  les  autorités  civiles  firent  plus 
de  frais  que  les  autorités  ecclésiastiques. 

Les  PP.  MoREAU  et  Toucoe  allèrent,  ce  jour-là,  pré- 
senter leurs  hommages  au  prélat  qui  leur  fit  beaucoup 
de  politesse.  Le  P.  Mie  écrivait  le  12  août  :  «  Mer  de  Gap 
nous  témoigne  beaucoup  de  bontés,  il  nous  invite  à  sa 
table  chaque  fois  que  nous  allons  à  Gap.  »  Ainsi,  les 
Pères  du  Laus  n'eurent  qu'à  se  féliciter  de  leur  nouvel 
évêque  dans  les  premiers  temps;  nous  verrons  bientôt  le 
prélat  prendre  à  leur  égard  une  attitude,  sinon  hostile, 
au  moins  singulièrement  pénible  pour  eux. 

Les  Pères  avaient  continué  leurs  travaux  depuis  le 
mois  de  mars  ;  les  PP.  Suzanne  et  Touche  firent  un  retour 
de  mission  à  Tallard,  et  le  P.  Moreau  à  Remollon.  Au 
sortir  de  Tallard,  le  P.  Touche  évangélisa  la  petite  pa- 
roisse de  Rambaud,  canton  de  Bâtie-Neuve,  à  6  kilomè- 
tres de  Gap.  De  là,  il  alla  donner  des  retraites  paroissiales 
à  Chabotonnes  et  à  Chabottes,  du  canton  de  Saint- 
Bonnet,  arrondissement  de  Gap  ;  elles  eurent  des  résul- 
tats consolants,  plusieurs  personnes  revinrent  à  la  pra- 
tique de  leurs  devoirs  de  chrétiens  après  de  longues 
années  de  négligence.  Dans  le  même  canton,  il  prépara 
aux  Pâques  les  paroisses  d'Ancelle,  de  Saint-Léger  et  de 
Chabotonnes,  et  se  rendit  entin  au  Laus.  Au  mois  de 
juin,  il  se  remit  en  campagne  avec  le  P.  Mie  ;  tous  deux 
donnèrent  une  mission  à  Gigors  (Basses-Alpes),  canton 


—  212  — 

de  Turriers,  diocèse  de  Digne;  après  quoi,  ils  travail- 
lèrent aussi  dans  une  autre  localité  du  même  canton, 
dont  nous  n'avons  pu  déchiffrer  le  nom.  Revenus  au  Laus, 
ils  y  restèrent  depuis  la  fin  de  juillet  à  la  mi-septembre. 
Quoique  de  résidence  au  Laus,  le  P.  Touche,  toujours 
infatigable,  s'absentait  de  temps  à  autre  pour  rendre 
service  aux  curés.  A  cette  époque,  les  Pères  du  Laus 
desservirent  la  paroisse  d'Avançon,  puis  celle  de  Bâtie- 
Neuve,dont  le  curé  avait  été  nommé  supérieur  du  iirand 
séminaire  ;  c'était,  croyons-nous,  M.  Borel.  Le  P.  Mie 
prêcha  une  retraite  paroissiale ,  en  octobre ,  à  Saint- 
André,  canton  et  arrondissement  d'Embrun,  diocèse  de 
Gap;  aussitôt  ce  travail  terminé,  il  alla  rejoindre  ses 
confrères  à  Gap,  où  les  PP.  Suzanne  et  Touche  donnaient 
une  grande  mission,  de  concert  avec  les  Pères  Jésuites, 
dont  le  P.  Thomas  était  le  chef.  Nous  n'avonspas  retrouvé 
la  relation  de  la  mission  de  Gap  que  le  P.  de  Mazenod 
avait  demandée  au  P.  Suzanne;  toutefois,  nous  savons 
que  les  Missionnaires  de  Provence,  les  PP.  Suzanne, 
Touche  et  Mie,  en  restant  dans  leur  rôle  d'évangélisa- 
teurs  des  pauvres,  confessèrent  beaucoup,  et  par  leurs 
prédications  et  catéchismes  en  provençal,  firent  beau- 
coup de  bien  au  peuple.  Le  P.  Suzanne  seul  donna  des 
sermons  en  français.  Les  PP.  Mie  et  Touche  prêchè- 
rent en  provençal.  Ce  dernier  fut  surtout  chargé  du 
grand  hospice  de  Gap,  oii  il  fit  merveille,  et  resta  à  Gap 
après  la  clôture  delà  mission  jusqu'après  la  belle  fête  de 
l'Immaculée  Conception.  Le  P.  de  Mazenod  lui  ayant 
reproché  de  s'être  attardé  là,  le  P.  Touche  s'en  excuse  en 
disant  qu'il  a  gagné  nombre  de  traenat'ds  et  affermi  la  con- 
grégation des  hommes  qui  pourrait  être  plus  nombreuse, 
mais  qui  promet  ;  l'évêque  l'a  visitée,  et  sa  visite,  preuve 
de  la  sympathie  qu'il  témoigne  à  l'œuvre,  a  produit  un 
très  bon  effet.  «  Les  Pères  Jésuites  de  Paris,  dit  le  P.  Touche, 


—  213  — 

sont  partis  en  emportant  les  regrets  de  la  haute  classe, 
le  P.  Thomas  nous  a  trouvés  utiles  pour  les  petites  gens.  » 

Écrivant  au  P.  Suzanne,  alors  à  Entrevaux,  le  P.  de  i\1a- 
ZENOD  lui  fait  part  des  jugements  que  l'évêque  de  Gap  et 
le  P.  Thomas,  chef  de  la  mission,  ont  porté  sur  les  Mis- 
sionnaires de  Provence  :  «  Le  premier  avoue  que  le 
P.Suzanne  fait  bien, mais  que  ses  discours  sont  trop  mo- 
notones. Quant  au  second,  il  appuie  plu»  sur  la  critique 
que  sur  les  éloges.  On  écoute  le  P.  Suzanne,  dit-il,  avec 
plaisir,  les  PP.  Mie  et  Touche  se  sont  prêtés  de  bonne  grâce 
à  faire  les  catéchismes;  comme  ils  sont  accoutumés  à 
prêcher  en  provençal,  il  ne  les  a  pas  fait  prêcher  en  fran- 
çais. I)  Ces  appréciations  du  révérend  Père  Jésuite  n'en- 
lèvent rien  au  mérite  et  au  succès  réels  des  Mission- 
naires de  Provence  ;  on  sait  que  la  sainte  Compagnie  de 
Jésus  ne  prodigue  pas  les  compliments  aux  religieux  qui 
n'ont  pas  l'honneur  de  compter  au  nombre  de  ses  mem- 
bres. 

La  mission  d'Entrevaux  suivit  de  près  celle  de  Gap, 
elle  fut  prêchée,  dans  la  dernière  quinzaine  de  novembre, 
par  les  PP.  Mie,  Suzanne  et  Touche.  Entrevaux,  chef-lieu 
de  canton  de  Farrondissement  de  Castellane,  sur  les  li- 
mites des  départements  des  Basses-Alpes  et  des  Alpes- 
Maritimes,  est  situé  sur  la  rive  gauche  du  Yar.  Cette  petite 
ville,  d'environ  1500  habitants,  dominée  par  un  rocher 
couronné  de  forts,  défendait  autrefois  le  passage,  entre 
les  deux  montagnes  qui  la  protègent,  du  Piémont  en  Pro- 
vence. Ses  forts  avaient  été  réparés  par  Vauban  en  1693. 
Le  P.  Mie  écrivait  de  là,  à  la  date  du  30  novembre  : 
«  On  nous  avait  représenté  Entrevaux  comme  inacces- 
sible. Nous  y  sommes  arrivés,  en  effet,  après  avoir  passé 
par  des  chemins  bien  rudes.  Les  gens  ne  sont  pas  aussi 
méchants  qu'on  voulait  bien  le  dire,  et  l'accueil  que  nous 
y  avons  reçu  nous  a  bien  dédommagés  des  fatigues  de 

T.   XXXV.  13 


—  214  — 

notre  voyage.  A  la  grande  satisfaction  de  tout  le  monde, 
c'est  le  P.  Suzanne  qui  a  fait  l'ouverture  de  la  mission. 
De  jour  en  jour,  la  confiance  est  allée  en  augmentant,  et 
les  exercices  ont  été  très  bien  suivis.  Après  avoir  pesé  le 
pour  et  le  contre,  nous  avons  fait  la  procession  de  péni- 
tence, nu-pieds.  Cette  cérémonie,  suivie  du  baisement 
du   crucifix,  et  pendant  biquelle  le  P.  Suzanne  parla 
d'une  façon  émouvante,  a  produit  les  plus  heureux  ré- 
sultats. Aussi,  la  mission  marche  bien  et  réussit  au  delà 
de  nos  espérances;  hommes  et  femmes,  riches  et  pau- 
vres, négociants  et  bourgeois,  usuriers  mêmes  et  contre- 
bandiers, tous  se  sont  présentés  au  saint  tribunal  de  la 
pénitence  et  ont  donné  des  signes  moralement  certains 
d'une  sainte  conversion. Cependant,  les  prêtres  trouvent 
que  la  morale  des  missionnaires  est  relâchée  ;  l'un  d'en- 
tre eux  a  même  écrit  à  Me'^deMiollis  pour  avoir  son  senti- 
ment sur  ce  point.  Le  prélat  a  répondu  que  les  avantages 
des  missions  étaient  incalculables.  »  La  mission  d'Entre - 
vaux  fut  clôturée  par  la  plantation  d'une  belle  croix  qui 
domine  les  belles  plages  des  rives  du  Var.  Le  curé  se 
montra  satisfait  du  zèle  des  missionnaires  et  des  résul- 
tats qu'ils  avaient  obtenus.  M^""  de  Miollis  lui-même,  peu 
louangeur  par  caractère,  écrivit  à  M.  de  Mazenod  que  la 
mission  avait  assez  bien  réussi.  La  preuve  que  l'évêque 
était  content  des  ouvriers,  c'est  que,  sans  prévenir  M.  de 
Mazenod,  leur  supérieur,  il  leur  manda  d'évangéliser  les 
environs  d'Entrevaux.  Le  P.  Suzanne  étant  reparti  pour 
Digne,  le  P.  Mie  et  les  PP.  Dupuy  et  Honorât,  qui  avaient 
assisté  à  la  clôture  de  la  mission  d'Entrevaux,  restèrent 
donc  dans  le  pays.  Le  P.  Mie  passa  huit  jours  à  Saint- 
Pierre,  dont  l'église  est  une  ancienne  chapelle  de  Béné- 
dictins. Là,  beaucoup  d'habitants  étaient  détenteurs  des 
biens  d'émigrés.  La  question  de  la  restitution  se  pré- 
senta et  le  missionnaire  la  résolut  en  s'entendant  avec  le 


—  215  — 

propriétaire  véritable  de  ces  biens,  très  disposé  à  ne 
demander  rien  que  de  juste,  et  les  détenteurs  de  biens, 
qui  avouaient  eux-mêmes  n'avoir  pas  été  de  bonne  foi, 
purent  ainsi  accomplir  leurs  devoirs  religieux.  Le  curé, 
qui  partageait  l'opinion  de  ses  confrères,  laissant  les  gens 
dans  leur  bonne  foi  et  n'exigeant  rien  d'eux,  n'approuva 
pas  la  façon  d'agir  des  missionnaires.  Nous  avons  là  un 
nouvel  exemple  des  divergences  d'opinion  et  de  pratique 
qui  mettaient  du  froid  entre  les  missionnaires  de  Pro- 
vence et  le  clergé  séculier.  Pendant  que  le  P.  Mie  était  à 
Saint-Pierre,  le  P.  Honorât  donnait  une  mission  de 
quinze  jours  à  laRochelte,  du  canton  aussi  d'Eutrevaux. 
Cette  paroisse  était  sans  pasteur,  les  habitants  étaient 
ignorants,  mais  gardaient  toute  la  simplicité  de  la  foi. 
Ils  vinrent  avec  empressement  entendre  la  parole  de 
Dieu  qui  leur  était  adressée  en  gros  prouençal.  Plus  de 
100  personnes  s'approchèrent  des  sacrements,  et  sur  ce 
nombre,  il  y  eut  des  retours  consolants  et  sincères  de 
vingt  et  même  trente  ans. 

L'année  1823,  pour  les  missionnaires  du  Laus,  ne  fut 
pas  moins  laborieuse  que  l'année  précédente,  et  ils  eurent 
la  consolation  d'avoir  fait  beaucoup  de  bien  partout  où 
ils  avaient  passé. 

Travaux  apostoliques  du  mots  de  mars  1823  à  janvier  1824. 

L  Retours  de  mission.  —  1.  Tallard;  2.  Remollon  ; 
3.  Chabotonnes;  4.  Ghabottes  ;  3.  Ancelle. 

IL  Desserte  de  paroisses.  —  1.  Avançoo;  2.  Bâtie- 
Neuve,  dans  le  diocèse  de  Gap,  plus,  la  grande  mission 
de  Gap. 

m.  Missions  et  retraites  paroissiales  dans  le  diocèse 
de  Digne.  —  1,  Gigors  ;  2.  Autre  paroisse  non  loin  de 
Gigors  ;  3.  Grande  mission  à  Entrevaux;  —  4.  Saint- 
Pierre  ;  5.  La  Rochette,tous  à.(:mx  du  canton  d'ËntrevauY. 


—  2i6  ~ 
CHAPITRE  VI. 

LE   PÈRE   MIE,    SUPÉRIEUR    (1824,    MAI    1825). 

L'administration  de  la  Maison  du  Laus.  —  Son  personnel.  —  Les 
visites  annuelles  du  P.  Tempier.  —  Le  troisième  Chapitre  général 
delà  Congrégation  (1824).  —  Service  de  la  paroisse  et  du  pèleri- 
nage. —  Les  travaux  apostoliques  (I824-1S25). 

Donnons  d'abord  la  physionomie  de  la  maison  du  Laus, 
sous  l'administration  du  P.  Mie,  son  supérieur  local. 
Le  P.  Mie  ne  s'occupait  guère  du  temporel  dont  le  soin 
était  confié  au  P.  Touche,  son  économe.  En  fait,  le 
P.  Tempier  restait  le  véritable  administrateur  du  Laus  ; 
c'est  lui  qui,  entrant  dans  les  moindres  détails,  dirigeait 
le  P.  Touche,  peu  entendu  aux  affaires,  et  d'ailleurs  trop 
souvent  obligé  de  s'absenter;  il  était  plus  missionnaire 
qu'économe.  Parmi  les  instructions  du  P.  Tempier  au 
P.  Touche,  relevons-en  quelques-unes.  Il  doit^  de  préfé- 
rence, faire  venir,  non  de  Gap,  où  tout  est  plus  cher, 
mais  d'Aix  ou  de  Marseille,  les  provisions  dont  il  a  be- 
soin. Le  vin  du  Laus  n'étant  guère  présentable,  on  le 
consommera  en  communauté;  on  achètera  à  Remollon 
ou  à  Tallard,  celui  que  l'on  servira  aux  prêtres  quivien- 
nent  au  Laus,  soit  en  pèlerinage,  soit  en  simples  visi- 
teurs, soit  pour  y  faire  une  retraite.  Il  faut  s'entendre 
avec  le  fermier  qui  exploite  nos  terres,  pour  qu'il  charrie 
le  bois  de  chauffage  et  fasse  moudre  le  blé,  si  on  fait  le 
pain  à  la  maison  ;  sinon,  il  faut  acheter  le  pain  à  Gap  et 
le  faire  revenir  par  un  commissionnaire  auquel  on  don- 
nera 2  fr.  30  par  mois.  Aux  instructions  précises,  le 
P.  Tempier  joignait  les  blâmes  et  les  défenses.  «  Vous 
avez  acheté  trop  de  draps  de  lits,  vous  en  aviez  assez  pour 
le  personnel  présent  et  futur;  vous  faites  des  demandes 
indiscrètes  pour  couvrir  vos  dépenses,  et  vous  n'évitez 


—  217  — 

pas  assez  de  faire  des  dettes,  soit  pour  la  sacristie,  soit 
pour  la  maison.  »  C'est  ainsi  que  le  P.  Tempier  veillait  sans 
cesse  à  la  gestion  économique  et  sage  de  la  maison  du 
Laus  ;  il  fit  plus  encore,  il  sut  profiter  des  circonstances 
pour  lui  procurer  des  ressources  fixes.  Au  mois  de  mai, 
il  accepta  la  donation  d'une  vigne  sur  le  territoire  du 
Laus;  le  18  septembre,  il  fit  l'acquisition  d'une  autre 
vigne  sur  le  territoire  de  Remollon,  d'une  contenance  de 
80  ares  ou  55  fausseraies.  Cette  vigne  avait  appartenu 
au  prêtre  qui  desservait  le  Laus  pendant  la  grande  Révo- 
lution, et  qui  avait  été  fusillé  à  Grenoble.  Ne  nous  éton- 
nons pas  de  ces  tentatives  faites  pour  accroître  les  res- 
sources de  la  maison  du  Laus.  Les  allocations  données 
aux  Pères  pour  secours  aux  paroisses,  manquèrent,  cette 
année  même,  dans  le  diocèse  de  Digne.  M^""  de  Miollis 
avait  écrit,  au  mois  de  mai,  au  P.  de  Mazenod  : 

«  La  médiocrité  des  fonds  destinés  aux  prêtres  auxi- 
liaires, me  met  dans  la  dure  nécessité  de  ne  plus  em- 
ployer les  ouvriers  évangéliques  dont  les  travaux  faisaient 
tant  de  bien  et  produisaient  tant  de  fruits  précieux  dans 
mon  diocèse.  » 

C'était  donner  leur  congé  aux  Missionnaires  de  Pro- 
vence. «  Est-ce  bien  une  raison,  disait  le  P.  de  Mazenod, 
pour  ne  plus  nous  demander?  Nous  avons,  certes,  assez 
travaillé,  dans  le  diocèse  de  Digne,  sans  qu'il  nous  en 
revienne  rien.  » 

Au  mois  de  janvier  1825,  le  P.  Marcou  résidait  au 
Laus,  et  le  P.  Touche,  toujours  économe,  recevait  du 
P.  DE  Mazenod  des  avis  paternels.  Les  registres  de  recettes 
et  de  dépenses  n'étaient  pas  en  ordre,  les  intérêts  de  la 
maison  peu  soignés,  on  n'envoyait  rien  au  noviciat  d'Aix 
oti  vingt  bouches  fraîches  (1)  dévoraient  le  vei't  et  le  sec. 

(1)  Le  texte, en  pur  provençal,  est  plus  énergique '.vingt  g...  fraîches. 


—  218  — 

Le  P.  DE  Mazenod,  cependant,  reconnaissait  que  l'éco- 
nome, toujours  en  courses  apostoliques,  pouvait  suivre 
difficilement  les  affaires  temporelles,  que,  d'ailleurs,  les 
améliorations  nécessaires,  les  réparations  urgentes  ré- 
clamaient l'emploi  des  fonds  ordinaires.  Il  fallait  songer 
à  des  plantations  d'arbres  fruitiers,  et  dépenser  400  à 
500  francs  pour  amener,  jusqu'au  réservoir  du  jardin, 
l'eau  de  la  source  qui  jaillissait  loin  de  là,  au  pied  de  la 
descente  de  Gap.  Un  seul  des  trois  Pères,  au  Laus,  était 
rétribué  par  le  gouvernement,  et  comme  nous  l'avons 
dit  plus  haut,  les  allocations  de  secours  aux  paroisses 
faisaient  défaut  du  côté  de  Digne,  et  à  Gap  on  ne  se  pres- 
sait pas  de  les  donner.  «  L'évêque  de  Gap,  dit  le  P.  Tou- 
che, ne  se  presse  pas  de  nous  venir  en  aide,  il  nous  croit 
7nches,  la  vérité  est  que  nous  pouvons  nous  en  tirer  tout 
juste.  » 

Le  P.  Marcou  n'était  pas  très  robuste,  il  desservit  sur- 
tout le  sanctuaire  et  la  paroisse;  étant  tombé  malade 
vers  le  mois  de  juillet  1823,  il  passa  quelque  temps  de 
convalescence  à  Veynes,  au  château  d'un  ami  des  Pères, 
et,  au  mois  de  septembre,  il  était  envoyé  à  Nîmes.  On  le 
regretta  beaucoup  au  Laus.  Le  P.  Dupuy  séjourna  au 
Laus,  depuis  le  mois  de  mai  jusqu'à  la  fin  de  novembre  ; 
il  fut  attaché  au  service  de  l'église.  Ce  Père  s'occupait 
beaucoup  du  temporel,  et  ne  ménageait  ni  sa  verve  cri- 
tique à  l'égard  de  l'économe,  ni  ses  plans  de  bonne  ad- 
ministration au  P.  Tempier  ;  il  disait  :  «  Le  Laus,  bien 
administré,  rapporterait  des  millions.  »  C'est  cette  pa- 
role, sans  doute,  qui  contribua  à  créer,  dans  le  diocèse 
de  Gap,  la  fameuse  légende  des  trésors  que  lesPères  Oblats 
ont  amassés  au  Laus. 

Le  P.  Dupuy  parti,  le  P.  Moreau  le  remplaça.  Ce  Père, 
notre  cher  capucin,  avait  fait  une  apparition  au  Laus  à 
l'époque  des  concours  du  mois  de  mai.  Il  y  revint  avec 


—  2!9  — 

joie,  s'estimant  heureux  d'être  sous  la  gouverne  du 
P.  Mie,  qu'il  n'y  trouva  plus,  «  Je  ferai  de  mon  mieux  au 
sanctuaire,  écrivait-il,  j'irai  même  en  mission,  quoiqu'il 
m'en  coûte  beaucoup.  »  Il  accompagna,  en  effet,  le  P.  Tou- 
che, en  décembre,  à  Valbelle.  Le  P.  Tempier  fit  réguliè- 
rement la  visite  du  Laus  en  1824  et  en  1825. 

Le  P.  Visiteur  quitta  Marseille  dans  les  derniers  jours 
du  mois  de  mai  1824;  le  31  mai,  il  écrivait  du  Laus  : 
«  Je  n'ai  pas  pu  voir,  à  Gap,  Monseigneur,  qui  avait 
couché  à  Veiitavon,  où  il  avait  donné  la  confirmation. 
Les  deux  Pères  qui  sont  ici  m'édifient  par  leur  régula^ 
rite,  ils  sont  bien  portants  et  tout  heureux  de  mon  arri- 
vée. C'est  le  P.  Mie  lui-même  qui  sonne  les  exercices  de 
la  communauté,  et  il  s'en  acquitte  habituellement  avec 
une  exactitude  admirable.  Je  vous  demande  (au  P.  de  Ma- 
zenod)  de  proroger  mes  pouvoirs  de  Visiteur  au  delà  des 
huit  jours  de  règle;  car  je  désirerais  avoir  trois  jours 
francs,  et  ces  trois  jours  ne  compteront  pas.  » 

Le  P.  Visiteur  mit  bon  ordre  à  certaines  irrégularités 
de  conduite  dont  s'était  rendu  coupable  le  P.  Bourre- 
lier, et  termina  heureusement  une  affaire  de  vol  fait  à 
Isidore  le  fermier.  Dans  son  acte  de  visite  daté  du  9  juin, 
il  prescrit  la  fermeture  du  cimetière  de  la  paroisse,  la  lec- 
ture du  martyrologe,  tous  les  jours  à  prime,  et  la  lecture 
spirituelle,  immédiatement  après  les  vêpres,  en  été,  et 
en  hiver, de"  heures  à  7  heures  et  demie. Le  souper  avait 
lieu,  en  toute  saison,  à  8  heures  précises.  Nous  y  lisons 
aussi  la  défense  expresse,  à  qui  que  ce  soit,  de  prêter  des 
ouvrages  de  la  bibliothèque,  hors  de  la  maison,  à  des 
personnes  étrangères.  De  même,  «  on  ne  pourra  trans- 
porter des  livres  de  la  maison  du  Laus,  en  une  autre 
maison  de  la  Société,  sans  une  permission  expresse  et 
par  écrit  de  notre  Supérieur  général  ». 

Le  P.  Mie,  avec  son  habituelle  bonhomie,  nous  rend 


—  220  — 

compte  du  passage  du  P.  Visiteur  au  Laus.  «  La  visite 
du  P.  Tempier  nous  a  fait  beaucoup  de  bien,  le  P.  Touche, 
qu'il  m'a  donné  pour  admoniteur,  ne  me  passe  rien.  Il 
me  donne  des  avis  rigoureux,  mais  amicaux  et  sin- 
cères. » 

L'année  suivante,  1823,  au  mois  d'octobre,  conformé- 
ment aux  Règles,  le  P.  Tempier  revenait  au  Laus  comme 
visiteur.  Dans   son  acte  de  visite,  daté  du  4  octobre,  il 
blâme  la  négligence  que  l'on  a  mise  dans  la  tenue  des 
comptes  de  la  maison  et  des  registres  de  délibérations 
du  conseil  de  fabrique,  et  prescrit  les  mesures  nécessaires 
pour  qu'une  telle  négligence  ne  se  renouvelle  plus.  Con- 
trairement aux  règles  établies,   le  supérieur  du  Laus 
avait  fait  des  prêts  et  des  dépenses  qui  dépassaient  ses 
pouvoirs,  le  visiteur  rappelle  au  supérieur  local  qu'il 
doit  en  référer  au  supérieur  général  pour  les  dépenses 
qui  excèdent  1000  francs.  Il  recommande  que  l'on  dresse 
un  tableau  des  indulgences  accordées  aux  fidèles  qui  fré- 
quentent le  sanctuaire,  et  aussi,  un  tableau  des  béné- 
dictions et  processions  en  usage  dans  le  sanctuaire,  ta- 
bleau qui  sera  soumis  à  l'approbation  de  M^'"  l'Evêque. 
«  Le  tour  que  l'on  suit,  pour  la  procession  de  la  Sainte 
Vierge,  tous  les  premiers  dimanches  de  chaque  mois, 
selon  la  coutume,  est  trop  long,  on  reviendra  à  ce  qui 
se  pratiquait  autrefois.  »  Si  des  abus  et  des  négligences 
se  glissaient  dans  la  maison  du  Laus,  ils  ne  pouvaient 
prendre  racine,  et  grâce  aux  visites  canoniques,  la  régu- 
larité, l'esprit  religieux,  l'ordre  et  l'économie  s'y  main- 
tenaient, malgré  des  défaillances  passagères. 

Un  événement  important  et  qui  contribua  à  l'affermis- 
sement de  la  discipline  religieuse  dans  les  maisons  de  la 
Société,  ce  fut  la  tenue  du  troisième  Chapitre  général, 
auquel  prirent  part  les  PP.  Mie  et  Touche.  Il  s'ouvrit  à 
Aix,  dans  le  chœur  de  l'église,  le  31  septembre  1824. 


221  

Onze  membres  de  la  Société  prirent  part  au  Chapitre  que 
présidait  le  supérieur  général.  C'étaient  le  P.  Tempier, 
premier  assistant;  le  P.  Mie,  deuxième  assistant;  le 
P.  MoREAU,  procureur  général;  Courtes,  supérieur d'Aix 
et  maître  des  novices,  puis,  les  PP.  Dupuy,  Suzanne, 
Honorât,  Touche,  MARCouet  Jeancard.  Ces  deux  derniers 
avaient  été  appelés  avec  dispense.  Ils  n'avaient  pas,  pour 
assister  au  Chapitre,  le  temps  d'oblation  exigé  par  les 
Règles.  Dans  ce  Chapitre,  tous  les  membres,  consultés 
par  le  P.  de  Mazenod,  déclarèrent,  par  voie  de  scrutin 
secret,  qu'il  était  opportun,  pour  le  bien  de  la  Société, 
que  le  P.  de  Mazenod  continuât  à  exercer  la  charge  de 
vicaire  général  de  M^''  l'évêque  de  Marseille.  Dans  la 
troisième  séance,  il  fut  décrété  que  les  séminaires  n'é- 
taient pas  compris  dans  le  nombre  des  établissements 
qui  nous  détournent  de  la  fin  de  notre  institut,  et  qu'il 
n'était  pas  défendu  de  se  charger  de  la  direction  des 
maisons  ecclésiastiques.  Le  Supérieur  général  promit 
d'introduire,  dans  les  Règles,  un  article  conforme  à  ce 
décret.  Le  Chapitre  régularisa,  en  terminant  ses  séances, 
le  conseil  du  supérieur  général.  Les  PP.  Tempier  et  Mie, 
supérieurs  du  Laus,  furent  confirmés  dans  leurs  charges 
de  premier  et  de  deuxième  assistant  ;  le  P.  Courtes  fut 
nommé  troisième  assistant;  le  P.  Suzanne,  quatrième 
assistant  et  secrétaire  général,  enfin,  le  P.  Honorât  devint 
procureur  général  en  remplacement  du  P.  Moreau  (1). 
L'affluence  des  fidèles  au  sanctuaire  continua  dans  le 
même  ordre  que  les  années  précédentes,  c'est-à-dire,  plus 

(l)  Vie  de  il/gr  de  Mazenod,  t.  I,  liv.  II,  chap.  xvi,  p.  387,  388.  — 
C'est  par  inadvertance  que  l'on  désigne  par  le  nom  de  frères  les 
PP.  Dupuy,  Suzanne,  etc.,  qui  étaient  prêtres  et  en  activité  de 
ministère:  à  la  page  388,  on  semble  dire  que  les  PP. Courtes  et  Mie 
ne  furent  nommés  supérieurs  qu'après  le  Chapitre  ;  or,  ils  figurent  tous 
deux  comme  supérieurs  dans  ['Acte,  et,  de  fait,  ils  étaient  supérieurs 
depuis  longtemps. 


—  222  — 

rare  et  moins  nombreuse  pendant  la  saison  d'hiver,  mais 
considérable  pendant  les  beaux  jours.  «  Dans  les  mois  de 
juin,  juillet  et  août  1824,  nous  dit  le  P.  Touche,  on  con- 
fessa beaucoup  de  monde,  et  tous  les  dimanches,  il  y  eut 
procession.  On  célébra  avec  grande  solennité,  le  2  août, 
la  fête  de  saint  Alphonse  de  Liguori,  notre  patron.  Dix 
à  douze  prêtres  la  rehaussèrent  de  leur  présence.  Le  jour 
de  la  Nativité,  il  y  eut  un  concours  immense,  car  on 
attendait  M^''  l'Evêque  de  Gap,  qui  avait  promis  de  faire 
sa  visite  solennelle  au  Laus,mais  le  prélat  ne  put  accom- 
plir sa  promesse.  » 

Le  roi  LouisXVIII  était  mort  le  jeudi  16  septembre  1824, 
à  4  heures  du  matin,  et  avait  reçu  les  derniers  sacre- 
ments trois  jours  auparavant.  Ses  derniers  jours,  dit 
l^Ami  de  la  Religion,  furent  entièrement  consacrés  à  la 
piété  (1).  On  fit,  à  l'église  du  Laus,  un  service  solennel 
pour  le  défunt  roi,  et,  outre  la  messe  des  morts,  on 
chanta  les  vêpres  des  morts,  suivies  de  l'absoute  et  de  la 
bénédiction  du  Très  Saint  Sacrement.  Louis  XVIII  avait 
grand  besoin  de  prières  pour  expier  les  fautes  de  sa  po- 
litique et  les  lenteurs  calculées  qu'il  apporta  à  relever  la 
religion  de  la  triste  situation  où  elle  se  trouvait  ;  pen- 
dant six  ans,  par  des  concessions  faites  à  l'esprit  libéral 
et  révolutionnaire,  il  laissa  vacants  nombre  de  sièges 
épiscopaux.  Les  mauvais  temps,  et  peut-être  aussi  l'af- 
faiblissement de  la  foi,  amenèrent,  en  1823,  une  sorte 
de  ralentissement  dans  les  concours  privés  ou  publics. 
Les  neuvainistes  venaient  plutôt  des  pays  étrangers  que 
des  pays  voisins;  malgré  tout,  presque  tous  les  diman- 
ches, les  pèlerins  fréquentaient  les  offices,  depuis  le  matin 
jusqu'à  2  ou  3  heures  de  l'après-midi.  Les  fêtes  de  la 
Pentecôte  et  du  Sacré-Cœur  eurent,  cette  année,  un 

(1)  UAmi  de  la  religion,  t.  XLI,  18  septembre  1824,  n"  1055,  p.  168. 


-     223  — 

éclat  tout  particulier.  Nous  remarquons  avec  joie  que 
cette  fête  du  Sacré-Cœur  se  célébrait  avec  octave,  et  que, 
chaque  jour  de  la  semaine,  il  y  avait  bénédiction  du 
Très  Saint  Sacrement.  La  fête  du  bienheureux  Alphonse 
de  Liguori  fut  non  moins  solennellement  célébrée.  Le 
P.  Tempier  avait  écrit  au  P.  Touche,  le  10  juillet  1825  : 
«  Le  Saint-Père  vient  de  nous  autoriser,  par  bref,  à  faire 
la  fête  du  bienheureux  dans  toutes  les  maisons  de  la 
Société.  »  Le  P.  Tempier  ajoute  :  «  Le  recteur  majeur 
des  Liguoristes  (sic)  a  écrit  à  M^'"  l'Évêque  de  Marseille 
pour  le  remercier  du  zèle  qu'il  déploie  à  propager  le 
culte  du  bienheureux,  '-larseille  est  le  premier  diocèse  de 
France,  peut-être  du  monde  chrétien,  en  dehors  de 
l'Italie,  où  l'office  du  bienheureux  Alphonse  soit  célébré 
et  inséré  dans  le  Propre,  en  vertu  d'un  bref.»  La  desserte 
du  sanctuaire  et  de  la  paroisse  du  Lausnefutdoncpas  une 
sinécure  pendant  cette  période  de  deux  années.  Les  mis- 
sionnaires ne  négligeaient  pas  les  travaux  apostoliques, 
et  nous  allons  les  voir  à  l'œuvre  de  l'évangélisation  des 
diocèses  de  Gan  pt  de  Digne. 

Aidé  de  deux  prêtres,  amis  des  Pères,  le  P.  Touche 
donnait  une  mission  à  la  Rochette,  canton  de  Bâtie- 
Neuve,  diocèse  de  Gap,  en  janvier;  elle  réussit  bien,  et 
se  clôtura  le  dimanche  29  janvier.  Le 6  février,  nous  trou- 
vons le  même  Père,  avec  les  PP.  Mie  et  Suzanne,  don- 
nant une  mission  à  Montclar,  commune  de  570  habi- 
tants, canton  de  Veynes,  diocèse  de  Digne.  Les  débuts 
furent  contrariés  par  quelques  mauvaises  tètes  et  l'é- 
trange conduite  de  M^'"  de  Miollis,  qui,  enlevant  la  direction 
du  travail  aux  missionnaires,  l'avait  donnée  au  curé  de 
canton.  Les  missionnaires  ne  pouvaient  accepter  un  rôle 
si  effacé.  Aussi,  ils  prirent  en  tout,  selon  leurs  règles  et 
leurs  traditions,  la  conduite  des  exercices  et  des  céré- 
monies, au  grand  contentement  de  la  population  qui 


—  224  — 

leur  était  dévouée.  M^''  de  Miollis,  mécontent,  leur  fit 
écrire,  par  son  grand  vicaire,  M.Turpin,  qu'ils  «  avaient 
été  trop  loin,  poussés  sans  doute,  ou  par  la  jalousie  d'un 
saint  zèle,  ou  par  la  crainte  de  donner  au  doyen,  M.  Mar- 
gaillac,  un  surcroît  de  peines  ».  La  mission  suivit  son 
cours,  et  la  population  entière,  même  des  étrangers, 
y  prit  part  avec  enthousiasme.  Tout  le  monde  se  con- 
fessa, à  l'exception  de  deux  vieillards.  La  plantation  de 
la  croix  fut  un  vrai  triomphe  pour  Notre-Seigneur  Jésus- 
Christ.  Des  prêtres  du  voisinage  aidèrent  aux  mission- 
naires à  organiser  et  à  diriger  une  belle  procession. 
Composée  de  tous  les  gens  valides  du  pays  et  de  nom- 
breux étrangers,  «  notre  œuvre,  à  Montclar,  dit  le  P.  Mie, 
avait  été  marquée  au  sceau  de  l'épreuve,  le  succès  n'en 
était  que  plus  éclatant  ».  De  Montclar,  le  P.  Touche  se 
rendit  à  Seyne,  chef-lieu  de  canton,  et  prêcha  une  re- 
traite aux  élèves  d'un  petit  collège. 

Cependant,  l'évêque  de  Gap  avait  demandé,  en  jan- 
vier, au  P.  DE  Mazenod.  quatre  de  ses  missionnaires  pour 
donner  une  mission  à  Veynes,  arrondissement  de  Gap, 
chef-lieu  de  canton  d'environ  1  600  habitants.  «  VeyneS;, 
disait  M^'' Arbaud,  contient  une  bourgeoisie  non  moins 
mauvaise  que  celle  de  Barcelonnette,  trois  missionnaires 
seront-ils  suffisants  ?  »  La  mission  devait  s'ouvrir  le  di- 
manche de  la  Sexagésime,  l'ouverture  eut  lieu  le  pre- 
mier dimanche  de  carême.  Les  PP.  Suzanne,  Mie,  Touche 
et  Marcou,  furent  chargés  de  cet  important  travail. 
M^""  Arbaud  leur  avait  proposé  un  de  ses  prêtres  pour 
collaborateur,  son  concours  ne  fut  pas  nécessaire.  «Dieu 
soit  loué,  écrit  le  P.  Mie,  notre  travail  a  réussi,  vingt 
hommes  seulement  sont  restés  en  arrière.  L'usure  était 
le  grand  mal  du  pays,  elle  s'exerçait  ouvertement  et  libre- 
ment, grand  obstacle  aux  conversions.  Nous  avons  établi 
des  Congrégations  d'hommes  et  de  femmes,  pourvu  que 


-    225  — 

le  pasteur  puisse  les  maintenir!  Sans  cela,  le  travail  est 
vain.  Le  P.  Suzanne  se  tue,  le  P.  Touche  est  infatigable, 
le  P.  Marcou  a  bon  vouloir;  pour  moi,  j'amuse  les  Pères 
par  mes  distractions.  »  De  Veynes,  le  P.  Suzanne  alla  se 
reposer  au  Laus,  et,  au  mois  de  mai,  il  fit  un  retour  de 
mission  à  Entrevaux  pendant  quinze  jours.  Il  eut  la  joie 
de  constater  que  tous  les  habitants  avaient  fait  leurs 
pâques  et  que  la  congrégation  d'hommes  marchait  bien. 
Dans  le  même  mois,  le  P.  Honorât  prêchait  une  mission  à 
Vitrolles,  canton  de  Barcelonnette  (diocèse  de  Digne), 
oii  il  était  allé  remplacer  le  curé.  Le  château  seigneurial 
de  Vitrolles  était  habité  par  une  famille  très  chrétienne, 
amie  du  Fondateur  des  Missionnaires  de  Provence. 

De  son  côté,  le  P.  Touche,  au  mois  de  juin,  et  après 
avoir  fait  une  mission  à  Romette,  du  canton  de  Gap,  se 
transporta  à  Saint-Étienne-en-Dévoluy  ;  de  là,  il  fit  des 
retours  de  mission  aux  environs  jusqu'au  mois  de  juil- 
let inclusivement.  Rentré  au  Laus,  il  en  repartit  à  la  mi- 
septembre  ;  nous  le  trouvons  à  Saint-Bonnet,  chef-lieu 
de  canton,  d'oii  il  rayonnait  comme  d'un  centre  pour 
porter  secours  aux  paroisses  vacantes. 

Le  20  octobre,  les  P.  Mie  et  Touche  quittaient  le  Laus, 
laissant  la  desserte  de  l'église  entre  les  mains  de  prêtres 
du  voisinage;  les  paroissiens  et  les  pèlerins  ne  furent 
pas  contents,  et  le  P.  Tempier  blâma  fortement  le  P.  Mie 
d'avoir  délaissé  le  sanctuaire.  «  11  fallait  me  prévenir  à 
temps,  je  vous  aurais  envoyé  le  P.  Marcou.^)  La  mission  de 
Molines,  en  Queyras,  du  canton  d'Aiguilles,  arrondisse- 
ment de  Briançon  (diocèse  de  Digne),  gros  bourg  d'envi- 
ron 900  habitants,  dura  trois  semaines.  «  Ici,  dit  le  P.  Mie, 
nous  avons  reçu  un  parfait  accueil  ;  dès  les  premiers 
jours,  les  femmes  ont  demandé  à  se  confesser.  Les 
hommes  sont  plus  indifférents,  pleins  d'eux-mêmes  et 
opiniâtres  dans  leurs  idées  ;  le  genre  de  vie  nomade  qu'ils 


—  226  — 

mèneat  en  est  la  cause.  La  plupart  du  temps,  ils  ne  sont 
pas  dans  le  pays,  ils  s'en  vont  dans  les  villes,  faisant  un 
peu  de  tous  les  métiers.  Les  uns  sont  aiguiseurs,  ramo- 
neurs, les  autres  décrottent  les  chaussures  et  font  danser 
les  marmottes.  Eux  surtout  avaient  bien  besoin  de  la 
mission.  Les  prêtres  d'Embrun  nous  avaient  prédit  que 
nous  ne  réussirions  pas  à  Molines,  qu'il  y  fallait  des  dis- 
cours bien  étudiés,  bien  travaillés;  nous  avons  pris  le 
contre-pied  et  prêché  simplement.  Dieu  a  béni  nos  ef- 
forts, et  les  prêtres  d'Embrun  ont  été  mauvais  prophètes. 
A  l'exception  de  quelques  personnes,  tout  le  monde  s'est 
approché  des  sacrements,  et  cela  dans  les  meilleures 
conditions.  » 

Le  P.  Touche  nous  dit  son  mot  sur  ce  pays  de  monta- 
gnes qui  se  perdent  dans  les  nues  et  dont  la  population 
est  pauvre.  «  La  rigueur  du  climat  est  peu  favorable  aux 
arbres;  ici,  on  sent  le  fromage  de  partout;  les  gens  cui- 
sent leur  pain  noir  pour  des  mois  entiers,  se  nourrissent 
de  soupes  d'orge  et  de  pois,  couchent  dans  des  granges 
humides,  dont  ils  garnissent  les  murs  de  paille,  et,  en 
général,  portent  pour  vêtements  des  haillons  plutôt  que 
du  linge  convenable.  » 

De  Molines,  les  missionnaires  se  rendirent  à  Saint- 
Véran,  commune  de  750  habitants,  à  quelques  kilomè- 
tres de  Molines  et  du  même  canton  (diocèse  de  Digne). 
C'est  le  village  le  plus  élevé  de  la  France,  il  est  situé  â 
2UU9  mètres  d'altitude.  «L'excellente  population  de  ce 
village,  dit  le  P.  Mie,  est  d'autant  plus  ferme  dans  la  foi 
qu'elle  est  entourée  de  protestants.  Elle  nous  accueillit 
avec  enthousiasme.  Là,  tout  marcha  bien  sur  un  terrain 
si  bien  préparé  ;  les  processions  se  firent  malgré  une 
neige  épaisse.  La  communion  des  hommes  et  des  femmes 
fut  générale,  et  on  y  établit  des  congrégations  pour  les 
deux  sexes.   Les  protestants  eux-mêmes  venaient  aux 


—  227  — 

instructions,  l'un  d'eux  se  convertit;  plusieurs  se  sen- 
taient ébranlés,  mais  le  respect  humain  les  arrêta  en 
chemin,  n 

Ces  deux  missions  si  consolantes  terminèrent  les  tra- 
vaux apostoliques  des  Pères  pour  cette  année  1824.  Les 
missionnaires  se  remirent  en  campagne  à  la  mi-jan- 
vier 18r]S,  pour  évangéliser  Saint-Bonnet,  chef-lieu  de 
canton,  arrondissement  de  Gap,  situé  sur  le  Drac,  à 
1 000  mètres  d'altitude.  Ils  étaient  quatre,  les  PP.  Suzanne, 
Mie,  Touche  cLVachon;  surchargés  de  travail,  ils  accep- 
tèrent quelques  prêtres  du  voisinage  pour  les  aider  à 
entendre  les  confessions  qui  commencèrent  dès  les  pre- 
miers jours.  Les  instructions  se  donnaient  à  8  heures 
et  demie  du  matin  et  à  3  heures  de  l'après-midi  ;  l'église 
se  trouva  trop  petite,  et  comme  ces  bonnes  gens  se  te- 
naient debout  ou  à  genoux,  on  eut  soin  de  ne  pas  trop 
prolonger  les  sermons. 

Le  maire  lui-même,  un  vieux  militaire  décoré,  donna 
l'exemple  ;  il  se  présenta  le  premier,  à  la  tête  des  hom- 
mes, au  saint  tribunal  de  la  pénitence.  Tout  se  passa  à 
la  plus  grande  satisfaction  des  ouvriers  apostoliques. 
Deux  mois  après,  le  P.  Touche,  ayant  fait  une  apparition 
de  quelques  jours  à  Saint-Bonnet,  constata  que  les  fruits 
de  cette  belle  mission  étaient  durables.  La  congréga- 
tion d'hommes,  établie  par  le  P.  Suzanne,  se  maintenait 
admirablement.  Quant  à  celle  des  flUes,  ajoute  le  P.  Tou- 
che, elle  était  animée  d'un  si  bon  esprit,  que  des  zélateurs 
et  zélatrices  faisaient  la  patrouille  pour  draper  d'impor- 
tance les  filles,  soit  du  pays,  soit  du  dehors,  qui  se  per- 
mettaient de  parler  aux  garçons,  »  Nous  devons  mettre 
à  l'actif  du  P.  Mie,  supérieur  du  Laus,  la  mission  de  Puy- 
loubiers,  gros  bourg  situé  sur  le  versant  méridional  de  la 
chaîne  de  Sainte-Victoire,  canton  de  Trets,  diocèse 
d'Aix.  Il  la  dirigea  en  compagnie  du  P.  Honorât,  qui 


-  228  — 

était  au  Laus,  et  du  P.  Albini,  de  la  maison  d'Aix.  Com- 
mencée le  29  février,  elle  se  termina  le  25  mars  et  eut  de 
merveilleux  résultats.  Bien  que  Puyloubiers  n'appar- 
tienne ni  au  diocèse  de  Digne,  ni  au  diocèse  de  Gap,  nous 
croyons  qu'on  lira  avec  plaisir  les  quelques  détails  que 
le  P,  Mie  nous  donne  sur  cette  mission  : 

«  Les  exercices  allèrent  bon  train,  l'église  était  si 
petite  qu'on  prêchait  sur  la  place  publique.  On  a  bien 
du  mal  pour  toucher  ces  gens-là,  les  femmes  sont  igno- 
rantes, les  hommes  un  peu  moins,  tous  paraissent  insen- 
sibles aux  choses  de  la  religion.  Les  exercices  sont  pour- 
tant très  suivis.  Nous  nous  partageons  le  travail,  et 
nous  prêchons  en  provençal;  chose  étonnante,  dès  la 
première  semaine,  les  hommes  se  sont  présentés  à  con- 
fesse plus  nombreux  que  les  femmes.  » 

Écoutons  maintenant  le  P.  Honorât  : 

((  On  se  levait  à  4  heures  un  quart,  le  premier  exercice 
se  faisait  à  5  heures,  et  il  y  avait  toujours  presque  autant 
de  monde  que  le  soir.  A  7  heures  du  soir  avait  lieu  le 
second  exercice,  instruction,  bénédiction  et  derniers 
avis.  De  8  heures  et  demie  à  10  heures  et  demie,  confes- 
sion des  hommes  qui  sont  très  bien  disposés.  Deux  faits 
attestent  la  sincérité  des  conversions  et  le  grand  bien 
produit  par  la  mission.  En  établissant  la  congrégation 
des  lîlles,  les  Pères  ont  obtenu  qu'elles  ne  danseraient 
plus  aux  Romérages.  Un  étranger,  s'étant  permis  de  blas- 
phémer, tous  les  hommes  qui  étaient  présents,  protes- 
tèrent et  le  reprirent  vertement.  Le  P.  Mie  souffrait  des 
jambes  et  ne  pouvait  faire  de  longues  stations  au  con- 
fessionnal ;  en  revanche,  le  P.  Albini,  toujours  plus  excel- 
lent, était  infatigable  et  comptait  plus  de  200  per- 
sonnes à  son  actif  de  confessions,  et,  parmi  elles,  les 
usuriers,  qui  s'adressaient  à  lui  de  préférence.  Ce  Père 
est  maintenant  bon  à  tout,  se  prête  volontiers  à  tout  ce 


~  229  — 

qu'on  lui  demande;  il  commence  à  donner  des  gloses  en 
provençal,  qui  n'est  passa  langue,  et  se  fait  comprendre 
de  tout  le  monde  (1).  »  Aux  premiers  jours  d'avril,  le 
P.  Touche  se  rendait  pour  treize  jours  à  Ribiers,  chef- 
lieu  de  canton,  diocèse  de  Gap.  On  y  voit  les  ruines  du 
monastère  de  Saint-Etienne,  près  duquel  on  a  trouvé 
des  inscriptions  grecques  et  latines,  des  fers  de  lance, 
des  flèches,  autant  de  vestiges  qui  attestent  l'ancienneté 
et  l'importance  de  ce  pays.  On  y  voit  aussi  le  fameux  roc 
Peirimpin  [Petra  mipia),  débris  d'une  forteresse  sarra- 
sine.  Pendant  qu'il  était  à  Ribiers,  le  P.  Touche  entra  en 
relation  avec  le  chef  des  illuminés  du  Champsaure;  cet 
homme  revint  de  ses  erreurs,  se  confessa  et  fit  une  ré- 
tractation publique,  dans  l'église,  avec  une  franchise  et 
dans  des  dispositions  admirables.  Le  retour  au  bercail 
de  cette  brebis  égarée  fit  une  grande  sensation  dans  le 
pays. 

De  là,  le  même  Père  se  rendit  dans  une  paroisse  va- 
cante, à  Saint-Pierre-Avez,  à  10  kilomètres  de  Ribiers,  où 
il  resta  quinze  jours  aussi.  Il  y  eut  beaucoup  à  faire.  Ce 
pauvre  pays  ne  connaissait  plus  le  prêtre  depuis  quinze 
ans,  et  le  curé,  qui  l'avait  desservi  auparavant,  avait  né- 
gligé l'instruction  et  la  bonne  direction  de  ses  ouailles. 

L'évêque  de  Gap  avait  demandé  au  P.  de  Mazenod  une 
retraite  pour  les  détenus  de  la  prison  de  Gap,  et  mani- 
festé son  désir  que  le  P.  Suzanne  en  vînt  présider  les 
exercices.  C'était  une  œuvre  importante  et  laborieuse, 
car  il  y  avait  à  la  prison  580  détenus,  dont  quelques-uns 
soigneusement  éduqués  {sic).  Plusieurs  hommes  de  la 
ville,  outre  les  employés  et  officiers  de  la  maison,  de- 
vaient suivre  la  retraite.  Elle  s'ouvrit  à  la  fin  du  mois  de 
mai  et  fut  prêchée  par  le  P.  Suzanne  et  les  Pères  du 

(1)  Lettres  du  P.  Honorât  des  9  et  20  mars  1825.  —  Voir  aussi  : 
Réponse  au  questionnaire  de  sainteté,  le  P.  Albini,  les  Jilission::. 

T.   XXXV.  16 


—  330  - 

Laus.  Ils  réussirent  si  bien  que  l'évêque,  satisfait,  aurait 
voulu  que  les  Pères  allassent  aussi  évangéliser  les  pri- 
sonniers d'Embrun,  mais  ce  travail  fut  remis  à  plus  tard. 
L'année  1825,  la  retraite  annuelle  des  Pères  fut  devan- 
cée, afin  de  leur  permettre  de  commencer  plus  tôt  la 
campagne  d'hiver.  Le  P.  Mie  avait  été  envoyé  à  Nîmes  et 
avait  pour  remplaçant,  au  Laus,  le  P.  Honorât,  depuis 
le  mois  de  septembre  ou  octobre.  Dans  les  premiers  jours 
de  novembre,  le  P.  Honorât  et  le  P.  Touche  se  rendirent 
dans  le  Dévoluy,  en  passant  par  Veynes.  Ils  donnèrent  la 
mission  à  la  paroisse  de  Saint-Didier,  commune  du 
canton  de  Saint-Élienne-en-Dévoluy,  d'environ  500  ha- 
bitants (diocèse  de  Gap).  «  C'est  la  Sibérie  des  Hautes- 
Alpes,  écrit  le  P.  Honorât,  et  une  des  paroisses  les  plus 
difficiles  à  évangéliser.  Les  gens  parlent  un  patois  peu 
compréhensible  ;  l'église,  très  éloignée  des  habitations, 
est  séparée  de  la  maison  curiale  par  une  rivière...  Pour 
s'y  rendre  quatre  fois  par  jour,  les  missionnaires  et  les 
gens  devaient  faire  un  trajet  d'une  demi-heure,  car  le 
pont  le  plus  proche  avait  été  emporté  par  les  eaux  qui 
avaientmême envahi  l'église.')  Les  missionnaires,  malgré 
les  obstacles  et  les  contretemps,  après  quatre  semaines 
de  labeurs,  terminèrent  la  mission  qui  fut  aussi  satisfai- 
sante qu'elle  pouvait  l'être  ;  200  femmes  et  150  hommes 
s'approchèrent  des  sacrements,  avec  de  bonnes  disposi- 
tions. Là  aussi  furent  établies  des  congrégations  d'hom- 
mes et  de  filles  destinées  à  conserver  les  résultats  obte- 
nus et  à  les  compléter. 

(A  suivre.)  G.  Simonin,  o.  m.  i. 


—  231  — 


II 


TRANSLATION 
DES  RESTES  MORTELS  DE  NOTRE  VÉNÉRÉ  FONDATEUR 

DANS  LA  CRYPTE  DE  LA   NOUVELLE  CATHÉDRALE  DE  MARSEILLE. 

Au  soir  de  la  fête  de  Pâques,  le  18  avril  dernier,  M^'  l'é- 
vêque  de  Marseille  prononçait,  dans  son  église  cathédrale, 
et  faisait  lire  dans  les  vingt  et  une  paroisses  de  sa  ville 
épiscopale,  une  vibrante  allocution,  dans  laquelle  il  re- 
merciait d'abord  Dieu  du  grand  bien  opéré,  pendant  le 
carême,  par  les  soixante-douze  religieux  rédemptoristes 
qui  avaient  donné  aux  fidèles  marseillais  les  exercices  de 
la  mission.  Ce  tribut  de  reconnaissance  payé,  le  pieux 
prélat  ajoutait  :  «  J'ai  pensé  qu'il  fallait  rattacher  h  la 
mission  la  cérémonie  de  la  consécration  de  l'église  cathé- 
drale. Cette  solennité  importante  sera  comme  la  conclu- 
sion et  le  mémorial  des  pieux  exercices  qui  ont  sanctifié 
nos  âmes...  J'ai  fixé  cette  consécration  au  jeudi  6  mai... 
Le  lendemain,  vendredi  7  mai,  sera  célébrée  dans  la  ca- 
thédrale une  autre  cérémonie  d'un  caractère  fort  tou- 
chant :  la  translation  des  anciens  évêques  dans  la  chapelle 
funéraire  qui  leur  est  destinée.  Du  caveau  de  l'ancienne 
Mayor,  où  ils  reposent,  les  corps  seront  transportés  pro- 
cessionnellement  dans  la  nouvelle  cathédrale.  Une  messe 
solennelle  de  Requiem  y  sera  chantée,  à  l'issue  de  laquelle 
la  parole  éloquente  et  aimée  de  M»'  l'évêque  de  Montpel- 
lier prononcera  l'oraison  funèbre  des  évêques  défunts. 

«  Cette  cérémonie  est  une  suite  toute  naturelle  de  celle 
qui  se  sera  accomplie,  la  veille,  dans  la  consécration  de 
l'église.  Pourraient-ils  y  rester  étrangers,  ces  évêques 
qui,  par  leurs  travaux  et  par  leurs  enseignements,  con- 
servant et  développant  la  foi  dans  les  âjnes,  ont  construit 


—  232  — 

la  vénérable  Église  de  Marseille,  et  pourrions-nous  oublier 
que  c'est  à  la  sollicitude  pastorale  et  aux  instances  inces- 
santes de  l'un  d'eux,  M^'  Eugène  de  Mazenod,  qu'est  dû 
le  magnifique  édifice  de  l'église  cathédrale  actuelle. 

«  De  leurs  tombes,  ils  parlent  encore.  Tous  nous  disent 
de  garder  intacte  la  foi  de  nos  pères.  Mais  notre  immor- 
tel Belzunce,  qui  nous  rendit  les  enfants  privilégiés  du 
Sacré-Cœur  en  lui  consacrant,  le  premier  dans  le  monde 
catholique,  son  diocèse,  nous  presse  surtout  de  rester 
fidèles  à  son  culte,  notre  sauvegarde,  notre  force  et  notre 
gloire.  Un  grand  évêque  aussi,  M^''  Eugène  de  Mazenod, 
nous  conjure  de  son  côté  d'aimer  et  d'honorer  toujours 
d'une  dévotion  particulière  la  Bonne  Mère  et  tous  les 
saints  du  diocèse  qui  en  sont  devenus  les  protecteurs 
après  saint  Lazare,  et  ses  saintes  sœurs  Madeleine  et 
Marthe.  » 

A  cette  annonce,  depuis  longtemps  désirée,  la  famille 
entière  de  M^'  de  Mazenod  tressaillit  de  joie.  Le  R.  P.  Au- 
GiER,  provincial  du  Midi,  s'empressa  de  convoquer  à  cette 
double  fête  des  représentants  venus  de  toutes  les  mai- 
sons de  la  province.  Le  T.  R.  P.  Général,  accompagné 
du  R.  P.  Tatin,  s'acheminait  lui-même  vers  Marseille,  en 
visitant  sur  son  passage  les  maisons  de  Lyon  et  de  Notre- 
Dame  de  l'Osier.  Il  arrivait  dans  notre  maison  du  Cal- 
vaire, dans  la  soirée  du  lundi  3  mai.  Le  lendemain, 
mardi,  avait  été  fixé  par  M^''  Robert,  de  concert  avec 
l'autorité  civile,  pour  l'exhumation  des  cercueils  épisco- 
paux  déposés  dans  la  crypte  de  la  vieille  cathédrale,  et 
la  reconnaissance  des  restes  vénérés  qu'ils  renfermaient. 
Cette  opération  préliminaire  à  la  translation  constituait, 
à  vrai  dire,  la  partie  la  plus  émouvante  des  cérémonies 
auxquelles  nous  étions  appelés  à  participer. 

Le  cercueil  de  notre  vénéré  Père  allait  donc  reparaître, 
après  trente-six  ans,  à  la  lumière  du  jour;  ses  enfants 


—  233  — 

allaient  donc  avoir  la  consolation  de  le  voir,  de  le  tou- 
cher, de  constater  l'état  dans  lequel  se  trouve  actuelle- 
ment la  dépouille  mortelle  du  grand  serviteur  de  Dieu, 
qui  fut  le  Fondateur  et  qui  demeure  toujours  le  père  de 
leur  famille  religieuse. 

Tous  les  Oblats  présents  à  Marseille  avaient  voulu  as- 
sister à  cette  exhumation.  Quelques-uns  seulement  ob- 
tinrent cette  faveur.  C'étaient,  en  dehors  du  T.  R.  P.  Gé- 
néral et  de  M^""  Mélizan,  archevêque  de  Colombo,  le 
R.  P.  Tatin,  assistant  général;  le  R.  P.  Augier,  provincial 
du  Midi  ;  le  R.  P.  Gigaud,  supérieur  de  la  maison  de  Notre- 
Dame  de  la  Garde  ;  les  RR.  PP.  Bonnefoy,  Gallo  et  Bader, 
de  la  maison  du  Calvaire;  le  R,  P.  Baffie,  supérieur  du 
grand  séminaire  de  Fréjus.  Le  marquis  de  Boisgelin,  ne- 
veu de  Ms'  DE  Mazenod,  se  trouvait  aussi  aux  côtés  de 
Ms""  l'évêque  de  Marseille. 

Un  peu  avant  10  heures  du  matin,  tous  les  prépara- 
tifs étant  achevés,  M^''  Robert,  entouré  de  quelques  di- 
gnitaires de  son  clergé  et  des  Pères  Oblats  que  nous  ve- 
nons de  nommer,  s'agenouille  à  l'ouverture  du  caveau 
où  dormaient  ses  prédécesseurs,  dans  la  crypte  de  la 
vieille  cathédrale,  et  commence  la  psalmodie  du  De pro- 
fundis  que  toute  l'assistance  poursuit  à  deux  chœurs. 
Dès  que  le  prélat  a  récité  l'oraison,  les  employés  des 
pompes  funèbres,  aidés  par  quelques  ouvriers  maçons, 
se  mettent  à  l'œuvre.  Le  premier  cercueil,  drapé  de  noir, 
qu'ils  amènent  à  fleur  de  l'étroite  ouverture  du  caveau 
est  celui  de  M^''  Fortuné  de  Mazenod,  oncle  de  notre 
vénéré  Fondateur.  Il  s'élève  lentement,  non  sans  être 
assez  vivement  cahoté,  malgré  l'attention  qu'apportent 
les  ouvriers  à  l'accomplissement  de  leur  pieux  travail. 
Dès  qu'il  est  couîplètement  sorti,  les  employés  des  pompes 
funèbres  le  couchent  sur  un  brancard,  le  recouvrent  d'un 
drap  mortuaire  et  l'apportent  dans  une  chapelle  latérale 


~  23 '1  - 

de  la  vieille  cathédrale.  Monseigneur  et  tous  les  membres 
du  clergé  le  suivent.  Le  cercueil  en  bois  est  dévissé  ;  le 
nom  du  vénérable  défunt,  gravé  sur  une  plaque  de  zinc 
est  vérifié,  et  le  plombier  fait  une  longue  entaille  dans  le 
cercueil  en  plomb.  Le  squelette  est  entier,  mais  dépouillé 
de  ses  chairs.  Malheureusement,  dans  le  mouvement 
ascensionnel  que  le  cercueil  vientde  subir,  il  s'est  déplacé 
et  a  glissé  vers  le  fond.  Pendant  quelques  instants,  tous 
nos  yeux  sont  fixés  sur  ces  précieux  ossements  qui  nous 
rappellent  le  souvenir  et  les  bienfaits  d'un  saint  évoque 
et  d'un  insigne  protecteur  de  notre  famille  religieuse. 
Bientôt,  sur  un  signe  de  Monseigneur,  les  ouvriers  ra- 
justent la  couverture  en  plomb  et  soudent  promptement 
la  large  brèche  qu'ils  viennent  de  pratiquer. 

Nous  retournons  tous  aux  abords  du  caveau.  Le  second 
cercueil,  amené  par  les  ouvriers,  est  celui  de  notre  vé- 
néré Fondateur.  Drapé  de  noir,  il  s'élève  lentement,  nous 
allions  dire,  majestueusement,  dans  le  sens  de  la  lon« 
gueur,  à  travers  l'étroite  ouverture  du  caveau.  «  Qu'il 
était  grand  I  »  s'écrient  les  ouvriers,  étonnés  des  dimen- 
sions peu  ordinaires  de  ce  cercueil  épiscopal  (1).  Ils  di- 
saient plus  vrai  qu'ils  ne  pensaient,  ces  braves  ouvriers 
marseillais.  Le  cercueil  que  touchaient  leurs  mains  et 
que  portaient  leurs  bras  contenait,  en  effet,  la  dépouille 
mortelle  d'un  des  plus  grands  évêques  de  ce  siècle  et  de 
tous  les  siècles.  Nous  le  suivons  dans  la  chapelle  où  avait 
été  apporté,  quelques  minutes  auparavant,  le  corps  de 
M^*"  Fortuné  de  Mazenod. 

Le  couvercle  du  cercueil  en  bois  est  rapidement  écarté, 
et  nous  nous  trouvons  en  présence  du  cercueil  en  plomb  ; 
il  est  intact.  Monseigneur  demande  et  les  ouvriers  cher- 
chent vainement  la  plaque  de  cuivre  ou  de  zinc  sur  la- 

(l)  Le  cercueil  de  notre  vénéré  Père  a  un  peu  plus  de  2  mètres  de 
longueur. 


-   235  ~ 

quelle,  au  moment  de  l'inhumation,  dut  être  gravé  le 
nom  du  vénéré  défunt.  Elle  n'apparaît  nulle  part.  Heu- 
reusement que  l'attestation  de  ce  témoin  ne  sera  pas 
nécessaire  pour  établir  avec  certitude  que  le  cercueil  qui 
est  là,  sous  nos  yeux,  renferme  bien  réellement  les  restes, 
nous  dirions  volontiers,  les  reliques  de  l'admirable  pon- 
tife dont  nous  sommes  heureux  de  nous  proclamer  les 
fils. 

Un  des  ouvriers  plonge  son  ciseau  dans  le  plomb  du 
cercueil,  du  côté  de  la  tête,  et,  à  coups  de  marteau,  pra- 
tique une  fente  jusque  vers  le  milieu  de  la  poitrine  ;  puis, 
de  ses  deux  mains,  il  écarte  le  plomb,  le  replie,  et  nous 
voyons  une  couche  épaisse  de  coton  dans  un  parfait  état 
de  conservation,  imprégné  encore  de  l'odeur  des  aro- 
mates dont  il  fut  imbibé,  il  y  a  trente-six  ans,  et  dont  le 
parfum,  acre  mais  non  pas  désagréable,  se  répand  autour 
de  nous. 

Le  silence  était  profond  ;  tous  les  yeux  et  tous  les  cœurs 
étaient  attachés  à  ce  cercueil  tant  aimé.  L'ouvrier  écarte 
l'enveloppe  de  coton.  «  C'est  lui  !  C'est  bien  notre  saint 
Fondateur  !  C'est  M^''  de  Mazenod  !  »  s'écrient  aussitôt 
d'une  commune  voix  les  anciens  du  clergé  de  Marseille 
et  de  notre  famille  religieuse:  «celui-là  est  bien  con- 
servé »,  répètent  de  concert  les  ouvriers,  dont  le  témoi- 
gnage est  d'une  indiscutable  sincérité.  Malgré  le  travail 
de  la  mort,  pendant  trente-six  ans,  la  belle  tête  de  M^'  de 
Mazenod  est  là,  devant  nous,  parfaitement  reconnais- 
sable  (1). 

Mus  par  un  sentiment  de  filiale  vénération  et  aussi  de 
filiale  confiance,  nous  nous  empressons  de  faire  toucher 

(1)  Dans  le  bref  compte  rendu  qu'il  a  fait  de  cette  exhumation,  le 
distingué  rédacteur  de  VÉcho  de  Notre-Dame  de  la  Garde,  semaine 
religisuse  de  Marseille,  a  écrit  :  «  M8''  Eugène  de  Maxenod  était  fort 
recoDuaissable  et  bien  conservé.  » 


—  236  — 

à  cette  tête  qui  médita  et  conçut  jadis  tous  les  détails  de 
nos  saintes  Règles,  nos  chapelets,  nos  croix  de  mission- 
naires, des  linges  apportés  à  cet  effet.  L'idée  d'un  pieux 
larcin  traverse  en  ce  moment  l'esprit  de  l'un  d'entre 
nous.  Serait-il  permis  de  s'emparer  au  moins  d'une  des 
sandales?  Mis  dans  la  confidence  de  ce  désir,  notre 
T.  R.  P.  Général  le  manifeste  à  M^""  l'évêque  de  Marseille 
qui  regrette  de  ne  pouvoir  y  faire  droit;  les  règlements 
de  police  s'y  opposent.  Elles  furent  trop  courtes,  les 
minutes  durant  lesquelles  nous  ptimes  satisfaire  ainsi 
notre  piété  filiale.  Nos  lèvres  étaient  muettes,  mais  tous 
nos  cœurs  redisaient  la  prière  qu'adressait  autrefois 
Elisée  au  prophète  Elle  :  Obsecro  ut  fiât  in  me  duplex  spi- 
ritus  tuus  (Père,  laissez  reposer  sur  moi  votre  double 
esprit  de  religieux  et  d'apôtre). 

Les  minutes  s'écoulaient  rapides,  et  elles  étaient  par- 
cimonieusement comptées.  Bientôt  les  ouvriers  scellent 
sous  nos  yeux  le  cercueil,  tandis  que  les  employés 
des  pompes  funèbres  apportent  les  restes  mortels  de 
Ms"'  O'Cruice  qui,  dans  son  court  passage  à -Marseille,  ne 
sut  peut-être  pas  assez  comprendre  que,  successeur  de 
M^  DE  Mazenod,  il  avait  aussi  mission  d'être  son  continua- 
teur. Paix  aux  morts  !  Sans  aucune  arrière-pensée,  nous 
avons  enveloppé  ce  nouveau  cercueil  du  manteau  de  la 
charité,  comme  l'eût  fait  notre  saint  Fondateur  lui- 
môme. 

Un  ouvrier  apporte,  en  ce  moment,  dans  un  coffret  de 
bois  blanc,  le  crâne  et  les  ossements  de  l'immortel  Bel- 
zunce.  Puis  apparaît  un  dernier  cercueil  contenant  pêle- 
mêle  tous  les  ossements  des  évêques  qui  avaient  tenu 
le  siège  épiscopal  de  Marseille  avant  le  dix-huitième 
siècle.  La  cérémonie  de  l'exhumation  et  de  la  reconnais- 
sance des  corps  des  anciens  évêques  de  Marseille  avait 
pris  fin.  Monseigneur  et  les  membres  de  son  clergé  se 


—  237  — 

retirent,  tandis  que  nous  suivons  nous-mêmes,  profon- 
dément émus,  le  T.  R.  P.  Général,  qui  s'achemine  vers 
notre  maison  du  Calvaire. 

Le  lendemain  soir,  kV Angélus,  le  bourdon  de  Notre- 
Dame  de  la  Garde  et  toutes  les  cloches  de  la  ville  annon- 
çaient par  de  joyeuses  et  solennelles  sonneries  que  la 
consécration  de  la  cathédrale  aurait  lieu  dans  la  matinée 
du  jour  suivant. 

Nous  empruntons  à  l'Univers  (numéro  du  8  mai)  la  des- 
cription de  cette  magnifique  basilique:  «C'est  une  joyeuse 
floraison  de  coupoles  que  vient  de  consacrer,  au  bord 
des  flots,  le  pieux  évêque  de  Marseille.  Jamais  peut-être 
l'art  byzantin,  mitigé  d'art  roman,  n'avait  produit  une 
œuvre  à  la  fois  plus  imposante  et  plus  gracieuse.  La 
Major  !  Ce  nom,  traditionnellement  donné  à  la  cathé- 
drale marseillaise,  est  symbolique  par  lui-même!...  Le 
nouvel  édifice,  immense  de  proportions,  s'élève  sur  les 
quais  de  la  ville,  entre  le  vieux  et  le  nouveau  port.  Sa 
masse  domine  de  loin  la  forêt  des  mâts,  les  bastions  des 
forts,  le  cylindre  élégant  des  phares,  l'éparpillement  pit- 
toresque et  mouvementé  des  marchandises  venues  de 
tous  les  points  du  globe.  Mais  cette  masse  n'est  pas  de 
celles  qui  écrasent  par  leur  taille  même.  Des  centaines 
de  courbes  en  adoucissent  les  sommets.  Coupole  cen- 
trale, coupoles  latérales,  haut  portique  cintré,  gracieuses 
fenêtres  accouplées  trois  par  trois,  combinent  hiérarchi- 
quement leurs  rondeurs  inégales.  Les  ors  éclatent  sur 
l'azur,  et  la  résultante  de  ce  gigantesque  ensemble  est 
une  grâce  enchanteresse  étroitement  fondue  avec  la  plus 
sereine  grandeur.  La  Major  est  la  plus  grande  église 
de  France  {\).  Près  de  15000  personnes,  assure-t-on, 

(1)  La  longueur  totale  de  l'édifice  est  de  140  mètres;  la  croix  qui 
surmonte  la  lanterne  de  la  grande  coupole  est  à  une  hauteur  de 
60  mètres.  Le  transept  seul  formerait  une  vaste  église  ;  il  a  50  mètres 


-    838  — 

peuvent  prendre  place,  tant  dans  ses  vastes  nefs  allon- 
gées en  forme  de  croix  latine,  qu'autour  du  chœur, où  de 
spacieuses  chapelles  font  rayonner  les  trois  branches 
d'une  croix  grecque.  Des  mosaïques  inachevées  étincel- 
lent  sur  les  murailles.  Les  proportions,  heureusement 
combinées  comme  à  Saint-Pierre  de  Rome,  déroutent 
le  fidèle  à  mesure  qu'il  s'avance  et  ne  se  révèlent  que  peu 
à  peu  dans  toute  leur  beauté.  » 

La  première  pierre  de  ce  monument  sacré  fut  posée  le 
26  septembre  1852,  par  Louis-Napoléon  Bonaparte,  alors 
président  de  la  République,  et  bénite  par  notre  vénéré 
Fondateur,  Ms""  Eugène  de  Mazenod,  dont  le  digne  suc- 
cesseur, M^'^  Robert,  évoque  avec  une  complaisance  mar- 
quée la  grande  mémoire  au  moment  d'aborder  la  céré- 
monie de  la  consécration  solennelle.  Assistaient  à  cette 
cérémonie,  Ms""  Mélizan,  archevêque  de  Colombo,  et 
M^'  Balaïn,  archevêque  d'Auch,  qui  a  fait  les  trois  asper- 
sions des  murailles,  à  l'intérieur  de  l'église,  et  consacré 
l'autel  de  la  Sainte  Vierge. 

Le  lendemain,  vendredi  7  mai,  la  cérémonie  du  trans- 
fert du  corps  des  anciens  évêques  dans  la  crypte  de  la 
nouvelle  cathédrale  a  commencé  à  8  heures  et  demie. 
Les  élèves  du  grand  séminaire,  250  prêtres  du  clergé  sé- 
culier ou  régulier,  forment  le  cortège;  puis  s'avancent 
M^'  Jauffret,  évèque  rie  Bayonne,  qui  reçut  autrefois  l'onc- 
tion sacerdotale  des  mains  de  M^"^  de  Mazenod  ;  M'^'^  de 
Cabrières,  évoque  de  Montpellier,  dont  nous  entendrons 
tout  à  l'heure  l'élégante  parole;  M^'  Balaïn,  archevêque 
d'Auch,  Me""  Mélizan,  archevêque  de  Colombo,  l'un  et 
l'autre  fils  spirituels  de  M»''  de  Mazenod  et  l'ornement  de 
sa  famille  religieuse;  M^""  Goulhe-Soulard,  archevêque 
d'Aix;  enfin,  M^M'évêque  de  Marseille,  officiant. 

de  longueur.   Les  dépenses  occasionnées  par  la  coastructioa  de  ce 
beau  monument  dépassent  14  miliions. 


—  239  ~ 

Les  Oblats  avaient  espéré  porter  sur  leurs  épaules  le 
corps  de  leur  vénéré  Père,  à  cette  heure  solennelle  où 
il  prendrait  enfin  possession  de  la  cathédrale  due  à  sa 
sollicitude  pastorale.  Au  dernier  moment,  l'impossibilité 
absolue  de  réaliser  celte  partie  du  programme  a  apparu 
manifeste  à  tous.  Le  cercueil  était  trop  lourd  pour  être 
manié  facilement  et  porté  convenablement  par  des  prê- 
tres. Six  robustes  employés  des  pompes  funèbres  le  char- 
gent sur  leurs  épaules.  Huit  Pères  Oblats  l'escortent, 
quatre  à  droite  et  quatre  à  gauche.  Derrière,  s'avancent 
en  première  ligne  le  T.  R.  P.  Général  et  le  marquis  de 
Boisgelin;  ils  sont  suivis  de  tous  les  Pères  présents  à 
Marseille. 

Au  moment  où  le  corps  de  notre  vénéré  Père  arrive 
devant  la  porte  de  la  cathédrale,  le  cortège,  qui  ne  pénè- 
tre que  difficilement  dans  l'édifice  sacré  déjà  envahi  par 
une  foule  compacte  et  choisie,  subit  un  arrêt  de  quel- 
ques instants  (1).  Notrevénéré  Fondateur  nous  apparaît 
alors  au  sein  de  toutes  les  grandes  œuvres  qui  ont  rempli 
et  immortalisé  sa  vie.  A  ses  côtés,  les  membres  de  sa 
Congrégation  de  missionnaires  et  les  prêtres  du  clergé 
de  Marseille  ;  à  ^es  pieds,  la  cathédrale  dont  il  a  béni  les 
débuts;  à  sa  tête,  dans  le  lointain,  la  basilique  de  Notre- 
Dame  de  la  Garde,  magnifique  ex-voto  de  la  piété  envers 
Marie;  à  sa  droite  et  à  quelques  pas  seulement,  le  palais 
épiscopal  qu'il  avait  voulu  proportionné  à  la  haute  idée 

(1)  Au  premier  rang  de  la  foule  immense  accourue  pour  assister  à 
cotte  imposante  cérémonie,  nous  avons  remarqué  avec  une  fraternelle 
satisfaction  la  très  nombreuse  députalion  des  Sœurs  de  la  Sainte- 
Famille.  Elles  occupaient  une  place  d'honneur  près  du  catafalque, 
du  côté  de  l'épttre.  Du  haut  du  ciel,  M8'  de  Mazenod  qui  fut,  après 
la  mort  du  bon  Père  Noailles,  leur  premier  directeui'  général,  a  cer- 
tainement répandu  d'abondantes  bénédictions  sur  leurs  personnes  et 
sur  leurs  œuvres,  en  reconnaissance  du  pieux  dévouement  qu'elles 
témoignent,  en  toute  rencontre,  h  ses  fils,  les  missionnaires  Oblats 
de  Marie. 


—  i>40  — 

qu'il  se  faisait  de  l'épiscopat  ;  à  sa  gauche,  et  si  rappro- 
chée qu'on  entend  le  murmure  de  ses  flots,  la  Méditer- 
ranée, qu'ont  sillonnée  tant  de  ses  fils,  partant  à  la  con- 
quête des  âmes  les  plus  abandonnées.  Le  mistral  soufflait 
en  tempête,  soulevant  violemment  les  draperies  noires 
qui  recouvraient  le  cercueil.  N'était-ce  pas  le  symbole 
des  orages  qui  tant  de  fois  avaient  assombri  sa  vie  et 
menacé  l'existence  de  ses  œuvres  ? 

Enfin, le  cortège  reprend  sa  marche,  et  nous  pénétrons 
sous  les  voûtes  de  la  vaste  cathédrale.  Sur  notre  pas- 
sage, nous  entendons  le  chuchotement  de  la  foule  : 
«  Voilà  M^^'DE  Mazenod  que  des  Oblats  entourent.  » 

Par  les  soins  de  l'administration  des  pompes  funèbres, 
un  vaste  catafalque  avait  été  dressé  sous  la  grande  cou- 
pole. Il  portait  à  ses  angles  les  armoiries  des  évêques 
défunts,  était  orné  de  grands  lampadaires  d'argent  et 
s'élevait  sur  une  vaste  estrade  oii  prirent  place,  pendant 
l'absoute,  les  évêques  et  tous  les  dignitaires  ecclésias- 
tiques. Au  sommet  du  catafalque,  un  drap  mortuaire  à 
grande  croix  d'or  et  une  mitre  blanche  sur  un  carreau. 

Le  cortège  s'arrête  un  instant  sur  l'estrade  ou  à  ses 
abords,  tandis  que  les  cercueils  sont  déposés  sous  le  cé- 
notaphCj  puis  le  clergé  va  prendre  place  dans  le  chœur. 
La  messe  est  célébrée  par  Met^BALAïN,  doublement  fils  de 
M^""  DE  Mazenod,  par  la  profession  religieuse  et  par  le 
sacerdoce. 

La  messe  achevée,  tous  les  yeux  se  dirigent  vers  la 
chaire  où  M^'  de  Cabrières  vient  de  paraître.  A  l'exemple 
de  l'Écho  de  Notre-Dame  de  la  Ga7^de,nous  ne  dirons  rien 
de  ce  discours,  «  nous  sentant  incapable  d'en  donner 
une  analyse  qui  ne  soit  pas  tout  à  fait  insuffisante  ». 

Espérons  que  M^''  l'évêque  de  Montpellier  procurera 
la  joie  de  le  lire  à  ceux  qui  n'ont  pas  eu  celle  de  l'en- 
tendre. 


™  241  ~ 

M^''  de  Gabrières  étant  descendu  de  chaire,  les  évêques 
ont  donné  les  cinq  absoutes.  Il  était  près  de  midi  quand 
a  pris  fin  cette  grande  solennité  funèbre,  solennelle  et 
touchante  manifestation  de  la  piété  filiale  envers  les 
pontifes  qui  furent  nos  pères  dans  la  foi. 

Dans  l'après-midi  de  ce  même  jour,  les  cercueils  des 
évêques  furent  descendus,  mais  sans  que  personne  fût 
admis  à  cette  translation,  en  dehors  du  vicaire  général 
qui  la  présidait,  dans  la  crypte  funéraire  de  la  nouvelle 
cathédrale.  Celte  crypte  est  située  au-dessous  de  la  cha- 
pelle absidale  de  la  Très  Sainte  Vierge.  On  y  accède  par 
un  double  escalier  qui  prend  naissance  et  se  déroule 
entre  la  colonnade  du  sanctuaire  de  la  basilique.  Cette 
chapelle  n'a  pas  été  travaillée  avec  moins  de  soin  que  les 
autres  parties  de  l'édifice.  La  lumière  y  pénètre  par  deux 
grandes  fenêtres,  et  des  colonnes  de  marbres  divers  lui 
forment  une  parure  austère,  mais  riche  et  de  bon  goût. 
Dans  l'abside,  un  autel  en  granit.  Le  centre  du  gradin 
unique  est  orné  du  monogramme  du  Christ  qui  décore 
aussi  la  croix  de  la  clef  de  voûte  de  la  chapelle.  Sous  la 
table  de  l'autel,  une  urne  en  marbre  rouge  et  onyx  de 
Numidie  avec  cette  inscription  :  Sanguis  martyrum. 

Dix-sept  petits  caveaux  sont  bâtis  dans  la  chapelle  et 
recouverts  chacun  d'une  vaste  dalle  de  granit  portant 
quatre  grands  anneaux  de  bronze.  C'est  dans  le  caveau 
placé  seul  devant  l'autel  de  la  crypte,  qu'a  été  déposé  le 
corps  de  notre  vénéré  Fondateur.  Les  prêtres  qui  célé- 
breront la  messe  à  cet  autel,  auront  leurs  pieds  posés 
sur  sa  poitrine,  au  moment  où  ils  diront  :  Introibo  ad 
altare  Dei. 

Un  journal  de  Marseille,  après  avoir  fait  le  compte 
rendu  sommaire  de  la  cérémonie  que  nous  venons  de 
raconter,  termine  son  récit  par  un  salut  respectueux  à 
tous  ces  évêques  qui  dorment  maintenant,  dit-il,  dans 


—  242  — 

leur  demeurée  définitive.  Nos  cœurs  de  fils  nourrissent  de 
meilleures  espérances.  Oui,  nous  espérons  que  le  saint 
pontife,  dont  le  corps,  intégralement  conservé,  repose 
depuis  quelques  jours,  au  pied  de  l'autel,  dans  la  crypte 
funéraire  des  évêques  de  Marseille,  sera,  dans  un  avenir 
que  Dieu  connaît  et  que  nous  attendons  avec  confiance, 
l'objet  d'une  nouvelle  translation;  nous  espérons  que 
ses  fils  auront  la  joie  d'assister  à  sa  glorification  et  de 
célébrer  la  messe  sur  les  autels  qu'enrichiront  ses  pré- 
cieuses reliques.  Puissions-nous  mériter  par  nos  prières 
et  par  nos  vertus  cette  joie  et  cette  grâce  ! 


REVUE 


LA  LINGUISTIQUE 

CONSIDÉRÉE  COMME  CRITÉRIUM  DE  CERTITUDE  ETHNOLOGIQUE 

Par  le  R.  P.  Morice,  o.  m.  i. 

(Traduction  d'une  étude  publiée  en  anglais.) 

(Suite  ^J 

II 

Par  Dénés,  j'entends  la  grande  famille  d'aborigènes 
américains  connus  dans  les  cercles  ethnographiques  sous 
les  noms  impropres  de  Tinné,  Tinneh,  Tenni  (Bompas), 
Teyme  (Kennicotl),  Dené-Dindjié  (Petitot)  ou  Athapas- 
kans.  Noms  impropres,  ai-je  dit  ;  en  voici  la  raison. 

Ni  Tinné,  ni  Tenni,  etc.,  n'ont  de  signification  dans  le 
dialecte  d'aucune  des  nombreuses  tribus  dont  l'agrégat 
forme  cette  importante  famille.  Les  ethnographes  res- 
ponsables de  ces  divers  sobriquets  les  dérivèrent  de  la 
désinence  de  certains  noms  de  tribus,  probablement  mal 
prononcés  et  certainement  mal  orthographiés  par  les 
premiers  voyageurs  ou  commerçants  qui  aient  fait  men- 
tion de  ces  indigènes.  Les  suffixes  verbaux  tinné  ou 
tenné  sont  évidemment  les  termes  qu'on  avait  en  vue. 
Mais  il  y  a,  pour  l'oreille  indienne,  infiniment  plus  de 
différence  entre  le  t  simple  et  le  t  clappant  (ou  7)  qu'il 
n'en  existe,  pour  nous,  entre  des  lettres  si  diverses  que 
le  sont,  par  exemple,  le  w  et  le  g.  Celles-ci  sont  com- 

(1)  Voir  Missions,  mars  1897. 


—  244  — 

muables  dans  les  langues  aryennes,  tandis  que  les  pre- 
mières sont  loin  de  l'être  en  déné. 

De  plus,  ces  noms  verbaux  varient  suivant  les  dialectes, 
puisque  nous  avons  ^tenne  en  porteur,  'tinm  en  babine, 
'qenne  en  sékanais,  etc. 

Enfin,  la  prononciation  correcte  de  ces  suffixes  re- 
quiert une  espèce  d'explosion  linguale,  qui  ne  peut  s'ob- 
tenir qu'après  initiation  dans  les  secrets  de  la  phonétique 
dénée.  Il  est  donc  absurde  de  désigner  toute  une  nation 
par  une  désinence  de  caractère  accidentel,  que  ne  peut 
prononcer  l'immense  majorité  des  lecteurs. 

Un  autre  nom  tout  aussi  usité  pour  représenter  le 
stock  en  question,  et  qu'on  doit,  dit-on,  à  Gallatin,  est 
athapascans,  d'après  le  lac  Athapasca  dont  les  bords  sont 
habités  par  une  des  tribus  dénées.  C'est  comme  si  quelque 
ethnographe  s'imaginait  d'appeler  picarde  ou  gasconne 
la  nation  française.  Le  Bureau  d'ethnographie  de  Wash- 
ington, tout  en  adoptant  cette  appellation  contre  laquelle 
j'avais  déjà  protesté,  a  dû  confesser  que  des  mission- 
naires versés  dans  la  connaissance  de  divers  dialectes 
de  cette  famille  dans  le  Nord-Ouest  ont  réclamé,  «  mais, 
ajoute-t-il,  la  priorité  de  temps  demandait  qu'on  retînt 
le  vocable  inventé  par  Gallatin  (1)».  Il  me  semble  pour- 
tant que  le  temps  ne  saurait  de  lui-même  convertir  un 
tort  en  un  droit,  changer  le  faux  en  vrai. 

L'abbé  Petitot  remplace  l'un  et  l'autre  de  ces  deux 
noms  Déné-Dindjié  «  réunissant  dans  un  mot  composé 
la  Iribu  la  plus  méridionale,  la  montagnaise  ou  dénée, 
avec  la  plus  septentrionale,  les  Loucheux,  qui  s'appel- 
lent Dindjiés  (2)  ».  Cette  dénomination,  qui  a  du  moins 
le  mérite  de  contenir  deux  mots  indiens  correctement 

(t)  Bibliography  of  thc  Athapaskan  Languages,  p.  v,  Washington, 
1892. 
(2)  Monographie  des  Déné- Dindjiés,  p.  xix,  Paris,  1876. 


—  245  — 

écrits,  a  pourtant  le  désavantage  de  contracter  indûment 
dans  l'esprit  du  lecteur  la  superficie  du  territoire  occupé 
par  le  peuple  ainsi  désigné.  Les  Montagnais  sont  loin 
d'être  la  branche  la  plus  méridionale  de  cette  famille, 
non  seulement  dans  le  continent  américain,  mais  même 
dans  les  limites  de  l'Amérique  britannique.  Les  Tsilkoh- 
tines  et  les  Porteurs  ont  leur  habitat  plusieurs  degrés  de 
latitude  plus  au  sud,  bien  qu'aucune  interruption  terri- 
toriale ne  les  sépare  des  tribus  dénées  plus  septentrio- 
nales, pour  ne  rien  dire  des  Sarcis,  qui  vivent  isolés  de 
tout  congénère  au  milieu  des  Pieds-Noirs.  Par  consé- 
quent, d'après  son  propre  principe,  l'abbé  Petitot  devrait 
appeler  le  stock  ethnique  tout  entier  non  pas  déné,  mais 
tœni-dindjié  (1). 

Mais  on  ne  devrait  point  oublier  les  nombreux  reje- 
tons qu'il  a  poussés  au  travers  des  États  du  sud  et  de 
l'ouest  de  l'Union  américaine,  et  dont  le  terme  pour 
l'homme  et,  partant,  pour  eux-mêmes,  en  tant  qu'abo- 
rigènes, est  à  peu  près  identique  avec  déné,  le  nom  in- 
dien des  Montagnais,  la  tribu  la  plus  centrale  (2)  et  l'une 
des  plus  populeuses.  Pourquoi  donc  ne  pas  donner  ce 
nom  à  la  famille  entière  ?  On  trouverait  peut-être  un  pré- 
cédent pour  cette  mesure  dans  les  noms  désignant  au- 
jourd'hui certains  peuples  européens,  tels  que  les  Ita- 
liens, les  Français  et  même  les  Anglais,  noms  qui  ne 
furent  donnés  à  la  nation  entière  qu'après  avoir  désigné 
l'une  de  ses  plus  importantes  tribus  originaires,  les  Itali, 
les  Francs  et  les  Angles. 

Quoi  qu'il  en  soit  de  cette  question,  la  famille  dénée 
a  certainement  une  grande  importance  ethnographique, 
puisque  aucun  autre  stock  aborigène  de  l'Amérique  du 

(1)  Tœni  est  le  terme  tsilkohtine  pour  «  homme  ». 

(2)  En  comprenant  dans  le  groupe  entier  les  tribus  méridionales 
éparpillées  dans  les  États-Unis. 

T.  XXXV.  lï 


—  546  — 

Nord,  peut-être  même  sans  en  excepter  les  Algonquins 
et  les  Nahuatl,  n'occupe  une  aussi  grande  étendue  de 
terrain.  Les  Iles  Britanniques,  la  France  et  l'Espagne, 
l'Italie  et  la  Grèce,  prises  ensemble,  ne  représentent, 
comme  étendue,  qu'une  partie  de  son  territoire.  Et  pour- 
tant, on  peut  remarquer,  sans  exagération,  que  peu  de 
branches  de  la  grande  race  américaine  sont  moins  con- 
nues que,  par  exemple,  les  Dénés  septentrionaux  qui, 
au  point  de  vue  de  l'extension  territoriale,  constituent 
la  majeure  partie  de  la  nation  (i). 

A  l'ouest  des  montagnes  Rocheuses,  on  les  trouve  de- 
puis le  51"30'  de  latitude  jusqu'aux  confins  des  Esqui- 
maux, tandis  qu'à  l'est  de  la  même  chaîne  de  monta- 
gnes, ils  peuplent  les  immenses  plaines  et  les  forêts  qui 
s'étendent  depuis  la  Saskatchewan  jusqu'au  delà  du 
Mackenzie.  De  l'est  à  l'ouest,  ils  errent,  maîtres  incon- 
testés du  sol,  à  travers  le  continent  américain  presque 
tout  entier. 

Gomme  le  dit  Horatio  Haie,  cette  contrée,  à  l'est  des 
montagnes  Rocheuses,  est  «une  triste  région,  couverte 
de  rochers  et  de  marais,  de  lacs  peu  profonds  et  de  ri- 
vières dangereuses,  qui  n'offre  d'autre  attraction  que 
celle  que  peut  trouver  le  chasseur  dans  les  animaux  à 
fourrure,  et  procure  aux  natifs  une  subsistance  pré- 
caire. A  défaut  de  cette  ressource,  ils  vivent  de  lichens 
cueillis  sur  les  rochers  (2)  ». 

A  l'ouest  des  montagnes  Rocheuses,  leur  pays  est  accir 
denté,  couvert  d'épaisses  forêts,  parsemé  de  lacs  nom- 

(1)  Ceci  est  nou  moins  vrai  en  ce  qui  regarde  les  écrits  publiés  en 
langue  dénée  ou  à  propos  de  cette  race  aborigène.  En  effet,  tandis 
que  la  Bibliographie  des  tribus  algonquines,  par  M.  Pilling,  de  l'Ins- 
titution smithsouieiine,  ne  comprend  pas  moins  de  o49  pages,  celle 
de  la  race  dénée  n'en  a  que  115. 

(2)  Languages  as  a  Test  of  Mental  Capacity  (  Trans.  Boy.  Soc.  Canada, 
sect.  II,  p.  81,  1891). 


—  247  — 

breux  et  profonds,  et  entrecoupé  de  rivières  torren- 
tielles. Leur  nourriture  ordinaire  est  le  saumon  et  la 
venaison,  selon  la  position  géographique  de  la  tribu. 

Les  Dénés  du  Nord  sont  divisés  en  douze  tribus  prin- 
cipales dont  les  plus  importantes  sont  les  Loucheux,  qui 
sont  colimitrophes  avec  les  Esquimaux  ;  les  Montagnais, 
dont  l'habitat  est  le  territoire  ayant  le  lac  Athapasca 
pour  centre,  et  les  Porteurs,  qui  forment  la  plus  popu- 
leuse et  la  plus  intéressante  des  tribus  occidentales. 

Un  problème  ethnographique,  qui  n'est  point  encore 
et  ne  sera  peut-être  jamais  résolu,  est  la  question  de  sa- 
voir comment  il  se  fît  que  d'importantes  branches  de  la 
nation  dénée  se  détachèrent  du  stock  principal  pour 
émigrervers  le  sud.  Quand  cet  exode  arriva-t-il  ?  Quelle 
fut  la  route  suivie  par  les  bandes  aventureuses?  Per- 
sonne n'est  en  état  de  répondre  d'une  manière  satis- 
faisante à  ces  questions.  Et  ce  serait  en  vain  que  nous 
chercherions  la  lumière  du  côté  des  parties  intéressées 
elles-mêmes  :  ni  les  Dénés  septentrionaux,  ni  ceux  du 
Midi  n'ont  même  le  moindre  soupçon  de  l'existence  les 
uns  des  autres. 

Deux  points  seuls  semblent  acquis  à  l'histoire  :  la  di- 
vision des  tribus  en  deux  camps  se  fît  il  y  a  bien  des 
siècles,  et  ce  mouvement  national  s'opéra  du  nord  au 
sud.  La  première  assertion  peut  se  prouver  par  le  fait 
que,  «  lorsque  les  Espagnols  rencontrèrent  (les  Navajos) 
pour  la  première  fois,  en  1541,  ceux-ci  cultivaient  le  sol, 
se  bâtissaient  de  vastes  granges  pour  abriter  leurs  ré- 
coltes, arrosaient  leurs  champs  au  moyen  de  canaux 
artificiels  ou  acequias,  et  habitaient  des  résidences  de 
caractère  substantiel  en  partie  souterraines  {\  )  ».  Gomme 
preuve  de  mon  second  avancé,  qu'il  me  suffise  de  citer 

(1)  A.-A.  Bandelier,  Indians  of  the  Southern  United  States. 


—  248  — 

une  tradition  en  vogue  parmi  certaines  fractions  de  la 
tribu  porteur,  d'après  laquelle  les  jours  étaient  autrefois 
si  courts  que  tout  ce  qu'une  femme  peut  faire  entre 
deux  nuits  était  d'ourler  les  bords  d'une  peau  de  rat 
musqué.  Cette  légende  a  évidemment  trait  aux  régions 
arctiques  considérées  comme  habitat  préhistorique  de 
cette  tribu. 

De  vigoureuses  branches  du  grand  arbre  déné  fleuris- 
sent donc  à  l'insu  les  unes  des  autres  à  des  milliers  de 
milles  de  la  souche  commune.  La  plus  proche  des  Dénés 
septentrionaux  est  celle  formée  des  bandes  établies  de 
temps  immémorial  en  Orégon  et  dans  la  Californie  du 
Nord,  et  dont  les  plus  populeuses  sont  connues  sous  le 
nom  collectif  de  Houpas.  Mais  les  Navajos  de  l'Arizona  et 
du  Nouveau  Mexique  constituent  à  beaucoup  près  la  plus 
importante  de  toutes  les  tribus  méridionales,  soit  qu'on 
les  considère  au  point  de  vue  numérique,  soit  qu'on  ne 
les  envisage  que  sousle  rapport  de  la  prospérité  nationale. 
Mes  propres  calculs  basés  sur  les  sources  les  plus  authen- 
tiques leur  accordent  une  population  de  16  102  âmes 
en  1891,  ce  qui,  pour  une  seule  tribu  indigène,  est  un 
chiffre  tout  à  fait  respectable. 

Les  Navajos  sont  un  peuple  de  pasteurs  qui  possède 
d'immenses  troupeaux  de  bêtes  à  cornes,  de  chevaux  et 
de  moutons.  Le  renom  de  leurs  célèbres  couvertures  et 
leur  réputation  d'habiles  artisans  se  sont  répandus  par 
tout  le  nord  du  continent  américain. 

Plus  au  sud,  et  même  assez  loin  dans  le  Mexique  se 
trouvent  les  fameux  Apaches  dont  la  note  distinctive  n'a 
pas  besoin  d'être  rappelée. 

S'il  y  a  de  par  le  monde  une  famille  d'êtres  humains 
qui,  par  les  caractéristiques  opposées  de  ses  parties  com- 
ponentes,  démontre  jusqu'à  l'évidence  la  faillibilité 
comme  critérium  ethnique  de  toutes  les  sciences  (à  part  la 


—  249  — 

philologie)  que  nous  avons  passées  en  revue  dans  notre 
première  partie,  c'est  à  coup  sûr  la  famille  dénée.  Au 
point  de  vue  de  l'anthropologie  physique,  par  exemple, 
comparons  ensemble  non  pas  des  fractions  très  distantes 
de  cette  race,  mais  simplement  quelques-unes  de  ses 
tribus  limitrophes.  Sur  le  versant  occidental  des  monta- 
gnes Rocheuses  vivent  côte  à  côte  trois  tribus,  celles  des 
Sékanais,  des  Porteurs  et  des  Tsilkohtines,  qui  fourniront 
ample  matière  à  nos  investigations. 

Au  physique,  les  Sékanais  sont  sveltes  et  osseux,  leur 
taille  est  plutôt  au-dessous  qu'au-dessus  de  la  moyenne  ; 
ils  ont  un  index  légèrement  brachycéphalique  ou  méso- 
céphalique  :  front  étroit,  joues  creuses,  pommettes  sail- 
lantes, yeux  très  petits  et  enfoncés  dans  leur  orbite,  lè- 
vres minces  et  pendantes.  Sur  dix  hommes  qui  sont  déjà 
pères  de  famille,  trois  ou  quatre  ne  vous  paraîtront  que 
des  enfants.  Je  n'ai  jamais  vu  chez  eux  qu'une  seule 
personne  qui  fut  réellement  obèse. 

Or,  les  Porteurs  sont  grands  et  robustes  sans  pourtant 
trop  de  corpulence.  Ils  sont  d'un  type  dolichocéphalique 
prononcé,  avec  un  front  large  et  de  gros  yeux  noirs.  Leur 
faciès  est  plein,  leurs  lèvres  plus  épaisses  et  leur  menton 
moins  retroussé  que  ceux  des  Sékanais.  Plusieurs  ont 
un  nez  aquilin,  tandis  que  chez  d'autres,  cet  organe  est 
plus  ou  moins  épaté.  La  calvitie,  bien  qu'assez  rare,  se 
voit  pourtant  chez  certains  individus  de  la  tribu.  Je  me 
tromperais  beaucoup  si  un  crâne  de  Porteur  n'était  pas 
confondu  avec  celui  d'un  Européen,  même  par  des  cra- 
niologues  de  profession. 

D'un  autre  côté,  les  Tsilkohtines  sont  petits  et  trapus, 
avec  une  figure  plate,  des  pommettes  très  prononcées, 
des  mâchoires  formant  saillie,  et  un  nez  plus  souvent 
large  et  épaté  qu'aquilin.  En  général,  ils  ont  beaucoup 
de  ressemblance  avec  les  Chinois,  et  cette  remarque  s'ap- 


—  250  — 

plique  également  aux  Balimes,  subdivision  de  la  tribu 
porteur. 

Les  seuls  points  qui  soient  communs  à  ces  aborigènes 
sont  les  yeux  noirs  et  les  cheveux  d'ébène,  plats  et  gros- 
siers, non  moins  que  la  délicatesse  des  pieds  et  des  mains. 
Je  ne  parle  pas  du  teint;  il  varie  même  dans  la  même 
tribu.  Certains  individus  sont  par  nature  de  couleur  beau- 
coup plus  foncée  que  d'autres,  sans  compter  que  le  genre 
de  vie  et  la  qualité  des  alimentsont  sur  elle  la  plus  grande 
influence.  Un  chasseur  ne  reviendra  jamais  d'une  expé- 
dition de  deux  ou  trois  mois  dans  la  forêt  sans  être  très 
bronzé,  tandis  que  son  compatriote  plus  casanier,  sans 
être  aussi  blanc  qu'un  Européen,  ne  sera  pourtant  jamais 
aussi  bistré  que  les  indigènes  de  la  race  siliche  du  sud 
de  la  Colombie  Britannique.  Quant  aux  cheveux,  je  con- 
nais au  moins  une  douzaine  de  cas  dans  la  seule  tribu 
porteur,  où  ils  sont  soyeux  et  presque  blonds,  bien  que 
cette  particularité  ne  soit  pas  due  à  un  mélange  de  sang. 
Même  sous  le  rapport  de  la  barbe,  on  peut  observer  une 
différence  notable,  puisque  certaines  ligures  babines  en 
sont  assez  garnies,  tandis  que  le  reste  des  Dénés  septen- 
trionaux sont  généralement  imberbes. 

Jetons  maintenant  un  coup  d'œil  sur  l'organisation  des 
diverses  tribus.  Les  Dénés  du  Nord-Est  ont  un  régime 
patriarcal  et  vivent  en  bandes  à  l'état  nomade  et  sans 
aucune  distinction  sociale.  Le  clan  ou  gens  leur  est  in- 
connu, et  par  conséquent  ils  n'ont  point  d'autre  totem 
que  celui  qui  est  propre  à  chaque  individu.  C'est  un  fait 
avéré  que  leur  forme  de  gouvernement,  ou  plutôt  leur 
absence  de  gouvernement,  est  la  contreiaçon  la  mieux 
réussie  de  l'anarchie.  D'un  autre  côté,  la  branche  occi- 
dentale des  Dénés  du  Nord  a  un  système  de  clans  très 
compliqué,  avec  une  noblesse  héréditaire  qui  possède,  à 
l'exclusion  de  toute  autre  section  de  la  tribu,  des  terres 


-     251   — 

de  chasse  très  nettement  délimitées.  De  ce  dernier  point 
sociologique,  il  suit  qu'elle  est  tout  aussi  sédentaire 
que  nomade.  Le  matriarcat,  ou  droit  de  la  mère,  prévaut 
parmi  les  Porteurs  et  les  Nahanés  occidentaux  ;  mais  le 
patriarcal  réapparaît  chez  les  Tsilkohtines,  leurs  voisins 
immédiats  et  congénères  du  Sud. 

Pami  les  Dénés  méridionaux,  la  société  est  aussi  divi- 
sée en  clans  ;  mais  ceux-ci  sont  là  d'une  origine  compa- 
rativement récente. 

La  diversité  de  la  loi  fondamentale  que  nous  venons 
de  remarquer  chez  les  Dénés  septentrionaux  n'est  pas 
moins  frappante  chez  leurs  frères  du  Midi,  puisque, 
d'après  le  docteur  Brinton,  «  chez  les  Navajos  et  les 
Apaches,  le  fils  suit  le  clan  de  sa  mère,  tandis  que  parmi 
les  Umpquas  et  les  Toutas  de  l'Ûrégon,  il  appartient  à 
celui  de  son  père  (î)  ». 

Une  autre  source  de  contraste  est  la  condition  de  la 
femme  selon  la  tribu  à  laquelle  elle  app;irtient.  A  propos 
d'un  ouvrage  de  l'abbé  Petitot,  Horatio  Haie  observe  que, 
dans  le  Nord,  les  femmes  sont  des  esclaves,  tandis  que, 
dans  le  Sud,  ce  sont  des  reines.  «  Four  les  Tinneh  sep. 
tentrionaux,  continue-t-il,  une  épouse  est  un  factotum 
qu'on  achète  sans  amour,  et  dont  on  abuse  sans  pitié. 
Chez  ceux  du  midi,  on  courtise  la  femme,  son  mari  lui 
témoigne  la  plus  tendre  affection  ;  elle  a  sa  propriété  à 
elle,  et  on  la  consulte  dans  toutes  les  transactions  com- 
merciales (2)  » . 

Autant  que  j'ai  pu  le  remarquer  personnellement,  cet 
esclavage  sans  cœur  dont  parle  l'ethnographe  américain 
n'est  pas  sans  exagération.  Mais  toutes  ses  autres  épithè- 
tes  sont  parfaitement  appropriées  à  l'état  normal  de  la 
femme  chez  nos  Dénés  septentrionaux. 

(1)  The  American  Race,  p.  71. 

(2)  Language  as  a  Test  of  Mental  Capacity,  p.  88. 


—  252  — 

Les  Dénés  du  Nord-Est  recouvraient  ordinairement 
leurs  morts  débroussailles  et  les  abandonnaient,  ou  bien 
les  déposaient  dans  de  grossiers  cercueils  taillés  dans  un 
tronc  d'arbre,  puis  les  laissaient  exposés  sur  quelque 
échafaudage  dans  la  forêt.  Les  tribus  des  montagnes 
Rocheuses  enfermaient  parfois  le  cadavre  dans  le  tronc 
creux  ou  creusé  de  quelque  arbre  laissé  debout.  Les 
Porteurs  pratiquaient  la  crémation,  tandis  que  les  Tsil- 
kohtines  préféraient  la  sépulture. 

Si  nous  considérons  maintenant  la  nation  dénée  au 
point  de  vue  psychologique,  le  contraste  entre  ses  di- 
verses branches  ne  fait  que  s'accentuer.  Les  Dénés  sep- 
tentrionaux sont,  en  général,  pusillanimes,  timides  et 
lâches.  En  peut-on  dire  autant  des  Apaches  ?  Les  Dénés 
septentrionaux  sont  des  plus  paresseux,  sans  adresse  ma- 
nuelle ni  ambition  esthétique.  Est-ce  là  le  cas  des  Navajos? 
Même  chez  les  Porteurs  qui  forment  pourtant  la  plus  fière 
et  la  plus  progressive  de  toutes  les  tribus  de  l'Ouest,  il  est 
rare  qu'un  été  se  passe  sans  que  quelque  parti  d'Indiens 
n'accoure  au  village  frappé  de  panique,  et  pourquoi  ?  Ils 
ont  vu(?)  ou  simplement  entendu  (??)  à  une  faible  dis- 
tance des  «  hommes  des  bois  »  évidemment  animés  de 
sinistres  desseins,  et  ils  se  regardent  fortunés  de  leur 
avoir  échappé  avec  la  vie  sauve.  Là-dessus  grand  tumulte 
dans  le  camp,  frayeur  indescriptible  dans  les  esprits. 
Aussitôt  chacun  est  charitablement  averti  de  ne  pas  s'a- 
venturer dans  la  forêt,  et,  après  le  coucher  du  soleil, 
tous  se  claquemurent  soigneusement  dans  leur  cabane. 
Comparez  ces  craintes  puériles  des  Porteurs  avec  l'esprit 
indomptable,  les  dispositions  belliqueuses  des  «  terribles 
Apaches  ».  Comparez  aussi  les  outils  grossiers  et  les  in- 
dustries primitives  des  premiers  avec  les  produits  mer- 
veilleux de  l'ingénuité  des  Navajos,  leurs  célèbres  cou- 
vertures tissées  à  la  main,  ainsi  que  leur  bijouterie 


—  253  — 

exquise,  et  dites-moi  si,  dans  ce  cas,  la  psychologie  est 
un  sûr  critérium  de  certitude  ethnologique. 

Ce  n'est  pas  tout.  Une  des  principales  qualités  des 
Dénés  septentrionaux,  de  ceux  surtout  que  n'a  point 
gâtés  le  contact  avec  notre  civilisation,  est  leur  grande 
honnêteté.  Parmi  les  Sékanais,  un  traiteur  partira  quel- 
quefois pour  une  tournée  de  chasse,  laissant  son  maga- 
sin ouvert,  sans  rien  craindre  pour  sa  marchandise.  Entre 
temps,  un  indigène  pourra  venir  prendre  autant  de 
poudre  et  de  plomb  ou  de  tout  autre  article  de  com- 
merce qu'il  désirera,  mais  il  ne  manquera  jamais  d'y 
laisser  un  équivalent  exact  en  pelleteries.  Comparez 
maintenant  cette  édifiante  honnêteté  avec  le  code  moral 
des  Apaches.  Lisez  ce  qu'on  dit  des  Lipans  du  Texas, 
autre  rejeton  de  la  même  famille  :  «  Ils  vivent  dans  les 
montagnes  de  Sainte-Rose,  d'où  ils  ne  s'éloignent  que 
pour  voler  les  chevaux  et  les  bêtes  à  cornes  du  voisi- 
nage (1).  » 

Relativement  à  leurs  progrès  psychiques  et  à  leur 
force  de  caractère,  j'ai  dit,  dans  un  autre  essai  publié 
dans  les  Transactions  de  la  Société  royale  du  Canada, 
que  toutes  les  tribus  dénées  du  Nord-Est  en  contact  avec 
des  races  hétérogènes  ont  adopté  la  majorité  des  obser- 
vances propres  à  ces  races.  Ils  ont  mis  au  service  de  leurs 
cérémonies  et  chants  traditionnels  jusqu'à  la  langue  de 
leurs  voisins.  D'un  autre  côté,  nombre  de  Tsilkohtineset 
de  Babines  parlent  le  chouchouape  et  le  kitiksonne, 
tandis  que  pas  un  Indien  pur  sang  de  ces  dernières  tribus 
ne  sait  assez  des  idiomes  dénés,  qui  sont  pourtant  en 
usage  dans  leur  voisinage  immédiat,  pour  converser  dé- 
cemment par  leur  intermédiaire.  Nos  Dénés  croient  faire 
preuve  de  bon  ton  en  imitant  les  races  étrangères  avec 

(1)  The  Karankwa  Indians,  by  A.-S.  Gatschet,  p.  4i,  1891. 


—  254   - 

lesquelles  ils  sont  en  rapport,  tandis  que  celles-ci  mon- 
trent leur  mépris  pour  eux  en  les  stigmatisant  du  nom 
de  sauvages  des  bois.  Or,  voici  ce  qu'une  autorité  com- 
pétente dit  des  Houpas,  les  Dénés  de  la  Californie  : 
«  Après  les  Karocks,  c'est  la  plus  belle  race  de  toute  la 
contrée,  et  ils  les  surpassent  même  eu  économie  poli- 
tique et  par  l'influence  singulière  qu'ils  exercent  sur  les 
tribus  avoisinantes.Ge  sont  les  Romains  de  la  Californie 
septentrionale  par  leur  valeur  guerrière  et  l'étendue  de 
leur  domination.  Ce  sont  les  Français  d'Amérique  par 
la  vaste  diffusion  de  leur  langue.  Ils  retiennent  dans  un 
état  de  semi-vasselage  la  plupart  des  tribus  d'alentour, 
exigent  d'elle^  un  tribu  annuel  de  ces  coquillages  qui, 
chez  ces  peuples,  remplacent  l'argent,  et  ils  forcent  tous 
leurs  tributaires  à  parler  houpa  dans  les  communications 
qu'ils  peuvent  avoir  ensemble  (1).  » 

Les  Dénés  du  Nord  ont  généralement  fait  preuve  d'une 
remarquable  acquisivité  ou  faculté  d'adaptation  relati- 
vement aux  langues  et  coutumes  des  blancs.  En  tant  que 
race,  ils  sont  aujourd'hui  à  peu  près  tous  chrétiens.  Or 
la  grande  majorité  des  Navajos  et  des  Apaches  sont 
encore  entichés  de  leurs  croyances  et  cérémonies  supers- 
titieuses, et,  jusque  dans  ces  derniers  temps,  ils  refusent 
le  droit  de  cité  à  toute  influence  civilisatrice.  Ceci  est 
tellement  vrai,  que,  quand  le  ministre  des  affaires  in- 
diennes aux  États-Unis  essaya,  il  y  a  quelques  années, 
d'obtenir  un  morceau  de  territoire  contigu  à  celui  des 
Cherokees  pour  y  cantonner  les  Navajos,  les  premiers, 
qui  ont  fait  de  grands  progrès  en  civilisation,  refusèrent 
d'entendre  parler  de  la  proposition  sous  prétexte  que 
«  les  Navajos  n'étaient  point  des  Indiens  civilisés  (2)». 

(1)  Contributions  io  North  American  Ellinology,  III,  p.  72. 

(2)  The  Cherokee  Nation  of  Indians,  by  Charles  G.  Royce  {Fifth 
Ann.  Rep.  Bur.  EthnoL,  1883-1884). 


—  255  — 

Quant  aux  Houpas,  leur  agent  écrivait  en  toutes  let- 
tres, dans  un  de  ses  derniers  rapports  au  gouvernement  : 
«  Ils  sont  tous  attachés  à  leurs  lois  et  coutumes  tradi- 
tionnelles qu'ils  déclarent  être  bien  préférables  à  Loutes 
les  autres,  et  ils  regardent  comme  une  faveur  digne  de 
récompense  pécuniaire  l'assistance  de  leurs  enfants  aux 
écoles...  Quelques-uns  n'en  veulent  même  à  aucun  prix, 
préférant  voir  leurs  enfants  grandir  eu  sauvages  comme 
eux,  et  disant  que  l'école  ne  vaut  rien  pour  pareilles 
gens  (1).  »  Gomme  contraste  à  cette  apathie  intellec- 
tuellu,  je  ne  puis  que  renvoyer  le  lecteur  à  ce  que  je 
disais  dans  une  étude  précédente  (2),  de  la  soif  d'instruc- 
tion manifestée  par  les  Porteurs,  et  dessplendides  résul- 
tats qu'elle  a  produits,  même  dans  les  circonstances  les 
plus  défavorables. 

Enfin,  la  mythologie  des  Dénés  du  Nord-Ouest  diffère 
grandement  de  celle  de  leurs  voisins  immédiats  et  con- 
génères de  l'Est,  tandis  que  je  n'ai  pas  encore  découvert 
un  seul  point  d'analogie  entre  celle  de  ces  deux  divisions 
ethniques  et  celle  des  Mavajos. 

Comment  se  fait-il  donc  que  des  tribus  aborigènes 
occupant  des  territoires  si  distants,  des  tribus  si  absolu- 
ment dissemblables  au  point  de  vue  anthropologique, 
psychologique  et  mythologique,  puissent  être  classées 
sous  l'unique  dénomination  de  Dénés?  La  réponse  est 
dans  toutes  les  bouches  :  cela  vient  de  leur  identité  lin- 
guistique. Le  langage  est  donc  le  trait  d'union  qui  réunit 
dans  un  tout  homogène  des  éléments  d'apparence  si  dis- 
parate. Leur  langue  nous  est  un  garant  que  le  même 
sang  coule  dans  leurs  veines,  et  qu'ils  sont  les  enfants 
d'un  même  père.  Je  serais  curieux  de  connaître  un  argu- 

(1)  Sixlieth  Ann.  Rep.  Commisioner  [ndian  Affairs,  vol.  I,  p.  220 
Washington,  1891. 

(2)  Les  Dénés  occidentaux,  elc. 


—  2o6    - 

ment  plus  plausible  en  faveur  de  la  suprême  importance 
de  la  philologie  considérée  comme  critérium  ethnogra- 
phique. 

Je  n'ai  jamais  eu  la  bonne  fortune  de  tomber  sur  le 
vocabulaire  complet  d'un  dialecte  des  Dénés  méridio- 
naux. Les  seuls  textes  navajos  continus  qui  soient  venus 
à  ma  connaissance,  sont  ceux  du  Chant  de  la  Montagne 
publiés  par  le  docteur  W.  Malthews  (1).  Révêtant  ces 
textes  de  l'orthographe  dénotant  ces  sons  sibilants  et 
clappants  que  je  crois  nécessaires  à  leur  justesse,  je 
trouve,  à  côté  de  quelques  termes  propres  à  cette  tribu 
ou  empruntés  aux  stocks  adjacents,  pas  moins  de  72  mots 
qu'on  peut  aisément  comprendre  à  ma  Mission  du  lac 
Stuart,  dans  la  Colombie  Britannique,  à  une  distance  de 
près  de  900  lieues  du  Navajo  le  plus  rapproché.  Pour  ce 
faire  une  juste  idée  delà  proportion  des  mots  d'origine 
purement  dénée  avec  les  termes  étrangers  propres  au 
pays,  il  ne  faut  pas  oublier  que  ces  textes  sont  com- 
posés en  grande  partie  de  quelques  mots  très  souvent 
répétés.  [A  suivre.) 


LA  MISSION  DE  SAINTE-ANNE,  A  NANTES. 

Bien  que  le  diocèse  de  Nantes  ait  fourni  à  la  Congré- 
gation de  nombreux  missionnaires,  dont  un  évêque, 
M^'  Légal,  nos  Pères  ne  l'avaient  pas  encore  évangélisé. 
C'est  dire  l'importance  de  la  mission  donnée  à  Sainte- 
Anne,  dans  la  ville  épiscopale.  Cette  pensée  nous  engage 
à  publier  l'article  suivant  paru  dans  la  Semainereligieuse 
de  Nantes.  Nous  croyons  devoir  le  donner  intégrale- 
ment, mais  Ton  saura  faire  ia  part  de  la  bienveillance 

(1)  Fi(lh  Ann.  Rep.  Bur.  EthnoL,  Washington,  1883-1884. 


—  23"  — 

dans  les  éloges  prodigués  aux  missionnaires.  Disons 
d'abord  que  cette  mission  a  occasionné  plusieurs  de- 
mandes, et  que  nos  Pères  doivent,  au  carême  prochain, 
évangéliser  une  paroisse  voisine. 

Une  grande  faveur  spirituelle  vient  d'être  offerte  à  la 
paroisse  Sainte-Anne,  et,  Dieu  merci  !  elle  l'a  accueillie 
avec  foi  et  reconnaissance.  Rien  de  plus  précieux,  en 
effet,  pour  une  paroisse,  que  le  bienfait  d'une  mission. 
C'est  le  passage  de  Jésus  au  milieu  de  ses  fidèles  ;  c'est 
le  souvenir  des  grandes  grâces  reçues  pendant  toute  la 
vie;  c'est,  pour  un  grand  nombre,  le  retour  à  Dieu  après 
de  longues  années  d'égarement  peut-être;  c'est  pour 
tous  la  pensée  du  salut  qui  s'impose  victorieusement; 
c'est,  par  suite,  la  résolution  de  mieux  vivre  pour  mériter 
de  bien  mourir. 

Et  lorsque  la  mission  est  dirigée  par  de  vrais  apôtres, 
par  des  hommes  de  zèle,  de  talent  et  de  cœur,  on  sent 
vraiment  Dieu  qui  passe,  et  l'on  a  sous  les  yeux  le  spec- 
tacle d'étonnantes  merveilles  de  la  grâce  I 

C'est  ainsi  qu'une  paroisse  est  toute  transformée,  et 
qu'un  grand  nombre  de  chrétiens,  quelquefois^  hélas  ! 
indifférents  ou  trop  oublieux  de  leurs  devoirs,  ne  peu- 
vent résister  aux  paroles  de  feu  qui  les  encouragent,  aux 
exemples  puissants  qui  les  entraînent. 

Le  bien  que  nos  chers  missionnaires  ont  fait  au  milieu 
de  nous  sera  durable  ;  leur  souvenir  ne  s'effacera  pas  de 
sitôt  de  nos  âmes  reconnaissantes  ;  la  mission  qu'ils  nous 
ont  prêchée  fera  époque  dans  les  fastes  de  notre  pa- 
roisse. Mais  aussi,  quels  hommes  et  quels  apôtres  !  Qui 
dira  l'entrain  irrésistible  qu'ils  savent  imprimer  à  toutes 
les  cérémonies?  Comment  retracer  l'ardeur  toute  juvé- 
nile avec  laquelle  ils  chantent  les  louanges  de  Dieu  et 
annoncent  sa  doctrine  ? 


—  258  — 

Les  religieux  qui  nous  ont  évangélisés,  pendant  les 
quatre  dernières  semaines  du  carême,  appartiennent  à 
la  Congrégation  des  Oblats  de  Marie-Immaculée,  les 
mêmes  à  qni  est  confiée  la  garde  des  grands  sanctuaires 
de  Montmartre,  de  Pontmain,  de  Notre-Dame  de  Sion. 
Ils  sont  venus  quatre  parmi  nous  :  le  R.  P.  Jonquet.  l'au- 
1enr  de  Montmartre  autrefois  et  aujourd'hui,  le  directeur 
zélé  de  l'œuvre  difficile  des  miséreux;  le  P.  Grelaud, 
qui  s'est  dévoué  pendant  longtemps  à  la  même  œuvre,  et 
dont  la  voix  puissante  et  infatigable  n'était  pas  réservée 
exclusivement  aux  vérités  terribles,  puisque  nous  l'avons 
entendue  s'assouplir  aux  tons  harmonieux  de  la  miséri- 
corde; le  P.  Devès,  secrétaire  du  T.  R.  P.  Supérieur 
général,  nne  fleur  éclose  au  beau  ciel  du  Midi,  musicien, 
poète,  dont  la  parole  distinguée  prenait  tout  naturelle- 
ment le  chemin  du  cœur  ;  le  P.  Le  Floch,  un  jeune,  mais 
déjà  sage  convertisseur  des  âmes,  tout  feu,  tout  flamme, 
et  dont  on  sentira  le  cœur  à  travers  ses  ardentes  paroles, 
soit  qu'il  s'adresse  aux  Nantais,  soit  qu'il  parle  aux  Bre- 
tons, ses  compatriotes,  pour  lesquels  il  a  été  spéciale- 
ment appelé. 

11  faut  dire  d'abord  que  les  RR.  PP.  Oblats  ont  cou- 
tume, dès  le  début  de  leurs  différentes  missions,  de  visi- 
ter tous  les  paroissiens,  Cela  n'a  pas  été  possible  à  Sainte- 
Anne  ;  notre  population  est  trop  nombreuse,  et  il  eût 
fallu  consacrer  à  ces  visites  un  temps  trop  long.  On  a  donc 
dû  y  renoncer  ;  mais  c'est  à  regret,  car  nos  vénérables 
missionnaires  aiment  ainsi  à  se  mettre  en  contact,  dès  le 
premier  jour,  avec  tous  ceux  qui,  plus  tard,  répondront 
à  leurs  cordiales  avances. 

Rien  de  plus  touchant  que  la  cérémonie  d'ouverture. 
Avant  la  grand'messe,  le  clergé  paroissial  descend  pro- 
cessionnellement  l'église,  et  se  rend  à  la  grande  porte  où 
se  tiennent,  humblement  agenouillés,  nos  quatre  Pères, 


—  559  — 

en  habits  de  voyage.  M.  le  curé  présente  la  croix  au 
R.  P.  Supérieur  qui  la  baise,  la  fait  baiser  à  ses  con- 
frères, et  la  rapporte  solennellenient  au  chœur,  mêlé 
aux  rangs  de  la  procession.  Puis,  du  haut  de  l'autel,  il 
se  sert  du  signe  du  salut  pour  bénir  la  foule  pieusement 
recueillie. 

A  l'évangile,  le  R.  P.  Jonquet  explique  ce  qu'est  une 
mission  :  F?'aires  meos  quxro.  Je  cherche  mes  frères.  Dieu 
envoie  ses  missionnaires  près  de  ses  enfants  qu'il  sait 
exposés  à  de  grands  travaux  et  à  de  grands  dangers.  Ils 
viennent  pour  les  secourir  dans  la  grande  affaire  du 
salut... 

Il  annonce  ensuite  l'ordre  des  exercices  de  la  mission. 
Tous  les  jours,  messe  à  l'->  heures  et  demie,  suivie  de 
l'instruction.  «  Ce  n'est  pas  l'exercice  des  paresseux.  » 
Et  il  faut  croire  qu'il  y  en  a  bien  peu,  à  Sainte-Anne, 
puisque,  depuis  le  premier  jour  jusqu'au  dernier,  cette 
réunion  matinale  qui,  certes,  exigeait  quelque  courage, 
a  été  grandement  fréquentée.  Elle  est  d'ailleurs  d'une 
importance  capitale  ;  car  c'est  là  que  se  font  les  instruc- 
tions les  plus  pratiques  et  les  mieux  proportionnées  au 
genre  spécial  d'auditeurs  qui  s'y  rassemblent.  A8  heures, 
le  soir,  réunion  générale. 

Mais  comme  il  est  certaines  personnes  âgées  ou  in- 
firmes à  qui  il  aurait  été  impossible  de  répondre  aux  in- 
vitations des  missionnaires  pour  les  instructions  du 
matin,  ou  pour  les  sermons  du  soir,  nos  apôtres  ont 
poussé  le  zèle  jusqu'à  les  convoquer  à  3  heures  de  l'après- 
midi,  et  cette  réunion,  comme  toutes  les  autres,  s'est 
vue  grossie  dès  le  premier  jour  d'une  foule  nombreuse 
qui  n'a  fait  que  croître  jusqu'à  latin. 

Gomment  résister,  d'ailleurs,  à  l'intérêt  varié  des  ins- 
tructions ?  Comment  refuser  de  se  nourrir  de  ce  pain 
de  la  doctrine  tout  plein  de  substance  et  de  piété?  Gom- 


—  260  — 

ment  négliger  ces  conseils,  cette  bonne  direction  de 
la  vie  chrétienne  qui  laissera,  nous  n'en  doutons  pas,  des 
traces  profondes  dans  l'âme  de  nos  chers  paroissiens? 
La  première  semaine  de  la  mission  fut  consacrée  aux 
enfants  de  six  à  dix  ans.  Chaque  jour,  ils  se  réunissaient 
à  11  heures.  C'était  plaisir  de  les  voir,  avec  leurs  petites 
mines  éveillées,  écouter  attentivement  les  instructions 
appropriées  à  leur  âge,  dans  lesquelles,  à  l'aide  surtout 
d'histoires,  on  leur  explique  les  devoirs  qu'ils  doivent  à 
Dieu,  au  prochain  et  à  eux-mêmes.  Pour  les  intéresser 
plus  vivement,  les.Révérends  Pères  font  des  aînés  d'entre 
ces  petits  les  prédicateurs  de  leurs  frères.  Une  dizaine 
de  petits  garçons,  autant  de  petites  filles,  se  rangent  à 
l'entrée  du  chœur,  et  répètent  à  haute  voix  les  instruc- 
tions et  histoires  de  la  veille.  Bien  entendu,  de  si  aima- 
bles prédicateurs  reçoivent  toujours  en  récompense  une 
belle  image.  C'est  justice.  Mais  tout  cela  n'était  que  le 
prélude  de  la  grande  fête  du  dimanche  où  se  fit  la  clôture 
de  la  mission  des  enfants.  Plus  de  2000  remplissaient 
l'église,  et  on  les  entendit  avec  émotion  répondre  aux 
questions  des  missionnaires  leur  demandant  de  reprendre 
les  instructions  des  jours  précédents,  on  les  vit  joyeux 
offrir  leurs  bouquets  et  leurs  couronnes,  en  chantant  avec 
entrain  : 

Bonne  Marie, 
Je  te  confie 

Mon  cœur  ici-bas. 

Tiens  ma  couronne, 

Je  te  la  donne; 

Au  ciel,  n'est-ce  pas, 

Tu  me  la  rendras  ? 

Les  parents,  heureux  témoins  de  cette  fête,  ont  dû  res- 
sentir en  leur  cœur  les  douces  émotions  que  goûtent  les 
âmes  qui  se  promettent  d'appartenir  à  Dieu.  Aussi  s'ex- 
plique-t-on  facilement  que  dès  lors  la  grâce  commença 


—  261  — 

d'agir  plus  visible  et  plus  forte  sur  toute  notre  population. 

La  première  réunion  des  hommes,  présidée  par 
M^""  l'évêque,  fut  très  nombreuse  et  très  consolante.  Le 
P.  JoNQUET  leur  parla  du  courage  chrétien.  Dans  un  dis- 
cours d'une  ferme  éloquence,  l'auteur  leur  fit  sentir 
combien  il  est  honteux  de  voir  tant  de  chrétiens  bapti- 
sés manquer  de  courage  en  présence  de  ceux  qui  ont 
l'audace,  eux,  de  l'athéisme,  du  blasphème  ou  de  l'indif- 
férence. «  Il  prennent  la  liberté  du  mal,  et  vous  ne  pren- 
driez pas  la  liberté  du  bien!  »  Et  lorsque  ensuite  Mon- 
seigneur prit  la  parole,  il  fut  religieusement  écouté.  Nul 
doute  que  les  encouragements  paternels  de  notre  évêque 
n'aient  contribué  puissamment  au  succès  des  pieux  exer- 
cices. Les  trois  réunions  suivantes  devaient  présenter 
un  attrait  d'un  nouveau  genre.  On  cède  facilement  au 
charme  des  conférences  dialoguées.  Aussi,  nous  croyons 
que  si  les  i  500  hommes  qui  se  sont  groupés  autour  de 
la  chaire  pour  entendre  les  objections  du  P.  Grelaud 
ont  été  réjouis  de  sa  franchise,  il  n'ont  pas  été  moins 
heureux  des  réponses  nettes,  judicieuses  et  quelque 
peu  humoristiques  du  R.  P.  Jonquet. 

On  résiste  si  peu  à  l'attrait  des  conférences  dialoguées, 
que  les  femmes  ont  voulu  avoir  la  leur.  Elles  l'ont  réclamée 
par  une  lettre  au  P.  Supérieur,  dans  laquelle  elles  di- 
saient, non  sans  raison,  que  leur  conversion  était  aussi 
nécessaire  que  celle  des  hommes.  C'était  signé  :  Toutes 
les  femmes. 

Je  ne  ferai  que  citer  la  fête  des  morts,  la  consécration 
à  la  Très  Sainte  Vierge,  la  cérémonie  de  l'expiation  envers 
la  Très  Sainte  Eucharistie,  la  cérémonie  de  la  promulga- 
tion de  la  loi.  Toutes  ces  fêtes  qui  se  déroulèrent  sous 
les  feux  de  radieuses  illuminations  laisseront  dans  nos 
cœurs  une  impression  profonde  de  foi  et  de  piété,  et 
l'on  a  bien  vu  combien  elles  étaient  goûtées,  puisque  la 

T.   XXXV.  18 


-     262  - 

foule  venait  près  de  deux  heures  à  l'avance  arrêter  ses 
places. 

La  cérémonie  de  la  promulgation  de  la  loi  a  été  parti- 
culièrement touchante.  M.  le  vicaire  général  Leroux  vou- 
lut bien  venir  la  présider.  Elle  commence  par  l'exposi- 
tion du  Très  Saint  Sacrement.  Ensuite,  le  diacre  chante 
l'évangile  des  béatitudes  que  le  prédicateur  explique  du 
haut  de  la  chaire.  «  C'est  là,  dit-il,  que  nous  trouvons 
condensées  en  peu  de  paroles  l'assurance  de  notre  bon- 
heur ici-bas  et  les  promesses  de  notre  félicité  là-haut. 
Le  vrai  moyen  d'être  heureux,  c'est  d'être  vertueux.  » 
Mais,  parmi  les  vertus,  il  en  est  une  sans  laquelle  les 
autres  ne  seraient  rien,  sans  laquelle  il  nous  est  impos- 
sible de  plaire  à  Dieu,  c'est  la  foi  qui  nous  fait  croire  aux 
vérités  révélées.  Et  toute  la  foule  chante  à  pleine  voix  le 
Credo.  Suit  une  exposition  sommaire  des  vérités  qu'il 
contient.  Enfin,  à  l'assentiment  de  notre  intelligence 
qui  croit,  il  faut  joindre  les  actes  d'une  volonté  qui  agit, 
M.  le  curé  proclame  chacun  des  dix  commandements  de 
Dieu  que  tous  les  fidèles  répètent  après  lui;  et,  lorsqu'ils 
ont  appris  du  prédicateur  les  ordonnances  précises  aux- 
quelles nous  oblige  chaque  précepte,  ils  répondent  à 
cette  demande  dix  fois  posée  :  a  Voulez-vous  désormais 
observer  plus  fidèlement  ce  commandement  de  Dieu?  — 
Nous  le  promettons.  » 

Nous  voudrions  pouvoir  citer  toutes  les  industries 
pieuses  que  le  zèle  de  nos  missionnaires  a  su  mettre  en 
jeu  pour  émouvoir  et  ramener  à  Dieu  tant  de  cœurs  qui 
en  étaient  depuis  longtemps  éloignés  ;  mais  l'espace 
nous  manque.  Cependant,  comment  ne  pas  rappeler  ce 
tintement  solennel  de  la  grosse  cloche  qui  se  faisait  en- 
tendre, tous  les  soirs,  après  le  dernier  exercice?  C'est 
le  réveil  des  pécheurs;  c'est  le  moment  oti  chacun,  rentré 
dans  sa  maison,  doit  faire  instance  au  cœur  miséricor- 


—  263  — 

dieux  de  Jésus.  Alors  tous  les  membres  de  la  famille 
s'unissent  dans  une  courte  mais  fervente  prière;  et  il  est 
tel  et  tel,  nous  le  savons,  qui,  le  lendemain,  sont  venus 
trouver  les  missionnaires  et  leur  dire  :  «  Je  n'ai  pas  pu 
résister  aux  instances  de  ma  femme  et  de  ma  fille.  » 

Tant  d'efforts,  tant  de  zèle,  tant  de  prières  ont  été  cou- 
ronnés de  succès.  On  l'a  vu  aux  jours  des  communions 
générales.  Les  retours  ont  été  nombreux.  Nous  ne  cite- 
rons pas  de  chiffres  ;  Dieu  connaît  ses  élus,  et  déjà  il  les  a 
récompensés.  Pouvaient-ils  penser,  en  effet,  qu'un  acte 
de  courage  qui  les  effrayait  au  premier  moment  dût  en- 
suite leur  procurer  de  si  douces  jouissances  ?  La  commu- 
nion des  jeunes  filles,  le  dimanche  des  Rameaux,  a  été 
fervente;  celle  des  femmes,  le  jeudi  saint,  nous  a  émus 
grandement;  la  communion  des  hommes,  le  jour  de 
Pâques,  a  réjoui  et  consolé  tout  le  monde.  De  nombreux 
retours  à  Dieu!  Voilà  la  récompense  qu'ambitionnaient 
nos  apôtres,  et  Dieu  la  leur  a  accordée  largement. 

Qu'il  daigne  ajouter  à  cette  première  faveur  de  les 
conserver  longtemps  encore  dans  la  force  et  l'ardeur 
pour  qu'ils  puissent  procurer  à  d'autres  le  bonheur  dont 
nous  avonsjoui  nous-mêmes.  C'est  le  vœu  que  M.  le  curé 
a  exprimé,  en  leur  adressant  ses  remercîments,  en  son 
nom  et  au  nom  de  tous  ses  paroissiens.  r.  r. 

En  quittant  Nantes,  le  R.  P.  Jonquet  et  le  R.  P.  Gre- 
LAUD  se  dirigeaient  vers  la  Belgique,  et  inauguraient  par 
une  mission,  qui  aparfaitement  réussi,  la  nouvelle  église 
du  scolasticat.  Voici  ce  qu'écrivait  la  Gazette  de  Liège  au 
sujet  de  la  première  réunion  des  hommes. 

LA  MISSION   DE   SAINT-LAMBERT. 

Au  moment  oili,  dans  son  numéro  d'hier,  la  Gazette  de 
Liège  relatait  le  véritable  succès  avec  lequel  se  poursuit 


—  264  — 

la  mission  donnée  par  les  Pères  Oblats  en  l'église  Saint- 
Lambert,  une  manifestation  grandiose  de  la  vieille  foi 
liégeoise  venait  donner  à  son  affirmation  une  réelle  con- 
sécration. 

Près  de  1 500  hommes,  en  effet,  avaient  spontané- 
ment répondu  à  ce  premier  appel  des  missionnaires  et 
occupaient,  mardi  soir,  en  rangs  serrés,  les  vastes  nefs 
ainsi  que  le  chœur  de  la  nouvelle  église. 

Après  la  récitation  d'une  dizaine  de  chapelet  et  le 
chant  d'un  cantique,  enlevé  avec  un  bel  enthousiasme, 
il  nous  a  été  donné  d'entendre  une  de  ces  conférences 
dont  le  fond  et  la  forme,  magnifiquement  appropriés  à 
l'état  des  esprits,  en  cette  fin  de  siècle  agitée,  a  produit 
sur  l'auditoire  tout  entier  un  grand  effet. 

Dans  un  style  concis  et  parfois  joliment  imagé,  le 
missionnaire  s'est  attaché  à  détruire,  partie  par  partie, 
la  sorte  de  malentendu  qui  existe,  à  l'heure  actuelle 
comme  à  toutes  les  époques  troublées,  entre  l'Eglise  et 
la  société. 

Puis,  dans  une  péroraison  où  se  révèle  tout  le  cœur 
du  missionnaire  Oblat  dont  la  «  charité  »  est  toute  la  rai- 
son d'être,  l'orateur  fait  entendre  une  de  ces  sonneries  de 
clairon —  pour  me  servir  de  son  expression  —  qui  res- 
semblait singulièrement  aux  apostrophes  enthousiastes 
des  apôtres,  sortant  du  Cénacle  au  soir  de  la  Pentecôte  ; 
commentant  la  protestation  de  fidélité  de  saint  Pierre  à 
son  maître  :  «  Alors  que  tous  vous  abandonneraient, 
moi  je  ne  vous  abandonnerai  pas  »,  il  adjure  son  audi- 
toire d'opposer  à  l'erreur  et  au  vice,  la  vérité  et  la  vertu, 
à  la  lâcheté  du  découragé,  la  fièvre  du  soldat  pour  qui 
il  n'y  a  pas  deux  manières  de  mourir,  mais  une  seule  : 
mourir  en  brave. 

En  quittant  l'église  Saint-Lambert,  sous  l'impression 
de  cette  belle  soirée,  ie  me  ronortais  involontairement 


—  265  — 

par  la  pensée  à  telle  boutade  d'une  vieille  feuille  liégeoise 
se  demandant  à  son  réveil  un  beau  matin  de  l'année 
dernière  ce  que  ce  pouvait  bien  être  qu'un  «Oblat», 
parce  qu'il  n'en  avait  trouvé  la  définition  ni  dans  La- 
rousse, ni  dans  Littré.  S'il  est  encore  des  esprits  que 
pareille  question  embarrasse,  je  leur  donne  rendez-vous 
avec  moi,  ce  soir,  jeudi,  au  pied  de  la  même  chaire,  à 
8  heures. 


DECRETUM. 

QUOAD    MISSAS   DE  REQUIE. 

«  Si  Sanctissimo  placuerit:  I.  In  quolibet  sacellosepul- 
creti  rite  erecto  vel  erigendo,  missas  quseinibi  celebrari 
permittuntur,  posse  esse  de  Requie  diebus  non  impeditis 
a  festo  duplici  primae  vel  secundse  ciassis,  a  dominicis 
aliisque  festis  de  praecepto  servandis,  nec  non  a  feriis, 
vigiliis ,  octavisque  privilegiatis  ;  item  IL  quibuslibet 
ecclesiis  et  oratoriis,  quum  publicis,  tum  privatis  et  in 
sacellis  ad  seminaria,collegia  et  religiosasvelpiasutrius- 
que  sexus  communitates  spectantibus,  missas  privatas 
de  Requie,  praesente,  insepulto,  vel  etiam  sepulto  non 
ultra  biduum,  cadavere,  fîeri  posse  die  vel  pro  die  obitus 
aut  depositionis  :  verum  sub  clausulis  et  conditionibus, 
quibus,  juxta  rubricas  et  décréta,  missa  solemnis  de 
Requie  iisdem  in  casibus  decantatur.  Gontrariis  non 
obstantibus  quibuscumque.  Die,  19  maii  1896.  » 

Facta  postmodum  de  his  Sanctissimo  Domino  Nostro 
Leoni  Papae  XIII  per  meipsum  infrascriptum  cardina- 
lem,  relatione,  Sanctitas  Sua  sententiam  Sacrje  ipsius 
Congregationis  in  omnibus  ratam  habere  et  confirmare 
dignata  est,  die  8  junii,  eodem  anno. 

G.  Gard.  Aloisi-Masella,  S.  R.  C.  prsefectus. 
Aloisius  Tripepi,  secretarius. 


—  266  — 
DECRETUM  GENERALE. 

ORATIONUM    ET   SBQUENTI^  IN   MISSIS   DEFUNCTORUM- 

Ut  omne  tollatur  dubium  super  orationibus  et  sequen- 
tia  dicendis  in  missis  defunctorum,  Sacra  rituum  Gon- 
gregatio  déclarât  : 

T.  Unam  tantum  esse  dicendam  orationem  in  missis 
omnibus,  quœ  celebrantur  in  commemoratione  omnium 
fidelium  defunctorum,  die  et  pro  die  obitus  seu  deposi- 
tionis,  atque  etiam  in  missis  cantatis,  vel  lectis  permit- 
tente  ritu  diebus  III,  VII,  XXX,  et  die  anniversaria,  nec 
non  quandocumquepro  defunctis  missa  solemniter  cele- 
bratur,  nempe  snb  ritu  qui  dnplici  respondeat,  ut  in 
officio  quod  recitatur  post  acceptum  nuntium  de  alicujus 
obitu,  et  in  anniversariis,  late  sumptis. 

II.  In  missis  quotidianis  quibuscumque,  sive  lectis, 
sive  cum  cantu,  plures  esse  dicendasorationes,  quarum 
prima  sit  pro  defuncto  vel  defunctis ,  certo  designatis, 
pro  quibus  sacrificium  offertur,  ex  iis  quse  inscribiintnr 
in  missali,  secunda  ad  libitum,  ultima  pro  omnibus 
defunctis. 

III.  Si  vero  pro  defunctis  in  génère  missa  celebretur, 
orationes  esse  dicendas,  qu£e  pro  missis  quotidianis  in 
missali  prostant;  eodem  ordine  quo  sunt  inscriptae. 

IV.  Ouod  si  iniisdem  quotidianis  missis  plures  addere 
orationes  celebranti  placuerit,  uti  rubricse  protestatem 
faciunt,  id  fieri  posse  tantum  in  missis  lectis  impari  cum 
aliis  preescriptis  servato  numéro,  et  orationi  pro  omni- 
bus defunctis  postremo  loco  assignato. 

V.  Quod  denique  ad  sequentiam  attinet,  semper  illam 
esse  dicendam  in  quibusvis  cantatis  missis,  uti  etiam  in 
lectis  quae  diebus  ut  supra  privilegiatis  fiunt  :  inreliquis, 
vel  recitari  posse  vel  omitti  ad  libitum  celebrantis,  juxta 
rubricas.  Contrariis  nonobstantibus  quibuscumque. 

CCard.  Aloisi-Masella,  S.  R.  C,  prœfectus. 
A.  Tripepi,  seerelarius. 


NOUVELLES  DIVERSES 


Le  T.  R.  P.  Général,  accompagné  du  R.  P.  Tatin, 
assistant  général,  achève  en  ce  moment  la  visite  cano- 
nique de  la  province  du  Midi.  Il  a  dû  l'interrompre  pour 
aller  assister  aux  obsèques  de  la  mère  Marie-Raphaël,  et 
il  l'a  reprise  ensuite. 

—  Le  Saint-Siège  vient  de  donner  comme  coadju- 
teurs  à  M^'  Grandin,  le  R.  P.  Légal,  du  diocèse  de  Nantes, 
et  à  M^'  DuRiEu,  le  R.  P.  Dontenville,  du  diocèse  de 
Strasbourg.  Aux  nouveaux  prélats,  les  Missions  adres- 
sent respectueusement  et  cordialement  le  ad  multos 
annos  ! 

—  Bibliographie.  Le  cinquième  volume  du  Mystère  de 
Notre-Seigneur  Je  sus -Christ,  par  leR.  P.  Corne,  vient  de 
paraître  et  couronne  dignement  cette  œuvre  importante. 

Nous  avons  omis  d'annoncer  l'apparition  du  volume 
intitulé  :  Voyage  du  T.  R.  P.  Général  en  Amérique.  Ce 
livre  a  pour  but,  non  point  de  raconter  des  faits  en 
partie  déjà  connus,  mais  de  former  un  souvenir  de  ce 
mémorable  voyage.  C'est  dans  ce  but  qu'on  y  a  repro- 
duit les  adresses  avec  les  noms  de  leurs  signataires, 
qu'on  y  a  multiplié  les  vues  des  pays  traversés  et  les  por- 
traits des  personnages  mentionnés.  On  a  donné  des 
soins  à  l'impression,  et  le  tout  forme  un  ensemble  élé- 
gant. Les  communautés  et  les  familles  dont  les  membres 
ont  figuré  à  des  titres  divers  dans  la  réception  faite  en 
Amérique  au  Supérieur  général,  seront  heureuses  de 
posséder  ce  souvenir.  On  a  voulu  leur  être  agréable  en  le 
leur  présentant. 


.^^ 

^v 


NÉCROLOGIE 


Les  nouvelles  que  nous  avions  publiées  dans  notre 
dernier  numéro  sur  la  santé  de  la  Mère  Marie-Raphaël 
Tignet  faisaient  prévoir  le  coup  qui  vient  de  frapper 
la  Sainte-Famille.  La  vénérée  Directrice  générale  s'est 
éteinte  dans  le  Seigneur  aux  premiers  jours  du  mois  de 
Marie.  Elle  avait  occupé  son  poste  de  dévouement  du- 
rant six  années.  Pénétrée  de  sa  mission  divine,  c'est 
dans  roraison  et  dans  le  commerce  avec  Dieu  qu'elle 
cherchait  la  lumière  et  la  force.  On  le  voyait  à  son  ap- 
proche. Sous  une  frêle  enveloppe  apparaissaient  la  déli- 
catesse surnaturelle  de  cette  âme  et  la  sainteté  qui  la 
faisait  vivre  dans  les  pures  régions  de  la  foi.  Rien  toute- 
fois, dans  son  abord,  ne  sentait  l'affectation  ni  la  con- 
trainte. Tout  y  était  empreint  de  cette  simplicité  qui  fait 
la  distinction  véritable.  La  pénétration  de  son  esprit  et 
la  rectitude  de  son  jugement  étaient  la  lumière  de  son 
conseil  et  de  sa  Congrégation;  son  zèle,  une  douceur 
vraiment  maternelle  sans  faiblesse,  l'abnégation  poussée 
jusqu'au  sacrifice  complet  de  soi-même,  rendaient  son 
action  puissante  et  fructueuse  dans  les  œuvres  mul- 
tiples qui  relevaient  de  sa  sollicitude.  Sur  sa  tombe 
sont  venus  de  toutes  parts  des  témoignages  de  vénéra- 
tion. Nous  y  joignons  respectueusement  le  nôtre,  avec 
le  témoignage  de  condoléances  pour  la  Sainte-Famille, 
et  l'espoir  certain  que  cette  épreuve  et  les  mérites  de  la 
sainte  Mère  Marie-Raphaël  attireront  des  bénédictions 
croissantes  sur  l'œuvre  du  bon  Père  Noailles. 
R.  L  P. 


MISSIONS 


DE  LA  CONGRÉGATION 

S  OBLATS  DE  MARIE  IMMACULEE 


N»  139.  —  Septembre  1897 


MAISONS   DE  FRANCE 


I 


MAISON  DE  VICO. 

RAPPORT   ADRESSÉ   PAR   LE  R.    P.    HAMONIC 
AU  T.  R.  P.  SUPÉRIEUR  GÉNÉRAL. 

Avec  une  fidélité  exemplaire,  le  R.  P.  Supérieur  de 
Vico  nous  communique  le  double  rapport  suivant,  l'un 
sur  les  missions  données  par  les  Pères  de  sa  communauté, 
et  l'autre  sur  les  noces  d'or  des  RR.  PP.  Tamburini  et 
ZiRio.  Ces  lignes  revêtent  le  charme  de  la  couleur  lo- 
cale, sont  émaillées  de  détails  pittoresques,  et  on  lira 
avec  intérêt  les  pages  du  bon  P.  Hamonic.  Nous  sommes 
heureux  de  l'en  remercier. 

Mon  très  RÉVÉREND   ET  BIEN-AIMÉ  PÈRE, 

Je  me  fais  un  devoir  de  ne  pas  tarder  davantage  à 
vous  envoyer  le  rapport  succinct  de  nos  travaux  pendant 
ces  deux  dernières  années. 

Mars  1893,  telle  est  la  date  de  notre  dernier  rapport. 

T.    XXXV.  19 


—  270  — 

Six  Pères  seulement  composent  le  personnel  de  la  mai- 
son ;  les  RPi.  PP.  Hamonic,  supérieur;  Tamburini,  pre- 
mier assistant  et  curé  de  Nesa  ;  Stéfanini,  deuxième 
assistant  et  vicaire  de  la  même  paroisse  ;  Zmio,  Albertini 
et  d'Istria  (Bernardin);  et  les  Frères  convers  Sorbella; 
Campagnac,  Nati,  Roux  et  Neveu. 

Trois  Pères  seulement  ont  pris  part  aux  travaux  des 
missions  en  1895,  et  quatre  en  1896,  par  l'adjonction  du 
R.  P.  Di  GioviNE,  arrivé  en  août  1895.  Malgré  ce  nombre 
restreint  d'ouvriers,  la  maison  a  pu  fournir  une  somme 
de  travaux  relativement  considérable,  en  1895  ;  et  en  1896, 
grâce  au  jubilé  national,  le  nombre  a  dépassé  de  beau- 
coup les  bornes  ordinaires.  Pour  rendre  hommage  à  la 
vérité,  nous  devons  constater  que  si  les  Pères,  sans 
compter  avec  les  fatigues,  se  sont  prodigués  sans  me- 
sure, Dieu,  de  son  côté,  ne  leur  a  pas  ménagé  les  conso- 
lations, bénissant  leurs  travaux  par  des  succès  dépas- 
sant souvent  toutes  les  espérances. 

En  Corse,  comme  dans  beaucoup  d'autres  contrées  du 
reste,  la  saison  des  missions  ne  commence  qu'avec  le 
carême,  disons  mieux  :  dans  les  dernières  semaines,  que 
tous  les  prêtres  choisissent  comme  l'époque  la  plus  fa- 
vorable. 

Le  premier  à  partir  fut  le  R.  P.  Stéfanini,  chargé  de 
prêcher  le  carême  d'Oletta  (1 300  habitants),  pays  natal 
du  R.  P.  Tamburini,  paroisse  importante  que  nos  Pères 
avaient  évangélisée  deux  ans  auparavant  !  Travail  tou- 
jours si  ingrat  et  si  peu  fructueux. 

Cependant,  pour  être  juste,  il  est  bon  de  dire  qu'il  y 
eut,  à  Oletta,  de  consolants  retours,  même  après  le  dé- 
part du  missionnaire,  comme  le  lui  écrivait  aimablement 
le  curé,  son  ami  :  «  Le  Centurion,  la  Madeleine,  la  Sa- 
maritaine, se  sont  enfin  rendus  :  si  vous  n'êtes  pas  content, 
vous  êtes  bien  difficile.  » 


—  271   — 

De  leur  côté,  les  RR.  PP.  Albertini  et  d'Istria  s'apprê- 
taient à  partir  pour  donner  ensemble  l'importante  mis- 
sion de  Propriano.  Mais  ils  avaient  compté  sans  leur  hôte, 
je  veux  dire  sans  le  zèle  industrieux  du  R.  P.  Tamburini, 
qui  guettait  l'occasion  de  donner  une  mission  en  règle 
à  son  petit  troupeau.  Il  eut  l'adresse  de  saisir  au  vol  et 
à  temps  nos  deux  missionnaires  qui,  pendant  dix  jours, 
évangélisèrent  si  bien  son  peuple  que  le  succès  fut  des 
plus  consolants.  Du  reste,  ce  prélude  n'était  qu'un  jeu 
en  comparaison  du  rude  et  difficile  travail  qu'ils  allaient 
entreprendre. 

Propriano,  petite  ville  de  formation  récente  (1  600  ha- 
bitants), est  comme  le  port  de  mer  et  le  rendez-vous  de 
tout  l'arrondissement  de  Sartène  :  sa  population  cosmo- 
polite n'est  qu'un  ramassis  d'une  foule  d'aventuriers, 
ouvriers  ou  marchands  accourus  de  tous  les  environs, 
dans  l'espoir  d'y  réaliser  plus  promptement  une  petite 
fortune.  On  devine  aisément  que  le  plus  grand  souci  de 
ces  gens  affairés  n'est  pas  précisément  le  salut  de  leur 
âme. Aussi  ce  n'était  pas  sans  de  sérieuses  appréhensions 
que  nos  deux  vaillants  abordaient  ce  champ  de  bataille, 
hérissé  de  difficultés. 

Cependant,  qui  n'admirerait  la  puissance  de  la  grâce 
des  missions?  La  simple  annonce  de  ce  bienfait  avait 
si  profondément  remué  les  cœurs,  que  l'accueil  fait 
aux  missionnaires  toucha  à  l'enthousiasme  et  dissipa 
promptement  toutes  les  craintes.  Dès  le  milieu  de  la 
mission,  le  P.  Albertini  était  heureux  de  pouvoir 
écrire  : 

«  Le  bien  opéré  sera  grand  ;  il  y  a  foule  à  toutes  les 
instructions.  Presque  toutes  les  femmes  sont  déjà  en 
règle.  M.  le  maire,  armé  d\me  Loi  de  Louis  XV ^  pour- 
suit à  outrance  une  population  qui  empoisonnait  non 
seulement  Propriano,  mais  tout  l'arrondissement.  Pour 


—  272  — 

les  mariages  illégitimes,  il  y  a  un  mouvement;  mal- 
heureusement, il  sera  enrayé  par  le  Code  Napoléon.  » 

Le  succès  final  dépassa  de  beaucoup  les  espérances. 
Les  habitants  étaient  si  fiers  et  si  contents  de  leurs  mis- 
sionnaires, qu'ils  ne  savaient  comment  leur  témoigner 
assez  leur  reconnaissance. 

Que  faisaient  nos  trois  vétérans,  restés  sur  la  mon- 
tagne, pendant  que  nos  trois  braves  combattaient  ainsi 
vaillamment  dans  la  plaine  ?  N'avaient-ils,  comme  Moïse, 
qu'à  lever  leurs  mains  suppliantes  vers  le  ciel,  pour  atti- 
rer des  bénédictions  abondantes  sur  les  armes  des  com- 
battants? Non,  eux  aussi  travaillaient  activement.  A  cette 
époque  de  l'année,  la  besogne  est  grande,  parfois  acca- 
blante, au  couvent  :  outre  le  service  de  la  paroisse  de 
Nesa,  de  l'aumônerie  des  Filles  de  Marie,  il  faut  rece- 
voir et  entendre  la  confession  pascale  d'une  foule  d'ha- 
bitants de  Vico  et  de  toutes  les  paroisses  environnantes. 
On  ne  veut  se  confesser  qu'aux  Padri  :\\  y  a  là  un  bien 
sérieux  à  faire,  et  trois  Pères  ne  sont  pas  de  trop  pour 
satisfaire  à  toutes  les  exigences. 

Mais  voici  que  la  divine  Providence  nous  envoie,  tout 
à  coup, un  surcroît  de  travail  bien  inattendu. L'aumônier 
de  l'importante  communauté  des  Sœurs  de  Saint-Joseph 
d'Ajaccio  et  de  leur  pensionnat  si  nombreux,  le  bon,  le 
cher  et  si  regretté  P.  Vassal,  venait  d'être  frappé  par  une 
attaque  que  l'on  ne  crut  pas,  d'abord,  si  dangereuse, 
mais  qui  devait  l'emporter  à  bref  délai.  Lettres  sur  let- 
tres sont  envoyées  au  Supérieur  du  couvent  de  Yicopour 
le  prier,  le  supplier,  de  vouloir  bien  se  charger  de  l'in- 
térim de  cette  communauté.  On  comprend  ce  qu'il  en 
coûtait  au  Supérieur  de  laisser  un  trop  lourd  fardeau 
sur  les  épaules,  déjà  si  chargées,  des  PP.  Tamburini  et 
ZiRio  :  cependant,  il  fut  contraint  de  céder  aux  instances 
réitérées  et  de  se  charger  d'un  intérim  qui  ne  devait 


-  273  - 

durer  que  quelques  jours,  pensait-on;  mais  qui, de  fait, 
se  prolongea  pendant  plus  de  deux  mois. 

Revenons  à  nos  missionnaires. 

Le  carême  d'Oletta  fini,  le  R.  P.  Stéfanini,  sans  prendre 
un  instant  de  repos,  court,  vole  à  Pelreto,  important 
chef-lieu  de  canton,  pays  natal  des  RR.  PP.  d'Istria,  où 
il  était  attendu  et  où  il  est  avantageusement  connu.  La 
lutte  devait  être  ardente,  grâce  aux  passions  surexcitées 
par  l'approche  des  élections  générales. 

«  Le  résultat  de  cette  mission,  écrivait  le  missionnaire, 
a  été,  pour  moi,  moins  satisfaisant  que  je  ne  l'avais 
espéré;  mais,  comme  tout  est  relatif  ici-bas,  il  paraît 
qu'aux  yeux  de  la  population  j'ai  obtenu  un  véritable 
succès.  »  Quant  au  bon  et  digne  curé  doyen,  il  ne  se 
possédait  pas  de  joie  et  exprimait  sa  satisfaction  à  sa 
manière  :  «  Si  j'avais  vingt  plats,  me  disait-il  naïvement 
hier  soir  au  souper,  je  vous  les  servirais,  car  vous  les 
méritez,  et  jamais  aucun  missionnaire  n'a  fait  ce  que 
vous  faites,))  et  M.  le  juge  de  paix,  son  parent  et  com- 
mensal, disait  presque  hors  de  lui  :  «  Mais  c'est  su- 
«  blime  ;  il  n'y  a  que  notre  religion  pour  donner  de  ces 
«  spectacles  :  Ah  !  si  je  n'étais  dans  les  embarras  où  je 
«  me  trouve!...  »  Hélas  !  il  est  de  Vigianello,  de  la  fa- 
mille puissante  des  Benedetti,  et  poursuivi  par  un  ennemi 
acharné  qui  garde  le  maquis  et  ne  veut,  à  aucun  prix, 
faire  la  paix. 

Ce  fut  dans  cette  paroisse  qu'il  fut  donné  au  R.  P.  Sté- 
fanini de  goûter  quelques-unes  des  douceurs  qui  ne  sont, 
habituellement,  que  le  lot  des  Missions  étrangères.  A  la 
prière  du  bon  curé,  vieux  et  infirme,  le  missionnaire  se 
dévoua  pour  aller  à  de  grandes  distances,  par  monts  et 
par  vaux,  visiter,  confesser,  communier,  donner  la  bé- 
nédiction pascale,  distribuer  le  cierge  de  la  Chandeleur, 
aux  bergers  malades  ou  infirmes.  «  Si  vous  saviez  quelles 


—  274  — 

descentes  et  puis  quelles  ascensions  j'ai  dû  faire  ce  jour- 
là  (et  les  jours  suivants).  Parti  vers  6  heures  du  matin, 
je  ne  suis  rentré  que  vers  1  heure  de  l'après-midi,  moulu 
et  harassé  de  fatigue  :  cela  ne  m'a  pas  empêché  de  faire 
mon  travail  le  reste  du  jour  et  de  me  bien  porter  dans 
la  suite.  Oh!  comme  ces  braves  gens  sont  sensibles  à  la 
visite  du  missionnaire  !  « 

Le  soir  même  de  la  clôture,  noire  apôtre  devrait  se 
trouver  à  Pila-Canale,  pour  commencer  une  nouvelle 
mission,  avec  le  R.  P.  Albertini,  dans  cette  importante 
localité.  Dans  l'impossibilité  matérielle  de  franchir  la 
distance,  ce  dernier  fera,  seul,  l'ouverture  et  sera  re- 
joint, le  lendemain,  par  le  P,  Stéfanini. 

M.  le  chanoine  Poli,  notre  ami  et  curé  doyen  de  cette 
paroisse,  écrivant  au  Supérieur  du  couvent,  ne  sait  com- 
ment exprimer  sa  joie,  sa  reconnaissance  pour  le  suc- 
cès de  cette  mission  ;  «  Les  RR.  PP.  missionnaires  ne 
se  sont  pas  épargnés,  ni  le  jour,  ni  la  nuit,  pour  con- 
vertir les  âmes.  Dès  leur  première  apparition  dans  la 
paroisse,  ils  ont  fait  bonne  impression.  Si  le  succès 
pour  les  hommes  n'a  pas  été  complet,  je  dois  affirmer 
qu'il  a  été  relativement  beau.  Parmi  les  140  hommes  qui 
se  sont  approchés  des  sacrements,  j'en  compte  beaucoup 
qui  sont  de  vraies  conquêtes...  » 

Au  départ  des  missionnaires,  M.  Colonna-Hugues,  ca- 
pitaine en  retraite,  se  fit  l'interprète  de  toute  la  popu- 
lation pour  exprimer  en  termes  chaleureux,  enthou- 
siastes, les  sentiments  d'admiration,  de  reconnaissance 
dont  tous  les  cœurs  étaient  remplis  pour  le  bien  opéré 
par  cette  mission. 

Comme  nos  missionnaires  seraient  heureux  de  se  re- 
poser quelques  instants  de  leurs  fatigues!  Impossible  : 
voilà  la  visite  pastorale  commencée.  Monseigneur  tient 
à  ce  que  nos  trois  missionnaires  lui  servent  de  précur- 


—  275  — 

seurs.  Que  ne  peuvent-ils  se  trouver  dans  dix  lieux  à  la 
fois  !  Partout,  les  curés  les  réclament.  Gognocoli  a  la 
chance  de  posséder  le  B.  P.  d'Istria,  pendant  dix  jours. 
Le  R.  P.  Albertini  est  saisi,  au  vol,  par  le  curé  doyen  de 
Sainte-Marie-Siché  et  doit  le  satisfaire,  mais  au  prix  de 
quelles  fatigues!  D'un  autre  côté,  il  a  promis  d'aller 
prêcher  à  Urbalacone  ;  et  Monseigneur,  qui  doit  visiter 
son  pays  natal,  Azilone,  a  supplié  le  P.  Albertini  d'aller 
lui  préparer  les  voies. 

Détail  amusant  et  qui  peint  la  naïveté  de  ces  récep- 
tions épiscopales  : 

A  Urbalacone,  la  calèche  de  Monseigneur  s'arrêta  sous 
l'arc  de  triomphe  qu'on  y  avait  dressé.  Pendant  qu'un 
jeune  homme  complimentait  Sa  Grandeur,  une  pluie  de 
roses  tombait  du  ciel.  Et  d'où  venaient-elles,  ces  fleurs  ? 
L'arc  de  triomphe  avait  la  forme  d'un  dôme  ;  au  moyen 
d'une  poulie  l'on  faisait  descendre  et  monter,  à  volonté, 
une  corbeille  magnifiquement  ornée,  dans  laquelle  on 
avait  placé  quatre  fillettes  de  trois  ou  quatre  ans.  Leur 
toilette  élégante  était  blanche  comme  leur  âme,  fraîche 
comme  leur  figure,  légère  comme  leurs  cheveux  on- 
doyant librement  sur  leurs  épaules.  Chacune  d'elles  avait 
un  petit  panier  rempli  de  fleurs  qu'elles  épandaient  sur 
la  voiture  de  Monseigneur,  heureuses  d'attirer  tous  les 
regards  et  de  se  faire  applaudir. La  cérémonie  terminée, 
on  fit  descendre  la  corbeille.  L'évêque,  ravi,  s'approcha 
des  petits  enfants  pour  les  caresser  et  les  bénir.  Son  im- 
posante stature  et  sa  soutane  violette  les  intimidèrent. 
Elles  pâlirent  au  fond  de  leur  corbeille  que  l'on  eût  prise 
pour  un  nid  de  colombes. 

Et  le  P.  Stépanini,  que  faisait-il  donc  ?  Il  accompa- 
gnait partout  Sa  Grandeur  qui  était  heureuse  d'en  faire 
habituellement  son  porte-parole,  dans  ces  circonstances. 

Avouons-le  :  après  ces  coups  de  feu  ou  ces  batailles,  en 


—  276  — 

règle,  nos  apôtres,  harassés,  avaient  bien  mérité  de  ve- 
nir, pendant  quelques  semaines,  se  reposer  et  respirer 
l'air  frais  et  vivifiant  de  notre  chère  solitude. 

Ce  ne  fut  pas  pour  longtemps,  du  reste. 

Déjà  le  R.  P.  Stéfanini  est  tout  absorbé  par  une  grave 
préoccupation.  La  confiance  de  l'autorité  diocésaine 
vient  de  le  choisir  comme  directeur  d'un  pèlerinage  à 
Notre-Dame  de  Lourdes,  auquel  tout  le  diocèse,  pour  la 
ijremière  fois,  était  convoqué.  Tout  était  donc  à  étudier 
et  à  organiser.  Qui  dira  les  voyages,  les  démarches,  les 
correspondances  que  le  bon  Père  dut  multiplier  ;  les  en- 
nuis, les  contrariétés  de  toutes  sortes  qu'il  eut  à  endurer  ; 
les  combinaisons  qu'il  eut  à  étudier  pour  les  services  des 
bateaux  et  des  chemins  de  fer?  Il  est  plus  facile  de  de- 
viner que  de  décrire  ses  craintes  et  ses  soucis.  En  fin  de 
compte,  les  pèlerins  n'eurent  qu'à  se  féliciter  des  dispo- 
sitions qui  avaient  été  prises,  et  grâce  aux  soins  dévoués 
de  son  président,  M^'"Emmanuelli,  vicaire  général  d'Ajac- 
cio  ;  grâce  surtout  au  zèle,  à  l'activité,  à  Tentrain  du 
R.  P.  Stéfanim,  le  pèlerinage  corse  lit  une  assez  bonne 
figure  à  Notre-Dame  de  Lourdes  :  ce  qui  engagea  l'ad- 
ministration diocésaine  à  répéter  cet  essai  l'année  sui- 
vante. 

Malgré  les  fatigues  du  voyage  qui  l'avaient  «  comme 
hébété  et  anéanti  »,  ce  sont  ses  expressions,  le  R.  P.  Sté" 
FANiNi  reprend  aussitôt  le  cours  de  ses  missions.  Au  lieu 
de  revenir  à  Ajaccio,  il  s'embarque  pour  Bastia  où  deux 
nouvelles  missions  l'attendent.  L'aimable  chanoine  Fé- 
lici,  curé  doyen  de  Verde,  et  son  frère  le  docteur,  le  re- 
çoivent au  débarcadère  et  l'emmènent  aussitôt.  Dieu  ne 
pouvait  manquer  de  bénir  le  zèle  de  son  apôtre.  Les  cé- 
rémonies furent  splendides  ;  l'enthousiasme  bientôt  à 
son  comble;  les  unions  illégitimes  furent  régularisées, 
en  un  mot,  le  succès   fut  complet.  —  Lisez  plutôt  ce 


—  277  — 

compte  rendu  tardif  par  un  mécontent  qui  ne  veut  à 
aucun  prix  laisser  «  la  lumière  sous  le  boisseau»,  et 
adressé  au  journal  le  Conservateur  : 

Pietra-di-Verde,  10  novembre  1895. 
Monsieur  le  chanoine  Fioravanti, 

Par  ces  temps  de  doutes  cruels  et  affligeants,  la  lumière  ne 
doit  pas  rester  sous  le  boisseau.  Au  risque  donc  de  déplaire 
au  R.  P.  Stéfanini,  au  sympathique  vicaire  forain,  et  à  vous 
même,  monsieur  le  chanoine,  je  suis  à  me  demander  pourquoi 
il  n'a  pas  été  fait  mention,  dans  votre  journal,  d'une  mission 
dont  jamais  Pietra  ne  perdra  la  mémoire,  ori  le  R.  P.  Stéfa- 
nini a  obtenu  un  si  brillant  succès. 

Le  digne  Oblat  de  Marie  a  beau  le  cacher,  cette  mission 
apostolique  reste  acquise  aux  annales  religieuses  de  cette  im- 
portante paroisse.  Rien  n'y  a  manqué.  Ouverte  dans  la  der- 
nière quinzaine  du  mois  d'août  dernier,  elle  a  pris  fin  dans 
les  premiers  jours  du  mois  de  septembre. 

Les  fortes  chaleurs  n'arrêtaient  en  aucune  façon  le  zèle  de 
Tenfant  privilégié  de  Marie  ;  et  la  population  ,  religieuse 
d'ailleurs  et  prête  à  recevoir  la  divine  semence,  s'est  montrée 
plus  fervente  que  jamais.  Les  confessionnaux  étaient  littéra- 
lement envahis,  les  communions  partielles  couronnées  par 
une  communion  générale.  La  première  communion  des  enfants 
fut  surtout  ravissante  ainsi  que  la  cérémonie  d'une  plantation 
de  croix  monumentale.  Ainsi  donc,  mon  vaillant  et  révérend 
Père,  et  vous  messieurs  les  chanoines  Felici,  de  Giovanni  et 
Fioravanti,  ne  m'en  veuillez  pas  trop  ;  mais  dites  plutôt  avec 
un  ami  sincère  :  Sursum  corda  et  ad  majorem  Dei  gloriam  l 

Après  Pietra-di-Verde,  Borgo,  autre  cure  de  canton 
importante.  Mais  c'est  le  cas  de  dire  :  les  paroisses  se 
touchent,  mais  ne  se  ressemblent  pas.  Depuis  long- 
temps, Borgo  est  veuve  de  son  pasteur.  Un  simple  vicaire, 
qui  l'administre,  n'y  tient  plus  et  ne  sait  comment  re- 
médier aux  maux  qui   désolent  cette  malheureuse  pa- 


—  278  — 

roisse.  Il  supplie  donc  le  R.  P.  Stéfanini  de  venir  à  son 
secours. 

«  Borgo,  écrivait  le  missionnaire,  c'est  l'infection  en 
plein,  intérieure  et  extérieure.»  Que  fera  notre  mission- 
naire au  milieu  de  cette  population  gangrenée?  Presque 
découragé,  il  demande  des  prières,  à  droite  et  à  gauche, 
aux  saintes  âmes,  aux  communautés  religieuses.  «  A  part 
une  excellente  famille  de  cette  paroisse,  dit-il,  je  crois 
que  l'on  peut  brûler  le  reste.  » 

Cependant,  un  bien  réel  fut  accompli  :  plusieurs  unions 
illégitimes  furent  régularisées  ;  l'on  vint  en  grand  nom- 
bre aux  instructions  et  aux  belles  cérémonies  de  mission 
qui  furent  autant  de  fêtes  splendides.  Les  chants  surtout 
et  la  musique  furent  un  puissant  attrait,  et,  au  jour  de 
la  clôture,  plusieurs  centaines  de  fidèles  s'approchèrent 
de  la  table  sainte.  Une  croix  magnifique  fut  élevée  sur  la 
hauteur  de  Borgo,  souvenir  désormais  impérissable  de 
cette  belle  mission. 

De  leur  côté,  les  PP.  Albertim  etn'IsTRiA  ne  restaient 
pas  inactifs.  Deux  belles  missions,  dans  les  environs 
de  Vico,  leur  étaient  réservées,  pour  y  travailler  en- 
semble. 

Renno,  d'abord,  important  chef-lieu  de  canton  de 
900  habitants  ;  population  excellente,  amie  des  mission- 
naires. Aussi  le  succès  fut-il  magnifique.  Le  travail  des 
confessions,  surtout,  fut  accablant  :  mais  aussi  quelle 
joie  pour  les  missionnaires  de  voir  les  efforts  de  leur 
zèle  si  pleinement  récompensés  !  La  communion  des 
femmes  fut  absolument  générale,  et,  le  dimanche  sui- 
vant, la  presque  totalité  des  hommes  s'approchait,  à  son 
tour,  de  la  sainte  table,  avec  la  ferveur  et  la  régularité 
de  grands  séminaristes  ;  surtout  les  membres  de  la  con- 
frérie, au  nombre  de  près  de  cent  soixante,  qui  commu- 
nièrent revêtus  de  l'habit  blanc  et  du  camail  bleu.  Le 


~  279  — 

Supérieur  du  couvent  de  Vico  avait  été  invité  à  présider 
cette  belle  cérémonie  de  clôture. 

La  dernière  mission  de  l'année  fut  celle  de  Calcatog- 
gio,  donnée  par  les  mêmes  Pères. 

Calcatoggio  est  un  beau  village,  situé  à  mi-chemin  de 
Vico  à  Ajaccio.  Cette  paroisse,  très  ardente  pour  la  re- 
cherche des  biens  matériels,  n'est,  hélas  !  que  trop  in- 
différente pour  les  affaires  du  salut.  Joignez  à  cela  que, 
dernièrement,  elle  venait  d'être  travaillée  par  la  visite 
prolongée  et  les  efforts  d'un  ministre  protestant.  Certes, 
rien  ne  fut  épargné  pour  la  réussite  de  ce  difficile  tra- 
vail, qui  ne  fut  pas  sans  consolation.  Plus  de  cent  cin- 
quante hommes  répondirent  à  l'appel  de  la  grâce.  Je  ne 
parle  pas  des  femmes  qui,  en  grand  nombre,  firent  leur 
devoir.  Un  autre  résultat  de  la  mission  fut  de  fermer  au 
ministre  protestant  l'unique  porte  qui  lui  restait  ou- 
verte. Et  ainsi  le  village  fut  débarrassé  de  sa  présence. 
Enfin  une  croix  d'une  hauteur  plus  qu'ordinaire,  et  très 
bien  placée,  fut  plantée  le  jour  de  la  clôture.  «  Elle  vaut, 
à  elle  seule,  une  mission,  »  écrivait  le  R.  P.  Albertini. 
«  Cette  crois  superbe  commande  le  respect  au  voyageur 
et  transmettra  à  la  postérité  les  noms  des  deux  apôtres,  » 
écrivait,  de  son  côté,  M.  le  curé  de  Calcatoggio,  en  féli- 
citant les  PP.  Albertini  et  d'Istria  d'avoir  si  vaillamment 
combattu.  Deux  mois  plus  tard,  le  R.  P.  Albertini  re- 
tournait, pendant  huit  jours,  dans  cette  paroisse  pour 
confirmer  le  bien  accompli  et  le  compléter.  Le  R.  P.  d'Is- 
tria, de  son  côté,  termina  la  série  de  ses  travaux  par 
une  excellente  retraite  donnée  à  nos  congréganistes, 
comme  préparation  à  leur  fête  de  l'Immaculée  Concep- 
tion. 


—  280  — 

1896.    ANNÉE    DU   JUBILÉ   NATIONAL. 

Au  point  de  vue  des  travaux  apostoliques,  cette  année 
comptera,  dans  les  annales  du  couvent  de  Vico,  comme 
une  des  plus  fécondes  et  des  plus  remarquables,  soit  par 
le  nombre  des  travaux  accomplis,  soit  par  le  nombre  de 
ceux  qu'on  a  dû  refuser  (une  soixantaine  au  moins),  soit 
par  les  bénédictions  exceptionnelles  dont  Dieu  s'est  plu 
à  récompenser  le  zèle  des  ouvriers  évangéliques,  soit, 
enfin,  par  la  célébration  des  noces  d'or  sacerdotales  de 
deux  Pères  de  la  maison  :  événement  heureux,  suivi  im- 
médiatement d'un  autre  non  moins  consolant,  je  veux 
dire  les  premières  démarches  canoniques,  dans  le  dio- 
cèse d'Ajaccio,  pour  le  procès  de  béatification  de  notre 
saint  P.  Albini,  trop  longtemps  attendues. 

Entre  toutes  les  missions,  la  première  par  le  rang  et 
l'importance  a  été,  sans  contredit,  la  belle  mission  d'Ajac- 
cio, donnée  simultanément  dans  les  deux  paroisses  par 
six  Pères  de  la  Congrégation,  sous  la  présidence  du 
R.  P.  Provincial  du  Midi,  qui  l'a  si  habilement  dirigée. 
La  maison  de  Vico  regarde  comme  un  honneur  d'avoir 
donné  trois  de  ses  membres  dans  cet  important  travail, 
les  PP.  Stéfanini,  Albertini  et  d'Istria  (Bernardin).  Il  n'y 
a  pas  lieu  d'y  revenir,  puisque  nos  annales  en  ont  donné 
le  récit  complet.  Qu'il  nous  suffise  de  constater  que  le 
bien  réel  accompli  ne  deviendra  sérieux,  constant,  qu'au 
jour  oili  une  société  religieuse  pourra  s'implanter  dans 
cette  ville,  si  abandonnée  au  point  de  vue  des  œuvres  et 
des  secours  religieux  exceptionnels. 

C'est  pendant  cette  mission  que  deux  autres  Pères  ont 
dû  quitter  la  Communauté  pour  venir  en  aide  à  deux 
paroisses  en  souffrance  et  comme  sans  pasteurs,  à  cause 
de  l'âge  et  des  infirmités  des  deux  curés.  Le  bon  P.  Tam- 
BURiNi  cède  momentanément  le  soin  de  sa  paroisse  au 


—  281  — 

R,  P.  ZiRio  et  consent  à  aller  évangéliser  Balogna  pen- 
dant la  semaine  sainte  :  et  le  R.  P.  di  Giovine,  Italien  de 
la  province  de  Bénévent,  qui  fait  ses  premières  armes, 
est  heureux  d'aller  à  Appriciani,  pendant  huit  jours, 
prêcher,  confesser,  faire  les  cérémonies  de  la  semaine 
sainte.  Déjà  plusieurs  fois,  depuis  son  arrivée  au  mois 
d'août  1893,  ce  bon  Père  a  eu  l'occasion  de  prêcher 
dans  cette  église,  et  sa  prédication  animée,  pleine  d'ar- 
deur, a  été  très  goûtée.  Le  succès  de  ce  petit  travail  fut 
très  consolant.  Pendant  ce  temps,  le  Supérieur  garde  la 
maison,  s'occupe  de  son  aumônerie  et  aide  le  bon  P.  Zi- 
Rio  dans  la  confession  des  étrangers  ou  des  gens  de  Vico. 

Le  carême  fini,  que  de  travaux  importants  attendent 
nos  missionnaires  !  Le  premier  à  voler  à  de  nouveaux 
combats,  à  de  nouvelles  victoires,  c'est  le  R.  P.  Stéfa- 
NiNi,  attendu  impatiemment  à  Canale-di-Verde,  impor- 
tant chef-lieu,  entre  Corte  et  Bastia,  Sans  venir  respirer 
un  instant  au  couvent,  le  missionnaire  s'y  rend,  tout 
droit,  d'Ajaccio. 

Hélas  !  dans  quelles  tristes  circonstances  va  s'ouvrir  la 
mission  !  Le  pays  est  en  feu  à  cause  des  élections  muni- 
cipales et  les  plus  grands  malheurs  sont  à  craindre, 
grâce  aux  manœuvres  déplorables  du  maire  qui,  d'un 
côté,  détient  indûment  le  pouvoir,  et,  d'autre  part,  a 
inscrit,  paraît-il,  sur  les  listes  électorales,  une  cinquan- 
taine d'étrangers,  dont  plusieurs  bandits  dangereux.  Un 
rien  peut  mettre  tout  à  feu  et  à  sang.  Il  faudrait  pouvoir 
entrer  dans  les  péripéties  de  cette  lutte  pour  comprendre 
ce  qu'eut  à  souffrir  le  cœur  du  missionnaire,  un  moment 
tenté  de  découragement.  11  tint  bon,  cependant  ;  sou- 
tenu, comme  il  l'écrivait,  par  sa  confiance  en  la  Vierge 
Immaculée  et  par  l'intercession  du  saint  P.  Albini  qui, 
autrefois,  fît  des  merveilles  dans  cette  paroisse,  oti  se 
trouve  encore  debout  la  croix  qu'il  y  avait  plantée.  Bref, 


—  282  — 

le  succès  final  fui  merveilleux.  Le  curé  et  le  mission- 
naire n'en  revenaient  pas.  Deux  fois,  les  hommes  et  les 
femmes  s'approchèrent  de  la  sainte  table,  en  commu- 
nion générale.  Deux  hommes  seulement  résistèrent  à  la 
grâce.  «  Yive  la  Sainte  Vierge  !  »  écrivait  le  mission- 
naire. Il  y  avait  de  quoi. 

Au  tour  de  la  ville  de  Vico. 

Notre  cher  doyen  avait  eu  une  heureuse  inspiration  : 
tout  en  demandant  deux  de  nos  missionnairesj  il  avaitma- 
nifestélevif  désir  que  le  R.  P.MAURAND,qui  venait  d'évan- 
géliser  avec  tant  de  succès  Ajaccio,  fût  du  nombre  des 
apôtres,  a  Une  voix  nouvelle,  disait-il,  ne  peut  manquer 
d'exercer  une  heureuse  influence  sur  le  succès  delà  mis- 
sion. »  L'événement  devait  pleinement  justifier  cette 
appréciation.  Longtemps  Yico  gardera  le  souvenir  de 
celte  mission  véritablement  splendide  et  dont  le  succès 
a  dépassé  de  beaucoup  toutes  les  espérances.  On  pou- 
vait craindre,  à  bon  droit,  que  les  élections  municipales, 
qui  devaient  avoir  lieu  au  milieu  de  la  mission,  ne  fus- 
sent un  obstacle  sérieux,  en  divisant  les  esprits  :  il  n'en 
fut  rien.  Les  chefs  de  parti,  donnant  le  bon  exemple, 
furent  les  premiers  à  s'approcher  des  saints  tribunaux, 
à  la  grande  joie  du  pasteur  et  des  missionnaires. 

Nous  avons  sous  les  yeux  le  récit  enthousiaste  de  cette 
belle  mission,  publié  par  le  Conservatew,  journal  reli- 
gieux d'Ajaccio  :  nous  serions  heureux  de  le  reproduire 
si  nous  ne  craignions  de  trop  allonger  ce  rapport.  Notons 
seulement...  «  le  tribut  de  reconnaissance  payé  aux  ré- 
vérends Pères  du  couvent  et  aux  bonnes  religieuses  de 
Vico  ;  les  uns  se  mirent,  dès  le  début,  à  la  disposition 
des  missionnaires  et  ne  cessèrent  de  se  joindre  au  clergé 
de  la  ville  pour  relever,  par  leur  présence,  la  solennité 
des  cérémonies  et  rendre  plus  facile  l'accès  du  confes- 
sionnal :  les  autres,  après  avoir  rehaussé  la  fête  des  en- 


—  283  ~ 

fants,  en  leur  préparant  à  tous  d'élégantes  oriflammes 
pour  la  procession,  nous  ont  tenu,  tout  le  temps  de  la 
mission,  sous  le  charme  de  pieuses  mélodies  savamment 
exécutées  par  leurs  jeunes  pensionnaires  :  elles  se  sont 
distinguées  aussi  dans  la  décoration  d'un  superbe  repo- 
soir,  élevé  derrière  le  maître-autel,  presque  à  la  hauteur 
de  la  voûte,  se  terminant  par  la  grande  statue  de  l'As- 
somption, perdue  au  milieu  d'une  forêt  de  lumières  et 
de  verdure...  Ces  touchantes  cérémonies  se  sont  termi- 
nées par  l'érection  d'une  croix  monumentale  (12  mètres 
et  demi  de  hauteur)  en  souvenir  de  la  mission.  Dès  la 
veille,  elle  avait  été  hissée  sur  un  char  orné  avec  un  goût 
exquis  par  les  dames  de  Vico  :  le  char  et  la  croix  dispa- 
raissaient sous  des  bouquets  de  verdure  et  de  fleurs  :  on 
est  saisi  d'émotion,  à  la  vue  de  ce  signe  de  notre  salut 
s'avançant  pompeusement  au  bruit  d'une  fusillade  nour- 
rie à  travers  les  rues  de  la  ville,  pour  la  bénir  et  la 
couvrir  de  son  ombre  bienfaisante.  Elle  s'élève  majes- 
tueusement sur  la  route  du  couvent,  comme  pour  res- 
serrer encore  mieux  les  rapports  intimes  qui  n'ont  cessé 
d'exister  entre  les  habitants  de  Vico  et  les  Oblats  de 
Marie. 

«  Père  Maurand,  Père  Albertini,  votre  nom  sera  gravé 
sur  cette  croix  de  bois  ;  mais  il  vivra  surtout  dans  le 
cœur  de  tous  les  Vicolais  ;  ils  se  le  rappelleront  toujours 
comme  un  symbole  de  paix  et  de  bonheur.  » 

Le  R.  P.  d'Istria,  malgré  son  état  de  fatigue,  avait 
donné  un  bon  coup  de  main  aux  deux  missionnaires, 
soit  pour  le  chant,  soit  pour  les  cérémonies  et  les  con- 
fessions. Dès  le  i"  mai,  il  partait,  seul,  pour  évangéliser 
la  paroisse  de  Garoneo  (400  habitants).  Succès  complet, 
malgré  la  tourmente  électorale.  En  se  dévouant  comme 
il  l'a  fait,  ce  bon  Père  a  renouvelé  cette  paroisse,  fait 
connaître  et  estimer  nos  missionnaires,  encore  inconnus 


—  284  — 

dans  ce  canton.  Son  panégyrique  de  saint  Pancrace  fut 
surtout  goûté.  Plus  de  2  000  personnes  étaient  accou- 
rues pour  honorer  le  saint  dans  sa  chapelle  restaurée  et 
assister  à  la  bénédiction  d'une  nouvelle  statue  du  jeune 
martyr. 

Le  compte  rendu  de  cette  mission  a  également  paru 
dans  le  Conservateur,  et  fait  le  plus  grand  éloge  du  pré- 
dicateur... «  Voix  claire,  chaude  et  limpide  :  diction  fa- 
cile, geste  déterminé;  telle  est  la  caractéristique  de  son 
éloquence.  »  —  «Vaillant  P.  d'Istria,  est-il  dit  en  finis- 
sant, ces  combats  livrés  parmi  nous  ne  sont  pour  vous 
que  des  escarmouches  :  tant  mieux,  merci  quand  même. 
Allez  !  Vous  êtes  un  brave.  » 

Et;  en  effet,  après  quelques  jours  de  repos,  nous  re- 
trouvons ce  Père  à  Goggia,  en  compagnie  du  R.  P.  di  Gio- 
viNE,  qui  va  faire  ses  premières  armes  comme  mission- 
naire. Paroisse  difficile,  apathique  :  et  cependant,  si  le 
succès  ne  fut  pas  complet,  il  fut  bien  propre  à  encoura- 
ger le  nouveau  missionnaire.  Le  curé,  qui  n'attendait 
pas  tant  de  merveilles,  ne  savait  comment  exprimer  sa 
reconnaissance. 

Le  lendemain  même  de  la  clôture  de  la  mission  de 
Vico,  le  R.  P.  Albertini  court  en  toute  hâte  rejoindre  le 
R.  P.  SïÉFANiNi,  qui  a  ouvert  seul  la  mission  de  Quenza, 
pays  perdu  à  un  des  coins  de  la  Corse.  Les  fruits  de  salut 
furent  abondants,  mais  achetés  chèrement.  De  terribles 
inimitiés  désolaient  cette  importante  paroisse  et  failli- 
rent tourner  au  tragique  pendant  la  mission  même.  Un 
instant,  l'infatigable  P.  Stéfanini  fut  pris  par  la  gorge  ; 
jl  lui  fallait  prêcher,  chanter,  malgré  un  gros  rhume  très 
embarrassant.  Force  lui  fut  d'accepter  quelques  soins, 
et,  quelques  jours  plus  tard,  il  pouvait  écrire  :  «  Mon 
rhume  a  disparu,  et  je  chante  comme  un  rossignol  ;  il  ne 
reste  plus  qu'une  dizaine  d'hommes  à  confesser.  Quant 


—  285  — 

aux  femmes,  tombola,  tout  le  monde  a  communié  deux 
fois.  » 

Sans  prendre  haleine,  le  R.  P.  Albertini  se  rend  à 
Carbuccia,  où  va  le  rejoindre  le  R.  P.  di  Giovine.  Cette 
mission  fut  des  plus  enthousiastes  et  eut  un  plein  succès; 
aussi,  la  réception  faite  à  M^'  l'Évêque  d'Ajaccio,  alors 
en  tournée  pastorale,  fut  magnifique  et  le  combla  d'au- 
tant plus  qu'il  avait  été  reçu  plus  froidement  dans  la 
visite  précédente.  Petit  détail,  mais  intéressant.  A  l'un 
des  arcs  de  triomphe  élevés  à  cette  occasion,  on  avait 
suspendu  une  cloche  faite  avec  de  la  verdure  et  des 
fleurs.  Pendant  que  Sa  Grandeur  la  contemple,  une  co- 
lombe quitte  l'intérieur  de  la  cloche  et  descend  sur  les 
épaules  de  Monseigneur.  Imaginez-vous  la  surprise!  Mais 
laissons  la  parole  au  R.  P.  Albertini  : 

«  Cette  colombe  avait  si  bien  joué  son  rôle,  qu'elle  fut 
jugée  digne  du  couvent  de  Vico  :  elle  devait  y  vivre  heu- 
reuse, entourée  de  ses  fils  et  de  ses  filles  jusqu'à  la  ving- 
tième génération  au  moins.  Hélas  !  qu'il  faut  peu  pour 
renverser  les  plans  des  hommes  !  Une  distraction  du 
R.  P.  AuGiER,  Cassien,  assistant  général,  qui  voyageait 
avec  nous  au  retour,  brisa  le  mien.  A  quelques  kilomètres 
du  couvent,  la  colombe  trouve  moyen  de  sortir  de  sa 
prison  et  prend  son  essor  dans  les  airs,  sans  même  nous 
saluer;  n'ayant  pas  ma  carabine,  je  lui  envoyai  ma  béné- 
diction. » 

De  son  côté,  le  R.  P.  Sïépanini,  revenant  de  Quenza, 
ne  veut  pas  refuser  un  service  qui  lui  est  demandé  avec 
instance  par  M.  le  chanoine  Poli,  curé  doyen  de  Pila- 
Canale  ;  il  s'arrête  donc  dans  cette  paroisse  évangélisée 
par  lui  l'année  dernière,  et  prépare  les  enfants  à  la  pre- 
mière communion. 

Après  tant  de  travaux  consécutifs,  comme  ce  vaillant 
Père  serait  heureux  de  venir  se  reposer  dans  sa  chère 

T.  XXXV.  20 


—  286  — 

solitude  1  C'est  le  mais  de  juin,  et  les  chaleurs  se  font  assez 
vivement  sentir.  Mais,  pris  au  vol  par  l'excellent  curé 
doyen  de  Rocognano,  il  se  voit  obligé  de  donner  cette 
mission  qu'il  n'aurait  pu  prêcher  plus  tard.  Un  grand 
bien  fut  fait  et  eût  été  plus  considérable  si  l'on  avait  pu 
donner  une  semaine  de  plus  à  cette  mission. 

Mais  le  retour  de  tous  les  missionnaires  s'imposait  à 
l'occasion  de  la  visite  du  R.  P.  Augier,  Cassien,  assistant 
général,  et  de  la  retraite  annuelle  qu'il  devait  nous 
donner,  et  aussi  pour  les  noces  d'or  sacerdotales  de  deux 
de  nos  vétérans. 

Remettons  à  plus  tard  de  parler  de  ces  faveurs  signa-; 
lées  pour  ne  pas  interrompre  le  récit  des  missions. 

La  reprise  des  travaux  apostoliques  ne  devait  pas  se 
faire  attendre  longtemps.  Après  vingt  jours  de  repos  à 
peine,  les  PP.  Stéfaninï,  Albertini,  d'Istria,  partent  gaie- 
ment pour  évangéliser  un  des  centres  les  plus  impor- 
tants de  toute  l'île,  Bastelica,  paroisse  de  3-400  habitants. 
Un  bon  mois  sera  consacré  à  ce  travail  et  sera  à  peine 
suffisant.  Heureusement  le  clergé  paroissial  se  prêtera 
volontiers  pour  donner  un  bon  coup  de  main  aux  mis- 
sionnaires. 

Gomme  depuis  longtemps  nos  Pères  sont  très  avanta- 
geusement connus  et  appréciés  dans  ce  bon  village,  l'ac- 
cueil fut  des  plus  sympathiques. 

De  mémoire  d'homme,  dit  le  compte  rendu  qui  fut  fait 
de  cette  mission,  on  ïi'avait  vu  un  concours  si  em- 
pressé, si  assidu  et  si  recueilli.  De  son  côté,  le  R.  P.  d'Is- 
tria pouvait  écrire  :  v  Oui,  nous  sommes  contents  ; 
nous  sommes  heurçux  et  fiers  pour  notre  chère  Congré- 
gation de  voir  ses  Oblats  si  bien  appréciés;  nous  sommes 
heureux  et  fiers  de  compter  dans  notre  auditoire  de  si 
nombreux  officiers  (1),  tant  de  braves  sur  la  poitrine  des- 

(1)  Il  n'y  a  pas  en  Corse,  et  peut-être  pas  en  France,  un  pays  qui 


—  287  — 

quels  brille  le  signe  de  la  vaillance  ;  de  les  voir  se  dé- 
couvrir respectueusement  sur  notre  passage,  et  souvent 
venir  nous  serrer  chaleureusement  la  main.  Espérons 
que  le  bon  Dieu  bénira  nos  fatigues.  » 

«  La  mission  de  Bastelica  marche  à  merveille,  écrivait 
le  R.  P.  SïÉFANiNi  ;  je  ne  vous  dis  pas  au  prix  de  quelles 
fatigues.  Nous  sommes  simplement  écrasés  par  le  travail; 
les  confessions  d'hommes  et  de  femmes  se  continuent 
jusqu'à  une  heure  avancée  de  la  nuit  :  double  commu- 
nion générale  pour  les  hommes  comme  pour  les 
femmes.  » 

«  Ce  fut  un  vrai  renouvellement  spirituel,  ajoute  le 
compte  rendu  :  le  16  août,  la  clôture  fut  plus  imposante 
encore  que  l'ouverture.  Splendide  plantation  de  la  croix, 
illumination  générale  et  grandiose  de  tout  le  village 
(le  plus  beau  de  toute  la  Corse),  discours  pathétiques  et 
adieux  affectueux,  voilà  ce  qui  a  scellé  la  mission  dont 
la  paroisse  de  Bastelica  n'oubliera  jamais  le  souvenir.  » 

«  Apôtres  du  Seigneur,  s'écrie  dans  son  enthousiasme 
M.  le  chanoine  Maestrati,  curé  doyen  de  cette  bonne  pa- 
roisse, vous  avez  su  conquérir  nos  cœurs,  réconfortés 
par  vos  efforts.  Vous  pouvez  dire,  en  toute  vérité,  avec 
Sobieski  :  «  Nous  sommes  venus,  nous  avons  combattu, 
M  Dieu  a  vaincu.  » 

Cependant,  le  curé  de  Renno,  importante  paroisse  des 
environs,  continuait,  malgré  nos  refus,  à  réclamer  aide 
et  secours  pour  son  jubilé.  Le  R.  P.  di  Giovine,  notre 
jeune  recrue  seule  disponible,  accepte  d'aller  donner 
seul  ce  travail.  Comment  Dieu  n'aurait-il  pas  béni  cette 
bonne  volonté  ?  Ce  fut  vraiment  au  delà  de  toute  espé- 
rance, si  bien  qu'à  la  demande  pressante  de  toute  la  po- 

compte,  à  l'heure  actuelle,  autant  d'officiers  de  tout  grade  en  retraite 
ou  en  activité.  Le  nombre,  dit-on,  dépasse  la  soixantaine. 


—  288  — 

pulation,  le  bon  missionnaire  dut  prolonger  le  temps 
fixé  et  appeler  à  son  secours  le  R.  P.  Stéfanini,  à  peine 
arrivé  deBastelica. 

Ce  travail,  à  peine  fini,  le  R.  P.  di  Giovine,  maintenant 
lancé,  part  aussitôt  pour  Soccia  et  Poggiolo,  comme 
compagnon  du  R.  P.  Albertini  pour  ces  deux  missions 
consécutives. 

Soccia  s'est  vraiment  montré  digne  de  son  excellente 
réputation.  Toute  la  population  a  donné  comme  un  seul 
homme.  Le  supérieur  du  couvent  de  Vico,  qui  avait  ac- 
cepté l'aimable  invitation  d'aller  présider  la  clôture, 
gardera  un  impérissable  souvenir  de  cette  édifiante  céré- 
monie, débordante  de  foi,  de  piété,  de  l'enthousiasme  de 
tout  un  peuple,  ne  faisant,  à  la  lettre,  qu'un  seul  cœur 
et  une  seule  âme;  aussi,  ne  put-il  s'empêcher,  en  finis- 
sant, de  tirer  de  son  cœur  quelques  paroles  de  louanges, 
de  félicitations  et  d'encouragement  à  l'adresse  de  ce  bon 
peuple.  A  n'en  pas  douter,  c'était  pour  la  première  fois 
qu'une  parole  française  se  faisait  entendre  dans  l'église 
de  cette  paroisse. 

De  Soccia  à  Poggiolo  il  n'y  a  que  deux  pas.  Ce  ne  fut, 
pour  nos  deux  missionnaires,  qu'une  agréable  prome- 
nade sur  une  belle  route  toute  ombragée  de  châtaigniers 
séculaires.  Lisons  mieux,  ce  fut  une  vraie  marche  triom- 
phale. Figurez-vous  toute  la  population  de  Soccia  se  fai- 
sant un  devoir  et  un  bonheur  de  faire  escorte  à  ses  chers 
missionnaires  en  répétant  les  cantiques  les  plus  entraî- 
nants de  la  mission;  mais,  avant  d'arriver  à  mi-che- 
min, voici  toute  la  population  de  Poggiolo  accourue 
pour  faire  une  ovation  aux  envoyés  de  Dieu.  Ici,  en 
Corse,  l'émulation  joue  un  rôle  peut-être  plus  grand 
qu'ailleurs.  Poggiolo  n'a  pu  ignorer  le  succès  complet 
de  la  paroisse  voisine  :  il  a  donc  à  cœur  de  ne  pas  rester 
en  dessous,  de  l'emporter,  s'il  est  possible,  eu  foi  et  en 


—  289  — 

dévouement,  mais  surtout  de  faire  mentir  certaines  pré- 
dictions défavorables  qui  prédisaient  l'insuccès.  De  fait, 
la  réputation  de  cette  paroisse  est  loin  d'être  t\  la  hau- 
teur de  celle  de  Soccia,  et,  cependant,  le  résultat  final 
dépassa  toutes  les  espérances,  fut  des  plus  consolants, 
et  la  croix  qui  fut  plantée  l'emportait  de  beaucoup  en 
grandeur  et  en  beauté  sur  celle  de  Soccia.  Sur  ce  point, 
du  moins  Soccia  fut  obligé  de  s'avouer  vaincu  ! 

Déjà  plus  qu'éclopé  après  ces  travaux,  le  cher  P.  Al- 
BERTiNi  n'hésite  pas  à  repartir,  malgré  la  fatigue  et  un 
rhume  persistant,  pour  donner,  avec  le  R.  P.  d'Istria, 
la  mission  de  Sorbo,  promise  depuis  longtemps  à  son 
cousin,  curé  de  cette  paroisse. 

Au  point  de  vue  de  la  nature,  Sorbo  est  une  des  plus 
belles  et  des  plus  riches  parties  de  la  Casinca;  mais  au 
point  de  vue  de  la  grâce,  quel  champ  rude  et  ingrat  à 
défricher  ! 

Comme  le  dit  le  compte  rendu  qui  fut  fait  de  cette 
mission  :  «  Le  soleil  de  la  grâce  est  loin  d'échauffer  les 
cœurs  comme  le  soleil  de  la  nature  échauffe  et  féconde 
le  sol;  la  vie  surnaturelle  est  presque  éteinte  dans  nos 
âmes,  pendant  que  la  sève  circule  abondante  dans  les 
veines  de  nos  arbres,  et  déborde  en  fleurs  et  en  fruits  : 
il  y  a  la  foi,  mais  stérile  et  quasi-morte.  » 

Cependant  l'action  de  la  grâce  fut  puissante,  l'ébran- 
lement presque  général...  «La  foi  endormie  se  réveilla 
au  souffle  béni  du  ciel  :  la  glace  se  fondit  et  l'âme  com- 
mença à  respirer.  Au  premier  son  de  la  cloche,  les  mai- 
sons se  vidaient.  Un  soir,  il  pleuvait  à  verse  ;  le  vent  souf- 
flait avec  fureur.  De  l'avis  des  missionnaires  il  fallait 
supprimer  l'exercice.  Malgré  la  pluie,  malgré  le  vent  et 
l'orage,  la  population  se  rendit  spontanément  à  l'église, 
et  l'on  dut  sonner  les  cloches...  pour  appeler  les  Pères. 

«  La  première  semaine  fut  consacrée  aux  femmes  :  elles 


—  290  — 

se  firent  honneur;  pas  une  abstention.  A  la  grand'messe 
du  second  dimanche,  après  la  cérémonie  si  touchante  de 
la  bénédiction  des  enfants,  le  curé  publia  les  bans  de 
douze  mariages.  C'était  le  plus  beau  fruit  de  la  mission. 
A  partir  dece  moment,  le  succès  fut  complet  et  la  sympa- 
thie pour  les  missionnaires  devint  de  l'enthousiasme. 
Comme  les  femmes,  les  hommes  en  grand  nombre  ré- 
pondirent à  l'appel  de  Dieu.  » 

Que  l'on  nous  permette  de  transcrire  les  dernières  pa- 
roles du  compte  rendu  de  cette  mission,  a  Heureuses  les 
paroisses  qui,  comme  Serbo,  ont  à  leur  tête  un  prêtre 
zélé!  Il  peut  passer  sur  elles  le  grand  hiver;  mais  le 
prêtre  a  semé,  la  saison  des  fruits  approche,  la  moisson 
commence  à  blanchir,  les  épis  se  balancent  au  gré  de 
la  brise  parfumée.  Venez  vite,  apôtres  de  Jésus-Christ! 
Venez,  chers  missionnaires,  faire  la  récolte  ;  remplissez, 
remplissez  les  greniers  du  père  de  famille.  « 

Nous  voici  à  la  Toussaint.  Deux  mois  seulement  nous 
séparent  de  la  fin  de  l'année  et  du  jubilé.  Nos  Pères  sont 
demandés  et  attendus  dans  une  foule  de  localités.  Sans 
un  tour  de  force  que  le  zèle  des  âmes  et  l'amour  de  Dieu 
peuvent  seuls  leur  inspirer,  jamaisils  ne  pourront  abou- 
tir et  donner  encore  douze  missions  promises. 

Le  R.  P.  Stéfanlm  se  chargea  à  lui  seul  de  tous  les  vil- 
lages qui  forment  comme  une  couronne  autour  du  cou- 
vent de  Vico  :  Chiliani,  Apriciani,  Sagone  Murzo  et  Ar- 
bori,  le  voient  tour  à  tour,  l'entendent,  admirent  le  zèle 
de  leur  apôtre  pour  préparer  les  enfants  à  la  première 
communion,  et  les  grandes  personnes  à  la  grâce  du  ju- 
bilé et  du  triduum  en  l'honneur  du  bienheureux  Théo* 
phile  de  Corte,  triduum  prescrit  par  M^'"'  l'évoque  d'Ajac- 
cio.  Partout  le  succès  a  été  complet  ;  Arbori  surtout  s'est 
distingué  par  sa  foi  et  son  enthousiasme,  et  non  con- 
tente d'avoir  exprimé  sa  reconnaissance  dans  des  dis- 


—  291  ==- 

cours  très  chaleureux,  toute  la  population  tint  à  honneur 
d'accompagner  bien  loin  du  village  et  le  R.  P.  Stéfanini 
et  le  R.  P.  Di  GioviNE,  qui  lui  avait  été  adjoint  pour  cette 
Efiission.  Il  fut  impossible  d'empêcher  la  jeunesse  de 
venir  jusqu'au  couvent,  au  chant  des  cantiques  et  des 
acclamations  répétées  :  «  Vive  la  religion  !  Vivent  les 
missionnaires  !  » 

Aux  RR.  PP.  Albertini  et  di  Giovine,  deux  belles  et 
importantes  missions  avaient  été  réservées  :  Ota,  d'abord 
paroisse  très  importante  où  nos  Pères  sont  si  avantageu- 
sement connus,  le  travail  fut  accablant  et  admirablement 
béni  de  Dieu  ;  Piana,  ensuite,  gros  village  et  chef-lieu  de 
canton  :  deux  victoires  d'autant  plus  brillantes  que  les 
ennemis  à  combattre  étaient  plus  redoutables.  Si  le 
succès  ne  fut  pas  absolument  complet,  on  ne  dut  s'en 
prendre  qu'au  temps  qui  fut  forcément  limité.  Le  curé 
de  la  charmante  ville  de  Cargèse  pressait  instamment  nos 
Pères  de  lui  accorder  au  moins  quelques  jours  avant  l'ex- 
piration du  jubilé.  Ce  qui  fut  accordé. 

Même  après  la  fin  du  jubilé,  le  R.  P.  di  Giovine  dut 
s'exécuter  pour  aller  donner  les  exercices  à  la  paroisse 
de  Parapoggio,  qui  était  désolée  et  comme  honteuse  de 
n'avoir  rien  reçu. 

Pendant  ce  temps,  le  R.  P.d'Istria  ne  restait  pas  oisif. 
Un  travail  important  et  difficile  lui  était  confié,  sous  la 
direction  du  R.  P.  Maurand,  venu  exprès  de  Nice  pour 
évangéliser,  pendant  un  mois,  les  deux  paroisses  de  la 
ville  de  Calvi,  chef-lieu  d'arrondissement  :  à  la  ville  basse, 
d'abord,  la  plus  importante,  et  ensuite  à  la  ville  haute 
ou  citadelle. 

Le  R.  P.  d'Istria  était  heureux  de  pouvoir  écrire  à  son 
Supérieur  :  «  Notre  mission,  à  la  basse  ville,  a  été  vrai- 
ment splendide;  ni  le  clergé  de  la  ville,  ni  les  mission» 
naires  n'auraient  osé  espérer  un  si  beau  succès.  A  Calvi, 


—  292  — 

on  n'avait,  paraît-il,  jamais  vu  une  communion  géné- 
rale; aussi  bien  a-t-on  crié  merveille  quand  on  a  vu  la 
majorité  des  femmes  s'approcher  toutes  ensemble  à  la 
table  sainte.  Plus  grand  encore  a  été  l'étonnement  lors- 
que, dimanche  dernier,  plus  de  250  hommes  ont  aussi 
communié  tous  ensemble.  L'érection  d'une  magnifique 
croix,  avec  christ  en  fonte,  comme  àAjaccio,  fut  le  digne 
couronnement  de  cette  belle  mission.  A  peine  de  retour 
au  couvent,  le  R.  P.  d'Istria  en  repartit  pour  donner  les 
exercices  de  la  mission  à  une  petite  paroisse,  Mezzavia, 
près  d'Ajaccio.  De  son  côté,  le  R.  P.  Supérieur  donnait 
au  couvent  la  retraite  des  congréganistes,  préparatoire 
à  la  fête  de  l'Immaculée-Gonception. 

Tels  sont  les  travaux  apostoliques  de  la  maison  de 
Yico  pendant  ces  deux  années. 

N'avais-je  pas  raison  de  vous  dire,  mon  très  révérend 
Père,  qu'il  y  avait  grandement  lieu  de  bénir  la  divine 
Providence  ;  d'abord,  de  tant  de  travaux  demandés  et 
accomplis  ;  ensuite  d'une  santé  suffisante,  conservée  à 
nos  Pères,  de  manière  à  ne  pas  succomber  à  la  lâche  ; 
et,  enfin,  des  grâces  abondantes  dont  le  Ciel  s'est  plu  à 
couronner  les  efforts  de  leur  zèle  et  de  leur  admirable 
dévouement. 

Par  ailleurs,  aucun  changement  notable  à  signaler 
dans  les  autres  œuvres  confiées,  ici,  à  nos  soins  :  la  pa- 
roisse de  Nesa,  l'aumônerie  des  Sœurs  de  Marie  et  la 
Congrégation  de  la  Sainte-Vierge  établie  au  couvent. 
Trêve  donc  de  détails  qui  ne  feraient  qu'allonger  ce  rap- 
port, déjà  bien  étendu.  Admirons  seulement,  en  passant, 
le  zèle  et  la  bonne  volonté  du  R.  P.  Tamburini  qui,  mal- 
gré ses  soixante-seize  ans  et  ses  infirmités  toujours  crois- 
santes, n'a  jamais  reculé  devant  les  fatigues  de  la  charge 
de  cure  de  Nesa,  été  comme  hiver,  malgré  la  distance 
assez  notable  à  parcourir.  Tous,  cependant,  nous  com- 


—  293  — 

prenons  —  et  il  est  le  premier  à  le  reconnaître  —  qu'il 
est  urgent  de  lui  donner  un  aide. 

Qui  n'admirerait  également  la  verte  vieillesse  de  notre 
cher  P.  ZiRio,  toujours  gai,  toujours  content  de  rendre 
service,  soit  en  disant  les  messes  tardives,  soit  en  se 
chargeant  des  confessions  des  étrangers  et  d'une  foule 
de  personnes  qui  s'adressent  à  lui,  soit  en  donnant  ré- 
gulièrement deux  fois  par  mois  les  sermons  aux  réunions 
des  congrégates. 

D'un  autre  côté,  il  nous  est  doux  de  pouvoir  rendre 
un  excellent  témoignage  au  bon  esprit  qui  anime  nos 
chers  Frères  convers.  Il  leur  faut  vraiment  un  dévoue- 
ment sans  bornes,  vu  leur  petit  nombre,  vu  surtout  l'âge 
et  les  infirmités  de  plusieurs,  pour  faire  face  à  toutes  les 
difficultés.  ïl  est  bien  à  désirer  que  la  divine  Providence 
nous  envoie  un  plus  grand  nombre  de  ces  précieux  auxi- 
liaires pour  n'être  pas  si  souvent  obligés  d'appeler  au 
secours  des  ouvriers  mercenaires. 

Le  temporel  est  dans  un  état  satisfaisant. 

«  Nous  ne  pouvons,  disait  le  R.  P.  Augier  (Gassien), 
visiteur  général,  dans  son  acte  de  visite  de  juillet  der- 
nier, nous  ne  pouvons  que  nous  féliciter  des  améliora- 
tions considérables  accomplies  depuis  quelques  années, 
soit  dans  la  maison,  soit  à  l'église,  soit  au  cimetière. 

«  Quand  on  a  vu  le  couvent  de  Vico,  il  y  a  vingt-sept 
ans,  dans  un  état  voisin  du  délabrement  et  qui  rendait 
bien  difficile  l'ordre  et  la  propreté,  on  est  heureusement 
impressionné  de  le  retrouver  si  propre,  si  bien  tenu, 
d'un  aspect  si  agréable,  avec  ses  larges  corridors  bien 
pavés,  ses  murs  blanchis  et  ses  cellules  appropriées  et 
parquetées.  Tout  n'est  cependant  pas  parfait.  » 

Une  des  premières  et  des  principales  améliorations 
est  sur  le  point  d'être  accomplie  :  le  renouvellement 
presque  Lolal  de  la  toiture.  Les  tuiles  plates  sont  déjà 


-  294  - 

achetées,  rendues  et  seront  prochainement  posées.  Ce 
travail  coûteux  s'imposait  sans  retard. 

Le  jardin  et  la  campagne  attenante  sont  également, 
grâce  â  Dieu  et  à  nos  Frères,  dans  un  état  de  propreté  et 
de  prospérité  satisfaisant. 

A  la  suite  de  ce  rapport,  il  est  juste  d'ajouter,  comme 
appendice,  le  récit,  au  moins  abrégé,  d'un  événement 
important  pour  la  maison  de  Vico  qui  a  marqué  l'an- 
née 1896  ;  nous  voulons  parler  des  noces  d'or  sacerdo- 
tales des  RR.  PP.  Tamburini  et  Zibio,  ordonnés  prêtres, 
tous  deux,  en  l'an  de  grâce  1846. 

Le  16  juillet  1896  marquera  dans  les  annales  du  cou- 
vent de  Vico  et  restera  comme  une  date  mémorable, 
rappelant  un  bien  doux  souvenir.  N'est-ce  pas  la  pre- 
mière fois,  si  nous  ne  nous  trompons,  que  se  présente, 
dans  la  Congrégation,  une  coïncidence  aussi  heureuse  de 
deux  vétérans  du  sacerdoce,  de  deux  Pères  Oblats,  célé- 
brant ensemble,  le  même  jour,  dans  la  même  maison, 
le  cinquantième  anniversaire  de  leur  ordination  sacer- 
dotale? Cet  honneur  était  réservé  à  la  maison  de  Vico, 
et  cette  fête  de  famille  devait  ajouter  un  nouveau  fleuron 
à  la  couronne,  déjà  si  belle,  de  ses  souvenirs  religieux. 

Pour  en  transmettre  l'intéressant  récit  aux  membres 
de  la  Congrégation,  la  divine  Providence  avait  mis  à 
notre  disposition  l'homme  qu'il  fallait  :  cœur  d'or,  main 
déhcate,  plume  finement  taillée,  intelligence  d'élite, 
belle  imagination  ;  nous  avions  tout  à  souhait.  Pour- 
quoi faut-il  qu'au  dernier  moment  l'élu  se  soit  vu  dans 
la  nécessité  de  récuser  cette  tâche?  Adieu  donc  les  obser- 
vations fines  et  délicates,  les  traits  d'esprit,  les  détails 
charmants,  les  impressions  fraîches  et  pleines  de  par- 
fum :  tout  s'est  envolé!  Nous  voilà  réduits  à  des  souve- 
nirs bien  éloignés  déjà. 


—  295  — 

Un  mot,  d'abord,  des  invités  ou  des  heureux  témoins 
qui  ont  formé  une  couronne  d'honneur  aux  héros  de 
la  fôte. 

Quel  honneur  et  quel  bonheur,  si  le  chef  vénéré  de 
noire  famille  religieuse  avait  pu  se  rendre  à  nos  désirs 
et  rehausser  par  sa  présence  l'éclat  de  cette  fête  !  Ne  le 
pouvant,  à  cause  d'affaires  pressantes,  le  Supérieur  gé- 
néral voulut,  du  moins,  être  représenté  par  un  de  ses 
assistants  généraux,  le  R.  P.  Augier  (Cassien),  nommé, 
en  même  temps,  visiteur  des  maisons  de  Corse. 

Ce  n'est  pas  tout. 

Par  une  heureuse  inspiration  dont  nous  ne  saurons 
jamais  assez  le  remercier,  le  R.  P.  Provincial  du  Midi 
s'était  dit  :  «  Et  si  je  faisais  d'une  pierre  deux  coups  : 
ajouter  au  bienfait  de  la  visite  celui  d'une  retraite  an- 
nuelle, que  prêcherait  le  R.  P.  Visiteur  h  un  bon  nombre 
de  Pères  de  la  province  qui  seraient  convoqués  au  cou- 
vent, immédiatement  avant  les  noces  d'or  auxquelles  ils 
pourraient  ainsi  participer,  n  Ainsi  fut  fait. 

Voici  les  noms  des  douze  Pères  étrangers  qui  vinrent 
s'adjoindre  aux  sept  de  la  Communauté  : 

Du  Grand  Séminaire  d'Ajaccio  :  le  R.  P.  Bessières, 
supérieur;  le  R.  P.  Bëaume,  professeur  de  morale;  le 
R.  P.  Lagier,  professeur  de  philosophie;  le  R.  P.  Orto- 
lan, professeur  de  dogme  ;  le  R.  P.  Sautel,  professeur 
d'Écriture  sainte  et  de  droit  canon  ; 

Du  Grand  Séminaire  de  Fréjus  :  le  R.  P.  Baffie,  supé- 
rieur, et  les  RR.  PP.  Fabre  et  Bailleau  ;  le  R.  P.  Fayette, 
de  Notre-Dame  de  Bon-Secours  ;  le  R.  P.  Bénédic,  ac- 
compagné du  F.  Lbga,  de  la  maison  de  Nice;  enfin,  le 
R.  P.  Audibert,  de  la  maison  d'Aix. 

Que  n'aurions-nous  pas  à  dire  de  cette  retraite  si 
bonne  et  si  pieuse  ;  du  silence,  du  recueillement  et  de 
la  ferveur  qui  n'ont  cessé  d'y  régner;  de  l'édification 


—  296  — 

mutuelle  qui  en  est  résultée  et  qui  faisait  dire  au 
R.  P.  Visiteur  :  «  Pendant  ces  jours  bénis,  l'on  se  serait 
cru  transporté  dans  le  plus  fervent  de  nos  scolasticats.  » 

Qu'il  y  aurait  à  dire  surtout  de  la  parole  si  aimée,  si 
sympathique,  si  distinguée  du  prédicateur.  Que  de  bien 
cette  parole  substantielle  a  fait  à  nos  âmes.  Dieu  sait  au 
prix  de  quelles  fatigues,  grâce  à  un  rhume  malencon- 
treux qui  ne  put  cependant  arrêter  l'ardeur  de  son  zèle. 
Dès  la  première  instruction,  il  sut  trouver  le  chemin  de 
nos  cœurs  et  gagner  toutes  les  sympathies  ;  on  sentait 
qu'il  n'avait  qu'un  but  :  nous  faire  de  plus  en  plus  aimer, 
estimer  notre  sainte  vocation,  partant  nous  faire  mar- 
cher d'un  pas  plus  ferme  et  plus  généreux  dans  la  voie 
qui  conduit  à  la  perfection.  A  n'en  pas  douter,  cette 
bonne  semence  n'est  pas  tombée  dans  une  terre  ingrate. 
Puisse-t-elle  produire  au  centuple  ses  fruits  précieux! 

Ainsi  préparés,  que  les  cœurs  se  donnent,  tout  entiers, 
à  la  joie  de  la  fête  qui  les  attend. 

Donc,  le  13  juillet  au  soir,  à  l'heure  marquée  dans  le 
programme,  la  cloche  sonne  joyeuse,  convoquant  dans 
le  salon  d'honneur,  occupe  par  le  R.  P.  Visiteur,  tous 
les  membres  de  la  Communauté.  Nous  avons  hâte  d'offrir 
nos  hommages  et  nos  félicitations.  Mais  quel  sera  l'in- 
terprète de  nos  vœux?  Évidemment,  cet  honneur  reve- 
nait de  droit  à  l'Assistant  général  :  nous  y  comptions. 
Cependant,  presque  au  dernier  moment,  le  supérieur  de 
la  maison  se  voit  contraint  de  remplir  ce  devoir.  Donc, 
point  de  discours  d'apparat  ;  quelques  bonnes  paroles, 
simplement  dites,  sans  autre  prétention  que  d'essayer 
de  traduire  les  sentiments  de  joie,  de  gratulation,  qui 
remplissaient  tous  nos  cœurs. 

«...  Puissé-je  donc,  vénérés  et  bien  chers  Pères  jubi- 
laires, être  l'interprète  fidèle,  non  seulement  de  tous  ces 
Pères  et  Frères  Oblats  que  la  bonne  Providence  semble 


—  297  — 

avoir  réunis  si  nombreux  pour  former,  autour  de  vous, 
une  plus  belle  couronne  d'honneur,  mais  de  tous  les 
cœurs  qui  vous  ont  connus  et  aimés  ;  de  la  Congrégation 
tout  entière,  pour  vous  payer  sa  dette  de  reconnais- 
sance, si  bien  méritée  par  cinquante  années  de  loyaux 
services,  pour  vous  offrir  l'humble  hommage  de  notre 
profonde  vénération,  de  notre  sincère  affection  avec  les 
vœux  les  plus  ardents  pour  votre  parfait  bonheur. 

«  Et  d'abord,  vénéré  et  bien  cher  Père  Tamburini,  à 
d'autres  voix  plus  autorisées  et  plus  éloquentes  de  re- 
dire, en  détail,  les  exploits  de  vos  travaux  évangéliques  ; 
qu'il  nous  suffise,  en  ce  moment,  de  rappeler  les  prin- 
cipales étapes  de  votre  belle  carrière  religieuse  et  sacer- 
dotale. 

«  Qu'ils  sont  beaux  les  pieds  de  ceux  qui  évangéli- 
sent  la  paix!  Mais  le  moyen  de  vous  suivre  sur  tous  les 
champs  de  bataille  oii  vous  avez  livré  tant  de  combats, 
remporté  tant  de  victoires,  sauvé  tant  d'âmes  et  procuré 
tant  de  gloire  à  Dieu?  En  Angleterre  d'abord,  cette  île 
des  saints,  où,  par  les  efforts  de  votre  zèle,  vous  avez 
aidé  la  Congrégation  à  s'y  implanter  solidement.  En 
Corse  ensuite,  votre  pays  natal,  dans  cette  sainte  mai- 
son de  Vico,  011,  comme  curé  de  Nesa,  vous  laissâtes  tant 
de  bons  souvenirs.  Jusqu'au  moment  où  la  confiance  de 
vos  supérieurs  majeurs  vint  vous  chercher  pour  vous 
confier  l'importante  et  délicate  fonction  de  Procureur 
général  de  la  Congrégation  des  Oblats  près  le  Saint- 
Siège. 

«  Plus  tard,  l'obéissance  vous  rappelle  en  Corse  et, 
grâce  à  vos  aptitudes  variées,  est  heureuse  de  vous  con- 
fier, simultanément  ou  successivement,  les  charges  les 
plus  diverses  :  celle  de  directeur  du  grand  séminaire 
d'Ajaccio  ;  de  professeur  d'anglais  au  petit  séminaire  de 
la  même  ville;  de  confesseur  extraordinaire  de  plusieurs 


—  298  — 

communautés  religieuses  ;  mais  revenant  à  vos  premières 
amours,  Nesa  était  heureux  et  l'est  encore  de  vous  re- 
voir comme  curé;  le  couvent  de  Vico,  devons  posséder 
comme  supérieur  ;  beaucoup  de  paroisses  de  l'île,  de 
vous  avoir  comme  apôtre  zélé  :  ne  nous  exposons  pas  à 
blesser  votre  modestie  en  redisant  tout  le  bien  opéré 
par  votre  parole,  par  les  exemples  de  vos  vertus,  par 
votre  réputation  incontestée  d'homme  de  Dieu  et  de 
saint  missionnaire. 

et  Et  vous,  vénéré  et  bien  cher  Père  Zirio,  vos  tra- 
vaux apostoliques,  pendant  ce  même  laps  de  temps,  ont 
pu  être  moins  variés;  qui  oserait  dire  qu'ils  ont  été 
moins  importants  et  moins  fructueux  ?  N'est-elle  pas  un 
peu  ou  plutôt  beaucoup  la  vôtre,  cette  belle  œuvre  des 
Italiens  établie  à  Marseille,  près  du  Calvaire,  qui  a  lait 
jusqu'ici  tant  de  bien,  au  grand  honneur  de  la  Congré- 
gation ?  Dieu  seul  pourrait  redire  avec  quel  zèle,  quel 
dévouement,  au  prix  de  combien  de  sacrifices,  vous  avez 
pu  mener  à  bonne  fm  cette  œuvre  si  difficile  ! 

Que  vouliez-vous  qu'il  fît  contre  trois? 

s'écrie  le  poète,  racontant  la  fin  du  combat  des  trois 
Horaces  et  des  trois  Curiaces.  Qui  ne  connaît  la  sublime 
réponse  ? 

Qu'il  mourût! 
Ou  qu'un  beau  désespoir  alors  le  secourût. 

«  Et  vous,  vaillant  et  infatigable  apôtre,  nous  savons 
ce  que  votre  zèle  eût  répondu  à  celui  qui,  frappé  des 
difficultés,  vous  eût  demandé  :  «  Que  faire,  seul,  tout 
«  seul,  en  présence  de  40  000  Italiens  à  évangéliser,  ca- 
«  téchiser,  confesser,  secourir,  assister  à  leur  chevet 
«  d'agonie?  »  Oui,  nous  savons  ce  que  vous  eussiez  ré- 
pondu :  «  Ah  !  ces  chers  compatriotes  !  Je  saurai  tant  les 
«  aimer,  je  saurai  si  bien  me  déivouer,  m'oublier,  me 


—  299  — 

«  sacrifier,  qu'avec  la  grâce  de  Dieu,  je  suis  assuré  de 
«  la  victoire  !  »  Et  l'histoire  est  là,  en  effet,  pour  redire 
les  nombreuses  victoires  remportées  par  votre  vaillance, 
par  les  efforts  de  votre  zèle  sacerdotal,  toujours  à  la 
hauteur  des  difficultés  de  la  situation. 

«  Qui  jamais  vous  a  vu  compter  avec  la  fatigue?  Les 
messes  tardives,  si  peu  désirées,  étaient  votre  lot  pré- 
féré. Qui  jamais  vous  a  vu  trembler  devant  le  péril?Huit 
fois  le  choléra,  le  terrible  choléra,  a  passé  sur  votre  tête, 
vous  laissant  impassible  !  Que  d'autres  fuient,  s'ils  le 
veulent;  mais  vous,  «  le  chevalier  sans  peur  et  sans  re- 
«  proche  »,  on  vous  a  vu  toujours  fidèle  au  poste  du 
danger.  Quelle  merveille  donc,  si  le  roi  d'Italie,  pour 
récompenser  votre  bravoure,  a  voulu  voir  briller  sur 
votre  poitrine  la  crois  des  braves,  vous  nommant  «che- 
«  valier  »  de  son  royaume  ? 

«  Je  serais  infini,  si  je  voulais  dire  le  nombre  d'âmes 
que  vous  avez  consolées,  remises  dans  le  bon  chemin, 
que  vous  continuez  à  servir,  à  rendre  heureuses. 

«  Daignez  donc,  chers  et  vénérés  Pères,  recevoir  tous 
deux  nos  plus  chaleureuses  félicitations  :  avec  vous,  nous 
bénissons  le  Ciel  qui  réservait  à  votre  verte  vieillesse  les 
honneurs  si  rares  du  jubilé  sacerdotal. 

«  Avec  vous,  nous  voulons  prier  dès  ce  soir,  demain 
surtout,  adresser  à  Dieu  les  plus  ferventes  supplications 
pour  qu'il  daigne  vous  conserver  longtemps  encore  à 
notre  estime,  à  noire  amour;  pour  qu'il  vous  comble 
de  jours  heureux,  pleins  de  mérite  pour  le  ciel  où 
vous  attendent  de  si  belles  couronnes,  digne  récom- 
pense de  vos  nombreux  travaux,  de  vos  mérites,  de  vos 
vertus. 

«  Ad  mullos  annos!  En  attendant  les  noces  de  dia- 
mant, s'il  plaît  à  Dieu  de  vous  les  accorder  ! 

«  Amen/  Amen/ n 


-    300  — 

Sons  l'émotion  qui  le  dominait,  le  R.  P.  Tamburini 
lira  de  son  cœur  quelques  bonnes  paroles,  qui  furent 
très  bien  goûtées  et  qui  étaient  comme  le  Magnificat 
de  son  humilité,  de  sa  reconnaissance  envers  Dieu  et 
envers  la  Congrégation,  «  pour  lui,  dit-il,  toujours  si 
bonne  et  si  tendre  mère  ;  sans  laquelle  il  n'eût  rien  été 
et  n'eût  pu  accomplir  aucun  bien  «. 

A  son  tour,  le  R.  P.  Zmio  voulut  exprimer  les  senti- 
ments qui  le  dominaient  ;  mais,  vaincu  par  l'émotion,  il 
ne  put  que  nous  rappeler  en  termes  familiers  quelques- 
uns  des  principaux  épisodes  de  son  long  séjour  à  Mar- 
seille. 

Mais  déjà  la  joie  qui  remplit  tous  les  cœurs  se  mani- 
feste par  une  accolade  fraternelle  des  plus  chaudes  et 
des  plus  animées.  Tout  le  reste  de  la  soirée  fut  employé 
aux  derniers  préparatifs  de  la  fête  du  lendemain. 

16  juillet  1896.  —  De  bonne  heure  règne  dans  toute  la 
maison  une  grande  animation  ;  c'est  qu'aux  19  Pères 
Oblats  sont  venus  s'adjoindre  20  prêtres  étrangers , 
l'élite  de  toute  la  contrée,  heureux  de  répondre  à  l'ai- 
mable invitation  qui  leur  avait  été  faite  et  de  donner 
cette  marque  de  sympathie  aux  Pères  Oblats  qu'ils 
aiment  et  estiment,  et,  en  particulier,  à  nos  deux  chers 
jubilaires,  qu'ils  tiennent  à  honorer  de  leur  présence. 

A  10  heures,  la  cloche  sonne  ;  c'est  le  signal  de  la 
grand'messe,  aussi  solennelle  que  le  permettaient  les 
circonstances  et  les  éléments  dont  nous  pouvions  dis- 
poser. L'église  est  pleine,  bondée  comme  aux  jours  des 
grands  concours.  Vico,  Nesa  et  les  villages  environnants 
ont  tenu  à  honneur  de  prendre  part  à  cette  fête,  qui  les 
intéresse  à  plus  d'un  titre. 

A  défaut  du  R.  P.  Tamburini,  toujours  un  peu  souf- 
frant de  sa  sciatique,  c'est  le  R.  P.  Ziiuo  qui  a  l'honneur 
de  chanter  la  grand'messe,  de  sa  voix  si  douce,  si  harmo- 


—  301   — 

niense  et  toujours  jeune.  Comme  diacre,  le  R.  P.  Baffie, 
et  le  R.  P.  AuDiBERT  comme  sous-diacre. 

Après  l'évangile  monte  en  chaire  le  R.  P.  Bessières, 
pour  donner  une  voix  à  cette  fête  et  interpréter  les  sen- 
timents qui  remplissent  tous  nos  cœurs.  Pendant  près 
de  trois  quarts  d'heure,  il  nous  tient,  à  la  lettre,  sous  le 
charme  de  sa  parole  éloquente,  pleine  des  pensées  les 
plus  heureuses  et  les  plus  relevées.  La  Congrégation, 
croyons-nous,  sera  heureuse  de  pouvoir  lire  ce  remar- 
quable discours  : 

Gaudium  vestriim  sit  plénum. 
Que  votre  joie  soit  complète. 
(Joan.,  XVI,  24. 

Chers  et  vénérés  Pères, 
Je  suis  bien  sûr  d'exprimer,  par  les  paroles  de  l'Évan- 
gile que  vous  venez  d'entendre,  les  désirs  et  les  vœux  de 
tous  ceux  qui  vous  entourent.  Ces  prêtres  amis,  ces  fi- 
dèles nombreux  sont  tous  ici  pour  partager  votre  bon- 
heur et  pour  demander  à  Dieu,  au  pied  des  autels,  de 
rendre  votre  joie  parfaite  et  durable.  Les  personnes  et 
les  familles  ont  toutes,  dans  leur  vie,  des  heures  de  bon- 
heur, et  quand  ce  bonheur  est  pur  comme  celui  du  ciel, 
il  est  parfois  si  intense,  il  fait  un  contraste  si  sensible 
avec  les  tristesses  de  ce  monde,  que  notre  langue  se 
trouve  impuissante  à  dire  ce  que  notre  cœur  éprouve. 
C'est  une  de  ces  heures  bénies  qui  passe  sur  votre  exis- 
tence religieuse  et  sacerdotale,  et  je  ne  saurais  ni  parler 
convenablement  de  votre  joie  à  ceux  qui  vous  entou- 
rent, ni  vous  dire  à  vous-mêmes  la  part  que  nous  y  pre- 
nons. Que  ne  puis-je  être,  en  ce  jour,  l'écho  de  ce  con- 
cert de  remerciements  et  d'éloges  qui  nous  arrive  de 
tous  les  points  de  votre  demi-siècle  d'apostolat!  S'ils 
étaient  présents  à  cette  fête,  les  anges  témoins  de  vos 
vertus  et  les  âmes  sanctifiées  par  votre  zèle  placeraient 

T.   XXXV.  21 


•—  302  — 

sur  votre  tête  un  diadème  d'or  plus  éclatant  et  plus  au- 
guste encore  que  cette  couronne  d'argent  déposée  sur 
vos  fronts  par  la  majesté  de  l'âge.  La  sévérité  du  lieu 
saint,  l'intransigeance  de  votre  modestie  n'autorisent 
point  la  liberté  de  mes  éloges  ;  je  ne  puis  parler  de  vous 
qu'avec  discrétion  et  qu'avec  respect.  Permettez-moi  ce- 
pendant de  vous  comparer  aujourd'hui  aux  deux  oliviers 
et  aux  deux  candélabres  de  nos  saints  livres,  et  de  grou- 
per autour  de  ces  deux  symboles  bibliques  les  paroles 
que  j'ai  la  douce  mission  de  vous  adresser. 

Par  ses  teintes  sévères,  par  la  persistance  de  son  feuil- 
lage, par  la  multiple  utilité  de  son  fruit,  l'olivier  est 
l'image  du  religieux.  Le  candélabre,  avec  ses  branches 
de  feu,  ornant  l'autel,  éclairant  les  pas  de  ceux  qui 
cherchent  Dieu  dans  le  sanctuaire,  symbolise  le  prêtre. 
La  vie  de  perfection  et  le  sacerdoce,  le  religieux  et  le 
prêtre  ne  constituent-ils  pas  cette  fête  tout  entière  ?  Ne 
sont-ils  pas  la  source  véritable  des  joies  qui  inondent 
vos  cœurs,  en  ce  jour? 

I 

En  songeant  à  ce  demi-siècle  de  vie  religieuse  que 
nous  fêtons  avec  vous,  êtes-vous  heureux  ?  Pouvons-nous 
tous  applaudir  sans  réserve  à  voire  bonheur  ;  et  ce  tres- 
saillement qu'éprouve  votre  cœur,  n'est-il  pas  un  éclair 
rapide  qui  déchire  de  perpétuels  et  profonds  nuages? 
Non,  non  ;  votre  bonheur  est  doux  comme  un  reflet  des 
joies  du  ciel,  stable  comme  vos  serments,  intarissable 
comme  la  tendresse  de  Dieu. 

Si  la  science  humaine  n'est  pas  encore  parvenue  à 
dresser  l'échelle  des  félicités  terrestres,  la  théologie,  en 
définissant  le  bonheur  d'un  être,  la  possession  du  bien 
dont  il  a  besoin,  a  placé  au  premier  rang  des  créatures 
heureuses  celle  qui  a  reçu  de  Dieu  sur  la  terre  une  part 


—  303  — 

plus  grande  dans  la  distribution  des  bontés  divines,  et 
une  facilité  plus  grande,  une  certitude  morale  de  son 
salut  éternel.  Or,  l'âme  religieuse  est  ici-bas  sans  rivale 
dans  le  monde  des  libéralités  et  des  tendresses  divines. 

Lorsque  Dieu  eut  créé  le  monde  physique,  qu'il  eut 
disposé  son  œuvre,  semé  avec  sagesse  et  profusion  les 
étoiles  dans  le  ciel,  paré  la  terre  de  végétation,  de  ver- 
dure et  de  fleurs,  il  s'arrêta  et  contempla  avec  admira- 
tion ce  premier  travail  de  sa  puissance  :  Vidit  quocl  esset 
bonum. 

Il  n'avait  cependant  qu'élevé  un  trône,  dressé  un  pié- 
destal :  l'univers  attendait  son  couronnement  et  son 
roi.  Lorsque  l'homm.e  paraît  tout  rayonnant  d'innocence, 
de  grâce  et  de  majesté,  le  cœur  de  Dieu  est  cette  fois 
ravi  ;  son  œuvre  est  achevée  :  Vidit  quod  erant  cuncta 
valde  bona. 

Lorsque  le  divin  Rédempteur  eut  créé  sur  la  terre  le 
monde  nouveau  de  la  grâce,  plus  ravissant  et  plus  riche 
que  l'univers  physique  ;  qu'il  eut  relevé  les  espérances 
des  âmes,  en  augmentant  pour  elles  les  facilités  du  salut  ; 
qu'il  eut  proclamé  le  bonheur  de  la  pauvreté,  le  bon- 
heur des  larmes,  le  bonheur  de  la  persécution,  le  bonheur 
de  la  souffrance  ;  qu'il  eut,  en  un  mot,  offert  à  toutes  les 
bonnes  volontés  les  moyens  ordinaires  de  la  sanctifica- 
tion chrétienne,  son  regard  divin  pouvait  contempler 
avec  bonheur  cette  œuvre  dans  laquelle  il  avait  mis  plus 
de  lui-même,  et  qui  devait,  dès  ce  moment,  revêtir  l'hu- 
manité d'une  admirable  floraison  de  vertus  et  de  saints. 
Cependant,  il  n'avait  pas  encore  prononcé  le  dernier  mot 
de  son  amour  :  une  perfection  manquait  à  son  chef- 
d'œuvre.  Il  prononce  ce  mot,  il  fait  monter  de  son  cœur 
cette  dernière  perfection.  Écoutez-le  :  «  Si  quelqu'un 
veut  être  parfait,  qu'il  abandonne  tout  sur  la  terre  ;  qu'il 
se  renonce,  qu'il  porte  sa  croix  et  qu'il  me  suive.  »  Ces 


—  304  — 

paroles  créatrices  donnent  au  monde  l'état  religieux  ; 
des  âmes  choisies  pour  les  vertus  parfaites  et  pour  tous 
les  privilèges  de  la  grâce  seront,  dès  ce  jour,  atteintes 
par  cet  appel  à  travers  toutes  les  générations  humaines. 
La  vocation  religieuse  est,  pour  une  âme,  un  honneur 
que  rien  n'égale  ;  c'est  un  mot,  dit  par  Dieu  à  cette  âme, 
de  ses  félicités  éternelles.  Par  la  surabondance  des  se- 
cours qu^il  entraîne,  cet  appel  est  presque  le  sceau  des  élus, 
imprimé,  ici-bas,  sur  le  front  d'une  âme.  Des  docteurs 
et  des  saints  ont  prononcé  ces  paroles  et  tout  justifie, 
dans  les  conditions  de  vie  du  religieux,  l'apparente  exa- 
gération de  ce  langage.  Dieu,  qui  laisse  presque  toujours 
deviner  le  but  de  ses  œuvres  par  les  proportions  qu'il 
leur  donne,  n'a-t-il  pas  fait  pour  lui  seul  le  cœur  du  reli- 
gieux? Ce  cœur  est  trop  vaste  pour  le  monde  ;  puisque 
le  monde  avec  ses  richesses,  ses  plaisirs  et  ses  honneurs, 
est  incapable  de  le  remplir.  Sur  la  terre,  le  religieux  se 
meut  dans  la  grâce,  comme  l'élu  au  ciel  se  baigne  dans 
la  gloire.  Délivré,  par  ses  vœux,  des  entraves  de  cette 
terre,  il  se  possède  tout  entier  pour  le  service  de  Dieu  : 
éclairé  par  une  règle  sage  et  prévoyante  qui  précise 
toutes  les  volontés  divines  sur  lui,  éclaire  chacun  de  ses 
pas,  lucerna  pedibus  meis,  sollicité  par  l'exemple  et  par 
les  influences  salutaires  qui  l'entourent,  il  est  conduit 
presque  infailliblement  au  salut. 

Si,  aux  yeux  des  hommes,  l'homme  entré  dans  le 
monde  par  la  porte  de  la  richesse  n'a  qu'à  se  laisser 
vivre  pour  être  heureux  ;  aux  regards  de  la  foi,  le  reli- 
gieux n'a  qu'à  se  laisser  conduire  pour  être  un  saint. 

La  vie  religieuse  a  ses  épreuves  et  ses  sacrifices.  L'olive, 
avant  d'être  utilisée  si  agréablement  dans  nos  usages, 
avant  de  brûler  dans  les  lampes  de  nos  sanctuaires,  avant 
d'être  employée  dans  nos  consécrations  liturgiques  et 
de  devenir  la  matière  de  nos  sacrements,  a  dû  perdre  sa 


—  308  — 

forme,  être  broyée  sous  le  pressoir  ;  l'âme  religieuse, 
pour  être  transformée  et  divinisée  par  la  grâce,  doit  être 
mise  au  pressoir  de  l'immolation  et  de  la  souffrance. 
Mais  les  aspérités  du  sacrifice,  loin  de  tarir  les  consola- 
tions dans  un  cœur  généreux,  sont  l'une  des  sources  de 
ses  joies  les  plus  pures.  Quel  religieux  fut  jamais  plus 
agréablement  ému  que  le  jour  où,  acceptant  un  sacrifice 
qui  brisait  son  cœur,  il  sentit  qu'il  donnait  à  Dieu  quelque 
chose  de  lui-même,  et  qu'il  prenait  ainsi,  sur  sa  cou- 
ronne éternelle,  une  créance  qui  ne  serait  jamais  pro- 
testée ! 

C'est  la  vision  de  ces  incomparables  avantages  qui 
arrachait  à  l'un  des  derniers  docteurs  de  l'Église,  à  un 
saint,  ces  réconfortantes  paroles  :  «  La  vie  religieuse  a 
donné  à  l'Église,  si  nous  exceptons  les  martyrs,  les  trois 
quarts  des  saints  de  son  martyrologe.  »  Est-il  possible 
de  passer  en  religion  toute  sa  vie  et  de  ne  point  sauver 
son  âme  ?  «  Dieu  ne  se  doit-il  pas,  au  ciel,  tout  entier  au 
cœur  qui  s'est  donné  à  lui  tout  entier  sur  la  terre?  » 
C'est  cette  considération  profonde  qui  faisait  couler  les 
larmes  du  jeune  Nivard,  quand  il  vitBernard  et  ses  autres 
frères  lui  abandonner  leur  riche  héritage  et  prendre  le 
chemin  du  désert.  Ils  choisissaient  le  ciel  et  lui  laissaient 
la  terre.  C'est  à  ce  souvenir  que  sainte  Catherine  de 
Gênes  baisait  plusieurs  fois  par  jour,  avec  reconnais- 
sance, les  pans  de  son  habit  religieux  et  les  murailles  de 
sa  cellule.  C'est  ce  sentiment  qui  a  enivré  de  joie  tant 
de  nobles  cœurs,  qui  a  su  inspirer  des  chants  si  élevés  et 
si  émus  à  la  reconnaissance  et  à  l'enthousiasme  de  tous 
les  siècles. 

Ce  bonheur,  mes  vénérés  Pères,  est  le  vôtre  depuis 
cinquante  ans.  Il  a  pour  vous,  aujourd'hui,  une  saveur 
exquise  qu'il  n'eut  jamais.  Cinquante  ans  de  vie  reli- 
gieuse ;  cent  ans,  pourrais-je  dire,  puisque  vous  mettez 


—  306  — 

tout  en  commun,  à  cette  heure  ;  un  siècle  d'obéissftiico, 
de  régularité  et  de  sacrifices  ;  un  siècle  de  grâces,  de 
tendresses  et  de  bénédictions  divines,  quelle  douce  et 
enivrante  pensée  pour  vos  âmes!  Quel  réconfort  en  face 
de  cette  éternité  qui  épouvante  l'impie  et  déconcerte  le 
juste!  Oh!  laissez  vos  coeurs  s'ouvrir  pleinement  à  cette 
joie  sainte  et  forte  qui  arrache  de  vos  yeux  dos  larmes 
si  douces!  Ce  jour  que  nous  fêtons  avec  vous,  mes  véné- 
rés Pères,  dans  la  reconnaissance  et  l'allégresse,  n'est 
pas  un  jour  de  la  terre  ;  il  a  duré  cin(|uante  ans  ;  dans 
son  éternelle  prédilection,  le  Seigneur  l'a  fait  exprès  pour 
vous  :  Hxc  dies  qiiam  fecil  Dominus  exuUeinus  et  Icetemur 
in  ea. 

Il 

Laissez-moi,  maintenant,  vous  dire  un  mot  de  la  di- 
gnité auguste  qui  fait,  en  ce  jour,  la  seconde  source  de 
vos  joies  et  de  nos  réjouissances.  Depuis  cinquante  ans, 
vous  portez  au  front  la  couronne  royale  du  sacerdoce,  et 
les  œuvres  accomplies  durant  ce  demi-siècle  par  vos 
mains  consacrées  forment  pour  vous,  devant  Dieu,  un 
patrimoine  magnifique  de  gloire  et  de  mérites.  Je  ne 
vous  parlerai  point  de  la  nature  intime  de  la  dignité  sa- 
cerdotale. La  science  des  saints  Pères  hésite  elle-même 
pour  en  préciser  le  caractère  :  An  hiimana  vel  divùia  sit 
sacerdotis  dignitas,  dicere  non  audeo  (saint  Jean  Chrysos- 
tome).  Vous  l'avez,  au  reste,  si  longtemps  méditée,  que 
mes  pauvres  paroles  ne  s'élèveraient  jamais  à  la  hauteur 
de  votre  estime. 

Le  sacerdoce  est  une  projection  intense  sur  le  prêtre 
des  rayons  divins  de  Jésus-Christ.  Par  la  mission  sublime 
qu'il  confère,  par  les  pouvoirs  immenses  dont  il  investit, 
le  sacerdoce  fait  arriver  l'homme  jusqu'à  une  quasi-iden- 
tification avec  Dieu.  «  Comme  mon  Père  céleste  m'a  en- 


—  307  — 

voyé,  je  vous  envoie  ;  vous  annoncerez  le  même  évan- 
gile ;  vous  détiendrez  les  mêmes  pouvoirs  ;  vous  opérerez, 
sur  les  âmes,  les  mêmes  prodiges.  Le  respect  qui  m'est 
dû  vous  sera  dû  ;  celui  qui  vous  écoutera  m'écoutera,  et 
celui  qui  vous  méprisera  me  méprisera  :  Qui  vos  audit 
me  audit  ;  qui  vos  spernit  me  spernit.  » 

Notre-Seigneur  était  grand  au  milieu  des  hommes,  il 
dominait  incomparablement  les  créatures  par  ses  per- 
fections et  par  sa  puissance  ;  le  prêtre,  qui  le  représente 
et  qui  est  le  dépositaire  de  tous  ses  trésors,  incarne, 
après  lui,  dans  ce  monde,  la  plus  haute  des  dignités  ter- 
restres. Que  la  patrologie  chrétienne,  avec  sa  voix  presque 
inspirée,  le  proclame  un  autre  Christ  :  Sacerdos  aller 
Christus  ;  que  les  docteurs  et  les  génies  catholiques 
l'exaltent  dans  leurs  œuvres  ;  que  les  empereurs  et  les 
rois  déposent  à  ses  pieds  leur  couronne,  le  sacerdoce  ne 
recevra  jamais  d'aucune  puissance  humaine  les  honneurs 
qui  lui  sont  dus.  Permettez-moi  de  grouper  quelques- 
unes  de  ses  grandeurs  sous  les  dénominations  que  le 
langage  chrétien  lui  consacre. 

On  l'appelle  pontife  {pons  factus).  Il  est  un  pont  mer- 
veilleux jeté  entre  l'infini  et  le  fini,  reliant  Dieu  et 
l'homme,  la  rive  du  temps  et  celle  de  l'éternité,  la  terre 
et  le  ciel,  l'extrême  pauvreté  et  l'extrême  richesse,  la 
haine  et  l'amour.  La  science  et  l'art  jettent  de  nos  jours, 
sur  nos  larges  fleuves  et  sur  le  vide  effrayant  qui  sépare 
nos  montagnes,  des  traits  d'union  de  fer  ou  de  pierre 
qui  épouvantent  notre  imagination,  autant  par  leur  har- 
diesse que  par  leur  masse.  Ils  élèvent  vers  le  ciel  des 
travaux  dont  la  hauteur  déconcerte  nos  regards  ;  mais 
jamais,  quels  que  soient  les  progrès  qu'ils  réalisent,  ni 
la  science  ni  l'art  réunis  ne  déposséderont  le  prêtre  de 
son  titre  de  pontife,  car  jamais  ils  ne  fourniront  à 
l'homme  le  moyen  infaillible  d'aller  de  la  terre  au  ciel  ; 


—  308  — 

dépasser,  par-dessus  la  mort,  de  l'exil  dans  la  patrie;  et 
le  prêtre,  jusqu'à  la  dernière  heure  du  monde,  reliera 
la  créature  au  Créateur,  et  seul,  avec  une  absolution  et 
un  signe  de  croix,  il  jettera  dans  le  sein  de  Dieu  l'âme 
qui  se  détache  du  corps  et  va  tomber,  en  un  clin  d'oeil, 
dans  les  abîmes  insondables  de  l'éternité. 

0  pontifes  de  Jésus-Chiist,  combien  d'âmes,  pendant 
ces  cinquante  années  d'activité  sacerdotale,  sont  entrées 
au  ciel  par  les  arches  de  vos  pouvoirs,  et  vous  applau- 
dissent, à  cette  heure,  dans  l'ivresse  de  leur  bonheur  ! 

La  langue  latine  appelle  le  prêtre  sacer dos,  sacra  dans, 
«  distributeur  de  dons  augustes  ». 

En  parcourant  l'histoire  des  peuples,  notre  âme  s'ar- 
rête avec  admiration  devant  ces  nobles  cœurs  qui  se 
détachent  sur  l'égoïsme  général  de  l'humanité,  comme 
une  oasis  verdoyante  sur  les  sables  désolés  du  désert. 
Répandre  sur  la  souffrance  leur  dévouement  et  leurs 
bienfaits  était  toute  leur  vie  ;  leur  générosité  n'avait 
d'autres  bornes  que  celles  de  leurs  forces  et  de  leurs 
richesses  ;  la  reconnaissance  publique  les  a  nommés  les 
pères  des  peuples,  les  bienfaiteurs  de  l humanité,  la  joie  de 
la  terre.  Eh  bien,  jamais  une  main  plus  riche  et  plus  li- 
bérale que  celle  du  prêtre  ne  s'ouvrit  sur  les  besoins  des 
hommes.  Élevé  jusqu'au  ciel  par  ses  pouvoirs,  le  prêtre 
plonge  sa  main  dans  les  trésors  de  Dieu  ;  il  répand  sur 
la  terre  les  semences  des  richesses  éternelles.  Des  sacre- 
ments qu'il  administre  découle  ce  sang  rédempteur  dont 
chaque  goutte  vaut  plus  que  le  monde.  Le  sacerdoce 
fortifie  les  âmes,  console  les  cœurs  par  des  espérances 
souveraines  :  en  un  mot,  il  distribue  sur  la  terre  les  bil- 
lets d'entrée  pour  le  ciel. 

Enfin,  le  prêtre  est,  auprès  des  hommes,  le  représen- 
tant et  l'ambassadeur  de  Dieu. 

Le  règlement  des  rapports  des  peuples  entre  eux  a 


—  309  — 

prévu  une  place  honorable  pour  le  représentant  d'une 
nation  étrangère.  Cet  homme  n'est,  de  par  lui,  qu'un 
simple  mortel;  mais  la  nation  qu'il  représente  lui  confie 
tout  son  honneur.  Elle  exige  pour  lui  le  respect  qu'elle 
réclame  pour  elle-même;  elle  a  les  yeux  fixés  sur  sa 
personne,  et  sa  dignité  lui  impose  le  rigoureux  devoir 
de  venger  les  outrages  faits  à  son  ambassadeur  ou  à  son 
drapeau  comme  des  outrages  directs  qu'elle  a  reçus. 

Le  Fils  de  Dieu  s'est  choisi  le  prêtre  comme  ambassa- 
deur sur  la  terre  ;  il  lui  a  donné  la  croix  pour  drapeau  ; 
il  lui  a  confié  ses  intérêts  et  sa  gloire.  L'honneur  dont  il 
veut  qu'on  l'entoure  n'est  pas  différent  de  celui  qu'il  ré- 
clame pour  lui-même,  et  s'il  a  toute  l'éternité  pour 
venger  les  outrages  reçus  dans  la  personne  de  son  mi- 
nistre, il  sait,  quand  il  le  veut,  frapper  impitoyablement 
les  familles  qui  ne  savent  plus  respecter  le  prêtre,  et 
atteindre  dans  leurs  gloires  et  dans  leurs  destinées  les 
nations  qui  persécutent  le  sacerdoce.  Jeté  dans  le  fleuve 
des  siècles,  au  milieu  des  passions  humaines,  le  sacer- 
doce de  Jésus-Christ  n'a  rien  perdu  ni  de  sa  vitalité,  ni 
de  sa  force.  Il  n'a  pas  été  atteint  par  le  glaive;  il  n'a  été 
altéré  ni  par  les  superstitions  du  paganisme,  ni  par  les 
infiltrations  plus  corrosives  encore  de  la  philosophie  :  le 
scepticisme  n'a  point  dénaturé  son  caractère.  Dans  notre 
siècle  où  les  passions  humaines  mal  contenues  par  les 
pouvoirs  publics  secouent  profondément  toute  autorité 
et  toute  grandeur  sociale,  le  sacerdoce  demeure  iné- 
branlable, comme  Jésus-Christ,  son  piédestal.  Les  bons 
s'inclinent  avec  respect  devant  lui  ;  les  méchants,  en  le 
poursuivant  de  leur  haine  et  de  leurs  attaques  déloyales, 
proclament,  plus  éloquemment  peut-être  que  les  pre- 
miers, son  rôle  divin  et  sa  perpétuelle  vitalité,  car,  dans 
ce  monde,  l'on  ne  s'attaque  jamais  à  un  être  faible  et 
sans  défense.  Sur  les  flots  courroucés  de  la  haine  tom- 


—  310  — 

bant  à  ses  pieds,  brisés  et  impuissants,  le  sacerdoce  peut 
jeter  sans  crainte  ces  paroles  du  prophète  :  «  Pourquoi 
cette  rage  des  peuples,  pourquoi  ces  complots  inutiles, 
puisque  je  dois  vivre  autant  que  le  monde?  [Quare  fre- 
muerunt  gentes  et  populi  meditati  sunt  inania?)  » 

La  victoire  couronne  ses  héros  ;  le  génie,  ses  grands 
hommes.  Jésus-Christ,  mes  vénérés  Pères,  a  fait  passer 
de  son  front  sur  votre  tête  la  couronne  royale  de  son 
sacerdoce. Vous  l'avez  portée  dignement  un  demi-siècle; 
elle  vous  a  fait  roi  des  âmes.  Près  de  dix-huit  mille  fois, 
debout  cà  l'autel  entre  le  ciel  et  la  terre,  vous  avez  offert 
à  Dieu  le  plus  auguste  et  le  plus  efficace  des  sacrifices  ; 
près  de  cent  mille  fois,  vous  avez  donné  aux  âmes  les 
deux  plus  grands  trésors  de  ce  monde,  le  pardon  de  Dieu 
et  le  corps  de  Jésus-Christ.  Quel  titre  à  notre  vénéra- 
tion !  Quelle  gerbe  étincelante,  quelle  riche  moisson, 
vos  mains  pourront-elles  présenter  au  Roi  immortel  des 
siècles,  le  jour  de  votre  appel  à  la  récompense  1 

Vous  avez  honoré  le  sacerdoce  par  vos  travaux  et  par 
vos  vertus  ;  le  sacerdoce,  à  son  tour,  vous  honore  au- 
jourd'hui par  une  pompe  et  par  un  éclat  que  cette  église 
a  rarement  connus,  par  la  présence  de  ce  nombreux  et 
cher  clergé  qui  vous  entoure;  il  vous  honore  parla  fra- 
ternelle affection  de  tous  les  membres  de  votre  famille 
religieuse  que  j'ai  l'agréable  mission  de  vous  exprimer, 
par  les  bénédictions  de  notre  vénéré  et  bien-aimé  Père 
général,  si  dignement  et  si  providentiellement  repré- 
senté dans  cette  touchante  fête. 

Puisqu'il  ne  m'est  pas  permis  de  vous  adresser  des 
éloges,  laissez-moi,  en  terminant,  vous  offrir  les  souhaits 
qui  m'arrivent  de  tous  les  cœurs.  Les  derniers  fruits  de 
l'olivier  sont  toujours  les  plus  beaux  et  les  meilleurs  ; 
l'œil  du  passant  les  contemple  avec  plaisir  sur  leurs 
branches  inchnées.  Chers  oliviers  du  Seigneur,  gardez 


—  311  — 

longtemps  encore  les  fruits  de  vos  rameaux  ;  qu'ils  mû- 
rissent de  plus  en  plus  au  soleil  de  la  piété  et  de  l'amour 
de  Dieu  ;  qu'ils  réjouissent  de  longues  années  nos  re- 
gards et  notre  cœur  ;  qu'ils  ajoutent  encore  au  riche  pa- 
trimoine de  sainteté  de  ce  couvent. 

Candélabres  précieuX;,  brûlez  encore  de  longs  jours, 
par  votre  ferveur  et  par  votre  prière,  sur  les  autels  de  la 
vie  religieuse.  Éclairez  dans  le  sanctuaire  les  pas  de  vos 
frères  plus  jeunes,  désireux  de  copier  vos  vertus. 

Que  ce  soir  le  soleil  n'emporte  point,  par  delà  l'ho- 
rizon, les  joies  de  ce  beau  jour  :  qu'il  soit  suivi  de  nom- 
breux lendemains;  qu'il  soit  un  avant-goût  de  celte  fête 
éternelle  que  nous  célébrerons  tous  au  ciel,  dans  les 
joies  enivrantes  de  Dieu  et  sous  le  regard  de  Marie,  la 
reine  du  clergé  et  la  douce  mère  des  Oblats. 

Ainsi  soit-il. 

A  l'offertoire  et  à  l'élévation,  le  R.  P.  Stéfanini,  qui 
tenait  les  orgues,  nous  a  fait  entendre  deux  morceaux 
bien  choisis  pour  la  circonstance,  et  chantés  avec  l'âme 
et  la  perfection  qu'il  sait  mettre  dans  ces  occasions. 

Mais  voici  l'heure  des  agapes  fraternelles  :  entrons 
donc  dans  la  salle  du  festin,  ornée  avec  goût  pour  la  cir- 
constance. La  table  surtout  présente  un  coup  d'œil 
charmant.  Le  R.  P.  Albertini  y  a  mis  tout  son  zèle  et 
ses  capacités  ;  et  le  jardin  du  couvent,  ses  plus  belles 
fleurs. 

Qu'elle  est  belle  cette  couronne  de  quarante  prêtres, 
réunis  dans  les  mêmes  sentiments  de  joie  et  de  sympa- 
thie ;  faisant  éclater,  d'une  manière  saisissante,  l'union 
vraie,  intime,  la  bonne  entente,  l'harmonie  parfaite  qui 
existe  entre  le  clergé  séculier  et  régulier,  et  la  grande 
part  que  tous  ces  prêtres  des  paroisses  environnantes 
prennent  à  nos  joies  de  famille  ! 


—  312  — 

Enfin  l'heure  des  épanchements  est  arrivée  :  le  dîner 
touche  à  sa  fin;  tout  le  monde  est  dans  l'attente.  On 
sait,  l'on  devine  que  le  R.  P.  Assistant  général,  que  le 
président  de  la  fête  va  faire  entendre  quelques  bonnes 
paroles,  et  l'on  soupire  après  le  moment  de  l'entendre; 
et,  en  effet,  le  R.  P.  Augier  se  lève  ;  toutes  les  voix  se 
taisent  comme  par  enchantement,  de  même  que  tous  les 
regards  et  les  cœurs  se  tournent  vers  lui. 

On  peut  se  demander  s'il  est  possible  d'allier  plus 
d'à-propos  à  plus  de  délicatesse,  plus  d'aisance  à  plus  de 
distinction  ;  nous  étions  tous  sous  le  charme  de  l'admi- 
ration. Chacune  de  ses  phrases,  de  ses  allusions  fines, 
des  souvenirs  rappelés,  était  souHgnée  par  de  chaleu- 
reux applaudissements.  Les  gloires  antiques  de  la  mai- 
son de  Vico,  ses  gloires  actuelles  dans  la  personne  des 
deux  héros  de  la  fête,  les  liens  de  l'amitié,  les  marques 
d'amabilité  du  clergé  présent,  les  devoirs  de  la  recon- 
naissance, rien  n'a  été  oublié,  tout  a  été  dit  dans  cette 
heureuse  inspiration.  Pourquoi  faut-il  que  ce  discours  si 
remarquable  n'ait  pas  été  écrit  ou  recueilli  par  la  sténo- 
graphie? A  bon  droit,  la  Congrégation  pourra  regretter 
que  ce  petit  chef-d'œuvre  n'ait  pas  été  conservé  ;  vraie 
perle,  parmi  tous  ceux  qui  ont  été  prononcés.  L'effet 
produit  fut  tel,  que  M.  le  chanoine  Paoli,  curé-doyen  de 
Vico,  qui  devait  prendre  la  parole  après  le  président, 
s'excusa,  n'osa  plus  se  lever.  «  Après  un  tel  discours, 
dit-il,  il  n'y  a  plus  qu'à  se  taire  ;  il  n'y  a  plus  lieu  de 
parler.  » 

Cependant,  sur  nos  instances,  il  lui  fallut  bien  s'exé- 
cuter. 

Messieurs  et  vénérés  Coinfrères, 
Vous  trouvez  sans  doute  que  je  suis  très  hardi  de 
parler  après  le  révérend  Père  Assistant,  chez  qui  on  ne 


—  313  -- 

sait  ce  qu'il  faut  le  plus  admirer  de  la  parole  saisissante 
et  rapide,  qui  coule  de  ses  lèvres  comme  des  flots  de 
miel,  ou  des  pensées  touchantes  et  affectueuses  qui  ra- 
vivent et  vont  au  cœur;  je  devrais  me  tenir  tranquille  à 
mon  poste,  et  jamais  il  n'aurait  été  plus  vrai  de  dire  que 
le  silence  est  d'or  ;  néanmoins,  je  ferai  violence  à  mon 
amour-propre,  pour  adresser  tant  bien  que  mal  deux 
mots  à  nos  chers  et  vénérables  jubilaires,  qui  nous  pro- 
curent aujourd'hui  le  plaisir  et  le  bonheur  devoir  réunis 
dans  cette  enceinte,  je  ne  dirai  pas  seulement  le  clergé 
du  canton  et  d'une  partie  de  la  province,  mais  qui  nous 
procurent  aussi  l'honneur  d'avoir  au  milieu  de  nous 
l'élite  de  cette  brillante  famille  des  Oblats  de  Marie. 

Nous  saluons  le  révérend  Père  Assistant,  qui  n'a  pas 
hésité  à  interrompre  ses  pénibles,  mais  doux  labeurs, 
aGn  de  rehausser  par  sa  présence  la  solennité  de  cette 
fête  ;  nous  saluons  le  digne  et  sympathique  chef  de 
notre  séminaire,  qui  sait  si  bien  partager  son  zèle  et  ses 
talents  entre  la  direction  des  jeunes  lévites  et  l'adminis- 
tration du  diocèse  ;  nous  saluons  ces  savants  professeurs 
de  Fréjus  et  d'Ajaccio,  dont  l'heureuse  influence  arrive 
dans  nos  paroisses  par  les  jeunes  abbés  qu'ils  forment 
selon  leur  cœur  et  selon  le  cœur  de  Dieu;  nous  saluons 
le  révérend  Père  Fayette  qui,  en  jetant  dans  ses  cartons 
les  beaux  sites  du  couvent  et  de  la  délicieuse  vallée  de 
Vico,  y  réservera  une  place  pour  y  consigner  l'hommage 
de  notre  estime  et  de  notre  sympathie  ;  nous  saluons, 
enfin,  les  révérends  Pères  de  Nice,  devenus  nos  amis, 
depuis  qu'ils  nous  cédèrent,  pour  quelques  jours,  un  de 
leurs  apôtres,  dont  le  souvenir  sera  toujours  cher  aux 
habitants  de  Vico. 

Père  Tamburini,  Père  Zirio,  nous  vous  devons  cet  hon- 
neur, et  nous  vous  en  sommes  reconnaissants  ;  c'est  le 
glorieux  couronnement  de  vos  cinquante  années  de  sa- 


—  314.  — 

cerdoce  passées  en  faisant  le  bien  ;  si  nous  vivions  dans 
un  certain  monde,  dans  un  monde  où  l'on  décerne  des 
récompenses  même  ici-bas,  nous  nous  empresserions  de 
suspendre  sur  votre  poitrine  la  croix  des  héros,  qui  déjà 
fait  la  gloire  de  l'un  d'entre  vous  ;  mais  la  croix  que  vous 
aimez  n'est  point  celle  qui  brille;  c'est  la  croix  de  l'ou- 
bli, la  croix  du  labeur,  la  croix  des  souffrances;  c'est  la 
croix  du  salut  ;  cette  croix,  nous  aimons  à  la  saluer  sur 
votre  vénérable  poitrine;  elle  y  brille  de  tout  l'éclat  des 
bonnes  œuvres  et  des  vertus.  Nous  faisons  des  vœux  pour 
que  la  Providence  nous  favorise  longtemps  du  bienfait 
de  vos  vertus  ;  pour  qu'elle  vous  conserve  encore  de 
longues  années  à  notre  respect,  à  notre  vénération,  à 
notre  amour. 

J.-J.  Paoli. 

De  chaleureux  applaudissements  dirent  au  vénéré 
doyen  qu'on  lui  était  reconnaissant  de  ses  bonnes  pa- 
roles; qu'elles  avaient  trouvé  la  clef  des  cœurs. 

A  son  tour,  M.  Mattei,  curé  de  Ghigliani,  ancien  élève 
du  couvent,  demande  la  permission  d'exalter  à  nouveau 
les  joies  et  les  gloires  de  nos  deux  jubilaires. 

Messieurs, 

Cinquante  ans  de  sacerdoce  et  cinquante  ans  de  pro- 
fession religieuse,  c'est  bien  beau  !  Voilà  pourtant  la 
rude  étape  parcourue  par  les  deux  héros  de  cette  fête; 
voilà  pourtant  la  rude  et  glorieuse  couronne  qui  brille 
sur  leur  front.  Or,  pour  chanter  un  bienfait  départi  seu- 
lement à  quelques  rares  ouvriers  de  l'apostolat  chré- 
tien, ne  pourrais-je  pas  m'écrier  avec  le  Roi-Prophète  : 
Hxc  dies  quam  fecit  Dominus  exultemus  et  Isetemurin  eu? 
Ah!  oui,  vénérables  jubilaires,  ce  jour  doit  être  un  jour 
de  joie,  car  c'est  un  jour  vraiment  fait  par  le  Seigneur, 


—  315  — 

un  jour  vraiment  privilégié,  et  la  présence  de  votre  va- 
leureux Assistant  général  et  de  si  dignes  confrères,  venus 
de  loin  pour  fêter  votre  jubilé  sacerdotal,  me  le  dit  hau- 
tement. A  l'unisson  donc  de  tous  ces  chers  et  bons  reli- 
gieux, nous  aussi,  membres  du  clergé  séculier  étroite- 
ment unis  à  vous  par  les  doux  liens  de  l'amitié  et  de  la 
reconnaissance,  nous  voulons,  en  ce  jour,  nous  livrera 
la  joie,  et  nous  nous  réjouissons,  ô  vénérables  jubilaires, 
parce  que  vous  avez  gravi  la  colline  si  accidentée  de  la 
vie  religieuse,  sans  défaillances,  sans  jamais  regarder 
derrière  vous,  sans  jamais  vous  laisser  arrêter  par  le 
choc  de  lâches  défections  trop  fréquentes,  hélas  !  de  nos 
jours.  Et  comme  les  apôtres,  vous  aussi  qu'on  a  toujours 
trouvés  au  poste  d'honneur  les  armes  à  la  main,  même 
à  ces  heures  de  découragement  général  où  de  terribles 
épidémies  jonchaient  la  terre  de  cadavres,  vous  avez 
tenu  haut  et  ferme  le  drapeau  de  notre  sainte  religion, 
exaltant  partout  la  vertu,  flétrissant  partout  le  vice  et 
répandant  partout  de  salutaires  et  consolants  bienfaits 
que  votre  grande  humilité  me  commande  de  tenir  ca- 
chés sous  le  voile  du  silence.  Toutefois,  souffrez  que  je 
le  dise,  ô  vénérables  jubilaires,  votre  ministère,  qui  a 
été  fécond  en  fruits  de  salut,  fait  honneur  à  la  Congré- 
gation des  Oblats  de  Marie,  à  cette  congrégation  qui, 
quoique  jeune  encore,  compte  déjà  sous  toutes  les  lati- 
tudes de  nombreux  enfants,  au  cœur  généreux  et  brillant 
toujours  aux  premiers  rangs  dans  nos  luttes  religieuses  ; 
à  cette  congrégation  de  tous  les  dévouements  et  que  le 
grand  évêque  Casanelli,  rare  appréciateur  des  hommes 
et  des  choses,  s'empressa  d'appeler  dans  son  diocèse  dès 
la  première  heure  de  son  glorieux  épiscopat,  pour  lui 
confier  et  la  direction  de  son  grand  séminaire  et  la  garde 
de  son  pays  natal. 
Enfin,  nous  nous  réjouissons,  ô  vénérables  jubilaires, 


~  316  — 

parce  que  la  divine  Providence  (il  nous  est  si  doux  de 
l'espérer!)  vous  ménagera  une  halte  prolongée  sur  le 
sommet  de  la  colline  que  vous  venez  d'atteindre.  Et,  de 
là,  contemplant  avec  une  légitime  fierté  le  chemin  que 
vous  avez  parcouru,  chemin  tout  arrosé  de  sueurs,  mais 
aussi  tout  émaillé  d'œuvres  méritoires,  vous  le  montre- 
rez à  vos  neveux  dans  le  sacerdoce,  et  ce  sera  pour  nous 
un  ferme  soutien  et  un  puissant  encouragement  à  nous 
soutenir  toujours  dans  la  voie  du  devoir. 

Il  est  vrai,  un  demi-siècle  passé  dans  les  pénibles  la- 
beurs de  la  prédication  évangélique  vous  donne  bien 
droit  à  la  récompense  des  vaillants;  mais,  pour  notre 
grande  consolation  et  pour  qu'un  nouveau  fleuron  vienne 
enrichir  votre  couronne  déjà  si  belle,  nous  demande- 
rons au  Ciel,  ô  vénérables  jubilaires,  que,  pour  vous,  elle 
soit  lente,  très  lente,  la  descente  de  l'autre  versant  de 
la  colline  par  vous  si  courageusement  gagnée,  et  au  fond 
duquel  se  trouve,  pour  les  braves,  le  champ  du  repos, 
du  bonheur,  de  l'éternelle  félicité.  Aussi  notre  cœur,  en 
ce  jour,  ô  nobles  vétérans,  ô  dignes  fils  de  l'éminent  et 
saint  prélat,  M^''  de  Mazenod,  nom  vénéré  que  je  salue 
avec  respect  en  passant  et  qui  symbolise  foi,  charité  et 
patriotisme,  oui,  notre  cœur,  en  ce  jour,  ô  bien-aimés 
jubilaires,  vous  souhaite  de  longues  années  de  vie  en- 
core, c'est-à-dire  la  longévité  des  anciens  patriarches, 
mais  une  longévité  toujours  fortement  doublée  et  de  la 
vigueur,  et  de  l'intelligence,  et  de  la  lucidité  d'esprit  des 
jeunes  lévites  de  trente  ans.  Ad  multos  annosf 

iMattei, 
Curé  de  Chigliaui. 

Et  comme,  dans  ce  discours,  l'orateur  avait  eu  l'excel- 
lente pensée  de  rappeler  le  souvenir  de  M^""  Gasanelh 
d'Istria,  insigne  bienfaiteur  du  couvent,  le  11.  P.  Visiteur 


—  317  — 

prend  occasion  de  cette  bonne  pensée  pour  féliciter 
l'orateur  et  recommencer  un  nouveau  discours  non 
moins  admiré  que  le  premier. 

A  la  poésie  de  payer,  elle  aussi,  son  juste  tribut 
d'éloges  à  nos  deux  vétérans.  M.  Filippini,  curé  de  Le- 
tia,  a  mis  tout  son  talent  de  poète  et  de  littérateur  pour 
nous  redire,  dans  la  langue  harmonieuse  du  Dante  et 
de  Pétrarque,  les  exploits  et  les  vertus  de  nos  deux  vail- 
lants. Son  ode,  en  dix  strophes,  mériterait,  à  bon  droit, 
les  honneurs  de  l'impression. 

On  le  sent,  la  fête  ne  serait  pas  complète,  si  la  note 
joyeuse  faisait  absolument  défaut. 

L'aimable  P.  Ortolan  ne  s'est  pas  fait  prier  deux  fois 
pour  donner  essor  à  sa  verve  féconde,  et  compose,  en 
quelques  instants,  un  charmant  dialogue  sério-comique, 
que  le  R.  P.  Stéfanini  se  charge  d'interpréter  artiste- 
ment,  en  le  chantant  sur  l'air  connu  :  Je  veux  chanter  le 
fils  du  roi  Jérôme... 

Chaque  couplet,  comme  on  le  pense  bien,  déride  tous 
les  fronts,  amène  le  bon  et  franc  rire  et  provoque  les 
plus  chaleureux  applaudissements.  Nous  nous  en  vou- 
drions de  ne  pas  reproduire,  au  moins  en  partie,  cet 
amusant  dialogue  : 

Aux  Révérends  Pères  Tamburini  et  Zirio 
Pour  leurs  noces  d'or  sacerdotales.  \Q  juillet  1896. 

DIALOGUE   SÉRIO-COMIQUE 

ENTRE   NARCISSE   LE   SCRUPULEUX   ET   LE   GRAVE   NESTOR. 

NARCISSE. 
I 

Décidément,  quelle  est  donc  cette  fête? 
Le  cloître  aimé  n'est  plus  silencieux. 
Dans  le  couvent  chacun  perd-il  la  tête  ? 
J'entends  crier  les  jeunes  et  les  vieux. 
T.  ^xxv.  22 


-  318  — 

J"excuserai3  la  folâtre  jeunesse. 

Pas  de  soucis  pour  qui  n'a  cheveux  blancs. 

Mais  des  anciens  que  devient  là  sagesse  ? 

0  temporal  Quelles  mœurs  et  quel  temps  !  (bii). 

II 

Ce  a'est  pas  tout  ;  passe  pour  le  silence, 

Car  rire  un  peu  n'est  pas  un  grand  péché  ; 

Mais  qui  voudrait  pratiquer  l'abstinence 

En  ce  moment  serait  fort  empêché. 

Notre  économe  a  surchargé  la  table 

De  mets  nombreux,  dorés,  appétissants  ; 

Comment  jeûner  sans  se  rendre  coupable? 

0  tempora  I  Quelles  mœurs  et  quels  temps  !  {bis). 


On  vous  dirait  invités  à  la  noce... 

Gieux  immortels!...  où  trouver  le  bon  sens?... 

Je  fuis  d'ici  ;  je  vais  creuser  ma  fosse  ! 

0  tempora  !  Quelles  mœurs  et  quel  temps  !  (bis), 

NESTOR. 

VI 

Peste  !  grincheux,  le  bruit  des  casseroles 
A  détraqué  votre  pauvre  cerveau  ! 
Pour  un  instant,  écoutez  mes  paroles 
Avant  d'aller  creuser  votre  tombeau. 
Sachez-le  bien,  c'est  Dieu  qui  nous  rassemble. 
Restez  ici,  croyez-moi,  n'ayez  peur  ; 
Est-ce  un  forfait  de  vouloir  tous  ensemble 
Fêter  uli  peu  deux  soldats  du  Seigneur  ? 

VII 

Vous  nous  croyez  invités  à  la  noce... 
Oui  !  mais  voyez,  ce  sont  des  noces  d'or. 
Si  pour  cela,  rageur  comme  un  molosse, 
Vous  aboyez,  mon  cher,  vous  avez  tort. 
Un  demi-siècle  a  passé  sur  le  monde 
Depuis  le  jour  où,  ravis  de  bonheur, 
Nos  deux  héros,  dans  une  paix  profonde^ 
Ont  à  l'autel  immolé  le  Seigneur  1 


—  319  — 

VIII 

Quoi  !  chacun  d'eux  a  célébré  la  messe, 
En  cinquante  ans,  près  de  vingt  mille  foi;;, 
Et  vous  trouvez  mauvais  que  l'allégresse 
Fasse  une  brèche  à  nos  austères  lois  ? 
Nous  honorons  leurs  mains  sacerdotales; 
De  leur  pouvoir  rien  ne  vaut  la  grandeur  I 
Laissons  aux  rois  les  dignités  royales  ; 
Plus  élevés  sont  les  oints  du  Seigneur!... 

IX 
Fils  d'Oletta,  l'un  naquit  dans  cette  île 
Oîi  vit  le  jour  le  grand  Napoléon  ; 
Cet  empereur  n"eut  qu'un  sceptre  fragile, 
Lui,  maintes  fois,  terrassa  le  démon. 
Si  vous  pouvez,  compioz  en  Angleterre, 
Comptez  en  France,  en  Italie,  ailleurs, 
Tous  les  combats  qu'il  livra  sur  la  terre, 
Tous  les  élus  qu'il  acquit  au  Seigneur  ! 

X 

Tamburini  (c'est  sou  nom),  grand  poêle, 
Rival  du  Dante,  en  vers  harmonieux, 
A.  fait  des  chants  que  la  Corse  répète  : 
On  les  dirait  inspirés  par  les  deux. 
Pendant  six  ans  il  habita  dans  Rome, 
Puis  redevint  apôtre  et  professeur, 
Enfin  curé  de  Nesa,  le  cher  homme 
Ne  cesse  point  de  prêcher  le  Seigneur. 

XI 
Vif,  autrefois,  infatigable,  agile, 
Il  fut  toujours  des  premiers  au  devoir  ; 
Quoique  marcher  lui  soit  plus  difficile, 
D'agir  encor  il  ne  perd  pas  l'espoir. 
Mais  à  présent  pris  par  la  sciatique, 
Il  est  parfois  brisé  par  la  douleur  ; 
Pourtant,  voyez,  dans  cette  scie  altique 
Il  reconnaît  l'épreuve  du  Seigneur. 

XII 
L'autre  héros  est  fils  de  l'Italie, 
Mais  par  le  cœur  il  est  Corse  et  Français  ! 
Faire  le  bien  fut  le  but  de  sa  vie, 
C'est  Zirio,  ce  nom  en  dit  assez. 


~~  3-20  — 

Le  voyez-vous  quarante  ans  à  Marseille 
Sans  s'épuiser  poursuivre  un  dur  labeur? 
Admirez-le...  Quand  il  dort,  son  cœur  veille 
Toujours  dispos  à  servir  le  Seigneur. 

XIII 

C'est  un  vaillant...  Que  de  fois  dans  l'arène 
Il  descendit,  et  \h,  brava  la  mort. 
Quand  il  luttait,  sa  figure  sereine 
Montrait  à  tous  combien  il  était  fort. 
Huit  choléras  ont  passé  sur  sa  tête... 
Il  n'a  pas  craint  des  cadavres  l'odeur  !... 
Pour  le  soldat  combattre  est  une  fête. 
Et  Zirio  fut  soldat  du  Seigneur! 

XIV 

Quoique  en  Dieu  seul  il  mit  son  espérance. 

Et  qu'il  voulut  sur  terre  être  ignoré, 

Un  souverain  distingua  sa  vaillance, 

Et  Zirio  par  lui  fut  décoré. 

Fier  chevalier  de  royale  couronne, 

Comme  Bayard,  sans  reproche  et  sans  peur  1... 

0  jeunes  gens  !  quel  exemple  il  vous  donne  ! 

Découvrez-vous  !...  C'est  un  preux  du  Seigneur  ! 


XV 

Ah  !  je  comprends,  et  grande  est  ma  surprise, 
Elle  me  vaut  une  bonne  leçon. 
Pour  réparer  cette  lourde  méprise, 
Je  veux  toujours  rendre  gloire  à  leur  nom. 
Dès  aujourd'hui  je  les  prends  pour  modèles; 
A  tous  les  deux  je  souhaite  ardemment 
Avant  d'aller  aux  noces  éternelles 
De  célébrer  celles  de  diamant  1 

Une  troisième  lois,  le  R.  P.  Assistant  sent  le  besoin 
de  prendre  la  parole  pour  exprimer  les  sentiments  de 
joie,  de  gratitude,  qui  débordent  de  son  cœur.  A  la 
pensée  du  R.  P.  Albini,  de  saiute  mémoire,  dont  les 
restes  reposent  dans  l'église  du  couvent  ;  au  souvenir  du 
cardinal  Guibert,   qui  a  fondé  cette  maison  et  en  a 


—  321  — 

été  le  premier  supérieur;  au  souvenir  de  tant  d'autres 
saints  Oblats  qui  ont  habité  cette  maison  et  dont  les 
restes  reposent  dans  le  cimetière  attenant,  il  nous  re- 
dit combien  cette  terre  est  vraiment  sainte;  combien 
heureux  doivent  se  sentir  ceux  qui  sont  appelés  à  vivre 
sur  cette  terre  privilégiée,  remplie  de  si  glorieux  sou- 
venirs, sanctifiée  par  tant  de  vertus  ;  l'obligation  que 
nous  impose  cette  nuée  de  témoins,  de  ne  pas  déchoir, 
d'être  digne  de  nos  devanciers  en  marchant  d'un  pas 
ferme,  constant,  généreux,  dans  les  sentiers  de  la  per- 
fection. Cette  précieuse  leçon,  donnée  d'une  manière 
aussi  heureuse  qu'inattendue,  fit  sur  tous  la  plus  salu- 
taire impression. 

Tout  semblait  fini  :  cependant  restait  un  mot  à  dire. 
N'appartenait-il  pas  au  Supérieur  de  la  maison  de  se 
faire  l'interprète  de  tous  les  membres  de  la  Commu- 
nauté, pour  payer  largement  la  dette  de  reconnaissance 
que  le  couvent  venait  de  contracter  dans  ce  jour  mémo- 
rable d'impérissable  souvenir?  N'était-il  pas  souveraine- 
ment juste  de  dire  tnerci: 

Au  président  de  la  fête,  à  l'Assistant  général,  qui  ve- 
nait de  représenter  si  dignement  le  Père  commun  de 
notre  famille  religieuse,  dont  le  souvenir  planait  sur 
cette  fête  et  qui,  «  quoique  absent  de  corps,  était  au 
milieu  de  nous  par  son  cœur  et  son  esprit  »,  comme  il 
venait  de  l'écrire  à  nos  heureux  jubilaires. 

«  De  retour  à  Paris,  vénéré  Père  Visiteur,  vous  vou- 
drez bien  déposer  aux  pieds  de  notre  chef  nos  meilleurs 
sentiments  de  respect,  d'amour  et  de  reconnaissance. 
Mais,  attention  !  qu'il  sache  bien  que  nous  ne  le  tenons 
pas  quitte.  Nous  voulons,  nous  réclamons,  nous  exi- 
geons, le  plus  tôt  possible,  sa  présence  si  désirée  au  mi- 
lieu de  nous.  Il  le  faut,  c'est  nécessaire;  autrement, 
nous  ne  répondons  de  rien.  Ah!  c'est  que  nous  sommes 


—  322  — 

terribles,  nous  autres  Corses  et  Bretons,  si  l'on  nous 
fâche!  Dieu  et  les  hommes  savent  combien  est  redou- 
table la  vendetta  corse.  » 

Et  puis  ne  fallait-il  pas  avoir  un  mot  aimable  pour 
ces  vénérés  confrères  dans  le  sacerdoce,  venus  si  nom- 
breux et  de  si  loin,  malgré  la  chaleur  de  la  saison,  pour 
nous  donner  cette  nouvelle  preuve  de  l'union  cordiale 
qui  règne  entre  nous? 

A  eux  donc,  à  tous  ceux  qui  avaient  contribué  à  la  so- 
lennité de  cette  fête  par  leurs  discours,  par  leurs  poé- 
sies, par  leurs  fleurs  et  leurs  chants,  de  chaleureux 
mercis  furent  distribués,  à  pleines  mains. 

Juste  au  lever  de  la  séance,  quelle  heureuse  surprise! 
un  messager  arrive,  en  toute  hâte,  porteur  d'une  dé- 
pêche. C'était  la  bénédiction  apostolique  que  l'aimable 
P.  GuiLLON,  supérieur  du  scolasticat  de  Rome,  venait 
d'obtenir  pour  nos  vénérés  jubilaires.  Qu'il  soit  publi- 
quement remercié  de  cette  délicate  attention!  Cette  in- 
signe faveur  était  la  digne  :fin  d'une  si  belle  journée  ! 
Finis  coronat  opus.  Rome  avait  parlé,  la  fête  était  finie. 

Cependant,  avant  la  séparation,  bénédiction  solennelle 
du  Saint-Sacrement,  donnée  par  le  R.  P.  Tamburi.m  ;  et — 
touchante  cérémonie  —  pendant  que  le  chœur  chantait 
le  psaume  :  Conserva  me, Domine...  alterné  avec  le  verset 
Dominus  pars...  les  deux  jubilaires,  assis  devant  l'autel, 
ont  vu,  non  sans  émotion,  tout  le  clergé  venir  baiser 
leurs  mains  saintes  et  vénérables,  sanctifiées  par  cin- 
quante années  de  sacerdoce. 

Immédiatement  après,  ce  fut  comme  la  dispersion  des 
nations  :  chacun  de  regagner  ses  pénates.  Le  soir  même, 
plusieurs  Pères  du  continent  étaient  contraints  de  pren- 
dre le  chemin  du  retour. 

Ainsi  les  fêtes  de  la  terre,  même  les  plus  belles,  ne 
sont  que  d'un  jour,  d'un  instant,  simple  prélude  des 


—  323  — 

fêtes  qui  nous  attendent,  là-haul,  et  qui  n'auront  pas  de 
fin!  Trop  heureux  ceux  qui  auront  le  bonheur  d'y  par- 
ticiper. Amen! 

Hamonic,  0.  M.  I. 

P.  S.  —  Quelques  jours  après  ces  belles  fêtes,  la  mai- 
son de  Vico  avait  le  bonheur  de  donner  l'hospitalité  à  la 
commission  nommée  par  M»'  l'évêque  d'Ajaccio,  pour 
commencer  l'enquête  sur  les  miracles  et  les  vertus  du 
serviteur  de  Dieu,  Charles-Dominique  Albini.  Cette  opé- 
ration, trop  longtemps  retardée,  a  pu  enfin  aboutir. 


VARIÉTÉS 


CHRONIQUE  DE  LA  MAISON  DU  LAUS  (1818- 1841) 
(suite). 

Nous  donnons  avec  plaisir  la  suite  de  cette  très  intéressante 
chronique.  Les  démêlés  qu'elle  raconte  sont  entrés  dans  le 
domaine  de  l'histoire  et  n'ont  plus  rien  de  brûlant,  tout  en 
étant  assez  instructifs.  Nous  ne  croyons  pas  devoir  rien  modi- 
fier dans  ces  pages,  dont  l'auteur  prend  et  garde  la  respon- 
sabilité. 

CHAPITRE  VII. 

Relations  entre  Mer  Arbaud  et  les  missionnaires  de  Provence 
(1824-1825).  —  Entrevue  du  P.  Tempier  avec  l'évêque  de  Gap.  — 
Correspondance  de  Me^  Arbaud  au  sujet  des  Règles  de  l'Institut. 
—  Sa  lettre  adressée  à  Rome,  par  laquelle  il  s'oppose  à  lapfiroba- 
tion  des  Règles,  sollicitée  par  le  P.  de  Mazenod. 

«  Le  premier  évêque  qui  vint  occuper  le  siège  épis- 
copal  (de  Gap)  nouvellement  rétabli,  M^'"  Arbaud,  montra 
beaucoup  de  bienveillance  pour  la  maison  du  Laus, 
comprise  dans  la  circonscription  territoriale  de  son  dio- 
cèse et  placée  sous  sa  juridiction.  Il  en  fut  hautement 
le  protecteur.  Il  avait,  comme  vicaire  général  de  Digne, 
contribué  à  la  formation  de  cette  communauté.  Il  en 
connaissait  les  membres  et  il  leur  témoignait  une  con- 
fiance fondée  sur  ce  que,  jamais,  il  n'en  avait  trouvé  un 
seul  en  défaut  de  zèle  ou  de  prudence...  Ce  prélat,  sa- 
vant théologien,  habile  administrateur,  et  qui  surtout  a 
laissé  une  grande  réputation  de  sagacité  dans  ses  juge- 


—  325  — 

ments  sur  les  hommes,  était  assez  susceptible  sur  les 
droits  de  son  autorité  ;  il  avait  l'habitude  d'un  regard 
scrutateur  et  fort  peu  indulgent  ;  il  épargnait  d'autant 
moins  aux  missionnaires  du  Laus  ses  investigations  ou 
du  moins  son  attitude  d'observation  critique,  que  cer- 
tains préjugés  d'école  gallicane  et  de  morale  rigoriste  le 
rendaient  quelque  peu  soupçonneux  à  l'endroit  de  doc- 
trines différentes  dont  il  croyait  devoir  empêcher  la 
diffusion  dans  son  diocèse. 

«...  Son  estime  (pour  les  Pères)  n'était  pas  douteuse 
et  se  manifestait  aussi  bien  que  sa  protection,  malgré  le 
nuage  qui  la  rendait  moins  éclatante.  Au  fond,  les  rap- 
ports des  missionnaires  du  Laus  avec  M^''  Arbaud  étaient 
des  meilleurs  et  conservaient  jusqu'au  bout  les  formes 
d'une  intimité  confiante,  aussi  paternelle  d'un  côté  que 
filiale  de  l'autre  (1).  » 

M^"  Jeancard  a  bien  compris,  et  assez  bien  rendu^,  dans 
son  ensemble,  le  caractère  des  relations  de  M^''  Arbaud 
avec  la  Société  et  les  membres  des  Missionnaires  de  Pro- 
vence. Mais,  il  faut  le  dire,  dans  la  protection  qu'il  ac- 
corda à  la  maison  du  Laus  et  à  la  Société,  l'évêque  de 
Gap  vit  surtout  les  intérêts  diocésains  et  se  réclama  trop 
de  ses  droits  d'évêque.  Imbu  de  préjugés  de  l'école  galli- 
cane et  de  la  morale  rigoriste,  il  s'opposa,  avec  peu  de 
largeur  de  vues,  à  l'approbation,  par  Rome,  des  Règles 
de  la  Société  ;  trop  souvent,  il  souleva  des  discussions, 
dont  le  Fondateur  eut  lieu  de  se  plaindre.  Sans  doute, 
au  dehors,  les  formes  d'une  intimité  confiante  furent 
gardées  ;  mais  les  divergences  d'appréciations,  les  conflits 
d'intérêts  respectifs  étaient  trop  fréquents,  à  notre  avis, 
et  mettaient  en  péril  la  mutuelle  confiance.  On  en  jugera 
par  les  faits  que  nous  allons  exposer. 

(1)  Mélanges  historiques,  par  Mer  Jeancard,  évoque  de  Cérame,  §  9, 

p.  74-73. 


—  326  — 

Lors  de  la  visite  canonique  qu'il  fit  au  Laus,  au  mois 
d'octobre  1825,  le  P.  Tempier  se  ménagea  une  entrevue, 
à  Gap,  avec  M^'  Arbaud  ;  il  devait  traiter,  avec  lui,  de 
sujets  importants,  relatifs  à  la  Société  et  à  la  maison  du 
Laus.  En  cette  année  1825,  le  P.  de  Mazenod,  après  bien 
des  réflexions  et  de  ferventes  prières,  se  décida  h  faire 
approuver  les  Règles  de  son  institut  par  l'autorité  souve- 
raine du  Vicaire  de  Jésus -Christ,  Sa  Sainteté  le  pape 
Léon  Xn.  Il  était  nécessaire  de  placer  les  constitutions 
de  sa  nouvelle  famille  religieuse  en  dehors  de  toutes 
contestations  possibles,  d'en  faire  un  corps  religieux, 
vivant  de  sa  propre  vie,  indépendant  et  jouissant  de  tous 
les  droits  que  confèrent  les  saints  canons.  Non  recon- 
nue et  non  approuvée  par  le  Saint-Siège,  la  Congréga- 
tion n'était  et  ne  pouvait  jamais  être  qu'une  réunion  de 
prêtres  séculiers,  entièrement  soumise  à  la  juridiction 
épiscopale,  exposée  à  être  dissoute,  comme  déjà  elle 
en  avait  été  menacée,  à  Aix  même,  à  deux  reprises. 

En  conséquence,  le  R.  P.  de  Mazenod  sollicita  et  ob- 
tint les  approbations  des  évêques  des  diocèses  où,  depuis 
onze  ans  bientôt,  la  Société  avait  donné  des  missions.  Un 
des  motifs  qui  décidèrent  le  P.  Tempier  à  voir  M^'  Arbaud 
était  précisément  de  lui  demander  son  approbation  en 
faveur  des  Règles  de  la  Société  des  Missionnaires  de 
Provence.  Le  prélat  accorda  ce  qu'on  lui  demandait;  le 
contenu  de  sa  lettre  épiscopale  était  satisfaisant  ;  mais 
il  exposa,  de  vive  voix,  ses  réserves  au  P.  Tempier,  au 
sujet  de  ses  diocésains  qui  entreraient  dans  la  Société. 
Il  posa  en  principe  que,  si  ses  sujets  entraient  dans  la 
Société,  ils  subordonneraient  leurs  vœux  à  la  promesse 
faite  à  leur  évêque,  en  sorte  que  s'ils  ne  se  plaisaient 
pas  dans  leur  état,  leur  évêque  pourrait  les  rappeler  et 
qu'il  prononcerait  lui-même  la  nullité  de  leurs  vœux. 
Ainsi, M^''  Arbaud  prétendait  garder  toute  sa  juridiction 


-  327  — 

sur  ses  diocésains  et  en  disposer  à  son  gré.  Qui  ne  voit 
qu'en  présence  de  telles  prétentions  la  Société  du  P.  de 
Mazenod  était  condamnée  à  perdre  son  nom,  son  auto- 
nomie, et  à  disparaître? 

Une  autre  question  fut  traitée,  dans  cette  entrevue  de 
Gap.  Le  P.  Tempier  représenta  à  M^''  Arbaud  combien  la 
position  des  missionnaires  au  Laus  était  peu  satisfai- 
sante, et  essaya  d'amener  le  prélat  à  accepter  des  me- 
sures qui  la  mettraient  à  l'abri  de  toute  attaque.  «  ilon- 
seigneur  parut  de  bonne  composition,  dit  le  P.  Tempier, 
et  comprendre  que  nous  n'avions  pas  assez  de  garanties 
de  stabilité  dans  son  diocèse;  il  trouvait  raisonnable  que 
la  fabrique  nous  cédât  l'établissement  du  Laus,  à  charge 
d'entretenir  un  certain  nombre  de  sujets  pour  la  des- 
serte du  sanctuaire  et  de  la  paroisse,  a  Mais,  ajoutait-il, 
«  pour  cela,  on  ne  peut  traiter  avec  la  Société,  comme 
«  telle,  puisqu'elle  n'est  pas  reconnue  par  le  gouverne- 
«  ment.  —  Si  un  traité  ne  peut  se  faire  avec  la  Société, 
«  comme  telle,  observait  le  P.  Tempier,  il  était  possible 
«  avec  un  particulier,  le  P.  de  Mazenod,  par  exemple.  » 
L'évêque  se  garda  bien  d'accepter  ce  mode  de  garantie 
pour  l'établissement  du  Laus,  mode  qu'il  avait  suggéré, 
alors  qu'il  n'était  que  grand  vicaire  de  Gap,  en  1818. 
On  le  voit,  M^''  Arbaud  n'était  de  bonne  composition 
qu'en  apparence.  En  effet,  loin  de  favoriser  la  Société, 
il  fît  tous  ses  efforts  pour  rendre  inutiles  les  démarches 
du  Fondateur  en  cour  de  Rome.  Le  P.  de  Mazenod,  muni 
des  approbations  des  sept  évêques,  partit  de  Marseille  le 
30  octobre  1825  ;  le  2  novembre,  il  était  à  Rome  et  tra- 
vaillait à  la  grave  affaire  de  l'approbation  de  sa  Société. 
M^""  Arbaud  le  savait;  dès  le  8  novembre,  il  écrit  une 
longue  lettre  au  P.  Tempier,  dans  laquelle  il  s'explique 
avec  franchise,  affirmant  du  reste  que  la  Congrégation 
n'avait  rien  perdu  de  son  estime  et  de  son  affection. 


—  3-28  — 

L'évêque  de  Gap,  dans  sa  lettre,  revient  sur  les  obser- 
vations qu'il  avait  faites  verbalement  au  P.  Tempier,  ob- 
servations relatives  aux  rapports  du  Supérieur  général 
avec  ses  sujets  et  avec  leurs  évêques  respectifs,  et  qu'il 
n'avait  pas  mentionnées,  dans  sa  lettre  à' approbation, 
parce  qu'il  avait  cédé  aux  instances  du  P.  Tempier, 

Il  énumère,  ensuite,  ce  qu'il  appelle  les  raisons  de 
droit,  sur  lesquelles  il  fonde  ses  réserves  au  sujet  des 
règles  ;  nous  les  résumons  : 

1"  Le  pacte  entre  le  Supérieur  général  et  les  sujets  de 
la  Société  n'est  pas  égal  ;  ils  n'ont  que  le  recours  à 
Rome  ;  lui  peut  les  congédier  et  arrêter  les  effets  de  leur 
supplique  au  pape  ; 

2°  Refuser  tout  droit  à  l'évêque  est  injurieux  pour 
l'épiscopat  et  met  dans  l'embarras  les  administrations 
diocésaines;  le  sujet,  qui  ne  relève  que  du  pape,  étant 
exclu,  c'est  à  elles  qu'il  viendra  demander  du  pain; 

3°  L'évêque  étant  supérieur  des  prêtres,  puisqu'il  les 
ordonne  et  leur  donne  des  dimissoires,  n'y  a-t-il  pas 
contradiction  à  établir  qu'il  n'est  plus  leur  supérieur, 
tant  qu'ils  se  comportent  bien  dans  la  société  où  ils 
sont  entrés,  et  qu'il  le  redevient  quand  ils  sont  mis  à  la 
porte  ? 

4»  Enfin,  le  serment  de  l'ordination  oblige  leprêfre  à 
accepter  les  fonctions  du  ministère  que  l'évêque  veut 
bien  lui  confier  ;  un  vœu,  qui  peut  contrarier  ce  serment 
de  l'ordination,  peut-il  être  émis  et  reçu? 

Me^Arbaud  s'apitoie  ensuite  sur  le  sort  qui  est  réservé 
à  la  Congrégation.  «  Votre  Congrégation  tend  à  secouer 
le  joug  des  évêques  et  de  l'ordinaire  ;  vous  vous  mettez 
par  là,  il  est  vrai,  à  l'abri  des  administrations  diocé- 
saines, mais  vous  vous  enlevez  le  moyen  d'empêcher  la 
dépravation  qu'une  malheureuse  expérience  a  constatée 
dans  la  presque  totalité  des   corporations  régulières. 


—  329  — 

D'ailleurs,  il  ne  vous  sera  pas  possible  d'obtenir  d'être 
indépendant  de  l'épiscopat  ;  ni  le  conseil  d'État,  ni  les 
lois  de  la  France  ne  vous  le  permettront.  »  Conclusion  : 

«  Donc,  bornez  l'obéissance  du  sujet  au  supérieur,  au 
temps  où.  il  vit  dans  la  congrégation,  et  qu'il  lui  soit 
permis  d'en  sortir  avec  l'agrément  de  l'évêque.  Si  celui-ci 
vous  éloigne  de  son  diocèse,  dix  autres  vous  ouvriront 
les  portes.  » 

Le  P.  Tempier,  se  tenant  dans  son  rôle,  se  garda  bien 
de  répondre  à  cette  thèse  de  l'ancien  professeur  de  théo- 
logie. «  Je  laisse  à  M.  de  Mazenod,  dit-il,  le  soin  de  ré- 
pondre aux  observations  de  Votre  Grandeur,  sur  nos 
Règles,  et  d'en  profiter  s'il  y  a  lieu.  »  Puis,  il  lance 
au  prélat  gaUican  le  trait  du  Parthe  :  «  M.  de  Mazenod 
est  à  Rome,  centre  des  lumières.  »  Nous  savons  ce  qui 
se  passa.  Rome  répondit  et  donna  tort  au  prélat;  ses 
prétendues  raisons  de  droit  ne  furent  pas  acceptées  et 
ne  pouvaient  l'être.  Selon  ces  raisons  alléguées  par 
l'évêque  de  Gap,  l'existence,  dans  l'Église,  des  congré- 
gations régulières  ne  serait  plus  possible,  et  cela  au 
grand  préjudice  du  droit  ecclésiastique  et  du  bien  gé- 
néral. Une  congrégation  régulière  ne  secoue  pas  le  joug 
de  l'ordinaire,  parce  qu'elle  se  gouverne  elle-même,  se- 
lon ses  constitutions,  approuvées  par  le  souverain  pon- 
tife; au  point  de  vue  du  ministère  extérieur,  les  rapports 
des  congrégations  sont  réglées  de  façon  à  sauvegarder 
les  justes  revendications  de  l'épiscopat;  et  celui-ci,  vou- 
lant rester  maître  absolu  et  supérieur  sans  appel  d'une 
société  qui  tient  son  existence  canonique  du  souverain 
pontife,  ne  commet-il  pas  un  abus  de  pouvoir,  en  em- 
piétant sur  le  pouvoir  suprême?  La  dépravation  que 
l'évêque  de  Gap  déplore  dans  les  congrégations  régu- 
lières, soustraites  à  la  vigilance  épiscopale,  ne  leur  est 
pas  tellement  imputable  qu'on  ne  puisse  aussi  la  retrou- 


—  330  - 

ver  dans  le  clergé  séculier,  placé  cependant  sous  la  di- 
rection immédiate  des  évêques.  Enfin,  en  quoi  le  pouvoir 
civil,  aux  yeux  d'un  évêque,  peut-il,  à  rencontre  des 
exemptions  accordées  par  le  souverain  pontife  à  une 
société  religieuse,  imposer  à  celle-ci  l'obligation  de  dé- 
pendre de  l'épiscopat? 

Après  cette  déclaration  de  principes  contre  les  con- 
grégations régulières  qui  visent  à  être  indépendantes  des 
évêques,  M^''  Arbaud  descend  sur  le  terrain  des  faits  et 
prétend  constater  que  la  façon  d'agir  des  Missionnaires 
de  Provence  est  une  nouvelle  preuve  des  efforts  qu'ils 
font  pour  se  rendre  indépendants  de  l'évêque  de  Gap. 

1°  Ils  ont  demandé  à  l'évêque  de  Digne  la  location  du 
Laus,  par  un  bail  de  vingt-neuf  ans,  et  dernièrement, 
M.  Tempier  lui  proposait  à  lui,  évêque  de  Gap,  de  leur 
céder  l'établissement  en  propriété.  Les  Sulpicieus  et  les 
Jésuites  ne  sont  pas  aussi  avisés  et  ne  prennent  pas  tant 
de  précautions,  quand  ils  acceptent  les  grands  et  petits 
séminaires. 

t  Les  missionnaires  du  Laus,  le  P.  Touche  surtout, 
recrutent  des  sujets  à  droite  et  à  gauche  et  les  font 
partir  pour  leur  maison,  sans  prévenir  l'évêque.  (Le 
P.  Touche  avait  poussé  un  élève  de  troisième  à  entrer 
au  noviciat.) 

30  jyjgr  Arbaud  avoue  qu'il  a  des  dettes  de  personnel 
envers  la  Congrégation,  à  laquelle  on  avait  promis  trois 
prêtres  du  diocèse  ;  mais  en  compensation  de  ceux  qui 
sont  partis,  après  être  entrés  chez  les  Pères,  il  a  permis 
l'entrée  au  noviciat  de  quatre  de  ses  sujets  dont  quel- 
ques-uns touchent  à  la  prêtrise.  Toutefois,  en  ceci,  il 
devait  poser  des  limites  ;  il  a  trente-quatre  paroisses  va- 
cantes. «  Je  ne  puis  céder  des  sujets  destinés  à  prêcher 
à  Nîmes  ou  ailleurs,  je  me  dois  à  mes  ouailles  ;  la  justice 
passe  avant  la  charité.  » 


—  331  — 

4°  «  D'après  l'entretien  que  nous  avons  eu  ensemble, 
dans  lequel  vous  avez  dit  :  «  On  ne  s'attache  pas  quand 
«  on  n'est  sûr  de  rien  «,  vous  pourriez  avoir  la  tentation 
de  quitter  le  Laus  ;  il  faut  donc  que  je  me  réserve,  dans 
cette  hypothèse,  les  moyens  de  retirer  de  votre  Société 
mes  propres  sujets,  afin  d'en  former  une  petite  congréga- 
tion à  qui  je  ferais  inspirer  du  respect  et  de  la  soumission 
à  l'ordinaire.  » 

5°  L'évêque  de  Gap  rappelle  ensuite  les  sommes  con- 
sidérables que  la  maison  du  Laus  a  reçues  de  Digne, 
pendant  plusieurs  années  ;  les  allocations  du  gouverne- 
ment, les  ressources  du  petit  domaine.  Les  recettes  et 
les  retenues  sur  les  messes  constituent  des  moyens 
d'existence  plus  que  suffisants  pour  trois  missionnaires. 
Gomment,  avec  cela,  expliquer  le  délabrement  du  rez- 
de-chaussée?  N'e  peut-on  pas  l'expliquer  par  votre  pa- 
role ;  «  On  ne  s'attache  pas  quand  on  n'est  sûr  de 
rien  »  ? 

C'est  ainsi  que  M^'  Arbaud  promène  son  regard  scru- 
tateur sur  la  situation  de  la  maison  du  Laus,  sur  les 
agissements  des  Pères,  sur  le  présent  et  sur  le  passé  ;  il 
n'oublie  pas  ce  que  l'avenir  peut  tenir  en  réserve  :  son 
réquisitoire  est  complet.  Il  nous  semble  qu'il  ne  décèle 
pas  des  dispositions  très  bienveillantes,  de  la  part  de 
l'évêque,  envers  les  Missionnaires  de  Provence  ;  nous 
voyons  même,  dans  le  passage  que  nous  avons  souligné, 
la  révélation  d'un  projet  intime  que  formait  Ms""  Arbaud, 
à  savoir,  de  créer,  en  place  des  Pères  du  Laus,  une  «pe- 
tite congrégation  diocésaine  de  missionnaires  plus  res- 
pectueux et  plus  soumis  à  l'oi^dinaire  ».  Nous  n'hésitons 
pas  à  dire  que,  si  M^""  Arbaud  n'exécuta  pas  ce  projet,  il 
en  transmit  la  réalisation  à  ses  successeurs.  La  déclara- 
tion franche  et  les  plaintes  contenues  dans  cette  lettre 
du  8  novembre  182S,  de  Ms*"  Arbaud,  ne  sont  que  les  dé- 


—  332  — 

buts  de  la  lutte  qui  ira  grandissant,  entre  les  évêques  de 
Gap  et  les  Pères  du  Laus. 

Le  P.  Tempier  répondit  à  M^'^Arbaud,  le  16  novembre. 
Il  désapprouve,  comme  Monseigneur,  et  blâme  le  Père 
qui  a  fait  partir  du  séminaire  deux  enfants,  sans  préve- 
nir Sa  Grandeur.  Cependant,  il  faut  savoir  comment  les 
choses  se  sont  passées.  Le  Père  s'est  mépris  sur  les  inten- 
tions de  l'évêque  qui,  jusqu'alors,  ne  paraissait  pas  vou- 
loir exclure  du  juniorat  ou  du  noviciat  des  jeunes  gens 
qui  ne  sont  encore  rien  dans  r Église.  Ce  sont  les  enfants 
eux-mêmes  qui  ont  arrêté  leurs  places,  et  le  P.  Tempier 
se  réservait  de  voir  Sa  Grandeur  à  ce  sujet. 

Quant  à  la  proposition  qui  a  été  faite  à  Monseigneur 
de  céder  l'établissement  du  Laus  en  propriété,  M^""  Ar- 
baud  lui-même  l'a  provoquée  en  manifestant  la  crainte 
que  le  Supérieur  général  ne  vînt  à  quitter  le  Laus,  en 
en  retirant  ses  sujets.  La  réponse  que  fît  le  P.  Tempier, 
assurant  à  Sa  Grandeur  que  le  P.  de  Mazenod  était  loin 
de  vouloir  abandonner  le  Laus,  ne  parut  pas  satisfaisante 
à  Monseigneur,  surtout  en  ce  qui  concernait  l'avenir. 
Désirant  enchaîner  les  Missionnaires  de  Provence,  dans 
son  diocèse,  Sa  Grandeur  avait  prié  le  P.  Tempier  de  cher- 
cher un  moyen  de  garanties  réciproques  qui  réalisât  ses 
désirs.  C'est  alors  que  le  P.  Tempier,  pour  entrer  dans 
les  vues  de  M^'  Arbaud,  lui  avait  proposé  le  projet  qui 
lui  avait  tant  déplu  : 

«  1.  La  fabrique  du  Laus  céderait  en  toute  propriété 
le  couvent  et  le  jardin.  —  II.  La  Société  des  mission- 
naires y  entretiendrait  le  nombre  de  prêtres  convenu. — 
III.  Jamais  la  Société  ne  pourrait  changer  la  destination 
du  couvent.  —  IV.  Au  cas  contraire,  après  avis  et  trois 
mois  de  délai,  le  local  ferait  retour  à  la  fabrique  ou  au 
diocèse.  » 

A  l'appui  de  ce  projet,  le  P.  Tempier  avait  cité  l'exem- 


—  333  — 

pie  de  l'évêque  de  Marseille  qui,  dans  les  mêmes  condi- 
tions, avait  cédé  le  petit  séminaire  aux  prêtres  du  Sacré- 
Cœur.  Les  paroles  qui  furent  prononcées  :«  On  ne  s'attache 
pas  quand  on  n'est  sûr  de  rien,  »  s'expliquent  et  se  jus- 
tifient ainsi  et  n'ont  pas  le  sens  qu'on  leur  a  prêté. 

Si  le  rez-de-chaussée  est  dans  un  état  de  délabrement, 
cela  vient  de  ce  que  les  premières  réparations  faites  au 
nom  de  l'administration  de  Digne  n'ont  pas  duré  trois 
ans,  à  cause  du  salpêtre  ;  du  reste,  depuis  plus  d'un 
mois,  on  travaillait  à  mettre  le  rez-de-chaussée  en  bon 
état. 

Me""  Arbaud  rappelle  que  les  missionnaires  ont  reçu 
des  sommes  considérables  du  diocèse  de  Digne.  Cet 
argent  n'était  pas  un  don,  mais  la  juste  rémunération 
de  travaux  que  les  Pères  avaient  faits,  à  titre  de  prêtres 
auxiliaires,  dans  les  paroisses  vacantes  ;  avant  de  tou- 
cher aucun  argent,  les  missionnaires  avaient  travaillé 
au  Laus  et  ailleurs  avec  autant  de  zèle  et  de  désintéres- 
sement. On  a  reçu  avec  reconnaissance  des  honoraires 
que  d'autres  prêtres  refusaient  à  cause  des  privations 
endurées  dans  ce  genre  de  ministère,  mais  ils  n'étaient 
nullement  gratuits. 

Ces  fonds  n'ont  pas  été  gaspillés;  ils  ont  été  employés 
à  payer  les  frais  de  voyage  ou  de  déplacements,  à  l'en- 
tretien des  missionnaires  et  des  jeunes  gens  dont  un 
grand  nombre  sont  sortis...  Des  2350  francs  alloués 
pour  travaux  accomplis  dans  le  diocèse^  on  n'a  touché 
que  900  francs  et  l'on  a  renoncé  aux  secours  venus  de 
Digne,  ce  qui  n'empêchera  pas  de  donner  le  jubilé  pro- 
chain à  Digne  même. 

Sur  la  question  du  recrutement  des  sujets  du  diocèse 
de  Gap,  le  P.  Tempier  obéira  à  Sa  Grandeur  et  intimera 
l'ordre  aux  Pères  de  mettre  des  bornes  à  leur  zèle  de 
recrutement  et  de  n'admettre  qui  que  ce  soit  au  novi- 

T.  XXXV.  23 


—  334  — 

ciat,  sans  la  permission  de  l'évêque.  Mais  cela  accordé, 
il  ne  peut  que  faire  observer  à  Sa  Grandeur,  en  remon- 
tant aux  principes,  qu'il  est  dans  l'ordre  qu'une  société 
religieuse  se  recrute  là  où  elle  a  une  maison,  où  elle  tra- 
vaille. Jeter  sur  elle  l'anathème  et  lui  interdire  un  su- 
jet de  plus,  c'est  vouloir  l'étouffer  dans  son  berceau. 
«  Avons-nous  dépassé  les  limites  dans  votre  diocèse? 
L'établissement  du  Laus  exige  la  présence  de  six  mis- 
sionnaires pour  mener  à  bien  le  pèlerinage,  les  missions, 
les  retraites  ;  c'est  notre  intention  d'y  maintenir  ce 
nombre  ;  or,  quels  sont  les  sujets  actuellement  utiles 
de  votre  diocèse?  Pas  un  seul  ;  car  le  P.  Touche  est 
d'un  diocèse  étranger,  de  Digne,  séparé  de  Gap.  Quelles 
sont  nos  espérances  ?  Quatre  sujets  de  votre  diocèse  sont, 
depuis  cinq  ans,  dans  la  Congrégation  ;  trois  persévére- 
ront, raisonnablement  parlant,  et  seront  utiles  dans  quel- 
ques années.  Nous  avons  deux  sujets  qui,  s'ils  persévè- 
rent, feront  de  bons  jardiniers,  de  bons  sacristains.  En 
plus,  quatre  jeunes  gens  peu  sûrs  qui  nous  quitteront 
peut-être  bientôt.  Combien  nous  en  restera-t-il,  après 
cinq  ou  six  ans  d'études  et  même  après  sept  ans?  » 
Telle  fut  la  réponse  du  P.  Tempier. 

M^'' Arbaud  répliqua,  non  sans  humeur,  par  une  lettre 
datée  du  22  novembre.  Il  n'insiste  pas  sur  les  deux 
jeunes  gens  partis  sans  sa  permission  et  veut  bien  que 
le  P.  Touche  reste  au  Laus,  pourvu  qu'il  mette  des 
bornes  à  son  prosélytisme.  Il  ne  pense  pas  que  le  gou- 
vernement autorise  la  cession,  par  la  fabrique,  du  cou- 
vent à  M.  de  Mazenod.  Il  craint  que  la  Congrégation  ne 
soit  entraînée  dans  les  villes  et,  par  suite,  ne  veuille 
quitter  le  Laus;  c'est  pourquoi  il  prend  ses  mesures. 
Voici  ce  qu'il  veut  :  point  de  dimissoire  donné  au  jeune 
Martin,  pour  sa  prêtrise,  s'il  ne  signe  une  déclaration, 
attestant  que  sa  promesse  au  Supérieur  de  la  Société  est 


-"  335  — 

subordonnée  au  serment  qu'il  fera,  le  jour  de  son  ordi- 
nation, à  son  évêque  ;  que  si,  pour  un  motif  ou  un 
autre,  il  sort  de  la  Congrégation,  il  s'oblige  à  rentrer 
dans  son  diocèse  de  naissance,  se  soumettant  aux  peines 
canoniques  portées  par  les  ordonnances  synodales  contre 
les  déserteurs  du  diocèse.  «  Par  ce  moyen,  tout  mar- 
chera,» ajoute  M^""  Arbaud  ;  et  il  recommande  au  P.  Tem- 
piER  de  communiquer  cette  seconde  lettre  à  M.  de  Ma- 
ZENOD,  qui  sentira  la  nécessité  de  modifier  ses  statuts. 

L'évêque  de  Gap  revient  sur  le  même  sujet  dans  une 
nouvelle  lettre  datée  du  25  décembre  de  la  même  an- 
née 1820. 

«  Je  suis,  dit-il,  en  présence  de  deux  hypothèses  : 
1°  le  rappel  par  l'évêque  de  tous  ses  sujets,  ce  qui  serait 
préjudiciable  à  la  Congrégation  ;  2°  la  désertion  du  Laus 
par  le  Supérieur  de  la  Congrégation,  ce  qui  serait  préju- 
diciable au  diocèse,  et  qui  est  plus  probable.  C'est  pour 
cela  que  je  prends  mes  mesures  :  en  me  faisant  acte 
d'obéissance,  les  diacres  sauront  qu'en  cas  de  rupture 
avec  la  Congrégation,  ils  appartiennent  à  leur  diocèse.  » 

Ms' Arbaud  craignit  sans  doute  que  ses  réclamations, 
communiquées  par  le  P.  TEMPiERau  Fondateur  qui  était 
à  Rome,  ne  fussent  point  prises  en  considération.  Il  en- 
voya donc,  à  la  Congrégation  des  évêques  et  réguliers, 
une  lettre  contresignée  par  l'archevêque  d'Aix  et  l'évêque 
de  Digne,  par  laquelle  il  demandait  qu'il  ne  fût  pas  ac- 
cordé d'approbation  à  l'œuvre  de  M.  de  Mazenod.  La 
lettre  faisait  l'éloge  de  la  Congrégation,  mais  elle  signa- 
lait les  inconvénients  qu'il  y  aurait  à  ce  qu'elle  fût  érigée 
en  corps  religieux  canoniquement  reconnu. 

«  Je  ne  connais  pas  toute  la  teneur  de  cette  lettre,  dit 
M^''  Jeancard  ;  je  ne  sais  pas  si  elle  exprimait  quelque 
appréhension  d'ombrage  donné  au  gouvernement  ou 
d'un  prétexte  que  saisirait  le  faux  libéralisme  de  l'époque 


—  336  — 
pour  attaquer  la  religion...  mais  je  croirais  aussi  qu'elle 
renfermait  quelque  insinuation  plus  ou  moins  gallicane, 
qui,  sous  forme  de  défense  des  prérogatives  de  répisco- 
pat,  tendait  à  restreindre  l'action  du  Saint-Siège  ou  à  la 
subordonner  à  des  conditions  qu'on  ne  pouvait  admettre 
à  Rome.  Ceci  est,  de  ma  part,  une  supposition  qui  est 
justifiée  par  les  opinions  connues  de  l'auteur  de  la 
lettre  (1).  » 

Les  lettres  que  nous  avons  reproduites  plus  haut  con- 
firment pleinement  la  supposition  de  M^""  Jeancard.  Elles 
disent  clairement  que  l'approbation  donnée  aux  statuts 
de  la  Société,  tels  que  les  présentait  le  P.  de  Mazenod, 
serait  une  limite  imposée  à  l'autorité  des  évêques;  elles 
n'admettent  pas  que  le  prêtre,  engagé  par  sa  promesse 
d'obéissance  envers  l'évêque,  puisse  légitimement  s'en- 
gager dans  une  société  religieuse,  et  devenir,  sous  l'au- 
torité du  Souverain  Pontife,  indépendant  de  son  évêque 
d'origine  ou  de  lieu,  en  tout  ce  qui  n'est  pas  du  minis- 
tère extérieur.  N'est-ce  pas  méconnaître  l'autorité  su- 
prême du  pontife  de  Rome  ? 

Ms''  Arbaud  en  fut  pour  ses  frais  d'opposition  systé- 
matique. Sa  lettre  fit  une  impression  toute  contraire  à 
celle  que  son  auteur  avait  en  vue  ;  ses  conclusions  furent 
repoussées,  et  au  lieu  d'être  un  obstacle  à  l'approbation 
des  Règles,  elle  fut  un  secours,  Rome  ayant  à  cœur  d'af- 
Srmer  par  un  acte  authentique  l'autorité  du  Saint-Siège 
et  l'utilité,  dans  l'Eglise,  des  corps  religieux  canonique- 
ment  reconnus. 

Certes,  par  ses  idées,  son  attitude  et  sa  conduite, 
Ms'  Arbaud,  en  cette  affaire,  ne  manifestait  pas  une 
extrême  bienveillance  envers  la  Société,  et  le  P.  de  Ma- 
zenod avait  bien  raison  de  s'étonner  et  de  se  plaindre  : 

(1)  Mélanges  historiques,  §  XXIII,  p.  247  à  249.  —  Voir  aussi  Vie 
de  Mi'  de  Mazenod,  t.  I,  liv.  III,  chap.  xi,  p.  440  et  suivantes. 


—  337  — 

«  Qui  se  serait  attendu  à  cela  de  celui  que  l'on  croyait 
un  ami  de  l'CEuvre  et  de  la  Société?  Ce  ne  sont  pas  ceux 
qui  ne  nous  ont  aucune  obligation,  ceux  pour  qui  nous 
n'avons  pas  versé  une  goutte  de  sueur,  qui  nous  pour- 
suivent; non,  ce  sont  ceux  à  qui  nous  avons  consacré 
notre  existence,  depuis  dix  ans,  par  des  travaux  exorbi- 
tants, par  toutes  sortes  de  privations,  par  le  sacrifice  de 
notre  santé  et  de  notre  vie  (I).  » 

CHAPITRE  VIII. 

LE   P.   HONORAT  SUPÉRIEUR   (1826,  MAI  1827). 

I.  L'état  de  la  communauté.  —  Le  personnel  et  le  temporel.  — Visite 
du  fondateur  au  Laus  h  son  retour  de  Rome.  —  Le  Chapitre  gé- 
néral de  1826.  —  IL  L'église  du  Laus  et  le  pèlerinage.  —  IIL  L'é- 
vêque  de  Gap  et  les  missionnaires  de  Provence.  —  IV.  Travaux 
apostoliques  des  Pères  du  Laus. 

I.  La  communauté  et  lé  personnel.  —  En  1826,  le  P.  Ho- 
norât exerça  les  fonctions  de  Supérieur  et  les  garda 
jusqu'à  ce  qu'il  fût  envoyé  à  Nîmes,  au  mois  de  mai  1827. 
Ce  Père,  avec  le  P.  Touche,  continuait  la  campagne  apos- 
tolique de  la  saison  d'hiver  (1825-1826).  Pendant  ce 
temps,  le  P.  Moreau,  après  sa  mission  de  Valbelle,  vint 
garder  la  maison  et  desservir  l'église  et  le  sanctuaire. 
Il  paraît  même  qu'il  était  encore  chargé  de  la  paroisse 
d'Avançon.  Il  écrit, le  19 janvier  :  «Rien  d'extraordinaire 
ici,  les  pèlerins  n'abondent  pas,  mais  Avançon  m'occupe 
beaucoup.  »  Il  ne  s'absenta  que  pour  une  mission  et  re- 
prit aussitôt  son  poste,  ayant  toujours  du  monde  étran- 
ger à  confesser,  mais  sans  surcharge.  En  juillet,  il  fut 
envoyé  en  mission  dans  le  diocèse  de  Nîmes  et  ne  revint 
qu'à  la  mi-novembre.  Le  P.  Dupuy,  arrivé  au  Laus  dans 
les  derniers  mois  de  l'année  1825,  fut  chargé  de  l'admi- 

(1)  Vie  de  A/gf  de  Mazenod,  t.  I,  liv.  III,  chap.  m,  p.  441-442. 


—  338  - 

nistration  temporelle  après  le  départ  du  P.  Moreau  ;  il 
mit  de  l'ordre  dans  les  comptes,  et,  tout  en  visant  à  l'é- 
conomie, il  veillait  sur  les  santés  de  ses  confrères.  Il  eut 
à  soigner,  pendant  le  moi?  d'août  et  de  septembre,  le 
P.  Suzanne,  dont  les  forces  avaient  été  surmenées,  il  lui 
fallait  du  repos  et  un  bon  régime.  «  Le  P.  Suzanne,  écrit 
le  P.  DuPUT,  est  vraiment  le  martyr  de  l'obéissance,  il 
travaille  toujours  lors  même  qu'il  désire  le  repos  et  en 
aurait  grand  besoin.  Le  séjour  du  Laus  lui  a  fait  grand 
bien,  et  il  a  pu  rentrer  dans  la  maison  de  Marseille  dont 
il  est  supérieur.  » 

Au  mois  d'août,  on  recevait  au  Laus  la  circulaire  par 
laquelle  le  Supérieur  général  annonçait  la  mort,  à  Mar- 
seille, du  P.  Jacques  Marcou,  dont  le  séjour  au  Laus  avait 
été  si  édifiant.  «  C'est  le  20  août,  à  4  heures  du  soir,  que 
notre  vraiment  bienheureux  frère  a  été  prendre  posses- 
sion de  la  gloire  que  notre  divin  Maître  a  promise  au 
fidèle  serviteur  qui  meurt  dans  la  paix  du  Seigneur...  Je 
pleure  un  frère  si  précieux  pour  notre  Société  à  laquelle 
il  était  si  attaché,  mais  je  me  reproche  en  quelque  sorte 
mes  larmes,  comme  si  j'osais  regretter  son  bonheur... 
N'était  l'espoir,  pour  ne  pas  dire  la  certitude,  que  le  Sei- 
gneur l'a  reçu  dans  ses  saints  tabernacles,  j'en  serais  in- 
consolable (1).  »  Le  P.  DE  Mazexod,  à  l'occasion  de  cette 
mort  et  de  l'indisposition  du  P.  Suzanne  qui  s'était  sur- 
mené, recommandait  aux  Pères  de  ne  pas  vouloir  trop 
faire,  s'exposant  ainsi  à  se  rendre  inhabiles.  «  Que  Dieu 
délivre  nos  frères  de  toute  incommodité;  que,  du  moins, 
ils  ne  fassent  rien  pour  se  les  attirer  (2).  » 

Le  P.  DuPUY  était  un  économe  actif  et  entendu  aux 

(1)  Lettre  circulaire  nécrologique  au  P.  Honorât  à  Notre-Dame 
du  Laus,  21  août  18-26. 

(2)  Lettre  du  fondateur  au  P.  Honorât  à  rsotre-Dame  ;du  Laus, 
26  août  1826.    . 


-    339  — 

affaires  :  il  poursuivit  l'œuvre  des  améliorations  maté- 
rielles, planta  des  arbres  et  construisit  un  pavillon  dans 
le  jardin  ;  il  acheva  aussi  le  canal  de  la  conduite  des 
eaux,  et  disposa  plus  commodément  d'un  certain  nombre 
de  chambres.  Il  eut  à  cœur  de  prouver  à  Ms'  Arbaud 
qu'on  tenait  à  la  maison  du  Laus,  et  qu'on  y  était  atta- 
ché ;  on  voulait  si  peu  la  quitter,  qu'on  acheta  une  vigne 
à  RemoUon  ;  ce  fut  le  P.  Dupuy  qui  conclut  cette  affaire 
à  son  avantage,  après  avoir  défendu  énergiquement  ses 
droits  contre  les  réclamations  non  fondées  d'un  compé- 
titeur. 

Au  mois  de  juin,  il  y  eut  grande  fête  intime  au  Laus. 
Sur  la  demande  du  P.  Honorât, notre  vénéré  Fondateur, 
sur  le  point  de  rentrer  en  France,  après  avoir  obtenu 
l'approbation  de  nos  Saintes  Règles  par  un  bref  en  date 
du  17  février  1826,  avait  promis  de  passer  par  le  Laus 
en  se  rendant  à  Aix.  Il  y  arriva  le  l*""  juin  et  y  resta  deux 
jours.  Les  Pères  du  Laus  furent  les  premiers  à  saluer, 
à  embrasser  le  bien-aimé  Fondateur  en  cette  circon- 
stance solennelle,  les  premiers  à  lire  et  à  baiser  l'acte  offi- 
ciel, authentique,  par  lequel  le  souverain  pontifeLéon  XII, 
en  approuvant  les  Saintes  Règles,  donnait  à  la  Société 
son  existence  canonique  et,  à  ses  membres,  le  nom  si 
glorieux  et  si  doux  d'Oblats  de  Marie  Immaculée.  La 
régularité  de  la  petite  communauté  du  Laus  et  son  bon 
esprit  donnèrent  une  grande  satisfaction  au  P.  de  Maze- 
NOD.  Notons  un  détail  en  passant  :  jusqu'alors,  l'office 
de  matines  et  laudes  se  récitait  à  8  heures  du  soir  ;  le 
Supérieur  général  fit  cesser  cet  usage  et,  pour  plus  de 
conformité  avec  les  autres  maisons  et  aussi  parce  que 
l'heure  lui  parut  plus  convenable,  cette  récitation  fut 
fixée  à  4  heures  de  l'après-midi. 

Un  mois  après,  les  Pères  du  Laus  prenaient  part  au 
quatrième  Chapitre  général  où  furent  promulguées  les 


—  340  — 

Lettres  apostoliques  de  Léon  XIL  Le  Chapitre  s'ouvrit  à 
Marseille  dans  la  chapelle  intérieure  du  Calvaire,  le 
10  juillet,  à  5  heures  du  soir.  Douze  Pères  Oblats,  y 
compris  le  Fondateur,  étaient  présents  au  chapitre  :  le 
T.  R.  P.  deMazenod,  supérieur  général;  le  R.  P.  Tem- 
PIER,  premier  assistant  ;  le  R.  P.  Mye,  deuxième  assis- 
tant, supérieur  de  Nîmes  ;  le  R.  P.  Courtes,  troisième 
assistant,  supérieur  de  la  maison  d'Aix;  le  R.  P.  Su- 
zanne, supérieur  du  Calvaire  ;  le  R.  P.  Honorât,  su- 
périeur de  la  maison  de  Notre-Dame  du  Laus  ;  les 
RR.  PP.  Moreau,  Touche,  maison  du  Laus  ;  Sumien, 
Marcou,  Jeancard  et  Guibert.  Le  procès- verbal  du  cha- 
pitre portait,  comme  date  de  l'ouverture  du  chapitre,  le 
onze  juillet.  Cette  date  a  été  modifiée  par  une  surcharge 
indiquant  le  dix,  et  les  dates  subséquentes  concordent 
avec  cette  dernière,  c'est-à-dire  que  le  second  jour  est 
marqué  le  onze^  le  troisième,  le  douze,  et  le  quatrième, 
le  treize  ;  ce  que  le  P.  Rambert  (  Vie  de  M^'  de  Mazenod, 
liv.  III,  chap.  m,  p.  456)  place  dans  la  séance  du  douze 
est  marqué  dans  la  séance  du  onze,  h  l'original  (1).  Nous 
rappelons  qu'après  avoir  entendu  la  lecture  du  bref  d'ap- 
probation lu  par  le  Fondateur  lui-même,  les  membres 
du  chapitre  prièrent  le  P.  de  Mazenod  d'envoyer  au  pape 
Léon  XII,  au  nom  de  la  Société,  une  lettre  de  vive  re- 
connaissance qui  exprimât  la  ferme  résolution  oii  'ils 
étaient  tous  d'observer  fidèlement  les  Règles.  Il  fut  dé- 
crété que,  tous  les  ans,  on  célébrerait  avec  solennité  le 
jour  du  17  février,  anniversaire  de  l'approbation  des 
Règles  et  Constitutions  par  Sa  Sainteté  Léon  XII.  On  y 
régla  également  ce  qui  concernait  le  costume  religieux 
des  membres  de  la  Société.  La  clôture  du  chapitre  fut 
des  plus  solennelles.  Tous  les  Oblats  renouvelèrent  leurs 

(1)  D'après  une  note  du  R.  P.  Martinet,  assistant  général,  faisant 
fonction  de  secrétaire  général. 


—  341  — 

vœux,  firent  acte  d'obédience  au  Supérieur  général  et 
reçurent  de  lui  la  bénédiction  papale.  La  Congrégation 
eut,  dès  lors,  sa  place  marquée  dans  l'Église  ;  elle  eut 
sa  part  d'action  sur  le  vaste  terrain  de  l'apostolat,  et  re- 
vêtit en  quelque  sorte  les  prérogatives  qui  caractérisent 
l'Église  elle-même  :  l'unité,  la  sainteté,  la  catholicité  et 
la  perpétuité.  Désormais,  la  famille  religieuse  des  Oblats 
de  Marie  Immaculée  vivra  d'une  vie  surnaturelle  plus 
abondante,  grandira,  se  développera  pour  la  plus  grande 
gloire  de  Dieu  et  le  salut  des  âmes. 

II.  L'église  du  Laus  et  le  pèlerinage.  —  Après  les  mois 
rigoureux,  les  pèlerinages  reprirent  leur  cours  accou- 
tumé. «  Les  fêtes  du  mois  de  mai,  écrit  le  P.  Honorât, 
malgré  que  le  temps  ne  fût  pas  favorable,  ont  donné 
beaucoup  d'occupations  aux  missionnaires.  Tout  s'est 
bien  passé,  pas  de  troubles  parmi  les  marchands.  Nombre 
de  pèlerins  passent  la  nuit  dans  l'église,  mais  ils  obser- 
vent bien  le  silence.  »  Les  fêtes  de  septembre  furent  re- 
haussées par  la  présence  de  Ms'  l'évêque  de  Gap.  Sa  Gran- 
deur fît  sa  visite  accompagnée  de  son  seul  domestique 
et  sans  s'être  fait  annoncer.  Il  y  eut  office  pontifical, 
matin  et  soir  ;  quoique  non  prévenus,  les  pèlerins  étaient 
très  nombreux  ;  nombreux  aussi  les  prêtres  arrivés  des 
environs,  qui  faisaient  une  belle  couronne  au  pontife. 
Après  la  grand'messe  pontificale,  il  y  eut  un  dîner  de 
vingt-cinq  couverts;  Mf  Arbaud  se  montra  bienveillant 
pour  les  Pères  et  parut  satisfait  de  tout  ce  qu'il  avait  vu 
au  Laus.  Ce  qui  n'empêchait  pas  le  P.  Dupuy  de  dire  : 
«  L'évêque  de  Gap  est  un  mystère.  »  Cette  année,  tous 
les  pèlerins  demandèrent,  avec  instance,  d'être  reçus 
de  la  confrérie  du  Sacré-Cœur  de  Jésus,  établie,  comme 
nous  l'avons  vu,  dans  le  sanctuaire  de  Notre-Dame  du 
Laus. 

Cependant,  l'église  avait  besoin  de  réparations,  la  fa- 


—  342  — 

brique  avait  peu  de  ressources  ;  les  Pères  durent  s'adres- 
ser au  préfet,  lui  demandant  l'autorisation  d'ouvrir  une 
souscription  publique.  Le  préfet  était  bien  disposé  ;  il 
obtint  du  gouvernement  600  francs  et  accorda  volontiers 
la  permission  d'ouvrir  une  souscription.  L'autorité  ecclé- 
siastique, par  la  bouche  du  grand  vicaire,  s'exprima  en 
bons  termes  en  faveur  de  la  souscription  et  permit  d'ap- 
poser le  cachet  de  l'évêché  en  têle  du  registre  des  sous- 
cripteurs, qui  fut  placé  dans  le  sanctuaire,  à  côté  de 
celui  qui  contenait  les  noms  des  prêtres  qui,  en  1818 
et  1819,  avaient  souscrit  pour  l'achat  du  couvent.  La 
souscription  n'était  que  d'un  franc  à  donner  pendant 
trois  ans,  et  les  souscripteurs  participaient  aux  fruits 
d'une  messe  qui  devait  se  dire,  pendant  les  trois  ans, 
le  1*''  dimanche  de  chaque  mois.  Les  curés  et  vicaires  de 
Gap  se  montraient  bien  disposés  à  souscrire  ;  au  mois 
de  juillet  1827,  on  avait  réalisé  1800  francs  dont  400 
étaient  dus.  C'était  insuffisant.  La  toiture  de  l'église 
avait  été  renouvelée  entièrement,  et  les  autres  répara- 
tions exigeaient  aussi  des  sommes  relativement  considé- 
rables. Nous  verrons  plus  loin  que,  grâce  an  zèle  des 
gardiens  du  Laus,  le  P.  Honorât  et  le  P.  Duput,  l'église 
put  être  restaurée  convenablement,  à  la  grande  satis- 
faction de  tous. 

III.  Vévêque  de  Gap  et  les  missionnaires  du  Laus.  — 
Nous  avons  rapporté  plus  haut  la  correspondance  qui 
s'échangea,  en  1825,  entre  Me'  Arbaut  et  le  R.  P.  Tem- 
piER,et  aussi  l'opposition  que  l'évéque  de  Gap  avait  faite 
à  l'approbation  de  nos  Règles,  en  écrivant  à  Rome  une 
lettre  contresignée  de  l'archevêque  d'Aix  et  de  l'évéque 
de  Fréjus,  qu'il  avait  circonvenus.  Au  mois  de  mars  182(5, 
Me'  Arbaud  revient  sur  la  question  des  dimissoires  et  se 
plaint  qu'on  ait  donné  peu  de  missions,  dans  son  dio- 
cèse, l'an  dernier.  Sur  le  premier  point,  il  exige  que  ses 


-^  343  — 

sujets  rentrent  dans  son  diocèse,  s'ils  cessent  d'être 
membres  de  la  Société  et  si  la  Congrégation  se  retire  du 
Laus.  Sur  le  second  fait,  le  petit  nombre  des  missions 
données  dans  son  diocèse,  M^'  Arbaud  se  montre  vrai- 
ment exigeant.  Outre  la  grande  mission  de  Gap  à  la- 
quelle prirent  part  trois  missionnaires,  dont  deux  du 
Laus,  ceux-ci  avaient  donné  quatre  missions  dans  le 
diocèse  de  Gap.  Fallait-il  donc  que  tous  les  membres  de 
la  Société  fussent  occupés,  toute  l'année,  à  évangéliser 
les  ouailles  de  M.^"  Arbaud?  C'est  ce  que  lui  répondit  le 
P.  Tempier. 

M^""  Arbaud  lui  répliqua  le  21  avril.  Il  admet  qu'il  faut 
faire  une  distinction  entre  l'abandon  du  Laus  par  la 
Congrégation  et  le  congé  donné  par  l'évêque,  mais  il 
n'en  est  pas  moins  vrai  que  la  Congrégation  des  Oblats 
peut  dégénérer,  si  elle  n'est  pas  sous  la  juridiction  de 
l'évêque  diocésain  ;  le  Supérieur  aussi  peut  n'être  pas 
assez  discret  dans  la  distribution  du  travail  à  donner 
dans  un  diocèse. 

Ainsi,  l'évêque  de  Gap  n'abandonne  rien  de  ses  pré- 
tentions; c'est  lui  qui  doit  être  le  Supérieur  général 
de  la  Société,  lui  seul  peut  empêcher  que  la  Société  ne 
dégénère,  et  faire  une  juste  répartition  des  travaux  de 
ses  membres.  Toujours  aussi,  même  refus  de  donner 
des  dimissoires  sans  clause  restrictive.  «  Si  vous  voulez, 
dit-il,  les  dimissoires  du  jeune  Martin,  je  les  enverrai 
en  ajoutant  :  Salva  reverentiajuxta  canones  nobis  débita. 
Je  sais  bien  que  tant  que  M.  de  Mazenod  dirigera  la  So- 
ciété, nous  nous  entendrons  bien  ;  mais  je  me  crois 
obligé  à  éviter  les  blâmes  de  mes  successeurs.  »  Quand 
il  parlait  ainsi,  Ms'  Arbaud  savait  cependant  que  les  Rè- 
gles de  la  Société  avaient  été  approuvées  par  Rome  et 
que  Rome,  n'ignorant  pas  les  canons,  se  réservait  la  gou- 
verne, par  l'intermédiaire  d'un  Supérieur  général,  des 


~  344  — 

congrégations  qu'elle  approuvait,  sans  nuire  aux  vrais 
droits  de  l'évêque  diocésain. 

Le  9  mai,  M^''  Arbaud  envoyait  au  P.  Tempier  les  di- 
missoires,  ornés  de  la  fameuse  clause  :  Salva  reve7'entia, 
des  FF.  Martin  et  Richaud,  promus  au  sous-diaconat  ; 
«  sans  méfiance,  disait-il,  des  dispenses  personnelles  que 
peut  avoir  M.  de  Mazenod  pour  l'établissement  du  Laus 
et  pour  les  missionnaires  du  diocèse,  car,  tant  que  le 
Saint-Siège  ne  l'autorise  pas  à  ordonner  ses  sujets,  ils 
restent  sous  la  juridiction  de  l'ordinaire...  La  Congré- 
gation demeurant,  sous  plusieurs  rapports,  dépendante 
de  l'ordinaire  n'aura  qu'à  y  gagner.  »  Les  congrégations 
affectent  beaucoup  «  de  respect  pour  le  Saint-Siège  dont 
elles  sont  éloignées  et  méprisent  les  évêques.  Un  mission- 
naire a  dit  que  l'Église  était  un  gouvernement  monar- 
chique, espèce  d'erreur  qui  met  de  côté  le  posuit  vos  epis- 
copos  et  l'autorité  locale...  » 

Enfin,  dans  une  lettre  du  H  août.  M»'  Arbaud  écrivant 
à  M.  DE  Mazenod,  supérieur  général,  se  plaint  que  Mar- 
tin, nouvellement  ordonné,  ne  lui  ait  pas  écrit  :  «  Le 
sujet  doit  toujours  être  attaché  à  son  diocèse  et  conserver 
quelque  chose  de  l'esprit  du  diocèse...»  Il  se  plaint  éga- 
lement qu'on  ait  parlé  en  chaire  du  gouvernement  mo- 
narchique de  rÉglise  ;  il  termine  en  protestant  de  l'intérêt 
qu'il  porte  et  a  toujours  porté  à  la  «  Congrégation,  de 
là  vient  qu'il  signale  les  petits  torts.  Les  sentiments  per- 
sonnels qu'il  professe  pour  son  estimable  et  aimable 
Supérieur  le  rattachent  à  la  Congrégation  ». 

Ces  derniers  mots  sont  à  remarquer  ;  l'intérêt  que 
M^'  Arbaud  porte  à  la  Société  ne  repose,  en  définitive, 
que  sur  les  avantages  qu'elle  peut  procurer  au  diocèse 
et  sur  les  sentiments  personnels  du  prélat  à  l'égard  du 
Supérieur  général.  La  Société,  telle  qu'elle  est  consti- 
tuée, ayant  pour  but  un  apostolat  général,  ne  lui  plaît 


—  345  — 

en  aucune  façon;  elle  a,  comme  telle,  ]es petits  torts  de 
dépendre  du  Souverain  Pontife,  de  mettre  de  côté  l'auto- 
rité locale  et  de  prétendre  faire  le  bien  ailleurs  que  dans 
le  diocèse  de  Gap.  Tout  cela,  selon  le  mot  de  Léon  XII 
que  rappelle  M.  de  Mazenod,  dans  sa  réponse,  est  anti- 
canonique :  Questi  poi  e  anticanonico.  C'est  du  particula- 
risme étroit  ;  c'est  aussi  la  méconnaissance,  en  fait,  de 
l'autorité  suprême  du  pontife  romain  ;  pour  tout  dire, 
c'est  du  pur  gallicanisme. 

Ce  fut  le  P.  Suzanne  qui  remit  à  M^""  Arbaud  la  réponse 
du  Supérieur  général.  Il  eut  avec  lui  un  entretien  de 
deux  heures,  où  il  fut  longuement  question  de  l'établis- 
sement du  Laus.  Toujours  hanté  par  la  crainte  qu'on 
abandonnât  le  Laus,  l'évêque  proposa  un  accord  qui  de- 
vait rester  secret  entre  lui  et  le  Supérieur  général,  et 
totalement  ignoré  des  sujets  de  la  Société.  Si,  parleurs 
fautes,  les  missionnaires  quittaient  le  Laus,  ils  laisse- 
raient à  l'évêque  de  Gap  la  faculté  de  demandera  Rome, 
par  voies  canoniques,  au  moins  quelques  sujets  de  la 
Congrégation,  pour  continuer  l'œuvre  du  Laus,  le  pape 
les  délivrant  ou  non  de  leurs  vœux  de  persévérance  dans 
la  Société;  si,  au  contraire^  les  missionnaires  quittaient 
le  Laus  ayant  à  se  plaindre  de  l'évêque  de  Gap,  celui-ci 
perdrait  son  droit  de  réclamer  des  sujets  ;  que  l'on  con- 
sente à  cet  accord,  et  l'évêque  de  Gap  donnera  à  ses  dio- 
césains toute  liberté  d'entrer  dans  la  Congrégation  et 
confiera  à  ses  membres  la  direction  de  son  grand  sémi- 
naire. Comme  autrefois  le  P.  Tempier,  le  P.  Suzanne 
rassura  l'évêque  en  lui  disant  que  le  P.  de  IVIazenod 
n'avait  aucune  intention  de  quitter  le  Laus;  on  pouvait 
créer  ailleurs  de  nouveaux  établissements  à  mesure  que 
les  sujets  deviendraient  plus  nombreux,  sans  abandon- 
ner les  postes  que  Ton  occupait  déjà.  Il  n'eut  pas  de 
peine  à  démontrer  que  l'accord  proposé  était  inaccep- 


—  346  — 

table,  parce  qu'il  était  odieux  et  subversif  des  constitu- 
tions mêmes  de  la  Société.  On  se  rappelle  que  M»""  Ar- 
baud  n'avait  pas  accepté  le  projet  du  P.  Tempier 
demandant  la  cession  de  l'établissement  du  Laus  en 
toute  propriété,  projet  plus  praticable  et  offrant  une  sé- 
rieuse garantie  de  fixité  au  Laus.  L'évêque  de  Gap  était 
trop  avisé  et  craignait  trop  de  compromettre  ses  intérêts 
diocésains  pour  accueillir  la  proposition  du  P.  Tempier; 
il  ne  dut  pas  s'étonner  que  M.  de  Mazenod  n'entrât  pas 
dans  un  projet  d'accord  qui  mettait  en  péril  les  intérêts 
non  moins  graves  de  sa  Société  religieuse. 

IV.  Travaux  apostoliques  des  Pères  du  Laus  {l'anvier  1826- 
mfl«"1827). —  Dès  les  premiers  jours  de  janvier,  le  P.  Mo- 
REAU  et  le  P.  Touche  donnaient  une  retraite  dans  la  pa- 
roisse de  Valbelle,  commune  de  520  habitants,  canton 
de  Noyers-sur-Jabron,  diocèse  de  Digne.  M^'  de  Miollis 
n'avait  accordé  des  pouvoirs  que  pour  huit  jours;  en  si 
peu  de  temps,  on  ne  put  faire  tout  le  bien  désirable. 

Le  8  janvier,  les  PP.  Honorât  et  Guibert,  plus  tard 
aidés  par  les  PP.  Jeancard  et  Touche,  commençaient 
l'importante  mission  de  Ribiers.  C'est  un  gros  bourg  de 
1  260  habitants,  situé  sur  le  Buëch,  et  chef-lieu  de  can- 
ton de  l'arrondissement  de  Gap.  «  La  population  est,  au 
fond,  bonne  et  réfléchie,  écrit  le  P.  Guibert  ;  mais,  au 
début,  on  ne  se  remuait  pas  beaucoup  pour  les  confes- 
sions, quoiqu'on  vînt  nombreux  aux  exercices.  Les 
cœurs  restaient  froids  comme  les  neiges  et  les  rochers 
au  milieu  desquels  ils  vivent  ;  la  grâce  cependant  finira 
par  triompher,  et  il  y  aura  peu  de  personnes  qui  ne  pro- 
fitent pas  de  la  mission.  »  Les  espérances  du  P.  Guibert 
ne  furent  pas  déçues  ;  d'abord  lent  à  se  rendre,  ce  peuple 
lit  bien  les  choses  ;  les  quatre  missionnaires  et  le  curé 
eurent  fort  à  faire  pour  entendre  les  confessions.  Deux 
faits  extraordinaires  achevèrent, par  la  grâce  de  Dieu,  de 


~  347  — 

déterminer  les  retardataires.  Il  y  avait,  dans  cette  pa- 
roisse, un  prêtre  qui  avait  apostasie  pendant  la  grande 
Révolution  et,  malgré  ce  scandale,  bien  vu  par  la  popu- 
lation; il  se  convertit  sincèrement,  à  la  grande  édifica- 
tion de  tous.  Un  autre  événement  produisit  une  impres- 
sion douloureuse,  mais  salutaire.  Un  malheureux  qui, 
tombé  malade,  refusa  les  sacrements  jusqu'à  la  dernière 
heure,  vint  à  mourir.  Il  fut  enterré  sans  prêtre  et  privé 
des  prières  de  l'Eglise.  Ainsi  Dieu  secondait  le  zèle  des 
missionnaires. 

Le  P.  Honorât  étant  fatigué,  avait  laissé  tous  les  grands 
sermons  au  P.  Jeancard;  le  P.  Guibert  travaillait  tou- 
jours mieux.  Très  simple,  mais  très  solide  dans  ses  ins- 
tructions, il  confessait,  malgré  sa  jeunesse,  tout  ce  qu'il 
y  avait  de  distingué  parmi  la  population. 

En  même  temps  que  la  mission  de  Ribiers  se  donnait 
celle  de  Noyers-sur- Jabron  par  les  PP.  Dupuy  et  Albini. 
C'est  le  P.  Dupuy  qui  nous  rend  compte  de  ce  travail, 
après  une  description  pleine  d'humour  du  voyage  que  les 
Pères  firent  d'Aix  à  Noyers.  Comme  il  est  beaucoup  ques- 
tion du  saint  P.  Albini,  on  nous  pardonnera  de  men- 
tionner ici  cette  mission. 

Donc,  d'après  le  P.  Dupuy,  qui  écrit  de  Noyers  le  14.  jan- 
vier, les  deux  missionnaires  partirent  d'Aix  en  voiture; 
le  P.  Albini  en  était  presque  scandalisé,  et  pour  mieux 
se  conformer  à  nos  constitutions,  il  fit  à  pied  la  montée 
de  Venelles.  On  s'arrêta  à  Griéoux;  en  route,  les  Pères 
avaient  eu  à  souffrir  d'un  froid  intense  et  de  la  compa- 
gnie de  deux  jeunes  gens  dont  les  propos  peu  convena- 
bles furent  vertement  relevés  par  le  P.  Albini,  ce  qui  les 
obligea  à  être  plus  honnêtes.  A  Digne,  ils  firent  une  visite 
à  l'évêque,  ils  le  trouvèrent  dans  son  lit  et  coiffé  de  la 
façon  la  plus  étrange.  L'évêque  leur  désigna  pour  champ 
de  travail  Noyers-sur-Jabron,  d'environ  1100  habitants, 


--  348  — 

chef-lieu  de  canton,  à  deux  heures  de  Ribiers  seulement, 
aux  confins  du  diocèse  de  Gap.  Les  deux  Pères  ayant  dîné 
au  grand  séminaire,  et;,  munis  de  tous  les  pouvoirs,  re- 
prirent leur  marche.  Le  P.  Albini,  toujours  désireux 
d'imiter  les  apôtres,  voulut  faire  route  à  pied  ;  le  P.  Dupuy 
loua  un  cheval,  le  monta,  après  l'avoir  chargé  des  va- 
lises. Le  P.  Albini  suivait  à  pied;  on  s'entretenait  de  su- 
jets pieux,  et,  de  temps  en  temps,  on  chantait  des  can- 
tiques. Cependant,  la  route  s'allongeait,  et  les  jambes 
du  pauvre  P.  Albini  refusaient  leur  service.  Il  fut  bien 
forcé  d'accepter  la  monture  que  lui  offrit  le  P.  Dupuy, 
non  sans  plaisanter  son  confrère.  «  Qu'auriez-vous  donc 
fait  si  vous  étiez  venu,  sans  voilure,  d'Aix  à  Digne  ?  » 
Le  P.  Albini  répondit  humblement  :  «  Spiritus  promptus 
est,  caro  autem  infirma.  »  Enfin,  ils  arrivèrent  à  Volone, 
à  8  heures  du  soir.  Le  lendemain,  toujours  à  pied,  ils 
entraient  à  Noyers-sur-Jabron,  qui  est  à  13  kilomètres 
de  Sisteron.  En  cheminant,  le  P.  Albini  accostait  tous 
les  passants,  leur  parlait  du  bon  Dieu,  et,  à  toute  occa- 
sion, leur  disait  d'édifiantes  paroles. 

La  population  de  Noyers  fît  un  excellent  accueil  aux 
deux  missionnaires.  Quoique  disséminée  dans  cinq  ou 
six  hameaux,  dont  quelques-uns  étaient  éloignés  de  l'é- 
glise de  plus  d'une  lieue,  elle  fut  fidèle  à  assister  aux 
exercices.  Huit  jours  après  l'ouverture,  les  Pères,  acca- 
blés de  confessions,  demandèrent  de  l'aide,  le  P.  Jean- 
CARD  leur  fut  envoyé  de  Ribiers,  et  il  donna  surtout  les 
sermons.  Le  résultat  de  cette  mission  a  été  consigné 
dans  le  registre  paroissial  de  Noyers  par  le  curé  lui- 
même.  «  La  mission,  y  est-il  dit,  eut  un  entier  succès, 
il  ne  resta  qu'un  très  petit  nombre  de  personnes  qui  n'ap- 
prochassent pas  des  sacrements.  La  communion  géné- 
rale des  femmes  fut  d'environ  400  au  moins,  et  celle  des 
hommes,  au  moins  du  même  nombre;  la  population 


—  349  — 

comptait  environ  4  200  âmes...  Les  missionnaires  étaient 
au  nombre  de  trois,  le  supérieur  Dupuy,  natif  d'Aix  ; 
Jeancard,  du  diocèse  de  Fréjus,  et  Albini,  de  Nice.  Ces 
messieurs  étaient  des  Missionnaires  de  Provence  et  de 
Notre-Dame  du  Laus.  La  mission  a  duré  un  mois. 

C'est  pendant  cette  mission  qu'eut  lieu  la  guérison 
miraculeuse  d'un  homme  paralysé  de  la  langue,  dans  la 
chapelle  de  Saint-Claude,  alors  que  le  P.  Albini  disait  la 
messe  (1). 

Immédiatement  après  la  mission  de  Noyers-sur-Ja- 
bron,  s'ouvrait  à  Aubagne,  diocèse  de  Marseille,  une 
grande  mission  à  laquelle  prirent  part  les  missionnaires 
du  Laus,  le  P.  Touche  et  le  P.  Moreau.  Ils  rejoignirent 
les  PP.  Suzanne,  Mie,  Dupuy  et  Albini,  qui  avaient  ouvert 
la  mission  le  17  février.  Dès  la  première  semaine  com- 
mença le  travail  des  confessions,  les  tribunaux  de  la  pé- 
nitence ne  cessèrent  d'être  assiégés  ;  telle  fut  l'affluence 
des  pénitents,  que,  dès  minuit,  ils  venaient  à  l'église 
pour  prendre  leur  place  et  passer  à  leur  tour.  Au  milieu 
de  ces  rudes  travaux,  les  missionnaires  reçurent  une 
immense  joie  :  le  P.  Tempier  vint  à  Aubagne  leur  appor- 
ter l'heureuse  nouvelle  de  l'approbation  de  nos  Saintes 
Règles  par  Léon  XII. 

La  mission  d' Aubagne  terminée,  les  PP.  Touche  et 
MoREAU  prirent  quelque  repos  dans  leur  maison  du  Laus. 
Aux  Pâques,  le  P.  Touche  fit  un  retour  de  mission  à 
Ribiers  à  l'occasion  de  la  visite  de  l'évêque  de  Gap.  Les 
fruits  de  la  mission  persévéraient,  tous  les  gens  firent 
leurs  Pâques,  et  les  congrégations  qu'on  avait  établies 
donnaient  beaucoup  de  consolations  au  pasteur  de  la 
paroisse.  Le  P.  Touche  donna  ensuite  une  retraite  à 
Banot-le-Haut,   où  il  confessa  tout  le  monde,  et  aussi  à 

(1)  Voirie  R.  P.  Albini,  Réponse  au  questionnaire  de  sainteté. 

T.  XXXV.  24 


-  3oO  -- 

Bâtie-Vieille,  deux  petites  communes  de  l'arrondisse- 
ment do  Gap.  Le  1"  juin,  le  même  père,  avec  un  com- 
pagnon qu'il  ne  nomme  pas,  évangélisait  Saint-Didier, 
à  5  kilomètres  de  Saint-Élienne-en-Dévoluy.Le  mission- 
naire écrivait  :  «Notre  retraite,  à  Saint-Didier,  a  marché 
à  merveille,  250  personnes  ont  déjà  fait  leur  commu- 
nion ;  nous  aurons  les  autres,  une  cinquantaine,  avant 
la  Saint-Jean  (24  juin).  » 

Saint-Didier  pouvait  compter  alors  oOO  habitants. 

Le  24  septembre,  les  PP.  Honorât  et  Touche  commen- 
çaient la  mission  de  Saint-Julien-en-Champsaure,  com- 
mune d'environ  700  habitants,  du  canton  de  Saint- 
Bonnet,  au  diocèse  de  Gap. 

a  Les  gens  sont  suffisamment  instruits,  intelligents  et 
pleins  de  bonne  volonté  ;  malgré  leurs  travaux,  ils  sont  à 
l'église  à  4  heures  et  demie  le  matin  etle  soir  à  6  heures.» 
Ainsi  s'exprime  le  P.  Honorât  le  surlendemain  de  l'ouver- 
ture des  exercices.  Quinze  jours  après,  il  écrit  :  «  La 
mission  va  rondement,  nous  sommes  quatre  confesseurs, 
M .  l'abbé  Gailhol  (de  Marseille),  qui  est  avecnous,  a  du  mal 
avec  la  langue  des  gavots  (gens  de  la  montagne)  ;  il  ne  la 
comprend  guère  et  n'est  guère  compris,  il  nous  est  pour- 
tant d'un  grand  secours.  Les  plus  endurcis  se  sont  sentis 
émus  par  la  cérémonie  de  pénitence.  »  Enfin,  dans  la 
dernière  semaine,  les  chcses  allèrent  de  mieux  en  mieux, 
les  cérémonies  de  la  consécration  à  la  Sainte  Vierge  et  du 
renouvellement  des  vœux  du  baptême,  firent  grande 
impression  et  donnèrent  le  coup  de  grâce  aux  récalci- 
trants. La  mission  fut  très  satisfaisante.  Les  P.  Dupuy, 
MoREAU  et  Albini  travaillaient  à  Upaix  dans  la  dernière 
quinzaine  de  novembre  et  y  donnaient  une  mission. 
Upaix  est  une  commune  d'environ  700  habitants,  à  5  kilo- 
mètres de  Laragne,  chef-lieu  de  canton  de  l'arrondisse- 
ment de  Gap.  Les  missionnaires  nous  font  un  portrait 


--  351   — 

peu  flatteur  de  la  population  ;  en  général,  elle  était  mal 
disposée,  indifférente,  et  semblait  n'avoir  plus  qu'une 
foi  bien  faible.  Les  trois  premiers  jours  qui  suivirent 
l'ouverture  de  la  mission,  qui  eut  lieu  le  15  novembre, 
furent  employés  à  visiter  tous  les  habitants  en  particu- 
lier dans  leurs  hameaux.  Les  débuts  furent  difficiles  ;  à 
peine  une  centaine  de  personnes  aux  exercices,  et  encore 
beaucoup  trouvant  le  sermon  trop  long,  sortaient  avant 
la  fin.  La  deuxième  semaine  vit  l'auditoire  augmenter, 
mais  les  confessions  étaient  rares. 

Les  missionnaires  ne  perdirent  pas  courage,  la  grâce  de 
Dieu  seconda  leurs  efforts,  et,  après  la  cérémonie  de  pé- 
nitence toujours  très  touchante,  une  centaine  d'hommes 
commencèrent  à  se  confesser;  presque  toutes  les  femmes, 
au  nombre  de  2:20,  firent  la  communion  générale.  Le 
P.  MoREAU  écrivait  quelques  jours  après  la  clôture  : 
«  Presque  toute  la  population  d'Upaix  s'est  approchée 
des  sacrements,  il  n'est  resté  parmi  les  hommes  que 
quelques  endurcis,  entre  autres  un  certain  avocat  impie 
qui  fît  beaucoup  de  mal,  en  ne  cessant  de  parler  contre 
les  missionnaires.  Même  parmi  ces  endurcis,  il  en  est 
qui  ont  paru  touchés  à  la  fin  et  qui  ont  l'intention  de 
s'adresser  au  curé.  » 

Ainsi,  cette  paroisse,  qui  avait  paru  si  rebelle  au  zèle 
des  missionnaires,  fut  renouvelée  par  la  grâce  de  la 
mission. 

Le  P.  Albini  ayant  terminé  ses  confessions  à  Upaix,  se 
rendit,  non  loin  de  là,  dans  la  petite  commune  de  Saint- 
Pierre- Avez,  le  9  décembre,  il  y  passa  quinze  jours  et 
y  donna  le  jubilé  (1).  Pendant  la  mission  d'Upaix,  le 
P.  Touche  donnait  une  retraite  de  jubilé  à  Rabou,  petit 
village  de  290  habitants,  à  41  kilomètres   de  Gap.  On  y 

(1)  Voir  le  R.  P.  Albini,  Réponse  au  questionnaire  de  sainteté, 
p.  28  et  30. 


—  352  — 

voit  des  ruines  de  fortifications  d'environ  1000  mètres 
de  circonférence,  attribuées  aux  Sarrasins. 

Le  26  décembre,  le  P.  Touche  écrivait  :  «  Hommes  et 
femmes  ont  été  édifiants,  tous  ont  fait  leur  devoir.  Il  y 
a  des  hommes  qui  n'ont  pu  se  confesser  qu'après  deux 
nuits  d'attente.  La  congrégation  des  hommes  que  j'y  ai 
établie  a  à  sa  tête  un  vieux  capitaine  bien  décidé  à  la 
faire  marcher  non  moins  bien  que  celle  des  filles.  » 

Le  P.  Touche  ayant  terminé  la  retraite  de  Rabou  vers 
le  10  décembre,  en  commença  immédiatement  une  autre 
au  Poët,  du  canton  de  Laragne,  diocèse  de  Gap.  Cette 
retraite  porta  d'heureux  fruits,  et  bien  des  hommes  re- 
vinrent à  la  pratique  de  leurs  devoirs  de  chrétiens. 

Nous  signalerons,  à  la  fin  de  cette  année  1826,  la 
grande  et  belle  mission  qui  fut  donnée  à  Digne  par  les 
PP.  Mie,  Jeancard  et  Guibert.  Cette  mission  de  jubilé 
s'ouvrit  le  3  novembre  et  se  clôtura  vers  le  11  décembre. 

On  peut  lire,  dans  la  Vie  du  cardinal  Guibert,  d'intéres- 
sants détails  sur  la  mission  et  sur  le  succès  qui  la  cou- 
ronna (1).  Dans  les  mois  de  janvier  et  defévrier  1827,  les 
Pères  du  Laus,  PP.  Dupuy  et  Moreau,  évangélisèrent  deux 
paroisses  du  diocèse  de  Nîmes.  Rentrés  au  Laus  dans  les 
premiers  jours  de  mars,  le  P.  Dupuy  garda  le  sanctuaire, 
et,  le  9  mars,  le  P.  Moreau  partait  avec  le  P.  Touche 
pour  donner  une  mission  à  Rével,  commune  de  770  ha- 
bitants, canton  duLauzet,  au  diocèse  de  Digne,  Les  mis- 
sionnaires arrivèrent  à  destination  après  avoir  traversé 
de  belles  et  horribles  montagnes;  la  neige  était  tombée 
abondante.  Le  peuple  fut  enchanté  de  recevoir  les  Pères 
du  Laus,  et  dès  l'ouverture  des  exercices,  qui  eut  lieu  le 
Il  mars,  les  gens  vinrent  nombreux  à  l'église,  malgré  la 
tourmente  des  neiges  qui  ne  cessait  pas.  La  procession 

(1)  Vie  du,  cardinal  Guibert,  t.  I,  chap.  v;  les  Missions,  p.  183-194. 


~  353  — 

de  pénitence  fut  particulièrement  pénible  pour  le  Père 
qui  portait  la  croix  nu-pieds.  «  Je  ne  soupçonnais  pas, 
dit-il,  que  la  neige  fût  si  froide.»  Le  quatrième  dimanche 
de  carême,  communion  générale  des  femmes  et  belle 
procession  du  Saint  Sacrement  ;  la  communion  générale 
des  hommes,  qui  eut  lieu  le  dimanche  de  la  Passion,  sur- 
passa en  nombre  celle  des  femmes,  qu'on  n'avait  pas  eu 
le  temps  de  confesser.  La  mission  se  clôtura  par  la  plan- 
tation de  la  croix,  qui  fut  très  solennelle  et  très  édifiante. 
Le  P.  Touche  partit  immédiatement  pour  Gap,  où  il  allait 
exercer  son  ministère  au  collège.  Le  P.  Moreau  resta 
quelques  jours  encore  à  Revelet  regagna  le  Laus. 

Le  24  avril,  nous  retrouvons  nos  deux  infatigables 
missionnaires  à  Orcières,  chef-lieu  de  canton,  arrondis- 
sement d'Embrun,  au  diocèse  de  Gap.  Ici,  la  lutte  fut 
plus  vive  qu'à  Revel  ;  Orcières  ne  jouissait  pas,  dans  le 
pays,  d'une  réputation  sans  tache,  les  mœurs  n'y  étant 
pas  généralement  respectées.  Les  Pères  furent  secondés 
dans  leur  travail  par  M.  le  curé,  prêtre  excellent,  et  un 
autre  ecclésiastique  zélé.  Le  temps  était  peu  favorable; 
malgré  tout,  les  exercices  de  la  mission  furent  bien  sui- 
vis et  produisirent,  avec  la  grâce  de  Dieu,  leurs  bons 
effets  accoutumés.  Quinze  jours  après  l'ouverture,  la 
moitié  de  la  population  avait  fait  ses  pâques  dans  d'ex- 
cellentes conditions.  A  la  fin,  on  fut  étonné  des  merveil- 
leux changements  opérés,  presque  tout  le  monde  avait 
répondu  à  l'appel  de  Dieu.  Le  P.  Moreau  resta  encore 
huit  jours  après  la  clôture  et  employa  ce  temps  à  rece- 
voir les  retardataires  et  à  préparer  à  la  première  com- 
munion environ  80  enfants,  dont  la  piété  et  la  bonne 
tenue  le  consolèrent  des  fatigues  qu'il  endurait  depuis 
un  mois. 

La  mission  d'Orcières  terminait  la  série  des  travaux 
accomplis  par  la  maison  du  Laus  pendant  l'année  1826 


—  354  — 

et  pendant  les  cinq  premiers  mois  de  l'année  1827,  jan- 
vier à  mai. 

Le  diocèse  de  Gap  avait  été  bien  servi,  et  M^'  Arbaud 
ne  pouvait  se  plaindre.  Nous  y  comptons  les  A  grandes 
missions  de  Ribiers,  de  Saint- Julien -en-Champsaure, 
d'Upaix  et  d'Orcières,  un  retour  de  mission  à  Ribiers  et 
6  retraites  de  jubilé  :  Banot,  Bâtie-Vieille,  Saint-Didier, 
Saint-Pierre-Avez,  Rabou  et  le  Poët. 

De  son  côté,  le  diocèse  de  Digne  avait  bénéficié  de 
4  missions  :  Valbelle,  Noyers-sur-Jabron,  Digne  et  Re- 
vel.  Il  nous  semble  que,  cette  année  encore,  la  maison 
du  Laus  paya  largement  son  tribut  de  reconnaissance 
aux  deux  évêques  de  Gap  et  de  Digne. 

CHAPITRE  IX. 

LE   P.    MIE,  SUPÉRIEUR  DU   LAUS   POUR   LA    SECONDE  FOIS. 

(De  mars  1827  à  mars  1829.) 

I.  La  maison  du  Laus.  —  Le  personnel  et  le  temporel.  —  H.  La  pa- 
roisse, l'église  et  le  pèlerinage,  —  IIL  Ms'  Arbaud  et  les  mission- 
naires Oblats.  —  IV.  Travaux  apostoliques  des  Pères  pendant  cette 
période  de  deux  ans.  —  Vie  de  saint  Alphonse  de  Liguori. 

I.  Personnel  de  la  maison.  —  Le  P.  Mie,  supérieur  de 
Nîmes,  vint  donner  des  missions  dans  le  diocèse  d'Aix 
dans  les  mois  de  janvier  et  de  février  1827,  tandis  que  le 
supérieur  du  Laus,  le  P.  Honorât,  travaillait  dans  le  dio- 
cèse de  Nîmes.  Vers  la  fin  du  mois  d'avril,  les  deux 
Pères  échangèrent  leur  position^  le  P.  Mie  monta  au 
Laus,  dont  il  fut  nommé  Supérieur,  et  le  P.  Honorât  le 
remplaça  à  Nîmes  en  cette  même  qualité.  Les  PP.  Mo- 
REAU  et  DupuY  avaient  aussi  évangélisé  plusieurs  localités 
dans  le  Gard  ;  le  premier  revint  au  Laus  au  mois  de 
mars  ;  quatre  mois  après,  il  recevait  son  obédience  pour 


—  355  — 

la  maison  de  Nîmes.  Quant  au  P.  Dupuy,  il  fut  fixé  au 
Laus  et  y  exerça  les  fonctions  d'économe. 

Cette  année  encore,  le  P.  Suzanne,  toujours  fatigué, 
fît  un  assez  long  séjour  au  Laus;  ayant  passé  quelques 
semaines  à  Veynes,  au  château  de  Reveillac,  chez  la  fa- 
mille amie  de  M^""  de  Mazenod,  il  garda  le  sanctuaire 
pendant  que  les  Pères  donnaient  des  missions  et  des 
retraites,  depuis  le  mois  de  juillet  jusqu'au  mois  d'oc- 
tobre. En  septembre,  le  P.  Martin  faisait  partie  de  la 
communauté;  nous  le  voyons  donner,  avec  le  P.  Mie,  la 
mission  de  Tallard,  en  décembre.  L'année  suivante,  en 
juillet  1828,  le  P.  Touche  reçut  son  obédience  pour  la 
maison  de  Nîmes  ;  premier  compagnon  du  P.  Tempier,  le 
P.  Touche  était  au  Laus  depuis  1819. 

Ouvrier  infatigable,  il  avait  évangélisé  grand  nombre 
de  paroisses  des  diocèses  de  Digne  et  de  Gap,  y  prêchant 
des  retraites,  des  missions,  des  retours  de  mission  et 
remplaçant  les  curés  pour  le  ministère  paroissial.  Taillé 
en  athlète,  grand  et  large  d'épaules,  le  P.  Touche,  dont 
les  traits  de  visage  étaient  rudes  et  heurtés,  avait  la  voix 
forte  et  sonore,  et,  par  son  éloquence  sans  apprêt,  mou- 
vementée, ardente^  il  faisait  grande  impression  sur  les 
auditoires  des  campagnes.  Il  lui  arrivait  parfois  de  ne 
pas  user  de  ménagements;  ainsi,  à  Valserre,  il  faillit 
faire  manquer  la  mission,  en  indisposant  les  jeunes  gens 
du  pays  par  des  apostrophes  acerbes  et  virulentes. 

Un  incident  regrettable  fut  la  cause  de  son  change- 
ment. Une  femme  de  Chorges,  venue  en  pèlerinage  au 
Laus,  voulut  boire  à  la  fontaine  pendant  qu'on  faisait 
la  procession  ;  le  P.  Touche  qu'elle  gênait,  l'écarta  en  lui 
secouant  rudement  le  bras.  La  femme  se  fâcha,  se  plai- 
gnant d'avoir  le  bras  démis,  son  mari  porta  plainte  au 
maire  de  Chorges,  lequel  à  son  tour  en  écrivit  au  préfet 
et  à  M^"'  l'évêque  de  Gap .  Le  Père  fut  menacé  de  poursuites 


—  386  — 

devant  les  tribunaux.  Elles  n'eurent  pas  lieu  parce  que 
les  autorités  calmèrent  les  plaignants  en  faisant  donner 
40  francs  d'indemnité  à  la  victime,  et  en  obtenant  que 
le  P.  Touche  serait  éloigné  du  Laus.  Ce  fut  dans  ces 
conditions  que,  sur  la  demande  de  l'évêque,  le  P.  deMa- 
ZENOD  donna  au  P.  Touche  son  obédience  pour  Nîmes. 
Malgré  tout,  il  fut  très  regretté  à  Gap  et  au  Laus,  où  les 
pèlerins,  habitués  à  le  trouver  toujours  à  son  poste  et 
à  leurs  services,  rendaient  témoignage  à  son  zèle  (1).  Il 
fut  remplacé  parle  P.  Sumien,  d'un  caractère  plus  doux, 
mais  aussi  d'un  zèle  moins  actif. 

Au  mois  de  septembre  1828,  le  maître  des  novices  de 
Marseille,  le  P.  Guibert,  dont  la  santé  se  trouvait  mal 
d'une  vie  trop  sédentaire,  reçut  son  obédience  pour  la 
résidence  du  Laus. 

Il  fut  remplacé  dans  sa  charge  par  le  P.  Guigues,  qui, 
lui  aussi,  avait  passé  quelque  temps  au  Laus.  Dans 
une  lettre  datée  du  H  septembre,  le  P.  Guibert  écri- 
vait ce  qui  suit  :  «  Je  ne  saurais  vous  dire  combien  je 
suis  ravi  de  tout  ce  que  je  vois  dans  ce  pays  ;  la  dé- 
votion franche  et  simple  de  ces  nombreux  pèlerins  qui 
reçoivent  asile  jusque  dans  l'église  est  vraiment  tou- 
chante... Nous  avons  confessé,  entre  autres,  plusieurs  per- 
sonnes de  Grenoble  et  de  Bourg-d'Oisans...  Le  P.  Touche 
est  extrêmement  regretté,  je  doute  que  le  P.  Sumien  et 
moi  puissions  combler  le  vide  qu'il  a  laissé  et  il  serait  à 
souhaiter  que  l'évêque  de  Gap  le  rappelât.  »  Dans  le 
mois  d'avril  1828,  les  Pères  du  Laus  apprirent  qu'un 
journal  de  Marseille,  on  ne  sait  trop  pour  quel  motif  et  à 
l'instigation  de  qui,  avait  publié  un  article  où  il  était 
question  de  la  dissolution  prochaine  de  la  Société  des 

(1)  Prêchaut  sur  le  péché  mortel,  le  P.  Touche  disait  :  «  Regardez- 
moi,  je  suis  bien  laid,  plus  horrible  et  repoussante  est  la  laideur  du 
péché  !  » 


—  357  — 

Oblats.  Cette  prétendue  nouvelle  donna  lieu  à  bien  des 

commentaires,  qui  allèrent  bon  train,  surtout  dans  le 
diocèse  de  Gap.  Au  Laus,  on  ne  s'en  émut  pas  trop. 
((  Nous  ne  sommes  pas  embarrassés,  écrit  le  P.  Dupuy, 
pour  faire  face  à  l'orage,  s'il  éclate.  P.  Mie  est  recteur 
du  Laus,  P.  Touche,  deValserre,  et  moi,  je  puis  être  rec- 
teur de  Saint-Étienne  ;  ainsi  fixés,  nous  n'aurons  plus 
qu'à  mettre  un  rabat  et  un  petit  collet  et  nous  serons  à 
l'abri  jusqu'à  ce  que  l'orage  ait  cessé.  »  L'orage  n'éclata 
pas. 

Le  temporel  de  la  maison  du  Laus.  —  Quand  le  P.  Mie 
fut  nommé  Supérieur,  le  Fondateur  l'avertit  par  lettre 
que  le  P.  Duput,  l'économe  de  la  maison  du  Laus,  avait 
reçu  de  lui  des  pouvoirs  extraordinaires  pour  gérer  les 
affaires  temporelles  ;  l'économe,  qui  devait,  dans  le 
reste,  se  conformer  aux  règles,  relèverait  seulement  du 
Supérieur  général,  dont  l'approbation  lui  était  absolu- 
ment nécessaire.  Le  P.  Mie, dont  les  aptitudes  financières 
et  administratives  n'étaient  pas  très  grandes,  n'eut  pas 
de  peine  à  accepter  cette  mesure  qui  l'exemptait,  au 
temporel,  de  toute  responsabilité  et  de  tout  souci. 

Le  P.  Dupuy  avait  le  goût  et  l'aptitude  qui  manquaient 
au  bon  P.  Mie;  il  imprima  une  vive  impulsion  aux 
œuvres  déjà  commencées,  pour  mettre  l'établissement 
en  des  conditions  meilleures.  Le  P.  Touche  et  le  P.  Ho- 
norât, qui,  jusque-là,  avaient  tenu  les  comptes  et  géré 
les  affaires,  avaient  laissé  la  caisse  à  peu  près  vide;  com- 
ment se  libérer  des  dettes?  Comment  subvenir  aux  ré- 
parations du  couvent  ?  Le  P.  Dupuy  fut  assez  heureux 
pour  obtenir  de  M^'  de  Gap,  qui  en  était  propriétaire,  de 
prendre  sur  lui  de  fournir  les  frais  nécessaires.  Ce  se- 
cours vint  d'autant  plus  à  propos  que  les  ressources  de 
la  maison  avaient  diminué  ;  depuis  quelques  années,  les 
terres  avaient  peu  rendu,  les  vignes  étaient  dans  un 


—  358  — 

triste  état,  le  bois  de  Coste- Belle,  commune  de  Jar- 
jayes,  à  9  kilomètres  de  Gap,  avait  été  ravagé  par  les 
moutons  et  les  chèvres,  à  peine  le  P.  Dupuy  obtint 
60  francs  en  dédommagement  des  dégâts  qui  y  avaient 
été  commis  depuis  vingt-quatre  ans.  Ce  bois  faisait  par- 
tie du  petit  domaine  du  Laus,  loué  aux  missionnaires. 

Pendant  l'hiver  de  1827  à  1828,  les  conduites  en  bois 
de  la  fontaine  avaient  éclaté  sous  l'action  du  froid,  il 
fallut  les  réparer  ;  l'économe,  sachant  que  l'entretien 
annuel  de  ces  conduites  s'élevait  à  un  prix  bien  élevé, 
proposa  de  creuser  un  puits  à  côté  de  la  maison,  ayant 
8  cannes  de  profondeur  à  15  francs  la  canne.  «  Un  homme, 
disait  le  P.  Dupuy,  que  la  présence  de  l'eau  fait  frémir  et 
trembler,  nous  indiquera  l'emplacement  où  il  faut  creu- 
ser, nous  aurions  une  pompe  et  l'eau  ne  nous  manque- 
rait plus.  »  Ce  projet  ne  se  réalisa  que  plus  tard. 

Pour  se  créer  des  ressources  sûres,  l'économe  vendit 
avec  profit,  sur  le  prix  d'achat  primitif,  des  terres  qui 
rapportaient  moins,  pour  en  acheter  d'autres  d'un  meil- 
leur rendement.  Acquérir  des  propriétés  au  Laus  et 
autour  du  Laus,  n'était-ce  pas  une  réponse  aux  craintes 
del'évêque  de  Gap,  qui  s'imaginait  que  les  Oblats  étaient 
disposés  à  abandonner  le  sanctuaire?  N'était-ce  pas  une 
preuve  que  les  Pères  se  croyaient  pour  longtemps  au 
Laus? 

En  juin  1828,  le  Fondateur  était  au  Laus  et  procurait 
aux  Pères,  avec  les  joies  de  sa  présence,  la  faveur  d'un 
acte  de  visite  canonique.  Nous  avons  cet  acte  sous  les 
yeux,  daté  du  22  juin,  en  8  pages  in-folio,  écrit  tout  en- 
tier de  la  main  de  notre  vénéré  Fondateur  et  signé  par 
lui.  Nous  en  citons  quelques  passages  :  «  La  position  de 
la  maison  du  Laus  exposait  journellement  nos  Pères  à 
se  dissiper  et  à  perdre  l'esprit  de  recueillement  sans  le- 
quel on  ne  fera  jamais  le  moindre  progrès  réel  dans  les 


—  3S9  — 

vertus  religieuses.  Le  concours  des  pèlerins,  d'une  part; 
de  l'autre,  les  visites  fréquentes  d'un  grand  nombre  de 
prêtres  du  diocèse  et  des  diocèses  circonvoisins,  sont  le 
double  écueil  que  le  visiteur  signale  et  contre  lequel  il 
prescrit  de  sages  mesures.  Tout  en  donnant  son  temps 
aux  confessions,  on  doit  rester  scrupuleusement  fidèle 
aux  exercices  de  la  communauté.  Quant  aux  prêtres 
étrangers,  «  après  les  honnêtetés  du  premier  moment 
de  la  réception,  que  le  supérieur  seul  est  chargé  de  faire, 
l'hôte  sera  conduit  dans  l'appartement  qu'on  lui  destine, 
et  les  Pères  ne  s'entretiendront  avec  lui  que  dans  le 
temps  des  récréations  ;  ils  éviteront  d'être  trop  familiers 
avec  lui,  seront  réservés,  discrets,  et  ne  feront  pas  con- 
naître au  premier  venu  leur  façon  de  penser  et  leur  ma- 
nière d'agir.  »  Dès  lors,  on  aura  plus  de  temps  pour  se 
livrer  à  l'étude  en  se  conformant  aux  règles  qui  sont 
formelles  sur  ce  point.  «  Qui  pourra  jamais  dispenser 
de  ce  devoir  de  l'étude,  des  prêtres,  des  religieux  qui 
doivent  être  non  seulement  le  sel  de  la  terre,  mais  en- 
core la  lumière  du  monde  ?...  Nous  appelons  ne  pas  étu- 
dier, se  contenter  de  lire  tantôt  un  livre,  tantôt  l'autre, 
par  pure  curiosité  et  sans  aucun  fruit  durable.  Pour 
étudier,  il  faut  avoir  un  plan,  faire  des  lectures  qui  se 
rapportent  à.  ce  plan,  prendre  des  notes  sur  ce  qu'on 
lit,  y  ajouter  ses  propres  réflexions,  consulter  divers  ou- 
vrages qui  confirment  ou  éclaircissent  la  matière  ou  le 
sujet  dont  on  s'occupe.  On  étudie  quand  on  approfondit 
les  Ecritures  saintes,  quand  on  compose  un  discours, 
quand  on  prépare  des  instructions  pour  les  missions  et 
les  retraites...  Est-ce  là  ce  qui  se  pratique?  Pour  ré- 
pondre à  cette  question,  nous  n'osons  presque  pas  dire 
qu'à  notre  arrivée  dans  cette  maison,  nous  n'avons 
trouvé  qu'une  écritoire  avec  de  l'encre  dans  toute  la 
maison.  C'est  un  grand  désordre  qui  ne  peut  être  excusé 


—  360  — 

ni  par  les  œuvres  de  zèle  ni  par  l'assiduité  à  remplir  les 
devoirs  du  saint  ministère  auquel  on  se  livre,  nous  le 
savons,  avec  un  empressement  très  louable.  » 

Pendant  le  séjour  qu'il  fit  au  Laus,  notre  vénéré  Fon- 
dateur donna  un  bel  exemple  de  son  amour  de  la  pau- 
vreté et  de  l'observation  des  Saintes  Règles.  On  lui  avait 
préparé  une  chambre  fort  joliment  meublée,  il  ne  vou- 
lut pas  l'occuper  et  se  contenta  d'une  cellule  ordinaire, 
celle  de  Saint-Augustin,  et  il  s'y  trouva  délicieusement 
logé.  Quant  à  la  belle  chambre,  le  P.  de  Mazenod  l'in- 
terdit à  tout  religieux  et  voulut  qu'elle  fût  réservée  pour 
l'évoque  de  Gap  ou  pour  tout  autre  personnage  de 
marque  qui  honorerait  la  maison  de  sa  visite.  «  En  l'oc- 
cupant, dit  le  Fondateur,  dans  son  acte  de  visite  même, 
nous  aurions  donné  le  scandale  d'une  infraction  à  nos 
Règles,  que  nous  sommes,  grâce  à  Dieu,  tenus  d'ob- 
server comme  tous  les  autres  membres  de  la  Société.  » 

II.  Le  sanctuaire  et  le  pèlermage  (1827-1828).  —  Nous 
avons  dit  qu'on  avait  ouvert  une  souscription  pour  les 
réparations  de  l'église  du  Laus.  Les  souscriptions  arri- 
vaient lentement,  on  ne  pressait  pas  les  travaux;  le  pré- 
fet, qui  avait  alloué  600  francs,  faisait  écrire  par  son  se- 
crétaire général  que  si  les  travaux  n'étaient  pas  terminés 
pour  le  1"  novembre,  la  somme  allouée  rentrerait  dans 
le  trésor  du  roi.  Il  fallait  donc  aviser  à  faire  arriver  plus 
vite  les  ressources;  le  P.  Duput  changea  le  mode  de 
souscription,  la  porta  à  5  francs  au  lieu  de  1  franc,  et  les 
ressources  étant  venues,  il  put  terminer  les  réparations 
avant  la  fin  de  l'année.  Ainsi,  la  toiture  de  l'église  fut 
reconstruite,  les  murs  furent  blanchis.  A  l'intérieur,  on 
répara  les  autels  latéraux  ;  on  fit  repeindre  la  partie  du 
sanctuaire  où  se  trouve  la  statue  de  la  Sainte-Vierge, 
ainsi  que  les  bordures  des  fenêtres  que  l'on  garnit  de  ri- 
deaux rouges.  De  même,  les  portes  de  l'église  reçurent 


—  361  — 

une  nouvelle  couche  de  peinture,  et  les  tambours  du 
vestibule  furent  refaits  à  neuf.  Tout  l'édifice  se  présenta 
sous  un  nouvel  aspect;  il  plaisait  davantage  aux  yeux  et 
portait  plus  à  la  piété. 

L'année  suivante,  1828,  le  P.  Dupuy  compléta  les  amé- 
liorations du  sanctuaire,  en  faisant  mettre  dans  l'église 
de  bons  et  solides  bancs  en  bois  de  mélèze.  Auparavant, 
il  n'y  en  avait  que  quelques-uns,  fort  endommagés  par 
le  temps  et  peu  dignes  de  figurer  dans  le  lieu  saint.  Au 
mois  de  septembre  de  cette  même  année,  la  duchesse 
d'Angoulême  faisait  présent  d'un  bel  ostensoir  à  l'église 
du  Laus  ;  il  avait  coûté  600  francs.  Les  pèlerins  avaient 
coutume  de  passer  la  nuit  à  l'église,  parce  qu'ils  ne  trou- 
vaient pas  à  se  loger  dehors  ;  le  hangar,  qui  leur  était 
réservé,  ne  pouvait  les  abriter  tous.  Le  P.  Dupuy  le 
transforma  en  une  sorte  d'hôtellerie,  avec  des  chambres 
meublées  et  tapissées;  et  moyennant  une  modique  ré- 
tribution, elles  furent  mises  à  la  disposition  des  pèle- 
rins. Signalons  quelques  faits  particuliers  au  pèlerinage 
pendant  ces  deux  années. 

Le  célèbre  P.  Enfantin  vint  au  Laus  en  1827.  Ayant 
prêché  la  retraite  pastorale  à  Gap,  il  se  rendit  au  sanc- 
tuaire de  Marie,  y  séjourna  deux  jours  et  obtint  de  la 
Mère  de  Dieu  plusieurs  grâces.  En  reconnaissance,  il  y 
fit  dire  une  neuvaine  de  messes  et  offrit  deux  beaux 
bouquets  pour  l'autel. 

Au  mois  de  juillet  de  la  même  année,  le  préfet  de  Gap, 
dont  les  Pères  n'avaient  jamais  eu  qu'à  se  louer,  échan- 
gea son  poste  avec  le  préfet  de  Garcassonne,  M.  le  comte 
de  Beaumont,  arrière-petit-neveu,  par  sa  femme,  de 
saint  François  de  Sales.  C'était  un  bon  chrétien;  il  se 
montra  toujours  bien  disposé  pour  les  missionnaires. 
Un  jour  qu'il  faisait  son  pèlerinage  au  Laus,  il  remit  au 
P.  Dupuy  100  écus  pour  la  restauration  de  l'église. 


—  36-2  — 

En  1828,  le  concours  des  pèlerins  fut  considérable  ; 
le  jour  de  la  Pentecôte,  il  y  eut  jusqu'à  dix  processions 
de  paroisses,  malgré  un  temps  pluvieux  qui  n'arrêta  pas 
l'ardeur  des  pèlerins.  A  la  fête  de  la  Nativité,  8  sep- 
tembre, même  affluence  ;  ne  pouvant  être  hébergés  au 
hameau  du  Laus,  nombre  de  pèlerins  passaient  la  nuit 
dans  l'église  pour  y  prier  et  y  prendre  un  court  repos  : 
tout  s'y  passait,  du  reste,  avec  grande  édification. 

M.  de  Beaumont  et  sa  dame  étaient  du  nombre  des 
pèlerins  de  septembre  ;  tous  deux  prièrent  dévotement 
et  s'approchèrent  de  la  sainte  table.  Les  sentiments  si 
religieux  dont  ils  donnèrent  l'exemple  firent  une  excel- 
lente impression  dans  tout  le  pays,  et  rehaussèrent  le 
prestige  du  sanctuaire  du  Laus. 

La  même  année,  l'abbé  Gombalot  passa  deux  jours 
dans  la  Communauté  ;  il  apprit  aux  Pères  l'intention  où 
était  M^""  l'évêque  de  Grenoble  de  les  établir  dans  son 
diocèse,  et  de  leur  confier  la  desserte  de  la  paroisse  et  du 
sanctuaire  de  l'Osier.  Ce  projet  ne  se  réalisa  qu'en  i834. 

Ainsi  la  dévotion  envers  Notre-Dame  du  Laus  ne  dé- 
périssait pas  entre  les  mains  des  Oblats  de  Marie.  Rien 
n'était  négligé  pour  entretenir  et  développer  la  piété  des 
fidèles  envers  la  Très  Sainte  Vierge;  dans  ce  même  but, 
on  prépara  une  nouvelle  impression  du  petit  livre  inti- 
tulé les  Merveilles  du  Laus.  Le  P.  Dupuy  proposait  de 
joindre,  aux  Merveilles  rééditées,  une  neuvaine  pour  les 
pèlerins,  une  courte  notice  sur  les  indulgences  accor- 
dées au  sanctuaire  et  sur  celles  que  les  Pères  pouvaient 
appliquer  aux  objets  religieux  ;  enfin,  la  liste  des  pa- 
roisses qui  habituellement  venaient  au  Laus  en  proces- 
sion. Ce  plan  ne  fut  pas  tout  à  fait  adopté  par  le  P.  Jean- 
CARD,  qui  publia  sa  Notice  du  Laus  à  Marseille,  en  1829. 

Le  P.  Dupuy,  par  son  intelligence  pratique  et  son  zèle 
actif,  fut  le  principal  auteur  des  améliorations  maté- 


—  363  — 

rielles  du  couvent  et  de  l'église,  et  il  eut  sa  bonne  part 
dans  les  progrès  du  pèlerinage.  Le  bon  P.  Mie,  son  supé- 
rieur, écrivant  au  P.  de  Mazenod,  dit  du  P.  Dupuy  :  «  Il 
réussit  dans  tout  ce  qu'il  entreprend...  Les  prêtres  et 
les  ecclésiastiques  qui  viennent  au  Laus  sont  émerveillés 
des  embellissements  qu'il  a  faits  à  l'église  et  de  l'ordre 
qui  règne  dans  les  offices  ;  ils  n'admirent  pas  moins  la 
bonne  tenue  de  la  maison  et  du  jardin...  Ils  disent  : 
«  Les  Oblals  sont  riches  I  »  Vous  savez  ce  qu'il  en  est.  » 

Rien  de  particulier  à  mentionner  au  sujet  du  service 
de  la  paroisse  même  du  Laus.  Nous  dirons  seulement 
que  les  Pères  furent  aussi  chargés  de  la  desserte  de  deux 
paroisses  vacantes  :  celle  de  Saint-Étienne-d'Avançon, 
pendant  quelques  mois,  et  celle  de  Valserre,  qui  com- 
mença en  juillet  1827  et  dura  jusqu'au  mois  d'août  de 
l'année  suivante.  Un  Père  se  rendait,  tous  les  diman- 
ches, dans  la  première,  y  disait  la  sainte  messe,  faisait 
les  instructions  et  présidait  aux  offices  du  soir  ;  dans  la 
seconde,  le  Père  y  était  à  résidence. 

^l/gr  Arbaud  et  les  missionnaires  Oblats.  —  La  petite 
guerre  entre  M^''  l'évêque  de  Gap  et  le  P.  de  Mazenod 
n'avait  pas  cessé  ;  M^"^  Arbaud,  à  chaque  instant,  soule- 
vait de  pénibles  démêlés.  Le  P.  de  Mazenod  écrivait,  le 
31  janvier  1827,  au  P.  Courtes  :  «  Monseigneur  de  Gap 
refuse,  avec  mauvaise  grâce,  de  nous  donner  un  sujet... 
Il  m'a  envoyé  cinq  propositions  de  morale  sur  lesquelles 
il  demande  une  réponse  catégorique,  me  disant  que  sa 
responsabilité  est  compromise  II  !  Je  lui  ai  écrit  une  épître 
qui  pourrait  bien  amener  une  rupture.  » 

L'évêque  de  Gap  avait,  en  effet,  écrit  une  longue  lettre 
au  P.  de  Mazenod,  le  22  janvier,  dans  laquelle  il  se  plai- 
gnait des  Pères  du  Laus  qu'on  disait  relâchés  dans  leurs 
principes  de  morale.  Il  signalait,  entre  autres,  le  P.  Tou- 
che, que,  pour  cette  raison,  on  ne  pouvait  plus  supporter 


—  364  — 

dans  certaines  paroisses.  Ayant  formulé,  en  cinq  propo- 
sitions, les  principes  de  morale  avoués,  soutenus  et  sui- 
vis en  pratique  par  les  membres  de  la  Congrégation,  il 
terminait  son  réquisitoire  en  s'écriant  :  «  Qu'eût  pensé 
Benoît  XIV  de  ces  corrupteurs  de  morale  ?  » 

Le  P.  DE  Mazenod  n'eut  pas  de  peine  à  disculper  ses 
missionnaires;  il  prouva  à  l'évêque,  un  tant  soit  peu 
janséniste,  que  les  principes  de  morale  avoués,  soutenus 
et  suivis  en  pratique  par  eux,  n'étaient  autres  que  les 
principes  admis,  soutenus  et  mis  en  pratique  par  le 
bienheureux  Alphonse  de  Liguori,  principes  que  Rome 
était  loin  de  combattre. 

Le  P.  DE  Mazenod  s'étant  plaint  des  difficultés  que 
M^'  Arbaud  apportait  à  l'entrée  de  ses  diocésains  dans 
la  Congrégation,  n'accordant  que  des  dimissoh'es  aux 
bons  sujets,  tandis  qu'il  donnait  V excorporation  aux  su- 
jets médiocres,  l'évêque  de  Gap  répondit  que  les  der- 
niers étaient  partis  sans  avoir  reçu  de  réponse,  et  que  les 
premiers  avaient  besoin  de  mûrir  leur  vocation.  Nous 
aurons  une  idée  de  la  manière  d'agir,  à  la  fois  polie  et 
tracassière,  de  M^'  Arbaud,  par  les  mots  que  le  P.  de  Ma- 
zenod lui  adressait,  en  septembre  :  «  Vous  m'accordez  à 
peine  un  sujet  sur  cent,  tandis  que  nous  nous  dépen- 
sons dans  votre  diocèse...  En  ma  présence  et  en  me  par- 
lant, vous  êtes  plein  de  bonté,  et  quand  vous  m'écrivez, 
on  dirait  que  votre  encrier  est  méchant.  » 

M^'  Arbaud  ne  ménageait  pas  les  missionnaires  du 
Laus  ;  il  ne  leur  passait  rien.  Il  aimait  personnellement 
le  bon  P.  Mie,  qu'il  accueillit  avec  joie  à  son  retour  de 
Nîmes  ;  mais  il  trouvait  que  le  P.  Touche  avait  trop  de 
zèle  pour  accaparer  ses  diocésains,  et  que  le  P.  Dupuy 
était  trop  bon  quêteur. 

La  conduite  de  l'évêque  de  Gap  envers  les  mission- 
naires peut  s'expliquer  par  les  principes  théologiques 


.  -  365  — 

dont  son  esprit  était  imbu,  par  son  caractère  autoritaire 
et  par  son  antipathie  contre  les  congrégations  indépen- 
dantes de  l'ordinaire  ;  elle  était  aussi  un  résultat  de  la 
pression  morale  qu'exerçaient  sur  leur  évêque  les  rap- 
ports d'un  certain  nombre  de  curés.  Nous  disons  d'un 
certain  nombre,  car  les  plus  instruits  parmi  le  clergé  de 
Gap  se  rangeaient  du  côté  des  missionnaires  et  les  dé- 
fendaient contre  ceux  qui  les  accusaient  de  relâchement. 
Les  accusateurs  revenaient  souvent  à  la  charge  et,  sûrs 
de  ne  pas  déplaire  à  leur  évêque,  ils  lui  envoyaient,  par 
écrit,  de  violents  réquisitoires  contre  les  Pères.  L'un 
d'eux  allait  jusqu'à  dire  que  «  les  principes  des  mis- 
sionnaires, surtout  au  sujet  des  habitudinaires,  dam- 
naient les  gens,  et  que  les  Pères  étaient  comme  des  loups 
dans  la  bergerie  ». 

L'évêque,  surexcité  par  ces  accusations,  convoqua  les 
missionnaires  après  la  mission  de  Laragne,  et  dans  une 
réunion  qui  eut  lieu  au  palais  épiscopal,  il  leur  fut  si- 
gnifié de  se  défendre  contre  le  relâchement  qu'on  leur 
reprochait.  C'était  donner  satisfaction  à  leurs  adver- 
saires. «  Dans  cette  réunion,  raconte  le  P.  Mie,  les  Pères 
subirent  un  examen  rigoureux  de  leurs  principes  de 
conduite  en  mission,  au  sujet  de  la  contrebande,  des 
droits  d'enregistrement,  des  habitudinaires,  etc.,  etc. 
On  leur  dit  que  les  habitudinaires  ne  devaient  être  ab- 
sous que  si,  pendant  la  mission,  ils  s'étaient  abstenus, 
que  s'ils  promettaient  de  se  confesser  souvent  ;  on  de- 
vait refuser  l'absolution  à  ceux  qui  ne  se  confessaient 
qu'à  Pâques...  Les  Pères  protestèrent  contre  les  accusa- 
tions dont  on  les  chargeait  et  expliquèrent  leur  conduite, 
fondée  en  raison.  Ils  défendaient  de  faire  la  contrebande 
et  obligeaient  à  la  restitution,  si  elle  était  possible  ; 
quant  aux  habitudinaires  et  autres  pécheurs,  il  fallait  te- 
nir compte  des  grâces  de  la  mission...  D'ailleurs,  les 

T.  XXXV.  25 


--  366  — 

principes  du  bienheureux  Alphonse  de  Liguori,  en  fait 
de  morale,  étaient,  à  Rome,  plus  en  faveur  que  la  morale 
rigide  d'Antoine  et  de  Bailly,  » 

«  L'évêque  de  Gap,  nous  dit  le  P.  Touche,  parut  satis- 
fait de  nos  réponses,  avoua  qu'on  nous  avait  calomniés  ; 
qu'en  nous  convoquant  en  sa  présence  pour  lui  rendre 
compte  de  notre  conduite  en  mission,  son  intention 
n'avait  pas  été  de  nous  humilier  ;  puis,  il  nous  proposa 
de  faire  une  profession  de  foi  et  de  morale  pour  désa- 
buser certains  de  ses  prêtres.  » 

Cette  profession  de  foi  devenait  inutile,  pensaient  les 
Pères,  dès  que  l'évêque  était  satisfait  de  leurs  explica- 
tions; suffisamment  instruit  et  édifié  par  les  lettres  de 
M.  DE  Mazenod,  par  les  réponses  verbales  des  mission- 
naires, M^"^  Arbaud  n'avait  qu'un  mot  à  dire  à  ses  prê- 
tres. Ce  mot,  il  ne  le  dit  pas. 

La  fin  de  l'année  1827  fut  relativement  caltne,  et 
M^'  Arbaud  parut  se  mettre  en  frais  de  politesse.  Mais, 
dès  le  mois  de  janvier  ^  828,  l'évêque  de  Gap,  fidèle  à  une 
tactique  dont  le  but  caché  se  dévoile  peil  à  peu,  envoie 
à  M.  DE  Mazenod  une  nouvelle  circulaire.  Il  y  expose  les 
principes  admis,  dans  son  diocèse,  pour  l'administra- 
tion des  sacrements,  principes  avec  lesquels,  au  rapport 
des  curés,  les  missionnaires  sont  en  désaccord.  Or,  les 
choses  ne  peuvent  Continuer  ainsi,  et  ceux  qui  travaille- 
ront dans  le  diocèse  doivent  s'engager  à  suivre  nos  py^in- 
cipes.  «  Il  me  faut,  dit  l'évêque,  des  prêtres  auxiliaires, 
pour  remplacer  les  curés  dans  les  cures  vacantes  ;  elles 
deviennent  de  plus  en  plus  rares,  et  je  puis  prendre  de- 
hors ou  dans  mon  diocèse  des  prêtres  qui  resteront  chez 
moi  et  que  i'enverrai  oti  besoin  sera.  Dans  le  cas  que  vos 
missionnaires  ne  veulent  pas  remplir  cette  fonction, 
dites-moi  si,  n'ayant  plus  les  ressources  de  l'argent  des 
prêtres  auxiliaires,  vous  pensez  pouvoir  rester  au  Laus,  » 


—  367  — 

Pour  qui  sait  lire,  il  ne  paraît  pas  douteux  que  l'évêque 
de  Gap  voulait,  par  cette  prétendue  uniformité  de  prin- 
cipes d'administration  des  sacrements  et  par  cette  me- 
sure de  n'employer  que  des  prêtres  étrangers  ou  de  son 
diocèse  comme  prêtres  auxiliaires,  amener  M.  de  Maze- 
NOD  à  quitter  le  Laus. 

M.  DE  Mazenod  ne  se  laissa  pas  prendre  dans  les  filets 
que  l'évêque  tendait  sous  ses  pieds,  et  lui  répondit  par 
une  lettre  très  ferme  et  très  digne.  Sur  la  question  des 
principes  adoptés  dans  le  diocèse  de  Gap,  «  on  ne  peut 
hésiter,  disait-il,  entre  le  particularisme  étroit,  frisant 
l'hérésie,  des  principes  diocésains,  entachés  de  jansé- 
nisme, et  les  principes  adoptés  par  Rome  et  par  les  théo- 
logiens qu'elle  approuve.  »  Sur  la  question  des  prêtres 
auxiliaires,  «  les  Missionnaires  ont  prouvé  jusqu'ici  qu'ils 
ne  refusaient  pas  le  travail.  Si  ce  travail  venait  à  leur 
manquer,  l'évêque  avait  un  moyen  facile  de  leur  pro- 
curer des  ressources  légitimes  en  nommant  l'un  d'eux 
vicaire  du  Laus,  Du  reste,  ajoute  le  P.  de  Mazenod,  alors 
même  que  l'évêque  de  Gap  ne  prendrait  pas  cette  me- 
sure de  justice  attestant  son  attachement  aux  mission- 
naires, lui,  M.  de  Mazenod,  refuserait  de  quitter  le  dio- 
cèse et  ne  s'en  retirerait  que  Contraint  et  forcé.  » 

M^'  Arbaud,  devant  ces  déclarations  si  franches,  fut 
bien  forcé  de  se  montrer  satisfait.  Il  écrivit  au  Supérieur 
général  le  19  avril  :  «  J'ai  été  très  satisfait  de  votre  der- 
nière lettre.  Les  petits  brouillards,  qui,  pendant  quelque 
temps,  avaient  altéré  nos  rapports,  seront  dissipés  sans 
doute  pour  toujours.  Si  j'avais  été  à  votre  place,  j'aurais 
été  peiné  par  mes  lettres  ;  si  vous  aviez  été  à  la  mienne, 
vous  les  auriez  faites  comme  moi.  » 

Dès  lors,  M»'  Arbaud  se  montra  prévenant  envers  le 
P.  de  Mazenod  et  bienveillant  pour  ses  missionnaires.  Il 
se  mit  en  devoir  d'obtenir,  pour  un  Père  du  Laus,  un 


—  368  — 

Litre  de  vicaire,  et  invita  gracieusement  Ms'  Fortuné 
de  Mazenod,  évêque  de  Marseille,  à  venir  auLaus  en  com- 
pagnie de  son  neveu,  M.  de  Mazenod,  supérieur  général 
des  Oblats.  Avec  les  missionnaires,  il  usa  de  procédés 
bienveillants,  il  leur  répéta  plusieurs  t'ois  qu'il  n'avait 
pas  eu  l'intention  de  les  blesser  dans  sa  lettre  au  P.  Supé- 
rieur général,  que  ce  n'était  pas  son  intention  qu'ils  quit- 
tassent le  Laus,  «  qu'il  en  serait  à  la  mort  ».  Il  eut  même 
pour  eux  des  attentions  délicates,  il  leur  faisait  de  temps 
en  temps  quelques  présents,  et  un  jour  il  leur  envoya 
un  couple  de  pigeons  paitus.  Enfin,  il  revint  un  peu  de 
ses  répugnances  à  accorder  à  ses  sujets  la  permission 
d'entrer  dans  la  Société  ;  nous  disons  un  peu,  car,  évêque 
avant  tout,  il  s'appliquait  à  donner  des  excorporations 
aux  sujets  médiocres,  et  des  diraissoires  seulement  aux 
meilleurs. 

M^'  Arbaud  avait  fait,  cette  année  J828,  une  visite  au 
mont  Genèvre,  où  il  s'était  rencontré  avec  M^""  l'évêque  de 
Pignerol.  Il  en  revint  avec  la  pensée  de  proposer  au 
Supérieur  des  Oblats  de  fonder,  au  mont  Genèvre,  une 
maison  qui  serait  succursale  du  Laus. 

Le  mont  Genèvre  est  situé  entre  Suse  et  Briançon,  do- 
minant à  la  fois  les  vallées  du  Dauphiné  et  celles  de  l'Ita- 
lie. Ce  col  du  mont  Genèvre  est  le  plus  sûr  et  le  plus  facile 
de  tous  les  passages  ouverts  dans  la  chaîne  des  Alpes. 
Sur  un  plateau  qui  forme  le  col  est  du  côté  de  la  France, 
à  1860  mètres  d'altitude,  il  y  avait  une  petite  commune 
de  400  habitants,  du  canton  de  Briançon,  et  un  hospice, 
ancien  couvent,  occupé  par  un  franciscain.  «  C'est  là, 
écrit  le  P.  Dupuy,  à  plus  de  100  kilomètres  de  Gap,  que 
M^'  Arbaud  nous  propose  de  nous  établir  pour  nous  pro- 
curer des  ressources,  car  il  prévoit  que  dans  deux  ans  il 
n'y  aura  plus  de  paroisses  vacantes.  Nous  pourrions  avoir 
là  notre  noviciat.  Monseigneur  s'engage  à  nous  fournir 


—  369  — 

des  sujets,  ce  sont  là  de  bonnes  intentions...  Mais...» 
Il  y  avait,  en  effet,  de  bonnes  intentions  dans  le  projet 
proposé  par  M^'  Arbaud;  toutefois,  plusieurs  excellentes 
raisons  déterminèrent  M.  de  Mazenod  à  ne  pas  l'accepter. 
Il  lui  parut  que  le  gouvernement  ne  consentirait  pas  à 
laisser  cet  établissement  entre  les  mains  d'une  congré- 
gation non  reconnue  ;  en  acceptant  une  succursale  du 
Laus,  aux  limites  du  diocèse  de  Gap,  il  courait  le  risque 
de  voir  un  jour  l'évêque  ou  ses  successeurs  supprimer 
le  Laus  et  confiner  les  Oblats  au  mont  Genèvre.  Pouvait- 
il  beaucoup  compter  même  sur  l'évêque  actuel  qui,  jus- 
que-là, s'était  montré,  malgré  ses  bonnes  paroles,  si  tra- 
cassier  envers  les  missionnaires  et  si  peu  généreux  à 
fournir  des  sujets  à  la  Congrégation.  Ce  projet  ne  se 
réalisa  pas,  et,  cette  fois  encore,  la  finesse  diplomatique 
de  Ms'  Arbaud  échoua  devant  la  perspicacité  et  la  pru- 
dence du  Fondateur  des  Oblats. 

Travaux  apostoliques.  —  Nous  avons  signalé  les  mis- 
sions et  retraites  données  par  les  Pères  du  Laus,  dans  la 
première  moitié  de  l'année  1827.  Aux  premiers  jours  de 
septembre,  les  PP.  Mie  et  Touche  se  rendaient  à  Val- 
serre.  C'est  une  commune  de  523  habitants,  située  sur 
les  deux  rives  de  l'Avance,  canton  de  Bâtie-Neuve,  à 
14  kilomètres  de  Gap.  Sur  le  mont  Saint-Maurice  qui 
domine  le  village,  il  y  a  une  chapelle  où  l'on  se  rend  en 
pèlerinage.  Cette  paroisse  était  vacante  par  suite  de  la 
mort  de  son  curé,  et  Monseigneur  avait  demandé  qu'on 
y  donnât  une  mission. 

Dans  la  première  semaine,  un  incident  fâcheux  faillit 
compromettre  le  succès  de  cette  mission.  Le  P.  Touche, 
dans  une  instruction  par  trop  véhémente,  apostropha  les 
jeunes  gens  du  pays  en  des  termes  peu  parlementaires 
et  alla  jusqu'à  les  traiter  d'imbéciles.  Le  mot  n'était  ni 
flatteur,  ni  évangélique.  Les  jeunes  gens  n'assistèrent 


-  370  — 

plus  aux  instructions.  Le  P.  Touche  quitta  Valserre  et 
fut  remplacé  par  le  P.  Dlpuy  pendant  une  semaine.  L'af- 
faire fut  portée  à  la  connaissance  de  l'évêque  et  du  pré- 
fet, qui  s'employèrent  à  calmer  les  esprits.  Le  P.  Touche 
put  revenir,  les  jeunes  gens  eux-mêrpes  ne  lui  gardèrent 
pas  rancune  et  s'adressèrent  à  lui  pour  la  confession. 
Malgré  ce  contre-temps  regrettable,  la  mission  eut  un 
excellent  résultat, et  le  P.  Martin,  qui,  après,  desservit  la 
paroisse,  écrivait  :  «  La  mission  a  changé  la  physionomie 
du  pays;  auparavant,  la  population  était  des  plus 
bruyantes,  la  jeunesse  n'était  jamais  en  repos  ;  depuis, 
tout  le  monde  est  paisible,  et  l'on  espère  garder  long- 
temps les  fruits  de  l'année  sainte.  « 

Après  la  mission  de  Valserre,  M^''  de  Gap  envoya  les 
mêmes  Pères,  Mie  et  Touche,  à  Arvieux,  en  Queyrac.  La 
commune  comptait  environ  900  habitants,  dont  300 pro- 
testants environ  de  la  religion  de  Calvin,  ayant  leur  tem- 
ple. Arvieux  est  du  canton  d'Aiguilles  et  de  l'arrondis- 
sement de  Briançon  ;  non  loin  d'Arvieux,  au  hameau  des 
Escoyères,  on  voit  les  ruines  d'un  couvent  de  bénédic- 
tins. Voici  le  portrait  religieux  que  les  Pères  nous  tra- 
cent de  la  population  catholique,  composée  do  500  à 
600  personnes,  qu'ils  avaient  à  évangéliser. 

«  Le  contact  des  protestants  avec  les  catholiques  a 
porté  un  dommage  considérable  à  la  foi  de  ces  derniers 
qui  ne  sont  pas  assez  persuadés  que  leur  religion  est  la 
seule  véritable.  De  plus,  et  par  suite  de  cette  absence  de 
conviction  ferme,  ils  n'ont  chez  eux  ni  croix,  ni  images  ; 
ils  communiquent  avec  les  protestants  dans  leurs  céré- 
monies religieuses,  assistent  à  leurs  convois  funèbres  et 
gardent  leurs  livres  hérétiques.  » 

Les  Pères  furent  prudents  ;  ils  exposèrent  avec  force 
les  vérités  catholiques  et  prémunirent  les  vrais  chrétiens 
contre  l'influence  de  l'erreur,  sans  blesser  les  prêtes- 


~  371  — 

tants.  La  population  catholique  vint  aux  exercices  avec 
assez  d'assiduité,  plus  de  280  personnes  s'approchèrent 
des  sacrements,  et  l'on  put  établir  une  congrégation  de 
fdles.  Et,  ce  qui  montre  que  les  missionnaires  n'avaient 
pas  travaillé  en  vain,  on  fit  publiquement  un  autodafé 
de  livres  hérétiques  qui  furent  jetés  au  feu.  De  retour  au 
Laus,  les  missionnaires  y  firent  leur  retraite  annuelle, 
puis  se  remirent  en  campagne. 

Pendant  trois  semaines,  fin  octobre  et  novembre,  les 
PP.  M}E  et  Touche  évangélisèrent  Laragne.  C'est  un  chef- 
lieu  de  canton  des  Hautes- Alpes,  arrondissement  de  Gap, 
comptant  près  de  1  000  habitants.  Tout  près,  au  hameau 
d'Arzélières,  on  voit  les  ruines  d'un  ancien  château,  des 
restes  de  remparts  et  des  vestiges  d'une  très  ancienne 
église. 

On  avait  dépeint  la  population  de  Laragne  aux  mis- 
sionnaires sous  des  couleurs  assez  sombres,  et  ils  s'at- 
tendaient à  de  grandes  difficultés  pour  y  faire  le  bien. 
Sans  doute,  il  n'y  avait  pas,  comme  à  Arvieux,  des  pro- 
testants mêlés  aux  catholiques,  mais  les  indifférents  y 
étaient  nombreux,  la  division  régnait  entre  les  familles 
et  les  usuriers  ;  les  maquignons,  voleurs  de  chevaux,  j 
faisaient  fortune,  au  détriment  de  la  morale  et  du  pro- 
chain. Les  choses  marchèrent  mieux  qu'on  ne  pouvait 
l'espérer. 

«  Dès  la  première  semaine,  écrit  le  P.  Mie,  le  peuple 
s'est  montré  bon,  naïf,  docile  et  respectueux  envers  les 
missionnaires  ;  tout  le  temps  qu'ont  duré  les  exercices, 
l'église  n'a  pas  désempli  ;  les  gens  n'ont  pas  tardé  à  ve- 
nir à  confesse,  toutes  les  femmes  ont  fait  la  communion, 
et  il  n'est  guère  resté  que  dix  ou  douze  hommes  qui 
n'ont  pas  profité  de  la  mission.  Tous  ceux  qui  sont  re- 
venus à  Dieu  ont  donné  des  marques  de  la  sincérité  et 
de  la  solidité  de  leur  conversion.  Les  maquignons,  dont 


—  372  — 

on  nous  avait  dit  tant  de  mal,  ont  fait  merveilles  ;  les 
bourgeois,  qui  se  haïssaient  et  ne  se  parlaient  plus,  ont 
communié  les  uns  à  côté  des  autres  et  se  sont  franche- 
ment réconciliés;  enfin,  les  principaux  de  la  paroisse 
ont  donné  l'exemple  et  se  sont  fait  inscrire  sur  le  re- 
gistre de  la  congrégation  des  hommes  !  Gloire  à  Dieu!  » 

Le  P.  Mie  prit  quelques  jours  de  repos,  puis  il  donna 
une  mission  à  Tallard  avec  le  P.  Martin,  venu  au  Laus 
dès  le  mois  de  septembre.  Nous  connaissons  déjà  Tallard, 
ce  chef-lieu  de  canton,  situé  sur  une  hauteur  qui  do- 
mine la  Duranee,  à  14  kilomètres  de  Gap.  C'était  autre- 
fois un  pays  important,  comme  l'attestent  les  ruines 
d'un  château  du  onzième  siècle  et  dont  la  chapelle  est 
classée  parmi  les  monuments  historiques. 

La  mission-jubilé  de  Tallard  dura  trois  semaines  et 
finit  à  Noël.  Le  P.  Touche  ne  fit  que  paraître  à  Tallard, 
et  laissa  le  P.  Mie  et  le  P.  Martin  continuer  le  travail. 

Le  P.  Martin  débutait,  croyons-nous,  comme  mission- 
naire ;  il  prêcha  l'instruction  du  matin  et  fit  la  glose  le 
soir,  et  s'en  tira  à  son  honneur  et  à  la  satisfaction  de 
son  auditoire.  Le  P.  Mie,  à  cause  de  ses  infirmités,  con- 
fessait relativement  peu  ;  aussi  le  P.  Martin  fut  surchargé 
de  confessions.  La  mission  de  Tallard  n'eut  pas  un 
grand  succès  du  côté  des  hommes,  une  soixantaine  seu- 
lement gagnèrent  leur  jubilé  ;  les  femmes  répondirent 
mieux  à  la  grâce  du  jubilé.  Tallard  fut  le  quatrième 
grand  jubilé  prêché  par  les  Pères  du  Laus,  dans  le  dio- 
cèse de  Gap,  en  l'année  1827. 

En  dehors  de  ces  travaux,  oii  plusieurs  Pères  étaient 
occupés,  il  y  eut  aussi,  cette  même  année,  nombre  de 
travaux  accomplis  par  un  seul  Père. 

Le  21  janvier,  le  P.  Touche  donnait  une  petite  mission 
à  la  Rochette,  près  la  Bâtie-Neuve,  à  9  kilomètres  de 
Gap.  Le  même  Père  était,  en  fait,  l'aumônier  du  collège 


—  373  — 

de  Gap,  dont  150  jeunes  gens  sur  200  s'adressaient  à  lui 
pour  la  confession.  Quand  il  était  au  Laus,  il  se  rendait 
fréquemment  au  collège  de  Gap,  y  entendait  les  confes- 
sions, y  donnait  des  retraites  et,  bien  des  fois,  il  quit- 
tait, avant  la  fin,  ses  grandes  missions  pour  se  mettre  au 
service  de  cette  jeunesse,  afin  qu'elle  n'eût  pas  trop  à 
souffrir  de  ses  absences.  Aussi  l'évêque,  qui  ne  fut  pas 
toujours  tendre  pour  le  P.  Touche,  appréciait  son  dé- 
vouement, lui  donnait  tout  pouvoir  et  lui  permettait 
même  de  recruter,  dans  cette  maison,  tous  les  sujets 
qu'il  voudrait  faire  entrer  dans  la  Congrégation.  Les 
autorités  du  collège  étaient  au  mieux  pour  le  P.  Touche 
et  se  félicitaient  d'avoir  un  prêtre  si  zélé,  qui  rendait 
leurs  fonctions  moins  difficiles. 

Au  mois  de  mai,  de  concert  avec  le  P.  Mie,  le  P.  Tou- 
che prépara  à  la  première  communion  tous  les  enfants 
de  Gap  qui  n'avaient  pu  la  faire  dans  leurs  paroisses  res- 
pectives. 

Au  mois  de  juin,  nous  le  voyons  pendant  quinze 
jours  dans  la  petite  commune  de  la  Chapelle,  dépen- 
dant de  Glémence-d'Ambelle. 

En  juillet,  il  évangélise  la  Mure,  dans  le  diocèse  de 
Digne,  du  canton  de  Méouilles,  arrondissement  de  Cas- 
tellane.  Entre  temps,  il  reparaissait,  pour  quelques  jours, 
dans  les  paroisses  déjà  évangélisées. 

Enfin,  en  décembre,  il  est  au  Poët  et,  après,  à  Re- 
mette. 

Plus  âgé  et  moins  robuste  que  le  P.  Touche,  le  P.  Mie, 
en  dehors  des  grandes  missions,  ne  se  livrait  guère  à  de 
petits  travaux;  il  alla,  cependant,  prêcher  une  retraite 
de  huit  jours  à  Saint-Eusèbe,  du  canton  de  Saint-Bonnet, 
au  diocèse  de  Gap. 

Le  P.  DupuY  était  plus  spécialement  chargé  de  la  des- 
serte du  Laus,  des  intérêts  temporels  de  la  maison  et  du 


—  374  - 

sanctuaire.  Nous  ne  tpouvons  à  son  actif,  comme  mis- 
sionnaire, que  le  jubilé  qu'il  donna  seul  à  Lépine,  du 
canton  de  Serres  et  du  diocèse  de  Gap;  il  fut  aidé  par 
trois  prêtres,  et  le  jubilé  réussit  bien.  «  Le  P.  Dupuy  a 
parfaitement  réussi  à  Lépine,  dit  le  P.  Mie  :  trois  prêtres 
l'assistaient  ;  tout  a  été  à  merveille,  et  ce  sont  les  prêtres 
qui  l'ont  assisté  qui  l'attestent.  » 

La  première  mission  de  l'année  1828  fut  donnée  en 
janvier,  à  VitroUes,  du  canton  de  Barcelonnette,  arron- 
dissement de  Gap,  par  le  P.  Touche.  Cette  commune  est 
située  sur  une  haute  terrasse,  dominant  la  gorge  de  la 
Déoule  ;  on  y  voit  les  ruines  d'un  ancien  château  sei- 
gneurial et  d'une  ancienne  maison  des  templiers,  le 
couvent  de  Donzard.  Voici  en  quels  termes  le  P,  Mie 
rend  compte  de  la  mission  de  VitroUes  :  «  Le  P.  Toucoe 
a  remporté  là  une  victoire  complète  ;  avant  lui,  des  mis- 
sionnaires, qui  avaient  travaillé  dans  cette  paroisse,  ne 
gagnèrent  pas,  paraît-il,  la  confiance  des  gens.  Le  P.  Tou- 
che, faisant  allusion  au  passé,  avait  dit  :  «  Vous  pouvez 
«  vous  confesser  tranquillement,  j'emporterai  vos  pé- 
«  chés.  »  Cette  boutade  ne  fut  pas  du  goût  de  tout 
le  monde  ;  toutefois,  les  gens  allèrent  se  confesser  au 
P,  Touche,  même  ceux  que  le  curé,  par  trop  exigeant, 
obligeait  par  vœu  à  se  confesser  à  lui. 

Nous  signalons,  en  passant,  une  mission  de  cinq  se^ 
maiqes  qui  se  donna  à  Sénac,  arrondissement  d'Arles  et 
du  diocèse  d'Aix;  deux  Pères  du  Laos  y  prirent  part:  le 
P,  Mie,  qui  la  dirigeait,  et  le  P.  Dupuy,  qui  avait  pour 
compagnons  les  PP.  Jeancard  et  Richaud. 

Cette  mission  qui  eut  lieu  fin  janvier  et  en  février,  en 
raison  du  caractère  des  habitants,  n'eut  pas  un  résultat 
éclatant,  mais  elle  produisit  beaucoup  de  bien. 

, Après  ce  travail,  le  P.  Mie  visita  plusieurs  paroisses, 
pour  y  porter  secours.  En  même  temps,  le  P.  Touche, 


—  375  — 

jusqu'au  moment  où  il  quitta  le  Laus,  en  juillet,  donna 
des  retraites  paroissiales;  entre  autres,  la  retraite  de 
Valserre,  qu'il  desservait,  et  qui  fut  couronnée  de  succès. 
Nous  ignorons  le  nom  et  le  nombre  des  autres  paroisses 
qui  furent  évangélisées. 

Au  mois  de  septembre,  le  P.  Dupuy  continuait  le  mi- 
nistère du  P.  Touche  dans  les  paroisses  ;  nous  le  voyons 
h  Ribeyret,  du  canton  de  Rozans,  arrondissement  de 
Gap.  Rentré  au  Laus,  il  ne  tarda  pas  à  se  remettre  en 
campagne,  ayant  pour  compagnon  le  P.  Guibert.  En- 
semble, ils  employèrent  le  mois  d'octobre  et  une  partie 
du  mois  de  novembre  à  faire  la  visite  de  cinq  paroisses 
vacantes.  Le  P.  Dupuy  prêchait,  le  P.  Guibert  fit  quelques 
prônes;  tous  deux  entendaient  la  confession  des  per- 
sonnes qui  se  présentaient.  Cette  visite  durait  plus  ou 
moins  de  jours;  mais,  si  courte  qu'elle  fût,  partout  elle 
faisait  grand  bien.  Le  P.  Guibert  ne  peut  s'empêcher  de 
gémir  en  constatant  que  l'ignorance  règne  dans  ces  pa- 
roisses et  que  le  linge  d'église  est  dans  un  triste  état  de 
pauvreté. 

Enfin,  au  mois  de  décembre,  les  PP.  Dupuy  et  Sumien 
portèrent  des  secours  à  deux  pa^roissea,  l'une  dont  le 
nom  n'est  pas  indiqué,  l'autre,  appelée  Bersac,  du  can- 
ton de  Serres,  arrondissement  de  Gap.  Ces  visites  apos- 
toliques complétaient  les  travaux  des  missionnaires  du 
Laus,  en  l'année  1828,  dans  le  diocèse  de  Gap. 

Ainsi,  comme  les  années  précédentes,  les  Pères  du 
Laus  restaient  fidèles  aux  engagements  qu'ils  avaient 
contractés  avec  le  diocèse  de  Gap.  Nous  ne  pouvons  pas- 
ser sous  silence  la  première  mission  que  deux  Pères  du 
Laus,  P.  Mie  et  P.  Guibert,  aidés  des  PP.  Jeancard  et 
Capmas,  donnèrent,  dans  le  diocèse  de  Grenoble,  à  Bourg- 
d'Oisans,  du  second  dimanche  après  la  Toussaint  au 
8  décembre. 


—  376  — 

Bourg-d'Oisans  est  un  chef-lieu  de  canton  de  l'ar- 
rondissement de  Grenoble  et  comptait  alors  environ 
3  000  habitants.  Voici  la  description  que  nous  en  donne 
le  P.  Jeancard  :  «  Représentez-vous  un  village  enfumé, 
environné  de  plusieurs  hautes  montagnes,  taillées  à  pic, 
dans  une  vallée  étroite  et  profonde,  comme  un  abîme, 
sur  laquelle  planent  des  brouillards  continuels,  à  tra- 
vers lesquels  le  soleil  ne  se  montre  sur  l'horizon  qu'avec 
une  lueur  bien  pâle  et  pendant  deux  heures  par  jour  au 
plus.  Voilà  Bourg-d'Oisans. 

«  Le  plus  grand  nombre  des  habitants,  nourris  unique- 
ment de  laitage  et  de  pommes  de  terre  qui  épaississent 
leurs  humeurs,  vivant  dans  un  air  gras,  chargé  des 
miasmes  qui  s'exhalent  d'un  marais  fétide,  sont  en  proie, 
dans  la  belle  saison,  à  des  accès  de  fièvre...;  ils  parais- 
sent insensibles  à  tout  ;  comment  enthousiasmer  un  tel 
peuple.  » 

Ce  tableau  n'est  pas  flatté,  ne  nous  en  étonnons  pas; 
celui  qui  tient  le  pinceau  est  un  jeune  Méridional,  un 
habitué  des  grandes  villes  noyées  dans  les  chauds  rayons 
du  brillant  soleil  de  Provence.  Ce  peuple,  si  apathique 
en  apparence,  ne  fut  pas  insensible  aux  attraits  et  à  l'ac- 
tion de  la  parole  de  Dieu. 

Il  est  vrai  que  les  premiers  jours  furent  pénibles  ;  à 
cause  du  mauvais  temps,  on  ne  put  donner  toute  la  so- 
lennité désirée  à  l'ouverture  de  la  mission.  M.  le  curé, 
qui  était,  un  bon  et  saint  prêtre,  avait  annoncé,  sans 
prendre  l'avis  des  missionnaires,  l'heure  des  exercices, 
elle  était  peu  convenable  ;  de  plus,  à  l'église,  l'élévation 
de  la  chaire,  perdue  dans  les  nues,  à  plus  de  10  pieds  de 
hauteur,  ne  permettait  pas  aux  prédicateurs  de  se  faire 
entendre.  Le  P.  Guibert,  ï^upérieur  de  la  mission,  prit 
ses  mesures  pour  faire  disparaître  tous  ces  inconvé- 
nients. 


—  377  — 

Dès  lors  tout  marcha  bien  et  il  y  eut  grande  affluence 
d'auditeurs.  On  était  à  la  seconde  semaine  et  les  con- 
fessions allaient  bon  train,  lorsqu'un  incendie  violent 
éclata  dans  un  village  voisin.  Bien  qu'à  tire  d'ailes  le  vil- 
lage ne  fût  qu'à  vingt  minutes,  il  fallait  trois  heures  de 
marche  pour  s'y  rendre  de  Bourg-d'Oisans.  Il  parut  con- 
venable qu'un  missionnaire  y  allât  porter  des  secours. 
Le  P.  GuiBERT  désigna  le  P.  Jeancard  ;  mais,  réflexion 
faite,  lui-même,  s'étant  procuré  un  cheval,  l'enjamba 
et  partit.  Il  ne  revint  qu'à  minuit.  Il  avait  contribué  à 
sauver  l'église,  le  presbytère  et  deux  autres  maisons. 
Il  n'y  eut  pas  d'accidents  de  personnes,  mais  trente- 
huit  maisons  furent  brûlées  et  beaucoup  de  bestiaux 
perdus... 

La  démarche  courageuse  du  supérieur  de  la  mission 
et  les  services  intelligents  qu'il  avait  rendus  sur  le  théâtre 
de  l'incendie  firent,  on  le  comprend,  une  grande  im- 
pression sur  la  population  et  achevèrent  de  gagner  les 
sympathies  de  tous  au  supérieur  et  à  ses  missionnaires. 
Les  bourgeois  s'ébranlèrent ,  les  cérémonies  d'usage 
eurent  leur  effet  accoutumé  et  le  petit  pays  fut  com- 
plètement renouvelé.  Il  y  eut  une  communion  de 
1300  femmes  et  il  ne  resta  guère  que  50  hommes  qui 
n'eussent  pas  répondu  à  la  grâce  de  la  mission.  C'était 
une  vraie  victoire  dont  l'honneur  revenait,  après  Dieu, 
au  zèle  des  missionnaires  et  à  la  façon  tout  apostolique 
de  leurs  prédications.  Ce  résultat  fut  d'autant  plus  re- 
marqué que,  précédemment,  la  population  avait  été 
évangélisée  par  plusieurs  prédicateurs  de  renom  qui 
n'avaient  pu  secouer  l'indifférence  et  l'apathie  des  gens. 
Le  P.  GuiBERT,  en  rendant  compte  de  cette  mission  à 
M.  DE  Mazenod,  raconte  deux  faits  qui  prouvent  les 
excellentes  dispositions  du  peuple  pendant  cette  mission 
remarquable;  une  fermière,  qui  n'avait  pas  fait  sa  mis- 


—  378  — 

sion,  fut  poursuivie  de  huées  par  les  autres  femtties, 
jusqu'à  ce  qu'elle  accomplît  son  devoir;  deux  hommes 
récalcitrants  furent  amenés  à  faire  leur  mission  de  plein 
gré,  après  avoir  subi  une  sainte  violence  de  la  part  des 
habitants... 

On  peut  lire,  dans  la  Vie  du  cardinal  Guibevt,  les 
trois  lettres  qu'il  écrivit  au  P.  de  MAZErïOi),  relatives 
à  la  mission  de  Bourg-dOisans,  et  que  leur  longueur  ne 
nous  permet  pas  de  citer  ici  (1).  Terminons  par  ces  pa- 
roles du  P.  Mie  :  «  Tous  les  Pères  se  sont  dévoués  à  ce 
rude  travail  ;  le  P.  Guibert a  confessé  plus  de  200  hommes 
sans  compter  les  femmes  ;  le  P.  Jeaxcard  s'est  surpassé 
dans  ses  sermons,  et  le  P.  Gapmas,  assidu  au  confes- 
sionnal, n'a  mérité  que  des  éloges  pour  ses  instruc- 
tions. » 

Le  P.  Capmas  rentra  à  Marseille,  où  il  dirigeait  le  no- 
viciat. Les  PP.  Mie,  Guibert  et  Jeancard  reprirent  le  che- 
min du  Laus.  Là,  le  P.  Jeancard  profita  de  ses  moments 
de  loisirs  pour  travailler  à  une  nouvelle  Notice  de  Notre- 
Dame  du  LaUs,  qui  parut  l'année  suivante  (1829). 

On  sait  qu'au  commencement  de  l'année  1828,  l'abbé 
Jeancard,  missionnaire  de  Provence,  avait  publié  la  Vie 
du  bienheureux  Alphonse  de  Liguori,  sur  l'ordre,  et- on 
peut  dire,  avec  l'aide  de  M.  de  Mazenod,  qui  avait  tou- 
jours eu  pour  ce  saint  une  tendre  dévotion.  Nous  avons 
vu  que  les  enseignements  de  ce  saint  docteur  touchant 
la  suprême  autorité,  l'infaillibilité  du  Souverain  Pontife 
et  les  principes  de  sa  théologie  morale  avaient  été  adop- 
tée par  le  Supérieur  général  des  Oblats  et  imposées  aux 
missionnaires  de  sa  Société.  L'abbé  Jeancard,  dans  son 
livre,  sut  mettre  en  lumière  les  enseignements  et  les 
principes  du  saint   docteur,   presque  universellement 

(1)  Vie  du  cardinal  Guiberl,  par  M.  Paguelle  de  Follenay,  t.  1, 
chap.  V,  p.  186  à  200. 


—  379  — 

combattus,  en  France,  par  l'école  gallicane  et  les  parti- 
sans du  jansénisme.  Les  missionnaires  du  Laus,  nous 
l'avons  vu  aussi,  souffrirent  persécution  de  la  part  de 
Ms^'Arbaud,  pour  leur  fidélité  â  suivre  les  enseignements 
et  à  adopter,  en  pratique,  les  principes  de  morale  de 
saint  Alphonse  (1). 

[A  suivre.)  G.  Simonin,  o.  m.  i, 

(1)  Vie  de  il/gf  de  Mazenod,  t.  I,  liv.  III,  chap.  vu,  p.  490  à  302. 


NOS   NOUVEAUX  ÉVÊQUES 


MGR  DONTENVILLE,  0.  M.  I. 

M^"  Auguste  DoNTENViLLE  est  né  dans  le  diocèse  de 
Strasbourg,  alors  ville  française, aujourd'hui  capitale  de 
l'Alsace  annexée,  en  l'année  1857. 

Jeune  encore  il  vint  en  Amérique  chez  son  oncle,  véné- 
rable prêtre  du  diocèse  de  Buffalo. 

Le  jeune  Auguste  Dontenville  fut  envoyé  par  son  oncle 
au  collège  d'Ottawa  oij  il  fit  des  études  très  solides,  cou- 
ronnées d'ailleurs  par  un  brevet  de  maître  ès-arts,  sous 
la  direction  des  RR.  PP.  Oblats  de  Marie  Immaculée.  Le 
P.  Tabaret,  0.  M.  I.,  de  regrettée  mémoire,  était  alors 
Supérieur  du  collège  d'Ottawa. 

Le  jeune  étudiant,  appelé  par  Dieu  à  une  vie  de  renon- 
cements et  de  sacrifices,  implora  son  entrée  dans  la  Con- 
grégation des  Oblats  de  Marie  Immaculée.  Il  fît  son  no- 
viciat à  Lachine,  près  de  Montréal,  sous  la  conduite  du 
R.  P.  BoiSRAMÉ,  0.  M.  I.,  puis  fut  envoyé  à  l'Université 
d'Ottawa,  où  il  fit  son  scolasticat  sous  l'habile  direction 
du  R.  P.  MANGm,  o.  M.  I. 

Ordonné  prêtre  en  1880,  il  fut  maintenu  à  l'Université, 
où  il  devint  professeur  de  langues  et  directeur  de  l'atelier 
de  peinture  (Arf  studio),  puis  directeur  du  juniorat,  et 
professeur  de  sciences  naturelles. 

Le  R.  P.  Dontenville  parle  avec  une  égale  facilité, 
outre  l'allemand,  l'anglais  et  le  français.  Il  a  dit  lui- 
même  qu'il  ne  savait  pas  quand  il  a  appris  l'anglais. 
Très  distingué  et  très  estimé,  le  R.  P.  Dontenville  fai- 


—  381  — 

sait  le  plus  grand  bien  à  l'Université  d'Ottawa.  En  1889, 
à  cause  de  ses  éminentes  qualités,  ses  supérieurs  l'en- 
voyaient à  New-Westminster  comme  président  du  nou- 
veau collège  fondé  par  S.  G.  M-""  Durieu,  o.  m.  i. 

Le  Owl  d'Ottawa,  après  avoir  regretté  le  départ  du 
R.  P.  DoNTENViLLE,  dout  «  Ics  splendides  talents  rendraient 
sa  succession  plus  difficile  à  remplir  au  collège»,  ajoutait: 
«  Sa  nomination  comme  directeur  du  collège  de  Saint- 
Louis  à  New-Westminster,  est  la  reconnaissance  de  son 
zèle  et  de  son  habileté  dans  l'administration.  Et  nous 
n'hésitons  pas  à  dire  que,  sous  ses  soins,  le  collège  de 
Saint-Louis  va  prospérer  rapidement  dans  l'estime  de 
tous.  » 

En  effet,  par  ses  talents  et  son  désintéressement,  le 
R.  P.  DoNTENViLLE  a  assuré  le  succès  du  nouveau  collège 
de  Saint-Louis. 

Ce  fut  dans  cette  position  qu'il  se  fît  connaître  de  son 
vénérable  évêque,  M^'  Durieu,  qui ,  l'année  passée,  le 
demanda  au  Saint-Père  pour  coadjuteur.  Le  Souve- 
rain Pontife  entendit  cette  prière  qui  était  aussi  celle 
de  M^'  l'archevêque,  de  NN.  SS.  les  suffragants  et  du 
T.  R.  P.  Général  des  Oblats  de  Marie  Immaculée,  et  il 
éleva  le  T.  R.  P.  Dontenville  à  la  dignité  épiscopale  avec 
le  titre  de  Germanicopolis,  comme  coadjuteur  avec  fu- 
ture succession  de  M^''  Durieu. 

Que  le  nouvel  élu  daigne  agréer,  avec  nos  hommages 
les  plus  respectueux,  les  vœux  les  plus  sincères  que  nous 
formons  pour  sa  personne  vénérée. 

{Le  Manitoba.) 


T.  XXXV.  26 


—  382  — 

M*'''  EMILE  LEGAL,  0.  M.  L 

Nos  Petites  Annales  du  mois  d'août  1897  ont  reproduit 
un  article  de  la  Semaine  religieuse  de  Nantes,  dû  à  la 
plume  d'un  condisciple  de  M^''  Légal.  On  retrouvera  faci- 
lement ces  pages  que  nous  ne  reproduisons  pas  ici  pour 
ne  point  trop  allonger  ce  numéro.  Voici,  en  revanche, 
un  article  paru  dans  la  Presse,  journal  canadien,  à  la 
date  du  12  juin  1897  : 

L'histoire  raconte  que,  lorsque  Grégoire  IX  envoya 
ses  légats  porter  le  chapeau  de  cardinal  à  l'illustre  saint 
Bonaventure,  l'ami  et  le  rival  en  science  de  saint  Thomas 
d'Aquin,les  représentants  du  pape  trouvèrent  celui  que 
les  universités  catholiques  du  temps  appelaient  déjà  le 
Docteur  Séraphi(/ue,  occupé  à  laver  la  vaisselle  dans  un 
pauvre  couvent  de  Franciscains.  Nous  avons  tous  admiré 
cet  exemple  de  la  grandeur  alliée  à  une  étonnante  mo- 
destie. Eh  bien,  l'histoire  se  répète  parfois,  et  le  fait  qui 
s'est  passé,  il  y  a  un  mois  à  peine,  là-bas  dans  le  Nord- 
Ouest,  nous  a  paru  digne  d'être  rapproché  de  cet  épi- 
sode de  la  vie  de  saint  Bonaventure. 

Le  R.  P.  Emile  Légal,  Oblat  de  Marie,  est  depuis  dix- 
huit  ans  le  zélé  missionnaire  des  Pieds-Noirs,  dans  la 
partie  sud-ouest  du  territoire  d'Alberta.  Or,  voici  ce  qu'il 
faisait  le  6  du  mois  de  mai  dernier.  Un  pauvre  enfant 
baptisé  venait  de  mourir  sur  la  réserve  des  Gens  du  Sang. 
Selon  l'habitude,  le  missionnaire  dut  tout  faire,  descen- 
dant jusqu'aux  soins  les  plus  humbles  de  la  sépulture. 
Le  sauvage  a  tellement  peur  de  la  mort,  qu'il  abandonne 
ses  trépassés  aux  soins  du  missionnaire  quand  ils  sont 
chrétiens.  Le  matin  donc  de  ce  jour,  le  P.  Légal  avait 
fait  le  cercueil  d'une  main  fort  expérimentée  et  déposé 
dans  la  bière  le  pauvre  petit  néophyte.  Peu   d'heures 


—  383  -- 

après,  il  recevait  un  télégramme  de  M^""  Langevin,  arche- 
vêque de  Saint-Botiiface.  Le  message  était  ainsi  conçu 
en  latin  : 

Amplitudini  Tuas  congralulationes  et  omm'a  fausta. 
Crucem  pastoralem  dabo.  En  français:  a  A  Votre  Grandeur 
mes  félicitations  et  tous  mes  vœux  de  prospérité.  Je 
vous  donnerai  la  croix  pectorale.  » 

Le  missionnaire  apprenait  ainsi  qu'il  était  fait  évêque, 
comme  coadjuteur  de  M»'  Qrandin,  avec  future  suc- 
cession au  siège  de  Saint-Albert.  Dans  l'après-midi , 
S.  Gr.  M^''  Légal,  aidé  de  deux  sauvagesses,  creusait  la 
fosse  et  y  enterrait  le  pauvre  petit  Pied-Noir.  Tel  Cincin- 
natus,  jadis,  la  main  à  la  charrue,  apprenait  qu'il  était  élli 
consul  et  dictateur  de  la  puissante  république  romaine. 

Tel  est  le  nouveau  dignitaire  de  l'Église,  que  j'aime  à 
présenter  aujourd'hui  au  public  canadien.  Depuis  de  lon- 
gues années,  j'ai  l'honneur  de  connaître  le  digne  prélat, 
et  naguère, par  une  indiscrétion  qu'il  me  pardonnera,  il 
m'a  été  donné  d'entrer  dans  le  secret  d'une  volumineuse 
et  intime  correspondance  du  missionnaire  avec  un  de  ses 
meilleurs  amis.  Ceci  me  permet  d'esquisser  à  grands 
traits  la  vie  et  les  travaux  du  nouvel  évèque  mission- 
naire, et  de  montrer  à  tous  que  le  jour  du  sacre  à  Saint- 
Albert,  le  17  juin  1897,  sera  un  jour  plein  d'espérance 
pour  l'Église  catholique  dans  les  immenses  lerritoires 
du  Nord-Ouest. 

De  Nantes  au  pied  des  Montagnes  Rocheuses. 

M»''  Légal  est  Breton.  De  la  Bretagne,  il  a  cet  enthou- 
siasme qui  inspirait  Brizeux  quand  il  chantait  : 

Oh  !  qu'elle  est  belle,  ma  Bretagne  I 
Sous  son  ciel  gris  il  fairt  la  voir  : 
Elle  est  plus  belle  que  l'Espagne, 
Qui  ne  s'éveille  que  le  soir  ! 
Elle  est  plus  belle  que  Venise, 
Qui  mire  son  front  dans  les  eaux... 


-    384  — 

Des  vieux  Bretons  il  a  cet  esprit  mystique,  épris  d'i- 
déal, qui  s'allie  avec  un  grand  sens  pratique  ;  la  force  de 
caractère  est  une  ressource  féconde  d'endurance  que 
les  âmes  armoricaines  semblent  avoir  empruntée  à  leur 
terre  de  granit.  Tous   ces  traits  de  la  race,  transfor- 
més sous  la  profonde  influence  de  la  foi,  ont  fait  des 
Bretons  un  peuple  héroïque,  au  sein  duquel,  jadis,  on 
vit  éclore  ces  grandes  épopées  des  chevaliers  de  la  Table 
ronde,  le  peuple  qui  a  produit  les  Duguesclin,  les  grands 
marins  de  la  Fcance  et  les  chouans  de  la  Révolution.  Né 
un  siècle  plus  tôt,  M^''  Légal  se  fût  enrôlé  parmi  ces  preux 
qui  firent  ce  que  Napoléon  appelait  des  guerres  de  géants  : 
homme  de  notre  âge  et  prêtre,  il  a  déployé  sa  vaillance 
dans  la  rude  vie  de  missionnaire,  perdu  dans  les  soli- 
tudes immenses  de  l'Ouest  canadien.  L'héroïsme  était  le 
même,  il  n'avait  fait  que  changer  de  sphère  ;  le  Breton 
restait  toujours  le  soldat  et  le  chevalier  des  vieux  temps, 
mais  il  bataillait  pour  Dieu  et  devenait  conquérant  des 
âmes  ! 

Ms""  Légal  est  né,  en  1849,  à  Nantes,  la  vieille  ville 
ducale,  dont  le  nom  seul  réveille  tout  un  passé  de  gloire, 
les  jours  heureux  et  sombres  de  la  Bretagne;  Nantes,  la 
patrie  d'Abélard  et  le  théâtre  des  sinistres  exploits  de 
Carrier,  le  farouche  inventeur  des  noyades  de  Nantes. 

Le  futur  apôtre  y  respira  de  bonne  heure  comme  en 
une  atmosphère  de  souffle  apostolique.  Il  faut  savoir  que 
le  diocèse  de  Nantes  est  un  des  plus  féconds  en  mission- 
naires :  naguère,  plus  de  ^00  de  ses  enfants,  disséminés 
sur  tous  les  points  du  globe,  prêchaient  l'Évangile  aux 
infidèles.  Et  les  cathohques  nantais  sont  d'une  générosité 
inépuisable  pour  alimenter  par  leurs  aumônes  le  modeste 
budget  de  nos  conquérants  de  la  foi. 

Le  jeune  Nantais  fit  dans  un  des  collèges  de  sa  ville 
natale  de  solides  et  brillantes  études,  et  prit  ses  grades 


—  385  — 

à  l'Université  de  France.  C'est  alors  qu'il  acquit  cette 
culture  scientifique  qu'il  n'a  cessé  de  développer,  et 
qu'ont  admirée  comme  moi  tous  ceux  qui  ont  fréquenté 
M«'  Légal. 

Outre  les  branches  ordinaires  qui  constituent  le  pro- 
gramme des  études  classiques  el  ecclésiastiques,  il  se 
rendit  familières  bien  d'autres  matières,  telles  que  l'an- 
glais, les  questions  d'art  et  l'hébreu.  Nous  l'avons  vu, 
dans  une  de  ses  lettres,  au  milieu  de  ses  labeurs  aposto- 
liques, demander  à  son  correspondant  une  grammaire 
et  un  dictionnaire  hébraïques,  pour  se  rafraîchir,  disait- 
il,  sur  lalangue  de  Moïse  et  d'Isaïe.  Dans  le  même  temps, 
il  avait  aussi  appris  le  dessin  et  l'architecture,  qui  lui 
ont  été  si  utiles  depuis  qu'il  est  missionnaire  du  Nord- 
Ouest  ;  dessinateur  et  plus  tard  photographe,  il  a  donné 
à  plusieurs  revues  de  charmants  croquis  sur  les  scènes 
de  la  vie  et  de. la  nature  sauvages  ;  architecte,  il  a  bâti 
des  hôpitaux,  des  résidences  et  des  églises. 

Il  fut  ordonné  prêtre  en  1874.  Son  évêque  ne  voulut 
point  employer  au  ministère  des  paroisses  ce  jeune  prê- 
tre, si  distingué  et  si  savant.  Il  lui  donna  la  chaire  de 
mathématiques  dans  l'un  des  collèges  ecclésiastiques  de 
la  ville  de  Nantes.  Bien  que  M^''  Légal  ait  dit  souvent 
qu'il  n'avait  jamais  aimé  l'enseignement,  il  sut  pourtant 
se  faire  tellement  apprécier  de  tous  et  surtout  de  ses 
supérieurs  ecclésiastiques,  que,  lorsque,  quelques  années 
plus  tard,  il  demanda  à  être  relevé  de  ses  fonctions  pour 
être  missionnaire,  il  fallut  batailler  rudement  avant 
d'obtenir  le  congé  de  son  évêque,  si  libéral  aux  missions 
étrangères,  mais  qui  tenait  absolument  à  garder  ce 
prêtre  d'élite,  émiuent  professeur.  Ses  vertus  modestes 
et  ses  aimables  qualités  lui  créèrent  aussi,  parmi  ses  con- 
frères, bien  des  relations  amicales  qui  ont  survécu  à  son 
long  éloignement  du  pays  natal.  Aussi,  je  suis  persuadé 


—  386  — 

qu'on  a  dû  éprouver  une  joie  et  une  fierté  bien  légitimes 
par  tout  le  diocèse  de  Nantes,  à  la  nouvelle  de  sa  promo- 
tion à  l'épiscopat. 

Sait-on  à  quoi  employait  ses  modestes  émoluments  le 
jeune  professeur  en  vacances  ?  A  voyager,  pour  agrandir 
le  champ  déjà  bien  vaste  de  ses  connaissances,  et  jouir 
des  beautés  de  la  nature  et  de  l'art.  La  Suisse  et  surtout 
l'Italie  le  fascinaient.  Je  lui  ai  souvent  entendu  dire  : 
«  Un  voyage  à  Rome,  c'est  le  plus  beau  rêve  avant,  la 
plus  belle  réalité  pendant  et  le  plusbeau  souvenir  après.  » 
Il  ne  parlait  qu'avec  enthousiasme  du  «  pays  du  ciel 
bleu  où  habitent  les  statues  blanches  ».  Et  ce  qu'il  avait 
vu  dans  la  belle  Italie,  les  merveilles  d'art  dont  elle  est 
comme  le  musée  national,  il  le  disait  bien  et  savait  faire 
partager  son  admiration. 

Il  y  avait  déjà  si^  ans  que  le  jeune  prêtre  occupait 
avec  succès  la  chaire  de  mathématiques,  lorsqu'il  obtint 
enfin  de  son  évêque  la  permission  de  se  joindre  à  la  So- 
ciété des  Oblats  de  Marie.  La  grâce  de  la  vocation  apos- 
tolique était  tombée  sur  son  âme  ;  la  voix  du  Ciel  lui 
avait  dit  comme  à  Abraham  :  «  Sors  de  ton  pays  et  de 
ta  famille,  pour  la  terre  que  je  te  montrerai.  » 

Et  il  sortit,  pour  l'Ouest  canadien. 

Au  mois  d'août  1879,  il  entrait  au  noviciat  des  Oblats, 
à  Nancy.  On  eut  vile  fait  d'apprécier  cette  précieuse 
acquisition  dans  la  personne  de  ce  jeune  prêtre,  que 
distinguaient  une  grande  aménité  de  manières,  qui  le 
faisait  aimer  de  tous,  de  solides  vertus  religieuses,  un 
admirable  bon  sens  et  un  esprit  pratique,  des  connais- 
sances étendues,  jointes  à  une  charmante  modestie. 

L'année  suivante,  1880,  un  événement  se  produisit 
qui  hâta  son  départ  pour  l'Amérique.  C'est  l'année  si^ 
nistre  des  décrets  de  Jules  Ferry,  qui  expulsaient  brutar 
lement  des  milliers  de  religieux  de  leurs  pieuses  et  pai- 


—  387  — 

sibles  demeures.  Sous  le  coup  de  cette  persécution,  au 
mois  de  juin,  le  prêtre  novice  fut  envoyé  au  Canada  avec 
toute  une  caravane  de  religieux  du  même  ordre.  Il  disait 
à  la  France,  à  la  Bretagne,  un  adieu  qu'il  croyait  bien 
éternel,  et  cet  adieu  était  d'autant  plus  douloureux  qu'il 
était  détrempé  des  amertumes  de  l'exil.  Ce  sacrifice,  il 
l'avait  voulu,  il  le  fit  généreusement;  mais  la  bonne 
Providence  avait  son  secret  :  Monseigneur  de  Pogla  et 
un  jour  de  Saint-Albert,  vous  reverrez  la  France  ! 

Débarqué  au  Canada,  il  alla  achever  son  noviciat  dans 
la  charmante  résidence  des  Oblats  à  Lachine,  en  face  de 
la  réserve  iroquoise  de  Caughnawaga.  Le  24  septem- 
bre 1880,  fête  de  Notre-Dame  de  la  Merci,  il  faisait  sa 
profession  perpétuelle  ;  en  attendant  que  Dieu  l'appelât 
i^i  un  ministère  plus  haut,  il  était  pour  la  vie  religieux  et 
missionnaire.  C'était  l'accomplissement  d'un  de  ses  plus 
chers  désirs. 

La  saison  était  trop  avancée  pour  s'acheminer  vers  les 
lointaines  missions  de  Saint-Albert. 

Il  passa  donc  ce  premier  hiver  occupé  au  saint  minis- 
tère, successivement  à  Platlsburg,  aux  bords  du  lac 
Ghamplain,  à  Montréal  et,  plus  tard,  à  Buffalo,  oti  il 
acheva  de  se  perfectionner  dans  la  connaissance  de  l'an- 
glais, et  à  Ottawa,  où  il  ne  fut  qu'en  passant. 

Enfin,  au  printemps  de  l'année  1881,  l'ardent  mission- 
naire, au  comble  de  ses  vœux,  recevait  sa  feuille  de 
route.  A  la  tête  d'une  petite  troupe  de  missionnaires, 
tous  comme  lui  pleins  d'enthousiasme,  il  partait  pour 
les  missions  lointaines  de  M^""  Grandin.  A  cette  époque, 
ce  n'était  pas  petite  affaire  qu'un  voyage  au  Nord-Uuest  ; 
il  était  long  et  fatigant.  Le  Pacifique  Canadien  n'était 
encore  qu'à  l'état  de  grandiose  projet  :  et,  avant  d'aller 
à  destination,  il  fallut  aux  missionnaires  plus  de  cent 
jours  d'expédition,  trajet  qui  se  fait  aujourd'hui  en  trois 


—  388  — 

jours  et  demi.  La  civilisation  a  marché  à  pas  de  géants  : 
le  ministre  de  l'Evangile  en  profite,  il  arrive  plus  vite 
au  milieu  des  peuples  infidèles;  mais,  hélas  !  le  héraut 
de  l'erreur  et  le  colporteur  du  vice  en  font  autant  ! 

Cependant,  jusqu'à  Saint-Boniface,  le  voyage  fut  ra- 
pide ;  partie  en  chemin  de  fer  de  BufTalo,  le  2  mai,  la 
petite  caravane  traverse  le  Niagara  sur  le  Suspension 
Bridge,  à  Détroit,  pour  franchir  la  rivière  qui  unit  le  lac 
Huron  au  lac  Êrié  ;  le  train  est  transporté  tout  d'une 
pièce  d'un  bord  à  l'autre  sur  un  énorme  ponton  mis  en 
mouvement  par  la  vapeur;  on  fait  halte  à  Chicago,  le 
temps  de  visiter  les  immenses  et  fameux  abattoirs  ;  on 
passe  à  Saint-Paul  de  Minnesota,  à  Minnéapolis  ;  et  en- 
fin, le  4  mai,  les  missionnaires  arrivaient  à  Saint-Boni- 
face, oti  M^''  Taché  les  accueillait  avec  la  plus  paternelle 
bienveillance.  C'était  la  première  fois  que  le  vénéré  ar- 
chevêque voyait  celui  que  le  ciel  appelait  à  une  si  haute 
destinée  dans  l'Église  du  Nord-Ouest.  M^''  Taché,  qui  s'y 
connaissait  en  fait  d'hommes,  apprit  dès  lors  à  estimer 
et  à  aimer  ce  prêtre  vaillant,  qui  plus  tard,  comme 
le  disait  naguère  un  organe  manitobain,  devait  être 
«  l'homme  de  son  choix  ». 

Ce  n'est  que  le  23  mai,  que  les  missionnaires  reprirent 
leur  bâton  de  voyage,  pour  s'enfoncer  dans  la  prairie 
vaste  et  sans  limite.  Le  voyage  fut  long,  car,  cette  fois, 
ils  n'avaient  plus  à  leur  aide  les  ailes  de  la  vapeur  ;  ils  en 
étaient  réduits  aux  moyens  rudimentaires  de  locomo- 
tion, le  canot  et  la  charrette.  On  n'était  rendu  qu'au  mois 
d'août  à  Saint-Albert. 

Après  quelques  semaines  données  au  repos,  M^'  Gran- 
DiN  assignait  au  P.  Légal,  comme  sa  portion  de  l'im- 
mense vigne  confiée  à  ses  soins,  les  missions  des  Pieds- 
Noirs,  au  sud  de  Calgary,  au  pied  des  montagnes  Ro- 
cheuses, non  loin  de  la  frontière  américaine.  C'est  là 


—  389  — 

qu'il  devait  travailler,  là  qu'il  devait  répandre  ses  sueurs 
en  arrosant  une  terre  bien  ingrate,  pendant  seize  ans 
d'apostolat. 

Il  se  rendit  à  son  poste,  en  compagnie  d'un  vieux  mis- 
sionnaire, le  P.  DoucET.  C'était  au  début  de  l'hiver.  Un 
incident  dramatique  signala  ce  voyage,  qui  fut  l'initia- 
tion du  missionnaire,  allant  la  première  fois  au  feu. 
C'était  à  la  fin  du  troisième  jour.  On  avait  forcé  la 
marche  afin  d'atteindre  Fine  Coulée,  où  il  y  avait  une 
bonne  place  de  campement.  Comme  le  soleil  se  cou- 
chait, les  voyageurs  aperçurent  quelque  chose  de  noir, 
loin,  bien  loin,  dans  un  enfoncement  de  la  montagne  du 
Porc-Épic.  C'étaient  les  quelques  pins  qui  ont  donné 
leur  nom  à  la  coulée.  On  descend  dans  une  vallée  pro- 
fonde, au  milieu  de  laquelle  serpente  un  petit  ruisseau 
large  seulement  de  quelques  pieds.  Mais,  malheureuse- 
ment, quand  ils  eurent  gravi  les  hauteurs  abruptes  de 
l'autre  bord,  où  étaient  les  pins,  la  nuit  était  venue  et 
il  fut  impossible  de  trouver  du  bois  sec.  Il  fallut  redes- 
cendre :  mais  si  le  mauvais  temps  prenait,  qu'allaient- 
ils  faire  sans  bois,  sans  feu,  dans  ce  bas-fond  glacé  ?  Ce 
soir-là,  on  se  coucha  sans  feu,  après  avoir  mangé  un 
peu  de  viande  froide,  très  froide,  puisqu'elle  était  gelée, 
lis  étaient  sous  la  tente,  enveloppés  dans  leurs  couver- 
tures, se  réchauffant  comme  ils  pouvaient.  Pendant  la 
nuit,  le  P.  Légal,  plus  jeune  voyageur,  est  réveillé  par 
un  vent  violent  qui  secouait  la  tente.  C'était  le  mauvais 
temps,  c'était  la  neige,  c'était  tout  ce  qu'ils  avaient  à 
craindre.  Dans  le  bas-fond  où  ils  se  trouvaient,  la  neige, 
repoussée  par  le  vent,  pouvait  s'accumuler  à  plusieurs 
mètres  de  hauteur,  et  les  mettre  dans  l'impossibilité 
d'en  retirer  leur  wagon.  Les  chevaux,  eux  aussi,  allaient 
fuir,  pour  trouver  l'herbe  que  la  neige  recouvrait  ici.  Et 
ils  étaient  à  30  railles  de  toute  habitation;  sans  bois  et 


-  390  — 

avec  des  vivres  seulement  pour  deux  jours.  Il  était  aux 
alentours  de  11  heures  de  nuit.  Le  P.  Légal  se  lève  et 
cherche  des  yeux  les  chevaux^,  mais  la  nuit  est  si  noire 
qu'il  ne  voit  rien  et  n'entend  rien,  que  le  vent  qui  fouet- 
tait la  neige  dure  et  serrée.  Il  se  recouche.  Bientôt  un 
autre  bruit  attire  son  attention  II  lui  semble  que  quelque 
animal  ronge  des  os  tout  près  de  la  tente.  Il  demande  au 
P.  DoucET,  éveillé  comme  lui,  ce  que  cela  peut  être.  Lui 
non  plus  n'y  comprend  rien.  Ces  ravins  sont  fréquentés 
par  des  loups  et  des  ours  :  voilà  tout  ce  qu'il  sait  !...  Et 
c'est  là  tout  près,  à  deux  pas.  Le  P.  Légal  met  la  tête  hors 
de  la  tente  :  le  bruit  cesse.  Si  encore  ils  avaient  un  fusil, 
ils  pourraient  au  moins  faire  peur  à  la  bête  fauve  ;  mais 
non,  pas  une  arme  !  C'est  sans  doute  pour  cela  qu'on  vient 
les  braver  avec  tant  d'audace  !  N'y  tenant  plus,  le  jeune 
voyageur  veut  se  rendre  compte  de  la  chose.  Quel  est 
donc  cet  épouvantail  nocturne,  qui  produit  un  semblable 
bruit  ?. . .  C'est  tout  simplement  un  petit  bout  de  la  tente 
qui  frotte  sur  la  grande  herbe  sèche!...  Désormais,  ils 
peuvent  être  tranquilles  là-dessus.  Mais  la  neige  tombe 
toujours.  Enfin,  vers  les  3  heures,  le  vent  s'apaise  et  la 
neige  semble  venir  moins  épaisse.  La  fatigue  l'emporte, 
et  le  P.  Légal  s'endort,  mais  on  devine  si  son  sommeil 
fut  agité.  11  ne  rêve  que  chevaux  égarés,  des  gens  ense- 
velis dans  la  neige  ou  s'écartant  dans  l'immense  prairie, 
pour  mourir  de  froid  ou  de  faim.  Au  lever  du  jour,  il 
s'élance  hors  de  la  tente  :  la  couche  de  neige  est  au  plus 
de  4  pouces.  11  regarde  avec  anxiété  du  côté  des  chevaux  : 
les  bonnes  bêtes  étaient  là,  à  200  mètres  au  plus  loin. 
Tout  était  pour  le  mieux  :  Deogratias!  ils  ne  mourraient 
pas  encore  cette  fois  dans  un  ravin  perdu  de  la  mon- 
tagne du  Porc-Épic  ! 

Après  cette  «  nuit  d'angoisse  » ,  le  jeune  missionnaire 
arrivait,  au  début  de  décembre  J881,  sur  la  réserve  des 


-  391   - 

Piéganes.  Il  y  commençait  aussitôt  ce  laborieux  apostolat 
qui  devait  durer  seize  ans,  jusqu'à  l'heure  de  la  Pro^ 
vidence,  qui  voulait  faire  de  l'ardent  missionnaire  un  des 
pontifes  de  l'Église  naissante  de  l'Ouest  canadien. 

LE   MI8BI0NNAIRE   DES  PIEDS-N0IB8. 

Le  P.  Légal  était  donc  arrivé  en  cette  terre  des  Pieds- 
Noirs,  sa  terre  promise  à  lui.  L'idéal  de  toute  sa  vie  était 
une  réalité  ;  il  était  missionnaire  dans  toute  la  force  du 
terme  ;  car,  comme  saint  Paul,  il  pouvait  dire  qu'il  tra- 
vaillait là  où  nul  avant  lui  n'avait  semé.  La  nation  des 
Pieds-Noirs  était  encore  un  de  ces  malheureux  peuples 
assis  à  l'ombre  delà  mort.  L'homme  de  Dieu  se  mit  aus- 
sitôt à  l'œuvre.  Suivons-le  dans  ce  vaste  champ  de  ses 
labeurs  apostoliques. 

Faisons  d'abord  connaissance  avec  le  pays.  C'est  un 
coin  peu  visité  de  notre  immense  Canada.  Le  P.  Légal, 
toujours  expérimenté,  observateur  attentif  et  bonne 
plume,  va  lui-même  nous  le  décrire. 

K  Le  coin  qui  m'est  échu  ep  partage  est  tout  à  fait  à 
l'extrémité  de  ce  qu'on  appelle  les  Territoires  du  Nord- 
Ouest  ;  il  est  délimité  par  la  frontière  américaine,  les 
montagnes  Rocheuses  et  la  Colombie  Britannique.  Tout 
ce  pays,  depuis  la  rivière  la  Biche  au  nord  jusqu'à  la 
vallée  de  la  rivière  Qu'Appelle  à  l'ouest,  est  ce  qu'on 
nomme  la  grande  prairie, 'çv&'&qne,  entièrement  privée  de 
bois,  excepté  sur  quelques  collines  très  distantes  les  unes 
des  autres,  qui  rompent  seulement  l'uniformité  de  ce  dé- 
sert. Océan  de  verdure  en  ce  moment,  la  province  va 
bientôt  jaunir  aux  feux  du  soleil  de  juin  et  de  juillet,  en 
attendant  qu'elle  se  noircisse  sur  de  grandes  étendues, 
quand  les  feux,  qui,  chaque  année,  sont  allumés  par  la 


—  392  — 

malveillance  ou  la  négligence,  l'auront  désolée.  Regar- 
dez en  avant,  en  arrière,  à  droite  et  à  gauche,  c'est  tou- 
jours la  prairie  qui  se  déroule  jusqu'aux  confins  de 
l'horizon  ;  pas  un  arbre,  souvent  pas  une  colline  sur  de 
larges  étendues  pour  reposer  de  cette  fatigante  mono- 
tonie. Autrefois,  en  parcourant  ce  désert,  vous  eussiez 
rencontré  d'immenses  troupeaux  de  buffalos.  Vous  eus- 
siez vu  les  chasseurs  métis  ou  sauvages,  montés  sur  leurs 
rapides  coursiers,  à  la  poursuite  de  cette  proie  abon- 
dante, qui  semblait  ne  devoir  jamais  disparaître.  Cet  au- 
trefois date  de  sept  années  (maintenant  dix-sept  ans),  et, 
aujourd'hui,  vous  pouvez  traverser  l'immense  prairie  en 
tous  sens,  sans  rencontrer  un  de  ces  buffalos  ;  vous 
n'avez  partout  que  le  désert  et  la  solitude. 

«Cependant,  cette  solitude  n'est  pas  la  même  partout. 
Il  y  a  des  places  privilégiées.  Notre  district  du  fort  Mac- 
Leod  est  de  ce  nombre.  C'est  ce  qu'on  appelle  ici  une 
grazing  country  (terre  à  pâturage),  et  la  meilleure  ^razm^ 
country  qu'il  soit  possible  de  trouver,  dit-on.  Sur  toute 
l'étendue  de  la  prairie,  le  foin  et  les  pâturages  sont  éga- 
lement excellents;  mais  il  y  a  cet  inconvénient  que,  du- 
rant les  longs  mois  d'hiver,  la  neige  recouvre  le  sol 
d'une  couche  épaisse,  de  sorte  que  les  animaux  ne  peu- 
vent y  trouver  leur  nourriture.  Il  n'en  est  pas  ainsi  au- 
tour du  fort  Mac-Leod  ;  le  vent  ckinook,  qui  vient  au 
travers  des  passes  des  montagnes  Rocheuses,  balaye  et 
fait  fondre  la  neige  en  quelques  heures,  même  au  mi- 
lieu de  l'hiver,  de  sorte  qu'en  toute  saison,  les  animaux, 
chevaux  et  bêtes  à  cornes,  peuvent  rester  dehors,  se  nour- 
rir et  s'engraisser  sans  que  le  propriétaire  ait  aucune 
dépense  à  faire  pour  cela.  Aussi  les  compagnies  et  les 
individus  ont-ils  profité  de  ces  conditions  avantageuses 
pour  importer  ici  d'immenses  troupeaux.  De  sorte  que, 
dans  cette  région,  si  les  buffalos  sauvages  ont  disparu, 


—  393  — 

on  rencontre  de  tous  oôt'^s  d'immenses  stocks  d'ani- 
maux domestiques.  Il  y  a  quelque  temps,  je  campai  sur 
un  ranch;  c'e'èi  ainsi  qu'on  appelle  la  portion  du  pays 
affermée  par  le  gouvernement  pour  être  consacrée  à 
l'élevage  des  bestiaux.  Il  y  avait  cinq  à  six  mille  têtes  de 
bêtes  à  cornes  sur  ce  ranch  seulement  ! 

«  L'uniformité  de  la  prairie  n'est  pas  aussi  réelle 
qu'elle  le  paraît  au  premier  abord.  En  réalité,  elle  est 
encore,  surtout  de  ce  côté  où  nous  approchons  des 
montagnes,  assez  accidentée  ;  mais,  comme  le  niveau 
général  est  à  peu  près  le  même,  toutes  les  inégalités 
sont  invisibles  à  une  courte  distance  et  tout  se  confond 
dans  une  ligne  uniforme.  Mais  si  vous  voyagez  sur  un 
espace  de  quelques  milles  seulement,  vous  pourrez 
rencontrer  plusieurs  de  ces  vallées  profondes  et  escar- 
pées, que  vous  ne  soupçonniez  même  pas.  Souvent  ces 
vallées  sont  complètement  desséchées  ;  quelquefois,  au 
fond,  un  simple  ruisseau  se  plie  et  se  replie  en  innom- 
brables méandres  ;  quelquefois  enfin  ce  sont  de  vraies 
rivières  assez  considérables  qu'il  faut  traverser  à  gué.  Il 
y  a  ordinairement  des  bois  sur  les  bords  de  ces  rivières, 
mais  là  seulement.  Ces  vallées  sont  si  profondes  que 
les  arbres,  malgré  leur  hauteur,  sont  complètement 
cachés  aux  regards  jusqu'au  moment  où  on  arrive  à  la 
descente  de  la  colline. 

«  Tout  cela  fait  l'effet  d'un  océan  desséché.  L'eau  re- 
couvrait d'abord  toute  cette  vaste  étendue  dénudée  ; 
puis,  dans  la  suite  des  temps,  l'Océan  a  disparu,  ne  lais- 
sant après  lui  que  d'énormes  rivières,  qui  roulaient  dans 
toutes  les  directions  d'immenses  masses  liquides  ;  enfin 
les  rivières  se  sont  desséchées  à  leur  tour,  laissant  à  nu 
leurs  étroits  bassins,  aujourd'hui  nos  vallées.  Seules  les 
rivières  qui  prennent  leur  source  dans  les  glaciers  et  les 
neiges  des  montagnes    Rocheuses  ont  subsisté,   mais 


—  394  — 

qu'elles  sont  loin  d'occuper  maintenant  les  immenses 
vallées  qu'elles  emplissaient  jadis.  » 

Disons,  en  passant,  que  le  flair  scientifique  du  P.  Lé- 
gal ne  l'avait  pas  trompé  ;  les  explorations  récentes,  con- 
duites par  le  Geological  Survey,  d'Ottawa,  ont  établi 
l'origine  marine  des  terrains  de  l'Ouest;  ce  D'est  pas  ufl, 
mais  plusieurs  océans  successifs  qui  ont  couvert  ces 
vastes  régions,  bassins  des  mers  primitives.  Jusqu'ici  le 
missionnaire  nous  a  présenté  l'intéressant  tableau  de  la 
prairie  dans  son  ensemble.  Voici  son  aspect  particulier, 
dans  la  région  sud-ouest  qui  fut  la  patrie  des  sauvages 
de  la  tribu  des  Pieds-Noirs. 

«  Cette  ligne  découpée  à  vif  qui  limite  l'horizon  à 
l'ouest  brise  l'uniforme  monotonie  de  la  grande  prairie 
et  repose  la  vue.  Cette  ligne  s'étend,  du  nord  au  sud, 
aussi  loin  que  la  vue  peut  porter  ;  ligne  très  irrégulière 
pour  la  variété  des  sommets  et  des  pics  qui  se  succèdent 
sans  interruption.  Cependant  la  ligne  reste  quelque  peu 
continue  et  égale,  en  ce  sens  qu'il  n'y  a  pas  de  ces  pics 
isolés  qui  s'élèvent  tout  à  coup  à  une  grande  hauteur 
au-dessus  des  montagnes  environnantes.  Ils  conservent, 
au  contraire,  une  certaine  hauteur  voisine  de  la  moyenne 
générale.  Pigurez-vous  une  scie  dentelée  irrégulière- 
ment (la  Serrota  des  Espagnols),  mais  une  scie  gigan^ 
tesque  avec  la  couleur  bleuâtre  de  l'acier  s' étendant  du 
nord  au  sud  :  ce  sont  les  montagnes  Rocheuses;  les 
points  brillants  qui  étincellent  aux  feux  du  soleil  sont 
les  sommets  d'oti  la  glace  ne  disparaît  jamais.  A  environ 
lÔ  milles  d'ici,  il  y  a  les  grandes  collines  du  Porc-Épic, 
que  l'on  peut  regarder,  non  pas  comme  un  contrefort 
des  montagnes  Hocheuses  (de  ce  côté-ci,  du  moins, 
celles-ci  ne  sont  pas  des  contreforts)  ;  mais  comme  un 
premier  soulèvement  du  nord  au  sud.  Le  système  des 
montagnes  Rocheuses  elles-mêmes   se  compose  d'un 


—  395  — 

certain  nombre  de  soulèvements  parallèles,  ordinaire- 
ment trois,  courant  également  du  nord  au  sud. 

«  Une  excursion  dans  les  montagnes  serait  une  chose 
ausbi  attrayante,  sans  aucun  doute,  que  les  excursions 
de  ce  genre  faites  par  les  touristes  amateurs  dans  les 
Alpes  et  les  Pyrénées.  On  ne  trouverait  point,  par  exemple, 
les  splendides  hôtels  et  tout  le  confort  dont  la  civilisa^ 
tion  a  enrichi  les  vallées  célèbres  des  grandes  mon- 
tagnes alpines,  mais  les  vues  pittoresques,  les  solitudes 
désertes  et  sauvages,  le  grandiose  d'une  nature  que  la 
main  de  l'homme  n'a  pas  encore  essayé  de  déformer, 
apparaîtraient  dans  toute  leur  majesté  1  » 

UNE   EXCURSION   AUX   MONTAGNES   ROCHEUSES. 

Le  charme  de  ces  grandes  montagnes,  M^*  Légal  l'a 
subi,  et  il  a  su  le  décrire  en  termes  émouvants.  Elles 
semblent  se  dresser  à  nos  horizons  intellectuels  quand 
nous  les  voyons  derrière  la  magie  de  son  pinceau.  Un 
de  ses  écrits  nous  raconte  un  voyage  fait  en  juillet  1888. 

«  Comme  je  suis  nommé  inspecteur  des  écoles  catho- 
liques pour  le  district,  je  me  rendis,  pour  faire  l'inspection 
d'une  école,  à  Pincher-Creek,  localité  qui  avoisine  les 
montagnes  Rocheuses.  Là,  j'unissais  dans  les  liens  du 
mariage  un  bon  Canadien  et  une  jeune  Canadienne, 
notre  organiste.  C'était  le  premier  mariage  catholique  à 
Pincher-Creek;  grande  liesse  au  village.  Vers  midi,  noua 
commencions  notre  odyssée  vers  les  montagnes. 

Il  s'agissait  d'aller  jusque  dans  la  Crow^s  Nest  Pass,  à  la 
source  d'eau  sulfureuse  et  même  au  lac  de  la  Crow's  Nest, 
à  50  milles  de  Pincher-Creek.  Première  station  à  la  chute 
de  la  Midle  Fork,  de  l'Old  Man  River.  Nous  campons  là 
pour  une  nuit.  Jolie  cascade  de  20  à  30  pieds  avec  les 


—  396  — 

montagnes  Rocheuses  pour  fond  du  tableau.  Nous  es- 
sayons de  pêcher  le  soir  et  tout  l'avant-midi  du  lende- 
main. Le  poisson  abonde,  on  le  voit  s'acharner  à  remon- 
ter le  rapide  ;  mais,  sans  doute,  il  est  trop  occupé  de  son 
entreprise,  il  dédaigne  nos  lignes  et  nos  appâts.  Après 
dîner,  nous  levons  le  camp  et  nous  acheminons  vers  les 
montagnes,  qui  se  dressent  devant  nous,  grandes  et 
majestueuses.  Sur  les  4  heures  de  l'après-midi,  nous 
entrions  dans  la  passe  proprement  dite.  Les  montagnes 
jaillissent  à  notre  droite  et  à  notre  gauche.  Peu  après, 
nous  arrivions  à  un  petit  chantier  de  logs,  c'est  le  poste 
de  la  police;  on  nous  dit  que  nous  sommes  parfaite- 
ment sur  la  route  des  Sulphur  Springs,  et  nous  avançons 
au  milieu  de  scènes  vraiment  grandioses  :  la  rivière  qui 
serpente  en  mille  détours,  à  une  grande  profondeur  ;  les 
montagnes,  dont  les  bases  sont  revêtues  du  noir  manteau 
des  pins  de  toute  espèce  ;  les  sommets  dénudés  qui  se 
dressent  menaçants  dans  les  nues  ;  les  gorges  profondes, 
où  la  neige  entassée  n'a  pu  encore  fondre  aux  rayons 
brûlants  du  soleil.  C'est  vraiment  beau,  la  montagne! 
A  nos  pieds,  nous  foulons  un  vrai  tapis  de  gazon,  tout 
émaillé  de  fleurs. 

«  Le  parfum  des  fraises  embaume  l'air  et  nous  invite  à 
faire  halte,  mais  nous  poursuivons  notre  route.  Parfois 
pour  faire  diversion,  le  chemin  devient  escarpé  et  ro- 
cheux ;  cependant,  on  peut  se  rendre  en  wagon  jus- 
qu'aux sources.  Nous  y  arrivons  assez  tard  dans  la  soirée. 
Pendant  que  nous  établissons  notre  campement,  la  nuit 
survient  qui  nous  enveloppe  de  ses  ombres. 

«  La  source  d'eau  sulfureuse  est  très  abondante;  elle 
sort  d'une  excavation  au  pied  d'une  montagne,  élevée 
de  2  800  pieds  au-dessus  de  la  plaine  oh  nous  nous  trou- 
vons; cette  montagne  paraît  toute  petite  auprès  de  celles 
qui  s'étagent  en  arrière.  L'eau  est  bleuâtre,  a  une  assez 


—  397  — 

forte  odeur  de  soufre  et  un  léger  goût,  on  s'y  fait  très 
vite  ;  elle  est  très  froide  et  très  bonne  à  boire.  L'eau,  en 
se  déversant,  forme  une  sorte  de  marais,  et  un  grand 
dépôt  de  soufre  presque  pur.  Les  castors  avaient-ils  déjà 
apprécié  la  vertu  de  cette  eau?  On  serait  porté  aie 
croire,  car  ils  ont  construit,  pour  la  retenir,  deux  chaus- 
sées, qui  sont  en  parfait  état  de  conservation  !  —  A  la 
place  de  la  source,  les  montagnes  sont  très  resserrées  et 
forment  une  passe  étroite  sans  perspective.  Nous  vou- 
lions pousser  plus  loin  et  nous  rendre  jusqu'au  lac,  dis- 
tant de  15  milles,  pour  jouir  d'un  paysage  grandiose. 
Mais  ici  plus  de  route  à  wagon.  Nous  empruntons  des 
selles  et  nous  partons  à  cheval.  La  scène  bientôt  s'élargit 
et  l'on  se  trouve  en  présence  de  splendides  montagnes, 
parmi  lesquelles  se  distingue  le  fameux  Crow'sNest,  sorte 
de  dôme  à  escarpements  à  pic,  qui  se  dresse  à  une  hau- 
teur de  9  000  pieds.  La  route  est  sauvage.  De  plus  le 
temps,  se  mettant  à  la  pluie,  ajoute  au  grandiose  de  la 
nature.  Les  nuages  courent  dans  le  ciel  et  viennent  se 
heurter  et  se  briser  contre  ces  géants  de  pierre,  puis  se 
rabattre  sur  leurs  flancs  dénudés.  Le  lac,  auquel  nous 
arrivons  dans  l'après-midi,  est  pittoresque.  Il  est  resserré 
entre  deux  montagnes  sur  un  espace  de  plusieurs  milles. 
Nous  suivons  pendant  un  mille  environ  la  route  dange- 
reuse qui  suit  l'escarpement  sur  toute  la  longueur  du  lac. 
Figurez-vous  un  sentier  large  à  peine  pour  le  pied  du 
cheval,  avec  une  montagne  qui  souvent  surplombe  sur 
votre  tête  et  le  lac  à  vos  pieds  à  une  distance  variant  de 
30  à  100  pieds!  L'escarpement  est  à  pic,  et  si  les  pierres 
se  mettaient  à  rouler  il  faudrait  rouler  avec  elles  au  fond 
du  lac.  Mais  c'est  la  route  ordinaire,  et  quand  il  y  a  des 
accidents,  sans  doute  il  n'y  a  personne  pour  venir  les 
raconter.  Nous  nous  rendîmes  jusqu'à  un  point  où  une 
source  prodigieuse  d'une  bonne  eau  limpide  et  glacée 

T,  XXXV.  27 


—  398  - 

sort  du  flanc  de  la  montagne  à  une  hauteur  de  20  pieds, 
abondante  comme  une  rivière.  Le  soleil,  maintenant, 
brillait  au  ciel  :  que  toute  cette  nature  paraissait  belle 
et  heureuse  !  11  aurait  fait  bon  y  rester  quelques  heures 
à  pêcher  dans  le  lac  aux  eaux  vertes  et  profondes.  C'est 
bien  ici  qu'on  dit  avec  le  psalmiste  :  Mirabilis  in  altis  Do- 
minus!  {L^  Seigneur  est  admirable  dans  les  hauteurs!) 
Mais  déjà  il  fallait  songer  au  retour.  Quand  nous  arri- 
vâmes au  campement,  il  faisait  presque  nuit.  Le  lende- 
main, les  nouveaux  mariés  arrivaient  aussi  à  la  source 
sulfureuse  :  c'était  leur  voyage  de  la  lune  de  miel!  Enfin 
le  reste  de  la  semaine  se  passa  ainsi  dans  la  montagne, 
escaladant  les  rochers,  péchant  les  truites  saumonées 
de  la  rivière,  et  il  faut  le  dire  aussi,  luttant  contre  les 
maringouins  et  les  mouches  «  bulldogs  »  qui,  paraît-il, 
aiment  aussi  les  beaux  pays.  Le  samedi,  j'étais  de  retour 
à  Pincher-Creek. 

Le  lecteur  nous  pardonnera  ce  long  extrait.  Nous  ne 
sortons  pas  de  notre  sujet  :  car  c'est  l'aimable  évoque 
missionnaire  qui  parle  avec  tant  d'amour  du  pays,  dont 
il  a  fait  sa  seconde  patrie.  Puisse-t-il  persuader  à  tant  de 
nos  compatriotes,  toujours  en  quête  de  beaux  paysages 
et  de  grandes  scènes  de  la  nature,  que  nous  avons  chez 
nous  ce  qu'ils  vont  chercher  si  loin  ailleurs  ! 

En  1883,  un  grand  événement  se  produisit,  qui  changea 
bien  des  choses  dans  la  vie  du  missionnaire  et  modifia 
profondément  les  conditions  des  missions.  C'était  l'en- 
treprise du  grand  Pacifique  canadien,  qui,  en  juillet, 
cette  année-là,  fut  poussé  jusqu'à  Calgary.  C'était  le  flot 
de  la  civilisation  qui  s'avançait  rapidement  et  s'étendait 
au  large.  La  voie  ferrée  longeait  précisément  le  terri- 
toire laissé  aux  sauvages  ;  et  le  missionnaire  entendait 
chaque  jour  les  trains  aller  et  venir  dans  cette  immense 
prairie,  où  quelques  mois  auparavant  on  n'eût  trouvé 


—  399  — 

que  quelque  cheval  indien  égaré  ou  quelques  rares  anti- 
lopes 1  Déjà,  Calgary,  le  chef-lieu  des  Missions  pieds- 
noires,  promettait  de  devenir  une  ville  importante.  Les 
étrangers  affluaient,  et,  en  attendant  la  mise  en  vente 
des  lots  de  terrain,  les  nouveaux  arrivants  logeaient  sous 
des  tentes.  Cela  faisait  une  ville  de  toile  oti  il  y  avait 
beaucoup  de  bruit  et  d'affaires  ;  et  la  cité  avait  déjà  son 
journal,  le  Calgary  Hei-ald. 

LES    PIEDS-NOIRS. 

La  famille  de  Peaux-llouges  que  M^''  Légal  a  évangé- 
lisée  pendant  seize  ans,  porte  le  nom  générique  de 
Pieds-Noirs.  Au  nombre  de  près  de  8  000,  ils  sont  divisés 
en  quatre  tribus  :  les  Pieds-Noirs  proprement  dits,  les 
Sarcees,  les  Piéganes  et  les  Gens  du  Sang  ;  ces  derniers 
sont  parmi  cette  nation  ce  que  les  Pieds-Noirs  eux- 
mêmes  sont  parmi  les  Indiens  de  l'Amérique  du  Nord, 
les  hommes  les  plus  beaux,  les  plus  vaillants  et  les  plus 
nombreux.  Jadis  souverains  de  la  prairie,  comme  les 
autres  aborigènes,  ils  sont  aujourd'hui  parqués  sur  des 
réserves  plus  ou  moins  étendues  ;  et,  en  vertu  des  traités, 
depuis  la  disparition  des  buffalos,  le  gouvernement  les 
nourrit  en  leur  donnant  plusieurs  fois  la  semaine  des 
rations  de  viande  et  de  farine.  J'ai  entendu  maintes  fois 
les  missionnaires  se  plaindre  de  ce  système,  propre  à 
démoraliser  les  sauvages,  qui,  assurés  contre  la  faim, 
croupissent  dans  l'indolence.  Il  est  vrai  que,  près  de 
Mac-Leod,  le  gouvernement  a  ouvert  une  école  indus- 
trielle, dont  le  P.  Légal  fut  longtemps  le  directeur;  on 
veut  accoutumer  les  jeunes  générations  au  travail  en  les 
façonnant  aux  arts  mécaniques  et  industriels  ;  institu- 
tion qui  a  déjà  produit  d'heureux  résultats. 

M^'  Légal,  comme  tous  ceux  qui  ont  passé  dans  ces 
régions  là-bas,  est  un  grand  admirateur  de  la  beauté 


—  400  — 

physique  des  Pieds-Noirs  :  grands,  de  belle  laille,  vigou- 
reux et  fiers.  Du  reste,  nous  avons  pu  nous-mêmes  nous 
en  rendre  compte,  lorsqu'il  y  a  quelques  années,  le 
R.  P.  Lacombe  amena  au  Canada  quelques-uns  de  leurs 
chefs.  Le  premier  d'entre  eux  surtout,  Grow-foot,  le  plus 
grand  chef,  avait  en  vérité  bel  air,  quelque  chose  de 
digne  et  de  royal. 

L'intelligent  missionnaire  eut  vite  fait  de  maîtriser 
leur  langue,  à  une  époque  où  il  n'y  avait  ni  grammaire, 
ni  dictionnaires  pieds-noirs.  Il  a  même  écrit  des  pages 
savantes  sur  les  caractères  et  les  dilflcultés  que  présente 
cette  langue,  ainsi  que  ses  congénères.  Voici  quelques- 
unes  de  ses  remarques  : 

«  Le  pied-noir  ne  présente  guère  de  difficulté  de  pro- 
nonciation, il  n'y  a  qu'un  son  guttural  qui  revient  assez 
souvent.  La  difficulté  est  ailleurs.  Les  langues  indiennes 
sont  ce  qu'on  appelle  des  langues  poly synthétiques,  et  la 
langue  pied-noire  l'est  à  un  plus  haut  degré  que  beau- 
coup d'autres.  Le  sauvage  n'analyse  pas  la  proposition 
pour  en  exprimer  par  un  mot  séparé  chacune  des  par- 
ties !  non,  au  contraire,  le  génie  de  sa  langue  le  porte  à 
traduire  en  bloc,  par  un  seul  mot,  toute  sa  pensée, 
comme  elle  se  présente  à  son  esprit.  Aussi  les  conjugai- 
sons des  verbes  présentent  un  luxe  de  combinaisons  diffé- 
rentes qui  permettent  de  satisfaire  à  tous  les  besoins  des 
différentes  relations.  Exemple,  voici  une  phrase:  «  Si  tu 
veux  vite  aller  acheter  quelque  chose  pour  moi.  »  Il  nous 
faut  dix  mots  pour  dire  cela,  le  sauvage  n'en  mettra 
qu'un  où  tout  sera  renfermé  :  «  Kippetaporpommatomo- 
kiniki.  »  Le  mot  est  long,  et  plus  d'un  lecteur  se  dira 
que  après  tout  il  vaut  peut-être  mieux  dire  cela  en  dix 
mots,  que  dans  ce  verbe  long  comme  «  de  Paris  à  Pon- 
toise  I  »  Et  ailleurs  il  dit  :  c.  Les  langues  américaines, 
malgré  leurs  différences,  présentent  au  moins  toutes  un 


—  401   — 

caractère  commun,  le  polysynthétisme.  Ce  système  réu- 
nit ensemble  les  caractères  des  langues  agglutinantes, 
comme  les  dialectes  nègres,  et  des  langues  à  flexion, 
comme  celles  d'Europe.  Les  mots-racines  s'unissent  et 
s'accolent  ensemble  pour  former  des  sentences  com- 
plètes. Mais  chaque  mot-racine  ne  reste  pas  toujours 
sous  la  même  forme,  il  subit  une  multitude  de  transfor- 
mations, de  contractions  et  de  dilatations  suivant  des 
règles  très  compliquées,  car  elles  ne  se  fondent  souvent 
que  sur  l'harmonie  et  la  sympathie  des  sons.  » 

Comme  on  le  sait,  les  noms  des  sauvages  sont  presque 
tous  significatifs.  Expliquant  ce  détail  dans  une  revue 
française,  le  P,  Légal  disait  agréablement  :  «Quelques- 
uns  de  nos  élèves  indiens  sont  revêtus  des  noms  les  plus 
pompeux;  dans  la  saison  chaude,  les  autres  vêtements 
sont  très  sommaires.  Un  garçon  s'appelle  le  Chanteur 
matinal,  une  fille  se  nomme  ta  Divine  Lumière.  D'autres 
noms  sont  moins  prétentieux  :  il  y  a,  parmi  les  garçons, 
la  Patte  d'ours,  la  Queue  du  loup,  la  Souris  rouge,  etc. 
Parmi  les  filles,  on  compte  :  l'Araignée  jaune,  le  Serpent 
d'eau,  la  Femme  hibou,  etc.  >>  Le  missionnaire  fut  bientôt 
baptisé  par  les  sauvages  :  Sports-itanipi,  c'est-à-dire 
«  Celui  qui  demeure  là-haut  !  »  nom  flatteur,  en  vérité. 
Cela  montre  bien  la  haute  estime  que  les  indigènes 
avaient  de  leur  missionnaire. 

On  le  sait,  les  Pieds-Noirs  sont  païens;  leur  mytho- 
logie est  un  grossier  système  oii  se  mélangent  le  féti- 
chisme, ou  religion  de  la  nature,  et  le  chamanisme,  ou 
religion  des  sorciers.  Ils  sont  même  la  race  rouge  qui, 
jusqu'à  cette  heure,  est  restée  la  plus  inébranlablement 
attachée  à  ses  superstitions,  la  plus  réfractaire  à  l'action 
des  missionnaires.  Ils  ont  du  respect  et  de  la  sympathie 
pour  la  robe  noire;  ils  le  mettent  bien  au-dessus  du  mi- 
nistre protestant,  colporteur  de  bibles.  Ils  le   laissent 


—  402  — 

s'établir  parmi  eux,  ils  l'écoutent  silencieusement,  mais 
ils  restent  endurcis.  Le  plus  grand  obstacle  à  leur  con- 
version, c'est  encore  la  faiblesse  du  cœur  :  les  Pieds^ 
Noirs  sont  polygames!  Ils  ont  parfois  jusqu'à  quatre 
femmes.  On  conçoit,  dès  lors,  la  difficulté  que  leur  im- 
pose le  baptême.  Ce  terrible  obstacle  à  la  cbristianisa" 
tion  de  ces  tribus  s'est  encore  accru  en  ces  dernières 
années,  par  suite  de  l'établissement  d'une  colonie  de 
Mormons,  autorisée  par  ]e  gouvernement  canadien.  11 
est  vrai  qu'on  a  exigé  d'eux  la  promesse  do  se  conformer 
aux  lois  du  pays  ;  «  mais,  comme  disait  un  missionnaire, 
les  agents  du  gouvernement  ont  des  complaisances,  ils 
ont  soin  d'avertir  du  jour  de  la  visite  officielle,  et  les 
émigrés  d'Utah  font  disparaître  pour  un  temps  les  sur- 
numéraires !  »  Quelle  influence  délétère  n'exerce  pas  sur 
ces  infidèles  le  spectacle  de  ces  gens,  soi-disant  chré- 
tiens, que  dis-je?  «  les  saints  des  derniers  jours»,  et 
qui  ont  autant  de  femmes  qu'Abraham  et  Jacob  ? 

Un  autre  obstacle  à  l'évangélisation  des  Pie'.s-Noirs, 
c'est  la  propagande  du  protestantisme.  Depuis  long- 
temps, il  fait  tous  ses  efforts  pour  s'implanter  au  milieu 
de  ces  tribus.  Les  ministres  ont,  de  leur  côté,  tous  les 
moyens  humains  ;  ils  font  des  dépenses  considérables, 
alors  que  les  missionnaires  manquent  de  tout  et  qu'ils 
ne  peuvent  opposer  que  leur  pauvreté  à  l'opulence  de 
leurs  antagonistes.  'Vîais  Dieu  est  avec  eux,  et  son  appui 
vaut  mieux  que  des  millions.  Le  P.  Légal  gémissait  ce- 
pendant de  ces  difficultés  toujours  renaissantes.  Il  disait 
à  un  ami  :  «  Quand  je  suis  venu  en  ces  pays  de  missions, 
je  savais  à  l'avance  que  le  bien  y  trouverait  des  obsta- 
cles ;  où  n'en  trouve-t-il  pas?  Je  ne  suis  donc  pas  surpris' 
que  la  vérité  ne  progresse  pas  aussi  rapidement  que  nous 
voudrions.  Mais  cela  ne  m'empêche  pas  de  gémir,  quand 
on  constate  ces  embarras  que  le  démon  multiplie  pour 


—  403  — 

entraver  l'œuvre  de  Dieu.  Ici,  les  ministres  de  l'erreur 
affluent,  et  il  y  en  aura  bientôt  sur  toutes  nos  réserves 
sauvages.  Dans  nos  environs,  pour  une  population  de 
600  âmes,  il  n'y  en  a  pas  moins  de  six,  de  trois  sectes  dif- 
férentes. Gomment  voulez-vous  que  nos  sauvages  puis- 
sent discerner  la  vérité  dans  ce  labyrinthe?  Le  résultat 
définitif  pour  un  trop  grand  nombre  sera  une  indiffé- 
rence totale  à  l'égard  de  ces  religions  qui  viennent  se 
combattre  devant  eux.» 

Les  Pieds-?\oirs  sont  donc  restés  ce  qu'ils  étaient  à 
l'origine,  et,  chez  eux,  on  trouvera  encore  quelque  chose 
de  ces  moeurs  barbares  que  nous  ont  fait  connaître  les 
Relations  des  Jésuites  et  le  Dernier  des  Mohicans  de  Goo- 
per.  Je  relève  ce  terrible  récit  dans  les  écrits  du  P.  Lé- 
gal, qui  en  dit  long  sur  le  vieux  levain  sauvage  qui  fer- 
mente encore  dans  les  veines  de  ces  Peaux-Rouges  : 
«  Nous  finissions  de  déjeuner,  quand  je  vis  trois  cavaliers 
arriver  bride  abattue.  Il  y  avait  dans  leur  allure  quelque 
chose  d'étrange,  qui  me  tint  les  yeux  fixés  sur  eux. 
Tout  à  coup,  à  une  distance  de  5  ou  6  arpents,  ils  com- 
mencent à  décharger  leurs  fusils  en  l'air  et  à  pousser  des 
cris  de  victoire.  C'était  un  parti  de  guerre  qui  était  attendu 
depuis  longtemps.  Quand  ils  furent  un  peu  plus  près,  je 
distinguai  parfaitement  les  trophées  qu'ils  agitaient  au 
bout  de  longues  baguettes.  Je  reconnus  deux  chevelures, 
deux  vrais  scalps!...  Dès  les  premières  décharges,  le  pe- 
tit camp  est  en  émoi  ;  on  se  précipite  au-devant  des 
braves,  et  les  cris  de  triomphe  répondent  au  chant  des 
guerriers.  Deux  de  ces  guerriers,  en  arrivant  à  leur 
loge,  avant  de  descendre  de  cheval,  embrassent  leurs 
femmes,  et,  détail  hideux,  c'est  entre  les  mains  de  ces 
femmes  qu'ils  remettent  les  scalps.  La  nuit  et  plusieurs 
jours  consécutifs,  on  se  réunit  tantôt  à  un  endroit,  tan- 
tôt à  un  autre,  pour  faire  la  danse  du  scalp  comme  au- 


trefois...  C'était  un  parti  de  six  hommes,  qui  s'en  était 
allé  pour  voler  des  chevaux  aux  Corbeaux  des  États- 
Unis  ;  et,  en  effet,  ils  s'en  revenaient  ramenant  plus  de 
quarante  chevaux,  quand  ils  furent  poursuivis  par  des 
Gros-Ventres,  des  Cris  et  même  des  blancs.  Dans  l'es- 
carmouche, ils  tuèrent  deux  ennemis  ;  ils  abandonnè- 
rent le  premier,  car  on  les  poursuivait  de  trop  près  ;  le 
second  qu'ils  tuèrent  était  un  Cris  qu'ils  eurent  le  temps 
de  scalper.  » 

La  grande  superstition  des  Pieds-Noirs,  contre  la- 
quelle le  missionnaire  a  longtemps  lutté  en  vain,  est 
celle  du  Sun  dance,  car  ils  sont  adorateurs  du  Soleil,  à 
la  manière  des  anciens  Perses.  Dans  les  longues  discus- 
sions à  ce  sujet,  il  arrivait  tout  d'un  coup  des  impasses 
où  il  devenait  difficile  de  poursuivre  l'argumentation. 
Un  jour,  il  disait  à  l'un  d'eux,  vieux  chef  superstitieux, 
que  nous,  nous  ne  priions  point  le  soleil,  mais  celui 
qui  a  fait  le  soleil,  et  il  lâchait  de  lui  expliquer  la  nature 
du  soleil  et  tout  ce  que  Ton  sait  de  sa  composition,  de 
son  apparence,  de  sa  distance  et  des  phénomènes  qui  se 
passent  à  sa  surface,  tels  que  constatés  par  le  télescope. 
«  Mais  qui  est-ce  qui  a  vu  cela?  »  lui  dit  l'Indien.  Alors 
le  Père  lui  expliqua  qu'au  moyen  d'instruments  extrê- 
mement puissants,  on  a  pu  déterminer  tous  ces  phéno- 
mènes à  la  surface  du  soleil.  «  Ah!  dit  le  Pied-Noir, 
c'est  de  cette  manière  seulement  qu'on  a  vu  le  soleil; 
on  ne  peut  pas  en  savoir  grand' chose.  Nous  autres,  nous 
l'avons  vu  plus  près...  Cependant,  il  n'est  pas  donné  à 
tous  d'avoir  cettefaveur  ;  moi  et  deux  autres  du  camp  som- 
mes les  seuls  qui  ayons  vu  le  soleil.  Il  est  venu  lui-même 
et  nous  a  parlé  pendant  notre  sommeil,  et  voilà  ce  qu'il 
nous  a  dit...  »  Allez  raisonner  ensuite!  Et  c'est  dans  ces 
fêtes  païennes  que  quelques  fanatiques,  victimes  du  dé- 
naon,  se  fout  par  tout  le  corps  d'effroyables  taillades, 


—  405  — 

parfois  même  se  coupant  un  membre  pour  faire  hom- 
mage au  dieu  Soleil.  Hideuses  exhibitions  que  des  tou- 
ristes curieux  encouragent  par  leur  présence  et  leurs 
cadeaux  aux  sauvages  ! 

Tel  est  le  peuple  dont  Me'"  Légal  a  été  l'apôtre.  De 
concert  avec  le  P.  Lacombe,  son  intime  ami,  tous  deux 
ont  défriché,  ensemencé,  arrosé  cette  terre  ingrate  de- 
puis 1882.  Tantôt  sur  la  réserve  des  Gens  du  Sang,  tantôt 
sur  celle  des  Piéganes,  le  missionnaire  a  donné  à  ces 
tribus  infidèles  le  meilleur  de  sa  vie,  son  intelligence,  sa 
foi  et  son  cœur. 

Conçoit-on  ce  qu'a  été  une  vie  semblable,  seul,  loin  de 
tout  confrère,  de  tout  être  intelligent  de  son  niveau,  à 
qui  il  pût  communiquer  ses  pensées  et  ses  sentiments, 
perdu  au  milieu  de  sauvages  grossiers,  rebelles  à  tous 
ses  efforts,  ingrats  à  tout  son  dévouement  ?  Pauvres  peu- 
plades, elles  sont  ce  que  saint  Paul  disait  des  païens  : 
égoïstes  et  encore  égoïstes,  d  On  rencontre  si  peu  de 
vraie  et  sincère  affection  dans  ce  camp  sauvage  !  »  me 
disait  un  jour  le  bon  missionnaire.  Le  mot  de  gratitude 
n'existe  même  pas  dans  leur  langue,  c'est  qu'ils  n'en  ont 
pas  l'idée.  Combien  un  homme  d'intelligence  et  de  cœur 
doit  souffrir  dans  un  tel  milieu  !  Je  ne  parle  point  des 
privations  matérielles  qui  sont  pourtant  grandes  :  l'apôtre 
les  accepte  joyeusement;  mais  ce  sont  ces  souffrances 
morales  qui  font  couler  ce  «  sang  du  cœur  »,  qui  est  le 
plus  rude  martyre. 

Longtemps,  le  ministère  du  P.  Légal  sembla  complète- 
ment stérile.  Baptiser  beaucoup  d'enfants,  dont  le  plus 
grand  nombre,  moissonnés  par  la  mort,  s'en  allaient  au 
paradis  prier  pour  leurs  compatriotes;  recevoir  dans  l'É- 
glise quelques  adultes  à  l'article  de  la  mort,  c'était  là  à 
peu  près  tout.  Maintes  fois  son  évêque  voulut  l'arracher 
à  un  labeur  aussi  ingrat  et  laisser  ces  peuples  rebelles  à 


—  406  — 

leur  malheureux  sort  :  toujours  le  missionnaire  plaida 
pour  eux,  et  il  resta  à  son  poste.  Il  disait  à  son  corres- 
pondant :  «  Je  préfère  à  tout  rester  au  milieu  de  mes 
sauvages,  malgré  le  peu  de  fruit  de  notre  ministère,  mal- 
gré la  stérilité  de  tous  nos  efforts.  Il  faudra  des  années, 
des  générations  peut-être,  pour  transformer  ces  nations 
sauvages.  Il  faut  quelques-uns  qui  assistent  à  ces  années, 
à  ces  générations  d'insuccès  et  d'aridité  :  Je  n'ai  aucune 
objection  à  être  de  ce  nombre.  »  Je  laisse  aux  hommes 
de  cœur  le  soin  d'apprécier  ce  sentiment  magnanime. 

Il  avait  compris  qu'il  fallait  s'adresser  à  l'enfance, 
seule  espérance  d'un  meilleur  avenir.  Aussi,  sur  les  deux 
réserves,  il  fonda  et  ouvrit  deux  écoles,  où  lui-même  ne 
rougit  point  de  se  faire  le  maître  d'école  de  plusieurs 
centaines  de  petits  sauvageons.  Parlant  de  son  école  dans 
une  revue  française,  de  collège,  il  disait  spirituellement  : 
«  On  enseigne  présentement  les  lettres,  les  chiffres,  l'é- 
pellation  et  un  peu  de  catéchisme.  On  a  pensé  qu'il  fal- 
lait remettre  à  plus  tard  l'enseignement  de  la  méta- 
physique et  des  mathématiques  transcendantales!...  Les 
élèves  sont  dissipés,  c'est  leur  moindre  défaut;  ils  font 
très  peu  attention  et  apprennent  vite.  Sans  doute,  s'ils 
faisaient  trop  attention,  ils  apprendraient  trop  vite  ! 
L'école  est  située  dans  une  position  magnifique...  » 

Enfin,  peu  à  peu,  la  grâce  de  Dieu  aidant,  la  constance 
du  missionnaire  a  triomphé  !  Qu'il  soit  béni  de  n'avoir 
pas  désespéré  !  Dans  ces  dernières  années,  un  grand  ébran- 
lement s'est  produit  parmi  ces  sauvages.  Le  vieux  Grow- 
foot  est  mort  baptisé  catholique.  L'au  dernier,  à  Noël, 
le  P.  Légal  a  reçu  dans  le  giron  de  l'Église  et  communié 
solennellement,  le  plus  grand  chef  des  Gens  du  Sang. 
Les  conversions  et  les  baptêmes  se  multiplient,  les  sau- 
vages assistent  régulièrement  aux  offices  de  l'Église,  et 
le  P.  Légal  fait  les  annonces  de  bans  de  mariages  en  son 


-    407  — 

petit  temple,  comme  un  curé  de  sa  paroisse.  Et  voici 
qu'au  moment  même  où  la  moisson  est  jaunissante,  le 
semeur  est  appelé  à  un  autre  champ  de  travail!  Il  était 
l'homme  de  la  u  première  génération  »  ! 

Entre  temps,  il  prodiguait  ses  soins  aux  blancs  catho- 
liques de  la  région  à  Mac-Leod,  à  Pincher-Creek,  àLelh- 
bridge  ;  architecte,  il  bâtissait  des  écoles,  des  résidences 
démissions,  des  chapelles,  et  surtout  la  monumentale 
église  de  Galgary,  peut-être  sa  future  cathédrale.  Avec 
les  fonds  obtenus  (ou  arrachés)  du  gouvernement,  il  fon- 
dait un  hôpital  sur  la  Réserve  des  Blood  Indians,  et  y 
établissait  les  Sœurs  Grises  de  Nicolet,  en  août  1893. 
Mais  le  savant  avait  aussi  son  tour  dans  cette  vie  si  bien 
employée  :  maintes  fois  il  entreprenait  des  excursions 
géologiques  dans  les  environs;  il  correspondait  avec  le 
grand  institut  scientifique  des  États-Unis,  le  Smithsonian 
Instante,  pour  le  bureau  d'ethnologie;  il  écrivait  dans 
les  revues  de  France,  et  je  sais  que  ses  amis  n'ontjamais 
eu  correspondant  plus  fréquent,  plus  spirituel  et  plus 
tendre  en  ces  charmantes  effusions,  qui  sont  la  béatitude 
de  l'amitié.  J'ai  entendu  souvent  le  P.  Lacombe  ,  son 
ami,  se  plaindre  en  souriant,  qu'après  avoir  été  à  la 
chasse  aux  lièvres  dans  la  province  de  Québec,  il  était  sûr 
d'être  aussitôt  dévalisé  par  le  P.  Légal  à  son  arrivée 
dans  l'Ouest. 

Avant  de  clore  cette  trop  longue  esquisse  d'une  vie  de 
missionnaire,  il  est  un  épisode  trop  important  dans  celte 
partie  de  la  vie  de  M^''  Légal,  pour  que  je  le  passe  sous 
silence  :  c'est  sa  participation  aux  événements  de  1885 
qui  ont  ensanglanté  le  Nord-Ouest. 

La  part  du  P.  Légal  a  été  bien  belle  :  tous  deux,  le 
P.  Lacombe  et  lui,  ont  été  des  pacificateurs,  et.  à  ce  point 
de  vue,  le  pays  leur  est  redevable  qu'on  n'ait  pas  versé 
plus  de  sang,  ni  accumulé  plus  de  ruines. 


—  408  — 

Le  30  mars,  on  avait  appris  la  nouvelle  des  premiers 
soulèvements  aux  bords  de  la  Saskatchewan.  Les  révoltés 
avaient  eu  l'avantage  ;  mais  ce  qui  effrayait  le  plus,  c'est 
la  nouvelle  que  plusieurs  bandes  de  sauvages  s'étaient 
également  soulevées,  et  que  toute  la  nation  des  Cris 
allait  entrer  dans  le  mouvement.  C'était  la  guerre  sau- 
vage avec  toutes  ses  horreurs,  le  massacre  des  gens  sans 
défense  éloignés  des  centres  de  population...  Le  jeudi 
4  avril,  le  commandant  du  fort  Mac-Leod  vint  trouver  le 
P.  Légal,  le  priant  de  l'accompagner  pour  tâcher  d'apai- 
ser les  esprits  sur  les  réserves,  car  déjà  l'agitation  ga- 
gnait les  camps  des  Pieds- Noirs.  Il  fut  décidé  que  le 
missionnaire  irait  seul  sur  la  réserve  des  Gens  du  Sang, 
qui,  par  leur  nombre  et  leur  caractère,  étaient  les  plus 
à  craindre.  C'est  ce  qu'il  fit  :  de  grand  matin,  au  jour 
de  Pâques,  il  partit  à  cheval  et  parcourut  un  grand 
nombre  de  villages  sauvages.  L'excitation  était  bien 
moins  considérable  qu'on  ne  le  craignait.  Il  rentrait  le 
soir,  ayant  passé  à  cheval  toute  la  journée  de  Pâques. 
De  son  côté,  le  P.  Lacombe  voyait  Growfootet  les  Pieds- 
Noirs  ;  tous  deux  réussirent  et  persuadèrent  aux  sau- 
vages des  trois  tribus  de  rester  tranquilles,  sujets  fidèles 
du  gouvernement.  Sans  leur  action  bienfaisante,  si  la 
belliqueuse  nation  des  Pieds-Noirs  s'était  mise  en  ré- 
volte, elle  aussi,  un  déluge  de  calamités  sans  nom  se 
fût  déchaîné  sur  les  territoires  du  Nord-Ouest.  Et  qu'on 
le  remarque  bien,  cette  mission  pacificatrice  n'était  pas 
sans  danger,  comme  le  prouva  l'horrible  assassinat  des 
PP.  Fafard  et  Marchand,  au  lac  de  la  Grenouille.  A  son 
correspondant,  qui  s'étonnait  de  le  voir  épouser  la  cause 
des  Anglais  avec  tant  de  zèle,  le  P.  Légal  répondait  : 
((  Vous  semblez  ignorer  ce  que  c'est  que  la  guerre  sau- 
vage avec  toutes  ses  horreurs.  Avec  les  sauvages,  ce  n'est 
pas  la  lutte  régulière,  armée  contre  armée,  avec  pro- 


—  409  — 

teclion  des  gens  inoffensifs,  c'est  le  contraire  :  les  em- 
bûches de  nuit,  les  massacres  des  gens  isolés  et  sans  dé- 
fense, les  tortures  des  prisonniers,  les  outrages  les  plus 
atroces  aux  femmes  captives  jusqu'à  ce  que  les  pauvres 
malheureuses  soient  délivrées  par  la  mort.  Nous  avons 
été  menacés  de  tout  cela,  de  quelque  chose  de  semblable 
à  ce  qui  s'est  passé  sur  les  bords  du  Missouri,  il  n'y  a 
pas  encore  bien  longtemps.  Les  Gris  et  les  Pieds-Noirs, 
sous  ce  rapport,  n'ont  rien  à  apprendre  des  Sioux.  Ne 
vous  étonnez  donc  pas  si  nous  avons  tout  fait  pour  li- 
miter le  théâtre  de  la  rébellion  et  travaillé  de  concert 
avec  les  agents  anglais  du  gouvernement.  » 

Nous  nous  arrêtons  ici.  Nous  en  avons  assez  dit  pour 
montrer  que  non  seulement  les  catholiques,  mais  tous 
les  citoyens  du  Canada  doivent  regarder  comme  un  beau 
jour  pour  la  religion  et  le  pays  ce  même  jour  oîi  M^'^  Lé- 
gal est  sacré  là-bas,  à  Saint-Albert. 

Je  sais  que  le  nouveau  pontife  n'a  point  ambitionné 
l'épiscopat  et  qu'il  a  tenté  tous  les  moyens  d'écarter  ce 
fardeau  de  ses  épaules.  Ce  qu'il  désirait,  il  l'a  dit  lui- 
même  en  termes  touchants  :  «  L'autre  jour,  j'étais  avec 
le  F.  B.,.,  occupé  à  clôturer  un  petit  cimetière  oii  il  y  a 
déjà  plusieurs  sauvages  ensevelis,  et  je  dis  au  Frère  : 
«  Quand  nous  aurons  fini  notre  clôture,  nous  viendrons 
«  un  jour  et  je  choisirai  ma  place  au  pied  de  la  croix 
«  que  nous  allons  ériger.  »  Et  cette  pensée,  malgré  sa 
tristesse,  m'a  paru  douce,  et  il  m'a  semblé  que  vraiment 
j'aimerais  à  être  couché  là  sous  le  gazon  de  la  prairie, 
au  milieu  des  quelques  sauvages  pour  lesquels  j'ai  tra- 
vaillé. Ce  petit  cimetière  à  pente  du  côté  du  soleil  cou- 
chant, avec  une  vue  étendue  sur  la  chaîne  irrégulière 
des  montagnes  Rocheuses,  il  m'a  semblé  que  c'était  là 
une  belle  place  pour  dormir  son  dernier  sommeil  !...  » 

Monseigneur,  vous  qui  ne  rêviez  qu'un  petit  cimetière 


—  410     - 

sauvage,  Dieu  vous  appelle  au  trône  de  ses  pontifes.  Ad 

muUos  annosf 

G. 

Me'  Grandin  annonçait  le  sacre  de  son  coadjuteur  par 
la  touchante  lettre  qu'on  va  lire  : 

LETTRE  DE    M^'    VITAL-J.   GRANDIN,   0.  M.   I., 
ÉVÊQUE  DE   SAINT-ALBERT,   ASSISTANT   AU  TRONE    PONTIFICAL, 

Au  clergé  séculier  et  régulier^  aux  communauiés  religieuses^ 
et,  en  général,  à  tous  ses  bien-ainiés  diocésains. 

Bien  chers  Coopérateurs,  bien  chers  Pères,  et  nos 
TRÈS  chers  Frères,  salut  et  bénédiction  en  Notre- 
Seigneur. 

Gomme  vous  le  savez,  Tâge  avancé,  la  maladie  et  les 
infirmités  qui  en  sont  la  conséquence,  nous  rendent, 
depuis  longtemps  déjà,  l'accomplissement  des  devoirs 
de  noire  charge  impossibles.  Tant  qu'ils  n'étaient  que 
difficiles,  c'était  pour  nous  une  vraie  consolation  de  nous 
en  acquitter,  d'aller  vous  visiter,  vous  encourager  dans 
vos  pénibles  et  continuels  labeurs.  INous  y  tenions  d'au- 
tant plus,  que  nous  savons  par  notre  propre  expérience, 
combien  les  consolations  vous  font  défaut.  C'en  était 
une  grande  pour  nous  de  constater  par  nous-même  vos 
nobles  efforts  pour  étendre  et  solidifier  le  règne  de  Dieu 
dans  notre  cher  diocèse;  d'encourager  nos  bons  chré- 
tiens, tant  anciens  que  nouveaux  venus,  qui,  eux  aussi, 
ne  manquent  pas  de  tribulations.  Nous  tenions  surtout  à 
voir  et  à  encourager  ces  immigrants  qui  ont  dû  faire  tant 
de  sacrifices  pour  venir  parmi  nous,  et  qui  ont  d'autant 
plus  à  soufirir  des  difficultés  d'un  établissement  nouveau 
que  les  désagréments  de  la  pauvreté  s'ajoutent  trop  sou- 
vent à  beaucoup  d'autres.  Souffrant  nous  même  de  ce 


—  411  — 

commun  inconvénient,  et  nous  trouvant  par  là  même 
dans  l'impossibilité  d'y  remédier  efficacement  chez  les 
autres,  nous  constations  cependant  que  les  bénédictions 
divines,  qui  sont  une  conséquence  de  la  visite  du  pre- 
mier pasteur,  nos  paroles,  nos  encouragements,  faisaient 
refTi't  d'un  baume  consolateur,  au  moins  pour  tous  ceux 
qui  nous  recevaient  avec  foi  comme  l'envoyé  de  Dieu. 
Mais  cette  consolation  ne  nous  étant  plus  possible,  nous 
avons  dû  songer  à  vous  en  faire  jouir  quand  même  au 
moyen  d'un  autre  représentant  de  Dieu,  qui  vous  visitera 
de  noire  part,  de  la  part  de  Notre-Seigneur  Jésus-Christ 
lui-même.  Cet  homme,  choisi  de  Dieu  par  le  ministère  de 
Notre  Saint-Père  le  Pape,  à  notre  demande  appuyée  par 
notre  bien-aimé  métropolitain  et  les  autres  évêques  de 
la  province,  est  M^'  Émile-Joseph  Légal.  Sa  Sainteté  a 
voulu  qu'il  fût  de  suite  revêtu  du  caractère  sacré  de  Té- 
piscopat,  et,  en  attendant  qu'il  puisse  être  évêque  en 
litre  de  Saint-Albert,  il  portera  le  titre  à'évêgtce  de  Pogla 
ou  Poglensis.  C'est  donc  pour  nous  une  grande  consola- 
tion et  pour  vous  un  grand  avantage,  d'avoir,  pour  nous 
aider  dans  l'administration  de  notre  diocèse  et  nous  rem- 
placer auprès  de  vous,  un  prélat  qui  nous  égale  en  di- 
gnité, qui  mérite  notre  confiance  et  la  vôtre,  étant  honoré 
comme  il  l'est  de  celle  de  ses  supérieurs,  de  celle  du  Pape, 
et,  je  puis  dire,  de  celle  de  Dieu  lui-même.  Nous  appré- 
cions grandement  ce  bienfait  ;  à  la  veille  d'aller  rendre 
compte  à  Dieu  de  notre  longue  administration  et  de 
notre  vie  plus  longue  encore,  nous  avons  la  consolation 
de  ne  point  vous  laisser  orphelins,  mais  de  vous  laisser 
entre  les  mains  d'un  Frère  bien-aimé  et  bien  aimant, 
j'en  suis  sûr,  étant  pour  cet  effet  rempli  de  l'esprit  de 
Dieu  qui  est  charité.  Je  doute  qu'il  puisse  vous  aimer 
plus  que  je  vous  ai  aimés,  maisil  vous  aimera  tout  autant. 
Vous  l'aimerez  aussi,  vous  tous  nos  bien-aimés,  aux- 


—  412  — 

quels  nous  nous  adressons  peut-être  pour  la  dernière 
fois,  vous  l'aimerez  comme  l'homme  de  Dieu,  comme 
notre  frère,  nous  osons  dire  comme  notre  fils,  car  nous 
espérons  avoir  la  consolation  de  lui  imposer  nous-même 
les  mains  et  d'en  faire  ainsi  un  autre  nous-même. 

Après  cette  précieuse  grâce,  nous  devons  en  demander 
une  autre  à  Dieu,  et  pour  cela  nous  vous  prions  tous  de 
vouloir  bien  vous  joindre  à  nous  ;  c'est  celle  de  mourir 
dans  son  amour  et  d'être  jugé,  non  selon  la  rigueur  de 
sa  justice,  mais  selon  l'étendue  de  ses  miséricordes.  Le 
Seigneur,  malgré  notre  faiblesse,  peut-être  même  à  cause 
de  notre  faiblesse  :  Infirma  mundi  elegit  Deus,  nous  a 
conflé  une  mission  que  nous  n'aurionsjamais  osé  désirer 
ni  même  espérer.  Nous  n'avons  pu  la  remplir  qu'avec 
bien  des  imperfections  en  commettant  bien  des  fautes, 
qui,  bien  qu'involontaires,  ne  peuvent  manquer  de  nous 
causer  des  inquiétudes  et  des  craintes.  Nous  espérons 
que  notre  bien-aimé  successeur  pourra  les  réparer  en 
partie  et  faire  un  bien  que  nous  n'avons  pu  faire. 

Maintenant,  après  nous  être  entendu  avec  notre  révé- 
rendissime  Métropolitain  et  M^""  Durieu,  venu  exprès  de 
New- Westminster,  nous  avons  fixé  le  17  juin,  fête  du 
Très  Saint-Sacrement,  pour  la  consécration  de  M^""  Lé- 
gal. Nous  vous  invitons  tous,  bien  chers  coopéraleurs  et 
bien  chers  Pères  et  Frères,  à  prendre  part,  autant  que 
possible,  à  cette  fête  de  famille.  Veillez,  cependant,  à  ne 
pas  laisser  vos  districts,  et  surtout  vos  religieuses,  si 
vous  avez  l'avantage  d'en  avoir,  sans  qu'il  y  ait  un  prêtre 
à  portée,  pour  les  besoins  les  plus  pressants.  Nous 
croyons  devoir  faire  précéder  cette  cérémonie  de  notre 
retraite  annuelle,  aQn  de  ne  pas  multiplier  vos  absences 
et  vos  voyages.  Cette  retraite  ne  pourra  être  de  huit 
jours,  parce  que  le  R.  P.  Laçasse,  o.  m.  i.,  qui  a  la  bonté 
de  nous  la  prêcher,  ne  pourra  arrivera  Saint-.\lbert  que 


—  413  — 

le  10  juin  au  soir;  elle  ouvrira  ce  soir-là  même,  et  se 
terminera  le  mercredi  matin  16  juin,  pour  nous  laisser 
le  temps  de  préparer  la  solennité  du  lendemain.  Pour 
que  tous  profitent  du  prédicateur  dont  le  temps  est  très 
limité,  MM.  les  prêtres  séculiers  pourront  se  joindre  à 
nous  pour  la  retraite,  s'ils  n'y  ont  pas  de  répugnance, 
quitte  à  avoir  quelques  instructions  particulières  en  rap- 
port avec  nos  positions  réciproques. 

Veuillez  donc,  dès  la  réception  de  cette  lettre,  pren- 
dre vos  précautions;  vous  entendre  entre  voisins  et  su- 
périeurs de  districts,  si  c'est  possible,  pour  voir  ceux 
d'entre  vous  qui  pourront  s'absenter  et  ceux  qui  devront 
garder  le  district.  Sans  doute,  tous  vos  chrétiens  ne 
pourront  pas  avoir  la  sainte  messe  le  dimanche  pendant 
la  retraite  ;  mais  il  faudrait  que  quelqu'un  fût  à  la  portée 
de  répondre  aux  cas  imprévus  et  laisser,  le  moins  pos- 
sible, les  religieuses  seules,  surtout  dans  les  missions 
sauvages. 

Nous  prions,  en  outre,  nos  dignes  religieuses  et  nos 
chers  Frères  convers  de  s'entendre  avec  leur  confesseur 
et  supérieur,  pour  faire  au  moins  une  neuvaine  de  com- 
munions pour  le  nouvel  élu,  que  nous  pourrions  appeler 
très  justement  le  sacrifié.  Nous  vous  demandons  à  tous, 
nos  très  chers  frères,  de  joindre  aussi  vos  prières  aux 
nôtres  et  de  faire  prier  vos  petits  enfants  en  faveur  de 
celui  qui  devra  plus  que  jamais  se  sacrifier  pour  le  salut 
de  vos  âmes.  Pour  nous,  prêtres,  l'octave  de  la  Pentecôte 
précédant  immédiatement  notre  grande  solennité,  nous 
ne  croyons  pas  devoir  prescrire  une  oraison  nouvelle  à 
la  sainte  messe,  mais  tous  nous  nous  ferons  un  devoir 
de  nous  souvenir  au  saint  autel,  et  cela  chaque  jour  à 
partir  de  la  réception  de  cette  lettre,  de  celui  qui,  mal- 
gré ses  craintes  et  ses  répugnances,  que  l'obéissance 
seule  lui  a  fait  surmonter,  s'est  vu  élever  aux  honneurs 
T.  xzxy.  28 


—  414  — 

de  l'épiscopat,  aSn  que  le  Souverain  Seigneur  et  Roi 
des  Apôtres  lui  rende  le  fardeau  doux  et  suave,  et  lui 
donne  force  et  courage  suivant  les  besoins  de  sa  nou- 
velle position. 

Et  sera  la  présente  circulaire  lue,  autant  que  possible, 
le  dimanche  qui  en  suivra  la  réception  ou  un  des  di- 
manches qui  précéderont  la  consécration,  dans  toutes  les 
églises  ou  chapelles,  ou  tout  autre  lieu  où  se  fait  l'office 
public.  Si  l'on  ne  peut  la  lire  ni  la  traduire,  on  s'efFor- 
cera  au  moins  de  faire  comprendre  aux  fidèles  l'impor- 
tance de  la  solennité  qui  doit  avoir  lieu,  et  notre  désir 
est  qu'ils  unissent  leurs  prières  aux  nôtres.  Dans  l'espé- 
rance de  vous  voir  aussi  nombreux  que  possible  à  cette 
importante  cérémonie,  nous  vous  bénissons  avec  toute 
l'affection  possible. 

Donné  à  Saint-Boniface  où  nous  sommes  venu  dans 
l'espérance  d'y  rencontrer  le  Délégué  apostolique  et  de 
nous  entendre,  pour  cette  cérémonie,  avec  notre  révé- 
rendissime  Métropolitain  et  plusieurs  de  ses  révéren- 
dissimes  Suffragants,  le  15  de  mai  1897. 

f  Vital,  J.,  o.  m.  i., 

Évêque  de  Saint-Albert. 

Voici,  d'après  la  Semaine  religieuse  de  Laval,  quelques 
détails  sur  la  cérémonie  du  sacre  : 

Ordinairement,  quand  on  fait  la  description  d'une 
fête,  on  parle  du  soleil  radieux  qui  vient  éclairer  ce  beau 
jour  et  qui  semble,  lui  aussi,  prendre  part  à  la  joie  com- 
mune. 

On  ne  peut  pas  en  dire  autant  pour  notre  fête,  îcar 
une  pluie  battante  est  tombée  pendant  deux  jours  et 
demi.  Quel  temps  affreux  I  On  comptait  sur  une  multi- 
tude, et  on  se  demandait  comment  la  pauvre  église  de 
Saint-Albert,  qu'on  honore  du  titre  de  cathédrale,  aurait 


—  415  — 

pu  contenir  tout  ce  monde.  Elle  était  remplie,  mais 
tout  le  monde  était  logé,  car  le  mauvais  temps  avait  ar- 
rêté cette  foule  qui  avait  fait  le  projet  de  venir  au  sacre, 
cérémonie  inconnue  dans  ce  pays. 

Comme  il  pleuvait  continuellement,  il  a  été  impos- 
sible de  faire  des  décorations  à  l'extérieur  ;  celles  de  l'in- 
térieur étaient  bien  réussies;  jamais  la  pauvre  cathé- 
drale de  Saint-Albert  n'avait  revêtu  semblable  parure  ; 
les  draperies  aux  couleurs  françaises  dominaient. 

Assistaient  au  sacre  :  M^'"  Langevin,  archevêque  de 
Saint-Boniface  ;  M^^  Grandin,  évêque  de  Saint- Albert  ; 
W  DuRiEU,  évêque  de  Westminster,  dans  la  Colombie, 
et  M^'  Clut,  évoque  auxiliaire  dans  le  Mackenzie. 

On  comptait  trente-cinq  prêtres  du  diocèse  et  cinq 
autres  venus  de  divers  endroits,  savoir  le  R.  P.  Lejeune, 
provincial,  résidant  à  Montréal;  le  R.  P.  Lacase,  l'apôtre 
du  Labrador,  qui  nous  avait  prêché  la  retraite,  puis  trois 
autres  accompagnant  chacun  son  évêque.  Les  Frères 
convers  étaient  au  nombre  de  dix-neuf  ;  puis  il  y  avait 
quarante  religieuses  de  différents  ordres.  Il  ne  manquait 
que  quatre  Pères  ;  il  en  fallait  bien  pour  garder  aux 
extrémités  du  diocèse.  Quelques  chefs  sauvages  avaient 
été  invités.  Étaient  présents  :  Peau-de-Belette,  le  chef 
des  Cr^s  de  la  Montagne-d'Ours,  avec  trois  conseillers, 
un  chef  assiniboine  et  un  autre  chef  cri.  Le  Corbeau- 
Rouge,  chef  pied-moir,  de  la  résidence  où  était  M^""  Lé- 
gal, a  été  retenu  par  la  maladie. 

La  cérémonie  commença  à  9  heures  et  se  termina  à 
midi.  L'évêque  consécrateur  était  M.«'  Grandin,  assisté 
de  W  DuRiEU  et  de  M^""  Clut.  M^'  Langevin  était  au 
trône  ;  Sa  Grandeur  a  donné  le  sermon. 

Après  la  cérémonie,  le  dîner  eut  lieu  dans  la  salle 
d'école,  qui  était  très  bien  décorée  ;  il  dura  environ  une 
demi-heure.  Ici,  les  repas  de  gala  sont  bien  simples  :  un 


—  416  — 

ou  deux  plats  des  plus  modestes,  puis  de  l'eau  pour 
breuvage.  Aussi  ne  lève-t-on  pas  son  verre  aux  toasts  à 
Saint-Albert,  et  pour  cause  ;  car  les  verres  ne  contien- 
nent jamais  que  de  l'eau  claire.  Le  vin  est  rigoureu- 
sement et  parcimonieusement  réservé  pour  la  sainte 
messe. 

Ms''  Légal  demanda  qu'on  voulût  bien  lui  permettre 
de  remercier  l'évêqueconsécrateur  et  ceux  qui  l'avaient 
assisté.  Il  rappela  qu'il  y  a  trente  ans,  il  lui  avait  été 
donné  de  rencontrer  M^^'Grandin;  que,  dès  lors,  le  dé- 
sir de  venir  travailler  dans  ses  Missions  avait  persé- 
véré ;  que  la  vénération  conçue  pour  Sa  Grandeur  n'a- 
vait fait  que  grandir  depuis  qu'il  l'avait  vue  de  plus  près. 
«  Je  n'aspirais,  dit-il,  qu'à  travailler  dans  le  coin  le  plus 
obscur  du  diocèse,  mais  la  voix  de  Monseigneur,  à  qui 
les  infirmités  et  les  souffrances  rendaient  le  fardeau  de 
plus  en  plus  pesant,  ayant  fait  appel  à  mon  dévouement, 
je  ne  pouvais  rester  sourd  à  cette  voix  et  je  devais  lui 
dire  que  ce  dévouement,  il  l'avait  tout  entier.  » 

Il  commenta  ensuite  ce  passage  de  la  Bible  oh  le 
prophète  Élie,  sur  le  point  d'être  enlevé  au  ciel,  veut 
prendre  congé  de  son  fidèle  disciple  :  a  Celui-ci,  sachant 
ce  qui  doit  arriver,  s'attache  de  plus  en  plus  à  son 
maître,  et,  quand  ce  dernier  lui  dit  :  «  Restez  ici,  car  le 
Seigneur  veut  que  j'aille  jusqu'à  Béthel  ou  Jéricho,  » 
Elisée  répond  par  trois  fois  :  (.<  Je  ne  me  séparerai  pas  de 
vous.  »  Enfin,  quand  pourtant  Élie  doit  être  enlevé  à 
son  disciple,  il  lui  demande  quelle  faveur  il  désire.  Elisée 
lui  répond  :  «  Que  votre  double  esprit  repose  sur  moi.  » 
Je  n'ai  pas  voulu  trouver  ici  une  analogie,  ajoute  Me''  Lé- 
gal, mais  un  contraste.  Monseigneur  n'est  pas  sur  le 
point  de  nous  quitter,  et  même  le  secours  qu'il  vient  de 
se  donner  permet  d'espérer  que  nous  le  conserverons 
encore  longtemps.  Que,  pendant  de  longues  années,  il 


—  417  — 

me  soit  donné  de  profiter  de  ses  conseils,  de  sa  sagesse, 
de  son  expérience,  de  m'édifier  au  spectacle  de  ses  ver- 
tus et  de  m'inspirer  entièrement  de  son  esprit!  Lorsque 
je  parcourrai  ce  diocèse,  si  on  pouvait  dire  :  «  C'est  en- 
core l'esprit  de  notre  évêque  qui  agit  en  celui  qu'il  nous 
envoie,  »  je  m'estimerai  bien  heureux. 

a  Mes  remerciements  à  notre  vaillant  métropolitain 
qui  défend  avec  tant  de  courage,  d'ardeur  et  de  généro- 
sité, les  intérêts  sacrés  de  notre  foi  injustement  mé- 
connus (1)  ; 

«  A  Monseigneur  de  Westminster,  que  j'ai  déjà  ren- 
contré sur  les  plages  de  l'océan  Pacifique,  au  milieu  de 
ses  bons  sauvages  chrétiens  oh  il  m'avait  paru  comme  le 
type  du  missionnaire  et  du  patriarche  ; 

«  A  Monseigneur  d'Érindel  (M^''  Clut)  qui  nous  vient, 
lui  aussi,  avec  une  couronne  tressée  de  travaux  nom- 
breux, de  pénibles  souffrances  de  toutes  sortes  et  de  pri- 
vations de  tout  genre,  dans  un  pays  et  sous  un  climat 
inhospitalier  où  les  privations  sont  le  pain  quotidien  du 
missionnaire  ; 

«  Merci  à  vous  tous  d'avoir  bien  voulu  vous  arracher 
à  de  multiples  occupations,  parcourir  de  longues  dis- 
tances, vous  soumettre  à  de  dures  fatigues  pour  être  pré- 
sents à  cette  cérémonie.  C'est  pour  moi  un  honneur  dont 
le  souvenir  restera  toujours  gravé  profondément  dans 
mon  cœur.  » 

W"  Grandin  prit  alors  la  parole  pour  répondre  à  son 
coadjuteur  : 

«  Vous  me  témoignez  le  désir,  bien  cher  Seigneur,  de 
recevoir  mon  esprit  ;  je  vous  ai  donné  bien  mieux  et 

(l)  En  ce  moment,  la  franc-maçonnerie  fait  une  guerre  à  outrance 
à  nos  écoles  catholiques  que  défendent  si  vaillamment  les  évêques  à 
la  tête  desquels  se  trouve  Ms'  Langevin,  archevêque  de  Saint-Boni- 
face. 


—  418   — 

beaucoup  plus,  puisque  vous  avez  reçu  par  mon  minis- 
tère l'esprit  de  Dieu,  J'ai  été  sacré  par  M^'  de  Mazenod 
qui  a  été  dans  l'Église  un  grand  et  saint  évêque  ;  mais  il 
a  été  plus  que  cela  pour  nous  :  c'est  le  Fondateur  de 
notre  famille  religieuse  ;  il  a  imposé  les  mains  à  bon  nom- 
bre d'évêques  :  je  suis  son  Benjamin.  Tout  m'est  venu 
par  ses  mains,  depuis  la  tonsure  jusqu'à  la  consécration 
épiscopale  ;  puissé-je  vous  avoir  donné  son  double  esprit, 
esprit  épiscopal  et  esprit  religieux!  Ses  frères  dans  l'épis- 
copat  le  regardaient  comme  un  saint,  comme  un  modèle 
accompli,  et  lui-même  me  disait,  peu  de  temps  avant  de 
m'imposer  les  mains  pour  la  dernière  fois  :  «  Je  me  suis 
«  efforcé  d'être  un  bon  évêque  et  je  n'ai  pas  cessé  pour 
«  cela  d'être  moins  bon  Oblat.  »  Il  pouvait  sans  orgueil 
me  tenir  ce  langage.  Soyons  les  fils  de  notre  Père  et  nous 
serons  de  saints  évêques  et  de  non  moins  saints  Oblats. 

«  Sans  prétendre  être  prophète,  jugeant  seulement 
d'après  les  apparences,  je  viens  vous  dire  à  vous.  Monsei- 
gneur de  Pogla,  à  vous  mon  frère,  à  vous  mon  fils,  à  vous 
mon  ami  :  Vous  aurez  de  rudes  et  terribles  combats  à  sou- 
tenir, mais  je  puis  ajouter:  Ne  craignezrien,  Dieu  est  avec 
vous.  Vous  avez  pour  devise:  ynnow^^nei>o/n^n^;  avancez, 
cher  Seigneur,  combattez  les  bons  combats.  Vous  avez  un 
bon  maître  qui  combat  dès  le  commencement  et  qui  ne 
connaît  que  la  victoire.  Courage  donc,  cher  Seigneur, 
et...  ad  multos  annos.  » 

...  Enfin,  pour  terminer,  Peau-de-Belette  fait  entendre 
quelques  mots.  Au  nom  des  autres  chefs,  il  remercie  de 
l'aimable  invitation  qu'on  leur  a  faite;  ils  sont  émer- 
veillés de  la  cérémonie  à  laquelle  ils  viennent  d'assister. 
Il  dit  que  sa  famille  a  toujours  été  catholique. 

«  Lorsque  j'étais  tout  enfant,  mon  père,  dit-il,  faisait 
la  chasse  dans  les  montagnes  Rocheuses  ;  ayant  appris 
qu'un  prêtre  allait  arriver  à  Edmonton,  il  partit  pour 


—  419  — 

venir  le  voir,  mais  arrivé  en  cette  place,  il  apprit  que  ce 
n'était  pas  un  vrai  prêtre,  mais  un  ministre  protestant  ; 
que,  certainement,  l'année  prochaine,  il  allait  arriver 
un  prêtre  catholique.  Mon  père  retourna  aux  montagnes 
Rocheuses,  et,  l'année  suivante,  il  amena  toute  sa  famille 
à  Edmonton,  oh  M.  Thibaud  nous  baptisa  tous.  Depuis 
ce  temps,  je  suis  resté  fidèle  à  la  religion.  « 

Le  soir,  séance  à  l'école  des  Sœurs;  les  enfants  ont 
adressé  des  compliments  à  M^'  Légal  et  ont  joué  quel- 
ques petites  pièces  bien  réussies... 


c 


NOUVELLES  DIVERSES 


Le  R.  P.  AuGiER,  Cassien,  Visiteur  général  de  Ceylan 
et  d'Australie,  a  dû  s'embarquer  à  Colombo  le  29  août, 
pour  rentrer  en  France. 

—  Le  scolasticat  d'Allemagne  s'est  installé  dans  sa 
nouvelle  résidence.  C'est  une  partie  seulement  des  bâti- 
ments que  doit  comprendre  l'édifice.  Cette  inauguration 
a  eu  lieu  le  15  août,  par  une  cérémonie  de  dix  oblations 
perpétuelles.  La  fête  était  présidée  par  le  R.  P.  Tatin, 
Assistant  général.  Il  remplaçait  le  chef  de  la  famille, 
retenu  à  Paris  pour  son  état  de  santé. 

—  Le  deuil  causé  dans  la  Sainte-Famille  par  la  mort 
de  la  T.  R.  Mère  Marie-Raphaël  Tignet,  a  pris  fin,  le 
8  juillet,  par  la  nomination  de  la  T.  R.  Mère  Marie-de- 
la-Nativité  Lionnet.  La  T.  R.  Mère  Lionnet  a  été  portée 
à  ce  poste  par  le  Conseil  de  Marie,  à  l'unanimité  des  suf- 
frages. Celte  élection  a  répandu  une  grande  joie  parmi 
les  membres  de  l'Association.  La  nouvelle  directrice  était 
désignée  d'avance  par  ses  talents  et  ses  vertus,  et  par  les 
services  rendus  à  la  Sainte-Famille  durant  de  longues 
années,  soit  à  Bordeaux,  soit  à  Royaumont. 


MISSIONS 


DE  LA  CON&REGAIIOH 


DES  OBIATS  DE  MARIE  IMMACULEE 


N°  140.  —  Décembre  1897 


R.  I.  P. 


Nos  Pères  et  [Frères  ont  appris  en  son  temps 
la  douloureuse  épreuve  qui  vient  de  frapper  notre 
famille  religieuse.  Notre  douleur  a  eu  sa  consola- 
tion dans  les  grâces  de  sanctification  et  de  paix 
dont  Notre-Seigneur  a  comblé  les  derniers  jours 
de  notre  bien-aimé  Père  général.  Ce  n'est  point  ici 
le  lieu  de  raconter  longuement  cette  fin,  ni  cette 
vie.  Après  avoir  déposé  un  souvenir  ému  et  un 
suprême  hommage  de  piété  filiale  sur  la  tombe  de 
notre  Père,  les  Missions  n'ont  qu'à  retracer,  en 
quelques  traits,  la  carrière  et  la  figure  du  troisième 
Supérieur  général  de  la  Congrégation. 


LE  T.  R.  PERE  LOUIS  SOULLIER 

Né  à  Meymac,  dans  la  Corrèze,  le  26  mars  1826,  Jean- 
Baptiste-Louis  SouLLiER  fut  le  second  fils  d'une  famille 
de  huit  enfants  :  cinq  garçons  et  trois  filles.  Trois  lui  sur- 
vivent :  M.  le  chanoine  SouUier,  secrétaire  général  de 
l'évêché  de  Tulle;  M.  SouUier,  pharmacien  à  Lubersac, 
et  la  sœur  Louise-Marie,  de  la  Sainte-Famille  de  Bor- 
deaux, directrice  de  l'école  des  filles  de  Mériel  (1)  : 

Au  dire  de  M.  le  chanoine  SouUier,  Louis  manifesta 
d'abord  peu  de  goût  pour  l'étude,  mais  plutôt,  grâce  à 
l'exubérance  de  sa  nature,  beaucoup  de  dispositions 
«  pour  les  courses,  les  jeux  et  les  amusements  ».  Ce  qui 
prouve  une  fois  de  plus  que  la  turbulence  du  premier 
âge  n'est  pas  toujours  l'augure  d'une  vie  dissipée.  Le 
futur  Général  va  le  montrer  bientôt.  Entré  à  douze  ans 
au  petit  séminaire  de  Servières,  ses  talents  et  son  appli- 
cation s'y  développent  tellement,  qu'il  arrive  à  la  pre- 
mière place.  Il  la  dispute,  en  quatrième  et  en  troisième, 
à  un  condisciple  doué,  lui  aussi,  de  qualités  brillantes, 
et  qui  devait,  un  jour,  devenir  ministre,  M.  Brunet. 

L'on  travaillait  ferme  à  Servières,  et  le  pays  lui-même 
se  prêtait  au  sérieux  de  la  formation.  «  C'est  dans  un 
vieux  château  qui  avait  appartenu  à  la  famille  de  Noailles, 
dans  un  site  sauvage,  sans  voies  de  communication, 
presque  séparé  du  reste  du  monde,  sur  un  pic  dominant 
les  profonds  ravins  de  la  Dordogne,  que  nous  avons 
passé,  écrit  M .  le  chanoine  SouUier,  les  plus  belles  années 

(1)  Elle  recevait  les  palmes  académiques  le  jour  même  où  son  frère 
eipirait.  Il  y  a  deux  ou  trois  ans,  elle  avait  été  décorée  d'une  mé- 
daille de  sauvetage. 


—  423  — 

de  notre  jeunesse.  Ce  lieu  était  très  favorable  aux  études  : 
les  vacances  de  Pâques  et  les  congés  extraordinaires 
y  étaient  inconnus  ;  on  travaillait  constamment  et  sans 
interruption  pendant  dix  mois.  » 

L'enseignement  des  belles-lettres  y  était  confié  à  des 
humanistes  distingués  et  délicats,  dont  l'un,  auteur  d'ou- 
vrages littéraires  très  estimés,  M.  le  chanoine  Verniolles, 
vit  encore  dans  son  cher  séminaire. 

Sa  philosophie  terminée,  Louis  Soullier  voulut  passer 
son  baccalauréat.  C'était  le  temps  du  monopole  univer- 
sitaire, et  les  établissements  ecclésiastiques  ne  pouvaient 
point  présenter  de  candidats  aux  diplômes  officiels. 
Louis  ne  se  découragea  point,  se  prépara  tout  seul  dans 
sa  famille,  «  et  fut  reçu  d'emblée  »  à  la  Faculté  de 
Limoges. 

Le  nouveau  bachelier  rentra  au  grand  séminaire  de 
Tulle  pour  y  commencer  ses  études  théologiques.  Il  en 
suivait  le  cours  ordinaire  lorsque,  en  1848,  se  présenta 
le  P.  LÉONARD,  missionnaire  oblat  de  l'Amérique  du 
Nord.  C'était  un  apôtre  de  grand  courage,  d'humeur  jo- 
viale, d'une  parole  pittoresque,  d'une  nature  sympa- 
thique, séduisante  même  par  sa  cordiale  bonhomie.  Il 
faisait  alors,  dans  les  grands  séminaires,  une  tournée 
qui  peuplait  le  noviciat  de  sa  Congrégation.  A  Tulle,  le 
premier  fruit  de  son  apostolat  fut  la  conquête  de  l'abbé 
Louis  Soullier. 

L'aspirant  missionnaire  entra  peu  après  au  noviciat  de 
Notre-Dame  de  l'Osier  (Isère).  Sa  probation  terminée,  et 
ses  vœux  prononcés  le  17  février  1849,  il  acheva  de  se 
préparer  au  sacerdoce  auprès  du  fondateur  de  sa  Con- 
grégation, M»''  DE  Mazenod,  évêque  de  Marseille.  Le 
25  mai  de  l'année  suivante,  le  jeune  profès  recevait  la 
prêtrise  des  mains  du  vénérable  évêque. 

Destiné  d'abord  au  ministère  des  missions  de  France, 


il  s'y  dépensa  avec  zèle  et  y  obtint  de  beaux  résultats. 
Il  parlait,  nous  disent  des  contemporains,  avec  l'autorité 
d'un  envoyé  de  Dieu.  La  dignité  de  son  caractère  et  de 
sa  parole,  l'esprit  profondément  surnaturel  de  ses  actes 
et  de  sa  direction,  inspiraient  au  clergé  et  aux  fidèles 
l'estime  et  la  confiance. 

C'est  comme  membre  de  la  communauté  de  Nancy 
qu'il  inaugura  cette  vie  apostolique.  Il  eut,  dès  cette 
époque,  l'honneur  et  la  joie  de  concourir  au  relèvement 
du  sanctuaire  de  Notre-Dame  de  Sion,  l'antique  patronne 
de  la  Lorraine. 

Ces  débuts  ne  tardèrent  pas  à  le  faire  distinguer.  On 
remarqua  la  maturité  précoce  de  son  esprit,  la  rectitude 
de  son  jugement,  la  pondération  de  son  caractère;  et, 
après  deux  ou  trois  ans,  malgré  sa  jeunesse,  il  fut  nommé 
Supérieur  de  la  maison  de  Limoges.  Il  avait  gagné,  dans 
la  ville  et  dans  le  diocèse,  la  bienveillance  et  le  respect 
de  tous,  lorsqu'il  revint  à  Nancy,  en  1855,  comme  Supé- 
rieur de  cette  maison,  à  laquelle  se  rattachait  aussi  la 
résidence  de  Notre-Dame  de  Sion. 

Sans  négliger  l'œuvre  des  missions  en  Lorraine,  il  eut 
à  cœur  surtout  le  relèvement  du  sanctuaire  de  Notre- 
Dame.  Il  seconda  de  tout  son  pouvoir  le  projet,  formé 
par  ses  missionnaires,  d'ériger,  sur  la  colline  de  Sion, 
la  magnifique  tour  où  se  dresse  aujourd'hui  cette  statue 
de  la  Vierge,  dont  les  mains  semblent  envoyer  au  loin 
leurs  bénédictions.  Pour  la  réalisation  de  ce  projet,  le 
jeune  Supérieur  rédigea  un  rapport  remarquable,  publié 
textuellement  par  Me'  Menjeaud,  évêque  de  Nancy,  à  la 
suite  d'une  lettre  pastorale. 

Ces  faits,  et  d'autres  semblables,  accrurent  la  confiance 
des  Supérieurs  en  la  sagesse  du  P.  Soullier.  Dès  1858,  à 
trente-deux  ans,  il  devient  fondateur.  Il  établit  d'abord 
la  communauté  de  Saint-Jean,  à  Autun,  et  l'évêque  dt' 


—  4-25  — 

cette  ville  s'empresse  d'écrire  à  M^'  de  Mazenod,  pour  le 
remercier  d'avoir  donné  au  diocèse  un  Supérieur  si  digne. 
Deux  ans  plus  tard,  nouvelle  fondation  dans  la  ville 
d'Angers. 

Après  une  année  seulement  passée  en  Anjou ,  le  P.  Soul- 
LiER  est  nommé  vice-provincial  de  la  province  du  Nord  ; 
il  reçoit  en  même  temps  une  mission  qui  exige  de  spé- 
ciales qualités  de  prudence  et  de  tact.  Depuis  trois  ans, 
le  Fondateur  des  [Oblats,  Ms""  de  Mazenod,  et  celui  de 
l'Association  de  la  Sainte-Famille  de  Bordeaux,  le  saint 
M.  Noailles,  avaient,  par  l'intermédiaire  de  Ms""  Guibert, 
alors  archevêque  de  Tours,  et  du  cardinal  Donnet,  arche- 
vêque de  Bordeaux,  et  avec  les  encouragements  d'une 
grande  partie  de  l'épiscopat  français,  affilié  leurs  familles 
religieuses.  A  la  disparition  de  l'abbé  Noailles,  sa  suc- 
cession devait  passer  au  Supérieur  général  des  Oblats, 
lequel,  de  son  côté,  devait  se  faire  représenter,  auprès 
de  la  Sainte-Famille  de  Bordeaux,  par  un  pro-directeur. 
Les  deuxFondateurs étaient  morts  l'un  etl'autre  en  1861, 
le  premier  pro-directeur  venait  de  les  suivre  dans  la 
tombe;  le  P.  Soullier  fut  alors  appelé  à  [ce  poste.  Il  y 
déploya  ses  dons  d'administrateur,  et  son  action  y  fut 
discrète,  mais  fructueuse. 

Six  ans  plus  tard,  en  1867,  il  entrait  dans  les  conseils 
de  l'administration  comme  premier  assistant  du  Supé- 
rieur général. 

Ce  fut  la  partie  la  plus  active  de  sa  longue  carrière. 
En  y  ajoutant  les  cinq  années  de  son  généralat,  il  devait 
demeurer  trente  ans  au  service  des  mêmes  intérêts. 
Son  influence  y  fut  très  considérable.  Elle  se  manifesta 
par  des  visites  renouvelées  dans  presque  toutes  les  Mis- 
sions de  sa  société,  en  France,  en  Europe,  en  Afrique,  en 
Asie,  en  Amérique. 

Ces  visites  produisaient  le  plus  grand  bien.  Il  y  était 


—  426  — 

admirablement  servi  par  sa  mémoire  étonnante  des 
hommes  et  des  choses,  par  l'observation  pénétrante  et 
prompte  de  son  esprit  naturellement  investigateur.  Le 
prestige  de  son  autorité,  relevé  encore  par  sa  belle  taille 
et  la  dignité  de  sa  démarche,  était  adouci  par  sa  bonté 
simple  et  accueillante.  On  lui  obéissait  d'autant  mieux 
qu'on  le  savait  préoccupé  uniquement  des  intérêts  de 
l'Église,  de  la  propagation  de  la  foi,  et  du  bien  de  ses 
Frères. 

Les  fruits  de  ces  visites  se  continuaient  par  une  vaste 
correspondance  dont  le  recueil  formerait  un  ensemble 
magistral.  Tous  les  sujets  d'administration  ou  de  direc- 
tion y  sont  traités  :  sans  prétention  ni  emphase  ;  briève- 
ment et  à  fond,  mais  avec  clarté  ;  dans  une  langue  digne 
de  nos  meilleurs  écrivains,  nourrie  et  sobre,  dont  chaque 
phrase  est  pleine,  dont  chaque  mot  rempUt  sa  place, 
sans  répétition  ni  épithètes  superflues. 

Les  grandes  qualités  du  T.  R.  Père  Soullier  ne  res- 
tèrent pas  cachées  au  sein  de  sa  Congrégation.  Son  an- 
cien condisciple,  M.  Brunet,  devenu  ministre,  se  souvint 
de  leurs  joutes  littéraires,  et  pour  témoigner  à  son  rival 
d'autrefois  son  estime  et  son  affection,  il  lui  offrit  à  deux 
reprises  l'épiscopat.  Le  Père  Soullier  eût  assurément 
fait  un  grand  évêque,  et  on  l'eût  placé  sans  doute,  par 
parenté  d'âme,  à  côté  de  son  frère  en  religion,  le  car- 
dinal GuiBERT,  qui  avait  d'ailleurs  pour  lui  la  plus  haute 
estime.  Le  religieux  missionnaire  préféra  demeurer  dans 
la  modestie  de  sa  vocation  première  ;  mais  lorsque  ses 
voyages  et  ses  fonctions  l'eurent  mis  en  contact  avec  la 
plus  grande  partie  des  évêques  français  de  ces  quarante 
dernières  années,  comme  aussi  avec  de  nombreux  évê- 
ques du  monde  entier  et  avec  la  cour  de  Rome  elle- 
même,  l'on  peut  dire  que  partout  il  avait  su  conquérir 
l'estime  et  la  sympathie. 


—  427  — 

Son  généralat  fut  la  continuation  de  ses  travaux  anté- 
rieurs, mais  avec  le  poids  de  la  responsabilité  suprême*, 
avec  plus  de  vigilance  encore  pour  l'observance  de  la 
Règle,  avec  plus  de  dévouement,  s'il  était  possible,  pour 
le  développement  des  œuvres.  Durant  quatre  années 
trop  courtes,  il  accrut  le  nombre  des  maisons  de  sa  so- 
ciété, établit  un  nouveau  noviciat  en  France,  dans  cette 
maison  d'Angers  qu'il  avait  fondée  jadis,  un  autre  en 
Espagne,  un  troisième  en  Belgique;  il  constitua  la  pro- 
vince d'Allemagne,  et  enfin  deux  maisons  en  Australie. 

Il  voulut  aussi  visiter  de  nouveau  les  provinces  et  les 
vicariats  de  sa  Congrégation  aux  États-Unis  et  au  Ca- 
nada. C'était  la  première  fois  qu'un  Supérieur  général 
des  Oblats  visitait  ces  missions.  Ce  fut  un  véritable 
triomphe  pour  l'Église  catholique  et  ses  modestes  mis- 
sionnaires. Outre  le  Canada  et  une  partie  des  Etats- 
Unis,  le  visiteur  parcourut  ce  vaste  Nord-Ouest  cana- 
dien, 011,  en  cinquante  années,  le  zèle  de  ses  frères  a  su 
créer  une  province  ecclésiastique  de  cinq  diocèses.  Tous 
les  évêques  et  la  grande  majorité  du  clergé  y  étaient 
alors  pour  le  Père  Soullier  des  frères  ou  des  fils.  Sur 
différents  points,  ils  organisèrent  d'importantes  réunions 
de  sauvages,  et  la  vue  de  la  grande  robe  noire,  comme 
disaient  les  Indiens,  frappa  vivement  l'imagination  de 
ces  peuplades. 

Revenu  d'Amérique,  le  Supérieur  Général  visita  de 
nouveau  ses  œuvres  d'Europe,  et  trois  ans  plus  tard  la 
maladie  l'arrêta.  Il  la  traînait  depuis  plusieurs  mois  avec 
lui  ;  elle  ne  le  terrassa  qu'à  la  fin,  et  il  ne  fut  alité  que 
près  de  trois  semaines. 

Tout  entier  à  son  ministère  d'apostolat  et  de  direction 
religieuse,  il  s'était  peu  livré  au  mouvement  extérieur 
de  la  vie  contemporaine.  Il  l'observait  cependant,  et  il 
aima  toujours  à  se  rendre  compte  de  l'état  des  esprits, 


—  428  — 

comme  de  tout.  Il  se  mêla  indirectement  aux  affaires 
publiques,  lorsqu'il  fit  partie  du  comité  de  religieux  qui 
prépara  les  communautés  aux  expulsions.  Déterminant 
une  même  ligne  de  conduite  pour  tous,  celte  assemblée 
contribua,  comme  le  disait  le  P.  Soullier  lui-même,  à 
donner,  aux  victimes  de  la  persécution,  cette  dignité  et 
cette  uniformité  d'attitude  qui  imposèrent  le  respect. 

A  part  cette  exception,  il  s'en  tint  à  peu  près  exclusi- 
vement à  ses  œuvres  intérieures.  Il  était,  nous  l'avons 
dit,  de  l'école  du  cardinal  Guibert,  bien  qu'avec  une 
activité  plus  étendue.  S'il  aimait  l'action,  il  n'aimait 
point  le  tapage.  C'était  un  homme  de  raison  plus  que 
de  sentiment.  Les  beaux  entraînements  et  l'ardeur  im- 
pétueuse de  certains  le  laissaient  quelque  peu  sceptique. 
Il  avait  vu  trop  de  congrès  et  entendu  ou  lu  trop  de  dis- 
cours. Il  comptait  avant  tout  sur  l'assistance  du  ciel,  sur 
l'influence  d'un  zèle  vraiment  sacerdotal,  sur  l'action 
lente  mais  profonde  des  œuvres  paroissiales,  et  il  croyait 
que  prêtres,  religieux,  laïques,  devaient  surtout  porter 
de  ce  côté  leur  énergie  et  leur  dévouement.  En  somme, 
n'est-ce  pas  là  notre  meilleure  force?  —  Il  visait  aux 
effets  plus  qu'aux  paroles  ou  aux  attitudes,  et  quant  à  la 
politique,  s'il  tenait  à  la  suivre,  il  avait  pour  elle  le  plus 
parfait  dédain.  «  Cela  fait  pitié,  disait-il  parfois,  cela  fait 
compassion.  Il  n'y  a  là  rien  de  grand.  » 

Avons-nous  besoin  d'ajouter  que,  donnant  aux  siens 
l'exemple  de  la  discipline  et  de  l'obéissance,  il  se  rendait 
de  tout  cœur,  non  pas  seulement  aux  ordres  ou  aux 
conseils,  mais  aux  moindres  désirs  du  Souverain  Pon- 
tife. Il  vénérait  le  Siège  apostolique,  et  nulle  part  il  ne 
trouva  plus  de  force  ni  de  consolation  que  dans  les  con- 
seils et  les  encouragements  de  Léon  XIII.  Il  attribuait 
les  fruits  de  son  gouvernement  religieux  et  du  zèle  de 
ses  missionnaires  à  la  bénédiction  du  Vicaire  de  Jésus- 


-    429  — 

Christ.  Aussi,  combien  son  émotion  fut  touchante  lors- 
qu'il reçut,  sur  son  lit  d'agonie,  la  bénédiction  aposto- 
lique! 

Cette  vénération  était  pour  lui  l'une  des  formes  de  la 
religion  et  l'une  des  vertus  sacerdotales  qu'il  s'appliquait 
à  développer  en  lui.  Il  fut,  en  effet,  éminemment  prêtre, 
et  il  en  eut  la  marque,  qui  est  l'esprit  de  piété  et  de 
zèle  :  le  zèle  d'un  grand  cœur,  pour  le  règne  de  Dieu 
dans  les  âmes  et  la  diffusion  de  l'Évangile  ;  une  piété 
simple,  mais  profonde  et  qui  pénétra  toute  sa  vie,  de 
telle  sorte  que  son  existence  entière  fut  un  continuel 
hommage  rendu  à  Dieu.  Son  activité  trouvait  là  son 
principe,  et  aussi  sa  limite,  car  jamais  les  travaux  exté- 
rieurs ne  lui  ravirent  le  recueillement,  ni  ne  lui  firent 
sacrifier  ses  devoirs  de  prière  ou  de  méditation.  Il  resta 
toujours  homme  de  Dieu.  Il  y  paraissait  dans  son  com- 
merce et  dans  ses  conversations.  Non  pas  qu'il  fît  de  ces 
dernières  des  conférences  spirituelles  et  qu'il  ne  sût 
trouver  ou  procurer  aux  autres,  par  le  charme  de  ses 
récits,  le  pittoresque  de  ses  anecdotes,  l'humour  de  ses 
réflexions,  le  délassement  nécessaire.  Il  posséda  un  sens 
exquis  de  ce  qui  convient.  Aussi  conserva-t-il  toujours 
ce  qui  fut  le  caractère  de  sa  vie  :  une  dignité  simple  et 
une  distinction  naturelle. 

Ses  relations  étaient  aisées,  son  abord  était  facile,  et 
alors  même  que  les  devoirs  de  sa  charge  lui  imposaient 
la  sévérité,  il  savait  faire  sentir  une  tendresse  paternelle, 
prête  à  devenir  de  la  miséricorde  et  de  l'indulgence.  Il 
avait  à  l'occasion  des  délicatesses  touchantes  pour  les 
plus  humbles.  Lorsqu'il  s'occupait  du  plus  modeste  des 
frères  convers,  il  semblait  n'avoir  pas  d'autre  sollicitude 
que  celle-là,  et  il  se  prêtait  avec  complaisance  à  toutes 
les  questions. 

Cette  bonté  passait  dans  son  autorité  ;  son  comman- 


~  430  — 

dément  était  doux,  bien  que  ferme,  et  s'il  n'y  avait  pas, 
d'habitude,  à  revenir  sur  les  décisions  prises,  il  savait 
les  adoucir  au  besoin  par  le  tact,  par  l'affection,  même 
par  une  diplomatie  de  bon  aloi,  et  toujours  par  des  con- 
sidérations surnaturelles.  Du  reste,  il  pesait  tout  d'avance 
et  ne  prenait  une  mesure  qu'après  l'avoir  mûrie,  sachant, 
par  sa  patience,  faire  entrer  l'action  du  temps  dans  ses 
combinaisons.  Ses  habitudes  de  réflexion  se  manifes- 
taient bien  lorsqu'il  dictait  ses  lettres.  11  allait  lente- 
ment, mais  d'un  premier  jet,  sans  se  reprendre,  et  sans 
obliger  le  secrétaire  à  une  seule  rature. 

En  un  mot,  il  y  eut  dans  ses  facultés  un  ensemble  rare 
de  souplesse  et  d'énergie,  d'activité  et  de  calme.  Il  fit 
des  œuvres  multiples,  il  fut  toujours  posé.  Malgré  ses 
voyages  et  ses  préoccupations,  il  sut  assez  retenir  son 
âme  au  dedans  de  lui-même  pour  se  donner  une  vie  in- 
térieure aussi  intense  que  sa  vie  extérieure  paraissait  ré- 
pandue, et  il  allia  merveilleusement  la  prière  à  l'action. 
Son  secret  fut  de  se  tenir  uni  à  Dieu  comme  à  son 
centre. 

C'est  pourquoi  il  accueillit  la  mort,  comme  il  avait 
accepté  les  travaux  et  les  épreuves  de  la  vie,  en  disant  : 
Dominus  est!  C^est  le  Seigneur!  Il  s'acquitta  de  cette 
tâche  suprême,  comme  de  toutes,  avec  la  même  con- 
science de  remplir  un  devoir  et  d'édifier  sa  double  fa- 
mille religieuse,  avec  la  même  dignité  sereine. 

Nous  ne  saurions  mieux  dire  ici  que  son  vénérable 
directeur  spirituel  :  «  Dès  qu'on  lui  eut  annoncé  qu'il 
fallait  songer  à  la  mort,  notre  Bon  Père  Général  se  para 
en  quelque  sorte  de  sa  dignité  habituelle  aux  grandes 
circonstances  et  attendit  silencieux  et  recueilli  l'inexo- 
rable visiteuse.  Il  m'a  paru  à  la  fois  simple  et  grand 
durant  tout  le  cours  de  sa  maladie.  Simple  comme  un 
enfant  vis-à-vis  de  ceux  qui  lui  prodiguaient  ses  soins, 


—  431  — 
ne  refusant  rien,  acceptant  tout,  disant  toujours  :  comme 
vous  voudrez;  il  était  aussi  magnanime  dans  la  souf- 
france et  les  exigences  du  mal.  »  Le  vénéré  malade  reçut 
en  pleine  connaissance  les  secours  de  l'Eglise.  A  ce  mo- 
ment suprême,  il  s'humilia  devant  ses  enfants  réunis, 
et,  avec  des  accents  qui  nous  arrachaient  des  larmes,  il 
implora  le  pardon  et  l'assistance  de  Dieu.  Il  garda  son 
intelligence  jusqu'à  la  fin.  La  maladie  fit  lentement 
l'œuvre  de  mort,  mais  sans  souffrances  aiguës,  et  l'ago- 
nie fut  douce.  Au  matin  du  3  octobre,  cette  belle  âme 
s'exhala  sans  violence  en  poussant  trois  soupirs  que  re- 
cueillait Notre-Dame  du  Rosaire.  Le  mourant  était  mis- 
sionnaire Oblat  de  Marie;  sa  parole  et  sa  plume  avaient 
fait  aimer  la  Très  Sainte  Vierge  :  cette  bonne  Mère  le  lui 
rendait  à  cette  heure. 

Les  funérailles  eurent  le  caractère  qui  convenait  à 
l'humble  religieux  et  au  missionnaire  des  pauvres.  Elles 
furent  solennelles  dans  leur  simplicité,  et  d'une  piété 
recueillie.  Célébrées  le  5  octobre,  elles  furent  présidées 
par  Son  Érainence  le  cardinal  Richard.  M^"^  Balaïn  était 
accouru,  malgré  les  fatigues  d'une  nuit  de  voyage.  Dans 
l'assistance  d'élite  qui  remplissait  notre  chapelle,  on 
remarquait  cinq  généraux  de  congrégations  et  des  re- 
présentants des  diverses  sociétés  religieuses.  La  maî- 
trise du  Sacré-Cœur  exécuta  avec  piété  et  goût  les  chants 
liturgiques  et  pourvut  aussi,  par  ses  enfants  de  chœur, 
au  service  de  l'autel. 

Un  long  cortège  de  Pères,  de  Sœurs,  de  fidèles  accom- 
pagna la  dépouille  de  notre  Père  à  notre  caveau  de  fa- 
mille, au  cimetière  Montmartre.  L'ouvrier  infatigable  y 
repose  maintenant  dans  la  paix  du  Seigneur. 

M.  Devès,  g.  m.  i. 


MISSIONS  ÉTRANGÈRES 


POUILLEUX  ET  FOSSOYEUR 

ou 

SOUVENIR  DE  LA  CONSÉCRATION  ÉPISCOPALE  DE  MB""  EMILE  LEGAL 

Évêque  de  Pogla  et  coadjuteur  de  Saint- Albert 

Par  le  R.  P.  H.  Leduc. 

A  u  Très  jRévérend  Père  Su/jérieur  général. 

Edmonton,  15  août  1897. 

Pour  obéir  à  la  demande  qui  m'a  été  faite  par 
S.  Gr.  Me''  Grandin  et  par  son  conseil,  j'ai  entrepris  de 
grand  cœur  le  travail  ci-joint,  que  j'ai  le  plaisir  et  l'hon- 
neur de  vous  adresser. 

Il  est  bien  imparfait,  sans  doute,  mais  vous  le  recevrez 
avec  une  charitable  indulgence.  Puisse-t-il  vous  être 
agréable  et  contribuer  à  intéresser  un  peu  )e  lecteur, 
quel  qu'il  soit,  à  nos  chères  missions  de  Saint-Albert, 
dans  ces  immenses  territoires  du  Nord- Ouest  cana- 
dien. 

I.     NOMINATION    DE    Ji^'    LEGAL,    ÉVÊQUE    DE    POGLA 
ET   COADJUTEUR   DE    SAINT-ALBERT. 

Le  R.  P.  Leduc  cite  d'abord  le  mandement  par  lequel 
le  vénérable  évêque  pouilleux,  de  Louis  Veuillot,  annonce 
à  son  diocèse  la  nomination  et  la  consécration  de  l évêque 
fossoyeur,  un  titre  dont  on  verra  la  signification.  Nous 
avons  déjà  reproduit  les  touchantes  pages  de  M^*" Grandin. 
Nous  n'y  reviendrons  pas. 


—  433  — 

II.    PRÉPARATION   AU    SACRE. 

Depuis  le  jeudi  10  juin,  tout  le  clergé  régulier  et  sé- 
culier du  diocèse  de  Saint-Albert  est  plongé  dans  les 
saints  exercices  de  la  retraite  annuelle  à  laquelle  pren- 
nent part  plus  de  trois  cents  Oblals  de  Marie-Immaculée 
et  quatre  prêtres  séculiers. 

On  voit  à  leur  tête  le  vénérable  évêque  de  Saint-Al- 
bert, M^'  Grandin.  Malgré  son  état  de  souffrance  conti- 
nuelle, il  donne  à  tous  l'exemple  de  l'humilité,  de  la 
piété  et  de  la  régularité  la  plus  parfaite.  Pendant  ces 
jours  bénis,  il  s'oublie  lui-même  pour  diriger,  consoler, 
encourager  ses  prêtres  et  ses  frères  en  religion.  Il  prie 
avec  ferveur  pour  celui  que  l'Esprit  Saint  a  choisi  pour 
être  le  bâton  de  sa  vieillesse  et  sa  grande  consolation 
pendant  les  dernières  années  de  sa  longue  carrière  épis- 
copale. 

M»'  Légal,  évêque  élu  de  Pogla,  coadjuteur  de  Saint- 
Albert,  est  là  aussi  se  préparant,  dans  le  silence  et  la 
prière,  à  recevoir  bientôt  la  plénitude  du  sacerdoce  des 
mains  de  M^""  Grandin  lui-même. 

Avec  une  charmante  simplicité,  une  franchise  toute 
apostolique,  une  toute  cordiale  charité  fraternelle,  le 
R.  P.  Laçasse,  prédicateur  de  la  retraite,  rompt,  trois 
fois  par  jour  à  son  sympathique  auditoire,  le  pain  de  la 
parole  de  Dieu. 

Mais,  laissons  un  instant  les  heureux  retrailantsjouir, 
pendant  ces  jours  bénis,  des  grâces  de  choix  que  le  cœur 
de  Jésus  leur  répartit  si  généreusement.  Pour  nous, 
retournons  à  Edmonton  y  faire  les  offices  de  Marthe.  Dieu 
le  veut,  que  sa  sainte  volonté  soit  faite  ! 


—  434  —      * 

III.  ARRIVÉE  DES  INVITÉS  A  EDMONTON. 

Nous  sommes  au  lundi  14  juin.  Toute  notre  chère  po- 
pulation catholique  est  sur  pied.  Drapeaux  et  oriflammes 
flottent  au  gré  du  vent  sur  tous  nos  établissements  reli- 
gieux et  sur  les  habitations  privées  de  nos  braves  chré- 
tiens. La  musique  instrumentale  de  la  ville  d'Edmonton 
est  réunie  sur  les  rives  de  notre  belle  Saskatchewan,  et 
les  dames  catholiques  de  la  ville  ont  voulu  préparer  un 
véritable  banquet  à  la  résidence  des  RR.  PP.  Oblats, 
pour  les  nobles  visiteurs  impatiemment  attendus. 

Sur  la  ligne  du  chemin  de  fer  de  Calgary  à  Edmonton, 
la  locomotive  dévore  l'espace,  elle  approche,  elle  arrive 
et  nous  saluons  leurs  Grandeurs  M6'"Lange'vtn,  archevêque 
de  Saint  Bonif ace,  et  M^''  Durieu,  évéque  de  New-West- 
minster. Ils  sont  accompagnés  du  R.  P.  Lefebvre,  Oblat 
deMarie  Immaculée,  provincial  du  Canada,  du  R.  M.  l'abbé 
Messier,  curé  de  la  cathédrale  de  Saint-Boniface,  du 
R.  P.  Lacombe,  le  guide  émérite  de  toutes  les  grandes 
excursions  religieuses  sur  le  Pacifique  canadien. 

Des  députations  de  nos  excellentes  religieuses,  auxi- 
liaires si  dévouées  de  nos  œuvres  de  zèle  et  de  charité 
dans  le  diocèse  de  Saint- Albert,  viennent  aussi  prendre 
part  à  la  grande  fête  de  jeudi.  Mentionnons  d'abord  les 
bonnes  Soeurs  deCharité  de  Nicolet.  N'ont-elles  pas  droit 
aujourd'hui  à  la  place  d'honneur  ?  Depuis  longtemps 
déjà  elles  travaillent  sans  compter,  à  la  conversion  des 
Pieds-Noirs,  qu'elles  gagnent  à  la  foi  par  leur  admirable 
charité,  dans  l'hôpital  sauvage  de  la  réserve  des  Gens  du 
Sang.  Depuis  cinq  ans,  elles  donnent  le  plus  dévoué 
concours  au  zèle  du  missionnaire  Oblat  de  Marie  Imma- 
culée, qu'elles  ont  appris  à  estimer,  vénérer  comme  un 
apôtre.  Et  n'est-ce  pas  ce  missionnaire  des  sauvages, 
humble,  modeste,  caché  aux  yeux  du  monde,  que  le  Saint- 


—  43S  — 

Esprit  a  été  choisir  pour  l'élever  à  la  dignité  de  prince 
de  l'Église  ?  N'est-ce  pas  ce  missionnaire  encore  qui,  le 
matin  même  du  jour  oti  il  apprenait  son  élévation  à 
l'épiscopat,  avait  enseveli  de  ses  propres  mains  le  ca- 
davre d'un  pauvre  sauvage,  dont  il  avait  fabriqué  lui- 
même  le  modeste  cercueil  et  creusé  la  fosse? 

A  vous,  mes  Sœurs,  la  première  place  aujourd'hui. 
Vous  pouvez  être  fières  de  votre  Père  et  présenter  à 
Më'  Légal  l'anneau  symbolique  de  son  union  avec  l'Église 
confiée  à  sa  sollicitude  pastorale. 

Vous  aussi,  bonnes  Sœurs  de  Charité,  dites  Sœurs 
grises  de  Montréal,  vous  les  premières  à  la  peine  dans  ces 
Missions  du  Manitoba  et  de  l'immense  Nord-Ouest  Ca- 
nadien ;  fidèles  Compagnes  de  Jésus,  religieuses  modèles, 
si  dignes  du  beau  nom  que  vous  portez  ;  excellentes 
Sœurs  de  l'Assomption,  les  plus  récemment  établies  dans 
ces  pauvres  et  tant  aimées  Missions,  mais  ne  le  cédant 
en  rien  à  vos  devancières  en  fait  de  zèle  et  de  dévoue- 
ment, venez  à  la  consécration  épiscopale  de  votre  bien 
cher  et  bien-aimé  Père  Me""  l'évèque  de  Pogla,  toutes  vous 
avez  droit  à  sa  première  bénédiction. 

Cependant  des  voitures  nombreuses  ont  été  mises  à 
notre  disposition  par  nos  chers  catholiques.  Canadiens 
et  Irlandais  rivalisent  de  bonne  volonté  et  d'empresse- 
ment pour  transporter  nos  illustres  voyageurs  de  la  gare 
à  notre  résidence. 

La  Saskatchewan  est  bientôt  franchie  sur  un  bac  primi- 
tif et  légendaire,  qui  doit  être  enfin  remplacé  par  un  su- 
perbe pont  que  le  gouvernement  fait  construire.  Escortés 
par  la  musique  instrumentale,  qui  exécute  avec  entrain 
ses  plus  beaux  airs  de  fête,  nous  arrivons  à  notre  petite 
église  en  planches,  provisoire  et  modeste  au  plus  haut 
degré,  j'aurais  dû  dire  provisoire  en  permanence;  car, 
depuis  quinze  ans  que  dure  ce  provisoire,  les  ressources 


-   436  — 

absolument  nécessaires  pour  le  faire  cesser  ont  fait  et 
font  encore  défaut.  Pourtant,  je  ne  voudrais  pas  mourir 
avant  d'avoir  bâti  ici  une  église  au  moins  convenable. 

Mon  ambition  est  de  bâtir  quelque  cbose  de  bien  et  de 
solide,  en  rapport  avec  les  besoins  de  notre  population 
et  de  l'importance  que  prend  cette  nouvelle  ville  d'Ed- 
monton.  Je  souffre  trop  de  voir  les  ministres  de  l'erreur 
se  glorifier  de  leurs  temples  hérétiques,  auxquels  ils  peu- 
vent avec  dédain  comparer  notre  pauvre  bicoque  catho- 
lique. Il  est  vrai  que,  depuis  quelques  mois,  ce  dédain  se 
change  en  véritable  stupéfaction.  Ils  ne  peuvent  com- 
prendre comment  nous  avons  pu  bâtir  le  beau  couvent 
des  Fidèles  Compagnes  de  Jésus,  le  vaste  et  superbe  hôpi- 
tal des  Sœurs  de  Charité,  notre  trop  petite  mais  bien 
convenable  résidence.  Bientôt,  se  disent-ils,  ces  mis- 
sionnaires catholiques  vont,  sans  doute,  construire  une 
église  qui  reléguera  bien  loin  les  nôtres  à  l'arrière-plan. 
Je  l'espère  et  le  désire  de  tout  mon  cœur.  Mais,  que 
faire,  quand  nos  établissements  de  charité  et  d'éducation 
sont  déjà  grevés  de  plus  de  150000  francs  de  dettes  ! 

Sans  plus  d'explications  inutiles,  je  m'adresse  donc  à 
toutes  les  âmes  pieuses  et  dévouées  qui  liront  ces  lignes 
et  je  les  supplie  de  m'envoyer  leur  obole.  Ma  constitu- 
tion, ruinée  après  trente-trois  années  de  mission,  ne  me 
permet  pas  d'espérer  de  fournir  maintenant  une  bien 
longue  carrière. Que  je  voie,  avant  de  mourir,  cette  nou- 
velle église  projetée,  ouverte  au  culte  divin,  le  8  dé- 
cembre 1899,  trente-cinquième  anniversaire  de  ma  pre- 
mière messe  et  j'entonne  de  grand  cœur  mon  Nunc  di- 
mittis. 

Mais  je  reviens  à  nos  vénérables  visiteurs,  que  j'ai  lais- 
sés tout  à  l'heure,  sans  trop  de  façon,  à  la  porte  de  mon 
église,  toujours  obstinément  provisoire.  On  dirait  que 
j'ai  eu  honte  de  les  y  introduire.  Tout  y  est  pauvre  et 


I 


—  437  — 

plus  que  modeste,  c'est  vrai,  mais  tout  y  est  digne  et 
convenable.  Les  Sœurs  Fidèles  Compagnes  de  Jésus  en 
ont  la  charge,  inutile  de  chercher  une  autre  explication 
de  l'ordre  et  de  l'exquise  propreté  qui  y  règne.  L'autel 
est  paré  comme  aux  plus  grands  jours  de  fête,  les  fidèles 
de  toute  langue  et  de  toute  nationalité  remplissent 
l'édifice ,  le  chœur  entonne  VEcce  sacerdos  magnus , 
pendant  que  NN.  SS.  les  évoques  vont  s'agenouiller 
aux  prie- Dieu  qui  leur  ont  été  préparés.  Puis  deux 
représentants  de  notre  population  catholique  de  langues 
française  et  anglaise  d'Edmonton,  MM.  Geo.  Roy  et 
N.  D.  Beck,  présentent  chacun  une  adresse  dans  leurs 
langues  respectives  : 

A  Sa  Grandeur  Monseigneur  L. -P.  Adélard  Langevin^ 
archevêque  de  Saint-Boni  face. 

Monseigneur, 

Votre  arrivée  dans  cette  partie  éloignée  de  votre  pro- 
vince ecclésiastique  remplit  d'allégresse  le  cœur  de  tous 
les  paroissiens  de  Saint -Joachim  d'Edmonton.  Aussi 
toute  la  population  catholique  de  cette  ville  se  fait  un 
devoir  et  un  bonheur  de  venir  saluer  en  vous  le  repré- 
sentant, au  milieu  de  nous,  du  vénéré  et  saint  vieillard 
du  Vatican  et  vous  renouveler  l'assurance  de  notre  sin- 
cère attachement,  de  notre  profonde  gratitude  et  de 
notre  affection  filiale. 

Combien  aussi  nous  sommes  heureux  de  souhaiter  la 
bienvenue  aux  distingués  visiteurs  qui  vous  accompa- 
gnent et  qui  ont  bien  voulu,  par  leur  présence,  rehausser 
l'éclat  de  cette  fête. 

Vous  avez  d'autant  plus  droit.  Monseigneur,  à  ces 
manifestations  et  à  ces  hommages,  que,  dans  ces  jours 
de  tristesse  que  nous  traversons,  vous  vous  êtes  jeté  dans 

T.  XXXV.  30 


—  438  — 

la  mêlée  pour  nous  encourager,  par  votre  parole  élo- 
quente et  par  vos  actes,  à  vous  suivre  dans  les  bons 
combats. 

Qu'il  nous  soit  permis,  Monseigneur,  au  nom  de  la 
population  d'origine  française,  en  contemplant  cette 
auguste  réunion,  en  vous  voyant  entouré  de  ces  vénérés 
prélats,  de  ces  dévoués  missionnaires,  dont  la  vie  s'est 
passée  au  milieu  des  fatigues,  des  privations  de  toute 
sorte,  marchant  sans  relâche,  sans  jamais  regarder  en 
arrière,  à  la  conquête  des  âmes  ;  qu'il  nous  soit  permis, 
disons-nous,  de  vous  exprimer  combien  les  catholiques 
d'origine  française  sont  fiers,  en  ce  moment,  d'apparte- 
nir à  celte  race  de  cette  terre  classique  du  dévouement 
et  de  l'apostolat.  Oui,  c'est  ici,  comme  pour  le  reste  du 
monde,  le  Gesta  Dei  per  Francos. 

Les  premiers  explorateurs  de  tous  ces  immenses  ter- 
ritoires ont  été  des  Français.  Laverandrye,  un  des  ancê- 
tres de  votre  illustre  prédécesseur  (ce  saint  prélat  dont 
on  pleurera  longtemps  la  perte),  le  premier,  remonta 
cette  Saskatchewan,  dont  les  eaux  baignent  les  rivages 
de  notre  jeune  ville  et  prit  possession  de  ce  pays  au  nom 
du  Dieu  crucifié,  en  même  temps  qu'il  y  arborait  le 
drapeau  fleurdelisé  ;  les  premiers ,  des  missionnaires 
français  et  canadiens  ont  arrosé  de  leurs  sueurs  ces 
vastes  solitudes. 

Constituit  eum  super  familiam  suam.  Monseigneur,  vous 
comptez  au  nombre  de  vos  sufTraganls,  notre  vénérable 
et  saint  évêque  de  Saint-Albert.  lia  supporté  le  poids  du 
jour  et  de  la  chaleur  ;  mais  combien  il  doit  se  réjouir  ;  il 
va  en  ce  jour  oublier  ses  longues  années  de  fatigues, 
tous  ses  jeûnes  forcés,  toutes  les  anxiétés  de  ses  longs 
voyages,  car  son  vœu  est  enfin  exaucé.  Quelqu'un  lui  est 
donné  pour  le  seconder  dans  son  travail,  pour  le  bien 
du  troupeau  confié  à  ses  soins.  M^'  de  New-Westminster, 


—  439  — 

si  zélé  et  si  aimé  de  ses  admirables  sauvages  ;  M^''  Pas- 
cal, le  digne  vicaire  apostolique  de  Saskatchewan  ; 
NN.  SS.  les  évêques  Grouard  et  Clut,  les  dévoués 
vicaires  apostoliques  d'Athabaskaw-Mackenzie;  quelle 
famille  de  zélés  et  saints  apôtres  ! 

Monseigneur,  la  congrégation  de  la  Mission  de  Saint- 
Joachim  d'Edmonton  se  compose  de  plusieurs  nationa- 
lités parlant  différentes  langues  ;  mais  nous  ne  formons 
qu'une  famille,  et  je  suis  sûr  d'exprimer  le  vœu  una- 
nime de  la  population  en  priant  le  Tout  Puissant  qu'il 
daigne  vous  accorder,  ainsi  qu'à  vos  dignes  suffragants, 
ses  bénédictions  les  plus  abondantes  et  de  longues  an- 
nées pour  le  bien  de  l'Église,  pour  notre  consolation  et 
pour  le  plus  grand  avantage  de  tous  ceux  qui  sont  con- 
fiés à  votre  sollicitude. 

M^''  de  Saint-Boniface  répond  et  remercie,  et  sa  pa- 
role aimée  trouve  tout  de  suite  le  chemin  des  cœurs. 

Le  Très  Saint  Sacrement  est  alors  exposé.  Tous  nous 
nous  prosternons  aux  pieds  du  Dieu-Eucharistie,  nous 
adorons,  nous  supplions,  nous  aimons.  Jésus  nous  bénit 
et  nous  nous  rendons  joyeusement  de  l'église  à  la  mai- 
son où  les  voyageurs  ont  besoin  de  réparer  un  peu  les 
fatigues  du  voyage.  Il  est  9  heures  du  soir  lorsque  nous 
nous  asseyons  à  la  table  du  festin  si  généreusement  et  si 
cordialement  préparé  par  nos  dames  catholiques,  heu- 
reuses de  contribuer  ainsi  à  l'honneur  et  au  support  de 
la  Mission. 

Le  lendemain  matin,  à  5  heures  sonnantes,  le  signal  du 
réveil  est  impitoyablement  donné;  archevêque,  évêques, 
prêtres  religieux,  missionnaires  Oblats  de  Marie  Imma- 
culée, prêtres  séculiers,  tous  obéissent  au  signal,  et,  un 
quart  d'heure  plus  tard,  se  rendent  à  la  chapelle  privée 
de  la  maison  pour  la  prière  et  la  méditation.  Vient  en- 


—  440  — 

suite  la  célébration  du  saint  sacrifice  de  la  messe  ;  puis 
tous  nous  nous  rendons  à  l'hôpital  général,  où  nos 
bonnes  Sœurs  de  Charité  font,  avec  tant  de  délicatesse, 
l'honneur  de  leur  maison.  Les  malades  sont  visités  et 
bénis  par  NN.  SS.  les  évêques,  qui  adressent  à  chacun 
des  paroles  d'afFectueuse  sympathie,  d'encouragement 
et  de  douce  consolation.  Peu  après,  nous  sommes  au 
couvent  des  Fidèles  Compagnes  de  Jésus.  Les  salles  de 
classe  sont  parfaitement  décorées,  et  les  enfants,  tout 
heureux  de  la  grande  visite  qui  leur  est  faite,  nous  don- 
nent une  fois  de  plus  la  preuve  de  l'excellente  éducation 
qu'ils  reçoivent  de  ces  religieuses  si  dignes  et  si  dé- 
vouées. Non,  leurs  écoles,  quoi  qu'en  disent  nos  enne- 
mis, ne  le  cèdent  en  rien  aux  écoles  publiques  du 
gouvernement,  et  leurs  enfants,  toutes  choses  égales 
d'ailleurs,  peuvent  défier  toute  compétition. 

IV.    ARRIVÉE   A    SAINT-ALBERT. 

Il  est  maintenant  6  heures  du  soir.  Nos  bien-aimés 
visiteurs  prennent  place  dans  les  voitures,  et  nous  faisons 
route  pour  Saint-Albert.  A  7  heures  et  demie,  nous  som- 
mes en  vue  de  la  modeste  cathédrale  en  bois  et  de  la 
vaste  résidence  en  planches,  décorée  du  nom  de  palais 
épiscopal.  Les  cloches  sonnent  à  toute  volée  et  nous 
apercevons  sur  la  rive  opposée  de  la  rivière  Esturgeon, 
qui  coule  au  pied  de  la  Mission,  le  vénérable  Me""  Gran- 
DiN,  accompagné  de  S.  Gr.  l'évêque  de  Pogla,  M^'  Lé- 
gal, et  de  tous  les  heureux  retraitants.  Ils  ont  interverti, 
ce  soir,  le  règlement  traditionnel,  et  la  récréation  a  été 
sensiblement  prolongée. 

Cependant ,  nous  avons  gravi  la  colline  de  Saint- 
Albert.  A  peine  sommes-nous  descendus  de  voiture  que 
déjà  archevêque,  évêques,  Oblats,  prêtres,  religieux, 
sont  reçus  dans  les  bras  de  M^'^  Grandin  et  de  son  digne 


—  441   — 

et  bien-aimé  coadjuteur.  L'instant  d'après,  nous  sonfimes 
aux  pieds  de  Notre-Seigneur,  à  la  chapelle  de  l'évêché, 
où  nous  épanchons  nos  cœurs  joyeux  et  reconnaissants 
dans  le  cœur  de  Jésus,  Puis  les  exercices  de  la  retraite 
reprennent  leur  cours  et  tout  rentre  dans  le  saint  re- 
cueillement de  la  prière  et  du  silence. 

Nous  sommes  maintenant  au  16  juin.  Le  signal  du  ré- 
veil est  donné.  De  nouveau,  nous  sommes  au  pied  des 
saints  autels,  dont  bientôt  nous  allons  gravir  les  degrés 
pour  y  offrir  l'adorable  victime  et  renouveler  tous  en- 
semble, nous  heureux  Oblats  de  Marie  Immaculée,  nos 
vœux  mille  fois  bénis  de  pauvreté,  de  chasteté  et  d'obéis- 
sance pour  la  vie,  ainsi  que  notre  serment  de  persévérer 
jusqu'à  la  mort  dans  cette  famille  religieuse  et  bien- 
aimée  dont  nous  sommes  les  enfants.  La  messe  d'obla- 
tion   est  dite   par  S.  Gr.  M^''  Langevin,  le  vaillant  ar- 
chevêque de  Saint-Boniface.  Dans  une  touchante   et 
éloquente  allocution  sortie  de  son  cœur  d'évêque,  de 
Père  et  d'Oblat,il  ravive  en  nous  l'amour  de  notre  sainte 
vocation,  le  zèle  de  notre  propre  sanctification  et  du 
salut  des  âmes,  le  feu  de  la  divine  charité  fraternelle, 
cachet  du  véritable  Oblat  de  Marie  Immaculée.  Il  nous 
fait  entrevoir  les  grandes  solennités  du  lendemain  et 
nous  fait  aimer  davantage  encore,  s'il  est  possible,  cet 
apôtre  des  Pieds-Noirs,  ce  missionnaire,  si  modeste  et 
si  digne  qui,  demain,  recevra  la  plénitude  du  sacerdoce. 
S.  Gr.   M^''  l'archevêque  se  prosterne  ensuite  au  pied 
du  Saint  Sacrement,  et,  le  premier,  renouvelle  du  fond 
du  cœur  ses  vœux  de  religion.  M^"^  Grandin,  le  modèle 
parfait  du  religieux,  répète  à  son  tour  la  formule  de  son 
oblation  et  renouvelle  ses  vœux,  qu'il  a  si  bien  gardés. 
M^'"  de  Pogla  vient  ensuite,  à  la  veille  de  sa  consécra- 
tion épiscopale,  protester  qu'il  est  et  qu'il  restera  tou- 
jours Oblat  de  Marie  Immaculée,   donnant  jusqu'à  la 


mort  l'exemple  de  fidélité  aux  moindres  prescriptions 
de  nos  Saintes  Règles,  et  se  dévouant  sans  mesures  au 
bien  de  la  Congrégation,  sa  mère.  Enfm,  tous  les  Pères 
et  Frères  présents  se  succèdent  tour  à  tour  aux  pieds  de 
Notre-Seigneur  ;  tous  redisent  avec  amour  :  ...  Voveo 
paupertatem,  castùatem  et  obedientiam  perpetuam,  pa- 
riier  jurejurando  voveo  ad  mortem  usque  perseveraturum, 
in  Sancto  Instituto  et  in  Societate  Missionariorum  Oblato- 
rum  Sanctissimx  et  Immacidatœ  Vtrginis  Mariae.  Sic  Deus 
me  adjuvet.  Amen.  Et  le  cantique  d'action  de  grâces  : 
Te  Deum  laudamus,  Te  Dominum  confitemur...  s'échappe 
de  tous  les  cœurs,  Dieu-Eucharistie  nous  a  bénis  ;  Marie 
nous  reconnaît  pour  siens,  et,  avec  elle,  nous  entonnons 
son  admirable  cantique  :  Magnificat  anima  mea  Dominum, 
quia  fecit  mihi  magna  qui  potens  est  et  sanctum  nomen 
ej'us. 

La  retraite  annuelle  est  terminée,  nous  nous  inclinons 
encore  une  fois  sous  la  main  bénissante  de  nos  vénérés 
évêques,  Oblats  de  Marie,  pour  nous  donner  ensuite,  les 
uns  aux  autres,  la  plus  fraternelle  accolade  :  Ecce  quant 
bonum  et  jucundum  habitare  fralres  in  unum. 

Nous  sommes  maintenant  à  la  veille  du  grand  jour. 
M^'  Légal  peut  dire  maintenant,  plus  que  jamais:  Para- 
tum  cor  meum,  Deus,  par atum  cor  meum.  La  journée  tout 
entière  est  consacrée  par  nous  aux  préparatifs  immé- 
diats du  sacre.  Dans  l'après-midi,  nous  avons  le  bonheur 
de  voir  arriver  M^'  Clut,  accompagné  du  R,  P.  Demarais. 
Ils  arrivent  du  petit  lac  des  Esclaves,  voyage  pénible  de 
plus  de  300  milles,  partie  en  canot,  partie  en  voiture. 
Il  leur  a  fallu  dix  jours  de  fatigues  considérables  pour 
franchir  cette  distance.  M^''  Durieu,  le  si  digne  évêque  de 
New-Westminster,  dans  la  Colombie  Britannique,  avait 
dû  rester  hier  à  Edmonton,  retenu  par  la  maladie,  suite 
des  fatigues  d'un  long  et  pénible  voyage,  fait  tantôt  en 


—  443  — 

bateau,  tantôt  à  dos  de  cheval.  Il  nous  arrive  aujourd'hui 
aussi  encore  fatigué,  mais  bien  moins  souffrant.  Nous 
espérons  que  demain  il  sera  tout  à  fait  rétabli  ;  du  fond 
du  cœur  nous  le  demandons  au  bon  Dieu. 

V.   CONSÉCRATION. 

il  juin.  —  C'est  aujourd'hui  la  belle  et  douce  fête  du 
Très  Saint  Sacrement,  la  grande  Fête-Dieu,  disent  nos 
chers  catholiques  d'origine  française,  la  fête  du  Corpus 
Christi,  disent  encore  nos  chers  chrétiens  de  langue  an- 
glaise. Cher  Monseigneur  Légal,  ce  jour  pouvait-il  être 
mieux  choisi  pour  votre  consécration  épiscopale,  vous, 
dont  les  dix-huit  dernières  années  ont  été  employées,  avec 
un  zèle  si  touchant  et  si  modeste,  à  faire  connaître  Jésus- 
Christ  aux  infidèles  sauvages  de  la  nation  des  Pieds- 
Noirs  !  Dans  sa  magnifique  circulaire  annonçant  votre 
élection,  M^'"  Grandin  vous  appelait  du  nom  de  sacrifié. 
Il  avait  grandement  raison,  et  c'est  aujourd'hui  que 
vous  allez  être  réellement  sacrifié  plus  que  jamais,  pour 
vous  dévouer,  vous  dépenser,  vous  user  au  service  de 
l'Église,  de  l'Église  de  Saint-Albert  surtout,  dont  vous 
allez  partager,  dès  maintenant,  la  sollicitude  avec  notre 
bien-aimé  et  saint  évêque.  Courage,  Monseigneur,  vous 
êtes  l'élu  de  Dieu,  et  le  choix  unanime  de  tous  vos  Frères 
Oblats  de  ce  vaste  diocèse.  Comptez  sur  notre  dévoue- 
ment, notre  respect  affectueux  et  notre  parfaite  obéis- 
sance. 

La  modeste  cathédrale  de  Saint-Albert  est  superbe- 
ment décorée,  et  malgré  la  pluie  qui  tombe  abondam- 
ment, elle  se  remplit  si  bien,  que  si  le  temps  eût  été 
beau,  au  moins  60  pour  100  de  ceux  des  Missions  envi- 
ronnantes, qui  se  faisaient  un  bonheur  de  venir  prendre 
part  à  la  fête,  n'auraient  pu  pénétrer  dans  l'enceinte  de 
l'église. 


—  444  — 

M^"" l'archevêque, notre  bien-aimé  métropolitain,  prend 
place  au  trône  avec  ses  assistants.  Il  lui  appartenait, 
sans  doute,  hiérarchiquement  parlant,  de  donner  lui- 
même  la  consécration  épiscopale  au  nouvel  élu.  Mais 
son  cœur  a  deviné  la  consolation  qu'éprouverait  le  véné- 
rable évêque  de  Saint-Albert,  en  consacrant  lui-même 
son  bien  cher  coadjuteur,  et  M^""  Langevin  a  voulu  lui 
laisser  cette  consolation  bien  méritée.  M^''  Grandin  est 
donc  l'évêque  consécrateur,  assisté  de  NN.  SS.  Durieu, 
évêque  de  New-Westminster,  et  Clut,  évêque  d'É- 
rindel. 

La  grande  et  majestueuse  cérémonie  s'ouvre  par  la 
lecture  du  mandat  apostolique,  créant  le  11.  P.  Emile 
Légal,  évêque  de  Pogla,  coadjuteur  de  Saint-Albert,  et 
l'élu  prête  immédiatement  le  serment  prescrit  par  le  Pon- 
tifical, suivi  de  sa  profession  solennelle  de  Foi.  L'au- 
guste sacrifice  de  la  messe  est  commencé  ;  pasteurs,  prê- 
tres et  fidèles  s'unissent  du  plus  intime  de  leur  âme  au 
pontife  consécrateur  pour  appeler  sur  le  nouvel  évêque 
toutes  les  grâces  de  l'Esprit-Saint,  et  demander  pour  lui 
la  force  et  le  courage  dont  il  aura  tant  besoin  dans  la 
redoutable  charge  qui  va  lui  être  imposée.  «  Nos  autem 
m  nomine  Domini  »,  nous  a-t-il  déjà  répondu.  De  moi- 
même  je  ne  puis  rien,  dit-il  avec  le  grand  Apôtre  des 
gentils,  mais  je  puis  tout  en  celui  qui  me  fortifie  :  Omnia 
possum  in  eo  qui  me  confortât.  Conduit  par  NN.  SS.  de 
New-Westminster  et  d'Erindel  à  la  chapelle  qui  lui  a 
été  préparée,  il  se  revêt  des  ornements  pontificaux,  et 
comme  au  jour  de  son  sous-diaconat,  de  son  diaconat  et 
de  sa  prêtrise,  il  vient  se  prosterner  au  pied  du  saint 
autel.  Sainte  Marie,  mère  de  Dieu  ;  saint  Michel,  prince 
de  la  milice  céleste  ;  saint  Joseph,  roi  des  patriarches  ; 
saints  apôtres,  saints  et  saintes  de  Dieu,  priez,  intercédez 
pour  lui,  et  le  pontife  consécrateur  se  lève,  gravit  les 


-  445  — 

degrés  de  l'autel,  il  bénit,  il  sanctifie,  il  consacre.  Ut 
hune  electum  benedicere  et  sanctificare  et  consecrare  digne- 
ris,  te  rogamus,  audi  nos.  Le  livre  des  saints  Évangiles 
est  ensuite  placé  sur  la  tête  et  sur  les  épaules  de  l'élu, 
qui,  plus  que  jamais,  sera  l'apôtre  des  Pieds-Noirs  et 
des  nations  encore  assises  à  l'ombre  de  la  mort  dans  ces 
immenses  territoires  de  l'Ouest.  II  continuera,  jusqu'à 
son  dernier  soupir,  à  leur  annoncer  la  bonne  nouvelle 
de  l'Évangile  avec  une  autorité  d'autant  plus  grande, 
qu'il  va  tout  à  l'heure  devenir  le  successeur  des  Apôtres 
et  juge  de  la  Foi.  Le  pontife  consécrateur  lui  impose  les 
mains  :  «  Accipe  Spiritum  Sanctum  »,  dit-il  avec  ses  deux 
pontiles  assistants,  et  le  Saint-Esprit  se  communique 
dans  toute  sa  plénitude  à  l'âme  si  humble  et  si  bien  pré- 
parée du  nouveau  pontife.  Le  chant  du  Veni  Creator  se 
répercute  dans  tous  nos  cœurs,  la  tête  et  les  mains  du 
nouvel  évêque  sont  ointes  de  l'huile  sainte.  Il  reçoit  le 
bâton  pastoral,  emblème  de  sa  juridiction,  de  son  auto- 
rité spirituelle  et  de  sa  sollicitude  pour  les  brebis  qu'il 
doit  paître  et  nourrir  de  la  saine  doctrine. 

Le  saint  sacrifice  continue  et  s'achève;  consécrateur 
et  consacré  se  nourrissent  de  la  divine  Eucharistie  et 
partagent  entre  eux  le  calice  où  coule  le  sang  précieux 
du  Rédempteur. 

Enfin,  le  nouveau  pontife  reçoit  la  mitre,  le  casque 
du  salut;  l'anneau,  symbole  de  son  union  mystique  avec 
l'Église,  que  Ms''  Légal  épouse  aujourd'hui,  est  bénit  par 
le  vénérable  consécrateur,  M^''  Grandin,  qui  le  remet 
avec  bonheur  à  celui  qui,  dorénavant,  sera  un  autre  lui- 
même  et  l'appui  de  sa  noble  vieillesse.  Puis,  prenant  la 
main  de  cet  autre  lui-même,  il  le  conduit  au  trône  qui 
lui  a  été  préparé.  Sit  nomen  Domini  benedictum,  chante 
d'une  voix  doucement  émue  le  nouvel  évêque  ;  Benedicat 
vos  Otnnipotens  Deiis,  Pater  et  Filius  et  Spiritus  Sanctus, 


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et  tous  les  fronts  s'inclinent  sous  sa  main  bénissante. — 
TeDeum  laudainus,  Te  Dominum  confitemur...  entonne  le 
chœur  avec  amour,  continuant,  avec  une  sainte  allé- 
gresse, le  cantique  de  l'action  de  grâces  pendant  que  le 
nouvel  évêque  passe  au  milieu  des  fidèles  à  genoux,  sur 
lesquels  il  répand  les  prémices  de  ses  affectueuses  béné- 
dictions. 

Revenu  à  l'autel,  il  prend  sa  place  au  coin  de  l'épître, 
et,  s'agenouillant  par  trois  fois  devant  son  consécrateur 
et  ses  deux  pontifes  assistants,  il  les  remercie  en  deman- 
dant pour  eux  à  Dieu,  auteur  de  tous  biens,  de  leur 
donner  encore  bonnes  et  nombreuses  années  pour  mul- 
tiplier leurs  mérites,  travailler  bien  longtemps  encore  à 
l'extension  du  règne  de  Jésus-Christ,  au  bien  de  l'Église 
et  de  la  Congrégation  des  missionnaires  Oblats  Imma- 
culée. Ad  multos  annos. 

Et  nous  aussi,  bien  cher  et  bien  digne  Mb''  Légal,  nous 
vous  adressons  ce  cri  du  cœur  :  Ad  multos  annos.  Oui, 
que  le  bon  Dieu  vous  conserve  longtemps,  bien  long- 
temps, à  notre  fidèle  et  fraternelle  affection. 

SERMON   DE    M^''   LANGEVIN. 

Le  sermon  de  circonstance  fut  donné  par  S.  Gr. 
M^""  Langevin,  archevêque  de  Saint-Boniface.  Je  regrette 
profondément  de  ne  pouvoir  le  reproduire  ici  ;  malheu- 
reusement il  n'a  point  été  écrit,  et  je  suis  forcé  de  ne 
donner  qu'une  bien  pâle  analyse  de  cette  éloquente  et 
mâle  improvisation  :  «  L'autorité  de  l'évêque  est  divine 
et  sacrée.  Successeur  des  apôtres,  il  est  placé  par  l'Es- 
prit-Saint  lui-même  pour  gouverner  l'Église  :  Posui't 
episcopos  regere  Ecclesiam  Dei.  Son  autorité  n'est  pas 
une  autorité  d'emprunt,  une  autorité  déléguée.  Il  reçoit 
sa  mission  de  Dieu  lui-même,  comme  l'ont  reçue  les 
apôtres.  Choisi  par  le  pasteur  de  l'Église,  par  Pierre 


—  447  — 

vivant  dans  ses  successeurs,  qu'il  reconnaît  pour  son 
chef  et  pour  le  vicaire  infaillible  de  Jésus-Christ,  c'est 
l'Esprit-Saint  qui  l'oint  de  la  force  d'en  haut  et  de  la 
puissance  spirituelle  qu'il  exerce  dans  l'Église  particu- 
lière confiée  par  le  Souverain  Pontife  à  sa  sollicitude 
pastorale. 

«  Un  souffle  d'impiété,  un  souffle  délétère  d'indiffé- 
rence religieuse  et  de  révolte  contre  l'autorité  épisco- 
pale,  passe  aujourd'hui  sur  notre  patrie  bien-aimée... 
Est-ce  que  nous  ne  sommes  faits  évoques  que  pour  être 
environnés  d'honneurs  et  saturés  de  compliments?  Non, 
mille  fois  non,  et  malheur  à  nous  si  nous  ne  rapportons 
parfaitement  et  complètement  à  Dieu  ces  marques  de 
respect  et  de  vénération  ! 

«  Nous  sommes  évêques  pour  défendre  et  garder  la 
Foi,  pour  défendre  et  revendiquer  les  droits  de  l'Église. 
La  parole  de  Dieu  ne  saurait  être  enchaînée  :  Verbum 
Dei  non  est  alligatum.  Malheur  à  nous,  si,  infidèles  à 
notre  mission  divine,  nous  cessions  de  combattre  pour 
jouir  d'une  tranquillité  honteuse  !  L'Évangile  n'est-il 
donc  plus  aujourd'hui  ce  qu'il  était  autrefois  ?  Notre- 
Seigneur  ne  nous  dit-il  pas  aujourd'hui,  comme  hier, 
quand  il  s'agit  du  salut  éternel  des  âmes  commises  à 
notre  garde  :  «  Je  ne  suis  pas  venu  apporter  la  paix,  mais 
«  le  glaive  :  Nonpacem...  sed gladiwn.  »  Que  ceux  qui  l'i- 
gnorent demandent  à  Théodose,  empereur,  ce  que  c'est 
qu'un  évêque.  Coupable,  chargé  du  sang  de  ses  sujets 
injustement  versé,  il  se  présente  à  la  porte  de  la  cathé- 
drale de  Milan;  mais  Ambroise  est  sur  le  seuil,  et  l'em- 
pereur n'entrera  pas.  «  Je  sais  maintenant  ce  que  c'est 
«  qu'un  évêque»,  dit-il  à  ses  courtisans,  et,  plus  que  ja- 
mais, il  respecte,  il  révère  rautorité  divine  d'Am- 
broise. 

«  Sont-ils  vraiment  catholiques ,  ceux  qui ,   de  nos 


—  448  — 

jours,  font  profession  de  fidélité  et  de  soumission  au 
pape,  en  attaquant  l'épiscopat  ?  L'autorité  des  évêques 
n'est-elle  donc  pas  celle  du  Souverain  Pontife  lui-même, 
et  s'attaquer  à  l'une,  n'est-ce  pas  travailler  à  la  ruine  de 
l'autre  ? 

«  Parents  chrétiens,  voulez-vous  qu'un  jour  vos  en- 
fants se  moquent  de  l'obéissance  et  du  respect  qu'ils 
vous  doivent  ?  Envoyez-les  dans  les  écoles  sans  Dieu,  où 
l'autorité  de  l'Église  et  des  évêques  est  méconnue,  et 
bientôt  vos  enfants  vous  insulteront  en  face.  » 

Mais  non,  il  n'en  sera  point  ainsi.  Nos  chers  catholi- 
ques ont  compris,  j'en  suis  convaincu,  ce  noble  et  fier 
langage  de  notre  vigilant  archevêque.  Ils  sauront  le 
mettre  à  profit  pour  eux  et  pour  les  enfants  que  le  bon 
Dieu  leur  a  donnés. 

VI.    LES   AGAPES. 

Rendons-nous  maintenant  à  la  salle  du  festin,  à  la 
maison  d'école  de  nos  excellentes  Sœurs  de  Charité.  Les 
murs  disparaissent  sous  les  guirlandes  et  les  fleurs,  sous 
les  tentures  et  les  armes  de  NN.  SS.  les  évêques. 

Saint-Bomface  :  Depo&itum  custodi.  C'est  le  motto  de 
notre  jeune  et  courageux  archevêque,  défenseur  intré- 
pide et  gardien  vigilant  de  la  Foi  des  enfants. 

Saint- Albert  :  Infirma  mundi  elegit  jOe?<s.  C'est  la  noble 
devise  du  vénérable  M^'  Grandin  :  «  Celui-là,  me  disait  à 
l'oreille  un  aimable  convive,  ne  se  damnera  certaine- 
ment pas  pour  avoir  péché  par  orgueil.  Quelle  profonde 
humilité  et  quel  bien  n'a-t-il  pas  fait  en  raison  même 
de  cette  vertu  si  aimable  et  si  inconsciemment  puis- 
sante. » 

PoGLA  :  Nos  autem  m  nomine  Domi'ni.  C'est  M^'  Légal, 
le  nouveau  pontife,  qui  s'arme  du  nom  du  Seigneur  au 
début  de  sa  carrière  épiscopale. 


—  449  — 

Asseyons-nous  maintenant  à  la  table  du  banquet  sur 
lequel  NN.  SS.  les  évêques  ont  préalablement  appelé  la 
bénédiction  du  bon  Dieu.  Les  convives  attaquent  avec 
entrain  les  pièces  de  résistance.  Le  veau  gras  a  été  im- 
molé, plusieurs  moutong  ont  été  sacrifiés,  et  la  basse- 
cour  du  voisinage  s'est  considérablement  dépeuplée.  On 
voit  même  sur  la  table  des  fruits  succulents  venus  de 
la  Californie,  et  fournis  parle  zélé  missionnaire  de  Leth- 
bridge,  le  R.  P.  Vantighen.  «  C'est  un  vrai  festin  à  tout 
manger»,  se  disent  nos  trois  chefs  sauvages  invités,  et 
ils  se  font  un  devoir  d'y  faire  honneur  en  conséquence. 

Pour  breuvage,  du  thé  en  quantité  et  de  l'eau  à  discré- 
tion; mais,  par  exemple,  pas  une  goutte  devin,  pas  une 
goutte  de  liqueur  quelconque,  pas  même  le  plus  chétif 
pousse-café.  Les  orateurs  qui  vont  nous  charmer  tout  à 
l'heure  n'en  :'auront  la  parole  que  plus  claire  et  plus 
limpide. 

J'ai  moi-même  l'honneur  d'ouvrir  la  série  des  dis- 
cours, et  je  m'en  tire  à  très  bon  marché,  couvert  d'ap- 
plaudissements enthousiastes  !  J'ai  tout  simplement  lu 
les  lettres  et  les  télégrammes  de  félicitations  si  cordiale- 
ment adressées  à  S.  Gr.  M^''  Légal,  par  S.  Gr.  M»''  Duha- 
mel, archevêque  d'Ottawa,  par  S.  Gr.  M^'  Gravel,  évêque 
de  Nicolet,  etc.  Fier  du  succès  que  je  remporte  en  m'u- 
nissant  simplement  de  tout  cœur  à  ces  félicitations  si 
bien  méritées,  je  reprends  mon  siège  et  cède  la  parole 
au  vénérable  évêque  de  Saint- Albert,  ainsi  qu'à  son  bien 
cher  et  très  digne  coadjuteur. 

DISCOURS  DE  Ms»  GRANDIN. 

Messeigneurs, 

Mes  révérends  Pères  et  bien  chers  Frères, 

Il  peut  y  avoir  une  trentaine  d'années,  me  trouvant 
passablement  découragé  des  difficultés  que  je  rencon- 


—  430  - 

trais,  je  profitai  d'une  de  ces  occasions,  alors  si  rares, 
pour  les  faire  connaître  à  mon  digne  titulaire  Ms'  Taché, 
et  obtenir  quelque  direction,  ou  au  moins  des  encoura- 
gements de  sa  part.  Une  année  après,  je  pouvais  recevoir 
sa  réponse.  Bien  que  depuis  j'aie  perdu  la  mémoire,  je 
n'ai  point  oublié  cette  chère  lettre.  En  voici  en  deux 
mots  le  résumé  : 

(c  Cher  Seigneur,  vous  vous  plaignez  des  difficultés 
physiques  et  morales  que  vous  avez  à  surmonter  pour 
faire  le  bien.  Regardez  donc  un  peu  en  arrière  et  com- 
parez les  sauvages  à  ce  qu'ils  étaient  lors  de  votre  arrivée. 
Évidemment,  vous  ne  pouviez  alors  espérer  que  le  règne 
de  Dieu  ferait  de  tels  progrès  par  votre  ministère.  Vous 
ne  pouvez  moins  faire  que  de  reconnaître  que  Dieu  est 
avec  nous  et  que,  malgré  nos  misères,  il  agit  avec  nous.  » 

Dans  un  rapport  que  le  R.  P.  Leduc  avait  fait  de  ma 
part  sur  nos  œuvres  et  lisait  devant  les  membres  de  notre 
Chapitre  général,  il  reconnaissait  le  même  fait  et  disait 
lui  aussi  :  Digitus  Dei  est  hic. 

Le  bien  nous  coûte  tant  et  nous  sommes  tellement 
fatigués  de  nos  efforts  que,  succombant  à  cette  fatigue, 
pour  ne  pas  dire  au  découragement,  nous  apercevons  à 
peine  nos  succès  et  les  progrès  du  bien.  Ces  progrès  sont 
en  effet  peu  de  chose  comparés  à  ce  qui  reste  à  faire  ; 
et  ce  reste  nous  préoccupe  au  point  que  nous  voyons  à 
peine  ce  qui  est  fait.  Depuis  cinquante-deux  ans  au 
moins  que  notre  famille  religieuse  travaille  dans  ce  ter- 
ritoire, depuis  près  de  cinquante  ans  que  quelques-uns 
des  nôtres,  ici  présents,  s'y  dévouent  avec  zèle,  depuis 
quarante-trois  ans  que  j'y  suis  moi-même,  et  depuis  plus 
ou  moins  longtemps  que  tous,  missionnaires  ici  présents, 
nous  nous  y  dépensons,  nous  sommes  plus  ou  moins 
portés  à  nous  décourager  des  difficultés  actuelles.  Ne 
serait-il  pas  bon  de  regarder  un  peu  en  arrière,  comme 


-  451  — 

me  le  conseillait  autrefois  M»'  Taché,  non  pas  pour  re- 
gretter les  sacrifices  que  nous  avons  faits,  mais  pour  en 
constater  les  résultats,  résultats  obtenus  malgré  des  dif- 
ficultés qui  nous  ont  toujours  parus  extrêmes,  et  malgré 
nos  propres  misères,  qui  ne  sont  pas  les  moindres  de 
nos  difficultés? 

Car,  il  nous  faut  bien  l'avouer,  bien  que  la  bonne 
volonté  et  le  désir  du  bien  soient  la  part  de  chacun  de 
nous,  nous  sommes  fils  d'Adam,  et  nous  nous  en  ressen- 
tons tous;  nos  vues  pour  faire  le  bien  ne  sont  pas  tou- 
jours les  mêmes  :  le  faux  jugement,  les  préjugés,  l'édu- 
cation même,  et,  il  faut  bien  le  dire,  une  foule  de  défauts 
qui  en  sont  la  conséquence,  et  que  nous  voyons  d'autant 
moins  qu'ils  ont  peut-être  grandi  avec  nous,  et  auxquels 
nous  nous  sommes  tellement  habitués  que  nous  serions 
presque  tentés  de  les  prendre  pour  des  qualités,  tout 
cela,  encore  une  fois,  ce  sont  des  difficultés  réelles  qui 
viennent  de  nous  et  qui,  jointes  à  celles  du  dehors,  en 
sont  une  somme  capable  d'effrayer  de  plus  braves  que 
nous.  Il  faut  évidemment  que  le  bon  Dieu  y  mette  du 
sien. 

Je  vous  prie,  révérendissimes  Seigneurs,  d'excuser 
chez  moi  la  manie  des  vieillards  qui  aiment  à  raconter. 
Je  voudrais  donc  jeter  un  coup  d'oeil  rétrospectif  sur 
nos  œuvres  et  vous  y  faire  voir  l'action  de  Dieu,  et  je 
n'ai  pas  le  talent  de  le  faire  en  peu  de  mots. 

En  4845,  deux  Oblats  arrivaient  à  Saint-Boniface  ;  je 
devrais  dire  un,  parce  que  le  jeune  Frère  Taché,  bien 
qu'étant  sous-diacre  et  ayant  terminé  ses  études  théolo- 
giques, n'avait  pas  encore  fait  sa  profession  religieuse. 
M^'  Provencher  ne  se  réjouit  pas  moins  de  l'arrivée  de 
ces  deux  auxiliaires  ;  il  voyait  en  eux  une  Congrégation 
tout  entière,  et  il  espérait  pouvoir  enfin  s'occuper  du 
salut  des  nombreuses  nations  sauvages  de  son  diocèse 


—  452  -- 

aussi  grand  que  l'Europe,  et  pour  lequel  il  n'avait  au 
plus  que  quatre  ou  cinq  prêtres. 

L'année  suivante,  le  Frère  Taché,  devenu  profès  et 
prêtre,  partait  {pour  les  Missions  sauvages  de  l'Ile  à  la 
Crosse,  en  compagnie  d'un  prêtre  séculier,  M.  Laflèche, 
qui  ne  tarda  pas  à  être  élu  évoque  d'Arath  et  coadjuteur 
de  Saint-Boniface.  Cependant,  le  Supérieur  général  des 
Oblats,  Me""  de  Mazenod,  évêque  de  Marseille,  aussi  bien 
que  l'administration  générale  de  la  Congrégation,  n'a- 
vaient pas  une  juste  idée  des  missions  de  la  Rivière- 
Rouge  :  ils  se  figuraient  que  les  Pères  envoyés  au  secours 
de  Ms'  Pro\'encher  pourraient  être  en  rapport  avec  leurs 
Frères  du  diocèse  de  Montréal,  et  quand  Monseigneur 
notre  Fondateur  apprit  l'éloignement  et  l'isolement  de 
ses  fils  avec  lesquels  il  pouvait  à  peine  correspondre,  il 
réunit  son  conseil  et  décida  le  rappel  des  missionnaires 
de  Saint-Boniface,  alors  au  nombre  de  quatre  ou  cinq. 

Cependant  l'évêque  élu  d'Arath,  pris  d'une  maladie 
sérieuse  qui  lui  rend  la  marche  à  peu  près  impossible, 
fait  comprendre  à  M^^  Provencher  qu'il  n'est  plus  en  état 
de  répondre  à  ses  vues  et  aux  besoins  du  diocèse  ;  il  faut 
bien  présenter  au  pape  un  nouveau  candidat;  et  voilà 
que  dans  le  temps  de  la  décision  prise  en  conseil  tou- 
chant les  Oblats  de  Saint-Boniface,  on  apprend  de  Rome 
à  l'évêché  de  Marseille  l'élection  du  P.  Taché  comme 
évêque  d'Arath  et  coadjuteur  de  Saint-Boniface. 

Notre  Fondateur  appelle  de  nouveau  son  conseil,  lui 
annonce  la  nomination  imprévue  et  inattendue  du  jeune 
Père  Taché  ;  on  conclut  qu'on  ne  peut  l'abandonner 
ainsi  et  on  annule  la  décision  précédente.  La  lettre  pro- 
jetée n'était  pas  encore  partie.  Le  Père  Taché  reçoit 
l'ordre  de  se  rendre  auprès  du  P.  Général,  des  mains 
duquel  il  reçoit  la  consécration  épiscopale,  et  il  revient, 
en  1852,  accompagné  de  trois  Pères  Oblats,  dont  deux, 


—  433  — 

les  RR.  PP.  RÉMAS  et  Végreville,  sonl  encore  vivants  et 
ici  présents,  et  nous  espérons  qu'ils  ne  nous  laisseront 
pas  de  sitôt  ;  dont  le  troisième,  le  P.  Grollier,  est  le 
premier  qui  soit  mort  dans  nos  Missions,  et  la  plupart 
d'entre  vous  savent  comment,  et  enfin  d'un  Frère  con- 
vers  qui  a  eu  l'honneur  de  mourir  martyr.  Il  eut,  en 
outre,  la  chance  de  rencontrer,  en  passant  à  Montréal, 
le  cher  P.  Lacombe,  qui,  j'espère^  ne  finira  pas  de  sitôt, 
lui  aussi,  de  nous  aider. 

Cependant,  cette  nomination  du  P.  Taché  ne  fut  pas 
acceptée  volontiers  de  tous  ses  Frères  en  religion  ;  on  se 
figurait  que,  ne  pouvant  plus  s'occuper  des  Missions 
sauvages  comme  autrefois,  ces  Missions  tomberaient  ; 
et,  de  fait,  les  sauvages,  encore  peu  instruits,  voyant  le 
P.  Taché  s'éloigner  et  remplacé  par  des  Pères  qui  ne 
pouvaient  pas  encore  parler  leur  langue,  témoignèrent 
un  mécontentement  dont  les  jeunes  missionnaires  ne 
purent  manquer  d'éprouver  les  effets.  Le  retour  du  jeune 
évêque  fit  comprendre  que  Dieu  veillait  à  son  œuvre. 

En  mars  1834,  je  reçus  mon  obédience  et  fus  ordonné 
pour  ces  Missions.  La  veille  de  m'embarquer  au  Havre, 
je  reçus  de  notre  vénéré  Fondateur  et  Père  une  lettre  oii 
il  me  disait  entre  autres  choses  :  «  Assurez  tous  vos 
Frères  que  celui  qui  a  été  choisi  dans  leurs  rangs,  l'a 
bien  été  par  la  volonté  de  Dieu,  qui  voulait  conserver 
ces  missions  pour  notre  Congrégation  et  que  nous  au- 
rions abandonnées  sans  son  élection  toute  providentielle 
qui  nous  a  mis  dans  la  nécessité  de  les  conserver.  » 

J'arrive,  en  août  1854,  à  Saint-Boniface  :  j'étais  alors, 
pour  cet  immense  diocèse,  le  neuvième  Père  Oblat,  en 
comptant  l'jvêque.  M^''  Provencher  était  mort  depuis 
plus  d'un  an  ;  M^''  Taché,  devenu  titulaire,  n'avait  en- 
core pu  prendre  possession  de  son  siège.  Ce  fut  seule- 
ment au  mois  de  novembre  1854  qu'il  put  accomplir 

T.  xxxv.  31 


-    45  5     - 

cette  formalité.  Outre  les  neuf  Pères  Oblats  qu'il  y  avait 
dans  le  diocèse,  il  y  avait  encore  quatre  prêtres  séculiers, 
dont  l'un,  M.  Laflèche,  partit  cet  hiver-là  même  pour 
refaire  sa  santé  dans  le  diocèse  de  Trois-Rivières. 

Notre  Fondateur  m'avait  remis  une  lettre  pour  Ms'Ta- 
CHÉ,  qui  daigna  nous  donner  connaissance  de  ce  pas- 
sage ;  je  cite  de  mémoire  :  «  Je  vous  envoie  encore  un 
Père,  je  lâcherai  de  vous  en  envoj'^er  un  chaque  année, 
jusqu'à  ce  que  vous  en  ayez  vingt;  mais  alors,  nous 
devrons  nous  arrêter  quelque  temps  pour  fortifier  aussi 
d'autres  Missions.»  —  «  Qu'on  m'en  donne  vingt  !  disait 
Rlonseigneur,  et  nous  pourrons  faire  du  bien.  » 

Je  passai  donc  l'hiver  1854-1835  à  Saint-Boniface,  ne 
pouvant  alors  entreprendre  de  me  rendre  plus  loin,  à 
cause  de  la  saison.  J'avais  l'avantage  de  me  trouver  avec 
plusieurs  anciens  missionnaires,  entre  autres  M^f  Tacqé. 
En  mars,  le  courrier  d'hiver  arriva  du  Nord -Ouest  ;  il 
venait  deux  fois  chaque  année.  On  me  communiqua 
quelques  lettres.  Je  fus  surtout  frappé  d'une  lettre  du 
P.  Faraud.  Il  écrivait  au  Père  Procureur  :  «  Ne  m'en- 
voyez plus  de  soutane,  je  m'en  ferai  faire  désormais  avec 
du  cuir  du  pays  ;  outre  qu'elles  seront  plus  solides,  je 
serai  plus  semblable  aux  pauvres  que  j'évangélise,  et 
j'épargnerai  par  ailleurs  de  quoi  me  procurer  des  choses 
plus  indispensables  pour  ma  mission.  »  Par  ordre  de 
Monseigneur,  je  lui  portai  moi-même  une  soutane. 

Je  quittai  Saint-Boniface  le  premier  samedi  de  juin, 
en  compagnie  de  Me'  Taché  et  du  F.  Bowes,  venu  avec 
moi  de  Montréal.  Ce  genre  de  voyage  par  eau  avec  les 
bateaux  de  la  Compagnie  de  la  Baie  d'Hudson,  n'avan- 
çant qu'à  force  de  rames,  m'était  encore  inconnu.  J'avais 
fait  connaissance,  pour  venir  à  Saint  -  Boniface,  des 
campements  en  plein  air  et  des  insupportables  mous- 
tiques. Il  me  restait  à  connaître  les  portages;  ils  sont 


—  455  — 

nombreux  de  Saint- Bonilace  à  Athabaska.  Nous  portions 
nous-mêmes,  autant  que  possible,  notre  bagage  et  quel- 
quefois nous  soulagions  les  pauvres  hommes,  les  nou- 
veaux surtout,  qui  n'étaient  pas  plus  faits  à  ce  genre  de 
travail  qu'à  la  nourriture  du  pays.  Une  première  fois, 
revenant  d'une  extrémité  d'un  portage,  j'allais  chercher 
une  autre  charge,  je  rencontre  mon  Supérieur  et  mon 
Evêque  avec  un  gros  ballot  sur  sa  tête  :  c'était  probable- 
ment son  lit  de  voyage.  Je  le  prie  de  me  le  confier,  ce 
qu'il  me  refusa  bel  et  bien  par  une  plaisanterie,  me  di- 
sant que  je  voulais  lui  ravii'  sa  mitre. 

Nous  arrivâmes  à  l'Ile  à  la  Grosse;  c'est  là  qu'il  devait 
rester.  L'église  actuelle  était  en  construction  ,  ainsi 
qu'une  maison  qui  devait  servir  d'habitation  aux  mis- 
sionnaires; le  cher  F.  Bowes  devait  tout  achever.  L'église 
et  la  maison  primitives  étaient  encore  en  usage  pour  le 
service  divin  et  pour  l'habitation  des  missionnaires. 
C'étaient  des  constructions  en  lognes,  ou  pièces  de  bois 
superposées;  le  tout  était  recouvert  en  terre  et  en  écor- 
ces.  La  lumière  y  pénétrait  par  de  grossiers  parche- 
mins; ceux  de  l'église  étaient  peinturés  en  rouge  et  en 
vert  et  imitaient  plus  ou  moins  des  vitraux. 

Je  continuai  mon  voyage  jusqu'à  Athabaska,  oii  je 
trouvai  une  habitation  du  même  genre,  moins  l'église. 
La  Mission,  naturellement,  était  moins  avancée  que  celle 
dont  nous  venons  de  parler,  les  chrétiens  étaient  moins 
instruits  ;  quelques  -  uns  seulement  avaient  l'ait  leur 
première  communion ,  beaucoup  n'étaient  que  caté- 
chumènes, beaucoup  même  n'en  étaient  pas  là.  J'eus 
l'avantage  de  me  trouver  avec  des  missionnaires  qui  con- 
naissaient la  langue  des  sauvages,  langue  apprise  sans 
grammaire  ni  dictionnaire  ;  ils  me  firent  part  de  leurs 
notes  ;  je  commençai  par  copier  les  prières  et  le  caté- 
chisme, que  je  faisais  réciter  mot  à  mot  aux  catéchu- 


—  ;o6  — 

mènes  et  aux  enfants.  Nous  n'avions  encore  rien  d'im- 
primé ;  toute  notre  bibliothèque  sauvage,  en  deux  langues 
absolument  différentes,  se  composait  de  cahiers  ou  de 
simples  feuilles  volantes.  Je  fis  comme  mes  prédéces- 
seurs ;  j'avais  sur  eux  pourtant  l'avantage  de  leurs  notes 
et  de  leurs  leçons;  j'appris  à  parler,  comme  les  enfants, 
en  entendant  surtout.  On  m'envoya  seul  en  mission,  ou 
on  me  laissa  seul  à  l'établissement  ;  c'était  le  meilleur 
moyen  de  me  former  à  la  langue. 

En  1837,  je  fus,  à  ma  grande  surprise,  élu  évêque-coad- 
juteur  de  Saint-Boniface.  En  prévoyance,  sans  doute, 
de  cet  événement,  M^''  Tacué  m'avait  appelé  à  l'Ile  à  la 
Crosse,  d'où  il  s'était  éloigné.  Lesévêques  de  la  province 
de  Québec,  sans  doute  pour  obliger  la  Congrégation  à  ne 
pas  abandonner  ces  Missions,  prièrent  notre  Fondateur 
de  présenter  au  Saint-Père  les  candidats  à  la  Coadju- 
torerie,ce  qui  eut  lieu,  comme  on  afaità  Ms""  Légal,  sans 
que  j'en  fusse  prévenu,  et  je  pouvais  d'autant  moins  pré- 
voir un  pareil  événement  que  j'étais  plus  jeune  et  man- 
quais de  tout  ce  qu'il  fallait  pour  une  pareille  charge, 
excepté  peut-être  d'assez  bonnes  jambes  pour  marchera 
la  raquette,  ce  qui  me  faisait  penser  qu'on  avait  plutôt 
eu  égard  à  mes  jambes  qu'à  ma  tête.  Ms"^  de  Saint-Boni- 
face, bien  que  très  jeune,  voulut  avoir  un  coadjuteur 
pour  administrer  la  partie  nord  du  diocèse  oii  les  chré- 
tiens se  multipliaient  et  où  les  missionnaires  vivaient 
dans  un  isolement  des  plus  pénibles,  ne  pouvant  que 
deux  fois  l'année  correspondre  avec  leur  Supérieur, 

Bientôt  les  chrétiens  et  les  missionnaires  furent  assez 
nombreux  pour  que  le  Souverain- Pontife  érigeât  un 
vicariat  apostolique  dans  cette  partie  du  diocèse  de  Saint- 
Boniface.  En  1864,  je  me  retirai  d'Athabaska-Mackenzie 
et  vins  de  nouveau  à  l'Ile  à  la  Crosse.  Nous  voilà  dès 
lors  trois  évêques  et  assurément  plus  de  trente  Pères 


Oblats,  sans  compter  un  certain  nombre  de  prêtres  sé- 
culiers, de  Frères  convers  et  de  religieuses,  dans  un  dio- 
cèse où  dix  ans  avant  il  n'y  avait  qu'un  évêque,  quatre 
prêtres  séculiers,  huit  Pères  Oblats  et  trois  Frères  Oblats, 
et  cela  malgré  une  pauvreté  extrême;  nous  n'avions 
d'autres  ressources  que  l'allocation  delà  Propagation  de 
la  Foi,  et  ces  ressources  n'augmentaient  pas  en  propor- 
tion des  besoins. 

Lorsque  nous  pénétrâmes  pour  la  première  fois  dans 
le  territoire  du  Mackenzie,  nous  eûmes  à  surmonter  une 
grande  opposition  de  la  part  de  la  Compagnie  de  la  Baie 
d'Hudson,  toute-puissante  dans  le  pays  et  sans  laquelle 
nous  ne  pouvions,  le  plus  souvent,  voyager  ni  même  en- 
voyer nos  lettres  à  nos  supérieurs;  il  fallait  donc  comp- 
ter avec  cette  Compagnie.  Heureusement  que  la  plupart 
de  ses  serviteurs  étaient  catholiques,  et,  par  là  même, 
elle  devait  un  peu  compter  avec  nous. 

Jusqu'en  1858,  les  missionnaires  protestants  n'avaient 
pas  dépassé  un  certain  point  de  la  Rivière-Rapide,  où  ils 
avaient  un  étabhssement.  Voilà  bien  qu'alors  ils  se  ren- 
dent dans  l'immense  district  du  Mackenzie.  Les  sau- 
vages de  ce  pays  nous  demandaient  avec  instance;  déjà 
deux  Pères  étaient  établis  au  grand  lac  des  Esclaves, 
près  du  fort  Résolution;  nous  étions  donc  à  la  porte  et 
dans  le  district  même  du  Mackenzie.  Le  personnage  de 
ce  district,  après  avoir  fait  l'impossible  pour  nous  empê- 
cher de  nous  y  établir,  appela,  pour  nous  faire  opposi- 
tion^  un  archidiacre  protestant  de  la  Rivière-Rouge,  qui 
eut  de  suite  la  protection  de  tous  les  employés  supérieurs 
de  la  Compagnie;  mais  on  comptait  sans  le  zèle  du 
P.  Grollier. 

Celui-ci,  ne  pouvant  avoir  recours  à  ses  supérieurs  éloi- 
gnés, supposa  leur  permission  et  suivit  ou  précéda  le 
prédicant  dans  tous  les  camps  sauvages  où  il  alla,  si 


—  458  - 

bienque  le  ministre  ne  fit  absolument  rien.  L'Esprit-Saint 
nous  dit  que  le  salut  nous  vient  même  de  nos  ennemis; 
je  vois,  pour  ma  part,  l'action  visible  de  la  Providence 
dans  l'arrivée  et  la  multiplicité  des  sectes  dans  notre 
territoire,  et  je  suis  convaincu  qu'elles  ont  servi  beau- 
coup, sans  s'en  douter,  à  l'extension  de  l'Eglise  catho- 
lique et  du  règne  de  Dieu.  Le  grand  obstacle  pour  nous 
était  non  seulement  le  manque  d'argent,  mais  bien  plus 
encore  le  manque  de  sujets.  Ce  double  obstacle  nous 
obligeait  à  n'avancer  qu'avec  mesure;  forcés  de  prendre 
des  moyens,  par  l'arrivée  des  prédicants,  nous  avons  été 
ainsi  poussés  à  l'impossible. 

Lorsque  cet  archidiacre  arriva  au  fort  Simplon,  pa- 
tronné par  tous  les  bourgeois  et  commis,  il  y  avait  toute 
apparence  qu'il  aurait  tons  les  sauvages  du  Mackenzie 
qui  n'avaient  jamais  vu  le  prêtre  catholique.  Le  P.  Grol- 
LiER  fit  une  chose  qu'un  supérieur  n'aurait  pu  com- 
mander, n'aurait  même  pu  approuver  que  difficilement. 
On  ne  peut  l'accuser  d'avoir  manqué  à  l'obéissance,  se 
trouvant  à  une  distance  qui  ne  lui  permettait  plus  ni 
d'écrire  aux  supérieurs  ni  de  recevoirleur  réponse  avant 
une  année.  Il  avait  avec  lui  un  jeune  missionnaire  qui 
commençait  seulement  à  balbutier  la  langue  ;  il  l'envoie 
à  une  place  oh  il  peut  l'apprendre  tout  en  instruisant  les 
sauvages,  et  lui,  part  en  canot  d'écorce,  tant  qu'il  n'y  a 
pas  de  glace,  à  la  raquette  quand  les  eaux  sont  deve- 
nues solides,  et  gagne  à  notre  religion,  on  peut  dire, 
presque  toutes  les  tribus  de  cet  immense  district.  Mais 
aussi  il  se  mit  à  dos  toutes  les  puissances,  c'est-à-dire 
tous  les  employés  supérieurs  de  la  Compagnie,  qui 
l'accusèrent  de  fanatisme,  de  bigoterie,  et  plusieurs  s'ef- 
forcèrent, plus  ou  moins  dignement,  de  lui  faire  expier 
ce  prétendu  péché. 

Arrivé  moi-même  tout  jeune  évêque  dans  ce  district, 


—  459  — 

en  1861,  afin  de  diriger  les  missionnaires,  alors  au  nom- 
bre de  six,  pour  Athabaska  et  Mackenzie,  sans  compter 
quatre  Frères,  je  pus  constater  les  bons  combats  de  ces 
chers  Pères  ;  je  reçus,  contre  le  digne  P.  Grollier  sur- 
tout, force  plaintes,  et  fus  très  heureux  de  pouvoir 
excuser  ce  qu'on  lui  reprochait  comme  faute,  par  l'ab- 
sence de  supérieur.  Nous  eiîmes  tous  à  souffrir  plus  ou 
moins  de  la  conjuration  formée  contre  nous  ;  mais,  en 
voyant  les  conséquences  du  zèle  de  ce  cher  Père,  je  ne 
pouvais  que  me  dire  :  Dum  Christus  annuntietur  in  hoc 
gaudeo  sed  et  gaudebo  (Phil.,  i,  18). 

Voilà  ce  qui  me  fait  dire  que  le  bon  Dieu  a  tiré  le  bien 
de  l'opposition  qu'on  nous  a  faite.  Nous  avons  dû  faire 
l'impossible  pour  avancer  quand  même  :  Opportune,  im- 
portune, in  omni  patientia,  en  dépit  de  la  pauvreté  et 
parfois  de  la  prudence.  Les  missionnaires  se  multi- 
pliaient, bâtissaient  eux-mêmes  des  huttes  oii  ils  se  reli- 
raient. Les  admirant  et  n'osant  pas  les  faire  reculer, 
nous  suppliions  nos  supérieurs  majeurs  de  venir  à  notre 
secours  ;  chaque  année,  nous  recevions  quelques  nou- 
veaux venus,  jamais  assez  ;  mais,  cependant,  l'œuvre  de 
Dieu  avançait.  Nous  avions  aussi  recours  au  Supérieur  des 
supérieurs  majeurs,  au  Pape,  qui,  à  notre  demande, 
érigeait  de  nouveaux  vicariats,  enfin  une  province  et  des 
diocèses.  Les  nouveaux  évêques  usaient  d'industries 
pour  se  créer  des  ressources  ;  la  Propagation  de  la  Foi, 
en  divisant  ses  allocations,  ne  pouvait  les  faire  assez 
considérables  ;  le  bien  n'avançait  pas  suivant  les  besoins 
du  temps  ;  nous  avions  recours  aux  parents ,  aux 
amis,  à  la  charité  de  tous  ;  l'économie,  les  privations 
même  aidant,  le  royaume  de  Dieu  s'est  étendu  comme 
personne  de  nous  n'aurait  osé  le  supposer. 

M.  Bernard  Ross,  grand    bourgeois  du    Mackenzie, 
constatant  nos  efforts,  me  disait  jadis  :  «Vous  ne  nous 


—  460  ~ 

tiendrez  pas  tête,  Monseigneur,  vous  n'êtes  pas  assez 
riches.  »  —  «  Les  richesses,  lui  répondis-je,  ne  suffisent 
pas  même  ;  il  faut,  dans  ce  pays  surtout,  savoir  s'en 
passer,  et  y  suppléer  en  se  sacrifiant.»  Ma  réponse  parut 
le  surprendre. 

Je  dois,  avant  de  finir,  dire  un  mot  de  nos  bons  Frères 
convers,  qui  nous  ont  tant  aidés  à  faire  beaucoup  avec 
peu  d'argent  ;  ils  ont  eu  certainement  une  grande  part 
dans  l'extension  du  règne  de  Dieu  dans  le  pays.  Nos  an- 
tagonistes l'ont  compris;  ne  pouvant  compter  sur  un 
tel  avantage,  ils  ont  essayé  parfois  de  tenter  ces  dévoués 
Frères.  L'un  d'eux,  s'adressant  un  jour  à  notre  digne 
F.  Kerney,  lui  faisait  observer  qu'avec  son  éducation  il 
aurait  pu  avoir  une  place  fort  avantageuse  dans  la  Com- 
pagnie, et  ne  pas  être  à  un  rang  de  domestique.  Ce  n'est 
pas  le  seul  à  qui  des  propositions  du  même  genre  ont 
été  faites,  mais  tous  ont  répondu  comme  le  F.  Kerney  : 
«  Si  j'avais  voulu  gagner  de  l'argent,  ce  n'est  pas  ici  que 
je  serais  venu.  » 

Il  faut  finir,  j'ai  déjà  été  trop  long,  beaucoup  trop 
long  ;  je  vous  en  demande  pardon,  Messeigneurs.  Mais 
il  est  bon  de  constater  que  cet  ancien  diocèse  de  Saint- 
Boniface,  où  il  y  avait,  en  1854,  un  évêque,  quatre  prê- 
tres séculiers,  huit  Pères  Oblats,  trois  Frères  convers  et 
douze  ou  quinze  Sœurs  grises,  forme  une  province  ec- 
clésiastique ;  et,  aujourd'hui,  sur  un  coteau  oii  se  rou- 
laient alors  les  buffalos,  se  trouve  une  cathédrale  bien 
modeste,  il  est  vrai,  un  évêché,  un  couvent,  et  enfin, 
aujourd'hui  même,  dans  cette  modeste  cathédrale,  on  a 
sacré  le  septième  évêque  de  notre  province.  A  ce  sacre 
se  trouvaient,  outre  notre  très  révérend  Métropolitain  et 
trois  de  ses  suffragants,  le  R.  P.  Provincial  des  Oblats  du 
Canada,  vingt  et  un  autres  Pères  Oblats,  presque  autant 
de  Frères  convers  et  six  prêtres  séculiers.  Et  dans  l'éten- 


—  461  — 

due  de  ce  même  diocèse  de  Saint-Boniface,  [il  y  a  au- 
jourd'hui au  moins  quarante  à  cinquante  prêtres  sécu- 
liers, au  delà  de  cent  Pères  Oblats,  sans  compter  les 
PP.  PP.  Jésuites,  les  Chanoines  réguliers  de  l'Immaculée 
Conception,  les  Trappistes,  et,  outre  les  Sœurs  grises  de 
Montréal,  six  autres  Congrégations  religieuses  sont  ve- 
nues nous  aider  à  étendre  et  solidifier  le  règne  de  Dieu, 
Ce  résultat,  eu  égard  aux  ouvriers  employés,  aux  diffi- 
cultés surmontées,  est  une  preuve,  comme  me  le  disait 
M^''  Taché,  que  nous  n'avons  pas  été  seuls.  A  Domino  fac- 
tura est  istud,  et  est  mirabile  in  oculis  nostris  (Ps.cxvii,  22. 
Matt.,  XX,  22). 

Bien  que  trop  long,  je  n'ai  pas  pu  dire  tout  ce  que  je 
voulais  dire.  Mon  but,  en  faisant  ce  compte  rendu,  est 
de  montrer  l'action  de  la  Providence  ;  j'ai  voulu,  en  outre, 
encourager  mon  digne  coadjuteur  et  successeur,  m'en- 
courager  moi-même  et  vous  encourager  tous.  Aujour- 
d'hui toutes  les  puissances  humaines  semblent  être  con- 
jurées contre  nous,  et  nous  trouvons  des  nôtres,  je  veux 
dire  des  catholiques,  qui  se  tournent  contre  nous  et 
donnent  encore  plus  de  force  aux  ennemis  de  Dieu  et 
aux  nôtres. 

Nos  ennemis  sont  plus  puissants  que  jamais,  mais  rien 
n'indique  que  Dieu  nous  ait  abandonnés.  La  preuve,  c'est 
qu'il  a  mis  à  notre  tête  un  jeune  métropolitain  plein  de 
force  et  d'énergie,  qui  saura  nous  guider  aux  combats. 
Nos  Frères  dans  l'épiscopat,  ces  prélats  de  l'Église  mère 
de  l'ancienne  métropole  de  Québec,  admirent  son  cou- 
rage et  semblent  eux-mêmes  le  prendre  pour  modèle 
dans  la  guerre  qu'on  nous  fait,  et  dont  ils  sont  eux- 
mêmes  menacés.  Nous,  affaiblis  par  l'âge  et  les  infirmi- 
tés, ne  nous  sentant  plus  la  force  ni  l'énergie  voulues 
pour  faire  face  au  danger,  nous  sommes  au  moins  gran- 
dement consolés  en  voyant  que  Dieu  se  montre  encore 


—  462  — 

en  nous  remplaçant  par  des  hommes  qu'il  semble  avoir 
préparés  lui-môme  pour  les  besoins  actuels. 

Sans  prétendre  être  prophète,  jugeant  seulement  d'a- 
près les  apparences,  me  servant  des  paroles  de  saint  Xisle 
à  saint  Laurent,  je  puis  vous  dire  à  vous,  Monseigneur 
de  Pogla,  à  vous  mon  frère,  à  vous  mon  fils,  à  vous 
mon  ami  :  Majora  te  marient  pro  Christi  fide  certamina, 
mais  je  puis  ajouter  :  Noli  timere,  quia  ego  teeum  sum, 
dicit  Dominus,  liberabo  te  de  manu  pessimorum  et  eruam. 
le  de  manu  fortium.  Avancez,  cher  Seigneur,  combattez 
les  bons  combats.  Vous  avez  un  bon  maître  qui  combat 
avec  vous  dès  le  commencement  et  qui  ne  connaît  que 
la  victoire.  Courage  donc,  cher  Seigneur,  et  ad  multos 
annos  ! 

En  vous  remerciant,  Messeigneurs,  d'avoir  bien  voulu 
venir  de  si  loin  vous  unir  à  nous  dans  cette  circonstance 
solennelle,  ainsi  que  ces  messieurs  du  diocèse  de  Saint- 
Boniface  représentés  ici  par  le  digne  curé  de  la  Métro- 
pole, et  mes  frères  un  peu  de  partout,  et  surtout  le  digne 
Provincial  des  Oblats  au  Canada  civilisé,  qui  a,  je  le 
comprends,  dû  faire  un  vrai  sacrifice  pour  venir,  et,  après 
avoir  fait  ce  résumé,  oii,  tout  en  vo^^ant  l'action  de 
Dieu,  nous  avons  vu  aussi  celle  de  notre  chère  famille, 
permettez-moi  de  saluer  de  loin  notre  bien-aimé  P.  Gé- 
néral, en  qui  se  trouve  personnifiée  toute  notre  Congré- 
gation, de  la  remercier  de  l'assistance  qu'elle  n'a  cessé 
de  nous  donner,  de  prier  Dieu  de  la  bénir  et  de  la  rendre 
de  plus  en  plus  apte  à  ses  œuvres.  Un  salut  amical  et 
des  remerciements  bien  mérités  à  ces  différentes  familles 
religieuses  venues  à  notre  secours  avec  tant  de  bonne 
volonté.  Enfin,  j'ai  parlé  de  la  belle  Société  de  la  Propa- 
gation de  la  Foi,  à  laquelle,  dans  mon  cœur  et  ma  re- 
connaissance, je  réunis  la  Sainte-Enfance.  Peut-on  jeter 
un  coup  d'œil,  si  rapide  qu'il  soit,  sur  ce  que  nous  avons 


—  463   -- 

fait  sans  penser  à  elles  et  les  bénir  de  leur  assistance  et 
prier  Dieu  de  les  faire  prospérer?  Nous  ne  pouvons 
moins  faire  aussi  que  de  nous  efforcer,  malgré  notre 
pauvreté  et  celle  de  nos  diocésains,  de  les  faire  grandir 
dans  notre  pays,  après  qu'elles  ont  tant  fait  et  font  tant 
encore  pour  nous  aider  à  implanter  la  foi  et  à  l'y  main- 
tenir. 

Enfin,  il  faut  finir,  j'aurais  dû  le  faire  depuis  long- 
temps. Merci;  Messeigneurs,  merci  à  tous  de  m'avoir 
écouté  si  longtemps.  Je  me  réjouis  de  voir  l'œuvre  de 
Dieu  entre  vos  mains,  elle  ne  pourra  que  prospérer  et  se 
solidifier.  Les  difficultés  ne  vous  manqueront  pas  sans 
doute;  elles  sont  la  part  de  l'Eglise  militante,  elles  pro- 
curent la  gloire  de  Dieu,  elles  procurent  la  vôtre.  Ad 
multos  annos  ! 

DISCOURS  DE  Mgr  LEGAL. 

Messeigneurs, 

Je  vous  demanderais  de  vouloir  bien  me  permettre  de 
remercier  l'évêque  consécrateur  et  ceux  qui  l'ont  as- 
sisté. Il  y  a  trente  ans,  j'avais  rencontré  à  Nantes 
M^'  Grandin.  La  vénération  conçue  pour  Sa  Grandeur 
n'a  fait  que  grandir  depuis  qu'il  m'a  été  donné  de  le 
voir  de  plus  près. 

Jen'aspirais  qu'à  travailler  dans  le  coin  le  plus  obscur 
du  diocèse  ;  mais  la  voix  de  Monseigneur,  à  qui  les  in- 
firmités et  les  souffrances  rendaient  la  charge  de  plus 
en  plus  pesante,  ayant  fait  appel  à  mon  dévouement, 
je  ne  pouvais  rester  sourd  :  je  suis  venu  offrir  à  mon 
évêque  mon  dévouement  tout  entier. 

Elie,  sur  le  point  d'être  enlevé  au  ciel,  allait  prendre 
congé  de  son  fidèle  disciple.  Celui-ci,  instruit  d'avance  de 
l'avenir,  s'attachait  de  plus  en  plus  à  son  maître,  et  quand 
Elie  s'écria  :  «  Restez  ici,  car,  pour  moi,  le  Seigneur  veut 


—  464  — 

que  j'aille  jusqu'à  Béthel  ou  à  Jéricho,  »  Elisée  répond 
par  trois  fois  :  «  Aussi  vrai  que  vit  le  Seigneur  et  que 
vous  vivez  vous-même,  je  ne  me  séparerai  pas  de  vous  !  » 
Ils  ne  se  séparèrent  pas,  et  lorsqu'Élie  monta  au  ciel, 
son  disciple,  sur  ses  instances,  lui  demanda  une  faveur  : 
Deprecor  ut  fiât  in  me  spiritus  tuiis  duplex.  «  Je  demande, 
dit  Elisée,  que  votre  esprit  soit  double  en  moi.  »  Je  n'ai 
pas  voulu  ici  trouver  une  analogie,  mais  au  contraire  un 
contraste.  D'abord,  Dieu  merci  !  Monseigneur  n'est  pas 
sur  le  point  de  nous  quitter,  et  même,  le  secours  qu'il 
vient  de  se  donner  permet  d'espérer  que  nous  le  con- 
serverons encore  longtemps.  Que  pendant  de  longues 
années  il  me  soit  donné  de  profiter  de  ses  conseils,  de 
sa^sagesse  et  de  son  expérience,  de  m'édifier  au  spec- 
tacle de  ses  vertus  et  de  m'inspirer  de  son  esprit  !  A  ce 
propos,  j'ai  remarqué  que  la  demande  du  prophète  me 
semblait  un  peu  exigeante  et  indiscrète,  qu'il  eût  pu  se 
contenter  de  l'esprit  du  saint  prophète  Eiie  dans  toute 
sa  plénitude,  sans  demander  qu'il  fût  doublé  ;  en  tout 
cas,  pour  ce  qui  me  concerne,  je  me  contenterai  d'avoir 
reçu  dans  sa  plénitude  l'esprit  de  notre  saint  évoque  et, 
si,  en  parcourant  le  diocèse,  on  pouvait  dire  :  «  C'est  en- 
core l'esprit  de  notre  premier  évêque  qui  agit  en  celui 
qu'il  nous  envoie,  »  je  n'en  demanderai  pas  davantage. 
Mes  remerciements  à  notre  vaillant  Métropolitain,  qui 
défend  avec  tant  de  courage,  d'ardeur  et  de  générosité 
les  intérêts  sacrés  de  notre  foi  injustement  méconnus; 
à  Monseigneur  de  New-Westminster  que  j'ai  déjà  ren- 
contré sur  les  plages  de  l'océan  Pacifique,  au  milieu  de 
ses  bons  sauvages  chrétiens,  où  il  m'est  apparu  comme 
le  type  du  missionnaire  et  du  patriarche  ;  à  Monseigneur 
d'Erindel  qui  nous  vient,  lui  aussi,  avec  une  couronne 
tressée  de  travaux  nombreux  et  pénibles,  de  souffrances 
de  toutes  sortes  et  de  privations  de  tous  genres,  dans  un 


—  463  — 

pays  et  sous  un  climat  inhospitalier,  où  les  privations 
sont  le  pain  quotidien  du  missionnaire.  Merci  à  tous 
d'avoir  bien  voulu  vous  arracher  à  de  multiples  occupa- 
tions, parcourir  d'immenses  distances  et  vous  sou- 
mettre à  de  grandes  fatigues  pour  être  présents  à  cette 
importante  cérémonie.  C'est  un  honneur  dont  le  sou- 
venir restera  toujours  gravé  au  fond  de  mon  cœur.  Enfin, 
mes  remerciements  aussi  aux  visiteurs  distingués  qui 
ont  rehaussé,  par  leur  présence,  l'éclat  de  la  cérémonie, 
à  tous  ceux  qui  ont  travaillé  à  la  rendre  plus  belle,  aux 
révérendes  Sœurs  et  à  nos  bons  Frères  qui  ont  depuis 
longtemps,  les  uns  et  les  autres,  préparé  cette  solennité. 

RÉPONSE  DE  Mgr  GRANDIN. 

Vous  me  témoignez  le  désir,  bien  cher  Seigneur,  de 
recevoir  mon  esprit;  je  vous  ai  donné  bien  mieux  et 
beaucoup  plus,  puisque  vous  avez  reçu,  par  mon  minis- 
tère, l'Esprit  de  Dieu.  Lors  du  sacre  de  M^^  Langevin,  le 
prélat  consécrateur,  le  regretté  M^"'  Fabre,  nous  fit  con- 
naître avec  une  noble  fierté,  non  seulement  le  nom  du 
prélat  qui  lui  avait  imposé  les  mains,  mais  il  eut  soin 
de  remonter  plus  haut  pour  arriver  à  un  ancêtre  plus 
noble  encore  ;  «J'ai  été  sacré  par  M^""  Lynch,  nous  dit-il, 
lui-même  l'avait  été  par  M^''  Charbonnel,  qui  avait  eu 
l'honneur  d'être  sacré  par  Pie  IX.  »  J'ai  aussi  sous  ce 
rapport  des  titres  de  noblesse  dont  je  suis  fier.  J'ai  été 
sacré  par  M^""  de  Mazenod,  qui  a  été  dans  l'Église  un  grand 
et  saint  évêque.  Mais  il  a  été  plus  que  cela  pour  nous  : 
c'est  le  Fondateur  de  notre  famille  religieuse.  Il  a  imposé 
les  mains  à  un  bon  nombre  d'évêques  ;  je  suis  son  der- 
nier, son  Benjamin.  Tout  me  vient  par  ses  mains,  depuis 
la  tonsure  jusqu'à  la  consécration  épiscopale.  Puissé-je 
vous  avoir  donné  son  double  esprit,  esprit  épiscopal  et 
esprit  religieux.  Ses  frères  dans  l'épiscopat  le  regar- 


—  466  — 

daient  comme  un  saint,  comme  un  modèle  accompli,  et 
lui-même  me  disait,  peu  de  temps  avant  de  m'imposer 
les  mains  pour  la  dernière  fois  :  «  Je  me  suis  efforcé 
d'être  un  bon  évêque  et  je  n'ai  pas  cessé  pour  cela  d'être 
moins  bon  Oblat.  »  Il  pouvait  sans  orgueil  me  tenir  ce 
langage.  Soyons  les  fils  de  notre  Père,  nous  serons  de 
saints  évêques  et  de  non  moins  saints  Oblats.  Je  n'ai  pas 
besoin  de  remonter  plus  haut  pour  prouver  la  noblesse 
de  mon  origine  ;  cependant  je  puis  aller  plus  loin  et  citer 
mes  nobles  ancêtres  les  plus  rapprochés.  Notre  vénéré 
Fondateur  fut  sacré  par  l'Éminentissime  cardinal  Odes- 
calchi,  qui  lui-même  l'avait  été  par  Pie  VIII. 

Je  m'arrêterai  là,  il  me  faudrait  trop  de  temps  pour 
arriver  jusqu'à  saint  Pierre. 

DISCOURS  DU  R.  iM.  L'ABBÉ  BEILLEVAIRE. 

Le  révérend  M.  l'abbé  Beillevaire,  compatriote  et  con- 
disciple de  M»'"  Légal,  travaille  depuis  vingt  ans,  avec  un 
zèle  admirable,  un  désintéressement  sans  bornes,  comme 
prêtre  séculier,  dans  nos  chères  missions  du  diocèse  de 
Saint-Albert. 

Répondant  à  l'invitation  qui  lui  est  faite  par  tous  les 
convives,  il  s'exprime  en  ces  termes  : 

Monseigneur, 

Je  suis  heureux  de  pouvoir  vous  adresser  quelques 
paroles  comme  ancien  condisciple  et  comme  prêtre  du 
diocèse  de  Nantes.  Tout  d'abord  vous  me  permettrez 
de  vous  rappeler  un  fait  de  notre  jeunesse.  Lorsque 
nous  étions  au  petit  séminaire,  un  maître  venait  nous 
donner  des  leçons  de  gymnastique  ;  avant  de  procéder 
aux  exercices  de  trapèze,  il  nous  faisait  aligner  comme 
des  troupiers  et  commandait  la  manœuvre  ;  parfois  le 
tnaître  faisait  défaut,  alors  nous  donnions  le  coramau- 


—  467  — 

dément  à  Emile  Légal,  et  je  vous  assure,  Messeigneurs, 
qu'il  s'en  acquittait  parfaitement.  Un  vrai  capitaine  ;  le 
geste,  le  regard,  le  commandement.  C'était  à  lui.  Il 
commandait  et  à  sa  parole  nous  obéissions  comme  un 
seul  homme.  Ce  jeune  instructeur  de  1866  est  aujour- 
d'hui M^""  Légal;  un  commandement  bien  plus  impor- 
tant lui  a  été  confié,  et  ce  commandement  lui  a  été 
donné  non  pas  au  nom  de  ses  condisciples,  mais  au  nom 
du  Seigneur  :  Nos  autem  in  noinine  Domini.  Éh  bien, 
Monseigneur,  vous  pourrez  commander  avec  la  même 
assurance  et  vous  serez  obéi. 

En  commençant,  j'ai  parlé  de  Nantes  ;  Monseigneur,  je 
sais  qu'en  ce  jour  ce  nom  va  droità  votre  cœur.  Sans  doute 
vous  avez  adopté  une  nouvelle  patrie  et  vous  allez  vous  y 
attacher  plus  que  jamais,  mais  vous  n'avez  pas  oublié  la 
première  ;  ces  hermines  de  Bretagne,  que  je  vois  en  têtede 
vos  armes,  en  font  foi.  Messieurs,  Révérends  Pères  et 
Frères,  qui  venez  du  pays  breton,  soyez  heureux  avec  moi 
de  l'honneur  que  nous  fait  Monseigneur  notre  coad- 
juteur.  Ces  hermines  de  Bretagne  figurent  sur  les  armes 
de  la  ville  de  Nantes  et  sur  les  armes  de  l'évèque  de 
Nantes  ;  en  les  mettant  sur  votre  blason,  vous  nous  dites 
donc  que  vous  garderez  toujours  le  souvenir  des  Nantais. 
Si  vous  n'oubliez  pas  Nantes,  à  Nantes  on  ne  vous  oublie 
pas  non  plus  ;  dans  ces  jours,  bien  des  prières  sont  mon- 
tées vers  le  ciel  pour  vous,  de  la  part  de  vos  parents  et 
de  vos  amis.  Ce  matin,  à  Saint-Jean-de-Boiseau  et  à  la 
Montagne,  on  s'est  dit  :  «  En  ce  jour,  un  enfant  de  la 
paroisse  va  recevoir  la  consécration  épiscopale,  prions 
pour  lui.  »  Le  diocèse  de  Nantes  tout  entier  est  heureux 
et  fier  d'ajouter  un  nouveau  nom  à  la  liste  de  ses  évê- 
ques.  Jusqu'à  ce  jour  il  en  comptait  cinq  vivants  parmi 
ses  enfants;  le  plus  ancien  est  S.  Ém.  le  cardinal  Richard, 
archevêque  de  Paris;  aujourd'hui,  Monseigneur,   vous 


--  468  — 

faites  le  sixième.  Votre  élévation  vient  cimenter  l'union 
entre  Saint-Albert  et  Nantes  ;  ces  relations  existent  déjà 
depuis  longtemps  entre  les  deux  diocèses  ;  nous  les  de- 
vons à  notre  vénérable  évêque,  Ms>'  Grandin.  Sa  Grandeur 
est  bien  connue  à  Nantes,  son  nom  y  est  en  vénération  : 
le  bon  et  pieux  évêque  de  Sainl-Albert,  comme  on  dit 
là-bas.  Dans  sa  circulaire,  Sa  Grandeur  vous  donne  le 
litre  de /?/s,  eh  bien,  ce  fils,  il  est  allé  le  chercher  lui- 
même.  Rappelez-vous  comme  moi,  Monseigneur,  quelle 
impression  fit  sur  nous,  il  y  a  trente  ans,  cet  évêque  dans 
la  force  de  l'âge,  d'une  taille  imposante,  plaidant  sa 
cause  avec  énergie  sans  embellir  le  tableau,  pardonnez- 
moi  l'expression,  il  vous  empoigna.  J'irai  le  trouver  un 
jour,  vous  êtes-vous  dit.  C'est  fait  depuis  longtemps, 
mais  dans  le  ciel  on  voyait  plus  loin.  Vous  étiez  venu 
pour  vous  dévouer  sans  réserve  comme  simple  mission- 
naire, et  Dieu  sait  quelle  énergie  et  quelle  persévérance 
vous  avez  déployées  dans  cette  mission  si  ingrate  et  si 
pénible  des  Pieds-Noirs.  Vous  y  avez  montré  la  ténacité 
et  le  caractère  breton  :  Potius  mori  quam  fsedari  (Plutôt 
mourir  que  de  reculer).  Vous  étiez  donc  venu  pour  être 
simple  missionnaire,  mais  évêque  !  allons  donc,  vous  n'y 
pensiez  pas,  vous  n'en  vouliez  pas.  Il  vous  en  a  coûté  ! 
Mais  pourquoi  marchander  le  sacrifice  !  Plaçant  votre 
lettre  de  nomination  sur  l'autel,  et  là,  à  genoux  devant 
le  Seigneur,  vous  lui  avez  dit  :  «  Eh  bien.  Seigneur,  j'ac- 
cepte, mais  en  votre  nom.  »  Nos  autem  in  nomine  Domini. 
Monseigneur,  vous  voilà  donc  évêque  avec  le  litre  de 
Pogla,  et  probablement  un  jour  avec  celui  de  Saint- 
Albert;  aussi,  je  le  répète,  c'est  un  bonheur  pour  moi 
de  vous  saluer  en  mon  nom  et  au  nom  de  tous  mes  com- 
patriotes. Si  vous  étiez  là-bas,  dans  notre  bonne  ville  de 
Nantes,  ici  ce  n'est  pas  l'habitude,  oui,  si  vous  étiez  là- 
bas,  je  lèverais  mon  verre  en  disant  :  «  Aux  diocèses  de 


—  469  — 

Saint-Albert  et  de   Nantes.  »  Ad  multos  annos,  Mon- 
seigneur. 

DISCOURS  DU  CHEF  KOSIKUSIWEYAN. 

Donnons  maintenant  la  parole  aux  enfants  du  pays. 
C'est  le  chef  des  sauvages  cris  de  la  montagne  d'Ours, 
Kosikusiweyan  (Peau-de-Belette),  qui  se  fait  l'interprète 
de  tous.  Il  s'exprime  en  langue  sauvage  à  peu  près  en 
ces  termes  : 

Je  suis  fier  aujourd'hui  de  pouvoir  affirmer  que  ma 
famille  a  toujours  prié  avec  le  prêtre  catholique.  Il  me 
souvient  qu'étant  tout  petit  enfant,  mon  père  faisait  la 
chasse  bien  loin  d'ici,  dans  les  montagnes  Rocheuses. 
Un  jour,  un  sauvage  vient  du  fort  des  Prairies  (aujour- 
d'hui Edmonton)  lui  apporter  la  nouvelle  qu'un  «homme 
de  la  Prière  »  était  prochainement  attendu  à  cette  place. 
Mon  père  partit  de  suite  pour  aller  le  voir,  mais  il  fut 
bien  démonté  d'apprendre,  par  les  Canadiens  du  service 
de  la  Compagnie  de  la  baie  d'Hudson,  que  ce  prétendu 
«homme  de  la  Prière»  n'était  pas  un  vrai  prêtre.  C'était 
un  faux  prêtre,  un  ministre  de  la  religion  des  Anglais. 
Mon  père  fut  pourtant  consolé,  parce  qu'on  lui  assura 
que  l'année  suivante  un  véritable  «  homme  de  la  Prière» 
(leR.  M.  Thibeault)  viendrait  certainement  pour  les  ins- 
truire et  leur  montrer  le  vrai  chemin  du  ciel.  Mon  père 
revint  donc  triste  et  consolé  tout  ensemble,  continuer 
sa  chasse  dans  les  montagnes  Rocheuses.  L'été  suivant, 
il  vint  de  nouveau  à  Edmonton,  oii  M.  Thibeault  nous 
baptisa  tous.  Depuis  ce  temps,  j'ai  toujours  gardé  la 
Prière  (la  foi  catholique),  et  je  veux  y  rester  fidèle  jus- 
qu'à la  mort.  A  présent,  je  vous  remercie  de  m'avoir 
invité  à  une  si  belle  cérémonie,  à  une  fête  si  magnifique, 
je  n'avais  jamais  imaginé  rien  de  semblable,  j'en  garde- 
rai toujours  le  souvenir. 

T.   XXXV.  32 


—  470   - 

RÉPONSE  DE  M.  LE  COMMISSAIRE  DES  SAUVAGES. 

M.  A.-E.  Forget,  commissaire  du  gouvernement  au- 
près des  sauvages  du  Nord-Ouest  et  du  Manitoba,  prend 
alors  la  parole.  Avec  le  tact  et  la  délicatesse  qui  le  distin- 
guent à  un  haut  degré,  il  dit  combien  il  est  heureux  des 
rapports  qu'il  a  eus  avec  le  R.  P.  Légal,  missionnaire 
des  Pieds-Noirs,  alors  que  ce  dévoué  missionnaire  trai- 
tait avec  tant  de  zèle  et  de  douce  politique  auprès  du 
département  indien,  des  intérêts  de  ses  sauvages.  Il  rap- 
pelle en  termes  touchants  ce  qu'a  fait  le  R.  P.  Légal  sur 
la  réserve  des  Gens  du  Sang,  les  écoles  ouvertes,  l'hôpital 
construit,  les  sauvagesconvertis.il  le  félicite  bien  cordia- 
lement de  la  grande  dignité  à  laquelle  il  vient  d'être 
élevé,  et  voit  avec  plaisir,  dans  cette  élévation  de  M^""  Lé- 
gal, le  gage  d'un  avenir  bien  consolant  pour  les  sauvages 
dont  il  est  lui-même  le  commissaire  attitré.  «  Je  félicite 
de  bien  grand  cœur,  ajoute-t-il,  le  chef  Kosikuweyan 
(Peau-de-Belette)  des  bonnes  paroles  qu'il  vient  de  pro- 
noncer. Il  m'a  prouvé  aujourd'hui,  une  fois  de  plus,  que 
mes  sauvages  du  Nord-Ouest  ont  de  l'esprit,  et  qu'ils 
profilent  de  ce  que  nos  bons  missionnaires  et  le  dépar- 
tement indien  font  et  veulent  faire  pour  eux.  Comme 
M^''  Légal,  lui  et  les  siens  peuvent  compter  sur  ma  bonne 
volonté  et  sur  mon  dévouement.» 

Le  R.  P,  Lefebvre,  le  digne  provincial  du  Canada,  est 
alors  requis,  par  tous  les  convives,  de  vouloir  bien  nous 
donner  le  bouquet  de  ces  agapes  si  cordialement  frater- 
nelles, célébrées  en  l'honneur  du  nouveau  dignitaire  de 
l'Église  et  de  la  Congrégation,  notre  mèrci 


—  471  — 

DISCOURS  DU  R.  P.  LEFEBVRE. 

Messeigneurs  et  mes  révérends  Pères^ 

Que  puis-je  faire  et  dire,  maintenant,  sinon  de  m'as- 
socier  de  tout  cœur  à  ceux  d'entre  vous  qui  viennent  de 
prendre  la  parole  avant  moi.  Qu'il  me  soit  permis,  pour- 
tant, d'offrir  à  M^''  Légal,  les  sentiments  d'estime  et  de 
respectueuse  affection  que  je  lui  apporte  au  nom  de  tous 
les  Pères  et  Frères  Oblats  de  la  province  du  Canada. 
Votre  Grandeur,  Monseigneur,  n'a  fait  que  passer  au  mii- 
lieu  de  nous,  il  y  a  de  cela  près  de  vingt  ans.  Vous  veniez 
alors  vous  consacrer,  vous  dépenser  dans  vos  nobles  Mis- 
sions de  Saint-Albert,  oii  vous  constatez  aujourd'hui  les 
immenses  progrès  accomplis.  Vous  étiez  alors  loin  de 
vous  douter,  cher  Seigneur,  qu'un  jour  vous  seriez  le 
coadjuteur  bien-aimé  du  vénérable  Mg"^  Grandin,  mais  ce 
que  votre  profonde  humilité  vous  empêchait  même  de 
soupçonner  fut  déjà  prévu  et  annoncé  par  plusieurs  de 
nos  Pères,  qui  eurent  le  bonheur  de  vous  connaître  plus 
intimement.  Combien  d'Oblats  de  la  province  du  Canada 
auraient  ardemment  désiré  pouvoir  m'accompagner  et 
venir  ici,  à  Saint-Albert,  vous  dire  en  personne  et  de 
vive  voix  leur  respect  et  leur  amour  !  Si  le  devoir  impé- 
rieux des  Missions  et  des  œuvres  qui  leur  sont  confiées 
ne  l'a  pas  permis,  soyez  sûr,  Monseigneur,  qu'ils  sont 
pourtant  présents  d'esprit  et  de  cœur.  Je  dis  plus,  et 
parlant  en  ce  moment  au  nom  de  la  Congrégation  tout 
entière,  ne  sentons-nous  pas  tous,  nous  ses  enfants  dé- 
voués, que  notre  famille  religieuse  s'associe  aujourd'hui 
à  cette  grande  et  belle  fête  de  la  consécration  épiscopale 
d'un  de  ses  membres  les  plus  méritants.  Notre  cœur  ne 
nous  dit-il  pas  que  le  cœur  de  notre  révérendissime  et 
bien-aimé  P.  Général  bat  à  l'unisson  des  nôtres  et  qu'il 


—  472  — 

se  réjouit  avec  nous  du  bonheur  de  l'Église  de  Saint- 
Albert!  Vivez  longtemps,  Monseigneur  et  bon  Père,  pour 
le  bien  de  la  Congrégation,  pour  la  consolation  de 
Ms""  Grandin,  dont  vous  devenez  le  bras  droit  et  l'appui  ; 
vivez  longtemps  pour  le  salut  des  âmes  qui  vous  sont 
confiées,  pour  la  conversion  et  le  salut  de  vos  Pieds-Noirs 
encore  infidèles  et  qui  vous  sont  aujourd'hui,  si  possible, 
plus  chers  que  jamais. 

Nous  allions  quitter  la  salle  du  festin ,  quand  le 
K.  P.  Lacojibe  nous  arrête  en  disant  :  «  Ce  n'est  pas  chez 
les  blancs  seulement  qu'on  rencontre  l'esprit  de  pro- 
phétie. Si  les  Pères  de  la  province  du  Canada  ont  pres- 
senti ce  qui  arrive  aujourd'hui,  comme  vient  de  nous  le 
dire  le  R.  P.  Provincial,  les  Pieds-Noirs  eux-mêmes, 
encore  infidèles,  l'ont  annoncé  depuis  longtemps.  Le 
R.  P.  Légal  était  à  peine  arrivé  au  milieux  d'eux,  que, 
de  suite,  ils  lui  improvisent  un  nom  à  leur  façon.  Ils 
l'appellent  Sportsitapi  (Celui  qui  siège  en  haut).  Ils  avaient 
l'intuition  de  ce  qui  devait  arriver  seize  ans  plus  tard, 
l'élévation  de  leur  missionnaire  àl'épiscopat.  »  Très  bien, 
Père  Lacombe  !  Vive  M^'  Légal  !  Vive  Sportsitapi. 

VII.    SÉANCE   académique. 

Maintenant,  cette  mémorable  fête  se  passera-t-elle 
sans  que  nos  chers  enfants  des  écoles  y  prennent  une 
part  active  et  directe  avec  leurs  parents  ?  Évidemment 
non.  Parents  et  enfants  sont  donc  conviés  aune  réunion 
spéciale'àla  grande  salle  de  classe  où,  pendant  plus  de 
deux  heures,  les  élèves  de  nos  excellentes  religieuses 
nous  tiennent  sous  le  charme  de  la  délicatesse  des  sen- 
timents qu'ils  expriment. 

La  séance  s'ouvre  par  un  vrai  carillon.  Toutes  les  clo- 
ches, clochettes  et  bourdons  de  ce  vaste  diocèse  sont 


—  473  — 

mis  à  contribution.  Écoutez  plutôt.  Je  traduis  librement 
de  l'anglais,  langue  en  laquelle  s'expriment  les  en- 
fants chargés  de  l'exécution  de  cette  première  partie  du 
programme  : 

VOIX   DES    CLOCHES. 

En  branle,  aimables  cloches.  Du  beffroi  de  la  cathé- 
drale, sonnez  à  toutes  volées,  et,  vite,  portez  bien  loin 
l'annonce  de  la  grande  nouvelle  :  un  nouveau  prélat,  un 
second  Père  nous  est  donné. 

Sonnez,  cloches  d'Edmonton,  chantez  fort,  chantez 
bien.  Porlez  au  loin  la  joie  de  ce  beau  jour.  Que  votre 
voix  retentisse  allègre  et  mélodieuse,  par  la  rive  droite, 
par  la  rive  gauche  de  la  noble  Saskatchewan;  depuis  ses 
sources  au  sable  d'or,  dans  les  fières  montagnes  Ro- 
cheuses, jusqu'à  son  embouchure  dans  cette  mer  inté- 
rieure du  grand  lac  Winnipeg,  pour  de  là  s'abîmer  dans 
les  profondeurs  de  l'Océan. 

Cloche  et  clochette  du  beau  lac  Sainte-Anne,  parlez 
longtemps  et  parlez  bien.  Sonnez,  satisfaites  et  heu- 
reuses d'aller  porter,  de  Josper  à  Saint-Bernard,  l'ex- 
pression delà  joie  dont  débordent  nos  cœurs. 

Vibrez  en  joyeuse  harmonie,  carillon  du  lac  Labiche. 
Traversez  les  rivières  et  les  lacs,  les  bois  et  les  prairies. 
Mariez,  en  passant,  vos  notes  sympathiques  aux  éclats 
du  vigoureux  bourdon  calgarien. 

Et  vous,  cloche  de  Mac-Leod,  hâtez-vous  d'unir  votre 
pieuse  mélodie  à  celle  plus  pieuse  encore  de  la  cloche 
Saint-Michel,  au  pays  de  Termite. 

Sonnez,  sonnez  donc  toutes,  cloches  chéries  du  dio- 
cèse de  Saint-Albert,  et  portez  jusqu'au  ciel  ce  cri  de 
notre  cœur  : 

Vivat,  vivat,  in  xternum  vivat! 


Après  la  voix  des  cloches  et  leurs  appels  vibrants,  des 
voix  plus  douces  célèbrent  le  héros  de  la  fête.  Ce  sont 
des  voix  d'enfants  qui  retracent  la  vie  du  nouvel  évêque. 
Ils  saluent  son  berceau,  félicitent  sa  mère,  évoquent 
l'image  de  la  vieille  Bretagne,  rappellent  la  triple  voca- 
tion cléricale,  religieuse,  apostolique,  de  l'élu  du  Sei- 
gneur, et  l'adieu  du  missionnaire  à  sa  patrie  française. 
Et  les  enfants  terminent  par  ces  mots  : 

Tu  méprisas  tous  les  biens  de  là  terre 
Pour  altachor  tous  les  cœurs  au  bon  Dieu. 

Les  accents  des  anges  de  la  terre  ne  pouvaient  man- 
quer de  toucher  leurs  frères  du  ciel.  Ils  accourent  à  leur 
tour  et  déposent  sur  le  front  des  deux  évêques  de  Saint- 
Albert  des  coufônnes  de  fleurs  cueillies  en  Paradis. 

M»'"  LaKgevin  se  lève  alors  : 

Merci,  mes  enfants,  dit-il  de  cette  si  belle,  si  aimable  et 
si  touchante  séance  par  laquelle  vous  venez  de  réjouir  nos 
cœurs.  Merci  à  nos  bonnes  Sœurs  Grises  qui  l'ont  si  bien 
organisée.  Les  bonnes  religieuses  des  autres  congréga- 
tions, ici  présentes,  ne  m'en  voudront  certainement  pas 
et  ne  seront  pas  jalouses  si  j'ose,  ce  soir,  affirmer  que 
les  bonnes  filles  de  M""^  d'Youville  ne  peuvent  être  sur- 
passées lorsqu'il  s'agit  de  rendre  avec  bonheur  un  senti- 
ment du  cœur.  Elles  le  font  avec  un  tact  délicieux,  une 
délicatesse  touchante,  une  simplicité  pleine  de  noblesse. 
Élévation  d'idées,  noblesse  de  sentiments,  exquise  sim- 
plicité d'expressions,  c'est  bien  là  en  effet  ce  qui  ressort 
de  la  séance  de  ce  soir... 

M^"^  Légal,  à  son  tour,  exprime  en  termes  émus  sa 
reconnaissance  aux  bonnes  Sœurs  et  à  leurs  chères 
élèves.  Il  veut  être,  comme  M^''  Grandin  lui-même,  pour 
elles  toutes,  un  appui,  un  soutien,  un  père  tendre  et 
dévoué. 


—  475  — 

Il  appartenait  à  M^'  Grandin  de  mettre  le  dernier  ca- 
chet à  cette  si  belle  et  si  touchante  fête  de  famille.  Il 
s'associe  d'abord  de  tout  son  cœur  aux  éloges  si  bien 
mérités,  décernés  par  M»'  l'archevêque  aux  enfants  de 
l'école  et  à  leurs  dignes  maîtresses. 

Oui,  ajoute-t-il,  les  bonnes  filles  de  la  vénérable  Mère 
d'Youville  ont  éminemment  le  don  de  parler  le  langage 
du  cœur.  Elles  puisent  ce  langage,  comme  l'a  dit  si  bien 
M^'  de  Saint-Boniface,  dans  leur  saint  contact  avec  les 
membres  souffrants  de  Jésus-Christ,  qu'elles  recueillent 
et  soignent  avec  tant  de  dévouement,  de  charité  et  d'ab- 
négation dans  leurs  asiles  et  dans  leurs  hôpitaux.  Mais 
elles  ne  m'en  voudront  pas  non  plus,  loin  de  là,  si  je  fais, 
à  mon  tour,  l'éloge  bien  mérité  des  Fidèles  Compagnes 
de  Jésus  et  des  excellentes  Sœurs  de  l'Assomption  de 
Nicolet. 

C'était  en  1882.  Je  voyais  mon  pauvre  diocèse  ouvert 
à  la  civilisation  et  à  l'immigration  par  la  construction 
des  voies  ferrées  et  par  l'établissement  d'un  gouverne- 
ment régulier  dans  le  pays.  Il  me  fallait  de  toute  néces- 
sité songer  à  multiplier  nos  Missions  et  nos  écoles.  Il  me 
fallait  à  tout  prix  d'autres  religieuses  enseignantes.  Nos 
chères  Sœurs  de  Charité  de  Montréal  ne  pouvaient  plus,  à 
elles  seules,  suffire  à  la  tâche  et  nous  fournir  les  sujets 
nécessaires.  Je  frappai  donc  à  la  porte  de  bien  des  com- 
munautés, soit  au  Canada,  soit  en  France.  La  pénurie 
des  ressources  et  des  sujets  était  toujours  l'obstacle 
contre  lequel  j'allais  me  heurter.  Mis  providentielle- 
ment en  relations  avec  la  T.  R,  Mère  Petit,  alors  supé- 
rieure générale  des  Sœurs  Fidèles  Compagnes  de  Jésus  ; 
elle  écouta  ma  prière  et  le  récit  que  je  lui  fis  de  nos  mi- 
sères et  de  nos  difficultés.  Je  ne  lui  cachai  pas  ce  que  ses 
filles  auraient  à  souffrir,  au  commencement  surtout  de 
leurs  établissements  dans  les  déserts  de  l'Ouest.  Voici  la 


—  476  — 

noble  et  généreuse  réponse  qu'elle  me  fit  :  «  Monsei- 
gneur, c'est  un  sacrifice  que  vous  nous  demandez,  et 
précisément  parce  que  c'est  un  sacrifice,  nous  accep- 
tons.«  Et  les  Fidèles  Compagnes  sont  depuis  quinze  ans 
déjà  à  l'œuvre  dans  mon  diocèse,  admirables  de  zèle  et 
de  dévouement. 

J'avais  besoin  encore  d'une  autre  communauté  pour 
nos  écoles  sauvages.  De  passage  dans  la  catholique  pro- 
vince de  Québec,  je  fis  appel  à  la  piété,  au  dévouement 
des  dignes  Sœurs  de  l'Assomption  de  Nicolet.  Je  leur  dis 
les  difficultés,  les  épreuves,  les  souff'rances,  qui  les  atten- 
daient sur  les  Réserves  des  sauvages,  au  milieu  desquels 
elles  vivraient.  Je  ne  flattai  certainement  pas  le  tableau 
et  je  les  avertis  qu'elles  n'avaient  rien  à  attendre  de  la 
générosité  ou  de  la  reconnaissance  de  ces  pauvres  misé- 
rables dont  bon  nombre  sont  encore  infidèles.  Tout  ce 
qu'ils  vous  donneront  gratis,  ajoutai-je,  c'est  leur  ver- 
mine, leurs  poux  en  quantité,  et  encore  vous  demande- 
raient-ils de  les  payer  s'ils  pensaient  qu'ils  pussent  vous 
être  de  quelque  utilité. 

«En  vérité,  me  dit  un  bon  prêtre,  témoin  auriculaire 
de  cette  conversation,  si  vous  aviez  voulu.  Monseigneur, 
détourner  les  Sœurs  de  vous  suivre,  vous  ne  pouviez 
mieux  dire  et  probablement  mieux  réussir,  car  je  doute 
fort  qu'elles  consentent  maintenant  à  partir  pour  votre 
diocèse  et  vos  pouilleuses  Missions  sauvages.  » 

Le  bon  prêtre  se  trompait;  la  preuve,  vous  l'avez  sous 
les  yeux.  Ces  bonnes  Sœurs  sont  ici  aujourd'hui. 

Quant  aux  dévouées  Sœurs  Grises  de  Nicolet,  ne  sont- 
elles  pas,  elles  aussi,  les  filles  de  la  vénérable  Mère 
d'Youville  ?  Ce  que  M^""  l'archevêque  de  Saint-Boniface 
a  si  bien  dit  des  Sœurs  de  Charité  de  Montréal,  je  le  dis 
moi-même  à  leur  adresse,  et  personne,  j'en  suis  sûr,  ne 
me  contredira. 


—  477  — 

Non,  cher  et  bon  Seigneur,  vous  ne  serez  point  con- 
tredit. Nous  nous  associons  de  grand  cœur  à  ces  justes 
éloges  puisés  dans  les  trésors  de  votre  cœur  d'évêque  et 
de  père.  Mais  laissez-moi  vous  dire,  au  déclin  de  cette 
inoubliable  fête,  que  nous  ne  nous  associons  pas  raoins 
au  précieux  message  apporté  du  ciel  à  la  terre  par  les 
saints  anges  gardiens  de  NN.  SS.  Légal  et  Gp.andin. 

Si  nous  pouvions  vous  porter  sur  nos  ailes 

Jusqu'au  milieu  des  saints  et  des  élus, 

Ah  !  vous  verriez  qu'elle  est  brillante  et  belle 

La  place  due  à  leurs  nobles  vertus 

Et  maintenant,  avant  de  terminer  ce  travail  écrit  bien 
plus,  ce  me  semble,  avec  le  cœur  qu'avec  la  plume,  je 
réclame  d'une  manière  spéciale  l'indulgence  des  ora- 
teurs dont  j'ai  essayé  de  reproduire  les  discours.  Je  l'ai 
fait  uniquement  de  mémoire  pour  la  plupart  d'entre 
eux.  Ils  ne  seront  donc  pas  trop  étonnés  si  je  n'ai  pas 
toujours  donné  l'ordre  parfait  des  idées  qu'ils  ont  d'ail- 
leurs rendues,  de  vive  voix,  infiniment  mieux  que  je  ne 
l'ai  fait  par  écrit. 

Adieu,  bienveillant  lecteur,  un  souvenir,  une  prière, 
pour  nos  chères  Missions  du  diocèse  de  Saint-Albert  ;  un 
souvenir,  une  prière  pour  la  Mission  d'Edmonton,  qui 
m'est  actuellement  plus  particulièrement  confiée. 

Sincères  remerciements  et  profonde  reconnaissance 
de  la  part  de  nos  bien-aimés  Seigneurs  et  pères, 
M^'^  uRANDiN  et  M.^'  Légal,  à  tous  les  associés  de  la  Propa- 
gation de  la  Foi  et  de  la  Sainte-Enfance,  à  tous  nos  bien- 
faiteurs et  amis. 

H.  Leduc,  o.  m.  i. 


—  478  — 
CONSÉCRATION  DE  M"  DONTENVILLE 

ÉVÉQUE   DE   GERMANICOPOLIS 
COADJUTEUR   DE   llSr   DDRIEU,    ÉVÈQUE   DE   "WESTMINSTER. 

(Traduction  d'un  article  publié  par  le   R.   P.   Le  Jeune,  [Jean-Marie, 
en  caractères  sténographiquea  dans  le  Wawa,  de  Kamloops.) 

Le  dimanche  22  septembre  1897  a  été  un  grand  jour 
de  fête  pour  New-Westminster.  C'était  le  sacre  deM^'^DoN- 
TENViLLE,  évêque  de  Germanicopolis,  et  coadjuteur  de 
M^'  DuRiEu,  évêque  de  New-Westminster,  dont  le  dio- 
cèse est  l'un  des  plus  étendus  de  toute  l'Amérique. 

Des  milliers  de  visiteurs  sont  venus  de  Victoria,  de  Van- 
couver et  des  autres  villes  ou  villages  environnants,  pour 
assister  à  une  cérémonie  qui  se  voit  si  rarement  dans  ces 
contrées,  et  qui  avait  lieu,  pour  la  première  fois,  dans  la 
cathédrale  de  New- Westminster.  Une  heure  avant  la  cé- 
rémonie, la  cathédrale  se  trouvait  assiégée  par  une  foule 
considérable;  non  seulement  toutes  les  places  furent 
occupées,  mais  un  grand  nombre  de  visiteurs  ne  purent 
assistera  la  cérémonie  que  du  dehors,  devant  les  portes 
et  les  fenêtres,  sans  compter  environ  2000  sauvages  qui 
occupaient  la  rue  devant  l'église,  et  un  terrain  vague,  de 
l'autre  côté  de  la  rue,  où  ils  avaient  dressé  une  tente 
pour  abriter  leurs  femmes  contre  les  ardeurs  du  soleil. 

La  cérémonie  commença  à  9  heures.  Le  prélat  consé- 
crateur  était  S.  G.  Me'^Adélard  Langevin,  o.  m.  i.,  arche- 
vêque de  Saint-Boniface,  assisté  de  M^'  Paul  Durieu, 
0.  m.  I.,  évêque  de  New-Westminster,  et  de  M^"  Isidore 
Clut,  0.  M.  i.,des  Missions  de  l'Athabaskaw. Trois  autres 
évêques  assistaient  à  la  cérémonie  :  c'étaient  M^'^Lootens, 
évêque  démissionnaire,  résidant  à  Victoria  ;  M^^  O'Dea, 
deNesqualy,  et  Me'' Légal,  o.m.  i,,  coadjuteur  de  M ^''Gran- 
DiN,  évêque  de  Saint-Albert. 


—  479  — 

Il  y  avait  aussi  les  RU.  MM.  Yan  Nevel,  qui  représen- 
tait W  Lemmens,  évêque  de  Victoria  ;  le  R.  Préfon- 
taine, de  Seattle  ;  le  R.  Belliver,  prêtre  séculier  du  dio- 
cèse de  Saint-Albert. 

En  outre,  le  R.  P.  Fayard,  o.  m.  l,  supérieur  de  la 
maison  de  New-Westminster  ;  le  R.  P.  Camper,  o,  m.  i.  ,  de 
la  Mission  de  Saint-Laurent,  Manitoba  ;  IcR.P.Lacombe, 
o.M.  i.,de  Saint- Albert;  le  R.P.  Guillet,  o.  m.  i.,de  Win- 
nipeg;  le  R.P,  Cunningham,  o.  m.  l,  de  Saint-Albert  ;  le 
R.  P.  Le  Jacq,  o.  m.  i.,  supérieur  de  Williams'Lake.avec 
le  R.  P.  Thomas,  de  la  même  maison  ;  le  R.  P.  Bunoz, 
o.  m.  i.,  supérieur  du  petit  séminaire  diocésain  de  New- 
Westminster  ;  le  R.  P.Chirouse,  o.  m.  i^  supérieur  de  la 
Mission  de  Sainte-Marie,  avec  les  RR.  PP.  Dommeau,  John 
Whelan,  Bédard  et  Picotte,  de  la  même  Mission  ;  le 
R.  P.  Le  Jeune,  o.  m.  i,,  supérieur  de  Ramloops,  avec  les 
RR.  PP.  Peytavin  et  Cornelier,  de  la  même  Mission; 
les  RR.  PP.  Morgan,  Boening,  Jayol,  Micrels,  o.  m.  i.;  les 
Frères  scolastiques  W.  Wrealan,  Kasper,  Plamondon,  de 
la  maison  de  New-Westminster.  Le  R.P.  Ouelette,  o.  m.  i., 
représentait  la  Mission  de  Saint-Eugène  de  Kootenay;  le 
R.  P.  Marchal,  o.  m.  i.,  celle  de  Stuarts'Lake,  dont  il 
est  devenu  depuis  le  Directeur.  Ce  qui  fait  un  total  de 
7  évêques,  y  compris  le  nouvel  élu,  et  de  23  prêtres,  la 
plus  nombreuse  réunion  de  clergé  qu'on  aie  jamais  vue 
en  Brilish  Colombia. 

La  cérémonie  commença  à  9  heures  du  matin  et  se  ter- 
mina un  peu  avant  midi.  L'assistance  était  des  plus  at- 
tentives, captivée  par  la  majesté  des  cérémonies  que  la 
plupart  voyait  se  dérouler  pour  la  première  fois.  Il  serait 
trop  long  de  faire  ici  une  description  même  sommaire 
de  ces  cérémonies,  qui  sont,  du  reste,  les  mêmes  pour 
toutes  les  consécrations  d'évêques.  Les  journaux  de  New- 
Westminster,  de  Vancouver  elàe  Fie^om,  les  ont  décrites 


—  480  — 

au  long  dans  leurs  colonnes,  ce  qui  prouve  assez  l'inté- 
rêt que  ces  imposantes  solennités  de  l'Eglise  catholique 
excitent  parmi  nos  populations  hétérodoxes. 

Le  nouvel  évêque  surtout  était  l'objet  de  tous  les  re- 
gards ;  car  il  est  bien  connu  et  très  aimé  dans  le  pays  où 
il  a  su,  en  quelques  années,  se  concilier  les  sympathies 
de  tous  ceux  qui  ont  eu  quelque  rapport  avec  lui,  et 
même  de  ceux  qui  n'ont  fait  qu'en  entendre  parler. 

Après  l'Évangile,  M^''  O'Dea,  évêque  de  Nesqually, 
s'avança  au  milieu  du  sanctuaire  et  donna  un  sermon 
très  éloquent,  à  l'occasion  de  la  cérémonie  du  sacre,  sur 
l'origine  apostolique  de  l'Église  catholique,  sur  sa  mis- 
sion divine  et  sa  merveilleuse  unité.  Son  texte  était  le 
Tu  es  Petrus  et  super  hanc  petram  xdificabo  Ecdesiam 
meam.  D'un  bout  à  l'autre  du  sermon,  l'auditoire  fut  si 
captivé  par  l'éloquence  de  l'orateur,  que  pas  un  mot  de 
ce  qui  était  dit  n'a  pu  lui  échapper.  L'orateur  a  surtout 
fait  preuve  d'une  exquise  délicatesse  à  l'égard  des  per- 
sonnes professant  d'autres  croyances,  qui  se  trouvaient 
mêlées  en  assez  grand  nombre  dans  l'auditoire,  et  aux- 
quelles il  a  très  bien  démontré  la  divine  institution  de 
rÉglise  catholique,  sans  cependant  ofl'enser  le  moindre 
de  leurs  sentiments. 

Les  dames  de  la  ville  de  New-Westminster  avaient 
préparé  un  festin  pour  les  évêques  et  le  clergé  dans  les 
salles  du  collège  Saint-Louis,  qui  est  attenant  à  la  rési- 
dence de  l'évêque  et  des  Pères  de  la  maison  de  New- 
Westminster. 

A  2  heures  de  l'après-midi  ont  eu  lieu  les  réunions  des 
sauvages  dans  la  cour  du  collège  Saint-Louis,  oii  les  évê- 
ques et  le  clergé  sont  venus  pour  les  voir  et  les  féliciter. 
Plus  de  2000  sauvages  se  trouvaient  présents.  L'un  d'eux, 
Auguste  de  Langley,  s'est  levé  et  a  adressé  quelques 
paroles  de  félicitations  au  nouvel  évêque,  M^'' Donten- 


—  481  — 

VILLE,  en  lui  disant  en  même  temps  que  tous  les  sau- 
vages de  la  Colombie  Britannique  reporteraient  sur  lui 
l'affection  qu'ils  avaient  pour  M.s^  Durieu,  dont  il  deve- 
nait le  coadjuteur,  et  lui  promettant  la  même  obéissance 
qu'ils  avaient  toujours  professée  pour  leur  évêque. 
M^''  DoNTENViLLE  leur  a  répondu  qu'à  son  tour  il  leur  té- 
moignerait toujours  le  plus  grand  intérêt  et  qu'il  les 
porte  déjà  tous  dans  son  cœur. 

Ensuite,  S.  G.  Me^  Langevin  a  invité  le  R.  P.  Camper  à 
adresser  la  parole  aux  sauvages,  en  sa  qualité  de  mission- 
naire des  sauvages  du  Manitoba.  Le  P.  Camper  a  parlé  en 
français  et  le  P.  Le  Jeune,  de  Kamloops,  a  traduit  ce 
qu'il  disait  en  chinook,  afin  que  tous  les  sauvages  pré- 
sents pussent  comprendre.  Le  P.  Camper  leur  a  d'abord 
témoigné  sa  joie  vive  de  constater  leur  ferveur  et  leur 
attachement  à  la  religion  catholique.  Il  leur  a  dit  qu'il 
n'oubliera  jamais  ce  qu'il  a  vu  aujourd'hui  en  Colombie 
Britannique  ;  qu'il  va  redire  avec  plaisir  à  ses  sauvages 
du  Manitoba,  à  son  retour,  comment  ils  ont  des  frères 
de  l'autre  côté  des  montagnes  Rocheuses  qui  connais- 
sent, aiment  et  servent  avec  fidélité  Notre-Seigneur 
Jésus-Christ.  Il  leur  a  demandé  en  outre  de  prier  pour 
leurs  frères  du  Manitoba,  pour  ceux  qui  sont  déjà  catho- 
liques, afin  qu'ils  persévèrent,  pour  ceux  qui  ne  le  sont 
pas  encore,  afin  que  le  bon  Dieu  les  convertisse  et  leur 
fasse  goûter  aussi  le  bonheur  de  vivre  dans  la  vraie 
religion. 

Ms''  Langevin  s'est  levé  à  son  tour.  Il  a  commencé  par 
dire,  en  chinook  :  «  Je  suis  très  content  de  vous  tous.  » 
Ensuite,  il  leur  a  parlé  en  anglais,  interprété  en  chinook 
par  le  même  P.  Le  Jeune,  de  Kamloops.  H  leur  a  montré 
comment  l'Église  catholique  est  la  même  partout.  «Nous 
avons  ainsi  réuni,  aujourd'hui,  des  évêques  et  des  prê- 
tres venus  un  peu  de  tous  côtés,  cependant,  ils  n'ont 


—  482  — 

tous  qu'une  seule  et  même  religion,  et  nous  vous  trou- 
vons ainsi  avec  la  même  religion  que  nos  sauvages  du 
Manitoba.  Quelle  plus  belle  preuve  de  l'unité  et  de  la 
calholicité  de  l'Église?  Il  y  a  quelques  années,  des  sau- 
vages de  l'autre  côté  des  montagnes  Rocheuses  se  ren- 
contraient avec  des  sauvages  de  ce  côté-ci  ;  ils  ne  pou- 
vaient pas  se  parler,  n'ayant  pas  la  même  langue,  mais 
l'un  d'eux  eut  la  bonne  idée  de  tirer  son  chapelet  et  de 
faire  le  signe  de  la  croix,  sur  quoi  les  sauvages  de  l'autre 
côté  firent  la  même  chose  ;  ils  reconnurent  par  là  qu'ils 
n'avaient  qu'une  religion,  qu'ils  étaient  frères  en  Jésus- 
Christ,  et  ils  se  traitèrent  comme  tels.  » 

L'archevêque  leur  a  ensuite  recommandé  d'être  tou- 
jours fidèles  à  leur  sainte  religion,  et  comme  il  les  avait 
vus  prier  si  bien,  il  leur  demanda  de  prier  pour  leurs 
frères  du  Manitoba,  de  prier  pour  leur  Monseigneur,  de 
prier  le  bon  Dieu  d'envoyer  d'autres  missionnaires  pour 
aider  ceux  qui  travaillent  déjà  parmi  eux,  de  prier  pour 
qu'il  conserve  longtemps  encore  ceux  qui  sont  actuelle- 
ment au  milieu  d'eux  ;  il  leur  a  dit  aussi  de  prier  pour 
lui,  «car,  dit-il,  je  vous  ai  donné  aujourd'hui  un  nouveau 
père,  vous  devez  donc  me  considérer  comme  votre 
grand-père». 

Enfin,  W  DuRiEU  s'est  levé  aussi  et  a  recommandé 
aux  sauvages  d'être  bien  dociles  au  nouvel  évêque  : 
<f  Vous  voj'ez  que  je  suis  trop  vieux  pour  courir  parmi 
vous  comme  je  le  faisais  quand  j'étais  plus  jeune,  c'est 
pourquoi  j'ai  pris  un  coadjuteur  pour  être  comme  mes 
pieds  pour  courir  parmi  vous,  pour  être  comme  ma 
bouche  pour  vous  parler,  mes  oreilles  pour  vous  écouter 
et  me  rapporter  de  vos  nouvelles.  Vous  avez  vu  qu'on  lui 
a  mis  dans  les  mains,  ce  matin,  un  bâton  d'or,  la  crosse  ; 
ce  n'est  point  pour  une  simple  cérémonie  qu'on  a  fait 
cela,  mais  pour  vous  faire  comprendre  qu'on  lui  a  donné 


—  483  — 

de  l'autorité  sur  vous  pour  vous  pousser  dans  le  bien  et 
vous  fustiger  si  vous  faites  mal.  » 

Ce  meeting  des  sauvages  a  été  suivi  par  le  toucher  des 
mains,  où  tous  les  sauvages  présents  ont  défilé  devant 
les  évêques  et  le  clergé,  pour  leur  donner  la  poignée  de 
main  traditionnelle. 

Après  quoi  la  bénédiction  du  très  Saint  Sacrement  a 
couronné  le  tout. 

Jean-Marie  Le  Jeune. 


PROVINCE  DES  ÉTATS-UNIS. 
NOVICIAT  DE  TEWKSBURY. 

LETTRE  DU  R.  P.  CAMPEAU  JOSEPH,  MAITRE  DES  NOVICES. 

Entendez-vous  cette  musique  sautillante,  ce  bruit  de 
personnes  qui  s'amusent,  ces  rires  et  ces  applaudis- 
sements qui  viennent  troubler  le  paisible  village  de 
Tewksbury? 

Toute  une  foule  de  mondains  y  accourent  :  festins  et 
danses  se  succèdent  tous  les  jours,  et  le  démon,  pour 
montrer  qu'il  est  réellement  le  roi  de  ces  lieux,  se  fait 
ériger  deux  statues  :  une  Vénus  et  un  Bacchus. 

Cependant,  au  milieu  de  ces  fêtes,  une  voix  se  fait  en- 
tendre :  c'est  la  voix  d'une  mère  qui  veut  reprocher  à 
son  fils  de  folles  dépenses.  «  Attention  !  mon  fils,  dit-elle, 
si  tu  continues,  tes  propriétés  pourraient  bien  passer  aux 
catholiques.  »  La  vieille  puritaine  prophétisait  sans  le 
savoir,  car  tout  à  coup  la  fortune  change,  une  terrible 
banqueroute  frappe  à  la  porte  de  notre  propriétaire  qui, 
dans  son  excitation,  ne  trouve  pas  de  meilleures  res- 
sources à  ses  malheurs  que  de  mettre  fin  à  ses  jours. 

Et  ces  lieux  que  la  foule  aimait  tant  naguère  deviens 


—  484  — 

nent  bientôt  déserts;  que  dis-je?  comme  on  les  dit 
hantés  par  quelques  mauvais  esprits,  personne  n'ose  s'en 
approcher,  si  ce  n'est  un  prêtre  qui  en  fait  aussitôt  l'ac- 
quisiLion.  Or,  charmante  est  cette  nouvelle  propriété! 
A  quelque  dislance  du  village,  près  d'un  lac  entouré 
d'une  ceinture  de  verdure,  se  trouvait  la  maison  Kil- 
tridge.  Tout  attirait  le  regard  :  parterres,  terrasses,  ave- 
nues, plantes  rares;  le  chalet  lui-même  était  ravissant. 
Et  ce  prêtre  qui  venait  d'acheter  cette  propriété  était  le 
père  de  notre  jeune  province  des  Etats-Unis  :  le  R.  P.  Ja- 
mes M'=  Grath.  11  songeait  à  fonder  un  noviciat,  et  bientôt 
à  la  musique  effrénée  succédait  la  prière,  au  bruit  des 
mondains  un  silence  religieux,  aux  statues  païennes  se 
substituaient  celles  du  Sacré-Cœur,  delà  Sainte  Vierge 
et  de  saint  Joseph,  et  ces  lieux  de  plaisir  devenaient  des 
lieux  de  retraite  et  de  sanctification  :  c'était  le  triomphe 
de  Dieu  sur  Satan. 

Mais  pour  un  noviciat  il  faut  un  Père  Maître.  La  pro- 
vince du  Canada,  qui  aimait  tendrement  sa  fille  devenue 
majeure,  ne  recula  pas  devant  un  nouveau  sacrifice  et 
nous  envoya  le  R.  P.  Emery,  qui  fut  pendant  huit  ans 
directeur  à  Tewksbury.  Modestes  furent  ces  commence- 
ments ;  deux  Pères,  les  RR.  PP.  Emery  et  Gigault  ;  un 
Frère  convers  ,  le  F.  Isaïe  Maison  ;  un  postulant  scolas- 
tique  devenu  depuis  le  R.  P.  Gagnon,  curé  de  la  paroisse 
Saint-Joseph  à  Lowell,  et  un  postulant  convers. 

Plus  tard,  quatre  novices  scolastiques  étaient  trans- 
férés de  Lachine  à  Tewksbury  et  c'était  à  cette  petite 
communauté  que  le  T.  R.  P.  Général,  alors  visiteur, 
adressait  en  i884  ces  paroles  :  «  Je  ressens  une  consola- 
tion parliculière  en  venant  faire  la  visite  de  cette  nou- 
velle maison  qui  doit  être  considérée  comme  le  fonde- 
ment de  cette  province.  Et  vous,  mes  Frères,  rappelez-vous 
que  vous  en  êtes  les  fondateurs.  Considérez-vous  comme 


—  485  — 

tels  et  en  conséquence  efforcez-vous  de  laisser  à  vos  suc- 
cesseurs les  meilleures  traditions.  » 

Cinq  longues  années  se  sont  succédé  les  unes  aux 
autres,  sans  que  rien  de  bien  remarquable  ne  vînt  trou- 
bler la  solitude  de  Tewksbury.  Mais  en  1888,  voyant  que 
le  seul  moyen  de  nous  recruter  est  le  juniorat,  le  noviciat 
ouvrit  ses  portes  à  toute  une  gente  écolière  qui,  criant, 
sautant,  gambadant,  faisait  un  contraste  à  la  vie  uni- 
forme et  tranquille  du  novice.  Cet  état  de  chose  cepen- 
dant ne  pouvait  être  que  temporaire ,  et  au  mois 
d'août  1891,les  junioristespartaient  pour  Buffalo  oti  une 
grande  et  belle  maison  les  attendait;  et  le  R.  P.  Emery 
allait  se  livrer  à  un  ministère  plus  actif  tandis  que  le 
R.  P.  J.  R.  Pelletier  devenait  maître  des  novices.  En 
septembre  1894,  le  T.  R.  P.  Général,  accompagné  des 
RR.  PP.  Antoine,  Guillard,  Garin,  etc.,  nous  faisait 
l'honneur  d'une  visite.  Inutile  de  dire  que  le  souvenir  de 
ce  jour  est  gravé  dans  nos  cœurs.  Comment  pourrait-il 
en  être  autrement  ?  11  est  si  père  celui  que  nous  appelons 
notre  Père!...  Et  nous  qui  en  entendions  parler  depuis 
si  longtemps,  nous  avons  eu  le  bonheur  de  converser 
avec  lui  et  celui  de  le  connaître  et  de  l'aimer  davantage. 
Ah!  puisse-t-il  revenir  encore!  Son  passage  nous  fait 
tant  de  bien  et  nous  rend  plus  Oblats.  Ces  jours  de  fêtes 
passés,  la  paix  et  la  charité  régnaient  en  souveraines, 
quand  le  7  février  1895,  un  incendie  venait  réduire  en  cen- 
dres le  noviciat  et  ses  dépendances.  Incendie!  cemotsinis- 
trelaisse  dans  l'esprit  l'idée  de  peines  et  de  destructions.  Et 
comme  un  malheur  appelle  un  autre  malheur,  outre  la 
perte  de  notre  noviciat  nous  eûmes  la  douleur  de  perdre 
notre  Père  Maître.  Le  R.  P.  Pelletier,  tout  épuisé,  dut 
quitter  la  position  et  la  laisser  tomber  sur  des  épaules 
bien  faibles,  hélas  1 

Cependant  les  philosophes   nous  assurent  que  cor- 

T.   XXXV.  33 


—  486  — 

rupHo  unius  est  generatio  alterius;  ainsi  en  fut-il  de  notro 
noviciat.  Grâce  aux  elTorts  du  présent  provincial,  le 
R.  P.  GuiLLARD,  sur  ses  cendres  s'est  élevé  un  nouvel 
édifice  de  briques  aux  couleurs  rouge  foncé  et  d'un  style 
américain. 

Haut  de  62  pieds,  long  de  132  pieds,  il  fait  la  gloire 
de  Tewksbury.  Outre  le  soubassement  et  le  rez-de- 
chaussée,  il  a  trois  étages,  et  sa  tour  élève  bien  haut  dans 
les  airs  une  brillante  croix  qui  dit  à  nos  voisins  que  nous 
n'avons  honte  de  nous  proclamer  les  disciples  du  Christ. 
Eloigné  de  200  pieds  de  la  route,  il  faut  passer  au  mi- 
lieu d'une  magnifique  pelouse  pour  y  arriver.  Voulez - 
vous  y  pénétrer?  Quatorze  degrés  en  pierre  vous  font 
passer  par  un  porche  et  vous  conduisent  à  l'entrée  prin- 
cipale. 

A  l'intérieur,  rien  d'extraordinaire  :  tout  est  en  pin 
couvert  d'une  couche  de  vernis;  mais  tout  est  propre  et 
adapté  aux  besoins  d'une  communauté  religieuse.  Salles 
vastes,  chambres  modestes  mais  bien  aérées,  chapelle 
belle  et  pieuse,  réfectoire  spacieux,  cuisine  à  la  moderne, 
dortoir  splendide. 

Une  pompe  va  nous  chercher  de  l'eau  à  200  pieds  sous 
terre,  le  gaz  nous  donne  la  lumière,  la  vapeur,  sa  cha- 
leur. Que  peut-on  désirer  de  plus?  Aussi,  matériellement 
du  moins,  tout  est  parfait.  Mais...  les  novices  ?...  Appa- 
rent rari  in  gurgite  vasto.  Depuis  1883,  nous  avons  eu 
104  prises  d'habit,  et,  sur  ce  nombre,  beaucoup  sont  re- 
tournés dans  le  monde. Que  voulez-vous?  Le  dieu  Dollar 
est  un  aimant  qui  attire  bien  des  cœurs  à  soi,  Actuelle- 
ment, la  communauté  de  Tewksbury  se  compose  de 
2  scolastiques,  2  novices  convers  et  8  Frères  profès. 

C'est  bien  peu,  j'en  conviens,  mais  c'est  le  cas  de  dire 
non  numerandi  sed  pondei'andi.  Jardinier,  fermier,  for- 
geron,  charpentier,   tailleur,  ingénieur   et  cuisinier  : 


—  487  — 

tous  les  métiers  se  trouvent  réunis  sous  le  même  toit. 

Ajoutez  que  nos  Frères  sont  animés  du  meilleur  esprit, 
pieux  à  la  chapelle,  joyeux  en  récréation,  pleins  d'ardeur 
au  travail  ;  ils  aiment  la  Congrégation  et  n'oublient  pas 
de  prier  pour  celui  qui  est  leur  Père. 

Les  œuvres.  —  L'œuvre  par  excellence  de  l'Oblat  est 
l'évangélisation  des  pauvres  :  Evangelizare  pauperibus 
misit  me.  Ainsi,  ils  sont  bien  dans  leur  vocation,  ces 
Oblats,  qui  courent  après  les  habitants  de  ces  im- 
menses plaines  du  Manitoba,  de  Saint-Albert  et  du  Mac- 
kenzie  ;  ils  sont  dans  leur  vocation,  ces  Oblats,  qui  évan- 
gélisent  le  Ceylanais  et  l'Africain;  ils  sont  dans  leur 
vocation,  ces  Pères,  qui  sèment  et  moissonnent  au  milieu 
de  la  population  rurale;  mais,  révérend  Père,  le  sauvage 
n'a-t-il  pas  une  tente,  un  canot,  un  traîneau  ?  L'habi- 
tant de  l'Afrique  et  de  Ceylan  est-il  sans  avoir  une  habi- 
tation? Et,  dans  la  campagne  même  la  plus  pauvre,  est- 
on  sans  posséder  quelque  chose? 

Or,  à  la  maison  des  pauvres,  se  trouvent  les  plus  dé- 
pourvus :  sans  logis,  sans  nourriture,  sans  vêtement 
même  ;  voilà  nos  chers  paroissiens. 

Qu'est-ce  donc  qu'une  maison  des  pauvres  {almshouse), 
aux  États-Unis  ?  C'est  un  établissement  sustenté  par 
l'État,  où  les  nécessiteux,  les  délaissés,  et  quelquefois 
aussi  les  vagabonds,  viennent  chercher  refuge  :  boiteux, 
paralytiques,  phtisiques,  goutteux,  tous  les  maux  physi- 
ques se  donnent  rendez-vous  sous  le  même  toit.  Et  le 
mal  moral!  Ciel!  Peut-on  en  parler?  Nous  avons  affaire 
à  des  étrangers,  qui,  en  grand  nombre,  ne  se  sont  pas 
approchés  des  sacrements  depuis  qu'ils  ont  laissé  la  pa- 
trie. Pourtant,  il  faut  le  dire,  tous  ces  gens,  après  avoir 
fait  une  sincère  confession,  meurent  dans  la  paixdu  Sei- 
gneur ;  de  sorte  qu'il  est  vrai  de  dire  que  la  maison  des 
pauvres,  à  Tewksbury,  est  une  véritable  porte  du  Ciel. 


Et,  révérend  Père,  celui  qui,  avec  bonheur,  va  réconci- 
lier ces  âmes  avec  leur  Dieu  est  heureux  de  se  dire 
Oblat  de  Marie  Immaculée.  Depuis  le  22  novembre  1869, 
les  Oblats  ont  pris  la  desserte  de  cette  institution  et 
y  sont  restés  fidèles.  Les  Lebret,  les  Barber,  les  O'Rior- 
DAN,  lesGiGAULT,  les  Gagnon  et  les  Sirois,  se  sont  succédé 
les  uns  aux  autres,  et  après  chaque  visite,  tous  sentant 
une  joie  extrême  au  fond  de  l'âme,  se  faisaient  un  plaisir 
de  répéter  :  Pauperes  evangelizantur  !  Que  de  pécheurs 
réconciliés  avec  leur  Dieu  !  Que  d'âmes  purifiées  par  le 
ministère  des  Oblats  s'envolent  vers  leur  Créateur  !  Que 
de  larmes  de  repentir  la  seule  vue  du  prêtre  ne  fait-elle 
pas  verser  ! 

Aussi,  comme  il  fait  bon  exercer  notre  zèle  parmi 
ces  pauvres  gens  !  Trois  fois  la  semaine,  le  R.  P.  Ant. 
Fletcher,  nouvellement  arrivé  du  scolasticat,  passe  au 
milieu  d'eux,  visite  les  malades,  encourage  les  uns,  donne 
les  sacrements  aux  autres.  Puis,  tous  les  dimanches, 
nous  allons  leur  dire  la  sainte  messe,  et  leur  nombre 
nous  dit  combien  ils  apprécient  notre  ministère. 

Pourtant,  il  ne  faut  pas  croire  qu'il  n'y  a  pas  de  dif- 
ficultés. D'abord  ces  chers  paroissiens  sont  très  nom- 
breux; sur  1500  à  i  600  personnes,  800  à  1  000  sont  ca- 
tholiques, et  sur  ce,  200  ou  300  sont  des  malades.  Bien 
peu  de  semaines  ne  se  passent  sans  avoir  3  ou  4  morts. 
Aussi,  outre  les  visites  régulières,  que  de  fois  on  nous 
appelle,  même  au  milieu  de  la  nuit  et  pendant  les  plus 
grosses  tempêtes.  Et  il  faut  remarquer  qu'il  y  a  un  bon 
mille  anglais  du  noviciat  à  la  maison  des  pauvres. 

Puis,  ici,  nous  vivons  comme  si  nous  étions  au  temps 
de  la  construction  de  la  tour  de  Babel.  Toutes  les  na- 
tions sont  réunies  :  Anglais,  Français,  Irlandais,  Ita- 
liens, Allemands,  Espagnols,  Portugais,  Arméniens,  etc. 
Enfin,  officiers  majeurs,  gardes-malades,  tout  ce  monde, 


-.  489  - 

en  général,  est  protestant,  et  bien  qu'honnête,  gentil 
même,  il  faut  cependant  ménager  leur  susceptibilité  et 
les  principes  de  la  foi  catholique. 

Mais  malgré  cela,  le  bien  se  fait,  le  règne  du  Sacré- 
Cœur  s'étend ,  les  âmes  se  sauvent.  Vive  Jésus  !  Vive 
Marie  Immaculée  I 

Joseph  Campeau,  o.  m.  i. 


VARIÉTÉS 


En  préparant  la  vie  du  P.  de  l'Hermite,  son  biographe 
a  fait  une  ample  moisson  de  documents,  parmi  lesquels 
plusieurs  se  rapportent  à  la  fondation  de  Bordeaux, 
dont  il  a  été  jusqu'ici  peu  parlé  dans  nos  annales.  Voici, 
pour  cette  fois,  deux  lettres  adressées  par  le  P.  de  l'Her- 
mite, alors  tout  jeune  prêtre,  à  notre  vénéré  Fondateur. 


ARRIVEE  DU  P.  DE  L  HERMITE  A  BORDEAUX. 
MISSION  DE  SAINT-ESTÈPHE. 

Pont  de  la  Maye,  11  décembre  18bl. 

Monseigneur  et  très  vénéré  Père, 
Permettez-moi  de  vous  exprimer  enfin  les  regrets  que 
j'ai  éprouvés  de  quitter  Marseille  sans  avoir  reçu  vos 
derniers  conseils  et  votre  sainte  bénédiction.  Mon  dé- 
parts! précipité  en  est  seul  la  cause  ;  mais  j'aime  pour 
ma  consolation  à  merappeler  les  paternelles  instructions 
que  vous  m'avez  données  si  souvent,  en  particulier  du- 
rant ma  retraite  du  sacerdoce.  Je  garde  aussi  de  vos 
bontés  pour  moi  un  souvenir  que  je  ne  perdrai  jamais, 
et,  jusqu'à  la  fin  de  mes  jours,  j'aimerai  à  repasser  dans 
mon  esprit  les  doux  moments  où,  placé  près  de  mon 
père,  il  m'était  permis  de  me  laisser  aller  à  de  touchants 
entretiens.  J'ai  contracté  une  dette  de  reconnaissance 
et  d'affection  que  ma  mémoire  n'oubliera  pas,  et  que 
mon  cœur  saura  payer. 


—  491  — 

Je  suis  arrivé  à  Bordeaux  la  veille  de  la  Toussaint, 
ainsi  que  j'en  avais  reçu  l'ordre;  mais,  dès  le  matin,  les 
habitants  de  Saint-Delphin,  au  Pont-de-la-Maye,  étaient 
partis  pour  leur  mission  respective.  Il  m'a  fallu  faire  de 
nuit  plusieurs  courses  dans  la  grande  ville  pour  trouver 
Ms'  l'Archevêque  ;  il  m'a  été  impossible  de  le  rencon- 
trer le  soir  même,  et  comme  nous  étions  arrivés  tard, 
c'est  au  grand  séminaire  que  le  F.  Picard  et  moi  avons 
pris  nos  logements.  Le  jour  de  la  fête,  j'ai  assisté,  à  la 
cathédrale,  à  l'office  pontifical  ;  je  m'y  étais  rendu 
exprès  pour  avoir  l'honneur  de  présenter  mes  respec- 
tueux hommages  au  vénérable  prélat  ;  il  m'a  reçu 
comme  un  père  reçoit  son  enfant,  et  m'a  fait  dîner  à  sa 
table,  parmi  un  cercle  imposant  de  dignes  chanoines; 
en  ma  qualité  de  junior,  j'ai  fait  les  fonctions  de  lec- 
teur en  lisant,  avant  le  repas,  les  quelques  versets 
d'Écriture  Sainte.  Dès  le  lendemain,  je  m'embarquai  sur 
le  bateau  à  vapeur  pour  Saint-Estèphe,  où  le  R.  P.  Su- 
périeur avait  ouvert  la  mission  depuis  la  veille.  C'est 
dans  cette  paroisse,  placée  au  centre  du  Médoc,  sur  les 
bords  de  la  Gironde,  à  \1  lieues  de  Bordeaux  et  dans 
l'arrondissement  de  Lesparre,  que  j'ai  fait  mes  pre- 
mières armes.  Je  n'avais  rien  à  craindre,  car  je  com- 
battais sous  la  direction  d'un  habile  capitaine.  Durant 
six  semaines,  nous  avons  été  à  l'œuvre  dans  une  popu- 
lation de  2500  âmes  au  moins.  Le  succès  a  été  com- 
plet, et  lorsque,  dimanche  7  décembre.  Monseigneur 
est  venu  couronner  le  jubilé,  il  a  pu  donner  la  commu- 
nion à  plus  de  700  hommes  et  la  confirmation  à  555  per- 
sonnes. Au  nombre  des  confirmants  étaient  des  vieil- 
lards de  l'un  et  de  l'autre  sexe,  et  c'était  un  spectacle 
touchant  de  voir  des  pères  et  des  mères  de  famille  con- 
fondus dans  la  foule,  à  genoux  près  de  leurs  enfants, 
pour  receToir,  eux  aussi,  sur  le  front  le  signe  du  parfait 


—  492  - 

chrétien.  Je  ne  parle  pas  de  la  communion  des  femmes, 
qui  ont  été  également  fidèles  à  l'appel.  Saint-Estèphe 
avait  eu  une  mission  onze  ans  avant  celle-ci,  mais  elle 
nous  avait  laissé  encore  bien  de  la  besogne  taillée,  et 
les  chiffres  de  15,  20,  30  et  même  40,  qui  fixaient 
l'époque  de  plusieurs  confessions,  nous  ont  appris  qu'il 
yavaiteu  bien  des  retardataires  en  1840,  Saint-Estèphe, 
comme  toutes  les  contrées  du  Médoc,  est  un  pays  de  foi  ; 
mais  les  habitants,  engourdis  sans  doute  par  les  vapeurs 
de  leur  bon  vin,  manquent  d'énergie  ;  c'était  là  le  point 
capital  qui  exigeait  une  mission.  Le  R.  P.  Supérieur  a 
vraiment  obtenu  un  triomphe  éclatant;  mais  il  Ta  acheté 
par  bien  des  fatigues,  par  une  activité  incessante  et  un 
zèle  à  toute  épreuve.  Sa  parole  facile  et  exercée  inté- 
ressait au  plus  haut  degré  son  nombreux  auditoire;  il  a 
donné  sept  conférences  ;  à  chacune  d'elles,  l'auditoire 
augmentait  et  le  missionnaire  devenait  de  plus  en  plus 
éloquent.  Le  R.  P.  Dassy  a  prêché  près  de  cinquante  fois, 
sans  compter  les  avis  qui  revenaient  tous  les  jours;  le 
dimanche,  il  prêchait  à  la  messe  de  paroisse  et  à  vêpres. 
Pour  moi,  en  ma  qualité  de  débutant,  je  n'ai  prêché 
que  cinq  fois.  Les  braves  gens  de  la  paroisse  ne  pou- 
vaient se  lasser  de  venir  à  notre  exercice,  que  nous  fai- 
sions chaque  soir  à  6  heures  et  demie  ;  et  malgré  les 
distances  très  grandes  des  villages,  l'église  surabondait, 
les  tribunes,  les  chapelles  latérales,  le  chœur,  regor- 
geaient d'hommes  ;  le  chant  des  cantiques  leur  plaisait 
beaucoup,  et  nous  étions  obligés  de  couper  le  dernier 
au  milieu,  afin  de  donner  un  peu  le  temps  à  la  circula- 
tion de  s'établir  ;  une  fois  le  mouvement  de  sortie  donné, 
nous  reprenions  ce  cantique  ;  cette  précaution  était  né- 
cessaire, sans  cela  on  serait  resté  toute  la  nuit  à  écou- 
ter. L'auditoire  a  été  constamment  très  nombreux  ;  nous 
avons  connu  de  pauvres  ouvriers  en  jounite  qui,  après 


-    493  — 

avt)ir  fini  leur  travail,  se  rendaient  de  plus  d'une  lieue, 
sans  avoir  soupe  ;  ce  n'était  qu'au  retour  qu'ils  prenaient 
le  pain  matériel,  le  pain  spirituel  avait  pour  eux  plus  de 
charmes.  Dès  l'instant  où  les  confessions  ont  été  annon- 
cées, on  s'est  rendu  en  foule;  bien  peu  de  personnes  ont 
échappé;  nous  étions  quatre  pour  ce  ministère  :  M.  le 
curé,  M.  le  vicaire  et  les  deux  missionnaires  ;  chacun  a 
eu  sa  bonne  part;  le  R.  P.  Supérieur  a  été  le  plus  acca- 
blé ;  il  a  confessé  plus  de  600  personnes  ;  pour  moi,  je 
suis  arrivé  à  environ  230;  tous  ces  braves  gens  se  sont 
confessés  trois  fois,  plusieurs  sont  revenus  jusqu'à  quatre, 
cinq,  six  et  même  sept  fois.  Sur  ce  nombre,  nous  ne 
comprenons  pas  les  enfants.  Nous  avons  passé  tout  un 
jour  pour  eux  ;  le  matin,  nous  avons  eu  les  petites  filles 
et,  le  soir,  les  petits  garçons;  je  crois,  par  exemple,  que, 
pour  ces  pratiques,  j'ai  été  le  plus  occupé.  Ces  pauvres 
enfants  ne  se  possédaient  pas  de  joie  à  la  pensée  de  leur 
confession.  Il  y  avait  de  vraies  poupées  dans  ce  petit 
peuple;  les  petites  filles  se  tenaient  debout  au  confes- 
sionnal, et  plusieurs  arrivaient  à  peine  à  la  grille.  La 
veille,  le  FI.  P.  Supérieur  avait  consacré  toute  la  jeune 
famille  à  la  Sainte  Vierge,  aux  pieds  du  beau  reposoir 
élevé  pour  la  consécration  de  la  paroisse  entière.  C'est 
un  dimanche  qu'a  eu  lieu  cette  cérémonie.  Nous  avions 
composé  deux  courtes  prières  ;  une  petite  fille  ayant 
déjà  fait  sa  première  communion  dans  l'année  a  lu 
l'acte  de  consécration  au  nom  des  femmes;  un  petit 
garçon  a  représenté  les  hommes.  Celait  beau  et  solen- 
nel d'entendre  le  chant  du  Magnificat  par  les  voix  mâles 
des  hommes,  à  l'issue  de  leur  consécration.  Le  lundi^ 
au  pied  du  même  autel,  les  enfants  conduits  par  les 
mamans  et  échelonnés  avec  ordre, les  garçons  d'un  côté, 
les  filles  de  l'autre,  venaient  aussi  faire  leur  fête  et  ga- 
gner leur  jubilé.  Le  R.  P.  Supérieur  leur  a  expliqué, 


—  494  — 

d'une  manière  bien  à  la  portée  de  leurs  faibles  intelli- 
gences, les  principales  parties  de  la  messe  qu'on  leur 
disait,  et  dans  le  discours  qui  a  suivi,  il  leur  a  dit  que, 
pour  aller  au  ciel,  il  fallait  bien  passer  la  journée  ;  telle  a 
été  sa  proposition.  Mille  petits  exemples,  mille  détails 
intimes  et  scènes  naturelles  de  la  vie  des  enfants,  les 
ont  charmés  d'un  bout  à  l'autre  ;  leur  attention  n'a  pas 
fait  défaut  un  seul  instant.  Nous  avons  eu  aussi  une  fête 
de  réparation  à  la  Sainte  Eucharistie.  Durant  toute  la 
journée,  Notre-Seigneur  a  eu  des  adorateurs  ;  les  villages 
étaient  partagés  pour  les  visites,  et  des  bandes  de  pieux 
fidèles  se  rendaient  aux  heures  indiquées.  Les  malades 
n'ont  pas  été  oubliés  durant  cebeaujubilé.LeR.P.  Dassy 
étant  trop  occupé  par  les  soins  de  la  mission,  c'est  moi 
qui  ai  visité  cette  portion  intéressante  de  la  paroisse  ; 
j'ai  pris  mes  jambes  de  novice  et,  à  plusieurs  reprises, 
je  me  suis  dirigé  vers  presque  tous  les  villages  dont  plu- 
sieurs étaient  très  éloignés  ;  M.  le  vicaire  m'accompa- 
gnait assez  ordinairement,  et  j'ai  eu  la  consolation  de 
faire  gagner  le  jubilé  à  mes  chers  infirmes. 

Que  de  choses  j'aurais  à  vous  dire  sur  cette  belle  mis- 
sion, Monsergneur!  Si  je  voulais,  je  pourrais  faire  un  vo- 
lume, j'ai  des  matériaux  suffisants  pour  cela.  L'empire 
de  la  grâce  et  son  action  sur  les  cœurs  sont  quelque  chose 
de  bien  admirable;  j'ai  pu, pour  la  premièrefois,  l'étudier 
de  près.  Nos  braves  gens  nous  avouaient  naïvement  tout 
le  bien  que  la  confession  avait  produit  en  eux  ;  dans  leur 
langage,  ils  se  sentaient  Vestomac  débarrassé,  leurs  nuits 
étaient  plus  tranquilles.  Dans  mes  courses  de  village  à 
village,  je  profitais  de  mes  visites  aux  malades  corporels 
pour  voir  aussi  un  peu  quelques  malades  spirituels; 
grâce  aux  indications  de  M.  le  vicaire,  j'ai  pu  dénicher 
plusieurs  renards  renfermés  dans  leurs  tanières,  et,  le 
soir  ou  le  lendemain,  ils  nous  arrivaient  dociles  comme 


—  495  — 

des  enfants.  Je  m'en  suis  tiré  comme  j'ai  pu  avec  la 
langue  gasconne  que  me  parlaient  certaines  personnes, 
car  ici  on  comprend  assez  généralement  le  français.  Je 
n'ai  été  un  peu  embarrassé  que  pour  quelques  vieilles 
édentées  qui  n'entendaient  rien  à  mes  morales  ;  elles 
prétendaient  que  je  parlais  trop  bien  français,  et  le 
R.  P.  Dassy  a  fait  leur  affaire.  Je  ne  pourrais  vous  dire, 
Monseigneur,  toute  l'influence  que  cet  habile  mission- 
naire exerçait  sur  la  population,  c'était  comme  un  oracle 
que  chacun  respectait,  on  lui  obéissait  comme  dessoldats 
obéissent  à  leur  chef;  on  le  désignait  par  ce  nom  :  le 
révérend  Père,  sans  doute  parce  qu'on  m'avait  entendu 
lui  donner  ce  titre  dans  les  questions  que  je  lui  adressais 
aux  conférences.  Pour  moi,  on  m'appelait  le  Père  tout 
court,  et  même  plusieurs  personnes,  qui,  ne  sachant  pas 
lire,  n'avaient  pas  lu  mon  nom  sur  le  confessionnal, 
étaient  embarrassés  pour  me  qualifier.  Un  jour  une  brave 
femme  vient  à  la  cure  demander  le  missionnaire  pour  se 
confesser,  et  comme  on  la  priait  de  nommer  celui 
qu'elle  désirait,  elle  répondit  ;  «  C'est  M.  le  professeur 
que  je  demande,  le  plus  grand  »;  c'était  bien  moi. 

La  prière  pour  les  pécheurs  a  été  annoncée  pendant 
huit  jours  par  la  grosse  cloche,  à  8  heures  du  soir;  elle 
a  eu  son  effet,  et  la  semaine  des  Pater  a  été  une  des 
meilleures  pour  les  confessions.  Un  soir,  quelques  femmes 
venant  de  l'exercice,  cheminaient  de  compagnie  vers  leur 
village,  tout  à  coup  la  cloche  de  la  prière  sonne,  nos 
voyageuses  font  leur  dévotion  tout  en  marchant,  mais 
quel  n'est  pas  leur  étonnement  de  voir  à  genoux,  près 
d'une  borne,  un  bon  vieillard  récitant  ses  Pater  avec  un 
enfant  qui  l'accompagnait.  Au  dire  des  bons  habitants, 
on  n'entendait  chaque  soir,  au  retour  de  l'exercice,  que 
de  pieuses  conversations,  et  les  malades  eux-mêmes  qui 
ne  pouvaient  se  rendre  à  l'église,  avaient  de  bous  voisins 


—  496  — 

qui  venaient  fidèlement  leur  faire  le  compte  rendu  des 
bonnes  choses  dites  en  chaire.  Une  petite  fille  malade 
s'excusait  un  jour,  auprès  de  son  confesseur,  de  n'avoir 
pas  pu  venir  la  veille  à  l'exercice,  parce  qu'elle  avait  une 
fièvre  plus  forte  qu'à  l'ordinaire.  Jusqu'alors  elle  n'y 
avait  jamais  manqué  malgré  ses  accès;  sur  l'observation 
du  missionnaire  qui  lui  disait  que  son  état  l'exemptait 
de  se  rendre  de  si  loin,  elle  répond  :  «  Oh  !  mon  Père,  il 
faut  bien  que  je  fasse  un  peu  pénitence.  »  Un  homme 
ayant  rencontré  un  prêtre  d'une  paroisse  voisine,  portant 
le  Saint  Sacrement  à  un  malade,  ne  s'était  pas  décou- 
vert. Le  lendemain  il  est  témoin  de  la  belle  cérémonie 
de  réparation  à  l'Eucharistie,  il  entend  les  paroles  éner- 
giques et  brûlantes  du  R.  P.  Supérieur;  aussitôt,  touché 
par  la  grâce,  il  se  met  à  pleurer,  le  remords  de  sa  faute 
le  poursuit,  et  pour  calmer  sa  conscience,  il  vient  se 
confesser. 

Après  chaque  sermon  ou  avis  du  R.  P.  Supérieur,  on 
pouvait  s'apercevoir,  au  tribunal  de  la  pénitence,  du  bon 
effet  qu'il  avait  produit.  Une  femme  embarrassait  depuis 
longtemps  son  confesseur  en  refusant  de  se  réconcilier 
avec  un  proche  parent  ;  durant  trois  semaines  on  l'avait 
trouvée  intraitable  sur  cet  article.  Un  soir,  elle  entend 
prêcher  le  R.  Père  sur  l'amour  des  ennemis,  et,  le  lende- 
main, cédant  à  l'impulsion  delà  grâce,  elle  vient  déposer 
aux  pieds  de  son  confesseur  ses  bons  désirs  et  ses  pro- 
messes de  réconciliation.  Je  demandais  à  un  brave 
homme  qui  se  confessait  pour  la  seconde  fois,  si  sa 
première  confession  lui  avait  fait  du  bien,  et  s'il  n'était 
pas  bien  aise  d'avoir  rempli  ce  consolant  devoir,  a  Ah  ! 
mon  Père,  me  répondit-il,  je  suis  bien  pauvre,  et  pour- 
tant, on  m'aurait  donné  100  francs  au  sortir  de  ma  con- 
fession, que  je  n'aurais  pas  été  plus  content.  »  Nos  croix 
étaient  considérées  avec  vénération,  et  plus  d'une  lèvre 


—  497  — 

s'est  collée  avec  amour  et  contrition  sur  les  plaies  de 
Notre-Seigneur.  Un  jour  que  je  m'étais  rendu  dans  un 
village  pour  la  visite  des  malades,  une  vieille  femme  me 
pria  d'entrer  chez  elle  pour  voir  son  neveu  infirme.  C'était 
une  pieuse  ruse;  son  neveu  ne  s'était  pas  encore  décidé 
pour  la  confession  et  n'était  pas  malade  de  corps  ;  elle 
voulait  lui  faire  embrasser  ma  croix  :  il  la  baisa  respec- 
tueusement et  m'accompagna  jusqu'à  la  sortie  du  village. 

L'assiduité  que  les  habitants  de  la  paroisse  ont  mise  à 
venir  entendre  la  parole  de  Dieu  étaitvraiment  édifiante. 
Malgré  la  pluie  qui,  durant  le  mois  de  décembre,  tom- 
bait assez  régulièrement  de  jour  à  autre,  ils  se  ren- 
daient souvent  plus  d'une  heure  à  l'avance  pour  avoir 
une  meilleure  place.  On  arrivait  aux  instructions  avec 
parapluies,  lanternes  et  tous  les  objets  nécessaires  pour 
obvier  aux  incommodités  du  temps.  Dimanche,  jour  de 
la  clôture,  M^"  l'archevêque  ayant  chanté  lagrand'messe 
malgré  la  longueur  delà  cérémonie,  plusieurs  personnes 
desvillageslesplus  éloignés  avaientapporté  des  provisions 
afin  de  pouvoir  dîner  dans  le  bourg  même  sans  être  obli- 
gées de  rentrer  chez  elles,  et  immédiatement  après  le 
repas,  elles  se  sont  rendues  à  l'église  pour  garder  leurs 
places,  quoique  les  vêpres  ne  dussent  être  chantées  qu'à 
2  heures  et  demie. 

C'est  ainsi^  Monseigneur  et  très  vénéré  Père,  que  le 
bon  Dieu  et  sa  Sainte  Mère  se  sont  intéressés  pour  ce  cher 
peuple  de  Saint-Estèphe.  Tout  a  réussi  malgré  les  ruses 
du  démon.  Un  prédicateur  socialiste  venu  de  Bordeaux 
les  premiers  jours,  pour  contrebalancer  sans  doute  l'effet 
de  la  mission,  avait  monté  une  espèce  de  club  où  il  pé- 
rorait avec  la  plus  grande  effronterie  ;  nous  n'étions,  à 
l'entendre  dire,  que  des  jésuites  chassés  de  partout,  et 
qui,  manquant  de  ressources,  étaient  venus  exploiter  la 
simplicité  des  gens  du  Médoc.  La  calomnie  a  été  mal  ac- 


cueillie  ;  on  a  préféré  les  missionnaires  chrétiens  au  mis- 
sionnaire démagogue,  et  au  bout  de  trois  jours,  il  est 
parti,  accablé  par  le  poids  du  ridicule  et  du  bon  sens 
populaire.  Nos  braves  gens  ont  fait  justice  de  ses  décla- 
mations et  de  ses  menaces;  il  a  bien  fait  de  partir,  car 
déjà  il  trouvait  dans  son  auditoire  des  opposants  qui  lui 
faisaient  des  objections  un  peu  embarrassantes  pour  son 
mince  esprit. 

Pendant  que  nous  travaillions  à  Saint-Estèphe,  le 
P.  DÉPÉTRO,  de  son  côté,  évangélisait  à  lui  seul  une  autre 
paroisse,  celle  de  Vendais,  la  plus  voisine  de  l'Océan. 
Lui  aussi  a  été  béni  du  bon  Dieu,  et  le  succès  a  couronné 
ses  travaux.  Il  a  commencé  le  même  jour  que  nous  et  a 
fini  quatre  jours  plus  tôt.  Il  avait  affaire  à  une  population 
de  2000  âmes  environ,  et  Monseigneur,  au  terme  du  ju- 
bilé, a  donné  aussi  la  confirmation  dans  cette  paroisse. 
Le  bon  Père  était  entouré  de  gens  plus  pauvres  que  les 
nôtres,  plusieurs  venaient  des  Landes,  montés  sur  leurs 
grandes  échasses  ;  ils  les  déposaient  à  la  porte  de  l'église, 
et  chacun,  en  sortant,  savait  reconnaître  sa  propriété 
respective.  Nous  avons  vu  ce  bon  Frère  à  son  retour  ;  il 
s'est  reposé  un  jour  à  Saint-Estèphe,  et  de  là  s'est  rendu 
à  Loussans,  petite  paroisse  encore  du  Médoc  ;  il  y  restera 
jusqu'au  15.  L'intention  première  du  R.  P.  Supérieur 
était  de  me  laisser  maintenant  à  Saint-Delphin  pour  me 
donner  le  temps  de  préparer  des  instructions  simples 
pour  les  missions,  mais,  depuis  hier,  il  s'est  décidé  à 
m'amener  avec  lui  dans  une  autre  paroisse,  à  Saint- 
Pierre-de-Mont ,  canton  de  Langon  ;  nous  partirons 
samedi  13,  et  nous  en  avons  jusqu'au  premier  de  l'an. 

Les  demandes  ne  manquent  pas  et  nous  avons  suffi- 
samment d'ouvrage  sur  le  chantier,  mais  le  bon  Dieu 
aide  ses  missionnaires  selon  sa  promesse  :  Dominus  dabit 
verbum  evangelizantibus  virtute  multa...,  et  Marie  bénit 


—  499  — 

ses  Oblats,  Depuis  deux  jours,  le  R.  P.  Supérieur  et  moi 
prenons  un  peu  de  repos  à  notre  campagne  de  Saint- 
Delphin,  en  attendant  le  départ  de  samedi.  Le  bon 
F.  Picard  est  avec  nous.  Durant  la  mission,  il  est  resté  chez 
les  Sœurs  de  Saint-Joseph,  où  on  l'a  bien  occupé  et  où 
il  a  su  se  rendre  utile  ;  les  bonnes  Sœurs  lui  ont  appris 
un  peu  de  cuisine  et  hier,  nous  avons  trouvé  son  pre- 
mier dîner  excellent.  Nous  formons  jusqu'à  présent  une 
bien  petite  communauté,  mais  nous  pensons  souvent  à 
la  grande  famille  de  Marseille  et  nous  cherchons  à  imiter 
nos  premiers  Pères,  nos  modèles,  qui  eux  aussi  avaient 
leurs  peines  dans  les  fondations  et  les  œuvres  qu'ils  ont 
entreprises. 

Veuillez,  Monseigneur,  me  pardonner  cette  longue 
lettre.  Les  enfants  aiment  à  raconter  à  leur  père  toutes 
leurs  petites  histoires,  et  je  ne  puis  oublier  que  je  suis 
votre  enfant;  j'en  suis  fier,  Monseigneur,  et  malgré  les 
distances  votre  souvenir  vénéré  se  présente  chaque  jour 
à  mon  esprit  et  fait  battre  mon  cœur.  Je  vous  remercie, 
Monseigneur,  des  pouvoirs  que  vous  m'avez  accordés  au 
sujet  des  indulgences.  Daignez  agréer  ma  reconnais- 
sance, me  garder  toujours  une  place  dans  votre  cœur  de 
père;  c'est  celle  du  dernier-né  que  je  réclame,  je  saurai 
l.'eslimer.  Je  prie  bien  le  R.  P.  Tempier  de  vouloir  m'ex- 
cuser  sur  mon  silence,  à  mon  arrivée  àBordeaux,  je  lui 
aurais  écrit  si  le  R.  P.  Supérieur  ne  s'était  chargé  lui- 
même  d'écrire,  et  si  des  occupations  si  nombreuses  et 
si  nouvelles  pour  moi  n'avaient  exigé  tous  mes  moments. 
Je  le  remercie  bien  de  la  peine  qu'il  s'est  donnée  pour 
moi  et  je  le  prie  d'agréer  mes  respectueux  hommages  ; 
j'en  fais  de  même  pour  nos  bons  Pères  et  je  compte 
beaucoup  sur  les  pieux  souvenirs  et  les  ferventes  prières 
de  nos  chers  Frères. 

Daignez,  Monseigneur,  prier  un  peu  pour  ce  jeune 


—  oOO  — 

prêtre  qui  sort  à  peine  de  l'ordination,  où  vous  l'avez 
consacré  ministre  du  Seigneur  il  n'y  a  pas  encore  trois 
mois,  et  recevoir  l'expression  des  sentiments  de  respect 
filial  et  soumis  de  votre  tout  dévoué  et  afTectueux  enfant 
qui  vous  prie  de  le  bénir. 

Marc  DE  l'Hermite,  prêtre,  o.  m.  i. 


II 

MISSIONS   DE    SAINT-FERMÉ    ET    DE   SAINT-CHRISTOLY. 

Talence,  16  avril  1833. 

Monseigneur  et  vénéré  Père, 

Je  suis  enfin  rentré  dans  ma  cellule  depuis  trois  jours, 
après  deux  nouvelles  missions  données  sans  interrup- 
tion ;  aussi  j'éprouve  le  besoin  de  vous  donner,  selon 
mon  habitude,  quelques  détails  sur  mes  travaux,  et  de 
faire  avec  simplicité  ma  petite  histoire  et  celle  du  P.  Del- 
PEUCH,  mon  compagnon.  Je  sais.  Monseigneur,  que  votre 
cœur  si  paternel  et  si  bon  s'intéresse  aux  moindres  dé- 
tails quand  il  s'agit  de  vos  enfants;  aussi,  jamais  je  ne 
crains  d'être  importun.  Votre  souvenir  me  fortifie  dans 
la  lutte  ;  pourrais-je  ne  pas  vous  dire  les  résultats  de 
mes  essais  dans  la  vie  apostolique,  que  je  m'estime  si 
heureux  d'avoir  entreprise  sous  votre  direction  ?  Comme 
par  le  passé,  je  vais  donc  résumer  ces  deux  dernières 
missions  où  le  bon  Dieu  s'est  manifesté  par  des  signes 
tout  particuliers. 

La  première  mission  a  été  donnée  à  Saint-Fermé,  pa- 
roisse de  1 000  âmes,  dans  l'arrondissement  de  la  Réole. 
Pour  le  P.  Delpeuch  et  pour  moi,  cette  partie  du  diocèse 
était  un  terrain  inexploré.  Or,  dans  ce  Bordelais,  il  y  a 
d'arrondissement  à  arrondissement,  souvent  de  paroisse 
à  paroisse,  des  variantes  des  plus  bizarres,  ce  qui  de- 


—  501  — 

mande  pour  chaque  population  une  étude  nouvelle  de 
l'esprit  et  des  mœurs.  Partout,  sur  notre  route,  on  nous 
disait  que  la  paroisse  où  nous  nous  rendions  était  très 
mauvaise  et,  qu'arrivant  en  plein  carnaval,  nous  trou- 
verions des  difficultés  actuelles  unies  à  des  obstacles 
permanents.  D'un  autre  côté,  nous  savions  que  M.  le 
curé,  après  avoir  compté  longtemps  sur  le  R.  P.  Supé- 
rieur qu'il  connaissait,  souffrait  de  ne  point  le  voir  ve- 
nir, et  nous  nous  demandions  si,  en  additionnant  les 
chiffres  de  nos  deux  âges,  on  pourrait  avoir  pour  pro- 
duit un  missionnaire  complet  et  présentable.  N'importe, 
le  cœur  et  les  bonnes  dispositions  ne  nous  manquaient 
pas.  Dès  le  premier  jour,  nous  avons  abordé  vivement 
notre  peuple,  dur  dans  ses  formules,  défiant  dans  ses 
allures,  grossier  dans  son  langage  et  ses  mœurs.  Pendant 
six  semaines,  nous  l'avons  évangélisé  dans  une  vaste 
église,  vraie  cathédrale,  anciennement  dépendante  d'une 
abbaye  de  Bénédictins  établis  dans  le  pays.  Constam- 
ment, nos  gens  nous  ont  tenus  sur  le  qui-vive  et  éton- 
nés par  des  surprises  en  tous  genres.  Là,  rien  de  fixe  ; 
aujourd'hui  foule  à  l'église,  demain  presque  personne, 
sans  que  rien  puisse  nous  faire  augurer  l'affluence  ou 
la  désertion.  Il  a  fallu  employer  tous  les  moyens  pour 
allécher  ces  barbares  enfants,  prévenus  contre  les  prê- 
tres et  nourris  des  préjugés  les  plus  invétérés  et  les  plus 
fâcheux  contre  la  religion.  Avant  de  convertir  ces  êtres 
rustiques,  il  a  fallu  les  civiliser  et  faire  leur  éducation. 
A  force  de  soins  et  de  leçons,  nous  avions  fini  par  les 
policer  et  leur  donner  presque  de  l'esprit;  mais  que 
d'efforts  en  tous  genres  ont  préludé  à  cette  réaction  !  Que 
de  courses  dans  des  chemins  affreux,  et  à  des  distances 
encore  inconnues  pour  nous  !  Dans  ces  contrées,  point 
d'agglomération  qui  puisse  rendre  les  visites  faciles;  les 
maisons  sont  espacées  de  loin  en  loin  et,  pour  voir  tout 

T.  XXXV.  34 


I 


~  302  — 

notre  monde,  nous  avons  dû  décrire  plus  d'une  courbe 
et  ramasser  pour  nos  soutanes  des  amas  de  boue,  pré- 
curseurs et  figures  des  iniquités  du  peuple.  Nous  étions 
vraiment  beaux  avoir,  armés  de  nos  bâtons  ferrés  selon 
l'usage  de  la  localité,  parcourant  en  tous  sens  et  sépa- 
rément, pour  ne  rien  omettre,  les  coteaux  boueux  et 
glissants,  les  chemins  perdus,  entrant  dans  chaque  ca- 
bane isolée.  Volontiers,  nous  nous  serions  crus  un  mo- 
ment loin  de  tout  peuple  civilisé,  chez  des  nations  sau- 
vages. A  force  d'eiforts,  nous  avons  réussi  à  faire  aimer 
la  robe  noire  et  l'église  ;  quand  ce  peuple,  prévenu,  a  été 
bien  convaincu  que  l'intérêt  n'était  pour  rien  dans  notre 
zèle,  et  que  nous  n'ambitionnions  que  les  âmes,  volon- 
tiers il  s'est  abandonné  aux  deux  jeunes  missionnaires. 
Aussi,  plus  la  préparation  a  été  longue  et  pénible,  plus 
le  retour  de  nos  pauvres  gens  a  été  sincère  et  touchant. 
Le  soir,  dans  notre  vaste  église  où  notre  auditoire  se 
pressait  pour  ne  pas  avoir  froid,  notre  voix  retentissait 
avec  force;  nos  figures  maigres  et  allongées  inspiraient 
une  sainte  compassion  ;  notre  air  résolu  en  imposait, 
car  nous  agissions  et  parlions  tanquam  potestatem  ha- 
bentes,  pour  racheter  le  bénéfice  de  notre  jeunesse.  Il  a 
fallu  attaquer  avec  énergie  les  matières  les  plus  ardues, 
s'en  prendre  aux  objections  les  plus  populaires  et  les 
plus  impies  pour  en  faire  justice.  Le  P.  Delpeuch  était 
chargé  des  conférences,  et  savait  pulvériser,  d'une  ma- 
nière originale  et  sérieuse  tout  à  la  fois,  les  préjugés  de 
l'endroit.  De  sa  voix  forte,  tranchant  du  Combalot,  il  par- 
lait avec  l'autorité  d'un  apôtre  et  la  puissance  d'un  tri- 
bun. Aussi  a-t-il  ramené  grand  nombre  de  ces  braves 
paysans,  que  ses  allures  franches  et  ouvertes,  sa  parole 
énergique  et  sans  détour,  ont  séduits.  Pour  moi,  dans 
mes  avis,  je  me  permettais  parfois  de  détruire,  par  quel- 
ques saillies  un  peu  spirituelles,  certains  prétextes  ridi- 


—  503  — 

cules  ou  certaines  difficultés  du  pays;  parfois,  je  répan- 
dais un  peu  de  sel  attique  sur  ces  esprits  lourds,  et  je 
voyais  ces  figures,  impassibles  et  de  pierre  ordinaire- 
ment, s'épanouir  de  satisfaction  et  approuver  mes  pa- 
roles. Ce  plan  de  bataille  nous  a  parfaitement  réussi.  On 
nous  regardait  comme  des  marcheurs  redoutables, 
comme  des  hommes  à  la  langue  bien  pendue  et  comme 
d'infatigables  travailleurs  ;  et  grâce  au  bon  Dieu,  un 
ébranlement  général  a  succédé  subitement  à  cette  fer- 
mentation intérieure  que  nous  avions  ménagée  dès  le 
principe.  La  population  a  mordu  à  l'hameçon  ;  nos 
gens,  autrefois  ennemis  des  prêtres  et  de  la  religion,  se 
sont  assouplis  sous  le  joug  évangélique,  et  à  la  fin  de  la 
sixième  semaine,  la  table  sainte  a  été  remplie  de  con- 
vertis. Entre  autres  choses  consolantes,  j'ai  reçu  l'abju- 
ration d'une  jeune  protestante,  domestique  dans  une  des 
bonnes  maisons  de  la  paroisse.  Son  âme  était  disposée 
d'avance  par  les  soins  de  sa  maîtresse;  je  n'ai  eu  qu'à 
recueillir  ce  que  d'autres  avaient  semé,  à  baptiser  sous 
condition  et  recevoir  dans  le  sein  de  l'Eglise  catholique 
cette  enfant  bien  instruite  de  la  religion,  et  maintenant 
fervente  catholique. 

Le  P.  Delpeuch  était  surtout  l'homme  des  hommes,  et 
savait  fort  bien  les  prendre.  Il  a  confessé  M.  le  maire, 
que  nous  savions,  par  son  propre  aveu  en  conversation, 
ne  s'être  pas  confessé  depuis  vingt-quatre  ans.  Ce  brave 
monsieur  n'a  pas  manqué  une  instruction  et  a  édifié  tout 
le  monde  par  ses  exemples.  Après  sa  première  confes- 
sion, il  voulut  sortir  de  l'église  avec  le  P.  Delpeuch,  et 
se  promener  avec  lui  un  instant  sur  la  place, pour  prou- 
ver à  tous  les  gens  du  bourg  l'acte  qu'il  venait  de  faire 
et  combien  peu  le  respect  humain  l'arrêtait.  Le  retour  de 
cet  homme  a  été  une  belle  conversion  et  qui,  je  le  crois, 
portera  des  fruits  durables,  car  elle   a  été  le  résultat 


—  504  — 

d'une  lutte  intérieure  un  peu  longue  et  d'une  convic- 
tion arrêtée.  Dans  cette  mission,  nous  avons  aussi  réha- 
bilité plusieurs  mariages,  ainsi  qu'il  nous  arrive  par- 
tout; je  ne  vous  dirai  pas  toutes  les  courses  et  toutes  les 
peines  que  le  P.  Delpeuch  a  été  obligé  de  s'imposer  pour 
obtenir  de  ces  êtres  dégradés  de  faire  bénir  leur  union 
à  l'église.  La  mission  s'est  terminée  par  l'érection  d'un 
chemin  de  la  croix,  dont  nous  avons  orné  les  murs  dé- 
pouillés de  notre  spacieuse  église.  Au  dernier  jour,  nous 
avons  vu  notre  auditoire  fondre  en  larmes,  tellement  on 
avait  appris  à  nous  aimer  et  à  nous  environner  de  con- 
fiance. Ce  peuple  nous  avait  coûté  cher  ;  une  mère  aime 
toujours  de  préférence  l'enfant  qui  lui  a  coûté  de  plus 
vives  sollicitudes;  or,  à  Saint -Fermé,  nous  avions 
éprouvé  toutes  les  angoisses  d'une  maternité  doulou- 
reuse ;  il  n'était  pas  étonnant  qu'on  nous  eût  voué  tant 
d'affection  en  échange. 

M,  le  sous-préfet  de  la  Réole,  homme  religieux,  a 
passé  deux  jours  à  Saint-Fermé,  à  la  fin  de  la  mission. 
Il  était  en  tournée  pour  le  tirage  et  s'était  arrêté  chez 
une  dame  du  bourg,  sa  tante.  Il  a  bien  voulu  assister, 
le  soir,  à  noire  exercice.  Après  avoir  été  témoin  de 
l'affluence,  de  l'attention  et  des  conversions  de  nos 
gens,  il  n'a  pu  s'empêcher  de  nous  en  témoigner  sa 
satisfaction,  et  nous  a  remerciés  poliment  d'avoir  fait 
tant  de  bien  à  une  commune  du  ressort  de  sa  sous-pré- 
fecture, commune  qu'il  estimait,  nous  a-t-il  avoué  fran- 
chement, comme  la  plus  mauvaise  du  département  et 
la  plus  démoralisée  par  les  idées  socialistes.  «  Aussi,  mes 
Pères,  a-t-il  ajouté,  je  sais  maintenant  que  vous  savez 
soulever  des  montagnes.  »  Hélas  !  ce  n'est  pas  nous  qui 
avons  fait  tout  ce  bien  ;  Dieu  nous  l'a  bien  prouvé  en  se 
jouant  de  tous  nos  calculs,  et  nous  accordant  des  con- 
versions inattendues  et  dont  nous  semblions  désespérer. 


—  505  •- 

Immédiatement  après  cette  mission,  nousnous  sommes 
rendus  à  Saint-Christoly,  à  3  lieues  de  Blaye,  pour  en 
commencer  une  autre.  Après  avoir  embrassé  en  passant 
et  à  la  hâte  le  R.  P.  Vincens  à  Cadillac,  nous  nous  sommes 
acheminés  vers  une  contrée  nouvelle.  On  ne  nous  don- 
nait que  trois  semaines  pour  préparer  cette  paroisse  de 
plus  de  1  900  âmes  à  la  visite  de  Son  Éminence  et  à  la 
confirmation.  Nous  arrivons  pour  le  dimanche  de  la 
Passion,  en  plein  temps  pascal.  Immédiatement  nous 
nous  mettons  à  l'œuvre,  et  malgré  les  confessions  et  pré- 
dications, nous  trouvons  encore  moyen  de  faire,  comme 
à  Saint-Fermé,  une  visite  générale  de  la  paroisse.  Là 
nous  avions  affaire  à  des  gens  d'un  autre  tempérament 
que  ceux  de  Saint-Fermé  :  population  brillante,  légère, 
pleine  de  cœur,  mais  ignorante  au  plus  haut  point, 
indifférente ,  terrestre  et  peu  scrupuleuse  comme 
en  général  toutes  les  contrées  du  Blayais,  au  sujet  des 
commandements  les  plus  impérieux  de  Dieu  et  de 
l'Eglise.  Dans  cette  paroisse,  la  mission  a  été  bientôt 
populaire  et  les  missionnaires  ont  été  bientôt  chéris. 
M.  le  curé,  à  notre  arrivée,  comptait  sur  200  confirmants 
au  plus,  et  nous  lui  en  avons  déniché  et  décidé  220  de 
plus,  en  sorte  que  Ms''  de  Bordeaux  a  donné  la  confir- 
mation à  420  personnes,  bien  que  sa  dernière  visite  dans 
cette  paroisse  ne  datât  que  de  sept  ans.  Mais  aussi  quel 
beau  spectacle  de  voir  tant  d'adultes  agenouillés  dans 
l'église,  à  leur  rang,  pour  recevoir  l'onction  sainte!  Que 
de  vieillards,  que  de  vieilles  mères  étaient  en  ce  beau 
jour  confondus  avec  leurs  enfants.  L'adjoint  de  l'en- 
droit, bon  vieillard  et  ancien  soldat,  marchait  en  tête 
du  bataillon  des  confirmants.  Le  chiffre  des  communions 
a  été  plus  que  double  de  celui  des  confirmations. 

Nous  avons  eu  dans  cette  mission  deux  conversions 
consolantes  qui  nous  ont  prouvé  d'une  manière  évidente 


—  506  — 

combien  les  touches  de  la  grâce  sont  secrètes  et  puis- 
santes. Tout  marchait  à  merveille,  et  nous  rendions 
grâces  au  Seigneur  du  succès  de  son  œuvre,  car  l'ébran- 
lement était  presque  général.  Cependant  les  deux  hommes 
les  plus  importants  de  l'endroit,  M.  le  maire,  notaire, 
homme  à  bonne  éducation,  et  l'officier  de  santé,  son  beau- 
frère,  gros  papa  et  bon  vivant,  ne  parlaient  pas  de  se 
confesser.  La  bourgeoisie  inférieure  s'était  rendue  ;  eux 
seuls  semblaient  devoir  nous  faire  défaut.  L'un  et 
l'autre  étaient  assidus  aux  exercices,  nous  témoignaient 
le  plus  grand  respect,  nous  rendaient  même  des  visites, 
mais  c'était  tout.  Un  jour,  le  P.  Delpeuch  et  moi  nous 
causions  dans  le  jardin  de  la  cure  de  ces  deux  hommes, 
et  d'un  consentement  unanime,  nous  déclarions  que  pour 
eux  la  mission  passerait  sans  porter  de  fruits;  nous  dé- 
sespérions et  nous  faisions  le  sacrifice  de  nos  matadors, 
lorsque  nos  deux  hommes  nous  arrivent  à  ['improviste, 
comme  pour  nous  prouver  que  nous  avons  tort  d'ap- 
préhender, et  que  la  grâce  se  rit  des  calculs  humains. 
Ail  heures,  le  gros  médecin,  tourmenté  depuis  long- 
temps par  sa  pieuse  femme,  se  présente  tout  ému  au 
P.  Delpeuch;  à  1  heure,  le  maire  qui  m'avait  fait  de- 
mander mon  heure,  m'arrive.  Ni  l'un  ni  l'autre  ne 
s'étaient  donné  le  mot,  et  le  même  jour,  ces  fiers  Si- 
cambres  courbent  la  tête  devant  deux  jeunes  mission- 
naires. C'était  le  1"  avril,  jugez,  Monseigneur,  si  ces 
deux  poissons  arrivaient  bien  à  point  nommé.  Le  jour 
de  la  communion,  on  vit  le  maire  et  l'adjoint  s'ache- 
miner les  premiers  à  la  table  sainte,  l'écharpe  nationale 
au  côté  et  suivis  du  gros  officier  de  santé.  Ce  brave 
homme  se  mit  aussi  sur  les  rangs  de  la  confirmation,  car 
son  front  chauve  n'avait  point  encore  reçu  l'onction  qui 
fait  les  parfaits  chrétiens.  Son  Éminence  parut  très  sa- 
tisfaite des  résultats  de  notre  mission.  Aussi,  d'après  son 


—  507  — 

désir  et  celui  de  M.  le  curé,  nous  sommes  encore  restés 
huit  jours  à  Saint-Christoly  ;  par  prévoyance,  nous  nous 
étions  déjà  munis  de  l'autorisation  du  R.  P.  Supérieur 
pour  cette  prolongation. 

Plusieurs  adultes  ont  fait  leur  première  communion 
dans  cette  mission  ;  tous  les  soirs,  le  P.  Delpeuch  leur 
faisait  un  catéchisme  préparatoire  et  spécial  ;  plusieurs 
unions  purement  civiles  ont  été  hénies  à  l'église  ;  car, 
dans  ce  diocèse,  les  premières  communions  en  retard  et 
les  unions  civiles  sont  deux  fléaux  que  nous  rencontrons 
dans  toutes  les  paroisses.  L'ignorance  et  le  manque  de 
foi  sont  la  cause  de  ces  désordres.  Ayant  remarqué,  à 
Saint-Christoly,  une  ignorance  profonde  de  la  religion 
parmi  les  personnes  âgées  et  tout  ce  qui  n'avait  pas  passé 
par  les  mains  du  vertueux  pasteur,  établi  là  depuis  qua- 
torze ans,  nous  avons  voulu  porter  remède  au  mal.  Tous 
les  soirs  avant  mes  avis,  je  lisais  un  petit  abrégé  de  la 
Foi,  et  dans  nos  instructions,  dans  nos  conversations, 
partout,  nous  intercalions  les  choses  de  nécessité   de 
moyen;  quelquefois,  avant  de  donner  l'absolution  à  des 
femmes,  bien  disposées,  du  reste,  mais  peu  instruites, 
nous  les  envoyions  aux  Sœurs  de  l'école,  qui,  en  quel- 
ques minutes,  leur  mettaient  dans  la  tête  un  abrégé  du 
catéchisme.  J'ai  été  même  jusqu'à  ordonner,  du  haut  de 
la  chaire,  une  lecture  publique  de  certains  chapitres  du 
catéchisme  dans  les  familles,  au  sortir  de  l'exercice.  Nos 
braves  gens,  loin  de  se  choquer  de  cette  prescription,  s'y 
sont  soumis  avec  la  plus  grande  docilité  ;  c'était  vrai- 
ment édifiant,  que  cette  étude  domestique  de  la  religion. 
Il  est  vrai  que,  pour  ne  pas  manquer  mon  coup,  j'avais 
eu  soin  de  dorer  la  pilule  et  de  faire  accepter  le  remède 
avec  le  morceau  de  sucre.  Je  vous  assure  que  c'était  un 
plaisir  de  voir  nos  gens  écouter  les  explications  fami- 
lières et  élémentaires  que  nous  leur  donnions  dans  nos 


—  308  — 

instructions  ou  avis,  sans  pourtant  avoir  l'air  d'y  toucher. 

Voilà,  Monseigneur  et  vénéré  Père,  un  court  résumé 
de  nos  deux  missions.  Elles  nous  ont  été  utiles  à  tous 
deux  et  nous  ont,  plus  que  jamais,  fait  apprécier  le  bon- 
heur de  notre  vocation  et  l'immense  étendue  des  bontés 
de  Dieu.  Nous  voici  maintenant  installés  à  Talence,  et 
tous  réunis  en  famille.  Nous  pensons  à  notre  mois  de 
mai  qui  promet  d'être  splendide  à  Notre-Dame  de  Ta- 
lence. Le  R.  P.  Supérieur  déploie  une  activité  étonnante, 
s'occupe  de  tout,  veille  à  tout,  trouve  moyen  de  tout 
faire  marcher  à  la  fois.  On  nous  a  dressé  pour  tous  des 
confessionnaux,  et  les  pratiques  ne  manqueront  pas  dans 
quelques  jours.  Notre  local  est  un  peu  étroit,  mais  il 
faut  bien  cette  petite  compensation  pour  la  nouvelle  fa- 
veur que  la  Sainte  Vierge  nous  a  procurée  en  nous  appe- 
lant près  d'elle.  Pour  moi,  je  loge,  pendant  le  jour,  ainsi 
que  le  P.  Delpeuch,  au-dessus  de  la  sacristie  ;  nous  avons 
chacun  notre  appartement  séparé  ;  le  local  est  suffisam- 
ment grand,  pendant  la  nuit  nous  avons  chacun  un  petit 
coin  au  presbytère.  Nous  voilà  rendus  à  la  cellule,  au 
travail,  à  la  prière,  heureux  et  disposés  à  faire  tous  nos 
efforts  pour  être  de  bons  religieux  et  de  bons  mission- 
naires. Dès  ce  soir,  je  rentre  en  possession  de  ma  fonc- 
tion de  confesseur  au  refuge,  et  j'espère  que  Dieu  m'ai- 
dera comme  par  le  passé.  Votre  souvenir  fait  notre  force 
à  tous,  Monseigneur;  le  courage  que  Dieu  nous  accorde, 
il  nous  l'a  donné  par  vous  ;  aussi,  dans  nos  conversations 
intime,  votre  nom  vénéré  et  vos  douces  leçons  revien- 
nent souvent  ;  c'est  pour  nous  une  de  nos  grandes  joies 
de  pouvoir  nous  dire  vos  enfants. 

Veuillez  agréer,  Monseigneur  et  vénéré  Père,  l'expres- 
sion des  sentiments  de  profond  respect  de  votre  tout  dé- 
voué et  obéissant  fils. 

Marc  DE  L'Hermite,  o.  m.  i. 


NOUVELLES  DIVERSES 


Le  R.  P.  Augier  Gassien,  assistant  général,  visiteur  de 
nos  Missions  de  Geylan  et  d'Australie,  est  débarqué  à 
Marseille  le  13  septembre  et  rentré  à  Paris  le  19.  La 
Providence  l'amenait  au  chevet  du  bon  P.  Général  juste 
à  temps  pour  donner  à  ce  vénéré  Père  les  consolations 
que  devaient  lui  causer  les  nouvelles  apportées  de 
Geylan. 

—  Par  un  décret  de  la  Sacrée  Congrégation  de  la 
Propagande,  à  la  date  du  24  août  1897,  le  R.  P.  Jules 
Gênez  a  été  nommé  Préfet  apostolique  du  Basutoland. 

—  M^'  Langevin,  archevêque  de  Saint-Boniface,  a  été 
gravement  malade  d'une  attaque  de  fièvre  typhoïde  ;  il 
est  aujourd'hui  complètement  revenu  à  la  santé. 

—  La  maison  générale  a  reçu,  dans  le  courant  d'oc- 
tobre, la  visite  de  S.  Gr.  M^''  Brucbesi,  archevêque  de 
Montréal.  L'éminent  et  sympathique  prélat  avait  bien 
voulu  s'asseoir  à  notre  table  avant  son  départ  pour 
Rome. 

—  Avant  de  reprendre  la  route  de  Golombo,  S.  Gr. 
Ms'"  Mélizan  a  eu  la  joie  d'ordonner  prêtre  son  frère 
aîné,  le  R.  P.  Vincent  Mélizan,  ancien  zouave  ponti- 
fical. Gette  touchante  cérémonie  a  eu  lieu  à  Notre-Dame 
des  Lumières,  aux  quatre-temps  de  septembre.  Mon- 
seigneur était  assisté  par  deux  de  ses  frères,  l'un  et 
l'autre  de  l'Ordre  de  Saint-Dominique;  l'un,  de  rési- 


—  510  — 

dence  à  Toulouse  ;  l'autre,  missionnaire  au  Brésil.  «  Vrai- 
ment, disait  ensuite  Monseigneur,  Dieu  m'a  donné  au- 
jourd'hui le  pouvoir  d'opérer  un  miracle,  puisque,  par 
l'ordination  que  je  viens  de  faire,  je  suis  devenu  le  père 
de  mon  frère  aîné,  que  je  regardais  comme  un  père.  » 

Quelques  jours  plus  tard,  le  26  septembre,  Sa  Grandeur 
s'embarquait  à  Marseille.  Elle  arrivait  à  Colombo,  après 
dix-huit  jours  de  traversée,  le  13  octobre.  La  santé  du 
vénéré  prélat  ne  s'était  pas  ressentie  des  fatigues  du 
voyage. 

— •  Consécration  de  l'église  Saint-Lambert, —  Au  mois 
de  septembre  a  été  consacrée  la  chapelle  du  scolasticat 
de  Liège.  Durant  une  octave  solennelle,  des  foules  pieuses 
sont  venues  prier  dans  la  nouvelle  église,  placée,  comme 
on  le  sait,  sous  le  patronage  de  saint  Lambert  et  desti- 
née à  devenir  un  foyer  de  dévotion  envers  le  glorieux 
patron  de  Liège.  Des  prédicateurs  distingués,  choisis, 
par  une  pensée  heureuse,  dans  les  diverses  catégories  du 
clergé  séculier  et  régulier,  ont  célébré  à  tour  de  rôle  le 
nom  de  saint  Lambert.  Les  fêtes  de  la  consécration  elle- 
même  furent  présidées  par  S.  Gr.  Me""  l'évêque  de  Liège, 
toujours  bienveillant  et  paternel  pour  notre  famille  reli- 
gieuse. 

Notre  bon  P.  Général  s'était  fait  d'avance  une  joie 
d'assister  à  cette  cérémonie.  Il  y  prit  part  de  sa  chambre 
de  malade;  il  fut  remplacé  par  le  R.  P.  Antoine. 

—  Retraites  pastorales.  —  LeR.  P.  Rey,  supérieur 
de  Notre-Dame  dePontmain,  a  prêché  les  deux  retraites 
pastorales  du  diocèse  de  Rayonne  ; 

Le  R.  P.  Lemius,  Supérieur  des  Chapelains  du  Sacré- 
Cœur  à  Montmartre,  celles  du  diocèse  de  Quimper  ; 

Le  R.  P.  luNGBLUTH,  Supérieur  de  Saint- Andelain,  celles 
de  l'archidiocèse  d'Auch. 


—  su  — 

Le  R,  P.  Albertini  a  donné  les  mêmes  exercices  aux 
prêtres  de  langue  italienne  du  diocèse  de  Marseille. 

—  Distribution  des  prix  a  l'Université  grégorienne. — 
Voici  la  part  de  succès  obtenue  par  nos  scolastiques  de 
Rome  aux  examens  et  aux  concours  de  l'année  scolaire 
1896-1897: 

Grades  ;  41.  —  2  docteurs,  8  licenciésj  11  bacheliers  en  théologie; 
5  docteurs,  3  licenciés,  Il  bacheliers  en  philosophie,  1  bachelier  en 
droit  canou. 

Prix  :  31.  —  1  second  prix  (ex  œquo)  d'Écriture  sainte;  l  premier 
prix  de  théologie  dogmalique,  cours  du  matin;  1  second  prix  (eœ 
œquo)  de  théologie  dogmatique,  cours  du  matin;  1  premier  prix 
{ex  œquo)  de  théologie  dogmatique,  cours  du  soir;  1  second  prix  {ex 
œquo)  de  théologie  dogmatique,  cours  du  soir  ;  2  premiers  prix 
{ex  œquo)  de  théologie  dogmatique,  cours  du  matin,  première  an- 
née ;  1  second  prix  {ex  œquo)  de  théologie  dogmatique,  cours  du 
soir,  première  année;  1  prix  de  langue  araméenne  ;  4  seconds  prix 
{ex  œquo)  d'histoire  ecclésiastique;  2  premiers  prix  {ex  œquo)  d'ins- 
titutions canoniques;  1  second  prix  {ex  œquo)  d'institutions  canoni- 
ques; 2  seconds  prix  {ex  œquo)  de  métapliysique,  troisième  année; 

1  premier  prix  {ex  œquo)  d'astronomie  ;  2  seconds  prix  {ex  œquo) 
d'astronomie;  1  premier  prix  d'éthique  et  de  droit  naturel;  3  se- 
conds prix  {ex  œquo)  d'éthique  et  de  droit  naturel;  1  premier  prix 
de  métaphysique,  deuxième  année;  1  premier  prix  {ex  œquo)  de 
physique-chimie;   1    second   prix   {ex   œquo)  de    physique-chimie; 

2  seconds  prix  {ex  œquo)  de  mathématiques  élémentaires  ;  1  troi- 
sième prix  {ex  œquo)  de  l'Académie  de  Saint-Thomas. 

A  ces  prix  s'ajoulent  30  accessits,  22  mentions  très  honorables,  et 
20  mentions  honorables.  Total  :  103  nominations. 

Après  notre  scolasticat,les  deux  collèges  les  plus  cou- 
ronnés ont  obtenu  l'un  16  prix,  l'autre  12. 

—  DÉPARTS  DE  missionnaires.  —  Voici  les  obédiences 
données  aux  nouveaux  prêtres  dans  le  cours  de  l'an- 
née 1897  ; 

1°  Pour  le  scolasticat  d'Ottawa  :  le  R.  P.  Perdereau, 
François,  du  diocèse  de  Laval.  —  Pour  le  scolasticat  de 
Liège  :  les  RR.  PP.  Lévêque,  Victor,  du  diocèse  de 
Strasbourg,  et  Coste,  Adolphe,  du  diocèse  de  Viviers. 


—  Pour  lescolasticat  deHiinfeld  ileR.P.FniEs,  Jacques, 
du  diocèse  de  Strasbourg. 

2°  Pour  la  première  province  de  France  :  les  RR. 
PP.  Chaudesaigues,  Joseph,  du  diocèse  de  Mende  ;  Tré- 
BUCHET,  Vincent,  du  diocèse  de  Valence;  Jullien  ,  Au- 
guste, du  diocèse  de  Grenoble  ;  Buffier,  Jean-Louis,  du 
diocèse  de  Mende;  Capuano,  Antoine,  du  diocèse  de  Lu- 
cera  (Italie)  ;  Destro,  Gaétan,  du  diocèse  de  Pati  (Italie). 
3°  Pour  la  deuxième  province  de  France  :  les  RR. 
PP.  GuLLiENT,  Louis,  du  diocèse  de  Laval;  Pierrat, 
Abel-Prix,  du  diocèse  de  Saint-Dié;  Le  Vacon,  Constant, 
du  diocèse  de  Saint-Brieuc  ;  Peskexs,  Godefroy,  du 
diocèse  de  Bois-le-Duc;  Guéret,  Paul,  du  diocèse  de 
Bayeux;  Vandeberg,  Henri,  du  diocèse  de  Ruremonde  ; 
Vasseur,  Alphonse,  du  diocèse  d'Arras  ;  Duval,  Théo- 
dore, du  diocèse  de  Laval. 

4"  Pour  la  province  du  Canada  :  les  RR.  PP.  Beaupré, 
Louis,  du  diocèse  de  Québec;  Gagné,  Philias,  du  diocèse 
de  Québec;  Bernier,  Pierre,  du  diocèse  de  Montréal. 

5°  Pour  la  province  Britannique  :  les  RR.PP.  O'Brien, 
Michel,  du  diocèse  de  Westminster;  Maher,  Joseph,  du 
diocèse  de  Dublin  ;  Leahy,  Thomas,  du  diocèse  de  Dublin. 
6°  Pour  la  province  des  Étals-Unis  :  les.RR.  PP.  Sloan, 
Charles,  du  diocèse  de  Kingston;  Daveluy,  Charles,  du 
diocèse  de  Saint-Hyacinthe;  Fletcher,  Antony,  du  dio- 
cèse de  Piltsburg. 

7"  Pour  la  province  d'Allemagne:  les  IIR.  PP.  Hayen, 
Jean-Baptiste,  du  diocèse  de  Metz;  Scbuchart,  Edouard, 
du  diocèse  de  Paderborn;  Doetzer,  Jean-Baptiste,  du 
diocèse  de  Bamberg. 

8»  Pour  le  vicariat  de  Saint-Boniface  (Amérique  du 
Nord)  :  les  RR.  PP.  Giroux,  Henri,  du  diocèse  de  Saint- 
Hyacinthe  ;  Thibodeau,  Joseph,  du  diocèse  de  Montréal. 
9"  Pour  le  vicariat  d'Athabaskaw-Mackenzie  (Amé- 


—  513  — 

rique  du  Nord)  :  le  R.  P.  Conan,  Pierre,  du  diocèse  de 
Quimper. 

10"  Pour  le  vicariat  de  Colombo  (  Ceylan  )  :  avec 
M»""  Mélizan  et  le  P.  Davy,  Adolphe,  du  diocèse  d'An- 
gers, les  RR.  PP.  Gabriel,  Léon,  du  diocèse  de  Metz  ; 
PARIS;,  Jacques,  du  diocèse  de  Chambéry,  et  le  R.  P.  Guil- 
laume, prêtre  novice  du  diocèse  de  Clermont. 

{\°  Pour  le  vicariat  de  Natal,  le  R.  P.  Coupé,  Pierre, 
du  diocèse  de  Paris. 

12°  Pour  la  préfecture  apostolique  du  Transvaal  (Afri- 
que du  Sud)  :  avec  le  R.  P.  Baudry,  du  diocèse  d'An- 
gers, les  RR.  PP.  Marchal,  Léon,  du  diocèse  de  Nancy, 
Valette,  Casimir-Paul,  du  diocèse  de  Viviers. 

13°  Pour  la  préfecture  apostolique  du  Basutoland 
(Afrique  du  Sud):  les  RR.PP.  PuiLipPE,Léon,du  diocèse 
d'Annecy  ;DerrieNxNIg,  Emile,  du  diocèse  deSaint-Brieuc. 

14°  Pour  la  préfecture  delà  Cimbébasie  :  le  R.  P.Kie- 
GER,  Jean,  du  diocèse  de  Strasbourg  :  les  FF.  convers 
Pawolleck,  Michel,  du  diocèse  de  Breslau,  et  Zeuber,  du 
même  diocèse. 

Avec  nos  missionnaires  d'Afrique,  se  sont  embarquées 
pour  la  même  destination,  les  Sœurs  :  M.  du  Rosaire 
(Van  den  Hante);  M. -Alphonse  (Walsh);  Saint-Bernar- 
din (Lemonnier)  ;  M.-Gélestine  (Mac  Greevy)  ;  M. -Adèle 
(Blackwood)  ;  Saint-Charles  (Bûngras)  ;  Saint-Justin 
(Dette);  M.-Ephrem  (Bachmann)  ;  Madeleine  (Rieger); 
Saint-Aidan  (Pitzpatrick)  ;  M.-Aiexis(Nolan)  ;M.-Cyprien 
(Gournan)  ;  Saint-Léopold  (Malewski). 

Ces  Sœurs  missionnaires  apparliennentà  la  Congréga- 
tion de  la  Sainte-Famille  de  Bordeaux. 

Trois  Sœurs  de  la  même  Congrégation  se  sont  embar- 
qrées  pour  nos  missions  de  Ceylan,  les  Sœurs  :  Anastasia 
(Shipman);  Sainte -Émérence  (Navet);  Saint -Michaël 
(Bedford). 


NÉCROLOGIE 


M,  Payan  d'Augery.  —  Le  diocèse  de  Marseille  vient 
de  perdre  un  de  ses  prêtres  les  plus  distingués,  les  plus 
aimables  et  les  plus  actifs,  M.  l'abbé  Payan  d'Augery, 
vicaire  général  et  supérieur  d'un  grand  nombre  d'œu- 
vres.  Nous  demandons  à  nos  lecteurs  une  prière  pour  le 
repos  de  l'âme  de  ce  saint  prêtre,  qui  avait  conservé 
pour  notre  vénéré  Fondateur  une  vénération  religieuse 
et  filiale.  C'est  de  lui  qu'il  est  question  dans  ce  trait 
que  raconte  l'historien  de  M^''  de  Mazexod  : 

«  Une  année,  c'était  vers  la  fm  de  son  épiscopat,  vive- 
ment sollicité  par  un  père  de  famille  de  consentir,  en 
faveur  de  son  fils,  à  un  éloignement  momentané  du  dio- 
cèse, le  vénérable  évêque  de  Marseille  ne  lui  dissimula 
pas  combien  celte  demande  le  contrariait.  Les  seuls 
motifs  allégués  étant  la  santé  altérée  du  jeune  homme 
et  l'installation  peu  confortable  du  séminaire,  «  J'irai 
«  moi-même,  répondit-il,  visiter  sa  chambre  et  y  faire 
«  installer  un  poêle.  »  Comme  le  visiteur  insistait,  ajou- 
tant que  la  table  était  trop  austèrement  servie  :  «  Eh 
«  bien,  lui  répliqua  le  prélat,  vous  ne  pouvez  me  refu- 
«  ser  cela,  je  le  prendrai  à  ma  table.  »  L'insistance  du 
père  triompha  néanmoins  de  la  volonté  de  l'évêque.  » 
«  Allez  à  Saint-Sulpice,  dit-il  au  jeune  homme  ;  je  suis 
«  heureux,  au  milieu  de  la  tristesse  de  vous  perdre,  de 
«  songer  que  vous  serez  formé  par  mes  maîtres  d'autre- 
«  fois  ;  mais  sachez  que,  fallût-il  me  faire  soutenir  les 
a  bras  par  d'autres,  car  je  commence  à  vieillir,  nul  que 
«  moi  ne  vous  conférera  le  sacerdoce.  » 


—  516  — 

Peu  de  jours  avant  l'attaque  du  mal  qui  l'a  terrassé, 
M.  Payan  d'Augery  avait  écrit  au  R.  P.  Gigaud,  supé- 
rieur de  Notre-Dame  de  la  Garde,  pour  lui  dire,  en 
termes  pleins  de  délicatesse,  la  part  qu'il  prenait  à  notre 
deuil  de  famille.  Qui  eût  pensé  que,  cinq  jours  après,  il 
suivrait  dans  la  tombe  le  Père  que  nous  pleurons?  Nés- 
citis  diem,  neque  koram. 

—  M""^  Barbedette,  l'heureuse  mère  des  deux  voyants 
de  la  Vierge  de  Pontmain  en  1871,  est  morte  le  6  no- 
vembre dernier. 

Les  historiens  de  l'Apparition  ont  tous  rendu  hommage 
à  cette  femme  forte,  à  celte  mère  de  famille  dont  la  vie 
entière  peut  se  résumer  dans  ce  mot  :  le  devoir.  L'in- 
signe faveur  accordée  à  ses  enfants  de  voir  la  Très  Sainte 
Vierge  fut  pour  elle  un  nouveau  motif  de  ferveur  et  de 
fidélité  à  toutes  ses  obligations  de  chrétienne  et  de  maî- 
tresse de  maison. 

Tant  que  ses  forces  le  lui  permirent,  elle  assista  tous 
les  jours  au  saint  sacrifice  de  la  messe  dans  cette  église 
paroissiale  si  aimée  par  elle,  fit  le  chemin  de  la  croix, 
s'approcha  des  Sacrements  et  ne  cessa  de  demander  à 
la  prière  les  grâces  dont  elle  avait  besoin. 

Elle  fut  douce  et  résignée  devant  la  maladie  et  la 
mort,  comme  elle  l'avait  été  pour  tous.  Elle  a  eu  le  bon- 
heur d'Être  assistée,  à  ses  derniers  moments,  par  ses 
deux  fils  prêtres,  l'un  du  diocèse  de  Laval,  l'autre  de  la 
Congrégation  des  Oblats  de  Marie  Immaculée. 

Ses  funérailles  ont  été  une  belle  manifestation  de 
sympathie  et  de  regret.  Le  conseil  municipal  de  Pont- 
main  a  tenu  à  honneur  d'y  assister  en  corps. 

Nos  lecteurs  s'uniront  au  deuil  de  la  famille  et  auront 
un  souvenir  dans  leurs  prières  pour  celle  que  la  voix 
populaire  avait  nommée  la  sainte  de  Pontmain, 


BIBLIOGRAPHIE 


Le  Mystère  de  Notre- Seigneur  Jésus 'Christ,  par  le 
R.  P.  Corne. 

Cet  important  ouvrage,  dont  la  mort  prématurée  de 
son  auteur  avait  relardé  l'achèvement,  vient  d'être  com- 
plété par  la  publication  du  cinquième  et  dernier  vo- 
lume, digne  couronnement  d'une  œuvre  à  laquelle  le 
R.  P.  Corne  avait  voué  sa  vie  et  qui  a  sa  place  marquée 
dans  toutes  nos  bibliothèques. 

«  Les  volumes  du  P.  Corne,  a  dit  un  critique,  s'adres- 
sent surtout  aux  religieuses  et  aux  religieux,  aux  caté- 
chistes, clercs  et  laïques,  qui  ont  mission  de  créer  la 
connaissance  de  Jésus  dans  l'âme  des  petits  enfants.  Ils 
forment  une  théologie  du  Verbe  complète,  lumineuse, 
mettant  à  leur  portée, sous  une  forme  accessible  à  toutes 
les  intelligences ,  les  enseignements  de  la  révélation 
sur  la  vie  du  Yerbe  au  sein  du  Père  et  dans  notre  hu- 
manité. 

«  Ainsi  que  l'a  fait  justement  remarquer,  dans  une 
lettre  à  l'auteur,  W  de  Fréjus,  l'ouvrage  du  P.  Corne 
forme  une  véritable  encyclopédie  dans  laquelle  la  piété 
chrétienne  trouve  tout  ce  qu'elle  peut  désirer  d'ap- 
prendre sur  la  personne  adorable  du  Sauveur.  » 

Voici  les  titres  des  diverses  parties  de  cet  ouvrage  : 

Le  Verbe  de  Dieu...,  un  beau  volume  in-S"  ; 

L Incarnation  du  Verbe  et  la  Vie  cachée  deJésus^  un  beau 
volume  in-8°; 

La  Vie  publique,  un  beau  volume  in-S"  ; 


—  517  — 

Le  Sacrifice  de  Jésus,  un  beau  volume  in-S*; 
La  Gloire  de  Jésus,  un  beau  volume  in-S". 

—  Le  Règne  du  cœur  de  Jésus  ou  la  Doctrine  complète  de 
la  bienheureuse  Marguerite- Marie  sur  la  dévotion  au  Sacré 
Cœur,  par  un  prêtre  Oblat  de  Marie  Immaculée,  chape- 
lain de  Montmartre. 

Accueilli  avec  une  faveur  marquée  par  le  public  reli- 
gieux, cet  ouvrage  ,  encore  en  cours  de  publication, 
compte  déjà  plus  de  deux  mille  souscripteurs.  Les  deux 
premiers  volumes  ont  paru.  Les  trois  autres  sont  sous 
presse. 

Avec  une  patience  de  Bénédictin  et  une  piété  de  fidèle 
disciple  de  celle  qu'on  a  si  justement  appelée  l'apôtre 
du  Sacré  Cœur,  l'auteur  a  lu  et  étudié  tous  les  écrits  de 
la  bienheureuse  Marguerite-Marie  ;  puis  il  les  a  savam- 
ment divisés  et  méthodiquement  classés  par  ordre  de 
matières,  de  manière  à  en  faire  un  cours  complet  de  doc- 
trine sur  la  dévotion  au  Sacré  Cœur  de  Jésus. 

Il  s'est  tellement  identifié  avec  son  modèle  pour  les 
pensées  et  pour  le  style,  que  sans  les  guillemets  dont  il 
a  eu  soin  de  marquer  les  emprunts  qu'il  a  faits,  on  se 
demanderait  souvent  si  c'est  la  Bienheureuse  qui  parle 
ou  le  chapelain  du  Sacré-Cœur. 

Les  cinq  volumes  in-18  jésus  de  300  pages  sont  lais- 
sés aux  souscripteurs  pour  le  prix  de  6  francs.  Le  port 
en  sus. 

—  Le  M.  P.  Berthelon,  missionnaire  Oblat  de  Marie 
Immaculée.  Sa  vie,  ses  vertus,  par  un  Père  de  la  même 
Congrégation. 

Sous  la  plume  d'un  ami  et  compatriote,  la  notice  du 
regretté  P.  Berthelon  a  pris  les  proportions  d'un  beau 
volume  in-8°  de  plus  de  300  pages.  L'auteur  n'a  pas  eu 

T.   XXXV.  3d 


—  318  — 

seulement  pour  but  de  faire  connaître  et  aimer  son  hé- 
ros, il  a  voulu  en  même  temps  faire  connaître  et  aimer 
la  Congrégation  telle  qu'elle  est  en  France  avec  ses 
œuvres  multiples  trop  peu  connues,  et  cependant  si 
attrayantes.  Disons  tout  de  suite  qu'il  a  parfaitement 
réussi. 

Le  lecteur,  en  suivant  le  R.  P.  Berthelon  dans  les 
diverses  étapes  que  l'obéissance  lui  a  fait  faire,  visite 
successivement  le  noviciat  de  Nancy,  la  maison  générale 
de  la  rue  Saint-Pétersbourg,  la  maison  du  Sacré-Cœur 
à  Montmartre,  Angers,  Notre-Dame  de  Pontmain,  Notre- 
Dame  de  Talence  et  enfin  Limoges,  où  le  vaillant  ouvrier 
tombe  victime  de  son  zèle  en  pleine  mission.  L'impres- 
sion qui  reste  de  cette  visite  est  excellente  et  de  nature 
à  tourner  vers  noire  famille  religieuse  les  aspirations  de 
plus  d'une  âme  apostolique. 

Avec  la  Vie  de  M»""  de  Maze.nod  par  M^*"  Ricard,  l'Esprit 
et  les  Vertus  du  missionnaire  des  pauvres  par  le  R.  P.  Baf- 
FiE,  la  Vie  du  R.  P.  Berthelon  est  un  des  ouvrages  que 
nous  devons  avoir  à  cœur  de  répandre  dans  les  sémi- 
naires et  les  collèges  catholiques. 

—  Et  la  Jeunesse?  petite  brochure,  vivante,  alerte, 
comme  ceux    dont  elle  parle,    due    à    la    plume  du 

R.  P. JONQUET. 

—  Savants  et  Chrétiens  ou  Études  sur  l'origine  et  la 
filiation  des  sciences,  par  le  P.  Th.  Ortolan,  un  beau 
volume  in-8°  de  près  de  500  pages. 

C'est  le  premier  volume  d'une  série  qui  en  comptera 
plusieurs,  et  qui  comprend  déjà  l'ouvrage  paru  sous  le 
titre  Astronomie  et  Théologie  et  couronné  par  l'Institut 
catholique. 

Mentionnons  encore,  du  même  auteur,  trois  opus- 
cules : 


I 


—  319  — 

I.  L'Epanouissement  de  la  vie  organique  à  travers  les 
plaines  de  Vinfini. 

II.  Soleils  et  Terres  célestes. 

III.  Les  Humanités  astrales  et  V Incarnation. 

—  En  Angleterre  ont  paru  :  The  catholic  prayer  Book, 
et  Retreat  conférences  for  couvents^  par  le  R.  P.Gox. 

—  A  Colombo,  le  R.  P.  Ghounavel  a  publié,  en  langue 
singalaise,  un  abrégé  de  l'Histoire  sainte  et  une  traduc- 
tion avec  commentaire  du  Nouveau  Testament. 

—  Notons  enfin  parmi  les  publications  de  ces  derniers 
mois,  la  troisième  édition  de  notre  Manuel  de  prières.  On 
y  trouvera  entre  autres  améliorations  sur  les  éditions 
précédentes,  les  prières  et  pratiques  en  usage  dans  la 
Congrégation  pendant  les  trois  derniers  jours  de  la  se- 
maine sainte  et  le  cérémonial  à  suivre  pour  Toblation 
d'un  an. 


OBLATIONS 

PENDANT  LES  ANNÉES  1894,  1895,  1896  ET  1897 
DE  DÉCEMBRE  A  DÉCEMBRE. 

(En  cas  de  variante,  la  présente  liste  annule  les  précédentes.) 

Une  omission  nous  oblige  à  revenir  sur  la  liste  de 
l'année  1895.  Elle  est  modifiée  comme  suit,  à  partir  du 
5  mai  : 

1773.  Grœtschel,  Charles,  o   mai  1893,  Saint-Charles 
(Fauquemont). 

1776.  Ghaudeur,  Etienne  (F,  C.),23  mai  1893,  Jersey. 

1777.  Vandeberg,   Henri-Joseph- Hubert,   2  juin    1895, 

Liège. 

1778.  GouRY,  François-Joseph,  2  juin  1895,  Liège. 

1779.  VoN  Ley,  Franz-Joseph,  2  juin  5893,  Liège. 
■1780.  Mahé,  Pierre-Marie,  2  juin  1893,  Liège. 

1781.  GuTFREUND,  Joseph-Marle,  2  juin  1893,  Liège. 

1782.  Kleiner,   François   (F.   C),  9  juin   1893,  Saint- 

Albert. 

1783.  GoMEZ,  Gaspard-Philippe,  20  juin  1893,  Colombo. 

1784.  BoTRELLE,  Charles-Jean-Baptiste,  24  juin  1893, 

Ottawa. 

1785.  Clerc,  Louis-Eugène,  24  juin  1895,  Ottawa. 

1786.  PfliuppoT,  Vital-Jean- Marie,  24  juin  1895,  Ottawa. 
4787.  Baron,  Armand-Alexis,  24  juin  1893,  Ottawa. 

1788.  Crescenzi,  Romolo  (F.  C),  9  juillet  1893,  Notre- 

Dame  de  Bon-Secours. 

1789.  Michel,  Laurent-Joseph  (F.  C),  24  juillet  1895,  la 

Providence  (Mackenzie). 


—  521  — 

1790.  BouDON,  Alexandre  (F.  C),  29  juillet  1895,  Pie- 

termaritzburg. 

1791.  Wack,  Pierre  (F.  C),  15  août  1895,  N.-D.  de  Sion. 

1792.  Harquel,  Joseph  (F.  C),  15  août  1895,  Liège. 

1793.  HuARD,  Vital  (F.  G.),  15  août  1895,  Angers. 

1794.  RoHR,  Victor-Sébastien,  15  août  1895,  Liège. 

1795.  PouLENARD,  Joanny,  15  août  1895,  Liège. 

1796.  CoRNELL,  Edmond-Joseph,  15  août  1895,  Ottawa. 

1797.  Munster,  Auguste-Pierre-Michel,  15  août    1895, 

Liège. 

1798.  Van  Gistern,  Henri-Jean-Baptiste,  15  août  1895, 

Liège. 

1799.  Wagner,  Jacques,  15  août  1895,  Liège. 

1800.  Enck,  Adolphe,  15  août  1895,  Liège. 

1801.  Okhuysen,  Henri,  15  août  1895,  Liège. 

1802.  ZiEGENFUss,  Aloysius,  15  août  1895,  Liège. 

1803.  Wallenborn,  Jean,  15  août  1895,  Rome. 

1804.  Rare,  Frédéric,  15  août  1895,  Liège. 

1805.  BiEHLER,  Antoine,  15  août  1895,  Liège. 

1806.  BiEGNER,  Hermann-Michel,  15  août  1895,  Liège. 

1807.  HoFER,  Joseph-Aloysius-Philémon,  15  août  1895, 

Rome. 

1808.  Fassbender,  Frédéric,  15  août  1895,  Rome. 

1809.  Schemmer,  Joseph,  15  août  1895,  Rome. 

1810.  Seulen,  Robert-René,  15  août  1895,  Liège. 

1811.  ScHARscH,  Jean-Philippe,  15  août  1895,  Liège. 

1812.  Alberti,  Christiani,  15  août  1895,  Rome. 

1813.  Kempf,  Antoine,  15  août  1895,  Liège. 

1814.  Mac  Kenna,  Bernard-Joseph,  26  août   1895,  Ot- 

tawa (Université). 

1815.  ViziNA,Joseph-Damase-Wilbrod,_8  septembre  1895, 

Ottawa. 

1816.  Flynne,  John- Patrick,  8  septembre  1895,  Ottawa. 

1817.  Drceder,  Jean,  8  septembre  1895,  Ottawa. 


—  522  ■— 

1818.  Lebert,  Aloysius,  8  septembre  1895,  Ottawa. 

1819.  O'BoYLE,  William-Patrick,  8  septembre  1893,  Ot- 

tawa. 

1820.  DouMEizEL, Marie-Joseph,  8  septembre  1893, Rome. 

1821.  Laurent,  Nicolas  (F.  G.),  19  septembre  1893,  Mis- 

sion Saint-Bernard  (Mackenzie). 
18^2,  Rio,  Mathurin  (F.  C),  29  septembre  1895,  Aix. 
1823.  ViLA  Y  Gamins,  Raymond,  29  septembre  1893,  Liège. 
1S24.  Decorme,  Louis-Jules,  29  septembre  1893,  Liège. 
1823.  Manuel,  Léon-Pierre,  6  octobre  1893,  Rome. 

1826.  jMinwegen,  Pierre-Jean  (F.  G.),  13  octobre   1893, 

Saint-Gerlach. 

1827.  Derriennic,  Emile,  1"  novembre  4893,  Fréjus. 

1828.  Bcettger,  Gharles,  4  novembre  1893,  Saint-Gharles 

(Fauquemont). 

1829.  JoLLY,  Hippolyte  (F.  G.),  10  novembre  1893,  An- 

gers. 

1830.  Manceau,  Henri  (F.  G.),  8  décembre  1893,  Liège. 

1831.  Mac-Donald,  Marie-Joseph-Evariste  (F.  G.),  8  dé- 

cembre 1895,  Ottawa. 

1832.  Le  GoFF,  Victor-Joseph-Marie,  8  décembre  1895, 

Liège. 

1 833.  Gulérier,  Louis-Etienne,  8  décembre  1895,  Ottawa. 

1834.  Audibert,  Gharles-Émile,  8  décembre  1895,  Liège. 

1835.  Gouderc,  Joseph-Jean-Baptiste,  8  décembre  1893, 

Rome. 

1836.  LÉPiNE,  Maurice-Louis,  8  décembre  1893,  Ottawa. 

1837.  Lecourtois,  Paul-Émile,  8  décembre  1895,  Liège. 

1838.  Letard,  Frédéric-Victor,  8  décembre  1893,  Liège. 

1839.  Mac-Grath,  Patrick-Joseph,   8   décembre    1895, 

Buffalo. 

1840.  Riou,  Jacques,  8  décembre  1895,  Liège. 

1841.  Leroux,  Auguste,  15  décembre  1895,  Notre-Dame 

de  l'Osier. 


~  523  — 

Oblations  pendant  les  années  1896  et  1897. 

1842.  KiEL,  Adolphe-Marie-Emile  (F.  G.),  2  février  1896, 

Notre-Dame  de  Sion. 

1843.  BiLLER,    Jean-Baptiste    (F.    G,),    3   février  1896, 

Tewksbury, 
J844.  Lucas,  Henri-Louis  (F.  G.},  17  février  1896,  Paris. 

1845.  Debs,  André  (F.  G.),  17  février  I896,Mackenzie. 

1846.  Piquet,  Antoine  (F.  G.),  17  février  1896,  Notre- 

Dame  de  Sion, 

1847.  Piquet,  Florent  (F.  G.),  17  février  1896,   Notre- 

Dame  de  Sion. 

1848.  Valayer,  Auguste,  17  février  1896,  Notre-Dame 

des  Lumières. 

1849.  CosTE,  Louis,  17  février  1896,  Liège. 

1850.  Balter,  Léon-Guillaume,  17  février  1896,  Liège. 

1851.  TouQUET,  Frédéric-Jean-Marie,    17  février  1896, 

Angers. 

1852.  Pelletier,  Louis-Arthur-Joseph  (F.  G.),  19  mars 

1896,  Ottawa. 

1853.  Meleux,  Albert-Hippolyte,  19  mars  1896,  Ottawa. 
1S54.  Rouzeau,    Eugène-Louis-Joseph,    19   mars   4  896, 

Ottawa. 

1855.  Horeau,    Jean-Baptiste-Glément,    19  mars   1896, 

Ottawa. 

1856.  Barassé,  Félix  (F.  G.),  25  mars  1896,  Saint-Albert. 

1857.  Payne,  Georges-Marie,  25  mars  1896,  BelmonL- 

House. 

1858.  Munier,  Adolphe-Henri,  5  avril  1896,  Fréjus. 

1859.  Vermette,  Olivier  (F.  G.),  5  juillet  1896,   Saint- 

Albert. 

1860.  Emielsbacher,  Godefroy,  16  juillet  1896,  Saint- 

Charles  (Fauquemont). 


—  524  — 

1861.  Bouvier,  Damase(F.  C),  15  aoûH896,Te\vksbury. 

1862.  RouiLLARD,  Jean-Marie  (F.  C),  15  août  1896,  Rome. 

1863.  YandenDaele,  Camille,  15  août  1896,  Liège. 

1864.  Langouët,   Arraand-Joseph-Marie,  15  août  1896, 

Liège. 

1865.  CnvALA,   Adolphe,    15  août  1896,  Saint-Boniface 

(Hunfeld). 

1866.  Cordes,  Joseph,  15  août  1896,  Liège. 

1867.  KiM,  Auguste,  15  août  1896,  Liège. 

1868.  Diss,  Jérôme,  15  août  1896,  Liège. 

1869.  Weislinger,  Jean-Louis,  15  août  1896,  Liège. 

1870.  Helbourg,  Joseph,  15  août  1896,  Liège. 

1871.  CoMEs,  Eugène,  15  août  1896,  Liège. 

1872.  VoGEL,  Emile,  15  août  1896,  Saint-Boniface  (Hun- 

feld). 

1873.  Klein,   Georges-Joachim,   15    août  1896,  Saint- 

Boniface  (Hunfeld). 

1874.  Hermandung,  Hubert-Marie-Louis,  15  août  1896, 

Saint-Boniface  (Hunfeld). 

1875.  Guéret,    Marie-Pierre-Augustin,    15   août   1896, 

Rome. 

1876.  Grosse,  Louis-Georges,  15  août  1896,  Saint-Boni- 

face (Hunfeld). 

1877.  Knapp,  François,   15   août  1896,   Saint-Boniface 

(Hunfeld). 

1878.  ScHMiTT,  Charles-François,  15  août  1896,  Liège. 

1879.  Schlosser,  Charles,  15  août  1896,  Saint-Boniface 

(Hunfeld). 

1880.  Frins,  Aloysus-Alexandre,  15  août  1896,   Saint- 

Boniface  (Hunfeld). 

1881.  Kocn,  Guillaume,  15  août  1896,   Saint-Boniface 

(Hunfeld). 

1882.  Krist,  Maximilien-Théodore,  15  août  1896,  Saint- 

Boniface  (Hunfeld). 


—  523  — 

1883.  Mazure,  Henri-Richard-Vincent,  15  août   1896, 

Liège, 
188i.  J^GER,  François,   13    août  1896,    Saint-Boniface 

(Hunfeld). 
1883.  Iansen,  Joseph,  13  août  1896,  Rome. 

1886.  Roy,  Bruno,  8  septembre  1896,  Ottawa. 

1887.  Sylvestre,  Jean-Baptiste-Edmond-Joseph,  8  sep- 

tembre 1896,  Ottawa. 

1888.  O'Neill,  John-Patrick,  8  septembre  1896,  Ottawa. 

1889.  Brassard,   Hector-Marie,   8  septembre  1896,  Ot- 

tawa. 

1890.  Tqureau,  Lucien-Marie,  8  septembre  1896,  Angers. 

1891.  ScANNELL,  Joseph,  29  septembre  1896,  Liège. 

1892.  Prioux,  Casimir,  29  septembre  1896,  Liège. 

1893.  Pilon,  Cyrille  (F.  C),  i"  octobre  1896,  Winnipeg. 

1894.  Fortier-,  François-Xavier,  -4  octobre  1896,  Browns- 

ville. 
1893.  Watterott,   François,  23   octobre  1896,  Saint- 
Boniface  (Hunfeld). 

1896.  Beys,   André-Jean-Baptiste,  1"  novembre  1896, 

Rome. 

1897.  Mélizan,  Vincent,  11  novembre  1896,  Notre-Dame 

des  Lumières. 

1898.  Kelly,  Henry  (F.  C.)  (Basutoland). 

1899.  Thoraval,  Jean  (F.  C),  5  décembre  1896,  Mag- 

gona  (Ceylan). 

Pour  les  noms  qui  suivent,  les  numéros  d'Oblation  ne  seront 
donnés  qu'à  la  fin  de  l'année  1898. 

Hays,  Mathurin-Jean-Marie  (F.  C),  8  décembre  1896, 

Saint-Albert. 
Mathis,  Pierre-Jean  (F.C.),8  décembre  1896,  Mackenzie. 
Valette,  Casimir-Paul,  8  décembre  1896,  Liège. 


—  526  — 

Bbllot,  Claude-Eugène,  8  décembre  1896,  Liège. 
MuiR,  Benjamin  (F.  G.),  17  février  1897,  Maniwaki. 
ScHLOssER,  Valenlin  (F.  G.),  17  février  1897,  Liège. 
Cadieux,  Alexandre-Thomas,  17  février  1897,  Ottawa. 
Zerwes,  Mathias-Marie-Joseph  (F.  G.),  17  février  1897, 

Saint-Charles  (Fauquemont). 
Andrzejewski,  Joseph  (F.  G.),  17  février  1897,  Saint- 
Charles  (Fauquemont). 
Falkenhahn,  Médard  (F.  G.),  17  février  1897,  Liège. 
AsTiER,  Galixte-Louis,  17  février  1897,  Liège. 
Allard,  Odilon-Joseph-Hercule,  17  février  1897,  Ottawa. 
Louis,  Edmond-Dominique,  17  février  1897,  Notre-Dame 

de  Sion. 
Saint-Onge,  François-Xavier-Félix  (F.  G.),  19  mars  1897, 

Notre-Dame  des  Anges. 
Balmès,  Joseph-Jean-Marie,  19  mars  1897,  Fréjus. 
Favier,  Jean-Baptiste,  19  mars  1897,  Fréjus. 
Jan,  Alphonse-Marie,  19  mars  1897,  Fréjus. 
Durand,  Daniel-Olivier,  19  mars  1897,  Notre-Dame  de 

l'Osier. 
GuiNET,  Antonin,  1"  mai  1897,  Rome. 
Deville,  Albert-Louis,  1"  mai  1897,  Rome. 
Cormier,  Joseph-Alphonse  (F.  G.),  27  mai  1897,  Ottawa. 
Barette,  Antoine-Jean-Baptiste,  27  mai  1897,  Ottawa. 
BoYER,  Jean-Baptiste-Oscar,  27  mai  1897,  Ottawa. 
Vasseur,  Louis-François,  6  juin  1897,  Angers. 
JoLY,  Prosper-Georges  (F.  G.),  21  juin  1897,  Limoges. 
Whartom,  Gharles-Joseph  (F.  G.),  15  août  1897,  Tewks- 

bury. 
Fasshauer,  Gharles-Philippe(F.  G.),  15  août  1897,  Rome. 
Soleri,  Jean-Baptiste-Marie,  13  août  1897,  Rome. 
Albaret,  Augustin-Félix-Marie,  15  août  1897,  Rome. 
Schneider,  Jacques,  ?5  août  1897,  Saint-Boniface  (Hiin- 

feld). 


—  527  — 

Weiler,  Gérard-Christophe,  IS  août  1897,  Saint-Boni- 
face  (Hiinfeld). 

Streit,  Robert-Paul,  IS  août  1897,  Saint-Boniface  (Hiin- 
feld). 

ScHULTE,  Jean,  15  août  1897,  Saint-Boniface  (Hiinfeld). 

Krist,  François-ïhéodose,  15  août  1897,  Saint-Boniface 
(Hunfeld). 

Kempf,  Constantin,  15  août  1897,  Saint-Boniface  (Hiin- 
feld). 

ScH^FER,  Hermann-Joseph,  15  août  1897,  Saint-Boniface 
(Hunfeld). 

Rose,  Joseph,  15  août  1897,  Saint-Boniface  (Hiinfeld). 

KiERDORF,  Auguste-Christian,  15  août  1897,  Saint-Boni- 
face (Hunfeld). 

Hermès,  Joseph-Guillaume,  15  août  1897,  Saint-Boniface 
(Hiinfeld). 

Stehle,  Nicolas,  15  août  1897,  Saint-Boniface  (Hiinfeld). 

ScHWANE,  Guillaume,  15  août  1897,  Saint-Boniface  (Hun- 
feld). 

Roche,  Jean-Marie-Alphonse,  15  août  1897,  Notre-Dame 
de  Bon-Secours. 

CoNAN,  Pierre-Marie,  15  août  1897,  Angers. 

Frapsauce,  Joseph-Marie,  25  août  1897,  Liège. 

ScuMiTZ,  Pierre-Marie-Joseph,  25  août  1897,  Liège. 

Miller,  William-Georges,  25  août  1897,  Liège. 

M'^Callion,  William-John,  25  août  1897,  Liège. 

Sherry,  John-Henri,  25  août  1897,  Liège. 

Hamm,  François-Xavier,  25  août  1897,  Liège. 

Gutfreund,  François-Xavier,  25  août  1897,  Liège. 

ScHMiTT,  Aloys^  25  août  1897,  Liège. 

Uhlrich,  Florent,  25  août  1897,  Liège. 

Sheurer,  Charles-Louis,  25  août  1897,  Liège. 

Perrussel,  Henri-Joseph  Marie,  25  août  1897,  Liège. 

Coupé,  Pierre-Félix,  29  août  1897,  Liège. 


-    328  — 

Paquet,  François-Marie  (F.  C),  8  septembre  1897,  Notre- 
Dame  des  Anges. 

KiRwiN,  William-Joseph,  8  septembre  1897,  Ottawa. 

Beaudry,  Patrick,  8  septembre  1897,  Ottawa. 

Tessier,  Edouard-Joseph,  8  septembre  1897,  Ottawa. 

Maddex,  Ambroise-Thomas,  8  septeaibre  1897,  Ottawa. 

Lacombe,  Ernest,  8  septembre  1897,  Ottawa. 

Lejard,  Louis-Charles,  8  septembre  1897,  Rome. 

Masson,  Jean-Marie,  8  septembre  1897,  Rome. 

Legault,  Raoul,  8  septembre  1897,  Ottawa. 

Kalmes,  Mathias,  2o  septembre  1897.  Liège. 

Demax,  Camille-Gustave,  25  septembre  1897,  Liège. 

Pescheur,  René-Hubert,  23  septembre  1897,  Liège. 

Boissix,  Henri-Odilon,  17  octobre  1897,  Notre-Dame  de 
l'Osier. 

Combaluzier,  Firmin  (F.  C),  1"  novembre  1897,  Notre- 
Dame  de  rOsier. 

Sexton,  James  (F.  C),  1"  novembre  1897,  Tewksbury. 

Duval,  Théodore-Henri,  1"  novembre  1897,  Angers. 


NÉCROLOGE  DE  L'ANNÉE  1897. 


452.  Le  P.  Ramadier,  Jean,  décédé  à  Paris  (Mont- 
martre) le  21  décembre  1896.  Il  était  né  à  Saint-Alban 
(Mende)  le  26  mars  1827  ;  il  avait  fait  son  oblation  le 
1"  novembre  1863. 

453.  Le  P.  Walsh,  James,  décédé  au  lac  Okanagan 
(Colombie  Britannique)  le  2  janvier  1897.  Il  était  né  à 
Colligan  (Waterford)  le  5  avril  1863  ;  il  avait  fait  son 
oblation  le  15  août  1886. 

454.  Le  P.  Leroux,  Auguste,  décédé  à  Notre-Dame 
de  Bon-Secours  le  25  janvier  1897.  Il  était  né  à  Gondé- 
sur-Sarthe  (Séez)  en  1863;  il  avait  fait  son  oblation  le 

15  décembre  1895. 

455.  Le  P.  Apel,  Ferdinand,  décédé  à  Saint-Charles 
(Fauquemont)  le  19  février  1897. 11  était  né  à  Birkungen 
(Paderborn)  le  15  mars  1872;  il  avait  fait  son  oblation  le 

16  juillet  1893. 

456.  Le  P.  O'RiORDAN,  Daniel,  décédé  à  Lowell  le 
20  février  1897.  11  était  né  à  Ovens  (Cork)  le  29  dé- 
cembre 1846;  il  avait  fait  son  oblation  le  15  août  1865. 

457.  Le  P.  Mac-Ardle,  Francis,  décédé  à  Philipstown 
le  26  février  1897.  Il  était  né  à  Newbridge  (Kildare)  le 
15  février  1867  ;  il  avait  fait  son  oblation  le  25  jan- 
vier 1888. 

458.  Le  F.  convers  Lestreit,  Louis,  décédé  à  Marseille 
le  il  mars  1897.  Il  était  né  à  Voires  (Besançon)  le 
1"' novembre  1831  ;  il  avait  fait  son  oblation  le  17  fé- 
vrier 1861 . 


—  330  — 

459.  Le  F.  convers  Gaudez,  Camille,  décédé  à  Notre- 
Dame  de  Sion  le  12  avril  1897.  Il  était  né  à  NeuTchâteau 
(Saint-Dié)  le  11  février  1876  ;  il  avait  fait  ses  vœux  de 
cinq  ans  le  17  février  1895. 

460.  Le  P.  Hermitte,  Marcellin,  décédé  au  scolasticat 
d'Ottawa  le  22  avril  1897.  Il  était  né  à  Puy- Saint-Pierre 
(Gap)  le  6  février  1872;  il  avait  fait  son  oblation  le  17  fé- 
vrier 1893. 

461.  Le  F.  convers  Lahaxe,  Martin,  décédé  à  Notre- 
Dame  de  Sion  le  27  avril  1897.  Il  était  né  à  Laneuvelotte 
(Nancy)  le  10  septembre  1846;  il  avait  fait  son  oblation 
le  17  février  1873. 

462.  Le  P.  Delpeuch,  Léon-François,  décédé  à  Paris 
(Montmartre)  le  3  mai  1897.  Il  était  né  à  Bort  (Tulle)  le 
11  avril  1827;  il  avait  fait  son  oblation  le  8  septem- 
bre 1851. 

463.  Le  F.  convers  Dubois,  Joseph-Albini,  décédé  au 
scolasticat  d'Ottawa  le  23  juillet  1897.  11  était  né  à 
Sainte-Sophie  (Montréal)  le  9  février  1866;  il  avait  fait 
son  oblation  le  17  février  1892. 

464.  Le  P.  JouAN,  Henri,  décédé  à  l'Ile  à  la  Crosse  le 
14  septembre  1897.  Il  était  né  à  Lanouée  (Vannes)  le 
16  février  1870;  il  avait  fait  son  oblation  le  15  août  .1894. 

463.  Le  ï.  R.  P.  Soullier,  Louis-Jean-Baptiste,  troi- 
sième supérieur  général,  décédé  à  Paris  le  3  octobre  1897, 
Il  était  né  à  Meymac  (Tulle)  le  26  mars  1826,  avait  fait 
son  oblation  le  17  février  1849  et  avait  été  élu  Supérieur 
général  le  11  mai  1893. 


TABLE  DES  MATIERES 


MARS  1897. 

Pages. 
Missions  étrangères.   —  Vicariat  de  la    Saskatchewan.   — 

Lettre  du  R.  P.  Bonnald  au  Directeur  des  Annales , 5 

Maisons  d'Europe.   —   Scolasticat  de   Liège.    —  Lettre  du 

R.  P.  Thévenon  au  T.  R.  P.  Supérieur  général 24 

Maison  de  Saint-Ulrich.  —   Rapport  du  R.  P.  Léglise  au 

T.  R.  P.  Supérieur  général 52 

Variétés.  —  Chronique  de  la  Maison  du  Laus,  par  le  R.  P.  Si- 
monin   ■ 69 

Inauguration  du  collège  de  Colombo lOG 

Revue.  —  La  linguistique  considérée  comme  critérium  de  cer- 
titude ethnologique,  par  le  R.  P.  Morice 125 

Nouvelles  diyëhses 144 

JUIN  1897. 

Missions  étrangères.  —  Vicariat  de  Colombo,  —  Lettre  du 

R.  P.  Massiet  au  T.  R.  P.  Supérieur  général 149 

Province  du  Canada.  —  Juniorat  du  Sacré-Cœur,  Ottawa.  — 
Lettre  du  R.  P.  Harnois,   directeur,   au   R.  P.  Cassien 

Augier 158 

Variétés.  —  Chronique  de  la  Maison  du  Laus  (1818-1841),  par 

le  R.  P.  Simonin  {Suite) 173 

Translation   des  restes  mortels  de  notre  vénéré  Fondateur 

dans  La  crypte  de  la  nouvelle  cathédrale  de  Marseille 231 

Revue.  —  La  linguistique  considérée  comme  critérium  de  cer- 
titude ethnologique,  par  le  R.  P.  Morice  (Fin) 243 

La  Mission  de  Sainte-Anne,  à  Nantes ■ 256 

La  Mission  de  Saint-Lambert 263 

Decretum 265 

Nouvelles  diverses 267 

nécrologie 268 

SEPTEMBRE  1897. 

Maisons  de  France.  —  Maison  de  Vico.  —  Rapport  adressé 

par  le  R.  P.  Hamonic  au  T.  R.  P.  Supérieur  général 2G9 


—  532  — 

Pages. 
Variétés.  —  Chronique  de  la  Maison  du  Laus  (1818-1841),  par 

le  R.  P.  Simonin 324 

Nos  NOUVEAUX  ÉVÊQUÉS.  —  Me^  DONTENVILLE  et  Msr  LeGAL..  .      380 

Nouvelles  diverses 420 

DÉCEMBRE  1897, 

Le  T.  R.  Père  Louis  Soullier 422 

Missions  étrangères.  —  Pouilleux  et  fossoyeur  ou  souvenir 
de  la  Consécration  épiscopale  de  Ms'' Emile  Légal,  évêque 

de  Pogla  et  coadjuteur  de  Saint-Albert,  par  le  R.  P.  Leduc.  432 
Consécration  de  Ms'  Dontenville,  évêque  de  Germanico- 

polis,  coadjuteur  de  M?""  Durieu,  évêque  de  Westminster.  478 
Province  des  États-Unis.—  Noviciat  de  Tewksbury. —  Lettre 

du  R.  P.  Campeau  Joseph,  maître  des  novices 483 

Variétés.  —  Fondation  de  nos  œuvres  de  Bordeaux  et  pre- 
mières missions 490 

Nouvelles  diverses ' 509 

nécrologie 514 

Bibliographie 516 

Délations 520 

Nécrologe 529 


Paria. —  typographie  A.  He:;nuy£r,  jue  Darcel»  7. 


MISSIONS 


CONGREGATION  DES  MISSIONNAIRES  OBLATS 

DE  MARIE  IMMACULÉE 


PARIS.  —  TYrOGRAPUlE   A.    HENNUYER,    RUE   DARCET,    7, 


MISSIONS 


DE  LÀ  CONGRÉGATION 


DES  MISSIONNAIRES  OBLATS 


DE   MARIE    IMMACULÉE 


TRENTE-SIXIÈME   ANNÉE 


PARIS 
TYPOGRAPHIE  A.  HENNUYER 

RUE  DARCET,  7 
1898 


MISSIONS 

DE  LÀ  CONGRÉGATION 

DES  OBLATS  DE  MARIE  IMMACULÉE 


N»  141.  —  Mars  1898 


MISSIONS  ÉTRANGÈRES 


VICARIAT  DE  LA  SASKATCHEWAN. 

LETTRE   DU   R.    P.    BONNALD   AU   DIRECTEUR  DES   ANNALES. 
Pélican  Narrows,  23  novembre  1897. 
RÉVÉREND  ET  CHER  PÈRE, 

Je  viens,  comme  d'habitude,  vous  faire  le  récit  de  nos 
travaux  à  la  Mission  Sainte-Gertrude  du  lac  Pélican  et 
dans  ses  deux  succursales,  Mission  du  Sacré-Cœur  sur 
Churchill  et  l'Assomption  sur  Nelson. 

A  vrai  dire,  il  n'y  a  rien  de  bien  extraordinaire  et 
qui  soit  digne  de  Tattenlion  des  lecteurs  de  nos  annales. 
Mes  confrères  du  vicariat  sur  d'autres  champs  apostoli- 
ques pourraient  nous  édifier  davantage  en  nous  racon- 
tant avec  beaucoup  d'intérêt  leurs  œuvres  de  zèle.  Sans 
doute  il  suffit  pour  eux  que  le  bon  Dieu  les  voit,  mais  je 
ne  dois  pas  être  le  seul  à  regretter  que  leur  silence  et 


—  6  — 

leur  trop  grande  modestie  nous  privent  de  beaucoup 
d'édification. 

Notre  T.  R.  P.  Supérieur  général,  dans  une  lettre 
récente,  a  bien  voulu  m'exprimer  un  désir,  je  l'accueille 
comme  un  ordre.  Voici  donc  bien  simplement  ce  que 
je  trouve  de  plus  saillant  dans  mes  souvenirs,  depuis 
novembre  1896. 

Disons  tout  de  suite  que  l'année  courante  a  été  une 
année  de  faveurs  et  de  bénédictions  pour  la  Mission  à 
cause  de  la  visite  pastorale,  et  une  année  de  souvenirs 
et  d'anniversaires  pour  l'humble  missionnaire  :  en  mai, 
je  célébrais  mes  vingt-cinq  ans  de  sacerdoce  et  en  sep- 
tembre, ma  cinquantième  année  d'âge  ;  en  ces  précieuses 
dates  le  quid  retribuam  et  aussi  le  parce  me  sont  venus 
au  cœur  et  sur  les  lèvres. 

Je  vous  dirai,  dans  ce  rapport,  nos  œuvres  depuis 
novembre  jusqu'au  printemps,  ensuite  la  visite  pasto- 
rale, enfin  nos  visites  de  l'été  aux  lointains  néophytes 
de  Churchill  et  de  Nelson. 

L'an  dernier,  à  pareille  époque,  nous  étions  trois 
prêtres  Oblats  ensemble.  Cette  fois,  me  voici  tout  seul. 
Le  R.  W  Maisonxeuve  a  reçu  une  autre  obédience,  et  le 
R.  P.  Simonin,  Xavier,  se  trouve  en  ce  moment  au  milieu 
de  nos  chrétiens  éloignés.  Je  garde  la  mission,  mais 
ma  solitude  n'est  pas  absolue;  elle  est  même  réjouie 
par  la  présence  de  deux  petits  garçons  de  mon  orphe- 
lin défunt.  Ce  pauvre  homme,  qui  me  sauva  deux  fois 
la  vie  en  voyage,  a  bien  mérité  que  je  prenne  soin  des 
enfants  qu'il  m'a  laissés  en  garde.  Leurs  petits  ou  grands 
défauts  exercent  ma  patience,  j'avouerai  cependant  que 
l'innocence  et  l'amabilité  de  lâge  me  désarment  sou- 
vent. 

Le  R.  P.  Maisonneuvb,  qui  était  encore  des  nôtres  l'an 
passé,  se  fit  le  pêcheur  de  la  Mission  et  prit  un  millier 


de  poissons  à  chiens.  Le  R.  P.  Simonin,  comme  un  véri- 
table petit  moine,  restait  la  moitié  du  temps  dans  ?a 
cellule,  occupé  à  la  syntaxe  si  difficile  des  verbes  cris. 
J'allais  tous  les  jours  chez  lui  l'aider  à  cette  étude.  Par 
ailleurs,  je  ne  donnais  guère  l'exemple  pour  l'ouvrage- 
Quelquefois,  en  compagnie  de  l'un  des  orphehns,  j'allais 
au  fond  des  baies  ou  sur  les  lacs  voisins  y  tendre  des 
pièges  à  fourrures,  et  non  sans  succès. 

Après  la  pêche  en  canot  du  P.  Maisonneuve,  on  fit  la 
pêche  sous  la  glace.  Le  P.  Simonin  participa  à  ce  travail 
ingénieux,  intéressant  et  bien  profitable.  Il  s'habitua 
ainsi  aux  premiers  froids  de  nos  pays. 

Mes  deux  chers  compagnons  nous  apportaient  du  beau 
poisson  pour  notre  table,  tandis  que  j'apportais,  avec  du 
bois,  les  lièvres  et  les  perdrix  de  ma  chasse. 

Le  cher  P.  Maisonneuve  ne  désirait  rien  tant  que  d'at- 
teler des  chiens  et  de  conduire  un  traîneau.  J'en  achetai 
un.  Il  fallait  voir  avec  quelle  adresse  et  quelle  ardeur  il 
menait,  le  fouet  à  la  main,  ces  coursiers  du  Nord,  en 
charriant  le  bois  de  chauffage,  en  allant  à  la  visite  des 
filets,  et  dans  les  voyages,  chez  les  malades  ou  ailleurs. 

Le  P.  Maisonneuve,  après  l'exercice  du  ministère,  nous 
préparait  un  appartement  nouveau. 

Un  peu  avant  Noël,  je  quittai  mes  confrères  et  allai 
célébrer  les  fêtes  à  Pakitawagan.  J'avais  deux  traîneaux 
pour  le  voyage  ;  un  jeune  homme  qui  allait  en  visite 
se  joignit  à  nous  et  servit  de  guide  à  nos  chiens.  La 
première  nuit  se  passa  dans  une  hutte  en  bois,  chez 
deux  bons  chrétiens.  Absents  à  notre  arrivée,  ils  entrè- 
rent un  peu  après  nous,  avec  une  charge  de  viande  de 
caribou,  fruit  de  leur  chasse.  Le  missionnaire  fut  bien 
servi  et  ses  compagnons  firent  bombance.  Pour  être 
plus  à  leur  aise,  ils  allèrent  festoyer  dans  une  loge  exté- 
rieure. De  la  hutte  où  j'étais  avec  mes  hôtes  nous  enten- 


—  8  — 

dions  parler  et  rire  à  cœur  joie.  Nos  pauvres  gens  n'ont 
pas  besoin  de  la  bouteille  pour  être  loquaces,  un  bon 
repas  leur  suffit.  La  saison  était  rigoureuse,  le  froid 
très  vif;  mais  campés  dans  cette  forêt  et  dans  cette  petite 
cabane  au  pied  de  hauts  sapins,  nous  passâmes  une 
bonne  nuit  avec  ces  bons  Indiens  heureux  d'héberger  le 
prêtre.  Après  le  souper,  une  petite  instruction  et  confes- 
sion de  ceux  qui  ne  devaient  pas  aller  à  la  Mission 
pour  Noël.  Après  la  prière  en  commun,  chacun  prit  son 
sommeil  par  terre,  sur  un  tapis  de  branches  de  sapin. 
Le  lendemain  matin,  après  avoir  roulé  mes  couvertures, 
je  dressai  mon  autel  portatif  au  coin  delà  hutte  et  je  cé- 
lébrai la  sainte  messe  à  laquelle  trois  personnes  furent 
heureuses  de  communier.  Le  soir  de  ce  jour,  nous  nous 
trouvions  à  50  milles  plus  loin,  encore  chez  un  bon  chré- 
tien, dont  je  baptisai  le  nouveau-né.  Pour  nourriture,  on 
nous  servit  de  l'esturgeon  ;  il  y  avait  en  réserve  un  grand 
nombre  de  ces  énormes  poissons,  lesquels,  dans  le  fleuve 
Churchill,  ne  pèsent  pas  moins  de  50  à  100  livres  et  plus 
chacun. 

Le  lendemain,  avec  de  nouveaux  compagnons  qui 
allaient  à  la  messe  de  minuit,  nous  campions  au  bord 
d'une  baie  et  cette  fois  sous  la  voûte  des  cieux.  Le 
temps  est  clair,  et  aussi  très  froid.  Notre  réglementaire 
n'a  pas  besoin  de  me  demander  l'heure  ;  il  n'a  qu'à 
regarder  au  firmament  la  position  de  la  Grande  Ourse. 
Pour  arriver  de  bonne  heure  à  Pakitawagan,  on  part 
dans  la  nuit.  Quel  silence  dans  ces  étroits  sentiers  du 
bois  et  sur  ces  plaines  de  glace  et  de  neige  !  On  n'entend 
que  le  grincement  des  raquettes,  les  grelots  des  chiens, 
les  coups  de  fouet  et  les  cris  douloureux  des  pauvres 
bêtes.  Devant  ou  derrière  vous,  vous  apercevez  parfois 
un  feu  de  quelques  instants;  c'est  simplement  un  des 
hommes  qui  allume  sa  pipe.  Si  le  vent  du  nord  fait  rage, 


vous  êtes  à  plaindre  en  dehors  du  bois.  Heureusement 
nous  y  entrons,  puis,  en  retombant  sur  un  lac,  nous 
sommes  en  face  de  la  Mission, 

Voyez-vous  ces  gens  attroupés  sur  la  côte  entre  les 
maisons  du  village  indien  ?  Ce  sont  les  catholiques  les 
plus  éloignés  du  pays  qui  sont  déjà  arrivés  de  la  veille  ; 
d'autres  arrivent  dans  la  journée.  Les  deux  derniers 
sont  deux  protestants,  et  ils  viennent  du  fort  Nelson 
même. 

Ce  ne  sont  point  seulement  nos  ancêtres  et  les  chré- 
tiens des  vieux  pays  d'Europe  qui  aiment  à  célébrer 
Noël;  nos  jeunes  générations  indiennes  en  ce  pays,  dans 
le  bassin  nord  de  la  baie  d'Hudson,  aiment  aussi  particu- 
lièrement celte  belle  messe  de  minuit,  avec  ces  cantiques 
joyeux  en  l'honneur  de  la  naissance  du  divin  Sauveur 
des  hommes. 

Les  protestants  ayant  entendu  parler  de  la  beauté  de 
cette  fête  de  nuit  dans  la  religion  catholique,  désiraient 
depuis  longtemps  y  assister. 

Témoins  de  l'empressement  et  de  la  ferveur  avec  les- 
quels leurs  compatriotes  catholiques  s'approchent  du 
saint  Tribunal  et  de  l'Eucharistie,  émerveillés  de  notre 
chapelle  illuminée,  de  notre  autel  orné  de  fleurs,  du 
radieux  enfant  Jésus  souriant  au  sein  des  lumières;  tou- 
chés des  chants  de  toutes  les  voix  qui  célèbrent  la  nais- 
sance de  Jésus,  ces  pauvres  frères  séparés  me  disaient 
après  la  messe  de  minuit  : 

«Nous  n'avons  jamais  rien  vu  de  si  beau  ni  de  si  tou- 
chant. Qu'elle  est  belle  votre  religion!...  Vous  êtes  plus 
près  du  bon  Dieu  que  nous...  »  Ces  pauvres  gens  auraient 
voulu  emmener  le  prêtre  catholique  dans  leur  pays... 
Mais  on  n'est  plus  jeune  pour  parcourir  ces  distances 
en  pareille  saison. 

De  leur  côté,  le  R.  P.  Maisonneuve  et  le  P.  Simonin 


—  iO  - 

avaient  célébré  Noël  avec  les  chrétiens,  l'un,  de  la  rivière 
Caribou,  et  l'autre,  du  haut  Churchill. 

Le  R.  P.  Charlebois,  du  fort  Cumberland,  vint  nous 
surprendre  et  nous  réjouir  le  jour  de  l'an  !  897  ;  il  voulut 
bien  prêcher  à  nos  gens.  A  la  veille  de  partir,  il  me 
demanda  la  faveur  d'emmener  pour  quelque  temps  le 
jeune  P.  Simonin.  Comment  lui  refuser  à  lui  si  bon  et 
si  serviable  pour  les  autres.  Dans  sa  récente  visite  aux 
catholiques  du  Grand-Rapide,  les  prolestants  qui  étaient 
venus  l'entendre  lui  avaient  demandé  la  faveur  d'un 
plus  long  séjour,  afin  de  mieux  comprendre  les  vérités 
saintes  qu'il  leur  prêchait,  et  c'est  dans  la  perspective 
de  ce  séjour  projeté  que  le  cher  Père  demandait  le 
P.  Simonin  pour  garder  la  Mission  pendant  son  absence. 

Toutefois  le  jeune  Père  ne  devait  partir  que  plus 
tard.  En  janvier,  un  métis  anglais  protestant  vient  me 
chercher  pour  les  besoins  spirituels  de  la  population  de 
la  rivière  Caribou.  Le  missionnaire  est  hébergé  et  soigné 
par  ce  métis  et  sa  femme,  tous  deux  protestants,  mais 
qai  ont  donné  leur  nombreuse  famille  à  l'Eglise  catho- 
lique. 

Pendant  trois  jours,  les  soixante  catholiques  de  l'en- 
droit occupèrent  tout  mon  temps  ;  chacun  s'approcha 
des  sacrements  et  beaucoup,  quoique  pauvres,  voulurent 
donner  quelque  chose  pour  la  Mission.  J'aurais  voulu 
aller  voir  lesOblats  de  la  Mission  des  Dénés;  il  n'y  avait 
que  le  lac  à  traverser,  mais  un  lac  de  200  milles  et  il 
nous  fut  impossible  de  pousser  plus  loin  le  voyage  :  les 
hommes  et  les  chiens  n'étaient  pas  en  état  d'entreprendre 
celte  traversée.  Au  retour,  nous  campons  deux  fois,  chez 
des  familles  qui  ont  ainsi  le  bonheur  de  se  confesser  et 
de  communier. 

Le  froid  est  intense,  mais  grâce  aux  fourrures,  qu'on 
a  d'ailleurs  à  bon  marché  dans  le  pays,  et  que  je  me 


—  H   _ 

suis  permis  de  me  procurer  pour  mes  confrères  comme 
pour  moi,  on  ne  dirait  pas  qu'il  y  a  autour  de  nous  une 
atmosphère  de  40  à  50  degrés  de  froid. 

Peu  de  temps  après  notre  retour,  le  R.  P.  Ancel  nous 
arriva  du  lac  Caribou  avec  deux  traîneaux  et  deux  hom- 
mes, en  route  pour  Prince-Albert  ;  c'est  pour  les  finances 
de  sa  Mission  que  ce  bon  Père  doit  prendre  tant  de 
peine,  parcourir,  le  plus  souvent  à  pied,  une  distance 
de  2  000  kilomètres  aller  et  retour.  On  s'habitue  à  la 
misère,  c'est  vrai  ;  mais  il  n'en  est  pas  moins  vrai  qu'on 
la  sent,  cette  misère,  par  la  fatigue  et  par  le  froid  et  par 
l'insipide  nourriture.  Honneur  à  ce  bon  P.  Ancel,  qui  se 
dévoue  ainsi  au  plus  grand  bien  de  la  Mission  où  l'obéis- 
sance l'a  placé. 

A  son  tour,  le  P.  Maisonneuve  se  préparait  à  un  grand 
voyage,  il  devait  se  rendre  lui  aussi  à  Prince-Albert,  mais 
par  un  autre  chemin.  Le  but  principal  de  son  excursion 
était  la  visite  des  pauvres  catholiques  du  lac  La  Ronge, 
mais,  se  trouvant  déjà  là  à  proximité  de  notre  Evêque, 
il  devait  aller  le  voir.  J'engageai  les  meilleurs  hommes 
et  je  prêtai  mes  meilleurs  chiens. 

Après  le  départ  de  ce  cher  Père,  je  dus  faire  à  sa  place 
tant  bien  que  mal  une  partie  de  son  ouvrage.  11  y  avait 
longtemps  que  je  ne  m'étais  plus  occupé  de  pèche. 

Me  voici  donc  redevenu  pêcheur,  vado  piscari,  pour 
nourrir  nos  orphelins,  mais  c'est  sous  la  glace  et  au 
cœur  de  l'hiver.  Il  y  a  trois  trous  à  faire  pour  deux 
filets  :  un  grand  au  milieu  et  deux  moindres  aux  deux 
extrémités. 

C'est  au  bassin  du  milieu  que  se  joignent  les  filets  et 
c'est  par  là  qu'on  les  met  à  l'eau  et  qu'on  les  visite.  En 
ce  moment  la  glace  a  une  épaisseur  de  4  à  5  pieds  ;  aussi 
vous  pouvez  croire  que,  malgré  le  grand  froid  qu'il  fait, 
on  s'échauffe  en  brisant  cette  épaisseur,  en  la  hachant 


_  12  — 

pour  ainsi  dire  petit  à  petit,  avec  un  ciseau  emmanché 
à  une  perche. 

Pour  la  visite  des  filets,  on  la  fait  à  l'abri  de  quelques 
mètres  de  toile  que  soutiennent,  du  côté  du  vent,  des 
bâtons  fichés  dans  la  glace  en  circonférence  autour  du 
bassin.  Imaginez-vous  si  l'on  a  l'onglée  par  une  pareille 
température  ! 

On  se  gèle  véritablement  les  doigts,  et  pour  parer  à  cet 
inconvénient  inévitable,  il  faut  plonger  plusieurs  fois 
les  mains  dans  l'eau  de  glace  encore  moins  froide  que 
l'air  extérieur.  Si  le  poisson  est  entortillé  et  enchevêtré 
dans  les  mailles,  c'est  alors  le  plus  difficile  :  il  faut  souf- 
fler dans  les  doigts  et  se  battre  les  flancs. 

Le  petit  Antoine,  qui  me  suit  à  la  visite  des  filets,  gre- 
lotte à  l'abri  du  vent  et,  incapable  de  m'aider,  me  regarde 
faire...  Il  pourra  seulement  aller  tirer  le  cordeau  quand 
je  devrai  remettre  mes  filets  dans  l'eau. 

On  peut  même,  à  la  rigueur,  se  passer  de  ce  service, 
un  seul  homme  peut  tout  faire.  Viennent  les  mois  d'avril 
et  de  mai  ;  quand  le  soleil  du  printemps  a  fait  fondre 
les  neiges  et  qu'il  n'y  a  plus  que  la  glace  vive  sur  nos 
lacs,  la  visite  des  filets  est  alors  une  véritable  récréation. 
Vous  attelez  vos  chiens  sur  une  voiture  sans  roue  plus 
haute  que  les  traîneaux  d'hiver  et,  monté  là-dessus  avec 
les  enfants  de  la  Mission  vous  n'avez  qu'à  dire  :  «  Marche  1  » 
et  vous  êtes  emporté  à  grande  vitesse.  Les  chiens  s'arrê- 
tent à  point,  près  du  bassin.  Le  poisson  est  abondant  à 
cette  époque. 

On  a  tant  de  poissons  pour  la  table  en  ce  pays  qu^on 
finit  par  s'en  dégoûter.  Aussi  quelle  bonne  aubaine 
quand,  un  jour  de  l'hiver  passé,  un  voyageur  du  lac 
Caribou,  de  passage  ici,  vint  me  remettre  un  sac  de  la 
part  d'un  ami,  du  pays  des  rennes.  Si  je  ne  craignais  de 
scandaliser  nos  jeunes  novices  ou  scolastiques  à  qui  l'on 


—  43  — 

prêche  la  mortification,  je  leur  dirais  que,  sans  plus 
tarder,  j'ouvris  mon  sac  à  vivres  en  me  réjouissant  de 
voir  langues,  graisse  et  pémikan. 

Nous  étions  en  caserne  et  j'attendais  le  retour  du 
P.  Maisonneuve  quand,  un  jour,  des  voyageurs  arrivèrent. 
C'étaient  bien  ceux  que  j'attendais,  mais  pas  de  Père... 
Ms'  Pascal,  qui  venait  d'arriver  chez  lui  d'un  long  voyage 
en  Canada,  en  avait  amené  une  vingtaine  de  familles  et, 
voyant  arriver  le  P.  JMaisonneuve,  il  avait  décidé  de  le 
garder  pour  la  colonie.  C'est  ainsi  que  nous  sommes 
privés  de  ce  précieux  secours.  Il  nous  a  si  bien  servis  ici 
que  je  ne  dois  pas  être  jaloux  si  d'autres  Missions  peu- 
vent avoir  recours  à  son  dévouement. 

A  la  même  époque,  un  de  nos  voisins  se  noya  dans  le 
bassin  de  sa  pêche.  Cet  homme  tranquille  et  de  bonnes 
mœurs  n'était  pas  un  fervent.  Heureusement  pour  lui, 
depuis  le  commencement  du  carême,  il  avait  montré  un 
empressement  inaccoutumé  pour  sa  visite  quotidienne 
au  Saint  Sacrement  et  l'assistance  au  chemin  de  croix. 
Nou-i  aimons  à  croire  qu'il  a  puisé  là  des  pensées  salu- 
taires et  des  sentiments  de  contrition  qui  ont  pu  le 
sauver  sans  la  confession.  Après  Pâques,  nos  gens  déser- 
tèrent le  village  pour  aller  à  la  chasse  aux  ours,  et  nos 
paroissiennes  s'occupèrent  de  la  confection  du  sirop  de 
bouleau. 

S'il  plaît  à  vos  lecteurs  de  savoir  comment  se  fait 
cette  mélasse,  je  leur  dirai  qu'après  le  dégel  des  bou- 
leaux, après  surtout  le  dégel  des  racines,  la  sève,  si 
longtemps  arrêtée  par  le  froid,  monte  avec  une  telle 
abondance  qu'en  faisant  une  entaille  au  tronc  de  l'arbre 
et  en  soulevant  un  peu  comme  une  languette  d'écorce 
à  la  place  de  l'entaille,  cette  sève  coule  par  là  continuel- 
lement pendant  deux  ou  trois  semaines.  Les  femmes 
indiennes  s'en  vont  dans  les  bois  de  bouleaux  et  font 


_  u  — 

des  entailles  à  de  nombreux  arbres,  niellant  au  pied  un 
vase  en  écorce;  si  vous  allez  dans  cette  sorte  de  chantier, 
vous  voyez  des  centaines  de  ces  ustensiles  au  pied  des 
arbres  et  remplis  de  l'eau  de  bouleau. 

Plusieurs  fois  par  jour,  on  visite  les  récipients  et  on 
les  verse  dans  d'autres;  le  tout  est  ensuite  mis  dans  de 
grandes  chaudières  qui  bouillent  continuellement.  L'eau 
qui  s'évapore  est  toujours  remplacée  par  une  nouvelle 
quantité  d'eau  sucrée  de  bouleau  et  il  reste  à  la  tin 
une  mesure  d'un  liquide  jaune  et  sucré  :  c'est  le  sirop 
de  bouleau.  On  en  est  très  friand  dans  le  paj's,  on  en 
assaisonne  le  poisson  ou  le  pain  quand  on  en  a.  Ail- 
leurs, plus  loin  dans  le  Sud»  ce  n'est  pas  avec  le  bou- 
leau, mais  avec  l'érable  qu'on  fait  du  sirop  et  même  du 
sucre  solide. 

Quand  la  glace  fut  près  d'être  mauvaise,  j'envoyai 
deux  hommes  au  fort  Cumberland  pour  y  chercher  le 
P.  SiMOXix.  A  cette  époque  voisine  de  la  débâcle,  il  faut 
aux  voyageurs  le  canot  et  le  traîneau  sans  chiens.  Sur 
les  lacs  encore  solides,  ils  s'attellent  au  traîneau  chargé 
de  leurs  vivres,  des  couvertures  et  du  canot.  En  arrivant 
aux  rivières,  on  démanche  le  traîneau  et  c'est  le  canot 
quileremplace  jusqu'au  prochain  lac...  Mais  en  gagnant 
le  Sud,  il  devint  difficile,  même  dangereux,  pour  mes 
hommes  de  marcher  sur  la  glace  des  lacs...  Ils  arri- 
vèrent enfin  au  fort  Cumberland,  oîi  le  P.  Simonin  fut, 
dit-on,  enchanté  de  les  voir  et  de  penser  qu'il  allait  revoir 
son  lac  Pélican. 

Le  voyage  fut  très  difficile  pour  le  retour;  impossible 
de  marcher  sur  les  lacs  et,  d'un  autre  côté,  les  glaces, 
tantôt  solides,  tantôt  flottantes,  barraient  le  passage  au 
canot  ;  cela  les  obligea  à  faire  des  portages  longs  et 
difficiles  dans  le  bois.  Enfin  nous  fûmes  heureux  de  nous 
revoir  tous  et  j'appris  de  mon  cher  jeune  compagnon 


—  15  — 

que  le  K.  P.  Gharlebois  avait  reçu  neuf  abjurations  au 
Grand-Rapide. 

Voici  maintenant  la  débâcle  et,  partant,  l'ouverture  de 
la  navigation.  La  visite  pastorale  qui  doit  avoir  lieu  cet 
été  occasionne  une  rude  corvée  pour  le  missionnaire  ;  il 
faudra  faire  deux  fois  la  visite  à  la  Mission  du  fort 
Nelson,  c'est-à-dire  parcourir  en  canot  2000  kilo- 
mètres. Pourquoi  double  visite  ?  Parce  que  la  visite 
pastorale  va  trop  retarder  notre  visite  de  l'été  au  fort 
Nelson  où  il  n'y  a  pas  de  prêtre  résident,  et  où  nos  ca- 
tholiques ont  besoin  de  voir  leur  missionnaire,  pour 
résister  ainsi  aux  sollicitations  du  ministre  de  l'erreur. 
D'autres  catholiques  riverains  de  la  baie  d'Hudson  n'ar- 
riveront qu'à  la  fin  de  juillet  à  leur  fort,  et  il  faudra  bien 
aussi  que  leur  missionnaire,  revenu  de  sa  première  visite, 
y  retourne  après  avoir  vu  son  évêque. 

Pour  ma  première  visite,  je  pars  le  24  mai  avec  un 
seul  canot.  Le  lendemain,  sur  la  hauteur  des  terres,  entre 
ma  Mission  et  le  fleuve  Churchill,  je  célébrai  par  la  pen- 
sée seulement  mes  vingt-cinq  ans  de  sacerdoce.  Mes  meil- 
leurs souvenirs  aux  RR.  PP.  Monginoux  et  Baudry,  au 
sud  de  l'Afrique;  au  R.  P.  Pitoyb,  en  Espagne  ;  au  R.  P. 
d' Alton,  en  Angleterre;  au  R.P.  Bretault,  au  Texas  ;  au 
R.  P.  Michel,  à  Prince-Albert;  au  R.  P.  Trouchet,  à  Cey- 
lan;  au  R.  P.  Madden,  au  ciel.  J'ai  nommé  mes  chers 
compagnons  d'ordination. 

Le  lendemain,  en  descendant  le  courant,  nous  rencon- 
trions toute  une  flottille  de  canots  qui  remontaient  le 
fleuve.  Il  faut  faire  halte  pour  les  saluer  et  leur  parler 
un  peu  à  tous.  Ils  ont  de  l'huile  d'esturgeon,  mais  pas  de 
farine  ;  on  leur  en  fournit  un  peu  et  ils  font  des  crêpes  à 
l'huile.  On  nous  avertit  que  le  lac  Canard,  sur  notre 
roule  ordinaire,  est  encore  occupé  par  les  glaces  ;  force 
nous  est  de  suivre  le  fleuve  que  mes  compagnons  ne 


—  16  — 

connaissent  pas  très  bien.  Ces  nombreuses  îles,  ces  larges 
et  profondes  baies  à  droite  et  à  gauche,  ces  détroits 
de-ci,  de-là,  quel  labyrinthe  !  On  s'égare  quelque  temps, 
mais  les  gens  du  pays,  à  l'œil  exercé,  reconnaissent 
bientôt  la  direction  du  fleuve. 

C'était,  le  lendemain,  fête  de  l'Ascension  ;  je  célébrai 
en  tente.  Ce  jour-là,  nous  aperçûmes  un  gros  caribou 
traversant  le  fleuve  à  la  nage;  on  voulut  gagner  de 
vitesse  avec  lui  pour  le  tuer,  mais  il  débarqua  avant 
nous  et  la  balle  ne  l'atteignit  point. 

On  se  repose  deux  jours  à  Pakitawagan.  Puis  on  con- 
tinue le  voyage...  En  bas  d'un  grand  rapide,  on  trouve 
une  bonne  famille  qui  nous  fournit  gratis  des  vivres  en 
esturgeon  pour  le  reste  du  voyage.  Après  quatre  jours 
de  navigation,  tantôt  sur  des  lacs,  tantôt  sur  des  rivières 
pleines  de  rapides,  nous  arrivons  au  fort  Nelson.  Grand 
trouble  pour  le  ministre  qui  me  regarde  comme  un  loup 
ravisseur. 

Des  protestants  métis  ou  indiens,  étrangers  au  pays,  y 
arrivaient  en  même  temps  que  nous  pour  leur  commerce, 
et,  n'ayant  jamais  vu  de  prêtre  ni  d'église  catholique,  ils 
vinrent  tous  au  sermon  du  soir.  Après  l'exercice,  ces 
étrangers  me  touchèrent  la  main  et  l'un  d'eux  me  fit 
toutes  sortes  de  questions  dont  quelques-unes  déno- 
taient l'ignorance  de  ces  pauvres  protestants. 

Le  ministre,  à  qui  ces  derniers  firent  part  de  leurs 
bonnes  impressions,  sentit  sa  jalousie  redoubler  d'ardeur. 
Pris  d'un  saint  zèle,  il  prêcha,  le  dimanche,  à  ses  ouailles 
sur  l'idolâtrie  des  catholiques.  Le  prêtre  en  tête  est  cou- 
pable d'idolâtrie  et,  son  idole,  il  la  porte  ostensiblement 
sur  sa  poitrine,  la  croix  del'Oblat.  Les  protestants  du 
pays  qui  ont  des  enfants  catholiques  aiment  beaucoup  à 
voir  au  cou  de  leurs  enfants  une  croix  ou  une  médaille. 
Le  ministre,  superbement  indigné,  se  saisit  de  ces  objets 


—  17  — 

de  piété,  les  tourne  en  ridicule  et  allait  les  jeter  au  feu, 
lorsque  le  père  de  ces  enfants  l'arrête  et  l'insulte  même. 
C'est  lui  qui  vient  le  soir  me  dire  les  paroles  du  ministre 
contre  les  images,  les  croix,  les  statues.  J'appelai  chez 
moi  tous  ceux  qui  se  trouvaient  en  ce  moment  autour 
de  la  Mission,  protestants  et  catholiques,  et  ouvrant  la 
grosse  Bible  anglaise,  je  leur  lus  le  texte  où  Dieu  com- 
mande à  Moïse  de  faire  exécuter  deux  statues  d'anges 
pour  les  côtés  du  tabernacle.  Du  choc  jaillit  la  lumière  ; 
c'est  ainsi  qu'à  l'occasion  des  attaques  du  ministre,  la 
vérité  pure  apparaît  à  ces  pauvres  gens. 

En  quittant  le  fort  Nelson,  cette  fois,  et  les  quelques 
catholiques  déjà  arrivés,  je  leur  dis  d'annoncer  à  tous 
leurs  compatriotes  qu'après  le  passage  du  Grand  Priant, 
au  lac  Pélican,  un  missionnaire  viendrait  probablement 
résider  au  milieu  d'eux. 

Je  vous  fais  grâce  des  détails  du  retour;  il  me  souvient 
seulement  d'un  retour  offensif  de  l'hiver  qui  nous  fît  bien 
souffrir  dans  un  portage,  sur  un  marais,  où  il  nous  fallut 
patauger  dans  l'eau  de  glace.  En  arrivant  près  de  Paki- 
tawagan,  nous  trouvons,  sur  une  île  du  fleuve,  toute 
la  population  du  pays  réunie,  attendant  le  passage  de 
leur  missionnaire.  Après  le  dîner,  qui  fut  servi  abon- 
damment par  l'un  d'eux,  nous  partîmes  tous  ensemble 
pour  la  chapelle,  canots  devant,  canots  en  arrière,  ca- 
nots de  tous  les  côtés,  et  nous  au  milieu  ;  on  navigue  en 
cadence,  remontant  le  fleuve  et  chantant  des  cantiques  ; 
c'était  toute  ma  chrétienté  en  procession  sur  les  ondes. 

Il  y  eut  trois  jours  de  halte  à  Pakitawagan  pour  les 
exercices  spirituels  de  ces  nombreux  chrétiens.  11  fallait 
cependant  nous  hcâler  afin  de  pouvoir  aller  rencontrer 
MS""  Pascal  au  fort  Gumberland. 

Sans  nous  attarder  au  lac  Pélican,  allons  au-devant 
de  notre  premier  pasteur. 

T.  xxxVi.  2 


—  18  — 

Voici  trois  canots  en  route  pour  le  fort  Cumberland. 
Le  vent  enfle  nos  voiles  et  il  devient  si  fort  qu'il  menace 
de  nous  faire  plonger  de  l'avant  dans  les  vagues.  Mais 
tout  va  bien  sur  les  lacs  et  sur  les  rivières;  pas  d'acci- 
dents dans  les  rapides.  On  arrive  en  face  de  la  Mission 
au  fort  Cumberland.  iMonseigneur  venait  d'y  arriver; 
nous  le  reconnaissons  debout  sur  le  rivage  prêt  à  nous 
recevoir  à  bras  ouverts,  il  nous  donne  sa  bénédiction. 
Tous  les  chrétiens  du  pays  sont  là  aussi.  La  présence 
de  l'évêque  catholique  attire  toute  la  population  autour 
de  la  Mission.  Le  11.  P.  Charlebois  racontera  la  visite 
pastorale  de  sa  Mission.  A  mon  tour,  je  suis  heureux 
d'emmener  Sa  Grandeur  au  lac  Pélican. 

J'ai  cédé  à  Sa  Grandeur  mon  meilleur  canot;  des  deux 
autres,  l'un  est  pour  moi  et  le  troisième  est  chargé  des 
provisions  pour  notre  Mission.  Quel  honneur  et  quel 
plaisir,  pour  un  pauvre  missionnaire  de  ces  immenses 
déserts,  de  pouvoir  voyager  pendant  quelques  jours  en 
compagnie  du  Vicaire  apostolique  !  On  se  parle  de  canot 
à  canot,  on  se  conte  des  nouvelles,  on  chante.  Quand  on 
va  à  terre  pour  les  repas,  Monseigneur,  assez  conforta- 
blement fourni  en  cuisine  de  voyage,  comble  de  ses  lar- 
gesses le  missionnaire  et  ses  gens.  Un  soir,  nous  avions  à 
traverser  une  immense  baie  du  grand  lac  Cumberland, 
une  distance  d'au  moins  trois  heures  à  parcourir  à  force 
d'avirons.  C'est  un  passage  dangereux  pour  les  canots, 
car  il  n'y  a  pas  d'îles.  Le  temps  était  calme,  pas  de 
nuage  précurseur  du  vent.  On  prend  le  grand  large  avec 
toujours  du  courage  et  de  la  gaieté.  Mais  voici,  du  côté 
du  nord,  un  petit  nuage  cornu. 

Mauvais  signe ,  nos  guides  qui  s'y  connaissent  nous 
l'ont  fait  remarquer.  «  Il  va  venter  tôt  ou  tard  ce  soir, 
disent-ils  ;  courage,  ramez  fort  !  «  C'était  sérieux,  car  il 
faut  périr  inévitablement,  sans  un  miracle,  si  le  gros  vent 


—  19  — 

so  lève.  Voyant  noire  guide  fort  anxieux,  je  dis  à  Monsei- 
gneur :  «  Nos  gens  semblent  avoir  peur,  il  y  a  du  danger.  » 
Les  canots  filaient  toujours,  le  petit  nuage  grandissait  à 
mesure  qu'il  montait.  Voici  le  lac  qui  commence  à 
s'agiter.  On  ne  se  parle  guère,  préocupés  tous  de  la 
situation  ;  Monseigneur  égrenait  son  chapelet,  moi  aussi. 
«  Si  le  vent  n'augmente  pas  avant  une  heure,  nous 
sommes  sauvés,  dit  le  guide.  »  Après  des  dizaines  et  des 
dizaines,  je  chante  en  cris  le  beau  cantique  à  l'ange 
gardien  tant  aimé  de  nos  chrétiens.  Je  commence  pour 
recommencer  encore,  et  déjà  la  terre  n'est  point  éloi- 
gnée. 

Nous  débarquâmes  au  crépuscule,  et  tandis  que  Mon- 
seigneur se  couchait  sans  souper,  je  me  réjouissais  avec 
nos  gens  de  notre  heureuse  traversée. 

Deux  jours  après,  nous  étions  arrêtés  par  le  vent  sur 
une  pointe  du  lac  Castor.  Pendant  que  nos  gens  dor- 
maient. Monseigneur,  avec  les  belles  pierres  plates  du 
rivage,  élevait,  au  bord  de  l'eau,  un  semblant  de  tour 
de  Babel  ;  j'étais  son  manœuvre.  Je  laissai  Monseigneur 
pour  arriver  un  jour  d'avance  et  aider  le  P.  Smonin  pour 
la  réception  solennelle  du  pontife.  La  pluie  et  le  continuel 
mauvais  temps  empêchèrent  tout,  et  le  premier  pasteur, 
en  arrivant  à  la  Mission,  fut  reçu  avec  seulement  les 
honneurs  de  la  canonnade.  Les  prolestants  assemblés  au 
fort  de  la  Compagnie,  et  les  nombreux  catholiques  à  la 
Mission,  tirèrent  en  son  honneur  quelques  centaines  de 
coups  de  fusil. 

En  débarquant.  Monseigneur,  quoique  fatigué  et  transi 
de  froid,  dut  bénir  notre  peuple  et  donner  son  anneau 
pastoral  à  baiser  aux  hommes  et  aux  femmes,  tous  à 
genoux,  les  uns  d'un  côté  et  les  autres  de  l'autre,  entre 
le  quai  et  la  chapelle.  Dans  le  nombre,  parmi  les  femmes 
surtout,  je  vis  des  protestantes  faire  comme  les  catho- 


—  20  — 

liques  et  mouiller  de  leurs  larmes  la  main  du  Grand 
Priant. 

Dans  la  chapelle  beaucoup  trop  petite  pour  la  circons- 
tance, jamais  peuple  ne  fut  si  attentif  à  écouter  les 
paroles  qui  lui  étaient  adressées  par  une  autorité  si 
haute  et  si  pleine  de  majesté.  Beaucoup,  cependant,  de 
nos  chrétiens  manquaient  à  l'appel,  empêchés  par  les 
difficultés  du  voyage,  les  uns  ou  les  autres  par  une 
erreur  de  date.  Il  y  eut  45  confirmations;  il  devait  y  en 
avoir  une  dizaine  encore  un  peu  plus  loin,  comme  nous 
le  dirons.  Pendant  que  le  pontife  distribuait  la  Sainte 
Eucharistie  aux  nouveaux  et  anciens  communiants, 
j'aperçus  une  bonne  mère  de  famille  protestante  qui 
pleurait  à  chaudes  larmes  au  milieu  de  la  chapelle...  J'en 
sus  la  cause  après.  Elle  pleurait  de  bonheur  et  de  regret: 
de  bonheur,  parce  qu'elle  voyait  sa  fille  participer  pour 
la  première  fois  à  la  table  sainte  ;  de  regret,  parce  que 
le  bonheur  d'être  catholique  elle  aussi  lui  était  encore 
refusé.  Le  soir,  elle  pressa  fortement  son  mari  de  re- 
joindre leurs  enfants  dans  la  religion  catholique;  mais 
le  courage  lui  manqua  encore,  et  mes  instantes  sollici- 
tations n'y  firent  rien. 

Des  officiers  de  l'honorable  Compagnie  de  la  Baie  d'Hud- 
son  passèrent  au  lac  Pélican  pendant  la  visite  pastorale. 
Ils  ne  manquèrent  pas  de  venir  saluer  Monseigneur 
et  de  donner  même  un  gage  de  leur  générosité  à  son 
égard. 

Du  lac  Pélican,  Monseigneur  se  dirige  vers  le  lac  Cari- 
bou chez  les  Dénés,  Mission  que  le  R.  P.  Gasïé  dirige 
depuis  plus  de  trente  ans.  A  mi-chemin,  il  y  a  un  village 
cris  de  60  catholiques  ;  je  dus  y  accompagner  Sa  Gran- 
deur pour  l'interpréter.  Là  notre  arrivée  ne  fut  rien  moins 
que  solennelle. 
Pas  un  coup  de  fusil;  deux  ou  trois  femmes  descen- 


—  21  — 

dirent  la  côte  à  force  de  signes  que  je  fis.  La  population 
n'arriva  qu'un  petit  quart  d'heure  après. 

Ici  point  de  chapelle.  Monseigneur  va  pontifier  dans  une 
chambre  basse.  Les  deux  filles  catholiques  de  la  maîtresse 
de  céans  protestante,  aidées  de  leur  mère,  ont  vite  fait  un 
semblant  de  chapelle  ou  un  ciel  d'autel  avec  quelques 
morceaux  d'indienne  rouge  el  bleue. ..Monseigneur  con- 
firme 10  personnes,  je  crois,  et  reçoit  une  abjuration. 
Un  jeune  homme  protestant  se  lamentait  de  ne  pouvoir 
lui  aussi  se  faire  catholique.  Son  père  protestant  était 
absent,  la  crainte  révérencielle  fut  pour  lui  un  obstacle. 
Avant  de  repartir.  Monseigneur  me  disait  :  «  Que  pour- 
rais-je  donner  à  la  bonne  femme  protestante  qui  nous 
a  hébergés?»  La  femme  répondit  :  «C'est  un  honneur 
pour  moi  d'avoir  pu  recevoir  le  Grand  Priant  dans  ma 
maison  ;  je  suis,  d'ailleurs,  bien  largement  récompensée 
d'avoir  vu  mes  enfants  sous  sa  main  bénissante.  C'est 
à  moi  à  le  remercier  d'un  si  grand  bienfait.  »  Elle 
ajouta:  «J'ai  écouté  ses  paroles,  elles  me  donnent  ter- 
riblement à  réfléchir.  »  Maintenant  nous  allions  nous 
séparer  ici  avec  Monseigneur.  Je  procurai  à  Sa  Grandeur 
un  canot  plus  large  et  un  guide  sûr  pour  traverser  le 
lac  Caribou,  et  adieu.  Le  soir,  après  le  chapelet  et  une 
dernière  exhorlation  à  nos  catholiques,  je  partis.  Il  fallut 
m'arrêter  environ  une  heure  ce  soir-là  pour  entendre  la 
confession  de  quelques  malades  qui  pleuraient  de  n'avoir 
pu  se  rendre  aux  cérémonies  pontificales.  Le  lendemain 
soir,  il  me  souvient  d'un  ouragan  épouvantable,  un  vent 
terrible  de  l'ouest  qui,  comme  un  typhon,  vint  subite- 
ment nous  surprendre  sur  un  lac  ;  mais  une  petite  île 
se  trouvait  devant  nous.  Nous  nous  mîmes  à  trois  pour 
tirer  notre  canot  et  le  placer  entre  deux  arbres,  les  seuls 
de  cet  îlot. 

La  violence  du  vent  était  si  forte,  que  votre  serviteur, 


—  22  — 

qui  n'a  que  les  os  et  la  peau,  en  était  presque  soulevé  ; 
cela  ne  dura  que  dix  minutes  environ.  La  nuit  était 
venue^  il  n'y  avait  pas  de  bois  dans  l'île,  on  se  coucha 
sans  souper.  Le  lendemain,  le  vent  nous  força  à  rester 
la  moitié  du  jour  à  la  même  place  sur  un  portage.  Nous 
manquions  déjà  de  vivres.  On  pêche  le  brochet  avec 
l'hameçon.  Mes  hommes  en  apportent  une  dizaine  dont 
quelques-uns  sont  vite  rôtis  dans  la  braise  du  foyer. 
Mais  croyez-moi,  ce  n'est  guère  appétissant;  la  faim 
seule  peut  l'assaisonner. 

Dans  nos  pauvres  pays,  on  est  quelquefois  affamé  ;  le 
vent,  la  pluie,  etc.,  retardent  la  marche,  les  vivres  s'achè- 
vent et  l'on  en  est  réduit  à  l'hameçon;  bien  heureux  si 
on  a  un  fusil  ou  plutôt  un  filet.  J'ai  rencontré  un  jour  un 
archidiacre  de  l'Eglise  anglicane  qui,  arrêté  dans  son 
voyage  par  des  vents  continuels,  en  était  réduit  aux  petits 
brochetons  ;  or  je  venais  le  matin  même  de  recevoir  sur 
mon  chemin  quelques  bonnes  pièces  de  viande  sèche 
d'orignal.  Je  fis  présent  d'une  douzaine  de  livres  à  ce 
révérend  affamé.  Le  brave  homme  se  fondit  en  remer- 
ciements et  me  gratifia  de  toutes  les  bénédictions  du 
patriarche  Jacob.  Il  n'en  est  pas  moins  vrai  que,  ce  jour- 
là,  nous  cassions  notre  canot  dans  un  rapide.  Il  ne  faut 
pas  être  délicat  dans  le  pays;  on  en  est  réduit  quelque- 
fois à  manger  du  hibou,  de  l'aigle,  du  rat  musqué  et 
même  la  mousse  noire  qui, comme  des  oreilles,  s'attache 
aux  flancs  des  rochers.  Après  tout,  quand  on  mange  la 
grenouille  en  France,  on  peut  bien  manger  le  rat  mus- 
qué dans  le  Nord.  Mais  me  voilà  bien  loin  de  ma  nar- 
ration. 

Ce  jour-là  donc,  on  vécut  de  nos  brochets.  Les  mousti- 
ques ne  nous  laissèrent  pas  fermer  l'œil,  la  nuit  sui- 
vante. On  repartit  avec  le  calme  au  point  du  jour;  la 
bonne  Providence  nous  servit  des  canards  pour  le  dîner. 


—  23  - 

Un  peu  après  midi,  nous  débarquions  à  une  pêcherie 
où  les  sauvages  du  lac  Pélican  boucannaient  les  pois- 
sons. Une  heure  après,  en  entrant  dans  un  portage,  j'y 
trouve  étendu  sur  un  rocher  un  vieillard  agonisant.  Dans 
son  jeune  temps,  il  avait  voyagé  ici  avec  le  P.  Taché.  Je 
lui  renouvelai  l'absolution  et  le  laissai. Deux  jours  après, 
à  la  veille  de  mon  départ  pour  une  seconde  visite  au 
fort  Nelson,  je  venais  de  finir  le  baptême  d'un  nouveau- 
né  quand  un  canot  approcha  du  rivage  de  la  Mission  ; 
c'était  le  corps  du  vieillard. 

Le  lendemain,  le  P.  Simonin  et  votre  serviteur  partaient 
en  canot  pour  un  voyage  de  500  kilomètres  ;  j'ai  vu  ce 
cher  Père  prendre  des  notes  en  chemin,  il  pourra  en- 
voyer à  son  oncle  de  Paris  un  rapport  intéressant.  J'ai 
seulement  à  dire  qu'au  fort  Nelson  les  protestants 
comme  les  catholiques  demandèrent  de  leur  laisser  le 
nouveau  missionnaire  jusqu'aux  glaces.  Une  lettre  me 
fut  remise;  elle  venait  du  lac  Fendu,  en  aval  du  fleuve 
Nelson,  le  dernier  poste  fréquenté  par  les  Indiens  les 
plus  éloignés  du  vicariat,  à  l'est.  Dans  cette  lettre  in- 
dienne, écrite  en  caractères  syllabiques,les  Indiens  de  la 
mer  émigrés  dans  linlérieur  des  terres  pour  y  trouver 
un  pays  de  chasse  et  de  fourrures,  et  tous  protestants, 
me  demandaient  d'aller  les  voir,  leur  faire  connaître 
la  religion  catholique  et  baptiser  leurs  enfants.  Nous 
voyons  là  l'effet  de  l'oraison  de  mandata  que  notre  pre- 
mier pasteur  a  prescrite  depuis  longtemps  à  tous  ses 
prêtres  pour  la  propagation  de  la  foi. 

La  grâce  de  Dieu  travaille  ces  pauvres  Indiens  enrôlés 
jadis  dans  la  secte  de  Wesley.  Sans  encore  avoir  vu  ni 
entendu  le  prêtre  catholique,  ils  le  demandent,  et  ils 
n'ont  vu  de  leur  vie  que  quelques  rares  catholiques  qui 
du  fort  Nelson  passent  au  lac  Fendu  en  voyage. Quel  serre- 
cœur  de  ne  pouvoir  aller  tout  de  suite  à  leur  secours! 


-  24  — 

Mais  le  P.  Simonin  ne  parle  pas  encore  le  cris  ;  impossible 
aussi  de  laisser  nos  néophytes  du  fort  Nelson  assemblés 
pour  nous  voir  et  il  ne  faut  non  plus  abandonner  trop 
longtemps  notre  Mission  du  lac  Pélic m  ;  nos  premiers 
soins  aux  domesticos  fidei,  au  moins  pour  le  moment. 
Mais  la  grâce  travaillait  aussi  les  protestants  du  fort 
Nelson,  le  ministre  s'aperçut  que  plusieurs  de  ses 
ouailles  ne  venaient  pas  au  temple  ;  anxieux,  il  demande 
les  absents  ;  ne  les  voyant  pas  arriver,  il  envoie  ses  caté- 
chistes les  trouver  auprès  de  la  Mission  catholique. 

11  y  a  de  grands    parlements,   des   discussions.   Les 
hommes  de  l'erreur  mettent  en  avant  toutes  sortes  de 
prétextes  pour  arrêter  la  conversion  de  leurs  compa- 
triotes. On  leur  dit  :  «  Si  vous  vous  faites  catholiques,  la 
Compagnie  ne  vous  regardera  plus;  le  commis  ne  vous 
donnera  pas  à  crédit  et  ne  vous  fera  plus  travailler  pour 
gagner.  )>  William  X...  répond  à  son  cousin  :  d Montre- 
moi,  dans  notre  religion,  où  se  trouvent  la  confession  et 
la  rémission  des  péchés  ;  montre-moi  l'extrême-onction, 
nous  voyons   tout  cela  dans  le  Nouveau  Testament. 
L'Église  catholique  le  pratique,  nous  en  sommes  privés, 
je  me  fais  catholique.  ^>  J'allai  au  fort  de  la  Compagnie 
avec  des  témoins  pour  entendre  le  commis  sur  les  inten- 
tions que  lui  prêtaient  ses  coreligionnaires  protestants. 
Cet  Écossais,  qui  est  un  homme  poli,  juste  et  sincère, 
répondit:  «  J'aime  autant  les  catholiques  que  les  protes- 
tants, je  ne  fais  pas  attention  à  quelle  religion  ils  appar- 
tiennent, il  me  suffit  qu'ils  soient  honnêtes  j  et  je  veux 
ajouter  que  je  suis  très  satisfait  des  catholiques  parmi 
lesquels  je  trouve  mes  meilleurs  chasseurs.  »  Au  retour, 
au  milieu  de  nos   gens,   mes  hommes  répétèrent  les 
paroles  du  commis.  Les  pauvres  catéchistes  du  ministre 
n'en  furent  pas  fiers,  néanmoins  le  démon  retenait  encore 
les   âmes.    Je    devais  partii'  le  lendemain  ;  le  soir,  au 


—  23  — 

sermon  sur  le  danger  de  retarder  sa  conversion,  les 
larmes  coulèrent  et,  après  les  larmes,  le  plein  consente- 
ment ne  se  fit  pas  attendre.  Nous  reçûmes  quatre  pro- 
testants dans  le  giron  de  la  sainte  Eglise.  Je  laissai  là 
le  P.  Simonin  pour  habituer  nos  nouveaux  catholiques 
à  nos  saintes  pratiques  et  je  fis  dire  aux  Indiens  de  la 
mer  que  j'irai  les  voir  le  plus  lot  possible. 

Je  viens  d'apprendre  que  le  commis  du  fort  Nelson 
a  eu  la  bonté  de  prêter  ses  hommes  et  sa  barque,  pour 
charrier  le  bois  de  charpente;  il  a  présidé  lui-même,  et 
travaillé  aussi,  à  l'érection  du  clocher.  Le  jeune  P.  Si- 
monin, demeuré  seul  après  le  départ  des  sauvages  catho- 
liques, a  profité  d'une  bonne  occasion  pour  monter 
à  Pakitawagan,  oia  il  va  rester  jusqu'à  Noël  pour  se 
familiariser  avec  la  langue  et  passer  les  fêtes  avec  les 
Indiens  du  pays.  A  mon  retour  du  fort  Nelson,  nous 
vîmes  souvent  des  indigènes  chacun  dans  leurs  pays 
respectifs.  Ils  se  firent  un  plaisir  de  nous  offrir  des  fruits 
sauvages,  des  canards,  de  la  viande,  etc.,  mais  il  me  fut 
impossible  de  camper  chaque  fois  avec  eux  comme  ils 
l'auraient  voulu. 

J'avais  hâte  d'aller  me  reposer  à  ma  Mission.  Depuis 
quatre  mois  j'étais  continuellement  en  voyage  sur  l'eau. 
Au  lac  Pélican,  je  reçus  la  visite  du  ministre  mon  grand 
ami  qui  vient  voir  régulièrement  les  quelques  protes- 
tants de  l'endroit;  cet  homme  lit  beaucoup  et  il  est 
convaincu  de  la  vérité  de  la  religion  catholique.  Son 
évêque  passa  aussi,  mais  à  peu  près  inaperçu  ;  il  trouva 
les  anglicans  bien  peu  nombreux  et  n'osa  pas  refuser  un 
demi-sac  de  farine  que  ses  coreligionnaires  lui  deman- 
dèrent pour  manger  en  son  honneur. 

Le  missionnaire  catholique,  en  sa  résidence  au  lac 
Pélican,  passe  l'automne  à  catéchiser  les  enfants,  à 
recevoir  les  Indiens  qui  viennent  faire  leurs  dévotions 


—  26  — 

avant  de  partir  pour  leurs  quartiers  d'hiver,  à  recueillir 
les  pommes  de  terre  et  les  choux  de  son  jardin.  Ensuite 
nos  pêcheurs  suspendent  des  milliers  de  poissons  à 
chiens  et  quelques  centaines  pour  la  table.  Enfin  nous 
devons  remercier  le  bon  Dieu  des  grâces  qu'il  a  répandues 
sur  noire  population,  cet  été  surtout;  parle  ministère 
de  notre  premier  pasteur  et  de  ses  prêtres;  il  y  a  eu 
30  baptêmes  et  5  abjurations. 

Votre  très  humble  frère  en  N.-S.  et  M.  I. 

E.   BONNALD,  0.  M.  I. 

P.  S.  —  Parmi  les  motifs  qui  nous  font  remercier  la 
divine  Providence,  j'ai  oublié  de  dire  que  cet  été  W"^  Pas- 
cal et  votre  serviteur  ont  échappé  à  une  mort  cer- 
taine :  1  evèque,  au  retour  de  ses  visites  pastorales  en 
passant  au  lac  Pélican,  un  coup  de  vent  subit  faillit 
faire  chavirer  le  canot  qui  allait  en  ce  moment  à  la 
voile;  le  missionnaire,  au  retour  du  fort  ^'elson,  lancé  à 
pleine  voile  sur  un  lac,  échappa  aussi  à  un  naufrage 
certain,  puisque  son  canot  craqua  subitement  au  large, 
sur  un  écueil  inconnu,  et,  chose  étrange,  n'eut  aucune 
avarie,  quoique  menaçant  de  se  casser  en  deux.  Si  la 
mince  écorce  eût  été  brisée,  il  n'y  aurait  eu  de  chance 
de  salut  que  pour  les  bons  nageurs.  On  manqua  sans 
doute  de  quelques  lignes  les  aspérités  du  rocher,  qui 
auraient  infailliblement  crever  notre  nacelle  ;  on  glissa 
seulement,  mais  assez  fortement,  sur  la  partie  lisse  de 
recueil.  E.  B. 


MAISONS   DE  FRANCE 


MAISON  DE  SAINT  ANDELAIN. 

Saint-AndelaiD,  12  février  1898. 

Mon  révérend  Père, 

Depuis  que  notre  Maison  a  donné  Thospitalité  aux 
jeunes  Pères  pour  leurs  deux  mois  d'études,  elle  y  a 
gagné  sous  beaucoup  de  rapports  ;  mais  sou  supérieur 
s'est  vu  enlever,  du  fait,  ces  deux  mois  d'été  pendant 
lesquels  on  met  à  jour  ses  écritures.  Je  suis  en  retard  de 
ces  deux  ans  avec  les  annales.  Elles  ont  rendu  compte 
de  nos  travaux  jusqu'en  décembre  1894.  Ce  sont  donc 
trois  années  à  retracer;  il  va  falloir  le  faire  sommai- 
rement. 

Pendant  ce  laps  de  temps,  nous  avons  été  toujours 
quatre  missionnaires  en  aclivilé;  un  instant,  le  P.  Paquet 
fut  un  cinquième,  mais  intermillênl,  de  par  sa  santé 
ébranlée. 

Avec  ces  ressources  de  personnel,  nous  avons  donné 
quarante  et  une  missions,  soixante-douze  retraites  ou 
retours  de  missions,  une  dizaine  d'adorations  perpé- 
tuelles et  autres  prédications  de  circonstance. 

Les  RR.  PP.  Belner,  Q'x\utun,  et  Th.  d'Istrîa,  de 
Montmartre,  sont  venus  à  notre  secours  pour  quelques- 
unes  de  ces  œuvres.  De  notre  côté,  nous  avons  pu  se- 
courir les  maisons  de  Montmartre,  Autun,  Talence  et 
Jersey  par  les  PP.  d'îstrtA;  Cotarmamach,  Huguet  et 
Simonin. 


—  28  — 

De  nos  quarante  et  une  missions,  dix-sept  ont  été  prê- 
chées  par  un  missionnaire  seul,  vingt  et  une  par  deux  et 
trois  par  trois  et  plus.  Suivant  les  instructions  de  nos 
supérieurs  majeurs,  j'ai  visé  à  écarter  de  plus  en  plus 
les  demandes  d'un  missionnaire  isolé  ;  mais  Me""  l'évêque 
de  Nevers  nous  aidant  beaucoup  en  notre  œuvre,  par  la 
fermeté  avec  laquelle  il  tient  à  l'exécution  des  statuts 
diocésains,  qui  rendent  les  missions  obligatoires,  nous 
ne  pouvons,  ainsi  qu'il  me  l'a  aimablement  rappelé  en 
plusieurs  circonstances,  nous  refuser  à  l'aider  aussi,  en 
évangélisant  les  paroisses  auxquelles  il  ne  peut  raison- 
nablement imposer  deux  Pères. 

Dans  nos  soixante-douze  retraites  figurent  une  re- 
traite au  petit  séminaire  de  Bourges,  donnée  par  le 
P.  d'Istria  ;  deux  à  la  Sainte-Famille,  par  le  P.  Cotar- 
MANACH  (Tours  et  Blois  en  1897);  enfin,  par  moi,  cinq  à 
la  Sainte-Famille  (faubourg  Saint-Honoré  en  1895,  Blois 
et  Tours  en  1896,  Reims  et  Mézières  en  1897)  ;  deux  à 
nos  maisons  (Notre-Dame  de  l'Osier  et  le  Calvaire  de 
Marseille  en  1897);  et  trois  retraites  pastorales,  celle  de 
Nice  en  1896  et  les  deux  d'Auch  en  1897. 

Auxquelles  de  ces  œuvres  accorder  maintenant  la  place 
disponible  pour  les  descriptions,  détails,  éloges  et  notes? 
Tous  nos  Pères  ont  travaillé  avec  un  grand  zèle  ;  si  les 
uns  ont  fait  plus  en  nombre  ou  en  résultats,  le  supérieur 
déclare  que  les  autres  n'attendaient  que  des  ordres,  ou 
un  meilleur  terrain,  ou  l'âge  pour  se  mettre  au  niveau. 

Quand  les  circonstances  le  permettent,  je  donne  le 
plus  facile  aux  nouveaux  venus.  J'appelle  plus  facile, 
non  le  moins  laborieux,  mais  ce  qui  a  plus  de  chances 
de  succès.  Cela  encourage,  et  ce  qui  est  plus  important, 
cela  pose  dans  l'opinion,  avec  laquelle  il  faut  compter, 
pour  pouvoir  faire  le  bien.  Ctira  de  bono  nomine! 

Les  champs  plus  difficiles  sont,  si  faire  se  peut;  pour 


—  29  — 

les  aguerris;  ils  n'y  compromettent  plus  leur  réputation 
déjà  faite.  Au  contraire,  ils  y  ajoutent  un  lustre  de 
courage  indiscuté,  car,  si  le  bruit  d'un  insuccès  se  ré- 
pand, on  se  souvient  des  missions  faites  ailleurs,  on  com- 
pare et  l'on  constate  vite  la  différence  des  terrains. 

M'est-il  permis  de  dire  que  le  supérieur  se  réserve 
volontiers  les  trop  mauvais  morceaux  !  Outre  les  travaux 
qui  décourageraient,  il  y  a  des  œuvres  et  des  milieux  oii 
le  titre  de  supérieur  ajoute  une  force.  Une  fois  seul, 
une  autrefois  avec  le  P.  Huchet,  j'ai  vécu  trois  semaines 
en  tels  presbytères  où  un  simple  sujet  aurait  été  littéra- 
lement mal  traité,  dans  tous  les  sens  du  mot,  de  par 
l'ascendant  pris,  on  ne  sait  trop  comment,  par  les  per- 
sonnes de  service.  L'une  était  sœur,  l'autre  nièce  du 
malheureux  pasteur,  trop  âgé,  dans  les  deux  endroits, 
pour  pouvoir  changer  de  gouvernement.  Toutes  les  deux 
étaient  absolument  brouillées  avec  l'eau  de  vaisselle,  le 
balai  et  l'horloge.  A  X...,  le  chien  était  à  table  avec  nous; 
la  nièce  présidait, bien  plus  désagréable  que  le  toutou, et 
elle  nous  trouvait  insupportablement  exigeants  de  sou- 
haiter que  nos  chambres  fussent  faites  avant  8  heures  du 
soir,  d'y  désirer  du  feu  au  milieu  de  l'hiver,  d'exprimer 
aussi  le  désir  qu'il  n'y  eût  pas  plus  de  cinq  quarts 
d'heure  de  retard  pour  les  repas  et  que  l'eau  des  ca- 
rafes, dont  elle  n'usait  pas,  n'eût  pas  trop  l'air  d'avoir 
déjà  servi  à  autre  chose...  » 

Enfin,  comme  dit  le  bonhomme  Lhomond  :  Meminisse 
juvat!  Ajoutons  vite  que  ces  cas  sont  uniques  en  ce 
genre. 

De  plus  en  plus  rares  aussi  sont  les  pasteurs  qui,  ne 
donnant  la  mission  qu'à  leur  corps  défendant  et  après 
plusieurs  sommations  de  Monseigneur,  semblent  ne  dé- 
sirer que  les  résultats  qui  justifieraient  leurs  résis- 
tances. 


—  30  — 

AX...,  permetlez-raoi  de  ne  pas  nommer,  on  devinera 
pourquoi  si  l'on  veut,  le  P.  Huchet  e:.t  presque  obligé 
de  lutter  pour  obtenir  qu'on  visite  la  paroisse,  qu'on 
essaj'e  d'apprendre  des  cantiques,  qu'on  demande  des 
bougies.  On  lui  prédit  tous  les  échecs,  il  obtient  d'excel- 
lents résultats  sur  toute  la  ligne,  et  son  prophète  de  mal- 
heur se  retire,  contrarié,  sous  sa  tente,  afl'ectant  de  s'abs- 
tenir jusqu'à  la  fin. 

A  Y...,  le  P.  CoTARMANACH  tombe  chez  un  monsieur  qui 
le  prévient,  dès  l'arrivée,  que  la  question  finances  est  ca- 
pitale, qu'il  aura  ses  honoraires,  mais  pas  un  liard  de 
plus  pour  les  décorations  de  l'église.  Le  malheureux 
Père  s'étant  avisé  de  faire  5  ou  6  francs  de  dépenses  chez 
le  menuisier  pour  une  cérémonie  de  la  Sainte  Vierge, 
cela  resta  à  notre  charge. 

A  Z...,  le  P.  d'Istria  se  trouve  en  présence  d'un  excel- 
lent homme,  mais  un  peu  toc-toc,  disent  irrespectueu- 
sement ses  voisins,  et  qui,  à  table,  devant  les  étrangers 
constamment  invités,  critique  tous  les  actes,  tous  les 
sermons  de  son  missionnaire  en  chef,  jusqu'à  ce  que  le 
P.  HucHET,  agacé  et  trouvant  son  compagnon  trop  pa^ 
tient,  apprend  carrément  à  l'amphitryon  l'article  40,  §2, 
chap.  II,  de  la  première  partie  de  nos  Constitutions  :  Nemo 
unquam  ad  mensam  admittatur ,  nisi  identidem  parochus. 
Sans  doute,  il  suppose  que  les  missionnaires  ont  leur 
table;  d'autres  articles  le  disent  clairement:  Mission- 
narii  utentur  eadem  domo,  eademque  mensa,  si  fieri  possit 
(art.  36).  Frugalis  sit  mensa..,  dum  illoruin  erit  de  ali- 
menlis  providers  (art.  37).  Et  à  l'article  38,  après  Quando 
ordinari  poterit  juxla  nostra  institula,  il  ajoute:  Secus, 
kospitum  volunlati  sese  bénévole  accommodabunt,  mais, 
curantes  nihilominus  quantum  in  illis  erit  ut  propius  accé- 
dant ad  régulas  nostras.  Si  c'est  applicable  au  menu,  ne 
l'est-ce  pas  autant  au.x  convives  ?j 


—  31  — 

Nos  mêmes  Règles  disent  que  c'est  à  table,  qu'après  la 
lecture  du  Nouveau  Testament  par  le  plus  jeune,  co//a/{o 
o'it  de  casibus  conscientiae,  etc.,  ce  qui  signifie  bien  Viden- 
tidem  Parochus,  car,  lui  présent,  cette  collatio  est  pire 
que  dangereuse,  cela  saute  aux  yeux  !  Aussi,  quelle  sa- 
gesse, sub  omnirespectu,  dans  cet  éloignement  des  étran- 
gers laïques  !  Qu'on  se  dépoétise  vite,  la  fourchette  ou 
le  verre  à  la  main!  Et  si  le  convive,  qui  n'a  qu'à  songer 
aux  lois  de  l'étiquette,  ne  pense  pas  que  le  repas  est  le 
seul  moment  de  détente  et  de  conversation  pour  les  ou- 
vriers apostoliques,  que  de  fâcheux  étonnements  ! 

Mais,  le  plus  habituellement,  pour  ne  pas  dire  tou- 
jours, ce  n'est  pas  le  presbytère,  c'est  la  population  qui 
ferait  de  la  paroisse  ce  que  j'appelle  un  mauvais  mor- 
ceau. Il  y  en  a  même  quelques-unes  à  propos  desquelles 
pn  serait  heureux  de  se  rappeler  que  le  Maître  disait  à 
ses  douze  :  «Secouez  la  poussière  de  vos  chaussures,  et 
passez  dans  une  autre.»  Je  le  dis  en  professant  pourtant 
que  je  n'ai  pas  encore  vu  de  mission  inutile  ! 

Voici  maintenant  quelques  mots  sur  chacune  de  celles 
de  ces  trois  années  : 

Subligny  (diocèse  de  Bourges).  Les  PP.  d'Istria  et 
CoTARMANACH  y  trouvent  un  pasteur  fort  distingué  et 
plein  de  délicatesse,  avec  une  paroisse  très  étendue,  ra- 
vagée par  la  danse  et  les  unions  de  la  main  gauche  1 
Ils  y  établissent  un  chœur  de  chanteuses  et  deux  Con- 
grégations. Nombreux  retours  d'hommes  et  belle  plan- 
tation de  croix. 

Garchy,  paroisse  très  indifférente,  voisine  de  Saint- 
Andelain.Au  moment  de  la  mission,  elle  avait  pour  pas- 
teur un  prêtre  instruit,  qui  essaya,  pendant  six  mois  de 
noviciat  à  Notre-Dame  de  l'Osier,  de  se  faire  Oblat  de 
Marie.  lime  raconta  qu'un  jour  le  spleen  le  prit:  il  vou- 
lut partir,  sans  rime  ni  raison,  par  pure  impression.  Le 


—  32  — 

maître  des  novices  lui  prédit  qu'il  aurait  regret  avant 
huit  jours;  il  eut  regret  à  moitié  chemin  de  Vinay,  mais 
c'était  trop  tard.  De  paroisse  en  paroisse,  il  aboutit  à 
Garchy,  où  il  est  mort  il  y  a  quelques  mois,  assisté  par 
le  P.  Thévenon.  Il  doit  sa  mort  à  ce  qui  a  rendu  sa  pa- 
roisse bien  malade  :  un  binage  !  Un  chaud  et  froid  pris 
au  retour  d'un  office  en  cette  desserte,  l'emporta  en 
moins  d'une  semaine.  La  paroisse  n'a  jamais  été  bien 
chaude,  je  crois,  mais  son  froid  s'est  amené  à  zéro  très 
rond,  parle  fait  que,  depuis  des  années,  la  messe  du 
dimanche  n'avait  plus  d'heure  fixe,  les  vêpres  étaient 
supprimées  ou  chantées  par  M.  le  curé  et  sa  sœur  pour 
tout  lutrin. 

Missionner  là,  c'était  travailler  surtout  à  sa  sanctifica- 
tion personnelle.  Le  P.  Cotarmaxacii  y  fut  seul.  Au  ser- 
mon d'ouverture,  il  y  eut  du  monde  :  c'était  la  Toussaint. 
Mais  l'auditoire  prit  sans  doute  le  texte  latin  du  sermon 
pour  un  Deo  gratias,  car  les  causettes  commencèrent  en 
même  temps  que  ledit  sermon,  et  faillirent  couvrir  la 
voix  du  prédicateur. 

Quelques  réunions  au  hameau  de  Mézières,  quelques 
cérémonies  à  l'église  amenèrent  du  monde.  De  loO  à 
200  femmes  et  4  ou  5  retardataires  hommes  furent  vus 
à  la  sainte  table.  C'était  plus  qu'on  ne  pouvait  espérer. 

Chiddes,  paroisse  du  Morvan,  1  800  habitants.  Nous 
trouvons  là,  le  P.  Huchet  et  moi,  un  sol  à  part.  Peuple 
réputé  un  peu  sauvage,  dompté  par  un  curé  jeune,  ardent 
et  d'une  énergique  et  calme  ténacité. 

Non  seulement  en  son  ménage,  pour  le  tenir  admira- 
blement, mais  à  la  sacristie,  pour  le  linge  et  les  orne- 
ments ;  à  la  tribune,  pour  surveiller  les  enfants  pen- 
dant les  offices;  en  son  catéchisme,  pour  dégrossir  les 
obtus;  à  l'église,  pour  faire  faire  chaque  jour  la  visite  au 
Saint  Sacrement  aux  jeunes  filles,  ce  curé  a  le  bonheur 


~  33  — 

d'être  secondé  par  une  sœur  qui  lui  vaut  deux  vicaires. 
Il  a,  de  plus,  un  châtelain  absolument  modèle,  le  comte 
de  La  Pile  de  Pelleport,  fixé  à  Chiddes,  avec  sa  sympa- 
thique petite  famille,  après  de  longues  années  passées  en 
Egypte.  Carrément  chrétien,  instruit,  ayant  le  prestige 
de  sa  haute  stature,  de  sa  science,  de  sa  fortune,  et 
chargé,  autant  que  n'importe  quel  autre  châtelain,  de 
famille,  de  serviteurs,  de  biens  à  administrer^  de  train 
de  maison  à  surveiller,  il  n'a  manqué  aucune  de  nos 
réunions,  je  dis  aucune  I  II  ne  s'est  pas  contenté  de  con- 
tribuer généreusement  à  toutes  les  dépenses,  en  particu- 
lier à  celles  de  l'acquisition  et  de  la  plantation  de  la  croix, 
il  s'est  mêlé  aux  hommes  du  peuple  pour  porter  cette 
croix  et  en  diriger  l'érection  en  ingénieur  consommé. 

Aussi  pouvons-nous  dire  que  nous  avons  eu  une  belle, 
et  bonne,  et  fructueuse  mission.  Za  Croix  du  Nivernais  en 
a  donné  un  compte  rendu  en  deux  colonnes  absolument 
enthousiaste,  et  M.  le  curé  ne  nous  a  pas  laissés  partir 
sans  retenir  illico  trois  Pères  pour  la  mission  suivante. 

Il  nous  a  fallu  là  lutter  contre  la  désastreuse  influence 
d'un  ex-député  radical,  contre  un  temps  très  rigoureux 
et  la  difficulté  des  distances.  Que  de  fois  sommes-nous 
rentrés  de  nos  réunions  de  villages  après  iO  heures  du 
soir,  n'ayant  plus  même,  pour  notre  souper  et  noire  cou- 
cher, l'appétit  et  le  sommeil  complètement  tués  par  la 
lassitude  ! 

C'est  en  cette  paroisse,  et  sous  l'impulsion  de  son  curé, 
M.  Forestier,  qu'a  pris  naissance  la  dévotion  à  Noire- 
Daine  du  Suprême -Par  don  :  nous  attendons  la  fin  de  la 
construction  de  l'église  élevée  à  notre  bonne  Mère  sous 
ce  vocable  pour  donner  la  mission  suivante. 

L'année  1895  s'ouvre  par  la  mission  de  Myennes  (800  ha- 
bitants). Je  la  donne  seul  et  je  suis  encore  à  moitié 
de  trop  !  Population  de  potiers  et  de  tuiliers,  un  peu 

T.    XXXVI.  3 


-  34  — 

cosmopolite.  Un  quart  des  femmes  et  les  deux  tiers 
des  hommes  ne  mettent  jamais,  absolument  jamais,  les 
pieds  à  l'église.  Au  grand  catéchisme  de  première  com- 
munion, au  moment  de  la  mission,  c'est-à-dire  quatre 
mois  avant  cette  première  communion,  H  enfants  ne 
savent  pas  le  «  Je  crois  en  Dieu  »,  et  6  ne  savent  pas 
même  le  «  Notre  Père  ».  Le  seul  jeune  homme  vu  à  la 
messe  le  dimanche,  fait  dire  des  messes  pour  son  père 
défunt,  mais  n'y  assiste  pas,  parce  qu'on  se  moquerait 
de  lui  !  Enfin,  chose  que  je  n'ai  pas  encore  vue  ailleurs, 
un  peu  plus  de  la  moitié  des  parents  ne  viennent  pas  à 
la  messe,  même  le  jour  de  la  première  communion  de 
leurs  enfants  ! 

Le  prêtre  y  est  sans  aucune  influence,  bien  quïl  soit 
un  modèle  de  régularité,  passant  chaque  jour  des  heures 
entières  à  l'église,  qu'il  entretient  de  ses  mains,  n'ayant 
pas  d'employés. 

Mes  auditoires  de  la  première  semaine  furent  de  40  à 
50  personnes,  femmes  et  jeunes  filles;  un  peu  plus  nom- 
breux le  reste  de  la  mission,  ils  remplissaient  l'église  pour 
la  fête  de  la  Sainte  Vierge.  Mais  que  de  peines  pour  orga- 
niser cette  fête  !  M.  le  curé,  aigri  par  des  ennuis  domesti- 
ques et  par  son  peuple  récalcitrant,  ne  voulait  pas  même 
prêter  les  candélabres  de  l'église,  qui  lui  furent  enlevés 
comme  de  force  par  leurs  donatrices.  Il  refusa  aussi  ses 
tentures  pour  la  cérémonie  des  morts.  Pas  même  un  sem- 
blant de  catafalque  ! 

Je  n'hésitai  pas  à  prêcher  tous  les  jours  deux  fois,  le 
soir,  à  la  soixantaine  d'auditeurs  ;  le  matin,  à  une  dou- 
zaine, qui,  celle-là,  fut  courageusement  fidèle  à  tous  les 
exercices. 

Résultats  visibles  :  64  confessions,  dont  4  jeunes  gens, 
et  6  retours  de  femmes.  Pas  un  garçon  de  la  première 
communion  précédente,  pas  une  bâtonnière,  c'est-à-dire 


des  jeunes  filles  qui  quêtent  le  dimanche  et  portent  la 
bannière  aux  processions,  pas  un  fabricien,  pas  même 
la  sœur  de  M.  le  curé  ! 

Eh  bien,  comme  en  tous  ces  milieux  déplorables,  la 
mission  a  fait  un  grand  bien  aux  âmes  fidèles  condam- 
nées à  vivre  là.  Quelques  personnes  me  promirent  la 
communion  mensuelle,  chose  inouïe  à  Myennes  ;  elles 
se  firent  inscrire  au  grand  rosaire  et,  vingt-trois  mois 
après,  je  reçus  des  témoignages  authentiques  de  leur 
persévérance. 

Les  deux  missions  suivantes,  données  en  février, 
furent  rendues  presque  impossibles  par  l'excessive  ri- 
gueur du  froid.  Seul  à  Oudan,  paroisse  de  550  habi- 
tants, le  P.  GoTARMANACU  Vit  M.  le  curé  alité  pendant 
les  deux  tiers  du  temps,  pris  d'une  maladie  épidémique 
qui  ravagea  toute  la  paroisse.  Il  essaya  d'attirer  les 
hommes,  gens  des  bois,  charbonniers  et  bûcherons,  et 
put  en  réunir  une  centaine. 

Presque  toutes  les  femmes  et  une  quinzaine  d'hommes 
s'approchèrent  des  sacrements  :  parmi  ces  derniers,  une 
dizaine  étaient  des  retardataires! 

Le  P.  d'Istria  et  moi,  nous  essayons,  pendant  ce 
même  mauvais  temps,  d'évangéliser  Herry,  grosse  pa- 
roisse du  diocèse  de  Bourges.  Ce  fut  plus  qu'audacieux  1 
La  paroisse  est  très  surfaite.  Le  châtelain  se  fit  porter 
malade  pour  la  durée  de  la  mission  :  les  exemples  fran- 
chement chrétiens  ne  sont  jamais  sortis  de  ce  milieu 
philippiste.  Chez  les  religieuses,  il  y  a  un  ouvroir  et 
une  congrégation  de  jeunes  personnes.  C'est  une  res- 
source pour  le  chant,  quand  l'harmonie  y  est...  Enfin  le 
froid  fut  vraiment  intolérable  ;  tout  gelait  dans  l'église, 
y  compris  le  vin  dans  le  calice  pendant  le  saint  sacrifice. 
Je  dus  cesser  dédire  ma  messe  pendant  une  semaine,  la 
journée  ne  suffisant  pas  à  dissiper  les  atroces  névralgies 


—  36  — 

que  je  prenais  le  matin  pendant  les  vingt-cinq  minutes 
que  je  restais  Lête  nue.  Pour  avoir  des  hommes,  je  leur 
permis  de  rester  couverts  pendant  nos  sermons. 

Néanmoins,  une  centaine  de  personnes  furent  fidèles, 
matin  et  soir,  les  jours  ordinaires,  et  il  y  eut  grande 
affluence  à  deux  ou  trois  fêtes.  Je  puis  dire  que  c'est  là 
que  j'ai  eu  toute  la  mesure  de  la  vaillance  du  P.  d'Is- 
TRiA  :  il  ne  se  laissa  arrêter  que  par  la  maladie,  qui  finit 
par  lui  infliger  vingt-quatre  bonnes  heures  de  consigne 
absolue  dans  sa  chambre. 

Il  trouva  presque  aussitôt,  après  cette  mission,  une 
autre  bonne  occasion  de  montrer  son  courage  dans  la 
mission  de  Saint-Maurice-le-Vieil  (diocèse  de  Sens). 

Là,  un  seul  homme  fait  ses  pâques,  c'est  un  étranger. 
Pas  une  femme,  pas  une  fille  ne  s'approche  des  sacre- 
ments. Une  quinzaine  de  vieilles  femmes  vont  à  la  messe 
le  dimanche;  bien  des  jeunes  gens  et  des  jeunes  filles 
n'ont  reçu  d'autre  bénédiclion  que  celle  du  conjungo 
municipal.  L'infect  journal  iYonne  est  la  seule  pâture 
intellectuelle  et  morale  de  ce  peuple.  Et  pour  comble 
de  difficulté,  le  pays  est  partagé  en  trois  centres  rivaux. 

M.  le  curé  a  fait  un  grand  acte  de  foi  en  donnant 
cette  mission,  et  nous  a  fait  honneur  en  n'osant  la  de- 
mander qu  a  nous.  Le  P.  d'Istria  et  son  second,  le 
P.  Cotarmanach,  ont  été  de  vrais  Oblats  en  l'acceptant 
et  en  la  prêchant. 

Je  n'insiste  pas  sur  les  17  degrés  au-dessous  de  zéro^ 
que  marqua  parfois  le  thermomètre  :  celui  des  âmes 
faisait  oublier  l'autre.  Dans  quatre  ou  cinq  maisons,  les 
Pères  furent  brutalement  mis  à  la  porte.  Ils  réussirent 
à  amener  une  quarantaine  de  femmes  et  de  filles  à  la 
sainte  table,  à  réhabiliter  deux  mariages,  à  faire  faire 
sept  premières  communions  en  retard  et  à  grouper  une 
vingtaine  de  femmes  et  de  filles  en  congrégation. 


~-  37  — 

L'Yonne  vengea  la  canaille  locale  du  bien  opéré,  en 
publiant  deux  articles  dont,  malgré  leur  provenance  très 
probablement  académique,  il  serait  malaisé  dédire  quel 
était  le  plus  idiot. 

Aux  mêmes  dates,  le  P.  Huchet  et  moi  nous  étions  à 
Alligny-Cosne.  Grosse  paroisse,  petite  mission  !  Rien  de 
saillant! 

Même  note  pour  les  missions  de  Savigny-Poil-Fol  et 
de  la  Colancelle,  données  par  le  P.  Paquet,  auquel  il 
faut  pardonner  de  les  avoir  acceptées,  dans  l'état  où  il 
se  trouvait.  11  voulut  diriger  ensuite  celle  de  Tazilly, 
avec  le  P.  Cotarmanach  pour  second.  Il  fallut  bientôt  le 
faire  rentrer  à  Saint-Andelain,  et  envoyer  le  P.  Huchet 
au  secours  du  P.  Cotarmanach. 

Une  fois  ensemble,  ces  deux  Pères  organisèrent  des 
réunions  de  village,  remuèrent  ce  peuple,  amenèrent 
150  bommes  à  la  sainte  table,  et  eurent  une  magni- 
fique plantation  de  croix  :  bois  porté  en  procession 
par  60  hommes,  et  le  corps  du  Christ  par  les  10  conscrits 
de  l'année,  drapeau,  clairon  et  tambour  entête.  Là  en- 
core, les  châteaux,  familles  de  Laverchère  et  de  Courti- 
yron,  donnèrent  constamment  le  bon  exemple. 

Mais,  avant  d'y  rejoindre  les  PP.  Paquet  et  Cotar- 
manach, le  P.  Huchet  avait  pris  part  avec  moi  à  la  mis- 
sion d'Onlay,  mission  fondée,  revenant  en  des  condi- 
tions peu  propres  à  en  maintenir  l'attraction.  Paroisse 
routinière,  à  bonnes  habitudes,  sans  piété.  Les  reli- 
gieuses, qui  y  sont  depuis  des  années,  semblent  conser- 
ver peu  de  rapports  avec  leurs  anciennes  élèves  et  sont 
sans  action  sur  les  femmes. 

Auditoires  passables  ;  église  comble  aux  conférences 
dialoguées  et  aux  lêtes  ;  presque  toutes  les  femmes  et 
environ  200  hommes  à  la  sainte  table,  sur  900  habi- 
tants.  Mais  peu  de   retours  et,  qui  pis  est,  quelques 


-  38  — 

hommes  rebutés  parce  que,  M.  le  curé  nous  l'a  dit  lui- 
même,  on  a  réglé,  dans  son  doyenné,  que  l'on  n'accep- 
terait pas  aux  pâques  ceux  qui  ne  se  présentent  pas 
deux  fois  au  confessionnal.  C'est  un  canon  du  concile 
de  Moulins-Engilbert. 

Croira-t-on  qu'un  homme  en  retard  de  trois  ans,  et 
déclarant  qu'il  resterait  au  confessionnal  aussi  long- 
temps qu'on  le  jugerait  nécessaire,  mais  qu'il  ne  voulait 
pas  y  revenir  une  seconde  fois,  ne  trouva  pas  grâce  ! 
Nous  secouâmes  ce  joug  antithéologique,  mais  trop  tar- 
divement. 

Pendant  cette  mission,  le  P.  d'Istria  prêchait  à  Saint- 
Thomas,  de  Jersey  :  enchanté  de  l'accueil  fraternel  des 
Pères,  très  intéressé  par  tout  ce  que  lui  apprit  ce 
voyage. 

Je  ne  parle  pas  de  la  trentaine  de  retraites  données 
entre  les  missions  précédentes  et  celles  d'automne  ;  ce 
serait  sine  fine. 

En  novembre,  les  PP.  d'Istru  et  Gotarmanach  repren- 
nent le  chemin  du  Morvan  pour  évangéliser  la  grande 
paroisse  d'Ouroux  (2  500  habitants). 

Yingt-quatre  réunions  de  villages  furent  organisées 
pour  ébranler  cette  population,  demeurant  à  des  dis- 
tances considérables.  De  fait,  on  vint  aux  cérémonies  et 
à  la  messe  du  dimanche;  mais,  à  la  sainte  table,  il  y  eut 
moins  de  monde  qu'à  Pâques  ;  cela  se  produit  depuis 
quelque  temps,  dans  les  paroisses  routinières,  où  de 
braves  gens  pensent  que  la  communion  de  mission  est 
pour  les  «  bien  dévots  »  et  pour  les  retardataires  :  eux 
ne  sont  ni  l'un  ni  l'autre! 

«  A  Ouroux,  la  plupart  des  femmes  et  beaucoup 
d'hommes  font  leurs  pâques.  »  disait-on  aux  Pères  à  leur 
arrivée;  mais  ils  constatèrent,  sur  d'autres  points,  que 
la  statistique  était  faite  par  un  compteur  indulgent  qui. 


—  39  — 

volontiers,  enlèverait  la  virgule  et  mettrait  le  zéro  après 
les  chiffres  !  Viscerapaternitatts  f  Oi^tiimhme  sincère  qui, 
du  moins,  n'attriste  pas,  comme  la  disposition  à  tout 
nigrifier. 

En  novembre  aussi,  le  P.  Huchet  et  moi  nous  menions 
de  front  les  missions  de  Monceaux-le-Comteet  de  Dirol, 
petites  paroisses  distantes  de  1  5UU  mètres  et  confiées  au 
même  pasteur. 

Comment  narrer  laconiquement  cette  œuvre  épique? 

Il  y  a,  à  Monceaux,  un  franc-maçon,  qui  s'en  vante, 
et  un  taré  qui  ne  s'en  vante  pas,  mais  que  la  justice  a 
chevronné,  servant  tous  deux  de  noyau  à  une  petite 
poignée  de  fortes  têtes.  Le  maire  est  un  bourgeois,  no- 
taire, qui  ne  parut  à  aucun  exercice;  ses  330  adminis- 
trés passent  pour  ardents  républicains.  Les  conseillers 
municipaux  de  jadis  ont  voté  là  bien  des  choses,  entre 
autres  l'éclairage  de  leurs  rues.  Comme  ailleurs,  à  la 
campagne,  il  n'y  a,  dans  les  rues  de  Monceaux,  la  nuit, 
que  les  chats  et  quelques  bipèdes  qui  ne  raffolent  pas 
des  réverbères.  Mais  ces  quinquets  éblouissaient  les 
communes  voisines  et  faisaient  croire  que  là  on  était 
éclairé,  même  le  jour. 

Enfin,  à  preuve  que  le  bigotisme  est  ennemi  de  la  ci- 
vilisation et  réciproquement,  le  maire  n'a  pas  pu  empê- 
cher ces  «  éclairés  »  d'aller  faire  des  vilenies  dans 
l'église^  le  iA  juillet  d'avant  la  mission  ! 

Vous  voyez  le  terrain  !  Dès  les  premiers  jours,  nous 
soupçonnâmes  que  le  fond  de  ce  peuple  était  bien  moins 
mauvais  que  ne  le  faisait  croire  cette  surface.  Quelques 
cantiques  bien  enlevés, quelques  refrains-chœurs  à  deux 
ou  trois  parties  extrafaciles,  que  je  fus  tout  étonné,  le 
premier,  de  pouvoir  organiser  là,  puis  les  illuminations 
créèrent  l'entrain  :  il  devint  formidable. 

Le  franc-maçon  nous  lance  un  sot  et  anonyme  article 


—  40  — 

de  journal  dans  les  jambes.  Le  maire  est  savamment 
excité  contre  nous  ;  on  lui  rapporte,  comme  allusions 
contre  lui,  toutes  les  paroles  où  le  mot  notaù^e,  ou  bon 
ou  mauvais  exemple,  se  trouve  mêlé.  Un  jeune  homme 
se  cache,  le  soir,  dans  les  sous-sols  du  presbytère,  pour 
donner  un  mauvais  coup  au  missionnaire,  quand  il  ren- 
trera seul  de  l'église  ou  de  la  paroisse  voisine  ;  il  en  est 
empêché  providentiellement  par  M.  le  curé  qui,  rentrant 
le  premier,  entendit  du  bruit  dans  ce  sous-sol,  s'en  in- 
quiéta et,  remontant  à  la  cuisine  chercher  une  lanterne, 
laissa,  pendant  ce  court  instant,  son  brigand  s'échapper. 

Tout  cela  se  raconte,  échauffe  les  esprits  :  on  penche 
de  notre  côté.  Nous  risquons  une  souscription  pour  une 
croix.  Quatre-vingt-seize  souscripteurs  nous  donnent 
275  francs  ;  cela  devient  une  consternation  pour  la  bande 
du  F.'.  M.*.,  car  ces  quatre-vingt-seize  noms  représen- 
taient à  peu  près  toutes  les  familles.  Il  va  donc,  avec  deux 
acolytes,  dont  le  père  du  jeune  homme  suspect,  som- 
mer le  maire  d'interdire  cette  plantation  de  croix.  Le 
maire,  acculé,  a  l'esprit  de  prendre  parti  pour  nous, 
c'est-à-dire  pour  la  masse  de  ses  administrés  et  élec- 
teurs. Le  bruit  de  cette  démarche  se  répand  aussitôt,  et 
alors  commence  l'épique.  Cette  croix  de  "",50  de  haut 
sur  20  centimètres  d'équarrissage  est  emportée  par  la 
presque  totalité  des  électeurs  ;  on  la  dresse  avec  accom- 
pagnement de  chants  et  de  fusillades,  comme  de  cou- 
tume. La  place  était  pavoisée  de  drapeaux,  prêtés  par  la 
mairie,  l'avant-veille,  pour  une  messe  de  conscrits,  et 
gardés  par  le  P.  Huchet,  sans  autre  formalité,  pour  ce 
jour  où  ni  le  maire  ni  personne  n'osa  les  réclamer. 
L'enthousiasme  semblait  à  son  comble  et  incapable  d'un 
crescendo. 

Mais  voilà  qu'à  la  nuit,  M.  le  curé,  électrisé,  paye  des 
lanternes  vénitiennes  et  des  pétards  ;  on  illumine  toute 


—  41   — 

la  place  et  le  clocher;  l'église,  profanée  le  14  juillet,  et 
sans  réparation  depuis,  a  son  éclatante  réparation  ce 
soir-là!  Des  jeunes  garçons  lancent  des  fusées  du  haut 
du  clocher  ;  d'autres  allument  des  pétards  par  paquets 
pour  faire  plus  de  bruit.  Le  P.  Huchet,  pris  dans  la  foule, 
organise  une  retraite  aux  flambeaux  ;  et  tout  cela  s'im- 
provisait au  fur  et  à  mesure  des  inspirations  de  la  foule 
et  du  Père.  Les  voilà  partis,  chantant  des  cantiques  d'un 
rythme  de  plus  en  plus  accéléré  et  réservant  les  forte, 
fortissimo,  pour  leurs  passages  devant  les  maisons  des 
sectaires.  Retiré  dans  ma  chambre  depuis  la  fin  des  cé- 
rémonies religieuses,  j'entendais  tout  ce  bruit  avec  ap- 
préhension d'abord.  11  avait  beau  être  fréquemment  en- 
trecoupé par  les  cris  de  :  «  Vive  la  croix  1  «et  le  refrain  : 

Chrétiens,  chantons  à  haute  voix  : 
Vive  Jésus,  vive  sa  croix  ! 

me  disant  quel  était  le  parti  triomphant,  je  tremblais 
que  le  P.  Huchet,  trop  éleclrisé,  ne  lût  mis  machiavéli- 
quement  dans  quelque  mauvais  cas.  D'autre  part,  je  ne 
pouvais  le  désavouer  devant  personne,  ni  même  songer 
à  aller  lui  glisser  un  moderato  dans  l'oreille.  Je  me  bornai 
à  lui  envoyer  les  secours  de  quelques  Ave  Maria  et 
Souvenez-vous! 

Il  arrive  enfin  au  presbytère,  entouré  de  la  foule,  qui 
ne  cesse  de  crier  :  «  Vive  la  croix  !  Vivent  les  Pères  !  »,  et 
de  tirer  des  coups  de  fusil  quand  nous  l'exhortons  à  se 
retirer. 

Le  lendemain,  la  gendarmerie  de  Tannay  faisait  une 
enquête.  Nous  avions  été  dénoncés  pour  tapage  noc- 
turne. Les  braves  gendarmes,  irrités  d'être  constamment 
dérangés  par  les  perpétuelles  dénonciations  de  ces  radi- 
caux l'un  contre  l'autre,  menèrent  leur  enquête  de  telle 
sorte  qu'elle  allongea  encore  de  quelques  pouces  le  nez 
de  nos  sectaires. 


42  

Mis  en  veine  par  tout  cela,  les  paroissiens  de  Dirol  vou- 
lurent avoir  aussi  leur  croix.  Là  encore,  dénonciation 
partie  de  Monceaux,  et  descente  des  gendarmes,  mais 
avant  la  plantation  de  la  croix,  pour  savoir  si  nous  étions 
autorisés  àla  placer  sur  le  terrain  communal.  Nous  étions 
eti  règle,  et  il  fut  aisé  de  faire  mousser  ceux  de  Dirol,  en 
leur  faisant  remarquer  cette  insolence  des  radicaux  de 
la  commune  d'à  côté,  de  vouloir  empêcher  sur  la  com- 
mune voisine  ce  qu'ils  n'avaient  pu  entraver  sur  la  leur! 

Cette  fois,  M.  le  curé  achète  un  feu  d'artifice  :  une 
pluie  torrentielle  oblige  à  le  remettre  au  lendemain.  Le 
P.  HucHET  en  profile  pour  déférer  aux  désirs  d'un  groupe 
de  jeunes  gens  de  Monceaux  :  ils  prennent  une  tapis- 
sière, la  pavoisent  de  drapeaux  et  lanternes  vénitiennes, 
s'y  entassent,  vont  à  Dirol  en  chantant  des  cantiques  tout 
le  long  duchemin,  y  communiquent  leur  feu,  et,  comme 
bouquet,  ont,  à  leur  retour  à  Monceaux,  une  altercation 
avec  les  sectaires,  qui  les  attendaient  sur  la  route;  le 
percepteur  et  la  receveuse  des  postes  étaient  avec  eux: 
ils  eussent  été  vraiment  dépaysés  dans  le  bord  clérical  ! 
Leur  chef  interpelle  M.  le  curé,  puis  le  P.  Huchet,  qui 
lui  riposte  en  suscitant  un  formidable  éclat  de  rire  de  la 
foule  attroupée  ;  il  entonne:  «Vive  Jésusîvivesa  croix!», 
et  la  foule  continue.  Le  F.*.  M.*,  rentre  furieux  dans  sa 
boutique,  laissant  son  groupe  s'éclipser  en  catimini  et 
criant  :  «  Rira  bien  qui  rira  le  dernier!  »  Le  P.  Huchet 
de  répondre  :  «  Eh  bien,  en  attendant,  je  ris  tout  de 
suite  !  »  Et,  avec  lui,  la  foule  rit  de  toutes  ses  forces. 

Si  bien  que,  le  lendemain,  le  sectaire  et  ses  deux  co- 
pains donnaient  leur  démission  de  conseillers  munici- 
paux. On  leur  causa  le  désagrément  de  l'accepter.  Ils 
comptaient  sur  une  revanche  aux  élections  suivantes,  et 
elle  était  à  craindre,  car  tout  ce  bruit  pouvait  ne  rien 
laisser  de  solide.  Dieu  permit  que  ces  drôles  eussent, 


—  43  — 

au  moment  des  élections  suivantes,  l'idée  sacrilège,  fan- 
faronne et  maladroite  de  proclamer  qu'aussitôt  élus,  ils 
feraient  scier  la  croix  et  installer,  sur  son  socle  de  ma- 
çonnerie, une  bascule  à  bétail  pour  les  jours  de  marché. 
Cela  révolta  nos  gens,  et  cette  clique  fut  définitivement 
balayée.  Depuis,  j'ai  ouï  dire  que  l'épicier  est  en  faillite 
et  que  son  plus  fidèle  allié  a  subi  une  condamnation  in- 
famante pour  je  ne  sais  quelle  coquinerie  d'ans  une  suc- 
cession. 

Il  est  clair  que  l'on  jouait  là  quitte  ou  double,  et  ce 
mode  de  missionner  est  ici  narré,  mais  non  recom- 
mandé !  A  Monceaux,  il  répondit  à  un  besoin  de  cette 
population,  dont  il  fallait  briser  les  chaînes,  qu'il  fallait 
mettre  en  rupture  éclatante,  irrémédiable,  avec  ceux  qui 
ne  demandaient  qu'à  la  remettre  sous  le  joug. 

Millay  (1600  hab.)  fut  notre  mission  suivante.  Nous 
elimes  à  souffrir,  le  P.  HuceETet  moi,  de  choses  difficiles 
à  relater  ici.  Au  presbytère,  l'œuvre  est  subie  ;  au  châ- 
teau, elle  est  critiquée;  dans  le  peuple,  elle  est  paraly- 
sée, jusqu'à  ce  que  nous  brisions  nos  entraves  et  que 
nous  allions  de  l'avant!  La  maîtresse  de  maison  nous 
avait  prédit,  à  la  table  deM.le  curé,  ou  plutôt  à  la  sienne, 
apparemment,  tous  les  insuccès  imaginables;  à  l'enten- 
dre, le  château  était  pourri,  le  peuple  abruti,  la  mission 
précédente  avait  piteusement  échoué,  etc.,  etcoNede- 
mandezpasde  bougies  pour  votre  fête  de  la  Sainte  Vierge, 
vous  n'auriez  rien,  mais  rien  !  LesPères  Maristes  en  ont 
demandé  malgré  nous  à  la  dernière  mission  ;  on  leur  eu 
a  donné  5.  Mon  oncle  vous  en  donnera,  et  patati  et  pa- 
tata !»  Connaissant  enfin  ma  particulière,  j'ai  l'audace  de 
prêcher  autre  chose  que  ce  qu'elle  me  recommande,  je 
refuse  les  bougies  de  l'oncle,  j'en  demande  au  peuple  ; 
il  a  le  toupet  de  faire  mentir  mademoiselle  en  m'en  ap- 
portant 60  le  jour  même,  et  230  en  tout.  Ce  bon  peuple 


->  44  — 

vient,  revient,  remplit  notre  église.  Le  château  ne  paraît 
que  le  dimanche,  et,  seulement,  à  la  messe  ! 

Pendant  qu'à  Chiddes  et  à  Tazilly,  paroisses  voisines, 
MM.  de  Pelleport,  de  Laverchèie,  de  Courtivron,  je  l'ai 
dit,  ont  constamment  donné  le  bon  exemple  et  marché 
à  la  tête  des  hommes  fidèles,  à  Millay,  les  messieurs  se 
sont  trouvés  à  la  tête  des  abstenants,  qui  sont  pourtant 
leurs  adversaires  politiques.  Aussi,  aux  élections  sui- 
vantes, sont-ils  tombés  à  la  queue  de  la  queue.  Sans  ran- 
cune, c'est  bien  fait  !  Je  pense  aux  âmes  du  peuple  en  le 
disant  ! 

Malgré  ce  pitoyable  exemple,  nous  avons  eu  de  nom- 
breuses communions  de  femmes,  de  très  nombreux  re- 
tours d'hommes  et  une  superbe  plantation  de  croix, 
croix  magnifique,  dans  un  beau  socle  en  maçonnerie.  Je 
dois  ajouter,  pour  être  juste,  que  les  messieurs  promi- 
rent leur  souscription,  encaissée,  je  pense,  par  M.  le 
curé,  après  notre  départ.  Puisse-t-elle  leur  valoir  un  peu 
de  courage  chrétien  ! 

Rien  à  dire  de  la  mission  de  Savigny-en-Sancerre(dio- 
cèse  de  Bourges),  donnée  par  les  PP.  d'Istria  et  Cotar- 
MANACH.  «  Peu  de  résultats  sérieux  » ,  dit  le  P.  d'Istria  au 
Codex. 

J'arrive  avec  joie  à  la  mission  de  Saint-Honoré-les- 
Bains,  prêchée  par  le  P.  d'Istria  et  moi  en  janvier  1896. 

Cette  paroisse  a  son  établissement  d'eaux,  connu  main- 
tenant du  monde  entier  ;  il  appartient  au  général  d'Es- 
peuilles.  M.  le  curé  est  un  prêtre  dans  toute  la  force  de 
l'âge,  pieux,  zélé,  plein  de  tact,  de  savoir-faire  et  de  gé- 
nérosité. 

La  première  attaque  du  diable  contre  cette  mission  a 
eu  pour  courageux  soldats  les  châtelains  figaristes  de  la 
région  de  Millay.  Avec  la  bravoure  qui  signale  celte  race, 
ils  firent  envoyer,  par  une  plume  habituellement  mieux 


—  45  — 

inspirée,  une  lettre  qu'ils  n'osèrent  confectionner  eux- 
mêmes,  au  général  d'Espeuilles,  l'avertissant  que  les 
missionnaires  qui  allaient  arriver  à  Saint-Honoré  étaient 
des  façons  de  Savonaroles,  enlevant  au  peuple  son  ad- 
miration pour  les  descendants  des  croisés.  Hum!  mes- 
sieurs, il  faut  s'entendre!  Le  général  eut  le  flair  de  la 
chose  et  le  bon  sens  de  consulter  son  curé,  qui  lui  assura, 
avec  moult  preuves  à  l'appui,  que  c'était  une  fête  pour 
nous  de  trouver  des  châtelains  dignes  d'éloges  et  de  pu- 
blier leurs  louanges,  qui  deviennent  d'excellentes  prédi- 
cations. Le  général  jeta  la  fameuse  lettre  dans  le  feu  de 
la  cheminée  de  M.  le  curé,  en  lui  disant  :  «  Voilà  le  cas 
que  j'en  fais  !  n 

Retenu  àClermont  par  le  commandement  de  son  corps 
d'armée,  il  ne  put  assister  à  nos  exercices;  mais,  outre 
que  des  générosités  témoignèrent  de  sa  sympathie  à 
l'œuvre  entreprise  par  son  pasteur,  tout  le  monde  sait, 
à  Saint-Honoré,  qu'il  n'y  manque  jamais  les  offices, 
qu'il  s'occupe  du  bon  Dieu  et  non  de  la  nef,  à  l'église, 
qu'il  s'y  tient  dignement,  qu'il  écoute  respectueusement 
les  sermons  du  simple  prêtre,  les  mandements  de  Mon- 
seigneur et  ceux  du  Pape,  enfin  qu'il  s'approche  de  la 
sainte  table  et  ostensiblement,  autant  de  traits  de  dis- 
semblances entre  ce  brave,  homme  de  travail,  d'ordre  et 
de  caractère,  et  ces  oisifs  demi-impies,  deux  tiers  scan- 
daleux et  trois  quarts  pestes  des  paroisses  et  des  pauvres 
curés. 

Jamais  nous  n'avons  eu  de  mission  mieux  préparée 
par  le  pasteur,  jamais  nous  n'avons  été  mieux  secondés 
au  cours  de  l'œuvre;  jamais,  enfin,  pasteur  n'a  mieux 
compris  ni  mieux  pratiqué  cette  conviction  qu'honorer 
ses  missionnaires,  c'estfortifier  leur  action,  et,  en  somme, 
préparer  une  récolte  surnaturelle  plus  abondante  au  pro- 
fit du  pasteur  lui-même. 


—  46  — 

Assistances  parfaites  commenombre  et  tenue:  285  com- 
munions d'hommes,  dont  près  de  la  moitié  de  retours, 
500  femmes,  dont  23  à  30  retours  ;  plantation  d'une 
belle  croix  avec  triple  emmarchement  en  granit  donné 
parle  général.  Enfin,  mission  prochaine  retenue  séance 
tenante,  comme  à  Fours,  comme  à  Châtillon  et  ailleurs, 
où  il  était  convenu,  entre  fustigés,  qu'il  fallait  d'autres 
missionnaires  désormais  ! 

Le  P.  d'îstria  fut  très  goûté  là,  comme  partout,  pour 
sa  patience,  sa  bénignité  et  le  ton  convaincu  et  pénétrant 
de  sa  prédication. 

Le  carême  1896  commença  par  les  Missions  de  Saint- 
Seine  et  de  Luthenay-Uxeloup. 

En  cette  dernière  paroisse  (lOoO  habitants),  le  P.  d'îs- 
tria redevint  chef  et  retrouva  le  P.  Cotarmanach  pour 
second.  Ils  eurent  de  grandes  appréhensions  en  s'y  ren- 
dant; des  prêtres  leur  avaient  dit  la  paroisse  mauvaise  ; 
ils  furent  agréablement  surpris  d'en  voir  la  grande  majo- 
rité se  rendre  à  leurs  appels  ;  seul,  un  village,  rival  du 
bourg,  s'abstint.  La  population  y  est  très  pauvre  ;  ses 
châtelains  et  bourgeois,  excepté  le  comte  de  Dreux-Brézé, 
sont  tous  sans  religion  ;  le  Codex,  que  je  transcris  tex- 
tuellement, ajoute  une  autre  note  qui  se  devine,  étant 
le  corollaire  de  la  précédente,  et  dit  :  «  Quel  exemple 
détestable  pour  une  population  !  Pourtant,  cette  popu- 
lation s'est  montrée  généreuse,  empressée  pour  venir 
aux  exercices^  docile  pour  faire  son  devoir,  reconnais- 
sante pour  ses  missionnaires.  Un  nombre  considérable 
de  retours  parmi  les  femmes  et  les  hommes,  la  forma- 
tion de  deux  congrégations,  l'une  de  femmes,  l'autre  de 
jeunes  filles,  une  splendide  plantation  de  croix,  tels  ont 
été  les  résultats  de  cette  mission,  l'une  de  mes  meilleures 
de  la  Nièvre.  » 

Saint -Seine   a  aussi  assez   mauvaise   réputation  au 


—  47  — 

point  de  vue  religieux  ;  cela  tient,  me  dit-on,  à  ce  que 
cette  population  de  700  habitants  est  très  républicaine, 
et  que  ces  régions  n'ont  pas  encore  élé  éclairées  sur  les 
directions  pontificales. 

M.  le  curé  et  moi,  nous  avons  procédé  aussi  douce- 
ment que  possible  ;  aussi  n'avons-nous  rencontré  aucune 
hostilité  :  c'était  déjà  beaucoup.  L'auditoire,  arrivé  à 
150  personnes  la  première  semaine,  ne  tomba  jamais 
au-dessous  de  200  ensuite,  et  atteignit  SOO  à  plusieurs 
cérémonies.  Nous  obtînmes  142  communions  de  femmes, 
dont  20  retours,  et  26  d'hommes,  dont  10  retours.  Il  n'y 
eut  pourtant  de  grand  enthousiasme  que  pour  la  plan- 
tation de  croix.  Mais,  ce  jour-là,  M.  le  curé  fut  si  satis- 
fait, qu'il  retint  immédiatement  la  mission  suivante. 
La  deuxième  partie  de  ce  carême  fut  prise  par  les  mis- 
sions de  Saint-Saulge  et  de  Gouloux. 

Sur  la  première,  voici  deux  extraits  de  la  Croix  du 
Nivernais  qui  la  résument: 

«  Saint-Saulge  ("2250  habitants).  En  cette  paroisse,  à 
laquelle  on  faisait,  bien  à  tort,  la  réputation  d'être  dif- 
ficile à  enthousiasmer,  deux  Pères  Oblats  ont  créé  un 
mouvement  extraordinaire.  Dès  le  premier  dimanche,  la 
population  était  tellement  enlevée,  à  la  cérémonie  de 
consécration  des  enfants,  que  les  missionnaires  durent 
réprimer  des  applaudissements.  Assistances  toujours  su- 
périeures à  900  personnes,  atteignant  plusieurs  fois  le 
millier,  très  nombreux  retours  d'hommes  et  de  femmes, 
mariages  réhabilités,  projets  d'associations  dominicales, 
de  création  d'ouvroir,  de  pèlerinage,  tout  s'est  multiplié 
avec  un  entrain  sans  pareil...  » 

La  clôture  a  été  marquée  par  un  accident  qui  aurait 
pu  avoir  des  suites  graves.  Quand  la  foule  se  fut  lente- 
ment dispersée,  le  Père,  chargé  des  décorations,  resta 
seul  dans  l'église  pour  éteindre  l'illumination.  Les  jeunes 


—  48  — 

gens  qui  ['aidaient  ordinairement  à  ce  travail  s'étaient 
échappés  pour  préparer  une  joyeuse  surprise.  Le  courant 
d'air  produit  par  l'ouverture  des  portes  raviva  la  flamme 
des  cinq  cents  bougies  qui  brûlaient  sur  l'autel.  La  chute 
de  quelques-unes  met  le  feu  aux  légères  tentures  du  repo- 
soir.  Le  Père  s'élance  vainement  pour  étouffer  la  flamme  ; 
les  mains  brûlées,  la  soutane  déjà  atteinte,  entouré  de 
flammes,  il  ne  vit  plus  rien  à  faire  que  de  renverser  à 
terre  l'immense  étoile  chargée  de  bougies,  qui  flambait 
comme  une  torche,  et  menaçait  la  voûte.  Il  se  précipita 
à  sa  suite  et,  dans  sa  chute,  se  foula  malheureusement 
le  pied.  Mais  grâce  à  son  énergie  et  au  retour  des  jeunes 
gens,  l'incendie  était  éteint.  Les  habitants  de  Saint- 
Saulge,  après  avoir  montré  la  plus  touchante  sollicitude 
pour  le  blessé,  ont,  par  leur  générosité,  assuré  la  prompte 
et  complète  réparation  des  dégâts,  d'ailleurs  bien  moins 
considérables  qu'on  ne  l'avait  cru  tout  d'abord. 

Ce  blessé  était  le  P.  Huchet  ;  son  illumination  avait 
déjà  servi,  telle,  étoile  lumineuse  comprise,  dans  le  cou- 
rant de  la  semaine,  et  n'avait  donc  pas  paru  imprudente. 
Néanmoins,  on  voulut  faire  bruit  de  la  chose,  et  déjà  on 
proclamait  que  le  tableau  placé  derrière  le  maître-autel, 
et  qui  fut  très  endommagé  par  la  flamme,  valait  au 
moins  50000  francs.  Avec  1500  francs,  il  eût  été  large- 
ment payé  ;  il  fut  réparé  aux  frais  d'un  généreux  châte- 
lain, M.  de  Savigny,  et  M.  le  doyen,  qui  est  un  habitué 
de  notre  maison  pour  sa  retraite  annuelle,  vient  de  me 
redemander  un  Père  pour  un  prochain  travail  aposto- 
lique dans  sa  paroisse. 

A  Gouloux  (650  habitants),  le  P.  Cotarmanacu  a  son 
monde  dès  le  premier  jour  ;  il  voit  à  la  sainte  table  toutes 
les  femmes,  moins  cinq  ou  six,  et  132  hommes,  dont  une 
soixantaine  de  retours.  Un  ne  pouvait  guère  attendre 
plus,  même  en  Morvan. 


—  49  — 

Devenu  libre,  à  la  fin  de  ce  carême,  par  le  fait  d'un  bon 
curé  qui  avait  oublié  qu'il  avait  retenu  un  missionnaire, 
et  se  déclara,  en  raison  de  cet  oubli,  hors  d'état  de  le 
recevoir,  j'ai  voulu  me  rendre  à  l'appel  de  M.  le  doyen 
d'Herry,  alors  sans  vicaire,  et  qui  me  réclamait  à  cor  et 
à  cri,  comme  lui  devant  une  compensation  pour  sa  mis- 
sion si  éprouvée  de  l'année  précédente.  Mais,  la  veille 
de  mon  arrivée,  l'archevêché  de  Bourges  lui  envoyait  son 
vicaire  ;  le  temps  redevenait  mauvais  ;  mon  rôle  man- 
quait de  précision.  Je  ne  fus,  en  somme,  qu'un  auxi- 
liaire donnant  les  sermons  et  confessant,  quand  M.  le 
curé  quittait  son  confessionnal.  Gomme  toujours,  ce 
secours  a  été  utile  à  plusieurs,  mais  cela  ne  remplaçait 
pas  la  mission,  qui  reste  à  faire,  et  qui  sera  difficile  dans 
cette  paroisse  surfaite. 

A  l'automne,  je  commence  par  la  mission  de  Lain, 
bien  petite  paroisse  du  bien  mauvais  diocèse  de  Sens, 
bon  antidote  à  l'orgueil  que  m'aurait  donné  la  retraite 
pastorale  que  je  venais  de  prêcher  à  Nice  !  Il  eût  été  peu 
Ublat,  du  reste,  et  peu  supérieur  aussi  d'objecter  au 
vénérable  curé  que  mes  travaux  précédents  en  sa  pa- 
roisse m'avaient  trop  convaincu  de  l'aridité  du  sol  pour 
y  dépenser  encore  trois  semaines.  Puisqu'il  en  prenait 
la  charge  une  fois  de  plus,  ne  devais-je  pas  essayer  une 
fois  de  plus  aussi?  Refuser  ou  envoyer  un  autre  Père  eût 
été  d'autant  plus  mal  que  pour  s'assurer  le  Père  déjà 
connu  de  son  monde,  il  consentit  à  des  dates,  les  seules 
libres  pour  moi,  mais  gênantes  pour  lui  et  défavorables 
à  son  peuple,  à  cause  des  pluies  désastreuses  de  cet 
automne  1896,  qui  ont  mis  tout  en  retard  dans  la  cam- 
pagne. 

L'œuvre  débuta  bien  humblement  ;  presque  rien  la 
première  semaine.  Gela  ne  m'empêcha  pas  de  faire  des 
réunions  du  matin  dès  la  deuxième  ;  c'est  dans  la  paroisse 

T.  xxxvi.  4 


■^  50  — 

voisine  que  je  prêchai  naguère  tous  les  matins  pendant 

trois  semaines  à  deux  personnes. 

A  Lain,  mes  fillettes  de  la  mission  précédente,  devenues 
jeunes  personnes  de  dix-huit  à  vingt-deux  ans,  ne  man- 
quèrent aucune  réunion  du  matin  et  du  soir  ;  elles  firent 
deux  communions  pendant  la  mission  et  revinrent  pour 
l'Adoration  perpétuelle,  ce  que  M.  le  curé  n'avait  jamais 
vu.  Les  tertiaires  de  Saint-François,  que  nous  avions 
instituées  jadis,  furent  fidèles  aussi.  Autour  de  ce  double 
noyau,  quelques  personnes  se  groupèrent.  Les  autres  ne 
gagnèrent  rien  à  laisser  la  mission  pour  les  travaux  du 
dehors,  car  le  temps  devint  pire  et  pourrit  toutes  leurs 
pommes  de  terre.  La  mission  eut  cet  autre  bon  résultat 
d'amener  une  accalmie  dans  les  hostilités  habituelles. 
Aucun  autre  curé  de  la  région  n'aurait  osé  donner  une 
mission  en  ces  conditions  et  si  pleinement  à  sa  charge. 

De  Lain,  je  me  rendis  directement  à  Isenay,  où  le 
P.  d'Istria  vint  me  seconder.  Cette  paroisse  n'a  que 
400  âmes,  mais  il  y  a  une  annexe,  Saint-Gratien,  pour 
laquelle  le  cher  P.  d'Istria  se  fatigua  beaucoup.  Il  ne 
suffisait  pas  de  se  rendre  à  pied  à  l'église,  il  lui  fallut 
aussi  parcourir  toutes  les  fermes,  très  dispersées,  pour 
aboutir  à  se  faire  un  auditoire,  dont  il  conquit  vite  toutes 
les  sympathies.  Ces  paroisses  ne  sont  pas  bonnes.  Elles 
ont  élé  évangélisées  jadis  par  M.  Receveur,  dont  la  cause 
de  béatification  est  introduite,  et  les  notes  laissées  sur 
son  action  en  ce  milieu  disent  nettement  qu'il  obtint 
encore  moins  que  nous,  malgré  qu'il  y  fut,  non  trois 
semaines,  mais  des  mois.  Il  y  a,  pour  rendre  le  bien  plus 
difficile,  une  hostilité  contre  M.  le  curé,  dont  on  connaît 
les  instigateurs,  car  ils  ont  achevé  de  se  démasquer  pen- 
dant ces  trois  semaines. 

Nous  organisâmes  des  réunions  de  villages,  surtout 
chez  M.  de  Montchanin,  qui  se  montra  parfait. 


—  51   — 

Nous  avons  noté  comme  lésiillals  :àlsenay,  49  abso- 
lutions de  femmes,  dont  3  retours,  et  25  d'hommes,  dont 
2  retours,  et  à  Saint-Gratien,  43  femmes  et  27  hommes, 
dont  24  retours  ;  la  réconciliation  de  deux  familles  très 
influentes  ;  la  consolidation  très  réelle  des  bons,  ébranlés 
par  diverses  causes  ;  enfin,  le  jour  fait  sur  les  menées 
hypocrites  du  maire  et  de  l'instituteur,  qui  avait  caché 
assez  bien  son  jeu  jusque-là.  La  pauvre  école  des  Sœurs 
en  avait  bien  souffert  :  elle  avait  si  peu  d'élèves,  qu'elle 
a  été,  je  crois,  supprimée,  depuis,  par  les  bienfaiteurs  dé- 
couragés. 

Au  commencement  de  l'avent,  le  P.  d'Istria  vient  avec 
moi  à  Montreuillon  (I  200  habitants).  Là  encore,  le  Père 
se  donna  beaucoup  de  mal  et  fut  très  apprécié  en  chaire, 
au  confessionnal  et  à  domicile  dans  ses  visites.  La  grande 
église  lui  permit  de  faire  de  belles  illuminations.  Le  pas- 
teur, qui  est  un  de  nos  bons  amis,  sympathique  à  tous, 
zélé,  plein  de  tact  et  de  vie,  sut  être  parfait  sur  toute  la 
ligne.  Aussi,  malgré  la  rigueur  de  la  température  et  la 
neige,  nos  réunions  furent- elles  bien  suivies. La  croix  de 
mission  n'a  pu  être  plantée  à  la  clôture,  à  cause  des  ge- 
lées intenses  qui  ne  permirent,  ni  d'aller  chercher  l'arbre 
dans  la  forêt,  ni  de  maçonner  le  socle;  154  hommes  et 
370  femmes  s'approchèrent  de  la  sainte  table,  parmi 
lesquels  beaucoup  de  retours. 

Pendant  cette  mission,  les  PP.  Gotarmanach  etHucBET 
prêtaient  leur  concours  à  la  maison  d'Angers  pour  les 
missions  du  Vaudelnay  et  d'Épieds.  Bien  que  chacun 
d'eus  fût  seul  à  son  poste  et  ait  donné  un  compte  rendu 
en  notre  Codex,  je  laisse  à  l'annaliste  de  la  maison  d'An- 
gers le  soin  de  parler  de  ces  œuvres  qui  se  rattachent  à 
l'ensemble  de  sa  grande  mission  du  canton  de  Montreuil- 
Bellay. 
En  1897,  le  P.  Gotarmanach  commence  par  évangéliser 


—  S2  — 

Pougny.  11  y  a  là  près  de  900  habitants,  mais  avec  des 
habiludes  religieuses  qui  auraient  nécessité  la  présence 
d'un  deuxième  Père.  M.  le  curé  refusa  cette  charge,  et  la 
mission  en  souffrit.  Pas  de  chiffres  au  Codex.  Le  Père  se 
fatigua  beaucoup. 

Les  PP.  d'Istria  et  Hugeet  sont  plus  heureux  àVer- 
neuil.  Cette  paroisse  ne  compte  pas  tout  à  fait  900  ha- 
bitants, mais  il  n'y  a  presque  pas  de  bourgs,  les  villages 
sont  très  éloignés,  et  le  principal  est  antireligieux.  Seu- 
lement, les  Pères  y  trouvent  un  curé  idéal  pour  eux 
et  pour  leur  œuvre.  Au  château,  la  perfection  aussi, 
et  chez  le  maître  et  chez  le  régisseur,  resté  ce  que  je 
l'avais  connu  en  évangélisant  la  même  paroisse  il  y  a 
quelque  quatorze  ans,  avec  le  P.  Cbevassu.  Le  maître 
est  un  des  Benoist  d'Azy  ;  le  régisseur,  M.  Tamineau,  est 
un  Belge  connu  dans  toute  la  région  pour  sa  foi  intran- 
sigeante et  ses  pratiques  inébranlables.  A  toutes  les  foires 
du  voisinage,  Tamineau  n'a  qu'à  se  montrer,  les  jours 
maigres,  pour  qu'on  le  serve  en  maigre,  dans  n'importe 
quel  hôlel,  sans  même  qu'il  le  demande  ;  il  est  connu,  il 
a  une  dizaine  d'enfants,  dont  l'un  est  vicaire  de  la  cathé- 
drale, depuis  six  semaines  qu'il  est  prêtre. 

Dans  un  tel  milieu,  les  Pères  se  lancèrent  avec  ardeur. 
Ils  eurent  quatre  centres  de  réunions  :  des  salles  d'au- 
berge et  la  chapelle  du  château  de  Faye  ;  les  quatre  fu- 
rent toujours  trop  étroites;  152  femmes  et  103  hommes 
se  sont  approchés  de  la  sainte  table.  Remarquez  que 
c'était  immédiatement  avant  le  carême.  La  plantation 
d'une  belle  croix  donnée  par  le  vénérable  comte  de  Mau- 
migny ,  dont^a  famille  est  originaire  de  Verneuil,  fut  l'oc- 
casion d'une  explosion  d'enthousiasme  telle,  que  M.  le 
maire  crut  devoir  accorder,  ce  soir-là,  aux  aubergistes, 
la  permission  de  tenir  leurs  établissements  ou  verts  jusqu'à 
2  heures  du  matin.  C'est  inattendu  comme  bouquet  de 


—  53  — 

mission,  et  ça  pourrait  bien  déconfesser  quelques  con- 
vertis ;  mais,  dans  le  pays,  c'était  un  témoignage  de  pre- 
mière valeur. 

Au  commencement  du  carême  1897,  le  P.  Cotarma- 
NACH,  qui  avait,  jusque-là,  missionné  en  second  ou  seul, 
devient  chef  de  file,  avec  le  P.  Debray  sous  ses  ordres, 
à  Bona,  paroisse  de  9(J0  âmes,  où,  naguère,  la  mission 
fut  donnée  par  les  PP.  Merle  et  Keul.  Réunions  de  ha- 
meaux la  première  semaine,  belles  fêtes  ensuite  à  l'é- 
glise, chants,  décorations,  tout  va  au  mieux.  Presque 
toutes  les  femmes  et  beaucoup  d'hommes  font  leur  com- 
munion de  mission.  Une  belle  plantation  de  croix  et  la 
création  d'une  Congrégation  de  jeunes  filles  couronnent 
cette  œuvre. 

Pendant  que  le  P.  Gotarmanach  devient  ainsi  chef  de 
mission,  le  P.  Huchet  donne  sa  première  mission  seul 
dans  la  Nièvre  (il  avait  déjà  été  seul  à  Épieds,  dans 
l'Anjou)  :  c'est  à  BazoUes,  paroisse  presque  aussi  popu- 
leuse que  Bona  (825  habitants),  mais  n'offrant  pas,  à 
beaucoup  près,  les  mêmes  ressources.  M.  le  curé  com- 
mence par  dire  assez  nettement  au  Père  qu'il  n'attendait 
pas  un  homme  si  jeune,  et  semblevouloir  diriger  l'œuvre. 
Mais  comme  cette  direction  consiste  surtout  à  décon- 
seiller tout  ce  que  le  Père  propose,  voire  le  chant  des  can- 
tiques, le  Père  m'en  écrit,  reçoit  de  moi  la  consigne 
d'être  très  respectueusement  ferme,  et  de  dire,  en  cas 
de  besoin,  que  je  ne  l'ai  pas  envoyé  en  apprentissage, 
mais  à  l'œuvre  en  ouvrier  qui  sait  son  métier,  sous  ma 
responsabilité.  Alors,  tout  ce  qui  avait  été  dit  impossible, 
se  fait  assez  facilement  :  300  femmes  et  80  hommes  ap- 
prochent de  la  sainte  table,  d'autres  attendent  le  temps 
pascal  qui  s'ouvre  huit  jours  après.  Le  bon  et  digne  pas- 
teur avait  eu,  jusque-là,  des  missionnaires  qui  l'avaient, 
paraîi-il,  autoriséà  prendre  de  bien  bonne  foi,  et  comme 


—  o4    - 

la  meilleure,  cette  attitude  par  laquelle  le  Père  aurait 
été  réduit,  à  son  tour,  à  la  plus  complète  stérilité. 

Seul,  aussi,  je  missionnais  à  la  Mode,  paroisse  de 
1 100  âmes.  Deux  missionnaires  y  eussent  été  nécessaires. 
M.  le  curé  n'en  désirait  qu'un,  et  il  m'était  d'autant  plus 
difficile  d'insister,  que,  de  mon  côté,  je  ne  pouvais  lui 
en  fournir  un  deuxième. 

Dès  la  fin  de  la  première  semaine,  j'ai  compté  220  au- 
diteurs, 280  le  lundi  suivant,  puis  église  pleine  ordinaire- 
ment (chiffres  exacts  à  5  ou  6  personnes  près);  72  hommes 
et  213  femmes  font  la  sainte  communion  :  quinze  jours 
après,  60  de  ceux-là  et  277  autres  viennent  pour  les 
Pâques,  ce  qui  donne  622  communions  et  562  commu- 
niants. J'organise  une  confrérie  du  Rosaire,  qui  compte 
maintenant  182  membres.  Enfin,  j'obtiens  de  donner  la 
mission  suivante  avec  un  compagnon. 

Après  Bazolles  et  la  Nocle,  nous  nous  réunissons,  le 
P.  HucHET  et  moi,  à  Villapourçon,  pour  les  deux  der- 
nières semaines  de  carême  et  la  semaine  de  Pâques.  En 
cette  grosse  paroisse  du  Morvan  (3  J  00  habitants),  il  aurait 
fallu  être  quatre,  et  avec  un  pasteur  beaucoup  plus  jeune 
pour  faire  une  vraie  mission.  M.  le  curé  a  tous  les  mé- 
rites, mais  aussi  beaucoup  des  inconvénients  d'avoir 
vieilli  en  un  poste  difficile.  Il  n'a  pas  de  vicaire  :  on  lui 
prête  d'avoir  dit  que  sa  jument  lui  est  aussi  utile,  plus 
docile,  et  sans  velléités  de  se  prendre  pour  le  curé.  Soit 
pour  aller  visiter  les  malades,  mais  le  reste  ! 

Enfin,  les  paroissiens  routiniers  viennent  se  confesser 
dès  le  commencement,  sans  attendre  aucunement  l'ac- 
tion des  prédications,  sans  venir  aux  instructions  en  de- 
hors du  jour  de  leurs  confessions.  Vu  leur  nombre,  il  y  a 
encore  assez  de  monde  dans  l'église,  très  petite  pour 
cette  paroisse.  Nous  n'avons  guère  fait,  pendant  quinze 
jours,  que  le  métier  de  vicaires,  confessant  à  outrance 


—  55  — 

et  prêchant  aussi,  mais  comme  par-dessus  le  marché. 
Pendant  la  semaine  de  Pâques,  cela  prit  meilleure  tour- 
nure, mais  c'était  trop  tard.  La  bénédiction  d'une  croix 
de  village  fut  une  occasion  de  témoigner,  le  jour  de  la 
clôture,  que  ce  peuple  aurait  été  très  missionnable.Nous 
avons  compté  plus  de  125  retours  d'hommes. 

Les  PP.  CoTARMANAcn  et  DebRay  se  heurtèrent  au  même 
esprit  routinier  ù  Grevant  (diocèse  de  Bourges),  paroisse 
de  i  800  âmes.  Environ  (100  femmes,  c'est-à-dire  à  peu 
près  toutes,  et  320  hommes,  70  de  plus  que  les  autres 
années,  s'approchèrent  des  sacrements,  mais  à  leurs 
jours,  sans  tenir  aucun  compte  des  annonces  du  chef  de 
la  mission.  De  ces  600,  il  n'en  eut  que  19  pour  la  pre- 
mière communion  générale  qu'il  annonça. 

Le  carême  ainsi  terminé,  il  y  eut  deux  missions  de 
printemps.  Le  P.  Huchet  donna  celle  d'Ambourse,  petite 
paroisse  de  450  habitants.  Le  P.  Belnbr  y  avaitmissionné 
six  ans  auparavant,  et  avec  beaucoup  d'entrain  et  de 
succès.  Cela  rendait  la  tâche  du  P.  Huchet  difficile,  d'au- 
tant que  des  80  hommes  amenés  à  la  sainte  table  par  le 
P.  Belner,  pas  un  n'avait  persévéré.  On  gardait  donc 
souvenir  de  l'éclat  de  l'œuvre,  et  on  y  accolait,  il  est  fa- 
cile de  voir  en  quel  sens,  la  constatation  de  cette  non- 
persévérance.  Le  P.  Huchet  s  ingf-nia,  employa  tous  les 
moyens  possibles  de  se  faire  des  auditoires,  et  il  les  eut 
très  beaux.  Le  temps  pascal  était  passé,  aucun  homme 
n'avait  fait  ses  pâques  :  une  dizaine  se  décidèrent  à  faire 
leur  mission  ;  leur  réputation  fait  espérer  qu'ils  tiendront 
bon  cette  fois. 

L'autre  mission  est  celle  du  Tremblay-le-Vicomte  (dio- 
cèse de  Chartres).  J'ai  déjà  parlé  de  cette  paroisse  dans 
mon  compte  rendu  de  1894  (numéro  de  décembre, 
p.  464-465).  Le  vaillant  curé  voulut  enfin  donner  suite  à 
son  projet  démission  malgré  tout.  Un  Père  Jésuite  et  un 


—  56  — 

Père  Mariste  étaient  venus,  peu  avant,  dans  deux  pa- 
roisses voisines,  moins  hostiles,  et  n'avaient  rien,  mais 
absolument  rien  obtenu.  Cela  ne  découragea  pas  M.  le 
curé  ;  pour  les  mêmes  raisons  qu'à  Lain,  je  ne  pouvais 
être  moins  courageux  que  lui.  Nous  avonsessayé  de  tout: 
invitations  et  circulaires  imprimées,  fêtes,  projections  à 
la  lumière  oxyéthérique  données  par  un  professeur  du 
petit  séminaire.  Une  poignée  de  personnes  vint  dès  le 
premier  jour  et  fut  fidèle  jusqu'à  la  fin;  M.  le  curé 
me  dit  que  c'était  son  assistance  des  jours  de  Pâques. 
Elle  n'augmenta  que  les  deux  jours  de  séances  de  pro- 
jections. 

Peu  après  l'ouverture,  le  pasteur  trouva  dans  sa  boîte 
aux  lettres  une  anonyme  et  abominable  vilenie  contre 
un  membre  bien  respectable  de  sa  très  chrétienne  fa- 
mille. Quelques  jours  après,  un  sot  article  nous  attaquait 
dans  le  journal  radical  de  Dreu.x  ;  presque  en  même 
temps  une  odieuse  chanson  contre  les  missionnaires, 
que  j'ai  déjà  vue  ailleurs,  était  transcrite  on  ne  sait  par 
qui  —  écriture  d'enfants  —  et  jetée  dans  les  boîtes  aux 
lettres  de  beaucoup  de  maisons  ;  le  tout  en  termes  assez 
clairs  pour  nous  atteindre  et  assez  vagues  pour  ne  pas 
permettre  de  mener  les  auteurs  aux  sermons  du  prési- 
dent de  la  correctionnelle.  Cela  ne  nous  arrêtait  pas, 
mais  cela  empêcha  absolument  noire  noyau  de  grandir 
d'une  unité,  sauf  donc  les  jours  de  projections;  ces 
jours-là,  l'assistance,  plus  que  triplée,  se  tint  parfaite- 
ment et  se  montra  très  attentive  et  très  respectueuse.  Je 
signale  ce  fait  en  réponse  complémentaire  sur  la  ques- 
tion des  projections.  Naturellement,  aucune  vue,  aucune 
scène  autre  que  les  sujets  religieux  ne  fut  exhibée; 
c'étaient  surtout  les  tableaux  du  chemin  de  la  croix, 
quelques  compositions  du  grand  catéchisme  en  images 
du  Pèlerin,  se  prêtant  à  l'explication  de  points  de  doc- 


—  37  — 

trine;  enfin,  comme  soulagement,  quelques  vues  de 
lieux  de  pèlerinage,  en  particulier  Chartres  et  Lourdes. 

J'ai  prêché  matin  et  soir,  malgré  ces  dimensions  de 
l'auditoire  !  Le  matin,  quelques  dames,  toutes  plus  ou 
moins  anciennes  pensionnaires  de  quelque  part,  amenées 
là  par  mariages  avec  gens  officiels  ou  médecins,  se 
sont  souvenues  de  leurs  habitu'les  de  piété  d'avant  le 
mariage  et  sont  venues  fidèlement  raviver  d'utiles  sou- 
venirs et  s'en  préparer  d'autres,  qui  seront  précieux  à 
leur  tour,  je  l'espère. 

M.  le  curé  souhaitait  une  communion  générale  ;  pour 
ne  pas  le  contrarier,  je  l'annonçai  avec  appréhension;  il 
y  eut  six  ou  sept  personnes.  A  la  suivante,  il  y  en  eut 
une  vingtaine  d'autres.  Un  seul  homme,  père  de  prêtre 
et  étranger  lui-même  à  la  paroisse,  si  je  ne  me  trompe. 

M.  Légué,  vicaire  général  de  Chartres,  vint  exprès, 
malgré  ses  occupations  doublées  par  la  direction  de  la 
maison  mère  des  Sœurs  de  Saint-Paul,  pour  présider  la 
clôture,  qui  comportait  une  plantation  de  croix.  Une 
pluie  torrentielle  empêcha  cette  cérémonie,  au  grand 
soulagement  des  hommes  qui  avaient  consenti  à  être 
porteurs  et  qui  pouvaient  redouter  de  payer  cher  en- 
suite leur  bonne  volonté.  Aucun  d'eux,  d'ailleurs,  n'a- 
vait paru  aux  prédications. 

Trois  ou  quatre  mois  après,  pour  désoler  le  peu  de 
personnes  fidèles,  on  imagina  de  répandre  le  bruit  que 
j'étais  en  prison.  J'en  ai  ri,  car  ce  bruit,  comme  la  chan- 
son dont  j'ai  parlé,  est  une  des  manœuvres  que  je  re- 
trouve dans  les  paroisses  où  la  maçonnerie  a  des  affiliés; 
ce  qui  me  donne  à  penser  que,  quand  ils  font  part  du  fait 
d'une  mission  à  leurs  loges,  on  les  munit  d'un  manuel 
de  combat  uniforme.  M.  le  curé  s'émut  un  peu  plus  de 
la  chose,  qu'il  ne  m'apprit  que  plus  tard  ;  il  alla  regarder 
dans  le  blanc  des  yeux  les  auteurs,  qu'il  découvrit  vite, 


-  38  — 

de  cette  nouvelle  méchanceté;  il  me  parla  de  les  pour- 
suivre ;  je  m'y  déclarai  très  prêt,  mais  du  consentement 
de  ses  supérieurs  et  des  miens,  qu'il  faudrait  demander 
préalablement.  11  y  renonça  par  lacharitable  considéra- 
tion que  je  lui  suggérai,  qu'il  était  l'homme  de  la  der- 
nière heure  pour  ces  malheureux,  et  qu'un  paysan  con- 
damné, ne  serait-ce  qu'à  oO  centimes  d'amende,  par  le 
fait  de  son  curé,  aimerait  mieux  mourir  mille  fois  sans 
sacrements  qu'avoir  affaire  avec  ce  curé.  Il  obtint  de  ces 
gens  les  excuses  qu'il  voulut.  L'ébruitement  que  j'étais 
en  train  de  prêcher  les  500  prêtres  de  mes  deux  retraites 
d'Auch,  au  moment  où  ces  braves  gens  me  mettaient  en 
prévention  de  Cour  d'assises,  suffit  d'ailleurs  pour  ren- 
verser les  rôles  dans  leur  milieu  et  rendre,  de  longtemps, 
leur  langue  inofï'ensive. 

Si  l'on  demande  à  quoi  peuvent  servir  de  pareilles 
missions,  je  réponds  qu'elles  sont  une  grâce  inappré- 
ciable pour  les  âmes  fidèles  condamnées  à  vivre  en  des 
milieux  si  délétères.  Dieu  les  aime,  il  sait  pourquoi.  On 
parle,  en  théologie,  de  cas  où  il  enverrait  plutôt  un  ange 
que  de  laisser  une  âme  en  perdition.  Il  y  a  plus  d'une 
paire  d'âmes  qui  ont  profité  de  la  grâce  dans  la  plus 
piètre  des  mis?ions  dont  j'ai  parlé  en  ce  rapport,  et  le 
gros  P.  luNGBLUTH  doit,  comme  tout  autre,  se  sentir  très 
honoré  que  le  bon  Dieu  veuille  bien  que  trois  semaines 
de  sa  vie  puissent  servir  à  consolider  plusieurs  fois  trois 
âmes! 

Certes,  cela  amène  des  désenchantements  ;  mais  les 
désenchantements  sont  simplement  la  fin  des  illusions, 
lesquelles  ont  été  utiles  tant  que  Dieu  les  a  permises. 
Sans  elles,  qui  aurait  choisi  la  vie  où  il  se  trouve  !  Quand 
elles  tombent,  c'est  l'erreur  qui  s'en  va.  Bon  voyage! 
Toute  la  place  qu'elle  laisse  se  remplit  si  aisément  d'hu- 
milité que  c'est  un  merveilleux  profit. 


Que  de  missions  très  brillantes,  d'ailleurs,  dont  il  ne 
reste  pas  six  personnes  améliorées,  peut-être  à  cause 
même  de  la  place  donnée  au  brillant.  Les  annales  res- 
tant en  famille,  il  m'est  permis,  sans  doute,  d'ajouter  ceci 
comme  confrmalur  :  à  Cosne,  où  est  Farchiprêlré  dont 
Saint-Andelain  dépend,  M.  rarchiprêtre  me  demanda  de 
donner  sa  mission.  Des  raisons,  qui  ne  seraient  pas  à 
leur  place  en  ce  récit,  me  firent  le  remercier  chaude- 
ment, mais  d'un  merci  non.  Nous  sommes  dans  les 
meilleurs  termes,  je  me  hâte  de  l'ajouter,  et,  tous  les  ans, 
l'un  de  nous  prêche  chez  lui  diverses  retraites.  Mais, 
donc,  la  mission  vient  ci'ètre  prêchée  par  des  religieux 
éloquents,  brillants,  ayant  tout,  y  compris  les  qualités 
surnaturelles,  bien  entendu,  pour  faire  l'œuvre  de  Dieu. 
L'un  d'eux  donne  le  carême  1898  dans  l'une  des  plus 
grandes  églises  du  Paris  aristocratique,  et  il  y  fera  bonne 
figure.  A  Cosne,  ils  eurent  église  pleine  tout  l'avent.  Au 
moment  du  départ,  les  dames,  qui  s'étaient  cotisées,  vin- 
rent offrir  cadeaux  et  promesses.  Il  y  eut  des  listes  de 
futures  catéchistes  volontaires,  de  ceci  et  de  cela.  Eh 
bien,  si  mes  renseignements  sont  exacts,  et  je  n'ai  au- 
cune raison  d'en  douter,  il  n'y  a  pas  une  seule  personne 
déplus  aux  messes  basses  en  semaine,  pas  une  commu- 
nion déplus;  je  dis,  pas  une.  Cosne  a  8600  habitants; 
il  y  a  eu,  bien  des  fois,  des  auditoires  dépassant  le  mil- 
lier. Myennes,  qui  est  à  côté  et  qui  compte  800  el  quel- 
ques habitants,  c'est-à-dire  dix  fois  moins,  et  qui  a  été, 
vous  l'avez  vu,  une  de  ces  trois  ou  quatre  missions  dont 
on  dirait  :  «  A  quoi  bon?»,  a  produit  des  assistances  aux 
messes  de  semaine  et  des  communions  périodiques,  en 
petit  nombre,  c'est  vrai,  mais  dont  chaque  unité  est  au- 
tant de  plus  que  dans  la  ville  de  Cosne. 

J'espère  être  compris;  je  ne  compare  pas  les  prédica- 
teurs, ce  serait  odieux  et  ridicule;  entre  eux  el  nous,  il 


—  60  — 

y  a  les  différences  qui  sont  entre  les  enfants  de  saint  Do- 
minique et  ceux  du  P.  de  Mazenod,  brillante  cavalerie  et 
modestes  pioupious  —  pardon  à  mes  Frères  —  dans  le 
même  corps  d'armée,  au  service  du  même  grand  roi,  le 
roi  immortel  des  siècles,  qui,  non  seulement  nous  aime 
tous,  mais  nous  met  au  cœur  une  fraternité  admiratrice 
sans  réserve,  des  dons  qu'il  a  départis  à  tous  ceux  qui 
militent  sous  le  même  drapeau. 

Mais,  je  compare  les  missions,  et  ayant  dit  sans  détours 
les  peines  inhérentes  à  quelques-unes,  je  m'applique  à 
ajouter  et  faire  ressortir  ce  qui  préservera  nos  jeunes  de 
la  tentation  de  rechercher  d'autres  obédiences  et  de  re- 
douter celles  qui  envoient  au  vrai  champ  d'honneur. 

Pour  l'automne  dernier,  je  ne  puis  parler  que  de  la 
mission  de  Ciez,  donnée  par  les  PP.  d'Istria  et  Huchet, 
et  de  celle  de  Chalaux,  où  je  lus  seul. 

Le  P.  CoTARMANAcn  est  absent  depuis  trois  mois  et  je 
n'ai  pas  le  compte  rendu  de  ses  travaux  d'hiver. 

Ciez  compte  près  de  1 100  habitants  et  a  à  sa  tête  un 
pasteur  auteur  de  plusieurs  livres.  Connaissez-vous  la 
Vie  est  un  voyage?  Si  oui,  vous  connaissez  l'auteur,  si 
non,  résignez-vous  à  ne  pas  le  connaître,  car  ma  plume 
n'a  pas  les  flexibilités  nécessaires  pour  en  ébaucher  le 
croquis. 

En  cette  paroisse,  les  PP.  d'Istria  et  Huchet  ont  senti 
constamment  comme  une  barrière  entre  le  peuple  et  le 
prêtre.  Qu'ont  ces  gens,  pas  méchants,  quels  préjugés, 
quelles  rancunes,  quelles  meurtrissures?  Les  Pères  ont 
agi  sagement  en  ne  le  recherchant  pas,  et  patiemment 
en  subissant  silencieux  l'effet  de  ces  dispositions.  Us  ont 
pu  avoir  quelques  auditoires,  par  les  projections  à  l'acé- 
tylène, que  le  P.  Huchet  essaya  là  pour  la  première  fois. 
J'ai  déjà  parlé  des  projections  :  ce  procédé  doit  être 
employé,  à  mon  avis,  avec  beaucoup  de  discrétion  pour 


—  61  — 

que  le  missionnaire,  déjà  grand  entrepreneur  de  décora- 
tions, etc.,  dans  notre  système  actuel,  ne  passe  pas  pour 
charlatan  ;  et,  aussi,  pour  que  le  lieu  saint  ne  soit  pas 
profané.  Muni  des  recommandations  utiles,  le  P.  Hucuet 
l'a  employé  irréprochablement  et  très  à  propos. 

Deux  cent  cinquante  femmes  et  une  dizaine  d'hommes 
seulement  se  sont  approchés  des  sacrements. 

Il  y  a  eu  une  magnifique  plantation  de  croix  qui  a 
démontré  trop  tardivement  que  ce  peuple  aurait  pu  être 
remué  ;  et  il  paraît  qu'actuellement  il  parle  de  sa  mis- 
sion comme  d'une  des  plus  belles  qu'il  ait  vues. 

J'avais  déjà  donné  à  Ghalaux  la  mission  de  1889. 
Comme  à  tous  ceux  de  ces  messieurs  qui  me  redeman- 
dent, j'ai  fortement  objecté  à  M.  le  curé  tous  les  avan- 
tages d'un  changement  de  missionnaire,  pour  deux  mis- 
sions consécutives.  Il  insista  et  se  trouva  avoir  raison, 
car,  dès  le  premier  jour,  mon  sympathique  auditoire  de 
la  clôture  de  1889  se  trouva  au  complet.  Et  il  s'est  sou- 
tenu jusqu'à  la  fin.  La  paroisse  était  parfaitement  con- 
servée et  les  œuvres  de  la  mission  précédente  non  seu- 
lement encore  vivantes,  mais  développées  et  en  constant 
progrès.  M.  le  curé,  pieux,  zélé,  instruit,  régulier  comme 
un  religieux  régulier,  est,  avec  la  grâce  de  Dieu,  l'artisan 
incontestable  de  tout  ce  bien. 

Une  vingtaine  d  hommes  s'abstinrent  systématique- 
ment, c'était  prévu;  d'autres  vinrent  à  quelques  instruc- 
tions sans  pousser  plus  loin,  pour  cette  fois.  Plus  des 
trois  quarts  des  hommes  et. toutes  les  femmes,  moins 
deux  ou  trois,  s'approchèrent  de  la  sainte  table.  Il  n'y 
eut  pas  de  plantation  de  croix,  parce  que  M.  le  curé 
aurait  trouvé  indélicate  une  souscription  chez  son  peuple 
très  pauvre,  qu'il  va  être  obligé  de  quêter  très  prochai- 
nement pour  un  besoin  plus  urgent  de  son  église. 

Dans  tout  ce  qui  précède,  j'ai  suivi  le  Codex,  donnant 


—  G2  — 

des  chiffres  là  où  il  en  donne,  et  les  appréciations  des 
chefs  de  missions.  Si  l'on  veut  y  regarder  de  près,  on 
verra  que  notre  sol  nivernais  n'est  pas,  sans  doute,  le 
sol  alsacien  ou  breton,  mais  que  c'est  bien  à  tort  qu'on 
a  voulu  le  représenter  comme  plus  ingrat  quêtant  d'au- 
tres où  travaillent  nos  Pères,  en  France  et  à  l'étranger. 

Après  tout,  ne  serait-ce  pas  être  injuste  envers  ceux 
d'Autun,  de  Limoges,  de  Sion  et  d'ailleurs,  que  de  laisser 
croire  que  notre  lot  est  le  plus  méritoire? 

En  voyageant  dans  le  Midi  pour  mes  retraites  de  cet 
automne,  j'ai  demandé  au  vénéré  P.  Nicolas,  d'Aix,  et  à 
d'autres  de  l'Osier,  du  Calvaire,  de  Marseille,  etc.,  ce 
qu'ils  appelaient  exactement  :  mission  bonne,  moins  bonne, 
mauvaise.  En  laissant  de  côté  ce  qui  est  enthousiasme 
du  missionnaire  ou  des  populations,  pour  ne  prendre 
que  les  chiffres,  chiffres  d'assistances  et  de  sacrements, 
pris  en  comparaison  des  chiffres  d'habitants,  seule  ma- 
nière sérieuse  d'apprécier,  j'ai  vu  que  j'avais  pour  devoir 
de  proclamer  que,  sans  contestation  possible,  avec  des 
ouvriers  vaillants  de  corps  et  d'âme  comme  ceux  de  mon 
équipe  présente,  nous  sommes  loin  d'avoir  le  terrain  le 
plus  stérile. 

Voici  maintenant  quelques  chiffres  qui  diront  notre 
position  dans  le  diocèse  de  Nevers.  Ayant  su  que  la  sta- 
tistique analogue,  insérée  dans  mon  premier  compte 
rendu,  avait  intéressé  les  nombreux  Pères  qui  ont  été 
de  maison  ici,  j'ai  pris  la  peine  de  la  dresser  h  nouveau 
pour  ces  quatre  dernières  années. 

Donc,  d'après  les  documents  otflciels  de  l'évêché,  in- 
sérés chaque  année  dans  la  lettre  que  Monseigneur 
adresse  à  ses  prêtres  après  les  retraites  pastorales,  il  y  a 
eu,  dans  le  diocèse,  de  la  Toussaint  1893  à  la  Tous- 
saint 1897,  140  missions  et  32  retraites  de  confirmation 
données  par  des  religieux,  (Quelques  curés  donnent  des 


—  03  — 

retraites  de  confirmation.)  On  sait  que  tous  ces  religieux 
demeurent  hors  du  diocèse,  excepté  les  PP.  MarisLes  et 
nous. 

De  ces  140  missions,  73  ont  été  prêchées  par  1  Père 
seul  et  65  par  2,  2  l'ont  été  par  3. 

Nous  venons  en  tête  sur  toute  la  ligne. 

Voici  les  chiffres  : 

Oblats  :  23  missions  pour  l  Père  seul  et  20  à  2  et  2  à  3..  .  45 

Capucins  :  9  missions  h  t  Père  et  16  i  2 25 

Rédemptoristes  :  3  missions  à  1  Père  et  18  à  2 21 

Mariâtes:  15  missions  à  1  Père  et  5  à  2 20 

Jésuites  :  10  missions  à  i  Père  et  2  à  2 12 

Pierre-qui-vire  :  9  missions  à  1  Père  et  1  à  2 10 

Dominicains  :  2  missions  à  1  Père  et  1  à  2 3 

Franciscains  :  2  missions  à  1  Père 2 

Ponligny  :  1  mission  à  1  Père  et  1  à  2 2 

Pour  les  retraites  de  confirmation,  14  sont  données 
par  les  PP.  Maristes,  13  par  les  PP.  Oblats,  2  par  la 
Pierre-qui-vire,  2  par  les  Jésuites,  1  par  les  Rédempto- 
ristes. 

Mais  notons  que,  je  l'ai  dit  en  commençant,  nous 
avons  eu  quantité  de  retraites  de  première  communion 
dont  l'évêché  ne  parle  pas  en  ses  statistiques. 

Tout  en  passant  les  retraites  sous  silence,  dans  l'im- 
possibilité de  nommer  même  les  72  paroisses  ou  com- 
munautés où  elles  ont  été  données  sans  être  inter- 
minable, je  croirais  manquer  à  un  devoir  en  ne  disant 
rien  des  retraites  pastorales  de  Nice  et  d' Auch  ;  ce  serait, 
avant  tout,  manquer  de  reconnaissance  à  S.  Gr.  M*""  Ba- 
laïn,  qui  a  témoigné,  une  fois  de  plus,  son  attachement 
à  la  Congrégation,  en  voulant  qu'un  Oblat  donne  ainsi 
la  retraite  aux  prêtres  du  diocèse  qu'il  quittait  et  à  ceux 
de  l'archevêché  oti  il  arrivait. 

A  Nice,  M.  le  chanoine  Fulconis  eut  la  délicatesse  de 
rappeler  nommément,  dans  son  compliment  de  clôture, 


—  64  — 

tous  ceux  de  nos  Pères  qui  avaient  donné  ces  exercices 
avant  moi. 

A  Auch,  il  paraît  que  les  Oblats  étaient  absolument 
inconnus.  J'y  ai  distribué  500  portraits-images  du  P.  Al- 
BiNi  ;  Monseigneur  a  fait  mettre  en  lecture,  au  réfec- 
toire, l'ouvrage  du  P.  Baffie.  Enfin,  pour  être  Oblat 
jusqu'au  bout,  le  prédicateur  a  créé,  en  ville,  un  groupe 
de  dames  de  la  Sainte-Famille  ;  leur  réception  s'est  faite 
en  la  chapelle  des  Ursulines,  désignée  ad  hoc  par  Sa 
Grandeur. 

Qu'il  me  soit  permis  aussi  de  mentionner  la  retraite 
que  j'ai  prêchée  à  la  Maison  générale,  en  1897.  C'est  la 
dernière  qu'ait  faite  le  R.  P.  Soullier.  Il  était  robuste 
encore,  mais  il  fut  frappé  presque  aussitôt  après.  Il 
m'échappa  de  dire  dans  l'instruction  d'ouverture  : 
(^  Faiteis  bien  cette  retraite.  Laissez  de  côté  toute  occu- 
pation pour  elle.  Qui  que  vous  soyez,  on  vous  rempla- 
cera dans  votre  charge  :  on  ne  vous  remplacera  pas  dans 
Toeuvre  de  votre  sanctification  !  » 

Dieu  nous  accorde  qu'il  soit  remplacé  dans  sa  charge  ! 
Et  la  joie  sympathique  avec  laquelle  il  accueillait  les 
fusées  de  ce  genre  me  laisse  sans  inquiétude  sur  le  reste. 

Dans  notre  communauté,  l'événement  saillant  de  ces 
dernières  années  a  été  l'installation  ici  du  cours  des 
jeunes  Pères  ;  mais  ce  cours  a  eu  des  comptes  rendus 
spéciaux.  Passons  donc  I 

Nous  avons  eu  quelques  changements  dans  le  person- 
nel, rares,  Dieu  merci,  car  rares  sont  aussi  les  améliora- 
tions par  ce  moyen.  Le  partant  emporte  ses  lacunes  ;  ce 
que  l'arrivant  a,  en  meilleur  état,  dans  son  trousseau, 
ce  sont  les  siennes.  Et  si  le  changement  de  personnes 
change  peu,  celui  de  locaux  n'améliore  pas  plus.  Multos 
fefellit  ùnaginatio  locorum  pourrait  se  traduire  par  : 
«  Laissez  donc  le  Provincial  tranquille  !  »  Mais  il  y  a  des 


—  63  — 

obédiences  dont  le  bon  Dieu  lui-même  est  l'auteur  di- 
rect :  ce  sont  celles  pour  le  paradis  !  Il  y  en  a  d'autres 
imposées  par  le  souci  d'être  plus  sûr  que  chacun  est  dans 
le  chemin  de  ce  paradis  ;  puis  celles  qni  sont  le  contre- 
coup des  précédentes.  Bref,  les  RR.  PP.  Paquet  et  d'Is- 
TRiA  nous  ont  quittés  pour  Montmartre,  le  P.  Debray 
pour  Jersey  et  le  P.  Bottet  pour  le  ciel. 

On  pensait  que  le  P.  Paquet,  incapable  de  supporter 
les  fatigues  des  missions,  rendrait  encore  des  services  à 
Montmartre  :  il  y  mourut  peu  après.  Le  P.  d'Istria, 
prêté  aux  Pères  du  Sacré-Cœur  pour  les  aider,  s'en  tira 
si  bien  qu'on  nous  en  demanda  le  sacrifice.  Le  P.  De- 
bray parut  tout  indiqué,  de  par  sa  connaissance  de  la 
langue  anglaise,  pour  un  poste  devenu  vacant,  à  Jersey. 

Quant  |au  pauvre  P.  Bottet,  il  était  venu|  dans  le 
Berry,  près  de  chez  nous,  essayer  la  suprême  ressource 
de  l'air  natal  :  après  quelques  mois,  il  n'eut  plus  la  force 
de  rentrer  mourir  à  sa  résidence  précédente.  Il  avait 
commencé  ses  études  au  juniorat  de  Saint-Andelain,  la 
Providence  voulut  qu'il  vînt  y  terminer  sa  courte  exis- 
tence. 

En  ce  moment,  outre  les  Pères  missionnaires:  Cotar- 
manach,  Simonin,  Huchet  et  le  Supérieur,  nous  avons  le 
R.  P.  Bernard,  Clovis,  qui  continue  à  s'occuper  de  la 
paroisse,  le  P.  Thevenon,  de  sa  sanctification,  et  le 
P.  Zabel,  de  rien  du  tout,  pas  plus  de  son  corps  que  de 
son  âme  ;  ie  pauvre  Père  n'en  est  plus  capable,  il  est 
éteint.  Les  Frères  convers  le  soignent  avec  un  dévoue- 
ment parfait  :  c'est  grâce  à  eux  que  nous  n'avons  pas  à 
chercher  un  autre  asile  pour  le  pauvre  affligé.  Il  y  a  peu 
de  temps,  il  nous  égayait  encore  par  ses  manques  de 
mémoire  :  s'habillant  suivant  le  rituel  du  roi  Dagobert, 
et  même  moins  ;  oubliant  et  confondant  l'usage  des  di- 
vers objets  à  sa  portée;  il  n'était  pas  trop  peiné  des  fous 

T.  XXXVI.  5 


—  66  — 

rires  qui  saluaient  ses  drôleries.  Aujourd'hui,  il  n'est 
plus  pour  nous  que  l'objet  d'une  vénération  compatis- 
sante. 

Nos  Frères  sont  :  le  F.  Cornu  qui,  sans  négliger  sa 
cuisine,  s'occupe  du  P.  Zabel  avec  courage  et  dévoue- 
ment; le  F.  BouTREAU,  jardinier  ;  il  soigne  parfaitement 
nos  Jardins  et  y  fait  venir  des  produits  que  nous  n'avions 
connus  jusqu'à  ce  jour  qu'en  les  achetant;  enfin,  le 
F.  ViGNAL,  qui  donne  aux  chambres,  à  la  cave,  au  bû- 
cher, à  la  maison  entière  toute  son  intelligente  activité  ; 
c'est  une  bonne  recrue  pour  nous. 

Pour  la  paroisse  de  Saint-Andelain,  l'ensemble  est  en 
progrès. 

Au  matériel  signalons  d'abord  la  mise,  en  notre  beau 
clocher,  de  trois  nouvelles  cloches.  Nous  n'en  avions 
qu'une,  datant  du  siècle  précédent,  un  la  de  360  kilo- 
grammes. Un  ancien  curé  de  Saint-Andelain,  représenté 
par  son  serviteur  et  exécuteur  testamentaire,  M.  Jacques 
Bernard,  offrit  une  assez  forte  somme,  qui  servit  de  puis- 
sante mise  en  train  d'une  souscription.  La  paroisse, 
pourtant  très  éprouvée  par  le  phylloxéra,  donna  sa 
quote-part,  et  M™°  la  comtesse  Lafond  tripla  ou  qua- 
drupla le  total,  ce  qui  le  porta  à  un  chiffre  inespéré,  et 
permit  cette  belle  sonnerie  d'un  ré  de  1 450  kilogrammes, 
un  fa  dièze  de  750  kilogrammes  et  le  ré  octave  de  175  ki- 
logrammes. Nos  gens  avaient,  pour  leur  ancienne  cloche, 
un  culte  presque  superstitieux  qui  ne  permettait  pas  de 
songer  à  la  refondre,  et  son  la  nous  obligea  à  cet  accord  : 
ré,  fa  la  ré,  sous  peine  d'avoir  un  vide  dans  les  intervalles 
inférieurs  ou  une  note  grave  trop  faible.  Notre  y-e  grave 
était  destiné  à  Pontmain,  qui  a  maintenant  la  même, 
comme  tonique,  à  la  basse  de  tout  son  carillon  (plus,  me 
dit-on,  un  la  au-dessous  comme  bourdon).  MM.  Paccard, 
que  nous  talonnions  et  qui  étaient  moins  pressés  pour 


—  67  — 

Pontmain,  nous  le  livrèrent,  ainsi  que  les  deux  autres, 
en  parfaites  conditions  de  sonorité  et  d'harmonie  avec  la 
cloche  ancienne.  Leur  Savoyarde  leur  a  valu  bien  des 
attaques,  que  beaucoup  disent  injustifiées,  et  motivées 
par  de  vilains  dessous  de  cartes.  Nous  ne  sommes  pas 
juges,  mais  nous  pouvons  parler  de  nos  cloches  :  nous 
en  avons  trouvé  les  prix  élevés,  mais  nous  en  sommes 
satisfaits.  M"*^  la  comtesse  Lafond  s'est  encore  signalée 
par  une  autre  générosité.  Le  pignon  sud  de  l'église  était 
resté  assez  informe,  parce  que,  dans  le  premier  projet 
de  reconstruction,  le  clocher,  par  économie,  devait  être 
placé  là.  Dotée  de  son  magnifique  clocher  actuel,  l'église 
n'avait  plus  besoin  de  ce  pignon-attente.  Il  fut  donc  mis 
en  harmonie  avec  le  reste  et  reçut,  à  son  sommet,  une 
statue  du  Sacré-Cœur,  en  pierre,  mais  d'un  dessin  mal- 
heureusement défectueux,  en  ce  que  l'auteur  n'a  pas 
tenu  compte  qu'on  ne  serait  pas  en  face  d'elle,  comme  à 
l'atelier,  mais  à  une  dizaine  de  mètres  au-dessous  pour 
la  voir.  M""®  Lafond,  qui  ne  recule  devant  aucune  dé- 
pense pour  embellir  cette  église  où  est  le  caveau  de  sa 
famille,  parle  de  changer  cette  statue  et  le  pignon  lui- 
même  pour  l'améliorer  encore.  Elle  projette  aussi  un 
remaniement  des  vitraux,  qui  en  ont  besoin. 

A  l'intérieur,  une  autre  très  belle  statue  du  Sacré- 
Cœur  et  une  Mater  Doloi^osa,  qui  lui  fait  pendant,  ont  été 
placées  à  l'occasion  du  mariage  de  l'aînée  des  petites- 
filles  de  M.  Garilland.  J'ai  dit,  dans  mon  avant-dernier 
rapport,  les  titres  de  cet  ami  de  la  première  heure  et  de 
sa  famille  à  notre  gratitude.  La  jeune  épouse  fit  don  de 
l'une  des  deux  statues,  l'autre  est  le  produit  des  maigres 
recettes  du  pèlerinage  annuel,  totalisées  depuis  plusieurs 
années. 

Au  spirituel,  la  paroisse  ne  perd  pas  non  plus.  Le 
chiffre  des  pâques  oscille  entre  200  et  220  pour  les 


—  68  — 

femmes,  avec  nue  quarantaine  d  hommes  et  garçons.  La 
confirmation,  donnée  en  lS97,a  porté  ce  nombre  à 280. 
Il  y  a  environ  125  communions  à  Noël.  Dans  l'année, 
quelques  personnes  s'approchent  de  la  sainte  table  à  peu 
près  tous  les  mois  :  une  toute  petite  élite  de  3  ou  4  est 
à  la  communion  bihebdomadaire. 

Mais  les  exercices  du  carême  ont  beaucoup  souffert  du 
greffage  de  la  vigne.  Pour  reconstituer  le  vignoble  phyl- 
loxéré,on  emploie  tout  le  monde,  jeunes  filles  et  enfants 
même,  à  faire  des  greffes  ;  cela  se  fait  à  la  maison,  comme 
la  casse  des  noix  destinées  au  moulin,  et  la  mise  en  pa- 
niers des  raisins  à  expédier  frais;  ce  travail  se  prolonge 
donc  jusqu'à  la  nuit,  et  avec  la  distance  de  nos  villages, 
impossible  d'avoir  ensuite  ces  personnes  à  l'église.  De 
même,  le  mois  de  Marie  et  celui  du  Rosaire  ont  été  ré- 
duits à  la  récitation  du  chapelet  pendant  la  messe,  par 
quelques  enfants  des  écoles,  c'est  trop  peu.  Nous  espé- 
rons pouvoir  revenir  à  mieux  ! 

A  la  confirmation  de  1897,  tous  les  inscrits  sont  venus. 
Bien  des  paroisses  ne  peuvent  l'obtenir  :  l'impossibilité, 
pour  Monseigneur,  de  venir  plus  souvent  que  tous  les 
quatre  ans,  occasionne  bien  des  défaillances  chez  les 
jeunes  gens  de  quatorze,  quinze  et  surtout  seize  ans. 
A  Saint-Andelain,  cette  année,  tous  ont  été  fidèles. 

J'oubliais  de  rappeler,  pour  aider  à  apprécier  les  chif- 
fres précédents  et  suivants,  que  la  paroisse  ne  compte 
guère  que  900  catholiques. 

La  Croix  du  Nivernais  y  a  trente-quatre  abonnés  ;  ce 
journal  n'est  qu'hebdomadaire,  mais  nos  gens  ne  lisent 
pas  en  semaine,  ils  n'en  ont  pas  le  temps.  C'est  un  pré- 
cieux levain  que  cette  lecture,  son  action  est  lente,  mais 
visible  pourtant.  Quelques  personnes  ont  fait  le  pèleri- 
nage de  Lourdes,  et  21  sont  allées,  avec  le  P.  Bernard, 
faire  celui  de  sainte  Solange,  dans  le  Berry.  Nous  venons 


d'installer  curé  le  troisième  des  enfants  de  la  paroisse, 
qui  sont  devenus  prêtres  depuis  que  nous  en  avons  la 
charge  ;  le  P.  Bernard  en  a  placé  deux  autres  au  petit 
séminaire,  à  la  rentrée  dernière.  Petits  événements,  dira- 
t-on  peut-être.  Je  ne  répondrai  pas  qu'ils  sont  grands 
dans  noire  petit  Landerneau,  puisque  les  annales  ne  s'y 
lisent  pas,  mais  je  les  offre,  à  qui  s'intéresse  à  nous, 
comme  des  symptômes,  de  petits  bourgeons,  si  l'on  veut, 
à  la  merci  du  premier  hâle,  du  premier  coup  méchant 
ou  maladroit,  sans  doute,  mais  indiquant  que  la  sève 
y  est  encore  et  circule. 

Deux  protestants  ont  abjuré  en  vue  de  leur  mariage  ; 
malheureusement  il  y  a  eu  la  contre-partie. 

On  compterait  encore  une  trentaine  de  protestants 
dans  la  paroisse  :  8  hommes,  8  filles  et  14  femmes.  Le 
P.  Bernard  continue  à  constater  ce  que  le  P.  Mouchette 
signalait  déjà  de  son  temps  :  ceux  qui  ont  créé  ce  mou- 
vement protestant  par  leur  apostasie,  finissent  mal  !  Le 
dernier  mort  a  été  emporté  dans  la  force  de  l'âge,  écrasé 
par  une  voiture,  légère  pourtant,  et  en  des  conditions 
inexplicables.  En  trois  ans,  3  jeunes  femmes  protestantes 
sont  devenues  veuves  :  c'est  une  effrayante  proportion 
sur  ce  petit  nombre  ;  aussi,  sur  les  4  fillettes  protestantes 
qui  vont  à  l'école  laïque,  3  sont  orphelines. 

Si  les  événements  ne  viennent  pas  troubler  l'apaise- 
ment qui  se  fait  ici  dans  les  esprits,  cette  population, 
très  laborieuse,  et  préservée  de  bien  des  misères  par  son 
travail  acharné,  redeviendra  peut-être  chrétienne,  et  plus 
solidement  chrétienne  que  jadis. 

Daignez  agréer,  mon  très  révérend  Père,  l'expression 
de  mon  respectueux  dévouement  en  J.  et  M.  I. 

A.  lUNGBLUTH,  0.  M.  I. 


—  70  -. 

LA  PROVINCE  D'ALLEMAGNE. 

MAISON  DU  SCOLASTICAT  DE  SAINT-BONIFACE, 
HUNFBLD. 

Les  annales  ont,  à  diverses  reprises,  parlé  de  la  pro- 
vince naissante  d'Allemagne.  Voici  le  premier  rapport 
officiel.  Nous  sommes  heureux  d'en  saluer  l'apparilion 
et  de  lui  donner  place  dans  les  archives  de  la  famille. 
Il  a  un  autre  sens  que  celui  d'une  simple  relation,  si 
agréable  qu'elle  soit  d'ailleurs.  Il  faut  y  voir  une  date 
dans  les  progrès  et  l'extension  de  l'humble  Société  des 
Missionnaires  de  Provence.  Au  point  de  vue  spécial  des 
annales,  nous  y  voyons  aussi  le  prélude  des  très  intéres- 
sants récits  que  ne  manqueront  pas  de  nous  fournir  nos 
missionnaires  d'Allemagne.  Ils  ont  déjà  fait  des  travaux 
apostoliques  nombreux  et  consolants  ;  nos  frères  et  nos 
amis  seront  heureux  d'en  lire  les  détails. 

LETTRE   DU  R.  p.  SCHARSCH,  PROVINCIAL,  AU  R.  P.  TATIN. 

Hûnfeld,  24  février  1898. 
Mon  RÉVÉREND  ET  BIEN  GBER  PÈRE, 

Permettez  que  je  vous  adresse  mon  rapport  sur  les 
commencements  de  notre  province  allemande.  Celui  qui 
en  a  été  le  fondateur  et  le  père  n'est  plus;  nous  n'avons 
pas  eu  la  consolation  de  voir  le  T.  R.  P.  Louis  Soullier 
se  réjouir  de  nos  progrès,  de  recevoir  ses  encoura- 
gements à  Hûnfeld  même.  Sa  mémoire  restera  à  jamais 
en  bénédiction  parmi  nous.  Vous  avez  partagé  avec  lui 
d'une  manière  particulière  l'affection  et  les  soins  pater- 
nels pour  notre  province  naissante.  Soyez-en  remercié 
et  daignez  accepter,  comme  gage  de  notre  reconnais- 


-  71  — 

sance,  ce  travail  qui  satisfera  l'attente  légitime  de  nos 
Frères  en  religion  ;  car  beaucoup  d'entre  eux  ignorent 
encore  les  bénédictions  que  Dieu  a  daigné  répandre  sur 
nous  durant  les  trois  dernières  années. 

Veuillez  agréer,  mon  révérend  et  bien  cher  Père, 
l'expression  d'affection  et  de  vénération  de  votre  tout 
humble  frère  enN.  S.  et  M.  I. 

P. -S.  SCHARSCH,  0.  M.  I. 

L'acte  officiel  de  l'érection  de  notre  nouvelle  province 
allemande  est  daté  du  5  mai  1895,  fête  du  Patronage  de 
saint  Joseph.  Après  avoir  appelé  notre  attention  sur  les 
bénédictions  dont  Dieu  avait  comblé  nos  établissements 
de  Hollande,  notre  très  révérend  et  bien-aimé  Père  Su- 
périeur général  résume  en  quelques  mots  les  démarches 
faites  auprès  du  gouvernement  de  la  Prusse  et  déclare 
qu'après  avoir  délibéré  avec  les  assistants  généraux,  la 
province  d'Allemagne  se  composera  des  maisons  de 
Fulda,  de  Saint-Ulrich,  de  Saint-Gerlach  et  de  Saint- 
Charles. 

L'espoir  de  notre  T.  R.  P.  Supérieur  général  de  voir 
cette  fondation  de  la  province  allemande  de  Saint-Joseph 
accueillie  avec  joie  dans  toute  la  Congrégation,  a  trouvé 
une  complète  réalisation.  De  toutes  les  parties  du  monde, 
nous  sont  arrivées  des  lettres  de  félicitations  ;  particu- 
lièrement à  Paris,  à  la  Maison  générale  et  à  Montmartre, 
on  s'est  félicité  de  cet  agrandissement  de  notre  famille 
religieuse.  Que  tous  nos  chers  Pères  et  Frères  qui  se 
sont  intéressés  si  vivement  à  cette  création  en  reçoivent 
ici  l'expression  de  notre  reconnaissance.  D'un  autre  côté, 
nous  avons  pris  à  cœur  les  avis  paternels  de  notre  T.  R. 
P.  Supérieur  général,  nous  sommes  et  nous  resterons  à 
jamais  les  enfants  de  notre  commune  mère,  notre  chère 
Congrégation.  Tous  les  membres  de  notre  petite  pro- 


vince  ne  veulent  connaître  qu'une  seule  devise  :  charité 
dans  une  même  famille,  zèle  pour  le  salut  des  âmes, 
union  de  cœur  et  de  conviction  sous  une  même  autorité, 
qui  nous  est  personnifiée  dans  notre  T.  R.  P.  Supérieur 
général.  Puisse  la  bénédiction,  que  nous  a  donnée  notre 
vénéré  Père,  porter  ses  fruits  de  sainteté!  Puissent  les 
prières  ferventes  de  toute  la  Congrégation  nous  être  un 
gage  des  faveurs  du  ciel  !  Puisse  le  Seigneur  nous  dire 
aussi  :  Crescite  et  muUïplicamini  et  replète  terrant! 

Dans  l'acte  d'érection,  il  était  dit  que  le  siège  du 
R.  P.  Provincial  serait  la  maison  de  Fulda.  Nous  avions 
l'autorisation  du  gouvernement  de  nous  établir  dans 
cette  ville,  mais  il  restait  encore  bien  des  démarches  à 
faire  pour  prendre  possession  d'une  maison  qui  n'exis- 
tait encore  qu'en  projet.  Les  difficultés,  certes,  ne  pou- 
vaient manquer  ;  la  plus  sérieuse  éLait  sans  doute  le 
manque  absolu  de  ressources.  Le  parti  le  plus  sage  était 
donc  de  fermer  les  yeux  sur  les  difficultés  du  moment, 
les  incertitudes  de  l'avenir  et  de  s'abandonner  à  l'aveugle 
à  la  conduite  toute  bonne  de  la  Providence. 

Le  4  juin  eut  lieu  à  Saint-Charles  le  premier  conseil 
provincial.  L'administration  provinciale  avait  à  s'en- 
tendre principalement  sur  la  destination  à  donner  à 
notre  nouvelle  maison  de  Fulda. 

Dans  la  pensée  des  conseillers  provinciaux,  il  était  de 
notre  honneur  d'entrer  en  Allemagne  d'une  manière  à 
faire  impression  sur  l'opinion  des  catholiques.  A  cet 
effet,  l'idée  d'établir  un  juniorat  à  Fulda  fut  écartée. 
Outre  les  dépenses  extraordinaires  qu'aurait  occasion- 
nées l'entretien  des  deux  juniorats  de  Saint-Charles  et  de 
Fulda,  venait  se  joindre  l'appréhension  bien  fondée  de 
voir  le  gouvernement  faire  opposition  à  une  maison 
d'éducation  de  ce  genre. 

Quoique,  dans  la  permission  générale  de  nous  établir 


—  73  — 

en  Allemagne,  le  rescrit  royal  nous  accordât  la  faculté 
de  préparer  des  sujets  pour  les  missions,  on  n'était  pas 
sûr  alors  que  nous  fussions  autorisés  à  ouvrir  un  junio- 
rat,  ou  du  moins  à  y  enseigner.  Pour  écarter  celte  dif- 
ficulté, on  songea  d'abord  à  établir  à  Fulda  le  noviciat. 

Cependant,  depuis  le  mois  d'avril,  l'administration 
générale  était  dans  l'intention  de  confier  à  la  nouvelle 
province  la  grave  responsabilité  de  fonder  aussi  un  nou- 
veau scolasticat  pour  nos  sujets  allemands.  Au  fur  et  à 
mesure  que  nos  chers  novices  prononceraient  leurs  pre- 
miers vœux,  ils  iraient  alimenter  le  nouveau  scolasticat. 
Notre  T.  R.  P.  Supérieur  général,  au  retour  de  son  der- 
nier voyage  en  Espagne,  examina  la  nouvelle  proposition 
et  bientôt  nous  sûmes  que,  désormais,  la  nouvelle  pro- 
vince posséderait  un  juniorat,  un  noviciat  et  un  scolas- 
ticat. De  fait,  le  bon  Dieu  semblait  conduire  nos  supé- 
rieurs majeurs  comme  par  la  main  dans  cette  nouvelle 
et  si  importante  mesure.  Les  différents  scolasticats  de 
Rome  et  de  Liège  ne  pouvaient  plus  recevoir  toutes  les 
vocations  qui  venaient  frapper  à  leur  porte,  et  qui  s'an- 
nonçaient encore  plus  nombreuses  dans  un  avenir  plus 
ou  moins  rapproché.  Il  était  donc  urgent  de  fonder  un 
nouvel  établissement  pour  recueillir  la  surabondance  de 
ces  dernières  années,  qui  ont  été  si  fécondes  pour  notre 
Congrégation. 

Jusqu'alors,  plusieurs  maisons  nous  avaient  été  of- 
fertes pour  notre  nouvelle  résidence.  A  Fulda  même,  on 
avait,  dès  avant  l'érection  de  la  province,  jeté  les  yeux 
sur  plusieurs  bâtiments,  qui,  cependant,  ne  pouvaient 
nous  convenir.  Plus  tard,  on  visita  Bieberstein,  un  ancien 
château  des  princes-abbés  de  Fulda,  magnifique  cons- 
truction formant  un  quadrilatère,  dont  la  masse  impo- 
sante couronne  une  des  montagnes  de  la  Rhœn.  La  posi- 
tion était  séduisante  :  vues  splendides  sur  les  vallées 


—  74  — 

fertiles  de  laFulda  et  de  la  Bieber,  forêts  de  sapins  et  de 
chênes,  air  salubre,  autant  de  conditions  pour  la  santé 
et  pour  l'effloraison  des  grandes  pensées  philosophiques 
et  théologiques.  Cependant,  plusieurs  inconvénients, 
dont  le  plus  grave  était  le  manque  d'eau,  nous  forcèrent 
à  chercher  fortune  ailleurs. 

D'autre  part,  il  parut  peu  profitable  d'acheter  une 
maison  dont  la  première  destination  n'eût  répondu  que 
très  imparfaitement  aux  exigences  d'une  communauté 
religieuse  ;  bien  souvent,  les  sommes  que  l'on  dépense 
à  réparer  et  à  approprier  des  maisons  de  ce  genre 
auraient  suffi  à  construire  des  couvents  de  premier 
ordre.  Bâtir  à  neuf,  selon  nos  goûts  et  nos  plans,  sem- 
blait préférable,  et  c'est  pourquoi  l'on  reçut  avec  recon- 
naissance les  offres  d'un  petit  village  des  environs  de 
Pulda. 

A  Kûnzell,  on  nous  accordait  un  petit  terrain  pour  nos 
constructions,  avec  plusieurs  autres  avantages  très  ap- 
préciables. Même  on  disait  qu'une  certaine  somme  très 
élevée  nous  serait  accordée  pour  couvrir  les  frais  de  la 
construction  d'une  église.  On  ne  fit  aucune  difficulté 
d'accepter  des  propositions  si  avantageuses. 

Ce  fut  le  22  juin,  après  une  mission  donnée  à  Embken, 
dans  la  province  rhénane,  que  le  R.  P.  Provincial  se 
rendit  pour  la  première  fois  à  Fulda  pour  réaliser  les 
différents  plans  projetés  jusqu'alors.  Son  inexpérience 
et  sa  jeunesse  n'étaient  pas  les  plus  grands  motifs  d'en- 
couragement, mais  si  vouloir  n'est  pas  toujours  pouvoir, 
il  faut  convenir  que  vouloir  avec  l'obéissance,  c'est  tra- 
vailler avec  Dieu,  et  Dieu  peut  tout.  C'est  dans  ces  pen- 
sées qu'il  se  dirigea  vers  Bonn  pour  remonter  la  magni- 
fique vallée  du  Rhin  jusqu'à  Coblence.  Il  est  difficile  de 
trouver  un  pays  plus  beau  et  plus  riche  que  ces  bords  du 
Rhin,  depuis  Honn  jusqu'à  Mayence,  Des  deux  côtés  de 


—  75  — 

ce  fleuve  majestueux  s'alignent  des  collines  verdoyantes» 
fameuses  par  leurs  vignobles;  une  viile  succède  à  l'au- 
tre, se  mirant  dans  les  eaux  grandioses  du  Rhin. 

Mais  laissons  ces  paysages,  il  faut  aller  plus  loin,  suivre 
la  belle  vallée  de  la  Lahn,  traverser  Ems,  Giessen,  et  nous 
voilà  arrivés  à  Fulda.  Fulda,  ce  nom  fait  battre  le  cœur  de 
l'apôtre.  C'est  ici  que  se  trouve  le  tombeau  de  saint  Bo- 
niface,  apôtre  de  l'Allemagne  ;  c'est  d'ici,  du  couvent  de 
Fulda,  fondé  par  saint  Sturmius,  disciple  de  saint  Boni- 
face,  que  les  Bénédictins  sortaient  autrefois  pour  com- 
mencer leur  œuvre  de  christianisation  et  de  civilisation 
parmi  les  Bavarois,  les  Hessois  et  les  Thuringiens  ;  c'est 
à  Fulda  encore  que  se  réunissent,  tous  les  ans,  les  évo- 
ques de  Prusse,  pour  continuer  l'œuvre  de  régénération 
commencée  par  saint  Boniface.  Une  émotion  bien  vive 
s'empara  de  notre  voyageur,  quand  il  vit  pour  la  pre- 
mière fois  ce  dôme  vénérable,  bâti  d'après  les  plans  de 
Saint-Pierre  de  Rome,  et  qu'il  put  dire  la  sainte  messe 
sur  le  tombeau  de  saint  Boniface. 

L'hospitalité  la  plus  généreuse  fut  d'abord  offerte  au 
R.  P.  Provincial  par  M»""  Schick,  vénérable  prélat,  que 
M8'  l'évêque  de  Fulda  a  voulu  récompenser  de  son  dé- 
vouement pendant  le  Kulturkampf  et  pour  ses  mérites 
personnels,  en  lui  obtenant  les  titres  et  les  insignes  de 
la  prélature  romaine.  C'est  lui  qui,  pendant  le  Kultur- 
kampf, conduisit  les  Sœurs  Bénédictines  à  Trouville, 
près  de  Nancy.  Mg"*  Schick  est  un  de  nos  meilleurs  amis. 
Non  seulement  il  a  été  le  guide  des  RR.  PP.  Legrand  et 
Ravaux,  qui  ont  passé  p.sr  Fulda,  mais  il  a  bien  voulu 
nous  offrir,  comme  maison  provisoire  du  scolasticat,  le 
bâtiment  de  l'école  normale  de  Fulda,  dont  il  espérait 
devenir  acquéreur  en  peu  de  temps,  projet  qui  n'a  pas 
été  réalisé,  comme  nous  le  verrons  dans  la  suite. 
'   Le   lendemain  de  son    arrivée,  le  R.    P.  l^rovincial 


—  76  — 

apprit  que,  dès  la  veille,  le  vénérable  évêque  de  Fulda, 
Ms''Komp,ravnit  invité  à  dîner  au  palais  épiscopal.  L'ac- 
cueil fut  tout  paternel.  Monseigneur,  dès  la  première 
entrevue  et  depuis  bien  souvent  encore,  exprima  sa  joie 
de  nous  posséder  dans  son  diocèse,  et  il  se  réjouit  tout 
particulièrement  à  la  pensée  de  pouvoir  donner  les  saints 
ordres  à  nos  jeunes  lévites.  Il  nous  estime,  et  il  y  a  quel- 
ques jours  qu'il  nous  dit  encore  :  ec  Je  sais  que  vous  êtes 
un  ordre  régulier  et  sévère,  je  m'en  réjouis.  » 

Inutile  de  raconter  ici  avec  quelle  bienveillance  on 
nous  accueillit  partout,  chez  M.  le  grand  vicaire  Engel, 
M.  le  doyen  du  chapitre  et  MM.  les  curés  de  la  ville. 

Après  avoir  visité  les  autorités  ecclésiastiques  de  l'en- 
droit, le  R.  P.  Provincial  se  rendit  à  Cassel  pour  rendre 
visite  à  S.  Exe.  le  gouverneur  de  la  province  de  Hesse- 
Nassau.  M.  Magdeburg  a  été  charmant.  On  a  parlé  des 
espérances  de  notre  futur  établissement,  de  son  but  et 
de  l'évangélisation  des  colonies.  Il  promit  son  appui 
pour  régler  différentes  questions  importantes,  et  in- 
diqua lui-même  la  voie  à  suivre.  L'impression  qui  nous 
est  restée  a  été  que  nous  avons  affaire  à  un  homme  favo- 
rable aux  catholiques,  tel  que  la  renommée  nous  l'avait 
dépeint. 

Après  avoir  ainsi  fait  connaissance  avec  les  personnes, 
il  a  fallu  traiter  la  question  majeure  de  notre  établisse- 
ment. La  première  excursion  en  ce  sens  a  été  vers  Kiin- 
zell,  pour  voir  le  terrain  que  nous  offrit  cette  commune. 
Situé  à  plus  de  3  kilomètres  et  demi  à  l'est  de  Fulda,  ce 
tsrrain  s'étend  à  mi-côte  d'une  colline  bien  boisée.  On 
espérait  avoir  l'eau  en  abondance  en  creusant  des  puits; 
la  terre,  quoique  un  peu  inférieure  en  qualité,  aurait 
pu  devenir  productive  par  les  soins  d'un  bon  jardinier. 
La  position,  en  somme,  était  bonne,  quoique  un  peu 
éloignée  de  la  ville.  Et,  d'ailleurs,  comment  n'être  pas 


—  77  — 

attiré  par  la  bienveillance  et  les  désirs  ardents  de  la 
population,  par  certaines  promesses  avantageuses,  sur- 
tout par  cette  perspective  d'un  secours  de  la  part  de  l'é- 
vêché,  qui,  disait-on,  garde  une  somme  considérable, 
12  000  marcs  environ,  pour  la  construction  d'une  église 
à  Kiinzell.  Le  premier  devoir  du  R.  P.  Provincial  était 
donc  de  s'assurer  si  cette  promesse  était  vraie  et  d'a- 
grandir, par  un  achat  avantageux,  le  petit  terrain  qui 
nous  était  cédé  gratuitement. En  outre,  pour  ne  pas  trop 
longtemps  fatiguer  l'opinion  publique,  qui  attendait 
notre  établissement  avec  impatience,  il  fallut  s'occuper 
de  l'installation  immédiate  de  notre  scolasticat  pour  la 
mi-août  de  1893.  Hélas!  on  pensait  que  tout  serait  réglé  fa- 
cilement; le  R.  P.  Provincial  devait  se  heurter  contre  une 
triple  difficulté,  que  saint  Joseph  a  résolue  de  la  manière 
déjà  connue,  en  nous  envoyante  Hiinfeld.  Inutile  d'en- 
trer dans  tous  les  détails  de  ces  courses  sans  fin,  de  ces 
recherches  et  de  ces  inquiétudes  faciles  à  comprendre. 

Et,  d'abord,  quant  à  cette  promesse  faite  par  la  com- 
mune de  Kiinzell,  ces  bonnes  gens  restèrent  fidèles  à 
leur  parole  et  firent  tout  leur  possible  pour  aplanir  les 
difficultés.  Ici,  mentionnons  le  nom  de  l'instituteur, 
M.  Agricola,  qui  a  été  pour  nous  d'un  dévouement  sans 
bornes.  Malheureusement,  la  somme  de  12000  marcs 
environ  qu'on  pensait  devoir  nous  revenir,  après  recher- 
ches faites,  n'existait  pas^  et  par  là  même  un  bel  espoir 
s'évanouissait. 

La  question  de  l'achat  du  terrain  traîna  plus  long- 
temps. A  côté  de  notre  langue  de  terre,  cédée  par  la  com- 
mune, s'étendait  un  champ  de  Ohectares,  lequel  appar- 
tenait à  un  protestant  de  Marbourg.  C'est  un  de  ces  gros 
propriétaires  si  connus  ea  Allemagne,  dont  le  principe 
est  d'augmenter  l'étendue  de  leurs  terres,  mais  qui  ne 
se  résoudraient  à  tailler  dans  leurs  propriétés  que  pour 


—  78  — 

des  raisons  majeures.  Notre  établissement  pouvait-il  être 
une  raison  majeure  pour  un  protestant  du  parti  des  na- 
tionaux libéraux?  On  haussait  les  épaules,  à  Fulda,  et 
l'on  pensait  qu'il  n'y  avait  pas  d'espoir.  En  tout  cas,  il 
fallait  essayer,  mettre  l'opinion  de  Kunzell  en  mouve- 
ment, puisque  les  habitants  de  Kunzell  travaillaient  chez 
ce  propriétaire.  A  une  demande  que  fit  le  R.  P.  Provin- 
cial, M.  Souchay  consentit  à  céder  environ  70  ares,  sans 
donner  aucun  espoir  de  faire  davantage.  Ce  terrain  ne 
pouvait  évidemment  pas  sulfire  aux  exigences  d'un  grand 
scolaslicat.  On  résolut  alors  d'aller  trouver  M.  Souchay 
à  Marbourg  même,  pour  lui  faire  comprendre  qu'il  était 
de  son  intérêt  de  nous  céder  quelques  hectares  de  son 
terrain. 

Entre  temps,  la  question  de  notre  établissement  pro- 
visoire dans  l'ancienne  école  normale  ne  trouvait  pas 
non  plus  une  solution  suffisante.  Et,  d'abord,  ce  bâtiment 
était  dans  un  état  pitoyable  ;  pour  pouvoir  y  habiter,  il 
aurait  fallu  faire  des  dépenses  extraordinaires.  Par  ail- 
leurs, M^""  Schick,  qui  espérait  devenir  bientôt  proprié- 
taire et  qui,  alors,  sans  doute,  aurait  supporté  les  frais 
de  restauration,  ne  le  devait  pas  devenir  de  sitôt,  et,  par 
conséquent,  ne  pouvait  nous  autoriser  à  entrer  dans 
cette  maison.  Que  faire?  Attendre  indéfiniment,  avec 
M^""  Schick,  était  s'exposer  à  une  déconfiture.  Le  R.  P.  Pro- 
vincial adressa  donc  une  supplique  aux  autorités  compé- 
tentes, à  Teffet  d'obtenir  un  loyer  d'un  ou  de  deux  ans. 
Faut-il  dire  que  la  réponse  se  fit  attendre?  On  connaît 
les  détours  et  les  contours  des  voies  bureaucratiques 
pour  pouvoir  juger  de  la  patience  qu'il  fallait  avoir  en 
attendant  une  réponse.  Et  quelle  réponse?  Autorisation 
est  donnée  d'entrer  dans  le  bâtiment  de  l'école  normale, 
à  raison  dun  loyer  de  1  000  marcs  par  an,  et  avec  la 
condition  expresse  de  pouvoir  être  mis  à  la  porte  dès  le 


—  79  — 

premier  signal.  Merci  de  la  permission  1  Mieux  vaut  n'en 
user  pas. 

On  apprit  vite,  dans  le  public,  que  nous  nous  heurtions 
à  de  grandes  difficullés  àKiinzell,  de  la  part  de  M.Sou- 
chay.  A  cette  nouvelle,  M.  Mùller,  député  au  Reichstag 
et  riche  propriétaire  à  Fulda,  vint  en  personne  nous 
ofîrir  4  hectares  de  terre  dans  les  environs  deBronnzeli, 
près  Fulda,  en  face  du  château  d'Adolphseck.  Plus  tard, 
un  autre  propriétaire,  de  concert  avec  les  notabilités  du 
village  de  Keulos  (Fulda),  nous  fit  des  propositions  en- 
core plus  considérables  ;  mais  la  position  de  ces  diffé- 
rents terrains  ne  pouvait  convenir  entièrement  à  un 
scolasticat  ;  les  difficultés  de  communication  et  de  l'ap- 
provisionnement, la  question  de  l'eau,  le  manque  d'es- 
poir de  ressources  futures,  nous  faisaient  hésiter  à 
accepter  ces  propositions  pourtant  si  séduisantes.  Par 
ailleurs,  il  ne  fallait  pas  non  plus  se  décourager  si  faci- 
lement devant  les  difficultés  que  nous  rencontrions  à 
Kiinzell.  Aussi,  pour  décider  M.  Souchay  à  vendre  quel- 
ques hectares  de  son  terrain,  on  fit  comprendre  aux  gens 
du  village  que  d'autres  propositions  très  avantageuses 
étaient  faites  et  que,  vu  leur  désir  de  nous  avoir,  ils  pour- 
raient influencer  efficacement  M.  Souchay. Le  H.  P.  Pro- 
vincial alla  donc  à  Marbourg,  en  compagnie  de  M .  l'insti- 
tuteur. Après  quelques  pourparlers,  le  vieux  propriétaire 
consentit  à  vendre  2  hectares,  mais  à  un  prix  exorbitant 
eu  égard  à  la  qualité  du  terrain.  Dès  lors,  ma  résolution 
était  prise.  Kiinzell  n'était  pas  fait  pour  nous,  et  j'avais 
déjà  en  main  d'autres  offres  de  la  part  de  la  petite  ville 
de  Hùnfeld,  comme  je  vais  le  dire. 

Ne  quittons  pas  Marbourg  sans  jeter  un  regard  d'ad- 
miration sur  la  magnifique  église  de  Sainte- Elisabeth, 
bâtie  dans  le  plus  pur  style  gothique,  aujourd'hui  entre 
les  mains  des  protestants.  Tout  y  est  conservé  comme 


—  80  — 

avant  la  Réforme  ;  les  autels  sont  là,  nus  et  dégarnis  ; 
les  statues  des  saints  de  l'église  catholique  se  dressent 
encore  sur  leurs  socles  et  dans  les  niches;  la  Sainte 
Vierge  elle-même  n'a  pas  quitté  ces  lieux,  et  son  image 
grandiose  rayonne  du  haut  d'un  pilier.  Hélas!  comme 
tout  est  silencieux  ici,  tout  est  vide;  on  se  sent  mal  à 
l'aise. 

Interrogé  sur  ce  que  pensent  les  protestants  de  tous 
ces  autels,  statues,  etc.,  qui  rappelaient  le  souvenir  du 
culte  catholique,  notre  guide  répond  avec  un  sourire 
significatif  :  «  Pour  nous,  ce  sont  de  belles  antiquités!» 
Un  touriste  qui  contemplerait  les  restes  d'un  temple 
païen  de  Rome  ne  parlerait  pas  autrement. 

Pendant  que  les  hommes  s'agitaient,  le  bon  Dieu  nous 
préparait  notre  futur  établissement.  Le  17  juin  1895 
nous  arriva  en  Hollande  une  lettre  de  M.  Steinbach, 
adjoint  et  maire  par  intérim  de  la  petite  ville  de  Hiin- 
feld.  Cet  excellent  catholique,  désireux  de  procurer  à  sa 
ville  natale  un  couvent  de  religieux,  priait  les  supérieurs 
de  la  nouvelle  province  allemande  des  RR.  PP.  Oblats 
de  vouloir  bien  s'établira  Hiinfeld.  «  Notre  ville,  disait-il, 
est  prête  à  faire  les  plus  grands  sacrifices  pour  avoir  le 
bonheur  de  posséder  un  couvent  de  missionnaires.  »  On 
n'accorda  d'abord  aucune  considération  à  cette  lettre. 
En  efi'et,  à  raison  des  pourparlers  entamés  avec  Kiinzell 
et  des  avantages  sérieux  qu'on  y  offrait,  la  réponse  faite 
à  l'invitation  de  M.  Steinbach  fut  telle,  qu'elle  ne  donnait 
aucun  espoir  de  nous  établir  à  Hiinfeld.  Notre  solliciteur 
ne  se  crut  pas  battu  pour  si  peu  ;  il  insista  une  seconde 
fois,  le  20  juin.  Sur  ces  entrefaites  fut  nommé  un  nou- 
veau maire  à  Hiinfeld,  M.  Beutling,  qui  devait  être  un  de 
nos  plus  grands  bienfaiteurs.  H  fit  de  la  pensée  de 
M.  Steinbach  son  œuvre  à  lui  ei,  dès  le  29  juin,  il  vint 
trouver  le  R.  P.  Provincial  de  passage  à  Fulda,  et  plaida 


—  81  — 

la  cause  de  la  ville  de  Hûnfeld  et  réitéra  de  vive  voix  les 
offres  faites  auparavant. 

Les  questions  se  compliquaient  donc  à  raison  des 
quatre  offres  très  considérables  dont  nous  avons  parlé. 
Faire  un  choix  et  prendre  le  meilleur,  comme  s'expri- 
mait M^""  Schick  dans  sa  revue  hebdomadaire,  c'était  la 
grande  préoccupation  du  R.  P.  Provincial,  qui,  se  trou- 
vant seul  sur  les  lieux,  ne  savait  où  trouver  conseil  et 
lumière.  Le  2  juillet,  fête  de  la  Visitation  de  la  Sainte 
Vierge,  après  avoir  dit  la  sainte  messe  sur  le  tombeau 
de  saint  Boniface,  on  se  mit  en  route.  Au  nord  de 
Fulda,  sur  la  ligne  de  Francfort-Bebra,  est  assise  agréa- 
blement, sur  une  petite  colline,  la  ville  de  Hiinleld. 
Des  rues  bien  alignées  aboutissent  à  une  charmante 
petite  place  devant  le  grand  bâtiment  de  l'hôtel  de  ville, 
qui  semble,  par  sa  magnificence,  être  en  disproportion 
avec  la  localité  assez  peu  considérable  par  le  chiffre  de 
sa  population.  Au  nord,  on  voit  les  lignes  d'arbres  qui 
dessinent  la  direction  de  la  grande  route  de  Leipzig  ; 
c'est  par  cette  route  que  revint  Napoléon  1"%  après  sa 
retraite  de  Leipzig.  Aujourd'hui  encore,  on  célèbre  à 
Hiinfeld  une  messe  d'actions  de  grâces,  comme  accom- 
plissement d'un  vœu  fait  parla  population  pour  obtenir 
d'être  épargnée  des  fléaux  de  la  guerre.  A  l'est  s'élèvent 
majestueusement  les  montagnes  de  la  Rhun  ;  du  sud 
au  nord,  la  rivière  de  la  Haune  s'est  creusée  les  con- 
tours d'un  lit  assez  profond,  au  milieu  des  prairies  d'une 
vallée  large  et  verdoyante.  A  une  demi-lieue  tout  autour 
de  la  ville,  aussi  loin  que  l'œil  peut  sonder  l'horizon, 
s'étendent  de  magnifiques  forêts  de  sapins  qui  donnent 
à  celte  contrée  une  salubrité  bienfaisante  et  invitent 
les  pouiuons  à  se  dilater  d'aise  et  de  santé.  Le  climat  est 
un  peu  rude  en  hiver,  mais  le  printemps  et  l'été  ne  le  cè- 
dent en  rien  en  beauté  à  d'autres  climats  plus  tempérés. 

T.    XXXVl.  6 


-  82  — 

A  sa  ilescenlc  du  train,  le  R.  P.  Provincial  trouva 
M.  le  maire,  son  adjoint  et  un  conseiller  municipal  en 
grande  tenue,  pour  le  recevoir  au  nom  de  la  ville.  Après 
quelques  paroles  de  bienvenue,  on  se  mit  en  chemin 
pour  examiner  les  différents  terrains  qu'on  offrait.  A 
deux  minutes  de  la  ville,  du  côté  opposé  à  la  station  du 
chemin  de  fer,  se  trouvent  de  beaux  jardins  qui  descen- 
dent doucement  vers  la  vallée  où  coule,  au  milieu  des 
prairies,  un  petit  ruisseau,  la  Hasel,  dont  les  eaux  lim- 
pides se  jettent,  un  peu  plus  loin,  dans  la  Haune.  C'est 
l'endroit  le  plus  calme  des  environs  ;  il  invite  au  silence 
et  aux  pensées  graves;  aussi  la  ville  y  a  choisi  le  terrain 
du  cimetière.  C'était  vraiment  là  la  place  d'un  couvent. 
Un  terrain  de  3  hectares  et  demi,  des  jardins  et  des 
prairies,  traversés  d'un  beau  cours  d'eau  et  plusieurs 
autres  avantages  très  considérables,  voilà  ce  que  la  ville 
de  Hiinfeld  offrait  à  la  province  allemande,  si  l'on  vou- 
lait s'établir  là.  L'invitation  était  séduisante,  mais  il  fal- 
lail  des  garanties  et,  par  ailleurs,  il  était  bori  de  mettre 
en  balance  tous  les  avantages  des  propositions  faites 
jusque-là.  On  se  donna  donc  des  espérances  mutuelles  et, 
le  lendemain,  après  son  retour  àFulda,  le  R.  P.  Provin- 
cial reçut  l'acte  authentique,  signé  par  tous  les  membres 
du  corps  municipal,  lequel  confirmait  les  promesses 
faites  de  vive  voix. 

Le  18  juillet,  le  conseil  provincial  accepta  unanime- 
ment les  propositions  faites,  et,  le  20  juillet,  le  conseil 
général  ratifia  notre  établissement  à  Hiinfeld.  Le  29  juil- 
let, le  R.  P.  Provincial  partit  définitivement  de  Fulda 
pour  Htinfeld  pour  chercher  à  y  installer,  d'abord  provi- 
soirement, le  nouveau  scolasticat  et  commencer  l'œuvre 
dés  constructions.  Au  mois  d'août,  le  noviciat  devait 
nous  envoyer  les  premiers  philosophes  pour  la  rentrée 
des  cours.  La  difficulté  consistait  à  trouver  un  local  con- 


—  83  — 

vetiable  pour  abriter  une  communauté  de  23  personnes. 
Comme  les  recherches  se  trouvaient  être  infructueuses, 
M.  le  maire  mit  à  notre  disposition  l'hôtel  de  Ville,  dont 
les  proportions  grandioses  répondaient  assez  aux  exi- 
gences d'une  communauté    religieuse.    Le  30  juillet, 
M^""  de  Fulda  voulut  bien  encourager  nos  commence- 
ments  en  venant  visiter   le  terrain    sur  lequel  devait 
s'élever  notre  scolaslicat.  Bientôt  le  R.  P.  Kieffer  et 
plusieurs  Frères  convers  vinrent  rejoindre  le  R.  P.  Pro- 
vincial, et,  le  31  août,  nous  eûmes  le  bonheur  de  célé- 
brer, pour  la  première  fois,  le  saint  sacrifice  de  la  messe 
dans  notre  petite  chapelle;  un  sentiment  de  reconnais- 
sance et  d'amour  remplissait  tous  les  assistants;  notre 
bon   Sauveur  allait  être  désormais  notre  force,  notre 
guide,  notre  conseiller;  nous  pouvions  aller  en  avant. 
Vers  la  fin  du  mois  de  septembre,  les  préparatifs  pour 
Tinstallation  d'une  plus  grande  communauté  étaient  as- 
sez avancés  pour  recevoir  nos  chers  Frères  scolastiques. 
En  même  temps,  nous  avions  à  préparer  lès  plans  de 
notre  nouvel  établissement.  A  cet  effet,  le  R.  P.  Kieffer 
avait  reçu  son  obédience  pour  Hûnfeld,  et,  pendant  de 
longs  mois,  nous  avons  fait  appel  à  l'expérience  de  nos 
conseillers  provinciaux  et  de  l'administration  générale 
en  vue  de  trouver  un  plan  digne  de  la  Congrégation  et 
capable  d'abriter  environ  200  personnes.  Les  coups  de 
crayon,  les  discussions  plus  ou  moins  vives,  les  heures  du 
jour  et  de  la  nuit,  rien  ne  fut  épargné  pour  prévoir  tout, 
faciliter  la  marche  d'une  grande  comniunauté  et  donner 
à  l'ensemble  le  cachet  religieux  et  sérieux.  La  critique 
future  dira  si  nous  avons  réussi.  Les  plans  furent  sou- 
mis à  M.  Giildenphenig,  architecte  célèbre  du  diocèse 
de  Paderborn,  et  eurent  son  entière  approbation.  Ce 
même  architecte  n'eut  qu'à  dessiner  la  façade  de  la 
maison. 


—  84  — 

Maintenant;,  il  fallait  réaliser  nos  plans.  Après  avoir 
exercé  les  fonctions  d'architecte,  nous  avions  à  devenir 
entrepreneurs  et  maîtres-maçons,  au  besoin,  maçons  et 
manœuvres  ;  dur  métier,  le  R.  P.  Kieffer  en  sait  quel- 
que chose.  Dès  le  18  mars  t896,  après  une  messe  à  la- 
quelle assistèrent  les  ouvriers,  on  bénit  la  première  pierre 
de  l'aile  droite  de  notre  nouveau  scolasticat. 

Tout  en  surveillant  les  travaux,  on  s'occupa  du  char- 
roi des  matériaux;  le  conseil  municipal  de  Riickers, 
petit  village  au  sud  de  Hiinfeld,  mit  à  notre  disposition 
une  partie  de  ses  carrières  de  sable.  Les  habitants  de 
Motzbach  nous  permirent  d'ouvrir  chez  eus  une  car- 
rière de  pierre.  Nous  nous  mîmes  à  visiter  tous  les  vil- 
lages, à  réunir  les  braves  cultivateurs  et  quelques  bonnes 
paroles  suffirent  pour  nous  gagner  leurs  sympathies  et 
les  services  de  leurs  bras  et  de  leurs  attelages.  11  était 
beau  de  les  voir  venant  comme  en  procession  de  près  et 
de  loin,  amenant  sable,  pierres,  bois  de  charpente.  Et, 
quand,  de  l'église  de  la  ville,  la  cloche  annonçait,  le  ma- 
tin, le  moment  de  l'élévation  ou  qu'elle  invitait,  matin 
et  soir,  à  la  prière  de  V Angélus,  vous  eussiez  vu  tous  ces 
hommes  se  découvrir  pieusement,  s'agenouiller  et  dire 
leurs  prières. 

Pendant  que  les  constructions  montaient,  nos  scolas- 
tiques,  sous  la  conduite  du  R.  P.  Erbachek,  s'appliquaient 
avvjc  ardeur  à  l'étude  de  la  philosophie.  Leur  bonne  con- 
duite et  leur  vraie  piété  facilitèrent  au  R.  P.  Provincial 
la  direction  de  la  communauté,  malgré  ses  autres  tra- 
vaux et  ses  absences  assez  fréquentes. 

Le  15  août  1896,  nos  philosophes  eurent  le  bonheur  de 
prononcer  leurs  vœux  perpétuels  ;  il  étaient  les  premiers 
à  s'offrir  à  Dieu  et  à  Marie  Immaculée  sur  le  sol  de  la  pa- 
trie. Ferventes  furent  les  prières  pour  l'accroissement  et 
la  grandeur  de  la  nouvelle  province.  Vers  la  fin  de  cette 


^    S5  — 

même  année,  nous  fûmes  honorés  de  la  visite  du  R.  P. Ra- 
VAUX  et  du  F.  Bœming,  frère  scolastique,  qui,  après  une 
visite  d'adieu  à  ses  parents,  allait,  sous  la  conduite  de 
l'obéissance,  consacrer  ses  forces  et  sa  vie  aux  œuvres 
de  la  Congrégation  en  Amérique.  La  visite  du  R.  P.  Tra- 
BAUD  nous  fut  surtout  agréable.  Le  bon  Père  avait  visité 
ses  bienfaiteurs  à  Munich  et  venait  nous  prêcher  l'amour 
de  l'apostolat  et  les  conditions  de  persévérance.  Nos 
Frères  n'oublieront  pas  les  bonnes  paroles  qu'il  leur 
adressa. 

L'année  suivante,  20  mars,  nous  eûmes  la  joie  d'as- 
sister à  la  première  messe  du  R.  P.  Kassiepe.  A  défaut 
d'ornements  précieux,  que  notre  pauvreté  ne  connaît  pas 
encore  aujourd'hui,  notre  chapelle  était  du  moins  ornée 
de  reconnaissance  et  d'allégresse  pour  celte  circonstance 
solennelle. 

Notre  communauté  devait  bientôt  s'agrandir;  plu- 
sieurs malades  venaient  chercher  la  santé  chez  nous,  et 
l'on  annonçait  déjà,  pour  la  fin  de  l'année  1897,  l'arrivée 
de  tous  nos  Frères  allemands  du  scolasticat  de  Liège  ;  il 
fallut  donc  songer  en  même  temps  à  augmenter  le  per- 
sonnel de  nos  chers  Frères  convers.  Après  les  formalités 
voulues,  un  noviciat  fut  ouvert  le  5  juin  i896,  le  jour  de 
la  fête  de  Saint-Boniface,  et  un  postulant  reçut  l'habit. 
Aujourd'hui,  le  noviciat  compte  5  bons  Frères,  qui  at- 
tirerontbientôt  d'autres  recrues  par  leurs  ferventes  prières 
et  leur  conduite  édifiante. 

Entre  temps,  les  constructions  de  l'aile  droite  de  notre 
scolasticat  s'achevaient  dès  la  fin  de  l'année  1896,  et 
nous  pûmes,  au  mois  de  juin  1897,  entrer  dans  notre 
nouvelle  demeure.  Ce  fut  un  jour  de  fête.  De  grand  ma- 
tin, on  célébra,  encore  une  fois,  la  messe  à  l'hôtel  de 
ville,  pour  remercier  Dieu  de  l'hospitalité  qu'il  nous  y 
avait  accordée  si  généreusement.   L'autel  fut  aussitôt 


—  86    » 

transporté  dans  le  nouveau  scolasticat,  dans  une  des 
grandes  salles  de  philosophie,  laquelle  devait  nous  servir 
provisoirement  de  chapelle  jusqu'à  l'arrivée  de  nos  Frères 
de  Liège,  ^'ous  célébrâmes  la  grand'niesse  avec  diacre 
et  sous-diacre.  Notre-Seigneur  vint  ainsi  prendre  pos- 
session de  ce  nouveau  sanctuaire.  Lœtatus  smn  in  his  quse 
dicta  sunt  mihi  :  in  domum  Domini  ibimus...  lliuc  enim 
ascendef'unt  tribus,  tribus  Domini...  Propter  fratres  meps 
loquebar  pacem  de  te...  C'était  un  besoin  du  cœur  pour 
le  R.  P.  Provincial  de  commenter  dans  une  petite  allo- 
cution les  paroles  de  ce  psaume,  qui  s'appliquait  entière- 
ment à  la  circonstance. 

Avec  l'année  1897  commencèrent  les  constructions  de 
l'aile  de  front  de  notre  scolasticat.  Il  est  inutile  d'entrer 
dans  de  plus  longs  détails  sur  les  péripéties  de  ces  nou- 
velles constructions  qui  virent  leur  achèvement  avec  la 
même  année,  en  sorte  qu'il  ne  manque  plus  que  l'église 
pour  compléter  le  scolasticat  de  Hunfeld.  L'ensemble  de 
nos  bâtisses  forme  un  H  dont  le  côté  gauche  est  occupé 
par  l'église.  De  vastes  corridors  voûtés  facilitent  les  mou- 
vements d'une  grande  communauté  de  deux  cents  per- 
sonnes. Un  grand  et  beau  cloître  ouvert  pernaet  à  nos 
Frères  de  prendre  leur  récréation  pendant  la  mauvaise 
saison.  On  s'est  efforcé  de  rendre  la  maison  saine,  éclai- 
rée, aérée,  et  l'on  peut  dire  que  cette  pensée  du  moins 
^  été  bien  réalisée.  L'ensemble  des  constructions  est 
imposant  et  digne  de  notre  chère  Congrégation. 

Un  des  faits  les  plus  importants  dans  la  chronique  de 
notre  scolasticat  a  été  la  visite  de  M^'  Komp,  évêque  de 
Fulda.  Le  25  juillet  i897,  notre  vénéré  prélat  était  arrivé 
à  Hunfeld  en  tournée  pastorale  et  avait  administré  le 
sacrement  de  confirmation.  Le  lendemain,  Sa  Grandeur 
voulut  bien  conférer  la  tonsure  et  les  ordres  mineurs  à 
nos  Frères  scolastiqnes.  Dès  la  veille.  Monseigneur  avait 


-   S7  — 

annoncé  lui-même  cette  cérémonie  au.^  habitc^ntg  de  1^ 
ville  et  il  avAit  exprimé  le  (lépir  que  la  eôrémonie  eût 
lieu  à  l'église  paroissiale  pour  (donner  par  là  un  témoi- 
gnage (Je  reconnaissance  à  la  population  qui  nous  avait 
reçus  si  cordialement.  Après  la  cérémonie,  une  jjellp 
assemblée  de  doyens  de  curés  et  des  notabilités  du  pays 
accepta  notre  invitation  et  se  réunit  autour  de  l'évêque, 
à  notre  table.  Monseigneur,  dans  un  toast  très  paternel, 
rappela  à  nos  Frères  la  nécessité  d'unir  à  la  piété  une 
science  profonde  comme  particulièrement  nécessaire 
aux  missionnaires.  Sa  Grandeur  présida  ensuite  les 
vêpres  solennelles  et  donna  la  bénédiction  du  Très  §aint 
Sacrement.  Ses  adieuK  furent  unp  promesse  de  revenir 
souvent  encore. 

Cependant,  nous  désirions  depuis  longtemps  la  visite 
de  notre  T.  B.  P.  Général;  elle  manquait  à  notre  attente 
et  à  notre  piété  filiale.  L'es  circonstances  indépendantes 
de  la  volonté  de  notre  vénéré  Père  ne  lui  avaient  point 
permis  de  venir  jusqu'à  Hiinfeld,  lorsque  le  17  juillet  je 
reçus  les  lignes  suivantes  de  la  part  du  R.  P.  Tatin  : 
«  Le  T.  R.  P.  Supérieur  général  accepte  volontiers  votre 
invitation.  Depuis  longtemps,  il  a  le  désir  d'aller  vous 
faire  une  visite  et  il  est  heureux  de  profiter  de  l'occasion 
de  l'oblation  perpétuelle  du  15  aoiit  prochain.  «  La  nou- 
velle fut  accueillie  avec  allégresse.  On  se  mit  avec  ardeur 
à  préparer  la  maison .  Les  vacances  permirent  à  nos  chers 
Frères  scolastiques  de  frayer  les  routes,  de  casser  les 
pierres  du  chemin,  de  donner  à  notre  maison  l'aspect 
d'une  fourmilière  où  tout  s'agile,  va  et  vient,  portant 
ici  une  chaise,  là  une  table,  etc.  C'était  une  fête  à 
l'avance.  Hélas  !  la  maladie  avait  déjà  ruiné  les  forces 
de  notre  vénéré  Père  et  bientôt  nous  apprîmes  avec  dou- 
leur qu'il  ne  pouvait  venir  lui-même,  mais  qu'il  nous 
envoyait  un  de  ses  assistants  généraux,  le  R.  P.  Tatin. 


—  88  — 

En  effet,  ce  vénéré  Père  nous  arriva  l'avant-veille  du 
15  août  et  le  lendemain  il  reçut  les  vœux  perpétuels  de 
dix  Frères  scolastiques.  Nous  regardâmes  cette  visite 
comme  l'événement  le  plus  significatif  pour  notre  sco- 
lasticat,  comme  la  bénédiction,  la  consécration  de  ces 
murs,  faite  au  nom  du  chef  de  notre  chère  Congré- 
gation. Aussi,  nous  fûmes  tous  profondément  émus  et 
toutes  les  paroles  qui  tombèrent  des  lèvres  de  notre  vé- 
néré visiteur  furent  religieusement  accueillies.  Pour 
clôturer  cette  belle  fête,  on  organisa  une  charmante 
soirée,  où  la  parole  de  nos  orateurs  et  la  musique  de 
notre  grand  orchestre  s'unirent  pour  célébrer  la  Congré- 
gation et  son  chef  et  pour  traduire  notre  fidélité  entière 
à  nos  supérieurs  majeurs.  Le  lendemain,  une  grande 
promenade  nous  conduisit  au  château  de  Bieberstein. 
Tous  ceux  qui  y  ont  pris  part  ne  l'oublieront  jamais. 

La  province  allemande  et  son  scolasticat  sont  donc 
fondés. 


VARIÉTÉS 


LA  RÉUNION  DES  JEUNES  PÈRES  DE  LA  PROVINCE  DU  NORD 

EN  1897. 

Saiut-Andelain,  31  janvier  1898. 

Mon  bévérend  Père, 

Peu  avant  sa  mort,  notre  regretté  T.  R.  P.  Général  me 
demanda  très  expressément  de  donner  encore  aux  an- 
nales un  compte  rendu  spécial  de  la  réunion  annuelle 
des  jeunes  Pères  de  la  province  du  Nord. 

«  Je  veux,  me  répétait-il,  que  l'on  sache  que  cette 
réunion  est  possible,  puisque  vous  venez  de  la  faire  pour 
la  troisième  fois.  Je  veux  aussi  faire  publier  quelle  im- 
portance j'y  attache,  et,  enfin,  que  vos  expériences  puis- 
sent profiter  â  qui  vous  suivra.  » 

Me  voyant  dans  l'impossibilité  de  m'en  occuper  avant 
janvier  1898,  il  ajouta  :  «  Eh  bien,  envoyez-moi  cela  en 
janvier  1898.  » 

Depuis,  je  vous  ai  offert  de  fondre  ce  compte  rendu 
avec  celui  de  la  maison  de  Saint-Andelain,  et  vous  m'a- 
vez répondu  que,  sur  ce  point  comme  sur  les  autres,  la 
volonté  du  vénéré  défunt  restait  sacrée  pour  nous. 

Voici  donc  quelques  notes  sur  cette  troisième  réunion 
annuelle. 

Saint-Andelain  a  été  conservé  comme  local  et  votre 
serviteur  comme  modérateur-professeur,  pour  les  mêmes 
raisons  que  l'année  précédente. 


—  ou  — 

Le  chiffre  des  Pères  convoqués  et  disponibles  est  resté 
modeste  ;  néanmoins,  six  maisons  y  furent  représentées  : 
Limoges,  par  le  P.  Berte  ;  Arcachon,  par  le  P.  Gusman; 
Sion,  par  le  P.  Marçais  ;  Angers,  par  le  P.  Le  Floch  ; 
Pontmain,  par  le  P.  Prod'homme,  et  Saint-Andelain,  par 
les  PP.  Debray  et  Huchet  ;  on  voit  que  ce  ne  furent  pas 
desPères«  conscrits»  .  Sauf  les  PP.  Marçais,  professeur,  et 
Debray,  rentrant  des  Missions  étrangères,  tous  avaient 
déjà  d'assez  nomljrpuses  pampagnes  apostolique^  sur 
leurs  états  de  service.  Ce  serait  le  cas  de  dire  :  Non  nu- 
merantur,  sedponderantur.  Nous  ne  fûmes  au  complet  que 
le  o  juin,  des  prédications  ayant  retenu  le  P.  Prod'homme 
jusqu'à  cette  date. 

On  commença  par  la  retraite  du  mois. 

Le  P.  Supérieur  n'eut  pas  de  peine  à  convaincre  son 
intelligent  auditoire,  à  la  conférence,  que  cette  réunion 
était,  en  plus  d'un  sens,  plus  utile  que  la  retraite  an- 
nuelle elle-même  à  la  perfection  du  missionnaire,  et 
qu'en  présence  des  difficultés  avec  lesquelles  doit  comp- 
ter le  R.  P.  Provincial,  chacun  peut  considérer  sa  con- 
vocation au  cours,  non  comme  une  marque  d'infériorité 
par  rapport  aux  non-convoqués,  mais  comme  une  véri- 
table faveur  de  la  Providence.  De  fait,  depuis  deux  ans, 
j'ai  rencontré,  dans  mes  courses  et  prédicaLions  de  re- 
traites de  nos  maisons,  des  Pères  de  quarante  et  cin- 
quante ans  dâge  qui  m'ont  dit  combien  ils  seraient 
heureux  de  pouvoir  passer  deux  mois  en  ces  conditions, 
pour  se  retremper  et  se  compléter. 

La  retraite  faite,  nous  attaquons  aussitôt  le  programme 
tracé  par  le  R.  P.  Provincial.  Les  traités  des  Actes  hu- 
mains, de  la  Conscience  et  des  Lois  nous  occupèrent  pen- 
dant 34  réunions  ou  conférences. 

Comoi-;  l'an  dernier,  chacun  exposa  à  tour  de  rôle  la 
ducliine  ù'iiprès   Gury-Dumas.   Nous  évitons  la  haute 


—  91  — 

spéculation,  et,  dans  les  nombreux  cas  d'applications 
pratiques  présentés  par  l'un  et  par  l'autre,  nous  nous  ef- 
forçons de  bien  circonscrire  et  fixer  l'hypothèse,  de  n'en 
pas  sortir,  pendant  la  discussion,  parles  cent  tangentes 
que  présente  trop  aisénient  la  niémoireou  fimaginaiion, 
et  de  la  résoudre  aussi  solidement  et  pratiquement  que 
possible.  Car  cette  étude  des  traités  a  été  faite  en  vue  du 
confessionnal,  pour  les  raisons  dites  l'année  flernière. 
Rarement  quelques  points  ont  été  examinés  an  point  de 
vue  de  la  chaire  ;  les  sujets  s'y  seraient  prêtés  pins  sou- 
vent qu'on  ne  suppose  à  l'intitulé;  mais  il  fallait  se  li- 
miter, et,  je  le  dirai  plus  loin,  la  chaire  a  eu  une  autre 
bonne  part  de  notre  temps. 

On  conviendra  que  débattre,  en  34  séances  de  une 
heure  et  demie  à  deux  heures,  tout  ce  qui  a  pu,  se  rat- 
tachant à  des  traités  si  généraux,  préoccuper  des  jeunes 
Pères  ayant  déjà  entendu  plusieurs  milliers  de  confes- 
sions, et  de  confessions  de  missions,  est,  à  soi  seul,  une 
bien  grande  utilité  de  la  réunion. 

Mais,  ces  traités  nous  ont  donné  aussi  de  nombreuses 
occasions  de  rappeler  les  devoir^  essentiels  du  religieux. 
Le  minimum  de  savoir  requis  pour  le  ministère,  la  né- 
cessité de  travailler  à  sa  perfection  peromnia,  l'emploi 
du  temps,  le  compte  qu'il  faudra  en  rendre,  la  conscience 
faussée  et  la  conscience  délicate  en  communauté,  la 
valeur  des  coutumes  contraires  aux  Saintes  Piègles,  la 
pauvreté  et  les  autres  vœux,  la  confession  des  confrères 
en  divers  cas  particuliers,  etc.,  etc.,  que  de  sujets  trai- 
tés, sans  doute,  par  les  supérieurs  locaux,  dans  les 
conférences  de  quinzaine  à  leurs  communautés,  mais  qui 
ne  peuvent  y  recevoir  tous  les  détails  et  applications 
utiles  à  la  jeunesse  ardente,  zélée,  plus  en  besoin  de 
frein  que  d'éperon,  d'expériences  communiquées  que  de 
stimulants  !  L'auditoire  du  Supérieur  local  est  héléru- 


—  92  — 

gène,  quant  à  l'âge  et  aux  besoins  qui  s'ensuivent,  et  l'on 
sait,  de  reste,  les  motifs  qui  souvent  obligent  à  «glisser 
et  ne  pas  appuyer  ».  Dans  nos  causeries,  tout  est  dit  ron- 
dement, à  chaque  occasion. 

Je  dis  causeries,  car,  sous  ce  rapport  aussi,  nous  avons 
conservé  notre  méthode  de  l'année  précédente  ;  on  en 
peut  aisément  trouver  de  plus  solennelles;  mais  nous 
restons  persuadé  quec'est,  pour  nous  du  moins,  et  dans 
les  conditions  actuelles,  la  plus  fructueuse. 

Ces  traités  terminés,  les  réunions  suivantes  ont  été 
consacrées  jusqu'à  la  fin  à  discuter  divers  plans  de  re- 
traites de  première  communion. 

Ce  genre  de  ministère  est  demandé  à  nos  Pères  les 
plus  jeunes;  ils  y  sont  seuls,  ordinairement;  s'ils  n'ont 
pas  à  craindre  d'empiéter  sur  le  rôle  du  chef,  en  prépa- 
rant des  sujets  réservés,  ils  n'ont  pas  davantage  à  espérer 
son  concours.  En  maint  endroit,  ce  travail  est,  en  outre, 
soit  un  coup  de  sonde  en  vue  d'une  mission  dont  per- 
sonne ne  parle  encore,  soit  un  retour  là  où  le  retour 
proprement  dit  ne  paraît  pas  possible,  soit,  enfin,  la 
seule  apparition  du  missionnaire  que  le  pasteur  ne  juge 
pas  à  propos  d'appeler  en  d'autres  circonstances.  Dans 
les  trois  cas,  il  faut  être  à  la  hauteur  de  sa  tâche,  qui 
apparaît  bien  déjà  d'elle-même  comme  d'une  immense 
importance  :  de  toute  l'importance  d'une  première  com- 
munion bien  faite,  multipliée  par  le  nombre  des  enfants 
à  préparer. 

Ce  sont  ces  considérations  qui  ont  fixé  le  choix  de  ce 
sujet  de  nos  dernières  études. 

Chacun  donc  donna  un  plan  d'ensemble,  et  le  détail 
des  sermons  et  allocutions  qui  le  composent  ;  le  tout  fut 
apprécié  et  discuté. 

Il  fut  convenu  que  l'on  se  pillerait  mutuellement,  sans 
scrupules,  chacun  communiquant  loyalement  son  stock 


—  93  — 

d^histoires  et  leurssources. C'était  être  plus  utile  à  tous, 
plus  sûrement  suivi  de  chacun  et  sans  inconvénients 
sérieux  pour  personne,  vu  la  nature  de  ce  genre  de 
travaux  apostoliques. 

A  cette  occasion  sont  appréciés  :  les  Entretiens  sur  le 
catéchisme,  àe.  Ms''  Dupanloup;  ce  que  l'abbé  Mullois  a 
écrit  sur  le  même  sujet  ;  le  Grand  Jour  approche,  de 
M^""  Gaume  ;  les  Discours  pour  la  première  communion,  de 
l'abbé  de  Sambucy  ;  les  Instructions  pour  la  première  com- 
munion, de  l'abbé  Martin,  et  celles  de  l'abbé  Brugale  ;  la 
Persévérance  après  lapremière  communion,  plaquelle  ano- 
nyme éditée  chez  Gastermann. 

Tous  les  jours,  pendant  le  deuxième  mois,  il  y  eut 
exercice  de  prédication  et  critique  par  tous,  du  fond,  de 
la  forme  et  du  débit.  Chaque  Père  prêcha  deux  fois  en 
chaire,  deux  fois  à  la  sainte  table  et  deux  fois  à  l'autel. 
Comme  en  1896,  les  critiques  furent  pariailes,  en  ce 
que  les  appréciateurs  se  montrèrent  toujours  charita- 
blement impitoyables,  et  l'apprécié  parfaitement  recon- 
naissant. 

Les  Pères  eurent  à  remettre  un  sermon  écrit  sur  la 
Sainte  Vierge,  conçu  de  telle  sorte  qu'il  puisse  servir  de 
sermon  de  mife^ion  sur  ce  sujet.  Enfin,  ceux  quin'avaient 
pas  atteint  leurs  cinq  ans  de  prêtrise  passèrent  un  exa- 
men oral  de  vingt  minutes  sur  les  trois  traités  étudiés. 
Bene  sur  toute  la  ligne! 

Je  ne  reviendrai  pas  sur  ce  que  j'ai  écrit,  l'an  dernier, 
des  autres  points  de  vue  auxquels  cette  réunion  paraît 
si  proClable.  Il  m'clait  plus  aisé  d'en  faire  l'éloge  alors  : 
et  le  tout  restant  également  vrai,  dans  ses  grandes  lignes, 
je  tomberais  en  de  fastidieuses  redites. 

Pendant  la  dernière  semaine,  le  R.  P.  Provincial  vint 
faire  la  visite  canonique  de  la  communauté  de  S.ùnt-, 
Andclain;  il  présida  à  l'examen  oral,  et  les  jeunes  1  ères 


-  l»i  - 

profitèrent  de  celte  présence  pour  recevoif  chacun,  fen 
une  direction  personnelle,  Ce  qui  devait  compléter  l'œu- 
vre des  deux  mois. 

Le  T.  R.  P.  Général  nous  avait  aussi  promis  sa  visite  ; 
au  moment  de  réaliser  sa  promesse,  il  dut  y  renoncer 
pour  partir  à  Luchon,  où  il  espérait  trouver  soulage- 
ment au  mal  qui  l'emporta,  et  dont  il  venait  d'entendre 
les  trop  sérieuses  menaces. 

Daignez  agréer,  mon  révérend  Père,  l'expression  de 
mon  respectueux  attachement  en  J.  et  M.  I. 

A.  lUNGBLUin,  0.  M.  i. 


ïï 

L'ÉCOLE  INDUSTRIELLE  DE  GLENDALOUGH  A  SUBIACO 
PRÈS  PERTH,  E\  AUSTRALIE. 

On  sait  déjà  que  nos  œuvres  d'Australie  comprennent 
une  maison  de  missionnaires,  à  Freemantle,  et  une  école 
industrielle  ou  réformatoire,  près  de  Perth.  Cette  der- 
nière a  été  inaugurée  récemment.  Une  lettre  adressée 
au  R.  P.  AuGiER,  Cassien,  par  l6  R.  P.  Daniel  O'Ryan, 
supérieur,  nous  fait  connaître  le  détail  des  démarches 
officielles  et  des  fêtes  de  l'inauguration. 

La  construction  de  l'école  une  fois  terminée,  le  Su- 
périeur se  présenta  chez  le  premier  ministre  de  l'Aus- 
tralie occidentale,  M.  Forrest,  et  reçut  le  plus  bienveil- 
lant accueil.  «  Pour  lui-même,  dit  le  ministre,  il  regardait 
les  Pères  comme  les  bienfaiteurs  de  l'État.  »  Il  réclama 
une  lettre  officielle  où  le  Supérieur  devait  exposer  la 
nature  de  l'œuvre  et  formuler  la  demande  d'approbation 
légale.  En  réponse,  le  président  du  conseil  accepta  de 
prendre  part,  le  22  novembre,  à  la  fête  d'inaugura- 
tion. Tous  les  membres  du  parlement  y  étaientinvités. 


—  95  — 

M^'  Gibncy,  évêque  de  Perth,  s'était  rendu  atissi  à  cette 
solennité,  qui  était  potir  lui-même  un  triomphe  et  une 
joie. 

Dans  un  premier  discours,  le  II.  P.  O'Ryan,  parlant  au 
nom  des  catholiques,  disait  :  «  En  fait  d'éducation,  nous 
avons  toujours  marché  avec  le  gouvernement  la  maiu 
dans  la  main.  »  L'orateur  rappela  la  législation  scolaire 
australienne  et  en  arriva  au  réformatoire  de  Glenda- 
lough,  «  A  la  demande  de  M^''  i'évêque  de  Perth,  les 
Oblats  vinrent  dans  la  colonie  et,  entre  autres  œuvres, 
nous  avons  construit  celte  école  industrielle  pour  les 
enfants  abandonnés  de  la  colonie.  Nous  l'avons  con- 
struite sans  coûter  un  sou  au  gouvernement,  et  nous 
demandons  maintenant  si  le  gouvernement  n'aura  pas 
la  générosité  de  nous  traiter  au  moins  comme  ses  pro- 
pres institutions...  Je  puis  dire  que  c'est  là  une  œuvre 
du  gouvernement,  et  qui  sera  inspectée  par  lui...  Quant 
au  personnel,  nous  commençons  l'œuvre  avec  des  Frères 
qui  ont  déjà  fait  leurs  preuves  durant  plusieurs  années 
dans  des  œuvres  semblables  de  l'ancien  monde  {i).  » 
Le  président  du  conseil  répondit  en  se  félicitant  de  sa 
tâche  présente.  «  Il  était  sûr,  dit-il,  que  la  plupart  de 
ses  auditeurs,  comme  lui-même,  avaient  été  surpris  de 
voir  qu'une  si  belle  construction  s'était  achevée  sans 
qu'on  sût  qu'elle  était  commencée.  Elle  s'est  élevée  si- 
lencieusement, comme  le  temple  de  Jérusalem.  L'objet 
de  cette  institution,  comme  on  l'a  dit,  ce  ne  sont  pas 
seulement  les  pauvres  et  les  abandonnés,  mais  cetix 
aussi  qui  ont  fait  le  premier  pas  dans  ia  mauvaise  voie. 
Quiconque  s'intéresse  à  la  colonie  ou  prend  part  à  la 
vie  politique  de  la  colonie  doit  applaudir  à  une  institu- 
tion semblable.  {Bravos.)  Elle  mérite   d'être  soutenue 

(1)  Nos  réfoimaloires  de  Glencree  el,  de  Philipslowrl. 


—  96  — 

partons.  {Applaudissements.)  Leur  bon  ami  l'Évêque  et 
les  Pères  Oblats  enseigneront  à  ces  enfants  quelque  chose 
de  bien.  [Écoutez!  Écoutez!)  On  leur  enseignera  à  être 
sans  égoïsme,  et  généreux  les  uns  avec  les  autres. 
L'égoïsme  est  ce  qu'il  y  a  de  pire  dans  nos  dispositions. 
Ceux  qui  sont  engagés  dans  la  vie  politique  et  dans  la 
vie  vulgaire  tâchent  de  travailler  du  mieux  qu'ils  peu- 
vent pour  eux-mêmes,  mais  le  bon  Évêque  et  les  Pères 
n'ont  certainement  pas  pensé  à  eux-mêmes  en  fondant 
cette  école.  Ils  ont  essayé  de  faire  du  bien  aux  autres. 
[Applaudissements.)  Leur  objet  n'est  point  de  gagner  de 
l'or,  mais  de  prendre  soin  des  abandonnés.  [Applaudis- 
sements.) Vos  esprits  et  vos  coeurs  saluent  cet  évêque, 
dont  vous  savez  qu'il  a  dépensé  sa  vie  depuis  de  longues 
années  à  faire  le  bien.  [Bravos.)  W  Gibney  ne  s'est  ja- 
mais épargné  et,  après  avoir  travaillé  comme  il  l'a  fait, 
il  a  encore  donné  300  acres  de  terrain  à  cette  œuvre  phi- 
lanthropique [Applauaissements).  C'est  un  exemple  qu'on 
peut  s'efforcer  de  suivre...»  Le  président  du  conseil  salua 
les  Pères  Oblats,  leur  souhaita  de  nombreux  succès  et 
leur  promit  son  concours. 

Mê' Gibney  remercia  le  ministre,  et  exprima  son  estime 
pour  M.  Forrest.  Il  raconta  ensuite  la  genèse  de  cette 
œuvre,  Dans  une  autre  occasion.  Monseigneur  avait  dit 
que  le  projet  de  ce  réformatoire  lui  était  venu  à  l'esprit 
voici  plus  de  trente  ans^  en  visitant  le  réformatoire  de 
Glencree.  11  avait  admiré  l'action  des  Pères  et  Frères 
Oblats  sur  leurs  élèves  ou  petits  prisonniers,  et  il  s'était 
promis  d'établir  à  Perth  une  institution  semblable.  Il 
avait  fallu  trente  ans  pour  réaliser  cette  pensée  ;  mais, 
enfin,  c'était  maintenant  chose  faite.  Il  exprima  de  nou- 
veau, devant  le  président  du  conseil  et  l'assistance  d'élite 
qui  se  pressait  autour  d'eux,  son  admiration  pour  l'œuvre 
des  Oblats.  Il  assura  qu'il  ne  redoutait  pas  Ja  création 


—  97  — 

d'une  œuvre  rivale  et  qu'il  désirerait  voir  quelque  con- 
currence. Le  public  pourrait  apprécier.  Il  renvoya  les 
éloges  qu'on  lui  adressait  à  son  clergé  et  à  ses  commu- 
nautés. Quant  à  l'œuvre  présente,  il  exprima  son  assu- 
rance qu'elle  rendrait  service  non  seulement  à  l'Australie 
occidentale,  mais  à  l'Australie  entière.  {Bravos.)  «  L'un 
de  mes  plus  chers  projets  était  d'attirer  les  Oblats  ;  main- 
tenant, j'ai  réussi.  ^)  {Applaudissements.) 

Une  souscription  ouverte  sur-le-champ  recueillit  702  li- 
vres sterling  et  7  sh. 

Divers  toasts  furent  ensuite  portés,  dans  un  goûter 
offert  par  les  Pères.  Les  journaux  protestants  du  pays 
rendirent  compte  de  la  cérémonie.  L'un  d'eux  commen- 
çait ainsi  :  «  L'ordre  connu  sous  le  nom  de  «  Pères 
Oblats  »  a  coymnencé  à  émre  une  page  d'histoire  (hâve 
started  to  make  history)  dans  la  colonie  occidentale 
d'Australie,  et  le  beau  monument  inauguré  par  sir  Jean 
Forrest,  le  22  novembre,  demeurera  comme  un  souvenir 
durable  de  l'œuvre  splendide  inaugurée  par  eux.  » 

La  même  feuille  rendait  hommage  à  l'hospitalité  des 
missionnaires.  «  Personne,  dans  la  vaste  assistance,  n'a 
été  oublié;  chacun  était  traité  comme  invité  spécial. 
Dans  un  tel  milieu,  la  froideur  se  fondit  comme  la  gelée 
aux  rayons  du  soleil.» 

Que  ce  soit  le  soleil  de  la  prospérité  pour  une  œuvre 
de  si  grand  intérêt  ! 


-    98  - 

III 

AUX  ÉTUDIANTS  CANADIENS  DE  PARIS. 

UNE    ALLOCUTION   DE    S.    GR.    MONSEIGNEUR   BRUCHESI, 
ARCHEVÊQUE   DE   MONTRÉAL. 

On  lit  dans  l'Univers  du  18  décembre  1897  : 

L'élite  de  la  colonie  canadienne  de  Paris  se  réunissait, 
hier  jeudi,  sur  l'invitation  de  S.Gr.  M^''  l'archevêque  de 
Montréal,  dans  la  chapelle  des  Oblats  de  la  rue  de  Saint- 
Pétersbourg.  A  son  arrivée  en  France,  pour  ce  premier 
voyage  ad  limina,  le  prélat  n'avait  pas  reçu  sans  une 
émotion  profonde  les  hommages  des  étudiants  cana- 
diens. Il  s'était  promis  de  se  retrouver  avec  cette  jeu- 
nesse, et  l'avait  invitée  à  une  cérémonie  religieuse  que 
devait  suivre  un  lunch  offert  par  Sa  Grandeur. 

M^'  Bruchesi  s'est  donné  hier  cette  joie  paternelle.  Il 
a  voulu  célébrer  lui-même  la  sainte  messe.  Après  l'Evan- 
gile, le  pontife  a  pris  la  parole  et  adressé  aux  étudiants 
une  allocution  sortie  de  son  cœur.  Il  l'a  fait  en  des 
termes  délicats  et  discrets,  simples  et  affectueux,  avec 
une  émotion  contenue,  mais  qui  éclatait  par  moments, 
dans  la  voix  de  l'orateur,  au  souvenir  de  la  patrie  repré- 
sentée par  lui,  archevêque,  en  face  de  cette  jeunesse,  et 
à  la  pensée  de  l'avenir  dont  ces  jeunes  gens  portaient 
l'espérance,  mais  que  pourraient  assombrir  les  dangers 
courus  dans  la  grande  ville. 

Monseigneur  s'est  d'abord  félicité  de  celte  «  petite 
fête  de  famille  »  et  il  en  a  remercié  les  organisateurs. 
On  a  répondu  à  son  désir.  Il  se  souvient  avec  joie  du 
jour  oîi  ces  «  jeunes  gens  h  vinrent  le  saluer.  «  Je  fus 
touché.  C'était  la  patrie  que  je  revoyais  ef  qui  me  saluait 
encore.  » 


—  99  — 

Parlant  de  la  chapelle  où  il  officiait  et  oii  l'avait  attiré 
la  présence  d'un  ami  et  d'un  apôtre  du  Canada,  le 
R.  P.  Antoine,  Monseigneur  ajouta  : 

«  Je  suis  heureux  de  vous  voir  réunis  dans  cette  petite 
chapelle,  que  vous  appelez  la  chapelle  des  Canadiens.  Ici, 
ils  sont  chez  eux.  Vous  savez  les  liens  qui  nous  unissent 
aux  Pères  Oblats,  auxquels  notre  pays  doit  tant.  Dans 
ce  temple,  vous  trouverez  toujours  du  cœur. 

«  J'ai  voulu  présider  cette  cérémonie  à  mon  retour  de 
Rome  d'oii  j'arrive  l'âme  et  les  mains  pleines  de  béné- 
dictions pour  là-bas  et  pour  ici... 

«  Je  représente  aussi  mon  vénérable  prédécesseur,  le 
parent  et  l'ami  devons  tous.  Vous  savez  comme  il  a  bien 
servi  son  pays,  et  comme  le  pays  le  lui  a  rendu.  Il  fut 
mon  père,  je  voudrais  être  digne  d'être  appelé  son  fils. 
Il  me  dit  :  Exemplum  dedi  vobis  ut  quemadmodum  ego 
feci  ita  et  vos  faciatis.  Suivez  mes  exemples.  Je  vou- 
drais les  suivre,  messieurs,  et  d'abord  être  bon  comme 
il  le  fut.  Car  il  fut  bon  partout,  et  à  sa  mort  le  pays  en- 
tier a  fait  de  lui  le  plus  beau  et  le  plus  complet  éloge  en 
disant  :  «  Comme  il  a  été  bon  !  » 

«  Il  le  fut  pour  tous,  je  le  répète,  mais  surtout  pour  la 
jeunesse.  Je  veux  hériter  de  cette  sollicitude  et  spécia- 
lement pour  vous,  messieurs,  qui  vivez  loin  du  pays. 

«  Autrefois,  c'était  un  événement  de  faire  le  voyage 
que  vous  avez  fait  ;  aujourd'hui,  le  Canada  est  aux  portes 
de  la  France.  Tous  cependant  n'ont  pas  l'avantage  de 
venir  ici.  C'est  votre  privilège  à  vous,  messieurs. 

«  Je  dis  un  privilège  :  vous  vous  trouvez  au  centre  des 
lumières,  vous  avez  des  maîtres  célèbres  dans  les  arts 
et  dans  les  sciences.  Vous  vous  préparez  ainsi  à  rendre 
à  votre  pays  les  services  qu'il  altend  de  vous.  Vous  avez 
pour  cela  des  avantages  que  vous  ne  trouverez  pas  chez 
nous.  Quelle  que  soit  notre  bonne  volonté,  nous  ne 


—  iOO  — 

pourrions  pas  vous  fournir  ce  que  vous  rencontrez 
dans  cette  capitale  :  les  maîtres,  les  musées,  les  biblio- 
thèques, et  le  mouvement  intellectuel  de  Paris. 

«  Mais,  à  côté  de  ces  avantages,  il  y  a  des  dangers.  On 
peut  être  facilement  entraîné  par  le  plaisir,  et  vous  savez 
qu'à  côté  du  bien,  le  mal  ne  craint  pas  de  se  montrer 
sans  honte.  On  peut  venir  très  bon  et  s'en  retourner  tout 
autre.  Je  ne  dis  pas  que  cela  se  soit  vu,  ni  que  cela  se 
voit,  mais  cela  peut  être.  Pourquoi?  Parce  que  vous 
êtes  hors  de  la  surveillance  paternelle  et  de  la  vigilance 
maternelle.  Vous  êtes  libres  et  indépendants.  Personne, 
si  vous  le  voulez,  ne  verra  ni  ne  saura  ce  que  vous 
faites. 

«  Moi,  votre  évêque,  votre  père  et  votre  ami,  je  tiens 
à  vous  signaler  ce  danger,  et  à  vous  dire  ce  que  tous, 
là-bas,  nous  attendons  de  vous.  N'oubliez  pas  voire 
pays.  Comme  on  vous  le  disait  au  collège  :  vous  n'êtes 
ici  qu'en  passant,  pour  y  apprendre  à  faire  quelque 
chose  et  à  être  quelqu'un.  Sans  doute,  vous  êtes  à  une 
école  illustre,  mais  à  une  école. 

«Votre  pays,  ce  pays  si  beau  et  si  bon,  compte  sur 
vos  années  d'études.  Vous  serez  des  hommes  d'étude, 
avides  de  vous  instruire,  avides  d'apprendre,  et  vous 
n'apprendrez  jamais  trop  ;  mais  aussi  vous  nous  revien- 
drez plus  croyants  encore  et  plus  fervents.  Vous  pren- 
drez, pour  devise,  la  devise  de  la  ville  de  Québec  :  «  Je 
((  me  souviens.  »  Vous  vous  souviendrez  de  votre  pays. 
Là-bas,  on  aime  la  maison  de  Dieu,  on  aime  le  prêtre, 
on  respecte  le  jour  du  Seigneur.  Vous  vous  souviendrez 
de  votre  mère,  votre  bonne  mère.  Elle  vous  suit  partout. 
Ce  qu'elle  demande  par-dessus  tout,  ce  n'est  pas  la  santé, 
ce  n'est  pas  le  succès  ;  ce  qu'elle  demande,  je  le  sais, 
c'est  que  vous  restiez  chrétiens,  c'est  que  vous  demeu- 
riez fidèles  aux  leçons  de  votre  enfance  et  de  votre  jeu- 


—  iOi  ^ 

nesse.  Oui,  messieurs,  ici  comme  là-bas,  il  est  vrai  que 
vous  êtes  faits  pour  Dieu  ;  il  est  vrai  que  Jésus-Christ  est 
Notre-Seigneur  ;  il  est  vrai  qu'il  nous  a  donné  une  nour- 
riture pour  nos  âmes.  Votre  âme  mourra,  si  vous  ne  re- 
cevez pas  cette  nourriture.  Ce  sont  de  grandes  vérités 
que  l'on  prêche  dans  les  missions,  qui  émeuvent  les 
foules,  mais  dont  il  nous  faut  nous  pénétrer  dans  le  si- 
lence et  le  recueillement.  Il  n'y  a  que  cela  qui  vaille 
quelque  chose. 

«  Montalembert,  à  vingt  ans,  écrivait  à  un  ami  :  «  Nous 
«  avons  juré  de  rester  fermes  dans  le  devoir  et  dans  la 
«  vertu.  Mais  je  sens  que  je  suis  faible.  Dans  le  danger, 
«  je  pense  à  toi,  je  me  souviens  de  toi.  » 

«  Ce  mot,  messieurs,  dites-le  de  vos  parents,  de  vos 
frères,  de  vos  sœurs.  Souvenez-vous  de  vos  familles, 
souvenez-vous  de  vos  amis,  souvenez-vous  des  maîtres 
de  votre  enfance,  souvenez-vous  de  votre  pays,  et  reve- 
nez là-bas  comme  nous  vous  attendons,  des  hommes  de 
travail  et  de  devoir,  des  hommes  de  science  et  des 
hommes  de  foi.  » 

Telle  fut,  trop  sommairement  et  trop  sèchement  ré- 
sumée, cette  parole  épiscopale.  Les  étudiants  canadiens 
ne  la  feront  pas  mentir. 

Après  la  cérémonie  religieuse,  la  jeunesse  canadienne 
se  rendait  à  i'hôlel  Teraiinus,  où  Sa  Grandeur  l'invitait. 

M^""  Bruchesi,  abrégeant  son  voyage,  quitte  Paris  ce 
soir,  pour  s'embarquer  au  Havre  par  le  paquebot  de  de- 
main, samedi. 


—  102  — 

iV 

FONDATION  DE  NOS  OEUVRES  DE  BORDEAUX. 

Cette  relation  date  de  1889,  et  elle  fut  interrompue 
par  la  mort.  Nous  l'avons  retrouvée  dans  les  papiers  du 
regretté  P.  de  L'Hermite. 

Ce  fut  à  la  suite  d'une  retraite  pastorale,  prôchée  à 
Bordeaux  par  le  R.  P.  Vincens,  en  1851,  que  fut  conçu  le 
projet  d'une  fondation.  Le  clergé  avait  fort  goûté  la  pa- 
role apostolique  du  prédicateur  ;  sa  manière  simple  et 
son  expérience  l'avaient  charmé,  son  zèle  l'avait  enthou- 
siasmé. 

Le  révérend  Père,  qui  ne  laissait  passer  aucun  moyen 
de  recommander  les  missions,  avait  insisté,  dans  ses 
conférences  sur  ce  moyen  puissant  de  réveiller  la  foi 
dans  les  populations.  Il  avait  répondu  aux  objections  les 
plus  répandues  contre  celte  industrie  du  zèle;  entre 
autres  à  celle  qui,  regardant  à  l'inconstance  des  âmes 
plus  qu'aux  merveilleux  effets  de  la  grâce  et  de  leurs 
résolutions,  avance  qu'il  est  inutile  de  tenter  un  si  grand 
effort  pour  des  résultats  problématiques  et  souvent  de 
peu  de  durée.  «  A'^ous  dites  que  c'est  un  feu  de  paille, 
répondait  le  prédicateur,  mais  il  réchauffe  ;  la  crainte 
du  travail  ne  serait-elle  pas  pour  quelque  chose  dans 
ces  répugnances  ?  » 

L'archevêque  de  Bordeaux,  Me'  Bonnet,  aimait  beau- 
coup les  missionnaires  et  les  missions.  Il  connaissait 
beaucoup  notre  vénéré  Fondateur.  Aussi  désirait-il  vive- 
ment établir  chez  lui  ses  fils  spirituels,  les  Oblats  de 
Marie  Immaculée,  et  les  adjoindre  comme  un  anneau  de 
plus  à  cette  chaîne  de  communautés  de  missionnaires 
dont  il  entoura  sa  ville  épiscopale. 


•-  103  — 

Des  négociations  furent  donc  entamées  entre  lui  et 
notre  Fondateur.  L'affaire  fut  menée  rondement  et  il 
fut  décidé  que  trois  Pères  seraient  envoyés  dans  le  cou- 
rant de  l'automne  pour  former  le  premier  groupe  de  la 
nouvelle  maison. 

Les  trois  Pères  désignés  furent  le  R.  P.  Dassy,  alors 
supérieur  de  Nancy,  leR.  P.  dePetro,  missionnaire  dans 
la  même  maison,  et  le  R.  P.  de  L'Hermite,  prêtre  de- 
puis six  semaines.  Les  deux  premiers  arrivèrent,  de  Nancy 
à  Bordeaux,  dans  la  dernière  quinzaine  d'octobre,  et  le 
troisième  arriva  de  Marseille  la  veille  de  la  Toussaint,  en 
compagnie  du  Frère  convers  Picard,  sur  le  passeport 
duquel  le  R.  P.  Tempier  avait  fait  écrire  ces  mots  :  pro- 
fession de  jardinier. 

Le  R.  P.  Dassy,  supérieur  delà  nouvelle  fondation,  et 
le  R.  P.  DE  Petro,  furent  admirablement  reçus  par  l'ar- 
chevêque de  Bordeaux  et  par  son  entourage.  L'intention 
de  M*5''  Donnet  était  de  nous  confier  le  beau  sanctuaire 
de  Notre-Dame  de  Talence,  à  3  kilomètres  de  Bordeaux; 
mais  de  graves  raisons  ne  permettaient  pas  qu'on  dé- 
plaçât de  sitôt  M.  l'abbé  Caros,  constructeur  de  cette 
gracieuse  église.  En  attendant  l'heure  de  la  Providence, 
les  nouveaux  arrivants  furent  installés  à  Saint-Delphin 
du  Pont  de-la-Maye,  à  6  kilomètres  de  Bordeaux,  sur  la 
route  de  Toulouse,  dans  une  maison  bâtie  pour  servir 
d'asile  aux  prêtres  infirmes,  mais  abandonnée,  dès  le 
début,  par  ses  premiers  locataires.  La  maison  était  con- 
venable et  suffisamment  spacieuse  pour  notre  pelit  per- 
sonnel ;  un  petit  jardin  avec  une  vigne,  une  vue  mouve- 
mentée sur  la  grande  route  et  la  proximité  de  l'église 
relevaient  sa  solitude  ;  c'eût  été  insuffisant  pour  un  dé- 
finitif, mais  c'était  tout  ce  qu'il  fallait  pour  un  provi- 
soire. 

Dès  l'arrivée,  il  fallut  penser  à  se  procurer  un  petit 


—  104  -- 

mobilier  et  an  pied-à-terre  à  Bordeaux,  où  devaient  nous 
appeler  fréquemment  les  visites  au  clergé,  les  acquisi- 
tions à  faire,  les  voyages  dans  les  sens  divers  du  grand 
diocèse,  où  nous  devions  donner  des  missions,  et,  aussi 
parfois,  quelque  petit  ministère  en  ville.  Ici  encore  la 
Providence  nous  vint  en  aide,  et  le  R.  P.  Vlncens  avait 
préparé  les  voies.  La  communauté  des  Sœurs  de  Saint- 
Joseph  de  la  rue  du  Hâ,  qui  connaissait  et  aimait  notre 
vénéré  Provincial,  s'empressa  de  nous  offrir  ses  services. 
Nous  pouvions  faire  halte  quelques  heures  dans  cette 
communauté  hospitalière,  y  dire  la  messe  en  passant, 
nous  y  reposer  de  la  fatigue  après  avoir  fait  toujours  à 
pied  le  chemin  du  Pont-de-la-Maye  à  Bordeaux,  et  at- 
tendre là  le  départ  d'une  diligence  ou  l'heure  de  notre 
embarquement  à  bord  du  bateau  pour  descendre  la  Gi- 
ronde vers  la  Blaye  et  le  Médoc,  ou  remonter  la  Garonne 
vers  Langon  et  autres  pays  du  fond  du  département.  La 
reconnaissance  nous  fait  un  devoir  de  nommer  cette 
communauté,  la  première  que  nous  connûmes  en  arri- 
vant. Ce  ne  fut  que  plus  tard,  et,  par  des  événements 
providentiels  que  les  relations  spirituelles  s'établirent 
entre  la  Congrégation  et  l'Association  de  la  Sainte-Fa- 
mille, et  nul  lecteur  de  nos  annales  n'ignore  l'histoire 
des  événements  qui  amenèrent  cette  affiliation. 

Durant  notre  séjour  à  Saint-Delphin,  saint  Joseph 
nous  fut  secourable  de  toutes  manières  ;  j'en  établirai  les 
preuves  un  peu  plus  loin.  Aussi,  quand  la  Mère  Saint- 
Joseph  vint  à  mourir,  en  1854,  le  P.  de  L'Hermite,  alors 
vicaire  à  Talence,  où  il  restait  le  seul  des  trois  premiers 
arrivants,  fut-il  prié  de  prononcer  l'oraison  funèbre 
de  la  défunte  devant  toutes  les  Sœurs  dans  la  cha- 
pelle de  la  rue  du  Hâ.  Le  R.  P.  Merlin,  successeur  du 
R.  P.  Dassy,  fut  d'avis  qu'on  ne  pouvait  pas  décliner 
cette  offre  et  que  la  jeunesse  du  prédicateur  et  son  inex- 


-    105  -- 

périence  n'étaient  pas  des  motifs  suffisants  pour  se  re- 
fuser à  payer  la  dette. 

Nommons  aussi  les  Messieurs  de  Saint-Sulpice  parmi 
les  personnes  qui  nous  firent  bon  accueil.  C'est  au  grand 
séminaire  que  nous  descendîmes  en  arrivant.  Nous  y 
fûmes  reçus  avec  la  cordialité  simple  et  généreuse  qui 
distingue  ces  maîtres  éducateurs  delà  jeunesse  cléricale. 
M.  l'abbé  Yidie,  l'économe,  s'employa  surtout  à  nous 
être  utile  ;  plus  tard,  retiré  à  Nantes,  sa  ville  natale, 
l'une  des  joies  les  plus  chères  de  sa  vieillesse  était  de  re- 
cueillir des  objets  destinés  aux  missionnaires  des  pays 
étrangers  ;  il  n'oublia  pas,  dans  la  distribution  de  ses  fa- 
veurs, les  Oblats,  qu'il  avait  eu  l'occasion  de  connaître 
quelque  vingt  ans  auparavant.  M.  l'abbé  de  Champ- 
grand,  professeur  d'Ecriture  sainte,  oncle  maternel  du 
R.  P.  de  Bengy,  jésuite  fusillé  par  la  commune  en  1871, 
partagea  pour  nous  la  bienveillance  de  M.  Vidie;  ce  fut 
lui  qui  fit  don  à  notre  bibliothèque  du  premier  volume 
un  peu  sérieux  destiné  à  en  garnir  les  rayons  vides  ;  il 
nous  fit  cadeau  d'une  très  belle  édition  de  la  Somme  de 
saint  Thomas. 

L'archevêque  de  Bordeaux  avait  hâte  de  faire  entrer 
en  campagne  la  petite  escouade  apostolique  qu'il  venait 
de  recruter.  Le  mois  de  novembre  arriva,  et,  avec  lui, 
l'ouverture  des  missions.  Le  R.  P.  Dassy  et  le  R.  P.  de 
Petro,  après  quelques  jours  passés  à  Saint-Delphin,  par- 
tirent la  veille  de  la  Toussaint,  le  premier  pour  Saint- 
Estèphe,  grande  paroisse  du  Médoc,  dans  le  canton  de 
Pauillac;  le  second  pour  Vendays,  également  dans  le 
Médoc,  mais  plus  dans  la  partie  des  Landes.  Le  P.  de 
L'Hermite  arrivait  le  soir  du  même  jour  et  trouvait  porte 
close  à  Saint-Delphin;  un  billet  du  Supérieur,  qui  lui  fut 
remis  par  M.  l'abbé  Lasserre,  curé  de  la  paroisse,  lui  in- 
diquait sou  programme  :  aller  coucher  au  grand  sémi- 


~   106  — 

naire  et  partir  de  grand  matin  le  jour  des  Morts  pour  re- 
joindre, à  .^aint-Estèphe,  le  P.  Dassy.  Ainsi  fut-il  fait. 
Gela  donna  occasion  an  jeune  Père  d'assister  au  bel  of- 
fice pontifical  de  la  Toussaint  à  la  primatiale  de  Saint- 
André.  En  sortant  de  la  cérémonie,  il  se  présenta,  à  la 
sacristie,  à  l'archevêque,  et  lui  remit  une  lettre  que  lui 
avait  confiée  le  R.  P.  Vincens.  «  C'est  très  bien,  dit 
M*''  Donnet,  après  en  avoir  pris  connaissance,  vous  êtes 
jeune,  mais  vous  êtes  un  brave  homme  ;  venez  dîner  à 
l'archevêché  avec  mes  grands  vicaires  et  le  supérieur 
des  Pères  de  la  Miséricorde  ;  votre  Supérieur  est  parti 
hier  pour  Saint-Estèphe  ;  vous  irez  le  rejoindre  demain 
matin  et  vous  prendrez  le  bateau  de  8  heures.  J'irai, 
dans  cinq  semaines,  donner  la  confirmation  et  clôturer 
les  exercices.  »  C'était  précis. 

Le  lendemain  donc,  le  jeune  Père  arrivait  à  Sainl- 
Estèphe  à  temps  pour  faire  connaissance  avec  son  nou- 
veau Supérieur  et  avec  le  clergé  de  la  paroisse  avant 
l'office  des  vêpres. 

Le  dernier  numéro  des  annales  a  déjà  cité  la  relation 
complète  de  cette  mission. 

Pendant  cette  même  période,  le  R.  P.  de  Pétro  évan- 
gélisait  seul  avec  succès  la  paroisse  de  Vendays  (1).  Ilful 
étonné  de  voiries  gens  de  la  Lande  venir  de  loin  àl'église, 
montés  sur  des  échasses  qu'ils  laissaient  à  la  porte  et 
qu'ils  reprenaient  à  la  sortie.  Son  œuvre  fut  bénie  comme 
la  nôtre,  et  nous  rentrâmes  au  Pont-de-la-Maye,  très 
encouragés  par  ces  heureux  débuts,  où  la  grâce  de  Dieu 


(1)  Le  P.  DE  Peiro  était  un  artiste.  Sa  nature  ilalieuiie  et  sou  ima- 
gination ardente  dramatisaient  tout.  Sa  voix  merveilleuse,  qu'il  ma- 
niait avec  une  grande  souplesse,  interprétait  tous  les  sentiments  de 
l'âme  ;  et  les  chœurs  qu'il  formait  avaient  un  succès  immense.  Aussi 
venait-on  rtutcndre  de  partout.  La  iierfectiun  du  musicien  taisait 
oublier  les  lacunes  de  l'oràtenr. 


—  107  — 

avait  tout  préparé  pour  nous  faire  aimer  notre  nouveau 
ministère.  Mais  notre  repos  ne  fut  qu'une  halle. 

A  peine  avions-nous  eu  le  temps  de  faire  connaissance 
avec  notre  petite  maison  de  Saint-Delphin,  qu'il  nous 
fallut  repartir.  L'archevêque  de  Bordeaux  vint  nous  cher- 
cher et  nous  indiquer  les  diverses  missions  qu'il  désirait 
nous  confier.  Le  R.  P.  Dassy  partit  pour  Saint-Pierre- 
de-Mons,  tout  près  deLangon;  le  P.  de  Pétro  fui  envoyé 
à  Soussans,  dans  le  Médoc.  Le  P.  de  L'Hermite  devait 
garder  la  maison  daprès  le  plan  du  Supérieur,  mais 
Ms'Donnetne  l'entendait  pas  ainsi.  «En  temps  de  jubilé, 
dit-il,  j'ai  besoin  de  tout  mon  monde  »,  et  le  jeune  Père 
partit  pour  Labarde,  petite  paroisse  du  Médoc,-'où  il 
trouve  un  curé  cloué  sur  sa  chaise  par  des  rhumatismes. 
Il  resta  là  seul  jusqu'à  Noël,  c'est-à-dire  quinze  jours, 
glanant  quelques  âmes  et  faisant  le  service  paroissial  ; 
après  quoi  il  rejoignit  son  Supérieur  à  la  mission  de 
Saint-Pierre-de-Mons  pour  recueillir  avec  lui  les  derniers 
fruits  de  cette  mission.  Cette  seconde  campagne  fut 
cependant  moins  brillante  que  la  première;  les  popula- 
tions étaient  à  d'autres  soucis,  et  les  grandes  élections 
de  décembre  1852  préoccupaient  tous  les  esprits. 

Nous  étions  à  peine  arrivés  depuis  deux  mois,  et  déjà 
nous  avions  fait  cinq  missions.  Janvier  nous  rappela  à  la 
maison  ,  oh  nous  pûmes  goûter  la  vie  commune  et 
prendre  un  peu  de  repos  durant  quelques  semaines. 

Et  le  F.  Picard,  que  devenait-il,  dira-t-on,  durant  ces 
absences.  Il  nous  faut  ici  ouvrir  une  parenthèse  en  fa- 
veur de  ce  loyal  serviteur  de  la  Congrégation.  Le  Supé- 
rieur pensait  que  le  bon  Frère  ne  pouvait  demeurer  seul 
dans  le  village  du  Ponl-de-la-Maye,  où,  à  partie  curé, 
nous  ne  connaissions  pas  âme  qui  vive.  L'épreuve  eût  été 
trop  grande  pour  le  bon  Frère  au  milieu  d'une  popula- 
tion indifférente  et  tout  occupée  de  noces  et  festins.  On 


—  108  — 

le  laissa  donc,  sur  la  demande,  du  reste,  de  la  Supérieure, 
à  Saint-Joseph.  Et  non  seulement  il  passa  là  le  temps 
consacré  par  les  Pères  à  leurs  premières  missions,  mais 
jusqu'à  notre  installation  à  Talence,  c'est-à-dire  durant 
une  période  de  seize  mois,  il  en  fut  toujours  de  même. 
A  Saint-Joseph,  rue  du  Hâ,  le  F.  Picard  s'ennuya  peut- 
être,  mais  il  ne  fut  pas  désœuvré.  Son  caractère  éner- 
gique savait  se  plier  à  toutes  les  circonstances,  et  sa 
nature  active  savait  trouver  du  travail  partout.  Essuyant 
une  larme  au  départ  de  ses  Pères,  car  sous  une  écorce 
rude,  il  cachait  un  cœur  sensible,  il  se  créa  sans  retard 
des  occupations.  Et  s'il  eût  été,  ce  qui  ne  pouvait  être, 
embarrassé  sur  le  choix,  les  indications  delà  Supérieure 
ne  l'eussent  pas  laissé  longtemps  incertain  de  sa  voie.  Jar- 
dinier, ainsi  que  le  portait  son  passeport,  casseur  de  bois, 
porteur  de  fardeaux,  commissionnaire  pour  les  courses 
fatigantes,  le  F.  Picard  se  fit  à  tous  les  métiers.  Que  de 
services  appréciés  il  sut  rendre  !  Sa  force,  son  intrépidité, 
ne  reculaient  devant  rien.  Et,  avec  cela,  régulier  comme 
un  novice,  discret  et  silencieux,  restant  dans  son  dépar- 
tement et  traversant  les  jardins  et  les  couloirs  sans  ja- 
mais enfreindre  le  silence  avec  qui  que  ce  soit,  le  F.  Pi- 
card fut  l'édification  de  la  communauté.  Sa  piété  édifiait, 
sa  bonne  tenue  était  une  prédication,  son  dévouement 
ravissait  tout  le  monde.  Sur  un  désir  de  la  Supérieure, 
il  quittait  un  gros  travail  pour  faire  une  course  en  ville 
ou  bien  pour  servir  une  messe.  11  était,  en  effet,  enfant 
de  chœur,  et  servait  la  messe,  comme  il  était  manœuvre 
et  ouvrier.  11  aimait  à  rappeler  dans  ses  vieux  jours,  qu'à 
une  fête  de  Noël  à  la  rue  du  Hâ,il  avait  servi  neuf  messes 
de  suite.  Comme  une  simple  religieuse  de  la  commu- 
nauté, il  venait  chercher  son  image  du  saint  du  mois,  et 
ne  négligeait  rien  de  ce  qui  pouvait  édifier.  L'aumônier 
delà  communauté,  M.  le  chanoine  Taillefer,  l'avait  en 


—  109  — 

grande  estime  et  lui  portait  une  affection  toute  pater- 
nelle. C'était  près  de  lui  que  le  bon  F.  Picard  allait 
prendre  ses  conseils  en  l'absence  de  ses  Pères  ;  à  lui  qu'il 
confiait  ses  peines,  ses  ennuis  ;  respectueux  pour  le 
prêtre,  confiant  en  sa  direction,  Picard  abritait  sa  jeunesse 
sous  l'autorité  de  l'étole,  et  avec  cela,  en  vrai  religieux, 
il  communiquait  fréquemment  avec  son  Supérieur  et  lui 
écrivait  des  lettres  qui,  si  elles  ne  brillaient  pas  par  l'or- 
thographe, étaient  du  moins  un  modèle  de  déférence  et  de 
filiale  affection.  C'était  la  joie  du  Supérieur  de  recevoir, 
durant  les  missions,  ces  lettres  dans  lesquelles  son  humble 
subordonné  lui  rendait  compte  de  tout  ce  qui  concernait 
sa  conduite.  Ce  fut  pour  le  bon  Frère  un  grand  mérite 
d'avoir  passé  inoffenso  pede  sur  la  terre  étrangère,  dans 
une  situation  délicate  où  il  ne  laissa  que  des  souvenirs 
qui  honorent  sa  mémoire  et  révèlent  sa  bonne  trempe 
religieuse. 

Mais  aussi  quel  bonheur  pour  lui  de  revoir  ses  bons 
Pères  ?  Quand,  entre  deux  haltes  apostoliques,  ils  séjour- 
naient quelque  temps  h  Saint-Delphin,  le  bon  Picard 
revenait  prendre  sa  place  au  foyer,  c'était  pourlui  comme 
une  fête,  on  eût  dit  un  écolier  rentrant  en  vacances.  La 
campagne  lui  convenait  mieux  que  la  ville,  et  il  préfé- 
rait la  communauté  au  couvent.  Alors,  tout  entier  à  son 
jardin,  à  sa  petite  vigne,  véritable  vigne  de  Naboth,  à  sa 
cuisine,  qu'il  remuait  de  fond  en  comble,  sans  réussir  à 
en  faire  sortir  des  dîners  bien  appétissants,  il  nous  ren- 
dait les  plus  précieux  services,  et  son  activité  suffisait  à 
tout.  Sans  cesse  sur  la  route  de  Bordeaux  pour  les  com- 
missions, il  franchissait  toujours  à  pied  ses  6  kilomè- 
tres pour  revenir  alerte  et  joyeux,  bien  que  toujours 
chargé  d'objets  de  toutes  sortes.  Il  revenait  ainsi,  le  dos 
courbé  sous  une  armoire,  quand  un  brave  homme,  tout 
ébahi  de  l'ardeur  avec  laquelle  il  marchait  sous  une  si 


—  410  — 

lourde  charge,  se  planta  devant  lui,  et,  se  croisant  les 
bras,  lui  dit  :  «  Jeune  homme,  de  quel  pays  êtes-vous?  — 
Du  Dauphiné,  répond  bravement  Picard.  —  Du  Dauphiné  1 
Eh  bien,  je  m'en  doutais;  nous  sommes  compatriotes. 
En  vous  voyant  si  fort  et  si  courageux,  je  me  suis  dit  : 
il  n'y  a  que  des  gens  de  mon  pays  pour  faire  de  pareils 
tours  de  force.  »  Le  Frère  parut  très  flatté  du  com- 
pliment. 

Avec  les  gens  du  Pont-de-la-Maye,  il  était  honnête, 
mais  discret  comme  une  porte  de  prison  ;  il  ne  causait 
qu'avec  M.  le  curé,  avec  son  sacristain,  avec  un  bon 
vieux  qu'il  rencontrait  à  la  haie  séparant  les  deux  pro- 
priétés. 

Le  mois  de  janvier  tout  entier  se  passa  à  Saint-Del- 
phin.  Nous  en  profitâmes  pour  faire  visite,  à  Bordeaux, 
aux  diverses  communautés  de  religieux  établis  avant 
nous  dans  le  diocèse,  et  pour  nous  mettre  à  l'étude  et  au 
travail  de  cabinet,  en  vue  d'être  prêts  pour  de  nouveaux 
travaux. 

Vers  la  fin  du  mois,  le  P.  de  L'Hermite,  qui  ne  devait 
pas  prendre  part  aux  travaux  du  carême,  fut  envoyé, 
par  l'archevêque  de  Bordeaux,  à  Saint-Giers-la-Lande, 
chef-lieu  de  canton  de  l'arrondissement  deBlaye.Il  avait 
pour  mission  de  remplacer  le  curé  appelé  à  Livourne 
pour  affaires  de  famille.  Pendant  trois  semaines,  il  fît, 
dans  cette  grande  paroisse,  l'apprentissage  du  ministère 
paroissial  :  prônes,  catéchismes,  visites  des  malades  et  le 
reste;  mais  il  eût  préféré  n'être  que  simple  vicaire. Or,  il 
n'y  avait  pas  là  de  vicaire  à  cette  époque.  Retiré  au  pres- 
bytère ou  bien  occupé  à  son  ministère,  il  employait  ses 
journées  au  travail,  regrettant  de  n'avoir  personne  près 
de  lui  pour  le  guider  dans  ces  débuts  ;  c'était  un  novi- 
ciat sans  maître  des  novices.  L'heure  des  repas  venue,  il 
se  trouvait  en  face  du  gardien  de  la  maison,   un  vieux 


—  m  — 

marin,  frère  du  curé,  qui  lui  racontait  des  histoires,  et 
disait  :  «  M.  le  curé  fait  comme  cela  dans  telle  circon- 
stance. »  Avec  ce  brave  homme,  le  jeune  suppléant  du 
curé  visitait  les  villages  oti  il  était  appelé  près  des  ma- 
lades, et  le  bon  marin  lui  donnait  les  indications  sur  les 
usages  locaux. 

Le  carême  devait  nous  séparer  de  nouveau.  Le 
R.  P.  Dassy,  supérieur,  bien  que  préférant  les  missions 
à  tout  autre  genre  d'apostolat,  crut  ne  pouvoir  pas  re- 
fuser le  carême  de  Libourne  qui  lui  était  demandé  par 
M.  Tabbé  Chabannes,  archiprêtre.  Libourne  est  la  seconde 
ville  du  diocèse;  le  Supérieur  tenait  à  connaître  ces 
quartiers  où  il  pouvait  se  mettre  en  relations  avec  une 
partie  du  clergé  et  recevoir  des  demandes  de  missions. 
Ce  carême  eut  le  succès  relatif  de  tout  carême  ;  rien 
d'extraordinaire  comme  résultats,  mais  des  consolations 
sérieuses  mêlées  de  tous  les  desiderata  que  peut  faire 
naître  dans  l'âme  d'un  missionnaire  l'absence  de  l'église 
d'un  grand  nombre  d'indifférents.  Mais  le  clergé  s'attacha 
à  notre  Congrégation.  Le  curé  et  ses  quatre  vicaires  vin- 
rent, durant  l'été ,  nous  faire  une  visite  solennelle  à 
Saint-Deiphin,  et  passer  avec  nous  une  journée  encore. 
Ce  fut  le  commencement  des  relations  nouées  entre  notre 
Congrégation  et  Libourne,  où  plusieurs  de  nos  Pères 
parurent  successivement. 

Le  P.  DE  l-ÉTRo  partit  pour  Landras,  et  là,  il  put  se 
livrer  à  tout  son  enthousiasme  pendant  plusieurs  se- 
maines, et  revoir  avec  un  plaisir  qu'il  ne  dissimulait 
pas  les  braves  gens  de  la  Lande  et  leurs  grandes 
échasses. 

Le  P.  DE  L'Hermite  garda  la  maison  avec  le  F.  Picard. 
Cependant,  il  ne  lut  pas  absolument  sevré  de  toute  occu- 
pation de  zèle;  sur  la  demande  du  cardinal  Donnet, 
qui  venait  d'être  revêtu  de  la  pourpre,  il  fut  chargé, 


—  112  — 

au  moins  pour  le  dimanche,  de  la  petite  paroisse  de 
Saint-Médard-d'Eyrans,  située  à  deux  lieues  du  Pont- 
de-la-Maye,  et  non  loin  de  Martillac,  charmant  séjour 
qu'il  ne  devait  connaître  que  plus  tard.  L'archevêque 
venait  d'appeler  à  un  autre  poste  M.  l'abbé  Julke,  curé 
de  Saint-Médard,  et  ne  pouvait  le  remplacer  immédia- 
tement. Ce  service,  qui  ne  devait  durer  que  pendant  le 
carême,  se  prolongea  jusqu'à  la  Toussaint,  c'est-à-dire 
jusqu'à  la  réouverture  des  missions.  Tantôt  par  Tomni- 
bus  delà  Brède,  qui  le  déposait  à  un  bon  kilomètre  de 
l'église,  tantôt  à  pied  ou  par  quelque  occasion  inatten- 
due, le  P.  DE  L'Hermite  faisait  le  voyage,  et  arrivait  à 
Saint-Médard  pour  la  grand'messe.  Le  prône,  le  caté- 
chisme, le  chant  des  vêpres,  quelquefois  une  petite 
instruction  supplémentaire,  quelques  confessions  et  la 
visite  de  quelques  familles  du  village  occupaient  la  jour- 
née. Pendant  le  temps  pascal,  les  visites  en  semaine 
furent  nécessaires,  et  quelquefois  même,  il  fallait  cou- 
cher à  Saint-Médard.  Cette  petite  paroisse  n'a  laissé  que 
de  bons  souvenirs  dans  la  mémoire  de  son  curé  transi- 
toire. Les  gens  étaient  bons,  et  il  y  avait  sur  son  terri- 
toire des  familles  bien  chrétiennes,  entre  autres  l'hono- 
rable famille  de  Sèze,  héritière  du  nom  du  défenseur  de 
Louis  XVI,  et  une  Lyonnaise,  M"^  de  la  Rochetière, 
personne  âgée  et  vénérable  qui,  venant  de  Lyon  prendre 
ses  vacances  dans  une  propriété  à  Saint-Médard,  ame- 
nait avec  elle  un  vieux  chanoine  de  Lyon,  secrétaire 
général  de  l'archevêché  de  Lyon,  et  prévenant  au  pos- 
sible. 

A  Saint-Delphin,  tout  était  bien  calme,  Le  P.  de  L'Her- 
mite était  à  sa  cellule  ou  sur  la  route  de  Saint-Médard, 
le  F.  Picard,  à  son  jardin.  On  ne  se  voyait  qu'à  l'oraison 
du  matin  et  à  l'heure  des  repas.  C'était  une  solitude 
complète.  Cette  monotonie  ne  fut  variée  que  par  une 


—  113  — 

maladie  du  jeune  Père.  Les  soins  du  F.  Picard  étaient 
dévoués,  mais  cela  n'eût  pas  suffi.  Il  fallait  couper  court 
à  toute  aggravation.  La  supérieure  de  Saint-Joseph 
vint  un  jour  se  renseigner  elle-même  sur  l'état  des  gar- 
diens de  Sainl-Delphin,  et  bientôt  le  supérieur  était 
prévenu.  Un  ordre  arrivé  de  Libourne  envoyait  le  P.  de 
L'Hermite  et  le  F.  Picard  à  Bordeaux,  rue  du  Hâ.  On  s'y 
soigna  et  l'on  s'y  guérit  en  moins  d'une  semaine,  et  le 
service  de  Saint-Médard  ne  souffrit  pas  d'interruption. 

Pendant  la  semaine  sainte,  les  voyages  à  cette  pa- 
roisse furent  plus  fréquents,  le  F.  Picard  resta  seul  à 
Saint-Delphin  et  profita  de  sa  liberté  pour  se  livrer  avec 
acharnement  au  travail,  et  aussi,  peut-être  avec  trop 
peu  de  modération,  à  la  pénitence.  L'histoire  rapporte 
que  ce  bon  Frère,  pour  ne  pas  perdre  de  temps  à  pré- 
parer sa  cuisine,  s'était  composé  une  sorte  de  gratin 
de  châtaignes,  plus  ou  moins  ragoûtant,  lequel  devait 
suffire  à  son  alimentation  durant  huit  jours.  Ce  fut  de 
là  qu'il  tira  durant  la  semaine  sainte,  coupant  pour 
chaque  repas  une  tranche  dans  ce  bloc  refroidi  et  sans 
saveur,  et  ainsi  atteignit  la  fête  de  Pâques.  Les  soli- 
taires du  désert  n'étaient  pas  plus  mortifiés. 

Enfin,  nos  missionnaires  rentrèrent,  on  se  revit,  on 
put  vivre  de  la  vie  de  communauté  et  oublier  les  ennuis 
d'une  longue  séparation.  Le  printemps  et  l'été  s'écou- 
lèrent sans  incidents.  Le  R.  P.  Dassy  mit  ses  Pères  au 
travail  de  cellule  ;  travailleur  et  dur  à  lui-même,  sévère 
pour  son  jeune  monde,  il  lui  rendit  au  moins  le  service 
de  le  maintenir  à  la  tâche,  si  peu  attrayante  qu'elle  pût 
paraître.  En  effet,  sans  bibliothèque,  sans  livres  à  con- 
sulter, les  recherches  et  l'emmagasinement  des  idées 
dans  la  tête  devinrent  des  opérations  bien  plus  longues 
et  plus  pénibles.  On  ne  se  découragea  pourtant  pas,  et 
la  pensée  des  missions  auxquelles  on  avait  pris  goût, 

T.    XXNVI.  8 


-   \\\  — 

faisait  qu'on  préparait  son  petit  bagage  d'instructions 
avec  moins  de  peine. 

Le  Supérieur  ne  perdait  pas  de  vue  notre  futur  exode 
vers  Talence.  Talence  était  la  terre  promise  ;  tous  les 
regards  se  portaient  de  ce  côté,  pleins  d'espérance  et  de 
désir;  mais  l'heure  n'était  pas  encore  venue  de  prendre 
possession  de  cet  héritage.  Les  antichambres  de  l'arche- 
vêché voyaient  fréquemment  le  R.  P.  Dassy  ;  si  le  car- 
dinal Donnet  eût  pu  oublier  —  ce  qui  n'était  pas  —  le 
projet  de  nous  installera  Talence,  notre  Supérieur  se 
fût  chargé  de  lui  rappeler  sa  promesse.  Son  Eminence 
ne  demandait  pas  mieux  que  de  hâter  le  moment  de 
l'exécution,  mais  elle  n'était  pas  complètement  libre,  et 
elle  ne  voulait  déplacer  M.  l'abbé  Garros  que  pour 
lui  donner  un  poste  convenable  qu'il  pût  accepter  sans 
trop  de  peine.  On  conçoit  qu'il  fût  pénible  à  ce  prêtre 
vénérable  de  dire  adieu  à  une  jolie  église  bâtie  sous  ses 
yeux  et  qui  commençait  à  devenir  un  lieu  de  pèlerinage 
cher  aux  Bordelais.  Le  cardinal  congédiait  donc  le 
P.  Dassy  en  lui  disant  :  «  Cela  viendra,  j'j'  pense»  ;  et 
pour  le  consoler  du  retard,  il  remettait  entre  ses  mains 
une  foule  de  livres  nouveaux  qu'on  lui  offrait  en 
hommage.  Le  Supérieur  rentrait  le  soir  chargé  de 
cette  moisson  ;  mais  généralement,  c'étaient  des  livres 
sans  valeur,  des  brochures,  des  recueils  plus  ou  moins 
intelligents  de  mille  choses  ;  et  la  jeunesse  ne  trouvait 
guère  à  butiner  dans  ces  productions. 

Quelques  petits  sermons  çà  et  là,  quelque  ministère 
passager,  variaient  à  peine  l'uniformité  de  notre  vie. 
Les  Sœurs  de  Marie-Joseph  du  Dorât  demandèrent  un 
confesseur  pour  le  refuge  du  Tondu  ;  le  P.  de  L'Hermite 
fut  désigné  pour  ce  travail,  qui  revenait  tous  les  quinze 
jours.  Ce  furent  là  les  commencements  d'une  aumônerie 
complète.  Plus  tard,  les  Sœurs  de  Marie-Joseph  flrent 


—  115  — 

bâiir,  sur  la  paroisse  de  Talence,  une  maison  plus  spa- 
cieuse et  plus  commode  que  celle  du  Tondu,  et  notre 
communauté  fut  chargée  de  la  direction  spirituelle  de 
l'œuvre. 

Nos  jours  s'écoulèrent  ainsi  dans  la  solitude  de  Saint- 
Delphin,  sans  grande  variété.  Quelquefois,  le  jeudi,  nous 
allions  en  promenade  à  la  campagne  4u  petit  séminaire, 
et  nous  étions  toujours  accueillis  avec  la  meilleure  grâce 
du  monde  par  les  professeurs.  M.  Ijacombe,  supérieur, 
MM.  Laprie  et  ...,  professeurs,  étaient  toujours  d'une 
grande  bienveillance  pour  nous.  Quelquefois  même, 
nous  poussions  jusqu'à  la  campagne  du  grapd  sérpi- 
nfiirp  où  les  Messieurs  de  Saint-Sulpice  et,  entre  autres, 
MM.  Vidie  et  de  Ghampgrand,  nous  recevaient  comme 
des  frères. 

Au  commemcernpnt  du  mpis  d'août,  notre  petite  com- 
munauté vit  son  personnel  s'augmenter  par  Tadjonp- 
tion  d'un  membre  longtemps  désiré  et  qui  fut  bien 
accueilli,  le  R.  P.  Delpeuch,  arrivant  (Je  Marseille  oti  il 
avait  fait  ses  débuts  sous  les  yeux  de  notre  vénéré  Fon- 
dateur. Soij  arrivée  fut  une  joie  ppur  nous  et  pour  lui  ; 
elle  inaugura  comme  une  ère  nouvelle  dans  la  commu- 
nauté. Les  exercices,  le  travail,  les  promenades  en  com- 
mun se  sentaient  un  peu  plus  de  ce  bien-être  spirituel 
et  de  cette  joie  de  l'âme  qui  viennent  du  nombre.  Et 
puis,  la  pensée  que,  pour  les  missions,  nous  pourrions 
former  deux  groupes  complets,  nous  souriait  comme 
beaucoup  plus  conforme  à  l'esprit  de  la  Règle.  On  se  mit 
au  travail  avec  plus  d'ardeur,  en  attendant  l'hiver.  Le 
F.  Picard  s'occupait  du  temporel.  Son  art  culinaire 
n'était  pas  grand,  et  la  table  était  frugale.  Les  lectures 
au  réfectoire  faites  par  le  bon  Frère  ne  manquaient  pas 
de  pittoresque  ;  mais  les  récréations  étaient  animées  et 
joyeuses,  et  la  régularité  4ans  toute  sa  ferveur. 


—  116  — 

Un  jour  pourtant,  nous  eûmes  l'occasion  de  sortir  de 
cette  quiétude.  Un  ordre  du  cardinal  convoquait  tout  le 
clergé  à  se  trouver  à  la  cathédrale  pour  la  réception  du 
prince  Louis-Napoléon,  qui  daigna  y  assisLer  au  salut 
du  Saint-Sacrement,  à  son  arrivée  à  Bordeaux.  Nous 
nous  y  rendîmes  donc,  les  uns  de  bien  bon  cœur,  les 
autres  avec  moins  d'enthousiasme.  Ce  fut  une  splen- 
dide  cérémonie.  Le  cardinal,  dans  son  discours  au 
prince,  ne  manqua  pas  de  parler  du  repos  du  dimanche 
et  de  la  cessation  du  travail  de  l'État  le  jour  du  Sei- 
gneur. Le  lendemain,  le  prince  disait  à  Bordeaux  : 
«  L'empire,  c'est  la  paix  !  «  Hélas!  qu'avons-nous  vu 
depuis?  Quelques  mois  auparavant,  le  P.  de  L'Hermite 
avait  assisté,  au  nom  des  Pères  absents,  à  la  réception 
qui  fut  faite  au  cardinal  Donnet  à  son  relourde  Paris, 
011  il  venait  de  recevoir  la  barrette.  L'entrée  en  ville,  la 
procession  jusqu'à  la  primatiale,  furent  merveilleuses. 
Entre  les  fêtes  profanes  et  les  fêtes  religieuses,  on  ne 
peut  hésiter.  Dans  les  premières,  la  pompe  déployée 
peut  être  plus  grande;  dans  les  secondes,  le  cœur  et 
l'âme  éprouvent  de  bien  plus  intenses  et  plus  durables 
émotions.  A  ce  point  de  vue,  la  réception  du  prince  de 
l'Église  l'emporta  sur  la  réception  du  prince  chef  de 
l'État. 

Dans  la  dernière  quinzaine  d'octobre,  la  petite  com- 
manaulé  fit  sa  retraite  annuelle.  Le  Supérieur  en  fut  le 
prédicateur;  les  PP.  de  Pétro,  de  LHermite,  Delpeuch 
et  le  F.  ï'iCARD,  occupaient  chacun  un  angle  de  la  cham- 
bre qui  servait  d'oratoire.  Ce  n'était  pas  imposant,  mais 
c'était  édifiant,  Toute  la  série  habituelle  des  exercices 
fut  parcourue  ;  on  garda  même  le  silence  en  récréation; 
il  ne  fut  interrompu  un  seul  jour  que  pour  la  réception 
du  cardinal,  qui  vint  à  l'improviste  nous  faire  une  petite 
visite  et  nous  demander  la  liste  de  nos  missions.  Tout 


^  117  — 

réconfortés  par  ces  huit  jours  de  récollection,  frais  et 
dispos,  nous  aspirions  à  l'heure  du  combat.  Cette  heure 
arriva  enfin. 

Le  service  de  Saint-Médard,  supprimé  définitivement 
par  l'arrivée  d'un  curé  après  huit  mois  d'intérim,  celui 
du  Refuge  du  Tondu  interrompu  pour  quelque  temps, 
nous  partîmes  tous  les  quatre  dès  la  veille  de  la  Tous- 
saint :  les  PP.  Dassy  et  de  L'Hermite  pour  Gauriac,  dans 
le  Blayais;  les  PP.  de  Péïro  et  Delpeuch,  pour  Saint- 
Christoly,  du  Médoc. 

Gauriac,  adossé  à  un  coteau  que  domine  la  Gironde, 
est  un  pays  habité  par  des  constructeurs  de  navires  et 
par  des  marins  en  retraite  ;  on  y  comptait  alors  pas  mal 
de  capitaines  au  long  cours.  L'exactitude  de  l'histoire 
doit  nous  faire  reconnaître  que  cette  mission  ne  réussit 
pas,  du  moins  en  ce  qui  concernait  les  hommes.  La  po- 
pulation, occupée  à  d'autres  soucis,  resta  à  peu  près  in- 
différente. La  confirmation,  qui  devait  avoir  lieu,  ayant 
été  remise  par  force  majeure,  ce  fut  un  moyen  d'action 
qui  nous  était  enlevé.  11  y  eut,  parmi  les  femmes,  un 
ébranlement  religieux,  mais  ce  fut  à  peu  près  tout.  Ce- 
pendant, le  P.  Dassy  ne  se  découragea  pas.  Il  ne  retran- 
cha rien  de  la  méthode  ordinaire  des  missions,  et  l'audi- 
toire assidu  qui  remplissait  la  petite  église  fut  instruit 
et  reçut  les  fruits  des  exercices.  Le  jour  du  départ,  un 
brave  homme,  voulant  féliciter  le  Supérieur  sur  la  ma- 
nière dont  il  avait  exposé  les  vérités  chrétiennes,  lui  dit 
à  la  sacristie  :  «  Mon  Père,  vous  nous  avez  tout  montré 
depuis  Adam  jusqu'à  la  mort  !  » 

Comparée  à  la  mission  de  Saint- Estèphe^  la  mission 
de  Gauriac  nous  parut  bien  terne  ;  nous  partîmes  ce- 
pendant, après  un  mois  de  séjour,  avec  la  conviction 
que,  même  dans  les  missions  que  ne  couronne  pas  l'éclat 
du  succès,  il  se  fait  toujours  un  bien  véritable. 


—  118  — 

A  Saiht-Christoiy,  les  PP.  de  Pétro  et  Delpeuch  fu- 
rent plus  heureux.  La  population  répondit  à  leur  zèle 
ardent.  Sur  la  rive  gauche  de  la  Gironde,  ils  moisson- 
nèrent avec  joie,  tandis  que  iloiis,  siir  la  rive  droite,  nous 
semions  dans  les  larmes. 

Mais  le  mois  de  décembre  devait  guérir  les  blessures 
du  mois  précédent  et  rémunérer  amplement  les  travaux 
des  missionnaires.  Deux  grandes  tnîssions  furent  ou- 
vertes avec  l'avent  et  se  poursuivirent  jusqu'à  Noël.  Les 
PP.  Dassy  et  DE  L'Hermite  firent  la  mission  de  Grignols 
et  les  PP.  DE  Pétro  et  Delpeuch  celle  de  Saint-Denis- 
de-Piles. 

Grignols  est  un  canton  de  l'arrondissement  de  Bazas. 
La  population  avait  conservé  des  habitudes  de  foi,  mais 
son  pasteur  âgé  et  un  peu  impotent  avait  dû  forcément 
négliger  le  soin  du  troupeau,  et  le  zèle  d'un  jeune  vicaire 
ne  suffisait  pas  à  le  réveiller  du  sommeil.  Une  rénova- 
tion générale  était  donc  nécessaire.  On  se  mit  à  l'œuvre 
avec  ardeur  ;  les  visites  à  domicile  dans  toute  la  paroisse 
ilolis  amenèrent  des  auditeurs;  iin  excellent  chœur  de 
Cantiques  acheva  de  les  gagner,  et  surtout  l'attrait  de  la 
nouveauté.  Ce  fut  une  belle  mîssiôii.  Après  quelques 
jours  d'hésitation,  le  branle  fut  donné  et  le  mouvement 
imprimé  ne  subit  aucun  arrêt.  Comme  à  Saint-Estèphe, 
on  épuisa  la  série  des  exercices  prévus  par  la  Règle,  et 
deux  communions  générales  nous  consolèrent  ample- 
ment de  iiotre  échec  de  Gauriac.  Des  mariages  civils 
réhabilités,  des  premières  communions  tardives  faites 
avec  piété  et  à  la  suite  de  sérieuses  préparations.  A  une 
œuvre  si  bien  menée,  il  fallait  uii  couronnement.  La 
plantation  d'une  belle  croix  à  l'extrémité  d'un  faubourg 
de  la  petite  ville  devait  conserver  le  souvenir  de  la  mis- 
sion.  Par  un  beau  soleil  d'hiver,  une  procession  parfaite- 
ment organisée  sortit  de  l'église,  traversa  les  rues  de 


—  419  — 

Grignols  et  la  cérémonie  delà  plantation  de  la  croix  eut 
lieu  suivant  le  progiamme  admis  dans  la  Congrégation. 
Le  P.  Dassy  céda  à  son  jeune  confrère  l'honneur  de  célé- 
brer en  plein  air  le  triomphe  de  la  croix.  De  retour  à 
l'église,  il  donna  lui-même  comme  la  péroraison  de 
cette  station  apostolique  par  un  ardent  discours  d'adieu 
à  la  population.  L'enthousiasme  était  universel,  et  ceux 
mêmes  qui  n'avaient  pas  répondu  à  l'appel  de  Dieu  ne 
pouvaient  se  défendre  de  partager  l'émotion  commune. 
Un  autre  résultat  des  plus  heureux  devait  naître  de 
cette  belle  mission;  je  veux  dire  l'estime  et  Tintérêt 
d'une  noble  famille  gagnés  à  cette  mission.  M.  le  comte 
Léonide  de  Sabran-Pontevès  et  M"*  la  comtesse  de  Sa- 
bran-Pontevès  (née  de  Pons)  élaienlles  propriétaires  du 
beau  château  de  Grignols.  Les  Pontevès  sont  originaires 
de  Provence,  où  leur  famille  compte  parmi  les  plus  an- 
ciennes et  les  mieux  posées  du  pays.  Le  R.  P.  Dassy, 
Marseillais  de  naissance,  fut  donc  bien  accueilli  au  châ- 
teau. M™^  la  comtesse,  seule  en  ce  moment  avec  ses 
enfants  et  sa  vénérable  mère,  se  donna  un  grand  mou- 
vement pour  le  succès  de  la  mission.  Non  contente  d'as- 
sister à  tous  les  exercices,  d'y  envoyer  ses  nombreux 
serviteurs  et  fermiers,  elle  visitait  les  maisons  du  bourg 
pour  y  découvrir  les  retardataires  et  leur  parler  avec  l'au- 
torité que  lui  donnaient  sa  position  et  ses  exemples.  Elle 
s'intéressait  beaucoup  à  la  plantation  de  la  croix  ;  elle 
amena  au  Supérieur  une  jeune  protestante  étrangère  au 
pays,  et,  après  avoir  veillé  à  son  instruction  elle-même, 
voulut  être  la  marraine  au  baptême  qui  se  fit  avec  une 
grande  solennité.  De  ce  jour  naquirent  entre  le  château 
de  Grignols  et  la  communauté  des  Oblats  les  relations 
les  meilleures.  Nous  dirons  tout  à  l'heure  comment  les 
Sabran-Pontevès  devaient  être  comptés  au  nombre  des 
bienfaiteurs  deTalence,  La  mort  prématurée  de  M"^  la 


^  120  — 

comtesse  offrit  au  P.  Merlix,  successeur  du  P.  Dassy, 
roccasion  de  donner,  en  notre  nom,  un  témoignage  de 
reconnaissance  à  sa  famille  si  éprouvée.  Aussi  voulut-il, 
quelques  jours  après  cet  événement,  s'arracher  à  son 
ministère  de  Talence,  et,  malgré  sa  fatigue,  aller,  ac- 
compagné du  P.  DE  L'Hermite,  jusqu'à  l'extrémité  du 
diocèse,  porter  ses  condoléances  à  M.  le  comte  de  Sa- 
bran-Pontevès  et  aux  siens. 

Pendant  que  se  donnait  la  mission  de  Grignols,  les 
PP.  DE  Pétro  et  Delpeuch  travaillaient  sur  un  terrain 
plus  dur,  à  Saint-Denis-de-Piles,  près  de  Libourne.  Mais 
leurs  efforts  et  leur  activité  ne  furent  pas  stériles.  Le 
P.  Delpeuch,  en  particulier,  soutint  le  principal  effort  du 
combat,  son  confrère  ayant  été  indisposé  durant  la  mis- 
sion, et  des  conversions  des  plus  consolantes  vinrent 
rémunérer  son  zèle.  Là  encore,  une  noble  famille  se  ren- 
contra, qui  prit  en  affection  notre  communauté  :  la  fa- 
mille de  Grailly. 

Le  mois  de  janviervit  les  missionnaires  rentrer  à  Saint- 
Delpbin  ;  le  bon  F.  Picard  vint  nous  y  rejoindre,  et,  de 
nouveau,  nous  goûtâmes  le  bonheur  de  la  vie  commune. 
Ce  devait  être  notre  dernière  réunion  sous  un  toit  pro- 
visoire. La  question  de  Talence,  menée  avec  activité  par 
le  R.  P.  Dassy,  allait  enfin  avoir  sa  solution.  Le  cardinal 
offrait  à  M.  le  curé  de  Talence  le  poste  de  Langon,  un 
des  premiers  du  diocèse,  et  nous  devions  nous  tenir 
prêts  à  prendre  la  succession  sans  laisser  s'établir  un  in- 
térim. Mais,  outre  la  succession  du  service  paroissial, 
devait  aussi  nous  revenir  la  succession  des  dettes  de 
l'église.  La  première  était  facile  à  accepter,  la  seconde 
était  bien  de  mesure  à  inspirer  quelques  craintes  à  une 
communauté  encore  à  peu  près  inconnue  et  sans  racines 
dans  le  diocèse.  Un  nous  disait  :  «  Vous  pouvez  aller 
à  Talence,  mais  il  faut  vous  charger  d'une  dette  do 


—  121  — 

18000  francs,  dette  qui  pèse  sur  la  fabrique  pour  la  con- 
struction de  l'église.  »  C'était  un  remboursementà  opérer 
à  des  personnes  qui  avaient  avancé  des  fonds  pour  la 
construire.  Le  cardinal  était  pressant  et  l'occasion  uni- 
que :  c'était  à  prendre  ou  à  laisser.  Notre  Fondateur, 
consulté  par  le  Supérieur,  répondit  :  «  Il  faut  prendre 
la  balle  au  bond.  »  L'œuvre  de  Talence,  en  effet,  sem- 
blait si  bien  indiquée  pour  nous,  comme  la  suite  l'a  bien 
prouvé,  qu'il  n'y  avait  pas  à  hésiter. 

Ce  fut  alors  que  nous  eûmes  lieu  de  remercier  la  Pro- 
vidence de  nous  avoir  fait  connaître  quelques  personnes 
bienveillantes,  disposées,  en  cas  de  besoin,  à  nous  venir 
en  aide.  La  bonne  comtesse  de  Sabran-Pontevès,  à  qui 
le  P.  Dassy  en  avait  écrit,  déclara,  en  son  nom  et  au  nom 
de  son  mari,  qu'elle  mettait  une  somme  de  10000  francs, 
remboursable  sans  intérêts,  à  notre  disposition.  M.  l'abbé 
de  Champgrand  avança  5  000  francs  dans  les  mêmes  con- 
ditions, et  un  Père  de  la  Congrégation  compléta  ce  qui 
restait  à  trouver  de  la  somme.  Grâce  à  ces  appoints  ve- 
nus si  opportunément,  le  P.  Dassy,  fort  de  l'assentiment 
du  Fondateur,  répondit  au  cardinal  que  les  Oblats  accep- 
taient le  poste  de  confiance  qu'il  nous  faisait  l'honneur 
de  nous  confier. 

Le  P.  Dassy  prit  ses  mesures  pour  arriver  à  Talence 
au  premier  appel,  aussi  n'accepta-t-il  pas  pour  lui  de 
mission  nouvelle.  Le  R.  P.  Vincens  voulut  bien  venir  de 
Marseille  pour  prendre  à  sa  place  la  direction  de  l'im- 
portante mission  de  Cadillac.  Le  R.  P.  de  Pétro  lui  fut 
adjoint  comme  auxiliaire.  La  mission  se  poursuivit  pen- 
dant une  grande  partie  du  carême,  avec  des  alterna- 
tives diverses.  Le  résultat  d'ensemble  ne  fut  pas  com- 
plet ;  mais  un  mouvement  religieux  fut  imprimé  et  un 
grand  bien  fut  fait.  La  parole  si  lumineuse  et  si  aposto- 
lique du  R.  P.  Vincens  porta  des  fruits.  Pendant  qu'il 


—  122  — 

iflstfuisait  les  paroissiens  de  Cadillac,  le  R.  P.dePêtro 
les  charmait  pnr  ses  chœurs  de  chant,  et,  en  résunaé,  les 
exercices  furent  une  bénédiction  pour  le  pays. 

Un  peu  avant  la  mission  de  Cadillac  et  dès  le  com- 
mencement de  février,  les  PP.  Delpeuch  e!  deL'Hermite 
avaient  ouvert  une  mission  à  Saint-Fermé,  canton  de 
Pellegrue... 

Nous  avons  aussi  parlé  de  cette  mission  dans  le  der- 
nier numéro,  ainsi  que  de  celle  qui  suivit,  prêchée  à 
Saint-Christoly. 

Quand  il  fallut  retourner  à  la  maison,  ce  ne  fiitplus 
le  chemin  de  Pont-de-la-Maye  que  prirent  les  PP.  Del- 
PEUcn  et  DE  L'Hermite,  mais  le  chemin  de  Talence.  Dans 
l'intervalle,  le  R.  P.  Dassy  avait  pris  possession,  au  nom 
de  la  Congrégation,  de  la  paroisse  et  du  sanctuaire  de 
Talence,  et  il  exerçait  déjà  la  fonction  de  curé.  Il  avait 
près  de  lui,  pour  l'initier  durant  les  premiers  jours, 
le  P.  de  Pétro,  le  P.  Séjalon  et  le  curé  de  Saint-Pierre- 
du-Mont  qui  était  venu  nous  rejoindre  comme  postulant, 
mais  qui,  après  quelques  mois  d'essai  et  ttiême  de  novi- 
ciat, reprit  du  service  dans  le  diocèse.  M.  l'abbé  Rousset 
était  un  bon  prêtre,  qui  nous  rendit  des  services  à  un 
moment  où  notre  personnel  était  insuifi-^ant.  C'était  au 
temps  de  Pâques  ;  les  débuts  à  Talence  lurent  dor-c  la- 
borieux. Il  fallait  se  mettre  au  courant  de  tout,  faire 
connaissance  avtc  tous  :  sacristaius,  conseil  de  fabrique, 
paroissiens,  administration  civile,  etc.  L'activité  du 
P.  Dassy  avait  un  vaste  chatnp.  Mais  il  ne  devait  rester 
à  ce  nouveau  poste  que  pour  ménager  la  transition 
entre  le  départ  du  curé  séculier  et  l'arrivée  du  R.  P.  Mer- 
lin, c'est-à-dire  une  durée  de  trois  mois.  Le  mois  de 
Marie,  si  bien  célébré  au  sanctuaire  de  Talence,  offrit 
aux  Oblais,  à  peine  installés,  l'occasion  d'un  travail  sans 
interruplioU,  et  aussi  l'occasion  de  se  mettre  au  courant 


—  123  — 

du  pèlerinage.  On  sait  de  quel  éclat  est  accompagnée  au- 
jourd'hui là  célébration  du  mois  de  MaHd  à  Talence,  oh 
tontes  les  communautés,  œuvres  et  même  paroisses  de 
Bordeaux  et  des  environs  se  succèdent  chaque  jour 
dans  une  série  dé  pèlerinages  qui  animent  le  sanctuaire 
et  honorent  la  Vierge  des  Douleurs  qui  y  règhè. 

Les  Pères  restaient  toUs  à  Talence,  second&nt  leur 
Supérieur  pour  la  réceptioh  des  pèlerinages  et  pdUr  lô 
travail  de  la  paroisse.  Ce  fut  utïe  entrée  en  possession 
oîi  chacun  trouvait  poilr  son  zèle  un  foyer  d'activité. 
Nos  Pères  débutèrent  à  'Talence  a  l'époque  de  l'année 
la  plus  favorable  pour  s'iniiier  à  la  vie  du  sanctuaire  et 
des  œuvres  paroissiales^,  mais  aussi  dans  des  conditions 
qui  devaient  ajouter  ;1  leurs  préoccupiitions  et  à  leur 
fatigue.  L'œuvre  de  Talence  les  mettant  dès  lors  en  rela- 
tion avec  Bordeaux,  avec  son  clergé,  ses  communautés, 
ses  œuvres.  Ce  n'était  pas  chose  de  peu  d'importance  ; 
et  l'agitation  qui  se  produisait  autour  d'eux  contrastait 
singulièrement  avec  la  paix  et  le  silence  de  leur  solitude 
de  Saint-Delphin. 

Le  P.  DE  L'HEfiMiTE  ne  partagea  pas  les  premiers  tra- 
vaux de  nos  Pères,  h  Talence;  il  fut  appelé  à  Marseille 
pat*  notre  vénéré  Fondateur  pour  y  prêcher,  tous  les 
jours,  l'exercice  du  mois  de  Marie,  à  la  paroisse  de  la 
Trinité.  C'était  un  travail  redoutable  pour  un  jeune 
prêtre;  il  fallut  composer  son  instruction,  tant  bien  que 
mal,  dans  la  matinée,  et  la  débiter  le  soir  en  présence 
d'un  auditoire  bien  fait  pour  intimider  un  débutant. 
Aussi,  quand  tout  fut  fini,  le  P.  Ce  L'HerMiïe  revint, 
tout  heureux,  reprendre  sa  place  de  simple  missionnaire 
aU  foyer  récemment  ouvert  de  Talence. 

Le  R.  P.  Dâssy,  appelé  à  la  supériot-ité  de  la  maison 
du  Calvaire,  partit  de  Talence  le  lendemain  du  retour,  à 
la  communauté)  du  P.  de  L'Hermite. 


—  124  — 

Le  Talence  de  1889  ne  ressemble  point  au  Talence 
de  1833,  Si,  topographiquement,  le  pays  est  resté  ce  qu'il 
était,  son  aspect  n'est  plus  le  même.  Là  oh,  autrefois, 
on  voyait  des  bosquets  et  des  avenues  gracieuses  con- 
duisant à  la  charmante  église,  on  voit  aujourd'hui  des 
maisons  échelonnées  sur  une  route  couvertedepoussière. 
Les  petits  restaurants,  les  maisons  pour  noces  et  festins, 
les  magasins  de  mercerie,  ont  pris  la  place  de  la  ver- 
dure ;  et  Bordeaux,  allongeant  ses  grands  bras,  est  venu 
saisir  cette  oasis  qu'il  a  rattachée  à  ses  faubourgs.  C'est 
moins  gracieux  qu'autrefois.  La  population,  qui  comp- 
tait 1500  âmes  en  hiver,  et  3  000  en  été,  a  plus  que 
triplé,  et  l'on  peut  regretter  l'époque  où  seuls  les  cha- 
lets et  les  coquettes  maisons  de  villégiature  se  cachaient 
dans  les  bosquets  oiî  l'on  arrivait  par  de  petits  chemins 
sinueux  et  bordés  de  fleurs.  En  1853,  les  prêtres  pou- 
vaient connaître  leurs  paroissiens  nommatim,  tant  ceux 
du  sol  que  les  familles  de  Bordeaux,  qui  venaient  là  cher- 
cher, pendant  l'été,  un  peu  d'ombre  pour  se  défendre  de 
la  chaleur.  Aujourd'hui,  la  chose  est  plus  difficile  ;  la 
population  est  devenue,  sur  plusieurs  points,  cosmopo- 
lite, d'un  accès  moins  abordable.  Autrefois,  un  curé  et 
un  vicaire  à  bonnes  jambes,  pouvaient,  avec  le  concours 
bienveillant  des  missionnaires,  suffire  à  la  besogne  ;  au- 
jourd'hui, deux  vicaires  ne  suffisent  plus,  et  Talence  est 
une  grande  paroisse,  et  son  église,  bâtie  jadis  en  bon 
air,  pourrait  se  plaindre  de  la  ceinture  de  maisons  qui 
l'étreint. 

En  prenant  possession  de  Talence,  la  Congrégation 
pouvait  dire  :  Funes  ceciderunt  rniln  in  prieclaris  ;  le  cor- 
deau qui  avait  délimité  ses  frontières  nous  assignait  un 
lot  des  plus  sérieux.  Talence,  à  3  kilomètres  de  Bordeaux, 
était  le  pèleiinage  cher  à  cette  ville,  le  lieu  de  prome- 
nade de  ses  habitants.  La  population,  un  peu  indiffé- 


—  12o  — 

rente,  était  bonne,  aimable,  et  nous  fît  bon  accueil. 
Pendant  l'été,  nombre  de  riches  familles  de  Bordeaux 
venaient  demander  aux  ombrages  de  Talence  un  peu  de 
fraîcheur  et  de  solitude  ;  leur  attitude  à  l'égard  des  Pères 
était  des  plus  bienveillantes,  et  ceux-ci  eurent,  dès  ce 
jour,  l'occasion  d'établir  les  meilleures  relations.  Nous 
nous  souvenons  de  cette  messe  de  9  heures  du  dimanche, 
à  laquelle  assistaient,  de  toutes  nos  villas,  les  Bordelais 
en  villégiature.  C'était  l'élite  des  chrétiens  et  en  même 
temps  l'élite  de  la  fortune;  à  leur  tête  nous  remarquions 
volontiers  M,  le  général  de  Tartas,  qui  commandait  la 
division  militaire. 

Le  R.  P.  Merlin,  successeur  du  P.  Dassy,  était  arrivé, 
avons-nous  dit,  vers  la  fin  de  juin.  Sa  belle  taille,  son 
grand  air,  sa  bonhomie  empreinte  de  distinction  et 
surtout  sa  bonté  dont  les  effets  s'étendaient  à  tous,  lui 
conquirent  immédiatement  tous  les  cœurs.  Les  religieux 
à  la  tête  desquels  il  était  placé  vinrent  à  lui  comme  des 
enfants  à  leur  père,  et,  bien  qu'il  fût  le  plus  jeune  d'o- 
blation,  il  ne  rencontra  que  respect  parmi  les  siens.  Il 
divisa  sa  chambre  et  les  appartements  du  presbytère 
afin  que  ses  Pères  pussent  être  moins  mal  logés,  en  atten- 
dant les  améliorations  qui  ne  se  firent  que  plus  tard.  Les 
paroissiens  s'éprirent  bien  vite  d'affection  pour  ce  curé 
si  débonnaire,  si  pieux,  si  plein  d'expérience  et  assidu 
au  confessionnal,  comme  on  ne  se  souvenailpas  d'y  avoir 
vu  personne.  Le  P.  Merlin  prêchait  peu,  au  commence- 
ment, à  cause  d'une  maladie  de  cœur  qui  se  révéla  dès 
l'arrivée  avec  de  violents  symptômes  et  paiidysa  sur  bien 
des  points  son  activité;  mais  il  confessait  sans  relâche, 
et  était  comme  l'ange  près  de  la  piscine  pour  accueillir 
les  pénitents.  Quel  bien  il  fit,  c'est  là  le  secret  de  Dieu  ! 
Riches,  pauvres,  enfants,  vieillards,  prêtres,  religieuses, 
pèlerins  et  paroissiens,  c'était  un  défilé  sans  interruption, 


^  126  — 

et  le  bon  prèlre  ne  conijaissait  poiiil  de  plaisir  plus 
grand  que  celai  de  prêter  son  ministère  à  tous  ceux  qui 
en  réclamaient  les  bienfaits.  Les  difficultés  avec  la  fa^ 
brique  pour  le  règlement  des  comptes  cessèrent  avec  lui, 
les  petits  froissements,  nés  du  départ  de  M.  Garros,  s'ef- 
facèrent bientôt  dans  l'esprit  des  rares  tenants  de  l'an- 
cien régime;  les  améliorations  matérielles  que  le  P.  Mer- 
lin fit  autour  de  l'église,  dans  les  sacristies  ;  l'ordre  et  la 
propreté  qu'il  sut  faire  régner  partout,  dénotèrent  en  lui 
un  homme  fait  pour  régir  une  paroisse  importante  ;  aussi 
Talence  comprit  vite  quel  trésor  la  Providence  lui  en- 
voyait. 

L'été  se  passa  ainsi  dans  l'organisation  de  toutes  choses 
pour  le  bien  de  la  paroisse  et  du  sanctuaire.  Le  R.  P,  Mer- 
lin était  secondé  dans  le  service  par  le  R.  P.  Séjalon  et 
par  M.  l'abbé  Rousset,  au  besoin  ;  les  autres  Pères  prê- 
taient leur  concours  dans  l'occasico  et  restaient  libres 
pour  les  travaux  apostoliques.  Peu  à  peu,  sous  la  sage 
direction  du  Supérieur,  tout  prit  corps  à  l'intérieur 
comme  en  dehors  de  la  communauté, devenue  plus  nonj- 
breuse.  Un  acte  officiel  de  notre  vénéré  Fondateur,  du 
20  octobre  1833,  donna  à  la  communauté  la  constitu- 
tion déflnitive.  Klle  se  composait  du  R.  P.  Merlin,  Supé- 
rieur ;  puis,  par  rang  d'oblation,  des  RR.  PP.  de  Pétbo, 
DE  L'Hermite,  Delpeuch,  Séjalon  et  Albry.  Ces  deux  der- 
niers étaient  déjà  d'un  âge  très  mûr,  aussi  furent-ils 
nommés  assesseurs  du  Supérieur, 

C'était  plaisir  de  voir  toute  l'œuvre  prendre  si  bonne 
tournure  ;  les  fûtes  étaient  célébrées  avec  piété,  les 
offices  étaient  plus  solennels,  les  pèlerinages  plus  pieux, 
les  paroissiens  plus  assidus.  Nous  nous  mettions  peu  à  peu 
au  courant  des  traditions  et  des  usages,  et  le  Supérieur 
établissait  tout  sur  up bon  pied.  Les  communautés  reli- 
gieuses, déjà  dévouées  àTalence,  prirent  de  plus  en  plus 


—  127  — 

goût  au  pèlerinage;  envoyait  sotivent  des  groupes  nom- 
breux prier  aux  pieds  de  Notre-Dame  des  Sept-Douleurs. 
Les  Sœurs  de  la  Sainte-Famille,  les  Religieuses  de  l'i^s- 
pérance,  ne  furent  pas  des  dernières.  Le  P.Merlin  avait 
fait,  en  arrivant,  une  visite  à  la  Supérieure  générale  de 
l'Espérance,  qui  était  alors  lu  bonne  mère  Hardy-Moisan, 
de  la  part  de  ses  sœurs  de  Nancy.  Nous  vîmes,  dès  lors, 
quelques  sœurs  venir  prier  dans  notre  sanctuaire;  plus 
tard,  le  bon  P.  Merlin,  très  apprécié  par  les  sœurs  qui 
venaient  en  pèlerinage,  devint  le  confesseur  ordinaire 
de  la  communauté  de  la  rue  Lobirat. 

Un  seul  point  noir  assombrit  un  instant  notre  hori- 
zon ;  ce  fut  la  maladie  du  P.  Merlln,  réduit  par  une 
maladie  de  cœur  à  modérer  son  travail,  11  dut  se  borner 
presque  exclusivement  au  ministère  du  confessionnal  et 
à  l'administration.  Les  jeunes  prêchaient  et  voyaient 
les  malades.  Un  docteur  renommé  de  Bordeaux,  M.  Sar- 
ramest,  traita  d'une  manière  fort  intelligente  notre  bon 
Supérieur  et  le  conserva  à  notre  affection  et  à  celle  de 
ses  paroissiens. 

La  retraite  annuelle  faite,  les  travaux  des  missions 
reprirent  à  la  Toussaint  1853.  Le  P.  Delpeuch  fut  en- 
voyé à  Blasimont,  où  il  eut  à  faire  un  travail  excçssif, 
devant  joindre  le  service  d'une  petite  chapelle  à  celui 
de  la  paroisse  principale.  Mais  ses  soins  ne  furent 
pas  stériles  et  un  bien  considérable  fut  opéré  dans  des 
conditions  de  labeur  et  de  fatigues  inouïes. 

Pendant  que  le  P.  Delpeuch  achevait  seul  la  fatigante 
mission  de  Blasimont,  les  Pères  Séjalon  et  de  Pétro  se 
rendaient,  le  premier  à  Cazaugitat,  canton  de  Pellegrue, 
Je  second  à  Sornac. 

Penilant  ce  temps,  le  P.  de  L'Hermite  travaillait  seul 
à  Pellegrue,  petit  chef-lieu  de  canton,  où  l'on  rencon. 
trait  alors  une  minorité  protestante  assez  considérable- 


—  128  — 

En  même  temps  il  faisait  un  petit  retour  de  mission  à 
Saint-Fermé.  Le  travail  de  Pellegrue  fut  pénible,  mais 
rémunérateur.  Des  premières  communions  tardives 
furent  faites,  des  mariages  furent  réhabilités,  il  y  eut 
des  abjurations.  Il  dura  trois  semaines,  c'était  trop 
court.  Son  Eminence  le  cardinal  Donnet  vint  clore  les 
exercices  le  jour  de  l'Immaculée  Conception  et  donner 
la  confirmation  dans  l'église,  trop  petite  pour  la  cir- 
constance, à  la  jeunesse  de  plusieurs  paroisses  envi- 
ronnantes. 

Pendant  ce  temps,  le  P.  Aubry  s'était  rendu  à  Bazas 
où  nous  appelait  la  confiance  de  l'archiprêtre,  un  ami 
de  Louis  Veuillot.  Pendant  quelques  jours,  il  attendit 
les  Pères  de  L'Hermite  et  Delpeuch  qui  avaient  été  dé- 
signés pour  l'aider  dans  le  travail  de  la  mission.  Les 
exercices  eurent  lieu  pendant  les  trois  dernières  se- 
maines de  l'avent,  dans  la  belle  cathédrale  de  Bazas. 
Les  missionnaires  eurent  contre  eux  la  température 
exceptionnellement  rigoureuse  à  ce  moment  et  la  briè- 
veté du  temps.  Il  eiit  fallu  quinze  jours  de  plus.  Le  su- 
périeur de  la  mission  était  un  bon  prédicateur,  parlant 
avec  distinction,  mais  il  n'était  pas  assez  missionnaire 
et  ne  mena  pas  assez  le  travail  selon  la  méthode  de  la 
Congrégation.  Ses  jeunes  acolytes  eussent  voulu  un  peu 
plus  d'initiative  et  d'entrain.  Malgré  cela,  il  y  eut  un 
mouvement  d'ensemble  et  des  conversions  véritables. 
Son  Eminence  vint  clore  les  exercices  et  administrer  le 
sacrement  de  confirmation  à  une  population  d'enfants 
qui  remplissait  littéralement  la  belle  nef  de  la  cathé- 
drale. Les  PP.  DE  L'Hermite  et  Delpeuch  avaient  été 
chargés  du  soin  spécial  de  la  préparation  de  cette  jeu- 
nesse. L'archiprêtre,  musicien  et  artiste,  avait  préparé 
une  belle  messe  pour  la  clôture.  Son  Eminence,  inter- 
rompant brusquement,  fit  arrêter  le  chœur  dès  le  début 


—   129  — 

et  ordonna  qu'on  chantât  le  plain-chant  à  l'unisson. 

En  résumé,  la  mission  fit  un  grand  bien,  mais  ce  bien 
ne  fut  pas  complet.  Une  des  joies  des  missionnaires  fut 
de  faire  la  connaissance  d'un  jeune  vicaire  plein  de  la- 
lent  et  de  mérite,  destiné  à  devenir,  comme  vicaire  géné- 
ral, le  bras  droit  de  Son  Eminence  et  l'âme  du  diocèse. 
M.  l'abbé  Gervais,  que  nous  rencontrâmes  à  Bazas,  vou- 
lut bien  se  souvenir  plus  tard  de  cette  rencontre  et 
entretenir  avec  les  Oblats  les  meilleures  relations. 

Au  mois  de  janvier  (1834),  nous  rentrâmes  à  Talence. 
Pendant  ce  temps,  le  R.  P.  de  Pétro,  envoyé  par  Son 
Eminence  à  Hourbin,  grande  paroisse  des  Landes,  s'en 
donnait  à  cœur  joie,  et  son  zèle  reçut  les  plus  amples 
récompenses... 

Là  s'arrête  la  relation  posthume  du  R .  P.  de  L'Hermtte. 
On  pourra  lire  dans  sa  vie  quelle  fut  sa  part  durant 
l'année  1834,  et  à  la  suite  de  quelles  circonstances,  re- 
tenu en  Auvergne  par  la  maladie,  en  novembre  de  cette 
année,  il  fut  appelé  en  mars  auprès  du  Fondateur,  et 
passa  plusieurs  mois  à  Marseille,  pour  être  ensuite 
nommé  supérieur  à  Notre-Dame  de  Gléry,  en  septem- 
bre 1853. 


ACTES  DU  SAINT-SIÈGE 


DÉCISIONS  DE  LA  S.  C.  DES  ÉVÊQUES  ET  RÉGULIERS 
AU  SUJET  DE  L'ORDINATION  DES  RELIGIEUX. 

On  se  rappelle  que,  le  4  novembre  1892,  la  Sacrée 
Congrégation  des  Évêques  et  Réguliers  a  rendu  un  dé- 
cret qui  modifie  sur  plusieurs  points  les  règles  suivies 
jusque-là  pour  l'ordination  des  religieux.  Certaines  dis- 
positions de  ce  décret  présentant  quelques  difficultés, 
Son  Éminence  le  Cardinal  Archevêque  de  Paris  a  de- 
mandé des  éclaircissements  aux  Évêques  et  Réguliers. 
La  Sacrée  Congrégation  a  répondu  par  des  décisions 
que  Son  Eminence  a  bien  voulu  nous  communiquer  et 
qui,  par  leur  caractère  général,  intéressent  tous  ceux 
qui  ont  à  s'occuper  de  l'ordination  de  nos  sujets. 

Voici  les  demandes  et  les  réponses  : 

UtruiTi  nunc.post  decretum  Auctis^  instituta  votorumsim- 
plicium  libère  possint,  sine  indulto  speciali,  aluiunis  suis  di- 
missoriales  litteras  ad  ordinationes  concedere  ? 

R.  Négative  {^îehT.  1894). 

Utrum  Dunc,  post  decretum  Auctis^  instituta  votorum  sim- 
plicium  libère  possint,  sine  indulto  speciali,  alumnos  suos 
promovere  ad  ordinem  sacrum  titulo  mensœ  communis  vel 
alio  simili? 

R.  Négative  (9  febr.  1894). 

Utrum  alumni  institutorum  votorum  simpliciura,  qui  coa- 
vocantur  in  domum  matricem,  vel   aliam  institut!  ad  brève 


—   131   — 

tempus,  verbi  gratia,  ut  vacent  spiritualibus  exercitiis,  vel 
tempus  feriarum  terant,  possint  légitime  ordinari  abEpiscopo 
diœcesano  hujus  domus,  quin  habeaturlicentiaexpressa,  seu 
dimissoriales  littersB,  illius  Episcopi  in  cujus  diœcesi  situs 
estconventus  ubi  credito  sibi  officio  funguntur? 

R.  Provîsum  per  indultum  diei  27  aprilis  1894  quo  sitperio- 
ribus  institutorum  datur  facultas  ad  triennium  {vel  ad  quinqueiviium) 
concedendi  suis  subditis  litteras  dimissoriales  ad  ordines  suscipien- 
dos  a  quocumque  sacro  Aniistiie  gratiam  et  commimionem  habente 
cum  Apostolica  Sede,  dummodo  Episcopus  diœcesis  in  cujus  limi- 
tibus  pia  domus  ordinandi  reperitur,  a  sua  sede  abfuerit,  vel  habi- 
turus  7io}ifuerit  ordinatidnem,  juxta  decretum  Clementis  'VIll,diei 
13  mariii  1596  (13  julii  1894)  [1]. 

Utrum  alumni  institutorum  votorum  simplicium,  quorum 
Episcopus  diœcesanus  abest  aut  ordinationem  non  est  babi- 
turus,  possint,  ad  instar  regularium,  libère  dimitti  a  supe- 
rioribus  suis  ad  Episcopum  alienum,  ad  tramitem  decreti 
Clementis  VIII,  diei  13  martii  1396  et  constitutionis  ImposiH 
nobis  Benedicti  XIV,  diei  febr.  1747. 

R.  Provisum  in  prœcedente  (!3  julii  1  894). 

Utrum  alumni  institutorum  votorum  simplicium,  qui  so- 
luti  ab  officio  quod  exercebant  in  bac  vel  illa  domo  insti- 
tuti,  convocantur  in  domum  matricem  instituti,  ut  ibi  per 
brève  tempus  exspectent  translationem  suam  ad  aliam  domum 
aliudque  officium,  possint  légitime  ordinari  ab  Episcopo  diœ- 
cesano hujus  domus  matricis,  non  obstante  precariabrevitate 
commorationis  ? 

R.  Providebitur  in  casibus  pariicularibus  (13  julii  1894). 

Utrum  nuiic,  post  decretum  Awc<2s,  conditio  excorporationis 
ordinandi  a  propria  diœcesi  quae  per  indulta  saepe  imponitur 
alumnisiiistitutorum votorum  simplicium,  ut  ad  ordines  a  su- 
it) L'absence  de  l'évêque,  ou  son  intention  de  ne  pas  faire  l'ordi- 
nation,  doit  être  attestée  par  le  chancelier  ou  par  le  vicaire  gônéial. 


—  132  — 

jierioribus  suis  dimitti  possint,  facta  sit  ita  inutilis  ut  non 
amplius  obliget? 

R.  Affirmative  (13  julii  1894). 

Utrum  in  ordinations  alumnorum  religiosorum  ex  iis  insti- 
tutis  quae  vota  simpliciataiilum  emittunt,  requirantur  liltera; 
testimoniales  ordiuariorum,in  quorum  diœcesibus  hi  alumni 
tanto  tempore  morati  sunt  ut  canonicum  impedimentum  con- 
trahere  ibi  potueriiit,  ad  normam  constitutionis  Apustolicœ 
Sedis  de  suspensionibus,  vel  potius  sufficiant  litterœ  dimisso- 
riales  superioris  generalis  quin  requirendae  siat  dictas  testi- 
moniales? 

R.  Négative  ad  primam  parlera,  affirmative  ad  sccundam. 
(Mart.  189S). 


MISSIONS 

DE  LÀ  CONGRÉGATION 

DES  OBLATS  DE  MARIE  IMMACULEE 


N"  142.  —  Juin  1898 


LE  CHAPITRE  GÉNÉRAL  DE  1898. 

L'événement  le  plus  considérable  de  l'année  1898, 
dans  l'histoire  de  notre  Congrégation,  sera  certainement 
la  tenue  du  Chapitre  général  qui  s'est  ouvert,  à  Paris, 
le  15  mai  dernier,  et  qui  a  clôturé  sa  longue  et  féconde 
session,  le  soir  du  samedi  28  mai,  veille  de  la  Pentecôte. 
Cette  assemblée  capitulaire,  la  plus  nombreuse,  pour  ne 
pas  dire  la  plus  imposante,  que  notre  famille  religieuse 
ait  vue  depuis  ses  origines,  tirait  une  importance  excep- 
tionnelle des   circonstances   douloureuses  qui   avaient 
amené  sa  convocation  prématurée.  La  première  de  ses 
attributions,  et  aussi  la  plus  grave,  était  de  désigner  le 
troisième  successeur  de  notre  vénéré  Fondateur.  Elle 
devait  ensuite  se  préoccuper  d'assurer  la  stabilité  et 
les  progrès  des  fondations  opérées  dans  ces  dernières 
années,  le  développement  et  l'affermissement  de  l'esprit 
religieux  au  sein  de  nos  communautés  que  la  Provi- 
dence se  plaît  à  multiplier  et  à  semer  sur  toutes  les 
plages  du  globe. 

T.  XXXVI.  10 


—  134  — 

C'était  une  tâche  délicate  et  laborieuse  ;  aussi  n'était-il 
pas  un  membre  du  Chapitre  qui  ne  fût  profondément 
pénétré  de  l'importance  de  sa  mission,  des  responsabi- 
lités dont  elle  le  chargeait,  et  qui  ne  fût  résolu  à  remplir 
son  mandat  au  mieux  des  intérêts  sacrés  qu'il  repré- 
sentait. 

Dès  le  dimanche  15  mai,  notre  maison  générale, 
toujoilts  si  hospitalière,  présentait  une  animation 
inaccoutumée;  ses  nombreuses  cellules  étaient  presque 
toutes  occupées,  et  les  salles  de  communauté  paraissaient 
trop  étroites  pour  contenir  tous  les  hôtes  que  le  Chapitre 
lui  amenait  des  diverses  contrées  de  l'univers.  Disons 
tout  de  suite,  à  la  louange  de  nos  Frères  convers,  que 
tout  avait  été  prévu  et  disposé  avec  un  ordre  parfait  pour 
les  recevoir.  Les  derniers  arrivés  firent  leur  entrée,  dans 
la  matinée  du  lundi,  et,  quand  le  T.  R.  P.  Vicaire  ouvrit 
la  première  séance  préliminaire  à  la  tenue  du  Chapitre, 
l'assemblée,  à  une  ou  deux  exceptions  près,  était  au 
complet. 

Quel  spectacle  offrait,  à  cette  heure,  la  modeste  salle 
capitulaire  de  la  maison  générale  I  Toute  la  famille  était 
là.  Elle  y  était,  non  seulement  par  les  représentants  des 
centaines  de  fils  qu'elle  compte  actuellement  dans  les 
cinq  parties  du  monde,  mais  encore  avec  toute  la  glo- 
rieuse lignée  de  ses  ancêtres  qui  l'ont  illustrée  par  leurs 
vertus,  après  l'avoir  fondée  et  solidement  assise  au  prix 
des  plus  rudes  labeurs. 

Tous  les  yeux  et  tous  les  cœurs  allaient  spontanément 
vers  l'image  aimée  de  notre  vénéré  Fondateur,  dont  la 
noble  figure  dominait  l'assemblée  et  paraissait  dire  à 
chacun  de  ces  fils  que  le  Cœur  de  Jésus  lui  avait  donnés  : 
Filioli  mei,  qiios  iterum  partu?'io,  donec  formetur  Christus 
in  vobis  (Gai.  iv.)  Tous  les  yeux  et  tous  les  cœurs  allaient 
vers  le  disciple  privilégié  de  M«'  de  Mazenod,  l'héritier 


—  135  — 

de  soii  esprit  et  de  son  autorité,  celui  qui,  pendant  les 
trente  années  d'une  administration  féconde,  avait  sou- 
vent évoqué  dans  notre  esprit  le  mot  de  l'Évangile  : 
Biscipulus  illenon  moritur.  ToUs  les  yeux  et  tous  les  cœurs 
allaient  vers  l'image  du  regretté  P.  Soullier,  retourné 
à  Dieu  si  prématurément,  il  y  a  huit  mois.  Entré  dans 
notre  famille  religieuse  alors  que  notre  jénéré  Fonda- 
teur la  gouvernait  et  l'édifiait  encore  par  ses  vertus,  il 
pouvait  nous  redire,  dans  ses  enseignements,  la  parole 
de  saint  Jean  que  nul  de  ses  successeurs  n'aura  la 
consolation  de  répéter  :  Quodfuit  ah  initio,  quod  audivi- 
mus,quodvidimus  ocuh's  nostri's,  quod perspeximus  etmanus 
nostrx  contrectaverunt,  annuntlamus  vobis  (Joan.  i,  1). 
Tous  les  yeux  et  tous  les  cœurs  appelaient  et  cherchaient 
l'élu  de  Dieu  qui  aurait  la  mission  de  maintenir  vivants 
parmi  nous,  l'esprit,  les  vertus,  les  traditions  de  notre 
premier  père  et  de  ses  deux  successeurs  immédiats,  de 
faire  revivre  leur  dévouement,  de  nous  rendre  leur  cœur 
paternel,  de  nous  dédommager  de  leur  disparition,  de 
nous  prouver  que  la  mort  les  avait  donnés  au  ciel  sans 
les  ravir  complètement  à  la  terre,  puisque  nous  avions 
la  joie  de  redire  :  Mortuus  est  Pater,  et  quasi  non  mor- 
tuus,  reltquit  enim  similem  sibi  post  se. 

Que  dire  de  l'allocution  émue  que  le  T.  R.  P.  Vicaire 
adresse  à  l'assemblée  de  ses  Frères,  pour  leur  souhaiter 
la  bienvenue,  inaugurer  leurs  travaux  et  leur  confier  à 
la  fois  les  tristesses  et  les  espérances  qui  agitaient  en  sens 
divers  son  esprit  et  son  cœur  !  Si  consolante,  en  effet, 
que  fût  la  vue  de  cette  réunion  d'apôtres  et  de  mission- 
naires, elle  évoquait  néanmoins  des  souvenirs  qui  voilaient 
les  figures  de  deuil  et  emplissaient  les  yeux  de  larmes. 
Au  banc  des  assistants  généraux,  une  place  demeurait 
vide.  Comment  oublier,  à  cette  heure,  le  souvenir  du 
bon  P.  VoiRiN  si  rapidement  et  si  inopinément  ravi  à 


—  136  — 

notre  affection  et  aux  œuvres  de  zèle,  presque  à  la  veille 
(lu  Chapitre?  Sa  vie  fut  un  long  acte  de  dévouement  et 
sa  mort  un  très  méritoire  sacrifice.  Payons  un  tribut  de 
reconnaissance  à  sa  chère  mémoire. 

Dans  les  rangs  des  capitulants,  une  place  encore 
devait  demeurer  inoccupée,  et  quelle  place  !  Parti  plein 
de  jeunesse,  de  santé,  de  force  physique  et  d'énergie 
morale,  pour  se  rendre  à  Paris,  le  R.  P.  Schoch,  préfet 
apostolique  du  Transvaal,  terrassé,  à  la  fleur  de  l'âge, 
par  une  fièvre  maligne,  était  mort  quelques  jours  avant 
d'atterrir  à  Suez.  Il  était  mort  seul,  loin  de  ses  frères, 
sans  prêtre  pour  consoler  son  agonie,  bénir  son  dernier 
soupir,  jeter  une  goutte  d'eau  bénite  et  prononcer  une 
suprême  prière  sur  sa  dépouille  mortelle.  Il  était  mort 
loin  de  la  terre  trempée  de  ses  sueurs, [loin  des  néophytes 
qu'il  avait  convertis  et  baptisés  et  qui  auraient  gardé 
aussi  précieusement  son  sépulcre  qu'ils  conserveront  le 
souvenir  de  ses  vertus.  Qu'importe  toutefois  que  les  flots 
de  la  mer  Rouge  et  non  pas  la  terre  d'Afrique  se  soient 
ouverts  pour  recevoir  le  corps  inanimé  de  cet  apôtre  de 
l'Évangile,  puisque  l'Écriture  nous  apprend  que  les 
restes  mortels  de  tous  ceux  qui  ont  vaillamment  exercé 
la  paternité  des  âmes  reposent  dans  la  paix  de  Dieu  : 
Corpora  ipsorum  in  pace  sepulta  sunt  (Eccli.  xliv,  14). 

Mentionnons  encore  l'absence  bien  involontaire  du 
R.  P.  DucoT,  délégué  au  Chapitre  par  le  vicariat  d'Atha- 
baskaw-Mackenzie.  Perdu  au  milieu  des  glaces  des  ré- 
gions polaires,  il  n'a  pas  pu  être  informé  assez  tôt  que 
l'assemblée  capitulaire  était  devancée,  pour  arriver  en 
temps  utile  à  Paris.  Ce  nouveau  sacrifice  ajoutera  un 
fleuron  à  la  couronne  de  gloire  de  cet  intrépide  mission- 
naire. 

Quoiqu'ainsi  diminué,  le  Chapitre  général  de  189S, 
comptait  encore  quarante-deux  membres.  Leurs  noms 


—  137  -. 

appartiennent  désormais  à  l'histoire  de  la  famille.  Qu'on 
nous  permette  de  les  énumérer  ici  : 

C'était  d'abord  le  T.  R.  P.  Antoine,  vicaire  général  de 
la  Congrégation,  depuis  la  mort  du  regretté  P.  Soullier. 
Son  âge,  ses  vertus,  son  dévouement,  les  travaux  d'un 
laborieux  ministère  en  Amérique  et  en  France,  sa  par- 
faite connaissance  de  nos  œuvres  lui  ont  fait  une 
auréole  de  vénération  qui  a  facilité  l'exercice  de  son 
autorité. 

A  ses  côtés,  siégeaient,  à  titre  d'assistants  généraux  : 

Le  R.  P.  AuGiER,  Cassien,  missionnaire  à  la  façon  de 
saint  Paul,  et  qui,  après  de  longs  et  pénibles  voyages 
pour  visiter  nos  missions  d'Asie,  d'Afrique  et  d'Australie, 
a  droit  de  dire,  comme  le  grand  apôtre  :  Instantia  mea 
quotidiana  sollicitudo  omnium  ecclesiarum  ; 

Le  R.  P.  Tatin,  également  versé  dans  la  connaissance 
de  la  langue  anglaise  et  de  la  langue  française,  et  à 
cause  de  cela,  trait  d'union  aimé  et  vénéré  entre  les  deux 
fractions  de  la  famille  qui  lui  ont  voué  et  lui  garderont 
toujours  la  plus  absolue  reconnaissance. 

Au  banc  de  l'administration  générale  avaient  encore 
pris  place  : 

Le  R.  P.  Sardou,  qui  a,  depuis  trente-cinq  ans,  au 
périlleux  contact  de  l'or,  merveilleusement  pratiqué  la 
loi  du  détachement  évangélique; 

Le  R.  P.  Joseph  Lemius,  qui,  par  sa  science  théologique 
de  bon  aloi,  sa  fine  bonhomie  et  son  aimable  diplo- 
matie, a  su  conquérir  et  conserver,  à  Rome,  des  sympa- 
thies qui  nous  demeurent  précieuses. 
:  Venaient  ensuite,  à  une  place  d'honneur,  nos  vénérés 
évoques  ou  vicaires  apostohques,  au  nombre  de  huit. 
C'étaient,  dans  l'ordre  des  préséances  : 

Ms""  Langevin,  le  jeune  et  intrépide  archevêque  de 
Saint-Boniface,  qui  fait  volontiers  sienne,  à  l'adresse 


—  138  — 

d'un  gouvernement  tracassier,  pour  ne  pas  dire  persé- 
cuteur, la  belle  parole  de  Tertullien  :  Non  te  timemus 
qui  nec  ten^emus; 

W  JoLivET,  vicaire  apostolique  de  Natal  et  le  patriar- 
che de  l'épiscopat  africain,  au  sein  duquel  il  brille  par 
la  distinction  de  ses  manières,  l'affabilité  de  son  abord 
et  un  zèle  apostolique  que  les  années  sont  incapables  de 
ralentir  ; 

M^""  DuRiEU,  évêque  de  New-Westminster,  qui  a  créé  et 
a  vu  grandir  et  prospérer  sur  le  territoire  de  la  Colombie 
Britannique  des  communautés  chrétiennes  qui  font  re- 
vivre celles  aujourd'hui  éteintes  du  Paraguay; 

Me'  Gaughran,  premier  vicaire  apostolique  de  l'État 
libre  d'Orange,  oîi  il  confie  laborieusement  à  la  terre 
la  semence  des  abondantes  moissons  que  récolteront 
avec  joie  et  reconnaissance  ses  successeurs  de  l'avenir; 

M^'  Grquard,  vicaire  apostolique  de  l'Âlhabaskaw- 
Mackenzie,  où  il  poursuit  depuis  trente-six  ans  l'œuvre 
de  l'évangélisation,  in  labore  et  xrianna,  in  vigiliis 
multis,  in  famé  et  siti,  in  jejuniis  jnultis,  m  frigore  et 
nuditate  ; 

Ms""  Pascal,  vicaire  apostolique  de  la  Saskatchewan, 
immense  territoire  sur  lequel  il  déploie  les  rares  trésors 
d'énergie,  de  foi  et  de  persévérance  qui  sont  le  trait 
caractéristique  de  ces  fortes  races  du  Vivarais,  au  sein 
desquelles  la  Providence  plaça  son  berceau; 

M^rJouLAlN,  évêque  de  Jaffna(Geylan),  qui  a  déjà  rendu 
en  partie  à  son  diocèse,  récemment  démembré,  la 
féconde  vitalité  dont  il  jouissait  précédemment; 

MB""  INEGAL,  évêque  de  Pogla  et  vicaire  des  Missions  de 
Saint-Albert,  dont  nous  ne  dirons  rien,  sinon  que  le 
vénéré  M^""  Grandin  l'aime  comme  un  fils  et  se  réjouit  de 
voir  passer  entre  ses  mains  la  houlette  pastorale  qu'il  a 
si  virilement  tenue  lui-même,  pendant  quarante  ans. 


—  139  — 

Après  Nosseigneurs  les  évêques  avaient  immédiate- 
ment pris  place  : 

Le  R.  P.  HerrmaniV,  pro-préfet  apostolique  de  la  nais- 
sante préfecture  de  la  Cimbébasie; 

Le  R.  P.  CÉNEZ,  préfet  apostolique  du  Basutoland. 

Ces  deux  Missions  sont  encore  à  leurs  débuts.  Mais  la 
Congrégation  a  confié  leur  avenir  à  deux  hommes  d'ac- 
tion. Pour  confirmer  notre  dire,  nous  en  appelons  avec 
confiance  à  l'historien  du  futur  Chapitre  général. 

A  la  suite  des  préfets  apostoliques,  siégeaient  les  pro- 
vinciaux, par  ordre  d'oblation,  C'étaient  : 

Le  R.  P.  GuiLLARD,  provincial  des  États-Unis,  dont 
l'aimable  simplicité  et  les  pittoresques  réparties  faisaient 
les  délices  de  tous  ses  confrères  ; 

Le  R.  P.  Lavillardière,  provincial  de  la  première 
province  de  France,  qui  a  déployé  au  sein  du  Chapitre, 
où  il  remplissait  les  fonctions  de  secrétaire,  les  belles 
qualités  littéraires  qui  donnent  à  sa  parole  d'apôtre  un 
charme  si  persuasif; 

Le  R.  P.  Miller,  le  jeune  provincial  de  la  province 
britannique  auquel  le  Chapitre  donnera,  avant  de  se 
séparer,  une  marque  non  équivoque  de  son  estime  et  de 
sa  sympathie; 

Le  R.  P.  Favier,  provincial  de  la  deuxième  province 
de  France,  qui  rendra  à  la  Congrégation,  dans  l'avenir, 
de  non  moins  précieux  services  que  par  le  passé; 

Le  R.  P.  JoDoiN,  provincial  du  Canada,  la  belle  et  flo- 
rissante province  qui  peut  donner  aux  vicariats  voisins 
son  or  et  ses  sujets  sans  craindre  de  trop  s'appauvrir 
elle-même; 

Le  R.  P.  ScHARSCH,  premier  provincial  de  la  jeune 
province  d'Allemagne  dont  il  symbolise,  en  sa  personne, 
la  vitalité  et  les  espérances  ; 

Le  R.  P.  Bell,  vicaire  des  missions  de  Colombo  qui 


^  140  — 

forment,  grâce  à  son  dévouement  et  à  celui  des  Pères 
placés  sous  son  obédience  et  sous  lajuridiction  du  vénéré 
Me'  Mélizan,  le  plus  beau  diocèse  de  l'Orient. 

Aux  provinciaux  succédaient  les  quatre  doyens  d'âge 
pris  parmi  les  supérieurs  de  la  Province  où  le  défunt 
supérieur  général  avait  son  domicile.  C'étaient  : 

Le  R.  P.  Rey,  qui  déploie  à  développer  le  pèlerinage 
de  Pontmain  la  sainte  ardeur  qu'il  avait  mise  à  étendre 
sur  toute  la  France  l'œuvre  du  Vœu  national; 

Le  R.  P.  DE  La  Couture,  dont  les  paroissiens  d'Arca- 
chon  expérimentent,  depuis  un  quart  de  siècle,  le  zèle 
apostolique; 

Le  R.  P.  Anger,  le  directeur  toujours  plus  aimé  et 
plus  estimé  des  œuvres  de  la  Sainte-Famille  ; 

Le  R.  P.  Gandar,  qui  a  façonné  verbo  et  exemplo,  soit 
au  noviciat  de  Notre-Dame  de  l'Osier,  soit  au  scolasticat 
de  Liège,  tant  de  jeunes  Oblats  à  la  pratique  des  vertus 
religieuses. 

Enfin,  l'assemblée  capitulaire  comprenait  seize  délé- 
gués envoyés  par  les  diverses  provinces  ou  vicariats. 
C'étaient  dans  l'ordre  des  préséances  déterminées  par  la 
Règle  : 

Le  R.  P.  Ring,  de  la  province  britannique  ; 

Le  R.  P.  Bach,  de  la  province  d'Allemagne  ; 

Le  R.  P.  Lauzon,  de  la  province  du  Canada  ; 

Le  R.  P.  BoNNALD,  du  vicariat  de  la  Saskatchewan  ; 

Le  R.  P.  Smitb,  de  la  province  des  États-Unis  ; 

Le  R.  P.  Lemius,  J.-B.,  délégué  par  le  Basutoland  ; 

Le  R.  P.  HuGONARD,  du  vicariat  de  Saint-Boniface  ; 

Le  R,  P.  Fayard,  du  vicariat  de  la  Colombie  britan- 
nique ; 

Le  R.  P.  Mérer,  du  vicariat  de  Saint-Albert  ; 

Le  R.  P.  Baffie,  de  la  première  province  de  France; 

Le  R.  P,  Porte,  de  l'État  libre  d'Orange  ; 


—  141  — 

Le  R.  P.  Trabaud,  de  la  préfecture  du  Transvaal; 

Le  R.  P.  Brûlé,  de  la  deuxième  province  de  France  ; 

Le  R.  P.  MuRRAY,  du  vicariat  de  Natal; 

Le  R.  P.  WiLKiNSON,  du  vicariat  de  Colombo  ; 

Le  R.  P.  Maingot,  du  vicariat  de  Jaffna. 

De  chacun  de  ces  humbles  religieux  que  leurs  Frères 
avaient  élus  et  adjoints  aux  provinciaux  ou  aux  vicaires 
des  missions  pour  les  représenter  au  Chapitre  général, 
on  pouvait  redire  la  parole  que  l'apôtre  saint  Paul  écri- 
vait autrefois  à  propos  de  saint  Luc  :  Misimus  eliam  cum 
illo  fratrem  cujus  laus  est  in  Evangelio  per  omnes  ecclesias 
(II  Cor.,  vni,  18).  Au  chef  de  notre  province,  nous  avons 
associé  un  de  nos  frères  dont  toutes  nos  communautés 
reconnaissent  les  mérites  et  proclament  les  vertus. 

Ce  fut  donc  devant  cette  petite  assemblée  de  quarante  et 
un  religieux  Oblals  que,  dans  la  matinée  du  lundH6mai, 
le  T.  R.  P.  Antoine,  vicaire  général  de  la  Congrégation, 
déclara  ouvert  notre  seizième  Chapitre  général.  Après 
un  filial  hommage  rendu  à  la  mémoire  toujours  vivante 
de  notre  saint  Fondateur  et  du  vénéré  P.  Fabre,  son 
premier  successeur,  le  T.  R.  P.  Vicaire  évoqua,  avec  tout 
son  cœur,  le  souvenir  du  bon  P.  Soullier  auquel  nous 
allions,  dans  trois  jours,  donner  un  successeur.  Sa  pa- 
role et  ses  conseils  furent  religieusement  écoutés  ;  puis, 
l'assemblée  aborda  la  vérification  des  pouvoirs  des  délé- 
gués, qu'elle  reprit  et  acheva  dans  une  courte  séance, 
le  mercredi  matin. 

Toutes  les  élections  furent  trouvées  parfaitement  ré- 
gulières ;  le  Chapitre  pouvait  donc  ouvrir  sa  longue  et 
importante  session. 

La  circulaire  qui  le  convoquait  portait  que  les  trois 
jours  des  Rogations  seraient  consacrés  à  la  prière,  au 
silence,  à  la  réflexion.  Sans  doute,  chacun  des  membres 
de  l'assemblée  capitulaire  avait,  depuis  plusieurs  mois, 


—  142  -- 

dans  son  esprit  et  dans  son  cœur,  le  nom  du  candidat 
qu'il  jugeait  le  plus  digne  de  recueillir  les  suffrages  de 
ses  frères  et  de  présider  aux  destinées  de  la  Congréga- 
tion. Néanmoins^  durant  ces  derniers  jours,  tous  sen- 
taient plus  vivement  l'importance  de  l'acte  qu'ils  allaient 
émettre  et  la  responsabilité  dont  il  les  chargerait  devant 
Dieu,  devant  leur  conscience  et  devant  leurs  Frères. 

Renfermés  au  cénacle,  sous  le  regard  invisible  de 
Jésus  et  la  maternelle  présidence  de  Marie,  ils  médi- 
taient, ils  se  consultaient  discrètement,  ils  priaient  sur- 
tout et,  comme  autrefois  les  apôtres,  ils  disaient  à  Pieu 
avec  tout  l'élan  de  leur  cœur  ;  Tu,  Domine,  qui  corda 
nosti  omnium,  oslende  quem  elegeris  accipere  locum  minis- 
letni  ejus.  On  ne  nous  croirait  pas,  si  nous  disions  que 
l'élu  de  Dieu  fut  manifesté  à  tous,  dès  la  première  heure. 
Mais,  à  mesure  que  les  jours  s'écoulaient,  le  Saint-Esprit 
opérait  son  œuvre.  Que  de  prières  appelèrent  cette  heu- 
reuse unanimité  des  esprits?  «  Jamais, depuis  que  je  suis 
Oblat,  nous  disait  un  membre  du  Chapitre,  je  n'avais 
récité  tant  de  chapelets.  » 

Persévérant  dans  la  retraite,  dans  la  prière  et  l'union 
à  Marie,  comme  autrefois  les  apôtres,  les  membres  de 
l'assemblée  capitulaire  croyaient  fermement  que  le 
Saint-Esprit  serait  avec  eux  pour  les  inspirer,  au  matin 
du  19  mai.  Le  résultat  de  l'élection  a  démontré  que 
leur  croyance  était  fondée. 

Enregistrons  ici  le  pieux  hommage  rendu  par  les 
membres  du  Chapitre,  pendant  le  cours  de  leur  retraite, 
à  la  mémoire  vénérée  du  T.  R.  P.  Soullier,  dont  le  sou- 
venir vivait  dans  tous  les  cœurs,  dont  le  nom  revenait 
si  fréquemment  sur  toutes  les  lèvres.  Un  service  solennel 
de  Requiem  fut  célébré,  à  son  intention,  le  18  mai,  dans 
la  chapelle  de  la  maison  générale.  Le  jour  précédent, 
le  même  hommage  fraternel  avait  été  donné  à  la  mé- 


i 


—  143  — 

moire  de  l'excellent  P.  Schoch,  dont  nous  avons  men- 
tionné plus  haut  le  douloureux  trépas. 

Le  grand  jour  de  l'Ascension  se  lève  enfin.  Les  pre- 
mières heures  en  sont  consacrées,  comme  les  jours  pré- 
cédents, à  la  méditation  et  à  la  célébration  de  la  sainte 
messe.  A  9  heures,  tous  les  membres  du  Chapitre  se 
réunissent  dans  la  chapelle  intérieure  de  la  maison  gé- 
nérale pour  assister  à  la  messe  conventuelle  prescrite  par 
la  Règle.  C'est  le  T.  R.  P.  Vicaire  général  qui  est  à  Tau- 
tel.  Après  la  messe,  silence  pendant  une  demi-heure. 
Vers  10  heures,  au  signal  de  la  cloche,  tous  les  élec- 
teurs se  réunissent  encore  à  la  chapelle,  y  prient  quelques 
instants,  puis  se  rendent  silencieusement  à  la  salle  capi- 
tulaire.  Avant  d'y  entrer,  ils  ont  la  joie  de  saluer  le  dé- 
légué du  Transvaal,  le  R.  P.  Trabaud,  qu'une  fièvre  ma- 
ligne avait  cloué,  à  Suez,  sur  un  lit  d'hôpital  et  qu'ils 
avaient  désespéré  de  voir  prendre  part  à  leurs  délibé- 
rations. Avec  une  énergie  de  volonté  qu'on  ne  saurait 
trop  admirer,  il  avait  allronie  xu,  "J'^'->^  du  long  voyage 
qui  devait  l'amener  de  Suez  à  Paris,  afin  de  mettre  son 
vole  dans  l'urne  et  de  coopérer  à  donner  un  chef  et  un 
père  à  notre  famille. 

Tous  les  électeurs  prennent  place  dans  la  salle  capitu- 
laire.  Le  T.  R.  P.  Vicaire  leur  adresse  quelques  paroles 
de  circonstance;  puis,  il  leur  propose  la  vérification  de 
la  délégation  du  P.  Trabaud.  Cette  formalité  prélimi- 
naire accomplie,  tous  les  membres  du  Chapitre  se  met- 
tent à  genoux  et  récitent  le  Veni  Creator. 

Le  scrutin  est  aussitôt  ouvert.  Chacun  des  électeurs 
capitulaires  s'approche  successivement  de  l'urne,  et 
avant  d'y  déposer  son  bulletin,  signé  et  scellé,  jure,  de- 
vant le  crucifix,  qu'il  vote  pour  celui  qu'il  juge  le  plus 
digne  de  la  charge  de  supérieur  général. 

Rien  de  plus  solennel  et  déplus  émouvant  que  ce  ser- 


—  144  — 

ment  redit  à  haute  voix  par  ces  missionnaires  venus  de 
toutes  les  parties  du  monde,  et  qui  vont  jurer  une  invio- 
lable obéissance  au  chef  qu'ils  se  donnent  librement. 

Quelques  minutes  après,  l'élection  était  acquise,  et  le 
résultat  en  était  proclamé,  au  milieu  des  applaudisse- 
ments de  toute  l'assistance,  par  le  T.  R.  P.  Vicaire  gé- 
néral. Le  T.  R.  P.  AuGiER,  Gassien,  devenait,  par  la  vo- 
lonté de  Dieu  et  l'élection  de  ses  frères,  le  troisième 
successeur  de  M?""  de  Mazenod. 

Le  nouvel  élu  s'agenouille  aussitôt  pour  réciter  la  pro- 
fession de  foi,  d'après  la  formule  édictée  par  Pie  IV,  et 
jure  de  maintenir  en  France  le  siège  du  gouvernement 
de  la  Congrégation,  à  moins  que  la  volonté  du  Souve- 
rain Pontife  n'en  décide  autrement. 

Avant  d'admettre  les  membres  du  Chapitre  à  l'obé- 
dience, ainsi  que  le  veulent  nos  Saintes  Règles,  le  nou- 
veau Supérieur  général  se  prosterne  aux  pieds  de  Nos- 
seigneurs les  évêques  qui,  tous  ensemble,  prononcent 
sur  lui  les  paroles  de  la  bénédiction  pontificale,  puis  ils 
lui  donnent  l'accolade  fraternelle,  en  silence  et  avec  une 
émotion  qui  mouille  leurs  yeux  de  larmes.  Tous  les  prê- 
tres viennent  alors  successivement  s'agenouiller  devant 
lui  et  baiser  respectueusement  sa  main,  en  signe  de 
filiale  déférence. 

Le  T.  R.  P.  Général  prend  alors  la  parole.  Nous  n'en- 
treprendrons pas  d'analyser  cette  première  allocution 
jaillie  du  cœur  de  notre  Père.  Une  reproduction,  même 
sténographique,  n'en  donnerait  qu'une  idée  amoindrie 
et  décolorée.  Comment  traduire  au  dehors  l'émotion  des 
auditeurs,  le  saisissement  de  l'orateur  et  les  merveil- 
leuses transformations  que  Tesprit  de  foi  opérait  en  ce 
moment-là  dans  tous  les  cœurs  !  Ce  n'était  plus  un  frère 
que  nous  écoutions,  mais  un  père  dont  nous  connais- 
sions le  dévouement,  dont  nous  admirions  la  modestie 


l 


—  145  — 

et  dont  nous  étions  heureux  de  nous  dire  les  fils.  En 
lui,  nous  revoyions  vivant  et  plein  de  jeunesse  notre  vé- 
néré Fondateur  ;  en  lui,  nous  étions  heureux  de  saluer 
une  riche  floraison  d'œuvres  et  d'espérances  pour  notre 
chère  famille  religieuse.  0  Père  vénéré  et  tendrement 
aimé,  qui  avez  assumé  par  obéissance  la  responsabilité 
de  nos  âmes,  acceptez  l'hommage  de  notre  filiale  recon- 
naissance et  le  désir  que  nous  avons  de  ne  jamais  volon- 
tairement aggraver  le  fardeau  qui  pèsera  désormais  sur 
vos  épaules  ! 

La  récitation  du  Te  Deum  termina  cette  réunion  qui 
demeurera  mémorable  dans  nos  annales,  comme  celle 
du  5  décembre  1861  et  celle  du  H  mai  1893.  Le  nouveau 
Supérieur  général  donna  alors  l'accolade  fraternelle  à 
chacun  des  membres  du  Chapitre,  heureux  maintenant 
d'être  et  de  se  dire  ses  fils. 

Tandis  que  le  télégraphe  apportait  à  nos  communautés 
de  l'un  et  l'autre  hémisphère  la  joyeuse  annonce  que 
nous  avions  un  père,  et  un  père  selon  le  cœur  de  Dieu, 
les  membres  du  Chapitre  se  félicitaient  d'avoir  été  appe- 
lés à  concourir  à  ce  grand  acte,  et  remerciaient  Dieu,  à 
la  chapelle,  de  cette  nouvelle  bénédiction  qu'il  voulait 
bien  donner  à  notre  famille  et  à  nos  œuvres. 

Midi  venait  de  sonner.  Dire  la  joie  et  la  cordialité  qui 
marquèrent  ces  fraternelles  agapes  serait  à  la  fois  inu- 
tile et  impossible.  Quand  le  repas  toucha  à  sa  fin,  le 
T.  R,  P.  Antoine  se  leva,  au  milieu  du  silence  de  tous. 
Après  s'être  déclaré  modestement  —  trop  modeste- 
ment —  incapable  de  porter  un  toast  à  notre  vénéré 
Père,  au  nom  de  toute  la  famille,  il  exécuta  un  mouve- 
ment tournant  oratoire  très  habile,  et  céda  gracieuse- 
ment son  tour  de  parole  à  M?""  l'archevêque  de  Saint- 
Boniface.  Tout  le  monde  connaît  l'affection  qui  unit 
Me-'LANGEviN  au  T.  R.  P.  Augier;  tout  le  monde  connaît 


—  146  — 

aussi  le  beau  talent  de  parole  que  la  nature  lui  a  donné. 
Son  allocution,  vibrante  de  sentiment  et  d'une  délica- 
tesse de  pensée  qui  dépassait  encore  l'élégance  de  la 
forme,  fut  souvent  saluée  par  d'unanimes  applaudisse- 
ments. Tous  les  cœurs,  on  le  sentait,  battaient  à  l'unis- 
son de  celui  du  jeune  et  vaillant  archevêque.  Nossei- 
gneurs les  évêques,  les  chefs  des  diverses  provinces  ou 
vicariats  prirent  ensuite  successivement  la  parole,  pour 
renouveler  leur  hommage  lige  et  déposer  aux  pieds  du 
nouveau  Supérieur  général  les  vœux  des  communautés 
et  des  provinces  dont  ils  étaient  les  représentants.  Les 
deux  doyens  d'âge  du  Chapitre,  les  RR.  PP.  Rey  et  Ring, 
prirent  ensuite  la  parole,  le  premier  en  français,  le  se- 
cond en  anglais,  pour  saluer  l'aurore  du  nouveau  géné- 
ralat.  Le  R.  P.  Lemius,  au  nom  des  associés  du  Vœu  na- 
tional, pria  le  T.  R.  P.  Augier  de  vouloir  bien  accepter  le 
titre  de  Supérieur  général  du  Sacré-Cœur  ;  le  R.  P.  Roux, 
Victor,  se  fit  l'interprète  de  la  communauté  de  Paris, 
et  le  R.  P.  Soulerln,  écartant  discrètement  le  voile  de 
modestie  sous  lequel  son  humilité  se  complaît  à  trouver 
un  abri,  salua  le  nouveau  supérieur  général  ((  non  pas, 
dit-il  finement,  du  haut  de  ma  taille,  mais  du  haut  de 
mes  cinquante  années  de  sacerdoce  et  d'oblation  ». 

Un  toast  particulièrement  touchant  et  que,  pour  ce 
motif,  nous  nous  faisons  une  joie  de  mentionner  ici,  fut 
celui  de  Ms^"  Légal  qui  prit  la  parole,  au  nom,  dit-il,  de 
tous  nos  chers  Frères  convers.  Ces  membres  de  la  fa- 
mille, les  plus  humbles  devant  les  hommes,  mais  non 
pas  les  moins  méritants  devant  Dieu,  étaient  dignes 
d'avoir  un  tel  interprète.  Nous  les  félicitons  bien  sincère- 
ment d'avoir  parlé,  pour  la  première  fois,  auT.R.  P.  Gé- 
néral par  des  lèvres  aussi  augustes  et  aussi  habiles  dans 
l'art  du  bien  dire. 

Cette  journée  de  l'Ascension,  qui  demeurera  inscrite 


—  147  — 

en  lettres  d'or  daiis  les  dyptiques  de  la  Congrégation  j  se 
termina  dans  la  joie,  dans  la  prière  et  les  hymnes  de  re- 
connaissance. Les  membres  du  Chapitre  profitèrent  de 
ces  quelques  heures  de  répit  pour  faire  leur  pèlerinage 
à  Montmartre  ou  à  Notre-Dame  des  Victoires,  visiter  les 
principaux  sanctuaires  de  Paris  et  goûter  un  peu  de  repos 
entre  les  jours  de  retraite  qui  avaient  précédé  et  les  jours 
de  travail  qui  allaient  suivre. 

Dès  le  vendredi  matin  20  mai  commencèrent,  en  effet, 
les  délibérations  du  Chapitre  général.  De  ces  longues 
séances  qui  duraient,  en  moyenne,  trois  heures  chacune 
et  qui  se  succédaient,  matin  et  soir,  sans  une  demi- 
journée  d'interruption,  nous  ne  pouvons  donner  que  la 
physionomie  extérieure.  C'est  au  Père  de  la  famille  de 
communiquer,  dans  la  mesure  où  il  le  jugera  opportun, 
le  résultat  des  délibérations  qui  ont  eu  lieu  sous  sa  pa- 
ternelle présidence  et  son  intelligente  direction.  Disons 
seulement  que  chaque  membre  du  Chapitre  a  eu  pleine 
liberté  de  formuler  ses  opinions  et  ses  vues,  de  les  ex- 
poser, de  les  défendre,  de  mêler  sa  voix  à  tous  les  dé- 
bats, de  poser  de  nouvelles  questions,  d'élargir  le  thème 
de  celles  qui  étaient  proposées.  La  courtoisie  la  plus 
délicate  ou,  pour  mieux  dire,  la  charité  la  plus  attentive 
veillait  à  écarter  toute  parole  qui  aurait  pu  causer  un 
froissement,  éveiller  une  susceptibilité  ou  créer  un  mal- 
entendu. Même  quand  les  manières  de  voir  étaient  di- 
vergentes, les  cœurs  demeuraient  unis.  Les  orateurs  qui 
demandaient  la  parole  cherchaient  le  triomphe  de  la 
vérité  et  non  pas  la  satisfaction  de  leur  vanité.  C'était  un 
vrai  conseil  de  famille,  où  des  enfants  étroitement  unis 
se  consultent  et  délibèrent  sur  les  moyens  les  plus  ef- 
ficaces de  faire  prospérer  leurs  intérêts  communs.  A  voir 
cette  assemblée  si  calme  dans  l'accomplissement  de  son 
mandat,  on  avait  le  sentiment  bien  marqué  de  la  pré- 


—  148  — 

sence  de  Dieu  au  milieu  de  ses  membres,  de  Dieu  qui 
se  plaît  à  grouper  sous  un  même  toit  des  cœurs  faits  pour 
vivre  juxtaposés  :  Deus  qui  inhabitare  facit  unius  moris  in 
domo  (Ps.  LXVII) .  Quand  cette  assemblée  capitulaire  n'au- 
rait pas  eu  d'autre  résultat  que  de  cimenter  l'union  entre 
les  membres  de  la  famille,  pourrait-on  l'accuser  d'avoir 
été  stérile  ?  Mais  elle  a  eu  et  elle  aura  d'autres  consé- 
quences. 

Dès  le  premier  jour,  le  T.  R.  P.  Général,  dans  un  rap- 
port très  détaillé  et  très  documenté,  fit  passer,  devant 
les  membres  du  Chapitre,  le  tableau  complet  et  vivant 
du  personnel  et  des  œuvres  de  la  Congrégation.  Après 
l'avoir  entendu,  comment  ne  pas  nous  écrier  avec  saint 
Paul  :  Deo  gratias,  qui  semper  tinumphat  nos  in  Christo 
Jesu  et  odorem  notitix  suse  manifestât  per  nos  in  omni 
loco  (II  Cor.,  n,  14). 

Le  R.  P.  Procureur  général  prit  ensuite  la  parole  pour 
exposer  l'état  financier  de  la  Congrégation.  La  bonne 
Providence  a  veillé  sur  ses  enfants;  continuons  à  espérer 
en  sa  maternelle  tendresse. 

Les  provinciaux  et  les  vicaires  des  Missions  lurent 
ensuite  et  commentèrent  leurs  rapports,  exposant  les 
progrès  de  l'Evangile  sur  leurs  territoires  respectifs, 
énumérant  leurs  succès  et  aussi  leurs  déceptions,  leurs 
joies  et  leurs  tristesses,  leurs  espérances  et  leurs  ap- 
préhensions. Ces  rapports  d'un  poignant  intérêt  et  dont 
chaque  ligne  exhale  un  suave  parfum  d'édification  seront 
communiqués  à  la  famille  et  insérés,  du  moins  en  grande 
partie,  dans  les  annales  de  la  Congrégation.  A  les  lire, 
nos  Pères  éprouveront  les  mêmes  sentiments  que  nous 
avons  goûtés  en  les  entendant. 

Parmi  les  incidents  que  l'historien  du  Chapitre  de  1898 
a  le  devoir  de  noter  et  de  relater,  mettons  en  première 
ligne  la  bénédiction  pontificale  que  le  Souverain  Pontife 


—  149  — 

Léon  XIII  a  bien  voulu  nous  accorder  et  qui  nous  a  été 

apportée  par  une  dépêche  de  M^'  Volpini,  secrétaire  de 
Sa  Sainteté  pour  les  lettres  aux  princes,  un  ami  et  un 
bienfaiteur  de  notre  chère  Congrégation.  Les  membres 
du  Chapitre  entendirent,  debout  et  dans  un  profond 
sentiment  de  vénération,  la  lecture  de  la  dépêche  signée 
parle  secrétaire  pontifical.  Longue  vie  à  Léon XIII  dont 
la  mémoire  demeure  associée  à  celle  de  Léon  XII  dans 
le  souvenir  reconnaissant  de  notre  famille  religieuse  1 

Notons  aussi  les  télégrammes  ou  les  lettres  adressées 
au  T.  R.  P.  Général,  par  Son  Éminence  le  cardinal 
Oreglia  di  San  Stephano,  qui  a  pris  notre  maison  de 
Rome  et  toute  la  Congrégation  sous  sa  bienveillante  et 
si  efficace  protection;  par  M^""  Balaïn,  dont  les  vertus 
épiscopales  jettent  tant  de  luslre  sur  la  famille  dont 
il  demeure  toujours  le  fils  aimé  et  dévoué  ;  par 
Son  Éminence  le  cardinal  archevêque  de  Bordeaux;  par 
M^''  l'évêque  de  Nancy,  etc.,  etc. 

Nous  n'aurons  garde  d'oublier  la  lettre,  si  profondé- 
ment imprégnée  de  l'esprit  religieux,  que  le  vénérable 
évêque  de  Saint-Albert,  M^'  Grandin,  avait  adressée  par 
anticipation  à  l'élu  que  le  Saint-Esprit  préposerait  au 
gouvernement  de  la  Congrégation.  Cette  lettre,  véri- 
table monument  de  piété  filiale,  a  droit  à  prendre  place 
dans  nos  archives.  QueM^''  l'évêque  de  Saint-Albert  daigne 
accueillir  nos  remerciements  pour  l'édification  que  sa 
parole  écrite  nous  a  donnée  ! 

Qu'on  nous  permette  d'enregistrer  aussi  un  témoi- 
gnage de  vénération  filiale  qui  marqua  la  séance  du 
matin,  le  21  mai.  Ce  jour  ramenait  le  trente-septième 
anniversaire  de  la  sainte  mort  de  notre  vénéré  Fonda- 
teur. Sur  la  proposition  faite  par  un  de  ses  membres, 
le  Chapitre  récita  le  Magnificat^  pour  remercier  Dieu 
des  grâces  qu'il  avait  accordées  au  Père  de  noire  fa- 

T.    XXXVI.  11 


—  ISO  — 

mille  et  par  lui  à  tous  les  enfants  qu'il  a  comptés  ou 
qu'il  compte  actuellement  sur  la  terre. 

Trois  jours  plus  tard,  dans  la  matinée  du  24  mai,  tous 
les  membres  du  Chapitre  assistèrent,  dans  la  basilique 
du  Vœu  national,  à  Montmartre,  au  service  funèbre 
organisé  par  le  comité  du  Vœu  national  pour  le  repos  de 
l'âme  du  regretté  P.  Voirin.  Une  assistance  d'élite  et 
profondément  recueillie  se  pressait  dans  la  nef.  Les 
membres  du  Chapitre  occupaient  la  droite  du  cata- 
falque. La  messe  fut  chantée  par  le  R.  P.  Joseph  Lemius, 
et  l'absoute  donnée  par  Sa  Grâce,  M»""  Langevin,  arche- 
vêque de  Saint-Boniface. 

Dans  la  soirée  du  vendredi  27  mai,  le  T.  R.  P.  Supé- 
rieur Général  put  enfin  annoncer  que  la  série  des  affaires 
soumises  aux  délibérations  du  Chapitre  était  épuisée  et 
que  l'élection  des  membres  de  l'administration  géné- 
rale aurait  lieu  le  lendemain.  La  Congrégation  connaît 
déjà  le  résultat  de  ces  diverses  élections  et  son  approba- 
tion a  pleinement  ratifié  le  choix  fait  par  ses  représen- 
tants dans  le  Chapitre. 

Les  RR.  PP.  Antoine,  Tatin,  Gandar  et  Miller  furent 
donc  proclamés  assistants  généraux,  pour  une  période 
de  six  années,  et  le  R.  P.  Sardou  maintenu  procureur 
général  pour  le  même  laps  de  temps. 

Le  R.  P.  Lemius,  Joseph,  donna  alors  lecture  d'une 
adresse  au  Souverain  Pontife  qu'il  avait  rédigée  dans  un 
style  digne  de  Lactance,  et  au  bas  de  laquelle  tous  les 
membres  du  Chapitre  apposèrent  leur  suscriplion.  M^'^  Jo- 
LiVET,  U^*  Grouard  et  M^f  Joulain  donnèrent  connais- 
sance des  lettres  de  remerciement  adressées  par  eux,  au 
nom  du  Chapitre  général  tout  entier,  à  M"^  la  présidente 
de  l'Œuvre  apostolique,  à  Me""  le  directeur  de  l'œuvre  de  la 
Sainte-Enfance  et  aux  membres  du  bureau  central  de  la 
Propagation  de  la  foi. 


—  451  — 

Les  délibérations  du  Chapitre  étaient  closes.  Confor- 
mément aux  prescriptions  de  la  règle,  le  T.  R.  P.  Gé- 
néral prononça  à  haute  voix  la  formule  de  la  bénédiction 
solennelle,  et  l'assemblée  se  sépara,  mais  non  pas,  toute- 
fois, définitivement.  Il  lui  restait,  en  effet,  un  grand 
acte  à  accomplir.  Le  Chapitre  de  1873  avait  consacré  la 
Congrégation  au  Sacré  Cœur.  Les  Chapitres  suivants 
avaient  eu  à  cœur  de  suivre  cet  exemple  et  de  renou- 
veler cette  consécration.  La  réunion  capitulaire  de  1898 
ne  pouvait  pas  briser  cette  tradition,  surtout  en  ce  vingt- 
cinquième  anniversaire  de  la  première  consécration. 

La  basilique  de  Montmartre  vit  donc,  le  samedi  28  mai, 
veille  de  la  Pentecôte,  à  11  h.  1/2  du  matin,  le  T.  R.  P.  Au- 
GiER,  entouré  de  ses  quatre  assistants  nouvellement  élus 
ou  réélus,  de  Nosseigneurs  les  évêques  et  de  tous  les 
membres  du  Chapitre,  se  prosterner  devant  l'autel  du 
Sacré  Cœur,  brillamment  illuminé  pour  redire  la  solen- 
nelle consécration  de  toute  notre  famille,  à  son  amour 
et  à  son  culte.  Le  nombre  des  adorateurs  fournis  par  la 
ville  de  Paris  était,  à  cette  heure  tardive,  très  petit  dans 
la  nef.  Mais,  dans  le  sanctuaire,  combien  de  peuples  ci- 
vilisés ou  de  tribus  encore  sauvages  étaient  représentés  ! 
Que  le  Cœur  de  Jésus,  roi  et  centre  de  tous  les  cœurs, 
attire  à  lui  plus  fortement,  les  pasteurs  et  les  brebis,  les 
missionnaires  et  les  âmes,  à  la  poursuite  desquelles  ils 
fatiguent  leurs  pas  ! 

Quelques  minutes  plus  tard,  soixante  Oblats  étaient 
assis,  autour  de  la  même  table,  dans  le  modeste  réfec- 
toire des  chapelains  du  Vœu  national.  Leur  aimable  su- 
périeur, le  R.  P.  J.-B,  Lemius,  avait  retenu  sur  la  sainte 
montagne  tous  les  membres  du  Chapitre,  et  y  avait  ap- 
pelé encore  tous  les  Oblats  présents  à  Paris,  afin  de  cou- 
ronner par  un  repas  fraternel  cette  réunion  plénière 
de  toute  la  famille. 


—  152  — 

En  effet,  l'heure  de  la  dispersion  et  du  départ  allait 
sonner  pour  cette  phalange  de  missionnaires  que  les 
âmes  et  les  œuvres  appelaient  hors  du  cénacle.  Ce  fut 
le  R.  P.  Lemius  qui  leur  adressa  le  suprême  adieu.  Ja- 
mais sa  parole  n'avait  été  plus  chaude,  plus  imagée,  plus 
tendre  en  même  temps  et  plus  affectueuse.  Depuis  le 
T.  R.  P.  Général  jusqu'au  plus  humble  membre  de  la 
famille,  en  traversant  tous  les  degrés  de  la  hiérarchie, 
nul  ne  fut  oublié,  dans  cette  nomenclature  des  per- 
sonnes, des  œuvres,  des  mérites  et  des  sacrifices.  Aussi, 
dans  sa  réponse  pleine  d'à-propos,  le  T.  R.  P.  Général 
put-il  lui  redire  ce  mot  qu'il  avait  entendu  tomber  des 
lèvres  d'un  chef  de  tribu,  sur  la  terre  d'Afrique  :  «  Tu  as 
tout  dit,  et  tu  as  bien  dit.  »  Les  applaudissements  et  les 
sanglots  avaient  tour  à  tour  interrompu  cette  magni- 
fique péroraison  apposée  par  le  R.  P.  Lemius,  aux  déli- 
bérations de  l'assemblée  eapitulaire.  11  avait  tout  dit,  et 
il  avait  bien  dit. 

Une  teinte  de  mélancolie  était  sur  toutes  les  figures. 
Puisqu'il  est  si  doux  pour  des  frères  d'habiter  ensemble, 
pourquoi  l'heure  de  la  séparation  est-elle  si  prompte  à 
sonner?  Hélas  !  pour  beaucoup,  cette  séparation  et  ce 
départ  ne  seront-ils  pas  définitifs  ?  Ne  pouvons-nous  pas 
nous  dire  les  uns  aux  autres  comme  l'apôtre  saint  Paul 
aux  habitants  de  Milet  :  ^  Je  sais  que  vous  ne  verrez  plus 
ici-bas  mon  visage  mortel?  » 

N'y  aurait-il  pas,  du  moins,  quelque  moyen  d'empor- 
ter de  cette  réunion  eapitulaire  un  souvenir  sensible  et 
qui  la  rende,  à  toute  heure,  visible  et,  pour  ainsi  dire, 
vivante  aux  yeux  de  ceux  qui  y  ont  participé  ?  Acquies- 
çant gracieusement  à  la  demande  formulée  par  nos 
pères  des  missions  étrangères,  le  T.  R.  P.  Général  dé- 
cida que  tous  les  membres  du  Chapitre  se  feraient  pho- 
tographier dans  un  groupe  qui  serait  un  mémorial  du 


—  133  — 

commun  labeur  auquel  ils  s'étaient  livrés  sous  le  regard 
de  Dieu.  Appendue  sur  les  murailles  nues  de  la  pauvre 
demeure  des  missionnaires,  cette  photographie  leur 
rappellera  la  famille,  les  liens  indissolubles  qui  les  unis- 
sent à  leurs  frères  disséminés  sur  toute  la  surface  du 
globe,  le  zèle  que  chacun  doit  apporter  à  l'accomplisse- 
ment de  l'œuvre  que  l'obéissance  lui  a  assignée. 

Il  ne  restait  plus  qu'à  signer  les  actes  de  l'assemblée 
capitulaire.  Les  membres  du  Chapitre  le  firent,  au  soir 
de  ce  même  jour  ;  et  aussitôt  commença  la  série  des 
départs  qui  allaient  rendre  peu  à  peu  les  missionnaires 
à  leurs  provinces  et  à  leurs  vicariats. 

A  l'heure  où  paraîtront  ces  lignes,  beaucoup  d'entre 
eux  auront  déjà  repris  le  cours  habituel  de  leurs  tra- 
vaux. Nos  yeux  ne  les  verront  peut-être  jamais  plus,  mais 
notre  cœur  n'oubliera  jamais  le  feu  de  leur  zèle  et  le 
charme  de  leur  vertu. 


RAPPORTS   PRÉSENTÉS  AU  CHAPITRE  GÉNÉRAL  DE  1898. 

Le  rapport  du  T.  R.  P.  Vicaire  général  aurait  ici  sa 
place;  mais,  à  cause  de  son  importance,  il  sera  publié 
dans  une  circulaire  que  le  T.  R.  P,  Général  se  propose 
d'adresser  à  la  Congrégation. 

Nous  passons  donc  aux  autres  rapports,  en  commen- 
çant par  nos  Missions  étrangères. 

Rapport  du  vicariat  de  la  Saskatcnewan. 

Évêché  de  Prince-Albert,  février  1898. 

En  commençant  ce  rapport  sur  le  vicariat  de  la  Sas- 
katchewan,  j'éprouve  le  besoin  de  demander  aux  véné- 
rables membres  du  Chapitre  la  plus  indulgente  charité. 

Pour  me  conformer  au  désir  exprimé  par  le  Révéren- 


—  154  — 

dissime  Vicaire,  je  commence  ce  compte  rendu  par 
l'énoncé  des  faits  saillants  consignés  dans  le  Codex  his- 
toriens du  vicariat  de  la  Saskatchewan,  depuis  le  dernier 
Chapitre  général  de  1893. 

Le  premier  en  date  a  été  la  visite  du  Révérendissime 
Supérieur  général  qui  vient  de  nous  quitter  pour  un 
monde  meilleur,  et  dont  la  mort  inattendue  a  plongé  la 
famille  entière  dans  un  si  grand  deuil.  Le  T.  R.  P.  Soul- 
LiER  était  accompagné  du  R.  P.  Antoine,  alors  deuxième 
assistant.  Cette  visite,  toute  courte  qu'elle  a  été,  puis- 
qu'elle s'est  bornée  à  notre  seule  maison  de  Prince- 
Albert,  nous  apporta  beaucoup  de  joie  et  fut  la  source 
de  nombreuses  grâces  et  de  précieux  encouragements 
pour  notre  vicariat  naissant.  Nous  eûmes  sans  doute 
l'immense  regret  de  ne  pas  connaître  l'époque  de  cette 
visite  précieuse  assez  longtemps  à  l'avance,  afin  de  la 
faire  partager  à  un  plus  grand  nombre  de  Pères  et 
de  Frères  du  vicariat.  La  moitié  à  peu  près  eurent  la 
consolation  de  voir  et  contempler  le  chef  vénéré  de  la 
famille,  de  recevoir  ses  sages  conseils  et  les  bénédic- 
tions du  Père  que  le  bon  Dieu  venait  de  nous  donner. 
La  retraite  prêchée  par  le  P.  Antoine  nous  fit  un  grand 
bien.  Sa  parole  enflammée  et  tout  apostolique  contribua 
merveilleusement  à  développer  dans  le  cœur  des  mis- 
sionnaires l'amour  de  la  Congrégation,  le  zèle  du  salut 
des  âmes  et  leur  apprit  h  estimer  la  croix,  le  sacrifice 
et  les  privations  qui  sont  le  pain  quotidien  de  l'apôtre 
missionnaire.  Nous  étions  heureux  et  nous  eussions  dé- 
siré voir  tous  les  Oblats  du  vicariat  partager  notre  bon- 
heur. 

Nous  profitâmes  du  séjour  de  nos  distingués  visiteurs 
pour  leur  faire  bénir  la  première  pierre  de  l'édifice  que 
nous  habitons  aujourd'hui  et  qui  a  remplacé  la  demeure 
par  trop  modeste  qui  nous  abrita  pendant  quatre  ans. 


—  l5o  -^ 

C'est  à  l'occasion  de  cette  visite  que  fut  décrété  l'aban- 
don ou  mieux  le  démembrement  de  la  résidence  de 
Saint-Laurent-Grandin,  autrefois  chef-lieu  de  district. 
Cet  abandon,  fait  du  consentement  des  autorités  pre- 
mières, s'imposait  pour  plusieurs  motifs,  et  particulière- 
ment à  cause  de  la  pénurie  de  sujets  et  du  voisinage  des 
Missions  de  Saint-Louis  de  Langevin,  de  Saint-Antoine 
de  Batocbe  et  du  Saint-Cœur  de  Marie  au  lac  des  Ca- 
nards, où  le  R.  P.  Paquette  ouvrait  une  école  gouver- 
nementale pour  les  enfants  indiens,  école  dont  nous 
parlerons  plus  loin. 

Depuis  le  dernier  Chapitre,  nous  avons  été  honorés  de 
la  visite  du  vénérable  évêque  de  Saint-Albert. 

Me'  V.  Grandin,  le  doyen  de  l'épiscopat  canadien,  a 
daigné  monter  jusqu'à  nous.  Cette  visite  nous  a  été  bien 
précieuse  et  nous  en  conservons  le  meilleur  souvenir. 
Peu  de  temps  après,  M^""  E.  Grouard,  accompagné  du 
grand  apôtre  de  l'Ouest,  le  révérend  et  cher  P.  Lacombe, 
venait,  lui  aussi,  passer  la  journée  du  22  novembre  au- 
près du  pauvre  vicaire  apostolique  de  la  Saskatchewan. 
Cette  visite  toute  de  charité  et  d'amitié  fraternelle  nous 
permit  d'épancher  nos  cœurs  et  de  les  unir  par  les  doux 
liens  de  la  plus  sincère  affection,  sous  le  regard  du  pon- 
tife et  martyr  le  glorieux  saint  Albert.  Nos  meilleurs 
remerciements  à  ces  nobles  et  dignes  visiteurs. 

Le  personnel  du  vicariat  a  vu  plusieurs  changements 
s'opérer  dans  ces  cinq  dernièresannées.  LesRR.  PP.  Blais, 
Lebret,  Lecoq  et  Micdel  sont  allés  exercer  leur  zèle  sous 
des  climats  meilleurs.  Le  plus  pénible  de  ces  départs  a 
été  celui  du  regretté  P.  Jouan  pour  l'éternité.  Jeune  mis- 
sionnaire, plein  de  talents,  de  zèle  et  de  bonne  volonté, 
ce  cher  Père,  sur  qui  nous  fondions  de  grandes  espé- 
rances, est  mort  au  début  de  sa  carrière  sacerdotale  et 
apostolique,  nous  laissant  le  cœur  tout  édifié  de   ses 


—  156  — 

vertus,  mais  l'âme  brisée  et  inconsolable  de  la  perte  d'un 
tel  ouvrier.  Il  n'est  pas  remplacé  !  Cette  perte  laisse  la 
Mission  de  Saint-Jean-Baptiste,  à  l'Ile  à  la  Crosse,  dans 
un  état  de  gêne  incroyable. 

Parmi  nos  bons  Frères  convers,  ces  auxiliaires  dévoués 
et  précieux  de  la  famille,  nous  en  avons  un  qui  a  été 
atteint  d'un  mal  bien  pénible,  mal  qui  a  nécessité  son 
départ  d'au  milieu  de  nous.  Le  R.  P.  Allard,  vicaire 
général  de  Saint-Boniface,  a  daigné  veiller  sur  le  cher 
malade  et  a  enfin  réussi,  après  bien  des  démarches,  à  le 
faire  accepter  dans  une  de  ces  maisons  où  la  charité  est 
exercée  par  des  mains  religieuses.  Là,  le  cher  malade 
trouvera  tous  les  secours  spirituels  dont  il  aura  besoin, 
si  l'état  de  sa  santé  le  permet.  Les  dernières  nouvelles 
reçues  nous  laissent  sans  espoir  de  guérison.  Que  le 
R.  P.  Allard  reçoive  ici  l'expression  de  notre  vive  gra- 
titude au  nom  du  vicariat  et  de  la  Congrégation. 

État  général  du  vicariat. 

Le  vicariat  de  la  Saskatchewan  est  composé  de  deux 
parties  bien  distinctes  :  le  Nord  et  le  Sud,  où  le  climat 
est  bien  différent.  Dans  la  première  comme  dans  la  se- 
conde, nous  comptons  deux  districts  :  l'un  à  l'Est  et 
l'autre  à  l'Ouest.  Nous  le  divisons  ainsi,  non  pas  parce 
que  le  nombre  d'ouvriers  qui  s'y  dépensent  est  considé- 
rable, mais  à  cause  de  leur  éloignement  et  de  l'impossi- 
bilité où  nous  sommes  de  les  centraliser  tout  en  désirant 
leur  union. 

Les  deux  districts  du  Nord  et  du  Nord-Est  sont  et  se- 
ront toujours  des  pays  de  missions  pour  les  Indiens, 
sans  espoir  de  colonisation,  tant  à  cause  des  rigueurs 
du  climat  que  de  la  nature  même  du  sol  qui  ne  se  prête 
pas  du  tout  à  la  culture.  Ce  sont  les  districts  de  l'Ile  à 
la  Crosse  et  du  Cumberland. 


—  157   — 

Les  deux  districts  du  Sud  et  du  Sud-Ouest,  que  nous 
nommons  l'un  district  de  Prince-Albert  et  l'autre  district 
de  Battleford,  sont  mieux  partagés  sous  tous  les  rap- 
ports. Le  climat  y  est  moins  sévère  en  hiver. Le  sol,  très 
fertile  en  général,  les  nombreux  pâturages  qui  avoisinent 
les  lacs,  y  attirent  chaque  année  de  nombreux  colons. 
Les  familles  que  l'Europe  nous  a  envoyées  paraissent 
satisfaites  de  leur  nouvelle  patrie  et  oublient  volontiers 
les  oignons  d'Egypte.  Une  nouvelle  voie  ferrée,  déjà 
bien  avancée,  est  à  la  veille  de  nous  atteindre.  Cette 
nouvelle  ligne,  en  ouvrant  la  belle  et  petite  vallée  de  la 
Saskatchewan  et  en  reliant  Prince-Albert  et  Battleford  à 
Edmonton,  avec  le  portage  Laprairie  comme  point  de 
départ,  sera  la  cause  d'un  grand  changement  dans  la 
partie  sud  du  vicariat.  Depuis  trois  ou  quatre  ans  que 
l'immigration  se  porte  dans  nos  contrées,  nous  voyons 
déjà  plusieurs  centres  de  paroisses  se  dessiner. Toutefois 
le  travail  est  lent  chez  nous  et  nous  ne  sommes  pas 
inondés  de  flots  humains  comme  certaines  parties  des 
plaines  du  Nord-Ouest.  Faut-il  en  gémir?  Il  nous  semble 
que  non;  car,  s'il  en  était  ainsi,  nous  ne  pourrions  suf- 
fire aux  besoins  spirituels  de  tant  d'âmes,  faute  de  prê- 
tres et  de  moyens  pour  les  soutenir. 

Depuis  quatre  ans,  je  cherche  à  connaître  le  nombre 
exact  de  la  population  du  vicariat  de  la  Saskatchewan  ; 
voici  le  fruit  de  mes  recherches,  et  je  suis  heureux 
d'offrir  à  la  Congrégation  et  aux  membres  de  ce  véné- 
rable Chapitre  le  chiffre  le  plus  approximatif  de  la  popu- 
lation catholique,  prolestante  et  païenne  qui  habite  le 
vicariat  confié  par  l'Église  et  la  Congrégation  à  notre 
sollicitude  pastorale. 

Pardonnez-moi,  mes  révérends  Pères^  cette  page  fas- 
tidieuse, mais  qui  a  son  intérêt. 


—  158  — 

TABLEAU  DE  LA  POPULATION. 


ci  D" 


ô  rt 


Prince-Albert,  Mission  du  Sacré-Cœur 420  1600  150 

Lac  Canard,  Saint-Cœur  de  Marie 7o0  60  120 

Saint-Louis  et  Domremy 480  15      » 

Batoche,  Mission  de  Saint-Antoine 600  40  225 

Saskatoon  et  Fish-Creek 185  150  300 

Station  de  Rostherne 5  1000  monomites 

Battleford,  Saint-Vital 493  900  250 

Lac  Brochet,  Saint-Léon 160  25  250 

Battleford,  Réserves blo  390  400 

Lac  Maskeg,  Notre-Dame  de  Pontmain 320  500  400 

Lac  Vert,  Saint-Julien 260  50  500 

Ile  à  îa  Crosse,  Saint-Jean-Baptiste 800  25      » 

Portag-e  la  Loche,  Notre-Dame  de  la  Visitation.  460  15      » 

Cumberland,  Saint-Joseph 440  900  800 

Lac  Pélican,  Sainte-Gertrude 450  30      ÎO 

Nelson,  l'Assomption 150  200  200 

Lac  Fendu 5  200  300 

Lac  Caribou,  Saint-Pierre 800  »        « 

Churchill • 10       400  800 

York  Factory w  300  400 

Stoney-Crpek , 60  100  150 

Fort  Lacorne 50  120  120 

Lacs  Montréal  et  Larouge 25  600      » 

Rivière  CaiTote 13  500       » 

Sainte-Catherine 12  300      » 

Esquimaux  à  l'est  des  lacs  Caribou,  Alhabaska  et  le  grand  lac  des 
Esclaves  et  sur  le  littoral,  environ  1500  païens. 
Total  particulier:  7473  catholiques;  8  440  protestants;  7  083  païens. 
Total  général:  24200  âmes. 

Ce  qui  frappe  le  plus  dans  cette  nomenclature,  c'est 
le  chiffre  total  relativement  modeste  de  £4  000  âmes. 
C'est  peu,  en  effet,  si  on  le  compare  aux  immenses  popu- 
lations du  Céleste  Empire  et  même  aux  peuplades  du 
noir  continent.  D'un  autre  côté,  il  faut  avouer  que  notre 
vicariat,  qui  mesure  1050  milles,  soit  1680  kilomètres 
de  l'est  à  l'ouest,  et  1 725  milles,  soit  2  740  kilomètres 
du  nord  au   sud,  pourrait  en  contenir  davantage.  Or, 


~  159  — 

c'est  la  vaste  étendue  de  ce  champ  qui  fait  notre  mal- 
heur. Si  les  âmes  étaient  moins  disséminées,  un  petit 
nombre  de  missionnaires  valides  serait  suffisant.  Dans 
les  conditions  actuelles,  avec  la  meilleure  volonté  du 
monde,  nos  missionnaires  ne  sauraient  atteindre  toutes 
les  âmes.  Que  dis-je?  Plusieurs  Indiens  désirent  le  prêtre 
et  le  demandent,  et  il  n'y  a  personne  pour  rompre  le 
pain  à  ces  infortunés  et  le  grand  nombre  doivent  se  con- 
tenter de  quelques  miettes,  c'est-à-dire  d'une  visite  an- 
nuelle. Le  littoral  de  la  baie  d'Hudson,  à  partir  d'York- 
Factory  jusqu'à  Fort-Hope,  est  certainement  peuplé 
d'Esquimaux  dont  nous  ne  connaissons  pas  le  nombre  ; 
et  jusqu'ici  les  missionnaires  n'ont  fait  aucune  appari- 
tion parmi  ces  infidèles. 

Les  dix-huit  apôtres  qui  travaillent  dans  ce  vaste 
champ  ont  beau  se  multiplier,  ils  ne  peuvent  atteindre 
cette  population.  La  dispersion  des  âmes  est  la  cause 
de  nombreux  voyages  toujours  pénibles  et  souvent  dan- 
gereux. Le  missionnaire  dépense  autant  de  temps  et  de 
peine  pour  quelques  familles  que  pour  des  centaines 
dans  d'autres  conditions. 

Rien  de  plus  méritoire  sans  doute  et  rien  de  plus 
héroïque  que  cette  vie  de  l'apôtre,  bravant  les  intempé- 
ries et  s'exposant  à  mille  périls  pour  courir  après  les 
brebis  perdues.  Ne  pourrions-nous  pas  dire  qu'à  juste 
titre  il  réalise  parfois  l'application  des  labeurs  et  des 
dangers  de  l'Apôtre  :  Periculis  fluminum,  pet'iculis  latro- 
num^  periculis  ex  génère,  periculis  ex  gentibus^  periculis 
in  civitate,  periculis  in  solitudine,  periculis  in  jnari,  peri- 
culis in  falsis  fj'atribus,  in  labore  et  œrumna,  in  vigiliis  miil- 
tis,  in  frigore  et  nuditate. 

La  diversité  de  langues  difficiles  à  apprendre  est  aussi 
un  des  obstacles  qui  retarde  les  progrès  de  l'Evangile 
dans  notre  vicariat,  et  qui  en  rend  l'administration  dif- 


—  160  — 

ficile.  Pour  répondre  à  tous  les  besoins,  il  faudrait  en 
savoir  sept.  Nous  avons,  en  effet,  des  Anglais,  des  Fran- 
çais et  des  Polonais;  mais  nous  avons  aussi  des  Indiens 
parlant  le  cri,  le  montagnais,  le  sioux,  le  sauteux  et 
l'esquimaux.  Aucun  de  nos  missionnaires  ne  connaît 
ces  trois  derniers  idiomes. 

Permettez-nous  maintenant  de  vous  présenter  par 
rang  d'âge  les  missionnaires  Oblats  qui  se  dépensent 
dans  le  vicariat  : 

1°  Le  R.  P.  Alphonse  Gasté,  soixante-huit  ans  ; 
2°  Le  11.  P.  Julien  Moulin,  soixante-huit  ans  ; 
3°  Le  R.  P.  Etienne  BoxALD,  cinquante  et  un  ans; 
4"  Le  R.  P.  Victor  Pineau,  cinquante  et  un  ans  ; 
5"  Le  R.  P.  MelasyppePAQUETTE,  quarante-neuf  ans; 
6°  Le  R.  P.  Henri  BiGONESSE,  quarante-huit  ans  ; 
1°  Le  R.  P.  Augustin  DuHAUT,  quarante-trois  ans; 
8°  Le  R.  P.  Joseph  Rapet,  quarante-trois  ans  ; 
9°  Le  R.  P.  Victorin  Gabillon,  quarante-deux  ans  ; 
10"  Le  R.  P.  Emile  Teston,  quarante-deux  ans  ; 
H°  Le  R.  P.  Constant  Cocho,  quarante-deux  ans; 
12°  Le  R.  P.  François  Ancel,  quarante  ans  ; 
13°  Le  R.  P.  Ovide  Charlebois,  trente-six  ans  ; 
14°  Le  R.  P.  Léandre  Vachon,  trente-quatre  ans; 
15°  Le  R.  P.  Jean-Marie  Pénard,  trente-quatre  ans  ; 
16°  Le  R.  P.  Adrien  Maisonneuve,    vingt-neuf  ans; 
17°  Le  R.  P.  François  Delmas,  vingt-huit  ans  ; 
18°  Le  R.  P.  Xavier  Simonin,  vingt-huit  ans. 
De  ce  nombre,  10  missionnaires  ont  l'immense  avan- 
tage de  résider  deux  ensemble  la  plus  grande  partie  du 
temps  (ce  sont  ceux  des  Missions  du  lac  Caribou,  du  lac 
Pélican,  du  lac  Canard,  de  Sainte-Angèle  et  de  Prince- 
Albert)  ;  les  8  autres  ont  à  parcourir  des  distances  qui 
varient  entre  40  et  150  milles,  pour  rencontrer  un  con- 
frère. Ils  sont  donc  condamnés  à  la  solitude  durant  de 


—  161  — 

longs  mois  et  soupirent  après  le  jour  oti  ils  n'auront 
plus  à  appréhender  les  dangers  et  les  pénibles  inconvé- 
nients du  vx  soli.  Ce  sont  bien  les  moines  de  la  Thé- 
baïde.  Ils  ressemblent  en  quelque  sorte  à  des  phares 
lumineux  placés  aux  quatre  coins  de  cet  immense  vica- 
riat pour  éclairer  les  âmes,  indiquer  les  écueils  et  se- 
courir les  naufragés;  au  reste,  la  comparaison  n'est  pas 
tout  à  fait  juste,  car  ils  ne  sont  pas  cloués  sur  le  rocher 
et  leur  vie  n'est  rien  moins  que  sédentaire.  Voilà  le  ba- 
taillon que  la  Congrégation  met  à  noire  disposition  pour 
combattre  les  nombreux  ennemis  qui  nous  environnent. 

Nous  avons  dans  le  vicariat  treize  résidences  avec 
église,  douze  postes  avec  chapelles  oii  le  missionnaire  se 
rend  une  fois  par  mois  ou  à  peu  près.  Nous  comptons 
aussi  vingt-deux  stations  visitées  une  ou  deux  fois  par  an. 

Nous  trouvons  au  crédit  de  nos  ouvriers  apostoliques 
comme  fruit  de  leur  travail  depuis  quatre  ans  : 

i°  La  somme  de  1  956  baptêmes,  soit  489  par  an,  en 
moyenne  ; 

2"  La  conversion  de  160  païens,  soit  46  par  an; 

3"  316  mariages,  soit  79  par  an  ; 

4°  357  confirmations,  en  quatre  années  ; 

5°  13  092  communions,  soit  3  523  par  an. 

Pour  aider  nos  Pères  dans  l'important  travail  de  l'édu- 
cation et  de  la  civilisation  de  nos  peuplades,  nous  avons 
quatre  communautés  de  religieuses  d'ordres  différents  : 

•1°  Les  Sœurs  Grises  de  Montréal,  à  l'Ile  à  la  Grosse; 

2°  Les  Fidèles  Compagnes  de  Jésus,  au  lac  des  Ca- 
nards ; 

3°  Les  Sœurs  de  l'Assomption  de  Nicolet,  à  Battle- 
ford  ; 

4°  Les  Filles   de  la  Providence   de   Saint-Brieuc,  à 
Saint-Louis. 
Ces  quatre  établissements    donnent  l'instruction   à 


—  162  — 

337  enfants.  Huit  écoles  sont  confiées  à  des  maîtres  ou 
maîtresses  laïques,  avec  un  nombre  de  195  enfants  seu- 
lement :  et,  enfin,  neuf  écoles  sont  fermées  faute  de  maî- 
tres. En  considérant  le  petit  nombre  de  nos  écoles  et  des 
enfants  qui  jouissent  du  bienfait  de  l'éducation,  il  n'est 
pas  inutile  de  rappeler  ici  les  grandes  difficultés  que 
nous  rencontrons  et  les  embarras  toujours  croissants 
que  nous  suscite  notre  gouvernement  des  territoires  du 
Nord-Ouest.  N'avoir  que  des  écoles  neutres  ou  athées, 
tel  est  le  but  poursuivi  chez  nous  comme  au  Maniloba, 
avec  une  énergie  vraiment  infernale,  par  nos  législateurs 
protestants  et  francs-maçons  pour  la  plupart. Le R.  P.Le- 
duc, vicaire  général  de  Saint-Albert,  a  sans  doute  protesté 
par  ses  paroles  et  ses  écrits  contre  l'injustice  commise 
envers  nos  catholiques  et  contre  l'asservissement  auquel 
ils  sont  assujétis,  mais  sans  succès.  Nous  voyons  chaque 
année  se  multiplier  les  difficultés  et  les  entraves  édictées 
par  un  gouvernement  hostile  à  nos  croyances  et  à  nos 
libertés  religieuses.  Depuis  les  Ordonnances  de  1892, 
nous  assistons  dannée  en  année  à  la  fermeture  de  nos 
écoles  de  la  campagne.  Gomme  au  Manitoba,nous  nous 
trouvons  déjà  dans  la  nécessité  de  bâtir  des  écoles  à  nos 
frais,  de  trouver  des  instituteurs  et  de  compléter  leur 
salaire.  Comme  l'enseignement  de  l'anglais  est  obliga- 
toire, il  s'ensuit  que  les  examens  pour  nos  candidats  à 
l'enseignement  sont  très  difficiles  ;  en  outre,  nos  mo- 
destes écoles  des  campagnes  étant  peu  lucratives,  elles 
sont  peu  recherchées  par  ceux  qui  sont  pourvus  de  di- 
plômes. Nous  constatons  avec  peine  le  triomphe  de  nos 
ennemis,  et  l'avenir  nous  donne  de  l'inquiétude.  Nous 
nous  demandons  souvent  ce  que  seront  les  générations 
futures,  si  nous  ne  faisons  rien  pour  la  conservation  de 
la  foi  et  des  principes  religieux  dans  le  cœur  des  enfants. 


—  463  — 

État  particulier  du  vicariat. 

Après  ces  réflexions  qui,  à  elles  seules,  suffiraient  pour 
donner  une  idée  de  la  situation  du  personnel  et  des  œu- 
vres du  vicariat,  qu'il  me  soit  permis  de  parcourir  ra- 
pidement les  résidences  de  chaque  district. 

i°  District  de  Prince- Albert.  —  Prince- Albert  est  le 
siège  du  Vicaire.  La  maison  qui  nous  sert  de  demeure 
n'est  ni  riche  ni  spacieuse,  mais  elle  est  convenable. 
Elle  est  le  fruit  de  la  charité.  Les  Anglais,  peu  difficiles, 
osent  lui  donner  le  titre  de  palais  épiscopal.  Le  person- 
nel qui  l'habite  se  compose  actuellement  de  deux  Pères 
et  de  deux  Frères  convers.  Ce  sont  les  RR.  PP.  Augustin 
DuHAUT  et  Adrien  Maisonneuve  et  les  Frères  Jean  et 
Auguste  DucLAUx.  Le  R.  P.  Duhaut,  notre  procureur 
vicariat  et  notre  premier  assistant,  est  arrivé  tout  der- 
nièrement parmi  nous  pour  remplacer  le  R.  P.  Michel, 
dont  la  santé  n'a  pu  se  faire  aux  rigueurs  de  nos  cli- 
mats. Qu'il  me  soit  permis  de  remercier  ici  publique- 
ment le  R.  P.  JoDOiN,  le  digne  provincial  du  Canada  qui 
a  daigné,  au  prix  d'un  sacrifice  réel,  nous  montrer  son 
désintéressement  et  sa  grande  charité  en  nous  cédant 
un  missionnaire  distingué  et  accompli  qui  nous  aidera 
puissamment  à  porter  le  lourd  fardeau  que  l'obéissance 
nous  a  imposé.  Je  fais  des  vœux  pour  que  le  bon  Dieu 
nous  le  conserve  longtemps. 

La  population  sur  laquelle  s'exerce  le  zèle  du  nou- 
veau pasteur  de  notre  église  cathédrale  est  un  composé 
de  Français,  d'Anglais,  de  Polonais,  de  métis  et  de  sau- 
vages ;  et  ces  catholiques,  au  nombre  de  430,  sont  mêlés 
ài600  protestants  de  toutes  les  sectes.  La  paroisse  occupe 
un  rayon  de  25  à  30  milles  de  chaque  côté  de  la  ville. 
Le  R.  P.  Duhaut  a  le  R.  P.  Maisonneuve  pour  vicaire, 
et  ce  dernier  s'occupe  spécialement  des  postes  circon- 


■-   164  — 

voisins  et  surtout  des  familles  de  métis  et  de  sauvages. 
Les  postes  visités  de  Prince-Albert  sont  Saskatoon, 
90  milles  ;  Stoney-Creek,  70  milles  ;  fort  Lacorne, 
40  milles;  la  Pologne,  16  milles;  le  lac  Esturgeon, 
lo  milles  et  la  rivière  Coquille,  9  milles. 

Le  service  paroissial  de  la  cathédrale  se  fait  en  anglais 
et  en  français  et  je  voudrais  pouvoir  dire  aussi  en  polo- 
nais. Les  exercices  des  mois  du  Sacré  Cœur,  de  Marie,  de 
saint  Joseph  et  du  saint  Rosaire  y  sont  bien  suivis.  Visiter 
les  malades  et  les  familles,  faire  le  catéchisme,  remplir  la 
charge  d'aumônier  des  religieuses,  tenir  la  procure  vica- 
riale,  répondre  aux  besoins  des  missionnaires  éloignés, 
surveiller  l'achat  et  l'envoi  de  leur  approvisionnement, 
prêcher  les  retraites  du  mois  et  étudier  les  langues, 
voilà  une  idée  de  l'occupation  des  Oblats  de  Prince- 
Albert.  Nous  ne  devons  pas  oublier  non  plus  que  la  mai- 
son est  également  maison  de  noviciat  pour  le  vicariat 
et  je  suis  heureux  de  pouvoir  dire  que  le  bon  Dieu  nous 
a  permis  de  cueillir  sur  les  bords  de  la  Saskatchewan 
deux  belles  fleurs,  germées  sous  le  manteau  de  Saint- 
François  Régis  dans  les  montagnes  du  Vivarais  et  qu'un 
souffle  divin  a  poussées  jusque  dans  nos  pays  lointains 
pour  leur  faciliter  le  moyen  de  devenir  membres  de  la 
famille  des  Oblats  de  Marie-Immaculée.  L'esprit  reli- 
gieux existe  à  Prince-Albert;  on  y  mène  une  vie  régu- 
lière, suivant  que  le  permettent  les  circonstances,  et  les 
Oblats  qui  habitent  la  maison  ne  sont  pas  exposés  à  per- 
dre l'esprit  de  leur  vocation. 

2°  Saint-Louis  de  Langevin,  desservi  par  le  R.  P.  Ga- 
BiLLON  a  beaucoup  augmenté  dans  ces  dernières  années. 
Les  nombreux  colons  qui  se  sont  emparés  du  sol  ont  eu 
la  malheureuse  idée  de  se  disperser  et  de  s'éloigner  les 
uns  des  autres.  Cette  population  est  donc  loin  des  égli- 
ses et  de  l'école  paroissiale  ;  elle  occupe  un  rayon  de 


—  465  — 

33  à  40  milles.  Pour  faciliter  l'éducation  des  enfants, 
nous  avons  fait  appel  à  des  religieuses  qui,  en  ouvrant 
une  école-pensionnat,  peuvent  réunir  les  enfants  éloi- 
gnés et  leur  donner  un  enseignement  chrétien.  Si  les 
moyens  nous  le  permettaient,  nous  doterions  toutes  nos 
paroisses  naissantes  de  semblables  écoles  ;  mais  hélas  ! 
nous  n'avons  pas  chez  nous  les  mines  du  Klondyke. 

3°  A  Saint-Antoine  de  Batoche,  le  R.  P.  Moulin,  qui 
porte  toujours  allègrement,  avec  ses  soixante-huit  ans, 
plus  de  quarante  années  de  campagnes  apostoliques,  est 
là  au  milieu  de  ses  nombreux  métis  qui  l'estiment  et  le 
vénèrent  comme  leur  père  et  leur  pasteur.  Saint-An- 
toine a  hérité  d'une  partie  de  Saint-Laurent. 

4°  A  Notre-Dame  de  Pontmain,  le  R.  P.  Vachon  di- 
rige un  troupeau  bien  ingrat,  composé  d'Européens,  de 
métis  et  de  beaucoup  d'Indiens.  La  prairie  est  vaste. 
C'est  grâce  à  ses  deux  bons  chevaux  qu'il  peut  atteindre 
les  brebis  dispersées  entre  les  rives  de  Garlton  et  le  lac 
du  Diable,  distants  de  près  de  60  milles.  On  voit  là  de 
belles  réserves  peuplées  de  sauvages  qui,  autrefois,  de- 
mandaient le  prêtre,  mais  qui  le  refusent  aujourd'hui, 
car  elles  sont  devenues  protestantes. 

5°  Le  lac  des  Canards  est  desservi  par  le  R.  P.  Pineau. 
Ce  cher  Père  qui  marche  dans  la  vie  depuis  plus  d'un 
demi-siècle,  n'a  plus  l'ardeur  de  la  jeunesse.  Si  le  R.  P. 
Paquette  ne  lui  prêtait  main  forte  au  besoin,  il  ne  pour- 
rait seul  suffire  à  la  besogne.  y 

Saint-Eugène  de  Carlton  et  une  partie  du  vieux  Saint- 
Laurent  sont  sous  sa  juridiction  et  lui  imposent  de  nom- 
breux voyages  pour  l'exercice  de  son  ministère. 

La  population  de  cette  paroisse  riche  par  le  nombre, 
car  elle  s'élève  au  chiffre  de  700  et  plus,  y  compris  les 
enfants  de  l'école-pensionnat,  est  bien  dispersée.  La 
moitié  environ  des  habitants  du  lac  des  Canards  sont 

T.    XXXVI.  12 


—  166  — 

des  colons  venus  de  toutes  les  parties  de  la  Franco. 
Parmi  ces  colons,  les  uns,  et  Dieu  merci,  c'est  le  grand 
nombre,  ont  apporté  des  sentiments  très  cl:jrétiens.  Ils 
donnent  à  leur  pasteur  de  grandes  consolations  ;  les  au- 
tres sont  remplis  d'indifférence  ;  ils  reçoivent  volontiers 
le  prêtre  sous  leur  toit,  mais  ne  vont  jamais  à  l'église. 
Quelques-uns,  peu  nombreux  aujourd'hui,  gardent  dans 
leur  oœur  le  dédain  et  la  mépris  pour  la  religion  et  son 
ministre.  Ils  nourrissent  ce  mauvais  levain  qui,  aube- 
soin,  peut  produire  tous  les  mauvais  fruits  dont  l'impiété 
est  capable.  Nos  sauvages  infidèles  ne  sont  pas  si  dan- 
gereux. Que  le  bon  Dieu  nous  préserve  d'une  telle  ivraie  ! 
La  Mission  du  lac  des  Canards  a  été  dotée  d'une  église  et 
d'un  presbytère  nouveaux  pour  lesquels  le  vicariat  a 
fait  de  grands  sacrifices  et  s'est  mis  dans  un  état  de  gêne 
considérable. 

Ce  rapide  aperçu  sur  la  mission  du  lac  des  Canards  ne 
serait  pas  complet,  si  nous  ne  parlions  ici  de  l'école- 
pensionuat  fondée  et  dirigée  avec  tant  de  succès,  d'ha- 
bileté et  d'abnégation  par  le  R.  P.  Mélasyppe  Paquette  . 
Ce  bon  Père  est  arrivé  au  lac  des  Canards  où  l'appe- 
lait l'obéissance  avec  13  enfants  Indiens  sur  les  bras, 
sans  savoir  où  les  loger  et  comment  les  nourrir.  Con- 
fiant en  la  divine  providence  qui  n'abandonne  pas  ses 
enfants,  le  R.  P.  Paquette  s'est  mis  à  l'œuvre  et  aujour- 
d'hui, grâce  à  son  énergie,  à  son  dévouement,  à  son  ab- 
négation, grâce  aussi  au  concours  intelligent  que  lui 
ont  donné  les  Fidèles  Compagnes  de  Jésus,  chargées  de 
l'instruction  des  enfants  ;  cette  école,  qui  est  à  la  veille 
d'avoir  100  enfants,  fait  l'admiration  de  tous  les  visi- 
teurs. Là,  nos  enfants  indiens  reçoivent  les  bienfaits 
de  la  vraie  civilisation  et  apprennent  surtout  l'art  si 
précieux  d'être  bons  chrétiens.  Les  parents  de  ces  petits 
Indiens  viennent  souvent  respirer  l'atmosphère  de  piété 


—  167  — 

qui  s'exhale  de  cette  institution  et  les  enfants  devenus 
grands  sortent  de  là  et  vont  prêcher  à  leurs  frères  encore 
infidèles  les  bienfaits  du  christianisme.  Celte  école  qui, 
on  peut  bien  le  dire,  est  encore  à  son  début,  a  déjà  fait 
un  grand  bien.  11  est  bien  regrettable  que  nous  ne  puis- 
sions pas,  faute  de  ressources,  établir  d'autres  écoles 
semblables  dans  le  vicariat  ;  car  c'est  bien  là  le  moyen 
d'atteindre  nos  sauvages  et  de  les  amener  à  la  connais- 
sance et  à  l'amour  de  notre  religion. 

Avant  de  quitter  notre  district  de  Prince-Albert,  il  est 
de  mon  devoir  de  remercier  le  R.  P.  Paquette,  au  nom 
de  toute  la  Congrégation,  de  ce  qu'il  fait  pour  le  bien 
des  sauvages  du  vicariat  de  la  Saskatchewan.  Les  Pères 
et  Frères  de  ce  district  se  réunissent  chaque  année  pour 
la  retraite  annuelle  qui  a  lieu  généralement  en  août, 
dans  notre  maison  de  Prince-Albert.  Notre  aimable  ar- 
chevêque a  bien  voulu  nous  prêter  le  R.  P.  Allard  l'été 
de  1897  pour  ce  travail  et  nous  comptons  sur  le  zèle  du 
R.  P.  Z.  Laçasse,  qui  doit  donner  les  exercices  de  la  re- 
traite cette  année,  pour  affermir  dans  le  cœur  de  nos 
Pères  et  Frères  l'amour  de  leur  sainte  vocation.  Nous 
devons  cette  faveur  inappréciable  à  M^''  l'archevêque 
de  Saint-Boniface,  notre  vénéré  métropolitain.  Qu'il 
reçoive  ici  l'expression  de  notre  profonde  gratitude  1 

2°  District  de  Battleford.  —  Au  dernier  chapitre,  ce 
district  ne  comptait  que  deux  sujets.  Ce  nombre  s'est 
accru  depuis  et  le  R.  P.  Delmas  a  été  donné  pour  socius 
au  R.  P.  GocHiN.  Ce  nouveau  missionnaire,  digne  enfant 
du  Rouergue,  plein  de  zèle  et  de  bonne  volonté,  est  le 
Timothée  du  captif  de  la  fameuse  rébeUion  de  1885. 
Les  lettres  qu'il  nous  écrit,  tout  imprégnées  du  feu  apos- 
tolique, nous  donnent  à  entendre  que  le  théâtre  est  un 
peu  vaste,  la  moisson  abondante,  mais  le  travail  rude  et 
sans  grandes  consolations.  Ces  deux  pauvres  Pères  sont 


—  168  — 

en  campagne  à  tour  de  rôle.  Ils  ne  se  réunissent  un  jour 
que  pour  se  séparer  le  lendemain.  Des  quatre  diman- 
ches de  chaque  mois,  ils  n'en  passent  qu'un  ensemble 
à  Tundertchild,  leur  centre  d'opérations.  Ils  demandent 
à  cor  et  à  cri  les  moyens  de  bâtir  une  église  convenable 
pour  pouvoir  y  déployer  un  peu  les  cérémonies  de  notre 
sainte  religion  et  frapper  les  yeux  et  toucher  le  cœur 
de  leurs  nombreux  néophytes,  dont  l'état  d'abrutisse- 
ment et  la  résistance  à  tout  argument  sont  de  nature  à 
décourager  des  missionnaires  moins  zélés.  Quel  grand 
acte  de  charité  si  une  âme  généreuse  pouvait  leur  four- 
nir de  3  à  4 000  francs  pour  ériger,  à  Tundertchild,  un 
temple  au  Seigneur  et  remplacer  la  masure  de  pièces 
brutes  qui  ne  rappelle  que  trop,  hélas!  l'étable  de  Beth- 
léem !  Quel  grand  bienfait ,  quel  encouragement  pré- 
cieux ce  serait  pour  ces  pauvres  missionnaires  !  Parmi 
les  stations  à  visiter,  les  Pères  ont,  d'un  côté,  la  rivière 
Bataille  à  traverser,  de  l'autre,  le  fleuve  Saskatchewan. 
Ces  voyages  ne  sont  pas  commodes  et  offrent  de  grands 
dangers  à  cause  des  glaces  du  printemps  et  de  l'au- 
tomne. Par  delà  le  fleuve,  se  trouve,  en  effet,  un  bon 
noyau  de  paroisse  que  nous  appelons  Saint-Léon  du 
lac  Brochet.  11  y  a  là  une  chapelle,  une  école  très  pros- 
père, et  malgré  le  grand  désir  des  nombreux  chrétiens 
qui  y  résident,  nous  ne  pouvons  leur  donner  un  prêtre 
résidant. 

Pendant  que  les  deux  Pères  se  dépensent  au  milieu 
des  Indiens,  le  R.  P.  Bigonesse,  leur  supérieur  de  dis- 
trict, fait  face  aux  besoins  de  la  Mission  Saint-Vital,  à 
Battleford.  Saint-Vital  est  une  de  nos  paroisses  les  plus 
importantes  et  les  mieux  organisées.  L'église  et  le  pres- 
bytère ont  été  restaurés  et  embellis  par  les  soins  du 
R.  P.  Pineau.  Les  catholiques,  aidés  même  des  protes- 
tants de  la  localité,  ont  réussi,  parle  moyen  d'un  bazar, 


—  169  — 

à  recueillir  une  somme  qui  a  fait  honneur  à  leur  géné- 
rosité et  à  leur  bon  esprit. 

Les  Sœurs  de  l'Assomption  de  Nicolet  dirigent,  à 
Saint-Vital,  une  école  de  120  enfants  dont  110  catho- 
liques et  10  protestants.  Ces  bonnes  religieuses,  dont 
le  dévouement  est  sans  bornes,  facilitent  le  travail  du 
prêtre  et  sont  d'un  grand  secours  pour  l'église  et  le  ser- 
vice divin. 

3°  District  de  l'Ile  à  la  Crosse.  —  Tous  les  pays  que 
nous  venons  de  parcourir  sont  dans  la  zone  tempérée 
du  vicariat.   Dans  ces  deux  districts,   nous  comptons 
10  Pères  et  5  Frères  convers,  les  autres  sont  disséminés 
parmi  les  sauvages.  A  256  milles  au  nord  de  Battleford, 
nous  entrons  dans  le  district  de  l'Ile  à  la  Crosse.  La  Mis- 
sion Saint-Jean-Baptiste  est  le  point  central  où  doivent 
se  réunir  chaque  année  les  RR.  PP.Rapet  et  Teston,  qui 
demeurent,  l'un  au  portage  la  Loche  et  l'autre  au  lac 
Vert,  c'est-à-dire  à  environ  160  milles  du  chef-lieu  du 
district.  Cette  Mission  de  l'Ile  à  la  Crosse  ne  cesse  de 
prospérer:  les  Indiens,  au  nombre  de  700  à  800,  tous 
chrétiens,  y  sont  réellement  bons.  Dans  notre  visite  pas- 
torale, en  1896,  nous  avions  la  grande  consolation  de 
distribuer,  un  même  dimanche,  la  sainte  communion  à 
300  Indiens  bien  préparés  et  le  sacrement  de  confirma- 
tion à  82.  La  semence  déposée  dans  cette  terre  lointaine 
par  NN.  SS.  Taché  et  Fapaud,   de  sainte  mémoire,  et 
également  par  NN.  SS.  Laflèche  et  Grandin,  y  produit 
des  fruits  de  salut  très  consolants.  Depuis  cinquante 
ans  que  ce  champ  est  défriché,  l'ivraie  n'y  a  jamais 
poussé,  grâce  aux  soins  et  à  la  vigilance  des  apôtres. 
Le  R.  P.  Pénard,  qui  vient  d'être  chargé  de  cette  Mis- 
sion importante,  a,  pour  l'aider,  quatre  Frères  convers, 
vrais  modèles  du  bon  religieux  et  d'un  grand  dévoue- 
ment pour  la  prospérité  matérielle  de  l'établissement. 


—  iio  — 

Deux  de  ces  chers  Frères  ont  entrepris  la  construc- 
tion d'une  église  assez  considérable  pour  remplacer 
l'ancienne  qui  ne  pouvait  plus  contenir  ses  fidèles  au 
printemps  et  à  l'automne,  époque  où  se  réunissent  les 
Indiens. 

Dans  cette  Mission  de  l'Ile  à  la  Crosse^  là-bas,  sur  un 
tertre  sablonneux,  entouré  d'une  modeste  palissade  et 
abrité  par  une  humble  croix,  reposent  les  corps  de  nos 
P.  LégeArd  et  JouAN,  morts  les  armes  à  la  main,  du 
F.  UuBÉ  et  de  plusieurs  Sœurs  Grises  de  Montréal.  Re- 
quiescoM  in  pace! 

Le  R.  P.  Rapet  au  portage  la  Loche,  le  R.  P.  Teston  au 
lac  Vert  se  dépensent  beaucoup  pour  leurs  Missions  res- 
pectives et  le  travail  ne  leur  manque  pas.  Dans  la  visite 
que  je  leur  ai  faite,  en  1896,  j'ai  admiré  la  foi,  la  piété 
et  l'amour  de  leurs  ouailles  pour  notre  sainte  religion  ; 
mais  j'ai  été  touché  et  peiné  tout  à  la  fois  de  l'état  de 
dénûment,  de  l'excessive  pauvreté  de  ces  Missions  et  des 
rudes  privations  qu'endurent  ces  dévoués  missionnaires. 
Le  bon  Père  Tfston  s'est  astreint  jusqu'ici  à  montrer  les 
premières  lellres  aux  enfants  du  village  pour  obtenir  un 
modique  secours  du  gouvernement  qui  lui  permet  de 
pouvoir  subvenir  aux  besoins  de  sa  Mission  de  Saint- 
Julien.  Le  gouvertiement,  jaloux  sans  doute  de  voir  un 
prêtre  faire  le  bien,  va  retirer  ce  salaire,  nous  dit-on, 
et  le  pauvre  Père  devra  réduire  alors  ses  dépenses,  car 
il  sera  entièrement  à  la  charge  du  Vicaire. 

4°  District  de  Cumberlarid.  —  Le  district  de  Cumber- 
land  est  le  plus  vaste  comme  étendue  et  malgré  le  zèle 
des  cinq  missionnaires  qui  s'y  dépensent  avec  tant  d'ar- 
deur et  de  dévouement,  c'est  celui  qui  contient  le  plus  de 
protestants  et  de  sauvages  infidèles  que  le  prêtre  n'a  pli 
atteindre.  Deux  Pères  résident  au  lac  Caribou,  deux  aU 
lac  Pélican  et  un  à  la  Mission  Saint- Joseph  du  lac  Cum- 


—  171   — 

berland.  Ces  Missions  sont  séparées  les  unes  des  autres 
par  des  distances  qui  varient  entre  150, 175  et  300  milles. 
11  m'a  fallu  deux  mois  et  demi,  l'été  dernier,  pour  visiter 
les  centres  principaux  de  ce  district.  Pour  atteindre  la 
Mission  Saint-Pierre  du  lac  Caribou,  le  voyageur  doit 
porter  à  dos,  environ  vingt-quatre  fois,  bagage  et  pi- 
rogue, pour  éviter  les  cascades  et  rapides  impétueux 
qui  se  rencontrent  de  temps  en  temps  sur  les  grands 
fleuves.  La  Mission  Saint-Pierre  est  le  poste  le  plus  re- 
culé du  vicariat.  Les  nouvelles  de  la  famille  n'arrivent 
là-bas  que  deux  fois  par  an.  Ce  n'est  qu'en  janvier  que 
ces  chers  exilés  ont  appris  la  nouvelle  douloureuse  de 
la  mort  de  notre  regretté  P.  Supérieur  général,  et  à 
l'automne  seulement,  ils  connaîtront  le  nom  de  celui 
que  le  bon  Dieu  vient  de  leur  donner.  En  considérant 
le  manque  de  sujets  d'un  côté,  et  la  diminution  dé  ndS 
recettes  de  l'autre,  nous  nous  sommes  un  moment  de- 
mandés si  nous  ne  devions  pas  nous  replier  et  abandon- 
ner ce  poste  reculé,  dont  l'entretien  nous  est  si  onéreux. 
Avant  d'en  venir  à  cette  pénible  décision,  nous  avons  dû 
prendre  conseil  de  notre  bien-aimé  P.  Général  et  de  ses 
assistants. 

L'adrfiinistration  n'a  pas  approuvé  notre  résolution,  et 
je  crois  qu'elle  a  eu  raison.  Voilà  plus  de  trente  ans  que 
les  missionnaires  ont  pris  pied  dans  ce  pays.  Ils  l'ont 
arrosé  de  leurs  sueurs  et  fécondé  de  leurs  souffrances  et 
de  leurs  mérites.  Les  nombreux  Indiens  de  la  tribu  des 
Montagnais  qui  fréquentent  ce  poste,  sont  de  nos  meil- 
leurs chrétiens.  Un  père  doit-il  abandonner  ses  enfants? 
L'église  si  belle,  le  presbytère  et  ses  dépendances,  le 
cimetière  où  dorment  en  silence  de  si  nombreux  chré- 
tiens, doivent-ils  être  condamnés  à  devenir  la  proie  des 
flammes  ou  tomber  entre  les  mains  des  ministres  pro- 
testants? Ce  n'est  pas  possible.  Le  bon  vieux  P.  Gasté 


et  son  aimable  compagnon,  le  cher  F.  Guillet,  qui  ont 
employé  pendant  plus  de  trente  ans  tout  ce  qu'ils  avaient 
de  force,  de  talent,  de  moyen  et  d'industrie,  au  dévelop- 
pement de  l'œuvre,  en  mourraient  de  peine  et  de  cha- 
grin. Oh  non  !  ne  leur  imposons  pas  ce  sacrifice  à  la  fin 
de  leurs  jours  ;  laissons-leur  la  gloire  et  la  douce  conso- 
lation de  finir  leur  vie  si  pleine  de  mérites  au  milieu  de 
leurs  chers  Montagnais.  Ah  !  que  n'ai-je  plutôt  un  jeune 
missionnaire  au  cœur  fort  et  à  l'âme  généreuse  qui  aille 
recueillir  ce  précieux  héritage,  et,  de  là,  porter  le  flam- 
beau de  la  foi  parmi  les  Esquimaux  de  Churchill.  Si  le 
bon  vieux  P.  Gasté,  qui,  il  y  a  cinq  ans,  était  ici  parmi 
les  membres  du  Chapitre,  voyait  s'accomplir  ce  rêve  de 
toute  sa  vie  de  missionnaire,  il  entonnerait  avec  joie  son 
Nunc  dimittis!  Le  cher  F.  Guillet,  le  doyen  des  Frères 
du  vicariat,  sert  encore  de  bâton  de  vieillesse  à  son  cher 
P.  Gasté,  mais  hélas  !  les  nombreuses  infirmités  qui  le 
font  souffrir  sans  cesse,  disent  assez  que  le  jour  des 
grandes  récompenses  approche  également  pour  lui.  Le 
R.  P.  Ancel  seul  est  valide  parmi  les  membres  de  cette 
petite  famille. 

Au  lac  Pélican,  le  R.  P.Bonald,  épuisé  et  vieux  avant 
le  temps,  continue  toujours  à  consolider  et  affermir 
l'amour  de  notre  sainte  religion  dans  l'âme  et  le  cœur 
de  ses  bons  néophytes  qu'il  a  ramenés  à  la  foi.  Les  an- 
nales de  la  famille  et  celles  de  l'œuvre  de  la  Propagation 
de  la  foi  disent  assez  haut  le  zèle  de  ce  vaillant  apôtre 
des  montagnes  et  les  bénédictions  dont  Dieu  a  couronné 
ses  efforts.  Une  mission  qui,  autrefois,  ne  comptait 
qu'une  poignée  de  catholiques  est  aujourd'hui  une  de 
nos  stations  les  plus  belles  et  les  plus  nombreuses. 
L'église  de  Sainte-Gertrude  est  devenue  trop  petite  et  là 
aussi  se  l'ait  sentir  le  besoin  d'un  temple  plus  vaste  et 
mieux  en  rapport  avec  l'importance  de  la  Mission.  Le 


—  173  — 

cœur  du  missionnaire,  toujours  altéré  et  brûlé  par  lascif 
des  âmes,  le  porte  à  étendre  au  loin  les  conquêtes  du 
saint  Évangile.  Apôtre  infatigable,  il  a  créé  des  chrétien- 
tés jusqu'au  fort  Nelson,  à  300  milles  du  lac  Pélican. 
Le  R.  P.  Xavier  Simonin,  son  jeune  et  aimable  compa- 
gnon, le  soulage  et  le  console.  Ces  chers  Pères  me  de- 
mandent un  Frère  convers  pour  qu'ils  puissent  se  dé- 
charger sur  lui  des  soucis  temporels,  les  aider  dans  leurs 
nombreux  voyages,  etc.  Mais,  hélas  !  le  nombre  de  ces 
chers  auxiliaires  est  si  petit  dans  notre  vicariat,  que  je 
me  vois  dans  l'impossibilité  de  répondre  à  leurs  légitimes 
demandes. 

Au  Cumberland^  Mission  Saint- Joseph,  nous  trouvons 
le  R.  P.  CoARLEBOis  seul  et  débordé  de  travail.  Outre 
cette  Mission,  oii  il  a  bâti  une  église  qui  lui  fait  gran- 
dement honneur,  ce  cher  Père  étend  son  zèle  aux  Mis- 
sions du  Pas,  de  la  Montagne  du  Pas,  au  lac  d'Orignal, 
au  lac  des  Cèdres,  et  enfin,  au  Grand-Rapide,  près  du 
lac  Winnipeg.  Partout,  dans  ces  différentes  réserves,  il 
a  formé  un  noyau  de  sauvages  catholiques,  qui  va  en 
augmentant.  Les  protestants  l'ont  en  haute  estime  et 
les  sauvages  païens  eux-mêmes  sont  heureux  de  sa  vi- 
site. Je  fais  des  vœux,  chaque  année,  pour  que  la  Con- 
grégation me  fournisse  les  moyens  de  lui  donner  un 
socius  qui,  en  le  tirant  du  pénible  isolement  auquel  il 
est  condamné  depuis  bientôt  dix  ans,  lui  permette  de 
consacrer  plus  de  temps  à  ses  différentes  chrétientés. 
Ce  cher  Père  a,  dans  sa  Mission  et  les  postes  qui  en  re- 
lèvent, environ  2  000  âmes  pour  sa  part,  dont  450  seule- 
ment sont  catholiques.  La  Mission  du  Grand-Rapide  est  à 
260  milles  du  Gumberland,  et,  par  delà  le  lac  Winnipeg, 
s'ouvre  le  fleuve  Nelson  jusqu'à  Yoïk-Factory,  environ 
600  milles  où  les  sauvages  ne  sont  pas  évangélisés. 
Messis  quidem  multa  operarii  autem  pauci. 


—  174  — 

RÉsuAiÉ.  -^  Par  tout  ce  que  nous  venons  de  dire,  il  est 
facile  de  comprendre  que  le  Vicariat  de  la  Saskatchewatl 
ne  s'est  pas  trouvé  en  mesure  de  faire  de  grands  progrès. 
Les  progrès  ont  consisté  à  maintenir  les  positions  ac- 
quises et  à  les  améliorer  autant  que  possible.  Nous 
n'avons  établi  aucun  poste  nouveau  à  cause  du  manque 
de  sujets  et  de  ressources.  Et  cependant  il  y  a  plusieurs 
fondations  qui  s'imposent,  par  exemple  une  au  lac  Cro- 
che, à  20  milles  au  sud-est  de  Prince-Albert  ;  Une  autre 
à  Stohey-Creck,  à  70  milles  au  sud-est  de  Prince-Albert  ; 
une  troisième  à  Churchill,  à  l'embouchUre  du  fleuve  de  ce 
nom,  pour  les  Esquimaux^  qui,  comme  nous  l'avons  dit 
plus  haut,  n'ont  pas  reçu  encore  la  visite  du  prêtre  por- 
tent* de  la  bonne  nouvelle.  Il  y  a  encore  le  poste  impor- 
tant du  lac  la  Ronge,  autour  duquel  vivent  plusieurs 
centaines  de  sauvages  encore  païens  et  qui  viendraient 
à  nous,  bien  certainement,  si  nous  pouvions  leiir  donner 
un  missionnaire.  Outré  ces  fondations,  plusieurs  de  nos 
missions  actuelles,  pour  recevoir  un  plus  entier  dévelop- 
pement, exigeraient  l'érection  de  chapelles,  à  Tundert- 
child,  au  lac  Pélican,  au  lac  A^ert;  d'autres  demandent 
des  améliorations  importantes;  ainsi  l'église  de  Saint- 
Louis,  actuellement  insuffisante  pour  répondre  aux  be- 
soins dé  la  population  qui  augmente  de  jour  en  jour. 

Lorsque  nous  avons  pris  la  charge  de  ce  vicariat  de  la 
Saskatchewan,  nous  avons  trouvé  dix-sept  ouvriers  évan- 
géliques  ;  ce  chiffre  s'élèverait  aujourd'hui  à  dix-neuf,  sans 
la  mort  du  pauvre  et  regretté  Père  Jouan.  Il  n'est  donc  que 
de  dix-huit,  non  compris  le  vicaire.  Nous  pouvons  donc 
dire  que  nous  avons  augmenté  d'uti  en  l'espace  de  huit 
arls.  En  disant  cela,  nous  ne  voulons  ni  blâmer  l'admi- 
nistration, ni  nous  montrer  égoïste.  Loin  de  nous  de  pa- 
reils sentiments  !  Nous  avons  toujours  compris  que  les 
intérêts  généraux  de  la  faiîlillé  religieuse  à  laquelle  nous 


—  175  — 

sommes  fier  d'appartenir  passent  avant  les  intérêts 
particuliers.  Nous  savons  aussi  que  les  besoins  sont 
grands  partout  et  que  les  jeunes  recrues  ne  suffisent  pas 
pour  donner  à  nos  supérieurs  majeurs  le  moyen  de  ré- 
pondre à  toutes  les  demandes.  Mais  le  cœur  humain  est 
ainsi  fait  que  la  vue  de  besoins  urgents  d'un  côté,  d'es- 
pérances souvent  déçues  de  l'autre,  l'expose  à  ne  songer 
qu'à  sa  propre  situation,  sans  tenir  compte  de  celle  des 
autres. 

Toute  âme  apostolique  nous  comprendra,  car  il  est 
impossible  d'assister  au  spectacle  d'âmes  qui  se  perdent, 
sans  chercher  à  les  secourir.  En  outre,  la  pensée  que 
des  missionnaires,  trop  longtemps  laissés  à  eux-mêmes, 
sont  exposés  à  se  laisser  abattre,  voire  même  à  perdre 
leur  vocation,  peut  bien  préoccuper  celui  à  qui  l'obéis- 
sance a  confié  la  direction  de  leurs  âmes  vers  la  perfec- 
tion évangélique.  Nous  ne  disons  pas  cela  pour  nous 
plaindre,  mais  uniquement  dans  le  bût  de  soulaget 
notre  conscience  et  de  satisfaire  à  nos  obligations  vis- 
?i-vis  de  Dieu  et  de  l'Église. 

En  agissant  ainsi  nous  ne  sommes  que  l'écho  de  nos 
Frères  isolés  qui  nous  demandent  instamment,  dans 
leurs  lettres,  tm  compagnon  pour  partager  leurs  peines, 
leurs  travaux  et  leurs  fatigues. 

En  terminant  ce  rapport  soumis  aux  vénérables  mem- 
bres de  ce  Chapitre,  qu'il  me  soit  permis  de  rendre  hom- 
mage au  zèle,  au  dévouement,  à  l'abnégation  de  nos 
chers  missionnaires  du  vicariat. 

Tous  aiment  leur  famille  religieuse,  tous  s'eiforcent 
de  se  montrer  les  dignes  enfants  de  M^"^  de  Mazenod, 
notre  vénéré  Fondateur.  Ils  ont  à  cœur  de  continuer  les 
traditions  si  heureusement  établies  par  les  premiers  apô- 
tres du  nord-ouest,  les  Taché,  les  Faraud,  les  Grandin, 
les  Lacombe,  les  Fourmond,  les  André,  les  Légeard,  etc. 


—  176  - 

Ils  aiment  leur  règle  dont  ils  sont  les  fidèles  et  scru- 
puleux observateurs,  et  cela,  malgré  les  difficultés  sans 
nombre  au  milieu  desquelles  ils  vivent.  Ils  savent  que  : 
Qui  regulx  vivit  Deo  vivit.  C'est  là  le  motif  puissant  qui 
les  porte  à  y  être  toujours  fidèles.  Dieu,  nous  en  avons 
l'espérance,  voudra  bien  se  charger  de  les  récompenser 
comme  ils  le  méritent,  en  bénissant  leur  parole,  en  tou- 
chant les  cœurs  de  ceux  pour  qui  ils  se  dévouent,  et  en 
leur  accordant  à  eux-mêmes,  au  sortir  de  celte  vie,  les 
joies  de  l'éternité. 

Ce  que  je  viens  de  dire  à  la  louange  de  nos  Pères  con- 
vient également  à  ces  humbles  et  dévoués  auxiliaires, 
enfants,  eux  aussi,  de  la  Congrégation,  nos  chers  Frères 
convers,  toujours  prêts  à  tous  les  sacrifices. 

Ces  bons  Frères,  au  nombre  de  dix  seulement,  dont 
quatre  à  vœux  perpétuels,  se  multiplient  pour  faire  face 
à  tous  les  besoins.  Si  nous  désirons  voir  augmenter  le 
nombre  de  nos  missionnaires,  tant  pour  soutenir  les 
œuvres  existantes  que  pour  en  établir  de  nouvelles,  nous 
n'avons  pas  moins  à  cœur  d'enrichir  le  vicariat  de  quel- 
ques-uns de  ces  bons  Frères  dont  la  présence  épargnerait 
à  l'apôtre  le  soin  des  choses  temporelles  et  lui  assure- 
rait toute  liberté  de  répondre  aux  besoins  des  âmes  vers 
lesquelles  il  est  envoyé. 

Nous  faisons  des  vœux  pour  que  l'administration  gé- 
nérale faisant  droit  à  notre  requête,  nous  renvoie  dans 
notre  lointaine  et  toujours  chère  Mission,  accompagné 
de  quelques-uns  de  ces  modestes  ouvriers,  sans  lesquels, 
hélas  !  les  travaux  de  nos  missionnaires  sont  souvent 
stériles.  Amen. 


—  177  — 

Rapport  du  vicariat  d'Athabaska-Mackenzie. 
A.  bord  du  steamer  Vancouver,  4  mai  1898, 
RÉVÉRENDISSIME  ET  BIEN-AIMÉ  PÈRE, 

Je  VOUS  prie  de  me  pardonner  si  le  compte  rendu  que 
je  vous  présente  est  si  incomplet.  La  situation  particu- 
lière où  je  me  suis  trouvé  devra,  ce  me  semble,  me 
servir  d'excuse.  J'étais  à  la  mission  de  la  Providence, 
dans  le  Mackenzie;  je  venais  d'achever  un  voyage  assez 
pénible  autour  du  grand  lac  des  Esclaves,  quand  la  nou- 
velle de  la  mort  du  T.  R.  P.  Soullier  m'arriva,  en 
même  temps  qu'une  dépêche  du  R.  P.  Antoine,  vicaire 
général  de  la  Congrégation,  accompagnée  d'autres 
lettres  qui  m'appelaient  au  Chapitre,  dont  la  date  était 
ainsi  avancée  d'un  an.  C'est  le  3  février  de  la  présente 
année  que  j'ai  reçu  toutes  ces  nouvelles.  Il  n'y  avait  pas 
de  temps  à  perdre  si  je  voulais  me  rendre  à  l'appel  qui 
m'était  fait.  J'avais  une  certaine  appréhension  de  ce 
voyage  à  la  raquette  qui  devait  durer  deux  mois  entiers. 
Mais,  pour  être  vicaire  apostolique,  on  n'en  est  pas 
moins  Oblat,  et,  puisque  le  R.  P.  Vicaire  général  me 
faisait  de  pressantes  instances  auxquelles  il  n'était  pas 
absolument  impossible  de  me  rendre,  j'ai  voulu  donner 
un  gage  de  ma  bonne  volonté  et  de  mon  dévouement  à 
la  Congrégation  et  je  suis  parti.  C'est  justice  aussi  de 
dire  que  nos  Pères  de  la  Providence,  du  grand  lac  des 
Esclaves  et  d'Athabaska  ont  fait  tout  leur  possible  pour 
me  faciliter  le  voyage,  en  me  fournissant  de  bons  Frères 
et  de  bons  chiens,  sans  lesquels  je  n'aurais  pu  me  tirer 
d'affaire.  Je  partis  donc  le  5  février  de  la  Providence  et 
j'arrivai  le  26  mars  à  Saint-Albert.  Gela  me  faisait  près 
de  900  milles,  dont  j'ai  parcouru  la  bonne  moitié  à  la 
raquette  et  le  reste  entraîne  à  chiens,  campant  presque 


—  178  — 

tout  le  long  du  chemin  dans  la  neige,  à  la  belle  étoile. 
Évidemment,  ce  n'étaU  pas  un  temps  propice  à  la  com- 
position de  mon  rapport.  C'est  seulement  à  bord  du  ba- 
teau que  je  trouve  un  peu  de  calme  et  j'en  profile  pour 
rédiger  les  notes  que  j'ai  l'honneur  de  vous  présenter. 

Nous  espérions  que  notre  vicariat  d'Athabaska-Mac- 
kenzip  serait  représenté  au  Chapitre  par  un  délégué. 
Déjà  l'élection  était  faite;  déjà  l'élu,  le  R.  P.  Dugot, 
avait  reçu  avis  du  choix  dont  ses  confrères  l'avaient  ho- 
noré; déjà  nous  avions  tiré  nos  plans  afin  de  passer 
ensemble  en  Europe  et  cje  nous  trouver  au  rendez-vous 
capitulaire  de  1^99.  Mais,  hélas!  la  mort  prén^aturée  du 
T.  R.  P.  SûuLLiERne  nous  a  pas, permis  de  réîiliser  nos 
projets,  et  il  a  été  absolument  impossible  au  ft.  P.  Dlxot 
de  venir  m'accompagner  au  Chapitre.  11  lui  aurait  fallu 
quatre  mois  de  marche,  et,  le  printemps  venant,  lui 
aurait  enlevé  la  route  de  sous  les  pieds  en  amenant  le 
dégel  et  fondant  neige  et  glacp  sur  lesquelles  on 
voyage. 

Je  regrette  beaucoup  d'être  privé  de  l'appui  de  i}Qtre 
délégué  vicarial.  Il  qi'aurait  puissamment  aidé  à  plaider 
la  cause  de  nos  chères  Missions  de  Mackenzie,  et,  bien 
que  je  puisse  me  féliciter  de  la  bienveillance  de  l'admi- 
nistration générale  envers  moi  personnellement  et  en- 
vers notre  vicariat,  la  présence  du  R.  F.  Ducot  au  Cha- 
pitre n'aurait  pu  que  fortifier  ces  bonnes  dispositions, 
outre  que  son  expérience  lui  aurait  pprmis  de  donner 
d'utiles  conseils.  Il  sera  bien  peiné  lui-même  de  ne  pou- 
voir prendre  sa  place  dans  ces  assises  solennelles  de  la 
Congrégation,  qu'il  a  toujours  aimée  comme  sa  mère. 
Je  lui  ai  écrit  de  venir  l'été  prochain  en  France,  comme 
nous  en  étions  convenus  ;  mais  cela  ne  sera  qu'une  faible 
compensation  de  l'honneur  et  du  bonheur  qu'il  aurait 
goiités  en  assistant  au  Chapitre. 


-  179  — 

Après  ce  long  préambule,  j'arrive  à  mon  rapport. 

i° Historique. —  Le  fait  capital,  qui  fera  date  dans 
l'histoire  du  vicariat  d'Athabaska-Mackenzie,  c'est  la 
première  visite  canonique  dont  nous  avons  été  gratifiés 
en  l'an  1895.  La  Congrégation  nous  a  donné  alors  la 
preuve  la  plus  sensible  de  sa  sollicitude  maternelle  pour 
le  bien  de  ses  enfants  et  nous  avons  tous  été  grande- 
ment consolés  de  voir  cesser  il'isolement  auquel  nous 
avions  été  jusqu'alors  condamnés.  Sans  doute,  les  qua- 
lités personnelles  du  visiteur  n'ont  pas  peu  contribué  à 
nous  rendre  doublement  agréable  la  mission  qu'il  ve- 
nait remplir  près  de  nous.  Le  R.  P.  Antoine  voudra 
bien,  j'espère,  me  pardonner  de  lui  rendre  publiquement 
ce  témoignage,  que  nul  mieux  que  lui  n'aurait  pu  faire 
cette  visite.  A  la  bonté  du  cœur,  à  une  expérience  con- 
sommée, il  joignait  cette  trempe  du  tempérament  qui 
lui  permit,  à  un  âge  déjà  vénérable,  d'affronter  les  im- 
menses distances  elles  pénibles  voyages  dont  tout  autre 
aurait  pu  s'effrayer.  Il  a  courageusement  bravé  les  in- 
tempéries de  l'air  sans  se  plaindre  jamais  ni  de  la  cha- 
leur, ni  du  froid,  ni  du  vent,  ni  de  la  pluie,  ni  de  la 
neige  ;  le  régime  culinaire,  tout  défectueux  qu'il  fût,  ne 
lui  a  inspiré  aucun  dégoût,  ou  du  moins,  ce  qui  est 
peut-être  plus  vrai,  il  n'en  a  jamais  laissé  voir  la  moindre 
trace.  Bref,  ses  paroles  et  sa  conduite  ont  été  pour  nous 
une  source  d'édification.  Aussi  sa  visite  a-t  elle  produit 
partout  un  bien  considérable,  dont  nous  sommes  et 
serons  toujours  reconnaissants. 

Dans  l'ordre  administratif,  il  a  sanctionné  la  division 
en  districts  conformes  à  l'état  du  pays  et  y  a  établi  de  la 
sorte  des  maisons  régulières,  dont  le  fonctionnement 
deviendra  plus  facile  avec  le  temps.  C'est  une  base 
solide  sur  laquelle  s'appuieront  les  progrès   de  l'avenir. 

2»  Personnel.  —  Notre  vicariat  se  compose  de  2  Évê~ 


—  180  — 

ques  et  de  30  Pères,  avec  un  nombre  égal  de  Frères  con- 
vers.  Si  nous  étions  tous  forts  et  vigoureux,  nous  suffi- 
rions peut-être  à  la  besogne  ;  mais,  hélas!  l'âge,  les 
infirmités,  les  maladies,  nous  forcent  à  déduire  beau- 
coup de  ce  nombre.  M»""  Clut,  par  exemple,  dont  la  pré- 
sence est  sans  doute  d'une  grande  force  morale,  mais 
qui  ne  peut  plus  exercer  un  ministère  actif;  le  R.  P,  Sé- 
guin, qui,  étant  tombé  au  fond  de  sa  cave,  s'est  déman- 
ché l'épaule,  que  personne  n'a  pu  remettre  en  place  ;  le 
R.  P.  Laity,  qui  est  complètement  désemparé  par 
l'asthme  et  les  rhumatismes  ;  le  R.  P.  de  Cqambeuil,  dont 
les  forces  sont  épuisées  par  de  nombreuses  privations 
et  de  fortes  maladies  ;  je  pourrais  en  ajouter  plusieurs 
autres,  dont  le  tempérament,  robuste  autrefois,  est 
maintenant  miné  par  la  pauvreté  du  régime  et  la  dureté 
du  climat.  Nous  avons  aussi  parmi  nos  chers  Frères  con- 
vers  une  douzaine  d'éclopés,  à  qui  de  nombreux  services 
devraient  donner  droit,  sinon  à  une  retraite  complète, 
au  moins  à  un  traitement  moins  rigoureux  que  celui  au- 
quel nous  sommes  astreints  dans  notre  triste  pays. 

Les  travaux  de  tout  genre  s'imposent  aux  Pères  comme 
aux  Frères.  Instruire  nos  sauvages  et  pour  cela  étudier 
les  langues,  faire  des  livres  qu'il  nous  faut  imprimer  et 
relier,  confesser,  visiter  les  malades  à  des  distances  par- 
fois considérables,  soit  en  hiver,  soit  en  été,  faire  l'école 
là  où  la  chose  est  possible,  voilà  comme  partout  ailleurs 
la  besogne  des  missionnaires  du  Nord  ;  mais  ils  sont 
obligés  aussi  de  se  livrer  à  une  foule  d'autres  travaux  pour 
se  procurer  leur  maigre  subsistance  ou  pour  se  mettre  à 
l'abri  du  froid.  En  conséquence,  ils  aident  les  Frères  à 
la  pêche,  aux  bâtisse"s,  au  bùchage,  etc.,  et  au  jardi- 
nage, là  où  le  sol  peut  se  cultiver  avec  quelque  chance 
de  succès.  C'est-à-dire  que  les  soucis  de  l'existence  ma- 
térielle, la  lutte  pour  la  vie  prennent  une  très  grande 


—  181  — 

part  dans  nos  occupations,  et  qu'on  veuille  bien  remar- 
quer qu'il  ne  s'agit  pas  seulement  de  se  procurer  quelque 
bien-être  ou  de  vivre  plus  ou  moins  confortablement, 
cela  ne  vaudrait  pas  la  peine  d'en  parler;  mais  il  s'agit 
réellement  de  ne  pas  mourir  de  faim  et  de  froid.  Per- 
sonne n'est  donc  dispensé  du  travail  s'il  veut  vivre  dans 
nos  Missions.  Nous  ne  pouvons  pas  y  manger  notre  pain 
à  la  sueur  de  notre  front,  mais  il  faut  suer  pourtant  pour 
nous  procurer  soit  une  patate,  soit  un  poisson,  soit  un 
morceau  de  viande  sèche.  Cependant,  dans  les  Missions 
oîi  nous  avons  des  établissements  de  religieuses  avec 
écoles  et  orphelinats,  les  difficultés  de  l'approvisionne- 
ment sont  beaucoup  plus  grandes  que  là  où  un  Père  ré- 
side seul  avec  un  Frère.  C'est  pourquoi  nous  avons  besoin 
d'y  entretenir  un  personnel  plus  nombreux,  surtout  un 
fort  contingent  de  Frères  convers  sans  lesquels  ces  œuvres 
seraient  impossibles.  Il  faut  ajouter  encore  les  nombreux 
voyages  que  nous  sommes  obligés  de  faire  durant  l'été 
pour  les  transports  des  objets  nécessaires  aux  Missions 
d'Athabaska  et  de  Mackenzie.  C'est  principalement  la 
Mission  de  la  Nativité  du  lac  Athabaska  qui  contribue  à 
effectuer  ces  transports.  Je  suis  obligé  d'en  tirer  la  plus 
grande  partie  des  Frères  durant  l'été,  ce  qui  entrave  ou 
arrête  même  la  marche  de  la  Mission  et  fait  retomber 
sur  les  épaules  du  cher  P.  Le  Doussal  un  fardeau  écra- 
sant. 

A  ce  propos,  il  faut  que  je  rappelle  ici  les  projets  dont 
j'avais  parlé  dans  mon  rapport  au  dernier  Chapitre. 
Alors  nos  Missions  dépendaient  uniquement  de  la  Com- 
pagnie de  la  baie  d'Hudson  pour  les  transports  des  objets 
nécessaires  à  leur  entretien.  C'était  un  monopole  avec 
les  inconvénients  ordinaires,  c'est-à-dire  un  tarif  exor- 
bitant qui  absorbait  toutes  nos  ressources  et  nous  ré- 
duisait à  l'impuissance.  Or,  il  n'y  avait  qu'un  moyen  de 

T.  XXX VI.  13 


—  182  — 

sortir  de  ce  triste  état.  C'était  d'entreprendre  nous- 
mêmes  de  transporter  nos  approvisionnements  annuels. 
De  là  le  projet  de  nous  procurer  deux  petits  bateaux  à 
vapeur.  Il  y  avait  bien  quelque  témérité  dans  de  sem- 
blables projets,  mais  je  crus  devoir  essayer  de  les  réaliser, 
sans  toutefois  grever  le  budget  de  nos  Missions,  car  en 
cas  d'insuccès,  c'eût  été  courir  à  la  ruine.  Je  profitai  de 
mon  voyage  en  France  pour  intéresser  à  nos  œuvres  la 
charité  des  fidèles,  et  les  aumônes  que  je  pus  recueillir 
furent  consacrées  à  l'achat  de  machines  à  vapeur  et  des 
autres  matériaux.  Les  débuts  ne  répondirent  pas  à  nos 
espérances.  Il  nous  fallut  subir  l'humiliation  et  voir  nos 
ennemis  et  nos  envieux  triompher  de  notre  insuccès. 
Cependant  le  bon  Dieu  ne  nous  abandonna  pas,  il  sou- 
tint notre  courage  et  nous  suscita  de  généreuses  sym- 
pathies. Nos  efforts  furent  enfin  couronnés  d'uneréussite 
complète  et  quand  le  R.  P.  Antoine  vint  faire  la  visite  du 
vicariat,  j'eus  la  consolation  de  le  recevoir  à  bord  de 
nos  bateaux,  de  le  conduire  jusqu'au  cercle  polaire  et 
de  l'en  ramener  sain  et  sauf.  Depuis,  ces  petits  steam- 
boats  ont  continué  leurs  courses  chaque  été  et  le  résultat 
pratique  a  été  une  économie  qui  m'a  permis  de  fonder 
et  de  maintenir  de  nouvelles  œuvres  de  la  plus  haute 
importance.  Mon  intention  était  d'abord,  à  l'aide  de  ces 
économies,  d'améliorer  le  régime  si  peu  substantiel  de 
nos  missionnaires  du  Nord  et  de  les  tirer  de  l'état  de 
gêne  dans  lequel  ils  vivent  depuis  trop  longtemps.  Je 
n'ai  pu  réaliser  qu'imparfaitement  ce  désir  si  légitime, 
parce  qu'il  a  fallu  porter  secours  aux  endroits  plus  me- 
nacés par  l'invasion  protestante.  Nous  avons  donc  établi 
un  couvent  de  religieuses  au  petit  lac  des  Esclaves.  Les 
bonnes  Sœurs  de  la  Providence  de  Montréal  répondirent 
généreusement  à  notre  appel,  en  envoyant  d'abord  une 
première  phalange  à  laquelle  de  nouvelles  recrues  sont 


—  183  — 

venues  prêter  main-forte,  et  maintenant  elles  abritent 
dans  leur  maison  de  Saint-Bernard  plus  de  100  enfants 
des  deux  sexes  dont  l'instruction  chrétienne  est  ainsi 
assurée.  La  Mission  de  Saint-Martin,  au  lac  Wabaskard  a 
de  plus  été  fondée,  ainsi  qu'une  nouvelle  Mission  créée 
au  fort  Wrigley.  Enfin  un  second  couvent  de  Sœurs  de 
la  Providence  à  Saint- Augustin,  sur  la  rivière  de  la  Paix, 
va  s'ouvrir  cet  été.  Si  nous  avions  été  obligés  de  subir 
comme  autrefois  les  tarifs  onéreux  imposés  par  la  Com- 
pagnie, le  plus  clair  de  nos  ressources  s'y  serait  englouti 
et  la  plupart  des  progrès  accomplis  serait  encore  à  l'état 
de  désirs  stériles.  Je  dois  reconnaître  cependant  que 
nous  n'aurions  pas  réussi  à  grand'chose  malgré  les  éco- 
nomies réelles  que  nos  sleamboats  nous  ont  permis  de 
faire,  si  les  Pères  et  Frères  du  petit  lac  des  Esclaves  et 
de  la  rivière  la  Paix,  Me""  Clut  en  tète,  n'avaient  rivalisé 
d'ardeur  et  de  dévouement  pour  mener  ces  entreprises 
à  bonne  fin.  Mais  c'est  la  Mission  de  la  Nativité  qui  plus 
que  toute  autre  a  contribué  à  ces  progrès,  aux  dépens  de 
sa  propre  amélioration,  car,  comme  je  le  disais  plus  haut, 
c'est  d'elle  que  j'ai  tiré  les  Frères  qui  travaillent  durant 
l'été  sur  nos  bateaux  et  font  nos  transports.  Il  est  beau 
sans  doute  de  se  dévouer  ainsi  pour  le  salut  commun, 
mais  encore  un  tel  dévouement  a-t-il  des  bornes  néces- 
saires et  je  prie  instamment  qu'on  veuille  bien  me 
donner  quelques  bons  Frères  dont  le  concours  est  indis- 
pensable pour  maintenir  la  Mission  de  la  Nativité  sur  un 
pied  de  prospérité  auquel  elle  a  droit. 

Au  milieu  de  nos  voyages,  de  nos  travaux,  de  nos 
préoccupations  matérielles,  du  souci  du  lendemain,  de 
ces  combats  pour  l'existence  auxquels  nous  sommes 
condamnés  et  que  nous  acceptons  de  bon  cœur  tant  que 
nos  forces  nous  le  permettent,  il  est  à  craindre  que  la 
vie  intérieure  ne  subisse  quelque  atteinte.  J'avoue  hum- 


—  184  — 

blement  pour  ma  part  que  l'esprit  de  piété  et  de  recueil- 
lement laisse  beaucoup  à  désirer  chez  moi  et  l'on  a 
raison  de  m'appliquer  le  texte  de  V Imitation  :  Raro  sanc- 
tificantur  qui multum  peregrinantur ;  mais  je  m'empresse 
d'ajouter  que  si  je  suis  loin  de  donner  le  bon  exemple 
de  ce  côté-là,  cela  ne  tire  heureusement  à  aucune  consé- 
quence pour  la  grande  majorité  de  nos  Pères  et  de  nos 
Frères.  Partout  où  j'ai  passé  dans  nos  Missions,  et  j'ai 
passé  presque  partout,  j'ai  trouvé  la  Règle  en  vigueur. 
Dans  les  communautés  un  peu  nombreuses,  les  retraites 
annuelles  et  mensuelles  se  font  régulièrement.  Je  suis 
cependant  obligé  de  dire,  tout  en  le  déplorant,  que  plu- 
sieurs de  nos  Pères  qui  demeurent  seuls  avec  un  Frère 
et  quelquefois  même  sans  Frère,  n'ont  pas  toujours  toute 
la  facilité  désirable  pour  bien  faire  en  leur  particulier 
les  exercices  d'une  bonne  retraite.  Combien  de  fois  ai-je 
souhaité  de  pouvoir  les  réunir  tous  ensemble  ou  du  moins 
en  groupes  assez  nombreux,  afin  de  leur  donner  la  con- 
solation et  les  moyens  de  se  retremper  au  contact  les 
uns  des  autres  dans  l'amour  de  leur  sainte  vocation  et  la 
fidélité  à  leurs  devoirs  religieux.  Jusqu'à  ce  jour,  ces 
assemblées  n'ont  été  que  de  rares  exceptions  et  l'isole- 
ment continue  à  être  la  règle.  Mais  le  bon  Dieu  qui  nous 
a  appelés  dans  ce  pays  et  qui  voit  que  pour  son  service 
et  le  salut  des  âmes  nous  sommes  privés  de  secours  si 
puissants  de  sanctification  ne  nous   l'imputera  pas  à 
faute.  Il  sait,  dans  son  infinie  sagesse,  trouver  des  grâces 
proportionnées  à  nos  besoins  et  sa  bonté  nous  les  dis- 
pense, et  c'est  pourquoi,   malgré  les  désavantages   de 
leur  position,  nos  Pères  et  nos  Frères  sont  généralement 
ce  qu'ils  doivent  être,  de  vrais  Oblats  de  Marie  Imma- 
culée. Comment  sans  cela  pourraient-ils  mener  la  vie  de 
privations,  de  sacrifices,  de  pauvreté,  de  souffrances,  de 
dénûment  extrême,  de  durs  travaux  qui  est  la  leur,  et 


—  185  — 

que,  je  ne  crains  pas  de  le  dire  hautement,  on  ne  retrou- 
vera nulle  part  ailleurs  sur  la  terre,  à  un  degré  semblable  ? 

En  un  mot,  il  n'y  a  que  ceux  qui  en  ont  été  les  té- 
moins qui  peuvent  s'en  faire  une  juste  idée,  et  l'on  a  pu 
dire  sans  exagérer  que  les  actes  de  vertus  humbles, 
ignorées,  pratiquées  journellement  par  les  missionnaires 
du  nord  de  l'Amérique  ne  sont  qu'un  long  martyre  et 
attirent  sur  toute  la  Congrégation  des  bénédictions 
abondantes. 

Division  du  vicariat.  —  Le  vicariat  d'Athabaska- 
Mackenzie  est  divisé  en  quatre  districts,  dont  voici  la 
composition  : 

A.  District  du  petit  lac  des  Esclaves.  —  1°  Maison  de 
Saint-Bernard,  personnel  :  M^'  Clut,  R.  P.  Desmarais, 
R.  P.  Laferrière,  FF.  Jean-Marie  Le  Creff,  Laurent, 
Donner,  Kerhervé,  auxquels  est  venu  se  joindre  le 
P.  Lavoie.  Là  se  trouve  le  couvent  des  Sœurs  de  la  Pro- 
vidence au  nombre  de  neuf  avec  plus  de  100  enfants 
qu'elles  élèvent. 

2"  Résidence  de  Saint-Antoine  :  R.  P.  Falher,  qui  est 
chargé  aussi  du  lac  Esturgeon  et  des  stations  dispersées 
à  l'entour  du  petit  lac  des  Esclaves. 

33  Résidence  de  Saint-Augustin,  rivière  la  Paix  : 
R.  P.  Le  Serrec,  FF.  Gustave  Tillet,  Behan  et  Mathys; 
cinq  sœurs  de  la  Providence  sont  en  chemin  pour  cette 
mission. 

4°  Résidence  de  Saint-Charles,  fort  Dunnegon  :  R.  P. 
Le  Treste,  F.  Milsens.  La  Grand'Prairie,  la  rivière 
Tripay,  le  fort  Saint-John  et  le  fort  des  Montagnes  en 
dépendent. 

5°  Résidence  de  Saint-Martin  au  lac  Wabaskard  : 
R.  P.  Dupé,  R.  P.  Giroux  junior,  avec  une  demi-dou- 
zaine de  lacs  à  visiter  sur  un  rayon  de  60  milles  environ. 

B.  District  d^Athabaska.  —  1»  Maison  de  la  Nativité  : 


—  t86  — 

M^'  Grguard,  R.  p.  Le  Doussal,  RR.  PP.  Laity,  de 
Cbambreuil  et  de  Cham,  FF.  Scbers,  Hémo^jGhabbowneau, 
Le  Roux,  Beckshafer  et  Eiseman. 

2°  Résidence  de  Notre-Dame  des  S^pt-Doalenrs,  fond 
du  lac  :  R.  P.  Breyxat,  P.  scokstique  Courteille. 

3°  Résidence  de  Saint-Henri,  fort  Vermillon.  R.  P. 
JoussARi»,  R.  P.  DupfN,  FF.  Reynier  etDEBs.  Sans  parler 
de  visites  chez  les  Castors  à  la  rivière  au  Foin  et  chez 
les  Cris,  les  Pères  tiennent  une  école  où  ils  élèvent  uiie 
vingtaine  d'enfants.  Le  F.  Reynier  passe  depuis  long- 
temps la  soixantaine,  le  P.  ^oussard  se  tue  littéralement 
à  l'ouvrage. 

4"  Résidence  de  Saint-Isidore,  fort  Smith  :  R.  P.  Bré- 
MOi\.T,  F.  Hoyer. 

5°.  Résidence  de  Saint-Joseph.  Fort  Résolution.  FF. 
Larue  et  Ancel.  Ce  dernier  vient  d'achever  la  construc- 
tion d'une  église  qui  est  un  véritable  monument  pour 
le  pays. 

C.  District  du  haut  Mackenzie.  —  1*  Maison  de  la 
Providence:  R.  P.  Le  Corre,  R.  P.  Gourdon,  FF.  Garour, 

LORFEUVRE,  O'CONNELL,   MiCHEL,    RiO,  BaRBIER,    Le  NoEL; 

couvent  des  Sœurs  Grises  de  Montréal  au  nombre  de  huit, 
avec  sept  sœurs  auxiliaires.  L'ancienne  maison  étant 
insuffisante  et  peu  solide,  il  s'en  construit  une  autre 
longue,  large,  élevée,  spacieuse  où,  j'espère,  les  sœurs 
ne  tarderont  pas  à  se  loger  avec  leurs  enfants. 

2°  Résidence  de  Saint-Michel,  fort  Raë  :  R.  P.  Roure, 
F.  JX3SS0. 

3°  Résidence  du  Sacré-Cœur,  fort  Simpsoa  :  R.  P. 
Brochu. 

4°  Résidence  de  Saint-Raphaël,  fort  de  Liard  :  R.  P. 
Ladet,  R.P.Le  Goe»,  F,  Marc  Le  Borgne,  avec  la  station 
de  Saint-Paul  au  fort  Nelson. 

5"  Résidence  du  Saint-Cœur  de  Marie,  fort  Wrigley  : 


—  187  ~ 

création  toute  récente  :  R.  P.  Gouy  et  R.  P.  Vacher. 

D.  District  du  bas  Maekenzie.  —  i°  Maison  de  Notre- 
Dame  de  Bonne-Espérance  :  R.  P.  Séguin,  R.  P.  Houssaye, 
F.  Kearney, 

2"  Résidence  de  Sainte-Thérèse,  fort  Norman  :  R.  P. 
DucoT,  FF.  Jean-Marie  Beaudet,  Cromfat. 

3*  Résidence  du  Saint-Nom  de  Marie,  petite  rivière 
Rouge  :  R.  P.  Gmoux  senior,  R.  P.  Lefebvre,  F.  Louis 
Beaudet.  Cette  mission  a  été  transférée  du  fort  de  Peel 
River  à  sa  place  actuelle,  on  les  Loucheux  catholiques 
font  un  séjour  assez  long  et  où  par  conséquent  il  est 
plus  facile  de  les  instruire  et  de  les  préparer  à  la  récep- 
tion des  sacrements.  Le  P.  Lefebvre  continue  ses  visites 
chez  les  Esquimaux  et  chez  les  baleiniers  de  l'île  Hers- 
chel,  tous  gens  un  peu  trop  revêches  et  qui  ne  donnent 
pas  toutes  les  consolations  qu'on  pouvait  espérer.  Par- 
tout ailleurs,  nos  Pères  exercent  un  ministère  fructueux 
chez  les  sauvages  de  différents  noms  qui  habitent  le  vi- 
cariat. Cette  population  n'est  pas  nombreuse,  mais  elle 
est  disséminée  sur  une  telle  distance,  que  nous  sommes 
obligés  de  multiplier  nos  résidences  pour  l'atteindre  et 
lui  faire  du  bien.  Une  autre  cause  qui  nous  excite  est  la 
présence  des  ministres  protestants  qui  auraient  bientôt 
démoralisé  nos  sauvages  si  nous  nous  contentions  de  les 
visiter  en  passant,  tandis  que  nos  ennemis  séjournent 
au  milieu  d'eux. 

Enfin  je  dois  mentionnera  part  le  R.  P.  Husson  qui 
est  chargé  des  affaires  de  nos  Missions  et  qui  a  établi 
son  domicile  à  Edmonton,  où  M^""  GrandinIuI  donne  une 
bienveillante  hospitalité  et  d'où  il  peut  plus  facilement 
s'acquitter  de  sa  charge  et  se  rendre  à  Athabaska-Lan- 
ding  et  même  à  Winipeg,  s'il  en  est  besoin. 

Voilà  quel  était  l'état  du  vicariat  d'Athabaska- Mae- 
kenzie jusqu'à  ces  derniers  jours.  Nous  continuions 


—  188  — 

l'œuvre  entreprise  d'abord  par  M^''  Taché,  poursuivie 
avec  zèle  et  succès  par  M^""  Grandin,  M^""  Faraud,  M»'  Clut 
et  nos  premiers  missionnaires  auprès  des  peuplades  in- 
digènes et  d'une  poignée  de  métis,  les  seuls  habitants 
de  ce  pays  à  l'exception  de  quelques  Anglais  ou  Écossais 
employés  de  la  Compagnie  de  la  baie  d'Hudson  pour  le 
commerce  des  fourrures.  Mais  une  immense  révolution 
vient  de  changer  tout  d'un  coup  la  face  des  choses.  De 
riches  mines  d'or  ont  été  découvertes  dans  le  haut 
Yukon,  partie  la  plus  inabordable  et  la  plus  délaissée 
du  vicariat,  puisque  nous  n'y  avons  aucune  station.  La 
Compagnie  de  la  baie  d'Hudson,  après  avoir  essayé  d'y 
établir  des  postes  de  traite,  avait  été  obligée  de  les  aban- 
donner à  cause  des  difficultés  incroyables  d'accès  et 
parce  que  ses  gens  y  mouraient  de  faim.  Quand  la  Russie 
eût  cédé  aux  Etats-Unis  le  territoire  de  l'Alaska,  les 
aventureux  Yankees  ne  tardèrent  pas  à  y  découvrir  le 
précieux  métal  et,  poussant  plus  loin  leurs  recherches, 
ils  ont  enfin  dépassé  leurs  frontières  et,  l'année  dernière, 
le  monde  étonné  retentit  du  nom  de  Klondyke  où 
quelques  mineurs  avaient  fait  en  peu  de  temps  des  for- 
tunes colossales.  De  là,  un  ébranlement  fiévreux  qui 
agite  les  villes  et  les  campagnes  de  l'Amérique  et  même 
de  l'Europe.  Des  foules  immenses  se  précipitent  à  l'a- 
veugle vers  ce  nouvel  Eldorado  et  l'on  évalue  à  une  cen- 
taine de  mille  la  population  qui  va  cet  été  s'abattre  sur 
ces  terrains  déserts.  Des  voies  de  communications  s'éta- 
blissent afin  de  pouvoir  approvisionner  tout  ce  monde, 
car  si  le  sol  renferme  de  l'or,  il  ne  produit  rien  autre 
chose.  C'est  dans  notre  pauvre  vicariat  jusqu'à  présent 
silencieux  et  morne  comme  nos  solitudes,  inconnu  et 
fermé  à  la  civilisation  par  des  barrières  de  neige  et  de 
glace,  que  tant  de  gens  viennent  planter  leurs  tentes. 
La  nouvelle  de  cette  invasion  presque  instantanée  m'a 


—  189  — 

causé  une  douloureuse  surprise  et  de  graves  préoccupa- 
tions. Car  les  âmes  de  ces  blancs  sont  aussi  précieuses 
que  celles  des  sauvages  que  nous  sommes  venus  évangé- 
liser.  Nous  leur  devons  par  conséquent  les  moyens  de 
salut  et  il  est  d'autant  plus  urgent  de  les  leur  donner 
qu'infailliblement  un  grand  nombre  vont  tomber  victimes 
de  la  misère,  des  maladies,  du  froid  et  de  la  faim.  Ces 
malheureux  ne  se  doutent  guère  du  sort  qui  les  attend, 
mais  nous  ne  pouvons  fermer  les  yeux  à  la  triste  réalité 
et  les  laisser  ainsi  mourir  dans  le  désespoir  sans  essayer 
de  les  sauver.  Les  Pères  Jésuites  de  l'Alaska  m'ont  autre- 
fois demandé  l'autorisation  d'exercer  le  saint  ministère 
si,  dans  leurs  courses,  ils  entraient  dans  notre  vicariat, 
et  je  la  leur  avais  accordée  volontiers.  Un  des  leurs  a 
passé  l'hiver  à  Dawson-City  et  y  a  même  construit  cha- 
pelle, maison  et  hôpital.  Il  aura  sans  doute  donné  aux 
mineurs  de  son  voisinage  les  secours  religieux  dont  ils 
avaient  besoin.  Mais  cela  ne  peut  me  tranquilliser  ni 
diminuer  la  responsabilité  qui  tombe  sur  moi  et  me 
prend  tout  à  fait  au  dépourvu.  M^'Langevin,  archevêque 
de  Saint-Boniface,  mon  métropolitain,  malgré  les  nom- 
breux soucis  qui  l'accablent,  a  bien  voulu,  dans  l'impuis- 
sance où  j'étais  d'agir,  prendre  l'affaire  entre  ses  mains 
et  il  s'est  assuré  le  concours  de  nos  Pères  du  Canada  qui 
lui  ont  donné  le  R.  P.  Gendreau  et  le  F.  Dumas  pour  la 
mission  du  haut  Yukon.  Monseigneur  a  de  plus  cédé  un 
de  ses  prêtres  pour  cette  œuvre.  Il  me  pardonnera  de 
dire  que  j'ai  hésité  avant  d'admettre  dans  mon  vicariat 
ce  prêtre  tant  recommandable  qu'il  soit  d'ailleurs,  parce 
qu'il  est  séculier  et  que  nous  sommes  tous  Oblats.  Mais 
enfin,  comme  il  était  prêt,  qu'il  y  avait  certaines  suscep- 
tibilités respectables  à  ménager  et  que  l'affaire  ne  per- 
mettait pas  de  plus  longues  délibérations,  j'ai  consenti 
à  recevoir  ses  services.  Cependant  le  P.  Gendreau  re- 


—  190  — 

grettait  de  ne  pas  avoir  d'Oblat  avec  lui,  et  me  rendant 
à  son  désir,  voulant  enfin  établir  la  Mission  sur  une 
base  aussi  solide  que  possible,  j'ai  pris  le  parti  d'enlever 
le  R.  P.  Desmarais  au  petit  lac  des  Esclaves  et  de  l'en- 
voyer au  Yukon.  Ce  cher  Père  a  accepté  son  obédience 
avec  une  promptitude  exemplaire,  et  quoiqu'il  lui  en  ait 
coûté  beaucoup  de  quitter  Saint-Bernard  (ainsi  d'ailleurs 
qu'à  moi  de  l'en  tirer),  il  s'est  de  bon  cœur  mis  en 
voyage. 

Ces  chers  missionnaires  arriveront  vers  le  milieu  de 
juillet  sur  le  nouveau  théâtre  où  ils  auront  à  exercer 
leur  zèle.  D'un  autre  côté,  le  R.  P.  Gmoux  doit  se  rendre 
dans  le  Yukon  par  la  rivière  du  Porc- Épie,  avec  le  F.  Louis 
Beaudet.  Ce  qui  porte  à  quatre  prêtres  et  deux  Frères 
convers  les  ouvriers  envoyés  dans  ce  nouveau  champ 
du  père  de  famille. 

Je  ne  sais  s'il  est  à  propos  de  parler  d'une  certaine 
compétition  que  l'on  dit  exister  de  la  part  des  Jésuites  à 
propos  de  la  juridiction  dans  le  district  de  Yukon.  Etant 
au  Mackenzie,  je  ne  pouvais  suivre  cette  affaire.  Mais 
heureusement.  Me'  l'archevêque  de  Saint-Boniface,  avec 
plus  d'autorité  et  une  bonne  volonté  parfaite  secondée 
par  l'administration  générale  et  notre  procureur  à 
Rome,  a  revendiqué  les  droits  du  vicaire  apostolique 
du  Mackenzie,  lesquels  ont  été  maintenus  par  la 
Sacrée  Congrégation  de  la  Propagande.  Je  suis  heureux 
de  répéter  à  ce  propos  le  vieux  proverbe  :  Roma  locitta 
est,  causa  finita  est.  Mais  je  dois  remercier  publiquement 
tous  ceux  qui  ont  pris  cette  cause  entre  leurs  mains  et 
ont  amené  cette  décision  favorable.  Et  puisque  la  Con- 
grégation a  bien  voulu  s'intéresser  si  efficacement  à  cette 
question,  il  m'est  permis  d'espérer  qu'après  avoir  sau- 
vegardé mon  autorité  comme  vicaire  apostolique  dans 
ce  pays  du  Klondyke,  elle^  m'aidera  non  moins  effîca- 


—  191   - 

cément  à  l'exercer  en  effet  et  à  en  remplir  toutes  les 
obligations. 

Quelques  mots  sur  l'état  financier  de  nos  missions  et 
je  finis  ce  rapport  déjà  trop  long.  Nous  n'avons  de 
ressources  que  dans  l'allocation  de  la  Propagation  de  la 
foi  et  celle  de  la  Sainte-Enfance.  Elles  seraient  insuffi- 
santes si  M^"  Faraud,  mon  regretté  prédécesseur,  n'avait 
réussi  à  mettre  de  côté  certaines  sommes  dont  l'intérêt 
nous  est  d'un  grand  secours.  Je  regarderais  comme  un 
malheur  et  une  menace  de  ruine  la  nécessité  où  je  pour- 
rais me  trouver  de  toucher  à  ce  dépôt  que  je  veux 
transmettre  intégralement  à  mon  successeur,  même  au 
prix  de  la  gêne  et  de  privations  dont  nous  nous  sommes 
fait  du  reste  une  longue  habitude  dans  le  Mackenzie. 
Jusqu'à  présent,  nous  n'avons  pas  un  sou  de  dette  et 
j'espère  que  nous  n'en  ferons  jamais  avec  la  grâce  de 
Dieu,  car  nous  ne  pourrions  en  promettre  le  payement. 
La  caisse  vicariale  a  conservé  intact  tout  ce  qui  y  a  été 
versé  dès  son  établissement.  J'ai  obtenu  de  l'adminis- 
tration générale  qu'elle  voulût  bien  m'en  octroyer  les 
intérêts  annuels,  ce  qu'elle  m'a  accordé  avec  bonne 
grâce,  j'espère  que  le  T.  R.  P.  Général  et  son  adminis- 
tration me  continueront  la  même  faveur,  ce  dont  tout 
le  vicariat  et  moi  particulièrement  nous  lui  serons  très 
reconnaissants. 

Pour  être  complet  et  faire  mieux  sentir  le  besoin  très 
pressant  que  nous  avons  de  secours  en  hommes  et  en 
argent,  je  ne  puis  oublier  ce  détail  important.  Le  gou- 
vernement Canadien  se  préoccupe  d'ouvrir  une  voie 
ferrée  qui  partant  d'Edmonton,  terminus  actuel  du 
chemin  de  fer  du  Nord-Ouest,  se  dirigera  vers  le  petit 
lac  des  Esclaves,  la  rivière  la  Paix  et  la  rivière  des  Liards 
pour  atteindre  le  Yukon.Le  Sénat  d'Ottawa  m'a  sommé 
en  quelque  sorte    de   paraître  devant  la  commission 


—  492  — 

établie  pour  étudier  ce  projet  et  de  donner  tous  les  ren- 
seignements que  mon  séjour  dans  ces  pays  m'a  mis  en 
état  de  recueillir.  Or  ce  chemin  de  fer  va  ouvrir  inces- 
samment à  la  colonisation  toute  cette  partie  sud  de  mon 
vicariat,  laquelle  y  est  parfaitement  adaptée.  Déjà  les 
ministres  protestants  très  avisés  se  multiplient  dans  ces 
parages  et  se  préparent  à  profiter  de  la  situation  à  leur 
avantage.  Devons-nous  être  moins  clairvoyants  ou 
moins  prompts  à  l'action  et  ne  voit-on  pas  la  nécessité 
où  nous  sommes  de  fortifier  nos  postes  de  la  rivière  la 
Paix  qui  depuis  trop  longtemps  végètent  péniblement. 
Par  exemple,  le  R.  P.  Le  Treste  se  trouve  tout  seul  pour 
visiter  la  rivière  Tripay,  la  Grande-Prairie,  le  fort  Saint- 
Jean  et  le  fort  de  la  Montagne  oh  il  ne  peut  suffire  à  la 
besogne,  car  la  distance  qui  le  sépare  de  ces  postes  est 
immense,  sans  compter  les  difficultés  énormes  des 
voyages  soit  en  été,  soit  en  hiver.  Sa  position  est  vrai- 
ment décourageante.  Un  jeune  Père  nous  avait  été 
envoyé  pour  lui  prêter  main-forte.  Malheureusement  il 
a  dû  s'arrêter  à  Saint-Albert  d'oti  des  réclamations  trop 
respectables  pour  me  permettre  de  les  critiquer  l'ont 
fait  revenir  à  Saint-Boniface.  J'avais  annoncé  avec  joie 
aucher  P.  Le  Treste  la  venue  si  opportune  de  ce  nouveau 
missionnaire  et  je  me  suis  vu,  hélas  !  obligé  de  changer 
mes  actions  de  grâces  en  gémissements  et  en  plaintes. 
J'espère  que  l'on  voudra  bien  nous  consoler  de  cette 
cruelle  déception  et  nous  remplacer  au  plus  tôt  ce  jeune 
Père  qu'on  ne  nous  a  montré  que  pour  nous  l'enlever 
impitoyablement. 

f  E.  Grouard,  0.  M.  I., 
Évêque  d'Ibora, 
Vicaire  apostolique  d'Âthabaska-Mackeuzie. 


—  193  — 

Rapport  du  vicariat  de  Saint-Albert. 

Mon  très  révérend  Père  et  mes  révérends  Pères, 

Au  moment  de  commencer  ce  rapport,  je  dois  me 
mettre  en  garde  contre  un  écueil.  ?Je  dois,  en  quelque 
sorte,  me  faire  violence  pour  ne  pas  vous  exposer  la 
situation  du  vicariat  sous  des  couleurs  trop  sombres.  En 
voyant  toutes  les  difficultés  qui  nous  assiègent  de  toutes 
parts,  je  vous  avoue  que  je  me  sens  effrayé,  et,  sans 
doute,  quelque  chose  de  cette  impression  ne  peut  man- 
quer de  se  trahir  au  dehors. 

Si,  d'un  côté,  je  dois  me  mettre  en  garde  contre  les 
effets  d'une  crainte  excessive,  d'un  autre  côté,  la  Con- 
grégation et  ceux  qui  en  ont  la  haute  direction  ont 
droit  à  savoir  la  vérité  aussi  exactement  que  possible.  Il 
leur  est  utile  et  même  nécessaire  de  savoir  au  juste 
quelle  est  la  situation  réelle  de  ce  vicariat  sous  tous  les 
rapports,  sous  le  rapport  du  personnel  et  sous  le  rap- 
port des  œuvres,  sous  le  rapport  des  ressources  et  sous 
le  rapport  des  besoins. 

Je  tâcherai  donc,  en  me  mettant  en  garde  contre  l'ex- 
cès que  je  viens  de  signaler  et  en  restant  strictement 
dans  les  limites  de  la  vérité,  de  montrer  la  situation 
telle  qu'elle  est.  Cette  situation  apparaîtra  suffisamment 
pénible,  j'en  suis  sûr,  pour  toucher  nos  supérieurs  et 
les  porter  à  prendre  des  mesures  propres  à  l'améliorer. 

Depuis  le  dernier  Chapitre  général,  en  1893,  parmi  les 
faits  saillants  qui  méritent  une  mention  spéciale,  je  dois 
signaler,  en  premier  lieu,  la  visite  canonique  que  nous 
fit  notre  T.  R.  P.  Supérieur  général  dans  l'année  qui 
suivit  son  élection.  Cette  faveur  signalée  de  la  visite 
d'un  Supérieur  général,  qui,  pour  la  première  fois,  était 
accordée  aux  Missions  lointaines  de   l'Amérique    du 


—  194  — 

Nord,  avait  eu  les  résultats  les  plus  consolants.  Elle 
avait  resserré  les  liens  d'attachement  filial  envers  notre 
bien-aimée  Congrégation.  Elle  avait  ranimé  les  senti- 
ments de  charité  fraternelle  parmi  les  membres  de  la 
famille.  Elle  avait  surtout  conquis  les  plus  vives  sympa- 
thies et  le  plus  sincère  dévouement  en  faveur  du  Père 
qui  nous  était  apparu  si  dévoué  lui-même  et  si  aimant 
pour  tous  ses  enfants. 

Aussi,  quelle  douloureuse  impression  ce  fut  pour  tous 
les  membres  de  la  famille,  dans  ce  lointain  vicariat, 
quand  arriva  tout  à  coup  la  nouvelle  inattendue  de  la 
mort  de  notre  très  regretté  P.  Général.  La  grande  dis- 
tance qui  nous  sépare  du  centre  de  la  famille  n'avait 
pas  permis  que  nous  pussions  suivre  les  progrès  de  la 
terrible  maladie.  Ce  coup  n'en  fut  que  plus  sensible  et 
notre  seule  consolation  doit  être  que  nous  avons  un 
protecteur  de  plus  au  ciel. 

Un  autre  événement  à  signaler  est  la  nomination 
d'un  coadjuteur  à  Ms''  Grandin.  M^'  l'évêque  de  Saint- 
Albert,  à  qui  de  nombreuses  et  cruelles  infirmités  et  un 
état  de  santé  bien  précaire  rendaient  l'exercice  de  ses 
doubles  fonctions  d'évêque  du  diocèse  et  de  vicaire  de 
Missions,  bien  lourdes  à  porter,  avait  demandé,  à  plu- 
sieurs reprises,  d'être  relevé  de  ces  fonctions,  ou  du 
moins  de  pouvoir  s'en  décharger  en  partie  sur  un  coad- 
juteur. 

Après  une  longue  attente,  le  désir  de  Monseigneur  fut 
enfin  exaucé,  et,  le  29  mars  1897,  un  coadjuteur  lui 
était  donné  dans  la  personne  du  R.  P.  Légal,  qui  avait 
travaillé  dans  le  diocèse  pendant  un  espace  de  seize 
années. 

Le  coadjuteur  était  élu  évêque  de  Pogla,  et  il  fallut 
déterminer  l'époque  de  la  consécration.  Ces  fêtes  de  la 
consécration  furent  lixées  à  Sainl-Albert  pour  le  17  juin, 


—  195  — 

et  Ms'  Grandin  se  réserva  la  consolation  de  donner  la 
consécration  épiscopale  à  celui  qui  lui  était  donné  pour 
être  un  autre  lui-même.  Ces  fêtes  furent  tout  intimes, 
des  fêtes  de  famille  ;  elles  furent  cependant  rehaussées 
par  la  présence  d'illustres  visiteurs.  Sa  Grandeur 
Me""  l'archevêque  de  Saint-Boniface  présida,  mais  laissa  à 
son  vénérable  suffragant  le  bonheur  de  consacrer  son 
coadjuteur.  M^""  Durieu,  évéque  de  New-Westminster, 
qui,  lui  aussi,  avait  réclamé  et  obtenu  un  coadjuteur, 
s'était  imposé  un  long  déplacement  et  un  pénible  voyage 
pour  venir  assister  l'Évêque  consécrateur.  Ms'  Glut, 
auxiliaire  d'Athabaska-Mackenzie,  avait  même  entrepris 
un  voyage  plus  pénible  encore  pour  arriver  de  sa  loin- 
taine Mission  du  petit  lac  des  Esclaves.  Rien  de  plus 
majestueux  et  de  plus  touchant  à  la  fois  que  cet  impo- 
sant entourage,  formé  à  leur  jeune  et  brillant  métropo- 
litain, par  ce  vaillant  Évêque  de  Saint-Albert,  le  doyen 
de  l'épiscopat  canadien,  et  ces  deux  vénérables  Évêques 
blanchis,  eux  aussi,  dans  les  labeurs  de  l'apostolat. 
Parmi  les  autres  hôtes  distingués  que  Saint-Albert  pos- 
séda dans  ces  jours  de  fête,  il  faut  mentionner  le 
R.  P.  Lefebvrk,  provincial  des  Oblats  dans  la  province 
du  Canada;  M.  Forget,  le  bienveillant  commissaire  du 
département  indien  ;  le  plus  grand  nombre  des  Pères  du 
diocèse,  ainsi  que  plusieurs  autres  Révérends  Pères  et 
Prêtres  séculiers. 

La  Congrégation,  qui  avait  refusé  d'abord  à  Monsei- 
gneur de  déposer  la  charge  de  vicaire  de  Missions,  finit 
aussi  par  consentir  à  ce  désir,  et,  à  la  date  du  22  sep- 
tembre 1897,  cette  charge  était  également  imposée  au 
coadjuteur,  le  nouvel  évêque  de  Pogla.  Ce  lourd  fardeau 
lui  est  heureusement  allégé  par  la  présence  et  les  con- 
seils de  celui  qui  a  été  pendant  plus  de  trente  années  le 
révérendissirae  et  universellement  aimé  vicaire  du  vica- 


—  196  — 

riat  de  Saint-Albert.  Puisse  ce  secours  lui  rester  bien 
longtemps  encore  ! 

Est-ce  l'efTet  du  soulagement  produit  sur  notre  bien- 
aimé  Évêque  en  se  voyant  déchargé  de  cette  grande 
responsabilité?  La  santé  de  Sa  Grandeur  a  été  généra- 
lement bien  meilleure  depuis,  et  lui  a  permis  même 
d'entreprendre  le  voyage  de  Saint-Boniface,  qui  eût  été 
regardé  comme  absolument  impossible  quelques  mois 
auparavant. 

L'année  qui  vient  de  s'écouler  a  été  on  ne  peut  plus 
favorable  à  la  population  sous  le  rapport  des  récoltes, 
dans  presque  toute  l'étendue  du  diocèse.  Dès  le  mois  de 
juin,  des  pluies  abondantes  ont  arrosé  le  sol,  et  ces  on- 
dées bienfaisantes  se  sont  continuées  pendant  tout  le 
cours  de  l'été.  La  conséquence  a  été  que  les  récoltes  ont 
été  magnifiques.  Dans  les  limites  d'Edmonton  et  de  Saint- 
Albert  spécialement,  l'année  1898  passera  peut-être  pour 
la  plus  favorable  qu'il  ait  été  donné  de  signaler  depuis  le 
commencement  de  la  colonisation.  Un  certain  état  de 
bien-être  est  donc  venu  remplacer,  chez  la  plupart  des 
colons,  un  état  de  gêne  plus  ou  moins  sévère.  Les  ar- 
riérés ont  été  payés,  des  dépenses  urgentes  ont  pu 
être  effectuées  pour  l'amélioration  de  la  ferme,  et  on 
peut  le  supposer  aussi,  quelques  épargnes  ont  pu  être 
faites  par  plusieurs  pour  pourvoir  aux  incertitudes  de 
l'avenir. 

Dans  les  environs  immédiats  d'Edmonton  et  de  Saint- 
Albert,  notre  énergique  agent  d'immigration,  M.  l'abbé 
Morin,  a  relevé  une  récolte  de  415821  minots  de  grains, 
dont  87  055  minots  de  blé  :  soit  environ  9 175  000  kilo- 
grammes de  grains,  dont  2  600  000  kilogrammes  de  blé, 
parmi  les  colons  catholiques  seulement.  En  englobant 
la  population  protestante ,  on  arrive  au  chiffre  de 
2  400000  minots  de  grains,  dont  800000  minots  de  blé  : 


—  197  — 

soit  56  millions  de  kilogrammes  de  grains,  dont  24  mil- 
lions de  kilogrammes  de  blé. 

Cette  récolte  abondante  va  certainement  décider  un 
grand  nombre  de  personnes,  qui  hésitaient  encore,  à 
venir  s'établir  dans  le  Nord-Ouest.  Les  centres  de  pa- 
roisses déjà  commencés  vont  voir  leur  population  aug- 
menter considérablement;  d'autres  paroisses  vont  surgir. 
Les  besoins  auxquels  nous  ne  pouvons  déjà  pourvoir 
vont  devenir  plus  urgents  encore.  Plusieurs  postes  que 
nous  ne  pouvions  que  visiter  de  temps  en  temps  vont 
nécessiter  la  présence  d'un  prêtre  résident. 

Une  autre  circonstance  va  contribuer  à  développer  le 
pays  et  à  y  attirer  des  populations  nombreuses.  Des  gi- 
sements d'or  d'une  richesse  incalculable  ont  été  récem- 
ment découverts  dans  les  régions  du  Nord-Ouest  cana- 
dien, confinant  à  l'Alaska  et  faisant  partie  du  vicariat 
d'Athabaska-Mackenzie.  La  fièvre  de  l'or  s'est  immédia- 
tement répandue  sur  tout  le  continent  du  nord  de 
l'Amérique  et  même  a  traversé  les  mers.  Des  milliers  de 
personnes  affluent  de  toutes  parts  et  s'élancent  dans  la 
direction  des  contrées  septentrionales,  où  elles  espèrent 
trouver  la  fortune.  Il  y  a  plusieurs  routes  qui  conduisent 
à  cet  Eldorado.  Une  d'elles,  plus  courte,  mais  hérissée  de 
difficultés  énormes,  est  par  le  côté  de  l'océan  Pacifique. 
On  parle  de  construire  un  tronçon  de  chemin  de  fer  de 
ISÛ  milles,  qui  rendrait  cette  route  relativement  aisée  ; 
mais  en  attendant,  il  y  a  une  foule  de  gens  à  qui  la  soif 
de  l'or  ne  permet  pas  de  délais  et  ils  arrivent,  chaque 
jour,  en  foule  pour  prendre  ce  que  l'on  appelle  la  route 
d'Edmonton.  Cette  route  est  beaucoup  plus  longue, 
mais  semble  présenter  moins  d'obstacles  que  l'autre.  Des 
milliers  de  personnes  n'ont  cessé  d'affluer  depuis  l'au- 
tomne dernier.  Ces  nonveaux  arrivants  ne  se  fixent  pas 
présentement  dans  le  pays,  il  est  vrai,  mais  ils  ouvrent 

T.   XXX VI.  14 


—  198  — 

des  chemins,  ils  parcourent  toute  cette  contrée  et  cela  va 
leur  permettre  de  constater  de  visu  les  ressources  de 
ce  pays  et  les  avantages  qu'il  présente  au  point  de  vue 
de  la  culture  du  sol. 

Donc  le  résultat  que  nous  prévoyons  sera  l'arrivée  de 
nombreux  colons. 

Cet  avenir  que  nous  saluerions  avec  joie,  si  nous  étions 
en  mesure  de  pourvoir  aux  besoins  spirituels  de  la  po- 
pulation catholique,  nous  ne  l'entrevoyons  qu'avec  de 
sérieuses  inquiétudes.  Les  ouvriers  nous  font  défaut 
sur  presque  tous  les  points.  Le  même  missionnaire  a 
souvent  une  foule  de  postes  à  desservir.  Il  n'a  pas  de 
repos  et  ne  peut  donner  à  ces  populations  tous  les  soins 
dont  elles  auraient  besoin. 

Sur  qui  compter  pour  nous  aider  à  maintenir  nos 
œuvres  sinon  sur  la  Congrégation  ?  C'est  la  Congrégation 
qui  a  implanté  la  foi  dans  ces  vastes  régions  de  l'Ouest, 
c'est  elle  qui  a  établi  la  religion  catholique  dans  ces  im- 
menses territoires.  La  Congrégation  voudra  asseoir  son 
œuvre  sur  des  bases  solides.  Elle  ne  permettra  pas  que, 
faute  de  sujets,  nous  soyons  réduits  à  voir  cette  œuvre 
végéter  au  lieu  de  prendre  un  vigoureux  accroissement. 
Elle  ne  permettra  pas  que,  par  suite  du  manque  d'ou- 
vriers évangéliques,  nous  ayons  à  redouter  de  voir  cette 
œuvre  partiellement  détruite.  Nos  populations,  soit  sau- 
vages, soit  civilisées,  si  elles  sont  forcément  négligées  ou 
trop  imparfaitement  soignées,  sont  en  danger,  en  effet, 
de  passer  au  protestantisme,  ou  ce  qui  n'est  pas  mieux, 
à  l'indifférence  religieuse.  A  qui  aurons-nous  recours  si 
la  Congrégation  ne  nous  venait  en  aide?  A  d'autres  fa- 
milles religieuses?  D'abord  ce  serait  à  regret  que  nous 
nous  déciderions  à  transmettre  à  d'autres  l'honneur  de 
consolider  la  foi  dans  ces  vastes  régions  du  Nord-Ouest. 
Puis,  d'après  les  apparences,  les  autres  Congrégations, 


—  199  — 

qui  ont  leurs  propres  œuvres,  ne  se  prêteraient  pas  vo- 
lontiers à  nous  venir  en  aide. 

Recourrons-nous  au  clergé  séculier?  Nous  avons  es- 
sayé de  cet  expédient.  On  ne  peut  dire  qu'il  ait  réussi. 
Nous  avons  en  ce  moment  quelques  prêtres  séculiers  qui 
consentent  à  partager  noire  vie  de  renoncement  et  de 
sacrifices.  Leur  conduite  est  d'autant  plus  louable  qu'ils 
ne  forment  qu'une  petite  exception,  et  les  résultats,  pour 
ceux  qui  sont  venus,  à  différentes  époques,  travailler 
dans  ce  diocèse  sont  loin  de  répondre  à  nos  efforts.  Un 
certain  nombre  de  ces  prêtres,  venus  à  notre  appel, 
avaient  des  raisons  plus  ou  moins  pressantes  de  quitter 
la  place  qu'ils  occupaient,  et  souvent,  après  un  court 
séjour,  nous  causaient  bien  des  ennuis.  D'autres,  ne 
trouvant  pas,  dans  nos  pauvres  paroisses  en  formation, 
le  confort  et  les  avantages  des  paroisses  bien  organisées 
du  bas  Canada,  nous  quittaient  bientôt  en  nous  laissant 
dans  une  difficulté  plus  grande  qu'auparavant. 

Voilà  la  situation  et  il  semble  que  la  Congrégation 
nous  reste  comme  notre  seule  ressource,  et  puisqu'elle 
a  entrepris  d'implanter  la  loi  dans  ces  pays,  c'est  à  elle 
que  revient  le  devoir  d'en  assurer  la  vie  et  le  dévelop- 
pement. C'est  là  notre  espoir  et  il  ne  sera  pas  déçu,  nous 
en  avons  la  confiance. 

Le  personnel  du  vicariat  se  compose  de  30  Pères,  y 
compris  Ms^  l'évêque  et  son  coadjuteur,  et  Ti  Frères 
convers,  dont  6  n'ont  que  des  vœux  temporaires. 

Parmi  les  Pères,  outre  Monseigneur,  il  y  en  a  6  qui 
sont  au-dessus  de  soixante  ans  :  RR.  PP.  Rémas,  Lacombe, 
Lebret,  Végreville,  Lestang  et  Fouquet.  De  plus,  les 
RR.  PP.  RÉMAS,  Lacombe,  Fouquet  et  Leduc  sont  dans 
un  état  de  santé  inquiétant,  et  il  est  réellement  bien 
pénible  d'être  réduit  à  demander  du  travail  à  ces  pauvres 
Pères,  qui  auraient  tant  de  droits  à  un  repos  absolu.  Le 


—  200  — 

R.  P.  Perreault  est  toujours  entre  la  vie  et  la  mort; 
ce  n'est  qu'à  force  d'énergie  qu'il  tâche  encore  de  diriger 
sa  Mission.  Les  RR.  PP.  Tissier,  Legoff,  Dauphin,  Lizée 
et  Danis  sont  loin  d'avoir  une  santé  bien  robuste.  Voilà 
donc  13  Pères  sur  lesquels  nous  ne  pouvons  compter 
qu'avec  beaucoup  de  réserve  ;  cela  réduit  donc  le  per- 
sonnel solide  à  16  Pères  seulement. 

Parmi  les  Frères  convers,  4  dépassent  soixante  ans.  Ce 
sont  les  FF.  Leriche,  Bowes,  Lalica.nt  et  Gérante;  6  ou 
7  autres  dépassent  la  cinquantaine.  Plusieurs  d'entre 
les  Frères  n'ont  qu'une  bien  pauvre  santé  et  ne  peuvent 
rendre  que  de  faibles  services.  Depuis  le  dernier  Cha- 
pitre, nous  avons  perdu  le  F.  Péréard,  qui  est  décédé, 
le  11  juillet  1895,  après  une  cruelle  maladie  et  d'atroces 
douleurs  religieusement  supportées. 

Dans  iles  maisons  et  résidences  oîi  il  y  a  plusieurs 
Pères  et  Frères,  les  exercices  de  communauté  se  font 
avec  une  certaine  régularité,  mais  c'est  l'exception.  Il 
n'est  guère  possible  d'atteindre  à  cette  régularité  dans 
les  maisons  où  il  n'y  a  que  deux  ou  trois  membres,  dont 
presque  toujours  quelques-uns  sont  dérangés  par  les 
travaux  du  ministère  et  bien  d'autres  occupations  aux- 
quelles ils  doivent  se  livrer.  Dans  ces  petites  Missions, 
où  il  y  a  seulement  deux  ou  trois  Oblats  pour  former 
toute  la  communauté,  le  Père  en  charge  a  généralement 
tout  à  faire.  Il  doit  recevoir  toutes  les  visites,  traiter  toutes 
les  affaires,  non  seulement  celles  de  la  Mission,  mais 
aussi  celles  pour  lesquelles  on  vient  réclamer  son  con- 
cours. Il  est  très  difficile,  dans  de  telles  conditions, 
d'arriver  à  une  régularité  absolue.  La  prière  du  matin  et 
la  méditation,  ainsi  que  la  prière  du  soir,  se  font  toujours 
en  commun  ;  souvent  tous  les  autres  exercices  se  font 
privément.  La  faiblesse  humaine  s'ajoutant  aux  diffi- 
cultés réelles,  :il  n'est  pas  étonnant  que  quelque  chose 


I 


—  201  — 

laisse  à  désirer  sous  le  rapport  de  la  régularité  ;  cepen- 
dant, en  tenant  compte  des  conditions  spéciales  de  la 
plupart  de  nos  petites  résidences,  fpeut-être  ne  serait-il 
pas  juste  d'accuser  trop  facilement  de  négligence. 

Grâce  à  Dieu,  quand  on  peut  constater  le  dévouement, 
le  zèle  et  l'abnégation  dont  font  preuve  quelques-uns  de 
nos  missionnaires.  Pères  ou  Frères,  dans  des  Missions 
ingrates  et  difficiles,  on  ne  peut  s'empêcher  d'en  remer- 
cier le  Ciel.  Ici,  comme  partout,  c'est  le  religieux  soumis 
et  obéissant,  se  dévouant  sans  réplique  là  où  l'obéissance 
l'envoie,  qui  reçoit  les  bénédictions  du  bon  Dieu. 

Le  ministère  extérieur  dans  nos  pays  de  Missions,  dans 
nos  paroisses  qui  surgissent  à  peine,  où  tout  est  à  créer, 
où  tout  est  à  organiser,  est  bien  multiple  et  varié.  La 
population  est  très  disparate.  Il  y  a  ordinairement,  dans 
les  limites  d'une  même  Mission,  des  populations  civili- 
sées de  race  canadienne  française  ou  anglaise,  puis  des 
populations  métisses  ou  sauvages.  On  appelle  métis  les 
descendants  croisés  de  blancs  et  de  sauvages  qui  se 
rapprochent  à  tous  les  degrés,  soit  de  la  civilisation, 
soit  de  la  sauvagerie. 

Outre  les  Irlandais,  Écossais  ou  Anglais,  il  y  a  encore, 
dans  plusieurs  centres,  des  représentants  d'autres  natio- 
nalités diverses,  qui  nous  viennent  surtout  de  l'Alle- 
magne et  de  l'Autriche  :  Allemands  proprement  dits. 
Hongrois,  Galiciens,  Silésiens,  Slaves  ;  puis  des  Italiens 
en  bon  nombre,  des  Belges,  des  Flamands,  etc. 

Comme  on  peut  le  penser,  le  ministère  est  très  diffi- 
cile au  milieu  de  ces  différents  groupes  à  mœurs,  cou- 
tumes et  usages  si  disparates,  à  préjugés  souvent  tout 
opposés.  Il  y  a  la  difficulté  des  distances  à  parcourir 
pour  se  mettre  en  relation  avec  tous.  Il  y  a  la  difficulté 
des  langues  qu'il  faut  apprendre  quand  le  nombre  des 
personnes   est  suffisamment   considérable.  Tout  cela, 


—  202  — 

ajouté  aux  autres  difficultés  inhérentes  au  ministère  des 
âmes,  établit  un  état  de  choses  vraiment  spécial  et  qui 
demande  du  missionnaire  des  aptitudes  variées  et  une 
somme  d'énergie  et  d'activité  plus  qu'ordinaire.  La 
situation  varie  d'ailleurs,  pour  ainsi  dire,  avec  chaque 
Mission,  car  toutes  ont  leurs  conditions  particulières. 

Le  vicariat  tout  entier  est  divisé  en  cinq  districts  : 
Saint-Albert,  Edmonton,  Galgary,  le  lac  Laselle  et  le 
district  des  Pieds-Noirs.  Il  y  a  46  Missions,  paroisses  ou 
postes  à  desservir  ;  24  de  ces  Missions  ou  postes  n'ont 
pas  de  prêtre  résident,  quoique  9  possèdent  déjà  des 
petites  chapelles  plus  ou  moins  convenables. 

Généralement,  dans  les  paroisses  ou  Missions  où  il  y 
a  un  prêtre  résident,  il  y  a  aussi  une  ou  plusieurs 
écoles.  Dans  les  autres,  il  n'y  a  généralement  pas 
d'école,  ou  bien  ces  écoles  sont  des  écoles  protestantes. 

La  population  totale  du  vicariat  est  difficile  à  déter- 
miner. Elle  augmente  chaque  jour  par  de  nouvelles 
recrues,  et,  quoique  les  protestants  affluent  davantage, 
il  y  a  cependant  toujours  un  certain  contingent  de  ca- 
tholiques qui  viennent  s'établir  dans  cet  immense  pays. 
La  superficie  totale  du  vicariat  est  d'environ  700  kilo- 
mètres carrés  et  la  population  d'environ  40000  âmes, 
dont  13000  ou  14000  catholiques  et  36  000  ou  37  000 pro- 
testants et  infidèles. 

L  DISTRICT  DE    SAINT-ALBERT. 

Ce  district  comprend 3  paroisses:  Saint- Albert,  Sainte- 
Émérence  et  Saint-Pierre,  et  2  Missions  :  lac  Sainte-Anne 
et  Saint-Alexandre. 

Saint-Albert,  siège  de  l'évêché  et  résidence  du  vicaire 
de  Missions,  n'a  pas  vu  sa  condition  changer  beaucoup 
depuis  le  dernier  Chapitre.  La  vieille  cathédrale  qui  me- 
nace ruine  et  qui,  dès  l'époque  du  dernier  Chapitre, 


—  203  — 

demandait  des  réparations,  est  encore  dans  le  même  état. 
On  parle  beaucoup  de  la  construction  d'une  ligne  ferrée 
qui,  venant  d'Edmonton,  dans  la  direction  nord-ouest, 
passerait  par  Saint-Albert.  Si  ce  projet  se  réalisait,  la 
condition  du  petit  village  de  Saint-Albert  pourrait  être, 
avant  peu,  complètement  modifiée  ;  et  il  est  impossible 
de  prévoir  actuellement  quelle  serait  alors  l'importance 
de  la  localité.  On  attend  donc  encore  avant  d'entre- 
prendre rien  d'important  au  sujet  de  la  cathédrale.  Il 
faudra  pourtant  aviser  aux  réparations  les  plus  urgentes. 
L'évêché  est  encore  inachevé,  quoique  certaines  amélio- 
rations de  détail  aient  été  effectuées. 

Saint-Albert  est  le  centre  de  la  vie  religieuse  dans  le 
vicariat.  La  communauté  est  assez  nombreuse,  car  en 
outre  des  membres  qui  sont  dans  le  service  actif,  il  y 
en  a  d'autres  encore,  Saint-Albert  étant  le  lieu  de  refuge 
des  Pères  et  Frères  que  l'âge  ou  les  infirmités  ont  affai- 
blis. Cependant  il  faut  reconnaître  que  même  ceux-là 
rendent  encore  tous  les  services  en  leur  pouvoir,  avec 
une  bonne  volonté  digne  de  tout  éloge.  Il  y  a,  pour  com- 
poser la  communauté ,  outre  notre  vénérable  évêque 
et  son  coadjuteur ,  3  Pères  résidents  et  9  Frères  :  le 
R.  P.  Mérer,  supérieur,  le  R.  P.  Rémas  et  le  R.  P.  Cun- 
NiNGHAM.  Les  Frères  sont  :  FF.  Leriche,  Lalican,  Letour- 
NEUR,  BoisGONTiER,  Landry,  Landais,  Kleiner,  Hays  et 
Pion.  Monseigneur  donne  à  tous  l'exemple  de  la  plus 
grande  régularité.  La  santé  de  Sa  Grandeur  lui  permet 
d'assister  à  tous  les  exercices  de  la  communauté  et  sa 
vue  seule  est  un  encouragement  et  une  prédication. 
L'évêque  dePogla,  depuis  le  jour  de  sa  consécration,  n'a 
résidé  à  Saint  -  Albert  que  par  intervalles.  Il  a  visité 
toutes  les  Missions  du  diocèse  presque  sans  exception 
pour  administrer  le  sacrement  de  confirmation  et  se 
rendre  compte,  d'une  manière  générale,  de  l'ensemble 


—  204  — 

du  vicariat.  Le  R.  P.  Supérieur  a  beaucoup  à  faire,  étant 
en  même  temps  économe.  Il  cumule  même  les  fonc- 
tions de  maître  des  novices  et  de  directeur  des  Frères 
convers.  C'est  assez  dire  qu'il  a  les  mains  pleines. 

Il  y  avait  un  prêtre  novice  l'an  dernier;  après  une 
période  de  neuf  mois  environ  de  noviciat,  ce  sujet, 
qui  avait  toujours  inspiré  de  sérieuses  inquiétudes  sur 
ses  dispositions,  a  dû  être  informé  qu'il  n'était  pas 
appelé  à  la  vie  religieuse,  du  moins  dans  notre  Con- 
grégation. Sa  conduite  subséquente  et  ses  réclamations 
extravagantes  ont  prouvé  depuis  que  le  conseil  a  été 
bien  inspiré,  en  refusant  d'admettre  dans  la  famille  un 
tel  sujet. 

La  paroisse  compte  plus  de  960  âmes.  Elle  est  com- 
posée surtout  de  Canadiens  de  langue  française  et  de 
métis  en  grand  nombre.  Ceux-ci  parlent  généralement 
le  cris,  mais  comprennent  plus  ou  moins  le  français.  Il 
y  a  aussi  quelques  familles  catholiques  de  langue  an- 
glaise. La  population  est  presque  exclusivement  catho- 
lique ;  il  n'y  a  qu'un  bien  petit  nombre  de  familles  pro- 
testantes, quatre  ou  cinq  environ. 

Le  service  de  la  prédication  doit  se  faire  en  trois  lan- 
gues, et  quoique  le  français  domine,  cependant  il  faut 
aussi  parler  souvent  en  anglais  et  en  cris.  Les  offices  sont 
nombreux  et  réguliers  à  la  cathédrale.  Les  exercices  des 
dévotions  autorisées  sont  fidèlement  observés  et  aident 
beaucoup  à  la  piété.  Les  bénédictions  du  Très  Saint 
Sacrement,  qui  ont  lieu  souvent  pendant  la  semaine, 
attirent  toujours  une  assistance  bien  convenable.  La 
dévotion  au  Sacré  Cœur,  pour  le  premier  vendredi  du 
mois,  fait  beaucoup  de  bien,  et  un  grand  nombre  de  per- 
sonnes profitent  de  cette  circonstance  pour  s'approcher 
des  sacrements. 

La  population  est  généralement  bonne,  tranquille  et 


—  20S  — 

sympathique.  Les  grands  scandales  sont  heureusement 
fort  rares.  L'ivrognerie  surtout,  parmi  les  métis,  est  le 
vice  qui  cause  le  plus  de  désordres. 

Le  personnel  des  Frères  est  employé  aux  divers  tra- 
vaux de  la  maison.  L'entretien  de  l'évêché  et  de  l'église, 
le  soin  des  animaux  et  des  étables,  les  nombreux  voyages 
à  Edmonton  et  ailleurs  nécessitent  le  concours  de  tous. 
Dès  que  la  saison  le  permet,  quelques-uns  des  Frères 
sont  employés  aux  travaux  de  la  ferme.  Cette  année,  le 
rendement  de  la  ferme  a  été  considérable.  Nous  avons 
été  favorisés  de  la  même  bénédiction  qui  s'est  étendue 
sur  toute  la  contrée.  Les  champs  de  la  Mission  ont 
fourni  6  200  minots  (143  000 kilogrammes)  de  grain,  dont 
2  iOO  minots  de  blé  (63000  kilogrammes)  ;  sans  compter 
de  magnifiques  légumes  en  grande  quantité. 

Les  Révérendes  Sœurs  Grises  de  Montréal  ont,  près  de 
la  cathédrale,  un  vaste  établissement,  qui  comprend  un 
orphelinat,  un  pensionnat  ou  une  école  industrielle  pour 
les  sauvages,  et  une  école  publique  catholique  pour  les 
enfants  des  blancs.  Il  y  a  même  quelques  salles  qui 
servent  d'hôpital  quand  le  besoin  l'exige.  La  commu- 
nauté se  compose  de  12  Sœurs  et  de  plusieurs  Sœurs  fran- 
ciscaines auxiliaires  ou  personnes  engagées.  Toutes  ces 
œuvres,  en  effet,  nécessitent  une  somme  considérable  de 
travail  et  de  bonne  volonté.  Le  bien  se  fait  d'une  multitude 
de  manières.  Je  ne  dirai  pas  qu'il  se  fait  sans  difficulté. 
Il  faut  s'ingénier  de  mille  manières  pour  réussir  à  faire 
vivre  et  à  entretenir  ces  nombreux  orphelins  qui,  pour 
la  plupart,  sont  acceptés  gratuitement.  Il  faut  se  sou- 
mettre à  bien  des  exigences  pour  s'assurerles  secours  que 
le  gouvernement  accorde  pour  les  enfants  sauvages.  II 
faut  aussi  s'attendre,  de  temps  en  temps,  à  bien  des  tra- 
casseries de  la  part  des  commissaires  d'école,  qui  se 
laissent  souvent  guider  par  l'égoïsme  et  les  petites  riva- 


~  206  — 

lités  personnelles,  plutôt  que  par  l'intérêt  public  ;  et  le 
système  d'école  est  tel,  dans  ce  pays,  que  l'on  est  à  la 
merci  de  ces  commissaires  locaux  pendant  le  terme  de 
leur  office. 

Les  Sœurs  entretiennent  à  leurs  frais  49  orphelins  ou 
orphelines  pour  lesquels  elles  ne  reçoivent  absolument 
aucun  secours.  Elles  s'occupent  aussi  de  donner  l'édu- 
cation à  85  enfants  sauvages,  pour  lesquels  elles  reçoi- 
vent une  allocation  du  département  indien.  L'école 
publique  est  fréquentée  par  environ  200  enfants,  y  com- 
pris les  enfants  de  l'orphelinat. 

La  ferme  de  la  communauté  des  Sœurs  Grises  a  rap- 
porté, dans  la  dernière  année,  3  200  minots  de  grains 
(soit  73  600  kilogrammes). 

En  outre  de  cette  communauté  de  Sœurs  qui  s'occupe 
de  l'éducation  des  enfants  et  leur  donne  Tinstruction 
primaire,  nous  rendant  ainsi  des  services  incalculables, 
il  est  une  œuvre  dont  le  besoin  se  fait  vivement  sentir  et 
que  M^''  Granûin  a  grandement  à  cœur  :  c'est  l'établisse- 
ment d'un  collège-séminaire,  pour  donner  aux  garçons, 
non  seulement  un  cours  commercial,  mais  encore  une 
éducation  classique  ;  ce  serait  une  pépinière  de  voca- 
tions et  le  commencement  d'un  séminaire  diocésain. 

La  Foi  n'est  pas  établie  solidement  dans  un  diocèse, 
tant  qu'il  n'y  a  pas  d'institution  destinée  à  assurer  le  re- 
crutement d'un  clergé  local  et  à  garantir,  pour  l'avenir, 
le  service  religieux  des  paroisses.  Une  institution  de  ce 
genre  nous  a  manqué  jusqu'à  présent.  Pendant  long- 
temps, elle  eût  été  impossible,  mais  maintenant,  vu  le 
grand  nombre  de  bonnes  familles  qui  nous  viennent  du 
Canada  civilisé,  les  conditions  sont  changées,  et  il  y  a 
certainement  parmi  les  jeunes  générations,  bien  des  vo- 
cations religieuses  et  ecclésiastiques  auxquelles  il  fau- 
drait donner  la  possibilité  de  se  manifester. 


—  207  — 

M^'  Grandin  a  fait  déjà  bien  des  démarches  dans  le  but 
d'établir  un  collège-séminaire.  Sa  Grandeur  s'est  con- 
damnée à  des  voyages  pénibles,  dans  le  but  de  recueillir 
un  certain  fonds  qui  puisse  permettre  de  faire  face  aux 
premières  dépenses.  Le  secours  de  la  Congrégation  a  été 
demandé  avec  instance.  C'étaient  surtout  des  sujets  que 
l'on  réclamait  d'elle  comme  professeurs.  La  Congréga- 
tion ne  se  croyant  pas  en  mesure  d'accepter  cette  charge, 
a  conseillé  de  faire  des  tentatives  auprès  d'autres  ordres 
religieux.  On  a,  en  conséquence,  fait  des  démarches  au- 
près de  différentes  communautés  enseignantes  ;  mais 
aucune  ne  s'est  décidée,  jusqu'à  présent,  à  accepter. 

En  attendant,  les  collèges  du  bas  Canada,  à  la  prière 
de  M^'  Graïndin  et  grâce  aussi  aux  nombreuses  démar- 
ches du  R.  P.  Lacombe,  ont  généreusement  accepté  de 
nous  instruire  et  élever  gratuitement  chacun  un  élève. 
Nous  tâchons  de  choisir  les  enfants  parmi  ceux  qui 
donnent  quelques  marques  de  vocation  religieuse  ou 
ecclésiastique;  mais,  comme  nous  n'avons  pas  la  facilité 
de  les  étudier  suffisamment,  il  est  à  craindre,  et  déjà 
l'expérience  le  démontre,  que  nous  ne  soyons  déçus,  la 
plupart  du  temps,  dans  notre  attente.  Ces  échecs  succes- 
sifs peuvent,  à  la  longue,  décourager  nos  généreux  bien- 
faiteurs. 

De  plus,  ces  enfants  ne  sont  pas  suffisamment  avan- 
cés, quand  nous  les  envoyons;  ils  sont  par  conséquent 
un  embarras  pendant  quelque  temps,  parce  qu'ils  néces- 
sitent des  leçons  et  études  spéciales.  Si  nous  avions  un 
collège,  nous  pourrions  donner  à  ces  enfants  les  con- 
naissances voulues,  et  étudier  leur  vocation,  et  quand 
nous  enverrions  quelques-uns  de  ces  enfants  terminer 
leurs  cours  dans  les  collèges  de  l'Est,  nous  aurions  plus 
de  chance  de  succès. 

Que   la  Congrégation  nous  fournisse  deux  ou  trois 


—  208  — 

bons  sujets  aptes  à  l'enseignement  et  cette  œuvre  si  im- 
portante serait  fondée  et  donnerait  toute  la  sécurité 
voulue  pour  l'avenir,  en  permettant  de  compter  sur  la 
formation  continue  d'un  clergé  local. 

Sainte-Emérence  est  une  jeune  paroisse  qui  date  seu- 
lement de  quelques  années.  Elle  se  compose  de  39  fa- 
milles qui  fournissent  une  population  d'environ  ISOâmes. 
Ici  les  familles  de  langue  anglaise  et  celles  de  langue 
française  sont  à  peu  près  en  nombre  égal.  Les  catholi- 
ques de  langue  anglaise  sont  généralement  des  Écossais 
qui  ont  la  foi  solide  et  robuste.  Il  y  a  aussi  quelques 
familles  allemandes.  Une  maison-chapelle,  qui  est  petite 
mais  assez  convenable,  sert  d'église.  Le  haut  de  la  mai- 
son est  arrangé  pour  servir  d'habitation  au  missionnaire 
quand  il  vient  y  passer  quelque  temps.  (1  y  a  aussi  une 
petite  école  catholique  qui  compte  environ  22  enfants, 
assez  réguliers  à  fréquenter  l'école  malgré  la  distance. 

Il  n'y  a  pas  de  prêtre  résidant  à  Sainte-Emérence. 
C'est  le  R.  P.  Nordmann  qui  a  la  charge  de  cette  jeune 
paroisse  ;  mais  il  réside  avec  le  R.  P.  Dauphin,  à  2  milles 
environ,  sur  la  Mission  Saint-Alexandre,  afin  de  procu- 
rer à  l'un  et  à  l'autre  les  avantages  de  la  vie  de  commu- 
nauté. Le  R.  P.  Nordmann  va  régulièrement  faire  le  ser- 
vice de  la  paroisse  confiée  à  ses  soins,  mais  pas  tous 
les  dimanches,  car  étant  le  seul  missionnaire  qui  parle 
allemand,  il  a  la  charge  de  tous  les  catholiques  alle- 
mands éparpillés  de  tous  côtés,  dans  les  environs  de 
Saint-Albert  et  d'Edmonton.  Il  y  en  a,  à  des  distances 
variant  de  50,  60  et  80  milles,  qu'il  doit  visiter  de  temps 
en  temps.  Il  faudrait  un  curé  résident  pour  Sainte- 
Emérence,  car  le  R.  P.  Nordmann  aurait  assez  à  faire  de 
visiter  régulièrement  tous  ces  catholiques  allemands 
qui  voient  le  prêtre  trop  rarement. 

Saint-Pierre,  autre  paroisse  contiguë  à  Sainte-Émé- 


—  209  — 

rence,  est  encore  plus  récente  de  formation.  La  petite 
chapelle  en  pièces  de  bois  équarries,  ne  date  que  de 
l'automne  dernier.  Ici  la  population  est  à  peu  près  ex- 
clusivement française  ;  24  familles,  donnant  environ 
95  personnes.  Il  y  a  une  petite  école  catholique  fré- 
quentée par  15  à  20  enfants.  Ici,  comme  à  Sainte-Éraé- 
rence,  il  n'y  a  pas  de  prêtre  résident.  C'est  le  R.  P.  Dau- 
phin, de  la  Mission  Saint-Alexandre,  qui  vient  donner  le 
service  religieux  une  ou  deux  fois  par  mois.  La  distance 
est  d'environ  9  à  10  milles.  C'est  un  surcroît  de  travail 
assez  pénible  pour  le  R.  P.  Dauphin,  qui  n'a  pas  une 
santé  bien  robuste. 

Mission  du  lac  Sainte'Anne.  La  JMission  du  lac  Sainte- 
Anne  est  la  plus  ancienne  du  vicariat.  Elle  fut  fondée 
par  le  Révérend  M.  Thibault,  avant  même  l'arrivée  des 
missionnaires  Oblats  dans  le  Nord-Ouest.  Quoique  le 
poste  ne  soit  pas  devenu  bien  important  dans  la  suite 
au  point  de  vue  de  la  population,  cependant  il  tire  son 
importance  du  fait  que  c'est  un  lieu  de  pèlerinage,  le 
seul  de  tout  le  diocèse.  Il  y  a  quelques  années,  le 
R.  P.  Lestanc  se  sentit  inspiré  d'établir  un  pèlerinage 
à  la  bonne  sainte  Anne,  comme  on  dit  en  Canada  ;  il 
communiqua  son  dessein  àquelques  personnes  et  recruta 
ainsi  un  certain  nombre  de  pèlerins.  Le  pèlerinage  était 
fondé.  H  fallut  chaque  année,  depuis,  l'organiser  de 
nouveau,  pour  satisfaire  à  la  dévotion  des  populations 
environnantes.  Au  mois  dejuillet  dernier,  j'ai  eu  la  bonne 
fortune  de  faire  aussi  mon  pèlerinage  à  la  bonne  sainte 
Anne,  et,  en  cette  occasion,  j'ai  été  bien  édifié  de  la 
piété  qui  se  manifestait  dans  le  sanctuaire.  Les  cérémo- 
nies ont  été  aussi  solennelles  que  nos  faibles  ressources 
le  permettent.  Presque  toutes  les  personnes  qui  vien- 
nent ainsi  faire  leur  pèlerinage  s'approchent  des  sacre- 
ments. Le  sacrement  de  confirmation  a  été  administré  à 


—  2t0  — 

24  personnes,  et  il  y  a  eu  plusieurs  centaines  de  com- 
munions. 

Dans  ces  jours,  la  petite  Mission  revêt  tout  un  air  de 
fête.  Assise  près  de  son  beau  lac  entouré  de  vastes  fo- 
rêts, elle  est  d'ordinaire  bien  paisible  ;  mais  quand  la 
foule  des  pèlerins  arrive  et  qu'une  ville  passagère  de 
tentes  et  de  loges  de  coton  s'élève  auprès  du  vieux  clo- 
cher, l'activité  se  manifeste  de  toutes  parts,  et  le  spec- 
tacle est  des  plus  pittoresques. 

La  population  totale  delà  Mission  est  mêlée  de  familles 
métisses  et  sauvages,  environ  440  familles,  formant  une 
population  de  plus  de  800  âmes.  Il  y  a  un  Père  résident, 
le  R.  P.VéCtRevillb,  et  "2  Frères  :  le  P.  Gérante  et  le  F.  Ba- 
rassb;  le  premier  est  très  maladif,  à  peu  près  sans  espoir 
de  retour  à  une  meilleure  santé.  Il  rend  pourtant  encore 
des  services,  en  s'occupant  de  l'étable  ;  il  est  au  repos  et 
ne  fait  que  ce  qu'il  se  sent  capable  de  faire.  La  maison 
d'habitation  est  vieille  mais  convenable.  Les  aumônes 
reçues,  à  l'occasion  du  pèlerinage,  ont  permis  de  faire 
à  la  petite  église  quelques  améliorations  et  embellisse- 
ments bien  nécessaires. 

Une  petite  école  pour  les  sauvages  est  fréquentée  par 
une  dizaine  d'enfants.  Il  y  en  a  beaucoup  d'autres  qui 
seraient  en  âge  de  suivre  l'école,  mais  la  pauvreté  et  la 
rigueur  du  climat  ne  leur  permettent  pas  toujours  de  se 
vêtir  assez  chaudement  pour  parcourir  la  dislance  qui 
les  sépare  de  la  maison  d'école.  Une  autre  école  pour  les 
blancs  et  les  métis  n'a  pas  pu  être  ouverte  depuis  quel- 
que temps. 

Outre  la  paroisse,  le  R.  P.  Végreville  a  deux  autres 
postes  à  visiter  :  le  Dét)-oit,  h  à,  oaomiWes,  et  le  lac  Blanc, 
à  12  ou  15  milles.  Les  sauvages  de  ces  deux  postes  sont 
pour  la  plupart  des  Assiniboines  et  le  R.  P.  Végreville 
est  le  seul  de  nos  missionnaires  qui  ait  quelque  con- 


_  211  ~ 

naissance  de  leur  langue.  Les  sauvages  du  Détroit  sont 
tous  catholiques,  mais  bien  ignorants,  et  réclament  des 
soins  spéciaux.  Les  sauvages  du  lac  Blanc  ont  été  autre- 
fois presque  tous  catholiques,  mais  ayant  été  négligés 
pendant  quelque  temps,  ils  ont  pu  être  influencés  par 
un  ministre  protestant  qui  est  venu  s'établir  au  milieu 
d'eux  et  y  placer  un  maître  d'école.  Quelques-uns  ce- 
pendant se  rappellent  leur  ancienne  foi  et  seraient  dis- 
posés à  y  revenir  s'ils  étaient  assidûment  visités. 

Est-il  besoin  de  dire  que  le  R.  P.  Végreville,  à  son 
âge,  malgré  sa  bonne  volonté,  ne  peut  suffire  à  la  tâche, 
et  faire  toutes  les  courses  qui  seraient  nécessaires.  S'il 
avait  un  compagnon  fort  et  vigoureux  qui  s'occupât  de 
la  Mission  du  lac  Sainte-Anne,  il  pourrait  alors  s'occu- 
per activement  de  ses  sauvages  Assiniboines.  Ici  donc, 
le  manque  de  sujets  nous  force  encore  à  imposer  à  un 
missionnaire  âgé  un  travail  que  ses  forces  ne  lui  per- 
mettent pas  de  faire,  sans  s'imposer  des  fatigues  extrêmes. 
Outre  ces  visites,  en  effet,  à  ces  deux  postes  éloignés, 
ia  visite  des  malades  nécessite  encore  bien  d'autres 
voyages  parmi  une  population  si  dispersée. 

La  Mission  de  Saint- Alexandre  comprend  la  réserve  du 
chef  Alexandre  et  celle  du  chef  Michel  Galikoo.  La  popu- 
lation est  entièrement  sauvage  de  la  nation  des  Cris  ; 
cependant  un  grand  nombre  ne  sont  pas  purs  sauvages, 
mais  plutôt  métis,  quoiqu'ils  soient  considérés  comme 
sauvages  par  le  gouvernement  qui  les  régit,  suivant  les 
termes  du  traité  passé  avec  les  Cris.  La  population  totale 
des  deux  réserves  et  des  familles  éloignées  qui  dépendent 
de  la  même  Mission  monte  à  environ  450  âmes.  Ils  sont 
tous  catholiques,  mais  quelques-uns  sont  peu  instruits  et 
par  conséquent  n'ont  qu'une  foi  peu  solide.  Pendant 
quelque  temps,  ces  années  passées,  un  ministre  protes- 
tant a  essayé  de  s'attirer  quelques  adeptes,  mais  ses 


~  212  — 

efforts  ont  été  inutiles,  et  depuis  il  n'a  pas  reparu. 
Il  y  a  une  maison-chapelle  qui  sert  d'habitation  aux 
missionnaires.  Le  bas  est  l'église,  le  haut  se  divise  en 
trois  ou  quatre  petites  chambrettes.  Deux  Pères  rési- 
dent ici  ensemble  :  les  RR.  PP.  Dauphin  et  Nordmann, 
mais  le  R.  P.  Dauphin  seul  est  chargé  des  sauvages,  le 
R.  P.  Nordmann  étant  chargé,  comme  il  a  été  dit  précé- 
demment, d'une  petite  province  située  à  2  milles  de  dis- 
tance et  de  toute  la  population  allemande  disséminée 
un  peu  partout.  Il  y  avait  aussi,  jusqu'à  ces  derniers 
temps,  une  école  pour  les  enfants  sauvages.  Elle  rece- 
vait un  secours  du  département  indien  pour  pourvoir  au 
salaire  de  l'institutrice  ;  cette  école  vient  d'être  suppri- 
mée parce  que  l'assistance  était  trop  minime.  On  tâche 
d'envoyer  les  enfants  à  l'école  industrielle  de  Saint-Al- 
bert, mais  les  sauvages  consentent  difficilement  à  se  sé- 
parer de  leurs  enfants.  Il  y  a  cependant,  à  cette  école, 
19  enfants  de  ces  deux  réserves. 

Gomme  il  a  été  dit  déjà,  le  R.  P.  Dauphin  dessert  la 
petite  paroisse  de  Saint-Pierre,  à  quelques  milles  de 
sa  Mission.  Il  est  également  chargé  de  visiter  le  lac  la 
Nonne,  à  25  milles  de  distance.  Le  lac  la  Nonne  est  une 
ancienne  Mission  où  il  y  a  une  maison-chapelle,  mais 
le  petit  nombre  de  familles  ne  permet  pas  d'y  tenir 
un  prêtre  résident.  Les  voyages,  à  cette  distance,  sont 
bien  fatigants.  Il  n'y  a  que  quelques  jours,  je  visitais 
cette  Mission,  où  j'administrai  le  sacrement  de  confir- 
mation à  16  personnes  ;  environ  50  sauvages  s'étaient 
approchés  du  sacrement  de  pénitence  et  avaient  com- 
munié. Le  révérend  Père  était  bien  fatigué  des  travaux 
de  la  journée,  on  vint  le  chercher  pour  un  malade  au 
lac  la  Nonne.  Le  lendemain  matin  donc,  quand  je 
partis  pour  la  paroisse  de  Sainte-Émérence  avec  le 
R.  P.  Nordmann,  le  R.  P.  Dauphin,  accompagné  d'un 


—  213  — 

métis,  prenait  la  direction  du  lac  la  Nonne.  C'était  une 
journée  très  froide,  et  le  froid  était  rendu  beaucoup 
plus  sévère  par  un  vent  glacé  qui  soufflait  du  nord  et 
qui  avait  encore  l'inconvénient  de  renîplir  le  chemin  de 
neige.  Pour  aller  au  lac  la  Nonne,  le  P.  Dauphin  avait 
à  marcher  constamment  contre  le  vent  ;  ce  voyage  a  dû 
être,  pour  lui,  très  pénible.  Cette  seule  visite  de  malade 
lui  prenait,  au  moins,  deux  jours  de  fatigues  et  de 
marche  presque  continuelle.  Vu  son  état  de  santé,  le 
R.  P.  Dauphin  aurait  assez  à  faire  de  ses  deux  réserves 
d'Alexandre  et  de  Michel  Calikoo.  Un  autre  prêtre 
devrait  être  chargé  de  la  paroisse  Saint-Pierre  et  des 
autres  postes  éloignés,  mais  nous  n'avons  personne  à  lui 
donner. 

II.    DISTRICT  d'eDMONTON. 

Le  district  d'Edmonton  comprend  une  paroisse  : 
Edmonton-nord  Saint-Joachim  ;  2  Missions  :  la  prairie 
Assiniboine  et  Hobbéma,  et  4  postes  à  visiter  :  Edmonton- 
sud,  Spruce-Grove,  à  la  prairie  Assiniboine,  Wétaski- 
win  et  Leduc. 

Edmonton-nord  est  la  paroisse  catholique  de  la  ville 
d'Edmonton,  la  deuxième  ville  en  importance  de  l'Al- 
berta.  Calgary  l'emporte  encore  sur  Edmonton,  mais 
Galgary  ne  se  développe  pas  avec  la  même  rapidité,  et 
il  peut  se  faire  qu'avant  longtemps  Edmonton  soit  plus 
importante  que  sa  rivale.  Elle  est  actuellement  le  ter- 
minus d'une  voie  ferrée  ;  elle  peut  devenir  le  point  d'in- 
tersection de  deux  lignes,  quand  la  voie  qui  vient  de  Gal- 
gary se  continuera  vers  le  Nord-Ouest  et  qu'un  autre 
chemin  de  fer  arrivera  de  Battleford.  Les  ressources 
agricoles  des  environs  d'Edmonton  sont  inappréciables, 
et  s'il  y  avait  encore  quelques  bonnes  récoltes,  comme 
celle  de  l'an  dernier,  la  ville  ne  manquerait  pas  de  pren- 

T.    XXXVl.  15 


—  214  — 

dre  rapidement  une  grande  importance.  Les  nombreux 
mineur:-,  se  dirigeant  vers  le  Klondike,  ont  aussi  beau- 
coup contribué  dernièrement  à  la  prospérité  de  la  ville. 
Depuis  plus  de  six  mois,  qu'ils  ne  cessent  d'affluer,  ils 
ont  dépensé  des  sommes  très  considérables,  pour  se 
procurer  les  provisions  et  tous  les  agrès  nécessaires  à  ce 
voyage  de  1400  milles  qu'ils  entreprennent. 

La  population  totale  d'Edmonton  est  de  près  de  2Û00ha- 
bitants  sur  lesquels  il  y  a  461  catholiques.  Il  y  a  deux 
Pères  résidents,  le  R.  P.  Leduc  et  le  R.  P.  Lemarchant. 
Le  R.  P.  Leduc,  depuis  plusieurs  années,  n'a  eu  qu'une 
santé  bien  précaire.  Nous  avons  eu,  sur  son  compte,  à 
plusieurs  reprises,  de  sérieuses  alarmes.  Les  attaques 
de  sa  cruelle  et  bizarre  maladie  se  répétaient  plus  sou- 
vent et  avec  plus  d'intensité.  Malgré  son  état  de  fai- 
blesse, le  malade  avait  voulu  accompagner  Monseigneur, 
lors  de  son  voyage  à  Saint-Bouiface,  mais  force  lui  a  été 
de  s'arrêter  à  Calgary,  une  nouvelle  crise  étant  surve- 
nue, au  moment  du  départ. 

Dans  cet  état  de  choses,  tout  le  gros  de  la  besogne  re- 
tombe sur  le  jeune  P.  Lemarchant,  qui  s'en  acquitte 
vaillamment,  il  est  vrai,  mais  non  sans  un  excès  de  fa- 
tigue. Ce  surcroît  de  travail  et  ces  courses  multipliées 
lui  enlèvent  le  temps  qui  lui  serait  nécessaire  pour  per- 
fectionner ses  études  et  travailler  davantage  ses  instruc- 
tions et  sermons.  Il  faut  ajouter  qu'il  a,  de  plus,  plu- 
sieurs autres  postes  à  visiter.  Deux  jeunes  Pères,  forts 
et  vigoureux,  sous  la  direction  du  R.  P.  Leduc,  ne  se- 
raient point  de  trop  pour  une  paroisse  de  cette  impor- 
tance. Naturellement,  le  R.  P.  Leduc  est  très  affaibli, 
l'estomac  est  en  si  mauvais  état,  que  le  pauvre  Père  ose 
à  peine  prendre  de  la  nourriture  dans  la  crainte  des 
conséquences  ;  le  moindre  travail  est  pour  lui  excessi- 
vement pénible  et  ce  n'est  qu'à  force  d'éaergie  qu'il  par- 


I 


—  215  — 

vient  à  se  soutenir.  Quelques  heures  seulement  après 
une  crise  qui  l'aura  terrassé  et  presque  privé  de  vie, 
peut-être  verriez-vous  le  P.  Leduc  donner  un  long  ser- 
mon dans  l'église,  comme  s'il  n'eût  pas  été  malade  de- 
puis longtemps. 

C'est  uniquement  l'énergie  qui  le  soutient  el  l'empê- 
che de  renoncer  au  travail  :  il  a  un  projet,  c'est  celui  de 
doter,  avant  de  mourir  (si  Dieu  lui  accorde  encore  un 
an  ou  deux  de  vie),  la  ville  d'Edmonton  d'une  belle 
église,  comme  il  a  déjà  bâti  l'église  de  Galgary. 

Toutes  les  constructions  des  établissements  catholi- 
ques de  la  paroisse  sont  remarquables,  l'église  seule  fait 
ombre.  C'est  encore  la  vieille  église  en  bois  bâtie  il  y  a 
longtemps.  Elle  a  été,  il  est  vrai,  agrandie  et  améliorée, 
mais  elle  est  déjà  beaucoup  trop  petite  et  loin  de  ré- 
pondre aux  autres  constructions.  Le  R.  P.  Leduc  s'ingé- 
nie donc  de  toutes  manières,  par  bazars,  souscriptions 
ou  autrement,  pour  réunir  les  fonds  nécessaires.  Il  est 
puissamment  aidé  en  cela  par  le  R.P.  Lemarcbant.  Le  der- 
nier bazar  a  produit  plus  de  800  dollars. 

Le  presbytère  est  une  assez  belle  construction  en  bois 
qui  a  coûté  3  500  dollars.  La  bâtisse  est  revêtue  de  bri- 
ques à  l'extérieur  et  plâtrée  à  l'intérieur.  Il  y  a  une  four- 
naise pour  chauffer  la  maison  à  l'air  chaud,  éclairage  à 
l'électricité,  service  du  téléphone.  Un  bon  nombre  de 
chambres  sont  à  la  disposition  des  Révérends  Pères 
étrangers  qui  passent  fréquemment  par  Edmonton  et 
viennent  demander  l'hospitalité. 

Les  révérendes  Mères  Fidèles  Compagnes  de  Jésus 
ont  aussi  un  bel  établissement.  Elles  tiennent  l'école  ca- 
tholique séparée  et  aussi  un  pensionnat  pour  demoi- 
selles. La  communauté  se  compose  actuellement  de  huit 
Mères  institutrices  et  de  six  Sœurs  converses.  L'école 
catholique  compte  100  enfants  :  40  garçons  et  60  filles, 


—  216  — 

et  de  plus  il  y  a  13  pensionnaires.  L'école  est  tenue  sur 
un  pied  d'excellence  qui  ne  le  cède  en  rien  aux  institu- 
tions protestantes  et  qui  l'emporte  sur  elles,  sous  une 
foule  de  rapports. 

Le  nouveau  couvent  a  été  construit  depuis  le  dernier 
Chapitre.  C'est  une  belle  construction  en  briques,  qui  a 
la  façade  sur  la  rue.  L'ancien  couvent  en  bois  a  été 
adossé  en  arrière,  de  sorte  que  les  deux  bâtisses  conti- 
guës  forment  un  établissement  assez  considérable.  La 
nouvelle  bâtisse  en  briques  a  coûté  9  ÛOO  dollars. 

L'hôpital  est  également  une  construction  érigée  de- 
puis le  dernier  Chapitre.  C'est  un  édifice  imposant,  qui 
a  coûté  35  000  dollars.  Il  est  à  la  charge  des  Révérendes 
Sœurs  Grises  de  la  communauté  de  Montréal.  Cet  hôpi- 
tal a  le  titre  d'hôpital  général,  il  n'y  en  a  pas  d'autre 
dans  la  ville.  Celle-ci  ayant  promis  son  concours,  il  a 
fallu  nécessairement  établir  cette  institution  sur  un  ex- 
cellent pied,  avec  toutes  les  améliorations  modernes 
pour  la  tenue  des  hôpitaux,  afin  d'éviter,  pour  l'avenir, 
tout  motif  de  plaintes  et  de  conserver  aussi  longtemps 
que  possible,  le  patronage  de  la  ville.  Naturellement, 
les  frais  de  la  construction  n'ont  pu  être  payés  immé- 
diatement. Il  y  a  une  lourde  dette  de  plus  de  20|000  dol- 
lars. Les  Sœurs  espèrent  pourtant  réussir,  à  force  d'in- 
dustrie, d'énergie  et  de  privations  personnelles,  à  amor- 
tir cette  dette  avant  bien  longtemps.  Le  personnel  se 
compose  de  huit  Sœurs,  y  compris  la  révérende  Mère 
vicaire,  pour  le  Nord-Ouest;  il  y  a  aussi  quelques  Sœurs 
auxiliaires  et  plusieurs  personnes  de  service  ;  595  ma- 
lades ont  été  admis  depuis  l'ouverture  de  l'hôpital,  en 
décembre  1895. 

La  population  catholique  d'Edmonton  est  mêlée  de 
catholiques  de  langue  anglaise  et  de  catholiques  de  lan- 
gue française.  Il  y  a  aussi  un  bon  nombre  de  familles 


—  2i7  — 

métisses.  Le  service  de  la  prédication  se  fait  habituelle- 
ment en  deux  langues,  il  faut  encore  ajouter  la  langue 
crise  pour  le  service  de  la  confession.  11  y  a  de  15  à  20per- 
sonnes  qui  ne  fréquentent  jamais  l'église.  Il  faut  si- 
gnaler des  désordres  de  plus  d'un  genre,  surtout  parmi 
les  métis,  par  suite  de  l'ivrognerie  et  de  l'inconduite  qui 
en  est  la  conséquence.  Le  voisinage  des  petites  villes  est 
toujours  funeste  à  cette  population  métisse  qui  manque 
de  l'énergie  nécessaire  pour  résister  aux  tentations  du 
vice. 

Les  offices  religieux,  à  l'église,  se  font  avec  régularité 
et  sont  bien  suivis;  l'église  est  toujours  trop  petite  pour 
l'affluence  habituelle.  L'association  de  G.  M.  B.  A.  ou 
Association  catholique  d'assistance  mutuelle,  qui  recrute 
ses  membres  parmi  la  classe  aisée  et  instruite,  et  com- 
porte une  assurance  sur  la  vie,  est  un  élément  de  bien 
important,  car  elle  a  pour  but  de  répandre  les  principes 
et  les  pratiques  purement  et  franchement  catholiques. 

La  population  concourt  généreusement  aux  construc- 
tions et  à  l'entretien  des  Pères  résidents.  Cependant, 
Edmonton  étant  un  lieu  de  passage  pour  les  Pères  du 
vicariat  qui  y  descendent  souvent  en  venant  à  Saint- 
Albert  ou  en  s'en  retournant,  ces  visites  occasionnent 
des  dépenses  extra  pour  lesquelles  il  ne  serait  pas  juste 
de  taxer  la  population  de  la  localité.  Il  faut  donc  que  la 
caisse  épiscopale  et  la  caisse  vicariale  soient  mises  à  con- 
tribution pour  aider  à  payer  ces  dépenses. 

Trois  ou  quatre  postes  doivent  être  desservis  par  les 
Pères  d'Edmonton.  Ce  sont  Edraonton-sud,  Wetaski- 
win,  Leduc  et  même  Beaumont.  C'est  le  R.  P.  Lemar- 
CHANT  qui  est  chargé  de  faire  ces  différentes  visites. 

Edmonton-sud,  située  du  côté  opposé  de  la  Saskat- 
chewan,  par  rapport  à  la  ville  ancienne,  forme  une 
petite  ville  qui  ne  manque  pas  d'activité,  vu  qu'elle  pos- 


—  218  — 

sède  la  station  du  chemin  de  fer.  Elle  pourrait  naême 
devenir  plus  importante  que  la  ville  de  la  rive  opposée, 
si  la  voie  ferrée  ne  devait  pas,  dans  un  avenir  prochain, 
traverser  la  rivière  et  établir  une  station  de  l'autre  côté. 
Il  y  a  là  une  population  de  846  âmes,  dont  266  catho- 
liques. Une  petite  chapelle,  déjà  trop  petite,  et  qui  sert 
en  même  temps  de  salle  de  classe,  est  le  seul  établisse- 
ment catholique.  La  population,  quoique  généralement 
pauvre,  s'ingénie,  sous  l'impulsion  du  R.  P.  Lemarchant, 
à  recueillir  des  fonds  pour  la  construction  d'une  autre 
église  plus  considérable.  Il  faudrait  aussi  s'assurer  im 
terrain  sulfisant  pour  y  établir,  plus  tard,  les  institutions 
catholiques  nécessaires  comme  couvent,  école,  hôpital. 

Une  des  révérendes  Mères  Fidèles  Compagnes  de  Jésus 
vient,  chaque  jour,  faire  l'école  qui  compte  40  enfants: 
io  garçons  et  25  filles.  Il  y  a  une  distance  de  3  milles 
à  parcourir,  et  il  faut  traverser  la  grande  rivière 
Saskatchewan  sur  un  bac. 

Wetashiwin  est  située  sur  la  ligne  ferrée  venant  de 
Galgary,  à  40  milles  d'Eduionton.  Grâce  à  cette  position, 
cette  petite  ville  ne  manquera  pas  de  prendre  rapide- 
ment de  l'importance.  Il  y  a  actuellement  35  familles 
catholiques,  environ  200  personnes  sur  une  population 
protestante  au  moins  cinq  fois  plus  considérable.  Une 
petite  chapelle  inachevée  a  été  construite  pour  permettre 
à  la  population  catholique  d'assister  aux  offices  quand 
le  prêtre  fait  sa  visite.  Il  y  a  aussi  une  petite  maison  qui 
peut  servir  de  pied-à-terre,  mais  qui  ne  serait  pas  sufti- 
sante  pour  un  prêtre  résident.  Ce  poste  a  été,  à  diûé- 
rentes  époques,  desservi,  tantôt  d'Edmonton,  tantôt  de 
la  paroisse  limitrophe  de  Beaumont.  Actuellement,  il  est 
dess>ervi  par  M.  le  curé  de  Saint- Thomas,  ou  Duhamel, 
sur  la  rivière  Bataille.  Il  y  vient  un  dimanche  chaque 
mais. 


—  219  — 

Leduc  est  la  station  précédente  sur  le  chemin  do  fer, 
à  20  milles  environ  d'Edmonton.  Leduc  possède  une  po- 
pulation catholique  de  70  personnes  seulement.  Il  n'y  a 
encore  ni  église  ni  école  catholiques,  mais  avant  peu,  la 
place  prendra  assez  d'importance  pour  nécessiter  l'une 
et  l'autre.  C'est  encore  le  R.  P.  Lemarchant  qui  visite  ce 
poste  de  temps  en  temps,  depuis  qu'il  n'y  a  plus  de 
prêtre  résidant  à  Beaumont.  Le  R.  P.  Nordmann  y  vient 
aussi  parfois,  vu  qu'il  y  a  un  certain  nombre  de  familles 
allemandes.  Il  est  facile  de  comprendre  que  ces  visites  à 
Edraonton-sud,  Beaumont  et  Leduc,  sont  une  charge 
beaucoup  trop  considérable  pour  le  R.  P.  Lemarchant,  à 
qui  le  service  d'Edmonton  nord  suffirait  grandement. 

Les  deux  Missions  do  ce  district  sont  Stony-Plaine  et 
Hobbéma.  Stony-Plm'ne,  ou  Mission  de  la  Prairie  assini- 
boine,  est  située  sur  une  réserve  sauvage,  à  environ 
7  milles  d'Edmonton.  La  population  sauvage  est  d'en- 
viron 106  personnes,  toutes  catholiques,  excepté  6. 
Cette  population  a  diminué  considérablement  depuis 
quelques  années,  la  mortalité  a  été  très  grande,  surtout 
parmi  les  enfants.  Il  y  a  un  missionnaire  résident  :  le 
R.  P.  G.  Simonin.  Il  a  une  maison-chapelle,  comme  cela 
a  lieu  sur  d'autres  Missions.  Le  bas  sert  d'église,  et  le 
haut  sert  d'habitation.  La  plupart  des  sauvages  sont  à 
une  assez  bonne  distance  de  l'église,  environ  3  ou 
4  milles.  Cependant,  ils  viennent  assez  régulièrement  le 
dimanche,  et,  sans  être  très  fervents,  ils  sont  assez  bons 
chrétiens  et  assez  tranquilles.  Il  y  avait  ici  jadis  une 
mission  protestante.  Elle  a  échoué,  et  le  prédicant  a  dû 
s'éloigner. 

Le  R.  P.  Simonin  est  chargé  aussi  d'une  petite  paroisse 
en  formation,  également  sur  la  Prairie  assiniboine,  et 
confinant  la  réserve  sauvage.  On  l'appelle  Spruce-Grove, 
en  attendant  qu'elle  ait  une  église  et  un  saint  protecteur 


—  2^0  — 

comme  patron.  Il  y  a  environ  126  catholiques,  Canadiens 
français  pour  la  plupart,  et  35  métis.  Malheureusement, 
une  partie  des  terres  de  la  localité  est  occupée  par  des 
Allemands,  presque  tous  protestants.  On  s'est  assuré 
récemment  50  acres  de  terre,  et  les  paroissiens  s'occu- 
pent actuellement  de  construire  une  petite  église  en 
pièces  de  bois  équarries. 

Hobbéma,  ouMission  de  Notre-Dame  des  Sept  douleurs, 
est  une  Mission  plus  importante.  Elle  est  établie  sur 
une  réserve  de  sauvages  de  la  nation  des  Cris.  Il  y  a  ici 
deux  bandes  de  sauvages,  les  uns,  protestants,  et  les 
autres  catholiques.  La  population  totale  est  de  670  habi- 
tants, dont  256  catholiques,  254  protestants  et  160  infi- 
dèles. De  plus,  il  y  a  dans  les  environs  de  la  réserve, 
plusieurs  familles  catholiques,  en  tout  145  personnes,  à 
qui  les  missionnaires  de  cette  réserve  doivent  donner 
leurs  soins. 

La  Mission  d'Hobbéma  a  un  secours  important,  qui 
n'existe  pas  sur  la  Mission  précédente.  Outre  une  église 
assez  convenable  et  la  petite  maison  qu'habitent  les 
Pères,  il  y  a  encore  une  école-pensionnat  tenue  par  les 
Sœurs.  Les  deux  Pères  résidents  sont  le  R.  P.  Perreault 
et  le  R.  P.  LizÉE.  Le  R.  P.  Perreault,  depuis  plusieurs 
années,  est  atteint  d'une  maladie  de  poitrine  qui  le  mine 
insensiblement.  Il  est  d'une  faiblesse  extrême.  Il  devrait 
être  à  l'hôpital  et  tenu  constamment  sous  les  soins  du 
docteur.  Sa  maladie,  traînant  en  longueur,  le  pauvre 
Père  a  préféré  retourner  au  milieu  de  ses  sauvages,  et 
faire  le  peu  de  travail  que  ses  forces  lui  permettront  de 
temps  en  temps.  Nous  avons  cédé  à  son  désir,  par  la 
crainte  que  l'isolement  et  l'ennui  lui  fussent  plus  nuisi- 
bles que  les  petits  travaux  qu'il  s'impose. 

Le  R.  P.  LizÉE,  qui  a  nécessairement  le  plus  gros  de 
la  besogne,  est  loin  pourtant  d'être  très  bien  lui-même  ; 


—  221    — 

il  a,  lui  aussi,  la  poitrine  très  faible  et  a  besoin  de  grands 
ménagements. 

Le  ministère,  parmi  les  sauvages,  est  peu  consolant. 
Ces  pauvres  chrétiens  sont  très  ignorants  et  réclament 
des  soins  de  tous  les  jours.  Ils  n'ont  guère  le  don  de  la 
délicatesse  et  se  rendent  souvent  importuns.  Il  faut 
savoir  se  plier  à  leurs  défauts  et  s'armer  de  patience 
dans  les  difficultés.  Le  voisinage  d'une  Mission  protes- 
tante est  toujours  un  sérieux  embarras  ;  les  sauvages  se 
montrent  plus  exigeants  en  prétendant  que  les  ministres 
font  plus  de  faveurs  à  leurs  adeptes. 

Les  Sœurs  en  charge  de  l'école-pensionnat  sont  des 
Sœurs  de  l'Assomption  de  Nicolet,  au  nombre  de  six; 
elles  instruisent  et  élèvent  36  enfants,  pour  la  plupart 
desquels  elles  reçoivent  un  secours  du  département 
indien.  Elles  réussissent  très  bien  dans  leur  œuvre  de 
dévouement.  L'ancienne  résidence  des  Pères  avait  été 
mise  à  la  disposition  des  religieuses,  et  elles  commen- 
cèrent leur  petit  pensionnat  dans  cette  maison  ;  mais 
elles  y  étaient  bien  à  l'étroit,  avec  leurs  enfants,  dont  le 
nombre  grandissait  toujours.  Elles  viennent  de  cons- 
truire une  grande  maison  qui  leur  permettra  de  prendre 
70  à  80  enfants.  Mais  ici,  comme  ailleurs,  les  sauvages 
sont  attachés  à  leurs  enfants,  et  ne  consentent  pas  faci- 
lement à  se  séparer  d'eux. 

Avant  de  passer  aux  autres  districts,  et  afin  d'achever 
de  faire  connaître  les  environs  de  Saint-Albert  et  d'Ed- 
monton,  il  est  bon  de  dire  un  mot  des  paroisses  confiées 
à  des  prêtres  séculiers,  car  les  missionnaires  Oblats, 
Pères  ou  Frères,  ont  souvent  à  rendre  quelques  services 
à  ces  prêtres  qui  sont  venus  partager  notre  vie  d'abné- 
gation. Ces  paroisses  sont  au  nombre  de  quatre  :  fort 
Saskatchewan,  Morinville,  Beaumont  et  Duhamel  à  la 
rivière  Bataille. 


—  222  — 

La  plus  ancienne  de  ces  paroisses  :  fort  Saskatchewan 
ou  Notre-Dame  de  Lourdes,  est  située  à  18  milles  à  l'est 
d'Edmonton.  La  population  est  de  267  habitants,  tous 
catholiques.  C'est  le  révérend  M.  Dorais  qui  est  curé  ;  il 
habile  le  presbytère,  près  de  l'église,  avec  plusieurs 
membres  de  sa  famille.  L'église  est  vieille,  délabrée,  et 
beaucoup  trop  petite  pour  la  population  qui  augmente 
rapidement.  On  a  commencé  à  recueillir  des  fonds  pour 
ériger,  dans  un  avenir  plus  ou  moins  rapproché,  un 
édifice  plus  spacieux  et  plus  convenable.  Il  y  a  trois 
écoles  catholiques  sur  la  paroisse.  L'une  est  tenue  par  le 
révérend  M.  Quévillon,  et  une  autre  n'a  pour  institutrice 
qu'une  demoiselle  protestante. 

Le  révérend  M.  Dorais  a  une  autre  Mission  à  visiter. 
Cette  Mission  est  d'un  caractère  tout  spécial  et  assez 
difficile.  A  30  milles  environ,  à  l'est  du  fort  Saskat- 
chewan, dans  les  environs  d'Edna,  est  venue  s'établir, 
surtout  depuis  trois  ou  quatre  ans,  une  nombreuse  co- 
lonie de  Galiciens.  11  y  a  là  actuellement  i80  familles 
environ,  formant  une  population  de  plus  de  1  0(J0  habi- 
tants. La  plupart  sont  catholiques,  mais  du  rite  grec  ou 
grec-ruthène;30familles.  au  plus  180  personnes,  appar- 
tiennent à  l'Eglise  orthodoxe  ou  schismatique  russe.  Ces 
gens  arrivent  très  pauvres,  mais  ils  sont  habitués  aux 
privations,  et,  par  un  travail  persévérant,  ils  améliorent 
vite  leur  position.  Ils  sont  pleins  de  foi,  mais  peu  éclairés, 
et  seraient  facilement  entraînés  dans  le  schisme  de  leurs 
compatriotes,  si  nous  ne  pouvions  avant  longtemps  leur 
procurer  un  prêtre  de  leur  rite,  et  surtout  de  leur 
langue.  La  propagande  schismatique  russe  est  très 
active  auprès  d'eux.  Nous  les  avons  visités  de  temps  en 
temps,  et  le  révérend  M.  Dorais,  étant  plus  à  la  portée, 
est  chargé  de  leur  faire  une  visite  chaque  mois,  mais  il 
faut  leur  parler  par  interprète,  et  cela  ne  satisfait  per- 


—  223  — 

sonne.  La  Sacrée  Congrégation  de  la  Propagande  nous 
annonce  l'arrivée  d'un  prêtre  du  rite  grec-ruthène.Nous 
souhaitons  qu'il  arrive  bientôt,  avant  que  les  schisma- 
tiques  n'aient  réussi  dans  leurs  intrigues.  Plusieurs  des 
enfants  fréquentent  les  écoles  prolestantes,  organisées 
dans  le  voisinage.  Il  y  a  encore  un  danger  de  ce  côté. 
Une  autre  colonie  de  Galiciens,  moins  considérable, 
mais  qui  augmente  graduellement,  est  établie  à  quelque 
distance  d'Edmonton,  au  lac  Castor. 

Moriiwille^  Saint-Jean-Baptiste,esl  une  jeune  paroisse 
fondée  par  notre  actif  agent  de  colonisation,  M.  l'abbé 
Morin,  qui  lui  a  donné  son  nom.  Elle  se  compose 
presque  uniquement  des  colons  qu'il  a  su  décidés  à  venir 
s'établir  dans  ce  pays.  C'est  le  révérend  M.  Jolicœur 
qui  est  curé  de  cette  paroisse.  Il  possède  un  presbytère 
très  modeste,  et  son  église,  en  pièces  de  bois  équarries, 
est  bien  pauvre.  Quoique  assez  vaste,  elle  commence  à 
être  trop  petite.  La  population  est  de  250  personnes, 
mais  bien  assidues  à  l'assistance  aux  offices  du  dimanche, 
11  y  a  une  école  dans  la  localité. 

Beaumont Saint-  Vital  est  unepetite  paroisse  à  20  milles 
d'Edmonton.  Elle  compte  environ  220  catholiques.  Il  y 
a  une  petite  église  et  un  presbytère.  Jusqu'à  ces  der- 
niers temps,  elle  était  desservie  par  un  prêtre  séculier  : 
le  révérend  M.  Beauparlant,  qui  vient  de  nous  quitter, 
sans  avis  préalable,  nous  laissant,  par  là  même,  dans  un 
sérieux  embarras.  11  y  avait  auparavant  un  prêtre,  pour 
le  moins  très  brouillon,  qui  nous  offrirait  encore  volon- 
tiers ses  services.  Mais  nous  préférons  ne  point  en  avoir 
de  ce  genre.  H  y  a  aussi  une  école  qui  n'est  pas  aussi 
catholique  qu'elle  devrait  l'être. 

Saint-Thomas  ou  Duhamel,  sur  la  rivière  Bataille,  est 
une  paroisse  composée  presque  exclusivement  de  métis. 
Elle  possède  environ  250  habitants.  Une  petite  maison 


—  224  — 

sert  de  presbytère,  et  une  autre  de  chapelle,  mais  il  n'y 
a  pas  d'école.  Les  métis  de  cette  localité  nous  ont  causé 
récemment  une  peine  bien  sensible,  et  à  laquelle  nous 
ne  pouvions  nous  attendre.  Un  ministre  protestant  leur 
ayant  proposé  d'élever  leurs  enfants  gratuitement,  ils  se 
montrent  très  portés  à  accepter  son  offre.  Quelques-uns 
même  ont  déjà  eu  la  lâcheté  de  lui  confier  leurs  enfants. 
C'est  le  révérend  M.  Beillevaire  qui  a  la  charge  de  cette 
paroisse.  Il  y  a  plus  de  dix-sept  ans  qu'il  travaille  avec 
une  énergie  et  une  persévérance  dignes  de  tout  éloge, 
dans  le  diocèse  de  Saint-Albert. 

III.    DISTRICT   DE   CALGART. 

Pour  ne  pas  être  trop  long,  je  dois  tâcher  d'abréger 
ce  qui  reste  à  dire  des  autres  districts  du  vicariat.  Le 
district  de  Calgary  comprend  quatre  paroisses  et  une 
multitude  de  postes  à  desservir.  Les  quatre  paroisses  sont: 
Calgary,  Mac-Leod-Leod,  Lethbridge  et  Pincher-Creek. 

Calgary  Saint-Mary  est  la  paroisse  catholique  de  la 
ville,  actuellement  la  plus  importante  de  l'Alberta.  La 
ville  compte  environ  4  5U0  âmes,  dont  600  environ  sont 
catholiques.  La  population  catholique,  depuis  quelques 
années,  est  restée  stationnaire,  ou  même  a  diminué  un 
peu,  tandis  que  la  population  protestante  augmentait 
considérablement. 

Les  établissements  catholiques  sont  réellement  consi- 
dérables, vu  le  nombre  limité  de  la  population.  L'église 
est  un  monument  imposant  en  pierres  et  en  briques.  Elle 
est  inachevée,  d'un  aspect  sévère  et  massif.  Le  presbytère 
a  été  récemment  amélioré  et  agrandi,  en  unissant  deux 
bâtisses  qui  existaient  déjà  sur  le  terrain  de  la  Mission. 
La  construction  est  en  bois,  revêtue  de  briques  à  l'exté- 
rieur. 


—  225  — 

Le  personnel  de  la  maison  se  compose  du  R.  P,  La- 
combe,  supérieur  du  district,  du  R.  P.  Fouquet,  du  R.  P. 
Dubois  et  du  F.  Royer.  Le  R.  P.  Lacombe  a  été  bien 
malade  depuis  plus  de  quatre  mois;  il  sollicite  du  repos 
et  il  l'a  bien  mérité.  Le  R.  P.  Fouquet,  comme  on  sait, 
est  toujours  épuisé  et  cependant  il  réussit  encore  à  faire 
plus  d'ouvrage  qu'on  ne  pourrait  en  obtenir  de  bien  des 
jeunes  forts  et  vigoureux.  Comme  il  est  chapelain  des 
deux  communautés  de  Religieuses  et  qu'il  a  besoin  de 
précautions  multiples  pour  sa  vue,  il  réside  à  l'hôpital. 

Les  offices  de  la  paroisse  se  font  régulièrement.  Ici 
l'église  est  suffisamment  grande  pour  la  population  qui 
ne  parvient  pas  à  la  remplir.  La  prédication  se  fait  ha- 
bituellement en  anglais.  Il  faut  aussi  parler  quelquefois 
en  français  et  en  cris.  Pour  la  confession  en  particulier, 
il  est  nécessaire  qu'il  y  ait  un  missionnaire  parlant  cris; 
et  si  nous  sommes  obligés  de  laisser  le  R.  P.  Lacombe 
s'éloigner,  nous  n'avons  personne  à  mettre  à  sa  place. 
La  population  catholique,  sans  être  très  fervente,  est 
tranquille  et  bienveillante.  Une  association  du  Sacré- 
Cœur  est  assez  répandue.  L'Association  de  secours- 
mutuels  C.  M.  B.  A,  a  ici  une  branche  qui  exerce  une 
bonne  influence.  Quelques  personnes  restent  éloignées 
des  sacrements;  mais  il  n'y  a  pas  de  bien  notables 
scandales  à  signaler.  Nos  catholiques,  quoique  apparte- 
nant à  la  classe  pauvre,  peuvent  cependant  suffire  à 
l'entretien  de  leurs  prêtres. 

r^es  Fidèles  Compagnes  de  Jésus,  au  nombre  de  neuf 
Mères  et  six  Sœurs,  tiennent  l'école  du  jour  et  un  pen- 
sionnat pour  les  demoiselles.  On  sait  qu'elles  donnent 
toujours  une  éducation  soignée  et  même  supérieure, 
qui  est  appréciée  même  des  protestants.  De  fait,  un 
grand  nombre  des  enfants  qui  fréquentent  l'école  sont 
protestants,  surtout  parmi  les  filles.  Tout  en  conservant 


—  226   - 

et  utilisant  Tancien  couvent,  qui  avait  été  jadis  l'église 
et  la  maison  des  Pères,  les  révérendes  Mères  ont  érigé 
une  magnifique  construction  en  pierres,  pour  leur  pen- 
sionnat. C'est  certainement  l'établissement  d'éducation 
le  plus  important  qu'il  y  ait  dans  toute  la  ville  :  137  élèves 
fréquentent  l'école,  dont  J7  pensionnaires. 

L'hôpital  Sainte-Croix  est  tenu  par  les  révérendes 
Sœurs  Grises  de  Montréal.  Elles  sont  au  nombre  de  cinq, 
avec  quelques  sœurs  auxiliaires.  Leur  établissement  est 
un  édifice  en  briques,  remarquable  à  l'extérieur,  et 
pourvu  à  l'intérieur  de  toutes  les  améliorations  voulues 
pour  satisfaire  le  public.  Le  service  des  Sœurs  est  très 
apprécié  par  tous  ceux  qui  ont  occasion  de  constater 
leur  savoir-faire  et  leur  dévouement. 

Il  y  a  une  foule  de  postes  qui  sont  desservis  par  les 
révérends  Pères  résidant  à  Calgary.  Le  R.  P.  Fouquet 
dessert  les  postes  du  côté  des  Montagnes  Rocheuses  : 
Canmore,  où  il  y  a  90  catholiques;  Banf,  où  il  n'y  en  a 
plus  qu'une  quinzaine;  Anthracite,  où  la  population 
catholique  ne  dépasse  guère  20  personnes,  et  Cochi^ane, 
où  l'on  en  compte  environ  80.  La  population  qui  habite 
ces  localités  est  très  mêlée  de  langues  et  de  coutumes. 
Il  y  a  des  Italiens,  des  Allemands,  des  Slaves.  La  plupart 
de  ces  gens  sont  des  ouvriers  qui  travaillent  dans  les 
mines  de  charbon  ou  dans  les  usines  du  chemin  de  fer. 
Les  Italiens  sont  les  plus  difficiles  à  atteindre,  souvent 
ils  fuient  le  prêtre.  Les  catholiques  de  Cochrane  cepen- 
dant sont  plutôt  des  cultivateurs.  Ce  sont  des  Ecossais 
pour  la  plupart  et  ils  ont  une  foi  solide.  Il  n'y  a  pas 
d'écoles  catholiques  dans  ces  localités  et  les  enfants 
sont,  pour  ainsi  dire,  obligés  de  suivre  les  classes  des 
écoles  publiques,  ou  plutôt  prote^tantes. 

Il  y  a  encore  quelques  postes  à  visiter  au  sud  de  Cal- 
gary,  sur  la  petite  rivière  Fish-Greek  et  aussi  sur  la 


—  227  — 

réserve  des  Sarcis.  Là  quelques  familles  catholiques 
sont  visitées  tantôt  par  un  Père,  tantôt  par  un  autre.  Le 
R.  P.  FouQUET,  à  qui  la  faiblesse  de  sa  vue  rend  ces 
courses  encore  plus  pénibles,  voudrait  bien,  lui  aussi, 
du  repos,  et  il  aurait  assez  à  faire  en  s'occupant  unique- 
ment de  ses  deux  communautés  de  Sœurs.  Mais  puis- 
qu'on ne  peut  lui  donner  de  l'aide,  il  est  souvent  obligé 
de  se  surmener. 

Mac-Leod,  Holy-Cross,  une  des  plus  anciennes  villes  de 
TAlberta,  est  au  sud  de  Galgary,  à  100  milles  de  distance. 
Ce  poste  a  été,  à  un  certain  temps,  le  plus  important  du 
pays,  mais  il  a  été  devancé  par  Galgary  et  Edmonton. 
Cependant,  depuis  que  Mac-Leod  est  devenu  le  terminus 
de  la  ligne  venant  de  Galgary,  et  surtout  depuis  que  l'on 
construit  cette  nouvelle  ligne  venant  de  Lethbridge  et 
passant  en  Colombie  dans  la  région  des  Goutonais,  la 
condition  est  toute  différente,  et  avant  peu  la  place  aura 
pu  prendre^un  grand  accroissement.  Elle  se  trouve  en 
effet  sur  la  route  la  plus  courte  entre  Montréal  et  Van- 
couver et  la  plus  grande  partie  du  trafic  se  fera  dans 
cette  direction.  Si  la  contrée  environnante  n'est  pas  très 
favorable  à  la  culture,  elle  est  par  contre  éminemment 
propre  à  l'élevage  des  bestiaux,  car  la  neige  ne  séjourne 
pas  continuellement  pendant  l'hiver,  et  d'immenses 
troupeaux  de  bêtes  à  cornes  peuvent  passer  tout  l'hiver 
dehors  et  trouver  leur  nourriture,  sans  qu'il  en  coûte 
presque  rien. 

Il  n'y  a  encore  actuellement  qu'une  population  ca- 
tholique de  220  personnes.  C'est  le  R.  P.  Lebret  qui  a 
la  charge  de  la  paroisse.  Les  constructions  de  la  Mission 
sont  très  modestes;  de  fait  il  n'y  a  qu'un  assemblage  de 
bâtisses  qui  sert  à  la  fois  de  maison  d'habitation,  d'église 
et  d'école.  G'est-à-dire  que  l'installation  est  très  défec- 
tueuse. Aussi  parle-t-on  beaucoup  de  bâtir  une  nouvelle 


—  228  — 

église.  Mais  il  ne  suffît  pas  de  parler,  il  faut  avoir  des 
ressources,  et  des  ressources  suffisantes  pour  faire  face 
aux  besoins.  Le  R.  P.  Lebret  est  âgé  et  ne  peut  guère 
s'imposer  les  démarches  nécessaires  pour  susciter  et 
recueillir  les  contributions  de  la  population  et  les  au- 
mônes des  travailleurs,  sur  la  ligne  du  chemin  de  fer. 
On  espère  pourtant  voir,  dans  le  cours  de  l'été  prochain, 
surgir  une  église  plus  convenable  que  ce  qui  existe 
actuellement.  L'école  est  tenue  par  un  maître  catholique 
et  donne  satisfaction,  quelques  enfants  fréquentent 
l'école  publique  sous  le  prétexte  qu'ils  y  trouvent  une 
instruction  plus  avancée. 

Leihbridge,  Saint- Patrick,  à  35  milles  à  l'est  de  Mac- 
Leod  est  une  petite  ville  minière.  Ce  sont  les  mines  de 
charbon  exploitées  par  une  puissante  compagnie  qui 
ont  fait  naître  la  ville  et  qui  la  soutiennent.  Si  ces  mines 
venaient  à  se  fermer,  la  ville  aurait  bientôt  à  disparaître; 
car  il  n'y  a  aucune  autre  ressource  dans  le  pays  envi- 
ronnant qui  puisse  y  suppléer.  Heureusement  on  n'a 
pas  à  craindre  que  ces  mines  se  ferment,  car  elles  sont 
inépuisables. 

Aussi  le  R.  P.  Van  Tighem,  qui  a  foi  dans  l'avenir  de 
Lethbridge,  a  travaillé  avec  énergie  et  persévérance,  et 
grâce  à  son  savoir-faire,  il  a  pu,  et  cela  sans  faire  de 
dettes,  doter  sa  paroisse  d'établissements  complets  et 
parfaitement  installés.  L'église,  bâtie  à  deux  reprises,  est 
partie  en  pierres  et  partie  en  briques.  Elle  est  bien 
décorée  à  l'intérieur  et  suffisamment  vaste  pour  la  popu- 
lation, elle  surpasse  de  beaucoup  les  trois  églises  pro- 
testantes de  la  localité.  Cette  église  fut  consacrée  en  1895 
par  M8''  Grandin.  Elle  est  la  seule  église  consacrée  du 
diocèse. 

Près  de  l'église,  il  y  a  un  presbytère  en  briques,  petit, 
convenable.  Le  couvent  des  Fidèles  Compagnes  de  Jésus 


—  229  — 

est  également  une  construction  importante  qui  fournit 
de  vastes  salles  de  classes,  l'habitation  des  religieuses 
et  des  salles  pour  les  pensionnaires.il  y  a  cinq  Mères  et 
trois  Sœurs  qui  instruisent  et  élèvent  102  enfants  dont 
12  pensionnaires.  Presque  tous  ces  enfants  sont  catho- 
liques. 

La  population  catholique  de  Lethbridge  est  d'environ 
550  sur  IGOO  habitants.  Ces  catholiques  appartiennent 
surtout  à  la  classe  pauvre.  Ce  sont,  pour  la  plupart, 
des  mineurs  qui  gagnent  leur  vie  à  la  journée,  mais  qui 
se  montrent  assez  généreux  pour  l'entretien  de  leur 
pasteur.  Les  offices  de  l'église  sont  bien  suivis  ;  le  révé- 
rend Père  et  les  Sœurs  s'ingénient  pour  en  rehausser 
l'éclat  par  les  chants  et  les  cérémonies.  L'Association  de 
secours  mutuels  G.  M.  B.  A.  a  également  une  branche 
établie  ici  et  fait  du  bien.  Les  Slaves  sont  assez  nom- 
breux pour  avoir,  eux  aussi,  une  Société  nationale  de 
Saint-Jean-Baptiste.  Outre  les  Slaves,  il  y  a  encore  bien 
d'autres  nationalités  :  Allemands,  Hongrois,  Flamands, 
Italiens,  sans  compter  Anglais,  Écossais,  Irlandais, 
métis  cris  et  métis  pieds-noirs.  Le  révérend  Père  doit 
confesser  en  six  langues  différentes;  pour  trois  de  ces 
langues,  il  se  sert  d'un  questionnaire. 

Pincher-Cr'eek,  Saint-Michel,  à  30  milles  à  l'ouest  de 
Mac-Leod,  presque  au  pied  des  montagnes  Rocheuses, 
est  une  petite  paroisse  formée  principalement  de  Cana- 
diens français  et  de  quelques  familles  irlandaises.  Ce 
pays  est  très  propre  à  l'élevage  des  bestiaux,  et  c'est  là 
l'occupation  presque  exclusive  des  habitants  de  la  loca- 
lité. Le  K.  P.  Lacombe  a  été  pendant  longtemps  chargé 
de  cette  place.  C'est  maintenant  le  R.  P.  Blanchet,  mais 
le  R.  P.  Lacombe  doit  y  revenir  bientôt  pour  y  trouver  le 
repos  et  tâcher  d'y  reprendre  ses  forces.  Il  y  a  environ 
250  habitants,  qui  sont  bons  et  sympathiques. 

T.    XXXVI.  10 


L'église,  bâtie  sur  une  colline  qui  domine  le  village, 
est  toute  petite  et  déjà  insuffisante  pour  la  population; 
l'habitation  du  missionnaire  est  une  série  de  petites 
chambrettes  adossées  au  chevet  de  l'église.  C'est  bien 
modeste.  Le  R.  P.  Blanchet  a  pour  compagnon  le 
F.  Ryan,  qui  cumule  toutes  les  fonctions  d'un  Frère 
convers.  Ce  n'est  que  le  petit  nombre  des  paroissiens 
qui  habitent  le  village  ;  ils  sont,  pour  la  plupart,  espacés 
à  de  longues  distances.  Il  y  a,  en  particulier,  plusieurs 
familles  au  French-Flat,  et  le  révérend  Père  doit  y  aller 
de  temps  en  temps  pour  faciliter  à  tous  l'accomplisse- 
ment de  leurs  devoirs.  Il  y  a  une  école  séparée,  catho- 
lique, mais  elle  est  tenue  par  un  protestant.  Il  paraîtrait 
qu'on  n'a  pu  trouver  de  maître  catholique.  Ce  fait  seul 
montre  que,  chez  plusieurs,  le  sens  catholique  est  pas- 
sablement émoussé. 

Les  deux  autres  districts  qui  nous  restent  à  examiner 
sont  surtout  composés  de  Missions  sauvages.  Ce  sont  le 
district  du  lac  Laselle,  pour  les  Cris,  et  le  district  des 
Pieds-Noirs. 

IV.    DISTRICT   DU  LAC   LASELLE. 

Ce  district  comprend  les  Missions  du  lac  Laselle,  du 
lac  Labiche^  du  lac  Froid,  du  lac  d'Ognon  et  du  lac 
des  (Eufs.  On  pourrait  aussi  le  nommer,  comme  on  le 
voit,  le  district  des  Lacs.  C'est  le  dernier  district  que  j'ai 
visité  dans  le  cours  des  mois  de  janvier  et  de  février.  Je 
vais  en  rendre  compte  dans  l'ordre  daas  lequel  j'ai  par- 
couru ces  différentes  Missions. 

Partis  de  Saint- Albert,  le  samedi  15  janvier,  avec  le 
R.  P.  Lestanc,  après  le  dimanche  passé  au  fort  Saskat- 
chewan,  où  il  y  eut  bénédiction  d'une  nouvelle  cloche, 
nous  nous  mîmes  de  nouveau  en  route  le  lundi  ma- 
tin, et,  après  un  jour  et  demi  de  marche,  nous  arri- 


—  231   — 

vions  aux  rives  imposantes  de  la  grande  Saskatchewan 
du  Nord.  Rien  de  solennel  comme  ces  grands  bois  soli- 
taires et  dénudés  ;  rien  de  mystérieux  comme  cette  vaste 
étendue  du  cours  de  la  grande  rivière  saisie  par  le  froid 
et  ne  formant  plus  qu'une  masse  solide.  Plus  de  bruit, 
plus  de  mouvement,  tout  est  morne  et  silencieux  et  la 
rivière  solidifiée  nous  offre,  pendant  plusieurs  milles,  un 
chemin  uni  où  la  traîne  glisse  rapidement  en  silence. 
Nous  arrivons  à  la  Mission  du  lac  Laselle;  mais,  après 
une  ïiuit  de  repos,  nous  partons  dès  le  n^atin,  car  nous 
devons  d'abord  nous  rendre  au  plus  vite  au  lac  Froid, 
Cela  nous  prendra  encore  trois  jours.  Enfin,  le  vendredi, 
après  midi,  nous  sommes  d'assez  bonne  heure  à  la  Mis- 
sion de  Saint- Raphaël  du  lac  Froid.  Heureusement,  la 
plupart  des  sauvages  sont  encore  là.  Ordinairement, 
après  les  fêtes  de  Noël,  ils  se  dispersent;  mais,  cette 
année,  ils  ont  différé  leur  départ.  La  journée  du  samedi 
se  passe  à  entendre  les  confessions.  Le  11.  P.  Lesïanc 
peut  aider  le  R.  l\  Legoff,  car  plusieurs  des  Montagnais 
parlent  cris,  Le  dimanche,  nous  nous  efforçons  de  rendre 
les  cérémonies  aussi  solennelles  que  possible.  Les  bons 
sauvages  sont  venus  de  toutes  les  directions;  les  uns  en 
traîne  à  chiens,  les  autres  en  raquettes.  Beaucoup, 
presque  tous,  veulent  profiter  du  passage  de  l'Évêque 
pour  approcher  de  nouveau  de  la  sainte  table.  Sur  une 
population  de  250  personnes  environ,  bS  approchèrent 
du  sacrement  et  j'administrai  le  sacrement  de  Confirma- 
tion à  go  personnes,  la  plupart  adultes,  Ces  Montagnais 
se  sont  montrés  empressés  d'embrasser  la  religion.  Ils 
sont  attachés  à  leur  foi;  leur  missionnaire,  pourtant, 
leur  reproche  un  certain  manque  d'énergie  et  une  dis- 
position naturelle  à  la  paresse  et  au  jeu. 

Le  R.  P,  Legoff,  sans  occasionner  de  dépenses  extraor- 
dinaires, S3Q8  bruit,  a  su  aipéliorer  J'état  de  sji  Mission, 


—  232  — 

Il  a  une  petite  église  qui  est  assez  convenable  et  il  a 
peu  à  peu  agrandi  sa  maison  d'habitation,  car  il  espère 
pouvoir  y  installer,  avant  peu,  une  communauté  de 
Sœurs  qui  tiendraient  une  école  -  pensionnat  pour  les 
enfants  de  ses  chrétiens.  Les  sauvages  eux-mêmes  se 
montrent  très  désireux  de  voir  arriver  des  Sœurs  et, 
dans  une  réunion  qu'ils  ont  tenue,  ils  m'en  ont  fait  la 
demande  formelle.  Espérons  que,  plus  tard,  leur  désir 
sera  satisfait.  Deux  Frères  :  les  FF.  Vermette  et  Avrillon, 
étaient,  lors  de  ma  visite,  au  lac  Froid,  travaillant  aux 
constructions  du  R.  P.  Legoff. 

Outre  la  Mission  de  lac  Froid,  il  y  a  encore  le  lac  de 
Cœur  que  le  R.  P.  Legoff  doit  visiter  ;  il  y  a  là  60  Mon- 
tagnais  environ  qui  ne  peuvent  être  visités  que  par  lui. 
Le  R.  P.  Legoff  aurait  besoin  d'un  compagnon,  non 
seulement  pour  lui  porter  secours,  surtout  quand  il  n'est 
pas  bien,  mais  aussi  pour  apprendre  la  langue  mon- 
tagnaise.  S'il  venait  tout  à  coup  à  nous  manquer,  il 
n'y  a  personne  que  nous  puissions  envoyer  là,  et  par 
conséquent  cette  Mission  serait  sérieusement  compro- 
mise. 

Deux  jours  nous  séparent  du  lac  d'Ognon.  La  neige, 
qui  tombe  depuis  trois  jours,  a  rendu  les  chemins  plus 
difficiles;  cependant,  partis  le  mardi  matin,  nous  arri- 
vons d'assez  bonne  heure  le  lendemain  dans  l'après- 
midi.  Le  R.  P.  CoMiRÉ  nous  attendait. 

Au  lac  à'Ognon,  Mission  de  Notre-Dame  du  Rosaire^  je 
trouve  une  Mission  bien  établie.  L'église  est  assez  con- 
venable. L'autel  est  très  orné.  C'est  le  R.  P.  Dauphin  qui 
a  su  procurer  la  plupart  de  ces  ornements  et  les  mains 
des  bonnes  religieuses  ont  tout  disposé  avec  goût.  Cette 
petite  église  possède  un  trésor  précieux  :  ce  sont  les 
restes  de  nos  deux  martyrs  massacrés  au  lac  la  Gre- 
nouille, en  1885,  les  RR.  PP.  Fafard  et  Marchand.  Ils 


-^  233  — 

ont  été  déposés  dans  des  cercueils,  à  découvert,  dans  un 
caveau  pratiqué  au  milieu  de  l'église. 

La  maison  des  Pères  est  bien  modeste  et  encore  ina- 
chevée, mais  à  peu  près  suffisante.  Leur  ancienne  maison 
avait  été  abandonnée  aux  Sœurs  qui  y  ont  ajouté  de- 
puis une  grande  bâtisse  servant  de  pensionnai,  Ce  sont 
des  Sœurs  de  l'Assomption  de  Nicolet,  comme  à  Hob- 
béma,  qui  tiennent  ce  pensionnat.  Elles  sont  au  nombre 
de  sept  et  elles  élèvent  actuellement  52  enfants  dont 
6  n'appartiennent  pas  au  traité  avec  les  sauvages  et  par 
conséquent  ne  reçoivent  rien  du  gouvernement.  Cette 
école  réussit  très  bien. 

La  population  totale  de  la  réserve  est  d'environSOS  ha- 
bitants dont  440  catholiques,  25  protestants  et  40  infi- 
dèles. Le  dimanche  que  je  passai  là,  environ  60  per- 
sonnes ont  communié  et  j'administrai  le  sacrement  de 
Confirmation  à  27,  dont  19  enfants  de  l'école. 

Le  R.  P.  Lestanc  réside  ici,  mais  plutôt  à  titre  de 
visiteur,  pour  aider  le  R.  P.Gomiré,  qui,  n'ayant  qu'une 
connaissance  imparfaite  de  la  langue  crise,  ne  pouvait 
guère  rester  seul.  Le  R.  P.  Comiré  est  donc  directeur  de 
la  résidence  et  a  aussi  le  titre  de  principal  aux  yeux  du 
gouvernement  pour  l'école-pensionnat.  Depuis  quelque 
temps,  il  a  fait  des  progrès  satisfaisants  dans  l'usage  de 
la  langue  crise  et  pourra,  par  là  même,  dans  la  suite, 
rendre  son  ministère  plus  efficace.  Il  y  a,  à  quelques  pas 
de  l'établissement  catholique,  une  mission  protestante 
qui  a  aussi  son  école  et  qui  naturellement  fait  tout  pour 
nous  nuire. 

Six  jours  de  marche  nous  séparent  du  lac  Labiche  où 
mon  arrivée  est  annoncée  pour  le  dimanche  suivant.  La 
neige  a  continué  de  tomber  en  tempête  et  les  chemins 
sont  bien  mauvais.  Le  froid  aussi  est  intense.  En  reve- 
nant du  lac  d'Ognon,  j'ai  tenu  à  passer  sur  la  place 


.     2U  - 

qu'occupait  l'ancienne  Mission  du  lac  la  Grenouille.  Le 
F.  Landry  qui  m'accompagnait  a  pu  me  désigner  l'endroit 
où  nos  deux  martyrs  sont  tombés  sous  les  balles  de  leurs 
sauvages  égarés  par  la  l'urie  de  la  révolte.  Là,  dans  la 
neige,  nous  avons  prié  et  soUiciié  le  secours  de  ceux 
que  nous  con^^idérons  comme  des  protecteurs  dans  le 
ciel.  Nous  avons  retrouvé  aussi  le  caveau  de  l'église  d'où 
leurs  corps  à  demi  brûlés  lurent  retirés  quelques  se- 
maines après  le  massacre,  et  la  fosse  où  leurs  premiers 
cercueils  avaient  reposé  temporairement.  Tout  ce  pays 
maintenant  est  triste,  solitaire  et  désolé.  Les  sauvages 
mêmes  osent  à  peine  s'aventurer  de  ce  côté. 

Après  une  semaine  de  voyage  bien  pénible,  nous  ar- 
rivâmes cependant,  pour  l'époque  fixée,  à  In  Mission  du 
lac  Labiche  .' Notre-Dame  dés  Victoires.  C'était  dans  la 
nuit  du  samedi  au  dimanche,  à  minuit  et  demi.  Le 
R.  P.  Grandin  s'était  joint  à  moi  depuis  le  lac  Laselle. 
Le  R.  P.  TissîÈR  est  le  directeur  actuel  de  la  Mission  du 
lac  Labiche,  il  a  avec  lui  deux  Frères  :  le  F.  Alexandre 
et  le  F.  Caron. 

La  Mission  du  lac  Labiche  est  éprouvée  en  ce  moment. 
C'était  uû  établissement  considérable.  Les  Sœurs  Grises 
dirigeaient  ici  orphelinat  et  école;  c'a  été  pendant  long- 
temps la  résidence  de  M^'^  Faraud.  Or,  nous  nous  trou- 
vons dans  la  nécessité  de  transporter  cet  établissement 
au  lac  Laselle.  Ce  sont  les  sauvages  du  lac  Laselle  qui 
peuvent  fournir  le  plus  d'entants  à  l'école,  et  vu  la  dis- 
tance, on  ne  les  déciderait  que  difficilement  à  les  en- 
voyer au  lac  Labiche.  D'un  autre  côté,  le  département 
indien,  pour  nous  accorder  ses  secours,  désire  que  l'éta- 
blissement soit  sur  une  réserve.  Pour  toutes  ces  raisons, 
nous  sommes  donc  obligés  de  transporter  l'école-pen- 
sionnat  au  lac  Laselle  et  parla  d'amoindrir  l'importance 
du  lac  Labiche.  Cette  Mission,  perdant  son  importance 


~  235  — 

et  le  personnel  étant  réduit  à  quelques  membres,  le 
moulin  à  scie  et  à  farine  n'a  plus  de  raison  d'être,  et  l'on 
a  décidé  de  le  transférer  à  la  colonie  des  métis  du  lac 
des  OEufs,  où  il  sera  mieux  utilisé. 

La  population  du  lac  Labiche  est  naturellement 
bien  contrariée  de  ces  changements,  et  a  réclamé  contre 
ces  mesures  par  pétition  et  autrement.  Nous  avons  tâ- 
ché de  leur  faire  comprendre  que  c'était  la  nécessité 
seule  qui  nous  avait  contraints  à  prendre  ces  décisions. 
Pour  témoigner  de  leur  mauvaise  humeur,  ils  ont  retiré 
la  plupart  de  leurs  enfants  qui  fréquentaient  l'école. 

Cette  population  du  lac  Labiche  est  de  310  habitants 
métis  pour  le  plus  grand  nombre  et  aussi  quelques  fa- 
milles sauvages.  Sur  ce  nombre,  il  y  a  une  dizaine  de 
protestants.  Le  dimanche  que  je  passais  là,  il  y  a  eu 
environ  80  communions  et  44  confirmations,  de  plus, 
l'abjuration  d'une  jeune  femme  protestante  mariée  à  un 
catholique.  L'église  est  convenable  et  assez  bien  munie 
d'ornements  et  d'objets  du  culte.  La  maison  des  Pères 
est  neuve  et  spacieuse,  les  bâtisses  des  Sœurs  sont  plus 
vieilles.  Il  y  a  huit  Sœurs  qui  élevaient  60  enfants  envi- 
ron, dont  28  enfants  sauvages  ou  appartenant  au  traité. 
Plusieurs  des  autres  enfants  n'appartenant  pas  au  traité 
ont  été  retirés  dernièrement.  Le  transfert  au  lac  Laselle 
doit  se  faire  aussitôt  que  la  nouvelle  bâtisse  sera  prête. 

Le  dimanche  suivant,  j'étais  au  lac  des  OEufs,  siège 
de  la  colonie  de  Saint-Paul  des  Métis.  Il  y  a  ici  environ 
200  métis  qui  ont  répondu  à  l'appel  du  R.  P,  Lacombe 
et  du  R.  P.  Thérien.  C'est  le  R,  P.  Théribn  qui  a  la  di- 
rection de  cette  œuvre  toute  spéciale.  Il  a  avec  lui  trois 
Frères  :  les  FF.  Racette,  meunier,  Petit-Demange,  maître 
d'école,  et  Kowalchek,  Frère  polonais,  qui  est  mécani- 
cien. Le  F.  HucHET,  qui  était  cuisinier,  a  dû  être  éloigné 
et  devra  être  remplacé.  Le  petit  Frère  polonais,  malgré 


—  236  — 

le  terrible  accident  dont  il  a  été  victime,  l'été  dernier, 
rend  encore  de  grands  services.  La  main  droite  et  l'a- 
vant-bras  engagés  dans  sa  machine  ont  été  tellement 
broyés,  que  l'amputation  a  été  nécessaire;  l'opération 
a  heureusement  bien  réussi  et  le  Frère,  quoique  man- 
chot, est  encore  bien  adroit. 

Cette  œuvre  des  métis  a  été  entreprise  à  l'instigation 
du  R.  P.  Lacombe.  Il  s'agit  de  soustraire  les  métis  à  l'in- 
fluence pernicieuse  de  beaucoup  de  gens  sans  principes, 
en  les  arrachant  aux  séductions  des  petites  villes,  en  les 
agglomérant  ensemble,  en  les  guidant  et  encourageant 
dans  leurs  travaux.  On  n'est  encore  qu'au  début  de  l'é- 
tablissement ;  on  ne  peut  juger  du  succès  ;  mais,  il  faut 
reconnaître  que  le  R.  P.  Thérien  est  très  désireux  de 
mener  cette  œuvre  à  bonne  fin  et  très  dévoué  à  la  nation 
métisse.  Ce  dévouement  n'est  pas  apprécié  autant  qu'il 
devrait  l'être,  puisque  plusieurs  de  ces  métis  veulent 
confier  leurs  enfants  à  des  ministres  protestants,  si  nous 
ne  sommesprêtsbientôt  aies  prendre  nous-mêmes  dans 
des  écoles-pensionnats. 

En  retournant  au  lac  Laselle,  je  fus  accompagné  du 
R.  P.  TeÉRiEN  et  de  trois  Frères.  Le  F.Racette  seul  resta 
à  garder  la  maison.  Nous  nous  réunissons  ainsi  pour  va- 
quer ensemble  aux  exercices  de  la  retraite  du  mois,  le 
lendemain  devant  être  le  17  février.  Le  froid  était  per- 
çant pendant  ces  25  milles  qui  séparent  le  lac  des  Œufs 
du  lac  Laselle.  Nous  étions  obligés  d'aller  lentement,  la 
neige  étant  trop  profonde  pour  permettre  aux  chevaux 
de  trotter.  Nous  nous  trouvâmes  donc  réunis  dix  Oblats 
au  lac  Laselle  ;  avec  moi,  il  y  avait  trois  Pères  :  les 
RR.  PP.  Grandin,  Thérien  et  BouleiNC,  et  six  Frères  :  les 
FF.  Bowes,  Nemoz,  Landry,  Petit-Demange,  Huchet  et 

KOWALCHEK. 

Le  lendemain,  jeudi    17  février,  anniversaire  joyeux 


—  237  ~ 

de  l'approbation  de  nos  Saintes  Règles,  nous  fîmes  la 
solennité  aussi  belle  que  possible.  Le  matin,  il  y  eut  la 
fête  intime,  puis  à  10  heures,  il  y  eut,  de  plus,  une  messe 
solennelle  pour  les  sauvages  qui  répondirent  presque 
tous  à  l'appel. 

Les  sauvages  de  cette  réserve  sont  au  nombre  de  235. 
Ils  sont  divisés  en  deux  bandes  et  habitent  à  différentes 
extrémités  de  la  réserve.  11  y  a  120  catholiques  et  envi- 
ron 110  protestants  dans  l'autre  partie  de  la  réserve.  Il 
n'y  a  eu  jusqu'à  présent,  au  lac  Laselle,  qu'une  maison 
d'habitation  dont  le  rez-de-chaussée  sert  d'église.  Elle 
est  bien  pauvre  et  déjà  trop  petite.  On  bâtit  à  côté,  il  est 
vrai,  une  grande  maison,  mais  ce  sera  le  couvent  et  le 
pensionnat  des  Sœurs.  Quand  ce  pensionnat  sera  ouvert, 
l'église  se  trouvera  encore  bien  plus  insuffisante.  Il  est 
donc  urgent  de  bâtir,  aussitôt  que  possible,  une  église 
plus  vaste,  et  cet  établissement  nous  a  beaucoup  coûté, 
vu  que  le  gouvernement  ne  nous  a  encore  donné  aucun 
secours.  Les  FF.  Bowes  et  Nemoz  ,  malgré  leur  âge 
avancé,  travaillent  encore  avec  courage  ;  ce  sont  eux 
qui  ont  la  charge  de  cette  construction.  Les  FF.  Ver- 
METTE  et  AvRiLLON  sont  venus,  depuis,  leur  prêter  leur 
concours. 

Le  R.  P.  H.  Grandin  est  le  supérieur  du  district  du  lac 
Laselle,  il  est  assisté  du  R.  P.  Bouleng  ;  mais  il  y  a,  de 
plus,  beaucoup  de  postes  à  visiter  dans  les  environs. 
Les  sauvages  sont  bons  chrétiens,  mais  ont  besoin  d'être 
suivis  de  près  pour  ne  pas  être  influencés  par  les  minis- 
tres protestants  des  environs.  A  la  messe  solennelle  du 
17,  il  y  eut  15  personnes  qui  communièrent  et  j'admi- 
nistrai le  sacrement  de  Confirmation  à  8  personnes.  Le 
matin,  il  y  avait  eu  une  première  communion  et  confir- 
mation d'un  mineur  qui  avait  été  employé  pendant  quel- 
que temps  à  la  Mission,  il  avait  été  baptisé  la  veille  sous 


-  238  — 

condition.  Devant  partir  prochainement  pour  le  Rlon- 
dyke,  à  la  recherche  de  l'or,  il  avait  voulu  auparavant 
devenir  bon  catholique.  Dieu  trouve  ses  élus  partout. 

J'avais  eu  occasion,  dans  le  voyage,  de  voir  les  diffé- 
rents autres  postes  qui  sont  desservis  du  lac  Laselle.  Il  y 
a  le  lac  d'Orignal,  où  l'on  compte  environ  70  catholi- 
ques ;  le  lac  En-Long,  où  il  y  en  a  80  ;  le  lac  Bon-Poisson 
et  le  lac  Poisson- Blanc,  où  il  y  en  a  65.  Ceux-ci  sont 
mêlés  à  une  population  protestante  de  300  âmes.  Un 
ministre  réside  au  lac  Poisson-Blanc  et  par  conséquent 
la  foi  de  nos  catholiques  est  en  danger.  Ces  pauvres 
sauvages  avaient  été  négligés  pendant  longtemps  et  pas- 
saient pour  protestants.  On  a  recommencé  à  les  visiter, 
ils  reviennent  maintenant;  mais  ils  sont  peu  instruits  et, 
dispersés  comme  ils  le  sont,  il  est  difficile  de  les  ins- 
truire. C'est  le  R.  P.  Doulenc  qui  visite  ces  différents 
postes.  Ce  sont  des  voyages  pénibles  et  difficiles  où  l'on 
manque  de  toutes  les  commodités  les  plus  élémentaires. 
Heureusement,  le  R.  P.  Boulenc  semble  s'être  habitué  à 
une  vie  de  privations.  Il  a  beaucoup  à  faire  pour  ramener 
ces  chrétiens  et  les  entretenir  dans  leur  religion.  Le 
R.  P.  BouLENG  visite  aussi  une  petite  colonie  de  Gana* 
diens  français,  8  à  10  familles,  à  Birch-Greek. 

V.    DISTRICT   DES   PIEDS-NOIRS. 

Le  district  des  Pieds-Noirs  comprend  :  les  Missions 
de  la  Traverse  des  Pieds-Noirs  (la  Sainte-Trinité),  ré- 
serve des  Gens  du  sang  (Saint-François-Xavier),  réserve 
des  Piéganes  (Conversion  de  Saint-Paul),  et  l'Ecole  in- 
dustrielle Saint-Joseph.  C'est  le  coadjuteur  de  W'^  Gran- 
DiN,  qui,  par  exception,  reste  supérieur  de  ce  district. 

La  Mission  de  la  Traverse  des  Pieds-Xoirs  est  encore  peu 
développée,  quoiqu'elle  date  de  plus  de  quinze  ans.  Gela 


—  239  — 

tient  beaucoup  à  ce  que  le  R.  P.  Doucet,  qui  en  est  chargé, 
a  plusieurs  autres  places  à  visiter.  Il  est  le  plus  souvent 
absent  de  sa  réserve,  et  il  n'y  a,  pour  tenir  sa  Mission, 
qu'un  maître  d'école  laïque  chargé  d'une  petite  école. 
Il  n'y  a  de  bâtisse  que  cette  maison  d'école,  qui  sert  en 
môme  temps  de  maison  d'habitation  et  d'église  ;  tandis 
que  l'Eglise  anglicane  a  ici  deux  grandes  écoles-pension* 
nats,  qui  fonctionnent  depuis  longtemps.  Le  révérend 
Père  baptise  les  enfants  el  prépare  quelques  sauvages, 
de  temps  en  temps,  à  mourir  chrétiens,  et  c'est  là  tout 
son  ministère.  La  population  totale  de  la  réserve  est  de 
!  267  personnes. 

Le  R.  P.  Doucet  visite  Gleichen,  Médecine- Hat,  Maple- 
Creek  et  quelques  autres  stations  sur  le  chemin  de  fer. 
A  Gleichen,  la  messe  se  dit  dans  une  maison  particu- 
lière, 011  une  chambre  a  été  convertie  en  chapelle.  La 
population  catholique,  mêlée  de  langue  française  et  an- 
glaise, monte  à  environ  50  personnes.  A  Medecme-Hat , 
il  y  a  une  petite  église  bien  convenable  et  bien  entre- 
tenue. Elle  vient  même  d'être  fournie  dernièrement 
d'un  calorifère  à  air  chaud.  Il  y  a  eu  ici  autrefois  un 
prêtre  résident,  et  il  serait  bien  à  désirer  qu'on  pût 
en  mettre  un,  qui  serait  en  même  temps  chargé  des 
postes  le  long  de  la  ligne  du  chemin  de  fer.  La  popula- 
tion est  presque  toute  de  langue  anglaise,  et  appartient 
à  la  classe  des  employés  du  chemin  de  fer.  Elle  monle  à 
80  ou  90  personnes.  A  Maple-Creek,  il  y  a  une  chapelle 
très  petite  et  très  pauvre.  La  population  est  d'environ 
40  personnes.  11  y  a  bon  nombre  de  métis  dans  les  en- 
virons de  ces  stations. 

Sur  la  réserve  des  Gens  du  sang  est  la  Mission  Saint- 
François-Xavier.  La  population  totale  de  la  réserve  est 
de  1  427  sauvages.  Nous  n'avons  encore  que  15  familles 
catholiques,  environ  60  personnes.  Mais  il  faut  dire  que 


—  240  — 

la  plupart  des  enfants  sont  baptisés  catholiques.  Dans 
l'espace  de  quatre  ans,  depuis  le  dernier  Chapitre,  il  y  a  eu 
287  baptêmes,  145  confessions  de  sauvages,  il4  commu- 
nions, 274  visites  de  malades,  35  extrêmes-onctions, 
82  sépultures,  14  mariages.  Malheureusement,  plus  que 
jamais,  beaucoup  des  enfants  nous  échapperont  pour 
passer  aux  pensionnats  protestants,  qui  existent  sur  cette 
réserve.  Nous  n'avons  eu  jusqu'à  présent  que  deux 
écoles  du  jour  ;  mais  enfin,  après  bien  des  démarches, 
nous  avons  réussi  à  obtenir  du  secours  pour  cons- 
truire un  pensionnat.  La  bâtisse  est  très  avancée,  mais 
non  achevée  ;  elle  ne  pourra  pas  s'ouvrir  avant  plusieurs 
mois. 

C'est  le  R.  P.  Riou  qui  est  directeur  de  cette  Mission.  Il 
a  dû  en  prendre  la  charge  sept  mois  après  son  arrivée,  et 
après  cinqmoisseulementdeséjoursurla  réserve. C'était, 
il  faut  l'avouer,  un  lourd  fardeau,  et  il  a  fallu  toute  la 
bonne  volonté  et  l'esprit  religieux  du  jeune  Père  pour 
ne  pas  se  laisser  décourager,  et  pour  s'abandonner,  au 
contraire,  aux  vues  de  la  Providence.  De  fait,  à  force  de 
travail  et  d'étude  assidue,  il  a  su  se  mettre  bien  vite 
suffisamment  au  courant  de  la  langue  pied-noire,  non 
seulement  pour  traiter  toutes  ses  affaires  avec  les  sau- 
vages, mais  encore  pour  les  catéchiser  et  faire  de  petites 
instructions  à  l'église.  Pour  catéchiser,  visiter  les  ma- 
lades, et  les  préparer  à  mourir,  il  y  a  beaucoup  à  faire. 
Ce  ministère  seul  de  la  visite  des  malades,  qui  d'ordi- 
naire se  laissent  préparer  à  mourir  en  chrétiens,  serait 
très  important.  Mais  que  peut  faire  un  missionnaire  seul 
sur  une  réserve  si  vaste,  où  il  y  a  près  de  1  500  sauvages 
échelonnés  sur  un  espace  d'environ  50  milles?  Trois 
missionnaires  auraient  très  bien  de  quoi  s'occuper.  Il  y 
a  deux  ministres  protestants  qui  ont  sous  eux  toute 
une  bande  de  maîtres  et  maîtresses  d'école.  Le  Frère 


—  241   — 

Barreau  est  bien  utile  au  R.  P.  Riou,  vu  qu'il  connaît 
depuis  longtemps  ces  sauvages  et  peut  parler  leur 
langue.  Le  Frère  Moalic  a  remplacé  quelque  temps  le 
Frère  Barreau,  mais  il  vient  d'être  envoyé  au  lac  La- 
selle. 

Outre  la  maison  d'habitation  du  révérend  Père  et  du 
Frère,  la  Mission  est  pourvue  d'une  petite  chapelle  bien  , 
convenable.  De  plus,  il  y  a  ici  un  hôpital  exclusivement 
pour  les  sauvages.  Cet  hôpital  est  tenu  par  des  Sœurs 
Grises  de  Nicolet,  au  nombre  de  quatre,  qui  se  dévouent 
avec  beaucoup  de  zèle  aux  soins  des  malades.  Il  y  a  de 
plus  deux  autres  sœurs  qui  sont  chargées  de  deux  petites 
écoles  du  jour,  que  nous  maintenons  en  attendant  qu'on 
puisse  ouvrir  récole-pensionnat.  Les  difficultés  augmen- 
tent beaucoup  ici,  en  raison  du  voisinage  des  protestants 
qui  ont  aussi  des  établissements  considérables.  Ils  sont 
très  actifs  et  entreprenants  et  tâchent  de  toute  manière 
de  diminuer  notre  influence. 

La  réserve  des  Piéganes  a  vu  aussi  sa  condition  s'amé- 
liorer depuis  un  peu  plus  d'un  an.  Une  petite  école- 
pensionnat  a  pu  être  commencée  avec  le  concours  de 
trois  Sœurs  Grises  de  Nicolet.  La  première  installation 
était  bien  défectueuse.  La  maison  unique  de  la  Mission 
avait  été  cédée  aux  Sœurs  pour  elles  et  leurs  enfants. 
Elles  pouvaient  en  recevoir  au  plus  dix.  Dans  cette 
maison,  le  Père  et  le  Frère  s'étaient  réservé  un  tout 
petit  coin.  Il  fallait  de  plus  trouver  un  local  pour  la 
chapelle,  c'est  dire  que  tout  était  minuscule.  Mais,  dans 
le  cours  de  l'année  dernière,  une  assez  belle  petite  église 
a  été  érigée  et  une  bâtisse  assez  considérable,  destinée 
à  servir  de  couvent  et  de  pensionnat  pour  les  enfants 
sauvages.  Les  Sœurs  en  ont  pris  possession  dans  le  cou- 
rant du  mois  de  février.  Elles  y  sont  à  l'aise  et  pourront 
successivement  augmenter  le  nombre  de  leurs  enfants. 


-  342  - 

Elles  en  ont  actuellement  15.  Les  protestants  ont  égale- 
ment une  école-pensionnat  et  tâchent  de  nous  soustraire 
les  enfants  de  toutes  manières.  Avec  de  la  persévérance 
cependant,  nous  comptons  que  l'œuvre  de  Dieu  se  fera, 
malgré  les  difficultés. 

C'est  le  R.  P.  Danis  qui  était  en  pharge  de  cette  mis- 
sion. Il  a  demandé  du  changement  et  va  être  remplacé 
du  moins  provisoirement  par  le  R.  P.  Doucet.  Le  F.  Jean 
Berkmans  n'appartient  pas  à  notre  Congrégalion^  mais 
est  très  dévoué  à  sop  œuvre  et  nous  le  considérons 
comme  l'un  des  nôtres,  il  fait  l'école  aux  enfants.  Il  y  a 
ici  780  sauvages  et  seulement  5  ou  6  familles  catholiques, 
30  personnes  environ,  mais  beaucoup  inclinent  vers 
notre  sainte  religion  et  presque  tous  laissent  baptiser 
leurs  enfants.  Depuis  un  an  environ,  il  y  a  eu  41  bap- 
têmes, 58  confessions,  49  communions,  6  extrènies- 
onctions,  6  sépultures  et  4  mariages. 

L'Ecole  industrielle  Saint -Joseph  est  un  établissement 
considérable  qui  existe  déjà  depuis  longtemps,  et  nous 
avons  toujours  beaucoup  compté  sur  cette  école  pQur 
transformer  nos  natures  sauvages  et  exercer  sur  elles 
une  heureuse  influence.  Aux  enfants  qui  sont  admis 
dans  cette  institution,  on  lâche  d'inculquer  la  notion  de 
leurs  devoirs  religieux,  en  même  temps  qu'on  leur  en- 
seigne des  connaissances  qui  doivent  être  utiles  à  leur 
bien-être  temporel.  Pst-ce  à  dire  que  le  résultat  ait  ré- 
pondu à  nos  désirs  ?  Non,  sans  doute  ;  mais  nos  désirs, 
peut-être,  sont  trop  élevés.  Il  faut  tenir  compte  des  tem- 
péraments sauvages,  de  leur  manque  d'énergie  pour  le 
bien,  Il  faut  tenir  compte  aussi  du  milieu  dans  lequel  ces 
Pftuvres  enfants  sont  jetés  on  quittant  l'école.  Cependant, 
la  semence  des  vertus  jetée  daps  ces  âmes  ne  sera  pas 
complètement  perdue,  La  sorpme  considérable  de  travail 
et  d'efforts   dépensée  pour  l§ur  formatiPD  moraje  ne 


—  343  ^ 

peut  pas  manquer  d'avoir  une  influence  réelle.  Ce  qu'il 
faut  dire,  c'est  que  tous  ceux  qui  sont  employés  à  cette 
œuvre  s'y  dépensent  avec  courage  et  dévouement, 

C'est  le  R.  P.  Naessens  qui  est  le  principal  de  l'éta- 
blissement. Il  a  sous  lui  deux  bons  Frères  :  les  FF.  Tom 
MoRKiN  et  John  Morkin;  sept  Scguri  grises  de  Montréal 
et  une  Sœur  auxiliaire  donnent  aussi  à  cette  œuyro  un 
concours  précieux  et  apprécié.  KUes  instruisent  et  gar- 
dent les  filles,  et  sont  en  charge  de  la  cuisine,  du  linge, 
de  la  buanderie,  des  vêtements,  etc,  he  P.  Principal  a 
aussi  sous  ses  ordres  plusieurs  employés  laïques. 

Il  y  a,  outre  plusieurs  bâtisses  pour  Iqs  dépendances, 
deux  grandes  maisons  :  l'une  pour  les  garçons  et 
l'autre  pour  les  filles.  Le  nombre  des  enfants  s'est  élevé 
jusqu'à  120,  et  il  est  descendu  à  100  environ.  La  raison 
en  est  que  l'on  a  dû  récemment  congédier  plusieurs 
grands  enfants,  qui  étaient  parvenus  à  la  limite  d'âge. 
De  plus,  nos  constructions  pour  écoles-pensionnats  vont 
retenir,  pendant  quelque  temps,  les  jeunes  enfants  qui 
ne  pourront  être  envoyés  à  l'école  industrielle  avant 
l'âge  de  quatorze  ans.  Mais  c'était  une  nécessité  de  bâtir 
ces  écoles-pensionnats,  car  si  nous  n'avions  pas  (}ç!  ces 
écoles  pour  les  petits  enfants,  sur  les  réserves,  Ips  pro- 
testauts  les  auraient  tous  accaparés,  et  nous  n'auriqjis 
pu  remplir  nos  écoles  industrielles. 

En  résumé,  de  tout  ce  qui  précède,  on  voit  dopc  qu'il 
y  a  4  peine  une  Mission  du  vicariat  qui  ne  soit  en  souf- 
france. J'avais  donc  bien  raison  de  dire,  au  commence- 
ment, que  j'étais  effrayé  de  la  situation. 

Pour  faire  faca  au3f  premières  nécessités,  il  nous  fau- 
drait dès  maintenant  ; 

i°  Un  Père  pour  la  Mission  de  Calgary,  pour  secourir 
le  E,  P.  FouQUPT ; 

2"  Un  Père  au  lac  Froid,  pour  gjder  \^  R,  P.  LBGpfF 


~  244  — 

et   surtout  pour  apprendre  la   langue   raontagnaise  ; 

3"  Un  Père  au  lac  Labiche,  pour  remplacer  ou  aider 
le  R.  P.  TissiER  ; 

4°  Un  Père  sur  la  réserve  des  Gens  du  sang,  pour  aider 
le  R.  P.  Riou  et  apprendre  la  langue  des  Pieds-Noirs  ; 

5°  Un  Père  à  Hobbéma,  pour  suppléer  au  R.  P.  Per- 

REAULT  ; 

6°  Un  Père  à  l'École  industrielle  de  Dunbow,  pour 
aider  et  suppléer  de  temps  en  temps  le  R.  P.  Naessens. 

Il  faudrait  de  plus  : 

7°  Rétablir  la  résidence  de  Medecine-Hat  et  avoir  là 
un  Père  ou  un  prêtre  qui  serait  chargé  en  même  temps 
des  stations  de  la  ligne; 

8°  Pourvoir  d'un  Père  ou  prêtre  séculier  :  Beaumont, 
Wetaskiwin  et  Leduc  ; 

9°  Un  Père  au  lac  Sainte-Anne,  pour  permettre  au 
R.  P.  Végreville  de  s'occuper  des  Assiniboines  des  en- 
virons ; 

10»  Un  Père  pour  visiter  les  postes  de  la  ligne  du 
chemin  de  fer,  soit  du  côlé  des  montagnes,  soit  du  côté 
d'Edmonton. 

Enfin,  il  faudrait  : 

Deux  Pères  au  moins,  aptes  à  l'enseignement,  pour 
permettre  de  commencer  la  fondation  d'un  collège-sé- 
minaire ; 

Sans  parler  des  Frères  convers,  qui  pourraient  nous 
rendre  bien  des  services  que  nous  sommes  obligés  de 
demander  à  des  personnes  engagées. 

J'espère  qu'à  la  vue  de  tant  de  Missions  à  secourir,  la 
Congrégation  se  sentira  obligée  de  faire  un  effort  consi- 
dérable en  notre  faveur.  L'établissement  de  la  foi  catho- 
lique au  Nord-Ouest  est  son  œuvre,  et,  jusqu'à  présent, 
il  n'y  a  qu'elle  sur  qui  nous  puissions  compter  pour  l'af- 
fermir et  en  perpétuer  l'existence. 


—  245  — 

Rapport  du  vicariat  de  la  Colombie  britannique. 

Depuis  le  dernier  Chapitre,  le  grand  événement,  dans 
le  vicariat  de  la  Colombie  britannique,  c'est  le  passage 
parmi  nous  du  très  révérend  et  regretté  P.  Soullier. 
Cette  visite  si  bienveillante  et  si  inattendue  du  chef  de 
la  famille  eut  pour  effet  de  nous  renouveler  tous  dans 
Pesprit  de  notre  vocation.  Quelle  salutaire  impression  ne 
produisirent  point  chez  les  missionnaires  les  sages  avis 
et  la  ferme  direction  du  Supérieur  général  au  cours  de 
la  retraite  que  voulut  bien  leur  prêcher  le  R.  P.  Antoine, 
son  premier  assistant  et  fidèle  compagnon  de  voyage  ! 

En  1896,  le  diocèse  de  New-Westminster  s'enrichis- 
sait d'une  fondation  nouvelle.  Quatre  Religieuses  de  la 
Congrégation  des  Sœurs  de  l'Instruc  tion  de  l'Enfant-Jésus, 
dont  la  maison  mère  est  au  Puy,  prenaient  la  direction 
de  l'école  industrielle  établie  à  notre  Mission  Saint- 
Joseph  de  William's  Lake  en  faveur  des  filles  sauvages. 

L'année  1897  comptera  pour  nous  parmi  les  plus  mé- 
morables. Au  mois  d'avril,  Notre  Saint-Père  le  Pape 
Léon  XIII  préconisait  le  R.  P.  Dontenville  évoque  titu- 
laire de  Germanicopolis  et  coadjuteur  avec  future  suc- 
cession de  l'évêque  de  New-Westminster.  M^""  de  Germa- 
nicopolis reçut  la  consécration  épiscopale  dans  la 
cathédrale  de  New-Westminster  des  mains  de  notre 
vénéré  métropolitain,  M«''  Adélard  Langevin,  assisté  de 
M^""  DuRiEU  et  de  M^''  Clut,  venu  du  pôle  nord.  W  Lé- 
gal, accompagné  de  plusieurs  missionnaires  de  Saint- 
Albert,  rehaussait  par  sa  présence  cette  auguste  céré- 
monie. Ce  fut  une  véritable  fête  de  famille. 

Personnel. 

Le  vicariat  de  la  Colombie  compte  2  évêques  , 
25  Pères,  2  Frères  scolastiques  et  M  Frères  convers  à 

T.   XXXVI.  17 


—  246  — 

vœux  perpétuels.  Le  R.  P.  Blanchet,  doyen  de  nos  mis- 
sionnaires, aatteint  sa  quatre-vingtième  année,  2  Pères  ont 
plus  de  soixante-douze  ans,  2  ont  dépassé  la  soixantaine, 
3  la  cinquantaine,  8  ont  quarante  ans,  8  trente  ans  et 
plus.  Un  seul  a  vingt-sept  ans. 

Dix  Pères  sont  employés  en  qualité  de  Supérieurs, 
économes  ou  professeurs  au  collège  et  dans  les  écoles, 
13  seulement  exercent  le  saint  ministère,  5  exclusivement 
parmi  les  blancs,  8  parmi  les  sauvages  et  les  blancs  fixés 
dans  les  villages  indiens.  Enfin,  2  Pères  très  âgés  ne 
peuvent  plus  venir  en  aide  à  leurs  frères  que  par  leurs 
prières. 

Un  de  nos  Frères  convers  est  octogénaire,  4  ont  plus 
de  soixante-six  ans;  nous  comptons  3  sexagénaires;  un 
est  âgé  de  cinquante-cinq  ans,  un  autre  de  quarante-sept 
et  un  troisième  de  trente  ans.  Cinq  de  ces  Frères,  en 
raison  de  leur  âge  ou  de  leurs  infirmités,  sont  à  la  retraite, 
2  font  la  classe,  les  autres  s'occupent  à  l'intérieur  de 
nos  communautés  ou  aux  travaux  du  jardinage. 

Vie  intérieure. 

En  général,  la  régularité  est  en  honneur  dans  nos  mai- 
sons. Les  exercices  de  piété  se  font  en  commun.  On  est 
fidèle  à  la  retraite  du  mois.  La  retraite  annuelle  réunit 
à  New  -Westminster  tous  les  Pères  qui  ne  sont  pas  indis- 
pensables pour  la  garde  des  maisons  et  résidences.  Un 
des  nôtres  prêche  ces  saints  exercices.  Les  gardiens  de 
maisons  font  une  année  leur  retraite  en  particulier  et 
l'année  suivante  ils  participent  à  la  retraite  générale. 
Nos  Pères  ont  un  ministère  trop  surchargé  et  cumulent 
trop  d'emplois  pour  s'adonner  sérieusement  à  l'étude. 
A  peine  ont-ils  le  temps,  entre  deux  courses  apostoliques, 
de  repasser  à  la  maison  leur  théologie  morale  et  de  pré- 


—  247  — 

parer  de  nouvelles  instructions  pour  l'expédition  pro- 
chaine. 

L'étude  des  langues  indiennes,  si  multiples  dans  le 
vicariat,  présente  de  grandes  difficultés.  Dans  un  seul 
district,  vivent  trois  ou  quatre  tribus  ayant  chacune  un 
langage  différent;  ajoutez  à  cela  les  changements  fré- 
quents de  missionnaires  d'un  poste  à  un  autre,  en  raison 
de  l'exigence  des  œuvres  et  du  personnel.  Heureusement, 
le  jargon  appelé  chinook  est  compris  à  peu  près  partout 
dans  le  vicariat.  Tous  nos  Pères  l'apprennent  parfaite- 
ment et  peuvent  ainsi  exercer  le  saint  ministère  dans 
n'importe  quelle  tribu  sauvage.  Peu  à  peu,  à  l'aide 
d'interprètes  et  à  force  d'entendre  parler  les  sauvages 
entre  eux,  ils  réussissent  à  apprendre  la  langue  propre 
à  chaque  tribu.  A  mesure  que  se  multiplieront  les  ou- 
vriers évangéliques,  la  part  de  ministère  attribuée  à 
chacun  se  trouvant  diminuée,  chaque  tribu  se  verra 
confiée  à  un  missionnaire  qui  pourra  se  livrer  à  l'étude 
de  sa  langue  d'une  façon  plus  suivie.  Au  temps  où  nos 
Pères  sont  réunis  à  la  communauté,  les  conférences 
théologiques  ont  lieu  assez  régulièrement.  L'esprit  reli- 
gieux anime  tous  les  Oblats  du  vicariat.  Les  Pères  comme 
les  Frères  aiment  et  estiment  leur  vocation,  ils  sont 
pleins  de  zèle  pour  le  salut  des  âmes. 

Vie  extérieure. 

Il  y  a  deux  genres  de  ministères  dans  chacune  de  nos 
maisons.  Le  Père  qui  garde  la  résidence  exerce  le  mi- 
nistère paroissial  ;  il  veille  sur  l'école  des  garçons  et  des 
filles,  leur  donne  l'instruction  religieuse  et  prend  soin 
des  habitants  de  la  localité  et  des  environs.  Le  dimanche, 
il  préside  aux  offices  de  la  paroisse  auxquels  assistent 
les  catholiques  et  un  certain  nombre  d'hérétiques.  Les 
rapports  de  ce  Père  avec  les  étrangers  sont  à  peu  près 


—  248  — 

comme  il  est  dit  dans  la  Règle  ;  il  se  voit  pourtant 
obligé  de  se  passer  de  compagnon  pour  les  visites  à  do- 
micile. 

Les  autres  missionnaires,  à  des  époques  fixes,  s'ab- 
sentent pour  six  semaines  ou  deux  mois  et  s'en  vont  seuls, 
de  village  en  village,  prêcher,  instruire  les  fidèles  qui  les 
attendent  et  leur  administrer  les  sacrements.  Pour  l'ac- 
complissement de  ce  ministère.  Je  prêtre  parcourt  souvent 
de  grandes  distances,  car  les  familles  européennes  qu'il 
doit  visiter  sont  établies  çàetlà  dans  la  contrée,  très  loin 
les  unes  des  autres.  Il  reçoit  l'hospitalité  dans  ces  mai- 
sons et  catéchise  les  enfants. 

Division  du  vicariat. 

Le  vicariat  se  divise  en  quatre  maisons  et  deux 
résidences  :  la  maison  Saint-Charles  à  New- Westminster 
avec  sa  résidence  de  Saint-Eugène  à  Kootenay,  la  mai- 
son Sainte-Marie  à  Matequi,  la  maison  Saint- Joseph  au 
lac  William  avec  sa  résidence  de  N.-D.  de  Bonne-Espé- 
rance au  lac  Stuart  et  la  maison  de  Saint-Louis  à  Kam- 
loops. 

La  plus  importante  de  ces  maisons,  par  sa  position  et 
par  ses  œuvres,  est  la  maison  Saint-Charles,  à  New- 
Westminster,  résidence  du  vicaire  de  Missions  et  le  siège 
épiscopal.  Les  Pères  qui  la  composent  s'occupent  de  la 
paroisse  des  blancs  et  des  œuvres  qui  s'y  rattachent  : 
collège,  école  de  filles,  orphelinat  pour  les  enfants  des 
deux  sexes,  hôpital  catholique  tenu  par  des  religieuses. 
Les  autres  maisons  du  vicariat,  outre  une  église  parois- 
siale et  des  écoles,  comprennent  encore  un  district  de 
250  milles.  On  a  voulu,  dès  le  principe,  partager  en  dis- 
tricts l'immense  étendue  du  vicariat,  il  est  ainsi  beau- 
coup plus  facile  de  prévenir  les  catholiques  contre  de 


—  249  — 

l'influence  malsaine  des  sectes  dissidentes;  quand  nous 
serons  en  nombre,  ces  districts  pourront  être  divisés. 

En  dehors  des  villes,  la  formation  religieuse  des  blancs 
et  de  leurs  enfants  n'est  pas  chose  aisée,  on  a  beaucoup 
de  peine  à  réunir  ces  enfants  si  éloignés  pour  le  caté- 
chisme. Ces  difficultés  ne  se  rencontrent  pas  parmi  les 
sauvages  qui,  du  reste,  montrent  la  plus  grande  bonne 
volonté.  Quand  la  visite  du  prêtre  leur  a  été  signifiée, 
ils  sont  fidèles  à  se  rendre  au  village  central  oîi  se  trouve 
l'église.  Trois  ou  quatre  fois  par  an,  le  Père  leur  donne 
une  mission  d'une  huitaine  de  jours,  employés  en  entier 
à  l'instruction  religieuse  :  outre  le  sermon  du  matin  et 
du  soir,  il  y  a  trois  catéchismes  par  jour.  Les  enfants  sont 
instruits  à  part.  Tous  ces  chrétiens  assistent  à  la  messe 
et  à  la  bénédiction  du  Saint-Sacrement.  Aussi,  ces  mis- 
sions, quoique  courtes,  laissent-elles  une  forte  impres- 
sion dans  ces  âmes,  impression  salutaire  qui  les  soutient 
durant  la  longue  absence  du  prêtre. 

Population. 

On  estime  à  80  000  âmes  la  population  totale  du  vi- 
cariat :  23  000  sauvages,  6  000  Chinois  et  30  000  Euro- 
péens. Les  catholiques  atteignent  le  chiffre  de  24  000, 
les  protestants  sont  au  nombre  de  50000,  il  y  a,  de  plus, 
6  000  païens. 

Pendant  quelques  années,  nous  aurons  une  popula- 
tion flottante,  en  route  pour  le  Klondyke,  qui  séjour- 
nera plus  ou  moins  longtemps  à  Vancouver,  oii  le  chemin 
de  fer  amène  les  émigrants,  et  à  Glenora,  versle  60*  de- 
gré de  latitude,  sur  la  limite  du  diocèse  où  débarquent 
ceux  qui  ont  pris  la  voie  de  mer. 

Maison  Saint-Charles.  —  Six  Pères,  2  Frères  scolasti- 
ques  et  3  Frères  convers  à  vœux  perpétuels,  composent 
le  personnel  deglla  maison  Saint-Charles  qui  dessert  la 


—  250  — 

ville  de  New-Westminster  et  sa  banlieue.  La  ville  compte 
aujourd'hui 6  000  habitants,  dont  5  OOOEuropéens,  quel- 
ques centaines  de  Chinois  et  un  petit  nombre  de  sau- 
vages chrétiens  groupés  sur  la  rive  sud  duPrazer  autour 
d'une  église  bâtie  par  eux.  La  population  de  la  banlieue 
s'élève  à  7  000  Européens  de  nationalités  diverses,  dont 
environ  730  catholiques  et  4  250  hérétiques.  On  y  trouve 
plusieurs  centaines  d'émigrants  du  Céleste  Empire. 

En  été,  du  1"  juillet  à  la  fm  d'août,  ce  territoire  est 
envahi  par  plus  de  4  000  sauvages  ;  ils  viennent  de  tous 
les  points  de  la  Colombie  faire  la  pêche  du  saumon  rouge 
au  compte  des  Européens.  La  grande  majorité  de  ces 
sauvages  est  catholique. 

A  New-Westminster,  il  y  a  quatre  églises  quasi-pa- 
roissiales, c'est-à-dire  où  une  messe  est  régulièrement 
célébrée  chaque  dimanche  :  l'orphelinat  des  Sœurs  du 
Bon-Pasteur,  le  pénitencier,  l'hôpital  catholique  et  l'é- 
glise pour  les  sauvages.  Les  blancs  ont  la  cathédrale  pour 
paroisse,  il  s'y  célèbre  deux  messes  le  dimanche. 

Nous  avons  établi  dans  la  banlieue  six  centres  oh  les 
catholiques  européens  se  réunissent  pour  la  réception 
des  sacrements.  Quatre  de  ces  localités  possèdent  une 
église,  les  deux  autres  auront  aussi  la  leur  prochaine- 
ment. Un  Père  de  Saint-Charles  visite  le  dimanche,  à 
tour  de  rôle,  l'une  ou  l'autre  de  ces  églises. 

Le  collège  Saint-Louis,  sous  la  direction  de  nos  Pères 
de  Saint-Charles,  est  attenant  à  la  maison  de  commu- 
nauté ;  3  Pères,  2  Frères  scolastiques  et  1  Frère  convers 
y  donnent  rinstruction  élémentaire  et  commerciale  à 
65  élèves,  dont  plusieurs  pensionnaires.  Un  laïque  est 
professeur  de  dessin. 

Six  Sœurs  de  Sainte-Anne  se  partagent  les  cours  élé- 
mentaires et  moyens  de  l'école  des  filles  qui,  tant  pen- 
sionnaii'es  qu'externes,  atteignent  le  chiffre  de  64.  Le 


À 


—  251  — 

Père  curé  de  la  paroisse  ne  néglige  rien  pour  l'instruc- 
tion religieuse  et  la  formation  chrétienne  des  élèves  de 
ces  deux  écoles.  A  cet  effet,  il  les  réunit  tous  les  diman- 
ches à  la  cathédrale. 

Les  Sœurs  du  Bon-Pasteur  dirigent,  dans  un  des  fau- 
bourgs de  New-Westminster,  l'orphelinat  catholique 
pour  les  enfants  issus  de  parents  blancs  qu'elles  réus- 
sissent ainsi  à  conserver  à  l'Église.  Les  protestants  les 
accueilleraient  volontiers  dans  leurs  orphelinats  pour  les 
enrôler  dans  leurs  sectes.  Les  religieuses  reçoivent  pa- 
reillement les  enfants  de  parents  hérétiques  quand 
ceux-ci  demandent  ou  du  moins  ne  font  aucune  oppo- 
sition à  ce  que  leurs  enfants  soient  reçus  ou  élevés  dans 
la  foi  catholique.  On  garde  les  garçons  jusqu'à  l'âge  de 
douze  ans  ;  après  leur  première  communion,  ils  sont  pla- 
césdans  de  bonnes  familles  où  ils  rendent  service,  ga- 
gnentleurvieet  apprennent  à  travailler.  Ces  mêmesSœurs 
admettent,  dans  un  département  distinct,  des  jeunes 
personnes  qui  veulent  se  conserver  bonnes  chrétiennes 
jusqu'à  leur  établissement.  Une  vingtaine  de  religieuses 
font  prospérer  cette  institution  qui  compte  15  orphe- 
lins, 25  orphelines  et  16  pénitentes  ou  préservées. 

Depuis  1893,  nous  relevons  à  l'actif  de  la  maison 
Saint-Charles  231  baptêmes,  21  mariages,  30  000  com- 
munions, 34  000  confessions,  100  confirmations  et 
17  conversions  d'hérétiques. 

Résidence  Saint-Eugène  de  Kootenay.  —  Cette  rési- 
dence, dépendante  delà  maison  Saint-Charles,  est  située 
au  centre  du  pays  Kootenay  ;  elle  se  compose  de  deux 
Pères  et  d'un  Frère  convers.  Les  sauvages  de  cette  tribu 
sont  au  nombre  de  600.  Ils  vivent  dans  quatre  villages 
très  éloignés  les  uns  des  autres,  mais  se  réunissent  à  la 
Mission  aux  grandes  fêtes.  Tous  appartiennent  à  notre 
sainte  religion. 


—  252  — 

Le  gouvernement  fédéral  du  Canada  entretient  là,  à 
ses  frais,  une  école  industrielle  pour  l'instruction  et  l'é- 
ducation des  enfants  de  la  tribu.  La  direction  en  est 
entièrement  confiée  aux  Sœurs  de  la  Providence  ;  6  re- 
ligieuses consacrent  leurs  soins  à  former  au  bien  et  au 
travail  une  soixantaine  d'enfants,  32  filles  et  28  garçons. 
A  ceux-ci,  un  contre-maître,  engagé  par  les  Sœurs,  ap- 
prend la  cordonnerie,  la  menuiserie  et  l'agriculture. 
Les  filles  sont  initiées  aux  travaux  du  ménage  et  à  toute 
espèce  d'ouvrages  à  l'aiguille.  Cette  école  donne  pleine 
satisfaction  au  gouvernement,  elle  produit  les  meilleurs 
fruits  parmi  les  sauvages  dont  elle  adoucit  le  caractère. 

Nous  trouvons  inscrits  sur  les  registres  de  cette  rési- 
dence, depuis  le  dernier  Chapitre,  230baptêmes,  ^76con- 
firmations,'10C00communions,75  viatiques  et  extrêmes- 
onctions,  20  mariages.  On  signale,  en  1896,  une  conver- 
sion d'hérétique  et  deux  en  1897. 

Je  dois  ajouter  qu'une  ère  nouvelle  commence  pour 
Saint-Eugène.  Les  Pères  n'avaient  à  s'occuper  jusqu'ici 
que  des  sauvages.  Sur  les  900  blancs  ou  Chinois  établis 
sur  ce  territoire,  on^  ne  rencontrait  qu'un  très  petit 
nombre  de  catholiques  qui  remplissaient  leurs  devoirs  de 
religion  quand  ils  avaient  l'occasion  de  passer  à  la  Mis- 
sion. Mais  voici  que,  depuis  l'an  dernier,  on  travaille  à  la 
construction  d'une  voie  ferrée  à  travers  les  montagnes 
Rocheuses  et  le  pays  Kootenay  de  l'est  à  l'ouest.  La  Mis- 
sion ne  s'en  trouve  éloignée  que  de  4  milles. 

Les  Européens  affluent  dans  la  région  ;  5  à  6  000  ou- 
vriers sont  échelonnés  sur  le  parcours  de  ce  chemin 
de  fer,  des  colons  s'établissent,  de  nombreux  mineurs 
sondent  les  rochers  des  montagnes  pour  y  découvrir  des 
métaux.  C'est  donc  un  surcroît  d'ouvrage  pour  deux  mis- 
sionnaires, dont  l'un  est  retenu  à  la  maison  par  ses 
infirmités.  Heureusement,   le  R.  P.  Coccola,  directeur 


--  253  — 

de  cette  résidence,  a  pu  s'attirer  le  concours  d'un  prêtre 
anglais,  que  des  raisons  de  santé  ont  obligé  de  quitter 
momentanément  son  diocèse.  Ce  prêtre  a  bien  voulu  se 
charger  de  la  desserte  des  différents  groupes  d'ouvriers 
du  chemin  de  fer,  presque  tous  catholiques,  ainsi  que 
de  l'église  bâtie  l'an  passé  dans  une  petite  ville  qui  a 
surgi  sur  les  rives  de  la  Kootenay,  à  7  milles  de  Saint- 
Eugène.  Il  est  nécessaire  d'augmenter  au  plus  tôt  le 
personnel  de  cette  résidence. 

Maison  Sainte- Marie.  —  La  maison  de  Sainte-Marie, 
qui  comptait  naguère  5  missionnaires,  n'en  a  plus  que 3  ; 
l'un  d'eux  a  succédé  au  R.  P.  Blanchet  à  Notre-Dame  de 
Bonne-Espérance,  un  autre  a  reçu  son  obédience  pour 
la  province  du  Canada.  Il  y  a  dans  cette  communauté 
4  Frères  convers,  mais  2  ne  peuvent  plus  se  rendre 
utiles  en  raison  de  leurs  infirmités. 

Les  Pères  ont  à  desservir  6000  blancs,  dont  seulement 
885  catholiques  et  3  185  sauvages.  Ceux-ci  se  divisent 
en  2  708  catholiques,  194  protestants  et  178  païens.  Les 
sauvages  catholiques  possèdent  une  trentaine  d'églises, 
quatre  de  leurs  villages  n'en  ont  pas  encore.  Il  y  a  en 
outre  5  églises  pour  la  population  blanche. 

Autour  de  la  Mission  s'élèvent,  pour  les  enfants  sau- 
vages, deux  belles  écoles  qui  ne  manquent  pas  d'exciter 
la  jalousie  des  protestants.  Les  élèves,  au  nombre  de  85, 
41  garçons  et  44  filles,  sont  logés,  nourris  et  habillés 
pour  la  plupart  aux  frais  de  la  Mission,  le  gouvernement 
fédéral  n'accordant  qu'une  minime  allocation.  Les  Pères, 
aidés  d'un  instituteur  laïque,  dirigentl'école  desgarçons; 
les  petites  filles  sont  confiées  aux  Sœurs  de  Sainte-Anne. 
Ces  enfants  reçoivent  une  instruction  élémentaire;  on 
prend  surtout  à  cœur  de  les  former  à  une  vie  solidement 
chrétienne,  tout  en  leur  inculquant  l'amour  du  travail, 
avec  l'habitude  de  l'ordre  et  de  la  propreté.  De  retour 


—  254  — 

dans  leurs  familles,  nos  élèves  se  montrent  bons  catho- 
liques, et  savent  au  besoin  défendre  la  religion  contre 
les  assauts  des  hérétiques  blancs  ou  sauvages. 

Dans  l'espace  de  cinq  ans,  les  Pères  de  la  maison  de 
Sainte-Marie  ont  administré  1  000  baptêmes,  entendu 
22  000  confessions,  distribué  18  000  communions,  bénit 
254  mariages  ;  400  fidèles  ont  été  confirmés  et  100  ont 
reçu  les  derniers  sacrements.  Le  petit  nombre  d'extrêmes- 
onctions  provient  de  l'éloignement  des  malades;  la  plu- 
part habitant  à  100  et  même  150  milles  du  prêtre, 
impossible  de  leur  procurer  cette  consolation  suprême. 
Il  y  a  cependant,  dans  chaque  village,  un  catéchiste 
qui  aide  les  malades  à  mourir  pieusement.  Nous  avons 
eu  à  Sainte-Marie  10  abjurations  d'hérétiques  européens 
et  une  cinquantaine  de  conversions  parmi  les  sauvages 
païens  de  la  Mission. 

Maison  Saint-Joseph  à  Williarns  Lake.  —  La  commu- 
nauté de  Saint-Joseph  à  William's  Lake  compte  5  Pères 
et  1  Frère  convers.  C'est  là  que  vient  de  se  retirer  le 
vétéran  de  nos  Missions,  le  bon  Père  Blanchet,  devenu 
presque  aveugle  sur  ses  vieux  jours.  Il  lui  est  impossible 
de  célébrer  la  sainte  messe  et  de  réciter  son  bréviaire. 
Cependant,  il  se  conduit  seul.  Ses  prières  contribuent 
du  moins  à  la  conversion  des  âmes. 

Quatre  mille  blancs,  dont  environ  500  cathohques, 
900  Chinois  et  1  135  sauvages  dont  1  085  catholiques  et 
une  cinquantaine  de  païens  habitent  le  territoire  attribué 
à  la  Mission.  Les  sauvages  ont  construit  10  églises;  les 
blancs,  dansles  deux  stations  desservies  par  les  Pères,  n'en 
possèdent  pas  encore.  Le  prêtre  doit  en  outre  visiter  à 
domicile  et  porter  les  secours  de  la  religion  à  nombre  de 
familles  européennes  catholiques  éparses  çà  et  là  dans 
la  région. 

A  la  maison  se  rattache  une  école  industrielle  sub- 


—  255  — 

ventionnée  par  le  gouvernement  canadien;  on  y  admet, 
avec  les  sauvages,  les  enfants  des  fermiers  européens 
catholiques.  Un  de  nos  Pères  est  spécialement  chargé 
des  garçons,  il  leur  fait  la  classe,  les  surveille  au  dortoir 
et  en  récréation.  Quand  vient  l'heure  des  travaux  ma- 
nuels, ces  enfants  sont  confiés  à  trois  laïques,  engagés  de 
la  Mission,  qui  leur  apprennent  le  métier  de  charpentier, 
de  bourrelier  et  de  fermier.  Les  Sœurs  de  l'Instruction 
de  l'Enfant-Jésus  initient  les  filles  aux  occupations  de 
leur  sexe.  Elles  reçoivent  l'instruction  religieuse  du 
R.  P.  Le  Jaco,  supérieur,  qui  va  tous  les  jours  leur  faire 
le  catéchisme  et  présider  la  visite  au  Saint  Sacrement. 

Cette  école  industrielle,  qui  comprend  25  garçons  et 
26  tilles,  produit  d'excellents  résultats.  Peu  à  peu  ces 
enfants  se  dépouillent  de  leurs  habitudes  sauvages  et 
adoptent  pour  ainsi  dire  une  nouvelle  manière  de  penser 
et  de  parler. 

Le  chiffre  des  baptêmes,  depuis  1893,  s'élève  à  369, 
celui  des  mariages,  à  81.  On  compte  111  confirmations, 
600  communions,  80  extrêmes-onctions  et  viatiques, 
4  abjurations  de  protestants  et  plusieurs  conversions  de 
sauvages  restés  païens  parmi  leurs  parents  hérétiques. 

Les  catéchistes  indigènes,  établis  dans  chaque  village 
pour  y  entretenir  le  bien  opéré  par  la  mission  de  huit  à 
dix  jours  que  le  missionnaire  va  prêcher  dans  chaque 
centre  à  tour  de  rôle,  ont  réussi  à  faire  pénétrer  dans 
les  cœurs  un  grand  esprit  de  religion  et  de  piété.  Ils  ont 
ainsi  obtenu  d'admirables  résultats  de  ces  natures  na- 
guère encore  si  indépendantes,  si  ennemies  de  tout  frein 
et  si  indifférentes  en  ce  qui  a  trait  à  la  religion. 

Résidence  de  Notre-Dame  de  Bonne -Espérance  au  lac 
Stuart.  —  Cette  résidence,  dépendante  de  Saint-Joseph, 
comprend  un  district  aussi  étendu  et  est  situé  à300  milles 
au  nord  du   lac  William  ;  2  Pères   y  desservent  une 


—  256  — 

centaine  de  blancs,  presque  tous  engagés  dans  les  forts 
de  la  Compagnie  de  la  baie  d'Hudson  et  2  000  sauvages, 
tous  catholiques  ou  catécbumènes. 

Il  y  a  huit  stations  possédant  chacune  son  église.  Deux 
ou  trois  fois  l'année,  les  sauvages  nomades  s'y  rassem- 
blent pour  la  mission.  La  pêche  ou  la  chasse  étant  leur 
seul  moyen  de  subsistance,  ces  familles  ne  s'établissent 
jamais  à  poste  fixe.  Les  catéchistes,  dans  chaque  groupe, 
apprennent  la  prière  et  les  vérités  religieuses  aux  enfants. 

N'ayant  pu  correspondre  avec  cette  Mission  depuis 
six  mois,  le  vicaire  des  Missions  ne  peut  fournir  le 
chiffre  des  sacrements  administrés  par  les  missionnaires 
de  Notre-Dame  de  Bonne-Espérance. 

Maison  Saint-Louis  à  Kamloops.  —  Jusqu'en  janvier 
dernier,  cette  maison  comptait  5  missionnaires;  elle 
n'en  a  plus  que  4  et  2  Frères  convers,  dont  l'un,  le 
F.  SuREL,  âgé  de  quatre-vingts  ans,  est  venu  dans  nos 
Missions  avec  M^""  d'Herbomez  en  4850. 

La  population  blanche  du  district  est  de  13  000  âmes, 
dont  2  000  catholiques  ;  les  sauvages,  au  nombre  de 
3  446,  se  répartissent  en  2007  catholiques,  1  418  protes- 
tants et  21  païens. 

Nos  Pères  ont  30  églises  à  desservir.  Eux  aussi  sont 
chargés  de  l'école  industrielle  bâtie  par  le  gouverne- 
ment fédéral  sur  la  réserve  des  sauvages  kamloops  et 
dont  il  fait  tous  les  frais.  Dans  deux  bâtisses  distinctes, 
27  garçons  et  26  filles  de  la  tribu  shuswap,  tout  en  rece- 
vant une  instructionélémentaire,  sont  formés  au  travail. 
Les  garçons,  sous  la  direction  du  R.  P.  Carion,  reconnu 
par  le  gouvernement,  et  aidé  d'un  laïque,  s'adonnent  à 
la  menuiserie  et  à  l'agriculture.  Les  filles  sont  confiées 
aux  Sœurs  de  Sainte-Anne.  Comme  cette  école  n'existe 
que  depuis  cinq  ans,  aucun  enfant  n'y  a  encore  com- 
plété   son  éducation;  mais    nous  .pouvons    dire    que 


—  237  — 

tous  nos  élèves  donnent  entière  satisfaction.  Lors  de 
la  visite  de  S.  Exe.  le  gouverneur  général  lord  Aber- 
deen  et  des  ministres  de  la  puissance  du  Canada  à  Kam- 
loops,  les  enfants  de  l'école  industrielle  se  sont  lait 
remarquer  par  leur  bonne  tenue,  leur  solide  instruction 
primaire  et  leur  parfaite  déclamation. 

Dans  la  ville  même  de  Kamloops,  les  Sœurs  de  Sainte- 
Anne  tiennent  une  école  mixte  fréquentée  par  33  en- 
fants. Les  garçons  y  sont  admis  jusqu'à  l'âge  de  douze 
ans  seulement,  époque  de  leur  première  communion. 
L'éducation  y  est  particulièrement  soignée. 

Nous  trouvons  consignés  sur  les  registres  de  la  mai- 
son de  Kamloops  900  baptêmes,  100  confirmations, 
22  300  confessions,  16  300  communions,  360  mariages, 
373  viatiques  et  extrêmes-onctions. 

Petit  séminaire. 

En  1895,  nous  avons  inauguré  le  petit  séminaire 
diocésain  avec  8  élèves;  ils  sont  14  aujourd'hui.  Le 
R.  P.Emile  Bunoz  est,  au  spirituel  et  au  temporel,  le  Père 
de  cette  petite  communauté  ;  un  Frère  convers  l'aide 
pour  la  surveillance.  Ces  enfants,  qui  suivent  les  cours 
du  collège  Saint-Louis,  peu  éloigné  du  petit  séminaire, 
nous  donnent  pleine  satisfaction  par  leur  bon  esprit, 
leur  piété  et  leur  application  à  l'étude.  Puissions-nous 
recruter  dans  cet  établissement  des  prêtres,  des  mis- 
sionnaires zélés.  Nos  œuvres  se  développent  et  se  multi- 
plient par  le  fait  de  l'émigration  continue.  D'autre  part, 
nos  bons  sauvages  chrétiens,  qui,  jusqu'à  présent,  n'ont 
été  visités  que  deux  ou  trois  fois  par  an,  auraient  besoin 
de  la  présence  plus  fréquente  du  prêtre  parmi  eux  pour 
les  défendre  contre  l'influence  délétère  des  colons  héré- 
tiques. Aussi,  ne  cessons-nous  de  pousser  ce  cri,  de  re- 
dire cette  prière  :  Mitte  operarios. 


NOUVELLES  DIVERSES 


Le  R.  P.  Bernad,  professeur  de  morale  au  scolas- 
licat  de  Liège,  succède  en  qualité  de  supérieur  de  celte 
communauté  au  R.  P.  Gandar,  élu  assistant  général. 

Le  T.  R.  P.  Supérieur  général  a  choisi  le  R.  P.  Lémius 
(François)  pour  son  secrétaire  particulier. 

Nos  évêques  missionnaires  ont  été  invités  à  adminis- 
trer le  sacrement  de  Confirmation  ou  à  faire  les  ordina- 
tions dans  plusieurs  diocèses  :  M^^  Langevix  à  Ajaccio; 
Ms'"  Grouard,  au  Mans;  M^'' Joulain,  à  la  Rochelle  et  à 
Angers.  Ces  prélats  profitent  de  leur  passage  dans  les 
grands  et  petits  séminaires  pour  adresser  la  parole  aux 
élèves  en  faveur  de  leurs  Missions  respectives  et  des 
diverses  œuvres  de  la  Congrégation. 

A  son  retour  de  Rome,  M^""  Langevin  doit  se  rendre  à 
Liège  et  à  Hiinfeld  pour  l'ordination  de  nos  Frères  sco- 
lastiques. 

Le  n  juin,  fête  du  Sacré-Cœur,  NN.  SS.  Légal  et 
JouLAiN  ont  assisté,  dans  la  cathédralede  Nantes,  au  sacre 
de  M^'  Leray,  des  Missionnaires  du  Sacré-Cœur  d'Issou- 
dun,  vicaire  apostolique  en  Océanie. 

Le  29  juin,  fête  des  saints  Apôtres  Pierre  et  Paul, 
M^'  Grouard  assistera  dans  l'église  de  Saint-Roch,  à  Pa- 
ris, au  sacre  de  M^'  de  Bonfils,  évêque  nommé  du  Mans  ; 
M^''  Durieu,  dans  la  cathédrale  du  Puy,  au  sacre  de 
M^r  de  Pélacot,  évêque  nommé  de  Troyes;  M^"^  Pascal,  à 
Rodez,  au  sacre  de  M^'  Latieule,  évêque  nommé  de 
Vannes. 


"  259 


Rectification  dans  j^'Ordo  de  1898. 

Le  XlIP  dimanche  après  la  Pentecôte  (28  août)  n'est 
pas,  ainsi  qu'on  l'a  indiqué  par  erreur  dans  notre  07'do, 
le  P'  dimanche  de  septembre,  mais  le  V^  dimanche 
d'août.  En  conséquence,  la  Partie  d'automne  du  Bré- 
viaire ne  commence  qu'avec  le  XIV^  dimanche  après  la 
Pentecôte  (4  septembre).  Il  n'y  a  pas  à  tenir  compte  de 
VIncipit  marqué  au  30  août  et  au  12  septembre. 


.y 


MISSIONS 

DE  LÀ  CONGRÉGATION 

DES  OBLATS  DE  MARIE  IMMACULÉE 


N°  143.  —  Septembre  1898 


RAPPORTS 

PRÉSENTÉS  AU  CHAPITRE  GÉNÉRAL  DE  1898  {Suite). 

Rapport  du  vicariat  de  Saint -Boni  face. 

Le  vicariat  de  Saint-Boniface  offre  un  champ  vaste  et 
très  fertile  aux  fils  dévoués  et  affectueux  de  la  Congré- 
gation, qui  y  a  planté  son  étendard  il  y  a  cinquante- 
trois  ans. 

D'autres  pourront  offrir  à  notre  mère  bien-aimée  des 
gerbes  plus  riches  et  plus  nombreuses;  mais  j'ose  dire 
qu'aucun  vicaire  des  Missions  ne  pourra  présenter  un 
petit  groupe  de  moissonneurs  apostoliques  plus  zélés  et 
une  moisson  arrosée  de  plus  de  sueurs  et  achetée  au 
prix  de  plus  grands  sacrifices. 

L'œuvre  des  Missions  sauvages,  au  Manitoba,  est  très 
belle  ;  mais,  après  tout,  l'avenir  n'est  point  à  ces  races 
affaiblies,  il  appartient  aux  races  européennes,  qui  s'éta- 
blissent partout  dans  nos  plaines  fertiles,  et,  s'il  est  beau 
de  convertir  les  sauvages  infidèles,  il  n'est  pas  moins 
glorieux  et  méritoire  de  fonder  des  royaumes  nouveaux 

T.  XXXVI.  18 


—  262  — 

et  d'établir  ainsi,  sur  des  bases  solides,  le  royaume  de 
Jésus-Christ  dans  le  nouveau  monde.  Les  vieilles  nations 
d'Europe  semblent  avoir  reçu  la  mission  d'envoyer 
leurs  fils  se  rajeunir  au  contact  de  notre  sol  vierge,  afin 
de  retracer,  dans  l'unité  de  la  foi  antique  et  d'une  natio- 
nalité nouvelle,  les  pages  glorieuses  des  âges  de  foi.  Il 
me  semble  que  celte  œuvre  sainte  qu'on  appelle 
Yœuvre  de  la  colonisation  ne  fait  point  ombrage  à  la 
gloire  des  Missions  étrangères  ou  Missions  chez  les  sau- 
vages qui  occupent  encore,  même  dans  le  diocèse  de 
Saint-Boniface,  le  plus  grand  nombre  de  nos  chers  Pères 
et  Frères. 

Venons  maintenant  à  l'historique  du  vicariat  depuis 
le  Chapitre  de  1893. 

I.  Historique.  —  Le  premier  fait  saillant  est  la  visite  à 
jamais  bénie  du  T.  R.  P.  Général  défunt,  en  1894.  Ce 
fut  d'abord  un  puissant  encouragement  pour  le  nouveau 
vicaire  des  Missions,  qui  était  arrivé  du  grand  sémi- 
naire d'Ottawa  l'année  précédente.  Jamais  la  parole  d'un 
père  bien-aimé  n'a  apporté  plus  de  force  et  de  joie  au 
cœur  d'un  fils  aimant  et  accablé  sous  le  fardeau  que 
l'obéissance  lui  avait  imposé.  Mais  le  grand  événement 
de  cette  journée  mémorable  fut  la  rencontre  de  deux 
vieillards  blanchis  au  service  de  l'Église  et  de  la  Con- 
grégation. L'un  portait  au  front  la  consécration  des 
pontifes  et  cette  double  auréole  du  génie  et  de  la  souf- 
franccj  qui  rendaient  sa  personne  si  chère  et  si  auguste, 
non  seulement  à  ses  fils,  mais  au  Canada  tout  entier  :  c'é- 
tait Me'' Alexandre  Taché,  archevêque  de  Saint-Boniface. 
L'autre  était  le  chef  révéré  d'une  famille  religieuse  qui 
avait  droit  de  cité  dans  ce  pays  parce  que  ses  fils  y  prê- 
chaient l'Évangile  aux  pauvres  depuis  bientôt  un  demi- 
siècle,  et  il  portait  un  cachet  de  bonté  et  de  distinction 
qui  attirait  tout  le  monde  à  lui.  Chacun  a  deviné  le  Père 


—  263  — 

bien-aimé  que  nous  pleurons  encore,  le  T.  R,  P'  Soul- 
LiER.  Quand  ils  tombèrent  dans  les  bras  l'un  de  l'autre, 
l'émolion  fut  grande! 

C'était  la  Congrégation  qui  pressait  sur  son  cœur  un 
fils  illustre  et  bien-aimé,  dont  le  cœur  blessé  avait  besoin 
depuis  longtemps  de  cette  maternelle  étreinte.  Que  de 
fois  nous  avons  entendu  Ms'  Taché  nous  dire  avec  émo- 
tion :  «  Oh  !  que  cette  visite  me  rend  heureux  !  J'ai 
beaucoup  souffert  dans  ma  vie;  j'ai  eu  souvent  le  cœur 
broyé.  On  m'a  insulté,  calomnié  dans  mon  propre  pays; 
on  a  payé  mes  bienfaits  d'ingratitude  ;  mais  tout  cela 
n'est  rien  comparé  à  ce  que  mon  cœur  de  fils  a  éprouvé 
de  tortures  en  ces  dernières  années  ;  après  près  de  qua- 
rante-neuf ans  d'oblation,  je  puis  me  rendre  le  témoi- 
gnage d'avoir  toujours  beaucoup  aimé  ma  chère  famille 
religieuse.  Maintenant  je  me  sens  heureux  malgré  les 
épreuves  qui  couronnent  ma  carrière  et  au  milieu  de  ces 
luttes  scolaires  qui  abrègent  ma  vie  ;  je  mourrai  content. 
Jam  Isetus  moriar.  n  Hélas  !  il  nous  a,  en  effet,  quittés  le 
22  juin  1894,  dans  la  paix  du  Seigneur,  pressant  contre 
son  cœur  sa  croix  d'Oblat  que  nous  conservons  comme 
une  relique  précieuse.  Et  ce  second  événement  a  étendu 
sur  notre  vicariat  comme  un  voile  de  deuil.  Le  futur 
successeur  de  Ms''  Taché  était  arrivé  un  an  auparavant, 
comme  pour  entendre  ses  instructions  suprêmes  et  lui 
fermer  les  yeux.  Il  avait  eu  le  temps  de  mesurer  la  hau- 
teur, l'étendue  et  le  poids  du  fardeau  qui  le  menaçait, 
et  quand  Rome  eut  décidé  de  donner  à  la  Congrégation 
une  preuve  non  équivoque  de  son  entière  confiance,  en 
choisissant  un  Oblat  de  préférence  atout  autre  candidat 
du  clergé  séculier,  il  lui  fallut  un  ordre  formel  de  ses 
supérieurs  pour  le  décider  à  accepter  la  redoutable  hou- 
lette du  grand  archevêque  Oblat,  un  des  fils  les  plus  glo- 
rieux du  Canada  catholique  et  français. 


—  264  — 

-   Il  n'y  a  pourtant  pas  d'épreuve  sans  consolation. 

Une  des  plus  douces  joies  pour  le  cœur  du  nouvel 
archevêque  de  Saint-Boniface  a  été  de  pouvoir  contri- 
buer à  la  nomination  du  digne  coadjuteur  de  Saint-Al- 
bert, M^f  Emile  Légal,  évêque  de  Pogla.  C'était  rendre 
un  bien  faible  service  en  retour  des  encouragements 
et  de  l'appui  si  précieux  que  lui  avait  donnés  le  vénéré 
M^'  Grandin  ! 

Une  autre  consolation  non  moins  grande  a  été  de 
pouvoir  donner  la  consécration  épiscopale  à  un  ancien 
compagnon  d'armes  à  l'Université  d'Ottawa,  le  R.  P.  Don- 
TENViLLE,  maintenant  évêque  de  Germanicopolis  et 
coadjuteur  de  M^''  Durieu. 

Nos  fêtes  et  nos  deuils  ne  nous  ont  point  fait  perdre 
de  vue  l'œuvre  des  retraites,  qui  est  le  but  principal  de 
notre  chère  Congrégation.  Qu'il  me  suffise  de  signaler 
le  fait  que  68  retraites  ont  été  prêchées  par  nos  Pères, 
soit  dans  les  paroisses  organisées,  soit  dans  les  Missions 
sauvages.  Les  RR.  PP.  Camper,  Laçasse  et  Lecomte,  de  la 
province  du  Canada,  ont  pris  la  plus  grande  part  à  ces 
travaux  apostoliques;  ils  ont  fait  beaucoup  de  bien.  Le 
R.  P.  Allard  a  accepté  de  prêcher  la  retraite  de  nos 
Pères  et  des  Fidèles  Compagnes  de  Jésus  à  Prince- 
Albert,  pendant  que  le  R,  P.  Michel  rendait  le  même 
service  au  clergé  de  Saint-Boniface  et  à  nos  chers  Pères 
et  Frères  du  vicariat. 

De  même,  le  R.  P.  Laçasse  a  prêché,  l'an  dernier,  la 
retraite  annuelle  des  Oblats,  à  Saint-Albert,  afin  de 
reconnaître  le  service  que  nous  avait  rendu,  il  y  a  deux 
ans,  le  cher  P.  Lacombe,  qui  a  toujours  droit  de  cité 
chez  nous.  Le  clergé  de  Saint-Boniface  se  rappelle 
encore  avec  bonheur  la  belle  retraite  que  lui  a  prêchée, 
en  1894,  le  R.  P.  Antol\e,  assistant  général,  dans  des 
circonstances   extrêmement    déhcates;   il  se  souvient 


—  265  — 

aussi  de  la  retraite  de  l'année  suivante,  prêches  par  un 
ancien  maître  des  novices,  le  bon  P.  Boisramé. 

Mille  remerciements  à  tous  ces  Pères  et  à  ceux  qui  les 
ont  envoyés  vers  nous. 

Comment  assez  remercier  ie  cher  seigneur  de  Mosy- 
nopolis,  M^'  Pascal,  qui  a  bien  voulu  me  remplacer  plu- 
sieurs fois  et  se  faire,  en  toute  charité,  adjutor  meus  in 
Christo? 

Dirai-je  comment  le  R.  P.  Guillet  a  réussi,  par  une 
loterie  et  l'œuvre  du  Denier  de  Manitoba,  à  soutenir  en 
partie,  pendant  deux  ans,  toutes  les  écoles  de  Winni- 
peg,  où  nous  comptons  à  peu  près  800  enfants  ? 

Je  dois  mentionner  ici  les  réunions  sine  forma  de  mes 
vénérables  suffragants  à  Saint-Albert  et  à  Saint-Boni- 
face  ;  ces  réunions  ont  produit  un  très  grand  bien  et  il 
serait  à  désirer  qu'elles  fussent  plus  fréquentes,  en 
attendant  que  nous  puissions  tenir  un  second  concile 
de  Saint-Boniface,  où  nous  aurons  grâces  spéciales 
pour  traiter  des  grands  intérêts  de  l'Église  et  de  la  Con" 
grégation  dans  nos  diocèses  ou  vicariats  respectifs. 

Nous  avons  fait,  depuis  le  dernier  Chapitre,  des  acqui- 
sitions précieuses  dans  la  personne  de  trois  anciens 
Pères  venus  de  la  province  du  Canada  et  appelés  à 
rendre  de  grands  services  à  cause  de  leur  précieuse 
expérience  et  de  leurs  talents  d'administrateurs  ou  de 
prédicateurs.  Nous  en  remercions  cordialement  l'admi- 
nistration générale  et  la  province  du  Canada,  toujours 
si  sympathique.  Ces  chers  Pères  ne  sont  pas  seulement 
pour  nous;  ils  ont  rendu  déjà  et  ils  rendront  encore  à 
l'avenir,  je  l'espère,  de  bons  services  à  nos  vicariats  de 
l'Ouest. 

Un  échange,  la  maladie  et  certaines  circonstances 
fortuites,  mais  heureuses  pour  nous,  nous  ont  valu 
l'acquisition  de  cinq  autres  Pères  qui  nous  sont  d'une 


—  266  — 

très  grande  utilité.  En  outre,  le  noviciat  de  Saint-Lau- 
rent nous  a  fourni  un  prêtre  et  cinq  Frères  convers. 

Enfin,  nous  avons  reçu,  depuis  1893,  trois  jeunes  Pères 
du  scolasticat  d'Archville  et  un  jeune  Père  du  noviciat 
d'Angers.  De  plus,  cette  année,  grâce  à  la  tournée  apos- 
tolique du  cher  P.  Campeau,  dans  la  province  de  Qué- 
bec, nous  avons  reçu  plusieurs  bons  Frères  convers.  Si 
l'on  ajoute  enfin  à  ce  contingent  le  F.  Pelletier,  venu 
d'Archville,  le  F.  de  Byle,  excellent  charpentier  et  même 
architecte  à  ses  heures,  que  l'administration  générale  a 
bien  voulu  nous  céder,  nous  constatons  une  augmenta- 
tion de  treize  Pères  et  de  onze  Frères  convers  de- 
puis 1893.  Mais  il  faut,  hélas!  enregistrer  deux  décès 
et  deux  départs  réguliers  pour  une  province  et  un 
vicariat  étrangers. 

Voici  le  tableau  du  personnel  du  vicariat  en  1898  : 
M»""  Langevin. 
1°  Le  R.  P.  Camper. 
2°  Le  R.  P.  Allard. 
3°  Le  R.  P.  Dandurand. 
A°  Le  R.  P.  Beaudin. 
5"  Le  R.  P.  Prisque  Magnan. 
6°  Le  R.  P.  PoiTRAS. 
7°  Le  R.  P.  Guillet. 
8°  Le  R.  P.  Gascon. 
9°  Le  R.  P.  Decorby. 
10»  Le  R.  P.  Mac-Carthy. 
H*"  Le  R.  P.  HuGONARD. 
12"  Le  R.  P.  Saint- Germain. 
13°  Le  R.  P.  Laçasse. 
14°  Le  R.  P.  Chaumont. 
15°  Le  R.  P.  Joseph  Magnan. 
16»  Le  R.  P.  Cahill. 
17»  Le  R.  P.  Lecoq. 


—  267  — 

18"  Le  R.  P.  Blais. 

19°  Le  R.  P.  Pavreau. 

20°  Le  R.  P.  Perreault. 

21°  Le  R.  P.  Campeau. 

22°  Le  R.  P.  Jagob. 

23°  Le  R.  P.  O'DwuYER, 

24°  Le  R.  P.  Page. 

25°  Le  R.  P.  Valès. 

26'^  Le  R.  P.  Dorais. 

27°  Le  R.  P.  GoMEAU. 

28°  Le  Pt.  P.  Bousquet. 

29°  Le  R.  P.  George. 

30°  Le  R.  P.  Chaumont. 

31°  Le  R.  P.  CoNAN. 

32°  Le  R.  P.  Thibeaudeau. 

Frères  convers  à  vœux  perpétuels  : 

Le  F.  BoisRAMÉ. 

Le  F.  Doyle. 

Le  F.  MuLvmiLL. 

Le  F.  DE  Byle. 

Le  F.  Pilon. 

Le  F.  Pelletier. 

Frères  convers  à  vœux  temporaires  : 

Le  F.  Adolphe  Gauthier. 

Le  F.  Eugène  Gauthier. 

Le  F.  D'Amour. 

Le  F.  D'Amour. 

Le  F.  Rioux. 

Le  F.  Bergevin. 

Le  F.  Legac. 

Le  F.  Fafard. 

Vie  intéi'ieure.  —  Il  n'y  a  qu'à  se  louer  de  la  régula- 
rité de  nos  chers  Pères  et  Frères  et  de  leur  attachement 
à  leur  vocation. 


—  268  — 

Beaucoup  de  maisons  et  de  résidences  présentent 
l'aspect  d'une  communauté  où  régnent  la  paix,  le 
silence  et  l'ordre. 

Les  retraites  mensuelles  pourraient  cependant  être 
plus  fréquentes  et  mieux  suivies  ;  mais  les  retraites  an- 
nuelles sont  l'occasion  d'un  renouvellement  complet,  et 
quand  on  compare  le  sérieux  et  le  bon  vouloir  qu'on  y 
apporte  avec  ce  qui  se  passe  dans  d'autres  réunions,  on 
bénit  le  bon  Dieu  d'avoir  procuré  aux  nôtres  un  bien- 
fait dont  ils  savent  si  bien  profiter. 

L'étude  des  langues  sauvages  n'a  jamais  été  négligée 
par  nos  jeunes  Pères  et  ceux  qui  savent,  par  expérience, 
à  quel  prix  on  achète  ces  trésors,  apprécient  assurément 
le  courage  qu'il  a  fallu  déployer.  L'esprit  qui  règne  dans 
tout  le  vicariat  est  excellent.  C'est  un  esprit  d'obéissance 
consciencieuse  et  filiale,  un  esprit  de  renoncement  et 
d'abnégation  généreuse,  un  attachement  sincère  à  notre 
chère  Congrégation,  en  un  mot  le  véritable  esprit  reli- 
gieux, tel  que  le  demande  notre  vénéré  Fondateur  dans 
nos  saintes  Règles.  Jamais  un  Père  n'a  refusé  d'aller  au 
poste  où  l'obéissance  l'a  envoyé,  et  Dieu  sait  si  nous 
avons  fait  des  changements  fréquents  et  pénibles  pour 
les  sujets  dans  ces  derniers  temps  ! 

La  charité  fraternelle  règne  certainement  parmi 
nous;  si,  parfois,  elle  reçoit  quelques  blessures,  ces  bles- 
sures ne  sont  ni  profondes  ni  durables. 

Vïe  extérieure.  —  Le  genre  de  ministère  de  nos  Pères 
est  des  plus  humbles  et  parfaitement  en  rapport  avec 
notre  devise  :  Evangelizare  pauperibiis  misit  me. 

Dispensateurs  des  mystères  de  Dieu,  prédicateurs  de 
sa  parole  de  vérité  et  de  salut,  nos  Pères  évangélisent 
les  tribus  sauvages  qui  sont  encore  pour  la  plupart  ido- 
lâtres, mais  qui  commencent  à  ouvrir  les  yeux  à  la 
lumière.  Ce  ministère  est  des  plus  pénibles  et  demande 


—  269  — 

une  somme  de  dévouement  et  d'abnégation  plus  qu'or- 
dinaire. 

La  poésie  qui  fait  rêver  les  jeunes  imaginations  s'éva- 
nouit vite  devant  les  froides  réalités  qui  attendent  le 
missionnaire  dans  les  prairies  inhospitalières  oujà  l'in- 
térieur des  iviguams  ou  loges  du  sauvage  païen,  si  défiant 
et  si  lent  à  prendre  une  détermination  qui  doit  amener 
toute  une  révolution  dans  son  existence. 

Que  de  longs  et  pénibles  voyages  il  faut  entreprendre! 

Quatre  des  Pères  de  notre  vicariat  ont  failli  périr  de 
froid  et  de  misère  dans  leurs  courses  apostoliques. 

Que  de  rebuts,  que  d'oppositions  diaboliques  il  faut 
endurer  en  patience  1 

Je  ne  parle  pas  des  menées  perfides  de  ces  ministres 
de  l'erreur,  vrais  suppôts  du  diable,  qui  se  sont  donné  la 
triste  mission  de  détourner  les  âmes  de  la  vérité  et  de 
les  perdre  sans  pitié.  Avec  de  grandes  sommes  d'argent 
et  mille  autres  appâts,  ils  réussissent  parfois  à  arracher 
aux  missionnaires  les  âmes  que  ceux-ci  allaient  sauver. 

Je  comprends  la  parole  de  l'immortel  Pie  IX  :  «  En 
Chine,  au  Japon,  les  missionnaires  ont  la  poésie  du 
martyre  ;  dans  l'extrême  Nord-Ouest  ils  en  ont  la  poi- 
gnante réalité.  »  Toutefois,  il  y  a  bien  aussi  des  conso- 
lations fortifiantes  dans  cette  vie  crucifiée  pour  Jésus- 
Christ. 

Il  y  a  eu,  en  ces  derniers  temps  surtout,  des  traits  de 
conversions  vraiment  miraculeuses. 

Le  ministère,  au  milieu  des  populations  blanches, 
n'est  pas  aussi  pénible,  mais  il  comporte  bien  aussi  ses 
ennuis  et  ses  déboires.  C'est  ma  consolation  de  pouvoir 
dire  que  l'œuvre  très  importante,  l'œuvre  vitale  de 
l'immigration,  que  mon  digne  prédécesseur  recomman- 
dait si  éloquemment  dans  son  rapport  de  1893,  n'a  pas 
été  négligée  par  les  nôtres.  Nos  paroisses  et  nos  Missions 


—  270  — 

progressent  dans  les  villes  et  les  campagnes,  et  nos 
Pères  chargés  de  ce  qu'on  appelle  pompeusement  une 
cure  sont  de  vrais  missionnaires  toujours  sur  la  brèche 
et  en  quête  d'âmes  à  sauver.  Une  des  plus  grandes  diffi- 
cultés qu'il  a  fallu  vaincre  pour  faire  tous  ces  travaux 
féconds  au  milieu  des  sauvages  et  des  blancs,  c'est  celle 
d'apprendre  les  langues  étrangères.  Ainsi,  dans  le  vica- 
riat de  Saint-Boniface,  il  faudrait  parler  quatre  ou  cinq 
langues  sauvages  et  six  ou  sept  langues  européennes.  Le 
français  el  l'anglais  sont  nécessaires  partout. 

Presque  partout  aussi  il  faut  savoir  au  moins  une 
langue  sauvage. 

Dans  plusieurs  endroits,  l'allemand,  le  hongrois,  le 
polonais  et  trois  ou  quatre  dialectes  slaves  sont  absolu- 
ment nécessaires,  surtout  depuis  l'arrivée  récente  de 
centaines  de  familles  catholiques  venues  de  la  Galicie 
(empire  d'Autriche). 

Il  y  a  donc  lieu  pour  les  nôtres  de  se  réjouir,  en  son- 
geant qu'il  y  a  tant  de  bien  à  faire  dans  ce  vicariat. 
Partout  il  faut  être  missionnaire  dans  toute  la  force  du 
terme  et  courir  vers  les  brebis  perdues  de  la  maison 
d'Israël. 

LES   ŒUVRES. 

I.  District  de  l'Est.  —  Ce  district  comprend  la  maison 
de  l'archevêché,  la  maison  de  Sainte -Marie  de  Winni- 
peg,  les  résidences  de  l'Ecole  industrielle  de  Saint- 
Boniface,  de  Saint-Charles  de  l'Assiniboine  et  du  Portage- 
du-Rat,  la  nouvelle  résidence  de  l'Ecole  indienne  de 
Saint- Antoine  du  Portage  et  la  résidence  du  fort 
Francis. 

1"  Maison  de  V archevêché.  —  M«'  Langevln,  vicaire 
des  Missions  ;  le  R.  P.  Beaudin,  procureur  de  l'arche- 
vêché et  du  vicariat;  le  F.  Boisramé. 


—  271  — 

Il  est  toujours  bien  entendu  que  nos  chers  Pères  et 
Frères  qui  ont  à  traiter  avec  l'administration  vicariale 
ou  qui  ont  besoin  de  repos  sont  les  bienvenus  à  l'arche- 
vêché. Ils  y  sont  chez  eux  et  comme  dans  la  maison 
paternelle.  C'est  mon  désir  ardent  de  dilater  nos  tentes, 
afin  de  pouvoir  donner  à  mes  vénérables  suffragants 
une  hospitalité  plus  digne  d'eux.  Les  visites  qu'ils 
daignent  faire  à  Saint-Boniface  sont  pour  nous  une 
source  de  joie  et  de  bénédictions,  surtout  quand  ils 
s'imposent  des  fatigues  extraordinaires  pour  conférer 
avec  leur  métropolitain  des  intérêts  de  notre  chère 
Congrégation,  comme  ce  fut  le  cas  dernièrement  pour 
M^'  Grandin.  C'est  un  devoir  pour  moi  de  remercier  ici 
lesRR.  PP.  Allard,  Poitras  et  Beaudin,  des  importants 
services  qu'ils  m'ont  rendus,  le  premier  comme  vicaire 
général  et  administrateur  et  les  deux  autres  comme 
procureurs  de  l'archevêché. 

2°  Nouvelle  résidence  de  l'Ecole  industrielle  de  Saint- 
Boniface.  —  Le  R.  P.  Dorais,  principal. 

Cette  belle  œuvre  a  été  confiée  à  la  Congrégation,  il 
y  a  trois  ans,  et  c'est  le  R.  P.  Comeau  qui  en  a  été  le 
premier  principal  Oblat.  Il  n'y  avait  alors  que  80  enfants 
indiens  des  deux  sexes,  maintenant  il  y  a  110  pension- 
naires. Cette  école  avait  été  fondée  avec  beaucoup  de 
peine,  par  M»'  Taché,  et  confiée  d'abord  aux  Sœurs 
Grises,  aidées  d'un  prêtre  séculier  comme  aumônier. 

L'œuvre  est  entretenue  par  le  gouvernement  cana- 
dien, qui  donne  cependant  à  peine  ce  qui  est  requis 
pour  la  maintenir  sur  le  pied  des  autres  écoles  de  ce 
genre,  aussi  le  R.  P.  Dorais  est-il  obligé  de  s'ingénier 
de  mille  manières  pour  éviter  les  déficits  qui  nous  ont 
causé  tant  d'ennuis  dans  le  passé. 

La  discipline  de  cette  institution  est  admirable  ;  les 
enfants  sont  pieux,  dociles  et  avec  cela  fort  intelligents. 


—  272  — 

Fidèles  aux  traditions  de  leur  race,  ils  préfèrent  la  chasse 
et  la  pêche,  ou  encore  les  travaux  manuels,  à  l'étude. 
Néanmoins,  ils  apprennent  bien  la  lecture  et  l'écriture, 
et  ils  ont  un  talent  remarquable  pour  la  musique,  qu'ils 
aiment  à  la  folie. 

On  leur  apprend  la  menuiserie  et  la  culture.  Beaucoup 
d'âmes  doivent  leur  salut  à  cette  école,  appelée  à 
sauvegarder  la  foi  des  parents  et  des  enfants.  Souvent 
on  y  baptise  des  enfants  païens  ou  protestants,  qui 
deviennent  ensuite  des  apôtres  au  sein  de  leur  tribu. 
Leurs  dispositions  nous  font  parfois  verser  des  larmes 
de  douce  consolation.  Un  petit  garçon  mourant  disait 
spontanément  à  la  religieuse  qui  l'assistait  :  «  Ma  Sœur, 
je  donne  ma  vie  pour  les  écoles  de  Monseigneur.  »>  Un 
autre  demanda  un  congé  pour  aller  convertir  sa  mère 
qui  se  conduisait  mal.  Une  petite  fille  manifestait  tant 
de  joie  au  moment  de  mourir  que  l'on  eût  dit  qu'elle 
partait  pour  une  fête  de  famille.  Plusieurs  de  ceux  qui 
sont  venus  les  premiers  à  l'école  sont  déjà  mariés  et 
restent  fidèles  aux  enseignements  du  missionnaire  et 
des  bonnes  Sœurs.  Deux  jeunes  filles  sauteuses  ont  pris 
l'habit  religieux.  Chaque  année,  nos  Pères  prêchent  à 
ces  chers  enfants  une  retraite  de  quelques  jours  qui 
leur  fait  un  bien  immense.  Voilà  ce  que  l'éducation  a 
fait  des  fils  de  ces  Sauteux,  que  presque  tous  nos 
rapports,  à  l'exception  du  dernier,  donnent  comme 
absolument  rebelles  à  la  grâce.  On  dirait  que  le  bon 
Dieu,  dans  sa  miséricorde,  leur  offre  le  salut  au  moment 
où  leur  race  va  s'éleindre  ou  se  perdre  dans  le  flot 
envahissant  de  la  population  blanche. 

3°  Résidence  de  Saint-Michel  de  Selkirk.  —  Cette 
résidence  a  été  réouverte  en  1893,  alors  que  feu 
M*''  Taché  voulut  bien  laisser  le  R.  P.  Allard,  son 
vicaire  général,  reprendre  le  chemin  de  Selkirk,  selon 


—  273  — 

le  vœu  exprimé  par  le  R.  P.  Camper,  dans  son  rapport 
au  dernier  Chapitre  général. 

Stations  visitées.  Saint- Pierre-aux- Liens,  de  Piguis. 
—  Il  y  a  là  une  très  jolie  chapelle  et  une  école  pour 
les  sauvages.  C'est  une  réserve  oti  il  y  a  beaucoup  de 
bien  à  faire.  Les  ministres  protestants  y  font  une  guerre 
acharnée  aux  catholiques.  Une  députation  des  princi- 
paux catholiques  vient  de  me  supplier  de  leur  donner 
un  prêtre  résidant,  afin  de  les  protéger,  disent-ils, 
contre  le  fanatisme  des  protestants,  qui  dépensent  des 
sommes  énormes  pour  gagner  des  adeptes. 

Rivière  Tête-Ouverte  (Broken-Head).  —  Outre  quelques 
familles  sauvages,  s'est  établie  en  cet  endroit  une 
colonie  allemande,  visitée  par  un  prêtre  séculier.  Si  le 
R.  P.  Allard  avait  un  jeune  compagnon  sachant  l'alle- 
mand et  pouvant  s'appliquer  à  l'étude  du  sauteux,  il  se 
ferait  un  bien  immense  dans  cette  région. 

Rivière  Gueule- Blanche  (White-Mouth).  —  Petite  colo- 
nie naissante  à  20  lieues  à  l'est  de  Saint-Boniface.  Jolie 
chapelle.  On  pourrait  y  fonder  une  belle  paroisse,  qui 
serait  un  précieux  contrefort  pour  Saint-Boniface. 

Rivière- au- Roseau,  près  de  la  paroisse  de  Letellier,  à 
20  lieues  au  sud  de  Saint-Boniface.  C'est  une  petite 
réserve,  où  il  y  a  de  bons  sauvages  qui,  avec  ceux  de  la 
réserve  du  Bois-Percé,  peuvent  former  une  chrétienté 
importante.  Malheureusement,  leur  école  est  fermée  à 
cause  du  petit  nombre  d'enfants,  plusieurs  ayant  été 
amenés  à  l'Ecole  industrielle  de  Saint-Boniface,  et 
d'autres  suivant  leurs  parents  à  la  chasse. 

Le  portage  la  Prairie.  —  Il  y  a  là,  trois  réserves  de 
païens  obstinés,  Sauteux  et  Sioux,  que  nous  ne  pour- 
rons gagner  qu'à  force  de  visites  et  de  prières. 

Indian  Spring  (Source  de  l'Indien),  près  de  la  paroisse 
de  Saint-Alphonse,  colouie  canado-belge.  Ces  Indiens 


—  274  — 

font  encore  la  danse  du  soleil  et  lui  offrent  même  un 
petit  enfant  en  sacrifice,  sans  le  tuer  pourtant.  Ils 
aiment  le  prêtre  ;  lors  de  la  visite  pastorale,  ils  sont 
venus  saluer  l'archevêque  et  lui  ont  fait,  à  cheval,  une 
escorte  d'honneur. 

•4°  Résidence  du  fort  Alexandre  : 

Le  R.  P.  Magnan,  directeur; 

Le  R.  P.  Valès,  socius  ; 

F.  d'Amour. 

Il  y  a  une  immense  étendue  de  pays  entre  le  lac 
Winnipeg,  la  rivière  Nelson  et  la  baie  d'Hudson,  qui 
doit  renfermer  des  milliers  de  sauvages  païens,  qu'aucun 
missionnaire  n'a  encore  visités  et  qui  demandent  cepen- 
dant des  robes  noires.  Ils  ne  veulent  pas  des  ministres 
méthodistes  qui  les  assiègent  et  leur  offrent  mille  avan- 
tages temporels.  C'est  pour  seconder  ces  admirables 
dispositions  que  nous  avons  appelé  le  R.  P.  Valès  au 
fort  Alexandre,  et  que  nous  avons  bâti  une  chapelle  à 
l'ancienne  Rivière-aux-Tourtes  (Beren's  River)  sous  le 
vocable  de  Notre-Dame  des  Neiges.  Le  R.  P.  Joseph 
Magnan  a  failli  mourir  de  froid,  l'an  dernier,  au  mois  de 
juillet,  pendant  qu'il  construisait  ce  modeste  temple, 
qui  sera  en  même  temps  la  résidence  du  missionnaire. 
Les  nuits  étaient  glaciales.  Il  y  a,  au  fort  Alexandre,  une 
école  pour  les  sauvages  et  40  enfants  inscrits.  Beaucoup 
d'enfants  vont  à  l'Ecole  industrielle  de  Saint-Boniface. 
On  a  aussi  commencé  une  école  chez  les  blancs  de 
Saint-George  de  Châteauguay  ;  il  y  a  là  15  enfants  en 
âge  d'aller  en  classe. 

Notre-Dame  des  Neiges  ou  la  Rivière -aux -Tourtes 
(Beren's  River)  déjà  mentionnée.  Il  y  a  là  une  chapelle 
nouvellement  construite. Za  Vilaine-Gorge  [^d^û.  Throat), 
colonie  de  métis,  à  9  lieues  de  la  Mission. 

La  Rivière- au-Trou  (Hole  River). 


—  275  — 

-  Saint-George  de  Châteauguay,  colonie  de  Canadiens 
qui  donne  d'assez  bonnes  espérances.  Il  faudrait  qu'un 
Père  parlant  le  cris  pût  visiter  le  poste  de  la  baie  d'Hud- 
son,  appelé  Morway  H  orne  ^  au  fond  du  lac  Winnipeg,  et 
même  courir  à  la  recherche  des  Indiens  répandus  sur  un 
territoire  immense  destiné  peut-être  à  devenir  plus  tard 
une  préfecture  apostolique.  Il  y  aurait  une  abondante 
moisson  d'âmes  à  recueillir  et  une  moisson  plus  grande 
encore  de  sacrifices  et  de  travaux  héroïques. 

La  plus  grande  et  presque  l'unique  ressource  de  cette 
Mission,  c'est  l'allocation  de  2000  francs  que  l'OEuvre 
de  la  Propagation  de  la  Foi  nous  permet  de  lui  faire; 
sans  ce  secours,  il  faudrait  abandonner  le  fort  Alexandre. 
La  maison  des  Pères  n'est  plus  habitable  en  hiver  et  il 
va  falloir  faire  une  dépense  de  2500  francs,  cette  année, 
pour  la  réparer.  Les  voyages,  plus  fréquents  et  plus 
longs,  depuis  qu'il  y  a  deux  Pères  résidant,  vont  aussi 
nécessiter  des  dépenses  plus  considérables. 

5°  Résidence  de  Notre-Dame  du  Porlage-du-Rat,  pro- 
vince d'Ontario  :  R.  P.  Poitras,  directeur;  R.  P.Thibeau- 
DEAU,  socius.  Le  R.  P.  Laçasse  n'y  réside  guère  que 
temporairement,  car  les  missions  diocésaines  pour  les- 
quelles il  nous  a  été  cédé  le  réclament  sans  cesse. 

La  population  (8900  habitants,  dont  2400  catho- 
liques) a  plus  que  doublé  dans  cette  région  depuis  cinq 
ans,  et  la  petite  ville  du  Portage  promet  de  devenir  un 
jour  la  rivale  de  Winnipeg.  Les  mines  d'or  qu'on  y  a 
découvertes  en  ces  derniers  temps  y  ont  attiré  une 
population  considérable  ;  si  la  découverte  du  merveilleux 
Klondike  a  diminué  le  flot  des  étrangers  qui  s'y  por- 
taient, elle  ne  l'a  pas  tari.  Un  magnifique  pensionnat  en 
briques  a  été  construit  par  les  Fidèles  Compagnes  de 
Jésus,  sur  une  île  adjacente  à  la  ville  du  Portage,  et 
elles   y  comptent   déjà  39   pensionnaires.  Il   y   a,  en 


—  276  — 

outre,  trois  écoles,  une  au  Portage,  une  autre  à  Morman, 
et  la  troisième  à  Keewatin  avec  une  population  de  plus 
de  300  enfants,  au  lieu  de  160  en  1893.  En  outre,  il  y 
a  quatre  écoles  sauvages  dans  cette  région.  Popula- 
tion scolaire,  100  enfants.  Une  école  des  blancs  à  la 
Rivière-au-Piriy  20  enfants. 

Station  visitée..  —  La  seule  station  visitée  par  nos 
Pères  du  Portage-du-Rat  est  le  petit  bourg  de  Saint- 
Louis  de  Keewatin,  qui  renferme  une  population  catho- 
lique canadienne-française  de  400  âmes,  pleines  de 
foi,  et  une  jolie  petite  église,  où  se  célèbre,  chaque 
dimanche,  l'office  divin. 

-  6°  Résidence  de  V École  Saint- Antoine  de  Padoue.  — 
L'an  dernier,  nous  avons  enfin  obtenu  du  gouverne- 
ment la  permission  de  bâtir  une  école-pensionnat  pour 
les  enfants  sauvages  de  la  région.  C'était  la  réalisation 
du  rêve  longtemps  caressé  par  M^'  Taché. 

Grâce  au  bon  saint  Antoine,  nous  avons  réussi  à 
acheter,  à  des  conditions  avantageuses,  un  terrain  de 
50  acres,  tout  près  de  la  ville  du  Portage,  dans  un  en- 
droit délicieux,  sur  les  bords  du  lac  des  Bois,  et  c'est 
le  même  saint  qui  nous  a  fait  obtenir  du  gouvernement 
une  bonne  somme  d'argent,  sans  laquelle  il  eût  été  im- 
possible de  songer  à  construire. 

Avec  ce  secours,  nous  avons  élevé  une  jolie  mai- 
son en  briques,  où  nous  logeons  30  pensionnaires, 
la  plupart  païens;  mais  il  nous  reste  une  dette  de 
9  000  francs,  que  la  maison  du  Portage  a  bien  voulu 
emprunter  à  ses  risques  et  périls.  Cette  école  est  une 
conquête  dont  nous  rendons  grâces  à  saint  Antoine. 

C'est  le  salut  des  incorrigibles  Sauteux  qui  commence 
dans  ces  parages  sanctifiés  autrefois  par  le  passage  de 
nos  premiers  missionnaires,  venus  de  Montréal  dans  de 
frêles  canots  d'écorce  1 


—  277  — 

La  messe  qu'ils  ont  offerte  sur  ces  bords  porte  enfin 
ses  fruits.  L'an  dernier,  neuf  chefs  sauvages  me  tou- 
chaient la  main  avec  leurs  conseillers  avant  de  s'as- 
seoir à  un  banquet  que  le  R.  P.  Gahill  leur  avait  pré- 
paré et,  pour  la  première  fois  depuis  cinquante  ans,  ils 
invitaient  le  prêtre  et  même  le  grand  chef  des  priants, 
à  venir  les  visiter.  Ils  ont  même  promis  d'envoyer  leurs 
enfants  à  l'école  du  Portage  et  ils  ont  tenu  parole. 
N'est-ce  pas  la  moisson  jaunissante  qui  appelle  le  mois- 
sonneur de  Dieu?  Aussi  notre  but,  en  fondant  cette 
nouvelle  résidence,  a-t-il  été  d'amener  les  sauvages  à 
fréquenter  l'église  de  l'école,  afin  qu'ils  soient  désor- 
mais séparés  des  blancs,  comme  c'est  le  cas  pour  la 
Mission  des  HR.  PP.  Jésuites  du  fort  William,  à  quel- 
ques centaines  de  milles  du  Portage. 

Le  R.  P.  Gahill  habite  l'Ecole  de  Saint-Antoine  et  il 
en  fait  son  centre  d'opérations  au  milieu  des  milliers  de 
sauvages  qu'il  doit  évangéliser.  Il  visite  aussi  plusieurs 
postes  de  blancs,  sur  la  ligne  du  chemin  de  fer  du  Paci- 
fique canadien  et  dans  les  régions  minières  de  ce  dis- 
trict. 11  consacre  le  reste  de  son  temps  à  la  direction  de 
l'école. 

Un  Père  âgé,  qui  résiderait  à  l'école  habituellement, 
rendrait  des  services  précieux,  surtout  lorsque  nous  y 
aurons  des  religieuses.  Nous  avons  lieu  d'espérer  que  les 
enfants  de  cette  école,  qui  sont  très  doux  et  très  dociles 
et  qui  tiennent  à  l'instruction  plus  que  les  parents  eux- 
mêmes,  vont  devenir  les  apôtres  de  leur  nation,  si  long- 
temps rebelle  à  la  vérité.  Le  R.  P.  Gahill  a  déjà  baptisé 
quelques-uns  de  ces  enfants. 

Le  gouvernement  ne  soutient  cette  école  qu'en  par- 
tie; il  nous  laisse  avec  des  dettes,  et  la  caisse  vicariale 
doit  donner,  chaque  année,  au  moins  1000  francs  au 
R.  P.  Gahill. 

T.    XXX VI.  19 


—  278  — 

Il  y  a  aussi  dans  ce  district  l'ancienue  résidence  du 
fort  Francis,  que  nous  avons  dû  abandonner  temporai- 
rement et  confier  au  zèle  d'un  jeune  prêtre  séculier.  II 
y  a  là  une  belle  et  grande  œuvre  à  faire. 

II.  Disù'ict  central.  —  Ce  district  comprend  :  la  mai- 
son de  Sainte-Marie,  la  résidence  de  Saint-Charles,  la 
maison  de  Saint-Laurent,  la  résidence  de  Notre-Dame 
des  Sept-Douleurs  et  la  résidence  de  Sainte-Rose  du 
Lac. 

1°  Maison  de  Sainte-Marie  de  Winnipeg  : 

Le  II.  P.  Didace  Guillet,  supérieur  ; 

Le  R.  P.  Mac-Carthy,  socius  ; 

Le  R.  P.  O'DwYER,  vicaire  ; 

Le  R.  P.  Moïse  Blais,  condamné  au  repos. 

Le  bon  F.  Doyle  remplit  les  fonctions  de  portier  et  de 
sacristain. 

La  population  catholique  de  la  paroisse  de  Sainte- 
Marie  est  de  1  738  âmes  (351  familles  anglaises-irlan- 
daises et  69  familles  canadiennes -françaises). 

La  ville  de  Winnipeg,  capitale  du  Manitoba,  est  située 
sur  la  rive  gauche  de  la  rivière  Rouge,  presque  en  face 
de  Saint-Boniface. 

En  1887,  elle  comptait  20  000  âmes;  en  1893,39  000; 
elle  en  compte  présentement  près  de  50  000. 

Ecoles.  —  Les  Sœurs  de  Jésus-Marie  dirigent  deux 
écoles  et  une  académie  de  54  pensionnaires  eL  de  20Uex- 
Lernes. 

Les  Frères  de  la  Société  de  Marie  de  Paris  (Marianistes) 
dirigent  l'école  des  garçons,  et  l'école  Saint-Joseph  est 
dirigée  par  un  maîlre  et  une  maîtresse  catholiques, 

La  population  totale  de  ces  écoles  est  de  550  enfants, 
soit  70  enfants  de  plus  qu'en  1893,  malgré  l'extrême 
détresse  où  nous  ont  réduits  les  lois  scolaires  iniques  de 
1890,  1894  et  1897. 


—  279  — 

n  n'y  a  pas  cinq  enfants  catholiques  dans  les  écoles 
protestantes  !  Ceci  prouve  jusqu'à  quel  point  le  zèle  des 
parents  et  la  docilité  des  enfants  ont  secondé  le  dévoue- 
ment de  nos  Pères.  Aucune  population  n'a  été  plus 
fidèle  à  son  archevêque  que  celle  de  Sainte-Marie  de 
Winnipeg  durant  nos  luttes  scolaires. 

L'importance  de  la  maison  de  Sainte-Marie  n'échappe 
à  personne.  Nous  avons  à  Winnipeg  une  des  plus  belles 
paroisses  du  diocèse  et  certainement  la  plus  importante 
après  celle  de  Saint-Boniface. 

La  province  du  Canada  a  bien  mérité  du  vicariat  de 
Saint-Boniface  en  nous  cédant  le  R.  P.  Guillet,  qui 
gouverne  à  la  satisfaction  de  tous  une  paroisse  compo- 
sée d'éléments  très  divers. 

Un  des  meilleurs  éléments  du  succès  du  R.  P.  Guillet, 
c'est  l'appui  loyal  et  tout  à  la  fois  filial  et  fraternel  que 
lui  ont  donné  les  RR.  PP.  Mac-Carthy  et  O'Dwyer,  qui 
se  sont  conduits  comme  deux  véritables  fils  de  la  fa- 
mille. 

La  maison  de  Sainte-Marie  est  toujours  ouverte  à 
nos  Pères  de  passage  durant  l'année,  et  elle  nous  offre 
un  lieu  de  retraite  annuelle  délicieux,  mais  qui  menace 
de  devenir  trop  étroit  à  cause  de  notre  nombre  crois- 
sant. 

La  jolie  église  gothique  de  Sainte-Marie  s'est  enrichie 
d'un  superbe  portail  surmonté  d'une  tour,  et  il  n'est  pas 
étonnant  qu'il  reste  une  dette  à  payer;  mais  il  y  a  dans 
celte  population  généreuse  assez  de  ressources  pour 
faire  face  à  ces  dépenses. 

Cependant,  nous  ne  pourrons  pas  nous  en  tenir  là  ;  il 
faudra  bientôt  bâtir  une  nouvelle  maison  et  fonder  un 
orphelinat  pour  les  petits  garçons. 

Le  ministère  s'exerce  surtout  en  anglais.  A  Sainte- 
Marie,  néanmoins,  les  annonces  sont  faites  en  français 


—  280  — 

et  l'on  y  prêche  un  sermon  dans  cette  langue  tous  les 
mois.  Il  y  a  grand'messe  et  deux  sermons,  quelquefois 
trois,  tous  les  dimanches. 

L'Église  est  toujours  remplie. 

Nos  retraites  d'hommes,  de  femmes  et  d'enfants  sont 
très  bien  suivies. 

Nos  Pères  continuent  à  remplir  les  fonctions  d'aumô- 
niers de  l'Académie  Sainte-Marie,  de  la  prison  de  la 
ville  et  de  l'hôpital  général. 

La  piété  va  en  augmentant  dans  la  paroisse,  grâce  à 
la  ligue  du  Sacré-Cœur;  la  charité  pour  les  pauvres  est 
pratiquée  avec  bonheur  par  la  Société  de  Saint- Vincent 
de  Paul  pour  les  hommes,  et  pour  les  femmes  par  la 
Ladies  Aid  Society. 

La  communion  du  premier  vendredi  du  mois  devient 
de  plus  en  plus  nombreuse. 

Nos  Pères  sont  très  estimés  et  ils  portent  haut  et 
ferme  le  drapeau  de  la  Congrégation,  dans  ce  poste 
élevé  et  difficile. 

2°  Résidence  de  Saint 'Char  les  de  r  Assiniboine  : 

Le  R.  P.  Dandurand,  curé  de  Saint-Charles; 

Le  R.  P.  Jacob,  maître  des  novices  ; 

Le  F.  Pelletier,  frère  convers  à  vœux  perpétuels. 

Il  y  a,  en  outre,  les  FF.  Bergevin,  Legac  et  Eugène 
Gauthier,  qui  ont  fait  des  vœux  de  cinq  ans,  et  deux 
autres  Frères  novices. 

Lors  de  sa  dernière  visite,  le  T.  R.  P  Soullier  avait 
exprimé  le  désir  qu'il  y  eut,  à  Saint-Charles,  soit  un 
juniorat,  soit  un  noviciat;  autrement,  il  ne  concevait 
pas,  disait-il,  comment  la  Congrégation  pouvait  garder 
si  longtemps  une  simple  cure  de  campagne.  Je  formai 
alors  le  désir  d'y  transférer  le  noviciat  de  Saint-Lau- 
rent. Notre  Frère  architecte,  le  F.  de  Byle,  et  deux  ou 
trois  autres  Frères  convers,  surtout  le  F.  Adolphe  Gau- 


THiER,  se  sont  mis  à  l'œuvre  dès  le  mois  de  mai  1897  et, 
au  mois  de  novembre  de  la  même  année,  une  maison  en 
briques,  très  convenable,  pouvait  recevoir  deux  Pères 
et  six  Frères  convers. 

Ce  n'est  que  le  5  janvier  4898  que  j'ai  pu  transférer 
canoniquement,  avec  l'autorisation  de  l'administration 
générale  et  du  Saint-Siège,  le  noviciat  de  Saint-Laurent 
à  Saint-Charles.  Depuis  lors,  la  maison  a  été  un  sanc- 
tuaire de  paix  et  de  régularité,  oh  le  temps  se  partage 
entre  le  travail  et  la  prière.  Désormais,  cette  paroisse 
appartient  à  la  Congrégation  pour  toujours.  C'est  une 
couronne  d'honneur  que  je  dépose  avec  joie,  comme 
cadeau  de  joyeux  avènement,  aux  pieds  de  notre  nou- 
veau Père  général. 

Tout  n'est  pas  terminé,  mais  nous  achèverons  cette 
œuvre  bientôt.  Nous  voulons  faire  en  sorte  que  cette 
maison,  qui  demandera  encore  de  grands  sacrifices 
d'argent,  finisse  par  se  suffire  à  elle-même. 

3°  Maison  de  Saint-Lau?'ent  du  lac  Manitoba  : 

Le  R.  P.  Camper,  supérieur,  ancien  vicaire  des  Mis- 
sions et  pro-vicaire  actuel  ; 

Le  R.  P.  CoMEAU,  chargé  de  toutes  les  Missions  sau- 
vages du  lac  Manitoba  ; 

Le  R.  P.  Joseph  Chaumont,  socius  ; 

Le  dévoué  F.  Mulvihill,  le  bras  droit  du  P.  Camper. 
Il  a  été  élu,  dernièrement,  par  acclamation,  préfet  de 
la  municipalité. 

Le  F.  DE  Byle, 

Trois  Frères  convers  à  vœux  temporaires  :  les  FF. 
Adolphe  Gauthier,  Riou  et  D'Amour. 

Population.  —  Cathohques,  1  500  (augmentation  de 
300  âmes).  Ils  sont  en  majorité  métis  sauteux.  11  y  a 
cependant  un  bon  nombre  de  familles  canadiennes, 
françaises  et  irlandaises.   Sauvages  catholiques,  569; 


sauvages  païens,  200;  sauvages  protestants,  250.  To- 
tal :  \  019. 

Écoles.  —  Saint-Laurent  a  fait,  depuis  1893,  des  pro- 
grès merveilleux.  Les  Sœurs  Franciscaines  raiission- 
naires  de  Marie  ont  accepté,  par  pur  dévouement,  de 
venir  se  dévouer  à  Tinstruclion  chrétienne  des  enfants 
à  Saint'Laurent,  et  leur  arrivée  a  été  l'occasion  d'une 
fête  inoubliable  pour  la  population. 

Elles  ont  transformé  les  enfants  depuis  leur  arrivée 
dans  le  pays. 

Outre  le  couvent,  Saint-Laurent  possède  quatre  autres 
écoles  catholiques  pour  les  blancs  et  trois  écoles  pour 
les  sauvages  catholiques.  La  population  scolaire  est 
de  230  enfants. 

a)  Notre-Dame  de  Grâce  (île  de  Chêne).  Il  y  a  là  une 
école  catholique. 

b)  Notre-Dame  de  la  Paix  (pointe  aux  Lièvres).  Il  y  a 
aussi  là  une  école  catholique. 

c)  Notre-Dame  du  Folgoët  (rivière  du  Chien,  Dog 
Creek).  Il  y  a  là  une  nouvelle  chapelle,  bâtie  cette  an- 
née sur  la  réserve  sauvage,  et  une  école  pour  les  en- 
fants sauvages  bâtie  par  le  gouvernement^  mais  dirigée 
par  un  de  nos  bons  métis  catholiques. 

d)  Saint-Columban  de  Totogan.  Réserve  sauvage. 

e)  Notre-Dame  du  Suffrage  de  la  baie  de  Sable  {Sandy 
Bay),  Réserve  sauvage  importante.  Nous  y  avons  une 
chapelle  neuve  bâtie  cette  année  et  une  belle  école  où 
60  enfants  sont  instruits  par  un  maître  catholique. 

f)  Notre-Dame  du  Lac  {Ebb  et  Flow).  Réserve  sau- 
vage. École  dirigée  par  un  métis  catholique. 

g)  «  Poste  Manitoba  » .  Petite  réserve  sauvage. 

Le  R.  P.  CoMEAU  visite  aussi  plusieurs  autres  endroits 
de  moindre  importance. 
11  a  ressuscité  l'œuvre  des  Missions  sauvages  du  lac 


~  283  — 

Manitoba,  et  il  fait  chaque  jour  de  nouvelles  conquêtes 
sur  le  paganisme  et  l'hérésie. 

J'ai  déjà  dit  que  les  progrès  de  Saint-Laurent  depuis 
cinq  ans  ont  été  prodigieux,  et  je  n'en  veux  pour 
preuve  que  sa  superbe  église  de  pierre,  qui  a  coûté 
plus  de  35  000  francs  et  qui  a  été  construite  avec  les 
aumônes  des  généreux  compatriotes  du  F.  Mulviuill,  à 
Chicago. 

C'est  la  réalisation  du  vœu  du  R.  P.  Camper  dans  son 
rapport  de  1893.  Sa  ferme  confiance  eu  la  divine  Provi- 
dence n'a  pas  été  trompée. 

Les  fondations  du  nouveau  couvent  sont  déjà  posées 
et  il  y  a  même  en  banque  une  somme  d'argent  recueillie 
encore  à  Chicago  par  le  même  quêteur  intrépide,  qui  a 
juré  de  doter  Saint-Laurent,  dont  il  est  un  cofonda- 
teur,  d'une  église  et  d'un  couvent  en  pierre.  Malheureu- 
sement, un  accident  déplorable  a  réduit  en  cendres,  il  y 
a  quelques  semaines,  la  résidence  de  Saint-Laurent,  et  la 
construction  du  couvent  est  forcément  retardée.  Les 
pertes,  évaluées  à  plus  de  17  500  francs,  sont  heureu- 
sement couvertes  en  grande  partie  par  une  compagnie 
d'assurance. 

Outre  ces  édifices  superbes,  deux  chapelles  ont  été 
construites  pour  les  sauvages,  en  1897,  sur  les  bords  du 
lac  Manitoba  ;  en  sorte  que  l'on  peut  dire  avec  vérité  que 
cette  partie  du  vicariat  a  marché  à  pas  de  géant  dans  la 
voie  du  progrès. 

4°  Résidence  de  Notre-Dame  des  Sept- Douleurs  [Rivière 
des  Epinettes,  Pfne  Creek).  —  Le  R.  P.  Adélard  Ghau- 
MONT,  directeur;  le  R.  P.  Gonan,  socius;  le  F.  Fafard. 

Population.  —  Blancs  catholiques,  250;  sauvages 
catholiques,  400;  sauvages  païens,  200;  sauvages  pro- 
testants, 200. 

Ecoles.  —  Il  y  a  d'abord  une  école-pensionnat  (Boarding 


—  284  — 

School),  rétribuée  par  le  gouvernement,  à  la  Mission  de 
Notre-Dame  des  Sept-Douleurs,  et  une  autre  école- 
pensionnat  à  la  rivière  Poule-d'eau.  Il  y  a  un  maître 
catholique  pour  chacune  de  ces  écoles.  Nous  avons 
établi  une  école  élémentaire  pour  les  métis  à  la  rivière 
la  Mousse  (Mossy  River),  à  13  lieues  de  la  Mission. 
C'est  le  terminus  du  nouveau  chemin  de  fer  du  lac 
Dauphin. 

Il  y  a  plus  de  100  enfants  capables  d'aller  à  l'école, 
autour  de  Notre-Dame  des  Sept-Douleurs,  mais  il  n'y  en 
a  guère  que  25  qui  y  assistent  régulièrement;  nous 
ne  pourrions  pas  nourrir  tous  ceux  que  les  parents 
nous  offrent. 

Le  R.  P.  Chaumont  a  réussi  à  faire  tomber  une  école 
tenue  par  un  ministre  protestant  sur  la  réserve  de  la 
Rivière-qui-roule  {RolUng  River)  et  s'il  obtenait  la  per- 
mission du  gouvernement,  il  pourrait  accepter  encore 
75  à  80  enfants  sauvages,  la  plupart  païens,  et  son  école 
deviendrait  quatre  fois  plus  importante. 

Il  faudrait  absolument  bâtir  une  chapelle  et  une  école 
à  la  Mission  de  Notre-Dame  des  Sept-Douleurs  ;  les 
vieux  bâtiments  sont  trop  petits  et  tombent  en  ruines. 
Mais  où  trouver  les  ressources  ? 

Là  aussi  il  y  a  une  ample  moisson  à  recueillir,  comme 
les  relations  du  bon  P.  Chaumont  nous  l'ont  fait  voir 
clairement  dans  nos  annales  et  ailleurs  ;  mais  il  faudrait 
absolument  que  des  religieuses  intrépides  aillent  s'établir 
au  milieu  de  ces  pauvres  gens,  afin  de  travailler  à  les 
gagner  à  Jésus-Christ. 

Stations.  —  De  la  Mission  de  Notre-Dame  des  Sept- 
Douleursjdépendent,  et  la  réserve  de  la  Poule-d'eau,  et 
les  réserves^du  lac  Plat  [Shoal  Lake),  de  la  rivière  du 
Cygne  {Swan\River),  de  la|rivière  Vallée  (  Valley  River), 
de  la  Rivière-qui-roule  {Rolling  Rive)'),  de  la  montagne 


—  285  - 

Tortue  [Riding  Mountain)  et  la  colonie  de  la  rivière  la 
Mousse  {Mossy  River). 

La  maison  d'école  de  ce  dernier  poste  a  été  achetée 
pour  être  transformée  en  chapelle. 

5°  Résidence  de  Sainte-Rose  du  Lac. —  Cette  résidence 
allait  être  abandonnée  quand  l'arrivée  opportune  du 
R.  P.  Lecoq  nous  l'a  fait  reprendre. 

Population.  —  Cathohques,  1200  âmes. 

Les  habitants  de  ce  pays  sont  des  colons  venus  de  la 
province  de  Québec,  de  France,  de  Belgique  et  d'Irlande, 
avec  quelques  familles  métisses.  La  colonie  a  de  l'avenir  ; 
le  pays  est  beau  et  fertile,  et  le  chemin  de  fer  projeté 
en  1893  a  été  construit  depuis  ;  mais  il  faut  au  mission- 
naire une  mesure  plus  qu'ordinaire  de  patience  et 
d'abnégation. 

Le  diocèse  de  Southwark,  Angleterre,  a  établi  une 
espèce  d'orphelinat  agricole  non  loin  de  la  Mission,  et 
un  jeune  prêtre  anglais  y  exerce  le  saint  ministère,  ce 
qui  rend  de  grands  services  au  R.  P.  Lecoq. 

Ecoles.  —  Il  y  a  trois  écoles  catholiques  dans  la 
région  et  95  enfants  inscrits  sur  les  registres.  Là  aussi 
il  faudrait  des  religieuses  pleines  de  bonne  volonté 
pour  ifaçonner  ces  pauvres  enfants,  dont  l'éducation 
domestique  est  si  négligée  par  les  parents. 

Stations.  —  Le  R.  P.  Lecoq  visite  la  nouvelle  colonie 
de  Canada-ville  et  des  familles  isolées  de  côté  et 
d'autre. 

Il  faudrait  un  missionnaire  capable  de  comprendre 
les  nombreuses  familles  de  Galiciens  catholiques  (peut- 
être  ^00),  établies  non  loin  de|Sainte-Rose  ;  les  protes- 
tants et  les  Russes  schismatiques  menacent  de  nous  les 
enlever.  Quel  besoin  nous  avons  de  quelqu'un  qui  puisse 
les  comprendre  ! 

Il  y  a,  à  Sainte-Rose,  une  vieille  chapelle  servant  de 


—  286  — 

maison  d'école  ;  elle  sera  bientôt  remplacée  par  une 
jolie  église  que  le  R.  P.  Lecoq  va  construire  avec  des 
aumônes  venues  ou  attendues  de  France.  C'est  ainsi 
qu'il  s'est  construit  une  très  jolie  résidence  à  laquelle 
il  a  travaillé  de  ses  propres  mains. 

III.  District  de  l'Ouest.  —  Ce  district  comprend  :  la 
maison  de  Qu'appelle,  avec  cinq  résidences,  dont  deux 
ont  été  établies  et  une  troisième  reprise  depuis  le 
dernier  Chapitre,  à  savoir  :  Notre-Dame  de  l'Espérance 
(montagne  de  Tondre),  Saint-Philippe  (fort  Pelley)  et 
la  mission  du  Saint-Cœur  de  Marie,  au  lac  Croche.  Cette 
dernière  est  réouverte  provisoirement^  elle  attend  son 
confirmatur.  Les  deux  autres  résidences  existaient  déjà 
en  1893  :  c'est  Saint-Lazare  (fort  EUice)  et  l'Assomption 
(Esterhaz). 

La  résidence  de  Saint-Ignace  (montagne  de  Bois,  ou 
Willon  Bunch)  a  été  abandonnée  ;  mais  le  vénérable 
P.  Saint -Germain  la  visite  quatre  fois  l'an.  Un  bon 
prêtre  séculier,  ami  de  la  solitude,  y  vivrait  dans  une 
grande  paix. 

i"  Maison  de  Qu'appelle,  —  Le  R.  P.  Prisqiïe  Magnan, 
supérieur;  le  R.  P.  Hugonard,  principal  de  l'Ecole 
industrielle;  le  R.  P.  Saint-Germae\,  assistant  principal. 

Les  RR.  PP.  Campeau  et  Favreau  ne  résident  que 
temporairement  à  Qu'appelle  lorsqu'ils  viennent  faire  les 
missions  des  Sauteux  ou  des  Sioux  et  des  Âssiniboines. 

Population  de  la  Mission  de  Qu'appelle  et  des  postes 
qui  en  dépendent,  ou  qui  en  dépendaient  jusqu'en  ces 
derniers  temps  :  blancs  catholiques,  1248;  sauvages 
catholiques,  707;  sauvages  païens,  3  230. 

Ecoles.  —  Il  y  a  deux  écoles  qui  dépendent  de  la 
maison  Qu'appelle  :  l'Ecole  industrielle,  où  l'on  compte 
238  enfants  indiens,  et  l'école  élémentaire,  oîi  il  y  a 
30  enfants  blancs  inscrits. 


—  287  — 

L'Ecole  industrielle  de  Qu'appelle  est  la  merveille 
des  écoles  de  ce  genre,  et  les  officiers  du  gouvernement 
canadien  se  sont  plu  à  le  reconnaître  en  plusieurs  cir- 
constances. Les  enfants  sont  pieux  ;  ils  aiment  à  rece- 
voir les  sacrements,  à  prier  et  à  chanter  des  cantiques 
en  leur  langue.  Chaque  année,  une  bonne  retraite,  prê- 
chée  en  sauteux  par  le  R.  P,  Camper  ou  le  R.  P.  Campeau, 
ravive  leur  foi  et  purifie  leur  conscience.  Ils  semblent 
plus  avides  d'apprendre  à  lire  et  à  écrire  que  la  généra- 
lité des  enfants  peaux-rouges.  Outre  l'écriture,  la  gram- 
maire, le  calcul  et  même  la  musique,  on  leur  enseigne 
la  culture  de  la  terre,  et  quelques-uns  d'entre  eux  ap- 
prennent le  métier  de  charpentier,  de  boulanger,  de 
cordonnier  ou  de  forgeron. 

Il  y  a  dans  celte  maison  une  vie,  un  cachet  de  gaieté 
et  un  entrain  qui  font  plaisir  à  voir.  Les  anciens  élèves 
aiment  à  y  revenir  pour  revoir  leurs  bienfaiteurs  et 
leurs  compagnons. 

Le  bon  Père  Hugonard  est  aimé  de  tous  comme  un 
père.  Il  faut  le  voir  le  matin  d'une  fête  religieuse,  ou  le 
jour  des  noces  d'un  enfant  de  l'école,  ou  au  retour 
d'une  absence  de  trois  ou  quatre  jours.  Il  y  a  alors  chez 
les  enfants  de  véritables  explosions  de  joie  et  de  bonheur. 
Il  est  aisé  de  voir  qu'il  est  bien  l'âme  de  l'institution. 

Un  fait  qui  prouvera  combien  l'école  a  fait  du  bien, 
c'est  qu'avant  son  établissement,  nos  pères  ne  pouvaient 
pas  planter  impunément  leur  tente  sur  les  réserves 
sauvages  qui  environnent  la  Mission,  tandis  que,  main- 
tenant, ils  sont  reçus  partout  avec  empressement,  non 
seulement  chez  les  nouveaux  chrétiens  conquis  souvent 
à  la  foi  par  les  prières  et  les  exemples  de  leurs  enfants, 
mais  même  dans  la  loge  des  païens,  adorateurs  obstinés 
du  Soleil  et  de  l'ours  Jupiter. 

Un  autre  résultat  heureux  de  cette  école^  c'est  i'espé- 


—  288  — 

rance  que  donne  une  petite  colonie,  composée  de  jeunes 
ménages  chrétiens  et  établie  à  la  montagne  de  Lime  à 
6  lieues  de  Qu'appelle. 

Il  est  certain  que  cette  école,  obtenue  du  gouverne- 
ment avec  tant  de  peine  par  l'infatigable  M^'  Taché, 
a  été  le  salut  des  peuplades  sauvages  de  la  vallée  de 
Qu'appelle,  et  aucune  n'a  si  bien  réalisé  le  rêve  aposto- 
lique du  vénérable  M^""  Grandin,  qui,  le  premier  de  tous, 
a  eu  l'idée  de  fonder  des  écoles  de  ce  genre. 

Honneur  donc  à  qui  de  droit  1  Honneur  et  remer- 
ciements surtout  au  H.  P.  Hugonard  ici  présent,  qui  a 
été  choisi  comme  délégué  précisément  à  cause  des 
grands  services  qu'il  a  rendus  au  vicariat  et  à  la  Congré- 
gation entière,  en  dirigeant  une  si  belle  œuvre  avec  un 
zèle  infatigable. 

Stations  qui  dépendent  de  la  maison  de  Qu'appelle  : 

à)  Notre-Dame  des  Anges  (montagne  de  Lime).  C'est  une 
réserve  crise  où  il  y  a  encore  beaucoup  de  païens.  Il 
s'est  produit  en  cet  endroit  des  miracles  de  grâces  qui 
sont  bien  propres  à  nous  consoler  du  petit  nombre  de 
conversions  de  ces  dernières  années.  Nous  avons  une 
petite  chapelle  à  laquelle  on  a  ajouté,  l'an  dernier,  un 
modeste  abri  pour  le  missionnaire.  C'est  le  R.  P.  Supé- 
rieur de  Qu'appelle  qui  évangélise  ces  pauvres  sauvages, 
qui  disaient  dernièrement  de  l'évêque  visitant  leur  ré- 
serve :  «  Voilà  celui  qui  vient  nous  apporter  la  vie.  » 
Puissent-ils  recevoir  tous  la  vraie  vie,  et  la  recevoir  avec 
surabondance  ! 

b)  Notre-Dame  de  Lumière  (réserve  des  Sioux),  Ces 
pauvres  Indiens,  la  plupart  chrétiens,  sont  bien  disposés, 
mais  ils  pleurent  le  départ  du  R.  P.  Favreau,  pour  le  fort 
Eilice.  On  leur  a  construit,  il  y  a  déjà  plusieurs  années, 
une  magnifique  chapelle  en  pierre,  oii  les  fidèles  d'une 
colonie  allemande  et  polonaise  aiment  à  venir  prier. 


—  289  — 

Cette  tribu  de  Sioux,  jointe  à  celle  de  la  Tète  d'homme 
(Indian  Head),  sur  la  ligne  du  chemin  de  fer  «  Pacifique 
canadien  >>,  et  à  d'autres  réserves  de  Sioux  et  d'Assini- 
boines  à  la  montagne  d'Orignal,  nécessiterait  à  Qu'ap- 
pelle, la  présence  d'un  jeune  Père  capable  d'apprendre  le 
sioux. 

Les  Assiniboines  de  la  Tète  cV homme  ont  demandé  une 
chapelle  sur  leur  réserve,  et  nous  allons  la  construire, 
n'en  déplaise  à  messieurs  les  ministres  protestants  qui 
prétendent  être  les  seuls  maîtres  spirituels  de  l'en- 
droit. 

Les  Assiniboines  de  la  montagne  d'Orignal  deman- 
dent et  des  croix  et  un  missionnaire.  Il  y  a  encore  dans 
le  diocèse  de  Saint-Boniface  deux  autres  réserves  de 
Sioux.  On  dit  que  les  Sioux  de  Qu'appelle  pleurent  les 
jours  de  grande  fête  et  qu'ils  disent  :  «  Personne  ne 
peut  nous  confesser.  Nous  n'avons  donc  plus  de  père  !  » 
Les  païens  avaient  promis  au  R.  P.  Général  défunt  de 
faire  baptiser  leurs  enfants,  et  ils  ont  tenu  parole. 

c]  Notre-Dame  de  Bon-Secours  de  Pasquari.  Il  y  a  une 
chapelle  très  convenable  en  cet  endroit.  De  fait,  il  y  a 
là  trois  réserves  importantes  de  Sauteux,  qui  dépendent 
de  Qu'appelle. 

d)  Saint- Ignace  de  la  montagne  de  Bois  {y^iWon  Bunch). 
Cette  résidence  a  été  abandonnée  en  1894,  à  la  suite 
d'un  accident  qui  a  failli  coûter  la  vie  au  bon  P.  Saint- 
Germain.  Il  a  passé  une  nuit  entière  couché  dans  la 
neige  et  tenant  son  cheval  par  la  bride.  Ceci  nous  a 
fait  comprendre  que  son  âge  avancé  ne  lui  permettait 
plus  guère  de  demeurer  seul  à  près  de  50  lieues  de 
tous  ses  confrères,  au  milieu  d'une  population  qui 
abusait  de  sa  trop  grande  bonté  et  lui  enviait  le  fruit 
du  travail  de  ses  mains.  Un  prêtre  séculier  lui  a  succédé  ; 
puis  le  poste  est  resté  vacant.  Il  y  a  là  une  pauvre 


—  290  — 

chapelle-i'ésidence,  et  une  école  de  20  enfants,  sous 
la  direction  d'un  instituteur  catholique. 

e)  Dauphiné.  -^  C'est  une  petite  colonie  de  métis 
français. 

2°  Nouvelle  résidence  de  Notre-Dame  de  l'Espérance  (mon- 
tagne de  Tondre  [d'amadou],  louch  wood  Hill)^  à  50  milles 
de  Qu'appelle  :  le  R.  P.  Siméon  Perreault,  directeur  ; 
le  R.  P.  Gascon,  socius  ;  le  F.  Pilon. 

11  y  a  là  des  centaines  de  sauvages  païens  qui  devront 
bientôt  leur  salut  à  l'école-pensionnat,  dirigée  par  les 
Sœurs  Grises,  comme  à  Qu'appelle. 

Il  y  a  30  enfants  à  l'école.  C'est  une  œuvre  qui  a 
coûté  bien  des  sacrifices  ;  mais  la  Vierge  de  l'Espérance 
nous  fait  entrevoir  un  avenir  consolant.  Le  paganisme 
mourant  tente  un  dernier  effort  qui  annonce  les  convul- 
sions de  l'agonie. 

Nos  Frères  convers  charpentiers  ont  bien  mérité  de  la 
Congrégation  en  construisant  eux-mêmes  la  nouvelle 
école,  qui  a  coûté  20  000  francs,  mais  qui  vaut  beaucoup 
plus.  Le  gouvernement  n'a  fait  qu'une  partie  des  frais 
de  construction. 

3°  Nouvelle  résidence  du  Saint-Cœur  de  Marie  (lac 
Croche),  à  60  milles  de  Qu'appelle  :  le  R.  P.  Téophile 
Campeau,  directeur  ;  le  R.  P.  Bousquet,  socius. 

C'est  un  château  fort  des  presbytériens,  qui  y  ont 
fondé  une  école,  où  il  y  a  47  enfants  païens.  Nous 
avons  eu  le  tort  de  laisser  tomber  autrefois  une  école 
du  gouvernement  [day  school)  pour  favoriser  l'Ecole 
industrielle  de  Qu'appelle  et  nous  voyons  maintenant 
que  nous  avons  perdu  du  terrain. 

Il  est  donc  important  qu'un  missionnaire  réside  au 
lac  Croche  et  qu'on  y  établisse  même  une  école-pen- 
sionnat, si  c'est  possible. 

Il  n'y  a  guère  que  22  sauvages  protestants,  malgré  ce 


—  291  — 

que  disent  des  rapports  mensongers  consignés,  hélas  ! 
dans  les  livres  officiels,  et  nous  y  avons  plusieurs  cen- 
taines de  sauvages  catholiques.  Il  y  a  encore  des 
centaines  de  sauvages  païens  au  lac  Croche.  C'est  de  là 
que  le  R.  P.  Gampeau  devra  visiter  d'abord  les  trois 
réserves  qui  avoisinent  Qu'appelle,  puis  une  réserve 
située  près  de  fort  Ellice,  et  enfin  deux  ou  trois  autres 
groupes  de  sauvages  très  éloignés. 

La  foi  des  catholiques  est  admirable  au  lac  Croche. 
Nulle  part  l'évêque  n'a  été  reçu  avec  de  plus  grandes 
démonstrations  de  joie  et  de  foi  vive,  et  nulle  part  on 
n'a  tant  insisté  pour  obtenir  un  missionnaire  résidant 
et  une  école  catholique. 

Le  voisinage  des  païens  et  des  hérétiques  semble 
stimuler  le  zèle  de  ces  bons  chrétiens.  Puissent-ils 
persévérer  ! 

Inutile  de  dire  que,  sans  les  2  000  francs  d'allocation 
que  nous  devrons  désormais  lui  faire,  cette  résidence 
ne  pourrait  pas  se  maintenir. 

4°  Résidence  de  Saint-Lazare  (foi't  Ellice)  :  R.  P.  Pa- 
VREAU,  directeur. 

Ce  poste  a  été  soumis  à  des  vicissitudes  de  mort  et 
de  résurrection  qui  ont  fait  évoquer  souvent  le  souvenir 
de  son  saint  protecteur. 

Il  semble  maintenant  que  tout  le  monde  s'accorde  à 
dire  qu'il  y  aura  lieu  d'en  faire  un  centre  d'action  pour 
l'évaugélisation  de  centaines  de  sauvages  catholiques  et 
païens,  sauteux,  sioux  et  même  assiniboines,  qui  peuvent 
être  desservis  de  cet  endroit. 

Le  R.  P.  Favreau  a  certainement  fait  entrer  la  Mission 
dans  une  voie  de  progrès. 

11  a  donné  une  impulsion  nouvelle  à  la  piété  des 
fidèles  en  établissant  la  dévotion  du  premier  vendredi 
du  mois,  et  il  est  parvenu  à  obtenir  des  souscriptions 


—  292  — 

suffisantes  pour  acheter  une  jolie  cloche  et  même  pour 
commencer  une  nouvelle  église,  dont  les  frais  ne 
devront  pas  excéder  10  000  francs. 

Ce  jeune  Père,  plein  de  zèle,  a  profité  d'un  voyage 
dans  la  province  de  Québec,  pour  recueillir  quelques 
aumônes,  et  il  promet  de  bâtir  une  jolie  église  sans 
s'endetter. 

Le  progrès  matériel  a  marché  de  pair  dans  cette 
Mission  avec  le  progrès  spirituel,  ce  qui  est  fort  désirable 
dans  ces  pays  nouveaux.  Des  expositions  agricoles,  orga- 
nisées par  le  R.  P.  Favreau,  ont  donné  à  la  culture  un 
élan  sérieux. 

Une  petite  école  a  été  construite,  l'an  dernier,  pour  la 
population  blanche  ;  elle  est  dirigée  par  une  institutrice 
catholique.  Il  y  a  30  enfants  inscrits.  Ici,  encore,  on 
demande  des  religieuses  pour  prendre  la  direction  de 
cette  école,  en  attendant  qu'elles  puissent  aider  à  la 
fondation  d'une  école  pour  les  enfants  sauvages  à  fort 
EUice.  Toutes  nos  démarches  à  l'effet  d'obtenir  cette 
école  du  gouvernement  sont  restées  infructueuses,  et 
pourtant  nous  n'avons  qu'une  école  industrielle 
(Qu'appelle),  une  école-pensionnat  (Notre  Dame  de 
l'Espérance)  et  une  école  du  jour,  dans  une  région  où 
le  gouvernement  a  accordé  aux  protestants  troia  écoles 
industrielles,  quatre  écoles-pensionnats  et  trois  écoles  du 
jour.  Et  cependant  il  y  a  moins  de  sauvages  protestants 
que  de  sauvages  catholiques  dans  cette  vallée  de 
Qu'appelle  ! 

Le  R.  P.  Favreau  va  trois  ou  quatre  fois  l'an  visiter 
les  tribus  de  Sioux  et  d'Assiniboines  qu'il  peut  seul 
comprendre.  Il  lui  en  coûte  alors  d'abandonner  ses 
catholiques  durant  un  temps  considérable,  alors  que  le 
missionnaire  le  plus  rapproché,  le  R.  P.  Page  est  à 
13  lieues  de  là.  Raison  de  plus  pour  demander  un  socius. 


—  293  — 

5°  Nouvelle  résidence  de  Saint- Philippe^  de  fort  Pelley. 
Cette  résidence  a  été  fondée  en  1895  alors  qu'on  déses- 
pérait du  fort  EUice,  et  que  l'on  voulait  lutter  contre 
l'envahissement  des  protestants  au  fort  Pelley. 

Le  R.  P.  Decorby,  qui  occupe  cette  résidence,  est  un 
vétéran  des  Missions.  Il  a  vu  les  beaux  jours  delà  prairie. 
Il  a  pris  part  aux  expéditions  de  chasse  aux  bisons  ;  il  a 
parcouru  en  tous  sens  les  immenses  plaines  de  la  vallée 
de  la  Qu'appelle  et  du  haut  de  l'Assiniboine,  et  il  y  a 
bien  peu  de  groupes  de  blancs  ou  de  sauvages,  de 
toute  race  et  de  toute  langue,  qui  n'aient  pas  rencontré 
le  petit  Père,  et  qui  n'aient  même  reçu  le  secours  de  son 
ministère.  Il  parle  au  besoin  trois  langues  sauvages  et 
quatre  ou  cinq  langues  modernes.  C'est  un  voyageur 
intrépide  qui  brave  tous  les  dangers  et  qui  expose 
même  sa  vie,  comme  cela  est  arrivé  en  1894,  lorsqu'il 
a  été  sur  le  point  de  périr  de  fatigue  et  de  froid  en  se 
rendant  dans  une  réserve  sauvage.  Dieu  seul  sait  le 
nombre  d'âmes  qu'il  a  secourues  dans  ses  courses  apos- 
toliques ! 

Le  fort  Pelley  est  un  poste  pénible  oti  il  n'y  a  qu'une 
petite  école  du  jour  avec  une  vingtaine  d'enfants  sau- 
vages. Il  n'y  a  que  des  religieuses  qui  puissent  seconder 
efficacement  le  zèle  du  bon  P.  Decorby,  et  leur  arrivée 
serait  le  signal  d'une  ère  de  prospérité.  Il  y  a  aussi  une 
école  catholique  dans  la  colonie  bavaroise  de  Landshut; 
^3  enfants  y  assistent.  Les  protestants  ont  recueilli  près 
de  40  enfants  pensionnaires,  et  les  sauvages  païens  et 
prolestants,  aussi  bien  que  catholiques,  offrent  sou- 
vent leurs  enfants  à  condition  qu'il  les  héberge  et  les 
habille  comme  font  les  sectes  prolestantes. 

Deux  chemins  de  fer,  celui  du  lac  Dauphin  et  celui 
de  Yorkton,  vont  se  prolonger  dans  celte  direction  et  y 
amèneront  tôt  ou  tard  des  colons  destinés  à  changer  la 
T.  xxxvi.  20 


—  294  — 

lace  du  pays  et  à  lui  donner  une  grande  importance. 
De  cette  Mission,  le  R.  P.  Decorby  va  visiter  des 
familles  de  métis  ou  de  blancs  en  divers  endroits,  à  des 
distances  de  (100  milles)  30  à  33  lieues  et  plus.  11  a 
jusqu'ici  étendu  sa  sollicitude  à  plusieurs  réserves 
sauvages,  à  des  groupes  de  Bavarois,  d'Allemands 
(Landshut-Langenberg),  de  Français,  d'Anglais,  de 
Belges  et  autres.  Il  a  été  le  premier  Père  de  la  colonie 
hongroise  d'Esterhaz  et  le  fondateur  de  la  résidence  de 
(Ju'appelle. 

6°  Résidence  de  f  Assomption  d'Esterhaz.  Colonie  hon- 
groise, fondée  en  1893  :  R.  P.  Page,  directeur. 

C'est  une  belle  colonie  prospère  au  point  de  vue  spi- 
rituel et  temporel.  Elle  possède  deux  écoles  cathohques 
et  il  y  a  60  enfants  inscrits. 

Le  R.  P.  Page  s'est  donné  la  peine  d'apprendre  la 
langue  de  ces  braves  gens,  et  il  a  très  bien  réussi.  C'est 
le  seul  prêtre  de  mon  diocèse  qui  puisse  prêcher  faci- 
lement en  langue  hongroise. 

Le  R.  Père  veut  bien  étendre  sa  sollicitude  à  d'autres 
colonies  hongroises  et  allemandes  comme  à  Sainte- 
Elizabeth  de  Hum's  Valley,  où  il  y  a  une  autre  école 
catholique  avec  27  enfants  inscrits,  Yorklon  et  autres 
endroits,  et  même  il  a  poussé  le  zèle  jusqu'à  visiter  deux 
groupes  importants  de  Galiciens  à  Yorkton  et  au  lac 
Dauphin,  et  il  a  déjà  commencé  à  leur  faire  du  bien  en 
attendant  qu'un  prêtre  de  leur  langue  vienne  à  leur 
secours. 

RÉSUMÉ.  —  Il  me  semble  qu'en  résumé  nous  pouvons 
dire  que  les  progrés  accomplis  depuis  le  dernier  Cha- 
pitre ont  été  considérables. 

11  y  a  eu  une  augmentation  de  huit  Pères  et  de  onze 
Frères  convers  en  cinq  ans. 

Nous    avons    bâti   deux   églises    pour  la   population 


—  295  — 

blanche  et  une  troisième  est  commencée  et  sera  ter- 
minée à  l'automne. 

Nous  avons  construit  quatre  chapelles  dans  des  réserves 
sauvages,  deux  résidences  pour  nos  Pères,  deux  écoles- 
pensionnats  pour  les  enfants  sauvages,  et  une  jolie 
maison  de  noviciat  à  Saint-Charles  de  l'Assiniboine.  De 
plus,  un  couvent  de  religieuses  a  été  commencé  à  Saint- 
Laurent. 

En  1887,  il  y  avait  un  archevêque  Oblat,  vingt  Pères 
et  trois  Frères  convers  dans  le  vicariat.  Il  y  a  aujour- 
d'hui trente-deux  Pères  et  quatorze  Frères  convers,  et 
un  archevêque  oblat.  Il  y  avait  alors  dix  églises  ou 
chapelles,  il  y  en  a  maintenant  trente-quatre  appar- 
tenant à  la  Congrégation.  Il  y  avait  dix  maisons  ou 
résidences,  il  y  en  a  aujourd'hui  dix-sept. 

Je  ne  parlerai  pas  des  progrès  du  diocèse  lui-même, 
de  l'arrivée  d'une  nouvelle  communauté  d'hommes,  les 
Chanoines  réguliers  de  l'Immaculée  Conception  de  Saint- 
Antoine  de  l'Isère  établis  à  Noire-Dame  de  Lourdes,  et 
de  leur  communauté  de  femmes,  les  Sœurs  des  Cinq- 
Plaies  du  Sauveur,  de  Lyon^  et  des  Sœurs  Franciscaines 
Missionnaires  de  Marie,  établies  à  Saint-Laurent. 

Le  nombre  des  prêtres  séculiers  s'est  élevé  de  20  à  M. 
De  sorte  que  les  progrès  vont  croissant  et  je  ne  crois  pas 
qu'il  y  ait  une  seule  de  nos  Missions  oîi  ses  salutaires 
effets  ne  se  font  point  sentir. 

Nos  sauvages  infidèles  dont  l'endurcissement  était 
devenu  proverbial  dans  tout  le  Nord-Ouest,  se  montrent 
maintenant  disposés  à  écouter  la  parole  de  vérité  ;  le 
mouvement  de  colonisation,  qui  s'était  ralenti  depuis 
sept  ans,  reprend  sa  marche  et  va  nous  amener  de 
nombreux  colons  du  Canada,  des  Etats-Unis  et  d'Europe. 
Que  Dieu  en  soit  à  jamais  béni  !  La  fièvre  de  l'or  du 
Klondyke  va  beaucoup  contribuer  à  développer  ie  pays. 


—  296  — 

La  devise  du  diocèse  de  Saint-Boniface  va  donc  se 
réalisant  de  plus  en  plus.  «  Le  désert  fleurit,  s'enrichit 
de  toutes  parts.  »  Pinguescent  speciosa  deserti. 

Bappoi'l  de  la  province  du  Canada. 

Depuis  le  dernier  Chapitre  général,  l'événement  le 
plus  important  que  nous  ayons  à  enregistrer  dans  notre 
province  est  assurément  la  visite  du  T.  R.  P.  Soullier 
et  de  son  vénérable  assistant,  le  R.  P.  Antoine.  C'était 
la  première  fois  que  le  Canada  avait  le  bonheur  d'être 
visité  par  le  chef  de  la  famille.  Aussi,  cette  visite  a-t-elle 
provoqué  dans  toutes  nos  maisons  des  manifestations 
enthousiastes  de  joie  et  d'allégresse.  Nos  catholiques 
populations  se  sont  spontanément  jointes  à  nous 
pour  faire  honneur  à  nos  illustres  visiteurs  auxquels 
elles  exprimèrent,  dans  de  nombreuses  adresses,  leurs 
sentiments  de  reconnaissance  et  de  religieuse  affection. 
Du  reste,  tous  les  détails  de  cette  visite,  ou  plutôt  de 
cette  marche  triomphale,  ont  élé  recueillis  dans  une 
brochure  spéciale  qui  se  trouve  entre  les  mains  de  tous 
les  nôtres,  nous  n'avons  donc  pas  à  les  faire  connaître 
ici. 

Un  autre  événement,  moins  grave  sans  doute,  mais 
qui  a  bien  aussi  son  importance  pour  la  province,  a  été 
le  changement  de  Provincial.  C'est  le  23  septembre  der- 
nier que  le  R.  P.  Jodoin  succédait  au  R.  P.  Lefebvre. 

Le  nouveau  Provincial  n'a  qu'à  se  féliciter  de  l'état  de 
prospérité  où  il  a  trouvé  toutes  choses  en  prenant  les 
rênes  de  l'administration. 

Actuellement,  le  personnel  de  la  province  se  com- 
pose de  cent  trente-trois  sujets,  dont  quatre-vingt-sept 
Pères,  quatre  Frères  scolastiques  professeurs  à  l'Univer- 
sité d'Ottawa;  trente-trois  Frères  convers  à  vœux  per- 
pétuels et  neuf  à  vœux  temporaires.  Si  nous  ajoutons  à 


—  297  — 

ce  nombre  huit  novices  scolastiques  et  neuf  convers, 
nous  arrivons  au  chiffre  de  cent  cinquante  sujets. 

Le  doyen  de  nos  Pères  est  le  R.  P.  Royer,  qui,  mal- 
gré ses  soixante-quinze  ans,  se  porte  encore  à  merveille, 
et  missionne  de  temps  en  temps.  Il  y  a  six  autres  Pères 
qui  dépassent  soixante-dix  ans.  Les  sexagénaires  sont 
au  nombre  de  dix;  ceux  qui  ont  vu  leur  demi-siècle 
également  au  nombre  de  dix  ;  huit  ont  plus  de  quarante 
ans  ;  trente-huit  dépassent  la  trentaine  et  quinze  sont 
au-dessous  de  cet  âge. 

Parmi  nos  Frères  convers  à  vœux  perpétuels,  le  véné- 
rable F.  Louis  Roux  a  atteint  sa  quatre-vingt-quatrième 
année;  c'est  le  seul  survivant  des  premiers  Oblats,  venus, 
il  y  a  cinquante-sept  ans,  arborer  l'étendard  de  Marie 
Immaculée  sur  les  bords  du  Saint-Laurent.  Il  réside  à 
notre  maison  de  Hull  depuis  qu'il  a  quitté  l'évêché  d'Ot- 
tawa, après  la  mort  de  M^""  Guigues  ;  c'est  une  vieille  re- 
lique qui  nous  est  justement  chère. 

Le  2  février,  le  Frère  Louis  célébrait  le  cinquantième 
anniversaire  de  sa  profession  religieuse,  et  à  cette  occa- 
sion, il  était  l'objet  d'une  petite  fête  de  famille  àlaquelle 
prirent  part  NN.  SS.  les  archevêques  d'Ottawa  et  de 
Sainl-Boniface,  le  Provincial,  une  quinzaine  de  Pères 
et  tous  les  Frères  convers  de  nos  maisons  d'Ottava  et 
de  Hull.  Parmi  les  autres  Frères,  huit  ont  plus  de  cin- 
quante ans,  onze  en  ont  plus  de  quarante,  et  dix  plus 
de  trente  ;  les  autres  sont  au-dessous  de  cet  âge. 

Les  santés,  sans  être  robustes,  sont  généralement 
bonnes.  Nous  n'avons  personne  qui  soit  complètement 
invalide,  sauf  un  Frère  convers,  paralysé  depuis  trois 
ans. 

Les  occupations  de  nos  Pères  sont  :  l'enseignement  à 
l'Université  d'Ottawa  et  au  juniorat,  les  missions  diocé- 
saines, les  missions  sauvages  et  le  ministère  paroissial. 


—  298  - 

Nous  pouvons  dire  qu'en  général  nos  Pères  aiment 
leur  vocation.  La  régularité  règne  dans  nos  maisons; 
les  retraites  annuelles  et  mensuelles  ont  lieu  régulière- 
ment. Les  conférences  théologiques  ne  se  font  pas  par- 
tout avec  la  même  ponctualité. 

Les  travaux  préférés  sont  les  missions  ;  le  ministère 
à  poste  fixe  est  moins  apprécié. 

Nos  missionnaires  préparent  sérieusement  leurs  ins- 
tructions, et  on  peut  ajouter  qu'ils  donnent  une  grande 
satisfaction  tant  par  leurs  prédications  que  par  les  tou- 
chants exercices  recommandés  par  le  Directoire. 

Nous  n'avons  actuellement  que  sept  missionnaires 
employés  exclusivement  aux  missions.  Ce  nombre  est 
insuffisant,  il  nous  en  faudrait  au  moins  dix.  Aussi, 
sommes-nous  obligés  de  refuser  assez  souvent  d'impor- 
tants travaux. 

Je  crois  pouvoir  dire  que  nos  rapports  avec  NN.  SS.les 
évoques  et  le  clergé  sont  excellents.  Les  populations 
au  milieu  desquelles  nous  travaillons  nous  sont  aussi 
très  sympathiques  et  très  dévouées. 

Depuis  le  dernier  Chapitre  général,  nous  n'avons  fait 
aucune  nouvelle  fondation  dans  la  province.  Elle  se 
compose  aujourd'hui  comme  alors  de  huit  maisons  et 
de  quatre  résidences.  Les  maisons  sont  :  Montréal,  Qué- 
bec, HuU,  rUniversilé  d'Ottawa,  le  Juniorat,  Maniwaki, 
MattawaetTémiscamingne. Les  résidences  sont:  Betsia- 
mits,  le  lac  Saint-Jean,  la  baie  d'Hudson  et  le  noviciat 
de  Notre-Dame  des  Anges. 

Maison  de  Montréal.  —  Cette  communauté  se  com- 
pose de  quinze  Pères  en  comptant  le  R.  P.  Provincial 
et  le  R.  P.  Brault,  qui,  tout  enappartenant  au  juniorat, 
réside  à  Montréal,  où  il  s'occupe  de  la  publication  de  la 
Bannière  de  Marie  Immaculée,  dont  le  but  est  de  faire 
connaître  la  Congrégation  et  de  recueillir  des  fonds  pour 


-  299  — 

l'entretien  de  nos  junioristes.  Elle  compte  en  outre 
cinq  Frères  convers.  L'un  d'eux,  après  avoir  rendu  à  la 
maison  de  précieux  services,  se  sanctifie  au  milieu  des 
infirmités. 

Montréal  est  encore  à  peu  près  notre  seule  maison 
de  missionnaires.  Nous  avons  préféré  les  grouper  dans 
une  seule  maison  plutôt  que  de  les  éparpiller;  mais  notre 
intention  est  que  chacune  de  nos  principales  maisons 
ait  son  groupe  de  missionnaires  quand  notre  personnel 
le  permettra. 

Depuis  le  mois  de  juillet  1893,  nos  Pères  de  Montréal 
ont  prêché  309  grandes  retraites  ou  missions. 

Plusieurs  de  nos  Pères  ont  accompagné  NN.  SS.  les 
évêques  dans  leurs  visites  pastorales,  et  ont  prêché  en- 
viron 240  retraites  de  confirmation.  Ajoutons  à  ces 
travaux  un  grand  nombre  de  sermons  de  circonstances 
dans  différentes  paroisses. 

L'église  Saint-Pierre  n'est  pas  paroissiale,  mais  le 
ministère  n'y  est  pas  moins  très  actif  et  très  absorbant. 
Huit  Pères  y  sont  habituellement  employés.  Il  y  a,  tous 
les  dimanches  et  fêtes  d'obligation,  sept  messes  régle- 
mentaires dont  quatre  pour  les  fidèles  en  général,  deux 
pour  les  congrégations  et  une  pour  les  enfants.  Nous 
distribuons  150  000  communions  par  an,  ce  qui  suppose 
de  longues  et  nombreuses  séances  au  confessionnal  et 
beaucoup  de  visites  aux  malades. 

Nous  donnons  chaque  année  une  retraite  distincte 
aux  hommes,  aux  jeunes  gens,  aux  mères  chrétiennes, 
aux  jeunes  filles  et  aux  enfants  des  écoles. 

Pendant  le  carême,  nos  fidèles  entendent  quatre  ins- 
tructions par  semaine,  sans  compter  les  deux  instruc- 
tions du  dimanche,  à  la  messe  de  8  heures  et  à  la 
grand'messe. 

Deux  Pères  font  régulièrement  le  catéchisme  à  l'école 


-   300  — 

Saint-Pierre,  dirigée  par  quinze  Petits  Frères  de  Marie 
de  Saint-Génis-Laval,  près  Lyon.  Ils  instruisent  envi- 
ron 550  enfants.  Grâce  aux  subventions  accordées  au- 
jourd'hui par  la  commission  scolaire,  non  seulement 
celte  école  n'est  plus  pour  nous  une  charge,  mais  nous 
avons  même  un  excédent  qui  nous  permet  de  rentrer 
peu  à  peu  dans  les  fonds  considérables  que  nous  avons 
dépensés. 

Diverses  associations  religieuses  nous  sont  un  puis- 
sant élément  pour  le  bien.  La  Congrégation  des  Filles  de 
l'Immaculée  Conception,  fondée  en  1849,  compte  pré- 
sentement 900  membres  ;  la  Congrégation  des  Dames  de 
Sainte-Anne,  pour  les  mères  chrétiennes,  fondée  en 
1850,  en  compte  2000;  la  Congrégation  de  Notre-Dame 
du  Sacré-Cœur,  pour  les  jeunes  gens,  fondée  en  1870, 
environ  300;  la  Société  de  tempérance,  fondée  en  1877, 
696.  Cette  Société  est  la  plus  parfaite  du  genre  dans 
tout  le  pays,  elle  fonctionne  admirablement  et  fait  un 
bien  incalculable. 

Nous  avons  trois  conférences  de  Saint-Vincent  de 
Paul,  visitées  et  encouragées  chaque  dimanche  par  un 
de  nos  Pères. 

Le  couvent  de  la  Providence,  rue  Visitation,  est 
sous  notre  direction.  Il  comprend  une  vingtaine  de  re- 
ligieuses et  environ  500  enfants. 

Depuis  plus  de  vingt  ans,  les  oblats  de  Montréal  con- 
duisent chaque  année  au  sanctuaire  de  Sainte-Anne  de 
Beaupré,  deux  grands  pèlerinages  toujours  très  édifiants, 
un  pour  les  hommes  et  un  autre  pour  les  femmes. 

Saint-Sauveur-de-Québec.  — Cette  maison  se  compose 
de  onze  Pères  et  de  quatre  Frères  convers.  A  l'excep- 
tion du  R.  P.  RoYER,  missionnaire,  tous  les  Pères  con- 
sacrent leurs  soins  à  la  paroisse  Saint-Sauveur,  dont  la 
population  catholique  atteint  le  chiffre  de  16  234  âmes. 


—  301  - 

On  distribue   annuellement  dans   cette  église  160  000 
communions. 

Les  confréries  y  sont  nombreuses  et  florissantes.  La 
Congrégation  des  hommes  compte  800  membres;  celle 
des  jeunes  gens,  300;  celle  de  la  Sainte-Famille,  pour 
les  femmes  mariées,  environ  200;  celle  des  Enfants  de 
Marie,  pour  les  jeunes  filles,  1124;  le  Tiers  Ordre  de 
Saint-François,  1 1 1 0  ;  l'Union  de  prière,  5  400  ;  la  Tem- 
pérance, 1  250;  le  Scapulaire  du  Mont-Carmel,  1  012;  la 
Société  de  Bonsecours  pour  les  jeunes  filles  ouvrières, 
600.  Chaque  confrérie  a  sa  retraite  spéciale  chaque 
année.  Les  enfants  des  écoles  ont  aussi  la  leur. 

Les  dimanches  et  jours  de  fêtes,  il  y  a  quatre  messes 
à  l'église  pour  les  fidèles  en  général  et  de  plus,  une 
messe  pour  les  enfants,  et  deux  autres  pour  les  deux 
congrégations  des  hommes  et  des  jeunes  gens,  à  la 
chapelle  de  Notre-Dame  de  Lourdes.  A  toutes  les  messes 
basses, il  y  a  une  courte  instruction, sermon  à  la  grand'- 
messe,  catéchisme  de  persévérance  à  1  heure,  et  ser- 
mon le  soir  à  l'Archiconfrérie. 

La  paroisse  de  Saint-Sauveur  est  très  bien  dotée  sous 
le  rapport  des  écoles.  Celle  des  garçons  est  dirigée  par 
vingt  Frères  des  Ecoles  chrétiennes,  et  celle  des  filles, 
par  vingt-trois  religieuses  de  la  Congrégation  de  Notre- 
Dame.  Il  y  a  de  plus  douze  petites  écoles  dispersées  dans 
les  parties  les  plus  éloignées  de  la  paroisse  et  qui  sont 
dirigées  par  des  maîtresses  séculières.  Le  nombre  total 
des  enfants  qui  fréquentent  ces  différentes  écoles,  est 
de  2  700. 

Nous  avons  cinq  conférences  de  Saint-Vincent  de 
Paul,  qui  soutiennent  pendant  l'hiver  de  cent  cinquante 
à  deux  cents  familles  pauvres. 

La  paroisse  de  Saint-Sauveur  est,  de  l'aveu  de  tous 
ceux  qui  l'ont  vue  de  près,  une  paroisse  modèle.   Il  y  a 


—  302  — 

beaucoup  d'esprit  chrétien,  beaucoup  de  foi  et  de  piété. 

Le  prêtre  y  est  respecté,  aimé  et  écouté.  Les  offices 
de  l'Eglise  y  sont  toujours  bien  suivis  et  se  font  d'une 
manière  très  solennelle  et  édifiante. 

Sans  doute,  tout  n'est  pas  parfait;  il  y  a  bien  dans 
cette  vaste  bergerie  quelques  brebis  galeuses  qui  sont 
loin  de  répondre  au  zèle  et  au  dévouement  de  leurs  pas- 
teurs. Mais,  même  chez  ces  pauvres  égarés,  il  y  a  beau- 
coup de  foi  ;  ils  sont  rares,  parmi  eux,  ceux  qui  omettent 
de  faire  leurs  pâques,  et  s'ils  tombent  malades,  ils  s'em- 
pressent de  faire  demander  le  prêtre,  même  avant  d'ap- 
peler le  médecin. 

Maison  deHull. —  La  maison  de  Hull,  comme  celle  de 
Saint-Sauveur,  est  une  maison  paroissiale;  elle  se  com- 
pose de  sept  Pères  et  de  cinq  Frères  convers. 

La  population  catholique  de  HuU  est  de  11922  âmes, 
dont  370  Irlandais.  L'esprit  général  de  la  paroisse  est 
bon  ;  il  y  a  de  la  piété,  les  sacrements  sont  bien  fréquentés 
(on  y  distribue  annuellement  environ  70000  commu- 
nions). L'assistance  aux  offices  de  l'Eglise  est  toujours 
nombreuse  et  édifiante. 

Hull  a  aussi  ses  sociétés  religieuses  qui  sont  floris- 
santes. La  Congrégation  des  Dames  de  Sainte-Anne 
compte  1 600  membres  ;  celle  des  Enfants  de  Marie, 
pour  les  jeunes  filles,  584  ;  celle  des  jeunes  gens,  350.  Il 
y  a  aussi  plusieurs  sociétés  de  secours  mutuels,  dont  nos 
Pères  sont  chapelains,  ainsi  qu'une  conférence  de  Saint- 
Vincent  de  Paul,  qui  fait  beaucoup  de  bien. 

Tous  les  dimanches  et  jours  de  fêtes,  on  célèbre  six 
messes  à  chacune  desquelles  il  y  a  instruction.  Les 
catéchismes  de  première  communion  et  de  persévérance 
se  font  régulièrement.  Chaque  catégorie  de  la  popula- 
tion a  sa  retraite  spéciale  chaque  année. 

La  paroisse  de  Hull  possède  de  superbes  écoles  qui  font 


—  303  — 

l'admiration  des  étrangers.  D'abord  l'école  des  garçons 
dirigée  par  treize  Frères  du  bienheureux  de  La  Salle 
aidés  de  quatre  maîtres  laïques;  ensuite,  deux  écoles 
pour  les  filles  dirigées  par  dix-sept  Sœurs  Grises  d'Ot- 
tawa. Il  y  a,  de  plus,  six  autres  écoles  dispersées  dans 
les  parties  les  plus  éloignées  de  la  paroisse  et  qui  sont 
dirigées  par  des  maîtresses  séculières. 

Le  nombre  total  des  enfants  qui  fréquentent  ces  dif- 
férentes écoles  est  de  2039. 

Il  y  a  à  peine  dix  ans,  l'établissement  de  Hull  n'était 
qu'un  amas  de  ruines  fumantes.  Le  désastre  était  com- 
plet, l'église,  le  presbytère  et  ses  dépendances,  tout  était 
devenu  la  proie  d'un  violent  incendie  avec  tout  un  quar- 
tier de  la  ville.  Le  regretté  P.  Gauvin,  alors  supérieur 
de  cette  maison,  ne  se  découragea  pas,  et  avec  l'énergie 
indomptable  qui  le  caractérisait,  il  entreprit  de  réparer 
ce  désastre. 

Déjà  il  avait  bâti  la  maison  de  communauté,  et  il 
commençait  la  reconstruction  de  l'église,  lorsque  la 
mort  vint  l'arrêter  au  milieu  de  ses  travaux. 

Le  R.  P.  Lauzon,  appelé  à  lui  succéder,  continua 
l'œuvre  si  bien  commencée  et  la  conduisit  à  bonne  fin. 
Aujourd'hui,  Hull  peut  se  flatter  de  posséder  lapins  belle 
église  du  diocèse  d'Ottawa,  la  plus  commode  et  certai- 
nement la  mieux  pourvue  de  tout  ce  qui  est  nécessaire 
au  besoin  du  culte. 

Maison  de  Maniwaki.  —  Cette  maison  se  compose  de 
cinq  Pères  et  de  six  Frères  convers.  Les  œuvres  consis- 
tent :  1°  dans  la  desserte  de  la  paroisse  de  Notre-Dame 
de  l'Assomption  ;  2°  dans  la  desserte  de  trois  Missions 
pour  les  blancs  et  de  six  Missions  pour  les  sauvages  ; 
3*  dans  la  visite  de  chantiers  pendant  l'hiver. 

La  paroisse  de  Maniwaki  compte  250  familles  dont  les 
deux  tiers  sont  d'origine  française,  l'autre  tiers  d'ori- 


—  304  - 

gine  irlandaise.  Il  y  a  plus  de  80  familles  sauvages,  de 
sorte  que  le  ministère  s'exerce  donc  en  trois  langues. 

Les  Pères  Pian,  Guéguen  et  Laniel  s'occupent  du 
ministère  des  sauvages  à  Maniwaki  et  dans  les  autres 
Missions  qui  en  dépendent.  Chacune  de  ces  Missions 
possède  sa  chapelle. 

La  population  totale  des  Missions  sauvages  visitées 
par  nos  Pères  de  Maniwaki  est  de  1200  à  1300  âmes. 
En  général,  ces  pauvres  enfants  des  bois  sont  de  bons 
chrétiens  et  donnent  beaucoup  de  consolations  à  leurs 
missionnaires,  surtout  ceux  qui  vivent  loin  du  contact 
des  blancs. 

Nos  Pères  visitent,  en  outre,  une  fois  par  mois,  trois 
Missions  pour  les  blancs,  convenablement  pourvues 
elles  aussi  de  chapelles  et  d'écoles.  La  population  de  ces 
Missions  s'élève  à  877  âmes. 

Maniwaki  possède  en  tout  sept  écoles,  dont  la  plus 
importante  est  celle  du  village.  Plus  de  200  enfants 
des  deux  sexes  y  reçoivent  une  excellente  éducation  des 
Sœurs  Grises  d'Ottawa.  Les  autres  écoles  sont  dirigées 
par  des  maîtresses  séculières. 

En  parlant  de  Maniwaki,  nous  ne  saurions  omettre 
de  mentionner  le  travail  que  nos  Frères  convers  y  ac- 
complissent. 

Grâce  à  leur  dévouement,  nos  fermes  sont  devenues 
une  source  de  revenus  qui  ont  permis  au  R.  P.  Laporte, 
supérieur,  de  faire  exécuter  des  travaux  considérables 
qui  ont  complètement  changé  la  face  de  cette  Mission 
et  l'ont  lancée  dans  la  voie  du  progrès. 

Maison  de  Témiskamingue .  —  La  Maison  de  Témiska- 
mingue  se  compose  de  quatre  Pères  et  de  cinq  Frères 
convers.  Les  œuvres  de  cette  Maison  consistent  :  l°dans 
la  desserte  de  la  paroisse  appelée  autrefois  la  Baie-des- 
Pères,  mais  dont  le  nom  a  été  changé  en  celui  de  Ville- 


—  305  — 

Marie;  c'est  aujourd'hui  le  nom  officiel  de  cette  localité  ; 
2"  dans  la  desserte  de  deux  Missions  pour  les  blancs  et 
de  quatre  Missions  pour  les  sauvages. 

A  Témiskamingue  comme  à  Maniwaki,  nos  bons 
Frères  convers  nous  rendent  d'immenses  services  dans 
l'exploitation  de  nos  fermes. 

L'église  de  Témiskamingue  n'est  pas  achevée  à  l'inté- 
rieur et  l'on  hésite  à  la  terminer,  parce  qu'elle  est  déjà 
trop  petite,  par  suite  de  l'accroissement  subit  de  la  po- 
pulation. Il  est  probable  qu'avant  quelques  années  nous 
serons  obligés  d'agrandir  considérablement  l'église  ou 
d'en  bâtir  une  autre  plus  spacieuse. 

L'école  du  village  et  l'hôpital  sont  confiés  aux  Sœurs 
Grises  d'Ottawa.  Les  écoles  de  la  campagne  sont  dirigées 
par  des  maîtresses  laïques. 

Maison  de  Maltaioa.  —  Cette  maison  se  compose  de 
quatre  Pères  et  d'un  Frère  convers.  Les  Pères  sont 
chargés  de  la  paroisse  Sainte-Aune  dont  le  R.  P.  Supé- 
rieur est  le  curé.  Ils  desservent  de  plus  sept  petites 
Missions  échelonnées  le  long  de  la  ligne  du  Pacifique 
canadien. 

La  population  catholique  de  Mattawa  est  de  1  283 
âmes,  dont  767  communiants. L'école  du  village,  sous  la 
direction  des  Sœurs  Grises  d'Ottawa,  est  fréquentée  par 
380  enfants  des  deux  sexes.  11  y  a  aussi  un  hôpital  que 
dirigent  les  mêmes  religieuses. 

La  population  totale  des  sept  Missions  qui  dépendent 
de  Mattawa  est  de  2  120  âmes.  Ces  Missions  sont  toutes 
convenablement  pourvues  de  chapelles  et  d'écoles. 

Il  est  heureux  qu'on  ait  profité  des  années  d'abon- 
dance pour  bâtir  l'église  et  la  maison  des  Pères,  et 
payer  la  dette,  car  il  est  probable  que  Mattawa  ne  re- 
verra jamais  plus  ces  bonnes  années.  L'avenir,  en  effet, 
se  présente  sous  des  couleurs  bien  sombres  pour  cette 


—  306  — 

petite  ville  naguère  si  prospère  et  si  pleine  d'activité.  Le 
travail  manque,  le  commerce  languit  et  la  population 
décroît  sensiblement. 

Maison  du  Sacré-Cœur  à  Ottawa  [Juniorat).  —  Depuis 
quatre  ans,  nos  junioristes  habitent  une  vaste  et  belle 
maison  qui  s'élève  à  quelques  pas  de  l'Université  d'Ot- 
tawa et  qui  peut  abriter  commodément  environ  110 
enfants.  Cette  maison,  qui  a  coûté  35  000  piastres,  a  été 
payée  entièrement  par  les  différentes  maisons  de  la  Pro- 
vince qui  ont  été  heureuses  de  contribuer  chacune  selon 
ses  moyens,  à  une  œuvre  si  belle  et  si  utile. 

Depuis  six  ans,  202  élèves  ont  été  admis  au  juniorat. 
La  plupart  d'entre  eux  viennent  de  la  province  de  Qué- 
bec, les  autres  de  la  province  d'Ontario,  du  Manitoba  et 
des  Etats-Unis.  Sur  202,  en  ne  tenant  pas  compte  de 
ceux  qui  ne  sont  pas  demeurés  au  moins  quatre  mois  au 
juniorat,  61  sont  sortis,  8  sont  au  scolasticat  et  3  au 
noviciat.  Nous  comptons  actuellement  101  élèves. 

L'esprit  du  juniorat  est  bon.  Il  y  a  de  la  piété  parmi 
nos  enfants;  le  règlement  est  fidèlement  observé,  l'au- 
torité est  respectée  et  aimée,  l'application  à  l'étude  est 
sérieuse  et  constante.  Si  les  junioristes  eussent  concouru, 
ils  auraient  remporté  7  médailles  et  61  prix. 

Nos  junioristes  suivent  les  cours  de  l'Université.  Nous 
avons  cependant  jugé  bon  de  leur  enseigner  la  rhé- 
torique à  la  maison.  Ils  peuvent  ainsi  se  perfectionner 
dans  la  connaissance  du  français,  car  c'est  surtout  dans 
cette  langue  qu'ils  auront  à  exercer  le  ministère  plus 
tard. 

La  communauté  du  Sacré-Cœur  se  compose  de  7  Pè- 
res et  de  4  Frères  convers.  Le  soin  de  la  cuisine  et 
de  la  lingerie  est  confié  aux  Petites  Sœurs  de  la  Sainte- 
Famille,  qui  sont  au  nombre  de  9,  et  qui  habitent  une 
maison  tout  à  fait  séparée.  Jusqu'à  présent,  nous  n'avons 


—  307  •— 

qu'à  nous  féliciter  des  services  immenses  que  nous  ren- 
dent ces  bonnes  religieuses. 

A  l'œuvre  du  juniorat  se  trouve  annexée  l'église 
paroissiale  du  Sacré-Cœur,  dont  le  R.  P.  Valiquette 
est  curé.  Trois  Pères,  professeurs,  entendent  les  confes- 
sions à  l'église  et  prêchent  quelquefois.  Les  Pères  de 
rUniveraité  prêtent  aussi  leur  concours  pour  la  prédi- 
cation. 

La  paroisse  du  Sacré-Cœur  compte  actuellement270  fa- 
milles  et  745  communiants. 

L'esprit  qui  domine  dans  cette  paroisse  est  l'esprit 
mondain  et,  par  suite,  la  piété  et  le  zèle  pour  les  œuvres 
laissent  grandement  à  désirer.  Il  y  a  une  trentaine 
d'hommes  et  quelques  femmes  qui  ne  font  pas  leurs 
pâques.  Disons,  cependant,  qu'il  semble  y  avoir  un  léger 
progrès  sous  le  rapport  de  l'esprit  religieux  depuis  quel- 
ques années,  de  même  qu'il  y  a  eu  également  progrès 
sous  le  rapport  de  la  population  et  des  linances. 

Maison  de  Notre-Dame  des  Anges  (noviciat).  —  Au  mois 
de  janvier  1898,  il  y  avait,  au  noviciat,  8  novices  sco- 
lastiques  et  9  convers.  Depuis  cinq  ans,  47  novices 
scolastiques  et  45  convers  ont  pris  l'habit.  De  ces  47  no- 
vices scolastiques,  17  venaient  des  juniorats,  dont  2  de 
Sion,  3  de  Jersey,  12  du  Sacré-Cœur,  et  30  des  grands 
ou  petits  séminaires. 

Généralement,  l'esprit  est  bon  et  religieux.  On  tient 
surtout  à  faire  pratiquer  l'obéissance  pure  et  simple.  La 
régularité  y  est  irréprochable,  et  ceux  qui  y  manquent 
sont  invités  à  se  retirer.  Ceux-là  seuls  qui  ont  de  la  bonue 
volonté  et  font  des  efforts  pour  se  débarrasser  de  l'esprit 
d'indépendance  qu'ils  apportent  du  siècle  sont  encou- 
ragés à  continuer. 

On  sent,  chez  presque  tous  ceux  qui  nous  arrivent 
des  collèges,  un  certain  penchant  pour  la  vie  commode 


—  308  ■- 

et  facile.  On  a  horreur  de  tout  ce  qui  gêne  et  contrarie 
la  nature.  Évidemment,  la  génération  actuelle  n'a  plus 
le  nerf  ni  l'énergie  de  celles  d'autrefois. 

Des  47  jeunes  gens  qui  ont  pris  l'habit  comme  sco- 
lastiques,  35  ont  persévéré  et  12  nous  ont  quittés. 

Des  45  prises  d'habit  comme  Frères  convers,  on  en 
compte  28  qui  ont  persévéré  et  17  qui  nous  ont  quittés, 
dont  1 1  sont  partis  du  noviciat  et  6  des  autres  maisons. 

Université  d'Ottawa.  —  Voici  ce  qu'écrivait,  à  la  date 
du  21  mars  dernier,  le  R.  P.  Constantineau,  successeur 
du  R.  P.  Mag-Guckin  : 

«  En  conséquence  du  changement  survenu  à  l'Univer- 
sité, il  est  facile  de  comprendre  qu'un  rapport  détaillé 
ne  puisse  pas  être  donné  par  le  nouveau  recteur. 

((  Je  suis  toutefois  heureux  de  constater,  après  trois 
semaines  de  rectorat,  que  nos  Pères  et  Frères  paraissent 
tous  animés  du  meilleur  esprit,  ce  qui  augure  beaucoup 
pour  le  succès  de  l'œuvre. 

«  Je  dois  aussi  nécessairement  abréger  les  commen- 
taires qui  devraient  être  faits  sur  les  élèves  de  l'Univer- 
sité. Je  me  contenterai  de  dire  que,  d'après  les  témoi- 
gnages des  préfets  de  discipline,  nos  élèves  sont,  plus 
que  jamais  par  le  passé,  animés  d'un  très  bon  esprit. 
Ils  sont  pieux  et  fréquentent  bien  les  sacrements.  Il  y 
aurait  pourtant  beaucoup  à  faire  en  ce  qui  concerne 
l'instruction  religieuse. 

«  Espérons  qu'avec  la  grâce  de  Dieu  et  le  concours 
déjà  assuré  de  tous  les  Pères  et  Frères,  le  nouveau  rec- 
teur pourra  faire  les  améliorations  qui  sont  si  désirables 
pour  le  succès  et  la  prospérité  de  ce  cher  établisse- 
ment. » 

A  l'Université  se  rattache  l'église  Saint-Joseph,  solen- 
nellement consacrée  en  novembre  i893.  La  mission  prê- 
chée,  durant  le  carême,  par  les  RR,  PP.  O'Heilly  et 


—  309  — 

Stanley,  de  la  Province  britannique,  a  contribué  à  amé- 
liorer sensiblement  l'état  spirituel  de  cette  paroisse. 

Le  grand  séminaire  d'Oltawa.  —  Deux  Pères  profes- 
seurs avec  le  R.  P.  Directeur  constituent  le  personnel  du 
grand  séminaire  d'Ottawa.  Depuis  le  dernier  Chapitre, 
le  grand  séminaire  a  eu  son  personnel  changé  trois  fois. 
Le  R.  P.  Langevin,  aujourd'hui  archevêque  de  Saint- 
Boniface,  cédait,  en  1894,  la  direction  du  séminaire  au 
R.  P.  Mangin.  De  graves  infirmités  obligèrent  ce  dernier 
à  quitter  son  poste  au  mois  de  septembre  1897.  Il  fut 
remplacé  par  le  R.  P.  Poli,  actuellement  en  charge. 

Le  directeur  se  trouve  seul  chargé  de  la  surveillance 
et  de  la  direction  morale  et  intellectuelle  des  sémina- 
ristes; il  partage,  avec  les  PP.  Froc  et  Lacoste,  les  fati- 
gues de  l'enseignement  des  sciences  sacrées. 

Voici  comment  les  travaux  sont  distribués  : 

Le  R.  P.  Poli,  professeur  de  théologie  morale  et  de 
droit  canon,  plus  le  cours  de  diaconale  et  de  pastorale  ; 

Le  R.  P.  Froc,  professeur  d'Écriture  sainte  ; 

Le  R.  P.  Lacoste,  professeur  de  théologie  dogma- 
tique, d'histoire  ecclésiastique,  d'éloquence  sacrée  et 
de  liturgie. 

Depuis  le  dernier  Chapitre,  54  séminaristes,  parmi 
lesquels  il  faut  compter  13  Frères  scolastiques,  ont  reçu 
l'éducation  ecclésiastique  au  séminaire  d'Ottawa. 

Le  cours  des  études  ecclésiastiques  est  complet  au 
grand  séminaire,  et  l'enseignement  y  est  donné  sérieu- 
sement. 

Le  cours  d'études  complet  est  de  quatre  années  en- 
tières. 

Les  cours  s'ouvrent  au  commencement  de  septembre 
et  se  ferment  à  la  fin  de  juin. 

Le  résultat  des  études  est  satisfaisant,  mais  on  serait 
en  droit  d'attendre  davantage.  Les  séminaristes  travail- 

T.    XXXVI.  21 


—  310  — 

lent;  mais  ce  qui  les  empêche  d'arriver  à  des  résultats 
plus  consolants  encore,  c'est  le  manque  de  philosophie; 
ils  nous  arrivent  des  collèges  du  bas  Canada  avec  des 
notions  de  philosophie  très  incomplètes,  ce  qui  leur 
rend  l'étude  de  la  théologie  très  difficile  ;  ils  ne  saisissent 
pas  toujours  la  portée  des  raisonnements  qu'on  livre  à 
leur  méditation.  Mais,  comme  le  travail  est  en  honneur 
au  grand  séminaire,  plusieurs  réussissent  à  surmonter 
cet  obstacle.  La  note  moyenne  a  été,  pour  les  derniers 
examens,  20  sur  25,  qui  est  la  note  maximum.  Cette 
note  est,  à  peu  près,  celle  des  années  dernières. 

Si  l'on  en  juge  par  l'état  actuel  du  séminaire,  l'esprit 
ecclésiatique  anime  chacun  des  membres  de  cette 
maison.  Tous  les  séminaristes  prennent  au  sérieux  leur 
formation  et  acceptent  avec  courage  toutes  les  rigueurs 
du  règlement  et  de  la  situation  qui  leur  a  été  faite  par 
le  dernier  incendie. 

Gomme  résultat  général,  le  grand  séminaire  d'Ottawa 
a  donné  aux  divers  diocèses  de  l'Amérique  du  Nord 
52  prêtres.  Tous  occupent  ou  ont  occupé  dans  ces 
diocèses  des  postes  honorables. 

Presque  tous  appartiennent  au  diocèse  d'Ottawa. 
Plusieurs  d'entre  eux  sont  venus  et  nous  viennent 
chaque  année  de  l'Université  d'Ottawa,  et  il  faut  le 
dire  à  l'honneur  de  cette  institution,  ce  sont  eux  qui 
ont  le  meilleur  esprit  et  une  formation  morale  et  intel- 
lectuelle plus  complète.  Le  nombre  des  séminaristes 
est  actuellement  de  18.  Nous  espérons  que  le  nombre 
ira  en  augmentant,  car  le  diocèse  d'Ottawa  voit  sa 
population  s'accroître  chaque  jour. 

Résidence  de  Betsiamits.  —  Les  PP.  Arnaud,  direc- 
teur, Babel,  Lemoine  et  Boyer,  qui  habitent  cette  rési- 
dence, desservent  les  postes  sauvages  échelonnés  le 
long  de  la   côte   nord   du  golfe  Saint-Laurent   depuis 


—  311  — 

Betsiamits  jusqu'au  Labrador.  Leur  ministère  parmi 
les  sauvages  montagnais,  qui  sont  à  peu  près  tous  de 
fervents  catholiques,  est  très  consolant.  Malheureuse- 
ment, le  bon  P.  Arnaud,  l'apôtre  et  le  père  de  ces 
pauvres  peuplades,  en  raison  de  son  âge  et  de  ses 
inflrmités,  ne  peut  presque  plus  voyager. 

Au  point  de  vue  matériel,  ces  Missions  sont  pauvres 
et  suffisent  à  peine  à  l'entretien  de  leurs  missionnaires. 

Résidence  du  lac  Saint-Jean.  —  Cette  résidence  n'a 
pas  beaucoup  sa  raison  d'être.  Depuis  nombre  d'années 
nous  y  avions  une  chapelle  sur  la  réserve  des  sauvages 
d'un  endroit  appelé  la  Pointe-Bleue.  Nos  missionnaires 
de  Betsiamits  y  allaient  chaque  année  donner  la  Mission 
comme  dans  les  autres  postes  de  la  côte  nord.  En  1887, 
nous  formâmes  le  projet  d'élever  en  cet  endroit,  à  côté 
de  la  chapelle  des  sauvages,  une  maison  dans  le  but 
d'y  installer  notre  jimiorat,  ce  qui  fut  fait.  Mais  nous 
avions  compté  sans  des  oppositions  sérieuses  qu'il  nous 
était  impossible  de  surmonter  et  devant  lesquelles  nous 
dûmes  battre  en  retraite.  Notre  juniorat  fut  définiti- 
vement fixé  à  Ottawa,  et  notre  maison  de  la  Pointe- 
Bleue  resta  inoccupée.  Nous  y  avons  cependant  laissé 
les  PP.  SiMONET  et  Barou,  qui  desservent  la  Mission  des 
sauvages,  ce  qui  pourrait  être  fait  aussi  bien  par  les 
missionnaires  de  Betsiamits,  comme  autrefois.  Comme 
moyens  de  subsistances,  ces  deux  Pères  exploitent  une 
cinquantaine  d'arpents  de  terre  en  culture  qui  entourent 
leur  maison.  Combien  de  temps  durera  cet  état  de 
choses  et  que  ferons-nous  de  cet  immeuble  quand  nous 
retirerons  nos  Pères  ?  c'est  ce  que  nous  ne  pouvons  pas 
dire  maintenant,  nous  n'avons  encore  rien  décidé  à  ce 
sujet. 

Résidence  de  la  baie  d'Hudson.  —  Cette  résidence  a 
été  fondée   en  1892,    uniquement  pour  les  sauvages. 


—  312  — 

Elle  est  située  à  820  milles  de  Montréal,  dans  un  pays 
presque  inaccessible,  puisqu'il  faut  faire  plus  de  400 
milles  en  canot  d'écorce  pour  y  arriver.  Aussi  cette  rési- 
dence n'a-t-elle  encore  jamais  été  visitée  par  le  Provin- 
cial. Nous  nous  proposons  de  faire  ce  voyage  au 
printemps  prochain.  Les  PP.  Fafard  et  Guinard  et 
les  FF.  Lapointe  et  Tremblay  composent  celte  petite 
communauté.  Les  dernières  nouvelles  que  nous  avons 
reçues  de  cette  Mission  sont  très  encourageantes.  Dans 
le  courant  de  l'année  dernière,  nos  Pères  ont  reçu 
13  abjurations  de  sauvages  protestants  et  baptisé  un  bon 
nombre  de  païens.  Grâce  à  nos  bons  FF.  Lapolnte  et 
Tremblay,  tous  les  postes  visités  par  nos  Pères  de  la 
baie  d'Hudson  sont  pourvus  de  chapelles  et  de  tout  ce 
qui  est  nécessaire  au  culte. 

Il  nous  faudrait  deux  ou  trois  nouveaux  mission- 
naires pour  les  sauvages  de  notre  province.  Plusieurs 
des  anciens  se  font  déjà  vieux  et  sont  accablés  d'infir- 
mités, il  faudra  songer  à  les  remplacer  bientôt.  Pour  le 
bien  des  sauvages,  et  pour  procurer  à  nos  missionnaires 
l'avantage  de  bien  apprendre  les  langues  des  peuplades 
qu'ils  évangélisent,  il  serait  nécessaire  de  fonder  un 
nouveau  centre  de  missions  sauvages  à  un  endroit 
appelé  le  Grand-Lac  qui  se  trouve  à  une  centaine  de 
milles  de  Maniwaki.  De  là  nos  missionnaires  pourraient 
rayonner  dans  toutes  nos  Missions  sauvages  qui  dépen- 
dent de  la  province  du  Canada,  sauf  les  missions  du 
lac  Saint-Jean  et  du  Golfe.  Espérons  que  nous  pourrons 
bientôt  réaliser  ce  projet. 

Rapport  de  la  province  des  Étals-Unis. 

La  Province  des  États-Unis  se  divise  en  deux  parties 
bien  distinctes  :  le  Nord  et  le  Sud.  La  partie  septen- 
trionale se  compose  des  Maisons  de  Buffalo,  Plattsburg, 


—  313  — 

rimmaculée-Gonception  (Lowell),  Saint -Joseph  (Lo- 
well),  Tewksbury  (noviciat)  et  de  la  résidence  du  Sacré- 
Cœur,  à  Lowell.  La  partie  sud  comprend  l'ancien  pro- 
vicariat du  Texas,  c'est-à-dire  les  Maisons  de  Browns- 
ville  et  San-Antonio,  avec  les  résidences  de  Roma, 
Eagle-Pass  et  Rio-Grande-City. 

Le  personnel  de  ces  divers  établissements  s'élève  à 
quarante-cinq  Pères,  dont  quatre  sont  plus  que  septua- 
génaires, et  dix-huit  Frères  convers.  Le  ministère  parois- 
sial, ou  celui  des  missions  mexicaines,  ne  favorise  pas 
toujours  la  pratique  complète  des  exercices  de  Règle; 
on  peut  néanmoins  affirmer  qu'en  général  les  Oblats 
des  Etats-Unis  s'efforcent  d'être  à  la  hauteur  de  leur 
vocation. 

Maison  de  Buffalo.  —  Cette  maison,  gouvernée  par  le 
R .  P.  Le  Voyer,  se  compose  de  dix  Pères  et  de  six  Frères 
convers.  Les  Pères  consacrent  leurs  soins  à  trois  œuvres 
importantes  :  la  paroisse  des  Saints-Anges,  le  juniorat 
et  le  collège-externat. 

Le  R.  P.  UuiNN,  aidé  des  PP.  Dorgan  et  Emery,  dirige 
la  paroisse  des  Saints-Anges,  qui  compte  environ 
3  000  âmes.  On  y  fait  en  moyenne  chaque  année  1 25  bap- 
têmes, 25  mariages  et  60  enterrements.  Nos  catholiques 
se  montrent  sincèrement  attachés  aux  Oblats.  Les  nom- 
breuses confréries  qui  groupent  les  diverses  classes  de 
paroissiens  ne  contribuent  pas  peu  à  maintenir  la  piété 
et  la  ferveur  parmi  eux. 

Le  junioral,  actuellement  confié  au  R.  P.  Pelletier 
(Joseph),  abrite  une  trentaine  de  jeunes  gens  de  langue 
anglaise  et  française.  Nous  verrions  bientôt  ce  nombre 
s'accroître  si  nos  ressources  étaient  plus  considérables  ; 
espérons  que  tous  les  Pères  de  la  province  auront  à 
cœur  de  donner  à  cette  œuvre  capitale  une  impulsion 
toujours  grandissante. 


—  314  — 

Quarante-cinq  élèves  appartenant  à  de  bonnes  familles 
catholiques  fréquentent  le  collège-externat.  La  pension 
assez  élevée  qu'ils  payent  régulièrement  est  d'un  puis- 
sant appoint  pour  le  juiiiorat.  Cependant,  il  faudra 
bientôt  songer  à  agrandir  cet  établissement  d'éducation 
encore  à  ses  débuts,  à  qui  tout  fait  présager  le  plus  bel 
avenir.  Les  RR.  PP.  Smith  (Terentius),  Gladu,  Mac- 
Grath  (Patrick),  Sloan  et  Daveluy  se  partagent  les 
diverses  matières  de  classe. 

Maison  de  Plattsburg.  —  Plattsburg,  charmante  loca- 
lité située  sur  les  bords  du  lac  Champlain,  possède  de- 
puis 1853  une  communauté  d'Oblats.  Nos  Pères  desser- 
vent la  paroisse  Saint-Pierre,  dont  la  population,  entiè- 
rement canadienne,  se  chiffre  à  5  000  habitants,  éparpil- 
lés çà  et  là  à  des  distances  de  2  à  6  milles.  Ils  ne  donnent 
peut-être  pas  toujours  à  leurs  prêtres  les  consolations 
que  ceux-ci  seraient  en  droit  d'attendre.  Le  R.  P.  Lavoie 
est  supérieur  et  curé  de  Plattsburg,  il  a  pour  coadju- 
teurs  les  RR.  PP.  Emard,  Petit  et  Féat,  incessamment 
attendu.  L'éducation  des  enfants  est  confiée  aux  Sœurs 
Grises  qui,  malheureusement,  n'ont  point  toute  la  faci- 
lité désirable  pour  l'instruction  religieuse,  car  leurs 
écoles  sont  rétribuées  par  le  gouvernement.  Impossible 
de  remédier  présentement  à  un  tel  inconvénient,  la  po- 
pulation étant  trop  pauvre  pour  bâtir  et  entretenir  à  ses 
frais  des  écoles  catholiques. 

Maison  de  V Immaculée-Conception  {Lowell).  —  Le  per- 
sonnel'de  cette  Maison  se  compose  des  RR.  PP.  Joyce, 
ToRTEL,  Fox,  Reynolds,  Schwind  et  Gigault.  La  paroisse 
qu'ils  desservent  compte  environ  3  000  âmes,  mais  ils 
consacrent  leur  ministère  à  un  bien  plus  grand  nombre 
de  personnes,  car  l'église  de  l'Immaculée-Gonception 
est  très  populaire  et  les  catholiques  de  Lowell  aiment  et 
estiment  les  Oblats.  Nos  Pères  sont  aussi  les  chapelains 


—  315  — 

des  Sœurs  de  Saint-Vincent  de  Paul,  confessent  et  assis- 
tent le  plus  grand  nombre  des  malades  de  leur  hôpital. 
Inutile  donc  de  songer  à  donner  habituellement  des  mis- 
sions, d'autant  que  les  PP.  Tortel  et  Fox,  âgés  et 
infirmes,  ne  peuvent  plus  se  dépenser  comme  jadis. 
Quel  dommage  que  nous  n'ayons  pas  de  missionnaires 
disponibles!  Partout  où  les  Oblats  ont  donné  des  mis- 
sions, le  succès  a  été  complet. 

Maison  Saint-Joseph  (Lowell).  —  La  population  cana- 
dienne française  de  Saint-Joseph  s'élève  à  20000  âmes  ; 
c'est  dire  le  travail  écrasant  auquel  se  livrent  nos  Pères. 
Disons  à  leur  louange  qu'ils  se  dévouent  sans  réserve, 
soit  au  ministère  des  confessions,  soit  à  la  visite  des 
malades  de  jour  et  de  nuit.  Le  service  aux  deux  églises 
Saint-Joseph  et  Saint-Jean-Baptiste  se  fait  très  bien  ; 
ces  églises  se  remplissent  tous  les  dimanches  à  chacune 
des  huit  messes  qui  s'y  célèbrent.  Dans  nos  écoles,  de 
2  300  à  2  700  enfants  reçoivent  le  bienfait  de  l'instruc- 
tion que  leur  donnent  dix-neuf  Frères  Maristes  et  vingt 
et  une  Sœurs  Grises. 

Résidence  du  Sacré-Cœur  (Lowell).  —  Le  R.  P.  Provin- 
cial est,  en  même  temps,  supérieur  local  et  curé  de  la 
paroisse  du  Sacré-Cœur,  située  à  l'extrémité  de  la  ville 
de  Lowell.  Là  aussi,  le  ministère  est  très  actif.  La  popu- 
lation, qui  atteint  3  000  âmes,  tend  sans  cesse  à  s'ac- 
croître, car  bon  nombre  de  familles,  aimant  le  calme  et 
la  tranquillité,  se  bâtissent  des  maisons  dans  ces  quar- 
tiers. Deux  fois  la  semaine,  et  même  plus  souvent,  un 
Père  visite  la  Maison  des  pauvres  [Poor  Farm),  sorte 
d'hospice  où  vivent  de  300  à  400  personnes.  Au  Sacré- 
Cœur  se  rattache  la  jolie  petite  église  de  Billerica,  con- 
fiée au  R.  P.  Paquette  (Alfred),  qui  prêche  actuellement 
à  ses  500  ouailles  une  mission  qui  paraît  devoir  pro- 
duire d'excellents  fruits. 


—  316  — 

La  Congrégation  possède,  à  Lowell,  les  églises  du 
Sacré-Cœur,  de  rimmaculée-Conception,de  Saint-Joseph 
et  de  Saint-Jean-Baptiste.  M»""  William's,  archevêque  de 
Boston,  nous  céderait  volontiers,  sur  notre  demande, 
l'église  de  Billerica. 

Maison  de  Tewksbwy.  —  Le  noviciat  de  Tewksbury  est 
situé  à  quelque  distance  de  Lowell,  dans  une  propriété 
de  75  acres  qui,  vendue  d'abord  10  000  dollars,  ne  nous 
en  a  coûté  que  2000.  La  maison  peut  contenir  70  per- 
sonnes. C'est  là  que  se  réunissent  les  Pères  de  la  pro- 
vince pour  la  retraite  annuelle.  Le  R.  P.  Campeau  (Té- 
lesphore),  maître  des  novices,  prend  bien  soin  de  sa 
petite  famille,  trop  petite,  hélas  !  puisqu'elle  ne  com- 
prend que  2  novices  scolastiques  et  une  douzaine  de 
Frères  convers. 

La  partie  méridionale  de  la  province  des  États  se 
compose,  nous  l'avons  dit,  de  nos  établissements  du 
Texas.  Toute  la  Congrégation  sait  combien  méritoire 
est  le  genre  de  ministère  exercé  dans  ces  contrées, 
presque  aussi  déshéritées  au  point  de  vue  spirituel 
qu'au  point  de  vue  temporel.  On  n'y  connaît  pas  le  con- 
fort américain  ;  il  faut  s'habituer,  dans  les  chevauchées 
à  travers  les  ranchos,  à  manger  peu,  à  boire  moins  en- 
core, sinon  une  tasse  de  café  noir,  à  coucher  sous  la 
lente  ou  à  la  belle  étoile. 

Maison  de  Brownsville.  —  Le  R.  P.  Maurel  a  succédé 
au  regretté  P.  Gaudet,  en  qualité  de  supérieur  de  cette 
communauté.  Les  catholiques  mexicains  atteignent,  à 
Brownsville,  le  chiffre  de  7  000.  Ils  sont  peu  fervents, 
la  pratique  des  sacrements  laisse  énormément  à  désirer  ; 
cependant,  personne  ne  voudrait  mourir  sans  prêtre. 
Nous  avons  établi,  dans  cette  ville,  un  collège  qui  compte 
déjà  une  centaine  d'élèves.  Pour  lutter  avantageuse- 
ment contre  les  écoles  publiques,  il  faudrait  de  l'argent  ; 


~.   317  ■- 

mais  comment  recueillir  des  ressources  dans  un  pays 
ruiné  par  une  sécheresse  de  sept  ans?  Le  R.  P.  Ghevrier 
est  le  directeur  de  ce  nouvel  établissement. 

Maison  de  San-Antonio.  —  San-Antonio  est  une  belle 
ville  de  55  000  habitants,  au  centre  de  laquelle  s'élève 
notre  église  de  Sainte-Marie.  Le  R.  P.  Smith  est  supérieur 
et  curé  de  la  paroisse,  comprenant  environ  \  500  ca- 
tholiques. Il  est  aidé  du  R.  P.  Parisot,  vétéran  du  Texas, 
et  du  R.  P.  A.  O'Callaghan.  Ce  qui  rehausse  surtout  les 
solennités  du  culte  à  Sainte-Marie,  c'est  la  chorale  admi- 
rablement exercée.  Nous  avions  acheté  un  terrain  pour 
y  bâtir  une  deuxième  église  ;  ce  projet  a  été  abandonné. 

Résidence  de  Roma.  —  Roma  est  un  simple  village  oti 
vivent  quelques  familles  catholiques.  Les  RR.  PP.  Clos 
et  PiAT  desservent,  depuis  de  longues  années,  les  ran- 
chos  avoisinants  ;  aussi  sont-ils  estimés  et  aimés  de  toute 
la  population  mexicaine  et  américaine.  Personne  ne 
voudrait  se  marier  sans  la  bénédiction  nuptiale  ;  on 
craindrait  de  contrister  les  Pères.  Le  P.  Clos,  malgré 
ses  soixante-douze  ans,  chevauche  encore  comme  un 
jeune  homme. 

Résidence  de  Eagle-Pass.  —  Après  avoir,  pendant  plus 
de  quarante  ans,  parcouru  les  ranchos  en  tous  sens,  le 
R.  P.  Olivier  dessert  la  petite  paroisse  d'Eagle-Pass.  Le 
R.  P.  RiEux  est  son  dévoué  et  fidèle  assistant.  La  popu- 
lation catholique,  moitié  américaine,  moitié  mexicaine, 
n'est  guère  fervente,  encore  moins  généreuse.  Malgré  sa 
santé  délicate,  le  R.P.  Bhulé  (Xavier),  attaché  à  la  rési- 
dence d'Eagle-Pass,  se  dévoue  entièrement  aux  Missions 
de  Braquette  et  de  Del-Rio,  dont  il  est  spécialement 
chargé.  Ce  dernier  poste,  sur  la  voie  ferrée,  paraît  devoir 
s'agrandir;  on  recueille  des  fonds  pour  la  construction 
d'une  église  et  d'une  modeste  résidence.  Le  R.  P.  Gha- 
TiLLON,  récemment  arrivé   à  Eagle-Pass,    sait   déjà   le 


—  3iS  — 

mexicain,  comme  du  reste  son  jeune  condisciple,  le 
R.  P.  Magnan  (Charles),  de  résidence  à  Brownsville,  et 
missionne  dans  les  ranchos. 

Résidence  de  Rio-Grande-City.  —  Ce  village,  qui  em- 
prunte son  nom  à  la  rivière  fameuse  sur  les  rives  de 
laquelle  il  est  assis,  n'a  de  beau  que  son  site.  Les 
RR.  PP.  Repiso  et  Brétault  évangélisent  avec  zèle  ces 
contrées  bien  misérables. 

En  terminant  ce  rapport,  qu'il  me  soit  permis  de  re- 
commander à  la  Congrégation  tout  entière  un  projet 
depuis  longtemps  caressé  :  la  fondation  d'un  établisse- 
ment d'Oblats  à  New-York.  Mais  il  faut,  pour  cela,  des 
ressources  et  des  ouvriers  évangéliques.  Demandons  au 
divin  Maître  et  à  notre  Immaculée  Mère  de  nous  venir 
en  aide. 

Rapport  de  la  province  du  Nord. 

FAITS   HISTORIQUES. 

A  la  suite  du  Chapitre  général  de  1893,  le  R.  P.  Rey 
étant  arrivé  au  terme  de  ses  fonctions  de  Provincial, 
une  nouvelle  administration  fut  donnée  à  la  province 
du  Nord,  ayant  pour  chef  le  R.  P.  Favier,  secondé  des 
RR.  PP.  Ret,  J.-B.  Lémius,  Brûlé  et  Berthelon,  consul- 
teurs. 

1.  Désirant  continuer,  autant  qu'il  était  en  notre 
pouvoir,  le  bien  accompli  sous  l'administration  précé- 
dente, notre  première  pensée  fut  de  ramener  en  France 
le  noviciat  qui  en  avait  été  expulsé  en  1880.  Plusieurs 
motifs  sérieux,  qu'il  n'est  pas  nécessaire  d'énumérer 
ici,  nous  y  engageaient.  L'horizon  politique  commen- 
çant à  s'éclaircir  dans  notre  patrie  et  la  situation  des 
communautés  religieuses  y  paraissant  moins  menacée, 
nous  ne  crûmes  pas  être  trop  téméraires  en  cherchant, 


-~  319    - 

sans  bruit,  à  réaliser  notre  dessein,  approuvé,  d'ailleurs, 
par  notre  T.  R.  P.  Général. 

La  maison  d'Angers,  située  dans  un  excellent  climat 
et  à  proximité  des  meilleurs  diocèses  d'oti  nous  viennent 
le  plus  grand  nombre  de  nos  vocations,  était  toute  dési- 
gnée depuis  longtemps  pour  cette  fondation.  Mais, 
comme  elle  n'était  pas  suffisante  pour  abriter  un  novi- 
ciat un  peu  nombreux  et  que  nous  tenions  à  y  conserver 
la  communauté  des  missionnaires,  force  nous  fut  de 
l'agrandir,  en  construisant  une  aile  de  bâtiment  qui 
pût  loger  au  moins  trente  novices  et  fournir  à  toute  la 
communauté  les  grandes  salles  dont  elle  avait  besoin. 

Le  24  août  1895,  la  veille  de  sa  fête,  le  T.  R.  P.  Soul- 
LiER  eut  la  joie  d'inaugurer  ce  nouveau  noviciat  par  une 
nombreuse  prise  d'habit,  et  j'ai,  moi-même,  le  plaisir  de 
constater,  en  ce  moment,  que  Dieu  a  daigné  bénir  cette 
œuvre  si  importante  et  si  chère. 

2.  En  jetant  les  fondements  de  ce  nouveau  noviciat, 
nous  favorisions,  sans  y  penser,  l'accomplissement  d'un 
autre  dessein  tout  providentiel.  Je  veux  parler  de  la  fon- 
dation de  la  province  d'Allemagne. 

L'idée  de  cette  province  avait  germé  d'elle-même,  on 
le  conçoit,  dans  l'esprit  de  nos  Pères  et  de  nos  Frères 
de  cette  nationalité,  lorsqu'ils  s'étaient  vus  si  nombreux. 
Ils  se  sentirent  bientôt  la  force  de  voler  de  leurs  propres 
ailes.  Ils  sollicitèrent  donc  et  obtinrent  du  chef  de  la 
famille  la  part  qui  leur  revenait  et  à  laquelle  ils  avaient 
droit.  Malgré  la  peine  que  nous  faisait  éprouver  la  sépa- 
ration, nous  fîmes  volontiers,  à  la  nouvelle  province, 
l'abandon  des  maisons  de  Saint-Ulrich,  de  Saint-Gerlach 
et  de  Saint-Charles  et  d'une  somme  importante  due  par 
cette  dernière.  Nous  aurions  voulu  faire  davantage  ; 
mais  nous  ne  l'aurions  pas  pu  sans  compromettre  nos 
œuvres  de  France  les  plus  essentielles  et  l'existence 


-    320  — 

même  de  la  province  mère.  Nous  n'avons  jamais  cessé, 
du  moins,  de  former  les  vœux  les  plus  sincères  pour  nos 
frères  d'Allemagne  et  c'est  avec  le  plus  grand  bonheur 
que  nous  avons  applaudi  à  leurs  premiers  succès. 

3.  La  fondation  de  la  province  d'Allemagne  nous  en- 
levait un  juniorat  florissant,  celui  de  Saint- Charles.  Mais 
la  Providence  nous  en  préparait  un  autre  à  Pontmain. 
Ce  juniorat,  on  s'en  souvient,  avait  été  fondé,  avant  le 
dernier  Chapitre  général,  par  le  R.  P.  J.-I3.  Lémius,  alors 
supérieur  de  cette  maison.  Il  avait  été  reconnu  comme 
institution  libre  d'études  secondaires.  Toutefois,  le 
nombre  des  élèves  était  forcément  restreint,  faute  d'un 
local  suffisant  pour  les  loger.  La  maison  de  Pontmain, 
en  effet,  était  petite  et  n'avait  pas  été  construite  en  vue 
d'un  juniorat.  Et  encore  devint-elle,  le  22  février  1895, 
la  proie  des  flammes. 

Heureusement  Notre-Dame  de  Pontmain  veillait  sur 
ses  enfants.  La  maison  incendiée  fut  bientôt  relevée  de 
ses  ruines.  Elle  fut  même  considérablement  agrandie 
grâce  à  une  généreuse  bienfaitrice  qui  voulut  bien,  à  la 
prière  du  R.  P.  Lémius,  adopter  le  juniorat.  Lorsqu'elle 
sera  achevée,  la  maison  de  Pontmain  pourra  contenir 
facilement  deux  cents  élèves  et  plus  de  cinquante  Pères 
ou  Frères  convers. 

Il  ne  surfît  pas,  à  la  vérité,  de  pouvoir  loger  deux  cents 
élèves.  Il  faut  avoir  les  re>sources  nécessaires  pour  les 
nourrir  et  nous  ne  les  avons  pas.  Mais  ce  juniorat  étant 
l'œuvre  de  Notre-Dame  de  l'Espérance,  nous  ne  pouvons 
craindre,  un  seul  instant,  pour  son  avenir. 

4.  La  province  du  Nord  possédait,  à  Jersey,  un  ju- 
niorat très  modeste  pour  les  vocations  tardives.  Il  avait 
été  créé  et  était  entretenu  par  le  regretté  P.  Michaux.  Le 
P.  Michaux,  hélas  1  nous  fut  ravi,  par  la  mort,  au  mois 
de  juillet  1895.  Son  fondateur  et  son  unique  soutien 


—  321  — 

disparaissant,  ce  juniorat  devait  aussi  disparaître.  Nous 
ne  crûmes  pas,  du  moins,  avantageux  de  le  continuer, 
et  la  maison  des  Limes,  à  Jersey,  où  il  était  installé, 
nous  devenant  à  charge  à  cause  des  rentes  dont  elle 
était  grevée,  nous  profitâmes  d'une  occasion  favorable 
pour  nous  en  défaire. 

5.  Plus  avantageuse  et  plus  désirable  nous  parut  la 
fondation  d'un  noviciat  en  Belgique.  D'une  part,  ce  pays 
si  catholique  semblait  nous  promettre  maintes  bonnes 
vocations  ;  et  si,  malgré  la  présence  et  les  efforts  de  nos 
Pères  de  Liège,  elles  ne  venaient  pas  nombreuses,  nous 
pouvions  craindre  qu'elles  ne  fussent  retenues  ou  dé- 
tournées par  la  difficulté  de  quitter  leur  pays  et  de  se 
transporter  à  l'extrémité  de  la  France.  D'autre  part, 
même  pour  quelques-unes  de  nos  vocations  françaises 
gênées  plus  ou  moins  par  la  loi  militaire,  nous  pouvions 
avoir  besoin  d'un  noviciat  à  l'étranger. 

Comment  songer  à  le  fonder  avec  des  ressources  limi- 
tées et  des  charges  déjà  bien  lourdes  ?  Ici,  encore,  il  fal- 
lait l'intervention  de  la  Providence.  Elle  se  manifesta 
visiblement  :  une  famille  riche  et  chrétienne,  la  famille 
Wégimont,  d'Anvers,  nous  offrit  la  jouissance  gratuite 
d'un  château  situé  sur  les  confins  des  provinces  de 
Namur  et  du  Luxembourg.  Fort  bien  adapté  aux  exi- 
gences d'une  communauté,  il  ne  présente  qu'un  incon- 
vénient, celui  de  se  trouver  extrêmement  isolé,  au  mi- 
lieu d'une  immense  forêt,  à  8  kilomètres  du  village  le 
plus  rapproché  et  à  14  kilomètres  de  la  station  du  che- 
min de  fer.  Cet  inconvénient  et  plusieurs  autres  résul- 
tant de  celui-ci  nous  auraient  fait  hésiter  et  attendre 
une  occasion  plus  favorable.  Mais  la  volonté  formelle  dii 
T.  R.  P.  SouLLTER  fit  cesser  toute  hésitation.  Avec  son 
concours,  le  noviciat  de  Saint-Joseph,  au  Bestin,  fut 
donc  fondé  et  inauguré  officiellement  le  26  juillet  1896. 


—  322  ~ 

6.  Les  juniorats  et  les  noviciats  n'ont  pas  seuls  attiré 
notre  attention.  Les  autres  œuvres  et,  particulièrement, 
celle  des  missions  et  retraites,  devaient  aussi  nous  préoc- 
cuper, >fous  allons  bientôt  parler  de  chacune  d'elles. 
Mais,  auparavant,  je  dois  dire  un  mot  de  ce  que  nous 
avons  fait  pour  la  formation  des  missionnaires. 

Ces  missionnaires  ne  nous  arrivent  et  ne  peuvent  pas 
nous  arriver  tout  formés  des  scolasticats.  Pour  les  for- 
mer, il  eût  été  bon  de  garder  nos  jeunes  Pères  pendant 
un  an...  deux  ans...  trois  ans  même,  dans  une  maison, 
et  de  les  appliquer  à  des  travaux  et  à  des  exercices  pré- 
paratoires. Mais  ce  projet  n'était  pas  pratiquement  réa- 
lisable, il  fallut  bien  s'en  convaincre,  par  suite  du  be- 
soin pressant  de  nos  différentes  maisons  et  du  petit 
nombre  de  sujets  qui  nous  arrivent.  Les  confier  uni- 
quement à  la  sollicitude  des  supérieurs  locaux  ne  pou- 
vait suffire.  Quel  parti  prendre? 

Le  problème  fut  résolu  d'une  façon  heureuse, croyons- 
nous,  par  le  T.  R.  P.  Général,  lorsqu'il  nous  invita  à 
réunir  nos  jeunes  Pères,  chaque  année,  pendant  deux 
mois  tout  au  moins,  dans  une  de  nos  maisons,  et  de  les 
confier  aux  soins  d'un  missionnaire  expérimenté  dont 
les  conseils  pratiques  leur  seraient  d'autant  plus  utiles 
que,  déjà,  ils  auraient  entrevu  les  difficultés  de  la  lutte. 

Cette  mesure  fut  adoptée  par  nous  avec  un  religieux 
empressement.  Mes  quatre  consulteurs  y  ayant  donné 
leur  pleine  adhésion,  nous  nous  efforçâmes  de  la  réaliser 
dans  la  mesure  du  possible,  sans  reculer  devant  la  dé- 
pense et  sans  écouter  les  critiques  dont  elle  était  l'objet. 
Ces  critiques  nous  auraient  prouvé,  s'il  en  eût  été  be- 
soin, que  l'œuvre  était  bonne  et  qu'il  fallait  la  pour- 
suivre. 

Aujourd'hui  l'épreuve  est  faite,  et  les  rapports  du 
R.  P.  luNGBLUTH,  publiés  dans  nos  annales,  sont  là,  pour 


—  323  — 

nous  dire  si  nous  nous  sommes  trompés.  Nous  ne  pré- 
tendons pas  avoir  atteint  la  perfection  ;  nous  croyons, 
au  contraire,  qu'il  est  permis  de  désirer  mieux  et  nous 
tâcherons  de  faire  mieux  dès  que  les  circonstances  le 
permettront.  En  attendant,  nous  exprimons  au  R.  P.  Iung- 
BLUTH  notre  bien  vive  reconnaissance  pour  le  service 
qu'il  nous  rend. 

LES   ŒUVRES. 

Après  cet  historique  des  faits  les  plus  saillants  de 
notre  administration,  pendant  ces  cinq  années,  je  passe 
à  la  revue  de  nos  différentes  œuvres. 

Missions  et  retraites. 

En  1893,  nous  n'avions,  dans  la  province  du  Nord, 
que  vingt-deux  Pères  employés  à  l'œuvre  des  missions 
en  France.  Ces  vingt-deux  Pères  étaient  répartis  entre 
six  maisons  :  celles  de  Limoges,  d'Angers,  de  Talence, 
d'Autun,  de  Saint-Andelain  et  de  Pontmain.  Onze  de  ces 
missionnaires  ont  été,  depuis,  mis  hors  de  combat  ou 
appelés  à  un  autre  ministère.  Seize  nouveaux  ouvriers 
sont  venus  les  remplacer.  Nous  comptons  donc  aujour- 
d'hui vingt-sept  missionnaires  auxquels  viennent,  de 
temps  en  temps,  s'adjoindre  trois  ou  quatre  autres 
Pères. 

Il  y  a  un  petit  progrès,  mais  c'est  infiniment  peu,  eu 
égard  aux  besoins  qui  se  font  sentir.  D'autant  que  ces 
missionnaires  ne  sont  pas  tous  de  première  valeur  :  plus 
de  la  moitié  ne  sont  qu'en  formation  et,  parmi  les 
autres,  il  en  est  dont  les  forces  commencent  à  s'user. 
Aussi  le  nombre  de  nos  maisons  de  missionnaires  n'a-t-il 
pu,  malgré  notre  ardent  désir,  être  augmenté. 

Quand,  après  avoir  fortifié,  comme  il  convient,  les 
maisons  qui  missionnent  actuellement,  pourrons-nous 


—  324   - 

en  ouvrir  d'autres  dans  des  diocèses  qui  nous  convien- 
draient parfaitement?  Quand  pourrons-nous  doter  la 
maison  de  Noire-Dame  de  Sion,  si  bien  située  pour 
l'œuvre  des  missions,  d'un  personnel  suffisant?  Depuis 
cinq  ans,  nous  appelons,  de  tous  nos  vœux,  cet  heureux 
moment  et  il  ne  vient  pas. 

Pour  prouver  que  nos  missionnaires  ont  bien  travaillé, 
pendant  la  période  qui  nous  occupe,  sans  m' arrêter  à 
rénumération  des  travaux  de  chaque  maison  en  parti- 
culier —  ce  qui  serait  inutile,  puisque  toutes,  à  peu  de 
choses  près,  ont  fourni  le  même  labeur  —  je  dirai  sim- 
plement qu'entre  eux  tous  ils  ont  prêché  : 

287  missions  proprement  dites,  la  plupart  de  trois  se- 
maines au  moins  et  à  deux  ou  trois  Pères  ; 

35  retours  de  missions  ; 

23  stations  de  carême  ou  d'avent  ; 

22  mois  de  Marie  ou  du  Sacré-Cœur  ; 

279  retraites  religieuses; 

63  retraites  de  séminaires  ou  collèges  ; 

139  retraites  de  pensionnats  ou  de  Congrégations  ; 

248  retraites  paroissiales  ; 

262  retraites  de  première  communion  ou  de  confir- 
mation ; 

317  triduums  d'adoration  ; 

20  retraites  pastorales  ; 

15  retraites  de  grands  séminaires  ; 

En  tout  1710  travaux,  sans  compter  les  sermons  dé- 
tachés. 

Dieu  en  soit  béni!  La  plupart  de  ces  travaux  ont 
obtenu  tout  le  succès  possible  dans  les  circonstances  où 
ils  ont  été  accomplis.  Un  bon  nombre  ont  eu  un  éclat 
inattendu.  Fort  peu  ont  échoué. 

Dans  leur  saint  ministère,  nos  missionnaires  se  con- 
formant généralement,  avec  un  religieux  respect,  à  nos 


—  325  — 

Règles,  à  nos  usages  et  à  nos  traditions.  Ils  le  sentent 
bien  :  c'est  ce  qui  fait  leur  force  et  leur  attire  les  béné- 
dictions de  Dieu.  Aussi  sont-ils  beaucoup  demandés  et 
appréciés  principalement  dans  les  campagnes  ;  et  si  le 
chiffre  des  travaux  qu'ils  ont  accomplis  est  considérable, 
non  moins  considérable  est  celui  des  travaux  qu'ils  ont 
dû  refuser  n'étant  pas  assez  nombreux. 

Les  paroisses. 

Après  les  missions,  l'œuvre  qui  occupe  un  plus  grand 
nombre  de  Pères,  dans  la  province  du  Nord,  est  celle  des 
paroisses. 

Nons  avons,  en  effet,  la  direction  des  paroisses  de 
Saint- Jean  d'Autunqui  compte  environ 8 000  habitants; 
Talence,  avec  une  population  qui  dépasse  actuellement 
10000;  Arcachon,  dont  la  population  est  de  4500  ;  Jersey, 
avec  ses  trois  missions  de  Saint-Thomas,  8  000;  de  Saint- 
Mathieu,  3  500;  de  Saint-Martin,  2  500;  enfin,  des  trois 
petites  paroisses  de  Saxon-Sion,  de  Pontmain  et  de 
Saint-Andelain  qui  comprennent  ensemble  2  200  habi- 
tants. C'est  donc  35  500  fidèles  environ  qui  sont  confiés 
à  notre  charge.  Ces  différentes  paroisses  ou  missions  oc- 
cupent vingt-trois  Pères  en  ce  moment. 

Des  trois  dernières,  je  n'ai  qu'un  mot  à  dire  :  celle  de 
Pontmain  demeure  excellente  au  point  de  vue  des  de- 
voirs religieux;  les  deux  autres,  Saxon  et  Saint-Ande- 
lain, sont  médiocres. 

Les  paroisses  de  Saint-Jean  d'Autuu,  de  Talence  et 
d'Arcachon  ne  sont  guère  ferventes  et  beaucoup  de  bre- 
bis, hélas!  errent  loin  du  bercail  et  de  la  houlette  du 
pasteur.  A  signaler,  cependant,  en  chacune  d'elles,  un 
bon  noyau  d'excellents  chrétiens,  des  œuvres  floris- 
santes dont  je  dirai  bientôt  quelques  mots,  un  petit  pro- 
grès qui  se  manifeste  par  une  assistance  nombreuse  aux 

T.   XXXV.  22 


—  326  — 

offices  des  dimanches  et  une  fréquentation  également 
plus  nombreuse  des  sacrements.  Fort  peu  de  mourants 
refusent  l'assistance  du  prêtre,  à  leurs  derniers  moments. 
Presque  tous  reçoivent,  par  lui,  la  grâce  suprême. 

A  Jersey,  nos  Pères  ont  la  consolation  de  voir  leurs 
églises,  au  nombre  de  six,  de  plus  en  plus  fréquentées. 
Saint-Thomas  et  Saint-Mathieu  voient  trois  cents  per- 
sonnes environ  faire  la  communion  hebdomadaire  et 
combien  d'autres  la  communion  mensuelle  ! 

Je  dois  dire  ici,  à  la  louange  de  nos  Pères  chargés  de 
ces  missions  ou  de  ces  paroisses,  qu'ils  ne  négligent  rien 
pour  instruire  et  convertir  leurs  ouailles.  Non  contents 
des  instructions  et  prédications  ordinaires,  ils  leur  pro- 
curent toujours  des  secours  particuliers  tels  que  :  re- 
traites pour  les  enfants  de  la  première  communion,  pour 
les  Enfants  de  Marie,  les  tertiaires,  les  mères  chré- 
tiennes, etc.;  stations  de  carême,  d'avent,  de  mois  de 
Marie;  missions  ou  jubilés. 

Autun  a  eu  une  mission  prêchée  par  les  RR.  PP.  Ré- 
demptoristes  ;  Arcachon,  par  des  Passionistes;  Saint- 
Mathieu  et  Saxon,  par  plusieurs  des  nôtres.  Talence, 
Saint-Andelain,  Saint-Thomas  et  Saint-Martin  auront 
bientôt  le  même  avantage. 

Le  plus  puissant  moyen  d'action  de  nos  Pères,  dans 
leurs  paroisses,  pour  opérer  le  bien,  sont  les  écoles 
libres.  Ils  travaillent  de  tout  leur  pouvoir  et  avec  succès 
à  les  multiplier.  Ainsi,  une  école  de  garçons  a  été  établie 
à  Saint-Jean  d'Autun  qui  n'en  avait  pas  ;  Talence  a  vu 
s'ouvrir  une  nouvelle  école  de  filles  dans  un  quartier 
éloigné  et  délaissé;  à  Arcachon,  l'école  libre  des  garçons, 
mal  située  à  l'une  des  extrémités  de  la  paroisse,  a  été 
transférée  au  centre  et  a  vu  aussitôt  le  nombre  de  ses 
élèves  augmenter  ;  à  Jersey,  trois  nouvelles  écoles  de 
campagne  ont  été  ouvertes.  Celle  de  Saint-Mathieu  a 


—  327  — 

passé  des  mains  inexpérimentées  de  nos  Frères  Gonvers 
à  celles  des  Frères  de  l'Instruction  chrétienne  de  Ploër- 
mel.  Il  en  sera  de  même,  bientôt,  de  celle  de  Saint- 
Martin. 

Les  dépenses  occasionnées  par  toutes  ces  écoles,  an- 
ciennes et  nouvelles,  se  sont  élevées,  depuis  cinq  ans,  au 
chiffre  de  280  000  francs  environ,  soit  pour  l'achat  des 
terrains  ou  pour  lesconstructions,  soit  pour  le  payement 
des  maîtres  et  des  maîtresses.  Mais  nos  Pères  sont  bien 
dédommagés  de  leurs  peines  et  de  leurs  sacrifices,  car 
ils  voient  leurs  écoles  fréquentées  par  plus  de  2600  en- 
fants, soit  une  augmentation  de  près  de  1  000  élèves, 
depuis  le  dernier  chapitre  général. 

La  charité  envers  les  pauvres  est  aussi  un  grand 
moyen  d'action  pour  les  prêtres  de  paroisses.  Nos  Pères 
ne  la  négligent  pas.  Les  pauvres  sont  leurs  enfants  et 
Dieu  sait  s'ils  sont  nombreux  partout.  Les  pauvres  ont 
recours  à  eux  avec  confiance,  sachant  bien  qu'ils  ne  se- 
ront point  abandonnés  dans  leur  détresse  et  oblien: 
dront  :  qui  du  pain  pour  se  nourrir,  qui  des  habits  pour 
se  vêtir,  qui  un  peu  de  bois  ou  de  houille  pour  se  chauf- 
fer, qui  enfin  quelques  écus  pour  payer  un  loyer. 

Aidés  eux-mêmes  par  des  personnes  charitables,  par 
des  bazars  ou  des  ventes  de  charité,  par  le  tronc  de 
Saint- Antoine,  nos  Pères  ont  pu  verser,  dans  le  sein  des 
pauvres,  des  sommes  qu'il  ne  serait  pas  facile  d'évaluer 
exactement,  mais  qui  ne  sont  certainement  pas  infé- 
rieures à  80000  francs. 

Les  associations  ou  congrégations  sont  l'âme  et  la 
vie  des  paroisses.  C'est  pourquoi  nos  Pères  ont  main- 
tenu ou  établi  partout  des  patronages,  des  cercles,  des 
congrégations.  C'est  la  portion  de  leur  troupeau  qui, 
avec  les  écoles,  leur  donne  le  plus  de  consolation. 
Enfin,  n'oublions  pas  les  œuvres  delà  Propagation  de 


—  328  — 

la  Foi  et  de  la  Sainte-Enfance.  Les  sommes  recueillies 
pour  ces  œuvres  nous  donnent  un  bon  rang  parmi  les 
paroisses  des  diocèses  où  nous  sommes  établis. 

Les  pèlerinages. 

La  province  du  Nord  a  l'honneur  de  desservir  cinq 
pèlerinages  :  ceux  de  Notre-Dame  de  Sion,  de  Notre- 
Dame  de  Talence,  de  Notre-Dame  d'Arcachon,  de  Notre- 
Dame  de  Pontmain  et  du  Sacré-Cœur  à  Montmartre. 

{"Les  trois  premiers  sont  restés  ce  qu'ils  étaient  depuis 
longtemps,  ne  comportant  guère  de  plus  grands  déve- 
loppements :  celui  de  Sion,  fréquenté  par  des  groupes 
de  pèlerins,  pendant  tout  le  cours  de  la  belle  saison,  et 
par  des  foules  assez  considérables  s'élevant  à  plusieurs 
milliers  de  personnes,  à  certains  jours  de  fêtes,  princi- 
palement pendant  l'octave  de  la  Nativité  de  la  Très  Sainte 
Vierge;  celui  de  Talence,  fréquenté  par  les  paroisses 
et  les  confréries  de  la  ville  de  Bordeaux,  plus  particuliè- 
rement dans  le  courant  du  mois  de  mai;  celui  d'Arca- 
chon, fort  peu  visité,  si  ce  n'est  par  les  pieux  fidèles  de 
la  paroisse,  en  dehors  de  la  fête  du  25  mars,  jour  où  les 
populations  environnantes  ont  l'habitude  de  se  trans- 
porter aux  pieds  de  la  Vierge  miraculeuse. 

L'année  présente  va  voir  le  25^  anniversaire  du  cou- 
ronnement de  Notre-Dame  de  Sion  et  de  Notre-Dame 
d'Arcachon.  Bientôt,  nous  l'espérons,  Notre  Dame  de 
Talence  aura,  elle  aussi,  les  honneurs  du  couronnement 
que  le  Saint-Siège  lui  a  accordés,  à  la  demande  du  dé- 
funt P.  Berthelon  et  de  S.  Ém.  le  cardinal  Lécot. 

2°  Noire-Dame  de  Pontmain  a  reçu,  pendant  une  pé- 
riode de  quatre  années,  1894-18^7,  456  pèlerinages, 
comprenant,  dans  leur  ensemble,  plus  de  200  UÛU  per- 
sonnes. Il  a  été  distribué  environ  71)000  communions. 

Deux  Pères  seulement,  en  l'absence  des  missionnaires, 


—  329  — 

ont  été  attachés  au  service  du  sanctuaire  et  ont  dû  suf- 
fire à  une  tâche  souvent  accablante.  Ce  sont  les  RR.  PP. 
Rey  et  Baugé.  Le  R.  P.  Rey  s'est  dépensé,  sans  mesure, 
pour  la  gloire  de  Notre-Dame  dePontmain.  Grâce  à  son 
zèle  et  à  son  activité,  des  améliorations  très  heureuses, 
au  point  de  vue  matériel,  ont  été  réalisées  :  le  champ 
de  l'apparition  a  été  nivelé  et  entouré  de  murs,  les  deux 
magnifiques  tours  de  la  basilique  ont  été  achevées,  un 
carillon  superbe  vient  d'y  être  installé,  plusieurs  autels 
très  riches  ont  été  placés  dans  les  chapelles  laté- 
rales, etc.,  etc. 

Au  point  de  vue  spirituel,  l'Archiconfrérie  a  été  enri- 
chie d'indulgences;  et,  changeant  de  nom  pour  ne  pas 
être  confondue  avec  une  autre  déjà  existante,  elle  va 
prendre  celui  de  Notre-Dame  de  la  Prière. 

3°  Notre  pèlerinage  le  plus  célèbre  et  le  plus  florissant 
est,  sans  contredit,  celui  du  Sacré-Cœur,  à  Montmartre. 
Non  seulement  la  plupart  des  paroisses  et  des  œuvres  ca- 
tholiques de  Paris  vont,  chaque  année,  y  porter  leurs 
vœux,  mais  bon  nombre  de  diocèses  de  la  province, 
voire  même  de  l'étranger,  commencent  à  suivre  l'exem- 
ple de  la  capitale. 

L'Archiconfrérie  du  Sacré-Cœur,  à  ses  trois  degrés,  et 
l'Archiconfrérie  de  Pénitence  ont  reçu  de  nombreuses 
indulgences  et  ont  été  étendues  par  S.  S.  Léon  XIII, 
pour  les  affiliations,  à  l'Église  universelle. 

L'œuvre  de  l'adoration  a  pris  un  grand  essor  :  plus  de 
3  000  dames  adoratrices  viennent,  chaque  mois,  à  tour 
de  rôle,  faire  leur  heure  de  garde,  pendant  le  jour,  au 
pied  du  Saint-Sacrement  ;  le  chiffre  des  hommes  qui 
sont  venus  remplir  le  mên:ie  devoir,  pendant  la  nuit,  a 
dépassé  19  000,  pour  l'année  écoulée;  l'adoration  en 
union  avec  Montmartre,  répandue  dans  le  monde  en- 
tier, comprend  actuellement  plus  de  7  000  églises. 


-    330  — 

Une  œuvre  nouvelle,  celle  des  -pauvres,  a  été  ajoutée 
aux  anciennes  en  1894.  Environ  2  000  pauvres,  depuis 
lors,  sont  venus  deux  fois  par  semaine,  le  dimanche  et 
le  jeudi,  recevoir,  avec  le  pain  matériel,  celui  de  la  pa- 
role divine  qui  en  a  converti  un  certain  nombre.  Il  leur 
a  été  distribué  plus  de  800  000  livres  de  pain.  Beaucoup 
reçoivent  aussi  l'assistance  médicale  dont  ils  ont  besoin, 
de  la  part  d'un  médecin  et  d'une  Sœur  de  l'Espérance. 
D'autres  sont  placés  ou  rapatriés.  Un  essai  d'imprimerie 
pour  l'assistance  par  le  travail  a  été  tenté,  avec  d'autant 
plus  de  chances  de  succès  qu'une  généreuse  dame  a  fait, 
à  cette  intention,  un  don  de  120  000  francs. 

En  plus  de  la  direction  de  toutes  ces  œuvres  et  de  la 
réception  des  pèlerinages,  nos  Pères  de  Montmartre  ont 
aussi  le  labeur  de  la  prédication  et  du  confessionnal. 
Plus  de  100  000  fidèles  viennent,  chaque  année,  commu- 
nier dans  le  sanctuaire  du  Vœu  National  et  bon  nombre 
s'y  confesser.  On  conçoit,  dès  lors,  le  travail  écrasant 
qui  incombe  aux  chapelains.  Aussi,  a-t-il  fallu  les  aug- 
menter. Ils  sont  treize  aujourd'hui.  Par  un  nouveau  con- 
trat, plus  avantageux  que  l'ancien  et  offrant  plus  de 
garantie  pour  l'avenir,  S.  Ém.  le  cardinal  Richard,  ar- 
chevêque de  Paris,  a  porté  à  dix  le  nombre  des  chape- 
lains rétribués  par  l'œuvre,  et  ce  nombre  pourra  être 
augmenté. 

L'œuvre  matérielle  du  Vœu  National  avance  toujours, 
lentement  il  est  vrai,  mais  progressivement.  Le  grand 
dôme  est  sur  le  point  d'être  achevé.  Chaque  année,  les 
offrandes  s'élèvent  à  1  million  de  francs  et  la  plus  grande 
partie  de  ces  offrandes  arrivent  par  l'intermédiaire  de 
nos  Pères. 

Somme  toute,  conclurons-nous,  avec  le  Pi.  P.  J.-B. 
Lemius,  qui  la  dirige  depuis  cinq  ans^  l'œuvre  de  Mont- 
martre est  aujourd'hui  la  grande  œuvre  de  Paris  et  elle 


—  331  — 

rayonne  non  seulement  dans  toute  la  France,  mais  dans 
l'univers  entier.  Elle  fait  grand  honneur  à  notre  Congré- 
gation. 

A  côté  des  Oblats  de  Marie,  les  Sœurs  de  la  Sainte- 
Famille  devaient  avoir  leur  place  sur  le  mont  des  Mar- 
tyrs, près  de  la  basilique  du  Sacré-Cœur.  Elles  y  sont 
installées  depuis  quelques  années.  Nos  Pères  trouvent 
en  elles  de  précieux  et  dévoués  auxiliaires,  pour  la  tenue 
de  la  sacristie  et  pour  l'Œuvre  des  Dames  adoratrices.  En 
retour,  ils  leur  prêtent  leur  concours  pour  la  direction 
spirituelle  des  œuvres  qu'elles  ont  fondées  elles-mêmes  : 
orphelinat,  congrégation,  etc.,  etc. 

Juniorats  et  noviciats. 

Il  a  été  déjà  question  de  ces  œuvres  diins  la  partie 
historique  de  ce  rapport.  Nous  en  avons  vu  le  dévelop- 
pement. Il  ne  nous  reste  plus  qu'à  en  constater  les  ré- 
sultats. 

i°  Je  ne  parlerai  pas  du  juniorat  de  Saint-Charles. 
Nous  ne  Tavons  conservé  que  pendant  deux  ans.  Il  était 
dans  son  état  le  plus  florissant  lorsque  nous  l'avons 
remis  à  la  province  d'Allemagne.  Très  certainement  il 
n'aura  pas  baissé  depuis. 

Le  juniorat  de  Pontmain  n'a  compté  jusqu'ici  que  les 
classes  de  cinquième,  sixième,  septième  avec  trois  pro- 
fesseurs. Le  nombre  des  élèves  a  été,  en  moyenne, 
chaque  année,  de  quarante.  Soixante  sont  allés  à  Notre- 
Dame  de  Sion. 

Les  éludes,  à  Pontmain,  sont  un  peu  faibles  ;  mais 
grâce  aux  étions  du  R.  P.  Rey  et  des  Pères  qui  le  secon- 
dent, les  enfants  y  ont  très  bon  esprit.  Ils  nous  viennent 
pour  la  plupart  des  familles  chrétiennes  de  la  Bretagne. 

Voici  les  notes  intéressantesqui  m'ont  été  adressées  sur 
le  juniorat  de  Sion,  par  le  R.  P.  Falher,  professeur  de 


—  332  — 

rhétorique,  à  la  demande  du  R.  P.  Brûlé  :  «Le  nombre 
moyen  de  nos  junioristes ,  pendant  les  quatre  der- 
nières années,  i894-1897  inclusivement,  a  été  de  70  ; 
33  élèves  sont  entrés  au  noviciat,  dont  31  ont  persévéré 
et  se  trouvent  aujourd'hui  dans  nos  scolasticats. 

Nous  n'avons  que  des  éloges  à  faire  de  l'excellent 
esprit  qui  anime  les  enfants  et  qui  va  s'améliorant 
d'année  en  année  :  piété,  travail,  obéissance,  affection 
pour  les  Pères  et  pour  la  Congrégation,  il  serait  diffi- 
cile de  demander  plus  et  d'obtenir  mieux. 

«  Le  juniorat  embrasse  tout  le  cours  des  études  litté- 
raires classiques  en  six  classes,  de  la  sixième  à  la  rhéto- 
rique. A  partir  de  la  quatrième  inclusivement  et  dans 
toutes  les  classes  supérieures,  des  professeurs  spéciaux 
enseignent  les  mathématiques  et  les  langues  anglaise  et 
allemande.  Cela  donne  un  ensemble  de  six  classes  de 
lettres  proprement  dites  et  de  deux  cours  de  sciences 
avec  huit  professeurs.  Chacun  des  Pères  professeurs  de 
lettres  fait  le  cours  d'histoire  de  sa  classe. 

(f  Les  programmes  que  nous  suivons  sont  ceux  qui 
sont  adoptés  dans  toutes  les  maisons  d'enseignement 
universitaires  ou  libres.  La  base  en  est  le  programme 
du  baccalauréat,  avec  les  adaptations  nécessitées  par 
notre  vocation  spéciale, 

<f  Les  méthodes  auxquelles  nous  tendons  sont  celles 
des  Pères  Jésuites,  telles  que  \q  ratio  sludiorum  et  notre 
petit  directoire  les  recommandent.  Déjà  elles  nous  don- 
nent des  résultats  très  satisfaisants.  Outre  que  quelques- 
uns  de  nos  enfants,  quatre  dans  ces  dernières  années, 
sont  arrivés,  haut  la  main,  et,  même  trois,  avec  des 
mentions  honorables,  au  grade  de  bachelier,  la  note 
moyenne  de  nos  examens  semestriels,  oii  l'on  se  montre 
plutôt  sévère,  est  de  celles  que  l'on  ne  dépasse  guère 
duns  les  maisons  d'éducation  cathohque.  Presque  tous 


—  333  — 

les  ans,  nous  remportons  des  succès  au  concours  de 
V Alliance,  entre  les  différentes  maisons  d'éducation 
libres.  » 

2°  Nos  différents  noviciats  de  Saint-Gerlach,  d'Angers 
et  du  Destin  ont  toujours  été  animés  d'un  excellent  esprit 
et  les  novices  n'ont  manqué  d'aucun  moyen  propre  à 
assurer  leur  formation.  Celui  de  Notre-Dame  de  Sion, 
pour  les  Frères  convers,  se  trouve  dans  des  conditions 
moins  favorables  à  cette  formation.  Cependant,  elles 
tendent  à  s'améliorer  de  plus  en  plus. 

Quelques  chiffres  indiqueront  suffisamment  les  résul- 
tats que  nous  avons  obtenus  en  ce  qui  concerne  le  recru- 
tement des  sujets.  En  mai  1893,  nous  avions,  dans  nos 
noviciats,  un  prêtre,  quarante-deux  scolastiques,  quinze 
Frères  convers.  Depuis  cette  époque  jusqu'à  la  fin  d'a- 
vril 1898,  nous  avons  donné  l'habit  à  10  prêtres,  174  sco- 
lastiques et  77  Frères  convers,  ce  qui  fait,  en  tout,  319  su- 
jets. De  ce  nombre,  2  prêtres,  20  scolastiques,  21  Frères 
convers  n'ont  pas  persévéré.  Nous  avons  reçu  l'oblation 
de  7  pi  êtres,  lti5  scolastiques  et  53  Frères  convers.  Il 
reste,  en  ce  moment,  dans  nos  noviciats,  deux  prêtres, 
vingt-neuf  scolastiques  et  onze  Frères  couvers. 

Personnel. 

La  province  du  Nord  possède  aujourd'hui  quatre-vingt- 
seize  Pères,  dont  dix,  pour  divers  motifs,  ne  sont  plus  en 
état  d'exercer  aucun  ministère.  Six  d'entre  eux  ont  passé 
l'âge  de  soixante-dix  ans;  dix,  celui  de  soixante;  trente 
sont  âgés  de  quarante  à  soixante  ans;  les  autres  n'ont 
que  de  vingt-cinq  à  quarante  ans. 

Nous  avons  aussi  trente-six  Frères  convers  ayant  fait 
leurs  vœux  perpétuels  et  vingt-sept  leurs  veux  tempo- 
raires seulement. 

Que  dire  de  l'esprit  religieux  de  nos  sujets?  La  grande 


—  334  — 

majorité  de  nos  Pères  et  de  nos  Frères,  sans  être  parfaits, 
ont  droit  à  nos  éloges  ;  la  plupart  aiment  sincèrement 
Dieu,  l'Église  et  la  Congrégation  ;  volontiers  ils  se  dé- 
vouent pour  les  intérêts  et  la  gloire  de  ce  Dieu,  de  cette 
Église,  de  cette  Congrégation  ;  ilsacceptent  bien  les  obé- 
diences et  les  travaux  qui  leur  sont  confiés.  Aussi  nos 
communautés  sont-elles  estimées  des  évêques  et  du 
clergé. 

Malheureusement,  la  situation  de  la  plupart  de  nos 
maisons  ne  favorise  guère  la  vie  régulière  de  commu- 
nauté, par  suite  du  petit  nombre  de  sujets  qui  les  com- 
pose et  du  ministère  qui  les  absorbe. 

Mais  il  serait  injuste  de  considérer  ces  manquements 
comme  voulus.  Je  l'ai  déjà  dit  et  je  le  répète  :  ils  ne  for- 
ment, heureusement,  que  des  exceptions  et  ne  doivent 
pas  faire  oublier  l'éloge  que  j'ai  cru  pouvoir  faire  de  nos 
religieux  et  de  nos  communautés.  Pour  connaître  ce 
qu'ils  valent  et  ce  qu'ils  méritent,  il  n'y  a  qu'à  consi- 
dérer leurs  œuvres.  Ce  sont  leurs  œuvres  telles  que  je 
les  ai  exposées,  avec  impartialité,  qui  font  leur  éloge. 

La  conclusion  à  tirer  est,  ce  me  semble,  celle-ci  :  il 
est  urgent,  pour  la  province  du  Nord,  de  recevoir,  chaque 
année,  d'ici  au  prochain  Chapitre  général,  des  sujets  qui 
lui  permettent  de  renforcer  la  plupart  de  ses  maisons  et 
de  ses  œuvres  ;  des  sujets  qui  soient  capables  de  prendre 
la  direction  de  ces  maisons  et  de  ces  œuvres,  lorsque 
ceux  qui  les  ont  en  main  actuellement  viendront  à  man- 
quer, et  il  est  à  prévoir,  hélas,  que,  dans  un  avenir 
prochain,  ce  malheur  nous  arrivera;  des  sujets  enfin  qui 
permettent  bientôt  la  fondation  de  quelques  nouvelles 
maisons  de  missionnaires.  Ce  serait  dans  l'intérêt  non 
seulement  de  la  province,  mais  encore  de  toute  la  Con- 
grégation et  des  Missions  étrangères  elles-mêmes. 


—  335  — 

Rapport  de  la  province  britannique. 

Depuis  le  dernier  chapitre,  la  province  britannique  a 
fait  plusieurs  fondations  :  Holy-Head  et  Colwyn-Bay  en 
Angleterre  .  Freemantle  et  Glendalongh  dans  l'Australie 
occidentale.  Durant  cette  période,  quatre  Pères  et  quatre 
Frères  convers  nous  ont  quittés  pour  un  monde  meil- 
leur :  les  RR.  PP.  Daly,  King,  O'Dwyer  (Morgan)  et 
O'DwYER  (Bryan),  les  FF.  Judge,  Curran,  Murphy  et 
CoLEMAN.  Notre  personnel  se  compose  actuellement  de 
quarante-huit  Pères,  deux  Frères  scolastiques  à  vœux 
perpétuels,  six  Frères  scolastiques  à  vœux  temporaires 
et  quarante  et  un  Frères  convers. 

Trois  de  nos  Pères  sont  plus  que  septuagénaires,  six 
ont  dépassé  la  soixantaine  ;  douze,  un  demi-siècle;  neuf 
ont  quarante  ans  et  plus,  cinq  n'ont  pas  encore  trente 
ans. Le  R.  P.  Arnoux,  notre  doyen,  se  sanctifie  dans  la  re- 
traite, au  noviciat  de  Belmont;  un  autre  Père  n'est  plus 
capable  d'aucun  travail.  Nous  comptons  cinq  mission- 
naires ;  l'enseignement  et  les  pénitenciers  occupent  une 
dizaine  de  Pères,  tous  les  autres  exercent  le  saint  minis- 
tère dans  nos  diverses  maisons. 

Il  existe,  sans  doute,  certaines  lacunes  dans  l'obser- 
vance des  règles  et  des  pratiques  religieuses,  mais  elles 
doivent  être  attribuées,  en  majeure  partie,  au  nombre 
restreint  des  sujets  et  aux  multiples  travaux  qui  leur  in- 
combent. On  se  montre  généralement  fidèle  aux  exer- 
cices journaliers  et  à  la  retraite  mensuelle.  Chaque  an- 
née, tous  les  Pères  se  réunissent  à  Inchicore  pour  la 
grande  retraite.  En  Angleterre,  les  Pères  assistent  aux 
conférences  théologiques  diocésaines  à  Inchicore,  Phi- 
lipstown  et  Glencree  ;  ces  couférences  se  tiennent  à  épo- 
ques fixes.  Nous  ne  saurions  parler  en  termes  trop  élo- 


—  336  — 

gieux  de  rattachement  de  nos  sujetsponr  la  Congrégation 
et  de  leur  amour  pour  leur  sainte  vocation.  Les  résultats 
consolants  que  nos  ouvriers  apostoliques  obtiennent  par 
leurs  travaux  leur  ont  gagné  l'estime  et  l'affection  des 
évêques,  du  clergé  et  des  fidèles. 

Maison  d'Inchicore.  —  Inchicore  reste  toujours  la  mai- 
son apostolique  de  la  province.  Pendant  que  trois  Pères 
desservent  l'église,  les  six  autres  sont  constamment  sur 
la  brèche  ;  depuis  1893,  ils  ont  prêché  120  grandes  mis- 
sions ou  retraites,  dans  le  Royaume-Uni,  au  sud  de 
l'Afrique,  à  Colombo,  en  Australie  et  dans  le  nouveau 
monde.  Je  saisis  cette  occasion  pour  remercier  les  Oblats 
de  ces  contrées  diverses  de  l'accueil  si  fraternel  qu'ils 
ont  fait  aux  missionnaires  d'Inchicore  et  leur  ont  laissé 
une  douce  impression,  qui  ne  pourra  contribuer  qu'à 
resserrer  davantage  les  liens  qui  nous  unissent. 

Diverses  confréries  sont  érigées  dans  notre  église  d'In- 
chicore. L'abside  de  cette  église  est  complètement  achevée 
et  payée,  les  décorations  intérieures  sont  à  peu  près  ter- 
minées ;  nous  espérons  que,  pour  la  fête  de  l'Immaculée 
Conception,  cette  œuvre  aura  reçu  son  couronnement. 

Maison  de  Lwerpool.  —  La  population  catholique  de 
la  paroisse  de  Holy-Cross,  desservie  par  les  Oblats,  s'élève 
à  4000  âmes.  Les  quatre  Pères  qui  leur  consacrent  tout 
leur  temps  ont  distribué  2  000  communions  en  moyenne 
chaque  année.  Les  cinq  confréries  qui  groupent  les  dif- 
férentes classes  de  paroissiens  sont  très  florissantes;  en- 
viron 850  enfants  fréquentent  les  écoles  paroissiales. 

Maison  de  Rock-Ferry.  —  Outre  la  paroisse  Sainte- 
Anne  (2  500  âmes),  que  desservent  les  quatre  Pères  atta- 
chés à  cette  communauté,  diverses  œuvres  leur  sont 
confiées,  le  noviciat  et  le  couvent  des  Sœurs  de  la  Sainte- 
Famille,  le  Refuge  S  linte-Marguerite,  qui  compte  lo  re- 
ligieuses et  63  pénitentes,  le  pénitencier  sur  le  bateau  le 


—  337  — 

Clarence,  comprenant  270  détenus  et  450  élèves.  L'Apos- 
tolat de  la  Prière  compte,  à  Rock-Ferry,  400  membres, 
l'Association  de  la  Sainte-Famille,  1.^0. 

Maison  de  Leeds.  — En  1893,  la  paroisse  de  Sainte- 
Marie  de  Leeds  comptait  3  400  catholiques,  aujourd'hui 
elle  en  compte  6  500.  Cinq  de  nos  Pères  prennent  soin 
de  ce  nombreux  troupeau  ;  ils  sont,  de  plus,  aumôniers 
du  couvent  des  Sœurs  de  l'Immaculée-Gonception,  de  la 
Sainte-Famille  et  de  plusieurs  autres  pensionnats.  Le 
chiffre  des  communions  pascales,  à  Sainte-Marie,  s'élève 
à  3  420.  Près  de  1250  enfants  sont  élevés  dans  les  écoles 
paroissiales.  Les  cinq  confréries  existantes  sont  aussi  très 
prospères,  surtout  la  Confrérie  de  l'Immaculée-Goncep- 
tion, qui  compte  304  membres. 

Maison  de  Sicklinghall.  —  Cette  petite  communauté 
ne  se  compose  plus  que  d'un  Père,  chargé  des  deux 
églises  de  Sicklinghall  et  de  Welherley,  et  de  deux  Frères 
convers.  Il  y  a  environ  2i0  catholiques. 

Maison  de  Leitli.  —  Outre  les  4  500  fidèles  de  la  pa- 
roisse de  Stella-Mans,  nos  trois  Pères  de  Leith  desservent 
dans  la  ville  plusieurs  hôpitaux  et  le  couvent  de  laSainLe- 
Famille.  Là  aussi,  les  écoles  catholiques  sont  bien  fré- 
quentées, 730  enfants  reçoivent  les  bienfaits  d'une  édu- 
cation chrétienne.  La  ferveur  se  maintient  par  les 
confréries;  la  Ligue  de  la  Croix  est  la  plus  florissante; 
mentionnons  aussi  la  Société  pour  les  jeunes  gens,  qui 
en  compte  215  d'inscrits  sur  ses  registres. 

Maison  de  Towei'-Hili.  —  Les  catholiques  n'ont  pas 
augmenté  en  nombre  dans  le  district  de  Londres  confié 
aux  Oblals  ;  ils  ne  sont  guère  que  2  800.  Trois  Pères  com- 
posent la  communauté  ;  en  189H,  ils  ont  distribué  à  leurs 
ouailles,  durant  le  temps  pascal,  I4tj3  communions.  La 
confrérie  de  la  Sainte-Famille,  élabUe  dans  noire  église, 
se  divise  en  deux  branches  :  celle  des  hommes  compte 


—  338  — 

475  membres  et  celle  des  femmes  210.  Environ  850  en- 
fants fréquentent  nos  écoles,  aussi  deviennent-elles  in- 
suffisantes. De  nouveaux  bâtiments  s'imposent  ;  nous 
avons  recueilli  les  fonds  nécessaires  pour  l'achat  du  ter- 
rain, il  nous  reste  à  trouver  une  somme  équivalente  pour 
subvenir  aux  frais  de  construction. 

Maison  de  Kllburn.  —  Depuis  que  le  juniorat  de  la 
province  britannique  a  été  transféré  à  Belcamp,  nos  Pères 
de  Kilburn,  au  nombre  de  trois,  ne  s'occupent  plus  que 
de  la  paroisse,  qui  compte  environ  1700  catholiques. 
Cette  année,  le  chiffre  des  communions  pascales  s'est 
élevé  à  959.  Il  n'existe  encore  que  deux  confréries,  celle 
des  Enfants  de  Marie  et  celle  de  la  Sainte-Famille. 

Sur  les  instances  de  Me""  le  vicaire  apostolique  du  pays 
de  Galles  et  en  raison  de  circonstances  spéciales,  la  pro- 
vince a  accepté  les  deux  nouvelles  fondations  de  Holy- 
Head  et  Colwyn-Bay.  Ces  deux  missions  répondent  plei- 
nement à  la  fin  de  notre  institut,  elles  sont,  on  peut  le 
dire,  in  partibus  infidelium,  et  les  Oblats  qui  y  exercent 
le  saint  ministère  sont  missionnaires  dans  toute  l'accep- 
tion du  mot.Holy-Head  compte  environ  300  catholiques, 
mais  la  paroisse  comprend  de  plus  l'île  d'Anglesea,  dont 
la  population,  de  race  gaélique,  se  partage  en  une  infi- 
nité de  sectes  dissidentes.  Un  généreux  bienfaiteur  a  bien 
voulu  nous  donner  les  fonds  nécessaires  pour  bâtir  à 
Colwyn-Bay,  ville  maritime  qui  s'accroît  rapidement, 
une  église  et  une  maison  de  communauté. 

Le  bon  Dieu  s'est  plu  à  répandre  ses  bénédictions  sur 
nos  œuvres  d'Australie.  C'est  sur  la  demande  de  M»'  Gib- 
ney,  évêque  de  Perth,  demande  transmise  par  l'inter- 
médiaire du  cardinal  Moran,  archevêque  de  Sidney,  que 
trois  Pères  partirent,  en  1894,  pour  fonder  la  commu- 
nauté de  Freemantle.  Ms'Gibney  cédait  cette  paroisse 
aux  Oblats  à  condition  qu'ils  établiraient  une  école  in- 


—  339  — 

dustrielle  dans  son  diocèse.  Freemantle  est  un  port  de 
mer  destiné  à  devenir  une  des  plus  importantes  villes  de 
la  colonie.  Il  faudra  construire  au  moins  trois  églises 
pour  desservir  les  4  000  ou  5 000  catholiques  disséminés 
sur  une  vaste  étendue.  Nous  avons  déjà  acquis  le  terrain 
pour  ces  édifices. 

C'est  àGlendalougu  qu'est  situé  le  pénitencier  du  dio- 
cèse de  Perlh.  Un  Père,  avec  quatre  Frères,  en  a  la 
direction.  Il  n'y  avait  encore  que  7  détenus  lors  des  der- 
nières nouvelles  reçues.  Espérons  que  cet  établissement 
rendra  bientôt  les  mêmes  services  que  nos  pénitenciers 
irlandais  de  Glencree  et  de  Philipstown.  L'esprit  de  ces 
deux  communautés  est  excellent  ;  c'est,  pour  le  Provin- 
cial, un  devoir  de  rendre  témoignage  au  zèle,  à  la  régu- 
larité et  à  l'esprit  religieux  de  nos  bons  Frères  convers, 
qui  se  dévouent  à  cette  œuvre  de  régénération.  A  Phi- 
lipstown, ces  chers  Frères  sont  au  nombre  de  seize,  ils 
surveillent,  sous  le  contrôle  de  deux  Pères,  285  détenus  ; 
Glencree  compte,  pour  190  détenus,  deux  Pères  et  qua- 
torze Frères  convers.  Ces  pénitenciers  sont,  pour  la  pro- 
vince, une  source  de  revenus  très  précieuse  pour  l'en- 
tretien de  notre  noviciat  et  de  notre  juniorat. 

Jum'orat. —  G'e&i  dans  l'ancien  scolasticat  de  Belcamp- 
Hall  que  nous  avons  établi  le  juniorat  delà  province  bri- 
tannique. Une  trentaine  d'enfants,  presque  tous  Irlan- 
dais, aspirent  à  la  vie  religieuse  dans  la  Congrégation  des 
Oblats  de  Marie  immaculée.  Le  vicariat  de  Natal  nous  a 
envoyé  trois  sujets.  L'esprit  de  ces  enfants  est  excellent 
et  permet  de  fonder  pour  l'avenir  les  plus  belles  espé- 
rances. Le  cours  d'études  comprend  quatre  années.  Nous 
avons  l'intention  de  présenter  les  élèves  delà  quatrième 
année  aux  examens  de  matriculationàTUniversité  royale 
d'Irlande. 

Noviciat.  —  Le  Noviciat  de  Belmont-House  compte 


—  340  — 

actuellement  quatre  novices  scolastiques  et  autant  de  no- 
vices  convers.  De  plus,  six  Frères  scolastiques  à  vœux 
temporaires  y  achèvent  leur  seconde  année  de  probation. 
A  mesure  que  le  junioratse  développera,  le  noviciat  de- 
viendra de  même  plus  florissant  ;  parmi  ces  quatorze  sco- 
lastiques, six  ont  fait  leurs  études  à  Belcamp,  les  quatre 
autres  nous  sont  venus  des  divers  collèges  d'Irlande. 

Rapport  de  la  province  d'Allemagne. 

La  province  d'Allemagne  a  été  fondée  le  5  mai  1895 
par  notre  vénéré  et  regretté  Père  et  Supérieur  général 
Louis  SouLLiER.  Le  personnel  de  la  province  se  compose 
de  trente  et  un  Pères,  soixante-quatre  Frères  scolas- 
tiques,neuf  Frères  convers  à  vœux  perpétuels,  vingt-sept 
à  vœux  de  cinq  ans,  quatre  à  vœux  d'un  an,  dix-neuf 
novices  scolastiques,  dix  novices  convers,  un  postulant 
scolastique,  cinq  postulants  convers,  cent  soixante-dix- 
huit  junioristes  :  en  tout,  trois  cent  quarante-huit  per- 
sonnes. 

Nous  pouvons  dire  avec  joie  que  nos  communautés 
sont  bien  régulières;  le  silence  y  est  observé,  les  exer- 
cices de  piété,  les  retraites  annuelles  et  mensuelles  se 
font  très  régulièrement.  Autant  que  le  permettent  nos 
nombreux  travaux,  nos  communautés  ont  été  fidèles  à 
tenir  les  conférences  théologiques.  L'esprit  religieux 
règne  donc  parmi  nous.  Cependant,  sans  croire  ou 
vouloir  faire  croire  que  tout  est  parfait,  nous  pouvons 
remercier  Dieu,  qui  nous  a  donné  à  tous  un  vrai  et 
sincère  amour  de  notre  vocation. 

Nos  relations  avec  MM.  les  curés  sont  bonnes  ;  on  s'ef- 
force d'être  à  leur  égard  discrets  et  polis.  La  confiance 
qu'on  nous  témoigne  partout  et  les  nombreux  travaux 
qu'on  nous  demande  sont  les  meilleurs  gages  de  nos 
bonnes  relations  avec  l'extérieur. 


—  341  — 

La  province  se  compose  de  quatre  maisons  :  la  maison 
de  Saint-Ulrich,  en  Lorraine;  le  scolasticat  de  Saint-Bo- 
niface  de  Hiinfeld,  en  Hesse-Nassau;  le  noviciat  de 
Saint- Gerlach  et  le  juniorat  de  Saint-Charles,  dans  le 
Limbourg  hollandais. 

Maison  de  Saint- Ulrich.  — Notre  unique  maison  de  mis- 
sionnaires est  Saint-Ulrich,  laquelle  se  compose  de  cinq 
Pères,  d'un  Frère  convers  à  vœux  perpétuels  et  de  deux 
Frères  convers  à  vœux  de  cinq  ans.  —  Le  travail  et  le  si- 
lence sont  aimés  dans  cette  maison.  L'office  divin  s'y  dit  en 
entier.  C'est  la  Lorraine,  presque  exclusivement,  qui  est 
évangélisée  par  nos  Pères  de  Saint-Ulrich,  Quelques  rares 
travaux,  donnés  en  Alsace  et  en  Prusse,  ont  donné  l'es- 
poir fondé  d'étendre  plus  au  loin  l'action  de  cette  mai- 
son, dès  que  son  personnel  deviendra  plus  nombreux. 
Nos  missions,  disons,  si  l'on  veut,  nos  retraites  de  pa- 
roisse, durent  de  huit  à  dix  jours.  En  général,  la  popula- 
tion très  chrétienne  de  la  Lorraine  se  confesse  tout 
entière  pendant  ce  temps  si  court,  ce  qui  rend  ces  tra- 
vaux bien  pénibles  et  fatigants.  Outre  ces  travaux,  qui, 
pour  la  plupart,  se  terminent  par  l'adoration  perpé- 
tuelle, nous  prêchons  beaucoup  de  retraites  religieuses, 
de  retraites  de  pensionnats,  de  première  communion, 
de  retraites  pascales.  Les  sermons  de  circonstances  sont 
rares.  Un  carême  a  été  prêché  à  la  cathédrale  de  Stras- 
bourg. Les  cérémonies  ordinaires  que  nous  empruntons 
au  directoire  des  missions  sont  la  bénédiction  des  en- 
fants, l'acte  d'amende  honorable  au  Saint  Sacrement, 
la  consécration  à  la  Sainte  Vierge,  le  renouvellement  des 
vœux  du  baptême,  la  visite  au  cimetière.  Nos  Pères 
s'occupent  aussi  du  pèlerinage  de  Saint-Ulrich.  Ce  pèle- 
rinage cependant  n'est  guère  important. 

Maison  du  scolasticat  de  Saint-Boni  face.  —  C'est  la  ré- 
sidence du  R.  P.  Provincial  ;  il  gouverne  une  commu- 

T.  XXXVI.  23 


-    342  — 

nauté  de  neuf  Pèies,  dont  cinq  bont  professeurs,  deux 
sont  bâtisseurs  et  constructeurs,  deux  autres  s'occupent 
de  la  rédaction  de  la  Maria  Immaculata.  Deux  Frères 
convers  ont  prononcé  leurs  vœux  perpétuels ,  deux 
autres  leurs  vœux  de  cinq  ans.  Le  noviciat  des  Frères 
convers  compte  cinq  sujets. 

Le  nombre  des  Frères  scolastiques  est  de  soixante- 
quatre.  L'esprit  de  notre  scolasticat  est  en  général  bon 
et  très  bon.  Le  dévouement  de  ces  chers  Frères  se 
montre  tous  les  jours  et  a  particulièrement  éclaté  lors 
de  la  visite  du  R.  P.  Tatin,  assistant  général.  Le  résultat 
de  nos  études  est  excellent.  La  méthode  et  le  plan  de 
ces  études  sont  ceux  de  nos  scolasticats  ;  cependant,  au 
lieu  de  deux  classes  par  jour,  nous  en  avons  trois.  Nous 
avons  motif  d'espérer  qu'avec  quelques  professeurs  en 
plus  et  une  méthode  plus  conforme  à  nos  besoins,  nous 
formerons  des  hommes  entièrement  prêts  pour  le  tra- 
vail des  missions  dès  leur  sortie  du  scolasticat. 

Ces  Frères  scolastiques  nous  viennent  tous  de  notre 
juniorat  de  Saint-Charles,  à  quelques  rares  exceptions 
près. 

Maison  du  noviciat  de  Saint-Gerlach.  —  Le  noviciat  de 
la  province  compte  trois  Pères,  dix-neuf  novices  scolas- 
tiques et  un  postulant,  un  Frère  convers  à  vœux  perpé- 
tuels, quatre  Frères  convers  à  vœux  de  cinq  ans  et  deux 
Frères  à  vœux  d'un  an  ;  il  y  a,  en  outre,  cinq  novices 
convers  :  en  tout,  trente-cinq  personnes. 

Pendant  les  cinq  dernières  années,  du  1"  janvier  4893 
au  1'' juin  1898,  il  est  entré  au  noviciat  cent  cinquante- 
trois  novices  scolastiques  dont  seize  n'ont  pas  persé- 
véré jusqu'à  la  fin  du  noviciat.  Parmi  ces  novices,  il  y  a 
eu  quatre  prêtres,  dont  deux  sont  partis  avant  la  fin  de 
l'année. 

Huit  novices  scolastiques  sont  venus  des  écoles  apos- 


—  343  — 

toliques,  vingt  des  séminaires,  six  des  gymnases,  trois 
des  collèges,  douze  de  Notre-Dame  de  Sien,  cent  du 
juniorat  de  Saint-Charles.  Quant  aux  Frères  convers,  on 
en  a  reçu  au  noviciat  soixante  et  un,  dont  dix-huit 
n'ont  pas  persévéré. 

L'esprit  de  notre  noviciat  mérite  tous  les  éloges. 

Maison  du  juniorat  de  Saint- Charles. —  Le  juniorat 
compte  un  personnel  de  treize  Pères,  de  cinq  Frères 
convers  à  vœux  perpétuels,  de  dix-neuf  à  vœux  de  cinq 
ans,  de  deux  Frères  à  vœux  d'un  an,  de  cinq  postulants 
convers  et  de  cent  soixante-dix-huit  junioristes. 

Les  Pères  s'appliquent  à  l'enseignement,  à  l'exception 
d'un  Père  missionnaire.  Les  élèves  nous  viennent  de 
toutes  les  parties  de  l'Allemagne. 

En  1892-1893,  il  y  avait  cent  soixante-six  junioristes, 
dont  vingt  sont  entrés  au  noviciat  et  dix-huit  sont 
sortis. 

En  4893-1894,  il  y  en  avait  cent  soixante-dix-neuf. 
Dix-neuf  sont  entrés  au  noviciat  et  vingt  et  un  sont 
sortis. 

En  1894-1893,  il  y  en  avait  cent  quatre-vingt-trois. 
Vingt  et  un  sont  entrés  au  noviciat  et  trente-cinq  sont 
sortis. 

En  1 893- i 896,  il  y  en  avait  cent  quatre-vingt-six. 
Vingt  sont  entrés  au  noviciat  et  vingt-deux  sont  sortis. 

En  1896-1897,  il  y  en  avait  cent  quatre-vingt-quatre. 
Vingt  sont  entrés  au  noviciat  et  dix-neuf  sont  sortis. 

En  1897-1898,  il  y  en  avait  au  commencement  cent 
quatre-vingt-treize. 

Le  juniorat  a  donc  envoyé  au  noviciat  cent  novices  et 
perdu  dans  ce  même  temps  cent  quinze  élèves.  Sur  ce 
nombre,  beaucoup  ont  quitté  notre  juniorat  pour  motif 
de  santé.  Sur  les  cent  élèves  qui  sont  entrés  au  noviciat, 
douze  ont  quitté  la  Congrégation  durant  l'année  du  no- 


—  344  — 

viciât  et  quatre  ont  quitté  le  scolasticat  de  Hûnfeld.  La 
plupart  de  ces  derniers  sont  partis  pour  motif  de  santé, 
Donc,  nous  avons  cent  trente  et  un  départs  et  quatre- 
vingt-quatre  vocations  sérieuses. 

La  méthode  des  études  est  celle  des  gymnases  alle- 
mands. Les  élèves  suivent  six  cours  différents  qui  répon- 
dent assez  aux  prescriptions  de  la  ratio  studiorum  des 
Jésuites.  Nos  junioristes  aiment  l'étude.  L'amour  de  la 
Congrégation  a  de  fortes  racines  dans  leur  cœur,  j'ai  pu 
le  constater  bien  souvent. 

Le  programme  officiel  des  rapports  nous  invite  à  par- 
ler ici  de  nos  besoins  particuliers  et  urgents.  Nous  nous 
permettons  donc  d'attirer  l'attention  sur  un  point  faible 
de  notre  province.  En  jetant  un  coup  d'oeil  sur  l'en- 
semble de  nos  maisons,  on  remarquera  facilement  une 
disproportion  très  grande  entre  les  maisons  qui  ne  sont 
qu'une  charge  pour  l'administration  provinciale  et  celles 
qui  devraient  fournir  les  ressources.  Si  nous  faisons 
abstraction  du  scolasticat  de  Hûnfeld,  nous  comptons 
deux  maisons  qui  sont  une  dépense  et  une  maison  qui 
procure  des  ressources;  en  d'autres  termes,  nous  avons 
à  entretenir  deux  cent  cinquante-sept  novices  et  junio- 
ristes avec  leurs  personnels  dirigeants  et  nous  n'avons 
que  six  Pères  missionnaires  qui  puissent  nous  venir  en 
aide.  C'est  vraiment  un  personnel  trop  peu  nombreux  et 
il  est  très  facile  de  comprendre  que  ce  personnel  actif 
ne  pourrait  que  s'user  trop  tôt  si  un  secours  opportun 
ne  lui  était  accordé. 

Voilà,  en  peu  de  mots,  l'état  de  la  province  d'Alle- 
magne. Il  y  a  lieu  d'espérer  qu'avec  le  secours  du  bon 
Dieu  et  la  bienveillance  de  nos  supérieurs  majeurs,  cette 
province  deviendra  en  peu  de  temps  très  florissante. 
Daigne  saint  Joseph,  notre  patron  particulier,  nous  pro- 
léger toujours  ! 


VARIÉTÉS 


I 

VINGT-CINQUIÈME  ANNIVERSAIRE 
DU  COURONNEMENT  DE  NOTRR-DAME  D'ARCACHON. 

Nous  trouvons  dans  la  Semaine  religieuse  de  Bordeaux 
le  compte  rendu  suivant  de  cette  belle  fête  : 

Le  19  juillet  1898,  ce  jonr  tant  désiré  de  la  popula- 
tion arcachonnaise,  est  enfin  arrivé.  Demandez  aux  braves 
habitants  pourquoi  ce  mouvement,  pourquoi  ces  prépa- 
ratifs d'illuminations,  pourquoi  ces  habits  de  fête  ;  ils  vous 
répondront  :  «  Nous  célébrons  le  vingt-cinquième  anni- 
versaire du  Couronnement  de  Notre-Dame  d'Arcachon.» 

Ils  se  sont  préparés  de  tout  cœur  à  cette  grande  solen- 
nité, en  venant,  nombreux,  écouter  la  parole  douce  et 
éloquente  du  R.  P.  d'Aste,  des  Frères  Prêcheurs  de  Bor- 
deaux, prédicateur  du  Triduum,  et  en  s'approchant  des 
sacrements.  Que  la  Très  Sainte  Vierge  a  dû  être  contente 
de  voir  ses  enfants  s'asseoir  à  la  table  sainte,  à  toutes  les 
messes,  qui,  depuis  5  heures  et  demie  jusqu'à  9  heures, 
se  sont  dites  dans  l'église  de  Notre-Dame  1 

Vous  qui  êtes  étonnés  de  voir  ces  maisons  pavoisées, 
ornées  de  fleurs  et  de  guirlandes,  de  lanternes  véni- 
tiennes, que  direz-vous  tout  à  l'heure,  quand,  dans  notre 
église  gracieusement  parée,  vous  verrez  trois  prélats 
bien  connus  et  bien  aimés  rehausser  de  leur  présence 
l'éclat  des  cérémonies?  Oui,  vous  verrez  trois  prélats. 
Hier  soir,  déjà  deuxd'entreeux,Ms''Cœuret-Varin,évêque 


—  346  — 

d'Agen,  etM*'' JouLAiN,Oblatde  Marie  Immaculée,  évêque 
de  Jaffna  (île  de  Ceylan),  sont  descendus  sur  notre  rive 
arcachonnaise. 

Ce  matin,  le  train  de  9  heures  nous  amènera  le  père  et 
le  pasteur  de  l'archidiocèse  de  Bordeaux,  S.  Em.  le  car- 
dinal Lecot. 

Malgré  ses  fatigues  bien  grandes,  Son  Eminence,  n'é- 
coutant que  sa  dévotion  à  Marie  et  son  altacbement  aux 
enfants  d'Arcachon,  veut  bien  présider  nos  fêtes  reli- 
gieuses. Merci,  Eminence,  merci,  vénéré  et  bien-aimé 
père  ;  la  paroisse  de  Notre-Dame  gardera  longtemps  dans 
la  mémoire  de  son  cœur  le  souvenir  de  vos  bontés  pa- 
ternelles et  délicates. 

L'heure  du  train  approchant,  M.  l'abbé  Matignon,  curé- 
doyen  de  la  Teste,  le  R.  P.  de  Lacouture,  Oblat  de  Marie- 
Immaculée,  curé  de  Notre-Dame  d'Arcachon,  la  muni- 
cipalité d'Arcachon  avec  M.  le  maire  à  sa  tète,  et  la  mu- 
sique municipale,  se  rendent  à  la  gare.  A  peine  le  train 
est-il  entré  en  gare,  que  la  musique  municipale  exécute 
le  plus  beau  morceau  de  son  répertoire.  Monseigneur 
descend  de  voiture,  il  est  reçu  par  les  autorités  de  la 
ville.  M.  le  maire  lui  adresse  en  son  nom,  au  nom  de  la 
municipalité  et  de  la  population  tout  entière,  quelques 
paroles  de  bienvenue  et  de  douce  satisfaction. 

La  réception  faite,  des  voitures  emmènent  Son  Emi- 
nence, M.  l'abbé  Tourreau,  vicaire  général,  et  les  auto- 
rités de  la  ville,  qui  se  font  un  honneur  et  une  joie  d'es- 
corter le  cardinal. 

A  10  heures  doit  commencer  la  messe  pontificale. 
Vers  10  heures  moins  un  quart,  le  clergé  se  rendproces- 
sionnellement  au  presbytère,  où  se  trouvent  les  trois 
prélats.  Deux  ou  trois  minutes  après,  on  se  remet  en 
marche  vers  l'église  ;  les  cloches  sonnent  à  toute  volée. 
A  la  suite  des  enfants  de  chœur  élégamment  vêtus  et  des 


—  347  — 

prêtres  venus  de  tous  les  points  du  canton  de  la  Teste, 
voire  de  l'Agenais,  marchent  les  trois  prélats  précédés 
de  leurs  assistants.  Tout  le  long  du  chemin,  une  foule 
compacte  forme  la  haie.  Après  la  cérémonie  d'usage  à 
l'entrée  de  l'église,  le  cortège  se  rend  dans  le  chœur.  La 
messe  va  commencer  ;  M^""  Joulain  officie. 

Après  l'évangile,  le  cardinal  monte  en  chaire,  et,  avec 
celte  éloquence  du  cœur  que  tout  le  monde  se  plaît  à  lui 
reconnaître,  il  remercie  NN.  SS.  les  évêques  d'Agen  et 
de  Jaffna,  de  ce  qu'ils  ont  bien  voulu  rehausser  de  leur 
présence  l'éclat  des  cérémonies  ;  il  remercie  le  R.  P.  de 
Lacouture,  curé  de  Notre-Dame,  du  zèle  intelligent  et 
pieux  avec  lequel  il  a  préparé  de  si  belles  fêtes  en  l'hon- 
neur de  la  Très  Sainte  Vierge  dont  il  est  l'enfant  si  ai- 
mant et  si  dévoué  ;  il  remercie  enfin  la  population  en- 
tière, dignement  représentée  par  M.  le  maire  et  un 
certain  nombre  de  conseillers  municipaux.  Puis,  Son 
Éminence  rappelle,  et  avec  raison,  aux  fidèles  arca- 
chonnais,  que,  si  l'honnêteté  et  la  noble  simplicité  de 
leurs  pères  ont  été  une  cause  de  développement  de  la  ville 
d'Arcachon,  la  Très  Sainte  Vierge  a  été  la  principale 
cause  de  son  progrès  spirituel  et  même  matériel. 

Aimez  donc,  enfants  d'Arcachon,  aimez  votre  pays  tel 
qu'il  est;  aimez-le  non  seulement  comme  un  héritage 
de  vos  pères,  mais  surtout  comme  étant  une  fondation 
et  un  domaine  de  Marie. 

Que  ces  vérités  soient  pour  vous  une  exhortation,  un 
encouragement  dans  l'accomplissement  de  vos  devoirs 
et  la  base  d'une  union  fraternelle  indissoluble. 

La  population  a  compris  et  goûté  la  parole  du  premier 
pasteur  de  cet  archidiocèse,  et  dorénavant  son  unique 
ambition  sera  de  la  mettre  en  pratique. 

La  sainte  messe  se  poursuit  solennelle  et  pieusement 
captivante.  Pouvrait-ii  en  être  autrement  quand  nnpon- 


—  348  — 

tife  célèbre  les  saints  mystères  avec  la  piété  onctueuse 
et  saisissante  qui  caractérise  S.  Gr.  M^""  Joulafn;  quand 
les  cérémonies  se  font  sous  une  direction  telle  que  celle 
de  M.  l'abbé  Olivier,  vicaire  de  la  cathédrale  de  Bor- 
deaux; quand  la  maîtrise  de  Notre-Dame,  les  membres 
de  l'Union  orphéonique,  des  hommes  passés  maîtres  en 
chant  comme  MM.  Arnaut,  Ducaud-Labadie,  Mondon, 
aidés  du  gracieux  concours  de  M"^  Royer,  exécutent 
la  belle  messe  dite  de  Jeanne  d'Arc,  par  Gounod? 

La  messe  terminée,  on  reconduit  NN.  SS.  les  évêques 
au  presbytère,  procession  qui  fut  lente  assurément,  car 
ce  ne  fut  pas  sans  avoir  donné  d'abondantes  et  de  nom- 
breuses bénédictions  que  les  vénérés  prélats  arrivèrent 
jusqu'au  couvent  des  RR.  PP.  Oblats  de  Marie. 

A  3  heures,  les  vêpres,  chantées  par  M^''  l'évêque  d'A- 
gen,  ont  eu  un  caractère  non  moins  solennel  ni  moins 
pieux.  A  l'issue  des  vêpres,  le  R.  P.  d'Aste,  en  un  ser- 
mon plein  de  piété,  d'amour  envers  la  Très  Sainte  Vierge, 
de  zèle  apostolique  et  de  science,  publie  les  préférences 
de  notre  Mère  du  ciel  pour  la  France,  et  nous  montre  en 
termes  clairs  et  vibrants  comment  le  salut  de  notre  cher 
pays  nous  viendra  de  Marie.  La  cérémonie  se  clôture  par 
la  bénédiction  solennelle  du  Très  Saint  Sacrement. 

Le  soir,  à  8  heures  et  quart,  les  cloches  rappellent  les 
fidèles  dans  le  sanctuaire  de  Marie  ;  c'était  non  seule- 
ment pour  leur  faire  contempler  et  admirer  les  superbes 
illuminations  de  l'intérieur  de  l'église,  mais  surtout  pour 
les  rendre  les  heureux  témoins  de  la  consécration  de 
toute  la  paroisse  à  Notre-Dame  d'Arcachon,  consécration 
que  le  R.  P.  d'Aste  formula  du  haut  de  la  chaire  avec 
une  éloquence  vraiment  digne  des  applaudissements 
que  les  cœurs  saisis  et  soulevés  se  surprirent  à  lui  donner. 

Cette  touchante  cérémonie  se  termina  par  le  chant  du 
Te  Deum  d'action  de  grâces. 


~  349  — 

II 

VINGT-CINQUIÈME  ANNIVERSAIRE 
DU  COURONNEMENT  DE  NOTRE  DAME  DE  SION, 

Comme  à  Notre-Dame  d'Arcachon,  de  grandes  fêtes 
seront  célébrées  le  8  septembre  prochain  et  durant  l'oc- 
tave de  la  Nativité,  à  Notre-Dame  de  Sion,  à  l'occasion 
des  noces  d'argent  du  couronnement  de  la  statue  mira- 
culeuse de  la  protectrice  de  la  Lorraine.  M^''  Turinaz, 
évêque  de  Nancy,  toujours  si  dévoué  à  la  Vierge  de  Sion, 
dont  les  Oblats  de  Marie  Immaculée  desservent  le  sanc- 
tuaire depuis  bientôt  un  demi-siècle,  a  publié  une  circu- 
laire pour  annoncer  ces  solennités  à  ses  diocésains  par 
l'entremise  de  leurs  pasteurs  et  les  exhorter  à  y  prendre 
part. 

Nancy,  le  24  août  1898, 
En  la  fête  de  Saint-Barthélémy,  apôtre. 

Messieurs  et  chers  Coopérateurs, 
Nous  célébrerons  le  8  septembre  prochain,  le  vingt- 
cinquième  anniversaire  du  couronnement  solennel  de 
Notre-Dame  de  Sion.  Malgré  le  temps  qui  fut  très  défa- 
vorable, la  fête  du  10  septembre  1873  a  laissé  dans  ce 
diocèse  et  dans  toute  cette  région  un  profond  et  précieux 
souvenir.  Son  Eminence  le  Cardinal  Richard,  arche- 
vêque de  Paris,  alors  évêque  de  Belley,  est  le  seul 
survivant  des  prélats  qui  ont  pris  part  au  couronnement 
de  la  Vierge  Lorraine  (1). 

Nous  regrettons  bien  vivement  que  la  santé  et  l'âge 
de  Son  Eminence  ne  lui  permettent  pas  de  répondre  à 

(1)  Le  vénéré  Ms^Grandin,  évêque  de  Saint-Albert,  venu  en  France 
pour  le  Chapitre  général  de  1873,  assistait  aussi  au  couronnenaent  de 
Notre-Dame  de  Sion. 


—  350  — 
notre  invitation  et  de  présider  ce  vingt- cinquième  anni- 
versaire. 

M^""  l'évêque  de  Saint-Dié;  quatre  évêques  de  la  Con- 
grégation des  Oblats  de  Marie  Immaculée:  M^'  Grouard, 
vicaire  apostolique  de  l'Athabaska-Mackenzie  (Nord- 
Ouest  du  Canada)  ;  Me""  Pascal,  vicaire  apostolique  de  la 
Sa^katchewan  (Nord-Ouest  du  Canada)  ;  M^""  Joulain, 
évêque  de  Jaffna  (île  de  Ceylanj;  M^''  Légal,  coadjuteur 
de  Me''  Grandin,  à  Saint-Albert  (Nord-Ouesfc  du  Canada), 
et  le  R.  P.  Félix  de  Grasse,  abbé  d'un  monastère  béné- 
dictin, dan-^  l'Amérique  du  Nord,  et  ancien  élève  de  nos 
séminaires,  honoreront  de  leur  présence  cette  grande 
et  pieuse  manifestation.  Peut-être  pourrons-nous  obte- 
nir encore  la  présence  de  M^""  Hacquard,  vicaire  aposto- 
lique du  Sahara  et  du  Soudan,  dont  le  sacre  aura  lieu 
le  28  de  ce  mois. 

Nous  arriverons  à  Sion  dans  la  matinée  du  8  septem- 
bre, venant  de  Lourdes  avec  le  pèlerinage  lorrain.  Vous 
exhorterez  vos  paroissiens  à  prendre  part  à  ce  pèlerinage 
et  à  cette  fête.  Vous  leur  rappellerez  les  titres  de  Notre- 
Dame  de  Sion  à  la  vénération,  à  la  confiance  et  à  la 
reconnaissance  du  peuple  lorrain.  Nous  unirons  dans  nos 
prières  la  Protectrice  de  cette  province  à  la  Vierge  si 
puissante  et  si  miséricordieuse  des  Pyrénées.  Nous  leur 
demanderons  de  protéger  et  de  bénir  la  Lorraine  et  la 
France. 

•f*  Charles-François, 
Évêque  de  Nancy  et  de  Toul. 


NÉCROLOGIE 


LK  R.   P.  SARDOU. 

Une  circulaire  du  T.  R.  P.  Général  a  raconté  à  la  Con- 
grégation les  derniers  moments  et  la  mort  si  édifiante  du 
R.  P.  Sardou,  procureur  général.  Voici  l'article  qui  a 
paru  dans  l'Univers  du  31  juillet  : 

Les  Oblats  de  Marie  de  la  rue  Saint-Pétersbourg,  bien 
éprouvés  déjà  par  des  morts  récentes,  viennent  de  perdre 
le  R.  P.  Sardou,  procureur  général  de  leur  Congréga- 
tion. 

Né  à  Marseille  en  1828,  Marc-Antoine  Sardou,  après 
avoir  passé  plusieurs  années  dans  le  négoce,  entra  chez 
les  Oblats  en  d849,  fît  son  noviciat  à  Notre-Dame  de 
l'Osier,  dans  le  Dauphiné,  et  prononça  ses  vœux  en  1 830. 
Il  revint  alors  faire  sa  philosophie  et  sa  théologie  à  Mar- 
seille, et  lut  ordonné  prêtre,  en  1854,  par  M^^deMazenod, 
évêque  de  cette  ville  et  Fondateur  des  Oblats.  11  avait 
donné  des  preuves,  durant  ses  études,  d'une  intelli- 
gence vive;  dès  ses  premières  armes  apostoliques,  il 
s'annonça  comme  un  missionnaire  vigoureux,  animé 
d'un  beau  souffle,  parlant  avec  flamme,  secondé parune 
voix  sonore,  ample,  harmonieuse. 

L'apostolat  cependant  ne  devait  faire  qu'une  partie  de 
sa  vocation,  et  non  la  plus  considérable.  En  1863,  il  fut 
nommé  procureur  de  sa  Congrégation.  Depuis  lors,  les 
Chapitres  généraux  qui  se  succédèrent,  tous  les  six  ans, 
le  réélurent,  chaque  fois,  à  l'unanimité  et  récemment 


—  332  - 

encore,  au  mois  de  mai,  malgré  des  infirmités  qui  fai- 
saient prévoir  une  fin  prochaine. 

C'est  donc  une  carrière  de  trente-cinq  ans  qu'il  consa- 
cra aux  finances  de  sa  Société.  Lorsqu'il  les  prit  en 
mains,  il  eut  d'abord  à  les  organiser,  à  les  affermir,  à 
les  adapter  aux  circonstances  nouvelles  que  la  mort  du 
Fondateur,  une  extension  croissante,  un  développement 
d'oeuvres  progressif,  faisaient  à  la  Congrégation  des 
Oblats.  Il  réussit  pleinement  dans  sa  tâche,  Plus  tard,  il 
dut  traverser  la  crise  très  grave  des  expulsions.  Son  ha- 
bileté, sa  prudence  —  comme  aussi,  nous  sommes  heu- 
reux de  le  redire,  le  secours  des  associations  catholiques 
et  notamment  de  l'Œuvre  des  expulsés  —  conjurèrent 
les  périls  de  la  situation. 

C'était  le  procureur  modèle.  Sans  être  parcimonieux, 
avec  beaucoup  de  largeur,  au  contraire,  il  était  sage- 
ment économe.  Il  allait  rondement  en  affaires,  mais  son 
coup  d'œil  était  juste  et  précis  autant  que  rapide,  et, 
durant  sa  longue  carrière  administrative,  il  ne  lui  arriva 
jamais  de  donner  dans  certains  panneaux,  ni  de  se  lais- 
ser prendre  à  certaines  promesses  ou  à  certains  engoue- 
ments. «  La  Providence,  disait-il  un  jour,  nous  a  pré- 
servés jusqu'ici  de  toutes  les  catastrophes  financières.  » 
Il  fut  préservé  jusqu'à  la  fin.  Nul  moins  que  lui  n'eut 
l'esprit  d'aventure.  Il  en  eût  d'ailleurs  été  gardé  par  son 
caractère  religieux  et  vraiment  sacerdotal,  quand  il  ne 
l'eût  pas  été  par  le  sens  très  fin  et  très  sûr  qu'il  avait  des 
affaires. 

Ses  préoccupations  matérielles  ne  prirent  jamais  la 
première  place  dans  sa  vie.  Il  était  religieux,  il  resta  re- 
ligieux. Il  eut  le  souci  de  gérer  religieusement  les  inté- 
rêts d'une  Société  religieuse.  Il  domina  les  affaires, 
les  maniant  avec  une  aisance  singulière,  qui  laissait 
à    son     esprit  les    loisirs    et   la  facilité    de    préparer 


—  353  — 

ses  prédications,  ses  retraites,  et  de  suivre  aussi  le  mou- 
vement des  idées  religieuses,  politiques,  et  même  litté- 
raires, dans  la  société  contemporaine. 

Il  apportait  dans  tout  cela  l'intelligence  positive  qui 
lui  donnait  sa  valeur  spéciale.  Il  fallait  entendre  les 
éclats  de  rire  bon  enfant,  mais  un  peu  moqueurs,  dont 
il  accueillait  les  utopies,  les  fantaisies,  les  nouveautés 
plus  ou  moins  mystiques,  ou  même  ce  qui  s'élevait  dans 
l'idéal  et  l'abstraction  jusqu'à  friser  le  nuageux. 

Ses  conversations  étaient  intéressantes.  Son  physique 
pourtant,  hormis  un  beau  front  développé,  n'avait  rien 
de  bien  élégant  ;  il  était  plutôt  petit,  rond,  avec  quelque 
embonpoint,  de  traits  fortement  accusés  et  marqués, 
par  endroits,  par  la  [petite  vérole  ;  mais  sa  verve  était 
marseillaise. 

Il  était  fort  connu  et  très  apprécié  dans  le  monde  du 
commerce  sur  la  place  de  Paris,  bien  que,  depuis  assez 
longtemps,  il  eût  dû  restreindre  ses  allées  et  venues. 

Voilà  plus  d'un  an  que  le  mal  l'avait  saisi  et  terrassé, 
avec  des  alternatives  diverses.  Le  jeudi  28  juillet,  à 
3  heures,  une  crise  se  déclara.  On  appela  le  médecin. 
Le  P.  Sardou  lui  avait  fuit  promettre  d'avance  une  fran- 
chise absolue,  lorsque  le  moment  fatal  approcherait. 
«  Mon  Père,  dit  le  docteur,  je  vous  avais  promis  de  vous 
dire  la  vérité  quand  le  moment  arriverait  ;  c'est  le  mo- 
ment. »  Le  malade  saisit  les  mains  du  médecin  et  le  re- 
mercia chaleureusement.  «  Mon  Dieu,  dit-il  ensuite, 
j'accepte  la  mort.  » 

A  8  heures  du  soir.  M»''  Jolivet,  évêque  de  Natal,  vieil 
ami  et  ancien  collègue  du  P.  Sardou  au  Conseil  général 
—  et  appelé,  par  une  attention  providentielle,  pour  re- 
présenter, auprès  de  ce  lit  d'agonie,  les  Missions  étran- 
gères, qu'avait  toujours  si  bien  servies  le  moribond  — 
lui  administra  le  saint  viatique  et  rExtrême-Onction.  La 


—  334  — 

Communauté  entière  était  réunie.  Le  malade  répondit 
aux  prières. 

Il  s'est  éteint  à  9  heures  du  matin,  le  vendredi  29  juil- 
let, en  la  fête  de  sainte  Marthe,  pour  laquelle,  fidèle  en 
cela  aux  traditions  provençales,  il  avait  une  dévotion 
particulière. 

Père  nourricier  de  sa  Congrégation,  il  avait  l'habitude 
de  porter  dans  son  portemonnaie  une  statuette  de  saint 
Joseph  ;  le  patron  de  la  bonne  mort  et  la  Vierge  imma- 
culée dont  il  était  rOblat  l'ont  assisté  à  l'heure  dernière, 
et  il  est  passé  à  Dieu  tout  doucement,  assisté  par  ses 
Frères,  accompagné  par  les  prières  de  l'Eglise.  Il  avait 
été  l'avisé  négociant  qui  lait  l'acquisition  de  la  perle 
précieuse  :  dedil  omnia  sua  et  comparavit  eam. 

M.  DEVÈS,  0.  M.  I. 


NOUVELLES  DIVERSES 


Le  T.  R.  P.  Général,  accompagné  du  R.  P.  Miller, 
assistant  général,  a  fait,  durant  la  troisième  semaine 
d'août,  une  rapide  apparition  dans  nos  établissements 
de  Belgique  et  de  Hollande.  En  la  fête  de  l'Assomption, 
il  recevait  à  Liège  les  vœux  perpétuels  de  cinq  Frères 
scolastiques  et  d'un  Frère  convers. 

Le  même  jour,  à  Hiinfeld,  le  R.  P.  Tatin,  assistant 
général,  présidait  à  la  cérémonie  d'oblation  perpétuelle 
de  treize  Frères  scolastiques. 

■—  M8''  Langevin,  archevêque  de  Saint-Boniface,  s'est 
embarqué  à  Liverpool  le  6  août,  avec  le  R.  P.  Constan- 
TiNEAU,  recteur  de  l'Université  d'Ottawa,  et  le  R.  P.  Pi- 
TOYE,  qui,  après  un  séjour  de  cinq  ans  à  Notre-Dame  du 
Soto,  retourne  au  Texas. 

—  NN.  SS.  JoLiVET,  DuRiEU  et  Gaughran  ont  repris 
également  le  chemin  de  leur  mission  respective. 

—  Par  décret  de  la  Sacrée  Congrégation  de  la  Propa- 
gande, le  R.  P.  CouDERT,  Antoine,  supérieur  du  district 
de  Chilaw,  vient  d'être  nommé  coadjuteur  avec  future 
succession  de  Me""  Mélizan.  Le  nouvel  évêque  Oblat  ap- 
partient, par  sa  naissance,  au  diocèse  de  Clermont. 
C'est  à  Ceylan  qu'il  a  fait  son  noviciat,  prononcé  ses 
vœux  et  reçu,  en  i886,  la  prêtrise  des  mains  du  regretté 
Mk''  Bonjean.   Ad  multos  annos  ! 

—  Le  R.  P.  Fayard,  Jean-Marie,  supérieur  du  collège 
Saint-Louis,  à  New- Westminster,  procureur  des  missions 


—  356  — 
de  la  Colombie  britannique  et  délégué  de  ce  vicariat  au 
Chapitre,  a  été  appelé   à  succéder  au  R.  P.  Sardou, 
comme  procureur  général  de  la  Congrégation. 

—  Le  R.  P.  Cox  est  nommé  provincial  de  la  province 
Britannique,  en  remplacement  du  R.  P.  Miller,  élu  as- 
sistant général. 

—  Le  R.  P.  Lefebvre,  Joseph,  ancien  provincial  du 
Canada,  succède  au  R.  P.  Guillard,  en  qualité  de  pro- 
vincial des  États-Unis. 


1 


MISSIONS 

DE  LA  COKSRÉSâTIÔN 

DES  OBLATS  DE  MARIE  IMMACULÉE 


N"  i44.  —  Décembre  1898 


RAPPORTS 

PRÉSENTÉS   AU  CHAPITRE   GÉNÉRAL    DE    1898    {Suite). 

Rapport  du  vicariat  de  Colombo. 

HISTORIQUE. 

1"  Division  des  diocèses.  —  Depuis  la  tenue  du  dernier 
Chapitre,  des  événements  importants  se  sont  accomplis 
dans  le  vicariat  de  Colombo.  Je  dois  mentionner  tout 
d'abord  les  nouvelles  délimitations  données  au  vicariat 
par  suite  du  décret  de  S.  S,  le  Pape  Léon  XIII,  en  date  du 
25  août  1893,  instituant  deux  nouveaux  diocèses  dans 
l'île  de  Ceylau.  Leur  formation  a  considérablement  en- 
tamé les  diocèses  déjà  existants  de  Colombo  et  de  Jaffna 
et  en  a  restreint  les  limites.  Le  diocèse  de  Colombo  a 
subi  les  changements  suivants  :  des  trois  provinces  qui 
le  formaient  auparavant,  deux  ont  été  cédées  au  nou- 
veau diocèse  de  Galle,  à  savoir  :  la  province  méridio- 
nale ayant  pour  capitale  Pointe-de-Galle  et  la  province 
de  Sabaragamoawa    ayant  pour  capitale  Ratnapoora. 

T.  XXXVI.  24 


—  358  — 

Cette  cession  nous  enlevait  une  population  totale  de 
743  696  habitants,  dont  5  700  catholiques.  D'un  autre 
côté,  la  province  nord-ouest  ayant  pour  capitale  Ku- 
runegala,  était  transférée  du  diocèse  de  JafTna  à  celui 
de  Colombo.  Cette  province  nous  donnait  39  700  catho- 
liques sur  une  population  de  288  000  habitants.  Il  est 
donc  clair  que,  bien  que  les  deux  provinces  qui  nous 
ont  été  enlevées  comprissent  un  territoire  beaucoup 
plus  considérable  que  celle  qui  nous  était  donnée,  l'an- 
nexion de  cette  dernière  nous  apportait  une  population 
catholique  sept  fois  plus  nombreuse  que  celle  que  nous 
enlevait  la  séparation  des  deux  premières.  Les  églises 
du  littoral  surtout  sont,  dans  la  province  nord-ouest, 
très  florissantes  et  donnent  aux  seize  missionnaires  qui 
les  administrent  un  travail  ardu  et  incessant.  Ces  chan- 
gements ayant  été  faits  par  l'autorité  même  du  Souve- 
rain Pontife,  M^""  l'archevêque  et  notre  T.  R.  P.  Supé- 
rieur générai  n'ont  eu  d'autre  alternative  que  celle  de 
s'y  soumettre  humblement. 

2»  Collège  Saint- Joseph.  —  En  second  lieu,  je  dois 
faire  mention  de  l'érection  du  collège  Saint-Joseph  dont 
le  R.  P.  Charles  Collin  annonça  le  projet,  dans  son  rap- 
port, au  Chapitre  général  de  1893.  Cette  œuvre  depuis 
si  longtemps  désirée  est  aujourd'hui  un  fait  accompli, 
et,  bien  que  jeune  encore,  donne  les  meilleures  espé- 
rances pour  l'avenir.  Un  beau  terrain  d'environ  4  hec- 
tares a  été  acquis  dans  une  situation  favorable  et  cen- 
trale. Les  conditions  tout  à  fait  avantageuses  d'après 
lesquelles  la  cession  d'Uplands  au  gouvernement  a  été 
faite  ont  permis  d'acheter  le  terrain  sur  lequel  le  col- 
lège s'élève  actuellement,  sans  que  le  diocèse  ait  eu  à 
s'imposer  de  nouveaux  sacrifices.  Uplands  est  le  nom 
d'une  des  plus  belles  propriétés  de  Colombo,  avec  une 
superficie  de  11    hectares  et  dominant  tout  le   port. 


—  359  — 

Avant  la  mort  du  très  regretté  M»*-  IJostjëan,  cette  pro- 
priété avait  été  achetée  au  prix  de  grands  sacritices, 
pour  servir  d'emplacement  au  futur  collège.  Elle  dut 
toutefois,  après  de  longues  correspondances  et  négocia- 
tions et  un  appel  au  secrétaire  d'État,  lord  Ripon,  être 
cédée  au  gouvernement  local  qui,  en  retour,  paya  une 
compensation  pécuniaire  qui  suffit  à  elle  seule  à  couvrir 
à  peu  près  tous  les  frais  d'achat  de  la  propriété  actuelle  du 
collège.  C'est  sur  cette  dernière  qiie  le  42  décembre  1894, 
M^''  Zaleski,  délégué  apostolique  dans  les  Indes  orien- 
tales, posa  la  première  pierre  du  collège,  en  présence 
de  NN.  SS.  l'at-chevêque  de  Colombo  et  i'évêque  de 
Kandy,  au  milieu  d'un  nombreux  concours  de  catho- 
liques. Maintenant  un  vaste  bâtiment  à  deux  étages 
s'élève  gracieusement  sur  les  bords  du  lac  de  Colombo 
et  est  considéré  comme  un  des  plus  beaux  ornements  de 
la  ville.  Vu  du  Fort  et  de  Peltah,  c'est-à-dire  de  l'extré- 
mité opposée  du  lac,  le  bâtiment  présente  l'aspect  d'une 
véritable  forteresse. 

Un  personnel  enseignant,  composé  de  neuf  Pères 
Oblats,  de  trois  professeurs  laïques  anglais  et  de  trois 
maîtres  ceylanais,  sous  la  direction  du  R.  P.  Charles 
CoLLiN,  recteur  du  collège,  se  réunit  à  Colombo  dès  les 
premiers  jours  de  1896,  et  ouvrit  les  cours  le  2  mars  de 
la  même  année.  Cependant  l'inauguration  solennelle  de 
l'institution  n'eut  lieu  que  le  27  novembre  suivant.  A 
cette  solennité  se  trouvèrent  féunis  d'éminents  person- 
nages :  M^"  le  délégué  apostolique,  NN.  SS.  les  évèques 
de  Galle  et  de  Kandy,  S.  Exe.  le  gouverneur  de 
Ceylan  et  notre  bien-aimé  P.  Visiteur,  le  R.  P.  Cassien 
AuGiER,  qui  se  trouvait  alors  de  passage  à  Colombo,  au 
cours  de  son  voyage  en  Australie.  A  ce  collège,  destiné 
seulement  aux  hautes  études,  est  annexée  une  école 
préparatoire  sous  le  patronage  de  saint  Charles.  L'en- 


—  360  — 

seignement  y  est  donné  par  des  maîtres  indigènes  sous 
la  haute  direction   du  R.   P.  Lytton.  Le   nombre  des 
élèves  qui  fréquentent  le  collège  est  actuellement  de 
268  et  celui  des  élèves  de  Saint-Charles  de  257  :  total 
525.  Les  progrès  de  l'établissement  vont  toujours  crois- 
sant. La  majorité  des  enfants  étant  catholiques  (375  ca- 
tholiques sur  un  total  de  5:23),  il  nous   est  facile  de 
donner  un  esprit  vraiment  catholique  à  notre  jeunesse. 
Quant  aux  enfants  protestants,  bouddhistes,  païens  et 
même  mahométans  qui  fréquentent  le  collège ,  nous 
n'avons  qu'à  nous  louer  de  leur  bonne  tenue  et  du  res- 
pect qu'ils  témoignent  à  leurs  maîtres.  En  vue  des  futurs 
développements  de  cette  œuvre,  et  afin  de  fournir  à  nos 
Pères  professeurs  des  chambres  convenables,  M^'^l'arche- 
vêque  a  entrepris  la  construction  d'une  des  deux  ailes  qui 
forment  le  plan  général  du  collège.  Pour  cette  construc- 
tion, un  généreux  bienfaiteur  nous  est  venu  en  aide  ; 
mais  la  plus  lourde  charge  en  pèsera  nécessairement 
sur  le  diocèse  de  Colombo,  déjà  grevé  d'une  dette  con- 
sidérable pour  la  construction  du  bâtiment  principal. 

3°  Une  mission  à  Pettak.  —  Au  mois  de  mars  4896,  la 
ville  de  Colombo  fut  mise  en  mouvement  par  l'arrivée 
de  deux  missionnaires  Oblats,  venant  d'Irlande  :  les 
RR.  PP.  NicoLL  et  Brady.  Ils  donnèrent  d'abord  dans 
l'église  de  Saint-Philippe  de  Néri  (Pettah),  une  mission 
de  quinze  jours.  Une  foule  avide  se  pressait  à  tous  les 
sermons,  et  nombreuses  furent  les  conversions  de  vieux 
pécheurs  ou  d'incrédules  endurcis.  Un  triduum,  prêché 
à  la  cathédrale  devant  un  immense  auditoire,  fut  éga- 
lement couronné  de  succès.  Les  journaux  protestants 
eux-mêmes  firent  unanimement  écho  à  la  satisfaction  et 
à  l'admiration  de  nos  catholiques  de  Colombo,  en  louant 
en  termes  très  élogieux  l'éloquence  des  deux  prédica- 
teurs. Celle  visite  a  produit  d'excellents  résultats,  entre 


—  361  — 

autres  celui  d'augmenter  dans  noire  peuple  ceylanais 
Testime  et  la  confiance  en  notre  chère  Congrégation. 
Nous  espérons  bien  recevoir  de  loin  en  loin  de  sem- 
blables visites.  A  peine  les  RR.  PP.  Nicoll  et  Brady 
s'étaient-ils  embarqués  que  l'autorité  ecclésiastique  de 
Madras  nous  demandait,  en  grâce,  de  lui  envoyer  les 
deux  prédicateurs  pour  donner  une  mission  dans  cette 
grande  cité. 

4°  Monseigneur  Varchevêqué  et  le  vicaire  des  Missions.  — 
S.  Gr.  Ms""  Mélizan,  successeur  du  vénéré  W'^  Bonjean 
sur  le  siège  archiépiscopal  de  Colombo,  était  présent  au 
dernier  Chapitre  et  vint  prendre  possession  de  son  siège 
le  23  novembre  1893.  Pendant  tout  le  cours  de  l'an- 
née 1894,  il  se  livra  avec  son  zèle  et  son  activité  bien 
connus  à  l'administration  de  l'archidiocèse.  Mais  Dieu 
permit  qu'au  commencement  de  1895  une  grave  insola- 
tion lui  rendît  l'exercice  de  son  ministère  impossible 
pendant  de  longs  mois  et  nécessita  son  retour  en  France. 
La  convalescence  fut  longue,  et  ce  n'est  que  le  13  oc- 
tobre 1897  que  nous  eûmes  le  bonheur  d'accueillir  de 
nouveau  notre  pasteur  sur  sa  chère  terre  de  Geylan. 
Grâce  à  Dieu,  Monseigneur  a  retrouvé  assez  de  forces 
pour  se  livrer  à  ses  travaux  habituels  et  accomplir  les 
principaux  devoirs  de  sa  charge.  Cependant,   afin  de 
ménager  sa  santé  et  diminuer  le  poids  de  sa  responsa- 
bilité, le  T.  R.  P.  SouLLiER  voulut  bien  le  décharger  de 
la  charge  de  vicaire  des  Missions  de  Colombo.  De  plus, 
en  raison  de  l'importance  qu'a  prise  dernièrement  le 
vicariat  et  du  grand  nombre  de  missionnaires  Oblats  qui 
le  composent  (ils  sont   au  nombre  de  73  en  y  com- 
prenant les   3  Frères  convers  et    le  Père   novice),  le 
T.  R.  P.  Antoine,  vicaire  général  de  la  Congrégation,  a, 
par  décret  en  date  du  15  octobre  1897,  divisé  le  vicariat 
en  neuf  maisons,  districts  et  résidences,  avec  leurs  supé- 


—  362  — 

rieurs  ou  directeurs  et  assesseurs  respectifs,  sous  la 
direction  générale  du  vicaire  des  Missions.  De  cette  sorte, 
le  vicariat  de  Colombo  est  rentré  sous  la  loi  commune 
et  est  entièrement  gouverné  d'après  l'esprit  de  nos 
Saintes  Règles. 

5°  Visite  régulière.  —  Un  événement  heureux  est  venu 
inaugurer  pour  nous  l'année  1897,  nous  fortifier  au 
m.ilieu  de  nombreuses  et  grandes  difficultés  et  nous 
consoler  de  bien  des  peines.  Jp  veux  parler  de  la  visite 
du  R.  P.  Cassien  Augier,  assistant  général,  au  nom 
du  T.  R.  P.  SouLLiER.  Ayant  consacré  à  JalTna  les  pré- 
mices de  son  nouveau  ministère,  le  R.  P.  Augier  entre- 
prit, à  la  fin  de  mars,  la  visite  du  vicariat  de  Colombo, 
commençant  par  la  partie  septentrionale.  11  y  arriva 
après  un  pénible  et  fastidieux  voyage  de  50  milles  sous 
une  chaleur  accablante  à  travers  les  forêts  sauvages  qui 
séparent  Putlalam  d'Auuradhapura.  Le  district  de  Put- 
talam  fut  ainsi  visité  au  prix  de  grandes  fatigues,  et  la 
Mission  de  Ralpentyn,  quoique  la  plus  pauvre,  fut  ho- 
norée la  première  de  la  présence  du  R.  P.  Visiteur,  qui 
ne  manqua  pas  d'accomplir  son  pèlerinage  à  notre 
célèbre  sanctuaire  de  Sainte-Anne.  La  vue  des  belles 
Congrégations  de  Chilaw,  Marawila,Katuneriya  et  Wen- 
napuraï,  fruits  des  travaux  et  des  sueurs  des  premiers 
missionnaires  Oblats,  vint  tour  à  tour  réjouir  1  ame  du 
R.  p.  Visiteur.  A  Wennapuraï,  résidence  du  supérieur 
du  district,  il  réunit  pour  les  exercices  de  la  retraite 
la  plus  grande  partie  des  Pères.  Les  retraitants  s'y 
trouvèrent  au  nombre  de  douze.  Avant  de  commencer 
cette  première  retraite,  le  R.  P.  Visiteur  avait  pris  le 
chemin  des  montagnes  et  s'était  rendu  à  notre  sanato- 
rium de  Pussellawa  pour  y  prendre  quelques  jours  d'un 
repos  bien  mérité.  A  la  visite  du  district  de  Chilaw,  suc- 
céda  celle  de   la  province    occidentale  qui  occupa  le 


—  363  — 

R.  P.  AuGiER  jusqu'à  la  fin  juillet.  11  parcourut  et  exa- 
mina  en  détail  les  trente  et  une  Missions  qui  composent 
cette  province,  voyageant  toujours  à  l'apostolique  et 
partageant  la  simple  nourriture  du  missionnaire,  le  riz 
et  le  curry,  la  banane  et  la  mangue.  Il  voulut  même 
gotîter  à  la  fièvre  de  Ceylan,  qui  n'est  pas  le  fruit  le  plus 
doux  de  notre  chère  île.  Cette  impitoyable  visiteuse 
l'obligea  à  interrompre  pendant  quinze  jours  le  cours  de 
ses  travaux.  Dans  la  crainte  d'avoir  à  sacrifier  la  visite 
de  quelques  Missions,  le  bon  Père  se  remit  en  cam- 
pagne dès  qu'il  se  sentit  suffisamment  rétabli.  Au  com- 
mencement d'août,  il  se  rendait  à  Kurunegala,  capitale 
de  la  province  nord-ouest,  pour  faire  la  visite  de  cette 
résidence  et  du  couvent  de  la  Sainte-Famille  établi  dans 
cette  ville.  11  combla  les  vœux  de  celte  pieuse  commu- 
nauté dont  celle  de  Wennapuraï  vint  encore  grossir  les 
rangs,  en  donnant  une  retraite  de  huit  jours,  qui  se 
termina  le  13,  jour  de  la  grande  fête  de  l'Assomption. 
Trois  jours  après,  tous  les  Pères  du  vicariat,  à  l'excep- 
tion de  ceux  qui  avaient  pris  part  à  la  retraite  de  "Wen- 
napuraï, se  réunirent  au  nombre  de  cinquante  au  col- 
lège Saint-Joseph,  pour  y  suivre  les  exercices  de  la 
retraite  prêchée  également  parle  R.  P.  Visiteur.  Occupé 
très  activement  pendant  cinq  mois  à  visiter  chacune  de 
nos  Missions,  il  avait  acquis  une  connaissance  parfaite 
de  nos  difficultés,  de  l'importance  de  nos  travaux,  de 
nos  besoins  et  aussi  de  nos  points  faibles  ou  défec- 
tueux. Aussi  cette  retraite,  tout  empreinte  de  l'esprit 
de  nos  Saintes  Règles  et  du  sens  pratique  du  vrai  mis- 
sionnaire Oblat  et  dictée  par  un  cœur  débordant  de  cha- 
rité et  avide  de  faire  du  bien,  fut-elle  pour  nous  une 
raine  féconde  en  avis  fortifiants  et  en  précieux  encou- 
ragements. La  retraite  se  terminait  le  25  août,  fête  de 
notre  bien-aimé  et  regretté  P.  Général  auquel  les  cin- 


—  364  -- 

quante  Pères  présents  envoyèrent  une  lettre  de  félici- 
tations et  de  remerciements.  Ce  jour-là,  les  retraitants 
offrirent  tous  la  sainte  messe  pour  ce  vénéré  Père  dont 
l'état  de  santé  nous  causait  déjà  de  vives  inquiétudes. 
Le  lendemain,  le  R.  P.  Visiteur  chantait  la  messe  pour 
les  quarante  et  un  missionnaires  Oblats  tombés  au  champ 
d'honneur  depuis  l'établissement  de  notre  Congrégation 
dans  l'île  de  Ceylan,  en  1847.  Soixante  Oblats,  dont 
cinquante-sept  prêtres,  assistaient  à  celte  imposante 
cérémonie. 

Trois  jours  après,  le  29  août,  nous  accompagnions, 
le  cœur  bien  gros,  notre  cher  Père  visiteur  à  bord  du 
beau  steamer  la  Ville  de  la  dotai,  qui  l'emmena  à  toute 
vapeur  auprès  de  notre  bien-aimé  Supérieur  général 
mourant. 

PERSONNEL. 

1°  Statistique.  —  Le  nombre  des  Pères  et  Frères  Oblats 
dans  le  vicariat  de  Colombo  est  de  71,  dont  67  prêtres 
profès,  1  novice  prêtre  et  3  Frères  convers.  De  ce 
nombre,  H  Pères  sont  employés  dans  l'administration 
et  les  œuvres  diocésaines,  iû  au  collège  Saint-Joseph, 
46  dans  les  Missions.  Les  trois  Frères  convers  travaillent 
avec  le  plus  grand  dévouement,  sous  la  direction  du 
R.  P.  CoNRARD,  à  l'Orphelinat  Saint-Vincent  de  Mag- 
gona,  où  ils  rendent  de  précieux  services.  Nous  regret- 
tons seulement  que  leur  nombre  soit  si  restreint. 

Pas  un  seul  des  missionnaires,  dans  ce  vicariat,  n'est 
à  la  retraite.  Cependant,  nous  avons  des  vétérans  parmi 
nous  :  les  RR.  PP.  Le  Cam,  Le  Lons,  Laclau-Pussacq, 
et  surtout  le  R.  P.  Guounavel,  qui,  malgré  son  âge 
avancé,  parait  moins  disposé  que  jamais  à  mettre  bas 
les  armes.  Grâce  à  son  acharnement  au  travail,  il  com- 
plète une  série  d'ouvrages  singhalais,  qui  seront,  pour 


—  363  — 

nos  Pères  et  pour  nos  catholiques  ceylanais,  d'une 
grande  utilité. 

Malgré  l'intensité  et  la  continuité  de  la  chaleur,  la 
santé  de  nos  Pères  se  maintient  généralement,  sans 
toutefois  être  robuste.  11  arrive  souvent  que  ce  sont  les 
plus  jeunes  qui  ont  le  plus  à  souffrir,  du  moins  pour 
s'acclimater,  et  leurs  forces  physiques  ne  répondent  pas 
toujours  à  leur  vaillance. 

Depuis  le  dernier  Chapitre,  nous  n'avons  eu  à  regret- 
ter qu'un  seul  décès,  celui  du  R.  P.  Curysostome,  jeune 
prêtre  indigène,  enlevé  prématurément  à  ses  travaux 
apostoliques  par  une  fièvre  cérébrale, le  24  mars  1896. 
C'était  un  sujet  très  dévoué,  zélé  et  édifiant. 

2°  Vie  intérieure.  —  Tous  savent  combien  il  est  diffi- 
cile d'unir  la  ferveur  du  zèle  apostolique  à  la  pratique 
des  œuvres  extérieures,  si  nombreuses  dans  les  Mis- 
sions étrangères,  et  d'apporter  à  la  construction  et  à 
l'administration  temporelle  des  églises,  ainsi  qu'à  la 
visite  des  écoles  un  esprit  vraiment  intérieur  favorisant 
la  régularité  parfaite.  Je  ne  prétends  pas  que,  sous  ce 
rapport,  les  Oblats  de  Colombo  soient  absolument  sans 
reproche.  Cependant,  je  crois  pouvoir  dire  que  nos  Pères 
ont  une  profonde  estime  et  un  ardent  amour  de  leur 
vocation.  Ils  témoignent  un  vif  attachement  à  notre 
chère  Congrégation,  dont  ils  s'estiment  très  honorés 
d'être  membres  et  s'efforcent  de  la  représenter  digne- 
ment dans  l'île  de  Ceylan,  La  retraite  annuelle  a  tou- 
jours été  fidèlement  pratiquée  parmi  nous;  cependant, 
comme  chaque  année,  quelques  Pères  étaient  laissés  en 
charge  des  Missions  pendant  la  durée  de  la  retraite  et 
étaient  ainsi  privés  du  bienfait  de  ces  saints  exercices, 
le  R.  P.  Visiteur  a  réglé  que,  désormais,  nous  aurions 
deux  retraites  ^chaque  année,  afin  de  permettre  à  tous 
les  Oblals  de  se  conformer  sur  ce  point  à  nos  Saintes 


—  366  — 

Règles.  Dès  cette  année,  nous  avons  mis  à  exécution  ce 
nouveau  règlement.  La  retraite  mensuelle  est  aussi  en 
honneur  chez  nous.  La  nouvelle  division  du  vicariat  en 
maisons  et  districts  a  déjà  commencé  à  en  rendre  la 
pratique  beaucoup  plus  facile  à  nos  Pères  mission- 
naires. Jusqu'à  présent,  nous  n'avons  tenu  les  confé- 
rences théologiques  qu'à  Colombo,  comme  étant  le  seul 
centre  où  il  était  facile  de  réunir  un  certain  nombre  de 
missionnaires.  J'espère  qu'avant  peu  nous  pourrons 
l'établir  dans  d'autres  centres,  tels  que  Négombo,  Wen- 
napuraï  et  Kalutara. 

3°  Vie  extérieure.  —  Après  deux  ans  environ  donnés 
à  l'étude  des  langues  et  à  la  connaissance  des  habitudes 
et  des  mœurs  de  nos  chrétiens,  le  jeune  missionnaire 
est  lancé  dans  le  ministère  actif,  ayant  à  desservir  de 
1500  à  8000  catholiques,  suivant  la  localité  où  l'envoie 
l'obéissance.  Ces  chrétiens  habitent  différents  villages 
ayant  chacun  leur  église  et  leur  école  et  sont  visités 
tour  à  tour  pendant  le  cours  de  l'année.  La  prédication, 
le  catéchisme,  les  baptêmes,  les  mariages,  la  visite  des 
malades,  la  direction  des  confréries,  l'inspection  des 
écoles  et  l'administration  temporelle  de  la  Mission, 
remplissentles  journées  du  missionnaire,  sans  lui  laisser 
aucun  loisir.  Sauf  de  rares  exceptions,  nos  Pères  sont 
seuls  dans  leurs  Missions.  Ce  n'est  pas  un  étal  de  choses 
désirable  ni  favorable  au  développement  de  l'esprit 
religieux;  mais,  peu  à  peu,  au  fur  et  à  mesure  que 
notre  nombre  augmentera,  nous  nous  efforcerons  d'y 
porter  remède  et  d'envoyer  nos  missionnaires  deux  par 
deux,  selon  l'esprit  de  nos  Saintes  Règles. 

Le  ministère  de  nos  Pères  est  un  ministère  parois- 
sial ;  cependant,  nous  avons  beaucoup  de  retraites  à 
prêcher  dans  les  différentes  communautés  religieuses 
du  diocèse.  Ce  travail  s'ajoute  comme  par  surcroît  aux 


—  367  — 

occupations  ordinaires,  déjà  très  accablantes.  Aussi  dé- 
sirons-nous, pour  obvier  à  cet  inconvénient,  la  fondation, 
dans  le  vicariat,  d'une  maison  d'Oblats  uniquement  oc- 
cupés à  la  prédication.  Outre  les  retraites  ci-dessus  men- 
tionnées, ces  Pères  pourraient  donner,  chaque  année, 
des  missions  en  règle  dans  les  diverses  paroisses  du 
diocèse,  et  produire  ainsi  un  bien  immense,  qu'on  ne 
pent  attendre  du  ministère  paroissial  ordinaire. 

ŒUVRES. 

Division  du  vicariat.  —  Le  vicariat  de  Colombo  est 
divisé  en  neuf  maisons,  districts  et  résidences,  qui 
sont  :  1°  la  maison  du  Sacré-Cœur  de  Borella  et  le  dis- 
trict de  Colombo  ;  2°  la  maison  dq  collège  Saint- Joseph  ; 
3°  la  maison  de  Kotahena  ou  de  la  Cathédrale  (ces  trois 
maisons  ont  leur  siège  à  Colombo);  4°  le  district  de 
Wennapuraï,  dans  la  province  nord-ouest;  5» le  district 
de  Négombo,  pour  la  partie  nord  de  la  province  occi- 
dentale ;  6°  le  district  de  Maggona,  pour  la  partie  sud 
de  cette  même  province  ;  7"  la  résidence  de  Pettah  ; 
8°  celle  de  Rurunegala,  se  rattachant  toutes  les  deux  à 
la  maison  du  Sacré-Cœur  de  Borella,  et,  enfin,  9°  la 
résidence  de  Puttalam,  se  rattachant  à  la  maison  de 
Wennapuraï. 

Population.  —  Les  catholiques  du  vicariat  de  Colombo 
atteignent  le  chiffre  de  183  826,  sur  une  population 
totale  de  1  083  781  habitants.  Il  y  a  environ  30  000  protes- 
tants, 80000  mahométans  et  780  000  bouddhistes  ou 
païens.  Nos  chrétiens  sont,  en  grande  majorité,  singha- 
lais.  11  y  a  cependant  un  bon  nombre  de  Tamouls  sur 
la  côte  septentrionale  du  vicariat.  Leurs  principaux 
centres  sont  Puttalam,  Chilaw,  Naïnamadam  et  Né- 
gombo. Les  Tamouls  de  Jaffna  sont  assez  répandus  dans 


—  368  — 

diverses  parties  du  diocèse,  ainsi  que  ceux  qui  viennent 
de  la  côte  de  l'Inde,  et  sont  employés  comme  coolis  aux 
plantations  de  thé. 

Nos  chrétiens  singhalais  ont,  en  général,  une  foi  vive, 
aiment  beaucoup  les  cérémonies  de  l'Eglise  et  tout  ce 
qui,  dans  le  culte  divin,  frappe  les  yeux  ou  l'imagination. 
Ils  ont  aussi  un  grand  zèle  pour  la  construction  et 
l'ornementation  de  leurs  églises  et  un  profond  respect 
pour  leurs  missionnaires.  Naturellement,  ils  sont  portés 
à  la  mollesse  ;  cependant  leur  caractère  est  vif  et  irri- 
table. Dans  les  premières  années  de  notre  séjour  à 
Colombo,  ils  nous  ont  causé  beaucoup  de  soucis  par 
leurs  fréquentes  révoltes  ayant  leur  origine  dans  des 
questions  de  caste  ou  d'administration  temporelle.  -Mais 
grâce  au  gouvernement  à  la  fois  ferme  et  prudent  du 
regretté  M^""  Bonjean,  la  soumission  est  maintenant  à 
peu  près  complète.  Aussi,  depuis  plusieurs  années,  nous 
n'avons  qu'à  nous  louer  de  leur  obéissance  et  de  leur 
respect  pour  le  prêtre.  La  disparition  de  la  juridiction 
goanaise,  dans  le  diocèse  de  Colombo,  a  été  pour  nous 
une  source  de  bénédictions,  car  la  double  juridiction 
dans  un  même  diocèse  était  un  ferment  de  discorde  au 
milieu  d'un  peuple  facilement  porté  au  schisme.  Le 
seul  souvenir  qui  nous  reste  du  régime  goanais  est  une 
petite  église  de  révoltés  qui,  sous  le  nom  de  catholiques 
indépendants  et  le  régime  du  pseudo-archevêque  Alva- 
rez, persistent  obstinément  dans  le  schisme.  Je  recom- 
mande instamment  aux  prières  de  la  Congrégation  la 
cessation  de  l'état  d'aveuglement  de  ces  indigènes  ca- 
tholiques. 

Stations  et  résidences.  —  H  y  a  dans  le  vicariat  47  sta- 
tions principales  dont  chacune  est  la  résidence  d'un  ou 
de  plusieurs  missionnaires.  A  ces  stations  principales, 
qui  sont  tout  autant  de  centres  de  Missions,  sont  rat- 


—  369  ~ 

tachées  205  stations  secondaires,  groupées  de  telle  façon 
autour  de  leurs  centres  que  les  missionnaires  puissent 
les  visiter  régulièrement.  Plusieurs  de  ces  stations  se- 
condaires sont  le  siège  de  chrétientés  qui  ne  comptent 
pas  moins  de  1  SOO  ou  2  000  âmes.  Quant  aux  stations 
principales,  il  en  est  un  assez  grand  nombre  où  l'on 
trouve  des  chrétientés  de  2  000  à  4  000  âmes.  Enfin,  parmi 
nos  Missions,  il  en  est  peu  qui  ne  renferment  pas  au 
moins  4  000  chrétiens  ;  la  population  fixe  de  quelques- 
unes  varie  entre  6  000  et  12  000.  Il  y  a  dans  le  diocèse 
de  Colombo  181  églises  et  81  chapelles.  On  rencontre 
parmi  les  premières  de  véritables  monuments^  fruits  de 
la  piété  et  du  zèle  de  nos  Indiens  et  même  plusieurs  de 
nos  chapelles  sont  assez  spacieuses  pour  contenir  au 
moins  un  millier  de  personnes. 

ÉCOLES. 

Écoles  élémentaires .  —  Nous  avons  dans  le  vicariat  de 
Colombo  307  écoles  primaires,  22  anglaises  et  288  ver- 
naculaires,  c'est-à-dire  singhalaises  ou  tamoules.  Ces 
écoles  primaires  sont  fréquentées  par  24  577  élèves 
(14  340  garçons  et  10  237  filles),  dont  les  six  septièmes 
environ  sont  catholiques  ;  l'instruction  qui  y  est  donnée 
est  entièrement  catholique  ;  le  catéchisme  y  est  enseigné 
chaque  jour  pendant  une  demi-heure.  Sous  peu,  même 
les  livres  classiques  seront  des  livres  catholiques.  La 
composition  de  ces  livres  touche  bientôt  à  sa  fin.  Nos 
instituteurs  sont  tous  laïques,  cependant  deux  de  nos 
écoles  sont  dirigées  par  les  chers  Frères  de  Saint-Vin- 
cent de  Paul,  œuvre  nouvellement  fondée  qui,  j'espère, 
nous  fournira  avant  peu  d'excellents  maîtres  pour  nos 
écoles  de  garçons.  Les  écoles  de  filles  sont,  pour  la 
plupart,  confiées  aux  Sœurs  indigènes  de  Saint-Pierre 


—  370  — 

et  de  Saint-Ffaiiçoîs-Xavier.  Ces  deux  œuvres,  la  pre- 
mière surtout,  sont  extrêmement  prospères  et  rendent 
d'éminents  services  au  diocèse  de  Colombo.  Les  Sœurs 
de  la  Sainte-Famille  dirigent  la  Congrégation  de  Saint- 
Pierre  et  les  Sœurs  du  Bon-Pasleur,  celle  de  Saint- 
François-Xavier. 

Je  dois  ajouter  que  le  grand  succès  de  nos  écoles  élé- 
mentaires, qui  n'a  pas  son  égal  dans  toutes  les  Indes, 
est  dû,  en  grande  partie,  au  secours  que  nous  recevons 
dugouvernementanglais,  qui,  sous  ce  rapport,  met  toutes 
les  religions  sur  le  même  pied.  Le  tableau  suivant  montre 
le  rang  honorable  occupé  par  l'archidiocèse  de  Colombo 
parmi  les  principaux  diocèses  de  l'Inde,  en  ce  qui  re- 
garde les  écoles. 

Noms  Population  Nombre  Nombre 

des  diocèses,  catholique.  d'écoles.         d'enfants. 

Colombo 183  826  307  24  577 

Trichinopoly.... 200  000  234  9  148 

Pondichéry 201000  136  bllo 

Tricheur 102  000  190  8  598 

Jaffna 39  314  83  5  148 

Calcutta 62  090  27  6  018 

Madras 44  332  78  4  935 

Quilon 87  000  98  4  005 

Ecoles  industrielles  et  orphelinats.  —  Aux  écoles  de 
filles  de  Kotahena,  Moratuwa,  Wennapuraï,  Négombo, 
Pamunugama  et  Kurunegala,  sont  attachées  des  écoles 
industrielles  où  les  élèves  apprennent  la  broderie,  la 
dentelle  qui  est  une  des  industries  spéciales  du  pays,  etc. 
Notre  orphelinat  de  Saint-Vincent  de  Paul,  à  Maggona, 
possède  aussi  une  école  industrielle  de  garçons  en 
pleine  prospérité.  Là,  la  menuiserie,  l'imprimerie,  la 
reliure,  la  couture,  le  jardinage  sont  en  grand  honneur. 
Les  jeunes  orphelins  semblent  prendre  beaucoup  de 
goût  à  ce  genre  de  travail  et  acquièrent  une  assez  grande 
perfection  dans  ces  divers  métiers.  Du  reste,  sous  tous 


-    371  — 

les  rapports^  l'œuvre  de  Maggonaestune  dés  plus  floris- 
santes du  diocèse.  Les  orphelins,  au  nombre  de  95, 
sont  pour  la  plupart  nés  dans  le  paganisme  ;  mais  à 
Saint-Vincent,  ils  sont  élevés  comme  les  enfants  de 
Jésus-Christ.  Attenante  à  l'orphelinat,  est  une  œuvre 
bien  modeste  et  bien  indispensable  :  c'est  celle  d'un  ré- 
formatoire  pour  les  jeunes  catholiques  de  l'île.  Nous 
n'avons.  Dieu  merci,  qu'une  dizaine  de  jeunes  détenus 
qui  ne  donnent  pas  trop  de  tracas  à  leur  directeur, 
le  cher  F.  Lépinay.  Une  autre  œuvre  de  plus  grande 
importance,  attachée  aussi  à  l'orphelinat  de  Maggona,  est 
la  Congrégation  des  Frères  indigènes  de  Saint-Vincent 
de  Paul.  Fondée  en  1890,  elle  compte  actuellement  qua- 
torze jeunes  gens  suivant  fidèlementla  règle  du  Tiers  Ordre 
de  Saint-François  d'Assise,  sous  la  sage  direction  de 
leur  supérieur,  leR.  P.  Conrard.  Ils  sont  employés  comme 
surveillants  à  l'orphelinat,  comme  instituteurs  dans 
deux  florissantes  écoles  qui  réunissent  près  de  300  élèves 
et  comme  professeurs  à  l'école  industrielle.  L'orphelinat 
de  Saint-Vincent  de  Paul,  fondé  par  Ms""  Bonjean,  a  reçu 
sous  son  successeur,  M^'  Mélizan,  des  développements 
très  considérables.  Le  vénéré  prélat  a  contribué  très 
généreusement  à  l'érection  des  divers  bâtiments  qui 
forment  de  l'orphelinat  de  Maggona  un  petit  village 
gracieusement  situé  et  régulièrement  bâti.  Il  y  a  cepen- 
dant un  vide  :  c'est  l'absence  d'une  chapelle  convenable 
et  digne  de  la  grandeur  de  cette  œuvre. 

Les  Dames  du  Bon-Pasteur  dirigent  à  Colombo  un 
orphelinat  de  filles  dont  le  nombre  dépasse  150.  C'est 
une  institution  florissante.  Les  Sœurs  de  la  Sainte-Fa- 
mille en  dirigent  un  autre  plus  modeste^  puisqu'il  ne 
compte  que  35  enfants,  mais  non  moins  méritoire,  à  en 
juger  par  les  difficultés  de  tous  genres  qu'elles  ont  à 
surmonter  pour  mener  cette  œuvre  à  bonne  fin. 


—  372  — 

Les  Sœurs  Franciscaines-Missionnaires  de  Marie  lo- 
gent dans  leur  couvent  de  Moraluwa  25  orphelines  et 
ont  soin  également  de  2o  autres  placées  dans  des  fa- 
milles catholiques,  comme  aussi  des  18  enfants  trouvés 
qu'elles  tiennent  en  nourrice  et  pour  l'entretien  desquels 
elles  reçoivent  du  diocèse  une  rétribution  mensuelle  qui 
suffit  à  toutes  les  dépenses.  Enfin  les  Sœurs  indigènes  de 
Saint-François-Xavier  entretiennent  à  Négombo  46  or- 
phelines et  13  à  Kalamulla.  Pour  le  maintien  de  ces  di- 
vers orphelinats,  les  maigres  revenus  du  diocèse  sont  en 
partie  absorbés.  Mais  la  difficulté  n'est  pas  de  recevoir 
les  petites  filles  singhalaises,  tamoules  ou  burghers  dans 
les  orphelinats  ni  même  de  les  élever,  malgré  les  grands 
sacrifices  que  l'éducation  de  ces  enfants,  actuellement 
au  nombre  de  320,  impose  au  diocèse,  c'est  surtout  de 
les  placer  convenablement  dans  le  monde  et  de  les  ma- 
rier honnêtement  lorsqu'elles  sortent  de  ces  asiles  bénis. 
Je  ne  saurais  terminer  cette  question  des  écoles  élé- 
mentaires et  des  orphelinats,  sans  payer  un  juste  tribut 
de  louanges  aux  deux  écoles  anglaises  dirigées,  l'une 
par  les  Dames  du  Bon-Pasteur  à  Colombo,  l'autre  par 
les  Sœurs  de  la  Sainte-Famille  àKurunegala.  Dans  ces 
deux  établissements,  les  jeunes  filles  de  nos  meilleures  ' 
familles  singhalaises  ou  burghers  reçoivent  une  éduca- 
tion vraiment  soignée.  Les  inspecteurs  du  gouverne- 
ment ne  tarissent  pas  d'éloges  chaque  fois  qu'ils  sont 
appelés  à  faire  passer  les  examens  dans  ces  écoles,  qui 
actuellement  comptent  environ  300  élèves. 

Quant  aux  Petites  Sœurs  des  pauvres,  elles  conti- 
nuent à  s'occuper  de  nos  vieillards  avec  un  dévouement 
au-dessus  de  tout  éloge.  Elles  en  ont  actuellement  doO 
et  leur  établissement  continue  à  se  développer  admira- 
blement. 

Collèges.  —  Nous  avons  à  Colombo  deux  beaux  col- 


—  373  — 

lèges  :  celui  de  Saint-Joseph  et  celui  de  Saint-Benoît. 
Nous  avons  déjà  parlé  du  premier,  disons  un  mot  du 
second.  Le  collège  de  Saint- Benoît  est  depuis  près 
de  trente  ans  sous  la  direction  des  Frères  des  Écoles 
chrétiennes  qui  y  donnent  l'enseignement  élémentaire 
anglais.  Les  élèves  continuent  à  y  affluer  et  nous  avons 
à  nous  féliciter  de  ce  que  l'établissement  du  collège 
Saint-Joseph,  avec  ses  525  élèves,  n'a  fait  aucun  tort 
à  cette  ancienne  institution.  L'institut  Saint-Benoît,  at- 
tenant à  la  cathédrale,  rend  de  grands  services,  les  jours 
de  fêtes,  par  son  excellente  chorale.  Les  anciens  élèves 
sont  réunis  en  Congrégation  de  la  Sainte  Vierge  et  pour 
cette  raison  portent  le  nom  de  sodalistes.  L'esprit  de 
piété  et  la  pratique  des  sacrements  sont  soigneusement 
entretenus  et  développés  dans  cette  confrérie.  Les  Frères 
enseignants  sont  au  nombre  de  dix-huit,  pleins  de  zèle 
dans  l'exercice  de  leurs  fonctions  et  très  édifiants  par  leur 
fidélité  à  la  pratique  de  leur  règle,  malgré  la  chaleur 
et  autres  inconvénients  provenant  du  climat  énervant 
de  Colombo.  Le  nombre  des  élèves  fréquentant  actuel- 
lement le  collège  de  Saint-Benoît  est  de  543.  Ajoutant 
à  ce  chiffre  celui  de  525  élèves  qui  fréquentent  le  collège 
de  Saint- Joseph,  nous  atteignons  le  chiffre  de  1 068.  Outre 
ces  deux  collèges,  il  y  a  encore  à  Colombo  d'autres  écoles 
anglaises  catholiques  vraiment  florissantes. 

Séminaires.  —  Le  séminaire  Saint-Bernard,  attaché  à 
la  maison  du  Sacré-Cœur  de  Borella,  contient  trente 
élèves,  dont  huit  se  livrent  aux  études  théologiques  et 
se  préparent  à  la  réception  des  saints  ordres.  Cette 
année-ci,  au  mois  de  janvier,  le  séminaire  nous  a  donné 
quatre  prêtres,  dont  trois  Oblats  et  un  séculier.  Malheu- 
reusement, il  s'écoulera  plusieurs  années  avant  que 
nous  puissions  recueillir  de  nouveaux  fruits.  Pour  faci- 
liter le  recrutemicnt  de  nos  jeunes  lévites,  un  petit  sémi- 

T.   XXXVI.  25 


—  374  — 

naire  fut  fondé  en  1893.  Là  sont  admis  des  enfants  d'en- 
viron douze  ans,  dont  les  bonnes  qualités  et  dispositions 
favorables  font  espérer  le  développement  d'une  vocation 
sacerdotale.  Au  séminaire,  ils  sont  formés  à  la  piété,  et 
au  collège  Saint-Joseph,  ils  apprennent  l'anglais,  le  la- 
tin, le  grec  et  les  sciences.  Je  puis  leur  rendre  le  témoi- 
gnage que  jusqu'à  présent  ils  ont  tous  brillé  par  leurs 
succès  au  collège  et  sont  un  exemple  pour  les  autres 
élèves.  Le  nombre  de  ces  enfants  est  actuellement  de 
vingt-deux.  C'est  là  vraiment  une  œuvre  qui  promet 
pour  l'avenir,  mais  entièrement  aux  frais  de  l'arche- 
vêque de  Colombo.  La  direction  de  ce  double  séminaire 
est  confiée  au  R.  P.  Coquil,  qui,  depuis  plus  de  douze 
ans,  s'acquitte  avec  autant  de  zèle  que  de  tact  des  diffi- 
ciles fonctions  de  directeur,  aussi  bien  que  de  celles  de 
maître  des  novices. 

ADMINISTRATION   DES   SACREMENTS. 

Administration  des  sacrements  pour  les  années  1894-1895. 

{Avant  la  division  des  diocèses.) 
Population  catholique  du  vicariat  de  Colombo  :  149  826. 

1894.  1893.  Totaux. 

Mariages 1226  1279  2505 

Confessions 180104  179066  359170 

Communions 179  067  173  723  352  790 

Vicatiqiies 1243  1108  2  351 

Extrêmes-onctions..  2272  2330  4602 

Confirmations 4  905  1295  6  200 

Administration  des  sacrements  pour  les  onn^s  1896-1897. 

{Après  la  division  des  diocèses.) 
Population  catholique  du  vicariat  de   Colotnbo  :  183  826. 

1896.  1897.  Totaux. 

Mariages 1628  1727  3  355 

Confessions 242274  270763  513037 

Communions 232386  256  250  488636 

Viatiques 1491  1288  2779 

Extrêmes-onctions..  2  665  2  398  3  063 

Confirmations 7  372  2125  9  497 


—  378  — 

TABLEAU  COMPARATIF   POUR   LES   ANNÉES   1892    ET   1895 

(dernière  année  avant  la  division). 

1892.  1805.  Augmentation. 

Mariages 1188  1279  91 

Confessions 177  566  179  066  1300 

Communions 166905  173723  6  818 

Viatiques 1086  1108  22 

Extrêmes-onctions..  2  082  2  330  248 

Confirmations 1538  }293  Dirp.  243 

CONVERSIONS.  —  BAPTÊMES. 

Avant  la  division.  1892.  1894,  1895. 

Baptènies  d'enfants  catholiques 4  548  4752  4920 

—  —         d'hérétiques.  ...  34  50  37 

—  —         d'infidèles 331  413  330 

—  d'adultes  hérétiques 97         l4l         145 

—  —        infidèles 717         863         919 


Totaux 5727  622J      6349 

Après  la  division.  1896.  1897. 

Baptêmes  d'enfants  catholiques 6  312  6902 

—  —        d'hérétiques 42        41 

—  —       d'infidèles 387       471 

—  d'adultes  hérétiques 160       125 

—  —        infidèles 995  1069 


Totaux 7  896    8  608 

TABLEAU  COMPARATIF   ENTRE  LES  ANNÉES  1892  ET  1895 

(dernière  année  avant  la  division). 

Augmen-  Dimi- 
1892.     1893.      talion,   nation. 

Baptêmes  d'enfants  catholiques 4  548    4  920        372  » 

—  —        d'hérétiques 34         37  3  » 

—  —        d'infidèles 331       330  »  1 

—  d'adultes  hérétiques 97       145         48         » 

—  —        infidèles 717       916        199  » 

Totaux 6  349     3727 

Cette  statistique  montre  clairement  que  l'année  1895 
surpasse  l'année  1892  comme  résultat  au  point  de  vue 
des  conversions.  Ainsi  pour  les  baptêmes  d'adultes  héré- 
tiques, il  y  a  une  augmentation  de  quarante-huit  et  pour 


—  376  — 

les  baptêmes  d'adultes  infldèles,  il  y  a  une  augmentation 
de  cent  quatre-vingt-dix-neuf.  Ce  progrès  toutefois  n'est 
pas  très  considérable.  Cela  tient  à  ce  que  nos  Pères  sont 
de  plus  en  plus  absorbés  par  les  soins  à  donner  à  nos 
catholiques  (ils  ont  chacun  une  moyenne  de  quatre  mille 
catholiques  environ)  et  ne  peuvent  s'occuper  que  fort 
indirectement  et  comme  à  la  dérobée  de  la  conversion 
des  adultes  hérétiques  et  infidèles. 
,  Parmi  les  moyens  de  conversion  que  nous  employons, 
mentionnons  en  premier  lieu  la  création  des  Missions  de 
l'intérieur.  Celles  de  Katunayaka,  de  Midellevita  et  plu- 
sieurs autres  ont  déjà  donné  des  résultats  très  satisfai- 
sants. Mais  il  ne  faut  pas  se  dissimuler  les  difficultés: 
les  bouddhistes,  surtout  de  nos  jours,  nous  offrent  une 
formidable  résistance.  A  notre  avis,  le  meilleur  moyen 
d'arriver  à  les  convertir  est  d'augmenter  la  foi  et  d'amé- 
liorer les  mœurs  de  nos  fidèles  dont  le  bon  exemple  est 
le  meilleur  appât  pour  attirer  les  âmes.  A  Geylan,  plus 
que  partout  ailleurs  peut-être,  nous  pouvons  constater 
combien  est  sage  la  règle  que  notre  vénéré  Fondateur 
trace  à  ses  missionnaires  :  Primam  sibi  legem  statuent 
catholicos  speciall  cura  fovere  incolas,  qui,  cunctarum 
virtutum  splendore  adornati,  luceant  tanquam  lucernx  in 
caliginoso  loco,  suoque  exemplo  sint,  veluti  Cliristi  bonus 
odor  ubique  diffusas.  Impossible  de  mettre  davantage 
cette  règle  en  pratique.  Nous  devrions  subdiviser  nos  mis- 
sions et  donner  plus  de  loisir  à  nos  missionnaires  pour 
mieux  instruire  leurs  chrétiens  et  leur  inspirer  une  piété 
plus  éclairée.  Mais  pour  atteindre  ce  but,  il  nous  fau- 
drait au  moins  quinze  missionnaires  do  plus.  Depuis 
quelques  années,  nous  nous  sommes  efforcés  de  former 
des  catéchistes,  instruments  tout  à  fait  indispensables, 
pour  la  conversion  des  infidèles.  Quelques-uns  de  nos 
Pères  ont  réussi  à  former  des  hommes  de  valeur.  Nous 


—  377  — 

continuerons  à  développer  cette  œuvre  autant  que  pos- 
sible. 

Presse  catholique.  —  Ainsi  que  le  rapport  lu  au  der- 
nier Chapitre  l'a  fait  connaître,  nous  avons  une  presse 
catholique  à  Colombo.  Bien  que  la  modicité  de  nos  res- 
sources ne  nous  permette  pas  de  donner  à  cette  oeuvre 
capitale  tous  les  développements  qu'elle  devrait  avoir 
dans  un  pays  oii  il  y  a  tant  de  journaux  protestants, 
sectaires  ou  athées,  publiés  tant  en  anglais  qu'en  langue 
vernaculaire,  il  y  a  sous  ce  rapport  un  progrès  que  je 
dois  signaler.  Notre  journal  anglais,  le  Ceylon  Catholic 
Messenger,  a  agrandi  son  format,  et  notre  journal  sin- 
ghalais,  le  Nianartha  Pradlpaya,  est  devenu  bi-hebdo- 
madaire.  Ces  journaux  continuent  à  être  les  organes 
religieux  et  les  défenseurs  intrépides  de  la  vérité  et  des 
droits  de  l'Eglise.  Ils  contribuent  puissamment  aussi  à 
faire  connaître  et  respecter  notre  chère  Congrégation. 

RÉSUMÉ. 

Tout  ce  qui  précède  démontre  clairement  que  le  vica- 
riat de  Colombo  est  dans  un  état  florissant.  Je  ne  sais 
même  pas  si,  grâce  aux  sacrifices  faits  par  la  Congréga- 
tion, il  y  a  dans  tout  l'Orient  un  seul  diocèse  qui  puisse 
lui  être  comparé.  Cependant  il  ne  faut  pas  se  dissimuler 
que,  depuis  le  dernier  Chapitre,  toutes  les  forces  vives  se 
sont  portées  sur  un  seul  point  :  le  collège  Saint-Joseph, 
œuvre  de  la  plus  haute  importance  qui  a  dû  primer  sur 
toutes  les  autres.  Non  seulement,  M^''  l'archevêque  de 
Colombo  a  affecté  tous  ses  fonds  disponibles  à  la  cons- 
truction des  bâtiments  et  a  même  contracté  un  emprunt 
à  cet  effet,  mais,  chaque  année,  une  bonne  partie  des 
revenus  du  diocèse  sera  absorbée  par  l'entretien  d'un 
coûteux  personnel  enseignant.  Depuis  le  dernier  Cha- 


—  378  — 

pitre,  la  Congrégation  nous  a  envoyé  douze  mission- 
naires. C'est  beaucoup  et  nous  pouvons  dire  que  nous 
avons  été  véritablement  favorisés.  Et  pourtant,  comme 
ces  Pères  ont  été  promptement  placés  !  Dé  ces  douze 
missionnaires,  quatre  sont  professeurs  au  collège,  cinq 
remplacent  des  Pères  enlevés  au  ministère  pour  être 
employés  à  l'enseignement  ;  il  ne  nous  en  reste  donc 
que  trois,  y  compris  le  remplaçant  du  Père  Chrystostome, 
décédé. 

Cependant,  chaque  année,  le  nombre  des  baptêmes 
ajoute  plusieurs  milliers  de  chrétiens  à  notre  popula- 
tion déjà  si  considérable.  Pour  faire  face  à  cet  accrois- 
sement constant,  il  faudrait  donc  un  accroissement 
proportionné  dans  le  nombre  des  ouvriers  évangéliques. 
Nous  avons,  il  est  vrai,  notre  séminaire  Saint-Bernard 
qui,  plus  tard,  donnera  chaque  année  son  contingent  de 
bons  prêtres  indigènes.  Mais,  en  attendant,  nous  sommes 
dans  un  véritable  état  de  souffrance.  N'avons-nous  pas  à 
répondre  devant  l'Eglise  des  âmes  de  cent  quatre-vingt- 
trois  raille  catholiques  confiés  aux  soins  de  quarante- 
neuf  missionnaires,  soit  quarante-quatre  prêtres  Oblats 
et  cinq  prêtres  séculiers,  c'est-à-dire  en  moyenne  près 
de  quatre  mille  chrétiens  pour  chaque  prêtre  ?  Avant 
mon  départ,  à  ma  grande  douleur,  nous  avons  dû  sup- 
primer la  Mission  de  Wadduwa  occupée  par  un  prêtre 
séculier,  le  vénérable  P.  Maver,  que  son  âge  et  ses  infir- 
mités ont  forcé  à  prendre  sa  retraite.  Une  partie  de 
cette  Mission  a  été  ajoutéeà  celle  de  Kalutara,  qui  compte 
ainsi  près  de  six  mille  catholiques  ;  une  autre  partie  à 
celle  de  Moratuwa  dont  le  nombre  des  catholiques  se 
trouve  ainsi  porté  à  dix  mille.  Avant  peu,  une  autre  de 
nos  Missions  aura  très  probablement  le  même  sort.  En- 
fin une  autre  Mission  est  depuis  huit  mois  sans  mission- 
naire. Elle  compte  quatre  mille  âmes  et  a  dû  être  divi- 


—  379  — 

sée  entre  les  missionnaires  les  plus  voisins  déjà  chargés 
d'un  lourd  fardeau.  Le  vicariat  de  Colombo  est  un  des 
plus  beaux  fleurons  de  la  couronne  de  notre  famille 
religieuse.  Chaque  année,  des  centaines  de  mission- 
naires, qui  font  escale  à  Colombo,  se  rendant  dans 
l'Extrême-Orient,  expriment  leur  admiration  au  sujet  de 
nos  belles  œuvres  ;  quelques-uns  même  semblent  les 
envier. 

Que  la  Congrégation  veuille  donc  bien  venir  à  notre 
aide  encore  pendant  quelques  années  pour  nous  per- 
mettre de  tenir  haut  et  ferme  la  bannière  de  Marie  Im- 
maculée dans  ce  beau  pays  d'Orient,  dans  cette  île  de 
Ceylan,  la  perle  de  l'océan  Indien  ! 

Rapport  du  vicariat  de  Jaffna. 

Le  nouvel  évêque  de  Jaffna  était  encore  en  France, 
quand  il  apprit  par  la  revue  :  les  Missions  catholiques,  le 
démembrement  de  son  diocèse.  En  même  temps  que 
toute  la  province  de  l'Est  constituait  le  nouveau  diocèse 
de  Trincomalie  et  que,  de  ce  fait,  nous  perdions 
7Û00  catholiques  environ,  la  province  du  Nord-Ouest 
était  adjugée  à  Colombo^  en  compensation,  dit  le  Bref, 
de  la  cession  par  ce  dernier  diocèse  de  la  province  du  Sud 
au  nouveau  diocèse  de  Galle.  Or,  tandis  que  Colombo  ne 
cédait  à  Galle  que  bOûO  catholiques  environ,  Jaffna  lui 
en  donnait  43000  avec  des  églises  magnifiques  et  des 
revenus  considérables.  Le  chiffre  de  nos  catholiques, 
qui  s'élevait  à  91  OUO,  est  descendu  à  40000  après  la 
division,  et  le  vicariat,  qui  pouvait  compter  auparavant 
750000  païens,  n'en  compte  plus  aujourd'hui  que 
350  000.  Si  M^'""  Mélizan,  mon  prédécesseur,  n'avait  eu 
autrefois  la  prévoyance  d'acheter  quelques  jardins  de 
cocotiers  aux  environs  de  sa  ville  épiscopale,  nous  nous 


—  380  — 

serions  vus  dans  l'impérieuse  nécessité  ou  d'abandonner 
le  vicariat  ou  de  supprimer  une  partie  de  nos  œuvres 
les  plus  considérables. 

Autrefois,  la   province  du  Nord-Ouest    nous   aidait 
puissamment  pour  l'entretien  de  nos  œuvres  ;  les  Mis- 
sions pourvoyaient  à  leurs  dépenses  et  à  celles  de  leurs 
missionnaires,   qui    envoyaient  l'excédent  à  la  caisse 
vicariale.  Aujourd'hui,  nous  n'avons  en  partage  qu'un 
pays  aride  et  souvent  sans  pluies  pendant   neuf  mois 
consécutifs.  Dans  sa  plus  grande  étendue,  il  est  couvert 
de  forêts  impénétrables,  au  milieu  desquelles  il  est  plus 
facile  de  trouver  la  fièvre  que    des  habitants.  Bref,  de 
tous  les  diocèses  de  Ceylan,  Jaffna  est  celui  dont  le  cli- 
mat est  le  plus  malsain  et  le  plus  meurtrier,  puisque 
nous  n'avons  pas  un  seul  endroit  où  nous  puissions  en- 
voyer nos  missionnaires,   pour  y   refaire  leurs  santés 
délabrées.  Enfin,  le  bon  Dieu  a  voulu  qu'il  en  fût  ainsi  ; 
nous  nous  sommes  humblement  soumis  à  sa  sainte  vo- 
lonté. Cependant,  malgré    le  nombre  restreint  de  nos 
missionnaires,  un  de  nos  plus  graves  soucis  est  de  savoir 
comment  nous  pourrons  les  nourrir,  car  nos  Missions 
sont  très  pauvres  et  ne  peuvent  se  suffire  par  elles- 
mêmes.  Chaque  année,  pour  l'entretien  de  nos  Pères, 
nous  sommes  obligés  de  dépenser  une  quinzaine   de 
mille  francs.  Sans  doute.  Dieu  nous  viendra  en  aide 
et  la  Congrégation  n'oubliera  certainement  pas  que  le 
vicariat  de  JalTna  est  devenu  l'un  des  plus  pauvres  de 
ceux  dont  elle  s'est  fait  la  providence  visible. 

Par  le  fait  même  de  la  division,  quinze  missionnaires 
Oblats  sont  passés  du  vicariat  de  Jaffna  au  vicariat  de 
Colombo.  Actuellement,  nous  n'avons  chez  nous  que 
trente-quatre  missionnaires,  dont  trente-deux,  y  com- 
pris l'évêque,  appartiennent  à  la  Congrégation,  vingt- 
quatre  sont  Européens  et  huit  indigènes.  Je  ne  puis  que 


—  381  — 

rendre  un  hommage  bien  mérité  à  la  piété  et  au  zèle  de 
nos  chers  Pères.  Ils  se  dépensent  sans  compter  pour  la 
gloire  de  Dieu  et  le  salut  des  âmes  au  milieu  de  mille 
difficultés.  Depuis  le  dernier  Chapitre  général,  nous 
avons  perdu  six  missionnaires  :  les  RR.  PP.  Roux  (Jean), 
RouFFiAC,  Sautin,  iMauroit  (Léon),  Dinaux  et  Gourdon. 
Le  P.  Sautin  n'avait  que  vingt-six  ans  quand  il  est  mort. 
Si  l'on  songe  que,  dans  le  vicariat,  nous  ne  sommes  en 
tout  que  trente-quatre  missionnaires,  il  faut  bien  ad- 
mettre que  c'est  là  une  terrible  moyenne,  prouvant  plus 
éloquemment  que  des  phrases  sonores  que  le  pays, 
dans  lequel  l'obéissance  nous  a  envoyés,  est  une  terre 
qui  dévore  rapidement  ses  habitants.  Cependant,  per- 
sonne ne  se  plaint  ;  si  nous  avons  à  formuler  un  désir, 
c'est  celui  de  voir  se  combler  au  plus  tôt  les  vides  que 
la  mort  a  faits  dans  nos  rangs  ;  or,  depuis  cinq  ans, 
nous  n'avons  vu  arriver  qu'un  seul  jeune  Père. 

Vie  intérieure.  —  Si  le  vicariat  de  Jaffna  a  perdu  de 
son  importance  première,  il  n'est  pas  téméraire  d'affir- 
mer qu'il  a  beaucoup  gagné  sous  le  rapport  de  la  régu- 
larité et  de  la  vie  intérieure.  A  la  maison  Saint-Charles, 
par  exemple,  on  pourrait  presque  se  croire  dans  un 
noviciat.  Les  exercices  religieux  se  font  très  exacte- 
ment; les  petites  heures  et  les  vêpres  sont  récitées  en 
commun  tous  les  jours,  excepté  le  dimanche,  à  cause 
des  offices  de  la  paroisse.  Depuis  dix-huit  ans  que  je 
suis  à  Ceylan,  je  n'ai  jamais  vu  manquer  la  retraite  an- 
nuelle, qui,  régulièrement,  commence  le  10  février, 
pour  se  terminer  le  17. 

L'an  dernier,  le  R.  P.  Augier  (Cassien)  voulut  bien, 
au  cours  de  sa  laborieuse  visite,  donner  ces  saints  exer- 
cices aux  trente  et  un  Pères  du  vicariat.  Comme  nos 
frères  de  Colombo,  nous  remercions  la  divine  Provi- 
dence de  nous  avoir  envoyé  ce  vénéré  Père,  dont  le 


—  382  — 

passage  dans  nos  Missions,  même  les  plus  déshéritées, 
comme  celle  de  Manar-Mantotte,  a  produit  de  si  heu- 
reux effets. 

Les  retraites  mensuelles  se  font  très  exactement  et  à 
chacune  presque  tous  nos  Pères  du  vicariat  ont  le  bon- 
heur d'y  prendre  part.  Depuis  deux  ans,  le  lendemain 
de  la  retraite  du  mois,  nous  avons  toujours  la  confé- 
rence théologique,  laquelle,  en  raison  des  sujets  traités, 
devient  de  plus  en  plus  attrayante.  La  matière  pour  les 
douze  conférences  de  l'année  est  imprimée  à  l'avance, 
avec  le  nom  du  Père  qui  devra  défendre  la  thèse.  Tous 
les  autres  Pères  sont  tenus  d'envoyer  à  temps  une  dis- 
sertation écrite  sur  le  sujet  qui  doit  être  discuté.  Je  dois 
dire  à  leur  louange  que  tous,  ou  à  peu  près  tous,  sont 
fidèles  à  nous  faire  parvenir  ce  travail,  que  nous  exami- 
nons soigneusement  et  sur  lequel  nous  faisons  nos  re- 
marques à  la  conférence.  C'est  une  preuve  évidente 
que  nos  chers  missionnaires  ne  négligent  pas  l'étude  de 
la  théologie. 

L'étude  des  langues  est  aussi  en  honneur  dans  le  vica- 
riat, puisque  tous  les  Pères,  non  seulement  sont  à  même 
de  tenir  conversation  dans  la  langue  du  pays,  mais  en- 
core peuvent  prêcher  en  taraoul.  Quant  à  l'anglais,  tous 
ou  à  peu  près  le  parlent  assez  couramment,  mais  peu  le 
savent  de  façon  à  s'en  servir  en  chaire.  Cela  vient  de  ce 
que  nos  chrétiens  de  Jaffna,  à  peu  d'exceptions  près,  ne 
comprenant  pas  l'anglais,  nous  n'avons  jamais  l'occa- 
sion de  prêcher  en  cette  langue. 

L^esprit  religieux  dont  sont  animés  les  Oblats  de  Jaffna 
est,  en  général,  excellent.  Ils  estiment  et  aiment  leur 
sainte  vocation,  pratiquent  fidèlement  leurs  vœux  de  re- 
ligion. Si  l'on  trouvait  quelque  chose  à  redire,  ce  serait 
peut-être  au  sujet  du  vœu  de  pauvreté,  plus  difficile  à 
pratiquer  pour  les  missionnaires  que  pour  ceux  de  nos 


—  383  — 

Pères  qui  vivent  en  communauté,  parce  qu'ils  sont  eux- 
mêmes  obligés  d'administrer  toutes  leurs  affaires  tem- 
porelles. Par  cette  remarque,  nous  ne  prétendons  pas 
dire  que  les  missionnaires  font  meilleure  chère  que  les 
autres,  mais  que  le  maniement  de  l'argent  crée  toujours 
un  danger  par  rapport  au  vœu  de  pauvreté. 

Vie  extérieure. —  Quant  aux  diverses  relations  que  les 
missionnaires  entretiennent,  soit  avec  les  catholiques, 
soit  avec  les  hérétiques  ou  païens,  elles  sont  édifiantes 
en  tous  points.  D'ailleurs,  les  usages  du  pays  sont  tels, 
qu'ils  nous  obligent  à  nous  tenir  toujours  sur  une  grande 
réserve.  Ainsi,  dans  d'autres  contrées,  personne  ne  trou- 
verait mauvais  qu'un  missionnaire  ou  un  religieux  allât 
parfois  dîner  dans  certaines  familles  ;  à  Jaffna,  pareille 
démarche  serait  absolument  déplacée  et  contraire  aux 
usages.  Ces  usages  favorisent  beaucoup  la  pratique  des 
vertus  religieuses  et  sont  une  puissante  protection  contre 
les  dangers  qu'entraîne  toujours  la  faiblesse  humaine. 
Dans  le  vicariat  nous  n'avons  que  deux  districts  :  Jaffna 
et  Mannar.  Dans  ce  dernier,  il  y  a  un  supérieur  et  quatre 
sujets  seulement.  Tous  les  autres  Pères  appartiennent 
au  district  de  Jaffna.  La  raison  de  celte  grande  différence 
entre  les  deux  districts  s'explique  par  ce  fait  que  presque 
toute  la  population  catholique  du  diocèse  est  groupée 
dans  là  péninsule  de  Jaffna,  tandis  qu'en  dehors  de  là 
on  ne  trouve  que  des  forêts  à  peu  près  inhabitées. 

Actuellement  le  noviciat  est  vide;  nous  avons  cepen- 
dant quatre  Frères  scolastiques,  dont  trois  ont  fait  les 
vœux  perpétuels  ;  l'un  est  diacre,  l'autre  sous-diacre,  et 
le  troisième  minoré.  Le  quatrième  n'a  fait  que  les  vœux 
d'un  an  et  n'est  pas  tonsuré.  La  plupart  de  nos  sémina- 
ristes aspirent  à  la  vie  religieuse,  telle  qu'elle  est  prati- 
quée dans  notre  Congrégation,  et  autant  que  possible 
nous  leur  en  facilitons  l'entrée.  Sur  dix  prêtres  ceylanais 


—  384  — 

travaillant  présentement  dans  le  diocèse,  huit  font  partie 
de  notre  famille  religieuse,  quatre  ont  été  ordonnés 
depuis  1893,  ainsi  qu'un  prêtre  séculier.  Nous  sommes 
heureux  de  pouvoir  attester  ici  que  ce  sont  de  bons  Oblats 
sincèrement  attachés  à  notre  chère  Congrégation.  Il  est 
facile  de  prévoir  dès  maintenant  que,  parmi  les  prêtres 
qui  sortiront  du  séminaire,  la  proportion  restera  à  peu 
près  la  même  entre  les  séculiers  et  les  réguliers. 

Travaux.  —  Pour  donner  une  idée  des  travaux  des 
missionnaires  de  Jaffna,  il  suffit  de  transcrire  les  chiffres 
imprimés  sur  une  feuille  ayant  pour  titre  :  Administratio 
ecclesiastica  m  Jaffnensi  diœcesi  pro  anno  1896-1897.  Nous 
y  lisons  ce  qui  suit  : 

Baptêmes  d'enfants  catholiques 1 460 

—  —        d'hérétiques 2 

—  —        d'infidèles 428 

—  d'adultes  hérétiques 13 

—  —       infidèles 121 

Mariages 388 

Confessions 43  260 

Communions 40361 

Extrêmes-onctions 472 

Confirmations 912 

Le  Chapitre  général  voudra  bien  me  permettre  de  com- 
menter brièvement  ces  chiffres. 

Je  ferai  remarquer  d'abord  que  la  population  totale  du 
diocèse  s'élève  à  330  000  habitants  environ,  dont  40  000  ca- 
tholiques; les  protestants  s'agitentbeaucoup  pour  aboutir 
à  des  résultats  presque  insignifiants.  Le  territoire  entier  du 
vicariat  est  divisé  en  dix-neuf  Missions  ou  stations,  dans 
chacune  desquelles  un  missionnaire  réside  d'une  ma- 
nière permanente.  Depuis  Tépoque  du  démembrement 
du  diocèse,  nous  avons  divisé  plusieurs  missions,  dont 
l'administration  était  trop  difficile  pour  un  seul  mission- 
naire. Au  fur  et  à  mesure  que  Dieu  nous  enverra  des  su- 


—  385  — 

jets,  nous  nous  proposons  de  les  subdiviser  encore  pour 
que  l'action  du  prêtre  se  fasse  plus  efficacement  sentir, 
non  seulement  sur  les  chrétiens,  mais  encore  sur  les 
nombreux  païens  qui  les  entourent. 

Au  sujet  des  baptêmes  d'enfants,  nous  ferons  remar- 
quer que  ce  sacrement  a  été  conféré  à  428  enfants  nés  de 
parents  infidèles.  Ces  baptêmes  n'ont  pas  tous  été  admi- 
nistrés à  l'article  de  la  mort;  plusieurs  ont  été  donnés 
à  des  enfants  appartenant  à  des  familles  païennes,  qui, 
touchés  par  la  grâce,  ont  embrassé  notre  sainte  religion. 
Quant  aux  enfants  baptisés  in  articulo  mortis,  il  serait 
difficile  d'en  donner  un  chiffre  absolument  exact,  car,  à 
Jaffna  comme  dans  bien  d'autres  Missions,  il  esta  crain- 
dre que  les  baptiseurs  ne  nous  trompent  en  nous  don- 
nant de  faux  comptes.  Tout  ce  que  nous  pouvons  faire, 
c'est  de  prendre  les  précautions  les  plus  minutieuses 
pour  être  trompés  le  moins  possible. 

Dans  le  cours  de  l'année  1896-1897, 121  adultes  païens 
ont  aussi  reçu  le  saint  baptême.  On  trouvera  peut-être 
que  ce  chifi're  n'est  pas  très  élevé  ;  mais  tous  savent  que 
les  conversions  dépendent  moins  des  efforts  et  du  zèle 
des  missionnaires  que  de  la  grâce  de  Dieu.  Nous  admet- 
tons cependant  que  l'influence  de  certaines  circonstances 
extérieures,  comme  celle  d'un  gouvernement  catholique 
par  exemple,  soit  un  puissant  motif  pour  déterminer  de 
nombreuses  conversions.  Ce  n'est  pas  notre  casa  Ceylan, 
puisque  le  gouvernement  anglais,  tout  en  nous  laissant 
pleine  et  entière  liberté  pour  l'évangélisation  des  païens, 
est  protestant  et  de  nom  et  de  fait. 

Le  chiffre  des  confessions  et  communions  annuelles  ne 
prouve  pas  absolument  que  tous  nos  catholiques  se  con- 
fessent et  communient,  puisque  partout  il  y  a  des  gens 
indifférents  ou  mal  disposés,  qui  échappent  à  l'action  du 
missionnaire  ou    ne    tiennent    aucun    compte    de  ses 


—  386  — 

exhortations;  cependant  ce  chiffre  démontre  bien  que  la 
vie  chrétienne  circule  abondamment  dans  le  troupeau 
confié  à  nos  soins. 

On  remarquera  que  le  nombre  des  extrêmes-onctions 
est  considérablement  inférieur  à  celui  des  naissances. 
Cette  différence  ne  prouve  nullement  que  beaucoup  de 
nos  malades  meurent  sans  sacrements.  Il  est  même  très 
rare  qu'un  malade  meure  privé  des  secours  de  la  reli- 
gion. Pour  remplir  ce  ministère  si  consolant,  nos  mis- 
sionnaires sont  d'un  dévouement  admirable  et  ne  crai- 
gnent ni  la  chaleur  du  jour  ni  la  difficulté  des  voyages. 
Cette  diff'érence  provient  plutôt  de  ce  qu'en  général  la 
race  tamoule  est  très  prolifique. 

Depuis  le  dernier  Chapitre  général,  le  sacrement  de 
confirmation  a  été  administré  à  7  509  personnes  dans  le 
diocèse  de  Jaffna,  et  à  10000  personnes  environ  dans 
celui  de  Colombo  pendant  l'absence  de  Ms''  l'archevêque. 
Il  est  bien  évident  qu'à  l'avenir,  avec  un  diocèse  aussi 
réduit,  nous  n'atteindrons  plus  ces  chiffres. 

ŒUVRES. 

Séminaire.  —  Le  séminaire  de  Jaffna,  sans  avoir  Tim- 
portance  des  séminaires  d'Europe,  est  sorti  pourtant  des 
difficultés  qui  enveloppent  toujours  les  commencements 
d'une  œuvre.  Jouissant,  et  à  bon  droit,  d'une  certaine 
réputation,  il  possède  des  traditions  et  un  esprit  qui  lui 
sont  propres.  Ce  n'est  pas  sans  efforts  que  les  Oblats  sont 
parvenus  à  obtenir  ce  résultat  si  essentiel  pour  l'avenir 
du  vicariat.  M^''  Bonjean  en  jeta  les  premiers  fondements 
en  1873. 

M^f  Mélizan  éleva  les  magnifiques  bâtiments  qui  abri- 
tent notre  jeunesse  cléricale.  Je  n'avais  plus  qu'à  jouir 
de  tout  ce  qu'avaient  fait  mes  vénérés  prédécesseurs  et 


—  387    " 

à  organiser  le  personnel  de  telle  façon  qu'avec  le  temps 
nous  devions  nécessairement  recueillir  les  fruits  de  cette 
œuvre  bénie,  que  notre  grand  et  saint  pontife  LéonXHI 
a  si  chaudement  recommandée  aux  évoques  de  l'Inde. 
C'est  dans  cette  intention  que  j'ai  placé  à  la  tête  de  l'éta- 
blissement le  R.  P.  Jules  Collin,  mon  vicaire  général. 
Cet  arrangement  n'a  offert  aucune  difficulté  en  raison 
du  très  proche  voisinage  de  l'évêché.  Ses  collègues  au 
séminaire  sont  les  PP.  Bouhy  et  Beaud,  qui,  tous  deux, 
ont  des  aptitudes  spéciales  pour  ce  genre  de  ministère, 
et  qui,  en  même  temps,  enseignent  la  philosophie  et  la 
théologie.  Les  grands  et  petits  séminaristes,  bien  qu'ha- 
bitant le  même  établissement,  vivent  séparés  et  occupent 
des  quartiers  différents.  Actuellement  nous  ne  comptons 
que  six  grands  séminaristes,  dont  deux  sont  diacres  et 
un  sous-diacre. 

Pendant  longtemps,  faute  de  ressources, nous  n'avons 
accepté  que  vingt  petits  séminaristes  à  la  fois;  mais  l'an 
dernier,  voyant  que  la  mort  fauche  impitoyablement  et 
rapidement  parmi  nos  missionnaires,  nous  avons  porté 
leur  chiffre  à  trente.  Nous  trouvons  assez  facilement  d'ex- 
cellentes vocations  au  sacerdoce,  et  cela  s'explique  par 
le  fait  que,  dans  ce  vicariat,  nous  possédons  un  grand 
nombre  de  vieilles  familles  chrétiennes  qui  communi- 
quent leur  foi  à  leurs  enfants,  et  s'estiment  heureuses  de 
pouvoir  les  consacrer  au  service  de  Dieu.  Actuellement 
nos  petits  séminaristes  sont  au  grand  complet,  et  plu- 
sieurs autres  enfants  attendent  avec  anxiété  que  des  vides 
se  fassent  et  que  les  plus  anciens  passent  au  grand  sémi- 
naire. 

Ces  jeunes  séminaristes,  par  leur  piété  et  leur  in- 
telligence, nous  donnent  pleine  satisfaction,  et  nous 
avons  tout  lieu  d'espérer  que  la  plupart  d'entre  eux  ob- 
tiendront l'honneur  du  sacerdoce.  Ils  suivent,  pour  les 


—  388  — 

études  secondaires,  les  classes  du  collège  Saint-Patrick, 
à  proximité  du  séminaire. 

Les  Fi'ères  indigènes  de  Saint- Joseph. — La  petite  Société 
de  ce  nom,  fondée  par  M^''  Bonjean,  n'a  fait,  pour  ainsi 
dire,  que  végéter  pendant  de  longues  années.  Aujour- 
d'hui, sans  compter  le  grand  orphelinat  de  Colombogam, 
ces  Frères  dirigent  trois  écoles  dans  nos  principales  Mis- 
sions. L'impulsion  nouvelle  donnée  à  la  piété  et  à  l'étude 
dans  ces  écoles,  a  fait  ressortir  le  mérite  de  ces  bons 
Frères,  et,  peu  de  temps  après,  plusieurs  jeunes  gens 
bien  instruits  ont  sollicité  avec  instance  leur  admission 
au  noviciat.  Aussi  qu'est-il  arrivé?  Cette  petite  Société, 
qui,  en  1894,  ne  comptait  que  six  ou  sept  membres,  à  la 
retraite  de  1897,  en  voyait  vingt-deux  prononcer  des 
vœux,  soit  perpétuels,  soit  temporaires.  Le  noviciat  de 
la  Société  est  à  Colombogam,  et  le  Père  chargé  de  l'or- 
phelinat est  en  même  temps,  sous  la  haute  autorité  de 
révêque,  le  directeur  général  de  tous  les  Frères  de  Saint- 
Joseph. 

Les  Sœurs  indigènes  de  Saint-Pierre.  —  Toutes  les 
louanges  que  nous  pourrions  adresser  à  nos  chers  Frères 
s'appliquent  avec  bien  plus  de  raison  encore  aux  Sœurs 
indigènes  de  Saint-Pierre.  Cette  Société  a  pris  naissance 
à  l'arrivée  des  Sœurs  de  la  Sainte-Famille  de  Bordeaux, 
en  1860.  Depuis  cette  époque  jusqu'en  1894,  c'est-à-dire 
jusqu'au  temps  de  la  division  des  diocèses,  elle  se  com- 
posa de  deux  parties  bien  distinctes  :  la  branche  tamoule 
et  la  branche  singhalaise,  passée  au  vicariat  de  Co- 
lombo. En  1894,  la  branche  tamoule  ne  comptait  encore 
qu'une  quinzaine  de  sujets.  Après  trente-quatre  ans 
d'existence,  c'était  un  bien  mince  résultat,  mais  il  n'y 
a  pas  lieu  de  trop  s'en  étonner,  car  une  fois  entrées  au 
couvent,  les  Sœurs  indigènes  n'en  sortaient  plus. 

A  peine  eus-je  pris  la  direction  du  vicariat,  que  j'en- 


—  389  — 

voyai  une  petite  colonie  de  Sœurs  de  Saint-Pierre  dans 
un  village,  distant  de  Jaffna  d'une  douzaine  de  milles. 
Dans  l'espace  de  quelques  mois,  grâce  à  l'influence 
exercée  par  les  religieuses,  la  population  féminine  chan- 
gea si  bien  d'aspect  et  de  manières  que  tous  furent 
émerveillés  du  succès.  Voyant  que  les  Sœurs  indigènes 
avaient  une  belle  mission  à  remplir,  plusieurs  jeunes 
filles,  appartenant  aux  meilleures  familles  du  pays,  de- 
mandèrent à  faire  partie  de  la  Société  ;  les  demandes 
d'admission  augmentèrent  si  bien  que  nous  nous  vîmes 
dans  l'heureuse  obligation  de  bâtir  un  noviciat  spécial 
à  neuf  milles  de  Jaffna.  Ce  noviciat,  parfaitement  ap- 
proprié à  sa  destination,  a  été  pour  nous  l'occasion 
d'une  grosse  dépense  ;  mais  nous  ne  la  regrettons  pas 
quand  nous  considérons  les  résultats  obtenus  en  si  peu 
de  temps,  car  trente-six  sœurs  indigènes  tamoules  ont 
pris  part  à  la  dernière  retraite.  Il  y  a  sept  novices  et 
plusieurs  postulantes  attendent  l'heureux  moment  oti 
elles  seront  appelées  à  revêtir  le  saint  habit. 

Nous  avons  donné  à  cet  établissement  un  aumônier 
spécial  dans  la  personne  du  bon  P.  Gouret.  La  supé- 
rieure des  religieuses  européennes  de  Jaffna  est  de  droit 
supérieure  des  Sœurs  indigènes,  et  sa  première  assis- 
tante leur  maîtresse  des  novices.  Ce  sont  elles  qui,  sous 
la  haute  direction  de  l'évêque,  règlent  tout  ce  qui  con- 
cerne la  petite  Société,  et  comme  elles  connaissent  bien 
la  langue  tamoule,  il  leur  est  facile,  par  leurs  instructions 
et  exhortations,  de  les  former  à  la  piété  et  à  la  régula- 
rité. 

En  dehors  de  Jaffna,  les  Sœurs  indigènes  ont  déjà  sept 
petits  couvents.  Elles  ne  doivent  jamais  être  moins  de 
trois  et  l'une  d'elles  est  supérieure  locale.  Pour  les 
encourager  et  les  maintenir  dans  l'esprit  de  leur  voca- 
tion, la  Mère  supérieure  ou  son  assistante  vont  de  temps 

T.  XXXVI.  ^G 


en  temps  les  visiter  et  itispecter  leurs  travâbx.  JdScJli'à 
ce  jour,  leur  dévouement  a  été  merveilleusement  béni 
de  Dieu  ;  les  demandes  d'entrée  au  noviciat  continuent 
à  affluer  et  les  populations  à  l'enti  réclamëbl  les  petites 
sœurs  pour  élever  leurs  enfants. 

Pendant  un  certain  laps  de  temps  nous  n'accepterons 
plus  de  nouvelles  fondations  ;  car,  avant  d'envoyer  lés 
SœUrs  en  mission,  il  importe  de  les  fdt-mer  à  la  vie  reli- 
gieuse et  aux  vertus  qui  leUr  sont  propres.  Le  ftoViciat 
est  de  deux  ans. 

Orphelinats.  —  Dans  le  vicariat,  nous  avons  deux 
orphelinats,  l'un  pour  les  garçons  et  l'autre  pour  les 
filles.  En  général,  les  enfants  élevés  dans  ces  établisse- 
ments, sauf  de  rares  exceptions,  persévèrent  dans  la 
foi  qu'ils  y  ont  reçue.  Mais  afin  d'assurer  cette  persévé- 
rance, nous  avons  soin  de  n'accepter,  autant  que  pos- 
sible, que  des  enfants  nés  dans  une  même  région.  Quand 
plus  tard  ils  retournent  au  village,  ils  ne  sont  pas  isolés 
et  exposés  à  perdre  la  foi.  Ils  se  soutiennent  les  Uns  les 
autres  et  reçoivent  par  intervalle  la  visite  du  mission- 
naire qui  a  ainsi  l'occasion  de  faire  connaissance  avec 
d'autres  familles  païennes.  Si  les  moyens  le  permettent, 
ils  achètent  un  petit  terrain  sur  lequel  ils  bâtissent  une 
chapelle  et  une  école  et,  ainsi,  sansbruit,  le  catholicisrtie 
s'implante  au  milieu  des  païens.  Ceux-ci,  attirés  par  la 
nouveauté,  redoutent  moins  de  s'approcher  du  prêtre 
et  au  bout  de  quelque  temps  nous  comptons  une  petite 
chrétienté  de  plus. 

Ecoles.  —  A  l'orphelinat  des  garçons,  nous  possédons 
une  école  normale  et  une  école  industrielle.  Dans  la 
première,  nous  admettons  les  enfants  qui  se  distinguent 
par  leur  intelligence  et  Tamour  de  l'étude;  nous  y  rece- 
vons aussi  les  jeunes  gens  catholiques,  qui  se  sentent  un 
certain   attrait  pour   devenir  maîtres  d'école.  Chaque 


-3^1  - 

année,  quelques-uns  d'entre  eux  se  présentent  aux  exa- 
mens du  gouvernement  et  y  obtiennent  leur  brevet 
d'instituteur.  Le  directeur  de  l'instruction  publique  dans 
son  rapport  annuel  n'a  pas  hésité  à  signaler  cette  école 
comnae  une  des  meilleures  de  l'île.  Dans  le  vicariat,  nous 
avons  quatre-vingt-huit  écoles  primaires  avec  quatre 
mille  neuf  garçons  et  mille  huit  cent  soixante-seize  filles. 
Les  orphelins  moins  bien  doués  fréquentent  l'école  indus- 
trielle, oh  ils  apprennent  un  métier  qui  leur  permet 
ensuite  de  gagner  honnêtement  leur  vie. 

Collège.  —  Tous  nos  efforts  pour  établir  solidement 
à  Jaffna  l'influence  de  notre  sainte  religion  seraient  à 
peu  près  stériles  si,  pour  l'éducation  des  enfants  appar- 
tenant aux  meilleures  familles,  nous  n'avions  un  col- 
lège où  ils  puissent  étudier  l'anglais  et  se  préparer  aux 
examens  pour  les  emplois  du  gouvernement.  C'est  ce 
qu'avait  parfaitement  compris  M^""  Bonjean,  qui  com- 
mença le  collège  Saint-Patrick.  Depuis  lors,  l'œuvre 
s'est  considérablement  développée,  et  aujourd'hui  avec 
deux  Pères  irlandais  à  la  tête  et  une  douzaine  de  profes- 
seurs laïques,  elle  donne  pleine  satisfaction  aux  catho- 
liques de  Jaffna.  Nous  avons  encore  en  vue  certaines 
améliorations,  qu'avec  l'aide  de  Dieu  nous  espérons 
pouvoir  mener  à  bonne  fin. 

Pour  les  jeunes  filles  de  bonne  famille  nous  avons 
aussi  une  école  anglaise  tenue  par  les  Sœurs  de  la  Sainte- 
Famille;  quatre-vingt-deux  jeunes  filles,  avec  l'anglais, 
y  apprennent  les  arts  propres  à  leur  sexe. 

Dans  les  principales  localités  du  vicariat  existent 
quatre  autres  écoles,  dans  lesquelles  l'anglais  est  ensei- 
gné à  trois  cents  enfants  environ. 

Cercle  ou  Club.  —  Jaffna  possède  un  cercle  ou  club, 
dont  font  partie  les  principaux  catholiques,  sous  la  direc- 
tion d'un  de  nos  missionnaires.  Depuis  treize  ans,  nous 


—  392  — 

louons  une  maison  au  centre  de  la  ville  et  là,  chaque  soir, 
se  réunissent  les  membres  du  club,  qui,  pour  se  divertir, 
trouvent  des  livres  nombreux  et  variés,  des  journaux, 
des  revues  et  différents  jeux,  comme  le  billard,  les 
échecs,  etc.,  etc.  Depuis  trois  ans,  nous  prêchons 
chaque  année  une  retraite  spéciale  à  ces  messieurs.  A 
la  dernière  retraite  de  décembre,  tous  sans  exception 
ont  rempli  leurs  devoirs  religieux.  Il  est  inutile  d'ajou- 
ter que  cela  nous  a  causé  une  joie  très  vive,  car  ce  bon 
exemple  ne  peut  manquer  de  faire  impression  sur  le 
reste  de  la  population. 

Journal.  —  Bien  que  Jaffna  soit  une  petite  ville,  cepen- 
dant depuis  longtemps  déjà  s'est  fait  sentir  la  nécessité 
d'avoir  un  journal  à  nous,  soit  pour  nous  défendre 
contre  les  attaques  de  nos  ennemis,  soit  pour  étendre 
l'influence  du  catholicisme.  M^'  Bonjean  fonda  en  1876 
le  Jaffna  Catholic  Guardian.  Au  début,  ce  journal  ne 
parut  que  tous  les  quinze  jours  ;  peu  après,  il  devint 
hebdomadaire.  Deux  pages  étaient  imprimées  en  an- 
glais et  deux  autres  en  tamoul.  En  1895,  nous  en  avons 
agrandi  le  format  et  séparé  l'anglais  du  tamoul,  cela 
nous  donne  ainsi  deux  journaux,  dont  l'un  en  anglais 
paraît  chaque  semaine  et  l'autre  en  tamoul  tous  les 
quinze  jours. 

En  1897, nous  avons  commencé  une  autre  publication 
mensuelle  en  tamoul  :  le  Messager  de  la  Reine  immaculée^ 
dont  le  but  est  d'entretenir  la  piété  parmi  les  fidèles. 
Toutes  ces  publications  sont  coûteuses  ;  mais  le  progrès 
de  la  civilisation  nous  les  impose. 

Imprimerie.  —  Parmi  les  œuvres  de  Jaffna,  je  dois 
aussi  mentionner  l'imprimerie,  qui  est  sans  contredit 
la  plus  importante  de  la  ville  et  qui  depuis  quelque 
temps  a  pris  de  grands  développements  sous  l'habile 
direction  du  cher  F.  Grousseau,  l'unique  Frère  convers 


—  393  — 

européen  que  nous  ayons  à  Jaffna.  Outre  le  journal,  on 
y  imprime  des  livres  de  piété,  nos  livres  d'écoles,  des 
cartes  géographiques,  etc.,  etc.  Cet  établissement  (nous 
l'espérons,  du  moins)  finira  par  couvrir  ses  propres  frais. 
C'est  là  tout  ce  que  nous  demandons. 

Les  schismatiques  goanais.  —  Après  avoir  passé  nos 
principales  œuvres  en  revue,  il  ne  sera  pas  inutile  de 
dire  un  mot  des  schismatiques  goanais.  Ces  pauvres 
gens,  dont  l'orgueil  n'a  d'égal  que  l'ignorance  et  la  sot- 
tise, se  sont  séparés  de  l'Eglise  catholique  en  1887,  lors 
de  l'établissement  de  la  hiérarchie  dans  les  Indes.  Ils  se 
sont  donnés  pour  chef  un  certain  Alvarez,  prêtre  défro- 
qué qui  se  fait  passer  pour  évêque.  L'autorité  ecclésias- 
tique de  Jaffna  entama  des  procès  pour  être  mise  en 
possession  des  églises  dont  ces  schismatiques  s'étaient 
emparés,  mais  victorieux  au  tribunal  de  première  ins- 
tance, nous  perdîmes  toujours  en  suprême  cour.  M'étant 
aperçu  que  plus  on  faisait  attention  à  ces  rebelles,  plus 
ils  devenaient  intraitables,  je  donnai  l'ordre  aux  mis- 
sionnaires de  ne  plus  avoir  l'air  de  s'occuper  d'eux.  A 
Colombo,  cette  politique  avait  très  bien  réussi  et  depuis, 
à  Jaffna  par  deux  fois,  elle  a  failli  amener  la  réconciha- 
tion.  C'est  grâce  à  un  misérable  nommé  Alexandre 
qu'elle  n'a  pas  encore  abouti;  mais  nous  espérons  qu'a- 
vec le  temps  et  la  patience,  ces  brebis  égarées  rentre- 
ront de  nouveau  au  bercail. 

Rapport  du  vicariat  de  Natal. 

Le  pays  de  Natal,  découvert  le  jour  de  Noël,  il  y  a 
trois  cents  ans,  par  Vasco  de  Gama,  reçut  ce  beau  nom 
du  célèbre  navigateur.  Que  n'a-t-on  pu  dès  lors  y  porter 
le  flambeau  de  la  foi  !  Mais  malheureusement  les  mis- 
sionnaires catholiques  n'y  ont  pénétré  que  depuis  peu 


—  394  — 

de  temps,  quand  déjà  tputeg  ces  régions  subissaient  l'in- 
fluence de  l'hérésie.  M^""  Allard  ,  de  sainte  mémoire, 
accompagné  dp  quelques  Oblats,  a  été  le  premier  mis- 
sionnaire catholique  de  ces  pays.  L'émigration  irlandaise 
qui  a  tant  fait  pour  la  foi  en  Amériqup  et  en  Australie 
ne  s'est  pas  portée  de  ce  cô^é  ;  avjssi  la  populatipi^  ca- 
tholique de  race  européenne  y  est-elle  peu  nombreuse, 
et  niême  depuis  quelques  années,  plusieurs  ont  émigré 
du  Natal  au  Transvaal,  attirés  par  l'appât  de  l'or.  Ce- 
pendant ,  malgré  tout ,  le  nombre  des  catholiques  a 
augmenté  considérablement  par  la  conversion  des  héré- 
tiques et  des  infidèles.  Le  pays  quj  constitue  aujour- 
d'Jiui  le  vicariat  de  Natal  ne  contenait  guère  que 
800  catholiques  il  y  a  vingt-trois  ans  ;  il  y  en  a  aujour- 
d'hui environ  12000,  et  notre  population  catholique  est 
maintenant  supérie|:|re  en  nombre  à  celle  des  vicariats 
voisins,  grâce  sijrtout  au?  conversions  d'indigèflps.  Mais 
que  ce  nombre  est  encore  petit  quand  on  pense  que 
nqus  avons  autour  de  nous  plus  d'un  million  d'infidèles! 
Longtemps  on  a  semblé  croire  que  les  Zoulous  ne 
voudraient  jamais  se  convertir  au  catholicisme.  Mon 
vénérable  prédécesseur,  M^""  Allard,  secondé  par  de 
zélés  missionnaires  Objats ,  travailla  quelques  années, 
mais  sans  succès,  parmi  ces  infidèles,  et  enfin  découragé, 
il  les  abandona  pour  aller,  au  delà  des  monts,  porter 
l'Évangile  à  la  tribu  voisine  des  Basutos,  où  il  eut  le 
bonheur  de  fonder  de  belles  chrétientés. 

PERSONNEL    DES    MISSIONS. 

Nous  avons  actuellement  dans  le  vicariat  de  Natal 
dix-huit  Pères  Oblats  et  quatre  Ffères  çonvers  prpfps, 
cinq  prêtres  séculiers  y  exercent  aussi  le  saint  ministère. 
Oiitre  les  Trappistes  et  leurs  Sœurs  tertiaires,  dopt  nous 
parlerons  bientôt,  six  Congrégations  différentes  (Je  re- 


~  395   - 

ligieuses  rendent  à  nos  Mission^  des  services  iqappré- 
ciables.  Les  premières  sont  les  Sœurs  de  la  Sainte- 
Famille  de  Bordeaux,  qui,  depuis  1875,  possèdent  un 
établissement  dans  les  deux  YÏHes  principales  du  vicariat, 
Maritzburg  et  Durban.  Les  religieuses  Dominicaines  ont 
des  écoles  ^  Qakford,  à  Newcastle  et  en  Zoulouland. 
Les  Sœurs  de  Sainte-Çrqix  de  Menzingen,  en  Suisse, 
ont  fondé  quatre  maisons  dans  la  Cafrerie.  Les  Reli- 
gieuses hospitalières  de  Saint-Augustip  possèdent  éga- 
lement quatre  maisons  :  Durban,  Maritzburg,  Ustcourtftt 
Ladysmith.  A  Durban,  les  Sœurs  de  Nazareth  s'occupent 
des  pauvres  orphelins  et  des  vieillards.  Enfin,  la  Congré- 
gation des  Filles  de  Jésus,  dont  |a  maison  mère  est  située 
à  Kermaria,  au  diocèse  de  Vannes,  nous  a  récen^ipnent 
envoyé  une  première  colonie  de  sept  religieuses. 

MISSIONS  ET  ŒUVRES. 

Jjes  Oblats,  tout  en  desservant  huit  Missions  indigènes 
pour  les  Zoulous,  sont  de  plus  chargés  des  populations 
de  race  européenne  et  des  Indiens  qu'on  a  fait  \enir  à 
Natal  pour  travailler  dans  les  plantations  de  sucre  et  qui 
déjà  atteignent  en  noipûbre  les  Européens.  Disons  un 
mot  de  chacune  de  nos  oeuvres  principales  : 

1°  Pietermaritzburg.  —  Quatre  Pères  exercent  tç  mi- 
nistère paroissial  dans  cette  ville,  capitale  de  la  colonie 
de  Natal  et  résidence  du  vicaire  apostolique,  ils  dirigent 
aussi,  aidés  de  deux  professeurs  laïques,  le  petit  collège 
Saint  -  Charles .  Un  prêtre  séculier  est  spécialement 
chargé  des  Cafres,  dont  il  connaît  bien  la  langue.  Outre, 
l'église  paroissiale,  Pietermaritzburg  possède  deux;  cha- 
pelles avec  école  pour  les  indigènes  et  une  chapelle  avec 
école  pour  les  Indiens.  Les  Sœurs  de  l^i  Sainte-Fainille 
y  ont  un  pensionnat  de  demoiselles  avec  externat;  elles 
ont  aussi  la  direction  d'unç  école  primaire,  de,  l'école 


—  396  — 

indienne,  d'une  des  écoles  cafres  et  d'un  orphelinat  où 
sont  élevées  62  jeunes  filles,  presque  toutes  de  race 
européenne.  Les  religieuses  Augustines  viennent  aussi 
d'ouvrir  un  hôpital  ou  sanatorium. 

2°  Durban  (Port-Natal).  —  Cette  ville,  terminus  né- 
cessaire du  commerce,  où  viennent  aboutir  tous  les 
chemins  de  fer,  comptedéjà  une  population  de  30  000  ha- 
bitants et  grandit  tous  les  jours.  Nous  y  avons  cinq  Pères 
Oblats  occupés  aux  divers  travaux  du  ministère  :  pa- 
roisse anglaise,  instruction  des  créoles  parlant  français, 
des  Cafres  et  des  Indiens.  Au  couvent  de  la  Sainte-Fa- 
mille sont  annexés  un  pensionnat  et  un  externat  de 
demoiselles,  une  école  primaire  et  une  école  indienne  ; 
les  Sœurs  instruisent  en  tout  500  élèves  environ.  Aux 
environs  de  Durban,  se  trouve  la  résidence  du  Bluff 
(Falaise),  où  deux  ou  trois  religieuses  tiennent  une 
école  cafre  et  un  petit  orphelinat  de  garçons.  Sur  la 
colline  Béréa,  les  Sœurs  de  la  Sainte-Famille  ont  établi 
leur  noviciat  ;  elles  font  actuellement  construire  un 
magnifique  pensionnat.  Les  Religieuses  Augustines  di- 
rigent sur  la  même  colline,  mais  à  2  kilomètres  plus 
loin,  un  beau  sanatorium  admirablement  situé.  Là  encore 
se  trouve  l'établissement  des  Sœurs  de  Nazareth. 

3°  Bstcourt.  —  Un  seul  Père  est  chargé  de  cette  Mis- 
sion et  du  couvent  des  Religieuses  iVugustines  qui  pren- 
nent soin  des  enfants  et  des  malades. 

4»  Ladysmith.  —  Les  mêmes  religieuses  ont  là  aussi 
un  hôpital  et  des  écoles.  Un  Père  Oblat  prend  soin  de 
la  Mission  et  d'un  millier  de  soldats  catholiques  de  la 
garnison. 

5°  Newcastle.  —  Cette  Mission,  où  les  Religieuses  Do- 
minicaines ont  des  écoles,  est  confiée  à  un  prêtre  sécu- 
lier, qui  dessert  également  Dundee,  où  il  va,  une  fois  par 
mois,  dire  la  messe  le  dimanche. 


—  397  — 

6"  Oakford.  — Dans  cette  campagne,  les  Dominicaines 
ont  fondé  de  beaux  établissements  pour  les  blancs  et 
pour  les  noirs.  Un  Père  Oblat,  assisté  d'un  prêtre  sécu- 
lier infirme,  est  chargé  de  cette  Mission,  et  de  plus,  de 
celles  de  Blackburn  et  de  Verulam,  où  l'on  prêche  en 
français  pour  les  créoles. 

7°  Kokstad{en  Cafrerie).  —  Les  Religieuses  de  Sainte- 
Croix  y  ont  un  pensionnat,  un  externat  et  une  œuvre 
indigène.  Un  Père  Oblat  est  chargé  de  la  Mission. 

8°  Vmtata  (en  Cafrerie).  —  Les  Religieuses  de  Sainte- 
Croix  tiennent  en  ce  lieu  un  pensionnat,  un  externat,  une 
école  pour  les  noirs  et  une  ferme-école  à  une  lieue  de 
la  ville.  Deux  Pères  prennent  soin  des  catholiques  de  la 
région  et  ont,  en  outre,  à  visiter  Saint-John  s  et  Mount- 
Frere,  où  nous  avons  des  chapelles. 

Cala.  —  Petit  village  où  les  Sœurs  de  Sainte-Croix  ont 
un  pensionnat,  un  externat,  une  œuvre  pour  les  noirs, 
le  tout  sous  la  direction  d'un  Père  Oblat. 

Trappistes.  —  Les  œ-uvres  des  Trappistes  se  sont  dé- 
veloppées prodigieusement.  Ils  ont  18  stations  sans 
parler  de  quelques  petites  résidences.  Le  personnel  de 
leurs  Missions  comprend  vingt-quatre  prêtres,  deux 
cent  cinquante  Frères  et  presque  autant  de  Sœurs  ter- 
tiaires. Ces  Religieux  possèdent,  dans  le  vicariat,  des 
terres  immenses  et  de  grande  valeur.  Disposant  de  tant 
d'ouvriers,  aidés  encore  par  les  indigènes,  leurs  néo- 
phytes, ils  peuvent  bâtir  partout,  à  peu  de  frais,  mais 
solidement,  des  églises,  des  couvents  et  des  écoles  pour 
les  Cafres,  cultiver  les  terres  et  développer  des  œuvres 
industriellesimporlantes.  Inutile  d'insister  surles  détails  ; 
on  comprend  facilement  que  cette  organisation  puis- 
sante des  Trappistes,  se  joignant  aux  travaux  non  moins 
importants  des  Oblats,  et  tous  ces  couvents  de  reli- 
gieuses, avec  leurs  écoles,  leurs  hôpitaux,  leurs  orphe- 


-  398  - 

lin^ts,  exerceront  une  grande  jnfluepce  pour  la  propa- 
gation fie  la  foi  catholique  à  Natal.  Cependant,  ce  n'est 
qu'un  con^mencenjent,  les  filets  vienpent  d'être  jeté^, 
espérons  pne  pêche  abondante  dans  un  avenir  prochaiq. 
Un  point  noir,  c'pst  l'insuffisance  d'écoles  convenables 
pour  nos  garçons,  surtout  à  Durban,  malgré  toqs  ^^ps 
efforts  et  nos  norpbreuses  démarches  pour  obtenir  des 
Frères.  En  ce  mpmept,  ne  comptant  plijs  sur  les  Frères 
Maristes,  nous  espérons  obtenir,  l'année  prqchaine,  (^es 
religieux  enseignants  d'une  autre  Congrégation. 

L'esprit  religieux  de  nos  Pères  et  de  nps  Frères  pst 
bon  ;  tous  sont  sincèrement  et  profondément  Qhlats. 
Ge  n'est  R313  sans  dqute  la  perfection  absolue  ;  raj^^s  le 
Vicaire  apostolique  a  au  moins  la  grande  consolation  de 
savoir  que,  comme  il  les  aimc  Ct  les  estime  tous,  de  leur 
côté  Us  lui  sont  siricèrement  attachés,  et  pas  \\ifi,  ne 
voudrait  dire  un  mot  pu  fa^re  un  ^ctp  de  propps  délibéré 
de  nature  à  lui  faire  de  la  peine.  Il  y  a  dans  ces  rappprts 
si  tendres  et  si  affectueux  une  grande  consolation  pour 
son  cœvir  d'Oblat,  de  supérieur  et  d'évêque. 

Rapport  du  vicariat  de  rEtat  libre  d'Orange. 

Le  vicariat  de  l'Etat  libre  d'Orapge  fpt  érigé  eri  l'î^n- 
née  1886,  alors  que  l'immense  vicariat  de  Natal  était 
divisé  en  trois  portions. 

Depuis  le  dernier  Chapitre  général,  le  vicariat  de 
l'Etat  libre  d'Orange  a  été  divisé  à  son  tour,  çt  le  B.asvi- 
toland  en  a  été  détaché,  pour  le  plus  grand  b;en  sans 
doute,  mais  ce  partage  a  laissé  notrp  vicariat  po^nn^e  un 
des  moindres,  au  point  de  yue  des  sujets,  p^rmi  ceux 
confiés  à  la  Congrégation. 

Il  n'y  a  que  douze  missionna,ires  Oblats  ppur  un  pays 
certainerneî^t  ptws  étendu  qv|e  Ici  Fr^ncç.  Déj^  plus^jevirs 


—  399  — 

de  ces  Pères  sont  âgés  et  ne  pourront  continuer  long- 
temps à  prendre  part  au  ministère  actif  des  Missions. 
D'autres,  plus  jeunes,  nQ|:}s  furent  surtout  envoyas  pour 
des  Tctisons  de  santé,  parce  qu'on  jugeait  que  le  climat 
leur  serait  favorahfle. 

L'exercice  du  saiiij,  minisfère  dans  des  pays  ^ussi 
vastes  que  le  notre  nécessite  pne  bonne  et  forfe  pops- 
titution,  car  souvent  il  faut  entreprendre  de  longs 
voyages  et  subir  de  grandes  privations,  chose  que  ne 
peuvent  pas  faire  ceux  qui  sont  délicats  (]e  santé. 
Cependant,  en  moyenne,  la  santé  des  pères  est  bonne. 

Les  occupations  des  Oblats  du  vicariat  sopt  de  trqis 
sortes.  Plusieurs  Pères  s'occupent  des  catholiques  dans 
les  villes,  d'aptres  visitent  les  fermiers  CE^tholiques  épars 
dans  le  pays  et  quelques-uns  se  (lévouent  à  la  conver- 
sion des  Gafres. 

Il  pst  facilp  de  le  voir,  des  pccupations  de  ce  genre  ne 
facilitent  pas  toujours  l'observance  stricte  de  la  vie  régu- 
lière. Dans  les  villes,  nous  avons  très  peu  de  Missions 
qui  puissent  soutenir  plus  d'un  prêtre  et  la  visite  des 
différentes  fermes  entraîne  plus  ou  moins  avec  elle  une 
certaine  distraction.  Cependant,  je  puis  assurer  qu'en 
général  les  Pères  du  vicariat  sont  zélés  et  fidèles  obser- 
vateurs de  la  Règle,  autant  que  les  circq^stances  le  per- 
mettent. Je  pourrais  même  citer  certains  cas,  où  bien 
que  le  prêtre  soit  seul,  tous  les  exercices  rel^gieiix  sont 
accomplis  avec  la  même  fidélité  et  ponctualité  que  si 
la  copimunauté  se  composait  de  vingt  membres. 

Dans  les  villes,  le  ministère  des  Pères  est  en  tout  ana- 
logue à  celui  de  nos  Pères  en  Angleterre,  c'est-à-dire 
qu'ils  oçit  à  conserver  et  à  développer  la  foi  (les  catho- 
liques, tout  en  travaillant  à  la  conversion  des  héréti- 
ques. Il  est  difficile  de  faire  un  bien  réel  auprès  des  indi- 
gèpes  des  villes,  par  la  raisqp  que  ces  indigèpes  ne 


—  400  — 

viennent  que  pour  un  certain  temps  demander  du  tra- 
vail aux  mines    ou    aux  familles    particulières.   Nous 
regrettons  vivement  cet  état  de  chose,  et  nous  nous  en 
sommes  souvent  préoccupés  pour  en  venir  toujours  à 
cette  conclusion  que,  pour  convertir  les  indigènes  et 
leur  faire  un  bien  solide,  il  faut  habiter  avec  eux,  dans 
leur  tribu,  et  pouvoir  les  suivre  continuellement  de  près. 
I.  District  de  l'État  libre  d'Orange.  —  Notre  vica- 
riat contient  différents  districts  qui  ont  chacun  leur  note 
caractéristique.  L'Etat  libre  d'Orange  est  une  république 
de  Boers  et  elle  est  composée  en  entier  de  fermiers  qui, 
presque  tous,  professent  le  calvinisme   dans  toute  sa 
rigueur.  Jusqu'à  ce  jour,  les  Boers  ont  été  inaccessibles 
au  zèle  de  nos  missionnaires.  Il  est  vrai  que  peu  à  peu 
leur    fanatisme  et  leurs  préjugés  semblent   diminuer, 
mais  c'est  surtout  aune  certaine  indifférence  en  matière 
religieuse  et  au  dégoût  profond  qne  leur  inspire  main- 
tenant le  despotisme  de  leurs  ministres,  qu'il  faut  attri- 
buer ces  améliorations.  Nos  espérances  de  les  convertir 
sont  encore  bien  faibles.  Cependant  en  maintes  circons- 
tances, il  nous  a  été  donné  de  rencontrer  une  véritable 
sympathie  envers  le  prêtre  catholique  Là  où  il  y  a  quel- 
ques années  encore  nous  ne  trouvions  que  rebut  et  pres- 
que haine.  Nous  devons  attribuer  en  grande  partie  ce 
changement  à  l'influence  qu'exercent  nos  écoles,  surtout 
celles  des  couvents  de  religieuses.  Les  Boers,  connaissant 
l'excellence  de  notre  éducation,  aiment  maintenant  à 
nous  confier  leurs  enfants,  et  les  enfants  mis  ainsi  en 
contact  avec  des  maîtres  et  maîtresses  chrétiennes  sont 
ensuite  capables  de  corriger  ou  d'effacer  ces  mille  no- 
tions fausses  et  malicieuses  que  leurs  parents  et  leurs 
amis   entretiennent   depuis   des   siècles   à   l'égard    de 
l'Eglise  catholique. 
Dans  l'Etat  libre  d'Orange,  nous  n'avons  que  quatre 


—  401  — 

Missions  régulièrement  établies  et  quatre  autres  sta- 
tions. 

1°  Bloemfontein.  —  Cette  ville,  la  capitale  de  l'Etat 
libre  d'Orange,  possède  une  belle  église  et  une  mai- 
son passable  pour  les  missionnaires,  les  terrains  sont 
spacieux  et  le  couvent  y  est  vaste  et  excellent,  avec  un 
pensionnat  et  deux  écoles.  Le  pensionnat  compte  main- 
tenant cent  élèves  internes  ;  c'est  le  plus  grand  établis- 
sement de  ce  genre  au  sud  de  l'Afrique.  Les  écoles  de 
jour  reçoivent  plus  de  deux  cents  enfants,  elles  sont  toutes 
sous  la  direction  des  Sœurs  de  la  Sainte-Famille.  La 
communauté  desOblats  se  compose  de  trois  Pères,  mais 
habituellement  un  seul  mis^ionnaire  garde  la  résidence 
el  prend  soin  des  quatre  cents  catholiques  de  la  ville, 
tandis  que  ses  confrères  vont  exercer  le  saint  ministère 
au  loin. 

L'un  visiteles  catholiques  disséminés  lelong  du  chemin  ■ 
de  fer  sur  un  parcours  d'environ  quatre  milles,  et  des- 
sert la  population  catholique  des  villes  de  Brandfort  et 
Cronstadt. 

L'autre  passe  une  grande  partie  de  l'année  chez  les 
fermiers  catholiques  de  l'Etat  libre  d'Orange.  Il  va  de 
ferme  en  ferme  y  dire  la  sainte  messe,  administrer  les 
sacrements  et  instruire  les  enfants  qui,  sans  cela,  n'au- 
raient aucune  chance  de  connaître  notre  sainte  religion. 
Quand  il  rencontre  des  fermiers  à  l'aise  et  à  même  de  le 
recevoir  et  de  l'héberger,  il  passe  quelquefois  une  se- 
maine, même  deux  au  même  lieu,  donnant  la  plus 
grande  partie  de  son  temps  à  l'instruction  de  la  jeu- 
nesse. 

2°  Jagersfontein.  —  Cette  ville  minière  de  l'Etat  libre 
d'Orange  ne  compte  pas  plus  de  120 catholiques.  Malheu- 
reusement, ceux-ci  ouvrent  plus  volontiers  leur  bourse 
qu'ils  ne  s'approchent  des  sacrements.  Ils  ont  bâti  à 


-  m  - 

ieurs  frais  une  bëiie  église  et  une  résidence  très  confor- 
table pour  leur  missionnaire.  Nous  avons  à  Jagersfori- 
tein  un  excellent  couvent  de  religieuses  et  une  bonne 
école.  Environ  100  enfants  fréquentent  les  classes  coii- 
fiées  à  cinq  Sœurs  de  la  Sainte-Famille.  Le  Père  eii 
charge  de  cette  Mission  visite  aussi  les  fermiers  catho- 
liques du  sud  de  l'Etat  libre  d'Orange. 

3°  Collège  Saint-Léon. —  Cet  établissement  fut  établi 
il  y  a  environ  six  ans  à  l'effet  de  fournir  une  bonne  et 
facile  éducation  aux  enfants  de  nos  fermiers  catholiques 
et  cela  à  des  prix  moins  coûteux  que  dans  les  villes. 
Nous  avions  aussi  l'intention  de  recevoir  là  les  enfants 
des  fermiers  calvinistes  honorables  des  environs. 

A  cet  effet,  nous  fîmes  l'achat  d'une  belle  et  vaste 
ferme,  sur  laquelle  une  partie  d'un  futur  collège  fut  éri- 
gée à  grands  frais.  Après  un  an  d'expérience,  il  nous  fut 
facile  de  voir  que  la  difQcullé  d'envoyer  les  enfants  à 
cet  établissement  éloigné  d'environ  60  milles  du  che- 
min de  fer,  serait  un  très  grand  obstacle  au  développe- 
ment du  collège.  De  plus,  faute  de  personnel  capable 
fourni  par  notre  Congrégation,  il  nous  fallut  employer 
des  maîtres  laïques,  ce  qui  empêcha  grandement  la  réali- 
sation de  nos  espérances.  Mais  nous  avons  confiance 
qu'avec  le  nouvel  embranchement  du  chemin  de  fer  que 
la  République  de  l'Etat  libre  d'Orange  se  propose  de 
faire  passer  à  environ  une  demi-heure  du  collège,  lés 
difficultés  cesseront  et  que  l'institution  Saint-Léon 
verra  des  jours  plus  heureux. 

4»  Hari'ismith.  —  Cette  Mission  a  été  fondée  depuis  le 
dernier  Chapitre,  non  seulement  pour  la  poignée  de 
catholiques  de  cette  ville,  mais  aussi  et  surtout  comme 
un  centre  et  pied  à  terre  pour  le  missionnaire  qui  visite- 
rait les  catholiques  répandus  dans  les  environs,  à  une 
distance  très  considérable.  Quand  l'éghse  et  le  près- 


—  403  — 

bytère  furent  édifiés  à  Hârrismithj  il  îi'y  atait  guèf-ë  dans 
cette  localité  que  80  catholiques  ;  malheureusement  leur 
nombre,  au  lieu  d'augmenter,  a  diminué  depuis, 

n.  Griqualand-West.  —  i"  Kimberleij.  —  C'est  la  ville 
principale  du  district  et  la  résidence  du  Vicaire  aposto- 
lique et  de  trois  Pères.  Sa  population  s'élève  à  40000 
ârties.  On  y  trouve  des  représentants  de  toutes  nationa- 
lités, de  toutes  langues,  de  toutes  couleurs  et  de  toutes 
religions.  Il  y  a  environ  2000  catholiques.  L'église  de 
Kimbèrièy  est  assez  convenable  ainsi  que  la  résidence 
des  Oblàts.  Les  Sœurs  de  la  Sainte-Famille  dirigent  une 
école  supérieure  pour  les  jeunes  filles  et  une  école  pa- 
roissiale, fréquentée  par  300  enfants.  Un  peu  plus  loin, 
nous  avons  érigé  dernièrement,  au  prix  de  60000  francs, 
une  école  pour  les  garçons.  Elle  est  èonfiée  aux  Frères 
des  Ecoles  chrétiennes  venus  d'Irlande.  Déjà  100  enfants 
fréquentent  les  classes.  Bientôt  ce  nombre  sera  doublé, 
car  l'école  ne  cornpte  encore  que  six  mois  d'existence. 
Mentionnons  aussi  l'orphelinat  des  Sœurs  de  Nazareth 
ou  Petites  Sœurs  des  pauvres;  140  vieillards  ou  enfants 
délaissés  sont  confiés  aux  soins  de  ces  bonnes  reli- 
gieuses. 

Le  ministère,  à  Kimberley,  est  très  pénible,  tant  à 
cause  du  climat  qu'à  catise  de  la  configuration  bizarre 
et  misérable  de  la  ville.  La  visite  des  malades  oblige 
souvent  les  Pères  à  faire  de  longues  courses  dans  le 
district.  Une  fois  par  mois,  un  missionnaire  de  Kimber- 
ley célèbre  la  sainte  messe  dans  un  petit  village  à 
3  milles  de  la  ville  et  dessert,  en  outre,  une  autre  Mis- 
sion sur  la  rivière  Vaal,  où  sont  fixés  un  certain  nombre 
de  mineurs  catholiques. 

2°  Beaconsfield.  —  Cette  MissiOn,  située  à  quelques 
milles  de  Kimberley^  ne  compte  que  400  catholiques  ; 
aussi,  nrt  seul  Père  suffit-il  à  tons  lès  travaux  du  saint 


ministère.  Beaconsfîeld  nous  a  toujours  donné  la  plus 
grande  satisfaction,  à  cause  de  la  piété  et  du  bon  esprit 
des  catholiques.  Il  y  a  là  une  église  en  tôle  galvanisée 
très  convenable  et  une  bonne  résidence  pour  le  prêtre, 
ainsi  qu'une  école  où  100  enfants  reçoivent  l'instruction 
des  Sœurs  de  la  Sainte-Famille. 

Bechuanaland.  —  Après  le  dernier  Chapitre  général 
de  1893,  nous  prîmes  possession  de  cette  immense  con- 
trée du  Bechuanaland,  qui  s'étend  depuis  le  Vaal-River 
jusqu'au  tropique  du  Capricorne,  dans  le  nord.  Jusqu'à 
présent,  on  n'a  jamais  pu  arriver  à  déterminer  exacte- 
ment le  nombre  d'indigènes  ou  Bechuanas  qui  peuplent 
ce  pays;  mais  tous  les  officiers  du  gouvernement  et  les 
voyageurs  s'accordent  à  dire  que  le  nord  du  Bechuana- 
land comprend  plus  d'un  million  d'infidèles.  C'était  au 
centre  de  ces  tribus  que  nous  avions  d'abord  désiré  éta- 
blir nos  Missions  ;  mais  des  difficultés  de  tout  genre 
nous  forcèrent  à  chercher  une  place  dans  le  Sud  pour  y 
commencer  notre  première  Mission  pour  les  Bechuanas. 
Ces  pauvres  enfants  du  désert  n'avaient  encore  jamais 
vu  de  prêtre  ni  entendu  parler  de  l'Église  catholique. 
Pendant  quelques  années,  il  est  vrai,  les  Pères  du  Saint- 
Esprit,  qui  descendaient  de  la  haute  et  de  la  basse 
Cimbébasie,  essayèrent  d'implanter  la  religion  dans  le 
Bechuanaland  ;  mais  ils  abandonnèrent  bien  vite  le  ter- 
rain, trouvant  la  tâche  trop  ardue;  et,  ne  connaissant 
pas  la  langue  des  Bechuanas,  ils  crurent  ce  travail  au- 
dessus  de  leur  force.  C'est  ainsi  que  les  Oblats  durent 
accepter  ce  que  d'autres  ne  voulaient  plus.  Depuis  que 
le  Bechuanaland  a  été  rattaché  au  vicariat  de  l'État 
libre  d'Orange,  nous  avons  établi  deux  Missions  dans  le 
pays  :  l'une  pour  les  blancs,  à  Mafeking  ;  l'autre  pour 
les  noirs,  à  Taungs. 

1°  Mafeking.  —  La  Mission  ne  se  compose  guère  en- 


—  405  — 
core  que  d'une  petite  chapelle  avec  une  chambre  pour 
le  prêtre.  Dernièrement,  les  Sœurs  de  la  Merci  y  ont  ou- 
vert une  école.  J'apprends  avec  bonheur  qu'elle  compte 
déjà  plus  de  100  élèves. 

2°  Taungs.  —  La  Mission  Saint-Paul  de  Taungs  a  deux 
ans  d'existence.  Elle  a  une  église  en  pierre,  un  presby- 
tère en  briques  cuites  et  de  grandes  écoles  pouvant  con- 
tenir 200  indigènes.  Nous  avons,  en  outre,  acheté  là  pour 
l'usage  des  Sœurs,  une  grande  bâtisse  capable  de  rece- 
voir douze  religieuses  dès  que  je  pourrai  trouver  une 
communauté. 

Cette  station  de  Taungs  est  située  au  centre  de  col- 
lines qui  s'étendent  en  amphithéâtre  autour  de  la  Mis- 
sion; au  sommet  de  ces  collines,  en  vue  delà  maison 
du  missionnaire  ,  habite  une  population  de  plus  de 
12  000  Gafres.  Une  belle  cloche,  don  du  R.  P.  PtEY  à  la 
Mission  Saint-Paul,  peut  être  entendue  de  toutes  les 
huttes  de  la  ville  cafre. 

Dès  le  premier  dimanche  qui  suivit  l'ouverture  de 
l'église,  la  chapelle  se  trouva  pleine  de  païens  désireux 
de  voir  les  cérémonies  de  notre  sainte  religion.  Il  n'y 
avait  pas  un  seul  chrétien  parmi  eux,  mais  tous  vou- 
laient entendre  ce  que  l'Eglise  calholique  aurait  à  leur 
enseigner.  Le  R.  P.  Porte  ayant  acquis  de  l'expérience 
en  Basutoland  et  parfaitement  au  courant  de  la  langue 
et  des  coutumes  cafres,  n'eut  pas  de  peine  à  entretenir 
et  à  satisfaire  la  curiosité  de  son  auditoire  qui  assista 
pendant  plusieurs  mois  à  toutes  les  réunions  du  diman- 
che. Entin  un  certain  nombre  demandèrent  leur  admis- 
sion dans  l'Eglise  catholique.  Ils  furent  admis  au  caté- 
chuménat  et  vinrent  à  la  Mission  régulièrement  deux 
fois  par  semaine  se  faire  instruire  de  notre  sainte  reli- 
gion, et  cela  pendant  dix-huit  mois. 

Pendant  la  famine,  le  missionnaire  baptisa  environ 

T.  XXXVI.  27 


—  406  — 

100  adultes  ou  enfants  in  articula  môrtis,  et  nous  avons 
appris  avec  joie  que,  le  17  mars  dernier,  le  R.  P.  Lenoir, 
vicaire  général,  a  donné  solennellement  le  baptême  à 
environ  100  personnes  qui  s'y  étaient  préparées  et  avaient 
achevé  leur  caléchuménat. 

Tels  ont  été  les  premiers  fruits  de  la  Foi  en  Bechua- 
naland. 

Nous  avons  tout  lieu  d'espérer  qu'avec  le  temps  et  la 
bénédiction  d'en  haut,  Saint-Paul  de  Taungs  deviendra 
une  des  plus  florissantes  Missions  établies  pour  la  con- 
version des  noirs  dans  le  sud-africain. 

Statistiques  du  vicariat  de  l'État  libre  d' Orange. —  Nous 
ne  donnons  ici  qu'un  résumé  succinct  des  statistiques 
du  vicariat. 

Le  vicariat  de  l'Etat  libre  d'Orange  se  compose  d'un 
vicaire  apostolique  et  vicaire  des  Missions,  de  douze  prê- 
tres Oblats,  de  deux  Frères  convers  Oblats,  de  trois  Frères 
des  Ecoles  chrétiennes  et  de  soixante  religieuses  de  dif- 
iférents  ordres. 

Le  vicariat  compte  environ  4000  catholiques,  près  de 
140000  hérétiques  et  plus  de  1  million  de  païens  indi- 
gènes. 

Nous  avons  8  églises,  13  écoles,  et,  en  outre,  du  per- 
sonnel religieux  enseignant,  8  instituteurs  ou  institu- 
trices laïques  nous  prêtent  leur  concours.  Environ 
1000  enfants  reçoivent  l'éducation  dans  nos  écoles  : 
3ô0  garçons  et  550  filles. 


—  407  — 

Rapport  de  la  préfecture  apostolique  du  Basutoland. 

Jusqu'au  Chapitre  général  de  1893,  le  Basutoland  faisait 
partie  du  vicariat  apostolique  de  l'État  libre  d'Orange. 
Sur  la  demande  de  W""  Gaughran,  il  fut  alors  érigé  par 
la  Sacrée  Congrégation  de  la  Propagande  en  préfecture 
apostolique.  Le  R.  P.  Monginoux,  qui  avait  précédem- 
ment exercé  le  saint  ministère  dans  ce  pays,  fut  appelé 
de  Natal  pour  prendre  en  main  le  gouvernement  de  la 
nouvelle  Mission.  Il  arriva  au  mois  d'octobre  1894,  visita 
toutes  les  stations  établies,  en  fonda  une  nouvelle  à  Qu- 
thing,  dans  la  montagne,  et  posa  la  première  pierre  d'une 
église  à  Roma.  Peu  après,  le  R.  P.  Monginoux  regagnait 
Natal,  laissant  la  succession  de  la  préfecture  du  Basuto- 
land au  R.  P.  Baudry,  supérieur  de  la  maison  de  Durban. 
Ce  changement  s'opéra  à  l'époque  de  la  visite  canonique 
du  R.  P.  AuGiER,  Cassien. 

Environ  deux  ans  après,  au  mois  d'août  1897,  le 
R.  P.  Cénez  succédait  au  R.  P.  Baudry,  que  l'obéissance 
envoyait  au  Transvaal.  Ces  mutations  successives  n'ont 
guère  contribué,  on  le  conçoit  aisément,  à  l'améliora- 
tion et  au  progrès  des  diverses  Missions  qui  sont  restées 
à  peu  près  dans  le  statu  quo  au  point  de  vue  matériel. 
Mais  on  peut  affirmer  que  les  pratiques  de  la  vie  reli- 
gieuse et  le  labeur  du  ministère  n'en  ont  point  souffert. 
Plus  que  jamais,  ce  qui  n'est  pas  peu  dire,  nos  vétérans 
se  sont  efforcés  d'atteindre  aux  sommets  de  la  perfec- 
tion, pendant  que  les  plus  jeunes,  en  vertu  du  mouve- 
ment imprimé  au  noviciat  et  au  scolasticat,  ont  essayé 
de  marcher  sur  leurs  traces. 

I.  RoMA.  —  La  seule  maison  régulièrement  constituée 
de  la  préfecture  du  Basutoland  est  celle  de  Roma,  qui 


—  408  — 

compte  cinq  Pères  et  sept  Frères  convers.  Le  mission 
naire  chargé  de  la  paroisse  et  du  couvent  et  celui  qui 
dessert  les  quatre  stations  avoisinantes  ont  un  vicaire 
qui  leur  prête  successivement  son  concours.  Deux  jeunes 
Pères  achèvent  leurs  études  théologiques  tout  en  appre- 
nant la  langue  du  pays.L'école,fréquentéepar  85  élèves, 
est  sous  la  direction  d'un  Frère  convers  aidé  d'un  maître 
indigène.  Quatre  Frères  enseignent  divers  métiers  aux 
30  jeunes  gens  de  l'école  industrielle;  les  deux  autres  se 
partagentlestravauxde  la  cuisine  et  dujardinage.  Tous  ces 
excellents  religieux  forment  une  communauté  où  règne 
l'union  et  la  régularité.  Sur  les  registres  de  Roma,  sont 
inscrits  1800  baptêmes  ;  depuis  1893^,  on  en  compte  362  ; 
ils  ont  atteint,  dans  la  seule  année  1897,  le  chiffre  de  150. 
On  a  célébré  81  mariages  depuis  le  dernier  Chapitre  et 
fait  98  sépultures.  Il  est  facile  de  comprendre  que  l'ad- 
ministration de  cette  Mission  et  du  couvent,  joint  à  la 
surveillance  des  écoles,  à  la  visite  et  à  l'instruction  des 
malades  et  des  catéchumènes  dispersés  çà  et  là,  est  une 
rude  besogne  pour  un  seul  missionnaire.  Les  Sœurs  de 
la  Sainte-Famille  sont  au  nombre  de  seize,  douze  Euro- 
péennes et  quatre  indigènes.  Le  pensionnat  dont  elles 
ont  la  direction  comprend  90  filles,  qui  remplissent,  à 
elles  seules,  la  petite  maison  qui  sert  d'église  depuis  sept 
ans.  Le  reste  des  fidèles  assiste  aux  offices  en  plein  air, 
sous  la  pluie  ou  le  soleil,  selon  la  saison. 
Autour  de  Roma,  nous  avons  quatre  annexes  : 
\°  5ai«^^/^c/^e/ (783  baptêmes,  15  catéchumènes).— 
Cette  station,  où  deux  Sœurs  tiennent  une  école  pour 
les  filles  et  quelques  petits  garçons,  a  souffert  du  chan- 
gement fréquent  de  directeur.  Là,  en  effet,  comme  dans 
les  autres  stations  dépendantes  de  Roma,  se  forment  les 
nouveaux  missionnaires  ;  une  fois  suffisamment  exercés 
pour  diriger  une  Mission,  ils  cèdent  la  place  à  d'autres 


—  409  — 

plus  jeunes.  Une  maladie  épidéraique  semble  vouloir,  en 
y  décimant  la  population,  ramener  nos  chrétiens  à  une 
plus  grande  ferveur. 

2°  Nazareth.  —  Avec  une  école,  on  eût  recueilli  en  ce 
lieu  d'excellents  résultats.  Il  n'y  a  malheureusement 
plus  ni  église,  ni  maison  ;  c'est  une  véritable  ruine.  Ce- 
pendant beaucoup  de  païens  veulent  se  convertir;  nous 
comptons  une  centaine  de  chrétiens,  plus  une  quinzaine 
de  catéchumènes. 

3°  Thaba-Bosiho.  — Une  grande  épreuve  s'est  abattue 
sur  cette  station  au  moment  oti  les  conversions  s'an- 
nonçaient nombreuses  et  oti  nous  nous  préparions  à 
fonder  une  école.  Le  chef  Masupha  a  été  chassé  de  son 
village,  qui  a  été  entièrement  détruit.  Chrétiens  et  ca- 
téchumènes sont  dispersés  pour  le  moment.  Nous  espé- 
rons que  beaucoup  pourront  revenir  assez  près  de  la 
Mission.  Nous  avions  20  catéchumènes,  dont  plusieurs 
officiers  de  Masupha;  les  protestants,  en  assez  grand 
nombre,  se  rapprochaient  du  catholicisme. 

4°  Loretta.  —  C'est  une  station  de  fondation  récente, 
près  Maseru,  siège  du  gouvernement.  On  y  a  bâti  une 
maison  comprenant  trois  chambres,  dont  une  sert  de 
chapelle.  Elle  n'abrite  guère  que  le  quart  des  gens  qui 
viennent  aux  offices.  On  y  a  aussi  jeté  les  fondations 
d'une  église,  que  nous  n'avons  pu  élever  faute  de  res- 
sources. A  peine  établie  depuis  un  an,  cette  mission 
donne  d'excellents  résultats.  Il  y  a  au  moins  45  caté- 
chumènes, dont  beaucoup  d'hommes,  chose  rare  au 
Basutoland.  Que  serait-ce  si  nous  avions  là  une  église  et 
une  école? 

IL  KoROKORO. —  C'est  la  plus  importante  Mission  après 
Roma  et  celle  où  s'opèrent,  pour  le  moment,  le  plus  de 
conversions.  Avec  son  annexe  de  Massabielle^  dont  l'école 


—  410  — 

est  aujourd'hui  tenue  par  une  pieuse  demoiselle  venue 
de  Nalal,  Korokoro  compte,  d'inscrits  sur  ses  registres, 
885  baptêmes;  soit  476  depuis  1893.  L'année  dernière, 
82  catéchumènes  ont  reçu  ce  sacrement  de  la  régénéra- 
tion. Aujourd'hui  encore,  il  n'y  en  a  pas  moins  de  90  qui 
se  préparent  à  le  recevoir.  Ses  deux  écoles  sont  fréquen- 
tées par  146  enfants.  Le  total  des  communions  pascales, 
en  1897,  s'est  élevé  à  300;  cela  donne  une  idée  de  la 
somme  de  travail  que  doit  fournir  l'unique  mission- 
naire à  qui  incombe  le  soin  de  ce  troupeau,  surtout  si 
l'on  songe  que  les  chrétiens  habitent,  la  plupart,  à  une 
grande  distance  de  la  Mission. 

IIL  Sainte-Monique  (786  baptêmes,  dont  313  depuis  le 
dernier  Chapitre  et  69  en  1897).  —  Pour  desservir  cette 
Mission  et  son  annexe,  il  faudrait  connaître  toutes  les  lan- 
gues, tellement  la  population  est  mélangée.  A  la  station 
de  la  Bienheureuse- M ar guérite- M arie,'û  n'y  a  qu'une  cin- 
quantaine de  chrétiens  et  une  dizaine  de  catéchumènes. 
Preuve  frappante  qu'une  station  sans  écoles  ne  produit 
pas  de  sérieux  résultats.  Si  on  pouvait  y  établir  une  école 
tenue  par  deux  religieuses  ou  un  Frère  convers  et  visi- 
tée par  le  missionnaire  une  ou  deux  fois  par  semaine, 
tout  irait  à  merveille.  A  Sainte-Monique,  les  classes  ne 
sont  pas  très  fréquentées,  par  la  raison  que,  les  chré- 
tiens étant  loin,  les  enfants  devraient  être  pension- 
naires ;  mais  la  pauvreté  de  la  Mission  ne  permet  d'en 
accepter  qu'un  nombre  restreint.  Le  Frère  a,  dans  sa 
classe,  22  garçons,  et  les  quatre  Sœurs,  dont  une  in- 
digène, une  trentaine  de  filles. 

IV.  MoNTOLivET.  —  Une  grande  église,  de  date  récente, 
est  le  plus  bel  ornement  de  celte  résidence.  Elle  est  fré- 
quentée par  près  de  400  chrétiens  et  31  catéchumènes. 
Il  ne  manque  plus,   à  Montolivet,    qu'un  local  pour 


—  4H  — 

l'école  et  une  maison  pour  le  Père;  la  Mission  serait 
alors  complète.  Trois  Sœurs  et  un  maître  indigène  se 
partagent  70  écoliers. 

V.  Gethsémani.  —  On  y  a  fait  27  baptêmes  en  1897, 
95  depuis  1893  et  249  en  tout.  Environ  35  à  40  enfants 
fréquentent  l'école  tenue  par  les  Sœurs.  S'il  y  a  peu  de 
conversions,  c'est  que  le  missionnaire  vise  plutôt  à  la 
qualité  qu'à  la  quantité.  Il  faut  penser  à  l'avenir  et  donner 
à  la  chrétienté  des  h^ses  solides. 

VI.  SiON.  —  Le  R.  P.  Porte  a  jeté  les  fondations  de 
cette  Mission,  qui  n'a  pas  réalisé  toutes  les  espérances 
qu'elle  faisait  concevoir  au  début.  Depuis  le  départ  du 
R.  P.  Porte  pour  le  Béchuanaland,  il  n'y  a  guère  eu  que 
80  baptêmes.  Cependant,  le  mouvement  des  conver- 
sions semble  reprendre  un  peu.  On  y  compte,  en  tout, 
240  chrétiens  et  28  catéchumènes.  Un  Frère  fait  l'école 
à  une  trentaine  de  garçons,  et,  depuis  trois  ans,  les 
Sœurs  y  instruisent  une  cinquantaine  de  filles. 

Par  l'examen  des  chiffres  contenus  dans  ce  rapport,  il 
est  facile  de  constater  que  si,  au  point  de  vue  matériel, 
nos  missions  ne  sont  pas  en  progrès,  elles  continuent,  au 
spirituel,  leur  marche  ascendante;  chaque  année  voit 
augmenter  le  nombre  des  conversions. 

Voici  le  tableau  comparatif  de  la  préfecture  aposto- 
lique du  Basutoland  : 

1893.  18!I8. 

Prêtres S  11 

Frères  convers H  y 

Religieuses  européennes 22  ii 

—         indigènes 7  8 

Chrétiens 3  737  5  233 

Catéchumènes 155  833 

Les  conversions  se  multiplieraient  si  nous  pouvions 


—  412    - 

éleudre  notre  sphère  d'action.  En  plusieurs  villages,  les 
chefs  nous  réclament  et  nous  offrent  des  terres  pour 
l'établissement  d'une  mission.  Il  faudrait  pouvoir  ac- 
cepter aussitôt,  clôturer  le  terrain  et  y  construire  des 
chapelles-écoles.  Mais  le  plus  indispensable,  pour  le 
moment,  c'est  le  complet  achèvement  de  la  Mission  de 
Maseru,  la  fondation  de  deux  nouvelles  stations  entre 
Montolivet  et  Quthing,  sans  parler  de  plusieurs  écoles. 
Pour  la  création  de  ces  œuvres,  nous  n'avons  absolu- 
ment d'autres  ressources  que  l'allocation  de  la  Propa- 
gation de  la  Foi. 

Je  ne  parle  pas  des  subventions  que  nous  accorde  le 
gouvernement  pour  nos  écoles  ;  c'est  à  peine  suffisant 
pour  l'entretien  des  enfants,  internes  en  majeure  partie. 
Nous  possédons  des  terrains  de  grande  étendue,  mais  le 
profit  que  nous  retirerions  de  la  culture  de  ces  champs 
n'égalerait  point  le  travail;  car,  si  la  récolte  est  bonne, 
le  grain  se  vend  à  un  prix  dérisoire.  D'ailleurs,  la  peste 
bovine,  en  détruisant  les  troupeaux,  nous  a  mis  dans 
l'impossibilité  de  labourer  nos  terres.  A  l'exception  de 
Roraa,  où  il  reste  encore  quelques  bœufs,  les  autres  Mis- 
sions ne  possèdent  plus  une  seule  bête  à  cornes.  Pour 
leur  donner  les  moyens  de  tirer  quelque  chose  de  nos 
terres,  il  faudrait  acheter  30  ou  40  bœufs,  et,  depuis  la 
maladie,  on  n'en  trouve  qu'à  des  prix  déraisonnables. 
Loin  de  nous  venir  en  aide,  les  chrétiens  sont  tombés 
eux-mêmes  dans  la  misère,  implorant  la  charité  du  mis- 
sionnaire. Que  la  divine  Providence  et  notre  chère  Con- 
grégation daignent  prendre  en  pitié  la  mission  si  éprou- 
vée du  Basutoland;  sinon,  au  lieu  d'aller  toujours  de 
l'avant,  nous  nous  verrons  contraints  de  céder  le  terrain 
conquis  sur  le  paganisme  et  l'hérésie. 


—  413  — 

Rapport  de  la  préfecture  apostolique  de  la  Cimbébasie 
inférieure  [Damaraland). 

Comme  un  jeune  enfant  qui  a  peu  de  choses  à  dire, 
point  de  hauts  faits  ni  d'œuvres  magnifiques  à  raconter, 
nous  n'avons  à  vous  parler  que  de  l'origine  de  la  préfec- 
ture apostolique  de  la  Cimbébasie  inférieure,  des  peines 
et  des  misères  inséparables  de  toute  fondation  et  des  loin- 
taines espérances  que  nous  fondons  sur  cette  Mission. 

Qu'il  nous  soit  d'abord  permis  de  payer  un  tribut 
d'hommage  et  de  reconnaissance  à  un  Oblat  à  qui 
nous  devons  beaucoup.  Si  nos  Pères  du  Transvaal  pleu- 
rent la  mort  si  prématurée  et  si  subite  du  R.  P.  Schoch, 
nous  joignons  nos  regrets  à  leurs  regrets,  nos  larmes  à 
leurs  larmes.  Je  ne  puis  dire  les  fatigues  que  cet  intré- 
pide missionnaire,  que  la  Providence  nous  fît  si  heu- 
reusement rencontrer  à  notre  arrivée  sur  le  noir  conti- 
nent, a  endurées  durant  son  voyage  d'exploration  de 
six  mois  à  travers  le  Damaraland.  Toujours  en  char- 
rette à  bœufs  et  accompagné  seulement  d'un  blanc  et 
d'un  indigène,  le  vénéré  préfet  apostolique  du  Trans- 
vaal sut  partout,  grâce  à  son  expérience  de  dix-sept  an- 
nées passées  en  Afrique  et  à  son  amabilité,  se  concilier 
l'estime,  la  confiance,  je  dirai  même  l'affection  de  tous, 
des  colons  comme  des  soldats,  des  chefs  sauvages 
comme  de  l'autorité  civile  et  militaire  de  ce  pays.  Il  fut 
toujours  un  conseiller  sage,  ayant  une  parfaite  connais- 
sance des  hommes  et  des  choses.  Que  Dieu  prenne  pitié 
de  l'âme  de  ce  vaillant  apôtre  et  le  dédommage  au 
centuple  des  fatigues  endurées  pour  la  Mission  du  Da- 
maraland, et  qui  sont  un  gage  certain  d'une  abondante 
moisson. 

C'est  le  1"  août  1892  que  la  Sacrée  Congrégation  de  la 


—  414  — 

Propagande,  divisant  en  trois  l'ancienne  Mission  des  Pères 
du  Saint-Esprit,  en  confia  la  partie  du  milieu,  qui  forme  le 
nord  de  la  colonie  du  Sud-Ouest  africain  allemand,  aux 
Oblats  de  Marie  Immaculée.  Comme  limites,  elle  assigna 
à  cette  préfecture  apostolique,  qu'elle  nomma  Cimbéba- 
sie  inférieure,  au  nord,  le  fleuve  Gunène  et  le  méridien 
qui  le  suit  (limite  politique  des  possessions  allemandes 
et  portugaises)  :  à  l'est,  le  22'  degré  de  longitude  est  de 
Greenwich;  au  sud,  le  23^  degré  de  latitude  australe. 
L'océan  Atlantique  forme,  à  l'ouest,  la  limite  naturelle 
et  nous  permet  de  correspondre  avec  la  mère-patrie. 

Cependant,  après  ce  partage,  la  Gimbébasie  resta  en- 
tièrement, durant  quatre  années  encore,  aux  mains  des 
protestants  allemands  et  danois,  qui  y  sont  établis  de- 
puis plus  d'un  demi-siècle.  On  était  alors  en  pourpar- 
lers avec  le  gouvernement  allemand  à  Berlin.  Enfin, 
après  bien  des  démarches,  le  4  juillet  189H,  M.  Kayser, 
directeur  du  département  des  colonies,  nous  fil  savoir 
que  le  gouvernement  impérial  verrait  avec  reconnais- 
sance et  satisfaction  des  missionnaires  catholiques  se 
dévouer  aux  colons  et  aux  soldats  européens,  sans  tou- 
tefois s'adonner  à  l'évangélisation  des  indigènes  dans 
ces  parties  du  Protectorat  occupées  depuis  de  longues 
années  par  les  ministres  protestants.  Le  motif  mis  en 
avant  était  les  dispositions  peu  pacifiques  de  ces  peu- 
plades et  la  crainte  de  plus  grands  troubles  encore  si 
deux  confessions  opposées  allaient  se  trouver  face  à  face 
en  ces  contrées.  Pourtant,  cette  réserve  n'aurait  qu'une 
durée  limitée  et  tomberait  d'elle-même  avec  la  cessa- 
tion des  troubles.  D'ailleurs,  antérieurement,  le  17  dé- 
cembre 1893,  le  gouvernement  nous  avait  assigné  une 
partie  du  pays,  comprise  entre  le  17^  degré  de  longitude 
est  et  le  19"'30'  de  latitude  sud,  où  nous  pourrions  jeter 
la  semence  de  la  bonne  nouvelle  parmi  les  tribus  des 


~  415  — 

Dirikos,  des  Dimbos  et  des  Ovambukuschus  et  autres. 
De  plus,  on  accordait  au  missionnaire  une  allocation 
annuelle  de  6  000  marcs  pour  l'aumônerie  militaire. 
Tout  cela  étant  réglé  et  accepté,  le  T.  R.  P.  Soullier 
envoya,  en  septembre  1896,  deux  Pères  et  un  Frère 
convers  défricher  un  champ  fécondé  déjà  par  les  sueurs 
de  plusieurs  Pères  du  Saint-Esprit,  que  la  haine  et  la 
jalousie  protestantes  firent  chasser  d'Omaruru,  oh  ils 
possédaient  une  école  florissante  et  où  j'ai  vu  encore, 
les  larmes  aux  yeux,  les  ruines  de  leur  modeste  de- 
meure et  de  leur  humble  chapelle,  champ  arrosé  même 
du  sang  de  plusieurs  missionnaires  de  la  même  Congré- 
gation, qui  ont  trouvé  la  mort  dans  la  partie  nord- 
ouest  du  pays  chez  les  Ovambos. 

Le  territoire  confié  aux  Oblats  mesure  une  superficie 
de  523  000  kilomètres  carrés  ;  il   est,   par   conséquent, 
presque  aussi  étendu  que  la  France.  Ce  sont  de  vastes 
plaines  sablonneuses,  le  long  du  littoral,  d'une  largeur 
de  60  à  70  kilomètres  ;  d'immenses   champs   semés  de 
pierres  et  de  roches  ;  des  prairies  où  paissent  les  trou- 
peaux du  Héréro  ;  des  blocs  de  rochers  brisés,  fendus, 
jetés  les  uns  contre  les  autres  et  des  chaînes  de  monta- 
gnes assez  élevées.  On  souffre  surtout  du  manque  d'eau. 
La  pluie  ne  tombe  qu'à  certaines  époques,  au  mois  d'oc- 
tobre quelquefois  ;    mais  c'est  en  décembre,  janvier, 
février,  mars,  la  saison  des  grandes  pluies.  Dans  la  par- 
tie sud  et  au  centre  du  pays,  il  pleut  pour  ainsi  dire 
chaque  année  ;  le  long  de  la  côte,  c'est  la  sécheresse 
absolue.  Les  pluies,  précédées  de  tourbillons  de  pous- 
sière, de  tempêtes  et  d'orages,  sont  très  violentes  ;  mal- 
heur à  l'imprudent  voyageur  campé  dans  le  lit  desséché 
d'un  fieuve  et  qui  y  aurait  laissé  paître  ses  bœufs.  Il 
éprouverait  le  sort  de  ce  pauvre  soldat  et  de  trois  indi- 
gènes, que  les  eaux,  se  précipitant  irrésistiblss,  hautes 


—  416  — 

comme  des  murailles,  rapides  comme  la  foudre,  entraî- 
nèrent récemment  à  une  mort  affreuse  avec  les  quarante 
chevaux  confiés  à  leur  garde.  Mais  ces  torrents  s'écoulent 
rapidement  et,  quelques  jours  plus  tard,  tout  est  à  sec, 
un  beau  ciel  bleu  s'étend  au-dessus  de  votre  tête  et  le 
sable  grince  sous  vos  pieds.  Rarement  les  fleuves  mènent 
leurs  eaux  jusqu'à  la  mer.  Il  est  facile  de  comprendre 
que  la  végétation  da  sol  s'en  ressent  et  qu'il  n'y  ait   de 
jardins    et   de    champs    cultivés  qu'aux    environs  des 
sources  et   de  quelques  endroits  plus  favorisés.  On  ne 
trouve  pas  de  véritables  bois  ou  forêts,  ce  ne  sont  ordi- 
nairement que  des  buissons  épineux,  parmi  lesquels  se 
distingue  le  Wacht  en  bietje,   terme  hollandais,  qui  si- 
gnifie attends  un  peu.  Le  Nord,  cependant,  est  plus  favo- 
risé sous  le  rapport  de  l'eau  et,  par  conséquent,  plus 
fertile.  Le  climat  de  laCimbébasie,  si  l'on  en  excepte  la 
partie  ^septentrionale,  est  un  des  meilleurs  et  des  plus 
favorables.  L'air  est  sec,  serein,  transparent,  rappro- 
chant les  objets  démesurément.  La  chaleur  du    soleil 
varie  d'une  manière  incroyable.   On  ne   distingue  que 
deux  saisons  :  les  mois  de  juin,    juillet,  août  et  sep- 
tembre, forment  la  saison  d'hiver  ;  les   autres  mois  de 
l'année,  la  saison  d'été.  Au  mois  de  septembre,  le  capi- 
taine de  Français  a  compté,  à  l'ombre,  29  degrés  Cel- 
sius, et,  en  plein  soleil,  .o9  degrés;  la  nuit,  le  thermo- 
mètre descendait  à  9  ou  7  degrés  au-dessous  de  zéro,  ce 
qui  montre  la  différence  énorme  de  la  température  à 
l'ombre  et  au  soleil  et  durant  la  nuit.  Le  maximum  ab- 
solu, à  l'ombre,  à  l'époque  des  plus  grandes  chaleurs, 
atteint  jusqu'à  o8  degrés  Celsius,  et  la  nuit,  le  minimum 
absolu  est  de  13  degrés  au-dessus  de  zéro;  l'hiver,  le 
maximum  absolu  est  d'environ  28  degrés  et  le  minimum 
descend  jusqu'à  9  degrés.  Pendant  la  saison  pluvieuse, 
la  plaine  se  couvre  en  quelques  jours  d'une  luxuriante 


—  417  — 

verdure  ;  l'herbe,  se  desséchant  ensuite  sur  pied,  sert 
de  pâturage  aux  troupeaux,  lesquels  s'y  promènent  en 
toute  liberté,  sous  la  garde  d'un  Cafre,  qui,  le  plus  sou- 
vent, en  compagnie  de  ses  chiens  hargneux,  préfère  se 
coucher  à  l'ombre  d'un  buisson  épineux,  se  mettant 
peu  en  peine  si  un  bœuf  vient  à  se  perdre. 

La  population  qui  occupe  ce  territoire  immense  est 
très  variée.  Au  nord,  habitent  les  Ovambos,  au  nombre 
de  53  000  ;  c'est  une  tribu  laborieuse,  adonnée  à  la  cul- 
ture du  sol  très  fertile  et  riche  en  sources,  travaillant 
le  cuivre  fourni  par  les  mines  d'Otavi,  fabriquant  des 
ornements  de  peau  pour  des  femmes  héréros,  mais  dé- 
testant les  étrangers.  Au  centre  de  la  préfecture  et  en  sa 
partie  sud,  on  rencontre  les  Héréros,  tribu  parente  des 
Ovambos,  au  nombre  de  100000,  hommes  grands  et  bien 
faits,  mais  traînant  l'image  du  Créateur  dans  la  boue  in- 
fecte d'une  immoralité  dégradante.  Peuple  pasteur,  il 
élève  de  nombreux  troupeaux  de  bœufs  et  de  moutons. 
On  trouve  encore  lesDamaras  des  montagnes,  au  nombre 
d'environ  36  000,  race  pour  ainsi  dire  esclave  des  autres, 
qui  la  méprisent;  les  Namas  ou  Hottentols,  dont  les  tri- 
bus nombreuses  habitent  principalement,  ainsi  que  les 
Baslards,race  descendue  d'anciens  Hollandais  unis  à  des 
femmes  hottentotes,  la  partie  sud  de  la  colonie.  Ces  deux 
peuplades  comprennent  ensemble  environ  10000  âmes. 
Ajoutez  à  ces  indigènes  quelques  tribus  de  Bushmen  et 
vous  aurez  la  somme  totale  de  la  population,  moins  les 
Européens,  dont  on  évaluait  le  chiffre  en  1896  à  2000  ; 
ce  sontj  principalement  des  Allemands,  pour  la  plupart 
protestants,  des  Anglais,  des  Boers  et  des  Capmen. 

La  langue  des  Ovambos  et  des  Héréros  a  assez  de  res- 
semblance pour  démontrer  une  même  origine  et  a  pour- 
tant des  divergences  telles  qu'elles  constituent  chacune 
un  idiome  particulier.  Riches  en  voyelleS;  elles  n'ont  de 


—  418  — 

difficile  que  la  division  des  substantifs  en  liuit  classes,  se 
distinguant  chacune  par  un  préfixe  particulier,  divers 
à  son  tour  de  celui  du  pluriel,  et  ces  préfixes,  variant  pour 
les  génitifs,  les  adjectifs  et  pronoms,  tant  au  singulier 
qu'au  pluriel,  restent  invariables  à  tous  les  temps  et 
modes  du  verbe  ;  affaire  de  mémoire  que  la  bonne 
volonté  fera  surmonter  quand  le  besoin  de  parler  ces 
langues  se  fera  sentir.  Le  hottentot  que  parlent  égale- 
ment les  Damaras  des  montagnes,  race  pourtant  entière- 
ment distincte,  se  rapproche  de  la  langue  des  Bushmen. 
Ces  deux  langues  ont  cela  de  particulier  qu'elles  pos- 
sèdent des  sons  produits  par  le  claquement  de  la  langue 
soit  contre  les  dents  de  devant  ou  de  côté,  soit  contre 
le  haut  ou  l'arrière  du  palais ,  mais  la  langue  des 
Bushmen  est  plus  riche  et  diffère  tellement  qu'un  Nama 
peut  à  peine  comprendre  un  Bushman.  Les  Bastards 
enfin  parlent  une  espèce  de  hollandais  corrompu  qu'on 
nomme  le  caphoUandais  dont  se  fservent  également  les 
Boers. 

Revenons  maintenant  à  la  prise  de  possession  du 
Damaraland  par  les  missionnaires  Oblats.  Le  5  no- 
vembre 1896,  les  PP.  Herrma!s-n  etFiLLicxG  débarquaient 
avec  le  Frère  convers  Have.mth,  à  Swakopmund,  rade 
ouverte  entre  le  22^  et  le  23^  degré,  où  ils  rencontrè- 
rent le  R.  P.  ScHocH,  à  peine  de  retour  de  son  grand 
voyage  d'exploration  et  sans  nouvelles  d'Europe  depuis 
plus  de  trois  mois.  Inutile  de  vous  dire  notre  joie  mu- 
tuelle, votre  cœur  d'Oblat  la  devine  aisément.  Nous  pas- 
sâmes plusieurs  jours  ensemble;  le  vaillant  explorateur 
nous  fît  connaître  les  résultats  de  son  expédition,  nous 
donna  des  avis  et  des  conseils  pleins  de  maturité  et  d'ex- 
périence et  nous  pourvut  du  plus  strict  nécessaire.  Le 
H  novembre,  le  R.  P.  Filliung  et  le  F.  Havenith  parti- 
rent avec  une  voilure  de  transport,  semblable  à  celles 


—  4i9  — 

de  Natal,  dans  la  direction  du  nord  pour  trouver  à 
Karibib  la  charrette  et  les  2i2  bœufs  que  le  P.  Schoch  y 
avait  laissés  et  qui  allaient  être  nôtres  :  ajoutons  de 
suite  que  les  deux  voyageurs  arrivèrent  à  Windhœk  le 
13  décembre  encore  pleins  de  vie,  de  santé  et  de  joyeuse 
humeur.  Le  P.  Herrmann  resta  quelques  jours  de  plus 
avec  le  R.  P.  Schoch  qui  lui  dressa  les  plans  d'une  habi- 
tation provisoire  et  d'une  chapelle  pour  Windhœk  ;  le 
lo  novembre  il  quittait  à  son  tour  Swakopmund  après 
avoir  reçu  les  derniers  encouragements  et  la  bénédiction 
du  vénéré  Préfet  apostolique  du  Transvaal.  Celui-ci 
partit  deux  jours  après  pour  regagner  Johannesburg. 
Le  major  Leutwein,  chef  civil  et  militaire  du  pays,  m'avait 
gracieusement  offert  une  place  dans  sa  voiture  attelée 
de  20  bœufs,  dont  6  seulement  parvinrent  sains  et  saufs 
à  Windhœk.  Le  4  décembre,  premier  vendredi  du  mois, 
le  P.  Herrmann  mit  pied  à  terre  dans  ce  qu'on  appelle  la 
capitale  du  Sud-Ouest,  et  rencontra  partout  un  accueil 
sympathique.  Les  employés  du  gouvernement  surtout  se 
montrèrent  pleins  de  politesse,  et  la  visite  que  tout  der- 
nièrement le  major  Leutwein  a  faite,  sur  l'invitation  du 
R.  P.  Provincial  d'Allemagne,  au  scolasticat  de  Hiin- 
feld,  visite  dont  nous  ressentirons  les  heureux  effets  au 
Damaraland,  vous  prouvent  quels  sont  nos  rapports  avec 
l'autorité  civile.  Le  gouvernement  nous  a  fait  don  d'une 
propriété  de  plus  de  3  hectares,  colline  rocailleuse,  il  est 
vrai,  mais  très  bien  située,  un  peu  éloignée  du  bruit  de 
la  grand'route  et  d'où  l'on  jouit  d'une  vue  splendide  sur 
Windhœk,  les  montagnes  d'Anas  et  la  vallée  du  Tsoach- 
haub.  Sur  cette  colline  se  trouvait  déjà  une  maison- 
nette en  briques  de  9  mètres  carrés,  couverte  en  tôle. 
Elle  servait  jadis  à  des  observations  météorologiques. 
Nous  y  serrons  nos  provisions  et  nos  outils.  Quand  les 
matériaux  nécessaires  furent  enfin  arrivés,  nous  con- 


—  420  — 

struisîmesnotre  maison  d'habitation.  Longue  de  10 mètres 
sur  6  de  large,  elle  ne  consiste  qu'en  une  charpente  en 
bois  recouverte  d'une  toile  soi-disant  imperméable,  mais 
sous  laquelle  il  a  fallu  quelquefois  ouvrir  nos  parapluies. 
Un  corridor  large  de  2  mètres  traverse  la  maison  au 
milieu  et  la  partage  en  deux  parties  qui,  divisées  à  leur 
tour,  donnent  quatre  chambres  de  12  mètres  carrés 
chacune  :  l'une  sert  de  cellule  au  P.  Propréfet,  l'autre 
aux  PP.  FiLLiUiNG  et  Kieger,  la  troisième  de  dortoir  aux 
trois  Frères  convers,  et  la  quatrième  nous  sert  de  cha- 
pelle, de  réfectoire,  de  bibliothèque,  de  salle  de  cha- 
pitre, de  récréation  et  de  réception.  IJhwnilis  supellex 
de  la  Règle  est  on  ne  peut  mieux  observé,  nous  avons 
quatre  lits  en  fer  avec  quatre  matelas,  deux  couchent 
donc  par  terre,  mais  n'en  dorment  pas  plus  mal.  Nous 
possédons  encore  huit  chaises;  le  reste:  bureaux, tables, 
bancs,  etc.,  nous  l'avons  fabriqué  nous-mêmes  avec  des 
planches  de  caisses  achetées  à  raison  de  20  pfennigs  la 
livre.  Heureux  sommes-nous  qu'il  ne  nous  ait  pas  fallu 
acheter  tous  les  outils,  une  hache  seule  nous  a  coûté 
16  marks.  La  chapelle,  moins  large  de  1  mètre,  mais 
aussi  longue  que  la  maison,  est  construite  de  la  même 
façon.  Un  voile  sépare  le  chœur  de  la  sacristie,  qui  n'a 
pour  tout  meuble  qu'un  grand  coffre  en  tôle  renfermant 
les  ornements  et  les  linges  sacrés  et  une  petite  table  où 
s'habille  le  prêtre.  Dans  un  pauvre  tabernacle  réside 
Jésus,  notre  Dieu.  Oh  !  puisse  la  ferveur  de  nos  âmes 
le  dédommager  de  la  misère  extrême  de  ce  sanctuaire  qui 
rappelle  si  bien  l'étable  de  Bethléem.  Un  bienfaiteur  a 
fait  don  à  la  Mission  d'une  cloche  suspendue  à  deux  po- 
teaux. Trois  fois  par  jour  elle  redit  à  tout  le  pays  envi- 
ronnant les  bienfaits  de  l'Incarnation. 

Cette  année,  nous  avons  achevé  un  puits  d'une  pro- 
fondeur de  8  mètres,  qu'il  a  fallu  creuser  dans  le  roc 


—  42i   — 

avec  de  la  dynaaiite.  La  pompe,  envoyée  d'Allemagne, 
nous  fournit  maintenant  l'eau  nécessaire  aux  besoins  de 
la  maison  et  l'arrosage  du  jardin  que  les  Frères,  aidés 
des  Pères,  sont  en  train  de  défricher.  Ce  n'est  pas  une 
petite  besogne  de  bêcher,  de  fouiller  ce  terrain  qui, 
depuis  le  déluge,  n'a  peut-être  jamais  été  remué.  Une 
clôture  éloignera  chevaux,  ânes,  bœufs,  moutons,  chè- 
vres, porcs,  chiens  et  poules  qui  courent  partout  et  en 
toute  liberté.  On  extrait  aussi  les  pierres  qui  devront 
servir  aux  fondements  d'une  maison  de  communauté 
dont  la  construction  s'impose.  J'ai  oublié  de  mentionner 
l'arrivée,  au  mois  de  novembre  dernier,  d'un  troisième 
Père  et  de  deux  Frères  convers.  En  Cimbébasie,  comme 
du  reste  dans  toutes  nos  Missions,  le  prêtre  Oblat  doit 
savoir  allier,  aux  travaux  des  mains,  une  foule  de  con- 
naissances, langues,  sciences,  etc.,  toutes  choses  qui 
donnent  du  prestige  aux  missionnaires  catholiques,  les 
mettent  en  état  d'instruire  convenablement  les  enfants 
blancs  pour  qui  les  familles  désirent  une  éducation  un 
peu  moins  ordinaire  et  forment  un  contraste  avec  les 
ministres  protestants,  généralement  décorés,  chez  nous, 
du  nom  de  savetiers.  Quant  aux  Frères,  le  milieu  de  pri- 
vations et  de  dangers  multiples  où  nous  vivons  exige 
impérieusement  une  formation  religieuse  solide  et  com- 
plète. L'esprit  d'obéissance  et  mortitication  est  indispen- 
sable dans  un  pays  oi!i  il  faut  savoir  se  passer  de  tout, 
où  l'on  n'a  pas  même  quelquefois  une  eau  puante  et 
boueuse  pour  étancher  la  soif  qui  dévore  les  entrailles. 
Il  nous  faut  des  caractères  fermes  et  flexibles  comme  une 
lame  d'acier. 

Jusqu'ici,  les  missionnaires  de  la  Cimbébasie  n'ont  dû 
s'occuper  que  des  blancs  qui,  hélas!  portent  le  plus  sou- 
vent avec  eux  tout  autre  chose  que  le  parfum  de  leurs 
vertus.  Il  n'y  a  pas  lieu  de  trûp  s'en  étonner  :  ce  sont, 

T.  vvvvi.  28 


422  — 

en  général,  des  esprits  aventureux,  épris  de  liberté,  re- 
jetant toute  entrave,  que  peut-être  une  action  néfaste  a 
contraints  de  quitter  le  sol  de  la  patrie  et  chez  qni  la 
convoitise  du  gain  terrestre  prime  tout  désir  des  trésors 
du  ciel.  Il  y  a  pourtant  d'heureuses  exceptions.  Une 
cause  de  nombreux  désordres,  c'est  que  beaucoup  de 
soldats,  leur  service  fini,  restent  dans  le  pays  et  con- 
tractent, avec  les  femmes  indigènes,  des  unions  qui  ne 
sont  pas  reconnues  du  gouvernement.  Tous  les  diman- 
ches, nous  avons,  outre  les  messes  ordinaires,  une 
messe  à  9  heures  à  laquelle  viennent  assister  assez  fidè- 
lement les  officiers,  les  soldats  et  les  colons  catholiques. 
On  leur  fait  une  instruction,  basée  uniquement  sur  le 
catéchisme,  si  peu  connu  et  si  peu  pratiqué;  chaque 
Père  prêche  à  son  tour.  Les  sacrements  ne  sont  guère 
fréquentés,  mais  c'est  la  première  année  et  le  prêtre  a 
si  longtemps  fait  défaut!  Nous  avons  administré  le  bap- 
tême à  5  enfants  et  fait  5  sépultures  :  une  à  Swakop- 
mund  et  les  quatre  autres  à  Windœk.  Le  P.  Herrman.\ 
a  visité,  Tan  dernier,  les  postes  militaires  de  Otjimbin- 
gue,  de  Swakopmund,  d'Omaruru,  d'Otjo,  d'Okahandja, 
mais  n'a  pu  aller  au  delà  de  Grootfoatein  pour  y  com- 
mencer une  Mission  parmi  les  Bushmen,  selon  les  in- 
dications du  regretté  P.  Schoch.  Après  trois  mois,  il  a 
regagné  sa  communauté  et  repris,  avec  les  autres  Pères 
•et  Frères,  ses  occupations  ordinaires.  Elles  consistent 
dans  un  cours  d'enseignement  élémentaire  à  deux  jeunes 
garçons  protestants,  auxquels  il  apprend  l'allemand,  le 
français,  un  peu  d'anglais,  l'arithmétique,  l'histoire,  îa 
géographie,  etc.  Le  cher  P.  Filliung  le  supplée,  au  be- 
soin, dans  ce  travail.  Le  R.  P.  Kieger  fait  aussi  la  classe 
à  deux  enfants,  l'un  blanc,  l'autre  cafre,  pas  encore 
baptisé,  et  a  la  charge  spirituelle  des  Frères  convers  qu'il 
tâche  d'amener  aune  perfection  toujours  pins  grande. 


Le  R.  P.  FiLLiuNG  a  également  préparé  à  la  première 
communion  deux  frères,  enfants  d'une  femme  catho- 
lique, après  les  avoir  convenablement  instruits.  Ce  beau 
jour  de  première  communion  avait  été  fixé  à  Noël. 

A  l'intérieur  de  la  communauté,  nous  nous  confor- 
monsj  autant  que  possible,  aux  prescriptions  de  la  règle  : 
le  silence,  point  si  difficile  à  observer  partout,  l'est  en- 
core davantage  dans  une  maison  étroite  comme  la 
nôtre,  où  il  arrive  à  chaque  instant  du  monde,  princi- 
palement des  soldats,  catholiques  ou  protestants,  qui 
viennent  chercher  des  livres  de  lecture  pour  pouvoir 
passer  honnêtement  leur  temps.  La  retraite  du  mois  a 
lieu  régulièrement  et,  durant  la  semaine  sainte,  nous 
faisons  la  retraite  annuelle.  Quand  les  trois  Pères  sont 
à  la  maison,  la  conférence  théologique  se  tient  tous  les 
huit  jours.  Est-ce  à  dire  que  l'esprit  religieux,  esprit 
d'obéissance,  de  pauvreté,  d'humilité  et  d'abnégation, 
ne  laisse  jamais  à  désirer  ?  Nous  nous  efforçons  du  moins 
de  nous  approcher  de  l'idéal  de  l'Oblat,  bien  que  la 
faiblesse  humaine  nous  empêche  souvent  de  réussir. 

La  maison  de  Windhœk  se  compose,  pour  le  moment, 
de  trois  Pères,  y  compris  le  propréfet,  et  de  trois  Frères 
convers  à  vœux  de  cinq  ans.  Indiquer  le  nombre  des  ca- 
tholiques est  chose  à  peu  près  impossible,  vu  que  les 
soldats  sont  tantôt  ici,  tantôt  là  ;  le  dimanche,  on  en 
compte,  les  colons  compris,  30  à  40,  mais  leur  nombre 
atteint  au  moins  200.  Quant  aux  sauvages,  ils  ne  sont 
pas  plus  méchants  et  pervers  que  bien  d'autres  qu'on  a 
réussi  à  convertir. 

Ce  qu'il  y  a  de  plus  urgent  à  faire,  en  Cimbébasie, 
c'est,  il  me  semble,  de  fonder  une  résidence  avec  église 
à  Swakopmund.  Le  Reichstag  a  voté  deux  millions 
et  demi  pour  la  construction  d'un  môle  afin  de  faciliter 
le  débarquement,  rendu  quelquefois  impossible  à  cause 


—  424  — 

de  la  furie  des  vagues.  De  plus,  on  a  commencé  un 
chemin  de  fer,  long  déjà  de  trente  kilomètres.  Tout  cela 
va  amener  grand  nombre  d'ouvriers  de  tout  pays  et  de 
toute  religion.  La  place  nous  est  offerte  gratuitement. 

De  plus,  il  faut  créer  un  poste  dans  le  pays  Ovambo, 
afin  de  justifier  l'attente  des  catholiques  allemands  et  nous 
procurer  des  ressources.  Il  serait  aussi  très  avantageux 
de  commencer  l'exploitation  d'une  ferme  de  20000  hec- 
tares au  moins,  comme  le  R.P.  Schoch  me  le  conseillait; 
nous  aurions  là  les  indigènes  sous  la  main,  pour  en  faire 
des  hommes  d'abord  en  leur  enseignant  le  travail,  puis 
des  chrétiens.  De  même,  aux  environs  de  Windhœk,  une 
assez  grande  ferme  nous  est  nécessaire  pour  y  mettre 
nos  boeufs.  Mais  pour  toutes  ces  nouvelles  fondations 
aussi  bien  que  pour  la  construction  à  Windhœk  d'une 
maison  en  pierres  et  briques,  adaptée  aux  besoins  pré- 
sents et  futurs,  nous  sommes  sans  ressources. 

Dieu  sait  pourtant  si  les  Oblats  de  la  Gimbébasie  vivent 
pauvrement;  dessert  à  table,  bière  ou  vin,  pommes  de 
terre  ou  légumes  leur  sont  inconnus.  Comment,  en  effet, 
se  résoudre  à  payer  73  francs  les  100  livres  de  pommes 
de  terre  et  3  francs  une  bouteille  de  bière  !  Mais  ils 
sont  joyeux  quand  même  et  rient  de  leur  misère. 

Rapport  de  la  pf'ovïnce  du  Midi. 

Jetons  d'abord  un  coup  d'œil  d'ensemble  sur  la  pro- 
vince, depuis  le  dernier  Chapitre  ;  nous  signalerons 
ensuite  parle  détail  chaque  maison. 

COUP  d'ceil  d'ensemble. 

Nous  avons,  hélas,  comme  toujours,  des  vides  à  dé- 
plorer, dont  plusieurs  fort  prématurément,  La  mort 
nous  a  pris  dix  Pères,  un  Frère  scolastique  et  quatre 


—  425  — 

Frères  convers.  Laissez-moi  vous  redire  leurs  noms.  Ce 
sont,  par  ordre  de  date,  les  RR.  PP.  Semeria,  Corne, 
Bermès,  Pons,  Chevalier,  Vassal,  Armand,  Boeffard, 
CuNY  et  Kertvel  ;  le  Frère  scolastique  Valayer  ;  les 
Frères  convers  Vernet,  Cohard,  Lestreit  et  Nigros. 

Que  ces  Frères  bien-aimés  reçoivent  encore  notre 
adieu  ému,  avec  l'expression  de  notre  vive  et  affec- 
tueuse reconnaissance  pour  les  services  multiples  et  pré- 
cieux qu'ils  ont  été  heureux  de  rendre  à  la  famille  ! 

Le  personnel  se  compose  de  cent  trois  Pères,  plus  un 
Père  de  la  province  britannique  en  résidence  à  Nice  et 
que  l'état  de  sa  santé  n'empêche  pas  de  se  dévouer  très 
fructueusement  à  la  colonie  anglaise.  Notons  encore 
trois  Frères  scolastiques  employés  dans  les  juniorats  et 
trente-sept  Frères  convers,  soit  un  total  de  14."i  membres. 

Les  grands  séminaires  emploient  onze  Pères;  les 
juniorats,  dix-huit  ;  les  noviciats,  trois  ;  les  aumôneries 
de  religieuses,  trois  ;  les  cures,  deux;  le  service  du  sanc- 
tuaire de  Notre-Dame  de  la  Garde,  des  chapelles  du 
Calvaire,  des  Italiens,  de  Nice,  treize.  Joignez-y  treize 
Pères  que  leur  âge  ou  leurs  infirmités  condamnent  au 
repos  et  vous  aurez  à  retrancher  soixante-cinq  Pères  du 
ministère  des  missions,  pour  lequel  il  nous  reste  trente- 
huit  missionnaires  proprement  dits,  répartis  entre  dix 
maisons. 

A  cet  exposé  général  concernant  le  nombre  des  sujets 
delà  province,  ajoutons  quelques  mots  sur  l'esprit  qui 
les  anime. 

Il  y  a,  parmi  nous,  c'est  incontestable,  des  Pères  et 
des  Frères  d'une  vertu  éprouvée  et  de  grande  valeur,  de 
vrais  fils  de  la  famille,  admirablement  dévoués.  Aucune 
de  nos  communautés  qui  ne  renferme  de  ces  vies 
exemplaires.  Je  ne  crois  pas  que,  sous  ce  rapport,  nous 
ayons  rien  à  envier  à  personne.  Ces  modèles  sont-ils 


-  426  — 

aussi  nombreux  qu'ils  devraient  être,  et  la  vie  reli- 
gieuse produit-elle  chez  nous  tous  ses  fruits  réguliers  de 
perfection  ?  Pourquoi  ne  pas  se  poser  cette  question  en 
famille? 

Je  ne  disconviendrai  pas  que  nous  n'ayons  nos  mi- 
sères, et  les  supérieurs  majeurs  ont  eu  cent  fois  raison 
de  les  signaler  dans  leurs  actes  de  visite.  11  faut,  hélas! 
compter  toujours  avec  la  faiblesse  humaine,  et  les  meil- 
leurs sentent  le  besoin  de  retremper,  de  temps  à  autre, 
leur  fidélité  aux  principes  religieux  qui  doivent  régir 
toute  communauté  digne  de  ce  nom. 

Je  ne  puis  pourtant  pas  ne  pas  faire  observer  qu'on 
trouverait  peut-être  des  circonstances  atténuantes  dans 
la  condition  que  nous  fait  noire  petit  nombre  d'ouvriers. 
Comment  veut-on  qu'on  ait  grand  cœur  au  travail  et  à 
la  garde  de  la  cellule  quand  on  rentre  exténué  ?  L'étude, 
le  silence  en  souffrent  et  l'obéissance  elle-même,  si  le 
supérieur  est  obligé  de  demander  d'urgence  un  nouvel 
effort  à  celui  qui,  déjà  surmené,  n'éprouve  que  le  besoin 
impérieux  du  repos.  Demandez  à  ces  autres  Pères, 
toujours  enfiévrés  de  compositions  nouvelles,  parce 
qu'il  faut  conserver  les  positions  acquises  et  que  per- 
sonne n'est  là  pour  les  remplacer,  demandez-leur  de 
n'omettre  aucune  des  études,  aucune  des  lectures, 
aucun  des  exercices  réguliers,  de  ne  laisser  prescrire, 
en  un  mot,  aucun  des  articles  de  leur  programme  jour- 
nalier ;  certes,  ils  le  devraient  faire,  ils  le  comprennent, 
ils  en  gémissent,  mais  ils  ne  peuvent  pourtant  pas  passer 
les  nuits  à  leurs  bureaux,  et  néanmoins  il  faudra  que 
leurs  prédications  soient  prêtes  à  temps  et  pour  le  moins 
acceptables;  c'est  ainsi  que  le  petit  nombre  d'ouvriers, 
par  le  surcroît  de  travail,  met  en  danger  la  santé  et  la 
sanctification  personnelle,  la  prospérité  de  la  famille, 
l'homme  de  lapostolal. 


—  427  — 

Je  dois  dire  un  mot  de  la  difficulté  croissante  de 
trouver  des  Frères  convers  et  surtout  de  bons  Frères 
convers.  Sur  les  trente-sept  que  nous  avons  la  consola- 
tion de  posséder,  un  tiers  s'achemine  du  côté  du  ciel 
par  l'âge  ou  l'épuisement  ;  encore  ne  cessent-ils  de  tra- 
vailler au  delà  même  de  leurs  forces.  La  vérité  nous 
oblige  à  reconnaître  qu'en  général  les  nouveaux  venus 
ont  encore  fort  à  faire  pour  ressembler  à  leurs  aînés.  Je 
sais  bien  que  les  anciens  doivent  donner  l'exemple  et  ils 
l'entendent  ainsi.  Mais  que  les  plus  jeunes  se  hâtent  de 
les  imiter  et  se  tiennent  en  garde  contre  le  sans-gêne 
dans  la  piété  et  le  dévouement  1  Quel  trésor  inappré- 
ciable qu'un  Frère  convers  fidèle  à  sa  vocation  !  Et 
quel  besoin  nous  avons  que  Pères  et  Frères  s'emploient, 
dans  l'occasion,  à  nous  les  procurer. 

LES   MAISONS. 

Aix.  —  Dix  Pères  et  trois  Frères  convers. 

53  missions,  19  carêmes,  6  avents,  248  retraites  et 
210  sermons  de  circonstance. 

Œuvres  des  prisons,  des  servantes,  de  la  bonne  mort 
et  de  Saint-Vincent  de  Paul. 

La  quatrième  fondation  pour  missions  gratuites  est  en 
voie  de  formation.  Excellent  exemple  à  proposer  et  à 
suivre.  Pourquoi  chacun  de  nos  missionnaires  n'emploie- 
rait-il pas  son  influence  d'apôtre  à  constituer,  en  tout 
ou  en  partie,  le  capital  d'une  de  ces  missions  ?  Il  faut 
10  ÛOO  francs  pour  une  mission  annuelle  ;  3  000  pour 
une  mission  tous  les  deux  ans  ;  2  000  pour  une  mission 
quinquennale;  1000  pour  une  mission  décennale.  Les 
âmes  généreuses  ne  manquent  pas  qui  souscriraient  vo- 
lontiers à  la  pensée  de  se  survivre  dans  l'exercice  de  ce 
bien. 


—  428  — 

Le  ministère  des  Pères  est  loin,  certes,  de  chômer  en 
cette  chapelle  qui  est  si  particulièrement  chère  à  tout 
cœur  d'Oblat.  Mais  là,  comme  ailleurs,  on  ne  revoit  plus, 
on  ne  peut  pas  revoir  les  affluences  et  les  fêtes  splen- 
dides  interrompues  par  le  régime  qui  a  inauguré  l'inique 
expulsion  des  religieux. 

Calvaire.  —  Dix  Pères,  cinq  Frères  convers. 

25  missions,  30  carêmes,  7  avents,  il  mois  de  Marie, 
228  retraites,  115  sermons  détachés. 

Association  de  Notre-Dame  des  Sept-Douleurs,  du 
Sacré-Cœur,  de  l'archiconfrérie  de  laPassion  pour  le  sou- 
lagement des  âmes  du  purgatoire  et  Congrégation  de 
jeunes  filles. 

L'œuvre  italienne,  fondée  parM^''  de  Mazenod,  cultivée 
par  le  P.  Albini,  de  sainte  mémoire,  etM^'SÉMÉRiA,  pour 
ne  parler  que  des  plus  anciens,  est  pleine  de  vitalité.  On 
l'a  bien  vu  dans  la  dernière  mission,  puisque  l'élément 
italien  suffisait  à  remplir,  à  lui  seul  et  au  delà,  les  deux 
églises  réunies.  On  est  loin  du  temps  où  la  chapelle  ne 
s'ouvrait  d'abord  que  pour  la  messe,  les  jours  fériés, 
puis  seulement  du  samedi  soir  au  dimanche  soir.  Ses 
deux  congrégations  d'hommes  et  de  femmes  sont  très 
prospères.  Ces  pauvres  gens  ne  laissent  pas  que  d'être 
fort  généreux.  Leur  grande  dévotion  est  celle  de  la  très 
sainte  Vierge  sous  le  vocable  delà  Madonna  délia  Libéra. 
Les  trois  Pères  consacrés  à  cette  œuvre  ne  cessent  pas 
de  prêcher,  de  confesser  et  de  visiter  les  malades. 
A  maintes  reprises ,  les  vicaires  généraux  ont  prié  le 
R.  P.  Gallo,  depuis  seize  ans  à  ce  poste  si  laborieux, 
d'élargir  la  chapelle,  pour  que  Monseigneur,  si  bienveil- 
lant, puisse  l'ériger  en  paroisse.  Les  Oblats  sont  là  vrai- 
ment dans  leur  milieu,  fait  de  petits  et  de  pauvres. 

Il  se  distribue  annuellement  30  000  communions  dans 
les  deux  chapelles  du  Calvaire. 


—  429  — 

Notre  -  Darne  de  l'Osier.  —  Treize  Pères,  sept  Frères 
convers. 

70  missions  et  32  retours  de  missions,  2  carêmes, 
294  retraites  et  49  sermons  isolés. 

Les  œuvres  du  dehors  sont  la  cure,  le  pèlerinage  et 
l'aumônerie  des  Sœurs  de  la  Sainte-Famille.  De  la  pa- 
roisse, contentons-nous  de  dire  qu'elle  est  loin  de  don- 
ner au  zèle  du  Père  curé  toutes  les  consolations  mé- 
ritées. Le  Pèlerinage  tombe  de  plus  en  plus.  11  faut 
reconnaître  que  le  séjour  n'y  est  pas  facilité  pour  les  fa- 
milles et  les  hommes,  en  fait  d'hôtel  convenable.  On 
sait,  du  reste,  que  les  foules  se  précipitent  aux  sanc- 
tuaires plus  récents  de  la  Salette  et  de  Lourdes.  Peut- 
être  aussi  que  les  absences  fréquentes  et  inévitables  des 
missionnaires  déroutent  un  peu  les  pèlerins.  Enfin,  ne  se 
pourrait-il  pas  que  ce  pèlerinage,  autrefois  si  célèbre, 
entrât  désormais  dans  cette  période  historique  qui  n'a 
guère  plus  à  garder  que  le  culte  du  souvenir? 

Le  noviciat,  voilà  l'œuvre  du  dedans,  et,  pour  nous, 
l'œuvre  capitale  de  l'Osier.  Que  de  générations  vaillantes 
en  sont  sorties!  Reverra-t-il  jamais  ces  cinquante  no- 
vices que  groupaient  ensemble  les  tournées  apostoliques 
du  P.  LÉONARD?  Nous  sommes  loin,  aujourd'hui,  de  ce 
chiffre,  très  loin  même,  puisque,  en  moyenne,  le  novi- 
ciat n'a  donné,  par  an,  que  onze  scolastiques  et  trois 
Frères  convers.  Depuis  cinq  ans,  en  effet,  il  y  est  entré 
quatre-vingt-quinze  novices,  réduits  à  cinquante-six  au 
scolasticat  et  vingt-six  Frères  convers,  dont  quatorze 
seulement  ont  persévéré.  Les  maîtres  de  novices  qui  se 
sont  succédé  regrettent  unanimement  —  etils  ne  sont  pas 
les  seuls  —  que  le  noviciat  soit  comme  fondu  avec  la 
communauté  des  missionnaires ,  sans  l'indépendance 
normale  et  canonique,  et  trop  souvent  requis  pour  le 
service  du  sanctuaire.  Cela  tient  à  la  disposition  des 


—  430  — 

lieux,  qu'on  ne  saurait  modifier  qu'en  renversant  ces 
vieux  bâtiments  tout  rapiécés  et  fort  incommodes.  Et  le 
petit  nombre  des  Frères  convers  explique  qu'on  doive 
recourir  aux  novices  pour  les  messes. 

Ajaccio.  —  Le  Supérieur  et  cinq  directeurs  du  grand 
séminaire. 

95  élèves,  y  compris  les  13  enrégimentés  par  la  loi 
militaire.  L'œuvre  du  sacerdoce,  heureusement  établie 
depuis  six  ans  parle  R.  P.  Bessières,  assure  un  fonds  de 
réserve  qui  supplée,  à  quelques  centaines  de  francs 
près,  aux  bourses  et  allocations  supprimées  du  gouver- 
nement. 

Mais  il  existe  une  lacune  de  nature  à  porter  un  préju- 
dice considérable  à  la  formation  et  partant  à  l'influence 
du  clergé.  C'est  l'absence  d'un  petit  séminaire  pour  pré- 
parer les  sujets,  au  double  point  de  vue  des  études  et  de 
la  piété.  Ils  se  présentent  au  grand  séminaire  à  vingt 
ans,  à  peine  dégrossis  grammaticalement,  quand  ils  le 
sont  moralement,  et  il  faut,  en  un  an  de  philosophie  et 
trois  ans  de  théologie,  en  faire  des  ouvriers  sérieux  et  ar- 
més de  toutes  pièces.  Le  problème  n'est  pas  aisé  à  ré- 
soudre. 

Outre  leurs  fonctions  de  professeurs,  les  Pères  sont 
chargés  de  l'aumônerie  des  Sœurs  de  Saint-Joseph,  qui 
gardent  en  vénération  la  mémoire  du  P.  Vassal,  et  des 
confessions  de  plusieurs  communautés  de  Frères  et  de 
Sœurs. 

Les  Pères  ont  donné,  pendant  leurs  vacances,  vingt 
retraites  diverses. 

Vico.  —  Six  Pères,  quatre  Frères  convers. 

72  missions,  4  carêmes,  6  retraites. 

La  petite  cure  de  Nésa  à  desservir  et  l'aumônerie  des 
Filles  de  Marie  et  de  leur  pensionnat  occupent  deux 
Pères. 


—  431   — 

La  chapelle  voit  trois  concours  nombreux  aux  fêtes  de 
saint  Antoine  de  Padoue ,  précédée  de  treize  jours  de 
prédication,  de  la  Portioncule  et  de  sainte  Lucie. 

Cette  résidence,  distante  de  50  kilomètres  d'Ajaccio, 
impose  invariablement  à  nos  Pères  l'obligation  de  pas- 
ser par  cette  ville  pour  se  rendre  au  moindre  travail. 
C'est  une  dépense  appréciable  de  temps  et  d'argent.  Que 
n'avons-nous,  à  Ajaccio,  où  on  le  désirerait  si  fort,  une 
maison  pour  nos  Pères,  touten  gardant  le  couvent  comme 
pied-à-terre  et  villégiature  de  nos  directeurs  du  grand 
séminaire  ?  Il  paraîtrait  que  c'était  un  desideratunt  de 
notre  P.  Albini,  dont  la  cause  se  fait  si  lente  à  notre  gré  ! 

Notre-Dame  de  Bon-Secours. —  Sept  Pères,  trois  Frères 
convers. 

77  missions,  3  carêmes,  \  avent  et  HO  retraites  ou 
retours  de  mission.  Le  sanctuaire  a  reçu  70  pèlerinages 
de  paroisses,  confréries  ou  communautés,  et,  pendant 
trois  mois,  il  est  visité  tous  les  dimanches  par  des  pèlerins 
très  nombreux.  Tous  se  confessent,  hommes  et  femmes, 
et  ce  ministère  est  plein  de  consolations,  au  milieu  d'un 
peuple  encore  foncièrement  chrétien.  On  signalerait 
pourtant  un  certaine  baisse  dans  l'affluence,  surtout  les 
jours  de  semaine. 

Notre-Dame  de  la  Garde.  — Huit  Pères,  trois  Frères 
convers. 

9  carêmes,  7  missions,  3  mois  de  Marie,  90  retraites, 
5  avents,  15  octaves  et  adorations. 

Le  R.  P.  Bessac  fait,  depuis  vingt-neuf  ans,  le  service 
des  deux  prisons  d'hommes. 

Le  pèlerinage  est  en  progrès  avec  ses  7G00  messes  et 
ses  400000  pèlerins  annuels. 

Quatre  aumôniers  sont  attachés  exclusivement  au  sanc- 
tuaire de  la  Bonne  Mère,  ce  qui  restreint  d'autant  le 
nombre  des  missionnaires. 


—  432   — 

Fréjus.  —  Le  Supérieur  et  quatre  directeurs  du  grand 
séminaire. 

Saluons  la  mémoire  du  R.  P.  Corne,  enlevé  comme  son 
prédécesseur,  le  R.  P.  Rambert,  d'une  manière  fou- 
droyante, en  décembre  1893,  et  remercions  le  R.  P.  Baffie 
d'avoir  bien  voulu  achever  le  beau  travail  qu'il  écrivait 
sur  Notre-Seigneur  Jésus-Christ. 

Les  grands  séminaristes  sont  malheureusement  peu 
nombreux  pour  des  raisons  indépendantes  de  nos  Pères, 
mais  qu'on  peut  espérer  voir  disparaître  dans  un  avenir 
prochain. Ils  sont  dociles,  laborieux,  surtoutdepuis  qu'ils 
se  préparent  à  conquérir  leurs  grades  devant  les  Facultés 
catholiques  de  Lyon. 

La  Congrégation  a  contracté  une  dette  sacrée  de  re- 
connaissance envers  M^''  Mignot,  le  savant  évêque  de  Fré- 
jus, pour  son  exquise  bienveillance  à  recevoir  ceux  de 
nos  scolastiques  soumis  à  la  loi  militaire,  auxquels  leurs 
ordinaires  respectifs  ne  peuvent  ou  ne  veulent  pas  tou- 
jours délivrer  un  certificat  d'études  ecclésiastiques.  Il 
y  en  a  cinq  cette  année. 

Les  Pères  ont  prêché  1  carême  à  la  cathédrale,  \  re- 
traite pascale,  40  sermons  de  circonstance  et  3  retraites 
religieuses. 

Lyon.  —  Cinq  Pères  et  le  Provincial. 

21  missions,  1  avent,  6  mois  de  Marie  ou  du  Sacré- 
Cœur,  180  sermons  isolés  et  232  retraites. 

Installation  définitive,  en  1894,  sur  la  rive  gauche  du 
Rhône,  près  du  chemin  de  fer,  dans  un  quartier  plein 
d'avenir.  La  maison  est  vaste,  absolument  indépendante 
entre  quatre  rues,  avec  jardin  et  emplacement  pour  la 
future  chapelle  et  même  de  nouvelles  bâtisses,  si  besoin 
est. 

Pas  d'autre  ministère  à  la  chapelle  que  les  confessions. 
Aucune  œuvre  encore. 


—  4.;j3  — 

Madrid.  —  Trois  Pères,  un  Frère  convers. 

Depuis  trois  ans  seulement,  cette  maison,  consacrée 
au  service  des  œuvres  de  la  Sainte-Famille,  est  attribuée 
à  la  province  du  Midi.  11  serait  bien  temps,  ce  semble, 
après  quinze  ans  d'existence,  de  renoncer  à  la  vie  nor- 
male des  locations,  pour  se  créer  une  résidence  stable, 
comme  l'ont  déjà  fait  d'autres  Congrégations  de  religieux 
arrivés  après  nous.  Plus  on  retardera,  plus  les  chances 
d'un  emplacement  convenable  diminueront,  et  plus  les 
conditions  d'établissement  se  feront  onéreuses.  Jamais 
le  taux  du  change  ne  pourra  être  plus  favorable,  puisqu'il 
atteint  le  100  pour  100.  Les  rapports  des  aumôniers  avec 
les  maisons  de  la  Sainte-Famille  sont  ce  qu'ils  doivent 
être,  empreints  de  confiance  et  de  délicatesse  mutuelles. 

Nice.  —  Six  Pères,  deux  Frères. 

15  missions,  4  carêmes,  4  mois  de  Marie,  1  avent, 
23  sermons  et  54  retraites. 

Nous  avons,  le  25  janvier  1894,  pris  possession  de  cette 
maison  que  les  Pères  des  Missions  africaines  de  Lyon 
avaient  achetée,  puis  augmentée,  pour  leurs  invalides, 
en  1873.  Si  la  maison,  trop  exiguë,  est  à  rebâtir,  l'église, 
aux  vastes  proportions,  mais  inachevée,  est  pourtant  fort 
belle.  La  colonie  s'y  rend  nombreuse  pour  les  offices,  les 
prédications  et  les  confessions;  l'élément  anglais  y  est 
apparu  depuis  l'arrivée  du  P.  Fitz-Patrick,  et  il  reste 
fidèle. 

La  première  tombe  vient  de  s'ouvrir  pour  le  pauvre 
P.  KÉRYVEL,  de  riches  espérances. 

Voici  maintenant  nos  juniorats. 

Notre-Dame  des  Lumières.  —  Douze  Pères,  dont  deux 
missionnaires,  six  Frères  convers. 

13  missions,  2  carêmes,  29  sermons,  39  retraites. 

En  1893,  le  juniorat  comptait,  comme  aujourd'hui, 
cinquante  junioristes.  Depuis  lors,  quarante-cinq  se  sont 


—  434  — 

présentés;  vingt-deux  sont  partis  pour  le  noviciat;  il  en 
reste  actuellement  vingt  dans  les  scolasticats  ;  les  autres 
se  sont  retirés  ou  ont  été  éliminés. 

C'est  un  rendement  de  quatre  junioristes  par  an,  et, 
comme  d'autre  part,  il  s'en  éloigne  quinze  dans  le  même 
temps,  il  s'ensuit  que  c'est  le  cinquième  qui  persévère. 

Rome.  —  Cinq  Pères,  trois  scolastiques,  trois  Frères 
convers. 

Ce  juniorat  établi  à  Diano-Marina  en  1884,  licencié  à 
cause  du  tremblement  de  terre  en  1887,  reconstitué  en 
décembre  de  la  même  année,  dans  la  maison  du  sco- 
lasticat  de  Rome,  s'en  est  séparé,  à  la  rentrée  des  classes 
de  1892,  pour  habiter  le  local  actuel  de  San-Lorenzo. 
A  part  la  cour  ombragée,  appréciable  pour  les  récréa- 
tions, il  est  étroit,  délabré  et  suffit  à  peine  à  abriter  une 
trentaine  d'enfants.  Sa  mauvaise  distribution  ne  favo- 
rise ni  les  mouvements  généraux,  ni  le  contrôle  néces- 
saire. 

Il  renferme  aujourd'hui  26  junioristes. 

Il  est  dépourvu,  pour  le  moment,  de  deux  classes  su- 
périeures, faute  de  sujets.  En  1900  seulement,  il  pourra 
en  offrir  quatre  au  noviciat,  supposé  qu'ils  persévèrent. 
Pères  et  Frères  scolastiques  s'acquittent  avec  zèle  de 
leurs  fonctions  de  professeurs. 

Notre-Dame  du  Bocage  on  Maison  da  Soto  (Espagne).  — 
Six  Pères  et  trois  Frères  convers. 

10  triduum,  40  sermons  de  circonstance  et  32  re- 
traites. 

Cette  maison  s'est  ouverte  sept  jours  avant  le  der- 
nier Chapitre.  C'est  un  ancien  couvent  de  Franciscains 
qui  tombe  en  ruines  et  dont  l'évêque  de  Santander  nous 
a  laissé  l'usage,  avec  l'obligation  fort  onéreuse  de  l'en- 
tretenir. Pour  la  seule  mise  en  état  de  l'aile  occupée  par 
le  juniorat,  le  devis  de  l'architecte  est  de  SOOOOfrancs. 


~  435  — 

Et  il  y  a  quatre  ailes,  plus  l'église  dont  la  vaste  toiture 
est  aussi  à  refaire.  H  y  a  même  urgence  à  quitter  cet 
immeuble  au  point  de  vue  de  la  sécurité.  Nous  ne  se- 
rions d'ailleurs,  d'après  le  contrat,  nullement  dédom- 
magés de  nos  frais  de  restauration,  si  nous  venions  à 
nous  éloigner  de  notre  propre  gré. 

Le  juniorat,  fondé  en  mars  1893,  se  compose  de  21  en- 
fants, en  majorité  du  nord  de  l'Espagne  ;  5  seulement 
appartiennent  à  la  province  de  Santander.  Ces  enfants 
témoignent  d'un  bon  esprit  ;  ils  sont  pieux  et  paraissent 
attachés  à  la  Congrégation. 

Le  noviciat  existe  canoniquement  depuis  décem- 
bre 1894.  Il  se  constitue  d'un  scolastique  junioriste  et 
de  deux  Frères  convers.  Je  ne  compte  pas  deux  postu- 
lants convers. 

Le  P.  HuARï  est  maître  de  novices,  trois  Pères  sont 
professeurs  et  les  deux  autres^  chapelain  ou  mission- 
naire. 

La  chapelle  ne  donne  quelque  occupation  que  dans  le 
carême  et  deux  semaines  encore  après  Pâques,  ainsi 
qu'à  la  veille  de  quelques  fêtes.  Son  éloignement  de 
tout  centre  y  rend  impossible  l'établissement  des  œuvres. 

Les  Pères  sont  peu  demandés,  tout  en  jouissant  de 
l'estime  et  de  la  sympathie  du  clergé  et  des  habitants. 


VARIÉTÉS 


I 

UNE  AUDIENCE  PONTIFICALE. 

Rome,  10  novembre  1898. 

Mon  révérend  et  bien  cher  Père  Antoine, 

C'est  le  3  de  ce  mois  que  leT.  R.  P.  Général  a  eu  la  con- 
solation d'être  reçu  par  le  Saint-Père.  Avec  lui  se  trou- 
vaient :  le  R.  P. Procureur  général  près  le  Saint-Siège  ;  le 
R.  P.  Pichon,  supérieur  de  notre  maison  d'Angers,  pré- 
dicateur de  la  retraite  annuelle  au  scolasticat  de  San- 
Pietro-in-Vincoli  ;  le  R.  P.  Stéfanini,  de  notre  maison 
de  Vico,  en  Corse,  qui  venait  de  donner  les  mêmes  saints 
exercices  à  nos  j  unionistes,  et  votre  serviteur. 

Vous  me  demandez  quelques  détails  pour  les  annales, 
afin  que  tous  les  Oblals  et  leurs  amis  sachent  l'accueil 
que  le  chef  de  l'Eglise  a  l'ait  à  notre  nouveau  Supérieur 
général.  Votre  désir  est  un  ordre  ;  je  m'empresse  de  m'y 
conformer. 

Ce  récit  sera  bien  incomplet  ;  il  m'est  impossible  de 
rendre  tout  ce  qui  a  été  dit  pendant  la  demi-heure  qu'il 
nous  a  été  donné  de  passer  aux  pieds  du  Vicaire  de 
Jésus-Christ.  Je  suis  surtout  impuissant  à  vous  exprimer 
cette  grandeur^  cette  noblesse  et,  en  même  temps,  cette 
bienveillance,  je  dirai  presque  cet  abandon,  avec  les- 
quels le  Souverain  Pontife  a  daigné  nous  parler. 

Son  empressement  à  nous  accorder  l'audience  solli- 
citée nous  faisait  pressentir  l'accueil  qui  nous  était  ré- 


—  437     - 

serve.  C'est  le  mercredi  2  novembre,  à  11  heures,  que 
la  supplique  du  T.  R.  P.  Général  a  été  présentée  au 
Pape;  à  3  heures  de  l'après-midi,  nous  recevions,  par 
un  exprès,  nos  billets  d'admission  pour  le  lendemain 
jeudi,  à  9  heures  du  matin. 

Nous  devançâmes  l'heure  fixée.  Après  une  attente  qui 
nous  parut  un  peu  longue,  tant  nous  étions  désireux  de 
contempler  les  traits  du  représentant  de  Jésus-Ghrist  sur 
la  terre,  un  camériervint  nous  chercher.  Léon  XIII  était 
assis  à  son  bureau,  dans  sa  bibliothèque.  En  nous  aper- 
cevant, il  nous  sourit. 

«  Approchez,  les  Oblats,  approchez.  » 

Emus,  nous  nous  dirigeons  vers  lui  et  nous  nous  pros- 
ternons à  ses  pieds. 

Le  T.  R.  P.  Général  exprime  les  sentiments  de  respect, 
d'amour  et  de  soumission  dont  tous  les  Oblats  sont  ani- 
més envers  le  chef  de  l'Église.  Il  le  remercie  des  témoi- 
gnages si  nombreux  de  paternelle  bienveillance  qu'il  a 
prodigués  à  la  Congrégation,  surtout  dans  ces  dernières 
années. 

—  Nous  devons  à  Votre  Sainteté,  a-t-il  dit,  une  parti- 
culière reconnaissance  pour  la  lettre  qu'Elle  a  daigné 
nous  écrire  en  réponse  à  l'adresse  des  membres  du  Cha- 
pitre général.  Elle  a  réjoui  et  fortifié  nos  cœurs. 

—  Je  tenais,  répond  le  Saint-Père,  à  vous  faire  savoir 
combien  j'apprécie  votre  dévouement  et  combien  je 
compte  sur  votre  zèle  pour  répandre  le  règne  de  Dieu 
dans  les  nombreuses  Missions  qui  vous  sont  confiées. 
Vous  êtes  jeune,  mon  cher  Père,  vous  aurez  le  temps 
de  faire  beaucoup  de  bien.  Combien  d'Oblats  êtes- 
vous? 

—  Environ  seize  cents;  nous  devons  reconnaître  que 
Dieu  bénit  notre  famille  religieuse  ;  depuis  quelques  an- 
nées, notre  nombre  augmente  sensiblement.  Dans  nos 

T.  XXXVI.  29 


—  438  — 

divers  scolaslicats,   nous  avons  actuellement  près  de 
trois  cents  philosophes  ou  théologiens. 

—  C'est  très  heau.  Je  vous  félicite  de  votre  maison 
d'études  à  Rome;  elle  vous  fait  honneur;  vos  jeunes 
gens  y  travaillent  avec  succès.  C'est  un  grand  avantage 
non  seulement  pour  eux,  mais  encore  pour  la  France 
et  pour  les  pays  oii  ils  seront  envoyés  ;  ils  y  apporteront 
la  vraie  et  solide  doctrine. 

—  Ce  sont  eux  que  nous  envoyons  de  préférence, 
comme  professeurs,  dans  les  grands  séminaires  dont  la 
direction  nous  est  confiée  ;  dans  nos  scolasticats  de 
Liège,  en  Belgique;  de  Hûnfeld,  près  de  Fulda,  en 
Allemagne,  et  d'Ottawa,  en  Amérique.  » 

Le  nom  d'Ottawa  rappelle  à  la  mémoire  du  Souverain 
Pontife  le  souvenir  de  M^'"  Duhamel,  l'archevêque  de 
cette  ville  ;  il  écoute  avec  intérêt  les  renseignements 
qui  lui  sont  donnés  sur  l'Université  catholique  que 
nous  y  dirigeons  depuis  plusieurs  années  et  qui  doit 
à  Léon  XIII  tous  ses  privilèges. 

—  Avec  nos  hommages,  ajoute  le  T.  R.  P.  Général, 
nous  prions  Votre  Sainteté  de  vouloir  accepter  notre 
petite  offrande,  l'obole  du  pauvre. 

—  J'en  suis  bien  touché;  je  vous  remercie.  C'est  vrai- 
ment admirable  de  voir  comment  les  enfants  viennent 
au  secours  de  leur  Père;  grâce  à  la  générosité  descatho- 
hques,  je  puis  faire  encore  des  œuvres.  Cette  année,  je 
consacre  un  demi-million  aux  Églises  d'Orient.  » 

Le  Saint-Père  s'étend  longuement  sur  ses  divers  pro- 
jets, afln  d'arriver  à  la  réunion  des  Églises  dissidentes. 

—  Nous  regrettons,  dit  le  T.  R.  P.  Général,  de  ne 
pouvoir  faire  davantage. 

—  Vous  pouvez  beaucoup  par  vos  prières  ;  ce  que 
Dieu  regarde  surtout,  c'est  la  bonne  volonté;  et  puis, 
il  faut  compter  sur  la  Providence  ;  les  cœurs  généreux 


—  /i39  — 

ne  sont  pas  rares  ;  on  en  trouve  parmi  les  grands,  mais 
aussi  parmi  les  petits.  Tenez,  hier,  j'ai  reçu  3  livres 
sterling  d'un  Irlandais,  qui  s'excusait  également,  à  cause 
de  sa  pauvreté,  de  donner  si  peu.  Je  vous  assure  que  je 
ne  l'ai  pas  oublié  ce  matin  au  saint  sacrifice  de  la 
messe;  j'ai  bien  prié  à  toutes  ses  intentions.  La  Provi- 
dence, la  Providence,  c'est  en  elle  que  je  mets  tout  mon 
espoir, 

—  En  visitant  nos  Missions  d'Asie,  d'Afrique  et  d'Aus- 
tralie, j'ai  constaté  que  tous  les  catholiques  sont  fort 
attachés  à  votre  personne  sacrée  et  prient  beaucoup 
pour  que  Dieu  vous  conserve  encore  longtemps  à  son 
Église. 

—  De  fait,  on  doit  prier  beaucoup  pour  moi,  et  ces 
prières  sont  exaucées,  puisque,  malgré  mes  fatigues, 
mes  peines  et  mes  soucis,  j'ai  pu  arriver  à  l'âge  de 
quatre-vingt-dix  ans.  N'est-ce  pas  merveilleux  ?  Et  ce 
qu'il  y  a  de  plus  extraordinaire,  ce  n'est  pas  que  je  sois 
arrivé  à  cet  âge,  mais  c'est  qu'à  cet  âge,  je  sois  en  pos- 
session de  toutes  mes  facultés.  Je  suis  occupé  quatorze 
heures  par  jour  ;  maintenant^  je  suis  avec  vous  ;  quand 
vous  serez  sortis,  je  recevrai  un  évêque  ;  après  les  au- 
diences privées  viendra  le  conseil,  avec  mon  secrétaire 
d'État  ;  il  est  9  heures  et  demie,  je  suis  à  ce  bureau  jus- 
qu'à 2  heures  de  l'après-midi.  » 

Par  nous-mêmes,  nous  avons  pu  nous  convaincre  que 
le  Saint-Père  avait  bien  gardé  toute  la  vivacité  de  son 
esprit;  il  nous  a  rappelé  certaines  affaires  dans  les- 
quelles il  était  intervenu  en  notre  faveur,  et  il  a  ajouté 
aimablement  : 

(t  Vous  pouvez  compter  toujours  sur  ma  bienveil- 
lance. » 

Cependant  le  temps  s'écoulait.  Semblables  aux  apô- 
tres sur  le  Thabor,  nous  nous  disions  :  Bonum  est  nos 


—  440  — 

hic  esse.  Volontiers,  nous  serions  restés  encore  long- 
temps ;  mais  nous  comprenions  qu'il  ne  fallait  pas  abuser 
de  la  bonté  du  Pape.  Le  moment  était  venu  de  solliciter 
des  bénédictions  pour  nous  et  nos  amis. 

—  Nous  avons,  dit  le  T.  K.  P.  Général,  un  collège  à 
Colombo,  fondé  il  y  a  à  peine  trois  ans;  il  compte 
déjà  près  de  600  élèves.  Il  est  appelé  à  faire  beaucoup 
de  bien  dans  File  de  Ceylan.  J'ai  promis  aux  membres 
du  comité  de  demander  une  bénédiction  spéciale  pour 
eux  à  Votre  Sainteté. 

—  Oui,  oui,  de  tout  cœur,  je  bénis  le  comité,  le  rec- 
teur, les  professeurs,  les  élèves,  tous  ceux  qui  s'occu- 
pent de  ce  collège. 

—  Une  bénédiction  aussi,  Très  Saint  Père,  pour  le 
collège  de  Jaffna,  qui  est  également  prospère  et  dont 
vous  avez  vu  l'évêque,  il  y  a  quelques  jours. 

—  Oui,  oui,  je  bénis  encore  ce  collège  et  toutes  les 
écoles  de  Ceylan.  Combien  avez-vous  d'écoles  dans  cette 
île? 

—  Dans  le  seul  diocèse  de  Colombo,  nous  avons 
315  écoles,  dépendant  de  l'archevêque  et  donnant  l'in- 
struction à  24000  enfants  environ. 

—  C'est  bien  beau  ;  et  combien  d'Oblals  êtes-vous  à 
Ceylan? 

—  Plus  de  cent. 

—  Tous  Français  ? 

—  Le  plus  grand  nombre  est  français  ;  mais  il  y  a  aussi 
quelques  Italiens  et  Anglais. 

Le  T,  R,  P.  Général  a  fait  bénir  ainsi  toutes  les  Mis- 
sions et  toutes  les  œuvres  de  la  Congrégation.  Il  s'est 
bien  gardé  d'oublier  les  lecteurs  de  nos  annales  fran- 
çaises, anglaises,  allemandes;  il  a  fini  par  les  bienfai- 
teurs de  rOEuvre  des  vocations. 

Comme  il  s'écartait  un   peu   pour   nous  permettre 


—  441  — 

d'approcher  du  Souverain   Pontife,  Sa  Sainteté  lui  dit 
encore  : 

—  Vous  ne  résidez  pas  à  Rome? 

—  Non,  Très  Saint  Père,  mais  je  compte  y  venir 
chaque  année. 

—  Oui,  c'est  cela,  venez,  venez.  Et  vous  — s'adressant 
au  Procureur  général  —vous  ne  quittez  point  Rome? 

—  Non,  Très  Saint  Père. 

—  A  la  bonne  heure  ;  très  bien. 

Nous  nous  sommes  avancés  successivement  ;  à  chacun 
Léon  XIII  a  donné  sa  main  à  baiser,  nous  demandant 
notre  nom,  le  lieu  de  notre  résidence,  bénissant  les  per- 
sonnes que  nous  lui  nommions.  On  n'était  pas  gêné 
pour  lui  parler;  il  nous  y  invitait  lui-même  comme  sait 
le  faire  le  plus  bienveillant  des  pères. 

En  nous  congédiant,  il  a  béni  les  objets  que  nous 
avions  apportés,  a  attaché  à  nos  croix  certains  privilèges 
et  a  autorisé  le  T.  R.  P.  Général  à  donner  la  bénédiction 
papale  dans  notre  chapelle  de  Paris. 

Pendant  que  nous  nous  retirions  et  que  nous  faisions 
les  génuflexions  prescrites  par  le  cérémonial,  nous  je- 
tions un  dernier  regard  sur  ce  visage  auguste;  nous  nous 
inclinions  pour  recevoir  une  dernière  bénédiction. 

Le  3  novembre  1898  est  une  date  dont  le  souvenir 
doit  être  bien  doux  non  seulement  à  ceux  qui  ont  eu  le 
bonheur  de  voir  et  d'entendre  en  ce  jour  le  Vicaire  de 
Jésus-Christ,  mais  encore  h.  la  Congrégation  entière  don 
ils  étaient  les  représentants. 

Agréez,  mon  révérend  et  bien  cher  Père,  la  nouvelle 
assurance  de  mon  profond  et  affectueux  respect  en 
N.-S.etM.  I. 

François  Lemius,  o.  m.  r.        , 


442 


II 

LA  FÊTE  DE  NOTRE-DAME  DE  LA  PRIÈRE  A  PONTMAIN. 

A  l'occasion  de  la  promulgation  des  privilèges  de 
l'Archiconfrérie  de  Noire-Dame  delà  Prière,  de  grandes 
fêles  ont  eu  lieu,  le  5  septembre,  à  Pontmain,  sous  la 
présidence  de  M^""  Geay,  évêque  de  Laval.  Plus  de 
300  prêtres  et  près  de  10  000  fidèles,  accourus  de  tout  le 
diocèse,  et  même  de  Normandie  et  de  Bretagne,  ont 
répété  à  l'envi  ce  beau  refrain  : 

Mais  priez  avec  nous,  ô  Mère  magnanime, 
Soutenez  vos  enfants  par  la  lutte  accablés. 
Donnez-nous  de  Pontmain  la  vertu  qui  ranime 
Les  esprits  abattus,  les  cœurs  découragés; 
La  prière  est  un  baume  îi  l'âme  qui  soupire, 
Sur  la  nôtre,  en  ce  jour,  étendez  son  empire! 
Nous  vous  le  demandons  en  tombant  à  genoux. 
Mère  de  la  Prière,  ô  Vierge,  exaucez-nous. 

A  l'offertoire  de  la  messe  pontificale,  célébrée  en  plein 
air,  après  Téloquent  discours  de  M.  l'abbé  Patry,  archi- 
prêtre  de  Notre-Dame  de  Mayenne,  lecture  a  été  faite 
du  Bref  de  S,  S.  Léon  XIII,  changeant  le  titre  de  l'Ar- 
chiconfrérie de  Notre-Dame  d'Espérance  en  celui  de 
Notre-Dame  de  la  Prière. 

A  2  heures,  la  procession  s'est  déroulée  dans  le  parc 
des  chapelains.  Le  R.  P.  Lemius  (J.-B.),  de  sa  voix  des 
grands  jours,  a  parlé  à  cette  foule  admirable  de  peuple, 
car  c'était  surtout  le  peuple  qui  était  là  priant  et  chan- 
tant à  la  suite  de  son  pontife. 

Au  moment  où  le  cortège  arrivait  à  la  basilique,  Mon- 
,seigneur  a  pris  à  son  tour  la  parole  pour  saluer  le  nou- 
veau titre  donné  par  Notre  Saint-Père  le  Pape  à  la 
Vierge  de  Pontmain.  Une  immense  acclamation  s'est 


—  443  — 

élevée.  Trois  fois  de  suite,  sur  l'invitation  du  R.  P. 
Lemius,  des  milliers  de  poitrines  ont  laissé  jaillir  le  cri 
de  :  «  Vive  Notre-Dame  de  la  Prière  !  »  de  «  Vive 
Léon  XIII  !  »  de  «  Vive  Monseigneur  !  » 

Cette  belle  journée  s'est  terminée  par  une  fête  d'une 
intimité  charmante  à  la  résidence  des  chapelains.  MM.  les 
vicaires  généraux  et  les  prêtres  du  diocèse  restés  à 
Pontmain  ont  présenté  leurs  hommages  et  leurs  vœux 
à  Sa  Grandeur  à  l'occasion  du  second  anniversaire  de 
son  sacre,  puis,  au  réfectoire,  un  magnifique  bouquet  a 
été  présenté  à  Monseigneur,  bouquet  de  fête,  chargé  des 
félicitations  et  des  vœux  du  R.  P.  Rey,  qui  a  souhaité 
de  nombreuses  années  au  prélat. 

«  Les  Oblats,  a  rappelé  avec  beaucoup  d'à  propos  le 
supérieur  des  chapelains,  ont  pour  père  et  Fondateur  un 
évêque,  M^''  de  Mazenod  ;  la  Congrégation  se  le  rappelle 
toujours  dans  les  divers  diocèses  où  elle  se  trouve.  Elle 
reste  unie  aux  évêques,  qui  le  sont  avec  le  Pape,  lequel 
est  uni  à  Dieu.  » 

Me""  Geay  a  remercié  de  tout  cœur  le  R.  P.  Rey,  le 
nommant,  aux  applaudissements  de  tous,  chanoine 
honoraire  de  la  cathédrale  de  Laval. 

A  ce  sujet,  le  T.  R.  P.  Général  a  adressé  à  M^'-  l'é- 
vcque  de  Laval,  la  lettre  suivante. 

Paris,  8  septembre  1898. 
Monseigneur, 

Vivement  touché  de  la  bonté  que  vous  avez  eue,  dans 
une  récente  solennité,  de  conférer  à  l'un  de  mes  fils  les 
plus  méritants  le  titre  de  chanoine  honoraire  de  votre 
cathédrale,  j'ai  hâte  de  venir  remercier  Voire  Grandeur 
en  mon  nom  et  au  nom  de  la  Congrégation  entière  des 
Oblats  de  Marie  Immaculée. 

D'après  nos  Constitutions,  nous  ne  devons  ni  ambi- 


—  444  — 

tionner  ni  accepter  aucun  titre  honorifique,  mais  les 
circonstances  dans  lesquelles  vous  venez  de  donner  à 
l'excellent  Père  Rey  un  témoignage  de  votre  haute  es- 
time et  de  votre  paternelle  affection  sont  tellement 
exceptionnelles,  que  je  ne  puis  qu'applaudir,  Monsei- 
gneur, au  fait  accompli  dans  une  délicate  attention. 

Enattendantd'avoir  l'honneur  et  la  joie  de  m'acquitter 
personnellement  de  ce  que  je  considère  comme  une 
dette  de  reconnaissance,  je  prie  Votre  Grandeur  de  me 
bénir  et  d'agréer  l'expression  de  mes  sentiments  de  reli- 
gieux respect  et  de  filial  dévouement  en  Notre-Seigneur 
et  Marie  Immaculée. 

C.  AUGIER,  0.  M.  I, 

Supérieur  géuéral. 

En  union  avec  tous  les  Oblats,  les  Missions  disent  au 
nouveau  chanoine  de  Laval,  au  bon  P.  Rey,  qui  a  si 
longtemps  rédigé  cettepublication  de  famille  :  Admidtos 
annos  l 


III 

VINGT-CINQUIÈME  ANNIVERSAIRE 
DU  COURONNEMENT  DE  NOTRE-DAME  DE  SION. 

Par  lettre-circulaire  en  date  du  24  août,  M^'  Turinaz, 
évêque  de  Nancy,  invitait  ses  diocésains  à  se  joindre 
nombreux  aux  pèlerins  de  Lourdes  que  Sa  Grandeur 
amènerait  elle-même  à  Notre-Dame  de  Sion,  le  8  sep- 
tembre, pour  acclamer,  en  ce  25'^  anniversaire  de  son 
couronnement,  la  Vierge  bénie,  saluée  depuis  neuf 
siècles,  des  noms  si  doux  de  Protectrice  de  la  Lorraine^ 
de  Trésor  du  pays  et  de  Mère  très  bonne. 

L'appel  du  premier  Pasteur  a  été  entendu  ;  aussi^  dès 


—  445  — 

l'aube  de  la  Nativité,  les  fidèles  gravissaient-ils  nom- 
breux les  pentes  abruptes  de  la  sainte  montagne  et  le 
plateau  de  Sien,  d'ordinaire  si  gracieux,  offrait-il  un 
spectacle  plus  merveilleux  encore. 

Dans  le  sanctuaire,  des  messes  se  célèbrent  sans  in- 
terruption à  tous  les  autels  et  les  pèlerins  s'avancent  en 
rangs  serrés  à  la  sainte  table.  On  est  édifié  de  la  ferveur 
avec  laquelle  tout  ce  monde  prie  au  pied  de  la  statue 
miraculeuse,  au  Calvaire  et  devant  le  monument  de 
Saint-Joseph. 

A  10  heures,  messe  pontificale.  Elle  est  dite  à  l'autel 
de  la  tour  par  M='"  Grouard,  vicaire  apostolique  d'Atha- 
baska-Mackenzie.  Environ  450  prêtres  et  religieux  entou- 
rent l'estrade  où  ont  pris  place  avec  M^^  Turinaz  :  NN. 
SS.  Foucault,  évêque  de  Saint-Dié;  Légal,  coadjuteur  de 
Saint-Albert,  et  le  Révérendissime  Dom  Félix  de  Grasse, 
abbé  mitre  d'un  monastère  bénédictin  au  Texas. 

Bientôt,  le  R.  P.  Léon,  capucin  du  couvent  de  Paris, 
monte  en  chaire.  Il  rappelle  d'abord  les  solennités  in- 
comparables du  10  septembre  1873,  jour  où  le  cardinal 
Mathieu,  archevêque  de  Besançon,  assisté  de  7  évêques, 
couronnait,  au  nom  de  S.  S.  Pie  IX,  en  présence  de 
1  oOO  prêtres  et  de  30000  pèlerins,  la  statue  miraculeuse 
de  la  Vierge  de  Sion,  puis  il  se  demande  s'il  est  permis 
de  chanter  après  ces  vingt-cinq  années  et  comment  il 
faut  chanter  cette  Mère  incomparable.  L'orateur  fut 
en  particulier  très  heureusement  inspiré  et  trouva  les 
meilleurs  accents,  lorsque,  rappelant  les  tendresses  et  la 
vénération  du  peuple  hébreu  pour  la  Sion  biblique,  il 
montra  la  place  qu'occupe  dans  les  cœurs  lorrains  la 
montagne  privilégiée  de  Marie. 

Il  est  midi  quand  se  termine  la  messe.  Les  familles  se 
dispersent  sur  la  côte  pour  prendre  leur  repas.  Les 
membres  du  clergé  reçoivent  au  couvent  des  RR.  PP. 


—  446  -:- 

Oblats  de  Marie  Immaculée  une  hospitalité  fraternelle. 
Comme  toujours,  le  dessert  le  mieux  goûté  des  convives 
c'est  le  toast  du  Supérieur  des  gardiens  du  sanctuaire. 
Nous  voudrions  citer  en  entier  ce  petit  chef-d'œuvre. 

Le  R.  P.  Brûlé  remercie  en  premier  lieu  Notre-Dame 
de  Sion,  la  Reine  de  la  fête,  du  beau  temps  qu'elle 
daigne  accorder  à  ses  enfants.  «  Bien  qu'à  Sion,  on  ait 
appris  de  M=^  Gonindard,  de  douce  mémoire,  à  bénir 
Dieu  dans  tous  les  temps  (l),  on  le  bénit  de  meilleur 
cœur  par  un  gai  soleil.  » 

S'adressant  ensuite  à  M^"^  Turinaz,  il  est  heureux^  dit- 
il,  d'associer  les  noces  d'argent  du  couronnement  de 
Notre-Dame  de  Sion  à  ses  noces  d'argent  épiscopales: 
puis,  en  termes  spirituels  et  des  plus  délicats,  il  rappelle 
les  actes  accomplis  par  le  prélat  dans  le  cours  de  cette 
année.  «  Grandes  et  belles  œuvres  pour  lesquelles  Mon- 
seigneur donne  sa  parole,  son  cœur,  sa  vie,  voire  même 
sa  bourse...,  quand  elle  n'est  pas  vide.  » 

Le  P.  Brûlé  remercie  également  M^'  Foucault  «  qui 
peut  déjà  nous  dire,  comme  saint  Paul  à  ses  fidèles  dis- 
ciples :  Ecce  tertio  venio  ad  vos  pour  rehausser  l'éclat  de 
nos  fêtes...  Heureux  Monseigneur  de  Saint-Dié,  bien 
qu'on  dise  que  la  mitre  d'or  des  évêques  soit  doublée  de 
peau  de  chagrin,  heureux  évêque  de  saint  Pierre  Fou- 
rier,  de  la  vénérable  Jeanne  d'Arc...  Terre  classique  de 
sainteté  que  la  terre  des  Vosges,  on  en  voudrait  être  si 
l'on  n'appartenait  au  diocèse  de  Nancy... 

«  Reconnaissance,  continue  le  R.  Père  Supérieur,  à 
Ms'  Grouard,  vicaire  apostolique  de  l'Athabaska-Mac- 

(1)  Lors  du  pèlerinage  de  1885,  une  pluie  torrentielle  tomba  pen- 
dant la  procession.  Me^  Gonindard,  alors  évêque  de  Verdun,  tout 
ruisselant  d'eau,  prononça  au  retour  une  allocution,  dont  le  texte 
spirituellement  choisi  était  :  Benedicam  Dominum  in  omni  lempore 
(Je  bénirai  le  Seigneur  quelque  temps  qu'il  fasse). 


_  447  — 

kenzie,  de  l'extrême  nord  de  l'Amérique,  aux  neiges 
quasi-perpétuelles,  à  ce  point,  disait  saint  François  de 
Sales,  que  les  lièvres  y  sont  tout  naturellement  blancs. 
A  plus  forte  raison,  n'est-il  pas  surprenant  que  de  bonne 
heure  et  avant  le  temps,  ce  Nord  terrible  ait  blanchi  la 
barbe  du  vénérable  missionnaire. 

«  M^"^  Grouard  possède,  dans  son  vaste  district,  l'Alas- 
ka, le  Yukon,  le  Klondike,  c'est-à-dire  ces  raines  nou- 
vellement découvertes,  la  convoitise  des  chercheurs 
d'or.  Je  me  suis  réjoui  un  moment  :  «Monseigneur  n'aura 
plus  à  tourner  des  regards  aussi  inquiets  vers  la  caisse 
toujours  parcimonieuse  et  mesurée  de  la  Propagation 
de  la  Foi.  »  Et  j'ai  entendu  M^^  Grouard  gémir  et  dire, 
en  voyantpasser  ces  troupes  d'émigrants,  ces  affamés,  ces 
risque-tout,  ces  figures  patibulaires  plus  effrayantes  que 
les  Loucheux,  les  Cris,  les  Pieds-Noirs,  ses  bons  fidèles  : 
«  Depuis  la  découverte  des  mines  d'or,  l'âge  d'or  a  pris 
fin  dans  l'Athabaska-Mackenzie.  »  Daigne  W  Grouard 
accepter  l'hommage  de  nos  sincères  condoléances. 

«  M^'  Légal,  évêque  titulaire  de  Pogla,  est  le  coadju- 
teur  de  Ms''  Grandin,  évêque  de  Saint-Albert.  Il  est  sacré 
depuis  peu.  Après  avoir  administré  un  sauvage  mourant 
entre  ses  bras,  le  R.  P.  Légal  se  mit  à  creuser  sa  fosse, 
quand  lui  arriva  la  nouvelle  de  son  élévation  à  l'épis- 
copat.  Nous  avions  à  Saint-Albert  un  évêque  pouilleux, 
Ms' Grandin;  nous  avons  à  Saint-Albert  un  évêque  fos- 
soyeur... » 

Msi-  Turinaz  se  lève  à  son  tour  :  «  Je  dois  tout  d'abord 
remercier  le  cher  P.  Brûlé  des  paroles  si  affectueuses  et 
si  aimables  qu'il  vient  de  m'adresser.  Je  voudrais  le 
louer,  c'est  l'inspiration  du  cœur  ;  mais  il  est  difficile  à 
un  père  de  louer  un  fils  désobéissant  (et  incorrigible, 
ajoute  le  Père  Supérieur).  Ceci  est  encore  pire,  mais, 
comme  la  Vierge  de  Sion  est  loute-puissante,  je  ne  dé- 


sespère  pas  de  voir  la  grâce  triompher  de  son  obstina- 
tion. » 

L'évêque  de  Nancy  salue  les  prélats,  les  prêtres  et  les 
religieux  présents,  puis  il  envoie  à  S.  Em.  le  cardinal  Ri- 
chard et  à  M^''  Grandin,  seuls  survivants  des  évêques  té- 
moins du  couronnement  de  Notre-Dame  de  Sion,  l'hom- 
mage de  son  amour  et  de  sa  vénération.  «  On  a  dit  de 
M^""  Grandin  un  mot  qui  est  le  plus  éloquent  de  tous  les 
éloges  :  c'est  YÉvêque  pouilleux.  Ah  !  beaucoup,  à  cette 
époque,  parlent  du  peuple,  se  vantent  d'aller  au  peuple. 
Que  font-ils  pour  adoucir  sa  condition?  M^"^  Grandin, 
lui,  il  est  allé  si  près  du  peuple  et  si  près  des  plus  pau- 
vres qu'il  a  pris  pour  lui  leur  misère.  Gloire  à  lui  !...  » 

Gomme  celle  du  P.  Brûlé,  l'allocution  de  M^'  Turinaz 
est  fréquemment  applaudie.  Mais  voici  que  de  nouveaux 
vivats  éclatent  sans  qu'aucun  orateur  ait  pris  la  parole. 
C'est  un  des  officiers  supérieurs  commandant  les  troupes 
en  manœuvres  dans  la  région,  qui  est  venu,  lui  aussi, 
faire  son  pèlerinage  et  ne  veut  pas  descendre  la  colline 
sans  saluer  les  évêques. 

C'est  l'occasion  pour  M^'  Turinaz  d'affirmer  à  nouveau, 
en  quelques  mots  vibrants,  toute  la  sympathie  respec- 
tueuse, l'affection  du  clergé  pour  l'armée  et  ses  chefs  si 
indignement  outragée  et  calomniée  en  ce  moment. 

A  ces  mots,  le  général,  aux  applaudissements  de  tous, 
répond  par  quelques  paroles  du  cœur.  Il  affirme  l'union 
de  l'armée  avec  les  évoques  dans  les  sentiments  du  plus 
absolu  dévouement  à  la  patrie. 

Que  dire  de  la  magnifique  procession  qui,  le  soir,  se 
déroula  pendant  près  de  deux  heures  autour  du  pla- 
teau?... Les  pèlerins  de  Lourdes  sont  eux-mêmes  émer- 
veillés de  cette  marche  triomphale  en  l'honneur  de 
Marie.  Au  retour.  Monseigneur  de  Nancy  prend  la  pa- 
role et  raconte  à  15  000  auditeurs  les  miracles  dont  le 


—  449  ~ 

pèlerinage  lorrain  vient  d'être  favorisé  à  la  Grotte  de 
Massabielie.  Le  salut  du  Très  Saint  Sacrement  et  la 
bénédiction  de  NN.  SS.  les  évêques  mettent  fin  à  cette 
solennité  qui  laissera  dans  tous  nos  cœurs  un  impéris- 
sable souvenir. 

L'octave  a  été  digne  de  la  fête  :  la  Vierge  de  Sion  n'a 
cessé  de  voir  affluer  à  ses  pieds  ses  fidèles  Lorrains. 
Cinq  fois  sur  huit,  on  a  dû  chanter  la  messe  en  plein 
air.  Le  14  septembre,  fête  de  l'Exaltation  de  la  Sainte- 
Croix,  M^"  Grouard  bénit,  en  présence  de  3  000  pèlerins, 
la  Croix  Sainte-Marguerite,  érigée  jadis  par  une  pieuse 
princesse  de  Vaudémont  et  qui  vient  d'être  habilement 
restaurée.  Le  R.  P.  Grelaud,  o.  m.  i.,  de  la  maison 
d'Autun,  qui  durant  ces  huit  jours,  nous  parla  si  bien 
de  Notre-Dame  de  Sion  la  «  Mère  très  bonne  »,  trouva 
pareillement  des  accents  tout  apostoliques  pour  glorifier 
Jésus  crucifié,  et  tout  l'auditoire  répéta  avec  le  mission- 
naire, à  pleine  voix  et  à  plein  cœur,  cette  acclamation 
qui,  depuis  huit  jours,  était  dans  toutes  les  âmes  : 
«  Vive  Jésus-Christ  !  Vive  Jésus-Christ  !  » 


IV 

LA  RÉCEPTION  DU  R.  P.  LEFEBVRE  A  LOWELL. 

X'^"/ot/e,  journal  de  Lowell,  raconte, dans  ses  colonnes, 
la  réception  toute  cordiale  queles  Canadiens-Français  de 
cette  ville  ont  faite  au  R.  P.  Lefebvre,  nouveau  provin- 
cial des  États-Unis,  et  au  R.  P.  Mangin,  nouveau  supé- 
rieur de  la  maison  Saint-Joseph. 

Au  soir  du  dimanche  9  octobre,  la  vaste  église  bâtie 
par  le  regretté  P.  Garin  était  absolument  comble,  plu- 
sieurs centaines  de  personnes  n'y  ont  pu  trouver  place. 


—  450  — 

Un  des  paroissiens  de  Saint-Joseph  a  hi  une  très  belle 
adresse  au  nom  de  la  population  catholique  : 

«  Nous  sommes  pauvres,  s'est  écrié  l'orateur,  mais  nous 
voulons  garder  intact  le  prestige  de  notre  nationalité  ; 
nous  sommes  pauvres,  mais  nous  voulons  la  religion  ca- 
tholique, apostolique  et  romaine  ;  nous  sommes  pauvres, 
mais  nous  voulons  conserver  nos  églises  et  nos  écoles, 
écoles  canadiennes-françaises  où  nos  enfants  apprennent 
avec  la  religion  les  principes  qui  doivent  guider  tout 
homme  dans  le  chemin  de  la  vie  et  de  la  vérité.  C'est 
sans  doute  pour  nous  encourager  à  suivre  cette  voie  que 
vous  êtes  venu,  T.  R.  P.  Provincial,  fixer  votre  résidence 
au  milieu  de  nous. 

«  Le  regretté  P.  Garin  est  remplacé;  vous  êtes  le  bien- 
venu et  nous  vous  saluons.  Déjà  la  Congrégation  dont 
vous  êtes  le  chef  en  cette  province  a  su  mériter  l'estime 
des  populations  et  la  reconnaissance  des  familles  catho- 
liques. Sans  parler  de  nos  œuvres  locales  canadiennes, 
de  nos  magnifiques  églises  et  de  nos  vastes  écoles  qui  font 
l'admiration  de  tous  ceux  qui  les  contemplent,  les  mem- 
bres de  votre  Congrégation  s'emploient  sans  cesse  à  diri- 
ger les  âmes  vers  Dieu.  Prière,  prédication,  sages  avis, 
conseils  paternels,  rien  n'est  épargné  pour  rendre  le  ca- 
tholique digne  de  sa  foi  et  de  son  baptême.  C'est  sous  de 
tels  chefs  que  nous  aimons  à  marcher  le  front  haut.  Aussi 
les  Canadiens  de  Lowell  sont-ils  fiers  d'avoir  pour  pas- 
teurs les  Oblats  de  Marie  Immaculée... 

«Ces  souhaits  de  bienvenue,  nous  les  adressons  aussi  à 
votre  vénérable  compagnon,  le  R.  P.  Mangin,  le  nouveau 
supérieur  de  la  maison  Saint-Joseph. 

«  Puissions-nous  nous  montrer  toujours  vos  fidèles  en- 
fants 1  Puissent  nos  œuvres  grandir  et  prospérer  sous  le 
souffle  de  la  religion  et  sous  l'impulsion  vivifiante  que  tous 
deux  vous  saurez  leur  donner.  Alors  nos  enfants  pourront 


—  451  — 

envisager  sans  crainte  les  phases  de  l'avenir,  tandis  que 
nous,  notre  carrière  terminée,  nous  descendrons  dans  la 
tombe  emportant  au  seuil  de  l'éternité  la  fleur  de  l'espé- 
rance chrétienne  que  la  voix  de  nos  Pères  a  su  faire  ger- 
mer sous  les  pas  de  noire  vie  mortelle...  » 

Le  R.  P.  Provincial,  visiblement  touché  de  la  récep- 
tion cordiale  et  enthousiaste  dont  il  était  l'objet,  remer- 
cia le  vaste  auditoire  : 

«Vous  ne  sauriez  croire,  bien  chers  paroissiens  et  com- 
patriotes, tout  Je  plaisir  que  vous  causez  en  ce  moment 
à  mon  vénérable  compagnon  et  à  moi,  par  votre  assis- 
tance si  nombreuse  à  cette  réunion  de  famille  et  par  vos 
sentiments  si  chrétiens  et  si  patriotiques... 

«Vos  cœurs  se  sont  réjouis,  me  dites-vous,  à  la  nou- 
velle de  mon  arrivée  à  Lowell,  car  le  nom  du  R.  P.  Lb- 
FEBVRE  vous  était  connu. 

«11  est  vrai  qu'aune  époque  douloureuse,  en  un  jour 
de  deuil  profond  et  universel,  à  la  mort  du  dévoué  et  à 
jamais  aimé  Père  André-Marie  Garin,  j'étais  accouru  de 
notre  cher  Canada,  j'étais  venu  mêler  mes  larmes  à  vos 
larmes  et  jeter,  par  ma  modeste  parole,  quelques  fleurs 
sur  une  tombe  si  chère  à  tous  et  qui  emportait  tant  de 
légitimes  regrets. 

«  Aujourd'hui,  grâce  à  Dieu,  nous  sommes  dans  des  cir- 
constances qui  ne  laissent  aucune  place  à  la  tristesse. 
Vous  nous  souhaitez  la  bienvenue  la  plus  cordiale,  et 
nous,  leR.  P.MAiNGiNet  moi,et,inutilede  le  dire,  les  bons 
et  dévoués  Pères  qui  vous  desservent,  nous  sommes 
heureux  de  le  proclamer  bien  haut  :  comme  le  regretté 
P.  Garin  et  tous  ceux  qui  l'ont  aidé  dans  la  grande  œuvre 
qu'il  a  inaugurée  ici  il  y  a  trente  ans,  nous  sommes  tout 
à  vous, 

«  Vous  avez  la  délicatesse  d'ajouter  que  Lowell  trouve 
en  ma  personne  «  le  remplaçant  »  du  R.  P.  Garin.  Je 


-    452  — 

vous  remercie  beaucoup  du  compliment,  car  c'en  est  un. 
Mais  je  puis  vous  dire  une  chose  :  c'est  que,  si  je  n'ai 
•pas  sa  belle  intelligence,  sa  remarquable  habileté  pour 
les  affaires  et  ses  autres  précieuses  qualités,  je  veux,  et  je 
puis  assurer  que  le  R.P.  Mangin  partage  mes  sentiments, 
je  veux  avoir  toute  son  affection  pour  vous  et  pour  vos 
familles,  et  prendre  le  même  intérêt  que  lui  à  toutes  vos 
œuvres  et  à  tout  ce  qui  peut  aider  à  votre  avancement 
matériel  et  surtout  religieux... 

«  Nous  sommes  pauvres,  nous  dites-vous  encore,  mais 
«  nous  voulons  conserver  nos  églises  et  nos  écoles,  écoles 
«  canadiennes-françaises,  où  nos  enfants  apprennent 
«  avec  la  religion  les  principes  qui  doivent  guider  tout 
«  homme  dans  le  chemin  de  la  vie  et  de  la  vérité.  » 

«  Voilà  une  profession  de  foi  qui  me  rappelle  celle  de 
nos  preux  de  la  Monongahéla  et  Carillon  qui,  broyés  aux 
Plaines  d'Abraham,  répondaient  au  vainqueur  puissant 
qui  les  sommait  de  se  rendre  :  «  Nous  nous  rendrons, 
«  mais  à  la  condition  expresse  que  nous  garderons  le  libre 
<i  usage  de  notre  sainte  religion.  »  Pour  eux,  la  religion 
était  tout  ;  c'est  pour  moi  un  immense  bonheur  de  con- 
stater que,  dans  les  cœurs  canadiens,  qu'ils  vivent  sur 
les  bords  du  Saint-Laurent  ou  sur  les  rives  du  Merrimac, 
l'amour  de  la  religion  et  l'attachement  à  la  foi  des  ancê- 
tres n'ont  pas  dégénéré.  Inutile  d'ajouter  que,  de  ma 
part  et  de  celle  de  mes  dévoués  confrères,  rien  ne  sera 
négligé  pour  vous  maintenir  dans  votre  enviable  position 
sous  ce  rapport,  et  même  pour  vous  y  fortifier.  Toujours 
nous  tâcherons  de  mériter  les  témoignages  flatteurs  que 
vous  décernez  au  zèle  et  au  dévouement  de  ceux  qui 
vous  dirigent  dans  cette  populeuse  paroisse...  » 

Le  R.  P.  Mangin,  supérieur,  ajouta  quelques  bonnes 
paroles  de  remerciements  qui  enthousiasmèrent  la  foule 
réunie  pour  la  fête. 


453 


Le  jeudi  suivant,  un  banquet  offert  par  les  paroissiens 
de  Saint-Joseph,  sous  les  auspices  di^V  Association  catho- 
lique de  Lowell,  en  l'honneur  du  R.  P.  Provincial  et  du 
R.  P.  Mangin,  réunissait  600  convives,  délégués  de  toutes 
les  sociétés  de  la  grande  cité  américaine. 


V 

MONSEIGNEUR  COUDERT. 


La  Semaine  religieuse,  de  Clermont,  publie  cette  inté- 
ressante lettre  qu'elle  a  reçue  de  Geylan  : 

Borella  Colombo,  Ceylan,  31  août  1898. 

Monsieur  le  directeur, 

Les  feuilles  publiques  ont  dû  vous  apprendre  la  nou- 
velle de  l'élévation  d'un  enfant  de  l'Auvergne  à  la  dignité 
épiscopale. 

Quoi  qu'il  en  soit,  permettez-moi  d'envoyer  à  la  Se- 
maine religieuse  de  Clermont,  et,  par  elle,  au  clergé  de  ce 
même  diocèse,  quelques  détails  au  sujet  de  cette  élection. 

Par  un  bref  en  date  du  2  août,  le  Souverain  Pontife  a 
nommé  le  T.  R.  P.  Coudert,  Oblat  de  Marie  Immaculée, 
évêque  titulaire  de  Banias,  et  coadjuteur  de  S.  Gr.  Me'  Mé- 
LiZAN,  archevêque  de  Colombo,  avec  future  succession. 

Le  nouvel  évêque  est  né  en  1861,  à  Manglieu,  diocèse 
de  Clermont-Ferrand.  D'abord  élève  au  collège  de  Bil- 
lom,  où  il  resta  de  1877  à  1 881, il  entra,  en  octobre  188 f, 
au  grand  séminaire  de  Montferrand.  Sous  la  direction  des 
vénérés  et  pieux  directeurs  de  Saint-Sulpice,  il  y  étudia 
la  philosophie  et  la  théologie  jusqu'à  son  ordination  au 
diaconat. 

Mais  le  jeune  abbé  Coudert,  voyant  déjà  que  le  minis- 

T.   XXXVI.  30 


tère  paroissial  ne  saurait  suffire  aux  ardeurs  de  son  zèle, 
aspirait  à  la  vie  religieuse  et  apostolique.  Une  occasion 
favorable  se  présenta  et  permit  au  zélé  diacre  de  mettre 
ses  projets  à  exécution. 

M^'  BoNJEAN,  d'illustre  mémoire,  dont  la  mission  de 
Ceylan  pleure  encore  la  perte,  était  allé  en  France  cher- 
cher de  nouveaux  auxiliaires;  l'abbé  Coudert,  qui  eut 
occasion  de  le  voir  au  grand  séminaire  de  Monlferrand, 
s'attacha  à  lui  et  le  suivit  à  Colombo. 

C'est  laque,  quelques  mois  après  son  arrivée,  le  jeune 
missionnaire  fut  ordonné  prêtre,  le  10  avril  4886,  par 
Ms'  BoNJEAN,  qui  le  prit  en  particulière  estime  et  affection . 
C'est  à  Colombo  aussi  qu'un  an  après,  il  prononçait  ses 
vœux  perpétuels  et  devenait  ainsi  membre  de  la  Congré- 
gation des  Oblats  de  Marie  Immaculée. 

Quelques  jours  après  sa  profession  religieuse,  le  P.  Cou- 
dert, que  l'Esprit-Saint  semblait  avoir  favorisé  d'une 
manière  toute  spéciale  du  don  des  langues,  commençait 
son  apostolat  auprès  des  infidèles  de  Ceylan.  Il  passa  suc- 
cessivement, pendant  plusieurs  années,  dans  différentes 
Missions  où  il  se  dépensa  partout  avec  un  zèle  généreux 
et  ardent  à  l'affermissement  des  chrétiens  dans  la  foi  et 
à  la  conversion  de  nombreux  païens. 

En  1894,  il  fut  nommé  curé  de  la  cathédrale  de  Co- 
lombo. C'était  un  poste  de  confiance  ;  le  P.  Coudert 
y  donna  la  mesure  de  sou  zèle  et  de  ses  talents  aposto- 
liques. 

Enfin,  au  mois  de  janvier  dernier,  M^^  Mélizan,  notre 
vénérable  archevêque,  nomma  le  P.  Coudert  supérieur 
d'un  district  dans  l'île.  Il  ne  devait  occuper  cette  charge 
qu'en  passant;  une  bien  plus  importante  et  bien  plus 
lourde  l'attendait,  le  Souverain  Pontife  l'élevait  à  l'épis- 
copatau  moment  otiil  s'y  attendait  le  moins. 

Les  brefs   apostoliques  sont  arrivés  à  M^'  Coudert  le 


—  455  — 

25  août  dernier.  Quarante-cinq  missionnaires,  qui  se 
trouvaient  réunis  ce  jour-là  à  l'arclievêché  de  Colombo, 
à  l'occasion  de  la  clôture  de  la  retraite  prêchée  par  le 
nouvel  évêque  lui-même,  ont  présenté  à  Sa  Grandeur 
leurs  hommages  et  leurs  félicitations. 

La  cérémonie  du  sacre  n'aura  pas  lieu  avant  le  mois 
de  novembre. 

L'Auvergne  peut  être  fière  de  ses  enfants,  et  le  diocèse 
de  Glermont  peut  se  féliciter  de  donner  aux  missions  de 
l'un  et  l'autre  monde  tant  de  sujets  qui  se  dépensent  avec 
un  zèle  infatigable  au  salut  des  âmes. 

Puisse  l'exemple  de  leurs  aînés  exciter  de  plus  en  plus 
l'enthousiasme  des  pieux  lévites  du  séminaire  de  Mont- 
ferrand,  et  donner  à  un  plus  grand  nombre  encore  le 
ferme  désir  de  se  consacrer  au  salut  de  tant  d'âmes  qui 
se  perdent  faute  d'ouvriers  évangéliques  :  sur  3  2U0  000  ha- 
bitants dans  l'île  de  Ceylan,  275000  seulement  sont  ca- 
tholiques. Tous  les  prêtres  de  Glermont  ne  peuvent  pas 
venir  ici,  mais  tous  peuvent  prier  le  Père  de  famille  d'en- 
voyer des  ouvriers  à  sa  vigne  et  de  donner  à  ceux  qui 
y  travaillent  déjà  la  force  et  le  courage  dont  ils  ont 
besoin. 

Recevez,  monsieur  le  rédacteur,  les  sentiments  respec- 
tueux d'un  de  vos  Frères  dans  le  sacerdoce. 

Un  enfant  de  l'Auvergne, 

Missionnaire  Oblat  de  Marie,  h  Ceylan. 


NOUVELLES  DIVERSES 


Le  T.  R.  P.  Supérieur  général,  accompagné  de  son 
secrétaire  particulier,  leR.  P.  Lemius  (François),  a  quitté 
Paris  le  24  septembre.  Après  avoir  présidé,  à  Liège, 
la  retraite  annuelle  du  scolasticat ,  prêchée  par  le 
R.  P.  Monnet,  supérieur  de  Notre-Dame  de  l'Osier,  il  a 
fait  la  visite  du  noviciat  du  Bestin,  de  nos  établissements 
de  Hollande  et  du  scolasticat  de  Hiinfeld,  pour,  de  là,  se 
rendre  à  Rome,  où  S.  S.  Léon  XIII  l'a  reçu  en  audience 
le  3  novembre. 

—  Nos  ÉvÊQUES  MISSIONNAIRES.  —  Plusieurs  évêques 
missionnaires  ont  accompli  leur  pèlerinage  ad  limina. 
Dans  le  courant  de  septembre.  Notre  Saint  Père  le  Pape 
donnait  audience  à  S.  Gr.  M^'  Joulain,  évêque  de  Jalfna, 
qui,  peu  de  jours  après,  s'embarquait  à  Marseille  avec 
le  R.  P.  Maingoï,  délégué  au  Chapitre  général,  et  le 
R.  P.  Ienn  (Ernest),  jeune  missionnaire. 

—  Le  3  octobre,  Sa  Sainteté  recevait  M^' Légal,  coad- 
juteur  de  Saint-Albert.  Ce  prélat  a  quitté  Paris  le  15  no- 
vembre, pour  s'embarquer,  le  lendemain,  à  Liverpool. 
Le  R.P.  Mérer,  délégué  au  Chapitre  général,  et  M.  l'abbé 
Beillevaire,  du  diocèse  de  Nantes,  qui  travaille  depuis 
vingt  ans  dans  nos  Missions  comme  prêtre  séculier,  ac- 
compagnent Sa  Grandeur. 

—  Ms'  Grouard  a  eu  également,  le  18  octobre,  la  joie 
d'entretenir  le  Saint-Père  de  sa  Mission  du  Mackenzie; 
Sa  Sainteté  l'a  écouté  avec  le  plus  vif  intérêt  et  a  agréé 


—  457  — 

volontiers  le  présent  du  pauvre  Vicaire  apostolique  de 
l'extrême  nord,  une  magnifique  peau  de  renard  noir. 
M^'"  Grouard  parcourt  maintenant  les  séminaires,  et  di- 
verses Semâmes  religieuses  nous  apportent  l'écho  de  ses 
conférences  si  pittoresques  et  si  captivantes  aux  élèves 
des  établissements  diocésains.  Il  reprendra  dans  quel- 
ques semaines  le  chemin  du  Canada  avec  le  R.  P.  Ducot, 
délégué  nommé  au  Chapitre,  qui  n'a  pu  arriver  en  France 
qu'à  la  mi-octobre. 

—  Après  avoir  fait  une  petite  ordination  au  scolasticat 
de  Liège,  le  1"  novembre,  M^""  Pascal,  accompagné  du 
R,  P.  Delouche,  a  fait  un  voyage  en  Autriche,  dans  le 
but  d'obtenir  des  prêtres  du  rite  ruthène  pour  desservir 
les  nombreuses  colonies  de  Galiciens  établies  dans  la 
Saskalchewan  et  nos  Missions  du  Nord-Ouest. 

—  Bechuanaland.  —  Le  R.  P.  Porte,  délégué  du  vi- 
cariat de  l'État  libre  d'Orange  au  Chapitre  général,  s'est 
embarqué  à  Southampton  le  24  septembre.  Il  emmenait 
avec  lui,  outre  le  R.  P.  Van  Hecke  et  le  F.  convers  Cy- 
Ris,  six  religieuses  de  la  Congrégation  des  Sœurs  de 
Saint-Jacut,  au  diocèse  de  Vannes,  destinées  à  sa  Mission 
de  Taungs.  Voici  la  lettre  écrite  par  le  R.  P.  Porte  au 
T.  n.  P.  Général  pour  lui  annoncer  l'heureux  terme  de 
ce  long  voyage. 

Sainl-P.iiilj  T.iungs  (Bochuanaland), 
23  octobre  1898. 

Mon  très  révérend  et  bien-aimé  père, 
Vous  serez  heureux  d'apprendre  que  la  caravane  nom- 

breusedevos  enfants,  se  dirigeant  versle  sud  de  l'Afrique, 

est  enfin  arrivée  à  bon  port. 

En  trois  semaines  et  deux  jours,  nous  avons  passé  par 

les  quatre  saisons  de  l'année  ;  car  l'automne,  que  nous 

vous  avons  laissé,  s'est  vite  changé  en  été  aux  approches 


—  458  — 

des  Canaries  et  de  l'équateur.  La  deuxième  semaine  du 
voyage  a  été  accablante  de  chaleur  et  de  fièvre.  Je  ne 
sais  pour  quelle  raison  presque  tout  l'équipage  a  subi  des 
attaques  de  fièvre,  de  coliques  et  de  dysenterie,  non 
seulement  les  passagers,  mais  les  hommes  de  mer  eux- 
mêmes.  A  l'été  a  succédé  un  vent  glacial  avec  pluie  et 
brouillard  pendant  le  reste  du  voyage.  La  mer  était  de- 
venue désagréable  et  la  caravane  faisait  mauvaise  mine. 
Enfin  le  Cap  s'est  dessiné  à  l'horizon,  la  vie  est  revenue, 
car,  au  Cap,  c'est  le  printemps  et  tout  est  gai  et  rianlle 
long  de  la  Table  mountain. 

En  passant  à  Kimberley,  nous  avons  salué  M^'  Gau- 
GHRAN  à  la  gare,  en  compagnie  desPP.LENomelTREscn. 
Les  Sœurs  de  la  Sainle-Famiile  avaient  prévu  qu'après 
trente-six  heures  de  chemin  de  fer  nous  aurions  faim, 
et  nous  avons  justifié  leurs  prévisions. 

En  Bechuanaland,la  situation  est  toujours  pénible,  car 
la  famine  va  de  l'avant,  et,  à  moins  de  pluies  abondantes, 
cette  année-ci  tout  est  perdu. 

Le  F.  Debs  a  travaillé  d'une  façon  extraordinaire  pen- 
dant mon  absence  ;  il  n'y  a  pas  une  chose,  tant  au  spiri- 
tuel qu'au  temporel,  qui  ait  échappé  à  sa  vigilance.  Le 
nouveau  F.  CiRisest  une  bonne  acquisition  pour  la  Mis- 
sion. Il  aura  amplement  l'occasion  de  montrer  son  ha- 
bileté à  manier  la  lime  et  le  marteau  et  nous  rendra  de 
précieux  services,  tant  dans  son  état  qu'en  maintes  cir- 
constances. Les  deux  Frères,  en  suivant  bien  leur  règle 
et  faisant  leurs  exercices,  sont  sûrs  d'être  heureux  et  de 
nous  rendre  heureux.  La  maison  des  Sœurs  a  été  res- 
taurée à  neuf  par  Monseigneur  et  le  F.  Kurten.  J'attends 
Sa  Grandeur  aujourd'hui. 

Merci,  mon  Très  Révérend  Père,  de  votre  bonté  à  notre 
égard,  merci  à  tous  vos  Assistants  et  au  P.  Procureur 
général. 


—  459  — 

—  Incendie  a  New-Westminster.  —  Dans  la  nuit  du 
10  au  II  septembre,  un  violent  incendie  a  réduit  en  cen- 
dres une  partie  considérable  de  la  ville  de  New-West- 
minster, en  Colombie  Britannique.  Le  quartier  com- 
mercial a  particulièrement  été  éprouvé,  c'est  à  peine  si 
deux  hôtels  ont  pu  être  préservés  des  flammes.  Aucun 
des  établissements  catholiques  n'a  souffert  du  fléau. 

—  Noces  d'or.  —  Le  R.  P.  Soulerin,  qui  déjà  l'an 
passé  célébrait  ses  noces  d'or  d'oblation,  vient  d'atteindre 
le  cinquantième  anniversaire  de  son  ordination  sacer- 
dotale. En  la  fête  de  la  Toussaint,  il  y  a  eu  également 
cinquante  ans  que  le  R.  P.  Baret  (Victor),  directeur  de 
la  résidence  de  Royaumont,  a  prononcé  ses  vœux  perpé- 
tuels. On  attend  le  retour  du  T.  R.  P.  Général  pour  fêter 
les  vénérables  jubilaires, 

—  Obédiences.  —  Les  jeunes  Pères,  dont  les  noms  sui- 
vent, ont  reçu,  à  destination  de  nos  diverses  provinces, 
leur  première  obédience  : 

1°  Pour  le  scolasticat  de  Liège  :  le  R.  P.  Muths,  Louis, 
du  diocèse  de  Strasbourg.  —  Pour  le  scolasticat  de 
Rome  :  les  RR.  PP.  Thiry,  Ferdinand,  du  diocèse  de 
Metz,  et  Blanc,  Euloge,  du  diocèse  de  Digne.  —  Pour  le 
scolasticat  d'Ottawa  :  le  R.  P.  Blanchin,  François,  du 
diocèse  de  Chambéry.  —  Pour  le  scolasticat  d'Hiinfeld  : 
lesRR.  PP.  Breitenstein,  Eugène,  du  diocèse  de  Pader- 
born,  et  Allmang,  Georges,  du  diocèse  de  Metz. 

2°  Pour  la  première  province  de  France  :  les  RR. 
PP.  loppoLO,  Joseph,  du  diocèse  de  Patti  (Sicile)  ;  Sau- 
nier, Marins,  du  diocèse  de  Grenoble;  Lingueglia,  Jean- 
Baptiste,  du  diocèse  de  Vintimille  (Italie)  ;  Alessiani, 
Etienne,  du  diocèse  de  Fermo  (Italie);  Coste,  Louis,  du 
diocèse  de  Mende;  Astier,  Calixto,  du  même  diocèse; 


;  —  460  — 

Durand,  Emile,  du  diocèse  de  Grenoble;  Soleri,  Jean- 
Baptiste,  du  diocèse  deVintimille. 

3°  Pour  la  deuxième  province  de  France  :  les  RR. 
PP.  Legrand,  Alexis,  du  diocèse  du  Mans  ;  Roche,  Al- 
phonse, du  diocèse  de  Glermont  ;  Le  Gohébel,  Jean- 
Louis,  du  diocèse  de  Vannes. 

A°  Pour  la  province  du  Canada  :  Pépin,  Eugène,  du 
diocèse  de  Nicolet  ;  Rouzeau,  Eugène,  du  diocèse  de 
Laval  ;  Duffy,  John,  du  diocèse  de  Boston. 

5°  Pour  la  province  Britannique  :  le  R.  P.  Foley, 
John,  du  diocèse  de  Clifton. 

6°  Pour  la  province  des  États-Unis  :  les  RR.  PP.  Sloan, 
Charles,  du  diocèse  de  Kingston;  Pletcher,  Bernard, 
du  diocèse  de  Pittsburg  ;  Sullivan,  Denis,  du  diocèse  de 
Boston. 

7"  Pour  la  province  d'Allemagne  :  les  RR.  PP.  Kel- 
ler,  Jean,  du  diocèse  de  Cologne  ;  Bonnicho,  Michel, 
du  diocèse  de  Metz  ;  Schulte,  Guillaume,  du  diocèse  de 
Paderborn  ;  Dirck,  Raymond,  du  même  diocèse  ;  Far- 
ber,  Michel,  du  diocèse  de  Cologne  ;  Bœitger,  Charles, 
du  diocèse  de  Paderborn. 

—  CoLO.MBO.  — Le  30  novembre,  fête  de  saint  André, 
apôtre,  est  la  date  choisie  par  M^""  Mélizan  pour  le  sacre 
de  M^''  CouDEiiT,  son  coadjuteur.  NN.  SS.  Joulain,  évêque 
de  Jaffna  ;  Pagnani,  évêque  de  Kandy,  et  Van  Reelh, 
évêque  de  Galle,  assisteront  à  cette  cérémonie,  qui  doit 
avoir  lieu  dans  la  cathédrale  de  Colombo. 

—  Départ  de  missionnaires.  —  Voici  la  liste  de  ceux 
de  nos  Pères  et  Frères  qui  sont  partis  dans  le  cours  de 
cette  année  pour  les  Missions  étrangères  : 

i°  Amérique.  —  A  destination  du  Texas  :  le  R.  P.  Pi- 
TOYE,  Louis,  du  diocèse  d'Autun. 


—  .461   — 

A  destination  de  Saint-Boniface  :  les  RR.  PP.  Geelen, 
Philippe,  du  diocèse  de  Paris  ;  Kulawy,  Guillaume,  du 
diocèse  de  Breslau,  et  Kruse,  Charles,  du  diocèse  de 
Paderborn. 

A  destination  de  Saint-Albert  :  les  RR.  PP.  Lépine, 
Maurice,  du  diocèse  du  Mans  ;  Gulérier,  Louis,  du 
même  diocèse;  Jan,  Alphonse,  du  diocèse  de  Vannes,  et 
PuiLiPPOT,  Yilal,  du  diocèse  de  Laval. 

A  destination  de  la  Colombie  Britannique:  les  RR. 
PP.  Le  Chesne,  Pierre-Marie,  du  diocèse  de  Vannes; 
RnoR,  Victor,  du  diocèse  de  Metz,  etMiiLEUx,  Hippolyte, 
du  diocèse  du  Mans. 

A  destination  d'Athabaska-Mackenzie  :  le  R.  P.  Hesse, 
Edouard,  du  diocèse  de  Metz. 

A  destination  de  la  Saskatchewan  :  les  RR.  PT.  Bruck, 
Guillaume,  du  diocèse  de  Cologne;  Boissin,  Henri,  du 
diocèse  de  Viviers,  et  trois  postulants  convers  de  ce 
même  diocèse. 

2°  Ile  de  Ceylan.  —  A  destination  de  Colombo  :  le 
R.  P.  AuBERT,  Félix,  du  diocèse  de  Nîmes. 

A  deslinalion  de  Jaffna  :  le  R.  P.  Ienin,  Ernest,  du  dio- 
cèse de  Strasbourg. 

3^  Afrique  du  Sud.  —  A  destination  de  l'Etat  libre 
d'Orange:  le  R.  P.  Séchet,  Pierre,  du  diocèse  de  Nantes, 
et  le  Frère  convers  Cyris,  Joseph,  du  diocèse  de  Bres- 
lau. 

A  destination  du  Basutoland:  le  R.  P.  Bernard,  Paul, 
du  diocèse  de  Saint-Dié. 

A  destination  du  Transvaal  :  le  R.  P.  Van  Hecke,  Al- 
phonse, du  diocèse  de  Gand. 

A  destination  de  la  Cimbébasie  :  les  RR.  PP.  Nacht- 
wey,  Augustin,  du  diocèse  d'Hildesheim  ;  Watterot, 
François,  du  diocèse  de  Paderborn  ;  les  FF.  convers  Kip- 
per,  Meyer  et  Bast. 


—  462  — 

—  Sept  religieuses  de  la  Sainte-Famille  de  Bordeaux 
sont  parties  d'Angleterre  le  24  septembre  pour  nos  di- 
verses Missions  d'Afrique.  Ce  sont  les  Sœurs  :  Nativité 
(Leduc),  du  diocèse  de  Laval  ;  Marie-Louise  (Bequet),  du 
diocèse  de  Malines  ;  Sainte-Adèle  (Montag),  du  diocèse 
de  Paderborn  ;  Marie -Alphonse  (Weis),  du  diocèse  de 
Metz;  Sainte-Paule  (Opper),  du  diocèse  de  Limbourg  ; 
Saint-Ambroise  (Farren),  du  diocèse  d'Armagh  ;  Saint- 
Adrien  (Hogan),  du  diocèse  d'Ossory  (Irlande). 

—  Trois  Sœurs  de  la  même  Association  se  sont  em- 
barquées à  Marseille  le  23  octobre,  à  destination  de 
Ceylan,  les  Sœurs  Saint-Augustin  (Ballet),  du  diocèse 
de  Belley;  Augustine  (Peyton),  du  diocèse  d'Achonry 
(Irlande)  ;  Adélaïde  (Alonso),  du  diocèse  de  Palencia 
(Espagne). 

—  Distribution  des  prix  a  l'Université  grégorienne.  — 
Voici  les  résultats  obtenus  par  nos  scolastiques  de 
Rome  aux  examens  et  aux  concours  de  l'année  sco- 
laire 1897-1898  : 

Grades  :  35.  —  6  docteurs,  10  licenciés,  4  baclieliers  en  théologie; 
1  docteur,  o  licenciés,  8  bacheliers  en  philosopliie  ;  1  bachelier  en 
droit  canon. 

Prix  :  24 .  —  3  seconds  prix  {ex  œquo)  d'Ecriture  sainte  ;  2  seconds 
prix  [ex  œqiio)  de  théologie  dogmatique,  cours  du  matin  ;  1  second  prix 
[ex  œquo)  de  théologie  dogmatique,  cours  du  soir;  1  premier  prix  (ea; 
œquo)  de  théologie  dogmatique,  cours  du  matin,  première  année  ; 
1  second  prix  {ex  œquo)  de  théologie  dogmatique,  cours  du  matin, 
l)remière  année  ;  l  premier  prix  [ex  œquo)  de  théologie  dogmatique, 
cours  du  soir,  pren:]ière  année  ;  1  second  prix  [ex  œquo)  de  théo- 
logie dogmatique,  cours  du  soir,  première  année;  1  prix  [ex  œquo) 
do  langue  iiébraïque;  1  prix  [ex  œquo)  de  langue  arabe  ;  2  seconds 
prix  d'histoire  ecclésiastique;  1  prix  d'archéologie  chrétienne;  1  se- 
cond prix  [ex  œquo)  de  métapliysique,  troisième  année;  1  second  prix 
[ex  œquu)  d'éthique  et  de  droit  naturel;  1  second  prix  de  physique- 
chimie;  1  premier  prix  de  physique-mathématiques;  1  premierprix  de 
logiqneet  métaphysique  générale  ;  1  second  prix  [ex  œquo)  de  logique 
et  (le  métaphysique  générale  ;  1  second  prix  [ex  œquo)  de  mathéma- 


—  463  — 

tiques  élémentaires  ;  1    troisième  prix  (ex  œquo)  de  l'Académie  do 
Saint-Ttiomas. 

A  ces  prix  s'ajoutent  33  accessits,  25  mentions  très  honorables  et 
i  i  mentions  honorables.  Total  :  96  nominations. 

—  Inauguration  de  la  cqapelle  funéraire  a  la  cathé- 
drale DE  Marseille.  —  On  lit  dans  l'Echo  de  ISotre-Dame 
de  la  Garde  : 

«  Le  2  novembre,  W''  Robert  a  inauguré,  à  la  cathé- 
drale, dans  la  crypte  épiscopale,  le  service  religieux,  en 
célébrant  la  messe  pour  les  Fidèles  trépassés  et  particu- 
lièrement pour  les  évêques  dont  les  corps  reposent  dans 
celte  crypte.  Il  était  assisté  de  M.  le  vicaire  général  Olli- 
vier,  archidiacre  de  Sainte-Marie-Majeure,  et  de  M.  le 
chanoine  Darbon,  maître  des  cérémonies.  Étaient  pré- 
sents :  M.  le  chanoine  Lagorio,  prévôt  du  vénérable 
Chapitre  et  curé  de  la  cathédrale;  M.  le  chanoine  Si- 
meone,  secrétaire  général;  M.  l'abbé  Diisserre,  pro- 
secrétaire, et  une  députation  des  Pères  Oblats.  Un  très 
grand  nombre  de  fidèles  sont  venus  s'unir  aux  intentions 
de  leur  pasteur  en  assistant  à  la  messe  et  en  particulier 
en  se  présentant  à  la  table  sainte. 

«  Nous  croyons  devoir,  ici,  donner  l'indication  de  la 
sépulture  de  ces  anciens  évêques, 

((  La  crypte  funéraire,  située  sous  la  chapelle  absi- 
dale  de  la  Très  Sainte  Vierge,  a  19  mètres  de  long  et 
25  mètres  si  l'on  y  ajoute  l'espace  compris  dans  l'es- 
calier. 

«  L'autel,  en  granit,  se  distingue  des  autelsde  l'église 
supérieure  par  une  urne  magnifique  en  marbre  de  Nu- 
midie  et  portant  cette  inscription  :  Sanguis  martyrum. 

«  Devant  l'autel  et  détaché,  seul  sur  cette  ligne,  est 
un  grand  tombeau  ;  c'est  là  que,  suivant  sa  volonté, 
M8""  Gharles-Joseph-Eugène  de  Mazenod,  Fondateur  et 
premier  Supérieur  général  de  la  Congrégation  des  Mis^ 


sionnaires  Oblats  de  Marie  Immaculée,  a  été  placé,  et 
dans  ce  même  sarcophage,  mais  à  une  place  tout  à  fait 
distincte,  se  trouve M^'  Charles-Fortuné  de  Mazenod,  son 
oncle.  On  peut  leur  appliquer  cette  parole  de  la  sainte 
liturgie  :  Quomodo  in  vita  sua  dilexerunt  se,  ita  et  in 
morte  non  siint  separati  ;  de  même  qu'ils  se  sont  aimés 
pendant  leur  vie,  ainsi  ils  n'ont  pas  été  séparés  dans  la 
mort. 

«  Sur  la  ligne,  du  côté  de  l'évangile,  en  partant  de 
l'autel,  le  premier  tombeau  est  celui  de  Ms' de  Belzunce. 
Dans  le  tombeau  suivant  est  le  cercueil  qui  contient  les 
restes  des  évêques  de  Marseille,  antérieurs  à  M?""  de  Bel- 
zunce.  En  suivant  toujours  cette  même  ligne,  le  sarco- 
phage qui  se  trouve  à  l'entrée  de  la  chapelle  funéraire  a 
reçu  le  cercueil  de  M^""  O'Cruice,  mort  ancien  évêquede 
Marseille,  chanoine  de  Saint-Denis. 

«  Une  inscription  indiquant  la  destination  de  cette 
chapelle  a  été  placée  sur  le  pilastre  de  l'abside,  au  côté 
de  l'évangile.  Nous  donnons  ici  le  texte  et  la  traduction 
de  cette  inscription  : 

NON  •  MAIIS  .  AN  •  M  •  DCCC  •  XCVII 

IN  •  HOC  •  HYPOGAEVil 

GORPORA  •  EPISCOPORVM  •  MASSILIENSIVM 

INSTAVRATO  •  SOLEMM  •  FVNERE 

CORAM  •  F  •  X  •  GOVTHESOVLaRD  •  METR  •  PRAESIDE 

PLVRIRVS  •  AT.IIS  •  ARCHIEP  •  ET  •  EPISCOPIS 

MAXIMA  •  VTRIVSQOE  •  CLERI  •  POPVLIQ  •  FREQVENTIA 

LVD  •  ROBERT  •  EPI  •  MASSILIEN  •  TRANSTVLIT 

E  •  SEPULCRO  •  VET  •  AEDIS  •  S  •  MARIAE  •  SIAIORIS 

VBI  •  PRIJUTVS  •  CONDITA  •  REQVIEVERANT 

VALETE  •  AVCTORES  •  ET  •  PARENTES  •  NOSTRI 

GRATI3SIMA  •  PROGENIES  •  VESTHA 

AETERNAM  •  IN  •  jH  • PACEM  • ADPRKCAMUR 

Le  jour  des  Nones  du  mois  de  mai  (7  mai)  de  l'an  1897, 
dans  cette  cnjpte,    Louis  Robert,  évéque  de  Marseille,  a 


—  465  — 

transféré  du  tombeau  de  Vancienne  église  de  Sainte-Marie- 
Majeure,  oit  d'abord  ils  étaient  ensevelis,  les  corps  des  an- 
ciens évêgues  de  Marseille,  de  nouvelles  obsèques  solennelles 
ayant  été  célébrées  sous  la  présidence  du  métropolitain 
F.-X.  Gouthesoulard,  en  présence  de  plusieurs  autres  arche- 
vêques et  évêques  (I),  devant  une  foule  immense  de  mon- 
bres  de  l'un  et  de  Vautre  clergé  et  de  fidèles. 

Salut  à  vous,  auteurs  et  pères  de  notre  foi;  nous,  votive 
famille  pleine  de  reconnaissance,  nous  sollicitons  pour  vous 
la  paix  éternelle  dans  le  Christ. 

(1)  Les  évêques,  outre  le  métropolitain  et  l'évêque  de  Marseille, 
étaient  NN.  SS.  Mélizan,  archevêque  de  Colombo,  Balaïn,  arche- 
vêque d'Auch,  l'un  et  l'autre  Oblals  de  Marie-Immaculée;  NN.  SS.  de 
Cabrières,  évêque  de  Montpellier,  Jauffret,  évêque  de  Bayonne. 


BIBLIOGRAPHIE 


Un  apôtre^  le  R.  P.  de  l'Hermite,  des  Missionnaires 
Oblats  de  Marie  Immaculée,  par  le  R.  P.  Devès,  de  la 
même  Congrégation,  à  la  librairie  Delhorame  et  Briguot, 
83,  rue  de  Rennes,  à  Paris.  —  Un  beau  vol.  in-S"  de  plus 
de  500  pages  avec  un  beau  portrait.  Prix  :  o  francs. 

Ce  bel  ouvrage  n'est  pas  seulement  la  très  intéres- 
sante biographie  d'un  religieux  qui  fut  un  des  dignitaires 
de  la  Congrégation  des  Oblats,  il  est  aussi  et  surtout  une 
étude  bien  fouillée  de  la  «  vie  du  missionnaire  »  telle 
que  l'a  ordonnée  et  réglée  le  Fondateur  de  cette  Congré- 
gation, M5''  DE  Mazenod,  de  noble  et  sainte  mémoire. 

Le  P.  de  l'Hermite  fut  le  modèle  parfait  du  bon  prêtre, 
de  ce  prêtre  dont  il  est  dit  quelque  part  que  les  âmes  sau- 
vées par  lui  lui  feront  cortège  dans  les  cieux  ;  le  modèle 
des  religieux,  absolument  religieux  par  toutes  les  fibres 
du  cœur  et  de  la  volonté  j  le  modèle  aussi  du  mission- 
naire que  rien  ne  décourage  et  qui  va  partout  semant  la 
bonne  semence,  qui  est  le  Verbe  de  Dieu,  et  jetant  le 
filet  mystérieux  où  s'accomplit  dans  l'ombre  la  pêche 
miraculeuse  des  âmes. 

L'historien  du  P.  de  l'Hermite  n'a  rien  exagéré  en  fai- 
sant précéder  ce  noble  nom  du  titre  plus  noble  encore 
d'apôtre  ;  car,  en  vérité,  toute  la  vie  de  ce  religieux, 
de  ce  missionnaire,  n'a  été  qu'un  long  apostolat.  Par 
sa  naissance,  par  son  éducation,  par  le  milieu  social  qui 
était  le  sien,  le  jeune  Marc  de  l'Hermite  pouvait  avoir 
dans  le  monde  un  rang  élevé  et  brillant.  U  se  donna 
tout  à  Dieu. 


—  467  — 

]|  restera  l'honneur  le  plus  pur  de  sa  famille  dont  il 
nous  souvient  d'avoir  lu  la  devise  sur  quelque  antique 
verrière:  Prier  vault  à  l'Hermite!  Nous  la  citons  de 
mémoire  et  peut-être  n'est-elle  pas  exactement  orthogra- 
phiée ;  mais  on  nous  pardonnera,  car  il  ne  s'agit  pas  ici 
d'archéologie,  mais  du  sens  élevé  de  cette  devise  qui 
rappelle  toute  une  longue  lignée  de  fidèles  serviteurs  de 
Dieu  et  de  la  patrie. 

Pendant  plus  de  trente  ans,  le  P.  de  l'Hermite  a  semé 
de  toutes  parts  au  gré  des  supérieurs  qui  l'envoyaient, 
la  sainte  et  féconde  parole  de  Dieu  ;  il  a  édifié  les  grands 
et  consolé  les  petits,  les  humbles,  les  meurtris;  il  a 
«  évangélisé  les  pauvres  »  suivant  le  précepte  qui  sert 
de  devise  à  la  Congrégation  dont  il  fut  membre  d'élite. 

Né  ou  élevé  sur  la  terre  généreuse  et  le  sol  robuste 
du  Limousin  ou  de  l'Auvergne,  transplanté  à  une  époque 
de  formation  profonde  dans  l'un  des  plus  gracieux 
paysages  du  Dauphiné  montagneux,  porté  ensuite  sous 
le  ciel  de  la  Provence  et  aux  bords  de  la  Méditerranée, 
jeté  après  sur  les  côtes  de  l'Océan  et  dans  l'enthousiasme 
ensoleillé  du  Bordelais,  ramené  et  retenu  en  Auvergne 
par  la  maladie,  conduit  dans  l'Orléanais  à  l'ombre  d'un 
sanctuaire  historique  et  national,  ramené  sous  le  clair 
et  gai  soleil  de  la  Provence,  pris  alors  comme  le  Pro- 
phète et  transporté  à  l'autre  bout  de  la  France  sur  le 
granit  breton,  poussé  vers  la  riche  et  féconde  Touraine 
auprès  de  Saint-Martin,  installé  enfin  à  Paris  ou  la 
flamme  de  sa  dévotion  jeta  ses  derniers  reflets  sur  la  ba- 
silique du  Sacré-Cœur...  voilà  la  laborieuse  carrière  de 
ce  pionnier  de  l'Evangile...  Voilà  toute  la  vie  du  P.  de 
l'Hermite.  Est-elle  assez  pleine  ?  Et  il  n'avait  que  60  ans, 
quand  il  retourna  à  Dieu,  dans  l'octave  de  Noël  1889. 

Le  livre  qui  raconte  cette  belle  existence  tout  entière 
consumée  au   service  du  Seigneur  et  au  service  des 


—  468  — 

pauvres  sera  pour  tous  ceux  qui  le  liront  un  constant 
sujet  d'édification.  Au  tableau  de  ce  zèle,  les  prêtres 
sentiront  leur  zèle  devenir  plus  ardent,  les  religieux 
s'appliqueront  à  faire  leur  vie  sainte  comme  celle  de  ce 
Frère  qui  les  a  précédés  dans  l'éternité  des  cieux,  les 
pauvres  âmes  comme  la  nôtre  béniront  le  Seigneur  qui 
leur  envoie  de  tels  «  apôtres  »  pour  les  consoler,  les 
relever,  les  soulager,  les  guérir  et  il  arrivera  ainsi  que  le 
pieux  missionnaire,  qui  a  usé  sa  vie  à  prêcher  le  Christ 
le  prêchera  encore  : 

Ita  narratus  et  traditus,  defunclus  adhuc  loquetur. 

{La  Croix.) 

Le  R.  P.  Ortolan  .professeur  au  grand  séminaire  d'Ajac- 
cio,  vient  de  publier  trois  nouveaux  opuscules  pleins  de 
science  et  d'actualité  :  I.  Matérialistes  et  Musiciens.  — 
II.  Vie  et  Matière  ou  Matérialisme  et  Spiritualisme  en  pré- 
sence de  la  cristallogénie.  —  III.  La  Fausse  Science  con- 
tempoi'aine  et  les  Mystères  d'outre-tombe.  Prix  de  chaque 
opuscule,  franco,  60  centimes.  Librairie  Bloud  et  Barrai, 
4,  rue  Madame,  Paris. 

I.  Le  premier  opuscule  est  une  réfutation  humoris- 
tique du  matérialisme.  Comme  le  dit  l'auteur  dans  sa 
préface,  la  preuve  par  l'absurde,  quoique  indirecte, 
n'est  pas  la  moins  concluante,  et  les  arguments  les  plus 
simples  causent  parfois  le  plus  d'impression. 

Si  quelques  partisans  de  la  fausse  science  sont  sin- 
cères et  ont  droit  à  la  pitié,  à  titre  de  malheureux  éga- 
rés, un  grand  nombre  cependant  ne  méritent  pas  d'être 
pris  au  sérieux.  Ils  ont  une  prédilection  :pour  les  chi- 
mères et  les  présentent  sous  une  apparence  scientifique 
afin  de  mieux  séduire  leurs  lecteurs. 

On  est  souvent  trop  peu  défiant  à  l'égard  des  malfai- 
teurs  littéraires.  Peu     scrupuleux  sur    le    choix  des 


—  469  — 
moyens,  ils  font  flèche  de  tout   bois  dans   leur  lutte 
contre  la  vérité.  Il  n'est  donc  pas  défendu  de  s'amuser 
un  peu  en  leur  répondant  sur  ;le  même  ton,  et  en  les 
payant  de  leur  propre  monnaie. 

L'opuscule  Matérialistes  et  Musiciens  tend  à  instruire 
en  plaisant  ;  on  y  trouvera,  avec  la  clarté  de  l'expo- 
sition et  les  charmes  du  style,  la  précision  scientifique 
et  la  rigueur  absolue  du  raisonnement. 

II.  Dans  Vie  et  Matière,  le  P.  Ortolan  réfute  avec  une 
logique  inflexible  les  objections  nouvelles  de  l'incrédu- 
lité. Vaincue  en  physiologie,  la  fausse  science  s'est  ra- 
battue sur  la  chimie  et  la  minéralogie  ;  elle  a  prétendu 
surprendre  dans  les  cristaux  des  manifestations  incon- 
testables d'une  vie  rudimentaire,  mais  certaine  ;  elle  les 
a  présentés  comme  les  traits  d'union  naturels  entre  la 
matière  brute  et  les  êtres  vivants.  Il  faut  voir  comment 
le  savant  auteur  pulvérise  ces  objections. 

III.  La  Fausse  Science  contemporaine  et  les  Mystères 
(ï outre-tombe.  On  devine  que  l'éminent  auteur  passe  en 
revue  et  réfute  tous  les  systèmes  inventés  par  de  pré- 
tendus savants  pour  s'emparer  de  la  curiosité  moderne 
et  fausser  les  vraies  idées  de  l'au-delà. 

Le  style  du  R.  P.  Ortolan  est  clair,  vif,  entraînant, 
plein  d'humour. 

Tous  nos  vœux  fraternels  pour  la  diffusion  de  ces 
petits  traités  qui  contiennent  tant  de  vraie  science. 


T.   XXS.VI.  31 


OBLATIONS 

PENDANT  LES  ANNÉES  1896,  1S97  ET  1S98 
DK  DÉCEMBRE  A  DÉCEMBRE  (1). 

(En  cas  tle  variante,  la  présente  liste  annule  les  prûcédentes.) 

4900.  Hays,  Mathurin-Jean -Marie  (F.  G.),  8  décembre 
1896,  Saint-Albert. 

1901 .  Mathis,  Pierre-Jean  (F.  C),  8  décembre  1896,  Mac- 

kenzie. 

1902.  Valette,  Casimir-Paul,  8  décembre  1896,  Liège. 

1903.  Bellot,  Claude-Eugène,  8  décembre  1896,  Liège. 

1904.  MuiR,  Benjamin  (F.  C),  17  iévrier  1896,  Maniwaki. 

1905.  SciiLOSSER,  Valentin  (F.  C),  17  février  1896,  Liège. 

1906.  Cadieux,  Alexandre-Thomas,  17  février  1896,  Ot- 

tawa. 

1907.  Zerwes,    Mathias-Marie-Joseph    (F.   C),    Saint- 

Charles  (Fauquemont). 

1908.  Andrzejewski,  Joseph  (F.  C.)>  17  février  1896, 

Saint-Charles  (Fauquemont). 

1909.  Falkenuahn,  Médard  (F.  C),  17  février  1896,  Liège. 

1910.  AsTiER,  Calixte-Louis,  17  février  1897,  Liège. 

1911.  Allard,  Odilon-Joseph-Hercule,  17  février  1897, 

Ottawa. 

1912.  Louis,  Edmond-Dominique,  17  février  1897, Notre- 

Dame  de  Sion. 

1913.  Saintonge,  François-Xavier-Félix  (F.  C),  19  mars 

1897,  Notre-Dame  des  Anges. 

1914.  Balmès,  Joseph-Jean-Marie,  19  mars  1897,  Fréjus. 

(1)  Le  numéro  1960  bis  est  attribué  au  P.  Vacher,  Pierre-Marie, 
qui  a  fait  son  oblation  à  la  Providence  (Mackenzie)  le  25  ou  26  juil- 
let 1896. 


_.    471  — 

1915.  Favier,  Jean-Baptiste,  i9  mars  1897,  Fréjus. 

1916.  Jan,  Alphonse-Marie,  19  mars  1897,  Fréjus. 

1917.  Durand,  Daniel-Olivier,  19  mars  1897,  Liège. 
19t8.  GuixET,  Antonin,  i^'  mai  1897,  Rome. 

1919.  Deville,  Albert-Louis,  1"  mai  1897,  Rome. 

1920.  Cormier,  Joseph-Alphonse  (P.  G.),  27  mai  1897, 

Ottawa. 

1921.  Barette,  Antoine-Jean-Baptiste,  27  mai  1897,  Ot- 

tawa. 

1922.  BoYER,  Jean-Baptiste-Oscar,  27  mai  1897,  Ottawa. 

1923.  Vasseur,  Louis-François,  6  juin  1897,  Angers. 

1924.  JoLY,  Prosper-Georges  (F.  C),  21  juin  1897,  Li- 

moges. 

1925.  Whartom,  Charles- Joseph  (F.  G.),  15  août  1897, 

Tewksbury. 

1926.  Fasshauer,  Gharles-Philippe  (F.  G.),  15  août  1897, 

Rome. 

1927.  SoLERi,  Jean-Baptiste-Marie,  15  août  1897,  Rome. 

1928.  Albaret,  Augustin- Félix -Marie,   15  août  1897, 

Rome. 

1929.  Schneider,  Jacques,  15  août  1897,  Saint-Boniface 

(Hiinfeld). 

1930.  Weiler,  Gérard-Christophe,  15  août  1897,  Saint- 

Boniface  (Hiinfeld). 

1931.  Streit,  Robert-Paul,  15  août  1897,  Saint-Boniface 

(Hunfeld). 

1932.  Schulte,  Jean,  15  août  1897,  Saint-Boniface  (Hiin- 

feld). 

1933.  Krist,  François-ïhéodose,  15  août  1897,  Saint- 

Boniface  (Hiinfeld). 

1934.  Kempf,  Constantin,  15  août  1897,  Saint-Boniface 

(Hunfeld). 

1935.  Sch^fer,  Hermann-Joseph,  15  août  1897,  Saint- 

Boniface  (Hunfeld). 


—  472  — 

4936.  Rose,  Joseph,  15  août  1897,  Saint-Boniface  (Hiin- 
feld). 

1937.  KiERDORF,  Auguste-Christian,  15  août  4897,  Saint- 

Boniface  (Hunfeld). 

1938.  Hermès,  Joseph-Guillaume,  15  août  1897,  Rome. 

1939.  Stehle,   Nicolas,  4  5    août    4897,   Saint-Boniface 

(Hunfeld). 

1940.  ScHWANE,  Guillaume,  15  août  1897,  Rome. 

1944 .  Roche,  Jean-Marie-Alphonse,  15  août  4897,  Noire- 
Dame  de  Bon-Secours. 
1942.  GoNAN,  Pierre-Marie,  45  août  1897,  Angers. 

4943.  Frapsauce,  Joseph-Marie,  25  août  4897,  Liège. 

4944.  ScHMiTZ,  Pierre-Marie-Joseph, 25  août  1897, Liège. 

4945.  Miller,  William-Georges,  25  août  1897,  Liège. 

1946.  M'^Gallion,  William-John,  25  août  4897,  Liège. 

1947.  Sherry,  John-Henri,  25  août  1897,  Liège. 

1948.  Hamm,  François-Xavier,  25  août  4  897,  Liège. 

1949.  Gutfreund,  François-Xavier,  25  août  1897,  Liège. 

1950.  ScHMiTT,  Aloys,  25  août  1897,  Liège. 

1951.  UnLRicn,  Florent,  25  août  1897,  Liège. 
4952.  Sheurer,  Charles-Louis,  25  août  4897,  Liège. 

1953.  Perrussel,    Henri-Joseph-Marie,  25    août    4897, 

Liège. 

1954.  Coupé,  Pierre-Félix,  29  août  1897,  Liège. 

1955.  Paquet,  François-Marie  (F.  C),  8  septembre  1897, 

Notre-Dame  des  Anges. 
4956.  Kirwin,  William-Joseph,  8  septembre  4897,  Ot- 
tawa. 

1957.  Beaudry,  Patrick,  8  septembre  1897,  Ottawa. 

1958.  Tessier,  Edouard-Joseph,  8  septembre  1897,  Ot- 

tawa. 

1959.  Madden,   Ambroise-Thomas,  8  septembre    1897, 

Ottawa. 

1960.  Lacombe,  Ernest,  8  septembre  1897,  Ottawa. 


—  473  — 

1961.  Lejard,  Louis-Charles,  8  septembre  1897,  Rome. 

1962.  Masson,  Jean-Marie,  8  septembre  1897,  Rome. 

1963.  Legault,  Raoul,  8  septembre  1897,  Ottawa. 

1964.  Kalmes,  Mathias,  25  septembre  1897.  Liège. 

1965.  Deman,  Camille-Gustave,  25  septembre  1897,  Liège. 

1966.  Pescheur,  René-Hubert,  25  septembre  1897,  Liège, 

1967.  Boissm,  Henri-Odilon,  17    octobre   1897,  Notre- 

Dame  de  l'Osier. 

1968.  Combaluzier,  Firmin  (F.  C),  1"  novembre  4897, 

Notre-Dame  de  l'Osier. 

1969.  Sexton,  James  (F.  G.),  1"  novembre  1897,  Tewks- 

bury. 

1970.  Duval,  Théodore-Henri,  1"  novembre  1897,  An- 

gers. 

Pour  les  noms  qui  suivent,  les  numéros  d'Oblation  ne  seront 
donnés  qu'à  la  fin  de  l'année  1899. 

Debray,  Elisée  (F.  C),  17  février  1898,  Notre-Dame  de 
Sion. 

Le  Gohébel,  Jean-Louis,  17  février  1898,  Angers. 

Lhor,  André-Joseph  (F.  C),  19  mars  1898,  Saint- 
Charles  (Fauquemont). 

JossE,  Alexandre,  19  mars  1898,  Rome. 

Forner,  Augustin-Adolphe,  10  avril  1898,  Saint-Boni- 
face  (Hiinfeld). 

Schumacher,  Jean  (F.  C),  14  mai  1898,  Rome. 

Zerwes,  Pierre  (F.  C),  19  mai  1898,  Saint-Boniface 
(Hiinfeld). 

Adam,  Marie-Nicolas  (F.  C),  29  mai  1898,  le  Bestin. 

Hanon,  Albert-Anatole,  29  juin  1898,  Ottawa. 

Blanchin,  Etienne-Jean-Marie,  29  juin  1898,  Ottawa. 

PouLiouEN,  Jean-Marie  (F.  C),  19  juillet  1898,  lle-à-la- 
Crosse. 


—  474  — 

Debs,  Xavier  (F.  C),  26  juillet  1898,  Kimberley. 

Bremen,  Joseph  (F.  C),  15  août  1898,  Liège. 

Ferri,  Aristide,  lo  août  1898,  Rome  (juniorat). 

Habay,  Joseph-Marie,  15  août  1898,  Liège. 

Delagnes,  Lucien-Benjamin,  15  août  1898,  Liège. 

Bruno,  Elie-Raphaël,  15  août  1898,  Notre-Dame  de 
rOsier. 

Laffoxt,  Adolphe-Régis,  15  août  189S,  Rome. 

Planet,  Edouard-Henri,  13  août  1898,  Rome. 

Deslandes,  Victor,  15  août  1898,  Liège. 

Lauffs,  Henri-Hubert,  15  août  1898,  Saint-Boniface 
(Hunfeld). 

BoYON,  Joseph-Marie,  15  août  1898,  Liège. 

HiLLAND,  Paul,  15  août  1898,   Saint-Boniface  (Hiinfeld). 

CoN.NOLLY,  Ernest-William,  15  août  1898,  Liège. 

Weisgerber,  Jean-Gustave,  15  août  1898,  Saint-Boniface 
(Hiinfeld). 

MûLHAUs,  Aloys-Ignace,  15  août  1898,  Saint-Boniface 
(Hunfeld). 

Egenolf,  Joseph,  15  août  1898,  Saint-Boniface  (Hiin- 
feld). 

Tosquinet,  Joseph,  15  août  1898,  Saint-Boniface  (Hiin- 
feld). 

Strîjber,  Bernard-Philippe,  15  août  1898,  Saint-Boni- 
face (Hunfeld). 

Lauer,  François-Aloys-Nicolas,  15  août  1898,  Saint-Bo- 
niface (Hunfeld). 

KuLAWY,  Pierre-Paul,  15  août  1898,  Saint-Boniface  (Hiin- 
feld). 

Krein,  Joseph,  15  août  1898,  Saint-Boniface  (Hunfeld). 

Muller,  Nicolas,  15  août  1898,  Saint-Boniface  (Hunfeld). 

Herbach,  Gérard-Joseph,  15  août  1898,  Saint-Boniface 
(Hunfeld). 

Nandzik,  Théophile,  15  août  1898,  Rome. 


—  475  — 

SoRMANY,  Léon-Joseph,  15  août  1898,  Rome. 

Hermès,  Hubert,  15  août  1898,  Rome. 

Dauber,  Joseph,   15  août  1898,  Saint-Boniface  (Hiin- 
feld). 

CoRDEL,  Nicolas  (F.  G.),  8  septembre  1898,  Ottawa. 

Mac  GuRTHY,  Charles,  8  septembre  1898,  Ottawa. 

Paillé,  Joseph-Eugène,  8  septembre  1898,  Ottawa. 

RoBiLLARD,  Omer,  8  septembre  1898,  Ottawa. 

Portier,  Adolphe-Gervais,  8  septembre  1898,  Ottawa. 

Priour,  Julien-Louis-Marie,  8  septembre  1898,  Ottawa. 

Heimbîjcher,  Antoine,  8  septembre  1898,  Saint-Boniface 
(Hunfeld). 

Fallon,  James-Patrick,  8  septembre  1898,  Ottawa. 

Graton,  Joseph-Augustin,  8  septembre  1898,  Ottawa. 

Lambot,  Ernest-Edmond,  8  septembre  1898,  Rome. 

Laurent,  Pierre-Joseph,  2  octobre  1898,  Liège. 

Garrigou,  Justin -Pierre,  2  octobre  1898,  Liège. 

Deheere,  André-Charles,  2  octobre  1898,  Liège. 

Ryan,  Nicolas-Joseph,  2  octobre  1898,  Liège. 

O'Brien,  John-Francis,  2  octobre  1898,  Liège. 

MoLLOY,  John-Joseph,  2  octobre  1898,  Liège. 

Gubbins,  William-Peters,  2  octobre  1898,  Liège. 

Phelan,  Stewart-Joseph-Marie,  2  octobre  1898,  Liège. 

Séchet,  Pierre- Joseph,  2  octobre  1898,  Liège. 

Guenneuguès,    Jean-François-Marie,    2   octobre    1898, 
Liège. 

Gourbis,  Edouard-Marie  (F.  C),  9  octobre  1898,  Prince- 
Albert. 

Guillaume,  Alexandre,  24  octobre  1898,  Colombo. 

Soubry,  Charles-Joseph-Marie,   1"  novembre  1898,  Ot- 
tawa. 


NÉCROLOGE  DE  L'ANNÉE  1898. 


466.  Le  P.  GouRDON,  Boniface,  décédé  à  JafFna,  le 
28  décembre  1897.  Il  était  né  à  Fayence  (Fréjus)  le 
25  mars  1833  ;  il  avait  fait  son  oblation  le  4  août  1857. 

467.  Le  P.  Mac-Grath,  James,  décédé  à  Buffalo  le 
13  janvier  1898.  Il  était  né  à   Holy-Cross  (Cashel)  le 

juin  1835  ;  il  avait  fait  son  oblation  le  22  août  1855. 

468.  Le  P.  Kéryvel,  Louis-Ambroise,  décédé  à  Nice 
le  31  janvier  1898.  Il  était  né  à  Landévennec  (Quimper) 
le  22  décembre  1867  ;  il  avait  fait  son  oblation  le  8  dé- 
cembre 1888. 

469.  Le  F.  convers  Coleman,  Patrick,  décédé  à  Glen- 
cree  le  3  février  1898.  Il  était  né  à  Dundalk  (Armagh)  en 
janvier  1832  ;  il  avait  fait  son  oblation  le  8  mai  1870. 

470.  Le  F.  convers  Scheuer.n,  Jacques,  décédé  à  Saint- 
Charles  (Fauquemont)  le  3  mars  1898.  Il  était  né  en  Alle- 
magne en  1871  ;  il  avait  fait  des  vœux  de  cinq  ans. 

471.  Le  F.  scolastique  Valayer,  Auguste,  décédé  à 
Notre-Dame  des  Lumières  le  28  mars  1898.  11  était  né 
à  Rieupeyroux  (Rodez)  le  30  août  1877  ;  il  avait  fait  son 
oblation  le  17  février  1896. 

472.  Le  F.  convers  Nigros,  Henri,  décédé  à  Aix  le 
2  avril  1898.  Il  était  né  à  Aubenas  (Viviers)  le  18  mars 
1834  ;  il  avait  fait  son  oblation  le  17  février  1860. 

473.  Le  P.  ScHOCH,  Aloysius,  décédé  sur  mer  en  ve- 
nant au  Chapitre  général  le  12  avril  1898.  Il  était  né  à 
Kircheim  (Strasbourg)  le  4  juin  1853:  il  avait  fait  son 
oblation  le  i"  novembre  1875. 


—  477  — 

474.  Le  P.  Petit,  Louis-Victor,  décédé  h  Plattsburg 
(États-Unis)  le  23  avril  1898.  II  était  né  à  Sainte-Anne- 
de-Varennes  (Montréal)  le  17  novembre  1853;  il  avait 
fait  son  oblation  le  8  septembre  1878. 

475.  Le  P.  VoiRiN,  Alfred-François,  décédé  à  Paris  le 
7  mai  1898.  Il  étaitné  à  Namur(Namur)  le  1"août  1836; 
il  avait  fait  son  oblation  le  27  mai  186f). 

476.  Le  P.  Allaert,  Charles,  décédé  à  Estcourt  (Na- 
ral)  le  8  juin  1898.  Il  était  né  à  Elveringham  (Bruges)  le 
1  \  octobre  1 867  ;  il  avait  fait  son  oblation  le  25  mai  1890. 

477.  Le  F.  convers  Hourdier,  Victor,  décédé  à  Paris 
le  23  juillet  1898.  il  était  né  à  Ranée  (Rennes)  le 
13  décembre  1846;  il  avait  fait  son  oblation  le  1°''  no- 
vembre 1872, 

478.  Le  P.  Sardou,  Marc-Antoine,  décédé  à  Paris  le 
29  juillet  1898.  Il  était  né  à  Marseille  le  12  août  1828;  il 
avait  fait  son  oblation  le  8  décembre  1850. 

479.  Le  P.  Chatel,  Antoine,  décédé  à  Notre-Dame  de 
l'Osier  le  19  août  1898.  Il  était  né  à  Chartres  (Rennes) 
le  n  octobre  1839;  il  avait  fait  son  oblation  le  17  fé- 
vrier 1862. 

480.  Le  F.  scolastique  Le  Gac,  Gabriel,  décédé  à 
Liège  le  23  août  1898.  Il  était  né  à  Plouzané  (Quimper) 
le  18  avril  1872;  il  avait  fait  son  oblation  le  17  fé- 
vrier 1898. 

48 L  Le  P.  Thévenon,  Joseph-Marie,  décédé  à  Saint- 
Andelain  le  25  août  1898.  Il  était  né  à  Brest  (Quimper) 
le  19  avril  1831  ;  il  avait  fait  son  oblation  le  19  jan- 
vier 1859. 

482.  Le  F.  convers  Ravier,  François,  décédé  à  Notre- 
Dame  de  l'Osier  le  13  septembre  1898.  Il  était  né  à  Saint- 
Michel  (Grenoble)  le  3  avril  1812;  il  avait  fait  son  obla- 
tion le  1"  novembre  1872. 

483.  Le  P.  Beuf,  Marcellin,  décédé  à  Notre-Dame-de 


—  478  — 

rOsior  le  1"  octobre  1898.  Il  était  né  à  Barjols  (Fréjus) 
le  6  avril  1820;  il  avait  fait  son  oblation  le  4*'  novem- 
bre 1848. 

484.  Le  P.  Leroy,  Jean-Charles,  décédé  à  Notre-Dame 
de  Talence  le  4  octobre  1898,  11  était  né  à  Saint-Laurent 
(Saint-Dié)  le  28  juin  1813;  il  avait  fait  son  oblation  le 
19  juillet  1863. 

485.  Le  P.  Loos,  Victor,  décédé  à  Saint-Ulrich,  le 
9  octobre  1898.  11  était  né  à  Hiittenheim  (Strasbourg)  le 
23  septembre  18(39  ;  il  avait  fait  son  oblation  le  29  sep- 
tembre 1894. 

486.  Le  P.  Henry,  Alphonse-Charles,  décédé  à  Co- 
lombo le  20  octobre  1898.  Il  était  né  à  Dijon  (Dijon)  le 
13  juin  1853  ;  il  avait  fait  son  oblation  le  15  août  1875. 

487.  Le  F.  convers  Scumitz,  Guillaume,  décédé  à  Liège 
le  26  octobre  1898.  Il  était  né  en  Allemagne  en  ;  il 
avait  fait  des  vœux  de  cinq  ans. 

488.  Le  F.  convers  Deschênes,  Louis,  décédé  à  Hull, 
le  8  novembre  1898.  Il  était  né  à  Escoumains  (Chi- 
coutimi)  le  24  avril  1868  ;  il  avait  fait  son  oblation  le 
15  août  1894. 


TABLE  DES  MATIÈRES 


MARS  1898. 

Pages. 
Missions  étrangères.   —  Vicariat  de  la    Saskatchewan.   — 

Lettre  du  R.  P.  Bonnald  au  directeur  des  annales 5 

Maisons  de  France.  —  Maison  de  Saint-Andelain.  Lettre  du 

R.    P.   lUNGBLUTH 27 

Province  d'Allemagne.  —  Maison  du  scolasticat  de  Saint- 
Boniface,  Hûnfeld.  —  Lettre  du  R.  P.  Scharsgh,  provin- 
cial, au  R.  P.  Tatin ,       l'ô 

Variétés.  —  La  réunion  des  jeunes  Pères  de  la  province  du 

Nord  en  1897,  à  Saint-Andelain 89 

L'école  industrielle  de  Glendalough  à  Subiaco.près  Perth.en 

Australie , 94 

Aux  étudiants   canadiens    de   Paris.  —   Une  allocution   de 

S.  Gr.  Msr  Bruchesi,  archevêque  de  Montréal 98 

Fondation  de  nos  œuvres  de  Bordeaux.  —  Relation  du  Père 

DE  L'Hermite 102 

Actes  du  Saint-Siège 1 30 

JUIN  1898. 

Le  Chapitre  général  de  1898 133 

Élection  du  T.  R.  Père  général 144 

Rapports  présentés  au  Chapitre  général 153 

Rapport  du  vicariat  de  la  Saskatchewan 153 

Rapport  du  vicariat  d'Athabaska-Mackenzie 177 

Rapport  du  vicariat  de  Saint-Albert 193 

Rapport  du  vicariat  de  la  Colombie  Britannique 245 

Nouvelles  diverses 258 

SEPTEMBRE  1898. 

Rapports  présentés  au  Chapitre  général  de  1898  {Suite)  : 

Rapport  du  vicariat  de  Saint-Boniface 261 

Rapport  de  la  province  du  Canada 296 

Rapport  de  la  province  des  États-Unis 312 

Rapport  de  la  province  du  Nord 318 

Rapport  de  la  province  Britannique 335 

Rapport  de  la  province  d'Allemagne 340 


~  480  — 

Pages 

Variétés 345 

Nécrologie.  —  Le  R.  P.  Sardou 351 

Nouvelles  diverses 355 

DÉCEMBRE  1898. 

Rapports  présentés  au  Chapitre  général  de  1898  {Suite)  ; 

Rapport  du  vicariat  de  Colombo 357 

Rapport  du  vicariat  de  Jafîna 379 

Rapport  du  vicariat  de  Natal 393 

Rapport  du  vicariat  de  l'État  libre  d'Orange 398 

Rapport  de  la  préfecture  apostolique  du  Basutoland 407 

Rapport  de  la  préfecture  aposioljque  de  la  Cimbébasie  infé- 
rieure (Damaraland) 413 

Rapport  de  la  province  du  Midi 424 

Variétés.  —  Une  audience  pontificale 436 

La  fête  de  Notre-Dame  de  la  Prière  à  Pontmain 442 

Vingt-cinquième   anniversaire   du   couronnement  de  Notre- 
Dame  de  Sion 444 

La  réception  du  R.  P.  Lefebvre  à  Lowell 4'i9 

Mb'  Coudert 453 

Nouvelles  diverses 456 

Bibliographie 466 

Oblations 470 

Nécrologe 476 


Paris.  —  Typographie  A.  IIennuveb,  rue  Darcet,  7, 


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