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MISSIONS
CONGREGATION DES MISSIONNAIRES OBLATS
DE MARIE IMMACULÉE
I
PARIS. — TYPOGRAPHIE A, HENNUYER, RUE DARCET, /.
t\e.fi6
M ^
l
MISSIONS
DE LA CONGRÉGATION
DES MISSIONNAIRES OBLATS
DE MARIE IMMACULÉE
TRENTE-CINQUIÈME ANNÉE
^
PARIS
TYPOGRAPHIE A. HENNUYER
RUE DARCET, 7
1897
MISSIONS
DE 1& CONGRÉGATION
DES OBIATS DE MARIE IMMACULÉE
N" 137. — Janvier 1897
MISSIONS ÉTRANGÈRES
VICARIAT DE LA SASKATGHEWAN.
Pélican Narrows, l^r novembre 1896.
LETTRE DU R. P. BONALD AU DIRECTEUR DES ANNALES,
RÉVÉREND ET CHER PÈRE,
Après avoir terminé notre retraite annuelle et célébré
la fête d'aujourd'hui avec les chers PP. Maisonneuve et
Simonin (Xavier), je vous adresse mon rapport habituel
que j'avais rédigé au fort Cumberland pendant le séjour
que j'y ai fait dans mon dernier voyage. Le voici tel quel :
Descendu ici des lointains plateaux du haut Churchill
et en route pour aller voir notre révérendissime vicaire
apostolique, la fatigue et l'épuisement me forcèrent de
m'arrêter. Le bon P. Gharlebois, accompagné de mes
deux hommes, va pour moi à Prince-Albert.
Tâchant pour ma santé de profiter des légumes et du
— 6 —
laitage de la Mission, je veux aussi profiter de mes loi-
sirs pour vous adresser ce rapport annuel. Il y a, cette fois,
dans nos différents travaux, divers incidents multiples et
assez curieux pour intéresser les lecteurs de nos annales.
Reprenant mon récit en novembre 1895, j'invite les
lecteurs à accompagner en esprit le missionnaire dans sa
visite aux malades sur le Missinipi, à 40 milles nord de
la Mission, Les jours sont courts, on part bon matin.
Nos chiens ne sont pas des pégases ; aussi, me contentant
de me faire traîner sur le lac^ je leur épargne cette peine
dans l'étroit sentier des bois. Nous escaladons des mon-
tagnes, mon unique serviteur poussant de toutes ses
forces derrière le traîneau, menaçant et injuriant ses
chiens tandis que je les appelle en avant. On s'arrête
deux fois pour boire le thé et l'on arrive au crépuscule
chez nos gens. La première veillée, on se contente de la
prière en commun. Le jour suivant est consacré tout en-
tier à instruire davantage une néo-catholique, très ma-
lade et qui voudrait se disposer de son mieux à faire sa
première communion avant de mourir.
La seconde nuit se passe toute blanche pour le mis-
sionnaire. C'est un vieux sauvage, méchant, entêté et
superstitieux, qui dans la maison voisine de mon hôte a
terriblement exercé la patience du prêtre. Quelle puis-
sance le démon exerce encore sur ces natures sauvages,
demi-croyantes et si orgueilleuses !
En le contredisant et lui faisant des reproches, comme
c'était mon devoir, je voyais ce vieux, ex-sorcier encore,
dominé par sa vieille nature et pour ainsi dire retombé
sous la puissance diabolique, me regarder d'un air cour-
roucé, grincer des dents, et les mains crispées, me lancer
des paroles de dépit et de colère. J'étais cependant en
surplis et en étoleàcôté de lui, plutôt assis qu'à genoux
sur son grabat. Ses deux enfants, adultes, bons catho-
liques, et la mère ne purent s'empêcher d'intervenir pour
lui faire des reproches, le plus jeune surtout, Patrick,
qui, les larmes aux yeux et d'une voix tremblante, lui di-
sait : « Mon père, est-il possible, es-tu fou, ou bien le
mauvais esprit s'est-il emparé de toi pour oser répondre
ainsi à l'homme de la prière. » Cette voix aimée et cet ac-
cent ému touchèrent cette nature farouche. Il ne dit plus
un mot et après un long, très long silence : « Prêtre,
mon père, dit-il, pardonne-moi, je fais pitié, je suis mé-
chant, aide-moi, je t'écouterai. »
A Noël, affluence ordinaire de nos chrétiens qui arri-
vent de tous côtés. Gomme d'habitude, les protestants
assistent à nos fêtes. Nous sommes cette fois deux prêtres
pour la solennité, et le P. Maisonneuve m'allège le far-
deau en devenant le confesseur ordinaire. C'est après
Noël que ce cher Père va à Pakitawagan exercer le mi-
nistère. Il retourne bientôt dans cette direction pour un
malade. Dans ces deux voyages, les misères n'ont pas
manqué pour lui et pour ses compagnons. Le froid et la
fatigue sont l'apanage de tout bon missionnaire.
Ici se place un fait édifiant : un jeune homme bap-
tisé catholique, mais élevé dans sa parenté protestante,
gardait sa foi intacte et se conservait au milieu de mau-
vais exemples. Né illégitime, il avait vu sa mère devenir
catholique, mais s'affligeait beaucoup de la voir encore
trop portée à vouloir cohabiter avec le père. Cet hiver,
celui-ci pressa fortement son fils de venir lui et sa mère
dans les mêmes quartiers de chasse. Le bon jeune homme
refusa à son père qui avait d'ailleurs avec lui sa famille
légitime. Colère du père, qui, désappointé dans ses cou-
pables desseins, refusa tout secours à son fils et à la mère,
jusqu'à prier le marchand de la Compagnie de lui re-
fuser tout crédit. Auguste, pour préserver l'âme de sa
mère, fut ferme dans sa résolution ; il savait cependant
— 8 —
qu'il n'aurait pas ailleurs l'abondance comme chez son
père, chasseur émérite, mais rien ne lui coûtait pour
Dieu et l'âme de sa mère.
On lui refusa chez le marchand du lieu les choses les
plus nécessaires à la vie ; on lui fit même des reproches
parce qu'il ne suivait pas son père.
Il vint à la Mission où il trouva aide et encouragement.
Moi qui connaissais les motifs si louables de sa conduite,
je lui promis de lui prêter secours en l'assurant que le
bon Dieu le récompenserait certainement.
Le bon Dieu, en effet, s'est hâté de le récompenser,
mais non pas selon les vues humaines ; il Ta enlevé de
ce bas monde, plein de misères et de dangers, pour le
mettre en possession du bonheur éternel. Quelques se-
maines après sa communion de Noël, il tomba malade;
sa mère lui faisait de la peine ; il avait la douleur de voir
ses bonnes intentions mal secondées. Aussi dans son dé-
lire, il disait : « Pourquoi donc ma mère ne veut point
m'écouter, je l'aime, et elle me tue par sa résistance au
bon Dieu. » Au passage du P. Maisonneuve, il eut la fa-
veur de se confesser.
Ce fut la dernière fois ; il se sentait mourir, personne
ne voulait y croire. On vint un jour à la hâte m'avertir.
Le malade, dans le délire continuel, ne cessait de me de-
mander ; j'y courus; c'était à deux jours de distance; il
était déjà mort. Je pleurai ce bon sauvage, car je l'avais
aimé, ce pauvre enfant, et je le regardais maintenant
comme un martyr de la charité. Il mourait pour l'âme de
sa mère; je fis son éloge en pleine église. Le bon Dieu
le récompensait sans doute mieux que nous ne l'avions
pensé. Depuis la mort de ce jeune homme, on parle de
lui, de ses bonnes qualités naturelles et aussi de sa vertu.
On lui avait proposé récemment un mariage : « Non, ré-
pondit-il, je ne suis pas capable de faire vivre une femme
— 9 —
et d'ailleurs jene serai pas longtemps sur la terre.» Quand,
au printemps, ses frères et cousins protestants arrivèrent,
ils vinrent à la Mission, me prièrent de les conduire sur
sa tombe, oti, après une courte prière que je fis en leur
nom, je leur adressai quelques paroles de consolation et
d'espérance avec quelques encouragements à entrer, eux
aussi, le plus tôt possible, dans le véritable bercail. Au
retour du cimetière, ces pauvres et bons protestants se
cotisèrent pour m'offrir un honoraire de messe et deman-
dèrent un service solennel pour le défunt, ce qui eut
lieu le lendemain matin, avant mon départ pour notre
lointaine Mission du fort Nelson. Tous les protestants de
l'endroit avec nos catholiques assistèrent à la cérémonie.
Quelques jours auparavant, le R. P. Maisonneuve par-
tait en canot d'écorce pour Prince-Albert, pour les af-
faires temporelles de la Mission. En lui disant adieu, bon
voyage et au revoir, sur le quai de la Mission, je bénissais
pour la dernière fois mon pauvre Cyrille qui me disait
adieu à genoux et partait pour aller voir quelque doc-
teur.
Le sauvage que je viens de nommer peut être indiffé-
rent à vos lecteurs, mais il me touche de si près, que
j'ose espérer d'eux qu'ils voudront bien s'y intéresser un
peu. Voici son histoire :
Il y a un peu plus de vingt ans, quand je vins dans le
pays, il y avait, au lac Pélican et dans les environs, une
population d'environ 300 âmes, dont huit familles pro-
testantes, deux familles catholiques et tout le reste infi-
dèle.
Parmi ces infidèles, à peu près tous sur le Missinipi
ou Churchill, on remarquait un bon sauvage trigame.
Ce fut en 1876 que cette famille entendit pour la pre-
mière fois les vérités de notre sainte religion. J'en bapti-
sai plusieurs membres. Un des plus jeunes garçons arriva
— 10 -
l'année suivante à la Mission, en compagnie de deux de
ses frères aînés déjà initiés à la foi chrétienne. Il se
hâta de venir me voir, me fit montre de sa science reli-
gieuse.
Il avait dix ans. « Veux-tu être baptisé ? lui dis-je. —
Ah ! je le voudrais bien, j'y pense tous les jours, mais
je crains mes parents. » Le frère aîné présent répondit:
«Baptise-le, Père, nos parents ne diront rien. » Et voilà
le petit garçon tout heureux de se faire baptiser. On
l'appela Cyrille. Retourné deux jours après au logis
paternel, il n'osait pas trop entrer et affronter des re-
proches. Pendant que ses frères contaient les nouvelles
dans la loge, il écoutait dehors et entendait qu'on par-
lait de lui et de son baptême. Il entra cependant à la fin
et ne reçut aucun blâme ; on n'y fit pas même d'abord
aucune allusion. Quand l'heure du coucher fut venue,
Cyrille n'osait pas trop imiter ostensiblement ses frères
qui priaient avant de dormir. Mais, aussitôt, il lui fut
dit par ses vieux parents infidèles : « Mais fais donc ta
prière, puisque tu t'es fait baptiser sans nous le dire. »
La glace était rompue. Il pria de tout son cœur en re-
merciant le bon Dieu.
L'automne de la même année, le vieillard se mit en
règle pour devenir chrétien, lui aussi ; il ne garda plus
qu'une femme et alla au lac Pélican demander le bap-
tême. Malheureusement, il n'y rencontra que le ministre.
Mais le bon Antoine Moran, chrétien de vieille roche,
lui donna de bons conseils. Le bon vieux mourut avant
de pouvoir être baptisé, m.ais avec les dispositions et les
désirs requis pour être sauvé. Ce fut l'été suivant que le
petit Cyrille, après sa confession, me dit : « Aie pitié de
moi, c'est toi qui es maintenant mon seul père; garde-
moi avec toi ; tu vois que je suis tout nu et j'ai toujours
faim. — Oui, mon enfant, je te garderai, je serai ton
— n —
père pour toujours. » Il me suivit. Il me charriait le bois
et le feu, servait la messe, me tenait compagnie dans ma
chambre •■, il s'amusait à imiter les cérémonies, pleurait
quand je partais et ne se possédait pas de joie à mon
retour. Quand il fut grand, ses frères le demandèrent ;
mais il ne voulut plus me quitter. Je le laissai aller à la
Mission de l'île à la Grosse, où il fut bien aimé des Pères
et des Frères. C'est là qu'en travaillant il reçut un choc
qui faillit le tuer et qui a été le germe de la maladie qui
vient de l'emporter.
Revenu au lac Pélican et marié à une métisse de l'en-
droit, il en a eu quatre enfants. Ce cher enfant n'a pas
été toujours irréprochable, mais il a toujours montré
une foi vive. Il a aussi aimé sincèrement le prêtre. Deux
fois il lui a manqué de respect et, quelques moments
après, il est venu, les larmes aux yeux, se mettre à ge-
noux et demander pardon sans y être poussé par per-
sonne, mais de son propre mouvement. Il était, il y a
deux ans, sur le Missinipi, quand, un jour, il revint
d'une chasse fatigante et eut aussitôt, en entrant chez
lui, une forte hémorragie suivie d'une seconde et même
d'une troisième. Pendant ce temps, on était venu à la
hâte me chercher à 40 milles de distance. Cette visite a
été racontée dans les annales. Le pauvre enfant n'est
pas mort sur le coup, comme naturellement cela aurait
dû arriver. Sans vouloir le guérir, la bonté divine lui a
laissé le temps de se préparer au terrible passage ; il
avait demandé cette grâce. 11 ne demandait pas à vivre,
mais à bien mourir. Je puis dire qu'il s'est préparé, eu
effet, à la mort avec tout le soin dont il a été capable.
Revenu à la Mission, il a été gardé et soigné à nos frais,
a pu se confesser et communier fréquemment. Il ne
manquait jamais ni la messe ni sa visite quotidienne au
Très Saint Sacrement, fidèle tout le temps à son cha-
— i2 —
pelet, au chemin de la Croix et à son Angélus au pre-
mier son de la cloche, devant tout le monde, chez lui et
au dehors, seul ou en compagnie.
Ce printemps, quelques jours seulement avant mon
départ pour le fort Nelson, son petit garçon aîné vint me
remettre un papier. C'était le testament du malade. En
voici la teneur : « Mon Père, toi que j'aime, moi, Cyrille,
écris ici mes dernières volontés. Merci de m'avoir élevé
et enseigné la religion catholique. Pardon des peines que
je t'ai faites. Je te donne mes trois petits garçons ; ma
fille restera avec sa mère. Je donne à la Mission tout ce
qui m'appartient. Si, par la miséricorde de Dieu, je vais
au ciel, j'y prierai pour toi. Mais toi, en attendant, prie
pour mon âme. Ton enfant qui t'aime, Cyrille. »
J'avais le cœur bien peiné, au moment de nous sépa-
rer, quand je vis à mes pieds ce pauvre homme me de-
mandant de le bénir une dernière fois. Je partis pour ma
lointaine Mission du fort Nelson, comme je le raconte
ci-dessous. A mon retour, sans avoir encore reçu aucune
nouvelle, je compris que mon pauvre Cyrille n'était plus,
car je ne le voyais pas sur le rivage. Il venait de mourir
depuis seulement cinq jours. La vue de ses petits orphe-
lins m'arracha des larmes. Le P. Maisonneuve me ra-
conta les détails édifiants de cette mort. Il me disait avec
quelle ardeur il avait souhaité mon retour, m'appelant à
grands cris, puis sa résignation et l'unique occupation
de son âme et son ardent désir de mourir. A son lit de
mort, il a exhorté les protestants à se faire catholiques.
Pardonnez-moi d'être si long sur un pauvre sauvage dont
le souvenir me lait encore verser des larmes. Il est étran-
ger à d'autres, mais, pour moi, il est de la famille, car,
dans ce pauvre pays où j'ai eu tant de misères, il a été
mon compagnon, ma joie et mon affection.
Des trois petits garçons qu'il m'avait confiés en mou-
— 13 —
rant, le plus jeune s'est hâté d'aller retrouver son père
au ciel ; le second, Etienne, âgé seulement de trois ans,
vient souvent à moi et me dit : « Est-il allé bien loin,
mon papa? Le verrai-je encore ? Est-ce que toi aussi tu
mourras ? «
Voyage pour aller voir W Pascal. — Il nous faut par-
courir 350 milles anglais du lac Pélican à Prince-Albert ;
deux traîneaux, huit chiens, deux conducteurs, un troi-
sième voyageur pour aller devant. Sur un traîneau, les
vivres des hommes et des chiens et le petit bagage ; sur
l'autre, le missionnaire qui n'est plus ingambe. Nous tra-
versons des lacs, des forêts, nous longeons des rivières
et deux fois seulement nous campons à la belle étoile.
D'autres fois, on arrive chez des sauvages à l'heure du
campement. On a l'avantage d'être hébergé dans une
maison, à l'abri de la neige et du froid. C'est en pays
protestant et le prêtre est reçu avec beaucoup de respect
et traité avec générosité. Nous arrivâmes, un soir, chez
le protestant le plus influent et le plus riche des envi-
rons, le premier pilote des barques de la Compagnie.
Bonne table, bon lit, poissons pour nos chiens et toutes
sortes de bonnes manières, rien ne manquait et tout
gratis. Après le souper, notre hôte me pria de dire en
public notre prière catholique et d'adresser un sermon
à l'assistance. C'est ce que je fis. Assis sur une boîte, je
chantai d'abord un cantique, puis je leur prêchai sur la
nécessité de connaître et de pratiquer toute la religion
chrétienne. Suivit la prière, à laquelle répondirent seu-
lement mes compagnons de voyage. Après cet exercice,
le chef de la maison vint auprès de moi et, mettant dans
ma main la somme de 25 francs, il me dit : « Merci, Père,
des bonnes paroles que vous nous avez dites. Demain, je
vous accompagnerai tout le jour. » Et c'est ce qu'il fit.
Nous campâmes encore ensemble à 40 milles plus loin.
et là, encore, il voulut payer les poissons qu'il eut la
bonté d'acheter pour nos chiens.
Nous eûmes l'occasion de camper encore trois fois,
plus loin, chez des sauvages qui nous obligèrent beau-
coup par toutes sortes de prévenances et de bons ser-
vices, nous donnant la meilleure place à leur foyer et
nous servant le souper et le déjeuner.
Le prêtre catholique passe rarement en ces parages.
Un jour, vers le soir, nous arrivons dans un petit village
de cinq ou six familles. Tout à coup, un vieillard sort
lentement pour voir les voyageurs qui passaient; il
reconnaît le prêtre et appelle aussitôt ses enfants et
petits -enfants : « Venez, venez, leur criait-il, venez tous,
mes enfants, réjouissez-vous ; voici un prêtre, l'homme
de la prière française; il vient nous voir. » C'était une fa-
mille catholique que je n'avais pas rencontrée depuis dix
ans. Je passai la soirée et la nuit à les voir et à les entre-
tenir. Les enfants nés depuis dix ans avaient été baptisés
par le ministre.
Je me demandai si ces pauvres abandonnés n'avaient
point passé à l'hérésie. Dans la chambre du grand-père,
je vis le Christ et l'image de la Sainte Vierge sur la mu-
raille, le chapelet aussi suspendu à un clou. Quand je
donnai le signal de la prière, toute la famille, grands et
petits, vinrent dans la petite chambre et je fus bien con-
tent de les entendre tous réciter couramment toute la
prière du catéchisme.
Je les appelai tous en confession, et les petits de dix
ans en arrière, devenus grands garçons, vinrent pour la
première fois accomplir cet acte religieux comme de
vieux chrétiens, sans honte, avec soin, et aussi avec
bonheur. Je rebaptisai sous condition tous ceux que le
ministre avait ondoyés. Plus loin, d'autres protestants
nous hébergèrent aussi ; les mères de famille s'empres-
— 15 —
sèrent de venir offrir leurs services pour raccommoder
les souliers des voyageurs. Un ministre m'offrit à dîner
et voulut aussi me proposer gratis des vivres de voyage
pour nous et pour nos chiens.
Nous approchions de Prince-Albert, après la sep-
tième journée de voyage. Après avoir traversé un lac de
45 milles, nous entrions dans une réserve sauvage. Le
chef vint visiter le prêtre pour écouter et donner aussi
des nouvelles. Ces pauvres gens paraissaient enchantés
d'entendre un prêtre parlant leur langue.
C'est là qu'une vieille femme vint me dire : « Je vou-
lais te demander si tu ne baptiserais pas la fille de ma
fille. « Je lui répondis: « J'ai rencontré votre ministre
qui revenait d'ici ; l'enfant n'était-il pas né encore ? —
Elle a déjà trois mois, la petite fille, répondit-elle; mais
notre ministre est très haut placé, il est presque évêque
(archidiacre) et il ne baptise pas cette sorte d'enfants. »
Je compris à son langage que l'enfant était illégitime.
« Ah ! bien, lui diS'je, vous avez-là un drôle de ministre,
assez orgueilleux et assez vil pour mépriser l'âme d'un
pauvre innocent. Un apôtre lui-même aurait baptisé cet
enfant. Va, va chercher ta petite-fille, je la baptiserai. »
Le chef de la réserve prit aussitôt la parole et dit : « Vous,
mes parents, mesenfants et mes amis, je vous le dis, voici
(en me désignant), voici unvrai serviteur du Grand-Esprit.
Notre ministre, à nous, est un bourgeois qui aime sa
femme et ses enfants et qui aime aussi à gagner de l'ar-
gent, comme ces blancs qui, cet hiver, sont venus tuer
tous les poissons de nos lacs. » Le baptême se fit devant
tous ces pauvres protestants et c'est le premier enfant
baptisé par un prêtre en ce pays.
Quand ce fut fini, la vieille grand'mère dit : «Cette en-
fant sera catholique. » Le lendemain, je continuai mon
voyage. C'est dans le campement suivant que deux voya-
— lo-
geurs, en de très mauvaises conditions, vinrent nous
surprendre. Pendant le silence de la nuit, on les enten-
dait approcher, ils parlaient français, cela émeut tout de
même d'entendre parler la langue de la patrie par d'au-
tres que des Missionnaires, c'est si rare dans nos déserts,
et ces pauvres gens nous prouvèrent bientôt la vérité du
dicton : le Français rit de tout, tnême de ses malheurs.
Sans vivres, sans couvertures, sans raquettes et presque
sans souliers, ces deux Français se sauvaient à Prince-
Albert après avoir tout perdu dans un incendie à leur pê-
cherie d'hiver, où, installés depuis quatre mois, ils tuaient
les poissons à travers la glace d'un lac ; un beau matin,
au retour de leur visite aux filets, ils ne trouvèrent que
des cendres de leur maisonnette, qu'ils venaient de
quitter seulement depuis une heure. Pour ne pas mourir
de froid et de faim, le plus expéditif pour eux était de
regagner la colonne voisine avec l'espoir de rencontrer
sur le chemin quelque voyageur qui aurait pitié d'eux.
Nous fûmes heureux de leur procurer le souper, une
couverture et des souliers,
A notre arrivée à la petite ville de Prince-Albert, je
m'amusai de l'ébahissement de nos genS; qui n'avaient
jamais rien vu ni soupçonné de pareil ; le cri perçant
de la vapeur, la fumée s'échappant en colonnes des lon-
gues cheminées des moulins ; la ville, assise sur la rive
opposée de la Saskatchewan, avec ses maisons serrées
et ses magasins, ses petits palais, la cathédrale et l'évê-
ché, il y avait de quoi frapper l'imagination de mes sau-
vages, qui ne voient dans le Nord que les huttes in-
diennes et quelques maisons bien ordinaires dans les
Missions et les forts de la Compagnie. Vous dirai -je
qu'après le bonheur de voir notre révérendissime Vicaire
et les Oblats de sa maison, ce fut aussi un véritable plai-
sir pour moi de rencontrer en ce pays un compatriote,
_ 17 —
un vrai Gabalitain de la Margeride; enfin, il faut abré-
ger; il me souviendra de notre retour. La longueur du
chemin, l'effet des rayons du soleil de mars sur la figure
et les yeux nous firent payer cher le bonheur d'avoir vu
notre Évêque. Les deux premiers jours cependant furent
bien agréables, car M^'' Pascal avait eu la bonté de me
prêter chevaux et voiture et les services des deux bons
FF. GouRBY et BuRNOUF pendant 90 milles ; mais, à partir
de là, je dus arpenter l'espace avec épuisement de forces
pendant trois jours. Heureusement qu'au lac Larouge
je trouvai un métis catholique qui fut heureux de me
conduire jusqu'au lac Pélican, où nous arrivions le mer-
credi saint. Pendant mon absence, le R. P. Maisonneuve
avait mis toute sa bonne volonté et son expérience à
procurer à notre petit monde, malades ou enfants, le
pain de chaque jour, c'est-à-dire les poissons du lac ou
les lièvres de la forêt.
Arrivons maintenant à nos travaux de la belle saison.
Les sauvages venus aux fêtes de Pâques sont repartis
pour travailler aux fourrures de la saison, c'est-à-dire
aux ours, loutres, castors et rats musqués. On s'occupe,
dans les résidences des Missions, au bois de charpente
et au bois de chauffage pour l'hiver suivant. Viennent
ensuite les semences dans les petits champs ou jardins
qu'on s'est ingénié à se faire sur nos pointes de sable ou
de rochers. Enfin, c'est l'ouverture de la navigation avec
la débâcle des glaces. Pour nous, missionnaires, c'est
l'ouverture de nos missions, voyages et courses aposto-
liques. C'est la seule époque annuelle des visites à nos
chrétiens éloignés. Le P. Maisonneuve s'en va à Prince-
Albert faire nos achats et, en compagnie du R.P. Char-
LEB0is,les descendre au moins jusqu'au fortCumberland.
De mon côté, je pars en léger canot d'écorce pour notre
lointaine Mission du fort Nelson.
— 18 —
Le fleuve Churchill est très haut cette année, et, par
conséquent, le courant plus dangereux. Nous usons de
beaucoup de précautions; deux fois sur la route il faut
m'arrêter pour le ministère. Une première fois, quelques
heures seulement, et la seconde fois, trois jours, à Paki-
tawagan ; il y avait là dix-sept familles réunies attendant
le passage du missionnaire. Confesser tout ce monde, leur
prêcher, écouter leurs doléanceset juger leurs différends,
cela prend tout mon temps ; on est content de repartir et
de pousser plus loin notre navigation ; encore deux jours
sur ce beau fleuve, qui roule ses grandes eaux limpides
à travers une suite de lacs parsemés d'îles avec des baies
à perte de vue et quelquefois des détroits aux falaises de
rochers blancs et nus ; le vent enfle notre voile, nous
chantons des cantiques et les montagnes semblent courir
derrière nous.
Quelquefois, pour abréger la route, nous évitons les
détours en coupant les pointes par des portages.
Au bout d'une longue, très longue baie, nous arrivons
à une petite rivière qui descend de la hauteur des terres.
A peine si notre canot peut passer sous les saules qui
nous couvrent littéralement, nous obligent à nous bais-
ser continuellement en nous menaçant à chaque instant
de nous crever les yeux. Notre canot se remplit de bran-
ches sèches cassées et de milliers d'insectes. Nous voici
enfin au bout de l'eau, dans le bassin de Churchill. Nous
sommes à la hauteur des terres ; c'est un plateau très
élevé. Nous allons faire portage de notre bagage et du
canot, à travers la montagne et le bois, près de 5 milles.
Il y a des marais et des petites rivières ù traverser à
gué; il ne faut pas être délicat et il faut se résigner
aussi à se laisser piquer au visage, aux mains et même
aux mollets par les moustiques. Enfin, nous voici à la
lisière du bois, nous tombons sur la rivière des Bois-
— 19 —
Brûlés, c'est le versant de Nelson. Pendant que mes
hommes retournent à l'autre extrémité pour le reste du
bagage, je leur fais de la galette pour gagner du temps
et leur permettre de dîner plus tôt. Nous descendons,
deux jours durant, le courant de cette rivière entrecou-
pée de chutes et de rapides et nous arrivons au fort
Nelson. De loin, nous apercevons, sur la côte, la maison
de la prière catholique entourée de huttes sauvages en
écorce et des tentes en toile. C'est là que nous allons ré-
sider, cette fois, six semaines.
Bientôt l'arrivée du prêtre est annoncée aux quatre
coins du pays. Les sauvages protestants les plus voi-
sins viennent, les premiers, nous souhaiter la bien-
venue. Nos catholiques arrivent à leur tour. Le commis
de l'honorable Compagnie étant bien ami de la Mission,
quoique protestant, je m'empresse d'aller le saluer, à
mon retour du fort ; on rencontre le ministre, qui, avec
sa femme et une sauvagesse, traverse le lac. Madame se
montre très polie et pousse la bonté jusqu'à nous en-
voyer, le même soir, un bon pain levé.
Bientôt l'on vint m'apprendre que les sauvages pro-
testants ou infidèles du lac Fendu désiraient me voir; ce
poste étant dans le vicariat de M^'' Pascal, je crus devoir
essayer d'aller y faire une visite. Pendant mes prépa-
ratifs, le ministre eut vent de la chose et lui, qui ne quit-
tait plus sa chère moitié, se prend d'une sainte jalousie
et part pour le lac Fendu. Je crus que dans la circons-
tance ma visite ne serait pas opportune, d'ailleurs la pré-
sence des catholiques et de nombreux protestants qui
affluaient à la Mission devaient m'occuper beaucoup,
d'autant plus que nos autres catholiques du bas Churchill
étaient attendus de jour en jour. En effet, ils ne tardèrent
pas d'arriver; un soir, toute une flottille de canots parut
à rhorizon du lac. Les blanches tentes plantées autour de
— 20 —
la chapelle furent pour eux, de loin, un signe de la pré-
sence de leur missionnaire. En peu de temps ils appro-
chèrent et n'attendirent pas de débarquer pour nous
saluer du large, ils nous manifestèrent leur joie en agi-
tant leurs chapeaux. Quelle joie sur leurs visages! Ils
n'avaient pas vu leur prêtre depuis un an ! Quelle sainte
chose que la religion! Quels sentiments inspire la foi pour
que des sauvages, naguère superstitieux, froids et mé-
fiants pour le prêtre, soient maintenant si franchement
joyeux de le voir et si ouverts pour lui ! L'adulte sauvage
est enfant par le cœur. A peine arrivés, s'ils ont quel-
que chose de leur pays qu'ils pensent pouvoir être agréa-
ble à leur prêtre, ils ont hâte de venir le lui offrir; trois
fois par jour je sonnais ma clochette et, chaque fois, ma
chapelle se remplissait de priants. L'école et le caté-
chisme se faisaient au milieu du jour et les protestants y
envoyaient leurs enfants.
Au retour de son voyage, le ministre en fut informé et
aussijaloux. Lui qui ne voulait jamais instruire un enfant
ou sy intéresser, se mit à faire l'école. Dans son dernier
voyage, il avait eu l'audace de s'emparer d'un livre de
prières catholiques. Or, le premier dimanche après son
arrivée, il lut à haute voix dans son temple le Confiteor
en cris, et partit de là pour insulter la dévotion à la
Sainte Vierge. Il le fit avec une telle violence que ses
ouailles en furent choquées. Quand les auditeurs me le
rapportèrent, je les invitai à venir écouter la contre-par-
tie, et c'est après cette instruction que plusieurs me ma-
nifestèrent leurs désirs de devenir catholiques.
Quatre jeunes gens presque pervertis par le ministre
revinrent de tout cœur à. la foi, ne manquant jamais de
venir chaque jour de plusieurs milles pour se faire ins-
truire et portant avec eux le poisson pour dîner. Deux
familles protestantes ne manquèrent pas un seul exercice;
— 21 —
n'allant plus au temple et venant en particulier me trou-
ver pour se faire instruire.
Un jour, un pauvre sauvage protestant et marié à une
catholique pauvre de fortune, mais riche de foi, arriva au
fort Nelson. Il alla voir son ministre qui l'avait demandé.
(( Tu as un enfant à faire baptiser, lui fut-il demandé.
Voilà, lui dit le ministre, 3 verges de toile, de quoi te faire
faire une bonne paire de pantalons, car tu es nu. —
Merci », dit le sauvage en prenant le présent, a Mainte-
nant, dit le ministre, tu vas me donner ton enfant pour
le baptême. — Ceci c'est autre chose, dit le sauvage, ma
femme est catholique et mon enfant doit suivre sa mère,
cela a été ainsi réglé quand je l'ai prise. — Alors, je
vais reprendre ma toile, dit le ministre. — La voilà, » dit
le sauvage. Le révérend eut honte cependant et la lui
rendit.
Une belle cloche de 150 livres nous arriva par les
barques de la Compagnie. Ce fut un événement dans le
pays. Jamais pareil instrument religieux n'avait été vu.
Sur le contour de la cloche une croix d'abord ; puis, au-
dessous, les paroles : pinguescent speciosa desertî, et plus
bas, Leontina Albertina, avec enfin l'invitation venite ado-
remus. Sans faire encore de solennité pour le baptême,
j'expliquai aux sauvages le sens allégorique de ces paroles
écrites, puis je tintai au grand étonnementdes assistants.
Imaginez-vous leurs impressions, presque leur frayeur,
quand je sonnai à toute volée.
Après six semaines de ministère et de travaux manuels
au milieu de cette population, je me préparai au retour.
La veille de mon départ, des protestants vinrent me dire
combien ils regrettaient notre départ. « Nous sommes
plusieurs, me dirent-ils, qui désirerions être catholiques,
mais votre trop longue absence nous fait craindre les
reproches de nos coreligionnaires et surtout du ministre.
— 22 —
Quand j'allai au fort de la Compagnie une dernière fois,
tous ces pauvres protestants vinrent me serrer la main
sur le rivage, ra'amenant leurs enfants et me disant :
« Viens donc vite au printemps et reste ici pour toujours.»
Sur mon chemin de retour, je vis les autres catholiques
qui n'avaient pu se rendre au fort Nelson.
Je les trouvai tous réunis sur une île d'un lac et en ce
moment riches des dépouilles de quatre élans. Mes gens
firent là bonne chère pendant que je fus occupé aux con-
fessions.
Deux jours après nous étions encore de passage à Paki-
tawagan ; toute la population du fleuve Churchill était
réunie là ne voulant pas me laisser partir sans s'être
munie une dernière fois des sacrements, attendu que le
prêtre ne devait plus revenir avant Noël prochain. Je leur
consacrai quatre jours.
Une pauvre famille isolée, et dont plusieurs membres
étaient malades, m'attendait un peu plus loin. Je dé-
barquai là pour les voir, les confesser sous un arbre et
baptiser un nouveau-né. Enfin, à la faveur des portages
qui nous permirent d'éviter les rapides et les mauvais
courants du fleuve, nous arrivâmes sains et saufs sur
notre haut plateau du lac Pélican.
Le R. P. iMaisonneuve, revenu depuis longtemps de
Prince-Albert, ne ménageait point ses forces pour amé-
liorer le temporel de la Mission. Après quelques jours
passés ensemble, je me remis en voyage pour aller voir
notre évêque.
Je n'ai pas eu ce bonheur, il a fallu m'arrêter en route.
J'ai attendu au fort Cumberland le retour du R. P. Char-
LEBOis, et j'ai eu la joie d'y voir arriver le jeune P. Simo-
nin, Xavier.
A l'heure où j'écris ces lignes, en novembre, ce bon
Père a déjà beaucoup profité dans la langue crise, qu'il
— 23 —
étudie avec ardeur sans se laisser décourager par les dif-
ficultés.
Voudriez-vous, mon Révérend Père, recommander
encore une fois à nos Pères de Montmartre la conver-
sion des protestants du fort Nelson?
Agréez les meilleurs sentiments et la respectueuse affec-
tion de votre humble Frère en N.-S. et M. I.
E. BONNALD, 0. M. I.
MAISONS D'EUROPE
SCOLASTICAT DE LIEGE.
LETTRE DU R. P. THÉVENON, PROFESSEUR, AU T. R. P. SUPÉRIEUR
GÉNÉRAL.
Mon très révérend Père,
Il est rare de lire dans nos annales quelque rapport
étendu sur les scolasticats de notre Congrégation; moins
fortunés que nos communautés de missionnaires, ils
n'ont point de rayonnement extérieur. Leur existence
se meut dans un cercle toujours identique d'exercices
de piété, d'études, de classes, etc., dont la monotone
trame est d'un médiocre intérêt pour ceux qui n'en font
point partie. D'ailleurs, un très grand nombre de Pères
de la Congrégation ont vécu de cette vie de scolasticat,
ils en connaissent le gros et le détail, et, comme chez
nous, le système de la tradition n'a pas encore perdu ses
justes droits et que l'on conserve religieusement toutes
les pratiques d'un passé glorieux, ils peuvent toujours se
dire : rien de nouveau sous le soleil du scolasticat; ce
que nous avons fait il y a vingt, trente ou quarante ans,
nos successeurs le font encore et le feront toujours.
Et ils ont raison.
Toutefois, il n'est pas impossible qu'après plusieurs
années, cette monotonie de la vie d'étude soit entre-
coupée d'événements inattendus ; il n'est pas impossible
que des faits viennent à se produire dont la connais-
sance intéresserait à bon droit les membres de notre
— 23 -
chère famille, ceux d'entre eux surtout qui ont passé au
milieu de nous et n'ont point oublié le berceau de leur
vie religieuse.
C'est ce désir qui sera mon excuse auprès de vous,
mon très révérend Père, si j'ose aujourd'hui vous entre-
tenir du scolasticat de Liège. Je n'ai point la prétention
d'en tracer l'histoire, ni même la chronique ; cette his-
toire et cette chronique trouveront sans doute, un jour,
une plume plus exercée ; au reste, nous sommes encore
trop jeunes pour avoir une histoire et trop heureux peut-
être pour en avoir jamais. Mon but est plus modeste. En
revenant sur les années écoulées depuis la fondation du
scolasticat, je me propose de glaner quelques faits, quel-
ques impressions, quelques détails dont la connaissance
ne laissera pas indifférents les membres de la Congréga-
tion. Je ne sais si je m'abuse; n'importe. J'aurai essayé
de satisfaire les désirs de ceux qui ont le droit de me
commander.
Le scolasticat de Liège fut inauguré le 17 octobre 1891;
ce n'était ni une constitution totale du personnel, ni une
fondation nouvelle sous tous les rapports; c'était une
migration, un changement de domicile, un vulgaire,
mais coûteux déménagement. Expulsé par des décrets
iniques de la maison du Sacré-Cœur d'Autun en 1880,1e
scolasticat avait d'abord demandé aux Oblats d'Irlande
une hospitalité qui lui fut accordée fraternelle, géné-
reuse, inoubliable : c'était une première étape. Établi à
Inchicore, puis dans la magnifique propriété de Belcamp
Hall, il reçut, en 1888, l'ordre de plier ses tentes, de
traverser la mer et de s'arrêter dans le Limbourg hol-
landais, à Bleyerheide, à deux pas de la frontière alle-
mande. Les Rli. PP. Franciscains y avaient laissé un
couvent désert et inhabité; nous en prîmes possession,
désireux d'y passer en repos au moins quelques lustres.
— 26 —
Ce n'était encore qu'une étape; il était écrit que le sco-
lastical n'avait pas, dans ce pays hospitalier, une de-
meure permanente. Peu de temps après notre installa-
tion, les bons Pères Franciscains nous avertissaient que
l'immeuble prêté à notre Congrégation devait revenir à
ses anciens maîtres. Force nous fut de songer au départ
et de nous mettre en quête d'un nouveau gîte. La Pro-
vidence avait décidé que la catholique Belgique verrait
enfin se fixer sur son territoire une colonie de mission-
naires Oblats. Un immeuble fut trouvé aux portes de
Liège, immédiatement acheté, et grâce aux intelligents
travaux du R. P. Martinet et du R. P. Favier, alors
Supérieur du noviciat de Saint-Gerlach, promptement
aménagé pour recevoir une communauté nombreuse.
Nous avions séjourné en Hollande durant trois années,
de septembre 1888 à octobre 1891. Je n'ai rien àajouter
au rapport si complet et si intéressant dû à la plume
d'un habile chroniqueur, inséré dans nos annales en 1891 ;
mais je ne crois pas forcer la note en affirmant que la
maison de Saint-François n'avait pas gagné nos ardentes
sympathies, et que notre départ ne nous laissa pas d'in-
consolables regrets ; je me trompe, une tristesse était au
fond de notre cœur : nous ne pouvions emporter avec
nous la dépouille mortelle des cinq Oblats scolastiques
que Dieu avait appelés à Lui durant ce court séjour de
trois ans, et qui reposent là-bas dans le silence et l'oubli.
C'est donc le 17 octobre 1891, fête de la bienheureuse
Marguerite-Marie, que nous arrivions à Liège; notre
cœur était à la joie, nous étions heureux de nous trou-
ver au milieu d'une population qui partageait et notre
langue et nos mœurs ; il nous tardait de vérifier toutes
les merveilles que la renommée avait racontées de notre
nouvelle demeure. Je me hâte de dire que^ cette fois,
la renommée n'avait pag été menteuse : notre première
— 27 —
impression fut favorable. Quel contraste entre notre
humble capucinière de Saint-François et ce luxueux
casino ! Ici, du moins, nous aurions de l'air, de la lu-
mière, de l'espace ; nous ne serions plus emprisonnés
dans des chambres basses, étroites, incommodes... que
sais-je encore ?
N'était-ce point là peut-êlreTenthcusiasme du premier
moment, Tattraitdu nouveau, toujours si plein de char-
mes pour des scolastiques? Jugez vous-même, mon très
révérend Père :
A peine descendus à Liège, nous nous trouvions en
face d'un casino grandiose, étonné sans doute et attristé
de recevoir une jeunesse si cléricale qui s'empresserait
de troubler sa longue solitude et de réveiller des échos
trop longtemps endormis. Façade imposante de 40 mè-
tres de long sur 20 mètres de large, construite suivant
toutes les règles de l'architecture classique ; perron mo-
numental, majestueusement gardé par deux superbes
lions dont l'attitude rappelle les lions pleurants du Vati-
can; au premier étage, balcon magnifique divisé par
quatre gigantesques colonnes d'ordre corinthien; neuf
fenêtres aux baies hautes et larges, couronnées de gra-
cieux ornements ; un entablement de style entourant
cette masse monumentale et ombrageant les bustes des
plus célèbres musiciens de l'Europe ; le tout présentant
un édifice majestueux, largement assis et adossé à la
base d'une colline verdoyante. Voilà, dans son apparence
extérieure, comment nous apparut cette nouvelle maison
que des mains fraternelles, et respectueuses de l'art,
avaient préparée aux scolastiques de Saint-François.
Que vous dirai-je de l'aménagement intérieur de ce
palais grandiose? Tout devait exciter notre enthousiaste
admiration. Le rez-de-chaussée nous offre^ dans sa partie
antérieure, trois grandes salles, construites sur un plan
- 28 —
identique, coupées par quatre colonnes d'ordre toscan;
au milieu, la salle des pas perdus, aux lambris et pen-
dentifs semés d'or et de fleurs, qui abrite dans ses angles
quatre parloirs d'une élévation peu commune; à droite,
une salle plus simple, transformée en chapelle de com-
munauté par la construction d'un demi-cercle en ma-
çonnerie formant abside ; à gauche, salle identique dans
ses dimensions et ses ornements, dont la destination sera
ultérieurement fixée. En face de ces trois salles s'ouvre
le réfectoire, d'une construction plus simple et plus
récente; il occupe la place de l'ancien escalier d'hon-
neur, auquel donnait accès un large corridor, naguère
encore traversé par les plus somptueux équipages.
Cet escalier d'honneur a été détruit et remplacé par
deux escaliers plus modestes, moins bien éclairés, d'un
accès moins facile. A notre arrivée, ces escaliers n'étaient
pas achevés ; mais, pour les scolastiques, ce n'est point
là un obstacle insurmontable. Ils parvinrent bientôt aux
étages supérieurs et se hâtèrent de constater, avant la
fin du jour, toutes les merveilles de cette agréable habi-
tation. C'est au premier étage surtout que s'étalait la
splendeur de l'ancien casino, et l'on peut encore s'en
rendre compte, malgré les modifications que les exigences
d'une communauté ont contraint d'y apporter. Une salle
immense (40 mètres de long, 12 mètres de large, 9 mè-
tres de haut) occupait entièrement cet étage : c'était la
salle des spectacles, des danses, des réunions mondaines
du high Life, voire même à l'occasion des agapes ecclé-
siastiques, et vraiment elle avait été somptueusement
aménagée pour répondre à sa première et profane desti-
nation. La ville de Liège n'en possédait ni de plus vaste
ni de plus riche, ni de plus commode; il y a peu de
Liégeois qui ne l'aient visitée, en curieux peut-être,
mais aussi en partisans des fêtes mondaines : Sa Majesté
~ 29 —
le roi des Belges avait daigné l'Iionorer de son auguste
présence et lui laisser l'éclat d'une réception royale.
Et elle était digne en tout, cette salle, de ces hôtes dis-
tingués, même royaux: ses vastes proportions, ses larges
et belles fenêtres qui laissent entrer à flots l'air et le so-
leil ; sa voûte ornée de lambris dorés, de rosaces, de rin-
ceaux et d'arabesques ; son dôme gracieusement décoré
de seize cartouches, oii sont représentées allégorique-
ment les quatre saisons de l'année, et couronné d'une
lanterne ajourée à 15 mètres de hauteur; ses pilastres à
bases et chapiteaux corinthiens, où l'or est répandu à
profusion; ses peintures de valeur, dues au pinceau ha-
bile d'un peintre liégeois (M. Carpet), et offrant, en des
sujets symboliques et mythologiques, ce qui peut char-
mer le cœur et les yeux des Liégeois; tout, en un mot,
avait transformé cette salle en une merveille d'architec-
ture et de décoration artistique.
Mais que pouvaient faire, d'une telle salle, de pauvres
religieux, peu experts dans l'art chorégraphique et obli-
gés de renoncer aux pompes de Satan et à toutes fêtes
mondaines et profanes ? La conserver intacte, on n'y
pouvait songer; avant tout, il fallait trouver de la place
et des salles appropriées aux différents besoins d'une
maison d'études. Mais comment la transformer, sans lui
ôter à la fois et son cachet de grandeur et la richesse de
son style et de sa décoration? On a beau être religieux,
on n'est pas pour cela nécessairement vandale, et l'on ne
se résigne pas de gaieté de cœur à la destruction d'une
œuvre d'art. Heureusement, le casino du Beau-Mur était
en de bonnes mains ; un homme de goût, un ami du beau,
un artiste présidait à notre installation. Le R. P. Mar-
tinet n'eût jamais consenti à faire son deuil de cette
salle si belle et si grandiose ; son habile talent sut trou-
ver un moyen conciliant à la fois et les exigences de
- 30 —
l'art et celles de la vie religieuse. Faisant conslrnire deux
hautes cloisons percées de trois portes, il divisa en trois
parties dans toute sa largeur l'ancienne salle des fêtes,
conservant religieusement la pureté du style et respec-
tant toutes les règles du beau ; des juges compétents
trouvent qu'il a parfaitement réussi. L'argent, sans
doute, n'a pu être parcimonieusement ménagé ; mais,
enfin, à la grande satisfaction des amants des Muses,
nous avons trois grandes salles, splendidement éclairées,
largement aérées, dignes en tout de la fameuse salle du
Casino. La salle du milieu est devenue notre salle des
exercices ; les autres servent successivement de salle
d'étude ou de classe et peuvent abriter aisément plus de
cent scolastiques.
Au-dessus du premier étage, tout est de construction
récente ; trois étages, élevés, larges, bien proportionnés,
surmontent l'ancien casino ; là sont établis les dortoirs,
Ips chambres des professeurs, les vestiaires, la lingerie,
l'infirmerie, etc.; tout y est simple, tout respire la
modestie, la pauvreté religieuse ; rien ne manque ce-
pendant de ce que peut réclamer une complète instal-
lation : l'eau, élevée par l'action d'un moteur à gaz à
30 mètres de hauteur et reçue dans deux réservoirs d'une
capacité de 10000 litres, est ensuite distribuée à tous les
étages de la maison, suivant les exigences de la propreté
et de l'hygiène ; enfin, de nombreux éléments de chauf-
fage à vapeur d'eau, répandus çà et là dans les salies du
rez-de-chaussée et du premier étage, nous permettront
d'affronter sans crainte les rigueurs des hivers septen-
trionaux.
Dès cette première journée à Liège, dès cette première
visite au casino, tout fut scruté, fouillé, découvert; rien
n'échappa à notre curiosité si légitime, rien ne trompa
une admiration bien justifiée. Bientôt la cloche nous
— 31 ~
appela au réfectoire pour noire premier repas ; inutile
de vous dire, mon très révérend Père, si les langues
furent déliées, inutile de vous dire quel fut l'objet de
nos interminables causeries ; vous devinez assez que cha-
cun dut parler à qui mieux mieux du Casino de Liège
devenu l'asile définitif du scolasticat d'Autun. On avait
déjà oublié la maison de Saint-François, ou son souvenir
rendait plus vive, plus profonde, l'impression causée par
cette maison de Liège : tous les cœurs étaient à la joie,
tous les esprits à l'admiration. Sans doute, on n'ose pas
trouver tout absolument parfait ; il était aisé déjuger que
la partie du bâtiment élevée sur l'ancien casino ne répon-
dait, ni par son élégance ni par sa légèreté, aux lignes
harmonieuses de la façade, que l'abside de notre chapelle
ne rehaussait guère la belle simplicité de la salle trans-
formée, que les salles de classe exigeraient du professeur
une dépense de voix et de forces extraordinaires, que les
dortoirs et les chambres du quatrième étage, perchés t\
25 mètres de hauteur, ne seraient pas d'un accès fort
commode à ceux dont l'âge ou les infirmités alourdis-
sent le corpb ; mais, enfin, on n'avait pu faire mieux ; la
nécessité excusait des imperfections de détail. Du reste,
on était chez soi et l'on s'y trouvait bien ; je me trompe^
la propriété du casino nous était disputée, la justice
était saisie du litige. Mais quand donc un doute platoni-
que sur la possession ou la propriété d'un immeuble a-t-il
empêché les scolastiques de dormir ? Notre sommeil
n'en fut point troublé et l'ange de notre nouvelle com-
munauté n'eut pas de peine à rassurer notre conscience.
Le lendemain, 18 octobre, heureux comme des oiseaux
échappés de la cage, nous prenions la clef des champs et
parcourions en tous sens la propriété de 5 hectares qui
entoure ou plutôt surplombe notre casino. C'est un jar-
din anglais, planté sur le flanc d'une colline de 40 mètres
~ 32 —
d'altilude ; deux ponls-levis y dounenL accès du premier
étage de la maison ; deux larges chemins, en pente douce,
permettent de monter, même en voiture, aux trois ter-
rasses ombragées qui le divisent dans sa hauteur, et con-
duisent lentement à une magnifique esplanade encadrée
de marronniers, couronne de verdure digne de ce jardin
de plaisance. Des arbres d'essence variée, des bosquets
plantés çà et là en épais fourrés, coupent agréablement
la teinte monotone d'un gazon d'ailleurs assez maigre
et promettent à la jeunesse studieuse le repos et la fraî-
cheur de l'ombre :
Tityre, tu patulœ recubaus sub tegmine fagi.
L'exposition de ce parc est très salubre ; faisant face
au sud-ouest, il présente à la fois ses pentes verdoyantes
aux brises rafraîchissantes et aux rayons bienfaisants du
soleil. Le sol, sans doute, couvrant à fleur de terre un
roc de schiste aride, ne se prête pas à la culture ; mais
aussi, hormis peut-être notre bon F. Guinet, l'illustre jar-
dinier, qui donc pourrait s'en plaindre ? S'imagine-t-on
un vulgaire potager, chassant les oiseaux du bocage et
détruisant les charmes d'un parc agréablement destiné
aux ébats et au repos d'une gent studieuse et, qui sait,
aux rêveries silencieuses d'une jeunesse poétique ?
Çà et là, nous rencontrons de nombreux piédestaux,
signe irrécusable du peuple de statues qui animaient ces
promenades ; comme bien on peut penser, autour d'un
casino livré aux fêtes bruyantes d'un monde peu prude,
on n'eût point fait descendre les habitants de l'Elysée
catholique ; ils n'auraient pu, sans rougir, ouvrir les
yeux et les oreilles aux spectacles et aux chants de la
salle des fêtes. L'Olympe païen de l'antique mythologie,
naturellement moins scrupuleux, dut, au contraire, s'y
trouver à l'aise. On comprendra sans peine que des yeux
— 33 —
de timides scolastiques ne pouvaient contempler décem-
ment ces modèles da vice et de la débauche ; ces statues
étaient peut-être des chefs-d'œuvre, mais des chefs-
d'œuvre malsains ; on les a balayées et conduites aux
gémonies, je veux dire au fond d'une cave creusée dans
le roc, où le froid et l'humidité auraient bientôt fait de
les rappeler à la modestie, si ces dieux n'étaient de pierre.
Tout vestige de cette population mythologique n'a ce-
pendant pas disparu, une des Muses antiques a trouvé
grâce devant la juste indignation du R. P. Favier; d'au-
cuns même disent qu'il l'a laissée sous les yeux des sco-
lastiques pour leur donner le salutaire exemple de la
Philosophie ou de la Théologie en extase. Nous avons
l'espoir qu'avant peu d'années les saints du ciel daigne-
ront prendre la place des dieux détrônés et nous réjouir
de leur angélique présence.
Oserai-je maintenant, mon très révérend Père, vous dé-
crire le splendide panorama qui se déroule sous nos yeux
enchantés ? Liège, la vieille cité historique de saint Lam-
bert; Liège, le boulevard moderne du libéralisme belge,
est là, devant nous, tout entière, avec ses 160000 habi-
tants, assise dans la vallée de la Meuse, sur les rives du
grand fleuve qui l'embellit et la fertilise ; nous l'embras-
sons d'un seul regard. Ses églises romanes et ses temples
gothiques, restes merveilleux d'une architecture natio-
nale, témoins vivants d'un passé disparu ; ses nombreux
établissements d'éducation et ses théâtres modernes ; ses
vastes usines et ses hautes cheminées, triomphe de son
industrie et du progrès matériel de son commerce ; ses
boulevards largement ouverts et bordés de somptueuses
habitations et ses ruelles tortueuses, débris d'un âge
écoulé ; les méandres sinueux de son fleuve national
fuyant vers la Hollande ; les collines élevées qui l'enser-
rent, couronnées de bois et d'églises, s'entr'ouvrant vers
T. XXXV. 3
- 34 —
le sud pour découvrir les riantes vallées qu'arrosent la
Meuse, l'Ourlhe et la Wesdre, voilà le pittoresque pa-
norama que nous admirons du sommet de notre parc,
assez rapprochés de la ville pour jouir de toutes ces
beautés, assez éloignés pour n'être point troublés par
les bruits qui expirent à nos pieds.
Vraiment, mon très révérend Père, ne trouvez-vous
pas que vos enfants ont été favorisés du ciel? Ne trouvez-
vous pas que la Providence s'est plu à leur choisir et à
leur préparer le séjour si agréable, où doivent s'écouler
les six années d'étude et de recueillement de leur sco-
lasticat ?
Cette série d'études, de classes, de récréations, de pro-
menades, d'exercices de piété, fut reprise dès le lende-
main de notre installation à Liège et s'est déroulée sans
interruption durant six années. Peu d'événements, dignes
du relief historique, ont marqué notre vie; je me con-
tenterai de signaler ici les faits heureux qui ont laissé
dans notre souvenir une trace moins effacée : visites,
fêtes intimes, solennités publiques, que l'affection filiale
et la reconnaissance nous défendent de condamner à un
éternel oubli.
Notre installation à Liège, mon très révérend Père,
ne passa pas inaperçue ; ce fut un véritable événement.
Quelle audace aussi était la nôtre ! Oser nous rendre
acquéreurs de l'ancien casino du Beau-Mur ; transformer
en un cénacle de paix, de travail, de recueillement, des
salles et des bosquets naguère encore égayés par de trou-
blantes harmonies, habitués aux bruits enivrants des fêtes
mondaines ; était-ce bien conforme à des mœurs ecclé-
siastiques et religieuses ? Nous eûmes l'honneur d'être,
durant quelques jours, au sein de cette grande cité, l'objet
de conversations plus ou moins favorables, voire même
le point de mire ù l'attaque des journalistes libéraux, peu
— 35 —
satisfaits de cette prise de possession. La ville de Liège,
disaient-ils, était assez riche en églises, monastères, cou-
vents d'hommes et de femmes, rien n'exigeait cette nou-
velle fondation ; mieux eût valu rendre à son ancienne
destination le casino liégeois, que de le prostituer ainsi
et de le livrer aux mains de religieux fabricants de mis-
sionnaires, étrangers à la nationalité belge. C'était l'opi-
nion de ces messieurs ; nous n'en fûmes point émus.
D'ailleurs, la majorité des Liégeois nous accueillit avec
bienveillance, et l'organe si méritant du parti catholique,
la Gazette de Liège, au nom du peuple liégeois, nous en-
voya un salut affectueux et sut venger notre œuvre et
notre communauté des ignorantes élucubrations d'ad-
versaires déloyaux et chagrins.
Je n'oserais pas affirmer cependant qu'à ces manifes-
tations de sympathie ne se mêlât un sentiment de curio-
sité, bien légitime, à vrai dire, de la part de cette popu-
lation. Qu'étaient, en effet, ces nouveaux venus? Que
venaient-ils faire à Liège? Quel était le but de cette fon-
dation ? Devions-nous secourir le clergé paroissial, ouvrir
un collège, donner des missions, à l'instar des ordres
religieux déjà installés dans la ville, etc.? Avouez, mon
très révérend Père, que ces questions étaient bien natu-
relles sur les lèvres d'un peuple plus d'une fois comparé
au peuple si curieux et si empressé d'Athènes. Avant ce
jour, en effet, les Oblats étaient à peu près inconnus ;
notre Congrégation était ignorée non seulement à Liège,
mais dans toute la Belgique. Je sais que le R. P. Michaux
avait séjourné à Liège en 1870, offrant les secours de son
ministère à nos soldats réfugiés en Belgique, au fort de
la Chartreuse, à quelques pas du casino que nous habi-
tons ; je sais que ce cher Père, de regrettée mémoire, dans
ses tournées de mendiant apostolique, s'était procuré de
nombreuses relations à Liège et en Belgique ; je sais que
— 36 —
plusieurs fois nos Pères du juniorat de Saint-Charles, en
particulier le H. P. Legrand, appelés par le clergé, avaient
prononcé quelques sermons de circonstance devant les
fidèles de cette ville ; néanmoins, notre Congrégation,
dans son but, dans ses œuvres, dans son organisation,
dans ses membres, était une inconnue dans ce pays; on
ne parlait point d'elle, on ne pensait pas à elle, si ce n'est
au sein des communautés de la Sainte-Famille déjà éta-
blies dans la province de Liège, qui appelaient de leurs
vœux cette fondation d'Oblats.
Ajoutez à cela, mon très révérend Père, notre genre
de vie : le peuple comprend difficilement ces religieux
dont la vie se passe entièrement au sein de la commu-
nauté, dans l'enclos d'une propriété privée, sans exercer
au dehors le ministère ecclésiastique. Les habitants de
notre quartier pauvre et populeux ne sont pas hostiles,
mais indifférents, peu soucieux de remplir les devoirs
de leur religion s'il leur en coûte trop d'efforts et de
dérangements, disposés toutefois à le faire si le clergé
leur en facilite les moyens. Or, les églises paroissiales
sont éloignées de notre maison de plus d'un quart
d'heure et manifestement insuffisantes pour recevoir tous
les paroissiens; sans doute, cette distance n'effrayerait
guère des chrétiens dont la foi serait vivace et l'amour
bien ardent, mais il faut compter avec l'affaiblissement
de la foi, dans les villes surtout, et savoir se mettre à la
portée de cette foule de chrétiens dont l'état d'âme fait
vraiment pitié.
Nous ne fûmes donc point surpris d'entendre parfois,
malgré l'accueil toujours sympathique de notre popula-
tion, l'expression d'un désir qui trahissait quelque désap-
pointement et quelque déception. On eût été si heureux
de nous voir ouvrir une chapelle publique où les chré-
tiens les plus rapprochés seraient admis, les dimanches
— 37 —
et fêtes, à satisfaire aux obligations essentielles de la reli-
gion. Personne, évidemment, ne pouvait en faire un re-
proche à ces braves gens ; rien n'était plus naturel, je
dirais même plus légitime. On se hasarda souvent, du-
rant les premiers mois de notre installation, à nous faire
cette demande formelle ; on nous mit sous les yeux le
grand bien qui en résulterait pour cette population si
bien disposée à notre égard; bref, on nous énuméra
mille raisons, dont chacune eût suffi à enflammer le zèle
de prêtres et de missionnaires. En notre for intérieur,
nous abondions dans ce sens et nous étions les premiers
à gémir sur le triste sort des chrétiens de notre quar-
tier ; mais de bonnes et sages raisons nous commandaient
de conserver une attitude prudente et expectante. L'hi-
ver de 1891-1892 s'écoula, et nous n'avions pas modifié
notre manière d'agir ; nous avions paru faire la sourde
oreille. Les demandes, cependant, ne s'arrêtaient pas,
les sollicitations devenaient de plus en plus pressantes ;
les membres du clergé paroissial lui-même élevaient la
voix en faveur de leurs ouailles, écartant ainsi d'eux-
mêmes un obstacle souvent redoutable; enfin, Sa Gran-
deur M^' Doutreloux, évêque de Liège, nous exprima ce
même désir d'une manière si pressante, qu'il parut
désormais impossible de résister à cette pression morale
du peuple et du clergé sans résister à la fois à la volonté
de Dieu.
Mis au courant, mon très révérend Père, de ces de-
mandes si honorables pour nous et la Congrégation, vous
daignâtes nous accorder l'autorisation d'ouvrir une cha-
pelle publique dans notre établissement et d'y remplir
toutes les fonctions du saint ministère, tout en sauve-
gardant les exigences du règlement d'un scolasticat.
Une grande salle du rez-de-chaussée, séparée de notre
chapelle de communauté par la salle des pas perdus.
- 38 —
était inoccupée ; elle convenait admirablement à notre
dessein, nous la fîmes restaurer, nous y élevâmes un
autel, une table de communion, deux confessionnaux,
et les fidèles apprirent avec plaisir et reconnaissance
que, désormais, les Pères Oblats étaient disposés à leur
faciliter la pratique de leurs devoirs religieux.
Le 15 mai 18132 inaugura pour nous le ministère pu-
blic, et M. le curé de Saint-Rémacle, dont nous sommes,
je crois, les dignes paroissiens, présida lui-même à celte
cérémonie, dont on peut lire le récit dans nos Petites
Annales (juin 1892). Depuis ce jour, tous les dimanches
et fêtes, nous avons les offices publics, messes le malin,
compiles et salut le soir ; les révérends Pères professeurs
du scolasticat sont chargés de la prédication, des confes-
sions et des autres fonctions du saint ministère, qu'ils
s'efforcent de concilier avec leurs autres devoirs d'élat.
Chaque année, le jeudi de la Fête-Dieu, notre parc
ouvre ses pittoresques allées à la longue théorie des
Liégeois et des Liégeoises qui accourent à notre belle
procession du Très Saint Sacrement; tous les ans, le
nombre des fidèles s'accroît et nous sommes bien édi-
fiés de la bonne tenue, de la piété, de la ferveur de celte
foule en fêle.
Bientôt, cependant, et nous devions nous y attendre,
notre chapelle provisoire fut insuffisante et il fallut son-
ger à donner satisfaction complète aux chrétiens de
notre quartier en bâtissant une église vaste, belle, digne
en tout du culte divin. Vous avez déjà lu dans nos an-
nales, mon très révérend Père, le récit détaillé et édifiant
des fêles de la pose de la première pierre, le 17 septem-
bre 1895, et le transfert solennel d'une relique de saint
Lambert à noire église en construction, présidée par
Sa Grandeur M^'' Doutreloux, entouré de son chapitre
et d'une immense multitude de Liégeois. Je ne veux pas
— 39 —
revenir sur ces solennités; je me contenterai de vous
dire combien vos enfants de Liège étaient justement
fiers de la gloire qui, en ces jours mémorables, a rejailli
sur la Congrégation tout entière. Ces manifestations
grandioses ont montré que désormais les Oblats de Marie
avaient, à Liège, droit de cité, et que, selon votre propre
expression, ils s'étaient profondément inct'ustés, et à
jamais, sur le sol de la Belgique.
Jamais nous n'avons regretté notre condescendance à
faire une brèche légère à notre règlement intérieur du
scolasticat pour nous occuper du ministère ecclésias-
tique ; au contraire, cette condescendance a fortement
contribué à resserrer les liens de sympathie qui nous
unissaient au peuple et au clergé liégeois ; nous nous
sommes laissé dire que le bien se faisait par notre mi-
nistère, nous l'avons constaté nous-mêmes maintes fois,
et nous nous sommes réjouis dans le Seigneur, de voir
notre Congrégation, honorée et bénie, prendre un rang
honorable parmi les ordres religieux dont Liège a raison
de se glorifier.
Nos rapports avec le clergé séculier n'en ont point été
troublés; accueillis avec une charité toute fraternelle
par les membres du clergé, nous avons toujours vécu
en bonne intelligence. Chaque année, à l'occasion de
notre fête patronale de l'Immaculée Conception, nous
avons l'honneur d'inviter à notre table plusieurs mem-
bres de l'administration diocésaine et du clergé parois-
sial, et nous voyons alors avec plaisir quelle cordialité,
quel fraternel abandon président à nos relations. Vous-
même, mon très révérend Père, en avez élé témoin plu-
sieurs lois et nous savons que votre cœur paternel en a
été vivement réjoui et consolé. Je me reprocherais de
ne point nommer ici M. Hislaire, curé de Saint-Ré-
macle, ancien ami de notre Congrégation, qui n'a cessé
— 40 —
de nous seconder et de nous témoigner une inaltérable
et chaude amitié.
Que vous dirai-je maintenant de la paternelle affec-
tion dont le saint et vénéré pasteur du diocèse nous
donne de nombreuses marques? Vous connaissez déjà,
mon très révérend Père, quels titres nombreux recom-
mandent Sa Grandeur M^"" Doutreloux, évoque de Liège,
à l'admiration, à la reconnaissance des catholiques de
Liège, de la Belgique et du monde entier. Vous n'igno-
rez pas, en particulier, que c'est à Liège, sous l'impul-
sion persévérante de Sa Grandeur, qu'a été accentué et
soutenu ce mouvement général du clergé et des classes
privilégiées à se porter, à s'incliner vers le peuple ; vous
savez avec quelle ardeur et quelle imperturbable éner-
gie Monseigneur s'efforce, malgré les tristesses et les dé-
boires du temps présent, de seconder les vues et les
intentions du Père commun des fidèles, du Pape des ou-
vriers, de Léon XIII.
Mais de nouveaux titres ont rendu les Oblats de Marie
de Liège les obligés de leur saint évêque. Dès le début,
Monseigneur nous a accueillis avec une singulière bien-
veillance : « Mon cœur et mes bras sont grands ouverts
aux Oblats », disait-il au R. P. Legrand, chargé de lui
faire la première ouverture sur notre installation à Liège,
et cette parole n'a point été démentie par les faits.
Le 9 avril 189:2, Monseigneur nous faisait l'honneur
de sa première visite; il adressa la parole à la commu-
nauté réunie; dans un entretien familier, paternel, dans
lequel éclataient son grand esprit de foi et sa profonde
piété, Sa Grandeur daigna nous redire avec quel bon-
heur elle avait reçu dans son diocèse, dans sa ville épis-
copale, cette nouvelle communauté de missionnaires et
d'apôtres ; elle trouvait une grande consolation dans
cette pensée que tous les matins des mains sacerdotales
— 41 ~
plus nombreuses consacreraient la sainte victime et
rélèveraient au-dessus de celte cité si justement appelée
la ville du Saint Sacrement ; elle se félicitait à l'avance
du grand bien que nos prières, notre exemple, notre mi-
nistère, ne tarderaient pas d'opérer au sein de la po-
pulation liégeoise. Après s'être promené dans le parc
avec les révérends Pères professeurs, Monseigneur nous
quitta, nous laissant sous le charme de cette visite pa-
ternelle et profondément édifiés de sa piété tendre et
forte et de son ardent amour pour l'adorable Eucha-
ristie. Dans la suite, tous nos rapports, soit avec la per-
sonne de l'évêque, soit avec les membres de l'adminis-
tration diocésaine, ont été empreints d'une véritable
sympathie et d'une cordialité réciproque. Nous n'avons
jamais recouru à cette administration pour notre com-
munauté, pour nos ordinations, pour l'exercice de notre
ministère, sans rencontrer l'accueil le plus facile et le
plus bienveillant, et, mettant le comble à ces favorables
sentiments, Monseigneur, non content d'admettre nos
Frères scolasliques à toutes les ordinations du grand sé-
minaire, veut bien présider nos ordinations générales à
la fin de l'année scolaire. Heureux les Oblats qui ont
reçu l'imposition des mains d'un prélat dont les vertus,
la piété, la sagesse, rappellent si vivement notre vénéré
Père et Fondateur !
Vous me pardonnerez, mon très révérend Père, si je
me suis trop longuement étendu sur les relations de notre
communauté avec le peuple, le clergé et l'évêque de
Liège ; j'ai cru ces détails capables de réjouir votre cœur
et d'intéresser la Congrégation, en faisant connaître
quelle position solide, respectée et assurée la divine Pro-
vidence a donnée et conservée au scolasticat de Liège.
Vos fils en sont justement fiers et pour eux et pour vous,
mon très révérend Père, et pour notre famille religieuse;
— 42 —
puissent-ils s'en montrer reconnaissants à l'auteur de
tous les dons et mériter toujours à l'avenir cette inappré-
ciable faveur !
Je reviens maintenant à la vie intérieure de notre com-
munauté depuis ses origines. Suivant le désir manifesté
par le révérendissime Père Fabre, de si regrettée mé-
moire, nous avons adopté dans son ensemble et dans ses
détails le règlement du scolasticat à Autun ; ce règle-
ment, du reste, fruit d'une étude sérieuse et d'une longue
expérience* avait fait ses preuves et donné les meilleurs
résultats : nous avons tenu à nous y conformer religieu-
sement, sans repousser toutefois de parti pris les amélio-
rations, les perfectionnements, que les circonstances
imposaient et que l'autorité compétente voulait bien
nous permettre d'y introduire. La division des cours en
deux semestres, l'horaire des différents exercices dujour,
du mois, de l'année, la distribution des matières de
classe, tout est calqué sur le règlement traditionnel ; nous
marchons dans une voie tracée dès le début de la Con-
grégation par la sagesse de nos premiers Pères, nous la
croyons droite et infaillible.
Sans doute, mon très révérend Père, je n'ai point qua-
lité pour vous parler des résultats, des fruits recueillis
par la Congrégation durant ces cinq années de séjour sur
le sol de Belgique; de nombreux Oblats ont passé ici les
années si importantes de leur formation sacerdotale et
religieuse ; ils ont été coulés dans le moule de l'Oblat .
ils ont appliqué leur esprit à l'acquisition des diverses
branches du savoir ecclésiastique ; ils ont essayé de for-
mer leur caractère, de s'enrichir de vertus ; ils se sont
préparés à remplir dignement les différents ministères
que l'avenir leur réservait. Ces scolastiques, devenus
prêtres, missionnaires Oblats de Marie, ont-ils toujours
répondu, répondent-ils encore, soit aux sacrifices que la
-„ 43 —
Congrégation s'est imposés pour leur formation, soit aux
légitimes exigences des supérieurs sous lesquels ils ont
été placés et ont fait leurs premières armes ? Encore une
fois, je n'ai pas qualité pour répondre à cette question.
Mais qu'il me soit permis, mon très révérend Père, au
nom de tous mes collègues du scolasticat de Liège, de
vous remercier du témoignage si flatteur que vous avez
bien voulu rendre aux professeurs des scolasticats de
notre Congrégation, dans la magnifique et lumineuse
circulaire que vous avez adressée naguère à notre famille
religieuse. Vous nous avez jugés avec une grande indul-
gence, vous nous avez rappelé nos devoirs, mais nous
sommes justement fiers que vous vous soyez dit heureux
de rendre hommage au zèle avec lequel nous les remplis-
sions. Merci, mon très révérend Père, merci de ce témoi-
gnage, merci de ces conseils. Oui, nous tâcherons de
nous montrer toujours dignes de la haute mission qui
nous a été confiée, nous redoublerons encore de courage
et de dévouement. Nous sommes tous heureux, scolas-
tiques et professeurs, de vous remercier aujourd'hui
publiquement de l'enseignement magistral que vous
venez de distribuer à la Congrégation sur les études de
l'Oblat de Marie, nous y adhérons tous sans réserve, et
vous assurons que cette circulaire sera notre règle invio-
lable pour le présent elpour l'avenir.
Je disais plus haut que la vie du scolasticat élaiL ren-
fermée dans une trame assez monotone ; ne croyez pas
cependant, mon très révérend Père, qu'elle parcourt tou-
jours le môme cycle rigide et inflexible ; non, elle a
aussi ses distractions heureuses et ses charmes imprévus;
je veux parler de ces solennités périodiques, de ces fêtes
intimes de famille, de ces ordinations, de ces vacances,
qui apportent toujours aux esprits un délassement bien
mérité et aux cœurs des joies avidememt goûtées ; je
— 44 —
veux surtout relever ce plaisir si légitime que cause parmi
nous la visite annoncée ou imprévue des membres delà
Congrégation ou de personnages distingués par leur carac-
tère, leur science ou leurs vertus. Dans toute famille
bien unie par les liens de l'affectionj où se rencontrent
des cœurs bien nés, on se met en liesse à l'arrivée de
membres longtemps absents , inconnus peut-être de
visage, mais connus de cœur, de réputation, dans les-
quels on découvre le sceau distinctif de la même famille
et le sang du même père. A ce point de vue, mon très
révérend Père, vos scolastiques de Liège sont favorisés ;
qui donc pourrait compter le grand nombre d'Oblats qui
ont passé sous leurs yeux et couché sous leur toit, vété-
rans déjà blanchis par les travaux de l'apostolat, jeunes
frères d'armes brûlant déjà du zèle le plus ardent, tous
marqués sur la poitrine et dans le cœur, au signe carac-
téristique de rOblat, sa croix et sa charité ?
La visite la plus féconde en joies pieuses et en conso-
lations, c'est la vôtre, mon très révérend et bien-aimé
Père. Appelé à Dieu après une vie noblement remplie,
votre vénéré prédécesseur n'avait pu visiter en personne
notre scolasticat de Liège; nous savons cependant com-
bien il nous aimait, combien il s'intéressait à nos progrès
dans la science et la piété. Cette affection paternelle,
cette sollicitude constante, cet intérêt touchant, il ne les
a pas emportés avec lui dans la tombe ; ils vivent dansle
cœur de son digne successeur, et combien de fois n'en
avons-nous pas fait la douce expérience! Dès le 11 jan-
vier 1893, après le deuil universel qui frappa notre famille
religieuse, revêtu de la dignité de vicaire général, vous
aviez la bonté de venir à Liège visiter et consoler vos en-
fants. Et depuis votre nomination à la charge de supé-
rieur général de la Congrégation, nous avons goûté chaque
année, même plusieurs fois dans l'année, ce plaisir récon-
— 45 —
fortantet inoubliable que des entants affectueux recueil-
lent de la présence, de la vue, des paroles, des conseils,
des encouragements de leur père. Si je ne craignais de
faire des jaloux, je dirais que la maison de Liège est sous
ce rapport la plus forlunée de la Congrégation. Vous-
même, mon très révérend Père, ne craignez pas d'avouer
un penchant particulier, une tendresse spéciale pour
notre scolasticat. C'est ici que vous établissez votre quar-
tier général, ainsi que vous le dites vous-même, lorsque
les intérêts de la Congrégation vous conduisent en Bel-
gique et en Hollande; d'ici vous rayonnez aux alentours,
vous allez visiterle juniorat de Saint-Charles, le noviciat
de Saint-Gerlach, le noviciat de Saint-Joseph, au Bestin ;
et durant tous ces jours si heureux pour nous, votre pré-
sence nous enchante et nous réjouit, vos conversations
nous intéressent et nous charment, vos entretiens spiri-
tuels nous enflamment et nous édifient, votre sollicitude
attentive à tous les intérêts de la communauté nous oblige
à reconnaître que le cœur de notre vénéré Fondateur bat
encore plein de vie au sein de la famille. Notre désir le
plus ardent est de réjouir toujours votre cœur paternel
et de mériter votre approbation et votre encourageante
faveur par notre fidélité et notre application à tous nos
devoirs religieux.
Combien de fois aussi, mettant le comble à cette faveur,
avez-vous envoyé au scolasticat de Liège, pour nous visi-
ter et vous représenter, les membres de votre adminis-
tration générale ! Que de fois, durant les trois premières
années de notre installation, avons-nous possédé au
milieu de nous le tant regretté P. Martinet ! Il a présidé
à notre prise de possession, il n'a épargné ni peine ni
fatigues pour doter la Congrégation d'un de ses plus
remarquables établissements; son goût éclairé de l'art
et du beau a réussi à conserver à notre casino son cachet
— 46 —
de grandiose simplicité. Que dirai-je de la constante
affection dont il n'a cessé de nous donner des preuves
non équivoques, de l'intérêt soutenu que sa lumineuse
intelligence daignait prendre à nos travaux, à nos études,
à la bonne renommée du scolasticat? Nous regrettons
vivement sa perte prématurée, mais il nous e'^t doux au-
jourd'hui de le saluer publiquement et de le présentera
nos successeurs comme le Fondateur du scolasticat de
Liège.
Nous nous permettrons aussi de remercier les RR. PP.
AuGiER Cassien, et Tatin, assistants généraux, qui, m,al-
gré leurs multiples occupations, ont bien voulu nous
donner un témoignante précieux de leur intérêt, en venant
présider plusieurs fois nos examens semestriels. Leur pré-
sence a été pour tous, maîtres et élèves, un précieux
encouragement ; elle est aussi, pour toute la Congréga-
tion, la garantie assurée de la souveraine orthodoxie de
l'enseignement philosophique et théologique au scolas-
ticat.
Non moins vive est notre gratitude envers le R. P. Voi-
RiN et le R. P. Sardou, procureur général, qui, durant
trois retraites annuelles, ont nourri nos âmes d'une
parole substantielle et appropriée à nos besoins.
Je serais infini, mon très révérend Père, si je vous
racontais dans le détail les agréables visites que le sco-
lasticat de Liège a reçues, durant ces cinq années, de la
part des Pères de la Congrégation ; la proximité de nos
maisons de Hollande avec lesquelles nous vivons en si
fraternelle harmonie, le passage périodique de nos Pères
à Liège, à l'occasion des retraites de la Sainte-Famille,
l'échéance du chapitre général en 1893, qui a fait con-
verger à Paris un si grand nombre de missionnaires, voilà,
mon très révérend Père, des circonstances heureuses aux-
quelles nous devons des joies de famille et la salutaire
— 47 —
édification que la parole el l'exemple des aînés procurent
à des frères plus jeunes. C'est ainsi que nos évoques des
missions étrangères, Nosseigneurs Grouard, Grandin,
Mélizan, Jolivbt, Pascal, Gaughren, Joulain, nous ont
fait tour à tour l'honneur de leur auguste visite; c'est
ainsi que tous nous avons puisé dans le commerce de ces
vétérans, dans leurs intéressantes conversations, dans les
témoignages de leur affection, un amour plus filial envers
notre chère famille religieuse et un zèle plus ardent pour
le salut des pauvres âmes abandonnées. Rien de surpre-
nant après cela si le désir de voler aux missions étran-
gères n'est pas près de disparaître au scolasticat de Liège ;
vous savez, mon très révérend Père, que ce feu divin y
couve toujours et vous êtes le premier à vous en réjouir
et à entretenir le dévouement surnaturel qui l'allume
dans les cœurs.
Je croirais manquer à un devoir de reconnaissance, si
je n'associais à nos vénérés vicaires apostoliques et à
nos Pères des missions étrangères, le nom d'un prélat
d'outre monde, que notre Congrégation, il est vrai, ne
compte pas au nombre de ses enfants, mais auquel nos
scolastiquesont décerné par acclamation le titre d'Oblat
honoraire à perpétuité : j'ai nommé sa Grâce M^"" Duha-
mel, archevêque d'Ottava. Durant le peu de jours que
M>'r Duhamel a passés au milieu de nous, nous avons
été touchés de l'émotion avec laquelle le vénéré prélat
rappelait le souvenir de ses anciens maîtres, les Oblats du
Canada, et nous avons recueilli sur ses lèvres l'expression
des sentiments de profonde reconnaissance que son cœur
nourrit pour notre Congrégation. Monseigneur, notre
Congrégation aussi est flère de vous, elle ne sait com-
ment vous témoigner sa vive gratitude; les scolasliques
de Liège s'unissent à leurs frères d'Archville pour vous
redire : Ad multos annosi
— 48 —
Nos Pères d'Europe sont toujours bien accueillis au
scolasticat ; eux aussi ont à raconter à de jeunes recrues
les travaux, les luttes, les succès, les épreuves de l'apos-
tolat dans nos contrées civilisées. Permettez-moi, mon
très révérend Père, d'offrir ici le témoignage de notre
reconnaissance au R. P. Favier, provincial de la pro-
vince du Nord, qui s'est tant dépensé pour aider le
R. P. Martinet dans l'organisation de notre scolasticat;
nous associerons toujours son nom à celui du Fondateur
du scolasticat de Liège. Pourrais-je passer sous silence
le nom si vénéré du R. P. Rey, supérieur de Notre-Dame
de Pontmain?Ce bon Père, revenant duBestin où il avait
canoniquement érigé le noviciat belge de Saint-Joseph,
n'a pu résister au plaisir d'embrasser ses enfants de
Liège et de leur prodiguer les caresses et les témoignages
de l'affection qu'il a puisée au cœur de notre vénéré Fon-
dateur.
Mentionnons aussi la visite du R. P. Jean-Baptiste
Lémius, supérieur de Montmartre, qui, dans son trop
court passage à Liège, adressa à nos scolastiques des
paroles nourries et substantielles et accepta de donner
dans la vaste église de Saint-Jacques un éloquent ser-
mon de circonstance, dont nous allons encore recueillir
les échos.
Enfin, pour terminer, nous envoyons au-delà de la
tombe un souvenir ému au R. P. Michaux, l'Oblat au cœur
si généreux, à la bourse si largement ouverte, que les
scolastiques de Liège ont maintes fois fêté et dont ils ont
ressenti l'inépuisable charité.
Je vous ai entretenu jusqu'ici, et trop longuement
peut-être des visites que le scolasticat de Liège a eu le
plaisir de recevoir ; oserais-je bien, mon très révérend
Père, vous dire un mot de celles qu'il s'est lui-même
décidé à faire? Ceci, je l'avoue, n'était point prévu par
— 49 —
le règlement d'Autun ; ce n'est point cependant une
large brèche à notre vénéré et traditionnel coutumier :
c'est un perfectionnement, une amélioration, un progrès,
une nécessité que les circonstances nous ont imposée ; je
veux parler du séjour que le scolasticat de Liège a fait à
diverses reprises au juniorat de Saint-Charles. Vous avez
jugé, mon très révérend Père, que le changement d'air,
un repos plus absolu, une liberté plus complète auraient
un heureux résultat, sur des santés que des études pro-
longées au sein de l'atmosphère d'une ville industrielle
ne manquent pas d'ébranler et d'affaiblir. Déjà en 1894
et 1895, quelques-uns de nos scolastiques étaient allés
demander à Saint-Charles un air plus vif et plus pur, un
horizon nouveau, un régime varié; en 1896, après la
mi-juillet, le scolasticat tout entier s'est ébranlé et a
planté sa tente, durant quinze jours, en Hollande, dans
ce Limbourg si religieux et si hospitalier. Pour la plupart
d'entre nous, cette contrée n'était point inconnue : là
Dieu avait placé le berceau de notre vie religieuse j nous
étions heureux de raviver nos souvenirs et de saluer de
vieilles connaissances. Ces quinze jours de grandes
vacances, de délassement, de promenades, de grand air,
de bains salutaires ont procuré l'effet voulu ; âme plus
saine dans un corps plus sain : anima sanain corporesano.
Nous ne saurions assez remercier nos frères de Saint-
Charles, en particulier le R. P. Legrand et le R. P. Ravaux,
de leur cordiale hospitalité et de la fraternelle affection
dont ils nous ont entourés.
Il ne faudrait pas conclure, de cet exode insolite du
scolasticat, que la santé générale eût été profondément
atteinte. Grâce à Dieu, cette épreuve nous a été épargnée
jusqu'à ce jour. Sans doute, la vallée de la Meuse n'est
pas une vallée de Campan, sans doute, dans notre parc,
ne soufflent pas toujours les tièdes zéphyrs qui caressent
— 50 —
les jardins élyséens ; sans cloute le suave climatdes bords
de la Méditerranée ne fait pas de longs séjours dans nos
contrées septentrionales; mais de là à prononcer que
notre terre liégeoise dévore ses habitants, il y a loin. On
y meurt, il est vrai, comme partout ; mais on y vit aussi ;
et je vous assure que l'on peut y vivre et très bien et très
longtemps. Nous avons dû payer un tribut forcé à cette
mystérieuse maladie qui, sous le nom à'mfluenza, fait
sentir ses méfaits périodiques ; mais quel pays fut à l'abri
de sa visite importune ? La main de la mort a su choisir
quatre jeunes victimes et arracher à notre affection des
frères bien-aimés; mais ces victimes étaient mûres depuis
longtemps , et il est douteux qu'ailleurs l'implacable
phtisie eût laissé échapper sa proie. L'époque du scolas-
ticat, on ne saurait l'ignorer, est, pour la santé des jeunes
gens, une époque assez critique ; les exigences de la vie
de communauté, les fatigues inséparables de l'application
soutenue à l'étude, nécessitent sans doute des précautions
délicates, dont la sagesse des supérieurs doit faire la pru-
dente apphcation, mais elles expliquent aussi facilement
l'épuisement passager des forces corporelles ou les rares
catastrophes qui ont jeté le deuil parmi nous.
Ce rapport est déjà trop étendu, mon très révérend
Père, et cependant je n'ai rien dit du personnel du sco-
lasticat; je réclame encore votre indulgence durant quel-
ques instants : je serai bref.
Nos scolastiques, vous le savez, appartiennent à peu
près à toutes les nationalités européennes, et l'esprit de
Dieu semble les avoir réunis ici des quatre vents du ciel :
Belges, Français, Anglais, Allemands, Hollandais,ïtaliens,
voire même Espagnols, s'efforcent de réaliser le Cor
unum et anima una, devise de l'Oblat et testament de
notre vénéré Fondateur. Leur nombre n'a cessé d'aug-
menter ; les noviciats de l'Osier, de Saint-Gerlach, d'An-
— 51 —
gers, du Bestin, fournissent à notre maison de Liège un
contingent de jeunes religieux dont nous avons à bénir
la divine Providence. En ce moment, il y a cent quinze
scolastiques ; c'est un chiffre bien consolant. Et si l'on
veut y ajouter les hôtes de nos florissants scolasticats de
Rome, d'Archville, de Hiinfeld, il est permis d'envisager
l'avenir avec confiance : sed quid hxc inter tantos! Les
besoins sont si nombreux, les provinciaux et les vicaires
des Missions si attentifs et si insatiables, le développe-
ment des œuvres de la Congrégation si imprévu et si
rapide, que longtemps encore nous demanderons au Père
de famille d'envoyer dans sa vigne de nombreux et saints
ouvriers.
Le personnel enseignant ne suit point les progrès
ascendants des Frères scolastiques; déterminé par l'objet
des études, le nombre des professeurs ne saurait varier.
Peu de changements importants à noter durant ces cinq
années ; n'oublions pas cependant de saluer avec recon-
naissance le R. P. Van Laar, appelé par Tobéissance dans
nos Missions d'Afrique, et le R. P. Lerond, de si douce
mémoire, dont le nom revient si souvent sur nos lèvres,
avec le souvenir de son inaltérable affabilité. Ainsi que
je le disais plus haut, les révérends Pères professeurs
sont aussi chargés provisoirement du ministère dans la
chapelle publique, plusieurs même d'entre eux ont ac-
cepté de donner en ville quelques sermons de circon-
stance; mais ils n'oublient pas, montrés révérend Père,
que l'œuvre du scolasticat est l'œuvre essentielle de
notre Communauté, et, fidèles aux recommandations de
la règle, ils s'efforcent de lui consacrer leur temps et
leurs travaux intellectuels. Je ferai une exception, toute
à sa louange cependant, pour le R. P. Delouche. Vous
savez, montrés révérend Père, combien notre commu-
nauté et la Congrégation elle-même doit au zèle, au
— 52 —
dévouemenl, à l'activité de ce cher Père; l'œuvre des
vocations, la diffusion de nos Petites Annales en Bel-
gique, la construction d'une magnifique église à Liège,
la fondation de nouvelles maisons en ces contrées, rien
ne l'arrête, rien ne le fatigue, rien ne le rebute. Il tend
la main, et Dieu sait avec quel heureux succès, sans se
lasser, pour toutes les œuvres qui procurent, ici ou à
l'étranger, la gloire de Dieu et l'honneur de la Congré-
gation; ses œuvres, sans doute, font son plus grand
éloge et Dieu, un jour, l'en récompensera; mais nous
devions lui donner ici un témoignage public de notre
estime et de notre gratitude. Euge, serve bone.
Je suis heureux aussi, mon très révérend Père, de vous
assurer du bon esprit, de la régularité, du dévouement
à leur famille religieuse, qui animent nos bons Frères
convers ; dans une maison si vaste, occupée par une jeu-
nesse si nombreuse, le travail ne fait pas délaut, il n'est
guère de loisirs; tous, jeunes et vieux sont appliqués à
remplir les obligations de leur état, tous s'efforcent de
suppléer par leur activité à l'insuffisance du nombre.
En finissant ce trop long rapport, qu'il me soit permis,
mon très révérend Père, au nom de tous les membres du
scolasticat de Liège, de vous renouveler l'assurance de
notre affection filiale et de vous demander votre béné-
diction paternelle. Thévenon, o. m. i.
MAISON DE SAINT-ULRICH.
RAPPORT DU R. P. LÉGLISE AU T. R. P. SUPÉRIEUR GÉiVÉRAL.
Saint-Uirich, 25 janvier 1897.
Mon très révérend et bien-aimé Père,
Il y a un peu plus de quatre ans, le R. P. Dru, supé-
rieur de la maison de Saint-Ulrich, me priait d'écrire sur
les origines et l'histoire de notre maison un rapport que
la maladie ne lui permettait pas de composer. Je pris
la plume par obéissance et charité, et j'adressai au
T. R. P. Fabre quelques modestes pages, les dernières
sans doute qu'il reçut en ce genre.
Aujourd'hui que mon ancien supérieur m'a cédé ses
fonctions et sa charge, c'est par devoir que je reprends
la plume pour continuer l'histoire de notre maison du-
rant les quelques années écoulées.
Cette histoire est si simple qu'elle déconcerte l'auteur.
Saint-Ulrich, en effet, est une demeure solitaire, placée
près d'un pèlerinage modeste, connu seulement des
alentours ; ses missionnaires se livrent à des travaux
petits et qui se ressemblent tous. Que dire, ou plutôt
qu'écrire, qui offre l'intérêt des attachants récits des mis-
sions étrangères, ou des belles descriptions des grandes
missions de France ?
J'ai relaté, dans mon précédent rapport, tout ce que
j'ai pu sur le pèlerinage de Saint-Ulrich ; sur son anti-
quité, qui remonte au dixiènle siècle; sur son site char-
mant, sa ceinture de bois, son écart du monde et sa soli-
tude, qui en font une demeure des plus en harmonie
avec cette vie de calme dont a besoin le missionnaire fati-
gué pour refaire son corps, son esprit, son âme, et se
disposer, par le recueillement et l'étude, aux labeurs
futurs. J'ai nommé les diverses mains par lesquelles passa
tour à tour la propriété de ces lieux, depuis le seigneur
de Linange jusqu'aux chevaliers de Malte, et finalement
les évoques de Nancy et de Metz. J'ai raconté enfin com-
ment la bienveillance du maréchal de Manteuffel, gou-
verneur d'Alsace-Lorraine, avait permis au saint et vénéré
M^' Dupont des Loges, évêque de Metz, de nous établir
ici, pour rétablir le pèlerinage, évangéliser son diocèse.
De nouveau, nous exprimons le regret de ne pas pos-
— 54 —
séder plus de documents dont le contenu eût permis
d'écrire une notice intéressantejsur Saint-Ulrich.
A défaut de parchemins et d'archives, les pierres vien-
nent de parler. Au nord de notre chapelle, se détache,
sur un terrain labourable, un vaste monticule irrégulière-
ment rectangulaire, couvert en partie d'arbres chétifs et
de broussailles. Par je ne sais quel hasard ou sur quelles
indications, on se mit à fouiller ce sol, et bientôt, on eut
devant soi des ruines assez intéressantes pour attirer non
seulement les curieux et les amateurs, mais la savante
Société archéologique de Lorraine qui se charge de faire
continuer à ses frais le travail commencé. Quand la
pelle de l'ouvrier eut fait son œuvre, on sévit en face de
ruines, dont l'architecture d'une part, et la distribution
des pièces d'autre part, fournissaient une preuve mani-
feste du grand âge de la construction. C'étaient les ves-
tiges d'une villa romaine, avec tout le confortable de cette
époque reculée. La tradition est donc vraie quand elle
dit que la terre de Saint-Ulrich était célèbre autrefois
par ses habitations romaines, avant de le devenir par son
pieux sanctuaire.
Propriété de l'évèché de Nancy avant la guerre de 1870,
cet immeuble passa à la mense épiscopale de Metz à la
suite de l'annexion. Il n'offrait guère que le spectacle de
son délabrement quand nos Pères en prirent possession
en 1880; et si, aujourd'hui, chapelle, maison, jardins,
offrent un aspect de bon ordre et de bon goût, c'est
au dévouement comme à l'intelligence de nos Pères que
cette transformation est due. En retour, et pour recon-
naître en même temps les bons services des Oblats dans
son diocèse, M^"" Fleck, évêque de Metz, a répondu avec
la plus grande bienveillance à la demande d'acquisition
que nous lui avons faite récemment. Quand le gouver-
nement aura donné l'autorisation que nécessite cette
~ 53 —
mutation, nous serons possesseurs d'un beau sanctuaire
et d'une résidence placée dans une situation qui lui
permet d'espérer un bel avenir. Saint-Ulrich, en efiet,
se trouve aux confins du diocèse de Metz, aux portes des
diocèses de Strasbourg et de Nancy, tout proche égale-
ment du Palatinat et de la Province rhénane. Quel vaste
champ d'action pour ses missionnaires ! Puisse cette
acquisition se réaliser bientôt !
La communauté se compose aujourd'hui des PP. Lé-
GLISE, supérieur; Mauss, Loos, Laufer, Meyer, Hauers-
perger; des FF. convers Schmalz, Meyer, Braun. Ce per-
sonnel est, en grande partie, nouveau depuis le précédent
rapport.
Le R. P. Bach, premier arrivé et fondateur de Saint-
Ulrich, a reçu son obédience pour le noviciat de Saint-
Gerlach au mois de février 1893. Ce départ a causé, dans
le diocèse, comme dans la communauté, de vifs regrets;
mais il a laissé ici le souvenir d'un bon religieux; là,
celui d'un missionnaire qui s'était dévoué, durant plus
de vingt ans, et avait évangélisé presque toutes les pa-
roisses.
Une année et demie plus lard, en novembre 1894, la
maison de Saint-Ulrich faisait une perte non moins sen-
sible dans la personne du R. P. Dru. (Compagnon tout
(.'abord, puis successeur du R. P. Bach, le P. Dru avait
vraiment été la seconde pierre fondamentale de notre
établissement. Épuisé par le travail, et plus encore miné
par la souffrance, ce cher Père ne trouvait plus en lui
les forces qu'exigeaient les ressources de son zèle. Le
climat de Nice, où l'envoya une obédience du T.R. P. Gé-
néral, ne lui fut pas propice. Dieu veuille, cependant,
lui rendre au plus tôt une santé meilleure. C'est l'objet
de nos vœux, que l'amitié et la reconnaissance rendent
doublement ardents.
— 56 —
Puisque je parle des départs, je n'aurais garde d'omettre
celui de notre bon F. Dreyer. L'obéissance l'a envoyé,
il y aura bientôt un an, à Notre-Dame de l'Osier. L'Isère
est loin de la Lorraine. Mais l'éloignement, quelque
considérable qu'il puisse être, ne nous fait pas oublier les
services réels rendus par ce Frère à la maison et au pèle-
rinage de Saint-Ulrich, durant seize années. Il fut ici dès
le premier jour de la fondation, et il connut la rigueur
de ces débuts où tout faisait défaut. Son dévouement ne
s'est jamais ralenti; il a donné ses soins à tout : cha-
pelle, jardin, intérieur. Si la Vierge de l'Osier le protège
maintenant, saint Ulrich ne le peut oublier, et c'est au
pied de son autel que nous nous souvenons de lui.
Le départ des RR. PP. Bach et Dru avait déjà produit
un vide considérable au milieu de nous, quand une nou-
velle obédience vint priver notre maison d'un de ses
meilleurs sujets. Mais les circonstances étaient telles,
que la pensée de nous plaindre ne pouvait même pas
nous venir. Je fais allusion à la fondation de la province
d'Allemagneetà sonpremierProvincial,leR. P.Scharsch.
Tout le monde connaît, mon très révérend et bien-
aimé Père, les raisons et les espérances de cette nou-
velle fondation, on les a lues dans votre circulaire du
5 mai 1895 ; je n'ai pas non plus à dire les développe-
ments rapides que prend cette jeune province, grâce au
zèle religieux et à l'activité intelligente de celui qui en
a eu la direction; ce récit ne m'appartient pas. Mais ce
qui m'appartient et ce qui est de mon devoir, c'est
d'adresser publiquement, dans ce rapport, l'hommage
de notre reconnaissance à la province du Nord à laquelle
nous avons appartenu durant tant d'années, et dont les
divers provinciaux ont su prendre toujours si à cœur les
intérêts de notre maison.
L'histoire raconte que, Philippe V, duc d'Anjou, pas-
— S7 —
sant les monts pour aller recevoir la couronne d'Espa-
gne, promettait à son aïeul qu'en devenant bon Espa-
gnol, il n'oublierait jamais la terre qui l'avait vu naître.
Nous aussi, nous nous consacrerons de notre mieux à
notre nouvelle province, sans oublier jamais notre pro-
vince d'origine.
Le ministère des Pères missionnaires de Saint-Ulrich
est double : garder et développer le pèlerinage, se donner
au travail des missions.
Chaque jour viennent quelques pieux pèlerins, qui,
habituellement, se confessent et communient. Les lundis
de Pâques et de Pentecôte, mais particulièrement le 4 et
le 16 juillet, sont les jours de grand concours. Plusieurs
milliers de personnes nous arrivent ces jours- là, ainsi
qu'un très nombreux clergé. La chapelle étant trop petite
pour la circonstance, la grand'messe se célèbre en plein
air. Au fond de notre belle allée de marronniers, nous
élevons, sous une tente, un reposoir aussi grandiose que
possible. Les branches des arbres forment, au-dessus de
la foule, comme une voûte gothique. Ces fêtes sont vrai-
ment ravissantes et amènent, d'année en année, un
nombre toujours plus considérable de fidèles, qui nous
arrivent en chantant des cantiques ou en égrenant leur
chapelet.
Puisse ce cher peuple de Lorraine conserver toujours
cette foi et cette piété qui le caractérisent ! Tel est le but
de nos efforts dans notre ministère extérieur. La presque
totalité des paroisses de ce diocèse sont bonnes, chré-
tiennes, pratiquantes. Dès l'ouverture des exercices, le
missionnaire a, au pied de sa chaire, presque tout son
monde. Les retraites ou missions sont généralement sui-
vies des fêtes de l'adoration perpétuelle, qui, en ce pays,
revêtent un caractère particulièrement solennel. Chaque
cinq ans, toute paroisse a sa mission et son renouvelle-
— o8 —
ment spirituel. Mais aussi le travail est incessant pour
les Pères de Saint-Ulrich. Été comme hiver, printemps
comme automne, il faut travailler sans relâche. A ces
missions paroissiales viennent s'ajouter de nombreuses
retraites dans les communautés religieuses et dans les
pensionnats.
De temps en temps nous prêtons notre concours à nos
Pères de Hollande pour les travaux qui se donnent en
Allemagne, comme aussi à nos Pères de France. Le
P. Laufbr rentre du pays de Saumur, oh il a prêché
durant trois semaines dans la paroisse Saint-Macaire-
du-Bois. Il a eu le bonheur de ramener à la vie chré-
tienne cette paroisse auparavant si indifférente. « Ce
Père, disaient ces braves gens à leur curé, a été vraiment
créé et mis au monde pour nous ; il nous a si bien
gagnés. »
L'an dernier, le P. Supérieur est allé prêcher le carême
français à la cathédrale de Strasbourg. C'était une occa-
sion de faire connaître le nom des Oblats de Marie-
Immaculée dans ce religieux diocèse. Ce fut en retour,
pour lui, l'occasion de s'édifier au contact de ces fer-
vents catholiques d'Alsace.
Avant de terminer, veuillez me permettre, mon très
révérend et bien-aiméPère,de vous remercier de la visite
que vous nous avez faite au mois de juin dernier, visite
d'autant plus chère que, depuis longtemps, Saint-Ulrich
n'avait pas joui de pareille faveur. Merci des encourage-
ments que vous nous avez donnés durant ces quelques
jours. Nous gardons l'espérance de vous revoir encore.
En attendant, comptez sur notre religieuse obéissance
et notre filiale affection.
Votre très humble fils en N,-S. et M. I.
G. Lbglise, o. m. I.
VARIÉTÉS
I
CHRONIQUE DE LA MAISON DU LAUS
(1818-1841).
Sous ce titre, notre archiviste, le R. P. Simonin, nous
communique une suite d'intéressants chapitres dont nous
commençons aujourd'hui la publication.
AVANT-PROPOS.
Les Missionnaires de Provence, Oblats de Saint-Char-
les, et depuis 1826, Oblats de Marie Immaculée, ont
occupé le sanctuaire du Laus pendant vingt-trois ans, de
1818 à 1841.
Jusque-là, confinés dans la maison d'Aix, leur berceau,
ils acceptèrent avec bonheur, en 1818, de desservir ce
sanctuaire de Marie, caché et comme perdu dans les
montagnes des Hautes-Alpes, et dépendant alors du dio-
cèse de Digne. Plus ancienne de trois ans que la maison
du Calvaire, qui date de 1821, la maison du Laus, tant
qu'elle a subsisté, a joué un rôle important, a tenu une
belle place dans les commencements de notre chère Con-
grégation, et mérite d'être signalée parmi tant d'autres
maisons qui lui ont survécu.
C'est au Laus qu'un bon nombre de nos premiers Pères
ont fait leur noviciat ou prononcé leurs vœux de religion ;
presque tous y ont séjourné, les uns pour travailler au
salut de leur âme, les autres pour s'y reposer de leurs
fatigues apostoliques, tous pour y goûter dans la prière
-- 60 —
et la solitude les joies du ciel. « Le Laus était pour eux
comme une patrie et une patrie de bénédiction, oii cou-
laientle lait et le miel de la grâce divine. Voilà pourquoi,
malgré l'âpreté du site et les frimas d'un long hiver, cette
terre était plus douce que les plus fertiles et les plus
riantes campagnes. Ces champs, si stériles en biens de la
terre et si riches en biens du ciel, leur étaient déli-
cieux (1). »
Heureux de se perfectionner dans la vie religieuse sous
le manteau de leur Mère Immaculée, les Oblats du Laus
se montrèrent dignes du poste qu'on leur avait confié.
Gardiens du sanctuaire, ils l'embellirent et y amenèrent
des pèlerins. Avant eux, et depuis de longues années, le
Laus ne voyait que de rares visiteurs ; grâce au zèle des
Oblats, les pèlerinages , les concours , les processions
solennelles recommencèrent, et les malades, les affligés,
les pécheurs, vinrent plus nombreux que jamais implo-
rer Marie, la consolatrice des affligés, le secours des chré-
tiens, la mère des miséricordes. A tous, les Pères fai-
saient un accueil empressé et bienveillant ; pour tous, ils
étaient des guides éclairés, pleins de compassion et de
dévouement.
Les pieux gardiens du sanctuaire furent aussi des tra-
vailleurs infatigables : comme missionnaires et comme
prêtres auxiliaires, ils sillonnèrent en tous sens, on peut
le dire, les deux départements des Hautes et des Basses-
Alpes, instruisant les fidèles, convertissant les pécheurs,
et ramenant à la religion, aux bonnes mœurs, les popu-
lations de ces contrées. Leur zèle apostolique s'étendit
même plus loin ; ils ne refusaient pas leur ministère à ceux
de leurs Frères en religion qui évangélisaient la basse
Provence, le Languedoc et le Dauphiné.
(1) Mélanges historiques, par Mer Jeancard, évêque de Cérame, § 9,
p. 82.
— 61 —
Telle est, dans ses grandes lignes, la physiunomie de
la naaison da Laus. Nous allons essayer d'en repro-
duire la chronique pour répondre, dans la mesure de
nos moyens, à la pensée de notre vénéré Fondateur,
On sait que, dès le principe, M^"" de Mazenod ne cessa
de recommander à ses fils spirituels de noter avec
soin, en chaque maison, tout ce qui était de nature à
entrer dans la future histoire de notre famille religieuse.
Nous possédons, dans nos archives, de précieux rensei-
gnements sur la maison du Laus ; quelques-uns ont paru
dans la Vie de M^^ de Mazenod, par le R. P. Rambert, dans
les Mélanges historiques de Me^ Jeancard surtout ; mais
la plupart sont restés inédits. A l'aide du Journal de
M^f DE Mazenod, de sa volumineuse correspondance, des
pièces authentiques de la maison du Laus, des lettres
de ses supérieurs et de celles des Pères qui l'ont habitée,
il ne nous a pas paru impossible de reconstruire l'histoire
de cette maison. Nous nous proposons donc, en suivant
l'ordre des temps, de donner la série des supérieurs qui
ont dirigé la maison du Laus, relatant, sous chaque su-
périeur, ce qui concerne la communauté, le pèlerinage,
les missions et retraites données parles Pères. Nous assis-
terons ainsi aux origines et aux développements de la
maison du Laus ; nous verrons se dérouler les événe-
ments qui ont contribué à sa prospérité et à ses épreuves,
et nous pourrons mettre en lumière les vraies causes qui
amenèrent l'abandon de la maison du Laus.
Il a paru, dans le diocèse de Gap, en 1852, une nouvelle
histoire du Laus, par le P. Maurel, de la Compagnie de
Jésus, sous le patronage de Me' Depéry, évêque de Gap.
L'auteur parle en bons termes de M^"" de Mazenod et de
ses missionnaires, mais, comme il fallait s'y attendre, il
a jeté un voile discret et prudent sur la conduite de
Me' Rossât envers les ObJats, en 1841 et 1842.
— 62 —
Sous le patronage de M^"" Depéry encore parut aussi
à Gap, en 1858, L'Histoire des merveilles de Notre-Dame
du Lavs, par l'abbé Pron. L'abbé Pron ne consacre pas
même une page aux Oblats, qui occupèrent le Laus pen-
dant vingt-trois ans, et dans les quelques lignes qu'il
écrit à leur sujet, il a trouvé le moyen de glisser une
erreur historique et d'insinuer, d'un ton ironique, que
les Missionnaires de Provence purent se consoler de leur
expulsion du Laus : « ils en emportaient de riches tré-
sors ». C'est ainsi que s'écrivait l'histoire dans le diocèse
de Gap, en 4852. Au nom de la vérité, de la reconnais-
sance et de la justice, nous aurions le droit de nous en
plaindre et de réclan::er.
Nous offrons ce travail d'histoire rétrospective, sorte de
chronique, aux lecteurs des annales, persuadé qu'il aura
pour eux quelque intérêt. C'est un récit de famille; mal-
gré ses imperfections, il nous mettra en présence des
travaux et des œuvres de nos anciens, ces vaillants ou-
vriers de la première heure qui ont si bien mérité de la
Congrégation et de l'Église.
Qu'on me permette de citer d'abord, à titre de dédi-
cace, les strophes suivantes du P. Jeancard :
A NOTRE-DAME DD LAUS.
Vallon religieux, solitude chérie,
Lieu saint, tout consacré de pieux souvenirs,
0 séjour d'une Mère, ô temple de Marie,
Ah ! puissent jusqu'à vous arriver mes soupirs !
Sanctuaire de paix, vous avez vu mon trouble ;
Votre marbre a reçu les traces de mes pleurs ;
Les peines qu'ici-bas chaque moment redouble,
Au pied de vos autels se changeaient en douceurs.
Votre charme divin, comme un puissant miracle.
Aux jours que je foulai votre sacré parvis,
Me vainquit, et croyant au plus sublime oracle,
Je regardai le ciel, j'écoutai, j'obéis.
— 63 —
Je m'offris lent entier au Dieu du sacrifice ;
Je rendis tout mon être au Dieu qui l'avait fait;
De ma vie, en ce jour, j'èciiangeai le calice
Pour un calice pur qui n'était qu'un bienfait.
Ah ! quel baume coula dans mon âme attendrie
Quand une main aimée, apaisant ma douleur,
Plaçait, pour consacrer le reste de ma vie,
Une croix sur mon sein et Dieu même en mon cœur,
Lorsqu'heureux du bonheur de votre nouveau frère.
Amis, que mon cœur seul choisissait à jamais,
Vous éleviez vos voix autour du sanctuaire,
Et vous mêliez vos vœux aux vœux que je faisais !
Je puis donc vous revoir, lieu cher à ma mémoire,
Et vous, sacrés témoins de mon premier serment,
0 temple, ô saint autel, vous d'où vient la victoire
Qui subjugue mon âme en cet heureux moment.
Que ne puis-je, couvert de votre ombre sacrée,
A longs traits respirer la paix de ce séjour ;
D'une mère garder l'image vénérée,
Couvrant ses pieds des fleurs qu'offrirait mon amour!
J. Jkangard,
Avril 1824. Fourrières (Var). Prêtre, Missionnaire de Provence.
CHAPITRE PREMIER.
SITE ET ASPECT DU LAUS.
L'église et le hameau. — Origine du pèlerinage. — Sœur Benoîte
Rencurel. — Apparition de la Sainte Vierge. — L'oratoire de Bon-
Rencontre, au Laus. — Construction de l'église, qui contient l'an-
cienne chapelle de Bon-Rencontre. — Développement du pèleri-
nage. — Mort de sœur Benoîte. — Les desservants de l'église du
Laus (1668-1818) [11.
Le sanctuaire de Notre-Dame du Laus est situé dans
la partie du Dauphiné comprise dans l'ancien diocèse
(1) Ce chapitre, destiné à nous faire connaître le Laus, est comme
une rapide esquisse de la Notice historique de Notre-Dame du Laus,
publiée en 18â9, par le R. P. Jeancard, o. m. i., à Marseille. In-12,
chez Marias Olive, sur le Cours, n» 4.
— 64 —
d'Embrun, actuellement département des Hautes-Alpes,
à 2 bonnes lieues nord-est de Gap, évêché et chef-lieu
du nouveau département. Si Ton y arrive de cette ville,
on découvre du haut d'un sommet distant d'un quart
de lieue, l'église du Laus et le vallon où elle est bâtie.
Il y a là un petit oratoire où le pèlerin s'agenouille
avant de descendre vers le sanctuaire de la Sainte Vierge.
De ce même sommet, on voit à ses pieds le site du
Laus dans toute son étendue. Il est borné au nord et au
couchant par des rochers escarpés et s'élève, du côté du
levant, au-dessus d'une vallée très basse dont le fond est
caché par un monticule d'une pente assez douce par
devant et très rude au revers. Sur ce monticule, on a
planté quatorze croix servant de stations pour le via
crucis ; c'est sur ce calvaire que les personnes qui sont
en neuvaine font, chaque jour, le chemin de la croix. Par
delà la vallée, se dessinent les montagnes, assez hautes,
du Théus et du Saint-Maurice, couvertes de sapins et
de mélèzes. Sur une élévation qui forme comme le sou-
bassement du Théus se présente, à l'opposite du point
où l'on se trouve, le village de Saint-Étienne-d'Avançon,
commune d'environ 600 habitants, canton de Bâtie-
Neuve (1). Enfin, au midi parfait, une échappée de vue
nous laisse apercevoir au loin les sommets des Basses-
Alpes.
Le bassin du Laus (du latin lacm, lac) se compose de
quelques champs labourés, de deux bosquets de pins,
du jardin du couvent. Ce couvent, dont l'ensemble est
carré oblong, forme angle droit avec le chevet de l'église
à laquelle il est contigu. iSon loin de là sont, eu deux
groupes, une dizaine de maisons dont les habitants
(1) Le Dictionnaire des communes ne donne que 316 habitants à
Saint-Etienne-d'Avançon. Le P. Jeancard écrivait en 1829, le Dic-
tionnaire pnrut trente-cinq ans plus tard, en 1864.
— 65 —
donnent l'hospitalité aux pèlerins. Le hameau du Laus,
pouvant compter une centaine d'habitants, dépend de la
commune de Saint-Étienne-d'Avançon, située à 3 kilo-
mètres.
« Le paysage du Laus, dit le P. Jeancard, est triste en
hiver, mais d'un effet assez heureux pendant l'été ; tout
autour, les montagnes, couvertes de forêts, jettent de
côté et d'autre des ombres imposantes qui remplissent
la solitude de recueillement et de mystère ; vers le centre,
les teintes sont plus claires et la campagne n'est pas sans
agrément. L'ensemble du tableau, avec l'église et le
couvent, présente une physionomie religieuse d'un
charme inexprimable ; quelque chose vous parle là et
vous dit qu'en ce lieu, loin des bruits du monde, vous
trouverez enfin le repos du cœur dans le silence et la
prière (1). »
Ce double aspect des lieux, tour à tour sévère et
triste, gracieux et charmant, les met en parfaite harmo-
nie avec les scènes dont ils ont été et sont encore aujour-
d'hui le théâtre. La Sainte Vierge est apparue dans ces
montagnes, s'y est entretenue avec une enfant, a voulu
qu'un sanctuaire y fût construit en son honneur ; il con-
venait que la parure en fût gracieuse ; aussi la nature a
dressé tout autour des murailles de montagnes qui le
protègent et en font un jardin bien clos, hortus conclusus.
D'autre part, le but de Marie, en multipliant ses appa-
ritions, était de convier les peuples à la pénitence, d'éta-
bhr un asile oii les pécheurs pourraient venir pleurer
leurs fautes et entendre de graves paroles qui jettent de
salutaires terreurs dans les âmes; il convenait donc que
ce site fût austère. Dans l'ensemble, c'est un monastère
avec sa rigidité claustrale, mais il y a de jolis jardins qui
(1) Notice historique de Notrs-Dame du Laus.
T. XXXY. 6
— 6t) —
reposent le regard el égayent les pensées de l'anacho-
rète (i).
Le P. Jeancard nous décrit Téglise telle qu'elle était
de son temps. Devant la grande porte, sur un piédestal
élégant, il y a une fort jolie croix eu bronze avec des
rayons dorés ; elle fut érigée en 1818, par iM. J, Araar,
de Briançon, pour obtenir des grâces qui lui furent
accordées. Cette église n'a qu'une nef très large et assez
longue; deux chapelles latérales lui donnent la forme
d'une croix. Le maître-autel apparaît au fond d'une pe-
tite chapelle enfermée dans le sanctuaire du grand édi-
fice, dont elle est tout à fait détachée ; l'on peut cir-
culer tout autour. Cette chapelle, dont les parois sont
en stuc, est couronnée d'une voûte particulière, sorte
de dôme couvrant le maître-autel. Ouverte par devant
et par les côtés, son frontispice, surmonté de diverses
figures, est soutenu par deux colonnes d'ordre mixte.
Derrière la chapelle, on voit, devant un vitrail, entourée
de quelques ornements, une statue de la Sainte Vierge,
que l'on porte dans les processions et au pied de la-
quelle les fidèles ne manquent jamais de s'agenouiller
pour offrir leurs hommages et leurs prières à Marie. Ce
monument rappelle la Santa Casa de la basilique de
Lorette et celle de Notre-Dame d'Einsiedeln, au canton
de Schwitz, Notre-Dame des Ermites ; mais ici, la cha-
pelle de saint Meinrad, consacrée par Notre-Seigneur
Jésus-Christ, est à l'entrée, à gauche, de l'église d'Ein-
siedeln et n'est ouverte que par devant, comme la Santa
Casa de Lorette.
Quelle est l'origine de cette église et comment devint-
elle un lieu de pèlerinage célèbre? C'est ce qu'il nous
faut exposer brièvement. Nous avons vu, de nos jours,
(1) Vie du cardinal Guibert, par M. Paguelle de FoUenay, t. 1,
ohap. VI, p. 305.
— 67 ~
la Très Sainte Vierge manifester sa puissance et sa misé-
ricorde en signifiant ses volontés à de pauvres enfants
sur la montagne de la Salette, devant la grotte de Lourdes
et au village de Pontmain. De même, il y a plus de deux
siècles, Marie apparut à une humble petite bergère et la
choisit pour en faire l'instrument de ses volontés ; la
Reine du ciel se fit l'institutrice de la petite bergère et lui
donna des leçons qui conduisirent bientôt l'enfant à un
degré élevé d'instruction religieuse et de sainteté.
C'est par cette bergère, avec laquelle Marie entretint
des rapports presque quotidiens, pendant plus de cin-
quante ans, que le Laus devint un sanctuaire et le théâ-
tre des grâces sans nombre accordées aux fidèles par la
Mère de Dieu. Cette bergère s'appelait BenoîteRencurel.
Elle naquit le jour de saint Michel archange, le 29 sep-
tembre 1647, au village de Saint-Étienne-d'Avançon,
dont dépend le hameau du Laus. Ses parents, Guillaume
Rencurel et Catherine Matheron, étaient vertueux, mais
pauvres des biens de ce monde. A sept ans, Benoîte
perdit son père; trois ans après, sa mère, réduite à l'in-
digence, fut obligée de la placer en service pour garder
les brebis. Ne sachant guère que Pater, Ave et Credo, la
petite bergère, prévenue delà grâce à laquelle elle cor-
respondait, grandit dans la piété, la modestie, la pa-
tience dans les épreuves et la fidélité à tous les devoirs
de sa condition. Elle donnait aux petits indigents les
morceaux de pain noir qu'elle gagnait péniblement, mais
surtout elle avait une tendre dévotion pour la Sainte
Vierge ; dans sa piété naïve, elle éprouvait un désir très
ardent de contempler les traits de celle qu'elle regardait
comme sa mère. Elle fut exaucée.
Elle avait treize ans lorsque, pour la première fois, en
1660, elle vit, dans le vallon de Saint-Étienne-d'Avan-
çon oti elle gardait son troupeau, une Dame à la figure
- 68 —
auguste et dont les traits étaient empreints de douceur
et de majesté. Benoîte, à cette vue, fut comme ravie en
extase et demeura en cet état jusqu'à ce que la vision
eût disparu. Les apparitions se renouvelèrent au même
lieu, à de rares intervalles, pendant quatre mois. La
Belle Dame l'entretenait de choses célestes, l'instruisait
et versait dans son âme l'amour de Dieu et de toutes les
vertus. Le changement qui s'opéra en elle étonna tout
le monde; elle parlait merveilleusement des choses de
Dieu et était animée d'un zèle tendre pour la conversion
des pécheurs; des conversions publiques récompensèrent
son zèle et manifestèrent les dons qu'elle recevait de son
institutrice.
Cependant, la Belle Dame, à la demande de Benoîte,
se fit connaître et lui dit avec un doux sourire : « Je suis
Marie, mère de Jésus, mon très cher fils, qui veut que
je sois honorée en cette paroisse, mais pas dans ce lieu. »
Ceci se passait vers la fin du mois d'août 1664. Un mois
après, Benoîte, ayant conduit ses brebis vers le vallon du
Laus, au lieu appelé Pindi^au, vit la Sainte Vierge qui lui
dit: « AllezauLaus, en voici le chemin; suivez-le jusqu'à
ce que vous trouviez une petite chapelle oii vous trou-
verez de bonnes odeurs. » Il s'agissait d'une chapelle de
secours, nommée Notre-Dame de Bon-Rencontre, que
les habitants avaient construite en 1610, parce que l'ac-
cès de l'église paroissiale, Saint-Étienne, était souvent
très difficile pendant les neiges d'hiver. Benoîte obéit,
mais elle s'égara dans les sentiers, fut obligée de reve-
nir le lendemain et elle fut plus heureuse. Comme elle
suivait le sentier de la veille, guidée par un parfum tout
céleste, elle aperçut à travers les pins une petite cha-
pelle couverte de chaume et à moitié ruinée. Elle s'ap-
procha et vit debout sur l'autel la Très Sainte Vierge ra-
dieuse et triomphante. La Mère de Dieu dit à Benoîte
— 69 —
qui se plaignait du dénûment de cette chapelle : « Ne
vous mettez pas en peine ; dans peu de temps, il n'y
manquera rien. Je veux y faire bâtir une grande église,
avec une maison pour quelques prêtres résidants. J'ai
destiné ce lieu pour la conversion des pécheurs. Elle
sera bâtie en l'honneur de mon fils et du mien ; beaucoup
de pécheurs et de pécheresses s'y convertiront, et elle
aura la longueur et la largeur que je veux. C'est là que
vous me verrez très souvent. » La jeune bergère répli-
qua : « Bâtir une église ! Mais il n'y a pas ici d'argent
pour cela. » Marie répondit : « Ne vous inquiétez pas;
quand il faudra bâtir, on trouvera tout ce dont on aura
besoin, et ce sera bientôt. Les deniers des pauvres four-
niront tout, rien n'y manquera, »
Tel est l'acte de fondation du sanctuaire du Laus. A
dater de cette apparition, il se fît à l'humble oratoire un
concours immense de pèlerins; Marie y répandit des
faveurs sans nombre; dix-huit personnesy recouvrèrent
la vue, huit l'ouïe et trois la parole; il y eu trois guéri-
sons d'épilepsie, six des écrouelles, onze de paralysie et
trois possédés du démon furent délivrés. C'est ainsi que
Marie accréditait Benoîte auprès de la population. Les
esprits les plus prévenus, qui regardaient la bergère
comme une visionnaire, durent se rendre à l'évidence de
ces faits nombreux, incontestables.
L'année qui suivit son apparition, l'autorité diocé-
saine délégua au Laus Antoine Lambert, officiai et vi-
caire général d'Embrun, accompagné de plusieurs
prêtres de distinction et de mérite. La commission ecclé-
siastique fit subir à Benoîte un long et rigoureux examen
au sujet de ces apparitions et des révélations qui lui
avaient été faites ; elle reconnut, dans les réponses de
Benoîte, tous les caractères de la vérité, en même temps
qu'elle constata les dons admirables dont Dieu avait favo-
— 70 —
risé celte fille des champs. Un miracle arrivé sous les
yeux des commissaires ecclésiastiques et dont le vicaire
général rédigea et signa lui-même le procès-verbal juri-
dique, le 18 septembre 166?), dissipa tous les doutes et
confirma la légitimité de la dévotion du peuple envers
Marie en ce lieu béni du Laus. L'autorité ecclésiastique
avait parlé, le caractère céleste des apparitions et la réa-
lité des miracles avaient été authentiquement reconnus
et proclamés.
Dès lors, on se mita exécuter le programme tracé par
la Sainte Vierge elle-même. Un vicaire général de Gap
et chanoine, Pierre Gaillard, posa la première pierre de
l'église en 1666 ; pendant que les travaux se poursui-
vaient, il se rendit à Rome et en rapporta, au mois de
décembre, de nombreuses indulgences en faveur du pè-
lerinage. L'archevêque d'Embrun, Georges d'Aubusson
de la Feuillade, non seulement approuva tout ce qui
s'était fait, mais lui-même se recommanda à Notre-
Dame du Laus dans une grave maladie dont il fut parfai-
tement guéri. En reconnaissance de ce bienfait, il fit
faire le portail de la nouvelle église, où l'on voit encore
ses armoiries. L'édifice ne fut complètement achevé que
vers l'année 1669. Gomme nous l'avons vu, on laissa sub-
sister la petite chapelle de Bon-Rencontre, on l'embel-
lit et elle devint, pour le sanctuaire oh elle est placée,
un ornement assez remarquable.
L'église terminée et construite sur le plan des instruc-
tions de la Sainte Vierge, on éleva à côté le bâtiment qui
devait servir de logement aux prêtres destinés à la des-
servir. Il était dès lors assez vaste pour être, dans la
suite, une maison de communauté. Trois prêtres s'y
installèrent à demeure et se mirent au service des pè-
lerins avec un dévouement au-dessus de tout éloge.
La grande œuvre entreprise par Benoîte sur l'ordre
— 71 —
de la Sainte Vierge passa par des épreuves qui ne firent
que lui donner plus de solidité. L'archevêque d'Embrun,
M^"" Georges d'Aubusson de laFeuillade, ayant été trans-
féré à Metz, eut pour successeur M^' Charles Brulard, de
Senlis, en 167i. D'abord circonvenu par certains per-
sonnages et rendu incrédule à la dévotion du Laus, il
changea d'avis après avoir entendu Benoîte, au Laus
même, lui racontant les révélations et les apparitions de
la Sainte Vierge, et il consigna dans un acte authentique
sa conviction que le Laus était un lieu saint, que les
miracles qui s'y étaient opérés étaient vrais, et que la
vertu de Benoîte reposait sur des fondements solides,
qu'en un mot, le pèlerinage du Laus était bien l'œuvre
de la Sainte Vierge.
Benoîte, qu'on appelait sœur Benoîte parce qu'elle
était du tiers ordre de Saint-François, fut l'âme du pè-
lerinage du Laus tant qu'elle vécut et se dévoua à la
mission que la Sainte Vierge Marie lui avait confiée. Lors-
qu'en 1692, une partie du Dauphiné fut envahie par
l'armée des puissances coalisées contre Louis XIV, elle
quitta le Laus sur un avis venu du ciel, après avoir mis
en sûreté le trésor du sanctuaire. A son retour de Mar-
seille, où elle s'était réfugiée, elle fut le témoin attristé
des ravages causés par l'invasion. La maison des prêtres
du Laus avait été brûlée, mais les flammes avaient res-
pecté l'église. Elle se mit aussitôt à l'œuvre, aidée parles
bons habitants d'Espinasse et de Théus, paroisses voi-
sines, et les dégâts matériels furent réparés en peu de
temps. Les mœurs avaient souffert du passage de l'en-
nemi, Benoîte en était inconsolable; elle redoubla ses
prières, ses jeûnes et ses pénitences, ses vives exhorta-
tions pour ramener au sein des populations l'antique
simplicité et les habitudes chrétiennes et vertueuses.
Cependant, l'œuvre de la sanctification de sœur Be-
— 72 —
noîte touchait à son terme, sa mission était accomplie.
Dieu la soumit à de grandes souffrances physiques et
morales. Depuis plus d'un an, elle ne goûtait plus les
consolations des délicieuses visites de la Sainte Vierge ;
c'était la préparation dernière à son entrée dans le ciel.
Le jour de Noël 1718, elle reçut les derniers sacrements
avec les sentiments d'un chérubin brûlant d'amour pour
son Dieu et, le 28 décembre, fête des Saints Innocents,
elle rendit son âme entre les bras de sa bonne Mère, la
Très Sainte Vierge, qui l'avait assistée à sa dernière
heure. Sœur Benoîte était âgée de soixante et onze ans
et trois mois.
11 y eut un concours immense à ses funérailles, malgré
la rigueur de la saison; riches et pauvres la pleurèrent
également, car elle avait été bienfaisante et secourable
pour tous.
Le tombeau où fut déposé son corps est creusé dans
le sanctuaire en avant du grand autel, à l'entrée de la
petite chapelle.
On lit sur la pierre tombale cette simple inscription :
TOMBEAU DE LA SŒUR BENOITE,
MORTE EN ODEUR DE SAINTETÉ LE 28 DÉCEMBRE 1718
Depuis sa mort, on vint priera son tombeau avec une
religieuse vénération, tant on était persuadé de l'émi-
nence de ses vertus, et que, duhaut du ciel, elle protégeait
tous ceux qui venaient au Laus rendre de dignes hom-
mages à Marie. Le 7 septembre 1871, Sa Sainteté le Pape
Pie IX déclarait vénérable sœur Benoîte Rencurel. Celte
histoire abrégée des origines du pèlerinage de Notre-Dame
du Laus nous montre en Marie, la Sainte Mère de Dieu,
la vraie fondatrice de ce célèbre sanctuaire ; son inter-
vention active, ses bienfaits sont visibles et constatés.
C'est elle qui fait choix de la petite bergère Benoîte
— 73 —
Rencurel et lui fait part de son intention d'être honorée
en ce lieu, qui deviendra un foyer de grâces spirituelles,
un asile de consolation, un refuge pour les pécheurs.
C'est Marie encore qui forme l'instrument dont elle s'est
servie, en l'élevant, par une série d'apparitions, à la pra-
tique des plus hautes vertus; Marie a soutenu l'humble
bergère dans les épreuves, et l'a fait triompher des obs-
tacles, humainement insurmontables, qui s'opposaient
à l'exécution d'une œuvre destinée à honorer Jésus-
Christ et sa Sainte Mère, à sanctifier les âmes. Les faits
que nous venons d'exposer, si extraordinaires qu'ils
soient, sont appuyés sur des témoignages irrécusables ;
ils ont été examinés et contrôlés à diverses reprises par
de graves théologiens, par l'autorité ecclésiastique com-
pétente, qui, prévenue d'abord contre eux, les a reconnus
vrais et a permis aux fidèles la dévotion à Marie, dans le
sanctuaire de son choix. Dieu lui-même a contresigné
la réalité de ces faits par les miracles éclatants et nom-
breux dontleLaus a été le théâtre. Que penser dès lors
des lignes suivantes que nous lisons dans le Dictionnaire
des communes de la France (1) : « Notre-Dame du Laus,
pèlerinage célèbre dans les Hautes-Alpes et les contrées
voisines, depuis deux siècles. Eglise remarquable, élevée
en 1667, à la suite d'une prétendue apparition de la Sainte
Vierge à une jeune bergère appelée Benoîte Rencurel. »
A la suite d'une prétendue apparition! Avec quelle dé-
sinvolture on prétend, par cette assertion fausse, discré-
diter un pèlerinage qui dure depuis deux siècles ! Non,
ce n'est pas à la suite d'une pi'étendue apparition, mais
de plusieurs apparitions bien réelles, bien constatées, que
le pèlerinage s'est établi au Laus. C'est une pure calom-
nie jetée à la face des pèlerins que d'attribuer leur dévo-
(1) Chez Hachette, boulevard Saiut-Germain, 77, Paris, 1864, par
.\d. Joanne, arl. Notre-Uame du Laus.
— Ti-
tien à Marie en ce lieu, à une crédulité ignorante et
aveugle. Il faut plaindre ces écrivains qui parlent de
choses qu'ils ignorent, ou qu'ils travestissent par horreur
du surnaturel. C'est de leur part, du reste, une sorte de
bon ton de rejeter a priori le surnaturel dans les faits.
Le même auteur, aux articles Lourdes et la Salette-Falla-
vaux, obéit aux mêmes préjugés. Ainsi s'écrit l'histoire;
on ne consulte pas les vrais documents, ou, si on les a
consultés, c'est en aveugles volontaires, et l'on n'a pas
le courage de dire la vérité à son public.
Il nous reste à parler des desservants du Laus jusqu'en
1818. Le vicaire général du diocèse de Gap, Pierre Gail-
lard, nous l'avons vu, se dévoua à la construction de
l'église en 1666. Il fut secondé par deux saints et dignes
prêtres, MM. Peitieu et Hermite, qui desservirent le sanc-
tuaire jusqu'à leur mort, et recueillirent des fruits in-
croyables de consolation pour eux et de grâces et de salut
pour les fidèles. En 1672, ils reçurent au Laus le nouvel
archevêque d'Embrun, M»^ de Senlis, et eurent la joie de
voir cet éminent et judicieux prélat revenir de ses préven-
tions contre le Laus, se prononcer en faveur du pèleri-
nage et s'en déclarer le protecteur dévoué. M. Hermite,
qui avait accompagné sœur Benoîte à Marseille en 1692,
de concert avec M. Gaillard et sœur Benoîte, répara, à
son retour au Laus, le logement des prêtres, incendié par
les armées de l'invasion, et mourut en 1693. M. Peitieu
l'avait précédé depuis peu dans la tombe.
A ces dignes prêtres si dévoués au Laus, Me' de Senlis,
surpris dans sa bonne foi, donna pour remplaçants des
prêtres d'une vertu rigide et d'une morale sévère. Indo-
lents et durs pour les pèlerins, ils avaient peu de sympa-
thie pour le sanctuaire et tracassèrent sœur Benoîte, de
toutes manières. En de telles mains, le pèlerinage cou-
rait risque de tomber. Heureusement, M*"" de Senlis re-
— 75 —
connut qu'il avait été trompé, que la conduite de ces
hommes, dont la foi même était suspecte, ne pouvait cou-
vrir que de ronces et d'épines ce champ du Laus qu'il
aimait cependant de tout son cœur. Il les révoqua donc
de leurs fonctions et en revêtit des prêtres tout à fait
dignes de son choix, les prêtres de Sainte-Garde, qui fu-
rent chargés de la direction du pèlerinage en 1712. La
Congrégation de Sainte-Garde, ou des Gardistes, avait
été fondée à Avignon en 1699, par M. Berthet, prêtre du
diocèse d'Avignon, et avait pour but l'éducation de la
jeunesse ecclésiastique et l'œuvre des missions et des
retraites. Le premier établissement fut fondé au petit
village de Sainte-Garde (Vaucluse), alors diocèse de Car-
pentras, où existe encore de nos jours un petit séminaire.
De là, le nom de Gm'distes donné aux prêtres de la So-
ciété, qui, avant la Révolution, comptait six maisons:
Sainte-Garde des Champs, Sainte-Garde de la Ville, à
Avignon, plus les maisons de Carpentras, d'Arles, de Sis-
teron et du Laus (1).
M. Gaillard n'eut pas la consolation de voir les nou-
veaux gardiens, il venait de mourir à l'âge de quatre-
vingt-treize ans, et ses dépouilles mortelles furent placées
dans l'église, à côté de celles de MM. Peitieu et Hermite.
Sœur Benoîte fut plus heureuse, et pendant cinq ans,
elle se réjouit de voir la dévotion de Notre-Dame du Laus
plus brillante que jamais sous la direction des prêtres
de Sainte-Garde. Ils étaient cinq missionnaires au Laus,
et parfois, accablés par la foule des pèlerins et par de
nombreuses processions, ils étaient obligés d'appeler à
leur aide leurs confrères de Sisteron. Les Pères Gardistes
propagèrent partout la bonne renommée du sanctuaire
jusqu'en 1791.
(1) Le P. Jeancard, les Merveilles du Laus, notice.
- 76 —
La Révolution fit son œuvre de dévastation religieuse
au Laus, comme partout en France. Le dimanche du
Saint-Rosaire, 1791 , les Pères Gardistes furent violemment
expulsés de leur paisible retraite; l'église, la maison des
Pères, le mobilier furent vendus à l'enchère et à vil prix.
La bibliothèque du couvent, composée en grande partie
des livres donnés par M. Gaillard, et le trésor de la sacris-
tie, furent portés aux bureaux du district d'Embrun. On
brûla la plupart des tableaux et des ex-voto, sur la place,
devant l'église; la cloche, donnée à sœur Benoîte, en 1692,
fut seule respectée. La statue miraculeuse de la Sainte
Vierge, placée derrière la petite chapelle, fut dépouillée
de ses riches ornements, mais elle resta dans l'église.
En 1802, Ms'' MioUis, évêque de Digne et de Gap, ra-
cheta à ses frais l'église et le presbytère qu'il donna à la
fabrique, rouvrit le saint temple à la piété publique et
nomma deux prêtres, MM. Jacques et Isoard, pour le
desservir. Le P. Jouvent, ancien prêtre de Sainte-Garde,
qui s'était joint à eux, fut ensuite nommé recteur^ quand
le Laus fut érigé en succursale. Cependant, un seul prê-
tre ne pouvait suffire, on sentit le besoin de rétablir, au
Laus, une communauté. C'était en 1817. M. Peix, curé
de Gap, provicaire général pour le département des
Hautes-Alpes, dépendant, au for ecclésiastique, del'évê-
que de Digne, racheta l'ancien couvent de Sainte-Garde,
à M. Raymond, chanoine, curé de Tallard, au moyen
d'une souscription à laquelle un grand nombre de prê-
tres du département s'empressèrent de concourir. On
avait eu la pensée d'établir au Laus une maison de re-
traite pour les vétérans et les infirmes du sacerdoce ;
mais ce projet était irréalisable; ce que voyant, M. Peix
remit le local entre les mains de M^' l'évêque de Digne.
Nous verrons au chapitre suivant ce que devint le cou-
vent.
— 77 —
CHAPITRE II.
FONDATION DE LA MAISON DU LAUS, SEPTEMBRE 1818.
M6f MioUis et l'abbé de Mazenod. — M. l'abbé Arbaud, vicaire gé
néral de Digne, offre rétablissement du Laus à M. l'abbé de Maze-
nod, qui l'accepte (août 1818). — Convention avec Mg"" Miollis
(20 septembre 1818). — Bail de location pour vingt-neuf ans avec
M. Peix, curé de Gap (âO septembre 1815). — Testament de
M. Peix en faveur des desservants du Laus (15 avril 1819). — L'or-
donnance royale du 19 juillet 1820.
On sait qu'avant la grande Révolution, le département
actuel des Basses-Alpes comptait cinq diocèses : Digne,
Riez, Sisteron, Senès et Glandève. Après le concordat
de 1801 un seul fut conservé, celui de Digne ; il était
considérable par son étendue ; les deux départements
des Hautes et des Basses-Alpes, avec une population
pouvant s'élever à 300000 habitants, relevaient de la ju-
ridiction de révêque de Digne.
Ce fut en juillet 1802 que M^Mrénée-Yves Dessole prit
possession du siège épiscopal de Digne ; il administra
ce vaste diocèse, dont Gap faisait partie, jusqu'à 1805,
époque où il fut transféré à Ghambéry. 11 eut pour suc-
cesseur, à Digue, Me' Melchior-Bienvenu de Miollis, qui
appartenait à une famille distinguée de la ville d'Aix, oii
il était né le 19 juin 1753. Ordonné prêtre, le 20 septem-
bre 1777, dans la chapelle épiscopale de Carpentras, par
M^' Joseph de Béni, il exerça le saint ministère à Aix, sa
ville natale. Pendant la Révolution, il se réfugia à iXice
d'abord, puis à Rome, et ne rentra à Aix qu'en 1801, oti
il reprit du ministère comme vicaire de Saint-Sauveur,
et se fit remarquer par sa grande piété, sa charité iné-
puisable et surtout son zèle à catéchiser les enfants et à
évangéliser les classes pauvres. Il était curé de Brignoles,
dans le diocèse de Fréjus, depuis 1804, quand un décret
— 78 —
de Napoléon, du 28 août 1805, le nomma à l'évêché de
Digne. Préconisé le 23 décembre 1805, il fut sacré à Pa-
ris, dans l'église des Missions étrangères, le 13 avril 1806,
par le cardinal Caprara, légat du Saint-Siège et prit pos-
session de son siège le 1" juin de la même année. Il
n'entre pas dans notre cadre de nous étendre sur l'ad-
ministration du nouvel évêque ; elle fut féconde en
oeuvres. Il releva le niveau des études ecclésiastiques en
rétablissant son grand séminaire, en créant des établis-
sements d'instruction secondaire. Pour l'instruction re-
ligieuse des enfants, il fit appel aux Frères du bienheu-
reux de la Salle et à des congrégations enseignantes de
femmes; à tous les fidèles, il procura le bienfait des mis-
sions, et par ses visites pastorales qu'il multiplia avec
zèle et persévérance, il eut la consolation de réveiller la
foi, de relever les mœurs de son troupeau nombreux en
le ramenant aux pratiques chrétiennes.
L' évêque de Digne fut un des premiers à connaître et
apprécier l'abbé de Mazenod, son compatriote, et l'im-
portance de l'œuvre des missionnaires de Provence.
« M^"" Miollis, évêque de Digne, fut le premier évêque
qui désira faire participer ses ouailles au bienfait des
missions diocésaines confiées au zèle des compagnons de
M»^ DE Mazenod. Ce prélat, d'une si grande et si juste
réputation de vertu..., se sentait porté, comme par un
instinct surnaturel, vers tout ce qui était apostolique. Il
avait conçu une grande estime pour M. l'abbé de Maze-
nod, et il s'attachait avec une pieuse affection aux tra-
vaux de ses missionnaires, dont la simplicité, le zèle, la
pauvreté et l'abnégation allaient si bien à sa manière de
vivre et à ses dispositions personnelles. Il suivait attenti-
vement les progrès de la Congrégation et il se plaisait à
reconnaître l'incomparable efficacité de son ministère
pour le renouvellement des paroisses. Il chercha à la pos-
— 79 -
séder dans son diocèse. » Ainsi s'exprime Ms' Jeancard
dans ses Mélanges historiques (1).
L'occasion que M»"" Miollis attendait se présenta en 1818.
Nous avons dit, au chapitre précédent, que Tévêque
de Digne, ayant racheté l'église et le presbytère du Laus,
y avait placé un prêtre pour desservir le sanctuaire et la
nouvelle paroisse qui venait d'être érigée en succursale.
Un peu après, l'archiprêtre de Gap, M. Peix, mit à la
disposition de Me"" Miollis, l'ancien couvent des Pères de
Sainte-Garde et le petit domaine en dépendant, qu'il
avait achetés à l'aide des souscriptions de soixante-seize
prêtres de Gap.
En possession d'un local et des biens y attenant,
l'évêque avait pensé d'abord à établir au Laus une mai-
son pour les prêtres âgés et infirmes, selon le but que
M. Peix avait proposé aux souscripteurs ; mais la réali-
sation d'un tel projet, vu la position isolée du Laus,
étant jugée impraticable, M^' Miollis, dans l'intérêt des
pèlerins du Laus et pour le bien du diocèse, résolut d'ap-
peler au Laus une communauté de prêtres, qui, en
même temps qu'ils garderaient le sanctuaire et desser-
viraient la petite paroisse, pourraient donner des mis-
sions dans tout le diocèse.
Le projet répondait mieux à la pensée de M. Raymond,
le premier acquéreur du couvent, rétablissait l'ancien
état de choses en faisant revivre par les nouveaux reli-
gieux les anciens Pères Gardistes, desservants du sanc-
tuaire et missionnaires. Le pèlerinage, la paroisse, le
diocèse, avaient tout à gagner par la présence au Laus
d'une communauté régulière. Cette communauté ne se
trouvant pas dans le diocèse, il fallait la chercher ail-
leurs. M8' Miollis tourna ses regards vers Aix. L'abbé
(1) Article IX. Notre-Dame du Laus, p. 71-72.
— SO-
DE Mazenod, son compatriote, et qu'il avait en grande
estime, y était à la tête d'une petite société, qui, depuis
trois ans, faisait beaucoup de bien, non seulement à Aix,
mais jusque dans les départements des Bouches- du -
Rhône et du Var ; les collaborateurs de l'abbé de Maze-
nod se faisaient remarquer par leurs vertus apostoliques,
et leurs travaux étaient visiblement bénis de Dieu. L'é-
vêque de Digne, pour ces raisons, fit appel aux mission-
naires de Provence.
Dans la dernière quinzaine du mois d'aotit, dit le
P. Rambert (1), l'abbé de Mazenod recevait la lettre sui-
vante :
Digne, le 10 août 1818.
Monsieur le Supérieur,
Dans les premiers jours de juillet, il s'est présenté à vous
un diacre de ce diocèse (le R. P. Moreau), dans le dessein
d'être reçu dans votre Association. A son retour, il m'a fait
part de son projet et du résultat de son voyage. Il s'attend
à éprouver une résistance insurmontable de la part de
M^"^ l'Évêque. Le désir que j'ai de seconder son pieux dessein
et de coopérer en même temps au bien des deux diocèses,
m'engage à vous faire les ouvertures suivantes, que vous pè-
serez devant Dieu et sur lesquelles vous voudrez bien me ré-
pondre à la mi-septembre.
Vous avez souvent ouï parler de Notre-Dame du Laus. Un
beau corps de logis qu'habitaient cinq ou six prêtres de la Mis-
sion de Sainte-Garde, et qui pourrait encore recevoir plu-
sieurs retraitants, vient d'être racheté par souscription, ainsi
que le domaine y attenant, pour être rendu à sa première
destination. M^'' l'Évêque, qui est chargé de l'organisation de
cette maison, serait bien aise que vous vous en chargeassiez.
Vous pourriez y envoyer dès à présent deux de vos prêtres, il
vous en céderait deux aussi : M. Touche, qui va être ordonné
(1) Vie de A/8* de Maaenod, liv. II, chap. vu, p. 378.
— 81 —
prêtre, et un autre qu'on espérerait pouvoir trouver sous bref
délai.
Les moyens d'existence pour vos deux prêtres ne manque-
raient pas, moins encore la besogne. Dans les mois d'hiver,
où ce lieu n'est pas abordé, ils se joindraient à des prêtres de
bonne volonté qu'on leur assignerait et ils feraient des mis-
sions. L'été, ils seraient dans une solitude où tout inspire la
piété et confesseraient les nombreux pèlerins qui y abondent
journellement. Dans la suite du temps, il s'établirait une
communication plus intime entre vos deux maisons. Il me
paraît d'ailleurs être de votre intérêt d'avoir sous votre direc-
tion deux maisons pour opérer des changements que certaines
circonstances peuvent exiger. Tenir à deux diocèses n'est pas
chose indifférente ; ainsi, il peut s'élever quelques brouillards
dans les rapports avec une des administrations, on se réfugie
dans le ressort de l'autre.
A ces motifs, souffrez que j'en joigne un bien important;
il est à désirer que le bien que votre Association opère dans le
diocèse d'Aix se propage dans les contrées voisines. Si les
vœux que je forme pour ce projet sont exaucés, un des avan-
tages les plus précieux pour moi, ce sera de voir se resserrer
entre nous des rapports dont je ne pourrais qu'être édifié.
J'ai l'honneur d'être, etc.
Signé : Arbaud,
Vicaire général de Digne.
« Cette lettre, tout à fait inattendue, jeta le P. de Ma-
ZENOD dans une grande perplexité, son projet n'avait été
jusque-là que de former une seule maison de mission-
naires diocésains, consacrés exclusivement aux missions
de Provence... Étendre au delà l'action de ces mission-
naires, n'était-ce pas les faire sortir de leur vocation spé-
ciale ? Et puis, le charme de la petite Société, son puis-
sant attrait, c'était l'esprit de famille porté au plus haut
point... fallait-il partager, diviser cette intimité? Gom-
ment consentir à se séparer, même à petite distance,
— 8!2 —
pour un peu de temps?... Cependant de graves raisons
exposées par le vicaire général de Digne, le plus grand
bien des âmes, celui de la Société elle-même, l'occasion
de plus grands sacrifices, pesaient d'un grand poids dans
l'âme généreuse du P. de Mazenod. Si Dieu voulait que
la Société, petit grain de sénevé, devînt un grand arbre,
devait-on, pouvait-on s'opposer aux desseins de Dieu?
Pour sortir de ces incertitudes, le Fondateur ayant réuni
les six prêtres, ses compagnons, leur lut la lettre de
M. Arbaud et leur demanda leur avis. Ils furent tous
unanimes à répondre qu'ils donnaient leur consente-
ment et qu'il fallait répondre affirmativement. »
« A cette lecture, écrivait le P. Suzanne, ce ne fut qu'un
transport de joie et d'actions de grâces parmi nous ; tous
remerciaient Dieu de ce qu'il daignait ainsi leur donner
une preuve sensible qu'il agréait leurs humbles ser-
vices. 1)
En conséquence, le P. de Mazenod écrivit à M. Ar-
baud, le 23 août:
H Monsieur, je n'ai point d'autre désir que de faire un
peu de bien; ainsi, si vous pensez que le projet que vous
avez conçu puisse procurer quelque gloire à Dieu et con-
tribuer au salut des âmes, je suis tout disposé à me prêter
à tous les arrangements qui pourront se concilier avec
mes engagements avec ce diocèse (Aix) et les devoirs de
ma charge, dans notre petite Société. Dans ces sortes
d'affaires, on s'entend mal par lettre. J'étais indécis si
j'accompagnerais notre diacre (F. xMoreau) à l'ordination,
votre lettre fixe mon incertitude; j'irai avec lui à Digne,
où j'aurai l'honneur de vous voir, de causer avec vous
sur cette affaire. Nous combinerons notre marche ; j'au-
rai ainsi le double plaisir de renouveler connaissance avec
vous, et de vous prouver ma bonne volonté pour secon-
der votre zèle vraimeat infatigable. »
— 8 ; —
« Le P. DE Mazenod se rendit à Digne, au mois de sep-
tembre, emmenant avec lui les deux diacres de ce diocèse
qui étaient affiliés à sa Communauté, MM. Touche et
Moreau, et qui furent ordonnés prêtres aux Quatre-
Temps. Il s'entendit définitivement avec l'administration
diocésaine, et la prise de possession de Notre-Dame du
Laus fut fixée aux premiers jours de l'année i8!9 (1). »
Les négociations relatives à l'affaire en question occu-
pèrent plusieurs séances. M^' de Digne les présidait,
ayant en sa présence d'un côté, MM. Arbaud, vicaire gé-
néral, et Borel, supérieur du grand séminaire, représen-
tants du diocèse, de l'autre le P. de Mazenod, supérieur
des Missionnaires de Provence, assisté du P. Tempier
Tout était définitivement réglé pour le 23 septembre,
ainsi que l'annonçait notre vénéré Fondateur à son oncle
M*' Fortuné de Mazenod, alors à Aix.
Dans le traité passé entre M?' de Digne et le supérieur
des Missionnaires de Provence, il fut convenu ce qui suit :
« 1° Mb"" l'évêque de Digne désigne la maison et le sanc-
tuaire du Laus pour lieu d'habitation de la communauté
des Missionnaires ; 2° les Missionnaires seront chargés de
desservir la succursale du Laus; 3» il sera permis au supé-
rieur d'agréger à sa Société, pour vivre conformément
au règlement de ladite Société, les sujets du diocèse,
qui demanderont d'y entrer après qu'ils auront reçu
l'agrément de M»' l'évêque; 4° dans le cas que les sujets
du diocèse, qui auront été agrégés à la Société des Mis-
sionnaires soient obligés d'en sortir, ils rentreront, de
droit, dans le diocèse.
« De son côté, le supérieur des missionnaires s'engage:
1" A donner tous les ans des missions dans le diocèse
de Digne, dans les paroisses qui lui seront désignées par
(1) Vie de Mi' de Mazenod, t. I, liv. Il, chap. vu, p. 278-281.
— 84 —
iévêque, et à associer aux membres que le diocèse aura
fournis à la Société d'autres membres de la même Société
en nombre suffisant pour donner les missions dans les
lieux désignés; 2° il s'engage aussi à fournir deux sujets
pour le service du sanctuaire du Laus, et ce nombre sera
augmenté lorsque le diocèse aura donné quelques sujets
de plus à la Société — Fait à Digne, le 20 septembre 1818.
Ont signé, comme représentants de l'évêque : Cbalvet,
vicaire général ; Arbaud, vicaire général, d'une part;
Eugène DE Mazenod, supérieur des Missionnaires, d'autre
part.»
Dans cette convention, on ne parle pas de la durée de
l'établissement des Missionnaires au Laus, parce que
l'acte du bail devait la déterminer, mais, la convention
dit assez clairement que les Missionnaires resteraient
aussi longtemps qu'ils seraient fidèles à leurs enga-
gements. Ms' DE Mazenod consentit difficilement à
accepter l'article 4, par lequel l'évêque stipulait que
les sujets de son diocèse sortant de la Société, rentre-
raient de droit dans leur diocèse d'origine. Une telle exi-
gence paraissait, aux yeux du Fondateur, ouvrir une
porte de sortie aux sujets inconstants et porter atteinte
à la stabilité du vœu perpétuel. Il fit donc ses réserves et
ne cacha pas qu'il agirait de façon à empêcher les consé-
quences de cette restriction apportée à ses droits.
Les Missionnaires de Provence avaient reçu une sorte
d'investiture canonique par la convention du 20 sep-
tembre. Le bail passé entre M. de Mazenod, leur supé-
rieur, et M. Peix,curé de Gap, propriétaire du couvent et
du domaine, les mit légalement en possession du Laus.
Voici la teneur de cet acte :
« Animés du désir d'utiliser, autant que possible, pour
le bien de la religion, la maison située près de l'église du
Laus et les biens en dépendant, appartenant à M. Peix,
— So-
les soussignés ont convenu entre eux ce qui suit :
« 1» M. Peix donne à bail à M. de Mazenod, la susdite
maison, écurie, grenier à foin, basse-cour, jardin, ver-
ger contigu, clos de murs, le champ qui est au-dessous
et une vigne d'environ 12 fausserées {sic); se réservant
néanmoins de pouvoir vendre la susdite vigne, dans le cas
qu'il fût tenu à faire quelques-unes des réparations qui
sont à la charge du propriétaire, sans indemnités. Le tout
est situé au Laus, commune de Saint-Étienne-d'Avançon ;
plus un pré dans toute sa contenance, sur le terroir de la
commune d'Avançon; plus deux bois, l'un appelé la
Grande Pinée, l'autre Costebelle, et généralement tout
ce qu'il a acheté de M. Reymond, chanoine de Gap, curé
de Tailard. M. Peix se réserve un appartement, au second
étage, pour son usage.
« 2° Le bail est fait pour le terme de vingt-neuf ans,
qui commenceront le 1" janvier 1819 et finiront à la
même époque, à l'expiration dudit terme (1848). Le pre-
neur jouira, pendant toute la durée du présent bail, de
tous les produits des biens, en bon père de famille,
et qu'il aura la faculté de sous-affermer, en tout ou
en partie, à un ou à plusieurs individus, selon qu'il
avisera.
« 3° A la fin du bail, la maison et les biens seront
remis au même état qu'ils se trouvent actuellement, au-
quel efFet il sera dressé un état des lieux, avant la prise
de possession.
« 4° Le bail ci-dessus est consenti et accepté, à la
charge, par M. de Mazenod, d'entretenir ou de faire
entretenir, dans la maison et pendant toute la durée du
bail, le nombre d'ecclésiastiques nécessaire pour le ser-
vice de Notre-Dame du Laus, sous l'approbation de l'é-
vêque dont dépend cette église. Ce nombre sera toujours
au moins de deux. Le preneur sera tenu de supporter
— 86 -
toutes les contributions à la charge des biens affermés,
à compter du jour de l'entrée en jouissance.
« Le bailleur fera garnir les lieux de meubles meu-
blants, ustensiles de cuisine, linge, et généralement de
tout ce qui est nécessaire pour l'habitation des ecclésias-
tiques qui occuperont la maison, ce dont il sera fait un
état lors de la prise de possession.
« Le preneur ne sera tenu qu'à faire les réparations
locatives pendant la durée de la jouissance. La présente
sera rédigée en acte public sur la réquisition de l'une
des parties.
« Fait et passé en double original dont un a été retiré
par chacun des contractants, à Digne, le 21 septem-
bre 1818.
« Signé : Peix, curé, archiprêtie de Gap; Eugène
DE Mazenod, prêtre missionnaire (1). »
M. DE Mazenod nous apprend, dans ses lettres, pour-
quoi la durée du bail fut fixée à vingt -neuf ans. Dans le
principe, il était convenu qu'il serait fait pour quatre-
vingt-dix-neuf ans. Mais un jurisconsulte observa que les
baux d'une si longue durée n'étaient plus en usage ; que,
d'ailleurs, ils n'étaient pas nécessaires, puisqu'après le
terme révolu d'un bail à plus bref délai, on pouvait re-
nouveler le bail; on s'en tint donc à la période de vingt-
neuf ans. Dans la pensée de M. de Mazenod, le bail pou-
vait être renouvelé, mais le texte de la convention disant
qu' « après l'expiration de bail, les choses rentreraient
en l'état», posait évidemment un obstacle au renouvel-
lement du bail du H septembre 1818. Sur ce point, la
bonne foi de M. de Mazenod fut malheureusement sur-
prise. Ajoutons encore que l'acte de bail stipulait qu'il
serait rédigé un acte public, c'est-à-dire /eg-aZ/se, sur la
(1) Archives de la Maison générale; Dosiier du Laus.
— 87 —
réquisition de l'une des parties ; il paraît que cette
mesure de précaution fut négligée par M. de Mazenod ;
ses adversaires ne manquèrent pas de s'appuyer sur ce
défaut de légalité de l'acte de bail. A leurs yeux, un acte
privé, consenti et signé par les contractants, n'engageait
pas la conscience; M. de Mazenod, homme d'honneur et
de conscience délicate, ne pouvait prévoir qu'on recour-
rait contre lui à semblables subterfuges pour renier des
engagements écrits et signés de part et d'autre.
Cependant M. Peix mourut au mois de mai 1819.
M. DE Mazenod espérait que la propriété du Laus lui
serait cédée. Il n'en fut rien. Dans son testament ologra-
phe daté du 15 avril 1819, il s'exprimait ainsi :
« Dans la donation faite de mes biens à ma nièce...
je n'entends pas lui laisser la maison et le domaine que
j'ai acquis de M. Louis-Thomas Reymond, curé de Tal-
lard, situé à Notre-Dame du Laus, terroir de la commune
de Saint-Étienne-d'Avançon. Je veux, au contraire, que
ces biens, la maison et les meubles qui y sont n'aient
pas d'autre destination que celle qu'ils ont dans ce
moment, c'est-à-dire qu'ils soient pour les prêtres qui
desservent Notre-Dame du Laus. M^"" l'évêque, qui sera
chargé de l'administration ecclésiastique de cet endroit,
lors de mon décès, est supplié de faire accomplir toutes
les formalités voulues par les lois civiles, pour que ces
biens aient la destination que je leur donne. »
Les prêtres qui desservaient Noire-Dame du Laus lors
du décès de M. Peix, et auxquels ils cédaient la propriété
de la maison et du domaine, étaient des Missionnaires
de Provence. En conséquence , M. de Mazenod eut à
remplir les formalités civiles dont parlait M. Peix dans
son testament, c'est-à-dire déclaration en forme d'accep-
tation, copie du testament, procès-verbal de consistance
et d'évaluation des objets légués, dressé par le maire de
— 88 —
Saint-Étienne-d'Avançon. Ces pièces furent envoyées au
préfet des Hautes-Alpes en septembre 1819, et l'ordon-
nance royale qui réglait définitivement cette affaire fut
rendue le 19 juillet 1820. Elle était conçue en ces
termes :
« Sur le rapport de notre ministre, secrétaire d'État
au département de l'intérieur, notre conseil d'Etat en-
tendu, nous avons ordonné et ordonnons ce qui suit :
« Article 1". Le desservant de l'église de Notre-Dame
« du Laus, département des Hautes-Alpes, est autorisé à
« accepter, au profit des desservants de cette église, le legs
a à eux fait par le sieur Pierre-Charles Peix, suivant son
« testament olographe du 15 avril 1819, delà nue pro-
« priété d'une maison et d'un domaine, évalués ensem-
« ble à la somme de 7 300 francs; d'un mobilier de
« 776 fr. 83, à la charge de services religieux et autres
« charges et conditions qui y sont énoncées. »
L'article 2 est relatif à l'exécution de cette ordon-
nance.
Ainsi, en vertu du testament Peix et de l'ordonnance
royale, les Missionnaires de Provence, en leur qualité de
desservants de Notre-Dame du Laus, avaient la nue pro-
priété de la maison et du domaine à eux légués. Mais,
cette propriété, ils ne pouvaient la garder qu'aussi long-
temps qu'ils seraient desservants de l'église du Laus.
Qu'un jour, un évêque de Gap vînt à enltver la desserte
du sanctuaire aux Missionnaires de Provence, ceux-ci
perdaient tous leurs droits de propriétaires. D'ailleurs,
l'acte du bail avait déjà fixé le terme où ils cesseraient
d'être desservantsde l'église du Laus, et, par conséquent,
qu'elle fût locataire ou propriétaire, la Société des Mis-
sionnaires de Provence n'avait qu'une possession limitée
par l'acte du bail, et même révocable auparavant, s'il
plaisait à l'évêque d'enlever à ses membres la desserte de
— 89 —
l'église du Laus. Un Père missionnaire s'étant avancé
jusqu'à donner à M. Paix le titre de bienfaiteur de la
Société, M. DE Mazenod lui écrivit : « Nous devons con-
sidérer M. Peix comme un ami qui nous était dévoué,
nous estimait et nous affectionnait, mais non comme
bienfaiteur^ car ses bienfaits n'ont pas été gratuits et
désintéressés, puisqu'ils nous imposaient des charges,
do ut des. ))
M. Peix eût agi en vrai bienfaiteur de la Société si son
legs avait été fait en personne et individuellement au
P. DE Mazenod ou au P. Tempier; dès lors, la Société eût
été établieau Laus dans des conditions d'indépendance et
de durée qui l'aurait mieux défendue contre les mesures
épiscopales et surtout contre les intrigues d'une partie
du clergé de Gap.
A bien considérer le testament et l'ordonnance royale
que nous avons citée, c'est à tort, croyons-nous, que le
clergé de Gap et même l'Évêque de Gap ont pu se con-
sidérer comme possesseurs ou propriétaires de la maison
et du domaine du Laus. La nue propriété, d'après le tes-
tament et d'après l'ordonnance royale, n'est attribuée
qu'aux desservants actuels de l'église de Notre-Dame du
Laus, et n'est réservée qu'à leurs successeurs de fait, et
en titre. Il n'est question ici ni de la fabrique du Laus,
ni du clergé de Gap, ni même de la mense épisco-
pale; l'Évêque^ en vertu de son pouvoir de juridiction,
transmet la propriété, en nommant les desservants, ou
par révocation les dépouille de leurs droits; il n'est que
l'exécuteur des volontés formellement exprimées dans
un testament.
Par tous les actes que nous avons reproduits, il est fa-
cile de se convaincre que les Missionnaires de Provence
étaient entrés au Laus par la bonne porte et sous les ga-
ranties les plus respectables. On avait fait appel à leur
- 90 —
dévouement alors qu'ils étaient peu nombreux, on leur
imposa des conditions et des charges très avantageuses
au diocèse ; ils les acceptèrent sans arrière-pensée, mus
par le seul désir de faire plus de bien aux âmes et de tra-
vailler à la gloire de Dieu et de Marie sur un théâtre plus
étendu.
Dans une lettre qu'il écrivait au P. Mie, le 15 octo-
bre 1818, notre vénéré Fondateur laissait entrevoir toute
sa pensée sur la nouvelle fondation.
a Nous avons formé un établissement à Notre-Dame
du Laus, ce qui nous met en rapport direct avec trois
diocèses : Digne et Gap, Embrun et Sisteron. Nous
sommes devenus comme les gardiens d'un des plus cé-
lèbres sanctuaires de la Sainte Vierge où le bon Dieu se
plaît à manifester la puis^sance qu'il a départie à cette
chère Mère de la Mission (Aix). Plus de vingt mille âmes
par an accourent pour se renouveler dans l'esprit de
ferveur, à l'ombre de ce sanctuaire, vraiment imposant,
qui inspire un je ne sais quoi qui porte merveilleuse-
ment à Dieu. De là, après avoir prêché la pénitence à ces
bons pèlerins, après leur avoir exalté les grandeurs et la
gloire de Marie, nous nous répandrons dans les mon-
tagnes pour annoncer la parole de Dieu à des âmes sim-
ples mieux disposées à recevoir cette divine semence que
les habitants trop corrompus de nos contrées. »
Le rôle de gardien d'un sanctuaire de Marie souriait
au cœur pieux du P. de Mazenod, il y voyait un gage de
l'appui et de la protection de la bonne Mère pour le pré-
sent et pour l'avenir. En sortant de la maison d'Aix, la
ruche mère, le petit essaim de Missionnaires de Provence,
restait fidèle à sa devise apostolique, Tévangélisation des
humbles, des petits et des pauvres, evangelizare paupe-
ribus misitme. Nous allons voir, à leur œuvre de gardiens
du Laus et de missionnaires, les enfants du P. de Mazenod.
- 91 —
CHAPITRE m.
LE P. TEMPIER, SUPÉRIEUR DE NOTRE-DAME DU lAUS,
JANVIER 1819 A MARS 1823.
Première année : 1819 à 1820.
Prise de possession du Laus et installation du P. Tempier. — Etat
de la maison du Laus. — La première communauté. — Mort de
M. Peix. — Conséquence. — Comment le P. Tempier remplit ses
obligations de desservant de la paroisse du Laus et de gardien du
sanctuaire. — Relations du supérieur du Laus avec Aix et le fon-
dateur. — Sa vie apostolique.
Le projet de Me"" Miollis, nous l'avons vu, en appelant
les Missionnaires de Provence au Laus, était de ranimer
la dévotion à ce sanctuaire et de faire évangéliser les
habitants des Hautes et des Basses-Alpes. II rattachait
ainsi la nouvelle fondation aux traditions de l'ancien état
de choses, qui, sous les Pères Gardistes, ne fut pas sans
importance et sans gloire.
En 1819, le Laus n'était guère qu'une ruine; les popu-
lations avaient à peu près oublié le chemin du sanc-
tuaire et la dévotion à la Sainte Vierge y décroissait de
jour en jour. 11 ne pouvait en être autrement ; l'église
était desservie par un seul prêtre, dont les habitudes ne
répondaient pas aux besoins des pèlerins; sa santé l'obli-
geait de se lever fort tard, et il ne pouvait dire qu'une
messe. En un mot, le service se faisait mal et le sanc-
tuaire n'était plus fréquenté (1).
11 avait été convenu que la prise de possession du Laus,
par les Missionnaires de Provence, aurait lieu le 28 dé-
cembre 1818, jour où on célébrait solennellement l'an-
niversaire séculaire de la mort de la Sœur Benoîte ; mais
les missionnaires étaient alors retenus par la mission qui
se donnait àBarjols, dans le diocèse de Fréjus. Toutefois,
(l. Vte de Mf de Mazenod, t. I, liv. II, chap. viii, p. 297-298.
~ 92 —
ce jour-là, il y eut, au Laus, un grand concours de
fidèles; on s'y était rendu processionnellement de Gap et
de plusieurs autres paroisses voisines, et M. Peix y pro-
nonça un discours pathétique sur la vie et les vertus de
Sœur Benoîte Rencurel, morte en odeur de sainteté.
M. DE Mazenod avait décidé de placer le P. Tempier
à la tête de la nouvelle communauté. Celui-ci serait
ainsi le premier Supérieur local. Le fondateur comptait
trop sur le dévouement du Père pour hésiter un instant
à lui proposer de quitter sa ville natale (Aix) et d'aller
s'ensevelir tout vivant dans les neiges des Hautes-Alpes,
au fond d'une solitude inconnue. Le P. Tempier, ayant
reçu son obédience, partit d'Aix, le 3 janvier 1819, pour
se rendre à sa nouvelle destination. Il était accompagné
par un vieux soldat franc-comtois nommé Ignace, trans-
formé en espèce de frère lai, et par un jeune étudiant
qui s'appelait Bourrelier, lequel devint prêtre et Oblat.
C'était bien peu pour constituer une communauté ; on ne
pouvait lui donner d'autres compagnons pour le mo-
ment, on attendait que le maître de la moisson envoyât
des ouvriers. Le P. Tempier alla donc seul au Laus, don-
nant alors l'exemple du courage et de la bonne volonté
par lesquels il a toujours tant et si bien mérité de la
Congrégation (I). En se rendant au Laus, le P. Tempier
passa par Digne, où il présenta ses hommages àM^''Miol-
lis et en reçut sa lettre de commission et d'institution
canonique. Cette pièce est en latin et ne brille ni par l'élé-
gance des termes, ni parla clarté des périodes.
M6' Miollis rappelle d'abord les motifs et les circon-
stances qui l'ont amené à établir des ouvriers évangé-
liques au Laus, et ensuite s'exprime ainsi :
« Nous nous sommes empressé de faire choix des ou-
(1) Ms"" Jeancard, Mélanges historiques, t. IX, p. 93.
— 93 —
vriers que, par faveur divine, il nous était permis de
loger ensemble et de sustenter. Nous avions beaucoup
entendu parler de l'excellent prêtre Eugène de Mazenod,
qui, au diocèse d'Aix, s'était associé plusieurs prêtres,
et, avec eux, avait travaillé à l'œuvre des missions, au
grand profit des âmes. . . Nous lui avons adjoint quelques-
uns des nôtres et lui avons mandé et lui mandons, par
les présentes, de se rendre à la succursale de Notre-Dame
du Laus, pour desservir l'église et pour faire, avec ses
compagnons, des missions dans notre diocèse.
« Ils ne feront aucune mission sans notre agrément
ou celui de nos vicaires généraux et recevront pour cela
les facilités et les conseils que nous jugerons conve-
nables et opportuns. Il en sera de même pour les exer-
cices religieux qui dureraient au delà de huit jours, dans
les diverses églises. Nous exceptons toutefois leur propre
succursale.
« Notre cher fils Eugène de Mazenod, ainsi que ses suc-
cesseurs dans la direction de ladite Société se souvien-
dront qu'en leur concédant spontanément et gratuite-
ment ladite église (du Laus) et la maison jusqu'à présent
habitée par un recteur, nous décrétons que tous les ans,
tant que nous vivrons, le 13 avril, et le jour anniversaire
de notre mort, on célébrera pour nous une messe solen-
nelle ou au moins privée (Digne, le 6 janvier 1819). »
Le P. Tempier arrivait au Laus le 8 janvier. M. Peix,
qu'il avait visité à Gap, lui avait fait la conduite à son
nouveau poste et revint l'installer le dimanche suivant,
iO janvier. Les habitants accueillirent leur nouveau rec-
teur avec des sentiments de respect, de joie et d'espé-
rance qui furent bientôt partagés par le clergé et la po-
pulation des pays environnants.
Tous se félicitaient à la pensée que le sanctuaire aimé
de Marie, témoin des merveilles de la grâce, verrait se
— 94 —
renouveler aux pieds de la Sainte Vierge la piété des
fidèles et l'affluence des pèlerins. M^' Miollis avait été
bien inspiré en rétablissant l'antique pèlerinage , et
s'était conformé aux intentions de Marie, qui avait voulu
faire du Laus, non pas une maison de retraite pour les
prêtres âgés et infirmes, mais un foyer de prières et une
source de grâces, confiés au zèle de quelques prêtres gar-
diens de l'église et dévoués à tous ceux qui s'y ren-
draient.
Le P. Tempier et ses deux compagnons, le F. Ignace
et Bourrelier, le jeune étudiant, composèrent la pre-
mière communauté du Laus. Le P. Touche, nouvelle-
ment ordonné prètie, vint les rejoindre en février, donna
une mission à Eguyères, puis rentra dans la maison vers
la fin du mois de mars. Il fit son oblation le 15 août,
fête de l'Assomption, et un mois après, il était fixé au
Laus avec le titre de desservant. De sou côté, le F. Bour-
relier était admis à faire son oblation le 8 septembre,
et commença à rendre quelques services aux Pères.
Ainsi, le dimanche, quand le Supérieur était empêché,
il faisait des lectures pieuses aux pèlerins. Telle était la
petite communauté du Laus, où l'on vivait en bons reli-
gieux, observant fidèlement la règle. Le P. Tempier don-
nait des leçons de latin à Bourrelier, maintenait le bon
esprit parmi ses sujets et veillait aux intérêts matériels,
car il était économe en même temps que supérieur, ce
qui ne l'empêchait pas de prendre part à quelques tra-
vaux au dehors, laissant le P. Touche le remplacer au
Laus.
En avril, M. Peix était tombé malade, le P. Tempier
quitta une retraite qu'il faisait à Kémollon, pour venir
l'assister et ofi'rir ses services à ses vicaires ; M. Peix
mourut, le 19 mai 1819, et jusqu'au dernier moment, le
P. Tempier donna à ce vénérable prêtre toutes les mar-
- 95 -
ques d'une sincère amitié. Il lui fallut s'occuper du tes-
tament de l'archiprêtre de Gap, qui laissait aux mission-
naires du Laus la jouissance du domaine et du couvent,
et leur abandonnait une grande partie de sa biblio-
thèque. (( La part qui nous est échue, dit le P. Tempier,
livres de théologie, sermonnaires , livres d'Église, est
assez volumineuse. » Le Supérieur du Laus eut à dresser
un état des meubles acquis et donnés par le défunt aux
Missionnaires de Provence. En homme prudent, il eut
soin de déclarer « que, quelqu'événement qu'il puisse
arriver, il n'entendait, en aucune manière, quela Société
des Missionnaires qui desservaient actuellement le sanc-
tuaire fût obligée de répondre de ces effets, ni de leur
totalité, ni de l'état bon ou mauvais dans lequel ils pou-
vaient se trouver. » De son côté, le maire de Saint-
Étienne-d'Avançon, aidé de l'adjoint, sur l'invitation du
préfet des Hautes-Alpes, rédigèrent le procès-verbal de
consistance et d'évaluation des objets donnés à la maison
de Notre-Dame du Laus par feu M. Charles Peix, curé
de Gap.
Cet acte, envoyé au préfet, porte la date du 29 sep-
tembre 1819. Nous avons ce procès-verbal sous les yeux,
et nous constatons que le mobilier était loin d'être suf-
fisant. La literie, généralement en mauvais état, pouvait
servir à la rigueur pour deux personnes ; la batterie de
cuisine et le service de table étaient à l'avenant. Quant
aux divers articles, d'une nature commune et grossière-
ment façonnée, la plupart avaient longtemps servi et
étaient mi-usés, selon l'expression du procès-verbal. La
valeur totale de ces effets n'est, du reste, évaluée qu'à la
somme de 627 fr. 85. La maison elle-même, juxtaposée
à l'église, n'était habitable qu'au rez-de-chaussée et qu'au
premier étage ; quatre chambres seulement du second
étage, et avec réparations, pouvaient recevoir des loca-
— 96 —
taires. Tout le reste avait besoin d'être restauré à fond,
et dès la fin de cette année 1819, la toiture elle-même
réclama la main des ouvriers.
Ces détails de ménage devaient être signalés; ils nous
prouvent que l'installation des Missionnaires de Pro-
Tence au Laus fut loin d'être luxueuse; on leur fournit
tout au plus le nécessaire. Avec l'argent des souscrip^
tions des soixante-seize prêtres de Gap, M. Peix avait payé
le domaine et le couvent, et, de plus, avait fait une dé-
pense d'environ 1 200 francs pour rendre habitable le
couvent, à demi en ruines. Les frais de succession payés,
restait une somme disponible de 2698 francs. L'emploi
de cette somme ne resta pas aux mains des mission-
naires, il fut réglé par le P. Tempier, de concert avec
M. l'abbé Blanc, vicaire de Gap et depuis chanoine du
Chapitre. Ensemble, ils pressèrent les souscripteurs de
faire honneur à leur signature et disposèrent des messes
qui restaient à acquitter. Prendre de telles mesures,
c'était ne rien laisser dans le mystère, agir en plein jour,
et par des faits positifs, renverser les insinuations men-
songères du parti, qui, plus tard, essaya de mettre en
suspicion le désintéressement des missionnaires du Laus.
Faire face à ses devoirs de supérieur local en diri-
geant sa petite communauté et en veillant au matériel
de sa maison, était, en quelque sorte, l'obligation la plus
facile à remplir par le P. Tempier. En sa qualité de des-
servant du Laus et de gardien du sanctuaire, il avait à
mettre en meilleur état le mobilier et les ornements de
l'église, à donner plus de dignité et d'éclat au culte afin
d'entretenir la dévotion de son troupeau; déplus, il lui
fallait tous les dévouements du zèle sacerdotal pour se
prêter au service des pèlerins qui, en tout temps, surtout
à certaines époques de l'année, se présentaient au sanc-
tuaire de Marie, isolément ou en nombreux concours.
— 97 —
Aidé de ses compagnons, il ne faillit pas à cette double
tâche si chère à son cœur de prêtre et de religieux.
Nous dirons ici, pour ne plus y revenir, comment, pen-
dant les quatre années qu'il -séjourna au Laus, il amé-
liora l'église et le sanctuaire. L'église du Laus n'était pas
riche en ornements, c'est par là que commença le nou-
veau des.servant. Il fît acheter cent pans de damas cra-
moisi qu'il confia, par économie, à des mains religieuses;
elles en firent un bel ornement complet, chape, chasu-
ble, avec tunique et dalmatique. A la mort de M. Peix,
la fabrique reçut deux nouveaux ornements complets,
dont l'un avait été acheté avec l'argent des souscripteurs
resté disponible. Un peu plus tard, en 1820, profitant
d'un de ses voyages à Aix, il acheta d'autres ornements
encore, des chandeliers avec souche, une garniture de
bouquets pour le maître-autel. Quelque temps après,
le pavé du sanctuaire en pierres grossières fut entouré
d'une bordure en plaques de marbre, et le chœur reçut
une boiserie et de belles stalles en bois de noyer. Enfin,
par la générosité d'une pieuse donatrice, il fit mettre dans
l'église un autel en marbre, œuvre d'un marbrier d'Avi-
gnon ; chaque année se faisaient des améliorations, des
embellissements nouveaux. En 1822, un chemin de la
croix, en tableaux, orna les murailles trop nues de la nef,
et favorisa grandement la piété des pèlerins qui aimaient
à en parcourir les stations. C'est ainsi qu'avec peu de
ressources, le P. Tempier put rehausser la splendeur de
la maison de Dieu et du sanctuaire de Marie. Les fidèles
s'édifiaient du zèle de leur recteur et aimaient leur belle
église; les prêtres nombreux qui venaient au Laus, après
avoir tout examiné, s'en retournaient ravis, et plus d'un,
à l'exemple des missionnaires, se mettait, lui aussi, à
restaurer, à embellir la pauvre église de sa paroisse.
Les Missionnaires de Provence avaient charge d'âmes
T. XXXV. 7
— 98 —
au Laus ; recteurs de ia petite paroisse, ils exerçaient
les fonctions curiales au profit des âmes et des intérêts
temporels de la fabrique. A ce point de vue, le ministère
du P. Tempier et de ses collaborateurs fut béni de Dieu ;
on connaît les multiples obligations d'un bon pasteur
dans toute paroisse, si petite soit-elle ; le P. Tempier, qui
avait été vicaire, n'en négligea aucune.
La régularité dans le service religieux, l'instruction
donnée aux fidèles, en l'appropriant à leurs besoins, le
catéchisme fait aux enfants, l'administration des sacre-
ments, la visite des pauvres, des infirmes et des malades,
développèrent dans la paroisse l'esprit de foi, entretin-
rent la pratique des sacrements et, avec les mœurs chré-
tiennes, firent régner l'union et la paix dans les familles
et entre les habitants. En prêtre intelligent et zélé, le
P. Tempier savait être vigilant pour prévenir le mal, ferme
pour le réprimer ; joignant la prudence à la charité, tou-
jours prêt à rendre service, le nouveau recteur sut bien
vite gagner l'estime et l'affection de ses paroissiens. Ni
les missions, ni les services qu'il rendait aux prêtres voi-
sins, ni le temps qu'il devait consacrer aux pèlerins, ni
les absences qu'il était obligé de faire, ne le détournèrent
de ses graves obligations envers ses ouailles. Dans ces
circonstances, il se faisait toujours remplacer et jamais
la cure ne restait vacante. Il y avait au Laus des exer-
cices religieux particuliers pour les paroissiens. Tous les
samedis soirs, on se réunissait à l'église pour la récitation
du chapelet, de la prière, et entendre une courte instruc-
tion, suivie le dimanche, de la bénédiction du Saint Sacre-
ment. Pendant le carême, cette réunion avait lieu plu-
sieurs fois par semaine. Les grandes fêtes de l'année
étaient précédées par des jours de préparation ayant des
exercices religieux et des instructions spéciales. La
retraite se donnait aussi tous les ans pour la paroisse.
- 99 —
Par ce que nous venons de dire, on comprendra que le
poste de recteur du Laus n'était pas une sinécure pour
le P. Tempier.
On ne lira pas sans intérêt la description, qu'il nous a
laissée dans une de ses lettres, d'une de ses journées de
dimanche :
« Nous nous levons à 5 h. 30, nous faisons la prière et
l'oraison aux pieds de la Très Sainte Vierge, je dis ensuite
la première messe, et après l'action de grâces, j'entends
les confessions jusqu'à la grand'messe, que je chante à
iO h. 30, précédée de sexte et none. A 2 heures, chant des
vêpres, suivies de la récitation du chapelet. A 3 heures,
on réunit les neuvaim'stes (pèlerins qui font une neuvaine)
auxquels le P. Bourrelier fait une lecture, si je ne fais
pas d'instruction. Après cette réunion, j'entends encore
les confessions, s'il y en a. Enfin, à l'entrée de la nuit, a
lieu l'exercice du soir, auquel tout le monde assiste,
pèlerins et paroissiens. On y récite la prière, une petite
instruction précède la bénédiction du Saint Sacrement.
Ainsi on peut dire que nous passons toute notre journée
du dimanche à l'église.
Les Missionnaires de Provence avaient été appelés au
Laus surtout pour faire revivre en ce lieu la dévotion à
Marie. Il est vrai que le sanctuaire du Laus n'avait jamais
été complètement abandonné, même aux jours mauvais
de la grande Révolution, et que les temps étant devenus
meilleurs, les pèlerins et même les concours avaient
repris le chemin du Laus. Toutefois, on peut dire que
l'ancien état de choses ne revint qu'avec les Missionnaires
de Provence, à partir de 1819. Les pèlerins isolés pou-
vaient dès lors compter sur les secours spirituels dont ils
avaient besoin, et pour les concours des paroisses, les
nouveaux gardiens, faisant appel à leurs confrères, don-
nèrent complète satisfaction à la piété publique, soit
— 100 —
pour les instructions, soit pour l'audition des confessions,
soit enfin pour l'éclat des cérémonies. Dès le mois de
mars 1819, le P. Tempier nous met au courant du va-et-
vient pieux dont il est témoin, et qui rendait la vie et le
mouvement à cette solitude perdue dans les Hautes-
Alpes. Parmi les pèlerins les uns ne faisaient que passer,
s'en retournant chez eux après avoir satisfait à leur dévo-
tion ; les autres séjournaient de neuf à dix jours à l'ombre
du sanctuaire de Marie; on les appelait les neuvainistes.
Logés soit à l'hospice, soit chez les habitants, vivant de
peu et vaquant à des exercices de piété nombreux, ils fai-
saient leur retraite de neuf jours. L'assistance à la sainte
messe chaque jour, réunions à l'église pour entendre
une instruction spéciale, visites aux stations qui condui-
saient au calvaire, longs et sérieux examens de conscience,
confession, le plus souvent générale, une communion fer-
vente, tels étaient les exercices publics et privés par les-
quels ces bons fidèles retrempaient leur âme, dans la vie
chrétienne, aux sources de la grâce. Aussi s'en retour-
naient-ils transformés et heureux dans leur paroisse res-
pective. Là, ils redisaient ce qu'ils avaient vu et entendu
au Laus, les faveurs qu'ils y avaient reçues, les joies
qu'ils y avaient goûtées; le nom des nouveaux gardiens
revenait souvent sur leurs lèvres, ils ne tarissaient pas
d'éloges sur leur compte, ils les avaient accueillis avec
tant de charité, ils avaient si bien tranquillisé leur cons-
cience par leur ministère prudent, éclairé, miséricor-
dieux !
C'est qu'un grand nombre de ces neuvainistes ayant
commencé leur confession depuis cinq et même huit
ans, la renouvelaient tous les ans et n'obtenaient pas
l'absolution ! Et cela, parce qu'à cette époque la plu-
part des confesseurs, imbus des principes du jansé-
nisme, usaient, au sacré tribunal de la pénitence, d'un
— 101 —
rigorisme outré et laissaient les consciences dans un
triste état. Formés à l'école de saint Liguori, tenant
compte de la préparation des pèlerins, des fatigues d'un
long voyage, les Missionnaires de Provence se montrè-
rent envers leurs pénitents plus justes et plus miséricor-
dieux. Sans rien céder sur les principes, ils étaient moins
raides dans leur application. Aussi leur renommée de
bons confesseurs, se répandant au loin, contribua beau-
coup à attirer les pèlerins au Laus ; il en vint des Hautes
et des Basses-Alpes, de l'Isère et autres pays limitrophes.
Il n'y avait pas de semaines où les neuvainistes fussent
absents. « Au mois de mars, écrit le P. Tempier, j'ai eu
un surcroit de besogne, plus de quarante neuvainistes
ont réclamé successivement mon ministère. Il y a ici du
travail pour deux prêtres. »
Les hommes ne se montraient pas moins empressés
que les femmes et les dévotes à faire des neuvaines.
« Voici un bataillon coiffé qui se présente, écrit le
P. Tempier en sa langue pittoresque, il est précédé par des
grenadiers à moustache, qui ouvrent la marche et vien-
nent se planter, des premiers, autour du confessionnal. »
A certaines époques de l'année , les concours de
paroisse venaient se joindre aux pèlerins isolés et aux
neuvainistes. Le mois de mars était pour le Champsaure,
en avril, c'était le tour des Briançonnais, puis venaient
les Grenoblois (1). En dehors de ces concours régionaux,
certaines fêtes amenaient une grande affluence de pèle-
rins, organisés en processions et par paroisses. C'étaient
la Pentecôte, la Fête-Dieu, au jour de l'échéance, la fête
de saint Pierre et saint Paul, les trois fêtes de la Sainte
Vierge, le 2 juillet, le 15 août et le 8 septembre. Ces
(1) Nous avons sous les yeux une liste de dix-huit paroisses éloi-
gnées qui venaient souvent au sanctuaire du Laus ; vingt-six autres
y venaient tous les ans.
— <02 —
jours-làj il y avait souvent dix paroisses et plus qui arri-
vaient au Laus, bannières en têle, chantant le long des
chemins, des cantiques à la Sainte Vierge. L'église se
trouvant insuffisante devant une telle multitude, les pre-
miers groupes se hâtaient de faire place à ceux qui les
suivaient. En prévision de ces concours, le P. Tempier
priait M. de Mazenod de lui envoyer des aides, pour prê-
cher, confesser, présider aux offices, et maintenir partout
le bon ordre. On donnait toute la dignité et tout l'éclat
possibles aux offices, mais quand en 1820 et 1821, la
maison du Laus fut la résidence des junioristes, des
novices et des scolastiques, les cérémonies revêtirent
un caractère de magnificence incomparable, les pèlerins
en étaient ravis et, selon leur naïve expression, elles les
transportaient dans le paradis. Prêtres et fidèles, en quit-
tant le Laus, y laissaient leur cœur, et ne se consolaient
que par la pensée d'y revenir bientôt.
En 1820, M^''DE MAZENODeut la joie d'assister aux fêtes
de la Pentecôte. Son cœur si pieux exultait et il bénis-
sait Dieu à la vue de ces belles et pieuses manifestations,
dont l'élan était provoqué et entretenu par ses enfants,
gardiens du sanctuaire de Marie.
« On y confesse beaucoup, écrivait-il à M"^ de Ré-
gusse; à peine les Pères suffisent au travail; ces gens
sont admirables de foi et de piété. En ce moment, ceux
de Gap s'en retournent et ont près de trois heures de
marche à faire avant d'arriver. Après les vêpres, les pa-
roissiens de Prunières regagneront leur pays, d'où ils sont
partis à 3 heures du matin (Prunières, village du canton
de C.horges, à 20 kilomètres de Gap). Ils s'en retournent
à pied, en procession, chantant des cantiques et récitant
le rosaire. «
Gap, n'étant pas très éloigné du Laus, y envoyait sou-
vent des pèlerins de toute classe, gens du grand monde
— 103 —
et petites gens. Rendant compte d'un de ces pèlerinages
qui avaient eu lieu le soir de la fête de la Nativité, le
P. Tempier disait : « La fête a été ronflante, c'est la sai-
son des grosses dames. Nous voyons ici beaucoup de
châles et de panaches aux chapeaux, mais toutes ces
plumes et ces dentelles ne sont pas toujours des bre-
vets d'absolution. » Passons cette pointe de malice inof-
fensive à l'ancien vicaire d'Arles devenu missionnaire;
à l'éclat des toilettes et à la distinction des manières,
il pouvait préférer la simplicité de ton et la mise des
bonnes chrétiennes de village.
Telle fut la physionomie du pèlerinage du Laus pen-
dant les années du supériorat du P. Tempier, de 1819
à 1823. Pour faire connaître et favoriser la dévotion à
Notre-Dame du Laus, il fit faire une nouvelle édition du
petit livre les Merveilles de Notre-Dame du Laus. Le texte
primitif subit quelques changements et on y ajouta des
cantiques et des avis à l'usage des pèlerins et des neu-
vainistes ; il obtint de Rome tous les pouvoirs néces-
saires aux directeurs du pèlerinage. Dans le même but,
il établit, près de l'église, un dépôt de livres et d'objets
pieux que les pèlerins pouvaient se procurer et rem-
porter chez eux comme souvenir de leur visite au Laus.
Il fit frapper aussi quatre à cinq mille médailles en
laiton cuivré et deux cents en argent, portant d'un côté
l'image du sanctuaire, de l'autre, le nom des Mission-
naires de Provence, avec la date de leur installation au
Laus. C'est ainsi qu'en peu de temps il réorganisa le
pèlerinage ; ses successeurs n'eurent qu'à continuer et
qu'à développer l'œuvre si bien commencée.
Malgré la distance qui séparait Aix, la maison mère,
de sa fille, la maison du Laus, elles restaient étroite-
ment unies. M. de Mazenod était le vrai supérieur du
Laus, le P. Tempier entretenait une correspondance ac-
— 104 —
tive, fréquente, avec le fondateur, aux décisions duquel
toute question importante était soumise et qui gardait
son droit de contrôle sur les moindres détails laissés à
l'initiative du supérieur local.
D'autre part, les Pères et les Frères scolastiques d'Aix
entretenaient des relations de services et de bonne fra-
ternité avec le Laus. Toutefois, ils ne se déplaçaient pas
sans de bonnes raisons et ne montaient au Laus que
pour des motifs de santé ou de services à rendre. On était
pauvre, et il ne fallait pas multiplier les dépenses. Les
PP. Maunier et MiE se rendirent au Laus pour la pre-
mière fois aux fêtes de la Pentecôte 1819; le premier
s'en retourna à Aix huit jours après. Quant au P. Mie,
il ne quitta le Laus qu'après les concours de juillet. «J'ai
été bienheureux, disait-il, de mon séjour au sanctuaire,
malgré l'odeur des vendeurs de fromage et l'art culinaire
tout à fait primitif de la cuisinière du logis, qui est loin
d'être un cordon bleu. » Les FF. Dupuy et Moreau, novices
scolastiques, visitèrent aussi le Laus cette première année
et rendirent de grands services aux jours de pèlerinage.
Le P. Tempier alla à Aix quelquefois pour affaires ;
c'est d'Aix et de Marseille qu'il faisait venir ses provi-
sions, c'est là qu'il faisait ses diverses commandes pour
l'église et pour la maison. Là aussi qu'il rendait compte
à M, de Mazenod de son administration temporelle et ré-
glait la part des contributions que sa maison versait dans
la caisse générale.
Les Pères du Laus avaient charge, d'après les conven-
tions acceptées, d'exercer le ministère apostolique dans
le diocèse de Digne, soit par des missions proprement
dites, soit par des secours temporaires donnés aux prêtres
des paroisses.
Le 17 janvier 1819, s'ouvrit, à RémoUon, à 2 lieues du
Laus, une mission de trois semaines ; elle fut dirigée par
~ 105 —
M. DE Mazenod lui-même, et le P. Tempier y prit part. Il
en est fait mention dans la vie de notre vénéré Fonda-
teur (1), nous dirons seulement ici que le beau succès de
ce travail important posa bien les nouveaux gardiens
du Laus et leur attira l'estime et la confiance du clergé
et des fidèles. Le P. Touche se mit en campagne à son
tour, pendant cinq semaines, de février au 20 mars, et
se rendit à Eyguières, chef-lieu de canton de l'arrondis-
sement d'Arles, M. de Mazenod avait commencé la mis-
sion ; mais, obligé de la quitter, il en laissa la direction
au P. Deblieu, qui avait pour collaborateur le P. Mie et
le P. Touche. Rentré au Laus le i" avril, le P. Touche y
exerça un fructueux ministère jusqu'en novembre, épo-
que où il fut le compagnon du P. Moreau, donnant une
mission à Rougière, dans le département du Var, canton
de Saint- Maximin, dépendant alors de l'archidiocèse
d'Aix. Au témoignage de M. de Mazenod écrivant au
P. Tempier, les Pères obtinrent d'excellents résultats. Les
PP. Mie et Tempier ne furent pas aussi heureux dans
la mission qu'ils donnèrent à Rognac (Bouches-du-
Rhône), paroisse de 800 habitants, du canton de Berre,
arrondissement d'Aix. Elle eut lieu en novembre; com-
mencée dans des conditions peu favorables, elle n'eut
qu'un succès médiocre. A cette occasion, le P. de Ma-
zenod écrivit aux deux missionnaires affligés une lettre
touchante, où il nous découvre la grande affection qu'il
portait à ses enfants et la hauteur de vue oh il se pla-
çait pour apprécier un résultat auquel il était si peu
accoutumé. Le P. Rambert a donné quelques détails sur
cette mission et cite, en partie, les belles paroles du Fon-
dateur (2).
(A suivre.) G. Simonin, o. m. i.
(1) Vie de itfgr de Mazenod, t. I, liv. II, chap. viii, p. 298.
(2) Vie de JWgt de Mazenod. t. I, liv. II, p. 304.
— 406 -
II
INAUGURATION DU COLLÈGE DE COLOMBO.
Les journaux de Ceylan nous ont apporté le récit des
belles fêtes qui ont marqué l'inauguration du collège de
Colombo, le 27 novembre 1896. Nous regrettons de ne
pouvoir reproduire au long ces intéressants détails ; mais
nous devons à l'histoire de la famille de citer les docu-
ments qu'on va lire.
ADRESSE DES MEMBRES DU COMITÉ DU COLLÈGE SAINT-JOSEPH.
A Son Excellence Révérendissime Ladislas Michel Zaleski,
M'chevêque de Thèbes, Délégué apostolique aux Indes
Orientales.
Excellence,
Il y a deux années déjà, nous avions le bonheur de
souhaiter la bienvenue à Votre Excellence, à l'occasion
de la pose de la première pierre du collège Saint-Joseph.
Aujourd'hui, Votre Excellence a couronné cette grande
œuvre, commencée alors par la bénédiction solennelle
de notre nouveau collège.
Le succès exceptionnel, nous pourrions presque dire
inespéré, qui était réservé à nos efforts, nous l'attribuons
à ce fait que non seulement l'idée de l'établissement d'un
collège pour la haute éducation des catholiques dans cet
archidiocèse est émané du Saint-Siège, mais encore que
l'entreprise a constamment joui de la bénédiction et des
encouragements de notre Saint-Père.
Nous regrettons l'absence forcée, au milieu de nous,
de notre archevêque bien-aimé, qui touj ours a fait preuve,
pour le collège, d'un intérêt si profond et si pratiquement
dévoué, et de Son Eminence l'évêque de Jaffna. Mais Ja
-• 107 —
présence bienvenue de Leurs Eminences les évoques de
Kandy et de Galle nous apporte l'assurance de la sym-
pathie et de l'estime de la hiérarchie de Ceylan pour
notre collège.
L'œuvre du collège est commencée et, nous osons
le dire, pour ce qui regarde à la fois le nombre et les
résultats obtenus, commencée avec des succès remar-
quables.
Il nous reste, maintenant, à offrir à Votre Excellence
nos remerciements du cœur pour avoir si gracieusement
consenti à présider en cette occasion et à vous prier de
vouloir bien faire part à Sa Sainteté de l'expression de
notre fidélité et de notre attachement au Saint-Siège,
ainsi que de notre gratitude pour les encouragements
et la bénédiction que le Saint-Père nous a donnés dans
notre œuvre.
Nous désirons rester de Votre Excellence les très obéis-
sants et dévoués serviteurs dans le Christ.
Les membres du Comité du collège Saint-Joseph.
Colombo, 27 novembre 1896.
ADRESSE DES ÉLÈVES DU COLLÈGE.
A Son Excellence Révérendissime Ladislas-Michel Zaleski,
archevêque de Thèbes, Délégué apostolique aux Indes
Orientales.
Excellence,
En un jour aussi solennel, devant une assemblée aussi
grave, la voix d'un enfant n'a guère le droit de se faire
entendre. Ce n'est donc pas sans défiance que je m'aven-
ture en avant au nom de mes camarades. D'autant plus
que les membres du Comité du collège, investis de la
pleine autorité, ont déjà fait une adresse à Votre Excel-
lence au nom de toute la communauté catholique. Mais
-^ 108 —
nous, enfants, nous avons des yeux pour voir, et nous
ne pouvons pas nous empêcher de voir que ce qui s'est
fait ici à tant de frais et avec tant de peine, a été fait pour
nous, pour notre bonheur du temps et de l'éternité.
Nous ne pouvons nous empêcher d'être reconnaissants
envers ceux qui nous ont bâti ce collège, véritable pa-
lais, et envers Votre Excellence, et vous, Messeigneurs,
qui avez si gracieusement accepté d'honorer cette jour-
née de votre présence, et d'invoquer la bénédiction di-
vine sur cet édifice et ses habitants. Nous ne pouvons
pas non plus dissimuler la fierté que nous sentons à être
les premiers étudiants du collège Saint-Joseph. Ce n'est
pas un faible honneur, en vérité, et nous assurons Votre
Excellence que nous l'apprécions et que nous porterons
de plus en plus haut les couleurs de notre Aima Mater.
C'est l'excuse de notre hardiesse à rompre le silence
qui convient à notre âge. Nous prions Votre Excellence
de nous pardonner et de^nous donner sa bénédiction.
Vos enfants dévoués,
Les Étudiants du collège Saint-Joseph.
Collège Saint-Joseph, Colombo, 27 novembre 1896.
RÉPONSE DE SON EXCELLENCE LE DÉLÉGUÉ APOSTOLIQUE.
Messeigneurs, très révérend Père Visiteur (I),
Révérends Pères et Messieurs,
C'est, en vérité, un jour heureux pour moi où je puis
inaugurer par la bénédiction de la sainte Eglise cet Ins-
titut catholique dont j'ai posé la première pierre.
Ce n'est pas seulement un édifice matériel qui a été
érigé par les soins des Révérends Pères ici présents, aidés
et assistés parles sommités catholiques de Ceylan, dont,
plus d'une fois, j'ai montré l'assistance morale et pécu-
(t) Le R. p. AuGiER, Cassien.
— 109 —
niaire comme un exemple à imiter aux chrétiens de ma
délégation. {Applaudissements.) Mais le succès que cette
nouvelle institution a déjà rencontré, succès dû en grande
partie au zèle infatigable du très révérend Père Rec-
teur, surpasse de beaucoup toute prévision ; à tel point
que cette institution a pris une place honorable parmi
les collèges catholiques de l'Orient et a déjà établi sa ré-
putation. Ceci, Messieurs, est une garantie pour vous que
vos enfants recevront là une solide et haute éducation.
Je regrette vivement que votre vénéré archevêque ne
soit pas parmi nous ; mais je suis heureux de dire que
dernièrement j'ai reçu des nouvelles de son prochain
retour. Je ne doute pas qu'en ce moment il ne soit uni
d'esprit avec nous, assemblés ici pour couronner une
œuvre qui lui est si chère et dont il a le droit d'être
considéré tout ensemble comme le promoteur et le fon-
dateur. [Applaudissements.)
Messieurs, à mon avis, cette inauguration du collège
Saint-Joseph signifie plus que la simple ouverture d'un
établissement d'éducation. En effet, si j'insiste sur l'im-
portance de la cérémonie à laquelle nous assistons, c'est
à cause de ma ferme conviction que cette institution
deviendra non seulement un foyer de science, mais en-
core un foyer de vie catholique. [Vifs applaudissements.)
La communauté catholique de Geylan manque de
cette vitalité qui est le fruit de l'organisation et de cette
vigueur qui procède de l'union.
Ce n'est pas assez qu'un soldat soit loyal à son souve-
rain, qu'il aime son pays et fidèlement garde ses lois ; il
doit encore savoir comment proclamer, affirmer et dé-
fendre les droits de son souverain ; il doit savoir com-
ment défendre son pays et comment défendre et faire
respecter ses lois.
De même, Messieurs, ce n'est pas assez qu'un catho-
— 110 —
lique professe son amour pour Dieu, sa vénération pour
l'Eglise et son obéissance à toutes ses lois ; il doit savoir
comment proclamer publiquement, affirmer et défendre
les droits imprescriptibles de Dieu ; proclamer, affirmer
et défendre les droits de la sainte Eglise ; défendre les
lois de Dieu et de son Eglise.
Tel est, Messieurs, le premier devoir de tout catho-
lique, devoir dont on ne peut se dispenser et dont on ne
doit pas s'acquitter avec négligence et à la légère. Tout
catholique doit s'acquitter de ce devoir suprême de tout
son pouvoir, sa force et son énergie, aller droit au but,
travailler, persister et lutter jusqu'à ce qu'il gagne pour
lui-même et ses compatriotes pleine et entière liberté
religieuse. (Applaudissements.)
On parle beaucoup, de nos jours, des droits et des li-
bertés du suiei (Applaudissements.); mais le premier droit
du sujet, son suprême privilège, est la liberté religieuse.
[Nouveaux applaudissements .) Ce n'est pas seulement le
droit du sujet, c'est le droit de Dieu que tout catholique
est tenu de défendre. (Applaudissements prolongés.)
Révérends Pères et vous, Messsieurs, qui enseignez
dans ce collège, à qui est confiée l'éducation de ces en-
fants, l'espoir de la communauté catholique de Geylan,
souvenez-vous que c'est votre devoir de former cette
jeunesse de façon à devenir les chevaliers de Dieu. (Ap-
plaudissements.) Travaillez donc à les rendre capables de
toujours défendre les droits sacrés de Dieu, les droits de
sa sainte Eglise, et de lutter courageusement pour la
liberté religieuse de leurs compatriotes. (Nouveaux ap-
plaudissements.)
Faites d'eux de bons et utiles citoyens ; faites-leur
comprendre, dès le premier âge, que personne ne peut
être vraiment loyal à son souverain ; que personne, en
toutes circonstances, ne défendra son pays et ses droits
de citoyen, s'il ne sait défendre les droits de Dieu, les
droits de la sainte Eglise et sa liberté religieuse ; car, la
fidélité à Dieu, voilà l'origine et la source de toutes les
vertus du citoyen.
Quand vous aurez atteint cet idéal, vous pourrez dire
alors que le jour de l'inauguration de ce collège a été
réellement un grand jour pour les catholiques de Gey-
lan. {Applaudissements et acclamations enthousiastes.)
DISCOURS DU R. P. COLLIN, 0. M. I., RECTEUR DU COLLÈGE,
A SON EXCELLENCE LE GOUVERNEUR.
Excellence,
Sur l'arc qui domine notre entrée, nous avons écrit ce
mot : Bienvenue. 11 n'en est pas qui puisse mieux expri-
mer nos sentiments en ce jour. C'est du fond du cœur
que nous souhaitons la bienvenue à Votre Excellence,
dans cette première visite qu'elle fait au collège. Nous
saluons en vous la première autorité civile du pays. Nous
saluons en vous le représentant de Sa Gracieuse Majesté
la Reine. Nous saluons aussi en vous, Monsieur — et ceci
n'est pas de peu d'importance pour des hommes voués,
comme nous, à l'éducation de la jeunesse — nous sa-
luons en vous un ami sincère de l'éducation, non pas
un ami simplement en parole, mais un ami en toute
réalité.
J'eus, un jour, l'honneur de faire partie d'une déléga-
tion de l'Association d'éducation ceylanaise, qui se pré-
sentait à Votre Excellence pour lui exposer certains abus
des directeurs des écoles. Nous quittâmes tous la salle
d'audience, parfaitement satisfaits de l'accueil si courtois
qui nous avait été fait et des promesses substantielles que
nous avions reçues, promesses qui depuis ont été plei-
nement réalisées. Ceci et l'établissement du Bureau
— 112 —
d'éducation montrent que les relations du gouverne-
ment et des corps d'éducation sont désormais établies
sur une confiance mutuelle et une parfaite entente d'opé-
rations. Les propos publics de Votre Excellence et spé-
cialement l'augmentation considérable faite dans les
allocations de l'éducation pour l'année prochaine sont
des preuves palpables de l'intérêt que vous portez à
l'éducation du peuple, éducation que vous considérez à
juste titre comme la cheville ouvrière du bon gouverne-
ment d'une colonie. Il est donc parfaitement convenable
qu'à un ami aussi sincère de l'éducation soit dévolu l'hon-
neur d'inaugurer un collège destiné, je l'espère, à être
un nouveau foyer de lumière dans cette île.
Mais Votre Excellence s'étonne peut-être que nous
vous demandions d'ouvrir un collège qui a déjà plusieurs
mois d'existence. Ceci réclame quelques explications de
ma part. C'est une règle, parmi les bons chrétiens, qu'un
enfant doit être baptisé aussitôt après sa naissance. Cette
règle cependant souffre des exceptions. Des excuses de
retard ne manquent pas. Il peut se faire que le parrain,
la marraine soient absents, et il faut consulter leurs
commodités ; ou encore la parure du petit nouveau-né
n'est pas prête, et ses parents désirent qu'il fasse sa pre-
mière apparition dans le monde dans ses plus beaux
atours. Et ainsi il arrive parfois qu'un enfant de six mois,
neuf mois, soit porté aux fonts baptismaux. C'est là exac-
tement ce qui nous est arrivé. Quand nous avons ouvert
ce collège, en mars dernier, la moitié seulement du bâ-
timent était prête, l'autre était encore entre les mains
des maçons et des charpentiers. L'extérieur n'était pas
achevé ni même couvert de chaux. A coup sûr, ce n'était
pas là une parure convenable pour produire notre nou-
veau-né devant le public. D'ailleurs, parrain et marraine
étaient absents. Votre Excellence était en tournée quelque
— 113 —
part, et Monseigneur le Délégué apostolique était au loin,
dans l'Inde. Voilà nos raisons de procéder aujourd'hui
au baptême de notre collège, âgé de neuf mois.
Votre Excellence désire peut-être savoir quelque chose
des circonstances qui ont amené l'érection de ce collège.
Le R. P. Vice-Recteur va nous lire un rapide aperçu
historique sur l'origine et les progrès de l'œuvre. Mais
je vois que nos jeunes musiciens sont impatients d'en-
tonner le chant d'ouverture du collège. Le R. P. Lytton,
je l'espère, prendra un peu patience avec eux.
rapport du r. p. lytton.
L'Eglise catholique a toujours été une mère aimante,
pleine de vigilance et de sollicitude pour l'éducation.
Elle la reconnaît comme une nécessité pour ses enfants;
la connaissance et le service de la religion révélée le
demande. Elle a répandu dans le monde la lumière non
seulement des connaissances divines, mais encore des
connaissances humaines. Les écoles, les collèges, les
universités, qui ont surgi par ses soins maternels partout
où il lui a été donné de prendre racine ;et de s'étendre,
sont là pour le prouver. Ses missionnaires sont ses agents
volontaires, dévoués, et, partout où ils vont s'établir,
religion et éducation vont ensemble la main dans la
main. Partout où ils élèvent une église, on est sûr de
trouver une école à côté. Le regretté cardinal Manning
disait un jour que, s'il était forcé de choisir entre les
églises et les écoles, il ferait le sacrifice des églises pour
garder les écoles.
L'œuvre de l'Eglise dans notre île ne fait pas exception
à cette règle. Tandis qu'en 1846 on ne fait pas même
mention d'une école catholique, nous trouvons, en 1852,
31 écoles catholiques; en 1862,96, avec 4208 élèves.
— 114 •«
En 1891, le nombre des écoles catholiques pour l'île est
de 368, fréquentées par 24 000 élèves, dont 9 000 filles.
En t895, 28 000 enfants catholiques fréquentent les
écoles. La fréquentation des catholiques est de 2 sur J9
de la population catholique, tandis que celle des autres
enfants est de 1 sur 19 de la population. Sur 6 enfants fré-
quentant l'école à Geylan, 1 est catholique. Ce sont là des
résultats dont nous avons raison d'être fiers. Ils montrent
le constant et prospère accroissement de nos écoles.
L'anglais n'est pas enseigné dans toutes ces écoles. On
n'a jamais cru sage de l'encourager là où il n'était pas
nécessaire, oti il aurait eu pour effet de rendre les gens
mécontents de leur condition et de leur faire abandon-
ner la carrière des champs ou d'autres, pour des posi-
tions inférieures et précaires dans les villes.
Des écoles catholiques anglaises n'ont été ouvertes que
là oii elles étaient nécessaires et oh les parents pouvaient
faire face aux frais d'une éducation qui pour leurs en-
fants est du luxe.
A la tête de ces écoles, dans l'archidiocèse, est l'Ins-
titut Saint-Benoît, dirigé par les Frères des Ecoles chré-
tiennes, les fils dévoués du Bienheureux de La Salle.
Leurs élèves, on les rencontre presque partout, remplis-
sant avec crédit des postes auprès du gouvernement et
dans les maisons d'affaires. Pour la grande partie de nos
enfants catholiques, l'école Saint-Benoît est complète-
ment suffisante. Là, ils trouveront tout ce qui est néces-
saire pour une éducation commerciale ou cléricale. Ce
que celui de Saint-Benoît fait ici, le collège Saint-Patrice
le fait dans le nord de l'île.
Toutefois, on sentait et admettait qu'il y avait une
classe d'élèves catholiques obligés de pousser plus loin
leurs études que le collège Saint-Benoît n'avait coutume
de le faire : nous voulons parler de ceux qui se desti-
— 11b —
naient aux professions libérales et aux postes plus élevés
du gouvernement, qui sont ouverts aux enfants du sol.
Pour ceux-là, une éducation classique et scientifique
était nécessaire. Personne ne sentait davantage ce besoin
que notre regretté archevêque M»"" Bonjean, un homme
de Dieu, qui avait fait de l'éducation l'étude de sa vie. Ses
grands talents et son expérience le désignaient comme
l'homme suscité par la Providence pour préparer les
voies à la fondation de l'institution destinée à suppléer
à ce besoin.
Pour grandes qu'aient été les difficultés surgies sur sa
route, plus grandes encore ont été sa résolution et sa per-
sévérance. Tout en attendant son heure, il prépara len-
tement, mais sûrement, l'établissement, à Colombo, d'un
collège catholique. Après des années de difficultés et
d'incertitudes, encouragé, pressé par le Saint-Siège, il
vit enfin les voies s'ouvrir devant lui, et le 6 janvier 1892,
six mois avant sa mort, il adressait une lettre pastorale
sur ce sujet aux catholiques de son archidiocèse. Dans
cette lettre pastorale, après avoir parlé de ce qu'il avait
en vue, il s'exprime ainsi :
(( La réalisation de ce dessein suppose, de notre part,
que nous serons prêts à offrir aux jeunes gens catholiques
que leur position sociale ou leurs aptitudes naturelles
portent à jeter un regard plus avant vers les professions
libérales ou les plus hautes charges du gouvernement
ouvertes aux indigènes, à leur offrir un cours d'études
supérieur à ce qu'on peut leur procurer actuellement,
mais qui fait pourtant face aux besoins de la grande
majorité de nos enfants, nous voulons dire d'un cours
de formation classique ou une éducation de collège...
« Tel est le problème qui, sans cesse, depuis que nous
avons reçu la charge de cette Mission, a hanté notre esprit
et absorbé nos pensées. Et la solution de ce problème,
— H6 —
après des années d'un examen anxieux du sujet sous
toutes ses faces multiples, nous nous sommes mis dans
l'esprit de la tenter. Nous disons un problème, car c'en
est un en réalité, et un problème assailli de mille diffi-
cultés pratiques qui ne sont pas de peu d'importance. »
Comme conclusion, il disait:
« Et maintenant, nos très chers frères, le mot que vous
attendiez de nous, nous l'avons prononcé ; la marche
que vous désiriez nous voir prendre, nous l'avons prise.
Nous ne pouvons pas, en vérité, vous promettre des ré-
sultats immédiats ; mais, sous la bénédiction de Dieu, le
temps, le travail, l'argent et la persévérance sont sûrs
de réaliser le succès désiré.
« Dès ce jour, puissiez-vous être fiers d'attacher votre
nom à une institution dont les bienfaits doivent se trans-
mettre à tant de générations après vous ! Puisse la voix
de votre vieil Archevêque retrouver un écho en vous et
faire naître dans vos cœurs ces résolutions généreuses
dont vous avez si souvent déjà donné de magnifiques
exemples ! Puissiez-vous ainsi donner à nos années qui
déclinent la plus grande consolation que nous pouvons
encore attendre, et assurer, à vous et à vos enfants, les
bienfaits inappréciables que l'institution projetée a en
réserve ! Tels sont, bien-aimés frères, les souhaits les
plus affectueux que nous formulons pour vous au com-
mencement de cette année. »
Ce chaleureux et touchant appel, et qui fut en réalité
le dernier, eut une réponse de la part des catholiques
laïques, réunis en meeting public, le 2 avril 1892, avec
la bénédiction spéciale du Saint-Père. Et tels furent l'en-
train et l'enthousiasme qui s'emparèrent de la réunion,
qu'à la clôture on fit une souscription de 18 500 roupies.
11 est un nom que je dois mentionner ici (bien que,
j'en suis sûr, la modestie de ce monsieur ne me le par-
— 117 —
donne pas), c'est celui de M. l'avocat C. Brito, qui ouvrit
la liste de souscription par une somme de 5000 roupies.
Une telle souscription décida presque du sort du col-
lège. En présence de tous, elle fit voir ce que ce mon-
sieur pensait du collège proposé et en encouragea plu-
sieurs à se montrer également généreux. Dans l'espace
de trois semaines, à la suite de ce meeting, M. John
Clovis de Siiva souscrivit et versa également 5 000 rou-
pies. Voici les noms des messieurs qui ont contribué pour
i 000 roupies ou plus : L. David de Silva, N. D. P. Silva,
le très révérend J. A. Maver John de Groos, L. Jacob de
Silva, W.Abeysundara, F. J.LucasFernando,R.D.S.■Wi-
jaratna, A. N. de Silva, Gabriel de Groos, S. Moraes et la
Gongrégation de l'église Saint-Sébastien, Negombo.
Dans ce meeting, un comité général, composé des ca-
tholiques marquants de l'île, fut élu. Parmi eux, treize
membres furent choisis pour former un comité perma-
nent. Il me serait impossible de trop louer les services
qu'ils ont rendus au collège.
Gommença alors la collecte de maison en maison,
occupation qui n'est pas des plus agréables. Quiconque
n'a pas fait pareille besogne ne peut s'en faire une juste
idée. Elle fut dévolue aux missionnaires et se poursuivit
de ville en ville, de village en village, avec une ardeur et
un dévouement que Dieu seul peut récompenser. Qu'il
me soit permis de remercier publiquement ces révérends
Pères pour toutes les peines et les ennuis qu'ils ont
affrontés.
A cette époque, était en vente, à Muttwal, une pro-
priété de 27 acres, connue sous le nom de Uplands. Elle
dominait le port et était exposée à la brise vivifiante du
large. On décida, sur l'heure, d'en faire l'acquisition
pour le nouveau collège, car, meilleur site, on ne pou-
vait en trouver dans tout Colombo. Mais qu'allions-nous
— 118 —
faire ? Le capital en main n'était pas considérable, et le
prix à'Uplands était de 8000 livres sterling. Cela peut
paraître hardi, mais il fut décidé d'emprunter la somme.
Les événements ont prouvé que le parti adopté était le
bon. Et ici je dois dire que les catholiques de Colombo
ont contracté une dette profonde de gratitude envers le
T. R. P. Supérieur général des Oblats de Marie Immacu-
lée, qui, sans aucune garantie, sur un simple télégramme,
nous a prêté 137 000 francs, somme sans laquelle nous
n'aurions pas pu acheter Uplands. N'eussions-nous pas
payé pour cette propriété, il n'est pas probable que le site
actuel et le collège, tel qu'il est, fussent à nous aujour-
d'hui. Puis-je demander au T. R. P. Visiteur de vouloir
bien transmettre au Supérieur général nos chauds re-
merciements et notre inaltérable gratitude?
Peu après la prise de possession, on nous informait
que le gouvernement avait besoin d'Uplands. Nous nous
persuadions et essayions de persuader au gouvernement
qu'il pouvait s'en passer. Nous n'avons pas réussi ; il nous
fallut abandonner Up/ands. Mais je dois dire, et je suis
heureux de le faire, que le gouvernement nous a com-
pensés avec libéralité. Le site que voici fut acquis alors
et, bien que moindre que Uplands en étendue, il est plus
central et donne une satisfaction générale.
On ne perdit pas de temps à se mettre à l'œuvre. Les
plans furent confiés à MM. Walker fils et C% qui, par
leur architecte, M. Skinner, nous ont donné le bâtiment
où nous sommes assemblés aujourd'hui.
L'œuvre d'inspection fut assumée par les révérends
Pères, et l'on peut se faire une idée de la manière dont
ils se sont acquittés de ce devoir, si l'on sait que la pre-
mière pierre fut posée par Son Excellence le Délégué
apostolique, le 12 décembre 1 894, et le collège ouvert pour
les classes le 2 mars 1896. Sous ce rapport, trois noms
— 119 —
sont restés remarquables : ce sont ceux du T. R. P. Bell,
0. M. I., vicaire général ; du R. P. Collin, o. m. i., rec-
teur, et du R. P. GuGLiELMi, 0. M. I. Qu'il me soit permis
de les remercier de tout mon cœur pour la part, la large
part qu'ils ont prise à faire le collège Saint-Joseph ce
qu'il est.
Le total des dépenses pour le gros œuvre, les répara-
tions de l'ancienne maison, l'ameublement et les offices,
s'élève à 107 300 roupies. Le total perçu par souscription
est de 52 200 roupies. Le déficit, de 35 300 roupies, fut
subi par l'Archevêque, qui le prit sur son propre nom.
Gonséquemment, une dette vive de 55 300 roupies pèse
sur le collège. Il y a environ 20000 roupies de sous-
criptions promises, non encore payées, et il est à espé-
rer que ceux qui n'ont pas encore fait leur devoir, sous
ce rapport, remarqueront et comprendront leur endet-
tement.
Librement promises, leurs contributions avaient été
mises en ligne de compte, et c'est en vertu de ces pro-
messes qu'on emprunta le capital à intérêt pour pouvoir
achever le collège. La cloche, du prix de 3 000 roupies,
est le don de l'Archevêque et de l'Irlande. L' « île des
Saints et de l'Ecole » nous a donné la bibliothèque du
collège.
Les professeurs, les PP. Nicolas, o. m. i., docteur en
théologie. Le Louet, o. m. i., Mac-Donald, o. m. i., La-
NiGAN, o. M. I., FuLHAM, 0. M. I., et MM. Dreunan, maître
es arts, L. Pope, bachelier es arts, et Haughes étaient sur
les lieux avant que le collège fût prêt. Les autres Pères
appartenant au personnel du collège sont le R. P. Gu-
GLiELMi, 0. M. I., leR. P. BoYER, 0. M. I., doctcur en théo-
logie, le R. P. Vice-Recteur et le P. Recteur. Les classes
ont commencé, le 2 mars de cette année, avec 200 élèves.
Il faut y ajouter 160 élèves de l'école préparatoire Saint-
— 120 —
Charles, ouverte sur les terres du collège comme une
pourvoyeuse du collège, ce qui fait en tout, à l'ouver-
ture des classes, une fréquentation de 360 élèves.
Pendant quelque temps, l'œuvre a été difficile, en rai-
son des dispositions inégales des étudiants. Des efforts
constants et efficaces ont été faits les derniers huit mois,
et il y a un progrès marqué dans la conduite et l'appli-
cation de nos enfants. Nous regardons cela comme d'un
encourageant augure pour l'avenir. Six acres de terre
ont été réservés comme lieu de récréation. Le succès
que les étudiants ont eu dans leurs parties témoigne du
bon usage qu'ils en font, tant pour le jeu du cricket
que pour le foot-ball. Déjà même on a jeté un regard
de convoitise sur le lac ; lui aussi sera mis à la dispo-
sition des étudiants dès que nous serons à même de le
faire.
Les cours suivis au collège préparent les étudiants aux
examens de Cambridge et aux examens de TUniversité
de Londres jusqu'au grade de bachelier es arts inclusi-
vement.
Le collège n'a pas de fondation ni n'est aidé par le
gouvernement ; non pas que nous n'ayons besoin de
cette aide ni que nous ne la désirions, mais parce qu'on
a trouvé impossible de suivre le programme du gouver-
nement imposé pour les écoles élémentaires. On espère
que le gouvernement trouvera moyen d'arranger son
programme d'études de façon à procurer plus d'encou-
ragements et de secours à l'éducation supérieure. Nous
dépendons uniquement de la pension des élèves, qui
doit être préalablement payée avant le 10 de chaque
mois, et de ce que l'archidiocèse peut nous donner. Il
va sans dire que le collège Saint-Joseph est un grand
fardeau pour la Mission. Espérons qu'il n'en sera pas
toujours ainsi.
— 121 —
Le collège, bien qu'entièrement catholique d'esprit et
de direction, ne refuse pas leur admission aux externes
non catholiques. Il n'intervient pas non plus, en aucune
façon, dans ce qui regarde les sentiments religieux ou
les convictions de ces derniers.
Le succès du collège a de beaucoup dépassé notre
attente, et bientôt nous serons obligés de bâtir une autre
aile. Grâce aux efforts de notre Archevêque en Europe
et à la générosité d'un bienfaiteur local bien connu,
nous examinons déjà sérieusement l'extension pro-
jetée.
Bien que nous préparions aux examens publics, notre
but est toutefois plus haut. Nous nous proposons de for-
mer et de façonner des hommes comme il nous en faut,
non pas simplement des hommes de culture, mais des
hommes de vertu, de devoir et de caractère. Nous tra-
vaillons pour l'avenir. Si nous ne les renvoyons pas
tous hommes capables, nous espérons les renvoyer tous
hommes de bien, citoyens utiles et loyaux sujets. La
pierre fondamentale de l'édifice moral que nous espé-
rons élever sera « respect et obéissance à l'autorité ».
C'est, par conséquent, la conduite de nos élèves, après
qu'ils auront quitté ces murs, qui fera connaître si
l'œuvre accomplie est un succès ou non.
Que le collège Saint-Joseph soit donc toujours fidèle
à sa devise : Science et Vertu. Qu'il dissipe toujours les
ténèbres, et, toujours fidèle à sa mission, qu'il répande
la lumière, lumière dans l'intelligence par la science, lu-
mière dans le cœur par la vertu, lumière pour le temps,
lumière pour l'éternité.
— 122 —
SPEECH DE SON EXCELLENCE LE GOUVERNEUR.
Son Excellence le Gouverneur, qui trouve un accueil
cordial, prend alors la parole.
Révérend Père Collin, Mesdames, Messieurs,
(( Je ne suis pas venu préparé pour un speech et j'es-
pérais n'avoir pas à en faire ; car, je pensais qu'il y aurait
ce la musique et... de quelque manière, la musique, ou,
du moins, d'autre musique, ne semble pas compatible
avec des discours publics. Cependant, on me dit qu'on
s'attend à ce que je fasse quelques réflexions. En vérité,
je sens que ce ne serait pas bien aimable de ma part si
je manquais de vous exprimer ma gratitude pour la ré-
ception toute cordiale que vous m'avez faite aujourd'hui,
spécialement après avoir été introduit auprès de cette
charmante jeune dame qui est le collège, introduction
qui a été longtemps différée, faute de préparation du
trousseau ; mais j'espère, maintenant que l'introduction
a été faite, que les accointances seront longues et dura-
bles. J'en suis sûr, vous avez tous entendu avec intérêt
le rapport du R. P. Lytton, qui décrit, d'une façon si
claire, le progressement merveilleux qu'a pris la cause
de l'éducation sous les auspices de votre Eglise, et la
manière merveilleuse dont elle s'est développée et accrue
dans cette île, progressement non moins merveilleux
qu'il a produit ce bel édifice et cet établissement si
utile, donné à Colombo ou plutôt à l'île de Ceylan tout
entière. »
Son Excellence paye un tribut d'hommage au grand
intérêt que porte l'Eglise à l'éducation.
« J'ai é lé au service de Sa Majesté dans plusieurs parties
du monde et j'ai toujours vu, avec surprise et bonheur,
la façon merveilleuse dont votre Eglise, sans l'assistance
— 123 —
de l'Etat et très souvent sans le secours des riches, a
élevé de belles églises, des cathédrales et des collèges
dans toutes les parties du monde. (Applaudissements.) Ce
collège ne fait pas exception, et je félicite Colombo de
ce que vous n'avez pas ignoré les exigences de l'esthé-
tique ; et, au lieu de faire peine à voir, comme bien des
établissements d'éducation, votre collège est d'une phy-
sionomie saisissante et gracieuse au milieu d'un magni-
fique paysage. Je suis heureux d'être ici aujourd'hui en
qualité de gouverneur de l'île, pour vous féliciter, non
seulement vous, mais encore moi-même, de l'établisse-
ment d'une nouvelle institution pour procurer une édu-
cation supérieure à la jeunesse de cette contrée et la
rendre capable d'avancer dans les emplois du gouverne-
ment. Je ne suis pas seulement ici pour vous féliciter
sur ce point, mais sur la possession de ce magnifique
édifice et sur les destinées que je vois en réserve pour
vous. (Applaudissements.) Je désire vous exprimer com-
bien j'apprécie et reconnais la belle œuvre que votre
Eglise accomplit dans la cause de l'éducation, et je
reconnais pleinement l'obligation que le gouvernement
doit aux corps religieux qui ont entrepris la lourde tâche
de l'éducation dans cette contrée. Et moi, pour ma part,
je ne regrette pas les dépenses auxquelles, je pense, le
R. P. Lytton faisait allusion tout à l'heure. L'unité et
l'harmonie, qui dominent entre tous les partis pour l'ex-
tension de l'éducation dans cette île, sont des plus conso-
lantes et doivent être, pour ceux qui vivent autour de
nous, un sujet de grande édification ; et je vous félicite
d'avoir établi cette Association d'éducation dont on a fait
mention tout à l'heure. C'est là un souhait tout à fait
désintéressé de ma part, car je sais que le but et l'objet
de cette Association seront d'exercer une pression sur
moi, et je sais qu'elle produira une forte poussée, une
— 124 —
longue poussée, une poussée aussi à laquelle il me sera
difficile de résister. » {Rires et applaudissements.)
Il dit comment l'Association d'éducation ceylauaise
lui arracha les dents.
« Je me rappelle bien cette délégation de l'Associa-
tion d'éducation qui vint un jour à moi ; je me rappelle
comment, gentiment mais sûrement et sans me faire
mal, elle m'arracha les dents les unes après les autres.
{Rires.) Je regrette presque de ne m'êlre pas montré plus
sévère et de n'avoir pas refusé ; car nous savons main-
tenant que c'est d'un refus du gouvernement qu'a surgi
ce beau collège. Je souhaite que tous les refus que j'au-
rai la mauvaise fortune de faire puissent avoir d'aussi
bons résultats. {Applaudissements.) Lorsque j'arrivai à
Ceylan, je fus frappé du manque de rapport et de contact
entre les différentes sociétés d'éducation qui travaillent
dans cette île, et je me hasardai à établir un Bureau
d'éducation, qui, je l'espère, réussira. Une des dernières
propositions de ce Bureau a été une modification du
code en vertu de laquelle les étudiants de ce collège et
des autres collèges qui, comme celui-ci, ne sont pas enre-
gistrés dans le système des allocations, peuvent concou-
rir pour l'université et les autres établissements ; et
j'éprouve un grand plaisir à acquiescer à cette propo-
sition.
« Mais je ne veux pas davantage me mettre entre vous
et la belle musique que vous allez entendre. Ainsi donc,
Mesdames et Messieurs, il ne me reste qu'à vous remer-
cier de votre réception cordiale, et, du fond du cœur,
avec ardeur, je souhaite plein succès à ce beau collège,
si riche d'espérances. » [Tonnerre d'applaudissements.)
REVUE
LA LINGUISTIQUE
CONSIDÉRÉE COMME CRITÉRIUM DE CERTITUDE ETHNOLOGIQUE
Par le R. P. Morice, o. m. i.
(Traduction d'une étude publiée en anglais.)
Notre siècle est éminemment un siècle de recherches
et de critique. Pour se croire en pleine possession de la
vérité, l'homme réclame aujourd'hui plus que l'héritage
de données scientifiques que lui ont léguées la tradition
et l'histoire. Une exubérance d'activité intellectuelle le
pousse constamment à de nouvelles investigations, des
faits dont l'exactitude semblait acquise, des assertions
maintes fois répétées et qui paraissaient destinées à
braver l'assaut des âges servent de thèmes à une multi-
tude de savants plus ou moins diplômés qui les pèsent
dans la balance de leur puissant intellect et parfois les
déclarent manquer de justesse. De nouvelles acqui-
sitions dans le domaine de la science ou même des phé-
nomènes d'occurrence quotidienne que nos pères ne
songèrent jamais à étudier en critiques sont de même
analysés, leur cause est recherchée, leurs relations exa-
minées et leurs effets dûment appréciés. L'homme, de
nos jours, a besoin de se familiariser avec son milieu ;
il voudrait pénétrer les arcanes de la nature, mais, avant
tout, il désire se connaître lui-même, savoir son origine,
son histoire et sa vraie place dans le monde relativement
à ses congénères. D'où les nombreuses sciences qui ont
surgi comme par enchantement depuis le commen-
— 126 —
cernent de ce siècle, sciences qui, directement ou indi-
rectement, ont presque toutes l'homme pour sujet prin-
cipal. Telles sont, par exemple, l'anthropologie et ses
corrélatifs, l'anthropométrie, la sociologie, la mytho-
logie, l'archéologie et la philologie.
Grâce à ces précieux auxiliaires, l'étude de l'homme
ne manque jamais Me révéler de notables différences
dans l'espèce, soit que ces différences portent sur le type,
les coutumes, la langue ou les progrès matériels ou psy-
chologiques. D'un autre côté, la comparaison et la col-
lation de ces divers points donnent elles-mêmes nais-
sance à une nouvelle science, l'ethnographie.
La valeur intrinsèque de telles recherches ne pourrait
guère s'exagérer, mais l'importance relative de chacune de
ces branches de la science considérées comme critériums
de certitude ethnique est très inégale. On entend souvent
parler de crâniométrie et autres mensurations anthro-
pologiques ; nos revues savantes regorgent de descrip-
tions des us et coutumes des diverses nations du monde ;
leur organisation sociale est maintes fois présentée à
notre appréciation, tandis que l'archéologue ne se lasse
pas davantage de soumettre à notre jugement les pré-
tentions de sa science favorite, Et pourtant, quand il est
question de déterminer sans ambages et sans crainte
d'erreur les différences ethnographiques sur lesquelles
est basée la division du genre humain en races distinctes,
la philologie a, seule, droit à tout notre respect et à une
confiance illimitée. Comme le dit Gallatin, « le langage
est un monument des affinités primordiales plus durable
que le type physique, et il n'existe aucune tribu, quelle
que soit sa position dans l'univers, qui ne puisse fournir
cette preuve d'affiliation (1). »
(1) Am, Antiquarian, coll. vol. II.
-- 127 ~
Démontrer que cette assertion est loin d'être exagérée
fera l'objet de la présente étude. Nous passerons d'abord
en revue les diverses branches de la science anthropo-»
logique et nous nous efforcerons d'apprécier leurs états
de services relativement à la différenciation des races.
Dans une seconde partie, nous prouverons parun exemple
tiré de certaines tribus américaines la souveraine im-
portance sous ce rapport de la philologie, et nous ter-
minerons en proposant certaines règles destinées à sau-
vegarder l'investigateur contre l'engouement et les excès
d^une exégèse mal dirigée.
I
Examinons d'abord les prétentions de la physiologie
au titre de critérium infaillible de certitude ethnologique.
Nous ne tarderons pas à nous apercevoir qu'elles sont
fondées sur les aveugles prédilections des? théoristes et
de ces savants qui exagèrent l'importance de la matière
aux dépens de l'esprit. Sans doute, les divisions pri-
maires de l'espèce humaine en blancs, nègres, etc., sont
basées sur des particularités physiologiques. Mais l'eth-
nologie, entant que science distincte, ne s'occupe guère
de divisions de caractère si général. Personne ne se basera
sur la couleur d'un individu ou d'un groupe d'individus
pour leur assigner telle ou telle nationalité. Le teint
compte assez peu dans la balance de l'ethnologie. Le
physique des indigènes de la péninsule indienne diffère
certes assez de celui des nations de l'Europe occidentale,
et pourtant la linguistique nous assure que les Indo-
Européens ne forment qu'une seule et même famille
d'êtres apparentés. Les habitants de TAbyssinie, bien que
parfaitement noirs, n'en appartiennent pas moins, par
leur origine, au stock sémitique et par conséquent à une
race blanche. « Sous l'influence du soleil, des Mongols
— 128 —
sont devenus aussi bistrés que des nègres, tandis qu'il y
a dans les régions tropicales des blancs qui, sous le rap-
port du teint, pourraient passer pour de vrais Mon-
gols (1). »
Ainsi en est-il des cheveux. Certains anthropologues
ont attaché la plus grande importance à ce point du phy-
sique humain ; quelques polygénistes ont même essayé
de baser leurs divisions ethniques sur un détail si banal.
Mais la couleur des cheveux varie tellement, même entre
représentants de la même race, qu'on ne saurait sans
témérité la citer comme un facteur datant soit peu d'im-
portance ethnographique. Les cheveux blonds passent
généralement pour un indice certain de sang aryen, et
pourtant, même chez les aborigènes de l'Amérique oii,
de l'aveu de tout le monde, les cheveux changent le
moins de couleur ou de forme, les chevelures de teint
clair ne sont point la grande rareté que certains anthro-
pologues ont tant prônée. Mon expérience personnelle
me permet de souscrire sans réserve à l'assertion du
docteur Brinton qui remarque que^ parmi eux, « les
cheveux sont rarement complètement noirs ; examinés
à une lumière réfléchie, ils laissent généralement per-
cevoir une légère teinte rouge. Cette nuance est très
apparente chez certaines tribus, surtout parmi les en-
fants. Le plus souvent plats et grossiers, leurs cheveux
sont pourtant quelquefois fins et soyeux, quand ils ne
sont pas ondulés et bouclés (2). »
Il y a quelque douze ans, un savant habitué à attri-
buer la plus grande importance aux cheveux considérés
comme moyen de différencier les races humaines, le
docteur Waldey, professeur d'anatomieà l'Université de
Strasbourg, dut avouer que « ce serait une fatale erreur
(1) Topinard, Revue d'anthropologie, octobre 1886, p. 594.
(2) The American Bace, New-York, 1891, p. 39.
— 129 —
que de distinguer les races d'après la seule caractéris-
tique de la couleur et de la forme des cheveux (1). »
Soit ; la couleur de la peau et des cheveux n'est qu'un
pur accident, observera peut-être quelque anthropo-
logue, mais on n'en peut dire autant de la conformation
et de la capacité du crâne humain. Ce à quoi je réponds :
il est admis que la différence entre les crânes des Euro-
péens et ceux des nègres est notable et même essentielle ;
mais cette distinction est d'un caractère presque aussi
général que celui de la couleur de la peau. Les particu-
larités crâniennes peuvent prétendre à quelque influence
relativement à la classification primaire du genre hu-
main ; elles seraient de peu de valeur aux yeux de l'ob-
servateur désireux de différencier les diverses races ou
nationalités.
Et n'oublions pas ici que nous avons à compter avec
les dépressions, allongements et autres déformations
artificielles du crâne. Or, les savants n'ignorent pas que
ces pratiques ne sont pas le fait des seuls Indiens de
l'Amérique ; d'autres races les connaissent. Même de nos
jours, elles se rencontrent dans certaines parties de la
Turquie et même de la France. D'un autre côté, les au-
teurs grecs et latins nous apprennent qu'elles étaient
aussi en honneur dans l'antiquité. Poussées à un degré
exagéré, ces déformations artificielles ne trompent point
un craniologue exercé ; mais, en d'autres cas, où est le
naturaliste qui tracera, sans crainte de se tromper, la
ligne de démarcation entre les crânes naturellement
allongés et ceux qui doivent leur forme à une légère ma-
nipulation ?
De plus, d'après les physiologues, le genre de vie de
l'individu exerce une très notable influence sur la con-
(1) Atlas der Menschlichen vnd Thierischen Haare, 1884.
T. XXXV. 9
— 130 —
formation de son crâne. Pritchard cite cet exemple frap-
pant : n 11 y a deux cents ans, une grande multitude
d'Irlandais furent refoulés des comtés d'Antrim et de
Down vers le rivage de la mer, où. ils ont depuis vécu
dans un état d'abjecte pauvreté. La conséquence en a
été qu'ils se distinguent encore par des traits physiques
dénotant une dégradation exceptionnelle. Ils ont la
bouche béante et en saillie, les dents très fortes et les
gencives découvertes, tandis que leurs pommettes proé-
minentes et leur nez épaté suggèrent l'idée de barba-
risme (1). »
Une mutation dans la condition sociale affecte, pa-
raît-il, non seulement la forme du crâne, mais même
la structure physique entière de l'individu, puisque le
même auteur ajoute : « Ils ont en moyenne 5 pieds
2 pouces de hauteur ; ils sont ventrus, montés sur de
longues jambes grêles, et ont des traits d'avortons. Une
stature au-dessous de la moyenne et une ténuité anor-
male des membres sont partout l'indice d'une condition
abjecte et barbare. On le voit surtout chez les Bushmen
et les aborigènes de la Terre de Feu et de l'Australie (2). »
Mais l'argument le plus plausible contre les préten-
tions de la craniométrie à être regardée comme un sûr
critérium d'identité ethnique consiste en ce que la forme
et la capacité du crâne varient presque toujours d'une
manière très remarquable, même dans la même race.
Ainsi, pour ne citer qu'un exemple, « de 245 crânes pé-
ruviens qui se trouvent dans la collection de l'Académie
des sciences naturelles de Philadelphie, 168 sont brachy-
céphaliques, 50 dolichocéphaliques et 27 mésocépha-
liques (3) ». D'un autre côté, le docteur Hensels assure
(1) Histoire nattirelle, 3« édit., vol. I.
(2) Ubi supra.
(3) The Americati Race, par le docteur Brinton, p. 210.
— 131 ---
que les crânes d'Indiens Goroados du Mexique qu'il a
examinés correspondent, sous tous les rapports, à ceux
des Allemands (1). Il ne faut donc point s'étonner si un
ethnographe de la force du docteur Brinton en est venu
à déclarer ("2) que la forme du crâne n'est point un fac-
teur invariable en anatomie humaine et que, par consé-
quent, elle n'a que peu de valeur quand il est question
de différencier les races.
Il me semble que nous avons péremptoirement dis-
posé des titres de l'anthropométrie considérée comme
moyen de déterminer les distinctions raciales. Mais que
penser des services rendus par la sociologie à l'ethno-
graphie ? Ils sont précieux, sans doute, et pourtant, com-
parée à la linguistique, la sociologie se trouve dans la
relation d'un accessoire au principal. La philologie dif-
férencie presque infailliblement les diverses races ; la
sociologie confirme ou suggère ces divisions au moyen
de données qui sont généralement, bien que non inva-
riablement, d'importance secondaire.
On trouve, de par le monde, une infinité de coutumes
et d'observances dont l'universalité n'est de service à
l'ethnographie qu'en tant qu'elles confirment par sug-
gestion l'unité de l'espèce humaine. Prenons comme
exemple une des plus remarquables de ces pratiques : la
circoncision. Aux yeux du vulgaire, elle est caractéris-
tique de la nation juive ; mais il n'en est pas moins cer-
tain qu'elle était en honneur chez plusieurs peuples
sémitiques. Ainsi, d'après Hérodote, les Egî-ptiens se
circoncisaient, non moins que les Ethiopiens. L'épître
de Barnabe nous est un garant que les Arabes et les
Syriens en faisaient autant. La même remarque s'ap-
plique également, d'après saint Jérôme, à la majorité des
(1) The American fiooe, p. 39.
(2) Ibid; poissim.
— 132 —
Iduméens, des Ammonites, des Moabites et des Ismaé-
lites. Les mahométans pratiquent aussi la circoncision,
et ce rite a été introduit partout oh le Coran a pénétré.
Mais, dira-t-on, tous ces peuples, qu'ils soient hamites
ou eusémites, appartiennent au même stock et, puis-
qu'ils connaissent tous la circoncision, la seule déduction
qu'on doive en tirer c'est que, dans ce cas, la sociologie
est en parfaite harmonie avec la philologie, et, par
conséquent, la valeur de la première considérée comme
critérium ethnique, loin d'en être affaiblie, en est, au
contraire, grandement augmentée. Ce raisonnement ne
manquerait pas de force, n'était que la pratique en
question était commune à d'autres familles non sémi-
tiques. Qu'en devons-nous penser quand nous voyons la
circoncision en honneur chez des races complètement
hétérogènes ? Or, c'est un fait avéré qu'elle était connue
des habitants préhistoriques du Mexique, et, aujour-
d'hui, nous la trouvons chez des peuples de caractère
ethnique très divers, comme, par exemple, chez les
Gafres, chez les insulaires des îles Amis, chez les natifs
de l'archipel Indien, à Madagascar, aux Philippines et
même chez les Hottentots. Bien plus, Petitot prétend en
avoir découvert des vestiges jusque parmi les Dénés de
l'extrême nord de l'Amérique, sous le cercle polaire.
Evidemment, une coutume si répandue peut tout au
plus servira prouver l'unité de l'espèce humaine; on
n'en saurait tirer un argument en faveur d'une affinité
raciale entre les peuples qui la pratiquent.
Je pourrais citer une foule d'autres observances qui
n'ont pas plus d'importance aux yeux de l'ethnographe.
On nous apprend que les Gafres ont en horreur la viande
du porc ; faut-il en conclure qu'ils sont de descendance
juive? Les Indiens Kansas se rasaient la tête; or, les
Egyptiens en agissaient de même. Chacun connaît les
~ 133 —
fameux troglodytes du Colorado et de la vallée de Gila ;
or, M. A. Harvey, le savant ex-président de l'Institut cana-
dien de Toronto, nous parlait récemment de troglodytes
parfaitement authentiques, qu'il avait lui-même obser-
vés, non pas dans un coin reculé du continent améri-
cain, mais au beau milieu de la France (1). D'une simi-
larité d'habitation en déduirons-nous une identité de
race? Une réponse affirmative ne serait, j'imagine, guère
du goût de nos compatriotes habitant des cavernes du
Midi.
En outre, on trouve, dans le sud des Etats-Unis d'Amé-
rique, les célèbres Puéblos qui, bien que devant tous
leur nom au même genre d'habitation, n'en appartien-
nent pas moins à des groupes ethniques différents.
Mais, pour nous cantonner dans les limites de la socio-
logie, nous lisons que les cheveux des veuves hindoues
sont coupés ras, quand elles n'ont pas la tête complète-
ment rasée. A la mort de leur mari, elles échangent leur
joli costume contre des haillons sordides. Or, cette même
coutume s'observe, de nos jours, parmi les Babines et
les Porteurs, deux divisions de la grande famille dénée
de l'Amérique septentrionale. Du temps des Pharaons,
les dames égyptiennes en deuil devaient se raser les sour-
cils et déposer leur perruque, comme si, en pareille cir-
constance, le port même d'une apparence de chevelure
eût été, à leurs yeux, une infamie sociale. Et pourtant,
quel ethnographe oserait s'appuyer sur une si fortuite
similarité de coutumes pour assigner aux Dénés et aux
races asiatiques une communauté d'origine avec les an-
ciens Egyptiens ?
J'ai décrit ailleurs les banquets cérémoniaux qui sui-
vent, chez les Porteurs, la crémation des morts. Or, nous
(1) Celtic, Roman and Greek types, etc. Traas. Can. Inst., vol. 11,
p. 181.
— 134 —
lisons que, parmi les Géorgiens, dès qu'un cadavre a
reçu les honneurs de la sépulture en présence d'un vaste
concours d'étrangers, les hôtes doivent prendre part à
un festin digne d'un Pantagruel (1).
Qui n'a entendu parler des pleureuses à gages de l'an-
cienne Rome ? Les mêmes marques d'un chagrin de
commande étaient familières aux Juifs, comme elles le
sont aujourd'hui à la plupart des tribus américaines,
comme elles le sont, à un degré encore plus exagéré, aux
Chinois modernes, puisqu'un livre intitulé : Comment
doivent se comporter les vrais Fils du ciel décerne une
mention honorable à une certaine Chinoise qui avait
pleuré si bruyamment son défunt mari, que les murs de
la cité en avaient croulé.
De plus, nous devons observer que la manière de dis-
poser des morts, que ce soit la crémation, la sépulture
ou la momification, n'a rien à faire avec la classification
des races. Toutes ces différentes pratiques, ou du moins
les deux premières, étaient fréquemment contempo-
raines chez des peuples étroitement apparentés, ou
même, dans plus d'un cas, chez des fractions colimi-
trophes d'une seule nation. D'un autre côté, des races
hétérogènes ont, plus d'une fois, adopté la même ma-
nière de traiter les cadavres. Si l'Egypte eut ses momies,
(1) « Des bœufs sont tués, des outres pleines de vin de Kakhétie sont
débouchées, et le boire et le manger continuent jusqu'à ce que les
hôtes roulent sous la table, je veux dire sur l'herbe, oii ils se tiennent
accroupis en face des aliments. Un mois après la mort de celui qu'on
veut ainsi honorer et au jour anniversaire, les mêmes scènes pathé-
tiques, les mêmes réjouissances recommencent. On parle encore des
funérailles d'un certain Déophale... Après un délai de trois semaines,
81)000 personnes se trouvèrent rassemblées dans les enclos des bêtes
à cornes, et les cris et les hurlements s'entendaient à plusieurs milles
à la ronde. Le banquet dura trois jours pleins, et des troupeaux de
bœufs et des moulons furent massacrés pour orner ensuite les broches
des cuisiniers. »(Viconite de Voguëjdans/ïarjuer'i iiIonthly,imn 1*90.)
— 135 -.
on peut en dire autant du Pérou préhistorique et môme
des îles de la Reine Charlotte, dans la Colombie britan-
nique (1).
On pourrait ajouter à ce qui précède le fait encore
plus significatif que l'organisation de la tribu et le sys-
tème des clans propre aux aborigènes de l'Amérique
varient notablement même entre tribus du même groupe
ethnologique. Quelques-unes sont gouvernées par l'au-
torité patriarcale, tandis que d'autres portions de la
même race, parfois même des tribus colimitrophes,
reconnaissent le principe matriarcal ou le droit de la
mère comme la loi fondamentale de leur constitution.
Voudrait-on soumettre à notre considération les titres
de la psychologie relatifs à la différenciation des races?
On constaterait bientôt que cette science est alors un
guide encore moins sûr. Car, bien que nous ne puissions
pas reconnaître les mêmes facultés psychiques à tous
les peuples, ce n'en serait pas moins outrepasser les
bornes de la vérité que de soutenir la congénéité de
deux races par cela seulement qu'elles possèdent un égal
degré de culture ou de barbarisme. Aristote déclare
qu'une nation, chez les Thraces, était si primitive au
point de vue psychologique, que son arithmétique n'al-
lait pas au delà du chiffre 4 (2).
D'un autre côté, on nous apprend que les Chiquidos,
Indiens de l'Amérique du Sud, ne dépassent point l'unité
dans leur système de numération. Pour tout nombre
(1) « Uq Indien, qui me servait de guide, me fit voir plusieurs
cavernes oii les sauvages enterraient autrefois leurs morts. Nous en
examinâmes quelques-unes et ouvrîmes plusieurs des boîtes qui con-
tenaient les restes des anciens habitants. Dans chaque cas, nous trou-
vâmes le cadavre momifié avec les membres repliés absolument de
la même manière que les momies mexicaines. » (James Swan, dans
le journal de Victoria, Colonist, août 1882.)
(2) ProUem., sec. XV, 3, t. II, p. 753.
~ 136 —
complexe, leur rude langue a recours à des termes de
comparaison tels que, par exemple : autant que les yeux
d'une personne, autant que les membranes d'une patte
de corbeau, autant que les doigts d'une main, et ainsi
de suite. Les Tasmaniens peuvent compter jusqu'à deux,
mais pas davantage. Les noirs de l'Australie vont un peu
plus loin; ils disent: un, deux, deux-un (trois), deux-
deux (quatre); puis ils ajoutent: plus de quatre, c'est-
à-dire un nombre indéfini. Or, il est évident que des
races d'habitat si distant, si isolé, bien qu'identiques
sous le rapport de l'indigence psychique, n'en sont pas
moins totalement distinctes au point de vue ethnolo-
gique.
L'Egypte avait ses hiéroglyphes, mais le pays des
Aztèques avait aussi les siens. Les premiers n'avaient
qu'un point de supériorité sur les seconds, puisque les
caractères américains, bien qu'en partie idéographiques,
étaient aussi phonétiques. Quelques tribus aborigènes
du Mexique avaient même fait tant de progrès en cul-
ture psychologique, qu'elles avaient inventé un système
d'écriture purement phonétique. De plus, les caractères
cunéiformes des Assyriens n'ont-ils pas de dignes équi-
valents dans les signes calculiformes des Mayas ? Et les
livres aztèques en parchemin ou en papier maguey ne
pourraient-ils pas faire pendant aux rouleaux de cuir
des Juifs et des Moabites et aux papyrus des Egyptiens?
Pourquoi ne pas mentionner non plus le précieux calen-
drier des Aztèques qui reconnaissait les 363 jours de
l'année solaire, et celui encore plus compliqué des
Mayas, lequel, outre un cycle de 20 ans et un autre de
32 ans, comprenait un grand cycle de 252 ans ? Ces ca-
lendriers, provenant de peuples emprisonnés entre deux
océans, peuvent certainement figurer avec honneur à
côté des cycles zodiatiques de la Perse et de l'Egypte.
— 137 —
Par conséquent, des talents intellectuels d'égale portée
ne sauraient servir à prouver une identité raciale. La
même remarque s'applique avec autant de force aux
qualités comme aux faiblesses morales. Les Bushmen de
l'Afrique australe et les aborigènes de l'Australie sont
ordinairement mis au rang des créatures intelligentes
les plus basses et les plus viles. On ne pourrait pourtant
les classer pour cela avec les Caraïbes de l'Amérique mé-
ridionale, parmi lesquels les mariages entre père et fille
ou entre frère et sœur sont, dit-on, loin d'être rares.
Mais il existe une autre science qui jouit aujourd'hui
d'une grande estime parmi les ethnographes, je veux
dire l'archéologie. Cependant, même dans les circon-
stances les plus favorables, cette science ne peut guère
déterminer que de très vagues divisions du genre humain,
sans compter que, comme son nom l'indique, elle traite
presque exclusivement du passé. Hormis, en quelques
cas particuliers, aucune relique archéologique, surtout si
elle appartient à l'âge de pierre, ne peut indiquer avec
tant soit peu de précision la nationalité de l'artisan. Des
ruines monumentales seraient peut-être un facteur plus
puissant dans l'identification des races primitives. Pour-
tant, le style propre à ces monuments, les diverses formes
de leur ornementation, en un mot, leur architecture par-
ticulière, auraient alors plus de valeur que le seul fait
de leur existence ; mais il est douteux que même ces
détails puissent prétendre au titre de critérium infaillible
de certitude ethnologique. De semblables travaux se ren-
contrent, sous une forme ou sous une autre, dans le
monde entier ; et les conclusions ethnographiques aux-
quelles ils ont jusqu'ici donné lieu sont d'importance
inappréciable. Le Mexique a ses pyramides non moins
que l'Egypte.
L'honneur de nous avoir laissé des monuments histo-
— 138 —
riques n'appartient pas exclusivement à la Grèce et à
l'ancienne Rome ; les américanistes connaissent bien
les Casas Grandes des Pumas, les temples des Téotihua-
cans, les ruines de Mitla et les superbes structures de
Gopan, de Paienque, etc., au Mexique, aussi bien que les
murailles cyclopéennes des constructions péruviennnes.
Un fait, peut-être ignoré de quelques-uns, est que de
semblables ruines monumentales se rencontrent jus-
qu'au fond des îles les plus reculées de l'océan Paci-
fique (1).
Quelle leçon nous ont enseignée ces monuments? Pris
séparément, quelle nation de l'antiquité nous ont-ils
permis d'identifier? Leurs inscriptions nous ont, sans
doute, fourni de précieux renseignements; mais des in-
scriptions, comme telles, se rattachent à la philologie
plutôt qu'à l'archéologie. Dénués d'inscriptions ou de
tout style d'ornementation déjà connu de la science, ces
(1) Par exemple, sur l'île de Pâques, qui se trouve à 2 500 milles
de l'Amérique du Sud, se trouvent de grandes plates-formes en
grandes pierres de taille jointes ensemble sans être cimentées et dont
les murs, du côté de la mer, ont près de 30 pieds de hauteur et de
200 à 300 de longueur sur une trentaine de largeur. Quelques-unes
des pierres taillées ont 6 pieds de long. Des images colossales gisent
par terre près du piédestal qui les supportait. Une statue de 8 pieds
de haut et du poids de 4 tonnes fut apportée en Angleterre, et se
trouve maintenant au Musée britannique. Sur l'île de Tonga, il y
a un curieux monument formé de deux blocs rectangulaires de
40 pieds de haut autour duquel une énorme plaque de pierre sert de
piédestal à un immense bol de même matière. Dans l'île Ponape,
une des Garolines, il y a de grandes ruiues, dont la principale repré-
sente une espèce d'enclos de 300 pieds de longueur et dont les murs
sont composés de prismes basaltiques. Ou trouve des ruines de
moindre importance sur les îles Ponape et Kusaie, dans le même
groupe. Dans les îles Larron et Voleur se dressent des colonnes de
pierre hautes de 14 pieds, surmontées d'une pierre semi-globulaire
de 6 pieds de diamètre. Dans les îles Senidoinese trouvent aussi des
monuments gigantesques. (Condensé du Dominion lUustrated, 6 dé-
cembre 1890.)
— 139 —
restes architecturaux n'ont guère d'autre importance
que d'attester la soif d'immortalité innée au cœur de
l'homme. Ce ne sont que de muets témoins d'un passé
dont ils ne peuvent révéler les secrets.
Mais, du moins, que penser des mounds ? Ces tumuli
ne sont-ils pas de caractère distinctement américain et ne
peuvent-ils pas prétendre à une très grande importance
ethnographique? Tout d'abord, l'Amérique n'est point le
pays exclusif des mounds ; on en trouve ailleurs et en
grand nombre, ne serait-ce qu'en Chine et en Ecosse,
par exemple (l).En second lieu, ces monuments grossiers
n'ont de valeur ethnique que celle qui revient de droit
aux reliques archéologiques qu'ils recèlent souvent dans
leur sein. L'idée d'une race spéciale de bâtisseurs de
mounds, bien qu'encore vivace en certains quartiers,
s'évanouira le jour oi!i le public savant se convaincra,
avec les premiers archéologues américains, que « les
liens déjà découverts rattachant directement les Indiens
aux peuples qui élevèrent ces monuments sont si nom-
breux et si solides que les deux prétendues races n'en
font évidemment qu'une (2) ».
J'ai groupé, dans un autre essai (3), une telle série de
faits des plus authentiques en faveur de cette thèse, que
je n'ai personnellement pas l'ombre d'un doute qu'elle ne
soit la seule vraie. Au fur et à mesure que les résultats
des explorations dirigées par les spécialistes de Washing-
(1) « Entre Kalgan et Yucho, on voit des anciens mounds en
groupes sur la plaine ou isolés sur des éminences. Ces derniers res-
semblent à des tours à signaux, tandis que les premiers suggèrent
l'idée de tombes. Ils ont environ 30 pieds de haut, sont de forme cir-
culaire ou ovale et leurs groupes semblent fortuits et sans idée pré-
conçue. » (Mark Williams, Smilhsonian Report, part. I, p. 907, 1885.)
(2) Work in Monnd Exploration of the Bureau of Efhnology, Wash-
ington, p. Il, 1887.
(3) Notes archeological,ind.uslrial, commercial on the Western Dénés,
Toronto, 1894.
— 140 -
ton seront divulguées, je suis persuadé que, seuls, les
esprits entichés de leurs idées préconçues pourront re-
fuser de croire que, dans la plupart des cas, les mounds
ont été élevés par les ancêtres immédiats des Indiens
établis dans leur proximité lors de la découverte de leur
pays. Or, comme ceux-ci appartiennent à des groupes
ethnologiques différents, leurs travaux ne sauraient être
invoqués comme faisant autorité en fait de classifica-
tions raciales.
Reste la mythologie. Sa place légitime dans l'estime
de l'ethnographe ne peut être bien élevée ; certains my-
thes sont, on le sait, d'une diffusion à peu près univer-
selle. Ensuite, la théogonie même d'un peuple peut cé-
der sous la pression latente exercée par des nations
étrangères au moyen de migrations, de captivités ou de
commiscégénalion. J'ai observé moi-même quelques cas
oh la mythologie d'un peuple a été en grande partie
empruntée à une tribu hétérogène.
Mais, remarquera le lecteur, quel peut être l'objet de
ce qui précède à moins que ce ne soit de jeter le discré-
dit sur les différentes sciences mentionnées? Loin de
moi pareille présomption. Chacune d'elles a certaine-
ment sa sphère d'utilité; il arrive fréquemment que la
langue de quelque nation de l'antiquité nous est si com-
plètement inconnue qu'on ne peut même hasarder la
moindre supposition à son endroit, et alors l'archéologie
est le seul moyen, tout imparfait qu'il soit, d'identifier
une race. Il peut se faire aussi que l'apport de quel-
qu'une de ces sciences peut, par la quantité de ses élé-
ments ou leur importance exceptionnelle, devenir, à dé-
faut de tout autre témoignage, un véritable critérium de
certitude ethnologique. Dans tous les cas, ces sciences
jouissent d'une force corroborative qui n'est pointa dé-
daigner. Mais je dois répéter qu'aucune d'elles, prise se-
— 141 —
parement, ne peut passer pour un guide infaillible quand
il s'agit de différencier ou d'identifier les races humaines.
A la philologie seule est réservé le privilège de remplir ce
rôle avec avantage, et ceci s'entend naturellement des cas
oîi.par ailleurs, tout document historique fait défaut (1).
C'est là, je crois, un fait à peu près reconnu en ce
qui regarde l'ethnologie américaine. Voici ce que dit le
docteur Brinton des indigènes de l'Amérique : (^ Ces
stocks nous offrent, sans aucun doute, la base la plus
sûre de la classification ethnique des tribus américaines,
la seule base, en réalité, qui possède quelque valeur.
Les efforts tentés jusqu'ici en vue d'établir une classifi-
cation basée sur les limites géographiques, les particu-
larités politiques, les traits physiques des peuples, ou
bien, sur la forme du crâne, ou relativement au degré de
sauvagerie ou de civilisation, ont tous été sans résultats
satisfaisants. On ne peut subdiviser la race qu'en pre-
nant la linguistique pour guide. Une similarité d'idiome
suppose généralement identité de descendance et uni-
formité d'avantages psychiques. Sans doute, l'histoire
du monde nous révèle plus d'une mutation forcée de la
langue d'un peuple ; mais cette imposition a toujours
été accompagnée d'une infiltration de sang correspon-
dante (2). »
(1) L'histoire rapportant quelques rares exceptions, cette dernière
restriction est nécessaire. La plus importante de ces exceptions est
celle de la nation juive, dont les membres perdirent leur idiome par-
ticulier lors de la captivité de Babylone. A leur retour au pays de
leurs ancêtres, leur langue devint le syro-chaldaïque, et, après les
conquêtes d'Alexandre, le grec devint le dialecte familier aux per-
sonnes instruites et généralement aux habitants des villes. D'un autre
côté, le fait qu'on ne peut reconnaître les restes des dix tribus à leur
langage ne milite point contre ma thèse, puisque je parle de nations
comme telles et non de bandes d'individus qui ont fini par être ab-
sorbées par les peuples au milieu desquels elles se sont établies.
(9) The American Race, p. 57
- 442 —
Par race, le docteur Brinton entend ici l'agrégat des
aborigènes du nouveau monde. Par conséquent, la sub-
division de race dont il parle équivaut à la classification
primaire des Indiens en stocks distincts.
Quant à la mutation du langage, elle peut s'effectuer
de deux manières : premièrement par la viDlence, le
droit de conquête et une législation coercitive, c'est le
cas des Irlandais et des Polonais. Mais alors l'histoire
relate généralement la raison de pareilles altérations lin-
guistiques. Or, on doit se rappeler que ma thèse ne porte
que sur les cas où tout document historique fait défaut.
En second lieu, le dialecte national peut s'altérer de
lui-même, se désagréger graduellement, insensiblement,
par l'effet du temps, une croissance naturelle, un perfec-
tionnement logique ou même ce que j'appellerai une
sorte de persuasion morale exercée par le plus fort au
détriment du plus faible.
Pas n'est besoin de beaucoup d'érudition pour s'aper-
cevoir que ces mutations linguistiques sont elles-mêmes
le meilleur des critériums ethnologiques. Prenons, par
exemple, les soi-disant idiomes romans; on peut facile-
ment reconnaître dans leurs parties componentes des
traces indubitables des divers stocks dont l'amalgame
est devenu ce que nous appelons aujourd'hui les langues
latines. Cette tâche est même plus facile encore relative-
ment à l'anglais (1), qui est la preuve la plus péreraptoire
du sang saxon et normand qui coule dans les veines de
la nation britannique. Dans de tels mélanges, les formes
linguistiques accidentelles et les mots de moindre im-
portance peuvent disparaître ; les racines des dialectes
primitifs resteront et se feront aisément reconnaître.
La suprême importance de la philologie est donc évi-
(1) L'origiDal du présent essai est en aoglais.
— 143 —
dente. Qu'on me permette de la démontrer plus claire-
ment encore, s'il est possible, à l'aide d'un exemple tiré
de mon pays d'adoption. Inutile de parler ici delà ma-
nière dont les ethnographes américains ont découvert
l'identité raciale des Iroquois et des Chérokees. Ce n'est
un secret pour personne, que, dans ce cas comme dans
tant d'autres, la linguistique a fourni la clef qui a permis
de résoudre le problème. Que le bienveillant lecteur
veuille bien se reposer maintenant des excursions scien-
tifiques dans lesquelles je me suis permis de l'entraîner;
nous allons étudier ensemble une des races américaines
les plus intéressantes, je veux dire la race dénée.
{A suivre.)
NOUVELLES DIVERSES
Pendant le mois de décembre, le T. R. P. Général a
fait la visite de nos établissements de Belgique et de Hol-
lande.
Il quittait Paris le 3, accompagné du R. P. Tatin, et
se rendait directement au scolasticat de Liège. De là, il
a visité successivement le noviciat de Saint-Gerlach, le
juniorat de Saint-Charles, le jeune noviciat de Saint-
Joseph, au Bestin. Il a fait aussi le voyage d'Anvers pour
saluer M. Wegimont, notre insigne bienfaiteur, et lui
offrir les remerciements de la Congrégation et des Sœurs
de la Sainte-Famille. En passant, il a vu la communauté
de l'Espérance, récemment fondée à Lierre, près d'An-
vers. Il a pu également, pendant son séjour au scolas-
ticat, visiter les établissements que la Sainte-Famille
possède dans la ville de Liège.
Partout notre bien-aimé Père a reçu l'accueil le plus
empressé et les témoignages de la plus filiale affection.
A l'ouverture d'une séance de bienvenue, un scolastique
lui exprima, en fort bons termes, les sentiments qui
doivent animer tout Oblat à l'égard du Père de la Fa-
mille. Au juniorat de Saint-Charles, un rhétoricien les
lui exprima dans une adresse en latin, que nous donnons
plus bas. Les lecteurs des Missions seront heureux^ nous
n'en doutons pas, de connaître les sentiments de ces
chers junioristes à Tégard de la Congrégation et de son
chef. Nous ne répondons pas de donner toutes les expres-
sions de cette adresse, mais nous sommes sûr d'en
reproduire très exactement le sens.
— 143 —
Pendant son séjour dans ces diverses maisons, le
T. R, P. Général a pu adresser la parole soit à la com-
munauté réunie, soit à chaque catégorie : aux Pères,
aux Frères scolasliques, aux Frères convers, aux junio-
ristes. Plusieurs même ont pu le voir en particulier. Au
scolasticat, tous ont pu avoir un entretien avec le
P. Général ou avec le P. Assistant,
Notre bien-aimé Père a été heureux de constater que
nos maisons de Hollande et de Belgique continuent à
prospérer. A Liège, la nouvelle église sera un vrai mo-
nument ; on y travaille avec activité et tout fait espérer
qu'elle sera consacrée et ouverte au public vers les fêtes
de Pâques. Le personnel de la communauté atteint le
chiffre de 135 personnes : 8 Pères professeurs, Uo sco-
lasliques et 12 Frères convers. A Saint -Gerlach, il y
a 3 Pères, 22 novices scolastiques, avec plusieurs
Frères convers, profès et novices. Saint-Charles compte
170 junioristes, une vingtaine de professeurs et environ
40 Frères ou aspirants convers. Au Bestin, le noviciat de
Saint-Joseph, fondé au mois de juillet dernier, nous offre
un personnel plus restreint : 2 Pères, 6 novices sco-
lasliques, 3 novices convers et quelques profès scolas-
tiques et convers. Mais, s'iln'est qu'à ses débuts pour le
personnel, ce noviciat est, dès à présent, complet et par-
fait au point de vue matériel. La maison est admirable-
ment adaplée à sa destinalion.
Partout, dans ces maisons, la vie religieuse est en
plein exercice : régularité, piété, application au travail,
bon esprit, c'est ce qu'a pu constater notre bien-aimé
P. Général et ce qui a été pour lui une source de conso-
lations. Aussi reprenait-il le chemin de Paris le 22 dé-
cembre, emportant dans son cœur un doux souvenir des
quelques jours passés au milieu de cette nombreuse jeu-
nesse, qui donne de si belles espérances pour la Famille.
T. XXXV. 10
146
Reverendissime Pater,
Maximam sane nobis affert voluptalem tuae inler nos
Paternitalis, necnon R. P. Assistentis merilissimi et di-
lecti Palris Provincialis prsesentia desideralissima. Quid
enim amanti filio dulcius, quam patrem secum habere,
patrem quidem amoris plénum, plénum benevolenliœ?
Jamvero hujusmodi te, reverendissime Paler, fuisse pa-
trem, res est apud nos aperta, et nemo est nostrûm qui
pium erga te amorem non sentiat, qui filinm tuum esse
non glorietur.
Quis ignorel protecto quantam salutis nostrae ser-
vandse atque augendse curam egeris, quam fervidas pro
nobis quotidie preces effuderis, quantos denique ceperis
labores, ut haec semper vigeat domus, ut recens adolescat
Germaniœ provincia, ut novus ubique splendor accrescat
Socielati, quse in mundum universum operarios misit
qui laborent in vinea Domini, sive ad prsedicandum Evan
gelium Gentibus vel ovibus quae perierunt domûs Israël
juxta illud : Evangelizare pauperibus misit me; sive ad
eos informandos et edocendos qui missionum opus brev
sunt suscepluri. Inler haec autem, nihil tantam ad te
quantam haec nova Germanise provincia curam expetivit
quœ te Supremo Moderatore orta est, quamque splen-
didissimum administrationis tuae ornamentum in aeter-
num fore speramus, cùm nemini sit ignotum, quibus
nos extuleris laudibus et coram nobis ipsis nec verbo
parcius absens, ut Horatius ait poeta.
Quantas igitur tibi, reverendissime Paler, pro tanta
benevolentia atque benignitale, pro tôt beneflciis quae a
liberalitate tua accepimus, gratias unquam rependere
poterimus ? Hoc cerle pium erga te implebimus debitum,
bi tuae in nos voluntati quam obsequentes nos ostende-
rimus. Quid enim a nobis tu, reverendissime Pater, me-
— 147 -
rito jure postulas, nisi ut digne semper ambulemus vo-
catione, ad quam vocali sumus, ut earum quas a Deo
accepimus gratiarum nunquam obliviscamur, ut fralerna
nos invicem dilectione diligamus, ut tandem cum studiis
tum orationi instanter instemus. Idipsum profecto erit
quod tibi libenti animo polliceamur.
Aspice oculos noslros, in te conversos, gaudio reni-
tentes et Isetitia ; vide corda nostra quœ te filiali prose-
quuntur amore, simul ac Societatem quse te prsesidem
féliciter habet, quœ nos omnes uti filios materna fovet
caritate et cujus majorem semper in dies fecunditalem
ardenter cupimus. Aspice denique nos omnes circum-
stantes, qui tibi conclamare videmur : Ecce ego, milte
me. Omnes enim parati sumus vitam pro fratribus extra
viam salutis errantibus ponere, parati sumus sanguinem
effundere pro fide catholica, pro Domino Nostro Jesu
Christo, qui te, admodum révérende Paler, diu incolu-
mera servet et sospitet ad multos annos.
— LaT. R. Mère Marie-Raphaël Tignet, directrice géné-
rale de la Sainte-Famille, se trouve depuis plusieurs mois
dans un état de santé qui cause à son entourage et à
toute l'Association les plus vives sollicitudes. Vers la fin
de janvier, le T. R. P. Général, sur des dépêches alar-
mantes, dutprendreinopinémentlechemindeBordeaux.
Il en revint pour la retraite de la Maison générale. L'état
de la vénérée malade continue à être très grave et nous
la recommandons aux prières de nos lecteurs. Les mem-
bres de la Congrégation se feront un devoir de partager
l'anxiété de la Sainte-Famille et de rappeler au saint
autel le nom d'une malade que recommandent de si
belles vertus et à laquelle se rattachent de si graves et de
si nombreux intérêts.
— Le R. P. AuGiER, Cassien, visiteur général, de re-
— 148 —
tour d'Australie à Ceylan, visite le vicariat de Jaffna et
s'acheminera bientôt probablement vers le vicariat de
Colombo.
— La retraite de la maison générale a été prêchée par
le H. P. YuNGBLUTH, Supérieur de Saint-Andelain. Plu-
sieurs Pères de la maison du Sacré-Cœur y ont pris part
avec leur supérieur. Y assistaient également le R. P. Cou-
brun, supérieur de la maison de Talence, et le R.P. Gom-
BALUZiER de la maison de la rue de Berry, à Bordeaux.
Le jour de la clôture, le 17 février, au repas de famille,
le R. P. Lémius, Jean-Baplisle, adressa quelques paroles
au T. R. P. Général. Rappelant un mot dit en confé-
rence par le T. R. Père, durant la retraite, le supérieur
de Montmartre remercia le Supérieur général de nous
avoir rappelé que les Oblats doivent être avant tout les
hommes de la pensée et des désirs du Souverain Pontife.
Ce sont nos traditions de suivre les directions punlificales.
— Le R. P. Paul Bonnet, nouvel éditeur de Capreolus,
reçoit les plus précieux encouragements : S. Ém. le car-
dinal SatoUi ; NN. SS. d'Avignon, de Tours, de Trêves, le
T. R. P. Général l'ont félicité. Le R. P. Berlhier, domi-
nicain, professeur à l'Université de Fribourg, lui écrit :
Il y a bientôt quinze ans que j'avais projeté avec M^f Bourret
(à Monthoux, chez Mb' Mermillod), une réédition de Capreolus,
Il n'y a pas un mois, j'en parlais à un imprimeur de Rome, et les
choses semblaient s'acheminer. Voici maintenant votre prospectus
annonçant que vous commencez le travaiL Ptrmettez moi devons
offrir mes félicitations les meilleures. Vous rendez un très grand
service à la véritable science, et vous aurez contribué pour une
bonne part à nous faire au moins soupçonner combien s'est
effroyablement appauvrie la théologie dans le monde entier, et
surtout en France depuis trois siècles, et en parliculier depuis
cent ans, depuis que trop souvent le prêtre fait sa théologie chez
le publiciste laïque, tant ses manuels lui sont insignifiants.
i.fl
MISSIONS
B£ LA CONGRË&ATION
DES OBLAT:i ""
W 138. Juin 1897
MISSIONS ÉTRANGÈRES
VICARIAT DE COLOMBO.
LETTRE DU R. P. MASSIET AU T. R. P. SUPÉRIEUR GÉNÉRAL.
Pussellawa, l^r janvier 1897.
Mon TRÈS RÉVÉREND ET BIEN-AIMÉ PÈRE,
En passant à Colombo, le R. P. Augier m'a chargé de
vous envoyer le récit de la visite de notre bien-aimé pro-
vicaire à travers le district de l'Akkareipattou. Je venais
de terminer la visite des chrétientés de la Mission de Kal-
pentyn et j'étais rentré à Sainte-Anne depuis quelques
jours quand je reçus du R. P. Le Gan une lettre par
laquelle il m'annonçait que le R. P. Provicaire et le
R. P. Supérieur du district m'attendaient à Puttalam.Je
m'y rendis aussitôt, et je trouvais lu nos supérieurs dé-
cidés à entreprendre la visite du district malgré la pluie,
qui, celte année, a commencé plus tôt que d'habitude.
T< XXXV. 11
— ioO —
Ils pensaient finir cette visite en quelques jours ; le
R. P. Provicaire avait sis jours à peine à nous consa-
crer. N'étant jamais venu dans ce pays, il croyait, sans
cloute, que les voyages y étaient aussi faciles que du
côté de Colombo, oii le chemin de fer et les voitures cir-
culent dans toutes les directions ; il ne devait pas attendre
longtemps avant d'être désabusé de ses convictions.
A 4 heures, nous nous rendîmes sur le bord du lac pour
prendre le bateau qui devait nous conduire à Étale. Pen-
dant deux longues heures, nous attendîmes les bateliers,
qui arrivèrent enfin, et à 6 heures, nous mîmes à la
voile. Il était 10 heures du soir quand nous atteignîmes
le rivage opposé à Putlalam, et, malgré le grand nombre
de charrettes qui attendaient, à Étale, l'arrivée du ba-
teau, nous n'en pûmes trouver une seule pour nous con-
duire à Sainte-Anne. Force nous fut de faire la route à
pied. Le R. P. Provicaire et le R. P. Sergent, dont le
climat n'a pas encore altéré les forces, firent le trajet en
moins dedeuxheures et arrivèrentà Sainte-Anne dix mi-
nutes avant minuit, juste à temps pour prendre une bou-
chée, tandis que votre serviteur, moins leste, ne les
rejoignait qu'à minuit et demi. Le lendemain matin,
après avoir dit la sainte messe, nous nous mîmes en
route pour Kalpentyn, Un bateau nous attendait à Pa-
lakuda. La distance est de 10 milles à peine; avec un
bon vent on la franchit en moins de deux heures ; mais,
ce jour-là, le vent se mit à souffler du nord ; il fallut
tout le temps aller à la perche en côtoyant le lac, et,
après avoir été rôtis toute la journée par un soleil tro-
pical, nous arrivâmes à Kalpentyn vers les 9 heures du
soir. Le R. P. Provicaire pensait pouvoir aller visiter de
là les églises de Karativou; mais, en apprenant l'impos-
sibilité absolue de nous rendre dans cette île, qui se
trouve à plus de 20 milles de Kalpentyn dans la direction
— 151 —
de Mannar, il renonça à son projet et il fut décidé que
le lendemain nous visiterions, dans la matinée, Dutch-
Bay et Mutival, réservant l'après-midi pour Kandakuly.
Le même bateau qui nous avait amenés la veille devait
nous conduire dans la baie des Hollandais. Nous par-
tîmes de bon matin, l'estomac lesté d'un peu de café noir,
et nous arrivâmes à Dutch-Bay à 1 heure de l'après-
midi ; la distance est de 5 milles à peine. Après avoir vi-
sité la hutte qui sert d'église provisoire, dit quelques
miots aux bons Paravers de l'endroit et leur avoir promis
une école et des secours pour bâtir leur église, deux fois
enlevée parla mer, nous remontâmes en bateau et fîmes
voile pour Mutival. 11 était 3 heures quand nous y abor-
dâmes. L'église visitée, nous nous disposions à partir
quand on vint me chercher pour administrer les der-
niers sacrements à une mourante, à 2 milles de là. Le
R. P. Provicaire et le R. P. Supérieur continuèrent leur
route sur Kalpentynpar mer, pendant que je courais voir
la malade. Us arrivèrent à 7 heures du soir. Le dîner,
préparé dès le malin, avait eu le temps de refroidir; ils
le trouvèrent cependant excellent. Une heure après,
j'arrivais éreinté d'une course de 6 milles à travers le
sable ; la faim était passée ; j'avais plus besoin de som-
meil que de nourriture; aussi ne me fis-je pas prier pour
gagner ma chambre et m'étendre sur ma natte. Le len-
demain, dimanche, le P. Provicaire célébra la messe de
paroisse pendant que j'adressais quelques paroles à mes
chrétiens. L'après-midi, nous retournâmes à Sainte-Anne,
où nous arrivâmes à 10 heures du soir; nous avions été
obligés de laisser de côté Kandakuly, l'une des seules
chrétientés de ma Mission qui possède une église en
pierre, bâtie il y a une vingtaine d'années par M»' MÉ-
LIZAN.
Le lendemain, nous voulions visiter la partie sud du
— 152 —
district, pensant faire en charrette ù bœufs le trajet de
Sainte-Anne à Étale : mais nous comptions sans nos
bœufs ; pendant la nuit, l'un d'eux avait pris la clef des
champs et était allé faire une petite promenade de
22 milles à Puttalam. La voiture de Saint-François fut
donc de nouveau mise en réquisition et le R. P. Provi-
caire put goûter à loisir les avantages d'un voyage à
pied sur le sable sous un soleil brûlant. Il visita, en cou-
rant, Saint-Antoine-des-Bois, Palakuda, Étale et Sam-
boukoulans, et, vers midi, nous nous trouvions de nou-
veau sur le bord du lac, en route pour Narakaly. Nous
arrivâmes en face de l'église vers les 3 heures de l'après-
midi. Mais, comme l'eau était basse, le bateau ne put
approcher du rivage et, pendant un demi-mille envi-
ron, nous eûmes à traverser, dans l'eau et la boue jus-
qu'aux genoux. A Narakaly, nous nous arrêtâmes une
demi-heure environ, le temps de visiter l'église et l'école
et de préparer une charrette à bœufs, qui devait nous
conduire à Tétapalai. A peine nous étions-nous remis
en route que la pluie se mit à tomber et ne cessa plus
jusqu'à notre arrivée à Tétapalai, à 9 heures du soir.
Nous visitâmes cependant, eu passant, Manibury, Na-
valkadou et Tallouvai. Le soleil se couchait au mo-
ment où nous quittions cette dernière église; il fallut
désormais chercher sa route dans l'obscurité ; aussi rien
d'étonnant que nous perdîmes deux fois le sentier dans
les forêts qui avoisinent Tétapalai. Nous y arrivâmes
enfin et trouvâmes le P. Fendenheim, qui ne nous atten-
dait guère, surtout à cette heure et par un temps pareil.
Le U. P. Supérieur et moi nous nous dispensâmes, le
lendemain, d'accompagner le P. Provicaire à Nallan-
tallouvai, chrétienté située à 4 ou o milles de Tétapalai,
Partis à 7 heures du matin, à pied, les RR. PP. Bell et
Fendenheim tirent cette course dans la matinée et ren-
— 1S3 —
trèrent à midi. Tous deux étaient tellement fatigués et
brûlés par le soleil, que nous eûmes peur pendant quel-
que temps qu'ils n'eussent attrapé un coup de soleil.
Le P. Fendeî^ïïeim surtout en fut malade, je crois, pen-
dant plusieurs jours. Avis aux jeunes missionnaires et
aux supérieurs nouvellement nommés de ne pas tenter
de nouveau cette expérience. A 3 heures, nous partîmes
pour aller rejoindre noire bateau au pont de Palavi.
Les fortes pluies de la nuit précédente avaient rompu
le pont et grossi tellement la rivière qu'il était impos-
sible de la remonter en bateau. Après plusieurs essais
infructueux, nous dûmes nous résigner à faire en char-
rette à bœufs le trajet de Palavi à Moundel. Mais où
trouver une charrette et des bœufs ? Un de nos domes-
tiques partit en chercher à Ghetty-Ghena, à 3 milles de
là. En attendant, le P. Provicaire et le P. Sergent par-
tirent à pied pour Madurankonly oii ils m'attendraient
pour souper. Je restais seul avec les bagages atten-
dant la charrette qui n'arriva qu'à 1 heure du matin.
A 3 heures et demie, je rejoignis mes compagnons de
voyage à Madurankonly. Pendant qu'ils prenaient le
frugal souper que je leur apportais, je m'étendis sur
ma natte et cherchai à rattraper le sommeil que j'avais
perdu sur la route de Palavi.
A 6 heures du matin, nous remontions de nouveau
dans notre charrette pour continuer notre route sur
Moundel. Vous ignorez, sans doute, ce que c'est que ces
charrettes dont vous avez si souvent entendu parler,
mais dont je n'ai jamais lu la description dans nos
Annales. N'allez pas vous figurer un de ces lourds
« omnibus » qui faisaient le service de ville en ville
avant l'invention des chemins de fer. Encore moins une
des belles calèches ou voitures qui parcourent les rues
de Paris. Rien de plus simple que la charrette à bœufs
— loi —
de Ceylan. Deux grandes roues supportant trois pièces
de bois, dont celle du milieu, plus longue que les deux
autres, séparant les bœufs, forment la base de cette ma-
chine patriarcale. Quelques planches mal jointes for-
ment le tablier. Une barre transversale repose sur le
cou des deux bœufs qu'on dirige au moyen d'une corde
passée dans les narines. La charrette est recouverte de
feuilles de cocotier fixée à des bambous recourbés; cela
ne ressemble pas mal à un immense catafalque. Cette
charrette, véritable maison roulante, contient souvent
tout ravoir du missionnaire : sa malle, ses caisses, ses
ustensiles de cuisine et autres bagages tapissent le fond
du véhicule. Le tout est recouvert de paille pour les
bœufs, et quand il peut y trouver de la place pour lui-
même, le missionnaire se hisse comme il peut dans ce
puits horizontal.
Heureusement, dans cette visite, notre bagage se ré-
duisait à peu de chose. Une petite cai:<se contenant les
effets du P. Provicaire, deux sacs de voyage et le panier
aux provisions. Nous étions donc partis de Madurankuly
à 6 heures du matin. Nous n'avions pas fait 200 mètres
que l'esse de l'essieu se brise. Il faut la remplacer, cela
nous prend une demi-heure d'arrêt. Enfin, nous repar-
tons à 6 h. 30. Nous avions fait environ un demi-mille
quand la roue cède; impossible d'aller plus loin. Une
heure se passe à chercher une autre charrette. On en
trouve une enfin et nous voilà repartis. Au troisièmemille,
la route commence à devenir mauvaise ; l'inondation a
emporté le gravier et, en beaucoup d'endroits, la route
elle-même a disparu. Un peu plus loin, l'eau s'est creusé
un ravin de plusieurs rnètres de large; il faut faire un
détour assez long dans les rizières pour aller reprendre
la roule. Tout le pays est sous eau; on dirait une vaste
mer qui couvre le pays; à peine quelques cocotiers et
— 155 —
de rares arbustes montrent leurs têtes au-dessus de
l'eau. Trois fois nous quittons la route pour tourner les
ravins creusés par l'inondation. Enfin nous arrivons, au
douzième mille, près d'un pon tj été sur un torrent qui s'est
changé en rivière ; le pont est emporté, et les coolies du
gouvernement cherchent à rétablir les communications
entre les deux rives. Grâce à eux, notre charrette passe
sans encombre, les bœufs traversant à la nage et les
coolies transportant notre charrette pièce par pièce sur
l'autre rive. Un demi-mille plus loin, ils nous rendent le
même service, un autre pont se trouvant emporté. EnQn,
il ne nous reste plus qu'un ravin à traverser; mais, ce-
lui-là, impossible de le tourner; il faut, coûte que coûte,
le prendre de front au risque de chavirer dans l'eau et
la vase. Les bœufs s'avancent comme à regret dans ce
torrent. Le conducteur crie, frappe, les pousse du pied,
leur froisse la queue, rien n'y fait ; la charrette s'em-
bourbe au beau milieu; pendant qu'un bœuf tire à
droite, l'autre se lance à gauche. Je vois le moment oili
bœufs, missionnaires, charrette et bagages, tout va être
jeté pêle-mêle dans le ravin. Heureusement quelques
braves Cyngalais, qui se trouvaient là, viennent nous
tirer d'embarras et, après bien des efforts, nous sortîmes
tant bien que mal du bourbier. Il était midi et demi ; le
soleil dardait ses rayons sur nos têtes et nos estomacs
criaient famine. Rnfm, la route devient meilleure et il
ne nous reste plus que 3 milles à faire. Nous arriverons
avant 2 heures à Moundel. Pendant que nous faisions
ces raisonnements, l'un de nos bœufs se couche au beau
milieu de la route; il trouvait sans doute qu'il en avait
assez fait pour une matinée. Ni coups, ni caresses, rien
ne réussit à l'émouvoir. Il avait pris son parti de rester
là; force nous fut de prendre le nôtre. Le bois ne man-
quait pas autour de nous; bientôt le feu pétilla sur le
— 156 —
bord de la route et le pot-au-riz ne tarda pas à bouillir.
La chaleur était insupportable; nous ne savions où nous
réfugier pour échapper à ce soleil de plomb qu'aucun
vent ne venait tempérer. Bientôt la popote fut prête et
nous étions à la déguster, quand tout à coup le vent
d'ouest se leva, le tonnerre se mit à gronder et, en moins
d'une demi-heure, une pluie torrentielle commença à
tomber. Nos bœufs, rafraîchis par cette ondée inatten-
due, ne se firent pas tirer l'oreille pour se remettre en
route et, à 3 heures et demie, nous arrivions à Moundel.
Le li. P. Provicaire et le 11. P. Sergent visitèrent l'église
et le village pendant que je cherchais un bateau pour
traverser le lac. Une demi-heure après, nous voguions à
pleine voile vers Bambipatam, oti nous arrivâmes au cou-
cher du soleil. Inutile de vous dire que la conversation
ne fut pas longue ce soir-là. Nos prières dites, chacun
s'étendit sur sa natte, et, très peu de temps après, le
silence n'était plus rompu que par les rontlements des
voyageurs épuisés et éreintés.
De grand matin, nous reprîmes le bateau pour aller
visiter Kaltaikadou. De là le R.P. Provicaire voulut aller
voir l'église Saint-Pierre, à 2 milles de Kattaikadou. Ce
n'était pas chose facile; le pays entier était sous eau, les
routes avaient disparu, l'endroit où se trouvait le village
n'était indiqué que par un bouquet d'arbres dont les
têtes s'élevaient un peu plus haut que celles des arbustes
assez clairsemés dans la campagne inondée. La difficulté
ne devait pas arrêter notre vaillant provicaire. Portant
ses bottes à son cou, il marchait en tête de la caravane,
suivi à distance par le R. P. Sergent, tandis que moi-
même j'admirais de loin leur dextérité à patauger dans
l'eau et la vase jusqu'aux genoux. Sûrement, mon très
révérend Père, vous auriez rencontré le R. P. Bell dans
ce curieux accoutrement, que jamais vous ne l'auriez
~ 157 —
pris pour l'administrateur de l'archidiocèse de Colombo ;
vous vous seriez plutôt cru en présence de quelque bri-
gand calabrais à la recherche de butin, ou d'un bandit
corse poursuivi parles gendarmes. EnQn,il put se vanter
d'avoir vu l'église de Saint-Pierre, une misérable hutte
dont la construction n'a pas dépassé 50 francs, mais
qu'il trouva charmante en comparaison des taudis qui
servent d'églises à Dotch-Bay^ Étale et ailleurs.
A 2 heures de l'après-midi, nous étions de retour à
Bambipatam. A (3 heures du soir, nous nous rendîmes à
Oudappou, dernier village de l'Akkaraipatlou, où nous
passâmes la nuit. Le lendemain matin, nous nous sépa-
râmes pour rentrer, les RR. PP. Bell et Sergent, à
Chilou, et moi-même à Sainte-Anne. Le courant m'étant
favorable, je suivis la rivière jusqu'au lac de Puttalam,
et j'arrivais le lendemain, à 7 heures du matin, à Pala-
kouda, d'oii j'eus hâte de rentrer à Sainte-Anne. Le
R. P. Provicaire continua sa visite à travers le district
de Kurunegala, où il rencontra, paraît-il, bien d'autres
accidents du genre de ceux rapportés plus haut. Une
plume plus habile que la mienne en écrira sans doute le
récit pour nos Petites Annales.
En terminant, mon très révérend Père, permettez-
moi de vous olfrir, avec mes vœux et souhaits d'une
bonne année, l'hommage d'un cœur qui vous est tout
dévoué.
Votre enfant en J. et M. \.
Ch, Massiet, 0, M. î.
— 158 —
PROVINCE DU CANADA.
JUNIORAT DU SACRÉ-CŒUR, OTTAWA.
lettre du r. p. harxois, directeur, au r. p. ca.ssien augier.
Très révérend et bien-aimé Père,
Je sais que jesuisenretard pour mon rapport du junio-
rat. Je sais, en même temps, que je vous contrarie un
peu, puisque votre plus grand désir doit être de connaître
en détail l'état des différents juniorats confiés à votre
sollicitude. Cependant, je dois vous dire que c'est bien
là, à moi aussi, tout mon désir. D'abord, pour la propre
satisfaction d'un devoir accompli, puisque l'obéissance
m'a imposé celte charge, et, de plus, pour répondre à
un besoin de mon cœur. Un Père n"aime-t-il pas à parier
de ses enfants! à faire connaître leurs travaux, leurs
progrès, leurs dispositions de l'esprit et du cœur ! Mais,
comme le temps des vacances n'est pas, pour un direc-
teur de juniorat, un temps de repos, mais bien celui d'un
plus grand labeur, puisqu'il exige une plus grande sur-
veillance et une plus grande sollicitude de sa part, j'ai dtî
remettre forcément jusqu'à aujourd'hui l'accomplisse-
ment de ce devoir.
Mais, mon très révérend Père, pour vous dédommager
de ce retard, tout en vous parlant de l'état actuel de
notre juniorat du Sacré-Cœur, je me propose, avec l'aide
du travail déjà fait par le R. P. Brault, de vous donner
l'historique du juniorat du Canada, depuis sa première
création au noviciat de Notre-Dame des Anges, en 1871,
jusqu'à aujourd'hui.
Le juniorat du Canada eut un bien humble commen-
cement et passa par une longue série d'épreuves avant
d'entrer dans la voie du progrès où nous le voyons au-
— <S9 —
jourd'hui. Il a été grain de sénevé; puisse-t-il devenir un
grand arbre, comme tant de ces œuvres sorties pour ainsi
dire du néant, qui se développent et grandissent d'une
manière admirable sous la bénédiction de i'Ësprit-Saint
qui les a inspirées !
En 1871, le R. P. Vanderberghe, d'heureuse mémoire,
étant alors provincial, et le R. P. Lebret, maître des
novices, un jeune homme, Jérémie Kieran, fut admis
dans la maison du noviciat de Notre-Dame des Anges,
à Lachine, pour y commencer ses études classiques. Il
y fut bientôt suivi par quelques jeunes gens qui n'imitè-
rent pas tous sa persévérance.
Le juniorat. confié d'abord à la direction du R. P. Le-
MOiNE, puis à celle du R. P. AMY0T,se maintint à Lachine
jusqu'au mois de septembre !876, où il fut transféré au
collège d'Ottawa. La difficulté de diriger deux commu-
nautés dans une même maison, jointe à l'embarras de
trouver un personnel de professeurs suffisant, décida les
supérieurs ;\ envoyer leurs jeunes élèves suivre les cours
du collège d'Ottawa. Au reste, ce dernier établissement
venant d'être agrandi notablement, offrait un local assez
spacieux pour l'installation des junioristes. On a'recta à
cette fin le quatrième étage de ce qui est maintenant
l'aile centrale de l'Université. Nos junioristes avaient là
leur oratoire, leur salle d'étude, leur salle de récréation
et leur dortoir. Au même étage était aussi la chambre
de leur directeur. Une petite salle du soubassement leur
servait de réfectoire.
Le juniorat de Lachine, malgré son peu d'importance
apparente et sa courte durée, produisit cependant quel-
ques fruits, à savoir : les FF. Kieran et Croquet, morts
tous deux Oblats profès; les RFl. PP. Despatis, Émery,
Paouette(M.),Brault, :v!agnan (Jos.), Desmarais, Jeston
et Lemoine (George). Les trois derniers allèrent finir
— 160 —
leurs classiques à Ottawa. Arrivés à la capitale, les junio-
ristes eurent pour premier directeur le R. P. Ph. Pro-
vosT,qui fut maintenu dans sacharge pendant une année.
En septembre 1877, il fut nommé procureur du collège
à la place du R. P. Harnois, qui devint à son tour direc-
teur du juniorat. Le R.P. Harnois garda la direction des
junioristes jusqu'en 188ÎÎ, où il fut envoyé à la desserte
de l'église de Huit et remplacé par le R. P. Van-Laar.
Disons, en passant, que les junioristes actuels doivent
presque tous les volumes qui forment leur bibliothèque,
environ 900, à la première administration du R. P. Har-
nois.
En 1883, la direction du juniorat passa, pour trois ans,
des mains du R. P. Van Laar, nommé procureur du
nouveau scolasticat, aux mains du R. P. Dontenville.
En 1888, les junioristes, réduits à un petit nombre,
quittèrent le local qu'ils avaient occupé dans le collège;
ils cessèrent d'avoir leur règlement particulier et furent
entièrement confondus avec les élèves.
Le juniorat, installé de 1876 à 1888, a fourni à la Con-
grégation un certain nombre de sujets dont voici les
noms : les RR. PP. Lepage, Gervais, Gauvreau, Naes-
SENs, DE Vriendt, Lemoine, Burns, Smith, Paradis (Char-
les), Reynolds, Lajeunesse, Charlebois (Charles), Comeau
et GUNNINGHAM.
On le voit, Tœuvre n'avait pas été stérile, toutefois, le
nombre de ses fruits ne répondait pas à l'attente que l'on
avait eue, ou aux immenses sacrifices que la province
s'était imposés. Le contact trop immédiat, et cependant
nécessaire avec les élèves, avait pour effet de détruire
chez un grand nombre de nos junioristes cet esprit de
famille qui doit les animer et peut seul donner des ga-
ranties de leur persévérance. Douze années d'essai
avaient été plus que suffisantes pour démontrer le vice
~ 161 -
de la situation ; le besoin d'un changement devenait ur-
gent. C'est pourquoi, en attendant un meilleur état de
chose, lejuniorat fut pratiquement aboli en 1888.
Cependant, soit chez les supérieurs, soit chez les autres
membres de la Congrégation en cette province, on nour-
rissait le désir et l'espoir de voir bientôt surgir sur des
bases solides une maison où de jeunes aspirants Oblats
pourraient se préparer au noviciat. A cette fin, on jeta
en 1889, sur les bords du lac Saint-Jean, les fondements
d'un établissement suffisamment spacieux pour recevoir
une cinquantaine de junioristes. Cette maison, bâtie en
grande partie aux frais des missionnaires de Betsiamits,
fut à peu près terminée. Elle fut construite avec goût et
économie. Le R. P. Laporte en fut l'architecte, et il en
dirigea les travaux aidé du F. Tremblay.
Cependant un obstacle tout à fait inattendu nous em-
pêcha d'ouvrir à nos junioristes ce nouvel établissement.
Il faut, au moins pour le présent, renoncer au juniorat
ou aviser aux moyens de Tinstaller ailleurs qu'au lac
Saint- Jean.
Dans ces circonstances, nos supérieurs décident de
mettre à la disposition des junioristes une maison d'assez
vastes proportions, que la Congrégation possède à quel-
ques pas de l'Université. Cette mesure fut prise, à titre
d'essai, parle R. P. Martinet, second assistant de notre
T. R. P. Supérieur général, au cours de sa visite dans
notre province. Sous le nouveau régime, les junioristes
suivront les cours à l'Université jusqu'à la cinquième
forme inclusivement, et n'auront de relation avec les
élèves que pendant les classes.
Après certains travaux faits à la maison pour la mettre
en état de répondre aux besoins de la petite communauté
qu'elle allait abriter, le R. P. Martinet fit l'ouverture
officielle du nouveau juniorat, le troisième jour de sep-
— 162 —
tembre de l'année 1891, en la i'èie de Notre-Dame du
Boa-Pasteur. Le H. P. Visiteur en a lui-même consigné
l'acte dans le livre d'inscription des messes, dans les ter-
mes suivants : « In hoc die festo B. M. V. I. MatrisDivini
Pastoris, tertio nempe seplembris, conventualem missam
prima vice celebravi in bac domo junioratus noviter ins-
tituti et a Sanctissimo Corde Jesu nuncupati, ut ab eo
dignetur Dominus arcere mala qucBcumque et cuncla
bona super eura infundere. A. Martinet, o. m. i., sex et
quadraginta annorum juniorisla, assistons Superioris
generalis et provinciae hujus visitator. »
Le personnel du juniorat se composait dès lors du
R. P. Harxois, directeur et curé de la paroisse du Sacré-
Cœur, du R. P. Vaillancourt, professeur à l'Université
et répétiteur des junioristes, et du R. P. Contlée, profes-
seuràl'UniversiLéet vicaire de la paroisse du Sacré-Cœur ;
enfin des FF. convers Tremblay et Pelletier.
En septembre 1891, douze junioristes, qui devaient
être comme douze apôtres, se joignirent à la petite com-
munauté, dans ce juniorat improvisé, et furent prêts à
commencer leurs études dès l'ouverture des cours à
l'Université.
Voilà donc la nouvelle petite communauté formée,
organisée, en pleine fonction, et vivant de sa vie de priè-
res et d'étude. Va-t-elle bien marcher? Va-t-elle, sous
l'action du Sacré-Cœur de Jésus, progresser, devenir un
arbre puissant portant des fruits abondants ? C'est ce que
chacun se demande. Les déceptions rendent sage et pru-
dent. Si l'épreuve réussit, il est évident qu'il faudra un
établissement plus spacieux pour nos junioristes, puis-
que la maison qu'ils habitent en ce moment^ ne peut
accommoder convenablement qu'une trentaine d'enfants.
Le succès répondit à l'attente. Car à peine notre junio-
rat eut-il l'avantage d'être connu, au moyen de nos cir-
— 163 —
culaires et de notre Bannière, que déjà des demandes
d'admission nous venaient de toutes parts. Un petit ta-
bleau vous montrera l'accroissement rapide de l'œuvre
du juniorat.
En septembre 1891 12 junioristes.
— 1892 18 —
— 1893 30 —
— 1894 44
— 1895 63 —
— 1896 ., 80 —
Dès septembre 1893, voyant le nombre des junioristes
augmenter chaque année, le R. P. Provincial se décide
à construire le nouveau juniorat. Et le 23 octobre, la
tâche en fut donnée à M. Joseph Bonrque, de HuU. Mais
la saison était déjà très avancée, il n'y avait pas de temps
à perdre. C'est pourquoi le 2 novembre, le R. P. Supé-
rieur ayant béni la première pierre, le constructeur
commença dès ce jour le travail des fondations. Les tra-
vaux furent poursuivis avec une telle vigueur, que le
20 du même mois, elles étaient terminées. Dès le prin-
temps suivant, à la fin de mars, les travaux de construc-
tion furent repris avec activité. Confiés à d'habiles ou-
vriers, sous la direction de M. Joseph Bourque, l'œuvre
faisait chaque jour des progrès rapides.
D'après les clauses du contrat, la nouvelle bâtisse de-
vait être livrée au commencement de décembre 1894.
Mais des retards imprévus n'ont pu permettre au cons-
tructeur de nous la livrer qu'au commencement de
janvier 1895.
Quelle nouvelle agréable pour nos junioristes, lorsque
le jour de l'an 1895, on leur annonce que le surlende-
main et les jours suivants on ferait le déménagement. Un
cri de joie s'échappe de toutes les poitrines : « (Juittons,
quittons enfin, ce niorat, et allons habiter notre beau
— 164 —
juniorat. » Le 3, immédiatement après le déjeuner, le
signal du travail est à peine donné, qu'on fait main basse
sur tout, et l'on s'en charge gaiement les épaules sans en
considérer le poids. Aussi le 4 au soir, nous étions déjà
installés dans notre nouveau j uniorat, et nous y prenions
notre premier repas. Quel bonheur pour tous 1 Nous nous
croyions dans un petit paradis, tous nous nous trouvions
heureux et contents !
Mais cette joie des cœurs fut troublée pendant quel-
ques jours, et fit place à l'anxiété. Le R. P. Supérieur,
indisposé le vendredi et le samedi, se crut assez bien pour
pouvoir dire la première messe dans la chapelle du nou-
veau juniorat. Après en avoir fait la bénédiction, il com-
mence la sainte messe, mais ses forces le trahissent ; il
ne peut achever. Rendu au Pater, on dut le transporter,
sans connaissance, dans une chambre voisine. Et deux
jours après, il partait pour l'hôpital avec les symptômes
d'une maladie très grave. Mais en quittant le juniorat,
il y laissait, il en était convaincu, des enfants qui devaient
faire violence au ciel en faveur de leur Père. Aussi, leurs
prières furent-elles entendues et exaucées par le Sacré-
Cœur de Jésus. Car, dès le lendemain, chose qui ne s'ex-
plique pas naturellement, tous symptômes de maladie
avaient complètement disparu ; il était en pleine conva-
lescence. A la vue d'un fait si étonnant, il s'empresse de
remercier le Bon Dieu d'une si grande faveur. Après un
repos de huit jours, il était de nouveau au milieu de ses
enfants, disposé plus que jamais à travailler à leur for-
mation morale et intellectuelle.
Mais ce beau juniorat n'était pas encore béni. Cet éta-
blissement, destiné à abriter un essaim de jeunes mis-
sionnaires, des enfants privilégiés du Sacré-Cœur de Jésus,
demandait une bénédiction toute spéciale. Aussi,
S. Gr. M°' l'archevêque Duhamel, sur l'invitation qui lui
— 165 —
en a été faite, a bien voulu bénir notre juniorat de la
manière la plus solennelle. C'est le i6 janvier qu'elle eut
lieu.
Il est 5 heures du matin. Les junioristes se lèvent
joyeux. Ils ont revêtu leurs habits de fête, et bientôt
nous les voyons pieusement agenouillés dans leur cha-
pelle, offrant à Dieu ce jour, offrant à Dieu cette maison,
afin d'attirer sur elle et sur leurs personnes les grâces
les plus précieuses.
A 7 heures, Sa Grandeur fait son entrée et commence
aussitôt la célébration du saint sacrifice. La messe !
C'est Jésus qui s'immole pour attirer les regards de son
Père sur le monde, sur l'Église, sur celte œuvre du ju-
niorat. Les enfants, de leur côté, disent leur bonheur
de se trouver dans cette sainte maison, où ils vivent
sous la protection maternelle de Marie :
J'ai voué mes jours à Marie,
J'ai de son cœur goûté l'appât ;
Mon bonheur est digne d'envie :
Je suis l'enfant du juniorat.
La messe ! C'est Jésus qui réclame à jamais nos cœurs !
Les aspirants missionnaires le comprennent et ils s'é-
crient :
La soif qui vous tourmente,
Jésus, mon doux sauveur,
Oh! c'est la soif briîlante
De posséder mon cœur !
Le saint sacrifice s'achève. Les bénédictions du ciel
sont déjà descendues nombreuses sur cette maison. La
journée est bien commencée.
Vers H heures, tous les invités arrivent, heureux de
prendre part à cette fête de famille. La cérémonie de la
bénédiction commence. On se rend tous à la chapelle,
aux pieds de Jésus-Hostie. Il est là, ce Cœur Sacré, pour
T. XXXV. 12
- 166 —
écouter nos prières suppliantes et les exaucer. Sa Gran-
deur, accompagnée du R. P. Provincial et de M. le cha-
noine Campeau, récite les prières marquées dans le Ri-
tuel pour la circonstance; puis la procession se déroule
dans les larges corridors de la maison. On se rend d'abord
à la porte d'entrée : Miserere mei,lJeusf La voix des en-
fants, la voix des prêtres, la voix de notre archevêque,
s'élèvent vers le ciel : « Ayez pitié de nous, selon votre
grande miséricorde ! Vous m'arroserez avec l'hysope, et
je serai purifié ; vous me laverez, et je deviendrai plus
blanc que la neige ! Créez en moi, ô mon Dieu, un cœur
pur 1 H Autant de prières qui avaient leurs applications
propres pour nos chers enfants, et nous le demandions
avec ferveur au bon Dieu.
De la porte d'entrée, la procession circule dans les
diflerentes parties du vaste édifice, et Monseigneur bénit,
sur son passage, chacun des appartements : la salle
d'étude, le sanctuaire du travail; l'infirmerie, le sanc-
tuaire de la patience et de la résignation ; les chambres
du R. P. Supérieur et des RR. PP. Professeurs. Au der-
nier étage se trouve le dortoir aux vastes proportions,
où, après les labeurs du jour, les junioristes goûtent un
repos bien mérité.
Tandis que Sa Grandeur fait descendre les bénédic-
tions du ciel, les chants liturgiques continuent à reten-
tir ; c'est le moment solennel : « Daignez, Seigneur, par
la main de votre représentant, bénir ces murs qui vont
nous abriter. Éloignez-en Tange mauvais et toutes ses
embûches! Que vos saints anges y résident avec nous,
afin de nous protéger ! » Le cortège reprend sa marche.
Nous voici de nouveau au pied des autels. Nous n'avons
plus qu'une chose à demander à notre Dieu. Qu'il nous
l'accorde, et notre joie sera complète 1 Unissons nos voix
à celle de notre pasteur, et prions.
— 167 —
« Seigneur, qui avez dit : « Laissez venir à moi les
« petits enfants, » étendez vos mains bienfaisantes sur
cette jeune Congrégation prosternée à vos pieds. Gar-
dez-la, protégez-la, préservez-la de tout mal et donnez-
lui d'être à vous de la manière la plus parfaite 1 »
La cérémonie est terminée. 11 ne reste plus qu'à remer-
cier Sa Grandeur d'avoir bien voulu bénir elle-même
cette maison et ses habitants. C'est ce que fait un junio-
riste, par la lecture d'une adresse où il exprime les sen-
timents de ses condisciples et de ses maîtres.
Monseigneur y répond en des termes tout paternels,
qui ont trouvé le chemin des cœurs : « Vous ne vous
êtes pas trompés, mes chers enfants, en disant que j'éten-
dais ma sollicitude et mon affection à toutes les familles
religieuses de mon diocèse. Il me semble qu'un évêque
doit être, au milieu de ses collaborateurs, comme un
père au milieu de la famille que Dieu lui a confiée.
Aimer ses enfants, leur procurer le bien-être, voilà ce
que la nature inspire au père. Aimer ses collaborateurs,
religieux et prêtres séculiers, leur procurer tout le bien-
être qui est en son pouvoir, voilà ce que la grâce inspire
à l'évêque. »
Par ces quelques paroles, S. Gr. M*' Duhamel nous
fait bien connaître quels sont ses sentiments pour nous,
les Oblats, et pour nos œuvres. Nous pouvons le dire en
toute vérité, Sa Grandeur n'est pas seulement, pour nous,
un ami dévoué, mais un père. Et les quelques paroles
qu'il adresse directement à nos junioristes sont une
preuve qu'il aime, d'un amour paternel, notre œuvre du
juniorat.
« Répondez, mes chers enfants, leur dit-il, aux légi-
times attentes de vos maîtres, et vous deviendrez des
missionnaires capables de faire un grand bien autour
de vous. Je ne puis que vous encourager à entrer dans
— 168 —
cette Congrégation qui vient de vous construire cette
belle maison. Donnez-vous à cette famille religieuse, je
n'y perdrai rien, alors même qu'il y en aurait parmi
vous plusieurs de mon diocèse; car je sais par expé-
rience que, pour un que je laisse partir, j'en reçois
deux. »
Cette belle fête, qui laissera de profonds souvenirs
dans le cœur de nos junioristes, se termina par le dîner
dans notre vaste réfectoire décoré avec goût pour la
circonstance. Quel beau spectacle de voir ces quatre-
vingt-dix convives : missionnaires Oblats, prêtres sécu-
liers, junioristes, réunis dans une cordialité toute fra-
ternelle, sous la présidence de M^'' l'archevêque ! Quelle
charmante réunion! Les junioristes d'aujourd'hui ne
sont encore que des enfants, mais demain, ils seront
Oblats ; demain, ils partageront les travaux de leurs
Frères, ils aideront les prêtres séculiers dans la pour-
suite d'un but unique, le salut des âmes. L'illustre chef
de l'Église, le fondateur de la Congrégation des Oblats,
dont vous apercevez les portraits, semblent contempler
avec bonheur cette réunion de prêtres, de religieux,
d'aspirants missionnaires. Qu'ils daignent inspirer à cha-
cun de nous leur amour pour Dieu et pour les âmes !
La fête terminée, nous avions à compléter l'organisa-
tion du juniorat, en y établissant une discipline plus
régulière et plus suivie. Aucune raison ne pouvait alors
s'y opposer; nous avions à notre disposition la grandeur
du local, et toutes les divisions exigées pour le besoin
de l'œuvre. Aussi, ce fut sans effort, vu les heureuses
dispositions de nos enfants, que nous pûmes faire accep-
ter les différents règlements qui assurent le bon fonc-
tionnement et, par conséquent, la prospérité d'une
œuvre.
J'ai dit qu'en septembre 1894, nous avions reçu qua-
— 169 —
rante-cinq jimioristes. Nous savions, à l'avance, qu'en
recevant un si grand nombre d'enfants, nous serions à
l'étroit, gênés même dans notre jimiorat improvisé, et
que nous serions obligés de sacrifier notre chapelle in-
térieure. Mais comme la bonne discipline et la santé de
nos junioristes nous demandaient ce grand sacrifice,
nous n'hésitâmes pas un instant. La chapelle est aussi-
tôt convertie en dortoir, et la chambre d'un révérend
Père en salle d'étude. Nous dûmes marcher ainsi jus-
qu'au jour où nous entrâmes dans notre nouvelle bâ-
tisse. Pour nous consoler du départ du bon Jésus de
notre maison, nous allions tous les jours à notre église
du Sacré-Cœur : le matin, pour y faire notre méditation
et y dire la sainte messe, et le soir, pour y faire notre
prière et notre visite au Très Saint Sacrement. Ces visites
à l'église nous donnaient occasion de voir, deux fois par
jour, notre nouveau juniorat; et nous nous consolions
par la pensée que nous serions amplement récompensés
du sacrifice que nous nous imposions, lorsque nous l'ha-
biterions.
-La semence des vocations était jetée au loin par notre
Bannière et notre prospectus, elle ne devait pas tarder
de produire d'abondants fruits. Aussi, dès le mois de
septembre 1894, à raison de la petitesse du local, nous
avions été obligés de remettre à plus tard tous les aspi-
rants. Et les mois de février et mars nous amenaient
seize nouveaux junioristes, tous désireux de devenir des
Oblats de Marie Immaculée.
Mais le progrès ne devait pas s'arrêter là. Le juniorat
est l'œuvre de la province; et tous le comprennent. Les
révérends Pères de chaque maison travaillent avec nous
et pour nous. Dans les écoles, sous leur contrôle, on
prépare, pour le juniorat, les enfants qui montrent, par
leur intelligence, leur piété et leurs vertus, d'heureuses
- 170 —
dispositions pour devenir, plus tard, des religieux Oblats
de Marie Immaculée. Un bon nombre de ces enfants
nous ont été envoyés par nos maisons de Montréal, de
Québec et de Hull. Nous nous faisons un devoir de les
remercier de tout cœur pour leur dévouement à notre
belle œuvre.
Mais les plus actifs au travail, ce sont nos Pères Mis-
sionnaires. Avec une sainte audace, ils ne craignent pas
de parler du jUniorat à tous ces bons enfants qu'ils
rencontrent dans leurs courses apostoliques. Et leurs
bonnes paroles tottibant dans des cœurs qui n'atten-
daient que cette occasion pour connaître leur vocation,
nous avons pu, par leur zèle pour l'œuvre des vocations,
non seulement faire connaître le juniofat avec plus
davantage, mais même recruter un bon nombre d'ex-
cellents sujets. Qu'ils acceptent donc, ces bons Pères,
notre plus profonde reconnaissance !
Nous voilà maintenant rendu à septembre 1896. Quatre-
vingts junioristes, qui nous viennent de plus de vingt
diocèses différents : du haut et du bas Canada, des
États-UniSj de Manitoba et de Saint- Albertj composent
actuellement notre communauté. Rien de plus beau,
mon très révérend Père, de voir ces chers enfants, vivant
de cette vie régulière du travail et de la prière. Ils n'ont
tous qu'un seul et unique but : devenir plus tard des
Oblats de Marie Immaculée. Aussi s'efforcent-ils, chaque
jour, à entretenir en eux l'esprit de leur vocation, par
leur régularité, leur amour de l'étude et par la pratique
constante des vertus chrétiennes. Ils aiment leur voca-
tion, et, aimant leur vocation, ils aiment le juniorat, la
Congrégation qui les a reçus au nombre de ses chers
enfants.
Nous pouvons donc dire avec vérité que le grain de
sénevé est devenu presque un grand arbre, portant déjà
— 171 —
des fruits abondants. Puisse- t-il étendre ses rameaux en^
core plus au loin et nous rapporter, chaque année, de
bons et de nombreux fruits de vocation religieuse. Nous
prierons donc le Maître de la moisson d'envoyer des ou-
vriers à sa vigne ; car la moisson est abondante et les
ouvriers manquent pour faire le travail. Cependant, nous
avons toute espérance que le Sacré-Cœur de Jésus,
qui a protégé jusqu'à aujourd'hui notre œuvre d'une
manière si évidente, continuera de la bénir et de la favo-
riser, en dirigeant vers nous tous ces bons enfants qui
aspirent à l'apostolat. Le juniorat est certainement
l'oeuvre de son divin Cœur.
Dans mon rapport, je ne puis passer sous silence ce
que font, pour nos junioristes, nos Pères de l'Universitéi
Le juniorat est leur œuvre tout autant que la nôtre; ils
le comprennent. Aussi, je puis dire, sans crainte de me
tromper, que leur part, dans la formation de nos enfants,
n'est pas toujours la plus poétique ; elle est même ordi-
nairement pleine de difficultés et d'ennuis. Redire ce
que l'on sait depuis son enfance, le répéter à satiété
pour arriver à être compris de ces jeunes intelligences
encore plus ou moins engourdies par le froid de l'igno-
rance, passer les jours, les semaines, les mois entiers à
écarter des difficultés sans cesse renaissantes et employer
une partie des nuits à la correction des devoirs, voilà la
tâche des professeurs, voilà le travail ingrat que s'im-
posent, tous les jours de l'année scolaire, les révérends
Pères de l'Université. Us le font avec une joie et un dé-
vouement tout paternels. C'est qu'ils aiment nos jeunes
Frères et ont à cœur la prospérité du juniorat. De tels
services ne se payent pas au poids de l'or^, et qu'avons-
nous qui soit digne d'être offert en retour; nous avons
la monnaie du religieux, la monnaie du pauvre, nous
avons l'affection et la reconnaissance, toutes deuxréu-
— 172 —
nies dans un mot du cœur. Merci ! Nous espérons que
les bons Pères de l'Université voudront bien l'agréer ce
merci que nous leur offrons aux yeux de la Congréga-
tion tout entière pour qui ils travaillent en lui prépa-
rant des enfants vraiment dignes d'elle. Puisse ce faible
hommage de gratitude les dédommager un peu et leur
rendre la tâche plus facile et plus agréable!
Il ne me reste plus qu'à parler du personnel du junio-
rat. Je serai sobre ; je ne voudrais blesser aucune mo-
destie. Cependant, je ne voudrais pas taire la vérité. Des
fils ont droit à ce que leur Père sache les heureuses dis-
positions qui les animent. Tous les jours, je suis témoin
de leur grand attachement à l'œuvre du juniorat; de
leur dévouement à faire progresser nos chers junioristes
dans la voie de la vertu et de la science ; de leur abné-
gation, en s'astreignant à ce travail, toujours pénible,
que demandent la direction et la surveillance de quatre-
vingts enfants. Ils méritent, mon très révérend Père, une
bonne note de votre part. Pour moi, je leur offre ce re-
merciement qui vient du cœur.
Ce rapport, tout incomplet qu'il soit, vous montre
notre bonne volonté à répondre à vos désirs, et, en
même temps, vous permet de constater les efforts qu'a
faits notre province et les sacrifices immenses qu'elle
s'impose pour le recrutement des sujets.
Agréez, mon très révérend Père, l'assurance de mon
dévouement tout filial en N.-S. et M. I.
M.-E. Harnois, 0. M. I.
VARIÉTÉS
I
CHRONIQUE DE LA MAISON DU LAUS (1818 1841)
(suite).
CHAPITRE IV.
LE PÈRE TEMPIER, SUPÉRIEUR DU LAUS (1820-1821).
La communauté du Laus. — Le noviciat et le scolasticat transférés
d'Aix au Laus, sous la direction du P. Tempier. — Les travaux
apostoliques.
Pendant l'année dont nous venons de retracer les
principaux événements, le P. Tempier avait commencé à
réparer les ruines matérielles et morales du sanctuaire ;
l'ancien couvent avait été restauré et convenablement
aménagé; l'église s'était embellie et quelque peu enri-
chie en ornements. Les services spirituels de la paroisse
et du pèlerinage s'accomplirent avec une régularité et
un zèle qui produisirent les plus beaux résultats, et,
malgré ses multiples obligations, le supérieur local
avait inauguré, dans le diocèse de Digne, les travaux
des missions. La maison du Laus, dès ses commence-
ments, répondait ainsi au bat que l'on s'était proposé
en la fondant.
Le P. Tempier n'avait pas trompé la confiance du
P. DE Mazenod qui, en l'envoyant, lui uvait dit : « Je
compte sur vous plus que sur moi-même. » Pendant les
deux années qui vont suivre, le noviciat et le scolasticat
— 174 —
de la Congrégation étant transférés d'Aix au Laus, le
P. Tempier se trouvera à la tête d'une communauté
nombreuse; tout l'avenir de la famille reposera entre
ses mains, et la maison du Laus sera ainsi comme le se-
cond berceau de la vie religieuse des Missionnaires de
Provence. Nous allons voir comment le F. Tempier s'ac-
quitta de ses nouvelles charges.
Le P. Tempier ne revint pas au Laus, après la mission
de Rognac; il prit part aux deux grandes missions de
Marseille, en janvier 1820, et d'Aix, aux mois de février
et mars suivants. La maladie de son père le retint à
Aix, et il ne remonta au Laus qu'au mois de mai,
accompagné du F. Courtes, dont la faible santé récla-
mait un changement de maison. La maison du Laus
n'avait pas souffert de cette longue absence de son su-
périeur, dont le remplaçant, le P. Touche, pouvait suf-
fire au travail, pendant la saison d'hiver. De loin, le
P. Tempier veillait aux intérêts de la paroisse et du
pèlerinage, et son remplaçant ne faisait rien sans avoir
pris son avis, pour le spirituel comme pour le tem-
porel. Il faut bien avouer, toutefois, que, le printemps
venu, un seul prêtre au Laus avait fort à faire : le
P. Touche ne cessait de réclamer des aides, mais on ne
put les lui envoyer. Il ne perdit pas courage; grand et
très robuste, actif et plein de zèle, ayant à cœur l'hon-
neur de sa famille religieuse, et le bien des œuvres qui
lui étaient confiées, il fît tant et si bien, avec le F. Bour-
relier qui l'aidait en bien des choses, qu'on n'eût pas
trop à se plaindre. Il y eut, en mars et en avril, des
concours venus de Gap, d'Ancel, d'Orcières et de Saint-
Laurent; les neuvainistes se succédaient dans Tinter,
ralle des concours ; le P. Touche fit appel pour les con-
l'essions à des confrères des paroisses voisines. Au temps
des Pâques, il put se donner tout entier à ses paroissiens,
— 175 —
et de plus préparer, par des catéchismes plus fréquents,
un certain nombre d'enfants à la première communion.
Il était donc temps, au mois de mai, que le supérieur
local vint reprendre son poste et soulager son confrère.
Le P. Tempier y était depuis peu, quand, au commence-
ment de juin, le P. de Mazenod le manda à Aix, pour
examiner, plus à loisir et de vive voix, une question im-
portante qu'ils avaient déjà traitée par correspondance.
Il s'agissait de la translation au Laus, du juniorat, du
noviciat et du scolasticat qui se trouvaient à Aix. Après
mûres délibérations, la translation fut décidée, et dès le
13 juin, le P. Tempier écrivait d'Aix, au P. TouceB, son
économe : « Le 19 juin, M. de Mazenod et moi nous
monterons au Laus, avec une bande d'étrangers mascu-
lins, et on logera au couvent ; faites donc vos préparatifs
pour garnir les chambres du premier étage; si vous
n'avez pas assez de lits au couvent, prenez ceux de
Ihospicé. » Ce voyage se fît, sans incidents, au jour
qui avait été annoncé, avec le moins de frais possible,
et, le 21 juin au soir, jour de fête de saint Louis de
Gonzague, tous les émigrants arrivaient au Laus, joyeux
et bien portants.
Le P. de Mazenod séjourna au Laus jusqu'au 14 août.
Il fallait l'œil, la main et le cœur du Père pour tout orga-
niser, pour établir, dans ce nouveau berceau de la famille,
les enseignements, les traditions et surtout l'esprit du
fondateur; il fallait que la communauté du Laus fût la
digne sœur de celle d'Aix, qu'elle en reproduisît la ré-
gularité, la ferveur, les usages et les vertus.
Le séjour du P. de Mazenod au Laus fut marqué par
une fête de fatnille qui remplit de joie le cœur du Père
et de ses enfants. Nous voulons parler de l'ordination du
P. Jean-Hippolyte Courtes, qui eut lieu, avec dispense
d'âge de dix-huit mois, dans la vieille cathédrale de Gap,
— 176 —
par Mi" de MioUis, le 30 juillet 1820. Le lendemain, le
jeune ordonné, assisté par son supérieur général, célé-
brait sa première messe à Notre-Dame du Laus, entouré
de tous ses Frères. « C'était alors un grand événement
dans l'humble société des Missionnaires de Provence,
que l'ordination et la première messe d'un nouveau
prêtre. La famille était si peu nombreuse, les vocations
si rares, la formation des sujets si lente et si difficile...
D'ailleurs, le P. Courtes, vrai sujet d'élite, disciple par
excellence du bien-aimé Fondateur, était l'espoir de la
famille par ses vertus aimables, la douceur de son ca-
ractère et sa vive intelligence... Oui, ce fut une fête in-
comparable 1 » Le P. Rambert, que nous venons de citer,
rapporte la lettre admirable que le P. de Mazenod écri-
vit à l'occasion de cette première messe, à un condis-
ciple du P. Courtes. Elle est des plus touchantes, et
nous révèle la vivacité et la tendresse de son zèle pour
les jeunes âmes que Notre-Seigneur confiait à son
amour (1).
En quittant le Laus, la veille de l'Assomption, le
14 août J820, le P. de Mazenod laissait, par écrit, ses
instructions au P. Tempier, chargé de la direction spiri-
tuelle des novices et des Oblats scolastiques. Ces novices,
parmi lesquels F. Sumien, n'étaient que cinq en ce mo-
ment, mais, les mois suivants, de nouvelles recrues se
présentèrent et furent admises. Le F. Courtes ayant été
ordonné prêtre, restaient deux Oblats scolastiques, le
F. Honorât et le F. Bourrelier, qui ne devaient pas tar-
der à entrer dans les ordres.
Les novices n'étaient cependant pas tous dignes de
persévérer; quelques esprits indépendants se glissèrent
dans la petite bergerie et, profitant d'une absence du
(1) Vie de Af?' de Mazenod, t. I, liv. II, chap. x, p. 323-327.
P. Tempier, occupé à la retraite paroissiale de Champo-
léon, ils jetèrent le trouble dans la communauté. Le
P. Tempier, averti par le P. Moreau, se hâta de revenir
et jeta dehors les brebis galeuses : dès lors, tout marcha
bien; la retraite annuelle, qui eut lieu en novembre,
acheva de retremper novices et oblats dans l'esprit de
leur sainte vocation. Une lettre du Fondateur, datée de
Château-Gombert oti il donnait une mission, est adressée
à ses chers enfants du Laus, qui lui avaient écrit après
leur retraite. Il leur répond qu'il a été ému et consolé,
en lisant leur lettre si édifiante, et bénit Dieu avec eux
des fruits qu'ils ont retirés de leur retraite, puis, il les
exhorte vivement à persévérer dans leurs beaux senti-
ments et à tenir les promesses qu'ils ont faites à Dieu.
Les lettres que rapporte le P. Rambert (1) nous mon-
trent que les novices furent fidèles à leurs résolutions.
La première de ces lettres, datée du 24 novembre, est
adressée au supérieur général parle P. Tempier; il dit,
entre autres choses : « Nos récréations ne sont que des
conférences spirituelles, et chacun parle, avec aisance,
sur un sujet édifiant. Le plus souvent, nous nous entre-
tenons de l'obéissance et surtout de la sainte pauvreté.
Nous nous animons mutuellement au détachement ab-
solu. Quel paradis que Laus ! » D'autres lettres du
F. CouLiN ne tarissent pas sur les délices religieuses que
l'on goûtait dans ce paradis du Laus. La bonne harmo-
nie régnait entre tous; tous rivalisaient d'amabilité et
de gaieté; ils étaient heureux d'être pauvres, et se pi-
quaient d'une généreuse émulation pour pratiquer toutes
les vertus religieuses.
Nous venons de parler du détachement absolu que
le P. Tempier inspirait aux novices, au sujet de la pau-
(l) Vie de M«^ de Mazenod, t. I, liv, II, chap. viii, p. 301-303.
- 178 -
vreté. Il avait même adopté la pratique de l'échange,
entre novices et Oblats, des objets qui étaient à leur
usage personnel. Le Fondateur désapprouva cette pra-
tique, et, dans le Chapitre de 1821, où l'on décida que
les membres de la société feraient le vœu de pauvreté,
on détermina les limites dans lesquelles ce vœu devait
se faire selon la règle, laissant à chacun de suivre ses
attraits privés sur ce point.
Après les fêtes de Noël eurent lieu la bénédiction de
la maison et l'imposition des noms des saints, au-dessus
de la porte des cellules. A ce sujet, le Fondateur décida
que les noms des Saints Anges, de la Sainte Vierge, du
Sacré-Cœur, de l'Enfant Jésus ne devaient pas être don-
nés aux cellules particulières; ils étaient réservés pour
les salles communes.
Parmi les moyens que le P. Tempier employa pour
attirer les bénédictions de Dieu sur sa communauté,
signalons la dévotion au Sacré-Cœur.
Il écrivait au P. de Mazenod, le 27 août 1820:
« J'ai appris que vous faisiez, à Aix, les exercices du
Sacré Cœur, et que vous aviez obtenu de donner la bé-
nédiction tous les premiers vendredis du mois, veuillez
m'envoyer des feuilles d'admission, des cantiques et
quelques livres, pour que, nous aussi, nous puissions ici
honorer le Cœur de Jésus. »
i\l. DE iMazenod avait, en effet, depuis le 8 février 1816,
obtenu, des vicaires généraux d'Aix, l'autorisation d'éta-
blir une confrérie du Sacré-Cœur, pour sa Congrégation
de jeunes gens, dans l'église de Saint- Vincent de Paul,
église des Missions, auparavant dite àQ^ Carmélites. Cette
confrérie avait été affiliée canoniquement à l'archicon-
frérie du Sacré-Cœur, dite de Sainte-Marie ad pineam,
à Home.
L'année IBâl fut une des plus laborieuses pour le
— 479 —
P. Tempier. Le P. Touche, aux mois de janvier et de fé-
vrier, évangélisa successivement plusieurs paroisses va-
cantes. Resté seul au Laus, le supérieur local y cumulait
toutes sortes d'emplois ; ayant demandé à grands cris
un auxiliaire, le P. de Mazenod, qui ne pouvait lui en
donner, le consolait en lui disant qu'un missionnaire de-
vait faire pour quatre. « Eh bien, jugez-en, répliquait le
P. Tempier, je suis supérieur au spirituel et au temporel,
d'une nombreuse communauté, curé d'une paroisse,
chapelain d'un sanctuaire, et tour à tour professeur de
théologie et de philosophie. »
Le Laus, en cette année, était à la fois noviciat et sco-
lasticat, même un peu juniorat. Les plus jeunes novices
y achevaient leurs humanités, les Frères scolastiques
poursuivaient leurs cours de théologie et de philosophie.
Il y avait des novices qui prenaient les premières leçons
de latin. Heureusement, le P. de Mazenod établit la sage
mesure qui défendait d'admettre au noviciat les jeunes
gens qui n'auraient pas commencé leurs études de latin.
Dans ces premiers temps, le P. de Mazenod était bien
forcé de se plier aux circonstances. Il avait besoin de
prêtres, de longues études auraient imposé bien des re-
tards à ses projets de zèle, aux demandes qui lui étaient
faites; de là, nécessité d'occuper les novices aux études,
tout en les formant à la vie religieuse, et de prendre,
parmi ceux qui étaient plus avancés, des professeurs
d'humanité et de philosophie. Le P. Tempier s'était ré-
servé la théologie et faisait deux classes par jour. L'au-
teur adopté était Bailly, bon pour le dogme, mais sujet
à caution pour la morale; aussi, pour Ja morale, on
suivait la théologie du Mans. En autorisant cette der-
nière, le P. de Mazenod faisait ses réserves. « Je n'ai pas
eu le temps d'examiner la théologie du Mans, essayez-
la, mais, gare à l'article délicat du bien d'autrui ; vous
— 180 —
savez ce que l'on doit enseigner dans notre société sur
cet article. »
Il n'était pas facile de concilier, dans un noviciat,
l'instruction profane et la formation à la vie religieuse;
fatalement, l'une et l'autre restaient incomplètes. Le
P. DE Mazenod le sentait tout le premier et mieux que
personne; on voit, par sa correspondance avec le P. Tem-
piER, combien il regrette la dure nécessité d'en passer par
là, et combien il multiplie ses avis au supérieur local,
afin que, par sa sagesse, sa vigilance et son dévouement,
il pût atténuer, quelque peu, les inconvénients d'une si-
tuation si pénible. Le P. Tempier fit de son mieux pour
maintenir le bon esprit et la discipline dans un milieu
composé d'éléments si disparates, son gouvernement fut
h la fois doux et ferme. Il arriva que le P. de Mazenod le
qualifiait de Père Rigide. Le Père Rigide se défendit res-
pectueusement et expliqua sa conduite : « Tout en com-
patissant, disait-il, à la faiblesse humaine, je ne crois
pas devoir tolérer des êtres qui exercent la patience de
tous dans une communauté régulière. »
Il cite, à ce propos, un fait à l'appui. Un Frère Oblat,
professeur, avait manqué gravement à l'esprit des règles,
à la charité ; le supérieur lui imposa une réparation pu-
blique devant les novices auxquels il faisait la classe.
La leçon lui profita, et tous les Frères en ressentirent
une salutaire impression (1).
Le P. de Mazenod, on le conçoit, suivait, avec une sol-
licitude, de chaque instant et jusque dans les moindres
détails, la marche de la direction de la maison du Laus.
Le P. Tempier le mettait au courant, le consultait et
suivait ponctuellement ses ordres et jusqu'à ses moindres
avis. C'était, d'un côté, la haute intelligence, le zèle du
(1) Ce professeur, le F. C..., ne persévéra pas.
— 181 —
plus grand bien, le coup d'oeil juste et la fermeté qui ne
ménage pas les blâmes, les reproches, mais en tempère
l'expression par raffection la plus vive pour le supérieur ;
de l'autre côté, rien n'égalait la franchise, l'humilité, la
soumission mêlées d'un affectueux et filial respect du
P. Tempier. En tous deux apparaît un profond dévoue-
ment à l'œuvre commune, ils agissent de concert en
gardant chacun leur rôle. Le supérieur local a son ini-
tiative personnelle, mais il la subordonne toujours aux
vues présumées et aux décisions à venir du supérieur
général. Parfois, le P. Tempier, accablé de besogne, se
sentant inhabile à diriger sa communauté, demandait
grâce, désirant être déchargé de son fardeau; c'est alors
que le P. de Mazenod trouvait, dans son grand cœur, les
motifs les plus capables de relever le courage de celui
qu'il appelait son frère et son ami, y mêlant les conseils
et les avis qui devenaient, pour le pauvre supérieur, une
lumière et une force.
Nous signalerons quelques exemples, qui ont leur inté-
rêt, de cette vigilance exercée par le P. de Mazenod sur
la maison du Laus pendant cette année 1821 .
Un des points les plus essentiels, aux yeux du P. de
Mazenod, était l'observation des règles et des usages qu'il
voulait maintenir dans la société. Contrairement à ce
qui se pratiquait alors, on donnait, au Laus, le nom de
Pères aux Oblats prêtres. Le fondateur rappela au P. Tem-
pier, que lui seul et le chapitre avaient autorité pour in-
troduire une telle innovation dans les usages reçus (1).
Une sorte de conflit s'était élevé entre l'économe et le
supérieur local ; le P. de Mazenod trace à celui-ci la ligne
de conduite à tenir : il a droit à se faire rendre compte
de l'état des finances et du temporel, mais en respec-
(1) Les missionnaires, les Oblats prêtres, s'appelaient Messieurs.
T. XXXV. 13
— 182 —
tant les instructions données à l'économe, de plus haut,
par le supérieur général.
Le P. Tempîer ayiint reçu, comme novices^ les Frères
Martin et Guigues, sans prendre l'avis du Conseil général,
le Pi DE Mazenod lui lit entendre qu'il avait outrepassé
ses pouvoirs.
Utl prêtre novice devait-il, dans les réunions, prendre
rang avant les novices plus anciens et non dans les or-
dres? On décida qu'en raison de la dignité de son sacer-
doce, il devait prendre le premier rang. Aux novices déjà
avancés dans leurs études d'humanités, le P, de Mazenod
permit qu'on donnât la soutane ecclésiastique. De même,
il autorisa certains novices à faire les vœux, en leur par-
ticulier, au bout de six mois. Le P. de Mazenod, voulant
se rendre compte de visu de l'état de la communal! té>
alla passer un mois auLaus, et dans l'acte de visite daté
du 12 aolit 1821, il rédigea un règlement qui devait être
ponctuellement observé. Nous y remarquons l'insistance
avec laquelle le P. de Mazenod parle des avantages et du
mode de la psalmodie : « On doit psalmodier l'office, ni
trop haut, ni trop bas, mais bien distinctement, avec
gravité et en gardant la médiante. » Plus loin, il presct-it,
t-elativement aux grilles des confessionnaux, que t< les
trous de ces grilles soient réduits à la largeur d'une
pièce de 10 centimes ».
Cette année !821 , il y eut plusieurs ordinations ; nous
avons parlé de celle du P. Courtes. Le P. Honorât, or-
donné diacre au mois de juin, quitta le Laus et alla à
Aix attendre ses dispenses d'âge ; elles arrivèrent en no-
Tembre, et il reçut l'ordre de prêtrise en décembre.
D'autres reçurent l'ordre du diaconat, du sous-diaconat,
et les quatre moindres, tantôt à Aix, tantôt à Digne.
Malheureusement, quelques-uns quittèrent la Société;
ce qui faisait dire au P. de Mazenod : « Nous ne sommes
— 183 -
pas gâtés par ceux qui se présentent dans notre So-
ciété. » Aussi, on résolut de soumettre à des épreuves
plUs sévèt-es ceux qui se présentaient.
Les novices, à la fin de l'anrtée, étaient au nombre de
dix-huit. Le P. Sumien y était depuis le mois de jan-
vier; les FF. Martin et Guigues, encore étudiants, furent
reçus novices le jour de la Pentecôte; tous deux étaient
du diocèse de Digne. Le P. Tempier nous dit : m Martin
est arrivé de Forcalquiér, il a dix-hùit ans, est plein de
bdû sens, de piété et de fermeté ; Guigues, quoique plus
jeune d'un an, est bon aussi, mais moins ferme ; ils dé-
sirent porter la soutane. Ce sont des piliers d'exacti-
tude. » Le P. Arnoux, Victor, de pieuse mémoire, mott
en 1828, commençait son noviciat en septembre. Lé
23 décembre montait au Laus le F. Marcou, reçu novice
à Aix, le 21, jour anniversaire de la prêtrise du Fonda-
teur ; il était accompagné d'un de ses condisciples, le
F. Jeangard, instruit et plein de talent, professeur au
petit séminaire de Grasse ; ils avaient vingt-trois ans, et
avaient fait deux ans de théologie.
Au point de vue des études, le F. Martin, tout en fai-
sant sa rhétorique, était le professeur de deux novices
peu avancés en latin. Six autres novices étaient en se-
condêj et sept en rhétorique ; trois continuaient ledrs
cours de théologie. Avec les Oblats scolastiques, le
P. Touche et le supérieur local, la Communauté du Laus
comptait vingt-quatre membres.
De plus, six jeunes gens faisaient, au Laus, leurs
classes élémentaires ; deux payaient pension et vivaient
"dans la communauté, les quatre autres logeaient dehors
et ne venaient à la maison que pour les classes faites par
un novice.
Tel était l6 personnel de la maison du Laus, en 1821.
Il fallait faire vivre tout ce monde et pourvoir à sa
— 184 —
subsistance ; le P. ïempier y parvint, grâce à sa sagesse
et à l'économie qu'il apporta dans son administration
du temporel. Quelles étaient les ressources dont il dis-
posait? Le gouvernement lui faisait, comme curé du
Laus, un traitement de 750 francs ; les terres du petit
domaine fournissaient environ un quart des frais d'ali-
mentation ; le produit de la vente des cantiques, des
objets pieux, des notices, peu considérable, apportait
son léger appoint. En principe, les étudiants et les no-
vices devaient payer une pension (400-450 francs) ; mais,
en fait, très peu la payaient, presque tous étaient à la
charge de la maison et de la caisse générale qui donnait
le supplément nécessaire. Ajoutons, à ces sources de re-
venus, les honoraires des missions et des messes, et nous
aurons le bilan de l'avoir du P. Tempier. Et encore, le?
honoraires des missions étaient, en grande partie, absor-
bés par les voyages ; les honoraires de messe étaient de
75 centimes seulement. Sur le nombre assez considérable
de messes reçues, la plupart étaient envoyées à M. Ar-
baud, vicaire général de Digne, et à l'archiprêtre de
Gap, pour être acquittées par les prêtres du diocèse.
Pour réduire les frais de voyage, le P. Tempier s'en-
tendit avec le conducteur de la diligence de Gap à Aix et
obtint une remise importante sur chaque voyage. Au
mois de mars \82\, il avait fait l'acquisition, sous le
nom de M. de Mazenod, en prenant du temps pour
payer, du bien Jouvent, c'est-à-dire d'une terre et d'une
vigne; il espérait avoir ainsi, sous la main, des provi-
sions de blé et de vin, sans être obligé de les acheter.
Il trouva moyen d'améliorer le couvent, en faisant de
nouvelles chambres au deuxième étage et en ouvrant
des fenêtres dans la charpente de la toiture réparée, ce qui
lui permit d'avoir des mansardes. De plus, il commença
la reconstruction, en partie à neuf, du canal de la fon-
— 185 -
taine qui fournissait l'eau nécessaire à la communauté.
Nous ne pouvons passer sous silence deux événements
dans lesquels la maison du Laus figura en bonne part.
Le 6 mai 1821, la Société des Missionnaires de Provence
fondait sa troisième maison, à Marseille; on peut en lire
les détails dans les Mémoires historiques de M'' Jeancard,
t. XVI, p. 139, et dans la Vie de M«^ de Mazenod, t. !•',
liv. II, chap. X, p. 328.
Le 21 octobre de la même année se tint, à Aix, le se-
cond Chapitre général de la Congrégation ; « les mem-
bres de ce mémorable chapitre, cédant à l'entraînement
général de la Congrégation, portèrent, d'une voix una-
nime et par acclamation, un décret qui désormais fai-
sait obligation à tous les Missionnaires de Provence
d'ajouter aux trois vœux de chasteté, d'obéissance, de
persévérance, un quatrième vœu, celui de pauvreté (1). »
Il y fut décrété aussi qu'on ne donnerait plus le nom de
Monsieur aux membres de l'institut, mais qu'on les ap-
pellerait du nom de Pè)'e, s'ils sont prêtres, avec la qua-
lification de Très Révérend pour le supérieur général et
de Révérend pour les autres prêtres.
Le Chapitre général fut suivi de la retraite annuelle,
qui eut lieu également à Aix, et à laquelle prirent part
les PP. Tempier, Touche, du Laus, et les FF. Bourrelier,
ViGUTER et GOULIN.
II. — Il nous faut maintenant exposer le récit des tra-
vaux apostoliques des Pères du Laus, pendant cette pé-
riode de deux ans que nous venons de parcourir.
Après la mission de Rognac, en novembre 1819, le
P. Tempier se rendit à Aix ; c'est de là qu'il partit pour
Marseille, en janvier 1821, et prit part à la grande mis-
sion de cette ville ; nos Pères travaillaient de concert
(1) Vie de il/gr de Mazenod, t. I, liv. II, chap. x, p. 336,
— 186 —
avec les Missionnaires de France, à la tête desquels se
trouvait M. Ilauzan. Après la mission de Marseille s'ou-
vrit celle d'Aix ; elle eut lieu dans les mêmes conditions,
et le P. Tempier collabora, avec ses frères en religiop,
du mois de mars au 24 avril. Les Missionnaires de Pro-
vence évangélisèrent, à Aix, lesi deux paroisses si po-
pulaires de la métropole et de Saint-Jean-Baptiste du
faubourg. On peut lire les détails de ces deux missions,
qui firent tant de bien et eurent un grand retentisse-
ment, dans les Mémoires historiques de M^' Jeancard et
dans la Vie de M^^ de Mazenod, par le P. Rambert (1).
Une seule mission en règle fut donnée dans le diocèse
de Digne, en octobre 1820; Ms'' de Miollis n'en demanda
pas d'autres. Les PP. Tempier et Mie ouvrirent cette mis-
sion dans les derniers jours de septembre, à Ch^napo-
léon, paroisse de 700 habitants, du canton d'Orcières
et arrondissement d'Embrun. Voici la description que
le P. Tempier nous fait des lieux : « Situé sur le Drac
qui arrose la vallée du Champsaure et va se jeter dans
l'Isère, près de Grenoble, le village est au fond d'une
vallée de 5 à 6 lieues de longueur sur assez peu de lar-
geur. La vue y est bornée par d'énormes montagnes ;
pendant de longs mois, le soleil ne s'y montre qu'à
9 heures et disparaît à 2 heures, aussi son retour est-il
salué par de grandes réjouissances. » La population se
montra bien disposée, assidue aux exercices et docile à
la parole des missionnaires ; elle se laissa toucher par la
grâce... La clôture se fit le dimanche d'avant la Tous-
saint; il n'y eut que deux personnes qui ne profitèrent
pas de la mission.
Les missionnaires ^e trouvaient en présence d'une po-
pulation un peu délaissée, ignorante, et les cas de con-
(1) Voir aussi l'Ami de la religion, t. XXII, p. 315-394 ; t. XXIII,
p. 371-372, et t. XXIV, p. 30.
— 187 —
science embarrassants n'étaient pas rares. Le P. Tempier,
se demandant quelle conduite tenir envers les granc^s
pécheurs, exposa sa peine au P. de Mazenod ; le P. de
Mazenod répondit qu'il fallait être indulgent et lui cita
le passage célèbre de saint Ghrysostôme : Peccasti, pœni-
tœre ; millies peccasti, millies pœnitœre.
Gomme gardiens du Laus, nos Pères, d'après les con-
ventions primitives, n'étalent tenus qu'à donner les mis-
sions que leu? demfipdpraitrévêque de Digne. Mais, au
mois d'août 1820, nne ordonnance royale avait afl'ecté
un certain traitement aux prêtres désignés par l'arche-
vêque ou l'évêqnp, qui porteraient successivement Ipg
secours de la religion dans les succursales dépourvues
de pasteurs. L'évèque de Digne pria M. de iVlAZENon de
vouloir bien accepter ce titre de prêtres de secours dans
son diocèse, et de désigner, à cet eflet, ^^eux de ses (Mis-
sionnaires, qui, à la demande de l'administration, por-
teraient les secours religieux dans les paroisses et re-
cevraient une indemnité en rapport avec les travaux
accomplis. M. de Mazeisod accepta et les PP. Tempier et
Touche reçurent le litre et l'honoraire de prêti^es de se-
cours. G'est en cette qualité de prêtre auxiliaire que le
P. Touche passa six ou huit jours en plusieurs paroisses
du diocèse, prêchant, confessant et préparant les fidèles
à l'accomplissement de leurs devoirs religieux. Il desser-
vit quelques paioisses vacantes et séjourna, deux niois h
Saint-Léger, petite commune du canton de Saint-Bonnet,
arrondissement de Gap. Le P. Tempier, de son côté,
porta des secours à quelques paroisses. Si donc les Pères
(^u L^us firent peu de missions cette année; ils n'en
rempUrent pas moins, comme prêtres auxihaires, leurs
engagements envers le diocèse de Digne.
L'année 1821 fut des plus laborieuses pour les Pères,
surtout pour le P. Touche; le P. Tempier, quoique ch^rg^
— 188 -
de la direction d'une communauté nombreuse, parut
plusieurs fois sur le champ de bataille apostolique.
En janvier, le P. Touche prenait part à la mission de
Brignoles, diocèse de Fréjus. Après, il alla porter se-
cours aux paroisses du diocèse de Digne, demeurant en
chacune plus ou moins de temps, selon l'importance et
le besoin des populations.
Du commencement du mois de mars aux premiers
jours d'avril, nous le voyons à Saint-Chamas, situé sur
l'étang de Berre et du canton d'Istres, arrondissement
d'Aix. M. DE Mazenod lui-même dirigeait la mission; il
avait pour collaborateurs les PP. Deblieu, Maunier, Mo-
reau et Touche.
De là, le P. Touche se rendit à Saint Jean-les-Crottes,
sur la Durance, à 4 kilomètres d'Embrun, diocèse de
Digne. Il y donna une retraite à ses 1 300 habitants,
avec l'aide d'un prêtre des environs. Au sortir de Saint-
Jean, il porta secours à une paroisse, près d'Aucelle, oh.
le deuxième dimanche après Pâques, commença une
grande mission : « Ancelle est un gros bourg de 1000 à
1300 âmes, à 14 kilomètres de Gap, son chef lieu d'ar-
rondissement, et de Saint-Bonnet, son canton. La mis-
sion réussit bien. La communion des femmes, ainsi que
celle des hommes, a été aussi générale que le comportait
la population, et très fervente. » Ainsi s'exprime le
P. Tempier, qui dirigeait la mission, ayant avec lui le
P. Mie et le P. Touche; les PP. Deblieu et Viguier vin-
rent les aider vers la fin.
C'est à Ancelle que fut soulevée la question de la res-
titution des biens nationaux. Écoutons le P. Tempier. « La
grande affaire à traiter ici était celle de la restitution des
biens nationaux ; il y avait lieu de craindre qu'il y eût
bien des récalcitrants; cependant, sous ce rapport des
injustices réparées, la mission d'Ancellc est une des
— 189 —
meilleures, On comptait, à Ancelle, quatre-vingts acqué-
reurs de biens nationaux, tant de première que de
deuxième et même de troisième main. On a tenu à ce
qu'il y eût répartition proportionnelle d'un sixième
pour ceux de seconde main et d'un tiers pour ceux de la
première main. »
Le vicaire général de Digne trouva que cette conduite
des Missionnaires relativement aux détenteurs des biens
nationaux était bien hardie. Elle s'écartait de la pra-
tique de toutes les administrations ecclésiastiques, qui,
s'appuyant sur une décision du cardinal Caprara, ne
troublait pas les consciences des délenteurs, et sans dis-
tinction, ne demandait aucune réparation. M. de Maze-
NOD contestait que la décision du cardinal Caprara fit au-
torité absolue, n'étant suivie que dans un certain nombre
de diocèses; de plus, l'enseignement professoral, à Saint-
Sulpice, ne suivait pas l'opinion du cardinal Caprara. De
fait, la question, alors, pouvait encore être résolue dans
le sens de la non-réparation, ou dans le sens de la répa-
ration proportionnelle.
Au milieu de septembre, le P. Tempier, avec le P. Mie,
le P. ViGuiER, prêtre novice, commençait la mission de
la Chapelle-en-Valgodémar (Hautes-Alpes), du canton de
Saint-Firmin, arrondissement de Gap (I). « La Chapelle,
dit le P. Tempier, est située dans un vallon étroit, entre
des montagnes prodigieusement hautes et couvertes de
neiges et de glaciers. Nous sommes arrivés pour jouir des
apparitions dernières du soleil; car, bientôt il quittera
la vallée pour ne reparaître que vers la fin de février.
Son retour est salué par une fête publique, dont les
(l) Le Dictionnaire des communes de la France parle de la petite
commune de Lachapelle, dépendant de la commune de Clémence-
d'Ambel. Les 900 habitants doivent s'entendre de ceux des villages
voisins qui profitaient de la Mission.
— 190 —
omelettes font les frais. On a ouvert la mission le
16 septembre, et les habitants, au nombre de 900, ont
suivi les exercices avec un empressement qui ne s'est
pas démenti. Leur caractère est rude, un peu dissi-
mulé ; mais, depuis dix huit ans et plus, ils ont eu de
bons curés, qui ont pu adoucir leurs mœurs par une di-
rection prudente et dévouée. Le curé actuel, excellent
prêtre, connaît son monde; nous n'avons qu'à nous ap-
puyer sur son autorité et à nous éclairer de son expé-
rience. » Les missionnaires furent très satisfaits des ré-
sultats de la mission.
Dans le même temps, le P. Moreau évangélisait Ville-
mur, 300 hai)ilunts, canton de ReiUane, arrondissement
de Forcalquier (Basses-Alpes). En octobre, le même
P. MoREAU donnait une retraite de quinze jours à Mont-
furon, canton de Manosque, commune de 360 habitants,
diocèse de Digne. De son côté, le P. Tempier portait des
secours à Chabottes, canton de Saint-Bonnet (Hautes-
Alpes), commune de 700 habitants. Enfin, en novembre,
le P. Touche donnait aussi des retraites dans deux pa-
roisses.
Ainsij en l'année 1821, les Pères du Laus, seuls ou
avec l'aide de leurs confrères, avaient donné les grandes
missions et prêché plus de six retraites paroissiales de
huit jours. Ces travaux opérèrent le plus grand bien. Léi
simple énuméralion que nous en avons faite, et il est
possible que quelques-unes nous aient échappé, nous
montre que les Pères du Laus étendaient, avec un succès
non douteux, le champ de leur action et multipliaient
les fruits de leur zèle dans le diocèse de Digne; l'évêque
ne pouvait exiger davantage, caries missionnaires avaient
rempli, dans toute la mesure du possible, les engage-
ments qu'ils avaient contractés.
- 191 —
CHAPITRE V.
LE PÈRE TEMPIER, SUPÉRIEUR DU LAUS (fIN).
Janvier 1822 à mars 1823.
La communauté du Laus. — Le pèlerinage. — Départ du noviciat et
du scolasticat pour Aix (octobre 1823). — Travaux apostoliques
des Pères du Laus. — Le P. de Mazenod, vicaire général. —
Ms'' Arbaud, évêque de Gap. -- La crise. — Les relations avec
Monseigneur de Digne.
Nous avons dit, l'état de la maison et de son personnel
à la tin de l'année 1821. Pour ceux qui étaient présents
etcepxqui pouvaient venir, le P. Tempier avait préparé
de la place et avait commencé à rendre le second étage
habitable. «Lorsque les cellules seront faites, nous dit-il,
nops aurons 16 chambres pour les novices et 7 pour
les prêtrps; si notre personnel augmentait encore, on
aviserait à bâtir une aile au midi, de telle sorte que nous
pourrions disposer de 40 chambres ou cellules. »
Nous verrons que cet agrandissement ne fut pas né-
cessaire. Il n'est pas sans intérêt rétrospectif de dire
un mot des dépenses qu'exigeait le personnel fixe de la
communauté composée, jusqu'en octobre iS^-2, de 2U
à 30 personnes, sans compter les Pères qui venaient
d'Aix au Laus et y séjournaient plus ou moins long-
temps. Nous citons le P. Tempier : « 11 nous faut chaque
annéç 80 charges de blé et pour 16u0 à 1 800 francs de
viande, et l'on tue deux moutons par semaine. Les
terres du domaine, jointes aux nôtres, ne fournissent de
blé que pour 4 personnes, et du vin pour une quinzaine ;
c'est l'équivalent de 1 200 francs à déduire des achats à
faire. La charge de blé coûtant environ 38 francs, c'est
une dépense à faire par an, sur cet article, d'environ
1 840 francs, d Nous avions déjà signalé les frais dp
— 192 —
voyage qui étaient considérables; on pourra s'en faire
une idée exacte par les comptes suivants que nous
relevons sur les registres : « Au mois de juin, payé à
Aubert pour diligence, 1310 fr. 10; au mois d'août, au
même, 145 francs, soit pour huit mois, la somme de
1 455 fr. iO. «
Il faut dire que les ressources augmentèrent providen-
tiellement en proportion avec les besoins. Ainsi, les
honoraires des deux Pères qui portaient secours aux pa-
roisses rapportèrent à la caisse, en décembre 1822,
867 francs; en février 1823, 1200 francs, et en mars,
pour compléter ce qui était dû, 333 francs, envoyés par
le vicaire général de Digne, M. Arbaud. L'année précé-
dente, on n'avait reçu, au même titre, que 1 200 francs.
Disons encore que l'administration diocésaine avait
fourni au P. Tempier la somme de 1 386 francs pour ré-
parations et aménagement urgents de la maison. Malgré
tout, le P. Tempier était loin de thésauriser.
Son budget de janvier 1821 à janvier 1822 était en
déficit de 382 fr. 85. Le personnel actif était le même
que précédemment; c'était, avec le P. Tempier, le
P. ToucoE et le P. Bourrelier. Quand le P. Touche était
en mission, presque tout reposait sur le P. Tempier, car,
dit-il, le P. Bourrelier, bon jardinier eimenuisier habile,
était à peu près nul pour les choses du ministère. En
mai 1822, le P. Moreau fut de maison au Laus ; c'est lui,
comme nous le verronS;, qui en sera le supérieur, au
départ du P. Tempier, en mars 18^3. Le service de la
paroisse et du pèlerinage était donc toujours assuré ;
nous n'avons rien de particulier à noter sur ce point. Le
pèlerinage se maintenait dans un excellent état; les
concours se renouvelaient périodiquement, et les neu-
vainistes ne faisaient pas défaut. La présence, au Laus,
des novices et des scolastiques, en permettant de donner
— 193 —
aux cérémonies plus d'éclat et de solennité, fut un at-
trait de plus pour les pèlerins ; leur vie si régulière, leur
fervente piété qui s'épanchait en prières ferventes aux
pieds de Marie, étaient pour tous une bonne leçon de
vie chrétienne et un grand sujet d'édification.
Le noviciat et le scolasticat devaient cependant quitter
le Laus, cette année même 1822.
Voici, en peu de mots, les motifs qui déterminèrent
cette mesure.
Les occupations du ministère extérieur, jointes à la
conduite de la communauté et à son administration
temporelle absorbaient tous les instants du supérieur
local ; il lui était difficile de prévoir et de prévenir les
incidents fâcheux qui pouvaient troubler la paix, le bon
esprit et le bon ordre de la communauté. Divers faits se
produisirent, en cette année 1822, qui multiplièrent les
soucis et les embarras du P. Tempier. Quelques sujets
montrèrent peu de garanties de persévérance ; il fallut
les renvoyer. Un hypocrite s'était glissé dans la commu-
nauté; on l'expulsa. Un Oblat sous-diacre, ex-professeur
de philosophie, caractère indépendant et tyran de ses
élèves, dut cesser sa classe et fut renvoyé à Aix (1). D'un
autre côté, plusieurs sujets, étant tombés malades, de-
mandèrent à aller dans leur famille ; ceux qui étaient
soignés h la maison se montraient exigeants. Toutefois,
les valides, c'était le grand nombre, ne perdaient rien
de leur ardeur pour l'étude, et donnaient pleine satis-
faction à leur cher supérieur, par leur bon esprit et leur
application à se former aux solides vertus religieuses.
Les sujets renvoyés ne tardaient pas à être remplacés ;
signalons parmi les nouveaux venus, le jeune Telmon,
qui n'avait que quatorze ans, et un prêtre de Gap âgé
(1) Le F. C..., dont il a été fait mention plus haut.
— 194 —
de trente ans, le P. Jouhdan, qui, l'année suirante,
après son oblation, ouvrit la liste trop nombreuse de
nos défunts.
Telle était la situation de la communauté quand, à IeI
fin du printemps 1822, le Fondateur fît une apparitioii
de qtielques jollrs à Notre-Dame du LaUs. Dès lorâ, l'état
de choses s'améliora. Les novices indécis bU qui don-,
naiètlt peu d'espérance furent renvoyés. « Le noviciat,
disait fort justement le P. de Mazenod, n'est pas destiné
à convertir les pécheurs ; dn ddity travailler réSOluiHent
à sa perfection religieuse. » Le sbhs-diacre professetlt",
renvoyé à Aix, était revenu amendé, et il reprit sa classe ;
tdus les novices se raffermirent dans l'esprit de leur vo-
cation, au souffle et par la présence de leur vrai Père,
dont la fermeté relevait leur courage, en même temps
qtie sa tendresse gagnait leur cœur.
Au mois de juillet, le P. Tempier s'abSenta pour don-
ner une mission à Ancelle, en Valgodémar, le P. MbREAu
le remplaça pour diriger les junioristes, novices et
Oblats. Sous sa direction, le P. Suzanne fut pehdaht
quelques semaines spécialement chargé des Oblats aux-
quels il faisait la classe de dogme, et, deux fois par se-
maine, il leur adressait en particulier une instruction,
polit" achever de les former à la vie religiëilse.
Au jugement du P. Moreau, les étudiatitS et les îlti-
vices sont bons, mais faibles dans leurs études, « et je
crois, ajoutait-il, que le P. Tempier juge Un peu trop
favorablement cette jeunesse ». Un des novices, profi-
tant de l'absence du P. Tempier, avait pris la clef des
champs ; à l'appel du P. Moreau, le P. Tempier revint au
Laus et le fugitif rentra dans la maison. A l'occasion de
tous ces contretemps fâcheux, le bon supérieur s'humi-
liait et s'accusait lui-même, comme s'il était la cause de
tout le mal. « Vous m'avez jugé trop favorablement,
195 —
écrivait-il au P. de Mazenod, en me mettant à la tête
d'une communauté comme celle-ci. »
Le P. Supérieur partit de nouveau en mission et le
P. MoREAU reprit la charge du gouvernement du Laus;
il s'en effrayait, car le P. Suzanne n'était plus là pour le
seconder et le conseiller. Il s'acquitta bien cependant de
sa tâche laborieuse, qui dura jusqu'aux premiers joUrs
d'octobre.
A cette époque, le P. de Mazenod pril la mesure qu'il
méditait depuis déjà un cei'taih téiiips; elle cohsistâit à
faire revenir à Aix les novices et les scolastiques sous là
direction du P. Courtes ; les étudiants ou junioristes res-
teraient seuls au Laus. Evidertimeilt ce qUi s'était passé
celte année lui avait donné à réfléchir. Tout en rendant
pleine justice au P. Tëmpier, il avait compi'is qu'il lui
était physiquement et moralement impossible de mener
de froiit, avec succès, les charges multiples qui pesaient
sbr ses épaules. Il s'explique sur ce sujet, dans une lettre
adressée au P. Suzanne : « Les novices, au Laus, n'ont
pas une direction siiffisante ; le P. Tempier est tro^ï sur-
mené et absorbé, pour leur donner tous les soins voulus.
Un grand inconvénient aussi est qu'ils sont trop occdpés
de belles-lettres, alors qu'ils ne devraient s'appliquer
qu'aux choses de la perfection. D'ailleilt-s, l'hiver est
bien long et bien rude au Laus et nos jeurlès gens se-
ront mieux à Aix. »
En conséquence, tout fut disposé, à Aix, pour recevoir
les émigrants. Au Laus, le P. Moreau prépara et mena
activement la question du déménagement; le i octobte,
tout était prêt, le P. Tempier revint de mission pour pré-
sider au départ, et le P. Moreau emmena la première
bande, qui arrivait à Aix le 13 octobre, en bon port.
Quatre jours après, la translation était complète, tous les
novices se trouvaient réunis dans leur nouveau domicile.
— 196 —
Au mois de novembre, le P. Tempier descendait, à son
tour, à Aix, avec une cargaison de linge et de livres d'étu-
des, laissée au Laus. Le noviciat avait résidé au Laus
deux ans et quatre mois environ, du 21 juin 1820 au
17 octobre 1822. Ce départ, comme bien l'on pense, fit
grande sensation dans le pays; les bruits les plus étran-
ges se répandirent dans la ville de Gap et dans tout le
diocèse. Les missionnaires, disaient les uns, vont aban-
donner le Laus ; non, répliquaient les autres, mais ils
prennent leurs mesures contre le futur évêque qui pour-
rait bien leur redemander les sujets de son diocèse. On
laissa dire, et les commentaires prirent fin. Depuis ce
départ, le P. Tempier, occupé à divers travaux apostoli-
ques, ne revint guère au Laus ; les PP. Moreau et Bourre-
lier desservirent la paroisse et le sanctuaire, et au mois
de mars ^823, croyons-nous, le P. Moreau était nommé
supérieur du Laus. Les années 1822 et 1823, au point
de vue de l'apostolat, furent aussi des plus laborieuses
pour les deux Pères qui résidaient au Laus. Il nous reste
à signaler les diverses localités qu'ils évangélisèrent.
Pendant les trois premiers mois de 1822, le P. Touche
prend part aux missions données par nos Pères d'Aix et
de Marseille. En janvier, nous le voyons à Saint-Zacha-
rie, canton de Saint-Maximin, puis à Signes, au pied
de la Sainte-Beaume, canton du Beausset ; tous deux du
diocèse de Fréjus; au retour, il visita Saint-Léger qu'il
avait administré en 1821. Il ne resta que peu de temps
au Laus, M. de Mazenod l'appela à la mission qui se don-
nait à Lorgues, du diocèse de Fréjus, chef-lieu de canlon,
et de l'arrondissement de Draguignan.
M. de Mazenod lui-même dirigeait la mission, qui dura
tout le mois de mars et eut le même succès que celle de
Barjols, prêchée en 1818 parles Missionnaires de Pro-
vence. Après cette campagne dans le diocèse de Fréjus,
- 197 —
le P. Touche, rentra au Laus pour les Pâques, et en re-
partit quinze jours après pour la mission de Barcelon-
nelte, chef-lieu de canton (Basses-Alpes), diocèse de
Digne. La ville, qui ne comptait guère plus de 2000 habi-
tants, est située, sur la rive droite de l'Ubaye, à i 133 mè-
tres d'altitude. Dirigée par le P. de Mazenod, cette mission
dura aussi un mois entier, du 20 avril au 20 mai. « La
mission, écrit le P. Tempier, a réussi, au grand contente-
ment de l'évêque de Digne, et il a manifesté le désir que
l'on évangélisât toute la vallée de Barcelonnette cette
année. » Une des conquêtes de cette mission fut l'entrée
au noviciat du Laus du jeune Telmon, âgé de quatorze
à quinze ans.
Le P. Touche revint prendre quelques semaines de re-
pos près du sanctuaire de Notre-Dame, puis se remit en
campagne ; le P. Mie et lui évangélisèrent Saint-Maurice,
en Gaudemard, paroisse d'environ 400 habitants, canton
de Saint-Firmin, diocèse de Digne. Après quelques légè-
res épreuves de la part du curé et quelques menaces in-
signifiantes du juge de paix, la mission marcha bien, le
peuple se montra plein de bonne volonté, docile et as-
sidu aux exercices. « Les espérances des missionnaires
furent dépassées, et ils ne laissèrent en arrière que quel-
ques brebis galeuses. La croix de mission fut plantée le
2 juillet; on laissa à Saint-Maurice deux congrégations
bien établies, l'une de garçons, l'autre de filles (1). »
Le P. DE Mazenod, voulant faire un bien durable dans
les paroisses évangélisées par ses missionnaires, n'accep-
tait de missions qu'autant que les missionnaires, après un
certain laps de temps, reviendraient dans les paroisses
où ils avaient travaillé ; c'est ce qu'on appelait retour de
missions. Aussi, voyons-nous les PP. Mie et Touche, après
(1) Lettre du P, Tempier.
T. XXXV, 14
— 198 —
avoir quitté Saint-Maurice, s'en aller à la Chapelle, qui
avait été évangélisée en 1821. Ils réunirent à la sainte
table, après huit jours d'exercices, 450 personnes, autant
d'hommes que de femmes. De là, ils revirent également
les paroisses de Villars et de Clémence d'Ambelle, où
leur présence produisit le même bien. Tandis que le
P. Touche revoyait les paroisses qu'il avait évangélisées,
pendant l'hiver, les PP. Mie et Tempier faisaient aussi
des retours de mission à Ancelle et à Chabottes, canton
de Saint-Bounet, arrondissement de Gap.
Au mois d'août, même travail par les PP. Mie et Mo-
REAU, alors de maison au Laus, à Champolléon, gros bourg
de 722 habitants, canton d'Orcières (Hautes-Alpes).
A la rai-septembre, les PP. Tempier, Mie et Touche
s'acheminaient vers Saint-Etienne-en-Dévoluy, chef-lieu
de canton, arrondissement de Gap. « Le pays est sauvage,
écrit le P. Tempier, et le P. Mie s'en effraye, les gens qui
sont bien disposés ont un long chemin à faire pour venir
à l'église principale. Aussi, le P. Touche s'est installé au
centre du pays, entre deux ou trois hameaux éloignés
de 1 lieue à 1 lieue et demie de Saint-Etienne. Il y
fait les exercices pendant la semaine, donne les instruc-
tions, entend les gens au confessionnal; le dimanche
seulement, il y a réunion générale à Saint-Etienne. » La
mission eut un excellent résultat et se termina vers le
20 octobre. Le P. Tempier donna, en novembre, une re-
traite paroissiale au Poët, commune de SOO habitants,
canton de Laragne (Hautes-Alpes). Le P. Touche, de son
côté, portait des secows dans les Basses-Alpes, sur la rive
gauche de la Durance, à deux petites paroisses, Glaret
et Melve, canton delà Motte, arrondissement de Sisteron.
Le P. Touche dit quelque part : « les résultats ne se res-
semblaient pas partout; tandis qu'on adorait le mission-
naire dans une paroisse, dans irautre, il n'y faisait pas
— 199 —
grand'chose et avait même à subir les injures et les atta-
ques des jeunes gens ». Le P. Touche avait un grain
d'originalité plus ou moins cavalière, et son zèle, qui
était grand, manquait parfois de prudence, ce qui lui
suscita quelques aventures peu agréables. On remarquera
que pendant cette année 4822, les missionnaires du Laus
furent presque tout le temps en campagne, et qu'ils
évangélisèrent, à la grande satisfaction de 1 evêque de
Digne, bon nombre de paroisses importantes de son dio-
cèse.
Nous voici en l'année 1823. Les missions débutent en
janvier, par la célèbre mission de Tallard, chef-lieu de
canton de 1100 habitants, à 14 kilomètres de Gap, et si-
tué sur un roc qui domine la Durance (Hautes-Alpes). Le
P. DE Mazenod la dirigeait en personne à la tête de qua-
tre missionnaires, les PP. Tempier, Deblieu, Suzanne et
Touche. Plusieurs lettres de notre vénéré Fondateur,
écrites de Tallard au P. Courtes, nous donnent des détails
intéressants sur la mission de Tallard.
« La mission n'avait pas d'abord l'air de faire grande
impression sur les gens de Tallard. .. Mais huit jours après,
ils sortaient de leur apathie et se sentaient pris ; ce mou-
vement ne fit que s'augmenter, l'affluence aux exercices
devint considérable ; les autorités elles-mêmes donnaient
l'exemple; juge de paix, maire, médecin, assistaient ré-
gulièrement aux exercices et se confessèrent. Tel était
l'entrain de la population et ses excellentes dispositions,
qu'une noce se récréait au chant des cantiques ; tous les
soirs, dans les réunions de famille et même au café, il
n'était question que delà mission, et là aussi on chantait
des cantiques. »
Le P. DE Mazenod, dont la santé exigeait beaucoup de
ménagements, se contentait de faire l'exercice de l'exa-
men particulier et de donner les avis le soir. Les mission-
— 200 —
naires faisaient vaillamment et bien, beaucoup de beso-
gne ; le P. Suzanne entre autres, se montra déjà excellent
missionnaire.
Le 17 janvier, le P. de Mazenod écrivait encore de Tal-
lard ; « La mission ne peut aller mieux, tout le monde
est content. » C'est quelques jours après que M. de Ma-
zenod, ayant reçu la nouvelle de la nomination de son
oncle, M»"" Fortuné de Mazenod, au siège épisccpal de
Marseille, partit pour Aix, et laissa le P. Tempier conti-
nuer les exercices avec ses compagnons. La mission de
Tallard, couronnée de succès, se termina le 31 jan-
vier 1823. Au mois de février, après quelques jours de
repos, les PP. Tempier et Suzanne, que rejoignit le
P. MoREÀU, allaient donner la mission du Lauzet. Le
Lauzet est aussi un chef-lieu de canton de 1000 habi-
tants, arrondissement de Barcelonnette (Basses-Alpes).
Le bourg ne manque pas de pittoresque, il est situé à
900 mètres d'altitude, sur une sorte d'isthme rocailleux,
entre la rive gauche de l'Ubaye et un joli petit lac. La mis-
sion s'ouvrit le dimanche de la Quinquagésime, et se clô-
tura le deuxième dimanche du mois de mars. «La mission
fut aussi complète qu'elle pouvait Têlre, les missionnai-
res confessèrent 428 femmes et 400 hommes sur une po-
pulation d'environ 1000 âmes... La croix de mission fut
plantée sur une montagne qui domine la vallée de tous
côtés, dix notables se sont engagés à faire construire au
printemps quatorze oratoires ou stations du chemin de la
croix pour aller au calvaire (1). » Le P. Tempier avait
terminé ses travaux apostoliques comme supérieur du
Laus, où, comme nous l'avons dit, il fut remplacé par
le P. MoREAU. Nous poursuivrons, au chapitre suivant, la
série des missions qui eurent lieu en cette année 1823.
(1) Compte rendu de la Mission au Supérieur général par le
P. Tempier.
— 201 —
L'année 1823 fut marquée par la nomination, au siège
de Marseille, de i\Ie^ Charles-Fortuné de Mazenod, oncle
du P. DE Mazenod, Fondateur des Missionnaires de Pro-
vence. Comme nous l'avons vu, M. de Mazenod apprit
cette nomination à Tallard ; il se hâta d'aller près de
son oncle, qui fut préconisé par Pie VII, dans le Consis-
toire du 16 mai 1823, et reçut la consécration épiscopale
le 6 juillet, dans la chapelle de Notre-Dame de Lorette,
du séminaire d'Issy, près Paris, où le futur prélat avait
fait sa retraite. Huit jours après, le 14 du même mois, il
prenait possession de son diocèse par procureur, le
R. P. Tempier, Missionnaire de Provence, Supérieur du
Laus. Enfin, le 10 août, M^' Fortuné de Mazenod faisait
son entrée épiscopale d'installation sur le siège de Mar-
seille. Le prélat nomma premier vicaire général son
neveu, Charles-Eugène de Mazenod, et celui-ci fit agréer,
comme second vicaire général, le P. Tempier, qui devint
ainsi son collègue et son collaborateur, son autre lui-
même. Le P. Tempier ne pouvait rester supérieur au
Laus ; il vint résider à Marseille, pour remplir ses nou-
velles fonctions d'administrateur du diocèse (1).
L'évêché de Gap fut rétabli en cette même année ; le
grand vicaire de Digne, que nous connaissons, M . Charles-
Antoine Arnaud, fut nommé au siège de Gap. Préconisé
au consistoire du 16 mai, en même temps que le nouvel
évêque de Marseille, il fut sacré le même jour et au
même lieu, le 6 juillet, dans la chapelle du Séminaire
d'Issy, près Paris. La maison du Laus n'appartenait plus
à la juridiction de l'évêque deDigne, M^' deMioUis ; elle
fut désormais du ressort de l'administration du diocèse
de Gap.
« Tandis que les vœux du pieux Fondateur se réali-
(1) Vie de il/gr de Mazenod,t. I, liv. II, chap. xii, p. 352 et suivantes.
— 202 —
saient, ce semble, au delà de toute espérance, et que
son œuvre, désormais puissamment consolidée, parais-
sait devoir se développer sans obstacle, à l'abri d'un
pouvoir épiscopal qui ferait sa force, comme elle en se-
rait elle-même l'appui, Dieu réservait à cette œuvre
répreuve la plus formidable qu'elle eût jusque-là subie...
Le coup lui vint à la fois de l'intérieur et de l'extérieur ;
elle vit son existence même menacée, et par la défection
de quelques-uns de ses principaux membres et par les
décisions des évêques sous la juridiction desquels la So-
ciété, non encore approuvée de Rome, était directement
placée (1). »
Les défections, dont il est parlé, eurent lieu dans les
derniers mois de l'année 1823; ceux qui quittèrent la
Congrégation, en dépit de leur vœu de persévérance,
sollicitèrent la dispense de leurs vœux auprès des évê-
ques dont ils étaient les diocésains. L'archevêque d'Aix
et l'évêque de Fréjus déclarèrent nuls ces engagements
qui, disaient-ils, avaient été pris au préjudice d'un tiers,
c'est-à-dire de l'autorité épiscopale.
La maison du Laus, sous le coup de cette crise, faillit
perdre le P. Moreau, mais pour d'autres raisons que
celles invoquées par ceux qui quittèrent définitivement
la Société. Toujours, il avait été un fidèle observateur
des règles de l'institut ; cependant, la composition des
sermons lui coûtait beaucoup, les travaux des missions
lui semblaient trop distrayants, il se trouvait troublé
par une vie si active. Devenu supérieur, il s'effraya des
responsabilités, s'exagérant son incapacité pour cette
charge. Dès lors, il se crut appelé à un genre de vie plus
austère ; s'étant rais en relation avec un P. Franciscain
d'Avignon, il alla s'enfermer dans un cloître pour y va-
(1) Vie de Mv de Mazenod, t. I, liv. II, chap. un, p. 371,
— 203 —
quer à la vie contemplative. Une lettre des plus pater-
nelles du Fondateur ramena le fugitif à la maison du
LauS; après un mois seulement d'absence. Victime d'une
pieuse illusion, il reconnut sa faute et, depuis cette
épreuve, il demeura inébranlable dans son attachement
à la Congrégation, dans son dévouement à toutes ses
œuvres.
Terminons ce chapitre en disant un mot des relations
de Monseigneur de Digne et de son clergé avec les mis-
sionnaires du Laus, pendant le temps que le P. ïempibr
gouverna cette maison.
Il faut dire que les Pères n'étaient pas vus du même
œil par tous les prêtres des Hautes et des Basses-Alpes,
La plupart ne partageaient pas leurs opinions en matière
de théologie morale ; ils ne pouvaient pas ne pas rendre
bon témoignage au zèle des missionnaires, n'être pas
heureux des bons résultats de leurs travaux ; mais, en
pratique, ils les trouvaient trop larges.
M^'' de Miollis ne se montrait pas des plus faciles à
laisser entrer ses sujets dans la Société. C'était plutôt
par tendance naturelle à garder pour lui ses prêtres, que
par méfiance ou mésestime envers les Pères. D'autre
part, comme nous l'avons vu et comme nous le verrons
encore, il avait ses idées à lui sur la conduite à tenir
pendant les missions, et souvent il restreignait, selon
ses vues, la liberté d'action des missionnaires ; il avait la
main à demi fermée, lorsqu'il s'agissait d'accorder des
pouvoirs. Le bon évêque, oublieux des conventions faites
avec M. de iMazenod, s'avisa, entre autres, de vouloir
envoyer au Laus pour y résider dans le couvent, quatre
prêtres peu édifiants. Le P. Tempier en écrivit au vicaire
général, M. Arbaud, le priant de faire entendre raison à
M^' de Miollis. On ne pouvait et l'on ne devait recevoir de
telles gens au Laus. Parfois aussi, l'évêque de Digne se
— 204 —
montrait exigeant et réclamait, pour les paroisses va-
cantes et pour les missions, plus de Pères que la maison
n'en pouvait donner. Le tableau suivant nous met sous
les yeux les services spirituels que les Pères du Lausont
rendus au diocèse de Digne pendant cette période, de
4819 à 1823, avril.
1819. Mission de trois semaines, à Remollon.
1820. Une seule mission demandée, à Champolléon.
— Secours portés, pendant six à huit jours, à plusieurs
paroisses. — Desserte de paroisses vacantes. — Deux
mois à Saint-Léger.
1821. 1° Missions d'Ancelle; 2° de la Chapelle; 3° de
Villemur et Montfuron. — Retraites : 1° A Saint-Jean des
Crottes ; 2° à Chabottes ; 3° dans deux autres paroisses.
— Desserte de plusieurs paroisses pendant quelques se-
maines.
1822. r Missions de Barcelonnette; 2° de Saint-Mau-
rice; 3° de Saint-Élienne-en-Dévoluy ; 4° du Poët. —
Six retours de missions, durant huit ou dix jours chacun.
— Secours portés à Claret, à Melve.
1823. Missions : 1° de Tallard ; 2° du Lauzet ; janvier,
à Mors.
Ms' de Miollis ne pouvait donc se plaindre ; non seu-
lement les Pères du Laus, mais leurs confrères qu'ils
appelaient à leur aide, dépensaient généreusement leurs
forces et leur zèle au profit du diocèse qui leur donnait
une résidence. Aussi, malgré quelques nuages passagers,
l'administration diocésaine resta en excellents termes
avec les missionnaires du Laus.
— 205 —
Projet d'un établissement à Digne. -— Le P. Moreau, supérieur du
Laus (de mars à octobre 1823). — Mouvement du pèlerinage. —
Le nouvel évéque de Gap, Ms' Arbaud. — L'accueil qui lui est
fait par son clergé. — Il est sympathique aux Pères du Laus. —
Le P. Mie remplace le P. Moreau comme supérieur. — Travaux
apostoliques des Père du Laus (de mars à décembre 1823).
Il nous faut dire un mot d'un projet d'établissement
d'une nouvelle maison de la Société que le supérieur du
Laus, le P. Tempier, essaya d'exécuter, sur l'avis du Fon-
dateur. Dès 1822, le rétablissement du diocèse de Gap
était regardé comme très prochain. M^'' de Miollis, com-
prenant que cette restauration lui enlèverait le concours
des missionnaires du Laus, laissa entendre à M. de Ma-
ZENOD qu'il verrait avec plaisir un établissement de ses
missionnaires à Digne même. Tout désireux qu'il était
de répondre aux avances d'un prélat qui lui était dé-
voué, le P. DE Mazenod entrevoyait bie{)i des difficultés
à la réalisation d'un semblable projet.
Le P. Tempier, en son nom, fit donc, en décembre 1822,
le voyage de Digne et s'aboucha avec l'administration
diocésaine. De retour au Laus, il écrivait, le 22 décembre :
« Je trouvai l'évêque et les grands vicaires peu disposés
à former l'établissement qu'ils avaient semblé vouloir
établira Digne. L'évêque consentait seulement à fournir
quelques sujets, à condition que nous continuerions à
missionner dans son diocèse, quand il serait séparé de
celui de Gap. Je répondis qu'on ne se serait prêté au
dessein de Monseigneur de former un établissement
qu'au prix des plus grands sacrifices, vu les demandes
qu'on nous adressait de tous les diocèses, et j'insistai
pour qu'on nous cédât quelques sujets. Il me fut ré-
pondu qu'on était d'autant plus disposé à le faire,
— 206 —
qu'après la séparation, le diocèse de Digne aurait du
superflu. »
Au mois de mars 1823, l'évêque de Digne reprit les
pourparlers et envoya ses propositions d'établissement,
à Digne, avec les moyens d'exécution. M. de Mazenod
délégua, de nouveau, le P. Tempier pour traiter l'affaire
et examiner la question sur les lieux. Voici quelles fu-
rent les propositions de M?"" de MioUis; « Voulant former,
dans son diocèse, une maison de missionnaires qui se-
raient, en même temps, chargés des succursales va-
cantes, les Missionnaires de Provence logeraient d'abord
au grand séminaire de Digne, oti le départ des élèves
de Gap allait faire un vide; ils exerceront le saint minis-
tère à l'ancienne cathédrale, à cinq minutes de la ville.
Une fois bien connus, ils recruteront facilement des
sujets, qui, se joignant à leur Société, augmenteront le
nombre des membres du nouvel établissement. » M. de
Mazenod entra dans les vues de Me' de MioUis, et le pro-
jet eut un commencement d'exécution ; à diverses re-
prises, les PP. MiE, Suzanne et Honorât séjournèrent
quelque temps au grand séminaire de Digne. Mais,
comme il était aisé de le prévoir, l'évêque de Digne
éleva des prétentions inacceptables par le supérieur gé-
néral.Il voulut avoir la haute main sur les missionnaires,
en disposer à son gré, sans égards aux droits du supé-
rieur général. Il n'accordait de secours au nouvel établis-
sement qu'autant que les Pères dépendraient entière-
ment de lui. C'était dire : « Servez-moi, parce que je
vous paye » ; et enfin, il ne s'engageait nullement à
favoriser l'entrée des sujets de son diocèse dans notre
Société.
A ces exigences de l'évêque de Digne, il faut joindre
l'impossibilité où, par suite de la crise que subit la So-
ciété dans les derniers mois de 1823, le P. de Mazenod
— 207 —
se trouvait de fournir des sujets à rétablissement de
Digne.
Le Fondateur s'en expliquait en ces termes : « Depuis
que j'ai promis de m'établir à Digne, j'ai perdu trois
prêtres (MM . Aubert, Maunier et Deblieu). L'archevêque
d'Aix nous a chargé des prisons, c'est un prêtre de plus
à y fixer; voilà donc cinq prêtres nécessaires à Aix. Il en
reste six pour Marseille et pour le Laus. »
C'est ainsi que le P. de Mazbnod se vit dans la dure
nécessité de renoncer à une position qu'il aurait désiré
garder.
Nous avons vu le P. Moreau remplacer, au Laus, le
P. TEMPiER,p:pendant les missions de Tallard et du Lau-
zet, janvier et février 1823. Le P. Tempier partit pour
Marseille, dans le courant du mois de mars; c'est dans
ce mois que le P. Moreau prit la direction du Laus, avec
le titre de supérieur. 11 avait, dans sa communauté, le
P. JouRDAN, qui mourut au mois d'avril, à Aix ; le
P. Touche, le P. Bourrelier et, plus tard, au mois de
juillet, le P. Mie.
Une lettre du P. Tempier, datée du 4 avril, donne au
nouveau supérieur les renseignements dont il avait be-
soin pour la bonne gestion de la maison : a Les messes
étaient rétribuées, les unes à (2 sols, les autres à 15 sols ;
sur 100 messes, il fallait en donner 15 ou 20 à 15 sols ;
sur 80, les donner à 12 sols : on les envoie dans les can-
tons où les curés en manquent. Le loyer de l'hospice
est à 100 francs ; en le réparant, on pourrait le louer
200 francs. Le bassin de la Croix, dont les honoraires
sont pour nous, peut donner 120 francs en moyenne
par an. J'ai payé à Jouvent environ 1500 francs, pour
achat d'immeubles et autres objets. J'ai vendu pour
500 francs de cantiques, et envoyé la contribution de la
maison à la caisse générale. Le service de table est mi-
— 208 —
sérable, cuillers et fourchettes sont dans un état de
rouille impossible; d'autres, en buis, sont ébréchées. »
Cette année 1823, les pèlerins vinrent en grand nom-
bre au sanctuaire du Laus. Parmi les processions de pa-
roisses qui se présentèrent au mois de mars, celle de
Tallard se distingua entre toutes ; les gens de Tallard,
non contents de venir en masse, avaient à cœur de faire
des neuvaines pour se retremper dans la prière et la pé-
nitence. Ils prouvaient par là combien étaient considé-
rables et constants les fruits de la mission qui leur avait
été donnée en janvier, par les zélés Missionnaires du
Laus. Les concours du mois de mai furent un peu moins
nombreux, le temps les contraria. Naturellement, il y
eut moins d'offrandes de messes que de coutume ; les
autres années, à pareille époque, on recevait de 1 200 à
1300 messes, il n'y en eut que 900. Cependant, les fêtes
du mois de juin, du mois d'août furent dignes des plus
beaux jours, et prouvèrent que la dévotion à Notre-Dame
du Laus n'était pas en baisse. « C'est toujours même
piété fervente, écrit le P. Touche, et les pèlerins viennent
de loin, de Grenoble, de Vizille. Ceux de Grenoble, en
passant par Gap, sont allés saluer le Saint-Sacrement, et
sont arrivés au Laus, en chantant des cantiques. Le
respect humain est foulé aux pieds. Vivent nos monta-
gnes ! »
Un peu plus tard, le même Père écrivait encore au P. de
Mazenod: «Nous avons eu jusqu'à neuf processions parois-
siales pour les Fêtes-Dieu, pour la Saint-Jean et la Saint-
Pierre. Nos cérémonies delà procession du Saint-Sacre-
ment se sont faites avec éclat et un recueillement qui
allait à l'âme, nombreuses ont été les communions. On
nous annonce une paroisse , Saint-Julien-en-Champ-
saur, que l'on n'a jamais vue ici ; les paroisses où nous
avons missionné donnent plus d'édification que les au-
~ 209 —
très ; on les reconnaît aisément à leur bonne tenue,] à
leur foi plus ardente. »
Le P. Mie, venu pour aider les Pères au mois de mai,
était encore au Laus, en juillet et en août. II dit de son
côté : «Je suis édifié de tout ce que je vois au Laus. Les
beaux exemples qui frappent chaque jour mes yeux me
confondent ; la ferveur de tant de pauvres femmes, de
tant déjeunes filles qui ne savent pas lire, est un conti-
nuel reproche pour ma lâcheté au service de Dieu. Nos
Pères ne sont pas moins édifiants : P. Moreau, notre su-
périeur, jeûne tous les jours ; P. Touche est infatigable et
aime ardemment Notre-Seigneur au Très Saint Sacre-
ment ; P. Bourrelier, qui est revenu ici après la mort
du cher P. Jourdan, se livre à l'étude dans la théologie
de Poitiers. »
Ainsi le P. Moreau, très mortiâé, Jei/ naît tous les jours,
il dépassait la lettre et l'esprit des règles de l'institut ;
cette tendance à l'austérité fut une des causes qui le
portèrent à quitter le Laus et à aller s'enfermer dans un
cloître, comme nous l'avons dit plus haut; c'était dans
le mois de septembre. Il rentrait au Laus à la mi-octo-
bre, cille P. MiE l'avait remplacé comme supérieur. De-
puis, il rendit de grands services, tantôt comme mis-
sionnaire, tantôt comme professeur, au grand séminaire
d'Ajaccio, où il fut nommé supérieur en 1841 et succéda
au P. GuiBERT, appelé au siège de Viviers. Le P. de Ma-
ZENOD avait dit de lui, quand éclata la crise intérieure
dont nous avons parlé plus haut : «Moreau n'est qu'un
homme abusé, les autres sont des traîtres. »
Il est temps, avant d'exposer la série des travaux apos-
toliques de cette année, de faire connaissance avec le
nouvel évoque de Gap, M^"" Arbaud.
François-Antoine Arbaud était né à Manosque, au
diocèse de Digne, le 12 juin 1768. Ordonné prêtre à Nice,
— 210 —
en 1792, il vécut à l'étranger jusqu'en 1799, et en 1801,
il fut nommé curé à Villeneuve, canton et arrondisse-
ment de Forcalquier, qu'il administra jusqu'en 1809. Il
professa ensuite la théologie au grand séminaire de Di-
gne pendant un an, et en 1810, M«' MioUis le nommait
grand vicaire du diocèse, mais il ne fut reconnu que le
15 septembre 181 1 , par le gouvernement de Napoléon I*'.
C'est de lui que relevait l'administration ecclésiastique
des Hautes-Alpes, comme archidiacre de Gap ; aussi
connaissait-il parfaitement cette partie si importante du
diocèse de Digne. Nous avons vu qu'il fut sacré à Issy,
6 juillet 1823, en même temps que M^"" Fortuné de Ma-
zenod, évêque de Marseille. Il fit son entrée à Gap le
29juilletdela même année. «Ms'^Arbaud avait été promu
à la charge pastorale à l'âge de cinquante-cinq ans,
après une longue et laborieuse préparation. Sa vie anté-
rieure avait été studieuse et apostolique... La doctrine
ne lui manquait pas. Quand, en 1823, le siège de Gap fut
rétabli, personne ne parut plus apte à gouverner un dio-
cèse dont il connaissait déjà fort bien le clergé, les ha-
bitudes et les besoins... Les disciples du P. de Mazenod,
connaissant la science et la piété du nouvel évêque, étaient
convaincus qu'ils trouveraient en sa personne un protec-
teur et un ami (1). » M. Paguelle de Follenay que nous
venons de citer, dit que tous applaudirent au choix qu'on
avait fait de M^'" Arbaud pour le siège de Gap, D'après
le P. Tempier, les applaudissements ne furent pas aussi
universels que veut bien le dire l'historien du cardinal
Guibert. Dans les derniers jours de janvier, les PP. Tem-
pier et Suzanne quittaient Tallard et se rendaient à Gap;
pour voir, dit le P. Tempier, la mine de certaines gens:
« Nous avons mis exprès, sur les voies, les personnes que
(1) Vie du cardinal Guibert, t. I, ohap. vt, p. 863.
— 2i1 —
nous avons vues, pour voir ce qu'ils pensaient sur leur
évêque-nommé. Quelles tristes gens I Curés, vicaires, n'ont
pas desserré les dents ; des personnes de marque sont
aussi insensibles. Le clergé n'a pas pris la peine d'écrire
à son évêque, ni en commun, ni en particulier, c'est tout
au plus si le curé de Gap l'a fait. C'est M. Arbaud, disent-
ils, il n'y a pas de quoi tant se gêner. » L'arrivée de
M^"" Arbaud à Gap ne paraît pas non plus avoir excité un
enthousiasme universel, les autorités civiles firent plus
de frais que les autorités ecclésiastiques.
Les PP. MoREAU et Toucoe allèrent, ce jour-là, pré-
senter leurs hommages au prélat qui leur fit beaucoup
de politesse. Le P. Mie écrivait le 12 août : « Mer de Gap
nous témoigne beaucoup de bontés, il nous invite à sa
table chaque fois que nous allons à Gap. » Ainsi, les
Pères du Laus n'eurent qu'à se féliciter de leur nouvel
évêque dans les premiers temps; nous verrons bientôt le
prélat prendre à leur égard une attitude, sinon hostile,
au moins singulièrement pénible pour eux.
Les Pères avaient continué leurs travaux depuis le
mois de mars ; les PP. Suzanne et Touche firent un retour
de mission à Tallard, et le P. Moreau à Remollon. Au
sortir de Tallard, le P. Touche évangélisa la petite pa-
roisse de Rambaud, canton de Bâtie-Neuve, à 6 kilomè-
tres de Gap. De là, il alla donner des retraites paroissiales
à Chabotonnes et à Chabottes, du canton de Saint-
Bonnet, arrondissement de Gap ; elles eurent des résul-
tats consolants, plusieurs personnes revinrent à la pra-
tique de leurs devoirs de chrétiens après de longues
années de négligence. Dans le même canton, il prépara
aux Pâques les paroisses d'Ancelle, de Saint-Léger et de
Chabotonnes, et se rendit entin au Laus. Au mois de
juin, il se remit en campagne avec le P. Mie ; tous deux
donnèrent une mission à Gigors (Basses-Alpes), canton
— 212 —
de Turriers, diocèse de Digne; après quoi, ils travail-
lèrent aussi dans une autre localité du même canton,
dont nous n'avons pu déchiffrer le nom. Revenus au Laus,
ils y restèrent depuis la fin de juillet à la mi-septembre.
Quoique de résidence au Laus, le P. Touche, toujours
infatigable, s'absentait de temps à autre pour rendre
service aux curés. A cette époque, les Pères du Laus
desservirent la paroisse d'Avançon, puis celle de Bâtie-
Neuve,dont le curé avait été nommé supérieur du iirand
séminaire ; c'était, croyons-nous, M. Borel. Le P. Mie
prêcha une retraite paroissiale , en octobre , à Saint-
André, canton et arrondissement d'Embrun, diocèse de
Gap; aussitôt ce travail terminé, il alla rejoindre ses
confrères à Gap, où les PP. Suzanne et Touche donnaient
une grande mission, de concert avec les Pères Jésuites,
dont le P. Thomas était le chef. Nous n'avonspas retrouvé
la relation de la mission de Gap que le P. de Mazenod
avait demandée au P. Suzanne; toutefois, nous savons
que les Missionnaires de Provence, les PP. Suzanne,
Touche et Mie, en restant dans leur rôle d'évangélisa-
teurs des pauvres, confessèrent beaucoup, et par leurs
prédications et catéchismes en provençal, firent beau-
coup de bien au peuple. Le P. Suzanne seul donna des
sermons en français. Les PP. Mie et Touche prêchè-
rent en provençal. Ce dernier fut surtout chargé du
grand hospice de Gap, oii il fit merveille, et resta à Gap
après la clôture delà mission jusqu'après la belle fête de
l'Immaculée Conception. Le P. de Mazenod lui ayant
reproché de s'être attardé là, le P. Touche s'en excuse en
disant qu'il a gagné nombre de traenat'ds et affermi la con-
grégation des hommes qui pourrait être plus nombreuse,
mais qui promet ; l'évêque l'a visitée, et sa visite, preuve
de la sympathie qu'il témoigne à l'œuvre, a produit un
très bon effet. « Les Pères Jésuites de Paris, dit le P. Touche,
— 213 —
sont partis en emportant les regrets de la haute classe,
le P. Thomas nous a trouvés utiles pour les petites gens. »
Écrivant au P. Suzanne, alors à Entrevaux, le P. de i\1a-
ZENOD lui fait part des jugements que l'évêque de Gap et
le P. Thomas, chef de la mission, ont porté sur les Mis-
sionnaires de Provence : « Le premier avoue que le
P.Suzanne fait bien, mais que ses discours sont trop mo-
notones. Quant au second, il appuie plu» sur la critique
que sur les éloges. On écoute le P. Suzanne, dit-il, avec
plaisir, les PP. Mie et Touche se sont prêtés de bonne grâce
à faire les catéchismes; comme ils sont accoutumés à
prêcher en provençal, il ne les a pas fait prêcher en fran-
çais. I) Ces appréciations du révérend Père Jésuite n'en-
lèvent rien au mérite et au succès réels des Mission-
naires de Provence ; on sait que la sainte Compagnie de
Jésus ne prodigue pas les compliments aux religieux qui
n'ont pas l'honneur de compter au nombre de ses mem-
bres.
La mission d'Entrevaux suivit de près celle de Gap,
elle fut prêchée, dans la dernière quinzaine de novembre,
par les PP. Mie, Suzanne et Touche. Entrevaux, chef-lieu
de canton de Farrondissement de Castellane, sur les li-
mites des départements des Basses-Alpes et des Alpes-
Maritimes, est situé sur la rive gauche du Yar. Cette petite
ville, d'environ 1500 habitants, dominée par un rocher
couronné de forts, défendait autrefois le passage, entre
les deux montagnes qui la protègent, du Piémont en Pro-
vence. Ses forts avaient été réparés par Vauban en 1693.
Le P. Mie écrivait de là, à la date du 30 novembre :
« On nous avait représenté Entrevaux comme inacces-
sible. Nous y sommes arrivés, en effet, après avoir passé
par des chemins bien rudes. Les gens ne sont pas aussi
méchants qu'on voulait bien le dire, et l'accueil que nous
y avons reçu nous a bien dédommagés des fatigues de
T. XXXV. 13
— 214 —
notre voyage. A la grande satisfaction de tout le monde,
c'est le P. Suzanne qui a fait l'ouverture de la mission.
De jour en jour, la confiance est allée en augmentant, et
les exercices ont été très bien suivis. Après avoir pesé le
pour et le contre, nous avons fait la procession de péni-
tence, nu-pieds. Cette cérémonie, suivie du baisement
du crucifix, et pendant biquelle le P. Suzanne parla
d'une façon émouvante, a produit les plus heureux ré-
sultats. Aussi, la mission marche bien et réussit au delà
de nos espérances; hommes et femmes, riches et pau-
vres, négociants et bourgeois, usuriers mêmes et contre-
bandiers, tous se sont présentés au saint tribunal de la
pénitence et ont donné des signes moralement certains
d'une sainte conversion. Cependant, les prêtres trouvent
que la morale des missionnaires est relâchée ; l'un d'en-
tre eux a même écrit à Me'^deMiollis pour avoir son senti-
ment sur ce point. Le prélat a répondu que les avantages
des missions étaient incalculables. » La mission d'Entre -
vaux fut clôturée par la plantation d'une belle croix qui
domine les belles plages des rives du Var. Le curé se
montra satisfait du zèle des missionnaires et des résul-
tats qu'ils avaient obtenus. M^"" de Miollis lui-même, peu
louangeur par caractère, écrivit à M. de Mazenod que la
mission avait assez bien réussi. La preuve que l'évêque
était content des ouvriers, c'est que, sans prévenir M. de
Mazenod, leur supérieur, il leur manda d'évangéliser les
environs d'Entrevaux. Le P. Suzanne étant reparti pour
Digne, le P. Mie et les PP. Dupuy et Honorât, qui avaient
assisté à la clôture de la mission d'Entrevaux, restèrent
donc dans le pays. Le P. Mie passa huit jours à Saint-
Pierre, dont l'église est une ancienne chapelle de Béné-
dictins. Là, beaucoup d'habitants étaient détenteurs des
biens d'émigrés. La question de la restitution se pré-
senta et le missionnaire la résolut en s'entendant avec le
— 215 —
propriétaire véritable de ces biens, très disposé à ne
demander rien que de juste, et les détenteurs de biens,
qui avouaient eux-mêmes n'avoir pas été de bonne foi,
purent ainsi accomplir leurs devoirs religieux. Le curé,
qui partageait l'opinion de ses confrères, laissant les gens
dans leur bonne foi et n'exigeant rien d'eux, n'approuva
pas la façon d'agir des missionnaires. Nous avons là un
nouvel exemple des divergences d'opinion et de pratique
qui mettaient du froid entre les missionnaires de Pro-
vence et le clergé séculier. Pendant que le P. Mie était à
Saint-Pierre, le P. Honorât donnait une mission de
quinze jours à laRochelte, du canton aussi d'Eutrevaux.
Cette paroisse était sans pasteur, les habitants étaient
ignorants, mais gardaient toute la simplicité de la foi.
Ils vinrent avec empressement entendre la parole de
Dieu qui leur était adressée en gros prouençal. Plus de
100 personnes s'approchèrent des sacrements, et sur ce
nombre, il y eut des retours consolants et sincères de
vingt et même trente ans.
L'année 1823, pour les missionnaires du Laus, ne fut
pas moins laborieuse que l'année précédente, et ils eurent
la consolation d'avoir fait beaucoup de bien partout où
ils avaient passé.
Travaux apostoliques du mots de mars 1823 à janvier 1824.
L Retours de mission. — 1. Tallard; 2. Remollon ;
3. Chabotonnes; 4. Ghabottes ; 3. Ancelle.
IL Desserte de paroisses. — 1. Avançoo; 2. Bâtie-
Neuve, dans le diocèse de Gap, plus, la grande mission
de Gap.
m. Missions et retraites paroissiales dans le diocèse
de Digne. — 1, Gigors ; 2. Autre paroisse non loin de
Gigors ; 3. Grande mission à Entrevaux; — 4. Saint-
Pierre ; 5. La Rochette,tous à.(:mx du canton d'ËntrevauY.
— 2i6 ~
CHAPITRE VI.
LE PÈRE MIE, SUPÉRIEUR (1824, MAI 1825).
L'administration de la Maison du Laus. — Son personnel. — Les
visites annuelles du P. Tempier. — Le troisième Chapitre général
delà Congrégation (1824). — Service de la paroisse et du pèleri-
nage. — Les travaux apostoliques (I824-1S25).
Donnons d'abord la physionomie de la maison du Laus,
sous l'administration du P. Mie, son supérieur local.
Le P. Mie ne s'occupait guère du temporel dont le soin
était confié au P. Touche, son économe. En fait, le
P. Tempier restait le véritable administrateur du Laus ;
c'est lui qui, entrant dans les moindres détails, dirigeait
le P. Touche, peu entendu aux affaires, et d'ailleurs trop
souvent obligé de s'absenter; il était plus missionnaire
qu'économe. Parmi les instructions du P. Tempier au
P. Touche, relevons-en quelques-unes. Il doit^ de préfé-
rence, faire venir, non de Gap, où tout est plus cher,
mais d'Aix ou de Marseille, les provisions dont il a be-
soin. Le vin du Laus n'étant guère présentable, on le
consommera en communauté; on achètera à Remollon
ou à Tallard, celui que l'on servira aux prêtres quivien-
nent au Laus, soit en pèlerinage, soit en simples visi-
teurs, soit pour y faire une retraite. Il faut s'entendre
avec le fermier qui exploite nos terres, pour qu'il charrie
le bois de chauffage et fasse moudre le blé, si on fait le
pain à la maison ; sinon, il faut acheter le pain à Gap et
le faire revenir par un commissionnaire auquel on don-
nera 2 fr. 30 par mois. Aux instructions précises, le
P. Tempier joignait les blâmes et les défenses. « Vous
avez acheté trop de draps de lits, vous en aviez assez pour
le personnel présent et futur; vous faites des demandes
indiscrètes pour couvrir vos dépenses, et vous n'évitez
— 217 —
pas assez de faire des dettes, soit pour la sacristie, soit
pour la maison. » C'est ainsi que le P. Tempier veillait sans
cesse à la gestion économique et sage de la maison du
Laus ; il fit plus encore, il sut profiter des circonstances
pour lui procurer des ressources fixes. Au mois de mai,
il accepta la donation d'une vigne sur le territoire du
Laus; le 18 septembre, il fit l'acquisition d'une autre
vigne sur le territoire de Remollon, d'une contenance de
80 ares ou 55 fausseraies. Cette vigne avait appartenu
au prêtre qui desservait le Laus pendant la grande Révo-
lution, et qui avait été fusillé à Grenoble. Ne nous éton-
nons pas de ces tentatives faites pour accroître les res-
sources de la maison du Laus. Les allocations données
aux Pères pour secours aux paroisses, manquèrent, cette
année même, dans le diocèse de Digne. M^"" de Miollis
avait écrit, au mois de mai, au P. de Mazenod :
« La médiocrité des fonds destinés aux prêtres auxi-
liaires, me met dans la dure nécessité de ne plus em-
ployer les ouvriers évangéliques dont les travaux faisaient
tant de bien et produisaient tant de fruits précieux dans
mon diocèse. »
C'était donner leur congé aux Missionnaires de Pro-
vence. « Est-ce bien une raison, disait le P. de Mazenod,
pour ne plus nous demander? Nous avons, certes, assez
travaillé, dans le diocèse de Digne, sans qu'il nous en
revienne rien. »
Au mois de janvier 1825, le P. Marcou résidait au
Laus, et le P. Touche, toujours économe, recevait du
P. DE Mazenod des avis paternels. Les registres de recettes
et de dépenses n'étaient pas en ordre, les intérêts de la
maison peu soignés, on n'envoyait rien au noviciat d'Aix
oti vingt bouches fraîches (1) dévoraient le vei't et le sec.
(1) Le texte, en pur provençal, est plus énergique '.vingt g... fraîches.
— 218 —
Le P. DE Mazenod, cependant, reconnaissait que l'éco-
nome, toujours en courses apostoliques, pouvait suivre
difficilement les affaires temporelles, que, d'ailleurs, les
améliorations nécessaires, les réparations urgentes ré-
clamaient l'emploi des fonds ordinaires. Il fallait songer
à des plantations d'arbres fruitiers, et dépenser 400 à
500 francs pour amener, jusqu'au réservoir du jardin,
l'eau de la source qui jaillissait loin de là, au pied de la
descente de Gap. Un seul des trois Pères, au Laus, était
rétribué par le gouvernement, et comme nous l'avons
dit plus haut, les allocations de secours aux paroisses
faisaient défaut du côté de Digne, et à Gap on ne se pres-
sait pas de les donner. « L'évêque de Gap, dit le P. Tou-
che, ne se presse pas de nous venir en aide, il nous croit
7nches, la vérité est que nous pouvons nous en tirer tout
juste. »
Le P. Marcou n'était pas très robuste, il desservit sur-
tout le sanctuaire et la paroisse; étant tombé malade
vers le mois de juillet 1823, il passa quelque temps de
convalescence à Veynes, au château d'un ami des Pères,
et, au mois de septembre, il était envoyé à Nîmes. On le
regretta beaucoup au Laus. Le P. Dupuy séjourna au
Laus, depuis le mois de mai jusqu'à la fin de novembre ;
il fut attaché au service de l'église. Ce Père s'occupait
beaucoup du temporel, et ne ménageait ni sa verve cri-
tique à l'égard de l'économe, ni ses plans de bonne ad-
ministration au P. Tempier ; il disait : « Le Laus, bien
administré, rapporterait des millions. » C'est cette pa-
role, sans doute, qui contribua à créer, dans le diocèse
de Gap, la fameuse légende des trésors que lesPères Oblats
ont amassés au Laus.
Le P. Dupuy parti, le P. Moreau le remplaça. Ce Père,
notre cher capucin, avait fait une apparition au Laus à
l'époque des concours du mois de mai. Il y revint avec
— 2!9 —
joie, s'estimant heureux d'être sous la gouverne du
P. Mie, qu'il n'y trouva plus, « Je ferai de mon mieux au
sanctuaire, écrivait-il, j'irai même en mission, quoiqu'il
m'en coûte beaucoup. » Il accompagna, en effet, le P. Tou-
che, en décembre, à Valbelle. Le P. Tempier fit réguliè-
rement la visite du Laus en 1824 et en 1825.
Le P. Visiteur quitta Marseille dans les derniers jours
du mois de mai 1824; le 31 mai, il écrivait du Laus :
« Je n'ai pas pu voir, à Gap, Monseigneur, qui avait
couché à Veiitavon, où il avait donné la confirmation.
Les deux Pères qui sont ici m'édifient par leur régula^
rite, ils sont bien portants et tout heureux de mon arri-
vée. C'est le P. Mie lui-même qui sonne les exercices de
la communauté, et il s'en acquitte habituellement avec
une exactitude admirable. Je vous demande (au P. de Ma-
zenod) de proroger mes pouvoirs de Visiteur au delà des
huit jours de règle; car je désirerais avoir trois jours
francs, et ces trois jours ne compteront pas. »
Le P. Visiteur mit bon ordre à certaines irrégularités
de conduite dont s'était rendu coupable le P. Bourre-
lier, et termina heureusement une affaire de vol fait à
Isidore le fermier. Dans son acte de visite daté du 9 juin,
il prescrit la fermeture du cimetière de la paroisse, la lec-
ture du martyrologe, tous les jours à prime, et la lecture
spirituelle, immédiatement après les vêpres, en été, et
en hiver, de" heures à 7 heures et demie. Le souper avait
lieu, en toute saison, à 8 heures précises. Nous y lisons
aussi la défense expresse, à qui que ce soit, de prêter des
ouvrages de la bibliothèque, hors de la maison, à des
personnes étrangères. De même, « on ne pourra trans-
porter des livres de la maison du Laus, en une autre
maison de la Société, sans une permission expresse et
par écrit de notre Supérieur général ».
Le P. Mie, avec son habituelle bonhomie, nous rend
— 220 —
compte du passage du P. Visiteur au Laus. « La visite
du P. Tempier nous a fait beaucoup de bien, le P. Touche,
qu'il m'a donné pour admoniteur, ne me passe rien. Il
me donne des avis rigoureux, mais amicaux et sin-
cères. »
L'année suivante, 1823, au mois d'octobre, conformé-
ment aux Règles, le P. Tempier revenait au Laus comme
visiteur. Dans son acte de visite, daté du 4 octobre, il
blâme la négligence que l'on a mise dans la tenue des
comptes de la maison et des registres de délibérations
du conseil de fabrique, et prescrit les mesures nécessaires
pour qu'une telle négligence ne se renouvelle plus. Con-
trairement aux règles établies, le supérieur du Laus
avait fait des prêts et des dépenses qui dépassaient ses
pouvoirs, le visiteur rappelle au supérieur local qu'il
doit en référer au supérieur général pour les dépenses
qui excèdent 1000 francs. Il recommande que l'on dresse
un tableau des indulgences accordées aux fidèles qui fré-
quentent le sanctuaire, et aussi, un tableau des béné-
dictions et processions en usage dans le sanctuaire, ta-
bleau qui sera soumis à l'approbation de M^'" l'Evêque.
« Le tour que l'on suit, pour la procession de la Sainte
Vierge, tous les premiers dimanches de chaque mois,
selon la coutume, est trop long, on reviendra à ce qui
se pratiquait autrefois. » Si des abus et des négligences
se glissaient dans la maison du Laus, ils ne pouvaient
prendre racine, et grâce aux visites canoniques, la régu-
larité, l'esprit religieux, l'ordre et l'économie s'y main-
tenaient, malgré des défaillances passagères.
Un événement important et qui contribua à l'affermis-
sement de la discipline religieuse dans les maisons de la
Société, ce fut la tenue du troisième Chapitre général,
auquel prirent part les PP. Mie et Touche. Il s'ouvrit à
Aix, dans le chœur de l'église, le 31 septembre 1824.
221
Onze membres de la Société prirent part au Chapitre que
présidait le supérieur général. C'étaient le P. Tempier,
premier assistant; le P. Mie, deuxième assistant; le
P. MoREAU, procureur général; Courtes, supérieur d'Aix
et maître des novices, puis, les PP. Dupuy, Suzanne,
Honorât, Touche, MARCouet Jeancard. Ces deux derniers
avaient été appelés avec dispense. Ils n'avaient pas, pour
assister au Chapitre, le temps d'oblation exigé par les
Règles. Dans ce Chapitre, tous les membres, consultés
par le P. de Mazenod, déclarèrent, par voie de scrutin
secret, qu'il était opportun, pour le bien de la Société,
que le P. de Mazenod continuât à exercer la charge de
vicaire général de M^'' l'évêque de Marseille. Dans la
troisième séance, il fut décrété que les séminaires n'é-
taient pas compris dans le nombre des établissements
qui nous détournent de la fin de notre institut, et qu'il
n'était pas défendu de se charger de la direction des
maisons ecclésiastiques. Le Supérieur général promit
d'introduire, dans les Règles, un article conforme à ce
décret. Le Chapitre régularisa, en terminant ses séances,
le conseil du supérieur général. Les PP. Tempier et Mie,
supérieurs du Laus, furent confirmés dans leurs charges
de premier et de deuxième assistant ; le P. Courtes fut
nommé troisième assistant; le P. Suzanne, quatrième
assistant et secrétaire général, enfin, le P. Honorât devint
procureur général en remplacement du P. Moreau (1).
L'affluence des fidèles au sanctuaire continua dans le
même ordre que les années précédentes, c'est-à-dire, plus
(l) Vie de il/gr de Mazenod, t. I, liv. II, chap. xvi, p. 387, 388. —
C'est par inadvertance que l'on désigne par le nom de frères les
PP. Dupuy, Suzanne, etc., qui étaient prêtres et en activité de
ministère: à la page 388, on semble dire que les PP. Courtes et Mie
ne furent nommés supérieurs qu'après le Chapitre ; or, ils figurent tous
deux comme supérieurs dans ['Acte, et, de fait, ils étaient supérieurs
depuis longtemps.
— 222 —
rare et moins nombreuse pendant la saison d'hiver, mais
considérable pendant les beaux jours. « Dans les mois de
juin, juillet et août 1824, nous dit le P. Touche, on con-
fessa beaucoup de monde, et tous les dimanches, il y eut
procession. On célébra avec grande solennité, le 2 août,
la fête de saint Alphonse de Liguori, notre patron. Dix
à douze prêtres la rehaussèrent de leur présence. Le jour
de la Nativité, il y eut un concours immense, car on
attendait M^'' l'Evêque de Gap, qui avait promis de faire
sa visite solennelle au Laus,mais le prélat ne put accom-
plir sa promesse. »
Le roi LouisXVIII était mort le jeudi 16 septembre 1824,
à 4 heures du matin, et avait reçu les derniers sacre-
ments trois jours auparavant. Ses derniers jours, dit
l^Ami de la Religion, furent entièrement consacrés à la
piété (1). On fit, à l'église du Laus, un service solennel
pour le défunt roi, et, outre la messe des morts, on
chanta les vêpres des morts, suivies de l'absoute et de la
bénédiction du Très Saint Sacrement. Louis XVIII avait
grand besoin de prières pour expier les fautes de sa po-
litique et les lenteurs calculées qu'il apporta à relever la
religion de la triste situation où elle se trouvait ; pen-
dant six ans, par des concessions faites à l'esprit libéral
et révolutionnaire, il laissa vacants nombre de sièges
épiscopaux. Les mauvais temps, et peut-être aussi l'af-
faiblissement de la foi, amenèrent, en 1823, une sorte
de ralentissement dans les concours privés ou publics.
Les neuvainistes venaient plutôt des pays étrangers que
des pays voisins; malgré tout, presque tous les diman-
ches, les pèlerins fréquentaient les offices, depuis le matin
jusqu'à 2 ou 3 heures de l'après-midi. Les fêtes de la
Pentecôte et du Sacré-Cœur eurent, cette année, un
(1) UAmi de la religion, t. XLI, 18 septembre 1824, n" 1055, p. 168.
- 223 —
éclat tout particulier. Nous remarquons avec joie que
cette fête du Sacré-Cœur se célébrait avec octave, et que,
chaque jour de la semaine, il y avait bénédiction du
Très Saint Sacrement. La fête du bienheureux Alphonse
de Liguori fut non moins solennellement célébrée. Le
P. Tempier avait écrit au P. Touche, le 10 juillet 1825 :
« Le Saint-Père vient de nous autoriser, par bref, à faire
la fête du bienheureux dans toutes les maisons de la
Société. » Le P. Tempier ajoute : « Le recteur majeur
des Liguoristes (sic) a écrit à M^'" l'Évêque de Marseille
pour le remercier du zèle qu'il déploie à propager le
culte du bienheureux, '-larseille est le premier diocèse de
France, peut-être du monde chrétien, en dehors de
l'Italie, où l'office du bienheureux Alphonse soit célébré
et inséré dans le Propre, en vertu d'un bref.» La desserte
du sanctuaire et de la paroisse du Lausnefutdoncpas une
sinécure pendant cette période de deux années. Les mis-
sionnaires ne négligeaient pas les travaux apostoliques,
et nous allons les voir à l'œuvre de l'évangélisation des
diocèses de Gan pt de Digne.
Aidé de deux prêtres, amis des Pères, le P. Touche
donnait une mission à la Rochette, canton de Bâtie-
Neuve, diocèse de Gap, en janvier; elle réussit bien, et
se clôtura le dimanche 29 janvier. Le 6 février, nous trou-
vons le même Père, avec les PP. Mie et Suzanne, don-
nant une mission à Montclar, commune de 570 habi-
tants, canton de Veynes, diocèse de Digne. Les débuts
furent contrariés par quelques mauvaises tètes et l'é-
trange conduite de M^'" de Miollis, qui, enlevant la direction
du travail aux missionnaires, l'avait donnée au curé de
canton. Les missionnaires ne pouvaient accepter un rôle
si effacé. Aussi, ils prirent en tout, selon leurs règles et
leurs traditions, la conduite des exercices et des céré-
monies, au grand contentement de la population qui
— 224 —
leur était dévouée. M^'' de Miollis, mécontent, leur fit
écrire, par son grand vicaire, M.Turpin, qu'ils « avaient
été trop loin, poussés sans doute, ou par la jalousie d'un
saint zèle, ou par la crainte de donner au doyen, M. Mar-
gaillac, un surcroît de peines ». La mission suivit son
cours, et la population entière, même des étrangers,
y prit part avec enthousiasme. Tout le monde se con-
fessa, à l'exception de deux vieillards. La plantation de
la croix fut un vrai triomphe pour Notre-Seigneur Jésus-
Christ. Des prêtres du voisinage aidèrent aux mission-
naires à organiser et à diriger une belle procession.
Composée de tous les gens valides du pays et de nom-
breux étrangers, « notre œuvre, à Montclar, dit le P. Mie,
avait été marquée au sceau de l'épreuve, le succès n'en
était que plus éclatant ». De Montclar, le P. Touche se
rendit à Seyne, chef-lieu de canton, et prêcha une re-
traite aux élèves d'un petit collège.
Cependant, l'évêque de Gap avait demandé, en jan-
vier, au P. DE Mazenod. quatre de ses missionnaires pour
donner une mission à Veynes, arrondissement de Gap,
chef-lieu de canton d'environ 1 600 habitants. « VeyneS;,
disait M^'' Arbaud, contient une bourgeoisie non moins
mauvaise que celle de Barcelonnette, trois missionnaires
seront-ils suffisants ? » La mission devait s'ouvrir le di-
manche de la Sexagésime, l'ouverture eut lieu le pre-
mier dimanche de carême. Les PP. Suzanne, Mie, Touche
et Marcou, furent chargés de cet important travail.
M^"" Arbaud leur avait proposé un de ses prêtres pour
collaborateur, son concours ne fut pas nécessaire. «Dieu
soit loué, écrit le P. Mie, notre travail a réussi, vingt
hommes seulement sont restés en arrière. L'usure était
le grand mal du pays, elle s'exerçait ouvertement et libre-
ment, grand obstacle aux conversions. Nous avons établi
des Congrégations d'hommes et de femmes, pourvu que
- 225 —
le pasteur puisse les maintenir! Sans cela, le travail est
vain. Le P. Suzanne se tue, le P. Touche est infatigable,
le P. Marcou a bon vouloir; pour moi, j'amuse les Pères
par mes distractions. » De Veynes, le P. Suzanne alla se
reposer au Laus, et, au mois de mai, il fit un retour de
mission à Entrevaux pendant quinze jours. Il eut la joie
de constater que tous les habitants avaient fait leurs
pâques et que la congrégation d'hommes marchait bien.
Dans le même mois, le P. Honorât prêchait une mission à
Vitrolles, canton de Barcelonnette (diocèse de Digne),
oii il était allé remplacer le curé. Le château seigneurial
de Vitrolles était habité par une famille très chrétienne,
amie du Fondateur des Missionnaires de Provence.
De son côté, le P. Touche, au mois de juin, et après
avoir fait une mission à Romette, du canton de Gap, se
transporta à Saint-Étienne-en-Dévoluy ; de là, il fit des
retours de mission aux environs jusqu'au mois de juil-
let inclusivement. Rentré au Laus, il en repartit à la mi-
septembre ; nous le trouvons à Saint-Bonnet, chef-lieu
de canton, d'oii il rayonnait comme d'un centre pour
porter secours aux paroisses vacantes.
Le 20 octobre, les P. Mie et Touche quittaient le Laus,
laissant la desserte de l'église entre les mains de prêtres
du voisinage; les paroissiens et les pèlerins ne furent
pas contents, et le P. Tempier blâma fortement le P. Mie
d'avoir délaissé le sanctuaire. « 11 fallait me prévenir à
temps, je vous aurais envoyé le P. Marcou.^) La mission de
Molines, en Queyras, du canton d'Aiguilles, arrondisse-
ment de Briançon (diocèse de Digne), gros bourg d'envi-
ron 900 habitants, dura trois semaines. « Ici, dit le P. Mie,
nous avons reçu un parfait accueil ; dès les premiers
jours, les femmes ont demandé à se confesser. Les
hommes sont plus indifférents, pleins d'eux-mêmes et
opiniâtres dans leurs idées ; le genre de vie nomade qu'ils
— 226 —
mèneat en est la cause. La plupart du temps, ils ne sont
pas dans le pays, ils s'en vont dans les villes, faisant un
peu de tous les métiers. Les uns sont aiguiseurs, ramo-
neurs, les autres décrottent les chaussures et font danser
les marmottes. Eux surtout avaient bien besoin de la
mission. Les prêtres d'Embrun nous avaient prédit que
nous ne réussirions pas à Molines, qu'il y fallait des dis-
cours bien étudiés, bien travaillés; nous avons pris le
contre-pied et prêché simplement. Dieu a béni nos ef-
forts, et les prêtres d'Embrun ont été mauvais prophètes.
A l'exception de quelques personnes, tout le monde s'est
approché des sacrements, et cela dans les meilleures
conditions. »
Le P. Touche nous dit son mot sur ce pays de monta-
gnes qui se perdent dans les nues et dont la population
est pauvre. « La rigueur du climat est peu favorable aux
arbres; ici, on sent le fromage de partout; les gens cui-
sent leur pain noir pour des mois entiers, se nourrissent
de soupes d'orge et de pois, couchent dans des granges
humides, dont ils garnissent les murs de paille, et, en
général, portent pour vêtements des haillons plutôt que
du linge convenable. »
De Molines, les missionnaires se rendirent à Saint-
Véran, commune de 750 habitants, à quelques kilomè-
tres de Molines et du même canton (diocèse de Digne).
C'est le village le plus élevé de la France, il est situé â
2UU9 mètres d'altitude. «L'excellente population de ce
village, dit le P. Mie, est d'autant plus ferme dans la foi
qu'elle est entourée de protestants. Elle nous accueillit
avec enthousiasme. Là, tout marcha bien sur un terrain
si bien préparé ; les processions se firent malgré une
neige épaisse. La communion des hommes et des femmes
fut générale, et on y établit des congrégations pour les
deux sexes. Les protestants eux-mêmes venaient aux
— 227 —
instructions, l'un d'eux se convertit; plusieurs se sen-
taient ébranlés, mais le respect humain les arrêta en
chemin, n
Ces deux missions si consolantes terminèrent les tra-
vaux apostoliques des Pères pour cette année 1824. Les
missionnaires se remirent en campagne à la mi-jan-
vier 18r]S, pour évangéliser Saint-Bonnet, chef-lieu de
canton, arrondissement de Gap, situé sur le Drac, à
1 000 mètres d'altitude. Ils étaient quatre, les PP. Suzanne,
Mie, Touche cLVachon; surchargés de travail, ils accep-
tèrent quelques prêtres du voisinage pour les aider à
entendre les confessions qui commencèrent dès les pre-
miers jours. Les instructions se donnaient à 8 heures
et demie du matin et à 3 heures de l'après-midi ; l'église
se trouva trop petite, et comme ces bonnes gens se te-
naient debout ou à genoux, on eut soin de ne pas trop
prolonger les sermons.
Le maire lui-même, un vieux militaire décoré, donna
l'exemple ; il se présenta le premier, à la tête des hom-
mes, au saint tribunal de la pénitence. Tout se passa à
la plus grande satisfaction des ouvriers apostoliques.
Deux mois après, le P. Touche, ayant fait une apparition
de quelques jours à Saint-Bonnet, constata que les fruits
de cette belle mission étaient durables. La congréga-
tion d'hommes, établie par le P. Suzanne, se maintenait
admirablement. Quant à celle des flUes, ajoute le P. Tou-
che, elle était animée d'un si bon esprit, que des zélateurs
et zélatrices faisaient la patrouille pour draper d'impor-
tance les filles, soit du pays, soit du dehors, qui se per-
mettaient de parler aux garçons, » Nous devons mettre
à l'actif du P. Mie, supérieur du Laus, la mission de Puy-
loubiers, gros bourg situé sur le versant méridional de la
chaîne de Sainte-Victoire, canton de Trets, diocèse
d'Aix. Il la dirigea en compagnie du P. Honorât, qui
- 228 —
était au Laus, et du P. Albini, de la maison d'Aix. Com-
mencée le 29 février, elle se termina le 25 mars et eut de
merveilleux résultats. Bien que Puyloubiers n'appar-
tienne ni au diocèse de Digne, ni au diocèse de Gap, nous
croyons qu'on lira avec plaisir les quelques détails que
le P, Mie nous donne sur cette mission :
« Les exercices allèrent bon train, l'église était si
petite qu'on prêchait sur la place publique. On a bien
du mal pour toucher ces gens-là, les femmes sont igno-
rantes, les hommes un peu moins, tous paraissent insen-
sibles aux choses de la religion. Les exercices sont pour-
tant très suivis. Nous nous partageons le travail, et
nous prêchons en provençal; chose étonnante, dès la
première semaine, les hommes se sont présentés à con-
fesse plus nombreux que les femmes. »
Écoutons maintenant le P. Honorât :
(( On se levait à 4 heures un quart, le premier exercice
se faisait à 5 heures, et il y avait toujours presque autant
de monde que le soir. A 7 heures du soir avait lieu le
second exercice, instruction, bénédiction et derniers
avis. De 8 heures et demie à 10 heures et demie, confes-
sion des hommes qui sont très bien disposés. Deux faits
attestent la sincérité des conversions et le grand bien
produit par la mission. En établissant la congrégation
des lîlles, les Pères ont obtenu qu'elles ne danseraient
plus aux Romérages. Un étranger, s'étant permis de blas-
phémer, tous les hommes qui étaient présents, protes-
tèrent et le reprirent vertement. Le P. Mie souffrait des
jambes et ne pouvait faire de longues stations au con-
fessionnal ; en revanche, le P. Albini, toujours plus excel-
lent, était infatigable et comptait plus de 200 per-
sonnes à son actif de confessions, et, parmi elles, les
usuriers, qui s'adressaient à lui de préférence. Ce Père
est maintenant bon à tout, se prête volontiers à tout ce
~ 229 —
qu'on lui demande; il commence à donner des gloses en
provençal, qui n'est passa langue, et se fait comprendre
de tout le monde (1). » Aux premiers jours d'avril, le
P. Touche se rendait pour treize jours à Ribiers, chef-
lieu de canton, diocèse de Gap. On y voit les ruines du
monastère de Saint-Etienne, près duquel on a trouvé
des inscriptions grecques et latines, des fers de lance,
des flèches, autant de vestiges qui attestent l'ancienneté
et l'importance de ce pays. On y voit aussi le fameux roc
Peirimpin [Petra mipia), débris d'une forteresse sarra-
sine. Pendant qu'il était à Ribiers, le P. Touche entra en
relation avec le chef des illuminés du Champsaure; cet
homme revint de ses erreurs, se confessa et fit une ré-
tractation publique, dans l'église, avec une franchise et
dans des dispositions admirables. Le retour au bercail
de cette brebis égarée fit une grande sensation dans le
pays.
De là, le même Père se rendit dans une paroisse va-
cante, à Saint-Pierre-Avez, à 10 kilomètres de Ribiers, où
il resta quinze jours aussi. Il y eut beaucoup à faire. Ce
pauvre pays ne connaissait plus le prêtre depuis quinze
ans, et le curé, qui l'avait desservi auparavant, avait né-
gligé l'instruction et la bonne direction de ses ouailles.
L'évêque de Gap avait demandé au P. de Mazenod une
retraite pour les détenus de la prison de Gap, et mani-
festé son désir que le P. Suzanne en vînt présider les
exercices. C'était une œuvre importante et laborieuse,
car il y avait à la prison 580 détenus, dont quelques-uns
soigneusement éduqués {sic). Plusieurs hommes de la
ville, outre les employés et officiers de la maison, de-
vaient suivre la retraite. Elle s'ouvrit à la fin du mois de
mai et fut prêchée par le P. Suzanne et les Pères du
(1) Lettres du P. Honorât des 9 et 20 mars 1825. — Voir aussi :
Réponse au questionnaire de sainteté, le P. Albini, les Jilission::.
T. XXXV. 16
— 330 -
Laus. Ils réussirent si bien que l'évêque, satisfait, aurait
voulu que les Pères allassent aussi évangéliser les pri-
sonniers d'Embrun, mais ce travail fut remis à plus tard.
L'année 1825, la retraite annuelle des Pères fut devan-
cée, afin de leur permettre de commencer plus tôt la
campagne d'hiver. Le P. Mie avait été envoyé à Nîmes et
avait pour remplaçant, au Laus, le P. Honorât, depuis
le mois de septembre ou octobre. Dans les premiers jours
de novembre, le P. Honorât et le P. Touche se rendirent
dans le Dévoluy, en passant par Veynes. Ils donnèrent la
mission à la paroisse de Saint-Didier, commune du
canton de Saint-Élienne-en-Dévoluy, d'environ 500 ha-
bitants (diocèse de Gap). « C'est la Sibérie des Hautes-
Alpes, écrit le P. Honorât, et une des paroisses les plus
difficiles à évangéliser. Les gens parlent un patois peu
compréhensible ; l'église, très éloignée des habitations,
est séparée de la maison curiale par une rivière... Pour
s'y rendre quatre fois par jour, les missionnaires et les
gens devaient faire un trajet d'une demi-heure, car le
pont le plus proche avait été emporté par les eaux qui
avaientmême envahi l'église.') Les missionnaires, malgré
les obstacles et les contretemps, après quatre semaines
de labeurs, terminèrent la mission qui fut aussi satisfai-
sante qu'elle pouvait l'être ; 200 femmes et 150 hommes
s'approchèrent des sacrements, avec de bonnes disposi-
tions. Là aussi furent établies des congrégations d'hom-
mes et de filles destinées à conserver les résultats obte-
nus et à les compléter.
(A suivre.) G. Simonin, o. m. i.
— 231 —
II
TRANSLATION
DES RESTES MORTELS DE NOTRE VÉNÉRÉ FONDATEUR
DANS LA CRYPTE DE LA NOUVELLE CATHÉDRALE DE MARSEILLE.
Au soir de la fête de Pâques, le 18 avril dernier, M^' l'é-
vêque de Marseille prononçait, dans son église cathédrale,
et faisait lire dans les vingt et une paroisses de sa ville
épiscopale, une vibrante allocution, dans laquelle il re-
merciait d'abord Dieu du grand bien opéré, pendant le
carême, par les soixante-douze religieux rédemptoristes
qui avaient donné aux fidèles marseillais les exercices de
la mission. Ce tribut de reconnaissance payé, le pieux
prélat ajoutait : « J'ai pensé qu'il fallait rattacher h la
mission la cérémonie de la consécration de l'église cathé-
drale. Cette solennité importante sera comme la conclu-
sion et le mémorial des pieux exercices qui ont sanctifié
nos âmes... J'ai fixé cette consécration au jeudi 6 mai...
Le lendemain, vendredi 7 mai, sera célébrée dans la ca-
thédrale une autre cérémonie d'un caractère fort tou-
chant : la translation des anciens évêques dans la chapelle
funéraire qui leur est destinée. Du caveau de l'ancienne
Mayor, où ils reposent, les corps seront transportés pro-
cessionnellement dans la nouvelle cathédrale. Une messe
solennelle de Requiem y sera chantée, à l'issue de laquelle
la parole éloquente et aimée de M»' l'évêque de Montpel-
lier prononcera l'oraison funèbre des évêques défunts.
« Cette cérémonie est une suite toute naturelle de celle
qui se sera accomplie, la veille, dans la consécration de
l'église. Pourraient-ils y rester étrangers, ces évêques
qui, par leurs travaux et par leurs enseignements, con-
servant et développant la foi dans les âjnes, ont construit
— 232 —
la vénérable Église de Marseille, et pourrions-nous oublier
que c'est à la sollicitude pastorale et aux instances inces-
santes de l'un d'eux, M^' Eugène de Mazenod, qu'est dû
le magnifique édifice de l'église cathédrale actuelle.
« De leurs tombes, ils parlent encore. Tous nous disent
de garder intacte la foi de nos pères. Mais notre immor-
tel Belzunce, qui nous rendit les enfants privilégiés du
Sacré-Cœur en lui consacrant, le premier dans le monde
catholique, son diocèse, nous presse surtout de rester
fidèles à son culte, notre sauvegarde, notre force et notre
gloire. Un grand évêque aussi, M^'' Eugène de Mazenod,
nous conjure de son côté d'aimer et d'honorer toujours
d'une dévotion particulière la Bonne Mère et tous les
saints du diocèse qui en sont devenus les protecteurs
après saint Lazare, et ses saintes sœurs Madeleine et
Marthe. »
A cette annonce, depuis longtemps désirée, la famille
entière de M^' de Mazenod tressaillit de joie. Le R. P. Au-
GiER, provincial du Midi, s'empressa de convoquer à cette
double fête des représentants venus de toutes les mai-
sons de la province. Le T. R. P. Général, accompagné
du R. P. Tatin, s'acheminait lui-même vers Marseille, en
visitant sur son passage les maisons de Lyon et de Notre-
Dame de l'Osier. Il arrivait dans notre maison du Cal-
vaire, dans la soirée du lundi 3 mai. Le lendemain,
mardi, avait été fixé par M^'' Robert, de concert avec
l'autorité civile, pour l'exhumation des cercueils épisco-
paux déposés dans la crypte de la vieille cathédrale, et
la reconnaissance des restes vénérés qu'ils renfermaient.
Cette opération préliminaire à la translation constituait,
à vrai dire, la partie la plus émouvante des cérémonies
auxquelles nous étions appelés à participer.
Le cercueil de notre vénéré Père allait donc reparaître,
après trente-six ans, à la lumière du jour; ses enfants
— 233 —
allaient donc avoir la consolation de le voir, de le tou-
cher, de constater l'état dans lequel se trouve actuelle-
ment la dépouille mortelle du grand serviteur de Dieu,
qui fut le Fondateur et qui demeure toujours le père de
leur famille religieuse.
Tous les Oblats présents à Marseille avaient voulu as-
sister à cette exhumation. Quelques-uns seulement ob-
tinrent cette faveur. C'étaient, en dehors du T. R. P. Gé-
néral et de M^"" Mélizan, archevêque de Colombo, le
R. P. Tatin, assistant général; le R. P. Augier, provincial
du Midi ; le R. P. Gigaud, supérieur de la maison de Notre-
Dame de la Garde ; les RR. PP. Bonnefoy, Gallo et Bader,
de la maison du Calvaire; le R, P. Baffie, supérieur du
grand séminaire de Fréjus. Le marquis de Boisgelin, ne-
veu de Ms' DE Mazenod, se trouvait aussi aux côtés de
Ms"" l'évêque de Marseille.
Un peu avant 10 heures du matin, tous les prépara-
tifs étant achevés, M^'' Robert, entouré de quelques di-
gnitaires de son clergé et des Pères Oblats que nous ve-
nons de nommer, s'agenouille à l'ouverture du caveau
où dormaient ses prédécesseurs, dans la crypte de la
vieille cathédrale, et commence la psalmodie du De pro-
fundis que toute l'assistance poursuit à deux chœurs.
Dès que le prélat a récité l'oraison, les employés des
pompes funèbres, aidés par quelques ouvriers maçons,
se mettent à l'œuvre. Le premier cercueil, drapé de noir,
qu'ils amènent à fleur de l'étroite ouverture du caveau
est celui de M^'' Fortuné de Mazenod, oncle de notre
vénéré Fondateur. Il s'élève lentement, non sans être
assez vivement cahoté, malgré l'attention qu'apportent
les ouvriers à l'accomplissement de leur pieux travail.
Dès qu'il est couîplètement sorti, les employés des pompes
funèbres le couchent sur un brancard, le recouvrent d'un
drap mortuaire et l'apportent dans une chapelle latérale
~ 23 '1 -
de la vieille cathédrale. Monseigneur et tous les membres
du clergé le suivent. Le cercueil en bois est dévissé ; le
nom du vénérable défunt, gravé sur une plaque de zinc
est vérifié, et le plombier fait une longue entaille dans le
cercueil en plomb. Le squelette est entier, mais dépouillé
de ses chairs. Malheureusement, dans le mouvement
ascensionnel que le cercueil vientde subir, il s'est déplacé
et a glissé vers le fond. Pendant quelques instants, tous
nos yeux sont fixés sur ces précieux ossements qui nous
rappellent le souvenir et les bienfaits d'un saint évoque
et d'un insigne protecteur de notre famille religieuse.
Bientôt, sur un signe de Monseigneur, les ouvriers ra-
justent la couverture en plomb et soudent promptement
la large brèche qu'ils viennent de pratiquer.
Nous retournons tous aux abords du caveau. Le second
cercueil, amené par les ouvriers, est celui de notre vé-
néré Fondateur. Drapé de noir, il s'élève lentement, nous
allions dire, majestueusement, dans le sens de la lon«
gueur, à travers l'étroite ouverture du caveau. « Qu'il
était grand I » s'écrient les ouvriers, étonnés des dimen-
sions peu ordinaires de ce cercueil épiscopal (1). Ils di-
saient plus vrai qu'ils ne pensaient, ces braves ouvriers
marseillais. Le cercueil que touchaient leurs mains et
que portaient leurs bras contenait, en effet, la dépouille
mortelle d'un des plus grands évêques de ce siècle et de
tous les siècles. Nous le suivons dans la chapelle où avait
été apporté, quelques minutes auparavant, le corps de
M^*" Fortuné de Mazenod.
Le couvercle du cercueil en bois est rapidement écarté,
et nous nous trouvons en présence du cercueil en plomb ;
il est intact. Monseigneur demande et les ouvriers cher-
chent vainement la plaque de cuivre ou de zinc sur la-
(l) Le cercueil de notre vénéré Père a un peu plus de 2 mètres de
longueur.
- 235 ~
quelle, au moment de l'inhumation, dut être gravé le
nom du vénéré défunt. Elle n'apparaît nulle part. Heu-
reusement que l'attestation de ce témoin ne sera pas
nécessaire pour établir avec certitude que le cercueil qui
est là, sous nos yeux, renferme bien réellement les restes,
nous dirions volontiers, les reliques de l'admirable pon-
tife dont nous sommes heureux de nous proclamer les
fils.
Un des ouvriers plonge son ciseau dans le plomb du
cercueil, du côté de la tête, et, à coups de marteau, pra-
tique une fente jusque vers le milieu de la poitrine ; puis,
de ses deux mains, il écarte le plomb, le replie, et nous
voyons une couche épaisse de coton dans un parfait état
de conservation, imprégné encore de l'odeur des aro-
mates dont il fut imbibé, il y a trente-six ans, et dont le
parfum, acre mais non pas désagréable, se répand autour
de nous.
Le silence était profond ; tous les yeux et tous les cœurs
étaient attachés à ce cercueil tant aimé. L'ouvrier écarte
l'enveloppe de coton. « C'est lui ! C'est bien notre saint
Fondateur ! C'est M^'' de Mazenod ! » s'écrient aussitôt
d'une commune voix les anciens du clergé de Marseille
et de notre famille religieuse: «celui-là est bien con-
servé », répètent de concert les ouvriers, dont le témoi-
gnage est d'une indiscutable sincérité. Malgré le travail
de la mort, pendant trente-six ans, la belle tête de M^' de
Mazenod est là, devant nous, parfaitement reconnais-
sable (1).
Mus par un sentiment de filiale vénération et aussi de
filiale confiance, nous nous empressons de faire toucher
(1) Dans le bref compte rendu qu'il a fait de cette exhumation, le
distingué rédacteur de VÉcho de Notre-Dame de la Garde, semaine
religisuse de Marseille, a écrit : « M8'' Eugène de Maxenod était fort
recoDuaissable et bien conservé. »
— 236 —
à cette tête qui médita et conçut jadis tous les détails de
nos saintes Règles, nos chapelets, nos croix de mission-
naires, des linges apportés à cet effet. L'idée d'un pieux
larcin traverse en ce moment l'esprit de l'un d'entre
nous. Serait-il permis de s'emparer au moins d'une des
sandales? Mis dans la confidence de ce désir, notre
T. R. P. Général le manifeste à M^"" l'évêque de Marseille
qui regrette de ne pouvoir y faire droit; les règlements
de police s'y opposent. Elles furent trop courtes, les
minutes durant lesquelles nous ptimes satisfaire ainsi
notre piété filiale. Nos lèvres étaient muettes, mais tous
nos cœurs redisaient la prière qu'adressait autrefois
Elisée au prophète Elle : Obsecro ut fiât in me duplex spi-
ritus tuus (Père, laissez reposer sur moi votre double
esprit de religieux et d'apôtre).
Les minutes s'écoulaient rapides, et elles étaient par-
cimonieusement comptées. Bientôt les ouvriers scellent
sous nos yeux le cercueil, tandis que les employés
des pompes funèbres apportent les restes mortels de
Ms"' O'Cruice qui, dans son court passage à -Marseille, ne
sut peut-être pas assez comprendre que, successeur de
M^ DE Mazenod, il avait aussi mission d'être son continua-
teur. Paix aux morts ! Sans aucune arrière-pensée, nous
avons enveloppé ce nouveau cercueil du manteau de la
charité, comme l'eût fait notre saint Fondateur lui-
môme.
Un ouvrier apporte, en ce moment, dans un coffret de
bois blanc, le crâne et les ossements de l'immortel Bel-
zunce. Puis apparaît un dernier cercueil contenant pêle-
mêle tous les ossements des évêques qui avaient tenu
le siège épiscopal de Marseille avant le dix-huitième
siècle. La cérémonie de l'exhumation et de la reconnais-
sance des corps des anciens évêques de Marseille avait
pris fin. Monseigneur et les membres de son clergé se
— 237 —
retirent, tandis que nous suivons nous-mêmes, profon-
dément émus, le T. R. P. Général, qui s'achemine vers
notre maison du Calvaire.
Le lendemain soir, kV Angélus, le bourdon de Notre-
Dame de la Garde et toutes les cloches de la ville annon-
çaient par de joyeuses et solennelles sonneries que la
consécration de la cathédrale aurait lieu dans la matinée
du jour suivant.
Nous empruntons à l'Univers (numéro du 8 mai) la des-
cription de cette magnifique basilique: «C'est une joyeuse
floraison de coupoles que vient de consacrer, au bord
des flots, le pieux évêque de Marseille. Jamais peut-être
l'art byzantin, mitigé d'art roman, n'avait produit une
œuvre à la fois plus imposante et plus gracieuse. La
Major ! Ce nom, traditionnellement donné à la cathé-
drale marseillaise, est symbolique par lui-même!... Le
nouvel édifice, immense de proportions, s'élève sur les
quais de la ville, entre le vieux et le nouveau port. Sa
masse domine de loin la forêt des mâts, les bastions des
forts, le cylindre élégant des phares, l'éparpillement pit-
toresque et mouvementé des marchandises venues de
tous les points du globe. Mais cette masse n'est pas de
celles qui écrasent par leur taille même. Des centaines
de courbes en adoucissent les sommets. Coupole cen-
trale, coupoles latérales, haut portique cintré, gracieuses
fenêtres accouplées trois par trois, combinent hiérarchi-
quement leurs rondeurs inégales. Les ors éclatent sur
l'azur, et la résultante de ce gigantesque ensemble est
une grâce enchanteresse étroitement fondue avec la plus
sereine grandeur. La Major est la plus grande église
de France {\). Près de 15000 personnes, assure-t-on,
(1) La longueur totale de l'édifice est de 140 mètres; la croix qui
surmonte la lanterne de la grande coupole est à une hauteur de
60 mètres. Le transept seul formerait une vaste église ; il a 50 mètres
- 838 —
peuvent prendre place, tant dans ses vastes nefs allon-
gées en forme de croix latine, qu'autour du chœur, où de
spacieuses chapelles font rayonner les trois branches
d'une croix grecque. Des mosaïques inachevées étincel-
lent sur les murailles. Les proportions, heureusement
combinées comme à Saint-Pierre de Rome, déroutent
le fidèle à mesure qu'il s'avance et ne se révèlent que peu
à peu dans toute leur beauté. »
La première pierre de ce monument sacré fut posée le
26 septembre 1852, par Louis-Napoléon Bonaparte, alors
président de la République, et bénite par notre vénéré
Fondateur, Ms"" Eugène de Mazenod, dont le digne suc-
cesseur, M^'^ Robert, évoque avec une complaisance mar-
quée la grande mémoire au moment d'aborder la céré-
monie de la consécration solennelle. Assistaient à cette
cérémonie, Ms"" Mélizan, archevêque de Colombo, et
M^' Balaïn, archevêque d'Auch, qui a fait les trois asper-
sions des murailles, à l'intérieur de l'église, et consacré
l'autel de la Sainte Vierge.
Le lendemain, vendredi 7 mai, la cérémonie du trans-
fert du corps des anciens évêques dans la crypte de la
nouvelle cathédrale a commencé à 8 heures et demie.
Les élèves du grand séminaire, 250 prêtres du clergé sé-
culier ou régulier, forment le cortège; puis s'avancent
M^' Jauffret, évèque rie Bayonne, qui reçut autrefois l'onc-
tion sacerdotale des mains de M^"^ de Mazenod ; M'^'^ de
Cabrières, évoque de Montpellier, dont nous entendrons
tout à l'heure l'élégante parole; M^' Balaïn, archevêque
d'Auch, Me"" Mélizan, archevêque de Colombo, l'un et
l'autre fils spirituels de M»'' de Mazenod et l'ornement de
sa famille religieuse; M^"" Goulhe-Soulard, archevêque
d'Aix; enfin, M^M'évêque de Marseille, officiant.
de longueur. Les dépenses occasionnées par la coastructioa de ce
beau monument dépassent 14 miliions.
— 239 ~
Les Oblats avaient espéré porter sur leurs épaules le
corps de leur vénéré Père, à cette heure solennelle où
il prendrait enfin possession de la cathédrale due à sa
sollicitude pastorale. Au dernier moment, l'impossibilité
absolue de réaliser celte partie du programme a apparu
manifeste à tous. Le cercueil était trop lourd pour être
manié facilement et porté convenablement par des prê-
tres. Six robustes employés des pompes funèbres le char-
gent sur leurs épaules. Huit Pères Oblats l'escortent,
quatre à droite et quatre à gauche. Derrière, s'avancent
en première ligne le T. R. P. Général et le marquis de
Boisgelin; ils sont suivis de tous les Pères présents à
Marseille.
Au moment où le corps de notre vénéré Père arrive
devant la porte de la cathédrale, le cortège, qui ne pénè-
tre que difficilement dans l'édifice sacré déjà envahi par
une foule compacte et choisie, subit un arrêt de quel-
ques instants (1). Notrevénéré Fondateur nous apparaît
alors au sein de toutes les grandes œuvres qui ont rempli
et immortalisé sa vie. A ses côtés, les membres de sa
Congrégation de missionnaires et les prêtres du clergé
de Marseille ; à ^es pieds, la cathédrale dont il a béni les
débuts; à sa tête, dans le lointain, la basilique de Notre-
Dame de la Garde, magnifique ex-voto de la piété envers
Marie; à sa droite et à quelques pas seulement, le palais
épiscopal qu'il avait voulu proportionné à la haute idée
(1) Au premier rang de la foule immense accourue pour assister à
cotte imposante cérémonie, nous avons remarqué avec une fraternelle
satisfaction la très nombreuse députalion des Sœurs de la Sainte-
Famille. Elles occupaient une place d'honneur près du catafalque,
du côté de l'épttre. Du haut du ciel, M8' de Mazenod qui fut, après
la mort du bon Père Noailles, leur premier directeui' général, a cer-
tainement répandu d'abondantes bénédictions sur leurs personnes et
sur leurs œuvres, en reconnaissance du pieux dévouement qu'elles
témoignent, en toute rencontre, h ses fils, les missionnaires Oblats
de Marie.
— i>40 —
qu'il se faisait de l'épiscopat ; à sa gauche, et si rappro-
chée qu'on entend le murmure de ses flots, la Méditer-
ranée, qu'ont sillonnée tant de ses fils, partant à la con-
quête des âmes les plus abandonnées. Le mistral soufflait
en tempête, soulevant violemment les draperies noires
qui recouvraient le cercueil. N'était-ce pas le symbole
des orages qui tant de fois avaient assombri sa vie et
menacé l'existence de ses œuvres ?
Enfin, le cortège reprend sa marche, et nous pénétrons
sous les voûtes de la vaste cathédrale. Sur notre pas-
sage, nous entendons le chuchotement de la foule :
« Voilà M^^'DE Mazenod que des Oblats entourent. »
Par les soins de l'administration des pompes funèbres,
un vaste catafalque avait été dressé sous la grande cou-
pole. Il portait à ses angles les armoiries des évêques
défunts, était orné de grands lampadaires d'argent et
s'élevait sur une vaste estrade oii prirent place, pendant
l'absoute, les évêques et tous les dignitaires ecclésias-
tiques. Au sommet du catafalque, un drap mortuaire à
grande croix d'or et une mitre blanche sur un carreau.
Le cortège s'arrête un instant sur l'estrade ou à ses
abords, tandis que les cercueils sont déposés sous le cé-
notaphCj puis le clergé va prendre place dans le chœur.
La messe est célébrée par Met^BALAïN, doublement fils de
M^"" DE Mazenod, par la profession religieuse et par le
sacerdoce.
La messe achevée, tous les yeux se dirigent vers la
chaire où M^' de Cabrières vient de paraître. A l'exemple
de l'Écho de Notre-Dame de la Ga7^de,nous ne dirons rien
de ce discours, « nous sentant incapable d'en donner
une analyse qui ne soit pas tout à fait insuffisante ».
Espérons que M^'' l'évêque de Montpellier procurera
la joie de le lire à ceux qui n'ont pas eu celle de l'en-
tendre.
™ 241 ~
M^'' de Gabrières étant descendu de chaire, les évêques
ont donné les cinq absoutes. Il était près de midi quand
a pris fin cette grande solennité funèbre, solennelle et
touchante manifestation de la piété filiale envers les
pontifes qui furent nos pères dans la foi.
Dans l'après-midi de ce même jour, les cercueils des
évêques furent descendus, mais sans que personne fût
admis à cette translation, en dehors du vicaire général
qui la présidait, dans la crypte funéraire de la nouvelle
cathédrale. Celte crypte est située au-dessous de la cha-
pelle absidale de la Très Sainte Vierge. On y accède par
un double escalier qui prend naissance et se déroule
entre la colonnade du sanctuaire de la basilique. Cette
chapelle n'a pas été travaillée avec moins de soin que les
autres parties de l'édifice. La lumière y pénètre par deux
grandes fenêtres, et des colonnes de marbres divers lui
forment une parure austère, mais riche et de bon goût.
Dans l'abside, un autel en granit. Le centre du gradin
unique est orné du monogramme du Christ qui décore
aussi la croix de la clef de voûte de la chapelle. Sous la
table de l'autel, une urne en marbre rouge et onyx de
Numidie avec cette inscription : Sanguis martyrum.
Dix-sept petits caveaux sont bâtis dans la chapelle et
recouverts chacun d'une vaste dalle de granit portant
quatre grands anneaux de bronze. C'est dans le caveau
placé seul devant l'autel de la crypte, qu'a été déposé le
corps de notre vénéré Fondateur. Les prêtres qui célé-
breront la messe à cet autel, auront leurs pieds posés
sur sa poitrine, au moment où ils diront : Introibo ad
altare Dei.
Un journal de Marseille, après avoir fait le compte
rendu sommaire de la cérémonie que nous venons de
raconter, termine son récit par un salut respectueux à
tous ces évêques qui dorment maintenant, dit-il, dans
— 242 —
leur demeurée définitive. Nos cœurs de fils nourrissent de
meilleures espérances. Oui, nous espérons que le saint
pontife, dont le corps, intégralement conservé, repose
depuis quelques jours, au pied de l'autel, dans la crypte
funéraire des évêques de Marseille, sera, dans un avenir
que Dieu connaît et que nous attendons avec confiance,
l'objet d'une nouvelle translation; nous espérons que
ses fils auront la joie d'assister à sa glorification et de
célébrer la messe sur les autels qu'enrichiront ses pré-
cieuses reliques. Puissions-nous mériter par nos prières
et par nos vertus cette joie et cette grâce !
REVUE
LA LINGUISTIQUE
CONSIDÉRÉE COMME CRITÉRIUM DE CERTITUDE ETHNOLOGIQUE
Par le R. P. Morice, o. m. i.
(Traduction d'une étude publiée en anglais.)
(Suite ^J
II
Par Dénés, j'entends la grande famille d'aborigènes
américains connus dans les cercles ethnographiques sous
les noms impropres de Tinné, Tinneh, Tenni (Bompas),
Teyme (Kennicotl), Dené-Dindjié (Petitot) ou Athapas-
kans. Noms impropres, ai-je dit ; en voici la raison.
Ni Tinné, ni Tenni, etc., n'ont de signification dans le
dialecte d'aucune des nombreuses tribus dont l'agrégat
forme cette importante famille. Les ethnographes res-
ponsables de ces divers sobriquets les dérivèrent de la
désinence de certains noms de tribus, probablement mal
prononcés et certainement mal orthographiés par les
premiers voyageurs ou commerçants qui aient fait men-
tion de ces indigènes. Les suffixes verbaux tinné ou
tenné sont évidemment les termes qu'on avait en vue.
Mais il y a, pour l'oreille indienne, infiniment plus de
différence entre le t simple et le t clappant (ou 7) qu'il
n'en existe, pour nous, entre des lettres si diverses que
le sont, par exemple, le w et le g. Celles-ci sont com-
(1) Voir Missions, mars 1897.
— 244 —
muables dans les langues aryennes, tandis que les pre-
mières sont loin de l'être en déné.
De plus, ces noms verbaux varient suivant les dialectes,
puisque nous avons ^tenne en porteur, 'tinm en babine,
'qenne en sékanais, etc.
Enfin, la prononciation correcte de ces suffixes re-
quiert une espèce d'explosion linguale, qui ne peut s'ob-
tenir qu'après initiation dans les secrets de la phonétique
dénée. Il est donc absurde de désigner toute une nation
par une désinence de caractère accidentel, que ne peut
prononcer l'immense majorité des lecteurs.
Un autre nom tout aussi usité pour représenter le
stock en question, et qu'on doit, dit-on, à Gallatin, est
athapascans, d'après le lac Athapasca dont les bords sont
habités par une des tribus dénées. C'est comme si quelque
ethnographe s'imaginait d'appeler picarde ou gasconne
la nation française. Le Bureau d'ethnographie de Wash-
ington, tout en adoptant cette appellation contre laquelle
j'avais déjà protesté, a dû confesser que des mission-
naires versés dans la connaissance de divers dialectes
de cette famille dans le Nord-Ouest ont réclamé, « mais,
ajoute-t-il, la priorité de temps demandait qu'on retînt
le vocable inventé par Gallatin (1)». Il me semble pour-
tant que le temps ne saurait de lui-même convertir un
tort en un droit, changer le faux en vrai.
L'abbé Petitot remplace l'un et l'autre de ces deux
noms Déné-Dindjié « réunissant dans un mot composé
la Iribu la plus méridionale, la montagnaise ou dénée,
avec la plus septentrionale, les Loucheux, qui s'appel-
lent Dindjiés (2) ». Cette dénomination, qui a du moins
le mérite de contenir deux mots indiens correctement
(t) Bibliography of thc Athapaskan Languages, p. v, Washington,
1892.
(2) Monographie des Déné- Dindjiés, p. xix, Paris, 1876.
— 245 —
écrits, a pourtant le désavantage de contracter indûment
dans l'esprit du lecteur la superficie du territoire occupé
par le peuple ainsi désigné. Les Montagnais sont loin
d'être la branche la plus méridionale de cette famille,
non seulement dans le continent américain, mais même
dans les limites de l'Amérique britannique. Les Tsilkoh-
tines et les Porteurs ont leur habitat plusieurs degrés de
latitude plus au sud, bien qu'aucune interruption terri-
toriale ne les sépare des tribus dénées plus septentrio-
nales, pour ne rien dire des Sarcis, qui vivent isolés de
tout congénère au milieu des Pieds-Noirs. Par consé-
quent, d'après son propre principe, l'abbé Petitot devrait
appeler le stock ethnique tout entier non pas déné, mais
tœni-dindjié (1).
Mais on ne devrait point oublier les nombreux reje-
tons qu'il a poussés au travers des États du sud et de
l'ouest de l'Union américaine, et dont le terme pour
l'homme et, partant, pour eux-mêmes, en tant qu'abo-
rigènes, est à peu près identique avec déné, le nom in-
dien des Montagnais, la tribu la plus centrale (2) et l'une
des plus populeuses. Pourquoi donc ne pas donner ce
nom à la famille entière ? On trouverait peut-être un pré-
cédent pour cette mesure dans les noms désignant au-
jourd'hui certains peuples européens, tels que les Ita-
liens, les Français et même les Anglais, noms qui ne
furent donnés à la nation entière qu'après avoir désigné
l'une de ses plus importantes tribus originaires, les Itali,
les Francs et les Angles.
Quoi qu'il en soit de cette question, la famille dénée
a certainement une grande importance ethnographique,
puisque aucun autre stock aborigène de l'Amérique du
(1) Tœni est le terme tsilkohtine pour « homme ».
(2) En comprenant dans le groupe entier les tribus méridionales
éparpillées dans les États-Unis.
T. XXXV. lï
— 546 —
Nord, peut-être même sans en excepter les Algonquins
et les Nahuatl, n'occupe une aussi grande étendue de
terrain. Les Iles Britanniques, la France et l'Espagne,
l'Italie et la Grèce, prises ensemble, ne représentent,
comme étendue, qu'une partie de son territoire. Et pour-
tant, on peut remarquer, sans exagération, que peu de
branches de la grande race américaine sont moins con-
nues que, par exemple, les Dénés septentrionaux qui,
au point de vue de l'extension territoriale, constituent
la majeure partie de la nation (i).
A l'ouest des montagnes Rocheuses, on les trouve de-
puis le 51"30' de latitude jusqu'aux confins des Esqui-
maux, tandis qu'à l'est de la même chaîne de monta-
gnes, ils peuplent les immenses plaines et les forêts qui
s'étendent depuis la Saskatchewan jusqu'au delà du
Mackenzie. De l'est à l'ouest, ils errent, maîtres incon-
testés du sol, à travers le continent américain presque
tout entier.
Gomme le dit Horatio Haie, cette contrée, à l'est des
montagnes Rocheuses, est «une triste région, couverte
de rochers et de marais, de lacs peu profonds et de ri-
vières dangereuses, qui n'offre d'autre attraction que
celle que peut trouver le chasseur dans les animaux à
fourrure, et procure aux natifs une subsistance pré-
caire. A défaut de cette ressource, ils vivent de lichens
cueillis sur les rochers (2) ».
A l'ouest des montagnes Rocheuses, leur pays est accir
denté, couvert d'épaisses forêts, parsemé de lacs nom-
(1) Ceci est nou moins vrai en ce qui regarde les écrits publiés en
langue dénée ou à propos de cette race aborigène. En effet, tandis
que la Bibliographie des tribus algonquines, par M. Pilling, de l'Ins-
titution smithsouieiine, ne comprend pas moins de o49 pages, celle
de la race dénée n'en a que 115.
(2) Languages as a Test of Mental Capacity ( Trans. Boy. Soc. Canada,
sect. II, p. 81, 1891).
— 247 —
breux et profonds, et entrecoupé de rivières torren-
tielles. Leur nourriture ordinaire est le saumon et la
venaison, selon la position géographique de la tribu.
Les Dénés du Nord sont divisés en douze tribus prin-
cipales dont les plus importantes sont les Loucheux, qui
sont colimitrophes avec les Esquimaux ; les Montagnais,
dont l'habitat est le territoire ayant le lac Athapasca
pour centre, et les Porteurs, qui forment la plus popu-
leuse et la plus intéressante des tribus occidentales.
Un problème ethnographique, qui n'est point encore
et ne sera peut-être jamais résolu, est la question de sa-
voir comment il se fît que d'importantes branches de la
nation dénée se détachèrent du stock principal pour
émigrervers le sud. Quand cet exode arriva-t-il ? Quelle
fut la route suivie par les bandes aventureuses? Per-
sonne n'est en état de répondre d'une manière satis-
faisante à ces questions. Et ce serait en vain que nous
chercherions la lumière du côté des parties intéressées
elles-mêmes : ni les Dénés septentrionaux, ni ceux du
Midi n'ont même le moindre soupçon de l'existence les
uns des autres.
Deux points seuls semblent acquis à l'histoire : la di-
vision des tribus en deux camps se fît il y a bien des
siècles, et ce mouvement national s'opéra du nord au
sud. La première assertion peut se prouver par le fait
que, « lorsque les Espagnols rencontrèrent (les Navajos)
pour la première fois, en 1541, ceux-ci cultivaient le sol,
se bâtissaient de vastes granges pour abriter leurs ré-
coltes, arrosaient leurs champs au moyen de canaux
artificiels ou acequias, et habitaient des résidences de
caractère substantiel en partie souterraines {\ ) ». Gomme
preuve de mon second avancé, qu'il me suffise de citer
(1) A.-A. Bandelier, Indians of the Southern United States.
— 248 —
une tradition en vogue parmi certaines fractions de la
tribu porteur, d'après laquelle les jours étaient autrefois
si courts que tout ce qu'une femme peut faire entre
deux nuits était d'ourler les bords d'une peau de rat
musqué. Cette légende a évidemment trait aux régions
arctiques considérées comme habitat préhistorique de
cette tribu.
De vigoureuses branches du grand arbre déné fleuris-
sent donc à l'insu les unes des autres à des milliers de
milles de la souche commune. La plus proche des Dénés
septentrionaux est celle formée des bandes établies de
temps immémorial en Orégon et dans la Californie du
Nord, et dont les plus populeuses sont connues sous le
nom collectif de Houpas. Mais les Navajos de l'Arizona et
du Nouveau Mexique constituent à beaucoup près la plus
importante de toutes les tribus méridionales, soit qu'on
les considère au point de vue numérique, soit qu'on ne
les envisage que sousle rapport de la prospérité nationale.
Mes propres calculs basés sur les sources les plus authen-
tiques leur accordent une population de 16 102 âmes
en 1891, ce qui, pour une seule tribu indigène, est un
chiffre tout à fait respectable.
Les Navajos sont un peuple de pasteurs qui possède
d'immenses troupeaux de bêtes à cornes, de chevaux et
de moutons. Le renom de leurs célèbres couvertures et
leur réputation d'habiles artisans se sont répandus par
tout le nord du continent américain.
Plus au sud, et même assez loin dans le Mexique se
trouvent les fameux Apaches dont la note distinctive n'a
pas besoin d'être rappelée.
S'il y a de par le monde une famille d'êtres humains
qui, par les caractéristiques opposées de ses parties com-
ponentes, démontre jusqu'à l'évidence la faillibilité
comme critérium ethnique de toutes les sciences (à part la
— 249 —
philologie) que nous avons passées en revue dans notre
première partie, c'est à coup sûr la famille dénée. Au
point de vue de l'anthropologie physique, par exemple,
comparons ensemble non pas des fractions très distantes
de cette race, mais simplement quelques-unes de ses
tribus limitrophes. Sur le versant occidental des monta-
gnes Rocheuses vivent côte à côte trois tribus, celles des
Sékanais, des Porteurs et des Tsilkohtines, qui fourniront
ample matière à nos investigations.
Au physique, les Sékanais sont sveltes et osseux, leur
taille est plutôt au-dessous qu'au-dessus de la moyenne ;
ils ont un index légèrement brachycéphalique ou méso-
céphalique : front étroit, joues creuses, pommettes sail-
lantes, yeux très petits et enfoncés dans leur orbite, lè-
vres minces et pendantes. Sur dix hommes qui sont déjà
pères de famille, trois ou quatre ne vous paraîtront que
des enfants. Je n'ai jamais vu chez eux qu'une seule
personne qui fut réellement obèse.
Or, les Porteurs sont grands et robustes sans pourtant
trop de corpulence. Ils sont d'un type dolichocéphalique
prononcé, avec un front large et de gros yeux noirs. Leur
faciès est plein, leurs lèvres plus épaisses et leur menton
moins retroussé que ceux des Sékanais. Plusieurs ont
un nez aquilin, tandis que chez d'autres, cet organe est
plus ou moins épaté. La calvitie, bien qu'assez rare, se
voit pourtant chez certains individus de la tribu. Je me
tromperais beaucoup si un crâne de Porteur n'était pas
confondu avec celui d'un Européen, même par des cra-
niologues de profession.
D'un autre côté, les Tsilkohtines sont petits et trapus,
avec une figure plate, des pommettes très prononcées,
des mâchoires formant saillie, et un nez plus souvent
large et épaté qu'aquilin. En général, ils ont beaucoup
de ressemblance avec les Chinois, et cette remarque s'ap-
— 250 —
plique également aux Balimes, subdivision de la tribu
porteur.
Les seuls points qui soient communs à ces aborigènes
sont les yeux noirs et les cheveux d'ébène, plats et gros-
siers, non moins que la délicatesse des pieds et des mains.
Je ne parle pas du teint; il varie même dans la même
tribu. Certains individus sont par nature de couleur beau-
coup plus foncée que d'autres, sans compter que le genre
de vie et la qualité des alimentsont sur elle la plus grande
influence. Un chasseur ne reviendra jamais d'une expé-
dition de deux ou trois mois dans la forêt sans être très
bronzé, tandis que son compatriote plus casanier, sans
être aussi blanc qu'un Européen, ne sera pourtant jamais
aussi bistré que les indigènes de la race siliche du sud
de la Colombie Britannique. Quant aux cheveux, je con-
nais au moins une douzaine de cas dans la seule tribu
porteur, où ils sont soyeux et presque blonds, bien que
cette particularité ne soit pas due à un mélange de sang.
Même sous le rapport de la barbe, on peut observer une
différence notable, puisque certaines ligures babines en
sont assez garnies, tandis que le reste des Dénés septen-
trionaux sont généralement imberbes.
Jetons maintenant un coup d'œil sur l'organisation des
diverses tribus. Les Dénés du Nord-Est ont un régime
patriarcal et vivent en bandes à l'état nomade et sans
aucune distinction sociale. Le clan ou gens leur est in-
connu, et par conséquent ils n'ont point d'autre totem
que celui qui est propre à chaque individu. C'est un fait
avéré que leur forme de gouvernement, ou plutôt leur
absence de gouvernement, est la contreiaçon la mieux
réussie de l'anarchie. D'un autre côté, la branche occi-
dentale des Dénés du Nord a un système de clans très
compliqué, avec une noblesse héréditaire qui possède, à
l'exclusion de toute autre section de la tribu, des terres
- 251 —
de chasse très nettement délimitées. De ce dernier point
sociologique, il suit qu'elle est tout aussi sédentaire
que nomade. Le matriarcat, ou droit de la mère, prévaut
parmi les Porteurs et les Nahanés occidentaux ; mais le
patriarcal réapparaît chez les Tsilkohtines, leurs voisins
immédiats et congénères du Sud.
Pami les Dénés méridionaux, la société est aussi divi-
sée en clans ; mais ceux-ci sont là d'une origine compa-
rativement récente.
La diversité de la loi fondamentale que nous venons
de remarquer chez les Dénés septentrionaux n'est pas
moins frappante chez leurs frères du Midi, puisque,
d'après le docteur Brinton, « chez les Navajos et les
Apaches, le fils suit le clan de sa mère, tandis que parmi
les Umpquas et les Toutas de l'Ûrégon, il appartient à
celui de son père (î) ».
Une autre source de contraste est la condition de la
femme selon la tribu à laquelle elle app;irtient. A propos
d'un ouvrage de l'abbé Petitot, Horatio Haie observe que,
dans le Nord, les femmes sont des esclaves, tandis que,
dans le Sud, ce sont des reines. « Four les Tinneh sep.
tentrionaux, continue-t-il, une épouse est un factotum
qu'on achète sans amour, et dont on abuse sans pitié.
Chez ceux du midi, on courtise la femme, son mari lui
témoigne la plus tendre affection ; elle a sa propriété à
elle, et on la consulte dans toutes les transactions com-
merciales (2) » .
Autant que j'ai pu le remarquer personnellement, cet
esclavage sans cœur dont parle l'ethnographe américain
n'est pas sans exagération. Mais toutes ses autres épithè-
tes sont parfaitement appropriées à l'état normal de la
femme chez nos Dénés septentrionaux.
(1) The American Race, p. 71.
(2) Language as a Test of Mental Capacity, p. 88.
— 252 —
Les Dénés du Nord-Est recouvraient ordinairement
leurs morts débroussailles et les abandonnaient, ou bien
les déposaient dans de grossiers cercueils taillés dans un
tronc d'arbre, puis les laissaient exposés sur quelque
échafaudage dans la forêt. Les tribus des montagnes
Rocheuses enfermaient parfois le cadavre dans le tronc
creux ou creusé de quelque arbre laissé debout. Les
Porteurs pratiquaient la crémation, tandis que les Tsil-
kohtines préféraient la sépulture.
Si nous considérons maintenant la nation dénée au
point de vue psychologique, le contraste entre ses di-
verses branches ne fait que s'accentuer. Les Dénés sep-
tentrionaux sont, en général, pusillanimes, timides et
lâches. En peut-on dire autant des Apaches ? Les Dénés
septentrionaux sont des plus paresseux, sans adresse ma-
nuelle ni ambition esthétique. Est-ce là le cas des Navajos?
Même chez les Porteurs qui forment pourtant la plus fière
et la plus progressive de toutes les tribus de l'Ouest, il est
rare qu'un été se passe sans que quelque parti d'Indiens
n'accoure au village frappé de panique, et pourquoi ? Ils
ont vu(?) ou simplement entendu (??) à une faible dis-
tance des « hommes des bois » évidemment animés de
sinistres desseins, et ils se regardent fortunés de leur
avoir échappé avec la vie sauve. Là-dessus grand tumulte
dans le camp, frayeur indescriptible dans les esprits.
Aussitôt chacun est charitablement averti de ne pas s'a-
venturer dans la forêt, et, après le coucher du soleil,
tous se claquemurent soigneusement dans leur cabane.
Comparez ces craintes puériles des Porteurs avec l'esprit
indomptable, les dispositions belliqueuses des « terribles
Apaches ». Comparez aussi les outils grossiers et les in-
dustries primitives des premiers avec les produits mer-
veilleux de l'ingénuité des Navajos, leurs célèbres cou-
vertures tissées à la main, ainsi que leur bijouterie
— 253 —
exquise, et dites-moi si, dans ce cas, la psychologie est
un sûr critérium de certitude ethnologique.
Ce n'est pas tout. Une des principales qualités des
Dénés septentrionaux, de ceux surtout que n'a point
gâtés le contact avec notre civilisation, est leur grande
honnêteté. Parmi les Sékanais, un traiteur partira quel-
quefois pour une tournée de chasse, laissant son maga-
sin ouvert, sans rien craindre pour sa marchandise. Entre
temps, un indigène pourra venir prendre autant de
poudre et de plomb ou de tout autre article de com-
merce qu'il désirera, mais il ne manquera jamais d'y
laisser un équivalent exact en pelleteries. Comparez
maintenant cette édifiante honnêteté avec le code moral
des Apaches. Lisez ce qu'on dit des Lipans du Texas,
autre rejeton de la même famille : « Ils vivent dans les
montagnes de Sainte-Rose, d'où ils ne s'éloignent que
pour voler les chevaux et les bêtes à cornes du voisi-
nage (1). »
Relativement à leurs progrès psychiques et à leur
force de caractère, j'ai dit, dans un autre essai publié
dans les Transactions de la Société royale du Canada,
que toutes les tribus dénées du Nord-Est en contact avec
des races hétérogènes ont adopté la majorité des obser-
vances propres à ces races. Ils ont mis au service de leurs
cérémonies et chants traditionnels jusqu'à la langue de
leurs voisins. D'un autre côté, nombre de Tsilkohtineset
de Babines parlent le chouchouape et le kitiksonne,
tandis que pas un Indien pur sang de ces dernières tribus
ne sait assez des idiomes dénés, qui sont pourtant en
usage dans leur voisinage immédiat, pour converser dé-
cemment par leur intermédiaire. Nos Dénés croient faire
preuve de bon ton en imitant les races étrangères avec
(1) The Karankwa Indians, by A.-S. Gatschet, p. 4i, 1891.
— 254 -
lesquelles ils sont en rapport, tandis que celles-ci mon-
trent leur mépris pour eux en les stigmatisant du nom
de sauvages des bois. Or, voici ce qu'une autorité com-
pétente dit des Houpas, les Dénés de la Californie :
« Après les Karocks, c'est la plus belle race de toute la
contrée, et ils les surpassent même eu économie poli-
tique et par l'influence singulière qu'ils exercent sur les
tribus avoisinantes.Ge sont les Romains de la Californie
septentrionale par leur valeur guerrière et l'étendue de
leur domination. Ce sont les Français d'Amérique par
la vaste diffusion de leur langue. Ils retiennent dans un
état de semi-vasselage la plupart des tribus d'alentour,
exigent d'elle^ un tribu annuel de ces coquillages qui,
chez ces peuples, remplacent l'argent, et ils forcent tous
leurs tributaires à parler houpa dans les communications
qu'ils peuvent avoir ensemble (1). »
Les Dénés du Nord ont généralement fait preuve d'une
remarquable acquisivité ou faculté d'adaptation relati-
vement aux langues et coutumes des blancs. En tant que
race, ils sont aujourd'hui à peu près tous chrétiens. Or
la grande majorité des Navajos et des Apaches sont
encore entichés de leurs croyances et cérémonies supers-
titieuses, et, jusque dans ces derniers temps, ils refusent
le droit de cité à toute influence civilisatrice. Ceci est
tellement vrai, que, quand le ministre des affaires in-
diennes aux États-Unis essaya, il y a quelques années,
d'obtenir un morceau de territoire contigu à celui des
Cherokees pour y cantonner les Navajos, les premiers,
qui ont fait de grands progrès en civilisation, refusèrent
d'entendre parler de la proposition sous prétexte que
« les Navajos n'étaient point des Indiens civilisés (2)».
(1) Contributions io North American Ellinology, III, p. 72.
(2) The Cherokee Nation of Indians, by Charles G. Royce {Fifth
Ann. Rep. Bur. EthnoL, 1883-1884).
— 255 —
Quant aux Houpas, leur agent écrivait en toutes let-
tres, dans un de ses derniers rapports au gouvernement :
« Ils sont tous attachés à leurs lois et coutumes tradi-
tionnelles qu'ils déclarent être bien préférables à Loutes
les autres, et ils regardent comme une faveur digne de
récompense pécuniaire l'assistance de leurs enfants aux
écoles... Quelques-uns n'en veulent même à aucun prix,
préférant voir leurs enfants grandir eu sauvages comme
eux, et disant que l'école ne vaut rien pour pareilles
gens (1). » Gomme contraste à cette apathie intellec-
tuellu, je ne puis que renvoyer le lecteur à ce que je
disais dans une étude précédente (2), de la soif d'instruc-
tion manifestée par les Porteurs, et dessplendides résul-
tats qu'elle a produits, même dans les circonstances les
plus défavorables.
Enfin, la mythologie des Dénés du Nord-Ouest diffère
grandement de celle de leurs voisins immédiats et con-
génères de l'Est, tandis que je n'ai pas encore découvert
un seul point d'analogie entre celle de ces deux divisions
ethniques et celle des Mavajos.
Comment se fait-il donc que des tribus aborigènes
occupant des territoires si distants, des tribus si absolu-
ment dissemblables au point de vue anthropologique,
psychologique et mythologique, puissent être classées
sous l'unique dénomination de Dénés? La réponse est
dans toutes les bouches : cela vient de leur identité lin-
guistique. Le langage est donc le trait d'union qui réunit
dans un tout homogène des éléments d'apparence si dis-
parate. Leur langue nous est un garant que le même
sang coule dans leurs veines, et qu'ils sont les enfants
d'un même père. Je serais curieux de connaître un argu-
(1) Sixlieth Ann. Rep. Commisioner [ndian Affairs, vol. I, p. 220
Washington, 1891.
(2) Les Dénés occidentaux, elc.
— 2o6 -
ment plus plausible en faveur de la suprême importance
de la philologie considérée comme critérium ethnogra-
phique.
Je n'ai jamais eu la bonne fortune de tomber sur le
vocabulaire complet d'un dialecte des Dénés méridio-
naux. Les seuls textes navajos continus qui soient venus
à ma connaissance, sont ceux du Chant de la Montagne
publiés par le docteur W. Malthews (1). Révêtant ces
textes de l'orthographe dénotant ces sons sibilants et
clappants que je crois nécessaires à leur justesse, je
trouve, à côté de quelques termes propres à cette tribu
ou empruntés aux stocks adjacents, pas moins de 72 mots
qu'on peut aisément comprendre à ma Mission du lac
Stuart, dans la Colombie Britannique, à une distance de
près de 900 lieues du Navajo le plus rapproché. Pour ce
faire une juste idée delà proportion des mots d'origine
purement dénée avec les termes étrangers propres au
pays, il ne faut pas oublier que ces textes sont com-
posés en grande partie de quelques mots très souvent
répétés. [A suivre.)
LA MISSION DE SAINTE-ANNE, A NANTES.
Bien que le diocèse de Nantes ait fourni à la Congré-
gation de nombreux missionnaires, dont un évêque,
M^' Légal, nos Pères ne l'avaient pas encore évangélisé.
C'est dire l'importance de la mission donnée à Sainte-
Anne, dans la ville épiscopale. Cette pensée nous engage
à publier l'article suivant paru dans la Semainereligieuse
de Nantes. Nous croyons devoir le donner intégrale-
ment, mais Ton saura faire ia part de la bienveillance
(1) Fi(lh Ann. Rep. Bur. EthnoL, Washington, 1883-1884.
— 23" —
dans les éloges prodigués aux missionnaires. Disons
d'abord que cette mission a occasionné plusieurs de-
mandes, et que nos Pères doivent, au carême prochain,
évangéliser une paroisse voisine.
Une grande faveur spirituelle vient d'être offerte à la
paroisse Sainte-Anne, et, Dieu merci ! elle l'a accueillie
avec foi et reconnaissance. Rien de plus précieux, en
effet, pour une paroisse, que le bienfait d'une mission.
C'est le passage de Jésus au milieu de ses fidèles ; c'est
le souvenir des grandes grâces reçues pendant toute la
vie; c'est, pour un grand nombre, le retour à Dieu après
de longues années d'égarement peut-être; c'est pour
tous la pensée du salut qui s'impose victorieusement;
c'est, par suite, la résolution de mieux vivre pour mériter
de bien mourir.
Et lorsque la mission est dirigée par de vrais apôtres,
par des hommes de zèle, de talent et de cœur, on sent
vraiment Dieu qui passe, et l'on a sous les yeux le spec-
tacle d'étonnantes merveilles de la grâce I
C'est ainsi qu'une paroisse est toute transformée, et
qu'un grand nombre de chrétiens, quelquefois^ hélas !
indifférents ou trop oublieux de leurs devoirs, ne peu-
vent résister aux paroles de feu qui les encouragent, aux
exemples puissants qui les entraînent.
Le bien que nos chers missionnaires ont fait au milieu
de nous sera durable ; leur souvenir ne s'effacera pas de
sitôt de nos âmes reconnaissantes ; la mission qu'ils nous
ont prêchée fera époque dans les fastes de notre pa-
roisse. Mais aussi, quels hommes et quels apôtres ! Qui
dira l'entrain irrésistible qu'ils savent imprimer à toutes
les cérémonies? Comment retracer l'ardeur toute juvé-
nile avec laquelle ils chantent les louanges de Dieu et
annoncent sa doctrine ?
— 258 —
Les religieux qui nous ont évangélisés, pendant les
quatre dernières semaines du carême, appartiennent à
la Congrégation des Oblats de Marie-Immaculée, les
mêmes à qni est confiée la garde des grands sanctuaires
de Montmartre, de Pontmain, de Notre-Dame de Sion.
Ils sont venus quatre parmi nous : le R. P. Jonquet. l'au-
1enr de Montmartre autrefois et aujourd'hui, le directeur
zélé de l'œuvre difficile des miséreux; le P. Grelaud,
qui s'est dévoué pendant longtemps à la même œuvre, et
dont la voix puissante et infatigable n'était pas réservée
exclusivement aux vérités terribles, puisque nous l'avons
entendue s'assouplir aux tons harmonieux de la miséri-
corde; le P. Devès, secrétaire du T. R. P. Supérieur
général, nne fleur éclose au beau ciel du Midi, musicien,
poète, dont la parole distinguée prenait tout naturelle-
ment le chemin du cœur ; le P. Le Floch, un jeune, mais
déjà sage convertisseur des âmes, tout feu, tout flamme,
et dont on sentira le cœur à travers ses ardentes paroles,
soit qu'il s'adresse aux Nantais, soit qu'il parle aux Bre-
tons, ses compatriotes, pour lesquels il a été spéciale-
ment appelé.
11 faut dire d'abord que les RR. PP. Oblats ont cou-
tume, dès le début de leurs différentes missions, de visi-
ter tous les paroissiens, Cela n'a pas été possible à Sainte-
Anne ; notre population est trop nombreuse, et il eût
fallu consacrer à ces visites un temps trop long. On a donc
dû y renoncer ; mais c'est à regret, car nos vénérables
missionnaires aiment ainsi à se mettre en contact, dès le
premier jour, avec tous ceux qui, plus tard, répondront
à leurs cordiales avances.
Rien de plus touchant que la cérémonie d'ouverture.
Avant la grand'messe, le clergé paroissial descend pro-
cessionnellement l'église, et se rend à la grande porte où
se tiennent, humblement agenouillés, nos quatre Pères,
— 559 —
en habits de voyage. M. le curé présente la croix au
R. P. Supérieur qui la baise, la fait baiser à ses con-
frères, et la rapporte solennellenient au chœur, mêlé
aux rangs de la procession. Puis, du haut de l'autel, il
se sert du signe du salut pour bénir la foule pieusement
recueillie.
A l'évangile, le R. P. Jonquet explique ce qu'est une
mission : F?'aires meos quxro. Je cherche mes frères. Dieu
envoie ses missionnaires près de ses enfants qu'il sait
exposés à de grands travaux et à de grands dangers. Ils
viennent pour les secourir dans la grande affaire du
salut...
Il annonce ensuite l'ordre des exercices de la mission.
Tous les jours, messe à l'-> heures et demie, suivie de
l'instruction. « Ce n'est pas l'exercice des paresseux. »
Et il faut croire qu'il y en a bien peu, à Sainte-Anne,
puisque, depuis le premier jour jusqu'au dernier, cette
réunion matinale qui, certes, exigeait quelque courage,
a été grandement fréquentée. Elle est d'ailleurs d'une
importance capitale ; car c'est là que se font les instruc-
tions les plus pratiques et les mieux proportionnées au
genre spécial d'auditeurs qui s'y rassemblent. A8 heures,
le soir, réunion générale.
Mais comme il est certaines personnes âgées ou in-
firmes à qui il aurait été impossible de répondre aux in-
vitations des missionnaires pour les instructions du
matin, ou pour les sermons du soir, nos apôtres ont
poussé le zèle jusqu'à les convoquer à 3 heures de l'après-
midi, et cette réunion, comme toutes les autres, s'est
vue grossie dès le premier jour d'une foule nombreuse
qui n'a fait que croître jusqu'à latin.
Gomment résister, d'ailleurs, à l'intérêt varié des ins-
tructions ? Comment refuser de se nourrir de ce pain
de la doctrine tout plein de substance et de piété? Gom-
— 260 —
ment négliger ces conseils, cette bonne direction de
la vie chrétienne qui laissera, nous n'en doutons pas, des
traces profondes dans l'âme de nos chers paroissiens?
La première semaine de la mission fut consacrée aux
enfants de six à dix ans. Chaque jour, ils se réunissaient
à 11 heures. C'était plaisir de les voir, avec leurs petites
mines éveillées, écouter attentivement les instructions
appropriées à leur âge, dans lesquelles, à l'aide surtout
d'histoires, on leur explique les devoirs qu'ils doivent à
Dieu, au prochain et à eux-mêmes. Pour les intéresser
plus vivement, les.Révérends Pères font des aînés d'entre
ces petits les prédicateurs de leurs frères. Une dizaine
de petits garçons, autant de petites filles, se rangent à
l'entrée du chœur, et répètent à haute voix les instruc-
tions et histoires de la veille. Bien entendu, de si aima-
bles prédicateurs reçoivent toujours en récompense une
belle image. C'est justice. Mais tout cela n'était que le
prélude de la grande fête du dimanche où se fit la clôture
de la mission des enfants. Plus de 2000 remplissaient
l'église, et on les entendit avec émotion répondre aux
questions des missionnaires leur demandant de reprendre
les instructions des jours précédents, on les vit joyeux
offrir leurs bouquets et leurs couronnes, en chantant avec
entrain :
Bonne Marie,
Je te confie
Mon cœur ici-bas.
Tiens ma couronne,
Je te la donne;
Au ciel, n'est-ce pas,
Tu me la rendras ?
Les parents, heureux témoins de cette fête, ont dû res-
sentir en leur cœur les douces émotions que goûtent les
âmes qui se promettent d'appartenir à Dieu. Aussi s'ex-
plique-t-on facilement que dès lors la grâce commença
— 261 —
d'agir plus visible et plus forte sur toute notre population.
La première réunion des hommes, présidée par
M^"" l'évêque, fut très nombreuse et très consolante. Le
P. JoNQUET leur parla du courage chrétien. Dans un dis-
cours d'une ferme éloquence, l'auteur leur fit sentir
combien il est honteux de voir tant de chrétiens bapti-
sés manquer de courage en présence de ceux qui ont
l'audace, eux, de l'athéisme, du blasphème ou de l'indif-
férence. « Il prennent la liberté du mal, et vous ne pren-
driez pas la liberté du bien! » Et lorsque ensuite Mon-
seigneur prit la parole, il fut religieusement écouté. Nul
doute que les encouragements paternels de notre évêque
n'aient contribué puissamment au succès des pieux exer-
cices. Les trois réunions suivantes devaient présenter
un attrait d'un nouveau genre. On cède facilement au
charme des conférences dialoguées. Aussi, nous croyons
que si les i 500 hommes qui se sont groupés autour de
la chaire pour entendre les objections du P. Grelaud
ont été réjouis de sa franchise, il n'ont pas été moins
heureux des réponses nettes, judicieuses et quelque
peu humoristiques du R. P. Jonquet.
On résiste si peu à l'attrait des conférences dialoguées,
que les femmes ont voulu avoir la leur. Elles l'ont réclamée
par une lettre au P. Supérieur, dans laquelle elles di-
saient, non sans raison, que leur conversion était aussi
nécessaire que celle des hommes. C'était signé : Toutes
les femmes.
Je ne ferai que citer la fête des morts, la consécration
à la Très Sainte Vierge, la cérémonie de l'expiation envers
la Très Sainte Eucharistie, la cérémonie de la promulga-
tion de la loi. Toutes ces fêtes qui se déroulèrent sous
les feux de radieuses illuminations laisseront dans nos
cœurs une impression profonde de foi et de piété, et
l'on a bien vu combien elles étaient goûtées, puisque la
T. XXXV. 18
- 262 -
foule venait près de deux heures à l'avance arrêter ses
places.
La cérémonie de la promulgation de la loi a été parti-
culièrement touchante. M. le vicaire général Leroux vou-
lut bien venir la présider. Elle commence par l'exposi-
tion du Très Saint Sacrement. Ensuite, le diacre chante
l'évangile des béatitudes que le prédicateur explique du
haut de la chaire. « C'est là, dit-il, que nous trouvons
condensées en peu de paroles l'assurance de notre bon-
heur ici-bas et les promesses de notre félicité là-haut.
Le vrai moyen d'être heureux, c'est d'être vertueux. »
Mais, parmi les vertus, il en est une sans laquelle les
autres ne seraient rien, sans laquelle il nous est impos-
sible de plaire à Dieu, c'est la foi qui nous fait croire aux
vérités révélées. Et toute la foule chante à pleine voix le
Credo. Suit une exposition sommaire des vérités qu'il
contient. Enfin, à l'assentiment de notre intelligence
qui croit, il faut joindre les actes d'une volonté qui agit,
M. le curé proclame chacun des dix commandements de
Dieu que tous les fidèles répètent après lui; et, lorsqu'ils
ont appris du prédicateur les ordonnances précises aux-
quelles nous oblige chaque précepte, ils répondent à
cette demande dix fois posée : a Voulez-vous désormais
observer plus fidèlement ce commandement de Dieu? —
Nous le promettons. »
Nous voudrions pouvoir citer toutes les industries
pieuses que le zèle de nos missionnaires a su mettre en
jeu pour émouvoir et ramener à Dieu tant de cœurs qui
en étaient depuis longtemps éloignés ; mais l'espace
nous manque. Cependant, comment ne pas rappeler ce
tintement solennel de la grosse cloche qui se faisait en-
tendre, tous les soirs, après le dernier exercice? C'est
le réveil des pécheurs; c'est le moment oti chacun, rentré
dans sa maison, doit faire instance au cœur miséricor-
— 263 —
dieux de Jésus. Alors tous les membres de la famille
s'unissent dans une courte mais fervente prière; et il est
tel et tel, nous le savons, qui, le lendemain, sont venus
trouver les missionnaires et leur dire : « Je n'ai pas pu
résister aux instances de ma femme et de ma fille. »
Tant d'efforts, tant de zèle, tant de prières ont été cou-
ronnés de succès. On l'a vu aux jours des communions
générales. Les retours ont été nombreux. Nous ne cite-
rons pas de chiffres ; Dieu connaît ses élus, et déjà il les a
récompensés. Pouvaient-ils penser, en effet, qu'un acte
de courage qui les effrayait au premier moment dût en-
suite leur procurer de si douces jouissances ? La commu-
nion des jeunes filles, le dimanche des Rameaux, a été
fervente; celle des femmes, le jeudi saint, nous a émus
grandement; la communion des hommes, le jour de
Pâques, a réjoui et consolé tout le monde. De nombreux
retours à Dieu! Voilà la récompense qu'ambitionnaient
nos apôtres, et Dieu la leur a accordée largement.
Qu'il daigne ajouter à cette première faveur de les
conserver longtemps encore dans la force et l'ardeur
pour qu'ils puissent procurer à d'autres le bonheur dont
nous avonsjoui nous-mêmes. C'est le vœu que M. le curé
a exprimé, en leur adressant ses remercîments, en son
nom et au nom de tous ses paroissiens. r. r.
En quittant Nantes, le R. P. Jonquet et le R. P. Gre-
LAUD se dirigeaient vers la Belgique, et inauguraient par
une mission, qui aparfaitement réussi, la nouvelle église
du scolasticat. Voici ce qu'écrivait la Gazette de Liège au
sujet de la première réunion des hommes.
LA MISSION DE SAINT-LAMBERT.
Au moment oili, dans son numéro d'hier, la Gazette de
Liège relatait le véritable succès avec lequel se poursuit
— 264 —
la mission donnée par les Pères Oblats en l'église Saint-
Lambert, une manifestation grandiose de la vieille foi
liégeoise venait donner à son affirmation une réelle con-
sécration.
Près de 1 500 hommes, en effet, avaient spontané-
ment répondu à ce premier appel des missionnaires et
occupaient, mardi soir, en rangs serrés, les vastes nefs
ainsi que le chœur de la nouvelle église.
Après la récitation d'une dizaine de chapelet et le
chant d'un cantique, enlevé avec un bel enthousiasme,
il nous a été donné d'entendre une de ces conférences
dont le fond et la forme, magnifiquement appropriés à
l'état des esprits, en cette fin de siècle agitée, a produit
sur l'auditoire tout entier un grand effet.
Dans un style concis et parfois joliment imagé, le
missionnaire s'est attaché à détruire, partie par partie,
la sorte de malentendu qui existe, à l'heure actuelle
comme à toutes les époques troublées, entre l'Eglise et
la société.
Puis, dans une péroraison où se révèle tout le cœur
du missionnaire Oblat dont la « charité » est toute la rai-
son d'être, l'orateur fait entendre une de ces sonneries de
clairon — pour me servir de son expression — qui res-
semblait singulièrement aux apostrophes enthousiastes
des apôtres, sortant du Cénacle au soir de la Pentecôte ;
commentant la protestation de fidélité de saint Pierre à
son maître : « Alors que tous vous abandonneraient,
moi je ne vous abandonnerai pas », il adjure son audi-
toire d'opposer à l'erreur et au vice, la vérité et la vertu,
à la lâcheté du découragé, la fièvre du soldat pour qui
il n'y a pas deux manières de mourir, mais une seule :
mourir en brave.
En quittant l'église Saint-Lambert, sous l'impression
de cette belle soirée, ie me ronortais involontairement
— 265 —
par la pensée à telle boutade d'une vieille feuille liégeoise
se demandant à son réveil un beau matin de l'année
dernière ce que ce pouvait bien être qu'un «Oblat»,
parce qu'il n'en avait trouvé la définition ni dans La-
rousse, ni dans Littré. S'il est encore des esprits que
pareille question embarrasse, je leur donne rendez-vous
avec moi, ce soir, jeudi, au pied de la même chaire, à
8 heures.
DECRETUM.
QUOAD MISSAS DE REQUIE.
« Si Sanctissimo placuerit: I. In quolibet sacellosepul-
creti rite erecto vel erigendo, missas quseinibi celebrari
permittuntur, posse esse de Requie diebus non impeditis
a festo duplici primae vel secundse ciassis, a dominicis
aliisque festis de praecepto servandis, nec non a feriis,
vigiliis , octavisque privilegiatis ; item IL quibuslibet
ecclesiis et oratoriis, quum publicis, tum privatis et in
sacellis ad seminaria,collegia et religiosasvelpiasutrius-
que sexus communitates spectantibus, missas privatas
de Requie, praesente, insepulto, vel etiam sepulto non
ultra biduum, cadavere, fîeri posse die vel pro die obitus
aut depositionis : verum sub clausulis et conditionibus,
quibus, juxta rubricas et décréta, missa solemnis de
Requie iisdem in casibus decantatur. Gontrariis non
obstantibus quibuscumque. Die, 19 maii 1896. »
Facta postmodum de his Sanctissimo Domino Nostro
Leoni Papae XIII per meipsum infrascriptum cardina-
lem, relatione, Sanctitas Sua sententiam Sacrje ipsius
Congregationis in omnibus ratam habere et confirmare
dignata est, die 8 junii, eodem anno.
G. Gard. Aloisi-Masella, S. R. C. prsefectus.
Aloisius Tripepi, secretarius.
— 266 —
DECRETUM GENERALE.
ORATIONUM ET SBQUENTI^ IN MISSIS DEFUNCTORUM-
Ut omne tollatur dubium super orationibus et sequen-
tia dicendis in missis defunctorum, Sacra rituum Gon-
gregatio déclarât :
T. Unam tantum esse dicendam orationem in missis
omnibus, quœ celebrantur in commemoratione omnium
fidelium defunctorum, die et pro die obitus seu deposi-
tionis, atque etiam in missis cantatis, vel lectis permit-
tente ritu diebus III, VII, XXX, et die anniversaria, nec
non quandocumquepro defunctis missa solemniter cele-
bratur, nempe snb ritu qui dnplici respondeat, ut in
officio quod recitatur post acceptum nuntium de alicujus
obitu, et in anniversariis, late sumptis.
II. In missis quotidianis quibuscumque, sive lectis,
sive cum cantu, plures esse dicendasorationes, quarum
prima sit pro defuncto vel defunctis , certo designatis,
pro quibus sacrificium offertur, ex iis quse inscribiintnr
in missali, secunda ad libitum, ultima pro omnibus
defunctis.
III. Si vero pro defunctis in génère missa celebretur,
orationes esse dicendas, qu£e pro missis quotidianis in
missali prostant; eodem ordine quo sunt inscriptae.
IV. Ouod si iniisdem quotidianis missis plures addere
orationes celebranti placuerit, uti rubricse protestatem
faciunt, id fieri posse tantum in missis lectis impari cum
aliis preescriptis servato numéro, et orationi pro omni-
bus defunctis postremo loco assignato.
V. Quod denique ad sequentiam attinet, semper illam
esse dicendam in quibusvis cantatis missis, uti etiam in
lectis quae diebus ut supra privilegiatis fiunt : inreliquis,
vel recitari posse vel omitti ad libitum celebrantis, juxta
rubricas. Contrariis nonobstantibus quibuscumque.
CCard. Aloisi-Masella, S. R. C, prœfectus.
A. Tripepi, seerelarius.
NOUVELLES DIVERSES
Le T. R. P. Général, accompagné du R. P. Tatin,
assistant général, achève en ce moment la visite cano-
nique de la province du Midi. Il a dû l'interrompre pour
aller assister aux obsèques de la mère Marie-Raphaël, et
il l'a reprise ensuite.
— Le Saint-Siège vient de donner comme coadju-
teurs à M^' Grandin, le R. P. Légal, du diocèse de Nantes,
et à M^' DuRiEu, le R. P. Dontenville, du diocèse de
Strasbourg. Aux nouveaux prélats, les Missions adres-
sent respectueusement et cordialement le ad multos
annos !
— Bibliographie. Le cinquième volume du Mystère de
Notre-Seigneur Je sus -Christ, par leR. P. Corne, vient de
paraître et couronne dignement cette œuvre importante.
Nous avons omis d'annoncer l'apparition du volume
intitulé : Voyage du T. R. P. Général en Amérique. Ce
livre a pour but, non point de raconter des faits en
partie déjà connus, mais de former un souvenir de ce
mémorable voyage. C'est dans ce but qu'on y a repro-
duit les adresses avec les noms de leurs signataires,
qu'on y a multiplié les vues des pays traversés et les por-
traits des personnages mentionnés. On a donné des
soins à l'impression, et le tout forme un ensemble élé-
gant. Les communautés et les familles dont les membres
ont figuré à des titres divers dans la réception faite en
Amérique au Supérieur général, seront heureuses de
posséder ce souvenir. On a voulu leur être agréable en le
leur présentant.
.^^
^v
NÉCROLOGIE
Les nouvelles que nous avions publiées dans notre
dernier numéro sur la santé de la Mère Marie-Raphaël
Tignet faisaient prévoir le coup qui vient de frapper
la Sainte-Famille. La vénérée Directrice générale s'est
éteinte dans le Seigneur aux premiers jours du mois de
Marie. Elle avait occupé son poste de dévouement du-
rant six années. Pénétrée de sa mission divine, c'est
dans roraison et dans le commerce avec Dieu qu'elle
cherchait la lumière et la force. On le voyait à son ap-
proche. Sous une frêle enveloppe apparaissaient la déli-
catesse surnaturelle de cette âme et la sainteté qui la
faisait vivre dans les pures régions de la foi. Rien toute-
fois, dans son abord, ne sentait l'affectation ni la con-
trainte. Tout y était empreint de cette simplicité qui fait
la distinction véritable. La pénétration de son esprit et
la rectitude de son jugement étaient la lumière de son
conseil et de sa Congrégation; son zèle, une douceur
vraiment maternelle sans faiblesse, l'abnégation poussée
jusqu'au sacrifice complet de soi-même, rendaient son
action puissante et fructueuse dans les œuvres mul-
tiples qui relevaient de sa sollicitude. Sur sa tombe
sont venus de toutes parts des témoignages de vénéra-
tion. Nous y joignons respectueusement le nôtre, avec
le témoignage de condoléances pour la Sainte-Famille,
et l'espoir certain que cette épreuve et les mérites de la
sainte Mère Marie-Raphaël attireront des bénédictions
croissantes sur l'œuvre du bon Père Noailles.
R. L P.
MISSIONS
DE LA CONGRÉGATION
S OBLATS DE MARIE IMMACULEE
N» 139. — Septembre 1897
MAISONS DE FRANCE
I
MAISON DE VICO.
RAPPORT ADRESSÉ PAR LE R. P. HAMONIC
AU T. R. P. SUPÉRIEUR GÉNÉRAL.
Avec une fidélité exemplaire, le R. P. Supérieur de
Vico nous communique le double rapport suivant, l'un
sur les missions données par les Pères de sa communauté,
et l'autre sur les noces d'or des RR. PP. Tamburini et
ZiRio. Ces lignes revêtent le charme de la couleur lo-
cale, sont émaillées de détails pittoresques, et on lira
avec intérêt les pages du bon P. Hamonic. Nous sommes
heureux de l'en remercier.
Mon très RÉVÉREND ET BIEN-AIMÉ PÈRE,
Je me fais un devoir de ne pas tarder davantage à
vous envoyer le rapport succinct de nos travaux pendant
ces deux dernières années.
Mars 1893, telle est la date de notre dernier rapport.
T. XXXV. 19
— 270 —
Six Pères seulement composent le personnel de la mai-
son ; les RPi. PP. Hamonic, supérieur; Tamburini, pre-
mier assistant et curé de Nesa ; Stéfanini, deuxième
assistant et vicaire de la même paroisse ; Zmio, Albertini
et d'Istria (Bernardin); et les Frères convers Sorbella;
Campagnac, Nati, Roux et Neveu.
Trois Pères seulement ont pris part aux travaux des
missions en 1895, et quatre en 1896, par l'adjonction du
R. P. Di GioviNE, arrivé en août 1895. Malgré ce nombre
restreint d'ouvriers, la maison a pu fournir une somme
de travaux relativement considérable, en 1895 ; et en 1896,
grâce au jubilé national, le nombre a dépassé de beau-
coup les bornes ordinaires. Pour rendre hommage à la
vérité, nous devons constater que si les Pères, sans
compter avec les fatigues, se sont prodigués sans me-
sure, Dieu, de son côté, ne leur a pas ménagé les conso-
lations, bénissant leurs travaux par des succès dépas-
sant souvent toutes les espérances.
En Corse, comme dans beaucoup d'autres contrées du
reste, la saison des missions ne commence qu'avec le
carême, disons mieux : dans les dernières semaines, que
tous les prêtres choisissent comme l'époque la plus fa-
vorable.
Le premier à partir fut le R. P. Stéfanini, chargé de
prêcher le carême d'Oletta (1 300 habitants), pays natal
du R. P. Tamburini, paroisse importante que nos Pères
avaient évangélisée deux ans auparavant ! Travail tou-
jours si ingrat et si peu fructueux.
Cependant, pour être juste, il est bon de dire qu'il y
eut, à Oletta, de consolants retours, même après le dé-
part du missionnaire, comme le lui écrivait aimablement
le curé, son ami : « Le Centurion, la Madeleine, la Sa-
maritaine, se sont enfin rendus : si vous n'êtes pas content,
vous êtes bien difficile. »
— 271 —
De leur côté, les RR. PP. Albertini et d'Istria s'apprê-
taient à partir pour donner ensemble l'importante mis-
sion de Propriano. Mais ils avaient compté sans leur hôte,
je veux dire sans le zèle industrieux du R. P. Tamburini,
qui guettait l'occasion de donner une mission en règle
à son petit troupeau. Il eut l'adresse de saisir au vol et
à temps nos deux missionnaires qui, pendant dix jours,
évangélisèrent si bien son peuple que le succès fut des
plus consolants. Du reste, ce prélude n'était qu'un jeu
en comparaison du rude et difficile travail qu'ils allaient
entreprendre.
Propriano, petite ville de formation récente (1 600 ha-
bitants), est comme le port de mer et le rendez-vous de
tout l'arrondissement de Sartène : sa population cosmo-
polite n'est qu'un ramassis d'une foule d'aventuriers,
ouvriers ou marchands accourus de tous les environs,
dans l'espoir d'y réaliser plus promptement une petite
fortune. On devine aisément que le plus grand souci de
ces gens affairés n'est pas précisément le salut de leur
âme. Aussi ce n'était pas sans de sérieuses appréhensions
que nos deux vaillants abordaient ce champ de bataille,
hérissé de difficultés.
Cependant, qui n'admirerait la puissance de la grâce
des missions? La simple annonce de ce bienfait avait
si profondément remué les cœurs, que l'accueil fait
aux missionnaires toucha à l'enthousiasme et dissipa
promptement toutes les craintes. Dès le milieu de la
mission, le P. Albertini était heureux de pouvoir
écrire :
« Le bien opéré sera grand ; il y a foule à toutes les
instructions. Presque toutes les femmes sont déjà en
règle. M. le maire, armé d\me Loi de Louis XV ^ pour-
suit à outrance une population qui empoisonnait non
seulement Propriano, mais tout l'arrondissement. Pour
— 272 —
les mariages illégitimes, il y a un mouvement; mal-
heureusement, il sera enrayé par le Code Napoléon. »
Le succès final dépassa de beaucoup les espérances.
Les habitants étaient si fiers et si contents de leurs mis-
sionnaires, qu'ils ne savaient comment leur témoigner
assez leur reconnaissance.
Que faisaient nos trois vétérans, restés sur la mon-
tagne, pendant que nos trois braves combattaient ainsi
vaillamment dans la plaine ? N'avaient-ils, comme Moïse,
qu'à lever leurs mains suppliantes vers le ciel, pour atti-
rer des bénédictions abondantes sur les armes des com-
battants? Non, eux aussi travaillaient activement. A cette
époque de l'année, la besogne est grande, parfois acca-
blante, au couvent : outre le service de la paroisse de
Nesa, de l'aumônerie des Filles de Marie, il faut rece-
voir et entendre la confession pascale d'une foule d'ha-
bitants de Vico et de toutes les paroisses environnantes.
On ne veut se confesser qu'aux Padri :\\ y a là un bien
sérieux à faire, et trois Pères ne sont pas de trop pour
satisfaire à toutes les exigences.
Mais voici que la divine Providence nous envoie, tout
à coup, un surcroît de travail bien inattendu. L'aumônier
de l'importante communauté des Sœurs de Saint-Joseph
d'Ajaccio et de leur pensionnat si nombreux, le bon, le
cher et si regretté P. Vassal, venait d'être frappé par une
attaque que l'on ne crut pas, d'abord, si dangereuse,
mais qui devait l'emporter à bref délai. Lettres sur let-
tres sont envoyées au Supérieur du couvent de Yicopour
le prier, le supplier, de vouloir bien se charger de l'in-
térim de cette communauté. On comprend ce qu'il en
coûtait au Supérieur de laisser un trop lourd fardeau
sur les épaules, déjà si chargées, des PP. Tamburini et
ZiRio : cependant, il fut contraint de céder aux instances
réitérées et de se charger d'un intérim qui ne devait
- 273 -
durer que quelques jours, pensait-on; mais qui, de fait,
se prolongea pendant plus de deux mois.
Revenons à nos missionnaires.
Le carême d'Oletta fini, le R. P. Stéfanini, sans prendre
un instant de repos, court, vole à Pelreto, important
chef-lieu de canton, pays natal des RR. PP. d'Istria, où
il était attendu et où il est avantageusement connu. La
lutte devait être ardente, grâce aux passions surexcitées
par l'approche des élections générales.
« Le résultat de cette mission, écrivait le missionnaire,
a été, pour moi, moins satisfaisant que je ne l'avais
espéré; mais, comme tout est relatif ici-bas, il paraît
qu'aux yeux de la population j'ai obtenu un véritable
succès. » Quant au bon et digne curé doyen, il ne se
possédait pas de joie et exprimait sa satisfaction à sa
manière : « Si j'avais vingt plats, me disait-il naïvement
hier soir au souper, je vous les servirais, car vous les
méritez, et jamais aucun missionnaire n'a fait ce que
vous faites,)) et M. le juge de paix, son parent et com-
mensal, disait presque hors de lui : « Mais c'est su-
« blime ; il n'y a que notre religion pour donner de ces
« spectacles : Ah ! si je n'étais dans les embarras où je
« me trouve!... » Hélas ! il est de Vigianello, de la fa-
mille puissante des Benedetti, et poursuivi par un ennemi
acharné qui garde le maquis et ne veut, à aucun prix,
faire la paix.
Ce fut dans cette paroisse qu'il fut donné au R. P. Sté-
fanini de goûter quelques-unes des douceurs qui ne sont,
habituellement, que le lot des Missions étrangères. A la
prière du bon curé, vieux et infirme, le missionnaire se
dévoua pour aller à de grandes distances, par monts et
par vaux, visiter, confesser, communier, donner la bé-
nédiction pascale, distribuer le cierge de la Chandeleur,
aux bergers malades ou infirmes. « Si vous saviez quelles
— 274 —
descentes et puis quelles ascensions j'ai dû faire ce jour-
là (et les jours suivants). Parti vers 6 heures du matin,
je ne suis rentré que vers 1 heure de l'après-midi, moulu
et harassé de fatigue : cela ne m'a pas empêché de faire
mon travail le reste du jour et de me bien porter dans
la suite. Oh! comme ces braves gens sont sensibles à la
visite du missionnaire ! «
Le soir même de la clôture, noire apôtre devrait se
trouver à Pila-Canale, pour commencer une nouvelle
mission, avec le R. P. Albertini, dans cette importante
localité. Dans l'impossibilité matérielle de franchir la
distance, ce dernier fera, seul, l'ouverture et sera re-
joint, le lendemain, par le P, Stéfanini.
M. le chanoine Poli, notre ami et curé doyen de cette
paroisse, écrivant au Supérieur du couvent, ne sait com-
ment exprimer sa joie, sa reconnaissance pour le suc-
cès de cette mission ; « Les RR. PP. missionnaires ne
se sont pas épargnés, ni le jour, ni la nuit, pour con-
vertir les âmes. Dès leur première apparition dans la
paroisse, ils ont fait bonne impression. Si le succès
pour les hommes n'a pas été complet, je dois affirmer
qu'il a été relativement beau. Parmi les 140 hommes qui
se sont approchés des sacrements, j'en compte beaucoup
qui sont de vraies conquêtes... »
Au départ des missionnaires, M. Colonna-Hugues, ca-
pitaine en retraite, se fit l'interprète de toute la popu-
lation pour exprimer en termes chaleureux, enthou-
siastes, les sentiments d'admiration, de reconnaissance
dont tous les cœurs étaient remplis pour le bien opéré
par cette mission.
Comme nos missionnaires seraient heureux de se re-
poser quelques instants de leurs fatigues! Impossible :
voilà la visite pastorale commencée. Monseigneur tient
à ce que nos trois missionnaires lui servent de précur-
— 275 —
seurs. Que ne peuvent-ils se trouver dans dix lieux à la
fois ! Partout, les curés les réclament. Gognocoli a la
chance de posséder le B. P. d'Istria, pendant dix jours.
Le R. P. Albertini est saisi, au vol, par le curé doyen de
Sainte-Marie-Siché et doit le satisfaire, mais au prix de
quelles fatigues! D'un autre côté, il a promis d'aller
prêcher à Urbalacone ; et Monseigneur, qui doit visiter
son pays natal, Azilone, a supplié le P. Albertini d'aller
lui préparer les voies.
Détail amusant et qui peint la naïveté de ces récep-
tions épiscopales :
A Urbalacone, la calèche de Monseigneur s'arrêta sous
l'arc de triomphe qu'on y avait dressé. Pendant qu'un
jeune homme complimentait Sa Grandeur, une pluie de
roses tombait du ciel. Et d'où venaient-elles, ces fleurs ?
L'arc de triomphe avait la forme d'un dôme ; au moyen
d'une poulie l'on faisait descendre et monter, à volonté,
une corbeille magnifiquement ornée, dans laquelle on
avait placé quatre fillettes de trois ou quatre ans. Leur
toilette élégante était blanche comme leur âme, fraîche
comme leur figure, légère comme leurs cheveux on-
doyant librement sur leurs épaules. Chacune d'elles avait
un petit panier rempli de fleurs qu'elles épandaient sur
la voiture de Monseigneur, heureuses d'attirer tous les
regards et de se faire applaudir. La cérémonie terminée,
on fit descendre la corbeille. L'évêque, ravi, s'approcha
des petits enfants pour les caresser et les bénir. Son im-
posante stature et sa soutane violette les intimidèrent.
Elles pâlirent au fond de leur corbeille que l'on eût prise
pour un nid de colombes.
Et le P. Stépanini, que faisait-il donc ? Il accompa-
gnait partout Sa Grandeur qui était heureuse d'en faire
habituellement son porte-parole, dans ces circonstances.
Avouons-le : après ces coups de feu ou ces batailles, en
— 276 —
règle, nos apôtres, harassés, avaient bien mérité de ve-
nir, pendant quelques semaines, se reposer et respirer
l'air frais et vivifiant de notre chère solitude.
Ce ne fut pas pour longtemps, du reste.
Déjà le R. P. Stéfanini est tout absorbé par une grave
préoccupation. La confiance de l'autorité diocésaine
vient de le choisir comme directeur d'un pèlerinage à
Notre-Dame de Lourdes, auquel tout le diocèse, pour la
ijremière fois, était convoqué. Tout était donc à étudier
et à organiser. Qui dira les voyages, les démarches, les
correspondances que le bon Père dut multiplier ; les en-
nuis, les contrariétés de toutes sortes qu'il eut à endurer ;
les combinaisons qu'il eut à étudier pour les services des
bateaux et des chemins de fer? Il est plus facile de de-
viner que de décrire ses craintes et ses soucis. En fin de
compte, les pèlerins n'eurent qu'à se féliciter des dispo-
sitions qui avaient été prises, et grâce aux soins dévoués
de son président, M^'"Emmanuelli, vicaire général d'Ajac-
cio ; grâce surtout au zèle, à l'activité, à Tentrain du
R. P. Stéfanim, le pèlerinage corse lit une assez bonne
figure à Notre-Dame de Lourdes : ce qui engagea l'ad-
ministration diocésaine à répéter cet essai l'année sui-
vante.
Malgré les fatigues du voyage qui l'avaient « comme
hébété et anéanti », ce sont ses expressions, le R. P. Sté"
FANiNi reprend aussitôt le cours de ses missions. Au lieu
de revenir à Ajaccio, il s'embarque pour Bastia où deux
nouvelles missions l'attendent. L'aimable chanoine Fé-
lici, curé doyen de Verde, et son frère le docteur, le re-
çoivent au débarcadère et l'emmènent aussitôt. Dieu ne
pouvait manquer de bénir le zèle de son apôtre. Les cé-
rémonies furent splendides ; l'enthousiasme bientôt à
son comble; les unions illégitimes furent régularisées,
en un mot, le succès fut complet. — Lisez plutôt ce
— 277 —
compte rendu tardif par un mécontent qui ne veut à
aucun prix laisser « la lumière sous le boisseau», et
adressé au journal le Conservateur :
Pietra-di-Verde, 10 novembre 1895.
Monsieur le chanoine Fioravanti,
Par ces temps de doutes cruels et affligeants, la lumière ne
doit pas rester sous le boisseau. Au risque donc de déplaire
au R. P. Stéfanini, au sympathique vicaire forain, et à vous
même, monsieur le chanoine, je suis à me demander pourquoi
il n'a pas été fait mention, dans votre journal, d'une mission
dont jamais Pietra ne perdra la mémoire, ori le R. P. Stéfa-
nini a obtenu un si brillant succès.
Le digne Oblat de Marie a beau le cacher, cette mission
apostolique reste acquise aux annales religieuses de cette im-
portante paroisse. Rien n'y a manqué. Ouverte dans la der-
nière quinzaine du mois d'août dernier, elle a pris fin dans
les premiers jours du mois de septembre.
Les fortes chaleurs n'arrêtaient en aucune façon le zèle de
Tenfant privilégié de Marie ; et la population , religieuse
d'ailleurs et prête à recevoir la divine semence, s'est montrée
plus fervente que jamais. Les confessionnaux étaient littéra-
lement envahis, les communions partielles couronnées par
une communion générale. La première communion des enfants
fut surtout ravissante ainsi que la cérémonie d'une plantation
de croix monumentale. Ainsi donc, mon vaillant et révérend
Père, et vous messieurs les chanoines Felici, de Giovanni et
Fioravanti, ne m'en veuillez pas trop ; mais dites plutôt avec
un ami sincère : Sursum corda et ad majorem Dei gloriam l
Après Pietra-di-Verde, Borgo, autre cure de canton
importante. Mais c'est le cas de dire : les paroisses se
touchent, mais ne se ressemblent pas. Depuis long-
temps, Borgo est veuve de son pasteur. Un simple vicaire,
qui l'administre, n'y tient plus et ne sait comment re-
médier aux maux qui désolent cette malheureuse pa-
— 278 —
roisse. Il supplie donc le R. P. Stéfanini de venir à son
secours.
« Borgo, écrivait le missionnaire, c'est l'infection en
plein, intérieure et extérieure.» Que fera notre mission-
naire au milieu de cette population gangrenée? Presque
découragé, il demande des prières, à droite et à gauche,
aux saintes âmes, aux communautés religieuses. « A part
une excellente famille de cette paroisse, dit-il, je crois
que l'on peut brûler le reste. »
Cependant, un bien réel fut accompli : plusieurs unions
illégitimes furent régularisées ; l'on vint en grand nom-
bre aux instructions et aux belles cérémonies de mission
qui furent autant de fêtes splendides. Les chants surtout
et la musique furent un puissant attrait, et, au jour de
la clôture, plusieurs centaines de fidèles s'approchèrent
de la table sainte. Une croix magnifique fut élevée sur la
hauteur de Borgo, souvenir désormais impérissable de
cette belle mission.
De leur côté, les PP. Albertim etn'IsTRiA ne restaient
pas inactifs. Deux belles missions, dans les environs
de Vico, leur étaient réservées, pour y travailler en-
semble.
Renno, d'abord, important chef-lieu de canton de
900 habitants ; population excellente, amie des mission-
naires. Aussi le succès fut-il magnifique. Le travail des
confessions, surtout, fut accablant : mais aussi quelle
joie pour les missionnaires de voir les efforts de leur
zèle si pleinement récompensés ! La communion des
femmes fut absolument générale, et, le dimanche sui-
vant, la presque totalité des hommes s'approchait, à son
tour, de la sainte table, avec la ferveur et la régularité
de grands séminaristes ; surtout les membres de la con-
frérie, au nombre de près de cent soixante, qui commu-
nièrent revêtus de l'habit blanc et du camail bleu. Le
~ 279 —
Supérieur du couvent de Vico avait été invité à présider
cette belle cérémonie de clôture.
La dernière mission de l'année fut celle de Calcatog-
gio, donnée par les mêmes Pères.
Calcatoggio est un beau village, situé à mi-chemin de
Vico à Ajaccio. Cette paroisse, très ardente pour la re-
cherche des biens matériels, n'est, hélas ! que trop in-
différente pour les affaires du salut. Joignez à cela que,
dernièrement, elle venait d'être travaillée par la visite
prolongée et les efforts d'un ministre protestant. Certes,
rien ne fut épargné pour la réussite de ce difficile tra-
vail, qui ne fut pas sans consolation. Plus de cent cin-
quante hommes répondirent à l'appel de la grâce. Je ne
parle pas des femmes qui, en grand nombre, firent leur
devoir. Un autre résultat de la mission fut de fermer au
ministre protestant l'unique porte qui lui restait ou-
verte. Et ainsi le village fut débarrassé de sa présence.
Enfin une croix d'une hauteur plus qu'ordinaire, et très
bien placée, fut plantée le jour de la clôture. « Elle vaut,
à elle seule, une mission, » écrivait le R. P. Albertini.
« Cette crois superbe commande le respect au voyageur
et transmettra à la postérité les noms des deux apôtres, »
écrivait, de son côté, M. le curé de Calcatoggio, en féli-
citant les PP. Albertini et d'Istria d'avoir si vaillamment
combattu. Deux mois plus tard, le R. P. Albertini re-
tournait, pendant huit jours, dans cette paroisse pour
confirmer le bien accompli et le compléter. Le R. P. d'Is-
tria, de son côté, termina la série de ses travaux par
une excellente retraite donnée à nos congréganistes,
comme préparation à leur fête de l'Immaculée Concep-
tion.
— 280 —
1896. ANNÉE DU JUBILÉ NATIONAL.
Au point de vue des travaux apostoliques, cette année
comptera, dans les annales du couvent de Vico, comme
une des plus fécondes et des plus remarquables, soit par
le nombre des travaux accomplis, soit par le nombre de
ceux qu'on a dû refuser (une soixantaine au moins), soit
par les bénédictions exceptionnelles dont Dieu s'est plu
à récompenser le zèle des ouvriers évangéliques, soit,
enfin, par la célébration des noces d'or sacerdotales de
deux Pères de la maison : événement heureux, suivi im-
médiatement d'un autre non moins consolant, je veux
dire les premières démarches canoniques, dans le dio-
cèse d'Ajaccio, pour le procès de béatification de notre
saint P. Albini, trop longtemps attendues.
Entre toutes les missions, la première par le rang et
l'importance a été, sans contredit, la belle mission d'Ajac-
cio, donnée simultanément dans les deux paroisses par
six Pères de la Congrégation, sous la présidence du
R. P. Provincial du Midi, qui l'a si habilement dirigée.
La maison de Vico regarde comme un honneur d'avoir
donné trois de ses membres dans cet important travail,
les PP. Stéfanini, Albertini et d'Istria (Bernardin). Il n'y
a pas lieu d'y revenir, puisque nos annales en ont donné
le récit complet. Qu'il nous suffise de constater que le
bien réel accompli ne deviendra sérieux, constant, qu'au
jour oili une société religieuse pourra s'implanter dans
cette ville, si abandonnée au point de vue des œuvres et
des secours religieux exceptionnels.
C'est pendant cette mission que deux autres Pères ont
dû quitter la Communauté pour venir en aide à deux
paroisses en souffrance et comme sans pasteurs, à cause
de l'âge et des infirmités des deux curés. Le bon P. Tam-
BURiNi cède momentanément le soin de sa paroisse au
— 281 —
R, P. ZiRio et consent à aller évangéliser Balogna pen-
dant la semaine sainte : et le R. P. di Giovine, Italien de
la province de Bénévent, qui fait ses premières armes,
est heureux d'aller à Appriciani, pendant huit jours,
prêcher, confesser, faire les cérémonies de la semaine
sainte. Déjà plusieurs fois, depuis son arrivée au mois
d'août 1893, ce bon Père a eu l'occasion de prêcher
dans cette église, et sa prédication animée, pleine d'ar-
deur, a été très goûtée. Le succès de ce petit travail fut
très consolant. Pendant ce temps, le Supérieur garde la
maison, s'occupe de son aumônerie et aide le bon P. Zi-
Rio dans la confession des étrangers ou des gens de Vico.
Le carême fini, que de travaux importants attendent
nos missionnaires ! Le premier à voler à de nouveaux
combats, à de nouvelles victoires, c'est le R. P. Stéfa-
NiNi, attendu impatiemment à Canale-di-Verde, impor-
tant chef-lieu, entre Corte et Bastia, Sans venir respirer
un instant au couvent, le missionnaire s'y rend, tout
droit, d'Ajaccio.
Hélas ! dans quelles tristes circonstances va s'ouvrir la
mission ! Le pays est en feu à cause des élections muni-
cipales et les plus grands malheurs sont à craindre,
grâce aux manœuvres déplorables du maire qui, d'un
côté, détient indûment le pouvoir, et, d'autre part, a
inscrit, paraît-il, sur les listes électorales, une cinquan-
taine d'étrangers, dont plusieurs bandits dangereux. Un
rien peut mettre tout à feu et à sang. Il faudrait pouvoir
entrer dans les péripéties de cette lutte pour comprendre
ce qu'eut à souffrir le cœur du missionnaire, un moment
tenté de découragement. 11 tint bon, cependant ; sou-
tenu, comme il l'écrivait, par sa confiance en la Vierge
Immaculée et par l'intercession du saint P. Albini qui,
autrefois, fît des merveilles dans cette paroisse, oti se
trouve encore debout la croix qu'il y avait plantée. Bref,
— 282 —
le succès final fui merveilleux. Le curé et le mission-
naire n'en revenaient pas. Deux fois, les hommes et les
femmes s'approchèrent de la sainte table, en commu-
nion générale. Deux hommes seulement résistèrent à la
grâce. « Yive la Sainte Vierge ! » écrivait le mission-
naire. Il y avait de quoi.
Au tour de la ville de Vico.
Notre cher doyen avait eu une heureuse inspiration :
tout en demandant deux de nos missionnairesj il avaitma-
nifestélevif désir que le R. P.MAURAND,qui venait d'évan-
géliser avec tant de succès Ajaccio, fût du nombre des
apôtres, a Une voix nouvelle, disait-il, ne peut manquer
d'exercer une heureuse influence sur le succès delà mis-
sion. » L'événement devait pleinement justifier cette
appréciation. Longtemps Yico gardera le souvenir de
celte mission véritablement splendide et dont le succès
a dépassé de beaucoup toutes les espérances. On pou-
vait craindre, à bon droit, que les élections municipales,
qui devaient avoir lieu au milieu de la mission, ne fus-
sent un obstacle sérieux, en divisant les esprits : il n'en
fut rien. Les chefs de parti, donnant le bon exemple,
furent les premiers à s'approcher des saints tribunaux,
à la grande joie du pasteur et des missionnaires.
Nous avons sous les yeux le récit enthousiaste de cette
belle mission, publié par le Conservatew, journal reli-
gieux d'Ajaccio : nous serions heureux de le reproduire
si nous ne craignions de trop allonger ce rapport. Notons
seulement... « le tribut de reconnaissance payé aux ré-
vérends Pères du couvent et aux bonnes religieuses de
Vico ; les uns se mirent, dès le début, à la disposition
des missionnaires et ne cessèrent de se joindre au clergé
de la ville pour relever, par leur présence, la solennité
des cérémonies et rendre plus facile l'accès du confes-
sionnal : les autres, après avoir rehaussé la fête des en-
— 283 ~
fants, en leur préparant à tous d'élégantes oriflammes
pour la procession, nous ont tenu, tout le temps de la
mission, sous le charme de pieuses mélodies savamment
exécutées par leurs jeunes pensionnaires : elles se sont
distinguées aussi dans la décoration d'un superbe repo-
soir, élevé derrière le maître-autel, presque à la hauteur
de la voûte, se terminant par la grande statue de l'As-
somption, perdue au milieu d'une forêt de lumières et
de verdure... Ces touchantes cérémonies se sont termi-
nées par l'érection d'une croix monumentale (12 mètres
et demi de hauteur) en souvenir de la mission. Dès la
veille, elle avait été hissée sur un char orné avec un goût
exquis par les dames de Vico : le char et la croix dispa-
raissaient sous des bouquets de verdure et de fleurs : on
est saisi d'émotion, à la vue de ce signe de notre salut
s'avançant pompeusement au bruit d'une fusillade nour-
rie à travers les rues de la ville, pour la bénir et la
couvrir de son ombre bienfaisante. Elle s'élève majes-
tueusement sur la route du couvent, comme pour res-
serrer encore mieux les rapports intimes qui n'ont cessé
d'exister entre les habitants de Vico et les Oblats de
Marie.
« Père Maurand, Père Albertini, votre nom sera gravé
sur cette croix de bois ; mais il vivra surtout dans le
cœur de tous les Vicolais ; ils se le rappelleront toujours
comme un symbole de paix et de bonheur. »
Le R. P. d'Istria, malgré son état de fatigue, avait
donné un bon coup de main aux deux missionnaires,
soit pour le chant, soit pour les cérémonies et les con-
fessions. Dès le i" mai, il partait, seul, pour évangéliser
la paroisse de Garoneo (400 habitants). Succès complet,
malgré la tourmente électorale. En se dévouant comme
il l'a fait, ce bon Père a renouvelé cette paroisse, fait
connaître et estimer nos missionnaires, encore inconnus
— 284 —
dans ce canton. Son panégyrique de saint Pancrace fut
surtout goûté. Plus de 2 000 personnes étaient accou-
rues pour honorer le saint dans sa chapelle restaurée et
assister à la bénédiction d'une nouvelle statue du jeune
martyr.
Le compte rendu de cette mission a également paru
dans le Conservateur, et fait le plus grand éloge du pré-
dicateur... « Voix claire, chaude et limpide : diction fa-
cile, geste déterminé; telle est la caractéristique de son
éloquence. » — «Vaillant P. d'Istria, est-il dit en finis-
sant, ces combats livrés parmi nous ne sont pour vous
que des escarmouches : tant mieux, merci quand même.
Allez ! Vous êtes un brave. »
Et; en effet, après quelques jours de repos, nous re-
trouvons ce Père à Goggia, en compagnie du R. P. di Gio-
viNE, qui va faire ses premières armes comme mission-
naire. Paroisse difficile, apathique : et cependant, si le
succès ne fut pas complet, il fut bien propre à encoura-
ger le nouveau missionnaire. Le curé, qui n'attendait
pas tant de merveilles, ne savait comment exprimer sa
reconnaissance.
Le lendemain même de la clôture de la mission de
Vico, le R. P. Albertini court en toute hâte rejoindre le
R. P. SïÉFANiNi, qui a ouvert seul la mission de Quenza,
pays perdu à un des coins de la Corse. Les fruits de salut
furent abondants, mais achetés chèrement. De terribles
inimitiés désolaient cette importante paroisse et failli-
rent tourner au tragique pendant la mission même. Un
instant, l'infatigable P. Stéfanini fut pris par la gorge ;
jl lui fallait prêcher, chanter, malgré un gros rhume très
embarrassant. Force lui fut d'accepter quelques soins,
et, quelques jours plus tard, il pouvait écrire : « Mon
rhume a disparu, et je chante comme un rossignol ; il ne
reste plus qu'une dizaine d'hommes à confesser. Quant
— 285 —
aux femmes, tombola, tout le monde a communié deux
fois. »
Sans prendre haleine, le R. P. Albertini se rend à
Carbuccia, où va le rejoindre le R. P. di Giovine. Cette
mission fut des plus enthousiastes et eut un plein succès;
aussi, la réception faite à M^' l'Évêque d'Ajaccio, alors
en tournée pastorale, fut magnifique et le combla d'au-
tant plus qu'il avait été reçu plus froidement dans la
visite précédente. Petit détail, mais intéressant. A l'un
des arcs de triomphe élevés à cette occasion, on avait
suspendu une cloche faite avec de la verdure et des
fleurs. Pendant que Sa Grandeur la contemple, une co-
lombe quitte l'intérieur de la cloche et descend sur les
épaules de Monseigneur. Imaginez-vous la surprise! Mais
laissons la parole au R. P. Albertini :
« Cette colombe avait si bien joué son rôle, qu'elle fut
jugée digne du couvent de Vico : elle devait y vivre heu-
reuse, entourée de ses fils et de ses filles jusqu'à la ving-
tième génération au moins. Hélas ! qu'il faut peu pour
renverser les plans des hommes ! Une distraction du
R. P. AuGiER, Cassien, assistant général, qui voyageait
avec nous au retour, brisa le mien. A quelques kilomètres
du couvent, la colombe trouve moyen de sortir de sa
prison et prend son essor dans les airs, sans même nous
saluer; n'ayant pas ma carabine, je lui envoyai ma béné-
diction. »
De son côté, le R. P. Sïépanini, revenant de Quenza,
ne veut pas refuser un service qui lui est demandé avec
instance par M. le chanoine Poli, curé doyen de Pila-
Canale ; il s'arrête donc dans cette paroisse évangélisée
par lui l'année dernière, et prépare les enfants à la pre-
mière communion.
Après tant de travaux consécutifs, comme ce vaillant
Père serait heureux de venir se reposer dans sa chère
T. XXXV. 20
— 286 —
solitude 1 C'est le mais de juin, et les chaleurs se font assez
vivement sentir. Mais, pris au vol par l'excellent curé
doyen de Rocognano, il se voit obligé de donner cette
mission qu'il n'aurait pu prêcher plus tard. Un grand
bien fut fait et eût été plus considérable si l'on avait pu
donner une semaine de plus à cette mission.
Mais le retour de tous les missionnaires s'imposait à
l'occasion de la visite du R. P. Augier, Cassien, assistant
général, et de la retraite annuelle qu'il devait nous
donner, et aussi pour les noces d'or sacerdotales de deux
de nos vétérans.
Remettons à plus tard de parler de ces faveurs signa-;
lées pour ne pas interrompre le récit des missions.
La reprise des travaux apostoliques ne devait pas se
faire attendre longtemps. Après vingt jours de repos à
peine, les PP. Stéfaninï, Albertini, d'Istria, partent gaie-
ment pour évangéliser un des centres les plus impor-
tants de toute l'île, Bastelica, paroisse de 3-400 habitants.
Un bon mois sera consacré à ce travail et sera à peine
suffisant. Heureusement le clergé paroissial se prêtera
volontiers pour donner un bon coup de main aux mis-
sionnaires.
Gomme depuis longtemps nos Pères sont très avanta-
geusement connus et appréciés dans ce bon village, l'ac-
cueil fut des plus sympathiques.
De mémoire d'homme, dit le compte rendu qui fut fait
de cette mission, on ïi'avait vu un concours si em-
pressé, si assidu et si recueilli. De son côté, le R. P. d'Is-
tria pouvait écrire : v Oui, nous sommes contents ;
nous sommes heurçux et fiers pour notre chère Congré-
gation de voir ses Oblats si bien appréciés; nous sommes
heureux et fiers de compter dans notre auditoire de si
nombreux officiers (1), tant de braves sur la poitrine des-
(1) Il n'y a pas en Corse, et peut-être pas en France, un pays qui
— 287 —
quels brille le signe de la vaillance ; de les voir se dé-
couvrir respectueusement sur notre passage, et souvent
venir nous serrer chaleureusement la main. Espérons
que le bon Dieu bénira nos fatigues. »
« La mission de Bastelica marche à merveille, écrivait
le R. P. SïÉFANiNi ; je ne vous dis pas au prix de quelles
fatigues. Nous sommes simplement écrasés par le travail;
les confessions d'hommes et de femmes se continuent
jusqu'à une heure avancée de la nuit : double commu-
nion générale pour les hommes comme pour les
femmes. »
« Ce fut un vrai renouvellement spirituel, ajoute le
compte rendu : le 16 août, la clôture fut plus imposante
encore que l'ouverture. Splendide plantation de la croix,
illumination générale et grandiose de tout le village
(le plus beau de toute la Corse), discours pathétiques et
adieux affectueux, voilà ce qui a scellé la mission dont
la paroisse de Bastelica n'oubliera jamais le souvenir. »
« Apôtres du Seigneur, s'écrie dans son enthousiasme
M. le chanoine Maestrati, curé doyen de cette bonne pa-
roisse, vous avez su conquérir nos cœurs, réconfortés
par vos efforts. Vous pouvez dire, en toute vérité, avec
Sobieski : « Nous sommes venus, nous avons combattu,
M Dieu a vaincu. »
Cependant, le curé de Renno, importante paroisse des
environs, continuait, malgré nos refus, à réclamer aide
et secours pour son jubilé. Le R. P. di Giovine, notre
jeune recrue seule disponible, accepte d'aller donner
seul ce travail. Comment Dieu n'aurait-il pas béni cette
bonne volonté ? Ce fut vraiment au delà de toute espé-
rance, si bien qu'à la demande pressante de toute la po-
compte, à l'heure actuelle, autant d'officiers de tout grade en retraite
ou en activité. Le nombre, dit-on, dépasse la soixantaine.
— 288 —
pulation, le bon missionnaire dut prolonger le temps
fixé et appeler à son secours le R. P. Stéfanini, à peine
arrivé deBastelica.
Ce travail, à peine fini, le R. P. di Giovine, maintenant
lancé, part aussitôt pour Soccia et Poggiolo, comme
compagnon du R. P. Albertini pour ces deux missions
consécutives.
Soccia s'est vraiment montré digne de son excellente
réputation. Toute la population a donné comme un seul
homme. Le supérieur du couvent de Vico, qui avait ac-
cepté l'aimable invitation d'aller présider la clôture,
gardera un impérissable souvenir de cette édifiante céré-
monie, débordante de foi, de piété, de l'enthousiasme de
tout un peuple, ne faisant, à la lettre, qu'un seul cœur
et une seule âme; aussi, ne put-il s'empêcher, en finis-
sant, de tirer de son cœur quelques paroles de louanges,
de félicitations et d'encouragement à l'adresse de ce bon
peuple. A n'en pas douter, c'était pour la première fois
qu'une parole française se faisait entendre dans l'église
de cette paroisse.
De Soccia à Poggiolo il n'y a que deux pas. Ce ne fut,
pour nos deux missionnaires, qu'une agréable prome-
nade sur une belle route toute ombragée de châtaigniers
séculaires. Lisons mieux, ce fut une vraie marche triom-
phale. Figurez-vous toute la population de Soccia se fai-
sant un devoir et un bonheur de faire escorte à ses chers
missionnaires en répétant les cantiques les plus entraî-
nants de la mission; mais, avant d'arriver à mi-che-
min, voici toute la population de Poggiolo accourue
pour faire une ovation aux envoyés de Dieu. Ici, en
Corse, l'émulation joue un rôle peut-être plus grand
qu'ailleurs. Poggiolo n'a pu ignorer le succès complet
de la paroisse voisine : il a donc à cœur de ne pas rester
en dessous, de l'emporter, s'il est possible, eu foi et en
— 289 —
dévouement, mais surtout de faire mentir certaines pré-
dictions défavorables qui prédisaient l'insuccès. De fait,
la réputation de cette paroisse est loin d'être t\ la hau-
teur de celle de Soccia, et, cependant, le résultat final
dépassa toutes les espérances, fut des plus consolants,
et la croix qui fut plantée l'emportait de beaucoup en
grandeur et en beauté sur celle de Soccia. Sur ce point,
du moins Soccia fut obligé de s'avouer vaincu !
Déjà plus qu'éclopé après ces travaux, le cher P. Al-
BERTiNi n'hésite pas à repartir, malgré la fatigue et un
rhume persistant, pour donner, avec le R. P. d'Istria,
la mission de Sorbo, promise depuis longtemps à son
cousin, curé de cette paroisse.
Au point de vue de la nature, Sorbo est une des plus
belles et des plus riches parties de la Casinca; mais au
point de vue de la grâce, quel champ rude et ingrat à
défricher !
Comme le dit le compte rendu qui fut fait de cette
mission : « Le soleil de la grâce est loin d'échauffer les
cœurs comme le soleil de la nature échauffe et féconde
le sol; la vie surnaturelle est presque éteinte dans nos
âmes, pendant que la sève circule abondante dans les
veines de nos arbres, et déborde en fleurs et en fruits :
il y a la foi, mais stérile et quasi-morte. »
Cependant l'action de la grâce fut puissante, l'ébran-
lement presque général... «La foi endormie se réveilla
au souffle béni du ciel : la glace se fondit et l'âme com-
mença à respirer. Au premier son de la cloche, les mai-
sons se vidaient. Un soir, il pleuvait à verse ; le vent souf-
flait avec fureur. De l'avis des missionnaires il fallait
supprimer l'exercice. Malgré la pluie, malgré le vent et
l'orage, la population se rendit spontanément à l'église,
et l'on dut sonner les cloches... pour appeler les Pères.
« La première semaine fut consacrée aux femmes : elles
— 290 —
se firent honneur; pas une abstention. A la grand'messe
du second dimanche, après la cérémonie si touchante de
la bénédiction des enfants, le curé publia les bans de
douze mariages. C'était le plus beau fruit de la mission.
A partir dece moment, le succès fut complet et la sympa-
thie pour les missionnaires devint de l'enthousiasme.
Comme les femmes, les hommes en grand nombre ré-
pondirent à l'appel de Dieu. »
Que l'on nous permette de transcrire les dernières pa-
roles du compte rendu de cette mission, a Heureuses les
paroisses qui, comme Serbo, ont à leur tête un prêtre
zélé! Il peut passer sur elles le grand hiver; mais le
prêtre a semé, la saison des fruits approche, la moisson
commence à blanchir, les épis se balancent au gré de
la brise parfumée. Venez vite, apôtres de Jésus-Christ!
Venez, chers missionnaires, faire la récolte ; remplissez,
remplissez les greniers du père de famille. «
Nous voici à la Toussaint. Deux mois seulement nous
séparent de la fin de l'année et du jubilé. Nos Pères sont
demandés et attendus dans une foule de localités. Sans
un tour de force que le zèle des âmes et l'amour de Dieu
peuvent seuls leur inspirer, jamaisils ne pourront abou-
tir et donner encore douze missions promises.
Le R. P. Stéfanlm se chargea à lui seul de tous les vil-
lages qui forment comme une couronne autour du cou-
vent de Vico : Chiliani, Apriciani, Sagone Murzo et Ar-
bori, le voient tour à tour, l'entendent, admirent le zèle
de leur apôtre pour préparer les enfants à la première
communion, et les grandes personnes à la grâce du ju-
bilé et du triduum en l'honneur du bienheureux Théo*
phile de Corte, triduum prescrit par M^'"' l'évoque d'Ajac-
cio. Partout le succès a été complet ; Arbori surtout s'est
distingué par sa foi et son enthousiasme, et non con-
tente d'avoir exprimé sa reconnaissance dans des dis-
— 291 ==-
cours très chaleureux, toute la population tint à honneur
d'accompagner bien loin du village et le R. P. Stéfanini
et le R. P. Di GioviNE, qui lui avait été adjoint pour cette
Efiission. Il fut impossible d'empêcher la jeunesse de
venir jusqu'au couvent, au chant des cantiques et des
acclamations répétées : « Vive la religion ! Vivent les
missionnaires ! »
Aux RR. PP. Albertini et di Giovine, deux belles et
importantes missions avaient été réservées : Ota, d'abord
paroisse très importante où nos Pères sont si avantageu-
sement connus, le travail fut accablant et admirablement
béni de Dieu ; Piana, ensuite, gros village et chef-lieu de
canton : deux victoires d'autant plus brillantes que les
ennemis à combattre étaient plus redoutables. Si le
succès ne fut pas absolument complet, on ne dut s'en
prendre qu'au temps qui fut forcément limité. Le curé
de la charmante ville de Cargèse pressait instamment nos
Pères de lui accorder au moins quelques jours avant l'ex-
piration du jubilé. Ce qui fut accordé.
Même après la fin du jubilé, le R. P. di Giovine dut
s'exécuter pour aller donner les exercices à la paroisse
de Parapoggio, qui était désolée et comme honteuse de
n'avoir rien reçu.
Pendant ce temps, le R. P.d'Istria ne restait pas oisif.
Un travail important et difficile lui était confié, sous la
direction du R. P. Maurand, venu exprès de Nice pour
évangéliser, pendant un mois, les deux paroisses de la
ville de Calvi, chef-lieu d'arrondissement : à la ville basse,
d'abord, la plus importante, et ensuite à la ville haute
ou citadelle.
Le R. P. d'Istria était heureux de pouvoir écrire à son
Supérieur : « Notre mission, à la basse ville, a été vrai-
ment splendide; ni le clergé de la ville, ni les mission»
naires n'auraient osé espérer un si beau succès. A Calvi,
— 292 —
on n'avait, paraît-il, jamais vu une communion géné-
rale; aussi bien a-t-on crié merveille quand on a vu la
majorité des femmes s'approcher toutes ensemble à la
table sainte. Plus grand encore a été l'étonnement lors-
que, dimanche dernier, plus de 250 hommes ont aussi
communié tous ensemble. L'érection d'une magnifique
croix, avec christ en fonte, comme àAjaccio, fut le digne
couronnement de cette belle mission. A peine de retour
au couvent, le R. P. d'Istria en repartit pour donner les
exercices de la mission à une petite paroisse, Mezzavia,
près d'Ajaccio. De son côté, le R. P. Supérieur donnait
au couvent la retraite des congréganistes, préparatoire
à la fête de l'Immaculée-Gonception.
Tels sont les travaux apostoliques de la maison de
Yico pendant ces deux années.
N'avais-je pas raison de vous dire, mon très révérend
Père, qu'il y avait grandement lieu de bénir la divine
Providence ; d'abord, de tant de travaux demandés et
accomplis ; ensuite d'une santé suffisante, conservée à
nos Pères, de manière à ne pas succomber à la lâche ;
et, enfin, des grâces abondantes dont le Ciel s'est plu à
couronner les efforts de leur zèle et de leur admirable
dévouement.
Par ailleurs, aucun changement notable à signaler
dans les autres œuvres confiées, ici, à nos soins : la pa-
roisse de Nesa, l'aumônerie des Sœurs de Marie et la
Congrégation de la Sainte-Vierge établie au couvent.
Trêve donc de détails qui ne feraient qu'allonger ce rap-
port, déjà bien étendu. Admirons seulement, en passant,
le zèle et la bonne volonté du R. P. Tamburini qui, mal-
gré ses soixante-seize ans et ses infirmités toujours crois-
santes, n'a jamais reculé devant les fatigues de la charge
de cure de Nesa, été comme hiver, malgré la distance
assez notable à parcourir. Tous, cependant, nous com-
— 293 —
prenons — et il est le premier à le reconnaître — qu'il
est urgent de lui donner un aide.
Qui n'admirerait également la verte vieillesse de notre
cher P. ZiRio, toujours gai, toujours content de rendre
service, soit en disant les messes tardives, soit en se
chargeant des confessions des étrangers et d'une foule
de personnes qui s'adressent à lui, soit en donnant ré-
gulièrement deux fois par mois les sermons aux réunions
des congrégates.
D'un autre côté, il nous est doux de pouvoir rendre
un excellent témoignage au bon esprit qui anime nos
chers Frères convers. Il leur faut vraiment un dévoue-
ment sans bornes, vu leur petit nombre, vu surtout l'âge
et les infirmités de plusieurs, pour faire face à toutes les
difficultés. ïl est bien à désirer que la divine Providence
nous envoie un plus grand nombre de ces précieux auxi-
liaires pour n'être pas si souvent obligés d'appeler au
secours des ouvriers mercenaires.
Le temporel est dans un état satisfaisant.
« Nous ne pouvons, disait le R. P. Augier (Gassien),
visiteur général, dans son acte de visite de juillet der-
nier, nous ne pouvons que nous féliciter des améliora-
tions considérables accomplies depuis quelques années,
soit dans la maison, soit à l'église, soit au cimetière.
« Quand on a vu le couvent de Vico, il y a vingt-sept
ans, dans un état voisin du délabrement et qui rendait
bien difficile l'ordre et la propreté, on est heureusement
impressionné de le retrouver si propre, si bien tenu,
d'un aspect si agréable, avec ses larges corridors bien
pavés, ses murs blanchis et ses cellules appropriées et
parquetées. Tout n'est cependant pas parfait. »
Une des premières et des principales améliorations
est sur le point d'être accomplie : le renouvellement
presque Lolal de la toiture. Les tuiles plates sont déjà
- 294 -
achetées, rendues et seront prochainement posées. Ce
travail coûteux s'imposait sans retard.
Le jardin et la campagne attenante sont également,
grâce â Dieu et à nos Frères, dans un état de propreté et
de prospérité satisfaisant.
A la suite de ce rapport, il est juste d'ajouter, comme
appendice, le récit, au moins abrégé, d'un événement
important pour la maison de Vico qui a marqué l'an-
née 1896 ; nous voulons parler des noces d'or sacerdo-
tales des RR. PP. Tamburini et Zibio, ordonnés prêtres,
tous deux, en l'an de grâce 1846.
Le 16 juillet 1896 marquera dans les annales du cou-
vent de Vico et restera comme une date mémorable,
rappelant un bien doux souvenir. N'est-ce pas la pre-
mière fois, si nous ne nous trompons, que se présente,
dans la Congrégation, une coïncidence aussi heureuse de
deux vétérans du sacerdoce, de deux Pères Oblats, célé-
brant ensemble, le même jour, dans la même maison,
le cinquantième anniversaire de leur ordination sacer-
dotale? Cet honneur était réservé à la maison de Vico,
et cette fête de famille devait ajouter un nouveau fleuron
à la couronne, déjà si belle, de ses souvenirs religieux.
Pour en transmettre l'intéressant récit aux membres
de la Congrégation, la divine Providence avait mis à
notre disposition l'homme qu'il fallait : cœur d'or, main
déhcate, plume finement taillée, intelligence d'élite,
belle imagination ; nous avions tout à souhait. Pour-
quoi faut-il qu'au dernier moment l'élu se soit vu dans
la nécessité de récuser cette tâche? Adieu donc les obser-
vations fines et délicates, les traits d'esprit, les détails
charmants, les impressions fraîches et pleines de par-
fum : tout s'est envolé! Nous voilà réduits à des souve-
nirs bien éloignés déjà.
— 295 —
Un mot, d'abord, des invités ou des heureux témoins
qui ont formé une couronne d'honneur aux héros de
la fôte.
Quel honneur et quel bonheur, si le chef vénéré de
noire famille religieuse avait pu se rendre à nos désirs
et rehausser par sa présence l'éclat de cette fête ! Ne le
pouvant, à cause d'affaires pressantes, le Supérieur gé-
néral voulut, du moins, être représenté par un de ses
assistants généraux, le R. P. Augier (Cassien), nommé,
en même temps, visiteur des maisons de Corse.
Ce n'est pas tout.
Par une heureuse inspiration dont nous ne saurons
jamais assez le remercier, le R. P. Provincial du Midi
s'était dit : « Et si je faisais d'une pierre deux coups :
ajouter au bienfait de la visite celui d'une retraite an-
nuelle, que prêcherait le R. P. Visiteur h un bon nombre
de Pères de la province qui seraient convoqués au cou-
vent, immédiatement avant les noces d'or auxquelles ils
pourraient ainsi participer, n Ainsi fut fait.
Voici les noms des douze Pères étrangers qui vinrent
s'adjoindre aux sept de la Communauté :
Du Grand Séminaire d'Ajaccio : le R. P. Bessières,
supérieur; le R. P. Bëaume, professeur de morale; le
R. P. Lagier, professeur de philosophie; le R. P. Orto-
lan, professeur de dogme ; le R. P. Sautel, professeur
d'Écriture sainte et de droit canon ;
Du Grand Séminaire de Fréjus : le R. P. Baffie, supé-
rieur, et les RR. PP. Fabre et Bailleau ; le R. P. Fayette,
de Notre-Dame de Bon-Secours ; le R. P. Bénédic, ac-
compagné du F. Lbga, de la maison de Nice; enfin, le
R. P. Audibert, de la maison d'Aix.
Que n'aurions-nous pas à dire de cette retraite si
bonne et si pieuse ; du silence, du recueillement et de
la ferveur qui n'ont cessé d'y régner; de l'édification
— 296 —
mutuelle qui en est résultée et qui faisait dire au
R. P. Visiteur : « Pendant ces jours bénis, l'on se serait
cru transporté dans le plus fervent de nos scolasticats. »
Qu'il y aurait à dire surtout de la parole si aimée, si
sympathique, si distinguée du prédicateur. Que de bien
cette parole substantielle a fait à nos âmes. Dieu sait au
prix de quelles fatigues, grâce à un rhume malencon-
treux qui ne put cependant arrêter l'ardeur de son zèle.
Dès la première instruction, il sut trouver le chemin de
nos cœurs et gagner toutes les sympathies ; on sentait
qu'il n'avait qu'un but : nous faire de plus en plus aimer,
estimer notre sainte vocation, partant nous faire mar-
cher d'un pas plus ferme et plus généreux dans la voie
qui conduit à la perfection. A n'en pas douter, cette
bonne semence n'est pas tombée dans une terre ingrate.
Puisse-t-elle produire au centuple ses fruits précieux!
Ainsi préparés, que les cœurs se donnent, tout entiers,
à la joie de la fête qui les attend.
Donc, le 13 juillet au soir, à l'heure marquée dans le
programme, la cloche sonne joyeuse, convoquant dans
le salon d'honneur, occupe par le R. P. Visiteur, tous
les membres de la Communauté. Nous avons hâte d'offrir
nos hommages et nos félicitations. Mais quel sera l'in-
terprète de nos vœux? Évidemment, cet honneur reve-
nait de droit à l'Assistant général : nous y comptions.
Cependant, presque au dernier moment, le supérieur de
la maison se voit contraint de remplir ce devoir. Donc,
point de discours d'apparat ; quelques bonnes paroles,
simplement dites, sans autre prétention que d'essayer
de traduire les sentiments de joie, de gratulation, qui
remplissaient tous nos cœurs.
«... Puissé-je donc, vénérés et bien chers Pères jubi-
laires, être l'interprète fidèle, non seulement de tous ces
Pères et Frères Oblats que la bonne Providence semble
— 297 —
avoir réunis si nombreux pour former, autour de vous,
une plus belle couronne d'honneur, mais de tous les
cœurs qui vous ont connus et aimés ; de la Congrégation
tout entière, pour vous payer sa dette de reconnais-
sance, si bien méritée par cinquante années de loyaux
services, pour vous offrir l'humble hommage de notre
profonde vénération, de notre sincère affection avec les
vœux les plus ardents pour votre parfait bonheur.
« Et d'abord, vénéré et bien cher Père Tamburini, à
d'autres voix plus autorisées et plus éloquentes de re-
dire, en détail, les exploits de vos travaux évangéliques ;
qu'il nous suffise, en ce moment, de rappeler les prin-
cipales étapes de votre belle carrière religieuse et sacer-
dotale.
« Qu'ils sont beaux les pieds de ceux qui évangéli-
sent la paix! Mais le moyen de vous suivre sur tous les
champs de bataille oii vous avez livré tant de combats,
remporté tant de victoires, sauvé tant d'âmes et procuré
tant de gloire à Dieu? En Angleterre d'abord, cette île
des saints, où, par les efforts de votre zèle, vous avez
aidé la Congrégation à s'y implanter solidement. En
Corse ensuite, votre pays natal, dans cette sainte mai-
son de Vico, 011, comme curé de Nesa, vous laissâtes tant
de bons souvenirs. Jusqu'au moment où la confiance de
vos supérieurs majeurs vint vous chercher pour vous
confier l'importante et délicate fonction de Procureur
général de la Congrégation des Oblats près le Saint-
Siège.
« Plus tard, l'obéissance vous rappelle en Corse et,
grâce à vos aptitudes variées, est heureuse de vous con-
fier, simultanément ou successivement, les charges les
plus diverses : celle de directeur du grand séminaire
d'Ajaccio ; de professeur d'anglais au petit séminaire de
la même ville; de confesseur extraordinaire de plusieurs
— 298 —
communautés religieuses ; mais revenant à vos premières
amours, Nesa était heureux et l'est encore de vous re-
voir comme curé; le couvent de Vico, devons posséder
comme supérieur ; beaucoup de paroisses de l'île, de
vous avoir comme apôtre zélé : ne nous exposons pas à
blesser votre modestie en redisant tout le bien opéré
par votre parole, par les exemples de vos vertus, par
votre réputation incontestée d'homme de Dieu et de
saint missionnaire.
et Et vous, vénéré et bien cher Père Zirio, vos tra-
vaux apostoliques, pendant ce même laps de temps, ont
pu être moins variés; qui oserait dire qu'ils ont été
moins importants et moins fructueux ? N'est-elle pas un
peu ou plutôt beaucoup la vôtre, cette belle œuvre des
Italiens établie à Marseille, près du Calvaire, qui a lait
jusqu'ici tant de bien, au grand honneur de la Congré-
gation ? Dieu seul pourrait redire avec quel zèle, quel
dévouement, au prix de combien de sacrifices, vous avez
pu mener à bonne fm cette œuvre si difficile !
Que vouliez-vous qu'il fît contre trois?
s'écrie le poète, racontant la fin du combat des trois
Horaces et des trois Curiaces. Qui ne connaît la sublime
réponse ?
Qu'il mourût!
Ou qu'un beau désespoir alors le secourût.
« Et vous, vaillant et infatigable apôtre, nous savons
ce que votre zèle eût répondu à celui qui, frappé des
difficultés, vous eût demandé : « Que faire, seul, tout
« seul, en présence de 40 000 Italiens à évangéliser, ca-
« téchiser, confesser, secourir, assister à leur chevet
« d'agonie? » Oui, nous savons ce que vous eussiez ré-
pondu : « Ah ! ces chers compatriotes ! Je saurai tant les
« aimer, je saurai si bien me déivouer, m'oublier, me
— 299 —
« sacrifier, qu'avec la grâce de Dieu, je suis assuré de
« la victoire ! » Et l'histoire est là, en effet, pour redire
les nombreuses victoires remportées par votre vaillance,
par les efforts de votre zèle sacerdotal, toujours à la
hauteur des difficultés de la situation.
« Qui jamais vous a vu compter avec la fatigue? Les
messes tardives, si peu désirées, étaient votre lot pré-
féré. Qui jamais vous a vu trembler devant le péril?Huit
fois le choléra, le terrible choléra, a passé sur votre tête,
vous laissant impassible ! Que d'autres fuient, s'ils le
veulent; mais vous, « le chevalier sans peur et sans re-
« proche », on vous a vu toujours fidèle au poste du
danger. Quelle merveille donc, si le roi d'Italie, pour
récompenser votre bravoure, a voulu voir briller sur
votre poitrine la crois des braves, vous nommant «che-
« valier » de son royaume ?
« Je serais infini, si je voulais dire le nombre d'âmes
que vous avez consolées, remises dans le bon chemin,
que vous continuez à servir, à rendre heureuses.
« Daignez donc, chers et vénérés Pères, recevoir tous
deux nos plus chaleureuses félicitations : avec vous, nous
bénissons le Ciel qui réservait à votre verte vieillesse les
honneurs si rares du jubilé sacerdotal.
« Avec vous, nous voulons prier dès ce soir, demain
surtout, adresser à Dieu les plus ferventes supplications
pour qu'il daigne vous conserver longtemps encore à
notre estime, à noire amour; pour qu'il vous comble
de jours heureux, pleins de mérite pour le ciel où
vous attendent de si belles couronnes, digne récom-
pense de vos nombreux travaux, de vos mérites, de vos
vertus.
« Ad mullos annos! En attendant les noces de dia-
mant, s'il plaît à Dieu de vous les accorder !
« Amen/ Amen/ n
- 300 —
Sons l'émotion qui le dominait, le R. P. Tamburini
lira de son cœur quelques bonnes paroles, qui furent
très bien goûtées et qui étaient comme le Magnificat
de son humilité, de sa reconnaissance envers Dieu et
envers la Congrégation, « pour lui, dit-il, toujours si
bonne et si tendre mère ; sans laquelle il n'eût rien été
et n'eût pu accomplir aucun bien «.
A son tour, le R. P. Zmio voulut exprimer les senti-
ments qui le dominaient ; mais, vaincu par l'émotion, il
ne put que nous rappeler en termes familiers quelques-
uns des principaux épisodes de son long séjour à Mar-
seille.
Mais déjà la joie qui remplit tous les cœurs se mani-
feste par une accolade fraternelle des plus chaudes et
des plus animées. Tout le reste de la soirée fut employé
aux derniers préparatifs de la fête du lendemain.
16 juillet 1896. — De bonne heure règne dans toute la
maison une grande animation ; c'est qu'aux 19 Pères
Oblats sont venus s'adjoindre 20 prêtres étrangers ,
l'élite de toute la contrée, heureux de répondre à l'ai-
mable invitation qui leur avait été faite et de donner
cette marque de sympathie aux Pères Oblats qu'ils
aiment et estiment, et, en particulier, à nos deux chers
jubilaires, qu'ils tiennent à honorer de leur présence.
A 10 heures, la cloche sonne ; c'est le signal de la
grand'messe, aussi solennelle que le permettaient les
circonstances et les éléments dont nous pouvions dis-
poser. L'église est pleine, bondée comme aux jours des
grands concours. Vico, Nesa et les villages environnants
ont tenu à honneur de prendre part à cette fête, qui les
intéresse à plus d'un titre.
A défaut du R. P. Tamburini, toujours un peu souf-
frant de sa sciatique, c'est le R. P. Ziiuo qui a l'honneur
de chanter la grand'messe, de sa voix si douce, si harmo-
— 301 —
niense et toujours jeune. Comme diacre, le R. P. Baffie,
et le R. P. AuDiBERT comme sous-diacre.
Après l'évangile monte en chaire le R. P. Bessières,
pour donner une voix à cette fête et interpréter les sen-
timents qui remplissent tous nos cœurs. Pendant près
de trois quarts d'heure, il nous tient, à la lettre, sous le
charme de sa parole éloquente, pleine des pensées les
plus heureuses et les plus relevées. La Congrégation,
croyons-nous, sera heureuse de pouvoir lire ce remar-
quable discours :
Gaudium vestriim sit plénum.
Que votre joie soit complète.
(Joan., XVI, 24.
Chers et vénérés Pères,
Je suis bien sûr d'exprimer, par les paroles de l'Évan-
gile que vous venez d'entendre, les désirs et les vœux de
tous ceux qui vous entourent. Ces prêtres amis, ces fi-
dèles nombreux sont tous ici pour partager votre bon-
heur et pour demander à Dieu, au pied des autels, de
rendre votre joie parfaite et durable. Les personnes et
les familles ont toutes, dans leur vie, des heures de bon-
heur, et quand ce bonheur est pur comme celui du ciel,
il est parfois si intense, il fait un contraste si sensible
avec les tristesses de ce monde, que notre langue se
trouve impuissante à dire ce que notre cœur éprouve.
C'est une de ces heures bénies qui passe sur votre exis-
tence religieuse et sacerdotale, et je ne saurais ni parler
convenablement de votre joie à ceux qui vous entou-
rent, ni vous dire à vous-mêmes la part que nous y pre-
nons. Que ne puis-je être, en ce jour, l'écho de ce con-
cert de remerciements et d'éloges qui nous arrive de
tous les points de votre demi-siècle d'apostolat! S'ils
étaient présents à cette fête, les anges témoins de vos
vertus et les âmes sanctifiées par votre zèle placeraient
T. XXXV. 21
•— 302 —
sur votre tête un diadème d'or plus éclatant et plus au-
guste encore que cette couronne d'argent déposée sur
vos fronts par la majesté de l'âge. La sévérité du lieu
saint, l'intransigeance de votre modestie n'autorisent
point la liberté de mes éloges ; je ne puis parler de vous
qu'avec discrétion et qu'avec respect. Permettez-moi ce-
pendant de vous comparer aujourd'hui aux deux oliviers
et aux deux candélabres de nos saints livres, et de grou-
per autour de ces deux symboles bibliques les paroles
que j'ai la douce mission de vous adresser.
Par ses teintes sévères, par la persistance de son feuil-
lage, par la multiple utilité de son fruit, l'olivier est
l'image du religieux. Le candélabre, avec ses branches
de feu, ornant l'autel, éclairant les pas de ceux qui
cherchent Dieu dans le sanctuaire, symbolise le prêtre.
La vie de perfection et le sacerdoce, le religieux et le
prêtre ne constituent-ils pas cette fête tout entière ? Ne
sont-ils pas la source véritable des joies qui inondent
vos cœurs, en ce jour?
I
En songeant à ce demi-siècle de vie religieuse que
nous fêtons avec vous, êtes-vous heureux ? Pouvons-nous
tous applaudir sans réserve à voire bonheur ; et ce tres-
saillement qu'éprouve votre cœur, n'est-il pas un éclair
rapide qui déchire de perpétuels et profonds nuages?
Non, non ; votre bonheur est doux comme un reflet des
joies du ciel, stable comme vos serments, intarissable
comme la tendresse de Dieu.
Si la science humaine n'est pas encore parvenue à
dresser l'échelle des félicités terrestres, la théologie, en
définissant le bonheur d'un être, la possession du bien
dont il a besoin, a placé au premier rang des créatures
heureuses celle qui a reçu de Dieu sur la terre une part
— 303 —
plus grande dans la distribution des bontés divines, et
une facilité plus grande, une certitude morale de son
salut éternel. Or, l'âme religieuse est ici-bas sans rivale
dans le monde des libéralités et des tendresses divines.
Lorsque Dieu eut créé le monde physique, qu'il eut
disposé son œuvre, semé avec sagesse et profusion les
étoiles dans le ciel, paré la terre de végétation, de ver-
dure et de fleurs, il s'arrêta et contempla avec admira-
tion ce premier travail de sa puissance : Vidit quocl esset
bonum.
Il n'avait cependant qu'élevé un trône, dressé un pié-
destal : l'univers attendait son couronnement et son
roi. Lorsque l'homm.e paraît tout rayonnant d'innocence,
de grâce et de majesté, le cœur de Dieu est cette fois
ravi ; son œuvre est achevée : Vidit quod erant cuncta
valde bona.
Lorsque le divin Rédempteur eut créé sur la terre le
monde nouveau de la grâce, plus ravissant et plus riche
que l'univers physique ; qu'il eut relevé les espérances
des âmes, en augmentant pour elles les facilités du salut ;
qu'il eut proclamé le bonheur de la pauvreté, le bon-
heur des larmes, le bonheur de la persécution, le bonheur
de la souffrance ; qu'il eut, en un mot, offert à toutes les
bonnes volontés les moyens ordinaires de la sanctifica-
tion chrétienne, son regard divin pouvait contempler
avec bonheur cette œuvre dans laquelle il avait mis plus
de lui-même, et qui devait, dès ce moment, revêtir l'hu-
manité d'une admirable floraison de vertus et de saints.
Cependant, il n'avait pas encore prononcé le dernier mot
de son amour : une perfection manquait à son chef-
d'œuvre. Il prononce ce mot, il fait monter de son cœur
cette dernière perfection. Écoutez-le : « Si quelqu'un
veut être parfait, qu'il abandonne tout sur la terre ; qu'il
se renonce, qu'il porte sa croix et qu'il me suive. » Ces
— 304 —
paroles créatrices donnent au monde l'état religieux ;
des âmes choisies pour les vertus parfaites et pour tous
les privilèges de la grâce seront, dès ce jour, atteintes
par cet appel à travers toutes les générations humaines.
La vocation religieuse est, pour une âme, un honneur
que rien n'égale ; c'est un mot, dit par Dieu à cette âme,
de ses félicités éternelles. Par la surabondance des se-
cours qu^il entraîne, cet appel est presque le sceau des élus,
imprimé, ici-bas, sur le front d'une âme. Des docteurs
et des saints ont prononcé ces paroles et tout justifie,
dans les conditions de vie du religieux, l'apparente exa-
gération de ce langage. Dieu, qui laisse presque toujours
deviner le but de ses œuvres par les proportions qu'il
leur donne, n'a-t-il pas fait pour lui seul le cœur du reli-
gieux? Ce cœur est trop vaste pour le monde ; puisque
le monde avec ses richesses, ses plaisirs et ses honneurs,
est incapable de le remplir. Sur la terre, le religieux se
meut dans la grâce, comme l'élu au ciel se baigne dans
la gloire. Délivré, par ses vœux, des entraves de cette
terre, il se possède tout entier pour le service de Dieu :
éclairé par une règle sage et prévoyante qui précise
toutes les volontés divines sur lui, éclaire chacun de ses
pas, lucerna pedibus meis, sollicité par l'exemple et par
les influences salutaires qui l'entourent, il est conduit
presque infailliblement au salut.
Si, aux yeux des hommes, l'homme entré dans le
monde par la porte de la richesse n'a qu'à se laisser
vivre pour être heureux ; aux regards de la foi, le reli-
gieux n'a qu'à se laisser conduire pour être un saint.
La vie religieuse a ses épreuves et ses sacrifices. L'olive,
avant d'être utilisée si agréablement dans nos usages,
avant de brûler dans les lampes de nos sanctuaires, avant
d'être employée dans nos consécrations liturgiques et
de devenir la matière de nos sacrements, a dû perdre sa
— 308 —
forme, être broyée sous le pressoir ; l'âme religieuse,
pour être transformée et divinisée par la grâce, doit être
mise au pressoir de l'immolation et de la souffrance.
Mais les aspérités du sacrifice, loin de tarir les consola-
tions dans un cœur généreux, sont l'une des sources de
ses joies les plus pures. Quel religieux fut jamais plus
agréablement ému que le jour où, acceptant un sacrifice
qui brisait son cœur, il sentit qu'il donnait à Dieu quelque
chose de lui-même, et qu'il prenait ainsi, sur sa cou-
ronne éternelle, une créance qui ne serait jamais pro-
testée !
C'est la vision de ces incomparables avantages qui
arrachait à l'un des derniers docteurs de l'Église, à un
saint, ces réconfortantes paroles : « La vie religieuse a
donné à l'Église, si nous exceptons les martyrs, les trois
quarts des saints de son martyrologe. » Est-il possible
de passer en religion toute sa vie et de ne point sauver
son âme ? « Dieu ne se doit-il pas, au ciel, tout entier au
cœur qui s'est donné à lui tout entier sur la terre? »
C'est cette considération profonde qui faisait couler les
larmes du jeune Nivard, quand il vitBernard et ses autres
frères lui abandonner leur riche héritage et prendre le
chemin du désert. Ils choisissaient le ciel et lui laissaient
la terre. C'est à ce souvenir que sainte Catherine de
Gênes baisait plusieurs fois par jour, avec reconnais-
sance, les pans de son habit religieux et les murailles de
sa cellule. C'est ce sentiment qui a enivré de joie tant
de nobles cœurs, qui a su inspirer des chants si élevés et
si émus à la reconnaissance et à l'enthousiasme de tous
les siècles.
Ce bonheur, mes vénérés Pères, est le vôtre depuis
cinquante ans. Il a pour vous, aujourd'hui, une saveur
exquise qu'il n'eut jamais. Cinquante ans de vie reli-
gieuse ; cent ans, pourrais-je dire, puisque vous mettez
— 306 —
tout en commun, à cette heure ; un siècle d'obéissftiico,
de régularité et de sacrifices ; un siècle de grâces, de
tendresses et de bénédictions divines, quelle douce et
enivrante pensée pour vos âmes! Quel réconfort en face
de cette éternité qui épouvante l'impie et déconcerte le
juste! Oh! laissez vos coeurs s'ouvrir pleinement à cette
joie sainte et forte qui arrache de vos yeux dos larmes
si douces! Ce jour que nous fêtons avec vous, mes véné-
rés Pères, dans la reconnaissance et l'allégresse, n'est
pas un jour de la terre ; il a duré cin(|uante ans ; dans
son éternelle prédilection, le Seigneur l'a fait exprès pour
vous : Hxc dies qiiam fecil Dominus exuUeinus et Icetemur
in ea.
Il
Laissez-moi, maintenant, vous dire un mot de la di-
gnité auguste qui fait, en ce jour, la seconde source de
vos joies et de nos réjouissances. Depuis cinquante ans,
vous portez au front la couronne royale du sacerdoce, et
les œuvres accomplies durant ce demi-siècle par vos
mains consacrées forment pour vous, devant Dieu, un
patrimoine magnifique de gloire et de mérites. Je ne
vous parlerai point de la nature intime de la dignité sa-
cerdotale. La science des saints Pères hésite elle-même
pour en préciser le caractère : An hiimana vel divùia sit
sacerdotis dignitas, dicere non audeo (saint Jean Chrysos-
tome). Vous l'avez, au reste, si longtemps méditée, que
mes pauvres paroles ne s'élèveraient jamais à la hauteur
de votre estime.
Le sacerdoce est une projection intense sur le prêtre
des rayons divins de Jésus-Christ. Par la mission sublime
qu'il confère, par les pouvoirs immenses dont il investit,
le sacerdoce fait arriver l'homme jusqu'à une quasi-iden-
tification avec Dieu. « Comme mon Père céleste m'a en-
— 307 —
voyé, je vous envoie ; vous annoncerez le même évan-
gile ; vous détiendrez les mêmes pouvoirs ; vous opérerez,
sur les âmes, les mêmes prodiges. Le respect qui m'est
dû vous sera dû ; celui qui vous écoutera m'écoutera, et
celui qui vous méprisera me méprisera : Qui vos audit
me audit ; qui vos spernit me spernit. »
Notre-Seigneur était grand au milieu des hommes, il
dominait incomparablement les créatures par ses per-
fections et par sa puissance ; le prêtre, qui le représente
et qui est le dépositaire de tous ses trésors, incarne,
après lui, dans ce monde, la plus haute des dignités ter-
restres. Que la patrologie chrétienne, avec sa voix presque
inspirée, le proclame un autre Christ : Sacerdos aller
Christus ; que les docteurs et les génies catholiques
l'exaltent dans leurs œuvres ; que les empereurs et les
rois déposent à ses pieds leur couronne, le sacerdoce ne
recevra jamais d'aucune puissance humaine les honneurs
qui lui sont dus. Permettez-moi de grouper quelques-
unes de ses grandeurs sous les dénominations que le
langage chrétien lui consacre.
On l'appelle pontife {pons factus). Il est un pont mer-
veilleux jeté entre l'infini et le fini, reliant Dieu et
l'homme, la rive du temps et celle de l'éternité, la terre
et le ciel, l'extrême pauvreté et l'extrême richesse, la
haine et l'amour. La science et l'art jettent de nos jours,
sur nos larges fleuves et sur le vide effrayant qui sépare
nos montagnes, des traits d'union de fer ou de pierre
qui épouvantent notre imagination, autant par leur har-
diesse que par leur masse. Ils élèvent vers le ciel des
travaux dont la hauteur déconcerte nos regards ; mais
jamais, quels que soient les progrès qu'ils réalisent, ni
la science ni l'art réunis ne déposséderont le prêtre de
son titre de pontife, car jamais ils ne fourniront à
l'homme le moyen infaillible d'aller de la terre au ciel ;
— 308 —
dépasser, par-dessus la mort, de l'exil dans la patrie; et
le prêtre, jusqu'à la dernière heure du monde, reliera
la créature au Créateur, et seul, avec une absolution et
un signe de croix, il jettera dans le sein de Dieu l'âme
qui se détache du corps et va tomber, en un clin d'oeil,
dans les abîmes insondables de l'éternité.
0 pontifes de Jésus-Chiist, combien d'âmes, pendant
ces cinquante années d'activité sacerdotale, sont entrées
au ciel par les arches de vos pouvoirs, et vous applau-
dissent, à cette heure, dans l'ivresse de leur bonheur !
La langue latine appelle le prêtre sacer dos, sacra dans,
« distributeur de dons augustes ».
En parcourant l'histoire des peuples, notre âme s'ar-
rête avec admiration devant ces nobles cœurs qui se
détachent sur l'égoïsme général de l'humanité, comme
une oasis verdoyante sur les sables désolés du désert.
Répandre sur la souffrance leur dévouement et leurs
bienfaits était toute leur vie ; leur générosité n'avait
d'autres bornes que celles de leurs forces et de leurs
richesses ; la reconnaissance publique les a nommés les
pères des peuples, les bienfaiteurs de l humanité, la joie de
la terre. Eh bien, jamais une main plus riche et plus li-
bérale que celle du prêtre ne s'ouvrit sur les besoins des
hommes. Élevé jusqu'au ciel par ses pouvoirs, le prêtre
plonge sa main dans les trésors de Dieu ; il répand sur
la terre les semences des richesses éternelles. Des sacre-
ments qu'il administre découle ce sang rédempteur dont
chaque goutte vaut plus que le monde. Le sacerdoce
fortifie les âmes, console les cœurs par des espérances
souveraines : en un mot, il distribue sur la terre les bil-
lets d'entrée pour le ciel.
Enfin, le prêtre est, auprès des hommes, le représen-
tant et l'ambassadeur de Dieu.
Le règlement des rapports des peuples entre eux a
— 309 —
prévu une place honorable pour le représentant d'une
nation étrangère. Cet homme n'est, de par lui, qu'un
simple mortel; mais la nation qu'il représente lui confie
tout son honneur. Elle exige pour lui le respect qu'elle
réclame pour elle-même; elle a les yeux fixés sur sa
personne, et sa dignité lui impose le rigoureux devoir
de venger les outrages faits à son ambassadeur ou à son
drapeau comme des outrages directs qu'elle a reçus.
Le Fils de Dieu s'est choisi le prêtre comme ambassa-
deur sur la terre ; il lui a donné la croix pour drapeau ;
il lui a confié ses intérêts et sa gloire. L'honneur dont il
veut qu'on l'entoure n'est pas différent de celui qu'il ré-
clame pour lui-même, et s'il a toute l'éternité pour
venger les outrages reçus dans la personne de son mi-
nistre, il sait, quand il le veut, frapper impitoyablement
les familles qui ne savent plus respecter le prêtre, et
atteindre dans leurs gloires et dans leurs destinées les
nations qui persécutent le sacerdoce. Jeté dans le fleuve
des siècles, au milieu des passions humaines, le sacer-
doce de Jésus-Christ n'a rien perdu ni de sa vitalité, ni
de sa force. Il n'a pas été atteint par le glaive; il n'a été
altéré ni par les superstitions du paganisme, ni par les
infiltrations plus corrosives encore de la philosophie : le
scepticisme n'a point dénaturé son caractère. Dans notre
siècle où les passions humaines mal contenues par les
pouvoirs publics secouent profondément toute autorité
et toute grandeur sociale, le sacerdoce demeure iné-
branlable, comme Jésus-Christ, son piédestal. Les bons
s'inclinent avec respect devant lui ; les méchants, en le
poursuivant de leur haine et de leurs attaques déloyales,
proclament, plus éloquemment peut-être que les pre-
miers, son rôle divin et sa perpétuelle vitalité, car, dans
ce monde, l'on ne s'attaque jamais à un être faible et
sans défense. Sur les flots courroucés de la haine tom-
— 310 —
bant à ses pieds, brisés et impuissants, le sacerdoce peut
jeter sans crainte ces paroles du prophète : « Pourquoi
cette rage des peuples, pourquoi ces complots inutiles,
puisque je dois vivre autant que le monde? [Quare fre-
muerunt gentes et populi meditati sunt inania?) »
La victoire couronne ses héros ; le génie, ses grands
hommes. Jésus-Christ, mes vénérés Pères, a fait passer
de son front sur votre tête la couronne royale de son
sacerdoce. Vous l'avez portée dignement un demi-siècle;
elle vous a fait roi des âmes. Près de dix-huit mille fois,
debout cà l'autel entre le ciel et la terre, vous avez offert
à Dieu le plus auguste et le plus efficace des sacrifices ;
près de cent mille fois, vous avez donné aux âmes les
deux plus grands trésors de ce monde, le pardon de Dieu
et le corps de Jésus-Christ. Quel titre à notre vénéra-
tion ! Quelle gerbe étincelante, quelle riche moisson,
vos mains pourront-elles présenter au Roi immortel des
siècles, le jour de votre appel à la récompense 1
Vous avez honoré le sacerdoce par vos travaux et par
vos vertus ; le sacerdoce, à son tour, vous honore au-
jourd'hui par une pompe et par un éclat que cette église
a rarement connus, par la présence de ce nombreux et
cher clergé qui vous entoure; il vous honore parla fra-
ternelle affection de tous les membres de votre famille
religieuse que j'ai l'agréable mission de vous exprimer,
par les bénédictions de notre vénéré et bien-aimé Père
général, si dignement et si providentiellement repré-
senté dans cette touchante fête.
Puisqu'il ne m'est pas permis de vous adresser des
éloges, laissez-moi, en terminant, vous offrir les souhaits
qui m'arrivent de tous les cœurs. Les derniers fruits de
l'olivier sont toujours les plus beaux et les meilleurs ;
l'œil du passant les contemple avec plaisir sur leurs
branches inchnées. Chers oliviers du Seigneur, gardez
— 311 —
longtemps encore les fruits de vos rameaux ; qu'ils mû-
rissent de plus en plus au soleil de la piété et de l'amour
de Dieu ; qu'ils réjouissent de longues années nos re-
gards et notre cœur ; qu'ils ajoutent encore au riche pa-
trimoine de sainteté de ce couvent.
Candélabres précieuX;, brûlez encore de longs jours,
par votre ferveur et par votre prière, sur les autels de la
vie religieuse. Éclairez dans le sanctuaire les pas de vos
frères plus jeunes, désireux de copier vos vertus.
Que ce soir le soleil n'emporte point, par delà l'ho-
rizon, les joies de ce beau jour : qu'il soit suivi de nom-
breux lendemains; qu'il soit un avant-goût de celte fête
éternelle que nous célébrerons tous au ciel, dans les
joies enivrantes de Dieu et sous le regard de Marie, la
reine du clergé et la douce mère des Oblats.
Ainsi soit-il.
A l'offertoire et à l'élévation, le R. P. Stéfanini, qui
tenait les orgues, nous a fait entendre deux morceaux
bien choisis pour la circonstance, et chantés avec l'âme
et la perfection qu'il sait mettre dans ces occasions.
Mais voici l'heure des agapes fraternelles : entrons
donc dans la salle du festin, ornée avec goût pour la cir-
constance. La table surtout présente un coup d'œil
charmant. Le R. P. Albertini y a mis tout son zèle et
ses capacités ; et le jardin du couvent, ses plus belles
fleurs.
Qu'elle est belle cette couronne de quarante prêtres,
réunis dans les mêmes sentiments de joie et de sympa-
thie ; faisant éclater, d'une manière saisissante, l'union
vraie, intime, la bonne entente, l'harmonie parfaite qui
existe entre le clergé séculier et régulier, et la grande
part que tous ces prêtres des paroisses environnantes
prennent à nos joies de famille !
— 312 —
Enfin l'heure des épanchements est arrivée : le dîner
touche à sa fin; tout le monde est dans l'attente. On
sait, l'on devine que le R. P. Assistant général, que le
président de la fête va faire entendre quelques bonnes
paroles, et l'on soupire après le moment de l'entendre;
et, en effet, le R. P. Augier se lève ; toutes les voix se
taisent comme par enchantement, de même que tous les
regards et les cœurs se tournent vers lui.
On peut se demander s'il est possible d'allier plus
d'à-propos à plus de délicatesse, plus d'aisance à plus de
distinction ; nous étions tous sous le charme de l'admi-
ration. Chacune de ses phrases, de ses allusions fines,
des souvenirs rappelés, était souHgnée par de chaleu-
reux applaudissements. Les gloires antiques de la mai-
son de Vico, ses gloires actuelles dans la personne des
deux héros de la fête, les liens de l'amitié, les marques
d'amabilité du clergé présent, les devoirs de la recon-
naissance, rien n'a été oublié, tout a été dit dans cette
heureuse inspiration. Pourquoi faut-il que ce discours si
remarquable n'ait pas été écrit ou recueilli par la sténo-
graphie? A bon droit, la Congrégation pourra regretter
que ce petit chef-d'œuvre n'ait pas été conservé ; vraie
perle, parmi tous ceux qui ont été prononcés. L'effet
produit fut tel, que M. le chanoine Paoli, curé-doyen de
Vico, qui devait prendre la parole après le président,
s'excusa, n'osa plus se lever. « Après un tel discours,
dit-il, il n'y a plus qu'à se taire ; il n'y a plus lieu de
parler. »
Cependant, sur nos instances, il lui fallut bien s'exé-
cuter.
Messieurs et vénérés Coinfrères,
Vous trouvez sans doute que je suis très hardi de
parler après le révérend Père Assistant, chez qui on ne
— 313 --
sait ce qu'il faut le plus admirer de la parole saisissante
et rapide, qui coule de ses lèvres comme des flots de
miel, ou des pensées touchantes et affectueuses qui ra-
vivent et vont au cœur; je devrais me tenir tranquille à
mon poste, et jamais il n'aurait été plus vrai de dire que
le silence est d'or ; néanmoins, je ferai violence à mon
amour-propre, pour adresser tant bien que mal deux
mots à nos chers et vénérables jubilaires, qui nous pro-
curent aujourd'hui le plaisir et le bonheur devoir réunis
dans cette enceinte, je ne dirai pas seulement le clergé
du canton et d'une partie de la province, mais qui nous
procurent aussi l'honneur d'avoir au milieu de nous
l'élite de cette brillante famille des Oblats de Marie.
Nous saluons le révérend Père Assistant, qui n'a pas
hésité à interrompre ses pénibles, mais doux labeurs,
aGn de rehausser par sa présence la solennité de cette
fête ; nous saluons le digne et sympathique chef de
notre séminaire, qui sait si bien partager son zèle et ses
talents entre la direction des jeunes lévites et l'adminis-
tration du diocèse ; nous saluons ces savants professeurs
de Fréjus et d'Ajaccio, dont l'heureuse influence arrive
dans nos paroisses par les jeunes abbés qu'ils forment
selon leur cœur et selon le cœur de Dieu; nous saluons
le révérend Père Fayette qui, en jetant dans ses cartons
les beaux sites du couvent et de la délicieuse vallée de
Vico, y réservera une place pour y consigner l'hommage
de notre estime et de notre sympathie ; nous saluons,
enfin, les révérends Pères de Nice, devenus nos amis,
depuis qu'ils nous cédèrent, pour quelques jours, un de
leurs apôtres, dont le souvenir sera toujours cher aux
habitants de Vico.
Père Tamburini, Père Zirio, nous vous devons cet hon-
neur, et nous vous en sommes reconnaissants ; c'est le
glorieux couronnement de vos cinquante années de sa-
— 314. —
cerdoce passées en faisant le bien ; si nous vivions dans
un certain monde, dans un monde où l'on décerne des
récompenses même ici-bas, nous nous empresserions de
suspendre sur votre poitrine la croix des héros, qui déjà
fait la gloire de l'un d'entre vous ; mais la croix que vous
aimez n'est point celle qui brille; c'est la croix de l'ou-
bli, la croix du labeur, la croix des souffrances; c'est la
croix du salut ; cette croix, nous aimons à la saluer sur
votre vénérable poitrine; elle y brille de tout l'éclat des
bonnes œuvres et des vertus. Nous faisons des vœux pour
que la Providence nous favorise longtemps du bienfait
de vos vertus ; pour qu'elle vous conserve encore de
longues années à notre respect, à notre vénération, à
notre amour.
J.-J. Paoli.
De chaleureux applaudissements dirent au vénéré
doyen qu'on lui était reconnaissant de ses bonnes pa-
roles; qu'elles avaient trouvé la clef des cœurs.
A son tour, M. Mattei, curé de Ghigliani, ancien élève
du couvent, demande la permission d'exalter à nouveau
les joies et les gloires de nos deux jubilaires.
Messieurs,
Cinquante ans de sacerdoce et cinquante ans de pro-
fession religieuse, c'est bien beau ! Voilà pourtant la
rude étape parcourue par les deux héros de cette fête;
voilà pourtant la rude et glorieuse couronne qui brille
sur leur front. Or, pour chanter un bienfait départi seu-
lement à quelques rares ouvriers de l'apostolat chré-
tien, ne pourrais-je pas m'écrier avec le Roi-Prophète :
Hxc dies quam fecit Dominus exultemus et Isetemurin eu?
Ah! oui, vénérables jubilaires, ce jour doit être un jour
de joie, car c'est un jour vraiment fait par le Seigneur,
— 315 —
un jour vraiment privilégié, et la présence de votre va-
leureux Assistant général et de si dignes confrères, venus
de loin pour fêter votre jubilé sacerdotal, me le dit hau-
tement. A l'unisson donc de tous ces chers et bons reli-
gieux, nous aussi, membres du clergé séculier étroite-
ment unis à vous par les doux liens de l'amitié et de la
reconnaissance, nous voulons, en ce jour, nous livrera
la joie, et nous nous réjouissons, ô vénérables jubilaires,
parce que vous avez gravi la colline si accidentée de la
vie religieuse, sans défaillances, sans jamais regarder
derrière vous, sans jamais vous laisser arrêter par le
choc de lâches défections trop fréquentes, hélas ! de nos
jours. Et comme les apôtres, vous aussi qu'on a toujours
trouvés au poste d'honneur les armes à la main, même
à ces heures de découragement général où de terribles
épidémies jonchaient la terre de cadavres, vous avez
tenu haut et ferme le drapeau de notre sainte religion,
exaltant partout la vertu, flétrissant partout le vice et
répandant partout de salutaires et consolants bienfaits
que votre grande humilité me commande de tenir ca-
chés sous le voile du silence. Toutefois, souffrez que je
le dise, ô vénérables jubilaires, votre ministère, qui a
été fécond en fruits de salut, fait honneur à la Congré-
gation des Oblats de Marie, à cette congrégation qui,
quoique jeune encore, compte déjà sous toutes les lati-
tudes de nombreux enfants, au cœur généreux et brillant
toujours aux premiers rangs dans nos luttes religieuses ;
à cette congrégation de tous les dévouements et que le
grand évêque Casanelli, rare appréciateur des hommes
et des choses, s'empressa d'appeler dans son diocèse dès
la première heure de son glorieux épiscopat, pour lui
confier et la direction de son grand séminaire et la garde
de son pays natal.
Enfin, nous nous réjouissons, ô vénérables jubilaires,
~ 316 —
parce que la divine Providence (il nous est si doux de
l'espérer!) vous ménagera une halte prolongée sur le
sommet de la colline que vous venez d'atteindre. Et, de
là, contemplant avec une légitime fierté le chemin que
vous avez parcouru, chemin tout arrosé de sueurs, mais
aussi tout émaillé d'œuvres méritoires, vous le montre-
rez à vos neveux dans le sacerdoce, et ce sera pour nous
un ferme soutien et un puissant encouragement à nous
soutenir toujours dans la voie du devoir.
Il est vrai, un demi-siècle passé dans les pénibles la-
beurs de la prédication évangélique vous donne bien
droit à la récompense des vaillants; mais, pour notre
grande consolation et pour qu'un nouveau fleuron vienne
enrichir votre couronne déjà si belle, nous demande-
rons au Ciel, ô vénérables jubilaires, que, pour vous, elle
soit lente, très lente, la descente de l'autre versant de
la colline par vous si courageusement gagnée, et au fond
duquel se trouve, pour les braves, le champ du repos,
du bonheur, de l'éternelle félicité. Aussi notre cœur, en
ce jour, ô nobles vétérans, ô dignes fils de l'éminent et
saint prélat, M^'' de Mazenod, nom vénéré que je salue
avec respect en passant et qui symbolise foi, charité et
patriotisme, oui, notre cœur, en ce jour, ô bien-aimés
jubilaires, vous souhaite de longues années de vie en-
core, c'est-à-dire la longévité des anciens patriarches,
mais une longévité toujours fortement doublée et de la
vigueur, et de l'intelligence, et de la lucidité d'esprit des
jeunes lévites de trente ans. Ad multos annosf
iMattei,
Curé de Chigliaui.
Et comme, dans ce discours, l'orateur avait eu l'excel-
lente pensée de rappeler le souvenir de M^"" Gasanelh
d'Istria, insigne bienfaiteur du couvent, le 11. P. Visiteur
— 317 —
prend occasion de cette bonne pensée pour féliciter
l'orateur et recommencer un nouveau discours non
moins admiré que le premier.
A la poésie de payer, elle aussi, son juste tribut
d'éloges à nos deux vétérans. M. Filippini, curé de Le-
tia, a mis tout son talent de poète et de littérateur pour
nous redire, dans la langue harmonieuse du Dante et
de Pétrarque, les exploits et les vertus de nos deux vail-
lants. Son ode, en dix strophes, mériterait, à bon droit,
les honneurs de l'impression.
On le sent, la fête ne serait pas complète, si la note
joyeuse faisait absolument défaut.
L'aimable P. Ortolan ne s'est pas fait prier deux fois
pour donner essor à sa verve féconde, et compose, en
quelques instants, un charmant dialogue sério-comique,
que le R. P. Stéfanini se charge d'interpréter artiste-
ment, en le chantant sur l'air connu : Je veux chanter le
fils du roi Jérôme...
Chaque couplet, comme on le pense bien, déride tous
les fronts, amène le bon et franc rire et provoque les
plus chaleureux applaudissements. Nous nous en vou-
drions de ne pas reproduire, au moins en partie, cet
amusant dialogue :
Aux Révérends Pères Tamburini et Zirio
Pour leurs noces d'or sacerdotales. \Q juillet 1896.
DIALOGUE SÉRIO-COMIQUE
ENTRE NARCISSE LE SCRUPULEUX ET LE GRAVE NESTOR.
NARCISSE.
I
Décidément, quelle est donc cette fête?
Le cloître aimé n'est plus silencieux.
Dans le couvent chacun perd-il la tête ?
J'entends crier les jeunes et les vieux.
T. ^xxv. 22
- 318 —
J"excuserai3 la folâtre jeunesse.
Pas de soucis pour qui n'a cheveux blancs.
Mais des anciens que devient là sagesse ?
0 temporal Quelles mœurs et quel temps ! (bii).
II
Ce a'est pas tout ; passe pour le silence,
Car rire un peu n'est pas un grand péché ;
Mais qui voudrait pratiquer l'abstinence
En ce moment serait fort empêché.
Notre économe a surchargé la table
De mets nombreux, dorés, appétissants ;
Comment jeûner sans se rendre coupable?
0 tempora I Quelles mœurs et quels temps ! {bis).
On vous dirait invités à la noce...
Gieux immortels!... où trouver le bon sens?...
Je fuis d'ici ; je vais creuser ma fosse !
0 tempora ! Quelles mœurs et quel temps ! (bis),
NESTOR.
VI
Peste ! grincheux, le bruit des casseroles
A détraqué votre pauvre cerveau !
Pour un instant, écoutez mes paroles
Avant d'aller creuser votre tombeau.
Sachez-le bien, c'est Dieu qui nous rassemble.
Restez ici, croyez-moi, n'ayez peur ;
Est-ce un forfait de vouloir tous ensemble
Fêter uli peu deux soldats du Seigneur ?
VII
Vous nous croyez invités à la noce...
Oui ! mais voyez, ce sont des noces d'or.
Si pour cela, rageur comme un molosse,
Vous aboyez, mon cher, vous avez tort.
Un demi-siècle a passé sur le monde
Depuis le jour où, ravis de bonheur,
Nos deux héros, dans une paix profonde^
Ont à l'autel immolé le Seigneur 1
— 319 —
VIII
Quoi ! chacun d'eux a célébré la messe,
En cinquante ans, près de vingt mille foi;;,
Et vous trouvez mauvais que l'allégresse
Fasse une brèche à nos austères lois ?
Nous honorons leurs mains sacerdotales;
De leur pouvoir rien ne vaut la grandeur I
Laissons aux rois les dignités royales ;
Plus élevés sont les oints du Seigneur!...
IX
Fils d'Oletta, l'un naquit dans cette île
Oîi vit le jour le grand Napoléon ;
Cet empereur n"eut qu'un sceptre fragile,
Lui, maintes fois, terrassa le démon.
Si vous pouvez, compioz en Angleterre,
Comptez en France, en Italie, ailleurs,
Tous les combats qu'il livra sur la terre,
Tous les élus qu'il acquit au Seigneur !
X
Tamburini (c'est sou nom), grand poêle,
Rival du Dante, en vers harmonieux,
A. fait des chants que la Corse répète :
On les dirait inspirés par les deux.
Pendant six ans il habita dans Rome,
Puis redevint apôtre et professeur,
Enfin curé de Nesa, le cher homme
Ne cesse point de prêcher le Seigneur.
XI
Vif, autrefois, infatigable, agile,
Il fut toujours des premiers au devoir ;
Quoique marcher lui soit plus difficile,
D'agir encor il ne perd pas l'espoir.
Mais à présent pris par la sciatique,
Il est parfois brisé par la douleur ;
Pourtant, voyez, dans cette scie altique
Il reconnaît l'épreuve du Seigneur.
XII
L'autre héros est fils de l'Italie,
Mais par le cœur il est Corse et Français !
Faire le bien fut le but de sa vie,
C'est Zirio, ce nom en dit assez.
~~ 3-20 —
Le voyez-vous quarante ans à Marseille
Sans s'épuiser poursuivre un dur labeur?
Admirez-le... Quand il dort, son cœur veille
Toujours dispos à servir le Seigneur.
XIII
C'est un vaillant... Que de fois dans l'arène
Il descendit, et \h, brava la mort.
Quand il luttait, sa figure sereine
Montrait à tous combien il était fort.
Huit choléras ont passé sur sa tête...
Il n'a pas craint des cadavres l'odeur !...
Pour le soldat combattre est une fête.
Et Zirio fut soldat du Seigneur!
XIV
Quoique en Dieu seul il mit son espérance.
Et qu'il voulut sur terre être ignoré,
Un souverain distingua sa vaillance,
Et Zirio par lui fut décoré.
Fier chevalier de royale couronne,
Comme Bayard, sans reproche et sans peur 1...
0 jeunes gens ! quel exemple il vous donne !
Découvrez-vous !... C'est un preux du Seigneur !
XV
Ah ! je comprends, et grande est ma surprise,
Elle me vaut une bonne leçon.
Pour réparer cette lourde méprise,
Je veux toujours rendre gloire à leur nom.
Dès aujourd'hui je les prends pour modèles;
A tous les deux je souhaite ardemment
Avant d'aller aux noces éternelles
De célébrer celles de diamant 1
Une troisième lois, le R. P. Assistant sent le besoin
de prendre la parole pour exprimer les sentiments de
joie, de gratitude, qui débordent de son cœur. A la
pensée du R. P. Albini, de saiute mémoire, dont les
restes reposent dans l'église du couvent ; au souvenir du
cardinal Guibert, qui a fondé cette maison et en a
— 321 —
été le premier supérieur; au souvenir de tant d'autres
saints Oblats qui ont habité cette maison et dont les
restes reposent dans le cimetière attenant, il nous re-
dit combien cette terre est vraiment sainte; combien
heureux doivent se sentir ceux qui sont appelés à vivre
sur cette terre privilégiée, remplie de si glorieux sou-
venirs, sanctifiée par tant de vertus ; l'obligation que
nous impose cette nuée de témoins, de ne pas déchoir,
d'être digne de nos devanciers en marchant d'un pas
ferme, constant, généreux, dans les sentiers de la per-
fection. Cette précieuse leçon, donnée d'une manière
aussi heureuse qu'inattendue, fit sur tous la plus salu-
taire impression.
Tout semblait fini : cependant restait un mot à dire.
N'appartenait-il pas au Supérieur de la maison de se
faire l'interprète de tous les membres de la Commu-
nauté, pour payer largement la dette de reconnaissance
que le couvent venait de contracter dans ce jour mémo-
rable d'impérissable souvenir? N'était-il pas souveraine-
ment juste de dire tnerci:
Au président de la fête, à l'Assistant général, qui ve-
nait de représenter si dignement le Père commun de
notre famille religieuse, dont le souvenir planait sur
cette fête et qui, « quoique absent de corps, était au
milieu de nous par son cœur et son esprit », comme il
venait de l'écrire à nos heureux jubilaires.
« De retour à Paris, vénéré Père Visiteur, vous vou-
drez bien déposer aux pieds de notre chef nos meilleurs
sentiments de respect, d'amour et de reconnaissance.
Mais, attention ! qu'il sache bien que nous ne le tenons
pas quitte. Nous voulons, nous réclamons, nous exi-
geons, le plus tôt possible, sa présence si désirée au mi-
lieu de nous. Il le faut, c'est nécessaire; autrement,
nous ne répondons de rien. Ah! c'est que nous sommes
— 322 —
terribles, nous autres Corses et Bretons, si l'on nous
fâche! Dieu et les hommes savent combien est redou-
table la vendetta corse. »
Et puis ne fallait-il pas avoir un mot aimable pour
ces vénérés confrères dans le sacerdoce, venus si nom-
breux et de si loin, malgré la chaleur de la saison, pour
nous donner cette nouvelle preuve de l'union cordiale
qui règne entre nous?
A eux donc, à tous ceux qui avaient contribué à la so-
lennité de cette fête par leurs discours, par leurs poé-
sies, par leurs fleurs et leurs chants, de chaleureux
mercis furent distribués, à pleines mains.
Juste au lever de la séance, quelle heureuse surprise!
un messager arrive, en toute hâte, porteur d'une dé-
pêche. C'était la bénédiction apostolique que l'aimable
P. GuiLLON, supérieur du scolasticat de Rome, venait
d'obtenir pour nos vénérés jubilaires. Qu'il soit publi-
quement remercié de cette délicate attention! Cette in-
signe faveur était la digne :fin d'une si belle journée !
Finis coronat opus. Rome avait parlé, la fête était finie.
Cependant, avant la séparation, bénédiction solennelle
du Saint-Sacrement, donnée par le R. P. Tamburi.m ; et —
touchante cérémonie — pendant que le chœur chantait
le psaume : Conserva me, Domine... alterné avec le verset
Dominus pars... les deux jubilaires, assis devant l'autel,
ont vu, non sans émotion, tout le clergé venir baiser
leurs mains saintes et vénérables, sanctifiées par cin-
quante années de sacerdoce.
Immédiatement après, ce fut comme la dispersion des
nations : chacun de regagner ses pénates. Le soir même,
plusieurs Pères du continent étaient contraints de pren-
dre le chemin du retour.
Ainsi les fêtes de la terre, même les plus belles, ne
sont que d'un jour, d'un instant, simple prélude des
— 323 —
fêtes qui nous attendent, là-haul, et qui n'auront pas de
fin! Trop heureux ceux qui auront le bonheur d'y par-
ticiper. Amen!
Hamonic, 0. M. I.
P. S. — Quelques jours après ces belles fêtes, la mai-
son de Vico avait le bonheur de donner l'hospitalité à la
commission nommée par M»' l'évêque d'Ajaccio, pour
commencer l'enquête sur les miracles et les vertus du
serviteur de Dieu, Charles-Dominique Albini. Cette opé-
ration, trop longtemps retardée, a pu enfin aboutir.
VARIÉTÉS
CHRONIQUE DE LA MAISON DU LAUS (1818- 1841)
(suite).
Nous donnons avec plaisir la suite de cette très intéressante
chronique. Les démêlés qu'elle raconte sont entrés dans le
domaine de l'histoire et n'ont plus rien de brûlant, tout en
étant assez instructifs. Nous ne croyons pas devoir rien modi-
fier dans ces pages, dont l'auteur prend et garde la respon-
sabilité.
CHAPITRE VII.
Relations entre Mer Arbaud et les missionnaires de Provence
(1824-1825). — Entrevue du P. Tempier avec l'évêque de Gap. —
Correspondance de Me^ Arbaud au sujet des Règles de l'Institut.
— Sa lettre adressée à Rome, par laquelle il s'oppose à lapfiroba-
tion des Règles, sollicitée par le P. de Mazenod.
« Le premier évêque qui vint occuper le siège épis-
copal (de Gap) nouvellement rétabli, M^'" Arbaud, montra
beaucoup de bienveillance pour la maison du Laus,
comprise dans la circonscription territoriale de son dio-
cèse et placée sous sa juridiction. Il en fut hautement
le protecteur. Il avait, comme vicaire général de Digne,
contribué à la formation de cette communauté. Il en
connaissait les membres et il leur témoignait une con-
fiance fondée sur ce que, jamais, il n'en avait trouvé un
seul en défaut de zèle ou de prudence... Ce prélat, sa-
vant théologien, habile administrateur, et qui surtout a
laissé une grande réputation de sagacité dans ses juge-
— 325 —
ments sur les hommes, était assez susceptible sur les
droits de son autorité ; il avait l'habitude d'un regard
scrutateur et fort peu indulgent ; il épargnait d'autant
moins aux missionnaires du Laus ses investigations ou
du moins son attitude d'observation critique, que cer-
tains préjugés d'école gallicane et de morale rigoriste le
rendaient quelque peu soupçonneux à l'endroit de doc-
trines différentes dont il croyait devoir empêcher la
diffusion dans son diocèse.
«... Son estime (pour les Pères) n'était pas douteuse
et se manifestait aussi bien que sa protection, malgré le
nuage qui la rendait moins éclatante. Au fond, les rap-
ports des missionnaires du Laus avec M^'' Arbaud étaient
des meilleurs et conservaient jusqu'au bout les formes
d'une intimité confiante, aussi paternelle d'un côté que
filiale de l'autre (1). »
M^" Jeancard a bien compris, et assez bien rendu^, dans
son ensemble, le caractère des relations de M^'' Arbaud
avec la Société et les membres des Missionnaires de Pro-
vence. Mais, il faut le dire, dans la protection qu'il ac-
corda à la maison du Laus et à la Société, l'évêque de
Gap vit surtout les intérêts diocésains et se réclama trop
de ses droits d'évêque. Imbu de préjugés de l'école galli-
cane et de la morale rigoriste, il s'opposa, avec peu de
largeur de vues, à l'approbation, par Rome, des Règles
de la Société ; trop souvent, il souleva des discussions,
dont le Fondateur eut lieu de se plaindre. Sans doute,
au dehors, les formes d'une intimité confiante furent
gardées ; mais les divergences d'appréciations, les conflits
d'intérêts respectifs étaient trop fréquents, à notre avis,
et mettaient en péril la mutuelle confiance. On en jugera
par les faits que nous allons exposer.
(1) Mélanges historiques, par Mer Jeancard, évoque de Cérame, § 9,
p. 74-73.
— 326 —
Lors de la visite canonique qu'il fit au Laus, au mois
d'octobre 1825, le P. Tempier se ménagea une entrevue,
à Gap, avec M^' Arbaud ; il devait traiter, avec lui, de
sujets importants, relatifs à la Société et à la maison du
Laus. En cette année 1825, le P. de Mazenod, après bien
des réflexions et de ferventes prières, se décida h faire
approuver les Règles de son institut par l'autorité souve-
raine du Vicaire de Jésus -Christ, Sa Sainteté le pape
Léon Xn. Il était nécessaire de placer les constitutions
de sa nouvelle famille religieuse en dehors de toutes
contestations possibles, d'en faire un corps religieux,
vivant de sa propre vie, indépendant et jouissant de tous
les droits que confèrent les saints canons. Non recon-
nue et non approuvée par le Saint-Siège, la Congréga-
tion n'était et ne pouvait jamais être qu'une réunion de
prêtres séculiers, entièrement soumise à la juridiction
épiscopale, exposée à être dissoute, comme déjà elle
en avait été menacée, à Aix même, à deux reprises.
En conséquence, le R. P. de Mazenod sollicita et ob-
tint les approbations des évêques des diocèses où, depuis
onze ans bientôt, la Société avait donné des missions. Un
des motifs qui décidèrent le P. Tempier à voir M^' Arbaud
était précisément de lui demander son approbation en
faveur des Règles de la Société des Missionnaires de
Provence. Le prélat accorda ce qu'on lui demandait; le
contenu de sa lettre épiscopale était satisfaisant ; mais
il exposa, de vive voix, ses réserves au P. Tempier, au
sujet de ses diocésains qui entreraient dans la Société.
Il posa en principe que, si ses sujets entraient dans la
Société, ils subordonneraient leurs vœux à la promesse
faite à leur évêque, en sorte que s'ils ne se plaisaient
pas dans leur état, leur évêque pourrait les rappeler et
qu'il prononcerait lui-même la nullité de leurs vœux.
Ainsi, M^'' Arbaud prétendait garder toute sa juridiction
- 327 —
sur ses diocésains et en disposer à son gré. Qui ne voit
qu'en présence de telles prétentions la Société du P. de
Mazenod était condamnée à perdre son nom, son auto-
nomie, et à disparaître?
Une autre question fut traitée, dans cette entrevue de
Gap. Le P. Tempier représenta à M^'' Arbaud combien la
position des missionnaires au Laus était peu satisfai-
sante, et essaya d'amener le prélat à accepter des me-
sures qui la mettraient à l'abri de toute attaque. « ilon-
seigneur parut de bonne composition, dit le P. Tempier,
et comprendre que nous n'avions pas assez de garanties
de stabilité dans son diocèse; il trouvait raisonnable que
la fabrique nous cédât l'établissement du Laus, à charge
d'entretenir un certain nombre de sujets pour la des-
serte du sanctuaire et de la paroisse, a Mais, ajoutait-il,
« pour cela, on ne peut traiter avec la Société, comme
« telle, puisqu'elle n'est pas reconnue par le gouverne-
« ment. — Si un traité ne peut se faire avec la Société,
« comme telle, observait le P. Tempier, il était possible
« avec un particulier, le P. de Mazenod, par exemple. »
L'évêque se garda bien d'accepter ce mode de garantie
pour l'établissement du Laus, mode qu'il avait suggéré,
alors qu'il n'était que grand vicaire de Gap, en 1818.
On le voit, M^'' Arbaud n'était de bonne composition
qu'en apparence. En effet, loin de favoriser la Société,
il fît tous ses efforts pour rendre inutiles les démarches
du Fondateur en cour de Rome. Le P. de Mazenod, muni
des approbations des sept évêques, partit de Marseille le
30 octobre 1825 ; le 2 novembre, il était à Rome et tra-
vaillait à la grave affaire de l'approbation de sa Société.
M^"" Arbaud le savait; dès le 8 novembre, il écrit une
longue lettre au P. Tempier, dans laquelle il s'explique
avec franchise, affirmant du reste que la Congrégation
n'avait rien perdu de son estime et de son affection.
— 3-28 —
L'évêque de Gap, dans sa lettre, revient sur les obser-
vations qu'il avait faites verbalement au P. Tempier, ob-
servations relatives aux rapports du Supérieur général
avec ses sujets et avec leurs évêques respectifs, et qu'il
n'avait pas mentionnées, dans sa lettre à' approbation,
parce qu'il avait cédé aux instances du P. Tempier,
Il énumère, ensuite, ce qu'il appelle les raisons de
droit, sur lesquelles il fonde ses réserves au sujet des
règles ; nous les résumons :
1" Le pacte entre le Supérieur général et les sujets de
la Société n'est pas égal ; ils n'ont que le recours à
Rome ; lui peut les congédier et arrêter les effets de leur
supplique au pape ;
2° Refuser tout droit à l'évêque est injurieux pour
l'épiscopat et met dans l'embarras les administrations
diocésaines; le sujet, qui ne relève que du pape, étant
exclu, c'est à elles qu'il viendra demander du pain;
3° L'évêque étant supérieur des prêtres, puisqu'il les
ordonne et leur donne des dimissoires, n'y a-t-il pas
contradiction à établir qu'il n'est plus leur supérieur,
tant qu'ils se comportent bien dans la société où ils
sont entrés, et qu'il le redevient quand ils sont mis à la
porte ?
4» Enfin, le serment de l'ordination oblige leprêfre à
accepter les fonctions du ministère que l'évêque veut
bien lui confier ; un vœu, qui peut contrarier ce serment
de l'ordination, peut-il être émis et reçu?
Me^Arbaud s'apitoie ensuite sur le sort qui est réservé
à la Congrégation. « Votre Congrégation tend à secouer
le joug des évêques et de l'ordinaire ; vous vous mettez
par là, il est vrai, à l'abri des administrations diocé-
saines, mais vous vous enlevez le moyen d'empêcher la
dépravation qu'une malheureuse expérience a constatée
dans la presque totalité des corporations régulières.
— 329 —
D'ailleurs, il ne vous sera pas possible d'obtenir d'être
indépendant de l'épiscopat ; ni le conseil d'État, ni les
lois de la France ne vous le permettront. » Conclusion :
« Donc, bornez l'obéissance du sujet au supérieur, au
temps où. il vit dans la congrégation, et qu'il lui soit
permis d'en sortir avec l'agrément de l'évêque. Si celui-ci
vous éloigne de son diocèse, dix autres vous ouvriront
les portes. »
Le P. Tempier, se tenant dans son rôle, se garda bien
de répondre à cette thèse de l'ancien professeur de théo-
logie. « Je laisse à M. de Mazenod, dit-il, le soin de ré-
pondre aux observations de Votre Grandeur, sur nos
Règles, et d'en profiter s'il y a lieu. » Puis, il lance
au prélat gaUican le trait du Parthe : « M. de Mazenod
est à Rome, centre des lumières. » Nous savons ce qui
se passa. Rome répondit et donna tort au prélat; ses
prétendues raisons de droit ne furent pas acceptées et
ne pouvaient l'être. Selon ces raisons alléguées par
l'évêque de Gap, l'existence, dans l'Église, des congré-
gations régulières ne serait plus possible, et cela au
grand préjudice du droit ecclésiastique et du bien gé-
néral. Une congrégation régulière ne secoue pas le joug
de l'ordinaire, parce qu'elle se gouverne elle-même, se-
lon ses constitutions, approuvées par le souverain pon-
tife; au point de vue du ministère extérieur, les rapports
des congrégations sont réglées de façon à sauvegarder
les justes revendications de l'épiscopat; et celui-ci, vou-
lant rester maître absolu et supérieur sans appel d'une
société qui tient son existence canonique du souverain
pontife, ne commet-il pas un abus de pouvoir, en em-
piétant sur le pouvoir suprême? La dépravation que
l'évêque de Gap déplore dans les congrégations régu-
lières, soustraites à la vigilance épiscopale, ne leur est
pas tellement imputable qu'on ne puisse aussi la retrou-
— 330 -
ver dans le clergé séculier, placé cependant sous la di-
rection immédiate des évêques. Enfin, en quoi le pouvoir
civil, aux yeux d'un évêque, peut-il, à rencontre des
exemptions accordées par le souverain pontife à une
société religieuse, imposer à celle-ci l'obligation de dé-
pendre de l'épiscopat?
Après cette déclaration de principes contre les con-
grégations régulières qui visent à être indépendantes des
évêques, M^'' Arbaud descend sur le terrain des faits et
prétend constater que la façon d'agir des Missionnaires
de Provence est une nouvelle preuve des efforts qu'ils
font pour se rendre indépendants de l'évêque de Gap.
1° Ils ont demandé à l'évêque de Digne la location du
Laus, par un bail de vingt-neuf ans, et dernièrement,
M. Tempier lui proposait à lui, évêque de Gap, de leur
céder l'établissement en propriété. Les Sulpicieus et les
Jésuites ne sont pas aussi avisés et ne prennent pas tant
de précautions, quand ils acceptent les grands et petits
séminaires.
t Les missionnaires du Laus, le P. Touche surtout,
recrutent des sujets à droite et à gauche et les font
partir pour leur maison, sans prévenir l'évêque. (Le
P. Touche avait poussé un élève de troisième à entrer
au noviciat.)
30 jyjgr Arbaud avoue qu'il a des dettes de personnel
envers la Congrégation, à laquelle on avait promis trois
prêtres du diocèse ; mais en compensation de ceux qui
sont partis, après être entrés chez les Pères, il a permis
l'entrée au noviciat de quatre de ses sujets dont quel-
ques-uns touchent à la prêtrise. Toutefois, en ceci, il
devait poser des limites ; il a trente-quatre paroisses va-
cantes. « Je ne puis céder des sujets destinés à prêcher
à Nîmes ou ailleurs, je me dois à mes ouailles ; la justice
passe avant la charité. »
— 331 —
4° « D'après l'entretien que nous avons eu ensemble,
dans lequel vous avez dit : « On ne s'attache pas quand
« on n'est sûr de rien «, vous pourriez avoir la tentation
de quitter le Laus ; il faut donc que je me réserve, dans
cette hypothèse, les moyens de retirer de votre Société
mes propres sujets, afin d'en former une petite congréga-
tion à qui je ferais inspirer du respect et de la soumission
à l'ordinaire. »
5° L'évêque de Gap rappelle ensuite les sommes con-
sidérables que la maison du Laus a reçues de Digne,
pendant plusieurs années ; les allocations du gouverne-
ment, les ressources du petit domaine. Les recettes et
les retenues sur les messes constituent des moyens
d'existence plus que suffisants pour trois missionnaires.
Gomment, avec cela, expliquer le délabrement du rez-
de-chaussée? N'e peut-on pas l'expliquer par votre pa-
role ; « On ne s'attache pas quand on n'est sûr de
rien » ?
C'est ainsi que M^' Arbaud promène son regard scru-
tateur sur la situation de la maison du Laus, sur les
agissements des Pères, sur le présent et sur le passé ; il
n'oublie pas ce que l'avenir peut tenir en réserve : son
réquisitoire est complet. Il nous semble qu'il ne décèle
pas des dispositions très bienveillantes, de la part de
l'évêque, envers les Missionnaires de Provence ; nous
voyons même, dans le passage que nous avons souligné,
la révélation d'un projet intime que formait Ms"" Arbaud,
à savoir, de créer, en place des Pères du Laus, une «pe-
tite congrégation diocésaine de missionnaires plus res-
pectueux et plus soumis à l'oi^dinaire ». Nous n'hésitons
pas à dire que, si M^"" Arbaud n'exécuta pas ce projet, il
en transmit la réalisation à ses successeurs. La déclara-
tion franche et les plaintes contenues dans cette lettre
du 8 novembre 182S, de Ms*" Arbaud, ne sont que les dé-
— 332 —
buts de la lutte qui ira grandissant, entre les évêques de
Gap et les Pères du Laus.
Le P. Tempier répondit à M^'^Arbaud, le 16 novembre.
Il désapprouve, comme Monseigneur, et blâme le Père
qui a fait partir du séminaire deux enfants, sans préve-
nir Sa Grandeur. Cependant, il faut savoir comment les
choses se sont passées. Le Père s'est mépris sur les inten-
tions de l'évêque qui, jusqu'alors, ne paraissait pas vou-
loir exclure du juniorat ou du noviciat des jeunes gens
qui ne sont encore rien dans r Église. Ce sont les enfants
eux-mêmes qui ont arrêté leurs places, et le P. Tempier
se réservait de voir Sa Grandeur à ce sujet.
Quant à la proposition qui a été faite à Monseigneur
de céder l'établissement du Laus en propriété, M^"" Ar-
baud lui-même l'a provoquée en manifestant la crainte
que le Supérieur général ne vînt à quitter le Laus, en
en retirant ses sujets. La réponse que fît le P. Tempier,
assurant à Sa Grandeur que le P. de Mazenod était loin
de vouloir abandonner le Laus, ne parut pas satisfaisante
à Monseigneur, surtout en ce qui concernait l'avenir.
Désirant enchaîner les Missionnaires de Provence, dans
son diocèse, Sa Grandeur avait prié le P. Tempier de cher-
cher un moyen de garanties réciproques qui réalisât ses
désirs. C'est alors que le P. Tempier, pour entrer dans
les vues de M^' Arbaud, lui avait proposé le projet qui
lui avait tant déplu :
« 1. La fabrique du Laus céderait en toute propriété
le couvent et le jardin. — II. La Société des mission-
naires y entretiendrait le nombre de prêtres convenu. —
III. Jamais la Société ne pourrait changer la destination
du couvent. — IV. Au cas contraire, après avis et trois
mois de délai, le local ferait retour à la fabrique ou au
diocèse. »
A l'appui de ce projet, le P. Tempier avait cité l'exem-
— 333 —
pie de l'évêque de Marseille qui, dans les mêmes condi-
tions, avait cédé le petit séminaire aux prêtres du Sacré-
Cœur. Les paroles qui furent prononcées :« On ne s'attache
pas quand on n'est sûr de rien, » s'expliquent et se jus-
tifient ainsi et n'ont pas le sens qu'on leur a prêté.
Si le rez-de-chaussée est dans un état de délabrement,
cela vient de ce que les premières réparations faites au
nom de l'administration de Digne n'ont pas duré trois
ans, à cause du salpêtre ; du reste, depuis plus d'un
mois, on travaillait à mettre le rez-de-chaussée en bon
état.
Me"" Arbaud rappelle que les missionnaires ont reçu
des sommes considérables du diocèse de Digne. Cet
argent n'était pas un don, mais la juste rémunération
de travaux que les Pères avaient faits, à titre de prêtres
auxiliaires, dans les paroisses vacantes ; avant de tou-
cher aucun argent, les missionnaires avaient travaillé
au Laus et ailleurs avec autant de zèle et de désintéres-
sement. On a reçu avec reconnaissance des honoraires
que d'autres prêtres refusaient à cause des privations
endurées dans ce genre de ministère, mais ils n'étaient
nullement gratuits.
Ces fonds n'ont pas été gaspillés; ils ont été employés
à payer les frais de voyage ou de déplacements, à l'en-
tretien des missionnaires et des jeunes gens dont un
grand nombre sont sortis... Des 2350 francs alloués
pour travaux accomplis dans le diocèse^ on n'a touché
que 900 francs et l'on a renoncé aux secours venus de
Digne, ce qui n'empêchera pas de donner le jubilé pro-
chain à Digne même.
Sur la question du recrutement des sujets du diocèse
de Gap, le P. Tempier obéira à Sa Grandeur et intimera
l'ordre aux Pères de mettre des bornes à leur zèle de
recrutement et de n'admettre qui que ce soit au novi-
T. XXXV. 23
— 334 —
ciat, sans la permission de l'évêque. Mais cela accordé,
il ne peut que faire observer à Sa Grandeur, en remon-
tant aux principes, qu'il est dans l'ordre qu'une société
religieuse se recrute là où elle a une maison, où elle tra-
vaille. Jeter sur elle l'anathème et lui interdire un su-
jet de plus, c'est vouloir l'étouffer dans son berceau.
« Avons-nous dépassé les limites dans votre diocèse?
L'établissement du Laus exige la présence de six mis-
sionnaires pour mener à bien le pèlerinage, les missions,
les retraites ; c'est notre intention d'y maintenir ce
nombre ; or, quels sont les sujets actuellement utiles
de votre diocèse? Pas un seul ; car le P. Touche est
d'un diocèse étranger, de Digne, séparé de Gap. Quelles
sont nos espérances ? Quatre sujets de votre diocèse sont,
depuis cinq ans, dans la Congrégation ; trois persévére-
ront, raisonnablement parlant, et seront utiles dans quel-
ques années. Nous avons deux sujets qui, s'ils persévè-
rent, feront de bons jardiniers, de bons sacristains. En
plus, quatre jeunes gens peu sûrs qui nous quitteront
peut-être bientôt. Combien nous en restera-t-il, après
cinq ou six ans d'études et même après sept ans? »
Telle fut la réponse du P. Tempier.
M^'' Arbaud répliqua, non sans humeur, par une lettre
datée du 22 novembre. Il n'insiste pas sur les deux
jeunes gens partis sans sa permission et veut bien que
le P. Touche reste au Laus, pourvu qu'il mette des
bornes à son prosélytisme. Il ne pense pas que le gou-
vernement autorise la cession, par la fabrique, du cou-
vent à M. de Mazenod. Il craint que la Congrégation ne
soit entraînée dans les villes et, par suite, ne veuille
quitter le Laus; c'est pourquoi il prend ses mesures.
Voici ce qu'il veut : point de dimissoire donné au jeune
Martin, pour sa prêtrise, s'il ne signe une déclaration,
attestant que sa promesse au Supérieur de la Société est
-" 335 —
subordonnée au serment qu'il fera, le jour de son ordi-
nation, à son évêque ; que si, pour un motif ou un
autre, il sort de la Congrégation, il s'oblige à rentrer
dans son diocèse de naissance, se soumettant aux peines
canoniques portées par les ordonnances synodales contre
les déserteurs du diocèse. « Par ce moyen, tout mar-
chera,» ajoute M^"" Arbaud ; et il recommande au P. Tem-
piER de communiquer cette seconde lettre à M. de Ma-
ZENOD, qui sentira la nécessité de modifier ses statuts.
L'évêque de Gap revient sur le même sujet dans une
nouvelle lettre datée du 25 décembre de la même an-
née 1820.
« Je suis, dit-il, en présence de deux hypothèses :
1° le rappel par l'évêque de tous ses sujets, ce qui serait
préjudiciable à la Congrégation ; 2° la désertion du Laus
par le Supérieur de la Congrégation, ce qui serait préju-
diciable au diocèse, et qui est plus probable. C'est pour
cela que je prends mes mesures : en me faisant acte
d'obéissance, les diacres sauront qu'en cas de rupture
avec la Congrégation, ils appartiennent à leur diocèse. »
Ms' Arbaud craignit sans doute que ses réclamations,
communiquées par le P. TEMPiERau Fondateur qui était
à Rome, ne fussent point prises en considération. Il en-
voya donc, à la Congrégation des évêques et réguliers,
une lettre contresignée par l'archevêque d'Aix et l'évêque
de Digne, par laquelle il demandait qu'il ne fût pas ac-
cordé d'approbation à l'œuvre de M. de Mazenod. La
lettre faisait l'éloge de la Congrégation, mais elle signa-
lait les inconvénients qu'il y aurait à ce qu'elle fût érigée
en corps religieux canoniquement reconnu.
« Je ne connais pas toute la teneur de cette lettre, dit
M^'' Jeancard ; je ne sais pas si elle exprimait quelque
appréhension d'ombrage donné au gouvernement ou
d'un prétexte que saisirait le faux libéralisme de l'époque
— 336 —
pour attaquer la religion... mais je croirais aussi qu'elle
renfermait quelque insinuation plus ou moins gallicane,
qui, sous forme de défense des prérogatives de répisco-
pat, tendait à restreindre l'action du Saint-Siège ou à la
subordonner à des conditions qu'on ne pouvait admettre
à Rome. Ceci est, de ma part, une supposition qui est
justifiée par les opinions connues de l'auteur de la
lettre (1). »
Les lettres que nous avons reproduites plus haut con-
firment pleinement la supposition de M^"" Jeancard. Elles
disent clairement que l'approbation donnée aux statuts
de la Société, tels que les présentait le P. de Mazenod,
serait une limite imposée à l'autorité des évêques; elles
n'admettent pas que le prêtre, engagé par sa promesse
d'obéissance envers l'évêque, puisse légitimement s'en-
gager dans une société religieuse, et devenir, sous l'au-
torité du Souverain Pontife, indépendant de son évêque
d'origine ou de lieu, en tout ce qui n'est pas du minis-
tère extérieur. N'est-ce pas méconnaître l'autorité su-
prême du pontife de Rome ?
Ms'' Arbaud en fut pour ses frais d'opposition systé-
matique. Sa lettre fit une impression toute contraire à
celle que son auteur avait en vue ; ses conclusions furent
repoussées, et au lieu d'être un obstacle à l'approbation
des Règles, elle fut un secours, Rome ayant à cœur d'af-
Srmer par un acte authentique l'autorité du Saint-Siège
et l'utilité, dans l'Eglise, des corps religieux canonique-
ment reconnus.
Certes, par ses idées, son attitude et sa conduite,
Ms' Arbaud, en cette affaire, ne manifestait pas une
extrême bienveillance envers la Société, et le P. de Ma-
zenod avait bien raison de s'étonner et de se plaindre :
(1) Mélanges historiques, § XXIII, p. 247 à 249. — Voir aussi Vie
de Mi' de Mazenod, t. I, liv. III, chap. xi, p. 440 et suivantes.
— 337 —
« Qui se serait attendu à cela de celui que l'on croyait
un ami de l'CEuvre et de la Société? Ce ne sont pas ceux
qui ne nous ont aucune obligation, ceux pour qui nous
n'avons pas versé une goutte de sueur, qui nous pour-
suivent; non, ce sont ceux à qui nous avons consacré
notre existence, depuis dix ans, par des travaux exorbi-
tants, par toutes sortes de privations, par le sacrifice de
notre santé et de notre vie (I). »
CHAPITRE VIII.
LE P. HONORAT SUPÉRIEUR (1826, MAI 1827).
I. L'état de la communauté. — Le personnel et le temporel. — Visite
du fondateur au Laus h son retour de Rome. — Le Chapitre gé-
néral de 1826. — IL L'église du Laus et le pèlerinage. — IIL L'é-
vêque de Gap et les missionnaires de Provence. — IV. Travaux
apostoliques des Pères du Laus.
I. La communauté et lé personnel. — En 1826, le P. Ho-
norât exerça les fonctions de Supérieur et les garda
jusqu'à ce qu'il fût envoyé à Nîmes, au mois de mai 1827.
Ce Père, avec le P. Touche, continuait la campagne apos-
tolique de la saison d'hiver (1825-1826). Pendant ce
temps, le P. Moreau, après sa mission de Valbelle, vint
garder la maison et desservir l'église et le sanctuaire.
Il paraît même qu'il était encore chargé de la paroisse
d'Avançon. Il écrit, le 19 janvier : «Rien d'extraordinaire
ici, les pèlerins n'abondent pas, mais Avançon m'occupe
beaucoup. » Il ne s'absenta que pour une mission et re-
prit aussitôt son poste, ayant toujours du monde étran-
ger à confesser, mais sans surcharge. En juillet, il fut
envoyé en mission dans le diocèse de Nîmes et ne revint
qu'à la mi-novembre. Le P. Dupuy, arrivé au Laus dans
les derniers mois de l'année 1825, fut chargé de l'admi-
(1) Vie de A/gf de Mazenod, t. I, liv. III, chap. m, p. 441-442.
— 338 -
nistration temporelle après le départ du P. Moreau ; il
mit de l'ordre dans les comptes, et, tout en visant à l'é-
conomie, il veillait sur les santés de ses confrères. Il eut
à soigner, pendant le moi? d'août et de septembre, le
P. Suzanne, dont les forces avaient été surmenées, il lui
fallait du repos et un bon régime. « Le P. Suzanne, écrit
le P. DuPUT, est vraiment le martyr de l'obéissance, il
travaille toujours lors même qu'il désire le repos et en
aurait grand besoin. Le séjour du Laus lui a fait grand
bien, et il a pu rentrer dans la maison de Marseille dont
il est supérieur. »
Au mois d'août, on recevait au Laus la circulaire par
laquelle le Supérieur général annonçait la mort, à Mar-
seille, du P. Jacques Marcou, dont le séjour au Laus avait
été si édifiant. « C'est le 20 août, à 4 heures du soir, que
notre vraiment bienheureux frère a été prendre posses-
sion de la gloire que notre divin Maître a promise au
fidèle serviteur qui meurt dans la paix du Seigneur... Je
pleure un frère si précieux pour notre Société à laquelle
il était si attaché, mais je me reproche en quelque sorte
mes larmes, comme si j'osais regretter son bonheur...
N'était l'espoir, pour ne pas dire la certitude, que le Sei-
gneur l'a reçu dans ses saints tabernacles, j'en serais in-
consolable (1). » Le P. DE Mazexod, à l'occasion de cette
mort et de l'indisposition du P. Suzanne qui s'était sur-
mené, recommandait aux Pères de ne pas vouloir trop
faire, s'exposant ainsi à se rendre inhabiles. « Que Dieu
délivre nos frères de toute incommodité; que, du moins,
ils ne fassent rien pour se les attirer (2). »
Le P. DuPUY était un économe actif et entendu aux
(1) Lettre circulaire nécrologique au P. Honorât à Notre-Dame
du Laus, 21 août 18-26.
(2) Lettre du fondateur au P. Honorât à rsotre-Dame ;du Laus,
26 août 1826. .
- 339 —
affaires : il poursuivit l'œuvre des améliorations maté-
rielles, planta des arbres et construisit un pavillon dans
le jardin ; il acheva aussi le canal de la conduite des
eaux, et disposa plus commodément d'un certain nombre
de chambres. Il eut à cœur de prouver à Ms' Arbaud
qu'on tenait à la maison du Laus, et qu'on y était atta-
ché ; on voulait si peu la quitter, qu'on acheta une vigne
à RemoUon ; ce fut le P. Dupuy qui conclut cette affaire
à son avantage, après avoir défendu énergiquement ses
droits contre les réclamations non fondées d'un compé-
titeur.
Au mois de juin, il y eut grande fête intime au Laus.
Sur la demande du P. Honorât, notre vénéré Fondateur,
sur le point de rentrer en France, après avoir obtenu
l'approbation de nos Saintes Règles par un bref en date
du 17 février 1826, avait promis de passer par le Laus
en se rendant à Aix. Il y arriva le l*"" juin et y resta deux
jours. Les Pères du Laus furent les premiers à saluer,
à embrasser le bien-aimé Fondateur en cette circon-
stance solennelle, les premiers à lire et à baiser l'acte offi-
ciel, authentique, par lequel le souverain pontifeLéon XII,
en approuvant les Saintes Règles, donnait à la Société
son existence canonique et, à ses membres, le nom si
glorieux et si doux d'Oblats de Marie Immaculée. La
régularité de la petite communauté du Laus et son bon
esprit donnèrent une grande satisfaction au P. de Maze-
NOD. Notons un détail en passant : jusqu'alors, l'office
de matines et laudes se récitait à 8 heures du soir ; le
Supérieur général fit cesser cet usage et, pour plus de
conformité avec les autres maisons et aussi parce que
l'heure lui parut plus convenable, cette récitation fut
fixée à 4 heures de l'après-midi.
Un mois après, les Pères du Laus prenaient part au
quatrième Chapitre général où furent promulguées les
— 340 —
Lettres apostoliques de Léon XIL Le Chapitre s'ouvrit à
Marseille dans la chapelle intérieure du Calvaire, le
10 juillet, à 5 heures du soir. Douze Pères Oblats, y
compris le Fondateur, étaient présents au chapitre : le
T. R. P. deMazenod, supérieur général; le R. P. Tem-
PIER, premier assistant ; le R. P. Mye, deuxième assis-
tant, supérieur de Nîmes ; le R. P. Courtes, troisième
assistant, supérieur de la maison d'Aix; le R. P. Su-
zanne, supérieur du Calvaire ; le R. P. Honorât, su-
périeur de la maison de Notre-Dame du Laus ; les
RR. PP. Moreau, Touche, maison du Laus ; Sumien,
Marcou, Jeancard et Guibert. Le procès- verbal du cha-
pitre portait, comme date de l'ouverture du chapitre, le
onze juillet. Cette date a été modifiée par une surcharge
indiquant le dix, et les dates subséquentes concordent
avec cette dernière, c'est-à-dire que le second jour est
marqué le onze^ le troisième, le douze, et le quatrième,
le treize ; ce que le P. Rambert ( Vie de M^' de Mazenod,
liv. III, chap. m, p. 456) place dans la séance du douze
est marqué dans la séance du onze, h l'original (1). Nous
rappelons qu'après avoir entendu la lecture du bref d'ap-
probation lu par le Fondateur lui-même, les membres
du chapitre prièrent le P. de Mazenod d'envoyer au pape
Léon XII, au nom de la Société, une lettre de vive re-
connaissance qui exprimât la ferme résolution oii 'ils
étaient tous d'observer fidèlement les Règles. Il fut dé-
crété que, tous les ans, on célébrerait avec solennité le
jour du 17 février, anniversaire de l'approbation des
Règles et Constitutions par Sa Sainteté Léon XII. On y
régla également ce qui concernait le costume religieux
des membres de la Société. La clôture du chapitre fut
des plus solennelles. Tous les Oblats renouvelèrent leurs
(1) D'après une note du R. P. Martinet, assistant général, faisant
fonction de secrétaire général.
— 341 —
vœux, firent acte d'obédience au Supérieur général et
reçurent de lui la bénédiction papale. La Congrégation
eut, dès lors, sa place marquée dans l'Église ; elle eut
sa part d'action sur le vaste terrain de l'apostolat, et re-
vêtit en quelque sorte les prérogatives qui caractérisent
l'Église elle-même : l'unité, la sainteté, la catholicité et
la perpétuité. Désormais, la famille religieuse des Oblats
de Marie Immaculée vivra d'une vie surnaturelle plus
abondante, grandira, se développera pour la plus grande
gloire de Dieu et le salut des âmes.
II. L'église du Laus et le pèlerinage. — Après les mois
rigoureux, les pèlerinages reprirent leur cours accou-
tumé. « Les fêtes du mois de mai, écrit le P. Honorât,
malgré que le temps ne fût pas favorable, ont donné
beaucoup d'occupations aux missionnaires. Tout s'est
bien passé, pas de troubles parmi les marchands. Nombre
de pèlerins passent la nuit dans l'église, mais ils obser-
vent bien le silence. » Les fêtes de septembre furent re-
haussées par la présence de Ms' l'évêque de Gap. Sa Gran-
deur fît sa visite accompagnée de son seul domestique
et sans s'être fait annoncer. Il y eut office pontifical,
matin et soir ; quoique non prévenus, les pèlerins étaient
très nombreux ; nombreux aussi les prêtres arrivés des
environs, qui faisaient une belle couronne au pontife.
Après la grand'messe pontificale, il y eut un dîner de
vingt-cinq couverts; Mf Arbaud se montra bienveillant
pour les Pères et parut satisfait de tout ce qu'il avait vu
au Laus. Ce qui n'empêchait pas le P. Dupuy de dire :
« L'évêque de Gap est un mystère. » Cette année, tous
les pèlerins demandèrent, avec instance, d'être reçus
de la confrérie du Sacré-Cœur de Jésus, établie, comme
nous l'avons vu, dans le sanctuaire de Notre-Dame du
Laus.
Cependant, l'église avait besoin de réparations, la fa-
— 342 —
brique avait peu de ressources ; les Pères durent s'adres-
ser au préfet, lui demandant l'autorisation d'ouvrir une
souscription publique. Le préfet était bien disposé ; il
obtint du gouvernement 600 francs et accorda volontiers
la permission d'ouvrir une souscription. L'autorité ecclé-
siastique, par la bouche du grand vicaire, s'exprima en
bons termes en faveur de la souscription et permit d'ap-
poser le cachet de l'évêché en têle du registre des sous-
cripteurs, qui fut placé dans le sanctuaire, à côté de
celui qui contenait les noms des prêtres qui, en 1818
et 1819, avaient souscrit pour l'achat du couvent. La
souscription n'était que d'un franc à donner pendant
trois ans, et les souscripteurs participaient aux fruits
d'une messe qui devait se dire, pendant les trois ans,
le 1*'' dimanche de chaque mois. Les curés et vicaires de
Gap se montraient bien disposés à souscrire ; au mois
de juillet 1827, on avait réalisé 1800 francs dont 400
étaient dus. C'était insuffisant. La toiture de l'église
avait été renouvelée entièrement, et les autres répara-
tions exigeaient aussi des sommes relativement considé-
rables. Nous verrons plus loin que, grâce an zèle des
gardiens du Laus, le P. Honorât et le P. Duput, l'église
put être restaurée convenablement, à la grande satis-
faction de tous.
III. Vévêque de Gap et les missionnaires du Laus. —
Nous avons rapporté plus haut la correspondance qui
s'échangea, en 1825, entre Me' Arbaut et le R. P. Tem-
piER,et aussi l'opposition que l'évéque de Gap avait faite
à l'approbation de nos Règles, en écrivant à Rome une
lettre contresignée de l'archevêque d'Aix et de l'évéque
de Fréjus, qu'il avait circonvenus. Au mois de mars 182(5,
Me' Arbaud revient sur la question des dimissoires et se
plaint qu'on ait donné peu de missions, dans son dio-
cèse, l'an dernier. Sur le premier point, il exige que ses
-^ 343 —
sujets rentrent dans son diocèse, s'ils cessent d'être
membres de la Société et si la Congrégation se retire du
Laus. Sur le second fait, le petit nombre des missions
données dans son diocèse, M^' Arbaud se montre vrai-
ment exigeant. Outre la grande mission de Gap à la-
quelle prirent part trois missionnaires, dont deux du
Laus, ceux-ci avaient donné quatre missions dans le
diocèse de Gap. Fallait-il donc que tous les membres de
la Société fussent occupés, toute l'année, à évangéliser
les ouailles de M.^" Arbaud? C'est ce que lui répondit le
P. Tempier.
M^"" Arbaud lui répliqua le 21 avril. Il admet qu'il faut
faire une distinction entre l'abandon du Laus par la
Congrégation et le congé donné par l'évêque, mais il
n'en est pas moins vrai que la Congrégation des Oblats
peut dégénérer, si elle n'est pas sous la juridiction de
l'évêque diocésain ; le Supérieur aussi peut n'être pas
assez discret dans la distribution du travail à donner
dans un diocèse.
Ainsi, l'évêque de Gap n'abandonne rien de ses pré-
tentions; c'est lui qui doit être le Supérieur général
de la Société, lui seul peut empêcher que la Société ne
dégénère, et faire une juste répartition des travaux de
ses membres. Toujours aussi, même refus de donner
des dimissoires sans clause restrictive. « Si vous voulez,
dit-il, les dimissoires du jeune Martin, je les enverrai
en ajoutant : Salva reverentiajuxta canones nobis débita.
Je sais bien que tant que M. de Mazenod dirigera la So-
ciété, nous nous entendrons bien ; mais je me crois
obligé à éviter les blâmes de mes successeurs. » Quand
il parlait ainsi, Ms' Arbaud savait cependant que les Rè-
gles de la Société avaient été approuvées par Rome et
que Rome, n'ignorant pas les canons, se réservait la gou-
verne, par l'intermédiaire d'un Supérieur général, des
~ 344 —
congrégations qu'elle approuvait, sans nuire aux vrais
droits de l'évêque diocésain.
Le 9 mai, M^'' Arbaud envoyait au P. Tempier les di-
missoires, ornés de la fameuse clause : Salva reve7'entia,
des FF. Martin et Richaud, promus au sous-diaconat ;
« sans méfiance, disait-il, des dispenses personnelles que
peut avoir M. de Mazenod pour l'établissement du Laus
et pour les missionnaires du diocèse, car, tant que le
Saint-Siège ne l'autorise pas à ordonner ses sujets, ils
restent sous la juridiction de l'ordinaire... La Congré-
gation demeurant, sous plusieurs rapports, dépendante
de l'ordinaire n'aura qu'à y gagner. » Les congrégations
affectent beaucoup « de respect pour le Saint-Siège dont
elles sont éloignées et méprisent les évêques. Un mission-
naire a dit que l'Église était un gouvernement monar-
chique, espèce d'erreur qui met de côté le posuit vos epis-
copos et l'autorité locale... »
Enfin, dans une lettre du H août. M»' Arbaud écrivant
à M. DE Mazenod, supérieur général, se plaint que Mar-
tin, nouvellement ordonné, ne lui ait pas écrit : « Le
sujet doit toujours être attaché à son diocèse et conserver
quelque chose de l'esprit du diocèse...» Il se plaint éga-
lement qu'on ait parlé en chaire du gouvernement mo-
narchique de rÉglise ; il termine en protestant de l'intérêt
qu'il porte et a toujours porté à la « Congrégation, de
là vient qu'il signale les petits torts. Les sentiments per-
sonnels qu'il professe pour son estimable et aimable
Supérieur le rattachent à la Congrégation ».
Ces derniers mots sont à remarquer ; l'intérêt que
M^' Arbaud porte à la Société ne repose, en définitive,
que sur les avantages qu'elle peut procurer au diocèse
et sur les sentiments personnels du prélat à l'égard du
Supérieur général. La Société, telle qu'elle est consti-
tuée, ayant pour but un apostolat général, ne lui plaît
— 345 —
en aucune façon; elle a, comme telle, ]es petits torts de
dépendre du Souverain Pontife, de mettre de côté l'auto-
rité locale et de prétendre faire le bien ailleurs que dans
le diocèse de Gap. Tout cela, selon le mot de Léon XII
que rappelle M. de Mazenod, dans sa réponse, est anti-
canonique : Questi poi e anticanonico. C'est du particula-
risme étroit ; c'est aussi la méconnaissance, en fait, de
l'autorité suprême du pontife romain ; pour tout dire,
c'est du pur gallicanisme.
Ce fut le P. Suzanne qui remit à M^"" Arbaud la réponse
du Supérieur général. Il eut avec lui un entretien de
deux heures, où il fut longuement question de l'établis-
sement du Laus. Toujours hanté par la crainte qu'on
abandonnât le Laus, l'évêque proposa un accord qui de-
vait rester secret entre lui et le Supérieur général, et
totalement ignoré des sujets de la Société. Si, parleurs
fautes, les missionnaires quittaient le Laus, ils laisse-
raient à l'évêque de Gap la faculté de demandera Rome,
par voies canoniques, au moins quelques sujets de la
Congrégation, pour continuer l'œuvre du Laus, le pape
les délivrant ou non de leurs vœux de persévérance dans
la Société; si, au contraire^ les missionnaires quittaient
le Laus ayant à se plaindre de l'évêque de Gap, celui-ci
perdrait son droit de réclamer des sujets ; que l'on con-
sente à cet accord, et l'évêque de Gap donnera à ses dio-
césains toute liberté d'entrer dans la Congrégation et
confiera à ses membres la direction de son grand sémi-
naire. Comme autrefois le P. Tempier, le P. Suzanne
rassura l'évêque en lui disant que le P. de IVIazenod
n'avait aucune intention de quitter le Laus; on pouvait
créer ailleurs de nouveaux établissements à mesure que
les sujets deviendraient plus nombreux, sans abandon-
ner les postes que Ton occupait déjà. Il n'eut pas de
peine à démontrer que l'accord proposé était inaccep-
— 346 —
table, parce qu'il était odieux et subversif des constitu-
tions mêmes de la Société. On se rappelle que M»"" Ar-
baud n'avait pas accepté le projet du P. Tempier
demandant la cession de l'établissement du Laus en
toute propriété, projet plus praticable et offrant une sé-
rieuse garantie de fixité au Laus. L'évêque de Gap était
trop avisé et craignait trop de compromettre ses intérêts
diocésains pour accueillir la proposition du P. Tempier;
il ne dut pas s'étonner que M. de Mazenod n'entrât pas
dans un projet d'accord qui mettait en péril les intérêts
non moins graves de sa Société religieuse.
IV. Travaux apostoliques des Pères du Laus {l'anvier 1826-
mfl«"1827). — Dès les premiers jours de janvier, le P. Mo-
REAU et le P. Touche donnaient une retraite dans la pa-
roisse de Valbelle, commune de 520 habitants, canton
de Noyers-sur-Jabron, diocèse de Digne. M^' de Miollis
n'avait accordé des pouvoirs que pour huit jours; en si
peu de temps, on ne put faire tout le bien désirable.
Le 8 janvier, les PP. Honorât et Guibert, plus tard
aidés par les PP. Jeancard et Touche, commençaient
l'importante mission de Ribiers. C'est un gros bourg de
1 260 habitants, situé sur le Buëch, et chef-lieu de can-
ton de l'arrondissement de Gap. « La population est, au
fond, bonne et réfléchie, écrit le P. Guibert ; mais, au
début, on ne se remuait pas beaucoup pour les confes-
sions, quoiqu'on vînt nombreux aux exercices. Les
cœurs restaient froids comme les neiges et les rochers
au milieu desquels ils vivent ; la grâce cependant finira
par triompher, et il y aura peu de personnes qui ne pro-
fitent pas de la mission. » Les espérances du P. Guibert
ne furent pas déçues ; d'abord lent à se rendre, ce peuple
lit bien les choses ; les quatre missionnaires et le curé
eurent fort à faire pour entendre les confessions. Deux
faits extraordinaires achevèrent, par la grâce de Dieu, de
~ 347 —
déterminer les retardataires. Il y avait, dans cette pa-
roisse, un prêtre qui avait apostasie pendant la grande
Révolution et, malgré ce scandale, bien vu par la popu-
lation; il se convertit sincèrement, à la grande édifica-
tion de tous. Un autre événement produisit une impres-
sion douloureuse, mais salutaire. Un malheureux qui,
tombé malade, refusa les sacrements jusqu'à la dernière
heure, vint à mourir. Il fut enterré sans prêtre et privé
des prières de l'Eglise. Ainsi Dieu secondait le zèle des
missionnaires.
Le P. Honorât étant fatigué, avait laissé tous les grands
sermons au P. Jeancard; le P. Guibert travaillait tou-
jours mieux. Très simple, mais très solide dans ses ins-
tructions, il confessait, malgré sa jeunesse, tout ce qu'il
y avait de distingué parmi la population.
En même temps que la mission de Ribiers se donnait
celle de Noyers-sur- Jabron par les PP. Dupuy et Albini.
C'est le P. Dupuy qui nous rend compte de ce travail,
après une description pleine d'humour du voyage que les
Pères firent d'Aix à Noyers. Comme il est beaucoup ques-
tion du saint P. Albini, on nous pardonnera de men-
tionner ici cette mission.
Donc, d'après le P. Dupuy, qui écrit de Noyers le 14. jan-
vier, les deux missionnaires partirent d'Aix en voiture;
le P. Albini en était presque scandalisé, et pour mieux
se conformer à nos constitutions, il fit à pied la montée
de Venelles. On s'arrêta à Griéoux; en route, les Pères
avaient eu à souffrir d'un froid intense et de la compa-
gnie de deux jeunes gens dont les propos peu convena-
bles furent vertement relevés par le P. Albini, ce qui les
obligea à être plus honnêtes. A Digne, ils firent une visite
à l'évêque, ils le trouvèrent dans son lit et coiffé de la
façon la plus étrange. L'évêque leur désigna pour champ
de travail Noyers-sur-Jabron, d'environ 1100 habitants,
-- 348 —
chef-lieu de canton, à deux heures de Ribiers seulement,
aux confins du diocèse de Gap. Les deux Pères ayant dîné
au grand séminaire, et;, munis de tous les pouvoirs, re-
prirent leur marche. Le P. Albini, toujours désireux
d'imiter les apôtres, voulut faire route à pied ; le P. Dupuy
loua un cheval, le monta, après l'avoir chargé des va-
lises. Le P. Albini suivait à pied; on s'entretenait de su-
jets pieux, et, de temps en temps, on chantait des can-
tiques. Cependant, la route s'allongeait, et les jambes
du pauvre P. Albini refusaient leur service. Il fut bien
forcé d'accepter la monture que lui offrit le P. Dupuy,
non sans plaisanter son confrère. « Qu'auriez-vous donc
fait si vous étiez venu, sans voilure, d'Aix à Digne ? »
Le P. Albini répondit humblement : « Spiritus promptus
est, caro autem infirma. » Enfin, ils arrivèrent à Volone,
à 8 heures du soir. Le lendemain, toujours à pied, ils
entraient à Noyers-sur-Jabron, qui est à 13 kilomètres
de Sisteron. En cheminant, le P. Albini accostait tous
les passants, leur parlait du bon Dieu, et, à toute occa-
sion, leur disait d'édifiantes paroles.
La population de Noyers fît un excellent accueil aux
deux missionnaires. Quoique disséminée dans cinq ou
six hameaux, dont quelques-uns étaient éloignés de l'é-
glise de plus d'une lieue, elle fut fidèle à assister aux
exercices. Huit jours après l'ouverture, les Pères, acca-
blés de confessions, demandèrent de l'aide, le P. Jean-
CARD leur fut envoyé de Ribiers, et il donna surtout les
sermons. Le résultat de cette mission a été consigné
dans le registre paroissial de Noyers par le curé lui-
même. « La mission, y est-il dit, eut un entier succès,
il ne resta qu'un très petit nombre de personnes qui n'ap-
prochassent pas des sacrements. La communion géné-
rale des femmes fut d'environ 400 au moins, et celle des
hommes, au moins du même nombre; la population
— 349 —
comptait environ 4 200 âmes... Les missionnaires étaient
au nombre de trois, le supérieur Dupuy, natif d'Aix ;
Jeancard, du diocèse de Fréjus, et Albini, de Nice. Ces
messieurs étaient des Missionnaires de Provence et de
Notre-Dame du Laus. La mission a duré un mois.
C'est pendant cette mission qu'eut lieu la guérison
miraculeuse d'un homme paralysé de la langue, dans la
chapelle de Saint-Claude, alors que le P. Albini disait la
messe (1).
Immédiatement après la mission de Noyers-sur-Ja-
bron, s'ouvrait à Aubagne, diocèse de Marseille, une
grande mission à laquelle prirent part les missionnaires
du Laus, le P. Touche et le P. Moreau. Ils rejoignirent
les PP. Suzanne, Mie, Dupuy et Albini, qui avaient ouvert
la mission le 17 février. Dès la première semaine com-
mença le travail des confessions, les tribunaux de la pé-
nitence ne cessèrent d'être assiégés ; telle fut l'affluence
des pénitents, que, dès minuit, ils venaient à l'église
pour prendre leur place et passer à leur tour. Au milieu
de ces rudes travaux, les missionnaires reçurent une
immense joie : le P. Tempier vint à Aubagne leur appor-
ter l'heureuse nouvelle de l'approbation de nos Saintes
Règles par Léon XII.
La mission d' Aubagne terminée, les PP. Touche et
MoREAU prirent quelque repos dans leur maison du Laus.
Aux Pâques, le P. Touche fit un retour de mission à
Ribiers à l'occasion de la visite de l'évêque de Gap. Les
fruits de la mission persévéraient, tous les gens firent
leurs Pâques, et les congrégations qu'on avait établies
donnaient beaucoup de consolations au pasteur de la
paroisse. Le P. Touche donna ensuite une retraite à
Banot-le-Haut, où il confessa tout le monde, et aussi à
(1) Voirie R. P. Albini, Réponse au questionnaire de sainteté.
T. XXXV. 24
- 3oO --
Bâtie-Vieille, deux petites communes de l'arrondisse-
ment do Gap. Le 1" juin, le même père, avec un com-
pagnon qu'il ne nomme pas, évangélisait Saint-Didier,
à 5 kilomètres de Saint-Élienne-en-Dévoluy.Le mission-
naire écrivait : «Notre retraite, à Saint-Didier, a marché
à merveille, 250 personnes ont déjà fait leur commu-
nion ; nous aurons les autres, une cinquantaine, avant
la Saint-Jean (24 juin). »
Saint-Didier pouvait compter alors oOO habitants.
Le 24 septembre, les PP. Honorât et Touche commen-
çaient la mission de Saint-Julien-en-Champsaure, com-
mune d'environ 700 habitants, du canton de Saint-
Bonnet, au diocèse de Gap.
a Les gens sont suffisamment instruits, intelligents et
pleins de bonne volonté ; malgré leurs travaux, ils sont à
l'église à 4 heures et demie le matin etle soir à 6 heures.»
Ainsi s'exprime le P. Honorât le surlendemain de l'ouver-
ture des exercices. Quinze jours après, il écrit : « La
mission va rondement, nous sommes quatre confesseurs,
M . l'abbé Gailhol (de Marseille), qui est avecnous, a du mal
avec la langue des gavots (gens de la montagne) ; il ne la
comprend guère et n'est guère compris, il nous est pour-
tant d'un grand secours. Les plus endurcis se sont sentis
émus par la cérémonie de pénitence. » Enfin, dans la
dernière semaine, les chcses allèrent de mieux en mieux,
les cérémonies de la consécration à la Sainte Vierge et du
renouvellement des vœux du baptême, firent grande
impression et donnèrent le coup de grâce aux récalci-
trants. La mission fut très satisfaisante. Les P. Dupuy,
MoREAU et Albini travaillaient à Upaix dans la dernière
quinzaine de novembre et y donnaient une mission.
Upaix est une commune d'environ 700 habitants, à 5 kilo-
mètres de Laragne, chef-lieu de canton de l'arrondisse-
ment de Gap. Les missionnaires nous font un portrait
-- 351 —
peu flatteur de la population ; en général, elle était mal
disposée, indifférente, et semblait n'avoir plus qu'une
foi bien faible. Les trois premiers jours qui suivirent
l'ouverture de la mission, qui eut lieu le 15 novembre,
furent employés à visiter tous les habitants en particu-
lier dans leurs hameaux. Les débuts furent difficiles ; à
peine une centaine de personnes aux exercices, et encore
beaucoup trouvant le sermon trop long, sortaient avant
la fin. La deuxième semaine vit l'auditoire augmenter,
mais les confessions étaient rares.
Les missionnaires ne perdirent pas courage, la grâce de
Dieu seconda leurs efforts, et, après la cérémonie de pé-
nitence toujours très touchante, une centaine d'hommes
commencèrent à se confesser; presque toutes les femmes,
au nombre de 2:20, firent la communion générale. Le
P. MoREAU écrivait quelques jours après la clôture :
« Presque toute la population d'Upaix s'est approchée
des sacrements, il n'est resté parmi les hommes que
quelques endurcis, entre autres un certain avocat impie
qui fît beaucoup de mal, en ne cessant de parler contre
les missionnaires. Même parmi ces endurcis, il en est
qui ont paru touchés à la fin et qui ont l'intention de
s'adresser au curé. »
Ainsi, cette paroisse, qui avait paru si rebelle au zèle
des missionnaires, fut renouvelée par la grâce de la
mission.
Le P. Albini ayant terminé ses confessions à Upaix, se
rendit, non loin de là, dans la petite commune de Saint-
Pierre- Avez, le 9 décembre, il y passa quinze jours et
y donna le jubilé (1). Pendant la mission d'Upaix, le
P. Touche donnait une retraite de jubilé à Rabou, petit
village de 290 habitants, à 41 kilomètres de Gap. On y
(1) Voir le R. P. Albini, Réponse au questionnaire de sainteté,
p. 28 et 30.
— 352 —
voit des ruines de fortifications d'environ 1000 mètres
de circonférence, attribuées aux Sarrasins.
Le 26 décembre, le P. Touche écrivait : « Hommes et
femmes ont été édifiants, tous ont fait leur devoir. Il y
a des hommes qui n'ont pu se confesser qu'après deux
nuits d'attente. La congrégation des hommes que j'y ai
établie a à sa tête un vieux capitaine bien décidé à la
faire marcher non moins bien que celle des filles. »
Le P. Touche ayant terminé la retraite de Rabou vers
le 10 décembre, en commença immédiatement une autre
au Poët, du canton de Laragne, diocèse de Gap. Cette
retraite porta d'heureux fruits, et bien des hommes re-
vinrent à la pratique de leurs devoirs de chrétiens.
Nous signalerons, à la fin de cette année 1826, la
grande et belle mission qui fut donnée à Digne par les
PP. Mie, Jeancard et Guibert. Cette mission de jubilé
s'ouvrit le 3 novembre et se clôtura vers le 11 décembre.
On peut lire, dans la Vie du cardinal Guibert, d'intéres-
sants détails sur la mission et sur le succès qui la cou-
ronna (1). Dans les mois de janvier et defévrier 1827, les
Pères du Laus, PP. Dupuy et Moreau, évangélisèrent deux
paroisses du diocèse de Nîmes. Rentrés au Laus dans les
premiers jours de mars, le P. Dupuy garda le sanctuaire,
et, le 9 mars, le P. Moreau partait avec le P. Touche
pour donner une mission à Rével, commune de 770 ha-
bitants, canton duLauzet, au diocèse de Digne, Les mis-
sionnaires arrivèrent à destination après avoir traversé
de belles et horribles montagnes; la neige était tombée
abondante. Le peuple fut enchanté de recevoir les Pères
du Laus, et dès l'ouverture des exercices, qui eut lieu le
Il mars, les gens vinrent nombreux à l'église, malgré la
tourmente des neiges qui ne cessait pas. La procession
(1) Vie du, cardinal Guibert, t. I, chap. v; les Missions, p. 183-194.
~ 353 —
de pénitence fut particulièrement pénible pour le Père
qui portait la croix nu-pieds. « Je ne soupçonnais pas,
dit-il, que la neige fût si froide.» Le quatrième dimanche
de carême, communion générale des femmes et belle
procession du Saint Sacrement ; la communion générale
des hommes, qui eut lieu le dimanche de la Passion, sur-
passa en nombre celle des femmes, qu'on n'avait pas eu
le temps de confesser. La mission se clôtura par la plan-
tation de la croix, qui fut très solennelle et très édifiante.
Le P. Touche partit immédiatement pour Gap, où il allait
exercer son ministère au collège. Le P. Moreau resta
quelques jours encore à Revelet regagna le Laus.
Le 24 avril, nous retrouvons nos deux infatigables
missionnaires à Orcières, chef-lieu de canton, arrondis-
sement d'Embrun, au diocèse de Gap. Ici, la lutte fut
plus vive qu'à Revel ; Orcières ne jouissait pas, dans le
pays, d'une réputation sans tache, les mœurs n'y étant
pas généralement respectées. Les Pères furent secondés
dans leur travail par M. le curé, prêtre excellent, et un
autre ecclésiastique zélé. Le temps était peu favorable;
malgré tout, les exercices de la mission furent bien sui-
vis et produisirent, avec la grâce de Dieu, leurs bons
effets accoutumés. Quinze jours après l'ouverture, la
moitié de la population avait fait ses pâques dans d'ex-
cellentes conditions. A la fin, on fut étonné des merveil-
leux changements opérés, presque tout le monde avait
répondu à l'appel de Dieu. Le P. Moreau resta encore
huit jours après la clôture et employa ce temps à rece-
voir les retardataires et à préparer à la première com-
munion environ 80 enfants, dont la piété et la bonne
tenue le consolèrent des fatigues qu'il endurait depuis
un mois.
La mission d'Orcières terminait la série des travaux
accomplis par la maison du Laus pendant l'année 1826
— 354 —
et pendant les cinq premiers mois de l'année 1827, jan-
vier à mai.
Le diocèse de Gap avait été bien servi, et M^' Arbaud
ne pouvait se plaindre. Nous y comptons les A grandes
missions de Ribiers, de Saint- Julien -en-Champsaure,
d'Upaix et d'Orcières, un retour de mission à Ribiers et
6 retraites de jubilé : Banot, Bâtie-Vieille, Saint-Didier,
Saint-Pierre-Avez, Rabou et le Poët.
De son côté, le diocèse de Digne avait bénéficié de
4 missions : Valbelle, Noyers-sur-Jabron, Digne et Re-
vel. Il nous semble que, cette année encore, la maison
du Laus paya largement son tribut de reconnaissance
aux deux évêques de Gap et de Digne.
CHAPITRE IX.
LE P. MIE, SUPÉRIEUR DU LAUS POUR LA SECONDE FOIS.
(De mars 1827 à mars 1829.)
I. La maison du Laus. — Le personnel et le temporel. — H. La pa-
roisse, l'église et le pèlerinage, — IIL Ms' Arbaud et les mission-
naires Oblats. — IV. Travaux apostoliques des Pères pendant cette
période de deux ans. — Vie de saint Alphonse de Liguori.
I. Personnel de la maison. — Le P. Mie, supérieur de
Nîmes, vint donner des missions dans le diocèse d'Aix
dans les mois de janvier et de février 1827, tandis que le
supérieur du Laus, le P. Honorât, travaillait dans le dio-
cèse de Nîmes. Vers la fin du mois d'avril, les deux
Pères échangèrent leur position^ le P. Mie monta au
Laus, dont il fut nommé Supérieur, et le P. Honorât le
remplaça à Nîmes en cette même qualité. Les PP. Mo-
REAU et DupuY avaient aussi évangélisé plusieurs localités
dans le Gard ; le premier revint au Laus au mois de
mars ; quatre mois après, il recevait son obédience pour
— 355 —
la maison de Nîmes. Quant au P. Dupuy, il fut fixé au
Laus et y exerça les fonctions d'économe.
Cette année encore, le P. Suzanne, toujours fatigué,
fît un assez long séjour au Laus; ayant passé quelques
semaines à Veynes, au château de Reveillac, chez la fa-
mille amie de M^"" de Mazenod, il garda le sanctuaire
pendant que les Pères donnaient des missions et des
retraites, depuis le mois de juillet jusqu'au mois d'oc-
tobre. En septembre, le P. Martin faisait partie de la
communauté; nous le voyons donner, avec le P. Mie, la
mission de Tallard, en décembre. L'année suivante, en
juillet 1828, le P. Touche reçut son obédience pour la
maison de Nîmes ; premier compagnon du P. Tempier, le
P. Touche était au Laus depuis 1819.
Ouvrier infatigable, il avait évangélisé grand nombre
de paroisses des diocèses de Digne et de Gap, y prêchant
des retraites, des missions, des retours de mission et
remplaçant les curés pour le ministère paroissial. Taillé
en athlète, grand et large d'épaules, le P. Touche, dont
les traits de visage étaient rudes et heurtés, avait la voix
forte et sonore, et, par son éloquence sans apprêt, mou-
vementée, ardente^ il faisait grande impression sur les
auditoires des campagnes. Il lui arrivait parfois de ne
pas user de ménagements; ainsi, à Valserre, il faillit
faire manquer la mission, en indisposant les jeunes gens
du pays par des apostrophes acerbes et virulentes.
Un incident regrettable fut la cause de son change-
ment. Une femme de Chorges, venue en pèlerinage au
Laus, voulut boire à la fontaine pendant qu'on faisait
la procession ; le P. Touche qu'elle gênait, l'écarta en lui
secouant rudement le bras. La femme se fâcha, se plai-
gnant d'avoir le bras démis, son mari porta plainte au
maire de Chorges, lequel à son tour en écrivit au préfet
et à M^"' l'évêque de Gap . Le Père fut menacé de poursuites
— 386 —
devant les tribunaux. Elles n'eurent pas lieu parce que
les autorités calmèrent les plaignants en faisant donner
40 francs d'indemnité à la victime, et en obtenant que
le P. Touche serait éloigné du Laus. Ce fut dans ces
conditions que, sur la demande de l'évêque, le P. deMa-
ZENOD donna au P. Touche son obédience pour Nîmes.
Malgré tout, il fut très regretté à Gap et au Laus, où les
pèlerins, habitués à le trouver toujours à son poste et
à leurs services, rendaient témoignage à son zèle (1). Il
fut remplacé parle P. Sumien, d'un caractère plus doux,
mais aussi d'un zèle moins actif.
Au mois de septembre 1828, le maître des novices de
Marseille, le P. Guibert, dont la santé se trouvait mal
d'une vie trop sédentaire, reçut son obédience pour la
résidence du Laus.
Il fut remplacé dans sa charge par le P. Guigues, qui,
lui aussi, avait passé quelque temps au Laus. Dans
une lettre datée du H septembre, le P. Guibert écri-
vait ce qui suit : « Je ne saurais vous dire combien je
suis ravi de tout ce que je vois dans ce pays ; la dé-
votion franche et simple de ces nombreux pèlerins qui
reçoivent asile jusque dans l'église est vraiment tou-
chante... Nous avons confessé, entre autres, plusieurs per-
sonnes de Grenoble et de Bourg-d'Oisans... Le P. Touche
est extrêmement regretté, je doute que le P. Sumien et
moi puissions combler le vide qu'il a laissé et il serait à
souhaiter que l'évêque de Gap le rappelât. » Dans le
mois d'avril 1828, les Pères du Laus apprirent qu'un
journal de Marseille, on ne sait trop pour quel motif et à
l'instigation de qui, avait publié un article où il était
question de la dissolution prochaine de la Société des
(1) Prêchaut sur le péché mortel, le P. Touche disait : « Regardez-
moi, je suis bien laid, plus horrible et repoussante est la laideur du
péché ! »
— 357 —
Oblats. Cette prétendue nouvelle donna lieu à bien des
commentaires, qui allèrent bon train, surtout dans le
diocèse de Gap. Au Laus, on ne s'en émut pas trop.
(( Nous ne sommes pas embarrassés, écrit le P. Dupuy,
pour faire face à l'orage, s'il éclate. P. Mie est recteur
du Laus, P. Touche, deValserre, et moi, je puis être rec-
teur de Saint-Étienne ; ainsi fixés, nous n'aurons plus
qu'à mettre un rabat et un petit collet et nous serons à
l'abri jusqu'à ce que l'orage ait cessé. » L'orage n'éclata
pas.
Le temporel de la maison du Laus. — Quand le P. Mie
fut nommé Supérieur, le Fondateur l'avertit par lettre
que le P. Duput, l'économe de la maison du Laus, avait
reçu de lui des pouvoirs extraordinaires pour gérer les
affaires temporelles ; l'économe, qui devait, dans le
reste, se conformer aux règles, relèverait seulement du
Supérieur général, dont l'approbation lui était absolu-
ment nécessaire. Le P. Mie, dont les aptitudes financières
et administratives n'étaient pas très grandes, n'eut pas
de peine à accepter cette mesure qui l'exemptait, au
temporel, de toute responsabilité et de tout souci.
Le P. Dupuy avait le goût et l'aptitude qui manquaient
au bon P. Mie; il imprima une vive impulsion aux
œuvres déjà commencées, pour mettre l'établissement
en des conditions meilleures. Le P. Touche et le P. Ho-
norât, qui, jusque-là, avaient tenu les comptes et géré
les affaires, avaient laissé la caisse à peu près vide; com-
ment se libérer des dettes? Comment subvenir aux ré-
parations du couvent ? Le P. Dupuy fut assez heureux
pour obtenir de M^' de Gap, qui en était propriétaire, de
prendre sur lui de fournir les frais nécessaires. Ce se-
cours vint d'autant plus à propos que les ressources de
la maison avaient diminué ; depuis quelques années, les
terres avaient peu rendu, les vignes étaient dans un
— 358 —
triste état, le bois de Coste- Belle, commune de Jar-
jayes, à 9 kilomètres de Gap, avait été ravagé par les
moutons et les chèvres, à peine le P. Dupuy obtint
60 francs en dédommagement des dégâts qui y avaient
été commis depuis vingt-quatre ans. Ce bois faisait par-
tie du petit domaine du Laus, loué aux missionnaires.
Pendant l'hiver de 1827 à 1828, les conduites en bois
de la fontaine avaient éclaté sous l'action du froid, il
fallut les réparer ; l'économe, sachant que l'entretien
annuel de ces conduites s'élevait à un prix bien élevé,
proposa de creuser un puits à côté de la maison, ayant
8 cannes de profondeur à 15 francs la canne. « Un homme,
disait le P. Dupuy, que la présence de l'eau fait frémir et
trembler, nous indiquera l'emplacement où il faut creu-
ser, nous aurions une pompe et l'eau ne nous manque-
rait plus. » Ce projet ne se réalisa que plus tard.
Pour se créer des ressources sûres, l'économe vendit
avec profit, sur le prix d'achat primitif, des terres qui
rapportaient moins, pour en acheter d'autres d'un meil-
leur rendement. Acquérir des propriétés au Laus et
autour du Laus, n'était-ce pas une réponse aux craintes
del'évêque de Gap, qui s'imaginait que les Oblats étaient
disposés à abandonner le sanctuaire? N'était-ce pas une
preuve que les Pères se croyaient pour longtemps au
Laus?
En juin 1828, le Fondateur était au Laus et procurait
aux Pères, avec les joies de sa présence, la faveur d'un
acte de visite canonique. Nous avons cet acte sous les
yeux, daté du 22 juin, en 8 pages in-folio, écrit tout en-
tier de la main de notre vénéré Fondateur et signé par
lui. Nous en citons quelques passages : « La position de
la maison du Laus exposait journellement nos Pères à
se dissiper et à perdre l'esprit de recueillement sans le-
quel on ne fera jamais le moindre progrès réel dans les
— 3S9 —
vertus religieuses. Le concours des pèlerins, d'une part;
de l'autre, les visites fréquentes d'un grand nombre de
prêtres du diocèse et des diocèses circonvoisins, sont le
double écueil que le visiteur signale et contre lequel il
prescrit de sages mesures. Tout en donnant son temps
aux confessions, on doit rester scrupuleusement fidèle
aux exercices de la communauté. Quant aux prêtres
étrangers, « après les honnêtetés du premier moment
de la réception, que le supérieur seul est chargé de faire,
l'hôte sera conduit dans l'appartement qu'on lui destine,
et les Pères ne s'entretiendront avec lui que dans le
temps des récréations ; ils éviteront d'être trop familiers
avec lui, seront réservés, discrets, et ne feront pas con-
naître au premier venu leur façon de penser et leur ma-
nière d'agir. » Dès lors, on aura plus de temps pour se
livrer à l'étude en se conformant aux règles qui sont
formelles sur ce point. « Qui pourra jamais dispenser
de ce devoir de l'étude, des prêtres, des religieux qui
doivent être non seulement le sel de la terre, mais en-
core la lumière du monde ?... Nous appelons ne pas étu-
dier, se contenter de lire tantôt un livre, tantôt l'autre,
par pure curiosité et sans aucun fruit durable. Pour
étudier, il faut avoir un plan, faire des lectures qui se
rapportent à. ce plan, prendre des notes sur ce qu'on
lit, y ajouter ses propres réflexions, consulter divers ou-
vrages qui confirment ou éclaircissent la matière ou le
sujet dont on s'occupe. On étudie quand on approfondit
les Ecritures saintes, quand on compose un discours,
quand on prépare des instructions pour les missions et
les retraites... Est-ce là ce qui se pratique? Pour ré-
pondre à cette question, nous n'osons presque pas dire
qu'à notre arrivée dans cette maison, nous n'avons
trouvé qu'une écritoire avec de l'encre dans toute la
maison. C'est un grand désordre qui ne peut être excusé
— 360 —
ni par les œuvres de zèle ni par l'assiduité à remplir les
devoirs du saint ministère auquel on se livre, nous le
savons, avec un empressement très louable. »
Pendant le séjour qu'il fit au Laus, notre vénéré Fon-
dateur donna un bel exemple de son amour de la pau-
vreté et de l'observation des Saintes Règles. On lui avait
préparé une chambre fort joliment meublée, il ne vou-
lut pas l'occuper et se contenta d'une cellule ordinaire,
celle de Saint-Augustin, et il s'y trouva délicieusement
logé. Quant à la belle chambre, le P. de Mazenod l'in-
terdit à tout religieux et voulut qu'elle fût réservée pour
l'évoque de Gap ou pour tout autre personnage de
marque qui honorerait la maison de sa visite. « En l'oc-
cupant, dit le Fondateur, dans son acte de visite même,
nous aurions donné le scandale d'une infraction à nos
Règles, que nous sommes, grâce à Dieu, tenus d'ob-
server comme tous les autres membres de la Société. »
II. Le sanctuaire et le pèlermage (1827-1828). — Nous
avons dit qu'on avait ouvert une souscription pour les
réparations de l'église du Laus. Les souscriptions arri-
vaient lentement, on ne pressait pas les travaux; le pré-
fet, qui avait alloué 600 francs, faisait écrire par son se-
crétaire général que si les travaux n'étaient pas terminés
pour le 1" novembre, la somme allouée rentrerait dans
le trésor du roi. Il fallait donc aviser à faire arriver plus
vite les ressources; le P. Duput changea le mode de
souscription, la porta à 5 francs au lieu de 1 franc, et les
ressources étant venues, il put terminer les réparations
avant la fin de l'année. Ainsi, la toiture de l'église fut
reconstruite, les murs furent blanchis. A l'intérieur, on
répara les autels latéraux ; on fit repeindre la partie du
sanctuaire où se trouve la statue de la Sainte-Vierge,
ainsi que les bordures des fenêtres que l'on garnit de ri-
deaux rouges. De même, les portes de l'église reçurent
— 361 —
une nouvelle couche de peinture, et les tambours du
vestibule furent refaits à neuf. Tout l'édifice se présenta
sous un nouvel aspect; il plaisait davantage aux yeux et
portait plus à la piété.
L'année suivante, 1828, le P. Dupuy compléta les amé-
liorations du sanctuaire, en faisant mettre dans l'église
de bons et solides bancs en bois de mélèze. Auparavant,
il n'y en avait que quelques-uns, fort endommagés par
le temps et peu dignes de figurer dans le lieu saint. Au
mois de septembre de cette même année, la duchesse
d'Angoulême faisait présent d'un bel ostensoir à l'église
du Laus ; il avait coûté 600 francs. Les pèlerins avaient
coutume de passer la nuit à l'église, parce qu'ils ne trou-
vaient pas à se loger dehors ; le hangar, qui leur était
réservé, ne pouvait les abriter tous. Le P. Dupuy le
transforma en une sorte d'hôtellerie, avec des chambres
meublées et tapissées; et moyennant une modique ré-
tribution, elles furent mises à la disposition des pèle-
rins. Signalons quelques faits particuliers au pèlerinage
pendant ces deux années.
Le célèbre P. Enfantin vint au Laus en 1827. Ayant
prêché la retraite pastorale à Gap, il se rendit au sanc-
tuaire de Marie, y séjourna deux jours et obtint de la
Mère de Dieu plusieurs grâces. En reconnaissance, il y
fit dire une neuvaine de messes et offrit deux beaux
bouquets pour l'autel.
Au mois de juillet de la même année, le préfet de Gap,
dont les Pères n'avaient jamais eu qu'à se louer, échan-
gea son poste avec le préfet de Garcassonne, M. le comte
de Beaumont, arrière-petit-neveu, par sa femme, de
saint François de Sales. C'était un bon chrétien; il se
montra toujours bien disposé pour les missionnaires.
Un jour qu'il faisait son pèlerinage au Laus, il remit au
P. Dupuy 100 écus pour la restauration de l'église.
— 36-2 —
En 1828, le concours des pèlerins fut considérable ;
le jour de la Pentecôte, il y eut jusqu'à dix processions
de paroisses, malgré un temps pluvieux qui n'arrêta pas
l'ardeur des pèlerins. A la fête de la Nativité, 8 sep-
tembre, même affluence ; ne pouvant être hébergés au
hameau du Laus, nombre de pèlerins passaient la nuit
dans l'église pour y prier et y prendre un court repos :
tout s'y passait, du reste, avec grande édification.
M. de Beaumont et sa dame étaient du nombre des
pèlerins de septembre ; tous deux prièrent dévotement
et s'approchèrent de la sainte table. Les sentiments si
religieux dont ils donnèrent l'exemple firent une excel-
lente impression dans tout le pays, et rehaussèrent le
prestige du sanctuaire du Laus.
La même année, l'abbé Gombalot passa deux jours
dans la Communauté ; il apprit aux Pères l'intention où
était M^"" l'évêque de Grenoble de les établir dans son
diocèse, et de leur confier la desserte de la paroisse et du
sanctuaire de l'Osier. Ce projet ne se réalisa qu'en i834.
Ainsi la dévotion envers Notre-Dame du Laus ne dé-
périssait pas entre les mains des Oblats de Marie. Rien
n'était négligé pour entretenir et développer la piété des
fidèles envers la Très Sainte Vierge; dans ce même but,
on prépara une nouvelle impression du petit livre inti-
tulé les Merveilles du Laus. Le P. Dupuy proposait de
joindre, aux Merveilles rééditées, une neuvaine pour les
pèlerins, une courte notice sur les indulgences accor-
dées au sanctuaire et sur celles que les Pères pouvaient
appliquer aux objets religieux ; enfin, la liste des pa-
roisses qui habituellement venaient au Laus en proces-
sion. Ce plan ne fut pas tout à fait adopté par le P. Jean-
CARD, qui publia sa Notice du Laus à Marseille, en 1829.
Le P. Dupuy, par son intelligence pratique et son zèle
actif, fut le principal auteur des améliorations maté-
— 363 —
rielles du couvent et de l'église, et il eut sa bonne part
dans les progrès du pèlerinage. Le bon P. Mie, son supé-
rieur, écrivant au P. de Mazenod, dit du P. Dupuy : « Il
réussit dans tout ce qu'il entreprend... Les prêtres et
les ecclésiastiques qui viennent au Laus sont émerveillés
des embellissements qu'il a faits à l'église et de l'ordre
qui règne dans les offices ; ils n'admirent pas moins la
bonne tenue de la maison et du jardin... Ils disent :
« Les Oblals sont riches I » Vous savez ce qu'il en est. »
Rien de particulier à mentionner au sujet du service
de la paroisse même du Laus. Nous dirons seulement
que les Pères furent aussi chargés de la desserte de deux
paroisses vacantes : celle de Saint-Étienne-d'Avançon,
pendant quelques mois, et celle de Valserre, qui com-
mença en juillet 1827 et dura jusqu'au mois d'août de
l'année suivante. Un Père se rendait, tous les diman-
ches, dans la première, y disait la sainte messe, faisait
les instructions et présidait aux offices du soir ; dans la
seconde, le Père y était à résidence.
^l/gr Arbaud et les missionnaires Oblats. — La petite
guerre entre M^'' l'évêque de Gap et le P. de Mazenod
n'avait pas cessé ; M^"^ Arbaud, à chaque instant, soule-
vait de pénibles démêlés. Le P. de Mazenod écrivait, le
31 janvier 1827, au P. Courtes : « Monseigneur de Gap
refuse, avec mauvaise grâce, de nous donner un sujet...
Il m'a envoyé cinq propositions de morale sur lesquelles
il demande une réponse catégorique, me disant que sa
responsabilité est compromise II ! Je lui ai écrit une épître
qui pourrait bien amener une rupture. »
L'évêque de Gap avait, en effet, écrit une longue lettre
au P. de Mazenod, le 22 janvier, dans laquelle il se plai-
gnait des Pères du Laus qu'on disait relâchés dans leurs
principes de morale. Il signalait, entre autres, le P. Tou-
che, que, pour cette raison, on ne pouvait plus supporter
— 364 —
dans certaines paroisses. Ayant formulé, en cinq propo-
sitions, les principes de morale avoués, soutenus et sui-
vis en pratique par les membres de la Congrégation, il
terminait son réquisitoire en s'écriant : « Qu'eût pensé
Benoît XIV de ces corrupteurs de morale ? »
Le P. DE Mazenod n'eut pas de peine à disculper ses
missionnaires; il prouva à l'évêque, un tant soit peu
janséniste, que les principes de morale avoués, soutenus
et suivis en pratique par eux, n'étaient autres que les
principes admis, soutenus et mis en pratique par le
bienheureux Alphonse de Liguori, principes que Rome
était loin de combattre.
Le P. DE Mazenod s'étant plaint des difficultés que
M^' Arbaud apportait à l'entrée de ses diocésains dans
la Congrégation, n'accordant que des dimissoh'es aux
bons sujets, tandis qu'il donnait V excorporation aux su-
jets médiocres, l'évêque de Gap répondit que les der-
niers étaient partis sans avoir reçu de réponse, et que les
premiers avaient besoin de mûrir leur vocation. Nous
aurons une idée de la manière d'agir, à la fois polie et
tracassière, de M^' Arbaud, par les mots que le P. de Ma-
zenod lui adressait, en septembre : « Vous m'accordez à
peine un sujet sur cent, tandis que nous nous dépen-
sons dans votre diocèse... En ma présence et en me par-
lant, vous êtes plein de bonté, et quand vous m'écrivez,
on dirait que votre encrier est méchant. »
M^' Arbaud ne ménageait pas les missionnaires du
Laus ; il ne leur passait rien. Il aimait personnellement
le bon P. Mie, qu'il accueillit avec joie à son retour de
Nîmes ; mais il trouvait que le P. Touche avait trop de
zèle pour accaparer ses diocésains, et que le P. Dupuy
était trop bon quêteur.
La conduite de l'évêque de Gap envers les mission-
naires peut s'expliquer par les principes théologiques
. - 365 —
dont son esprit était imbu, par son caractère autoritaire
et par son antipathie contre les congrégations indépen-
dantes de l'ordinaire ; elle était aussi un résultat de la
pression morale qu'exerçaient sur leur évêque les rap-
ports d'un certain nombre de curés. Nous disons d'un
certain nombre, car les plus instruits parmi le clergé de
Gap se rangeaient du côté des missionnaires et les dé-
fendaient contre ceux qui les accusaient de relâchement.
Les accusateurs revenaient souvent à la charge et, sûrs
de ne pas déplaire à leur évêque, ils lui envoyaient, par
écrit, de violents réquisitoires contre les Pères. L'un
d'eux allait jusqu'à dire que « les principes des mis-
sionnaires, surtout au sujet des habitudinaires, dam-
naient les gens, et que les Pères étaient comme des loups
dans la bergerie ».
L'évêque, surexcité par ces accusations, convoqua les
missionnaires après la mission de Laragne, et dans une
réunion qui eut lieu au palais épiscopal, il leur fut si-
gnifié de se défendre contre le relâchement qu'on leur
reprochait. C'était donner satisfaction à leurs adver-
saires. « Dans cette réunion, raconte le P. Mie, les Pères
subirent un examen rigoureux de leurs principes de
conduite en mission, au sujet de la contrebande, des
droits d'enregistrement, des habitudinaires, etc., etc.
On leur dit que les habitudinaires ne devaient être ab-
sous que si, pendant la mission, ils s'étaient abstenus,
que s'ils promettaient de se confesser souvent ; on de-
vait refuser l'absolution à ceux qui ne se confessaient
qu'à Pâques... Les Pères protestèrent contre les accusa-
tions dont on les chargeait et expliquèrent leur conduite,
fondée en raison. Ils défendaient de faire la contrebande
et obligeaient à la restitution, si elle était possible ;
quant aux habitudinaires et autres pécheurs, il fallait te-
nir compte des grâces de la mission... D'ailleurs, les
T. XXXV. 25
-- 366 —
principes du bienheureux Alphonse de Liguori, en fait
de morale, étaient, à Rome, plus en faveur que la morale
rigide d'Antoine et de Bailly, »
« L'évêque de Gap, nous dit le P. Touche, parut satis-
fait de nos réponses, avoua qu'on nous avait calomniés ;
qu'en nous convoquant en sa présence pour lui rendre
compte de notre conduite en mission, son intention
n'avait pas été de nous humilier ; puis, il nous proposa
de faire une profession de foi et de morale pour désa-
buser certains de ses prêtres. »
Cette profession de foi devenait inutile, pensaient les
Pères, dès que l'évêque était satisfait de leurs explica-
tions; suffisamment instruit et édifié par les lettres de
M. DE Mazenod, par les réponses verbales des mission-
naires, M^"^ Arbaud n'avait qu'un mot à dire à ses prê-
tres. Ce mot, il ne le dit pas.
La fin de l'année 1827 fut relativement caltne, et
M^' Arbaud parut se mettre en frais de politesse. Mais,
dès le mois de janvier ^ 828, l'évêque de Gap, fidèle à une
tactique dont le but caché se dévoile peil à peu, envoie
à M. DE Mazenod une nouvelle circulaire. Il y expose les
principes admis, dans son diocèse, pour l'administra-
tion des sacrements, principes avec lesquels, au rapport
des curés, les missionnaires sont en désaccord. Or, les
choses ne peuvent Continuer ainsi, et ceux qui travaille-
ront dans le diocèse doivent s'engager à suivre nos py^in-
cipes. « Il me faut, dit l'évêque, des prêtres auxiliaires,
pour remplacer les curés dans les cures vacantes ; elles
deviennent de plus en plus rares, et je puis prendre de-
hors ou dans mon diocèse des prêtres qui resteront chez
moi et que i'enverrai oti besoin sera. Dans le cas que vos
missionnaires ne veulent pas remplir cette fonction,
dites-moi si, n'ayant plus les ressources de l'argent des
prêtres auxiliaires, vous pensez pouvoir rester au Laus, »
— 367 —
Pour qui sait lire, il ne paraît pas douteux que l'évêque
de Gap voulait, par cette prétendue uniformité de prin-
cipes d'administration des sacrements et par cette me-
sure de n'employer que des prêtres étrangers ou de son
diocèse comme prêtres auxiliaires, amener M. de Maze-
NOD à quitter le Laus.
M. DE Mazenod ne se laissa pas prendre dans les filets
que l'évêque tendait sous ses pieds, et lui répondit par
une lettre très ferme et très digne. Sur la question des
principes adoptés dans le diocèse de Gap, « on ne peut
hésiter, disait-il, entre le particularisme étroit, frisant
l'hérésie, des principes diocésains, entachés de jansé-
nisme, et les principes adoptés par Rome et par les théo-
logiens qu'elle approuve. » Sur la question des prêtres
auxiliaires, « les Missionnaires ont prouvé jusqu'ici qu'ils
ne refusaient pas le travail. Si ce travail venait à leur
manquer, l'évêque avait un moyen facile de leur pro-
curer des ressources légitimes en nommant l'un d'eux
vicaire du Laus, Du reste, ajoute le P. de Mazenod, alors
même que l'évêque de Gap ne prendrait pas cette me-
sure de justice attestant son attachement aux mission-
naires, lui, M. de Mazenod, refuserait de quitter le dio-
cèse et ne s'en retirerait que Contraint et forcé. »
M^' Arbaud, devant ces déclarations si franches, fut
bien forcé de se montrer satisfait. Il écrivit au Supérieur
général le 19 avril : « J'ai été très satisfait de votre der-
nière lettre. Les petits brouillards, qui, pendant quelque
temps, avaient altéré nos rapports, seront dissipés sans
doute pour toujours. Si j'avais été à votre place, j'aurais
été peiné par mes lettres ; si vous aviez été à la mienne,
vous les auriez faites comme moi. »
Dès lors, M»' Arbaud se montra prévenant envers le
P. de Mazenod et bienveillant pour ses missionnaires. Il
se mit en devoir d'obtenir, pour un Père du Laus, un
— 368 —
Litre de vicaire, et invita gracieusement Ms' Fortuné
de Mazenod, évêque de Marseille, à venir auLaus en com-
pagnie de son neveu, M. de Mazenod, supérieur général
des Oblats. Avec les missionnaires, il usa de procédés
bienveillants, il leur répéta plusieurs t'ois qu'il n'avait
pas eu l'intention de les blesser dans sa lettre au P. Supé-
rieur général, que ce n'était pas son intention qu'ils quit-
tassent le Laus, « qu'il en serait à la mort ». Il eut même
pour eux des attentions délicates, il leur faisait de temps
en temps quelques présents, et un jour il leur envoya
un couple de pigeons paitus. Enfin, il revint un peu de
ses répugnances à accorder à ses sujets la permission
d'entrer dans la Société ; nous disons un peu, car, évêque
avant tout, il s'appliquait à donner des excorporations
aux sujets médiocres, et des diraissoires seulement aux
meilleurs.
M^' Arbaud avait fait, cette année J828, une visite au
mont Genèvre, où il s'était rencontré avec M^"" l'évêque de
Pignerol. Il en revint avec la pensée de proposer au
Supérieur des Oblats de fonder, au mont Genèvre, une
maison qui serait succursale du Laus.
Le mont Genèvre est situé entre Suse et Briançon, do-
minant à la fois les vallées du Dauphiné et celles de l'Ita-
lie. Ce col du mont Genèvre est le plus sûr et le plus facile
de tous les passages ouverts dans la chaîne des Alpes.
Sur un plateau qui forme le col est du côté de la France,
à 1860 mètres d'altitude, il y avait une petite commune
de 400 habitants, du canton de Briançon, et un hospice,
ancien couvent, occupé par un franciscain. « C'est là,
écrit le P. Dupuy, à plus de 100 kilomètres de Gap, que
M^' Arbaud nous propose de nous établir pour nous pro-
curer des ressources, car il prévoit que dans deux ans il
n'y aura plus de paroisses vacantes. Nous pourrions avoir
là notre noviciat. Monseigneur s'engage à nous fournir
— 369 —
des sujets, ce sont là de bonnes intentions... Mais...»
Il y avait, en effet, de bonnes intentions dans le projet
proposé par M^' Arbaud; toutefois, plusieurs excellentes
raisons déterminèrent M. de Mazenod à ne pas l'accepter.
Il lui parut que le gouvernement ne consentirait pas à
laisser cet établissement entre les mains d'une congré-
gation non reconnue ; en acceptant une succursale du
Laus, aux limites du diocèse de Gap, il courait le risque
de voir un jour l'évêque ou ses successeurs supprimer
le Laus et confiner les Oblats au mont Genèvre. Pouvait-
il beaucoup compter même sur l'évêque actuel qui, jus-
que-là, s'était montré, malgré ses bonnes paroles, si tra-
cassier envers les missionnaires et si peu généreux à
fournir des sujets à la Congrégation. Ce projet ne se
réalisa pas, et, cette fois encore, la finesse diplomatique
de Ms' Arbaud échoua devant la perspicacité et la pru-
dence du Fondateur des Oblats.
Travaux apostoliques. — Nous avons signalé les mis-
sions et retraites données par les Pères du Laus, dans la
première moitié de l'année 1827. Aux premiers jours de
septembre, les PP. Mie et Touche se rendaient à Val-
serre. C'est une commune de 523 habitants, située sur
les deux rives de l'Avance, canton de Bâtie-Neuve, à
14 kilomètres de Gap. Sur le mont Saint-Maurice qui
domine le village, il y a une chapelle où l'on se rend en
pèlerinage. Cette paroisse était vacante par suite de la
mort de son curé, et Monseigneur avait demandé qu'on
y donnât une mission.
Dans la première semaine, un incident fâcheux faillit
compromettre le succès de cette mission. Le P. Touche,
dans une instruction par trop véhémente, apostropha les
jeunes gens du pays en des termes peu parlementaires
et alla jusqu'à les traiter d'imbéciles. Le mot n'était ni
flatteur, ni évangélique. Les jeunes gens n'assistèrent
- 370 —
plus aux instructions. Le P. Touche quitta Valserre et
fut remplacé par le P. Dlpuy pendant une semaine. L'af-
faire fut portée à la connaissance de l'évêque et du pré-
fet, qui s'employèrent à calmer les esprits. Le P. Touche
put revenir, les jeunes gens eux-mêrpes ne lui gardèrent
pas rancune et s'adressèrent à lui pour la confession.
Malgré ce contre-temps regrettable, la mission eut un
excellent résultat, et le P. Martin, qui, après, desservit la
paroisse, écrivait : « La mission a changé la physionomie
du pays; auparavant, la population était des plus
bruyantes, la jeunesse n'était jamais en repos ; depuis,
tout le monde est paisible, et l'on espère garder long-
temps les fruits de l'année sainte. «
Après la mission de Valserre, M^'' de Gap envoya les
mêmes Pères, Mie et Touche, à Arvieux, en Queyrac. La
commune comptait environ 900 habitants, dont 300 pro-
testants environ de la religion de Calvin, ayant leur tem-
ple. Arvieux est du canton d'Aiguilles et de l'arrondis-
sement de Briançon ; non loin d'Arvieux, au hameau des
Escoyères, on voit les ruines d'un couvent de bénédic-
tins. Voici le portrait religieux que les Pères nous tra-
cent de la population catholique, composée do 500 à
600 personnes, qu'ils avaient à évangéliser.
« Le contact des protestants avec les catholiques a
porté un dommage considérable à la foi de ces derniers
qui ne sont pas assez persuadés que leur religion est la
seule véritable. De plus, et par suite de cette absence de
conviction ferme, ils n'ont chez eux ni croix, ni images ;
ils communiquent avec les protestants dans leurs céré-
monies religieuses, assistent à leurs convois funèbres et
gardent leurs livres hérétiques. »
Les Pères furent prudents ; ils exposèrent avec force
les vérités catholiques et prémunirent les vrais chrétiens
contre l'influence de l'erreur, sans blesser les prêtes-
~ 371 —
tants. La population catholique vint aux exercices avec
assez d'assiduité, plus de 280 personnes s'approchèrent
des sacrements, et l'on put établir une congrégation de
fdles. Et, ce qui montre que les missionnaires n'avaient
pas travaillé en vain, on fit publiquement un autodafé
de livres hérétiques qui furent jetés au feu. De retour au
Laus, les missionnaires y firent leur retraite annuelle,
puis se remirent en campagne.
Pendant trois semaines, fin octobre et novembre, les
PP. M}E et Touche évangélisèrent Laragne. C'est un chef-
lieu de canton des Hautes- Alpes, arrondissement de Gap,
comptant près de 1 000 habitants. Tout près, au hameau
d'Arzélières, on voit les ruines d'un ancien château, des
restes de remparts et des vestiges d'une très ancienne
église.
On avait dépeint la population de Laragne aux mis-
sionnaires sous des couleurs assez sombres, et ils s'at-
tendaient à de grandes difficultés pour y faire le bien.
Sans doute, il n'y avait pas, comme à Arvieux, des pro-
testants mêlés aux catholiques, mais les indifférents y
étaient nombreux, la division régnait entre les familles
et les usuriers ; les maquignons, voleurs de chevaux, j
faisaient fortune, au détriment de la morale et du pro-
chain. Les choses marchèrent mieux qu'on ne pouvait
l'espérer.
« Dès la première semaine, écrit le P. Mie, le peuple
s'est montré bon, naïf, docile et respectueux envers les
missionnaires ; tout le temps qu'ont duré les exercices,
l'église n'a pas désempli ; les gens n'ont pas tardé à ve-
nir à confesse, toutes les femmes ont fait la communion,
et il n'est guère resté que dix ou douze hommes qui
n'ont pas profité de la mission. Tous ceux qui sont re-
venus à Dieu ont donné des marques de la sincérité et
de la solidité de leur conversion. Les maquignons, dont
— 372 —
on nous avait dit tant de mal, ont fait merveilles ; les
bourgeois, qui se haïssaient et ne se parlaient plus, ont
communié les uns à côté des autres et se sont franche-
ment réconciliés; enfin, les principaux de la paroisse
ont donné l'exemple et se sont fait inscrire sur le re-
gistre de la congrégation des hommes ! Gloire à Dieu! »
Le P. Mie prit quelques jours de repos, puis il donna
une mission à Tallard avec le P. Martin, venu au Laus
dès le mois de septembre. Nous connaissons déjà Tallard,
ce chef-lieu de canton, situé sur une hauteur qui do-
mine la Duranee, à 14 kilomètres de Gap. C'était autre-
fois un pays important, comme l'attestent les ruines
d'un château du onzième siècle et dont la chapelle est
classée parmi les monuments historiques.
La mission-jubilé de Tallard dura trois semaines et
finit à Noël. Le P. Touche ne fit que paraître à Tallard,
et laissa le P. Mie et le P. Martin continuer le travail.
Le P. Martin débutait, croyons-nous, comme mission-
naire ; il prêcha l'instruction du matin et fit la glose le
soir, et s'en tira à son honneur et à la satisfaction de
son auditoire. Le P. Mie, à cause de ses infirmités, con-
fessait relativement peu ; aussi le P. Martin fut surchargé
de confessions. La mission de Tallard n'eut pas un
grand succès du côté des hommes, une soixantaine seu-
lement gagnèrent leur jubilé ; les femmes répondirent
mieux à la grâce du jubilé. Tallard fut le quatrième
grand jubilé prêché par les Pères du Laus, dans le dio-
cèse de Gap, en l'année 1827.
En dehors de ces travaux, oii plusieurs Pères étaient
occupés, il y eut aussi, cette même année, nombre de
travaux accomplis par un seul Père.
Le 21 janvier, le P. Touche donnait une petite mission
à la Rochette, près la Bâtie-Neuve, à 9 kilomètres de
Gap. Le même Père était, en fait, l'aumônier du collège
— 373 —
de Gap, dont 150 jeunes gens sur 200 s'adressaient à lui
pour la confession. Quand il était au Laus, il se rendait
fréquemment au collège de Gap, y entendait les confes-
sions, y donnait des retraites et, bien des fois, il quit-
tait, avant la fin, ses grandes missions pour se mettre au
service de cette jeunesse, afin qu'elle n'eût pas trop à
souffrir de ses absences. Aussi l'évêque, qui ne fut pas
toujours tendre pour le P. Touche, appréciait son dé-
vouement, lui donnait tout pouvoir et lui permettait
même de recruter, dans cette maison, tous les sujets
qu'il voudrait faire entrer dans la Congrégation. Les
autorités du collège étaient au mieux pour le P. Touche
et se félicitaient d'avoir un prêtre si zélé, qui rendait
leurs fonctions moins difficiles.
Au mois de mai, de concert avec le P. Mie, le P. Tou-
che prépara à la première communion tous les enfants
de Gap qui n'avaient pu la faire dans leurs paroisses res-
pectives.
Au mois de juin, nous le voyons pendant quinze
jours dans la petite commune de la Chapelle, dépen-
dant de Glémence-d'Ambelle.
En juillet, il évangélise la Mure, dans le diocèse de
Digne, du canton de Méouilles, arrondissement de Cas-
tellane. Entre temps, il reparaissait, pour quelques jours,
dans les paroisses déjà évangélisées.
Enfin, en décembre, il est au Poët et, après, à Re-
mette.
Plus âgé et moins robuste que le P. Touche, le P. Mie,
en dehors des grandes missions, ne se livrait guère à de
petits travaux; il alla, cependant, prêcher une retraite
de huit jours à Saint-Eusèbe, du canton de Saint-Bonnet,
au diocèse de Gap.
Le P. DupuY était plus spécialement chargé de la des-
serte du Laus, des intérêts temporels de la maison et du
— 374 -
sanctuaire. Nous ne tpouvons à son actif, comme mis-
sionnaire, que le jubilé qu'il donna seul à Lépine, du
canton de Serres et du diocèse de Gap; il fut aidé par
trois prêtres, et le jubilé réussit bien. « Le P. Dupuy a
parfaitement réussi à Lépine, dit le P. Mie : trois prêtres
l'assistaient ; tout a été à merveille, et ce sont les prêtres
qui l'ont assisté qui l'attestent. »
La première mission de l'année 1828 fut donnée en
janvier, à VitroUes, du canton de Barcelonnette, arron-
dissement de Gap, par le P. Touche. Cette commune est
située sur une haute terrasse, dominant la gorge de la
Déoule ; on y voit les ruines d'un ancien château sei-
gneurial et d'une ancienne maison des templiers, le
couvent de Donzard. Voici en quels termes le P, Mie
rend compte de la mission de VitroUes : « Le P. Toucoe
a remporté là une victoire complète ; avant lui, des mis-
sionnaires, qui avaient travaillé dans cette paroisse, ne
gagnèrent pas, paraît-il, la confiance des gens. Le P. Tou-
che, faisant allusion au passé, avait dit : « Vous pouvez
« vous confesser tranquillement, j'emporterai vos pé-
« chés. » Cette boutade ne fut pas du goût de tout
le monde ; toutefois, les gens allèrent se confesser au
P, Touche, même ceux que le curé, par trop exigeant,
obligeait par vœu à se confesser à lui.
Nous signalons, en passant, une mission de cinq se^
maiqes qui se donna à Sénac, arrondissement d'Arles et
du diocèse d'Aix; deux Pères du Laos y prirent part: le
P, Mie, qui la dirigeait, et le P. Dupuy, qui avait pour
compagnons les PP. Jeancard et Richaud.
Cette mission qui eut lieu fin janvier et en février, en
raison du caractère des habitants, n'eut pas un résultat
éclatant, mais elle produisit beaucoup de bien.
, Après ce travail, le P. Mie visita plusieurs paroisses,
pour y porter secours. En même temps, le P. Touche,
— 375 —
jusqu'au moment où il quitta le Laus, en juillet, donna
des retraites paroissiales; entre autres, la retraite de
Valserre, qu'il desservait, et qui fut couronnée de succès.
Nous ignorons le nom et le nombre des autres paroisses
qui furent évangélisées.
Au mois de septembre, le P. Dupuy continuait le mi-
nistère du P. Touche dans les paroisses ; nous le voyons
h Ribeyret, du canton de Rozans, arrondissement de
Gap. Rentré au Laus, il ne tarda pas à se remettre en
campagne, ayant pour compagnon le P. Guibert. En-
semble, ils employèrent le mois d'octobre et une partie
du mois de novembre à faire la visite de cinq paroisses
vacantes. Le P. Dupuy prêchait, le P. Guibert fit quelques
prônes; tous deux entendaient la confession des per-
sonnes qui se présentaient. Cette visite durait plus ou
moins de jours; mais, si courte qu'elle fût, partout elle
faisait grand bien. Le P. Guibert ne peut s'empêcher de
gémir en constatant que l'ignorance règne dans ces pa-
roisses et que le linge d'église est dans un triste état de
pauvreté.
Enfin, au mois de décembre, les PP. Dupuy et Sumien
portèrent des secours à deux pa^roissea, l'une dont le
nom n'est pas indiqué, l'autre, appelée Bersac, du can-
ton de Serres, arrondissement de Gap. Ces visites apos-
toliques complétaient les travaux des missionnaires du
Laus, en l'année 1828, dans le diocèse de Gap.
Ainsi, comme les années précédentes, les Pères du
Laus restaient fidèles aux engagements qu'ils avaient
contractés avec le diocèse de Gap. Nous ne pouvons pas-
ser sous silence la première mission que deux Pères du
Laus, P. Mie et P. Guibert, aidés des PP. Jeancard et
Capmas, donnèrent, dans le diocèse de Grenoble, à Bourg-
d'Oisans, du second dimanche après la Toussaint au
8 décembre.
— 376 —
Bourg-d'Oisans est un chef-lieu de canton de l'ar-
rondissement de Grenoble et comptait alors environ
3 000 habitants. Voici la description que nous en donne
le P. Jeancard : « Représentez-vous un village enfumé,
environné de plusieurs hautes montagnes, taillées à pic,
dans une vallée étroite et profonde, comme un abîme,
sur laquelle planent des brouillards continuels, à tra-
vers lesquels le soleil ne se montre sur l'horizon qu'avec
une lueur bien pâle et pendant deux heures par jour au
plus. Voilà Bourg-d'Oisans.
« Le plus grand nombre des habitants, nourris unique-
ment de laitage et de pommes de terre qui épaississent
leurs humeurs, vivant dans un air gras, chargé des
miasmes qui s'exhalent d'un marais fétide, sont en proie,
dans la belle saison, à des accès de fièvre...; ils parais-
sent insensibles à tout ; comment enthousiasmer un tel
peuple. »
Ce tableau n'est pas flatté, ne nous en étonnons pas;
celui qui tient le pinceau est un jeune Méridional, un
habitué des grandes villes noyées dans les chauds rayons
du brillant soleil de Provence. Ce peuple, si apathique
en apparence, ne fut pas insensible aux attraits et à l'ac-
tion de la parole de Dieu.
Il est vrai que les premiers jours furent pénibles ; à
cause du mauvais temps, on ne put donner toute la so-
lennité désirée à l'ouverture de la mission. M. le curé,
qui était, un bon et saint prêtre, avait annoncé, sans
prendre l'avis des missionnaires, l'heure des exercices,
elle était peu convenable ; de plus, à l'église, l'élévation
de la chaire, perdue dans les nues, à plus de 10 pieds de
hauteur, ne permettait pas aux prédicateurs de se faire
entendre. Le P. Guibert, ï^upérieur de la mission, prit
ses mesures pour faire disparaître tous ces inconvé-
nients.
— 377 —
Dès lors tout marcha bien et il y eut grande affluence
d'auditeurs. On était à la seconde semaine et les con-
fessions allaient bon train, lorsqu'un incendie violent
éclata dans un village voisin. Bien qu'à tire d'ailes le vil-
lage ne fût qu'à vingt minutes, il fallait trois heures de
marche pour s'y rendre de Bourg-d'Oisans. Il parut con-
venable qu'un missionnaire y allât porter des secours.
Le P. GuiBERT désigna le P. Jeancard ; mais, réflexion
faite, lui-même, s'étant procuré un cheval, l'enjamba
et partit. Il ne revint qu'à minuit. Il avait contribué à
sauver l'église, le presbytère et deux autres maisons.
Il n'y eut pas d'accidents de personnes, mais trente-
huit maisons furent brûlées et beaucoup de bestiaux
perdus...
La démarche courageuse du supérieur de la mission
et les services intelligents qu'il avait rendus sur le théâtre
de l'incendie firent, on le comprend, une grande im-
pression sur la population et achevèrent de gagner les
sympathies de tous au supérieur et à ses missionnaires.
Les bourgeois s'ébranlèrent , les cérémonies d'usage
eurent leur effet accoutumé et le petit pays fut com-
plètement renouvelé. Il y eut une communion de
1300 femmes et il ne resta guère que 50 hommes qui
n'eussent pas répondu à la grâce de la mission. C'était
une vraie victoire dont l'honneur revenait, après Dieu,
au zèle des missionnaires et à la façon tout apostolique
de leurs prédications. Ce résultat fut d'autant plus re-
marqué que, précédemment, la population avait été
évangélisée par plusieurs prédicateurs de renom qui
n'avaient pu secouer l'indifférence et l'apathie des gens.
Le P. GuiBERT, en rendant compte de cette mission à
M. DE Mazenod, raconte deux faits qui prouvent les
excellentes dispositions du peuple pendant cette mission
remarquable; une fermière, qui n'avait pas fait sa mis-
— 378 —
sion, fut poursuivie de huées par les autres femtties,
jusqu'à ce qu'elle accomplît son devoir; deux hommes
récalcitrants furent amenés à faire leur mission de plein
gré, après avoir subi une sainte violence de la part des
habitants...
On peut lire, dans la Vie du cardinal Guibevt, les
trois lettres qu'il écrivit au P. de MAZErïOi), relatives
à la mission de Bourg-dOisans, et que leur longueur ne
nous permet pas de citer ici (1). Terminons par ces pa-
roles du P. Mie : « Tous les Pères se sont dévoués à ce
rude travail ; le P. Guibert a confessé plus de 200 hommes
sans compter les femmes ; le P. Jeaxcard s'est surpassé
dans ses sermons, et le P. Gapmas, assidu au confes-
sionnal, n'a mérité que des éloges pour ses instruc-
tions. »
Le P. Capmas rentra à Marseille, où il dirigeait le no-
viciat. Les PP. Mie, Guibert et Jeancard reprirent le che-
min du Laus. Là, le P. Jeancard profita de ses moments
de loisirs pour travailler à une nouvelle Notice de Notre-
Dame du LaUs, qui parut l'année suivante (1829).
On sait qu'au commencement de l'année 1828, l'abbé
Jeancard, missionnaire de Provence, avait publié la Vie
du bienheureux Alphonse de Liguori, sur l'ordre, et- on
peut dire, avec l'aide de M. de Mazenod, qui avait tou-
jours eu pour ce saint une tendre dévotion. Nous avons
vu que les enseignements de ce saint docteur touchant
la suprême autorité, l'infaillibilité du Souverain Pontife
et les principes de sa théologie morale avaient été adop-
tée par le Supérieur général des Oblats et imposées aux
missionnaires de sa Société. L'abbé Jeancard, dans son
livre, sut mettre en lumière les enseignements et les
principes du saint docteur, presque universellement
(1) Vie du cardinal Guiberl, par M. Paguelle de Follenay, t. 1,
chap. V, p. 186 à 200.
— 379 —
combattus, en France, par l'école gallicane et les parti-
sans du jansénisme. Les missionnaires du Laus, nous
l'avons vu aussi, souffrirent persécution de la part de
Ms^'Arbaud, pour leur fidélité â suivre les enseignements
et à adopter, en pratique, les principes de morale de
saint Alphonse (1).
[A suivre.) G. Simonin, o. m. i,
(1) Vie de il/gf de Mazenod, t. I, liv. III, chap. vu, p. 490 à 302.
NOS NOUVEAUX ÉVÊQUES
MGR DONTENVILLE, 0. M. I.
M^" Auguste DoNTENViLLE est né dans le diocèse de
Strasbourg, alors ville française, aujourd'hui capitale de
l'Alsace annexée, en l'année 1857.
Jeune encore il vint en Amérique chez son oncle, véné-
rable prêtre du diocèse de Buffalo.
Le jeune Auguste Dontenville fut envoyé par son oncle
au collège d'Ottawa oij il fit des études très solides, cou-
ronnées d'ailleurs par un brevet de maître ès-arts, sous
la direction des RR. PP. Oblats de Marie Immaculée. Le
P. Tabaret, 0. M. I., de regrettée mémoire, était alors
Supérieur du collège d'Ottawa.
Le jeune étudiant, appelé par Dieu à une vie de renon-
cements et de sacrifices, implora son entrée dans la Con-
grégation des Oblats de Marie Immaculée. Il fît son no-
viciat à Lachine, près de Montréal, sous la conduite du
R. P. BoiSRAMÉ, 0. M. I., puis fut envoyé à l'Université
d'Ottawa, où il fit son scolasticat sous l'habile direction
du R. P. MANGm, o. M. I.
Ordonné prêtre en 1880, il fut maintenu à l'Université,
où il devint professeur de langues et directeur de l'atelier
de peinture (Arf studio), puis directeur du juniorat, et
professeur de sciences naturelles.
Le R. P. Dontenville parle avec une égale facilité,
outre l'allemand, l'anglais et le français. Il a dit lui-
même qu'il ne savait pas quand il a appris l'anglais.
Très distingué et très estimé, le R. P. Dontenville fai-
— 381 —
sait le plus grand bien à l'Université d'Ottawa. En 1889,
à cause de ses éminentes qualités, ses supérieurs l'en-
voyaient à New-Westminster comme président du nou-
veau collège fondé par S. G. M-"" Durieu, o. m. i.
Le Owl d'Ottawa, après avoir regretté le départ du
R. P. DoNTENViLLE, dout « Ics splendides talents rendraient
sa succession plus difficile à remplir au collège», ajoutait:
« Sa nomination comme directeur du collège de Saint-
Louis à New-Westminster, est la reconnaissance de son
zèle et de son habileté dans l'administration. Et nous
n'hésitons pas à dire que, sous ses soins, le collège de
Saint-Louis va prospérer rapidement dans l'estime de
tous. »
En effet, par ses talents et son désintéressement, le
R. P. DoNTENViLLE a assuré le succès du nouveau collège
de Saint-Louis.
Ce fut dans cette position qu'il se fît connaître de son
vénérable évêque, M^' Durieu, qui , l'année passée, le
demanda au Saint-Père pour coadjuteur. Le Souve-
rain Pontife entendit cette prière qui était aussi celle
de M^' l'archevêque, de NN. SS. les suffragants et du
T. R. P. Général des Oblats de Marie Immaculée, et il
éleva le T. R. P. Dontenville à la dignité épiscopale avec
le titre de Germanicopolis, comme coadjuteur avec fu-
ture succession de M^'' Durieu.
Que le nouvel élu daigne agréer, avec nos hommages
les plus respectueux, les vœux les plus sincères que nous
formons pour sa personne vénérée.
{Le Manitoba.)
T. XXXV. 26
— 382 —
M*''' EMILE LEGAL, 0. M. L
Nos Petites Annales du mois d'août 1897 ont reproduit
un article de la Semaine religieuse de Nantes, dû à la
plume d'un condisciple de M^'' Légal. On retrouvera faci-
lement ces pages que nous ne reproduisons pas ici pour
ne point trop allonger ce numéro. Voici, en revanche,
un article paru dans la Presse, journal canadien, à la
date du 12 juin 1897 :
L'histoire raconte que, lorsque Grégoire IX envoya
ses légats porter le chapeau de cardinal à l'illustre saint
Bonaventure, l'ami et le rival en science de saint Thomas
d'Aquin,les représentants du pape trouvèrent celui que
les universités catholiques du temps appelaient déjà le
Docteur Séraphi(/ue, occupé à laver la vaisselle dans un
pauvre couvent de Franciscains. Nous avons tous admiré
cet exemple de la grandeur alliée à une étonnante mo-
destie. Eh bien, l'histoire se répète parfois, et le fait qui
s'est passé, il y a un mois à peine, là-bas dans le Nord-
Ouest, nous a paru digne d'être rapproché de cet épi-
sode de la vie de saint Bonaventure.
Le R. P. Emile Légal, Oblat de Marie, est depuis dix-
huit ans le zélé missionnaire des Pieds-Noirs, dans la
partie sud-ouest du territoire d'Alberta. Or, voici ce qu'il
faisait le 6 du mois de mai dernier. Un pauvre enfant
baptisé venait de mourir sur la réserve des Gens du Sang.
Selon l'habitude, le missionnaire dut tout faire, descen-
dant jusqu'aux soins les plus humbles de la sépulture.
Le sauvage a tellement peur de la mort, qu'il abandonne
ses trépassés aux soins du missionnaire quand ils sont
chrétiens. Le matin donc de ce jour, le P. Légal avait
fait le cercueil d'une main fort expérimentée et déposé
dans la bière le pauvre petit néophyte. Peu d'heures
— 383 --
après, il recevait un télégramme de M^"" Langevin, arche-
vêque de Saint-Botiiface. Le message était ainsi conçu
en latin :
Amplitudini Tuas congralulationes et omm'a fausta.
Crucem pastoralem dabo. En français: a A Votre Grandeur
mes félicitations et tous mes vœux de prospérité. Je
vous donnerai la croix pectorale. »
Le missionnaire apprenait ainsi qu'il était fait évêque,
comme coadjuteur de M»' Qrandin, avec future suc-
cession au siège de Saint-Albert. Dans l'après-midi ,
S. Gr. M^'' Légal, aidé de deux sauvagesses, creusait la
fosse et y enterrait le pauvre petit Pied-Noir. Tel Cincin-
natus, jadis, la main à la charrue, apprenait qu'il était élli
consul et dictateur de la puissante république romaine.
Tel est le nouveau dignitaire de l'Église, que j'aime à
présenter aujourd'hui au public canadien. Depuis de lon-
gues années, j'ai l'honneur de connaître le digne prélat,
et naguère, par une indiscrétion qu'il me pardonnera, il
m'a été donné d'entrer dans le secret d'une volumineuse
et intime correspondance du missionnaire avec un de ses
meilleurs amis. Ceci me permet d'esquisser à grands
traits la vie et les travaux du nouvel évèque mission-
naire, et de montrer à tous que le jour du sacre à Saint-
Albert, le 17 juin 1897, sera un jour plein d'espérance
pour l'Église catholique dans les immenses lerritoires
du Nord-Ouest.
De Nantes au pied des Montagnes Rocheuses.
M»'' Légal est Breton. De la Bretagne, il a cet enthou-
siasme qui inspirait Brizeux quand il chantait :
Oh ! qu'elle est belle, ma Bretagne I
Sous son ciel gris il fairt la voir :
Elle est plus belle que l'Espagne,
Qui ne s'éveille que le soir !
Elle est plus belle que Venise,
Qui mire son front dans les eaux...
- 384 —
Des vieux Bretons il a cet esprit mystique, épris d'i-
déal, qui s'allie avec un grand sens pratique ; la force de
caractère est une ressource féconde d'endurance que
les âmes armoricaines semblent avoir empruntée à leur
terre de granit. Tous ces traits de la race, transfor-
més sous la profonde influence de la foi, ont fait des
Bretons un peuple héroïque, au sein duquel, jadis, on
vit éclore ces grandes épopées des chevaliers de la Table
ronde, le peuple qui a produit les Duguesclin, les grands
marins de la Fcance et les chouans de la Révolution. Né
un siècle plus tôt, M^'' Légal se fût enrôlé parmi ces preux
qui firent ce que Napoléon appelait des guerres de géants :
homme de notre âge et prêtre, il a déployé sa vaillance
dans la rude vie de missionnaire, perdu dans les soli-
tudes immenses de l'Ouest canadien. L'héroïsme était le
même, il n'avait fait que changer de sphère ; le Breton
restait toujours le soldat et le chevalier des vieux temps,
mais il bataillait pour Dieu et devenait conquérant des
âmes !
Ms"" Légal est né, en 1849, à Nantes, la vieille ville
ducale, dont le nom seul réveille tout un passé de gloire,
les jours heureux et sombres de la Bretagne; Nantes, la
patrie d'Abélard et le théâtre des sinistres exploits de
Carrier, le farouche inventeur des noyades de Nantes.
Le futur apôtre y respira de bonne heure comme en
une atmosphère de souffle apostolique. Il faut savoir que
le diocèse de Nantes est un des plus féconds en mission-
naires : naguère, plus de ^00 de ses enfants, disséminés
sur tous les points du globe, prêchaient l'Évangile aux
infidèles. Et les cathohques nantais sont d'une générosité
inépuisable pour alimenter par leurs aumônes le modeste
budget de nos conquérants de la foi.
Le jeune Nantais fit dans un des collèges de sa ville
natale de solides et brillantes études, et prit ses grades
— 385 —
à l'Université de France. C'est alors qu'il acquit cette
culture scientifique qu'il n'a cessé de développer, et
qu'ont admirée comme moi tous ceux qui ont fréquenté
M«' Légal.
Outre les branches ordinaires qui constituent le pro-
gramme des études classiques el ecclésiastiques, il se
rendit familières bien d'autres matières, telles que l'an-
glais, les questions d'art et l'hébreu. Nous l'avons vu,
dans une de ses lettres, au milieu de ses labeurs aposto-
liques, demander à son correspondant une grammaire
et un dictionnaire hébraïques, pour se rafraîchir, disait-
il, sur lalangue de Moïse et d'Isaïe. Dans le même temps,
il avait aussi appris le dessin et l'architecture, qui lui
ont été si utiles depuis qu'il est missionnaire du Nord-
Ouest ; dessinateur et plus tard photographe, il a donné
à plusieurs revues de charmants croquis sur les scènes
de la vie et de. la nature sauvages ; architecte, il a bâti
des hôpitaux, des résidences et des églises.
Il fut ordonné prêtre en 1874. Son évêque ne voulut
point employer au ministère des paroisses ce jeune prê-
tre, si distingué et si savant. Il lui donna la chaire de
mathématiques dans l'un des collèges ecclésiastiques de
la ville de Nantes. Bien que M^'' Légal ait dit souvent
qu'il n'avait jamais aimé l'enseignement, il sut pourtant
se faire tellement apprécier de tous et surtout de ses
supérieurs ecclésiastiques, que, lorsque, quelques années
plus tard, il demanda à être relevé de ses fonctions pour
être missionnaire, il fallut batailler rudement avant
d'obtenir le congé de son évêque, si libéral aux missions
étrangères, mais qui tenait absolument à garder ce
prêtre d'élite, émiuent professeur. Ses vertus modestes
et ses aimables qualités lui créèrent aussi, parmi ses con-
frères, bien des relations amicales qui ont survécu à son
long éloignement du pays natal. Aussi, je suis persuadé
— 386 —
qu'on a dû éprouver une joie et une fierté bien légitimes
par tout le diocèse de Nantes, à la nouvelle de sa promo-
tion à l'épiscopat.
Sait-on à quoi employait ses modestes émoluments le
jeune professeur en vacances ? A voyager, pour agrandir
le champ déjà bien vaste de ses connaissances, et jouir
des beautés de la nature et de l'art. La Suisse et surtout
l'Italie le fascinaient. Je lui ai souvent entendu dire :
« Un voyage à Rome, c'est le plus beau rêve avant, la
plus belle réalité pendant et le plusbeau souvenir après. »
Il ne parlait qu'avec enthousiasme du « pays du ciel
bleu où habitent les statues blanches ». Et ce qu'il avait
vu dans la belle Italie, les merveilles d'art dont elle est
comme le musée national, il le disait bien et savait faire
partager son admiration.
Il y avait déjà si^ ans que le jeune prêtre occupait
avec succès la chaire de mathématiques, lorsqu'il obtint
enfin de son évêque la permission de se joindre à la So-
ciété des Oblats de Marie. La grâce de la vocation apos-
tolique était tombée sur son âme ; la voix du Ciel lui
avait dit comme à Abraham : « Sors de ton pays et de
ta famille, pour la terre que je te montrerai. »
Et il sortit, pour l'Ouest canadien.
Au mois d'août 1879, il entrait au noviciat des Oblats,
à Nancy. On eut vile fait d'apprécier cette précieuse
acquisition dans la personne de ce jeune prêtre, que
distinguaient une grande aménité de manières, qui le
faisait aimer de tous, de solides vertus religieuses, un
admirable bon sens et un esprit pratique, des connais-
sances étendues, jointes à une charmante modestie.
L'année suivante, 1880, un événement se produisit
qui hâta son départ pour l'Amérique. C'est l'année si^
nistre des décrets de Jules Ferry, qui expulsaient brutar
lement des milliers de religieux de leurs pieuses et pai-
— 387 —
sibles demeures. Sous le coup de cette persécution, au
mois de juin, le prêtre novice fut envoyé au Canada avec
toute une caravane de religieux du même ordre. Il disait
à la France, à la Bretagne, un adieu qu'il croyait bien
éternel, et cet adieu était d'autant plus douloureux qu'il
était détrempé des amertumes de l'exil. Ce sacrifice, il
l'avait voulu, il le fit généreusement; mais la bonne
Providence avait son secret : Monseigneur de Pogla et
un jour de Saint-Albert, vous reverrez la France !
Débarqué au Canada, il alla achever son noviciat dans
la charmante résidence des Oblats à Lachine, en face de
la réserve iroquoise de Caughnawaga. Le 24 septem-
bre 1880, fête de Notre-Dame de la Merci, il faisait sa
profession perpétuelle ; en attendant que Dieu l'appelât
i^i un ministère plus haut, il était pour la vie religieux et
missionnaire. C'était l'accomplissement d'un de ses plus
chers désirs.
La saison était trop avancée pour s'acheminer vers les
lointaines missions de Saint-Albert.
Il passa donc ce premier hiver occupé au saint minis-
tère, successivement à Platlsburg, aux bords du lac
Ghamplain, à Montréal et, plus tard, à Buffalo, oti il
acheva de se perfectionner dans la connaissance de l'an-
glais, et à Ottawa, où il ne fut qu'en passant.
Enfin, au printemps de l'année 1881, l'ardent mission-
naire, au comble de ses vœux, recevait sa feuille de
route. A la tête d'une petite troupe de missionnaires,
tous comme lui pleins d'enthousiasme, il partait pour
les missions lointaines de M^"" Grandin. A cette époque,
ce n'était pas petite affaire qu'un voyage au Nord-Uuest ;
il était long et fatigant. Le Pacifique Canadien n'était
encore qu'à l'état de grandiose projet : et, avant d'aller
à destination, il fallut aux missionnaires plus de cent
jours d'expédition, trajet qui se fait aujourd'hui en trois
— 388 —
jours et demi. La civilisation a marché à pas de géants :
le ministre de l'Evangile en profite, il arrive plus vite
au milieu des peuples infidèles; mais, hélas ! le héraut
de l'erreur et le colporteur du vice en font autant !
Cependant, jusqu'à Saint-Boniface, le voyage fut ra-
pide ; partie en chemin de fer de BufTalo, le 2 mai, la
petite caravane traverse le Niagara sur le Suspension
Bridge, à Détroit, pour franchir la rivière qui unit le lac
Huron au lac Êrié ; le train est transporté tout d'une
pièce d'un bord à l'autre sur un énorme ponton mis en
mouvement par la vapeur; on fait halte à Chicago, le
temps de visiter les immenses et fameux abattoirs ; on
passe à Saint-Paul de Minnesota, à Minnéapolis ; et en-
fin, le 4 mai, les missionnaires arrivaient à Saint-Boni-
face, oti M^'' Taché les accueillait avec la plus paternelle
bienveillance. C'était la première fois que le vénéré ar-
chevêque voyait celui que le ciel appelait à une si haute
destinée dans l'Église du Nord-Ouest. M^'' Taché, qui s'y
connaissait en fait d'hommes, apprit dès lors à estimer
et à aimer ce prêtre vaillant, qui plus tard, comme
le disait naguère un organe manitobain, devait être
« l'homme de son choix ».
Ce n'est que le 23 mai, que les missionnaires reprirent
leur bâton de voyage, pour s'enfoncer dans la prairie
vaste et sans limite. Le voyage fut long, car, cette fois,
ils n'avaient plus à leur aide les ailes de la vapeur ; ils en
étaient réduits aux moyens rudimentaires de locomo-
tion, le canot et la charrette. On n'était rendu qu'au mois
d'août à Saint-Albert.
Après quelques semaines données au repos, M^' Gran-
DiN assignait au P. Légal, comme sa portion de l'im-
mense vigne confiée à ses soins, les missions des Pieds-
Noirs, au sud de Calgary, au pied des montagnes Ro-
cheuses, non loin de la frontière américaine. C'est là
— 389 —
qu'il devait travailler, là qu'il devait répandre ses sueurs
en arrosant une terre bien ingrate, pendant seize ans
d'apostolat.
Il se rendit à son poste, en compagnie d'un vieux mis-
sionnaire, le P. DoucET. C'était au début de l'hiver. Un
incident dramatique signala ce voyage, qui fut l'initia-
tion du missionnaire, allant la première fois au feu.
C'était à la fin du troisième jour. On avait forcé la
marche afin d'atteindre Fine Coulée, où il y avait une
bonne place de campement. Comme le soleil se cou-
chait, les voyageurs aperçurent quelque chose de noir,
loin, bien loin, dans un enfoncement de la montagne du
Porc-Épic. C'étaient les quelques pins qui ont donné
leur nom à la coulée. On descend dans une vallée pro-
fonde, au milieu de laquelle serpente un petit ruisseau
large seulement de quelques pieds. Mais, malheureuse-
ment, quand ils eurent gravi les hauteurs abruptes de
l'autre bord, où étaient les pins, la nuit était venue et
il fut impossible de trouver du bois sec. Il fallut redes-
cendre : mais si le mauvais temps prenait, qu'allaient-
ils faire sans bois, sans feu, dans ce bas-fond glacé ? Ce
soir-là, on se coucha sans feu, après avoir mangé un
peu de viande froide, très froide, puisqu'elle était gelée,
lis étaient sous la tente, enveloppés dans leurs couver-
tures, se réchauffant comme ils pouvaient. Pendant la
nuit, le P. Légal, plus jeune voyageur, est réveillé par
un vent violent qui secouait la tente. C'était le mauvais
temps, c'était la neige, c'était tout ce qu'ils avaient à
craindre. Dans le bas-fond où ils se trouvaient, la neige,
repoussée par le vent, pouvait s'accumuler à plusieurs
mètres de hauteur, et les mettre dans l'impossibilité
d'en retirer leur wagon. Les chevaux, eux aussi, allaient
fuir, pour trouver l'herbe que la neige recouvrait ici. Et
ils étaient à 30 railles de toute habitation; sans bois et
- 390 —
avec des vivres seulement pour deux jours. Il était aux
alentours de 11 heures de nuit. Le P. Légal se lève et
cherche des yeux les chevaux^, mais la nuit est si noire
qu'il ne voit rien et n'entend rien, que le vent qui fouet-
tait la neige dure et serrée. Il se recouche. Bientôt un
autre bruit attire son attention II lui semble que quelque
animal ronge des os tout près de la tente. Il demande au
P. DoucET, éveillé comme lui, ce que cela peut être. Lui
non plus n'y comprend rien. Ces ravins sont fréquentés
par des loups et des ours : voilà tout ce qu'il sait !... Et
c'est là tout près, à deux pas. Le P. Légal met la tête hors
de la tente : le bruit cesse. Si encore ils avaient un fusil,
ils pourraient au moins faire peur à la bête fauve ; mais
non, pas une arme ! C'est sans doute pour cela qu'on vient
les braver avec tant d'audace ! N'y tenant plus, le jeune
voyageur veut se rendre compte de la chose. Quel est
donc cet épouvantail nocturne, qui produit un semblable
bruit ?. . . C'est tout simplement un petit bout de la tente
qui frotte sur la grande herbe sèche!... Désormais, ils
peuvent être tranquilles là-dessus. Mais la neige tombe
toujours. Enfin, vers les 3 heures, le vent s'apaise et la
neige semble venir moins épaisse. La fatigue l'emporte,
et le P. Légal s'endort, mais on devine si son sommeil
fut agité. 11 ne rêve que chevaux égarés, des gens ense-
velis dans la neige ou s'écartant dans l'immense prairie,
pour mourir de froid ou de faim. Au lever du jour, il
s'élance hors de la tente : la couche de neige est au plus
de 4 pouces. 11 regarde avec anxiété du côté des chevaux :
les bonnes bêtes étaient là, à 200 mètres au plus loin.
Tout était pour le mieux : Deogratias! ils ne mourraient
pas encore cette fois dans un ravin perdu de la mon-
tagne du Porc-Épic !
Après cette « nuit d'angoisse » , le jeune missionnaire
arrivait, au début de décembre J881, sur la réserve des
- 391 -
Piéganes. Il y commençait aussitôt ce laborieux apostolat
qui devait durer seize ans, jusqu'à l'heure de la Pro^
vidence, qui voulait faire de l'ardent missionnaire un des
pontifes de l'Église naissante de l'Ouest canadien.
LE MI8BI0NNAIRE DES PIEDS-N0IB8.
Le P. Légal était donc arrivé en cette terre des Pieds-
Noirs, sa terre promise à lui. L'idéal de toute sa vie était
une réalité ; il était missionnaire dans toute la force du
terme ; car, comme saint Paul, il pouvait dire qu'il tra-
vaillait là où nul avant lui n'avait semé. La nation des
Pieds-Noirs était encore un de ces malheureux peuples
assis à l'ombre delà mort. L'homme de Dieu se mit aus-
sitôt à l'œuvre. Suivons-le dans ce vaste champ de ses
labeurs apostoliques.
Faisons d'abord connaissance avec le pays. C'est un
coin peu visité de notre immense Canada. Le P. Légal,
toujours expérimenté, observateur attentif et bonne
plume, va lui-même nous le décrire.
K Le coin qui m'est échu ep partage est tout à fait à
l'extrémité de ce qu'on appelle les Territoires du Nord-
Ouest ; il est délimité par la frontière américaine, les
montagnes Rocheuses et la Colombie Britannique. Tout
ce pays, depuis la rivière la Biche au nord jusqu'à la
vallée de la rivière Qu'Appelle à l'ouest, est ce qu'on
nomme la grande prairie, 'çv&'&qne, entièrement privée de
bois, excepté sur quelques collines très distantes les unes
des autres, qui rompent seulement l'uniformité de ce dé-
sert. Océan de verdure en ce moment, la province va
bientôt jaunir aux feux du soleil de juin et de juillet, en
attendant qu'elle se noircisse sur de grandes étendues,
quand les feux, qui, chaque année, sont allumés par la
— 392 —
malveillance ou la négligence, l'auront désolée. Regar-
dez en avant, en arrière, à droite et à gauche, c'est tou-
jours la prairie qui se déroule jusqu'aux confins de
l'horizon ; pas un arbre, souvent pas une colline sur de
larges étendues pour reposer de cette fatigante mono-
tonie. Autrefois, en parcourant ce désert, vous eussiez
rencontré d'immenses troupeaux de buffalos. Vous eus-
siez vu les chasseurs métis ou sauvages, montés sur leurs
rapides coursiers, à la poursuite de cette proie abon-
dante, qui semblait ne devoir jamais disparaître. Cet au-
trefois date de sept années (maintenant dix-sept ans), et,
aujourd'hui, vous pouvez traverser l'immense prairie en
tous sens, sans rencontrer un de ces buffalos ; vous
n'avez partout que le désert et la solitude.
«Cependant, cette solitude n'est pas la même partout.
Il y a des places privilégiées. Notre district du fort Mac-
Leod est de ce nombre. C'est ce qu'on appelle ici une
grazing country (terre à pâturage), et la meilleure ^razm^
country qu'il soit possible de trouver, dit-on. Sur toute
l'étendue de la prairie, le foin et les pâturages sont éga-
lement excellents; mais il y a cet inconvénient que, du-
rant les longs mois d'hiver, la neige recouvre le sol
d'une couche épaisse, de sorte que les animaux ne peu-
vent y trouver leur nourriture. Il n'en est pas ainsi au-
tour du fort Mac-Leod ; le vent ckinook, qui vient au
travers des passes des montagnes Rocheuses, balaye et
fait fondre la neige en quelques heures, même au mi-
lieu de l'hiver, de sorte qu'en toute saison, les animaux,
chevaux et bêtes à cornes, peuvent rester dehors, se nour-
rir et s'engraisser sans que le propriétaire ait aucune
dépense à faire pour cela. Aussi les compagnies et les
individus ont-ils profité de ces conditions avantageuses
pour importer ici d'immenses troupeaux. De sorte que,
dans cette région, si les buffalos sauvages ont disparu,
— 393 —
on rencontre de tous oôt'^s d'immenses stocks d'ani-
maux domestiques. Il y a quelque temps, je campai sur
un ranch; c'e'èi ainsi qu'on appelle la portion du pays
affermée par le gouvernement pour être consacrée à
l'élevage des bestiaux. Il y avait cinq à six mille têtes de
bêtes à cornes sur ce ranch seulement !
« L'uniformité de la prairie n'est pas aussi réelle
qu'elle le paraît au premier abord. En réalité, elle est
encore, surtout de ce côté où nous approchons des
montagnes, assez accidentée ; mais, comme le niveau
général est à peu près le même, toutes les inégalités
sont invisibles à une courte distance et tout se confond
dans une ligne uniforme. Mais si vous voyagez sur un
espace de quelques milles seulement, vous pourrez
rencontrer plusieurs de ces vallées profondes et escar-
pées, que vous ne soupçonniez même pas. Souvent ces
vallées sont complètement desséchées ; quelquefois, au
fond, un simple ruisseau se plie et se replie en innom-
brables méandres ; quelquefois enfin ce sont de vraies
rivières assez considérables qu'il faut traverser à gué. Il
y a ordinairement des bois sur les bords de ces rivières,
mais là seulement. Ces vallées sont si profondes que
les arbres, malgré leur hauteur, sont complètement
cachés aux regards jusqu'au moment où on arrive à la
descente de la colline.
« Tout cela fait l'effet d'un océan desséché. L'eau re-
couvrait d'abord toute cette vaste étendue dénudée ;
puis, dans la suite des temps, l'Océan a disparu, ne lais-
sant après lui que d'énormes rivières, qui roulaient dans
toutes les directions d'immenses masses liquides ; enfin
les rivières se sont desséchées à leur tour, laissant à nu
leurs étroits bassins, aujourd'hui nos vallées. Seules les
rivières qui prennent leur source dans les glaciers et les
neiges des montagnes Rocheuses ont subsisté, mais
— 394 —
qu'elles sont loin d'occuper maintenant les immenses
vallées qu'elles emplissaient jadis. »
Disons, en passant, que le flair scientifique du P. Lé-
gal ne l'avait pas trompé ; les explorations récentes, con-
duites par le Geological Survey, d'Ottawa, ont établi
l'origine marine des terrains de l'Ouest; ce D'est pas ufl,
mais plusieurs océans successifs qui ont couvert ces
vastes régions, bassins des mers primitives. Jusqu'ici le
missionnaire nous a présenté l'intéressant tableau de la
prairie dans son ensemble. Voici son aspect particulier,
dans la région sud-ouest qui fut la patrie des sauvages
de la tribu des Pieds-Noirs.
« Cette ligne découpée à vif qui limite l'horizon à
l'ouest brise l'uniforme monotonie de la grande prairie
et repose la vue. Cette ligne s'étend, du nord au sud,
aussi loin que la vue peut porter ; ligne très irrégulière
pour la variété des sommets et des pics qui se succèdent
sans interruption. Cependant la ligne reste quelque peu
continue et égale, en ce sens qu'il n'y a pas de ces pics
isolés qui s'élèvent tout à coup à une grande hauteur
au-dessus des montagnes environnantes. Ils conservent,
au contraire, une certaine hauteur voisine de la moyenne
générale. Pigurez-vous une scie dentelée irrégulière-
ment (la Serrota des Espagnols), mais une scie gigan^
tesque avec la couleur bleuâtre de l'acier s' étendant du
nord au sud : ce sont les montagnes Rocheuses; les
points brillants qui étincellent aux feux du soleil sont
les sommets d'oti la glace ne disparaît jamais. A environ
lÔ milles d'ici, il y a les grandes collines du Porc-Épic,
que l'on peut regarder, non pas comme un contrefort
des montagnes Hocheuses (de ce côté-ci, du moins,
celles-ci ne sont pas des contreforts) ; mais comme un
premier soulèvement du nord au sud. Le système des
montagnes Rocheuses elles-mêmes se compose d'un
— 395 —
certain nombre de soulèvements parallèles, ordinaire-
ment trois, courant également du nord au sud.
« Une excursion dans les montagnes serait une chose
ausbi attrayante, sans aucun doute, que les excursions
de ce genre faites par les touristes amateurs dans les
Alpes et les Pyrénées. On ne trouverait point, par exemple,
les splendides hôtels et tout le confort dont la civilisa^
tion a enrichi les vallées célèbres des grandes mon-
tagnes alpines, mais les vues pittoresques, les solitudes
désertes et sauvages, le grandiose d'une nature que la
main de l'homme n'a pas encore essayé de déformer,
apparaîtraient dans toute leur majesté 1 »
UNE EXCURSION AUX MONTAGNES ROCHEUSES.
Le charme de ces grandes montagnes, M^* Légal l'a
subi, et il a su le décrire en termes émouvants. Elles
semblent se dresser à nos horizons intellectuels quand
nous les voyons derrière la magie de son pinceau. Un
de ses écrits nous raconte un voyage fait en juillet 1888.
« Comme je suis nommé inspecteur des écoles catho-
liques pour le district, je me rendis, pour faire l'inspection
d'une école, à Pincher-Creek, localité qui avoisine les
montagnes Rocheuses. Là, j'unissais dans les liens du
mariage un bon Canadien et une jeune Canadienne,
notre organiste. C'était le premier mariage catholique à
Pincher-Creek; grande liesse au village. Vers midi, noua
commencions notre odyssée vers les montagnes.
Il s'agissait d'aller jusque dans la Crow^s Nest Pass, à la
source d'eau sulfureuse et même au lac de la Crow's Nest,
à 50 milles de Pincher-Creek. Première station à la chute
de la Midle Fork, de l'Old Man River. Nous campons là
pour une nuit. Jolie cascade de 20 à 30 pieds avec les
— 396 —
montagnes Rocheuses pour fond du tableau. Nous es-
sayons de pêcher le soir et tout l'avant-midi du lende-
main. Le poisson abonde, on le voit s'acharner à remon-
ter le rapide ; mais, sans doute, il est trop occupé de son
entreprise, il dédaigne nos lignes et nos appâts. Après
dîner, nous levons le camp et nous acheminons vers les
montagnes, qui se dressent devant nous, grandes et
majestueuses. Sur les 4 heures de l'après-midi, nous
entrions dans la passe proprement dite. Les montagnes
jaillissent à notre droite et à notre gauche. Peu après,
nous arrivions à un petit chantier de logs, c'est le poste
de la police; on nous dit que nous sommes parfaite-
ment sur la route des Sulphur Springs, et nous avançons
au milieu de scènes vraiment grandioses : la rivière qui
serpente en mille détours, à une grande profondeur ; les
montagnes, dont les bases sont revêtues du noir manteau
des pins de toute espèce ; les sommets dénudés qui se
dressent menaçants dans les nues ; les gorges profondes,
où la neige entassée n'a pu encore fondre aux rayons
brûlants du soleil. C'est vraiment beau, la montagne!
A nos pieds, nous foulons un vrai tapis de gazon, tout
émaillé de fleurs.
« Le parfum des fraises embaume l'air et nous invite à
faire halte, mais nous poursuivons notre route. Parfois
pour faire diversion, le chemin devient escarpé et ro-
cheux ; cependant, on peut se rendre en wagon jus-
qu'aux sources. Nous y arrivons assez tard dans la soirée.
Pendant que nous établissons notre campement, la nuit
survient qui nous enveloppe de ses ombres.
« La source d'eau sulfureuse est très abondante; elle
sort d'une excavation au pied d'une montagne, élevée
de 2 800 pieds au-dessus de la plaine oh nous nous trou-
vons; cette montagne paraît toute petite auprès de celles
qui s'étagent en arrière. L'eau est bleuâtre, a une assez
— 397 —
forte odeur de soufre et un léger goût, on s'y fait très
vite ; elle est très froide et très bonne à boire. L'eau, en
se déversant, forme une sorte de marais, et un grand
dépôt de soufre presque pur. Les castors avaient-ils déjà
apprécié la vertu de cette eau? On serait porté aie
croire, car ils ont construit, pour la retenir, deux chaus-
sées, qui sont en parfait état de conservation ! — A la
place de la source, les montagnes sont très resserrées et
forment une passe étroite sans perspective. Nous vou-
lions pousser plus loin et nous rendre jusqu'au lac, dis-
tant de 15 milles, pour jouir d'un paysage grandiose.
Mais ici plus de route à wagon. Nous empruntons des
selles et nous partons à cheval. La scène bientôt s'élargit
et l'on se trouve en présence de splendides montagnes,
parmi lesquelles se distingue le fameux Crow'sNest, sorte
de dôme à escarpements à pic, qui se dresse à une hau-
teur de 9 000 pieds. La route est sauvage. De plus le
temps, se mettant à la pluie, ajoute au grandiose de la
nature. Les nuages courent dans le ciel et viennent se
heurter et se briser contre ces géants de pierre, puis se
rabattre sur leurs flancs dénudés. Le lac, auquel nous
arrivons dans l'après-midi, est pittoresque. Il est resserré
entre deux montagnes sur un espace de plusieurs milles.
Nous suivons pendant un mille environ la route dange-
reuse qui suit l'escarpement sur toute la longueur du lac.
Figurez-vous un sentier large à peine pour le pied du
cheval, avec une montagne qui souvent surplombe sur
votre tête et le lac à vos pieds à une distance variant de
30 à 100 pieds! L'escarpement est à pic, et si les pierres
se mettaient à rouler il faudrait rouler avec elles au fond
du lac. Mais c'est la route ordinaire, et quand il y a des
accidents, sans doute il n'y a personne pour venir les
raconter. Nous nous rendîmes jusqu'à un point où une
source prodigieuse d'une bonne eau limpide et glacée
T, XXXV. 27
— 398 -
sort du flanc de la montagne à une hauteur de 20 pieds,
abondante comme une rivière. Le soleil, maintenant,
brillait au ciel : que toute cette nature paraissait belle
et heureuse ! 11 aurait fait bon y rester quelques heures
à pêcher dans le lac aux eaux vertes et profondes. C'est
bien ici qu'on dit avec le psalmiste : Mirabilis in altis Do-
minus! {L^ Seigneur est admirable dans les hauteurs!)
Mais déjà il fallait songer au retour. Quand nous arri-
vâmes au campement, il faisait presque nuit. Le lende-
main, les nouveaux mariés arrivaient aussi à la source
sulfureuse : c'était leur voyage de la lune de miel! Enfin
le reste de la semaine se passa ainsi dans la montagne,
escaladant les rochers, péchant les truites saumonées
de la rivière, et il faut le dire aussi, luttant contre les
maringouins et les mouches « bulldogs » qui, paraît-il,
aiment aussi les beaux pays. Le samedi, j'étais de retour
à Pincher-Creek.
Le lecteur nous pardonnera ce long extrait. Nous ne
sortons pas de notre sujet : car c'est l'aimable évoque
missionnaire qui parle avec tant d'amour du pays, dont
il a fait sa seconde patrie. Puisse-t-il persuader à tant de
nos compatriotes, toujours en quête de beaux paysages
et de grandes scènes de la nature, que nous avons chez
nous ce qu'ils vont chercher si loin ailleurs !
En 1883, un grand événement se produisit, qui changea
bien des choses dans la vie du missionnaire et modifia
profondément les conditions des missions. C'était l'en-
treprise du grand Pacifique canadien, qui, en juillet,
cette année-là, fut poussé jusqu'à Calgary. C'était le flot
de la civilisation qui s'avançait rapidement et s'étendait
au large. La voie ferrée longeait précisément le terri-
toire laissé aux sauvages ; et le missionnaire entendait
chaque jour les trains aller et venir dans cette immense
prairie, où quelques mois auparavant on n'eût trouvé
— 399 —
que quelque cheval indien égaré ou quelques rares anti-
lopes 1 Déjà, Calgary, le chef-lieu des Missions pieds-
noires, promettait de devenir une ville importante. Les
étrangers affluaient, et, en attendant la mise en vente
des lots de terrain, les nouveaux arrivants logeaient sous
des tentes. Cela faisait une ville de toile oti il y avait
beaucoup de bruit et d'affaires ; et la cité avait déjà son
journal, le Calgary Hei-ald.
LES PIEDS-NOIRS.
La famille de Peaux-llouges que M^'' Légal a évangé-
lisée pendant seize ans, porte le nom générique de
Pieds-Noirs. Au nombre de près de 8 000, ils sont divisés
en quatre tribus : les Pieds-Noirs proprement dits, les
Sarcees, les Piéganes et les Gens du Sang ; ces derniers
sont parmi cette nation ce que les Pieds-Noirs eux-
mêmes sont parmi les Indiens de l'Amérique du Nord,
les hommes les plus beaux, les plus vaillants et les plus
nombreux. Jadis souverains de la prairie, comme les
autres aborigènes, ils sont aujourd'hui parqués sur des
réserves plus ou moins étendues ; et, en vertu des traités,
depuis la disparition des buffalos, le gouvernement les
nourrit en leur donnant plusieurs fois la semaine des
rations de viande et de farine. J'ai entendu maintes fois
les missionnaires se plaindre de ce système, propre à
démoraliser les sauvages, qui, assurés contre la faim,
croupissent dans l'indolence. Il est vrai que, près de
Mac-Leod, le gouvernement a ouvert une école indus-
trielle, dont le P. Légal fut longtemps le directeur; on
veut accoutumer les jeunes générations au travail en les
façonnant aux arts mécaniques et industriels ; institu-
tion qui a déjà produit d'heureux résultats.
M^' Légal, comme tous ceux qui ont passé dans ces
régions là-bas, est un grand admirateur de la beauté
— 400 —
physique des Pieds-Noirs : grands, de belle laille, vigou-
reux et fiers. Du reste, nous avons pu nous-mêmes nous
en rendre compte, lorsqu'il y a quelques années, le
R. P. Lacombe amena au Canada quelques-uns de leurs
chefs. Le premier d'entre eux surtout, Grow-foot, le plus
grand chef, avait en vérité bel air, quelque chose de
digne et de royal.
L'intelligent missionnaire eut vite fait de maîtriser
leur langue, à une époque où il n'y avait ni grammaire,
ni dictionnaires pieds-noirs. Il a même écrit des pages
savantes sur les caractères et les dilflcultés que présente
cette langue, ainsi que ses congénères. Voici quelques-
unes de ses remarques :
« Le pied-noir ne présente guère de difficulté de pro-
nonciation, il n'y a qu'un son guttural qui revient assez
souvent. La difficulté est ailleurs. Les langues indiennes
sont ce qu'on appelle des langues poly synthétiques, et la
langue pied-noire l'est à un plus haut degré que beau-
coup d'autres. Le sauvage n'analyse pas la proposition
pour en exprimer par un mot séparé chacune des par-
ties ! non, au contraire, le génie de sa langue le porte à
traduire en bloc, par un seul mot, toute sa pensée,
comme elle se présente à son esprit. Aussi les conjugai-
sons des verbes présentent un luxe de combinaisons diffé-
rentes qui permettent de satisfaire à tous les besoins des
différentes relations. Exemple, voici une phrase: « Si tu
veux vite aller acheter quelque chose pour moi. » Il nous
faut dix mots pour dire cela, le sauvage n'en mettra
qu'un où tout sera renfermé : « Kippetaporpommatomo-
kiniki. » Le mot est long, et plus d'un lecteur se dira
que après tout il vaut peut-être mieux dire cela en dix
mots, que dans ce verbe long comme « de Paris à Pon-
toise I » Et ailleurs il dit : c. Les langues américaines,
malgré leurs différences, présentent au moins toutes un
— 401 —
caractère commun, le polysynthétisme. Ce système réu-
nit ensemble les caractères des langues agglutinantes,
comme les dialectes nègres, et des langues à flexion,
comme celles d'Europe. Les mots-racines s'unissent et
s'accolent ensemble pour former des sentences com-
plètes. Mais chaque mot-racine ne reste pas toujours
sous la même forme, il subit une multitude de transfor-
mations, de contractions et de dilatations suivant des
règles très compliquées, car elles ne se fondent souvent
que sur l'harmonie et la sympathie des sons. »
Comme on le sait, les noms des sauvages sont presque
tous significatifs. Expliquant ce détail dans une revue
française, le P, Légal disait agréablement : «Quelques-
uns de nos élèves indiens sont revêtus des noms les plus
pompeux; dans la saison chaude, les autres vêtements
sont très sommaires. Un garçon s'appelle le Chanteur
matinal, une fille se nomme ta Divine Lumière. D'autres
noms sont moins prétentieux : il y a, parmi les garçons,
la Patte d'ours, la Queue du loup, la Souris rouge, etc.
Parmi les filles, on compte : l'Araignée jaune, le Serpent
d'eau, la Femme hibou, etc. >> Le missionnaire fut bientôt
baptisé par les sauvages : Sports-itanipi, c'est-à-dire
« Celui qui demeure là-haut ! » nom flatteur, en vérité.
Cela montre bien la haute estime que les indigènes
avaient de leur missionnaire.
On le sait, les Pieds-Noirs sont païens; leur mytho-
logie est un grossier système oii se mélangent le féti-
chisme, ou religion de la nature, et le chamanisme, ou
religion des sorciers. Ils sont même la race rouge qui,
jusqu'à cette heure, est restée la plus inébranlablement
attachée à ses superstitions, la plus réfractaire à l'action
des missionnaires. Ils ont du respect et de la sympathie
pour la robe noire; ils le mettent bien au-dessus du mi-
nistre protestant, colporteur de bibles. Ils le laissent
— 402 —
s'établir parmi eux, ils l'écoutent silencieusement, mais
ils restent endurcis. Le plus grand obstacle à leur con-
version, c'est encore la faiblesse du cœur : les Pieds^
Noirs sont polygames! Ils ont parfois jusqu'à quatre
femmes. On conçoit, dès lors, la difficulté que leur im-
pose le baptême. Ce terrible obstacle à la cbristianisa"
tion de ces tribus s'est encore accru en ces dernières
années, par suite de l'établissement d'une colonie de
Mormons, autorisée par ]e gouvernement canadien. 11
est vrai qu'on a exigé d'eux la promesse do se conformer
aux lois du pays ; « mais, comme disait un missionnaire,
les agents du gouvernement ont des complaisances, ils
ont soin d'avertir du jour de la visite officielle, et les
émigrés d'Utah font disparaître pour un temps les sur-
numéraires ! » Quelle influence délétère n'exerce pas sur
ces infidèles le spectacle de ces gens, soi-disant chré-
tiens, que dis-je? « les saints des derniers jours», et
qui ont autant de femmes qu'Abraham et Jacob ?
Un autre obstacle à l'évangélisation des Pie'.s-Noirs,
c'est la propagande du protestantisme. Depuis long-
temps, il fait tous ses efforts pour s'implanter au milieu
de ces tribus. Les ministres ont, de leur côté, tous les
moyens humains ; ils font des dépenses considérables,
alors que les missionnaires manquent de tout et qu'ils
ne peuvent opposer que leur pauvreté à l'opulence de
leurs antagonistes. 'Vîais Dieu est avec eux, et son appui
vaut mieux que des millions. Le P. Légal gémissait ce-
pendant de ces difficultés toujours renaissantes. Il disait
à un ami : « Quand je suis venu en ces pays de missions,
je savais à l'avance que le bien y trouverait des obsta-
cles ; où n'en trouve-t-il pas? Je ne suis donc pas surpris'
que la vérité ne progresse pas aussi rapidement que nous
voudrions. Mais cela ne m'empêche pas de gémir, quand
on constate ces embarras que le démon multiplie pour
— 403 —
entraver l'œuvre de Dieu. Ici, les ministres de l'erreur
affluent, et il y en aura bientôt sur toutes nos réserves
sauvages. Dans nos environs, pour une population de
600 âmes, il n'y en a pas moins de six, de trois sectes dif-
férentes. Gomment voulez-vous que nos sauvages puis-
sent discerner la vérité dans ce labyrinthe? Le résultat
définitif pour un trop grand nombre sera une indiffé-
rence totale à l'égard de ces religions qui viennent se
combattre devant eux.»
Les Pieds-?\oirs sont donc restés ce qu'ils étaient à
l'origine, et, chez eux, on trouvera encore quelque chose
de ces moeurs barbares que nous ont fait connaître les
Relations des Jésuites et le Dernier des Mohicans de Goo-
per. Je relève ce terrible récit dans les écrits du P. Lé-
gal, qui en dit long sur le vieux levain sauvage qui fer-
mente encore dans les veines de ces Peaux-Rouges :
« Nous finissions de déjeuner, quand je vis trois cavaliers
arriver bride abattue. Il y avait dans leur allure quelque
chose d'étrange, qui me tint les yeux fixés sur eux.
Tout à coup, à une distance de 5 ou 6 arpents, ils com-
mencent à décharger leurs fusils en l'air et à pousser des
cris de victoire. C'était un parti de guerre qui était attendu
depuis longtemps. Quand ils furent un peu plus près, je
distinguai parfaitement les trophées qu'ils agitaient au
bout de longues baguettes. Je reconnus deux chevelures,
deux vrais scalps!... Dès les premières décharges, le pe-
tit camp est en émoi ; on se précipite au-devant des
braves, et les cris de triomphe répondent au chant des
guerriers. Deux de ces guerriers, en arrivant à leur
loge, avant de descendre de cheval, embrassent leurs
femmes, et, détail hideux, c'est entre les mains de ces
femmes qu'ils remettent les scalps. La nuit et plusieurs
jours consécutifs, on se réunit tantôt à un endroit, tan-
tôt à un autre, pour faire la danse du scalp comme au-
trefois... C'était un parti de six hommes, qui s'en était
allé pour voler des chevaux aux Corbeaux des États-
Unis ; et, en effet, ils s'en revenaient ramenant plus de
quarante chevaux, quand ils furent poursuivis par des
Gros-Ventres, des Cris et même des blancs. Dans l'es-
carmouche, ils tuèrent deux ennemis ; ils abandonnè-
rent le premier, car on les poursuivait de trop près ; le
second qu'ils tuèrent était un Cris qu'ils eurent le temps
de scalper. »
La grande superstition des Pieds-Noirs, contre la-
quelle le missionnaire a longtemps lutté en vain, est
celle du Sun dance, car ils sont adorateurs du Soleil, à
la manière des anciens Perses. Dans les longues discus-
sions à ce sujet, il arrivait tout d'un coup des impasses
où il devenait difficile de poursuivre l'argumentation.
Un jour, il disait à l'un d'eux, vieux chef superstitieux,
que nous, nous ne priions point le soleil, mais celui
qui a fait le soleil, et il lâchait de lui expliquer la nature
du soleil et tout ce que Ton sait de sa composition, de
son apparence, de sa distance et des phénomènes qui se
passent à sa surface, tels que constatés par le télescope.
« Mais qui est-ce qui a vu cela? » lui dit l'Indien. Alors
le Père lui expliqua qu'au moyen d'instruments extrê-
mement puissants, on a pu déterminer tous ces phéno-
mènes à la surface du soleil. « Ah! dit le Pied-Noir,
c'est de cette manière seulement qu'on a vu le soleil;
on ne peut pas en savoir grand' chose. Nous autres, nous
l'avons vu plus près... Cependant, il n'est pas donné à
tous d'avoir cettefaveur ; moi et deux autres du camp som-
mes les seuls qui ayons vu le soleil. Il est venu lui-même
et nous a parlé pendant notre sommeil, et voilà ce qu'il
nous a dit... » Allez raisonner ensuite! Et c'est dans ces
fêtes païennes que quelques fanatiques, victimes du dé-
naon, se fout par tout le corps d'effroyables taillades,
— 405 —
parfois même se coupant un membre pour faire hom-
mage au dieu Soleil. Hideuses exhibitions que des tou-
ristes curieux encouragent par leur présence et leurs
cadeaux aux sauvages !
Tel est le peuple dont Me'" Légal a été l'apôtre. De
concert avec le P. Lacombe, son intime ami, tous deux
ont défriché, ensemencé, arrosé cette terre ingrate de-
puis 1882. Tantôt sur la réserve des Gens du Sang, tantôt
sur celle des Piéganes, le missionnaire a donné à ces
tribus infidèles le meilleur de sa vie, son intelligence, sa
foi et son cœur.
Conçoit-on ce qu'a été une vie semblable, seul, loin de
tout confrère, de tout être intelligent de son niveau, à
qui il pût communiquer ses pensées et ses sentiments,
perdu au milieu de sauvages grossiers, rebelles à tous
ses efforts, ingrats à tout son dévouement ? Pauvres peu-
plades, elles sont ce que saint Paul disait des païens :
égoïstes et encore égoïstes, d On rencontre si peu de
vraie et sincère affection dans ce camp sauvage ! » me
disait un jour le bon missionnaire. Le mot de gratitude
n'existe même pas dans leur langue, c'est qu'ils n'en ont
pas l'idée. Combien un homme d'intelligence et de cœur
doit souffrir dans un tel milieu ! Je ne parle point des
privations matérielles qui sont pourtant grandes : l'apôtre
les accepte joyeusement; mais ce sont ces souffrances
morales qui font couler ce « sang du cœur », qui est le
plus rude martyre.
Longtemps, le ministère du P. Légal sembla complète-
ment stérile. Baptiser beaucoup d'enfants, dont le plus
grand nombre, moissonnés par la mort, s'en allaient au
paradis prier pour leurs compatriotes; recevoir dans l'É-
glise quelques adultes à l'article de la mort, c'était là à
peu près tout. Maintes fois son évêque voulut l'arracher
à un labeur aussi ingrat et laisser ces peuples rebelles à
— 406 —
leur malheureux sort : toujours le missionnaire plaida
pour eux, et il resta à son poste. Il disait à son corres-
pondant : « Je préfère à tout rester au milieu de mes
sauvages, malgré le peu de fruit de notre ministère, mal-
gré la stérilité de tous nos efforts. Il faudra des années,
des générations peut-être, pour transformer ces nations
sauvages. Il faut quelques-uns qui assistent à ces années,
à ces générations d'insuccès et d'aridité : Je n'ai aucune
objection à être de ce nombre. » Je laisse aux hommes
de cœur le soin d'apprécier ce sentiment magnanime.
Il avait compris qu'il fallait s'adresser à l'enfance,
seule espérance d'un meilleur avenir. Aussi, sur les deux
réserves, il fonda et ouvrit deux écoles, où lui-même ne
rougit point de se faire le maître d'école de plusieurs
centaines de petits sauvageons. Parlant de son école dans
une revue française, de collège, il disait spirituellement :
« On enseigne présentement les lettres, les chiffres, l'é-
pellation et un peu de catéchisme. On a pensé qu'il fal-
lait remettre à plus tard l'enseignement de la méta-
physique et des mathématiques transcendantales!... Les
élèves sont dissipés, c'est leur moindre défaut; ils font
très peu attention et apprennent vite. Sans doute, s'ils
faisaient trop attention, ils apprendraient trop vite !
L'école est située dans une position magnifique... »
Enfin, peu à peu, la grâce de Dieu aidant, la constance
du missionnaire a triomphé ! Qu'il soit béni de n'avoir
pas désespéré ! Dans ces dernières années, un grand ébran-
lement s'est produit parmi ces sauvages. Le vieux Grow-
foot est mort baptisé catholique. L'au dernier, à Noël,
le P. Légal a reçu dans le giron de l'Église et communié
solennellement, le plus grand chef des Gens du Sang.
Les conversions et les baptêmes se multiplient, les sau-
vages assistent régulièrement aux offices de l'Église, et
le P. Légal fait les annonces de bans de mariages en son
- 407 —
petit temple, comme un curé de sa paroisse. Et voici
qu'au moment même où la moisson est jaunissante, le
semeur est appelé à un autre champ de travail! Il était
l'homme de la u première génération » !
Entre temps, il prodiguait ses soins aux blancs catho-
liques de la région à Mac-Leod, à Pincher-Creek, àLelh-
bridge ; architecte, il bâtissait des écoles, des résidences
démissions, des chapelles, et surtout la monumentale
église de Galgary, peut-être sa future cathédrale. Avec
les fonds obtenus (ou arrachés) du gouvernement, il fon-
dait un hôpital sur la Réserve des Blood Indians, et y
établissait les Sœurs Grises de Nicolet, en août 1893.
Mais le savant avait aussi son tour dans cette vie si bien
employée : maintes fois il entreprenait des excursions
géologiques dans les environs; il correspondait avec le
grand institut scientifique des États-Unis, le Smithsonian
Instante, pour le bureau d'ethnologie; il écrivait dans
les revues de France, et je sais que ses amis n'ontjamais
eu correspondant plus fréquent, plus spirituel et plus
tendre en ces charmantes effusions, qui sont la béatitude
de l'amitié. J'ai entendu souvent le P. Lacombe , son
ami, se plaindre en souriant, qu'après avoir été à la
chasse aux lièvres dans la province de Québec, il était sûr
d'être aussitôt dévalisé par le P. Légal à son arrivée
dans l'Ouest.
Avant de clore cette trop longue esquisse d'une vie de
missionnaire, il est un épisode trop important dans celte
partie de la vie de M^'' Légal, pour que je le passe sous
silence : c'est sa participation aux événements de 1885
qui ont ensanglanté le Nord-Ouest.
La part du P. Légal a été bien belle : tous deux, le
P. Lacombe et lui, ont été des pacificateurs, et. à ce point
de vue, le pays leur est redevable qu'on n'ait pas versé
plus de sang, ni accumulé plus de ruines.
— 408 —
Le 30 mars, on avait appris la nouvelle des premiers
soulèvements aux bords de la Saskatchewan. Les révoltés
avaient eu l'avantage ; mais ce qui effrayait le plus, c'est
la nouvelle que plusieurs bandes de sauvages s'étaient
également soulevées, et que toute la nation des Cris
allait entrer dans le mouvement. C'était la guerre sau-
vage avec toutes ses horreurs, le massacre des gens sans
défense éloignés des centres de population... Le jeudi
4 avril, le commandant du fort Mac-Leod vint trouver le
P. Légal, le priant de l'accompagner pour tâcher d'apai-
ser les esprits sur les réserves, car déjà l'agitation ga-
gnait les camps des Pieds- Noirs. Il fut décidé que le
missionnaire irait seul sur la réserve des Gens du Sang,
qui, par leur nombre et leur caractère, étaient les plus
à craindre. C'est ce qu'il fit : de grand matin, au jour
de Pâques, il partit à cheval et parcourut un grand
nombre de villages sauvages. L'excitation était bien
moins considérable qu'on ne le craignait. Il rentrait le
soir, ayant passé à cheval toute la journée de Pâques.
De son côté, le P. Lacombe voyait Growfootet les Pieds-
Noirs ; tous deux réussirent et persuadèrent aux sau-
vages des trois tribus de rester tranquilles, sujets fidèles
du gouvernement. Sans leur action bienfaisante, si la
belliqueuse nation des Pieds-Noirs s'était mise en ré-
volte, elle aussi, un déluge de calamités sans nom se
fût déchaîné sur les territoires du Nord-Ouest. Et qu'on
le remarque bien, cette mission pacificatrice n'était pas
sans danger, comme le prouva l'horrible assassinat des
PP. Fafard et Marchand, au lac de la Grenouille. A son
correspondant, qui s'étonnait de le voir épouser la cause
des Anglais avec tant de zèle, le P. Légal répondait :
(( Vous semblez ignorer ce que c'est que la guerre sau-
vage avec toutes ses horreurs. Avec les sauvages, ce n'est
pas la lutte régulière, armée contre armée, avec pro-
— 409 —
teclion des gens inoffensifs, c'est le contraire : les em-
bûches de nuit, les massacres des gens isolés et sans dé-
fense, les tortures des prisonniers, les outrages les plus
atroces aux femmes captives jusqu'à ce que les pauvres
malheureuses soient délivrées par la mort. Nous avons
été menacés de tout cela, de quelque chose de semblable
à ce qui s'est passé sur les bords du Missouri, il n'y a
pas encore bien longtemps. Les Gris et les Pieds-Noirs,
sous ce rapport, n'ont rien à apprendre des Sioux. Ne
vous étonnez donc pas si nous avons tout fait pour li-
miter le théâtre de la rébellion et travaillé de concert
avec les agents anglais du gouvernement. »
Nous nous arrêtons ici. Nous en avons assez dit pour
montrer que non seulement les catholiques, mais tous
les citoyens du Canada doivent regarder comme un beau
jour pour la religion et le pays ce même jour oîi M^'^ Lé-
gal est sacré là-bas, à Saint-Albert.
Je sais que le nouveau pontife n'a point ambitionné
l'épiscopat et qu'il a tenté tous les moyens d'écarter ce
fardeau de ses épaules. Ce qu'il désirait, il l'a dit lui-
même en termes touchants : « L'autre jour, j'étais avec
le F. B.,., occupé à clôturer un petit cimetière oii il y a
déjà plusieurs sauvages ensevelis, et je dis au Frère :
« Quand nous aurons fini notre clôture, nous viendrons
« un jour et je choisirai ma place au pied de la croix
« que nous allons ériger. » Et cette pensée, malgré sa
tristesse, m'a paru douce, et il m'a semblé que vraiment
j'aimerais à être couché là sous le gazon de la prairie,
au milieu des quelques sauvages pour lesquels j'ai tra-
vaillé. Ce petit cimetière à pente du côté du soleil cou-
chant, avec une vue étendue sur la chaîne irrégulière
des montagnes Rocheuses, il m'a semblé que c'était là
une belle place pour dormir son dernier sommeil !... »
Monseigneur, vous qui ne rêviez qu'un petit cimetière
— 410 -
sauvage, Dieu vous appelle au trône de ses pontifes. Ad
muUos annosf
G.
Me' Grandin annonçait le sacre de son coadjuteur par
la touchante lettre qu'on va lire :
LETTRE DE M^' VITAL-J. GRANDIN, 0. M. I.,
ÉVÊQUE DE SAINT-ALBERT, ASSISTANT AU TRONE PONTIFICAL,
Au clergé séculier et régulier^ aux communauiés religieuses^
et, en général, à tous ses bien-ainiés diocésains.
Bien chers Coopérateurs, bien chers Pères, et nos
TRÈS chers Frères, salut et bénédiction en Notre-
Seigneur.
Gomme vous le savez, Tâge avancé, la maladie et les
infirmités qui en sont la conséquence, nous rendent,
depuis longtemps déjà, l'accomplissement des devoirs
de noire charge impossibles. Tant qu'ils n'étaient que
difficiles, c'était pour nous une vraie consolation de nous
en acquitter, d'aller vous visiter, vous encourager dans
vos pénibles et continuels labeurs. INous y tenions d'au-
tant plus, que nous savons par notre propre expérience,
combien les consolations vous font défaut. C'en était
une grande pour nous de constater par nous-même vos
nobles efforts pour étendre et solidifier le règne de Dieu
dans notre cher diocèse; d'encourager nos bons chré-
tiens, tant anciens que nouveaux venus, qui, eux aussi,
ne manquent pas de tribulations. Nous tenions surtout à
voir et à encourager ces immigrants qui ont dû faire tant
de sacrifices pour venir parmi nous, et qui ont d'autant
plus à soufirir des difficultés d'un établissement nouveau
que les désagréments de la pauvreté s'ajoutent trop sou-
vent à beaucoup d'autres. Souffrant nous même de ce
— 411 —
commun inconvénient, et nous trouvant par là même
dans l'impossibilité d'y remédier efficacement chez les
autres, nous constations cependant que les bénédictions
divines, qui sont une conséquence de la visite du pre-
mier pasteur, nos paroles, nos encouragements, faisaient
refTi't d'un baume consolateur, au moins pour tous ceux
qui nous recevaient avec foi comme l'envoyé de Dieu.
Mais cette consolation ne nous étant plus possible, nous
avons dû songer à vous en faire jouir quand même au
moyen d'un autre représentant de Dieu, qui vous visitera
de noire part, de la part de Notre-Seigneur Jésus-Christ
lui-même. Cet homme, choisi de Dieu par le ministère de
Notre Saint-Père le Pape, à notre demande appuyée par
notre bien-aimé métropolitain et les autres évêques de
la province, est M^' Émile-Joseph Légal. Sa Sainteté a
voulu qu'il fût de suite revêtu du caractère sacré de Té-
piscopat, et, en attendant qu'il puisse être évêque en
litre de Saint-Albert, il portera le titre à'évêgtce de Pogla
ou Poglensis. C'est donc pour nous une grande consola-
tion et pour vous un grand avantage, d'avoir, pour nous
aider dans l'administration de notre diocèse et nous rem-
placer auprès de vous, un prélat qui nous égale en di-
gnité, qui mérite notre confiance et la vôtre, étant honoré
comme il l'est de celle de ses supérieurs, de celle du Pape,
et, je puis dire, de celle de Dieu lui-même. Nous appré-
cions grandement ce bienfait ; à la veille d'aller rendre
compte à Dieu de notre longue administration et de
notre vie plus longue encore, nous avons la consolation
de ne point vous laisser orphelins, mais de vous laisser
entre les mains d'un Frère bien-aimé et bien aimant,
j'en suis sûr, étant pour cet effet rempli de l'esprit de
Dieu qui est charité. Je doute qu'il puisse vous aimer
plus que je vous ai aimés, maisil vous aimera tout autant.
Vous l'aimerez aussi, vous tous nos bien-aimés, aux-
— 412 —
quels nous nous adressons peut-être pour la dernière
fois, vous l'aimerez comme l'homme de Dieu, comme
notre frère, nous osons dire comme notre fils, car nous
espérons avoir la consolation de lui imposer nous-même
les mains et d'en faire ainsi un autre nous-même.
Après cette précieuse grâce, nous devons en demander
une autre à Dieu, et pour cela nous vous prions tous de
vouloir bien vous joindre à nous ; c'est celle de mourir
dans son amour et d'être jugé, non selon la rigueur de
sa justice, mais selon l'étendue de ses miséricordes. Le
Seigneur, malgré notre faiblesse, peut-être même à cause
de notre faiblesse : Infirma mundi elegit Deus, nous a
conflé une mission que nous n'aurionsjamais osé désirer
ni même espérer. Nous n'avons pu la remplir qu'avec
bien des imperfections en commettant bien des fautes,
qui, bien qu'involontaires, ne peuvent manquer de nous
causer des inquiétudes et des craintes. Nous espérons
que notre bien-aimé successeur pourra les réparer en
partie et faire un bien que nous n'avons pu faire.
Maintenant, après nous être entendu avec notre révé-
rendissime Métropolitain et M^"" Durieu, venu exprès de
New- Westminster, nous avons fixé le 17 juin, fête du
Très Saint-Sacrement, pour la consécration de M^"" Lé-
gal. Nous vous invitons tous, bien chers coopéraleurs et
bien chers Pères et Frères, à prendre part, autant que
possible, à cette fête de famille. Veillez, cependant, à ne
pas laisser vos districts, et surtout vos religieuses, si
vous avez l'avantage d'en avoir, sans qu'il y ait un prêtre
à portée, pour les besoins les plus pressants. Nous
croyons devoir faire précéder cette cérémonie de notre
retraite annuelle, aQn de ne pas multiplier vos absences
et vos voyages. Cette retraite ne pourra être de huit
jours, parce que le R. P. Laçasse, o. m. i., qui a la bonté
de nous la prêcher, ne pourra arrivera Saint-.\lbert que
— 413 —
le 10 juin au soir; elle ouvrira ce soir-là même, et se
terminera le mercredi matin 16 juin, pour nous laisser
le temps de préparer la solennité du lendemain. Pour
que tous profitent du prédicateur dont le temps est très
limité, MM. les prêtres séculiers pourront se joindre à
nous pour la retraite, s'ils n'y ont pas de répugnance,
quitte à avoir quelques instructions particulières en rap-
port avec nos positions réciproques.
Veuillez donc, dès la réception de cette lettre, pren-
dre vos précautions; vous entendre entre voisins et su-
périeurs de districts, si c'est possible, pour voir ceux
d'entre vous qui pourront s'absenter et ceux qui devront
garder le district. Sans doute, tous vos chrétiens ne
pourront pas avoir la sainte messe le dimanche pendant
la retraite ; mais il faudrait que quelqu'un fût à la portée
de répondre aux cas imprévus et laisser, le moins pos-
sible, les religieuses seules, surtout dans les missions
sauvages.
Nous prions, en outre, nos dignes religieuses et nos
chers Frères convers de s'entendre avec leur confesseur
et supérieur, pour faire au moins une neuvaine de com-
munions pour le nouvel élu, que nous pourrions appeler
très justement le sacrifié. Nous vous demandons à tous,
nos très chers frères, de joindre aussi vos prières aux
nôtres et de faire prier vos petits enfants en faveur de
celui qui devra plus que jamais se sacrifier pour le salut
de vos âmes. Pour nous, prêtres, l'octave de la Pentecôte
précédant immédiatement notre grande solennité, nous
ne croyons pas devoir prescrire une oraison nouvelle à
la sainte messe, mais tous nous nous ferons un devoir
de nous souvenir au saint autel, et cela chaque jour à
partir de la réception de cette lettre, de celui qui, mal-
gré ses craintes et ses répugnances, que l'obéissance
seule lui a fait surmonter, s'est vu élever aux honneurs
T. xzxy. 28
— 414 —
de l'épiscopat, aSn que le Souverain Seigneur et Roi
des Apôtres lui rende le fardeau doux et suave, et lui
donne force et courage suivant les besoins de sa nou-
velle position.
Et sera la présente circulaire lue, autant que possible,
le dimanche qui en suivra la réception ou un des di-
manches qui précéderont la consécration, dans toutes les
églises ou chapelles, ou tout autre lieu où se fait l'office
public. Si l'on ne peut la lire ni la traduire, on s'efFor-
cera au moins de faire comprendre aux fidèles l'impor-
tance de la solennité qui doit avoir lieu, et notre désir
est qu'ils unissent leurs prières aux nôtres. Dans l'espé-
rance de vous voir aussi nombreux que possible à cette
importante cérémonie, nous vous bénissons avec toute
l'affection possible.
Donné à Saint-Boniface où nous sommes venu dans
l'espérance d'y rencontrer le Délégué apostolique et de
nous entendre, pour cette cérémonie, avec notre révé-
rendissime Métropolitain et plusieurs de ses révéren-
dissimes Suffragants, le 15 de mai 1897.
f Vital, J., o. m. i.,
Évêque de Saint-Albert.
Voici, d'après la Semaine religieuse de Laval, quelques
détails sur la cérémonie du sacre :
Ordinairement, quand on fait la description d'une
fête, on parle du soleil radieux qui vient éclairer ce beau
jour et qui semble, lui aussi, prendre part à la joie com-
mune.
On ne peut pas en dire autant pour notre fête, îcar
une pluie battante est tombée pendant deux jours et
demi. Quel temps affreux I On comptait sur une multi-
tude, et on se demandait comment la pauvre église de
Saint-Albert, qu'on honore du titre de cathédrale, aurait
— 415 —
pu contenir tout ce monde. Elle était remplie, mais
tout le monde était logé, car le mauvais temps avait ar-
rêté cette foule qui avait fait le projet de venir au sacre,
cérémonie inconnue dans ce pays.
Comme il pleuvait continuellement, il a été impos-
sible de faire des décorations à l'extérieur ; celles de l'in-
térieur étaient bien réussies; jamais la pauvre cathé-
drale de Saint-Albert n'avait revêtu semblable parure ;
les draperies aux couleurs françaises dominaient.
Assistaient au sacre : M^'" Langevin, archevêque de
Saint-Boniface ; M^^ Grandin, évêque de Saint- Albert ;
W DuRiEU, évêque de Westminster, dans la Colombie,
et M^' Clut, évoque auxiliaire dans le Mackenzie.
On comptait trente-cinq prêtres du diocèse et cinq
autres venus de divers endroits, savoir le R. P. Lejeune,
provincial, résidant à Montréal; le R. P. Lacase, l'apôtre
du Labrador, qui nous avait prêché la retraite, puis trois
autres accompagnant chacun son évêque. Les Frères
convers étaient au nombre de dix-neuf ; puis il y avait
quarante religieuses de différents ordres. Il ne manquait
que quatre Pères ; il en fallait bien pour garder aux
extrémités du diocèse. Quelques chefs sauvages avaient
été invités. Étaient présents : Peau-de-Belette, le chef
des Cr^s de la Montagne-d'Ours, avec trois conseillers,
un chef assiniboine et un autre chef cri. Le Corbeau-
Rouge, chef pied-moir, de la résidence où était M^"" Lé-
gal, a été retenu par la maladie.
La cérémonie commença à 9 heures et se termina à
midi. L'évêque consécrateur était M.«' Grandin, assisté
de W DuRiEU et de M^"" Clut. M^' Langevin était au
trône ; Sa Grandeur a donné le sermon.
Après la cérémonie, le dîner eut lieu dans la salle
d'école, qui était très bien décorée ; il dura environ une
demi-heure. Ici, les repas de gala sont bien simples : un
— 416 —
ou deux plats des plus modestes, puis de l'eau pour
breuvage. Aussi ne lève-t-on pas son verre aux toasts à
Saint-Albert, et pour cause ; car les verres ne contien-
nent jamais que de l'eau claire. Le vin est rigoureu-
sement et parcimonieusement réservé pour la sainte
messe.
Ms'' Légal demanda qu'on voulût bien lui permettre
de remercier l'évêqueconsécrateur et ceux qui l'avaient
assisté. Il rappela qu'il y a trente ans, il lui avait été
donné de rencontrer M^^'Grandin; que, dès lors, le dé-
sir de venir travailler dans ses Missions avait persé-
véré ; que la vénération conçue pour Sa Grandeur n'a-
vait fait que grandir depuis qu'il l'avait vue de plus près.
« Je n'aspirais, dit-il, qu'à travailler dans le coin le plus
obscur du diocèse, mais la voix de Monseigneur, à qui
les infirmités et les souffrances rendaient le fardeau de
plus en plus pesant, ayant fait appel à mon dévouement,
je ne pouvais rester sourd à cette voix et je devais lui
dire que ce dévouement, il l'avait tout entier. »
Il commenta ensuite ce passage de la Bible oh le
prophète Élie, sur le point d'être enlevé au ciel, veut
prendre congé de son fidèle disciple : a Celui-ci, sachant
ce qui doit arriver, s'attache de plus en plus à son
maître, et, quand ce dernier lui dit : « Restez ici, car le
Seigneur veut que j'aille jusqu'à Béthel ou Jéricho, »
Elisée répond par trois fois : (.< Je ne me séparerai pas de
vous. » Enfin, quand pourtant Élie doit être enlevé à
son disciple, il lui demande quelle faveur il désire. Elisée
lui répond : « Que votre double esprit repose sur moi. »
Je n'ai pas voulu trouver ici une analogie, ajoute Me'' Lé-
gal, mais un contraste. Monseigneur n'est pas sur le
point de nous quitter, et même le secours qu'il vient de
se donner permet d'espérer que nous le conserverons
encore longtemps. Que, pendant de longues années, il
— 417 —
me soit donné de profiter de ses conseils, de sa sagesse,
de son expérience, de m'édifier au spectacle de ses ver-
tus et de m'inspirer entièrement de son esprit! Lorsque
je parcourrai ce diocèse, si on pouvait dire : « C'est en-
core l'esprit de notre évêque qui agit en celui qu'il nous
envoie, » je m'estimerai bien heureux.
a Mes remerciements à notre vaillant métropolitain
qui défend avec tant de courage, d'ardeur et de généro-
sité, les intérêts sacrés de notre foi injustement mé-
connus (1) ;
« A Monseigneur de Westminster, que j'ai déjà ren-
contré sur les plages de l'océan Pacifique, au milieu de
ses bons sauvages chrétiens oh il m'avait paru comme le
type du missionnaire et du patriarche ;
« A Monseigneur d'Érindel (M^'' Clut) qui nous vient,
lui aussi, avec une couronne tressée de travaux nom-
breux, de pénibles souffrances de toutes sortes et de pri-
vations de tout genre, dans un pays et sous un climat
inhospitalier où les privations sont le pain quotidien du
missionnaire ;
« Merci à vous tous d'avoir bien voulu vous arracher
à de multiples occupations, parcourir de longues dis-
tances, vous soumettre à de dures fatigues pour être pré-
sents à cette cérémonie. C'est pour moi un honneur dont
le souvenir restera toujours gravé profondément dans
mon cœur. »
W" Grandin prit alors la parole pour répondre à son
coadjuteur :
« Vous me témoignez le désir, bien cher Seigneur, de
recevoir mon esprit ; je vous ai donné bien mieux et
(l) En ce moment, la franc-maçonnerie fait une guerre à outrance
à nos écoles catholiques que défendent si vaillamment les évêques à
la tête desquels se trouve Ms' Langevin, archevêque de Saint-Boni-
face.
— 418 —
beaucoup plus, puisque vous avez reçu par mon minis-
tère l'esprit de Dieu, J'ai été sacré par M^' de Mazenod
qui a été dans l'Église un grand et saint évêque ; mais il
a été plus que cela pour nous : c'est le Fondateur de
notre famille religieuse ; il a imposé les mains à bon nom-
bre d'évêques : je suis son Benjamin. Tout m'est venu
par ses mains, depuis la tonsure jusqu'à la consécration
épiscopale ; puissé-je vous avoir donné son double esprit,
esprit épiscopal et esprit religieux! Ses frères dans l'épis-
copat le regardaient comme un saint, comme un modèle
accompli, et lui-même me disait, peu de temps avant de
m'imposer les mains pour la dernière fois : « Je me suis
« efforcé d'être un bon évêque et je n'ai pas cessé pour
« cela d'être moins bon Oblat. » Il pouvait sans orgueil
me tenir ce langage. Soyons les fils de notre Père et nous
serons de saints évêques et de non moins saints Oblats.
« Sans prétendre être prophète, jugeant seulement
d'après les apparences, je viens vous dire à vous. Monsei-
gneur de Pogla, à vous mon frère, à vous mon fils, à vous
mon ami : Vous aurez de rudes et terribles combats à sou-
tenir, mais je puis ajouter: Ne craignezrien, Dieu est avec
vous. Vous avez pour devise: ynnow^^nei>o/n^n^; avancez,
cher Seigneur, combattez les bons combats. Vous avez un
bon maître qui combat dès le commencement et qui ne
connaît que la victoire. Courage donc, cher Seigneur,
et... ad multos annos. »
... Enfin, pour terminer, Peau-de-Belette fait entendre
quelques mots. Au nom des autres chefs, il remercie de
l'aimable invitation qu'on leur a faite; ils sont émer-
veillés de la cérémonie à laquelle ils viennent d'assister.
Il dit que sa famille a toujours été catholique.
« Lorsque j'étais tout enfant, mon père, dit-il, faisait
la chasse dans les montagnes Rocheuses ; ayant appris
qu'un prêtre allait arriver à Edmonton, il partit pour
— 419 —
venir le voir, mais arrivé en cette place, il apprit que ce
n'était pas un vrai prêtre, mais un ministre protestant ;
que, certainement, l'année prochaine, il allait arriver
un prêtre catholique. Mon père retourna aux montagnes
Rocheuses, et, l'année suivante, il amena toute sa famille
à Edmonton, oh M. Thibaud nous baptisa tous. Depuis
ce temps, je suis resté fidèle à la religion. «
Le soir, séance à l'école des Sœurs; les enfants ont
adressé des compliments à M^' Légal et ont joué quel-
ques petites pièces bien réussies...
c
NOUVELLES DIVERSES
Le R. P. AuGiER, Cassien, Visiteur général de Ceylan
et d'Australie, a dû s'embarquer à Colombo le 29 août,
pour rentrer en France.
— Le scolasticat d'Allemagne s'est installé dans sa
nouvelle résidence. C'est une partie seulement des bâti-
ments que doit comprendre l'édifice. Cette inauguration
a eu lieu le 15 août, par une cérémonie de dix oblations
perpétuelles. La fête était présidée par le R. P. Tatin,
Assistant général. Il remplaçait le chef de la famille,
retenu à Paris pour son état de santé.
— Le deuil causé dans la Sainte-Famille par la mort
de la T. R. Mère Marie-Raphaël Tignet, a pris fin, le
8 juillet, par la nomination de la T. R. Mère Marie-de-
la-Nativité Lionnet. La T. R. Mère Lionnet a été portée
à ce poste par le Conseil de Marie, à l'unanimité des suf-
frages. Celte élection a répandu une grande joie parmi
les membres de l'Association. La nouvelle directrice était
désignée d'avance par ses talents et ses vertus, et par les
services rendus à la Sainte-Famille durant de longues
années, soit à Bordeaux, soit à Royaumont.
MISSIONS
DE LA CON®AIIOH
DES OBIATS DE MARIE IMMACULEE
N° 140. — Décembre 1897
R. I. P.
Nos Pères et [Frères ont appris en son temps
la douloureuse épreuve qui vient de frapper notre
famille religieuse. Notre douleur a eu sa consola-
tion dans les grâces de sanctification et de paix
dont Notre-Seigneur a comblé les derniers jours
de notre bien-aimé Père général. Ce n'est point ici
le lieu de raconter longuement cette fin, ni cette
vie. Après avoir déposé un souvenir ému et un
suprême hommage de piété filiale sur la tombe de
notre Père, les Missions n'ont qu'à retracer, en
quelques traits, la carrière et la figure du troisième
Supérieur général de la Congrégation.
LE T. R. PERE LOUIS SOULLIER
Né à Meymac, dans la Corrèze, le 26 mars 1826, Jean-
Baptiste-Louis SouLLiER fut le second fils d'une famille
de huit enfants : cinq garçons et trois filles. Trois lui sur-
vivent : M. le chanoine SouUier, secrétaire général de
l'évêché de Tulle; M. SouUier, pharmacien à Lubersac,
et la sœur Louise-Marie, de la Sainte-Famille de Bor-
deaux, directrice de l'école des filles de Mériel (1) :
Au dire de M. le chanoine SouUier, Louis manifesta
d'abord peu de goût pour l'étude, mais plutôt, grâce à
l'exubérance de sa nature, beaucoup de dispositions
« pour les courses, les jeux et les amusements ». Ce qui
prouve une fois de plus que la turbulence du premier
âge n'est pas toujours l'augure d'une vie dissipée. Le
futur Général va le montrer bientôt. Entré à douze ans
au petit séminaire de Servières, ses talents et son appli-
cation s'y développent tellement, qu'il arrive à la pre-
mière place. Il la dispute, en quatrième et en troisième,
à un condisciple doué, lui aussi, de qualités brillantes,
et qui devait, un jour, devenir ministre, M. Brunet.
L'on travaillait ferme à Servières, et le pays lui-même
se prêtait au sérieux de la formation. « C'est dans un
vieux château qui avait appartenu à la famille de Noailles,
dans un site sauvage, sans voies de communication,
presque séparé du reste du monde, sur un pic dominant
les profonds ravins de la Dordogne, que nous avons
passé, écrit M . le chanoine SouUier, les plus belles années
(1) Elle recevait les palmes académiques le jour même où son frère
eipirait. Il y a deux ou trois ans, elle avait été décorée d'une mé-
daille de sauvetage.
— 423 —
de notre jeunesse. Ce lieu était très favorable aux études :
les vacances de Pâques et les congés extraordinaires
y étaient inconnus ; on travaillait constamment et sans
interruption pendant dix mois. »
L'enseignement des belles-lettres y était confié à des
humanistes distingués et délicats, dont l'un, auteur d'ou-
vrages littéraires très estimés, M. le chanoine Verniolles,
vit encore dans son cher séminaire.
Sa philosophie terminée, Louis Soullier voulut passer
son baccalauréat. C'était le temps du monopole univer-
sitaire, et les établissements ecclésiastiques ne pouvaient
point présenter de candidats aux diplômes officiels.
Louis ne se découragea point, se prépara tout seul dans
sa famille, « et fut reçu d'emblée » à la Faculté de
Limoges.
Le nouveau bachelier rentra au grand séminaire de
Tulle pour y commencer ses études théologiques. Il en
suivait le cours ordinaire lorsque, en 1848, se présenta
le P. LÉONARD, missionnaire oblat de l'Amérique du
Nord. C'était un apôtre de grand courage, d'humeur jo-
viale, d'une parole pittoresque, d'une nature sympa-
thique, séduisante même par sa cordiale bonhomie. Il
faisait alors, dans les grands séminaires, une tournée
qui peuplait le noviciat de sa Congrégation. A Tulle, le
premier fruit de son apostolat fut la conquête de l'abbé
Louis Soullier.
L'aspirant missionnaire entra peu après au noviciat de
Notre-Dame de l'Osier (Isère). Sa probation terminée, et
ses vœux prononcés le 17 février 1849, il acheva de se
préparer au sacerdoce auprès du fondateur de sa Con-
grégation, M»'' DE Mazenod, évêque de Marseille. Le
25 mai de l'année suivante, le jeune profès recevait la
prêtrise des mains du vénérable évêque.
Destiné d'abord au ministère des missions de France,
il s'y dépensa avec zèle et y obtint de beaux résultats.
Il parlait, nous disent des contemporains, avec l'autorité
d'un envoyé de Dieu. La dignité de son caractère et de
sa parole, l'esprit profondément surnaturel de ses actes
et de sa direction, inspiraient au clergé et aux fidèles
l'estime et la confiance.
C'est comme membre de la communauté de Nancy
qu'il inaugura cette vie apostolique. Il eut, dès cette
époque, l'honneur et la joie de concourir au relèvement
du sanctuaire de Notre-Dame de Sion, l'antique patronne
de la Lorraine.
Ces débuts ne tardèrent pas à le faire distinguer. On
remarqua la maturité précoce de son esprit, la rectitude
de son jugement, la pondération de son caractère; et,
après deux ou trois ans, malgré sa jeunesse, il fut nommé
Supérieur de la maison de Limoges. Il avait gagné, dans
la ville et dans le diocèse, la bienveillance et le respect
de tous, lorsqu'il revint à Nancy, en 1855, comme Supé-
rieur de cette maison, à laquelle se rattachait aussi la
résidence de Notre-Dame de Sion.
Sans négliger l'œuvre des missions en Lorraine, il eut
à cœur surtout le relèvement du sanctuaire de Notre-
Dame. Il seconda de tout son pouvoir le projet, formé
par ses missionnaires, d'ériger, sur la colline de Sion,
la magnifique tour où se dresse aujourd'hui cette statue
de la Vierge, dont les mains semblent envoyer au loin
leurs bénédictions. Pour la réalisation de ce projet, le
jeune Supérieur rédigea un rapport remarquable, publié
textuellement par Me' Menjeaud, évêque de Nancy, à la
suite d'une lettre pastorale.
Ces faits, et d'autres semblables, accrurent la confiance
des Supérieurs en la sagesse du P. Soullier. Dès 1858, à
trente-deux ans, il devient fondateur. Il établit d'abord
la communauté de Saint-Jean, à Autun, et l'évêque dt'
— 4-25 —
cette ville s'empresse d'écrire à M^' de Mazenod, pour le
remercier d'avoir donné au diocèse un Supérieur si digne.
Deux ans plus tard, nouvelle fondation dans la ville
d'Angers.
Après une année seulement passée en Anjou , le P. Soul-
LiER est nommé vice-provincial de la province du Nord ;
il reçoit en même temps une mission qui exige de spé-
ciales qualités de prudence et de tact. Depuis trois ans,
le Fondateur des [Oblats, Ms"" de Mazenod, et celui de
l'Association de la Sainte-Famille de Bordeaux, le saint
M. Noailles, avaient, par l'intermédiaire de Ms"" Guibert,
alors archevêque de Tours, et du cardinal Donnet, arche-
vêque de Bordeaux, et avec les encouragements d'une
grande partie de l'épiscopat français, affilié leurs familles
religieuses. A la disparition de l'abbé Noailles, sa suc-
cession devait passer au Supérieur général des Oblats,
lequel, de son côté, devait se faire représenter, auprès
de la Sainte-Famille de Bordeaux, par un pro-directeur.
Les deuxFondateurs étaient morts l'un etl'autre en 1861,
le premier pro-directeur venait de les suivre dans la
tombe; le P. Soullier fut alors appelé à [ce poste. Il y
déploya ses dons d'administrateur, et son action y fut
discrète, mais fructueuse.
Six ans plus tard, en 1867, il entrait dans les conseils
de l'administration comme premier assistant du Supé-
rieur général.
Ce fut la partie la plus active de sa longue carrière.
En y ajoutant les cinq années de son généralat, il devait
demeurer trente ans au service des mêmes intérêts.
Son influence y fut très considérable. Elle se manifesta
par des visites renouvelées dans presque toutes les Mis-
sions de sa société, en France, en Europe, en Afrique, en
Asie, en Amérique.
Ces visites produisaient le plus grand bien. Il y était
— 426 —
admirablement servi par sa mémoire étonnante des
hommes et des choses, par l'observation pénétrante et
prompte de son esprit naturellement investigateur. Le
prestige de son autorité, relevé encore par sa belle taille
et la dignité de sa démarche, était adouci par sa bonté
simple et accueillante. On lui obéissait d'autant mieux
qu'on le savait préoccupé uniquement des intérêts de
l'Église, de la propagation de la foi, et du bien de ses
Frères.
Les fruits de ces visites se continuaient par une vaste
correspondance dont le recueil formerait un ensemble
magistral. Tous les sujets d'administration ou de direc-
tion y sont traités : sans prétention ni emphase ; briève-
ment et à fond, mais avec clarté ; dans une langue digne
de nos meilleurs écrivains, nourrie et sobre, dont chaque
phrase est pleine, dont chaque mot rempUt sa place,
sans répétition ni épithètes superflues.
Les grandes qualités du T. R. Père Soullier ne res-
tèrent pas cachées au sein de sa Congrégation. Son an-
cien condisciple, M. Brunet, devenu ministre, se souvint
de leurs joutes littéraires, et pour témoigner à son rival
d'autrefois son estime et son affection, il lui offrit à deux
reprises l'épiscopat. Le Père Soullier eût assurément
fait un grand évêque, et on l'eût placé sans doute, par
parenté d'âme, à côté de son frère en religion, le car-
dinal GuiBERT, qui avait d'ailleurs pour lui la plus haute
estime. Le religieux missionnaire préféra demeurer dans
la modestie de sa vocation première ; mais lorsque ses
voyages et ses fonctions l'eurent mis en contact avec la
plus grande partie des évêques français de ces quarante
dernières années, comme aussi avec de nombreux évê-
ques du monde entier et avec la cour de Rome elle-
même, l'on peut dire que partout il avait su conquérir
l'estime et la sympathie.
— 427 —
Son généralat fut la continuation de ses travaux anté-
rieurs, mais avec le poids de la responsabilité suprême*,
avec plus de vigilance encore pour l'observance de la
Règle, avec plus de dévouement, s'il était possible, pour
le développement des œuvres. Durant quatre années
trop courtes, il accrut le nombre des maisons de sa so-
ciété, établit un nouveau noviciat en France, dans cette
maison d'Angers qu'il avait fondée jadis, un autre en
Espagne, un troisième en Belgique; il constitua la pro-
vince d'Allemagne, et enfin deux maisons en Australie.
Il voulut aussi visiter de nouveau les provinces et les
vicariats de sa Congrégation aux États-Unis et au Ca-
nada. C'était la première fois qu'un Supérieur général
des Oblats visitait ces missions. Ce fut un véritable
triomphe pour l'Église catholique et ses modestes mis-
sionnaires. Outre le Canada et une partie des Etats-
Unis, le visiteur parcourut ce vaste Nord-Ouest cana-
dien, 011, en cinquante années, le zèle de ses frères a su
créer une province ecclésiastique de cinq diocèses. Tous
les évêques et la grande majorité du clergé y étaient
alors pour le Père Soullier des frères ou des fils. Sur
différents points, ils organisèrent d'importantes réunions
de sauvages, et la vue de la grande robe noire, comme
disaient les Indiens, frappa vivement l'imagination de
ces peuplades.
Revenu d'Amérique, le Supérieur Général visita de
nouveau ses œuvres d'Europe, et trois ans plus tard la
maladie l'arrêta. Il la traînait depuis plusieurs mois avec
lui ; elle ne le terrassa qu'à la fin, et il ne fut alité que
près de trois semaines.
Tout entier à son ministère d'apostolat et de direction
religieuse, il s'était peu livré au mouvement extérieur
de la vie contemporaine. Il l'observait cependant, et il
aima toujours à se rendre compte de l'état des esprits,
— 428 —
comme de tout. Il se mêla indirectement aux affaires
publiques, lorsqu'il fit partie du comité de religieux qui
prépara les communautés aux expulsions. Déterminant
une même ligne de conduite pour tous, celte assemblée
contribua, comme le disait le P. Soullier lui-même, à
donner, aux victimes de la persécution, cette dignité et
cette uniformité d'attitude qui imposèrent le respect.
A part cette exception, il s'en tint à peu près exclusi-
vement à ses œuvres intérieures. Il était, nous l'avons
dit, de l'école du cardinal Guibert, bien qu'avec une
activité plus étendue. S'il aimait l'action, il n'aimait
point le tapage. C'était un homme de raison plus que
de sentiment. Les beaux entraînements et l'ardeur im-
pétueuse de certains le laissaient quelque peu sceptique.
Il avait vu trop de congrès et entendu ou lu trop de dis-
cours. Il comptait avant tout sur l'assistance du ciel, sur
l'influence d'un zèle vraiment sacerdotal, sur l'action
lente mais profonde des œuvres paroissiales, et il croyait
que prêtres, religieux, laïques, devaient surtout porter
de ce côté leur énergie et leur dévouement. En somme,
n'est-ce pas là notre meilleure force? — Il visait aux
effets plus qu'aux paroles ou aux attitudes, et quant à la
politique, s'il tenait à la suivre, il avait pour elle le plus
parfait dédain. « Cela fait pitié, disait-il parfois, cela fait
compassion. Il n'y a là rien de grand. »
Avons-nous besoin d'ajouter que, donnant aux siens
l'exemple de la discipline et de l'obéissance, il se rendait
de tout cœur, non pas seulement aux ordres ou aux
conseils, mais aux moindres désirs du Souverain Pon-
tife. Il vénérait le Siège apostolique, et nulle part il ne
trouva plus de force ni de consolation que dans les con-
seils et les encouragements de Léon XIII. Il attribuait
les fruits de son gouvernement religieux et du zèle de
ses missionnaires à la bénédiction du Vicaire de Jésus-
- 429 —
Christ. Aussi, combien son émotion fut touchante lors-
qu'il reçut, sur son lit d'agonie, la bénédiction aposto-
lique!
Cette vénération était pour lui l'une des formes de la
religion et l'une des vertus sacerdotales qu'il s'appliquait
à développer en lui. Il fut, en effet, éminemment prêtre,
et il en eut la marque, qui est l'esprit de piété et de
zèle : le zèle d'un grand cœur, pour le règne de Dieu
dans les âmes et la diffusion de l'Évangile ; une piété
simple, mais profonde et qui pénétra toute sa vie, de
telle sorte que son existence entière fut un continuel
hommage rendu à Dieu. Son activité trouvait là son
principe, et aussi sa limite, car jamais les travaux exté-
rieurs ne lui ravirent le recueillement, ni ne lui firent
sacrifier ses devoirs de prière ou de méditation. Il resta
toujours homme de Dieu. Il y paraissait dans son com-
merce et dans ses conversations. Non pas qu'il fît de ces
dernières des conférences spirituelles et qu'il ne sût
trouver ou procurer aux autres, par le charme de ses
récits, le pittoresque de ses anecdotes, l'humour de ses
réflexions, le délassement nécessaire. Il posséda un sens
exquis de ce qui convient. Aussi conserva-t-il toujours
ce qui fut le caractère de sa vie : une dignité simple et
une distinction naturelle.
Ses relations étaient aisées, son abord était facile, et
alors même que les devoirs de sa charge lui imposaient
la sévérité, il savait faire sentir une tendresse paternelle,
prête à devenir de la miséricorde et de l'indulgence. Il
avait à l'occasion des délicatesses touchantes pour les
plus humbles. Lorsqu'il s'occupait du plus modeste des
frères convers, il semblait n'avoir pas d'autre sollicitude
que celle-là, et il se prêtait avec complaisance à toutes
les questions.
Cette bonté passait dans son autorité ; son comman-
~ 430 —
dément était doux, bien que ferme, et s'il n'y avait pas,
d'habitude, à revenir sur les décisions prises, il savait
les adoucir au besoin par le tact, par l'affection, même
par une diplomatie de bon aloi, et toujours par des con-
sidérations surnaturelles. Du reste, il pesait tout d'avance
et ne prenait une mesure qu'après l'avoir mûrie, sachant,
par sa patience, faire entrer l'action du temps dans ses
combinaisons. Ses habitudes de réflexion se manifes-
taient bien lorsqu'il dictait ses lettres. 11 allait lente-
ment, mais d'un premier jet, sans se reprendre, et sans
obliger le secrétaire à une seule rature.
En un mot, il y eut dans ses facultés un ensemble rare
de souplesse et d'énergie, d'activité et de calme. Il fit
des œuvres multiples, il fut toujours posé. Malgré ses
voyages et ses préoccupations, il sut assez retenir son
âme au dedans de lui-même pour se donner une vie in-
térieure aussi intense que sa vie extérieure paraissait ré-
pandue, et il allia merveilleusement la prière à l'action.
Son secret fut de se tenir uni à Dieu comme à son
centre.
C'est pourquoi il accueillit la mort, comme il avait
accepté les travaux et les épreuves de la vie, en disant :
Dominus est! C^est le Seigneur! Il s'acquitta de cette
tâche suprême, comme de toutes, avec la même con-
science de remplir un devoir et d'édifier sa double fa-
mille religieuse, avec la même dignité sereine.
Nous ne saurions mieux dire ici que son vénérable
directeur spirituel : « Dès qu'on lui eut annoncé qu'il
fallait songer à la mort, notre Bon Père Général se para
en quelque sorte de sa dignité habituelle aux grandes
circonstances et attendit silencieux et recueilli l'inexo-
rable visiteuse. Il m'a paru à la fois simple et grand
durant tout le cours de sa maladie. Simple comme un
enfant vis-à-vis de ceux qui lui prodiguaient ses soins,
— 431 —
ne refusant rien, acceptant tout, disant toujours : comme
vous voudrez; il était aussi magnanime dans la souf-
france et les exigences du mal. » Le vénéré malade reçut
en pleine connaissance les secours de l'Eglise. A ce mo-
ment suprême, il s'humilia devant ses enfants réunis,
et, avec des accents qui nous arrachaient des larmes, il
implora le pardon et l'assistance de Dieu. Il garda son
intelligence jusqu'à la fin. La maladie fit lentement
l'œuvre de mort, mais sans souffrances aiguës, et l'ago-
nie fut douce. Au matin du 3 octobre, cette belle âme
s'exhala sans violence en poussant trois soupirs que re-
cueillait Notre-Dame du Rosaire. Le mourant était mis-
sionnaire Oblat de Marie; sa parole et sa plume avaient
fait aimer la Très Sainte Vierge : cette bonne Mère le lui
rendait à cette heure.
Les funérailles eurent le caractère qui convenait à
l'humble religieux et au missionnaire des pauvres. Elles
furent solennelles dans leur simplicité, et d'une piété
recueillie. Célébrées le 5 octobre, elles furent présidées
par Son Érainence le cardinal Richard. M^"^ Balaïn était
accouru, malgré les fatigues d'une nuit de voyage. Dans
l'assistance d'élite qui remplissait notre chapelle, on
remarquait cinq généraux de congrégations et des re-
présentants des diverses sociétés religieuses. La maî-
trise du Sacré-Cœur exécuta avec piété et goût les chants
liturgiques et pourvut aussi, par ses enfants de chœur,
au service de l'autel.
Un long cortège de Pères, de Sœurs, de fidèles accom-
pagna la dépouille de notre Père à notre caveau de fa-
mille, au cimetière Montmartre. L'ouvrier infatigable y
repose maintenant dans la paix du Seigneur.
M. Devès, g. m. i.
MISSIONS ÉTRANGÈRES
POUILLEUX ET FOSSOYEUR
ou
SOUVENIR DE LA CONSÉCRATION ÉPISCOPALE DE MB"" EMILE LEGAL
Évêque de Pogla et coadjuteur de Saint- Albert
Par le R. P. H. Leduc.
A u Très jRévérend Père Su/jérieur général.
Edmonton, 15 août 1897.
Pour obéir à la demande qui m'a été faite par
S. Gr. Me'' Grandin et par son conseil, j'ai entrepris de
grand cœur le travail ci-joint, que j'ai le plaisir et l'hon-
neur de vous adresser.
Il est bien imparfait, sans doute, mais vous le recevrez
avec une charitable indulgence. Puisse-t-il vous être
agréable et contribuer à intéresser un peu )e lecteur,
quel qu'il soit, à nos chères missions de Saint-Albert,
dans ces immenses territoires du Nord- Ouest cana-
dien.
I. NOMINATION DE Ji^' LEGAL, ÉVÊQUE DE POGLA
ET COADJUTEUR DE SAINT-ALBERT.
Le R. P. Leduc cite d'abord le mandement par lequel
le vénérable évêque pouilleux, de Louis Veuillot, annonce
à son diocèse la nomination et la consécration de l évêque
fossoyeur, un titre dont on verra la signification. Nous
avons déjà reproduit les touchantes pages de M^*" Grandin.
Nous n'y reviendrons pas.
— 433 —
II. PRÉPARATION AU SACRE.
Depuis le jeudi 10 juin, tout le clergé régulier et sé-
culier du diocèse de Saint-Albert est plongé dans les
saints exercices de la retraite annuelle à laquelle pren-
nent part plus de trois cents Oblals de Marie-Immaculée
et quatre prêtres séculiers.
On voit à leur tête le vénérable évêque de Saint-Al-
bert, M^' Grandin. Malgré son état de souffrance conti-
nuelle, il donne à tous l'exemple de l'humilité, de la
piété et de la régularité la plus parfaite. Pendant ces
jours bénis, il s'oublie lui-même pour diriger, consoler,
encourager ses prêtres et ses frères en religion. Il prie
avec ferveur pour celui que l'Esprit Saint a choisi pour
être le bâton de sa vieillesse et sa grande consolation
pendant les dernières années de sa longue carrière épis-
copale.
M»' Légal, évêque élu de Pogla, coadjuteur de Saint-
Albert, est là aussi se préparant, dans le silence et la
prière, à recevoir bientôt la plénitude du sacerdoce des
mains de M^"" Grandin lui-même.
Avec une charmante simplicité, une franchise toute
apostolique, une toute cordiale charité fraternelle, le
R. P. Laçasse, prédicateur de la retraite, rompt, trois
fois par jour à son sympathique auditoire, le pain de la
parole de Dieu.
Mais, laissons un instant les heureux retrailantsjouir,
pendant ces jours bénis, des grâces de choix que le cœur
de Jésus leur répartit si généreusement. Pour nous,
retournons à Edmonton y faire les offices de Marthe. Dieu
le veut, que sa sainte volonté soit faite !
— 434 — *
III. ARRIVÉE DES INVITÉS A EDMONTON.
Nous sommes au lundi 14 juin. Toute notre chère po-
pulation catholique est sur pied. Drapeaux et oriflammes
flottent au gré du vent sur tous nos établissements reli-
gieux et sur les habitations privées de nos braves chré-
tiens. La musique instrumentale de la ville d'Edmonton
est réunie sur les rives de notre belle Saskatchewan, et
les dames catholiques de la ville ont voulu préparer un
véritable banquet à la résidence des RR. PP. Oblats,
pour les nobles visiteurs impatiemment attendus.
Sur la ligne du chemin de fer de Calgary à Edmonton,
la locomotive dévore l'espace, elle approche, elle arrive
et nous saluons leurs Grandeurs M6'"Lange'vtn, archevêque
de Saint Bonif ace, et M^'' Durieu, évéque de New-West-
minster. Ils sont accompagnés du R. P. Lefebvre, Oblat
deMarie Immaculée, provincial du Canada, du R. M. l'abbé
Messier, curé de la cathédrale de Saint-Boniface, du
R. P. Lacombe, le guide émérite de toutes les grandes
excursions religieuses sur le Pacifique canadien.
Des députations de nos excellentes religieuses, auxi-
liaires si dévouées de nos œuvres de zèle et de charité
dans le diocèse de Saint- Albert, viennent aussi prendre
part à la grande fête de jeudi. Mentionnons d'abord les
bonnes Soeurs deCharité de Nicolet. N'ont-elles pas droit
aujourd'hui à la place d'honneur ? Depuis longtemps
déjà elles travaillent sans compter, à la conversion des
Pieds-Noirs, qu'elles gagnent à la foi par leur admirable
charité, dans l'hôpital sauvage de la réserve des Gens du
Sang. Depuis cinq ans, elles donnent le plus dévoué
concours au zèle du missionnaire Oblat de Marie Imma-
culée, qu'elles ont appris à estimer, vénérer comme un
apôtre. Et n'est-ce pas ce missionnaire des sauvages,
humble, modeste, caché aux yeux du monde, que le Saint-
— 43S —
Esprit a été choisir pour l'élever à la dignité de prince
de l'Église ? N'est-ce pas ce missionnaire encore qui, le
matin même du jour oti il apprenait son élévation à
l'épiscopat, avait enseveli de ses propres mains le ca-
davre d'un pauvre sauvage, dont il avait fabriqué lui-
même le modeste cercueil et creusé la fosse?
A vous, mes Sœurs, la première place aujourd'hui.
Vous pouvez être fières de votre Père et présenter à
Më' Légal l'anneau symbolique de son union avec l'Église
confiée à sa sollicitude pastorale.
Vous aussi, bonnes Sœurs de Charité, dites Sœurs
grises de Montréal, vous les premières à la peine dans ces
Missions du Manitoba et de l'immense Nord-Ouest Ca-
nadien ; fidèles Compagnes de Jésus, religieuses modèles,
si dignes du beau nom que vous portez ; excellentes
Sœurs de l'Assomption, les plus récemment établies dans
ces pauvres et tant aimées Missions, mais ne le cédant
en rien à vos devancières en fait de zèle et de dévoue-
ment, venez à la consécration épiscopale de votre bien
cher et bien-aimé Père Me"" l'évèque de Pogla, toutes vous
avez droit à sa première bénédiction.
Cependant des voitures nombreuses ont été mises à
notre disposition par nos chers catholiques. Canadiens
et Irlandais rivalisent de bonne volonté et d'empresse-
ment pour transporter nos illustres voyageurs de la gare
à notre résidence.
La Saskatchewan est bientôt franchie sur un bac primi-
tif et légendaire, qui doit être enfin remplacé par un su-
perbe pont que le gouvernement fait construire. Escortés
par la musique instrumentale, qui exécute avec entrain
ses plus beaux airs de fête, nous arrivons à notre petite
église en planches, provisoire et modeste au plus haut
degré, j'aurais dû dire provisoire en permanence; car,
depuis quinze ans que dure ce provisoire, les ressources
- 436 —
absolument nécessaires pour le faire cesser ont fait et
font encore défaut. Pourtant, je ne voudrais pas mourir
avant d'avoir bâti ici une église au moins convenable.
Mon ambition est de bâtir quelque cbose de bien et de
solide, en rapport avec les besoins de notre population
et de l'importance que prend cette nouvelle ville d'Ed-
monton. Je souffre trop de voir les ministres de l'erreur
se glorifier de leurs temples hérétiques, auxquels ils peu-
vent avec dédain comparer notre pauvre bicoque catho-
lique. Il est vrai que, depuis quelques mois, ce dédain se
change en véritable stupéfaction. Ils ne peuvent com-
prendre comment nous avons pu bâtir le beau couvent
des Fidèles Compagnes de Jésus, le vaste et superbe hôpi-
tal des Sœurs de Charité, notre trop petite mais bien
convenable résidence. Bientôt, se disent-ils, ces mis-
sionnaires catholiques vont, sans doute, construire une
église qui reléguera bien loin les nôtres à l'arrière-plan.
Je l'espère et le désire de tout mon cœur. Mais, que
faire, quand nos établissements de charité et d'éducation
sont déjà grevés de plus de 150000 francs de dettes !
Sans plus d'explications inutiles, je m'adresse donc à
toutes les âmes pieuses et dévouées qui liront ces lignes
et je les supplie de m'envoyer leur obole. Ma constitu-
tion, ruinée après trente-trois années de mission, ne me
permet pas d'espérer de fournir maintenant une bien
longue carrière. Que je voie, avant de mourir, cette nou-
velle église projetée, ouverte au culte divin, le 8 dé-
cembre 1899, trente-cinquième anniversaire de ma pre-
mière messe et j'entonne de grand cœur mon Nunc di-
mittis.
Mais je reviens à nos vénérables visiteurs, que j'ai lais-
sés tout à l'heure, sans trop de façon, à la porte de mon
église, toujours obstinément provisoire. On dirait que
j'ai eu honte de les y introduire. Tout y est pauvre et
I
— 437 —
plus que modeste, c'est vrai, mais tout y est digne et
convenable. Les Sœurs Fidèles Compagnes de Jésus en
ont la charge, inutile de chercher une autre explication
de l'ordre et de l'exquise propreté qui y règne. L'autel
est paré comme aux plus grands jours de fête, les fidèles
de toute langue et de toute nationalité remplissent
l'édifice , le chœur entonne VEcce sacerdos magnus ,
pendant que NN. SS. les évoques vont s'agenouiller
aux prie- Dieu qui leur ont été préparés. Puis deux
représentants de notre population catholique de langues
française et anglaise d'Edmonton, MM. Geo. Roy et
N. D. Beck, présentent chacun une adresse dans leurs
langues respectives :
A Sa Grandeur Monseigneur L. -P. Adélard Langevin^
archevêque de Saint-Boni face.
Monseigneur,
Votre arrivée dans cette partie éloignée de votre pro-
vince ecclésiastique remplit d'allégresse le cœur de tous
les paroissiens de Saint -Joachim d'Edmonton. Aussi
toute la population catholique de cette ville se fait un
devoir et un bonheur de venir saluer en vous le repré-
sentant, au milieu de nous, du vénéré et saint vieillard
du Vatican et vous renouveler l'assurance de notre sin-
cère attachement, de notre profonde gratitude et de
notre affection filiale.
Combien aussi nous sommes heureux de souhaiter la
bienvenue aux distingués visiteurs qui vous accompa-
gnent et qui ont bien voulu, par leur présence, rehausser
l'éclat de cette fête.
Vous avez d'autant plus droit. Monseigneur, à ces
manifestations et à ces hommages, que, dans ces jours
de tristesse que nous traversons, vous vous êtes jeté dans
T. XXXV. 30
— 438 —
la mêlée pour nous encourager, par votre parole élo-
quente et par vos actes, à vous suivre dans les bons
combats.
Qu'il nous soit permis, Monseigneur, au nom de la
population d'origine française, en contemplant cette
auguste réunion, en vous voyant entouré de ces vénérés
prélats, de ces dévoués missionnaires, dont la vie s'est
passée au milieu des fatigues, des privations de toute
sorte, marchant sans relâche, sans jamais regarder en
arrière, à la conquête des âmes ; qu'il nous soit permis,
disons-nous, de vous exprimer combien les catholiques
d'origine française sont fiers, en ce moment, d'apparte-
nir à celte race de cette terre classique du dévouement
et de l'apostolat. Oui, c'est ici, comme pour le reste du
monde, le Gesta Dei per Francos.
Les premiers explorateurs de tous ces immenses ter-
ritoires ont été des Français. Laverandrye, un des ancê-
tres de votre illustre prédécesseur (ce saint prélat dont
on pleurera longtemps la perte), le premier, remonta
cette Saskatchewan, dont les eaux baignent les rivages
de notre jeune ville et prit possession de ce pays au nom
du Dieu crucifié, en même temps qu'il y arborait le
drapeau fleurdelisé ; les premiers , des missionnaires
français et canadiens ont arrosé de leurs sueurs ces
vastes solitudes.
Constituit eum super familiam suam. Monseigneur, vous
comptez au nombre de vos sufTraganls, notre vénérable
et saint évêque de Saint-Albert. lia supporté le poids du
jour et de la chaleur ; mais combien il doit se réjouir ; il
va en ce jour oublier ses longues années de fatigues,
tous ses jeûnes forcés, toutes les anxiétés de ses longs
voyages, car son vœu est enfin exaucé. Quelqu'un lui est
donné pour le seconder dans son travail, pour le bien
du troupeau confié à ses soins. M^' de New-Westminster,
— 439 —
si zélé et si aimé de ses admirables sauvages ; M^'' Pas-
cal, le digne vicaire apostolique de Saskatchewan ;
NN. SS. les évêques Grouard et Clut, les dévoués
vicaires apostoliques d'Athabaskaw-Mackenzie; quelle
famille de zélés et saints apôtres !
Monseigneur, la congrégation de la Mission de Saint-
Joachim d'Edmonton se compose de plusieurs nationa-
lités parlant différentes langues ; mais nous ne formons
qu'une famille, et je suis sûr d'exprimer le vœu una-
nime de la population en priant le Tout Puissant qu'il
daigne vous accorder, ainsi qu'à vos dignes suffragants,
ses bénédictions les plus abondantes et de longues an-
nées pour le bien de l'Église, pour notre consolation et
pour le plus grand avantage de tous ceux qui sont con-
fiés à votre sollicitude.
M^'' de Saint-Boniface répond et remercie, et sa pa-
role aimée trouve tout de suite le chemin des cœurs.
Le Très Saint Sacrement est alors exposé. Tous nous
nous prosternons aux pieds du Dieu-Eucharistie, nous
adorons, nous supplions, nous aimons. Jésus nous bénit
et nous nous rendons joyeusement de l'église à la mai-
son où les voyageurs ont besoin de réparer un peu les
fatigues du voyage. Il est 9 heures du soir lorsque nous
nous asseyons à la table du festin si généreusement et si
cordialement préparé par nos dames catholiques, heu-
reuses de contribuer ainsi à l'honneur et au support de
la Mission.
Le lendemain matin, à 5 heures sonnantes, le signal du
réveil est impitoyablement donné; archevêque, évêques,
prêtres religieux, missionnaires Oblats de Marie Imma-
culée, prêtres séculiers, tous obéissent au signal, et, un
quart d'heure plus tard, se rendent à la chapelle privée
de la maison pour la prière et la méditation. Vient en-
— 440 —
suite la célébration du saint sacrifice de la messe ; puis
tous nous nous rendons à l'hôpital général, où nos
bonnes Sœurs de Charité font, avec tant de délicatesse,
l'honneur de leur maison. Les malades sont visités et
bénis par NN. SS. les évêques, qui adressent à chacun
des paroles d'afFectueuse sympathie, d'encouragement
et de douce consolation. Peu après, nous sommes au
couvent des Fidèles Compagnes de Jésus. Les salles de
classe sont parfaitement décorées, et les enfants, tout
heureux de la grande visite qui leur est faite, nous don-
nent une fois de plus la preuve de l'excellente éducation
qu'ils reçoivent de ces religieuses si dignes et si dé-
vouées. Non, leurs écoles, quoi qu'en disent nos enne-
mis, ne le cèdent en rien aux écoles publiques du
gouvernement, et leurs enfants, toutes choses égales
d'ailleurs, peuvent défier toute compétition.
IV. ARRIVÉE A SAINT-ALBERT.
Il est maintenant 6 heures du soir. Nos bien-aimés
visiteurs prennent place dans les voitures, et nous faisons
route pour Saint-Albert. A 7 heures et demie, nous som-
mes en vue de la modeste cathédrale en bois et de la
vaste résidence en planches, décorée du nom de palais
épiscopal. Les cloches sonnent à toute volée et nous
apercevons sur la rive opposée de la rivière Esturgeon,
qui coule au pied de la Mission, le vénérable Me"" Gran-
DiN, accompagné de S. Gr. l'évêque de Pogla, M^' Lé-
gal, et de tous les heureux retraitants. Ils ont interverti,
ce soir, le règlement traditionnel, et la récréation a été
sensiblement prolongée.
Cependant , nous avons gravi la colline de Saint-
Albert. A peine sommes-nous descendus de voiture que
déjà archevêque, évêques, Oblats, prêtres, religieux,
sont reçus dans les bras de M^'^ Grandin et de son digne
— 441 —
et bien-aimé coadjuteur. L'instant d'après, nous sonfimes
aux pieds de Notre-Seigneur, à la chapelle de l'évêché,
où nous épanchons nos cœurs joyeux et reconnaissants
dans le cœur de Jésus, Puis les exercices de la retraite
reprennent leur cours et tout rentre dans le saint re-
cueillement de la prière et du silence.
Nous sommes maintenant au 16 juin. Le signal du ré-
veil est donné. De nouveau, nous sommes au pied des
saints autels, dont bientôt nous allons gravir les degrés
pour y offrir l'adorable victime et renouveler tous en-
semble, nous heureux Oblats de Marie Immaculée, nos
vœux mille fois bénis de pauvreté, de chasteté et d'obéis-
sance pour la vie, ainsi que notre serment de persévérer
jusqu'à la mort dans cette famille religieuse et bien-
aimée dont nous sommes les enfants. La messe d'obla-
tion est dite par S. Gr. M^'' Langevin, le vaillant ar-
chevêque de Saint-Boniface. Dans une touchante et
éloquente allocution sortie de son cœur d'évêque, de
Père et d'Oblat,il ravive en nous l'amour de notre sainte
vocation, le zèle de notre propre sanctification et du
salut des âmes, le feu de la divine charité fraternelle,
cachet du véritable Oblat de Marie Immaculée. Il nous
fait entrevoir les grandes solennités du lendemain et
nous fait aimer davantage encore, s'il est possible, cet
apôtre des Pieds-Noirs, ce missionnaire, si modeste et
si digne qui, demain, recevra la plénitude du sacerdoce.
S. Gr. M^'' l'archevêque se prosterne ensuite au pied
du Saint Sacrement, et, le premier, renouvelle du fond
du cœur ses vœux de religion. M^"^ Grandin, le modèle
parfait du religieux, répète à son tour la formule de son
oblation et renouvelle ses vœux, qu'il a si bien gardés.
M^'" de Pogla vient ensuite, à la veille de sa consécra-
tion épiscopale, protester qu'il est et qu'il restera tou-
jours Oblat de Marie Immaculée, donnant jusqu'à la
mort l'exemple de fidélité aux moindres prescriptions
de nos Saintes Règles, et se dévouant sans mesures au
bien de la Congrégation, sa mère. Enfm, tous les Pères
et Frères présents se succèdent tour à tour aux pieds de
Notre-Seigneur ; tous redisent avec amour : ... Voveo
paupertatem, castùatem et obedientiam perpetuam, pa-
riier jurejurando voveo ad mortem usque perseveraturum,
in Sancto Instituto et in Societate Missionariorum Oblato-
rum Sanctissimx et Immacidatœ Vtrginis Mariae. Sic Deus
me adjuvet. Amen. Et le cantique d'action de grâces :
Te Deum laudamus, Te Dominum confitemur... s'échappe
de tous les cœurs, Dieu-Eucharistie nous a bénis ; Marie
nous reconnaît pour siens, et, avec elle, nous entonnons
son admirable cantique : Magnificat anima mea Dominum,
quia fecit mihi magna qui potens est et sanctum nomen
ej'us.
La retraite annuelle est terminée, nous nous inclinons
encore une fois sous la main bénissante de nos vénérés
évêques, Oblats de Marie, pour nous donner ensuite, les
uns aux autres, la plus fraternelle accolade : Ecce quant
bonum et jucundum habitare fralres in unum.
Nous sommes maintenant à la veille du grand jour.
M^' Légal peut dire maintenant, plus que jamais: Para-
tum cor meum, Deus, par atum cor meum. La journée tout
entière est consacrée par nous aux préparatifs immé-
diats du sacre. Dans l'après-midi, nous avons le bonheur
de voir arriver M^' Clut, accompagné du R, P. Demarais.
Ils arrivent du petit lac des Esclaves, voyage pénible de
plus de 300 milles, partie en canot, partie en voiture.
Il leur a fallu dix jours de fatigues considérables pour
franchir cette distance. M^'' Durieu, le si digne évêque de
New-Westminster, dans la Colombie Britannique, avait
dû rester hier à Edmonton, retenu par la maladie, suite
des fatigues d'un long et pénible voyage, fait tantôt en
— 443 —
bateau, tantôt à dos de cheval. Il nous arrive aujourd'hui
aussi encore fatigué, mais bien moins souffrant. Nous
espérons que demain il sera tout à fait rétabli ; du fond
du cœur nous le demandons au bon Dieu.
V. CONSÉCRATION.
il juin. — C'est aujourd'hui la belle et douce fête du
Très Saint Sacrement, la grande Fête-Dieu, disent nos
chers catholiques d'origine française, la fête du Corpus
Christi, disent encore nos chers chrétiens de langue an-
glaise. Cher Monseigneur Légal, ce jour pouvait-il être
mieux choisi pour votre consécration épiscopale, vous,
dont les dix-huit dernières années ont été employées, avec
un zèle si touchant et si modeste, à faire connaître Jésus-
Christ aux infidèles sauvages de la nation des Pieds-
Noirs ! Dans sa magnifique circulaire annonçant votre
élection, M^'" Grandin vous appelait du nom de sacrifié.
Il avait grandement raison, et c'est aujourd'hui que
vous allez être réellement sacrifié plus que jamais, pour
vous dévouer, vous dépenser, vous user au service de
l'Église, de l'Église de Saint-Albert surtout, dont vous
allez partager, dès maintenant, la sollicitude avec notre
bien-aimé et saint évêque. Courage, Monseigneur, vous
êtes l'élu de Dieu, et le choix unanime de tous vos Frères
Oblats de ce vaste diocèse. Comptez sur notre dévoue-
ment, notre respect affectueux et notre parfaite obéis-
sance.
La modeste cathédrale de Saint-Albert est superbe-
ment décorée, et malgré la pluie qui tombe abondam-
ment, elle se remplit si bien, que si le temps eût été
beau, au moins 60 pour 100 de ceux des Missions envi-
ronnantes, qui se faisaient un bonheur de venir prendre
part à la fête, n'auraient pu pénétrer dans l'enceinte de
l'église.
— 444 —
M^"" l'archevêque, notre bien-aimé métropolitain, prend
place au trône avec ses assistants. Il lui appartenait,
sans doute, hiérarchiquement parlant, de donner lui-
même la consécration épiscopale au nouvel élu. Mais
son cœur a deviné la consolation qu'éprouverait le véné-
rable évêque de Saint-Albert, en consacrant lui-même
son bien cher coadjuteur, et M^"" Langevin a voulu lui
laisser cette consolation bien méritée. M^'' Grandin est
donc l'évêque consécrateur, assisté de NN. SS. Durieu,
évêque de New-Westminster, et Clut, évêque d'É-
rindel.
La grande et majestueuse cérémonie s'ouvre par la
lecture du mandat apostolique, créant le 11. P. Emile
Légal, évêque de Pogla, coadjuteur de Saint-Albert, et
l'élu prête immédiatement le serment prescrit par le Pon-
tifical, suivi de sa profession solennelle de Foi. L'au-
guste sacrifice de la messe est commencé ; pasteurs, prê-
tres et fidèles s'unissent du plus intime de leur âme au
pontife consécrateur pour appeler sur le nouvel évêque
toutes les grâces de l'Esprit-Saint, et demander pour lui
la force et le courage dont il aura tant besoin dans la
redoutable charge qui va lui être imposée. « Nos autem
m nomine Domini », nous a-t-il déjà répondu. De moi-
même je ne puis rien, dit-il avec le grand Apôtre des
gentils, mais je puis tout en celui qui me fortifie : Omnia
possum in eo qui me confortât. Conduit par NN. SS. de
New-Westminster et d'Erindel à la chapelle qui lui a
été préparée, il se revêt des ornements pontificaux, et
comme au jour de son sous-diaconat, de son diaconat et
de sa prêtrise, il vient se prosterner au pied du saint
autel. Sainte Marie, mère de Dieu ; saint Michel, prince
de la milice céleste ; saint Joseph, roi des patriarches ;
saints apôtres, saints et saintes de Dieu, priez, intercédez
pour lui, et le pontife consécrateur se lève, gravit les
- 445 —
degrés de l'autel, il bénit, il sanctifie, il consacre. Ut
hune electum benedicere et sanctificare et consecrare digne-
ris, te rogamus, audi nos. Le livre des saints Évangiles
est ensuite placé sur la tête et sur les épaules de l'élu,
qui, plus que jamais, sera l'apôtre des Pieds-Noirs et
des nations encore assises à l'ombre de la mort dans ces
immenses territoires de l'Ouest. II continuera, jusqu'à
son dernier soupir, à leur annoncer la bonne nouvelle
de l'Évangile avec une autorité d'autant plus grande,
qu'il va tout à l'heure devenir le successeur des Apôtres
et juge de la Foi. Le pontife consécrateur lui impose les
mains : « Accipe Spiritum Sanctum », dit-il avec ses deux
pontiles assistants, et le Saint-Esprit se communique
dans toute sa plénitude à l'âme si humble et si bien pré-
parée du nouveau pontife. Le chant du Veni Creator se
répercute dans tous nos cœurs, la tête et les mains du
nouvel évêque sont ointes de l'huile sainte. Il reçoit le
bâton pastoral, emblème de sa juridiction, de son auto-
rité spirituelle et de sa sollicitude pour les brebis qu'il
doit paître et nourrir de la saine doctrine.
Le saint sacrifice continue et s'achève; consécrateur
et consacré se nourrissent de la divine Eucharistie et
partagent entre eux le calice où coule le sang précieux
du Rédempteur.
Enfin, le nouveau pontife reçoit la mitre, le casque
du salut; l'anneau, symbole de son union mystique avec
l'Église, que Ms'' Légal épouse aujourd'hui, est bénit par
le vénérable consécrateur, M^'' Grandin, qui le remet
avec bonheur à celui qui, dorénavant, sera un autre lui-
même et l'appui de sa noble vieillesse. Puis, prenant la
main de cet autre lui-même, il le conduit au trône qui
lui a été préparé. Sit nomen Domini benedictum, chante
d'une voix doucement émue le nouvel évêque ; Benedicat
vos Otnnipotens Deiis, Pater et Filius et Spiritus Sanctus,
— 446 —
et tous les fronts s'inclinent sous sa main bénissante. —
TeDeum laudainus, Te Dominum confitemur... entonne le
chœur avec amour, continuant, avec une sainte allé-
gresse, le cantique de l'action de grâces pendant que le
nouvel évêque passe au milieu des fidèles à genoux, sur
lesquels il répand les prémices de ses affectueuses béné-
dictions.
Revenu à l'autel, il prend sa place au coin de l'épître,
et, s'agenouillant par trois fois devant son consécrateur
et ses deux pontifes assistants, il les remercie en deman-
dant pour eux à Dieu, auteur de tous biens, de leur
donner encore bonnes et nombreuses années pour mul-
tiplier leurs mérites, travailler bien longtemps encore à
l'extension du règne de Jésus-Christ, au bien de l'Église
et de la Congrégation des missionnaires Oblats Imma-
culée. Ad multos annos.
Et nous aussi, bien cher et bien digne Mb'' Légal, nous
vous adressons ce cri du cœur : Ad multos annos. Oui,
que le bon Dieu vous conserve longtemps, bien long-
temps, à notre fidèle et fraternelle affection.
SERMON DE M^'' LANGEVIN.
Le sermon de circonstance fut donné par S. Gr.
M^"" Langevin, archevêque de Saint-Boniface. Je regrette
profondément de ne pouvoir le reproduire ici ; malheu-
reusement il n'a point été écrit, et je suis forcé de ne
donner qu'une bien pâle analyse de cette éloquente et
mâle improvisation : « L'autorité de l'évêque est divine
et sacrée. Successeur des apôtres, il est placé par l'Es-
prit-Saint lui-même pour gouverner l'Église : Posui't
episcopos regere Ecclesiam Dei. Son autorité n'est pas
une autorité d'emprunt, une autorité déléguée. Il reçoit
sa mission de Dieu lui-même, comme l'ont reçue les
apôtres. Choisi par le pasteur de l'Église, par Pierre
— 447 —
vivant dans ses successeurs, qu'il reconnaît pour son
chef et pour le vicaire infaillible de Jésus-Christ, c'est
l'Esprit-Saint qui l'oint de la force d'en haut et de la
puissance spirituelle qu'il exerce dans l'Église particu-
lière confiée par le Souverain Pontife à sa sollicitude
pastorale.
« Un souffle d'impiété, un souffle délétère d'indiffé-
rence religieuse et de révolte contre l'autorité épisco-
pale, passe aujourd'hui sur notre patrie bien-aimée...
Est-ce que nous ne sommes faits évoques que pour être
environnés d'honneurs et saturés de compliments? Non,
mille fois non, et malheur à nous si nous ne rapportons
parfaitement et complètement à Dieu ces marques de
respect et de vénération !
« Nous sommes évêques pour défendre et garder la
Foi, pour défendre et revendiquer les droits de l'Église.
La parole de Dieu ne saurait être enchaînée : Verbum
Dei non est alligatum. Malheur à nous, si, infidèles à
notre mission divine, nous cessions de combattre pour
jouir d'une tranquillité honteuse ! L'Évangile n'est-il
donc plus aujourd'hui ce qu'il était autrefois ? Notre-
Seigneur ne nous dit-il pas aujourd'hui, comme hier,
quand il s'agit du salut éternel des âmes commises à
notre garde : « Je ne suis pas venu apporter la paix, mais
« le glaive : Nonpacem... sed gladiwn. » Que ceux qui l'i-
gnorent demandent à Théodose, empereur, ce que c'est
qu'un évêque. Coupable, chargé du sang de ses sujets
injustement versé, il se présente à la porte de la cathé-
drale de Milan; mais Ambroise est sur le seuil, et l'em-
pereur n'entrera pas. « Je sais maintenant ce que c'est
« qu'un évêque», dit-il à ses courtisans, et, plus que ja-
mais, il respecte, il révère rautorité divine d'Am-
broise.
« Sont-ils vraiment catholiques , ceux qui , de nos
— 448 —
jours, font profession de fidélité et de soumission au
pape, en attaquant l'épiscopat ? L'autorité des évêques
n'est-elle donc pas celle du Souverain Pontife lui-même,
et s'attaquer à l'une, n'est-ce pas travailler à la ruine de
l'autre ?
« Parents chrétiens, voulez-vous qu'un jour vos en-
fants se moquent de l'obéissance et du respect qu'ils
vous doivent ? Envoyez-les dans les écoles sans Dieu, où
l'autorité de l'Église et des évêques est méconnue, et
bientôt vos enfants vous insulteront en face. »
Mais non, il n'en sera point ainsi. Nos chers catholi-
ques ont compris, j'en suis convaincu, ce noble et fier
langage de notre vigilant archevêque. Ils sauront le
mettre à profit pour eux et pour les enfants que le bon
Dieu leur a donnés.
VI. LES AGAPES.
Rendons-nous maintenant à la salle du festin, à la
maison d'école de nos excellentes Sœurs de Charité. Les
murs disparaissent sous les guirlandes et les fleurs, sous
les tentures et les armes de NN. SS. les évêques.
Saint-Bomface : Depo&itum custodi. C'est le motto de
notre jeune et courageux archevêque, défenseur intré-
pide et gardien vigilant de la Foi des enfants.
Saint- Albert : Infirma mundi elegit jOe?<s. C'est la noble
devise du vénérable M^' Grandin : « Celui-là, me disait à
l'oreille un aimable convive, ne se damnera certaine-
ment pas pour avoir péché par orgueil. Quelle profonde
humilité et quel bien n'a-t-il pas fait en raison même
de cette vertu si aimable et si inconsciemment puis-
sante. »
PoGLA : Nos autem m nomine Domi'ni. C'est M^' Légal,
le nouveau pontife, qui s'arme du nom du Seigneur au
début de sa carrière épiscopale.
— 449 —
Asseyons-nous maintenant à la table du banquet sur
lequel NN. SS. les évêques ont préalablement appelé la
bénédiction du bon Dieu. Les convives attaquent avec
entrain les pièces de résistance. Le veau gras a été im-
molé, plusieurs moutong ont été sacrifiés, et la basse-
cour du voisinage s'est considérablement dépeuplée. On
voit même sur la table des fruits succulents venus de
la Californie, et fournis parle zélé missionnaire de Leth-
bridge, le R. P. Vantighen. « C'est un vrai festin à tout
manger», se disent nos trois chefs sauvages invités, et
ils se font un devoir d'y faire honneur en conséquence.
Pour breuvage, du thé en quantité et de l'eau à discré-
tion; mais, par exemple, pas une goutte devin, pas une
goutte de liqueur quelconque, pas même le plus chétif
pousse-café. Les orateurs qui vont nous charmer tout à
l'heure n'en :'auront la parole que plus claire et plus
limpide.
J'ai moi-même l'honneur d'ouvrir la série des dis-
cours, et je m'en tire à très bon marché, couvert d'ap-
plaudissements enthousiastes ! J'ai tout simplement lu
les lettres et les télégrammes de félicitations si cordiale-
ment adressées à S. Gr. M^'' Légal, par S. Gr. M»'' Duha-
mel, archevêque d'Ottawa, par S. Gr. M^' Gravel, évêque
de Nicolet, etc. Fier du succès que je remporte en m'u-
nissant simplement de tout cœur à ces félicitations si
bien méritées, je reprends mon siège et cède la parole
au vénérable évêque de Saint- Albert, ainsi qu'à son bien
cher et très digne coadjuteur.
DISCOURS DE Ms» GRANDIN.
Messeigneurs,
Mes révérends Pères et bien chers Frères,
Il peut y avoir une trentaine d'années, me trouvant
passablement découragé des difficultés que je rencon-
— 430 -
trais, je profitai d'une de ces occasions, alors si rares,
pour les faire connaître à mon digne titulaire Ms' Taché,
et obtenir quelque direction, ou au moins des encoura-
gements de sa part. Une année après, je pouvais recevoir
sa réponse. Bien que depuis j'aie perdu la mémoire, je
n'ai point oublié cette chère lettre. En voici en deux
mots le résumé :
(c Cher Seigneur, vous vous plaignez des difficultés
physiques et morales que vous avez à surmonter pour
faire le bien. Regardez donc un peu en arrière et com-
parez les sauvages à ce qu'ils étaient lors de votre arrivée.
Évidemment, vous ne pouviez alors espérer que le règne
de Dieu ferait de tels progrès par votre ministère. Vous
ne pouvez moins faire que de reconnaître que Dieu est
avec nous et que, malgré nos misères, il agit avec nous. »
Dans un rapport que le R. P. Leduc avait fait de ma
part sur nos œuvres et lisait devant les membres de notre
Chapitre général, il reconnaissait le même fait et disait
lui aussi : Digitus Dei est hic.
Le bien nous coûte tant et nous sommes tellement
fatigués de nos efforts que, succombant à cette fatigue,
pour ne pas dire au découragement, nous apercevons à
peine nos succès et les progrès du bien. Ces progrès sont
en effet peu de chose comparés à ce qui reste à faire ;
et ce reste nous préoccupe au point que nous voyons à
peine ce qui est fait. Depuis cinquante-deux ans au
moins que notre famille religieuse travaille dans ce ter-
ritoire, depuis près de cinquante ans que quelques-uns
des nôtres, ici présents, s'y dévouent avec zèle, depuis
quarante-trois ans que j'y suis moi-même, et depuis plus
ou moins longtemps que tous, missionnaires ici présents,
nous nous y dépensons, nous sommes plus ou moins
portés à nous décourager des difficultés actuelles. Ne
serait-il pas bon de regarder un peu en arrière, comme
- 451 —
me le conseillait autrefois M»' Taché, non pas pour re-
gretter les sacrifices que nous avons faits, mais pour en
constater les résultats, résultats obtenus malgré des dif-
ficultés qui nous ont toujours parus extrêmes, et malgré
nos propres misères, qui ne sont pas les moindres de
nos difficultés?
Car, il nous faut bien l'avouer, bien que la bonne
volonté et le désir du bien soient la part de chacun de
nous, nous sommes fils d'Adam, et nous nous en ressen-
tons tous; nos vues pour faire le bien ne sont pas tou-
jours les mêmes : le faux jugement, les préjugés, l'édu-
cation même, et, il faut bien le dire, une foule de défauts
qui en sont la conséquence, et que nous voyons d'autant
moins qu'ils ont peut-être grandi avec nous, et auxquels
nous nous sommes tellement habitués que nous serions
presque tentés de les prendre pour des qualités, tout
cela, encore une fois, ce sont des difficultés réelles qui
viennent de nous et qui, jointes à celles du dehors, en
sont une somme capable d'effrayer de plus braves que
nous. Il faut évidemment que le bon Dieu y mette du
sien.
Je vous prie, révérendissimes Seigneurs, d'excuser
chez moi la manie des vieillards qui aiment à raconter.
Je voudrais donc jeter un coup d'oeil rétrospectif sur
nos œuvres et vous y faire voir l'action de Dieu, et je
n'ai pas le talent de le faire en peu de mots.
En 4845, deux Oblats arrivaient à Saint-Boniface ; je
devrais dire un, parce que le jeune Frère Taché, bien
qu'étant sous-diacre et ayant terminé ses études théolo-
giques, n'avait pas encore fait sa profession religieuse.
M^' Provencher ne se réjouit pas moins de l'arrivée de
ces deux auxiliaires ; il voyait en eux une Congrégation
tout entière, et il espérait pouvoir enfin s'occuper du
salut des nombreuses nations sauvages de son diocèse
— 452 --
aussi grand que l'Europe, et pour lequel il n'avait au
plus que quatre ou cinq prêtres.
L'année suivante, le Frère Taché, devenu profès et
prêtre, partait {pour les Missions sauvages de l'Ile à la
Crosse, en compagnie d'un prêtre séculier, M. Laflèche,
qui ne tarda pas à être élu évoque d'Arath et coadjuteur
de Saint-Boniface. Cependant, le Supérieur général des
Oblats, Me"" de Mazenod, évêque de Marseille, aussi bien
que l'administration générale de la Congrégation, n'a-
vaient pas une juste idée des missions de la Rivière-
Rouge : ils se figuraient que les Pères envoyés au secours
de Ms' Pro\'encher pourraient être en rapport avec leurs
Frères du diocèse de Montréal, et quand Monseigneur
notre Fondateur apprit l'éloignement et l'isolement de
ses fils avec lesquels il pouvait à peine correspondre, il
réunit son conseil et décida le rappel des missionnaires
de Saint-Boniface, alors au nombre de quatre ou cinq.
Cependant l'évêque élu d'Arath, pris d'une maladie
sérieuse qui lui rend la marche à peu près impossible,
fait comprendre à M^^ Provencher qu'il n'est plus en état
de répondre à ses vues et aux besoins du diocèse ; il faut
bien présenter au pape un nouveau candidat; et voilà
que dans le temps de la décision prise en conseil tou-
chant les Oblats de Saint-Boniface, on apprend de Rome
à l'évêché de Marseille l'élection du P. Taché comme
évêque d'Arath et coadjuteur de Saint-Boniface.
Notre Fondateur appelle de nouveau son conseil, lui
annonce la nomination imprévue et inattendue du jeune
Père Taché ; on conclut qu'on ne peut l'abandonner
ainsi et on annule la décision précédente. La lettre pro-
jetée n'était pas encore partie. Le Père Taché reçoit
l'ordre de se rendre auprès du P. Général, des mains
duquel il reçoit la consécration épiscopale, et il revient,
en 1852, accompagné de trois Pères Oblats, dont deux,
— 433 —
les RR. PP. RÉMAS et Végreville, sonl encore vivants et
ici présents, et nous espérons qu'ils ne nous laisseront
pas de sitôt ; dont le troisième, le P. Grollier, est le
premier qui soit mort dans nos Missions, et la plupart
d'entre vous savent comment, et enfin d'un Frère con-
vers qui a eu l'honneur de mourir martyr. Il eut, en
outre, la chance de rencontrer, en passant à Montréal,
le cher P. Lacombe, qui, j'espère^ ne finira pas de sitôt,
lui aussi, de nous aider.
Cependant, cette nomination du P. Taché ne fut pas
acceptée volontiers de tous ses Frères en religion ; on se
figurait que, ne pouvant plus s'occuper des Missions
sauvages comme autrefois, ces Missions tomberaient ;
et, de fait, les sauvages, encore peu instruits, voyant le
P. Taché s'éloigner et remplacé par des Pères qui ne
pouvaient pas encore parler leur langue, témoignèrent
un mécontentement dont les jeunes missionnaires ne
purent manquer d'éprouver les effets. Le retour du jeune
évêque fit comprendre que Dieu veillait à son œuvre.
En mars 1834, je reçus mon obédience et fus ordonné
pour ces Missions. La veille de m'embarquer au Havre,
je reçus de notre vénéré Fondateur et Père une lettre oii
il me disait entre autres choses : « Assurez tous vos
Frères que celui qui a été choisi dans leurs rangs, l'a
bien été par la volonté de Dieu, qui voulait conserver
ces missions pour notre Congrégation et que nous au-
rions abandonnées sans son élection toute providentielle
qui nous a mis dans la nécessité de les conserver. »
J'arrive, en août 1854, à Saint-Boniface : j'étais alors,
pour cet immense diocèse, le neuvième Père Oblat, en
comptant l'jvêque. M^'' Provencher était mort depuis
plus d'un an ; M^'' Taché, devenu titulaire, n'avait en-
core pu prendre possession de son siège. Ce fut seule-
ment au mois de novembre 1854 qu'il put accomplir
T. xxxv. 31
- 45 5 -
cette formalité. Outre les neuf Pères Oblats qu'il y avait
dans le diocèse, il y avait encore quatre prêtres séculiers,
dont l'un, M. Laflèche, partit cet hiver-là même pour
refaire sa santé dans le diocèse de Trois-Rivières.
Notre Fondateur m'avait remis une lettre pour Ms'Ta-
CHÉ, qui daigna nous donner connaissance de ce pas-
sage ; je cite de mémoire : « Je vous envoie encore un
Père, je lâcherai de vous en envoj'^er un chaque année,
jusqu'à ce que vous en ayez vingt; mais alors, nous
devrons nous arrêter quelque temps pour fortifier aussi
d'autres Missions.» — « Qu'on m'en donne vingt ! disait
Rlonseigneur, et nous pourrons faire du bien. »
Je passai donc l'hiver 1854-1835 à Saint-Boniface, ne
pouvant alors entreprendre de me rendre plus loin, à
cause de la saison. J'avais l'avantage de me trouver avec
plusieurs anciens missionnaires, entre autres M^f Tacqé.
En mars, le courrier d'hiver arriva du Nord -Ouest ; il
venait deux fois chaque année. On me communiqua
quelques lettres. Je fus surtout frappé d'une lettre du
P. Faraud. Il écrivait au Père Procureur : « Ne m'en-
voyez plus de soutane, je m'en ferai faire désormais avec
du cuir du pays ; outre qu'elles seront plus solides, je
serai plus semblable aux pauvres que j'évangélise, et
j'épargnerai par ailleurs de quoi me procurer des choses
plus indispensables pour ma mission. » Par ordre de
Monseigneur, je lui portai moi-même une soutane.
Je quittai Saint-Boniface le premier samedi de juin,
en compagnie de Me' Taché et du F. Bowes, venu avec
moi de Montréal. Ce genre de voyage par eau avec les
bateaux de la Compagnie de la Baie d'Hudson, n'avan-
çant qu'à force de rames, m'était encore inconnu. J'avais
fait connaissance, pour venir à Saint - Boniface, des
campements en plein air et des insupportables mous-
tiques. Il me restait à connaître les portages; ils sont
— 455 —
nombreux de Saint- Bonilace à Athabaska. Nous portions
nous-mêmes, autant que possible, notre bagage et quel-
quefois nous soulagions les pauvres hommes, les nou-
veaux surtout, qui n'étaient pas plus faits à ce genre de
travail qu'à la nourriture du pays. Une première fois,
revenant d'une extrémité d'un portage, j'allais chercher
une autre charge, je rencontre mon Supérieur et mon
Evêque avec un gros ballot sur sa tête : c'était probable-
ment son lit de voyage. Je le prie de me le confier, ce
qu'il me refusa bel et bien par une plaisanterie, me di-
sant que je voulais lui ravii' sa mitre.
Nous arrivâmes à l'Ile à la Grosse; c'est là qu'il devait
rester. L'église actuelle était en construction , ainsi
qu'une maison qui devait servir d'habitation aux mis-
sionnaires; le cher F. Bowes devait tout achever. L'église
et la maison primitives étaient encore en usage pour le
service divin et pour l'habitation des missionnaires.
C'étaient des constructions en lognes, ou pièces de bois
superposées; le tout était recouvert en terre et en écor-
ces. La lumière y pénétrait par de grossiers parche-
mins; ceux de l'église étaient peinturés en rouge et en
vert et imitaient plus ou moins des vitraux.
Je continuai mon voyage jusqu'à Athabaska, oii je
trouvai une habitation du même genre, moins l'église.
La Mission, naturellement, était moins avancée que celle
dont nous venons de parler, les chrétiens étaient moins
instruits ; quelques - uns seulement avaient l'ait leur
première communion , beaucoup n'étaient que caté-
chumènes, beaucoup même n'en étaient pas là. J'eus
l'avantage de me trouver avec des missionnaires qui con-
naissaient la langue des sauvages, langue apprise sans
grammaire ni dictionnaire ; ils me firent part de leurs
notes ; je commençai par copier les prières et le caté-
chisme, que je faisais réciter mot à mot aux catéchu-
— ;o6 —
mènes et aux enfants. Nous n'avions encore rien d'im-
primé ; toute notre bibliothèque sauvage, en deux langues
absolument différentes, se composait de cahiers ou de
simples feuilles volantes. Je fis comme mes prédéces-
seurs ; j'avais sur eux pourtant l'avantage de leurs notes
et de leurs leçons; j'appris à parler, comme les enfants,
en entendant surtout. On m'envoya seul en mission, ou
on me laissa seul à l'établissement ; c'était le meilleur
moyen de me former à la langue.
En 1837, je fus, à ma grande surprise, élu évêque-coad-
juteur de Saint-Boniface. En prévoyance, sans doute,
de cet événement, M^'' Tacué m'avait appelé à l'Ile à la
Crosse, d'où il s'était éloigné. Lesévêques de la province
de Québec, sans doute pour obliger la Congrégation à ne
pas abandonner ces Missions, prièrent notre Fondateur
de présenter au Saint-Père les candidats à la Coadju-
torerie,ce qui eut lieu, comme on afaità Ms"" Légal, sans
que j'en fusse prévenu, et je pouvais d'autant moins pré-
voir un pareil événement que j'étais plus jeune et man-
quais de tout ce qu'il fallait pour une pareille charge,
excepté peut-être d'assez bonnes jambes pour marchera
la raquette, ce qui me faisait penser qu'on avait plutôt
eu égard à mes jambes qu'à ma tête. Ms"^ de Saint-Boni-
face, bien que très jeune, voulut avoir un coadjuteur
pour administrer la partie nord du diocèse oii les chré-
tiens se multipliaient et où les missionnaires vivaient
dans un isolement des plus pénibles, ne pouvant que
deux fois l'année correspondre avec leur Supérieur,
Bientôt les chrétiens et les missionnaires furent assez
nombreux pour que le Souverain- Pontife érigeât un
vicariat apostolique dans cette partie du diocèse de Saint-
Boniface. En 1864, je me retirai d'Athabaska-Mackenzie
et vins de nouveau à l'Ile à la Crosse. Nous voilà dès
lors trois évêques et assurément plus de trente Pères
Oblats, sans compter un certain nombre de prêtres sé-
culiers, de Frères convers et de religieuses, dans un dio-
cèse où dix ans avant il n'y avait qu'un évêque, quatre
prêtres séculiers, huit Pères Oblats et trois Frères Oblats,
et cela malgré une pauvreté extrême; nous n'avions
d'autres ressources que l'allocation delà Propagation de
la Foi, et ces ressources n'augmentaient pas en propor-
tion des besoins.
Lorsque nous pénétrâmes pour la première fois dans
le territoire du Mackenzie, nous eûmes à surmonter une
grande opposition de la part de la Compagnie de la Baie
d'Hudson, toute-puissante dans le pays et sans laquelle
nous ne pouvions, le plus souvent, voyager ni même en-
voyer nos lettres à nos supérieurs; il fallait donc comp-
ter avec cette Compagnie. Heureusement que la plupart
de ses serviteurs étaient catholiques, et, par là même,
elle devait un peu compter avec nous.
Jusqu'en 1858, les missionnaires protestants n'avaient
pas dépassé un certain point de la Rivière-Rapide, où ils
avaient un étabhssement. Voilà bien qu'alors ils se ren-
dent dans l'immense district du Mackenzie. Les sau-
vages de ce pays nous demandaient avec instance; déjà
deux Pères étaient établis au grand lac des Esclaves,
près du fort Résolution; nous étions donc à la porte et
dans le district même du Mackenzie. Le personnage de
ce district, après avoir fait l'impossible pour nous empê-
cher de nous y établir, appela, pour nous faire opposi-
tion^ un archidiacre protestant de la Rivière-Rouge, qui
eut de suite la protection de tous les employés supérieurs
de la Compagnie; mais on comptait sans le zèle du
P. Grollier.
Celui-ci, ne pouvant avoir recours à ses supérieurs éloi-
gnés, supposa leur permission et suivit ou précéda le
prédicant dans tous les camps sauvages où il alla, si
— 458 -
bienque le ministre ne fit absolument rien. L'Esprit-Saint
nous dit que le salut nous vient même de nos ennemis;
je vois, pour ma part, l'action visible de la Providence
dans l'arrivée et la multiplicité des sectes dans notre
territoire, et je suis convaincu qu'elles ont servi beau-
coup, sans s'en douter, à l'extension de l'Eglise catho-
lique et du règne de Dieu. Le grand obstacle pour nous
était non seulement le manque d'argent, mais bien plus
encore le manque de sujets. Ce double obstacle nous
obligeait à n'avancer qu'avec mesure; forcés de prendre
des moyens, par l'arrivée des prédicants, nous avons été
ainsi poussés à l'impossible.
Lorsque cet archidiacre arriva au fort Simplon, pa-
tronné par tous les bourgeois et commis, il y avait toute
apparence qu'il aurait tons les sauvages du Mackenzie
qui n'avaient jamais vu le prêtre catholique. Le P. Grol-
LiER fit une chose qu'un supérieur n'aurait pu com-
mander, n'aurait même pu approuver que difficilement.
On ne peut l'accuser d'avoir manqué à l'obéissance, se
trouvant à une distance qui ne lui permettait plus ni
d'écrire aux supérieurs ni de recevoirleur réponse avant
une année. Il avait avec lui un jeune missionnaire qui
commençait seulement à balbutier la langue ; il l'envoie
à une place oh il peut l'apprendre tout en instruisant les
sauvages, et lui, part en canot d'écorce, tant qu'il n'y a
pas de glace, à la raquette quand les eaux sont deve-
nues solides, et gagne à notre religion, on peut dire,
presque toutes les tribus de cet immense district. Mais
aussi il se mit à dos toutes les puissances, c'est-à-dire
tous les employés supérieurs de la Compagnie, qui
l'accusèrent de fanatisme, de bigoterie, et plusieurs s'ef-
forcèrent, plus ou moins dignement, de lui faire expier
ce prétendu péché.
Arrivé moi-même tout jeune évêque dans ce district,
— 459 —
en 1861, afin de diriger les missionnaires, alors au nom-
bre de six, pour Athabaska et Mackenzie, sans compter
quatre Frères, je pus constater les bons combats de ces
chers Pères ; je reçus, contre le digne P. Grollier sur-
tout, force plaintes, et fus très heureux de pouvoir
excuser ce qu'on lui reprochait comme faute, par l'ab-
sence de supérieur. Nous eiîmes tous à souffrir plus ou
moins de la conjuration formée contre nous ; mais, en
voyant les conséquences du zèle de ce cher Père, je ne
pouvais que me dire : Dum Christus annuntietur in hoc
gaudeo sed et gaudebo (Phil., i, 18).
Voilà ce qui me fait dire que le bon Dieu a tiré le bien
de l'opposition qu'on nous a faite. Nous avons dû faire
l'impossible pour avancer quand même : Opportune, im-
portune, in omni patientia, en dépit de la pauvreté et
parfois de la prudence. Les missionnaires se multi-
pliaient, bâtissaient eux-mêmes des huttes oii ils se reli-
raient. Les admirant et n'osant pas les faire reculer,
nous suppliions nos supérieurs majeurs de venir à notre
secours ; chaque année, nous recevions quelques nou-
veaux venus, jamais assez ; mais, cependant, l'œuvre de
Dieu avançait. Nous avions aussi recours au Supérieur des
supérieurs majeurs, au Pape, qui, à notre demande,
érigeait de nouveaux vicariats, enfin une province et des
diocèses. Les nouveaux évêques usaient d'industries
pour se créer des ressources ; la Propagation de la Foi,
en divisant ses allocations, ne pouvait les faire assez
considérables ; le bien n'avançait pas suivant les besoins
du temps ; nous avions recours aux parents , aux
amis, à la charité de tous ; l'économie, les privations
même aidant, le royaume de Dieu s'est étendu comme
personne de nous n'aurait osé le supposer.
M. Bernard Ross, grand bourgeois du Mackenzie,
constatant nos efforts, me disait jadis : «Vous ne nous
— 460 ~
tiendrez pas tête, Monseigneur, vous n'êtes pas assez
riches. » — « Les richesses, lui répondis-je, ne suffisent
pas même ; il faut, dans ce pays surtout, savoir s'en
passer, et y suppléer en se sacrifiant.» Ma réponse parut
le surprendre.
Je dois, avant de finir, dire un mot de nos bons Frères
convers, qui nous ont tant aidés à faire beaucoup avec
peu d'argent ; ils ont eu certainement une grande part
dans l'extension du règne de Dieu dans le pays. Nos an-
tagonistes l'ont compris; ne pouvant compter sur un
tel avantage, ils ont essayé parfois de tenter ces dévoués
Frères. L'un d'eux, s'adressant un jour à notre digne
F. Kerney, lui faisait observer qu'avec son éducation il
aurait pu avoir une place fort avantageuse dans la Com-
pagnie, et ne pas être à un rang de domestique. Ce n'est
pas le seul à qui des propositions du même genre ont
été faites, mais tous ont répondu comme le F. Kerney :
« Si j'avais voulu gagner de l'argent, ce n'est pas ici que
je serais venu. »
Il faut finir, j'ai déjà été trop long, beaucoup trop
long ; je vous en demande pardon, Messeigneurs. Mais
il est bon de constater que cet ancien diocèse de Saint-
Boniface, où il y avait, en 1854, un évêque, quatre prê-
tres séculiers, huit Pères Oblats, trois Frères convers et
douze ou quinze Sœurs grises, forme une province ec-
clésiastique ; et, aujourd'hui, sur un coteau oii se rou-
laient alors les buffalos, se trouve une cathédrale bien
modeste, il est vrai, un évêché, un couvent, et enfin,
aujourd'hui même, dans cette modeste cathédrale, on a
sacré le septième évêque de notre province. A ce sacre
se trouvaient, outre notre très révérend Métropolitain et
trois de ses suffragants, le R. P. Provincial des Oblats du
Canada, vingt et un autres Pères Oblats, presque autant
de Frères convers et six prêtres séculiers. Et dans l'éten-
— 461 —
due de ce même diocèse de Saint-Boniface, [il y a au-
jourd'hui au moins quarante à cinquante prêtres sécu-
liers, au delà de cent Pères Oblats, sans compter les
PP. PP. Jésuites, les Chanoines réguliers de l'Immaculée
Conception, les Trappistes, et, outre les Sœurs grises de
Montréal, six autres Congrégations religieuses sont ve-
nues nous aider à étendre et solidifier le règne de Dieu,
Ce résultat, eu égard aux ouvriers employés, aux diffi-
cultés surmontées, est une preuve, comme me le disait
M^'' Taché, que nous n'avons pas été seuls. A Domino fac-
tura est istud, et est mirabile in oculis nostris (Ps.cxvii, 22.
Matt., XX, 22).
Bien que trop long, je n'ai pas pu dire tout ce que je
voulais dire. Mon but, en faisant ce compte rendu, est
de montrer l'action de la Providence ; j'ai voulu, en outre,
encourager mon digne coadjuteur et successeur, m'en-
courager moi-même et vous encourager tous. Aujour-
d'hui toutes les puissances humaines semblent être con-
jurées contre nous, et nous trouvons des nôtres, je veux
dire des catholiques, qui se tournent contre nous et
donnent encore plus de force aux ennemis de Dieu et
aux nôtres.
Nos ennemis sont plus puissants que jamais, mais rien
n'indique que Dieu nous ait abandonnés. La preuve, c'est
qu'il a mis à notre tête un jeune métropolitain plein de
force et d'énergie, qui saura nous guider aux combats.
Nos Frères dans l'épiscopat, ces prélats de l'Église mère
de l'ancienne métropole de Québec, admirent son cou-
rage et semblent eux-mêmes le prendre pour modèle
dans la guerre qu'on nous fait, et dont ils sont eux-
mêmes menacés. Nous, affaiblis par l'âge et les infirmi-
tés, ne nous sentant plus la force ni l'énergie voulues
pour faire face au danger, nous sommes au moins gran-
dement consolés en voyant que Dieu se montre encore
— 462 —
en nous remplaçant par des hommes qu'il semble avoir
préparés lui-môme pour les besoins actuels.
Sans prétendre être prophète, jugeant seulement d'a-
près les apparences, me servant des paroles de saint Xisle
à saint Laurent, je puis vous dire à vous, Monseigneur
de Pogla, à vous mon frère, à vous mon fils, à vous
mon ami : Majora te marient pro Christi fide certamina,
mais je puis ajouter : Noli timere, quia ego teeum sum,
dicit Dominus, liberabo te de manu pessimorum et eruam.
le de manu fortium. Avancez, cher Seigneur, combattez
les bons combats. Vous avez un bon maître qui combat
avec vous dès le commencement et qui ne connaît que
la victoire. Courage donc, cher Seigneur, et ad multos
annos !
En vous remerciant, Messeigneurs, d'avoir bien voulu
venir de si loin vous unir à nous dans cette circonstance
solennelle, ainsi que ces messieurs du diocèse de Saint-
Boniface représentés ici par le digne curé de la Métro-
pole, et mes frères un peu de partout, et surtout le digne
Provincial des Oblats au Canada civilisé, qui a, je le
comprends, dû faire un vrai sacrifice pour venir, et, après
avoir fait ce résumé, oii, tout en vo^^ant l'action de
Dieu, nous avons vu aussi celle de notre chère famille,
permettez-moi de saluer de loin notre bien-aimé P. Gé-
néral, en qui se trouve personnifiée toute notre Congré-
gation, de la remercier de l'assistance qu'elle n'a cessé
de nous donner, de prier Dieu de la bénir et de la rendre
de plus en plus apte à ses œuvres. Un salut amical et
des remerciements bien mérités à ces différentes familles
religieuses venues à notre secours avec tant de bonne
volonté. Enfin, j'ai parlé de la belle Société de la Propa-
gation de la Foi, à laquelle, dans mon cœur et ma re-
connaissance, je réunis la Sainte-Enfance. Peut-on jeter
un coup d'œil, si rapide qu'il soit, sur ce que nous avons
— 463 --
fait sans penser à elles et les bénir de leur assistance et
prier Dieu de les faire prospérer? Nous ne pouvons
moins faire aussi que de nous efforcer, malgré notre
pauvreté et celle de nos diocésains, de les faire grandir
dans notre pays, après qu'elles ont tant fait et font tant
encore pour nous aider à implanter la foi et à l'y main-
tenir.
Enfin, il faut finir, j'aurais dû le faire depuis long-
temps. Merci; Messeigneurs, merci à tous de m'avoir
écouté si longtemps. Je me réjouis de voir l'œuvre de
Dieu entre vos mains, elle ne pourra que prospérer et se
solidifier. Les difficultés ne vous manqueront pas sans
doute; elles sont la part de l'Eglise militante, elles pro-
curent la gloire de Dieu, elles procurent la vôtre. Ad
multos annos !
DISCOURS DE Mgr LEGAL.
Messeigneurs,
Je vous demanderais de vouloir bien me permettre de
remercier l'évêque consécrateur et ceux qui l'ont as-
sisté. Il y a trente ans, j'avais rencontré à Nantes
M^' Grandin. La vénération conçue pour Sa Grandeur
n'a fait que grandir depuis qu'il m'a été donné de le
voir de plus près.
Jen'aspirais qu'à travailler dans le coin le plus obscur
du diocèse ; mais la voix de Monseigneur, à qui les in-
firmités et les souffrances rendaient la charge de plus
en plus pesante, ayant fait appel à mon dévouement,
je ne pouvais rester sourd : je suis venu offrir à mon
évêque mon dévouement tout entier.
Elie, sur le point d'être enlevé au ciel, allait prendre
congé de son fidèle disciple. Celui-ci, instruit d'avance de
l'avenir, s'attachait de plus en plus à son maître, et quand
Elie s'écria : « Restez ici, car, pour moi, le Seigneur veut
— 464 —
que j'aille jusqu'à Béthel ou à Jéricho, » Elisée répond
par trois fois : « Aussi vrai que vit le Seigneur et que
vous vivez vous-même, je ne me séparerai pas de vous ! »
Ils ne se séparèrent pas, et lorsqu'Élie monta au ciel,
son disciple, sur ses instances, lui demanda une faveur :
Deprecor ut fiât in me spiritus tuiis duplex. « Je demande,
dit Elisée, que votre esprit soit double en moi. » Je n'ai
pas voulu ici trouver une analogie, mais au contraire un
contraste. D'abord, Dieu merci ! Monseigneur n'est pas
sur le point de nous quitter, et même, le secours qu'il
vient de se donner permet d'espérer que nous le con-
serverons encore longtemps. Que pendant de longues
années il me soit donné de profiter de ses conseils, de
sa^sagesse et de son expérience, de m'édifier au spec-
tacle de ses vertus et de m'inspirer de son esprit ! A ce
propos, j'ai remarqué que la demande du prophète me
semblait un peu exigeante et indiscrète, qu'il eût pu se
contenter de l'esprit du saint prophète Eiie dans toute
sa plénitude, sans demander qu'il fût doublé ; en tout
cas, pour ce qui me concerne, je me contenterai d'avoir
reçu dans sa plénitude l'esprit de notre saint évoque et,
si, en parcourant le diocèse, on pouvait dire : « C'est en-
core l'esprit de notre premier évêque qui agit en celui
qu'il nous envoie, » je n'en demanderai pas davantage.
Mes remerciements à notre vaillant Métropolitain, qui
défend avec tant de courage, d'ardeur et de générosité
les intérêts sacrés de notre foi injustement méconnus;
à Monseigneur de New-Westminster que j'ai déjà ren-
contré sur les plages de l'océan Pacifique, au milieu de
ses bons sauvages chrétiens, où il m'est apparu comme
le type du missionnaire et du patriarche ; à Monseigneur
d'Erindel qui nous vient, lui aussi, avec une couronne
tressée de travaux nombreux et pénibles, de souffrances
de toutes sortes et de privations de tous genres, dans un
— 463 —
pays et sous un climat inhospitalier, où les privations
sont le pain quotidien du missionnaire. Merci à tous
d'avoir bien voulu vous arracher à de multiples occupa-
tions, parcourir d'immenses distances et vous sou-
mettre à de grandes fatigues pour être présents à cette
importante cérémonie. C'est un honneur dont le sou-
venir restera toujours gravé au fond de mon cœur. Enfin,
mes remerciements aussi aux visiteurs distingués qui
ont rehaussé, par leur présence, l'éclat de la cérémonie,
à tous ceux qui ont travaillé à la rendre plus belle, aux
révérendes Sœurs et à nos bons Frères qui ont depuis
longtemps, les uns et les autres, préparé cette solennité.
RÉPONSE DE Mgr GRANDIN.
Vous me témoignez le désir, bien cher Seigneur, de
recevoir mon esprit; je vous ai donné bien mieux et
beaucoup plus, puisque vous avez reçu, par mon minis-
tère, l'Esprit de Dieu. Lors du sacre de M^^ Langevin, le
prélat consécrateur, le regretté M^"' Fabre, nous fit con-
naître avec une noble fierté, non seulement le nom du
prélat qui lui avait imposé les mains, mais il eut soin
de remonter plus haut pour arriver à un ancêtre plus
noble encore ; «J'ai été sacré par M^"" Lynch, nous dit-il,
lui-même l'avait été par M^'' Charbonnel, qui avait eu
l'honneur d'être sacré par Pie IX. » J'ai aussi sous ce
rapport des titres de noblesse dont je suis fier. J'ai été
sacré par M^"" de Mazenod, qui a été dans l'Église un grand
et saint évêque. Mais il a été plus que cela pour nous :
c'est le Fondateur de notre famille religieuse. Il a imposé
les mains à un bon nombre d'évêques ; je suis son der-
nier, son Benjamin. Tout me vient par ses mains, depuis
la tonsure jusqu'à la consécration épiscopale. Puissé-je
vous avoir donné son double esprit, esprit épiscopal et
esprit religieux. Ses frères dans l'épiscopat le regar-
— 466 —
daient comme un saint, comme un modèle accompli, et
lui-même me disait, peu de temps avant de m'imposer
les mains pour la dernière fois : « Je me suis efforcé
d'être un bon évêque et je n'ai pas cessé pour cela d'être
moins bon Oblat. » Il pouvait sans orgueil me tenir ce
langage. Soyons les fils de notre Père, nous serons de
saints évêques et de non moins saints Oblats. Je n'ai pas
besoin de remonter plus haut pour prouver la noblesse
de mon origine ; cependant je puis aller plus loin et citer
mes nobles ancêtres les plus rapprochés. Notre vénéré
Fondateur fut sacré par l'Éminentissime cardinal Odes-
calchi, qui lui-même l'avait été par Pie VIII.
Je m'arrêterai là, il me faudrait trop de temps pour
arriver jusqu'à saint Pierre.
DISCOURS DU R. iM. L'ABBÉ BEILLEVAIRE.
Le révérend M. l'abbé Beillevaire, compatriote et con-
disciple de M»'" Légal, travaille depuis vingt ans, avec un
zèle admirable, un désintéressement sans bornes, comme
prêtre séculier, dans nos chères missions du diocèse de
Saint-Albert.
Répondant à l'invitation qui lui est faite par tous les
convives, il s'exprime en ces termes :
Monseigneur,
Je suis heureux de pouvoir vous adresser quelques
paroles comme ancien condisciple et comme prêtre du
diocèse de Nantes. Tout d'abord vous me permettrez
de vous rappeler un fait de notre jeunesse. Lorsque
nous étions au petit séminaire, un maître venait nous
donner des leçons de gymnastique ; avant de procéder
aux exercices de trapèze, il nous faisait aligner comme
des troupiers et commandait la manœuvre ; parfois le
tnaître faisait défaut, alors nous donnions le coramau-
— 467 —
dément à Emile Légal, et je vous assure, Messeigneurs,
qu'il s'en acquittait parfaitement. Un vrai capitaine ; le
geste, le regard, le commandement. C'était à lui. Il
commandait et à sa parole nous obéissions comme un
seul homme. Ce jeune instructeur de 1866 est aujour-
d'hui M^"" Légal; un commandement bien plus impor-
tant lui a été confié, et ce commandement lui a été
donné non pas au nom de ses condisciples, mais au nom
du Seigneur : Nos autem in noinine Domini. Éh bien,
Monseigneur, vous pourrez commander avec la même
assurance et vous serez obéi.
En commençant, j'ai parlé de Nantes ; Monseigneur, je
sais qu'en ce jour ce nom va droità votre cœur. Sans doute
vous avez adopté une nouvelle patrie et vous allez vous y
attacher plus que jamais, mais vous n'avez pas oublié la
première ; ces hermines de Bretagne, que je vois en têtede
vos armes, en font foi. Messieurs, Révérends Pères et
Frères, qui venez du pays breton, soyez heureux avec moi
de l'honneur que nous fait Monseigneur notre coad-
juteur. Ces hermines de Bretagne figurent sur les armes
de la ville de Nantes et sur les armes de l'évèque de
Nantes ; en les mettant sur votre blason, vous nous dites
donc que vous garderez toujours le souvenir des Nantais.
Si vous n'oubliez pas Nantes, à Nantes on ne vous oublie
pas non plus ; dans ces jours, bien des prières sont mon-
tées vers le ciel pour vous, de la part de vos parents et
de vos amis. Ce matin, à Saint-Jean-de-Boiseau et à la
Montagne, on s'est dit : « En ce jour, un enfant de la
paroisse va recevoir la consécration épiscopale, prions
pour lui. » Le diocèse de Nantes tout entier est heureux
et fier d'ajouter un nouveau nom à la liste de ses évê-
ques. Jusqu'à ce jour il en comptait cinq vivants parmi
ses enfants; le plus ancien est S. Ém. le cardinal Richard,
archevêque de Paris; aujourd'hui, Monseigneur, vous
-- 468 —
faites le sixième. Votre élévation vient cimenter l'union
entre Saint-Albert et Nantes ; ces relations existent déjà
depuis longtemps entre les deux diocèses ; nous les de-
vons à notre vénérable évêque, Ms>' Grandin. Sa Grandeur
est bien connue à Nantes, son nom y est en vénération :
le bon et pieux évêque de Sainl-Albert, comme on dit
là-bas. Dans sa circulaire, Sa Grandeur vous donne le
litre de /?/s, eh bien, ce fils, il est allé le chercher lui-
même. Rappelez-vous comme moi, Monseigneur, quelle
impression fit sur nous, il y a trente ans, cet évêque dans
la force de l'âge, d'une taille imposante, plaidant sa
cause avec énergie sans embellir le tableau, pardonnez-
moi l'expression, il vous empoigna. J'irai le trouver un
jour, vous êtes-vous dit. C'est fait depuis longtemps,
mais dans le ciel on voyait plus loin. Vous étiez venu
pour vous dévouer sans réserve comme simple mission-
naire, et Dieu sait quelle énergie et quelle persévérance
vous avez déployées dans cette mission si ingrate et si
pénible des Pieds-Noirs. Vous y avez montré la ténacité
et le caractère breton : Potius mori quam fsedari (Plutôt
mourir que de reculer). Vous étiez donc venu pour être
simple missionnaire, mais évêque ! allons donc, vous n'y
pensiez pas, vous n'en vouliez pas. Il vous en a coûté !
Mais pourquoi marchander le sacrifice ! Plaçant votre
lettre de nomination sur l'autel, et là, à genoux devant
le Seigneur, vous lui avez dit : « Eh bien. Seigneur, j'ac-
cepte, mais en votre nom. » Nos autem in nomine Domini.
Monseigneur, vous voilà donc évêque avec le litre de
Pogla, et probablement un jour avec celui de Saint-
Albert; aussi, je le répète, c'est un bonheur pour moi
de vous saluer en mon nom et au nom de tous mes com-
patriotes. Si vous étiez là-bas, dans notre bonne ville de
Nantes, ici ce n'est pas l'habitude, oui, si vous étiez là-
bas, je lèverais mon verre en disant : « Aux diocèses de
— 469 —
Saint-Albert et de Nantes. » Ad multos annos, Mon-
seigneur.
DISCOURS DU CHEF KOSIKUSIWEYAN.
Donnons maintenant la parole aux enfants du pays.
C'est le chef des sauvages cris de la montagne d'Ours,
Kosikusiweyan (Peau-de-Belette), qui se fait l'interprète
de tous. Il s'exprime en langue sauvage à peu près en
ces termes :
Je suis fier aujourd'hui de pouvoir affirmer que ma
famille a toujours prié avec le prêtre catholique. Il me
souvient qu'étant tout petit enfant, mon père faisait la
chasse bien loin d'ici, dans les montagnes Rocheuses.
Un jour, un sauvage vient du fort des Prairies (aujour-
d'hui Edmonton) lui apporter la nouvelle qu'un «homme
de la Prière » était prochainement attendu à cette place.
Mon père partit de suite pour aller le voir, mais il fut
bien démonté d'apprendre, par les Canadiens du service
de la Compagnie de la baie d'Hudson, que ce prétendu
«homme de la Prière» n'était pas un vrai prêtre. C'était
un faux prêtre, un ministre de la religion des Anglais.
Mon père fut pourtant consolé, parce qu'on lui assura
que l'année suivante un véritable « homme de la Prière»
(leR. M. Thibeault) viendrait certainement pour les ins-
truire et leur montrer le vrai chemin du ciel. Mon père
revint donc triste et consolé tout ensemble, continuer
sa chasse dans les montagnes Rocheuses. L'été suivant,
il vint de nouveau à Edmonton, oii M. Thibeault nous
baptisa tous. Depuis ce temps, j'ai toujours gardé la
Prière (la foi catholique), et je veux y rester fidèle jus-
qu'à la mort. A présent, je vous remercie de m'avoir
invité à une si belle cérémonie, à une fête si magnifique,
je n'avais jamais imaginé rien de semblable, j'en garde-
rai toujours le souvenir.
T. XXXV. 32
— 470 -
RÉPONSE DE M. LE COMMISSAIRE DES SAUVAGES.
M. A.-E. Forget, commissaire du gouvernement au-
près des sauvages du Nord-Ouest et du Manitoba, prend
alors la parole. Avec le tact et la délicatesse qui le distin-
guent à un haut degré, il dit combien il est heureux des
rapports qu'il a eus avec le R. P. Légal, missionnaire
des Pieds-Noirs, alors que ce dévoué missionnaire trai-
tait avec tant de zèle et de douce politique auprès du
département indien, des intérêts de ses sauvages. Il rap-
pelle en termes touchants ce qu'a fait le R. P. Légal sur
la réserve des Gens du Sang, les écoles ouvertes, l'hôpital
construit, les sauvagesconvertis.il le félicite bien cordia-
lement de la grande dignité à laquelle il vient d'être
élevé, et voit avec plaisir, dans cette élévation de M^"" Lé-
gal, le gage d'un avenir bien consolant pour les sauvages
dont il est lui-même le commissaire attitré. « Je félicite
de bien grand cœur, ajoute-t-il, le chef Kosikuweyan
(Peau-de-Belette) des bonnes paroles qu'il vient de pro-
noncer. Il m'a prouvé aujourd'hui, une fois de plus, que
mes sauvages du Nord-Ouest ont de l'esprit, et qu'ils
profilent de ce que nos bons missionnaires et le dépar-
tement indien font et veulent faire pour eux. Comme
M^'' Légal, lui et les siens peuvent compter sur ma bonne
volonté et sur mon dévouement.»
Le R. P, Lefebvre, le digne provincial du Canada, est
alors requis, par tous les convives, de vouloir bien nous
donner le bouquet de ces agapes si cordialement frater-
nelles, célébrées en l'honneur du nouveau dignitaire de
l'Église et de la Congrégation, notre mèrci
— 471 —
DISCOURS DU R. P. LEFEBVRE.
Messeigneurs et mes révérends Pères^
Que puis-je faire et dire, maintenant, sinon de m'as-
socier de tout cœur à ceux d'entre vous qui viennent de
prendre la parole avant moi. Qu'il me soit permis, pour-
tant, d'offrir à M^'' Légal, les sentiments d'estime et de
respectueuse affection que je lui apporte au nom de tous
les Pères et Frères Oblats de la province du Canada.
Votre Grandeur, Monseigneur, n'a fait que passer au mii-
lieu de nous, il y a de cela près de vingt ans. Vous veniez
alors vous consacrer, vous dépenser dans vos nobles Mis-
sions de Saint-Albert, oii vous constatez aujourd'hui les
immenses progrès accomplis. Vous étiez alors loin de
vous douter, cher Seigneur, qu'un jour vous seriez le
coadjuteur bien-aimé du vénérable Mg"^ Grandin, mais ce
que votre profonde humilité vous empêchait même de
soupçonner fut déjà prévu et annoncé par plusieurs de
nos Pères, qui eurent le bonheur de vous connaître plus
intimement. Combien d'Oblats de la province du Canada
auraient ardemment désiré pouvoir m'accompagner et
venir ici, à Saint-Albert, vous dire en personne et de
vive voix leur respect et leur amour ! Si le devoir impé-
rieux des Missions et des œuvres qui leur sont confiées
ne l'a pas permis, soyez sûr, Monseigneur, qu'ils sont
pourtant présents d'esprit et de cœur. Je dis plus, et
parlant en ce moment au nom de la Congrégation tout
entière, ne sentons-nous pas tous, nous ses enfants dé-
voués, que notre famille religieuse s'associe aujourd'hui
à cette grande et belle fête de la consécration épiscopale
d'un de ses membres les plus méritants. Notre cœur ne
nous dit-il pas que le cœur de notre révérendissime et
bien-aimé P. Général bat à l'unisson des nôtres et qu'il
— 472 —
se réjouit avec nous du bonheur de l'Église de Saint-
Albert! Vivez longtemps, Monseigneur et bon Père, pour
le bien de la Congrégation, pour la consolation de
Ms"" Grandin, dont vous devenez le bras droit et l'appui ;
vivez longtemps pour le salut des âmes qui vous sont
confiées, pour la conversion et le salut de vos Pieds-Noirs
encore infidèles et qui vous sont aujourd'hui, si possible,
plus chers que jamais.
Nous allions quitter la salle du festin , quand le
K. P. Lacojibe nous arrête en disant : « Ce n'est pas chez
les blancs seulement qu'on rencontre l'esprit de pro-
phétie. Si les Pères de la province du Canada ont pres-
senti ce qui arrive aujourd'hui, comme vient de nous le
dire le R. P. Provincial, les Pieds-Noirs eux-mêmes,
encore infidèles, l'ont annoncé depuis longtemps. Le
R. P. Légal était à peine arrivé au milieux d'eux, que,
de suite, ils lui improvisent un nom à leur façon. Ils
l'appellent Sportsitapi (Celui qui siège en haut). Ils avaient
l'intuition de ce qui devait arriver seize ans plus tard,
l'élévation de leur missionnaire àl'épiscopat. » Très bien,
Père Lacombe ! Vive M^' Légal ! Vive Sportsitapi.
VII. SÉANCE académique.
Maintenant, cette mémorable fête se passera-t-elle
sans que nos chers enfants des écoles y prennent une
part active et directe avec leurs parents ? Évidemment
non. Parents et enfants sont donc conviés aune réunion
spéciale'àla grande salle de classe où, pendant plus de
deux heures, les élèves de nos excellentes religieuses
nous tiennent sous le charme de la délicatesse des sen-
timents qu'ils expriment.
La séance s'ouvre par un vrai carillon. Toutes les clo-
ches, clochettes et bourdons de ce vaste diocèse sont
— 473 —
mis à contribution. Écoutez plutôt. Je traduis librement
de l'anglais, langue en laquelle s'expriment les en-
fants chargés de l'exécution de cette première partie du
programme :
VOIX DES CLOCHES.
En branle, aimables cloches. Du beffroi de la cathé-
drale, sonnez à toutes volées, et, vite, portez bien loin
l'annonce de la grande nouvelle : un nouveau prélat, un
second Père nous est donné.
Sonnez, cloches d'Edmonton, chantez fort, chantez
bien. Porlez au loin la joie de ce beau jour. Que votre
voix retentisse allègre et mélodieuse, par la rive droite,
par la rive gauche de la noble Saskatchewan; depuis ses
sources au sable d'or, dans les fières montagnes Ro-
cheuses, jusqu'à son embouchure dans cette mer inté-
rieure du grand lac Winnipeg, pour de là s'abîmer dans
les profondeurs de l'Océan.
Cloche et clochette du beau lac Sainte-Anne, parlez
longtemps et parlez bien. Sonnez, satisfaites et heu-
reuses d'aller porter, de Josper à Saint-Bernard, l'ex-
pression delà joie dont débordent nos cœurs.
Vibrez en joyeuse harmonie, carillon du lac Labiche.
Traversez les rivières et les lacs, les bois et les prairies.
Mariez, en passant, vos notes sympathiques aux éclats
du vigoureux bourdon calgarien.
Et vous, cloche de Mac-Leod, hâtez-vous d'unir votre
pieuse mélodie à celle plus pieuse encore de la cloche
Saint-Michel, au pays de Termite.
Sonnez, sonnez donc toutes, cloches chéries du dio-
cèse de Saint-Albert, et portez jusqu'au ciel ce cri de
notre cœur :
Vivat, vivat, in xternum vivat!
Après la voix des cloches et leurs appels vibrants, des
voix plus douces célèbrent le héros de la fête. Ce sont
des voix d'enfants qui retracent la vie du nouvel évêque.
Ils saluent son berceau, félicitent sa mère, évoquent
l'image de la vieille Bretagne, rappellent la triple voca-
tion cléricale, religieuse, apostolique, de l'élu du Sei-
gneur, et l'adieu du missionnaire à sa patrie française.
Et les enfants terminent par ces mots :
Tu méprisas tous les biens de là terre
Pour altachor tous les cœurs au bon Dieu.
Les accents des anges de la terre ne pouvaient man-
quer de toucher leurs frères du ciel. Ils accourent à leur
tour et déposent sur le front des deux évêques de Saint-
Albert des coufônnes de fleurs cueillies en Paradis.
M»'" LaKgevin se lève alors :
Merci, mes enfants, dit-il de cette si belle, si aimable et
si touchante séance par laquelle vous venez de réjouir nos
cœurs. Merci à nos bonnes Sœurs Grises qui l'ont si bien
organisée. Les bonnes religieuses des autres congréga-
tions, ici présentes, ne m'en voudront certainement pas
et ne seront pas jalouses si j'ose, ce soir, affirmer que
les bonnes filles de M""^ d'Youville ne peuvent être sur-
passées lorsqu'il s'agit de rendre avec bonheur un senti-
ment du cœur. Elles le font avec un tact délicieux, une
délicatesse touchante, une simplicité pleine de noblesse.
Élévation d'idées, noblesse de sentiments, exquise sim-
plicité d'expressions, c'est bien là en effet ce qui ressort
de la séance de ce soir...
M^"^ Légal, à son tour, exprime en termes émus sa
reconnaissance aux bonnes Sœurs et à leurs chères
élèves. Il veut être, comme M^'' Grandin lui-même, pour
elles toutes, un appui, un soutien, un père tendre et
dévoué.
— 475 —
Il appartenait à M^' Grandin de mettre le dernier ca-
chet à cette si belle et si touchante fête de famille. Il
s'associe d'abord de tout son cœur aux éloges si bien
mérités, décernés par M»' l'archevêque aux enfants de
l'école et à leurs dignes maîtresses.
Oui, ajoute-t-il, les bonnes filles de la vénérable Mère
d'Youville ont éminemment le don de parler le langage
du cœur. Elles puisent ce langage, comme l'a dit si bien
M^' de Saint-Boniface, dans leur saint contact avec les
membres souffrants de Jésus-Christ, qu'elles recueillent
et soignent avec tant de dévouement, de charité et d'ab-
négation dans leurs asiles et dans leurs hôpitaux. Mais
elles ne m'en voudront pas non plus, loin de là, si je fais,
à mon tour, l'éloge bien mérité des Fidèles Compagnes
de Jésus et des excellentes Sœurs de l'Assomption de
Nicolet.
C'était en 1882. Je voyais mon pauvre diocèse ouvert
à la civilisation et à l'immigration par la construction
des voies ferrées et par l'établissement d'un gouverne-
ment régulier dans le pays. Il me fallait de toute néces-
sité songer à multiplier nos Missions et nos écoles. Il me
fallait à tout prix d'autres religieuses enseignantes. Nos
chères Sœurs de Charité de Montréal ne pouvaient plus, à
elles seules, suffire à la tâche et nous fournir les sujets
nécessaires. Je frappai donc à la porte de bien des com-
munautés, soit au Canada, soit en France. La pénurie
des ressources et des sujets était toujours l'obstacle
contre lequel j'allais me heurter. Mis providentielle-
ment en relations avec la T. R, Mère Petit, alors supé-
rieure générale des Sœurs Fidèles Compagnes de Jésus ;
elle écouta ma prière et le récit que je lui fis de nos mi-
sères et de nos difficultés. Je ne lui cachai pas ce que ses
filles auraient à souffrir, au commencement surtout de
leurs établissements dans les déserts de l'Ouest. Voici la
— 476 —
noble et généreuse réponse qu'elle me fit : « Monsei-
gneur, c'est un sacrifice que vous nous demandez, et
précisément parce que c'est un sacrifice, nous accep-
tons.« Et les Fidèles Compagnes sont depuis quinze ans
déjà à l'œuvre dans mon diocèse, admirables de zèle et
de dévouement.
J'avais besoin encore d'une autre communauté pour
nos écoles sauvages. De passage dans la catholique pro-
vince de Québec, je fis appel à la piété, au dévouement
des dignes Sœurs de l'Assomption de Nicolet. Je leur dis
les difficultés, les épreuves, les souff'rances, qui les atten-
daient sur les Réserves des sauvages, au milieu desquels
elles vivraient. Je ne flattai certainement pas le tableau
et je les avertis qu'elles n'avaient rien à attendre de la
générosité ou de la reconnaissance de ces pauvres misé-
rables dont bon nombre sont encore infidèles. Tout ce
qu'ils vous donneront gratis, ajoutai-je, c'est leur ver-
mine, leurs poux en quantité, et encore vous demande-
raient-ils de les payer s'ils pensaient qu'ils pussent vous
être de quelque utilité.
«En vérité, me dit un bon prêtre, témoin auriculaire
de cette conversation, si vous aviez voulu. Monseigneur,
détourner les Sœurs de vous suivre, vous ne pouviez
mieux dire et probablement mieux réussir, car je doute
fort qu'elles consentent maintenant à partir pour votre
diocèse et vos pouilleuses Missions sauvages. »
Le bon prêtre se trompait; la preuve, vous l'avez sous
les yeux. Ces bonnes Sœurs sont ici aujourd'hui.
Quant aux dévouées Sœurs Grises de Nicolet, ne sont-
elles pas, elles aussi, les filles de la vénérable Mère
d'Youville ? Ce que M^"" l'archevêque de Saint-Boniface
a si bien dit des Sœurs de Charité de Montréal, je le dis
moi-même à leur adresse, et personne, j'en suis sûr, ne
me contredira.
— 477 —
Non, cher et bon Seigneur, vous ne serez point con-
tredit. Nous nous associons de grand cœur à ces justes
éloges puisés dans les trésors de votre cœur d'évêque et
de père. Mais laissez-moi vous dire, au déclin de cette
inoubliable fête, que nous ne nous associons pas raoins
au précieux message apporté du ciel à la terre par les
saints anges gardiens de NN. SS. Légal et Gp.andin.
Si nous pouvions vous porter sur nos ailes
Jusqu'au milieu des saints et des élus,
Ah ! vous verriez qu'elle est brillante et belle
La place due à leurs nobles vertus
Et maintenant, avant de terminer ce travail écrit bien
plus, ce me semble, avec le cœur qu'avec la plume, je
réclame d'une manière spéciale l'indulgence des ora-
teurs dont j'ai essayé de reproduire les discours. Je l'ai
fait uniquement de mémoire pour la plupart d'entre
eux. Ils ne seront donc pas trop étonnés si je n'ai pas
toujours donné l'ordre parfait des idées qu'ils ont d'ail-
leurs rendues, de vive voix, infiniment mieux que je ne
l'ai fait par écrit.
Adieu, bienveillant lecteur, un souvenir, une prière,
pour nos chères Missions du diocèse de Saint-Albert ; un
souvenir, une prière pour la Mission d'Edmonton, qui
m'est actuellement plus particulièrement confiée.
Sincères remerciements et profonde reconnaissance
de la part de nos bien-aimés Seigneurs et pères,
M^'^ uRANDiN et M.^' Légal, à tous les associés de la Propa-
gation de la Foi et de la Sainte-Enfance, à tous nos bien-
faiteurs et amis.
H. Leduc, o. m. i.
— 478 —
CONSÉCRATION DE M" DONTENVILLE
ÉVÉQUE DE GERMANICOPOLIS
COADJUTEUR DE llSr DDRIEU, ÉVÈQUE DE "WESTMINSTER.
(Traduction d'un article publié par le R. P. Le Jeune, [Jean-Marie,
en caractères sténographiquea dans le Wawa, de Kamloops.)
Le dimanche 22 septembre 1897 a été un grand jour
de fête pour New-Westminster. C'était le sacre deM^'^DoN-
TENViLLE, évêque de Germanicopolis, et coadjuteur de
M^' DuRiEu, évêque de New-Westminster, dont le dio-
cèse est l'un des plus étendus de toute l'Amérique.
Des milliers de visiteurs sont venus de Victoria, de Van-
couver et des autres villes ou villages environnants, pour
assister à une cérémonie qui se voit si rarement dans ces
contrées, et qui avait lieu, pour la première fois, dans la
cathédrale de New- Westminster. Une heure avant la cé-
rémonie, la cathédrale se trouvait assiégée par une foule
considérable; non seulement toutes les places furent
occupées, mais un grand nombre de visiteurs ne purent
assistera la cérémonie que du dehors, devant les portes
et les fenêtres, sans compter environ 2000 sauvages qui
occupaient la rue devant l'église, et un terrain vague, de
l'autre côté de la rue, où ils avaient dressé une tente
pour abriter leurs femmes contre les ardeurs du soleil.
La cérémonie commença à 9 heures. Le prélat consé-
crateur était S. G. Me'^Adélard Langevin, o. m. i., arche-
vêque de Saint-Boniface, assisté de M^' Paul Durieu,
0. m. I., évêque de New-Westminster, et de M^" Isidore
Clut, 0. M. i.,des Missions de l'Athabaskaw. Trois autres
évêques assistaient à la cérémonie : c'étaient M^'^Lootens,
évêque démissionnaire, résidant à Victoria ; M^^ O'Dea,
deNesqualy, et Me'' Légal, o.m. i,, coadjuteur de M ^''Gran-
DiN, évêque de Saint-Albert.
— 479 —
Il y avait aussi les RU. MM. Yan Nevel, qui représen-
tait W Lemmens, évêque de Victoria ; le R. Préfon-
taine, de Seattle ; le R. Belliver, prêtre séculier du dio-
cèse de Saint-Albert.
En outre, le R. P. Fayard, o. m. l, supérieur de la
maison de New-Westminster ; le R. P. Camper, o, m. i. , de
la Mission de Saint-Laurent, Manitoba ; IcR.P.Lacombe,
o.M. i.,de Saint- Albert; le R.P. Guillet, o. m. i.,de Win-
nipeg; le R.P, Cunningham, o. m. l, de Saint-Albert ; le
R. P. Le Jacq, o. m. i., supérieur de Williams'Lake.avec
le R. P. Thomas, de la même maison ; le R. P. Bunoz,
o. m. i., supérieur du petit séminaire diocésain de New-
Westminster ; le R. P.Chirouse, o. m. i^ supérieur de la
Mission de Sainte-Marie, avec les RR. PP. Dommeau, John
Whelan, Bédard et Picotte, de la même Mission ; le
R. P. Le Jeune, o. m. i,, supérieur de Ramloops, avec les
RR. PP. Peytavin et Cornelier, de la même Mission;
les RR. PP. Morgan, Boening, Jayol, Micrels, o. m. i.; les
Frères scolastiques W. Wrealan, Kasper, Plamondon, de
la maison de New-Westminster. Le R.P. Ouelette, o. m. i.,
représentait la Mission de Saint-Eugène de Kootenay; le
R. P. Marchal, o. m. i., celle de Stuarts'Lake, dont il
est devenu depuis le Directeur. Ce qui fait un total de
7 évêques, y compris le nouvel élu, et de 23 prêtres, la
plus nombreuse réunion de clergé qu'on aie jamais vue
en Brilish Colombia.
La cérémonie commença à 9 heures du matin et se ter-
mina un peu avant midi. L'assistance était des plus at-
tentives, captivée par la majesté des cérémonies que la
plupart voyait se dérouler pour la première fois. Il serait
trop long de faire ici une description même sommaire
de ces cérémonies, qui sont, du reste, les mêmes pour
toutes les consécrations d'évêques. Les journaux de New-
Westminster, de Vancouver elàe Fie^om, les ont décrites
— 480 —
au long dans leurs colonnes, ce qui prouve assez l'inté-
rêt que ces imposantes solennités de l'Eglise catholique
excitent parmi nos populations hétérodoxes.
Le nouvel évêque surtout était l'objet de tous les re-
gards ; car il est bien connu et très aimé dans le pays où
il a su, en quelques années, se concilier les sympathies
de tous ceux qui ont eu quelque rapport avec lui, et
même de ceux qui n'ont fait qu'en entendre parler.
Après l'Évangile, M^'' O'Dea, évêque de Nesqually,
s'avança au milieu du sanctuaire et donna un sermon
très éloquent, à l'occasion de la cérémonie du sacre, sur
l'origine apostolique de l'Église catholique, sur sa mis-
sion divine et sa merveilleuse unité. Son texte était le
Tu es Petrus et super hanc petram xdificabo Ecdesiam
meam. D'un bout à l'autre du sermon, l'auditoire fut si
captivé par l'éloquence de l'orateur, que pas un mot de
ce qui était dit n'a pu lui échapper. L'orateur a surtout
fait preuve d'une exquise délicatesse à l'égard des per-
sonnes professant d'autres croyances, qui se trouvaient
mêlées en assez grand nombre dans l'auditoire, et aux-
quelles il a très bien démontré la divine institution de
rÉglise catholique, sans cependant ofl'enser le moindre
de leurs sentiments.
Les dames de la ville de New-Westminster avaient
préparé un festin pour les évêques et le clergé dans les
salles du collège Saint-Louis, qui est attenant à la rési-
dence de l'évêque et des Pères de la maison de New-
Westminster.
A 2 heures de l'après-midi ont eu lieu les réunions des
sauvages dans la cour du collège Saint-Louis, oii les évê-
ques et le clergé sont venus pour les voir et les féliciter.
Plus de 2000 sauvages se trouvaient présents. L'un d'eux,
Auguste de Langley, s'est levé et a adressé quelques
paroles de félicitations au nouvel évêque, M^'' Donten-
— 481 —
VILLE, en lui disant en même temps que tous les sau-
vages de la Colombie Britannique reporteraient sur lui
l'affection qu'ils avaient pour M.s^ Durieu, dont il deve-
nait le coadjuteur, et lui promettant la même obéissance
qu'ils avaient toujours professée pour leur évêque.
M^'' DoNTENViLLE leur a répondu qu'à son tour il leur té-
moignerait toujours le plus grand intérêt et qu'il les
porte déjà tous dans son cœur.
Ensuite, S. G. Me^ Langevin a invité le R. P. Camper à
adresser la parole aux sauvages, en sa qualité de mission-
naire des sauvages du Manitoba. Le P. Camper a parlé en
français et le P. Le Jeune, de Kamloops, a traduit ce
qu'il disait en chinook, afin que tous les sauvages pré-
sents pussent comprendre. Le P. Camper leur a d'abord
témoigné sa joie vive de constater leur ferveur et leur
attachement à la religion catholique. Il leur a dit qu'il
n'oubliera jamais ce qu'il a vu aujourd'hui en Colombie
Britannique ; qu'il va redire avec plaisir à ses sauvages
du Manitoba, à son retour, comment ils ont des frères
de l'autre côté des montagnes Rocheuses qui connais-
sent, aiment et servent avec fidélité Notre-Seigneur
Jésus-Christ. Il leur a demandé en outre de prier pour
leurs frères du Manitoba, pour ceux qui sont déjà catho-
liques, afin qu'ils persévèrent, pour ceux qui ne le sont
pas encore, afin que le bon Dieu les convertisse et leur
fasse goûter aussi le bonheur de vivre dans la vraie
religion.
Ms'' Langevin s'est levé à son tour. Il a commencé par
dire, en chinook : « Je suis très content de vous tous. »
Ensuite, il leur a parlé en anglais, interprété en chinook
par le même P. Le Jeune, de Kamloops. H leur a montré
comment l'Église catholique est la même partout. «Nous
avons ainsi réuni, aujourd'hui, des évêques et des prê-
tres venus un peu de tous côtés, cependant, ils n'ont
— 482 —
tous qu'une seule et même religion, et nous vous trou-
vons ainsi avec la même religion que nos sauvages du
Manitoba. Quelle plus belle preuve de l'unité et de la
calholicité de l'Église? Il y a quelques années, des sau-
vages de l'autre côté des montagnes Rocheuses se ren-
contraient avec des sauvages de ce côté-ci ; ils ne pou-
vaient pas se parler, n'ayant pas la même langue, mais
l'un d'eux eut la bonne idée de tirer son chapelet et de
faire le signe de la croix, sur quoi les sauvages de l'autre
côté firent la même chose ; ils reconnurent par là qu'ils
n'avaient qu'une religion, qu'ils étaient frères en Jésus-
Christ, et ils se traitèrent comme tels. »
L'archevêque leur a ensuite recommandé d'être tou-
jours fidèles à leur sainte religion, et comme il les avait
vus prier si bien, il leur demanda de prier pour leurs
frères du Manitoba, de prier pour leur Monseigneur, de
prier le bon Dieu d'envoyer d'autres missionnaires pour
aider ceux qui travaillent déjà parmi eux, de prier pour
qu'il conserve longtemps encore ceux qui sont actuelle-
ment au milieu d'eux ; il leur a dit aussi de prier pour
lui, «car, dit-il, je vous ai donné aujourd'hui un nouveau
père, vous devez donc me considérer comme votre
grand-père».
Enfin, W DuRiEU s'est levé aussi et a recommandé
aux sauvages d'être bien dociles au nouvel évêque :
<f Vous voj'ez que je suis trop vieux pour courir parmi
vous comme je le faisais quand j'étais plus jeune, c'est
pourquoi j'ai pris un coadjuteur pour être comme mes
pieds pour courir parmi vous, pour être comme ma
bouche pour vous parler, mes oreilles pour vous écouter
et me rapporter de vos nouvelles. Vous avez vu qu'on lui
a mis dans les mains, ce matin, un bâton d'or, la crosse ;
ce n'est point pour une simple cérémonie qu'on a fait
cela, mais pour vous faire comprendre qu'on lui a donné
— 483 —
de l'autorité sur vous pour vous pousser dans le bien et
vous fustiger si vous faites mal. »
Ce meeting des sauvages a été suivi par le toucher des
mains, où tous les sauvages présents ont défilé devant
les évêques et le clergé, pour leur donner la poignée de
main traditionnelle.
Après quoi la bénédiction du très Saint Sacrement a
couronné le tout.
Jean-Marie Le Jeune.
PROVINCE DES ÉTATS-UNIS.
NOVICIAT DE TEWKSBURY.
LETTRE DU R. P. CAMPEAU JOSEPH, MAITRE DES NOVICES.
Entendez-vous cette musique sautillante, ce bruit de
personnes qui s'amusent, ces rires et ces applaudis-
sements qui viennent troubler le paisible village de
Tewksbury?
Toute une foule de mondains y accourent : festins et
danses se succèdent tous les jours, et le démon, pour
montrer qu'il est réellement le roi de ces lieux, se fait
ériger deux statues : une Vénus et un Bacchus.
Cependant, au milieu de ces fêtes, une voix se fait en-
tendre : c'est la voix d'une mère qui veut reprocher à
son fils de folles dépenses. « Attention ! mon fils, dit-elle,
si tu continues, tes propriétés pourraient bien passer aux
catholiques. » La vieille puritaine prophétisait sans le
savoir, car tout à coup la fortune change, une terrible
banqueroute frappe à la porte de notre propriétaire qui,
dans son excitation, ne trouve pas de meilleures res-
sources à ses malheurs que de mettre fin à ses jours.
Et ces lieux que la foule aimait tant naguère deviens
— 484 —
nent bientôt déserts; que dis-je? comme on les dit
hantés par quelques mauvais esprits, personne n'ose s'en
approcher, si ce n'est un prêtre qui en fait aussitôt l'ac-
quisiLion. Or, charmante est cette nouvelle propriété!
A quelque dislance du village, près d'un lac entouré
d'une ceinture de verdure, se trouvait la maison Kil-
tridge. Tout attirait le regard : parterres, terrasses, ave-
nues, plantes rares; le chalet lui-même était ravissant.
Et ce prêtre qui venait d'acheter cette propriété était le
père de notre jeune province des Etats-Unis : le R. P. Ja-
mes M'= Grath. 11 songeait à fonder un noviciat, et bientôt
à la musique effrénée succédait la prière, au bruit des
mondains un silence religieux, aux statues païennes se
substituaient celles du Sacré-Cœur, delà Sainte Vierge
et de saint Joseph, et ces lieux de plaisir devenaient des
lieux de retraite et de sanctification : c'était le triomphe
de Dieu sur Satan.
Mais pour un noviciat il faut un Père Maître. La pro-
vince du Canada, qui aimait tendrement sa fille devenue
majeure, ne recula pas devant un nouveau sacrifice et
nous envoya le R. P. Emery, qui fut pendant huit ans
directeur à Tewksbury. Modestes furent ces commence-
ments ; deux Pères, les RR. PP. Emery et Gigault ; un
Frère convers , le F. Isaïe Maison ; un postulant scolas-
tique devenu depuis le R. P. Gagnon, curé de la paroisse
Saint-Joseph à Lowell, et un postulant convers.
Plus tard, quatre novices scolastiques étaient trans-
férés de Lachine à Tewksbury et c'était à cette petite
communauté que le T. R. P. Général, alors visiteur,
adressait en i884 ces paroles : « Je ressens une consola-
tion parliculière en venant faire la visite de cette nou-
velle maison qui doit être considérée comme le fonde-
ment de cette province. Et vous, mes Frères, rappelez-vous
que vous en êtes les fondateurs. Considérez-vous comme
— 485 —
tels et en conséquence efforcez-vous de laisser à vos suc-
cesseurs les meilleures traditions. »
Cinq longues années se sont succédé les unes aux
autres, sans que rien de bien remarquable ne vînt trou-
bler la solitude de Tewksbury. Mais en 1888, voyant que
le seul moyen de nous recruter est le juniorat, le noviciat
ouvrit ses portes à toute une gente écolière qui, criant,
sautant, gambadant, faisait un contraste à la vie uni-
forme et tranquille du novice. Cet état de chose cepen-
dant ne pouvait être que temporaire , et au mois
d'août 1891,les junioristespartaient pour Buffalo oti une
grande et belle maison les attendait; et le R. P. Emery
allait se livrer à un ministère plus actif tandis que le
R. P. J. R. Pelletier devenait maître des novices. En
septembre 1894, le T. R. P. Général, accompagné des
RR. PP. Antoine, Guillard, Garin, etc., nous faisait
l'honneur d'une visite. Inutile de dire que le souvenir de
ce jour est gravé dans nos cœurs. Comment pourrait-il
en être autrement ? 11 est si père celui que nous appelons
notre Père!... Et nous qui en entendions parler depuis
si longtemps, nous avons eu le bonheur de converser
avec lui et celui de le connaître et de l'aimer davantage.
Ah! puisse-t-il revenir encore! Son passage nous fait
tant de bien et nous rend plus Oblats. Ces jours de fêtes
passés, la paix et la charité régnaient en souveraines,
quand le 7 février 1895, un incendie venait réduire en cen-
dres le noviciat et ses dépendances. Incendie! cemotsinis-
trelaisse dans l'esprit l'idée de peines et de destructions. Et
comme un malheur appelle un autre malheur, outre la
perte de notre noviciat nous eûmes la douleur de perdre
notre Père Maître. Le R. P. Pelletier, tout épuisé, dut
quitter la position et la laisser tomber sur des épaules
bien faibles, hélas 1
Cependant les philosophes nous assurent que cor-
T. XXXV. 33
— 486 —
rupHo unius est generatio alterius; ainsi en fut-il de notro
noviciat. Grâce aux elTorts du présent provincial, le
R. P. GuiLLARD, sur ses cendres s'est élevé un nouvel
édifice de briques aux couleurs rouge foncé et d'un style
américain.
Haut de 62 pieds, long de 132 pieds, il fait la gloire
de Tewksbury. Outre le soubassement et le rez-de-
chaussée, il a trois étages, et sa tour élève bien haut dans
les airs une brillante croix qui dit à nos voisins que nous
n'avons honte de nous proclamer les disciples du Christ.
Eloigné de 200 pieds de la route, il faut passer au mi-
lieu d'une magnifique pelouse pour y arriver. Voulez -
vous y pénétrer? Quatorze degrés en pierre vous font
passer par un porche et vous conduisent à l'entrée prin-
cipale.
A l'intérieur, rien d'extraordinaire : tout est en pin
couvert d'une couche de vernis; mais tout est propre et
adapté aux besoins d'une communauté religieuse. Salles
vastes, chambres modestes mais bien aérées, chapelle
belle et pieuse, réfectoire spacieux, cuisine à la moderne,
dortoir splendide.
Une pompe va nous chercher de l'eau à 200 pieds sous
terre, le gaz nous donne la lumière, la vapeur, sa cha-
leur. Que peut-on désirer de plus? Aussi, matériellement
du moins, tout est parfait. Mais... les novices ?... Appa-
rent rari in gurgite vasto. Depuis 1883, nous avons eu
104 prises d'habit, et, sur ce nombre, beaucoup sont re-
tournés dans le monde. Que voulez-vous? Le dieu Dollar
est un aimant qui attire bien des cœurs à soi, Actuelle-
ment, la communauté de Tewksbury se compose de
2 scolastiques, 2 novices convers et 8 Frères profès.
C'est bien peu, j'en conviens, mais c'est le cas de dire
non numerandi sed pondei'andi. Jardinier, fermier, for-
geron, charpentier, tailleur, ingénieur et cuisinier :
— 487 —
tous les métiers se trouvent réunis sous le même toit.
Ajoutez que nos Frères sont animés du meilleur esprit,
pieux à la chapelle, joyeux en récréation, pleins d'ardeur
au travail ; ils aiment la Congrégation et n'oublient pas
de prier pour celui qui est leur Père.
Les œuvres. — L'œuvre par excellence de l'Oblat est
l'évangélisation des pauvres : Evangelizare pauperibus
misit me. Ainsi, ils sont bien dans leur vocation, ces
Oblats, qui courent après les habitants de ces im-
menses plaines du Manitoba, de Saint-Albert et du Mac-
kenzie ; ils sont dans leur vocation, ces Oblats, qui évan-
gélisent le Ceylanais et l'Africain; ils sont dans leur
vocation, ces Pères, qui sèment et moissonnent au milieu
de la population rurale; mais, révérend Père, le sauvage
n'a-t-il pas une tente, un canot, un traîneau ? L'habi-
tant de l'Afrique et de Ceylan est-il sans avoir une habi-
tation? Et, dans la campagne même la plus pauvre, est-
on sans posséder quelque chose?
Or, à la maison des pauvres, se trouvent les plus dé-
pourvus : sans logis, sans nourriture, sans vêtement
même ; voilà nos chers paroissiens.
Qu'est-ce donc qu'une maison des pauvres {almshouse),
aux États-Unis ? C'est un établissement sustenté par
l'État, où les nécessiteux, les délaissés, et quelquefois
aussi les vagabonds, viennent chercher refuge : boiteux,
paralytiques, phtisiques, goutteux, tous les maux physi-
ques se donnent rendez-vous sous le même toit. Et le
mal moral! Ciel! Peut-on en parler? Nous avons affaire
à des étrangers, qui, en grand nombre, ne se sont pas
approchés des sacrements depuis qu'ils ont laissé la pa-
trie. Pourtant, il faut le dire, tous ces gens, après avoir
fait une sincère confession, meurent dans la paixdu Sei-
gneur ; de sorte qu'il est vrai de dire que la maison des
pauvres, à Tewksbury, est une véritable porte du Ciel.
Et, révérend Père, celui qui, avec bonheur, va réconci-
lier ces âmes avec leur Dieu est heureux de se dire
Oblat de Marie Immaculée. Depuis le 22 novembre 1869,
les Oblats ont pris la desserte de cette institution et
y sont restés fidèles. Les Lebret, les Barber, les O'Rior-
DAN, lesGiGAULT, les Gagnon et les Sirois, se sont succédé
les uns aux autres, et après chaque visite, tous sentant
une joie extrême au fond de l'âme, se faisaient un plaisir
de répéter : Pauperes evangelizantur ! Que de pécheurs
réconciliés avec leur Dieu ! Que d'âmes purifiées par le
ministère des Oblats s'envolent vers leur Créateur ! Que
de larmes de repentir la seule vue du prêtre ne fait-elle
pas verser !
Aussi, comme il fait bon exercer notre zèle parmi
ces pauvres gens ! Trois fois la semaine, le R. P. Ant.
Fletcher, nouvellement arrivé du scolasticat, passe au
milieu d'eux, visite les malades, encourage les uns, donne
les sacrements aux autres. Puis, tous les dimanches,
nous allons leur dire la sainte messe, et leur nombre
nous dit combien ils apprécient notre ministère.
Pourtant, il ne faut pas croire qu'il n'y a pas de dif-
ficultés. D'abord ces chers paroissiens sont très nom-
breux; sur 1500 à i 600 personnes, 800 à 1 000 sont ca-
tholiques, et sur ce, 200 ou 300 sont des malades. Bien
peu de semaines ne se passent sans avoir 3 ou 4 morts.
Aussi, outre les visites régulières, que de fois on nous
appelle, même au milieu de la nuit et pendant les plus
grosses tempêtes. Et il faut remarquer qu'il y a un bon
mille anglais du noviciat à la maison des pauvres.
Puis, ici, nous vivons comme si nous étions au temps
de la construction de la tour de Babel. Toutes les na-
tions sont réunies : Anglais, Français, Irlandais, Ita-
liens, Allemands, Espagnols, Portugais, Arméniens, etc.
Enfin, officiers majeurs, gardes-malades, tout ce monde,
-. 489 -
en général, est protestant, et bien qu'honnête, gentil
même, il faut cependant ménager leur susceptibilité et
les principes de la foi catholique.
Mais malgré cela, le bien se fait, le règne du Sacré-
Cœur s'étend , les âmes se sauvent. Vive Jésus ! Vive
Marie Immaculée I
Joseph Campeau, o. m. i.
VARIÉTÉS
En préparant la vie du P. de l'Hermite, son biographe
a fait une ample moisson de documents, parmi lesquels
plusieurs se rapportent à la fondation de Bordeaux,
dont il a été jusqu'ici peu parlé dans nos annales. Voici,
pour cette fois, deux lettres adressées par le P. de l'Her-
mite, alors tout jeune prêtre, à notre vénéré Fondateur.
ARRIVEE DU P. DE L HERMITE A BORDEAUX.
MISSION DE SAINT-ESTÈPHE.
Pont de la Maye, 11 décembre 18bl.
Monseigneur et très vénéré Père,
Permettez-moi de vous exprimer enfin les regrets que
j'ai éprouvés de quitter Marseille sans avoir reçu vos
derniers conseils et votre sainte bénédiction. Mon dé-
parts! précipité en est seul la cause ; mais j'aime pour
ma consolation à merappeler les paternelles instructions
que vous m'avez données si souvent, en particulier du-
rant ma retraite du sacerdoce. Je garde aussi de vos
bontés pour moi un souvenir que je ne perdrai jamais,
et, jusqu'à la fin de mes jours, j'aimerai à repasser dans
mon esprit les doux moments où, placé près de mon
père, il m'était permis de me laisser aller à de touchants
entretiens. J'ai contracté une dette de reconnaissance
et d'affection que ma mémoire n'oubliera pas, et que
mon cœur saura payer.
— 491 —
Je suis arrivé à Bordeaux la veille de la Toussaint,
ainsi que j'en avais reçu l'ordre; mais, dès le matin, les
habitants de Saint-Delphin, au Pont-de-la-Maye, étaient
partis pour leur mission respective. Il m'a fallu faire de
nuit plusieurs courses dans la grande ville pour trouver
Ms' l'Archevêque ; il m'a été impossible de le rencon-
trer le soir même, et comme nous étions arrivés tard,
c'est au grand séminaire que le F. Picard et moi avons
pris nos logements. Le jour de la fête, j'ai assisté, à la
cathédrale, à l'office pontifical ; je m'y étais rendu
exprès pour avoir l'honneur de présenter mes respec-
tueux hommages au vénérable prélat ; il m'a reçu
comme un père reçoit son enfant, et m'a fait dîner à sa
table, parmi un cercle imposant de dignes chanoines;
en ma qualité de junior, j'ai fait les fonctions de lec-
teur en lisant, avant le repas, les quelques versets
d'Écriture Sainte. Dès le lendemain, je m'embarquai sur
le bateau à vapeur pour Saint-Estèphe, où le R. P. Su-
périeur avait ouvert la mission depuis la veille. C'est
dans cette paroisse, placée au centre du Médoc, sur les
bords de la Gironde, à \1 lieues de Bordeaux et dans
l'arrondissement de Lesparre, que j'ai fait mes pre-
mières armes. Je n'avais rien à craindre, car je com-
battais sous la direction d'un habile capitaine. Durant
six semaines, nous avons été à l'œuvre dans une popu-
lation de 2500 âmes au moins. Le succès a été com-
plet, et lorsque, dimanche 7 décembre. Monseigneur
est venu couronner le jubilé, il a pu donner la commu-
nion à plus de 700 hommes et la confirmation à 555 per-
sonnes. Au nombre des confirmants étaient des vieil-
lards de l'un et de l'autre sexe, et c'était un spectacle
touchant de voir des pères et des mères de famille con-
fondus dans la foule, à genoux près de leurs enfants,
pour receToir, eux aussi, sur le front le signe du parfait
— 492 -
chrétien. Je ne parle pas de la communion des femmes,
qui ont été également fidèles à l'appel. Saint-Estèphe
avait eu une mission onze ans avant celle-ci, mais elle
nous avait laissé encore bien de la besogne taillée, et
les chiffres de 15, 20, 30 et même 40, qui fixaient
l'époque de plusieurs confessions, nous ont appris qu'il
yavaiteu bien des retardataires en 1840, Saint-Estèphe,
comme toutes les contrées du Médoc, est un pays de foi ;
mais les habitants, engourdis sans doute par les vapeurs
de leur bon vin, manquent d'énergie ; c'était là le point
capital qui exigeait une mission. Le R. P. Supérieur a
vraiment obtenu un triomphe éclatant; mais il Ta acheté
par bien des fatigues, par une activité incessante et un
zèle à toute épreuve. Sa parole facile et exercée inté-
ressait au plus haut degré son nombreux auditoire; il a
donné sept conférences ; à chacune d'elles, l'auditoire
augmentait et le missionnaire devenait de plus en plus
éloquent. Le R. P. Dassy a prêché près de cinquante fois,
sans compter les avis qui revenaient tous les jours; le
dimanche, il prêchait à la messe de paroisse et à vêpres.
Pour moi, en ma qualité de débutant, je n'ai prêché
que cinq fois. Les braves gens de la paroisse ne pou-
vaient se lasser de venir à notre exercice, que nous fai-
sions chaque soir à 6 heures et demie ; et malgré les
distances très grandes des villages, l'église surabondait,
les tribunes, les chapelles latérales, le chœur, regor-
geaient d'hommes ; le chant des cantiques leur plaisait
beaucoup, et nous étions obligés de couper le dernier
au milieu, afin de donner un peu le temps à la circula-
tion de s'établir ; une fois le mouvement de sortie donné,
nous reprenions ce cantique ; cette précaution était né-
cessaire, sans cela on serait resté toute la nuit à écou-
ter. L'auditoire a été constamment très nombreux ; nous
avons connu de pauvres ouvriers en jounite qui, après
- 493 —
avt)ir fini leur travail, se rendaient de plus d'une lieue,
sans avoir soupe ; ce n'était qu'au retour qu'ils prenaient
le pain matériel, le pain spirituel avait pour eux plus de
charmes. Dès l'instant où les confessions ont été annon-
cées, on s'est rendu en foule; bien peu de personnes ont
échappé; nous étions quatre pour ce ministère : M. le
curé, M. le vicaire et les deux missionnaires ; chacun a
eu sa bonne part; le R. P. Supérieur a été le plus acca-
blé ; il a confessé plus de 600 personnes ; pour moi, je
suis arrivé à environ 230; tous ces braves gens se sont
confessés trois fois, plusieurs sont revenus jusqu'à quatre,
cinq, six et même sept fois. Sur ce nombre, nous ne
comprenons pas les enfants. Nous avons passé tout un
jour pour eux ; le matin, nous avons eu les petites filles
et, le soir, les petits garçons; je crois, par exemple, que,
pour ces pratiques, j'ai été le plus occupé. Ces pauvres
enfants ne se possédaient pas de joie à la pensée de leur
confession. Il y avait de vraies poupées dans ce petit
peuple; les petites filles se tenaient debout au confes-
sionnal, et plusieurs arrivaient à peine à la grille. La
veille, le FI. P. Supérieur avait consacré toute la jeune
famille à la Sainte Vierge, aux pieds du beau reposoir
élevé pour la consécration de la paroisse entière. C'est
un dimanche qu'a eu lieu cette cérémonie. Nous avions
composé deux courtes prières ; une petite fille ayant
déjà fait sa première communion dans l'année a lu
l'acte de consécration au nom des femmes; un petit
garçon a représenté les hommes. Celait beau et solen-
nel d'entendre le chant du Magnificat par les voix mâles
des hommes, à l'issue de leur consécration. Le lundi^
au pied du même autel, les enfants conduits par les
mamans et échelonnés avec ordre, les garçons d'un côté,
les filles de l'autre, venaient aussi faire leur fête et ga-
gner leur jubilé. Le R. P. Supérieur leur a expliqué,
— 494 —
d'une manière bien à la portée de leurs faibles intelli-
gences, les principales parties de la messe qu'on leur
disait, et dans le discours qui a suivi, il leur a dit que,
pour aller au ciel, il fallait bien passer la journée ; telle a
été sa proposition. Mille petits exemples, mille détails
intimes et scènes naturelles de la vie des enfants, les
ont charmés d'un bout à l'autre ; leur attention n'a pas
fait défaut un seul instant. Nous avons eu aussi une fête
de réparation à la Sainte Eucharistie. Durant toute la
journée, Notre-Seigneur a eu des adorateurs ; les villages
étaient partagés pour les visites, et des bandes de pieux
fidèles se rendaient aux heures indiquées. Les malades
n'ont pas été oubliés durant cebeaujubilé.LeR.P. Dassy
étant trop occupé par les soins de la mission, c'est moi
qui ai visité cette portion intéressante de la paroisse ;
j'ai pris mes jambes de novice et, à plusieurs reprises,
je me suis dirigé vers presque tous les villages dont plu-
sieurs étaient très éloignés ; M. le vicaire m'accompa-
gnait assez ordinairement, et j'ai eu la consolation de
faire gagner le jubilé à mes chers infirmes.
Que de choses j'aurais à vous dire sur cette belle mis-
sion, Monsergneur! Si je voulais, je pourrais faire un vo-
lume, j'ai des matériaux suffisants pour cela. L'empire
de la grâce et son action sur les cœurs sont quelque chose
de bien admirable; j'ai pu, pour la premièrefois, l'étudier
de près. Nos braves gens nous avouaient naïvement tout
le bien que la confession avait produit en eux ; dans leur
langage, ils se sentaient Vestomac débarrassé, leurs nuits
étaient plus tranquilles. Dans mes courses de village à
village, je profitais de mes visites aux malades corporels
pour voir aussi un peu quelques malades spirituels;
grâce aux indications de M. le vicaire, j'ai pu dénicher
plusieurs renards renfermés dans leurs tanières, et, le
soir ou le lendemain, ils nous arrivaient dociles comme
— 495 —
des enfants. Je m'en suis tiré comme j'ai pu avec la
langue gasconne que me parlaient certaines personnes,
car ici on comprend assez généralement le français. Je
n'ai été un peu embarrassé que pour quelques vieilles
édentées qui n'entendaient rien à mes morales ; elles
prétendaient que je parlais trop bien français, et le
R. P. Dassy a fait leur affaire. Je ne pourrais vous dire,
Monseigneur, toute l'influence que cet habile mission-
naire exerçait sur la population, c'était comme un oracle
que chacun respectait, on lui obéissait comme dessoldats
obéissent à leur chef; on le désignait par ce nom : le
révérend Père, sans doute parce qu'on m'avait entendu
lui donner ce titre dans les questions que je lui adressais
aux conférences. Pour moi, on m'appelait le Père tout
court, et même plusieurs personnes, qui, ne sachant pas
lire, n'avaient pas lu mon nom sur le confessionnal,
étaient embarrassés pour me qualifier. Un jour une brave
femme vient à la cure demander le missionnaire pour se
confesser, et comme on la priait de nommer celui
qu'elle désirait, elle répondit ; « C'est M. le professeur
que je demande, le plus grand »; c'était bien moi.
La prière pour les pécheurs a été annoncée pendant
huit jours par la grosse cloche, à 8 heures du soir; elle
a eu son effet, et la semaine des Pater a été une des
meilleures pour les confessions. Un soir, quelques femmes
venant de l'exercice, cheminaient de compagnie vers leur
village, tout à coup la cloche de la prière sonne, nos
voyageuses font leur dévotion tout en marchant, mais
quel n'est pas leur étonnement de voir à genoux, près
d'une borne, un bon vieillard récitant ses Pater avec un
enfant qui l'accompagnait. Au dire des bons habitants,
on n'entendait chaque soir, au retour de l'exercice, que
de pieuses conversations, et les malades eux-mêmes qui
ne pouvaient se rendre à l'église, avaient de bous voisins
— 496 —
qui venaient fidèlement leur faire le compte rendu des
bonnes choses dites en chaire. Une petite fille malade
s'excusait un jour, auprès de son confesseur, de n'avoir
pas pu venir la veille à l'exercice, parce qu'elle avait une
fièvre plus forte qu'à l'ordinaire. Jusqu'alors elle n'y
avait jamais manqué malgré ses accès; sur l'observation
du missionnaire qui lui disait que son état l'exemptait
de se rendre de si loin, elle répond : « Oh ! mon Père, il
faut bien que je fasse un peu pénitence. » Un homme
ayant rencontré un prêtre d'une paroisse voisine, portant
le Saint Sacrement à un malade, ne s'était pas décou-
vert. Le lendemain il est témoin de la belle cérémonie
de réparation à l'Eucharistie, il entend les paroles éner-
giques et brûlantes du R. P. Supérieur; aussitôt, touché
par la grâce, il se met à pleurer, le remords de sa faute
le poursuit, et pour calmer sa conscience, il vient se
confesser.
Après chaque sermon ou avis du R. P. Supérieur, on
pouvait s'apercevoir, au tribunal de la pénitence, du bon
effet qu'il avait produit. Une femme embarrassait depuis
longtemps son confesseur en refusant de se réconcilier
avec un proche parent ; durant trois semaines on l'avait
trouvée intraitable sur cet article. Un soir, elle entend
prêcher le R. Père sur l'amour des ennemis, et, le lende-
main, cédant à l'impulsion delà grâce, elle vient déposer
aux pieds de son confesseur ses bons désirs et ses pro-
messes de réconciliation. Je demandais à un brave
homme qui se confessait pour la seconde fois, si sa
première confession lui avait fait du bien, et s'il n'était
pas bien aise d'avoir rempli ce consolant devoir, a Ah !
mon Père, me répondit-il, je suis bien pauvre, et pour-
tant, on m'aurait donné 100 francs au sortir de ma con-
fession, que je n'aurais pas été plus content. » Nos croix
étaient considérées avec vénération, et plus d'une lèvre
— 497 —
s'est collée avec amour et contrition sur les plaies de
Notre-Seigneur. Un jour que je m'étais rendu dans un
village pour la visite des malades, une vieille femme me
pria d'entrer chez elle pour voir son neveu infirme. C'était
une pieuse ruse; son neveu ne s'était pas encore décidé
pour la confession et n'était pas malade de corps ; elle
voulait lui faire embrasser ma croix : il la baisa respec-
tueusement et m'accompagna jusqu'à la sortie du village.
L'assiduité que les habitants de la paroisse ont mise à
venir entendre la parole de Dieu étaitvraiment édifiante.
Malgré la pluie qui, durant le mois de décembre, tom-
bait assez régulièrement de jour à autre, ils se ren-
daient souvent plus d'une heure à l'avance pour avoir
une meilleure place. On arrivait aux instructions avec
parapluies, lanternes et tous les objets nécessaires pour
obvier aux incommodités du temps. Dimanche, jour de
la clôture, M^" l'archevêque ayant chanté lagrand'messe
malgré la longueur delà cérémonie, plusieurs personnes
desvillageslesplus éloignés avaientapporté des provisions
afin de pouvoir dîner dans le bourg même sans être obli-
gées de rentrer chez elles, et immédiatement après le
repas, elles se sont rendues à l'église pour garder leurs
places, quoique les vêpres ne dussent être chantées qu'à
2 heures et demie.
C'est ainsi^ Monseigneur et très vénéré Père, que le
bon Dieu et sa Sainte Mère se sont intéressés pour ce cher
peuple de Saint-Estèphe. Tout a réussi malgré les ruses
du démon. Un prédicateur socialiste venu de Bordeaux
les premiers jours, pour contrebalancer sans doute l'effet
de la mission, avait monté une espèce de club où il pé-
rorait avec la plus grande effronterie ; nous n'étions, à
l'entendre dire, que des jésuites chassés de partout, et
qui, manquant de ressources, étaient venus exploiter la
simplicité des gens du Médoc. La calomnie a été mal ac-
cueillie ; on a préféré les missionnaires chrétiens au mis-
sionnaire démagogue, et au bout de trois jours, il est
parti, accablé par le poids du ridicule et du bon sens
populaire. Nos braves gens ont fait justice de ses décla-
mations et de ses menaces; il a bien fait de partir, car
déjà il trouvait dans son auditoire des opposants qui lui
faisaient des objections un peu embarrassantes pour son
mince esprit.
Pendant que nous travaillions à Saint-Estèphe, le
P. DÉPÉTRO, de son côté, évangélisait à lui seul une autre
paroisse, celle de Vendais, la plus voisine de l'Océan.
Lui aussi a été béni du bon Dieu, et le succès a couronné
ses travaux. Il a commencé le même jour que nous et a
fini quatre jours plus tôt. Il avait affaire à une population
de 2000 âmes environ, et Monseigneur, au terme du ju-
bilé, a donné aussi la confirmation dans cette paroisse.
Le bon Père était entouré de gens plus pauvres que les
nôtres, plusieurs venaient des Landes, montés sur leurs
grandes échasses ; ils les déposaient à la porte de l'église,
et chacun, en sortant, savait reconnaître sa propriété
respective. Nous avons vu ce bon Frère à son retour ; il
s'est reposé un jour à Saint-Estèphe, et de là s'est rendu
à Loussans, petite paroisse encore du Médoc ; il y restera
jusqu'au 15. L'intention première du R. P. Supérieur
était de me laisser maintenant à Saint-Delphin pour me
donner le temps de préparer des instructions simples
pour les missions, mais, depuis hier, il s'est décidé à
m'amener avec lui dans une autre paroisse, à Saint-
Pierre-de-Mont , canton de Langon ; nous partirons
samedi 13, et nous en avons jusqu'au premier de l'an.
Les demandes ne manquent pas et nous avons suffi-
samment d'ouvrage sur le chantier, mais le bon Dieu
aide ses missionnaires selon sa promesse : Dominus dabit
verbum evangelizantibus virtute multa..., et Marie bénit
— 499 —
ses Oblats, Depuis deux jours, le R. P. Supérieur et moi
prenons un peu de repos à notre campagne de Saint-
Delphin, en attendant le départ de samedi. Le bon
F. Picard est avec nous. Durant la mission, il est resté chez
les Sœurs de Saint-Joseph, où on l'a bien occupé et où
il a su se rendre utile ; les bonnes Sœurs lui ont appris
un peu de cuisine et hier, nous avons trouvé son pre-
mier dîner excellent. Nous formons jusqu'à présent une
bien petite communauté, mais nous pensons souvent à
la grande famille de Marseille et nous cherchons à imiter
nos premiers Pères, nos modèles, qui eux aussi avaient
leurs peines dans les fondations et les œuvres qu'ils ont
entreprises.
Veuillez, Monseigneur, me pardonner cette longue
lettre. Les enfants aiment à raconter à leur père toutes
leurs petites histoires, et je ne puis oublier que je suis
votre enfant; j'en suis fier, Monseigneur, et malgré les
distances votre souvenir vénéré se présente chaque jour
à mon esprit et fait battre mon cœur. Je vous remercie,
Monseigneur, des pouvoirs que vous m'avez accordés au
sujet des indulgences. Daignez agréer ma reconnais-
sance, me garder toujours une place dans votre cœur de
père; c'est celle du dernier-né que je réclame, je saurai
l.'eslimer. Je prie bien le R. P. Tempier de vouloir m'ex-
cuser sur mon silence, à mon arrivée àBordeaux, je lui
aurais écrit si le R. P. Supérieur ne s'était chargé lui-
même d'écrire, et si des occupations si nombreuses et
si nouvelles pour moi n'avaient exigé tous mes moments.
Je le remercie bien de la peine qu'il s'est donnée pour
moi et je le prie d'agréer mes respectueux hommages ;
j'en fais de même pour nos bons Pères et je compte
beaucoup sur les pieux souvenirs et les ferventes prières
de nos chers Frères.
Daignez, Monseigneur, prier un peu pour ce jeune
— oOO —
prêtre qui sort à peine de l'ordination, où vous l'avez
consacré ministre du Seigneur il n'y a pas encore trois
mois, et recevoir l'expression des sentiments de respect
filial et soumis de votre tout dévoué et afTectueux enfant
qui vous prie de le bénir.
Marc DE l'Hermite, prêtre, o. m. i.
II
MISSIONS DE SAINT-FERMÉ ET DE SAINT-CHRISTOLY.
Talence, 16 avril 1833.
Monseigneur et vénéré Père,
Je suis enfin rentré dans ma cellule depuis trois jours,
après deux nouvelles missions données sans interrup-
tion ; aussi j'éprouve le besoin de vous donner, selon
mon habitude, quelques détails sur mes travaux, et de
faire avec simplicité ma petite histoire et celle du P. Del-
PEUCH, mon compagnon. Je sais. Monseigneur, que votre
cœur si paternel et si bon s'intéresse aux moindres dé-
tails quand il s'agit de vos enfants; aussi, jamais je ne
crains d'être importun. Votre souvenir me fortifie dans
la lutte ; pourrais-je ne pas vous dire les résultats de
mes essais dans la vie apostolique, que je m'estime si
heureux d'avoir entreprise sous votre direction ? Comme
par le passé, je vais donc résumer ces deux dernières
missions où le bon Dieu s'est manifesté par des signes
tout particuliers.
La première mission a été donnée à Saint-Fermé, pa-
roisse de 1 000 âmes, dans l'arrondissement de la Réole.
Pour le P. Delpeuch et pour moi, cette partie du diocèse
était un terrain inexploré. Or, dans ce Bordelais, il y a
d'arrondissement à arrondissement, souvent de paroisse
à paroisse, des variantes des plus bizarres, ce qui de-
— 501 —
mande pour chaque population une étude nouvelle de
l'esprit et des mœurs. Partout, sur notre route, on nous
disait que la paroisse où nous nous rendions était très
mauvaise et, qu'arrivant en plein carnaval, nous trou-
verions des difficultés actuelles unies à des obstacles
permanents. D'un autre côté, nous savions que M. le
curé, après avoir compté longtemps sur le R. P. Supé-
rieur qu'il connaissait, souffrait de ne point le voir ve-
nir, et nous nous demandions si, en additionnant les
chiffres de nos deux âges, on pourrait avoir pour pro-
duit un missionnaire complet et présentable. N'importe,
le cœur et les bonnes dispositions ne nous manquaient
pas. Dès le premier jour, nous avons abordé vivement
notre peuple, dur dans ses formules, défiant dans ses
allures, grossier dans son langage et ses mœurs. Pendant
six semaines, nous l'avons évangélisé dans une vaste
église, vraie cathédrale, anciennement dépendante d'une
abbaye de Bénédictins établis dans le pays. Constam-
ment, nos gens nous ont tenus sur le qui-vive et éton-
nés par des surprises en tous genres. Là, rien de fixe ;
aujourd'hui foule à l'église, demain presque personne,
sans que rien puisse nous faire augurer l'affluence ou
la désertion. Il a fallu employer tous les moyens pour
allécher ces barbares enfants, prévenus contre les prê-
tres et nourris des préjugés les plus invétérés et les plus
fâcheux contre la religion. Avant de convertir ces êtres
rustiques, il a fallu les civiliser et faire leur éducation.
A force de soins et de leçons, nous avions fini par les
policer et leur donner presque de l'esprit; mais que
d'efforts en tous genres ont préludé à cette réaction ! Que
de courses dans des chemins affreux, et à des distances
encore inconnues pour nous ! Dans ces contrées, point
d'agglomération qui puisse rendre les visites faciles; les
maisons sont espacées de loin en loin et, pour voir tout
T. XXXV. 34
I
~ 302 —
notre monde, nous avons dû décrire plus d'une courbe
et ramasser pour nos soutanes des amas de boue, pré-
curseurs et figures des iniquités du peuple. Nous étions
vraiment beaux avoir, armés de nos bâtons ferrés selon
l'usage de la localité, parcourant en tous sens et sépa-
rément, pour ne rien omettre, les coteaux boueux et
glissants, les chemins perdus, entrant dans chaque ca-
bane isolée. Volontiers, nous nous serions crus un mo-
ment loin de tout peuple civilisé, chez des nations sau-
vages. A force d'eiforts, nous avons réussi à faire aimer
la robe noire et l'église ; quand ce peuple, prévenu, a été
bien convaincu que l'intérêt n'était pour rien dans notre
zèle, et que nous n'ambitionnions que les âmes, volon-
tiers il s'est abandonné aux deux jeunes missionnaires.
Aussi, plus la préparation a été longue et pénible, plus
le retour de nos pauvres gens a été sincère et touchant.
Le soir, dans notre vaste église où notre auditoire se
pressait pour ne pas avoir froid, notre voix retentissait
avec force; nos figures maigres et allongées inspiraient
une sainte compassion ; notre air résolu en imposait,
car nous agissions et parlions tanquam potestatem ha-
bentes, pour racheter le bénéfice de notre jeunesse. Il a
fallu attaquer avec énergie les matières les plus ardues,
s'en prendre aux objections les plus populaires et les
plus impies pour en faire justice. Le P. Delpeuch était
chargé des conférences, et savait pulvériser, d'une ma-
nière originale et sérieuse tout à la fois, les préjugés de
l'endroit. De sa voix forte, tranchant du Combalot, il par-
lait avec l'autorité d'un apôtre et la puissance d'un tri-
bun. Aussi a-t-il ramené grand nombre de ces braves
paysans, que ses allures franches et ouvertes, sa parole
énergique et sans détour, ont séduits. Pour moi, dans
mes avis, je me permettais parfois de détruire, par quel-
ques saillies un peu spirituelles, certains prétextes ridi-
— 503 —
cules ou certaines difficultés du pays; parfois, je répan-
dais un peu de sel attique sur ces esprits lourds, et je
voyais ces figures, impassibles et de pierre ordinaire-
ment, s'épanouir de satisfaction et approuver mes pa-
roles. Ce plan de bataille nous a parfaitement réussi. On
nous regardait comme des marcheurs redoutables,
comme des hommes à la langue bien pendue et comme
d'infatigables travailleurs ; et grâce au bon Dieu, un
ébranlement général a succédé subitement à cette fer-
mentation intérieure que nous avions ménagée dès le
principe. La population a mordu à l'hameçon ; nos
gens, autrefois ennemis des prêtres et de la religion, se
sont assouplis sous le joug évangélique, et à la fin de la
sixième semaine, la table sainte a été remplie de con-
vertis. Entre autres choses consolantes, j'ai reçu l'abju-
ration d'une jeune protestante, domestique dans une des
bonnes maisons de la paroisse. Son âme était disposée
d'avance par les soins de sa maîtresse; je n'ai eu qu'à
recueillir ce que d'autres avaient semé, à baptiser sous
condition et recevoir dans le sein de l'Eglise catholique
cette enfant bien instruite de la religion, et maintenant
fervente catholique.
Le P. Delpeuch était surtout l'homme des hommes, et
savait fort bien les prendre. Il a confessé M. le maire,
que nous savions, par son propre aveu en conversation,
ne s'être pas confessé depuis vingt-quatre ans. Ce brave
monsieur n'a pas manqué une instruction et a édifié tout
le monde par ses exemples. Après sa première confes-
sion, il voulut sortir de l'église avec le P. Delpeuch, et
se promener avec lui un instant sur la place, pour prou-
ver à tous les gens du bourg l'acte qu'il venait de faire
et combien peu le respect humain l'arrêtait. Le retour de
cet homme a été une belle conversion et qui, je le crois,
portera des fruits durables, car elle a été le résultat
— 504 —
d'une lutte intérieure un peu longue et d'une convic-
tion arrêtée. Dans cette mission, nous avons aussi réha-
bilité plusieurs mariages, ainsi qu'il nous arrive par-
tout; je ne vous dirai pas toutes les courses et toutes les
peines que le P. Delpeuch a été obligé de s'imposer pour
obtenir de ces êtres dégradés de faire bénir leur union
à l'église. La mission s'est terminée par l'érection d'un
chemin de la croix, dont nous avons orné les murs dé-
pouillés de notre spacieuse église. Au dernier jour, nous
avons vu notre auditoire fondre en larmes, tellement on
avait appris à nous aimer et à nous environner de con-
fiance. Ce peuple nous avait coûté cher ; une mère aime
toujours de préférence l'enfant qui lui a coûté de plus
vives sollicitudes; or, à Saint -Fermé, nous avions
éprouvé toutes les angoisses d'une maternité doulou-
reuse ; il n'était pas étonnant qu'on nous eût voué tant
d'affection en échange.
M, le sous-préfet de la Réole, homme religieux, a
passé deux jours à Saint-Fermé, à la fin de la mission.
Il était en tournée pour le tirage et s'était arrêté chez
une dame du bourg, sa tante. Il a bien voulu assister,
le soir, à noire exercice. Après avoir été témoin de
l'affluence, de l'attention et des conversions de nos
gens, il n'a pu s'empêcher de nous en témoigner sa
satisfaction, et nous a remerciés poliment d'avoir fait
tant de bien à une commune du ressort de sa sous-pré-
fecture, commune qu'il estimait, nous a-t-il avoué fran-
chement, comme la plus mauvaise du département et
la plus démoralisée par les idées socialistes. « Aussi, mes
Pères, a-t-il ajouté, je sais maintenant que vous savez
soulever des montagnes. » Hélas ! ce n'est pas nous qui
avons fait tout ce bien ; Dieu nous l'a bien prouvé en se
jouant de tous nos calculs, et nous accordant des con-
versions inattendues et dont nous semblions désespérer.
— 505 •-
Immédiatement après cette mission, nousnous sommes
rendus à Saint-Christoly, à 3 lieues de Blaye, pour en
commencer une autre. Après avoir embrassé en passant
et à la hâte le R. P. Vincens à Cadillac, nous nous sommes
acheminés vers une contrée nouvelle. On ne nous don-
nait que trois semaines pour préparer cette paroisse de
plus de 1 900 âmes à la visite de Son Éminence et à la
confirmation. Nous arrivons pour le dimanche de la
Passion, en plein temps pascal. Immédiatement nous
nous mettons à l'œuvre, et malgré les confessions et pré-
dications, nous trouvons encore moyen de faire, comme
à Saint-Fermé, une visite générale de la paroisse. Là
nous avions affaire à des gens d'un autre tempérament
que ceux de Saint-Fermé : population brillante, légère,
pleine de cœur, mais ignorante au plus haut point,
indifférente , terrestre et peu scrupuleuse comme
en général toutes les contrées du Blayais, au sujet des
commandements les plus impérieux de Dieu et de
l'Eglise. Dans cette paroisse, la mission a été bientôt
populaire et les missionnaires ont été bientôt chéris.
M. le curé, à notre arrivée, comptait sur 200 confirmants
au plus, et nous lui en avons déniché et décidé 220 de
plus, en sorte que Ms'' de Bordeaux a donné la confir-
mation à 420 personnes, bien que sa dernière visite dans
cette paroisse ne datât que de sept ans. Mais aussi quel
beau spectacle de voir tant d'adultes agenouillés dans
l'église, à leur rang, pour recevoir l'onction sainte! Que
de vieillards, que de vieilles mères étaient en ce beau
jour confondus avec leurs enfants. L'adjoint de l'en-
droit, bon vieillard et ancien soldat, marchait en tête
du bataillon des confirmants. Le chiffre des communions
a été plus que double de celui des confirmations.
Nous avons eu dans cette mission deux conversions
consolantes qui nous ont prouvé d'une manière évidente
— 506 —
combien les touches de la grâce sont secrètes et puis-
santes. Tout marchait à merveille, et nous rendions
grâces au Seigneur du succès de son œuvre, car l'ébran-
lement était presque général. Cependant les deux hommes
les plus importants de l'endroit, M. le maire, notaire,
homme à bonne éducation, et l'officier de santé, son beau-
frère, gros papa et bon vivant, ne parlaient pas de se
confesser. La bourgeoisie inférieure s'était rendue ; eux
seuls semblaient devoir nous faire défaut. L'un et
l'autre étaient assidus aux exercices, nous témoignaient
le plus grand respect, nous rendaient même des visites,
mais c'était tout. Un jour, le P. Delpeuch et moi nous
causions dans le jardin de la cure de ces deux hommes,
et d'un consentement unanime, nous déclarions que pour
eux la mission passerait sans porter de fruits; nous dé-
sespérions et nous faisions le sacrifice de nos matadors,
lorsque nos deux hommes nous arrivent à ['improviste,
comme pour nous prouver que nous avons tort d'ap-
préhender, et que la grâce se rit des calculs humains.
Ail heures, le gros médecin, tourmenté depuis long-
temps par sa pieuse femme, se présente tout ému au
P. Delpeuch; à 1 heure, le maire qui m'avait fait de-
mander mon heure, m'arrive. Ni l'un ni l'autre ne
s'étaient donné le mot, et le même jour, ces fiers Si-
cambres courbent la tête devant deux jeunes mission-
naires. C'était le 1" avril, jugez, Monseigneur, si ces
deux poissons arrivaient bien à point nommé. Le jour
de la communion, on vit le maire et l'adjoint s'ache-
miner les premiers à la table sainte, l'écharpe nationale
au côté et suivis du gros officier de santé. Ce brave
homme se mit aussi sur les rangs de la confirmation, car
son front chauve n'avait point encore reçu l'onction qui
fait les parfaits chrétiens. Son Éminence parut très sa-
tisfaite des résultats de notre mission. Aussi, d'après son
— 507 —
désir et celui de M. le curé, nous sommes encore restés
huit jours à Saint-Christoly ; par prévoyance, nous nous
étions déjà munis de l'autorisation du R. P. Supérieur
pour cette prolongation.
Plusieurs adultes ont fait leur première communion
dans cette mission ; tous les soirs, le P. Delpeuch leur
faisait un catéchisme préparatoire et spécial ; plusieurs
unions purement civiles ont été hénies à l'église ; car,
dans ce diocèse, les premières communions en retard et
les unions civiles sont deux fléaux que nous rencontrons
dans toutes les paroisses. L'ignorance et le manque de
foi sont la cause de ces désordres. Ayant remarqué, à
Saint-Christoly, une ignorance profonde de la religion
parmi les personnes âgées et tout ce qui n'avait pas passé
par les mains du vertueux pasteur, établi là depuis qua-
torze ans, nous avons voulu porter remède au mal. Tous
les soirs avant mes avis, je lisais un petit abrégé de la
Foi, et dans nos instructions, dans nos conversations,
partout, nous intercalions les choses de nécessité de
moyen; quelquefois, avant de donner l'absolution à des
femmes, bien disposées, du reste, mais peu instruites,
nous les envoyions aux Sœurs de l'école, qui, en quel-
ques minutes, leur mettaient dans la tête un abrégé du
catéchisme. J'ai été même jusqu'à ordonner, du haut de
la chaire, une lecture publique de certains chapitres du
catéchisme dans les familles, au sortir de l'exercice. Nos
braves gens, loin de se choquer de cette prescription, s'y
sont soumis avec la plus grande docilité ; c'était vrai-
ment édifiant, que cette étude domestique de la religion.
Il est vrai que, pour ne pas manquer mon coup, j'avais
eu soin de dorer la pilule et de faire accepter le remède
avec le morceau de sucre. Je vous assure que c'était un
plaisir de voir nos gens écouter les explications fami-
lières et élémentaires que nous leur donnions dans nos
— 308 —
instructions ou avis, sans pourtant avoir l'air d'y toucher.
Voilà, Monseigneur et vénéré Père, un court résumé
de nos deux missions. Elles nous ont été utiles à tous
deux et nous ont, plus que jamais, fait apprécier le bon-
heur de notre vocation et l'immense étendue des bontés
de Dieu. Nous voici maintenant installés à Talence, et
tous réunis en famille. Nous pensons à notre mois de
mai qui promet d'être splendide à Notre-Dame de Ta-
lence. Le R. P. Supérieur déploie une activité étonnante,
s'occupe de tout, veille à tout, trouve moyen de tout
faire marcher à la fois. On nous a dressé pour tous des
confessionnaux, et les pratiques ne manqueront pas dans
quelques jours. Notre local est un peu étroit, mais il
faut bien cette petite compensation pour la nouvelle fa-
veur que la Sainte Vierge nous a procurée en nous appe-
lant près d'elle. Pour moi, je loge, pendant le jour, ainsi
que le P. Delpeuch, au-dessus de la sacristie ; nous avons
chacun notre appartement séparé ; le local est suffisam-
ment grand, pendant la nuit nous avons chacun un petit
coin au presbytère. Nous voilà rendus à la cellule, au
travail, à la prière, heureux et disposés à faire tous nos
efforts pour être de bons religieux et de bons mission-
naires. Dès ce soir, je rentre en possession de ma fonc-
tion de confesseur au refuge, et j'espère que Dieu m'ai-
dera comme par le passé. Votre souvenir fait notre force
à tous, Monseigneur; le courage que Dieu nous accorde,
il nous l'a donné par vous ; aussi, dans nos conversations
intime, votre nom vénéré et vos douces leçons revien-
nent souvent ; c'est pour nous une de nos grandes joies
de pouvoir nous dire vos enfants.
Veuillez agréer, Monseigneur et vénéré Père, l'expres-
sion des sentiments de profond respect de votre tout dé-
voué et obéissant fils.
Marc DE L'Hermite, o. m. i.
NOUVELLES DIVERSES
Le R. P. Augier Gassien, assistant général, visiteur de
nos Missions de Geylan et d'Australie, est débarqué à
Marseille le 13 septembre et rentré à Paris le 19. La
Providence l'amenait au chevet du bon P. Général juste
à temps pour donner à ce vénéré Père les consolations
que devaient lui causer les nouvelles apportées de
Geylan.
— Par un décret de la Sacrée Congrégation de la
Propagande, à la date du 24 août 1897, le R. P. Jules
Gênez a été nommé Préfet apostolique du Basutoland.
— M^' Langevin, archevêque de Saint-Boniface, a été
gravement malade d'une attaque de fièvre typhoïde ; il
est aujourd'hui complètement revenu à la santé.
— La maison générale a reçu, dans le courant d'oc-
tobre, la visite de S. Gr. M^'' Brucbesi, archevêque de
Montréal. L'éminent et sympathique prélat avait bien
voulu s'asseoir à notre table avant son départ pour
Rome.
— Avant de reprendre la route de Golombo, S. Gr.
Ms'" Mélizan a eu la joie d'ordonner prêtre son frère
aîné, le R. P. Vincent Mélizan, ancien zouave ponti-
fical. Gette touchante cérémonie a eu lieu à Notre-Dame
des Lumières, aux quatre-temps de septembre. Mon-
seigneur était assisté par deux de ses frères, l'un et
l'autre de l'Ordre de Saint-Dominique; l'un, de rési-
— 510 —
dence à Toulouse ; l'autre, missionnaire au Brésil. « Vrai-
ment, disait ensuite Monseigneur, Dieu m'a donné au-
jourd'hui le pouvoir d'opérer un miracle, puisque, par
l'ordination que je viens de faire, je suis devenu le père
de mon frère aîné, que je regardais comme un père. »
Quelques jours plus tard, le 26 septembre, Sa Grandeur
s'embarquait à Marseille. Elle arrivait à Colombo, après
dix-huit jours de traversée, le 13 octobre. La santé du
vénéré prélat ne s'était pas ressentie des fatigues du
voyage.
— • Consécration de l'église Saint-Lambert, — Au mois
de septembre a été consacrée la chapelle du scolasticat
de Liège. Durant une octave solennelle, des foules pieuses
sont venues prier dans la nouvelle église, placée, comme
on le sait, sous le patronage de saint Lambert et desti-
née à devenir un foyer de dévotion envers le glorieux
patron de Liège. Des prédicateurs distingués, choisis,
par une pensée heureuse, dans les diverses catégories du
clergé séculier et régulier, ont célébré à tour de rôle le
nom de saint Lambert. Les fêtes de la consécration elle-
même furent présidées par S. Gr. Me"" l'évêque de Liège,
toujours bienveillant et paternel pour notre famille reli-
gieuse.
Notre bon P. Général s'était fait d'avance une joie
d'assister à cette cérémonie. Il y prit part de sa chambre
de malade; il fut remplacé par le R. P. Antoine.
— Retraites pastorales. — LeR. P. Rey, supérieur
de Notre-Dame dePontmain, a prêché les deux retraites
pastorales du diocèse de Rayonne ;
Le R. P. Lemius, Supérieur des Chapelains du Sacré-
Cœur à Montmartre, celles du diocèse de Quimper ;
Le R. P. luNGBLUTH, Supérieur de Saint- Andelain, celles
de l'archidiocèse d'Auch.
— su —
Le R, P. Albertini a donné les mêmes exercices aux
prêtres de langue italienne du diocèse de Marseille.
— Distribution des prix a l'Université grégorienne. —
Voici la part de succès obtenue par nos scolastiques de
Rome aux examens et aux concours de l'année scolaire
1896-1897:
Grades ; 41. — 2 docteurs, 8 licenciésj 11 bacheliers en théologie;
5 docteurs, 3 licenciés, Il bacheliers en philosophie, 1 bachelier en
droit canou.
Prix : 31. — 1 second prix (ex œquo) d'Écriture sainte; l premier
prix de théologie dogmalique, cours du matin; 1 second prix (eœ
œquo) de théologie dogmatique, cours du matin; 1 premier prix
{ex œquo) de théologie dogmatique, cours du soir; 1 second prix {ex
œquo) de théologie dogmatique, cours du soir ; 2 premiers prix
{ex œquo) de théologie dogmatique, cours du matin, première an-
née ; 1 second prix {ex œquo) de théologie dogmatique, cours du
soir, première année; 1 prix de langue araméenne ; 4 seconds prix
{ex œquo) d'histoire ecclésiastique; 2 premiers prix {ex œquo) d'ins-
titutions canoniques; 1 second prix {ex œquo) d'institutions canoni-
ques; 2 seconds prix {ex œquo) de métapliysique, troisième année;
1 premier prix {ex œquo) d'astronomie ; 2 seconds prix {ex œquo)
d'astronomie; 1 premier prix d'éthique et de droit naturel; 3 se-
conds prix {ex œquo) d'éthique et de droit naturel; 1 premier prix
de métaphysique, deuxième année; 1 premier prix {ex œquo) de
physique-chimie; 1 second prix {ex œquo) de physique-chimie;
2 seconds prix {ex œquo) de mathématiques élémentaires ; 1 troi-
sième prix {ex œquo) de l'Académie de Saint-Thomas.
A ces prix s'ajoulent 30 accessits, 22 mentions très honorables, et
20 mentions honorables. Total : 103 nominations.
Après notre scolasticat,les deux collèges les plus cou-
ronnés ont obtenu l'un 16 prix, l'autre 12.
— DÉPARTS DE missionnaires. — Voici les obédiences
données aux nouveaux prêtres dans le cours de l'an-
née 1897 ;
1° Pour le scolasticat d'Ottawa : le R. P. Perdereau,
François, du diocèse de Laval. — Pour le scolasticat de
Liège : les RR. PP. Lévêque, Victor, du diocèse de
Strasbourg, et Coste, Adolphe, du diocèse de Viviers.
— Pour lescolasticat deHiinfeld ileR.P.FniEs, Jacques,
du diocèse de Strasbourg.
2° Pour la première province de France : les RR.
PP. Chaudesaigues, Joseph, du diocèse de Mende ; Tré-
BUCHET, Vincent, du diocèse de Valence; Jullien , Au-
guste, du diocèse de Grenoble ; Buffier, Jean-Louis, du
diocèse de Mende; Capuano, Antoine, du diocèse de Lu-
cera (Italie) ; Destro, Gaétan, du diocèse de Pati (Italie).
3° Pour la deuxième province de France : les RR.
PP. GuLLiENT, Louis, du diocèse de Laval; Pierrat,
Abel-Prix, du diocèse de Saint-Dié; Le Vacon, Constant,
du diocèse de Saint-Brieuc ; Peskexs, Godefroy, du
diocèse de Bois-le-Duc; Guéret, Paul, du diocèse de
Bayeux; Vandeberg, Henri, du diocèse de Ruremonde ;
Vasseur, Alphonse, du diocèse d'Arras ; Duval, Théo-
dore, du diocèse de Laval.
4" Pour la province du Canada : les RR. PP. Beaupré,
Louis, du diocèse de Québec; Gagné, Philias, du diocèse
de Québec; Bernier, Pierre, du diocèse de Montréal.
5° Pour la province Britannique : les RR.PP. O'Brien,
Michel, du diocèse de Westminster; Maher, Joseph, du
diocèse de Dublin ; Leahy, Thomas, du diocèse de Dublin.
6° Pour la province des Étals-Unis : les.RR. PP. Sloan,
Charles, du diocèse de Kingston; Daveluy, Charles, du
diocèse de Saint-Hyacinthe; Fletcher, Antony, du dio-
cèse de Piltsburg.
7" Pour la province d'Allemagne: les IIR. PP. Hayen,
Jean-Baptiste, du diocèse de Metz; Scbuchart, Edouard,
du diocèse de Paderborn; Doetzer, Jean-Baptiste, du
diocèse de Bamberg.
8» Pour le vicariat de Saint-Boniface (Amérique du
Nord) : les RR. PP. Giroux, Henri, du diocèse de Saint-
Hyacinthe ; Thibodeau, Joseph, du diocèse de Montréal.
9" Pour le vicariat d'Athabaskaw-Mackenzie (Amé-
— 513 —
rique du Nord) : le R. P. Conan, Pierre, du diocèse de
Quimper.
10" Pour le vicariat de Colombo ( Ceylan ) : avec
M»"" Mélizan et le P. Davy, Adolphe, du diocèse d'An-
gers, les RR. PP. Gabriel, Léon, du diocèse de Metz ;
PARIS;, Jacques, du diocèse de Chambéry, et le R. P. Guil-
laume, prêtre novice du diocèse de Clermont.
{\° Pour le vicariat de Natal, le R. P. Coupé, Pierre,
du diocèse de Paris.
12° Pour la préfecture apostolique du Transvaal (Afri-
que du Sud) : avec le R. P. Baudry, du diocèse d'An-
gers, les RR. PP. Marchal, Léon, du diocèse de Nancy,
Valette, Casimir-Paul, du diocèse de Viviers.
13° Pour la préfecture apostolique du Basutoland
(Afrique du Sud): les RR.PP. PuiLipPE,Léon,du diocèse
d'Annecy ;DerrieNxNIg, Emile, du diocèse deSaint-Brieuc.
14° Pour la préfecture delà Cimbébasie : le R. P.Kie-
GER, Jean, du diocèse de Strasbourg : les FF. convers
Pawolleck, Michel, du diocèse de Breslau, et Zeuber, du
même diocèse.
Avec nos missionnaires d'Afrique, se sont embarquées
pour la même destination, les Sœurs : M. du Rosaire
(Van den Hante); M. -Alphonse (Walsh); Saint-Bernar-
din (Lemonnier) ; M.-Gélestine (Mac Greevy) ; M. -Adèle
(Blackwood) ; Saint-Charles (Bûngras) ; Saint-Justin
(Dette); M.-Ephrem (Bachmann) ; Madeleine (Rieger);
Saint-Aidan (Pitzpatrick) ; M.-Aiexis(Nolan) ;M.-Cyprien
(Gournan) ; Saint-Léopold (Malewski).
Ces Sœurs missionnaires apparliennentà la Congréga-
tion de la Sainte-Famille de Bordeaux.
Trois Sœurs de la même Congrégation se sont embar-
qrées pour nos missions de Ceylan, les Sœurs : Anastasia
(Shipman); Sainte -Émérence (Navet); Saint -Michaël
(Bedford).
NÉCROLOGIE
M, Payan d'Augery. — Le diocèse de Marseille vient
de perdre un de ses prêtres les plus distingués, les plus
aimables et les plus actifs, M. l'abbé Payan d'Augery,
vicaire général et supérieur d'un grand nombre d'œu-
vres. Nous demandons à nos lecteurs une prière pour le
repos de l'âme de ce saint prêtre, qui avait conservé
pour notre vénéré Fondateur une vénération religieuse
et filiale. C'est de lui qu'il est question dans ce trait
que raconte l'historien de M^'' de Mazexod :
« Une année, c'était vers la fm de son épiscopat, vive-
ment sollicité par un père de famille de consentir, en
faveur de son fils, à un éloignement momentané du dio-
cèse, le vénérable évêque de Marseille ne lui dissimula
pas combien celte demande le contrariait. Les seuls
motifs allégués étant la santé altérée du jeune homme
et l'installation peu confortable du séminaire, « J'irai
« moi-même, répondit-il, visiter sa chambre et y faire
« installer un poêle. » Comme le visiteur insistait, ajou-
tant que la table était trop austèrement servie : « Eh
« bien, lui répliqua le prélat, vous ne pouvez me refu-
« ser cela, je le prendrai à ma table. » L'insistance du
père triompha néanmoins de la volonté de l'évêque. »
« Allez à Saint-Sulpice, dit-il au jeune homme ; je suis
« heureux, au milieu de la tristesse de vous perdre, de
« songer que vous serez formé par mes maîtres d'autre-
« fois ; mais sachez que, fallût-il me faire soutenir les
a bras par d'autres, car je commence à vieillir, nul que
« moi ne vous conférera le sacerdoce. »
— 516 —
Peu de jours avant l'attaque du mal qui l'a terrassé,
M. Payan d'Augery avait écrit au R. P. Gigaud, supé-
rieur de Notre-Dame de la Garde, pour lui dire, en
termes pleins de délicatesse, la part qu'il prenait à notre
deuil de famille. Qui eût pensé que, cinq jours après, il
suivrait dans la tombe le Père que nous pleurons? Nés-
citis diem, neque koram.
— M""^ Barbedette, l'heureuse mère des deux voyants
de la Vierge de Pontmain en 1871, est morte le 6 no-
vembre dernier.
Les historiens de l'Apparition ont tous rendu hommage
à cette femme forte, à celte mère de famille dont la vie
entière peut se résumer dans ce mot : le devoir. L'in-
signe faveur accordée à ses enfants de voir la Très Sainte
Vierge fut pour elle un nouveau motif de ferveur et de
fidélité à toutes ses obligations de chrétienne et de maî-
tresse de maison.
Tant que ses forces le lui permirent, elle assista tous
les jours au saint sacrifice de la messe dans cette église
paroissiale si aimée par elle, fit le chemin de la croix,
s'approcha des Sacrements et ne cessa de demander à
la prière les grâces dont elle avait besoin.
Elle fut douce et résignée devant la maladie et la
mort, comme elle l'avait été pour tous. Elle a eu le bon-
heur d'Être assistée, à ses derniers moments, par ses
deux fils prêtres, l'un du diocèse de Laval, l'autre de la
Congrégation des Oblats de Marie Immaculée.
Ses funérailles ont été une belle manifestation de
sympathie et de regret. Le conseil municipal de Pont-
main a tenu à honneur d'y assister en corps.
Nos lecteurs s'uniront au deuil de la famille et auront
un souvenir dans leurs prières pour celle que la voix
populaire avait nommée la sainte de Pontmain,
BIBLIOGRAPHIE
Le Mystère de Notre- Seigneur Jésus 'Christ, par le
R. P. Corne.
Cet important ouvrage, dont la mort prématurée de
son auteur avait relardé l'achèvement, vient d'être com-
plété par la publication du cinquième et dernier vo-
lume, digne couronnement d'une œuvre à laquelle le
R. P. Corne avait voué sa vie et qui a sa place marquée
dans toutes nos bibliothèques.
« Les volumes du P. Corne, a dit un critique, s'adres-
sent surtout aux religieuses et aux religieux, aux caté-
chistes, clercs et laïques, qui ont mission de créer la
connaissance de Jésus dans l'âme des petits enfants. Ils
forment une théologie du Verbe complète, lumineuse,
mettant à leur portée, sous une forme accessible à toutes
les intelligences , les enseignements de la révélation
sur la vie du Yerbe au sein du Père et dans notre hu-
manité.
« Ainsi que l'a fait justement remarquer, dans une
lettre à l'auteur, W de Fréjus, l'ouvrage du P. Corne
forme une véritable encyclopédie dans laquelle la piété
chrétienne trouve tout ce qu'elle peut désirer d'ap-
prendre sur la personne adorable du Sauveur. »
Voici les titres des diverses parties de cet ouvrage :
Le Verbe de Dieu..., un beau volume in-S" ;
L Incarnation du Verbe et la Vie cachée deJésus^ un beau
volume in-8°;
La Vie publique, un beau volume in-S" ;
— 517 —
Le Sacrifice de Jésus, un beau volume in-S*;
La Gloire de Jésus, un beau volume in-S".
— Le Règne du cœur de Jésus ou la Doctrine complète de
la bienheureuse Marguerite- Marie sur la dévotion au Sacré
Cœur, par un prêtre Oblat de Marie Immaculée, chape-
lain de Montmartre.
Accueilli avec une faveur marquée par le public reli-
gieux, cet ouvrage , encore en cours de publication,
compte déjà plus de deux mille souscripteurs. Les deux
premiers volumes ont paru. Les trois autres sont sous
presse.
Avec une patience de Bénédictin et une piété de fidèle
disciple de celle qu'on a si justement appelée l'apôtre
du Sacré Cœur, l'auteur a lu et étudié tous les écrits de
la bienheureuse Marguerite-Marie ; puis il les a savam-
ment divisés et méthodiquement classés par ordre de
matières, de manière à en faire un cours complet de doc-
trine sur la dévotion au Sacré Cœur de Jésus.
Il s'est tellement identifié avec son modèle pour les
pensées et pour le style, que sans les guillemets dont il
a eu soin de marquer les emprunts qu'il a faits, on se
demanderait souvent si c'est la Bienheureuse qui parle
ou le chapelain du Sacré-Cœur.
Les cinq volumes in-18 jésus de 300 pages sont lais-
sés aux souscripteurs pour le prix de 6 francs. Le port
en sus.
— Le M. P. Berthelon, missionnaire Oblat de Marie
Immaculée. Sa vie, ses vertus, par un Père de la même
Congrégation.
Sous la plume d'un ami et compatriote, la notice du
regretté P. Berthelon a pris les proportions d'un beau
volume in-8° de plus de 300 pages. L'auteur n'a pas eu
T. XXXV. 3d
— 318 —
seulement pour but de faire connaître et aimer son hé-
ros, il a voulu en même temps faire connaître et aimer
la Congrégation telle qu'elle est en France avec ses
œuvres multiples trop peu connues, et cependant si
attrayantes. Disons tout de suite qu'il a parfaitement
réussi.
Le lecteur, en suivant le R. P. Berthelon dans les
diverses étapes que l'obéissance lui a fait faire, visite
successivement le noviciat de Nancy, la maison générale
de la rue Saint-Pétersbourg, la maison du Sacré-Cœur
à Montmartre, Angers, Notre-Dame de Pontmain, Notre-
Dame de Talence et enfin Limoges, où le vaillant ouvrier
tombe victime de son zèle en pleine mission. L'impres-
sion qui reste de cette visite est excellente et de nature
à tourner vers noire famille religieuse les aspirations de
plus d'une âme apostolique.
Avec la Vie de M»"" de Maze.nod par M^*" Ricard, l'Esprit
et les Vertus du missionnaire des pauvres par le R. P. Baf-
FiE, la Vie du R. P. Berthelon est un des ouvrages que
nous devons avoir à cœur de répandre dans les sémi-
naires et les collèges catholiques.
— Et la Jeunesse? petite brochure, vivante, alerte,
comme ceux dont elle parle, due à la plume du
R. P. JONQUET.
— Savants et Chrétiens ou Études sur l'origine et la
filiation des sciences, par le P. Th. Ortolan, un beau
volume in-8° de près de 500 pages.
C'est le premier volume d'une série qui en comptera
plusieurs, et qui comprend déjà l'ouvrage paru sous le
titre Astronomie et Théologie et couronné par l'Institut
catholique.
Mentionnons encore, du même auteur, trois opus-
cules :
I
— 319 —
I. L'Epanouissement de la vie organique à travers les
plaines de Vinfini.
II. Soleils et Terres célestes.
III. Les Humanités astrales et V Incarnation.
— En Angleterre ont paru : The catholic prayer Book,
et Retreat conférences for couvents^ par le R. P.Gox.
— A Colombo, le R. P. Ghounavel a publié, en langue
singalaise, un abrégé de l'Histoire sainte et une traduc-
tion avec commentaire du Nouveau Testament.
— Notons enfin parmi les publications de ces derniers
mois, la troisième édition de notre Manuel de prières. On
y trouvera entre autres améliorations sur les éditions
précédentes, les prières et pratiques en usage dans la
Congrégation pendant les trois derniers jours de la se-
maine sainte et le cérémonial à suivre pour Toblation
d'un an.
OBLATIONS
PENDANT LES ANNÉES 1894, 1895, 1896 ET 1897
DE DÉCEMBRE A DÉCEMBRE.
(En cas de variante, la présente liste annule les précédentes.)
Une omission nous oblige à revenir sur la liste de
l'année 1895. Elle est modifiée comme suit, à partir du
5 mai :
1773. Grœtschel, Charles, o mai 1893, Saint-Charles
(Fauquemont).
1776. Ghaudeur, Etienne (F, C.),23 mai 1893, Jersey.
1777. Vandeberg, Henri-Joseph- Hubert, 2 juin 1895,
Liège.
1778. GouRY, François-Joseph, 2 juin 1895, Liège.
1779. VoN Ley, Franz-Joseph, 2 juin 5893, Liège.
■1780. Mahé, Pierre-Marie, 2 juin 1893, Liège.
1781. GuTFREUND, Joseph-Marle, 2 juin 1893, Liège.
1782. Kleiner, François (F. C), 9 juin 1893, Saint-
Albert.
1783. GoMEZ, Gaspard-Philippe, 20 juin 1893, Colombo.
1784. BoTRELLE, Charles-Jean-Baptiste, 24 juin 1893,
Ottawa.
1785. Clerc, Louis-Eugène, 24 juin 1895, Ottawa.
1786. PfliuppoT, Vital-Jean- Marie, 24 juin 1895, Ottawa.
4787. Baron, Armand-Alexis, 24 juin 1893, Ottawa.
1788. Crescenzi, Romolo (F. C), 9 juillet 1893, Notre-
Dame de Bon-Secours.
1789. Michel, Laurent-Joseph (F. C), 24 juillet 1895, la
Providence (Mackenzie).
— 521 —
1790. BouDON, Alexandre (F. C), 29 juillet 1895, Pie-
termaritzburg.
1791. Wack, Pierre (F. C), 15 août 1895, N.-D. de Sion.
1792. Harquel, Joseph (F. C), 15 août 1895, Liège.
1793. HuARD, Vital (F. G.), 15 août 1895, Angers.
1794. RoHR, Victor-Sébastien, 15 août 1895, Liège.
1795. PouLENARD, Joanny, 15 août 1895, Liège.
1796. CoRNELL, Edmond-Joseph, 15 août 1895, Ottawa.
1797. Munster, Auguste-Pierre-Michel, 15 août 1895,
Liège.
1798. Van Gistern, Henri-Jean-Baptiste, 15 août 1895,
Liège.
1799. Wagner, Jacques, 15 août 1895, Liège.
1800. Enck, Adolphe, 15 août 1895, Liège.
1801. Okhuysen, Henri, 15 août 1895, Liège.
1802. ZiEGENFUss, Aloysius, 15 août 1895, Liège.
1803. Wallenborn, Jean, 15 août 1895, Rome.
1804. Rare, Frédéric, 15 août 1895, Liège.
1805. BiEHLER, Antoine, 15 août 1895, Liège.
1806. BiEGNER, Hermann-Michel, 15 août 1895, Liège.
1807. HoFER, Joseph-Aloysius-Philémon, 15 août 1895,
Rome.
1808. Fassbender, Frédéric, 15 août 1895, Rome.
1809. Schemmer, Joseph, 15 août 1895, Rome.
1810. Seulen, Robert-René, 15 août 1895, Liège.
1811. ScHARscH, Jean-Philippe, 15 août 1895, Liège.
1812. Alberti, Christiani, 15 août 1895, Rome.
1813. Kempf, Antoine, 15 août 1895, Liège.
1814. Mac Kenna, Bernard-Joseph, 26 août 1895, Ot-
tawa (Université).
1815. ViziNA,Joseph-Damase-Wilbrod,_8 septembre 1895,
Ottawa.
1816. Flynne, John- Patrick, 8 septembre 1895, Ottawa.
1817. Drceder, Jean, 8 septembre 1895, Ottawa.
— 522 ■—
1818. Lebert, Aloysius, 8 septembre 1895, Ottawa.
1819. O'BoYLE, William-Patrick, 8 septembre 1893, Ot-
tawa.
1820. DouMEizEL, Marie-Joseph, 8 septembre 1893, Rome.
1821. Laurent, Nicolas (F. G.), 19 septembre 1893, Mis-
sion Saint-Bernard (Mackenzie).
18^2, Rio, Mathurin (F. C), 29 septembre 1895, Aix.
1823. ViLA Y Gamins, Raymond, 29 septembre 1893, Liège.
1S24. Decorme, Louis-Jules, 29 septembre 1893, Liège.
1823. Manuel, Léon-Pierre, 6 octobre 1893, Rome.
1826. jMinwegen, Pierre-Jean (F. G.), 13 octobre 1893,
Saint-Gerlach.
1827. Derriennic, Emile, 1" novembre 4893, Fréjus.
1828. Bcettger, Gharles, 4 novembre 1893, Saint-Gharles
(Fauquemont).
1829. JoLLY, Hippolyte (F. G.), 10 novembre 1893, An-
gers.
1830. Manceau, Henri (F. G.), 8 décembre 1893, Liège.
1831. Mac-Donald, Marie-Joseph-Evariste (F. G.), 8 dé-
cembre 1895, Ottawa.
1832. Le GoFF, Victor-Joseph-Marie, 8 décembre 1895,
Liège.
1 833. Gulérier, Louis-Etienne, 8 décembre 1895, Ottawa.
1834. Audibert, Gharles-Émile, 8 décembre 1895, Liège.
1835. Gouderc, Joseph-Jean-Baptiste, 8 décembre 1893,
Rome.
1836. LÉPiNE, Maurice-Louis, 8 décembre 1893, Ottawa.
1837. Lecourtois, Paul-Émile, 8 décembre 1895, Liège.
1838. Letard, Frédéric-Victor, 8 décembre 1893, Liège.
1839. Mac-Grath, Patrick-Joseph, 8 décembre 1895,
Buffalo.
1840. Riou, Jacques, 8 décembre 1895, Liège.
1841. Leroux, Auguste, 15 décembre 1895, Notre-Dame
de l'Osier.
~ 523 —
Oblations pendant les années 1896 et 1897.
1842. KiEL, Adolphe-Marie-Emile (F. G.), 2 février 1896,
Notre-Dame de Sion.
1843. BiLLER, Jean-Baptiste (F. G,), 3 février 1896,
Tewksbury,
J844. Lucas, Henri-Louis (F. G.}, 17 février 1896, Paris.
1845. Debs, André (F. G.), 17 février I896,Mackenzie.
1846. Piquet, Antoine (F. G.), 17 février 1896, Notre-
Dame de Sion,
1847. Piquet, Florent (F. G.), 17 février 1896, Notre-
Dame de Sion.
1848. Valayer, Auguste, 17 février 1896, Notre-Dame
des Lumières.
1849. CosTE, Louis, 17 février 1896, Liège.
1850. Balter, Léon-Guillaume, 17 février 1896, Liège.
1851. TouQUET, Frédéric-Jean-Marie, 17 février 1896,
Angers.
1852. Pelletier, Louis-Arthur-Joseph (F. G.), 19 mars
1896, Ottawa.
1853. Meleux, Albert-Hippolyte, 19 mars 1896, Ottawa.
1S54. Rouzeau, Eugène-Louis-Joseph, 19 mars 4 896,
Ottawa.
1855. Horeau, Jean-Baptiste-Glément, 19 mars 1896,
Ottawa.
1856. Barassé, Félix (F. G.), 25 mars 1896, Saint-Albert.
1857. Payne, Georges-Marie, 25 mars 1896, BelmonL-
House.
1858. Munier, Adolphe-Henri, 5 avril 1896, Fréjus.
1859. Vermette, Olivier (F. G.), 5 juillet 1896, Saint-
Albert.
1860. Emielsbacher, Godefroy, 16 juillet 1896, Saint-
Charles (Fauquemont).
— 524 —
1861. Bouvier, Damase(F. C), 15 aoûH896,Te\vksbury.
1862. RouiLLARD, Jean-Marie (F. C), 15 août 1896, Rome.
1863. YandenDaele, Camille, 15 août 1896, Liège.
1864. Langouët, Arraand-Joseph-Marie, 15 août 1896,
Liège.
1865. CnvALA, Adolphe, 15 août 1896, Saint-Boniface
(Hunfeld).
1866. Cordes, Joseph, 15 août 1896, Liège.
1867. KiM, Auguste, 15 août 1896, Liège.
1868. Diss, Jérôme, 15 août 1896, Liège.
1869. Weislinger, Jean-Louis, 15 août 1896, Liège.
1870. Helbourg, Joseph, 15 août 1896, Liège.
1871. CoMEs, Eugène, 15 août 1896, Liège.
1872. VoGEL, Emile, 15 août 1896, Saint-Boniface (Hun-
feld).
1873. Klein, Georges-Joachim, 15 août 1896, Saint-
Boniface (Hunfeld).
1874. Hermandung, Hubert-Marie-Louis, 15 août 1896,
Saint-Boniface (Hunfeld).
1875. Guéret, Marie-Pierre-Augustin, 15 août 1896,
Rome.
1876. Grosse, Louis-Georges, 15 août 1896, Saint-Boni-
face (Hunfeld).
1877. Knapp, François, 15 août 1896, Saint-Boniface
(Hunfeld).
1878. ScHMiTT, Charles-François, 15 août 1896, Liège.
1879. Schlosser, Charles, 15 août 1896, Saint-Boniface
(Hunfeld).
1880. Frins, Aloysus-Alexandre, 15 août 1896, Saint-
Boniface (Hunfeld).
1881. Kocn, Guillaume, 15 août 1896, Saint-Boniface
(Hunfeld).
1882. Krist, Maximilien-Théodore, 15 août 1896, Saint-
Boniface (Hunfeld).
— 523 —
1883. Mazure, Henri-Richard-Vincent, 15 août 1896,
Liège,
188i. J^GER, François, 13 août 1896, Saint-Boniface
(Hunfeld).
1883. Iansen, Joseph, 13 août 1896, Rome.
1886. Roy, Bruno, 8 septembre 1896, Ottawa.
1887. Sylvestre, Jean-Baptiste-Edmond-Joseph, 8 sep-
tembre 1896, Ottawa.
1888. O'Neill, John-Patrick, 8 septembre 1896, Ottawa.
1889. Brassard, Hector-Marie, 8 septembre 1896, Ot-
tawa.
1890. Tqureau, Lucien-Marie, 8 septembre 1896, Angers.
1891. ScANNELL, Joseph, 29 septembre 1896, Liège.
1892. Prioux, Casimir, 29 septembre 1896, Liège.
1893. Pilon, Cyrille (F. C), i" octobre 1896, Winnipeg.
1894. Fortier-, François-Xavier, -4 octobre 1896, Browns-
ville.
1893. Watterott, François, 23 octobre 1896, Saint-
Boniface (Hunfeld).
1896. Beys, André-Jean-Baptiste, 1" novembre 1896,
Rome.
1897. Mélizan, Vincent, 11 novembre 1896, Notre-Dame
des Lumières.
1898. Kelly, Henry (F. C.) (Basutoland).
1899. Thoraval, Jean (F. C), 5 décembre 1896, Mag-
gona (Ceylan).
Pour les noms qui suivent, les numéros d'Oblation ne seront
donnés qu'à la fin de l'année 1898.
Hays, Mathurin-Jean-Marie (F. C), 8 décembre 1896,
Saint-Albert.
Mathis, Pierre-Jean (F.C.),8 décembre 1896, Mackenzie.
Valette, Casimir-Paul, 8 décembre 1896, Liège.
— 526 —
Bbllot, Claude-Eugène, 8 décembre 1896, Liège.
MuiR, Benjamin (F. G.), 17 février 1897, Maniwaki.
ScHLOssER, Valenlin (F. G.), 17 février 1897, Liège.
Cadieux, Alexandre-Thomas, 17 février 1897, Ottawa.
Zerwes, Mathias-Marie-Joseph (F. G.), 17 février 1897,
Saint-Charles (Fauquemont).
Andrzejewski, Joseph (F. G.), 17 février 1897, Saint-
Charles (Fauquemont).
Falkenhahn, Médard (F. G.), 17 février 1897, Liège.
AsTiER, Galixte-Louis, 17 février 1897, Liège.
Allard, Odilon-Joseph-Hercule, 17 février 1897, Ottawa.
Louis, Edmond-Dominique, 17 février 1897, Notre-Dame
de Sion.
Saint-Onge, François-Xavier-Félix (F. G.), 19 mars 1897,
Notre-Dame des Anges.
Balmès, Joseph-Jean-Marie, 19 mars 1897, Fréjus.
Favier, Jean-Baptiste, 19 mars 1897, Fréjus.
Jan, Alphonse-Marie, 19 mars 1897, Fréjus.
Durand, Daniel-Olivier, 19 mars 1897, Notre-Dame de
l'Osier.
GuiNET, Antonin, 1" mai 1897, Rome.
Deville, Albert-Louis, 1" mai 1897, Rome.
Cormier, Joseph-Alphonse (F. G.), 27 mai 1897, Ottawa.
Barette, Antoine-Jean-Baptiste, 27 mai 1897, Ottawa.
BoYER, Jean-Baptiste-Oscar, 27 mai 1897, Ottawa.
Vasseur, Louis-François, 6 juin 1897, Angers.
JoLY, Prosper-Georges (F. G.), 21 juin 1897, Limoges.
Whartom, Gharles-Joseph (F. G.), 15 août 1897, Tewks-
bury.
Fasshauer, Gharles-Philippe(F. G.), 15 août 1897, Rome.
Soleri, Jean-Baptiste-Marie, 13 août 1897, Rome.
Albaret, Augustin-Félix-Marie, 15 août 1897, Rome.
Schneider, Jacques, ?5 août 1897, Saint-Boniface (Hiin-
feld).
— 527 —
Weiler, Gérard-Christophe, IS août 1897, Saint-Boni-
face (Hiinfeld).
Streit, Robert-Paul, IS août 1897, Saint-Boniface (Hiin-
feld).
ScHULTE, Jean, 15 août 1897, Saint-Boniface (Hiinfeld).
Krist, François-ïhéodose, 15 août 1897, Saint-Boniface
(Hunfeld).
Kempf, Constantin, 15 août 1897, Saint-Boniface (Hiin-
feld).
ScH^FER, Hermann-Joseph, 15 août 1897, Saint-Boniface
(Hunfeld).
Rose, Joseph, 15 août 1897, Saint-Boniface (Hiinfeld).
KiERDORF, Auguste-Christian, 15 août 1897, Saint-Boni-
face (Hunfeld).
Hermès, Joseph-Guillaume, 15 août 1897, Saint-Boniface
(Hiinfeld).
Stehle, Nicolas, 15 août 1897, Saint-Boniface (Hiinfeld).
ScHWANE, Guillaume, 15 août 1897, Saint-Boniface (Hun-
feld).
Roche, Jean-Marie-Alphonse, 15 août 1897, Notre-Dame
de Bon-Secours.
CoNAN, Pierre-Marie, 15 août 1897, Angers.
Frapsauce, Joseph-Marie, 25 août 1897, Liège.
ScuMiTZ, Pierre-Marie-Joseph, 25 août 1897, Liège.
Miller, William-Georges, 25 août 1897, Liège.
M'^Callion, William-John, 25 août 1897, Liège.
Sherry, John-Henri, 25 août 1897, Liège.
Hamm, François-Xavier, 25 août 1897, Liège.
Gutfreund, François-Xavier, 25 août 1897, Liège.
ScHMiTT, Aloys^ 25 août 1897, Liège.
Uhlrich, Florent, 25 août 1897, Liège.
Sheurer, Charles-Louis, 25 août 1897, Liège.
Perrussel, Henri-Joseph Marie, 25 août 1897, Liège.
Coupé, Pierre-Félix, 29 août 1897, Liège.
- 328 —
Paquet, François-Marie (F. C), 8 septembre 1897, Notre-
Dame des Anges.
KiRwiN, William-Joseph, 8 septembre 1897, Ottawa.
Beaudry, Patrick, 8 septembre 1897, Ottawa.
Tessier, Edouard-Joseph, 8 septembre 1897, Ottawa.
Maddex, Ambroise-Thomas, 8 septeaibre 1897, Ottawa.
Lacombe, Ernest, 8 septembre 1897, Ottawa.
Lejard, Louis-Charles, 8 septembre 1897, Rome.
Masson, Jean-Marie, 8 septembre 1897, Rome.
Legault, Raoul, 8 septembre 1897, Ottawa.
Kalmes, Mathias, 2o septembre 1897. Liège.
Demax, Camille-Gustave, 25 septembre 1897, Liège.
Pescheur, René-Hubert, 23 septembre 1897, Liège.
Boissix, Henri-Odilon, 17 octobre 1897, Notre-Dame de
l'Osier.
Combaluzier, Firmin (F. C), 1" novembre 1897, Notre-
Dame de rOsier.
Sexton, James (F. C), 1" novembre 1897, Tewksbury.
Duval, Théodore-Henri, 1" novembre 1897, Angers.
NÉCROLOGE DE L'ANNÉE 1897.
452. Le P. Ramadier, Jean, décédé à Paris (Mont-
martre) le 21 décembre 1896. Il était né à Saint-Alban
(Mende) le 26 mars 1827 ; il avait fait son oblation le
1" novembre 1863.
453. Le P. Walsh, James, décédé au lac Okanagan
(Colombie Britannique) le 2 janvier 1897. Il était né à
Colligan (Waterford) le 5 avril 1863 ; il avait fait son
oblation le 15 août 1886.
454. Le P. Leroux, Auguste, décédé à Notre-Dame
de Bon-Secours le 25 janvier 1897. Il était né à Gondé-
sur-Sarthe (Séez) en 1863; il avait fait son oblation le
15 décembre 1895.
455. Le P. Apel, Ferdinand, décédé à Saint-Charles
(Fauquemont) le 19 février 1897. 11 était né à Birkungen
(Paderborn) le 15 mars 1872; il avait fait son oblation le
16 juillet 1893.
456. Le P. O'RiORDAN, Daniel, décédé à Lowell le
20 février 1897. 11 était né à Ovens (Cork) le 29 dé-
cembre 1846; il avait fait son oblation le 15 août 1865.
457. Le P. Mac-Ardle, Francis, décédé à Philipstown
le 26 février 1897. Il était né à Newbridge (Kildare) le
15 février 1867 ; il avait fait son oblation le 25 jan-
vier 1888.
458. Le F. convers Lestreit, Louis, décédé à Marseille
le il mars 1897. Il était né à Voires (Besançon) le
1"' novembre 1831 ; il avait fait son oblation le 17 fé-
vrier 1861 .
— 330 —
459. Le F. convers Gaudez, Camille, décédé à Notre-
Dame de Sion le 12 avril 1897. Il était né à NeuTchâteau
(Saint-Dié) le 11 février 1876 ; il avait fait ses vœux de
cinq ans le 17 février 1895.
460. Le P. Hermitte, Marcellin, décédé au scolasticat
d'Ottawa le 22 avril 1897. Il était né à Puy- Saint-Pierre
(Gap) le 6 février 1872; il avait fait son oblation le 17 fé-
vrier 1893.
461. Le F. convers Lahaxe, Martin, décédé à Notre-
Dame de Sion le 27 avril 1897. Il était né à Laneuvelotte
(Nancy) le 10 septembre 1846; il avait fait son oblation
le 17 février 1873.
462. Le P. Delpeuch, Léon-François, décédé à Paris
(Montmartre) le 3 mai 1897. Il était né à Bort (Tulle) le
11 avril 1827; il avait fait son oblation le 8 septem-
bre 1851.
463. Le F. convers Dubois, Joseph-Albini, décédé au
scolasticat d'Ottawa le 23 juillet 1897. 11 était né à
Sainte-Sophie (Montréal) le 9 février 1866; il avait fait
son oblation le 17 février 1892.
464. Le P. JouAN, Henri, décédé à l'Ile à la Crosse le
14 septembre 1897. Il était né à Lanouée (Vannes) le
16 février 1870; il avait fait son oblation le 15 août .1894.
463. Le ï. R. P. Soullier, Louis-Jean-Baptiste, troi-
sième supérieur général, décédé à Paris le 3 octobre 1897,
Il était né à Meymac (Tulle) le 26 mars 1826, avait fait
son oblation le 17 février 1849 et avait été élu Supérieur
général le 11 mai 1893.
TABLE DES MATIERES
MARS 1897.
Pages.
Missions étrangères. — Vicariat de la Saskatchewan. —
Lettre du R. P. Bonnald au Directeur des Annales , 5
Maisons d'Europe. — Scolasticat de Liège. — Lettre du
R. P. Thévenon au T. R. P. Supérieur général 24
Maison de Saint-Ulrich. — Rapport du R. P. Léglise au
T. R. P. Supérieur général 52
Variétés. — Chronique de la Maison du Laus, par le R. P. Si-
monin ■ 69
Inauguration du collège de Colombo lOG
Revue. — La linguistique considérée comme critérium de cer-
titude ethnologique, par le R. P. Morice 125
Nouvelles diyëhses 144
JUIN 1897.
Missions étrangères. — Vicariat de Colombo, — Lettre du
R. P. Massiet au T. R. P. Supérieur général 149
Province du Canada. — Juniorat du Sacré-Cœur, Ottawa. —
Lettre du R. P. Harnois, directeur, au R. P. Cassien
Augier 158
Variétés. — Chronique de la Maison du Laus (1818-1841), par
le R. P. Simonin {Suite) 173
Translation des restes mortels de notre vénéré Fondateur
dans La crypte de la nouvelle cathédrale de Marseille 231
Revue. — La linguistique considérée comme critérium de cer-
titude ethnologique, par le R. P. Morice (Fin) 243
La Mission de Sainte-Anne, à Nantes ■ 256
La Mission de Saint-Lambert 263
Decretum 265
Nouvelles diverses 267
nécrologie 268
SEPTEMBRE 1897.
Maisons de France. — Maison de Vico. — Rapport adressé
par le R. P. Hamonic au T. R. P. Supérieur général 2G9
— 532 —
Pages.
Variétés. — Chronique de la Maison du Laus (1818-1841), par
le R. P. Simonin 324
Nos NOUVEAUX ÉVÊQUÉS. — Me^ DONTENVILLE et Msr LeGAL.. . 380
Nouvelles diverses 420
DÉCEMBRE 1897,
Le T. R. Père Louis Soullier 422
Missions étrangères. — Pouilleux et fossoyeur ou souvenir
de la Consécration épiscopale de Ms'' Emile Légal, évêque
de Pogla et coadjuteur de Saint-Albert, par le R. P. Leduc. 432
Consécration de Ms' Dontenville, évêque de Germanico-
polis, coadjuteur de M?"" Durieu, évêque de Westminster. 478
Province des États-Unis.— Noviciat de Tewksbury. — Lettre
du R. P. Campeau Joseph, maître des novices 483
Variétés. — Fondation de nos œuvres de Bordeaux et pre-
mières missions 490
Nouvelles diverses ' 509
nécrologie 514
Bibliographie 516
Délations 520
Nécrologe 529
Paria. — typographie A. He:;nuy£r, jue Darcel» 7.
MISSIONS
CONGREGATION DES MISSIONNAIRES OBLATS
DE MARIE IMMACULÉE
PARIS. — TYrOGRAPUlE A. HENNUYER, RUE DARCET, 7,
MISSIONS
DE LÀ CONGRÉGATION
DES MISSIONNAIRES OBLATS
DE MARIE IMMACULÉE
TRENTE-SIXIÈME ANNÉE
PARIS
TYPOGRAPHIE A. HENNUYER
RUE DARCET, 7
1898
MISSIONS
DE LÀ CONGRÉGATION
DES OBLATS DE MARIE IMMACULÉE
N» 141. — Mars 1898
MISSIONS ÉTRANGÈRES
VICARIAT DE LA SASKATCHEWAN.
LETTRE DU R. P. BONNALD AU DIRECTEUR DES ANNALES.
Pélican Narrows, 23 novembre 1897.
RÉVÉREND ET CHER PÈRE,
Je viens, comme d'habitude, vous faire le récit de nos
travaux à la Mission Sainte-Gertrude du lac Pélican et
dans ses deux succursales, Mission du Sacré-Cœur sur
Churchill et l'Assomption sur Nelson.
A vrai dire, il n'y a rien de bien extraordinaire et
qui soit digne de Tattenlion des lecteurs de nos annales.
Mes confrères du vicariat sur d'autres champs apostoli-
ques pourraient nous édifier davantage en nous racon-
tant avec beaucoup d'intérêt leurs œuvres de zèle. Sans
doute il suffit pour eux que le bon Dieu les voit, mais je
ne dois pas être le seul à regretter que leur silence et
— 6 —
leur trop grande modestie nous privent de beaucoup
d'édification.
Notre T. R. P. Supérieur général, dans une lettre
récente, a bien voulu m'exprimer un désir, je l'accueille
comme un ordre. Voici donc bien simplement ce que
je trouve de plus saillant dans mes souvenirs, depuis
novembre 1896.
Disons tout de suite que l'année courante a été une
année de faveurs et de bénédictions pour la Mission à
cause de la visite pastorale, et une année de souvenirs
et d'anniversaires pour l'humble missionnaire : en mai,
je célébrais mes vingt-cinq ans de sacerdoce et en sep-
tembre, ma cinquantième année d'âge ; en ces précieuses
dates le quid retribuam et aussi le parce me sont venus
au cœur et sur les lèvres.
Je vous dirai, dans ce rapport, nos œuvres depuis
novembre jusqu'au printemps, ensuite la visite pasto-
rale, enfin nos visites de l'été aux lointains néophytes
de Churchill et de Nelson.
L'an dernier, à pareille époque, nous étions trois
prêtres Oblats ensemble. Cette fois, me voici tout seul.
Le R. W Maisonxeuve a reçu une autre obédience, et le
R. P. Simonin, Xavier, se trouve en ce moment au milieu
de nos chrétiens éloignés. Je garde la mission, mais
ma solitude n'est pas absolue; elle est même réjouie
par la présence de deux petits garçons de mon orphe-
lin défunt. Ce pauvre homme, qui me sauva deux fois
la vie en voyage, a bien mérité que je prenne soin des
enfants qu'il m'a laissés en garde. Leurs petits ou grands
défauts exercent ma patience, j'avouerai cependant que
l'innocence et l'amabilité de lâge me désarment sou-
vent.
Le R. P. Maisonneuvb, qui était encore des nôtres l'an
passé, se fit le pêcheur de la Mission et prit un millier
de poissons à chiens. Le R. P. Simonin, comme un véri-
table petit moine, restait la moitié du temps dans ?a
cellule, occupé à la syntaxe si difficile des verbes cris.
J'allais tous les jours chez lui l'aider à cette étude. Par
ailleurs, je ne donnais guère l'exemple pour l'ouvrage-
Quelquefois, en compagnie de l'un des orphehns, j'allais
au fond des baies ou sur les lacs voisins y tendre des
pièges à fourrures, et non sans succès.
Après la pêche en canot du P. Maisonneuve, on fit la
pêche sous la glace. Le P. Simonin participa à ce travail
ingénieux, intéressant et bien profitable. Il s'habitua
ainsi aux premiers froids de nos pays.
Mes deux chers compagnons nous apportaient du beau
poisson pour notre table, tandis que j'apportais, avec du
bois, les lièvres et les perdrix de ma chasse.
Le cher P. Maisonneuve ne désirait rien tant que d'at-
teler des chiens et de conduire un traîneau. J'en achetai
un. Il fallait voir avec quelle adresse et quelle ardeur il
menait, le fouet à la main, ces coursiers du Nord, en
charriant le bois de chauffage, en allant à la visite des
filets, et dans les voyages, chez les malades ou ailleurs.
Le P. Maisonneuve, après l'exercice du ministère, nous
préparait un appartement nouveau.
Un peu avant Noël, je quittai mes confrères et allai
célébrer les fêtes à Pakitawagan. J'avais deux traîneaux
pour le voyage ; un jeune homme qui allait en visite
se joignit à nous et servit de guide à nos chiens. La
première nuit se passa dans une hutte en bois, chez
deux bons chrétiens. Absents à notre arrivée, ils entrè-
rent un peu après nous, avec une charge de viande de
caribou, fruit de leur chasse. Le missionnaire fut bien
servi et ses compagnons firent bombance. Pour être
plus à leur aise, ils allèrent festoyer dans une loge exté-
rieure. De la hutte où j'étais avec mes hôtes nous enten-
— 8 —
dions parler et rire à cœur joie. Nos pauvres gens n'ont
pas besoin de la bouteille pour être loquaces, un bon
repas leur suffit. La saison était rigoureuse, le froid
très vif; mais campés dans cette forêt et dans cette petite
cabane au pied de hauts sapins, nous passâmes une
bonne nuit avec ces bons Indiens heureux d'héberger le
prêtre. Après le souper, une petite instruction et confes-
sion de ceux qui ne devaient pas aller à la Mission
pour Noël. Après la prière en commun, chacun prit son
sommeil par terre, sur un tapis de branches de sapin.
Le lendemain matin, après avoir roulé mes couvertures,
je dressai mon autel portatif au coin delà hutte et je cé-
lébrai la sainte messe à laquelle trois personnes furent
heureuses de communier. Le soir de ce jour, nous nous
trouvions à 50 milles plus loin, encore chez un bon chré-
tien, dont je baptisai le nouveau-né. Pour nourriture, on
nous servit de l'esturgeon ; il y avait en réserve un grand
nombre de ces énormes poissons, lesquels, dans le fleuve
Churchill, ne pèsent pas moins de 50 à 100 livres et plus
chacun.
Le lendemain, avec de nouveaux compagnons qui
allaient à la messe de minuit, nous campions au bord
d'une baie et cette fois sous la voûte des cieux. Le
temps est clair, et aussi très froid. Notre réglementaire
n'a pas besoin de me demander l'heure ; il n'a qu'à
regarder au firmament la position de la Grande Ourse.
Pour arriver de bonne heure à Pakitawagan, on part
dans la nuit. Quel silence dans ces étroits sentiers du
bois et sur ces plaines de glace et de neige ! On n'entend
que le grincement des raquettes, les grelots des chiens,
les coups de fouet et les cris douloureux des pauvres
bêtes. Devant ou derrière vous, vous apercevez parfois
un feu de quelques instants; c'est simplement un des
hommes qui allume sa pipe. Si le vent du nord fait rage,
vous êtes à plaindre en dehors du bois. Heureusement
nous y entrons, puis, en retombant sur un lac, nous
sommes en face de la Mission,
Voyez-vous ces gens attroupés sur la côte entre les
maisons du village indien ? Ce sont les catholiques les
plus éloignés du pays qui sont déjà arrivés de la veille ;
d'autres arrivent dans la journée. Les deux derniers
sont deux protestants, et ils viennent du fort Nelson
même.
Ce ne sont point seulement nos ancêtres et les chré-
tiens des vieux pays d'Europe qui aiment à célébrer
Noël; nos jeunes générations indiennes en ce pays, dans
le bassin nord de la baie d'Hudson, aiment aussi particu-
lièrement celte belle messe de minuit, avec ces cantiques
joyeux en l'honneur de la naissance du divin Sauveur
des hommes.
Les protestants ayant entendu parler de la beauté de
cette fête de nuit dans la religion catholique, désiraient
depuis longtemps y assister.
Témoins de l'empressement et de la ferveur avec les-
quels leurs compatriotes catholiques s'approchent du
saint Tribunal et de l'Eucharistie, émerveillés de notre
chapelle illuminée, de notre autel orné de fleurs, du
radieux enfant Jésus souriant au sein des lumières; tou-
chés des chants de toutes les voix qui célèbrent la nais-
sance de Jésus, ces pauvres frères séparés me disaient
après la messe de minuit :
«Nous n'avons jamais rien vu de si beau ni de si tou-
chant. Qu'elle est belle votre religion!... Vous êtes plus
près du bon Dieu que nous... » Ces pauvres gens auraient
voulu emmener le prêtre catholique dans leur pays...
Mais on n'est plus jeune pour parcourir ces distances
en pareille saison.
De leur côté, le R. P. Maisonneuve et le P. Simonin
— iO -
avaient célébré Noël avec les chrétiens, l'un, de la rivière
Caribou, et l'autre, du haut Churchill.
Le R. P. Charlebois, du fort Cumberland, vint nous
surprendre et nous réjouir le jour de l'an ! 897 ; il voulut
bien prêcher à nos gens. A la veille de partir, il me
demanda la faveur d'emmener pour quelque temps le
jeune P. Simonin. Comment lui refuser à lui si bon et
si serviable pour les autres. Dans sa récente visite aux
catholiques du Grand-Rapide, les prolestants qui étaient
venus l'entendre lui avaient demandé la faveur d'un
plus long séjour, afin de mieux comprendre les vérités
saintes qu'il leur prêchait, et c'est dans la perspective
de ce séjour projeté que le cher Père demandait le
P. Simonin pour garder la Mission pendant son absence.
Toutefois le jeune Père ne devait partir que plus
tard. En janvier, un métis anglais protestant vient me
chercher pour les besoins spirituels de la population de
la rivière Caribou. Le missionnaire est hébergé et soigné
par ce métis et sa femme, tous deux protestants, mais
qai ont donné leur nombreuse famille à l'Eglise catho-
lique.
Pendant trois jours, les soixante catholiques de l'en-
droit occupèrent tout mon temps ; chacun s'approcha
des sacrements et beaucoup, quoique pauvres, voulurent
donner quelque chose pour la Mission. J'aurais voulu
aller voir lesOblats de la Mission des Dénés; il n'y avait
que le lac à traverser, mais un lac de 200 milles et il
nous fut impossible de pousser plus loin le voyage : les
hommes et les chiens n'étaient pas en état d'entreprendre
celte traversée. Au retour, nous campons deux fois, chez
des familles qui ont ainsi le bonheur de se confesser et
de communier.
Le froid est intense, mais grâce aux fourrures, qu'on
a d'ailleurs à bon marché dans le pays, et que je me
— H _
suis permis de me procurer pour mes confrères comme
pour moi, on ne dirait pas qu'il y a autour de nous une
atmosphère de 40 à 50 degrés de froid.
Peu de temps après notre retour, le R. P. Ancel nous
arriva du lac Caribou avec deux traîneaux et deux hom-
mes, en route pour Prince-Albert ; c'est pour les finances
de sa Mission que ce bon Père doit prendre tant de
peine, parcourir, le plus souvent à pied, une distance
de 2 000 kilomètres aller et retour. On s'habitue à la
misère, c'est vrai ; mais il n'en est pas moins vrai qu'on
la sent, cette misère, par la fatigue et par le froid et par
l'insipide nourriture. Honneur à ce bon P. Ancel, qui se
dévoue ainsi au plus grand bien de la Mission où l'obéis-
sance l'a placé.
A son tour, le P. Maisonneuve se préparait à un grand
voyage, il devait se rendre lui aussi à Prince-Albert, mais
par un autre chemin. Le but principal de son excursion
était la visite des pauvres catholiques du lac La Ronge,
mais, se trouvant déjà là à proximité de notre Evêque,
il devait aller le voir. J'engageai les meilleurs hommes
et je prêtai mes meilleurs chiens.
Après le départ de ce cher Père, je dus faire à sa place
tant bien que mal une partie de son ouvrage. 11 y avait
longtemps que je ne m'étais plus occupé de pèche.
Me voici donc redevenu pêcheur, vado piscari, pour
nourrir nos orphelins, mais c'est sous la glace et au
cœur de l'hiver. Il y a trois trous à faire pour deux
filets : un grand au milieu et deux moindres aux deux
extrémités.
C'est au bassin du milieu que se joignent les filets et
c'est par là qu'on les met à l'eau et qu'on les visite. En
ce moment la glace a une épaisseur de 4 à 5 pieds ; aussi
vous pouvez croire que, malgré le grand froid qu'il fait,
on s'échauffe en brisant cette épaisseur, en la hachant
_ 12 —
pour ainsi dire petit à petit, avec un ciseau emmanché
à une perche.
Pour la visite des filets, on la fait à l'abri de quelques
mètres de toile que soutiennent, du côté du vent, des
bâtons fichés dans la glace en circonférence autour du
bassin. Imaginez-vous si l'on a l'onglée par une pareille
température !
On se gèle véritablement les doigts, et pour parer à cet
inconvénient inévitable, il faut plonger plusieurs fois
les mains dans l'eau de glace encore moins froide que
l'air extérieur. Si le poisson est entortillé et enchevêtré
dans les mailles, c'est alors le plus difficile : il faut souf-
fler dans les doigts et se battre les flancs.
Le petit Antoine, qui me suit à la visite des filets, gre-
lotte à l'abri du vent et, incapable de m'aider, me regarde
faire... Il pourra seulement aller tirer le cordeau quand
je devrai remettre mes filets dans l'eau.
On peut même, à la rigueur, se passer de ce service,
un seul homme peut tout faire. Viennent les mois d'avril
et de mai ; quand le soleil du printemps a fait fondre
les neiges et qu'il n'y a plus que la glace vive sur nos
lacs, la visite des filets est alors une véritable récréation.
Vous attelez vos chiens sur une voiture sans roue plus
haute que les traîneaux d'hiver et, monté là-dessus avec
les enfants de la Mission vous n'avez qu'à dire : « Marche 1 »
et vous êtes emporté à grande vitesse. Les chiens s'arrê-
tent à point, près du bassin. Le poisson est abondant à
cette époque.
On a tant de poissons pour la table en ce pays qu^on
finit par s'en dégoûter. Aussi quelle bonne aubaine
quand, un jour de l'hiver passé, un voyageur du lac
Caribou, de passage ici, vint me remettre un sac de la
part d'un ami, du pays des rennes. Si je ne craignais de
scandaliser nos jeunes novices ou scolastiques à qui l'on
— 43 —
prêche la mortification, je leur dirais que, sans plus
tarder, j'ouvris mon sac à vivres en me réjouissant de
voir langues, graisse et pémikan.
Nous étions en caserne et j'attendais le retour du
P. Maisonneuve quand, un jour, des voyageurs arrivèrent.
C'étaient bien ceux que j'attendais, mais pas de Père...
Ms' Pascal, qui venait d'arriver chez lui d'un long voyage
en Canada, en avait amené une vingtaine de familles et,
voyant arriver le P. JMaisonneuve, il avait décidé de le
garder pour la colonie. C'est ainsi que nous sommes
privés de ce précieux secours. Il nous a si bien servis ici
que je ne dois pas être jaloux si d'autres Missions peu-
vent avoir recours à son dévouement.
A la même époque, un de nos voisins se noya dans le
bassin de sa pêche. Cet homme tranquille et de bonnes
mœurs n'était pas un fervent. Heureusement pour lui,
depuis le commencement du carême, il avait montré un
empressement inaccoutumé pour sa visite quotidienne
au Saint Sacrement et l'assistance au chemin de croix.
Nou-i aimons à croire qu'il a puisé là des pensées salu-
taires et des sentiments de contrition qui ont pu le
sauver sans la confession. Après Pâques, nos gens déser-
tèrent le village pour aller à la chasse aux ours, et nos
paroissiennes s'occupèrent de la confection du sirop de
bouleau.
S'il plaît à vos lecteurs de savoir comment se fait
cette mélasse, je leur dirai qu'après le dégel des bou-
leaux, après surtout le dégel des racines, la sève, si
longtemps arrêtée par le froid, monte avec une telle
abondance qu'en faisant une entaille au tronc de l'arbre
et en soulevant un peu comme une languette d'écorce
à la place de l'entaille, cette sève coule par là continuel-
lement pendant deux ou trois semaines. Les femmes
indiennes s'en vont dans les bois de bouleaux et font
_ u —
des entailles à de nombreux arbres, niellant au pied un
vase en écorce; si vous allez dans cette sorte de chantier,
vous voyez des centaines de ces ustensiles au pied des
arbres et remplis de l'eau de bouleau.
Plusieurs fois par jour, on visite les récipients et on
les verse dans d'autres; le tout est ensuite mis dans de
grandes chaudières qui bouillent continuellement. L'eau
qui s'évapore est toujours remplacée par une nouvelle
quantité d'eau sucrée de bouleau et il reste à la tin
une mesure d'un liquide jaune et sucré : c'est le sirop
de bouleau. On en est très friand dans le paj's, on en
assaisonne le poisson ou le pain quand on en a. Ail-
leurs, plus loin dans le Sud» ce n'est pas avec le bou-
leau, mais avec l'érable qu'on fait du sirop et même du
sucre solide.
Quand la glace fut près d'être mauvaise, j'envoyai
deux hommes au fort Cumberland pour y chercher le
P. SiMOXix. A cette époque voisine de la débâcle, il faut
aux voyageurs le canot et le traîneau sans chiens. Sur
les lacs encore solides, ils s'attellent au traîneau chargé
de leurs vivres, des couvertures et du canot. En arrivant
aux rivières, on démanche le traîneau et c'est le canot
quileremplace jusqu'au prochain lac... Mais en gagnant
le Sud, il devint difficile, même dangereux, pour mes
hommes de marcher sur la glace des lacs... Ils arri-
vèrent enfin au fort Cumberland, oîi le P. Simonin fut,
dit-on, enchanté de les voir et de penser qu'il allait revoir
son lac Pélican.
Le voyage fut très difficile pour le retour; impossible
de marcher sur les lacs et, d'un autre côté, les glaces,
tantôt solides, tantôt flottantes, barraient le passage au
canot ; cela les obligea à faire des portages longs et
difficiles dans le bois. Enfin nous fûmes heureux de nous
revoir tous et j'appris de mon cher jeune compagnon
— 15 —
que le K. P. Gharlebois avait reçu neuf abjurations au
Grand-Rapide.
Voici maintenant la débâcle et, partant, l'ouverture de
la navigation. La visite pastorale qui doit avoir lieu cet
été occasionne une rude corvée pour le missionnaire ; il
faudra faire deux fois la visite à la Mission du fort
Nelson, c'est-à-dire parcourir en canot 2000 kilo-
mètres. Pourquoi double visite ? Parce que la visite
pastorale va trop retarder notre visite de l'été au fort
Nelson où il n'y a pas de prêtre résident, et où nos ca-
tholiques ont besoin de voir leur missionnaire, pour
résister ainsi aux sollicitations du ministre de l'erreur.
D'autres catholiques riverains de la baie d'Hudson n'ar-
riveront qu'à la fin de juillet à leur fort, et il faudra bien
aussi que leur missionnaire, revenu de sa première visite,
y retourne après avoir vu son évêque.
Pour ma première visite, je pars le 24 mai avec un
seul canot. Le lendemain, sur la hauteur des terres, entre
ma Mission et le fleuve Churchill, je célébrai par la pen-
sée seulement mes vingt-cinq ans de sacerdoce. Mes meil-
leurs souvenirs aux RR. PP. Monginoux et Baudry, au
sud de l'Afrique; au R. P. Pitoyb, en Espagne ; au R. P.
d' Alton, en Angleterre; au R.P. Bretault, au Texas ; au
R. P. Michel, à Prince-Albert; au R. P. Trouchet, à Cey-
lan; au R. P. Madden, au ciel. J'ai nommé mes chers
compagnons d'ordination.
Le lendemain, en descendant le courant, nous rencon-
trions toute une flottille de canots qui remontaient le
fleuve. Il faut faire halte pour les saluer et leur parler
un peu à tous. Ils ont de l'huile d'esturgeon, mais pas de
farine ; on leur en fournit un peu et ils font des crêpes à
l'huile. On nous avertit que le lac Canard, sur notre
roule ordinaire, est encore occupé par les glaces ; force
nous est de suivre le fleuve que mes compagnons ne
— 16 —
connaissent pas très bien. Ces nombreuses îles, ces larges
et profondes baies à droite et à gauche, ces détroits
de-ci, de-là, quel labyrinthe ! On s'égare quelque temps,
mais les gens du pays, à l'œil exercé, reconnaissent
bientôt la direction du fleuve.
C'était, le lendemain, fête de l'Ascension ; je célébrai
en tente. Ce jour-là, nous aperçûmes un gros caribou
traversant le fleuve à la nage; on voulut gagner de
vitesse avec lui pour le tuer, mais il débarqua avant
nous et la balle ne l'atteignit point.
On se repose deux jours à Pakitawagan. Puis on con-
tinue le voyage... En bas d'un grand rapide, on trouve
une bonne famille qui nous fournit gratis des vivres en
esturgeon pour le reste du voyage. Après quatre jours
de navigation, tantôt sur des lacs, tantôt sur des rivières
pleines de rapides, nous arrivons au fort Nelson. Grand
trouble pour le ministre qui me regarde comme un loup
ravisseur.
Des protestants métis ou indiens, étrangers au pays, y
arrivaient en même temps que nous pour leur commerce,
et, n'ayant jamais vu de prêtre ni d'église catholique, ils
vinrent tous au sermon du soir. Après l'exercice, ces
étrangers me touchèrent la main et l'un d'eux me fit
toutes sortes de questions dont quelques-unes déno-
taient l'ignorance de ces pauvres protestants.
Le ministre, à qui ces derniers firent part de leurs
bonnes impressions, sentit sa jalousie redoubler d'ardeur.
Pris d'un saint zèle, il prêcha, le dimanche, à ses ouailles
sur l'idolâtrie des catholiques. Le prêtre en tête est cou-
pable d'idolâtrie et, son idole, il la porte ostensiblement
sur sa poitrine, la croix del'Oblat. Les protestants du
pays qui ont des enfants catholiques aiment beaucoup à
voir au cou de leurs enfants une croix ou une médaille.
Le ministre, superbement indigné, se saisit de ces objets
— 17 —
de piété, les tourne en ridicule et allait les jeter au feu,
lorsque le père de ces enfants l'arrête et l'insulte même.
C'est lui qui vient le soir me dire les paroles du ministre
contre les images, les croix, les statues. J'appelai chez
moi tous ceux qui se trouvaient en ce moment autour
de la Mission, protestants et catholiques, et ouvrant la
grosse Bible anglaise, je leur lus le texte où Dieu com-
mande à Moïse de faire exécuter deux statues d'anges
pour les côtés du tabernacle. Du choc jaillit la lumière ;
c'est ainsi qu'à l'occasion des attaques du ministre, la
vérité pure apparaît à ces pauvres gens.
En quittant le fort Nelson, cette fois, et les quelques
catholiques déjà arrivés, je leur dis d'annoncer à tous
leurs compatriotes qu'après le passage du Grand Priant,
au lac Pélican, un missionnaire viendrait probablement
résider au milieu d'eux.
Je vous fais grâce des détails du retour; il me souvient
seulement d'un retour offensif de l'hiver qui nous fît bien
souffrir dans un portage, sur un marais, où il nous fallut
patauger dans l'eau de glace. En arrivant près de Paki-
tawagan, nous trouvons, sur une île du fleuve, toute
la population du pays réunie, attendant le passage de
leur missionnaire. Après le dîner, qui fut servi abon-
damment par l'un d'eux, nous partîmes tous ensemble
pour la chapelle, canots devant, canots en arrière, ca-
nots de tous les côtés, et nous au milieu ; on navigue en
cadence, remontant le fleuve et chantant des cantiques ;
c'était toute ma chrétienté en procession sur les ondes.
Il y eut trois jours de halte à Pakitawagan pour les
exercices spirituels de ces nombreux chrétiens. 11 fallait
cependant nous hcâler afin de pouvoir aller rencontrer
MS"" Pascal au fort Gumberland.
Sans nous attarder au lac Pélican, allons au-devant
de notre premier pasteur.
T. xxxVi. 2
— 18 —
Voici trois canots en route pour le fort Cumberland.
Le vent enfle nos voiles et il devient si fort qu'il menace
de nous faire plonger de l'avant dans les vagues. Mais
tout va bien sur les lacs et sur les rivières; pas d'acci-
dents dans les rapides. On arrive en face de la Mission
au fort Cumberland. iMonseigneur venait d'y arriver;
nous le reconnaissons debout sur le rivage prêt à nous
recevoir à bras ouverts, il nous donne sa bénédiction.
Tous les chrétiens du pays sont là aussi. La présence
de l'évêque catholique attire toute la population autour
de la Mission. Le 11. P. Charlebois racontera la visite
pastorale de sa Mission. A mon tour, je suis heureux
d'emmener Sa Grandeur au lac Pélican.
J'ai cédé à Sa Grandeur mon meilleur canot; des deux
autres, l'un est pour moi et le troisième est chargé des
provisions pour notre Mission. Quel honneur et quel
plaisir, pour un pauvre missionnaire de ces immenses
déserts, de pouvoir voyager pendant quelques jours en
compagnie du Vicaire apostolique ! On se parle de canot
à canot, on se conte des nouvelles, on chante. Quand on
va à terre pour les repas, Monseigneur, assez conforta-
blement fourni en cuisine de voyage, comble de ses lar-
gesses le missionnaire et ses gens. Un soir, nous avions à
traverser une immense baie du grand lac Cumberland,
une distance d'au moins trois heures à parcourir à force
d'avirons. C'est un passage dangereux pour les canots,
car il n'y a pas d'îles. Le temps était calme, pas de
nuage précurseur du vent. On prend le grand large avec
toujours du courage et de la gaieté. Mais voici, du côté
du nord, un petit nuage cornu.
Mauvais signe , nos guides qui s'y connaissent nous
l'ont fait remarquer. « Il va venter tôt ou tard ce soir,
disent-ils ; courage, ramez fort ! « C'était sérieux, car il
faut périr inévitablement, sans un miracle, si le gros vent
— 19 —
so lève. Voyant noire guide fort anxieux, je dis à Monsei-
gneur : « Nos gens semblent avoir peur, il y a du danger. »
Les canots filaient toujours, le petit nuage grandissait à
mesure qu'il montait. Voici le lac qui commence à
s'agiter. On ne se parle guère, préocupés tous de la
situation ; Monseigneur égrenait son chapelet, moi aussi.
« Si le vent n'augmente pas avant une heure, nous
sommes sauvés, dit le guide. » Après des dizaines et des
dizaines, je chante en cris le beau cantique à l'ange
gardien tant aimé de nos chrétiens. Je commence pour
recommencer encore, et déjà la terre n'est point éloi-
gnée.
Nous débarquâmes au crépuscule, et tandis que Mon-
seigneur se couchait sans souper, je me réjouissais avec
nos gens de notre heureuse traversée.
Deux jours après, nous étions arrêtés par le vent sur
une pointe du lac Castor. Pendant que nos gens dor-
maient. Monseigneur, avec les belles pierres plates du
rivage, élevait, au bord de l'eau, un semblant de tour
de Babel ; j'étais son manœuvre. Je laissai Monseigneur
pour arriver un jour d'avance et aider le P. Smonin pour
la réception solennelle du pontife. La pluie et le continuel
mauvais temps empêchèrent tout, et le premier pasteur,
en arrivant à la Mission, fut reçu avec seulement les
honneurs de la canonnade. Les prolestants assemblés au
fort de la Compagnie, et les nombreux catholiques à la
Mission, tirèrent en son honneur quelques centaines de
coups de fusil.
En débarquant. Monseigneur, quoique fatigué et transi
de froid, dut bénir notre peuple et donner son anneau
pastoral à baiser aux hommes et aux femmes, tous à
genoux, les uns d'un côté et les autres de l'autre, entre
le quai et la chapelle. Dans le nombre, parmi les femmes
surtout, je vis des protestantes faire comme les catho-
— 20 —
liques et mouiller de leurs larmes la main du Grand
Priant.
Dans la chapelle beaucoup trop petite pour la circons-
tance, jamais peuple ne fut si attentif à écouter les
paroles qui lui étaient adressées par une autorité si
haute et si pleine de majesté. Beaucoup, cependant, de
nos chrétiens manquaient à l'appel, empêchés par les
difficultés du voyage, les uns ou les autres par une
erreur de date. Il y eut 45 confirmations; il devait y en
avoir une dizaine encore un peu plus loin, comme nous
le dirons. Pendant que le pontife distribuait la Sainte
Eucharistie aux nouveaux et anciens communiants,
j'aperçus une bonne mère de famille protestante qui
pleurait à chaudes larmes au milieu de la chapelle... J'en
sus la cause après. Elle pleurait de bonheur et de regret:
de bonheur, parce qu'elle voyait sa fille participer pour
la première fois à la table sainte ; de regret, parce que
le bonheur d'être catholique elle aussi lui était encore
refusé. Le soir, elle pressa fortement son mari de re-
joindre leurs enfants dans la religion catholique; mais
le courage lui manqua encore, et mes instantes sollici-
tations n'y firent rien.
Des officiers de l'honorable Compagnie de la Baie d'Hud-
son passèrent au lac Pélican pendant la visite pastorale.
Ils ne manquèrent pas de venir saluer Monseigneur
et de donner même un gage de leur générosité à son
égard.
Du lac Pélican, Monseigneur se dirige vers le lac Cari-
bou chez les Dénés, Mission que le R. P. Gasïé dirige
depuis plus de trente ans. A mi-chemin, il y a un village
cris de 60 catholiques ; je dus y accompagner Sa Gran-
deur pour l'interpréter. Là notre arrivée ne fut rien moins
que solennelle.
Pas un coup de fusil; deux ou trois femmes descen-
— 21 —
dirent la côte à force de signes que je fis. La population
n'arriva qu'un petit quart d'heure après.
Ici point de chapelle. Monseigneur va pontifier dans une
chambre basse. Les deux filles catholiques de la maîtresse
de céans protestante, aidées de leur mère, ont vite fait un
semblant de chapelle ou un ciel d'autel avec quelques
morceaux d'indienne rouge el bleue. ..Monseigneur con-
firme 10 personnes, je crois, et reçoit une abjuration.
Un jeune homme protestant se lamentait de ne pouvoir
lui aussi se faire catholique. Son père protestant était
absent, la crainte révérencielle fut pour lui un obstacle.
Avant de repartir. Monseigneur me disait : « Que pour-
rais-je donner à la bonne femme protestante qui nous
a hébergés?» La femme répondit : «C'est un honneur
pour moi d'avoir pu recevoir le Grand Priant dans ma
maison ; je suis, d'ailleurs, bien largement récompensée
d'avoir vu mes enfants sous sa main bénissante. C'est
à moi à le remercier d'un si grand bienfait. » Elle
ajouta: «J'ai écouté ses paroles, elles me donnent ter-
riblement à réfléchir. » Maintenant nous allions nous
séparer ici avec Monseigneur. Je procurai à Sa Grandeur
un canot plus large et un guide sûr pour traverser le
lac Caribou, et adieu. Le soir, après le chapelet et une
dernière exhorlation à nos catholiques, je partis. Il fallut
m'arrêter environ une heure ce soir-là pour entendre la
confession de quelques malades qui pleuraient de n'avoir
pu se rendre aux cérémonies pontificales. Le lendemain
soir, il me souvient d'un ouragan épouvantable, un vent
terrible de l'ouest qui, comme un typhon, vint subite-
ment nous surprendre sur un lac ; mais une petite île
se trouvait devant nous. Nous nous mîmes à trois pour
tirer notre canot et le placer entre deux arbres, les seuls
de cet îlot.
La violence du vent était si forte, que votre serviteur,
— 22 —
qui n'a que les os et la peau, en était presque soulevé ;
cela ne dura que dix minutes environ. La nuit était
venue^ il n'y avait pas de bois dans l'île, on se coucha
sans souper. Le lendemain, le vent nous força à rester
la moitié du jour à la même place sur un portage. Nous
manquions déjà de vivres. On pêche le brochet avec
l'hameçon. Mes hommes en apportent une dizaine dont
quelques-uns sont vite rôtis dans la braise du foyer.
Mais croyez-moi, ce n'est guère appétissant; la faim
seule peut l'assaisonner.
Dans nos pauvres pays, on est quelquefois affamé ; le
vent, la pluie, etc., retardent la marche, les vivres s'achè-
vent et l'on en est réduit à l'hameçon; bien heureux si
on a un fusil ou plutôt un filet. J'ai rencontré un jour un
archidiacre de l'Eglise anglicane qui, arrêté dans son
voyage par des vents continuels, en était réduit aux petits
brochetons ; or je venais le matin même de recevoir sur
mon chemin quelques bonnes pièces de viande sèche
d'orignal. Je fis présent d'une douzaine de livres à ce
révérend affamé. Le brave homme se fondit en remer-
ciements et me gratifia de toutes les bénédictions du
patriarche Jacob. Il n'en est pas moins vrai que, ce jour-
là, nous cassions notre canot dans un rapide. Il ne faut
pas être délicat dans le pays; on en est réduit quelque-
fois à manger du hibou, de l'aigle, du rat musqué et
même la mousse noire qui, comme des oreilles, s'attache
aux flancs des rochers. Après tout, quand on mange la
grenouille en France, on peut bien manger le rat mus-
qué dans le Nord. Mais me voilà bien loin de ma nar-
ration.
Ce jour-là donc, on vécut de nos brochets. Les mousti-
ques ne nous laissèrent pas fermer l'œil, la nuit sui-
vante. On repartit avec le calme au point du jour; la
bonne Providence nous servit des canards pour le dîner.
— 23 -
Un peu après midi, nous débarquions à une pêcherie
où les sauvages du lac Pélican boucannaient les pois-
sons. Une heure après, en entrant dans un portage, j'y
trouve étendu sur un rocher un vieillard agonisant. Dans
son jeune temps, il avait voyagé ici avec le P. Taché. Je
lui renouvelai l'absolution et le laissai. Deux jours après,
à la veille de mon départ pour une seconde visite au
fort Nelson, je venais de finir le baptême d'un nouveau-
né quand un canot approcha du rivage de la Mission ;
c'était le corps du vieillard.
Le lendemain, le P. Simonin et votre serviteur partaient
en canot pour un voyage de 500 kilomètres ; j'ai vu ce
cher Père prendre des notes en chemin, il pourra en-
voyer à son oncle de Paris un rapport intéressant. J'ai
seulement à dire qu'au fort Nelson les protestants
comme les catholiques demandèrent de leur laisser le
nouveau missionnaire jusqu'aux glaces. Une lettre me
fut remise; elle venait du lac Fendu, en aval du fleuve
Nelson, le dernier poste fréquenté par les Indiens les
plus éloignés du vicariat, à l'est. Dans cette lettre in-
dienne, écrite en caractères syllabiques,les Indiens de la
mer émigrés dans linlérieur des terres pour y trouver
un pays de chasse et de fourrures, et tous protestants,
me demandaient d'aller les voir, leur faire connaître
la religion catholique et baptiser leurs enfants. Nous
voyons là l'effet de l'oraison de mandata que notre pre-
mier pasteur a prescrite depuis longtemps à tous ses
prêtres pour la propagation de la foi.
La grâce de Dieu travaille ces pauvres Indiens enrôlés
jadis dans la secte de Wesley. Sans encore avoir vu ni
entendu le prêtre catholique, ils le demandent, et ils
n'ont vu de leur vie que quelques rares catholiques qui
du fort Nelson passent au lac Fendu en voyage. Quel serre-
cœur de ne pouvoir aller tout de suite à leur secours!
- 24 —
Mais le P. Simonin ne parle pas encore le cris ; impossible
aussi de laisser nos néophytes du fort Nelson assemblés
pour nous voir et il ne faut non plus abandonner trop
longtemps notre Mission du lac Pélic m ; nos premiers
soins aux domesticos fidei, au moins pour le moment.
Mais la grâce travaillait aussi les protestants du fort
Nelson, le ministre s'aperçut que plusieurs de ses
ouailles ne venaient pas au temple ; anxieux, il demande
les absents ; ne les voyant pas arriver, il envoie ses caté-
chistes les trouver auprès de la Mission catholique.
11 y a de grands parlements, des discussions. Les
hommes de l'erreur mettent en avant toutes sortes de
prétextes pour arrêter la conversion de leurs compa-
triotes. On leur dit : « Si vous vous faites catholiques, la
Compagnie ne vous regardera plus; le commis ne vous
donnera pas à crédit et ne vous fera plus travailler pour
gagner. )> William X... répond à son cousin : d Montre-
moi, dans notre religion, où se trouvent la confession et
la rémission des péchés ; montre-moi l'extrême-onction,
nous voyons tout cela dans le Nouveau Testament.
L'Église catholique le pratique, nous en sommes privés,
je me fais catholique. ^> J'allai au fort de la Compagnie
avec des témoins pour entendre le commis sur les inten-
tions que lui prêtaient ses coreligionnaires protestants.
Cet Écossais, qui est un homme poli, juste et sincère,
répondit: « J'aime autant les catholiques que les protes-
tants, je ne fais pas attention à quelle religion ils appar-
tiennent, il me suffit qu'ils soient honnêtes j et je veux
ajouter que je suis très satisfait des catholiques parmi
lesquels je trouve mes meilleurs chasseurs. » Au retour,
au milieu de nos gens, mes hommes répétèrent les
paroles du commis. Les pauvres catéchistes du ministre
n'en furent pas fiers, néanmoins le démon retenait encore
les âmes. Je devais partii' le lendemain ; le soir, au
— 23 —
sermon sur le danger de retarder sa conversion, les
larmes coulèrent et, après les larmes, le plein consente-
ment ne se fit pas attendre. Nous reçûmes quatre pro-
testants dans le giron de la sainte Eglise. Je laissai là
le P. Simonin pour habituer nos nouveaux catholiques
à nos saintes pratiques et je fis dire aux Indiens de la
mer que j'irai les voir le plus lot possible.
Je viens d'apprendre que le commis du fort Nelson
a eu la bonté de prêter ses hommes et sa barque, pour
charrier le bois de charpente; il a présidé lui-même, et
travaillé aussi, à l'érection du clocher. Le jeune P. Si-
monin, demeuré seul après le départ des sauvages catho-
liques, a profité d'une bonne occasion pour monter
à Pakitawagan, oia il va rester jusqu'à Noël pour se
familiariser avec la langue et passer les fêtes avec les
Indiens du pays. A mon retour du fort Nelson, nous
vîmes souvent des indigènes chacun dans leurs pays
respectifs. Ils se firent un plaisir de nous offrir des fruits
sauvages, des canards, de la viande, etc., mais il me fut
impossible de camper chaque fois avec eux comme ils
l'auraient voulu.
J'avais hâte d'aller me reposer à ma Mission. Depuis
quatre mois j'étais continuellement en voyage sur l'eau.
Au lac Pélican, je reçus la visite du ministre mon grand
ami qui vient voir régulièrement les quelques protes-
tants de l'endroit; cet homme lit beaucoup et il est
convaincu de la vérité de la religion catholique. Son
évêque passa aussi, mais à peu près inaperçu ; il trouva
les anglicans bien peu nombreux et n'osa pas refuser un
demi-sac de farine que ses coreligionnaires lui deman-
dèrent pour manger en son honneur.
Le missionnaire catholique, en sa résidence au lac
Pélican, passe l'automne à catéchiser les enfants, à
recevoir les Indiens qui viennent faire leurs dévotions
— 26 —
avant de partir pour leurs quartiers d'hiver, à recueillir
les pommes de terre et les choux de son jardin. Ensuite
nos pêcheurs suspendent des milliers de poissons à
chiens et quelques centaines pour la table. Enfin nous
devons remercier le bon Dieu des grâces qu'il a répandues
sur noire population, cet été surtout; parle ministère
de notre premier pasteur et de ses prêtres; il y a eu
30 baptêmes et 5 abjurations.
Votre très humble frère en N.-S. et M. I.
E. BONNALD, 0. M. I.
P. S. — Parmi les motifs qui nous font remercier la
divine Providence, j'ai oublié de dire que cet été W"^ Pas-
cal et votre serviteur ont échappé à une mort cer-
taine : 1 evèque, au retour de ses visites pastorales en
passant au lac Pélican, un coup de vent subit faillit
faire chavirer le canot qui allait en ce moment à la
voile; le missionnaire, au retour du fort ^'elson, lancé à
pleine voile sur un lac, échappa aussi à un naufrage
certain, puisque son canot craqua subitement au large,
sur un écueil inconnu, et, chose étrange, n'eut aucune
avarie, quoique menaçant de se casser en deux. Si la
mince écorce eût été brisée, il n'y aurait eu de chance
de salut que pour les bons nageurs. On manqua sans
doute de quelques lignes les aspérités du rocher, qui
auraient infailliblement crever notre nacelle ; on glissa
seulement, mais assez fortement, sur la partie lisse de
recueil. E. B.
MAISONS DE FRANCE
MAISON DE SAINT ANDELAIN.
Saint-AndelaiD, 12 février 1898.
Mon révérend Père,
Depuis que notre Maison a donné Thospitalité aux
jeunes Pères pour leurs deux mois d'études, elle y a
gagné sous beaucoup de rapports ; mais sou supérieur
s'est vu enlever, du fait, ces deux mois d'été pendant
lesquels on met à jour ses écritures. Je suis en retard de
ces deux ans avec les annales. Elles ont rendu compte
de nos travaux jusqu'en décembre 1894. Ce sont donc
trois années à retracer; il va falloir le faire sommai-
rement.
Pendant ce laps de temps, nous avons été toujours
quatre missionnaires en aclivilé; un instant, le P. Paquet
fut un cinquième, mais intermillênl, de par sa santé
ébranlée.
Avec ces ressources de personnel, nous avons donné
quarante et une missions, soixante-douze retraites ou
retours de missions, une dizaine d'adorations perpé-
tuelles et autres prédications de circonstance.
Les RR. PP. Belner, Q'x\utun, et Th. d'Istrîa, de
Montmartre, sont venus à notre secours pour quelques-
unes de ces œuvres. De notre côté, nous avons pu se-
courir les maisons de Montmartre, Autun, Talence et
Jersey par les PP. d'îstrtA; Cotarmamach, Huguet et
Simonin.
— 28 —
De nos quarante et une missions, dix-sept ont été prê-
chées par un missionnaire seul, vingt et une par deux et
trois par trois et plus. Suivant les instructions de nos
supérieurs majeurs, j'ai visé à écarter de plus en plus
les demandes d'un missionnaire isolé ; mais Me"" l'évêque
de Nevers nous aidant beaucoup en notre œuvre, par la
fermeté avec laquelle il tient à l'exécution des statuts
diocésains, qui rendent les missions obligatoires, nous
ne pouvons, ainsi qu'il me l'a aimablement rappelé en
plusieurs circonstances, nous refuser à l'aider aussi, en
évangélisant les paroisses auxquelles il ne peut raison-
nablement imposer deux Pères.
Dans nos soixante-douze retraites figurent une re-
traite au petit séminaire de Bourges, donnée par le
P. d'Istria ; deux à la Sainte-Famille, par le P. Cotar-
MANACH (Tours et Blois en 1897); enfin, par moi, cinq à
la Sainte-Famille (faubourg Saint-Honoré en 1895, Blois
et Tours en 1896, Reims et Mézières en 1897) ; deux à
nos maisons (Notre-Dame de l'Osier et le Calvaire de
Marseille en 1897); et trois retraites pastorales, celle de
Nice en 1896 et les deux d'Auch en 1897.
Auxquelles de ces œuvres accorder maintenant la place
disponible pour les descriptions, détails, éloges et notes?
Tous nos Pères ont travaillé avec un grand zèle ; si les
uns ont fait plus en nombre ou en résultats, le supérieur
déclare que les autres n'attendaient que des ordres, ou
un meilleur terrain, ou l'âge pour se mettre au niveau.
Quand les circonstances le permettent, je donne le
plus facile aux nouveaux venus. J'appelle plus facile,
non le moins laborieux, mais ce qui a plus de chances
de succès. Cela encourage, et ce qui est plus important,
cela pose dans l'opinion, avec laquelle il faut compter,
pour pouvoir faire le bien. Ctira de bono nomine!
Les champs plus difficiles sont, si faire se peut; pour
— 29 —
les aguerris; ils n'y compromettent plus leur réputation
déjà faite. Au contraire, ils y ajoutent un lustre de
courage indiscuté, car, si le bruit d'un insuccès se ré-
pand, on se souvient des missions faites ailleurs, on com-
pare et l'on constate vite la différence des terrains.
M'est-il permis de dire que le supérieur se réserve
volontiers les trop mauvais morceaux ! Outre les travaux
qui décourageraient, il y a des œuvres et des milieux oii
le titre de supérieur ajoute une force. Une fois seul,
une autrefois avec le P. Huchet, j'ai vécu trois semaines
en tels presbytères où un simple sujet aurait été littéra-
lement mal traité, dans tous les sens du mot, de par
l'ascendant pris, on ne sait trop comment, par les per-
sonnes de service. L'une était sœur, l'autre nièce du
malheureux pasteur, trop âgé, dans les deux endroits,
pour pouvoir changer de gouvernement. Toutes les deux
étaient absolument brouillées avec l'eau de vaisselle, le
balai et l'horloge. A X..., le chien était à table avec nous;
la nièce présidait, bien plus désagréable que le toutou, et
elle nous trouvait insupportablement exigeants de sou-
haiter que nos chambres fussent faites avant 8 heures du
soir, d'y désirer du feu au milieu de l'hiver, d'exprimer
aussi le désir qu'il n'y eût pas plus de cinq quarts
d'heure de retard pour les repas et que l'eau des ca-
rafes, dont elle n'usait pas, n'eût pas trop l'air d'avoir
déjà servi à autre chose... »
Enfin, comme dit le bonhomme Lhomond : Meminisse
juvat! Ajoutons vite que ces cas sont uniques en ce
genre.
De plus en plus rares aussi sont les pasteurs qui, ne
donnant la mission qu'à leur corps défendant et après
plusieurs sommations de Monseigneur, semblent ne dé-
sirer que les résultats qui justifieraient leurs résis-
tances.
— 30 —
AX..., permetlez-raoi de ne pas nommer, on devinera
pourquoi si l'on veut, le P. Huchet e:.t presque obligé
de lutter pour obtenir qu'on visite la paroisse, qu'on
essaj'e d'apprendre des cantiques, qu'on demande des
bougies. On lui prédit tous les échecs, il obtient d'excel-
lents résultats sur toute la ligne, et son prophète de mal-
heur se retire, contrarié, sous sa tente, afl'ectant de s'abs-
tenir jusqu'à la fin.
A Y..., le P. CoTARMANACH tombe chez un monsieur qui
le prévient, dès l'arrivée, que la question finances est ca-
pitale, qu'il aura ses honoraires, mais pas un liard de
plus pour les décorations de l'église. Le malheureux
Père s'étant avisé de faire 5 ou 6 francs de dépenses chez
le menuisier pour une cérémonie de la Sainte Vierge,
cela resta à notre charge.
A Z..., le P. d'Istria se trouve en présence d'un excel-
lent homme, mais un peu toc-toc, disent irrespectueu-
sement ses voisins, et qui, à table, devant les étrangers
constamment invités, critique tous les actes, tous les
sermons de son missionnaire en chef, jusqu'à ce que le
P. HucHET, agacé et trouvant son compagnon trop pa^
tient, apprend carrément à l'amphitryon l'article 40, §2,
chap. II, de la première partie de nos Constitutions : Nemo
unquam ad mensam admittatur , nisi identidem parochus.
Sans doute, il suppose que les missionnaires ont leur
table; d'autres articles le disent clairement: Mission-
narii utentur eadem domo, eademque mensa, si fieri possit
(art. 36). Frugalis sit mensa.., dum illoruin erit de ali-
menlis providers (art. 37). Et à l'article 38, après Quando
ordinari poterit juxla nostra institula, il ajoute: Secus,
kospitum volunlati sese bénévole accommodabunt, mais,
curantes nihilominus quantum in illis erit ut propius accé-
dant ad régulas nostras. Si c'est applicable au menu, ne
l'est-ce pas autant au.x convives ?j
— 31 —
Nos mêmes Règles disent que c'est à table, qu'après la
lecture du Nouveau Testament par le plus jeune, co//a/{o
o'it de casibus conscientiae, etc., ce qui signifie bien Viden-
tidem Parochus, car, lui présent, cette collatio est pire
que dangereuse, cela saute aux yeux ! Aussi, quelle sa-
gesse, sub omnirespectu, dans cet éloignement des étran-
gers laïques ! Qu'on se dépoétise vite, la fourchette ou
le verre à la main! Et si le convive, qui n'a qu'à songer
aux lois de l'étiquette, ne pense pas que le repas est le
seul moment de détente et de conversation pour les ou-
vriers apostoliques, que de fâcheux étonnements !
Mais, le plus habituellement, pour ne pas dire tou-
jours, ce n'est pas le presbytère, c'est la population qui
ferait de la paroisse ce que j'appelle un mauvais mor-
ceau. Il y en a même quelques-unes à propos desquelles
pn serait heureux de se rappeler que le Maître disait à
ses douze : «Secouez la poussière de vos chaussures, et
passez dans une autre.» Je le dis en professant pourtant
que je n'ai pas encore vu de mission inutile !
Voici maintenant quelques mots sur chacune de celles
de ces trois années :
Subligny (diocèse de Bourges). Les PP. d'Istria et
CoTARMANACH y trouvent un pasteur fort distingué et
plein de délicatesse, avec une paroisse très étendue, ra-
vagée par la danse et les unions de la main gauche 1
Ils y établissent un chœur de chanteuses et deux Con-
grégations. Nombreux retours d'hommes et belle plan-
tation de croix.
Garchy, paroisse très indifférente, voisine de Saint-
Andelain.Au moment de la mission, elle avait pour pas-
teur un prêtre instruit, qui essaya, pendant six mois de
noviciat à Notre-Dame de l'Osier, de se faire Oblat de
Marie. lime raconta qu'un jour le spleen le prit: il vou-
lut partir, sans rime ni raison, par pure impression. Le
— 32 —
maître des novices lui prédit qu'il aurait regret avant
huit jours; il eut regret à moitié chemin de Vinay, mais
c'était trop tard. De paroisse en paroisse, il aboutit à
Garchy, où il est mort il y a quelques mois, assisté par
le P. Thévenon. Il doit sa mort à ce qui a rendu sa pa-
roisse bien malade : un binage ! Un chaud et froid pris
au retour d'un office en cette desserte, l'emporta en
moins d'une semaine. La paroisse n'a jamais été bien
chaude, je crois, mais son froid s'est amené à zéro très
rond, parle fait que, depuis des années, la messe du
dimanche n'avait plus d'heure fixe, les vêpres étaient
supprimées ou chantées par M. le curé et sa sœur pour
tout lutrin.
Missionner là, c'était travailler surtout à sa sanctifica-
tion personnelle. Le P. Cotarmaxacii y fut seul. Au ser-
mon d'ouverture, il y eut du monde : c'était la Toussaint.
Mais l'auditoire prit sans doute le texte latin du sermon
pour un Deo gratias, car les causettes commencèrent en
même temps que ledit sermon, et faillirent couvrir la
voix du prédicateur.
Quelques réunions au hameau de Mézières, quelques
cérémonies à l'église amenèrent du monde. De loO à
200 femmes et 4 ou 5 retardataires hommes furent vus
à la sainte table. C'était plus qu'on ne pouvait espérer.
Chiddes, paroisse du Morvan, 1 800 habitants. Nous
trouvons là, le P. Huchet et moi, un sol à part. Peuple
réputé un peu sauvage, dompté par un curé jeune, ardent
et d'une énergique et calme ténacité.
Non seulement en son ménage, pour le tenir admira-
blement, mais à la sacristie, pour le linge et les orne-
ments ; à la tribune, pour surveiller les enfants pen-
dant les offices; en son catéchisme, pour dégrossir les
obtus; à l'église, pour faire faire chaque jour la visite au
Saint Sacrement aux jeunes filles, ce curé a le bonheur
~ 33 —
d'être secondé par une sœur qui lui vaut deux vicaires.
Il a, de plus, un châtelain absolument modèle, le comte
de La Pile de Pelleport, fixé à Chiddes, avec sa sympa-
thique petite famille, après de longues années passées en
Egypte. Carrément chrétien, instruit, ayant le prestige
de sa haute stature, de sa science, de sa fortune, et
chargé, autant que n'importe quel autre châtelain, de
famille, de serviteurs, de biens à administrer^ de train
de maison à surveiller, il n'a manqué aucune de nos
réunions, je dis aucune I II ne s'est pas contenté de con-
tribuer généreusement à toutes les dépenses, en particu-
lier à celles de l'acquisition et de la plantation de la croix,
il s'est mêlé aux hommes du peuple pour porter cette
croix et en diriger l'érection en ingénieur consommé.
Aussi pouvons-nous dire que nous avons eu une belle,
et bonne, et fructueuse mission. Za Croix du Nivernais en
a donné un compte rendu en deux colonnes absolument
enthousiaste, et M. le curé ne nous a pas laissés partir
sans retenir illico trois Pères pour la mission suivante.
Il nous a fallu là lutter contre la désastreuse influence
d'un ex-député radical, contre un temps très rigoureux
et la difficulté des distances. Que de fois sommes-nous
rentrés de nos réunions de villages après iO heures du
soir, n'ayant plus même, pour notre souper et noire cou-
cher, l'appétit et le sommeil complètement tués par la
lassitude !
C'est en cette paroisse, et sous l'impulsion de son curé,
M. Forestier, qu'a pris naissance la dévotion à Noire-
Daine du Suprême -Par don : nous attendons la fin de la
construction de l'église élevée à notre bonne Mère sous
ce vocable pour donner la mission suivante.
L'année 1895 s'ouvre par la mission de Myennes (800 ha-
bitants). Je la donne seul et je suis encore à moitié
de trop ! Population de potiers et de tuiliers, un peu
T. XXXVI. 3
- 34 —
cosmopolite. Un quart des femmes et les deux tiers
des hommes ne mettent jamais, absolument jamais, les
pieds à l'église. Au grand catéchisme de première com-
munion, au moment de la mission, c'est-à-dire quatre
mois avant cette première communion, H enfants ne
savent pas le « Je crois en Dieu », et 6 ne savent pas
même le « Notre Père ». Le seul jeune homme vu à la
messe le dimanche, fait dire des messes pour son père
défunt, mais n'y assiste pas, parce qu'on se moquerait
de lui ! Enfin, chose que je n'ai pas encore vue ailleurs,
un peu plus de la moitié des parents ne viennent pas à
la messe, même le jour de la première communion de
leurs enfants !
Le prêtre y est sans aucune influence, bien quïl soit
un modèle de régularité, passant chaque jour des heures
entières à l'église, qu'il entretient de ses mains, n'ayant
pas d'employés.
Mes auditoires de la première semaine furent de 40 à
50 personnes, femmes et jeunes filles; un peu plus nom-
breux le reste de la mission, ils remplissaient l'église pour
la fête de la Sainte Vierge. Mais que de peines pour orga-
niser cette fête ! M. le curé, aigri par des ennuis domesti-
ques et par son peuple récalcitrant, ne voulait pas même
prêter les candélabres de l'église, qui lui furent enlevés
comme de force par leurs donatrices. Il refusa aussi ses
tentures pour la cérémonie des morts. Pas même un sem-
blant de catafalque !
Je n'hésitai pas à prêcher tous les jours deux fois, le
soir, à la soixantaine d'auditeurs ; le matin, à une dou-
zaine, qui, celle-là, fut courageusement fidèle à tous les
exercices.
Résultats visibles : 64 confessions, dont 4 jeunes gens,
et 6 retours de femmes. Pas un garçon de la première
communion précédente, pas une bâtonnière, c'est-à-dire
des jeunes filles qui quêtent le dimanche et portent la
bannière aux processions, pas un fabricien, pas même
la sœur de M. le curé !
Eh bien, comme en tous ces milieux déplorables, la
mission a fait un grand bien aux âmes fidèles condam-
nées à vivre là. Quelques personnes me promirent la
communion mensuelle, chose inouïe à Myennes ; elles
se firent inscrire au grand rosaire et, vingt-trois mois
après, je reçus des témoignages authentiques de leur
persévérance.
Les deux missions suivantes, données en février,
furent rendues presque impossibles par l'excessive ri-
gueur du froid. Seul à Oudan, paroisse de 550 habi-
tants, le P. GoTARMANACU Vit M. le curé alité pendant
les deux tiers du temps, pris d'une maladie épidémique
qui ravagea toute la paroisse. Il essaya d'attirer les
hommes, gens des bois, charbonniers et bûcherons, et
put en réunir une centaine.
Presque toutes les femmes et une quinzaine d'hommes
s'approchèrent des sacrements : parmi ces derniers, une
dizaine étaient des retardataires!
Le P. d'Istria et moi, nous essayons, pendant ce
même mauvais temps, d'évangéliser Herry, grosse pa-
roisse du diocèse de Bourges. Ce fut plus qu'audacieux 1
La paroisse est très surfaite. Le châtelain se fit porter
malade pour la durée de la mission : les exemples fran-
chement chrétiens ne sont jamais sortis de ce milieu
philippiste. Chez les religieuses, il y a un ouvroir et
une congrégation de jeunes personnes. C'est une res-
source pour le chant, quand l'harmonie y est... Enfin le
froid fut vraiment intolérable ; tout gelait dans l'église,
y compris le vin dans le calice pendant le saint sacrifice.
Je dus cesser dédire ma messe pendant une semaine, la
journée ne suffisant pas à dissiper les atroces névralgies
— 36 —
que je prenais le matin pendant les vingt-cinq minutes
que je restais Lête nue. Pour avoir des hommes, je leur
permis de rester couverts pendant nos sermons.
Néanmoins, une centaine de personnes furent fidèles,
matin et soir, les jours ordinaires, et il y eut grande
affluence à deux ou trois fêtes. Je puis dire que c'est là
que j'ai eu toute la mesure de la vaillance du P. d'Is-
TRiA : il ne se laissa arrêter que par la maladie, qui finit
par lui infliger vingt-quatre bonnes heures de consigne
absolue dans sa chambre.
Il trouva presque aussitôt, après cette mission, une
autre bonne occasion de montrer son courage dans la
mission de Saint-Maurice-le-Vieil (diocèse de Sens).
Là, un seul homme fait ses pâques, c'est un étranger.
Pas une femme, pas une fille ne s'approche des sacre-
ments. Une quinzaine de vieilles femmes vont à la messe
le dimanche; bien des jeunes gens et des jeunes filles
n'ont reçu d'autre bénédiclion que celle du conjungo
municipal. L'infect journal iYonne est la seule pâture
intellectuelle et morale de ce peuple. Et pour comble
de difficulté, le pays est partagé en trois centres rivaux.
M. le curé a fait un grand acte de foi en donnant
cette mission, et nous a fait honneur en n'osant la de-
mander qu a nous. Le P. d'Istria et son second, le
P. Cotarmanach, ont été de vrais Oblats en l'acceptant
et en la prêchant.
Je n'insiste pas sur les 17 degrés au-dessous de zéro^
que marqua parfois le thermomètre : celui des âmes
faisait oublier l'autre. Dans quatre ou cinq maisons, les
Pères furent brutalement mis à la porte. Ils réussirent
à amener une quarantaine de femmes et de filles à la
sainte table, à réhabiliter deux mariages, à faire faire
sept premières communions en retard et à grouper une
vingtaine de femmes et de filles en congrégation.
~- 37 —
L'Yonne vengea la canaille locale du bien opéré, en
publiant deux articles dont, malgré leur provenance très
probablement académique, il serait malaisé dédire quel
était le plus idiot.
Aux mêmes dates, le P. Huchet et moi nous étions à
Alligny-Cosne. Grosse paroisse, petite mission ! Rien de
saillant!
Même note pour les missions de Savigny-Poil-Fol et
de la Colancelle, données par le P. Paquet, auquel il
faut pardonner de les avoir acceptées, dans l'état où il
se trouvait. 11 voulut diriger ensuite celle de Tazilly,
avec le P. Cotarmanach pour second. Il fallut bientôt le
faire rentrer à Saint-Andelain, et envoyer le P. Huchet
au secours du P. Cotarmanach.
Une fois ensemble, ces deux Pères organisèrent des
réunions de village, remuèrent ce peuple, amenèrent
150 bommes à la sainte table, et eurent une magni-
fique plantation de croix : bois porté en procession
par 60 hommes, et le corps du Christ par les 10 conscrits
de l'année, drapeau, clairon et tambour entête. Là en-
core, les châteaux, familles de Laverchère et de Courti-
yron, donnèrent constamment le bon exemple.
Mais, avant d'y rejoindre les PP. Paquet et Cotar-
manach, le P. Huchet avait pris part avec moi à la mis-
sion d'Onlay, mission fondée, revenant en des condi-
tions peu propres à en maintenir l'attraction. Paroisse
routinière, à bonnes habitudes, sans piété. Les reli-
gieuses, qui y sont depuis des années, semblent conser-
ver peu de rapports avec leurs anciennes élèves et sont
sans action sur les femmes.
Auditoires passables ; église comble aux conférences
dialoguées et aux lêtes ; presque toutes les femmes et
environ 200 hommes à la sainte table, sur 900 habi-
tants. Mais peu de retours et, qui pis est, quelques
- 38 —
hommes rebutés parce que, M. le curé nous l'a dit lui-
même, on a réglé, dans son doyenné, que l'on n'accep-
terait pas aux pâques ceux qui ne se présentent pas
deux fois au confessionnal. C'est un canon du concile
de Moulins-Engilbert.
Croira-t-on qu'un homme en retard de trois ans, et
déclarant qu'il resterait au confessionnal aussi long-
temps qu'on le jugerait nécessaire, mais qu'il ne voulait
pas y revenir une seconde fois, ne trouva pas grâce !
Nous secouâmes ce joug antithéologique, mais trop tar-
divement.
Pendant cette mission, le P. d'Istria prêchait à Saint-
Thomas, de Jersey : enchanté de l'accueil fraternel des
Pères, très intéressé par tout ce que lui apprit ce
voyage.
Je ne parle pas de la trentaine de retraites données
entre les missions précédentes et celles d'automne ; ce
serait sine fine.
En novembre, les PP. d'Istru et Gotarmanach repren-
nent le chemin du Morvan pour évangéliser la grande
paroisse d'Ouroux (2 500 habitants).
Yingt-quatre réunions de villages furent organisées
pour ébranler cette population, demeurant à des dis-
tances considérables. De fait, on vint aux cérémonies et
à la messe du dimanche; mais, à la sainte table, il y eut
moins de monde qu'à Pâques ; cela se produit depuis
quelque temps, dans les paroisses routinières, où de
braves gens pensent que la communion de mission est
pour les « bien dévots » et pour les retardataires : eux
ne sont ni l'un ni l'autre!
« A Ouroux, la plupart des femmes et beaucoup
d'hommes font leurs pâques. » disait-on aux Pères à leur
arrivée; mais ils constatèrent, sur d'autres points, que
la statistique était faite par un compteur indulgent qui.
— 39 —
volontiers, enlèverait la virgule et mettrait le zéro après
les chiffres ! Viscerapaternitatts f Oi^tiimhme sincère qui,
du moins, n'attriste pas, comme la disposition à tout
nigrifier.
En novembre aussi, le P. Huchet et moi nous menions
de front les missions de Monceaux-le-Comteet de Dirol,
petites paroisses distantes de 1 5UU mètres et confiées au
même pasteur.
Comment narrer laconiquement cette œuvre épique?
Il y a, à Monceaux, un franc-maçon, qui s'en vante,
et un taré qui ne s'en vante pas, mais que la justice a
chevronné, servant tous deux de noyau à une petite
poignée de fortes têtes. Le maire est un bourgeois, no-
taire, qui ne parut à aucun exercice; ses 330 adminis-
trés passent pour ardents républicains. Les conseillers
municipaux de jadis ont voté là bien des choses, entre
autres l'éclairage de leurs rues. Comme ailleurs, à la
campagne, il n'y a, dans les rues de Monceaux, la nuit,
que les chats et quelques bipèdes qui ne raffolent pas
des réverbères. Mais ces quinquets éblouissaient les
communes voisines et faisaient croire que là on était
éclairé, même le jour.
Enfin, à preuve que le bigotisme est ennemi de la ci-
vilisation et réciproquement, le maire n'a pas pu empê-
cher ces « éclairés » d'aller faire des vilenies dans
l'église^ le iA juillet d'avant la mission !
Vous voyez le terrain ! Dès les premiers jours, nous
soupçonnâmes que le fond de ce peuple était bien moins
mauvais que ne le faisait croire cette surface. Quelques
cantiques bien enlevés, quelques refrains-chœurs à deux
ou trois parties extrafaciles, que je fus tout étonné, le
premier, de pouvoir organiser là, puis les illuminations
créèrent l'entrain : il devint formidable.
Le franc-maçon nous lance un sot et anonyme article
— 40 —
de journal dans les jambes. Le maire est savamment
excité contre nous ; on lui rapporte, comme allusions
contre lui, toutes les paroles où le mot notaù^e, ou bon
ou mauvais exemple, se trouve mêlé. Un jeune homme
se cache, le soir, dans les sous-sols du presbytère, pour
donner un mauvais coup au missionnaire, quand il ren-
trera seul de l'église ou de la paroisse voisine ; il en est
empêché providentiellement par M. le curé qui, rentrant
le premier, entendit du bruit dans ce sous-sol, s'en in-
quiéta et, remontant à la cuisine chercher une lanterne,
laissa, pendant ce court instant, son brigand s'échapper.
Tout cela se raconte, échauffe les esprits : on penche
de notre côté. Nous risquons une souscription pour une
croix. Quatre-vingt-seize souscripteurs nous donnent
275 francs ; cela devient une consternation pour la bande
du F.'. M.*., car ces quatre-vingt-seize noms représen-
taient à peu près toutes les familles. Il va donc, avec deux
acolytes, dont le père du jeune homme suspect, som-
mer le maire d'interdire cette plantation de croix. Le
maire, acculé, a l'esprit de prendre parti pour nous,
c'est-à-dire pour la masse de ses administrés et élec-
teurs. Le bruit de cette démarche se répand aussitôt, et
alors commence l'épique. Cette croix de "",50 de haut
sur 20 centimètres d'équarrissage est emportée par la
presque totalité des électeurs ; on la dresse avec accom-
pagnement de chants et de fusillades, comme de cou-
tume. La place était pavoisée de drapeaux, prêtés par la
mairie, l'avant-veille, pour une messe de conscrits, et
gardés par le P. Huchet, sans autre formalité, pour ce
jour où ni le maire ni personne n'osa les réclamer.
L'enthousiasme semblait à son comble et incapable d'un
crescendo.
Mais voilà qu'à la nuit, M. le curé, électrisé, paye des
lanternes vénitiennes et des pétards ; on illumine toute
— 41 —
la place et le clocher; l'église, profanée le 14 juillet, et
sans réparation depuis, a son éclatante réparation ce
soir-là! Des jeunes garçons lancent des fusées du haut
du clocher ; d'autres allument des pétards par paquets
pour faire plus de bruit. Le P. Huchet, pris dans la foule,
organise une retraite aux flambeaux ; et tout cela s'im-
provisait au fur et à mesure des inspirations de la foule
et du Père. Les voilà partis, chantant des cantiques d'un
rythme de plus en plus accéléré et réservant les forte,
fortissimo, pour leurs passages devant les maisons des
sectaires. Retiré dans ma chambre depuis la fin des cé-
rémonies religieuses, j'entendais tout ce bruit avec ap-
préhension d'abord. 11 avait beau être fréquemment en-
trecoupé par les cris de : « Vive la croix 1 «et le refrain :
Chrétiens, chantons à haute voix :
Vive Jésus, vive sa croix !
me disant quel était le parti triomphant, je tremblais
que le P. Huchet, trop éleclrisé, ne lût mis machiavéli-
quement dans quelque mauvais cas. D'autre part, je ne
pouvais le désavouer devant personne, ni même songer
à aller lui glisser un moderato dans l'oreille. Je me bornai
à lui envoyer les secours de quelques Ave Maria et
Souvenez-vous!
Il arrive enfin au presbytère, entouré de la foule, qui
ne cesse de crier : « Vive la croix ! Vivent les Pères ! », et
de tirer des coups de fusil quand nous l'exhortons à se
retirer.
Le lendemain, la gendarmerie de Tannay faisait une
enquête. Nous avions été dénoncés pour tapage noc-
turne. Les braves gendarmes, irrités d'être constamment
dérangés par les perpétuelles dénonciations de ces radi-
caux l'un contre l'autre, menèrent leur enquête de telle
sorte qu'elle allongea encore de quelques pouces le nez
de nos sectaires.
42
Mis en veine par tout cela, les paroissiens de Dirol vou-
lurent avoir aussi leur croix. Là encore, dénonciation
partie de Monceaux, et descente des gendarmes, mais
avant la plantation de la croix, pour savoir si nous étions
autorisés àla placer sur le terrain communal. Nous étions
eti règle, et il fut aisé de faire mousser ceux de Dirol, en
leur faisant remarquer cette insolence des radicaux de
la commune d'à côté, de vouloir empêcher sur la com-
mune voisine ce qu'ils n'avaient pu entraver sur la leur!
Cette fois, M. le curé achète un feu d'artifice : une
pluie torrentielle oblige à le remettre au lendemain. Le
P. HucHET en profile pour déférer aux désirs d'un groupe
de jeunes gens de Monceaux : ils prennent une tapis-
sière, la pavoisent de drapeaux et lanternes vénitiennes,
s'y entassent, vont à Dirol en chantant des cantiques tout
le long duchemin, y communiquent leur feu, et, comme
bouquet, ont, à leur retour à Monceaux, une altercation
avec les sectaires, qui les attendaient sur la route; le
percepteur et la receveuse des postes étaient avec eux:
ils eussent été vraiment dépaysés dans le bord clérical !
Leur chef interpelle M. le curé, puis le P. Huchet, qui
lui riposte en suscitant un formidable éclat de rire de la
foule attroupée ; il entonne: «Vive Jésusîvivesa croix!»,
et la foule continue. Le F.*. M.*, rentre furieux dans sa
boutique, laissant son groupe s'éclipser en catimini et
criant : « Rira bien qui rira le dernier! » Le P. Huchet
de répondre : « Eh bien, en attendant, je ris tout de
suite ! » Et, avec lui, la foule rit de toutes ses forces.
Si bien que, le lendemain, le sectaire et ses deux co-
pains donnaient leur démission de conseillers munici-
paux. On leur causa le désagrément de l'accepter. Ils
comptaient sur une revanche aux élections suivantes, et
elle était à craindre, car tout ce bruit pouvait ne rien
laisser de solide. Dieu permit que ces drôles eussent,
— 43 —
au moment des élections suivantes, l'idée sacrilège, fan-
faronne et maladroite de proclamer qu'aussitôt élus, ils
feraient scier la croix et installer, sur son socle de ma-
çonnerie, une bascule à bétail pour les jours de marché.
Cela révolta nos gens, et cette clique fut définitivement
balayée. Depuis, j'ai ouï dire que l'épicier est en faillite
et que son plus fidèle allié a subi une condamnation in-
famante pour je ne sais quelle coquinerie d'ans une suc-
cession.
Il est clair que l'on jouait là quitte ou double, et ce
mode de missionner est ici narré, mais non recom-
mandé ! A Monceaux, il répondit à un besoin de cette
population, dont il fallait briser les chaînes, qu'il fallait
mettre en rupture éclatante, irrémédiable, avec ceux qui
ne demandaient qu'à la remettre sous le joug.
Millay (1600 hab.) fut notre mission suivante. Nous
elimes à souffrir, le P. HuceETet moi, de choses difficiles
à relater ici. Au presbytère, l'œuvre est subie ; au châ-
teau, elle est critiquée; dans le peuple, elle est paraly-
sée, jusqu'à ce que nous brisions nos entraves et que
nous allions de l'avant! La maîtresse de maison nous
avait prédit, à la table deM.le curé, ou plutôt à la sienne,
apparemment, tous les insuccès imaginables; à l'enten-
dre, le château était pourri, le peuple abruti, la mission
précédente avait piteusement échoué, etc., etcoNede-
mandezpasde bougies pour votre fête de la Sainte Vierge,
vous n'auriez rien, mais rien ! LesPères Maristes en ont
demandé malgré nous à la dernière mission ; on leur eu
a donné 5. Mon oncle vous en donnera, et patati et pa-
tata !» Connaissant enfin ma particulière, j'ai l'audace de
prêcher autre chose que ce qu'elle me recommande, je
refuse les bougies de l'oncle, j'en demande au peuple ;
il a le toupet de faire mentir mademoiselle en m'en ap-
portant 60 le jour même, et 230 en tout. Ce bon peuple
-> 44 —
vient, revient, remplit notre église. Le château ne paraît
que le dimanche, et, seulement, à la messe !
Pendant qu'à Chiddes et à Tazilly, paroisses voisines,
MM. de Pelleport, de Laverchèie, de Courtivron, je l'ai
dit, ont constamment donné le bon exemple et marché
à la tête des hommes fidèles, à Millay, les messieurs se
sont trouvés à la tête des abstenants, qui sont pourtant
leurs adversaires politiques. Aussi, aux élections sui-
vantes, sont-ils tombés à la queue de la queue. Sans ran-
cune, c'est bien fait ! Je pense aux âmes du peuple en le
disant !
Malgré ce pitoyable exemple, nous avons eu de nom-
breuses communions de femmes, de très nombreux re-
tours d'hommes et une superbe plantation de croix,
croix magnifique, dans un beau socle en maçonnerie. Je
dois ajouter, pour être juste, que les messieurs promi-
rent leur souscription, encaissée, je pense, par M. le
curé, après notre départ. Puisse-t-elle leur valoir un peu
de courage chrétien !
Rien à dire de la mission de Savigny-en-Sancerre(dio-
cèse de Bourges), donnée par les PP. d'Istria et Cotar-
MANACH. « Peu de résultats sérieux » , dit le P. d'Istria au
Codex.
J'arrive avec joie à la mission de Saint-Honoré-les-
Bains, prêchée par le P. d'Istria et moi en janvier 1896.
Cette paroisse a son établissement d'eaux, connu main-
tenant du monde entier ; il appartient au général d'Es-
peuilles. M. le curé est un prêtre dans toute la force de
l'âge, pieux, zélé, plein de tact, de savoir-faire et de gé-
nérosité.
La première attaque du diable contre cette mission a
eu pour courageux soldats les châtelains figaristes de la
région de Millay. Avec la bravoure qui signale celte race,
ils firent envoyer, par une plume habituellement mieux
— 45 —
inspirée, une lettre qu'ils n'osèrent confectionner eux-
mêmes, au général d'Espeuilles, l'avertissant que les
missionnaires qui allaient arriver à Saint-Honoré étaient
des façons de Savonaroles, enlevant au peuple son ad-
miration pour les descendants des croisés. Hum! mes-
sieurs, il faut s'entendre! Le général eut le flair de la
chose et le bon sens de consulter son curé, qui lui assura,
avec moult preuves à l'appui, que c'était une fête pour
nous de trouver des châtelains dignes d'éloges et de pu-
blier leurs louanges, qui deviennent d'excellentes prédi-
cations. Le général jeta la fameuse lettre dans le feu de
la cheminée de M. le curé, en lui disant : « Voilà le cas
que j'en fais ! n
Retenu àClermont par le commandement de son corps
d'armée, il ne put assister à nos exercices; mais, outre
que des générosités témoignèrent de sa sympathie à
l'œuvre entreprise par son pasteur, tout le monde sait,
à Saint-Honoré, qu'il n'y manque jamais les offices,
qu'il s'occupe du bon Dieu et non de la nef, à l'église,
qu'il s'y tient dignement, qu'il écoute respectueusement
les sermons du simple prêtre, les mandements de Mon-
seigneur et ceux du Pape, enfin qu'il s'approche de la
sainte table et ostensiblement, autant de traits de dis-
semblances entre ce brave, homme de travail, d'ordre et
de caractère, et ces oisifs demi-impies, deux tiers scan-
daleux et trois quarts pestes des paroisses et des pauvres
curés.
Jamais nous n'avons eu de mission mieux préparée
par le pasteur, jamais nous n'avons été mieux secondés
au cours de l'œuvre; jamais, enfin, pasteur n'a mieux
compris ni mieux pratiqué cette conviction qu'honorer
ses missionnaires, c'estfortifier leur action, et, en somme,
préparer une récolte surnaturelle plus abondante au pro-
fit du pasteur lui-même.
— 46 —
Assistances parfaites commenombre et tenue: 285 com-
munions d'hommes, dont près de la moitié de retours,
500 femmes, dont 23 à 30 retours ; plantation d'une
belle croix avec triple emmarchement en granit donné
parle général. Enfin, mission prochaine retenue séance
tenante, comme à Fours, comme à Châtillon et ailleurs,
où il était convenu, entre fustigés, qu'il fallait d'autres
missionnaires désormais !
Le P. d'îstria fut très goûté là, comme partout, pour
sa patience, sa bénignité et le ton convaincu et pénétrant
de sa prédication.
Le carême 1896 commença par les Missions de Saint-
Seine et de Luthenay-Uxeloup.
En cette dernière paroisse (lOoO habitants), le P. d'îs-
tria redevint chef et retrouva le P. Cotarmanach pour
second. Ils eurent de grandes appréhensions en s'y ren-
dant; des prêtres leur avaient dit la paroisse mauvaise ;
ils furent agréablement surpris d'en voir la grande majo-
rité se rendre à leurs appels ; seul, un village, rival du
bourg, s'abstint. La population y est très pauvre ; ses
châtelains et bourgeois, excepté le comte de Dreux-Brézé,
sont tous sans religion ; le Codex, que je transcris tex-
tuellement, ajoute une autre note qui se devine, étant
le corollaire de la précédente, et dit : « Quel exemple
détestable pour une population ! Pourtant, cette popu-
lation s'est montrée généreuse, empressée pour venir
aux exercices^ docile pour faire son devoir, reconnais-
sante pour ses missionnaires. Un nombre considérable
de retours parmi les femmes et les hommes, la forma-
tion de deux congrégations, l'une de femmes, l'autre de
jeunes filles, une splendide plantation de croix, tels ont
été les résultats de cette mission, l'une de mes meilleures
de la Nièvre. »
Saint -Seine a aussi assez mauvaise réputation au
— 47 —
point de vue religieux ; cela tient, me dit-on, à ce que
cette population de 700 habitants est très républicaine,
et que ces régions n'ont pas encore élé éclairées sur les
directions pontificales.
M. le curé et moi, nous avons procédé aussi douce-
ment que possible ; aussi n'avons-nous rencontré aucune
hostilité : c'était déjà beaucoup. L'auditoire, arrivé à
150 personnes la première semaine, ne tomba jamais
au-dessous de 200 ensuite, et atteignit SOO à plusieurs
cérémonies. Nous obtînmes 142 communions de femmes,
dont 20 retours, et 26 d'hommes, dont 10 retours. Il n'y
eut pourtant de grand enthousiasme que pour la plan-
tation de croix. Mais, ce jour-là, M. le curé fut si satis-
fait, qu'il retint immédiatement la mission suivante.
La deuxième partie de ce carême fut prise par les mis-
sions de Saint-Saulge et de Gouloux.
Sur la première, voici deux extraits de la Croix du
Nivernais qui la résument:
« Saint-Saulge ("2250 habitants). En cette paroisse, à
laquelle on faisait, bien à tort, la réputation d'être dif-
ficile à enthousiasmer, deux Pères Oblats ont créé un
mouvement extraordinaire. Dès le premier dimanche, la
population était tellement enlevée, à la cérémonie de
consécration des enfants, que les missionnaires durent
réprimer des applaudissements. Assistances toujours su-
périeures à 900 personnes, atteignant plusieurs fois le
millier, très nombreux retours d'hommes et de femmes,
mariages réhabilités, projets d'associations dominicales,
de création d'ouvroir, de pèlerinage, tout s'est multiplié
avec un entrain sans pareil... »
La clôture a été marquée par un accident qui aurait
pu avoir des suites graves. Quand la foule se fut lente-
ment dispersée, le Père, chargé des décorations, resta
seul dans l'église pour éteindre l'illumination. Les jeunes
— 48 —
gens qui ['aidaient ordinairement à ce travail s'étaient
échappés pour préparer une joyeuse surprise. Le courant
d'air produit par l'ouverture des portes raviva la flamme
des cinq cents bougies qui brûlaient sur l'autel. La chute
de quelques-unes met le feu aux légères tentures du repo-
soir. Le Père s'élance vainement pour étouffer la flamme ;
les mains brûlées, la soutane déjà atteinte, entouré de
flammes, il ne vit plus rien à faire que de renverser à
terre l'immense étoile chargée de bougies, qui flambait
comme une torche, et menaçait la voûte. Il se précipita
à sa suite et, dans sa chute, se foula malheureusement
le pied. Mais grâce à son énergie et au retour des jeunes
gens, l'incendie était éteint. Les habitants de Saint-
Saulge, après avoir montré la plus touchante sollicitude
pour le blessé, ont, par leur générosité, assuré la prompte
et complète réparation des dégâts, d'ailleurs bien moins
considérables qu'on ne l'avait cru tout d'abord.
Ce blessé était le P. Huchet ; son illumination avait
déjà servi, telle, étoile lumineuse comprise, dans le cou-
rant de la semaine, et n'avait donc pas paru imprudente.
Néanmoins, on voulut faire bruit de la chose, et déjà on
proclamait que le tableau placé derrière le maître-autel,
et qui fut très endommagé par la flamme, valait au
moins 50000 francs. Avec 1500 francs, il eût été large-
ment payé ; il fut réparé aux frais d'un généreux châte-
lain, M. de Savigny, et M. le doyen, qui est un habitué
de notre maison pour sa retraite annuelle, vient de me
redemander un Père pour un prochain travail aposto-
lique dans sa paroisse.
A Gouloux (650 habitants), le P. Cotarmanacu a son
monde dès le premier jour ; il voit à la sainte table toutes
les femmes, moins cinq ou six, et 132 hommes, dont une
soixantaine de retours. Un ne pouvait guère attendre
plus, même en Morvan.
— 49 —
Devenu libre, à la fin de ce carême, par le fait d'un bon
curé qui avait oublié qu'il avait retenu un missionnaire,
et se déclara, en raison de cet oubli, hors d'état de le
recevoir, j'ai voulu me rendre à l'appel de M. le doyen
d'Herry, alors sans vicaire, et qui me réclamait à cor et
à cri, comme lui devant une compensation pour sa mis-
sion si éprouvée de l'année précédente. Mais, la veille
de mon arrivée, l'archevêché de Bourges lui envoyait son
vicaire ; le temps redevenait mauvais ; mon rôle man-
quait de précision. Je ne fus, en somme, qu'un auxi-
liaire donnant les sermons et confessant, quand M. le
curé quittait son confessionnal. Gomme toujours, ce
secours a été utile à plusieurs, mais cela ne remplaçait
pas la mission, qui reste à faire, et qui sera difficile dans
cette paroisse surfaite.
A l'automne, je commence par la mission de Lain,
bien petite paroisse du bien mauvais diocèse de Sens,
bon antidote à l'orgueil que m'aurait donné la retraite
pastorale que je venais de prêcher à Nice ! Il eût été peu
Ublat, du reste, et peu supérieur aussi d'objecter au
vénérable curé que mes travaux précédents en sa pa-
roisse m'avaient trop convaincu de l'aridité du sol pour
y dépenser encore trois semaines. Puisqu'il en prenait
la charge une fois de plus, ne devais-je pas essayer une
fois de plus aussi? Refuser ou envoyer un autre Père eût
été d'autant plus mal que pour s'assurer le Père déjà
connu de son monde, il consentit à des dates, les seules
libres pour moi, mais gênantes pour lui et défavorables
à son peuple, à cause des pluies désastreuses de cet
automne 1896, qui ont mis tout en retard dans la cam-
pagne.
L'œuvre débuta bien humblement ; presque rien la
première semaine. Gela ne m'empêcha pas de faire des
réunions du matin dès la deuxième ; c'est dans la paroisse
T. xxxvi. 4
■^ 50 —
voisine que je prêchai naguère tous les matins pendant
trois semaines à deux personnes.
A Lain, mes fillettes de la mission précédente, devenues
jeunes personnes de dix-huit à vingt-deux ans, ne man-
quèrent aucune réunion du matin et du soir ; elles firent
deux communions pendant la mission et revinrent pour
l'Adoration perpétuelle, ce que M. le curé n'avait jamais
vu. Les tertiaires de Saint-François, que nous avions
instituées jadis, furent fidèles aussi. Autour de ce double
noyau, quelques personnes se groupèrent. Les autres ne
gagnèrent rien à laisser la mission pour les travaux du
dehors, car le temps devint pire et pourrit toutes leurs
pommes de terre. La mission eut cet autre bon résultat
d'amener une accalmie dans les hostilités habituelles.
Aucun autre curé de la région n'aurait osé donner une
mission en ces conditions et si pleinement à sa charge.
De Lain, je me rendis directement à Isenay, où le
P. d'Istria vint me seconder. Cette paroisse n'a que
400 âmes, mais il y a une annexe, Saint-Gratien, pour
laquelle le cher P. d'Istria se fatigua beaucoup. Il ne
suffisait pas de se rendre à pied à l'église, il lui fallut
aussi parcourir toutes les fermes, très dispersées, pour
aboutir à se faire un auditoire, dont il conquit vite toutes
les sympathies. Ces paroisses ne sont pas bonnes. Elles
ont élé évangélisées jadis par M. Receveur, dont la cause
de béatification est introduite, et les notes laissées sur
son action en ce milieu disent nettement qu'il obtint
encore moins que nous, malgré qu'il y fut, non trois
semaines, mais des mois. Il y a, pour rendre le bien plus
difficile, une hostilité contre M. le curé, dont on connaît
les instigateurs, car ils ont achevé de se démasquer pen-
dant ces trois semaines.
Nous organisâmes des réunions de villages, surtout
chez M. de Montchanin, qui se montra parfait.
— 51 —
Nous avons noté comme lésiillals :àlsenay, 49 abso-
lutions de femmes, dont 3 retours, et 25 d'hommes, dont
2 retours, et à Saint-Gratien, 43 femmes et 27 hommes,
dont 24 retours ; la réconciliation de deux familles très
influentes ; la consolidation très réelle des bons, ébranlés
par diverses causes ; enfin, le jour fait sur les menées
hypocrites du maire et de l'instituteur, qui avait caché
assez bien son jeu jusque-là. La pauvre école des Sœurs
en avait bien souffert : elle avait si peu d'élèves, qu'elle
a été, je crois, supprimée, depuis, par les bienfaiteurs dé-
couragés.
Au commencement de l'avent, le P. d'Istria vient avec
moi à Montreuillon (I 200 habitants). Là encore, le Père
se donna beaucoup de mal et fut très apprécié en chaire,
au confessionnal et à domicile dans ses visites. La grande
église lui permit de faire de belles illuminations. Le pas-
teur, qui est un de nos bons amis, sympathique à tous,
zélé, plein de tact et de vie, sut être parfait sur toute la
ligne. Aussi, malgré la rigueur de la température et la
neige, nos réunions furent- elles bien suivies. La croix de
mission n'a pu être plantée à la clôture, à cause des ge-
lées intenses qui ne permirent, ni d'aller chercher l'arbre
dans la forêt, ni de maçonner le socle; 154 hommes et
370 femmes s'approchèrent de la sainte table, parmi
lesquels beaucoup de retours.
Pendant cette mission, les PP. Gotarmanach etHucBET
prêtaient leur concours à la maison d'Angers pour les
missions du Vaudelnay et d'Épieds. Bien que chacun
d'eus fût seul à son poste et ait donné un compte rendu
en notre Codex, je laisse à l'annaliste de la maison d'An-
gers le soin de parler de ces œuvres qui se rattachent à
l'ensemble de sa grande mission du canton de Montreuil-
Bellay.
En 1897, le P. Gotarmanach commence par évangéliser
— S2 —
Pougny. 11 y a là près de 900 habitants, mais avec des
habiludes religieuses qui auraient nécessité la présence
d'un deuxième Père. M. le curé refusa cette charge, et la
mission en souffrit. Pas de chiffres au Codex. Le Père se
fatigua beaucoup.
Les PP. d'Istria et Hugeet sont plus heureux àVer-
neuil. Cette paroisse ne compte pas tout à fait 900 ha-
bitants, mais il n'y a presque pas de bourgs, les villages
sont très éloignés, et le principal est antireligieux. Seu-
lement, les Pères y trouvent un curé idéal pour eux
et pour leur œuvre. Au château, la perfection aussi,
et chez le maître et chez le régisseur, resté ce que je
l'avais connu en évangélisant la même paroisse il y a
quelque quatorze ans, avec le P. Cbevassu. Le maître
est un des Benoist d'Azy ; le régisseur, M. Tamineau, est
un Belge connu dans toute la région pour sa foi intran-
sigeante et ses pratiques inébranlables. A toutes les foires
du voisinage, Tamineau n'a qu'à se montrer, les jours
maigres, pour qu'on le serve en maigre, dans n'importe
quel hôlel, sans même qu'il le demande ; il est connu, il
a une dizaine d'enfants, dont l'un est vicaire de la cathé-
drale, depuis six semaines qu'il est prêtre.
Dans un tel milieu, les Pères se lancèrent avec ardeur.
Ils eurent quatre centres de réunions : des salles d'au-
berge et la chapelle du château de Faye ; les quatre fu-
rent toujours trop étroites; 152 femmes et 103 hommes
se sont approchés de la sainte table. Remarquez que
c'était immédiatement avant le carême. La plantation
d'une belle croix donnée par le vénérable comte de Mau-
migny , dont^a famille est originaire de Verneuil, fut l'oc-
casion d'une explosion d'enthousiasme telle, que M. le
maire crut devoir accorder, ce soir-là, aux aubergistes,
la permission de tenir leurs établissements ou verts jusqu'à
2 heures du matin. C'est inattendu comme bouquet de
— 53 —
mission, et ça pourrait bien déconfesser quelques con-
vertis ; mais, dans le pays, c'était un témoignage de pre-
mière valeur.
Au commencement du carême 1897, le P. Cotarma-
NACH, qui avait, jusque-là, missionné en second ou seul,
devient chef de file, avec le P. Debray sous ses ordres,
à Bona, paroisse de 9(J0 âmes, où, naguère, la mission
fut donnée par les PP. Merle et Keul. Réunions de ha-
meaux la première semaine, belles fêtes ensuite à l'é-
glise, chants, décorations, tout va au mieux. Presque
toutes les femmes et beaucoup d'hommes font leur com-
munion de mission. Une belle plantation de croix et la
création d'une Congrégation de jeunes filles couronnent
cette œuvre.
Pendant que le P. Gotarmanach devient ainsi chef de
mission, le P. Huchet donne sa première mission seul
dans la Nièvre (il avait déjà été seul à Épieds, dans
l'Anjou) : c'est à BazoUes, paroisse presque aussi popu-
leuse que Bona (825 habitants), mais n'offrant pas, à
beaucoup près, les mêmes ressources. M. le curé com-
mence par dire assez nettement au Père qu'il n'attendait
pas un homme si jeune, et semblevouloir diriger l'œuvre.
Mais comme cette direction consiste surtout à décon-
seiller tout ce que le Père propose, voire le chant des can-
tiques, le Père m'en écrit, reçoit de moi la consigne
d'être très respectueusement ferme, et de dire, en cas
de besoin, que je ne l'ai pas envoyé en apprentissage,
mais à l'œuvre en ouvrier qui sait son métier, sous ma
responsabilité. Alors, tout ce qui avait été dit impossible,
se fait assez facilement : 300 femmes et 80 hommes ap-
prochent de la sainte table, d'autres attendent le temps
pascal qui s'ouvre huit jours après. Le bon et digne pas-
teur avait eu, jusque-là, des missionnaires qui l'avaient,
paraîi-il, autoriséà prendre de bien bonne foi, et comme
— o4 -
la meilleure, cette attitude par laquelle le Père aurait
été réduit, à son tour, à la plus complète stérilité.
Seul, aussi, je missionnais à la Mode, paroisse de
1 100 âmes. Deux missionnaires y eussent été nécessaires.
M. le curé n'en désirait qu'un, et il m'était d'autant plus
difficile d'insister, que, de mon côté, je ne pouvais lui
en fournir un deuxième.
Dès la fin de la première semaine, j'ai compté 220 au-
diteurs, 280 le lundi suivant, puis église pleine ordinaire-
ment (chiffres exacts à 5 ou 6 personnes près); 72 hommes
et 213 femmes font la sainte communion : quinze jours
après, 60 de ceux-là et 277 autres viennent pour les
Pâques, ce qui donne 622 communions et 562 commu-
niants. J'organise une confrérie du Rosaire, qui compte
maintenant 182 membres. Enfin, j'obtiens de donner la
mission suivante avec un compagnon.
Après Bazolles et la Nocle, nous nous réunissons, le
P. HucHET et moi, à Villapourçon, pour les deux der-
nières semaines de carême et la semaine de Pâques. En
cette grosse paroisse du Morvan (3 J 00 habitants), il aurait
fallu être quatre, et avec un pasteur beaucoup plus jeune
pour faire une vraie mission. M. le curé a tous les mé-
rites, mais aussi beaucoup des inconvénients d'avoir
vieilli en un poste difficile. Il n'a pas de vicaire : on lui
prête d'avoir dit que sa jument lui est aussi utile, plus
docile, et sans velléités de se prendre pour le curé. Soit
pour aller visiter les malades, mais le reste !
Enfin, les paroissiens routiniers viennent se confesser
dès le commencement, sans attendre aucunement l'ac-
tion des prédications, sans venir aux instructions en de-
hors du jour de leurs confessions. Vu leur nombre, il y a
encore assez de monde dans l'église, très petite pour
cette paroisse. Nous n'avons guère fait, pendant quinze
jours, que le métier de vicaires, confessant à outrance
— 55 —
et prêchant aussi, mais comme par-dessus le marché.
Pendant la semaine de Pâques, cela prit meilleure tour-
nure, mais c'était trop tard. La bénédiction d'une croix
de village fut une occasion de témoigner, le jour de la
clôture, que ce peuple aurait été très missionnable.Nous
avons compté plus de 125 retours d'hommes.
Les PP. CoTARMANAcn et DebRay se heurtèrent au même
esprit routinier ù Grevant (diocèse de Bourges), paroisse
de i 800 âmes. Environ (100 femmes, c'est-à-dire à peu
près toutes, et 320 hommes, 70 de plus que les autres
années, s'approchèrent des sacrements, mais à leurs
jours, sans tenir aucun compte des annonces du chef de
la mission. De ces 600, il n'en eut que 19 pour la pre-
mière communion générale qu'il annonça.
Le carême ainsi terminé, il y eut deux missions de
printemps. Le P. Huchet donna celle d'Ambourse, petite
paroisse de 450 habitants. Le P. Belnbr y avaitmissionné
six ans auparavant, et avec beaucoup d'entrain et de
succès. Cela rendait la tâche du P. Huchet difficile, d'au-
tant que des 80 hommes amenés à la sainte table par le
P. Belner, pas un n'avait persévéré. On gardait donc
souvenir de l'éclat de l'œuvre, et on y accolait, il est fa-
cile de voir en quel sens, la constatation de cette non-
persévérance. Le P. Huchet s ingf-nia, employa tous les
moyens possibles de se faire des auditoires, et il les eut
très beaux. Le temps pascal était passé, aucun homme
n'avait fait ses pâques : une dizaine se décidèrent à faire
leur mission ; leur réputation fait espérer qu'ils tiendront
bon cette fois.
L'autre mission est celle du Tremblay-le-Vicomte (dio-
cèse de Chartres). J'ai déjà parlé de cette paroisse dans
mon compte rendu de 1894 (numéro de décembre,
p. 464-465). Le vaillant curé voulut enfin donner suite à
son projet démission malgré tout. Un Père Jésuite et un
— 56 —
Père Mariste étaient venus, peu avant, dans deux pa-
roisses voisines, moins hostiles, et n'avaient rien, mais
absolument rien obtenu. Cela ne découragea pas M. le
curé ; pour les mêmes raisons qu'à Lain, je ne pouvais
être moins courageux que lui. Nous avonsessayé de tout:
invitations et circulaires imprimées, fêtes, projections à
la lumière oxyéthérique données par un professeur du
petit séminaire. Une poignée de personnes vint dès le
premier jour et fut fidèle jusqu'à la fin; M. le curé
me dit que c'était son assistance des jours de Pâques.
Elle n'augmenta que les deux jours de séances de pro-
jections.
Peu après l'ouverture, le pasteur trouva dans sa boîte
aux lettres une anonyme et abominable vilenie contre
un membre bien respectable de sa très chrétienne fa-
mille. Quelques jours après, un sot article nous attaquait
dans le journal radical de Dreu.x ; presque en même
temps une odieuse chanson contre les missionnaires,
que j'ai déjà vue ailleurs, était transcrite on ne sait par
qui — écriture d'enfants — et jetée dans les boîtes aux
lettres de beaucoup de maisons ; le tout en termes assez
clairs pour nous atteindre et assez vagues pour ne pas
permettre de mener les auteurs aux sermons du prési-
dent de la correctionnelle. Cela ne nous arrêtait pas,
mais cela empêcha absolument noire noyau de grandir
d'une unité, sauf donc les jours de projections; ces
jours-là, l'assistance, plus que triplée, se tint parfaite-
ment et se montra très attentive et très respectueuse. Je
signale ce fait en réponse complémentaire sur la ques-
tion des projections. Naturellement, aucune vue, aucune
scène autre que les sujets religieux ne fut exhibée;
c'étaient surtout les tableaux du chemin de la croix,
quelques compositions du grand catéchisme en images
du Pèlerin, se prêtant à l'explication de points de doc-
— 37 —
trine; enfin, comme soulagement, quelques vues de
lieux de pèlerinage, en particulier Chartres et Lourdes.
J'ai prêché matin et soir, malgré ces dimensions de
l'auditoire ! Le matin, quelques dames, toutes plus ou
moins anciennes pensionnaires de quelque part, amenées
là par mariages avec gens officiels ou médecins, se
sont souvenues de leurs habitu'les de piété d'avant le
mariage et sont venues fidèlement raviver d'utiles sou-
venirs et s'en préparer d'autres, qui seront précieux à
leur tour, je l'espère.
M. le curé souhaitait une communion générale ; pour
ne pas le contrarier, je l'annonçai avec appréhension; il
y eut six ou sept personnes. A la suivante, il y en eut
une vingtaine d'autres. Un seul homme, père de prêtre
et étranger lui-même à la paroisse, si je ne me trompe.
M. Légué, vicaire général de Chartres, vint exprès,
malgré ses occupations doublées par la direction de la
maison mère des Sœurs de Saint-Paul, pour présider la
clôture, qui comportait une plantation de croix. Une
pluie torrentielle empêcha cette cérémonie, au grand
soulagement des hommes qui avaient consenti à être
porteurs et qui pouvaient redouter de payer cher en-
suite leur bonne volonté. Aucun d'eux, d'ailleurs, n'a-
vait paru aux prédications.
Trois ou quatre mois après, pour désoler le peu de
personnes fidèles, on imagina de répandre le bruit que
j'étais en prison. J'en ai ri, car ce bruit, comme la chan-
son dont j'ai parlé, est une des manœuvres que je re-
trouve dans les paroisses où la maçonnerie a des affiliés;
ce qui me donne à penser que, quand ils font part du fait
d'une mission à leurs loges, on les munit d'un manuel
de combat uniforme. M. le curé s'émut un peu plus de
la chose, qu'il ne m'apprit que plus tard ; il alla regarder
dans le blanc des yeux les auteurs, qu'il découvrit vite,
- 38 —
de cette nouvelle méchanceté; il me parla de les pour-
suivre ; je m'y déclarai très prêt, mais du consentement
de ses supérieurs et des miens, qu'il faudrait demander
préalablement. 11 y renonça par lacharitable considéra-
tion que je lui suggérai, qu'il était l'homme de la der-
nière heure pour ces malheureux, et qu'un paysan con-
damné, ne serait-ce qu'à oO centimes d'amende, par le
fait de son curé, aimerait mieux mourir mille fois sans
sacrements qu'avoir affaire avec ce curé. Il obtint de ces
gens les excuses qu'il voulut. L'ébruitement que j'étais
en train de prêcher les 500 prêtres de mes deux retraites
d'Auch, au moment où ces braves gens me mettaient en
prévention de Cour d'assises, suffit d'ailleurs pour ren-
verser les rôles dans leur milieu et rendre, de longtemps,
leur langue inofï'ensive.
Si l'on demande à quoi peuvent servir de pareilles
missions, je réponds qu'elles sont une grâce inappré-
ciable pour les âmes fidèles condamnées à vivre en des
milieux si délétères. Dieu les aime, il sait pourquoi. On
parle, en théologie, de cas où il enverrait plutôt un ange
que de laisser une âme en perdition. Il y a plus d'une
paire d'âmes qui ont profité de la grâce dans la plus
piètre des mis?ions dont j'ai parlé en ce rapport, et le
gros P. luNGBLUTH doit, comme tout autre, se sentir très
honoré que le bon Dieu veuille bien que trois semaines
de sa vie puissent servir à consolider plusieurs fois trois
âmes!
Certes, cela amène des désenchantements ; mais les
désenchantements sont simplement la fin des illusions,
lesquelles ont été utiles tant que Dieu les a permises.
Sans elles, qui aurait choisi la vie où il se trouve ! Quand
elles tombent, c'est l'erreur qui s'en va. Bon voyage!
Toute la place qu'elle laisse se remplit si aisément d'hu-
milité que c'est un merveilleux profit.
Que de missions très brillantes, d'ailleurs, dont il ne
reste pas six personnes améliorées, peut-être à cause
même de la place donnée au brillant. Les annales res-
tant en famille, il m'est permis, sans doute, d'ajouter ceci
comme confrmalur : à Cosne, où est Farchiprêlré dont
Saint-Andelain dépend, M. rarchiprêtre me demanda de
donner sa mission. Des raisons, qui ne seraient pas à
leur place en ce récit, me firent le remercier chaude-
ment, mais d'un merci non. Nous sommes dans les
meilleurs termes, je me hâte de l'ajouter, et, tous les ans,
l'un de nous prêche chez lui diverses retraites. Mais,
donc, la mission vient ci'ètre prêchée par des religieux
éloquents, brillants, ayant tout, y compris les qualités
surnaturelles, bien entendu, pour faire l'œuvre de Dieu.
L'un d'eux donne le carême 1898 dans l'une des plus
grandes églises du Paris aristocratique, et il y fera bonne
figure. A Cosne, ils eurent église pleine tout l'avent. Au
moment du départ, les dames, qui s'étaient cotisées, vin-
rent offrir cadeaux et promesses. Il y eut des listes de
futures catéchistes volontaires, de ceci et de cela. Eh
bien, si mes renseignements sont exacts, et je n'ai au-
cune raison d'en douter, il n'y a pas une seule personne
déplus aux messes basses en semaine, pas une commu-
nion déplus; je dis, pas une. Cosne a 8600 habitants;
il y a eu, bien des fois, des auditoires dépassant le mil-
lier. Myennes, qui est à côté et qui compte 800 el quel-
ques habitants, c'est-à-dire dix fois moins, et qui a été,
vous l'avez vu, une de ces trois ou quatre missions dont
on dirait : « A quoi bon?», a produit des assistances aux
messes de semaine et des communions périodiques, en
petit nombre, c'est vrai, mais dont chaque unité est au-
tant de plus que dans la ville de Cosne.
J'espère être compris; je ne compare pas les prédica-
teurs, ce serait odieux et ridicule; entre eux el nous, il
— 60 —
y a les différences qui sont entre les enfants de saint Do-
minique et ceux du P. de Mazenod, brillante cavalerie et
modestes pioupious — pardon à mes Frères — dans le
même corps d'armée, au service du même grand roi, le
roi immortel des siècles, qui, non seulement nous aime
tous, mais nous met au cœur une fraternité admiratrice
sans réserve, des dons qu'il a départis à tous ceux qui
militent sous le même drapeau.
Mais, je compare les missions, et ayant dit sans détours
les peines inhérentes à quelques-unes, je m'applique à
ajouter et faire ressortir ce qui préservera nos jeunes de
la tentation de rechercher d'autres obédiences et de re-
douter celles qui envoient au vrai champ d'honneur.
Pour l'automne dernier, je ne puis parler que de la
mission de Ciez, donnée par les PP. d'Istria et Huchet,
et de celle de Chalaux, où je lus seul.
Le P. CoTARMANAcn est absent depuis trois mois et je
n'ai pas le compte rendu de ses travaux d'hiver.
Ciez compte près de 1 100 habitants et a à sa tête un
pasteur auteur de plusieurs livres. Connaissez-vous la
Vie est un voyage? Si oui, vous connaissez l'auteur, si
non, résignez-vous à ne pas le connaître, car ma plume
n'a pas les flexibilités nécessaires pour en ébaucher le
croquis.
En cette paroisse, les PP. d'Istria et Huchet ont senti
constamment comme une barrière entre le peuple et le
prêtre. Qu'ont ces gens, pas méchants, quels préjugés,
quelles rancunes, quelles meurtrissures? Les Pères ont
agi sagement en ne le recherchant pas, et patiemment
en subissant silencieux l'effet de ces dispositions. Us ont
pu avoir quelques auditoires, par les projections à l'acé-
tylène, que le P. Huchet essaya là pour la première fois.
J'ai déjà parlé des projections : ce procédé doit être
employé, à mon avis, avec beaucoup de discrétion pour
— 61 —
que le missionnaire, déjà grand entrepreneur de décora-
tions, etc., dans notre système actuel, ne passe pas pour
charlatan ; et, aussi, pour que le lieu saint ne soit pas
profané. Muni des recommandations utiles, le P. Hucuet
l'a employé irréprochablement et très à propos.
Deux cent cinquante femmes et une dizaine d'hommes
seulement se sont approchés des sacrements.
Il y a eu une magnifique plantation de croix qui a
démontré trop tardivement que ce peuple aurait pu être
remué ; et il paraît qu'actuellement il parle de sa mis-
sion comme d'une des plus belles qu'il ait vues.
J'avais déjà donné à Ghalaux la mission de 1889.
Comme à tous ceux de ces messieurs qui me redeman-
dent, j'ai fortement objecté à M. le curé tous les avan-
tages d'un changement de missionnaire, pour deux mis-
sions consécutives. Il insista et se trouva avoir raison,
car, dès le premier jour, mon sympathique auditoire de
la clôture de 1889 se trouva au complet. Et il s'est sou-
tenu jusqu'à la fin. La paroisse était parfaitement con-
servée et les œuvres de la mission précédente non seu-
lement encore vivantes, mais développées et en constant
progrès. M. le curé, pieux, zélé, instruit, régulier comme
un religieux régulier, est, avec la grâce de Dieu, l'artisan
incontestable de tout ce bien.
Une vingtaine d hommes s'abstinrent systématique-
ment, c'était prévu; d'autres vinrent à quelques instruc-
tions sans pousser plus loin, pour cette fois. Plus des
trois quarts des hommes et. toutes les femmes, moins
deux ou trois, s'approchèrent de la sainte table. Il n'y
eut pas de plantation de croix, parce que M. le curé
aurait trouvé indélicate une souscription chez son peuple
très pauvre, qu'il va être obligé de quêter très prochai-
nement pour un besoin plus urgent de son église.
Dans tout ce qui précède, j'ai suivi le Codex, donnant
— G2 —
des chiffres là où il en donne, et les appréciations des
chefs de missions. Si l'on veut y regarder de près, on
verra que notre sol nivernais n'est pas, sans doute, le
sol alsacien ou breton, mais que c'est bien à tort qu'on
a voulu le représenter comme plus ingrat quêtant d'au-
tres où travaillent nos Pères, en France et à l'étranger.
Après tout, ne serait-ce pas être injuste envers ceux
d'Autun, de Limoges, de Sion et d'ailleurs, que de laisser
croire que notre lot est le plus méritoire?
En voyageant dans le Midi pour mes retraites de cet
automne, j'ai demandé au vénéré P. Nicolas, d'Aix, et à
d'autres de l'Osier, du Calvaire, de Marseille, etc., ce
qu'ils appelaient exactement : mission bonne, moins bonne,
mauvaise. En laissant de côté ce qui est enthousiasme
du missionnaire ou des populations, pour ne prendre
que les chiffres, chiffres d'assistances et de sacrements,
pris en comparaison des chiffres d'habitants, seule ma-
nière sérieuse d'apprécier, j'ai vu que j'avais pour devoir
de proclamer que, sans contestation possible, avec des
ouvriers vaillants de corps et d'âme comme ceux de mon
équipe présente, nous sommes loin d'avoir le terrain le
plus stérile.
Voici maintenant quelques chiffres qui diront notre
position dans le diocèse de Nevers. Ayant su que la sta-
tistique analogue, insérée dans mon premier compte
rendu, avait intéressé les nombreux Pères qui ont été
de maison ici, j'ai pris la peine de la dresser h nouveau
pour ces quatre dernières années.
Donc, d'après les documents otflciels de l'évêché, in-
sérés chaque année dans la lettre que Monseigneur
adresse à ses prêtres après les retraites pastorales, il y a
eu, dans le diocèse, de la Toussaint 1893 à la Tous-
saint 1897, 140 missions et 32 retraites de confirmation
données par des religieux, (Quelques curés donnent des
— 03 —
retraites de confirmation.) On sait que tous ces religieux
demeurent hors du diocèse, excepté les PP. MarisLes et
nous.
De ces 140 missions, 73 ont été prêchées par 1 Père
seul et 65 par 2, 2 l'ont été par 3.
Nous venons en tête sur toute la ligne.
Voici les chiffres :
Oblats : 23 missions pour l Père seul et 20 à 2 et 2 à 3.. . 45
Capucins : 9 missions h t Père et 16 i 2 25
Rédemptoristes : 3 missions à 1 Père et 18 à 2 21
Mariâtes: 15 missions à 1 Père et 5 à 2 20
Jésuites : 10 missions à i Père et 2 à 2 12
Pierre-qui-vire : 9 missions à 1 Père et 1 à 2 10
Dominicains : 2 missions à 1 Père et 1 à 2 3
Franciscains : 2 missions à 1 Père 2
Ponligny : 1 mission à 1 Père et 1 à 2 2
Pour les retraites de confirmation, 14 sont données
par les PP. Maristes, 13 par les PP. Oblats, 2 par la
Pierre-qui-vire, 2 par les Jésuites, 1 par les Rédempto-
ristes.
Mais notons que, je l'ai dit en commençant, nous
avons eu quantité de retraites de première communion
dont l'évêché ne parle pas en ses statistiques.
Tout en passant les retraites sous silence, dans l'im-
possibilité de nommer même les 72 paroisses ou com-
munautés où elles ont été données sans être inter-
minable, je croirais manquer à un devoir en ne disant
rien des retraites pastorales de Nice et d' Auch ; ce serait,
avant tout, manquer de reconnaissance à S. Gr. M*"" Ba-
laïn, qui a témoigné, une fois de plus, son attachement
à la Congrégation, en voulant qu'un Oblat donne ainsi
la retraite aux prêtres du diocèse qu'il quittait et à ceux
de l'archevêché oti il arrivait.
A Nice, M. le chanoine Fulconis eut la délicatesse de
rappeler nommément, dans son compliment de clôture,
— 64 —
tous ceux de nos Pères qui avaient donné ces exercices
avant moi.
A Auch, il paraît que les Oblats étaient absolument
inconnus. J'y ai distribué 500 portraits-images du P. Al-
BiNi ; Monseigneur a fait mettre en lecture, au réfec-
toire, l'ouvrage du P. Baffie. Enfin, pour être Oblat
jusqu'au bout, le prédicateur a créé, en ville, un groupe
de dames de la Sainte-Famille ; leur réception s'est faite
en la chapelle des Ursulines, désignée ad hoc par Sa
Grandeur.
Qu'il me soit permis aussi de mentionner la retraite
que j'ai prêchée à la Maison générale, en 1897. C'est la
dernière qu'ait faite le R. P. Soullier. Il était robuste
encore, mais il fut frappé presque aussitôt après. Il
m'échappa de dire dans l'instruction d'ouverture :
(^ Faiteis bien cette retraite. Laissez de côté toute occu-
pation pour elle. Qui que vous soyez, on vous rempla-
cera dans votre charge : on ne vous remplacera pas dans
Toeuvre de votre sanctification ! »
Dieu nous accorde qu'il soit remplacé dans sa charge !
Et la joie sympathique avec laquelle il accueillait les
fusées de ce genre me laisse sans inquiétude sur le reste.
Dans notre communauté, l'événement saillant de ces
dernières années a été l'installation ici du cours des
jeunes Pères ; mais ce cours a eu des comptes rendus
spéciaux. Passons donc I
Nous avons eu quelques changements dans le person-
nel, rares, Dieu merci, car rares sont aussi les améliora-
tions par ce moyen. Le partant emporte ses lacunes ; ce
que l'arrivant a, en meilleur état, dans son trousseau,
ce sont les siennes. Et si le changement de personnes
change peu, celui de locaux n'améliore pas plus. Multos
fefellit ùnaginatio locorum pourrait se traduire par :
« Laissez donc le Provincial tranquille ! » Mais il y a des
— 63 —
obédiences dont le bon Dieu lui-même est l'auteur di-
rect : ce sont celles pour le paradis ! Il y en a d'autres
imposées par le souci d'être plus sûr que chacun est dans
le chemin de ce paradis ; puis celles qni sont le contre-
coup des précédentes. Bref, les RR. PP. Paquet et d'Is-
TRiA nous ont quittés pour Montmartre, le P. Debray
pour Jersey et le P. Bottet pour le ciel.
On pensait que le P. Paquet, incapable de supporter
les fatigues des missions, rendrait encore des services à
Montmartre : il y mourut peu après. Le P. d'Istria,
prêté aux Pères du Sacré-Cœur pour les aider, s'en tira
si bien qu'on nous en demanda le sacrifice. Le P. De-
bray parut tout indiqué, de par sa connaissance de la
langue anglaise, pour un poste devenu vacant, à Jersey.
Quant |au pauvre P. Bottet, il était venu| dans le
Berry, près de chez nous, essayer la suprême ressource
de l'air natal : après quelques mois, il n'eut plus la force
de rentrer mourir à sa résidence précédente. Il avait
commencé ses études au juniorat de Saint-Andelain, la
Providence voulut qu'il vînt y terminer sa courte exis-
tence.
En ce moment, outre les Pères missionnaires: Cotar-
manach, Simonin, Huchet et le Supérieur, nous avons le
R. P. Bernard, Clovis, qui continue à s'occuper de la
paroisse, le P. Thevenon, de sa sanctification, et le
P. Zabel, de rien du tout, pas plus de son corps que de
son âme ; ie pauvre Père n'en est plus capable, il est
éteint. Les Frères convers le soignent avec un dévoue-
ment parfait : c'est grâce à eux que nous n'avons pas à
chercher un autre asile pour le pauvre affligé. Il y a peu
de temps, il nous égayait encore par ses manques de
mémoire : s'habillant suivant le rituel du roi Dagobert,
et même moins ; oubliant et confondant l'usage des di-
vers objets à sa portée; il n'était pas trop peiné des fous
T. XXXVI. 5
— 66 —
rires qui saluaient ses drôleries. Aujourd'hui, il n'est
plus pour nous que l'objet d'une vénération compatis-
sante.
Nos Frères sont : le F. Cornu qui, sans négliger sa
cuisine, s'occupe du P. Zabel avec courage et dévoue-
ment; le F. BouTREAU, jardinier ; il soigne parfaitement
nos Jardins et y fait venir des produits que nous n'avions
connus jusqu'à ce jour qu'en les achetant; enfin, le
F. ViGNAL, qui donne aux chambres, à la cave, au bû-
cher, à la maison entière toute son intelligente activité ;
c'est une bonne recrue pour nous.
Pour la paroisse de Saint-Andelain, l'ensemble est en
progrès.
Au matériel signalons d'abord la mise, en notre beau
clocher, de trois nouvelles cloches. Nous n'en avions
qu'une, datant du siècle précédent, un la de 360 kilo-
grammes. Un ancien curé de Saint-Andelain, représenté
par son serviteur et exécuteur testamentaire, M. Jacques
Bernard, offrit une assez forte somme, qui servit de puis-
sante mise en train d'une souscription. La paroisse,
pourtant très éprouvée par le phylloxéra, donna sa
quote-part, et M™° la comtesse Lafond tripla ou qua-
drupla le total, ce qui le porta à un chiffre inespéré, et
permit cette belle sonnerie d'un ré de 1 450 kilogrammes,
un fa dièze de 750 kilogrammes et le ré octave de 175 ki-
logrammes. Nos gens avaient, pour leur ancienne cloche,
un culte presque superstitieux qui ne permettait pas de
songer à la refondre, et son la nous obligea à cet accord :
ré, fa la ré, sous peine d'avoir un vide dans les intervalles
inférieurs ou une note grave trop faible. Notre y-e grave
était destiné à Pontmain, qui a maintenant la même,
comme tonique, à la basse de tout son carillon (plus, me
dit-on, un la au-dessous comme bourdon). MM. Paccard,
que nous talonnions et qui étaient moins pressés pour
— 67 —
Pontmain, nous le livrèrent, ainsi que les deux autres,
en parfaites conditions de sonorité et d'harmonie avec la
cloche ancienne. Leur Savoyarde leur a valu bien des
attaques, que beaucoup disent injustifiées, et motivées
par de vilains dessous de cartes. Nous ne sommes pas
juges, mais nous pouvons parler de nos cloches : nous
en avons trouvé les prix élevés, mais nous en sommes
satisfaits. M"*^ la comtesse Lafond s'est encore signalée
par une autre générosité. Le pignon sud de l'église était
resté assez informe, parce que, dans le premier projet
de reconstruction, le clocher, par économie, devait être
placé là. Dotée de son magnifique clocher actuel, l'église
n'avait plus besoin de ce pignon-attente. Il fut donc mis
en harmonie avec le reste et reçut, à son sommet, une
statue du Sacré-Cœur, en pierre, mais d'un dessin mal-
heureusement défectueux, en ce que l'auteur n'a pas
tenu compte qu'on ne serait pas en face d'elle, comme à
l'atelier, mais à une dizaine de mètres au-dessous pour
la voir. M""® Lafond, qui ne recule devant aucune dé-
pense pour embellir cette église où est le caveau de sa
famille, parle de changer cette statue et le pignon lui-
même pour l'améliorer encore. Elle projette aussi un
remaniement des vitraux, qui en ont besoin.
A l'intérieur, une autre très belle statue du Sacré-
Cœur et une Mater Doloi^osa, qui lui fait pendant, ont été
placées à l'occasion du mariage de l'aînée des petites-
filles de M. Garilland. J'ai dit, dans mon avant-dernier
rapport, les titres de cet ami de la première heure et de
sa famille à notre gratitude. La jeune épouse fit don de
l'une des deux statues, l'autre est le produit des maigres
recettes du pèlerinage annuel, totalisées depuis plusieurs
années.
Au spirituel, la paroisse ne perd pas non plus. Le
chiffre des pâques oscille entre 200 et 220 pour les
— 68 —
femmes, avec nue quarantaine d hommes et garçons. La
confirmation, donnée en lS97,a porté ce nombre à 280.
Il y a environ 125 communions à Noël. Dans l'année,
quelques personnes s'approchent de la sainte table à peu
près tous les mois : une toute petite élite de 3 ou 4 est
à la communion bihebdomadaire.
Mais les exercices du carême ont beaucoup souffert du
greffage de la vigne. Pour reconstituer le vignoble phyl-
loxéré,on emploie tout le monde, jeunes filles et enfants
même, à faire des greffes ; cela se fait à la maison, comme
la casse des noix destinées au moulin, et la mise en pa-
niers des raisins à expédier frais; ce travail se prolonge
donc jusqu'à la nuit, et avec la distance de nos villages,
impossible d'avoir ensuite ces personnes à l'église. De
même, le mois de Marie et celui du Rosaire ont été ré-
duits à la récitation du chapelet pendant la messe, par
quelques enfants des écoles, c'est trop peu. Nous espé-
rons pouvoir revenir à mieux !
A la confirmation de 1897, tous les inscrits sont venus.
Bien des paroisses ne peuvent l'obtenir : l'impossibilité,
pour Monseigneur, de venir plus souvent que tous les
quatre ans, occasionne bien des défaillances chez les
jeunes gens de quatorze, quinze et surtout seize ans.
A Saint-Andelain, cette année, tous ont été fidèles.
J'oubliais de rappeler, pour aider à apprécier les chif-
fres précédents et suivants, que la paroisse ne compte
guère que 900 catholiques.
La Croix du Nivernais y a trente-quatre abonnés ; ce
journal n'est qu'hebdomadaire, mais nos gens ne lisent
pas en semaine, ils n'en ont pas le temps. C'est un pré-
cieux levain que cette lecture, son action est lente, mais
visible pourtant. Quelques personnes ont fait le pèleri-
nage de Lourdes, et 21 sont allées, avec le P. Bernard,
faire celui de sainte Solange, dans le Berry. Nous venons
d'installer curé le troisième des enfants de la paroisse,
qui sont devenus prêtres depuis que nous en avons la
charge ; le P. Bernard en a placé deux autres au petit
séminaire, à la rentrée dernière. Petits événements, dira-
t-on peut-être. Je ne répondrai pas qu'ils sont grands
dans noire petit Landerneau, puisque les annales ne s'y
lisent pas, mais je les offre, à qui s'intéresse à nous,
comme des symptômes, de petits bourgeons, si l'on veut,
à la merci du premier hâle, du premier coup méchant
ou maladroit, sans doute, mais indiquant que la sève
y est encore et circule.
Deux protestants ont abjuré en vue de leur mariage ;
malheureusement il y a eu la contre-partie.
On compterait encore une trentaine de protestants
dans la paroisse : 8 hommes, 8 filles et 14 femmes. Le
P. Bernard continue à constater ce que le P. Mouchette
signalait déjà de son temps : ceux qui ont créé ce mou-
vement protestant par leur apostasie, finissent mal ! Le
dernier mort a été emporté dans la force de l'âge, écrasé
par une voiture, légère pourtant, et en des conditions
inexplicables. En trois ans, 3 jeunes femmes protestantes
sont devenues veuves : c'est une effrayante proportion
sur ce petit nombre ; aussi, sur les 4 fillettes protestantes
qui vont à l'école laïque, 3 sont orphelines.
Si les événements ne viennent pas troubler l'apaise-
ment qui se fait ici dans les esprits, cette population,
très laborieuse, et préservée de bien des misères par son
travail acharné, redeviendra peut-être chrétienne, et plus
solidement chrétienne que jadis.
Daignez agréer, mon très révérend Père, l'expression
de mon respectueux dévouement en J. et M. I.
A. lUNGBLUTH, 0. M. I.
— 70 -.
LA PROVINCE D'ALLEMAGNE.
MAISON DU SCOLASTICAT DE SAINT-BONIFACE,
HUNFBLD.
Les annales ont, à diverses reprises, parlé de la pro-
vince naissante d'Allemagne. Voici le premier rapport
officiel. Nous sommes heureux d'en saluer l'apparilion
et de lui donner place dans les archives de la famille.
Il a un autre sens que celui d'une simple relation, si
agréable qu'elle soit d'ailleurs. Il faut y voir une date
dans les progrès et l'extension de l'humble Société des
Missionnaires de Provence. Au point de vue spécial des
annales, nous y voyons aussi le prélude des très intéres-
sants récits que ne manqueront pas de nous fournir nos
missionnaires d'Allemagne. Ils ont déjà fait des travaux
apostoliques nombreux et consolants ; nos frères et nos
amis seront heureux d'en lire les détails.
LETTRE DU R. p. SCHARSCH, PROVINCIAL, AU R. P. TATIN.
Hûnfeld, 24 février 1898.
Mon RÉVÉREND ET BIEN GBER PÈRE,
Permettez que je vous adresse mon rapport sur les
commencements de notre province allemande. Celui qui
en a été le fondateur et le père n'est plus; nous n'avons
pas eu la consolation de voir le T. R. P. Louis Soullier
se réjouir de nos progrès, de recevoir ses encoura-
gements à Hûnfeld même. Sa mémoire restera à jamais
en bénédiction parmi nous. Vous avez partagé avec lui
d'une manière particulière l'affection et les soins pater-
nels pour notre province naissante. Soyez-en remercié
et daignez accepter, comme gage de notre reconnais-
- 71 —
sance, ce travail qui satisfera l'attente légitime de nos
Frères en religion ; car beaucoup d'entre eux ignorent
encore les bénédictions que Dieu a daigné répandre sur
nous durant les trois dernières années.
Veuillez agréer, mon révérend et bien cher Père,
l'expression d'affection et de vénération de votre tout
humble frère enN. S. et M. I.
P. -S. SCHARSCH, 0. M. I.
L'acte officiel de l'érection de notre nouvelle province
allemande est daté du 5 mai 1895, fête du Patronage de
saint Joseph. Après avoir appelé notre attention sur les
bénédictions dont Dieu avait comblé nos établissements
de Hollande, notre très révérend et bien-aimé Père Su-
périeur général résume en quelques mots les démarches
faites auprès du gouvernement de la Prusse et déclare
qu'après avoir délibéré avec les assistants généraux, la
province d'Allemagne se composera des maisons de
Fulda, de Saint-Ulrich, de Saint-Gerlach et de Saint-
Charles.
L'espoir de notre T. R. P. Supérieur général de voir
cette fondation de la province allemande de Saint-Joseph
accueillie avec joie dans toute la Congrégation, a trouvé
une complète réalisation. De toutes les parties du monde,
nous sont arrivées des lettres de félicitations ; particu-
lièrement à Paris, à la Maison générale et à Montmartre,
on s'est félicité de cet agrandissement de notre famille
religieuse. Que tous nos chers Pères et Frères qui se
sont intéressés si vivement à cette création en reçoivent
ici l'expression de notre reconnaissance. D'un autre côté,
nous avons pris à cœur les avis paternels de notre T. R.
P. Supérieur général, nous sommes et nous resterons à
jamais les enfants de notre commune mère, notre chère
Congrégation. Tous les membres de notre petite pro-
vince ne veulent connaître qu'une seule devise : charité
dans une même famille, zèle pour le salut des âmes,
union de cœur et de conviction sous une même autorité,
qui nous est personnifiée dans notre T. R. P. Supérieur
général. Puisse la bénédiction, que nous a donnée notre
vénéré Père, porter ses fruits de sainteté! Puissent les
prières ferventes de toute la Congrégation nous être un
gage des faveurs du ciel ! Puisse le Seigneur nous dire
aussi : Crescite et muUïplicamini et replète terrant!
Dans l'acte d'érection, il était dit que le siège du
R. P. Provincial serait la maison de Fulda. Nous avions
l'autorisation du gouvernement de nous établir dans
cette ville, mais il restait encore bien des démarches à
faire pour prendre possession d'une maison qui n'exis-
tait encore qu'en projet. Les difficultés, certes, ne pou-
vaient manquer ; la plus sérieuse éLait sans doute le
manque absolu de ressources. Le parti le plus sage était
donc de fermer les yeux sur les difficultés du moment,
les incertitudes de l'avenir et de s'abandonner à l'aveugle
à la conduite toute bonne de la Providence.
Le 4 juin eut lieu à Saint-Charles le premier conseil
provincial. L'administration provinciale avait à s'en-
tendre principalement sur la destination à donner à
notre nouvelle maison de Fulda.
Dans la pensée des conseillers provinciaux, il était de
notre honneur d'entrer en Allemagne d'une manière à
faire impression sur l'opinion des catholiques. A cet
effet, l'idée d'établir un juniorat à Fulda fut écartée.
Outre les dépenses extraordinaires qu'aurait occasion-
nées l'entretien des deux juniorats de Saint-Charles et de
Fulda, venait se joindre l'appréhension bien fondée de
voir le gouvernement faire opposition à une maison
d'éducation de ce genre.
Quoique, dans la permission générale de nous établir
— 73 —
en Allemagne, le rescrit royal nous accordât la faculté
de préparer des sujets pour les missions, on n'était pas
sûr alors que nous fussions autorisés à ouvrir un junio-
rat, ou du moins à y enseigner. Pour écarter celte dif-
ficulté, on songea d'abord à établir à Fulda le noviciat.
Cependant, depuis le mois d'avril, l'administration
générale était dans l'intention de confier à la nouvelle
province la grave responsabilité de fonder aussi un nou-
veau scolasticat pour nos sujets allemands. Au fur et à
mesure que nos chers novices prononceraient leurs pre-
miers vœux, ils iraient alimenter le nouveau scolasticat.
Notre T. R. P. Supérieur général, au retour de son der-
nier voyage en Espagne, examina la nouvelle proposition
et bientôt nous sûmes que, désormais, la nouvelle pro-
vince posséderait un juniorat, un noviciat et un scolas-
ticat. De fait, le bon Dieu semblait conduire nos supé-
rieurs majeurs comme par la main dans cette nouvelle
et si importante mesure. Les différents scolasticats de
Rome et de Liège ne pouvaient plus recevoir toutes les
vocations qui venaient frapper à leur porte, et qui s'an-
nonçaient encore plus nombreuses dans un avenir plus
ou moins rapproché. Il était donc urgent de fonder un
nouvel établissement pour recueillir la surabondance de
ces dernières années, qui ont été si fécondes pour notre
Congrégation.
Jusqu'alors, plusieurs maisons nous avaient été of-
fertes pour notre nouvelle résidence. A Fulda même, on
avait, dès avant l'érection de la province, jeté les yeux
sur plusieurs bâtiments, qui, cependant, ne pouvaient
nous convenir. Plus tard, on visita Bieberstein, un ancien
château des princes-abbés de Fulda, magnifique cons-
truction formant un quadrilatère, dont la masse impo-
sante couronne une des montagnes de la Rhœn. La posi-
tion était séduisante : vues splendides sur les vallées
— 74 —
fertiles de laFulda et de la Bieber, forêts de sapins et de
chênes, air salubre, autant de conditions pour la santé
et pour l'effloraison des grandes pensées philosophiques
et théologiques. Cependant, plusieurs inconvénients,
dont le plus grave était le manque d'eau, nous forcèrent
à chercher fortune ailleurs.
D'autre part, il parut peu profitable d'acheter une
maison dont la première destination n'eût répondu que
très imparfaitement aux exigences d'une communauté
religieuse ; bien souvent, les sommes que l'on dépense
à réparer et à approprier des maisons de ce genre
auraient suffi à construire des couvents de premier
ordre. Bâtir à neuf, selon nos goûts et nos plans, sem-
blait préférable, et c'est pourquoi l'on reçut avec recon-
naissance les offres d'un petit village des environs de
Pulda.
A Kûnzell, on nous accordait un petit terrain pour nos
constructions, avec plusieurs autres avantages très ap-
préciables. Même on disait qu'une certaine somme très
élevée nous serait accordée pour couvrir les frais de la
construction d'une église. On ne fit aucune difficulté
d'accepter des propositions si avantageuses.
Ce fut le 22 juin, après une mission donnée à Embken,
dans la province rhénane, que le R. P. Provincial se
rendit pour la première fois à Fulda pour réaliser les
différents plans projetés jusqu'alors. Son inexpérience
et sa jeunesse n'étaient pas les plus grands motifs d'en-
couragement, mais si vouloir n'est pas toujours pouvoir,
il faut convenir que vouloir avec l'obéissance, c'est tra-
vailler avec Dieu, et Dieu peut tout. C'est dans ces pen-
sées qu'il se dirigea vers Bonn pour remonter la magni-
fique vallée du Rhin jusqu'à Coblence. Il est difficile de
trouver un pays plus beau et plus riche que ces bords du
Rhin, depuis Honn jusqu'à Mayence, Des deux côtés de
— 75 —
ce fleuve majestueux s'alignent des collines verdoyantes»
fameuses par leurs vignobles; une viile succède à l'au-
tre, se mirant dans les eaux grandioses du Rhin.
Mais laissons ces paysages, il faut aller plus loin, suivre
la belle vallée de la Lahn, traverser Ems, Giessen, et nous
voilà arrivés à Fulda. Fulda, ce nom fait battre le cœur de
l'apôtre. C'est ici que se trouve le tombeau de saint Bo-
niface, apôtre de l'Allemagne ; c'est d'ici, du couvent de
Fulda, fondé par saint Sturmius, disciple de saint Boni-
face, que les Bénédictins sortaient autrefois pour com-
mencer leur œuvre de christianisation et de civilisation
parmi les Bavarois, les Hessois et les Thuringiens ; c'est
à Fulda encore que se réunissent, tous les ans, les évo-
ques de Prusse, pour continuer l'œuvre de régénération
commencée par saint Boniface. Une émotion bien vive
s'empara de notre voyageur, quand il vit pour la pre-
mière fois ce dôme vénérable, bâti d'après les plans de
Saint-Pierre de Rome, et qu'il put dire la sainte messe
sur le tombeau de saint Boniface.
L'hospitalité la plus généreuse fut d'abord offerte au
R. P. Provincial par M»"" Schick, vénérable prélat, que
M8' l'évêque de Fulda a voulu récompenser de son dé-
vouement pendant le Kulturkampf et pour ses mérites
personnels, en lui obtenant les titres et les insignes de
la prélature romaine. C'est lui qui, pendant le Kultur-
kampf, conduisit les Sœurs Bénédictines à Trouville,
près de Nancy. Mg"* Schick est un de nos meilleurs amis.
Non seulement il a été le guide des RR. PP. Legrand et
Ravaux, qui ont passé p.sr Fulda, mais il a bien voulu
nous offrir, comme maison provisoire du scolasticat, le
bâtiment de l'école normale de Fulda, dont il espérait
devenir acquéreur en peu de temps, projet qui n'a pas
été réalisé, comme nous le verrons dans la suite.
' Le lendemain de son arrivée, le R. P. l^rovincial
— 76 —
apprit que, dès la veille, le vénérable évêque de Fulda,
Ms''Komp,ravnit invité à dîner au palais épiscopal. L'ac-
cueil fut tout paternel. Monseigneur, dès la première
entrevue et depuis bien souvent encore, exprima sa joie
de nous posséder dans son diocèse, et il se réjouit tout
particulièrement à la pensée de pouvoir donner les saints
ordres à nos jeunes lévites. Il nous estime, et il y a quel-
ques jours qu'il nous dit encore : ec Je sais que vous êtes
un ordre régulier et sévère, je m'en réjouis. »
Inutile de raconter ici avec quelle bienveillance on
nous accueillit partout, chez M. le grand vicaire Engel,
M. le doyen du chapitre et MM. les curés de la ville.
Après avoir visité les autorités ecclésiastiques de l'en-
droit, le R. P. Provincial se rendit à Cassel pour rendre
visite à S. Exe. le gouverneur de la province de Hesse-
Nassau. M. Magdeburg a été charmant. On a parlé des
espérances de notre futur établissement, de son but et
de l'évangélisation des colonies. Il promit son appui
pour régler différentes questions importantes, et in-
diqua lui-même la voie à suivre. L'impression qui nous
est restée a été que nous avons affaire à un homme favo-
rable aux catholiques, tel que la renommée nous l'avait
dépeint.
Après avoir ainsi fait connaissance avec les personnes,
il a fallu traiter la question majeure de notre établisse-
ment. La première excursion en ce sens a été vers Kiin-
zell, pour voir le terrain que nous offrit cette commune.
Situé à plus de 3 kilomètres et demi à l'est de Fulda, ce
tsrrain s'étend à mi-côte d'une colline bien boisée. On
espérait avoir l'eau en abondance en creusant des puits;
la terre, quoique un peu inférieure en qualité, aurait
pu devenir productive par les soins d'un bon jardinier.
La position, en somme, était bonne, quoique un peu
éloignée de la ville. Et, d'ailleurs, comment n'être pas
— 77 —
attiré par la bienveillance et les désirs ardents de la
population, par certaines promesses avantageuses, sur-
tout par cette perspective d'un secours de la part de l'é-
vêché, qui, disait-on, garde une somme considérable,
12 000 marcs environ, pour la construction d'une église
à Kiinzell. Le premier devoir du R. P. Provincial était
donc de s'assurer si cette promesse était vraie et d'a-
grandir, par un achat avantageux, le petit terrain qui
nous était cédé gratuitement. En outre, pour ne pas trop
longtemps fatiguer l'opinion publique, qui attendait
notre établissement avec impatience, il fallut s'occuper
de l'installation immédiate de notre scolasticat pour la
mi-août de 1893. Hélas! on pensait que tout serait réglé fa-
cilement; le R. P. Provincial devait se heurter contre une
triple difficulté, que saint Joseph a résolue de la manière
déjà connue, en nous envoyante Hiinfeld. Inutile d'en-
trer dans tous les détails de ces courses sans fin, de ces
recherches et de ces inquiétudes faciles à comprendre.
Et, d'abord, quant à cette promesse faite par la com-
mune de Kiinzell, ces bonnes gens restèrent fidèles à
leur parole et firent tout leur possible pour aplanir les
difficultés. Ici, mentionnons le nom de l'instituteur,
M. Agricola, qui a été pour nous d'un dévouement sans
bornes. Malheureusement, la somme de 12000 marcs
environ qu'on pensait devoir nous revenir, après recher-
ches faites, n'existait pas^ et par là même un bel espoir
s'évanouissait.
La question de l'achat du terrain traîna plus long-
temps. A côté de notre langue de terre, cédée par la com-
mune, s'étendait un champ de Ohectares, lequel appar-
tenait à un protestant de Marbourg. C'est un de ces gros
propriétaires si connus ea Allemagne, dont le principe
est d'augmenter l'étendue de leurs terres, mais qui ne
se résoudraient à tailler dans leurs propriétés que pour
— 78 —
des raisons majeures. Notre établissement pouvait-il être
une raison majeure pour un protestant du parti des na-
tionaux libéraux? On haussait les épaules, à Fulda, et
l'on pensait qu'il n'y avait pas d'espoir. En tout cas, il
fallait essayer, mettre l'opinion de Kunzell en mouve-
ment, puisque les habitants de Kunzell travaillaient chez
ce propriétaire. A une demande que fit le R. P. Provin-
cial, M. Souchay consentit à céder environ 70 ares, sans
donner aucun espoir de faire davantage. Ce terrain ne
pouvait évidemment pas sulfire aux exigences d'un grand
scolaslicat. On résolut alors d'aller trouver M. Souchay
à Marbourg même, pour lui faire comprendre qu'il était
de son intérêt de nous céder quelques hectares de son
terrain.
Entre temps, la question de notre établissement pro-
visoire dans l'ancienne école normale ne trouvait pas
non plus une solution suffisante. Et, d'abord, ce bâtiment
était dans un état pitoyable ; pour pouvoir y habiter, il
aurait fallu faire des dépenses extraordinaires. Par ail-
leurs, M^"" Schick, qui espérait devenir bientôt proprié-
taire et qui, alors, sans doute, aurait supporté les frais
de restauration, ne le devait pas devenir de sitôt, et, par
conséquent, ne pouvait nous autoriser à entrer dans
cette maison. Que faire? Attendre indéfiniment, avec
M^"" Schick, était s'exposer à une déconfiture. Le R. P. Pro-
vincial adressa donc une supplique aux autorités compé-
tentes, à Teffet d'obtenir un loyer d'un ou de deux ans.
Faut-il dire que la réponse se fit attendre? On connaît
les détours et les contours des voies bureaucratiques
pour pouvoir juger de la patience qu'il fallait avoir en
attendant une réponse. Et quelle réponse? Autorisation
est donnée d'entrer dans le bâtiment de l'école normale,
à raison dun loyer de 1 000 marcs par an, et avec la
condition expresse de pouvoir être mis à la porte dès le
— 79 —
premier signal. Merci de la permission 1 Mieux vaut n'en
user pas.
On apprit vite, dans le public, que nous nous heurtions
à de grandes difficullés àKiinzell, de la part de M.Sou-
chay. A cette nouvelle, M. Mùller, député au Reichstag
et riche propriétaire à Fulda, vint en personne nous
ofîrir 4 hectares de terre dans les environs deBronnzeli,
près Fulda, en face du château d'Adolphseck. Plus tard,
un autre propriétaire, de concert avec les notabilités du
village de Keulos (Fulda), nous fit des propositions en-
core plus considérables ; mais la position de ces diffé-
rents terrains ne pouvait convenir entièrement à un
scolasticat ; les difficultés de communication et de l'ap-
provisionnement, la question de l'eau, le manque d'es-
poir de ressources futures, nous faisaient hésiter à
accepter ces propositions pourtant si séduisantes. Par
ailleurs, il ne fallait pas non plus se décourager si faci-
lement devant les difficultés que nous rencontrions à
Kiinzell. Aussi, pour décider M. Souchay à vendre quel-
ques hectares de son terrain, on fit comprendre aux gens
du village que d'autres propositions très avantageuses
étaient faites et que, vu leur désir de nous avoir, ils pour-
raient influencer efficacement M. Souchay. Le H. P. Pro-
vincial alla donc à Marbourg, en compagnie de M . l'insti-
tuteur. Après quelques pourparlers, le vieux propriétaire
consentit à vendre 2 hectares, mais à un prix exorbitant
eu égard à la qualité du terrain. Dès lors, ma résolution
était prise. Kiinzell n'était pas fait pour nous, et j'avais
déjà en main d'autres offres de la part de la petite ville
de Hùnfeld, comme je vais le dire.
Ne quittons pas Marbourg sans jeter un regard d'ad-
miration sur la magnifique église de Sainte- Elisabeth,
bâtie dans le plus pur style gothique, aujourd'hui entre
les mains des protestants. Tout y est conservé comme
— 80 —
avant la Réforme ; les autels sont là, nus et dégarnis ;
les statues des saints de l'église catholique se dressent
encore sur leurs socles et dans les niches; la Sainte
Vierge elle-même n'a pas quitté ces lieux, et son image
grandiose rayonne du haut d'un pilier. Hélas! comme
tout est silencieux ici, tout est vide; on se sent mal à
l'aise.
Interrogé sur ce que pensent les protestants de tous
ces autels, statues, etc., qui rappelaient le souvenir du
culte catholique, notre guide répond avec un sourire
significatif : « Pour nous, ce sont de belles antiquités!»
Un touriste qui contemplerait les restes d'un temple
païen de Rome ne parlerait pas autrement.
Pendant que les hommes s'agitaient, le bon Dieu nous
préparait notre futur établissement. Le 17 juin 1895
nous arriva en Hollande une lettre de M. Steinbach,
adjoint et maire par intérim de la petite ville de Hiin-
feld. Cet excellent catholique, désireux de procurer à sa
ville natale un couvent de religieux, priait les supérieurs
de la nouvelle province allemande des RR. PP. Oblats
de vouloir bien s'établira Hiinfeld. « Notre ville, disait-il,
est prête à faire les plus grands sacrifices pour avoir le
bonheur de posséder un couvent de missionnaires. » On
n'accorda d'abord aucune considération à cette lettre.
En efi'et, à raison des pourparlers entamés avec Kiinzell
et des avantages sérieux qu'on y offrait, la réponse faite
à l'invitation de M. Steinbach fut telle, qu'elle ne donnait
aucun espoir de nous établir à Hiinfeld. Notre solliciteur
ne se crut pas battu pour si peu ; il insista une seconde
fois, le 20 juin. Sur ces entrefaites fut nommé un nou-
veau maire à Hiinfeld, M. Beutling, qui devait être un de
nos plus grands bienfaiteurs. H fit de la pensée de
M. Steinbach son œuvre à lui ei, dès le 29 juin, il vint
trouver le R. P. Provincial de passage à Fulda, et plaida
— 81 —
la cause de la ville de Hûnfeld et réitéra de vive voix les
offres faites auparavant.
Les questions se compliquaient donc à raison des
quatre offres très considérables dont nous avons parlé.
Faire un choix et prendre le meilleur, comme s'expri-
mait M^"" Schick dans sa revue hebdomadaire, c'était la
grande préoccupation du R. P. Provincial, qui, se trou-
vant seul sur les lieux, ne savait où trouver conseil et
lumière. Le 2 juillet, fête de la Visitation de la Sainte
Vierge, après avoir dit la sainte messe sur le tombeau
de saint Boniface, on se mit en route. Au nord de
Fulda, sur la ligne de Francfort-Bebra, est assise agréa-
blement, sur une petite colline, la ville de Hiinleld.
Des rues bien alignées aboutissent à une charmante
petite place devant le grand bâtiment de l'hôtel de ville,
qui semble, par sa magnificence, être en disproportion
avec la localité assez peu considérable par le chiffre de
sa population. Au nord, on voit les lignes d'arbres qui
dessinent la direction de la grande route de Leipzig ;
c'est par cette route que revint Napoléon 1"% après sa
retraite de Leipzig. Aujourd'hui encore, on célèbre à
Hiinfeld une messe d'actions de grâces, comme accom-
plissement d'un vœu fait parla population pour obtenir
d'être épargnée des fléaux de la guerre. A l'est s'élèvent
majestueusement les montagnes de la Rhun ; du sud
au nord, la rivière de la Haune s'est creusée les con-
tours d'un lit assez profond, au milieu des prairies d'une
vallée large et verdoyante. A une demi-lieue tout autour
de la ville, aussi loin que l'œil peut sonder l'horizon,
s'étendent de magnifiques forêts de sapins qui donnent
à celte contrée une salubrité bienfaisante et invitent
les pouiuons à se dilater d'aise et de santé. Le climat est
un peu rude en hiver, mais le printemps et l'été ne le cè-
dent en rien en beauté à d'autres climats plus tempérés.
T. XXXVl. 6
- 82 —
A sa ilescenlc du train, le R. P. Provincial trouva
M. le maire, son adjoint et un conseiller municipal en
grande tenue, pour le recevoir au nom de la ville. Après
quelques paroles de bienvenue, on se mit en chemin
pour examiner les différents terrains qu'on offrait. A
deux minutes de la ville, du côté opposé à la station du
chemin de fer, se trouvent de beaux jardins qui descen-
dent doucement vers la vallée où coule, au milieu des
prairies, un petit ruisseau, la Hasel, dont les eaux lim-
pides se jettent, un peu plus loin, dans la Haune. C'est
l'endroit le plus calme des environs ; il invite au silence
et aux pensées graves; aussi la ville y a choisi le terrain
du cimetière. C'était vraiment là la place d'un couvent.
Un terrain de 3 hectares et demi, des jardins et des
prairies, traversés d'un beau cours d'eau et plusieurs
autres avantages très considérables, voilà ce que la ville
de Hiinfeld offrait à la province allemande, si l'on vou-
lait s'établir là. L'invitation était séduisante, mais il fal-
lail des garanties et, par ailleurs, il était bori de mettre
en balance tous les avantages des propositions faites
jusque-là. On se donna donc des espérances mutuelles et,
le lendemain, après son retour àFulda, le R. P. Provin-
cial reçut l'acte authentique, signé par tous les membres
du corps municipal, lequel confirmait les promesses
faites de vive voix.
Le 18 juillet, le conseil provincial accepta unanime-
ment les propositions faites, et, le 20 juillet, le conseil
général ratifia notre établissement à Hiinfeld. Le 29 juil-
let, le R. P. Provincial partit définitivement de Fulda
pour Htinfeld pour chercher à y installer, d'abord provi-
soirement, le nouveau scolasticat et commencer l'œuvre
dés constructions. Au mois d'août, le noviciat devait
nous envoyer les premiers philosophes pour la rentrée
des cours. La difficulté consistait à trouver un local con-
— 83 —
vetiable pour abriter une communauté de 23 personnes.
Comme les recherches se trouvaient être infructueuses,
M. le maire mit à notre disposition l'hôtel de Ville, dont
les proportions grandioses répondaient assez aux exi-
gences d'une communauté religieuse. Le 30 juillet,
M^"" de Fulda voulut bien encourager nos commence-
ments en venant visiter le terrain sur lequel devait
s'élever notre scolaslicat. Bientôt le R. P. Kieffer et
plusieurs Frères convers vinrent rejoindre le R. P. Pro-
vincial, et, le 31 août, nous eûmes le bonheur de célé-
brer, pour la première fois, le saint sacrifice de la messe
dans notre petite chapelle; un sentiment de reconnais-
sance et d'amour remplissait tous les assistants; notre
bon Sauveur allait être désormais notre force, notre
guide, notre conseiller; nous pouvions aller en avant.
Vers la fin du mois de septembre, les préparatifs pour
Tinstallation d'une plus grande communauté étaient as-
sez avancés pour recevoir nos chers Frères scolastiques.
En même temps, nous avions à préparer lès plans de
notre nouvel établissement. A cet effet, le R. P. Kieffer
avait reçu son obédience pour Hûnfeld, et, pendant de
longs mois, nous avons fait appel à l'expérience de nos
conseillers provinciaux et de l'administration générale
en vue de trouver un plan digne de la Congrégation et
capable d'abriter environ 200 personnes. Les coups de
crayon, les discussions plus ou moins vives, les heures du
jour et de la nuit, rien ne fut épargné pour prévoir tout,
faciliter la marche d'une grande comniunauté et donner
à l'ensemble le cachet religieux et sérieux. La critique
future dira si nous avons réussi. Les plans furent sou-
mis à M. Giildenphenig, architecte célèbre du diocèse
de Paderborn, et eurent son entière approbation. Ce
même architecte n'eut qu'à dessiner la façade de la
maison.
— 84 —
Maintenant;, il fallait réaliser nos plans. Après avoir
exercé les fonctions d'architecte, nous avions à devenir
entrepreneurs et maîtres-maçons, au besoin, maçons et
manœuvres ; dur métier, le R. P. Kieffer en sait quel-
que chose. Dès le 18 mars t896, après une messe à la-
quelle assistèrent les ouvriers, on bénit la première pierre
de l'aile droite de notre nouveau scolasticat.
Tout en surveillant les travaux, on s'occupa du char-
roi des matériaux; le conseil municipal de Riickers,
petit village au sud de Hiinfeld, mit à notre disposition
une partie de ses carrières de sable. Les habitants de
Motzbach nous permirent d'ouvrir chez eus une car-
rière de pierre. Nous nous mîmes à visiter tous les vil-
lages, à réunir les braves cultivateurs et quelques bonnes
paroles suffirent pour nous gagner leurs sympathies et
les services de leurs bras et de leurs attelages. 11 était
beau de les voir venant comme en procession de près et
de loin, amenant sable, pierres, bois de charpente. Et,
quand, de l'église de la ville, la cloche annonçait, le ma-
tin, le moment de l'élévation ou qu'elle invitait, matin
et soir, à la prière de V Angélus, vous eussiez vu tous ces
hommes se découvrir pieusement, s'agenouiller et dire
leurs prières.
Pendant que les constructions montaient, nos scolas-
tiques, sous la conduite du R. P. Erbachek, s'appliquaient
avvjc ardeur à l'étude de la philosophie. Leur bonne con-
duite et leur vraie piété facilitèrent au R. P. Provincial
la direction de la communauté, malgré ses autres tra-
vaux et ses absences assez fréquentes.
Le 15 août 1896, nos philosophes eurent le bonheur de
prononcer leurs vœux perpétuels ; il étaient les premiers
à s'offrir à Dieu et à Marie Immaculée sur le sol de la pa-
trie. Ferventes furent les prières pour l'accroissement et
la grandeur de la nouvelle province. Vers la fin de cette
^ S5 —
même année, nous fûmes honorés de la visite du R. P. Ra-
VAUX et du F. Bœming, frère scolastique, qui, après une
visite d'adieu à ses parents, allait, sous la conduite de
l'obéissance, consacrer ses forces et sa vie aux œuvres
de la Congrégation en Amérique. La visite du R. P. Tra-
BAUD nous fut surtout agréable. Le bon Père avait visité
ses bienfaiteurs à Munich et venait nous prêcher l'amour
de l'apostolat et les conditions de persévérance. Nos
Frères n'oublieront pas les bonnes paroles qu'il leur
adressa.
L'année suivante, 20 mars, nous eûmes la joie d'as-
sister à la première messe du R. P. Kassiepe. A défaut
d'ornements précieux, que notre pauvreté ne connaît pas
encore aujourd'hui, notre chapelle était du moins ornée
de reconnaissance et d'allégresse pour celte circonstance
solennelle.
Notre communauté devait bientôt s'agrandir; plu-
sieurs malades venaient chercher la santé chez nous, et
l'on annonçait déjà, pour la fin de l'année 1897, l'arrivée
de tous nos Frères allemands du scolasticat de Liège ; il
fallut donc songer en même temps à augmenter le per-
sonnel de nos chers Frères convers. Après les formalités
voulues, un noviciat fut ouvert le 5 juin i896, le jour de
la fête de Saint-Boniface, et un postulant reçut l'habit.
Aujourd'hui, le noviciat compte 5 bons Frères, qui at-
tirerontbientôt d'autres recrues par leurs ferventes prières
et leur conduite édifiante.
Entre temps, les constructions de l'aile droite de notre
scolasticat s'achevaient dès la fin de l'année 1896, et
nous pûmes, au mois de juin 1897, entrer dans notre
nouvelle demeure. Ce fut un jour de fête. De grand ma-
tin, on célébra, encore une fois, la messe à l'hôtel de
ville, pour remercier Dieu de l'hospitalité qu'il nous y
avait accordée si généreusement. L'autel fut aussitôt
— 86 »
transporté dans le nouveau scolasticat, dans une des
grandes salles de philosophie, laquelle devait nous servir
provisoirement de chapelle jusqu'à l'arrivée de nos Frères
de Liège, ^'ous célébrâmes la grand'niesse avec diacre
et sous-diacre. Notre-Seigneur vint ainsi prendre pos-
session de ce nouveau sanctuaire. Lœtatus smn in his quse
dicta sunt mihi : in domum Domini ibimus... lliuc enim
ascendef'unt tribus, tribus Domini... Propter fratres meps
loquebar pacem de te... C'était un besoin du cœur pour
le R. P. Provincial de commenter dans une petite allo-
cution les paroles de ce psaume, qui s'appliquait entière-
ment à la circonstance.
Avec l'année 1897 commencèrent les constructions de
l'aile de front de notre scolasticat. Il est inutile d'entrer
dans de plus longs détails sur les péripéties de ces nou-
velles constructions qui virent leur achèvement avec la
même année, en sorte qu'il ne manque plus que l'église
pour compléter le scolasticat de Hunfeld. L'ensemble de
nos bâtisses forme un H dont le côté gauche est occupé
par l'église. De vastes corridors voûtés facilitent les mou-
vements d'une grande communauté de deux cents per-
sonnes. Un grand et beau cloître ouvert pernaet à nos
Frères de prendre leur récréation pendant la mauvaise
saison. On s'est efforcé de rendre la maison saine, éclai-
rée, aérée, et l'on peut dire que cette pensée du moins
^ été bien réalisée. L'ensemble des constructions est
imposant et digne de notre chère Congrégation.
Un des faits les plus importants dans la chronique de
notre scolasticat a été la visite de M^' Komp, évêque de
Fulda. Le 25 juillet i897, notre vénéré prélat était arrivé
à Hunfeld en tournée pastorale et avait administré le
sacrement de confirmation. Le lendemain, Sa Grandeur
voulut bien conférer la tonsure et les ordres mineurs à
nos Frères scolastiqnes. Dès la veille. Monseigneur avait
- S7 —
annoncé lui-même cette cérémonie au.^ habitc^ntg de 1^
ville et il avAit exprimé le (lépir que la eôrémonie eût
lieu à l'église paroissiale pour (donner par là un témoi-
gnage (Je reconnaissance à la population qui nous avait
reçus si cordialement. Après la cérémonie, une jjellp
assemblée de doyens de curés et des notabilités du pays
accepta notre invitation et se réunit autour de l'évêque,
à notre table. Monseigneur, dans un toast très paternel,
rappela à nos Frères la nécessité d'unir à la piété une
science profonde comme particulièrement nécessaire
aux missionnaires. Sa Grandeur présida ensuite les
vêpres solennelles et donna la bénédiction du Très §aint
Sacrement. Ses adieuK furent unp promesse de revenir
souvent encore.
Cependant, nous désirions depuis longtemps la visite
de notre T. B. P. Général; elle manquait à notre attente
et à notre piété filiale. L'es circonstances indépendantes
de la volonté de notre vénéré Père ne lui avaient point
permis de venir jusqu'à Hiinfeld, lorsque le 17 juillet je
reçus les lignes suivantes de la part du R. P. Tatin :
« Le T. R. P. Supérieur général accepte volontiers votre
invitation. Depuis longtemps, il a le désir d'aller vous
faire une visite et il est heureux de profiter de l'occasion
de l'oblation perpétuelle du 15 aoiit prochain. « La nou-
velle fut accueillie avec allégresse. On se mit avec ardeur
à préparer la maison . Les vacances permirent à nos chers
Frères scolastiques de frayer les routes, de casser les
pierres du chemin, de donner à notre maison l'aspect
d'une fourmilière où tout s'agile, va et vient, portant
ici une chaise, là une table, etc. C'était une fête à
l'avance. Hélas ! la maladie avait déjà ruiné les forces
de notre vénéré Père et bientôt nous apprîmes avec dou-
leur qu'il ne pouvait venir lui-même, mais qu'il nous
envoyait un de ses assistants généraux, le R. P. Tatin.
— 88 —
En effet, ce vénéré Père nous arriva l'avant-veille du
15 août et le lendemain il reçut les vœux perpétuels de
dix Frères scolastiques. Nous regardâmes cette visite
comme l'événement le plus significatif pour notre sco-
lasticat, comme la bénédiction, la consécration de ces
murs, faite au nom du chef de notre chère Congré-
gation. Aussi, nous fûmes tous profondément émus et
toutes les paroles qui tombèrent des lèvres de notre vé-
néré visiteur furent religieusement accueillies. Pour
clôturer cette belle fête, on organisa une charmante
soirée, où la parole de nos orateurs et la musique de
notre grand orchestre s'unirent pour célébrer la Congré-
gation et son chef et pour traduire notre fidélité entière
à nos supérieurs majeurs. Le lendemain, une grande
promenade nous conduisit au château de Bieberstein.
Tous ceux qui y ont pris part ne l'oublieront jamais.
La province allemande et son scolasticat sont donc
fondés.
VARIÉTÉS
LA RÉUNION DES JEUNES PÈRES DE LA PROVINCE DU NORD
EN 1897.
Saiut-Andelain, 31 janvier 1898.
Mon bévérend Père,
Peu avant sa mort, notre regretté T. R. P. Général me
demanda très expressément de donner encore aux an-
nales un compte rendu spécial de la réunion annuelle
des jeunes Pères de la province du Nord.
« Je veux, me répétait-il, que l'on sache que cette
réunion est possible, puisque vous venez de la faire pour
la troisième fois. Je veux aussi faire publier quelle im-
portance j'y attache, et, enfin, que vos expériences puis-
sent profiter â qui vous suivra. »
Me voyant dans l'impossibilité de m'en occuper avant
janvier 1898, il ajouta : « Eh bien, envoyez-moi cela en
janvier 1898. »
Depuis, je vous ai offert de fondre ce compte rendu
avec celui de la maison de Saint-Andelain, et vous m'a-
vez répondu que, sur ce point comme sur les autres, la
volonté du vénéré défunt restait sacrée pour nous.
Voici donc quelques notes sur cette troisième réunion
annuelle.
Saint-Andelain a été conservé comme local et votre
serviteur comme modérateur-professeur, pour les mêmes
raisons que l'année précédente.
— ou —
Le chiffre des Pères convoqués et disponibles est resté
modeste ; néanmoins, six maisons y furent représentées :
Limoges, par le P. Berte ; Arcachon, par le P. Gusman;
Sion, par le P. Marçais ; Angers, par le P. Le Floch ;
Pontmain, par le P. Prod'homme, et Saint-Andelain, par
les PP. Debray et Huchet ; on voit que ce ne furent pas
desPères« conscrits» . Sauf les PP. Marçais, professeur, et
Debray, rentrant des Missions étrangères, tous avaient
déjà d'assez nomljrpuses pampagnes apostolique^ sur
leurs états de service. Ce serait le cas de dire : Non nu-
merantur, sedponderantur. Nous ne fûmes au complet que
le o juin, des prédications ayant retenu le P. Prod'homme
jusqu'à cette date.
On commença par la retraite du mois.
Le P. Supérieur n'eut pas de peine à convaincre son
intelligent auditoire, à la conférence, que cette réunion
était, en plus d'un sens, plus utile que la retraite an-
nuelle elle-même à la perfection du missionnaire, et
qu'en présence des difficultés avec lesquelles doit comp-
ter le R. P. Provincial, chacun peut considérer sa con-
vocation au cours, non comme une marque d'infériorité
par rapport aux non-convoqués, mais comme une véri-
table faveur de la Providence. De fait, depuis deux ans,
j'ai rencontré, dans mes courses et prédicaLions de re-
traites de nos maisons, des Pères de quarante et cin-
quante ans dâge qui m'ont dit combien ils seraient
heureux de pouvoir passer deux mois en ces conditions,
pour se retremper et se compléter.
La retraite faite, nous attaquons aussitôt le programme
tracé par le R. P. Provincial. Les traités des Actes hu-
mains, de la Conscience et des Lois nous occupèrent pen-
dant 34 réunions ou conférences.
Comoi-; l'an dernier, chacun exposa à tour de rôle la
ducliine ù'iiprès Gury-Dumas. Nous évitons la haute
— 91 —
spéculation, et, dans les nombreux cas d'applications
pratiques présentés par l'un et par l'autre, nous nous ef-
forçons de bien circonscrire et fixer l'hypothèse, de n'en
pas sortir, pendant la discussion, parles cent tangentes
que présente trop aisénient la niémoireou fimaginaiion,
et de la résoudre aussi solidement et pratiquement que
possible. Car cette étude des traités a été faite en vue du
confessionnal, pour les raisons dites l'année flernière.
Rarement quelques points ont été examinés an point de
vue de la chaire ; les sujets s'y seraient prêtés pins sou-
vent qu'on ne suppose à l'intitulé; mais il fallait se li-
miter, et, je le dirai plus loin, la chaire a eu une autre
bonne part de notre temps.
On conviendra que débattre, en 34 séances de une
heure et demie à deux heures, tout ce qui a pu, se rat-
tachant à des traités si généraux, préoccuper des jeunes
Pères ayant déjà entendu plusieurs milliers de confes-
sions, et de confessions de missions, est, à soi seul, une
bien grande utilité de la réunion.
Mais, ces traités nous ont donné aussi de nombreuses
occasions de rappeler les devoir^ essentiels du religieux.
Le minimum de savoir requis pour le ministère, la né-
cessité de travailler à sa perfection peromnia, l'emploi
du temps, le compte qu'il faudra en rendre, la conscience
faussée et la conscience délicate en communauté, la
valeur des coutumes contraires aux Saintes Piègles, la
pauvreté et les autres vœux, la confession des confrères
en divers cas particuliers, etc., etc., que de sujets trai-
tés, sans doute, par les supérieurs locaux, dans les
conférences de quinzaine à leurs communautés, mais qui
ne peuvent y recevoir tous les détails et applications
utiles à la jeunesse ardente, zélée, plus en besoin de
frein que d'éperon, d'expériences communiquées que de
stimulants ! L'auditoire du Supérieur local est héléru-
— 92 —
gène, quant à l'âge et aux besoins qui s'ensuivent, et l'on
sait, de reste, les motifs qui souvent obligent à «glisser
et ne pas appuyer ». Dans nos causeries, tout est dit ron-
dement, à chaque occasion.
Je dis causeries, car, sous ce rapport aussi, nous avons
conservé notre méthode de l'année précédente ; on en
peut aisément trouver de plus solennelles; mais nous
restons persuadé quec'est, pour nous du moins, et dans
les conditions actuelles, la plus fructueuse.
Ces traités terminés, les réunions suivantes ont été
consacrées jusqu'à la fin à discuter divers plans de re-
traites de première communion.
Ce genre de ministère est demandé à nos Pères les
plus jeunes; ils y sont seuls, ordinairement; s'ils n'ont
pas à craindre d'empiéter sur le rôle du chef, en prépa-
rant des sujets réservés, ils n'ont pas davantage à espérer
son concours. En maint endroit, ce travail est, en outre,
soit un coup de sonde en vue d'une mission dont per-
sonne ne parle encore, soit un retour là où le retour
proprement dit ne paraît pas possible, soit, enfin, la
seule apparition du missionnaire que le pasteur ne juge
pas à propos d'appeler en d'autres circonstances. Dans
les trois cas, il faut être à la hauteur de sa tâche, qui
apparaît bien déjà d'elle-même comme d'une immense
importance : de toute l'importance d'une première com-
munion bien faite, multipliée par le nombre des enfants
à préparer.
Ce sont ces considérations qui ont fixé le choix de ce
sujet de nos dernières études.
Chacun donc donna un plan d'ensemble, et le détail
des sermons et allocutions qui le composent ; le tout fut
apprécié et discuté.
Il fut convenu que l'on se pillerait mutuellement, sans
scrupules, chacun communiquant loyalement son stock
— 93 —
d^histoires et leurssources. C'était être plus utile à tous,
plus sûrement suivi de chacun et sans inconvénients
sérieux pour personne, vu la nature de ce genre de
travaux apostoliques.
A cette occasion sont appréciés : les Entretiens sur le
catéchisme, àe. Ms'' Dupanloup; ce que l'abbé Mullois a
écrit sur le même sujet ; le Grand Jour approche, de
M^"" Gaume ; les Discours pour la première communion, de
l'abbé de Sambucy ; les Instructions pour la première com-
munion, de l'abbé Martin, et celles de l'abbé Brugale ; la
Persévérance après lapremière communion, plaquelle ano-
nyme éditée chez Gastermann.
Tous les jours, pendant le deuxième mois, il y eut
exercice de prédication et critique par tous, du fond, de
la forme et du débit. Chaque Père prêcha deux fois en
chaire, deux fois à la sainte table et deux fois à l'autel.
Comme en 1896, les critiques furent pariailes, en ce
que les appréciateurs se montrèrent toujours charita-
blement impitoyables, et l'apprécié parfaitement recon-
naissant.
Les Pères eurent à remettre un sermon écrit sur la
Sainte Vierge, conçu de telle sorte qu'il puisse servir de
sermon de mife^ion sur ce sujet. Enfin, ceux quin'avaient
pas atteint leurs cinq ans de prêtrise passèrent un exa-
men oral de vingt minutes sur les trois traités étudiés.
Bene sur toute la ligne!
Je ne reviendrai pas sur ce que j'ai écrit, l'an dernier,
des autres points de vue auxquels cette réunion paraît
si proClable. Il m'clait plus aisé d'en faire l'éloge alors :
et le tout restant également vrai, dans ses grandes lignes,
je tomberais en de fastidieuses redites.
Pendant la dernière semaine, le R. P. Provincial vint
faire la visite canonique de la communauté de S.ùnt-,
Andclain; il présida à l'examen oral, et les jeunes 1 ères
- l»i -
profitèrent de celte présence pour recevoif chacun, fen
une direction personnelle, Ce qui devait compléter l'œu-
vre des deux mois.
Le T. R. P. Général nous avait aussi promis sa visite ;
au moment de réaliser sa promesse, il dut y renoncer
pour partir à Luchon, où il espérait trouver soulage-
ment au mal qui l'emporta, et dont il venait d'entendre
les trop sérieuses menaces.
Daignez agréer, mon révérend Père, l'expression de
mon respectueux attachement en J. et M. I.
A. lUNGBLUin, 0. M. i.
ïï
L'ÉCOLE INDUSTRIELLE DE GLENDALOUGH A SUBIACO
PRÈS PERTH, E\ AUSTRALIE.
On sait déjà que nos œuvres d'Australie comprennent
une maison de missionnaires, à Freemantle, et une école
industrielle ou réformatoire, près de Perth. Cette der-
nière a été inaugurée récemment. Une lettre adressée
au R. P. AuGiER, Cassien, par l6 R. P. Daniel O'Ryan,
supérieur, nous fait connaître le détail des démarches
officielles et des fêtes de l'inauguration.
La construction de l'école une fois terminée, le Su-
périeur se présenta chez le premier ministre de l'Aus-
tralie occidentale, M. Forrest, et reçut le plus bienveil-
lant accueil. « Pour lui-même, dit le ministre, il regardait
les Pères comme les bienfaiteurs de l'État. » Il réclama
une lettre officielle où le Supérieur devait exposer la
nature de l'œuvre et formuler la demande d'approbation
légale. En réponse, le président du conseil accepta de
prendre part, le 22 novembre, à la fête d'inaugura-
tion. Tous les membres du parlement y étaientinvités.
— 95 —
M^' Gibncy, évêque de Perth, s'était rendu atissi à cette
solennité, qui était potir lui-même un triomphe et une
joie.
Dans un premier discours, le II. P. O'Ryan, parlant au
nom des catholiques, disait : « En fait d'éducation, nous
avons toujours marché avec le gouvernement la maiu
dans la main. » L'orateur rappela la législation scolaire
australienne et en arriva au réformatoire de Glenda-
lough, « A la demande de M^'' i'évêque de Perth, les
Oblats vinrent dans la colonie et, entre autres œuvres,
nous avons construit celte école industrielle pour les
enfants abandonnés de la colonie. Nous l'avons con-
struite sans coûter un sou au gouvernement, et nous
demandons maintenant si le gouvernement n'aura pas
la générosité de nous traiter au moins comme ses pro-
pres institutions... Je puis dire que c'est là une œuvre
du gouvernement, et qui sera inspectée par lui... Quant
au personnel, nous commençons l'œuvre avec des Frères
qui ont déjà fait leurs preuves durant plusieurs années
dans des œuvres semblables de l'ancien monde {i). »
Le président du conseil répondit en se félicitant de sa
tâche présente. « Il était sûr, dit-il, que la plupart de
ses auditeurs, comme lui-même, avaient été surpris de
voir qu'une si belle construction s'était achevée sans
qu'on sût qu'elle était commencée. Elle s'est élevée si-
lencieusement, comme le temple de Jérusalem. L'objet
de cette institution, comme on l'a dit, ce ne sont pas
seulement les pauvres et les abandonnés, mais cetix
aussi qui ont fait le premier pas dans ia mauvaise voie.
Quiconque s'intéresse à la colonie ou prend part à la
vie politique de la colonie doit applaudir à une institu-
tion semblable. {Bravos.) Elle mérite d'être soutenue
(1) Nos réfoimaloires de Glencree el, de Philipslowrl.
— 96 —
partons. {Applaudissements.) Leur bon ami l'Évêque et
les Pères Oblats enseigneront à ces enfants quelque chose
de bien. [Écoutez! Écoutez!) On leur enseignera à être
sans égoïsme, et généreux les uns avec les autres.
L'égoïsme est ce qu'il y a de pire dans nos dispositions.
Ceux qui sont engagés dans la vie politique et dans la
vie vulgaire tâchent de travailler du mieux qu'ils peu-
vent pour eux-mêmes, mais le bon Évêque et les Pères
n'ont certainement pas pensé à eux-mêmes en fondant
cette école. Ils ont essayé de faire du bien aux autres.
[Applaudissements.) Leur objet n'est point de gagner de
l'or, mais de prendre soin des abandonnés. [Applaudis-
sements.) Vos esprits et vos coeurs saluent cet évêque,
dont vous savez qu'il a dépensé sa vie depuis de longues
années à faire le bien. [Bravos.) W Gibney ne s'est ja-
mais épargné et, après avoir travaillé comme il l'a fait,
il a encore donné 300 acres de terrain à cette œuvre phi-
lanthropique [Applauaissements). C'est un exemple qu'on
peut s'efforcer de suivre...» Le président du conseil salua
les Pères Oblats, leur souhaita de nombreux succès et
leur promit son concours.
Mê' Gibney remercia le ministre, et exprima son estime
pour M. Forrest. Il raconta ensuite la genèse de cette
œuvre, Dans une autre occasion. Monseigneur avait dit
que le projet de ce réformatoire lui était venu à l'esprit
voici plus de trente ans^ en visitant le réformatoire de
Glencree. 11 avait admiré l'action des Pères et Frères
Oblats sur leurs élèves ou petits prisonniers, et il s'était
promis d'établir à Perth une institution semblable. Il
avait fallu trente ans pour réaliser cette pensée ; mais,
enfin, c'était maintenant chose faite. Il exprima de nou-
veau, devant le président du conseil et l'assistance d'élite
qui se pressait autour d'eux, son admiration pour l'œuvre
des Oblats. Il assura qu'il ne redoutait pas Ja création
— 97 —
d'une œuvre rivale et qu'il désirerait voir quelque con-
currence. Le public pourrait apprécier. Il renvoya les
éloges qu'on lui adressait à son clergé et à ses commu-
nautés. Quant à l'œuvre présente, il exprima son assu-
rance qu'elle rendrait service non seulement à l'Australie
occidentale, mais à l'Australie entière. {Bravos.) « L'un
de mes plus chers projets était d'attirer les Oblats ; main-
tenant, j'ai réussi. ^) {Applaudissements.)
Une souscription ouverte sur-le-champ recueillit 702 li-
vres sterling et 7 sh.
Divers toasts furent ensuite portés, dans un goûter
offert par les Pères. Les journaux protestants du pays
rendirent compte de la cérémonie. L'un d'eux commen-
çait ainsi : « L'ordre connu sous le nom de « Pères
Oblats » a coymnencé à émre une page d'histoire (hâve
started to make history) dans la colonie occidentale
d'Australie, et le beau monument inauguré par sir Jean
Forrest, le 22 novembre, demeurera comme un souvenir
durable de l'œuvre splendide inaugurée par eux. »
La même feuille rendait hommage à l'hospitalité des
missionnaires. « Personne, dans la vaste assistance, n'a
été oublié; chacun était traité comme invité spécial.
Dans un tel milieu, la froideur se fondit comme la gelée
aux rayons du soleil.»
Que ce soit le soleil de la prospérité pour une œuvre
de si grand intérêt !
- 98 -
III
AUX ÉTUDIANTS CANADIENS DE PARIS.
UNE ALLOCUTION DE S. GR. MONSEIGNEUR BRUCHESI,
ARCHEVÊQUE DE MONTRÉAL.
On lit dans l'Univers du 18 décembre 1897 :
L'élite de la colonie canadienne de Paris se réunissait,
hier jeudi, sur l'invitation de S.Gr. M^'' l'archevêque de
Montréal, dans la chapelle des Oblats de la rue de Saint-
Pétersbourg. A son arrivée en France, pour ce premier
voyage ad limina, le prélat n'avait pas reçu sans une
émotion profonde les hommages des étudiants cana-
diens. Il s'était promis de se retrouver avec cette jeu-
nesse, et l'avait invitée à une cérémonie religieuse que
devait suivre un lunch offert par Sa Grandeur.
M^' Bruchesi s'est donné hier cette joie paternelle. Il
a voulu célébrer lui-même la sainte messe. Après l'Evan-
gile, le pontife a pris la parole et adressé aux étudiants
une allocution sortie de son cœur. Il l'a fait en des
termes délicats et discrets, simples et affectueux, avec
une émotion contenue, mais qui éclatait par moments,
dans la voix de l'orateur, au souvenir de la patrie repré-
sentée par lui, archevêque, en face de cette jeunesse, et
à la pensée de l'avenir dont ces jeunes gens portaient
l'espérance, mais que pourraient assombrir les dangers
courus dans la grande ville.
Monseigneur s'est d'abord félicité de celte « petite
fête de famille » et il en a remercié les organisateurs.
On a répondu à son désir. Il se souvient avec joie du
jour oîi ces « jeunes gens h vinrent le saluer. « Je fus
touché. C'était la patrie que je revoyais ef qui me saluait
encore. »
— 99 —
Parlant de la chapelle où il officiait et oii l'avait attiré
la présence d'un ami et d'un apôtre du Canada, le
R. P. Antoine, Monseigneur ajouta :
« Je suis heureux de vous voir réunis dans cette petite
chapelle, que vous appelez la chapelle des Canadiens. Ici,
ils sont chez eux. Vous savez les liens qui nous unissent
aux Pères Oblats, auxquels notre pays doit tant. Dans
ce temple, vous trouverez toujours du cœur.
« J'ai voulu présider cette cérémonie à mon retour de
Rome d'oii j'arrive l'âme et les mains pleines de béné-
dictions pour là-bas et pour ici...
« Je représente aussi mon vénérable prédécesseur, le
parent et l'ami devons tous. Vous savez comme il a bien
servi son pays, et comme le pays le lui a rendu. Il fut
mon père, je voudrais être digne d'être appelé son fils.
Il me dit : Exemplum dedi vobis ut quemadmodum ego
feci ita et vos faciatis. Suivez mes exemples. Je vou-
drais les suivre, messieurs, et d'abord être bon comme
il le fut. Car il fut bon partout, et à sa mort le pays en-
tier a fait de lui le plus beau et le plus complet éloge en
disant : « Comme il a été bon ! »
« Il le fut pour tous, je le répète, mais surtout pour la
jeunesse. Je veux hériter de cette sollicitude et spécia-
lement pour vous, messieurs, qui vivez loin du pays.
« Autrefois, c'était un événement de faire le voyage
que vous avez fait ; aujourd'hui, le Canada est aux portes
de la France. Tous cependant n'ont pas l'avantage de
venir ici. C'est votre privilège à vous, messieurs.
« Je dis un privilège : vous vous trouvez au centre des
lumières, vous avez des maîtres célèbres dans les arts
et dans les sciences. Vous vous préparez ainsi à rendre
à votre pays les services qu'il altend de vous. Vous avez
pour cela des avantages que vous ne trouverez pas chez
nous. Quelle que soit notre bonne volonté, nous ne
— iOO —
pourrions pas vous fournir ce que vous rencontrez
dans cette capitale : les maîtres, les musées, les biblio-
thèques, et le mouvement intellectuel de Paris.
« Mais, à côté de ces avantages, il y a des dangers. On
peut être facilement entraîné par le plaisir, et vous savez
qu'à côté du bien, le mal ne craint pas de se montrer
sans honte. On peut venir très bon et s'en retourner tout
autre. Je ne dis pas que cela se soit vu, ni que cela se
voit, mais cela peut être. Pourquoi? Parce que vous
êtes hors de la surveillance paternelle et de la vigilance
maternelle. Vous êtes libres et indépendants. Personne,
si vous le voulez, ne verra ni ne saura ce que vous
faites.
« Moi, votre évêque, votre père et votre ami, je tiens
à vous signaler ce danger, et à vous dire ce que tous,
là-bas, nous attendons de vous. N'oubliez pas voire
pays. Comme on vous le disait au collège : vous n'êtes
ici qu'en passant, pour y apprendre à faire quelque
chose et à être quelqu'un. Sans doute, vous êtes à une
école illustre, mais à une école.
«Votre pays, ce pays si beau et si bon, compte sur
vos années d'études. Vous serez des hommes d'étude,
avides de vous instruire, avides d'apprendre, et vous
n'apprendrez jamais trop ; mais aussi vous nous revien-
drez plus croyants encore et plus fervents. Vous pren-
drez, pour devise, la devise de la ville de Québec : « Je
(( me souviens. » Vous vous souviendrez de votre pays.
Là-bas, on aime la maison de Dieu, on aime le prêtre,
on respecte le jour du Seigneur. Vous vous souviendrez
de votre mère, votre bonne mère. Elle vous suit partout.
Ce qu'elle demande par-dessus tout, ce n'est pas la santé,
ce n'est pas le succès ; ce qu'elle demande, je le sais,
c'est que vous restiez chrétiens, c'est que vous demeu-
riez fidèles aux leçons de votre enfance et de votre jeu-
— iOi ^
nesse. Oui, messieurs, ici comme là-bas, il est vrai que
vous êtes faits pour Dieu ; il est vrai que Jésus-Christ est
Notre-Seigneur ; il est vrai qu'il nous a donné une nour-
riture pour nos âmes. Votre âme mourra, si vous ne re-
cevez pas cette nourriture. Ce sont de grandes vérités
que l'on prêche dans les missions, qui émeuvent les
foules, mais dont il nous faut nous pénétrer dans le si-
lence et le recueillement. Il n'y a que cela qui vaille
quelque chose.
« Montalembert, à vingt ans, écrivait à un ami : « Nous
« avons juré de rester fermes dans le devoir et dans la
« vertu. Mais je sens que je suis faible. Dans le danger,
« je pense à toi, je me souviens de toi. »
« Ce mot, messieurs, dites-le de vos parents, de vos
frères, de vos sœurs. Souvenez-vous de vos familles,
souvenez-vous de vos amis, souvenez-vous des maîtres
de votre enfance, souvenez-vous de votre pays, et reve-
nez là-bas comme nous vous attendons, des hommes de
travail et de devoir, des hommes de science et des
hommes de foi. »
Telle fut, trop sommairement et trop sèchement ré-
sumée, cette parole épiscopale. Les étudiants canadiens
ne la feront pas mentir.
Après la cérémonie religieuse, la jeunesse canadienne
se rendait à i'hôlel Teraiinus, où Sa Grandeur l'invitait.
M^"" Bruchesi, abrégeant son voyage, quitte Paris ce
soir, pour s'embarquer au Havre par le paquebot de de-
main, samedi.
— 102 —
iV
FONDATION DE NOS OEUVRES DE BORDEAUX.
Cette relation date de 1889, et elle fut interrompue
par la mort. Nous l'avons retrouvée dans les papiers du
regretté P. de L'Hermite.
Ce fut à la suite d'une retraite pastorale, prôchée à
Bordeaux par le R. P. Vincens, en 1851, que fut conçu le
projet d'une fondation. Le clergé avait fort goûté la pa-
role apostolique du prédicateur ; sa manière simple et
son expérience l'avaient charmé, son zèle l'avait enthou-
siasmé.
Le révérend Père, qui ne laissait passer aucun moyen
de recommander les missions, avait insisté, dans ses
conférences sur ce moyen puissant de réveiller la foi
dans les populations. Il avait répondu aux objections les
plus répandues contre celte industrie du zèle; entre
autres à celle qui, regardant à l'inconstance des âmes
plus qu'aux merveilleux effets de la grâce et de leurs
résolutions, avance qu'il est inutile de tenter un si grand
effort pour des résultats problématiques et souvent de
peu de durée. « A'^ous dites que c'est un feu de paille,
répondait le prédicateur, mais il réchauffe ; la crainte
du travail ne serait-elle pas pour quelque chose dans
ces répugnances ? »
L'archevêque de Bordeaux, Me' Bonnet, aimait beau-
coup les missionnaires et les missions. Il connaissait
beaucoup notre vénéré Fondateur. Aussi désirait-il vive-
ment établir chez lui ses fils spirituels, les Oblats de
Marie Immaculée, et les adjoindre comme un anneau de
plus à cette chaîne de communautés de missionnaires
dont il entoura sa ville épiscopale.
•- 103 —
Des négociations furent donc entamées entre lui et
notre Fondateur. L'affaire fut menée rondement et il
fut décidé que trois Pères seraient envoyés dans le cou-
rant de l'automne pour former le premier groupe de la
nouvelle maison.
Les trois Pères désignés furent le R. P. Dassy, alors
supérieur de Nancy, leR. P. dePetro, missionnaire dans
la même maison, et le R. P. de L'Hermite, prêtre de-
puis six semaines. Les deux premiers arrivèrent, de Nancy
à Bordeaux, dans la dernière quinzaine d'octobre, et le
troisième arriva de Marseille la veille de la Toussaint, en
compagnie du Frère convers Picard, sur le passeport
duquel le R. P. Tempier avait fait écrire ces mots : pro-
fession de jardinier.
Le R. P. Dassy, supérieur delà nouvelle fondation, et
le R. P. DE Petro, furent admirablement reçus par l'ar-
chevêque de Bordeaux et par son entourage. L'intention
de M*5'' Donnet était de nous confier le beau sanctuaire
de Notre-Dame de Talence, à 3 kilomètres de Bordeaux;
mais de graves raisons ne permettaient pas qu'on dé-
plaçât de sitôt M. l'abbé Caros, constructeur de cette
gracieuse église. En attendant l'heure de la Providence,
les nouveaux arrivants furent installés à Saint-Delphin
du Pont de-la-Maye, à 6 kilomètres de Bordeaux, sur la
route de Toulouse, dans une maison bâtie pour servir
d'asile aux prêtres infirmes, mais abandonnée, dès le
début, par ses premiers locataires. La maison était con-
venable et suffisamment spacieuse pour notre pelit per-
sonnel ; un petit jardin avec une vigne, une vue mouve-
mentée sur la grande route et la proximité de l'église
relevaient sa solitude ; c'eût été insuffisant pour un dé-
finitif, mais c'était tout ce qu'il fallait pour un provi-
soire.
Dès l'arrivée, il fallut penser à se procurer un petit
— 104 --
mobilier et an pied-à-terre à Bordeaux, où devaient nous
appeler fréquemment les visites au clergé, les acquisi-
tions à faire, les voyages dans les sens divers du grand
diocèse, où nous devions donner des missions, et, aussi
parfois, quelque petit ministère en ville. Ici encore la
Providence nous vint en aide, et le R. P. Vlncens avait
préparé les voies. La communauté des Sœurs de Saint-
Joseph de la rue du Hâ, qui connaissait et aimait notre
vénéré Provincial, s'empressa de nous offrir ses services.
Nous pouvions faire halte quelques heures dans cette
communauté hospitalière, y dire la messe en passant,
nous y reposer de la fatigue après avoir fait toujours à
pied le chemin du Pont-de-la-Maye à Bordeaux, et at-
tendre là le départ d'une diligence ou l'heure de notre
embarquement à bord du bateau pour descendre la Gi-
ronde vers la Blaye et le Médoc, ou remonter la Garonne
vers Langon et autres pays du fond du département. La
reconnaissance nous fait un devoir de nommer cette
communauté, la première que nous connûmes en arri-
vant. Ce ne fut que plus tard, et, par des événements
providentiels que les relations spirituelles s'établirent
entre la Congrégation et l'Association de la Sainte-Fa-
mille, et nul lecteur de nos annales n'ignore l'histoire
des événements qui amenèrent cette affiliation.
Durant notre séjour à Saint-Delphin, saint Joseph
nous fut secourable de toutes manières ; j'en établirai les
preuves un peu plus loin. Aussi, quand la Mère Saint-
Joseph vint à mourir, en 1854, le P. de L'Hermite, alors
vicaire à Talence, où il restait le seul des trois premiers
arrivants, fut-il prié de prononcer l'oraison funèbre
de la défunte devant toutes les Sœurs dans la cha-
pelle de la rue du Hâ. Le R. P. Merlin, successeur du
R. P. Dassy, fut d'avis qu'on ne pouvait pas décliner
cette offre et que la jeunesse du prédicateur et son inex-
- 105 --
périence n'étaient pas des motifs suffisants pour se re-
fuser à payer la dette.
Nommons aussi les Messieurs de Saint-Sulpice parmi
les personnes qui nous firent bon accueil. C'est au grand
séminaire que nous descendîmes en arrivant. Nous y
fûmes reçus avec la cordialité simple et généreuse qui
distingue ces maîtres éducateurs delà jeunesse cléricale.
M. l'abbé Yidie, l'économe, s'employa surtout à nous
être utile ; plus tard, retiré à Nantes, sa ville natale,
l'une des joies les plus chères de sa vieillesse était de re-
cueillir des objets destinés aux missionnaires des pays
étrangers ; il n'oublia pas, dans la distribution de ses fa-
veurs, les Oblats, qu'il avait eu l'occasion de connaître
quelque vingt ans auparavant. M. l'abbé de Champ-
grand, professeur d'Ecriture sainte, oncle maternel du
R. P. de Bengy, jésuite fusillé par la commune en 1871,
partagea pour nous la bienveillance de M. Vidie; ce fut
lui qui fit don à notre bibliothèque du premier volume
un peu sérieux destiné à en garnir les rayons vides ; il
nous fit cadeau d'une très belle édition de la Somme de
saint Thomas.
L'archevêque de Bordeaux avait hâte de faire entrer
en campagne la petite escouade apostolique qu'il venait
de recruter. Le mois de novembre arriva, et, avec lui,
l'ouverture des missions. Le R. P. Dassy et le R. P. de
Petro, après quelques jours passés à Saint-Delphin, par-
tirent la veille de la Toussaint, le premier pour Saint-
Estèphe, grande paroisse du Médoc, dans le canton de
Pauillac; le second pour Vendays, également dans le
Médoc, mais plus dans la partie des Landes. Le P. de
L'Hermite arrivait le soir du même jour et trouvait porte
close à Saint-Delphin; un billet du Supérieur, qui lui fut
remis par M. l'abbé Lasserre, curé de la paroisse, lui in-
diquait sou programme : aller coucher au grand sémi-
~ 106 —
naire et partir de grand matin le jour des Morts pour re-
joindre, à .^aint-Estèphe, le P. Dassy. Ainsi fut-il fait.
Gela donna occasion an jeune Père d'assister au bel of-
fice pontifical de la Toussaint à la primatiale de Saint-
André. En sortant de la cérémonie, il se présenta, à la
sacristie, à l'archevêque, et lui remit une lettre que lui
avait confiée le R. P. Vincens. « C'est très bien, dit
M*'' Donnet, après en avoir pris connaissance, vous êtes
jeune, mais vous êtes un brave homme ; venez dîner à
l'archevêché avec mes grands vicaires et le supérieur
des Pères de la Miséricorde ; votre Supérieur est parti
hier pour Saint-Estèphe ; vous irez le rejoindre demain
matin et vous prendrez le bateau de 8 heures. J'irai,
dans cinq semaines, donner la confirmation et clôturer
les exercices. » C'était précis.
Le lendemain donc, le jeune Père arrivait à Sainl-
Estèphe à temps pour faire connaissance avec son nou-
veau Supérieur et avec le clergé de la paroisse avant
l'office des vêpres.
Le dernier numéro des annales a déjà cité la relation
complète de cette mission.
Pendant cette même période, le R. P. de Pétro évan-
gélisait seul avec succès la paroisse de Vendays (1). Ilful
étonné de voiries gens de la Lande venir de loin àl'église,
montés sur des échasses qu'ils laissaient à la porte et
qu'ils reprenaient à la sortie. Son œuvre fut bénie comme
la nôtre, et nous rentrâmes au Pont-de-la-Maye, très
encouragés par ces heureux débuts, où la grâce de Dieu
(1) Le P. DE Peiro était un artiste. Sa nature ilalieuiie et sou ima-
gination ardente dramatisaient tout. Sa voix merveilleuse, qu'il ma-
niait avec une grande souplesse, interprétait tous les sentiments de
l'âme ; et les chœurs qu'il formait avaient un succès immense. Aussi
venait-on rtutcndre de partout. La iierfectiun du musicien taisait
oublier les lacunes de l'oràtenr.
— 107 —
avait tout préparé pour nous faire aimer notre nouveau
ministère. Mais notre repos ne fut qu'une halle.
A peine avions-nous eu le temps de faire connaissance
avec notre petite maison de Saint-Delphin, qu'il nous
fallut repartir. L'archevêque de Bordeaux vint nous cher-
cher et nous indiquer les diverses missions qu'il désirait
nous confier. Le R. P. Dassy partit pour Saint-Pierre-
de-Mons, tout près deLangon; le P. de Pétro fui envoyé
à Soussans, dans le Médoc. Le P. de L'Hermite devait
garder la maison daprès le plan du Supérieur, mais
Ms'Donnetne l'entendait pas ainsi. «En temps de jubilé,
dit-il, j'ai besoin de tout mon monde », et le jeune Père
partit pour Labarde, petite paroisse du Médoc,-'où il
trouve un curé cloué sur sa chaise par des rhumatismes.
Il resta là seul jusqu'à Noël, c'est-à-dire quinze jours,
glanant quelques âmes et faisant le service paroissial ;
après quoi il rejoignit son Supérieur à la mission de
Saint-Pierre-de-Mons pour recueillir avec lui les derniers
fruits de cette mission. Cette seconde campagne fut
cependant moins brillante que la première; les popula-
tions étaient à d'autres soucis, et les grandes élections
de décembre 1852 préoccupaient tous les esprits.
Nous étions à peine arrivés depuis deux mois, et déjà
nous avions fait cinq missions. Janvier nous rappela à la
maison , oh nous pûmes goûter la vie commune et
prendre un peu de repos durant quelques semaines.
Et le F. Picard, que devenait-il, dira-t-on, durant ces
absences. Il nous faut ici ouvrir une parenthèse en fa-
veur de ce loyal serviteur de la Congrégation. Le Supé-
rieur pensait que le bon Frère ne pouvait demeurer seul
dans le village du Ponl-de-la-Maye, où, à partie curé,
nous ne connaissions pas âme qui vive. L'épreuve eût été
trop grande pour le bon Frère au milieu d'une popula-
tion indifférente et tout occupée de noces et festins. On
— 108 —
le laissa donc, sur la demande, du reste, de la Supérieure,
à Saint-Joseph. Et non seulement il passa là le temps
consacré par les Pères à leurs premières missions, mais
jusqu'à notre installation à Talence, c'est-à-dire durant
une période de seize mois, il en fut toujours de même.
A Saint-Joseph, rue du Hâ, le F. Picard s'ennuya peut-
être, mais il ne fut pas désœuvré. Son caractère éner-
gique savait se plier à toutes les circonstances, et sa
nature active savait trouver du travail partout. Essuyant
une larme au départ de ses Pères, car sous une écorce
rude, il cachait un cœur sensible, il se créa sans retard
des occupations. Et s'il eût été, ce qui ne pouvait être,
embarrassé sur le choix, les indications delà Supérieure
ne l'eussent pas laissé longtemps incertain de sa voie. Jar-
dinier, ainsi que le portait son passeport, casseur de bois,
porteur de fardeaux, commissionnaire pour les courses
fatigantes, le F. Picard se fit à tous les métiers. Que de
services appréciés il sut rendre ! Sa force, son intrépidité,
ne reculaient devant rien. Et, avec cela, régulier comme
un novice, discret et silencieux, restant dans son dépar-
tement et traversant les jardins et les couloirs sans ja-
mais enfreindre le silence avec qui que ce soit, le F. Pi-
card fut l'édification de la communauté. Sa piété édifiait,
sa bonne tenue était une prédication, son dévouement
ravissait tout le monde. Sur un désir de la Supérieure,
il quittait un gros travail pour faire une course en ville
ou bien pour servir une messe. 11 était, en effet, enfant
de chœur, et servait la messe, comme il était manœuvre
et ouvrier. 11 aimait à rappeler dans ses vieux jours, qu'à
une fête de Noël à la rue du Hâ,il avait servi neuf messes
de suite. Comme une simple religieuse de la commu-
nauté, il venait chercher son image du saint du mois, et
ne négligeait rien de ce qui pouvait édifier. L'aumônier
delà communauté, M. le chanoine Taillefer, l'avait en
— 109 —
grande estime et lui portait une affection toute pater-
nelle. C'était près de lui que le bon F. Picard allait
prendre ses conseils en l'absence de ses Pères ; à lui qu'il
confiait ses peines, ses ennuis ; respectueux pour le
prêtre, confiant en sa direction, Picard abritait sa jeunesse
sous l'autorité de l'étole, et avec cela, en vrai religieux,
il communiquait fréquemment avec son Supérieur et lui
écrivait des lettres qui, si elles ne brillaient pas par l'or-
thographe, étaient du moins un modèle de déférence et de
filiale affection. C'était la joie du Supérieur de recevoir,
durant les missions, ces lettres dans lesquelles son humble
subordonné lui rendait compte de tout ce qui concernait
sa conduite. Ce fut pour le bon Frère un grand mérite
d'avoir passé inoffenso pede sur la terre étrangère, dans
une situation délicate où il ne laissa que des souvenirs
qui honorent sa mémoire et révèlent sa bonne trempe
religieuse.
Mais aussi quel bonheur pour lui de revoir ses bons
Pères ? Quand, entre deux haltes apostoliques, ils séjour-
naient quelque temps h Saint-Delphin, le bon Picard
revenait prendre sa place au foyer, c'était pourlui comme
une fête, on eût dit un écolier rentrant en vacances. La
campagne lui convenait mieux que la ville, et il préfé-
rait la communauté au couvent. Alors, tout entier à son
jardin, à sa petite vigne, véritable vigne de Naboth, à sa
cuisine, qu'il remuait de fond en comble, sans réussir à
en faire sortir des dîners bien appétissants, il nous ren-
dait les plus précieux services, et son activité suffisait à
tout. Sans cesse sur la route de Bordeaux pour les com-
missions, il franchissait toujours à pied ses 6 kilomè-
tres pour revenir alerte et joyeux, bien que toujours
chargé d'objets de toutes sortes. Il revenait ainsi, le dos
courbé sous une armoire, quand un brave homme, tout
ébahi de l'ardeur avec laquelle il marchait sous une si
— 410 —
lourde charge, se planta devant lui, et, se croisant les
bras, lui dit : « Jeune homme, de quel pays êtes-vous? —
Du Dauphiné, répond bravement Picard. — Du Dauphiné 1
Eh bien, je m'en doutais; nous sommes compatriotes.
En vous voyant si fort et si courageux, je me suis dit :
il n'y a que des gens de mon pays pour faire de pareils
tours de force. » Le Frère parut très flatté du com-
pliment.
Avec les gens du Pont-de-la-Maye, il était honnête,
mais discret comme une porte de prison ; il ne causait
qu'avec M. le curé, avec son sacristain, avec un bon
vieux qu'il rencontrait à la haie séparant les deux pro-
priétés.
Le mois de janvier tout entier se passa à Saint-Del-
phin. Nous en profitâmes pour faire visite, à Bordeaux,
aux diverses communautés de religieux établis avant
nous dans le diocèse, et pour nous mettre à l'étude et au
travail de cabinet, en vue d'être prêts pour de nouveaux
travaux.
Vers la fin du mois, le P. de L'Hermite, qui ne devait
pas prendre part aux travaux du carême, fut envoyé,
par l'archevêque de Bordeaux, à Saint-Giers-la-Lande,
chef-lieu de canton de l'arrondissement deBlaye.Il avait
pour mission de remplacer le curé appelé à Livourne
pour affaires de famille. Pendant trois semaines, il fît,
dans cette grande paroisse, l'apprentissage du ministère
paroissial : prônes, catéchismes, visites des malades et le
reste; mais il eût préféré n'être que simple vicaire. Or, il
n'y avait pas là de vicaire à cette époque. Retiré au pres-
bytère ou bien occupé à son ministère, il employait ses
journées au travail, regrettant de n'avoir personne près
de lui pour le guider dans ces débuts ; c'était un novi-
ciat sans maître des novices. L'heure des repas venue, il
se trouvait en face du gardien de la maison, un vieux
— m —
marin, frère du curé, qui lui racontait des histoires, et
disait : « M. le curé fait comme cela dans telle circon-
stance. » Avec ce brave homme, le jeune suppléant du
curé visitait les villages oti il était appelé près des ma-
lades, et le bon marin lui donnait les indications sur les
usages locaux.
Le carême devait nous séparer de nouveau. Le
R. P. Dassy, supérieur, bien que préférant les missions
à tout autre genre d'apostolat, crut ne pouvoir pas re-
fuser le carême de Libourne qui lui était demandé par
M. Tabbé Chabannes, archiprêtre. Libourne est la seconde
ville du diocèse; le Supérieur tenait à connaître ces
quartiers où il pouvait se mettre en relations avec une
partie du clergé et recevoir des demandes de missions.
Ce carême eut le succès relatif de tout carême ; rien
d'extraordinaire comme résultats, mais des consolations
sérieuses mêlées de tous les desiderata que peut faire
naître dans l'âme d'un missionnaire l'absence de l'église
d'un grand nombre d'indifférents. Mais le clergé s'attacha
à notre Congrégation. Le curé et ses quatre vicaires vin-
rent, durant l'été , nous faire une visite solennelle à
Saint-Deiphin, et passer avec nous une journée encore.
Ce fut le commencement des relations nouées entre notre
Congrégation et Libourne, où plusieurs de nos Pères
parurent successivement.
Le P. DE l-ÉTRo partit pour Landras, et là, il put se
livrer à tout son enthousiasme pendant plusieurs se-
maines, et revoir avec un plaisir qu'il ne dissimulait
pas les braves gens de la Lande et leurs grandes
échasses.
Le P. DE L'Hermite garda la maison avec le F. Picard.
Cependant, il ne lut pas absolument sevré de toute occu-
pation de zèle; sur la demande du cardinal Donnet,
qui venait d'être revêtu de la pourpre, il fut chargé,
— 112 —
au moins pour le dimanche, de la petite paroisse de
Saint-Médard-d'Eyrans, située à deux lieues du Pont-
de-la-Maye, et non loin de Martillac, charmant séjour
qu'il ne devait connaître que plus tard. L'archevêque
venait d'appeler à un autre poste M. l'abbé Julke, curé
de Saint-Médard, et ne pouvait le remplacer immédia-
tement. Ce service, qui ne devait durer que pendant le
carême, se prolongea jusqu'à la Toussaint, c'est-à-dire
jusqu'à la réouverture des missions. Tantôt par Tomni-
bus delà Brède, qui le déposait à un bon kilomètre de
l'église, tantôt à pied ou par quelque occasion inatten-
due, le P. DE L'Hermite faisait le voyage, et arrivait à
Saint-Médard pour la grand'messe. Le prône, le caté-
chisme, le chant des vêpres, quelquefois une petite
instruction supplémentaire, quelques confessions et la
visite de quelques familles du village occupaient la jour-
née. Pendant le temps pascal, les visites en semaine
furent nécessaires, et quelquefois même, il fallait cou-
cher à Saint-Médard. Cette petite paroisse n'a laissé que
de bons souvenirs dans la mémoire de son curé transi-
toire. Les gens étaient bons, et il y avait sur son terri-
toire des familles bien chrétiennes, entre autres l'hono-
rable famille de Sèze, héritière du nom du défenseur de
Louis XVI, et une Lyonnaise, M"^ de la Rochetière,
personne âgée et vénérable qui, venant de Lyon prendre
ses vacances dans une propriété à Saint-Médard, ame-
nait avec elle un vieux chanoine de Lyon, secrétaire
général de l'archevêché de Lyon, et prévenant au pos-
sible.
A Saint-Delphin, tout était bien calme, Le P. de L'Her-
mite était à sa cellule ou sur la route de Saint-Médard,
le F. Picard, à son jardin. On ne se voyait qu'à l'oraison
du matin et à l'heure des repas. C'était une solitude
complète. Cette monotonie ne fut variée que par une
— 113 —
maladie du jeune Père. Les soins du F. Picard étaient
dévoués, mais cela n'eût pas suffi. Il fallait couper court
à toute aggravation. La supérieure de Saint-Joseph
vint un jour se renseigner elle-même sur l'état des gar-
diens de Sainl-Delphin, et bientôt le supérieur était
prévenu. Un ordre arrivé de Libourne envoyait le P. de
L'Hermite et le F. Picard à Bordeaux, rue du Hâ. On s'y
soigna et l'on s'y guérit en moins d'une semaine, et le
service de Saint-Médard ne souffrit pas d'interruption.
Pendant la semaine sainte, les voyages à cette pa-
roisse furent plus fréquents, le F. Picard resta seul à
Saint-Delphin et profita de sa liberté pour se livrer avec
acharnement au travail, et aussi, peut-être avec trop
peu de modération, à la pénitence. L'histoire rapporte
que ce bon Frère, pour ne pas perdre de temps à pré-
parer sa cuisine, s'était composé une sorte de gratin
de châtaignes, plus ou moins ragoûtant, lequel devait
suffire à son alimentation durant huit jours. Ce fut de
là qu'il tira durant la semaine sainte, coupant pour
chaque repas une tranche dans ce bloc refroidi et sans
saveur, et ainsi atteignit la fête de Pâques. Les soli-
taires du désert n'étaient pas plus mortifiés.
Enfin, nos missionnaires rentrèrent, on se revit, on
put vivre de la vie de communauté et oublier les ennuis
d'une longue séparation. Le printemps et l'été s'écou-
lèrent sans incidents. Le R. P. Dassy mit ses Pères au
travail de cellule ; travailleur et dur à lui-même, sévère
pour son jeune monde, il lui rendit au moins le service
de le maintenir à la tâche, si peu attrayante qu'elle pût
paraître. En effet, sans bibliothèque, sans livres à con-
sulter, les recherches et l'emmagasinement des idées
dans la tête devinrent des opérations bien plus longues
et plus pénibles. On ne se découragea pourtant pas, et
la pensée des missions auxquelles on avait pris goût,
T. XXNVI. 8
- \\\ —
faisait qu'on préparait son petit bagage d'instructions
avec moins de peine.
Le Supérieur ne perdait pas de vue notre futur exode
vers Talence. Talence était la terre promise ; tous les
regards se portaient de ce côté, pleins d'espérance et de
désir; mais l'heure n'était pas encore venue de prendre
possession de cet héritage. Les antichambres de l'arche-
vêché voyaient fréquemment le R. P. Dassy ; si le car-
dinal Donnet eût pu oublier — ce qui n'était pas — le
projet de nous installera Talence, notre Supérieur se
fût chargé de lui rappeler sa promesse. Son Eminence
ne demandait pas mieux que de hâter le moment de
l'exécution, mais elle n'était pas complètement libre, et
elle ne voulait déplacer M. l'abbé Garros que pour
lui donner un poste convenable qu'il pût accepter sans
trop de peine. On conçoit qu'il fût pénible à ce prêtre
vénérable de dire adieu à une jolie église bâtie sous ses
yeux et qui commençait à devenir un lieu de pèlerinage
cher aux Bordelais. Le cardinal congédiait donc le
P. Dassy en lui disant : « Cela viendra, j'j' pense» ; et
pour le consoler du retard, il remettait entre ses mains
une foule de livres nouveaux qu'on lui offrait en
hommage. Le Supérieur rentrait le soir chargé de
cette moisson ; mais généralement, c'étaient des livres
sans valeur, des brochures, des recueils plus ou moins
intelligents de mille choses ; et la jeunesse ne trouvait
guère à butiner dans ces productions.
Quelques petits sermons çà et là, quelque ministère
passager, variaient à peine l'uniformité de notre vie.
Les Sœurs de Marie-Joseph du Dorât demandèrent un
confesseur pour le refuge du Tondu ; le P. de L'Hermite
fut désigné pour ce travail, qui revenait tous les quinze
jours. Ce furent là les commencements d'une aumônerie
complète. Plus tard, les Sœurs de Marie-Joseph flrent
— 115 —
bâiir, sur la paroisse de Talence, une maison plus spa-
cieuse et plus commode que celle du Tondu, et notre
communauté fut chargée de la direction spirituelle de
l'œuvre.
Nos jours s'écoulèrent ainsi dans la solitude de Saint-
Delphin, sans grande variété. Quelquefois, le jeudi, nous
allions en promenade à la campagne 4u petit séminaire,
et nous étions toujours accueillis avec la meilleure grâce
du monde par les professeurs. M. Ijacombe, supérieur,
MM. Laprie et ..., professeurs, étaient toujours d'une
grande bienveillance pour nous. Quelquefois même,
nous poussions jusqu'à la campagne du grapd sérpi-
nfiirp où les Messieurs de Saint-Sulpice et, entre autres,
MM. Vidie et de Ghampgrand, nous recevaient comme
des frères.
Au commemcernpnt du mpis d'août, notre petite com-
munauté vit son personnel s'augmenter par Tadjonp-
tion d'un membre longtemps désiré et qui fut bien
accueilli, le R. P. Delpeuch, arrivant (Je Marseille oti il
avait fait ses débuts sous les yeux de notre vénéré Fon-
dateur. Soij arrivée fut une joie ppur nous et pour lui ;
elle inaugura comme une ère nouvelle dans la commu-
nauté. Les exercices, le travail, les promenades en com-
mun se sentaient un peu plus de ce bien-être spirituel
et de cette joie de l'âme qui viennent du nombre. Et
puis, la pensée que, pour les missions, nous pourrions
former deux groupes complets, nous souriait comme
beaucoup plus conforme à l'esprit de la Règle. On se mit
au travail avec plus d'ardeur, en attendant l'hiver. Le
F. Picard s'occupait du temporel. Son art culinaire
n'était pas grand, et la table était frugale. Les lectures
au réfectoire faites par le bon Frère ne manquaient pas
de pittoresque ; mais les récréations étaient animées et
joyeuses, et la régularité 4ans toute sa ferveur.
— 116 —
Un jour pourtant, nous eûmes l'occasion de sortir de
cette quiétude. Un ordre du cardinal convoquait tout le
clergé à se trouver à la cathédrale pour la réception du
prince Louis-Napoléon, qui daigna y assisLer au salut
du Saint-Sacrement, à son arrivée à Bordeaux. Nous
nous y rendîmes donc, les uns de bien bon cœur, les
autres avec moins d'enthousiasme. Ce fut une splen-
dide cérémonie. Le cardinal, dans son discours au
prince, ne manqua pas de parler du repos du dimanche
et de la cessation du travail de l'État le jour du Sei-
gneur. Le lendemain, le prince disait à Bordeaux :
« L'empire, c'est la paix ! « Hélas! qu'avons-nous vu
depuis? Quelques mois auparavant, le P. de L'Hermite
avait assisté, au nom des Pères absents, à la réception
qui fut faite au cardinal Donnet à son relourde Paris,
011 il venait de recevoir la barrette. L'entrée en ville, la
procession jusqu'à la primatiale, furent merveilleuses.
Entre les fêtes profanes et les fêtes religieuses, on ne
peut hésiter. Dans les premières, la pompe déployée
peut être plus grande; dans les secondes, le cœur et
l'âme éprouvent de bien plus intenses et plus durables
émotions. A ce point de vue, la réception du prince de
l'Église l'emporta sur la réception du prince chef de
l'État.
Dans la dernière quinzaine d'octobre, la petite com-
manaulé fit sa retraite annuelle. Le Supérieur en fut le
prédicateur; les PP. de Pétro, de LHermite, Delpeuch
et le F. ï'iCARD, occupaient chacun un angle de la cham-
bre qui servait d'oratoire. Ce n'était pas imposant, mais
c'était édifiant, Toute la série habituelle des exercices
fut parcourue ; on garda même le silence en récréation;
il ne fut interrompu un seul jour que pour la réception
du cardinal, qui vint à l'improviste nous faire une petite
visite et nous demander la liste de nos missions. Tout
^ 117 —
réconfortés par ces huit jours de récollection, frais et
dispos, nous aspirions à l'heure du combat. Cette heure
arriva enfin.
Le service de Saint-Médard, supprimé définitivement
par l'arrivée d'un curé après huit mois d'intérim, celui
du Refuge du Tondu interrompu pour quelque temps,
nous partîmes tous les quatre dès la veille de la Tous-
saint : les PP. Dassy et de L'Hermite pour Gauriac, dans
le Blayais; les PP. de Péïro et Delpeuch, pour Saint-
Christoly, du Médoc.
Gauriac, adossé à un coteau que domine la Gironde,
est un pays habité par des constructeurs de navires et
par des marins en retraite ; on y comptait alors pas mal
de capitaines au long cours. L'exactitude de l'histoire
doit nous faire reconnaître que cette mission ne réussit
pas, du moins en ce qui concernait les hommes. La po-
pulation, occupée à d'autres soucis, resta à peu près in-
différente. La confirmation, qui devait avoir lieu, ayant
été remise par force majeure, ce fut un moyen d'action
qui nous était enlevé. 11 y eut, parmi les femmes, un
ébranlement religieux, mais ce fut à peu près tout. Ce-
pendant, le P. Dassy ne se découragea pas. Il ne retran-
cha rien de la méthode ordinaire des missions, et l'audi-
toire assidu qui remplissait la petite église fut instruit
et reçut les fruits des exercices. Le jour du départ, un
brave homme, voulant féliciter le Supérieur sur la ma-
nière dont il avait exposé les vérités chrétiennes, lui dit
à la sacristie : « Mon Père, vous nous avez tout montré
depuis Adam jusqu'à la mort ! »
Comparée à la mission de Saint- Estèphe^ la mission
de Gauriac nous parut bien terne ; nous partîmes ce-
pendant, après un mois de séjour, avec la conviction
que, même dans les missions que ne couronne pas l'éclat
du succès, il se fait toujours un bien véritable.
— 118 —
A Saiht-Christoiy, les PP. de Pétro et Delpeuch fu-
rent plus heureux. La population répondit à leur zèle
ardent. Sur la rive gauche de la Gironde, ils moisson-
nèrent avec joie, tandis que iloiis, siir la rive droite, nous
semions dans les larmes.
Mais le mois de décembre devait guérir les blessures
du mois précédent et rémunérer amplement les travaux
des missionnaires. Deux grandes tnîssions furent ou-
vertes avec l'avent et se poursuivirent jusqu'à Noël. Les
PP. Dassy et DE L'Hermite firent la mission de Grignols
et les PP. DE Pétro et Delpeuch celle de Saint-Denis-
de-Piles.
Grignols est un canton de l'arrondissement de Bazas.
La population avait conservé des habitudes de foi, mais
son pasteur âgé et un peu impotent avait dû forcément
négliger le soin du troupeau, et le zèle d'un jeune vicaire
ne suffisait pas à le réveiller du sommeil. Une rénova-
tion générale était donc nécessaire. On se mit à l'œuvre
avec ardeur ; les visites à domicile dans toute la paroisse
ilolis amenèrent des auditeurs; iin excellent chœur de
Cantiques acheva de les gagner, et surtout l'attrait de la
nouveauté. Ce fut une belle mîssiôii. Après quelques
jours d'hésitation, le branle fut donné et le mouvement
imprimé ne subit aucun arrêt. Comme à Saint-Estèphe,
on épuisa la série des exercices prévus par la Règle, et
deux communions générales nous consolèrent ample-
ment de iiotre échec de Gauriac. Des mariages civils
réhabilités, des premières communions tardives faites
avec piété et à la suite de sérieuses préparations. A une
œuvre si bien menée, il fallait uii couronnement. La
plantation d'une belle croix à l'extrémité d'un faubourg
de la petite ville devait conserver le souvenir de la mis-
sion. Par un beau soleil d'hiver, une procession parfaite-
ment organisée sortit de l'église, traversa les rues de
— 419 —
Grignols et la cérémonie delà plantation de la croix eut
lieu suivant le progiamme admis dans la Congrégation.
Le P. Dassy céda à son jeune confrère l'honneur de célé-
brer en plein air le triomphe de la croix. De retour à
l'église, il donna lui-même comme la péroraison de
cette station apostolique par un ardent discours d'adieu
à la population. L'enthousiasme était universel, et ceux
mêmes qui n'avaient pas répondu à l'appel de Dieu ne
pouvaient se défendre de partager l'émotion commune.
Un autre résultat des plus heureux devait naître de
cette belle mission; je veux dire l'estime et Tintérêt
d'une noble famille gagnés à cette mission. M. le comte
Léonide de Sabran-Pontevès et M"* la comtesse de Sa-
bran-Pontevès (née de Pons) élaienlles propriétaires du
beau château de Grignols. Les Pontevès sont originaires
de Provence, où leur famille compte parmi les plus an-
ciennes et les mieux posées du pays. Le R. P. Dassy,
Marseillais de naissance, fut donc bien accueilli au châ-
teau. M™^ la comtesse, seule en ce moment avec ses
enfants et sa vénérable mère, se donna un grand mou-
vement pour le succès de la mission. Non contente d'as-
sister à tous les exercices, d'y envoyer ses nombreux
serviteurs et fermiers, elle visitait les maisons du bourg
pour y découvrir les retardataires et leur parler avec l'au-
torité que lui donnaient sa position et ses exemples. Elle
s'intéressait beaucoup à la plantation de la croix ; elle
amena au Supérieur une jeune protestante étrangère au
pays, et, après avoir veillé à son instruction elle-même,
voulut être la marraine au baptême qui se fit avec une
grande solennité. De ce jour naquirent entre le château
de Grignols et la communauté des Oblats les relations
les meilleures. Nous dirons tout à l'heure comment les
Sabran-Pontevès devaient être comptés au nombre des
bienfaiteurs deTalence, La mort prématurée de M"^ la
^ 120 —
comtesse offrit au P. Merlix, successeur du P. Dassy,
roccasion de donner, en notre nom, un témoignage de
reconnaissance à sa famille si éprouvée. Aussi voulut-il,
quelques jours après cet événement, s'arracher à son
ministère de Talence, et, malgré sa fatigue, aller, ac-
compagné du P. DE L'Hermite, jusqu'à l'extrémité du
diocèse, porter ses condoléances à M. le comte de Sa-
bran-Pontevès et aux siens.
Pendant que se donnait la mission de Grignols, les
PP. DE Pétro et Delpeuch travaillaient sur un terrain
plus dur, à Saint-Denis-de-Piles, près de Libourne. Mais
leurs efforts et leur activité ne furent pas stériles. Le
P. Delpeuch, en particulier, soutint le principal effort du
combat, son confrère ayant été indisposé durant la mis-
sion, et des conversions des plus consolantes vinrent
rémunérer son zèle. Là encore, une noble famille se ren-
contra, qui prit en affection notre communauté : la fa-
mille de Grailly.
Le mois de janviervit les missionnaires rentrer à Saint-
Delpbin ; le bon F. Picard vint nous y rejoindre, et, de
nouveau, nous goûtâmes le bonheur de la vie commune.
Ce devait être notre dernière réunion sous un toit pro-
visoire. La question de Talence, menée avec activité par
le R. P. Dassy, allait enfin avoir sa solution. Le cardinal
offrait à M. le curé de Talence le poste de Langon, un
des premiers du diocèse, et nous devions nous tenir
prêts à prendre la succession sans laisser s'établir un in-
térim. Mais, outre la succession du service paroissial,
devait aussi nous revenir la succession des dettes de
l'église. La première était facile à accepter, la seconde
était bien de mesure à inspirer quelques craintes à une
communauté encore à peu près inconnue et sans racines
dans le diocèse. Un nous disait : « Vous pouvez aller
à Talence, mais il faut vous charger d'une dette do
— 121 —
18000 francs, dette qui pèse sur la fabrique pour la con-
struction de l'église. » C'était un remboursementà opérer
à des personnes qui avaient avancé des fonds pour la
construire. Le cardinal était pressant et l'occasion uni-
que : c'était à prendre ou à laisser. Notre Fondateur,
consulté par le Supérieur, répondit : « Il faut prendre
la balle au bond. » L'œuvre de Talence, en effet, sem-
blait si bien indiquée pour nous, comme la suite l'a bien
prouvé, qu'il n'y avait pas à hésiter.
Ce fut alors que nous eûmes lieu de remercier la Pro-
vidence de nous avoir fait connaître quelques personnes
bienveillantes, disposées, en cas de besoin, à nous venir
en aide. La bonne comtesse de Sabran-Pontevès, à qui
le P. Dassy en avait écrit, déclara, en son nom et au nom
de son mari, qu'elle mettait une somme de 10000 francs,
remboursable sans intérêts, à notre disposition. M. l'abbé
de Champgrand avança 5 000 francs dans les mêmes con-
ditions, et un Père de la Congrégation compléta ce qui
restait à trouver de la somme. Grâce à ces appoints ve-
nus si opportunément, le P. Dassy, fort de l'assentiment
du Fondateur, répondit au cardinal que les Oblats accep-
taient le poste de confiance qu'il nous faisait l'honneur
de nous confier.
Le P. Dassy prit ses mesures pour arriver à Talence
au premier appel, aussi n'accepta-t-il pas pour lui de
mission nouvelle. Le R. P. Vincens voulut bien venir de
Marseille pour prendre à sa place la direction de l'im-
portante mission de Cadillac. Le R. P. de Pétro lui fut
adjoint comme auxiliaire. La mission se poursuivit pen-
dant une grande partie du carême, avec des alterna-
tives diverses. Le résultat d'ensemble ne fut pas com-
plet ; mais un mouvement religieux fut imprimé et un
grand bien fut fait. La parole si lumineuse et si aposto-
lique du R. P. Vincens porta des fruits. Pendant qu'il
— 122 —
iflstfuisait les paroissiens de Cadillac, le R. P.dePêtro
les charmait pnr ses chœurs de chant, et, en résunaé, les
exercices furent une bénédiction pour le pays.
Un peu avant la mission de Cadillac et dès le com-
mencement de février, les PP. Delpeuch e! deL'Hermite
avaient ouvert une mission à Saint-Fermé, canton de
Pellegrue...
Nous avons aussi parlé de cette mission dans le der-
nier numéro, ainsi que de celle qui suivit, prêchée à
Saint-Christoly.
Quand il fallut retourner à la maison, ce ne fiitplus
le chemin de Pont-de-la-Maye que prirent les PP. Del-
PEUcn et DE L'Hermite, mais le chemin de Talence. Dans
l'intervalle, le R. P. Dassy avait pris possession, au nom
de la Congrégation, de la paroisse et du sanctuaire de
Talence, et il exerçait déjà la fonction de curé. Il avait
près de lui, pour l'initier durant les premiers jours,
le P. de Pétro, le P. Séjalon et le curé de Saint-Pierre-
du-Mont qui était venu nous rejoindre comme postulant,
mais qui, après quelques mois d'essai et ttiême de novi-
ciat, reprit du service dans le diocèse. M. l'abbé Rousset
était un bon prêtre, qui nous rendit des services à un
moment où notre personnel était insuifi-^ant. C'était au
temps de Pâques ; les débuts à Talence lurent dor-c la-
borieux. Il fallait se mettre au courant de tout, faire
connaissance avtc tous : sacristaius, conseil de fabrique,
paroissiens, administration civile, etc. L'activité du
P. Dassy avait un vaste chatnp. Mais il ne devait rester
à ce nouveau poste que pour ménager la transition
entre le départ du curé séculier et l'arrivée du R. P. Mer-
lin, c'est-à-dire une durée de trois mois. Le mois de
Marie, si bien célébré au sanctuaire de Talence, offrit
aux Oblais, à peine installés, l'occasion d'un travail sans
interruplioU, et aussi l'occasion de se mettre au courant
— 123 —
du pèlerinage. On sait de quel éclat est accompagnée au-
jourd'hui là célébration du mois de MaHd à Talence, oh
tontes les communautés, œuvres et même paroisses de
Bordeaux et des environs se succèdent chaque jour
dans une série dé pèlerinages qui animent le sanctuaire
et honorent la Vierge des Douleurs qui y règhè.
Les Pères restaient toUs à Talence, second&nt leur
Supérieur pour la réceptioh des pèlerinages et pdUr lô
travail de la paroisse. Ce fut utïe entrée en possession
oîi chacun trouvait poilr son zèle un foyer d'activité.
Nos Pères débutèrent à 'Talence a l'époque de l'année
la plus favorable pour s'iniiier à la vie du sanctuaire et
des œuvres paroissiales^, mais aussi dans des conditions
qui devaient ajouter ;1 leurs préoccupiitions et à leur
fatigue. L'œuvre de Talence les mettant dès lors en rela-
tion avec Bordeaux, avec son clergé, ses communautés,
ses œuvres. Ce n'était pas chose de peu d'importance ;
et l'agitation qui se produisait autour d'eux contrastait
singulièrement avec la paix et le silence de leur solitude
de Saint-Delphin.
Le P. DE L'HEfiMiTE ne partagea pas les premiers tra-
vaux de nos Pères, h Talence; il fut appelé à Marseille
pat* notre vénéré Fondateur pour y prêcher, tous les
jours, l'exercice du mois de Marie, à la paroisse de la
Trinité. C'était un travail redoutable pour un jeune
prêtre; il fallut composer son instruction, tant bien que
mal, dans la matinée, et la débiter le soir en présence
d'un auditoire bien fait pour intimider un débutant.
Aussi, quand tout fut fini, le P. Ce L'HerMiïe revint,
tout heureux, reprendre sa place de simple missionnaire
aU foyer récemment ouvert de Talence.
Le R. P. Dâssy, appelé à la supériot-ité de la maison
du Calvaire, partit de Talence le lendemain du retour, à
la communauté) du P. de L'Hermite.
— 124 —
Le Talence de 1889 ne ressemble point au Talence
de 1833, Si, topographiquement, le pays est resté ce qu'il
était, son aspect n'est plus le même. Là oh, autrefois,
on voyait des bosquets et des avenues gracieuses con-
duisant à la charmante église, on voit aujourd'hui des
maisons échelonnées sur une route couvertedepoussière.
Les petits restaurants, les maisons pour noces et festins,
les magasins de mercerie, ont pris la place de la ver-
dure ; et Bordeaux, allongeant ses grands bras, est venu
saisir cette oasis qu'il a rattachée à ses faubourgs. C'est
moins gracieux qu'autrefois. La population, qui comp-
tait 1500 âmes en hiver, et 3 000 en été, a plus que
triplé, et l'on peut regretter l'époque où seuls les cha-
lets et les coquettes maisons de villégiature se cachaient
dans les bosquets oiî l'on arrivait par de petits chemins
sinueux et bordés de fleurs. En 1853, les prêtres pou-
vaient connaître leurs paroissiens nommatim, tant ceux
du sol que les familles de Bordeaux, qui venaient là cher-
cher, pendant l'été, un peu d'ombre pour se défendre de
la chaleur. Aujourd'hui, la chose est plus difficile ; la
population est devenue, sur plusieurs points, cosmopo-
lite, d'un accès moins abordable. Autrefois, un curé et
un vicaire à bonnes jambes, pouvaient, avec le concours
bienveillant des missionnaires, suffire à la besogne ; au-
jourd'hui, deux vicaires ne suffisent plus, et Talence est
une grande paroisse, et son église, bâtie jadis en bon
air, pourrait se plaindre de la ceinture de maisons qui
l'étreint.
En prenant possession de Talence, la Congrégation
pouvait dire : Funes ceciderunt rniln in prieclaris ; le cor-
deau qui avait délimité ses frontières nous assignait un
lot des plus sérieux. Talence, à 3 kilomètres de Bordeaux,
était le pèleiinage cher à cette ville, le lieu de prome-
nade de ses habitants. La population, un peu indiffé-
— 12o —
rente, était bonne, aimable, et nous fît bon accueil.
Pendant l'été, nombre de riches familles de Bordeaux
venaient demander aux ombrages de Talence un peu de
fraîcheur et de solitude ; leur attitude à l'égard des Pères
était des plus bienveillantes, et ceux-ci eurent, dès ce
jour, l'occasion d'établir les meilleures relations. Nous
nous souvenons de cette messe de 9 heures du dimanche,
à laquelle assistaient, de toutes nos villas, les Bordelais
en villégiature. C'était l'élite des chrétiens et en même
temps l'élite de la fortune; à leur tête nous remarquions
volontiers M, le général de Tartas, qui commandait la
division militaire.
Le R. P. Merlin, successeur du P. Dassy, était arrivé,
avons-nous dit, vers la fin de juin. Sa belle taille, son
grand air, sa bonhomie empreinte de distinction et
surtout sa bonté dont les effets s'étendaient à tous, lui
conquirent immédiatement tous les cœurs. Les religieux
à la tête desquels il était placé vinrent à lui comme des
enfants à leur père, et, bien qu'il fût le plus jeune d'o-
blation, il ne rencontra que respect parmi les siens. Il
divisa sa chambre et les appartements du presbytère
afin que ses Pères pussent être moins mal logés, en atten-
dant les améliorations qui ne se firent que plus tard. Les
paroissiens s'éprirent bien vite d'affection pour ce curé
si débonnaire, si pieux, si plein d'expérience et assidu
au confessionnal, comme on ne se souvenailpas d'y avoir
vu personne. Le P. Merlin prêchait peu, au commence-
ment, à cause d'une maladie de cœur qui se révéla dès
l'arrivée avec de violents symptômes et paiidysa sur bien
des points son activité; mais il confessait sans relâche,
et était comme l'ange près de la piscine pour accueillir
les pénitents. Quel bien il fit, c'est là le secret de Dieu !
Riches, pauvres, enfants, vieillards, prêtres, religieuses,
pèlerins et paroissiens, c'était un défilé sans interruption,
^ 126 —
et le bon prèlre ne conijaissait poiiil de plaisir plus
grand que celai de prêter son ministère à tous ceux qui
en réclamaient les bienfaits. Les difficultés avec la fa^
brique pour le règlement des comptes cessèrent avec lui,
les petits froissements, nés du départ de M. Garros, s'ef-
facèrent bientôt dans l'esprit des rares tenants de l'an-
cien régime; les améliorations matérielles que le P. Mer-
lin fit autour de l'église, dans les sacristies ; l'ordre et la
propreté qu'il sut faire régner partout, dénotèrent en lui
un homme fait pour régir une paroisse importante ; aussi
Talence comprit vite quel trésor la Providence lui en-
voyait.
L'été se passa ainsi dans l'organisation de toutes choses
pour le bien de la paroisse et du sanctuaire. Le R. P, Mer-
lin était secondé dans le service par le R. P. Séjalon et
par M. l'abbé Rousset, au besoin ; les autres Pères prê-
taient leur concours dans l'occasico et restaient libres
pour les travaux apostoliques. Peu à peu, sous la sage
direction du Supérieur, tout prit corps à l'intérieur
comme en dehors de la communauté, devenue plus nonj-
breuse. Un acte officiel de notre vénéré Fondateur, du
20 octobre 1833, donna à la communauté la constitu-
tion déflnitive. Klle se composait du R. P. Merlin, Supé-
rieur ; puis, par rang d'oblation, des RR. PP. de Pétbo,
DE L'Hermite, Delpeuch, Séjalon et Albry. Ces deux der-
niers étaient déjà d'un âge très mûr, aussi furent-ils
nommés assesseurs du Supérieur,
C'était plaisir de voir toute l'œuvre prendre si bonne
tournure ; les fûtes étaient célébrées avec piété, les
offices étaient plus solennels, les pèlerinages plus pieux,
les paroissiens plus assidus. Nous nous mettions peu à peu
au courant des traditions et des usages, et le Supérieur
établissait tout sur up bon pied. Les communautés reli-
gieuses, déjà dévouées àTalence, prirent de plus en plus
— 127 —
goût au pèlerinage; envoyait sotivent des groupes nom-
breux prier aux pieds de Notre-Dame des Sept-Douleurs.
Les Sœurs de la Sainte-Famille, les Religieuses de l'i^s-
pérance, ne furent pas des dernières. Le P.Merlin avait
fait, en arrivant, une visite à la Supérieure générale de
l'Espérance, qui était alors lu bonne mère Hardy-Moisan,
de la part de ses sœurs de Nancy. Nous vîmes, dès lors,
quelques sœurs venir prier dans notre sanctuaire; plus
tard, le bon P. Merlin, très apprécié par les sœurs qui
venaient en pèlerinage, devint le confesseur ordinaire
de la communauté de la rue Lobirat.
Un seul point noir assombrit un instant notre hori-
zon ; ce fut la maladie du P. Merlln, réduit par une
maladie de cœur à modérer son travail, 11 dut se borner
presque exclusivement au ministère du confessionnal et
à l'administration. Les jeunes prêchaient et voyaient
les malades. Un docteur renommé de Bordeaux, M. Sar-
ramest, traita d'une manière fort intelligente notre bon
Supérieur et le conserva à notre affection et à celle de
ses paroissiens.
La retraite annuelle faite, les travaux des missions
reprirent à la Toussaint 1853. Le P. Delpeuch fut en-
voyé à Blasimont, où il eut à faire un travail excçssif,
devant joindre le service d'une petite chapelle à celui
de la paroisse principale. Mais ses soins ne furent
pas stériles et un bien considérable fut opéré dans des
conditions de labeur et de fatigues inouïes.
Pendant que le P. Delpeuch achevait seul la fatigante
mission de Blasimont, les Pères Séjalon et de Pétro se
rendaient, le premier à Cazaugitat, canton de Pellegrue,
Je second à Sornac.
Penilant ce temps, le P. de L'Hermite travaillait seul
à Pellegrue, petit chef-lieu de canton, où l'on rencon.
trait alors une minorité protestante assez considérable-
— 128 —
En même temps il faisait un petit retour de mission à
Saint-Fermé. Le travail de Pellegrue fut pénible, mais
rémunérateur. Des premières communions tardives
furent faites, des mariages furent réhabilités, il y eut
des abjurations. Il dura trois semaines, c'était trop
court. Son Eminence le cardinal Donnet vint clore les
exercices le jour de l'Immaculée Conception et donner
la confirmation dans l'église, trop petite pour la cir-
constance, à la jeunesse de plusieurs paroisses envi-
ronnantes.
Pendant ce temps, le P. Aubry s'était rendu à Bazas
où nous appelait la confiance de l'archiprêtre, un ami
de Louis Veuillot. Pendant quelques jours, il attendit
les Pères de L'Hermite et Delpeuch qui avaient été dé-
signés pour l'aider dans le travail de la mission. Les
exercices eurent lieu pendant les trois dernières se-
maines de l'avent, dans la belle cathédrale de Bazas.
Les missionnaires eurent contre eux la température
exceptionnellement rigoureuse à ce moment et la briè-
veté du temps. Il eiit fallu quinze jours de plus. Le su-
périeur de la mission était un bon prédicateur, parlant
avec distinction, mais il n'était pas assez missionnaire
et ne mena pas assez le travail selon la méthode de la
Congrégation. Ses jeunes acolytes eussent voulu un peu
plus d'initiative et d'entrain. Malgré cela, il y eut un
mouvement d'ensemble et des conversions véritables.
Son Eminence vint clore les exercices et administrer le
sacrement de confirmation à une population d'enfants
qui remplissait littéralement la belle nef de la cathé-
drale. Les PP. DE L'Hermite et Delpeuch avaient été
chargés du soin spécial de la préparation de cette jeu-
nesse. L'archiprêtre, musicien et artiste, avait préparé
une belle messe pour la clôture. Son Eminence, inter-
rompant brusquement, fit arrêter le chœur dès le début
— 129 —
et ordonna qu'on chantât le plain-chant à l'unisson.
En résumé, la mission fit un grand bien, mais ce bien
ne fut pas complet. Une des joies des missionnaires fut
de faire la connaissance d'un jeune vicaire plein de la-
lent et de mérite, destiné à devenir, comme vicaire géné-
ral, le bras droit de Son Eminence et l'âme du diocèse.
M. l'abbé Gervais, que nous rencontrâmes à Bazas, vou-
lut bien se souvenir plus tard de cette rencontre et
entretenir avec les Oblats les meilleures relations.
Au mois de janvier (1834), nous rentrâmes à Talence.
Pendant ce temps, le R. P. de Pétro, envoyé par Son
Eminence à Hourbin, grande paroisse des Landes, s'en
donnait à cœur joie, et son zèle reçut les plus amples
récompenses...
Là s'arrête la relation posthume du R . P. de L'Hermtte.
On pourra lire dans sa vie quelle fut sa part durant
l'année 1834, et à la suite de quelles circonstances, re-
tenu en Auvergne par la maladie, en novembre de cette
année, il fut appelé en mars auprès du Fondateur, et
passa plusieurs mois à Marseille, pour être ensuite
nommé supérieur à Notre-Dame de Gléry, en septem-
bre 1853.
ACTES DU SAINT-SIÈGE
DÉCISIONS DE LA S. C. DES ÉVÊQUES ET RÉGULIERS
AU SUJET DE L'ORDINATION DES RELIGIEUX.
On se rappelle que, le 4 novembre 1892, la Sacrée
Congrégation des Évêques et Réguliers a rendu un dé-
cret qui modifie sur plusieurs points les règles suivies
jusque-là pour l'ordination des religieux. Certaines dis-
positions de ce décret présentant quelques difficultés,
Son Éminence le Cardinal Archevêque de Paris a de-
mandé des éclaircissements aux Évêques et Réguliers.
La Sacrée Congrégation a répondu par des décisions
que Son Eminence a bien voulu nous communiquer et
qui, par leur caractère général, intéressent tous ceux
qui ont à s'occuper de l'ordination de nos sujets.
Voici les demandes et les réponses :
UtruiTi nunc.post decretum Auctis^ instituta votorumsim-
plicium libère possint, sine indulto speciali, aluiunis suis di-
missoriales litteras ad ordinationes concedere ?
R. Négative {^îehT. 1894).
Utrum Dunc, post decretum Auctis^ instituta votorum sim-
plicium libère possint, sine indulto speciali, alumnos suos
promovere ad ordinem sacrum titulo mensœ communis vel
alio simili?
R. Négative (9 febr. 1894).
Utrum alumni institutorum votorum simpliciura, qui coa-
vocantur in domum matricem, vel aliam institut! ad brève
— 131 —
tempus, verbi gratia, ut vacent spiritualibus exercitiis, vel
tempus feriarum terant, possint légitime ordinari abEpiscopo
diœcesano hujus domus, quin habeaturlicentiaexpressa, seu
dimissoriales littersB, illius Episcopi in cujus diœcesi situs
estconventus ubi credito sibi officio funguntur?
R. Provîsum per indultum diei 27 aprilis 1894 quo sitperio-
ribus institutorum datur facultas ad triennium {vel ad quinqueiviium)
concedendi suis subditis litteras dimissoriales ad ordines suscipien-
dos a quocumque sacro Aniistiie gratiam et commimionem habente
cum Apostolica Sede, dummodo Episcopus diœcesis in cujus limi-
tibus pia domus ordinandi reperitur, a sua sede abfuerit, vel habi-
turus 7io}ifuerit ordinatidnem, juxta decretum Clementis 'VIll,diei
13 mariii 1596 (13 julii 1894) [1].
Utrum alumni institutorum votorum simplicium, quorum
Episcopus diœcesanus abest aut ordinationem non est babi-
turus, possint, ad instar regularium, libère dimitti a supe-
rioribus suis ad Episcopum alienum, ad tramitem decreti
Clementis VIII, diei 13 martii 1396 et constitutionis ImposiH
nobis Benedicti XIV, diei febr. 1747.
R. Provisum in prœcedente (!3 julii 1 894).
Utrum alumni institutorum votorum simplicium, qui so-
luti ab officio quod exercebant in bac vel illa domo insti-
tuti, convocantur in domum matricem instituti, ut ibi per
brève tempus exspectent translationem suam ad aliam domum
aliudque officium, possint légitime ordinari ab Episcopo diœ-
cesano hujus domus matricis, non obstante precariabrevitate
commorationis ?
R. Providebitur in casibus pariicularibus (13 julii 1894).
Utrum nuiic, post decretum Awc<2s, conditio excorporationis
ordinandi a propria diœcesi quae per indulta saepe imponitur
alumnisiiistitutorum votorum simplicium, ut ad ordines a su-
it) L'absence de l'évêque, ou son intention de ne pas faire l'ordi-
nation, doit être attestée par le chancelier ou par le vicaire gônéial.
— 132 —
jierioribus suis dimitti possint, facta sit ita inutilis ut non
amplius obliget?
R. Affirmative (13 julii 1894).
Utrum in ordinations alumnorum religiosorum ex iis insti-
tutis quae vota simpliciataiilum emittunt, requirantur liltera;
testimoniales ordiuariorum,in quorum diœcesibus hi alumni
tanto tempore morati sunt ut canonicum impedimentum con-
trahere ibi potueriiit, ad normam constitutionis Apustolicœ
Sedis de suspensionibus, vel potius sufficiant litterœ dimisso-
riales superioris generalis quin requirendae siat dictas testi-
moniales?
R. Négative ad primam parlera, affirmative ad sccundam.
(Mart. 189S).
MISSIONS
DE LÀ CONGRÉGATION
DES OBLATS DE MARIE IMMACULEE
N" 142. — Juin 1898
LE CHAPITRE GÉNÉRAL DE 1898.
L'événement le plus considérable de l'année 1898,
dans l'histoire de notre Congrégation, sera certainement
la tenue du Chapitre général qui s'est ouvert, à Paris,
le 15 mai dernier, et qui a clôturé sa longue et féconde
session, le soir du samedi 28 mai, veille de la Pentecôte.
Cette assemblée capitulaire, la plus nombreuse, pour ne
pas dire la plus imposante, que notre famille religieuse
ait vue depuis ses origines, tirait une importance excep-
tionnelle des circonstances douloureuses qui avaient
amené sa convocation prématurée. La première de ses
attributions, et aussi la plus grave, était de désigner le
troisième successeur de notre vénéré Fondateur. Elle
devait ensuite se préoccuper d'assurer la stabilité et
les progrès des fondations opérées dans ces dernières
années, le développement et l'affermissement de l'esprit
religieux au sein de nos communautés que la Provi-
dence se plaît à multiplier et à semer sur toutes les
plages du globe.
T. XXXVI. 10
— 134 —
C'était une tâche délicate et laborieuse ; aussi n'était-il
pas un membre du Chapitre qui ne fût profondément
pénétré de l'importance de sa mission, des responsabi-
lités dont elle le chargeait, et qui ne fût résolu à remplir
son mandat au mieux des intérêts sacrés qu'il repré-
sentait.
Dès le dimanche 15 mai, notre maison générale,
toujoilts si hospitalière, présentait une animation
inaccoutumée; ses nombreuses cellules étaient presque
toutes occupées, et les salles de communauté paraissaient
trop étroites pour contenir tous les hôtes que le Chapitre
lui amenait des diverses contrées de l'univers. Disons
tout de suite, à la louange de nos Frères convers, que
tout avait été prévu et disposé avec un ordre parfait pour
les recevoir. Les derniers arrivés firent leur entrée, dans
la matinée du lundi, et, quand le T. R. P. Vicaire ouvrit
la première séance préliminaire à la tenue du Chapitre,
l'assemblée, à une ou deux exceptions près, était au
complet.
Quel spectacle offrait, à cette heure, la modeste salle
capitulaire de la maison générale I Toute la famille était
là. Elle y était, non seulement par les représentants des
centaines de fils qu'elle compte actuellement dans les
cinq parties du monde, mais encore avec toute la glo-
rieuse lignée de ses ancêtres qui l'ont illustrée par leurs
vertus, après l'avoir fondée et solidement assise au prix
des plus rudes labeurs.
Tous les yeux et tous les cœurs allaient spontanément
vers l'image aimée de notre vénéré Fondateur, dont la
noble figure dominait l'assemblée et paraissait dire à
chacun de ces fils que le Cœur de Jésus lui avait donnés :
Filioli mei, qiios iterum partu?'io, donec formetur Christus
in vobis (Gai. iv.) Tous les yeux et tous les cœurs allaient
vers le disciple privilégié de M«' de Mazenod, l'héritier
— 135 —
de soii esprit et de son autorité, celui qui, pendant les
trente années d'une administration féconde, avait sou-
vent évoqué dans notre esprit le mot de l'Évangile :
Biscipulus illenon moritur. ToUs les yeux et tous les cœurs
allaient vers l'image du regretté P. Soullier, retourné
à Dieu si prématurément, il y a huit mois. Entré dans
notre famille religieuse alors que notre jénéré Fonda-
teur la gouvernait et l'édifiait encore par ses vertus, il
pouvait nous redire, dans ses enseignements, la parole
de saint Jean que nul de ses successeurs n'aura la
consolation de répéter : Quodfuit ah initio, quod audivi-
mus,quodvidimus ocuh's nostri's, quod perspeximus etmanus
nostrx contrectaverunt, annuntlamus vobis (Joan. i, 1).
Tous les yeux et tous les cœurs appelaient et cherchaient
l'élu de Dieu qui aurait la mission de maintenir vivants
parmi nous, l'esprit, les vertus, les traditions de notre
premier père et de ses deux successeurs immédiats, de
faire revivre leur dévouement, de nous rendre leur cœur
paternel, de nous dédommager de leur disparition, de
nous prouver que la mort les avait donnés au ciel sans
les ravir complètement à la terre, puisque nous avions
la joie de redire : Mortuus est Pater, et quasi non mor-
tuus, reltquit enim similem sibi post se.
Que dire de l'allocution émue que le T. R. P. Vicaire
adresse à l'assemblée de ses Frères, pour leur souhaiter
la bienvenue, inaugurer leurs travaux et leur confier à
la fois les tristesses et les espérances qui agitaient en sens
divers son esprit et son cœur ! Si consolante, en effet,
que fût la vue de cette réunion d'apôtres et de mission-
naires, elle évoquait néanmoins des souvenirs qui voilaient
les figures de deuil et emplissaient les yeux de larmes.
Au banc des assistants généraux, une place demeurait
vide. Comment oublier, à cette heure, le souvenir du
bon P. VoiRiN si rapidement et si inopinément ravi à
— 136 —
notre affection et aux œuvres de zèle, presque à la veille
(lu Chapitre? Sa vie fut un long acte de dévouement et
sa mort un très méritoire sacrifice. Payons un tribut de
reconnaissance à sa chère mémoire.
Dans les rangs des capitulants, une place encore
devait demeurer inoccupée, et quelle place ! Parti plein
de jeunesse, de santé, de force physique et d'énergie
morale, pour se rendre à Paris, le R. P. Schoch, préfet
apostolique du Transvaal, terrassé, à la fleur de l'âge,
par une fièvre maligne, était mort quelques jours avant
d'atterrir à Suez. Il était mort seul, loin de ses frères,
sans prêtre pour consoler son agonie, bénir son dernier
soupir, jeter une goutte d'eau bénite et prononcer une
suprême prière sur sa dépouille mortelle. Il était mort
loin de la terre trempée de ses sueurs, [loin des néophytes
qu'il avait convertis et baptisés et qui auraient gardé
aussi précieusement son sépulcre qu'ils conserveront le
souvenir de ses vertus. Qu'importe toutefois que les flots
de la mer Rouge et non pas la terre d'Afrique se soient
ouverts pour recevoir le corps inanimé de cet apôtre de
l'Évangile, puisque l'Écriture nous apprend que les
restes mortels de tous ceux qui ont vaillamment exercé
la paternité des âmes reposent dans la paix de Dieu :
Corpora ipsorum in pace sepulta sunt (Eccli. xliv, 14).
Mentionnons encore l'absence bien involontaire du
R. P. DucoT, délégué au Chapitre par le vicariat d'Atha-
baskaw-Mackenzie. Perdu au milieu des glaces des ré-
gions polaires, il n'a pas pu être informé assez tôt que
l'assemblée capitulaire était devancée, pour arriver en
temps utile à Paris. Ce nouveau sacrifice ajoutera un
fleuron à la couronne de gloire de cet intrépide mission-
naire.
Quoiqu'ainsi diminué, le Chapitre général de 189S,
comptait encore quarante-deux membres. Leurs noms
— 137 -.
appartiennent désormais à l'histoire de la famille. Qu'on
nous permette de les énumérer ici :
C'était d'abord le T. R. P. Antoine, vicaire général de
la Congrégation, depuis la mort du regretté P. Soullier.
Son âge, ses vertus, son dévouement, les travaux d'un
laborieux ministère en Amérique et en France, sa par-
faite connaissance de nos œuvres lui ont fait une
auréole de vénération qui a facilité l'exercice de son
autorité.
A ses côtés, siégeaient, à titre d'assistants généraux :
Le R. P. AuGiER, Cassien, missionnaire à la façon de
saint Paul, et qui, après de longs et pénibles voyages
pour visiter nos missions d'Asie, d'Afrique et d'Australie,
a droit de dire, comme le grand apôtre : Instantia mea
quotidiana sollicitudo omnium ecclesiarum ;
Le R. P. Tatin, également versé dans la connaissance
de la langue anglaise et de la langue française, et à
cause de cela, trait d'union aimé et vénéré entre les deux
fractions de la famille qui lui ont voué et lui garderont
toujours la plus absolue reconnaissance.
Au banc de l'administration générale avaient encore
pris place :
Le R. P. Sardou, qui a, depuis trente-cinq ans, au
périlleux contact de l'or, merveilleusement pratiqué la
loi du détachement évangélique;
Le R. P. Joseph Lemius, qui, par sa science théologique
de bon aloi, sa fine bonhomie et son aimable diplo-
matie, a su conquérir et conserver, à Rome, des sympa-
thies qui nous demeurent précieuses.
: Venaient ensuite, à une place d'honneur, nos vénérés
évoques ou vicaires apostohques, au nombre de huit.
C'étaient, dans l'ordre des préséances :
Ms"" Langevin, le jeune et intrépide archevêque de
Saint-Boniface, qui fait volontiers sienne, à l'adresse
— 138 —
d'un gouvernement tracassier, pour ne pas dire persé-
cuteur, la belle parole de Tertullien : Non te timemus
qui nec ten^emus;
W JoLivET, vicaire apostolique de Natal et le patriar-
che de l'épiscopat africain, au sein duquel il brille par
la distinction de ses manières, l'affabilité de son abord
et un zèle apostolique que les années sont incapables de
ralentir ;
M^"" DuRiEU, évêque de New-Westminster, qui a créé et
a vu grandir et prospérer sur le territoire de la Colombie
Britannique des communautés chrétiennes qui font re-
vivre celles aujourd'hui éteintes du Paraguay;
Me' Gaughran, premier vicaire apostolique de l'État
libre d'Orange, oîi il confie laborieusement à la terre
la semence des abondantes moissons que récolteront
avec joie et reconnaissance ses successeurs de l'avenir;
M^' Grquard, vicaire apostolique de l'Âlhabaskaw-
Mackenzie, où il poursuit depuis trente-six ans l'œuvre
de l'évangélisation, in labore et xrianna, in vigiliis
multis, in famé et siti, in jejuniis jnultis, m frigore et
nuditate ;
Ms"" Pascal, vicaire apostolique de la Saskatchewan,
immense territoire sur lequel il déploie les rares trésors
d'énergie, de foi et de persévérance qui sont le trait
caractéristique de ces fortes races du Vivarais, au sein
desquelles la Providence plaça son berceau;
M^rJouLAlN, évêque de Jaffna(Geylan), qui a déjà rendu
en partie à son diocèse, récemment démembré, la
féconde vitalité dont il jouissait précédemment;
MB"" INEGAL, évêque de Pogla et vicaire des Missions de
Saint-Albert, dont nous ne dirons rien, sinon que le
vénéré M^"" Grandin l'aime comme un fils et se réjouit de
voir passer entre ses mains la houlette pastorale qu'il a
si virilement tenue lui-même, pendant quarante ans.
— 139 —
Après Nosseigneurs les évêques avaient immédiate-
ment pris place :
Le R. P. HerrmaniV, pro-préfet apostolique de la nais-
sante préfecture de la Cimbébasie;
Le R. P. CÉNEZ, préfet apostolique du Basutoland.
Ces deux Missions sont encore à leurs débuts. Mais la
Congrégation a confié leur avenir à deux hommes d'ac-
tion. Pour confirmer notre dire, nous en appelons avec
confiance à l'historien du futur Chapitre général.
A la suite des préfets apostoliques, siégeaient les pro-
vinciaux, par ordre d'oblation, C'étaient :
Le R. P. GuiLLARD, provincial des États-Unis, dont
l'aimable simplicité et les pittoresques réparties faisaient
les délices de tous ses confrères ;
Le R. P. Lavillardière, provincial de la première
province de France, qui a déployé au sein du Chapitre,
où il remplissait les fonctions de secrétaire, les belles
qualités littéraires qui donnent à sa parole d'apôtre un
charme si persuasif;
Le R. P. Miller, le jeune provincial de la province
britannique auquel le Chapitre donnera, avant de se
séparer, une marque non équivoque de son estime et de
sa sympathie;
Le R. P. Favier, provincial de la deuxième province
de France, qui rendra à la Congrégation, dans l'avenir,
de non moins précieux services que par le passé;
Le R. P. JoDoiN, provincial du Canada, la belle et flo-
rissante province qui peut donner aux vicariats voisins
son or et ses sujets sans craindre de trop s'appauvrir
elle-même;
Le R. P. ScHARSCH, premier provincial de la jeune
province d'Allemagne dont il symbolise, en sa personne,
la vitalité et les espérances ;
Le R. P. Bell, vicaire des missions de Colombo qui
^ 140 —
forment, grâce à son dévouement et à celui des Pères
placés sous son obédience et sous lajuridiction du vénéré
Me' Mélizan, le plus beau diocèse de l'Orient.
Aux provinciaux succédaient les quatre doyens d'âge
pris parmi les supérieurs de la Province où le défunt
supérieur général avait son domicile. C'étaient :
Le R. P. Rey, qui déploie à développer le pèlerinage
de Pontmain la sainte ardeur qu'il avait mise à étendre
sur toute la France l'œuvre du Vœu national;
Le R. P. DE La Couture, dont les paroissiens d'Arca-
chon expérimentent, depuis un quart de siècle, le zèle
apostolique;
Le R. P. Anger, le directeur toujours plus aimé et
plus estimé des œuvres de la Sainte-Famille ;
Le R. P. Gandar, qui a façonné verbo et exemplo, soit
au noviciat de Notre-Dame de l'Osier, soit au scolasticat
de Liège, tant de jeunes Oblats à la pratique des vertus
religieuses.
Enfin, l'assemblée capitulaire comprenait seize délé-
gués envoyés par les diverses provinces ou vicariats.
C'étaient dans l'ordre des préséances déterminées par la
Règle :
Le R. P. Ring, de la province britannique ;
Le R. P. Bach, de la province d'Allemagne ;
Le R. P. Lauzon, de la province du Canada ;
Le R. P. BoNNALD, du vicariat de la Saskatchewan ;
Le R. P. Smitb, de la province des États-Unis ;
Le R. P. Lemius, J.-B., délégué par le Basutoland ;
Le R. P. HuGONARD, du vicariat de Saint-Boniface ;
Le R, P. Fayard, du vicariat de la Colombie britan-
nique ;
Le R. P. Mérer, du vicariat de Saint-Albert ;
Le R. P. Baffie, de la première province de France;
Le R. P, Porte, de l'État libre d'Orange ;
— 141 —
Le R. P. Trabaud, de la préfecture du Transvaal;
Le R. P. Brûlé, de la deuxième province de France ;
Le R. P. MuRRAY, du vicariat de Natal;
Le R. P. WiLKiNSON, du vicariat de Colombo ;
Le R. P. Maingot, du vicariat de Jaffna.
De chacun de ces humbles religieux que leurs Frères
avaient élus et adjoints aux provinciaux ou aux vicaires
des missions pour les représenter au Chapitre général,
on pouvait redire la parole que l'apôtre saint Paul écri-
vait autrefois à propos de saint Luc : Misimus eliam cum
illo fratrem cujus laus est in Evangelio per omnes ecclesias
(II Cor., vni, 18). Au chef de notre province, nous avons
associé un de nos frères dont toutes nos communautés
reconnaissent les mérites et proclament les vertus.
Ce fut donc devant cette petite assemblée de quarante et
un religieux Oblals que, dans la matinée du lundH6mai,
le T. R. P. Antoine, vicaire général de la Congrégation,
déclara ouvert notre seizième Chapitre général. Après
un filial hommage rendu à la mémoire toujours vivante
de notre saint Fondateur et du vénéré P. Fabre, son
premier successeur, le T. R. P. Vicaire évoqua, avec tout
son cœur, le souvenir du bon P. Soullier auquel nous
allions, dans trois jours, donner un successeur. Sa pa-
role et ses conseils furent religieusement écoutés ; puis,
l'assemblée aborda la vérification des pouvoirs des délé-
gués, qu'elle reprit et acheva dans une courte séance,
le mercredi matin.
Toutes les élections furent trouvées parfaitement ré-
gulières ; le Chapitre pouvait donc ouvrir sa longue et
importante session.
La circulaire qui le convoquait portait que les trois
jours des Rogations seraient consacrés à la prière, au
silence, à la réflexion. Sans doute, chacun des membres
de l'assemblée capitulaire avait, depuis plusieurs mois,
— 142 --
dans son esprit et dans son cœur, le nom du candidat
qu'il jugeait le plus digne de recueillir les suffrages de
ses frères et de présider aux destinées de la Congréga-
tion. Néanmoins^ durant ces derniers jours, tous sen-
taient plus vivement l'importance de l'acte qu'ils allaient
émettre et la responsabilité dont il les chargerait devant
Dieu, devant leur conscience et devant leurs Frères.
Renfermés au cénacle, sous le regard invisible de
Jésus et la maternelle présidence de Marie, ils médi-
taient, ils se consultaient discrètement, ils priaient sur-
tout et, comme autrefois les apôtres, ils disaient à Pieu
avec tout l'élan de leur cœur ; Tu, Domine, qui corda
nosti omnium, oslende quem elegeris accipere locum minis-
letni ejus. On ne nous croirait pas, si nous disions que
l'élu de Dieu fut manifesté à tous, dès la première heure.
Mais, à mesure que les jours s'écoulaient, le Saint-Esprit
opérait son œuvre. Que de prières appelèrent cette heu-
reuse unanimité des esprits? « Jamais, depuis que je suis
Oblat, nous disait un membre du Chapitre, je n'avais
récité tant de chapelets. »
Persévérant dans la retraite, dans la prière et l'union
à Marie, comme autrefois les apôtres, les membres de
l'assemblée capitulaire croyaient fermement que le
Saint-Esprit serait avec eux pour les inspirer, au matin
du 19 mai. Le résultat de l'élection a démontré que
leur croyance était fondée.
Enregistrons ici le pieux hommage rendu par les
membres du Chapitre, pendant le cours de leur retraite,
à la mémoire vénérée du T. R. P. Soullier, dont le sou-
venir vivait dans tous les cœurs, dont le nom revenait
si fréquemment sur toutes les lèvres. Un service solennel
de Requiem fut célébré, à son intention, le 18 mai, dans
la chapelle de la maison générale. Le jour précédent,
le même hommage fraternel avait été donné à la mé-
i
— 143 —
moire de l'excellent P. Schoch, dont nous avons men-
tionné plus haut le douloureux trépas.
Le grand jour de l'Ascension se lève enfin. Les pre-
mières heures en sont consacrées, comme les jours pré-
cédents, à la méditation et à la célébration de la sainte
messe. A 9 heures, tous les membres du Chapitre se
réunissent dans la chapelle intérieure de la maison gé-
nérale pour assister à la messe conventuelle prescrite par
la Règle. C'est le T. R. P. Vicaire général qui est à Tau-
tel. Après la messe, silence pendant une demi-heure.
Vers 10 heures, au signal de la cloche, tous les élec-
teurs se réunissent encore à la chapelle, y prient quelques
instants, puis se rendent silencieusement à la salle capi-
tulaire. Avant d'y entrer, ils ont la joie de saluer le dé-
légué du Transvaal, le R. P. Trabaud, qu'une fièvre ma-
ligne avait cloué, à Suez, sur un lit d'hôpital et qu'ils
avaient désespéré de voir prendre part à leurs délibé-
rations. Avec une énergie de volonté qu'on ne saurait
trop admirer, il avait allronie xu, "J'^'->^ du long voyage
qui devait l'amener de Suez à Paris, afin de mettre son
vole dans l'urne et de coopérer à donner un chef et un
père à notre famille.
Tous les électeurs prennent place dans la salle capitu-
laire. Le T. R. P. Vicaire leur adresse quelques paroles
de circonstance; puis, il leur propose la vérification de
la délégation du P. Trabaud. Cette formalité prélimi-
naire accomplie, tous les membres du Chapitre se met-
tent à genoux et récitent le Veni Creator.
Le scrutin est aussitôt ouvert. Chacun des électeurs
capitulaires s'approche successivement de l'urne, et
avant d'y déposer son bulletin, signé et scellé, jure, de-
vant le crucifix, qu'il vote pour celui qu'il juge le plus
digne de la charge de supérieur général.
Rien de plus solennel et déplus émouvant que ce ser-
— 144 —
ment redit à haute voix par ces missionnaires venus de
toutes les parties du monde, et qui vont jurer une invio-
lable obéissance au chef qu'ils se donnent librement.
Quelques minutes après, l'élection était acquise, et le
résultat en était proclamé, au milieu des applaudisse-
ments de toute l'assistance, par le T. R. P. Vicaire gé-
néral. Le T. R. P. AuGiER, Gassien, devenait, par la vo-
lonté de Dieu et l'élection de ses frères, le troisième
successeur de M?"" de Mazenod.
Le nouvel élu s'agenouille aussitôt pour réciter la pro-
fession de foi, d'après la formule édictée par Pie IV, et
jure de maintenir en France le siège du gouvernement
de la Congrégation, à moins que la volonté du Souve-
rain Pontife n'en décide autrement.
Avant d'admettre les membres du Chapitre à l'obé-
dience, ainsi que le veulent nos Saintes Règles, le nou-
veau Supérieur général se prosterne aux pieds de Nos-
seigneurs les évêques qui, tous ensemble, prononcent
sur lui les paroles de la bénédiction pontificale, puis ils
lui donnent l'accolade fraternelle, en silence et avec une
émotion qui mouille leurs yeux de larmes. Tous les prê-
tres viennent alors successivement s'agenouiller devant
lui et baiser respectueusement sa main, en signe de
filiale déférence.
Le T. R. P. Général prend alors la parole. Nous n'en-
treprendrons pas d'analyser cette première allocution
jaillie du cœur de notre Père. Une reproduction, même
sténographique, n'en donnerait qu'une idée amoindrie
et décolorée. Comment traduire au dehors l'émotion des
auditeurs, le saisissement de l'orateur et les merveil-
leuses transformations que Tesprit de foi opérait en ce
moment-là dans tous les cœurs ! Ce n'était plus un frère
que nous écoutions, mais un père dont nous connais-
sions le dévouement, dont nous admirions la modestie
l
— 145 —
et dont nous étions heureux de nous dire les fils. En
lui, nous revoyions vivant et plein de jeunesse notre vé-
néré Fondateur ; en lui, nous étions heureux de saluer
une riche floraison d'œuvres et d'espérances pour notre
chère famille religieuse. 0 Père vénéré et tendrement
aimé, qui avez assumé par obéissance la responsabilité
de nos âmes, acceptez l'hommage de notre filiale recon-
naissance et le désir que nous avons de ne jamais volon-
tairement aggraver le fardeau qui pèsera désormais sur
vos épaules !
La récitation du Te Deum termina cette réunion qui
demeurera mémorable dans nos annales, comme celle
du 5 décembre 1861 et celle du H mai 1893. Le nouveau
Supérieur général donna alors l'accolade fraternelle à
chacun des membres du Chapitre, heureux maintenant
d'être et de se dire ses fils.
Tandis que le télégraphe apportait à nos communautés
de l'un et l'autre hémisphère la joyeuse annonce que
nous avions un père, et un père selon le cœur de Dieu,
les membres du Chapitre se félicitaient d'avoir été appe-
lés à concourir à ce grand acte, et remerciaient Dieu, à
la chapelle, de cette nouvelle bénédiction qu'il voulait
bien donner à notre famille et à nos œuvres.
Midi venait de sonner. Dire la joie et la cordialité qui
marquèrent ces fraternelles agapes serait à la fois inu-
tile et impossible. Quand le repas toucha à sa fin, le
T. R, P. Antoine se leva, au milieu du silence de tous.
Après s'être déclaré modestement — trop modeste-
ment — incapable de porter un toast à notre vénéré
Père, au nom de toute la famille, il exécuta un mouve-
ment tournant oratoire très habile, et céda gracieuse-
ment son tour de parole à M?"" l'archevêque de Saint-
Boniface. Tout le monde connaît l'affection qui unit
Me-'LANGEviN au T. R. P. Augier; tout le monde connaît
— 146 —
aussi le beau talent de parole que la nature lui a donné.
Son allocution, vibrante de sentiment et d'une délica-
tesse de pensée qui dépassait encore l'élégance de la
forme, fut souvent saluée par d'unanimes applaudisse-
ments. Tous les cœurs, on le sentait, battaient à l'unis-
son de celui du jeune et vaillant archevêque. Nossei-
gneurs les évêques, les chefs des diverses provinces ou
vicariats prirent ensuite successivement la parole, pour
renouveler leur hommage lige et déposer aux pieds du
nouveau Supérieur général les vœux des communautés
et des provinces dont ils étaient les représentants. Les
deux doyens d'âge du Chapitre, les RR. PP. Rey et Ring,
prirent ensuite la parole, le premier en français, le se-
cond en anglais, pour saluer l'aurore du nouveau géné-
ralat. Le R. P. Lemius, au nom des associés du Vœu na-
tional, pria le T. R. P. Augier de vouloir bien accepter le
titre de Supérieur général du Sacré-Cœur ; le R. P. Roux,
Victor, se fit l'interprète de la communauté de Paris,
et le R. P. Soulerln, écartant discrètement le voile de
modestie sous lequel son humilité se complaît à trouver
un abri, salua le nouveau supérieur général (( non pas,
dit-il finement, du haut de ma taille, mais du haut de
mes cinquante années de sacerdoce et d'oblation ».
Un toast particulièrement touchant et que, pour ce
motif, nous nous faisons une joie de mentionner ici, fut
celui de Ms^" Légal qui prit la parole, au nom, dit-il, de
tous nos chers Frères convers. Ces membres de la fa-
mille, les plus humbles devant les hommes, mais non
pas les moins méritants devant Dieu, étaient dignes
d'avoir un tel interprète. Nous les félicitons bien sincère-
ment d'avoir parlé, pour la première fois, auT.R. P. Gé-
néral par des lèvres aussi augustes et aussi habiles dans
l'art du bien dire.
Cette journée de l'Ascension, qui demeurera inscrite
— 147 —
en lettres d'or daiis les dyptiques de la Congrégation j se
termina dans la joie, dans la prière et les hymnes de re-
connaissance. Les membres du Chapitre profitèrent de
ces quelques heures de répit pour faire leur pèlerinage
à Montmartre ou à Notre-Dame des Victoires, visiter les
principaux sanctuaires de Paris et goûter un peu de repos
entre les jours de retraite qui avaient précédé et les jours
de travail qui allaient suivre.
Dès le vendredi matin 20 mai commencèrent, en effet,
les délibérations du Chapitre général. De ces longues
séances qui duraient, en moyenne, trois heures chacune
et qui se succédaient, matin et soir, sans une demi-
journée d'interruption, nous ne pouvons donner que la
physionomie extérieure. C'est au Père de la famille de
communiquer, dans la mesure où il le jugera opportun,
le résultat des délibérations qui ont eu lieu sous sa pa-
ternelle présidence et son intelligente direction. Disons
seulement que chaque membre du Chapitre a eu pleine
liberté de formuler ses opinions et ses vues, de les ex-
poser, de les défendre, de mêler sa voix à tous les dé-
bats, de poser de nouvelles questions, d'élargir le thème
de celles qui étaient proposées. La courtoisie la plus
délicate ou, pour mieux dire, la charité la plus attentive
veillait à écarter toute parole qui aurait pu causer un
froissement, éveiller une susceptibilité ou créer un mal-
entendu. Même quand les manières de voir étaient di-
vergentes, les cœurs demeuraient unis. Les orateurs qui
demandaient la parole cherchaient le triomphe de la
vérité et non pas la satisfaction de leur vanité. C'était un
vrai conseil de famille, où des enfants étroitement unis
se consultent et délibèrent sur les moyens les plus ef-
ficaces de faire prospérer leurs intérêts communs. A voir
cette assemblée si calme dans l'accomplissement de son
mandat, on avait le sentiment bien marqué de la pré-
— 148 —
sence de Dieu au milieu de ses membres, de Dieu qui
se plaît à grouper sous un même toit des cœurs faits pour
vivre juxtaposés : Deus qui inhabitare facit unius moris in
domo (Ps. LXVII) . Quand cette assemblée capitulaire n'au-
rait pas eu d'autre résultat que de cimenter l'union entre
les membres de la famille, pourrait-on l'accuser d'avoir
été stérile ? Mais elle a eu et elle aura d'autres consé-
quences.
Dès le premier jour, le T. R. P. Général, dans un rap-
port très détaillé et très documenté, fit passer, devant
les membres du Chapitre, le tableau complet et vivant
du personnel et des œuvres de la Congrégation. Après
l'avoir entendu, comment ne pas nous écrier avec saint
Paul : Deo gratias, qui semper tinumphat nos in Christo
Jesu et odorem notitix suse manifestât per nos in omni
loco (II Cor., n, 14).
Le R. P. Procureur général prit ensuite la parole pour
exposer l'état financier de la Congrégation. La bonne
Providence a veillé sur ses enfants; continuons à espérer
en sa maternelle tendresse.
Les provinciaux et les vicaires des Missions lurent
ensuite et commentèrent leurs rapports, exposant les
progrès de l'Evangile sur leurs territoires respectifs,
énumérant leurs succès et aussi leurs déceptions, leurs
joies et leurs tristesses, leurs espérances et leurs ap-
préhensions. Ces rapports d'un poignant intérêt et dont
chaque ligne exhale un suave parfum d'édification seront
communiqués à la famille et insérés, du moins en grande
partie, dans les annales de la Congrégation. A les lire,
nos Pères éprouveront les mêmes sentiments que nous
avons goûtés en les entendant.
Parmi les incidents que l'historien du Chapitre de 1898
a le devoir de noter et de relater, mettons en première
ligne la bénédiction pontificale que le Souverain Pontife
— 149 —
Léon XIII a bien voulu nous accorder et qui nous a été
apportée par une dépêche de M^' Volpini, secrétaire de
Sa Sainteté pour les lettres aux princes, un ami et un
bienfaiteur de notre chère Congrégation. Les membres
du Chapitre entendirent, debout et dans un profond
sentiment de vénération, la lecture de la dépêche signée
parle secrétaire pontifical. Longue vie à Léon XIII dont
la mémoire demeure associée à celle de Léon XII dans
le souvenir reconnaissant de notre famille religieuse 1
Notons aussi les télégrammes ou les lettres adressées
au T. R. P. Général, par Son Éminence le cardinal
Oreglia di San Stephano, qui a pris notre maison de
Rome et toute la Congrégation sous sa bienveillante et
si efficace protection; par M^"" Balaïn, dont les vertus
épiscopales jettent tant de luslre sur la famille dont
il demeure toujours le fils aimé et dévoué ; par
Son Éminence le cardinal archevêque de Bordeaux; par
M^'' l'évêque de Nancy, etc., etc.
Nous n'aurons garde d'oublier la lettre, si profondé-
ment imprégnée de l'esprit religieux, que le vénérable
évêque de Saint-Albert, M^' Grandin, avait adressée par
anticipation à l'élu que le Saint-Esprit préposerait au
gouvernement de la Congrégation. Cette lettre, véri-
table monument de piété filiale, a droit à prendre place
dans nos archives. QueM^'' l'évêque de Saint-Albert daigne
accueillir nos remerciements pour l'édification que sa
parole écrite nous a donnée !
Qu'on nous permette d'enregistrer aussi un témoi-
gnage de vénération filiale qui marqua la séance du
matin, le 21 mai. Ce jour ramenait le trente-septième
anniversaire de la sainte mort de notre vénéré Fonda-
teur. Sur la proposition faite par un de ses membres,
le Chapitre récita le Magnificat^ pour remercier Dieu
des grâces qu'il avait accordées au Père de noire fa-
T. XXXVI. 11
— ISO —
mille et par lui à tous les enfants qu'il a comptés ou
qu'il compte actuellement sur la terre.
Trois jours plus tard, dans la matinée du 24 mai, tous
les membres du Chapitre assistèrent, dans la basilique
du Vœu national, à Montmartre, au service funèbre
organisé par le comité du Vœu national pour le repos de
l'âme du regretté P. Voirin. Une assistance d'élite et
profondément recueillie se pressait dans la nef. Les
membres du Chapitre occupaient la droite du cata-
falque. La messe fut chantée par le R. P. Joseph Lemius,
et l'absoute donnée par Sa Grâce, M»"" Langevin, arche-
vêque de Saint-Boniface.
Dans la soirée du vendredi 27 mai, le T. R. P. Supé-
rieur Général put enfin annoncer que la série des affaires
soumises aux délibérations du Chapitre était épuisée et
que l'élection des membres de l'administration géné-
rale aurait lieu le lendemain. La Congrégation connaît
déjà le résultat de ces diverses élections et son approba-
tion a pleinement ratifié le choix fait par ses représen-
tants dans le Chapitre.
Les RR. PP. Antoine, Tatin, Gandar et Miller furent
donc proclamés assistants généraux, pour une période
de six années, et le R. P. Sardou maintenu procureur
général pour le même laps de temps.
Le R. P. Lemius, Joseph, donna alors lecture d'une
adresse au Souverain Pontife qu'il avait rédigée dans un
style digne de Lactance, et au bas de laquelle tous les
membres du Chapitre apposèrent leur suscriplion. M^'^ Jo-
LiVET, U^* Grouard et M^f Joulain donnèrent connais-
sance des lettres de remerciement adressées par eux, au
nom du Chapitre général tout entier, à M"^ la présidente
de l'Œuvre apostolique, à Me"" le directeur de l'œuvre de la
Sainte-Enfance et aux membres du bureau central de la
Propagation de la foi.
— 451 —
Les délibérations du Chapitre étaient closes. Confor-
mément aux prescriptions de la règle, le T. R. P. Gé-
néral prononça à haute voix la formule de la bénédiction
solennelle, et l'assemblée se sépara, mais non pas, toute-
fois, définitivement. Il lui restait, en effet, un grand
acte à accomplir. Le Chapitre de 1873 avait consacré la
Congrégation au Sacré Cœur. Les Chapitres suivants
avaient eu à cœur de suivre cet exemple et de renou-
veler cette consécration. La réunion capitulaire de 1898
ne pouvait pas briser cette tradition, surtout en ce vingt-
cinquième anniversaire de la première consécration.
La basilique de Montmartre vit donc, le samedi 28 mai,
veille de la Pentecôte, à 11 h. 1/2 du matin, le T. R. P. Au-
GiER, entouré de ses quatre assistants nouvellement élus
ou réélus, de Nosseigneurs les évêques et de tous les
membres du Chapitre, se prosterner devant l'autel du
Sacré Cœur, brillamment illuminé pour redire la solen-
nelle consécration de toute notre famille, à son amour
et à son culte. Le nombre des adorateurs fournis par la
ville de Paris était, à cette heure tardive, très petit dans
la nef. Mais, dans le sanctuaire, combien de peuples ci-
vilisés ou de tribus encore sauvages étaient représentés !
Que le Cœur de Jésus, roi et centre de tous les cœurs,
attire à lui plus fortement, les pasteurs et les brebis, les
missionnaires et les âmes, à la poursuite desquelles ils
fatiguent leurs pas !
Quelques minutes plus tard, soixante Oblats étaient
assis, autour de la même table, dans le modeste réfec-
toire des chapelains du Vœu national. Leur aimable su-
périeur, le R. P. J.-B, Lemius, avait retenu sur la sainte
montagne tous les membres du Chapitre, et y avait ap-
pelé encore tous les Oblats présents à Paris, afin de cou-
ronner par un repas fraternel cette réunion plénière
de toute la famille.
— 152 —
En effet, l'heure de la dispersion et du départ allait
sonner pour cette phalange de missionnaires que les
âmes et les œuvres appelaient hors du cénacle. Ce fut
le R. P. Lemius qui leur adressa le suprême adieu. Ja-
mais sa parole n'avait été plus chaude, plus imagée, plus
tendre en même temps et plus affectueuse. Depuis le
T. R. P. Général jusqu'au plus humble membre de la
famille, en traversant tous les degrés de la hiérarchie,
nul ne fut oublié, dans cette nomenclature des per-
sonnes, des œuvres, des mérites et des sacrifices. Aussi,
dans sa réponse pleine d'à-propos, le T. R. P. Général
put-il lui redire ce mot qu'il avait entendu tomber des
lèvres d'un chef de tribu, sur la terre d'Afrique : « Tu as
tout dit, et tu as bien dit. » Les applaudissements et les
sanglots avaient tour à tour interrompu cette magni-
fique péroraison apposée par le R. P. Lemius, aux déli-
bérations de l'assemblée eapitulaire. 11 avait tout dit, et
il avait bien dit.
Une teinte de mélancolie était sur toutes les figures.
Puisqu'il est si doux pour des frères d'habiter ensemble,
pourquoi l'heure de la séparation est-elle si prompte à
sonner? Hélas ! pour beaucoup, cette séparation et ce
départ ne seront-ils pas définitifs ? Ne pouvons-nous pas
nous dire les uns aux autres comme l'apôtre saint Paul
aux habitants de Milet : ^ Je sais que vous ne verrez plus
ici-bas mon visage mortel? »
N'y aurait-il pas, du moins, quelque moyen d'empor-
ter de cette réunion eapitulaire un souvenir sensible et
qui la rende, à toute heure, visible et, pour ainsi dire,
vivante aux yeux de ceux qui y ont participé ? Acquies-
çant gracieusement à la demande formulée par nos
pères des missions étrangères, le T. R. P. Général dé-
cida que tous les membres du Chapitre se feraient pho-
tographier dans un groupe qui serait un mémorial du
— 133 —
commun labeur auquel ils s'étaient livrés sous le regard
de Dieu. Appendue sur les murailles nues de la pauvre
demeure des missionnaires, cette photographie leur
rappellera la famille, les liens indissolubles qui les unis-
sent à leurs frères disséminés sur toute la surface du
globe, le zèle que chacun doit apporter à l'accomplisse-
ment de l'œuvre que l'obéissance lui a assignée.
Il ne restait plus qu'à signer les actes de l'assemblée
capitulaire. Les membres du Chapitre le firent, au soir
de ce même jour ; et aussitôt commença la série des
départs qui allaient rendre peu à peu les missionnaires
à leurs provinces et à leurs vicariats.
A l'heure où paraîtront ces lignes, beaucoup d'entre
eux auront déjà repris le cours habituel de leurs tra-
vaux. Nos yeux ne les verront peut-être jamais plus, mais
notre cœur n'oubliera jamais le feu de leur zèle et le
charme de leur vertu.
RAPPORTS PRÉSENTÉS AU CHAPITRE GÉNÉRAL DE 1898.
Le rapport du T. R. P. Vicaire général aurait ici sa
place; mais, à cause de son importance, il sera publié
dans une circulaire que le T. R. P, Général se propose
d'adresser à la Congrégation.
Nous passons donc aux autres rapports, en commen-
çant par nos Missions étrangères.
Rapport du vicariat de la Saskatcnewan.
Évêché de Prince-Albert, février 1898.
En commençant ce rapport sur le vicariat de la Sas-
katchewan, j'éprouve le besoin de demander aux véné-
rables membres du Chapitre la plus indulgente charité.
Pour me conformer au désir exprimé par le Révéren-
— 154 —
dissime Vicaire, je commence ce compte rendu par
l'énoncé des faits saillants consignés dans le Codex his-
toriens du vicariat de la Saskatchewan, depuis le dernier
Chapitre général de 1893.
Le premier en date a été la visite du Révérendissime
Supérieur général qui vient de nous quitter pour un
monde meilleur, et dont la mort inattendue a plongé la
famille entière dans un si grand deuil. Le T. R. P. Soul-
LiER était accompagné du R. P. Antoine, alors deuxième
assistant. Cette visite, toute courte qu'elle a été, puis-
qu'elle s'est bornée à notre seule maison de Prince-
Albert, nous apporta beaucoup de joie et fut la source
de nombreuses grâces et de précieux encouragements
pour notre vicariat naissant. Nous eûmes sans doute
l'immense regret de ne pas connaître l'époque de cette
visite précieuse assez longtemps à l'avance, afin de la
faire partager à un plus grand nombre de Pères et
de Frères du vicariat. La moitié à peu près eurent la
consolation de voir et contempler le chef vénéré de la
famille, de recevoir ses sages conseils et les bénédic-
tions du Père que le bon Dieu venait de nous donner.
La retraite prêchée par le P. Antoine nous fit un grand
bien. Sa parole enflammée et tout apostolique contribua
merveilleusement à développer dans le cœur des mis-
sionnaires l'amour de la Congrégation, le zèle du salut
des âmes et leur apprit h estimer la croix, le sacrifice
et les privations qui sont le pain quotidien de l'apôtre
missionnaire. Nous étions heureux et nous eussions dé-
siré voir tous les Oblats du vicariat partager notre bon-
heur.
Nous profitâmes du séjour de nos distingués visiteurs
pour leur faire bénir la première pierre de l'édifice que
nous habitons aujourd'hui et qui a remplacé la demeure
par trop modeste qui nous abrita pendant quatre ans.
— l5o -^
C'est à l'occasion de cette visite que fut décrété l'aban-
don ou mieux le démembrement de la résidence de
Saint-Laurent-Grandin, autrefois chef-lieu de district.
Cet abandon, fait du consentement des autorités pre-
mières, s'imposait pour plusieurs motifs, et particulière-
ment à cause de la pénurie de sujets et du voisinage des
Missions de Saint-Louis de Langevin, de Saint-Antoine
de Batocbe et du Saint-Cœur de Marie au lac des Ca-
nards, où le R. P. Paquette ouvrait une école gouver-
nementale pour les enfants indiens, école dont nous
parlerons plus loin.
Depuis le dernier Chapitre, nous avons été honorés de
la visite du vénérable évêque de Saint-Albert.
Me' V. Grandin, le doyen de l'épiscopat canadien, a
daigné monter jusqu'à nous. Cette visite nous a été bien
précieuse et nous en conservons le meilleur souvenir.
Peu de temps après, M^"" E. Grouard, accompagné du
grand apôtre de l'Ouest, le révérend et cher P. Lacombe,
venait, lui aussi, passer la journée du 22 novembre au-
près du pauvre vicaire apostolique de la Saskatchewan.
Cette visite toute de charité et d'amitié fraternelle nous
permit d'épancher nos cœurs et de les unir par les doux
liens de la plus sincère affection, sous le regard du pon-
tife et martyr le glorieux saint Albert. Nos meilleurs
remerciements à ces nobles et dignes visiteurs.
Le personnel du vicariat a vu plusieurs changements
s'opérer dans ces cinq dernièresannées. LesRR. PP. Blais,
Lebret, Lecoq et Micdel sont allés exercer leur zèle sous
des climats meilleurs. Le plus pénible de ces départs a
été celui du regretté P. Jouan pour l'éternité. Jeune mis-
sionnaire, plein de talents, de zèle et de bonne volonté,
ce cher Père, sur qui nous fondions de grandes espé-
rances, est mort au début de sa carrière sacerdotale et
apostolique, nous laissant le cœur tout édifié de ses
— 156 —
vertus, mais l'âme brisée et inconsolable de la perte d'un
tel ouvrier. Il n'est pas remplacé ! Cette perte laisse la
Mission de Saint-Jean-Baptiste, à l'Ile à la Crosse, dans
un état de gêne incroyable.
Parmi nos bons Frères convers, ces auxiliaires dévoués
et précieux de la famille, nous en avons un qui a été
atteint d'un mal bien pénible, mal qui a nécessité son
départ d'au milieu de nous. Le R. P. Allard, vicaire
général de Saint-Boniface, a daigné veiller sur le cher
malade et a enfin réussi, après bien des démarches, à le
faire accepter dans une de ces maisons où la charité est
exercée par des mains religieuses. Là, le cher malade
trouvera tous les secours spirituels dont il aura besoin,
si l'état de sa santé le permet. Les dernières nouvelles
reçues nous laissent sans espoir de guérison. Que le
R. P. Allard reçoive ici l'expression de notre vive gra-
titude au nom du vicariat et de la Congrégation.
État général du vicariat.
Le vicariat de la Saskatchewan est composé de deux
parties bien distinctes : le Nord et le Sud, où le climat
est bien différent. Dans la première comme dans la se-
conde, nous comptons deux districts : l'un à l'Est et
l'autre à l'Ouest. Nous le divisons ainsi, non pas parce
que le nombre d'ouvriers qui s'y dépensent est considé-
rable, mais à cause de leur éloignement et de l'impossi-
bilité où nous sommes de les centraliser tout en désirant
leur union.
Les deux districts du Nord et du Nord-Est sont et se-
ront toujours des pays de missions pour les Indiens,
sans espoir de colonisation, tant à cause des rigueurs
du climat que de la nature même du sol qui ne se prête
pas du tout à la culture. Ce sont les districts de l'Ile à
la Crosse et du Cumberland.
— 157 —
Les deux districts du Sud et du Sud-Ouest, que nous
nommons l'un district de Prince-Albert et l'autre district
de Battleford, sont mieux partagés sous tous les rap-
ports. Le climat y est moins sévère en hiver. Le sol, très
fertile en général, les nombreux pâturages qui avoisinent
les lacs, y attirent chaque année de nombreux colons.
Les familles que l'Europe nous a envoyées paraissent
satisfaites de leur nouvelle patrie et oublient volontiers
les oignons d'Egypte. Une nouvelle voie ferrée, déjà
bien avancée, est à la veille de nous atteindre. Cette
nouvelle ligne, en ouvrant la belle et petite vallée de la
Saskatchewan et en reliant Prince-Albert et Battleford à
Edmonton, avec le portage Laprairie comme point de
départ, sera la cause d'un grand changement dans la
partie sud du vicariat. Depuis trois ou quatre ans que
l'immigration se porte dans nos contrées, nous voyons
déjà plusieurs centres de paroisses se dessiner. Toutefois
le travail est lent chez nous et nous ne sommes pas
inondés de flots humains comme certaines parties des
plaines du Nord-Ouest. Faut-il en gémir? Il nous semble
que non; car, s'il en était ainsi, nous ne pourrions suf-
fire aux besoins spirituels de tant d'âmes, faute de prê-
tres et de moyens pour les soutenir.
Depuis quatre ans, je cherche à connaître le nombre
exact de la population du vicariat de la Saskatchewan ;
voici le fruit de mes recherches, et je suis heureux
d'offrir à la Congrégation et aux membres de ce véné-
rable Chapitre le chiffre le plus approximatif de la popu-
lation catholique, prolestante et païenne qui habite le
vicariat confié par l'Église et la Congrégation à notre
sollicitude pastorale.
Pardonnez-moi, mes révérends Pères^ cette page fas-
tidieuse, mais qui a son intérêt.
— 158 —
TABLEAU DE LA POPULATION.
ci D"
ô rt
Prince-Albert, Mission du Sacré-Cœur 420 1600 150
Lac Canard, Saint-Cœur de Marie 7o0 60 120
Saint-Louis et Domremy 480 15 »
Batoche, Mission de Saint-Antoine 600 40 225
Saskatoon et Fish-Creek 185 150 300
Station de Rostherne 5 1000 monomites
Battleford, Saint-Vital 493 900 250
Lac Brochet, Saint-Léon 160 25 250
Battleford, Réserves blo 390 400
Lac Maskeg, Notre-Dame de Pontmain 320 500 400
Lac Vert, Saint-Julien 260 50 500
Ile à îa Crosse, Saint-Jean-Baptiste 800 25 »
Portag-e la Loche, Notre-Dame de la Visitation. 460 15 »
Cumberland, Saint-Joseph 440 900 800
Lac Pélican, Sainte-Gertrude 450 30 ÎO
Nelson, l'Assomption 150 200 200
Lac Fendu 5 200 300
Lac Caribou, Saint-Pierre 800 » «
Churchill • 10 400 800
York Factory w 300 400
Stoney-Crpek , 60 100 150
Fort Lacorne 50 120 120
Lacs Montréal et Larouge 25 600 »
Rivière CaiTote 13 500 »
Sainte-Catherine 12 300 »
Esquimaux à l'est des lacs Caribou, Alhabaska et le grand lac des
Esclaves et sur le littoral, environ 1500 païens.
Total particulier: 7473 catholiques; 8 440 protestants; 7 083 païens.
Total général: 24200 âmes.
Ce qui frappe le plus dans cette nomenclature, c'est
le chiffre total relativement modeste de £4 000 âmes.
C'est peu, en effet, si on le compare aux immenses popu-
lations du Céleste Empire et même aux peuplades du
noir continent. D'un autre côté, il faut avouer que notre
vicariat, qui mesure 1050 milles, soit 1680 kilomètres
de l'est à l'ouest, et 1 725 milles, soit 2 740 kilomètres
du nord au sud, pourrait en contenir davantage. Or,
~ 159 —
c'est la vaste étendue de ce champ qui fait notre mal-
heur. Si les âmes étaient moins disséminées, un petit
nombre de missionnaires valides serait suffisant. Dans
les conditions actuelles, avec la meilleure volonté du
monde, nos missionnaires ne sauraient atteindre toutes
les âmes. Que dis-je? Plusieurs Indiens désirent le prêtre
et le demandent, et il n'y a personne pour rompre le
pain à ces infortunés et le grand nombre doivent se con-
tenter de quelques miettes, c'est-à-dire d'une visite an-
nuelle. Le littoral de la baie d'Hudson, à partir d'York-
Factory jusqu'à Fort-Hope, est certainement peuplé
d'Esquimaux dont nous ne connaissons pas le nombre ;
et jusqu'ici les missionnaires n'ont fait aucune appari-
tion parmi ces infidèles.
Les dix-huit apôtres qui travaillent dans ce vaste
champ ont beau se multiplier, ils ne peuvent atteindre
cette population. La dispersion des âmes est la cause
de nombreux voyages toujours pénibles et souvent dan-
gereux. Le missionnaire dépense autant de temps et de
peine pour quelques familles que pour des centaines
dans d'autres conditions.
Rien de plus méritoire sans doute et rien de plus
héroïque que cette vie de l'apôtre, bravant les intempé-
ries et s'exposant à mille périls pour courir après les
brebis perdues. Ne pourrions-nous pas dire qu'à juste
titre il réalise parfois l'application des labeurs et des
dangers de l'Apôtre : Periculis fluminum, pet'iculis latro-
num^ periculis ex génère, periculis ex gentibus^ periculis
in civitate, periculis in solitudine, periculis in jnari, peri-
culis in falsis fj'atribus, in labore et œrumna, in vigiliis miil-
tis, in frigore et nuditate.
La diversité de langues difficiles à apprendre est aussi
un des obstacles qui retarde les progrès de l'Evangile
dans notre vicariat, et qui en rend l'administration dif-
— 160 —
ficile. Pour répondre à tous les besoins, il faudrait en
savoir sept. Nous avons, en effet, des Anglais, des Fran-
çais et des Polonais; mais nous avons aussi des Indiens
parlant le cri, le montagnais, le sioux, le sauteux et
l'esquimaux. Aucun de nos missionnaires ne connaît
ces trois derniers idiomes.
Permettez-nous maintenant de vous présenter par
rang d'âge les missionnaires Oblats qui se dépensent
dans le vicariat :
1° Le R. P. Alphonse Gasté, soixante-huit ans ;
2° Le 11. P. Julien Moulin, soixante-huit ans ;
3° Le R. P. Etienne BoxALD, cinquante et un ans;
4" Le R. P. Victor Pineau, cinquante et un ans ;
5" Le R. P. MelasyppePAQUETTE, quarante-neuf ans;
6° Le R. P. Henri BiGONESSE, quarante-huit ans ;
1° Le R. P. Augustin DuHAUT, quarante-trois ans;
8° Le R. P. Joseph Rapet, quarante-trois ans ;
9° Le R. P. Victorin Gabillon, quarante-deux ans ;
10" Le R. P. Emile Teston, quarante-deux ans ;
H° Le R. P. Constant Cocho, quarante-deux ans;
12° Le R. P. François Ancel, quarante ans ;
13° Le R. P. Ovide Charlebois, trente-six ans ;
14° Le R. P. Léandre Vachon, trente-quatre ans;
15° Le R. P. Jean-Marie Pénard, trente-quatre ans ;
16° Le R. P. Adrien Maisonneuve, vingt-neuf ans;
17° Le R. P. François Delmas, vingt-huit ans ;
18° Le R. P. Xavier Simonin, vingt-huit ans.
De ce nombre, 10 missionnaires ont l'immense avan-
tage de résider deux ensemble la plus grande partie du
temps (ce sont ceux des Missions du lac Caribou, du lac
Pélican, du lac Canard, de Sainte-Angèle et de Prince-
Albert) ; les 8 autres ont à parcourir des distances qui
varient entre 40 et 150 milles, pour rencontrer un con-
frère. Ils sont donc condamnés à la solitude durant de
— 161 —
longs mois et soupirent après le jour oti ils n'auront
plus à appréhender les dangers et les pénibles inconvé-
nients du vx soli. Ce sont bien les moines de la Thé-
baïde. Ils ressemblent en quelque sorte à des phares
lumineux placés aux quatre coins de cet immense vica-
riat pour éclairer les âmes, indiquer les écueils et se-
courir les naufragés; au reste, la comparaison n'est pas
tout à fait juste, car ils ne sont pas cloués sur le rocher
et leur vie n'est rien moins que sédentaire. Voilà le ba-
taillon que la Congrégation met à noire disposition pour
combattre les nombreux ennemis qui nous environnent.
Nous avons dans le vicariat treize résidences avec
église, douze postes avec chapelles oii le missionnaire se
rend une fois par mois ou à peu près. Nous comptons
aussi vingt-deux stations visitées une ou deux fois par an.
Nous trouvons au crédit de nos ouvriers apostoliques
comme fruit de leur travail depuis quatre ans :
i° La somme de 1 956 baptêmes, soit 489 par an, en
moyenne ;
2" La conversion de 160 païens, soit 46 par an;
3" 316 mariages, soit 79 par an ;
4° 357 confirmations, en quatre années ;
5° 13 092 communions, soit 3 523 par an.
Pour aider nos Pères dans l'important travail de l'édu-
cation et de la civilisation de nos peuplades, nous avons
quatre communautés de religieuses d'ordres différents :
•1° Les Sœurs Grises de Montréal, à l'Ile à la Grosse;
2° Les Fidèles Compagnes de Jésus, au lac des Ca-
nards ;
3° Les Sœurs de l'Assomption de Nicolet, à Battle-
ford ;
4° Les Filles de la Providence de Saint-Brieuc, à
Saint-Louis.
Ces quatre établissements donnent l'instruction à
— 162 —
337 enfants. Huit écoles sont confiées à des maîtres ou
maîtresses laïques, avec un nombre de 195 enfants seu-
lement : et, enfin, neuf écoles sont fermées faute de maî-
tres. En considérant le petit nombre de nos écoles et des
enfants qui jouissent du bienfait de l'éducation, il n'est
pas inutile de rappeler ici les grandes difficultés que
nous rencontrons et les embarras toujours croissants
que nous suscite notre gouvernement des territoires du
Nord-Ouest. N'avoir que des écoles neutres ou athées,
tel est le but poursuivi chez nous comme au Maniloba,
avec une énergie vraiment infernale, par nos législateurs
protestants et francs-maçons pour la plupart. Le R. P.Le-
duc, vicaire général de Saint-Albert, a sans doute protesté
par ses paroles et ses écrits contre l'injustice commise
envers nos catholiques et contre l'asservissement auquel
ils sont assujétis, mais sans succès. Nous voyons chaque
année se multiplier les difficultés et les entraves édictées
par un gouvernement hostile à nos croyances et à nos
libertés religieuses. Depuis les Ordonnances de 1892,
nous assistons dannée en année à la fermeture de nos
écoles de la campagne. Gomme au Manitoba,nous nous
trouvons déjà dans la nécessité de bâtir des écoles à nos
frais, de trouver des instituteurs et de compléter leur
salaire. Comme l'enseignement de l'anglais est obliga-
toire, il s'ensuit que les examens pour nos candidats à
l'enseignement sont très difficiles ; en outre, nos mo-
destes écoles des campagnes étant peu lucratives, elles
sont peu recherchées par ceux qui sont pourvus de di-
plômes. Nous constatons avec peine le triomphe de nos
ennemis, et l'avenir nous donne de l'inquiétude. Nous
nous demandons souvent ce que seront les générations
futures, si nous ne faisons rien pour la conservation de
la foi et des principes religieux dans le cœur des enfants.
— 463 —
État particulier du vicariat.
Après ces réflexions qui, à elles seules, suffiraient pour
donner une idée de la situation du personnel et des œu-
vres du vicariat, qu'il me soit permis de parcourir ra-
pidement les résidences de chaque district.
i° District de Prince- Albert. — Prince- Albert est le
siège du Vicaire. La maison qui nous sert de demeure
n'est ni riche ni spacieuse, mais elle est convenable.
Elle est le fruit de la charité. Les Anglais, peu difficiles,
osent lui donner le titre de palais épiscopal. Le person-
nel qui l'habite se compose actuellement de deux Pères
et de deux Frères convers. Ce sont les RR. PP. Augustin
DuHAUT et Adrien Maisonneuve et les Frères Jean et
Auguste DucLAUx. Le R. P. Duhaut, notre procureur
vicariat et notre premier assistant, est arrivé tout der-
nièrement parmi nous pour remplacer le R. P. Michel,
dont la santé n'a pu se faire aux rigueurs de nos cli-
mats. Qu'il me soit permis de remercier ici publique-
ment le R. P. JoDOiN, le digne provincial du Canada qui
a daigné, au prix d'un sacrifice réel, nous montrer son
désintéressement et sa grande charité en nous cédant
un missionnaire distingué et accompli qui nous aidera
puissamment à porter le lourd fardeau que l'obéissance
nous a imposé. Je fais des vœux pour que le bon Dieu
nous le conserve longtemps.
La population sur laquelle s'exerce le zèle du nou-
veau pasteur de notre église cathédrale est un composé
de Français, d'Anglais, de Polonais, de métis et de sau-
vages ; et ces catholiques, au nombre de 430, sont mêlés
ài600 protestants de toutes les sectes. La paroisse occupe
un rayon de 25 à 30 milles de chaque côté de la ville.
Le R. P. Duhaut a le R. P. Maisonneuve pour vicaire,
et ce dernier s'occupe spécialement des postes circon-
■- 164 —
voisins et surtout des familles de métis et de sauvages.
Les postes visités de Prince-Albert sont Saskatoon,
90 milles ; Stoney-Creek, 70 milles ; fort Lacorne,
40 milles; la Pologne, 16 milles; le lac Esturgeon,
lo milles et la rivière Coquille, 9 milles.
Le service paroissial de la cathédrale se fait en anglais
et en français et je voudrais pouvoir dire aussi en polo-
nais. Les exercices des mois du Sacré Cœur, de Marie, de
saint Joseph et du saint Rosaire y sont bien suivis. Visiter
les malades et les familles, faire le catéchisme, remplir la
charge d'aumônier des religieuses, tenir la procure vica-
riale, répondre aux besoins des missionnaires éloignés,
surveiller l'achat et l'envoi de leur approvisionnement,
prêcher les retraites du mois et étudier les langues,
voilà une idée de l'occupation des Oblats de Prince-
Albert. Nous ne devons pas oublier non plus que la mai-
son est également maison de noviciat pour le vicariat
et je suis heureux de pouvoir dire que le bon Dieu nous
a permis de cueillir sur les bords de la Saskatchewan
deux belles fleurs, germées sous le manteau de Saint-
François Régis dans les montagnes du Vivarais et qu'un
souffle divin a poussées jusque dans nos pays lointains
pour leur faciliter le moyen de devenir membres de la
famille des Oblats de Marie-Immaculée. L'esprit reli-
gieux existe à Prince-Albert; on y mène une vie régu-
lière, suivant que le permettent les circonstances, et les
Oblats qui habitent la maison ne sont pas exposés à per-
dre l'esprit de leur vocation.
2° Saint-Louis de Langevin, desservi par le R. P. Ga-
BiLLON a beaucoup augmenté dans ces dernières années.
Les nombreux colons qui se sont emparés du sol ont eu
la malheureuse idée de se disperser et de s'éloigner les
uns des autres. Cette population est donc loin des égli-
ses et de l'école paroissiale ; elle occupe un rayon de
— 465 —
33 à 40 milles. Pour faciliter l'éducation des enfants,
nous avons fait appel à des religieuses qui, en ouvrant
une école-pensionnat, peuvent réunir les enfants éloi-
gnés et leur donner un enseignement chrétien. Si les
moyens nous le permettaient, nous doterions toutes nos
paroisses naissantes de semblables écoles ; mais hélas !
nous n'avons pas chez nous les mines du Klondyke.
3° A Saint-Antoine de Batoche, le R. P. Moulin, qui
porte toujours allègrement, avec ses soixante-huit ans,
plus de quarante années de campagnes apostoliques, est
là au milieu de ses nombreux métis qui l'estiment et le
vénèrent comme leur père et leur pasteur. Saint-An-
toine a hérité d'une partie de Saint-Laurent.
4° A Notre-Dame de Pontmain, le R. P. Vachon di-
rige un troupeau bien ingrat, composé d'Européens, de
métis et de beaucoup d'Indiens. La prairie est vaste.
C'est grâce à ses deux bons chevaux qu'il peut atteindre
les brebis dispersées entre les rives de Garlton et le lac
du Diable, distants de près de 60 milles. On voit là de
belles réserves peuplées de sauvages qui, autrefois, de-
mandaient le prêtre, mais qui le refusent aujourd'hui,
car elles sont devenues protestantes.
5° Le lac des Canards est desservi par le R. P. Pineau.
Ce cher Père qui marche dans la vie depuis plus d'un
demi-siècle, n'a plus l'ardeur de la jeunesse. Si le R. P.
Paquette ne lui prêtait main forte au besoin, il ne pour-
rait seul suffire à la besogne. y
Saint-Eugène de Carlton et une partie du vieux Saint-
Laurent sont sous sa juridiction et lui imposent de nom-
breux voyages pour l'exercice de son ministère.
La population de cette paroisse riche par le nombre,
car elle s'élève au chiffre de 700 et plus, y compris les
enfants de l'école-pensionnat, est bien dispersée. La
moitié environ des habitants du lac des Canards sont
T. XXXVI. 12
— 166 —
des colons venus de toutes les parties de la Franco.
Parmi ces colons, les uns, et Dieu merci, c'est le grand
nombre, ont apporté des sentiments très cl:jrétiens. Ils
donnent à leur pasteur de grandes consolations ; les au-
tres sont remplis d'indifférence ; ils reçoivent volontiers
le prêtre sous leur toit, mais ne vont jamais à l'église.
Quelques-uns, peu nombreux aujourd'hui, gardent dans
leur oœur le dédain et la mépris pour la religion et son
ministre. Ils nourrissent ce mauvais levain qui, aube-
soin, peut produire tous les mauvais fruits dont l'impiété
est capable. Nos sauvages infidèles ne sont pas si dan-
gereux. Que le bon Dieu nous préserve d'une telle ivraie !
La Mission du lac des Canards a été dotée d'une église et
d'un presbytère nouveaux pour lesquels le vicariat a
fait de grands sacrifices et s'est mis dans un état de gêne
considérable.
Ce rapide aperçu sur la mission du lac des Canards ne
serait pas complet, si nous ne parlions ici de l'école-
pensionuat fondée et dirigée avec tant de succès, d'ha-
bileté et d'abnégation par le R. P. Mélasyppe Paquette .
Ce bon Père est arrivé au lac des Canards où l'appe-
lait l'obéissance avec 13 enfants Indiens sur les bras,
sans savoir où les loger et comment les nourrir. Con-
fiant en la divine providence qui n'abandonne pas ses
enfants, le R. P. Paquette s'est mis à l'œuvre et aujour-
d'hui, grâce à son énergie, à son dévouement, à son ab-
négation, grâce aussi au concours intelligent que lui
ont donné les Fidèles Compagnes de Jésus, chargées de
l'instruction des enfants ; cette école, qui est à la veille
d'avoir 100 enfants, fait l'admiration de tous les visi-
teurs. Là, nos enfants indiens reçoivent les bienfaits
de la vraie civilisation et apprennent surtout l'art si
précieux d'être bons chrétiens. Les parents de ces petits
Indiens viennent souvent respirer l'atmosphère de piété
— 167 —
qui s'exhale de cette institution et les enfants devenus
grands sortent de là et vont prêcher à leurs frères encore
infidèles les bienfaits du christianisme. Celte école qui,
on peut bien le dire, est encore à son début, a déjà fait
un grand bien. 11 est bien regrettable que nous ne puis-
sions pas, faute de ressources, établir d'autres écoles
semblables dans le vicariat ; car c'est bien là le moyen
d'atteindre nos sauvages et de les amener à la connais-
sance et à l'amour de notre religion.
Avant de quitter notre district de Prince-Albert, il est
de mon devoir de remercier le R. P. Paquette, au nom
de toute la Congrégation, de ce qu'il fait pour le bien
des sauvages du vicariat de la Saskatchewan. Les Pères
et Frères de ce district se réunissent chaque année pour
la retraite annuelle qui a lieu généralement en août,
dans notre maison de Prince-Albert. Notre aimable ar-
chevêque a bien voulu nous prêter le R. P. Allard l'été
de 1897 pour ce travail et nous comptons sur le zèle du
R. P. Z. Laçasse, qui doit donner les exercices de la re-
traite cette année, pour affermir dans le cœur de nos
Pères et Frères l'amour de leur sainte vocation. Nous
devons cette faveur inappréciable à M^'' l'archevêque
de Saint-Boniface, notre vénéré métropolitain. Qu'il
reçoive ici l'expression de notre profonde gratitude 1
2° District de Battleford. — Au dernier chapitre, ce
district ne comptait que deux sujets. Ce nombre s'est
accru depuis et le R. P. Delmas a été donné pour socius
au R. P. GocHiN. Ce nouveau missionnaire, digne enfant
du Rouergue, plein de zèle et de bonne volonté, est le
Timothée du captif de la fameuse rébeUion de 1885.
Les lettres qu'il nous écrit, tout imprégnées du feu apos-
tolique, nous donnent à entendre que le théâtre est un
peu vaste, la moisson abondante, mais le travail rude et
sans grandes consolations. Ces deux pauvres Pères sont
— 168 —
en campagne à tour de rôle. Ils ne se réunissent un jour
que pour se séparer le lendemain. Des quatre diman-
ches de chaque mois, ils n'en passent qu'un ensemble
à Tundertchild, leur centre d'opérations. Ils demandent
à cor et à cri les moyens de bâtir une église convenable
pour pouvoir y déployer un peu les cérémonies de notre
sainte religion et frapper les yeux et toucher le cœur
de leurs nombreux néophytes, dont l'état d'abrutisse-
ment et la résistance à tout argument sont de nature à
décourager des missionnaires moins zélés. Quel grand
acte de charité si une âme généreuse pouvait leur four-
nir de 3 à 4 000 francs pour ériger, à Tundertchild, un
temple au Seigneur et remplacer la masure de pièces
brutes qui ne rappelle que trop, hélas! l'étable de Beth-
léem ! Quel grand bienfait , quel encouragement pré-
cieux ce serait pour ces pauvres missionnaires ! Parmi
les stations à visiter, les Pères ont, d'un côté, la rivière
Bataille à traverser, de l'autre, le fleuve Saskatchewan.
Ces voyages ne sont pas commodes et offrent de grands
dangers à cause des glaces du printemps et de l'au-
tomne. Par delà le fleuve, se trouve, en effet, un bon
noyau de paroisse que nous appelons Saint-Léon du
lac Brochet. 11 y a là une chapelle, une école très pros-
père, et malgré le grand désir des nombreux chrétiens
qui y résident, nous ne pouvons leur donner un prêtre
résidant.
Pendant que les deux Pères se dépensent au milieu
des Indiens, le R. P. Bigonesse, leur supérieur de dis-
trict, fait face aux besoins de la Mission Saint-Vital, à
Battleford. Saint-Vital est une de nos paroisses les plus
importantes et les mieux organisées. L'église et le pres-
bytère ont été restaurés et embellis par les soins du
R. P. Pineau. Les catholiques, aidés même des protes-
tants de la localité, ont réussi, parle moyen d'un bazar,
— 169 —
à recueillir une somme qui a fait honneur à leur géné-
rosité et à leur bon esprit.
Les Sœurs de l'Assomption de Nicolet dirigent, à
Saint-Vital, une école de 120 enfants dont 110 catho-
liques et 10 protestants. Ces bonnes religieuses, dont
le dévouement est sans bornes, facilitent le travail du
prêtre et sont d'un grand secours pour l'église et le ser-
vice divin.
3° District de l'Ile à la Crosse. — Tous les pays que
nous venons de parcourir sont dans la zone tempérée
du vicariat. Dans ces deux districts, nous comptons
10 Pères et 5 Frères convers, les autres sont disséminés
parmi les sauvages. A 256 milles au nord de Battleford,
nous entrons dans le district de l'Ile à la Crosse. La Mis-
sion Saint-Jean-Baptiste est le point central où doivent
se réunir chaque année les RR. PP.Rapet et Teston, qui
demeurent, l'un au portage la Loche et l'autre au lac
Vert, c'est-à-dire à environ 160 milles du chef-lieu du
district. Cette Mission de l'Ile à la Crosse ne cesse de
prospérer: les Indiens, au nombre de 700 à 800, tous
chrétiens, y sont réellement bons. Dans notre visite pas-
torale, en 1896, nous avions la grande consolation de
distribuer, un même dimanche, la sainte communion à
300 Indiens bien préparés et le sacrement de confirma-
tion à 82. La semence déposée dans cette terre lointaine
par NN. SS. Taché et Fapaud, de sainte mémoire, et
également par NN. SS. Laflèche et Grandin, y produit
des fruits de salut très consolants. Depuis cinquante
ans que ce champ est défriché, l'ivraie n'y a jamais
poussé, grâce aux soins et à la vigilance des apôtres.
Le R. P. Pénard, qui vient d'être chargé de cette Mis-
sion importante, a, pour l'aider, quatre Frères convers,
vrais modèles du bon religieux et d'un grand dévoue-
ment pour la prospérité matérielle de l'établissement.
— iio —
Deux de ces chers Frères ont entrepris la construc-
tion d'une église assez considérable pour remplacer
l'ancienne qui ne pouvait plus contenir ses fidèles au
printemps et à l'automne, époque où se réunissent les
Indiens.
Dans cette Mission de l'Ile à la Crosse^ là-bas, sur un
tertre sablonneux, entouré d'une modeste palissade et
abrité par une humble croix, reposent les corps de nos
P. LégeArd et JouAN, morts les armes à la main, du
F. UuBÉ et de plusieurs Sœurs Grises de Montréal. Re-
quiescoM in pace!
Le R. P. Rapet au portage la Loche, le R. P. Teston au
lac Vert se dépensent beaucoup pour leurs Missions res-
pectives et le travail ne leur manque pas. Dans la visite
que je leur ai faite, en 1896, j'ai admiré la foi, la piété
et l'amour de leurs ouailles pour notre sainte religion ;
mais j'ai été touché et peiné tout à la fois de l'état de
dénûment, de l'excessive pauvreté de ces Missions et des
rudes privations qu'endurent ces dévoués missionnaires.
Le bon Père Tfston s'est astreint jusqu'ici à montrer les
premières lellres aux enfants du village pour obtenir un
modique secours du gouvernement qui lui permet de
pouvoir subvenir aux besoins de sa Mission de Saint-
Julien. Le gouvertiement, jaloux sans doute de voir un
prêtre faire le bien, va retirer ce salaire, nous dit-on,
et le pauvre Père devra réduire alors ses dépenses, car
il sera entièrement à la charge du Vicaire.
4° District de Cumberlarid. — Le district de Cumber-
land est le plus vaste comme étendue et malgré le zèle
des cinq missionnaires qui s'y dépensent avec tant d'ar-
deur et de dévouement, c'est celui qui contient le plus de
protestants et de sauvages infidèles que le prêtre n'a pli
atteindre. Deux Pères résident au lac Caribou, deux aU
lac Pélican et un à la Mission Saint- Joseph du lac Cum-
— 171 —
berland. Ces Missions sont séparées les unes des autres
par des distances qui varient entre 150, 175 et 300 milles.
11 m'a fallu deux mois et demi, l'été dernier, pour visiter
les centres principaux de ce district. Pour atteindre la
Mission Saint-Pierre du lac Caribou, le voyageur doit
porter à dos, environ vingt-quatre fois, bagage et pi-
rogue, pour éviter les cascades et rapides impétueux
qui se rencontrent de temps en temps sur les grands
fleuves. La Mission Saint-Pierre est le poste le plus re-
culé du vicariat. Les nouvelles de la famille n'arrivent
là-bas que deux fois par an. Ce n'est qu'en janvier que
ces chers exilés ont appris la nouvelle douloureuse de
la mort de notre regretté P. Supérieur général, et à
l'automne seulement, ils connaîtront le nom de celui
que le bon Dieu vient de leur donner. En considérant
le manque de sujets d'un côté, et la diminution dé ndS
recettes de l'autre, nous nous sommes un moment de-
mandés si nous ne devions pas nous replier et abandon-
ner ce poste reculé, dont l'entretien nous est si onéreux.
Avant d'en venir à cette pénible décision, nous avons dû
prendre conseil de notre bien-aimé P. Général et de ses
assistants.
L'adrfiinistration n'a pas approuvé notre résolution, et
je crois qu'elle a eu raison. Voilà plus de trente ans que
les missionnaires ont pris pied dans ce pays. Ils l'ont
arrosé de leurs sueurs et fécondé de leurs souffrances et
de leurs mérites. Les nombreux Indiens de la tribu des
Montagnais qui fréquentent ce poste, sont de nos meil-
leurs chrétiens. Un père doit-il abandonner ses enfants?
L'église si belle, le presbytère et ses dépendances, le
cimetière où dorment en silence de si nombreux chré-
tiens, doivent-ils être condamnés à devenir la proie des
flammes ou tomber entre les mains des ministres pro-
testants? Ce n'est pas possible. Le bon vieux P. Gasté
et son aimable compagnon, le cher F. Guillet, qui ont
employé pendant plus de trente ans tout ce qu'ils avaient
de force, de talent, de moyen et d'industrie, au dévelop-
pement de l'œuvre, en mourraient de peine et de cha-
grin. Oh non ! ne leur imposons pas ce sacrifice à la fin
de leurs jours ; laissons-leur la gloire et la douce conso-
lation de finir leur vie si pleine de mérites au milieu de
leurs chers Montagnais. Ah ! que n'ai-je plutôt un jeune
missionnaire au cœur fort et à l'âme généreuse qui aille
recueillir ce précieux héritage, et, de là, porter le flam-
beau de la foi parmi les Esquimaux de Churchill. Si le
bon vieux P. Gasté, qui, il y a cinq ans, était ici parmi
les membres du Chapitre, voyait s'accomplir ce rêve de
toute sa vie de missionnaire, il entonnerait avec joie son
Nunc dimittis! Le cher F. Guillet, le doyen des Frères
du vicariat, sert encore de bâton de vieillesse à son cher
P. Gasté, mais hélas ! les nombreuses infirmités qui le
font souffrir sans cesse, disent assez que le jour des
grandes récompenses approche également pour lui. Le
R. P. Ancel seul est valide parmi les membres de cette
petite famille.
Au lac Pélican, le R. P.Bonald, épuisé et vieux avant
le temps, continue toujours à consolider et affermir
l'amour de notre sainte religion dans l'âme et le cœur
de ses bons néophytes qu'il a ramenés à la foi. Les an-
nales de la famille et celles de l'œuvre de la Propagation
de la foi disent assez haut le zèle de ce vaillant apôtre
des montagnes et les bénédictions dont Dieu a couronné
ses efforts. Une mission qui, autrefois, ne comptait
qu'une poignée de catholiques est aujourd'hui une de
nos stations les plus belles et les plus nombreuses.
L'église de Sainte-Gertrude est devenue trop petite et là
aussi se l'ait sentir le besoin d'un temple plus vaste et
mieux en rapport avec l'importance de la Mission. Le
— 173 —
cœur du missionnaire, toujours altéré et brûlé par lascif
des âmes, le porte à étendre au loin les conquêtes du
saint Évangile. Apôtre infatigable, il a créé des chrétien-
tés jusqu'au fort Nelson, à 300 milles du lac Pélican.
Le R. P. Xavier Simonin, son jeune et aimable compa-
gnon, le soulage et le console. Ces chers Pères me de-
mandent un Frère convers pour qu'ils puissent se dé-
charger sur lui des soucis temporels, les aider dans leurs
nombreux voyages, etc. Mais, hélas ! le nombre de ces
chers auxiliaires est si petit dans notre vicariat, que je
me vois dans l'impossibilité de répondre à leurs légitimes
demandes.
Au Cumberland^ Mission Saint- Joseph, nous trouvons
le R. P. CoARLEBOis seul et débordé de travail. Outre
cette Mission, oii il a bâti une église qui lui fait gran-
dement honneur, ce cher Père étend son zèle aux Mis-
sions du Pas, de la Montagne du Pas, au lac d'Orignal,
au lac des Cèdres, et enfin, au Grand-Rapide, près du
lac Winnipeg. Partout, dans ces différentes réserves, il
a formé un noyau de sauvages catholiques, qui va en
augmentant. Les protestants l'ont en haute estime et
les sauvages païens eux-mêmes sont heureux de sa vi-
site. Je fais des vœux, chaque année, pour que la Con-
grégation me fournisse les moyens de lui donner un
socius qui, en le tirant du pénible isolement auquel il
est condamné depuis bientôt dix ans, lui permette de
consacrer plus de temps à ses différentes chrétientés.
Ce cher Père a, dans sa Mission et les postes qui en re-
lèvent, environ 2 000 âmes pour sa part, dont 450 seule-
ment sont catholiques. La Mission du Grand-Rapide est à
260 milles du Gumberland, et, par delà le lac Winnipeg,
s'ouvre le fleuve Nelson jusqu'à Yoïk-Factory, environ
600 milles où les sauvages ne sont pas évangélisés.
Messis quidem multa operarii autem pauci.
— 174 —
RÉsuAiÉ. -^ Par tout ce que nous venons de dire, il est
facile de comprendre que le Vicariat de la Saskatchewatl
ne s'est pas trouvé en mesure de faire de grands progrès.
Les progrès ont consisté à maintenir les positions ac-
quises et à les améliorer autant que possible. Nous
n'avons établi aucun poste nouveau à cause du manque
de sujets et de ressources. Et cependant il y a plusieurs
fondations qui s'imposent, par exemple une au lac Cro-
che, à 20 milles au sud-est de Prince-Albert ; Une autre
à Stohey-Creck, à 70 milles au sud-est de Prince-Albert ;
une troisième à Churchill, à l'embouchUre du fleuve de ce
nom, pour les Esquimaux^ qui, comme nous l'avons dit
plus haut, n'ont pas reçu encore la visite du prêtre por-
tent* de la bonne nouvelle. Il y a encore le poste impor-
tant du lac la Ronge, autour duquel vivent plusieurs
centaines de sauvages encore païens et qui viendraient
à nous, bien certainement, si nous pouvions leiir donner
un missionnaire. Outré ces fondations, plusieurs de nos
missions actuelles, pour recevoir un plus entier dévelop-
pement, exigeraient l'érection de chapelles, à Tundert-
child, au lac Pélican, au lac A^ert; d'autres demandent
des améliorations importantes; ainsi l'église de Saint-
Louis, actuellement insuffisante pour répondre aux be-
soins dé la population qui augmente de jour en jour.
Lorsque nous avons pris la charge de ce vicariat de la
Saskatchewan, nous avons trouvé dix-sept ouvriers évan-
géliques ; ce chiffre s'élèverait aujourd'hui à dix-neuf, sans
la mort du pauvre et regretté Père Jouan. Il n'est donc que
de dix-huit, non compris le vicaire. Nous pouvons donc
dire que nous avons augmenté d'uti en l'espace de huit
arls. En disant cela, nous ne voulons ni blâmer l'admi-
nistration, ni nous montrer égoïste. Loin de nous de pa-
reils sentiments ! Nous avons toujours compris que les
intérêts généraux de la faiîlillé religieuse à laquelle nous
— 175 —
sommes fier d'appartenir passent avant les intérêts
particuliers. Nous savons aussi que les besoins sont
grands partout et que les jeunes recrues ne suffisent pas
pour donner à nos supérieurs majeurs le moyen de ré-
pondre à toutes les demandes. Mais le cœur humain est
ainsi fait que la vue de besoins urgents d'un côté, d'es-
pérances souvent déçues de l'autre, l'expose à ne songer
qu'à sa propre situation, sans tenir compte de celle des
autres.
Toute âme apostolique nous comprendra, car il est
impossible d'assister au spectacle d'âmes qui se perdent,
sans chercher à les secourir. En outre, la pensée que
des missionnaires, trop longtemps laissés à eux-mêmes,
sont exposés à se laisser abattre, voire même à perdre
leur vocation, peut bien préoccuper celui à qui l'obéis-
sance a confié la direction de leurs âmes vers la perfec-
tion évangélique. Nous ne disons pas cela pour nous
plaindre, mais uniquement dans le bût de soulaget
notre conscience et de satisfaire à nos obligations vis-
?i-vis de Dieu et de l'Église.
En agissant ainsi nous ne sommes que l'écho de nos
Frères isolés qui nous demandent instamment, dans
leurs lettres, tm compagnon pour partager leurs peines,
leurs travaux et leurs fatigues.
En terminant ce rapport soumis aux vénérables mem-
bres de ce Chapitre, qu'il me soit permis de rendre hom-
mage au zèle, au dévouement, à l'abnégation de nos
chers missionnaires du vicariat.
Tous aiment leur famille religieuse, tous s'eiforcent
de se montrer les dignes enfants de M^"^ de Mazenod,
notre vénéré Fondateur. Ils ont à cœur de continuer les
traditions si heureusement établies par les premiers apô-
tres du nord-ouest, les Taché, les Faraud, les Grandin,
les Lacombe, les Fourmond, les André, les Légeard, etc.
— 176 -
Ils aiment leur règle dont ils sont les fidèles et scru-
puleux observateurs, et cela, malgré les difficultés sans
nombre au milieu desquelles ils vivent. Ils savent que :
Qui regulx vivit Deo vivit. C'est là le motif puissant qui
les porte à y être toujours fidèles. Dieu, nous en avons
l'espérance, voudra bien se charger de les récompenser
comme ils le méritent, en bénissant leur parole, en tou-
chant les cœurs de ceux pour qui ils se dévouent, et en
leur accordant à eux-mêmes, au sortir de celte vie, les
joies de l'éternité.
Ce que je viens de dire à la louange de nos Pères con-
vient également à ces humbles et dévoués auxiliaires,
enfants, eux aussi, de la Congrégation, nos chers Frères
convers, toujours prêts à tous les sacrifices.
Ces bons Frères, au nombre de dix seulement, dont
quatre à vœux perpétuels, se multiplient pour faire face
à tous les besoins. Si nous désirons voir augmenter le
nombre de nos missionnaires, tant pour soutenir les
œuvres existantes que pour en établir de nouvelles, nous
n'avons pas moins à cœur d'enrichir le vicariat de quel-
ques-uns de ces bons Frères dont la présence épargnerait
à l'apôtre le soin des choses temporelles et lui assure-
rait toute liberté de répondre aux besoins des âmes vers
lesquelles il est envoyé.
Nous faisons des vœux pour que l'administration gé-
nérale faisant droit à notre requête, nous renvoie dans
notre lointaine et toujours chère Mission, accompagné
de quelques-uns de ces modestes ouvriers, sans lesquels,
hélas ! les travaux de nos missionnaires sont souvent
stériles. Amen.
— 177 —
Rapport du vicariat d'Athabaska-Mackenzie.
A. bord du steamer Vancouver, 4 mai 1898,
RÉVÉRENDISSIME ET BIEN-AIMÉ PÈRE,
Je VOUS prie de me pardonner si le compte rendu que
je vous présente est si incomplet. La situation particu-
lière où je me suis trouvé devra, ce me semble, me
servir d'excuse. J'étais à la mission de la Providence,
dans le Mackenzie; je venais d'achever un voyage assez
pénible autour du grand lac des Esclaves, quand la nou-
velle de la mort du T. R. P. Soullier m'arriva, en
même temps qu'une dépêche du R. P. Antoine, vicaire
général de la Congrégation, accompagnée d'autres
lettres qui m'appelaient au Chapitre, dont la date était
ainsi avancée d'un an. C'est le 3 février de la présente
année que j'ai reçu toutes ces nouvelles. Il n'y avait pas
de temps à perdre si je voulais me rendre à l'appel qui
m'était fait. J'avais une certaine appréhension de ce
voyage à la raquette qui devait durer deux mois entiers.
Mais, pour être vicaire apostolique, on n'en est pas
moins Oblat, et, puisque le R. P. Vicaire général me
faisait de pressantes instances auxquelles il n'était pas
absolument impossible de me rendre, j'ai voulu donner
un gage de ma bonne volonté et de mon dévouement à
la Congrégation et je suis parti. C'est justice aussi de
dire que nos Pères de la Providence, du grand lac des
Esclaves et d'Athabaska ont fait tout leur possible pour
me faciliter le voyage, en me fournissant de bons Frères
et de bons chiens, sans lesquels je n'aurais pu me tirer
d'affaire. Je partis donc le 5 février de la Providence et
j'arrivai le 26 mars à Saint-Albert. Gela me faisait près
de 900 milles, dont j'ai parcouru la bonne moitié à la
raquette et le reste entraîne à chiens, campant presque
— 178 —
tout le long du chemin dans la neige, à la belle étoile.
Évidemment, ce n'étaU pas un temps propice à la com-
position de mon rapport. C'est seulement à bord du ba-
teau que je trouve un peu de calme et j'en profile pour
rédiger les notes que j'ai l'honneur de vous présenter.
Nous espérions que notre vicariat d'Athabaska-Mac-
kenzip serait représenté au Chapitre par un délégué.
Déjà l'élection était faite; déjà l'élu, le R. P. Dugot,
avait reçu avis du choix dont ses confrères l'avaient ho-
noré; déjà nous avions tiré nos plans afin de passer
ensemble en Europe et cje nous trouver au rendez-vous
capitulaire de 1^99. Mais, hélas! la mort prén^aturée du
T. R. P. SûuLLiERne nous a pas, permis de réîiliser nos
projets, et il a été absolument impossible au ft. P. Dlxot
de venir m'accompagner au Chapitre. 11 lui aurait fallu
quatre mois de marche, et, le printemps venant, lui
aurait enlevé la route de sous les pieds en amenant le
dégel et fondant neige et glacp sur lesquelles on
voyage.
Je regrette beaucoup d'être privé de l'appui de i}Qtre
délégué vicarial. Il qi'aurait puissamment aidé à plaider
la cause de nos chères Missions de Mackenzie, et, bien
que je puisse me féliciter de la bienveillance de l'admi-
nistration générale envers moi personnellement et en-
vers notre vicariat, la présence du R. F. Ducot au Cha-
pitre n'aurait pu que fortifier ces bonnes dispositions,
outre que son expérience lui aurait pprmis de donner
d'utiles conseils. Il sera bien peiné lui-même de ne pou-
voir prendre sa place dans ces assises solennelles de la
Congrégation, qu'il a toujours aimée comme sa mère.
Je lui ai écrit de venir l'été prochain en France, comme
nous en étions convenus ; mais cela ne sera qu'une faible
compensation de l'honneur et du bonheur qu'il aurait
goiités en assistant au Chapitre.
- 179 —
Après ce long préambule, j'arrive à mon rapport.
i° Historique. — Le fait capital, qui fera date dans
l'histoire du vicariat d'Athabaska-Mackenzie, c'est la
première visite canonique dont nous avons été gratifiés
en l'an 1895. La Congrégation nous a donné alors la
preuve la plus sensible de sa sollicitude maternelle pour
le bien de ses enfants et nous avons tous été grande-
ment consolés de voir cesser il'isolement auquel nous
avions été jusqu'alors condamnés. Sans doute, les qua-
lités personnelles du visiteur n'ont pas peu contribué à
nous rendre doublement agréable la mission qu'il ve-
nait remplir près de nous. Le R. P. Antoine voudra
bien, j'espère, me pardonner de lui rendre publiquement
ce témoignage, que nul mieux que lui n'aurait pu faire
cette visite. A la bonté du cœur, à une expérience con-
sommée, il joignait cette trempe du tempérament qui
lui permit, à un âge déjà vénérable, d'affronter les im-
menses distances elles pénibles voyages dont tout autre
aurait pu s'effrayer. Il a courageusement bravé les in-
tempéries de l'air sans se plaindre jamais ni de la cha-
leur, ni du froid, ni du vent, ni de la pluie, ni de la
neige ; le régime culinaire, tout défectueux qu'il fût, ne
lui a inspiré aucun dégoût, ou du moins, ce qui est
peut-être plus vrai, il n'en a jamais laissé voir la moindre
trace. Bref, ses paroles et sa conduite ont été pour nous
une source d'édification. Aussi sa visite a-t elle produit
partout un bien considérable, dont nous sommes et
serons toujours reconnaissants.
Dans l'ordre administratif, il a sanctionné la division
en districts conformes à l'état du pays et y a établi de la
sorte des maisons régulières, dont le fonctionnement
deviendra plus facile avec le temps. C'est une base
solide sur laquelle s'appuieront les progrès de l'avenir.
2» Personnel. — Notre vicariat se compose de 2 Évê~
— 180 —
ques et de 30 Pères, avec un nombre égal de Frères con-
vers. Si nous étions tous forts et vigoureux, nous suffi-
rions peut-être à la besogne ; mais, hélas! l'âge, les
infirmités, les maladies, nous forcent à déduire beau-
coup de ce nombre. M»"" Clut, par exemple, dont la pré-
sence est sans doute d'une grande force morale, mais
qui ne peut plus exercer un ministère actif; le R. P, Sé-
guin, qui, étant tombé au fond de sa cave, s'est déman-
ché l'épaule, que personne n'a pu remettre en place ; le
R. P. Laity, qui est complètement désemparé par
l'asthme et les rhumatismes ; le R. P. de Cqambeuil, dont
les forces sont épuisées par de nombreuses privations
et de fortes maladies ; je pourrais en ajouter plusieurs
autres, dont le tempérament, robuste autrefois, est
maintenant miné par la pauvreté du régime et la dureté
du climat. Nous avons aussi parmi nos chers Frères con-
vers une douzaine d'éclopés, à qui de nombreux services
devraient donner droit, sinon à une retraite complète,
au moins à un traitement moins rigoureux que celui au-
quel nous sommes astreints dans notre triste pays.
Les travaux de tout genre s'imposent aux Pères comme
aux Frères. Instruire nos sauvages et pour cela étudier
les langues, faire des livres qu'il nous faut imprimer et
relier, confesser, visiter les malades à des distances par-
fois considérables, soit en hiver, soit en été, faire l'école
là où la chose est possible, voilà comme partout ailleurs
la besogne des missionnaires du Nord ; mais ils sont
obligés aussi de se livrer à une foule d'autres travaux pour
se procurer leur maigre subsistance ou pour se mettre à
l'abri du froid. En conséquence, ils aident les Frères à
la pêche, aux bâtisse"s, au bùchage, etc., et au jardi-
nage, là où le sol peut se cultiver avec quelque chance
de succès. C'est-à-dire que les soucis de l'existence ma-
térielle, la lutte pour la vie prennent une très grande
— 181 —
part dans nos occupations, et qu'on veuille bien remar-
quer qu'il ne s'agit pas seulement de se procurer quelque
bien-être ou de vivre plus ou moins confortablement,
cela ne vaudrait pas la peine d'en parler; mais il s'agit
réellement de ne pas mourir de faim et de froid. Per-
sonne n'est donc dispensé du travail s'il veut vivre dans
nos Missions. Nous ne pouvons pas y manger notre pain
à la sueur de notre front, mais il faut suer pourtant pour
nous procurer soit une patate, soit un poisson, soit un
morceau de viande sèche. Cependant, dans les Missions
oîi nous avons des établissements de religieuses avec
écoles et orphelinats, les difficultés de l'approvisionne-
ment sont beaucoup plus grandes que là où un Père ré-
side seul avec un Frère. C'est pourquoi nous avons besoin
d'y entretenir un personnel plus nombreux, surtout un
fort contingent de Frères convers sans lesquels ces œuvres
seraient impossibles. Il faut ajouter encore les nombreux
voyages que nous sommes obligés de faire durant l'été
pour les transports des objets nécessaires aux Missions
d'Athabaska et de Mackenzie. C'est principalement la
Mission de la Nativité du lac Athabaska qui contribue à
effectuer ces transports. Je suis obligé d'en tirer la plus
grande partie des Frères durant l'été, ce qui entrave ou
arrête même la marche de la Mission et fait retomber
sur les épaules du cher P. Le Doussal un fardeau écra-
sant.
A ce propos, il faut que je rappelle ici les projets dont
j'avais parlé dans mon rapport au dernier Chapitre.
Alors nos Missions dépendaient uniquement de la Com-
pagnie de la baie d'Hudson pour les transports des objets
nécessaires à leur entretien. C'était un monopole avec
les inconvénients ordinaires, c'est-à-dire un tarif exor-
bitant qui absorbait toutes nos ressources et nous ré-
duisait à l'impuissance. Or, il n'y avait qu'un moyen de
T. XXX VI. 13
— 182 —
sortir de ce triste état. C'était d'entreprendre nous-
mêmes de transporter nos approvisionnements annuels.
De là le projet de nous procurer deux petits bateaux à
vapeur. Il y avait bien quelque témérité dans de sem-
blables projets, mais je crus devoir essayer de les réaliser,
sans toutefois grever le budget de nos Missions, car en
cas d'insuccès, c'eût été courir à la ruine. Je profitai de
mon voyage en France pour intéresser à nos œuvres la
charité des fidèles, et les aumônes que je pus recueillir
furent consacrées à l'achat de machines à vapeur et des
autres matériaux. Les débuts ne répondirent pas à nos
espérances. Il nous fallut subir l'humiliation et voir nos
ennemis et nos envieux triompher de notre insuccès.
Cependant le bon Dieu ne nous abandonna pas, il sou-
tint notre courage et nous suscita de généreuses sym-
pathies. Nos efforts furent enfin couronnés d'uneréussite
complète et quand le R. P. Antoine vint faire la visite du
vicariat, j'eus la consolation de le recevoir à bord de
nos bateaux, de le conduire jusqu'au cercle polaire et
de l'en ramener sain et sauf. Depuis, ces petits steam-
boats ont continué leurs courses chaque été et le résultat
pratique a été une économie qui m'a permis de fonder
et de maintenir de nouvelles œuvres de la plus haute
importance. Mon intention était d'abord, à l'aide de ces
économies, d'améliorer le régime si peu substantiel de
nos missionnaires du Nord et de les tirer de l'état de
gêne dans lequel ils vivent depuis trop longtemps. Je
n'ai pu réaliser qu'imparfaitement ce désir si légitime,
parce qu'il a fallu porter secours aux endroits plus me-
nacés par l'invasion protestante. Nous avons donc établi
un couvent de religieuses au petit lac des Esclaves. Les
bonnes Sœurs de la Providence de Montréal répondirent
généreusement à notre appel, en envoyant d'abord une
première phalange à laquelle de nouvelles recrues sont
— 183 —
venues prêter main-forte, et maintenant elles abritent
dans leur maison de Saint-Bernard plus de 100 enfants
des deux sexes dont l'instruction chrétienne est ainsi
assurée. La Mission de Saint-Martin, au lac Wabaskard a
de plus été fondée, ainsi qu'une nouvelle Mission créée
au fort Wrigley. Enfin un second couvent de Sœurs de
la Providence à Saint- Augustin, sur la rivière de la Paix,
va s'ouvrir cet été. Si nous avions été obligés de subir
comme autrefois les tarifs onéreux imposés par la Com-
pagnie, le plus clair de nos ressources s'y serait englouti
et la plupart des progrès accomplis serait encore à l'état
de désirs stériles. Je dois reconnaître cependant que
nous n'aurions pas réussi à grand'chose malgré les éco-
nomies réelles que nos sleamboats nous ont permis de
faire, si les Pères et Frères du petit lac des Esclaves et
de la rivière la Paix, Me"" Clut en tète, n'avaient rivalisé
d'ardeur et de dévouement pour mener ces entreprises
à bonne fin. Mais c'est la Mission de la Nativité qui plus
que toute autre a contribué à ces progrès, aux dépens de
sa propre amélioration, car, comme je le disais plus haut,
c'est d'elle que j'ai tiré les Frères qui travaillent durant
l'été sur nos bateaux et font nos transports. Il est beau
sans doute de se dévouer ainsi pour le salut commun,
mais encore un tel dévouement a-t-il des bornes néces-
saires et je prie instamment qu'on veuille bien me
donner quelques bons Frères dont le concours est indis-
pensable pour maintenir la Mission de la Nativité sur un
pied de prospérité auquel elle a droit.
Au milieu de nos voyages, de nos travaux, de nos
préoccupations matérielles, du souci du lendemain, de
ces combats pour l'existence auxquels nous sommes
condamnés et que nous acceptons de bon cœur tant que
nos forces nous le permettent, il est à craindre que la
vie intérieure ne subisse quelque atteinte. J'avoue hum-
— 184 —
blement pour ma part que l'esprit de piété et de recueil-
lement laisse beaucoup à désirer chez moi et l'on a
raison de m'appliquer le texte de V Imitation : Raro sanc-
tificantur qui multum peregrinantur ; mais je m'empresse
d'ajouter que si je suis loin de donner le bon exemple
de ce côté-là, cela ne tire heureusement à aucune consé-
quence pour la grande majorité de nos Pères et de nos
Frères. Partout où j'ai passé dans nos Missions, et j'ai
passé presque partout, j'ai trouvé la Règle en vigueur.
Dans les communautés un peu nombreuses, les retraites
annuelles et mensuelles se font régulièrement. Je suis
cependant obligé de dire, tout en le déplorant, que plu-
sieurs de nos Pères qui demeurent seuls avec un Frère
et quelquefois même sans Frère, n'ont pas toujours toute
la facilité désirable pour bien faire en leur particulier
les exercices d'une bonne retraite. Combien de fois ai-je
souhaité de pouvoir les réunir tous ensemble ou du moins
en groupes assez nombreux, afin de leur donner la con-
solation et les moyens de se retremper au contact les
uns des autres dans l'amour de leur sainte vocation et la
fidélité à leurs devoirs religieux. Jusqu'à ce jour, ces
assemblées n'ont été que de rares exceptions et l'isole-
ment continue à être la règle. Mais le bon Dieu qui nous
a appelés dans ce pays et qui voit que pour son service
et le salut des âmes nous sommes privés de secours si
puissants de sanctification ne nous l'imputera pas à
faute. Il sait, dans son infinie sagesse, trouver des grâces
proportionnées à nos besoins et sa bonté nous les dis-
pense, et c'est pourquoi, malgré les désavantages de
leur position, nos Pères et nos Frères sont généralement
ce qu'ils doivent être, de vrais Oblats de Marie Imma-
culée. Comment sans cela pourraient-ils mener la vie de
privations, de sacrifices, de pauvreté, de souffrances, de
dénûment extrême, de durs travaux qui est la leur, et
— 185 —
que, je ne crains pas de le dire hautement, on ne retrou-
vera nulle part ailleurs sur la terre, à un degré semblable ?
En un mot, il n'y a que ceux qui en ont été les té-
moins qui peuvent s'en faire une juste idée, et l'on a pu
dire sans exagérer que les actes de vertus humbles,
ignorées, pratiquées journellement par les missionnaires
du nord de l'Amérique ne sont qu'un long martyre et
attirent sur toute la Congrégation des bénédictions
abondantes.
Division du vicariat. — Le vicariat d'Athabaska-
Mackenzie est divisé en quatre districts, dont voici la
composition :
A. District du petit lac des Esclaves. — 1° Maison de
Saint-Bernard, personnel : M^' Clut, R. P. Desmarais,
R. P. Laferrière, FF. Jean-Marie Le Creff, Laurent,
Donner, Kerhervé, auxquels est venu se joindre le
P. Lavoie. Là se trouve le couvent des Sœurs de la Pro-
vidence au nombre de neuf avec plus de 100 enfants
qu'elles élèvent.
2" Résidence de Saint-Antoine : R. P. Falher, qui est
chargé aussi du lac Esturgeon et des stations dispersées
à l'entour du petit lac des Esclaves.
33 Résidence de Saint-Augustin, rivière la Paix :
R. P. Le Serrec, FF. Gustave Tillet, Behan et Mathys;
cinq sœurs de la Providence sont en chemin pour cette
mission.
4° Résidence de Saint-Charles, fort Dunnegon : R. P.
Le Treste, F. Milsens. La Grand'Prairie, la rivière
Tripay, le fort Saint-John et le fort des Montagnes en
dépendent.
5° Résidence de Saint-Martin au lac Wabaskard :
R. P. Dupé, R. P. Giroux junior, avec une demi-dou-
zaine de lacs à visiter sur un rayon de 60 milles environ.
B. District d^Athabaska. — 1» Maison de la Nativité :
— t86 —
M^' Grguard, R. p. Le Doussal, RR. PP. Laity, de
Cbambreuil et de Cham, FF. Scbers, Hémo^jGhabbowneau,
Le Roux, Beckshafer et Eiseman.
2° Résidence de Notre-Dame des S^pt-Doalenrs, fond
du lac : R. P. Breyxat, P. scokstique Courteille.
3° Résidence de Saint-Henri, fort Vermillon. R. P.
JoussARi», R. P. DupfN, FF. Reynier etDEBs. Sans parler
de visites chez les Castors à la rivière au Foin et chez
les Cris, les Pères tiennent une école où ils élèvent uiie
vingtaine d'enfants. Le F. Reynier passe depuis long-
temps la soixantaine, le P. ^oussard se tue littéralement
à l'ouvrage.
4" Résidence de Saint-Isidore, fort Smith : R. P. Bré-
MOi\.T, F. Hoyer.
5°. Résidence de Saint-Joseph. Fort Résolution. FF.
Larue et Ancel. Ce dernier vient d'achever la construc-
tion d'une église qui est un véritable monument pour
le pays.
C. District du haut Mackenzie. — 1* Maison de la
Providence: R. P. Le Corre, R. P. Gourdon, FF. Garour,
LORFEUVRE, O'CONNELL, MiCHEL, RiO, BaRBIER, Le NoEL;
couvent des Sœurs Grises de Montréal au nombre de huit,
avec sept sœurs auxiliaires. L'ancienne maison étant
insuffisante et peu solide, il s'en construit une autre
longue, large, élevée, spacieuse où, j'espère, les sœurs
ne tarderont pas à se loger avec leurs enfants.
2° Résidence de Saint-Michel, fort Raë : R. P. Roure,
F. JX3SS0.
3° Résidence du Sacré-Cœur, fort Simpsoa : R. P.
Brochu.
4° Résidence de Saint-Raphaël, fort de Liard : R. P.
Ladet, R.P.Le Goe», F, Marc Le Borgne, avec la station
de Saint-Paul au fort Nelson.
5" Résidence du Saint-Cœur de Marie, fort Wrigley :
— 187 ~
création toute récente : R. P. Gouy et R. P. Vacher.
D. District du bas Maekenzie. — i° Maison de Notre-
Dame de Bonne-Espérance : R. P. Séguin, R. P. Houssaye,
F. Kearney,
2" Résidence de Sainte-Thérèse, fort Norman : R. P.
DucoT, FF. Jean-Marie Beaudet, Cromfat.
3* Résidence du Saint-Nom de Marie, petite rivière
Rouge : R. P. Gmoux senior, R. P. Lefebvre, F. Louis
Beaudet. Cette mission a été transférée du fort de Peel
River à sa place actuelle, on les Loucheux catholiques
font un séjour assez long et où par conséquent il est
plus facile de les instruire et de les préparer à la récep-
tion des sacrements. Le P. Lefebvre continue ses visites
chez les Esquimaux et chez les baleiniers de l'île Hers-
chel, tous gens un peu trop revêches et qui ne donnent
pas toutes les consolations qu'on pouvait espérer. Par-
tout ailleurs, nos Pères exercent un ministère fructueux
chez les sauvages de différents noms qui habitent le vi-
cariat. Cette population n'est pas nombreuse, mais elle
est disséminée sur une telle distance, que nous sommes
obligés de multiplier nos résidences pour l'atteindre et
lui faire du bien. Une autre cause qui nous excite est la
présence des ministres protestants qui auraient bientôt
démoralisé nos sauvages si nous nous contentions de les
visiter en passant, tandis que nos ennemis séjournent
au milieu d'eux.
Enfin je dois mentionnera part le R. P. Husson qui
est chargé des affaires de nos Missions et qui a établi
son domicile à Edmonton, où M^"" GrandinIuI donne une
bienveillante hospitalité et d'où il peut plus facilement
s'acquitter de sa charge et se rendre à Athabaska-Lan-
ding et même à Winipeg, s'il en est besoin.
Voilà quel était l'état du vicariat d'Athabaska- Mae-
kenzie jusqu'à ces derniers jours. Nous continuions
— 188 —
l'œuvre entreprise d'abord par M^'' Taché, poursuivie
avec zèle et succès par M^"" Grandin, M^"" Faraud, M»' Clut
et nos premiers missionnaires auprès des peuplades in-
digènes et d'une poignée de métis, les seuls habitants
de ce pays à l'exception de quelques Anglais ou Écossais
employés de la Compagnie de la baie d'Hudson pour le
commerce des fourrures. Mais une immense révolution
vient de changer tout d'un coup la face des choses. De
riches mines d'or ont été découvertes dans le haut
Yukon, partie la plus inabordable et la plus délaissée
du vicariat, puisque nous n'y avons aucune station. La
Compagnie de la baie d'Hudson, après avoir essayé d'y
établir des postes de traite, avait été obligée de les aban-
donner à cause des difficultés incroyables d'accès et
parce que ses gens y mouraient de faim. Quand la Russie
eût cédé aux Etats-Unis le territoire de l'Alaska, les
aventureux Yankees ne tardèrent pas à y découvrir le
précieux métal et, poussant plus loin leurs recherches,
ils ont enfin dépassé leurs frontières et, l'année dernière,
le monde étonné retentit du nom de Klondyke où
quelques mineurs avaient fait en peu de temps des for-
tunes colossales. De là, un ébranlement fiévreux qui
agite les villes et les campagnes de l'Amérique et même
de l'Europe. Des foules immenses se précipitent à l'a-
veugle vers ce nouvel Eldorado et l'on évalue à une cen-
taine de mille la population qui va cet été s'abattre sur
ces terrains déserts. Des voies de communications s'éta-
blissent afin de pouvoir approvisionner tout ce monde,
car si le sol renferme de l'or, il ne produit rien autre
chose. C'est dans notre pauvre vicariat jusqu'à présent
silencieux et morne comme nos solitudes, inconnu et
fermé à la civilisation par des barrières de neige et de
glace, que tant de gens viennent planter leurs tentes.
La nouvelle de cette invasion presque instantanée m'a
— 189 —
causé une douloureuse surprise et de graves préoccupa-
tions. Car les âmes de ces blancs sont aussi précieuses
que celles des sauvages que nous sommes venus évangé-
liser. Nous leur devons par conséquent les moyens de
salut et il est d'autant plus urgent de les leur donner
qu'infailliblement un grand nombre vont tomber victimes
de la misère, des maladies, du froid et de la faim. Ces
malheureux ne se doutent guère du sort qui les attend,
mais nous ne pouvons fermer les yeux à la triste réalité
et les laisser ainsi mourir dans le désespoir sans essayer
de les sauver. Les Pères Jésuites de l'Alaska m'ont autre-
fois demandé l'autorisation d'exercer le saint ministère
si, dans leurs courses, ils entraient dans notre vicariat,
et je la leur avais accordée volontiers. Un des leurs a
passé l'hiver à Dawson-City et y a même construit cha-
pelle, maison et hôpital. Il aura sans doute donné aux
mineurs de son voisinage les secours religieux dont ils
avaient besoin. Mais cela ne peut me tranquilliser ni
diminuer la responsabilité qui tombe sur moi et me
prend tout à fait au dépourvu. M^'Langevin, archevêque
de Saint-Boniface, mon métropolitain, malgré les nom-
breux soucis qui l'accablent, a bien voulu, dans l'impuis-
sance où j'étais d'agir, prendre l'affaire entre ses mains
et il s'est assuré le concours de nos Pères du Canada qui
lui ont donné le R. P. Gendreau et le F. Dumas pour la
mission du haut Yukon. Monseigneur a de plus cédé un
de ses prêtres pour cette œuvre. Il me pardonnera de
dire que j'ai hésité avant d'admettre dans mon vicariat
ce prêtre tant recommandable qu'il soit d'ailleurs, parce
qu'il est séculier et que nous sommes tous Oblats. Mais
enfin, comme il était prêt, qu'il y avait certaines suscep-
tibilités respectables à ménager et que l'affaire ne per-
mettait pas de plus longues délibérations, j'ai consenti
à recevoir ses services. Cependant le P. Gendreau re-
— 190 —
grettait de ne pas avoir d'Oblat avec lui, et me rendant
à son désir, voulant enfin établir la Mission sur une
base aussi solide que possible, j'ai pris le parti d'enlever
le R. P. Desmarais au petit lac des Esclaves et de l'en-
voyer au Yukon. Ce cher Père a accepté son obédience
avec une promptitude exemplaire, et quoiqu'il lui en ait
coûté beaucoup de quitter Saint-Bernard (ainsi d'ailleurs
qu'à moi de l'en tirer), il s'est de bon cœur mis en
voyage.
Ces chers missionnaires arriveront vers le milieu de
juillet sur le nouveau théâtre où ils auront à exercer
leur zèle. D'un autre côté, le R. P. Gmoux doit se rendre
dans le Yukon par la rivière du Porc- Épie, avec le F. Louis
Beaudet. Ce qui porte à quatre prêtres et deux Frères
convers les ouvriers envoyés dans ce nouveau champ
du père de famille.
Je ne sais s'il est à propos de parler d'une certaine
compétition que l'on dit exister de la part des Jésuites à
propos de la juridiction dans le district de Yukon. Etant
au Mackenzie, je ne pouvais suivre cette affaire. Mais
heureusement. Me' l'archevêque de Saint-Boniface, avec
plus d'autorité et une bonne volonté parfaite secondée
par l'administration générale et notre procureur à
Rome, a revendiqué les droits du vicaire apostolique
du Mackenzie, lesquels ont été maintenus par la
Sacrée Congrégation de la Propagande. Je suis heureux
de répéter à ce propos le vieux proverbe : Roma locitta
est, causa finita est. Mais je dois remercier publiquement
tous ceux qui ont pris cette cause entre leurs mains et
ont amené cette décision favorable. Et puisque la Con-
grégation a bien voulu s'intéresser si efficacement à cette
question, il m'est permis d'espérer qu'après avoir sau-
vegardé mon autorité comme vicaire apostolique dans
ce pays du Klondyke, elle^ m'aidera non moins effîca-
— 191 -
cément à l'exercer en effet et à en remplir toutes les
obligations.
Quelques mots sur l'état financier de nos missions et
je finis ce rapport déjà trop long. Nous n'avons de
ressources que dans l'allocation de la Propagation de la
foi et celle de la Sainte-Enfance. Elles seraient insuffi-
santes si M^" Faraud, mon regretté prédécesseur, n'avait
réussi à mettre de côté certaines sommes dont l'intérêt
nous est d'un grand secours. Je regarderais comme un
malheur et une menace de ruine la nécessité où je pour-
rais me trouver de toucher à ce dépôt que je veux
transmettre intégralement à mon successeur, même au
prix de la gêne et de privations dont nous nous sommes
fait du reste une longue habitude dans le Mackenzie.
Jusqu'à présent, nous n'avons pas un sou de dette et
j'espère que nous n'en ferons jamais avec la grâce de
Dieu, car nous ne pourrions en promettre le payement.
La caisse vicariale a conservé intact tout ce qui y a été
versé dès son établissement. J'ai obtenu de l'adminis-
tration générale qu'elle voulût bien m'en octroyer les
intérêts annuels, ce qu'elle m'a accordé avec bonne
grâce, j'espère que le T. R. P. Général et son adminis-
tration me continueront la même faveur, ce dont tout
le vicariat et moi particulièrement nous lui serons très
reconnaissants.
Pour être complet et faire mieux sentir le besoin très
pressant que nous avons de secours en hommes et en
argent, je ne puis oublier ce détail important. Le gou-
vernement Canadien se préoccupe d'ouvrir une voie
ferrée qui partant d'Edmonton, terminus actuel du
chemin de fer du Nord-Ouest, se dirigera vers le petit
lac des Esclaves, la rivière la Paix et la rivière des Liards
pour atteindre le Yukon.Le Sénat d'Ottawa m'a sommé
en quelque sorte de paraître devant la commission
— 492 —
établie pour étudier ce projet et de donner tous les ren-
seignements que mon séjour dans ces pays m'a mis en
état de recueillir. Or ce chemin de fer va ouvrir inces-
samment à la colonisation toute cette partie sud de mon
vicariat, laquelle y est parfaitement adaptée. Déjà les
ministres protestants très avisés se multiplient dans ces
parages et se préparent à profiter de la situation à leur
avantage. Devons-nous être moins clairvoyants ou
moins prompts à l'action et ne voit-on pas la nécessité
où nous sommes de fortifier nos postes de la rivière la
Paix qui depuis trop longtemps végètent péniblement.
Par exemple, le R. P. Le Treste se trouve tout seul pour
visiter la rivière Tripay, la Grande-Prairie, le fort Saint-
Jean et le fort de la Montagne oh il ne peut suffire à la
besogne, car la distance qui le sépare de ces postes est
immense, sans compter les difficultés énormes des
voyages soit en été, soit en hiver. Sa position est vrai-
ment décourageante. Un jeune Père nous avait été
envoyé pour lui prêter main-forte. Malheureusement il
a dû s'arrêter à Saint-Albert d'oti des réclamations trop
respectables pour me permettre de les critiquer l'ont
fait revenir à Saint-Boniface. J'avais annoncé avec joie
aucher P. Le Treste la venue si opportune de ce nouveau
missionnaire et je me suis vu, hélas ! obligé de changer
mes actions de grâces en gémissements et en plaintes.
J'espère que l'on voudra bien nous consoler de cette
cruelle déception et nous remplacer au plus tôt ce jeune
Père qu'on ne nous a montré que pour nous l'enlever
impitoyablement.
f E. Grouard, 0. M. I.,
Évêque d'Ibora,
Vicaire apostolique d'Âthabaska-Mackeuzie.
— 193 —
Rapport du vicariat de Saint-Albert.
Mon très révérend Père et mes révérends Pères,
Au moment de commencer ce rapport, je dois me
mettre en garde contre un écueil. ?Je dois, en quelque
sorte, me faire violence pour ne pas vous exposer la
situation du vicariat sous des couleurs trop sombres. En
voyant toutes les difficultés qui nous assiègent de toutes
parts, je vous avoue que je me sens effrayé, et, sans
doute, quelque chose de cette impression ne peut man-
quer de se trahir au dehors.
Si, d'un côté, je dois me mettre en garde contre les
effets d'une crainte excessive, d'un autre côté, la Con-
grégation et ceux qui en ont la haute direction ont
droit à savoir la vérité aussi exactement que possible. Il
leur est utile et même nécessaire de savoir au juste
quelle est la situation réelle de ce vicariat sous tous les
rapports, sous le rapport du personnel et sous le rap-
port des œuvres, sous le rapport des ressources et sous
le rapport des besoins.
Je tâcherai donc, en me mettant en garde contre l'ex-
cès que je viens de signaler et en restant strictement
dans les limites de la vérité, de montrer la situation
telle qu'elle est. Cette situation apparaîtra suffisamment
pénible, j'en suis sûr, pour toucher nos supérieurs et
les porter à prendre des mesures propres à l'améliorer.
Depuis le dernier Chapitre général, en 1893, parmi les
faits saillants qui méritent une mention spéciale, je dois
signaler, en premier lieu, la visite canonique que nous
fit notre T. R. P. Supérieur général dans l'année qui
suivit son élection. Cette faveur signalée de la visite
d'un Supérieur général, qui, pour la première fois, était
accordée aux Missions lointaines de l'Amérique du
— 194 —
Nord, avait eu les résultats les plus consolants. Elle
avait resserré les liens d'attachement filial envers notre
bien-aimée Congrégation. Elle avait ranimé les senti-
ments de charité fraternelle parmi les membres de la
famille. Elle avait surtout conquis les plus vives sympa-
thies et le plus sincère dévouement en faveur du Père
qui nous était apparu si dévoué lui-même et si aimant
pour tous ses enfants.
Aussi, quelle douloureuse impression ce fut pour tous
les membres de la famille, dans ce lointain vicariat,
quand arriva tout à coup la nouvelle inattendue de la
mort de notre très regretté P. Général. La grande dis-
tance qui nous sépare du centre de la famille n'avait
pas permis que nous pussions suivre les progrès de la
terrible maladie. Ce coup n'en fut que plus sensible et
notre seule consolation doit être que nous avons un
protecteur de plus au ciel.
Un autre événement à signaler est la nomination
d'un coadjuteur à Ms'' Grandin. M^' l'évêque de Saint-
Albert, à qui de nombreuses et cruelles infirmités et un
état de santé bien précaire rendaient l'exercice de ses
doubles fonctions d'évêque du diocèse et de vicaire de
Missions, bien lourdes à porter, avait demandé, à plu-
sieurs reprises, d'être relevé de ces fonctions, ou du
moins de pouvoir s'en décharger en partie sur un coad-
juteur.
Après une longue attente, le désir de Monseigneur fut
enfin exaucé, et, le 29 mars 1897, un coadjuteur lui
était donné dans la personne du R. P. Légal, qui avait
travaillé dans le diocèse pendant un espace de seize
années.
Le coadjuteur était élu évêque de Pogla, et il fallut
déterminer l'époque de la consécration. Ces fêtes de la
consécration furent lixées à Sainl-Albert pour le 17 juin,
— 195 —
et Ms' Grandin se réserva la consolation de donner la
consécration épiscopale à celui qui lui était donné pour
être un autre lui-même. Ces fêtes furent tout intimes,
des fêtes de famille ; elles furent cependant rehaussées
par la présence d'illustres visiteurs. Sa Grandeur
Me"" l'archevêque de Saint-Boniface présida, mais laissa à
son vénérable suffragant le bonheur de consacrer son
coadjuteur. M^"" Durieu, évéque de New-Westminster,
qui, lui aussi, avait réclamé et obtenu un coadjuteur,
s'était imposé un long déplacement et un pénible voyage
pour venir assister l'Évêque consécrateur. Ms' Glut,
auxiliaire d'Athabaska-Mackenzie, avait même entrepris
un voyage plus pénible encore pour arriver de sa loin-
taine Mission du petit lac des Esclaves. Rien de plus
majestueux et de plus touchant à la fois que cet impo-
sant entourage, formé à leur jeune et brillant métropo-
litain, par ce vaillant Évêque de Saint-Albert, le doyen
de l'épiscopat canadien, et ces deux vénérables Évêques
blanchis, eux aussi, dans les labeurs de l'apostolat.
Parmi les autres hôtes distingués que Saint-Albert pos-
séda dans ces jours de fête, il faut mentionner le
R. P. Lefebvrk, provincial des Oblats dans la province
du Canada; M. Forget, le bienveillant commissaire du
département indien ; le plus grand nombre des Pères du
diocèse, ainsi que plusieurs autres Révérends Pères et
Prêtres séculiers.
La Congrégation, qui avait refusé d'abord à Monsei-
gneur de déposer la charge de vicaire de Missions, finit
aussi par consentir à ce désir, et, à la date du 22 sep-
tembre 1897, cette charge était également imposée au
coadjuteur, le nouvel évêque de Pogla. Ce lourd fardeau
lui est heureusement allégé par la présence et les con-
seils de celui qui a été pendant plus de trente années le
révérendissirae et universellement aimé vicaire du vica-
— 196 —
riat de Saint-Albert. Puisse ce secours lui rester bien
longtemps encore !
Est-ce l'efTet du soulagement produit sur notre bien-
aimé Évêque en se voyant déchargé de cette grande
responsabilité? La santé de Sa Grandeur a été généra-
lement bien meilleure depuis, et lui a permis même
d'entreprendre le voyage de Saint-Boniface, qui eût été
regardé comme absolument impossible quelques mois
auparavant.
L'année qui vient de s'écouler a été on ne peut plus
favorable à la population sous le rapport des récoltes,
dans presque toute l'étendue du diocèse. Dès le mois de
juin, des pluies abondantes ont arrosé le sol, et ces on-
dées bienfaisantes se sont continuées pendant tout le
cours de l'été. La conséquence a été que les récoltes ont
été magnifiques. Dans les limites d'Edmonton et de Saint-
Albert spécialement, l'année 1898 passera peut-être pour
la plus favorable qu'il ait été donné de signaler depuis le
commencement de la colonisation. Un certain état de
bien-être est donc venu remplacer, chez la plupart des
colons, un état de gêne plus ou moins sévère. Les ar-
riérés ont été payés, des dépenses urgentes ont pu
être effectuées pour l'amélioration de la ferme, et on
peut le supposer aussi, quelques épargnes ont pu être
faites par plusieurs pour pourvoir aux incertitudes de
l'avenir.
Dans les environs immédiats d'Edmonton et de Saint-
Albert, notre énergique agent d'immigration, M. l'abbé
Morin, a relevé une récolte de 415821 minots de grains,
dont 87 055 minots de blé : soit environ 9 175 000 kilo-
grammes de grains, dont 2 600 000 kilogrammes de blé,
parmi les colons catholiques seulement. En englobant
la population protestante , on arrive au chiffre de
2 400000 minots de grains, dont 800000 minots de blé :
— 197 —
soit 56 millions de kilogrammes de grains, dont 24 mil-
lions de kilogrammes de blé.
Cette récolte abondante va certainement décider un
grand nombre de personnes, qui hésitaient encore, à
venir s'établir dans le Nord-Ouest. Les centres de pa-
roisses déjà commencés vont voir leur population aug-
menter considérablement; d'autres paroisses vont surgir.
Les besoins auxquels nous ne pouvons déjà pourvoir
vont devenir plus urgents encore. Plusieurs postes que
nous ne pouvions que visiter de temps en temps vont
nécessiter la présence d'un prêtre résident.
Une autre circonstance va contribuer à développer le
pays et à y attirer des populations nombreuses. Des gi-
sements d'or d'une richesse incalculable ont été récem-
ment découverts dans les régions du Nord-Ouest cana-
dien, confinant à l'Alaska et faisant partie du vicariat
d'Athabaska-Mackenzie. La fièvre de l'or s'est immédia-
tement répandue sur tout le continent du nord de
l'Amérique et même a traversé les mers. Des milliers de
personnes affluent de toutes parts et s'élancent dans la
direction des contrées septentrionales, où elles espèrent
trouver la fortune. Il y a plusieurs routes qui conduisent
à cet Eldorado. Une d'elles, plus courte, mais hérissée de
difficultés énormes, est par le côté de l'océan Pacifique.
On parle de construire un tronçon de chemin de fer de
ISÛ milles, qui rendrait cette route relativement aisée ;
mais en attendant, il y a une foule de gens à qui la soif
de l'or ne permet pas de délais et ils arrivent, chaque
jour, en foule pour prendre ce que l'on appelle la route
d'Edmonton. Cette route est beaucoup plus longue,
mais semble présenter moins d'obstacles que l'autre. Des
milliers de personnes n'ont cessé d'affluer depuis l'au-
tomne dernier. Ces nonveaux arrivants ne se fixent pas
présentement dans le pays, il est vrai, mais ils ouvrent
T. XXX VI. 14
— 198 —
des chemins, ils parcourent toute cette contrée et cela va
leur permettre de constater de visu les ressources de
ce pays et les avantages qu'il présente au point de vue
de la culture du sol.
Donc le résultat que nous prévoyons sera l'arrivée de
nombreux colons.
Cet avenir que nous saluerions avec joie, si nous étions
en mesure de pourvoir aux besoins spirituels de la po-
pulation catholique, nous ne l'entrevoyons qu'avec de
sérieuses inquiétudes. Les ouvriers nous font défaut
sur presque tous les points. Le même missionnaire a
souvent une foule de postes à desservir. Il n'a pas de
repos et ne peut donner à ces populations tous les soins
dont elles auraient besoin.
Sur qui compter pour nous aider à maintenir nos
œuvres sinon sur la Congrégation ? C'est la Congrégation
qui a implanté la foi dans ces vastes régions de l'Ouest,
c'est elle qui a établi la religion catholique dans ces im-
menses territoires. La Congrégation voudra asseoir son
œuvre sur des bases solides. Elle ne permettra pas que,
faute de sujets, nous soyons réduits à voir cette œuvre
végéter au lieu de prendre un vigoureux accroissement.
Elle ne permettra pas que, par suite du manque d'ou-
vriers évangéliques, nous ayons à redouter de voir cette
œuvre partiellement détruite. Nos populations, soit sau-
vages, soit civilisées, si elles sont forcément négligées ou
trop imparfaitement soignées, sont en danger, en effet,
de passer au protestantisme, ou ce qui n'est pas mieux,
à l'indifférence religieuse. A qui aurons-nous recours si
la Congrégation ne nous venait en aide? A d'autres fa-
milles religieuses? D'abord ce serait à regret que nous
nous déciderions à transmettre à d'autres l'honneur de
consolider la foi dans ces vastes régions du Nord-Ouest.
Puis, d'après les apparences, les autres Congrégations,
— 199 —
qui ont leurs propres œuvres, ne se prêteraient pas vo-
lontiers à nous venir en aide.
Recourrons-nous au clergé séculier? Nous avons es-
sayé de cet expédient. On ne peut dire qu'il ait réussi.
Nous avons en ce moment quelques prêtres séculiers qui
consentent à partager noire vie de renoncement et de
sacrifices. Leur conduite est d'autant plus louable qu'ils
ne forment qu'une petite exception, et les résultats, pour
ceux qui sont venus, à différentes époques, travailler
dans ce diocèse sont loin de répondre à nos efforts. Un
certain nombre de ces prêtres, venus à notre appel,
avaient des raisons plus ou moins pressantes de quitter
la place qu'ils occupaient, et souvent, après un court
séjour, nous causaient bien des ennuis. D'autres, ne
trouvant pas, dans nos pauvres paroisses en formation,
le confort et les avantages des paroisses bien organisées
du bas Canada, nous quittaient bientôt en nous laissant
dans une difficulté plus grande qu'auparavant.
Voilà la situation et il semble que la Congrégation
nous reste comme notre seule ressource, et puisqu'elle
a entrepris d'implanter la loi dans ces pays, c'est à elle
que revient le devoir d'en assurer la vie et le dévelop-
pement. C'est là notre espoir et il ne sera pas déçu, nous
en avons la confiance.
Le personnel du vicariat se compose de 30 Pères, y
compris Ms^ l'évêque et son coadjuteur, et Ti Frères
convers, dont 6 n'ont que des vœux temporaires.
Parmi les Pères, outre Monseigneur, il y en a 6 qui
sont au-dessus de soixante ans : RR. PP. Rémas, Lacombe,
Lebret, Végreville, Lestang et Fouquet. De plus, les
RR. PP. RÉMAS, Lacombe, Fouquet et Leduc sont dans
un état de santé inquiétant, et il est réellement bien
pénible d'être réduit à demander du travail à ces pauvres
Pères, qui auraient tant de droits à un repos absolu. Le
— 200 —
R. P. Perreault est toujours entre la vie et la mort;
ce n'est qu'à force d'énergie qu'il tâche encore de diriger
sa Mission. Les RR. PP. Tissier, Legoff, Dauphin, Lizée
et Danis sont loin d'avoir une santé bien robuste. Voilà
donc 13 Pères sur lesquels nous ne pouvons compter
qu'avec beaucoup de réserve ; cela réduit donc le per-
sonnel solide à 16 Pères seulement.
Parmi les Frères convers, 4 dépassent soixante ans. Ce
sont les FF. Leriche, Bowes, Lalica.nt et Gérante; 6 ou
7 autres dépassent la cinquantaine. Plusieurs d'entre
les Frères n'ont qu'une bien pauvre santé et ne peuvent
rendre que de faibles services. Depuis le dernier Cha-
pitre, nous avons perdu le F. Péréard, qui est décédé,
le 11 juillet 1895, après une cruelle maladie et d'atroces
douleurs religieusement supportées.
Dans iles maisons et résidences oîi il y a plusieurs
Pères et Frères, les exercices de communauté se font
avec une certaine régularité, mais c'est l'exception. Il
n'est guère possible d'atteindre à cette régularité dans
les maisons où il n'y a que deux ou trois membres, dont
presque toujours quelques-uns sont dérangés par les
travaux du ministère et bien d'autres occupations aux-
quelles ils doivent se livrer. Dans ces petites Missions,
où il y a seulement deux ou trois Oblats pour former
toute la communauté, le Père en charge a généralement
tout à faire. Il doit recevoir toutes les visites, traiter toutes
les affaires, non seulement celles de la Mission, mais
aussi celles pour lesquelles on vient réclamer son con-
cours. Il est très difficile, dans de telles conditions,
d'arriver à une régularité absolue. La prière du matin et
la méditation, ainsi que la prière du soir, se font toujours
en commun ; souvent tous les autres exercices se font
privément. La faiblesse humaine s'ajoutant aux diffi-
cultés réelles, :il n'est pas étonnant que quelque chose
I
— 201 —
laisse à désirer sous le rapport de la régularité ; cepen-
dant, en tenant compte des conditions spéciales de la
plupart de nos petites résidences, fpeut-être ne serait-il
pas juste d'accuser trop facilement de négligence.
Grâce à Dieu, quand on peut constater le dévouement,
le zèle et l'abnégation dont font preuve quelques-uns de
nos missionnaires. Pères ou Frères, dans des Missions
ingrates et difficiles, on ne peut s'empêcher d'en remer-
cier le Ciel. Ici, comme partout, c'est le religieux soumis
et obéissant, se dévouant sans réplique là où l'obéissance
l'envoie, qui reçoit les bénédictions du bon Dieu.
Le ministère extérieur dans nos pays de Missions, dans
nos paroisses qui surgissent à peine, où tout est à créer,
où tout est à organiser, est bien multiple et varié. La
population est très disparate. Il y a ordinairement, dans
les limites d'une même Mission, des populations civili-
sées de race canadienne française ou anglaise, puis des
populations métisses ou sauvages. On appelle métis les
descendants croisés de blancs et de sauvages qui se
rapprochent à tous les degrés, soit de la civilisation,
soit de la sauvagerie.
Outre les Irlandais, Écossais ou Anglais, il y a encore,
dans plusieurs centres, des représentants d'autres natio-
nalités diverses, qui nous viennent surtout de l'Alle-
magne et de l'Autriche : Allemands proprement dits.
Hongrois, Galiciens, Silésiens, Slaves ; puis des Italiens
en bon nombre, des Belges, des Flamands, etc.
Comme on peut le penser, le ministère est très diffi-
cile au milieu de ces différents groupes à mœurs, cou-
tumes et usages si disparates, à préjugés souvent tout
opposés. Il y a la difficulté des distances à parcourir
pour se mettre en relation avec tous. Il y a la difficulté
des langues qu'il faut apprendre quand le nombre des
personnes est suffisamment considérable. Tout cela,
— 202 —
ajouté aux autres difficultés inhérentes au ministère des
âmes, établit un état de choses vraiment spécial et qui
demande du missionnaire des aptitudes variées et une
somme d'énergie et d'activité plus qu'ordinaire. La
situation varie d'ailleurs, pour ainsi dire, avec chaque
Mission, car toutes ont leurs conditions particulières.
Le vicariat tout entier est divisé en cinq districts :
Saint-Albert, Edmonton, Galgary, le lac Laselle et le
district des Pieds-Noirs. Il y a 46 Missions, paroisses ou
postes à desservir ; 24 de ces Missions ou postes n'ont
pas de prêtre résident, quoique 9 possèdent déjà des
petites chapelles plus ou moins convenables.
Généralement, dans les paroisses ou Missions où il y
a un prêtre résident, il y a aussi une ou plusieurs
écoles. Dans les autres, il n'y a généralement pas
d'école, ou bien ces écoles sont des écoles protestantes.
La population totale du vicariat est difficile à déter-
miner. Elle augmente chaque jour par de nouvelles
recrues, et, quoique les protestants affluent davantage,
il y a cependant toujours un certain contingent de ca-
tholiques qui viennent s'établir dans cet immense pays.
La superficie totale du vicariat est d'environ 700 kilo-
mètres carrés et la population d'environ 40000 âmes,
dont 13000 ou 14000 catholiques et 36 000 ou 37 000 pro-
testants et infidèles.
L DISTRICT DE SAINT-ALBERT.
Ce district comprend 3 paroisses: Saint- Albert, Sainte-
Émérence et Saint-Pierre, et 2 Missions : lac Sainte-Anne
et Saint-Alexandre.
Saint-Albert, siège de l'évêché et résidence du vicaire
de Missions, n'a pas vu sa condition changer beaucoup
depuis le dernier Chapitre. La vieille cathédrale qui me-
nace ruine et qui, dès l'époque du dernier Chapitre,
— 203 —
demandait des réparations, est encore dans le même état.
On parle beaucoup de la construction d'une ligne ferrée
qui, venant d'Edmonton, dans la direction nord-ouest,
passerait par Saint-Albert. Si ce projet se réalisait, la
condition du petit village de Saint-Albert pourrait être,
avant peu, complètement modifiée ; et il est impossible
de prévoir actuellement quelle serait alors l'importance
de la localité. On attend donc encore avant d'entre-
prendre rien d'important au sujet de la cathédrale. Il
faudra pourtant aviser aux réparations les plus urgentes.
L'évêché est encore inachevé, quoique certaines amélio-
rations de détail aient été effectuées.
Saint-Albert est le centre de la vie religieuse dans le
vicariat. La communauté est assez nombreuse, car en
outre des membres qui sont dans le service actif, il y
en a d'autres encore, Saint-Albert étant le lieu de refuge
des Pères et Frères que l'âge ou les infirmités ont affai-
blis. Cependant il faut reconnaître que même ceux-là
rendent encore tous les services en leur pouvoir, avec
une bonne volonté digne de tout éloge. Il y a, pour com-
poser la communauté , outre notre vénérable évêque
et son coadjuteur , 3 Pères résidents et 9 Frères : le
R. P. Mérer, supérieur, le R. P. Rémas et le R. P. Cun-
NiNGHAM. Les Frères sont : FF. Leriche, Lalican, Letour-
NEUR, BoisGONTiER, Landry, Landais, Kleiner, Hays et
Pion. Monseigneur donne à tous l'exemple de la plus
grande régularité. La santé de Sa Grandeur lui permet
d'assister à tous les exercices de la communauté et sa
vue seule est un encouragement et une prédication.
L'évêque dePogla, depuis le jour de sa consécration, n'a
résidé à Saint - Albert que par intervalles. Il a visité
toutes les Missions du diocèse presque sans exception
pour administrer le sacrement de confirmation et se
rendre compte, d'une manière générale, de l'ensemble
— 204 —
du vicariat. Le R. P. Supérieur a beaucoup à faire, étant
en même temps économe. Il cumule même les fonc-
tions de maître des novices et de directeur des Frères
convers. C'est assez dire qu'il a les mains pleines.
Il y avait un prêtre novice l'an dernier; après une
période de neuf mois environ de noviciat, ce sujet,
qui avait toujours inspiré de sérieuses inquiétudes sur
ses dispositions, a dû être informé qu'il n'était pas
appelé à la vie religieuse, du moins dans notre Con-
grégation. Sa conduite subséquente et ses réclamations
extravagantes ont prouvé depuis que le conseil a été
bien inspiré, en refusant d'admettre dans la famille un
tel sujet.
La paroisse compte plus de 960 âmes. Elle est com-
posée surtout de Canadiens de langue française et de
métis en grand nombre. Ceux-ci parlent généralement
le cris, mais comprennent plus ou moins le français. Il
y a aussi quelques familles catholiques de langue an-
glaise. La population est presque exclusivement catho-
lique ; il n'y a qu'un bien petit nombre de familles pro-
testantes, quatre ou cinq environ.
Le service de la prédication doit se faire en trois lan-
gues, et quoique le français domine, cependant il faut
aussi parler souvent en anglais et en cris. Les offices sont
nombreux et réguliers à la cathédrale. Les exercices des
dévotions autorisées sont fidèlement observés et aident
beaucoup à la piété. Les bénédictions du Très Saint
Sacrement, qui ont lieu souvent pendant la semaine,
attirent toujours une assistance bien convenable. La
dévotion au Sacré Cœur, pour le premier vendredi du
mois, fait beaucoup de bien, et un grand nombre de per-
sonnes profitent de cette circonstance pour s'approcher
des sacrements.
La population est généralement bonne, tranquille et
— 20S —
sympathique. Les grands scandales sont heureusement
fort rares. L'ivrognerie surtout, parmi les métis, est le
vice qui cause le plus de désordres.
Le personnel des Frères est employé aux divers tra-
vaux de la maison. L'entretien de l'évêché et de l'église,
le soin des animaux et des étables, les nombreux voyages
à Edmonton et ailleurs nécessitent le concours de tous.
Dès que la saison le permet, quelques-uns des Frères
sont employés aux travaux de la ferme. Cette année, le
rendement de la ferme a été considérable. Nous avons
été favorisés de la même bénédiction qui s'est étendue
sur toute la contrée. Les champs de la Mission ont
fourni 6 200 minots (143 000 kilogrammes) de grain, dont
2 iOO minots de blé (63000 kilogrammes) ; sans compter
de magnifiques légumes en grande quantité.
Les Révérendes Sœurs Grises de Montréal ont, près de
la cathédrale, un vaste établissement, qui comprend un
orphelinat, un pensionnat ou une école industrielle pour
les sauvages, et une école publique catholique pour les
enfants des blancs. Il y a même quelques salles qui
servent d'hôpital quand le besoin l'exige. La commu-
nauté se compose de 12 Sœurs et de plusieurs Sœurs fran-
ciscaines auxiliaires ou personnes engagées. Toutes ces
œuvres, en effet, nécessitent une somme considérable de
travail et de bonne volonté. Le bien se fait d'une multitude
de manières. Je ne dirai pas qu'il se fait sans difficulté.
Il faut s'ingénier de mille manières pour réussir à faire
vivre et à entretenir ces nombreux orphelins qui, pour
la plupart, sont acceptés gratuitement. Il faut se sou-
mettre à bien des exigences pour s'assurerles secours que
le gouvernement accorde pour les enfants sauvages. II
faut aussi s'attendre, de temps en temps, à bien des tra-
casseries de la part des commissaires d'école, qui se
laissent souvent guider par l'égoïsme et les petites riva-
~ 206 —
lités personnelles, plutôt que par l'intérêt public ; et le
système d'école est tel, dans ce pays, que l'on est à la
merci de ces commissaires locaux pendant le terme de
leur office.
Les Sœurs entretiennent à leurs frais 49 orphelins ou
orphelines pour lesquels elles ne reçoivent absolument
aucun secours. Elles s'occupent aussi de donner l'édu-
cation à 85 enfants sauvages, pour lesquels elles reçoi-
vent une allocation du département indien. L'école
publique est fréquentée par environ 200 enfants, y com-
pris les enfants de l'orphelinat.
La ferme de la communauté des Sœurs Grises a rap-
porté, dans la dernière année, 3 200 minots de grains
(soit 73 600 kilogrammes).
En outre de cette communauté de Sœurs qui s'occupe
de l'éducation des enfants et leur donne Tinstruction
primaire, nous rendant ainsi des services incalculables,
il est une œuvre dont le besoin se fait vivement sentir et
que M^'' Granûin a grandement à cœur : c'est l'établisse-
ment d'un collège-séminaire, pour donner aux garçons,
non seulement un cours commercial, mais encore une
éducation classique ; ce serait une pépinière de voca-
tions et le commencement d'un séminaire diocésain.
La Foi n'est pas établie solidement dans un diocèse,
tant qu'il n'y a pas d'institution destinée à assurer le re-
crutement d'un clergé local et à garantir, pour l'avenir,
le service religieux des paroisses. Une institution de ce
genre nous a manqué jusqu'à présent. Pendant long-
temps, elle eût été impossible, mais maintenant, vu le
grand nombre de bonnes familles qui nous viennent du
Canada civilisé, les conditions sont changées, et il y a
certainement parmi les jeunes générations, bien des vo-
cations religieuses et ecclésiastiques auxquelles il fau-
drait donner la possibilité de se manifester.
— 207 —
M^' Grandin a fait déjà bien des démarches dans le but
d'établir un collège-séminaire. Sa Grandeur s'est con-
damnée à des voyages pénibles, dans le but de recueillir
un certain fonds qui puisse permettre de faire face aux
premières dépenses. Le secours de la Congrégation a été
demandé avec instance. C'étaient surtout des sujets que
l'on réclamait d'elle comme professeurs. La Congréga-
tion ne se croyant pas en mesure d'accepter cette charge,
a conseillé de faire des tentatives auprès d'autres ordres
religieux. On a, en conséquence, fait des démarches au-
près de différentes communautés enseignantes ; mais
aucune ne s'est décidée, jusqu'à présent, à accepter.
En attendant, les collèges du bas Canada, à la prière
de M^' Graïndin et grâce aussi aux nombreuses démar-
ches du R. P. Lacombe, ont généreusement accepté de
nous instruire et élever gratuitement chacun un élève.
Nous tâchons de choisir les enfants parmi ceux qui
donnent quelques marques de vocation religieuse ou
ecclésiastique; mais, comme nous n'avons pas la facilité
de les étudier suffisamment, il est à craindre, et déjà
l'expérience le démontre, que nous ne soyons déçus, la
plupart du temps, dans notre attente. Ces échecs succes-
sifs peuvent, à la longue, décourager nos généreux bien-
faiteurs.
De plus, ces enfants ne sont pas suffisamment avan-
cés, quand nous les envoyons; ils sont par conséquent
un embarras pendant quelque temps, parce qu'ils néces-
sitent des leçons et études spéciales. Si nous avions un
collège, nous pourrions donner à ces enfants les con-
naissances voulues, et étudier leur vocation, et quand
nous enverrions quelques-uns de ces enfants terminer
leurs cours dans les collèges de l'Est, nous aurions plus
de chance de succès.
Que la Congrégation nous fournisse deux ou trois
— 208 —
bons sujets aptes à l'enseignement et cette œuvre si im-
portante serait fondée et donnerait toute la sécurité
voulue pour l'avenir, en permettant de compter sur la
formation continue d'un clergé local.
Sainte-Emérence est une jeune paroisse qui date seu-
lement de quelques années. Elle se compose de 39 fa-
milles qui fournissent une population d'environ ISOâmes.
Ici les familles de langue anglaise et celles de langue
française sont à peu près en nombre égal. Les catholi-
ques de langue anglaise sont généralement des Écossais
qui ont la foi solide et robuste. Il y a aussi quelques
familles allemandes. Une maison-chapelle, qui est petite
mais assez convenable, sert d'église. Le haut de la mai-
son est arrangé pour servir d'habitation au missionnaire
quand il vient y passer quelque temps. (1 y a aussi une
petite école catholique qui compte environ 22 enfants,
assez réguliers à fréquenter l'école malgré la distance.
Il n'y a pas de prêtre résidant à Sainte-Emérence.
C'est le R. P. Nordmann qui a la charge de cette jeune
paroisse ; mais il réside avec le R. P. Dauphin, à 2 milles
environ, sur la Mission Saint-Alexandre, afin de procu-
rer à l'un et à l'autre les avantages de la vie de commu-
nauté. Le R. P. Nordmann va régulièrement faire le ser-
vice de la paroisse confiée à ses soins, mais pas tous
les dimanches, car étant le seul missionnaire qui parle
allemand, il a la charge de tous les catholiques alle-
mands éparpillés de tous côtés, dans les environs de
Saint-Albert et d'Edmonton. Il y en a, à des distances
variant de 50, 60 et 80 milles, qu'il doit visiter de temps
en temps. Il faudrait un curé résident pour Sainte-
Emérence, car le R. P. Nordmann aurait assez à faire de
visiter régulièrement tous ces catholiques allemands
qui voient le prêtre trop rarement.
Saint-Pierre, autre paroisse contiguë à Sainte-Émé-
— 209 —
rence, est encore plus récente de formation. La petite
chapelle en pièces de bois équarries, ne date que de
l'automne dernier. Ici la population est à peu près ex-
clusivement française ; 24 familles, donnant environ
95 personnes. Il y a une petite école catholique fré-
quentée par 15 à 20 enfants. Ici, comme à Sainte-Éraé-
rence, il n'y a pas de prêtre résident. C'est le R. P. Dau-
phin, de la Mission Saint-Alexandre, qui vient donner le
service religieux une ou deux fois par mois. La distance
est d'environ 9 à 10 milles. C'est un surcroît de travail
assez pénible pour le R. P. Dauphin, qui n'a pas une
santé bien robuste.
Mission du lac Sainte'Anne. La JMission du lac Sainte-
Anne est la plus ancienne du vicariat. Elle fut fondée
par le Révérend M. Thibault, avant même l'arrivée des
missionnaires Oblats dans le Nord-Ouest. Quoique le
poste ne soit pas devenu bien important dans la suite
au point de vue de la population, cependant il tire son
importance du fait que c'est un lieu de pèlerinage, le
seul de tout le diocèse. Il y a quelques années, le
R. P. Lestanc se sentit inspiré d'établir un pèlerinage
à la bonne sainte Anne, comme on dit en Canada ; il
communiqua son dessein àquelques personnes et recruta
ainsi un certain nombre de pèlerins. Le pèlerinage était
fondé. H fallut chaque année, depuis, l'organiser de
nouveau, pour satisfaire à la dévotion des populations
environnantes. Au mois dejuillet dernier, j'ai eu la bonne
fortune de faire aussi mon pèlerinage à la bonne sainte
Anne, et, en cette occasion, j'ai été bien édifié de la
piété qui se manifestait dans le sanctuaire. Les cérémo-
nies ont été aussi solennelles que nos faibles ressources
le permettent. Presque toutes les personnes qui vien-
nent ainsi faire leur pèlerinage s'approchent des sacre-
ments. Le sacrement de confirmation a été administré à
— 2t0 —
24 personnes, et il y a eu plusieurs centaines de com-
munions.
Dans ces jours, la petite Mission revêt tout un air de
fête. Assise près de son beau lac entouré de vastes fo-
rêts, elle est d'ordinaire bien paisible ; mais quand la
foule des pèlerins arrive et qu'une ville passagère de
tentes et de loges de coton s'élève auprès du vieux clo-
cher, l'activité se manifeste de toutes parts, et le spec-
tacle est des plus pittoresques.
La population totale delà Mission est mêlée de familles
métisses et sauvages, environ 440 familles, formant une
population de plus de 800 âmes. Il y a un Père résident,
le R. P.VéCtRevillb, et "2 Frères : le P. Gérante et le F. Ba-
rassb; le premier est très maladif, à peu près sans espoir
de retour à une meilleure santé. Il rend pourtant encore
des services, en s'occupant de l'étable ; il est au repos et
ne fait que ce qu'il se sent capable de faire. La maison
d'habitation est vieille mais convenable. Les aumônes
reçues, à l'occasion du pèlerinage, ont permis de faire
à la petite église quelques améliorations et embellisse-
ments bien nécessaires.
Une petite école pour les sauvages est fréquentée par
une dizaine d'enfants. Il y en a beaucoup d'autres qui
seraient en âge de suivre l'école, mais la pauvreté et la
rigueur du climat ne leur permettent pas toujours de se
vêtir assez chaudement pour parcourir la dislance qui
les sépare de la maison d'école. Une autre école pour les
blancs et les métis n'a pas pu être ouverte depuis quel-
que temps.
Outre la paroisse, le R. P. Végreville a deux autres
postes à visiter : le Dét)-oit, h à, oaomiWes, et le lac Blanc,
à 12 ou 15 milles. Les sauvages de ces deux postes sont
pour la plupart des Assiniboines et le R. P. Végreville
est le seul de nos missionnaires qui ait quelque con-
_ 211 ~
naissance de leur langue. Les sauvages du Détroit sont
tous catholiques, mais bien ignorants, et réclament des
soins spéciaux. Les sauvages du lac Blanc ont été autre-
fois presque tous catholiques, mais ayant été négligés
pendant quelque temps, ils ont pu être influencés par
un ministre protestant qui est venu s'établir au milieu
d'eux et y placer un maître d'école. Quelques-uns ce-
pendant se rappellent leur ancienne foi et seraient dis-
posés à y revenir s'ils étaient assidûment visités.
Est-il besoin de dire que le R. P. Végreville, à son
âge, malgré sa bonne volonté, ne peut suffire à la tâche,
et faire toutes les courses qui seraient nécessaires. S'il
avait un compagnon fort et vigoureux qui s'occupât de
la Mission du lac Sainte-Anne, il pourrait alors s'occu-
per activement de ses sauvages Assiniboines. Ici donc,
le manque de sujets nous force encore à imposer à un
missionnaire âgé un travail que ses forces ne lui per-
mettent pas de faire, sans s'imposer des fatigues extrêmes.
Outre ces visites, en effet, à ces deux postes éloignés,
ia visite des malades nécessite encore bien d'autres
voyages parmi une population si dispersée.
La Mission de Saint- Alexandre comprend la réserve du
chef Alexandre et celle du chef Michel Galikoo. La popu-
lation est entièrement sauvage de la nation des Cris ;
cependant un grand nombre ne sont pas purs sauvages,
mais plutôt métis, quoiqu'ils soient considérés comme
sauvages par le gouvernement qui les régit, suivant les
termes du traité passé avec les Cris. La population totale
des deux réserves et des familles éloignées qui dépendent
de la même Mission monte à environ 450 âmes. Ils sont
tous catholiques, mais quelques-uns sont peu instruits et
par conséquent n'ont qu'une foi peu solide. Pendant
quelque temps, ces années passées, un ministre protes-
tant a essayé de s'attirer quelques adeptes, mais ses
~ 212 —
efforts ont été inutiles, et depuis il n'a pas reparu.
Il y a une maison-chapelle qui sert d'habitation aux
missionnaires. Le bas est l'église, le haut se divise en
trois ou quatre petites chambrettes. Deux Pères rési-
dent ici ensemble : les RR. PP. Dauphin et Nordmann,
mais le R. P. Dauphin seul est chargé des sauvages, le
R. P. Nordmann étant chargé, comme il a été dit précé-
demment, d'une petite province située à 2 milles de dis-
tance et de toute la population allemande disséminée
un peu partout. Il y avait aussi, jusqu'à ces derniers
temps, une école pour les enfants sauvages. Elle rece-
vait un secours du département indien pour pourvoir au
salaire de l'institutrice ; cette école vient d'être suppri-
mée parce que l'assistance était trop minime. On tâche
d'envoyer les enfants à l'école industrielle de Saint-Al-
bert, mais les sauvages consentent difficilement à se sé-
parer de leurs enfants. Il y a cependant, à cette école,
19 enfants de ces deux réserves.
Gomme il a été dit déjà, le R. P. Dauphin dessert la
petite paroisse de Saint-Pierre, à quelques milles de
sa Mission. Il est également chargé de visiter le lac la
Nonne, à 25 milles de distance. Le lac la Nonne est une
ancienne Mission où il y a une maison-chapelle, mais
le petit nombre de familles ne permet pas d'y tenir
un prêtre résident. Les voyages, à cette distance, sont
bien fatigants. Il n'y a que quelques jours, je visitais
cette Mission, où j'administrai le sacrement de confir-
mation à 16 personnes ; environ 50 sauvages s'étaient
approchés du sacrement de pénitence et avaient com-
munié. Le révérend Père était bien fatigué des travaux
de la journée, on vint le chercher pour un malade au
lac la Nonne. Le lendemain matin donc, quand je
partis pour la paroisse de Sainte-Émérence avec le
R. P. Nordmann, le R. P. Dauphin, accompagné d'un
— 213 —
métis, prenait la direction du lac la Nonne. C'était une
journée très froide, et le froid était rendu beaucoup
plus sévère par un vent glacé qui soufflait du nord et
qui avait encore l'inconvénient de renîplir le chemin de
neige. Pour aller au lac la Nonne, le P. Dauphin avait
à marcher constamment contre le vent ; ce voyage a dû
être, pour lui, très pénible. Cette seule visite de malade
lui prenait, au moins, deux jours de fatigues et de
marche presque continuelle. Vu son état de santé, le
R. P. Dauphin aurait assez à faire de ses deux réserves
d'Alexandre et de Michel Calikoo. Un autre prêtre
devrait être chargé de la paroisse Saint-Pierre et des
autres postes éloignés, mais nous n'avons personne à lui
donner.
II. DISTRICT d'eDMONTON.
Le district d'Edmonton comprend une paroisse :
Edmonton-nord Saint-Joachim ; 2 Missions : la prairie
Assiniboine et Hobbéma, et 4 postes à visiter : Edmonton-
sud, Spruce-Grove, à la prairie Assiniboine, Wétaski-
win et Leduc.
Edmonton-nord est la paroisse catholique de la ville
d'Edmonton, la deuxième ville en importance de l'Al-
berta. Calgary l'emporte encore sur Edmonton, mais
Galgary ne se développe pas avec la même rapidité, et
il peut se faire qu'avant longtemps Edmonton soit plus
importante que sa rivale. Elle est actuellement le ter-
minus d'une voie ferrée ; elle peut devenir le point d'in-
tersection de deux lignes, quand la voie qui vient de Gal-
gary se continuera vers le Nord-Ouest et qu'un autre
chemin de fer arrivera de Battleford. Les ressources
agricoles des environs d'Edmonton sont inappréciables,
et s'il y avait encore quelques bonnes récoltes, comme
celle de l'an dernier, la ville ne manquerait pas de pren-
T. XXXVl. 15
— 214 —
dre rapidement une grande importance. Les nombreux
mineur:-, se dirigeant vers le Klondike, ont aussi beau-
coup contribué dernièrement à la prospérité de la ville.
Depuis plus de six mois, qu'ils ne cessent d'affluer, ils
ont dépensé des sommes très considérables, pour se
procurer les provisions et tous les agrès nécessaires à ce
voyage de 1400 milles qu'ils entreprennent.
La population totale d'Edmonton est de près de 2Û00ha-
bitants sur lesquels il y a 461 catholiques. Il y a deux
Pères résidents, le R. P. Leduc et le R. P. Lemarchant.
Le R. P. Leduc, depuis plusieurs années, n'a eu qu'une
santé bien précaire. Nous avons eu, sur son compte, à
plusieurs reprises, de sérieuses alarmes. Les attaques
de sa cruelle et bizarre maladie se répétaient plus sou-
vent et avec plus d'intensité. Malgré son état de fai-
blesse, le malade avait voulu accompagner Monseigneur,
lors de son voyage à Saint-Bouiface, mais force lui a été
de s'arrêter à Calgary, une nouvelle crise étant surve-
nue, au moment du départ.
Dans cet état de choses, tout le gros de la besogne re-
tombe sur le jeune P. Lemarchant, qui s'en acquitte
vaillamment, il est vrai, mais non sans un excès de fa-
tigue. Ce surcroît de travail et ces courses multipliées
lui enlèvent le temps qui lui serait nécessaire pour per-
fectionner ses études et travailler davantage ses instruc-
tions et sermons. Il faut ajouter qu'il a, de plus, plu-
sieurs autres postes à visiter. Deux jeunes Pères, forts
et vigoureux, sous la direction du R. P. Leduc, ne se-
raient point de trop pour une paroisse de cette impor-
tance. Naturellement, le R. P. Leduc est très affaibli,
l'estomac est en si mauvais état, que le pauvre Père ose
à peine prendre de la nourriture dans la crainte des
conséquences ; le moindre travail est pour lui excessi-
vement pénible et ce n'est qu'à force d'éaergie qu'il par-
I
— 215 —
vient à se soutenir. Quelques heures seulement après
une crise qui l'aura terrassé et presque privé de vie,
peut-être verriez-vous le P. Leduc donner un long ser-
mon dans l'église, comme s'il n'eût pas été malade de-
puis longtemps.
C'est uniquement l'énergie qui le soutient el l'empê-
che de renoncer au travail : il a un projet, c'est celui de
doter, avant de mourir (si Dieu lui accorde encore un
an ou deux de vie), la ville d'Edmonton d'une belle
église, comme il a déjà bâti l'église de Galgary.
Toutes les constructions des établissements catholi-
ques de la paroisse sont remarquables, l'église seule fait
ombre. C'est encore la vieille église en bois bâtie il y a
longtemps. Elle a été, il est vrai, agrandie et améliorée,
mais elle est déjà beaucoup trop petite et loin de ré-
pondre aux autres constructions. Le R. P. Leduc s'ingé-
nie donc de toutes manières, par bazars, souscriptions
ou autrement, pour réunir les fonds nécessaires. Il est
puissamment aidé en cela par le R.P. Lemarcbant. Le der-
nier bazar a produit plus de 800 dollars.
Le presbytère est une assez belle construction en bois
qui a coûté 3 500 dollars. La bâtisse est revêtue de bri-
ques à l'extérieur et plâtrée à l'intérieur. Il y a une four-
naise pour chauffer la maison à l'air chaud, éclairage à
l'électricité, service du téléphone. Un bon nombre de
chambres sont à la disposition des Révérends Pères
étrangers qui passent fréquemment par Edmonton et
viennent demander l'hospitalité.
Les révérendes Mères Fidèles Compagnes de Jésus
ont aussi un bel établissement. Elles tiennent l'école ca-
tholique séparée et aussi un pensionnat pour demoi-
selles. La communauté se compose actuellement de huit
Mères institutrices et de six Sœurs converses. L'école
catholique compte 100 enfants : 40 garçons et 60 filles,
— 216 —
et de plus il y a 13 pensionnaires. L'école est tenue sur
un pied d'excellence qui ne le cède en rien aux institu-
tions protestantes et qui l'emporte sur elles, sous une
foule de rapports.
Le nouveau couvent a été construit depuis le dernier
Chapitre. C'est une belle construction en briques, qui a
la façade sur la rue. L'ancien couvent en bois a été
adossé en arrière, de sorte que les deux bâtisses conti-
guës forment un établissement assez considérable. La
nouvelle bâtisse en briques a coûté 9 ÛOO dollars.
L'hôpital est également une construction érigée de-
puis le dernier Chapitre. C'est un édifice imposant, qui
a coûté 35 000 dollars. Il est à la charge des Révérendes
Sœurs Grises de la communauté de Montréal. Cet hôpi-
tal a le titre d'hôpital général, il n'y en a pas d'autre
dans la ville. Celle-ci ayant promis son concours, il a
fallu nécessairement établir cette institution sur un ex-
cellent pied, avec toutes les améliorations modernes
pour la tenue des hôpitaux, afin d'éviter, pour l'avenir,
tout motif de plaintes et de conserver aussi longtemps
que possible, le patronage de la ville. Naturellement,
les frais de la construction n'ont pu être payés immé-
diatement. Il y a une lourde dette de plus de 20|000 dol-
lars. Les Sœurs espèrent pourtant réussir, à force d'in-
dustrie, d'énergie et de privations personnelles, à amor-
tir cette dette avant bien longtemps. Le personnel se
compose de huit Sœurs, y compris la révérende Mère
vicaire, pour le Nord-Ouest; il y a aussi quelques Sœurs
auxiliaires et plusieurs personnes de service ; 595 ma-
lades ont été admis depuis l'ouverture de l'hôpital, en
décembre 1895.
La population catholique d'Edmonton est mêlée de
catholiques de langue anglaise et de catholiques de lan-
gue française. Il y a aussi un bon nombre de familles
— 2i7 —
métisses. Le service de la prédication se fait habituelle-
ment en deux langues, il faut encore ajouter la langue
crise pour le service de la confession. 11 y a de 15 à 20per-
sonnes qui ne fréquentent jamais l'église. Il faut si-
gnaler des désordres de plus d'un genre, surtout parmi
les métis, par suite de l'ivrognerie et de l'inconduite qui
en est la conséquence. Le voisinage des petites villes est
toujours funeste à cette population métisse qui manque
de l'énergie nécessaire pour résister aux tentations du
vice.
Les offices religieux, à l'église, se font avec régularité
et sont bien suivis; l'église est toujours trop petite pour
l'affluence habituelle. L'association de G. M. B. A. ou
Association catholique d'assistance mutuelle, qui recrute
ses membres parmi la classe aisée et instruite, et com-
porte une assurance sur la vie, est un élément de bien
important, car elle a pour but de répandre les principes
et les pratiques purement et franchement catholiques.
La population concourt généreusement aux construc-
tions et à l'entretien des Pères résidents. Cependant,
Edmonton étant un lieu de passage pour les Pères du
vicariat qui y descendent souvent en venant à Saint-
Albert ou en s'en retournant, ces visites occasionnent
des dépenses extra pour lesquelles il ne serait pas juste
de taxer la population de la localité. Il faut donc que la
caisse épiscopale et la caisse vicariale soient mises à con-
tribution pour aider à payer ces dépenses.
Trois ou quatre postes doivent être desservis par les
Pères d'Edmonton. Ce sont Edraonton-sud, Wetaski-
win, Leduc et même Beaumont. C'est le R. P. Lemar-
CHANT qui est chargé de faire ces différentes visites.
Edmonton-sud, située du côté opposé de la Saskat-
chewan, par rapport à la ville ancienne, forme une
petite ville qui ne manque pas d'activité, vu qu'elle pos-
— 218 —
sède la station du chemin de fer. Elle pourrait naême
devenir plus importante que la ville de la rive opposée,
si la voie ferrée ne devait pas, dans un avenir prochain,
traverser la rivière et établir une station de l'autre côté.
Il y a là une population de 846 âmes, dont 266 catho-
liques. Une petite chapelle, déjà trop petite, et qui sert
en même temps de salle de classe, est le seul établisse-
ment catholique. La population, quoique généralement
pauvre, s'ingénie, sous l'impulsion du R. P. Lemarchant,
à recueillir des fonds pour la construction d'une autre
église plus considérable. Il faudrait aussi s'assurer im
terrain sulfisant pour y établir, plus tard, les institutions
catholiques nécessaires comme couvent, école, hôpital.
Une des révérendes Mères Fidèles Compagnes de Jésus
vient, chaque jour, faire l'école qui compte 40 enfants:
io garçons et 25 filles. Il y a une distance de 3 milles
à parcourir, et il faut traverser la grande rivière
Saskatchewan sur un bac.
Wetashiwin est située sur la ligne ferrée venant de
Galgary, à 40 milles d'Eduionton. Grâce à cette position,
cette petite ville ne manquera pas de prendre rapide-
ment de l'importance. Il y a actuellement 35 familles
catholiques, environ 200 personnes sur une population
protestante au moins cinq fois plus considérable. Une
petite chapelle inachevée a été construite pour permettre
à la population catholique d'assister aux offices quand
le prêtre fait sa visite. Il y a aussi une petite maison qui
peut servir de pied-à-terre, mais qui ne serait pas sufti-
sante pour un prêtre résident. Ce poste a été, à diûé-
rentes époques, desservi, tantôt d'Edmonton, tantôt de
la paroisse limitrophe de Beaumont. Actuellement, il est
dess>ervi par M. le curé de Saint- Thomas, ou Duhamel,
sur la rivière Bataille. Il y vient un dimanche chaque
mais.
— 219 —
Leduc est la station précédente sur le chemin do fer,
à 20 milles environ d'Edmonton. Leduc possède une po-
pulation catholique de 70 personnes seulement. Il n'y a
encore ni église ni école catholiques, mais avant peu, la
place prendra assez d'importance pour nécessiter l'une
et l'autre. C'est encore le R. P. Lemarchant qui visite ce
poste de temps en temps, depuis qu'il n'y a plus de
prêtre résidant à Beaumont. Le R. P. Nordmann y vient
aussi parfois, vu qu'il y a un certain nombre de familles
allemandes. Il est facile de comprendre que ces visites à
Edraonton-sud, Beaumont et Leduc, sont une charge
beaucoup trop considérable pour le R. P. Lemarchant, à
qui le service d'Edmonton nord suffirait grandement.
Les deux Missions do ce district sont Stony-Plaine et
Hobbéma. Stony-Plm'ne, ou Mission de la Prairie assini-
boine, est située sur une réserve sauvage, à environ
7 milles d'Edmonton. La population sauvage est d'en-
viron 106 personnes, toutes catholiques, excepté 6.
Cette population a diminué considérablement depuis
quelques années, la mortalité a été très grande, surtout
parmi les enfants. Il y a un missionnaire résident : le
R. P. G. Simonin. Il a une maison-chapelle, comme cela
a lieu sur d'autres Missions. Le bas sert d'église, et le
haut sert d'habitation. La plupart des sauvages sont à
une assez bonne distance de l'église, environ 3 ou
4 milles. Cependant, ils viennent assez régulièrement le
dimanche, et, sans être très fervents, ils sont assez bons
chrétiens et assez tranquilles. Il y avait ici jadis une
mission protestante. Elle a échoué, et le prédicant a dû
s'éloigner.
Le R. P. Simonin est chargé aussi d'une petite paroisse
en formation, également sur la Prairie assiniboine, et
confinant la réserve sauvage. On l'appelle Spruce-Grove,
en attendant qu'elle ait une église et un saint protecteur
— 2^0 —
comme patron. Il y a environ 126 catholiques, Canadiens
français pour la plupart, et 35 métis. Malheureusement,
une partie des terres de la localité est occupée par des
Allemands, presque tous protestants. On s'est assuré
récemment 50 acres de terre, et les paroissiens s'occu-
pent actuellement de construire une petite église en
pièces de bois équarries.
Hobbéma, ouMission de Notre-Dame des Sept douleurs,
est une Mission plus importante. Elle est établie sur
une réserve de sauvages de la nation des Cris. Il y a ici
deux bandes de sauvages, les uns, protestants, et les
autres catholiques. La population totale est de 670 habi-
tants, dont 256 catholiques, 254 protestants et 160 infi-
dèles. De plus, il y a dans les environs de la réserve,
plusieurs familles catholiques, en tout 145 personnes, à
qui les missionnaires de cette réserve doivent donner
leurs soins.
La Mission d'Hobbéma a un secours important, qui
n'existe pas sur la Mission précédente. Outre une église
assez convenable et la petite maison qu'habitent les
Pères, il y a encore une école-pensionnat tenue par les
Sœurs. Les deux Pères résidents sont le R. P. Perreault
et le R. P. LizÉE. Le R. P. Perreault, depuis plusieurs
années, est atteint d'une maladie de poitrine qui le mine
insensiblement. Il est d'une faiblesse extrême. Il devrait
être à l'hôpital et tenu constamment sous les soins du
docteur. Sa maladie, traînant en longueur, le pauvre
Père a préféré retourner au milieu de ses sauvages, et
faire le peu de travail que ses forces lui permettront de
temps en temps. Nous avons cédé à son désir, par la
crainte que l'isolement et l'ennui lui fussent plus nuisi-
bles que les petits travaux qu'il s'impose.
Le R. P. LizÉE, qui a nécessairement le plus gros de
la besogne, est loin pourtant d'être très bien lui-même ;
— 221 —
il a, lui aussi, la poitrine très faible et a besoin de grands
ménagements.
Le ministère, parmi les sauvages, est peu consolant.
Ces pauvres chrétiens sont très ignorants et réclament
des soins de tous les jours. Ils n'ont guère le don de la
délicatesse et se rendent souvent importuns. Il faut
savoir se plier à leurs défauts et s'armer de patience
dans les difficultés. Le voisinage d'une Mission protes-
tante est toujours un sérieux embarras ; les sauvages se
montrent plus exigeants en prétendant que les ministres
font plus de faveurs à leurs adeptes.
Les Sœurs en charge de l'école-pensionnat sont des
Sœurs de l'Assomption de Nicolet, au nombre de six;
elles instruisent et élèvent 36 enfants, pour la plupart
desquels elles reçoivent un secours du département
indien. Elles réussissent très bien dans leur œuvre de
dévouement. L'ancienne résidence des Pères avait été
mise à la disposition des religieuses, et elles commen-
cèrent leur petit pensionnat dans cette maison ; mais
elles y étaient bien à l'étroit, avec leurs enfants, dont le
nombre grandissait toujours. Elles viennent de cons-
truire une grande maison qui leur permettra de prendre
70 à 80 enfants. Mais ici, comme ailleurs, les sauvages
sont attachés à leurs enfants, et ne consentent pas faci-
lement à se séparer d'eux.
Avant de passer aux autres districts, et afin d'achever
de faire connaître les environs de Saint-Albert et d'Ed-
monton, il est bon de dire un mot des paroisses confiées
à des prêtres séculiers, car les missionnaires Oblats,
Pères ou Frères, ont souvent à rendre quelques services
à ces prêtres qui sont venus partager notre vie d'abné-
gation. Ces paroisses sont au nombre de quatre : fort
Saskatchewan, Morinville, Beaumont et Duhamel à la
rivière Bataille.
— 222 —
La plus ancienne de ces paroisses : fort Saskatchewan
ou Notre-Dame de Lourdes, est située à 18 milles à l'est
d'Edmonton. La population est de 267 habitants, tous
catholiques. C'est le révérend M. Dorais qui est curé ; il
habile le presbytère, près de l'église, avec plusieurs
membres de sa famille. L'église est vieille, délabrée, et
beaucoup trop petite pour la population qui augmente
rapidement. On a commencé à recueillir des fonds pour
ériger, dans un avenir plus ou moins rapproché, un
édifice plus spacieux et plus convenable. Il y a trois
écoles catholiques sur la paroisse. L'une est tenue par le
révérend M. Quévillon, et une autre n'a pour institutrice
qu'une demoiselle protestante.
Le révérend M. Dorais a une autre Mission à visiter.
Cette Mission est d'un caractère tout spécial et assez
difficile. A 30 milles environ, à l'est du fort Saskat-
chewan, dans les environs d'Edna, est venue s'établir,
surtout depuis trois ou quatre ans, une nombreuse co-
lonie de Galiciens. 11 y a là actuellement i80 familles
environ, formant une population de plus de 1 0(J0 habi-
tants. La plupart sont catholiques, mais du rite grec ou
grec-ruthène;30familles. au plus 180 personnes, appar-
tiennent à l'Eglise orthodoxe ou schismatique russe. Ces
gens arrivent très pauvres, mais ils sont habitués aux
privations, et, par un travail persévérant, ils améliorent
vite leur position. Ils sont pleins de foi, mais peu éclairés,
et seraient facilement entraînés dans le schisme de leurs
compatriotes, si nous ne pouvions avant longtemps leur
procurer un prêtre de leur rite, et surtout de leur
langue. La propagande schismatique russe est très
active auprès d'eux. Nous les avons visités de temps en
temps, et le révérend M. Dorais, étant plus à la portée,
est chargé de leur faire une visite chaque mois, mais il
faut leur parler par interprète, et cela ne satisfait per-
— 223 —
sonne. La Sacrée Congrégation de la Propagande nous
annonce l'arrivée d'un prêtre du rite grec-ruthène.Nous
souhaitons qu'il arrive bientôt, avant que les schisma-
tiques n'aient réussi dans leurs intrigues. Plusieurs des
enfants fréquentent les écoles prolestantes, organisées
dans le voisinage. Il y a encore un danger de ce côté.
Une autre colonie de Galiciens, moins considérable,
mais qui augmente graduellement, est établie à quelque
distance d'Edmonton, au lac Castor.
Moriiwille^ Saint-Jean-Baptiste,esl une jeune paroisse
fondée par notre actif agent de colonisation, M. l'abbé
Morin, qui lui a donné son nom. Elle se compose
presque uniquement des colons qu'il a su décidés à venir
s'établir dans ce pays. C'est le révérend M. Jolicœur
qui est curé de cette paroisse. Il possède un presbytère
très modeste, et son église, en pièces de bois équarries,
est bien pauvre. Quoique assez vaste, elle commence à
être trop petite. La population est de 250 personnes,
mais bien assidues à l'assistance aux offices du dimanche,
11 y a une école dans la localité.
Beaumont Saint- Vital est unepetite paroisse à 20 milles
d'Edmonton. Elle compte environ 220 catholiques. Il y
a une petite église et un presbytère. Jusqu'à ces der-
niers temps, elle était desservie par un prêtre séculier :
le révérend M. Beauparlant, qui vient de nous quitter,
sans avis préalable, nous laissant, par là même, dans un
sérieux embarras. 11 y avait auparavant un prêtre, pour
le moins très brouillon, qui nous offrirait encore volon-
tiers ses services. Mais nous préférons ne point en avoir
de ce genre. H y a aussi une école qui n'est pas aussi
catholique qu'elle devrait l'être.
Saint-Thomas ou Duhamel, sur la rivière Bataille, est
une paroisse composée presque exclusivement de métis.
Elle possède environ 250 habitants. Une petite maison
— 224 —
sert de presbytère, et une autre de chapelle, mais il n'y
a pas d'école. Les métis de cette localité nous ont causé
récemment une peine bien sensible, et à laquelle nous
ne pouvions nous attendre. Un ministre protestant leur
ayant proposé d'élever leurs enfants gratuitement, ils se
montrent très portés à accepter son offre. Quelques-uns
même ont déjà eu la lâcheté de lui confier leurs enfants.
C'est le révérend M. Beillevaire qui a la charge de cette
paroisse. Il y a plus de dix-sept ans qu'il travaille avec
une énergie et une persévérance dignes de tout éloge,
dans le diocèse de Saint-Albert.
III. DISTRICT DE CALGART.
Pour ne pas être trop long, je dois tâcher d'abréger
ce qui reste à dire des autres districts du vicariat. Le
district de Calgary comprend quatre paroisses et une
multitude de postes à desservir. Les quatre paroisses sont:
Calgary, Mac-Leod-Leod, Lethbridge et Pincher-Creek.
Calgary Saint-Mary est la paroisse catholique de la
ville, actuellement la plus importante de l'Alberta. La
ville compte environ 4 5U0 âmes, dont 600 environ sont
catholiques. La population catholique, depuis quelques
années, est restée stationnaire, ou même a diminué un
peu, tandis que la population protestante augmentait
considérablement.
Les établissements catholiques sont réellement consi-
dérables, vu le nombre limité de la population. L'église
est un monument imposant en pierres et en briques. Elle
est inachevée, d'un aspect sévère et massif. Le presbytère
a été récemment amélioré et agrandi, en unissant deux
bâtisses qui existaient déjà sur le terrain de la Mission.
La construction est en bois, revêtue de briques à l'exté-
rieur.
— 225 —
Le personnel de la maison se compose du R. P, La-
combe, supérieur du district, du R. P. Fouquet, du R. P.
Dubois et du F. Royer. Le R. P. Lacombe a été bien
malade depuis plus de quatre mois; il sollicite du repos
et il l'a bien mérité. Le R. P. Fouquet, comme on sait,
est toujours épuisé et cependant il réussit encore à faire
plus d'ouvrage qu'on ne pourrait en obtenir de bien des
jeunes forts et vigoureux. Comme il est chapelain des
deux communautés de Religieuses et qu'il a besoin de
précautions multiples pour sa vue, il réside à l'hôpital.
Les offices de la paroisse se font régulièrement. Ici
l'église est suffisamment grande pour la population qui
ne parvient pas à la remplir. La prédication se fait ha-
bituellement en anglais. Il faut aussi parler quelquefois
en français et en cris. Pour la confession en particulier,
il est nécessaire qu'il y ait un missionnaire parlant cris;
et si nous sommes obligés de laisser le R. P. Lacombe
s'éloigner, nous n'avons personne à mettre à sa place.
La population catholique, sans être très fervente, est
tranquille et bienveillante. Une association du Sacré-
Cœur est assez répandue. L'Association de secours-
mutuels C. M. B. A, a ici une branche qui exerce une
bonne influence. Quelques personnes restent éloignées
des sacrements; mais il n'y a pas de bien notables
scandales à signaler. Nos catholiques, quoique apparte-
nant à la classe pauvre, peuvent cependant suffire à
l'entretien de leurs prêtres.
r^es Fidèles Compagnes de Jésus, au nombre de neuf
Mères et six Sœurs, tiennent l'école du jour et un pen-
sionnat pour les demoiselles. On sait qu'elles donnent
toujours une éducation soignée et même supérieure,
qui est appréciée même des protestants. De fait, un
grand nombre des enfants qui fréquentent l'école sont
protestants, surtout parmi les filles. Tout en conservant
— 226 -
et utilisant Tancien couvent, qui avait été jadis l'église
et la maison des Pères, les révérendes Mères ont érigé
une magnifique construction en pierres, pour leur pen-
sionnat. C'est certainement l'établissement d'éducation
le plus important qu'il y ait dans toute la ville : 137 élèves
fréquentent l'école, dont J7 pensionnaires.
L'hôpital Sainte-Croix est tenu par les révérendes
Sœurs Grises de Montréal. Elles sont au nombre de cinq,
avec quelques sœurs auxiliaires. Leur établissement est
un édifice en briques, remarquable à l'extérieur, et
pourvu à l'intérieur de toutes les améliorations voulues
pour satisfaire le public. Le service des Sœurs est très
apprécié par tous ceux qui ont occasion de constater
leur savoir-faire et leur dévouement.
Il y a une foule de postes qui sont desservis par les
révérends Pères résidant à Calgary. Le R. P. Fouquet
dessert les postes du côté des Montagnes Rocheuses :
Canmore, où il y a 90 catholiques; Banf, où il n'y en a
plus qu'une quinzaine; Anthracite, où la population
catholique ne dépasse guère 20 personnes, et Cochi^ane,
où l'on en compte environ 80. La population qui habite
ces localités est très mêlée de langues et de coutumes.
Il y a des Italiens, des Allemands, des Slaves. La plupart
de ces gens sont des ouvriers qui travaillent dans les
mines de charbon ou dans les usines du chemin de fer.
Les Italiens sont les plus difficiles à atteindre, souvent
ils fuient le prêtre. Les catholiques de Cochrane cepen-
dant sont plutôt des cultivateurs. Ce sont des Ecossais
pour la plupart et ils ont une foi solide. Il n'y a pas
d'écoles catholiques dans ces localités et les enfants
sont, pour ainsi dire, obligés de suivre les classes des
écoles publiques, ou plutôt prote^tantes.
Il y a encore quelques postes à visiter au sud de Cal-
gary, sur la petite rivière Fish-Greek et aussi sur la
— 227 —
réserve des Sarcis. Là quelques familles catholiques
sont visitées tantôt par un Père, tantôt par un autre. Le
R. P. FouQUET, à qui la faiblesse de sa vue rend ces
courses encore plus pénibles, voudrait bien, lui aussi,
du repos, et il aurait assez à faire en s'occupant unique-
ment de ses deux communautés de Sœurs. Mais puis-
qu'on ne peut lui donner de l'aide, il est souvent obligé
de se surmener.
Mac-Leod, Holy-Cross, une des plus anciennes villes de
TAlberta, est au sud de Galgary, à 100 milles de distance.
Ce poste a été, à un certain temps, le plus important du
pays, mais il a été devancé par Galgary et Edmonton.
Cependant, depuis que Mac-Leod est devenu le terminus
de la ligne venant de Galgary, et surtout depuis que l'on
construit cette nouvelle ligne venant de Lethbridge et
passant en Colombie dans la région des Goutonais, la
condition est toute différente, et avant peu la place aura
pu prendre^un grand accroissement. Elle se trouve en
effet sur la route la plus courte entre Montréal et Van-
couver et la plus grande partie du trafic se fera dans
cette direction. Si la contrée environnante n'est pas très
favorable à la culture, elle est par contre éminemment
propre à l'élevage des bestiaux, car la neige ne séjourne
pas continuellement pendant l'hiver, et d'immenses
troupeaux de bêtes à cornes peuvent passer tout l'hiver
dehors et trouver leur nourriture, sans qu'il en coûte
presque rien.
Il n'y a encore actuellement qu'une population ca-
tholique de 220 personnes. C'est le R. P. Lebret qui a
la charge de la paroisse. Les constructions de la Mission
sont très modestes; de fait il n'y a qu'un assemblage de
bâtisses qui sert à la fois de maison d'habitation, d'église
et d'école. G'est-à-dire que l'installation est très défec-
tueuse. Aussi parle-t-on beaucoup de bâtir une nouvelle
— 228 —
église. Mais il ne suffît pas de parler, il faut avoir des
ressources, et des ressources suffisantes pour faire face
aux besoins. Le R. P. Lebret est âgé et ne peut guère
s'imposer les démarches nécessaires pour susciter et
recueillir les contributions de la population et les au-
mônes des travailleurs, sur la ligne du chemin de fer.
On espère pourtant voir, dans le cours de l'été prochain,
surgir une église plus convenable que ce qui existe
actuellement. L'école est tenue par un maître catholique
et donne satisfaction, quelques enfants fréquentent
l'école publique sous le prétexte qu'ils y trouvent une
instruction plus avancée.
Leihbridge, Saint- Patrick, à 35 milles à l'est de Mac-
Leod est une petite ville minière. Ce sont les mines de
charbon exploitées par une puissante compagnie qui
ont fait naître la ville et qui la soutiennent. Si ces mines
venaient à se fermer, la ville aurait bientôt à disparaître;
car il n'y a aucune autre ressource dans le pays envi-
ronnant qui puisse y suppléer. Heureusement on n'a
pas à craindre que ces mines se ferment, car elles sont
inépuisables.
Aussi le R. P. Van Tighem, qui a foi dans l'avenir de
Lethbridge, a travaillé avec énergie et persévérance, et
grâce à son savoir-faire, il a pu, et cela sans faire de
dettes, doter sa paroisse d'établissements complets et
parfaitement installés. L'église, bâtie à deux reprises, est
partie en pierres et partie en briques. Elle est bien
décorée à l'intérieur et suffisamment vaste pour la popu-
lation, elle surpasse de beaucoup les trois églises pro-
testantes de la localité. Cette église fut consacrée en 1895
par M8'' Grandin. Elle est la seule église consacrée du
diocèse.
Près de l'église, il y a un presbytère en briques, petit,
convenable. Le couvent des Fidèles Compagnes de Jésus
— 229 —
est également une construction importante qui fournit
de vastes salles de classes, l'habitation des religieuses
et des salles pour les pensionnaires.il y a cinq Mères et
trois Sœurs qui instruisent et élèvent 102 enfants dont
12 pensionnaires. Presque tous ces enfants sont catho-
liques.
La population catholique de Lethbridge est d'environ
550 sur IGOO habitants. Ces catholiques appartiennent
surtout à la classe pauvre. Ce sont, pour la plupart,
des mineurs qui gagnent leur vie à la journée, mais qui
se montrent assez généreux pour l'entretien de leur
pasteur. Les offices de l'église sont bien suivis ; le révé-
rend Père et les Sœurs s'ingénient pour en rehausser
l'éclat par les chants et les cérémonies. L'Association de
secours mutuels G. M. B. A. a également une branche
établie ici et fait du bien. Les Slaves sont assez nom-
breux pour avoir, eux aussi, une Société nationale de
Saint-Jean-Baptiste. Outre les Slaves, il y a encore bien
d'autres nationalités : Allemands, Hongrois, Flamands,
Italiens, sans compter Anglais, Écossais, Irlandais,
métis cris et métis pieds-noirs. Le révérend Père doit
confesser en six langues différentes; pour trois de ces
langues, il se sert d'un questionnaire.
Pincher-Cr'eek, Saint-Michel, à 30 milles à l'ouest de
Mac-Leod, presque au pied des montagnes Rocheuses,
est une petite paroisse formée principalement de Cana-
diens français et de quelques familles irlandaises. Ce
pays est très propre à l'élevage des bestiaux, et c'est là
l'occupation presque exclusive des habitants de la loca-
lité. Le K. P. Lacombe a été pendant longtemps chargé
de cette place. C'est maintenant le R. P. Blanchet, mais
le R. P. Lacombe doit y revenir bientôt pour y trouver le
repos et tâcher d'y reprendre ses forces. Il y a environ
250 habitants, qui sont bons et sympathiques.
T. XXXVI. 10
L'église, bâtie sur une colline qui domine le village,
est toute petite et déjà insuffisante pour la population;
l'habitation du missionnaire est une série de petites
chambrettes adossées au chevet de l'église. C'est bien
modeste. Le R. P. Blanchet a pour compagnon le
F. Ryan, qui cumule toutes les fonctions d'un Frère
convers. Ce n'est que le petit nombre des paroissiens
qui habitent le village ; ils sont, pour la plupart, espacés
à de longues distances. Il y a, en particulier, plusieurs
familles au French-Flat, et le révérend Père doit y aller
de temps en temps pour faciliter à tous l'accomplisse-
ment de leurs devoirs. Il y a une école séparée, catho-
lique, mais elle est tenue par un protestant. Il paraîtrait
qu'on n'a pu trouver de maître catholique. Ce fait seul
montre que, chez plusieurs, le sens catholique est pas-
sablement émoussé.
Les deux autres districts qui nous restent à examiner
sont surtout composés de Missions sauvages. Ce sont le
district du lac Laselle, pour les Cris, et le district des
Pieds-Noirs.
IV. DISTRICT DU LAC LASELLE.
Ce district comprend les Missions du lac Laselle, du
lac Labiche^ du lac Froid, du lac d'Ognon et du lac
des (Eufs. On pourrait aussi le nommer, comme on le
voit, le district des Lacs. C'est le dernier district que j'ai
visité dans le cours des mois de janvier et de février. Je
vais en rendre compte dans l'ordre daas lequel j'ai par-
couru ces différentes Missions.
Partis de Saint- Albert, le samedi 15 janvier, avec le
R. P. Lestanc, après le dimanche passé au fort Saskat-
chewan, où il y eut bénédiction d'une nouvelle cloche,
nous nous mîmes de nouveau en route le lundi ma-
tin, et, après un jour et demi de marche, nous arri-
— 231 —
vions aux rives imposantes de la grande Saskatchewan
du Nord. Rien de solennel comme ces grands bois soli-
taires et dénudés ; rien de mystérieux comme cette vaste
étendue du cours de la grande rivière saisie par le froid
et ne formant plus qu'une masse solide. Plus de bruit,
plus de mouvement, tout est morne et silencieux et la
rivière solidifiée nous offre, pendant plusieurs milles, un
chemin uni où la traîne glisse rapidement en silence.
Nous arrivons à la Mission du lac Laselle; mais, après
une ïiuit de repos, nous partons dès le n^atin, car nous
devons d'abord nous rendre au plus vite au lac Froid,
Cela nous prendra encore trois jours. Enfin, le vendredi,
après midi, nous sommes d'assez bonne heure à la Mis-
sion de Saint- Raphaël du lac Froid. Heureusement, la
plupart des sauvages sont encore là. Ordinairement,
après les fêtes de Noël, ils se dispersent; mais, cette
année, ils ont différé leur départ. La journée du samedi
se passe à entendre les confessions. Le 11. P. Lesïanc
peut aider le R. l\ Legoff, car plusieurs des Montagnais
parlent cris, Le dimanche, nous nous efforçons de rendre
les cérémonies aussi solennelles que possible. Les bons
sauvages sont venus de toutes les directions; les uns en
traîne à chiens, les autres en raquettes. Beaucoup,
presque tous, veulent profiter du passage de l'Évêque
pour approcher de nouveau de la sainte table. Sur une
population de 250 personnes environ, bS approchèrent
du sacrement et j'administrai le sacrement de Confirma-
tion à go personnes, la plupart adultes, Ces Montagnais
se sont montrés empressés d'embrasser la religion. Ils
sont attachés à leur foi; leur missionnaire, pourtant,
leur reproche un certain manque d'énergie et une dis-
position naturelle à la paresse et au jeu.
Le R. P, Legoff, sans occasionner de dépenses extraor-
dinaires, S3Q8 bruit, a su aipéliorer J'état de sji Mission,
— 232 —
Il a une petite église qui est assez convenable et il a
peu à peu agrandi sa maison d'habitation, car il espère
pouvoir y installer, avant peu, une communauté de
Sœurs qui tiendraient une école - pensionnat pour les
enfants de ses chrétiens. Les sauvages eux-mêmes se
montrent très désireux de voir arriver des Sœurs et,
dans une réunion qu'ils ont tenue, ils m'en ont fait la
demande formelle. Espérons que, plus tard, leur désir
sera satisfait. Deux Frères : les FF. Vermette et Avrillon,
étaient, lors de ma visite, au lac Froid, travaillant aux
constructions du R. P. Legoff.
Outre la Mission de lac Froid, il y a encore le lac de
Cœur que le R. P. Legoff doit visiter ; il y a là 60 Mon-
tagnais environ qui ne peuvent être visités que par lui.
Le R. P. Legoff aurait besoin d'un compagnon, non
seulement pour lui porter secours, surtout quand il n'est
pas bien, mais aussi pour apprendre la langue mon-
tagnaise. S'il venait tout à coup à nous manquer, il
n'y a personne que nous puissions envoyer là, et par
conséquent cette Mission serait sérieusement compro-
mise.
Deux jours nous séparent du lac d'Ognon. La neige,
qui tombe depuis trois jours, a rendu les chemins plus
difficiles; cependant, partis le mardi matin, nous arri-
vons d'assez bonne heure le lendemain dans l'après-
midi. Le R. P. CoMiRÉ nous attendait.
Au lac à'Ognon, Mission de Notre-Dame du Rosaire^ je
trouve une Mission bien établie. L'église est assez con-
venable. L'autel est très orné. C'est le R. P. Dauphin qui
a su procurer la plupart de ces ornements et les mains
des bonnes religieuses ont tout disposé avec goût. Cette
petite église possède un trésor précieux : ce sont les
restes de nos deux martyrs massacrés au lac la Gre-
nouille, en 1885, les RR. PP. Fafard et Marchand. Ils
-^ 233 —
ont été déposés dans des cercueils, à découvert, dans un
caveau pratiqué au milieu de l'église.
La maison des Pères est bien modeste et encore ina-
chevée, mais à peu près suffisante. Leur ancienne maison
avait été abandonnée aux Sœurs qui y ont ajouté de-
puis une grande bâtisse servant de pensionnai, Ce sont
des Sœurs de l'Assomption de Nicolet, comme à Hob-
béma, qui tiennent ce pensionnat. Elles sont au nombre
de sept et elles élèvent actuellement 52 enfants dont
6 n'appartiennent pas au traité avec les sauvages et par
conséquent ne reçoivent rien du gouvernement. Cette
école réussit très bien.
La population totale de la réserve est d'environSOS ha-
bitants dont 440 catholiques, 25 protestants et 40 infi-
dèles. Le dimanche que je passai là, environ 60 per-
sonnes ont communié et j'administrai le sacrement de
Confirmation à 27, dont 19 enfants de l'école.
Le R. P. Lestanc réside ici, mais plutôt à titre de
visiteur, pour aider le R. P.Gomiré, qui, n'ayant qu'une
connaissance imparfaite de la langue crise, ne pouvait
guère rester seul. Le R. P. Comiré est donc directeur de
la résidence et a aussi le titre de principal aux yeux du
gouvernement pour l'école-pensionnat. Depuis quelque
temps, il a fait des progrès satisfaisants dans l'usage de
la langue crise et pourra, par là même, dans la suite,
rendre son ministère plus efficace. Il y a, à quelques pas
de l'établissement catholique, une mission protestante
qui a aussi son école et qui naturellement fait tout pour
nous nuire.
Six jours de marche nous séparent du lac Labiche où
mon arrivée est annoncée pour le dimanche suivant. La
neige a continué de tomber en tempête et les chemins
sont bien mauvais. Le froid aussi est intense. En reve-
nant du lac d'Ognon, j'ai tenu à passer sur la place
. 2U -
qu'occupait l'ancienne Mission du lac la Grenouille. Le
F. Landry qui m'accompagnait a pu me désigner l'endroit
où nos deux martyrs sont tombés sous les balles de leurs
sauvages égarés par la l'urie de la révolte. Là, dans la
neige, nous avons prié et soUiciié le secours de ceux
que nous con^^idérons comme des protecteurs dans le
ciel. Nous avons retrouvé aussi le caveau de l'église d'où
leurs corps à demi brûlés lurent retirés quelques se-
maines après le massacre, et la fosse où leurs premiers
cercueils avaient reposé temporairement. Tout ce pays
maintenant est triste, solitaire et désolé. Les sauvages
mêmes osent à peine s'aventurer de ce côté.
Après une semaine de voyage bien pénible, nous ar-
rivâmes cependant, pour l'époque fixée, à In Mission du
lac Labiche .' Notre-Dame dés Victoires. C'était dans la
nuit du samedi au dimanche, à minuit et demi. Le
R. P. Grandin s'était joint à moi depuis le lac Laselle.
Le R. P. TissîÈR est le directeur actuel de la Mission du
lac Labiche, il a avec lui deux Frères : le F. Alexandre
et le F. Caron.
La Mission du lac Labiche est éprouvée en ce moment.
C'était uû établissement considérable. Les Sœurs Grises
dirigeaient ici orphelinat et école; c'a été pendant long-
temps la résidence de M^'^ Faraud. Or, nous nous trou-
vons dans la nécessité de transporter cet établissement
au lac Laselle. Ce sont les sauvages du lac Laselle qui
peuvent fournir le plus d'entants à l'école, et vu la dis-
tance, on ne les déciderait que difficilement à les en-
voyer au lac Labiche. D'un autre côté, le département
indien, pour nous accorder ses secours, désire que l'éta-
blissement soit sur une réserve. Pour toutes ces raisons,
nous sommes donc obligés de transporter l'école-pen-
sionnat au lac Laselle et parla d'amoindrir l'importance
du lac Labiche. Cette Mission, perdant son importance
~ 235 —
et le personnel étant réduit à quelques membres, le
moulin à scie et à farine n'a plus de raison d'être, et l'on
a décidé de le transférer à la colonie des métis du lac
des OEufs, où il sera mieux utilisé.
La population du lac Labiche est naturellement
bien contrariée de ces changements, et a réclamé contre
ces mesures par pétition et autrement. Nous avons tâ-
ché de leur faire comprendre que c'était la nécessité
seule qui nous avait contraints à prendre ces décisions.
Pour témoigner de leur mauvaise humeur, ils ont retiré
la plupart de leurs enfants qui fréquentaient l'école.
Cette population du lac Labiche est de 310 habitants
métis pour le plus grand nombre et aussi quelques fa-
milles sauvages. Sur ce nombre, il y a une dizaine de
protestants. Le dimanche que je passais là, il y a eu
environ 80 communions et 44 confirmations, de plus,
l'abjuration d'une jeune femme protestante mariée à un
catholique. L'église est convenable et assez bien munie
d'ornements et d'objets du culte. La maison des Pères
est neuve et spacieuse, les bâtisses des Sœurs sont plus
vieilles. Il y a huit Sœurs qui élevaient 60 enfants envi-
ron, dont 28 enfants sauvages ou appartenant au traité.
Plusieurs des autres enfants n'appartenant pas au traité
ont été retirés dernièrement. Le transfert au lac Laselle
doit se faire aussitôt que la nouvelle bâtisse sera prête.
Le dimanche suivant, j'étais au lac des OEufs, siège
de la colonie de Saint-Paul des Métis. Il y a ici environ
200 métis qui ont répondu à l'appel du R. P, Lacombe
et du R. P. Thérien. C'est le R, P. Théribn qui a la di-
rection de cette œuvre toute spéciale. Il a avec lui trois
Frères : les FF. Racette, meunier, Petit-Demange, maître
d'école, et Kowalchek, Frère polonais, qui est mécani-
cien. Le F. HucHET, qui était cuisinier, a dû être éloigné
et devra être remplacé. Le petit Frère polonais, malgré
— 236 —
le terrible accident dont il a été victime, l'été dernier,
rend encore de grands services. La main droite et l'a-
vant-bras engagés dans sa machine ont été tellement
broyés, que l'amputation a été nécessaire; l'opération
a heureusement bien réussi et le Frère, quoique man-
chot, est encore bien adroit.
Cette œuvre des métis a été entreprise à l'instigation
du R. P. Lacombe. Il s'agit de soustraire les métis à l'in-
fluence pernicieuse de beaucoup de gens sans principes,
en les arrachant aux séductions des petites villes, en les
agglomérant ensemble, en les guidant et encourageant
dans leurs travaux. On n'est encore qu'au début de l'é-
tablissement ; on ne peut juger du succès ; mais, il faut
reconnaître que le R. P. Thérien est très désireux de
mener cette œuvre à bonne fin et très dévoué à la nation
métisse. Ce dévouement n'est pas apprécié autant qu'il
devrait l'être, puisque plusieurs de ces métis veulent
confier leurs enfants à des ministres protestants, si nous
ne sommesprêtsbientôt aies prendre nous-mêmes dans
des écoles-pensionnats.
En retournant au lac Laselle, je fus accompagné du
R. P. TeÉRiEN et de trois Frères. Le F.Racette seul resta
à garder la maison. Nous nous réunissons ainsi pour va-
quer ensemble aux exercices de la retraite du mois, le
lendemain devant être le 17 février. Le froid était per-
çant pendant ces 25 milles qui séparent le lac des Œufs
du lac Laselle. Nous étions obligés d'aller lentement, la
neige étant trop profonde pour permettre aux chevaux
de trotter. Nous nous trouvâmes donc réunis dix Oblats
au lac Laselle ; avec moi, il y avait trois Pères : les
RR. PP. Grandin, Thérien et BouleiNC, et six Frères : les
FF. Bowes, Nemoz, Landry, Petit-Demange, Huchet et
KOWALCHEK.
Le lendemain, jeudi 17 février, anniversaire joyeux
— 237 ~
de l'approbation de nos Saintes Règles, nous fîmes la
solennité aussi belle que possible. Le matin, il y eut la
fête intime, puis à 10 heures, il y eut, de plus, une messe
solennelle pour les sauvages qui répondirent presque
tous à l'appel.
Les sauvages de cette réserve sont au nombre de 235.
Ils sont divisés en deux bandes et habitent à différentes
extrémités de la réserve. 11 y a 120 catholiques et envi-
ron 110 protestants dans l'autre partie de la réserve. Il
n'y a eu jusqu'à présent, au lac Laselle, qu'une maison
d'habitation dont le rez-de-chaussée sert d'église. Elle
est bien pauvre et déjà trop petite. On bâtit à côté, il est
vrai, une grande maison, mais ce sera le couvent et le
pensionnat des Sœurs. Quand ce pensionnat sera ouvert,
l'église se trouvera encore bien plus insuffisante. Il est
donc urgent de bâtir, aussitôt que possible, une église
plus vaste, et cet établissement nous a beaucoup coûté,
vu que le gouvernement ne nous a encore donné aucun
secours. Les FF. Bowes et Nemoz , malgré leur âge
avancé, travaillent encore avec courage ; ce sont eux
qui ont la charge de cette construction. Les FF. Ver-
METTE et AvRiLLON sont venus, depuis, leur prêter leur
concours.
Le R. P. H. Grandin est le supérieur du district du lac
Laselle, il est assisté du R. P. Bouleng ; mais il y a, de
plus, beaucoup de postes à visiter dans les environs.
Les sauvages sont bons chrétiens, mais ont besoin d'être
suivis de près pour ne pas être influencés par les minis-
tres protestants des environs. A la messe solennelle du
17, il y eut 15 personnes qui communièrent et j'admi-
nistrai le sacrement de Confirmation à 8 personnes. Le
matin, il y avait eu une première communion et confir-
mation d'un mineur qui avait été employé pendant quel-
que temps à la Mission, il avait été baptisé la veille sous
- 238 —
condition. Devant partir prochainement pour le Rlon-
dyke, à la recherche de l'or, il avait voulu auparavant
devenir bon catholique. Dieu trouve ses élus partout.
J'avais eu occasion, dans le voyage, de voir les diffé-
rents autres postes qui sont desservis du lac Laselle. Il y
a le lac d'Orignal, où l'on compte environ 70 catholi-
ques ; le lac En-Long, où il y en a 80 ; le lac Bon-Poisson
et le lac Poisson- Blanc, où il y en a 65. Ceux-ci sont
mêlés à une population protestante de 300 âmes. Un
ministre réside au lac Poisson-Blanc et par conséquent
la foi de nos catholiques est en danger. Ces pauvres
sauvages avaient été négligés pendant longtemps et pas-
saient pour protestants. On a recommencé à les visiter,
ils reviennent maintenant; mais ils sont peu instruits et,
dispersés comme ils le sont, il est difficile de les ins-
truire. C'est le R. P. Doulenc qui visite ces différents
postes. Ce sont des voyages pénibles et difficiles où l'on
manque de toutes les commodités les plus élémentaires.
Heureusement, le R. P. Boulenc semble s'être habitué à
une vie de privations. Il a beaucoup à faire pour ramener
ces chrétiens et les entretenir dans leur religion. Le
R. P. BouLENG visite aussi une petite colonie de Gana*
diens français, 8 à 10 familles, à Birch-Greek.
V. DISTRICT DES PIEDS-NOIRS.
Le district des Pieds-Noirs comprend : les Missions
de la Traverse des Pieds-Noirs (la Sainte-Trinité), ré-
serve des Gens du sang (Saint-François-Xavier), réserve
des Piéganes (Conversion de Saint-Paul), et l'Ecole in-
dustrielle Saint-Joseph. C'est le coadjuteur de W'^ Gran-
DiN, qui, par exception, reste supérieur de ce district.
La Mission de la Traverse des Pieds-Xoirs est encore peu
développée, quoiqu'elle date de plus de quinze ans. Gela
— 239 —
tient beaucoup à ce que le R. P. Doucet, qui en est chargé,
a plusieurs autres places à visiter. Il est le plus souvent
absent de sa réserve, et il n'y a, pour tenir sa Mission,
qu'un maître d'école laïque chargé d'une petite école.
Il n'y a de bâtisse que cette maison d'école, qui sert en
môme temps de maison d'habitation et d'église ; tandis
que l'Eglise anglicane a ici deux grandes écoles-pension*
nats, qui fonctionnent depuis longtemps. Le révérend
Père baptise les enfants el prépare quelques sauvages,
de temps en temps, à mourir chrétiens, et c'est là tout
son ministère. La population totale de la réserve est de
! 267 personnes.
Le R. P. Doucet visite Gleichen, Médecine- Hat, Maple-
Creek et quelques autres stations sur le chemin de fer.
A Gleichen, la messe se dit dans une maison particu-
lière, 011 une chambre a été convertie en chapelle. La
population catholique, mêlée de langue française et an-
glaise, monte à environ 50 personnes. A Medecme-Hat ,
il y a une petite église bien convenable et bien entre-
tenue. Elle vient même d'être fournie dernièrement
d'un calorifère à air chaud. Il y a eu ici autrefois un
prêtre résident, et il serait bien à désirer qu'on pût
en mettre un, qui serait en même temps chargé des
postes le long de la ligne du chemin de fer. La popula-
tion est presque toute de langue anglaise, et appartient
à la classe des employés du chemin de fer. Elle monle à
80 ou 90 personnes. A Maple-Creek, il y a une chapelle
très petite et très pauvre. La population est d'environ
40 personnes. 11 y a bon nombre de métis dans les en-
virons de ces stations.
Sur la réserve des Gens du sang est la Mission Saint-
François-Xavier. La population totale de la réserve est
de 1 427 sauvages. Nous n'avons encore que 15 familles
catholiques, environ 60 personnes. Mais il faut dire que
— 240 —
la plupart des enfants sont baptisés catholiques. Dans
l'espace de quatre ans, depuis le dernier Chapitre, il y a eu
287 baptêmes, 145 confessions de sauvages, il4 commu-
nions, 274 visites de malades, 35 extrêmes-onctions,
82 sépultures, 14 mariages. Malheureusement, plus que
jamais, beaucoup des enfants nous échapperont pour
passer aux pensionnats protestants, qui existent sur cette
réserve. Nous n'avons eu jusqu'à présent que deux
écoles du jour ; mais enfin, après bien des démarches,
nous avons réussi à obtenir du secours pour cons-
truire un pensionnat. La bâtisse est très avancée, mais
non achevée ; elle ne pourra pas s'ouvrir avant plusieurs
mois.
C'est le R. P. Riou qui est directeur de cette Mission. Il
a dû en prendre la charge sept mois après son arrivée, et
après cinqmoisseulementdeséjoursurla réserve. C'était,
il faut l'avouer, un lourd fardeau, et il a fallu toute la
bonne volonté et l'esprit religieux du jeune Père pour
ne pas se laisser décourager, et pour s'abandonner, au
contraire, aux vues de la Providence. De fait, à force de
travail et d'étude assidue, il a su se mettre bien vite
suffisamment au courant de la langue pied-noire, non
seulement pour traiter toutes ses affaires avec les sau-
vages, mais encore pour les catéchiser et faire de petites
instructions à l'église. Pour catéchiser, visiter les ma-
lades, et les préparer à mourir, il y a beaucoup à faire.
Ce ministère seul de la visite des malades, qui d'ordi-
naire se laissent préparer à mourir en chrétiens, serait
très important. Mais que peut faire un missionnaire seul
sur une réserve si vaste, où il y a près de 1 500 sauvages
échelonnés sur un espace d'environ 50 milles? Trois
missionnaires auraient très bien de quoi s'occuper. Il y
a deux ministres protestants qui ont sous eux toute
une bande de maîtres et maîtresses d'école. Le Frère
— 241 —
Barreau est bien utile au R. P. Riou, vu qu'il connaît
depuis longtemps ces sauvages et peut parler leur
langue. Le Frère Moalic a remplacé quelque temps le
Frère Barreau, mais il vient d'être envoyé au lac La-
selle.
Outre la maison d'habitation du révérend Père et du
Frère, la Mission est pourvue d'une petite chapelle bien ,
convenable. De plus, il y a ici un hôpital exclusivement
pour les sauvages. Cet hôpital est tenu par des Sœurs
Grises de Nicolet, au nombre de quatre, qui se dévouent
avec beaucoup de zèle aux soins des malades. Il y a de
plus deux autres sœurs qui sont chargées de deux petites
écoles du jour, que nous maintenons en attendant qu'on
puisse ouvrir récole-pensionnat. Les difficultés augmen-
tent beaucoup ici, en raison du voisinage des protestants
qui ont aussi des établissements considérables. Ils sont
très actifs et entreprenants et tâchent de toute manière
de diminuer notre influence.
La réserve des Piéganes a vu aussi sa condition s'amé-
liorer depuis un peu plus d'un an. Une petite école-
pensionnat a pu être commencée avec le concours de
trois Sœurs Grises de Nicolet. La première installation
était bien défectueuse. La maison unique de la Mission
avait été cédée aux Sœurs pour elles et leurs enfants.
Elles pouvaient en recevoir au plus dix. Dans cette
maison, le Père et le Frère s'étaient réservé un tout
petit coin. Il fallait de plus trouver un local pour la
chapelle, c'est dire que tout était minuscule. Mais, dans
le cours de l'année dernière, une assez belle petite église
a été érigée et une bâtisse assez considérable, destinée
à servir de couvent et de pensionnat pour les enfants
sauvages. Les Sœurs en ont pris possession dans le cou-
rant du mois de février. Elles y sont à l'aise et pourront
successivement augmenter le nombre de leurs enfants.
- 342 -
Elles en ont actuellement 15. Les protestants ont égale-
ment une école-pensionnat et tâchent de nous soustraire
les enfants de toutes manières. Avec de la persévérance
cependant, nous comptons que l'œuvre de Dieu se fera,
malgré les difficultés.
C'est le R. P. Danis qui était en pharge de cette mis-
sion. Il a demandé du changement et va être remplacé
du moins provisoirement par le R. P. Doucet. Le F. Jean
Berkmans n'appartient pas à notre Congrégalion^ mais
est très dévoué à sop œuvre et nous le considérons
comme l'un des nôtres, il fait l'école aux enfants. Il y a
ici 780 sauvages et seulement 5 ou 6 familles catholiques,
30 personnes environ, mais beaucoup inclinent vers
notre sainte religion et presque tous laissent baptiser
leurs enfants. Depuis un an environ, il y a eu 41 bap-
têmes, 58 confessions, 49 communions, 6 extrènies-
onctions, 6 sépultures et 4 mariages.
L'Ecole industrielle Saint -Joseph est un établissement
considérable qui existe déjà depuis longtemps, et nous
avons toujours beaucoup compté sur cette école pQur
transformer nos natures sauvages et exercer sur elles
une heureuse influence. Aux enfants qui sont admis
dans cette institution, on lâche d'inculquer la notion de
leurs devoirs religieux, en même temps qu'on leur en-
seigne des connaissances qui doivent être utiles à leur
bien-être temporel. Pst-ce à dire que le résultat ait ré-
pondu à nos désirs ? Non, sans doute ; mais nos désirs,
peut-être, sont trop élevés. Il faut tenir compte des tem-
péraments sauvages, de leur manque d'énergie pour le
bien, Il faut tenir compte aussi du milieu dans lequel ces
Pftuvres enfants sont jetés on quittant l'école. Cependant,
la semence des vertus jetée daps ces âmes ne sera pas
complètement perdue, La sorpme considérable de travail
et d'efforts dépensée pour l§ur formatiPD moraje ne
— 343 ^
peut pas manquer d'avoir une influence réelle. Ce qu'il
faut dire, c'est que tous ceux qui sont employés à cette
œuvre s'y dépensent avec courage et dévouement,
C'est le R. P. Naessens qui est le principal de l'éta-
blissement. Il a sous lui deux bons Frères : les FF. Tom
MoRKiN et John Morkin; sept Scguri grises de Montréal
et une Sœur auxiliaire donnent aussi à cette œuyro un
concours précieux et apprécié. KUes instruisent et gar-
dent les filles, et sont en charge de la cuisine, du linge,
de la buanderie, des vêtements, etc, he P. Principal a
aussi sous ses ordres plusieurs employés laïques.
Il y a, outre plusieurs bâtisses pour Iqs dépendances,
deux grandes maisons : l'une pour les garçons et
l'autre pour les filles. Le nombre des enfants s'est élevé
jusqu'à 120, et il est descendu à 100 environ. La raison
en est que l'on a dû récemment congédier plusieurs
grands enfants, qui étaient parvenus à la limite d'âge.
De plus, nos constructions pour écoles-pensionnats vont
retenir, pendant quelque temps, les jeunes enfants qui
ne pourront être envoyés à l'école industrielle avant
l'âge de quatorze ans. Mais c'était une nécessité de bâtir
ces écoles-pensionnats, car si nous n'avions pas (}ç! ces
écoles pour les petits enfants, sur les réserves, Ips pro-
testauts les auraient tous accaparés, et nous n'auriqjis
pu remplir nos écoles industrielles.
En résumé, de tout ce qui précède, on voit dopc qu'il
y a 4 peine une Mission du vicariat qui ne soit en souf-
france. J'avais donc bien raison de dire, au commence-
ment, que j'étais effrayé de la situation.
Pour faire faca au3f premières nécessités, il nous fau-
drait dès maintenant ;
i° Un Père pour la Mission de Calgary, pour secourir
le E, P. FouQUPT ;
2" Un Père au lac Froid, pour gjder \^ R, P. LBGpfF
~ 244 —
et surtout pour apprendre la langue raontagnaise ;
3" Un Père au lac Labiche, pour remplacer ou aider
le R. P. TissiER ;
4° Un Père sur la réserve des Gens du sang, pour aider
le R. P. Riou et apprendre la langue des Pieds-Noirs ;
5° Un Père à Hobbéma, pour suppléer au R. P. Per-
REAULT ;
6° Un Père à l'École industrielle de Dunbow, pour
aider et suppléer de temps en temps le R. P. Naessens.
Il faudrait de plus :
7° Rétablir la résidence de Medecine-Hat et avoir là
un Père ou un prêtre qui serait chargé en même temps
des stations de la ligne;
8° Pourvoir d'un Père ou prêtre séculier : Beaumont,
Wetaskiwin et Leduc ;
9° Un Père au lac Sainte-Anne, pour permettre au
R. P. Végreville de s'occuper des Assiniboines des en-
virons ;
10» Un Père pour visiter les postes de la ligne du
chemin de fer, soit du côlé des montagnes, soit du côté
d'Edmonton.
Enfin, il faudrait :
Deux Pères au moins, aptes à l'enseignement, pour
permettre de commencer la fondation d'un collège-sé-
minaire ;
Sans parler des Frères convers, qui pourraient nous
rendre bien des services que nous sommes obligés de
demander à des personnes engagées.
J'espère qu'à la vue de tant de Missions à secourir, la
Congrégation se sentira obligée de faire un effort consi-
dérable en notre faveur. L'établissement de la foi catho-
lique au Nord-Ouest est son œuvre, et, jusqu'à présent,
il n'y a qu'elle sur qui nous puissions compter pour l'af-
fermir et en perpétuer l'existence.
— 245 —
Rapport du vicariat de la Colombie britannique.
Depuis le dernier Chapitre, le grand événement, dans
le vicariat de la Colombie britannique, c'est le passage
parmi nous du très révérend et regretté P. Soullier.
Cette visite si bienveillante et si inattendue du chef de
la famille eut pour effet de nous renouveler tous dans
Pesprit de notre vocation. Quelle salutaire impression ne
produisirent point chez les missionnaires les sages avis
et la ferme direction du Supérieur général au cours de
la retraite que voulut bien leur prêcher le R. P. Antoine,
son premier assistant et fidèle compagnon de voyage !
En 1896, le diocèse de New-Westminster s'enrichis-
sait d'une fondation nouvelle. Quatre Religieuses de la
Congrégation des Sœurs de l'Instruc tion de l'Enfant-Jésus,
dont la maison mère est au Puy, prenaient la direction
de l'école industrielle établie à notre Mission Saint-
Joseph de William's Lake en faveur des filles sauvages.
L'année 1897 comptera pour nous parmi les plus mé-
morables. Au mois d'avril, Notre Saint-Père le Pape
Léon XIII préconisait le R. P. Dontenville évoque titu-
laire de Germanicopolis et coadjuteur avec future suc-
cession de l'évêque de New-Westminster. M^"" de Germa-
nicopolis reçut la consécration épiscopale dans la
cathédrale de New-Westminster des mains de notre
vénéré métropolitain, M«'' Adélard Langevin, assisté de
M^"" DuRiEU et de M^'' Clut, venu du pôle nord. W Lé-
gal, accompagné de plusieurs missionnaires de Saint-
Albert, rehaussait par sa présence cette auguste céré-
monie. Ce fut une véritable fête de famille.
Personnel.
Le vicariat de la Colombie compte 2 évêques ,
25 Pères, 2 Frères scolastiques et M Frères convers à
T. XXXVI. 17
— 246 —
vœux perpétuels. Le R. P. Blanchet, doyen de nos mis-
sionnaires, aatteint sa quatre-vingtième année, 2 Pères ont
plus de soixante-douze ans, 2 ont dépassé la soixantaine,
3 la cinquantaine, 8 ont quarante ans, 8 trente ans et
plus. Un seul a vingt-sept ans.
Dix Pères sont employés en qualité de Supérieurs,
économes ou professeurs au collège et dans les écoles,
13 seulement exercent le saint ministère, 5 exclusivement
parmi les blancs, 8 parmi les sauvages et les blancs fixés
dans les villages indiens. Enfin, 2 Pères très âgés ne
peuvent plus venir en aide à leurs frères que par leurs
prières.
Un de nos Frères convers est octogénaire, 4 ont plus
de soixante-six ans; nous comptons 3 sexagénaires; un
est âgé de cinquante-cinq ans, un autre de quarante-sept
et un troisième de trente ans. Cinq de ces Frères, en
raison de leur âge ou de leurs infirmités, sont à la retraite,
2 font la classe, les autres s'occupent à l'intérieur de
nos communautés ou aux travaux du jardinage.
Vie intérieure.
En général, la régularité est en honneur dans nos mai-
sons. Les exercices de piété se font en commun. On est
fidèle à la retraite du mois. La retraite annuelle réunit
à New -Westminster tous les Pères qui ne sont pas indis-
pensables pour la garde des maisons et résidences. Un
des nôtres prêche ces saints exercices. Les gardiens de
maisons font une année leur retraite en particulier et
l'année suivante ils participent à la retraite générale.
Nos Pères ont un ministère trop surchargé et cumulent
trop d'emplois pour s'adonner sérieusement à l'étude.
A peine ont-ils le temps, entre deux courses apostoliques,
de repasser à la maison leur théologie morale et de pré-
— 247 —
parer de nouvelles instructions pour l'expédition pro-
chaine.
L'étude des langues indiennes, si multiples dans le
vicariat, présente de grandes difficultés. Dans un seul
district, vivent trois ou quatre tribus ayant chacune un
langage différent; ajoutez à cela les changements fré-
quents de missionnaires d'un poste à un autre, en raison
de l'exigence des œuvres et du personnel. Heureusement,
le jargon appelé chinook est compris à peu près partout
dans le vicariat. Tous nos Pères l'apprennent parfaite-
ment et peuvent ainsi exercer le saint ministère dans
n'importe quelle tribu sauvage. Peu à peu, à l'aide
d'interprètes et à force d'entendre parler les sauvages
entre eux, ils réussissent à apprendre la langue propre
à chaque tribu. A mesure que se multiplieront les ou-
vriers évangéliques, la part de ministère attribuée à
chacun se trouvant diminuée, chaque tribu se verra
confiée à un missionnaire qui pourra se livrer à l'étude
de sa langue d'une façon plus suivie. Au temps où nos
Pères sont réunis à la communauté, les conférences
théologiques ont lieu assez régulièrement. L'esprit reli-
gieux anime tous les Oblats du vicariat. Les Pères comme
les Frères aiment et estiment leur vocation, ils sont
pleins de zèle pour le salut des âmes.
Vie extérieure.
Il y a deux genres de ministères dans chacune de nos
maisons. Le Père qui garde la résidence exerce le mi-
nistère paroissial ; il veille sur l'école des garçons et des
filles, leur donne l'instruction religieuse et prend soin
des habitants de la localité et des environs. Le dimanche,
il préside aux offices de la paroisse auxquels assistent
les catholiques et un certain nombre d'hérétiques. Les
rapports de ce Père avec les étrangers sont à peu près
— 248 —
comme il est dit dans la Règle ; il se voit pourtant
obligé de se passer de compagnon pour les visites à do-
micile.
Les autres missionnaires, à des époques fixes, s'ab-
sentent pour six semaines ou deux mois et s'en vont seuls,
de village en village, prêcher, instruire les fidèles qui les
attendent et leur administrer les sacrements. Pour l'ac-
complissement de ce ministère. Je prêtre parcourt souvent
de grandes distances, car les familles européennes qu'il
doit visiter sont établies çàetlà dans la contrée, très loin
les unes des autres. Il reçoit l'hospitalité dans ces mai-
sons et catéchise les enfants.
Division du vicariat.
Le vicariat se divise en quatre maisons et deux
résidences : la maison Saint-Charles à New- Westminster
avec sa résidence de Saint-Eugène à Kootenay, la mai-
son Sainte-Marie à Matequi, la maison Saint- Joseph au
lac William avec sa résidence de N.-D. de Bonne-Espé-
rance au lac Stuart et la maison de Saint-Louis à Kam-
loops.
La plus importante de ces maisons, par sa position et
par ses œuvres, est la maison Saint-Charles, à New-
Westminster, résidence du vicaire de Missions et le siège
épiscopal. Les Pères qui la composent s'occupent de la
paroisse des blancs et des œuvres qui s'y rattachent :
collège, école de filles, orphelinat pour les enfants des
deux sexes, hôpital catholique tenu par des religieuses.
Les autres maisons du vicariat, outre une église parois-
siale et des écoles, comprennent encore un district de
250 milles. On a voulu, dès le principe, partager en dis-
tricts l'immense étendue du vicariat, il est ainsi beau-
coup plus facile de prévenir les catholiques contre de
— 249 —
l'influence malsaine des sectes dissidentes; quand nous
serons en nombre, ces districts pourront être divisés.
En dehors des villes, la formation religieuse des blancs
et de leurs enfants n'est pas chose aisée, on a beaucoup
de peine à réunir ces enfants si éloignés pour le caté-
chisme. Ces difficultés ne se rencontrent pas parmi les
sauvages qui, du reste, montrent la plus grande bonne
volonté. Quand la visite du prêtre leur a été signifiée,
ils sont fidèles à se rendre au village central oîi se trouve
l'église. Trois ou quatre fois par an, le Père leur donne
une mission d'une huitaine de jours, employés en entier
à l'instruction religieuse : outre le sermon du matin et
du soir, il y a trois catéchismes par jour. Les enfants sont
instruits à part. Tous ces chrétiens assistent à la messe
et à la bénédiction du Saint-Sacrement. Aussi, ces mis-
sions, quoique courtes, laissent-elles une forte impres-
sion dans ces âmes, impression salutaire qui les soutient
durant la longue absence du prêtre.
Population.
On estime à 80 000 âmes la population totale du vi-
cariat : 23 000 sauvages, 6 000 Chinois et 30 000 Euro-
péens. Les catholiques atteignent le chiffre de 24 000,
les protestants sont au nombre de 50000, il y a, de plus,
6 000 païens.
Pendant quelques années, nous aurons une popula-
tion flottante, en route pour le Klondyke, qui séjour-
nera plus ou moins longtemps à Vancouver, oii le chemin
de fer amène les émigrants, et à Glenora, versle 60* de-
gré de latitude, sur la limite du diocèse où débarquent
ceux qui ont pris la voie de mer.
Maison Saint-Charles. — Six Pères, 2 Frères scolasti-
ques et 3 Frères convers à vœux perpétuels, composent
le personnel deglla maison Saint-Charles qui dessert la
— 250 —
ville de New-Westminster et sa banlieue. La ville compte
aujourd'hui 6 000 habitants, dont 5 OOOEuropéens, quel-
ques centaines de Chinois et un petit nombre de sau-
vages chrétiens groupés sur la rive sud duPrazer autour
d'une église bâtie par eux. La population de la banlieue
s'élève à 7 000 Européens de nationalités diverses, dont
environ 730 catholiques et 4 250 hérétiques. On y trouve
plusieurs centaines d'émigrants du Céleste Empire.
En été, du 1" juillet à la fm d'août, ce territoire est
envahi par plus de 4 000 sauvages ; ils viennent de tous
les points de la Colombie faire la pêche du saumon rouge
au compte des Européens. La grande majorité de ces
sauvages est catholique.
A New-Westminster, il y a quatre églises quasi-pa-
roissiales, c'est-à-dire où une messe est régulièrement
célébrée chaque dimanche : l'orphelinat des Sœurs du
Bon-Pasteur, le pénitencier, l'hôpital catholique et l'é-
glise pour les sauvages. Les blancs ont la cathédrale pour
paroisse, il s'y célèbre deux messes le dimanche.
Nous avons établi dans la banlieue six centres oh les
catholiques européens se réunissent pour la réception
des sacrements. Quatre de ces localités possèdent une
église, les deux autres auront aussi la leur prochaine-
ment. Un Père de Saint-Charles visite le dimanche, à
tour de rôle, l'une ou l'autre de ces églises.
Le collège Saint-Louis, sous la direction de nos Pères
de Saint-Charles, est attenant à la maison de commu-
nauté ; 3 Pères, 2 Frères scolastiques et 1 Frère convers
y donnent rinstruction élémentaire et commerciale à
65 élèves, dont plusieurs pensionnaires. Un laïque est
professeur de dessin.
Six Sœurs de Sainte-Anne se partagent les cours élé-
mentaires et moyens de l'école des filles qui, tant pen-
sionnaii'es qu'externes, atteignent le chiffre de 64. Le
À
— 251 —
Père curé de la paroisse ne néglige rien pour l'instruc-
tion religieuse et la formation chrétienne des élèves de
ces deux écoles. A cet effet, il les réunit tous les diman-
ches à la cathédrale.
Les Sœurs du Bon-Pasteur dirigent, dans un des fau-
bourgs de New-Westminster, l'orphelinat catholique
pour les enfants issus de parents blancs qu'elles réus-
sissent ainsi à conserver à l'Église. Les protestants les
accueilleraient volontiers dans leurs orphelinats pour les
enrôler dans leurs sectes. Les religieuses reçoivent pa-
reillement les enfants de parents hérétiques quand
ceux-ci demandent ou du moins ne font aucune oppo-
sition à ce que leurs enfants soient reçus ou élevés dans
la foi catholique. On garde les garçons jusqu'à l'âge de
douze ans ; après leur première communion, ils sont pla-
césdans de bonnes familles où ils rendent service, ga-
gnentleurvieet apprennent à travailler. Ces mêmesSœurs
admettent, dans un département distinct, des jeunes
personnes qui veulent se conserver bonnes chrétiennes
jusqu'à leur établissement. Une vingtaine de religieuses
font prospérer cette institution qui compte 15 orphe-
lins, 25 orphelines et 16 pénitentes ou préservées.
Depuis 1893, nous relevons à l'actif de la maison
Saint-Charles 231 baptêmes, 21 mariages, 30 000 com-
munions, 34 000 confessions, 100 confirmations et
17 conversions d'hérétiques.
Résidence Saint-Eugène de Kootenay. — Cette rési-
dence, dépendante delà maison Saint-Charles, est située
au centre du pays Kootenay ; elle se compose de deux
Pères et d'un Frère convers. Les sauvages de cette tribu
sont au nombre de 600. Ils vivent dans quatre villages
très éloignés les uns des autres, mais se réunissent à la
Mission aux grandes fêtes. Tous appartiennent à notre
sainte religion.
— 252 —
Le gouvernement fédéral du Canada entretient là, à
ses frais, une école industrielle pour l'instruction et l'é-
ducation des enfants de la tribu. La direction en est
entièrement confiée aux Sœurs de la Providence ; 6 re-
ligieuses consacrent leurs soins à former au bien et au
travail une soixantaine d'enfants, 32 filles et 28 garçons.
A ceux-ci, un contre-maître, engagé par les Sœurs, ap-
prend la cordonnerie, la menuiserie et l'agriculture.
Les filles sont initiées aux travaux du ménage et à toute
espèce d'ouvrages à l'aiguille. Cette école donne pleine
satisfaction au gouvernement, elle produit les meilleurs
fruits parmi les sauvages dont elle adoucit le caractère.
Nous trouvons inscrits sur les registres de cette rési-
dence, depuis le dernier Chapitre, 230baptêmes, ^76con-
firmations,'10C00communions,75 viatiques et extrêmes-
onctions, 20 mariages. On signale, en 1896, une conver-
sion d'hérétique et deux en 1897.
Je dois ajouter qu'une ère nouvelle commence pour
Saint-Eugène. Les Pères n'avaient à s'occuper jusqu'ici
que des sauvages. Sur les 900 blancs ou Chinois établis
sur ce territoire, on^ ne rencontrait qu'un très petit
nombre de catholiques qui remplissaient leurs devoirs de
religion quand ils avaient l'occasion de passer à la Mis-
sion. Mais voici que, depuis l'an dernier, on travaille à la
construction d'une voie ferrée à travers les montagnes
Rocheuses et le pays Kootenay de l'est à l'ouest. La Mis-
sion ne s'en trouve éloignée que de 4 milles.
Les Européens affluent dans la région ; 5 à 6 000 ou-
vriers sont échelonnés sur le parcours de ce chemin
de fer, des colons s'établissent, de nombreux mineurs
sondent les rochers des montagnes pour y découvrir des
métaux. C'est donc un surcroît d'ouvrage pour deux mis-
sionnaires, dont l'un est retenu à la maison par ses
infirmités. Heureusement, le R. P. Coccola, directeur
-- 253 —
de cette résidence, a pu s'attirer le concours d'un prêtre
anglais, que des raisons de santé ont obligé de quitter
momentanément son diocèse. Ce prêtre a bien voulu se
charger de la desserte des différents groupes d'ouvriers
du chemin de fer, presque tous catholiques, ainsi que
de l'église bâtie l'an passé dans une petite ville qui a
surgi sur les rives de la Kootenay, à 7 milles de Saint-
Eugène. Il est nécessaire d'augmenter au plus tôt le
personnel de cette résidence.
Maison Sainte- Marie. — La maison de Sainte-Marie,
qui comptait naguère 5 missionnaires, n'en a plus que 3 ;
l'un d'eux a succédé au R. P. Blanchet à Notre-Dame de
Bonne-Espérance, un autre a reçu son obédience pour
la province du Canada. Il y a dans cette communauté
4 Frères convers, mais 2 ne peuvent plus se rendre
utiles en raison de leurs infirmités.
Les Pères ont à desservir 6000 blancs, dont seulement
885 catholiques et 3 185 sauvages. Ceux-ci se divisent
en 2 708 catholiques, 194 protestants et 178 païens. Les
sauvages catholiques possèdent une trentaine d'églises,
quatre de leurs villages n'en ont pas encore. Il y a en
outre 5 églises pour la population blanche.
Autour de la Mission s'élèvent, pour les enfants sau-
vages, deux belles écoles qui ne manquent pas d'exciter
la jalousie des protestants. Les élèves, au nombre de 85,
41 garçons et 44 filles, sont logés, nourris et habillés
pour la plupart aux frais de la Mission, le gouvernement
fédéral n'accordant qu'une minime allocation. Les Pères,
aidés d'un instituteur laïque, dirigentl'école desgarçons;
les petites filles sont confiées aux Sœurs de Sainte-Anne.
Ces enfants reçoivent une instruction élémentaire; on
prend surtout à cœur de les former à une vie solidement
chrétienne, tout en leur inculquant l'amour du travail,
avec l'habitude de l'ordre et de la propreté. De retour
— 254 —
dans leurs familles, nos élèves se montrent bons catho-
liques, et savent au besoin défendre la religion contre
les assauts des hérétiques blancs ou sauvages.
Dans l'espace de cinq ans, les Pères de la maison de
Sainte-Marie ont administré 1 000 baptêmes, entendu
22 000 confessions, distribué 18 000 communions, bénit
254 mariages ; 400 fidèles ont été confirmés et 100 ont
reçu les derniers sacrements. Le petit nombre d'extrêmes-
onctions provient de l'éloignement des malades; la plu-
part habitant à 100 et même 150 milles du prêtre,
impossible de leur procurer cette consolation suprême.
Il y a cependant, dans chaque village, un catéchiste
qui aide les malades à mourir pieusement. Nous avons
eu à Sainte-Marie 10 abjurations d'hérétiques européens
et une cinquantaine de conversions parmi les sauvages
païens de la Mission.
Maison Saint-Joseph à Williarns Lake. — La commu-
nauté de Saint-Joseph à William's Lake compte 5 Pères
et 1 Frère convers. C'est là que vient de se retirer le
vétéran de nos Missions, le bon Père Blanchet, devenu
presque aveugle sur ses vieux jours. Il lui est impossible
de célébrer la sainte messe et de réciter son bréviaire.
Cependant, il se conduit seul. Ses prières contribuent
du moins à la conversion des âmes.
Quatre mille blancs, dont environ 500 cathohques,
900 Chinois et 1 135 sauvages dont 1 085 catholiques et
une cinquantaine de païens habitent le territoire attribué
à la Mission. Les sauvages ont construit 10 églises; les
blancs, dansles deux stations desservies par les Pères, n'en
possèdent pas encore. Le prêtre doit en outre visiter à
domicile et porter les secours de la religion à nombre de
familles européennes catholiques éparses çà et là dans
la région.
A la maison se rattache une école industrielle sub-
— 255 —
ventionnée par le gouvernement canadien; on y admet,
avec les sauvages, les enfants des fermiers européens
catholiques. Un de nos Pères est spécialement chargé
des garçons, il leur fait la classe, les surveille au dortoir
et en récréation. Quand vient l'heure des travaux ma-
nuels, ces enfants sont confiés à trois laïques, engagés de
la Mission, qui leur apprennent le métier de charpentier,
de bourrelier et de fermier. Les Sœurs de l'Instruction
de l'Enfant-Jésus initient les filles aux occupations de
leur sexe. Elles reçoivent l'instruction religieuse du
R. P. Le Jaco, supérieur, qui va tous les jours leur faire
le catéchisme et présider la visite au Saint Sacrement.
Cette école industrielle, qui comprend 25 garçons et
26 tilles, produit d'excellents résultats. Peu à peu ces
enfants se dépouillent de leurs habitudes sauvages et
adoptent pour ainsi dire une nouvelle manière de penser
et de parler.
Le chiffre des baptêmes, depuis 1893, s'élève à 369,
celui des mariages, à 81. On compte 111 confirmations,
600 communions, 80 extrêmes-onctions et viatiques,
4 abjurations de protestants et plusieurs conversions de
sauvages restés païens parmi leurs parents hérétiques.
Les catéchistes indigènes, établis dans chaque village
pour y entretenir le bien opéré par la mission de huit à
dix jours que le missionnaire va prêcher dans chaque
centre à tour de rôle, ont réussi à faire pénétrer dans
les cœurs un grand esprit de religion et de piété. Ils ont
ainsi obtenu d'admirables résultats de ces natures na-
guère encore si indépendantes, si ennemies de tout frein
et si indifférentes en ce qui a trait à la religion.
Résidence de Notre-Dame de Bonne -Espérance au lac
Stuart. — Cette résidence, dépendante de Saint-Joseph,
comprend un district aussi étendu et est situé à300 milles
au nord du lac William ; 2 Pères y desservent une
— 256 —
centaine de blancs, presque tous engagés dans les forts
de la Compagnie de la baie d'Hudson et 2 000 sauvages,
tous catholiques ou catécbumènes.
Il y a huit stations possédant chacune son église. Deux
ou trois fois l'année, les sauvages nomades s'y rassem-
blent pour la mission. La pêche ou la chasse étant leur
seul moyen de subsistance, ces familles ne s'établissent
jamais à poste fixe. Les catéchistes, dans chaque groupe,
apprennent la prière et les vérités religieuses aux enfants.
N'ayant pu correspondre avec cette Mission depuis
six mois, le vicaire des Missions ne peut fournir le
chiffre des sacrements administrés par les missionnaires
de Notre-Dame de Bonne-Espérance.
Maison Saint-Louis à Kamloops. — Jusqu'en janvier
dernier, cette maison comptait 5 missionnaires; elle
n'en a plus que 4 et 2 Frères convers, dont l'un, le
F. SuREL, âgé de quatre-vingts ans, est venu dans nos
Missions avec M^"" d'Herbomez en 4850.
La population blanche du district est de 13 000 âmes,
dont 2 000 catholiques ; les sauvages, au nombre de
3 446, se répartissent en 2007 catholiques, 1 418 protes-
tants et 21 païens.
Nos Pères ont 30 églises à desservir. Eux aussi sont
chargés de l'école industrielle bâtie par le gouverne-
ment fédéral sur la réserve des sauvages kamloops et
dont il fait tous les frais. Dans deux bâtisses distinctes,
27 garçons et 26 filles de la tribu shuswap, tout en rece-
vant une instructionélémentaire, sont formés au travail.
Les garçons, sous la direction du R. P. Carion, reconnu
par le gouvernement, et aidé d'un laïque, s'adonnent à
la menuiserie et à l'agriculture. Les filles sont confiées
aux Sœurs de Sainte-Anne. Comme cette école n'existe
que depuis cinq ans, aucun enfant n'y a encore com-
plété son éducation; mais nous .pouvons dire que
— 237 —
tous nos élèves donnent entière satisfaction. Lors de
la visite de S. Exe. le gouverneur général lord Aber-
deen et des ministres de la puissance du Canada à Kam-
loops, les enfants de l'école industrielle se sont lait
remarquer par leur bonne tenue, leur solide instruction
primaire et leur parfaite déclamation.
Dans la ville même de Kamloops, les Sœurs de Sainte-
Anne tiennent une école mixte fréquentée par 33 en-
fants. Les garçons y sont admis jusqu'à l'âge de douze
ans seulement, époque de leur première communion.
L'éducation y est particulièrement soignée.
Nous trouvons consignés sur les registres de la mai-
son de Kamloops 900 baptêmes, 100 confirmations,
22 300 confessions, 16 300 communions, 360 mariages,
373 viatiques et extrêmes-onctions.
Petit séminaire.
En 1895, nous avons inauguré le petit séminaire
diocésain avec 8 élèves; ils sont 14 aujourd'hui. Le
R. P.Emile Bunoz est, au spirituel et au temporel, le Père
de cette petite communauté ; un Frère convers l'aide
pour la surveillance. Ces enfants, qui suivent les cours
du collège Saint-Louis, peu éloigné du petit séminaire,
nous donnent pleine satisfaction par leur bon esprit,
leur piété et leur application à l'étude. Puissions-nous
recruter dans cet établissement des prêtres, des mis-
sionnaires zélés. Nos œuvres se développent et se multi-
plient par le fait de l'émigration continue. D'autre part,
nos bons sauvages chrétiens, qui, jusqu'à présent, n'ont
été visités que deux ou trois fois par an, auraient besoin
de la présence plus fréquente du prêtre parmi eux pour
les défendre contre l'influence délétère des colons héré-
tiques. Aussi, ne cessons-nous de pousser ce cri, de re-
dire cette prière : Mitte operarios.
NOUVELLES DIVERSES
Le R. P. Bernad, professeur de morale au scolas-
licat de Liège, succède en qualité de supérieur de celte
communauté au R. P. Gandar, élu assistant général.
Le T. R. P. Supérieur général a choisi le R. P. Lémius
(François) pour son secrétaire particulier.
Nos évêques missionnaires ont été invités à adminis-
trer le sacrement de Confirmation ou à faire les ordina-
tions dans plusieurs diocèses : M^^ Langevix à Ajaccio;
Ms'" Grouard, au Mans; M^'' Joulain, à la Rochelle et à
Angers. Ces prélats profitent de leur passage dans les
grands et petits séminaires pour adresser la parole aux
élèves en faveur de leurs Missions respectives et des
diverses œuvres de la Congrégation.
A son retour de Rome, M^"" Langevin doit se rendre à
Liège et à Hiinfeld pour l'ordination de nos Frères sco-
lastiques.
Le n juin, fête du Sacré-Cœur, NN. SS. Légal et
JouLAiN ont assisté, dans la cathédralede Nantes, au sacre
de M^' Leray, des Missionnaires du Sacré-Cœur d'Issou-
dun, vicaire apostolique en Océanie.
Le 29 juin, fête des saints Apôtres Pierre et Paul,
M^' Grouard assistera dans l'église de Saint-Roch, à Pa-
ris, au sacre de M^' de Bonfils, évêque nommé du Mans ;
M^'' Durieu, dans la cathédrale du Puy, au sacre de
M^r de Pélacot, évêque nommé de Troyes; M^"^ Pascal, à
Rodez, au sacre de M^' Latieule, évêque nommé de
Vannes.
" 259
Rectification dans j^'Ordo de 1898.
Le XlIP dimanche après la Pentecôte (28 août) n'est
pas, ainsi qu'on l'a indiqué par erreur dans notre 07'do,
le P' dimanche de septembre, mais le V^ dimanche
d'août. En conséquence, la Partie d'automne du Bré-
viaire ne commence qu'avec le XIV^ dimanche après la
Pentecôte (4 septembre). Il n'y a pas à tenir compte de
VIncipit marqué au 30 août et au 12 septembre.
.y
MISSIONS
DE LÀ CONGRÉGATION
DES OBLATS DE MARIE IMMACULÉE
N° 143. — Septembre 1898
RAPPORTS
PRÉSENTÉS AU CHAPITRE GÉNÉRAL DE 1898 {Suite).
Rapport du vicariat de Saint -Boni face.
Le vicariat de Saint-Boniface offre un champ vaste et
très fertile aux fils dévoués et affectueux de la Congré-
gation, qui y a planté son étendard il y a cinquante-
trois ans.
D'autres pourront offrir à notre mère bien-aimée des
gerbes plus riches et plus nombreuses; mais j'ose dire
qu'aucun vicaire des Missions ne pourra présenter un
petit groupe de moissonneurs apostoliques plus zélés et
une moisson arrosée de plus de sueurs et achetée au
prix de plus grands sacrifices.
L'œuvre des Missions sauvages, au Manitoba, est très
belle ; mais, après tout, l'avenir n'est point à ces races
affaiblies, il appartient aux races européennes, qui s'éta-
blissent partout dans nos plaines fertiles, et, s'il est beau
de convertir les sauvages infidèles, il n'est pas moins
glorieux et méritoire de fonder des royaumes nouveaux
T. XXXVI. 18
— 262 —
et d'établir ainsi, sur des bases solides, le royaume de
Jésus-Christ dans le nouveau monde. Les vieilles nations
d'Europe semblent avoir reçu la mission d'envoyer
leurs fils se rajeunir au contact de notre sol vierge, afin
de retracer, dans l'unité de la foi antique et d'une natio-
nalité nouvelle, les pages glorieuses des âges de foi. Il
me semble que celte œuvre sainte qu'on appelle
Yœuvre de la colonisation ne fait point ombrage à la
gloire des Missions étrangères ou Missions chez les sau-
vages qui occupent encore, même dans le diocèse de
Saint-Boniface, le plus grand nombre de nos chers Pères
et Frères.
Venons maintenant à l'historique du vicariat depuis
le Chapitre de 1893.
I. Historique. — Le premier fait saillant est la visite à
jamais bénie du T. R. P. Général défunt, en 1894. Ce
fut d'abord un puissant encouragement pour le nouveau
vicaire des Missions, qui était arrivé du grand sémi-
naire d'Ottawa l'année précédente. Jamais la parole d'un
père bien-aimé n'a apporté plus de force et de joie au
cœur d'un fils aimant et accablé sous le fardeau que
l'obéissance lui avait imposé. Mais le grand événement
de cette journée mémorable fut la rencontre de deux
vieillards blanchis au service de l'Église et de la Con-
grégation. L'un portait au front la consécration des
pontifes et cette double auréole du génie et de la souf-
franccj qui rendaient sa personne si chère et si auguste,
non seulement à ses fils, mais au Canada tout entier : c'é-
tait Me'' Alexandre Taché, archevêque de Saint-Boniface.
L'autre était le chef révéré d'une famille religieuse qui
avait droit de cité dans ce pays parce que ses fils y prê-
chaient l'Évangile aux pauvres depuis bientôt un demi-
siècle, et il portait un cachet de bonté et de distinction
qui attirait tout le monde à lui. Chacun a deviné le Père
— 263 —
bien-aimé que nous pleurons encore, le T. R, P' Soul-
LiER. Quand ils tombèrent dans les bras l'un de l'autre,
l'émolion fut grande!
C'était la Congrégation qui pressait sur son cœur un
fils illustre et bien-aimé, dont le cœur blessé avait besoin
depuis longtemps de cette maternelle étreinte. Que de
fois nous avons entendu Ms' Taché nous dire avec émo-
tion : « Oh ! que cette visite me rend heureux ! J'ai
beaucoup souffert dans ma vie; j'ai eu souvent le cœur
broyé. On m'a insulté, calomnié dans mon propre pays;
on a payé mes bienfaits d'ingratitude ; mais tout cela
n'est rien comparé à ce que mon cœur de fils a éprouvé
de tortures en ces dernières années ; après près de qua-
rante-neuf ans d'oblation, je puis me rendre le témoi-
gnage d'avoir toujours beaucoup aimé ma chère famille
religieuse. Maintenant je me sens heureux malgré les
épreuves qui couronnent ma carrière et au milieu de ces
luttes scolaires qui abrègent ma vie ; je mourrai content.
Jam Isetus moriar. n Hélas ! il nous a, en effet, quittés le
22 juin 1894, dans la paix du Seigneur, pressant contre
son cœur sa croix d'Oblat que nous conservons comme
une relique précieuse. Et ce second événement a étendu
sur notre vicariat comme un voile de deuil. Le futur
successeur de Ms'' Taché était arrivé un an auparavant,
comme pour entendre ses instructions suprêmes et lui
fermer les yeux. Il avait eu le temps de mesurer la hau-
teur, l'étendue et le poids du fardeau qui le menaçait,
et quand Rome eut décidé de donner à la Congrégation
une preuve non équivoque de son entière confiance, en
choisissant un Oblat de préférence atout autre candidat
du clergé séculier, il lui fallut un ordre formel de ses
supérieurs pour le décider à accepter la redoutable hou-
lette du grand archevêque Oblat, un des fils les plus glo-
rieux du Canada catholique et français.
— 264 —
- Il n'y a pourtant pas d'épreuve sans consolation.
Une des plus douces joies pour le cœur du nouvel
archevêque de Saint-Boniface a été de pouvoir contri-
buer à la nomination du digne coadjuteur de Saint-Al-
bert, M^f Emile Légal, évêque de Pogla. C'était rendre
un bien faible service en retour des encouragements
et de l'appui si précieux que lui avait donnés le vénéré
M^' Grandin !
Une autre consolation non moins grande a été de
pouvoir donner la consécration épiscopale à un ancien
compagnon d'armes à l'Université d'Ottawa, le R. P. Don-
TENViLLE, maintenant évêque de Germanicopolis et
coadjuteur de M^'' Durieu.
Nos fêtes et nos deuils ne nous ont point fait perdre
de vue l'œuvre des retraites, qui est le but principal de
notre chère Congrégation. Qu'il me suffise de signaler
le fait que 68 retraites ont été prêchées par nos Pères,
soit dans les paroisses organisées, soit dans les Missions
sauvages. Les RR. PP. Camper, Laçasse et Lecomte, de la
province du Canada, ont pris la plus grande part à ces
travaux apostoliques; ils ont fait beaucoup de bien. Le
R. P. Allard a accepté de prêcher la retraite de nos
Pères et des Fidèles Compagnes de Jésus à Prince-
Albert, pendant que le R, P. Michel rendait le même
service au clergé de Saint-Boniface et à nos chers Pères
et Frères du vicariat.
De même, le R. P. Laçasse a prêché, l'an dernier, la
retraite annuelle des Oblats, à Saint-Albert, afin de
reconnaître le service que nous avait rendu, il y a deux
ans, le cher P. Lacombe, qui a toujours droit de cité
chez nous. Le clergé de Saint-Boniface se rappelle
encore avec bonheur la belle retraite que lui a prêchée,
en 1894, le R. P. Antol\e, assistant général, dans des
circonstances extrêmement déhcates; il se souvient
— 265 —
aussi de la retraite de l'année suivante, prêches par un
ancien maître des novices, le bon P. Boisramé.
Mille remerciements à tous ces Pères et à ceux qui les
ont envoyés vers nous.
Comment assez remercier ie cher seigneur de Mosy-
nopolis, M^' Pascal, qui a bien voulu me remplacer plu-
sieurs fois et se faire, en toute charité, adjutor meus in
Christo?
Dirai-je comment le R. P. Guillet a réussi, par une
loterie et l'œuvre du Denier de Manitoba, à soutenir en
partie, pendant deux ans, toutes les écoles de Winni-
peg, où nous comptons à peu près 800 enfants ?
Je dois mentionner ici les réunions sine forma de mes
vénérables suffragants à Saint-Albert et à Saint-Boni-
face ; ces réunions ont produit un très grand bien et il
serait à désirer qu'elles fussent plus fréquentes, en
attendant que nous puissions tenir un second concile
de Saint-Boniface, où nous aurons grâces spéciales
pour traiter des grands intérêts de l'Église et de la Con"
grégation dans nos diocèses ou vicariats respectifs.
Nous avons fait, depuis le dernier Chapitre, des acqui-
sitions précieuses dans la personne de trois anciens
Pères venus de la province du Canada et appelés à
rendre de grands services à cause de leur précieuse
expérience et de leurs talents d'administrateurs ou de
prédicateurs. Nous en remercions cordialement l'admi-
nistration générale et la province du Canada, toujours
si sympathique. Ces chers Pères ne sont pas seulement
pour nous; ils ont rendu déjà et ils rendront encore à
l'avenir, je l'espère, de bons services à nos vicariats de
l'Ouest.
Un échange, la maladie et certaines circonstances
fortuites, mais heureuses pour nous, nous ont valu
l'acquisition de cinq autres Pères qui nous sont d'une
— 266 —
très grande utilité. En outre, le noviciat de Saint-Lau-
rent nous a fourni un prêtre et cinq Frères convers.
Enfin, nous avons reçu, depuis 1893, trois jeunes Pères
du scolasticat d'Archville et un jeune Père du noviciat
d'Angers. De plus, cette année, grâce à la tournée apos-
tolique du cher P. Campeau, dans la province de Qué-
bec, nous avons reçu plusieurs bons Frères convers. Si
l'on ajoute enfin à ce contingent le F. Pelletier, venu
d'Archville, le F. de Byle, excellent charpentier et même
architecte à ses heures, que l'administration générale a
bien voulu nous céder, nous constatons une augmenta-
tion de treize Pères et de onze Frères convers de-
puis 1893. Mais il faut, hélas! enregistrer deux décès
et deux départs réguliers pour une province et un
vicariat étrangers.
Voici le tableau du personnel du vicariat en 1898 :
M»"" Langevin.
1° Le R. P. Camper.
2° Le R. P. Allard.
3° Le R. P. Dandurand.
A° Le R. P. Beaudin.
5" Le R. P. Prisque Magnan.
6° Le R. P. PoiTRAS.
7° Le R. P. Guillet.
8° Le R. P. Gascon.
9° Le R. P. Decorby.
10» Le R. P. Mac-Carthy.
H*" Le R. P. HuGONARD.
12" Le R. P. Saint- Germain.
13° Le R. P. Laçasse.
14° Le R. P. Chaumont.
15° Le R. P. Joseph Magnan.
16» Le R. P. Cahill.
17» Le R. P. Lecoq.
— 267 —
18" Le R. P. Blais.
19° Le R. P. Pavreau.
20° Le R. P. Perreault.
21° Le R. P. Campeau.
22° Le R. P. Jagob.
23° Le R. P. O'DwuYER,
24° Le R. P. Page.
25° Le R. P. Valès.
26'^ Le R. P. Dorais.
27° Le R. P. GoMEAU.
28° Le Pt. P. Bousquet.
29° Le R. P. George.
30° Le R. P. Chaumont.
31° Le R. P. CoNAN.
32° Le R. P. Thibeaudeau.
Frères convers à vœux perpétuels :
Le F. BoisRAMÉ.
Le F. Doyle.
Le F. MuLvmiLL.
Le F. DE Byle.
Le F. Pilon.
Le F. Pelletier.
Frères convers à vœux temporaires :
Le F. Adolphe Gauthier.
Le F. Eugène Gauthier.
Le F. D'Amour.
Le F. D'Amour.
Le F. Rioux.
Le F. Bergevin.
Le F. Legac.
Le F. Fafard.
Vie intéi'ieure. — Il n'y a qu'à se louer de la régula-
rité de nos chers Pères et Frères et de leur attachement
à leur vocation.
— 268 —
Beaucoup de maisons et de résidences présentent
l'aspect d'une communauté où régnent la paix, le
silence et l'ordre.
Les retraites mensuelles pourraient cependant être
plus fréquentes et mieux suivies ; mais les retraites an-
nuelles sont l'occasion d'un renouvellement complet, et
quand on compare le sérieux et le bon vouloir qu'on y
apporte avec ce qui se passe dans d'autres réunions, on
bénit le bon Dieu d'avoir procuré aux nôtres un bien-
fait dont ils savent si bien profiter.
L'étude des langues sauvages n'a jamais été négligée
par nos jeunes Pères et ceux qui savent, par expérience,
à quel prix on achète ces trésors, apprécient assurément
le courage qu'il a fallu déployer. L'esprit qui règne dans
tout le vicariat est excellent. C'est un esprit d'obéissance
consciencieuse et filiale, un esprit de renoncement et
d'abnégation généreuse, un attachement sincère à notre
chère Congrégation, en un mot le véritable esprit reli-
gieux, tel que le demande notre vénéré Fondateur dans
nos saintes Règles. Jamais un Père n'a refusé d'aller au
poste où l'obéissance l'a envoyé, et Dieu sait si nous
avons fait des changements fréquents et pénibles pour
les sujets dans ces derniers temps !
La charité fraternelle règne certainement parmi
nous; si, parfois, elle reçoit quelques blessures, ces bles-
sures ne sont ni profondes ni durables.
Vïe extérieure. — Le genre de ministère de nos Pères
est des plus humbles et parfaitement en rapport avec
notre devise : Evangelizare pauperibiis misit me.
Dispensateurs des mystères de Dieu, prédicateurs de
sa parole de vérité et de salut, nos Pères évangélisent
les tribus sauvages qui sont encore pour la plupart ido-
lâtres, mais qui commencent à ouvrir les yeux à la
lumière. Ce ministère est des plus pénibles et demande
— 269 —
une somme de dévouement et d'abnégation plus qu'or-
dinaire.
La poésie qui fait rêver les jeunes imaginations s'éva-
nouit vite devant les froides réalités qui attendent le
missionnaire dans les prairies inhospitalières oujà l'in-
térieur des iviguams ou loges du sauvage païen, si défiant
et si lent à prendre une détermination qui doit amener
toute une révolution dans son existence.
Que de longs et pénibles voyages il faut entreprendre!
Quatre des Pères de notre vicariat ont failli périr de
froid et de misère dans leurs courses apostoliques.
Que de rebuts, que d'oppositions diaboliques il faut
endurer en patience 1
Je ne parle pas des menées perfides de ces ministres
de l'erreur, vrais suppôts du diable, qui se sont donné la
triste mission de détourner les âmes de la vérité et de
les perdre sans pitié. Avec de grandes sommes d'argent
et mille autres appâts, ils réussissent parfois à arracher
aux missionnaires les âmes que ceux-ci allaient sauver.
Je comprends la parole de l'immortel Pie IX : « En
Chine, au Japon, les missionnaires ont la poésie du
martyre ; dans l'extrême Nord-Ouest ils en ont la poi-
gnante réalité. » Toutefois, il y a bien aussi des conso-
lations fortifiantes dans cette vie crucifiée pour Jésus-
Christ.
Il y a eu, en ces derniers temps surtout, des traits de
conversions vraiment miraculeuses.
Le ministère, au milieu des populations blanches,
n'est pas aussi pénible, mais il comporte bien aussi ses
ennuis et ses déboires. C'est ma consolation de pouvoir
dire que l'œuvre très importante, l'œuvre vitale de
l'immigration, que mon digne prédécesseur recomman-
dait si éloquemment dans son rapport de 1893, n'a pas
été négligée par les nôtres. Nos paroisses et nos Missions
— 270 —
progressent dans les villes et les campagnes, et nos
Pères chargés de ce qu'on appelle pompeusement une
cure sont de vrais missionnaires toujours sur la brèche
et en quête d'âmes à sauver. Une des plus grandes diffi-
cultés qu'il a fallu vaincre pour faire tous ces travaux
féconds au milieu des sauvages et des blancs, c'est celle
d'apprendre les langues étrangères. Ainsi, dans le vica-
riat de Saint-Boniface, il faudrait parler quatre ou cinq
langues sauvages et six ou sept langues européennes. Le
français el l'anglais sont nécessaires partout.
Presque partout aussi il faut savoir au moins une
langue sauvage.
Dans plusieurs endroits, l'allemand, le hongrois, le
polonais et trois ou quatre dialectes slaves sont absolu-
ment nécessaires, surtout depuis l'arrivée récente de
centaines de familles catholiques venues de la Galicie
(empire d'Autriche).
Il y a donc lieu pour les nôtres de se réjouir, en son-
geant qu'il y a tant de bien à faire dans ce vicariat.
Partout il faut être missionnaire dans toute la force du
terme et courir vers les brebis perdues de la maison
d'Israël.
LES ŒUVRES.
I. District de l'Est. — Ce district comprend la maison
de l'archevêché, la maison de Sainte -Marie de Winni-
peg, les résidences de l'Ecole industrielle de Saint-
Boniface, de Saint-Charles de l'Assiniboine et du Portage-
du-Rat, la nouvelle résidence de l'Ecole indienne de
Saint- Antoine du Portage et la résidence du fort
Francis.
1" Maison de V archevêché. — M«' Langevln, vicaire
des Missions ; le R. P. Beaudin, procureur de l'arche-
vêché et du vicariat; le F. Boisramé.
— 271 —
Il est toujours bien entendu que nos chers Pères et
Frères qui ont à traiter avec l'administration vicariale
ou qui ont besoin de repos sont les bienvenus à l'arche-
vêché. Ils y sont chez eux et comme dans la maison
paternelle. C'est mon désir ardent de dilater nos tentes,
afin de pouvoir donner à mes vénérables suffragants
une hospitalité plus digne d'eux. Les visites qu'ils
daignent faire à Saint-Boniface sont pour nous une
source de joie et de bénédictions, surtout quand ils
s'imposent des fatigues extraordinaires pour conférer
avec leur métropolitain des intérêts de notre chère
Congrégation, comme ce fut le cas dernièrement pour
M^' Grandin. C'est un devoir pour moi de remercier ici
lesRR. PP. Allard, Poitras et Beaudin, des importants
services qu'ils m'ont rendus, le premier comme vicaire
général et administrateur et les deux autres comme
procureurs de l'archevêché.
2° Nouvelle résidence de l'Ecole industrielle de Saint-
Boniface. — Le R. P. Dorais, principal.
Cette belle œuvre a été confiée à la Congrégation, il
y a trois ans, et c'est le R. P. Comeau qui en a été le
premier principal Oblat. Il n'y avait alors que 80 enfants
indiens des deux sexes, maintenant il y a 110 pension-
naires. Cette école avait été fondée avec beaucoup de
peine, par M»' Taché, et confiée d'abord aux Sœurs
Grises, aidées d'un prêtre séculier comme aumônier.
L'œuvre est entretenue par le gouvernement cana-
dien, qui donne cependant à peine ce qui est requis
pour la maintenir sur le pied des autres écoles de ce
genre, aussi le R. P. Dorais est-il obligé de s'ingénier
de mille manières pour éviter les déficits qui nous ont
causé tant d'ennuis dans le passé.
La discipline de cette institution est admirable ; les
enfants sont pieux, dociles et avec cela fort intelligents.
— 272 —
Fidèles aux traditions de leur race, ils préfèrent la chasse
et la pêche, ou encore les travaux manuels, à l'étude.
Néanmoins, ils apprennent bien la lecture et l'écriture,
et ils ont un talent remarquable pour la musique, qu'ils
aiment à la folie.
On leur apprend la menuiserie et la culture. Beaucoup
d'âmes doivent leur salut à cette école, appelée à
sauvegarder la foi des parents et des enfants. Souvent
on y baptise des enfants païens ou protestants, qui
deviennent ensuite des apôtres au sein de leur tribu.
Leurs dispositions nous font parfois verser des larmes
de douce consolation. Un petit garçon mourant disait
spontanément à la religieuse qui l'assistait : « Ma Sœur,
je donne ma vie pour les écoles de Monseigneur. »> Un
autre demanda un congé pour aller convertir sa mère
qui se conduisait mal. Une petite fille manifestait tant
de joie au moment de mourir que l'on eût dit qu'elle
partait pour une fête de famille. Plusieurs de ceux qui
sont venus les premiers à l'école sont déjà mariés et
restent fidèles aux enseignements du missionnaire et
des bonnes Sœurs. Deux jeunes filles sauteuses ont pris
l'habit religieux. Chaque année, nos Pères prêchent à
ces chers enfants une retraite de quelques jours qui
leur fait un bien immense. Voilà ce que l'éducation a
fait des fils de ces Sauteux, que presque tous nos
rapports, à l'exception du dernier, donnent comme
absolument rebelles à la grâce. On dirait que le bon
Dieu, dans sa miséricorde, leur offre le salut au moment
où leur race va s'éleindre ou se perdre dans le flot
envahissant de la population blanche.
3° Résidence de Saint-Michel de Selkirk. — Cette
résidence a été réouverte en 1893, alors que feu
M*'' Taché voulut bien laisser le R. P. Allard, son
vicaire général, reprendre le chemin de Selkirk, selon
— 273 —
le vœu exprimé par le R. P. Camper, dans son rapport
au dernier Chapitre général.
Stations visitées. Saint- Pierre-aux- Liens, de Piguis.
— Il y a là une très jolie chapelle et une école pour
les sauvages. C'est une réserve oti il y a beaucoup de
bien à faire. Les ministres protestants y font une guerre
acharnée aux catholiques. Une députation des princi-
paux catholiques vient de me supplier de leur donner
un prêtre résidant, afin de les protéger, disent-ils,
contre le fanatisme des protestants, qui dépensent des
sommes énormes pour gagner des adeptes.
Rivière Tête-Ouverte (Broken-Head). — Outre quelques
familles sauvages, s'est établie en cet endroit une
colonie allemande, visitée par un prêtre séculier. Si le
R. P. Allard avait un jeune compagnon sachant l'alle-
mand et pouvant s'appliquer à l'étude du sauteux, il se
ferait un bien immense dans cette région.
Rivière Gueule- Blanche (White-Mouth). — Petite colo-
nie naissante à 20 lieues à l'est de Saint-Boniface. Jolie
chapelle. On pourrait y fonder une belle paroisse, qui
serait un précieux contrefort pour Saint-Boniface.
Rivière- au- Roseau, près de la paroisse de Letellier, à
20 lieues au sud de Saint-Boniface. C'est une petite
réserve, où il y a de bons sauvages qui, avec ceux de la
réserve du Bois-Percé, peuvent former une chrétienté
importante. Malheureusement, leur école est fermée à
cause du petit nombre d'enfants, plusieurs ayant été
amenés à l'Ecole industrielle de Saint-Boniface, et
d'autres suivant leurs parents à la chasse.
Le portage la Prairie. — Il y a là, trois réserves de
païens obstinés, Sauteux et Sioux, que nous ne pour-
rons gagner qu'à force de visites et de prières.
Indian Spring (Source de l'Indien), près de la paroisse
de Saint-Alphonse, colouie canado-belge. Ces Indiens
— 274 —
font encore la danse du soleil et lui offrent même un
petit enfant en sacrifice, sans le tuer pourtant. Ils
aiment le prêtre ; lors de la visite pastorale, ils sont
venus saluer l'archevêque et lui ont fait, à cheval, une
escorte d'honneur.
•4° Résidence du fort Alexandre :
Le R. P. Magnan, directeur;
Le R. P. Valès, socius ;
F. d'Amour.
Il y a une immense étendue de pays entre le lac
Winnipeg, la rivière Nelson et la baie d'Hudson, qui
doit renfermer des milliers de sauvages païens, qu'aucun
missionnaire n'a encore visités et qui demandent cepen-
dant des robes noires. Ils ne veulent pas des ministres
méthodistes qui les assiègent et leur offrent mille avan-
tages temporels. C'est pour seconder ces admirables
dispositions que nous avons appelé le R. P. Valès au
fort Alexandre, et que nous avons bâti une chapelle à
l'ancienne Rivière-aux-Tourtes (Beren's River) sous le
vocable de Notre-Dame des Neiges. Le R. P. Joseph
Magnan a failli mourir de froid, l'an dernier, au mois de
juillet, pendant qu'il construisait ce modeste temple,
qui sera en même temps la résidence du missionnaire.
Les nuits étaient glaciales. Il y a, au fort Alexandre, une
école pour les sauvages et 40 enfants inscrits. Beaucoup
d'enfants vont à l'Ecole industrielle de Saint-Boniface.
On a aussi commencé une école chez les blancs de
Saint-George de Châteauguay ; il y a là 15 enfants en
âge d'aller en classe.
Notre-Dame des Neiges ou la Rivière -aux -Tourtes
(Beren's River) déjà mentionnée. Il y a là une chapelle
nouvellement construite. Za Vilaine-Gorge [^d^û. Throat),
colonie de métis, à 9 lieues de la Mission.
La Rivière- au-Trou (Hole River).
— 275 —
- Saint-George de Châteauguay, colonie de Canadiens
qui donne d'assez bonnes espérances. Il faudrait qu'un
Père parlant le cris pût visiter le poste de la baie d'Hud-
son, appelé Morway H orne ^ au fond du lac Winnipeg, et
même courir à la recherche des Indiens répandus sur un
territoire immense destiné peut-être à devenir plus tard
une préfecture apostolique. Il y aurait une abondante
moisson d'âmes à recueillir et une moisson plus grande
encore de sacrifices et de travaux héroïques.
La plus grande et presque l'unique ressource de cette
Mission, c'est l'allocation de 2000 francs que l'OEuvre
de la Propagation de la Foi nous permet de lui faire;
sans ce secours, il faudrait abandonner le fort Alexandre.
La maison des Pères n'est plus habitable en hiver et il
va falloir faire une dépense de 2500 francs, cette année,
pour la réparer. Les voyages, plus fréquents et plus
longs, depuis qu'il y a deux Pères résidant, vont aussi
nécessiter des dépenses plus considérables.
5° Résidence de Notre-Dame du Porlage-du-Rat, pro-
vince d'Ontario : R. P. Poitras, directeur; R. P.Thibeau-
DEAU, socius. Le R. P. Laçasse n'y réside guère que
temporairement, car les missions diocésaines pour les-
quelles il nous a été cédé le réclament sans cesse.
La population (8900 habitants, dont 2400 catho-
liques) a plus que doublé dans cette région depuis cinq
ans, et la petite ville du Portage promet de devenir un
jour la rivale de Winnipeg. Les mines d'or qu'on y a
découvertes en ces derniers temps y ont attiré une
population considérable ; si la découverte du merveilleux
Klondike a diminué le flot des étrangers qui s'y por-
taient, elle ne l'a pas tari. Un magnifique pensionnat en
briques a été construit par les Fidèles Compagnes de
Jésus, sur une île adjacente à la ville du Portage, et
elles y comptent déjà 39 pensionnaires. Il y a, en
— 276 —
outre, trois écoles, une au Portage, une autre à Morman,
et la troisième à Keewatin avec une population de plus
de 300 enfants, au lieu de 160 en 1893. En outre, il y
a quatre écoles sauvages dans cette région. Popula-
tion scolaire, 100 enfants. Une école des blancs à la
Rivière-au-Piriy 20 enfants.
Station visitée.. — La seule station visitée par nos
Pères du Portage-du-Rat est le petit bourg de Saint-
Louis de Keewatin, qui renferme une population catho-
lique canadienne-française de 400 âmes, pleines de
foi, et une jolie petite église, où se célèbre, chaque
dimanche, l'office divin.
- 6° Résidence de V École Saint- Antoine de Padoue. —
L'an dernier, nous avons enfin obtenu du gouverne-
ment la permission de bâtir une école-pensionnat pour
les enfants sauvages de la région. C'était la réalisation
du rêve longtemps caressé par M^' Taché.
Grâce au bon saint Antoine, nous avons réussi à
acheter, à des conditions avantageuses, un terrain de
50 acres, tout près de la ville du Portage, dans un en-
droit délicieux, sur les bords du lac des Bois, et c'est
le même saint qui nous a fait obtenir du gouvernement
une bonne somme d'argent, sans laquelle il eût été im-
possible de songer à construire.
Avec ce secours, nous avons élevé une jolie mai-
son en briques, où nous logeons 30 pensionnaires,
la plupart païens; mais il nous reste une dette de
9 000 francs, que la maison du Portage a bien voulu
emprunter à ses risques et périls. Cette école est une
conquête dont nous rendons grâces à saint Antoine.
C'est le salut des incorrigibles Sauteux qui commence
dans ces parages sanctifiés autrefois par le passage de
nos premiers missionnaires, venus de Montréal dans de
frêles canots d'écorce 1
— 277 —
La messe qu'ils ont offerte sur ces bords porte enfin
ses fruits. L'an dernier, neuf chefs sauvages me tou-
chaient la main avec leurs conseillers avant de s'as-
seoir à un banquet que le R. P. Gahill leur avait pré-
paré et, pour la première fois depuis cinquante ans, ils
invitaient le prêtre et même le grand chef des priants,
à venir les visiter. Ils ont même promis d'envoyer leurs
enfants à l'école du Portage et ils ont tenu parole.
N'est-ce pas la moisson jaunissante qui appelle le mois-
sonneur de Dieu? Aussi notre but, en fondant cette
nouvelle résidence, a-t-il été d'amener les sauvages à
fréquenter l'église de l'école, afin qu'ils soient désor-
mais séparés des blancs, comme c'est le cas pour la
Mission des HR. PP. Jésuites du fort William, à quel-
ques centaines de milles du Portage.
Le R. P. Gahill habite l'Ecole de Saint-Antoine et il
en fait son centre d'opérations au milieu des milliers de
sauvages qu'il doit évangéliser. Il visite aussi plusieurs
postes de blancs, sur la ligne du chemin de fer du Paci-
fique canadien et dans les régions minières de ce dis-
trict. 11 consacre le reste de son temps à la direction de
l'école.
Un Père âgé, qui résiderait à l'école habituellement,
rendrait des services précieux, surtout lorsque nous y
aurons des religieuses. Nous avons lieu d'espérer que les
enfants de cette école, qui sont très doux et très dociles
et qui tiennent à l'instruction plus que les parents eux-
mêmes, vont devenir les apôtres de leur nation, si long-
temps rebelle à la vérité. Le R. P. Gahill a déjà baptisé
quelques-uns de ces enfants.
Le gouvernement ne soutient cette école qu'en par-
tie; il nous laisse avec des dettes, et la caisse vicariale
doit donner, chaque année, au moins 1000 francs au
R. P. Gahill.
T. XXX VI. 19
— 278 —
Il y a aussi dans ce district l'ancienue résidence du
fort Francis, que nous avons dû abandonner temporai-
rement et confier au zèle d'un jeune prêtre séculier. II
y a là une belle et grande œuvre à faire.
II. Disù'ict central. — Ce district comprend : la mai-
son de Sainte-Marie, la résidence de Saint-Charles, la
maison de Saint-Laurent, la résidence de Notre-Dame
des Sept-Douleurs et la résidence de Sainte-Rose du
Lac.
1° Maison de Sainte-Marie de Winnipeg :
Le II. P. Didace Guillet, supérieur ;
Le R. P. Mac-Carthy, socius ;
Le R. P. O'DwYER, vicaire ;
Le R. P. Moïse Blais, condamné au repos.
Le bon F. Doyle remplit les fonctions de portier et de
sacristain.
La population catholique de la paroisse de Sainte-
Marie est de 1 738 âmes (351 familles anglaises-irlan-
daises et 69 familles canadiennes -françaises).
La ville de Winnipeg, capitale du Manitoba, est située
sur la rive gauche de la rivière Rouge, presque en face
de Saint-Boniface.
En 1887, elle comptait 20 000 âmes; en 1893,39 000;
elle en compte présentement près de 50 000.
Ecoles. — Les Sœurs de Jésus-Marie dirigent deux
écoles et une académie de 54 pensionnaires eL de 20Uex-
Lernes.
Les Frères de la Société de Marie de Paris (Marianistes)
dirigent l'école des garçons, et l'école Saint-Joseph est
dirigée par un maîlre et une maîtresse catholiques,
La population totale de ces écoles est de 550 enfants,
soit 70 enfants de plus qu'en 1893, malgré l'extrême
détresse où nous ont réduits les lois scolaires iniques de
1890, 1894 et 1897.
— 279 —
n n'y a pas cinq enfants catholiques dans les écoles
protestantes ! Ceci prouve jusqu'à quel point le zèle des
parents et la docilité des enfants ont secondé le dévoue-
ment de nos Pères. Aucune population n'a été plus
fidèle à son archevêque que celle de Sainte-Marie de
Winnipeg durant nos luttes scolaires.
L'importance de la maison de Sainte-Marie n'échappe
à personne. Nous avons à Winnipeg une des plus belles
paroisses du diocèse et certainement la plus importante
après celle de Saint-Boniface.
La province du Canada a bien mérité du vicariat de
Saint-Boniface en nous cédant le R. P. Guillet, qui
gouverne à la satisfaction de tous une paroisse compo-
sée d'éléments très divers.
Un des meilleurs éléments du succès du R. P. Guillet,
c'est l'appui loyal et tout à la fois filial et fraternel que
lui ont donné les RR. PP. Mac-Carthy et O'Dwyer, qui
se sont conduits comme deux véritables fils de la fa-
mille.
La maison de Sainte-Marie est toujours ouverte à
nos Pères de passage durant l'année, et elle nous offre
un lieu de retraite annuelle délicieux, mais qui menace
de devenir trop étroit à cause de notre nombre crois-
sant.
La jolie église gothique de Sainte-Marie s'est enrichie
d'un superbe portail surmonté d'une tour, et il n'est pas
étonnant qu'il reste une dette à payer; mais il y a dans
celte population généreuse assez de ressources pour
faire face à ces dépenses.
Cependant, nous ne pourrons pas nous en tenir là ; il
faudra bientôt bâtir une nouvelle maison et fonder un
orphelinat pour les petits garçons.
Le ministère s'exerce surtout en anglais. A Sainte-
Marie, néanmoins, les annonces sont faites en français
— 280 —
et l'on y prêche un sermon dans cette langue tous les
mois. Il y a grand'messe et deux sermons, quelquefois
trois, tous les dimanches.
L'Église est toujours remplie.
Nos retraites d'hommes, de femmes et d'enfants sont
très bien suivies.
Nos Pères continuent à remplir les fonctions d'aumô-
niers de l'Académie Sainte-Marie, de la prison de la
ville et de l'hôpital général.
La piété va en augmentant dans la paroisse, grâce à
la ligue du Sacré-Cœur; la charité pour les pauvres est
pratiquée avec bonheur par la Société de Saint- Vincent
de Paul pour les hommes, et pour les femmes par la
Ladies Aid Society.
La communion du premier vendredi du mois devient
de plus en plus nombreuse.
Nos Pères sont très estimés et ils portent haut et
ferme le drapeau de la Congrégation, dans ce poste
élevé et difficile.
2° Résidence de Saint 'Char les de r Assiniboine :
Le R. P. Dandurand, curé de Saint-Charles;
Le R. P. Jacob, maître des novices ;
Le F. Pelletier, frère convers à vœux perpétuels.
Il y a, en outre, les FF. Bergevin, Legac et Eugène
Gauthier, qui ont fait des vœux de cinq ans, et deux
autres Frères novices.
Lors de sa dernière visite, le T. R. P Soullier avait
exprimé le désir qu'il y eut, à Saint-Charles, soit un
juniorat, soit un noviciat; autrement, il ne concevait
pas, disait-il, comment la Congrégation pouvait garder
si longtemps une simple cure de campagne. Je formai
alors le désir d'y transférer le noviciat de Saint-Lau-
rent. Notre Frère architecte, le F. de Byle, et deux ou
trois autres Frères convers, surtout le F. Adolphe Gau-
THiER, se sont mis à l'œuvre dès le mois de mai 1897 et,
au mois de novembre de la même année, une maison en
briques, très convenable, pouvait recevoir deux Pères
et six Frères convers.
Ce n'est que le 5 janvier 4898 que j'ai pu transférer
canoniquement, avec l'autorisation de l'administration
générale et du Saint-Siège, le noviciat de Saint-Laurent
à Saint-Charles. Depuis lors, la maison a été un sanc-
tuaire de paix et de régularité, oh le temps se partage
entre le travail et la prière. Désormais, cette paroisse
appartient à la Congrégation pour toujours. C'est une
couronne d'honneur que je dépose avec joie, comme
cadeau de joyeux avènement, aux pieds de notre nou-
veau Père général.
Tout n'est pas terminé, mais nous achèverons cette
œuvre bientôt. Nous voulons faire en sorte que cette
maison, qui demandera encore de grands sacrifices
d'argent, finisse par se suffire à elle-même.
3° Maison de Saint-Lau?'ent du lac Manitoba :
Le R. P. Camper, supérieur, ancien vicaire des Mis-
sions et pro-vicaire actuel ;
Le R. P. CoMEAU, chargé de toutes les Missions sau-
vages du lac Manitoba ;
Le R. P. Joseph Chaumont, socius ;
Le dévoué F. Mulvihill, le bras droit du P. Camper.
Il a été élu, dernièrement, par acclamation, préfet de
la municipalité.
Le F. DE Byle,
Trois Frères convers à vœux temporaires : les FF.
Adolphe Gauthier, Riou et D'Amour.
Population. — Cathohques, 1 500 (augmentation de
300 âmes). Ils sont en majorité métis sauteux. 11 y a
cependant un bon nombre de familles canadiennes,
françaises et irlandaises. Sauvages catholiques, 569;
sauvages païens, 200; sauvages protestants, 250. To-
tal : \ 019.
Écoles. — Saint-Laurent a fait, depuis 1893, des pro-
grès merveilleux. Les Sœurs Franciscaines raiission-
naires de Marie ont accepté, par pur dévouement, de
venir se dévouer à Tinstruclion chrétienne des enfants
à Saint'Laurent, et leur arrivée a été l'occasion d'une
fête inoubliable pour la population.
Elles ont transformé les enfants depuis leur arrivée
dans le pays.
Outre le couvent, Saint-Laurent possède quatre autres
écoles catholiques pour les blancs et trois écoles pour
les sauvages catholiques. La population scolaire est
de 230 enfants.
a) Notre-Dame de Grâce (île de Chêne). Il y a là une
école catholique.
b) Notre-Dame de la Paix (pointe aux Lièvres). Il y a
aussi là une école catholique.
c) Notre-Dame du Folgoët (rivière du Chien, Dog
Creek). Il y a là une nouvelle chapelle, bâtie cette an-
née sur la réserve sauvage, et une école pour les en-
fants sauvages bâtie par le gouvernement^ mais dirigée
par un de nos bons métis catholiques.
d) Saint-Columban de Totogan. Réserve sauvage.
e) Notre-Dame du Suffrage de la baie de Sable {Sandy
Bay), Réserve sauvage importante. Nous y avons une
chapelle neuve bâtie cette année et une belle école où
60 enfants sont instruits par un maître catholique.
f) Notre-Dame du Lac {Ebb et Flow). Réserve sau-
vage. École dirigée par un métis catholique.
g) « Poste Manitoba » . Petite réserve sauvage.
Le R. P. CoMEAU visite aussi plusieurs autres endroits
de moindre importance.
11 a ressuscité l'œuvre des Missions sauvages du lac
~ 283 —
Manitoba, et il fait chaque jour de nouvelles conquêtes
sur le paganisme et l'hérésie.
J'ai déjà dit que les progrès de Saint-Laurent depuis
cinq ans ont été prodigieux, et je n'en veux pour
preuve que sa superbe église de pierre, qui a coûté
plus de 35 000 francs et qui a été construite avec les
aumônes des généreux compatriotes du F. Mulviuill, à
Chicago.
C'est la réalisation du vœu du R. P. Camper dans son
rapport de 1893. Sa ferme confiance eu la divine Provi-
dence n'a pas été trompée.
Les fondations du nouveau couvent sont déjà posées
et il y a même en banque une somme d'argent recueillie
encore à Chicago par le même quêteur intrépide, qui a
juré de doter Saint-Laurent, dont il est un cofonda-
teur, d'une église et d'un couvent en pierre. Malheureu-
sement, un accident déplorable a réduit en cendres, il y
a quelques semaines, la résidence de Saint-Laurent, et la
construction du couvent est forcément retardée. Les
pertes, évaluées à plus de 17 500 francs, sont heureu-
sement couvertes en grande partie par une compagnie
d'assurance.
Outre ces édifices superbes, deux chapelles ont été
construites pour les sauvages, en 1897, sur les bords du
lac Manitoba ; en sorte que l'on peut dire avec vérité que
cette partie du vicariat a marché à pas de géant dans la
voie du progrès.
4° Résidence de Notre-Dame des Sept- Douleurs [Rivière
des Epinettes, Pfne Creek). — Le R. P. Adélard Ghau-
MONT, directeur; le R. P. Gonan, socius; le F. Fafard.
Population. — Blancs catholiques, 250; sauvages
catholiques, 400; sauvages païens, 200; sauvages pro-
testants, 200.
Ecoles. — Il y a d'abord une école-pensionnat (Boarding
— 284 —
School), rétribuée par le gouvernement, à la Mission de
Notre-Dame des Sept-Douleurs, et une autre école-
pensionnat à la rivière Poule-d'eau. Il y a un maître
catholique pour chacune de ces écoles. Nous avons
établi une école élémentaire pour les métis à la rivière
la Mousse (Mossy River), à 13 lieues de la Mission.
C'est le terminus du nouveau chemin de fer du lac
Dauphin.
Il y a plus de 100 enfants capables d'aller à l'école,
autour de Notre-Dame des Sept-Douleurs, mais il n'y en
a guère que 25 qui y assistent régulièrement; nous
ne pourrions pas nourrir tous ceux que les parents
nous offrent.
Le R. P. Chaumont a réussi à faire tomber une école
tenue par un ministre protestant sur la réserve de la
Rivière-qui-roule {RolUng River) et s'il obtenait la per-
mission du gouvernement, il pourrait accepter encore
75 à 80 enfants sauvages, la plupart païens, et son école
deviendrait quatre fois plus importante.
Il faudrait absolument bâtir une chapelle et une école
à la Mission de Notre-Dame des Sept-Douleurs ; les
vieux bâtiments sont trop petits et tombent en ruines.
Mais où trouver les ressources ?
Là aussi il y a une ample moisson à recueillir, comme
les relations du bon P. Chaumont nous l'ont fait voir
clairement dans nos annales et ailleurs ; mais il faudrait
absolument que des religieuses intrépides aillent s'établir
au milieu de ces pauvres gens, afin de travailler à les
gagner à Jésus-Christ.
Stations. — De la Mission de Notre-Dame des Sept-
Douleursjdépendent, et la réserve de la Poule-d'eau, et
les réserves^du lac Plat [Shoal Lake), de la rivière du
Cygne {Swan\River), de la|rivière Vallée ( Valley River),
de la Rivière-qui-roule {Rolling Rive)'), de la montagne
— 285 -
Tortue [Riding Mountain) et la colonie de la rivière la
Mousse {Mossy River).
La maison d'école de ce dernier poste a été achetée
pour être transformée en chapelle.
5° Résidence de Sainte-Rose du Lac. — Cette résidence
allait être abandonnée quand l'arrivée opportune du
R. P. Lecoq nous l'a fait reprendre.
Population. — Cathohques, 1200 âmes.
Les habitants de ce pays sont des colons venus de la
province de Québec, de France, de Belgique et d'Irlande,
avec quelques familles métisses. La colonie a de l'avenir ;
le pays est beau et fertile, et le chemin de fer projeté
en 1893 a été construit depuis ; mais il faut au mission-
naire une mesure plus qu'ordinaire de patience et
d'abnégation.
Le diocèse de Southwark, Angleterre, a établi une
espèce d'orphelinat agricole non loin de la Mission, et
un jeune prêtre anglais y exerce le saint ministère, ce
qui rend de grands services au R. P. Lecoq.
Ecoles. — Il y a trois écoles catholiques dans la
région et 95 enfants inscrits sur les registres. Là aussi
il faudrait des religieuses pleines de bonne volonté
pour ifaçonner ces pauvres enfants, dont l'éducation
domestique est si négligée par les parents.
Stations. — Le R. P. Lecoq visite la nouvelle colonie
de Canada-ville et des familles isolées de côté et
d'autre.
Il faudrait un missionnaire capable de comprendre
les nombreuses familles de Galiciens catholiques (peut-
être ^00), établies non loin de|Sainte-Rose ; les protes-
tants et les Russes schismatiques menacent de nous les
enlever. Quel besoin nous avons de quelqu'un qui puisse
les comprendre !
Il y a, à Sainte-Rose, une vieille chapelle servant de
— 286 —
maison d'école ; elle sera bientôt remplacée par une
jolie église que le R. P. Lecoq va construire avec des
aumônes venues ou attendues de France. C'est ainsi
qu'il s'est construit une très jolie résidence à laquelle
il a travaillé de ses propres mains.
III. District de l'Ouest. — Ce district comprend : la
maison de Qu'appelle, avec cinq résidences, dont deux
ont été établies et une troisième reprise depuis le
dernier Chapitre, à savoir : Notre-Dame de l'Espérance
(montagne de Tondre), Saint-Philippe (fort Pelley) et
la mission du Saint-Cœur de Marie, au lac Croche. Cette
dernière est réouverte provisoirement^ elle attend son
confirmatur. Les deux autres résidences existaient déjà
en 1893 : c'est Saint-Lazare (fort EUice) et l'Assomption
(Esterhaz).
La résidence de Saint-Ignace (montagne de Bois, ou
Willon Bunch) a été abandonnée ; mais le vénérable
P. Saint -Germain la visite quatre fois l'an. Un bon
prêtre séculier, ami de la solitude, y vivrait dans une
grande paix.
i" Maison de Qu'appelle, — Le R. P. Prisqiïe Magnan,
supérieur; le R. P. Hugonard, principal de l'Ecole
industrielle; le R. P. Saint-Germae\, assistant principal.
Les RR. PP. Campeau et Favreau ne résident que
temporairement à Qu'appelle lorsqu'ils viennent faire les
missions des Sauteux ou des Sioux et des Âssiniboines.
Population de la Mission de Qu'appelle et des postes
qui en dépendent, ou qui en dépendaient jusqu'en ces
derniers temps : blancs catholiques, 1248; sauvages
catholiques, 707; sauvages païens, 3 230.
Ecoles. — Il y a deux écoles qui dépendent de la
maison Qu'appelle : l'Ecole industrielle, où l'on compte
238 enfants indiens, et l'école élémentaire, oîi il y a
30 enfants blancs inscrits.
— 287 —
L'Ecole industrielle de Qu'appelle est la merveille
des écoles de ce genre, et les officiers du gouvernement
canadien se sont plu à le reconnaître en plusieurs cir-
constances. Les enfants sont pieux ; ils aiment à rece-
voir les sacrements, à prier et à chanter des cantiques
en leur langue. Chaque année, une bonne retraite, prê-
chée en sauteux par le R. P, Camper ou le R. P. Campeau,
ravive leur foi et purifie leur conscience. Ils semblent
plus avides d'apprendre à lire et à écrire que la généra-
lité des enfants peaux-rouges. Outre l'écriture, la gram-
maire, le calcul et même la musique, on leur enseigne
la culture de la terre, et quelques-uns d'entre eux ap-
prennent le métier de charpentier, de boulanger, de
cordonnier ou de forgeron.
Il y a dans celte maison une vie, un cachet de gaieté
et un entrain qui font plaisir à voir. Les anciens élèves
aiment à y revenir pour revoir leurs bienfaiteurs et
leurs compagnons.
Le bon Père Hugonard est aimé de tous comme un
père. Il faut le voir le matin d'une fête religieuse, ou le
jour des noces d'un enfant de l'école, ou au retour
d'une absence de trois ou quatre jours. Il y a alors chez
les enfants de véritables explosions de joie et de bonheur.
Il est aisé de voir qu'il est bien l'âme de l'institution.
Un fait qui prouvera combien l'école a fait du bien,
c'est qu'avant son établissement, nos pères ne pouvaient
pas planter impunément leur tente sur les réserves
sauvages qui environnent la Mission, tandis que, main-
tenant, ils sont reçus partout avec empressement, non
seulement chez les nouveaux chrétiens conquis souvent
à la foi par les prières et les exemples de leurs enfants,
mais même dans la loge des païens, adorateurs obstinés
du Soleil et de l'ours Jupiter.
Un autre résultat heureux de cette école^ c'est i'espé-
— 288 —
rance que donne une petite colonie, composée de jeunes
ménages chrétiens et établie à la montagne de Lime à
6 lieues de Qu'appelle.
Il est certain que cette école, obtenue du gouverne-
ment avec tant de peine par l'infatigable M^' Taché,
a été le salut des peuplades sauvages de la vallée de
Qu'appelle, et aucune n'a si bien réalisé le rêve aposto-
lique du vénérable M^"" Grandin, qui, le premier de tous,
a eu l'idée de fonder des écoles de ce genre.
Honneur donc à qui de droit 1 Honneur et remer-
ciements surtout au H. P. Hugonard ici présent, qui a
été choisi comme délégué précisément à cause des
grands services qu'il a rendus au vicariat et à la Congré-
gation entière, en dirigeant une si belle œuvre avec un
zèle infatigable.
Stations qui dépendent de la maison de Qu'appelle :
à) Notre-Dame des Anges (montagne de Lime). C'est une
réserve crise où il y a encore beaucoup de païens. Il
s'est produit en cet endroit des miracles de grâces qui
sont bien propres à nous consoler du petit nombre de
conversions de ces dernières années. Nous avons une
petite chapelle à laquelle on a ajouté, l'an dernier, un
modeste abri pour le missionnaire. C'est le R. P. Supé-
rieur de Qu'appelle qui évangélise ces pauvres sauvages,
qui disaient dernièrement de l'évêque visitant leur ré-
serve : « Voilà celui qui vient nous apporter la vie. »
Puissent-ils recevoir tous la vraie vie, et la recevoir avec
surabondance !
b) Notre-Dame de Lumière (réserve des Sioux), Ces
pauvres Indiens, la plupart chrétiens, sont bien disposés,
mais ils pleurent le départ du R. P. Favreau, pour le fort
Eilice. On leur a construit, il y a déjà plusieurs années,
une magnifique chapelle en pierre, oii les fidèles d'une
colonie allemande et polonaise aiment à venir prier.
— 289 —
Cette tribu de Sioux, jointe à celle de la Tète d'homme
(Indian Head), sur la ligne du chemin de fer « Pacifique
canadien >>, et à d'autres réserves de Sioux et d'Assini-
boines à la montagne d'Orignal, nécessiterait à Qu'ap-
pelle, la présence d'un jeune Père capable d'apprendre le
sioux.
Les Assiniboines de la Tète cV homme ont demandé une
chapelle sur leur réserve, et nous allons la construire,
n'en déplaise à messieurs les ministres protestants qui
prétendent être les seuls maîtres spirituels de l'en-
droit.
Les Assiniboines de la montagne d'Orignal deman-
dent et des croix et un missionnaire. Il y a encore dans
le diocèse de Saint-Boniface deux autres réserves de
Sioux. On dit que les Sioux de Qu'appelle pleurent les
jours de grande fête et qu'ils disent : « Personne ne
peut nous confesser. Nous n'avons donc plus de père ! »
Les païens avaient promis au R. P. Général défunt de
faire baptiser leurs enfants, et ils ont tenu parole.
c] Notre-Dame de Bon-Secours de Pasquari. Il y a une
chapelle très convenable en cet endroit. De fait, il y a
là trois réserves importantes de Sauteux, qui dépendent
de Qu'appelle.
d) Saint- Ignace de la montagne de Bois {y^iWon Bunch).
Cette résidence a été abandonnée en 1894, à la suite
d'un accident qui a failli coûter la vie au bon P. Saint-
Germain. Il a passé une nuit entière couché dans la
neige et tenant son cheval par la bride. Ceci nous a
fait comprendre que son âge avancé ne lui permettait
plus guère de demeurer seul à près de 50 lieues de
tous ses confrères, au milieu d'une population qui
abusait de sa trop grande bonté et lui enviait le fruit
du travail de ses mains. Un prêtre séculier lui a succédé ;
puis le poste est resté vacant. Il y a là une pauvre
— 290 —
chapelle-i'ésidence, et une école de 20 enfants, sous
la direction d'un instituteur catholique.
e) Dauphiné. -^ C'est une petite colonie de métis
français.
2° Nouvelle résidence de Notre-Dame de l'Espérance (mon-
tagne de Tondre [d'amadou], louch wood Hill)^ à 50 milles
de Qu'appelle : le R. P. Siméon Perreault, directeur ;
le R. P. Gascon, socius ; le F. Pilon.
11 y a là des centaines de sauvages païens qui devront
bientôt leur salut à l'école-pensionnat, dirigée par les
Sœurs Grises, comme à Qu'appelle.
Il y a 30 enfants à l'école. C'est une œuvre qui a
coûté bien des sacrifices ; mais la Vierge de l'Espérance
nous fait entrevoir un avenir consolant. Le paganisme
mourant tente un dernier effort qui annonce les convul-
sions de l'agonie.
Nos Frères convers charpentiers ont bien mérité de la
Congrégation en construisant eux-mêmes la nouvelle
école, qui a coûté 20 000 francs, mais qui vaut beaucoup
plus. Le gouvernement n'a fait qu'une partie des frais
de construction.
3° Nouvelle résidence du Saint-Cœur de Marie (lac
Croche), à 60 milles de Qu'appelle : le R. P. Téophile
Campeau, directeur ; le R. P. Bousquet, socius.
C'est un château fort des presbytériens, qui y ont
fondé une école, où il y a 47 enfants païens. Nous
avons eu le tort de laisser tomber autrefois une école
du gouvernement [day school) pour favoriser l'Ecole
industrielle de Qu'appelle et nous voyons maintenant
que nous avons perdu du terrain.
Il est donc important qu'un missionnaire réside au
lac Croche et qu'on y établisse même une école-pen-
sionnat, si c'est possible.
Il n'y a guère que 22 sauvages protestants, malgré ce
— 291 —
que disent des rapports mensongers consignés, hélas !
dans les livres officiels, et nous y avons plusieurs cen-
taines de sauvages catholiques. Il y a encore des
centaines de sauvages païens au lac Croche. C'est de là
que le R. P. Gampeau devra visiter d'abord les trois
réserves qui avoisinent Qu'appelle, puis une réserve
située près de fort Ellice, et enfin deux ou trois autres
groupes de sauvages très éloignés.
La foi des catholiques est admirable au lac Croche.
Nulle part l'évêque n'a été reçu avec de plus grandes
démonstrations de joie et de foi vive, et nulle part on
n'a tant insisté pour obtenir un missionnaire résidant
et une école catholique.
Le voisinage des païens et des hérétiques semble
stimuler le zèle de ces bons chrétiens. Puissent-ils
persévérer !
Inutile de dire que, sans les 2 000 francs d'allocation
que nous devrons désormais lui faire, cette résidence
ne pourrait pas se maintenir.
4° Résidence de Saint-Lazare (foi't Ellice) : R. P. Pa-
VREAU, directeur.
Ce poste a été soumis à des vicissitudes de mort et
de résurrection qui ont fait évoquer souvent le souvenir
de son saint protecteur.
Il semble maintenant que tout le monde s'accorde à
dire qu'il y aura lieu d'en faire un centre d'action pour
l'évaugélisation de centaines de sauvages catholiques et
païens, sauteux, sioux et même assiniboines, qui peuvent
être desservis de cet endroit.
Le R. P. Favreau a certainement fait entrer la Mission
dans une voie de progrès.
11 a donné une impulsion nouvelle à la piété des
fidèles en établissant la dévotion du premier vendredi
du mois, et il est parvenu à obtenir des souscriptions
— 292 —
suffisantes pour acheter une jolie cloche et même pour
commencer une nouvelle église, dont les frais ne
devront pas excéder 10 000 francs.
Ce jeune Père, plein de zèle, a profité d'un voyage
dans la province de Québec, pour recueillir quelques
aumônes, et il promet de bâtir une jolie église sans
s'endetter.
Le progrès matériel a marché de pair dans cette
Mission avec le progrès spirituel, ce qui est fort désirable
dans ces pays nouveaux. Des expositions agricoles, orga-
nisées par le R. P. Favreau, ont donné à la culture un
élan sérieux.
Une petite école a été construite, l'an dernier, pour la
population blanche ; elle est dirigée par une institutrice
catholique. Il y a 30 enfants inscrits. Ici, encore, on
demande des religieuses pour prendre la direction de
cette école, en attendant qu'elles puissent aider à la
fondation d'une école pour les enfants sauvages à fort
EUice. Toutes nos démarches à l'effet d'obtenir cette
école du gouvernement sont restées infructueuses, et
pourtant nous n'avons qu'une école industrielle
(Qu'appelle), une école-pensionnat (Notre Dame de
l'Espérance) et une école du jour, dans une région où
le gouvernement a accordé aux protestants troia écoles
industrielles, quatre écoles-pensionnats et trois écoles du
jour. Et cependant il y a moins de sauvages protestants
que de sauvages catholiques dans cette vallée de
Qu'appelle !
Le R. P. Favreau va trois ou quatre fois l'an visiter
les tribus de Sioux et d'Assiniboines qu'il peut seul
comprendre. Il lui en coûte alors d'abandonner ses
catholiques durant un temps considérable, alors que le
missionnaire le plus rapproché, le R. P. Page est à
13 lieues de là. Raison de plus pour demander un socius.
— 293 —
5° Nouvelle résidence de Saint- Philippe^ de fort Pelley.
Cette résidence a été fondée en 1895 alors qu'on déses-
pérait du fort EUice, et que l'on voulait lutter contre
l'envahissement des protestants au fort Pelley.
Le R. P. Decorby, qui occupe cette résidence, est un
vétéran des Missions. Il a vu les beaux jours delà prairie.
Il a pris part aux expéditions de chasse aux bisons ; il a
parcouru en tous sens les immenses plaines de la vallée
de la Qu'appelle et du haut de l'Assiniboine, et il y a
bien peu de groupes de blancs ou de sauvages, de
toute race et de toute langue, qui n'aient pas rencontré
le petit Père, et qui n'aient même reçu le secours de son
ministère. Il parle au besoin trois langues sauvages et
quatre ou cinq langues modernes. C'est un voyageur
intrépide qui brave tous les dangers et qui expose
même sa vie, comme cela est arrivé en 1894, lorsqu'il
a été sur le point de périr de fatigue et de froid en se
rendant dans une réserve sauvage. Dieu seul sait le
nombre d'âmes qu'il a secourues dans ses courses apos-
toliques !
Le fort Pelley est un poste pénible oti il n'y a qu'une
petite école du jour avec une vingtaine d'enfants sau-
vages. Il n'y a que des religieuses qui puissent seconder
efficacement le zèle du bon P. Decorby, et leur arrivée
serait le signal d'une ère de prospérité. Il y a aussi une
école catholique dans la colonie bavaroise de Landshut;
^3 enfants y assistent. Les protestants ont recueilli près
de 40 enfants pensionnaires, et les sauvages païens et
prolestants, aussi bien que catholiques, offrent sou-
vent leurs enfants à condition qu'il les héberge et les
habille comme font les sectes prolestantes.
Deux chemins de fer, celui du lac Dauphin et celui
de Yorkton, vont se prolonger dans celte direction et y
amèneront tôt ou tard des colons destinés à changer la
T. xxxvi. 20
— 294 —
lace du pays et à lui donner une grande importance.
De cette Mission, le R. P. Decorby va visiter des
familles de métis ou de blancs en divers endroits, à des
distances de (100 milles) 30 à 33 lieues et plus. 11 a
jusqu'ici étendu sa sollicitude à plusieurs réserves
sauvages, à des groupes de Bavarois, d'Allemands
(Landshut-Langenberg), de Français, d'Anglais, de
Belges et autres. Il a été le premier Père de la colonie
hongroise d'Esterhaz et le fondateur de la résidence de
(Ju'appelle.
6° Résidence de f Assomption d'Esterhaz. Colonie hon-
groise, fondée en 1893 : R. P. Page, directeur.
C'est une belle colonie prospère au point de vue spi-
rituel et temporel. Elle possède deux écoles cathohques
et il y a 60 enfants inscrits.
Le R. P. Page s'est donné la peine d'apprendre la
langue de ces braves gens, et il a très bien réussi. C'est
le seul prêtre de mon diocèse qui puisse prêcher faci-
lement en langue hongroise.
Le R. Père veut bien étendre sa sollicitude à d'autres
colonies hongroises et allemandes comme à Sainte-
Elizabeth de Hum's Valley, où il y a une autre école
catholique avec 27 enfants inscrits, Yorklon et autres
endroits, et même il a poussé le zèle jusqu'à visiter deux
groupes importants de Galiciens à Yorkton et au lac
Dauphin, et il a déjà commencé à leur faire du bien en
attendant qu'un prêtre de leur langue vienne à leur
secours.
RÉSUMÉ. — Il me semble qu'en résumé nous pouvons
dire que les progrés accomplis depuis le dernier Cha-
pitre ont été considérables.
11 y a eu une augmentation de huit Pères et de onze
Frères convers en cinq ans.
Nous avons bâti deux églises pour la population
— 295 —
blanche et une troisième est commencée et sera ter-
minée à l'automne.
Nous avons construit quatre chapelles dans des réserves
sauvages, deux résidences pour nos Pères, deux écoles-
pensionnats pour les enfants sauvages, et une jolie
maison de noviciat à Saint-Charles de l'Assiniboine. De
plus, un couvent de religieuses a été commencé à Saint-
Laurent.
En 1887, il y avait un archevêque Oblat, vingt Pères
et trois Frères convers dans le vicariat. Il y a aujour-
d'hui trente-deux Pères et quatorze Frères convers, et
un archevêque oblat. Il y avait alors dix églises ou
chapelles, il y en a maintenant trente-quatre appar-
tenant à la Congrégation. Il y avait dix maisons ou
résidences, il y en a aujourd'hui dix-sept.
Je ne parlerai pas des progrès du diocèse lui-même,
de l'arrivée d'une nouvelle communauté d'hommes, les
Chanoines réguliers de l'Immaculée Conception de Saint-
Antoine de l'Isère établis à Noire-Dame de Lourdes, et
de leur communauté de femmes, les Sœurs des Cinq-
Plaies du Sauveur, de Lyon^ et des Sœurs Franciscaines
Missionnaires de Marie, établies à Saint-Laurent.
Le nombre des prêtres séculiers s'est élevé de 20 à M.
De sorte que les progrès vont croissant et je ne crois pas
qu'il y ait une seule de nos Missions oîi ses salutaires
effets ne se font point sentir.
Nos sauvages infidèles dont l'endurcissement était
devenu proverbial dans tout le Nord-Ouest, se montrent
maintenant disposés à écouter la parole de vérité ; le
mouvement de colonisation, qui s'était ralenti depuis
sept ans, reprend sa marche et va nous amener de
nombreux colons du Canada, des Etats-Unis et d'Europe.
Que Dieu en soit à jamais béni ! La fièvre de l'or du
Klondyke va beaucoup contribuer à développer ie pays.
— 296 —
La devise du diocèse de Saint-Boniface va donc se
réalisant de plus en plus. « Le désert fleurit, s'enrichit
de toutes parts. » Pinguescent speciosa deserti.
Bappoi'l de la province du Canada.
Depuis le dernier Chapitre général, l'événement le
plus important que nous ayons à enregistrer dans notre
province est assurément la visite du T. R. P. Soullier
et de son vénérable assistant, le R. P. Antoine. C'était
la première fois que le Canada avait le bonheur d'être
visité par le chef de la famille. Aussi, cette visite a-t-elle
provoqué dans toutes nos maisons des manifestations
enthousiastes de joie et d'allégresse. Nos catholiques
populations se sont spontanément jointes à nous
pour faire honneur à nos illustres visiteurs auxquels
elles exprimèrent, dans de nombreuses adresses, leurs
sentiments de reconnaissance et de religieuse affection.
Du reste, tous les détails de cette visite, ou plutôt de
cette marche triomphale, ont élé recueillis dans une
brochure spéciale qui se trouve entre les mains de tous
les nôtres, nous n'avons donc pas à les faire connaître
ici.
Un autre événement, moins grave sans doute, mais
qui a bien aussi son importance pour la province, a été
le changement de Provincial. C'est le 23 septembre der-
nier que le R. P. Jodoin succédait au R. P. Lefebvre.
Le nouveau Provincial n'a qu'à se féliciter de l'état de
prospérité où il a trouvé toutes choses en prenant les
rênes de l'administration.
Actuellement, le personnel de la province se com-
pose de cent trente-trois sujets, dont quatre-vingt-sept
Pères, quatre Frères scolastiques professeurs à l'Univer-
sité d'Ottawa; trente-trois Frères convers à vœux per-
pétuels et neuf à vœux temporaires. Si nous ajoutons à
— 297 —
ce nombre huit novices scolastiques et neuf convers,
nous arrivons au chiffre de cent cinquante sujets.
Le doyen de nos Pères est le R. P. Royer, qui, mal-
gré ses soixante-quinze ans, se porte encore à merveille,
et missionne de temps en temps. Il y a six autres Pères
qui dépassent soixante-dix ans. Les sexagénaires sont
au nombre de dix; ceux qui ont vu leur demi-siècle
également au nombre de dix ; huit ont plus de quarante
ans ; trente-huit dépassent la trentaine et quinze sont
au-dessous de cet âge.
Parmi nos Frères convers à vœux perpétuels, le véné-
rable F. Louis Roux a atteint sa quatre-vingt-quatrième
année; c'est le seul survivant des premiers Oblats, venus,
il y a cinquante-sept ans, arborer l'étendard de Marie
Immaculée sur les bords du Saint-Laurent. Il réside à
notre maison de Hull depuis qu'il a quitté l'évêché d'Ot-
tawa, après la mort de M^"" Guigues ; c'est une vieille re-
lique qui nous est justement chère.
Le 2 février, le Frère Louis célébrait le cinquantième
anniversaire de sa profession religieuse, et à cette occa-
sion, il était l'objet d'une petite fête de famille àlaquelle
prirent part NN. SS. les archevêques d'Ottawa et de
Sainl-Boniface, le Provincial, une quinzaine de Pères
et tous les Frères convers de nos maisons d'Ottava et
de Hull. Parmi les autres Frères, huit ont plus de cin-
quante ans, onze en ont plus de quarante, et dix plus
de trente ; les autres sont au-dessous de cet âge.
Les santés, sans être robustes, sont généralement
bonnes. Nous n'avons personne qui soit complètement
invalide, sauf un Frère convers, paralysé depuis trois
ans.
Les occupations de nos Pères sont : l'enseignement à
l'Université d'Ottawa et au juniorat, les missions diocé-
saines, les missions sauvages et le ministère paroissial.
— 298 -
Nous pouvons dire qu'en général nos Pères aiment
leur vocation. La régularité règne dans nos maisons;
les retraites annuelles et mensuelles ont lieu régulière-
ment. Les conférences théologiques ne se font pas par-
tout avec la même ponctualité.
Les travaux préférés sont les missions ; le ministère
à poste fixe est moins apprécié.
Nos missionnaires préparent sérieusement leurs ins-
tructions, et on peut ajouter qu'ils donnent une grande
satisfaction tant par leurs prédications que par les tou-
chants exercices recommandés par le Directoire.
Nous n'avons actuellement que sept missionnaires
employés exclusivement aux missions. Ce nombre est
insuffisant, il nous en faudrait au moins dix. Aussi,
sommes-nous obligés de refuser assez souvent d'impor-
tants travaux.
Je crois pouvoir dire que nos rapports avec NN. SS.les
évoques et le clergé sont excellents. Les populations
au milieu desquelles nous travaillons nous sont aussi
très sympathiques et très dévouées.
Depuis le dernier Chapitre général, nous n'avons fait
aucune nouvelle fondation dans la province. Elle se
compose aujourd'hui comme alors de huit maisons et
de quatre résidences. Les maisons sont : Montréal, Qué-
bec, HuU, rUniversilé d'Ottawa, le Juniorat, Maniwaki,
MattawaetTémiscamingne. Les résidences sont: Betsia-
mits, le lac Saint-Jean, la baie d'Hudson et le noviciat
de Notre-Dame des Anges.
Maison de Montréal. — Cette communauté se com-
pose de quinze Pères en comptant le R. P. Provincial
et le R. P. Brault, qui, tout enappartenant au juniorat,
réside à Montréal, où il s'occupe de la publication de la
Bannière de Marie Immaculée, dont le but est de faire
connaître la Congrégation et de recueillir des fonds pour
- 299 —
l'entretien de nos junioristes. Elle compte en outre
cinq Frères convers. L'un d'eux, après avoir rendu à la
maison de précieux services, se sanctifie au milieu des
infirmités.
Montréal est encore à peu près notre seule maison
de missionnaires. Nous avons préféré les grouper dans
une seule maison plutôt que de les éparpiller; mais notre
intention est que chacune de nos principales maisons
ait son groupe de missionnaires quand notre personnel
le permettra.
Depuis le mois de juillet 1893, nos Pères de Montréal
ont prêché 309 grandes retraites ou missions.
Plusieurs de nos Pères ont accompagné NN. SS. les
évêques dans leurs visites pastorales, et ont prêché en-
viron 240 retraites de confirmation. Ajoutons à ces
travaux un grand nombre de sermons de circonstances
dans différentes paroisses.
L'église Saint-Pierre n'est pas paroissiale, mais le
ministère n'y est pas moins très actif et très absorbant.
Huit Pères y sont habituellement employés. Il y a, tous
les dimanches et fêtes d'obligation, sept messes régle-
mentaires dont quatre pour les fidèles en général, deux
pour les congrégations et une pour les enfants. Nous
distribuons 150 000 communions par an, ce qui suppose
de longues et nombreuses séances au confessionnal et
beaucoup de visites aux malades.
Nous donnons chaque année une retraite distincte
aux hommes, aux jeunes gens, aux mères chrétiennes,
aux jeunes filles et aux enfants des écoles.
Pendant le carême, nos fidèles entendent quatre ins-
tructions par semaine, sans compter les deux instruc-
tions du dimanche, à la messe de 8 heures et à la
grand'messe.
Deux Pères font régulièrement le catéchisme à l'école
- 300 —
Saint-Pierre, dirigée par quinze Petits Frères de Marie
de Saint-Génis-Laval, près Lyon. Ils instruisent envi-
ron 550 enfants. Grâce aux subventions accordées au-
jourd'hui par la commission scolaire, non seulement
celte école n'est plus pour nous une charge, mais nous
avons même un excédent qui nous permet de rentrer
peu à peu dans les fonds considérables que nous avons
dépensés.
Diverses associations religieuses nous sont un puis-
sant élément pour le bien. La Congrégation des Filles de
l'Immaculée Conception, fondée en 1849, compte pré-
sentement 900 membres ; la Congrégation des Dames de
Sainte-Anne, pour les mères chrétiennes, fondée en
1850, en compte 2000; la Congrégation de Notre-Dame
du Sacré-Cœur, pour les jeunes gens, fondée en 1870,
environ 300; la Société de tempérance, fondée en 1877,
696. Cette Société est la plus parfaite du genre dans
tout le pays, elle fonctionne admirablement et fait un
bien incalculable.
Nous avons trois conférences de Saint-Vincent de
Paul, visitées et encouragées chaque dimanche par un
de nos Pères.
Le couvent de la Providence, rue Visitation, est
sous notre direction. Il comprend une vingtaine de re-
ligieuses et environ 500 enfants.
Depuis plus de vingt ans, les oblats de Montréal con-
duisent chaque année au sanctuaire de Sainte-Anne de
Beaupré, deux grands pèlerinages toujours très édifiants,
un pour les hommes et un autre pour les femmes.
Saint-Sauveur-de-Québec. — Cette maison se compose
de onze Pères et de quatre Frères convers. A l'excep-
tion du R. P. RoYER, missionnaire, tous les Pères con-
sacrent leurs soins à la paroisse Saint-Sauveur, dont la
population catholique atteint le chiffre de 16 234 âmes.
— 301 -
On distribue annuellement dans cette église 160 000
communions.
Les confréries y sont nombreuses et florissantes. La
Congrégation des hommes compte 800 membres; celle
des jeunes gens, 300; celle de la Sainte-Famille, pour
les femmes mariées, environ 200; celle des Enfants de
Marie, pour les jeunes filles, 1124; le Tiers Ordre de
Saint-François, 1 1 1 0 ; l'Union de prière, 5 400 ; la Tem-
pérance, 1 250; le Scapulaire du Mont-Carmel, 1 012; la
Société de Bonsecours pour les jeunes filles ouvrières,
600. Chaque confrérie a sa retraite spéciale chaque
année. Les enfants des écoles ont aussi la leur.
Les dimanches et jours de fêtes, il y a quatre messes
à l'église pour les fidèles en général et de plus, une
messe pour les enfants, et deux autres pour les deux
congrégations des hommes et des jeunes gens, à la
chapelle de Notre-Dame de Lourdes. A toutes les messes
basses, il y a une courte instruction, sermon à la grand'-
messe, catéchisme de persévérance à 1 heure, et ser-
mon le soir à l'Archiconfrérie.
La paroisse de Saint-Sauveur est très bien dotée sous
le rapport des écoles. Celle des garçons est dirigée par
vingt Frères des Ecoles chrétiennes, et celle des filles,
par vingt-trois religieuses de la Congrégation de Notre-
Dame. Il y a de plus douze petites écoles dispersées dans
les parties les plus éloignées de la paroisse et qui sont
dirigées par des maîtresses séculières. Le nombre total
des enfants qui fréquentent ces différentes écoles, est
de 2 700.
Nous avons cinq conférences de Saint-Vincent de
Paul, qui soutiennent pendant l'hiver de cent cinquante
à deux cents familles pauvres.
La paroisse de Saint-Sauveur est, de l'aveu de tous
ceux qui l'ont vue de près, une paroisse modèle. Il y a
— 302 —
beaucoup d'esprit chrétien, beaucoup de foi et de piété.
Le prêtre y est respecté, aimé et écouté. Les offices
de l'Eglise y sont toujours bien suivis et se font d'une
manière très solennelle et édifiante.
Sans doute, tout n'est pas parfait; il y a bien dans
cette vaste bergerie quelques brebis galeuses qui sont
loin de répondre au zèle et au dévouement de leurs pas-
teurs. Mais, même chez ces pauvres égarés, il y a beau-
coup de foi ; ils sont rares, parmi eux, ceux qui omettent
de faire leurs pâques, et s'ils tombent malades, ils s'em-
pressent de faire demander le prêtre, même avant d'ap-
peler le médecin.
Maison deHull. — La maison de Hull, comme celle de
Saint-Sauveur, est une maison paroissiale; elle se com-
pose de sept Pères et de cinq Frères convers.
La population catholique de HuU est de 11922 âmes,
dont 370 Irlandais. L'esprit général de la paroisse est
bon ; il y a de la piété, les sacrements sont bien fréquentés
(on y distribue annuellement environ 70000 commu-
nions). L'assistance aux offices de l'Eglise est toujours
nombreuse et édifiante.
Hull a aussi ses sociétés religieuses qui sont floris-
santes. La Congrégation des Dames de Sainte-Anne
compte 1 600 membres ; celle des Enfants de Marie,
pour les jeunes filles, 584 ; celle des jeunes gens, 350. Il
y a aussi plusieurs sociétés de secours mutuels, dont nos
Pères sont chapelains, ainsi qu'une conférence de Saint-
Vincent de Paul, qui fait beaucoup de bien.
Tous les dimanches et jours de fêtes, on célèbre six
messes à chacune desquelles il y a instruction. Les
catéchismes de première communion et de persévérance
se font régulièrement. Chaque catégorie de la popula-
tion a sa retraite spéciale chaque année.
La paroisse de Hull possède de superbes écoles qui font
— 303 —
l'admiration des étrangers. D'abord l'école des garçons
dirigée par treize Frères du bienheureux de La Salle
aidés de quatre maîtres laïques; ensuite, deux écoles
pour les filles dirigées par dix-sept Sœurs Grises d'Ot-
tawa. Il y a, de plus, six autres écoles dispersées dans
les parties les plus éloignées de la paroisse et qui sont
dirigées par des maîtresses séculières.
Le nombre total des enfants qui fréquentent ces dif-
férentes écoles est de 2039.
Il y a à peine dix ans, l'établissement de Hull n'était
qu'un amas de ruines fumantes. Le désastre était com-
plet, l'église, le presbytère et ses dépendances, tout était
devenu la proie d'un violent incendie avec tout un quar-
tier de la ville. Le regretté P. Gauvin, alors supérieur
de cette maison, ne se découragea pas, et avec l'énergie
indomptable qui le caractérisait, il entreprit de réparer
ce désastre.
Déjà il avait bâti la maison de communauté, et il
commençait la reconstruction de l'église, lorsque la
mort vint l'arrêter au milieu de ses travaux.
Le R. P. Lauzon, appelé à lui succéder, continua
l'œuvre si bien commencée et la conduisit à bonne fin.
Aujourd'hui, Hull peut se flatter de posséder lapins belle
église du diocèse d'Ottawa, la plus commode et certai-
nement la mieux pourvue de tout ce qui est nécessaire
au besoin du culte.
Maison de Maniwaki. — Cette maison se compose de
cinq Pères et de six Frères convers. Les œuvres consis-
tent : 1° dans la desserte de la paroisse de Notre-Dame
de l'Assomption ; 2° dans la desserte de trois Missions
pour les blancs et de six Missions pour les sauvages ;
3* dans la visite de chantiers pendant l'hiver.
La paroisse de Maniwaki compte 250 familles dont les
deux tiers sont d'origine française, l'autre tiers d'ori-
— 304 -
gine irlandaise. Il y a plus de 80 familles sauvages, de
sorte que le ministère s'exerce donc en trois langues.
Les Pères Pian, Guéguen et Laniel s'occupent du
ministère des sauvages à Maniwaki et dans les autres
Missions qui en dépendent. Chacune de ces Missions
possède sa chapelle.
La population totale des Missions sauvages visitées
par nos Pères de Maniwaki est de 1200 à 1300 âmes.
En général, ces pauvres enfants des bois sont de bons
chrétiens et donnent beaucoup de consolations à leurs
missionnaires, surtout ceux qui vivent loin du contact
des blancs.
Nos Pères visitent, en outre, une fois par mois, trois
Missions pour les blancs, convenablement pourvues
elles aussi de chapelles et d'écoles. La population de ces
Missions s'élève à 877 âmes.
Maniwaki possède en tout sept écoles, dont la plus
importante est celle du village. Plus de 200 enfants
des deux sexes y reçoivent une excellente éducation des
Sœurs Grises d'Ottawa. Les autres écoles sont dirigées
par des maîtresses séculières.
En parlant de Maniwaki, nous ne saurions omettre
de mentionner le travail que nos Frères convers y ac-
complissent.
Grâce à leur dévouement, nos fermes sont devenues
une source de revenus qui ont permis au R. P. Laporte,
supérieur, de faire exécuter des travaux considérables
qui ont complètement changé la face de cette Mission
et l'ont lancée dans la voie du progrès.
Maison de Témiskamingue . — La Maison de Témiska-
mingue se compose de quatre Pères et de cinq Frères
convers. Les œuvres de cette Maison consistent : l°dans
la desserte de la paroisse appelée autrefois la Baie-des-
Pères, mais dont le nom a été changé en celui de Ville-
— 305 —
Marie; c'est aujourd'hui le nom officiel de cette localité ;
2" dans la desserte de deux Missions pour les blancs et
de quatre Missions pour les sauvages.
A Témiskamingue comme à Maniwaki, nos bons
Frères convers nous rendent d'immenses services dans
l'exploitation de nos fermes.
L'église de Témiskamingue n'est pas achevée à l'inté-
rieur et l'on hésite à la terminer, parce qu'elle est déjà
trop petite, par suite de l'accroissement subit de la po-
pulation. Il est probable qu'avant quelques années nous
serons obligés d'agrandir considérablement l'église ou
d'en bâtir une autre plus spacieuse.
L'école du village et l'hôpital sont confiés aux Sœurs
Grises d'Ottawa. Les écoles de la campagne sont dirigées
par des maîtresses laïques.
Maison de Maltaioa. — Cette maison se compose de
quatre Pères et d'un Frère convers. Les Pères sont
chargés de la paroisse Sainte-Aune dont le R. P. Supé-
rieur est le curé. Ils desservent de plus sept petites
Missions échelonnées le long de la ligne du Pacifique
canadien.
La population catholique de Mattawa est de 1 283
âmes, dont 767 communiants. L'école du village, sous la
direction des Sœurs Grises d'Ottawa, est fréquentée par
380 enfants des deux sexes. 11 y a aussi un hôpital que
dirigent les mêmes religieuses.
La population totale des sept Missions qui dépendent
de Mattawa est de 2 120 âmes. Ces Missions sont toutes
convenablement pourvues de chapelles et d'écoles.
Il est heureux qu'on ait profité des années d'abon-
dance pour bâtir l'église et la maison des Pères, et
payer la dette, car il est probable que Mattawa ne re-
verra jamais plus ces bonnes années. L'avenir, en effet,
se présente sous des couleurs bien sombres pour cette
— 306 —
petite ville naguère si prospère et si pleine d'activité. Le
travail manque, le commerce languit et la population
décroît sensiblement.
Maison du Sacré-Cœur à Ottawa [Juniorat). — Depuis
quatre ans, nos junioristes habitent une vaste et belle
maison qui s'élève à quelques pas de l'Université d'Ot-
tawa et qui peut abriter commodément environ 110
enfants. Cette maison, qui a coûté 35 000 piastres, a été
payée entièrement par les différentes maisons de la Pro-
vince qui ont été heureuses de contribuer chacune selon
ses moyens, à une œuvre si belle et si utile.
Depuis six ans, 202 élèves ont été admis au juniorat.
La plupart d'entre eux viennent de la province de Qué-
bec, les autres de la province d'Ontario, du Manitoba et
des Etats-Unis. Sur 202, en ne tenant pas compte de
ceux qui ne sont pas demeurés au moins quatre mois au
juniorat, 61 sont sortis, 8 sont au scolasticat et 3 au
noviciat. Nous comptons actuellement 101 élèves.
L'esprit du juniorat est bon. Il y a de la piété parmi
nos enfants; le règlement est fidèlement observé, l'au-
torité est respectée et aimée, l'application à l'étude est
sérieuse et constante. Si les junioristes eussent concouru,
ils auraient remporté 7 médailles et 61 prix.
Nos junioristes suivent les cours de l'Université. Nous
avons cependant jugé bon de leur enseigner la rhé-
torique à la maison. Ils peuvent ainsi se perfectionner
dans la connaissance du français, car c'est surtout dans
cette langue qu'ils auront à exercer le ministère plus
tard.
La communauté du Sacré-Cœur se compose de 7 Pè-
res et de 4 Frères convers. Le soin de la cuisine et
de la lingerie est confié aux Petites Sœurs de la Sainte-
Famille, qui sont au nombre de 9, et qui habitent une
maison tout à fait séparée. Jusqu'à présent, nous n'avons
— 307 •—
qu'à nous féliciter des services immenses que nous ren-
dent ces bonnes religieuses.
A l'œuvre du juniorat se trouve annexée l'église
paroissiale du Sacré-Cœur, dont le R. P. Valiquette
est curé. Trois Pères, professeurs, entendent les confes-
sions à l'église et prêchent quelquefois. Les Pères de
rUniveraité prêtent aussi leur concours pour la prédi-
cation.
La paroisse du Sacré-Cœur compte actuellement270 fa-
milles et 745 communiants.
L'esprit qui domine dans cette paroisse est l'esprit
mondain et, par suite, la piété et le zèle pour les œuvres
laissent grandement à désirer. Il y a une trentaine
d'hommes et quelques femmes qui ne font pas leurs
pâques. Disons, cependant, qu'il semble y avoir un léger
progrès sous le rapport de l'esprit religieux depuis quel-
ques années, de même qu'il y a eu également progrès
sous le rapport de la population et des linances.
Maison de Notre-Dame des Anges (noviciat). — Au mois
de janvier 1898, il y avait, au noviciat, 8 novices sco-
lastiques et 9 convers. Depuis cinq ans, 47 novices
scolastiques et 45 convers ont pris l'habit. De ces 47 no-
vices scolastiques, 17 venaient des juniorats, dont 2 de
Sion, 3 de Jersey, 12 du Sacré-Cœur, et 30 des grands
ou petits séminaires.
Généralement, l'esprit est bon et religieux. On tient
surtout à faire pratiquer l'obéissance pure et simple. La
régularité y est irréprochable, et ceux qui y manquent
sont invités à se retirer. Ceux-là seuls qui ont de la bonue
volonté et font des efforts pour se débarrasser de l'esprit
d'indépendance qu'ils apportent du siècle sont encou-
ragés à continuer.
On sent, chez presque tous ceux qui nous arrivent
des collèges, un certain penchant pour la vie commode
— 308 ■-
et facile. On a horreur de tout ce qui gêne et contrarie
la nature. Évidemment, la génération actuelle n'a plus
le nerf ni l'énergie de celles d'autrefois.
Des 47 jeunes gens qui ont pris l'habit comme sco-
lastiques, 35 ont persévéré et 12 nous ont quittés.
Des 45 prises d'habit comme Frères convers, on en
compte 28 qui ont persévéré et 17 qui nous ont quittés,
dont 1 1 sont partis du noviciat et 6 des autres maisons.
Université d'Ottawa. — Voici ce qu'écrivait, à la date
du 21 mars dernier, le R. P. Constantineau, successeur
du R. P. Mag-Guckin :
« En conséquence du changement survenu à l'Univer-
sité, il est facile de comprendre qu'un rapport détaillé
ne puisse pas être donné par le nouveau recteur.
(( Je suis toutefois heureux de constater, après trois
semaines de rectorat, que nos Pères et Frères paraissent
tous animés du meilleur esprit, ce qui augure beaucoup
pour le succès de l'œuvre.
« Je dois aussi nécessairement abréger les commen-
taires qui devraient être faits sur les élèves de l'Univer-
sité. Je me contenterai de dire que, d'après les témoi-
gnages des préfets de discipline, nos élèves sont, plus
que jamais par le passé, animés d'un très bon esprit.
Ils sont pieux et fréquentent bien les sacrements. Il y
aurait pourtant beaucoup à faire en ce qui concerne
l'instruction religieuse.
« Espérons qu'avec la grâce de Dieu et le concours
déjà assuré de tous les Pères et Frères, le nouveau rec-
teur pourra faire les améliorations qui sont si désirables
pour le succès et la prospérité de ce cher établisse-
ment. »
A l'Université se rattache l'église Saint-Joseph, solen-
nellement consacrée en novembre i893. La mission prê-
chée, durant le carême, par les RR, PP. O'Heilly et
— 309 —
Stanley, de la Province britannique, a contribué à amé-
liorer sensiblement l'état spirituel de cette paroisse.
Le grand séminaire d'Oltawa. — Deux Pères profes-
seurs avec le R. P. Directeur constituent le personnel du
grand séminaire d'Ottawa. Depuis le dernier Chapitre,
le grand séminaire a eu son personnel changé trois fois.
Le R. P. Langevin, aujourd'hui archevêque de Saint-
Boniface, cédait, en 1894, la direction du séminaire au
R. P. Mangin. De graves infirmités obligèrent ce dernier
à quitter son poste au mois de septembre 1897. Il fut
remplacé par le R. P. Poli, actuellement en charge.
Le directeur se trouve seul chargé de la surveillance
et de la direction morale et intellectuelle des sémina-
ristes; il partage, avec les PP. Froc et Lacoste, les fati-
gues de l'enseignement des sciences sacrées.
Voici comment les travaux sont distribués :
Le R. P. Poli, professeur de théologie morale et de
droit canon, plus le cours de diaconale et de pastorale ;
Le R. P. Froc, professeur d'Écriture sainte ;
Le R. P. Lacoste, professeur de théologie dogma-
tique, d'histoire ecclésiastique, d'éloquence sacrée et
de liturgie.
Depuis le dernier Chapitre, 54 séminaristes, parmi
lesquels il faut compter 13 Frères scolastiques, ont reçu
l'éducation ecclésiastique au séminaire d'Ottawa.
Le cours des études ecclésiastiques est complet au
grand séminaire, et l'enseignement y est donné sérieu-
sement.
Le cours d'études complet est de quatre années en-
tières.
Les cours s'ouvrent au commencement de septembre
et se ferment à la fin de juin.
Le résultat des études est satisfaisant, mais on serait
en droit d'attendre davantage. Les séminaristes travail-
T. XXXVI. 21
— 310 —
lent; mais ce qui les empêche d'arriver à des résultats
plus consolants encore, c'est le manque de philosophie;
ils nous arrivent des collèges du bas Canada avec des
notions de philosophie très incomplètes, ce qui leur
rend l'étude de la théologie très difficile ; ils ne saisissent
pas toujours la portée des raisonnements qu'on livre à
leur méditation. Mais, comme le travail est en honneur
au grand séminaire, plusieurs réussissent à surmonter
cet obstacle. La note moyenne a été, pour les derniers
examens, 20 sur 25, qui est la note maximum. Cette
note est, à peu près, celle des années dernières.
Si l'on en juge par l'état actuel du séminaire, l'esprit
ecclésiatique anime chacun des membres de cette
maison. Tous les séminaristes prennent au sérieux leur
formation et acceptent avec courage toutes les rigueurs
du règlement et de la situation qui leur a été faite par
le dernier incendie.
Gomme résultat général, le grand séminaire d'Ottawa
a donné aux divers diocèses de l'Amérique du Nord
52 prêtres. Tous occupent ou ont occupé dans ces
diocèses des postes honorables.
Presque tous appartiennent au diocèse d'Ottawa.
Plusieurs d'entre eux sont venus et nous viennent
chaque année de l'Université d'Ottawa, et il faut le
dire à l'honneur de cette institution, ce sont eux qui
ont le meilleur esprit et une formation morale et intel-
lectuelle plus complète. Le nombre des séminaristes
est actuellement de 18. Nous espérons que le nombre
ira en augmentant, car le diocèse d'Ottawa voit sa
population s'accroître chaque jour.
Résidence de Betsiamits. — Les PP. Arnaud, direc-
teur, Babel, Lemoine et Boyer, qui habitent cette rési-
dence, desservent les postes sauvages échelonnés le
long de la côte nord du golfe Saint-Laurent depuis
— 311 —
Betsiamits jusqu'au Labrador. Leur ministère parmi
les sauvages montagnais, qui sont à peu près tous de
fervents catholiques, est très consolant. Malheureuse-
ment, le bon P. Arnaud, l'apôtre et le père de ces
pauvres peuplades, en raison de son âge et de ses
inflrmités, ne peut presque plus voyager.
Au point de vue matériel, ces Missions sont pauvres
et suffisent à peine à l'entretien de leurs missionnaires.
Résidence du lac Saint-Jean. — Cette résidence n'a
pas beaucoup sa raison d'être. Depuis nombre d'années
nous y avions une chapelle sur la réserve des sauvages
d'un endroit appelé la Pointe-Bleue. Nos missionnaires
de Betsiamits y allaient chaque année donner la Mission
comme dans les autres postes de la côte nord. En 1887,
nous formâmes le projet d'élever en cet endroit, à côté
de la chapelle des sauvages, une maison dans le but
d'y installer notre jimiorat, ce qui fut fait. Mais nous
avions compté sans des oppositions sérieuses qu'il nous
était impossible de surmonter et devant lesquelles nous
dûmes battre en retraite. Notre juniorat fut définiti-
vement fixé à Ottawa, et notre maison de la Pointe-
Bleue resta inoccupée. Nous y avons cependant laissé
les PP. SiMONET et Barou, qui desservent la Mission des
sauvages, ce qui pourrait être fait aussi bien par les
missionnaires de Betsiamits, comme autrefois. Comme
moyens de subsistances, ces deux Pères exploitent une
cinquantaine d'arpents de terre en culture qui entourent
leur maison. Combien de temps durera cet état de
choses et que ferons-nous de cet immeuble quand nous
retirerons nos Pères ? c'est ce que nous ne pouvons pas
dire maintenant, nous n'avons encore rien décidé à ce
sujet.
Résidence de la baie d'Hudson. — Cette résidence a
été fondée en 1892, uniquement pour les sauvages.
— 312 —
Elle est située à 820 milles de Montréal, dans un pays
presque inaccessible, puisqu'il faut faire plus de 400
milles en canot d'écorce pour y arriver. Aussi cette rési-
dence n'a-t-elle encore jamais été visitée par le Provin-
cial. Nous nous proposons de faire ce voyage au
printemps prochain. Les PP. Fafard et Guinard et
les FF. Lapointe et Tremblay composent celte petite
communauté. Les dernières nouvelles que nous avons
reçues de cette Mission sont très encourageantes. Dans
le courant de l'année dernière, nos Pères ont reçu
13 abjurations de sauvages protestants et baptisé un bon
nombre de païens. Grâce à nos bons FF. Lapolnte et
Tremblay, tous les postes visités par nos Pères de la
baie d'Hudson sont pourvus de chapelles et de tout ce
qui est nécessaire au culte.
Il nous faudrait deux ou trois nouveaux mission-
naires pour les sauvages de notre province. Plusieurs
des anciens se font déjà vieux et sont accablés d'infir-
mités, il faudra songer à les remplacer bientôt. Pour le
bien des sauvages, et pour procurer à nos missionnaires
l'avantage de bien apprendre les langues des peuplades
qu'ils évangélisent, il serait nécessaire de fonder un
nouveau centre de missions sauvages à un endroit
appelé le Grand-Lac qui se trouve à une centaine de
milles de Maniwaki. De là nos missionnaires pourraient
rayonner dans toutes nos Missions sauvages qui dépen-
dent de la province du Canada, sauf les missions du
lac Saint-Jean et du Golfe. Espérons que nous pourrons
bientôt réaliser ce projet.
Rapport de la province des Étals-Unis.
La Province des États-Unis se divise en deux parties
bien distinctes : le Nord et le Sud. La partie septen-
trionale se compose des Maisons de Buffalo, Plattsburg,
— 313 —
rimmaculée-Gonception (Lowell), Saint -Joseph (Lo-
well), Tewksbury (noviciat) et de la résidence du Sacré-
Cœur, à Lowell. La partie sud comprend l'ancien pro-
vicariat du Texas, c'est-à-dire les Maisons de Browns-
ville et San-Antonio, avec les résidences de Roma,
Eagle-Pass et Rio-Grande-City.
Le personnel de ces divers établissements s'élève à
quarante-cinq Pères, dont quatre sont plus que septua-
génaires, et dix-huit Frères convers. Le ministère parois-
sial, ou celui des missions mexicaines, ne favorise pas
toujours la pratique complète des exercices de Règle;
on peut néanmoins affirmer qu'en général les Oblats
des Etats-Unis s'efforcent d'être à la hauteur de leur
vocation.
Maison de Buffalo. — Cette maison, gouvernée par le
R . P. Le Voyer, se compose de dix Pères et de six Frères
convers. Les Pères consacrent leurs soins à trois œuvres
importantes : la paroisse des Saints-Anges, le juniorat
et le collège-externat.
Le R. P. UuiNN, aidé des PP. Dorgan et Emery, dirige
la paroisse des Saints-Anges, qui compte environ
3 000 âmes. On y fait en moyenne chaque année 1 25 bap-
têmes, 25 mariages et 60 enterrements. Nos catholiques
se montrent sincèrement attachés aux Oblats. Les nom-
breuses confréries qui groupent les diverses classes de
paroissiens ne contribuent pas peu à maintenir la piété
et la ferveur parmi eux.
Le junioral, actuellement confié au R. P. Pelletier
(Joseph), abrite une trentaine de jeunes gens de langue
anglaise et française. Nous verrions bientôt ce nombre
s'accroître si nos ressources étaient plus considérables ;
espérons que tous les Pères de la province auront à
cœur de donner à cette œuvre capitale une impulsion
toujours grandissante.
— 314 —
Quarante-cinq élèves appartenant à de bonnes familles
catholiques fréquentent le collège-externat. La pension
assez élevée qu'ils payent régulièrement est d'un puis-
sant appoint pour le juiiiorat. Cependant, il faudra
bientôt songer à agrandir cet établissement d'éducation
encore à ses débuts, à qui tout fait présager le plus bel
avenir. Les RR. PP. Smith (Terentius), Gladu, Mac-
Grath (Patrick), Sloan et Daveluy se partagent les
diverses matières de classe.
Maison de Plattsburg. — Plattsburg, charmante loca-
lité située sur les bords du lac Champlain, possède de-
puis 1853 une communauté d'Oblats. Nos Pères desser-
vent la paroisse Saint-Pierre, dont la population, entiè-
rement canadienne, se chiffre à 5 000 habitants, éparpil-
lés çà et là à des distances de 2 à 6 milles. Ils ne donnent
peut-être pas toujours à leurs prêtres les consolations
que ceux-ci seraient en droit d'attendre. Le R. P. Lavoie
est supérieur et curé de Plattsburg, il a pour coadju-
teurs les RR. PP. Emard, Petit et Féat, incessamment
attendu. L'éducation des enfants est confiée aux Sœurs
Grises qui, malheureusement, n'ont point toute la faci-
lité désirable pour l'instruction religieuse, car leurs
écoles sont rétribuées par le gouvernement. Impossible
de remédier présentement à un tel inconvénient, la po-
pulation étant trop pauvre pour bâtir et entretenir à ses
frais des écoles catholiques.
Maison de V Immaculée-Conception {Lowell). — Le per-
sonnel'de cette Maison se compose des RR. PP. Joyce,
ToRTEL, Fox, Reynolds, Schwind et Gigault. La paroisse
qu'ils desservent compte environ 3 000 âmes, mais ils
consacrent leur ministère à un bien plus grand nombre
de personnes, car l'église de l'Immaculée-Gonception
est très populaire et les catholiques de Lowell aiment et
estiment les Oblats. Nos Pères sont aussi les chapelains
— 315 —
des Sœurs de Saint-Vincent de Paul, confessent et assis-
tent le plus grand nombre des malades de leur hôpital.
Inutile donc de songer à donner habituellement des mis-
sions, d'autant que les PP. Tortel et Fox, âgés et
infirmes, ne peuvent plus se dépenser comme jadis.
Quel dommage que nous n'ayons pas de missionnaires
disponibles! Partout où les Oblats ont donné des mis-
sions, le succès a été complet.
Maison Saint-Joseph (Lowell). — La population cana-
dienne française de Saint-Joseph s'élève à 20000 âmes ;
c'est dire le travail écrasant auquel se livrent nos Pères.
Disons à leur louange qu'ils se dévouent sans réserve,
soit au ministère des confessions, soit à la visite des
malades de jour et de nuit. Le service aux deux églises
Saint-Joseph et Saint-Jean-Baptiste se fait très bien ;
ces églises se remplissent tous les dimanches à chacune
des huit messes qui s'y célèbrent. Dans nos écoles, de
2 300 à 2 700 enfants reçoivent le bienfait de l'instruc-
tion que leur donnent dix-neuf Frères Maristes et vingt
et une Sœurs Grises.
Résidence du Sacré-Cœur (Lowell). — Le R. P. Provin-
cial est, en même temps, supérieur local et curé de la
paroisse du Sacré-Cœur, située à l'extrémité de la ville
de Lowell. Là aussi, le ministère est très actif. La popu-
lation, qui atteint 3 000 âmes, tend sans cesse à s'ac-
croître, car bon nombre de familles, aimant le calme et
la tranquillité, se bâtissent des maisons dans ces quar-
tiers. Deux fois la semaine, et même plus souvent, un
Père visite la Maison des pauvres [Poor Farm), sorte
d'hospice où vivent de 300 à 400 personnes. Au Sacré-
Cœur se rattache la jolie petite église de Billerica, con-
fiée au R. P. Paquette (Alfred), qui prêche actuellement
à ses 500 ouailles une mission qui paraît devoir pro-
duire d'excellents fruits.
— 316 —
La Congrégation possède, à Lowell, les églises du
Sacré-Cœur, de rimmaculée-Conception,de Saint-Joseph
et de Saint-Jean-Baptiste. M»"" William's, archevêque de
Boston, nous céderait volontiers, sur notre demande,
l'église de Billerica.
Maison de Tewksbwy. — Le noviciat de Tewksbury est
situé à quelque distance de Lowell, dans une propriété
de 75 acres qui, vendue d'abord 10 000 dollars, ne nous
en a coûté que 2000. La maison peut contenir 70 per-
sonnes. C'est là que se réunissent les Pères de la pro-
vince pour la retraite annuelle. Le R. P. Campeau (Té-
lesphore), maître des novices, prend bien soin de sa
petite famille, trop petite, hélas ! puisqu'elle ne com-
prend que 2 novices scolastiques et une douzaine de
Frères convers.
La partie méridionale de la province des États se
compose, nous l'avons dit, de nos établissements du
Texas. Toute la Congrégation sait combien méritoire
est le genre de ministère exercé dans ces contrées,
presque aussi déshéritées au point de vue spirituel
qu'au point de vue temporel. On n'y connaît pas le con-
fort américain ; il faut s'habituer, dans les chevauchées
à travers les ranchos, à manger peu, à boire moins en-
core, sinon une tasse de café noir, à coucher sous la
lente ou à la belle étoile.
Maison de Brownsville. — Le R. P. Maurel a succédé
au regretté P. Gaudet, en qualité de supérieur de cette
communauté. Les catholiques mexicains atteignent, à
Brownsville, le chiffre de 7 000. Ils sont peu fervents,
la pratique des sacrements laisse énormément à désirer ;
cependant, personne ne voudrait mourir sans prêtre.
Nous avons établi, dans cette ville, un collège qui compte
déjà une centaine d'élèves. Pour lutter avantageuse-
ment contre les écoles publiques, il faudrait de l'argent ;
~. 317 ■-
mais comment recueillir des ressources dans un pays
ruiné par une sécheresse de sept ans? Le R. P. Ghevrier
est le directeur de ce nouvel établissement.
Maison de San-Antonio. — San-Antonio est une belle
ville de 55 000 habitants, au centre de laquelle s'élève
notre église de Sainte-Marie. Le R. P. Smith est supérieur
et curé de la paroisse, comprenant environ \ 500 ca-
tholiques. Il est aidé du R. P. Parisot, vétéran du Texas,
et du R. P. A. O'Callaghan. Ce qui rehausse surtout les
solennités du culte à Sainte-Marie, c'est la chorale admi-
rablement exercée. Nous avions acheté un terrain pour
y bâtir une deuxième église ; ce projet a été abandonné.
Résidence de Roma. — Roma est un simple village oti
vivent quelques familles catholiques. Les RR. PP. Clos
et PiAT desservent, depuis de longues années, les ran-
chos avoisinants ; aussi sont-ils estimés et aimés de toute
la population mexicaine et américaine. Personne ne
voudrait se marier sans la bénédiction nuptiale ; on
craindrait de contrister les Pères. Le P. Clos, malgré
ses soixante-douze ans, chevauche encore comme un
jeune homme.
Résidence de Eagle-Pass. — Après avoir, pendant plus
de quarante ans, parcouru les ranchos en tous sens, le
R. P. Olivier dessert la petite paroisse d'Eagle-Pass. Le
R. P. RiEux est son dévoué et fidèle assistant. La popu-
lation catholique, moitié américaine, moitié mexicaine,
n'est guère fervente, encore moins généreuse. Malgré sa
santé délicate, le R.P. Bhulé (Xavier), attaché à la rési-
dence d'Eagle-Pass, se dévoue entièrement aux Missions
de Braquette et de Del-Rio, dont il est spécialement
chargé. Ce dernier poste, sur la voie ferrée, paraît devoir
s'agrandir; on recueille des fonds pour la construction
d'une église et d'une modeste résidence. Le R. P. Gha-
TiLLON, récemment arrivé à Eagle-Pass, sait déjà le
— 3iS —
mexicain, comme du reste son jeune condisciple, le
R. P. Magnan (Charles), de résidence à Brownsville, et
missionne dans les ranchos.
Résidence de Rio-Grande-City. — Ce village, qui em-
prunte son nom à la rivière fameuse sur les rives de
laquelle il est assis, n'a de beau que son site. Les
RR. PP. Repiso et Brétault évangélisent avec zèle ces
contrées bien misérables.
En terminant ce rapport, qu'il me soit permis de re-
commander à la Congrégation tout entière un projet
depuis longtemps caressé : la fondation d'un établisse-
ment d'Oblats à New-York. Mais il faut, pour cela, des
ressources et des ouvriers évangéliques. Demandons au
divin Maître et à notre Immaculée Mère de nous venir
en aide.
Rapport de la province du Nord.
FAITS HISTORIQUES.
A la suite du Chapitre général de 1893, le R. P. Rey
étant arrivé au terme de ses fonctions de Provincial,
une nouvelle administration fut donnée à la province
du Nord, ayant pour chef le R. P. Favier, secondé des
RR. PP. Ret, J.-B. Lémius, Brûlé et Berthelon, consul-
teurs.
1. Désirant continuer, autant qu'il était en notre
pouvoir, le bien accompli sous l'administration précé-
dente, notre première pensée fut de ramener en France
le noviciat qui en avait été expulsé en 1880. Plusieurs
motifs sérieux, qu'il n'est pas nécessaire d'énumérer
ici, nous y engageaient. L'horizon politique commen-
çant à s'éclaircir dans notre patrie et la situation des
communautés religieuses y paraissant moins menacée,
nous ne crûmes pas être trop téméraires en cherchant,
-~ 319 -
sans bruit, à réaliser notre dessein, approuvé, d'ailleurs,
par notre T. R. P. Général.
La maison d'Angers, située dans un excellent climat
et à proximité des meilleurs diocèses d'oti nous viennent
le plus grand nombre de nos vocations, était toute dési-
gnée depuis longtemps pour cette fondation. Mais,
comme elle n'était pas suffisante pour abriter un novi-
ciat un peu nombreux et que nous tenions à y conserver
la communauté des missionnaires, force nous fut de
l'agrandir, en construisant une aile de bâtiment qui
pût loger au moins trente novices et fournir à toute la
communauté les grandes salles dont elle avait besoin.
Le 24 août 1895, la veille de sa fête, le T. R. P. Soul-
LiER eut la joie d'inaugurer ce nouveau noviciat par une
nombreuse prise d'habit, et j'ai, moi-même, le plaisir de
constater, en ce moment, que Dieu a daigné bénir cette
œuvre si importante et si chère.
2. En jetant les fondements de ce nouveau noviciat,
nous favorisions, sans y penser, l'accomplissement d'un
autre dessein tout providentiel. Je veux parler de la fon-
dation de la province d'Allemagne.
L'idée de cette province avait germé d'elle-même, on
le conçoit, dans l'esprit de nos Pères et de nos Frères
de cette nationalité, lorsqu'ils s'étaient vus si nombreux.
Ils se sentirent bientôt la force de voler de leurs propres
ailes. Ils sollicitèrent donc et obtinrent du chef de la
famille la part qui leur revenait et à laquelle ils avaient
droit. Malgré la peine que nous faisait éprouver la sépa-
ration, nous fîmes volontiers, à la nouvelle province,
l'abandon des maisons de Saint-Ulrich, de Saint-Gerlach
et de Saint-Charles et d'une somme importante due par
cette dernière. Nous aurions voulu faire davantage ;
mais nous ne l'aurions pas pu sans compromettre nos
œuvres de France les plus essentielles et l'existence
- 320 —
même de la province mère. Nous n'avons jamais cessé,
du moins, de former les vœux les plus sincères pour nos
frères d'Allemagne et c'est avec le plus grand bonheur
que nous avons applaudi à leurs premiers succès.
3. La fondation de la province d'Allemagne nous en-
levait un juniorat florissant, celui de Saint- Charles. Mais
la Providence nous en préparait un autre à Pontmain.
Ce juniorat, on s'en souvient, avait été fondé, avant le
dernier Chapitre général, par le R. P. J.-I3. Lémius, alors
supérieur de cette maison. Il avait été reconnu comme
institution libre d'études secondaires. Toutefois, le
nombre des élèves était forcément restreint, faute d'un
local suffisant pour les loger. La maison de Pontmain,
en effet, était petite et n'avait pas été construite en vue
d'un juniorat. Et encore devint-elle, le 22 février 1895,
la proie des flammes.
Heureusement Notre-Dame de Pontmain veillait sur
ses enfants. La maison incendiée fut bientôt relevée de
ses ruines. Elle fut même considérablement agrandie
grâce à une généreuse bienfaitrice qui voulut bien, à la
prière du R. P. Lémius, adopter le juniorat. Lorsqu'elle
sera achevée, la maison de Pontmain pourra contenir
facilement deux cents élèves et plus de cinquante Pères
ou Frères convers.
Il ne surfît pas, à la vérité, de pouvoir loger deux cents
élèves. Il faut avoir les re>sources nécessaires pour les
nourrir et nous ne les avons pas. Mais ce juniorat étant
l'œuvre de Notre-Dame de l'Espérance, nous ne pouvons
craindre, un seul instant, pour son avenir.
4. La province du Nord possédait, à Jersey, un ju-
niorat très modeste pour les vocations tardives. Il avait
été créé et était entretenu par le regretté P. Michaux. Le
P. Michaux, hélas 1 nous fut ravi, par la mort, au mois
de juillet 1895. Son fondateur et son unique soutien
— 321 —
disparaissant, ce juniorat devait aussi disparaître. Nous
ne crûmes pas, du moins, avantageux de le continuer,
et la maison des Limes, à Jersey, où il était installé,
nous devenant à charge à cause des rentes dont elle
était grevée, nous profitâmes d'une occasion favorable
pour nous en défaire.
5. Plus avantageuse et plus désirable nous parut la
fondation d'un noviciat en Belgique. D'une part, ce pays
si catholique semblait nous promettre maintes bonnes
vocations ; et si, malgré la présence et les efforts de nos
Pères de Liège, elles ne venaient pas nombreuses, nous
pouvions craindre qu'elles ne fussent retenues ou dé-
tournées par la difficulté de quitter leur pays et de se
transporter à l'extrémité de la France. D'autre part,
même pour quelques-unes de nos vocations françaises
gênées plus ou moins par la loi militaire, nous pouvions
avoir besoin d'un noviciat à l'étranger.
Comment songer à le fonder avec des ressources limi-
tées et des charges déjà bien lourdes ? Ici, encore, il fal-
lait l'intervention de la Providence. Elle se manifesta
visiblement : une famille riche et chrétienne, la famille
Wégimont, d'Anvers, nous offrit la jouissance gratuite
d'un château situé sur les confins des provinces de
Namur et du Luxembourg. Fort bien adapté aux exi-
gences d'une communauté, il ne présente qu'un incon-
vénient, celui de se trouver extrêmement isolé, au mi-
lieu d'une immense forêt, à 8 kilomètres du village le
plus rapproché et à 14 kilomètres de la station du che-
min de fer. Cet inconvénient et plusieurs autres résul-
tant de celui-ci nous auraient fait hésiter et attendre
une occasion plus favorable. Mais la volonté formelle dii
T. R. P. SouLLTER fit cesser toute hésitation. Avec son
concours, le noviciat de Saint-Joseph, au Bestin, fut
donc fondé et inauguré officiellement le 26 juillet 1896.
— 322 ~
6. Les juniorats et les noviciats n'ont pas seuls attiré
notre attention. Les autres œuvres et, particulièrement,
celle des missions et retraites, devaient aussi nous préoc-
cuper, >fous allons bientôt parler de chacune d'elles.
Mais, auparavant, je dois dire un mot de ce que nous
avons fait pour la formation des missionnaires.
Ces missionnaires ne nous arrivent et ne peuvent pas
nous arriver tout formés des scolasticats. Pour les for-
mer, il eût été bon de garder nos jeunes Pères pendant
un an... deux ans... trois ans même, dans une maison,
et de les appliquer à des travaux et à des exercices pré-
paratoires. Mais ce projet n'était pas pratiquement réa-
lisable, il fallut bien s'en convaincre, par suite du be-
soin pressant de nos différentes maisons et du petit
nombre de sujets qui nous arrivent. Les confier uni-
quement à la sollicitude des supérieurs locaux ne pou-
vait suffire. Quel parti prendre?
Le problème fut résolu d'une façon heureuse, croyons-
nous, par le T. R. P. Général, lorsqu'il nous invita à
réunir nos jeunes Pères, chaque année, pendant deux
mois tout au moins, dans une de nos maisons, et de les
confier aux soins d'un missionnaire expérimenté dont
les conseils pratiques leur seraient d'autant plus utiles
que, déjà, ils auraient entrevu les difficultés de la lutte.
Cette mesure fut adoptée par nous avec un religieux
empressement. Mes quatre consulteurs y ayant donné
leur pleine adhésion, nous nous efforçâmes de la réaliser
dans la mesure du possible, sans reculer devant la dé-
pense et sans écouter les critiques dont elle était l'objet.
Ces critiques nous auraient prouvé, s'il en eût été be-
soin, que l'œuvre était bonne et qu'il fallait la pour-
suivre.
Aujourd'hui l'épreuve est faite, et les rapports du
R. P. luNGBLUTH, publiés dans nos annales, sont là, pour
— 323 —
nous dire si nous nous sommes trompés. Nous ne pré-
tendons pas avoir atteint la perfection ; nous croyons,
au contraire, qu'il est permis de désirer mieux et nous
tâcherons de faire mieux dès que les circonstances le
permettront. En attendant, nous exprimons au R. P. Iung-
BLUTH notre bien vive reconnaissance pour le service
qu'il nous rend.
LES ŒUVRES.
Après cet historique des faits les plus saillants de
notre administration, pendant ces cinq années, je passe
à la revue de nos différentes œuvres.
Missions et retraites.
En 1893, nous n'avions, dans la province du Nord,
que vingt-deux Pères employés à l'œuvre des missions
en France. Ces vingt-deux Pères étaient répartis entre
six maisons : celles de Limoges, d'Angers, de Talence,
d'Autun, de Saint-Andelain et de Pontmain. Onze de ces
missionnaires ont été, depuis, mis hors de combat ou
appelés à un autre ministère. Seize nouveaux ouvriers
sont venus les remplacer. Nous comptons donc aujour-
d'hui vingt-sept missionnaires auxquels viennent, de
temps en temps, s'adjoindre trois ou quatre autres
Pères.
Il y a un petit progrès, mais c'est infiniment peu, eu
égard aux besoins qui se font sentir. D'autant que ces
missionnaires ne sont pas tous de première valeur : plus
de la moitié ne sont qu'en formation et, parmi les
autres, il en est dont les forces commencent à s'user.
Aussi le nombre de nos maisons de missionnaires n'a-t-il
pu, malgré notre ardent désir, être augmenté.
Quand, après avoir fortifié, comme il convient, les
maisons qui missionnent actuellement, pourrons-nous
— 324 -
en ouvrir d'autres dans des diocèses qui nous convien-
draient parfaitement? Quand pourrons-nous doter la
maison de Noire-Dame de Sion, si bien située pour
l'œuvre des missions, d'un personnel suffisant? Depuis
cinq ans, nous appelons, de tous nos vœux, cet heureux
moment et il ne vient pas.
Pour prouver que nos missionnaires ont bien travaillé,
pendant la période qui nous occupe, sans m' arrêter à
rénumération des travaux de chaque maison en parti-
culier — ce qui serait inutile, puisque toutes, à peu de
choses près, ont fourni le même labeur — je dirai sim-
plement qu'entre eux tous ils ont prêché :
287 missions proprement dites, la plupart de trois se-
maines au moins et à deux ou trois Pères ;
35 retours de missions ;
23 stations de carême ou d'avent ;
22 mois de Marie ou du Sacré-Cœur ;
279 retraites religieuses;
63 retraites de séminaires ou collèges ;
139 retraites de pensionnats ou de Congrégations ;
248 retraites paroissiales ;
262 retraites de première communion ou de confir-
mation ;
317 triduums d'adoration ;
20 retraites pastorales ;
15 retraites de grands séminaires ;
En tout 1710 travaux, sans compter les sermons dé-
tachés.
Dieu en soit béni! La plupart de ces travaux ont
obtenu tout le succès possible dans les circonstances où
ils ont été accomplis. Un bon nombre ont eu un éclat
inattendu. Fort peu ont échoué.
Dans leur saint ministère, nos missionnaires se con-
formant généralement, avec un religieux respect, à nos
— 325 —
Règles, à nos usages et à nos traditions. Ils le sentent
bien : c'est ce qui fait leur force et leur attire les béné-
dictions de Dieu. Aussi sont-ils beaucoup demandés et
appréciés principalement dans les campagnes ; et si le
chiffre des travaux qu'ils ont accomplis est considérable,
non moins considérable est celui des travaux qu'ils ont
dû refuser n'étant pas assez nombreux.
Les paroisses.
Après les missions, l'œuvre qui occupe un plus grand
nombre de Pères, dans la province du Nord, est celle des
paroisses.
Nons avons, en effet, la direction des paroisses de
Saint- Jean d'Autunqui compte environ 8 000 habitants;
Talence, avec une population qui dépasse actuellement
10000; Arcachon, dont la population est de 4500 ; Jersey,
avec ses trois missions de Saint-Thomas, 8 000; de Saint-
Mathieu, 3 500; de Saint-Martin, 2 500; enfin, des trois
petites paroisses de Saxon-Sion, de Pontmain et de
Saint-Andelain qui comprennent ensemble 2 200 habi-
tants. C'est donc 35 500 fidèles environ qui sont confiés
à notre charge. Ces différentes paroisses ou missions oc-
cupent vingt-trois Pères en ce moment.
Des trois dernières, je n'ai qu'un mot à dire : celle de
Pontmain demeure excellente au point de vue des de-
voirs religieux; les deux autres, Saxon et Saint-Ande-
lain, sont médiocres.
Les paroisses de Saint-Jean d'Autuu, de Talence et
d'Arcachon ne sont guère ferventes et beaucoup de bre-
bis, hélas! errent loin du bercail et de la houlette du
pasteur. A signaler, cependant, en chacune d'elles, un
bon noyau d'excellents chrétiens, des œuvres floris-
santes dont je dirai bientôt quelques mots, un petit pro-
grès qui se manifeste par une assistance nombreuse aux
T. XXXV. 22
— 326 —
offices des dimanches et une fréquentation également
plus nombreuse des sacrements. Fort peu de mourants
refusent l'assistance du prêtre, à leurs derniers moments.
Presque tous reçoivent, par lui, la grâce suprême.
A Jersey, nos Pères ont la consolation de voir leurs
églises, au nombre de six, de plus en plus fréquentées.
Saint-Thomas et Saint-Mathieu voient trois cents per-
sonnes environ faire la communion hebdomadaire et
combien d'autres la communion mensuelle !
Je dois dire ici, à la louange de nos Pères chargés de
ces missions ou de ces paroisses, qu'ils ne négligent rien
pour instruire et convertir leurs ouailles. Non contents
des instructions et prédications ordinaires, ils leur pro-
curent toujours des secours particuliers tels que : re-
traites pour les enfants de la première communion, pour
les Enfants de Marie, les tertiaires, les mères chré-
tiennes, etc.; stations de carême, d'avent, de mois de
Marie; missions ou jubilés.
Autun a eu une mission prêchée par les RR. PP. Ré-
demptoristes ; Arcachon, par des Passionistes; Saint-
Mathieu et Saxon, par plusieurs des nôtres. Talence,
Saint-Andelain, Saint-Thomas et Saint-Martin auront
bientôt le même avantage.
Le plus puissant moyen d'action de nos Pères, dans
leurs paroisses, pour opérer le bien, sont les écoles
libres. Ils travaillent de tout leur pouvoir et avec succès
à les multiplier. Ainsi, une école de garçons a été établie
à Saint-Jean d'Autun qui n'en avait pas ; Talence a vu
s'ouvrir une nouvelle école de filles dans un quartier
éloigné et délaissé; à Arcachon, l'école libre des garçons,
mal située à l'une des extrémités de la paroisse, a été
transférée au centre et a vu aussitôt le nombre de ses
élèves augmenter ; à Jersey, trois nouvelles écoles de
campagne ont été ouvertes. Celle de Saint-Mathieu a
— 327 —
passé des mains inexpérimentées de nos Frères Gonvers
à celles des Frères de l'Instruction chrétienne de Ploër-
mel. Il en sera de même, bientôt, de celle de Saint-
Martin.
Les dépenses occasionnées par toutes ces écoles, an-
ciennes et nouvelles, se sont élevées, depuis cinq ans, au
chiffre de 280 000 francs environ, soit pour l'achat des
terrains ou pour lesconstructions, soit pour le payement
des maîtres et des maîtresses. Mais nos Pères sont bien
dédommagés de leurs peines et de leurs sacrifices, car
ils voient leurs écoles fréquentées par plus de 2600 en-
fants, soit une augmentation de près de 1 000 élèves,
depuis le dernier chapitre général.
La charité envers les pauvres est aussi un grand
moyen d'action pour les prêtres de paroisses. Nos Pères
ne la négligent pas. Les pauvres sont leurs enfants et
Dieu sait s'ils sont nombreux partout. Les pauvres ont
recours à eux avec confiance, sachant bien qu'ils ne se-
ront point abandonnés dans leur détresse et oblien:
dront : qui du pain pour se nourrir, qui des habits pour
se vêtir, qui un peu de bois ou de houille pour se chauf-
fer, qui enfin quelques écus pour payer un loyer.
Aidés eux-mêmes par des personnes charitables, par
des bazars ou des ventes de charité, par le tronc de
Saint- Antoine, nos Pères ont pu verser, dans le sein des
pauvres, des sommes qu'il ne serait pas facile d'évaluer
exactement, mais qui ne sont certainement pas infé-
rieures à 80000 francs.
Les associations ou congrégations sont l'âme et la
vie des paroisses. C'est pourquoi nos Pères ont main-
tenu ou établi partout des patronages, des cercles, des
congrégations. C'est la portion de leur troupeau qui,
avec les écoles, leur donne le plus de consolation.
Enfin, n'oublions pas les œuvres delà Propagation de
— 328 —
la Foi et de la Sainte-Enfance. Les sommes recueillies
pour ces œuvres nous donnent un bon rang parmi les
paroisses des diocèses où nous sommes établis.
Les pèlerinages.
La province du Nord a l'honneur de desservir cinq
pèlerinages : ceux de Notre-Dame de Sion, de Notre-
Dame de Talence, de Notre-Dame d'Arcachon, de Notre-
Dame de Pontmain et du Sacré-Cœur à Montmartre.
{"Les trois premiers sont restés ce qu'ils étaient depuis
longtemps, ne comportant guère de plus grands déve-
loppements : celui de Sion, fréquenté par des groupes
de pèlerins, pendant tout le cours de la belle saison, et
par des foules assez considérables s'élevant à plusieurs
milliers de personnes, à certains jours de fêtes, princi-
palement pendant l'octave de la Nativité de la Très Sainte
Vierge; celui de Talence, fréquenté par les paroisses
et les confréries de la ville de Bordeaux, plus particuliè-
rement dans le courant du mois de mai; celui d'Arca-
chon, fort peu visité, si ce n'est par les pieux fidèles de
la paroisse, en dehors de la fête du 25 mars, jour où les
populations environnantes ont l'habitude de se trans-
porter aux pieds de la Vierge miraculeuse.
L'année présente va voir le 25^ anniversaire du cou-
ronnement de Notre-Dame de Sion et de Notre-Dame
d'Arcachon. Bientôt, nous l'espérons, Notre Dame de
Talence aura, elle aussi, les honneurs du couronnement
que le Saint-Siège lui a accordés, à la demande du dé-
funt P. Berthelon et de S. Ém. le cardinal Lécot.
2° Noire-Dame de Pontmain a reçu, pendant une pé-
riode de quatre années, 1894-18^7, 456 pèlerinages,
comprenant, dans leur ensemble, plus de 200 UÛU per-
sonnes. Il a été distribué environ 71)000 communions.
Deux Pères seulement, en l'absence des missionnaires,
— 329 —
ont été attachés au service du sanctuaire et ont dû suf-
fire à une tâche souvent accablante. Ce sont les RR. PP.
Rey et Baugé. Le R. P. Rey s'est dépensé, sans mesure,
pour la gloire de Notre-Dame dePontmain. Grâce à son
zèle et à son activité, des améliorations très heureuses,
au point de vue matériel, ont été réalisées : le champ
de l'apparition a été nivelé et entouré de murs, les deux
magnifiques tours de la basilique ont été achevées, un
carillon superbe vient d'y être installé, plusieurs autels
très riches ont été placés dans les chapelles laté-
rales, etc., etc.
Au point de vue spirituel, l'Archiconfrérie a été enri-
chie d'indulgences; et, changeant de nom pour ne pas
être confondue avec une autre déjà existante, elle va
prendre celui de Notre-Dame de la Prière.
3° Notre pèlerinage le plus célèbre et le plus florissant
est, sans contredit, celui du Sacré-Cœur, à Montmartre.
Non seulement la plupart des paroisses et des œuvres ca-
tholiques de Paris vont, chaque année, y porter leurs
vœux, mais bon nombre de diocèses de la province,
voire même de l'étranger, commencent à suivre l'exem-
ple de la capitale.
L'Archiconfrérie du Sacré-Cœur, à ses trois degrés, et
l'Archiconfrérie de Pénitence ont reçu de nombreuses
indulgences et ont été étendues par S. S. Léon XIII,
pour les affiliations, à l'Église universelle.
L'œuvre de l'adoration a pris un grand essor : plus de
3 000 dames adoratrices viennent, chaque mois, à tour
de rôle, faire leur heure de garde, pendant le jour, au
pied du Saint-Sacrement ; le chiffre des hommes qui
sont venus remplir le mên:ie devoir, pendant la nuit, a
dépassé 19 000, pour l'année écoulée; l'adoration en
union avec Montmartre, répandue dans le monde en-
tier, comprend actuellement plus de 7 000 églises.
- 330 —
Une œuvre nouvelle, celle des -pauvres, a été ajoutée
aux anciennes en 1894. Environ 2 000 pauvres, depuis
lors, sont venus deux fois par semaine, le dimanche et
le jeudi, recevoir, avec le pain matériel, celui de la pa-
role divine qui en a converti un certain nombre. Il leur
a été distribué plus de 800 000 livres de pain. Beaucoup
reçoivent aussi l'assistance médicale dont ils ont besoin,
de la part d'un médecin et d'une Sœur de l'Espérance.
D'autres sont placés ou rapatriés. Un essai d'imprimerie
pour l'assistance par le travail a été tenté, avec d'autant
plus de chances de succès qu'une généreuse dame a fait,
à cette intention, un don de 120 000 francs.
En plus de la direction de toutes ces œuvres et de la
réception des pèlerinages, nos Pères de Montmartre ont
aussi le labeur de la prédication et du confessionnal.
Plus de 100 000 fidèles viennent, chaque année, commu-
nier dans le sanctuaire du Vœu National et bon nombre
s'y confesser. On conçoit, dès lors, le travail écrasant
qui incombe aux chapelains. Aussi, a-t-il fallu les aug-
menter. Ils sont treize aujourd'hui. Par un nouveau con-
trat, plus avantageux que l'ancien et offrant plus de
garantie pour l'avenir, S. Ém. le cardinal Richard, ar-
chevêque de Paris, a porté à dix le nombre des chape-
lains rétribués par l'œuvre, et ce nombre pourra être
augmenté.
L'œuvre matérielle du Vœu National avance toujours,
lentement il est vrai, mais progressivement. Le grand
dôme est sur le point d'être achevé. Chaque année, les
offrandes s'élèvent à 1 million de francs et la plus grande
partie de ces offrandes arrivent par l'intermédiaire de
nos Pères.
Somme toute, conclurons-nous, avec le Pi. P. J.-B.
Lemius, qui la dirige depuis cinq ans^ l'œuvre de Mont-
martre est aujourd'hui la grande œuvre de Paris et elle
— 331 —
rayonne non seulement dans toute la France, mais dans
l'univers entier. Elle fait grand honneur à notre Congré-
gation.
A côté des Oblats de Marie, les Sœurs de la Sainte-
Famille devaient avoir leur place sur le mont des Mar-
tyrs, près de la basilique du Sacré-Cœur. Elles y sont
installées depuis quelques années. Nos Pères trouvent
en elles de précieux et dévoués auxiliaires, pour la tenue
de la sacristie et pour l'Œuvre des Dames adoratrices. En
retour, ils leur prêtent leur concours pour la direction
spirituelle des œuvres qu'elles ont fondées elles-mêmes :
orphelinat, congrégation, etc., etc.
Juniorats et noviciats.
Il a été déjà question de ces œuvres diins la partie
historique de ce rapport. Nous en avons vu le dévelop-
pement. Il ne nous reste plus qu'à en constater les ré-
sultats.
i° Je ne parlerai pas du juniorat de Saint-Charles.
Nous ne Tavons conservé que pendant deux ans. Il était
dans son état le plus florissant lorsque nous l'avons
remis à la province d'Allemagne. Très certainement il
n'aura pas baissé depuis.
Le juniorat de Pontmain n'a compté jusqu'ici que les
classes de cinquième, sixième, septième avec trois pro-
fesseurs. Le nombre des élèves a été, en moyenne,
chaque année, de quarante. Soixante sont allés à Notre-
Dame de Sion.
Les éludes, à Pontmain, sont un peu faibles ; mais
grâce aux étions du R. P. Rey et des Pères qui le secon-
dent, les enfants y ont très bon esprit. Ils nous viennent
pour la plupart des familles chrétiennes de la Bretagne.
Voici les notes intéressantesqui m'ont été adressées sur
le juniorat de Sion, par le R. P. Falher, professeur de
— 332 —
rhétorique, à la demande du R. P. Brûlé : «Le nombre
moyen de nos junioristes , pendant les quatre der-
nières années, i894-1897 inclusivement, a été de 70 ;
33 élèves sont entrés au noviciat, dont 31 ont persévéré
et se trouvent aujourd'hui dans nos scolasticats.
Nous n'avons que des éloges à faire de l'excellent
esprit qui anime les enfants et qui va s'améliorant
d'année en année : piété, travail, obéissance, affection
pour les Pères et pour la Congrégation, il serait diffi-
cile de demander plus et d'obtenir mieux.
« Le juniorat embrasse tout le cours des études litté-
raires classiques en six classes, de la sixième à la rhéto-
rique. A partir de la quatrième inclusivement et dans
toutes les classes supérieures, des professeurs spéciaux
enseignent les mathématiques et les langues anglaise et
allemande. Cela donne un ensemble de six classes de
lettres proprement dites et de deux cours de sciences
avec huit professeurs. Chacun des Pères professeurs de
lettres fait le cours d'histoire de sa classe.
(f Les programmes que nous suivons sont ceux qui
sont adoptés dans toutes les maisons d'enseignement
universitaires ou libres. La base en est le programme
du baccalauréat, avec les adaptations nécessitées par
notre vocation spéciale,
<f Les méthodes auxquelles nous tendons sont celles
des Pères Jésuites, telles que \q ratio sludiorum et notre
petit directoire les recommandent. Déjà elles nous don-
nent des résultats très satisfaisants. Outre que quelques-
uns de nos enfants, quatre dans ces dernières années,
sont arrivés, haut la main, et, même trois, avec des
mentions honorables, au grade de bachelier, la note
moyenne de nos examens semestriels, oii l'on se montre
plutôt sévère, est de celles que l'on ne dépasse guère
duns les maisons d'éducation cathohque. Presque tous
— 333 —
les ans, nous remportons des succès au concours de
V Alliance, entre les différentes maisons d'éducation
libres. »
2° Nos différents noviciats de Saint-Gerlach, d'Angers
et du Destin ont toujours été animés d'un excellent esprit
et les novices n'ont manqué d'aucun moyen propre à
assurer leur formation. Celui de Notre-Dame de Sion,
pour les Frères convers, se trouve dans des conditions
moins favorables à cette formation. Cependant, elles
tendent à s'améliorer de plus en plus.
Quelques chiffres indiqueront suffisamment les résul-
tats que nous avons obtenus en ce qui concerne le recru-
tement des sujets. En mai 1893, nous avions, dans nos
noviciats, un prêtre, quarante-deux scolastiques, quinze
Frères convers. Depuis cette époque jusqu'à la fin d'a-
vril 1898, nous avons donné l'habit à 10 prêtres, 174 sco-
lastiques et 77 Frères convers, ce qui fait, en tout, 319 su-
jets. De ce nombre, 2 prêtres, 20 scolastiques, 21 Frères
convers n'ont pas persévéré. Nous avons reçu l'oblation
de 7 pi êtres, lti5 scolastiques et 53 Frères convers. Il
reste, en ce moment, dans nos noviciats, deux prêtres,
vingt-neuf scolastiques et onze Frères couvers.
Personnel.
La province du Nord possède aujourd'hui quatre-vingt-
seize Pères, dont dix, pour divers motifs, ne sont plus en
état d'exercer aucun ministère. Six d'entre eux ont passé
l'âge de soixante-dix ans; dix, celui de soixante; trente
sont âgés de quarante à soixante ans; les autres n'ont
que de vingt-cinq à quarante ans.
Nous avons aussi trente-six Frères convers ayant fait
leurs vœux perpétuels et vingt-sept leurs veux tempo-
raires seulement.
Que dire de l'esprit religieux de nos sujets? La grande
— 334 —
majorité de nos Pères et de nos Frères, sans être parfaits,
ont droit à nos éloges ; la plupart aiment sincèrement
Dieu, l'Église et la Congrégation ; volontiers ils se dé-
vouent pour les intérêts et la gloire de ce Dieu, de cette
Église, de cette Congrégation ; ilsacceptent bien les obé-
diences et les travaux qui leur sont confiés. Aussi nos
communautés sont-elles estimées des évêques et du
clergé.
Malheureusement, la situation de la plupart de nos
maisons ne favorise guère la vie régulière de commu-
nauté, par suite du petit nombre de sujets qui les com-
pose et du ministère qui les absorbe.
Mais il serait injuste de considérer ces manquements
comme voulus. Je l'ai déjà dit et je le répète : ils ne for-
ment, heureusement, que des exceptions et ne doivent
pas faire oublier l'éloge que j'ai cru pouvoir faire de nos
religieux et de nos communautés. Pour connaître ce
qu'ils valent et ce qu'ils méritent, il n'y a qu'à consi-
dérer leurs œuvres. Ce sont leurs œuvres telles que je
les ai exposées, avec impartialité, qui font leur éloge.
La conclusion à tirer est, ce me semble, celle-ci : il
est urgent, pour la province du Nord, de recevoir, chaque
année, d'ici au prochain Chapitre général, des sujets qui
lui permettent de renforcer la plupart de ses maisons et
de ses œuvres ; des sujets qui soient capables de prendre
la direction de ces maisons et de ces œuvres, lorsque
ceux qui les ont en main actuellement viendront à man-
quer, et il est à prévoir, hélas, que, dans un avenir
prochain, ce malheur nous arrivera; des sujets enfin qui
permettent bientôt la fondation de quelques nouvelles
maisons de missionnaires. Ce serait dans l'intérêt non
seulement de la province, mais encore de toute la Con-
grégation et des Missions étrangères elles-mêmes.
— 335 —
Rapport de la province britannique.
Depuis le dernier chapitre, la province britannique a
fait plusieurs fondations : Holy-Head et Colwyn-Bay en
Angleterre . Freemantle et Glendalongh dans l'Australie
occidentale. Durant cette période, quatre Pères et quatre
Frères convers nous ont quittés pour un monde meil-
leur : les RR. PP. Daly, King, O'Dwyer (Morgan) et
O'DwYER (Bryan), les FF. Judge, Curran, Murphy et
CoLEMAN. Notre personnel se compose actuellement de
quarante-huit Pères, deux Frères scolastiques à vœux
perpétuels, six Frères scolastiques à vœux temporaires
et quarante et un Frères convers.
Trois de nos Pères sont plus que septuagénaires, six
ont dépassé la soixantaine ; douze, un demi-siècle; neuf
ont quarante ans et plus, cinq n'ont pas encore trente
ans. Le R. P. Arnoux, notre doyen, se sanctifie dans la re-
traite, au noviciat de Belmont; un autre Père n'est plus
capable d'aucun travail. Nous comptons cinq mission-
naires ; l'enseignement et les pénitenciers occupent une
dizaine de Pères, tous les autres exercent le saint minis-
tère dans nos diverses maisons.
Il existe, sans doute, certaines lacunes dans l'obser-
vance des règles et des pratiques religieuses, mais elles
doivent être attribuées, en majeure partie, au nombre
restreint des sujets et aux multiples travaux qui leur in-
combent. On se montre généralement fidèle aux exer-
cices journaliers et à la retraite mensuelle. Chaque an-
née, tous les Pères se réunissent à Inchicore pour la
grande retraite. En Angleterre, les Pères assistent aux
conférences théologiques diocésaines à Inchicore, Phi-
lipstown et Glencree ; ces couférences se tiennent à épo-
ques fixes. Nous ne saurions parler en termes trop élo-
— 336 —
gieux de rattachement de nos sujetsponr la Congrégation
et de leur amour pour leur sainte vocation. Les résultats
consolants que nos ouvriers apostoliques obtiennent par
leurs travaux leur ont gagné l'estime et l'affection des
évêques, du clergé et des fidèles.
Maison d'Inchicore. — Inchicore reste toujours la mai-
son apostolique de la province. Pendant que trois Pères
desservent l'église, les six autres sont constamment sur
la brèche ; depuis 1893, ils ont prêché 120 grandes mis-
sions ou retraites, dans le Royaume-Uni, au sud de
l'Afrique, à Colombo, en Australie et dans le nouveau
monde. Je saisis cette occasion pour remercier les Oblats
de ces contrées diverses de l'accueil si fraternel qu'ils
ont fait aux missionnaires d'Inchicore et leur ont laissé
une douce impression, qui ne pourra contribuer qu'à
resserrer davantage les liens qui nous unissent.
Diverses confréries sont érigées dans notre église d'In-
chicore. L'abside de cette église est complètement achevée
et payée, les décorations intérieures sont à peu près ter-
minées ; nous espérons que, pour la fête de l'Immaculée
Conception, cette œuvre aura reçu son couronnement.
Maison de Lwerpool. — La population catholique de
la paroisse de Holy-Cross, desservie par les Oblats, s'élève
à 4000 âmes. Les quatre Pères qui leur consacrent tout
leur temps ont distribué 2 000 communions en moyenne
chaque année. Les cinq confréries qui groupent les dif-
férentes classes de paroissiens sont très florissantes; en-
viron 850 enfants fréquentent les écoles paroissiales.
Maison de Rock-Ferry. — Outre la paroisse Sainte-
Anne (2 500 âmes), que desservent les quatre Pères atta-
chés à cette communauté, diverses œuvres leur sont
confiées, le noviciat et le couvent des Sœurs de la Sainte-
Famille, le Refuge S linte-Marguerite, qui compte lo re-
ligieuses et 63 pénitentes, le pénitencier sur le bateau le
— 337 —
Clarence, comprenant 270 détenus et 450 élèves. L'Apos-
tolat de la Prière compte, à Rock-Ferry, 400 membres,
l'Association de la Sainte-Famille, 1.^0.
Maison de Leeds. — En 1893, la paroisse de Sainte-
Marie de Leeds comptait 3 400 catholiques, aujourd'hui
elle en compte 6 500. Cinq de nos Pères prennent soin
de ce nombreux troupeau ; ils sont, de plus, aumôniers
du couvent des Sœurs de l'Immaculée-Gonception, de la
Sainte-Famille et de plusieurs autres pensionnats. Le
chiffre des communions pascales, à Sainte-Marie, s'élève
à 3 420. Près de 1250 enfants sont élevés dans les écoles
paroissiales. Les cinq confréries existantes sont aussi très
prospères, surtout la Confrérie de l'Immaculée-Goncep-
tion, qui compte 304 membres.
Maison de Sicklinghall. — Cette petite communauté
ne se compose plus que d'un Père, chargé des deux
églises de Sicklinghall et de Welherley, et de deux Frères
convers. Il y a environ 2i0 catholiques.
Maison de Leitli. — Outre les 4 500 fidèles de la pa-
roisse de Stella-Mans, nos trois Pères de Leith desservent
dans la ville plusieurs hôpitaux et le couvent de laSainLe-
Famille. Là aussi, les écoles catholiques sont bien fré-
quentées, 730 enfants reçoivent les bienfaits d'une édu-
cation chrétienne. La ferveur se maintient par les
confréries; la Ligue de la Croix est la plus florissante;
mentionnons aussi la Société pour les jeunes gens, qui
en compte 215 d'inscrits sur ses registres.
Maison de Towei'-Hili. — Les catholiques n'ont pas
augmenté en nombre dans le district de Londres confié
aux Oblals ; ils ne sont guère que 2 800. Trois Pères com-
posent la communauté ; en 189H, ils ont distribué à leurs
ouailles, durant le temps pascal, I4tj3 communions. La
confrérie de la Sainte-Famille, élabUe dans noire église,
se divise en deux branches : celle des hommes compte
— 338 —
475 membres et celle des femmes 210. Environ 850 en-
fants fréquentent nos écoles, aussi deviennent-elles in-
suffisantes. De nouveaux bâtiments s'imposent ; nous
avons recueilli les fonds nécessaires pour l'achat du ter-
rain, il nous reste à trouver une somme équivalente pour
subvenir aux frais de construction.
Maison de Kllburn. — Depuis que le juniorat de la
province britannique a été transféré à Belcamp, nos Pères
de Kilburn, au nombre de trois, ne s'occupent plus que
de la paroisse, qui compte environ 1700 catholiques.
Cette année, le chiffre des communions pascales s'est
élevé à 959. Il n'existe encore que deux confréries, celle
des Enfants de Marie et celle de la Sainte-Famille.
Sur les instances de Me"" le vicaire apostolique du pays
de Galles et en raison de circonstances spéciales, la pro-
vince a accepté les deux nouvelles fondations de Holy-
Head et Colwyn-Bay. Ces deux missions répondent plei-
nement à la fin de notre institut, elles sont, on peut le
dire, in partibus infidelium, et les Oblats qui y exercent
le saint ministère sont missionnaires dans toute l'accep-
tion du mot.Holy-Head compte environ 300 catholiques,
mais la paroisse comprend de plus l'île d'Anglesea, dont
la population, de race gaélique, se partage en une infi-
nité de sectes dissidentes. Un généreux bienfaiteur a bien
voulu nous donner les fonds nécessaires pour bâtir à
Colwyn-Bay, ville maritime qui s'accroît rapidement,
une église et une maison de communauté.
Le bon Dieu s'est plu à répandre ses bénédictions sur
nos œuvres d'Australie. C'est sur la demande de M»' Gib-
ney, évêque de Perth, demande transmise par l'inter-
médiaire du cardinal Moran, archevêque de Sidney, que
trois Pères partirent, en 1894, pour fonder la commu-
nauté de Freemantle. Ms'Gibney cédait cette paroisse
aux Oblats à condition qu'ils établiraient une école in-
— 339 —
dustrielle dans son diocèse. Freemantle est un port de
mer destiné à devenir une des plus importantes villes de
la colonie. Il faudra construire au moins trois églises
pour desservir les 4 000 ou 5 000 catholiques disséminés
sur une vaste étendue. Nous avons déjà acquis le terrain
pour ces édifices.
C'est àGlendalougu qu'est situé le pénitencier du dio-
cèse de Perlh. Un Père, avec quatre Frères, en a la
direction. Il n'y avait encore que 7 détenus lors des der-
nières nouvelles reçues. Espérons que cet établissement
rendra bientôt les mêmes services que nos pénitenciers
irlandais de Glencree et de Philipstown. L'esprit de ces
deux communautés est excellent ; c'est, pour le Provin-
cial, un devoir de rendre témoignage au zèle, à la régu-
larité et à l'esprit religieux de nos bons Frères convers,
qui se dévouent à cette œuvre de régénération. A Phi-
lipstown, ces chers Frères sont au nombre de seize, ils
surveillent, sous le contrôle de deux Pères, 285 détenus ;
Glencree compte, pour 190 détenus, deux Pères et qua-
torze Frères convers. Ces pénitenciers sont, pour la pro-
vince, une source de revenus très précieuse pour l'en-
tretien de notre noviciat et de notre juniorat.
Jum'orat. — G'e&i dans l'ancien scolasticat de Belcamp-
Hall que nous avons établi le juniorat delà province bri-
tannique. Une trentaine d'enfants, presque tous Irlan-
dais, aspirent à la vie religieuse dans la Congrégation des
Oblats de Marie immaculée. Le vicariat de Natal nous a
envoyé trois sujets. L'esprit de ces enfants est excellent
et permet de fonder pour l'avenir les plus belles espé-
rances. Le cours d'études comprend quatre années. Nous
avons l'intention de présenter les élèves delà quatrième
année aux examens de matriculationàTUniversité royale
d'Irlande.
Noviciat. — Le Noviciat de Belmont-House compte
— 340 —
actuellement quatre novices scolastiques et autant de no-
vices convers. De plus, six Frères scolastiques à vœux
temporaires y achèvent leur seconde année de probation.
A mesure que le junioratse développera, le noviciat de-
viendra de même plus florissant ; parmi ces quatorze sco-
lastiques, six ont fait leurs études à Belcamp, les quatre
autres nous sont venus des divers collèges d'Irlande.
Rapport de la province d'Allemagne.
La province d'Allemagne a été fondée le 5 mai 1895
par notre vénéré et regretté Père et Supérieur général
Louis SouLLiER. Le personnel de la province se compose
de trente et un Pères, soixante-quatre Frères scolas-
tiques,neuf Frères convers à vœux perpétuels, vingt-sept
à vœux de cinq ans, quatre à vœux d'un an, dix-neuf
novices scolastiques, dix novices convers, un postulant
scolastique, cinq postulants convers, cent soixante-dix-
huit junioristes : en tout, trois cent quarante-huit per-
sonnes.
Nous pouvons dire avec joie que nos communautés
sont bien régulières; le silence y est observé, les exer-
cices de piété, les retraites annuelles et mensuelles se
font très régulièrement. Autant que le permettent nos
nombreux travaux, nos communautés ont été fidèles à
tenir les conférences théologiques. L'esprit religieux
règne donc parmi nous. Cependant, sans croire ou
vouloir faire croire que tout est parfait, nous pouvons
remercier Dieu, qui nous a donné à tous un vrai et
sincère amour de notre vocation.
Nos relations avec MM. les curés sont bonnes ; on s'ef-
force d'être à leur égard discrets et polis. La confiance
qu'on nous témoigne partout et les nombreux travaux
qu'on nous demande sont les meilleurs gages de nos
bonnes relations avec l'extérieur.
— 341 —
La province se compose de quatre maisons : la maison
de Saint-Ulrich, en Lorraine; le scolasticat de Saint-Bo-
niface de Hiinfeld, en Hesse-Nassau; le noviciat de
Saint- Gerlach et le juniorat de Saint-Charles, dans le
Limbourg hollandais.
Maison de Saint- Ulrich. — Notre unique maison de mis-
sionnaires est Saint-Ulrich, laquelle se compose de cinq
Pères, d'un Frère convers à vœux perpétuels et de deux
Frères convers à vœux de cinq ans. — Le travail et le si-
lence sont aimés dans cette maison. L'office divin s'y dit en
entier. C'est la Lorraine, presque exclusivement, qui est
évangélisée par nos Pères de Saint-Ulrich, Quelques rares
travaux, donnés en Alsace et en Prusse, ont donné l'es-
poir fondé d'étendre plus au loin l'action de cette mai-
son, dès que son personnel deviendra plus nombreux.
Nos missions, disons, si l'on veut, nos retraites de pa-
roisse, durent de huit à dix jours. En général, la popula-
tion très chrétienne de la Lorraine se confesse tout
entière pendant ce temps si court, ce qui rend ces tra-
vaux bien pénibles et fatigants. Outre ces travaux, qui,
pour la plupart, se terminent par l'adoration perpé-
tuelle, nous prêchons beaucoup de retraites religieuses,
de retraites de pensionnats, de première communion,
de retraites pascales. Les sermons de circonstances sont
rares. Un carême a été prêché à la cathédrale de Stras-
bourg. Les cérémonies ordinaires que nous empruntons
au directoire des missions sont la bénédiction des en-
fants, l'acte d'amende honorable au Saint Sacrement,
la consécration à la Sainte Vierge, le renouvellement des
vœux du baptême, la visite au cimetière. Nos Pères
s'occupent aussi du pèlerinage de Saint-Ulrich. Ce pèle-
rinage cependant n'est guère important.
Maison du scolasticat de Saint-Boni face. — C'est la ré-
sidence du R. P. Provincial ; il gouverne une commu-
T. XXXVI. 23
- 342 —
nauté de neuf Pèies, dont cinq bont professeurs, deux
sont bâtisseurs et constructeurs, deux autres s'occupent
de la rédaction de la Maria Immaculata. Deux Frères
convers ont prononcé leurs vœux perpétuels , deux
autres leurs vœux de cinq ans. Le noviciat des Frères
convers compte cinq sujets.
Le nombre des Frères scolastiques est de soixante-
quatre. L'esprit de notre scolasticat est en général bon
et très bon. Le dévouement de ces chers Frères se
montre tous les jours et a particulièrement éclaté lors
de la visite du R. P. Tatin, assistant général. Le résultat
de nos études est excellent. La méthode et le plan de
ces études sont ceux de nos scolasticats ; cependant, au
lieu de deux classes par jour, nous en avons trois. Nous
avons motif d'espérer qu'avec quelques professeurs en
plus et une méthode plus conforme à nos besoins, nous
formerons des hommes entièrement prêts pour le tra-
vail des missions dès leur sortie du scolasticat.
Ces Frères scolastiques nous viennent tous de notre
juniorat de Saint-Charles, à quelques rares exceptions
près.
Maison du noviciat de Saint-Gerlach. — Le noviciat de
la province compte trois Pères, dix-neuf novices scolas-
tiques et un postulant, un Frère convers à vœux perpé-
tuels, quatre Frères convers à vœux de cinq ans et deux
Frères à vœux d'un an ; il y a, en outre, cinq novices
convers : en tout, trente-cinq personnes.
Pendant les cinq dernières années, du 1" janvier 4893
au 1'' juin 1898, il est entré au noviciat cent cinquante-
trois novices scolastiques dont seize n'ont pas persé-
véré jusqu'à la fin du noviciat. Parmi ces novices, il y a
eu quatre prêtres, dont deux sont partis avant la fin de
l'année.
Huit novices scolastiques sont venus des écoles apos-
— 343 —
toliques, vingt des séminaires, six des gymnases, trois
des collèges, douze de Notre-Dame de Sien, cent du
juniorat de Saint-Charles. Quant aux Frères convers, on
en a reçu au noviciat soixante et un, dont dix-huit
n'ont pas persévéré.
L'esprit de notre noviciat mérite tous les éloges.
Maison du juniorat de Saint- Charles. — Le juniorat
compte un personnel de treize Pères, de cinq Frères
convers à vœux perpétuels, de dix-neuf à vœux de cinq
ans, de deux Frères à vœux d'un an, de cinq postulants
convers et de cent soixante-dix-huit junioristes.
Les Pères s'appliquent à l'enseignement, à l'exception
d'un Père missionnaire. Les élèves nous viennent de
toutes les parties de l'Allemagne.
En 1892-1893, il y avait cent soixante-six junioristes,
dont vingt sont entrés au noviciat et dix-huit sont
sortis.
En 4893-1894, il y en avait cent soixante-dix-neuf.
Dix-neuf sont entrés au noviciat et vingt et un sont
sortis.
En 1894-1893, il y en avait cent quatre-vingt-trois.
Vingt et un sont entrés au noviciat et trente-cinq sont
sortis.
En 1 893- i 896, il y en avait cent quatre-vingt-six.
Vingt sont entrés au noviciat et vingt-deux sont sortis.
En 1896-1897, il y en avait cent quatre-vingt-quatre.
Vingt sont entrés au noviciat et dix-neuf sont sortis.
En 1897-1898, il y en avait au commencement cent
quatre-vingt-treize.
Le juniorat a donc envoyé au noviciat cent novices et
perdu dans ce même temps cent quinze élèves. Sur ce
nombre, beaucoup ont quitté notre juniorat pour motif
de santé. Sur les cent élèves qui sont entrés au noviciat,
douze ont quitté la Congrégation durant l'année du no-
— 344 —
viciât et quatre ont quitté le scolasticat de Hûnfeld. La
plupart de ces derniers sont partis pour motif de santé,
Donc, nous avons cent trente et un départs et quatre-
vingt-quatre vocations sérieuses.
La méthode des études est celle des gymnases alle-
mands. Les élèves suivent six cours différents qui répon-
dent assez aux prescriptions de la ratio studiorum des
Jésuites. Nos junioristes aiment l'étude. L'amour de la
Congrégation a de fortes racines dans leur cœur, j'ai pu
le constater bien souvent.
Le programme officiel des rapports nous invite à par-
ler ici de nos besoins particuliers et urgents. Nous nous
permettons donc d'attirer l'attention sur un point faible
de notre province. En jetant un coup d'oeil sur l'en-
semble de nos maisons, on remarquera facilement une
disproportion très grande entre les maisons qui ne sont
qu'une charge pour l'administration provinciale et celles
qui devraient fournir les ressources. Si nous faisons
abstraction du scolasticat de Hûnfeld, nous comptons
deux maisons qui sont une dépense et une maison qui
procure des ressources; en d'autres termes, nous avons
à entretenir deux cent cinquante-sept novices et junio-
ristes avec leurs personnels dirigeants et nous n'avons
que six Pères missionnaires qui puissent nous venir en
aide. C'est vraiment un personnel trop peu nombreux et
il est très facile de comprendre que ce personnel actif
ne pourrait que s'user trop tôt si un secours opportun
ne lui était accordé.
Voilà, en peu de mots, l'état de la province d'Alle-
magne. Il y a lieu d'espérer qu'avec le secours du bon
Dieu et la bienveillance de nos supérieurs majeurs, cette
province deviendra en peu de temps très florissante.
Daigne saint Joseph, notre patron particulier, nous pro-
léger toujours !
VARIÉTÉS
I
VINGT-CINQUIÈME ANNIVERSAIRE
DU COURONNEMENT DE NOTRR-DAME D'ARCACHON.
Nous trouvons dans la Semaine religieuse de Bordeaux
le compte rendu suivant de cette belle fête :
Le 19 juillet 1898, ce jonr tant désiré de la popula-
tion arcachonnaise, est enfin arrivé. Demandez aux braves
habitants pourquoi ce mouvement, pourquoi ces prépa-
ratifs d'illuminations, pourquoi ces habits de fête ; ils vous
répondront : « Nous célébrons le vingt-cinquième anni-
versaire du Couronnement de Notre-Dame d'Arcachon.»
Ils se sont préparés de tout cœur à cette grande solen-
nité, en venant, nombreux, écouter la parole douce et
éloquente du R. P. d'Aste, des Frères Prêcheurs de Bor-
deaux, prédicateur du Triduum, et en s'approchant des
sacrements. Que la Très Sainte Vierge a dû être contente
de voir ses enfants s'asseoir à la table sainte, à toutes les
messes, qui, depuis 5 heures et demie jusqu'à 9 heures,
se sont dites dans l'église de Notre-Dame 1
Vous qui êtes étonnés de voir ces maisons pavoisées,
ornées de fleurs et de guirlandes, de lanternes véni-
tiennes, que direz-vous tout à l'heure, quand, dans notre
église gracieusement parée, vous verrez trois prélats
bien connus et bien aimés rehausser de leur présence
l'éclat des cérémonies? Oui, vous verrez trois prélats.
Hier soir, déjà deuxd'entreeux,Ms''Cœuret-Varin,évêque
— 346 —
d'Agen, etM*'' JouLAiN,Oblatde Marie Immaculée, évêque
de Jaffna (île de Ceylan), sont descendus sur notre rive
arcachonnaise.
Ce matin, le train de 9 heures nous amènera le père et
le pasteur de l'archidiocèse de Bordeaux, S. Em. le car-
dinal Lecot.
Malgré ses fatigues bien grandes, Son Eminence, n'é-
coutant que sa dévotion à Marie et son altacbement aux
enfants d'Arcachon, veut bien présider nos fêtes reli-
gieuses. Merci, Eminence, merci, vénéré et bien-aimé
père ; la paroisse de Notre-Dame gardera longtemps dans
la mémoire de son cœur le souvenir de vos bontés pa-
ternelles et délicates.
L'heure du train approchant, M. l'abbé Matignon, curé-
doyen de la Teste, le R. P. de Lacouture, Oblat de Marie-
Immaculée, curé de Notre-Dame d'Arcachon, la muni-
cipalité d'Arcachon avec M. le maire à sa tète, et la mu-
sique municipale, se rendent à la gare. A peine le train
est-il entré en gare, que la musique municipale exécute
le plus beau morceau de son répertoire. Monseigneur
descend de voiture, il est reçu par les autorités de la
ville. M. le maire lui adresse en son nom, au nom de la
municipalité et de la population tout entière, quelques
paroles de bienvenue et de douce satisfaction.
La réception faite, des voitures emmènent Son Emi-
nence, M. l'abbé Tourreau, vicaire général, et les auto-
rités de la ville, qui se font un honneur et une joie d'es-
corter le cardinal.
A 10 heures doit commencer la messe pontificale.
Vers 10 heures moins un quart, le clergé se rendproces-
sionnellement au presbytère, où se trouvent les trois
prélats. Deux ou trois minutes après, on se remet en
marche vers l'église ; les cloches sonnent à toute volée.
A la suite des enfants de chœur élégamment vêtus et des
— 347 —
prêtres venus de tous les points du canton de la Teste,
voire de l'Agenais, marchent les trois prélats précédés
de leurs assistants. Tout le long du chemin, une foule
compacte forme la haie. Après la cérémonie d'usage à
l'entrée de l'église, le cortège se rend dans le chœur. La
messe va commencer ; M^"" Joulain officie.
Après l'évangile, le cardinal monte en chaire, et, avec
celte éloquence du cœur que tout le monde se plaît à lui
reconnaître, il remercie NN. SS. les évêques d'Agen et
de Jaffna, de ce qu'ils ont bien voulu rehausser de leur
présence l'éclat des cérémonies ; il remercie le R. P. de
Lacouture, curé de Notre-Dame, du zèle intelligent et
pieux avec lequel il a préparé de si belles fêtes en l'hon-
neur de la Très Sainte Vierge dont il est l'enfant si ai-
mant et si dévoué ; il remercie enfin la population en-
tière, dignement représentée par M. le maire et un
certain nombre de conseillers municipaux. Puis, Son
Éminence rappelle, et avec raison, aux fidèles arca-
chonnais, que, si l'honnêteté et la noble simplicité de
leurs pères ont été une cause de développement de la ville
d'Arcachon, la Très Sainte Vierge a été la principale
cause de son progrès spirituel et même matériel.
Aimez donc, enfants d'Arcachon, aimez votre pays tel
qu'il est; aimez-le non seulement comme un héritage
de vos pères, mais surtout comme étant une fondation
et un domaine de Marie.
Que ces vérités soient pour vous une exhortation, un
encouragement dans l'accomplissement de vos devoirs
et la base d'une union fraternelle indissoluble.
La population a compris et goûté la parole du premier
pasteur de cet archidiocèse, et dorénavant son unique
ambition sera de la mettre en pratique.
La sainte messe se poursuit solennelle et pieusement
captivante. Pouvrait-ii en être autrement quand nnpon-
— 348 —
tife célèbre les saints mystères avec la piété onctueuse
et saisissante qui caractérise S. Gr. M^"" Joulafn; quand
les cérémonies se font sous une direction telle que celle
de M. l'abbé Olivier, vicaire de la cathédrale de Bor-
deaux; quand la maîtrise de Notre-Dame, les membres
de l'Union orphéonique, des hommes passés maîtres en
chant comme MM. Arnaut, Ducaud-Labadie, Mondon,
aidés du gracieux concours de M"^ Royer, exécutent
la belle messe dite de Jeanne d'Arc, par Gounod?
La messe terminée, on reconduit NN. SS. les évêques
au presbytère, procession qui fut lente assurément, car
ce ne fut pas sans avoir donné d'abondantes et de nom-
breuses bénédictions que les vénérés prélats arrivèrent
jusqu'au couvent des RR. PP. Oblats de Marie.
A 3 heures, les vêpres, chantées par M^'' l'évêque d'A-
gen, ont eu un caractère non moins solennel ni moins
pieux. A l'issue des vêpres, le R. P. d'Aste, en un ser-
mon plein de piété, d'amour envers la Très Sainte Vierge,
de zèle apostolique et de science, publie les préférences
de notre Mère du ciel pour la France, et nous montre en
termes clairs et vibrants comment le salut de notre cher
pays nous viendra de Marie. La cérémonie se clôture par
la bénédiction solennelle du Très Saint Sacrement.
Le soir, à 8 heures et quart, les cloches rappellent les
fidèles dans le sanctuaire de Marie ; c'était non seule-
ment pour leur faire contempler et admirer les superbes
illuminations de l'intérieur de l'église, mais surtout pour
les rendre les heureux témoins de la consécration de
toute la paroisse à Notre-Dame d'Arcachon, consécration
que le R. P. d'Aste formula du haut de la chaire avec
une éloquence vraiment digne des applaudissements
que les cœurs saisis et soulevés se surprirent à lui donner.
Cette touchante cérémonie se termina par le chant du
Te Deum d'action de grâces.
~ 349 —
II
VINGT-CINQUIÈME ANNIVERSAIRE
DU COURONNEMENT DE NOTRE DAME DE SION,
Comme à Notre-Dame d'Arcachon, de grandes fêtes
seront célébrées le 8 septembre prochain et durant l'oc-
tave de la Nativité, à Notre-Dame de Sion, à l'occasion
des noces d'argent du couronnement de la statue mira-
culeuse de la protectrice de la Lorraine. M^'' Turinaz,
évêque de Nancy, toujours si dévoué à la Vierge de Sion,
dont les Oblats de Marie Immaculée desservent le sanc-
tuaire depuis bientôt un demi-siècle, a publié une circu-
laire pour annoncer ces solennités à ses diocésains par
l'entremise de leurs pasteurs et les exhorter à y prendre
part.
Nancy, le 24 août 1898,
En la fête de Saint-Barthélémy, apôtre.
Messieurs et chers Coopérateurs,
Nous célébrerons le 8 septembre prochain, le vingt-
cinquième anniversaire du couronnement solennel de
Notre-Dame de Sion. Malgré le temps qui fut très défa-
vorable, la fête du 10 septembre 1873 a laissé dans ce
diocèse et dans toute cette région un profond et précieux
souvenir. Son Eminence le Cardinal Richard, arche-
vêque de Paris, alors évêque de Belley, est le seul
survivant des prélats qui ont pris part au couronnement
de la Vierge Lorraine (1).
Nous regrettons bien vivement que la santé et l'âge
de Son Eminence ne lui permettent pas de répondre à
(1) Le vénéré Ms^Grandin, évêque de Saint-Albert, venu en France
pour le Chapitre général de 1873, assistait aussi au couronnenaent de
Notre-Dame de Sion.
— 350 —
notre invitation et de présider ce vingt- cinquième anni-
versaire.
M^"" l'évêque de Saint-Dié; quatre évêques de la Con-
grégation des Oblats de Marie Immaculée: M^' Grouard,
vicaire apostolique de l'Athabaska-Mackenzie (Nord-
Ouest du Canada) ; Me"" Pascal, vicaire apostolique de la
Sa^katchewan (Nord-Ouest du Canada) ; M^"" Joulain,
évêque de Jaffna (île de Ceylanj; M^'' Légal, coadjuteur
de Me'' Grandin, à Saint-Albert (Nord-Ouesfc du Canada),
et le R. P. Félix de Grasse, abbé d'un monastère béné-
dictin, dan-^ l'Amérique du Nord, et ancien élève de nos
séminaires, honoreront de leur présence cette grande
et pieuse manifestation. Peut-être pourrons-nous obte-
nir encore la présence de M^"" Hacquard, vicaire aposto-
lique du Sahara et du Soudan, dont le sacre aura lieu
le 28 de ce mois.
Nous arriverons à Sion dans la matinée du 8 septem-
bre, venant de Lourdes avec le pèlerinage lorrain. Vous
exhorterez vos paroissiens à prendre part à ce pèlerinage
et à cette fête. Vous leur rappellerez les titres de Notre-
Dame de Sion à la vénération, à la confiance et à la
reconnaissance du peuple lorrain. Nous unirons dans nos
prières la Protectrice de cette province à la Vierge si
puissante et si miséricordieuse des Pyrénées. Nous leur
demanderons de protéger et de bénir la Lorraine et la
France.
•f* Charles-François,
Évêque de Nancy et de Toul.
NÉCROLOGIE
LK R. P. SARDOU.
Une circulaire du T. R. P. Général a raconté à la Con-
grégation les derniers moments et la mort si édifiante du
R. P. Sardou, procureur général. Voici l'article qui a
paru dans l'Univers du 31 juillet :
Les Oblats de Marie de la rue Saint-Pétersbourg, bien
éprouvés déjà par des morts récentes, viennent de perdre
le R. P. Sardou, procureur général de leur Congréga-
tion.
Né à Marseille en 1828, Marc-Antoine Sardou, après
avoir passé plusieurs années dans le négoce, entra chez
les Oblats en d849, fît son noviciat à Notre-Dame de
l'Osier, dans le Dauphiné, et prononça ses vœux en 1 830.
Il revint alors faire sa philosophie et sa théologie à Mar-
seille, et lut ordonné prêtre, en 1854, par M^^deMazenod,
évêque de cette ville et Fondateur des Oblats. 11 avait
donné des preuves, durant ses études, d'une intelli-
gence vive; dès ses premières armes apostoliques, il
s'annonça comme un missionnaire vigoureux, animé
d'un beau souffle, parlant avec flamme, secondé parune
voix sonore, ample, harmonieuse.
L'apostolat cependant ne devait faire qu'une partie de
sa vocation, et non la plus considérable. En 1863, il fut
nommé procureur de sa Congrégation. Depuis lors, les
Chapitres généraux qui se succédèrent, tous les six ans,
le réélurent, chaque fois, à l'unanimité et récemment
— 332 -
encore, au mois de mai, malgré des infirmités qui fai-
saient prévoir une fin prochaine.
C'est donc une carrière de trente-cinq ans qu'il consa-
cra aux finances de sa Société. Lorsqu'il les prit en
mains, il eut d'abord à les organiser, à les affermir, à
les adapter aux circonstances nouvelles que la mort du
Fondateur, une extension croissante, un développement
d'oeuvres progressif, faisaient à la Congrégation des
Oblats. Il réussit pleinement dans sa tâche, Plus tard, il
dut traverser la crise très grave des expulsions. Son ha-
bileté, sa prudence — comme aussi, nous sommes heu-
reux de le redire, le secours des associations catholiques
et notamment de l'Œuvre des expulsés — conjurèrent
les périls de la situation.
C'était le procureur modèle. Sans être parcimonieux,
avec beaucoup de largeur, au contraire, il était sage-
ment économe. Il allait rondement en affaires, mais son
coup d'œil était juste et précis autant que rapide, et,
durant sa longue carrière administrative, il ne lui arriva
jamais de donner dans certains panneaux, ni de se lais-
ser prendre à certaines promesses ou à certains engoue-
ments. « La Providence, disait-il un jour, nous a pré-
servés jusqu'ici de toutes les catastrophes financières. »
Il fut préservé jusqu'à la fin. Nul moins que lui n'eut
l'esprit d'aventure. Il en eût d'ailleurs été gardé par son
caractère religieux et vraiment sacerdotal, quand il ne
l'eût pas été par le sens très fin et très sûr qu'il avait des
affaires.
Ses préoccupations matérielles ne prirent jamais la
première place dans sa vie. Il était religieux, il resta re-
ligieux. Il eut le souci de gérer religieusement les inté-
rêts d'une Société religieuse. Il domina les affaires,
les maniant avec une aisance singulière, qui laissait
à son esprit les loisirs et la facilité de préparer
— 353 —
ses prédications, ses retraites, et de suivre aussi le mou-
vement des idées religieuses, politiques, et même litté-
raires, dans la société contemporaine.
Il apportait dans tout cela l'intelligence positive qui
lui donnait sa valeur spéciale. Il fallait entendre les
éclats de rire bon enfant, mais un peu moqueurs, dont
il accueillait les utopies, les fantaisies, les nouveautés
plus ou moins mystiques, ou même ce qui s'élevait dans
l'idéal et l'abstraction jusqu'à friser le nuageux.
Ses conversations étaient intéressantes. Son physique
pourtant, hormis un beau front développé, n'avait rien
de bien élégant ; il était plutôt petit, rond, avec quelque
embonpoint, de traits fortement accusés et marqués,
par endroits, par la [petite vérole ; mais sa verve était
marseillaise.
Il était fort connu et très apprécié dans le monde du
commerce sur la place de Paris, bien que, depuis assez
longtemps, il eût dû restreindre ses allées et venues.
Voilà plus d'un an que le mal l'avait saisi et terrassé,
avec des alternatives diverses. Le jeudi 28 juillet, à
3 heures, une crise se déclara. On appela le médecin.
Le P. Sardou lui avait fuit promettre d'avance une fran-
chise absolue, lorsque le moment fatal approcherait.
« Mon Père, dit le docteur, je vous avais promis de vous
dire la vérité quand le moment arriverait ; c'est le mo-
ment. » Le malade saisit les mains du médecin et le re-
mercia chaleureusement. « Mon Dieu, dit-il ensuite,
j'accepte la mort. »
A 8 heures du soir. M»'' Jolivet, évêque de Natal, vieil
ami et ancien collègue du P. Sardou au Conseil général
— et appelé, par une attention providentielle, pour re-
présenter, auprès de ce lit d'agonie, les Missions étran-
gères, qu'avait toujours si bien servies le moribond —
lui administra le saint viatique et rExtrême-Onction. La
— 334 —
Communauté entière était réunie. Le malade répondit
aux prières.
Il s'est éteint à 9 heures du matin, le vendredi 29 juil-
let, en la fête de sainte Marthe, pour laquelle, fidèle en
cela aux traditions provençales, il avait une dévotion
particulière.
Père nourricier de sa Congrégation, il avait l'habitude
de porter dans son portemonnaie une statuette de saint
Joseph ; le patron de la bonne mort et la Vierge imma-
culée dont il était rOblat l'ont assisté à l'heure dernière,
et il est passé à Dieu tout doucement, assisté par ses
Frères, accompagné par les prières de l'Eglise. Il avait
été l'avisé négociant qui lait l'acquisition de la perle
précieuse : dedil omnia sua et comparavit eam.
M. DEVÈS, 0. M. I.
NOUVELLES DIVERSES
Le T. R. P. Général, accompagné du R. P. Miller,
assistant général, a fait, durant la troisième semaine
d'août, une rapide apparition dans nos établissements
de Belgique et de Hollande. En la fête de l'Assomption,
il recevait à Liège les vœux perpétuels de cinq Frères
scolastiques et d'un Frère convers.
Le même jour, à Hiinfeld, le R. P. Tatin, assistant
général, présidait à la cérémonie d'oblation perpétuelle
de treize Frères scolastiques.
■— M8'' Langevin, archevêque de Saint-Boniface, s'est
embarqué à Liverpool le 6 août, avec le R. P. Constan-
TiNEAU, recteur de l'Université d'Ottawa, et le R. P. Pi-
TOYE, qui, après un séjour de cinq ans à Notre-Dame du
Soto, retourne au Texas.
— NN. SS. JoLiVET, DuRiEU et Gaughran ont repris
également le chemin de leur mission respective.
— Par décret de la Sacrée Congrégation de la Propa-
gande, le R. P. CouDERT, Antoine, supérieur du district
de Chilaw, vient d'être nommé coadjuteur avec future
succession de Me"" Mélizan. Le nouvel évêque Oblat ap-
partient, par sa naissance, au diocèse de Clermont.
C'est à Ceylan qu'il a fait son noviciat, prononcé ses
vœux et reçu, en i886, la prêtrise des mains du regretté
Mk'' Bonjean. Ad multos annos !
— Le R. P. Fayard, Jean-Marie, supérieur du collège
Saint-Louis, à New- Westminster, procureur des missions
— 356 —
de la Colombie britannique et délégué de ce vicariat au
Chapitre, a été appelé à succéder au R. P. Sardou,
comme procureur général de la Congrégation.
— Le R. P. Cox est nommé provincial de la province
Britannique, en remplacement du R. P. Miller, élu as-
sistant général.
— Le R. P. Lefebvre, Joseph, ancien provincial du
Canada, succède au R. P. Guillard, en qualité de pro-
vincial des États-Unis.
1
MISSIONS
DE LA COKSRÉSâTIÔN
DES OBLATS DE MARIE IMMACULÉE
N" i44. — Décembre 1898
RAPPORTS
PRÉSENTÉS AU CHAPITRE GÉNÉRAL DE 1898 {Suite).
Rapport du vicariat de Colombo.
HISTORIQUE.
1" Division des diocèses. — Depuis la tenue du dernier
Chapitre, des événements importants se sont accomplis
dans le vicariat de Colombo. Je dois mentionner tout
d'abord les nouvelles délimitations données au vicariat
par suite du décret de S. S, le Pape Léon XIII, en date du
25 août 1893, instituant deux nouveaux diocèses dans
l'île de Ceylau. Leur formation a considérablement en-
tamé les diocèses déjà existants de Colombo et de Jaffna
et en a restreint les limites. Le diocèse de Colombo a
subi les changements suivants : des trois provinces qui
le formaient auparavant, deux ont été cédées au nou-
veau diocèse de Galle, à savoir : la province méridio-
nale ayant pour capitale Pointe-de-Galle et la province
de Sabaragamoawa ayant pour capitale Ratnapoora.
T. XXXVI. 24
— 358 —
Cette cession nous enlevait une population totale de
743 696 habitants, dont 5 700 catholiques. D'un autre
côté, la province nord-ouest ayant pour capitale Ku-
runegala, était transférée du diocèse de JafTna à celui
de Colombo. Cette province nous donnait 39 700 catho-
liques sur une population de 288 000 habitants. Il est
donc clair que, bien que les deux provinces qui nous
ont été enlevées comprissent un territoire beaucoup
plus considérable que celle qui nous était donnée, l'an-
nexion de cette dernière nous apportait une population
catholique sept fois plus nombreuse que celle que nous
enlevait la séparation des deux premières. Les églises
du littoral surtout sont, dans la province nord-ouest,
très florissantes et donnent aux seize missionnaires qui
les administrent un travail ardu et incessant. Ces chan-
gements ayant été faits par l'autorité même du Souve-
rain Pontife, M^"" l'archevêque et notre T. R. P. Supé-
rieur générai n'ont eu d'autre alternative que celle de
s'y soumettre humblement.
2» Collège Saint- Joseph. — En second lieu, je dois
faire mention de l'érection du collège Saint-Joseph dont
le R. P. Charles Collin annonça le projet, dans son rap-
port, au Chapitre général de 1893. Cette œuvre depuis
si longtemps désirée est aujourd'hui un fait accompli,
et, bien que jeune encore, donne les meilleures espé-
rances pour l'avenir. Un beau terrain d'environ 4 hec-
tares a été acquis dans une situation favorable et cen-
trale. Les conditions tout à fait avantageuses d'après
lesquelles la cession d'Uplands au gouvernement a été
faite ont permis d'acheter le terrain sur lequel le col-
lège s'élève actuellement, sans que le diocèse ait eu à
s'imposer de nouveaux sacrifices. Uplands est le nom
d'une des plus belles propriétés de Colombo, avec une
superficie de 11 hectares et dominant tout le port.
— 359 —
Avant la mort du très regretté M»*- IJostjëan, cette pro-
priété avait été achetée au prix de grands sacritices,
pour servir d'emplacement au futur collège. Elle dut
toutefois, après de longues correspondances et négocia-
tions et un appel au secrétaire d'État, lord Ripon, être
cédée au gouvernement local qui, en retour, paya une
compensation pécuniaire qui suffit à elle seule à couvrir
à peu près tous les frais d'achat de la propriété actuelle du
collège. C'est sur cette dernière qiie le 42 décembre 1894,
M^'' Zaleski, délégué apostolique dans les Indes orien-
tales, posa la première pierre du collège, en présence
de NN. SS. l'at-chevêque de Colombo et i'évêque de
Kandy, au milieu d'un nombreux concours de catho-
liques. Maintenant un vaste bâtiment à deux étages
s'élève gracieusement sur les bords du lac de Colombo
et est considéré comme un des plus beaux ornements de
la ville. Vu du Fort et de Peltah, c'est-à-dire de l'extré-
mité opposée du lac, le bâtiment présente l'aspect d'une
véritable forteresse.
Un personnel enseignant, composé de neuf Pères
Oblats, de trois professeurs laïques anglais et de trois
maîtres ceylanais, sous la direction du R. P. Charles
CoLLiN, recteur du collège, se réunit à Colombo dès les
premiers jours de 1896, et ouvrit les cours le 2 mars de
la même année. Cependant l'inauguration solennelle de
l'institution n'eut lieu que le 27 novembre suivant. A
cette solennité se trouvèrent féunis d'éminents person-
nages : M^" le délégué apostolique, NN. SS. les évèques
de Galle et de Kandy, S. Exe. le gouverneur de
Ceylan et notre bien-aimé P. Visiteur, le R. P. Cassien
AuGiER, qui se trouvait alors de passage à Colombo, au
cours de son voyage en Australie. A ce collège, destiné
seulement aux hautes études, est annexée une école
préparatoire sous le patronage de saint Charles. L'en-
— 360 —
seignement y est donné par des maîtres indigènes sous
la haute direction du R. P. Lytton. Le nombre des
élèves qui fréquentent le collège est actuellement de
268 et celui des élèves de Saint-Charles de 257 : total
525. Les progrès de l'établissement vont toujours crois-
sant. La majorité des enfants étant catholiques (375 ca-
tholiques sur un total de 5:23), il nous est facile de
donner un esprit vraiment catholique à notre jeunesse.
Quant aux enfants protestants, bouddhistes, païens et
même mahométans qui fréquentent le collège , nous
n'avons qu'à nous louer de leur bonne tenue et du res-
pect qu'ils témoignent à leurs maîtres. En vue des futurs
développements de cette œuvre, et afin de fournir à nos
Pères professeurs des chambres convenables, M^'^l'arche-
vêque a entrepris la construction d'une des deux ailes qui
forment le plan général du collège. Pour cette construc-
tion, un généreux bienfaiteur nous est venu en aide ;
mais la plus lourde charge en pèsera nécessairement
sur le diocèse de Colombo, déjà grevé d'une dette con-
sidérable pour la construction du bâtiment principal.
3° Une mission à Pettak. — Au mois de mars 4896, la
ville de Colombo fut mise en mouvement par l'arrivée
de deux missionnaires Oblats, venant d'Irlande : les
RR. PP. NicoLL et Brady. Ils donnèrent d'abord dans
l'église de Saint-Philippe de Néri (Pettah), une mission
de quinze jours. Une foule avide se pressait à tous les
sermons, et nombreuses furent les conversions de vieux
pécheurs ou d'incrédules endurcis. Un triduum, prêché
à la cathédrale devant un immense auditoire, fut éga-
lement couronné de succès. Les journaux protestants
eux-mêmes firent unanimement écho à la satisfaction et
à l'admiration de nos catholiques de Colombo, en louant
en termes très élogieux l'éloquence des deux prédica-
teurs. Celle visite a produit d'excellents résultats, entre
— 361 —
autres celui d'augmenter dans noire peuple ceylanais
Testime et la confiance en notre chère Congrégation.
Nous espérons bien recevoir de loin en loin de sem-
blables visites. A peine les RR. PP. Nicoll et Brady
s'étaient-ils embarqués que l'autorité ecclésiastique de
Madras nous demandait, en grâce, de lui envoyer les
deux prédicateurs pour donner une mission dans cette
grande cité.
4° Monseigneur Varchevêqué et le vicaire des Missions. —
S. Gr. Ms"" Mélizan, successeur du vénéré W'^ Bonjean
sur le siège archiépiscopal de Colombo, était présent au
dernier Chapitre et vint prendre possession de son siège
le 23 novembre 1893. Pendant tout le cours de l'an-
née 1894, il se livra avec son zèle et son activité bien
connus à l'administration de l'archidiocèse. Mais Dieu
permit qu'au commencement de 1895 une grave insola-
tion lui rendît l'exercice de son ministère impossible
pendant de longs mois et nécessita son retour en France.
La convalescence fut longue, et ce n'est que le 13 oc-
tobre 1897 que nous eûmes le bonheur d'accueillir de
nouveau notre pasteur sur sa chère terre de Geylan.
Grâce à Dieu, Monseigneur a retrouvé assez de forces
pour se livrer à ses travaux habituels et accomplir les
principaux devoirs de sa charge. Cependant, afin de
ménager sa santé et diminuer le poids de sa responsa-
bilité, le T. R. P. SouLLiER voulut bien le décharger de
la charge de vicaire des Missions de Colombo. De plus,
en raison de l'importance qu'a prise dernièrement le
vicariat et du grand nombre de missionnaires Oblats qui
le composent (ils sont au nombre de 73 en y com-
prenant les 3 Frères convers et le Père novice), le
T. R. P. Antoine, vicaire général de la Congrégation, a,
par décret en date du 15 octobre 1897, divisé le vicariat
en neuf maisons, districts et résidences, avec leurs supé-
— 362 —
rieurs ou directeurs et assesseurs respectifs, sous la
direction générale du vicaire des Missions. De cette sorte,
le vicariat de Colombo est rentré sous la loi commune
et est entièrement gouverné d'après l'esprit de nos
Saintes Règles.
5° Visite régulière. — Un événement heureux est venu
inaugurer pour nous l'année 1897, nous fortifier au
m.ilieu de nombreuses et grandes difficultés et nous
consoler de bien des peines. Jp veux parler de la visite
du R. P. Cassien Augier, assistant général, au nom
du T. R. P. SouLLiER. Ayant consacré à JalTna les pré-
mices de son nouveau ministère, le R. P. Augier entre-
prit, à la fin de mars, la visite du vicariat de Colombo,
commençant par la partie septentrionale. 11 y arriva
après un pénible et fastidieux voyage de 50 milles sous
une chaleur accablante à travers les forêts sauvages qui
séparent Putlalam d'Auuradhapura. Le district de Put-
talam fut ainsi visité au prix de grandes fatigues, et la
Mission de Ralpentyn, quoique la plus pauvre, fut ho-
norée la première de la présence du R. P. Visiteur, qui
ne manqua pas d'accomplir son pèlerinage à notre
célèbre sanctuaire de Sainte-Anne. La vue des belles
Congrégations de Chilaw, Marawila,Katuneriya et Wen-
napuraï, fruits des travaux et des sueurs des premiers
missionnaires Oblats, vint tour à tour réjouir 1 ame du
R. p. Visiteur. A Wennapuraï, résidence du supérieur
du district, il réunit pour les exercices de la retraite
la plus grande partie des Pères. Les retraitants s'y
trouvèrent au nombre de douze. Avant de commencer
cette première retraite, le R. P. Visiteur avait pris le
chemin des montagnes et s'était rendu à notre sanato-
rium de Pussellawa pour y prendre quelques jours d'un
repos bien mérité. A la visite du district de Chilaw, suc-
céda celle de la province occidentale qui occupa le
— 363 —
R. P. AuGiER jusqu'à la fin juillet. 11 parcourut et exa-
mina en détail les trente et une Missions qui composent
cette province, voyageant toujours à l'apostolique et
partageant la simple nourriture du missionnaire, le riz
et le curry, la banane et la mangue. Il voulut même
gotîter à la fièvre de Ceylan, qui n'est pas le fruit le plus
doux de notre chère île. Cette impitoyable visiteuse
l'obligea à interrompre pendant quinze jours le cours de
ses travaux. Dans la crainte d'avoir à sacrifier la visite
de quelques Missions, le bon Père se remit en cam-
pagne dès qu'il se sentit suffisamment rétabli. Au com-
mencement d'août, il se rendait à Kurunegala, capitale
de la province nord-ouest, pour faire la visite de cette
résidence et du couvent de la Sainte-Famille établi dans
cette ville. 11 combla les vœux de celte pieuse commu-
nauté dont celle de Wennapuraï vint encore grossir les
rangs, en donnant une retraite de huit jours, qui se
termina le 13, jour de la grande fête de l'Assomption.
Trois jours après, tous les Pères du vicariat, à l'excep-
tion de ceux qui avaient pris part à la retraite de "Wen-
napuraï, se réunirent au nombre de cinquante au col-
lège Saint-Joseph, pour y suivre les exercices de la
retraite prêchée également parle R. P. Visiteur. Occupé
très activement pendant cinq mois à visiter chacune de
nos Missions, il avait acquis une connaissance parfaite
de nos difficultés, de l'importance de nos travaux, de
nos besoins et aussi de nos points faibles ou défec-
tueux. Aussi cette retraite, tout empreinte de l'esprit
de nos Saintes Règles et du sens pratique du vrai mis-
sionnaire Oblat et dictée par un cœur débordant de cha-
rité et avide de faire du bien, fut-elle pour nous une
raine féconde en avis fortifiants et en précieux encou-
ragements. La retraite se terminait le 25 août, fête de
notre bien-aimé et regretté P. Général auquel les cin-
— 364 --
quante Pères présents envoyèrent une lettre de félici-
tations et de remerciements. Ce jour-là, les retraitants
offrirent tous la sainte messe pour ce vénéré Père dont
l'état de santé nous causait déjà de vives inquiétudes.
Le lendemain, le R. P. Visiteur chantait la messe pour
les quarante et un missionnaires Oblats tombés au champ
d'honneur depuis l'établissement de notre Congrégation
dans l'île de Ceylan, en 1847. Soixante Oblats, dont
cinquante-sept prêtres, assistaient à celte imposante
cérémonie.
Trois jours après, le 29 août, nous accompagnions,
le cœur bien gros, notre cher Père visiteur à bord du
beau steamer la Ville de la dotai, qui l'emmena à toute
vapeur auprès de notre bien-aimé Supérieur général
mourant.
PERSONNEL.
1° Statistique. — Le nombre des Pères et Frères Oblats
dans le vicariat de Colombo est de 71, dont 67 prêtres
profès, 1 novice prêtre et 3 Frères convers. De ce
nombre, H Pères sont employés dans l'administration
et les œuvres diocésaines, iû au collège Saint-Joseph,
46 dans les Missions. Les trois Frères convers travaillent
avec le plus grand dévouement, sous la direction du
R. P. CoNRARD, à l'Orphelinat Saint-Vincent de Mag-
gona, où ils rendent de précieux services. Nous regret-
tons seulement que leur nombre soit si restreint.
Pas un seul des missionnaires, dans ce vicariat, n'est
à la retraite. Cependant, nous avons des vétérans parmi
nous : les RR. PP. Le Cam, Le Lons, Laclau-Pussacq,
et surtout le R. P. Guounavel, qui, malgré son âge
avancé, parait moins disposé que jamais à mettre bas
les armes. Grâce à son acharnement au travail, il com-
plète une série d'ouvrages singhalais, qui seront, pour
— 363 —
nos Pères et pour nos catholiques ceylanais, d'une
grande utilité.
Malgré l'intensité et la continuité de la chaleur, la
santé de nos Pères se maintient généralement, sans
toutefois être robuste. 11 arrive souvent que ce sont les
plus jeunes qui ont le plus à souffrir, du moins pour
s'acclimater, et leurs forces physiques ne répondent pas
toujours à leur vaillance.
Depuis le dernier Chapitre, nous n'avons eu à regret-
ter qu'un seul décès, celui du R. P. Curysostome, jeune
prêtre indigène, enlevé prématurément à ses travaux
apostoliques par une fièvre cérébrale, le 24 mars 1896.
C'était un sujet très dévoué, zélé et édifiant.
2° Vie intérieure. — Tous savent combien il est diffi-
cile d'unir la ferveur du zèle apostolique à la pratique
des œuvres extérieures, si nombreuses dans les Mis-
sions étrangères, et d'apporter à la construction et à
l'administration temporelle des églises, ainsi qu'à la
visite des écoles un esprit vraiment intérieur favorisant
la régularité parfaite. Je ne prétends pas que, sous ce
rapport, les Oblats de Colombo soient absolument sans
reproche. Cependant, je crois pouvoir dire que nos Pères
ont une profonde estime et un ardent amour de leur
vocation. Ils témoignent un vif attachement à notre
chère Congrégation, dont ils s'estiment très honorés
d'être membres et s'efforcent de la représenter digne-
ment dans l'île de Ceylan, La retraite annuelle a tou-
jours été fidèlement pratiquée parmi nous; cependant,
comme chaque année, quelques Pères étaient laissés en
charge des Missions pendant la durée de la retraite et
étaient ainsi privés du bienfait de ces saints exercices,
le R. P. Visiteur a réglé que, désormais, nous aurions
deux retraites ^chaque année, afin de permettre à tous
les Oblals de se conformer sur ce point à nos Saintes
— 366 —
Règles. Dès cette année, nous avons mis à exécution ce
nouveau règlement. La retraite mensuelle est aussi en
honneur chez nous. La nouvelle division du vicariat en
maisons et districts a déjà commencé à en rendre la
pratique beaucoup plus facile à nos Pères mission-
naires. Jusqu'à présent, nous n'avons tenu les confé-
rences théologiques qu'à Colombo, comme étant le seul
centre où il était facile de réunir un certain nombre de
missionnaires. J'espère qu'avant peu nous pourrons
l'établir dans d'autres centres, tels que Négombo, Wen-
napuraï et Kalutara.
3° Vie extérieure. — Après deux ans environ donnés
à l'étude des langues et à la connaissance des habitudes
et des mœurs de nos chrétiens, le jeune missionnaire
est lancé dans le ministère actif, ayant à desservir de
1500 à 8000 catholiques, suivant la localité où l'envoie
l'obéissance. Ces chrétiens habitent différents villages
ayant chacun leur église et leur école et sont visités
tour à tour pendant le cours de l'année. La prédication,
le catéchisme, les baptêmes, les mariages, la visite des
malades, la direction des confréries, l'inspection des
écoles et l'administration temporelle de la Mission,
remplissentles journées du missionnaire, sans lui laisser
aucun loisir. Sauf de rares exceptions, nos Pères sont
seuls dans leurs Missions. Ce n'est pas un étal de choses
désirable ni favorable au développement de l'esprit
religieux; mais, peu à peu, au fur et à mesure que
notre nombre augmentera, nous nous efforcerons d'y
porter remède et d'envoyer nos missionnaires deux par
deux, selon l'esprit de nos Saintes Règles.
Le ministère de nos Pères est un ministère parois-
sial ; cependant, nous avons beaucoup de retraites à
prêcher dans les différentes communautés religieuses
du diocèse. Ce travail s'ajoute comme par surcroît aux
— 367 —
occupations ordinaires, déjà très accablantes. Aussi dé-
sirons-nous, pour obvier à cet inconvénient, la fondation,
dans le vicariat, d'une maison d'Oblats uniquement oc-
cupés à la prédication. Outre les retraites ci-dessus men-
tionnées, ces Pères pourraient donner, chaque année,
des missions en règle dans les diverses paroisses du
diocèse, et produire ainsi un bien immense, qu'on ne
pent attendre du ministère paroissial ordinaire.
ŒUVRES.
Division du vicariat. — Le vicariat de Colombo est
divisé en neuf maisons, districts et résidences, qui
sont : 1° la maison du Sacré-Cœur de Borella et le dis-
trict de Colombo ; 2° la maison dq collège Saint- Joseph ;
3° la maison de Kotahena ou de la Cathédrale (ces trois
maisons ont leur siège à Colombo); 4° le district de
Wennapuraï, dans la province nord-ouest; 5» le district
de Négombo, pour la partie nord de la province occi-
dentale ; 6° le district de Maggona, pour la partie sud
de cette même province ; 7" la résidence de Pettah ;
8° celle de Rurunegala, se rattachant toutes les deux à
la maison du Sacré-Cœur de Borella, et, enfin, 9° la
résidence de Puttalam, se rattachant à la maison de
Wennapuraï.
Population. — Les catholiques du vicariat de Colombo
atteignent le chiffre de 183 826, sur une population
totale de 1 083 781 habitants. Il y a environ 30 000 protes-
tants, 80000 mahométans et 780 000 bouddhistes ou
païens. Nos chrétiens sont, en grande majorité, singha-
lais. 11 y a cependant un bon nombre de Tamouls sur
la côte septentrionale du vicariat. Leurs principaux
centres sont Puttalam, Chilaw, Naïnamadam et Né-
gombo. Les Tamouls de Jaffna sont assez répandus dans
— 368 —
diverses parties du diocèse, ainsi que ceux qui viennent
de la côte de l'Inde, et sont employés comme coolis aux
plantations de thé.
Nos chrétiens singhalais ont, en général, une foi vive,
aiment beaucoup les cérémonies de l'Eglise et tout ce
qui, dans le culte divin, frappe les yeux ou l'imagination.
Ils ont aussi un grand zèle pour la construction et
l'ornementation de leurs églises et un profond respect
pour leurs missionnaires. Naturellement, ils sont portés
à la mollesse ; cependant leur caractère est vif et irri-
table. Dans les premières années de notre séjour à
Colombo, ils nous ont causé beaucoup de soucis par
leurs fréquentes révoltes ayant leur origine dans des
questions de caste ou d'administration temporelle. -Mais
grâce au gouvernement à la fois ferme et prudent du
regretté M^"" Bonjean, la soumission est maintenant à
peu près complète. Aussi, depuis plusieurs années, nous
n'avons qu'à nous louer de leur obéissance et de leur
respect pour le prêtre. La disparition de la juridiction
goanaise, dans le diocèse de Colombo, a été pour nous
une source de bénédictions, car la double juridiction
dans un même diocèse était un ferment de discorde au
milieu d'un peuple facilement porté au schisme. Le
seul souvenir qui nous reste du régime goanais est une
petite église de révoltés qui, sous le nom de catholiques
indépendants et le régime du pseudo-archevêque Alva-
rez, persistent obstinément dans le schisme. Je recom-
mande instamment aux prières de la Congrégation la
cessation de l'état d'aveuglement de ces indigènes ca-
tholiques.
Stations et résidences. — H y a dans le vicariat 47 sta-
tions principales dont chacune est la résidence d'un ou
de plusieurs missionnaires. A ces stations principales,
qui sont tout autant de centres de Missions, sont rat-
— 369 ~
tachées 205 stations secondaires, groupées de telle façon
autour de leurs centres que les missionnaires puissent
les visiter régulièrement. Plusieurs de ces stations se-
condaires sont le siège de chrétientés qui ne comptent
pas moins de 1 SOO ou 2 000 âmes. Quant aux stations
principales, il en est un assez grand nombre où l'on
trouve des chrétientés de 2 000 à 4 000 âmes. Enfin, parmi
nos Missions, il en est peu qui ne renferment pas au
moins 4 000 chrétiens ; la population fixe de quelques-
unes varie entre 6 000 et 12 000. Il y a dans le diocèse
de Colombo 181 églises et 81 chapelles. On rencontre
parmi les premières de véritables monuments^ fruits de
la piété et du zèle de nos Indiens et même plusieurs de
nos chapelles sont assez spacieuses pour contenir au
moins un millier de personnes.
ÉCOLES.
Écoles élémentaires . — Nous avons dans le vicariat de
Colombo 307 écoles primaires, 22 anglaises et 288 ver-
naculaires, c'est-à-dire singhalaises ou tamoules. Ces
écoles primaires sont fréquentées par 24 577 élèves
(14 340 garçons et 10 237 filles), dont les six septièmes
environ sont catholiques ; l'instruction qui y est donnée
est entièrement catholique ; le catéchisme y est enseigné
chaque jour pendant une demi-heure. Sous peu, même
les livres classiques seront des livres catholiques. La
composition de ces livres touche bientôt à sa fin. Nos
instituteurs sont tous laïques, cependant deux de nos
écoles sont dirigées par les chers Frères de Saint-Vin-
cent de Paul, œuvre nouvellement fondée qui, j'espère,
nous fournira avant peu d'excellents maîtres pour nos
écoles de garçons. Les écoles de filles sont, pour la
plupart, confiées aux Sœurs indigènes de Saint-Pierre
— 370 —
et de Saint-Ffaiiçoîs-Xavier. Ces deux œuvres, la pre-
mière surtout, sont extrêmement prospères et rendent
d'éminents services au diocèse de Colombo. Les Sœurs
de la Sainte-Famille dirigent la Congrégation de Saint-
Pierre et les Sœurs du Bon-Pasleur, celle de Saint-
François-Xavier.
Je dois ajouter que le grand succès de nos écoles élé-
mentaires, qui n'a pas son égal dans toutes les Indes,
est dû, en grande partie, au secours que nous recevons
dugouvernementanglais, qui, sous ce rapport, met toutes
les religions sur le même pied. Le tableau suivant montre
le rang honorable occupé par l'archidiocèse de Colombo
parmi les principaux diocèses de l'Inde, en ce qui re-
garde les écoles.
Noms Population Nombre Nombre
des diocèses, catholique. d'écoles. d'enfants.
Colombo 183 826 307 24 577
Trichinopoly.... 200 000 234 9 148
Pondichéry 201000 136 bllo
Tricheur 102 000 190 8 598
Jaffna 39 314 83 5 148
Calcutta 62 090 27 6 018
Madras 44 332 78 4 935
Quilon 87 000 98 4 005
Ecoles industrielles et orphelinats. — Aux écoles de
filles de Kotahena, Moratuwa, Wennapuraï, Négombo,
Pamunugama et Kurunegala, sont attachées des écoles
industrielles où les élèves apprennent la broderie, la
dentelle qui est une des industries spéciales du pays, etc.
Notre orphelinat de Saint-Vincent de Paul, à Maggona,
possède aussi une école industrielle de garçons en
pleine prospérité. Là, la menuiserie, l'imprimerie, la
reliure, la couture, le jardinage sont en grand honneur.
Les jeunes orphelins semblent prendre beaucoup de
goût à ce genre de travail et acquièrent une assez grande
perfection dans ces divers métiers. Du reste, sous tous
- 371 —
les rapports^ l'œuvre de Maggonaestune dés plus floris-
santes du diocèse. Les orphelins, au nombre de 95,
sont pour la plupart nés dans le paganisme ; mais à
Saint-Vincent, ils sont élevés comme les enfants de
Jésus-Christ. Attenante à l'orphelinat, est une œuvre
bien modeste et bien indispensable : c'est celle d'un ré-
formatoire pour les jeunes catholiques de l'île. Nous
n'avons. Dieu merci, qu'une dizaine de jeunes détenus
qui ne donnent pas trop de tracas à leur directeur,
le cher F. Lépinay. Une autre œuvre de plus grande
importance, attachée aussi à l'orphelinat de Maggona, est
la Congrégation des Frères indigènes de Saint-Vincent
de Paul. Fondée en 1890, elle compte actuellement qua-
torze jeunes gens suivant fidèlementla règle du Tiers Ordre
de Saint-François d'Assise, sous la sage direction de
leur supérieur, leR. P. Conrard. Ils sont employés comme
surveillants à l'orphelinat, comme instituteurs dans
deux florissantes écoles qui réunissent près de 300 élèves
et comme professeurs à l'école industrielle. L'orphelinat
de Saint-Vincent de Paul, fondé par Ms"" Bonjean, a reçu
sous son successeur, M^' Mélizan, des développements
très considérables. Le vénéré prélat a contribué très
généreusement à l'érection des divers bâtiments qui
forment de l'orphelinat de Maggona un petit village
gracieusement situé et régulièrement bâti. Il y a cepen-
dant un vide : c'est l'absence d'une chapelle convenable
et digne de la grandeur de cette œuvre.
Les Dames du Bon-Pasteur dirigent à Colombo un
orphelinat de filles dont le nombre dépasse 150. C'est
une institution florissante. Les Sœurs de la Sainte-Fa-
mille en dirigent un autre plus modeste^ puisqu'il ne
compte que 35 enfants, mais non moins méritoire, à en
juger par les difficultés de tous genres qu'elles ont à
surmonter pour mener cette œuvre à bonne fin.
— 372 —
Les Sœurs Franciscaines-Missionnaires de Marie lo-
gent dans leur couvent de Moraluwa 25 orphelines et
ont soin également de 2o autres placées dans des fa-
milles catholiques, comme aussi des 18 enfants trouvés
qu'elles tiennent en nourrice et pour l'entretien desquels
elles reçoivent du diocèse une rétribution mensuelle qui
suffit à toutes les dépenses. Enfin les Sœurs indigènes de
Saint-François-Xavier entretiennent à Négombo 46 or-
phelines et 13 à Kalamulla. Pour le maintien de ces di-
vers orphelinats, les maigres revenus du diocèse sont en
partie absorbés. Mais la difficulté n'est pas de recevoir
les petites filles singhalaises, tamoules ou burghers dans
les orphelinats ni même de les élever, malgré les grands
sacrifices que l'éducation de ces enfants, actuellement
au nombre de 320, impose au diocèse, c'est surtout de
les placer convenablement dans le monde et de les ma-
rier honnêtement lorsqu'elles sortent de ces asiles bénis.
Je ne saurais terminer cette question des écoles élé-
mentaires et des orphelinats, sans payer un juste tribut
de louanges aux deux écoles anglaises dirigées, l'une
par les Dames du Bon-Pasteur à Colombo, l'autre par
les Sœurs de la Sainte-Famille àKurunegala. Dans ces
deux établissements, les jeunes filles de nos meilleures '
familles singhalaises ou burghers reçoivent une éduca-
tion vraiment soignée. Les inspecteurs du gouverne-
ment ne tarissent pas d'éloges chaque fois qu'ils sont
appelés à faire passer les examens dans ces écoles, qui
actuellement comptent environ 300 élèves.
Quant aux Petites Sœurs des pauvres, elles conti-
nuent à s'occuper de nos vieillards avec un dévouement
au-dessus de tout éloge. Elles en ont actuellement doO
et leur établissement continue à se développer admira-
blement.
Collèges. — Nous avons à Colombo deux beaux col-
— 373 —
lèges : celui de Saint-Joseph et celui de Saint-Benoît.
Nous avons déjà parlé du premier, disons un mot du
second. Le collège de Saint- Benoît est depuis près
de trente ans sous la direction des Frères des Écoles
chrétiennes qui y donnent l'enseignement élémentaire
anglais. Les élèves continuent à y affluer et nous avons
à nous féliciter de ce que l'établissement du collège
Saint-Joseph, avec ses 525 élèves, n'a fait aucun tort
à cette ancienne institution. L'institut Saint-Benoît, at-
tenant à la cathédrale, rend de grands services, les jours
de fêtes, par son excellente chorale. Les anciens élèves
sont réunis en Congrégation de la Sainte Vierge et pour
cette raison portent le nom de sodalistes. L'esprit de
piété et la pratique des sacrements sont soigneusement
entretenus et développés dans cette confrérie. Les Frères
enseignants sont au nombre de dix-huit, pleins de zèle
dans l'exercice de leurs fonctions et très édifiants par leur
fidélité à la pratique de leur règle, malgré la chaleur
et autres inconvénients provenant du climat énervant
de Colombo. Le nombre des élèves fréquentant actuel-
lement le collège de Saint-Benoît est de 543. Ajoutant
à ce chiffre celui de 525 élèves qui fréquentent le collège
de Saint- Joseph, nous atteignons le chiffre de 1 068. Outre
ces deux collèges, il y a encore à Colombo d'autres écoles
anglaises catholiques vraiment florissantes.
Séminaires. — Le séminaire Saint-Bernard, attaché à
la maison du Sacré-Cœur de Borella, contient trente
élèves, dont huit se livrent aux études théologiques et
se préparent à la réception des saints ordres. Cette
année-ci, au mois de janvier, le séminaire nous a donné
quatre prêtres, dont trois Oblats et un séculier. Malheu-
reusement, il s'écoulera plusieurs années avant que
nous puissions recueillir de nouveaux fruits. Pour faci-
liter le recrutemicnt de nos jeunes lévites, un petit sémi-
T. XXXVI. 25
— 374 —
naire fut fondé en 1893. Là sont admis des enfants d'en-
viron douze ans, dont les bonnes qualités et dispositions
favorables font espérer le développement d'une vocation
sacerdotale. Au séminaire, ils sont formés à la piété, et
au collège Saint-Joseph, ils apprennent l'anglais, le la-
tin, le grec et les sciences. Je puis leur rendre le témoi-
gnage que jusqu'à présent ils ont tous brillé par leurs
succès au collège et sont un exemple pour les autres
élèves. Le nombre de ces enfants est actuellement de
vingt-deux. C'est là vraiment une œuvre qui promet
pour l'avenir, mais entièrement aux frais de l'arche-
vêque de Colombo. La direction de ce double séminaire
est confiée au R. P. Coquil, qui, depuis plus de douze
ans, s'acquitte avec autant de zèle que de tact des diffi-
ciles fonctions de directeur, aussi bien que de celles de
maître des novices.
ADMINISTRATION DES SACREMENTS.
Administration des sacrements pour les années 1894-1895.
{Avant la division des diocèses.)
Population catholique du vicariat de Colombo : 149 826.
1894. 1893. Totaux.
Mariages 1226 1279 2505
Confessions 180104 179066 359170
Communions 179 067 173 723 352 790
Vicatiqiies 1243 1108 2 351
Extrêmes-onctions.. 2272 2330 4602
Confirmations 4 905 1295 6 200
Administration des sacrements pour les onn^s 1896-1897.
{Après la division des diocèses.)
Population catholique du vicariat de Colotnbo : 183 826.
1896. 1897. Totaux.
Mariages 1628 1727 3 355
Confessions 242274 270763 513037
Communions 232386 256 250 488636
Viatiques 1491 1288 2779
Extrêmes-onctions.. 2 665 2 398 3 063
Confirmations 7 372 2125 9 497
— 378 —
TABLEAU COMPARATIF POUR LES ANNÉES 1892 ET 1895
(dernière année avant la division).
1892. 1805. Augmentation.
Mariages 1188 1279 91
Confessions 177 566 179 066 1300
Communions 166905 173723 6 818
Viatiques 1086 1108 22
Extrêmes-onctions.. 2 082 2 330 248
Confirmations 1538 }293 Dirp. 243
CONVERSIONS. — BAPTÊMES.
Avant la division. 1892. 1894, 1895.
Baptènies d'enfants catholiques 4 548 4752 4920
— — d'hérétiques. ... 34 50 37
— — d'infidèles 331 413 330
— d'adultes hérétiques 97 l4l 145
— — infidèles 717 863 919
Totaux 5727 622J 6349
Après la division. 1896. 1897.
Baptêmes d'enfants catholiques 6 312 6902
— — d'hérétiques 42 41
— — d'infidèles 387 471
— d'adultes hérétiques 160 125
— — infidèles 995 1069
Totaux 7 896 8 608
TABLEAU COMPARATIF ENTRE LES ANNÉES 1892 ET 1895
(dernière année avant la division).
Augmen- Dimi-
1892. 1893. talion, nation.
Baptêmes d'enfants catholiques 4 548 4 920 372 »
— — d'hérétiques 34 37 3 »
— — d'infidèles 331 330 » 1
— d'adultes hérétiques 97 145 48 »
— — infidèles 717 916 199 »
Totaux 6 349 3727
Cette statistique montre clairement que l'année 1895
surpasse l'année 1892 comme résultat au point de vue
des conversions. Ainsi pour les baptêmes d'adultes héré-
tiques, il y a une augmentation de quarante-huit et pour
— 376 —
les baptêmes d'adultes infldèles, il y a une augmentation
de cent quatre-vingt-dix-neuf. Ce progrès toutefois n'est
pas très considérable. Cela tient à ce que nos Pères sont
de plus en plus absorbés par les soins à donner à nos
catholiques (ils ont chacun une moyenne de quatre mille
catholiques environ) et ne peuvent s'occuper que fort
indirectement et comme à la dérobée de la conversion
des adultes hérétiques et infidèles.
, Parmi les moyens de conversion que nous employons,
mentionnons en premier lieu la création des Missions de
l'intérieur. Celles de Katunayaka, de Midellevita et plu-
sieurs autres ont déjà donné des résultats très satisfai-
sants. Mais il ne faut pas se dissimuler les difficultés:
les bouddhistes, surtout de nos jours, nous offrent une
formidable résistance. A notre avis, le meilleur moyen
d'arriver à les convertir est d'augmenter la foi et d'amé-
liorer les mœurs de nos fidèles dont le bon exemple est
le meilleur appât pour attirer les âmes. A Geylan, plus
que partout ailleurs peut-être, nous pouvons constater
combien est sage la règle que notre vénéré Fondateur
trace à ses missionnaires : Primam sibi legem statuent
catholicos speciall cura fovere incolas, qui, cunctarum
virtutum splendore adornati, luceant tanquam lucernx in
caliginoso loco, suoque exemplo sint, veluti Cliristi bonus
odor ubique diffusas. Impossible de mettre davantage
cette règle en pratique. Nous devrions subdiviser nos mis-
sions et donner plus de loisir à nos missionnaires pour
mieux instruire leurs chrétiens et leur inspirer une piété
plus éclairée. Mais pour atteindre ce but, il nous fau-
drait au moins quinze missionnaires do plus. Depuis
quelques années, nous nous sommes efforcés de former
des catéchistes, instruments tout à fait indispensables,
pour la conversion des infidèles. Quelques-uns de nos
Pères ont réussi à former des hommes de valeur. Nous
— 377 —
continuerons à développer cette œuvre autant que pos-
sible.
Presse catholique. — Ainsi que le rapport lu au der-
nier Chapitre l'a fait connaître, nous avons une presse
catholique à Colombo. Bien que la modicité de nos res-
sources ne nous permette pas de donner à cette oeuvre
capitale tous les développements qu'elle devrait avoir
dans un pays oii il y a tant de journaux protestants,
sectaires ou athées, publiés tant en anglais qu'en langue
vernaculaire, il y a sous ce rapport un progrès que je
dois signaler. Notre journal anglais, le Ceylon Catholic
Messenger, a agrandi son format, et notre journal sin-
ghalais, le Nianartha Pradlpaya, est devenu bi-hebdo-
madaire. Ces journaux continuent à être les organes
religieux et les défenseurs intrépides de la vérité et des
droits de l'Eglise. Ils contribuent puissamment aussi à
faire connaître et respecter notre chère Congrégation.
RÉSUMÉ.
Tout ce qui précède démontre clairement que le vica-
riat de Colombo est dans un état florissant. Je ne sais
même pas si, grâce aux sacrifices faits par la Congréga-
tion, il y a dans tout l'Orient un seul diocèse qui puisse
lui être comparé. Cependant il ne faut pas se dissimuler
que, depuis le dernier Chapitre, toutes les forces vives se
sont portées sur un seul point : le collège Saint-Joseph,
œuvre de la plus haute importance qui a dû primer sur
toutes les autres. Non seulement, M^'' l'archevêque de
Colombo a affecté tous ses fonds disponibles à la cons-
truction des bâtiments et a même contracté un emprunt
à cet effet, mais, chaque année, une bonne partie des
revenus du diocèse sera absorbée par l'entretien d'un
coûteux personnel enseignant. Depuis le dernier Cha-
— 378 —
pitre, la Congrégation nous a envoyé douze mission-
naires. C'est beaucoup et nous pouvons dire que nous
avons été véritablement favorisés. Et pourtant, comme
ces Pères ont été promptement placés ! Dé ces douze
missionnaires, quatre sont professeurs au collège, cinq
remplacent des Pères enlevés au ministère pour être
employés à l'enseignement ; il ne nous en reste donc
que trois, y compris le remplaçant du Père Chrystostome,
décédé.
Cependant, chaque année, le nombre des baptêmes
ajoute plusieurs milliers de chrétiens à notre popula-
tion déjà si considérable. Pour faire face à cet accrois-
sement constant, il faudrait donc un accroissement
proportionné dans le nombre des ouvriers évangéliques.
Nous avons, il est vrai, notre séminaire Saint-Bernard
qui, plus tard, donnera chaque année son contingent de
bons prêtres indigènes. Mais, en attendant, nous sommes
dans un véritable état de souffrance. N'avons-nous pas à
répondre devant l'Eglise des âmes de cent quatre-vingt-
trois raille catholiques confiés aux soins de quarante-
neuf missionnaires, soit quarante-quatre prêtres Oblats
et cinq prêtres séculiers, c'est-à-dire en moyenne près
de quatre mille chrétiens pour chaque prêtre ? Avant
mon départ, à ma grande douleur, nous avons dû sup-
primer la Mission de Wadduwa occupée par un prêtre
séculier, le vénérable P. Maver, que son âge et ses infir-
mités ont forcé à prendre sa retraite. Une partie de
cette Mission a été ajoutéeà celle de Kalutara, qui compte
ainsi près de six mille catholiques ; une autre partie à
celle de Moratuwa dont le nombre des catholiques se
trouve ainsi porté à dix mille. Avant peu, une autre de
nos Missions aura très probablement le même sort. En-
fin une autre Mission est depuis huit mois sans mission-
naire. Elle compte quatre mille âmes et a dû être divi-
— 379 —
sée entre les missionnaires les plus voisins déjà chargés
d'un lourd fardeau. Le vicariat de Colombo est un des
plus beaux fleurons de la couronne de notre famille
religieuse. Chaque année, des centaines de mission-
naires, qui font escale à Colombo, se rendant dans
l'Extrême-Orient, expriment leur admiration au sujet de
nos belles œuvres ; quelques-uns même semblent les
envier.
Que la Congrégation veuille donc bien venir à notre
aide encore pendant quelques années pour nous per-
mettre de tenir haut et ferme la bannière de Marie Im-
maculée dans ce beau pays d'Orient, dans cette île de
Ceylan, la perle de l'océan Indien !
Rapport du vicariat de Jaffna.
Le nouvel évêque de Jaffna était encore en France,
quand il apprit par la revue : les Missions catholiques, le
démembrement de son diocèse. En même temps que
toute la province de l'Est constituait le nouveau diocèse
de Trincomalie et que, de ce fait, nous perdions
7Û00 catholiques environ, la province du Nord-Ouest
était adjugée à Colombo^ en compensation, dit le Bref,
de la cession par ce dernier diocèse de la province du Sud
au nouveau diocèse de Galle. Or, tandis que Colombo ne
cédait à Galle que bOûO catholiques environ, Jaffna lui
en donnait 43000 avec des églises magnifiques et des
revenus considérables. Le chiffre de nos catholiques,
qui s'élevait à 91 OUO, est descendu à 40000 après la
division, et le vicariat, qui pouvait compter auparavant
750000 païens, n'en compte plus aujourd'hui que
350 000. Si M^'"" Mélizan, mon prédécesseur, n'avait eu
autrefois la prévoyance d'acheter quelques jardins de
cocotiers aux environs de sa ville épiscopale, nous nous
— 380 —
serions vus dans l'impérieuse nécessité ou d'abandonner
le vicariat ou de supprimer une partie de nos œuvres
les plus considérables.
Autrefois, la province du Nord-Ouest nous aidait
puissamment pour l'entretien de nos œuvres ; les Mis-
sions pourvoyaient à leurs dépenses et à celles de leurs
missionnaires, qui envoyaient l'excédent à la caisse
vicariale. Aujourd'hui, nous n'avons en partage qu'un
pays aride et souvent sans pluies pendant neuf mois
consécutifs. Dans sa plus grande étendue, il est couvert
de forêts impénétrables, au milieu desquelles il est plus
facile de trouver la fièvre que des habitants. Bref, de
tous les diocèses de Ceylan, Jaffna est celui dont le cli-
mat est le plus malsain et le plus meurtrier, puisque
nous n'avons pas un seul endroit où nous puissions en-
voyer nos missionnaires, pour y refaire leurs santés
délabrées. Enfin, le bon Dieu a voulu qu'il en fût ainsi ;
nous nous sommes humblement soumis à sa sainte vo-
lonté. Cependant, malgré le nombre restreint de nos
missionnaires, un de nos plus graves soucis est de savoir
comment nous pourrons les nourrir, car nos Missions
sont très pauvres et ne peuvent se suffire par elles-
mêmes. Chaque année, pour l'entretien de nos Pères,
nous sommes obligés de dépenser une quinzaine de
mille francs. Sans doute. Dieu nous viendra en aide
et la Congrégation n'oubliera certainement pas que le
vicariat de JalTna est devenu l'un des plus pauvres de
ceux dont elle s'est fait la providence visible.
Par le fait même de la division, quinze missionnaires
Oblats sont passés du vicariat de Jaffna au vicariat de
Colombo. Actuellement, nous n'avons chez nous que
trente-quatre missionnaires, dont trente-deux, y com-
pris l'évêque, appartiennent à la Congrégation, vingt-
quatre sont Européens et huit indigènes. Je ne puis que
— 381 —
rendre un hommage bien mérité à la piété et au zèle de
nos chers Pères. Ils se dépensent sans compter pour la
gloire de Dieu et le salut des âmes au milieu de mille
difficultés. Depuis le dernier Chapitre général, nous
avons perdu six missionnaires : les RR. PP. Roux (Jean),
RouFFiAC, Sautin, iMauroit (Léon), Dinaux et Gourdon.
Le P. Sautin n'avait que vingt-six ans quand il est mort.
Si l'on songe que, dans le vicariat, nous ne sommes en
tout que trente-quatre missionnaires, il faut bien ad-
mettre que c'est là une terrible moyenne, prouvant plus
éloquemment que des phrases sonores que le pays,
dans lequel l'obéissance nous a envoyés, est une terre
qui dévore rapidement ses habitants. Cependant, per-
sonne ne se plaint ; si nous avons à formuler un désir,
c'est celui de voir se combler au plus tôt les vides que
la mort a faits dans nos rangs ; or, depuis cinq ans,
nous n'avons vu arriver qu'un seul jeune Père.
Vie intérieure. — Si le vicariat de Jaffna a perdu de
son importance première, il n'est pas téméraire d'affir-
mer qu'il a beaucoup gagné sous le rapport de la régu-
larité et de la vie intérieure. A la maison Saint-Charles,
par exemple, on pourrait presque se croire dans un
noviciat. Les exercices religieux se font très exacte-
ment; les petites heures et les vêpres sont récitées en
commun tous les jours, excepté le dimanche, à cause
des offices de la paroisse. Depuis dix-huit ans que je
suis à Ceylan, je n'ai jamais vu manquer la retraite an-
nuelle, qui, régulièrement, commence le 10 février,
pour se terminer le 17.
L'an dernier, le R. P. Augier (Cassien) voulut bien,
au cours de sa laborieuse visite, donner ces saints exer-
cices aux trente et un Pères du vicariat. Comme nos
frères de Colombo, nous remercions la divine Provi-
dence de nous avoir envoyé ce vénéré Père, dont le
— 382 —
passage dans nos Missions, même les plus déshéritées,
comme celle de Manar-Mantotte, a produit de si heu-
reux effets.
Les retraites mensuelles se font très exactement et à
chacune presque tous nos Pères du vicariat ont le bon-
heur d'y prendre part. Depuis deux ans, le lendemain
de la retraite du mois, nous avons toujours la confé-
rence théologique, laquelle, en raison des sujets traités,
devient de plus en plus attrayante. La matière pour les
douze conférences de l'année est imprimée à l'avance,
avec le nom du Père qui devra défendre la thèse. Tous
les autres Pères sont tenus d'envoyer à temps une dis-
sertation écrite sur le sujet qui doit être discuté. Je dois
dire à leur louange que tous, ou à peu près tous, sont
fidèles à nous faire parvenir ce travail, que nous exami-
nons soigneusement et sur lequel nous faisons nos re-
marques à la conférence. C'est une preuve évidente
que nos chers missionnaires ne négligent pas l'étude de
la théologie.
L'étude des langues est aussi en honneur dans le vica-
riat, puisque tous les Pères, non seulement sont à même
de tenir conversation dans la langue du pays, mais en-
core peuvent prêcher en taraoul. Quant à l'anglais, tous
ou à peu près le parlent assez couramment, mais peu le
savent de façon à s'en servir en chaire. Cela vient de ce
que nos chrétiens de Jaffna, à peu d'exceptions près, ne
comprenant pas l'anglais, nous n'avons jamais l'occa-
sion de prêcher en cette langue.
L^esprit religieux dont sont animés les Oblats de Jaffna
est, en général, excellent. Ils estiment et aiment leur
sainte vocation, pratiquent fidèlement leurs vœux de re-
ligion. Si l'on trouvait quelque chose à redire, ce serait
peut-être au sujet du vœu de pauvreté, plus difficile à
pratiquer pour les missionnaires que pour ceux de nos
— 383 —
Pères qui vivent en communauté, parce qu'ils sont eux-
mêmes obligés d'administrer toutes leurs affaires tem-
porelles. Par cette remarque, nous ne prétendons pas
dire que les missionnaires font meilleure chère que les
autres, mais que le maniement de l'argent crée toujours
un danger par rapport au vœu de pauvreté.
Vie extérieure. — Quant aux diverses relations que les
missionnaires entretiennent, soit avec les catholiques,
soit avec les hérétiques ou païens, elles sont édifiantes
en tous points. D'ailleurs, les usages du pays sont tels,
qu'ils nous obligent à nous tenir toujours sur une grande
réserve. Ainsi, dans d'autres contrées, personne ne trou-
verait mauvais qu'un missionnaire ou un religieux allât
parfois dîner dans certaines familles ; à Jaffna, pareille
démarche serait absolument déplacée et contraire aux
usages. Ces usages favorisent beaucoup la pratique des
vertus religieuses et sont une puissante protection contre
les dangers qu'entraîne toujours la faiblesse humaine.
Dans le vicariat nous n'avons que deux districts : Jaffna
et Mannar. Dans ce dernier, il y a un supérieur et quatre
sujets seulement. Tous les autres Pères appartiennent
au district de Jaffna. La raison de celte grande différence
entre les deux districts s'explique par ce fait que presque
toute la population catholique du diocèse est groupée
dans là péninsule de Jaffna, tandis qu'en dehors de là
on ne trouve que des forêts à peu près inhabitées.
Actuellement le noviciat est vide; nous avons cepen-
dant quatre Frères scolastiques, dont trois ont fait les
vœux perpétuels ; l'un est diacre, l'autre sous-diacre, et
le troisième minoré. Le quatrième n'a fait que les vœux
d'un an et n'est pas tonsuré. La plupart de nos sémina-
ristes aspirent à la vie religieuse, telle qu'elle est prati-
quée dans notre Congrégation, et autant que possible
nous leur en facilitons l'entrée. Sur dix prêtres ceylanais
— 384 —
travaillant présentement dans le diocèse, huit font partie
de notre famille religieuse, quatre ont été ordonnés
depuis 1893, ainsi qu'un prêtre séculier. Nous sommes
heureux de pouvoir attester ici que ce sont de bons Oblats
sincèrement attachés à notre chère Congrégation. Il est
facile de prévoir dès maintenant que, parmi les prêtres
qui sortiront du séminaire, la proportion restera à peu
près la même entre les séculiers et les réguliers.
Travaux. — Pour donner une idée des travaux des
missionnaires de Jaffna, il suffit de transcrire les chiffres
imprimés sur une feuille ayant pour titre : Administratio
ecclesiastica m Jaffnensi diœcesi pro anno 1896-1897. Nous
y lisons ce qui suit :
Baptêmes d'enfants catholiques 1 460
— — d'hérétiques 2
— — d'infidèles 428
— d'adultes hérétiques 13
— — infidèles 121
Mariages 388
Confessions 43 260
Communions 40361
Extrêmes-onctions 472
Confirmations 912
Le Chapitre général voudra bien me permettre de com-
menter brièvement ces chiffres.
Je ferai remarquer d'abord que la population totale du
diocèse s'élève à 330 000 habitants environ, dont 40 000 ca-
tholiques; les protestants s'agitentbeaucoup pour aboutir
à des résultats presque insignifiants. Le territoire entier du
vicariat est divisé en dix-neuf Missions ou stations, dans
chacune desquelles un missionnaire réside d'une ma-
nière permanente. Depuis Tépoque du démembrement
du diocèse, nous avons divisé plusieurs missions, dont
l'administration était trop difficile pour un seul mission-
naire. Au fur et à mesure que Dieu nous enverra des su-
— 385 —
jets, nous nous proposons de les subdiviser encore pour
que l'action du prêtre se fasse plus efficacement sentir,
non seulement sur les chrétiens, mais encore sur les
nombreux païens qui les entourent.
Au sujet des baptêmes d'enfants, nous ferons remar-
quer que ce sacrement a été conféré à 428 enfants nés de
parents infidèles. Ces baptêmes n'ont pas tous été admi-
nistrés à l'article de la mort; plusieurs ont été donnés
à des enfants appartenant à des familles païennes, qui,
touchés par la grâce, ont embrassé notre sainte religion.
Quant aux enfants baptisés in articulo mortis, il serait
difficile d'en donner un chiffre absolument exact, car, à
Jaffna comme dans bien d'autres Missions, il esta crain-
dre que les baptiseurs ne nous trompent en nous don-
nant de faux comptes. Tout ce que nous pouvons faire,
c'est de prendre les précautions les plus minutieuses
pour être trompés le moins possible.
Dans le cours de l'année 1896-1897, 121 adultes païens
ont aussi reçu le saint baptême. On trouvera peut-être
que ce chifi're n'est pas très élevé ; mais tous savent que
les conversions dépendent moins des efforts et du zèle
des missionnaires que de la grâce de Dieu. Nous admet-
tons cependant que l'influence de certaines circonstances
extérieures, comme celle d'un gouvernement catholique
par exemple, soit un puissant motif pour déterminer de
nombreuses conversions. Ce n'est pas notre casa Ceylan,
puisque le gouvernement anglais, tout en nous laissant
pleine et entière liberté pour l'évangélisation des païens,
est protestant et de nom et de fait.
Le chiffre des confessions et communions annuelles ne
prouve pas absolument que tous nos catholiques se con-
fessent et communient, puisque partout il y a des gens
indifférents ou mal disposés, qui échappent à l'action du
missionnaire ou ne tiennent aucun compte de ses
— 386 —
exhortations; cependant ce chiffre démontre bien que la
vie chrétienne circule abondamment dans le troupeau
confié à nos soins.
On remarquera que le nombre des extrêmes-onctions
est considérablement inférieur à celui des naissances.
Cette différence ne prouve nullement que beaucoup de
nos malades meurent sans sacrements. Il est même très
rare qu'un malade meure privé des secours de la reli-
gion. Pour remplir ce ministère si consolant, nos mis-
sionnaires sont d'un dévouement admirable et ne crai-
gnent ni la chaleur du jour ni la difficulté des voyages.
Cette diff'érence provient plutôt de ce qu'en général la
race tamoule est très prolifique.
Depuis le dernier Chapitre général, le sacrement de
confirmation a été administré à 7 509 personnes dans le
diocèse de Jaffna, et à 10000 personnes environ dans
celui de Colombo pendant l'absence de Ms'' l'archevêque.
Il est bien évident qu'à l'avenir, avec un diocèse aussi
réduit, nous n'atteindrons plus ces chiffres.
ŒUVRES.
Séminaire. — Le séminaire de Jaffna, sans avoir Tim-
portance des séminaires d'Europe, est sorti pourtant des
difficultés qui enveloppent toujours les commencements
d'une œuvre. Jouissant, et à bon droit, d'une certaine
réputation, il possède des traditions et un esprit qui lui
sont propres. Ce n'est pas sans efforts que les Oblats sont
parvenus à obtenir ce résultat si essentiel pour l'avenir
du vicariat. M^'' Bonjean en jeta les premiers fondements
en 1873.
M^f Mélizan éleva les magnifiques bâtiments qui abri-
tent notre jeunesse cléricale. Je n'avais plus qu'à jouir
de tout ce qu'avaient fait mes vénérés prédécesseurs et
— 387 "
à organiser le personnel de telle façon qu'avec le temps
nous devions nécessairement recueillir les fruits de cette
œuvre bénie, que notre grand et saint pontife LéonXHI
a si chaudement recommandée aux évoques de l'Inde.
C'est dans cette intention que j'ai placé à la tête de l'éta-
blissement le R. P. Jules Collin, mon vicaire général.
Cet arrangement n'a offert aucune difficulté en raison
du très proche voisinage de l'évêché. Ses collègues au
séminaire sont les PP. Bouhy et Beaud, qui, tous deux,
ont des aptitudes spéciales pour ce genre de ministère,
et qui, en même temps, enseignent la philosophie et la
théologie. Les grands et petits séminaristes, bien qu'ha-
bitant le même établissement, vivent séparés et occupent
des quartiers différents. Actuellement nous ne comptons
que six grands séminaristes, dont deux sont diacres et
un sous-diacre.
Pendant longtemps, faute de ressources, nous n'avons
accepté que vingt petits séminaristes à la fois; mais l'an
dernier, voyant que la mort fauche impitoyablement et
rapidement parmi nos missionnaires, nous avons porté
leur chiffre à trente. Nous trouvons assez facilement d'ex-
cellentes vocations au sacerdoce, et cela s'explique par
le fait que, dans ce vicariat, nous possédons un grand
nombre de vieilles familles chrétiennes qui communi-
quent leur foi à leurs enfants, et s'estiment heureuses de
pouvoir les consacrer au service de Dieu. Actuellement
nos petits séminaristes sont au grand complet, et plu-
sieurs autres enfants attendent avec anxiété que des vides
se fassent et que les plus anciens passent au grand sémi-
naire.
Ces jeunes séminaristes, par leur piété et leur in-
telligence, nous donnent pleine satisfaction, et nous
avons tout lieu d'espérer que la plupart d'entre eux ob-
tiendront l'honneur du sacerdoce. Ils suivent, pour les
— 388 —
études secondaires, les classes du collège Saint-Patrick,
à proximité du séminaire.
Les Fi'ères indigènes de Saint- Joseph. — La petite Société
de ce nom, fondée par M^'' Bonjean, n'a fait, pour ainsi
dire, que végéter pendant de longues années. Aujour-
d'hui, sans compter le grand orphelinat de Colombogam,
ces Frères dirigent trois écoles dans nos principales Mis-
sions. L'impulsion nouvelle donnée à la piété et à l'étude
dans ces écoles, a fait ressortir le mérite de ces bons
Frères, et, peu de temps après, plusieurs jeunes gens
bien instruits ont sollicité avec instance leur admission
au noviciat. Aussi qu'est-il arrivé? Cette petite Société,
qui, en 1894, ne comptait que six ou sept membres, à la
retraite de 1897, en voyait vingt-deux prononcer des
vœux, soit perpétuels, soit temporaires. Le noviciat de
la Société est à Colombogam, et le Père chargé de l'or-
phelinat est en même temps, sous la haute autorité de
révêque, le directeur général de tous les Frères de Saint-
Joseph.
Les Sœurs indigènes de Saint-Pierre. — Toutes les
louanges que nous pourrions adresser à nos chers Frères
s'appliquent avec bien plus de raison encore aux Sœurs
indigènes de Saint-Pierre. Cette Société a pris naissance
à l'arrivée des Sœurs de la Sainte-Famille de Bordeaux,
en 1860. Depuis cette époque jusqu'en 1894, c'est-à-dire
jusqu'au temps de la division des diocèses, elle se com-
posa de deux parties bien distinctes : la branche tamoule
et la branche singhalaise, passée au vicariat de Co-
lombo. En 1894, la branche tamoule ne comptait encore
qu'une quinzaine de sujets. Après trente-quatre ans
d'existence, c'était un bien mince résultat, mais il n'y
a pas lieu de trop s'en étonner, car une fois entrées au
couvent, les Sœurs indigènes n'en sortaient plus.
A peine eus-je pris la direction du vicariat, que j'en-
— 389 —
voyai une petite colonie de Sœurs de Saint-Pierre dans
un village, distant de Jaffna d'une douzaine de milles.
Dans l'espace de quelques mois, grâce à l'influence
exercée par les religieuses, la population féminine chan-
gea si bien d'aspect et de manières que tous furent
émerveillés du succès. Voyant que les Sœurs indigènes
avaient une belle mission à remplir, plusieurs jeunes
filles, appartenant aux meilleures familles du pays, de-
mandèrent à faire partie de la Société ; les demandes
d'admission augmentèrent si bien que nous nous vîmes
dans l'heureuse obligation de bâtir un noviciat spécial
à neuf milles de Jaffna. Ce noviciat, parfaitement ap-
proprié à sa destination, a été pour nous l'occasion
d'une grosse dépense ; mais nous ne la regrettons pas
quand nous considérons les résultats obtenus en si peu
de temps, car trente-six sœurs indigènes tamoules ont
pris part à la dernière retraite. Il y a sept novices et
plusieurs postulantes attendent l'heureux moment oti
elles seront appelées à revêtir le saint habit.
Nous avons donné à cet établissement un aumônier
spécial dans la personne du bon P. Gouret. La supé-
rieure des religieuses européennes de Jaffna est de droit
supérieure des Sœurs indigènes, et sa première assis-
tante leur maîtresse des novices. Ce sont elles qui, sous
la haute direction de l'évêque, règlent tout ce qui con-
cerne la petite Société, et comme elles connaissent bien
la langue tamoule, il leur est facile, par leurs instructions
et exhortations, de les former à la piété et à la régula-
rité.
En dehors de Jaffna, les Sœurs indigènes ont déjà sept
petits couvents. Elles ne doivent jamais être moins de
trois et l'une d'elles est supérieure locale. Pour les
encourager et les maintenir dans l'esprit de leur voca-
tion, la Mère supérieure ou son assistante vont de temps
T. XXXVI. ^G
en temps les visiter et itispecter leurs travâbx. JdScJli'à
ce jour, leur dévouement a été merveilleusement béni
de Dieu ; les demandes d'entrée au noviciat continuent
à affluer et les populations à l'enti réclamëbl les petites
sœurs pour élever leurs enfants.
Pendant un certain laps de temps nous n'accepterons
plus de nouvelles fondations ; car, avant d'envoyer lés
SœUrs en mission, il importe de les fdt-mer à la vie reli-
gieuse et aux vertus qui leUr sont propres. Le ftoViciat
est de deux ans.
Orphelinats. — Dans le vicariat, nous avons deux
orphelinats, l'un pour les garçons et l'autre pour les
filles. En général, les enfants élevés dans ces établisse-
ments, sauf de rares exceptions, persévèrent dans la
foi qu'ils y ont reçue. Mais afin d'assurer cette persévé-
rance, nous avons soin de n'accepter, autant que pos-
sible, que des enfants nés dans une même région. Quand
plus tard ils retournent au village, ils ne sont pas isolés
et exposés à perdre la foi. Ils se soutiennent les Uns les
autres et reçoivent par intervalle la visite du mission-
naire qui a ainsi l'occasion de faire connaissance avec
d'autres familles païennes. Si les moyens le permettent,
ils achètent un petit terrain sur lequel ils bâtissent une
chapelle et une école et, ainsi, sansbruit, le catholicisrtie
s'implante au milieu des païens. Ceux-ci, attirés par la
nouveauté, redoutent moins de s'approcher du prêtre
et au bout de quelque temps nous comptons une petite
chrétienté de plus.
Ecoles. — A l'orphelinat des garçons, nous possédons
une école normale et une école industrielle. Dans la
première, nous admettons les enfants qui se distinguent
par leur intelligence et Tamour de l'étude; nous y rece-
vons aussi les jeunes gens catholiques, qui se sentent un
certain attrait pour devenir maîtres d'école. Chaque
-3^1 -
année, quelques-uns d'entre eux se présentent aux exa-
mens du gouvernement et y obtiennent leur brevet
d'instituteur. Le directeur de l'instruction publique dans
son rapport annuel n'a pas hésité à signaler cette école
comnae une des meilleures de l'île. Dans le vicariat, nous
avons quatre-vingt-huit écoles primaires avec quatre
mille neuf garçons et mille huit cent soixante-seize filles.
Les orphelins moins bien doués fréquentent l'école indus-
trielle, oh ils apprennent un métier qui leur permet
ensuite de gagner honnêtement leur vie.
Collège. — Tous nos efforts pour établir solidement
à Jaffna l'influence de notre sainte religion seraient à
peu près stériles si, pour l'éducation des enfants appar-
tenant aux meilleures familles, nous n'avions un col-
lège où ils puissent étudier l'anglais et se préparer aux
examens pour les emplois du gouvernement. C'est ce
qu'avait parfaitement compris M^"" Bonjean, qui com-
mença le collège Saint-Patrick. Depuis lors, l'œuvre
s'est considérablement développée, et aujourd'hui avec
deux Pères irlandais à la tête et une douzaine de profes-
seurs laïques, elle donne pleine satisfaction aux catho-
liques de Jaffna. Nous avons encore en vue certaines
améliorations, qu'avec l'aide de Dieu nous espérons
pouvoir mener à bonne fin.
Pour les jeunes filles de bonne famille nous avons
aussi une école anglaise tenue par les Sœurs de la Sainte-
Famille; quatre-vingt-deux jeunes filles, avec l'anglais,
y apprennent les arts propres à leur sexe.
Dans les principales localités du vicariat existent
quatre autres écoles, dans lesquelles l'anglais est ensei-
gné à trois cents enfants environ.
Cercle ou Club. — Jaffna possède un cercle ou club,
dont font partie les principaux catholiques, sous la direc-
tion d'un de nos missionnaires. Depuis treize ans, nous
— 392 —
louons une maison au centre de la ville et là, chaque soir,
se réunissent les membres du club, qui, pour se divertir,
trouvent des livres nombreux et variés, des journaux,
des revues et différents jeux, comme le billard, les
échecs, etc., etc. Depuis trois ans, nous prêchons
chaque année une retraite spéciale à ces messieurs. A
la dernière retraite de décembre, tous sans exception
ont rempli leurs devoirs religieux. Il est inutile d'ajou-
ter que cela nous a causé une joie très vive, car ce bon
exemple ne peut manquer de faire impression sur le
reste de la population.
Journal. — Bien que Jaffna soit une petite ville, cepen-
dant depuis longtemps déjà s'est fait sentir la nécessité
d'avoir un journal à nous, soit pour nous défendre
contre les attaques de nos ennemis, soit pour étendre
l'influence du catholicisme. M^' Bonjean fonda en 1876
le Jaffna Catholic Guardian. Au début, ce journal ne
parut que tous les quinze jours ; peu après, il devint
hebdomadaire. Deux pages étaient imprimées en an-
glais et deux autres en tamoul. En 1895, nous en avons
agrandi le format et séparé l'anglais du tamoul, cela
nous donne ainsi deux journaux, dont l'un en anglais
paraît chaque semaine et l'autre en tamoul tous les
quinze jours.
En 1897, nous avons commencé une autre publication
mensuelle en tamoul : le Messager de la Reine immaculée^
dont le but est d'entretenir la piété parmi les fidèles.
Toutes ces publications sont coûteuses ; mais le progrès
de la civilisation nous les impose.
Imprimerie. — Parmi les œuvres de Jaffna, je dois
aussi mentionner l'imprimerie, qui est sans contredit
la plus importante de la ville et qui depuis quelque
temps a pris de grands développements sous l'habile
direction du cher F. Grousseau, l'unique Frère convers
— 393 —
européen que nous ayons à Jaffna. Outre le journal, on
y imprime des livres de piété, nos livres d'écoles, des
cartes géographiques, etc., etc. Cet établissement (nous
l'espérons, du moins) finira par couvrir ses propres frais.
C'est là tout ce que nous demandons.
Les schismatiques goanais. — Après avoir passé nos
principales œuvres en revue, il ne sera pas inutile de
dire un mot des schismatiques goanais. Ces pauvres
gens, dont l'orgueil n'a d'égal que l'ignorance et la sot-
tise, se sont séparés de l'Eglise catholique en 1887, lors
de l'établissement de la hiérarchie dans les Indes. Ils se
sont donnés pour chef un certain Alvarez, prêtre défro-
qué qui se fait passer pour évêque. L'autorité ecclésias-
tique de Jaffna entama des procès pour être mise en
possession des églises dont ces schismatiques s'étaient
emparés, mais victorieux au tribunal de première ins-
tance, nous perdîmes toujours en suprême cour. M'étant
aperçu que plus on faisait attention à ces rebelles, plus
ils devenaient intraitables, je donnai l'ordre aux mis-
sionnaires de ne plus avoir l'air de s'occuper d'eux. A
Colombo, cette politique avait très bien réussi et depuis,
à Jaffna par deux fois, elle a failli amener la réconciha-
tion. C'est grâce à un misérable nommé Alexandre
qu'elle n'a pas encore abouti; mais nous espérons qu'a-
vec le temps et la patience, ces brebis égarées rentre-
ront de nouveau au bercail.
Rapport du vicariat de Natal.
Le pays de Natal, découvert le jour de Noël, il y a
trois cents ans, par Vasco de Gama, reçut ce beau nom
du célèbre navigateur. Que n'a-t-on pu dès lors y porter
le flambeau de la foi ! Mais malheureusement les mis-
sionnaires catholiques n'y ont pénétré que depuis peu
— 394 —
de temps, quand déjà tputeg ces régions subissaient l'in-
fluence de l'hérésie. M^"" Allard , de sainte mémoire,
accompagné dp quelques Oblats, a été le premier mis-
sionnaire catholique de ces pays. L'émigration irlandaise
qui a tant fait pour la foi en Amériqup et en Australie
ne s'est pas portée de ce cô^é ; avjssi la populatipi^ ca-
tholique de race européenne y est-elle peu nombreuse,
et niême depuis quelques années, plusieurs ont émigré
du Natal au Transvaal, attirés par l'appât de l'or. Ce-
pendant , malgré tout , le nombre des catholiques a
augmenté considérablement par la conversion des héré-
tiques et des infidèles. Le pays quj constitue aujour-
d'Jiui le vicariat de Natal ne contenait guère que
800 catholiques il y a vingt-trois ans ; il y en a aujour-
d'hui environ 12000, et notre population catholique est
maintenant supérie|:|re en nombre à celle des vicariats
voisins, grâce sijrtout au? conversions d'indigèflps. Mais
que ce nombre est encore petit quand on pense que
nqus avons autour de nous plus d'un million d'infidèles!
Longtemps on a semblé croire que les Zoulous ne
voudraient jamais se convertir au catholicisme. Mon
vénérable prédécesseur, M^"" Allard, secondé par de
zélés missionnaires Objats , travailla quelques années,
mais sans succès, parmi ces infidèles, et enfin découragé,
il les abandona pour aller, au delà des monts, porter
l'Évangile à la tribu voisine des Basutos, où il eut le
bonheur de fonder de belles chrétientés.
PERSONNEL DES MISSIONS.
Nous avons actuellement dans le vicariat de Natal
dix-huit Pères Oblats et quatre Ffères çonvers prpfps,
cinq prêtres séculiers y exercent aussi le saint ministère.
Oiitre les Trappistes et leurs Sœurs tertiaires, dopt nous
parlerons bientôt, six Congrégations différentes (Je re-
~ 395 -
ligieuses rendent à nos Mission^ des services iqappré-
ciables. Les premières sont les Sœurs de la Sainte-
Famille de Bordeaux, qui, depuis 1875, possèdent un
établissement dans les deux YÏHes principales du vicariat,
Maritzburg et Durban. Les religieuses Dominicaines ont
des écoles ^ Qakford, à Newcastle et en Zoulouland.
Les Sœurs de Sainte-Çrqix de Menzingen, en Suisse,
ont fondé quatre maisons dans la Cafrerie. Les Reli-
gieuses hospitalières de Saint-Augustip possèdent éga-
lement quatre maisons : Durban, Maritzburg, Ustcourtftt
Ladysmith. A Durban, les Sœurs de Nazareth s'occupent
des pauvres orphelins et des vieillards. Enfin, la Congré-
gation des Filles de Jésus, dont |a maison mère est située
à Kermaria, au diocèse de Vannes, nous a récen^ipnent
envoyé une première colonie de sept religieuses.
MISSIONS ET ŒUVRES.
Jjes Oblats, tout en desservant huit Missions indigènes
pour les Zoulous, sont de plus chargés des populations
de race européenne et des Indiens qu'on a fait \enir à
Natal pour travailler dans les plantations de sucre et qui
déjà atteignent en noipûbre les Européens. Disons un
mot de chacune de nos oeuvres principales :
1° Pietermaritzburg. — Quatre Pères exercent tç mi-
nistère paroissial dans cette ville, capitale de la colonie
de Natal et résidence du vicaire apostolique, ils dirigent
aussi, aidés de deux professeurs laïques, le petit collège
Saint - Charles . Un prêtre séculier est spécialement
chargé des Cafres, dont il connaît bien la langue. Outre,
l'église paroissiale, Pietermaritzburg possède deux; cha-
pelles avec école pour les indigènes et une chapelle avec
école pour les Indiens. Les Sœurs de l^i Sainte-Fainille
y ont un pensionnat de demoiselles avec externat; elles
ont aussi la direction d'unç école primaire, de, l'école
— 396 —
indienne, d'une des écoles cafres et d'un orphelinat où
sont élevées 62 jeunes filles, presque toutes de race
européenne. Les religieuses Augustines viennent aussi
d'ouvrir un hôpital ou sanatorium.
2° Durban (Port-Natal). — Cette ville, terminus né-
cessaire du commerce, où viennent aboutir tous les
chemins de fer, comptedéjà une population de 30 000 ha-
bitants et grandit tous les jours. Nous y avons cinq Pères
Oblats occupés aux divers travaux du ministère : pa-
roisse anglaise, instruction des créoles parlant français,
des Cafres et des Indiens. Au couvent de la Sainte-Fa-
mille sont annexés un pensionnat et un externat de
demoiselles, une école primaire et une école indienne ;
les Sœurs instruisent en tout 500 élèves environ. Aux
environs de Durban, se trouve la résidence du Bluff
(Falaise), où deux ou trois religieuses tiennent une
école cafre et un petit orphelinat de garçons. Sur la
colline Béréa, les Sœurs de la Sainte-Famille ont établi
leur noviciat ; elles font actuellement construire un
magnifique pensionnat. Les Religieuses Augustines di-
rigent sur la même colline, mais à 2 kilomètres plus
loin, un beau sanatorium admirablement situé. Là encore
se trouve l'établissement des Sœurs de Nazareth.
3° Bstcourt. — Un seul Père est chargé de cette Mis-
sion et du couvent des Religieuses iVugustines qui pren-
nent soin des enfants et des malades.
4» Ladysmith. — Les mêmes religieuses ont là aussi
un hôpital et des écoles. Un Père Oblat prend soin de
la Mission et d'un millier de soldats catholiques de la
garnison.
5° Newcastle. — Cette Mission, où les Religieuses Do-
minicaines ont des écoles, est confiée à un prêtre sécu-
lier, qui dessert également Dundee, où il va, une fois par
mois, dire la messe le dimanche.
— 397 —
6" Oakford. — Dans cette campagne, les Dominicaines
ont fondé de beaux établissements pour les blancs et
pour les noirs. Un Père Oblat, assisté d'un prêtre sécu-
lier infirme, est chargé de cette Mission, et de plus, de
celles de Blackburn et de Verulam, où l'on prêche en
français pour les créoles.
7° Kokstad{en Cafrerie). — Les Religieuses de Sainte-
Croix y ont un pensionnat, un externat et une œuvre
indigène. Un Père Oblat est chargé de la Mission.
8° Vmtata (en Cafrerie). — Les Religieuses de Sainte-
Croix tiennent en ce lieu un pensionnat, un externat, une
école pour les noirs et une ferme-école à une lieue de
la ville. Deux Pères prennent soin des catholiques de la
région et ont, en outre, à visiter Saint-John s et Mount-
Frere, où nous avons des chapelles.
Cala. — Petit village où les Sœurs de Sainte-Croix ont
un pensionnat, un externat, une œuvre pour les noirs,
le tout sous la direction d'un Père Oblat.
Trappistes. — Les œ-uvres des Trappistes se sont dé-
veloppées prodigieusement. Ils ont 18 stations sans
parler de quelques petites résidences. Le personnel de
leurs Missions comprend vingt-quatre prêtres, deux
cent cinquante Frères et presque autant de Sœurs ter-
tiaires. Ces Religieux possèdent, dans le vicariat, des
terres immenses et de grande valeur. Disposant de tant
d'ouvriers, aidés encore par les indigènes, leurs néo-
phytes, ils peuvent bâtir partout, à peu de frais, mais
solidement, des églises, des couvents et des écoles pour
les Cafres, cultiver les terres et développer des œuvres
industriellesimporlantes. Inutile d'insister surles détails ;
on comprend facilement que cette organisation puis-
sante des Trappistes, se joignant aux travaux non moins
importants des Oblats, et tous ces couvents de reli-
gieuses, avec leurs écoles, leurs hôpitaux, leurs orphe-
- 398 -
lin^ts, exerceront une grande jnfluepce pour la propa-
gation fie la foi catholique à Natal. Cependant, ce n'est
qu'un con^mencenjent, les filets vienpent d'être jeté^,
espérons pne pêche abondante dans un avenir prochaiq.
Un point noir, c'pst l'insuffisance d'écoles convenables
pour nos garçons, surtout à Durban, malgré toqs ^^ps
efforts et nos norpbreuses démarches pour obtenir des
Frères. En ce mpmept, ne comptant plijs sur les Frères
Maristes, nous espérons obtenir, l'année prqchaine, (^es
religieux enseignants d'une autre Congrégation.
L'esprit religieux de nos Pères et de nps Frères pst
bon ; tous sont sincèrement et profondément Qhlats.
Ge n'est R313 sans dqute la perfection absolue ; raj^^s le
Vicaire apostolique a au moins la grande consolation de
savoir que, comme il les aimc Ct les estime tous, de leur
côté Us lui sont siricèrement attachés, et pas \\ifi, ne
voudrait dire un mot pu fa^re un ^ctp de propps délibéré
de nature à lui faire de la peine. Il y a dans ces rappprts
si tendres et si affectueux une grande consolation pour
son cœvir d'Oblat, de supérieur et d'évêque.
Rapport du vicariat de rEtat libre d'Orange.
Le vicariat de l'Etat libre d'Orapge fpt érigé eri l'î^n-
née 1886, alors que l'immense vicariat de Natal était
divisé en trois portions.
Depuis le dernier Chapitre général, le vicariat de
l'Etat libre d'Orange a été divisé à son tour, çt le B.asvi-
toland en a été détaché, pour le plus grand b;en sans
doute, mais ce partage a laissé notrp vicariat po^nn^e un
des moindres, au point de yue des sujets, p^rmi ceux
confiés à la Congrégation.
Il n'y a que douze missionna,ires Oblats ppur un pays
certainerneî^t ptws étendu qv|e Ici Fr^ncç. Déj^ plus^jevirs
— 399 —
de ces Pères sont âgés et ne pourront continuer long-
temps à prendre part au ministère actif des Missions.
D'autres, plus jeunes, nQ|:}s furent surtout envoyas pour
des Tctisons de santé, parce qu'on jugeait que le climat
leur serait favorahfle.
L'exercice du saiiij, minisfère dans des pays ^ussi
vastes que le notre nécessite pne bonne et forfe pops-
titution, car souvent il faut entreprendre de longs
voyages et subir de grandes privations, chose que ne
peuvent pas faire ceux qui sont délicats (]e santé.
Cependant, en moyenne, la santé des pères est bonne.
Les occupations des Oblats du vicariat sopt de trqis
sortes. Plusieurs Pères s'occupent des catholiques dans
les villes, d'aptres visitent les fermiers CE^tholiques épars
dans le pays et quelques-uns se (lévouent à la conver-
sion des Gafres.
Il pst facilp de le voir, des pccupations de ce genre ne
facilitent pas toujours l'observance stricte de la vie régu-
lière. Dans les villes, nous avons très peu de Missions
qui puissent soutenir plus d'un prêtre et la visite des
différentes fermes entraîne plus ou moins avec elle une
certaine distraction. Cependant, je puis assurer qu'en
général les Pères du vicariat sont zélés et fidèles obser-
vateurs de la Règle, autant que les circq^stances le per-
mettent. Je pourrais même citer certains cas, où bien
que le prêtre soit seul, tous les exercices rel^gieiix sont
accomplis avec la même fidélité et ponctualité que si
la copimunauté se composait de vingt membres.
Dans les villes, le ministère des Pères est en tout ana-
logue à celui de nos Pères en Angleterre, c'est-à-dire
qu'ils oçit à conserver et à développer la foi (les catho-
liques, tout en travaillant à la conversion des héréti-
ques. Il est difficile de faire un bien réel auprès des indi-
gèpes des villes, par la raisqp que ces indigèpes ne
— 400 —
viennent que pour un certain temps demander du tra-
vail aux mines ou aux familles particulières. Nous
regrettons vivement cet état de chose, et nous nous en
sommes souvent préoccupés pour en venir toujours à
cette conclusion que, pour convertir les indigènes et
leur faire un bien solide, il faut habiter avec eux, dans
leur tribu, et pouvoir les suivre continuellement de près.
I. District de l'État libre d'Orange. — Notre vica-
riat contient différents districts qui ont chacun leur note
caractéristique. L'Etat libre d'Orange est une république
de Boers et elle est composée en entier de fermiers qui,
presque tous, professent le calvinisme dans toute sa
rigueur. Jusqu'à ce jour, les Boers ont été inaccessibles
au zèle de nos missionnaires. Il est vrai que peu à peu
leur fanatisme et leurs préjugés semblent diminuer,
mais c'est surtout aune certaine indifférence en matière
religieuse et au dégoût profond qne leur inspire main-
tenant le despotisme de leurs ministres, qu'il faut attri-
buer ces améliorations. Nos espérances de les convertir
sont encore bien faibles. Cependant en maintes circons-
tances, il nous a été donné de rencontrer une véritable
sympathie envers le prêtre catholique Là où il y a quel-
ques années encore nous ne trouvions que rebut et pres-
que haine. Nous devons attribuer en grande partie ce
changement à l'influence qu'exercent nos écoles, surtout
celles des couvents de religieuses. Les Boers, connaissant
l'excellence de notre éducation, aiment maintenant à
nous confier leurs enfants, et les enfants mis ainsi en
contact avec des maîtres et maîtresses chrétiennes sont
ensuite capables de corriger ou d'effacer ces mille no-
tions fausses et malicieuses que leurs parents et leurs
amis entretiennent depuis des siècles à l'égard de
l'Eglise catholique.
Dans l'Etat libre d'Orange, nous n'avons que quatre
— 401 —
Missions régulièrement établies et quatre autres sta-
tions.
1° Bloemfontein. — Cette ville, la capitale de l'Etat
libre d'Orange, possède une belle église et une mai-
son passable pour les missionnaires, les terrains sont
spacieux et le couvent y est vaste et excellent, avec un
pensionnat et deux écoles. Le pensionnat compte main-
tenant cent élèves internes ; c'est le plus grand établis-
sement de ce genre au sud de l'Afrique. Les écoles de
jour reçoivent plus de deux cents enfants, elles sont toutes
sous la direction des Sœurs de la Sainte-Famille. La
communauté desOblats se compose de trois Pères, mais
habituellement un seul mis^ionnaire garde la résidence
el prend soin des quatre cents catholiques de la ville,
tandis que ses confrères vont exercer le saint ministère
au loin.
L'un visiteles catholiques disséminés lelong du chemin ■
de fer sur un parcours d'environ quatre milles, et des-
sert la population catholique des villes de Brandfort et
Cronstadt.
L'autre passe une grande partie de l'année chez les
fermiers catholiques de l'Etat libre d'Orange. Il va de
ferme en ferme y dire la sainte messe, administrer les
sacrements et instruire les enfants qui, sans cela, n'au-
raient aucune chance de connaître notre sainte religion.
Quand il rencontre des fermiers à l'aise et à même de le
recevoir et de l'héberger, il passe quelquefois une se-
maine, même deux au même lieu, donnant la plus
grande partie de son temps à l'instruction de la jeu-
nesse.
2° Jagersfontein. — Cette ville minière de l'Etat libre
d'Orange ne compte pas plus de 120 catholiques. Malheu-
reusement, ceux-ci ouvrent plus volontiers leur bourse
qu'ils ne s'approchent des sacrements. Ils ont bâti à
- m -
ieurs frais une bëiie église et une résidence très confor-
table pour leur missionnaire. Nous avons à Jagersfori-
tein un excellent couvent de religieuses et une bonne
école. Environ 100 enfants fréquentent les classes coii-
fiées à cinq Sœurs de la Sainte-Famille. Le Père eii
charge de cette Mission visite aussi les fermiers catho-
liques du sud de l'Etat libre d'Orange.
3° Collège Saint-Léon. — Cet établissement fut établi
il y a environ six ans à l'effet de fournir une bonne et
facile éducation aux enfants de nos fermiers catholiques
et cela à des prix moins coûteux que dans les villes.
Nous avions aussi l'intention de recevoir là les enfants
des fermiers calvinistes honorables des environs.
A cet effet, nous fîmes l'achat d'une belle et vaste
ferme, sur laquelle une partie d'un futur collège fut éri-
gée à grands frais. Après un an d'expérience, il nous fut
facile de voir que la difQcullé d'envoyer les enfants à
cet établissement éloigné d'environ 60 milles du che-
min de fer, serait un très grand obstacle au développe-
ment du collège. De plus, faute de personnel capable
fourni par notre Congrégation, il nous fallut employer
des maîtres laïques, ce qui empêcha grandement la réali-
sation de nos espérances. Mais nous avons confiance
qu'avec le nouvel embranchement du chemin de fer que
la République de l'Etat libre d'Orange se propose de
faire passer à environ une demi-heure du collège, lés
difficultés cesseront et que l'institution Saint-Léon
verra des jours plus heureux.
4» Hari'ismith. — Cette Mission a été fondée depuis le
dernier Chapitre, non seulement pour la poignée de
catholiques de cette ville, mais aussi et surtout comme
un centre et pied à terre pour le missionnaire qui visite-
rait les catholiques répandus dans les environs, à une
distance très considérable. Quand l'éghse et le près-
— 403 —
bytère furent édifiés à Hârrismithj il îi'y atait guèf-ë dans
cette localité que 80 catholiques ; malheureusement leur
nombre, au lieu d'augmenter, a diminué depuis,
n. Griqualand-West. — i" Kimberleij. — C'est la ville
principale du district et la résidence du Vicaire aposto-
lique et de trois Pères. Sa population s'élève à 40000
ârties. On y trouve des représentants de toutes nationa-
lités, de toutes langues, de toutes couleurs et de toutes
religions. Il y a environ 2000 catholiques. L'église de
Kimbèrièy est assez convenable ainsi que la résidence
des Oblàts. Les Sœurs de la Sainte-Famille dirigent une
école supérieure pour les jeunes filles et une école pa-
roissiale, fréquentée par 300 enfants. Un peu plus loin,
nous avons érigé dernièrement, au prix de 60000 francs,
une école pour les garçons. Elle est èonfiée aux Frères
des Ecoles chrétiennes venus d'Irlande. Déjà 100 enfants
fréquentent les classes. Bientôt ce nombre sera doublé,
car l'école ne cornpte encore que six mois d'existence.
Mentionnons aussi l'orphelinat des Sœurs de Nazareth
ou Petites Sœurs des pauvres; 140 vieillards ou enfants
délaissés sont confiés aux soins de ces bonnes reli-
gieuses.
Le ministère, à Kimberley, est très pénible, tant à
cause du climat qu'à catise de la configuration bizarre
et misérable de la ville. La visite des malades oblige
souvent les Pères à faire de longues courses dans le
district. Une fois par mois, un missionnaire de Kimber-
ley célèbre la sainte messe dans un petit village à
3 milles de la ville et dessert, en outre, une autre Mis-
sion sur la rivière Vaal, où sont fixés un certain nombre
de mineurs catholiques.
2° Beaconsfield. — Cette MissiOn, située à quelques
milles de Kimberley^ ne compte que 400 catholiques ;
aussi, nrt seul Père suffit-il à tons lès travaux du saint
ministère. Beaconsfîeld nous a toujours donné la plus
grande satisfaction, à cause de la piété et du bon esprit
des catholiques. Il y a là une église en tôle galvanisée
très convenable et une bonne résidence pour le prêtre,
ainsi qu'une école où 100 enfants reçoivent l'instruction
des Sœurs de la Sainte-Famille.
Bechuanaland. — Après le dernier Chapitre général
de 1893, nous prîmes possession de cette immense con-
trée du Bechuanaland, qui s'étend depuis le Vaal-River
jusqu'au tropique du Capricorne, dans le nord. Jusqu'à
présent, on n'a jamais pu arriver à déterminer exacte-
ment le nombre d'indigènes ou Bechuanas qui peuplent
ce pays; mais tous les officiers du gouvernement et les
voyageurs s'accordent à dire que le nord du Bechuana-
land comprend plus d'un million d'infidèles. C'était au
centre de ces tribus que nous avions d'abord désiré éta-
blir nos Missions ; mais des difficultés de tout genre
nous forcèrent à chercher une place dans le Sud pour y
commencer notre première Mission pour les Bechuanas.
Ces pauvres enfants du désert n'avaient encore jamais
vu de prêtre ni entendu parler de l'Église catholique.
Pendant quelques années, il est vrai, les Pères du Saint-
Esprit, qui descendaient de la haute et de la basse
Cimbébasie, essayèrent d'implanter la religion dans le
Bechuanaland ; mais ils abandonnèrent bien vite le ter-
rain, trouvant la tâche trop ardue; et, ne connaissant
pas la langue des Bechuanas, ils crurent ce travail au-
dessus de leur force. C'est ainsi que les Oblats durent
accepter ce que d'autres ne voulaient plus. Depuis que
le Bechuanaland a été rattaché au vicariat de l'État
libre d'Orange, nous avons établi deux Missions dans le
pays : l'une pour les blancs, à Mafeking ; l'autre pour
les noirs, à Taungs.
1° Mafeking. — La Mission ne se compose guère en-
— 405 —
core que d'une petite chapelle avec une chambre pour
le prêtre. Dernièrement, les Sœurs de la Merci y ont ou-
vert une école. J'apprends avec bonheur qu'elle compte
déjà plus de 100 élèves.
2° Taungs. — La Mission Saint-Paul de Taungs a deux
ans d'existence. Elle a une église en pierre, un presby-
tère en briques cuites et de grandes écoles pouvant con-
tenir 200 indigènes. Nous avons, en outre, acheté là pour
l'usage des Sœurs, une grande bâtisse capable de rece-
voir douze religieuses dès que je pourrai trouver une
communauté.
Cette station de Taungs est située au centre de col-
lines qui s'étendent en amphithéâtre autour de la Mis-
sion; au sommet de ces collines, en vue delà maison
du missionnaire , habite une population de plus de
12 000 Gafres. Une belle cloche, don du R. P. PtEY à la
Mission Saint-Paul, peut être entendue de toutes les
huttes de la ville cafre.
Dès le premier dimanche qui suivit l'ouverture de
l'église, la chapelle se trouva pleine de païens désireux
de voir les cérémonies de notre sainte religion. Il n'y
avait pas un seul chrétien parmi eux, mais tous vou-
laient entendre ce que l'Eglise calholique aurait à leur
enseigner. Le R. P. Porte ayant acquis de l'expérience
en Basutoland et parfaitement au courant de la langue
et des coutumes cafres, n'eut pas de peine à entretenir
et à satisfaire la curiosité de son auditoire qui assista
pendant plusieurs mois à toutes les réunions du diman-
che. Entin un certain nombre demandèrent leur admis-
sion dans l'Eglise catholique. Ils furent admis au caté-
chuménat et vinrent à la Mission régulièrement deux
fois par semaine se faire instruire de notre sainte reli-
gion, et cela pendant dix-huit mois.
Pendant la famine, le missionnaire baptisa environ
T. XXXVI. 27
— 406 —
100 adultes ou enfants in articula môrtis, et nous avons
appris avec joie que, le 17 mars dernier, le R. P. Lenoir,
vicaire général, a donné solennellement le baptême à
environ 100 personnes qui s'y étaient préparées et avaient
achevé leur caléchuménat.
Tels ont été les premiers fruits de la Foi en Bechua-
naland.
Nous avons tout lieu d'espérer qu'avec le temps et la
bénédiction d'en haut, Saint-Paul de Taungs deviendra
une des plus florissantes Missions établies pour la con-
version des noirs dans le sud-africain.
Statistiques du vicariat de l'État libre d' Orange. — Nous
ne donnons ici qu'un résumé succinct des statistiques
du vicariat.
Le vicariat de l'Etat libre d'Orange se compose d'un
vicaire apostolique et vicaire des Missions, de douze prê-
tres Oblats, de deux Frères convers Oblats, de trois Frères
des Ecoles chrétiennes et de soixante religieuses de dif-
iférents ordres.
Le vicariat compte environ 4000 catholiques, près de
140000 hérétiques et plus de 1 million de païens indi-
gènes.
Nous avons 8 églises, 13 écoles, et, en outre, du per-
sonnel religieux enseignant, 8 instituteurs ou institu-
trices laïques nous prêtent leur concours. Environ
1000 enfants reçoivent l'éducation dans nos écoles :
3ô0 garçons et 550 filles.
— 407 —
Rapport de la préfecture apostolique du Basutoland.
Jusqu'au Chapitre général de 1893, le Basutoland faisait
partie du vicariat apostolique de l'État libre d'Orange.
Sur la demande de W"" Gaughran, il fut alors érigé par
la Sacrée Congrégation de la Propagande en préfecture
apostolique. Le R. P. Monginoux, qui avait précédem-
ment exercé le saint ministère dans ce pays, fut appelé
de Natal pour prendre en main le gouvernement de la
nouvelle Mission. Il arriva au mois d'octobre 1894, visita
toutes les stations établies, en fonda une nouvelle à Qu-
thing, dans la montagne, et posa la première pierre d'une
église à Roma. Peu après, le R. P. Monginoux regagnait
Natal, laissant la succession de la préfecture du Basuto-
land au R. P. Baudry, supérieur de la maison de Durban.
Ce changement s'opéra à l'époque de la visite canonique
du R. P. AuGiER, Cassien.
Environ deux ans après, au mois d'août 1897, le
R. P. Cénez succédait au R. P. Baudry, que l'obéissance
envoyait au Transvaal. Ces mutations successives n'ont
guère contribué, on le conçoit aisément, à l'améliora-
tion et au progrès des diverses Missions qui sont restées
à peu près dans le statu quo au point de vue matériel.
Mais on peut affirmer que les pratiques de la vie reli-
gieuse et le labeur du ministère n'en ont point souffert.
Plus que jamais, ce qui n'est pas peu dire, nos vétérans
se sont efforcés d'atteindre aux sommets de la perfec-
tion, pendant que les plus jeunes, en vertu du mouve-
ment imprimé au noviciat et au scolasticat, ont essayé
de marcher sur leurs traces.
I. RoMA. — La seule maison régulièrement constituée
de la préfecture du Basutoland est celle de Roma, qui
— 408 —
compte cinq Pères et sept Frères convers. Le mission
naire chargé de la paroisse et du couvent et celui qui
dessert les quatre stations avoisinantes ont un vicaire
qui leur prête successivement son concours. Deux jeunes
Pères achèvent leurs études théologiques tout en appre-
nant la langue du pays.L'école,fréquentéepar 85 élèves,
est sous la direction d'un Frère convers aidé d'un maître
indigène. Quatre Frères enseignent divers métiers aux
30 jeunes gens de l'école industrielle; les deux autres se
partagentlestravauxde la cuisine et dujardinage. Tous ces
excellents religieux forment une communauté où règne
l'union et la régularité. Sur les registres de Roma, sont
inscrits 1800 baptêmes ; depuis 1893^, on en compte 362 ;
ils ont atteint, dans la seule année 1897, le chiffre de 150.
On a célébré 81 mariages depuis le dernier Chapitre et
fait 98 sépultures. Il est facile de comprendre que l'ad-
ministration de cette Mission et du couvent, joint à la
surveillance des écoles, à la visite et à l'instruction des
malades et des catéchumènes dispersés çà et là, est une
rude besogne pour un seul missionnaire. Les Sœurs de
la Sainte-Famille sont au nombre de seize, douze Euro-
péennes et quatre indigènes. Le pensionnat dont elles
ont la direction comprend 90 filles, qui remplissent, à
elles seules, la petite maison qui sert d'église depuis sept
ans. Le reste des fidèles assiste aux offices en plein air,
sous la pluie ou le soleil, selon la saison.
Autour de Roma, nous avons quatre annexes :
\° 5ai«^^/^c/^e/ (783 baptêmes, 15 catéchumènes).—
Cette station, où deux Sœurs tiennent une école pour
les filles et quelques petits garçons, a souffert du chan-
gement fréquent de directeur. Là, en effet, comme dans
les autres stations dépendantes de Roma, se forment les
nouveaux missionnaires ; une fois suffisamment exercés
pour diriger une Mission, ils cèdent la place à d'autres
— 409 —
plus jeunes. Une maladie épidéraique semble vouloir, en
y décimant la population, ramener nos chrétiens à une
plus grande ferveur.
2° Nazareth. — Avec une école, on eût recueilli en ce
lieu d'excellents résultats. Il n'y a malheureusement
plus ni église, ni maison ; c'est une véritable ruine. Ce-
pendant beaucoup de païens veulent se convertir; nous
comptons une centaine de chrétiens, plus une quinzaine
de catéchumènes.
3° Thaba-Bosiho. — Une grande épreuve s'est abattue
sur cette station au moment oti les conversions s'an-
nonçaient nombreuses et oti nous nous préparions à
fonder une école. Le chef Masupha a été chassé de son
village, qui a été entièrement détruit. Chrétiens et ca-
téchumènes sont dispersés pour le moment. Nous espé-
rons que beaucoup pourront revenir assez près de la
Mission. Nous avions 20 catéchumènes, dont plusieurs
officiers de Masupha; les protestants, en assez grand
nombre, se rapprochaient du catholicisme.
4° Loretta. — C'est une station de fondation récente,
près Maseru, siège du gouvernement. On y a bâti une
maison comprenant trois chambres, dont une sert de
chapelle. Elle n'abrite guère que le quart des gens qui
viennent aux offices. On y a aussi jeté les fondations
d'une église, que nous n'avons pu élever faute de res-
sources. A peine établie depuis un an, cette mission
donne d'excellents résultats. Il y a au moins 45 caté-
chumènes, dont beaucoup d'hommes, chose rare au
Basutoland. Que serait-ce si nous avions là une église et
une école?
IL KoROKORO. — C'est la plus importante Mission après
Roma et celle où s'opèrent, pour le moment, le plus de
conversions. Avec son annexe de Massabielle^ dont l'école
— 410 —
est aujourd'hui tenue par une pieuse demoiselle venue
de Nalal, Korokoro compte, d'inscrits sur ses registres,
885 baptêmes; soit 476 depuis 1893. L'année dernière,
82 catéchumènes ont reçu ce sacrement de la régénéra-
tion. Aujourd'hui encore, il n'y en a pas moins de 90 qui
se préparent à le recevoir. Ses deux écoles sont fréquen-
tées par 146 enfants. Le total des communions pascales,
en 1897, s'est élevé à 300; cela donne une idée de la
somme de travail que doit fournir l'unique mission-
naire à qui incombe le soin de ce troupeau, surtout si
l'on songe que les chrétiens habitent, la plupart, à une
grande distance de la Mission.
IIL Sainte-Monique (786 baptêmes, dont 313 depuis le
dernier Chapitre et 69 en 1897). — Pour desservir cette
Mission et son annexe, il faudrait connaître toutes les lan-
gues, tellement la population est mélangée. A la station
de la Bienheureuse- M ar guérite- M arie,'û n'y a qu'une cin-
quantaine de chrétiens et une dizaine de catéchumènes.
Preuve frappante qu'une station sans écoles ne produit
pas de sérieux résultats. Si on pouvait y établir une école
tenue par deux religieuses ou un Frère convers et visi-
tée par le missionnaire une ou deux fois par semaine,
tout irait à merveille. A Sainte-Monique, les classes ne
sont pas très fréquentées, par la raison que, les chré-
tiens étant loin, les enfants devraient être pension-
naires ; mais la pauvreté de la Mission ne permet d'en
accepter qu'un nombre restreint. Le Frère a, dans sa
classe, 22 garçons, et les quatre Sœurs, dont une in-
digène, une trentaine de filles.
IV. MoNTOLivET. — Une grande église, de date récente,
est le plus bel ornement de celte résidence. Elle est fré-
quentée par près de 400 chrétiens et 31 catéchumènes.
Il ne manque plus, à Montolivet, qu'un local pour
— 4H —
l'école et une maison pour le Père; la Mission serait
alors complète. Trois Sœurs et un maître indigène se
partagent 70 écoliers.
V. Gethsémani. — On y a fait 27 baptêmes en 1897,
95 depuis 1893 et 249 en tout. Environ 35 à 40 enfants
fréquentent l'école tenue par les Sœurs. S'il y a peu de
conversions, c'est que le missionnaire vise plutôt à la
qualité qu'à la quantité. Il faut penser à l'avenir et donner
à la chrétienté des h^ses solides.
VI. SiON. — Le R. P. Porte a jeté les fondations de
cette Mission, qui n'a pas réalisé toutes les espérances
qu'elle faisait concevoir au début. Depuis le départ du
R. P. Porte pour le Béchuanaland, il n'y a guère eu que
80 baptêmes. Cependant, le mouvement des conver-
sions semble reprendre un peu. On y compte, en tout,
240 chrétiens et 28 catéchumènes. Un Frère fait l'école
à une trentaine de garçons, et, depuis trois ans, les
Sœurs y instruisent une cinquantaine de filles.
Par l'examen des chiffres contenus dans ce rapport, il
est facile de constater que si, au point de vue matériel,
nos missions ne sont pas en progrès, elles continuent, au
spirituel, leur marche ascendante; chaque année voit
augmenter le nombre des conversions.
Voici le tableau comparatif de la préfecture aposto-
lique du Basutoland :
1893. 18!I8.
Prêtres S 11
Frères convers H y
Religieuses européennes 22 ii
— indigènes 7 8
Chrétiens 3 737 5 233
Catéchumènes 155 833
Les conversions se multiplieraient si nous pouvions
— 412 -
éleudre notre sphère d'action. En plusieurs villages, les
chefs nous réclament et nous offrent des terres pour
l'établissement d'une mission. Il faudrait pouvoir ac-
cepter aussitôt, clôturer le terrain et y construire des
chapelles-écoles. Mais le plus indispensable, pour le
moment, c'est le complet achèvement de la Mission de
Maseru, la fondation de deux nouvelles stations entre
Montolivet et Quthing, sans parler de plusieurs écoles.
Pour la création de ces œuvres, nous n'avons absolu-
ment d'autres ressources que l'allocation de la Propa-
gation de la Foi.
Je ne parle pas des subventions que nous accorde le
gouvernement pour nos écoles ; c'est à peine suffisant
pour l'entretien des enfants, internes en majeure partie.
Nous possédons des terrains de grande étendue, mais le
profit que nous retirerions de la culture de ces champs
n'égalerait point le travail; car, si la récolte est bonne,
le grain se vend à un prix dérisoire. D'ailleurs, la peste
bovine, en détruisant les troupeaux, nous a mis dans
l'impossibilité de labourer nos terres. A l'exception de
Roraa, où il reste encore quelques bœufs, les autres Mis-
sions ne possèdent plus une seule bête à cornes. Pour
leur donner les moyens de tirer quelque chose de nos
terres, il faudrait acheter 30 ou 40 bœufs, et, depuis la
maladie, on n'en trouve qu'à des prix déraisonnables.
Loin de nous venir en aide, les chrétiens sont tombés
eux-mêmes dans la misère, implorant la charité du mis-
sionnaire. Que la divine Providence et notre chère Con-
grégation daignent prendre en pitié la mission si éprou-
vée du Basutoland; sinon, au lieu d'aller toujours de
l'avant, nous nous verrons contraints de céder le terrain
conquis sur le paganisme et l'hérésie.
— 413 —
Rapport de la préfecture apostolique de la Cimbébasie
inférieure [Damaraland).
Comme un jeune enfant qui a peu de choses à dire,
point de hauts faits ni d'œuvres magnifiques à raconter,
nous n'avons à vous parler que de l'origine de la préfec-
ture apostolique de la Cimbébasie inférieure, des peines
et des misères inséparables de toute fondation et des loin-
taines espérances que nous fondons sur cette Mission.
Qu'il nous soit d'abord permis de payer un tribut
d'hommage et de reconnaissance à un Oblat à qui
nous devons beaucoup. Si nos Pères du Transvaal pleu-
rent la mort si prématurée et si subite du R. P. Schoch,
nous joignons nos regrets à leurs regrets, nos larmes à
leurs larmes. Je ne puis dire les fatigues que cet intré-
pide missionnaire, que la Providence nous fît si heu-
reusement rencontrer à notre arrivée sur le noir conti-
nent, a endurées durant son voyage d'exploration de
six mois à travers le Damaraland. Toujours en char-
rette à bœufs et accompagné seulement d'un blanc et
d'un indigène, le vénéré préfet apostolique du Trans-
vaal sut partout, grâce à son expérience de dix-sept an-
nées passées en Afrique et à son amabilité, se concilier
l'estime, la confiance, je dirai même l'affection de tous,
des colons comme des soldats, des chefs sauvages
comme de l'autorité civile et militaire de ce pays. Il fut
toujours un conseiller sage, ayant une parfaite connais-
sance des hommes et des choses. Que Dieu prenne pitié
de l'âme de ce vaillant apôtre et le dédommage au
centuple des fatigues endurées pour la Mission du Da-
maraland, et qui sont un gage certain d'une abondante
moisson.
C'est le 1" août 1892 que la Sacrée Congrégation de la
— 414 —
Propagande, divisant en trois l'ancienne Mission des Pères
du Saint-Esprit, en confia la partie du milieu, qui forme le
nord de la colonie du Sud-Ouest africain allemand, aux
Oblats de Marie Immaculée. Comme limites, elle assigna
à cette préfecture apostolique, qu'elle nomma Cimbéba-
sie inférieure, au nord, le fleuve Gunène et le méridien
qui le suit (limite politique des possessions allemandes
et portugaises) : à l'est, le 22' degré de longitude est de
Greenwich; au sud, le 23^ degré de latitude australe.
L'océan Atlantique forme, à l'ouest, la limite naturelle
et nous permet de correspondre avec la mère-patrie.
Cependant, après ce partage, la Gimbébasie resta en-
tièrement, durant quatre années encore, aux mains des
protestants allemands et danois, qui y sont établis de-
puis plus d'un demi-siècle. On était alors en pourpar-
lers avec le gouvernement allemand à Berlin. Enfin,
après bien des démarches, le 4 juillet 189H, M. Kayser,
directeur du département des colonies, nous fil savoir
que le gouvernement impérial verrait avec reconnais-
sance et satisfaction des missionnaires catholiques se
dévouer aux colons et aux soldats européens, sans tou-
tefois s'adonner à l'évangélisation des indigènes dans
ces parties du Protectorat occupées depuis de longues
années par les ministres protestants. Le motif mis en
avant était les dispositions peu pacifiques de ces peu-
plades et la crainte de plus grands troubles encore si
deux confessions opposées allaient se trouver face à face
en ces contrées. Pourtant, cette réserve n'aurait qu'une
durée limitée et tomberait d'elle-même avec la cessa-
tion des troubles. D'ailleurs, antérieurement, le 17 dé-
cembre 1893, le gouvernement nous avait assigné une
partie du pays, comprise entre le 17^ degré de longitude
est et le 19"'30' de latitude sud, où nous pourrions jeter
la semence de la bonne nouvelle parmi les tribus des
~ 415 —
Dirikos, des Dimbos et des Ovambukuschus et autres.
De plus, on accordait au missionnaire une allocation
annuelle de 6 000 marcs pour l'aumônerie militaire.
Tout cela étant réglé et accepté, le T. R. P. Soullier
envoya, en septembre 1896, deux Pères et un Frère
convers défricher un champ fécondé déjà par les sueurs
de plusieurs Pères du Saint-Esprit, que la haine et la
jalousie protestantes firent chasser d'Omaruru, oh ils
possédaient une école florissante et où j'ai vu encore,
les larmes aux yeux, les ruines de leur modeste de-
meure et de leur humble chapelle, champ arrosé même
du sang de plusieurs missionnaires de la même Congré-
gation, qui ont trouvé la mort dans la partie nord-
ouest du pays chez les Ovambos.
Le territoire confié aux Oblats mesure une superficie
de 523 000 kilomètres carrés ; il est, par conséquent,
presque aussi étendu que la France. Ce sont de vastes
plaines sablonneuses, le long du littoral, d'une largeur
de 60 à 70 kilomètres ; d'immenses champs semés de
pierres et de roches ; des prairies où paissent les trou-
peaux du Héréro ; des blocs de rochers brisés, fendus,
jetés les uns contre les autres et des chaînes de monta-
gnes assez élevées. On souffre surtout du manque d'eau.
La pluie ne tombe qu'à certaines époques, au mois d'oc-
tobre quelquefois ; mais c'est en décembre, janvier,
février, mars, la saison des grandes pluies. Dans la par-
tie sud et au centre du pays, il pleut pour ainsi dire
chaque année ; le long de la côte, c'est la sécheresse
absolue. Les pluies, précédées de tourbillons de pous-
sière, de tempêtes et d'orages, sont très violentes ; mal-
heur à l'imprudent voyageur campé dans le lit desséché
d'un fieuve et qui y aurait laissé paître ses bœufs. Il
éprouverait le sort de ce pauvre soldat et de trois indi-
gènes, que les eaux, se précipitant irrésistiblss, hautes
— 416 —
comme des murailles, rapides comme la foudre, entraî-
nèrent récemment à une mort affreuse avec les quarante
chevaux confiés à leur garde. Mais ces torrents s'écoulent
rapidement et, quelques jours plus tard, tout est à sec,
un beau ciel bleu s'étend au-dessus de votre tête et le
sable grince sous vos pieds. Rarement les fleuves mènent
leurs eaux jusqu'à la mer. Il est facile de comprendre
que la végétation da sol s'en ressent et qu'il n'y ait de
jardins et de champs cultivés qu'aux environs des
sources et de quelques endroits plus favorisés. On ne
trouve pas de véritables bois ou forêts, ce ne sont ordi-
nairement que des buissons épineux, parmi lesquels se
distingue le Wacht en bietje, terme hollandais, qui si-
gnifie attends un peu. Le Nord, cependant, est plus favo-
risé sous le rapport de l'eau et, par conséquent, plus
fertile. Le climat de laCimbébasie, si l'on en excepte la
partie ^septentrionale, est un des meilleurs et des plus
favorables. L'air est sec, serein, transparent, rappro-
chant les objets démesurément. La chaleur du soleil
varie d'une manière incroyable. On ne distingue que
deux saisons : les mois de juin, juillet, août et sep-
tembre, forment la saison d'hiver ; les autres mois de
l'année, la saison d'été. Au mois de septembre, le capi-
taine de Français a compté, à l'ombre, 29 degrés Cel-
sius, et, en plein soleil, .o9 degrés; la nuit, le thermo-
mètre descendait à 9 ou 7 degrés au-dessous de zéro, ce
qui montre la différence énorme de la température à
l'ombre et au soleil et durant la nuit. Le maximum ab-
solu, à l'ombre, à l'époque des plus grandes chaleurs,
atteint jusqu'à o8 degrés Celsius, et la nuit, le minimum
absolu est de 13 degrés au-dessus de zéro; l'hiver, le
maximum absolu est d'environ 28 degrés et le minimum
descend jusqu'à 9 degrés. Pendant la saison pluvieuse,
la plaine se couvre en quelques jours d'une luxuriante
— 417 —
verdure ; l'herbe, se desséchant ensuite sur pied, sert
de pâturage aux troupeaux, lesquels s'y promènent en
toute liberté, sous la garde d'un Cafre, qui, le plus sou-
vent, en compagnie de ses chiens hargneux, préfère se
coucher à l'ombre d'un buisson épineux, se mettant
peu en peine si un bœuf vient à se perdre.
La population qui occupe ce territoire immense est
très variée. Au nord, habitent les Ovambos, au nombre
de 53 000 ; c'est une tribu laborieuse, adonnée à la cul-
ture du sol très fertile et riche en sources, travaillant
le cuivre fourni par les mines d'Otavi, fabriquant des
ornements de peau pour des femmes héréros, mais dé-
testant les étrangers. Au centre de la préfecture et en sa
partie sud, on rencontre les Héréros, tribu parente des
Ovambos, au nombre de 100000, hommes grands et bien
faits, mais traînant l'image du Créateur dans la boue in-
fecte d'une immoralité dégradante. Peuple pasteur, il
élève de nombreux troupeaux de bœufs et de moutons.
On trouve encore lesDamaras des montagnes, au nombre
d'environ 36 000, race pour ainsi dire esclave des autres,
qui la méprisent; les Namas ou Hottentols, dont les tri-
bus nombreuses habitent principalement, ainsi que les
Baslards,race descendue d'anciens Hollandais unis à des
femmes hottentotes, la partie sud de la colonie. Ces deux
peuplades comprennent ensemble environ 10000 âmes.
Ajoutez à ces indigènes quelques tribus de Bushmen et
vous aurez la somme totale de la population, moins les
Européens, dont on évaluait le chiffre en 1896 à 2000 ;
ce sontj principalement des Allemands, pour la plupart
protestants, des Anglais, des Boers et des Capmen.
La langue des Ovambos et des Héréros a assez de res-
semblance pour démontrer une même origine et a pour-
tant des divergences telles qu'elles constituent chacune
un idiome particulier. Riches en voyelleS; elles n'ont de
— 418 —
difficile que la division des substantifs en liuit classes, se
distinguant chacune par un préfixe particulier, divers
à son tour de celui du pluriel, et ces préfixes, variant pour
les génitifs, les adjectifs et pronoms, tant au singulier
qu'au pluriel, restent invariables à tous les temps et
modes du verbe ; affaire de mémoire que la bonne
volonté fera surmonter quand le besoin de parler ces
langues se fera sentir. Le hottentot que parlent égale-
ment les Damaras des montagnes, race pourtant entière-
ment distincte, se rapproche de la langue des Bushmen.
Ces deux langues ont cela de particulier qu'elles pos-
sèdent des sons produits par le claquement de la langue
soit contre les dents de devant ou de côté, soit contre
le haut ou l'arrière du palais , mais la langue des
Bushmen est plus riche et diffère tellement qu'un Nama
peut à peine comprendre un Bushman. Les Bastards
enfin parlent une espèce de hollandais corrompu qu'on
nomme le caphoUandais dont se fservent également les
Boers.
Revenons maintenant à la prise de possession du
Damaraland par les missionnaires Oblats. Le 5 no-
vembre 1896, les PP. Herrma!s-n etFiLLicxG débarquaient
avec le Frère convers Have.mth, à Swakopmund, rade
ouverte entre le 22^ et le 23^ degré, où ils rencontrè-
rent le R. P. ScHocH, à peine de retour de son grand
voyage d'exploration et sans nouvelles d'Europe depuis
plus de trois mois. Inutile de vous dire notre joie mu-
tuelle, votre cœur d'Oblat la devine aisément. Nous pas-
sâmes plusieurs jours ensemble; le vaillant explorateur
nous fît connaître les résultats de son expédition, nous
donna des avis et des conseils pleins de maturité et d'ex-
périence et nous pourvut du plus strict nécessaire. Le
H novembre, le R. P. Filliung et le F. Havenith parti-
rent avec une voilure de transport, semblable à celles
— 4i9 —
de Natal, dans la direction du nord pour trouver à
Karibib la charrette et les 2i2 bœufs que le P. Schoch y
avait laissés et qui allaient être nôtres : ajoutons de
suite que les deux voyageurs arrivèrent à Windhœk le
13 décembre encore pleins de vie, de santé et de joyeuse
humeur. Le P. Herrmann resta quelques jours de plus
avec le R. P. Schoch qui lui dressa les plans d'une habi-
tation provisoire et d'une chapelle pour Windhœk ; le
lo novembre il quittait à son tour Swakopmund après
avoir reçu les derniers encouragements et la bénédiction
du vénéré Préfet apostolique du Transvaal. Celui-ci
partit deux jours après pour regagner Johannesburg.
Le major Leutwein, chef civil et militaire du pays, m'avait
gracieusement offert une place dans sa voiture attelée
de 20 bœufs, dont 6 seulement parvinrent sains et saufs
à Windhœk. Le 4 décembre, premier vendredi du mois,
le P. Herrmann mit pied à terre dans ce qu'on appelle la
capitale du Sud-Ouest, et rencontra partout un accueil
sympathique. Les employés du gouvernement surtout se
montrèrent pleins de politesse, et la visite que tout der-
nièrement le major Leutwein a faite, sur l'invitation du
R. P. Provincial d'Allemagne, au scolasticat de Hiin-
feld, visite dont nous ressentirons les heureux effets au
Damaraland, vous prouvent quels sont nos rapports avec
l'autorité civile. Le gouvernement nous a fait don d'une
propriété de plus de 3 hectares, colline rocailleuse, il est
vrai, mais très bien située, un peu éloignée du bruit de
la grand'route et d'où l'on jouit d'une vue splendide sur
Windhœk, les montagnes d'Anas et la vallée du Tsoach-
haub. Sur cette colline se trouvait déjà une maison-
nette en briques de 9 mètres carrés, couverte en tôle.
Elle servait jadis à des observations météorologiques.
Nous y serrons nos provisions et nos outils. Quand les
matériaux nécessaires furent enfin arrivés, nous con-
— 420 —
struisîmesnotre maison d'habitation. Longue de 10 mètres
sur 6 de large, elle ne consiste qu'en une charpente en
bois recouverte d'une toile soi-disant imperméable, mais
sous laquelle il a fallu quelquefois ouvrir nos parapluies.
Un corridor large de 2 mètres traverse la maison au
milieu et la partage en deux parties qui, divisées à leur
tour, donnent quatre chambres de 12 mètres carrés
chacune : l'une sert de cellule au P. Propréfet, l'autre
aux PP. FiLLiUiNG et Kieger, la troisième de dortoir aux
trois Frères convers, et la quatrième nous sert de cha-
pelle, de réfectoire, de bibliothèque, de salle de cha-
pitre, de récréation et de réception. IJhwnilis supellex
de la Règle est on ne peut mieux observé, nous avons
quatre lits en fer avec quatre matelas, deux couchent
donc par terre, mais n'en dorment pas plus mal. Nous
possédons encore huit chaises; le reste: bureaux, tables,
bancs, etc., nous l'avons fabriqué nous-mêmes avec des
planches de caisses achetées à raison de 20 pfennigs la
livre. Heureux sommes-nous qu'il ne nous ait pas fallu
acheter tous les outils, une hache seule nous a coûté
16 marks. La chapelle, moins large de 1 mètre, mais
aussi longue que la maison, est construite de la même
façon. Un voile sépare le chœur de la sacristie, qui n'a
pour tout meuble qu'un grand coffre en tôle renfermant
les ornements et les linges sacrés et une petite table où
s'habille le prêtre. Dans un pauvre tabernacle réside
Jésus, notre Dieu. Oh ! puisse la ferveur de nos âmes
le dédommager de la misère extrême de ce sanctuaire qui
rappelle si bien l'étable de Bethléem. Un bienfaiteur a
fait don à la Mission d'une cloche suspendue à deux po-
teaux. Trois fois par jour elle redit à tout le pays envi-
ronnant les bienfaits de l'Incarnation.
Cette année, nous avons achevé un puits d'une pro-
fondeur de 8 mètres, qu'il a fallu creuser dans le roc
— 42i —
avec de la dynaaiite. La pompe, envoyée d'Allemagne,
nous fournit maintenant l'eau nécessaire aux besoins de
la maison et l'arrosage du jardin que les Frères, aidés
des Pères, sont en train de défricher. Ce n'est pas une
petite besogne de bêcher, de fouiller ce terrain qui,
depuis le déluge, n'a peut-être jamais été remué. Une
clôture éloignera chevaux, ânes, bœufs, moutons, chè-
vres, porcs, chiens et poules qui courent partout et en
toute liberté. On extrait aussi les pierres qui devront
servir aux fondements d'une maison de communauté
dont la construction s'impose. J'ai oublié de mentionner
l'arrivée, au mois de novembre dernier, d'un troisième
Père et de deux Frères convers. En Cimbébasie, comme
du reste dans toutes nos Missions, le prêtre Oblat doit
savoir allier, aux travaux des mains, une foule de con-
naissances, langues, sciences, etc., toutes choses qui
donnent du prestige aux missionnaires catholiques, les
mettent en état d'instruire convenablement les enfants
blancs pour qui les familles désirent une éducation un
peu moins ordinaire et forment un contraste avec les
ministres protestants, généralement décorés, chez nous,
du nom de savetiers. Quant aux Frères, le milieu de pri-
vations et de dangers multiples où nous vivons exige
impérieusement une formation religieuse solide et com-
plète. L'esprit d'obéissance et mortitication est indispen-
sable dans un pays oi!i il faut savoir se passer de tout,
où l'on n'a pas même quelquefois une eau puante et
boueuse pour étancher la soif qui dévore les entrailles.
Il nous faut des caractères fermes et flexibles comme une
lame d'acier.
Jusqu'ici, les missionnaires de la Cimbébasie n'ont dû
s'occuper que des blancs qui, hélas! portent le plus sou-
vent avec eux tout autre chose que le parfum de leurs
vertus. Il n'y a pas lieu de trûp s'en étonner : ce sont,
T. vvvvi. 28
422 —
en général, des esprits aventureux, épris de liberté, re-
jetant toute entrave, que peut-être une action néfaste a
contraints de quitter le sol de la patrie et chez qni la
convoitise du gain terrestre prime tout désir des trésors
du ciel. Il y a pourtant d'heureuses exceptions. Une
cause de nombreux désordres, c'est que beaucoup de
soldats, leur service fini, restent dans le pays et con-
tractent, avec les femmes indigènes, des unions qui ne
sont pas reconnues du gouvernement. Tous les diman-
ches, nous avons, outre les messes ordinaires, une
messe à 9 heures à laquelle viennent assister assez fidè-
lement les officiers, les soldats et les colons catholiques.
On leur fait une instruction, basée uniquement sur le
catéchisme, si peu connu et si peu pratiqué; chaque
Père prêche à son tour. Les sacrements ne sont guère
fréquentés, mais c'est la première année et le prêtre a
si longtemps fait défaut! Nous avons administré le bap-
tême à 5 enfants et fait 5 sépultures : une à Swakop-
mund et les quatre autres à Windœk. Le P. Herrman.\
a visité, Tan dernier, les postes militaires de Otjimbin-
gue, de Swakopmund, d'Omaruru, d'Otjo, d'Okahandja,
mais n'a pu aller au delà de Grootfoatein pour y com-
mencer une Mission parmi les Bushmen, selon les in-
dications du regretté P. Schoch. Après trois mois, il a
regagné sa communauté et repris, avec les autres Pères
•et Frères, ses occupations ordinaires. Elles consistent
dans un cours d'enseignement élémentaire à deux jeunes
garçons protestants, auxquels il apprend l'allemand, le
français, un peu d'anglais, l'arithmétique, l'histoire, îa
géographie, etc. Le cher P. Filliung le supplée, au be-
soin, dans ce travail. Le R. P. Kieger fait aussi la classe
à deux enfants, l'un blanc, l'autre cafre, pas encore
baptisé, et a la charge spirituelle des Frères convers qu'il
tâche d'amener aune perfection toujours pins grande.
Le R. P. FiLLiuNG a également préparé à la première
communion deux frères, enfants d'une femme catho-
lique, après les avoir convenablement instruits. Ce beau
jour de première communion avait été fixé à Noël.
A l'intérieur de la communauté, nous nous confor-
monsj autant que possible, aux prescriptions de la règle :
le silence, point si difficile à observer partout, l'est en-
core davantage dans une maison étroite comme la
nôtre, où il arrive à chaque instant du monde, princi-
palement des soldats, catholiques ou protestants, qui
viennent chercher des livres de lecture pour pouvoir
passer honnêtement leur temps. La retraite du mois a
lieu régulièrement et, durant la semaine sainte, nous
faisons la retraite annuelle. Quand les trois Pères sont
à la maison, la conférence théologique se tient tous les
huit jours. Est-ce à dire que l'esprit religieux, esprit
d'obéissance, de pauvreté, d'humilité et d'abnégation,
ne laisse jamais à désirer ? Nous nous efforçons du moins
de nous approcher de l'idéal de l'Oblat, bien que la
faiblesse humaine nous empêche souvent de réussir.
La maison de Windhœk se compose, pour le moment,
de trois Pères, y compris le propréfet, et de trois Frères
convers à vœux de cinq ans. Indiquer le nombre des ca-
tholiques est chose à peu près impossible, vu que les
soldats sont tantôt ici, tantôt là ; le dimanche, on en
compte, les colons compris, 30 à 40, mais leur nombre
atteint au moins 200. Quant aux sauvages, ils ne sont
pas plus méchants et pervers que bien d'autres qu'on a
réussi à convertir.
Ce qu'il y a de plus urgent à faire, en Cimbébasie,
c'est, il me semble, de fonder une résidence avec église
à Swakopmund. Le Reichstag a voté deux millions
et demi pour la construction d'un môle afin de faciliter
le débarquement, rendu quelquefois impossible à cause
— 424 —
de la furie des vagues. De plus, on a commencé un
chemin de fer, long déjà de trente kilomètres. Tout cela
va amener grand nombre d'ouvriers de tout pays et de
toute religion. La place nous est offerte gratuitement.
De plus, il faut créer un poste dans le pays Ovambo,
afin de justifier l'attente des catholiques allemands et nous
procurer des ressources. Il serait aussi très avantageux
de commencer l'exploitation d'une ferme de 20000 hec-
tares au moins, comme le R.P. Schoch me le conseillait;
nous aurions là les indigènes sous la main, pour en faire
des hommes d'abord en leur enseignant le travail, puis
des chrétiens. De même, aux environs de Windhœk, une
assez grande ferme nous est nécessaire pour y mettre
nos boeufs. Mais pour toutes ces nouvelles fondations
aussi bien que pour la construction à Windhœk d'une
maison en pierres et briques, adaptée aux besoins pré-
sents et futurs, nous sommes sans ressources.
Dieu sait pourtant si les Oblats de la Gimbébasie vivent
pauvrement; dessert à table, bière ou vin, pommes de
terre ou légumes leur sont inconnus. Comment, en effet,
se résoudre à payer 73 francs les 100 livres de pommes
de terre et 3 francs une bouteille de bière ! Mais ils
sont joyeux quand même et rient de leur misère.
Rapport de la pf'ovïnce du Midi.
Jetons d'abord un coup d'œil d'ensemble sur la pro-
vince, depuis le dernier Chapitre ; nous signalerons
ensuite parle détail chaque maison.
COUP d'ceil d'ensemble.
Nous avons, hélas, comme toujours, des vides à dé-
plorer, dont plusieurs fort prématurément, La mort
nous a pris dix Pères, un Frère scolastique et quatre
— 425 —
Frères convers. Laissez-moi vous redire leurs noms. Ce
sont, par ordre de date, les RR. PP. Semeria, Corne,
Bermès, Pons, Chevalier, Vassal, Armand, Boeffard,
CuNY et Kertvel ; le Frère scolastique Valayer ; les
Frères convers Vernet, Cohard, Lestreit et Nigros.
Que ces Frères bien-aimés reçoivent encore notre
adieu ému, avec l'expression de notre vive et affec-
tueuse reconnaissance pour les services multiples et pré-
cieux qu'ils ont été heureux de rendre à la famille !
Le personnel se compose de cent trois Pères, plus un
Père de la province britannique en résidence à Nice et
que l'état de sa santé n'empêche pas de se dévouer très
fructueusement à la colonie anglaise. Notons encore
trois Frères scolastiques employés dans les juniorats et
trente-sept Frères convers, soit un total de 14."i membres.
Les grands séminaires emploient onze Pères; les
juniorats, dix-huit ; les noviciats, trois ; les aumôneries
de religieuses, trois ; les cures, deux; le service du sanc-
tuaire de Notre-Dame de la Garde, des chapelles du
Calvaire, des Italiens, de Nice, treize. Joignez-y treize
Pères que leur âge ou leurs infirmités condamnent au
repos et vous aurez à retrancher soixante-cinq Pères du
ministère des missions, pour lequel il nous reste trente-
huit missionnaires proprement dits, répartis entre dix
maisons.
A cet exposé général concernant le nombre des sujets
delà province, ajoutons quelques mots sur l'esprit qui
les anime.
Il y a, parmi nous, c'est incontestable, des Pères et
des Frères d'une vertu éprouvée et de grande valeur, de
vrais fils de la famille, admirablement dévoués. Aucune
de nos communautés qui ne renferme de ces vies
exemplaires. Je ne crois pas que, sous ce rapport, nous
ayons rien à envier à personne. Ces modèles sont-ils
- 426 —
aussi nombreux qu'ils devraient être, et la vie reli-
gieuse produit-elle chez nous tous ses fruits réguliers de
perfection ? Pourquoi ne pas se poser cette question en
famille?
Je ne disconviendrai pas que nous n'ayons nos mi-
sères, et les supérieurs majeurs ont eu cent fois raison
de les signaler dans leurs actes de visite. 11 faut, hélas!
compter toujours avec la faiblesse humaine, et les meil-
leurs sentent le besoin de retremper, de temps à autre,
leur fidélité aux principes religieux qui doivent régir
toute communauté digne de ce nom.
Je ne puis pourtant pas ne pas faire observer qu'on
trouverait peut-être des circonstances atténuantes dans
la condition que nous fait noire petit nombre d'ouvriers.
Comment veut-on qu'on ait grand cœur au travail et à
la garde de la cellule quand on rentre exténué ? L'étude,
le silence en souffrent et l'obéissance elle-même, si le
supérieur est obligé de demander d'urgence un nouvel
effort à celui qui, déjà surmené, n'éprouve que le besoin
impérieux du repos. Demandez à ces autres Pères,
toujours enfiévrés de compositions nouvelles, parce
qu'il faut conserver les positions acquises et que per-
sonne n'est là pour les remplacer, demandez-leur de
n'omettre aucune des études, aucune des lectures,
aucun des exercices réguliers, de ne laisser prescrire,
en un mot, aucun des articles de leur programme jour-
nalier ; certes, ils le devraient faire, ils le comprennent,
ils en gémissent, mais ils ne peuvent pourtant pas passer
les nuits à leurs bureaux, et néanmoins il faudra que
leurs prédications soient prêtes à temps et pour le moins
acceptables; c'est ainsi que le petit nombre d'ouvriers,
par le surcroît de travail, met en danger la santé et la
sanctification personnelle, la prospérité de la famille,
l'homme de lapostolal.
— 427 —
Je dois dire un mot de la difficulté croissante de
trouver des Frères convers et surtout de bons Frères
convers. Sur les trente-sept que nous avons la consola-
tion de posséder, un tiers s'achemine du côté du ciel
par l'âge ou l'épuisement ; encore ne cessent-ils de tra-
vailler au delà même de leurs forces. La vérité nous
oblige à reconnaître qu'en général les nouveaux venus
ont encore fort à faire pour ressembler à leurs aînés. Je
sais bien que les anciens doivent donner l'exemple et ils
l'entendent ainsi. Mais que les plus jeunes se hâtent de
les imiter et se tiennent en garde contre le sans-gêne
dans la piété et le dévouement 1 Quel trésor inappré-
ciable qu'un Frère convers fidèle à sa vocation ! Et
quel besoin nous avons que Pères et Frères s'emploient,
dans l'occasion, à nous les procurer.
LES MAISONS.
Aix. — Dix Pères et trois Frères convers.
53 missions, 19 carêmes, 6 avents, 248 retraites et
210 sermons de circonstance.
Œuvres des prisons, des servantes, de la bonne mort
et de Saint-Vincent de Paul.
La quatrième fondation pour missions gratuites est en
voie de formation. Excellent exemple à proposer et à
suivre. Pourquoi chacun de nos missionnaires n'emploie-
rait-il pas son influence d'apôtre à constituer, en tout
ou en partie, le capital d'une de ces missions ? Il faut
10 ÛOO francs pour une mission annuelle ; 3 000 pour
une mission tous les deux ans ; 2 000 pour une mission
quinquennale; 1000 pour une mission décennale. Les
âmes généreuses ne manquent pas qui souscriraient vo-
lontiers à la pensée de se survivre dans l'exercice de ce
bien.
— 428 —
Le ministère des Pères est loin, certes, de chômer en
cette chapelle qui est si particulièrement chère à tout
cœur d'Oblat. Mais là, comme ailleurs, on ne revoit plus,
on ne peut pas revoir les affluences et les fêtes splen-
dides interrompues par le régime qui a inauguré l'inique
expulsion des religieux.
Calvaire. — Dix Pères, cinq Frères convers.
25 missions, 30 carêmes, 7 avents, il mois de Marie,
228 retraites, 115 sermons détachés.
Association de Notre-Dame des Sept-Douleurs, du
Sacré-Cœur, de l'archiconfrérie de laPassion pour le sou-
lagement des âmes du purgatoire et Congrégation de
jeunes filles.
L'œuvre italienne, fondée parM^'' de Mazenod, cultivée
par le P. Albini, de sainte mémoire, etM^'SÉMÉRiA, pour
ne parler que des plus anciens, est pleine de vitalité. On
l'a bien vu dans la dernière mission, puisque l'élément
italien suffisait à remplir, à lui seul et au delà, les deux
églises réunies. On est loin du temps où la chapelle ne
s'ouvrait d'abord que pour la messe, les jours fériés,
puis seulement du samedi soir au dimanche soir. Ses
deux congrégations d'hommes et de femmes sont très
prospères. Ces pauvres gens ne laissent pas que d'être
fort généreux. Leur grande dévotion est celle de la très
sainte Vierge sous le vocable delà Madonna délia Libéra.
Les trois Pères consacrés à cette œuvre ne cessent pas
de prêcher, de confesser et de visiter les malades.
A maintes reprises , les vicaires généraux ont prié le
R. P. Gallo, depuis seize ans à ce poste si laborieux,
d'élargir la chapelle, pour que Monseigneur, si bienveil-
lant, puisse l'ériger en paroisse. Les Oblats sont là vrai-
ment dans leur milieu, fait de petits et de pauvres.
Il se distribue annuellement 30 000 communions dans
les deux chapelles du Calvaire.
— 429 —
Notre - Darne de l'Osier. — Treize Pères, sept Frères
convers.
70 missions et 32 retours de missions, 2 carêmes,
294 retraites et 49 sermons isolés.
Les œuvres du dehors sont la cure, le pèlerinage et
l'aumônerie des Sœurs de la Sainte-Famille. De la pa-
roisse, contentons-nous de dire qu'elle est loin de don-
ner au zèle du Père curé toutes les consolations mé-
ritées. Le Pèlerinage tombe de plus en plus. 11 faut
reconnaître que le séjour n'y est pas facilité pour les fa-
milles et les hommes, en fait d'hôtel convenable. On
sait, du reste, que les foules se précipitent aux sanc-
tuaires plus récents de la Salette et de Lourdes. Peut-
être aussi que les absences fréquentes et inévitables des
missionnaires déroutent un peu les pèlerins. Enfin, ne se
pourrait-il pas que ce pèlerinage, autrefois si célèbre,
entrât désormais dans cette période historique qui n'a
guère plus à garder que le culte du souvenir?
Le noviciat, voilà l'œuvre du dedans, et, pour nous,
l'œuvre capitale de l'Osier. Que de générations vaillantes
en sont sorties! Reverra-t-il jamais ces cinquante no-
vices que groupaient ensemble les tournées apostoliques
du P. LÉONARD? Nous sommes loin, aujourd'hui, de ce
chiffre, très loin même, puisque, en moyenne, le novi-
ciat n'a donné, par an, que onze scolastiques et trois
Frères convers. Depuis cinq ans, en effet, il y est entré
quatre-vingt-quinze novices, réduits à cinquante-six au
scolasticat et vingt-six Frères convers, dont quatorze
seulement ont persévéré. Les maîtres de novices qui se
sont succédé regrettent unanimement — etils ne sont pas
les seuls — que le noviciat soit comme fondu avec la
communauté des missionnaires , sans l'indépendance
normale et canonique, et trop souvent requis pour le
service du sanctuaire. Cela tient à la disposition des
— 430 —
lieux, qu'on ne saurait modifier qu'en renversant ces
vieux bâtiments tout rapiécés et fort incommodes. Et le
petit nombre des Frères convers explique qu'on doive
recourir aux novices pour les messes.
Ajaccio. — Le Supérieur et cinq directeurs du grand
séminaire.
95 élèves, y compris les 13 enrégimentés par la loi
militaire. L'œuvre du sacerdoce, heureusement établie
depuis six ans parle R. P. Bessières, assure un fonds de
réserve qui supplée, à quelques centaines de francs
près, aux bourses et allocations supprimées du gouver-
nement.
Mais il existe une lacune de nature à porter un préju-
dice considérable à la formation et partant à l'influence
du clergé. C'est l'absence d'un petit séminaire pour pré-
parer les sujets, au double point de vue des études et de
la piété. Ils se présentent au grand séminaire à vingt
ans, à peine dégrossis grammaticalement, quand ils le
sont moralement, et il faut, en un an de philosophie et
trois ans de théologie, en faire des ouvriers sérieux et ar-
més de toutes pièces. Le problème n'est pas aisé à ré-
soudre.
Outre leurs fonctions de professeurs, les Pères sont
chargés de l'aumônerie des Sœurs de Saint-Joseph, qui
gardent en vénération la mémoire du P. Vassal, et des
confessions de plusieurs communautés de Frères et de
Sœurs.
Les Pères ont donné, pendant leurs vacances, vingt
retraites diverses.
Vico. — Six Pères, quatre Frères convers.
72 missions, 4 carêmes, 6 retraites.
La petite cure de Nésa à desservir et l'aumônerie des
Filles de Marie et de leur pensionnat occupent deux
Pères.
— 431 —
La chapelle voit trois concours nombreux aux fêtes de
saint Antoine de Padoue , précédée de treize jours de
prédication, de la Portioncule et de sainte Lucie.
Cette résidence, distante de 50 kilomètres d'Ajaccio,
impose invariablement à nos Pères l'obligation de pas-
ser par cette ville pour se rendre au moindre travail.
C'est une dépense appréciable de temps et d'argent. Que
n'avons-nous, à Ajaccio, où on le désirerait si fort, une
maison pour nos Pères, touten gardant le couvent comme
pied-à-terre et villégiature de nos directeurs du grand
séminaire ? Il paraîtrait que c'était un desideratunt de
notre P. Albini, dont la cause se fait si lente à notre gré !
Notre-Dame de Bon-Secours. — Sept Pères, trois Frères
convers.
77 missions, 3 carêmes, \ avent et HO retraites ou
retours de mission. Le sanctuaire a reçu 70 pèlerinages
de paroisses, confréries ou communautés, et, pendant
trois mois, il est visité tous les dimanches par des pèlerins
très nombreux. Tous se confessent, hommes et femmes,
et ce ministère est plein de consolations, au milieu d'un
peuple encore foncièrement chrétien. On signalerait
pourtant un certaine baisse dans l'affluence, surtout les
jours de semaine.
Notre-Dame de la Garde. — Huit Pères, trois Frères
convers.
9 carêmes, 7 missions, 3 mois de Marie, 90 retraites,
5 avents, 15 octaves et adorations.
Le R. P. Bessac fait, depuis vingt-neuf ans, le service
des deux prisons d'hommes.
Le pèlerinage est en progrès avec ses 7G00 messes et
ses 400000 pèlerins annuels.
Quatre aumôniers sont attachés exclusivement au sanc-
tuaire de la Bonne Mère, ce qui restreint d'autant le
nombre des missionnaires.
— 432 —
Fréjus. — Le Supérieur et quatre directeurs du grand
séminaire.
Saluons la mémoire du R. P. Corne, enlevé comme son
prédécesseur, le R. P. Rambert, d'une manière fou-
droyante, en décembre 1893, et remercions le R. P. Baffie
d'avoir bien voulu achever le beau travail qu'il écrivait
sur Notre-Seigneur Jésus-Christ.
Les grands séminaristes sont malheureusement peu
nombreux pour des raisons indépendantes de nos Pères,
mais qu'on peut espérer voir disparaître dans un avenir
prochain. Ils sont dociles, laborieux, surtoutdepuis qu'ils
se préparent à conquérir leurs grades devant les Facultés
catholiques de Lyon.
La Congrégation a contracté une dette sacrée de re-
connaissance envers M^'' Mignot, le savant évêque de Fré-
jus, pour son exquise bienveillance à recevoir ceux de
nos scolastiques soumis à la loi militaire, auxquels leurs
ordinaires respectifs ne peuvent ou ne veulent pas tou-
jours délivrer un certificat d'études ecclésiastiques. Il
y en a cinq cette année.
Les Pères ont prêché 1 carême à la cathédrale, \ re-
traite pascale, 40 sermons de circonstance et 3 retraites
religieuses.
Lyon. — Cinq Pères et le Provincial.
21 missions, 1 avent, 6 mois de Marie ou du Sacré-
Cœur, 180 sermons isolés et 232 retraites.
Installation définitive, en 1894, sur la rive gauche du
Rhône, près du chemin de fer, dans un quartier plein
d'avenir. La maison est vaste, absolument indépendante
entre quatre rues, avec jardin et emplacement pour la
future chapelle et même de nouvelles bâtisses, si besoin
est.
Pas d'autre ministère à la chapelle que les confessions.
Aucune œuvre encore.
— 4.;j3 —
Madrid. — Trois Pères, un Frère convers.
Depuis trois ans seulement, cette maison, consacrée
au service des œuvres de la Sainte-Famille, est attribuée
à la province du Midi. 11 serait bien temps, ce semble,
après quinze ans d'existence, de renoncer à la vie nor-
male des locations, pour se créer une résidence stable,
comme l'ont déjà fait d'autres Congrégations de religieux
arrivés après nous. Plus on retardera, plus les chances
d'un emplacement convenable diminueront, et plus les
conditions d'établissement se feront onéreuses. Jamais
le taux du change ne pourra être plus favorable, puisqu'il
atteint le 100 pour 100. Les rapports des aumôniers avec
les maisons de la Sainte-Famille sont ce qu'ils doivent
être, empreints de confiance et de délicatesse mutuelles.
Nice. — Six Pères, deux Frères.
15 missions, 4 carêmes, 4 mois de Marie, 1 avent,
23 sermons et 54 retraites.
Nous avons, le 25 janvier 1894, pris possession de cette
maison que les Pères des Missions africaines de Lyon
avaient achetée, puis augmentée, pour leurs invalides,
en 1873. Si la maison, trop exiguë, est à rebâtir, l'église,
aux vastes proportions, mais inachevée, est pourtant fort
belle. La colonie s'y rend nombreuse pour les offices, les
prédications et les confessions; l'élément anglais y est
apparu depuis l'arrivée du P. Fitz-Patrick, et il reste
fidèle.
La première tombe vient de s'ouvrir pour le pauvre
P. KÉRYVEL, de riches espérances.
Voici maintenant nos juniorats.
Notre-Dame des Lumières. — Douze Pères, dont deux
missionnaires, six Frères convers.
13 missions, 2 carêmes, 29 sermons, 39 retraites.
En 1893, le juniorat comptait, comme aujourd'hui,
cinquante junioristes. Depuis lors, quarante-cinq se sont
— 434 —
présentés; vingt-deux sont partis pour le noviciat; il en
reste actuellement vingt dans les scolasticats ; les autres
se sont retirés ou ont été éliminés.
C'est un rendement de quatre junioristes par an, et,
comme d'autre part, il s'en éloigne quinze dans le même
temps, il s'ensuit que c'est le cinquième qui persévère.
Rome. — Cinq Pères, trois scolastiques, trois Frères
convers.
Ce juniorat établi à Diano-Marina en 1884, licencié à
cause du tremblement de terre en 1887, reconstitué en
décembre de la même année, dans la maison du sco-
lasticat de Rome, s'en est séparé, à la rentrée des classes
de 1892, pour habiter le local actuel de San-Lorenzo.
A part la cour ombragée, appréciable pour les récréa-
tions, il est étroit, délabré et suffit à peine à abriter une
trentaine d'enfants. Sa mauvaise distribution ne favo-
rise ni les mouvements généraux, ni le contrôle néces-
saire.
Il renferme aujourd'hui 26 junioristes.
Il est dépourvu, pour le moment, de deux classes su-
périeures, faute de sujets. En 1900 seulement, il pourra
en offrir quatre au noviciat, supposé qu'ils persévèrent.
Pères et Frères scolastiques s'acquittent avec zèle de
leurs fonctions de professeurs.
Notre-Dame du Bocage on Maison da Soto (Espagne). —
Six Pères et trois Frères convers.
10 triduum, 40 sermons de circonstance et 32 re-
traites.
Cette maison s'est ouverte sept jours avant le der-
nier Chapitre. C'est un ancien couvent de Franciscains
qui tombe en ruines et dont l'évêque de Santander nous
a laissé l'usage, avec l'obligation fort onéreuse de l'en-
tretenir. Pour la seule mise en état de l'aile occupée par
le juniorat, le devis de l'architecte est de SOOOOfrancs.
~ 435 —
Et il y a quatre ailes, plus l'église dont la vaste toiture
est aussi à refaire. H y a même urgence à quitter cet
immeuble au point de vue de la sécurité. Nous ne se-
rions d'ailleurs, d'après le contrat, nullement dédom-
magés de nos frais de restauration, si nous venions à
nous éloigner de notre propre gré.
Le juniorat, fondé en mars 1893, se compose de 21 en-
fants, en majorité du nord de l'Espagne ; 5 seulement
appartiennent à la province de Santander. Ces enfants
témoignent d'un bon esprit ; ils sont pieux et paraissent
attachés à la Congrégation.
Le noviciat existe canoniquement depuis décem-
bre 1894. Il se constitue d'un scolastique junioriste et
de deux Frères convers. Je ne compte pas deux postu-
lants convers.
Le P. HuARï est maître de novices, trois Pères sont
professeurs et les deux autres^ chapelain ou mission-
naire.
La chapelle ne donne quelque occupation que dans le
carême et deux semaines encore après Pâques, ainsi
qu'à la veille de quelques fêtes. Son éloignement de
tout centre y rend impossible l'établissement des œuvres.
Les Pères sont peu demandés, tout en jouissant de
l'estime et de la sympathie du clergé et des habitants.
VARIÉTÉS
I
UNE AUDIENCE PONTIFICALE.
Rome, 10 novembre 1898.
Mon révérend et bien cher Père Antoine,
C'est le 3 de ce mois que leT. R. P. Général a eu la con-
solation d'être reçu par le Saint-Père. Avec lui se trou-
vaient : le R. P. Procureur général près le Saint-Siège ; le
R. P. Pichon, supérieur de notre maison d'Angers, pré-
dicateur de la retraite annuelle au scolasticat de San-
Pietro-in-Vincoli ; le R. P. Stéfanini, de notre maison
de Vico, en Corse, qui venait de donner les mêmes saints
exercices à nos j unionistes, et votre serviteur.
Vous me demandez quelques détails pour les annales,
afin que tous les Oblals et leurs amis sachent l'accueil
que le chef de l'Eglise a l'ait à notre nouveau Supérieur
général. Votre désir est un ordre ; je m'empresse de m'y
conformer.
Ce récit sera bien incomplet ; il m'est impossible de
rendre tout ce qui a été dit pendant la demi-heure qu'il
nous a été donné de passer aux pieds du Vicaire de
Jésus-Christ. Je suis surtout impuissant à vous exprimer
cette grandeur^ cette noblesse et, en même temps, cette
bienveillance, je dirai presque cet abandon, avec les-
quels le Souverain Pontife a daigné nous parler.
Son empressement à nous accorder l'audience solli-
citée nous faisait pressentir l'accueil qui nous était ré-
— 437 -
serve. C'est le mercredi 2 novembre, à 11 heures, que
la supplique du T. R. P. Général a été présentée au
Pape; à 3 heures de l'après-midi, nous recevions, par
un exprès, nos billets d'admission pour le lendemain
jeudi, à 9 heures du matin.
Nous devançâmes l'heure fixée. Après une attente qui
nous parut un peu longue, tant nous étions désireux de
contempler les traits du représentant de Jésus-Ghrist sur
la terre, un camériervint nous chercher. Léon XIII était
assis à son bureau, dans sa bibliothèque. En nous aper-
cevant, il nous sourit.
« Approchez, les Oblats, approchez. »
Emus, nous nous dirigeons vers lui et nous nous pros-
ternons à ses pieds.
Le T. R. P. Général exprime les sentiments de respect,
d'amour et de soumission dont tous les Oblats sont ani-
més envers le chef de l'Église. Il le remercie des témoi-
gnages si nombreux de paternelle bienveillance qu'il a
prodigués à la Congrégation, surtout dans ces dernières
années.
— Nous devons à Votre Sainteté, a-t-il dit, une parti-
culière reconnaissance pour la lettre qu'Elle a daigné
nous écrire en réponse à l'adresse des membres du Cha-
pitre général. Elle a réjoui et fortifié nos cœurs.
— Je tenais, répond le Saint-Père, à vous faire savoir
combien j'apprécie votre dévouement et combien je
compte sur votre zèle pour répandre le règne de Dieu
dans les nombreuses Missions qui vous sont confiées.
Vous êtes jeune, mon cher Père, vous aurez le temps
de faire beaucoup de bien. Combien d'Oblats êtes-
vous?
— Environ seize cents; nous devons reconnaître que
Dieu bénit notre famille religieuse ; depuis quelques an-
nées, notre nombre augmente sensiblement. Dans nos
T. XXXVI. 29
— 438 —
divers scolaslicats, nous avons actuellement près de
trois cents philosophes ou théologiens.
— C'est très heau. Je vous félicite de votre maison
d'études à Rome; elle vous fait honneur; vos jeunes
gens y travaillent avec succès. C'est un grand avantage
non seulement pour eux, mais encore pour la France
et pour les pays oii ils seront envoyés ; ils y apporteront
la vraie et solide doctrine.
— Ce sont eux que nous envoyons de préférence,
comme professeurs, dans les grands séminaires dont la
direction nous est confiée ; dans nos scolasticats de
Liège, en Belgique; de Hûnfeld, près de Fulda, en
Allemagne, et d'Ottawa, en Amérique. »
Le nom d'Ottawa rappelle à la mémoire du Souverain
Pontife le souvenir de M^'" Duhamel, l'archevêque de
cette ville ; il écoute avec intérêt les renseignements
qui lui sont donnés sur l'Université catholique que
nous y dirigeons depuis plusieurs années et qui doit
à Léon XIII tous ses privilèges.
— Avec nos hommages, ajoute le T. R. P. Général,
nous prions Votre Sainteté de vouloir accepter notre
petite offrande, l'obole du pauvre.
— J'en suis bien touché; je vous remercie. C'est vrai-
ment admirable de voir comment les enfants viennent
au secours de leur Père; grâce à la générosité descatho-
hques, je puis faire encore des œuvres. Cette année, je
consacre un demi-million aux Églises d'Orient. »
Le Saint-Père s'étend longuement sur ses divers pro-
jets, afln d'arriver à la réunion des Églises dissidentes.
— Nous regrettons, dit le T. R. P. Général, de ne
pouvoir faire davantage.
— Vous pouvez beaucoup par vos prières ; ce que
Dieu regarde surtout, c'est la bonne volonté; et puis,
il faut compter sur la Providence ; les cœurs généreux
— /i39 —
ne sont pas rares ; on en trouve parmi les grands, mais
aussi parmi les petits. Tenez, hier, j'ai reçu 3 livres
sterling d'un Irlandais, qui s'excusait également, à cause
de sa pauvreté, de donner si peu. Je vous assure que je
ne l'ai pas oublié ce matin au saint sacrifice de la
messe; j'ai bien prié à toutes ses intentions. La Provi-
dence, la Providence, c'est en elle que je mets tout mon
espoir,
— En visitant nos Missions d'Asie, d'Afrique et d'Aus-
tralie, j'ai constaté que tous les catholiques sont fort
attachés à votre personne sacrée et prient beaucoup
pour que Dieu vous conserve encore longtemps à son
Église.
— De fait, on doit prier beaucoup pour moi, et ces
prières sont exaucées, puisque, malgré mes fatigues,
mes peines et mes soucis, j'ai pu arriver à l'âge de
quatre-vingt-dix ans. N'est-ce pas merveilleux ? Et ce
qu'il y a de plus extraordinaire, ce n'est pas que je sois
arrivé à cet âge, mais c'est qu'à cet âge, je sois en pos-
session de toutes mes facultés. Je suis occupé quatorze
heures par jour ; maintenant^ je suis avec vous ; quand
vous serez sortis, je recevrai un évêque ; après les au-
diences privées viendra le conseil, avec mon secrétaire
d'État ; il est 9 heures et demie, je suis à ce bureau jus-
qu'à 2 heures de l'après-midi. »
Par nous-mêmes, nous avons pu nous convaincre que
le Saint-Père avait bien gardé toute la vivacité de son
esprit; il nous a rappelé certaines affaires dans les-
quelles il était intervenu en notre faveur, et il a ajouté
aimablement :
(t Vous pouvez compter toujours sur ma bienveil-
lance. »
Cependant le temps s'écoulait. Semblables aux apô-
tres sur le Thabor, nous nous disions : Bonum est nos
— 440 —
hic esse. Volontiers, nous serions restés encore long-
temps ; mais nous comprenions qu'il ne fallait pas abuser
de la bonté du Pape. Le moment était venu de solliciter
des bénédictions pour nous et nos amis.
— Nous avons, dit le T. K. P. Général, un collège à
Colombo, fondé il y a à peine trois ans; il compte
déjà près de 600 élèves. Il est appelé à faire beaucoup
de bien dans File de Ceylan. J'ai promis aux membres
du comité de demander une bénédiction spéciale pour
eux à Votre Sainteté.
— Oui, oui, de tout cœur, je bénis le comité, le rec-
teur, les professeurs, les élèves, tous ceux qui s'occu-
pent de ce collège.
— Une bénédiction aussi, Très Saint Père, pour le
collège de Jaffna, qui est également prospère et dont
vous avez vu l'évêque, il y a quelques jours.
— Oui, oui, je bénis encore ce collège et toutes les
écoles de Ceylan. Combien avez-vous d'écoles dans cette
île?
— Dans le seul diocèse de Colombo, nous avons
315 écoles, dépendant de l'archevêque et donnant l'in-
struction à 24000 enfants environ.
— C'est bien beau ; et combien d'Oblals êtes-vous à
Ceylan?
— Plus de cent.
— Tous Français ?
— Le plus grand nombre est français ; mais il y a aussi
quelques Italiens et Anglais.
Le T, R, P. Général a fait bénir ainsi toutes les Mis-
sions et toutes les œuvres de la Congrégation. Il s'est
bien gardé d'oublier les lecteurs de nos annales fran-
çaises, anglaises, allemandes; il a fini par les bienfai-
teurs de rOEuvre des vocations.
Comme il s'écartait un peu pour nous permettre
— 441 —
d'approcher du Souverain Pontife, Sa Sainteté lui dit
encore :
— Vous ne résidez pas à Rome?
— Non, Très Saint Père, mais je compte y venir
chaque année.
— Oui, c'est cela, venez, venez. Et vous — s'adressant
au Procureur général —vous ne quittez point Rome?
— Non, Très Saint Père.
— A la bonne heure ; très bien.
Nous nous sommes avancés successivement ; à chacun
Léon XIII a donné sa main à baiser, nous demandant
notre nom, le lieu de notre résidence, bénissant les per-
sonnes que nous lui nommions. On n'était pas gêné
pour lui parler; il nous y invitait lui-même comme sait
le faire le plus bienveillant des pères.
En nous congédiant, il a béni les objets que nous
avions apportés, a attaché à nos croix certains privilèges
et a autorisé le T. R. P. Général à donner la bénédiction
papale dans notre chapelle de Paris.
Pendant que nous nous retirions et que nous faisions
les génuflexions prescrites par le cérémonial, nous je-
tions un dernier regard sur ce visage auguste; nous nous
inclinions pour recevoir une dernière bénédiction.
Le 3 novembre 1898 est une date dont le souvenir
doit être bien doux non seulement à ceux qui ont eu le
bonheur de voir et d'entendre en ce jour le Vicaire de
Jésus-Christ, mais encore h. la Congrégation entière don
ils étaient les représentants.
Agréez, mon révérend et bien cher Père, la nouvelle
assurance de mon profond et affectueux respect en
N.-S.etM. I.
François Lemius, o. m. r. ,
442
II
LA FÊTE DE NOTRE-DAME DE LA PRIÈRE A PONTMAIN.
A l'occasion de la promulgation des privilèges de
l'Archiconfrérie de Noire-Dame delà Prière, de grandes
fêles ont eu lieu, le 5 septembre, à Pontmain, sous la
présidence de M^"" Geay, évêque de Laval. Plus de
300 prêtres et près de 10 000 fidèles, accourus de tout le
diocèse, et même de Normandie et de Bretagne, ont
répété à l'envi ce beau refrain :
Mais priez avec nous, ô Mère magnanime,
Soutenez vos enfants par la lutte accablés.
Donnez-nous de Pontmain la vertu qui ranime
Les esprits abattus, les cœurs découragés;
La prière est un baume îi l'âme qui soupire,
Sur la nôtre, en ce jour, étendez son empire!
Nous vous le demandons en tombant à genoux.
Mère de la Prière, ô Vierge, exaucez-nous.
A l'offertoire de la messe pontificale, célébrée en plein
air, après Téloquent discours de M. l'abbé Patry, archi-
prêtre de Notre-Dame de Mayenne, lecture a été faite
du Bref de S, S. Léon XIII, changeant le titre de l'Ar-
chiconfrérie de Notre-Dame d'Espérance en celui de
Notre-Dame de la Prière.
A 2 heures, la procession s'est déroulée dans le parc
des chapelains. Le R. P. Lemius (J.-B.), de sa voix des
grands jours, a parlé à cette foule admirable de peuple,
car c'était surtout le peuple qui était là priant et chan-
tant à la suite de son pontife.
Au moment où le cortège arrivait à la basilique, Mon-
,seigneur a pris à son tour la parole pour saluer le nou-
veau titre donné par Notre Saint-Père le Pape à la
Vierge de Pontmain. Une immense acclamation s'est
— 443 —
élevée. Trois fois de suite, sur l'invitation du R. P.
Lemius, des milliers de poitrines ont laissé jaillir le cri
de : « Vive Notre-Dame de la Prière ! » de « Vive
Léon XIII ! » de « Vive Monseigneur ! »
Cette belle journée s'est terminée par une fête d'une
intimité charmante à la résidence des chapelains. MM. les
vicaires généraux et les prêtres du diocèse restés à
Pontmain ont présenté leurs hommages et leurs vœux
à Sa Grandeur à l'occasion du second anniversaire de
son sacre, puis, au réfectoire, un magnifique bouquet a
été présenté à Monseigneur, bouquet de fête, chargé des
félicitations et des vœux du R. P. Rey, qui a souhaité
de nombreuses années au prélat.
« Les Oblats, a rappelé avec beaucoup d'à propos le
supérieur des chapelains, ont pour père et Fondateur un
évêque, M^'' de Mazenod ; la Congrégation se le rappelle
toujours dans les divers diocèses où elle se trouve. Elle
reste unie aux évêques, qui le sont avec le Pape, lequel
est uni à Dieu. »
Me"" Geay a remercié de tout cœur le R. P. Rey, le
nommant, aux applaudissements de tous, chanoine
honoraire de la cathédrale de Laval.
A ce sujet, le T. R. P. Général a adressé à M^'- l'é-
vcque de Laval, la lettre suivante.
Paris, 8 septembre 1898.
Monseigneur,
Vivement touché de la bonté que vous avez eue, dans
une récente solennité, de conférer à l'un de mes fils les
plus méritants le titre de chanoine honoraire de votre
cathédrale, j'ai hâte de venir remercier Voire Grandeur
en mon nom et au nom de la Congrégation entière des
Oblats de Marie Immaculée.
D'après nos Constitutions, nous ne devons ni ambi-
— 444 —
tionner ni accepter aucun titre honorifique, mais les
circonstances dans lesquelles vous venez de donner à
l'excellent Père Rey un témoignage de votre haute es-
time et de votre paternelle affection sont tellement
exceptionnelles, que je ne puis qu'applaudir, Monsei-
gneur, au fait accompli dans une délicate attention.
Enattendantd'avoir l'honneur et la joie de m'acquitter
personnellement de ce que je considère comme une
dette de reconnaissance, je prie Votre Grandeur de me
bénir et d'agréer l'expression de mes sentiments de reli-
gieux respect et de filial dévouement en Notre-Seigneur
et Marie Immaculée.
C. AUGIER, 0. M. I,
Supérieur géuéral.
En union avec tous les Oblats, les Missions disent au
nouveau chanoine de Laval, au bon P. Rey, qui a si
longtemps rédigé cettepublication de famille : Admidtos
annos l
III
VINGT-CINQUIÈME ANNIVERSAIRE
DU COURONNEMENT DE NOTRE-DAME DE SION.
Par lettre-circulaire en date du 24 août, M^' Turinaz,
évêque de Nancy, invitait ses diocésains à se joindre
nombreux aux pèlerins de Lourdes que Sa Grandeur
amènerait elle-même à Notre-Dame de Sion, le 8 sep-
tembre, pour acclamer, en ce 25'^ anniversaire de son
couronnement, la Vierge bénie, saluée depuis neuf
siècles, des noms si doux de Protectrice de la Lorraine^
de Trésor du pays et de Mère très bonne.
L'appel du premier Pasteur a été entendu ; aussi^ dès
— 445 —
l'aube de la Nativité, les fidèles gravissaient-ils nom-
breux les pentes abruptes de la sainte montagne et le
plateau de Sien, d'ordinaire si gracieux, offrait-il un
spectacle plus merveilleux encore.
Dans le sanctuaire, des messes se célèbrent sans in-
terruption à tous les autels et les pèlerins s'avancent en
rangs serrés à la sainte table. On est édifié de la ferveur
avec laquelle tout ce monde prie au pied de la statue
miraculeuse, au Calvaire et devant le monument de
Saint-Joseph.
A 10 heures, messe pontificale. Elle est dite à l'autel
de la tour par M='" Grouard, vicaire apostolique d'Atha-
baska-Mackenzie. Environ 450 prêtres et religieux entou-
rent l'estrade où ont pris place avec M^^ Turinaz : NN.
SS. Foucault, évêque de Saint-Dié; Légal, coadjuteur de
Saint-Albert, et le Révérendissime Dom Félix de Grasse,
abbé mitre d'un monastère bénédictin au Texas.
Bientôt, le R. P. Léon, capucin du couvent de Paris,
monte en chaire. Il rappelle d'abord les solennités in-
comparables du 10 septembre 1873, jour où le cardinal
Mathieu, archevêque de Besançon, assisté de 7 évêques,
couronnait, au nom de S. S. Pie IX, en présence de
1 oOO prêtres et de 30000 pèlerins, la statue miraculeuse
de la Vierge de Sion, puis il se demande s'il est permis
de chanter après ces vingt-cinq années et comment il
faut chanter cette Mère incomparable. L'orateur fut
en particulier très heureusement inspiré et trouva les
meilleurs accents, lorsque, rappelant les tendresses et la
vénération du peuple hébreu pour la Sion biblique, il
montra la place qu'occupe dans les cœurs lorrains la
montagne privilégiée de Marie.
Il est midi quand se termine la messe. Les familles se
dispersent sur la côte pour prendre leur repas. Les
membres du clergé reçoivent au couvent des RR. PP.
— 446 -:-
Oblats de Marie Immaculée une hospitalité fraternelle.
Comme toujours, le dessert le mieux goûté des convives
c'est le toast du Supérieur des gardiens du sanctuaire.
Nous voudrions citer en entier ce petit chef-d'œuvre.
Le R. P. Brûlé remercie en premier lieu Notre-Dame
de Sion, la Reine de la fête, du beau temps qu'elle
daigne accorder à ses enfants. « Bien qu'à Sion, on ait
appris de M=^ Gonindard, de douce mémoire, à bénir
Dieu dans tous les temps (l), on le bénit de meilleur
cœur par un gai soleil. »
S'adressant ensuite à M^"^ Turinaz, il est heureux^ dit-
il, d'associer les noces d'argent du couronnement de
Notre-Dame de Sion à ses noces d'argent épiscopales:
puis, en termes spirituels et des plus délicats, il rappelle
les actes accomplis par le prélat dans le cours de cette
année. « Grandes et belles œuvres pour lesquelles Mon-
seigneur donne sa parole, son cœur, sa vie, voire même
sa bourse..., quand elle n'est pas vide. »
Le P. Brûlé remercie également M^' Foucault « qui
peut déjà nous dire, comme saint Paul à ses fidèles dis-
ciples : Ecce tertio venio ad vos pour rehausser l'éclat de
nos fêtes... Heureux Monseigneur de Saint-Dié, bien
qu'on dise que la mitre d'or des évêques soit doublée de
peau de chagrin, heureux évêque de saint Pierre Fou-
rier, de la vénérable Jeanne d'Arc... Terre classique de
sainteté que la terre des Vosges, on en voudrait être si
l'on n'appartenait au diocèse de Nancy...
« Reconnaissance, continue le R. Père Supérieur, à
Ms' Grouard, vicaire apostolique de l'Athabaska-Mac-
(1) Lors du pèlerinage de 1885, une pluie torrentielle tomba pen-
dant la procession. Me^ Gonindard, alors évêque de Verdun, tout
ruisselant d'eau, prononça au retour une allocution, dont le texte
spirituellement choisi était : Benedicam Dominum in omni lempore
(Je bénirai le Seigneur quelque temps qu'il fasse).
_ 447 —
kenzie, de l'extrême nord de l'Amérique, aux neiges
quasi-perpétuelles, à ce point, disait saint François de
Sales, que les lièvres y sont tout naturellement blancs.
A plus forte raison, n'est-il pas surprenant que de bonne
heure et avant le temps, ce Nord terrible ait blanchi la
barbe du vénérable missionnaire.
« M^"^ Grouard possède, dans son vaste district, l'Alas-
ka, le Yukon, le Klondike, c'est-à-dire ces raines nou-
vellement découvertes, la convoitise des chercheurs
d'or. Je me suis réjoui un moment : «Monseigneur n'aura
plus à tourner des regards aussi inquiets vers la caisse
toujours parcimonieuse et mesurée de la Propagation
de la Foi. » Et j'ai entendu M^^ Grouard gémir et dire,
en voyantpasser ces troupes d'émigrants, ces affamés, ces
risque-tout, ces figures patibulaires plus effrayantes que
les Loucheux, les Cris, les Pieds-Noirs, ses bons fidèles :
« Depuis la découverte des mines d'or, l'âge d'or a pris
fin dans l'Athabaska-Mackenzie. » Daigne W Grouard
accepter l'hommage de nos sincères condoléances.
« M^' Légal, évêque titulaire de Pogla, est le coadju-
teur de Ms'' Grandin, évêque de Saint-Albert. Il est sacré
depuis peu. Après avoir administré un sauvage mourant
entre ses bras, le R. P. Légal se mit à creuser sa fosse,
quand lui arriva la nouvelle de son élévation à l'épis-
copat. Nous avions à Saint-Albert un évêque pouilleux,
Ms' Grandin; nous avons à Saint-Albert un évêque fos-
soyeur... »
Msi- Turinaz se lève à son tour : « Je dois tout d'abord
remercier le cher P. Brûlé des paroles si affectueuses et
si aimables qu'il vient de m'adresser. Je voudrais le
louer, c'est l'inspiration du cœur ; mais il est difficile à
un père de louer un fils désobéissant (et incorrigible,
ajoute le Père Supérieur). Ceci est encore pire, mais,
comme la Vierge de Sion est loute-puissante, je ne dé-
sespère pas de voir la grâce triompher de son obstina-
tion. »
L'évêque de Nancy salue les prélats, les prêtres et les
religieux présents, puis il envoie à S. Em. le cardinal Ri-
chard et à M^'' Grandin, seuls survivants des évêques té-
moins du couronnement de Notre-Dame de Sion, l'hom-
mage de son amour et de sa vénération. « On a dit de
M^"" Grandin un mot qui est le plus éloquent de tous les
éloges : c'est YÉvêque pouilleux. Ah ! beaucoup, à cette
époque, parlent du peuple, se vantent d'aller au peuple.
Que font-ils pour adoucir sa condition? M^"^ Grandin,
lui, il est allé si près du peuple et si près des plus pau-
vres qu'il a pris pour lui leur misère. Gloire à lui !... »
Gomme celle du P. Brûlé, l'allocution de M^' Turinaz
est fréquemment applaudie. Mais voici que de nouveaux
vivats éclatent sans qu'aucun orateur ait pris la parole.
C'est un des officiers supérieurs commandant les troupes
en manœuvres dans la région, qui est venu, lui aussi,
faire son pèlerinage et ne veut pas descendre la colline
sans saluer les évêques.
C'est l'occasion pour M^' Turinaz d'affirmer à nouveau,
en quelques mots vibrants, toute la sympathie respec-
tueuse, l'affection du clergé pour l'armée et ses chefs si
indignement outragée et calomniée en ce moment.
A ces mots, le général, aux applaudissements de tous,
répond par quelques paroles du cœur. Il affirme l'union
de l'armée avec les évoques dans les sentiments du plus
absolu dévouement à la patrie.
Que dire de la magnifique procession qui, le soir, se
déroula pendant près de deux heures autour du pla-
teau?... Les pèlerins de Lourdes sont eux-mêmes émer-
veillés de cette marche triomphale en l'honneur de
Marie. Au retour. Monseigneur de Nancy prend la pa-
role et raconte à 15 000 auditeurs les miracles dont le
— 449 ~
pèlerinage lorrain vient d'être favorisé à la Grotte de
Massabielie. Le salut du Très Saint Sacrement et la
bénédiction de NN. SS. les évêques mettent fin à cette
solennité qui laissera dans tous nos cœurs un impéris-
sable souvenir.
L'octave a été digne de la fête : la Vierge de Sion n'a
cessé de voir affluer à ses pieds ses fidèles Lorrains.
Cinq fois sur huit, on a dû chanter la messe en plein
air. Le 14 septembre, fête de l'Exaltation de la Sainte-
Croix, M^" Grouard bénit, en présence de 3 000 pèlerins,
la Croix Sainte-Marguerite, érigée jadis par une pieuse
princesse de Vaudémont et qui vient d'être habilement
restaurée. Le R. P. Grelaud, o. m. i., de la maison
d'Autun, qui durant ces huit jours, nous parla si bien
de Notre-Dame de Sion la « Mère très bonne », trouva
pareillement des accents tout apostoliques pour glorifier
Jésus crucifié, et tout l'auditoire répéta avec le mission-
naire, à pleine voix et à plein cœur, cette acclamation
qui, depuis huit jours, était dans toutes les âmes :
« Vive Jésus-Christ ! Vive Jésus-Christ ! »
IV
LA RÉCEPTION DU R. P. LEFEBVRE A LOWELL.
X'^"/ot/e, journal de Lowell, raconte, dans ses colonnes,
la réception toute cordiale queles Canadiens-Français de
cette ville ont faite au R. P. Lefebvre, nouveau provin-
cial des États-Unis, et au R. P. Mangin, nouveau supé-
rieur de la maison Saint-Joseph.
Au soir du dimanche 9 octobre, la vaste église bâtie
par le regretté P. Garin était absolument comble, plu-
sieurs centaines de personnes n'y ont pu trouver place.
— 450 —
Un des paroissiens de Saint-Joseph a hi une très belle
adresse au nom de la population catholique :
« Nous sommes pauvres, s'est écrié l'orateur, mais nous
voulons garder intact le prestige de notre nationalité ;
nous sommes pauvres, mais nous voulons la religion ca-
tholique, apostolique et romaine ; nous sommes pauvres,
mais nous voulons conserver nos églises et nos écoles,
écoles canadiennes-françaises où nos enfants apprennent
avec la religion les principes qui doivent guider tout
homme dans le chemin de la vie et de la vérité. C'est
sans doute pour nous encourager à suivre cette voie que
vous êtes venu, T. R. P. Provincial, fixer votre résidence
au milieu de nous.
« Le regretté P. Garin est remplacé; vous êtes le bien-
venu et nous vous saluons. Déjà la Congrégation dont
vous êtes le chef en cette province a su mériter l'estime
des populations et la reconnaissance des familles catho-
liques. Sans parler de nos œuvres locales canadiennes,
de nos magnifiques églises et de nos vastes écoles qui font
l'admiration de tous ceux qui les contemplent, les mem-
bres de votre Congrégation s'emploient sans cesse à diri-
ger les âmes vers Dieu. Prière, prédication, sages avis,
conseils paternels, rien n'est épargné pour rendre le ca-
tholique digne de sa foi et de son baptême. C'est sous de
tels chefs que nous aimons à marcher le front haut. Aussi
les Canadiens de Lowell sont-ils fiers d'avoir pour pas-
teurs les Oblats de Marie Immaculée...
«Ces souhaits de bienvenue, nous les adressons aussi à
votre vénérable compagnon, le R. P. Mangin, le nouveau
supérieur de la maison Saint-Joseph.
« Puissions-nous nous montrer toujours vos fidèles en-
fants 1 Puissent nos œuvres grandir et prospérer sous le
souffle de la religion et sous l'impulsion vivifiante que tous
deux vous saurez leur donner. Alors nos enfants pourront
— 451 —
envisager sans crainte les phases de l'avenir, tandis que
nous, notre carrière terminée, nous descendrons dans la
tombe emportant au seuil de l'éternité la fleur de l'espé-
rance chrétienne que la voix de nos Pères a su faire ger-
mer sous les pas de noire vie mortelle... »
Le R. P. Provincial, visiblement touché de la récep-
tion cordiale et enthousiaste dont il était l'objet, remer-
cia le vaste auditoire :
«Vous ne sauriez croire, bien chers paroissiens et com-
patriotes, tout Je plaisir que vous causez en ce moment
à mon vénérable compagnon et à moi, par votre assis-
tance si nombreuse à cette réunion de famille et par vos
sentiments si chrétiens et si patriotiques...
«Vos cœurs se sont réjouis, me dites-vous, à la nou-
velle de mon arrivée à Lowell, car le nom du R. P. Lb-
FEBVRE vous était connu.
«11 est vrai qu'aune époque douloureuse, en un jour
de deuil profond et universel, à la mort du dévoué et à
jamais aimé Père André-Marie Garin, j'étais accouru de
notre cher Canada, j'étais venu mêler mes larmes à vos
larmes et jeter, par ma modeste parole, quelques fleurs
sur une tombe si chère à tous et qui emportait tant de
légitimes regrets.
« Aujourd'hui, grâce à Dieu, nous sommes dans des cir-
constances qui ne laissent aucune place à la tristesse.
Vous nous souhaitez la bienvenue la plus cordiale, et
nous, leR. P.MAiNGiNet moi,et,inutilede le dire, les bons
et dévoués Pères qui vous desservent, nous sommes
heureux de le proclamer bien haut : comme le regretté
P. Garin et tous ceux qui l'ont aidé dans la grande œuvre
qu'il a inaugurée ici il y a trente ans, nous sommes tout
à vous,
« Vous avez la délicatesse d'ajouter que Lowell trouve
en ma personne « le remplaçant » du R. P. Garin. Je
- 452 —
vous remercie beaucoup du compliment, car c'en est un.
Mais je puis vous dire une chose : c'est que, si je n'ai
•pas sa belle intelligence, sa remarquable habileté pour
les affaires et ses autres précieuses qualités, je veux, et je
puis assurer que le R.P. Mangin partage mes sentiments,
je veux avoir toute son affection pour vous et pour vos
familles, et prendre le même intérêt que lui à toutes vos
œuvres et à tout ce qui peut aider à votre avancement
matériel et surtout religieux...
« Nous sommes pauvres, nous dites-vous encore, mais
« nous voulons conserver nos églises et nos écoles, écoles
« canadiennes-françaises, où nos enfants apprennent
« avec la religion les principes qui doivent guider tout
« homme dans le chemin de la vie et de la vérité. »
« Voilà une profession de foi qui me rappelle celle de
nos preux de la Monongahéla et Carillon qui, broyés aux
Plaines d'Abraham, répondaient au vainqueur puissant
qui les sommait de se rendre : « Nous nous rendrons,
« mais à la condition expresse que nous garderons le libre
<i usage de notre sainte religion. » Pour eux, la religion
était tout ; c'est pour moi un immense bonheur de con-
stater que, dans les cœurs canadiens, qu'ils vivent sur
les bords du Saint-Laurent ou sur les rives du Merrimac,
l'amour de la religion et l'attachement à la foi des ancê-
tres n'ont pas dégénéré. Inutile d'ajouter que, de ma
part et de celle de mes dévoués confrères, rien ne sera
négligé pour vous maintenir dans votre enviable position
sous ce rapport, et même pour vous y fortifier. Toujours
nous tâcherons de mériter les témoignages flatteurs que
vous décernez au zèle et au dévouement de ceux qui
vous dirigent dans cette populeuse paroisse... »
Le R. P. Mangin, supérieur, ajouta quelques bonnes
paroles de remerciements qui enthousiasmèrent la foule
réunie pour la fête.
453
Le jeudi suivant, un banquet offert par les paroissiens
de Saint-Joseph, sous les auspices di^V Association catho-
lique de Lowell, en l'honneur du R. P. Provincial et du
R. P. Mangin, réunissait 600 convives, délégués de toutes
les sociétés de la grande cité américaine.
V
MONSEIGNEUR COUDERT.
La Semaine religieuse, de Clermont, publie cette inté-
ressante lettre qu'elle a reçue de Geylan :
Borella Colombo, Ceylan, 31 août 1898.
Monsieur le directeur,
Les feuilles publiques ont dû vous apprendre la nou-
velle de l'élévation d'un enfant de l'Auvergne à la dignité
épiscopale.
Quoi qu'il en soit, permettez-moi d'envoyer à la Se-
maine religieuse de Clermont, et, par elle, au clergé de ce
même diocèse, quelques détails au sujet de cette élection.
Par un bref en date du 2 août, le Souverain Pontife a
nommé le T. R. P. Coudert, Oblat de Marie Immaculée,
évêque titulaire de Banias, et coadjuteur de S. Gr. Me' Mé-
LiZAN, archevêque de Colombo, avec future succession.
Le nouvel évêque est né en 1861, à Manglieu, diocèse
de Clermont-Ferrand. D'abord élève au collège de Bil-
lom, où il resta de 1877 à 1 881, il entra, en octobre 188 f,
au grand séminaire de Montferrand. Sous la direction des
vénérés et pieux directeurs de Saint-Sulpice, il y étudia
la philosophie et la théologie jusqu'à son ordination au
diaconat.
Mais le jeune abbé Coudert, voyant déjà que le minis-
T. XXXVI. 30
tère paroissial ne saurait suffire aux ardeurs de son zèle,
aspirait à la vie religieuse et apostolique. Une occasion
favorable se présenta et permit au zélé diacre de mettre
ses projets à exécution.
M^' BoNJEAN, d'illustre mémoire, dont la mission de
Ceylan pleure encore la perte, était allé en France cher-
cher de nouveaux auxiliaires; l'abbé Coudert, qui eut
occasion de le voir au grand séminaire de Monlferrand,
s'attacha à lui et le suivit à Colombo.
C'est laque, quelques mois après son arrivée, le jeune
missionnaire fut ordonné prêtre, le 10 avril 4886, par
Ms' BoNJEAN, qui le prit en particulière estime et affection .
C'est à Colombo aussi qu'un an après, il prononçait ses
vœux perpétuels et devenait ainsi membre de la Congré-
gation des Oblats de Marie Immaculée.
Quelques jours après sa profession religieuse, le P. Cou-
dert, que l'Esprit-Saint semblait avoir favorisé d'une
manière toute spéciale du don des langues, commençait
son apostolat auprès des infidèles de Ceylan. Il passa suc-
cessivement, pendant plusieurs années, dans différentes
Missions où il se dépensa partout avec un zèle généreux
et ardent à l'affermissement des chrétiens dans la foi et
à la conversion de nombreux païens.
En 1894, il fut nommé curé de la cathédrale de Co-
lombo. C'était un poste de confiance ; le P. Coudert
y donna la mesure de sou zèle et de ses talents aposto-
liques.
Enfin, au mois de janvier dernier, M^^ Mélizan, notre
vénérable archevêque, nomma le P. Coudert supérieur
d'un district dans l'île. Il ne devait occuper cette charge
qu'en passant; une bien plus importante et bien plus
lourde l'attendait, le Souverain Pontife l'élevait à l'épis-
copatau moment otiil s'y attendait le moins.
Les brefs apostoliques sont arrivés à M^' Coudert le
— 455 —
25 août dernier. Quarante-cinq missionnaires, qui se
trouvaient réunis ce jour-là à l'arclievêché de Colombo,
à l'occasion de la clôture de la retraite prêchée par le
nouvel évêque lui-même, ont présenté à Sa Grandeur
leurs hommages et leurs félicitations.
La cérémonie du sacre n'aura pas lieu avant le mois
de novembre.
L'Auvergne peut être fière de ses enfants, et le diocèse
de Glermont peut se féliciter de donner aux missions de
l'un et l'autre monde tant de sujets qui se dépensent avec
un zèle infatigable au salut des âmes.
Puisse l'exemple de leurs aînés exciter de plus en plus
l'enthousiasme des pieux lévites du séminaire de Mont-
ferrand, et donner à un plus grand nombre encore le
ferme désir de se consacrer au salut de tant d'âmes qui
se perdent faute d'ouvriers évangéliques : sur 3 2U0 000 ha-
bitants dans l'île de Ceylan, 275000 seulement sont ca-
tholiques. Tous les prêtres de Glermont ne peuvent pas
venir ici, mais tous peuvent prier le Père de famille d'en-
voyer des ouvriers à sa vigne et de donner à ceux qui
y travaillent déjà la force et le courage dont ils ont
besoin.
Recevez, monsieur le rédacteur, les sentiments respec-
tueux d'un de vos Frères dans le sacerdoce.
Un enfant de l'Auvergne,
Missionnaire Oblat de Marie, h Ceylan.
NOUVELLES DIVERSES
Le T. R. P. Supérieur général, accompagné de son
secrétaire particulier, leR. P. Lemius (François), a quitté
Paris le 24 septembre. Après avoir présidé, à Liège,
la retraite annuelle du scolasticat , prêchée par le
R. P. Monnet, supérieur de Notre-Dame de l'Osier, il a
fait la visite du noviciat du Bestin, de nos établissements
de Hollande et du scolasticat de Hiinfeld, pour, de là, se
rendre à Rome, où S. S. Léon XIII l'a reçu en audience
le 3 novembre.
— Nos ÉvÊQUES MISSIONNAIRES. — Plusieurs évêques
missionnaires ont accompli leur pèlerinage ad limina.
Dans le courant de septembre. Notre Saint Père le Pape
donnait audience à S. Gr. M^' Joulain, évêque de Jalfna,
qui, peu de jours après, s'embarquait à Marseille avec
le R. P. Maingoï, délégué au Chapitre général, et le
R. P. Ienn (Ernest), jeune missionnaire.
— Le 3 octobre, Sa Sainteté recevait M^' Légal, coad-
juteur de Saint-Albert. Ce prélat a quitté Paris le 15 no-
vembre, pour s'embarquer, le lendemain, à Liverpool.
Le R.P. Mérer, délégué au Chapitre général, et M. l'abbé
Beillevaire, du diocèse de Nantes, qui travaille depuis
vingt ans dans nos Missions comme prêtre séculier, ac-
compagnent Sa Grandeur.
— Ms' Grouard a eu également, le 18 octobre, la joie
d'entretenir le Saint-Père de sa Mission du Mackenzie;
Sa Sainteté l'a écouté avec le plus vif intérêt et a agréé
— 457 —
volontiers le présent du pauvre Vicaire apostolique de
l'extrême nord, une magnifique peau de renard noir.
M^'" Grouard parcourt maintenant les séminaires, et di-
verses Semâmes religieuses nous apportent l'écho de ses
conférences si pittoresques et si captivantes aux élèves
des établissements diocésains. Il reprendra dans quel-
ques semaines le chemin du Canada avec le R. P. Ducot,
délégué nommé au Chapitre, qui n'a pu arriver en France
qu'à la mi-octobre.
— Après avoir fait une petite ordination au scolasticat
de Liège, le 1" novembre, M^"" Pascal, accompagné du
R, P. Delouche, a fait un voyage en Autriche, dans le
but d'obtenir des prêtres du rite ruthène pour desservir
les nombreuses colonies de Galiciens établies dans la
Saskalchewan et nos Missions du Nord-Ouest.
— Bechuanaland. — Le R. P. Porte, délégué du vi-
cariat de l'État libre d'Orange au Chapitre général, s'est
embarqué à Southampton le 24 septembre. Il emmenait
avec lui, outre le R. P. Van Hecke et le F. convers Cy-
Ris, six religieuses de la Congrégation des Sœurs de
Saint-Jacut, au diocèse de Vannes, destinées à sa Mission
de Taungs. Voici la lettre écrite par le R. P. Porte au
T. n. P. Général pour lui annoncer l'heureux terme de
ce long voyage.
Sainl-P.iiilj T.iungs (Bochuanaland),
23 octobre 1898.
Mon très révérend et bien-aimé père,
Vous serez heureux d'apprendre que la caravane nom-
breusedevos enfants, se dirigeant versle sud de l'Afrique,
est enfin arrivée à bon port.
En trois semaines et deux jours, nous avons passé par
les quatre saisons de l'année ; car l'automne, que nous
vous avons laissé, s'est vite changé en été aux approches
— 458 —
des Canaries et de l'équateur. La deuxième semaine du
voyage a été accablante de chaleur et de fièvre. Je ne
sais pour quelle raison presque tout l'équipage a subi des
attaques de fièvre, de coliques et de dysenterie, non
seulement les passagers, mais les hommes de mer eux-
mêmes. A l'été a succédé un vent glacial avec pluie et
brouillard pendant le reste du voyage. La mer était de-
venue désagréable et la caravane faisait mauvaise mine.
Enfin le Cap s'est dessiné à l'horizon, la vie est revenue,
car, au Cap, c'est le printemps et tout est gai et rianlle
long de la Table mountain.
En passant à Kimberley, nous avons salué M^' Gau-
GHRAN à la gare, en compagnie desPP.LENomelTREscn.
Les Sœurs de la Sainle-Famiile avaient prévu qu'après
trente-six heures de chemin de fer nous aurions faim,
et nous avons justifié leurs prévisions.
En Bechuanaland,la situation est toujours pénible, car
la famine va de l'avant, et, à moins de pluies abondantes,
cette année-ci tout est perdu.
Le F. Debs a travaillé d'une façon extraordinaire pen-
dant mon absence ; il n'y a pas une chose, tant au spiri-
tuel qu'au temporel, qui ait échappé à sa vigilance. Le
nouveau F. CiRisest une bonne acquisition pour la Mis-
sion. Il aura amplement l'occasion de montrer son ha-
bileté à manier la lime et le marteau et nous rendra de
précieux services, tant dans son état qu'en maintes cir-
constances. Les deux Frères, en suivant bien leur règle
et faisant leurs exercices, sont sûrs d'être heureux et de
nous rendre heureux. La maison des Sœurs a été res-
taurée à neuf par Monseigneur et le F. Kurten. J'attends
Sa Grandeur aujourd'hui.
Merci, mon Très Révérend Père, de votre bonté à notre
égard, merci à tous vos Assistants et au P. Procureur
général.
— 459 —
— Incendie a New-Westminster. — Dans la nuit du
10 au II septembre, un violent incendie a réduit en cen-
dres une partie considérable de la ville de New-West-
minster, en Colombie Britannique. Le quartier com-
mercial a particulièrement été éprouvé, c'est à peine si
deux hôtels ont pu être préservés des flammes. Aucun
des établissements catholiques n'a souffert du fléau.
— Noces d'or. — Le R. P. Soulerin, qui déjà l'an
passé célébrait ses noces d'or d'oblation, vient d'atteindre
le cinquantième anniversaire de son ordination sacer-
dotale. En la fête de la Toussaint, il y a eu également
cinquante ans que le R. P. Baret (Victor), directeur de
la résidence de Royaumont, a prononcé ses vœux perpé-
tuels. On attend le retour du T. R. P. Général pour fêter
les vénérables jubilaires,
— Obédiences. — Les jeunes Pères, dont les noms sui-
vent, ont reçu, à destination de nos diverses provinces,
leur première obédience :
1° Pour le scolasticat de Liège : le R. P. Muths, Louis,
du diocèse de Strasbourg. — Pour le scolasticat de
Rome : les RR. PP. Thiry, Ferdinand, du diocèse de
Metz, et Blanc, Euloge, du diocèse de Digne. — Pour le
scolasticat d'Ottawa : le R. P. Blanchin, François, du
diocèse de Chambéry. — Pour le scolasticat d'Hiinfeld :
lesRR. PP. Breitenstein, Eugène, du diocèse de Pader-
born, et Allmang, Georges, du diocèse de Metz.
2° Pour la première province de France : les RR.
PP. loppoLO, Joseph, du diocèse de Patti (Sicile) ; Sau-
nier, Marins, du diocèse de Grenoble; Lingueglia, Jean-
Baptiste, du diocèse de Vintimille (Italie) ; Alessiani,
Etienne, du diocèse de Fermo (Italie); Coste, Louis, du
diocèse de Mende; Astier, Calixto, du même diocèse;
; — 460 —
Durand, Emile, du diocèse de Grenoble; Soleri, Jean-
Baptiste, du diocèse deVintimille.
3° Pour la deuxième province de France : les RR.
PP. Legrand, Alexis, du diocèse du Mans ; Roche, Al-
phonse, du diocèse de Glermont ; Le Gohébel, Jean-
Louis, du diocèse de Vannes.
A° Pour la province du Canada : Pépin, Eugène, du
diocèse de Nicolet ; Rouzeau, Eugène, du diocèse de
Laval ; Duffy, John, du diocèse de Boston.
5° Pour la province Britannique : le R. P. Foley,
John, du diocèse de Clifton.
6° Pour la province des États-Unis : les RR. PP. Sloan,
Charles, du diocèse de Kingston; Pletcher, Bernard,
du diocèse de Pittsburg ; Sullivan, Denis, du diocèse de
Boston.
7" Pour la province d'Allemagne : les RR. PP. Kel-
ler, Jean, du diocèse de Cologne ; Bonnicho, Michel,
du diocèse de Metz ; Schulte, Guillaume, du diocèse de
Paderborn ; Dirck, Raymond, du même diocèse ; Far-
ber, Michel, du diocèse de Cologne ; Bœitger, Charles,
du diocèse de Paderborn.
— CoLO.MBO. — Le 30 novembre, fête de saint André,
apôtre, est la date choisie par M^"" Mélizan pour le sacre
de M^'' CouDEiiT, son coadjuteur. NN. SS. Joulain, évêque
de Jaffna ; Pagnani, évêque de Kandy, et Van Reelh,
évêque de Galle, assisteront à cette cérémonie, qui doit
avoir lieu dans la cathédrale de Colombo.
— Départ de missionnaires. — Voici la liste de ceux
de nos Pères et Frères qui sont partis dans le cours de
cette année pour les Missions étrangères :
i° Amérique. — A destination du Texas : le R. P. Pi-
TOYE, Louis, du diocèse d'Autun.
— .461 —
A destination de Saint-Boniface : les RR. PP. Geelen,
Philippe, du diocèse de Paris ; Kulawy, Guillaume, du
diocèse de Breslau, et Kruse, Charles, du diocèse de
Paderborn.
A destination de Saint-Albert : les RR. PP. Lépine,
Maurice, du diocèse du Mans ; Gulérier, Louis, du
même diocèse; Jan, Alphonse, du diocèse de Vannes, et
PuiLiPPOT, Yilal, du diocèse de Laval.
A destination de la Colombie Britannique: les RR.
PP. Le Chesne, Pierre-Marie, du diocèse de Vannes;
RnoR, Victor, du diocèse de Metz, etMiiLEUx, Hippolyte,
du diocèse du Mans.
A destination d'Athabaska-Mackenzie : le R. P. Hesse,
Edouard, du diocèse de Metz.
A destination de la Saskatchewan : les RR. PT. Bruck,
Guillaume, du diocèse de Cologne; Boissin, Henri, du
diocèse de Viviers, et trois postulants convers de ce
même diocèse.
2° Ile de Ceylan. — A destination de Colombo : le
R. P. AuBERT, Félix, du diocèse de Nîmes.
A deslinalion de Jaffna : le R. P. Ienin, Ernest, du dio-
cèse de Strasbourg.
3^ Afrique du Sud. — A destination de l'Etat libre
d'Orange: le R. P. Séchet, Pierre, du diocèse de Nantes,
et le Frère convers Cyris, Joseph, du diocèse de Bres-
lau.
A destination du Basutoland: le R. P. Bernard, Paul,
du diocèse de Saint-Dié.
A destination du Transvaal : le R. P. Van Hecke, Al-
phonse, du diocèse de Gand.
A destination de la Cimbébasie : les RR. PP. Nacht-
wey, Augustin, du diocèse d'Hildesheim ; Watterot,
François, du diocèse de Paderborn ; les FF. convers Kip-
per, Meyer et Bast.
— 462 —
— Sept religieuses de la Sainte-Famille de Bordeaux
sont parties d'Angleterre le 24 septembre pour nos di-
verses Missions d'Afrique. Ce sont les Sœurs : Nativité
(Leduc), du diocèse de Laval ; Marie-Louise (Bequet), du
diocèse de Malines ; Sainte-Adèle (Montag), du diocèse
de Paderborn ; Marie -Alphonse (Weis), du diocèse de
Metz; Sainte-Paule (Opper), du diocèse de Limbourg ;
Saint-Ambroise (Farren), du diocèse d'Armagh ; Saint-
Adrien (Hogan), du diocèse d'Ossory (Irlande).
— Trois Sœurs de la même Association se sont em-
barquées à Marseille le 23 octobre, à destination de
Ceylan, les Sœurs Saint-Augustin (Ballet), du diocèse
de Belley; Augustine (Peyton), du diocèse d'Achonry
(Irlande) ; Adélaïde (Alonso), du diocèse de Palencia
(Espagne).
— Distribution des prix a l'Université grégorienne. —
Voici les résultats obtenus par nos scolastiques de
Rome aux examens et aux concours de l'année sco-
laire 1897-1898 :
Grades : 35. — 6 docteurs, 10 licenciés, 4 baclieliers en théologie;
1 docteur, o licenciés, 8 bacheliers en philosopliie ; 1 bachelier en
droit canon.
Prix : 24 . — 3 seconds prix {ex œquo) d'Ecriture sainte ; 2 seconds
prix [ex œqiio) de théologie dogmatique, cours du matin ; 1 second prix
[ex œquo) de théologie dogmatique, cours du soir; 1 premier prix (ea;
œquo) de théologie dogmatique, cours du matin, première année ;
1 second prix {ex œquo) de théologie dogmatique, cours du matin,
l)remière année ; l premier prix [ex œquo) de théologie dogmatique,
cours du soir, pren:]ière année ; 1 second prix [ex œquo) de théo-
logie dogmatique, cours du soir, première année; 1 prix [ex œquo)
do langue iiébraïque; 1 prix [ex œquo) de langue arabe ; 2 seconds
prix d'histoire ecclésiastique; 1 prix d'archéologie chrétienne; 1 se-
cond prix [ex œquo) de métapliysique, troisième année; 1 second prix
[ex œquu) d'éthique et de droit naturel; 1 second prix de physique-
chimie; 1 premier prix de physique-mathématiques; 1 premierprix de
logiqneet métaphysique générale ; 1 second prix [ex œquo) de logique
et (le métaphysique générale ; 1 second prix [ex œquo) de mathéma-
— 463 —
tiques élémentaires ; 1 troisième prix (ex œquo) de l'Académie do
Saint-Ttiomas.
A ces prix s'ajoutent 33 accessits, 25 mentions très honorables et
i i mentions honorables. Total : 96 nominations.
— Inauguration de la cqapelle funéraire a la cathé-
drale DE Marseille. — On lit dans l'Echo de ISotre-Dame
de la Garde :
« Le 2 novembre, W'' Robert a inauguré, à la cathé-
drale, dans la crypte épiscopale, le service religieux, en
célébrant la messe pour les Fidèles trépassés et particu-
lièrement pour les évêques dont les corps reposent dans
celte crypte. Il était assisté de M. le vicaire général Olli-
vier, archidiacre de Sainte-Marie-Majeure, et de M. le
chanoine Darbon, maître des cérémonies. Étaient pré-
sents : M. le chanoine Lagorio, prévôt du vénérable
Chapitre et curé de la cathédrale; M. le chanoine Si-
meone, secrétaire général; M. l'abbé Diisserre, pro-
secrétaire, et une députation des Pères Oblats. Un très
grand nombre de fidèles sont venus s'unir aux intentions
de leur pasteur en assistant à la messe et en particulier
en se présentant à la table sainte.
« Nous croyons devoir, ici, donner l'indication de la
sépulture de ces anciens évêques,
(( La crypte funéraire, située sous la chapelle absi-
dale de la Très Sainte Vierge, a 19 mètres de long et
25 mètres si l'on y ajoute l'espace compris dans l'es-
calier.
« L'autel, en granit, se distingue des autelsde l'église
supérieure par une urne magnifique en marbre de Nu-
midie et portant cette inscription : Sanguis martyrum.
« Devant l'autel et détaché, seul sur cette ligne, est
un grand tombeau ; c'est là que, suivant sa volonté,
M8"" Gharles-Joseph-Eugène de Mazenod, Fondateur et
premier Supérieur général de la Congrégation des Mis^
sionnaires Oblats de Marie Immaculée, a été placé, et
dans ce même sarcophage, mais à une place tout à fait
distincte, se trouve M^' Charles-Fortuné de Mazenod, son
oncle. On peut leur appliquer cette parole de la sainte
liturgie : Quomodo in vita sua dilexerunt se, ita et in
morte non siint separati ; de même qu'ils se sont aimés
pendant leur vie, ainsi ils n'ont pas été séparés dans la
mort.
« Sur la ligne, du côté de l'évangile, en partant de
l'autel, le premier tombeau est celui de Ms' de Belzunce.
Dans le tombeau suivant est le cercueil qui contient les
restes des évêques de Marseille, antérieurs à M?"" de Bel-
zunce. En suivant toujours cette même ligne, le sarco-
phage qui se trouve à l'entrée de la chapelle funéraire a
reçu le cercueil de M^"" O'Cruice, mort ancien évêquede
Marseille, chanoine de Saint-Denis.
« Une inscription indiquant la destination de cette
chapelle a été placée sur le pilastre de l'abside, au côté
de l'évangile. Nous donnons ici le texte et la traduction
de cette inscription :
NON • MAIIS . AN • M • DCCC • XCVII
IN • HOC • HYPOGAEVil
GORPORA • EPISCOPORVM • MASSILIENSIVM
INSTAVRATO • SOLEMM • FVNERE
CORAM • F • X • GOVTHESOVLaRD • METR • PRAESIDE
PLVRIRVS • AT.IIS • ARCHIEP • ET • EPISCOPIS
MAXIMA • VTRIVSQOE • CLERI • POPVLIQ • FREQVENTIA
LVD • ROBERT • EPI • MASSILIEN • TRANSTVLIT
E • SEPULCRO • VET • AEDIS • S • MARIAE • SIAIORIS
VBI • PRIJUTVS • CONDITA • REQVIEVERANT
VALETE • AVCTORES • ET • PARENTES • NOSTRI
GRATI3SIMA • PROGENIES • VESTHA
AETERNAM • IN • jH • PACEM • ADPRKCAMUR
Le jour des Nones du mois de mai (7 mai) de l'an 1897,
dans cette cnjpte, Louis Robert, évéque de Marseille, a
— 465 —
transféré du tombeau de Vancienne église de Sainte-Marie-
Majeure, oit d'abord ils étaient ensevelis, les corps des an-
ciens évêgues de Marseille, de nouvelles obsèques solennelles
ayant été célébrées sous la présidence du métropolitain
F.-X. Gouthesoulard, en présence de plusieurs autres arche-
vêques et évêques (I), devant une foule immense de mon-
bres de l'un et de Vautre clergé et de fidèles.
Salut à vous, auteurs et pères de notre foi; nous, votive
famille pleine de reconnaissance, nous sollicitons pour vous
la paix éternelle dans le Christ.
(1) Les évêques, outre le métropolitain et l'évêque de Marseille,
étaient NN. SS. Mélizan, archevêque de Colombo, Balaïn, arche-
vêque d'Auch, l'un et l'autre Oblals de Marie-Immaculée; NN. SS. de
Cabrières, évêque de Montpellier, Jauffret, évêque de Bayonne.
BIBLIOGRAPHIE
Un apôtre^ le R. P. de l'Hermite, des Missionnaires
Oblats de Marie Immaculée, par le R. P. Devès, de la
même Congrégation, à la librairie Delhorame et Briguot,
83, rue de Rennes, à Paris. — Un beau vol. in-S" de plus
de 500 pages avec un beau portrait. Prix : o francs.
Ce bel ouvrage n'est pas seulement la très intéres-
sante biographie d'un religieux qui fut un des dignitaires
de la Congrégation des Oblats, il est aussi et surtout une
étude bien fouillée de la « vie du missionnaire » telle
que l'a ordonnée et réglée le Fondateur de cette Congré-
gation, M5'' DE Mazenod, de noble et sainte mémoire.
Le P. de l'Hermite fut le modèle parfait du bon prêtre,
de ce prêtre dont il est dit quelque part que les âmes sau-
vées par lui lui feront cortège dans les cieux ; le modèle
des religieux, absolument religieux par toutes les fibres
du cœur et de la volonté j le modèle aussi du mission-
naire que rien ne décourage et qui va partout semant la
bonne semence, qui est le Verbe de Dieu, et jetant le
filet mystérieux où s'accomplit dans l'ombre la pêche
miraculeuse des âmes.
L'historien du P. de l'Hermite n'a rien exagéré en fai-
sant précéder ce noble nom du titre plus noble encore
d'apôtre ; car, en vérité, toute la vie de ce religieux,
de ce missionnaire, n'a été qu'un long apostolat. Par
sa naissance, par son éducation, par le milieu social qui
était le sien, le jeune Marc de l'Hermite pouvait avoir
dans le monde un rang élevé et brillant. U se donna
tout à Dieu.
— 467 —
]| restera l'honneur le plus pur de sa famille dont il
nous souvient d'avoir lu la devise sur quelque antique
verrière: Prier vault à l'Hermite! Nous la citons de
mémoire et peut-être n'est-elle pas exactement orthogra-
phiée ; mais on nous pardonnera, car il ne s'agit pas ici
d'archéologie, mais du sens élevé de cette devise qui
rappelle toute une longue lignée de fidèles serviteurs de
Dieu et de la patrie.
Pendant plus de trente ans, le P. de l'Hermite a semé
de toutes parts au gré des supérieurs qui l'envoyaient,
la sainte et féconde parole de Dieu ; il a édifié les grands
et consolé les petits, les humbles, les meurtris; il a
« évangélisé les pauvres » suivant le précepte qui sert
de devise à la Congrégation dont il fut membre d'élite.
Né ou élevé sur la terre généreuse et le sol robuste
du Limousin ou de l'Auvergne, transplanté à une époque
de formation profonde dans l'un des plus gracieux
paysages du Dauphiné montagneux, porté ensuite sous
le ciel de la Provence et aux bords de la Méditerranée,
jeté après sur les côtes de l'Océan et dans l'enthousiasme
ensoleillé du Bordelais, ramené et retenu en Auvergne
par la maladie, conduit dans l'Orléanais à l'ombre d'un
sanctuaire historique et national, ramené sous le clair
et gai soleil de la Provence, pris alors comme le Pro-
phète et transporté à l'autre bout de la France sur le
granit breton, poussé vers la riche et féconde Touraine
auprès de Saint-Martin, installé enfin à Paris ou la
flamme de sa dévotion jeta ses derniers reflets sur la ba-
silique du Sacré-Cœur... voilà la laborieuse carrière de
ce pionnier de l'Evangile... Voilà toute la vie du P. de
l'Hermite. Est-elle assez pleine ? Et il n'avait que 60 ans,
quand il retourna à Dieu, dans l'octave de Noël 1889.
Le livre qui raconte cette belle existence tout entière
consumée au service du Seigneur et au service des
— 468 —
pauvres sera pour tous ceux qui le liront un constant
sujet d'édification. Au tableau de ce zèle, les prêtres
sentiront leur zèle devenir plus ardent, les religieux
s'appliqueront à faire leur vie sainte comme celle de ce
Frère qui les a précédés dans l'éternité des cieux, les
pauvres âmes comme la nôtre béniront le Seigneur qui
leur envoie de tels « apôtres » pour les consoler, les
relever, les soulager, les guérir et il arrivera ainsi que le
pieux missionnaire, qui a usé sa vie à prêcher le Christ
le prêchera encore :
Ita narratus et traditus, defunclus adhuc loquetur.
{La Croix.)
Le R. P. Ortolan .professeur au grand séminaire d'Ajac-
cio, vient de publier trois nouveaux opuscules pleins de
science et d'actualité : I. Matérialistes et Musiciens. —
II. Vie et Matière ou Matérialisme et Spiritualisme en pré-
sence de la cristallogénie. — III. La Fausse Science con-
tempoi'aine et les Mystères d'outre-tombe. Prix de chaque
opuscule, franco, 60 centimes. Librairie Bloud et Barrai,
4, rue Madame, Paris.
I. Le premier opuscule est une réfutation humoris-
tique du matérialisme. Comme le dit l'auteur dans sa
préface, la preuve par l'absurde, quoique indirecte,
n'est pas la moins concluante, et les arguments les plus
simples causent parfois le plus d'impression.
Si quelques partisans de la fausse science sont sin-
cères et ont droit à la pitié, à titre de malheureux éga-
rés, un grand nombre cependant ne méritent pas d'être
pris au sérieux. Ils ont une prédilection :pour les chi-
mères et les présentent sous une apparence scientifique
afin de mieux séduire leurs lecteurs.
On est souvent trop peu défiant à l'égard des malfai-
teurs littéraires. Peu scrupuleux sur le choix des
— 469 —
moyens, ils font flèche de tout bois dans leur lutte
contre la vérité. Il n'est donc pas défendu de s'amuser
un peu en leur répondant sur ;le même ton, et en les
payant de leur propre monnaie.
L'opuscule Matérialistes et Musiciens tend à instruire
en plaisant ; on y trouvera, avec la clarté de l'expo-
sition et les charmes du style, la précision scientifique
et la rigueur absolue du raisonnement.
II. Dans Vie et Matière, le P. Ortolan réfute avec une
logique inflexible les objections nouvelles de l'incrédu-
lité. Vaincue en physiologie, la fausse science s'est ra-
battue sur la chimie et la minéralogie ; elle a prétendu
surprendre dans les cristaux des manifestations incon-
testables d'une vie rudimentaire, mais certaine ; elle les
a présentés comme les traits d'union naturels entre la
matière brute et les êtres vivants. Il faut voir comment
le savant auteur pulvérise ces objections.
III. La Fausse Science contemporaine et les Mystères
(ï outre-tombe. On devine que l'éminent auteur passe en
revue et réfute tous les systèmes inventés par de pré-
tendus savants pour s'emparer de la curiosité moderne
et fausser les vraies idées de l'au-delà.
Le style du R. P. Ortolan est clair, vif, entraînant,
plein d'humour.
Tous nos vœux fraternels pour la diffusion de ces
petits traités qui contiennent tant de vraie science.
T. XXS.VI. 31
OBLATIONS
PENDANT LES ANNÉES 1896, 1S97 ET 1S98
DK DÉCEMBRE A DÉCEMBRE (1).
(En cas tle variante, la présente liste annule les prûcédentes.)
4900. Hays, Mathurin-Jean -Marie (F. G.), 8 décembre
1896, Saint-Albert.
1901 . Mathis, Pierre-Jean (F. C), 8 décembre 1896, Mac-
kenzie.
1902. Valette, Casimir-Paul, 8 décembre 1896, Liège.
1903. Bellot, Claude-Eugène, 8 décembre 1896, Liège.
1904. MuiR, Benjamin (F. C), 17 iévrier 1896, Maniwaki.
1905. SciiLOSSER, Valentin (F. C), 17 février 1896, Liège.
1906. Cadieux, Alexandre-Thomas, 17 février 1896, Ot-
tawa.
1907. Zerwes, Mathias-Marie-Joseph (F. C), Saint-
Charles (Fauquemont).
1908. Andrzejewski, Joseph (F. C.)> 17 février 1896,
Saint-Charles (Fauquemont).
1909. Falkenuahn, Médard (F. C), 17 février 1896, Liège.
1910. AsTiER, Calixte-Louis, 17 février 1897, Liège.
1911. Allard, Odilon-Joseph-Hercule, 17 février 1897,
Ottawa.
1912. Louis, Edmond-Dominique, 17 février 1897, Notre-
Dame de Sion.
1913. Saintonge, François-Xavier-Félix (F. C), 19 mars
1897, Notre-Dame des Anges.
1914. Balmès, Joseph-Jean-Marie, 19 mars 1897, Fréjus.
(1) Le numéro 1960 bis est attribué au P. Vacher, Pierre-Marie,
qui a fait son oblation à la Providence (Mackenzie) le 25 ou 26 juil-
let 1896.
_. 471 —
1915. Favier, Jean-Baptiste, i9 mars 1897, Fréjus.
1916. Jan, Alphonse-Marie, 19 mars 1897, Fréjus.
1917. Durand, Daniel-Olivier, 19 mars 1897, Liège.
19t8. GuixET, Antonin, i^' mai 1897, Rome.
1919. Deville, Albert-Louis, 1" mai 1897, Rome.
1920. Cormier, Joseph-Alphonse (P. G.), 27 mai 1897,
Ottawa.
1921. Barette, Antoine-Jean-Baptiste, 27 mai 1897, Ot-
tawa.
1922. BoYER, Jean-Baptiste-Oscar, 27 mai 1897, Ottawa.
1923. Vasseur, Louis-François, 6 juin 1897, Angers.
1924. JoLY, Prosper-Georges (F. C), 21 juin 1897, Li-
moges.
1925. Whartom, Charles- Joseph (F. G.), 15 août 1897,
Tewksbury.
1926. Fasshauer, Gharles-Philippe (F. G.), 15 août 1897,
Rome.
1927. SoLERi, Jean-Baptiste-Marie, 15 août 1897, Rome.
1928. Albaret, Augustin- Félix -Marie, 15 août 1897,
Rome.
1929. Schneider, Jacques, 15 août 1897, Saint-Boniface
(Hiinfeld).
1930. Weiler, Gérard-Christophe, 15 août 1897, Saint-
Boniface (Hiinfeld).
1931. Streit, Robert-Paul, 15 août 1897, Saint-Boniface
(Hunfeld).
1932. Schulte, Jean, 15 août 1897, Saint-Boniface (Hiin-
feld).
1933. Krist, François-ïhéodose, 15 août 1897, Saint-
Boniface (Hiinfeld).
1934. Kempf, Constantin, 15 août 1897, Saint-Boniface
(Hunfeld).
1935. Sch^fer, Hermann-Joseph, 15 août 1897, Saint-
Boniface (Hunfeld).
— 472 —
4936. Rose, Joseph, 15 août 1897, Saint-Boniface (Hiin-
feld).
1937. KiERDORF, Auguste-Christian, 15 août 4897, Saint-
Boniface (Hunfeld).
1938. Hermès, Joseph-Guillaume, 15 août 1897, Rome.
1939. Stehle, Nicolas, 4 5 août 4897, Saint-Boniface
(Hunfeld).
1940. ScHWANE, Guillaume, 15 août 1897, Rome.
1944 . Roche, Jean-Marie-Alphonse, 15 août 4897, Noire-
Dame de Bon-Secours.
1942. GoNAN, Pierre-Marie, 45 août 1897, Angers.
4943. Frapsauce, Joseph-Marie, 25 août 4897, Liège.
4944. ScHMiTZ, Pierre-Marie-Joseph, 25 août 1897, Liège.
4945. Miller, William-Georges, 25 août 1897, Liège.
1946. M'^Gallion, William-John, 25 août 4897, Liège.
1947. Sherry, John-Henri, 25 août 1897, Liège.
1948. Hamm, François-Xavier, 25 août 4 897, Liège.
1949. Gutfreund, François-Xavier, 25 août 1897, Liège.
1950. ScHMiTT, Aloys, 25 août 1897, Liège.
1951. UnLRicn, Florent, 25 août 1897, Liège.
4952. Sheurer, Charles-Louis, 25 août 4897, Liège.
1953. Perrussel, Henri-Joseph-Marie, 25 août 4897,
Liège.
1954. Coupé, Pierre-Félix, 29 août 1897, Liège.
1955. Paquet, François-Marie (F. C), 8 septembre 1897,
Notre-Dame des Anges.
4956. Kirwin, William-Joseph, 8 septembre 4897, Ot-
tawa.
1957. Beaudry, Patrick, 8 septembre 1897, Ottawa.
1958. Tessier, Edouard-Joseph, 8 septembre 1897, Ot-
tawa.
1959. Madden, Ambroise-Thomas, 8 septembre 1897,
Ottawa.
1960. Lacombe, Ernest, 8 septembre 1897, Ottawa.
— 473 —
1961. Lejard, Louis-Charles, 8 septembre 1897, Rome.
1962. Masson, Jean-Marie, 8 septembre 1897, Rome.
1963. Legault, Raoul, 8 septembre 1897, Ottawa.
1964. Kalmes, Mathias, 25 septembre 1897. Liège.
1965. Deman, Camille-Gustave, 25 septembre 1897, Liège.
1966. Pescheur, René-Hubert, 25 septembre 1897, Liège,
1967. Boissm, Henri-Odilon, 17 octobre 1897, Notre-
Dame de l'Osier.
1968. Combaluzier, Firmin (F. C), 1" novembre 4897,
Notre-Dame de l'Osier.
1969. Sexton, James (F. G.), 1" novembre 1897, Tewks-
bury.
1970. Duval, Théodore-Henri, 1" novembre 1897, An-
gers.
Pour les noms qui suivent, les numéros d'Oblation ne seront
donnés qu'à la fin de l'année 1899.
Debray, Elisée (F. C), 17 février 1898, Notre-Dame de
Sion.
Le Gohébel, Jean-Louis, 17 février 1898, Angers.
Lhor, André-Joseph (F. C), 19 mars 1898, Saint-
Charles (Fauquemont).
JossE, Alexandre, 19 mars 1898, Rome.
Forner, Augustin-Adolphe, 10 avril 1898, Saint-Boni-
face (Hiinfeld).
Schumacher, Jean (F. C), 14 mai 1898, Rome.
Zerwes, Pierre (F. C), 19 mai 1898, Saint-Boniface
(Hiinfeld).
Adam, Marie-Nicolas (F. C), 29 mai 1898, le Bestin.
Hanon, Albert-Anatole, 29 juin 1898, Ottawa.
Blanchin, Etienne-Jean-Marie, 29 juin 1898, Ottawa.
PouLiouEN, Jean-Marie (F. C), 19 juillet 1898, lle-à-la-
Crosse.
— 474 —
Debs, Xavier (F. C), 26 juillet 1898, Kimberley.
Bremen, Joseph (F. C), 15 août 1898, Liège.
Ferri, Aristide, lo août 1898, Rome (juniorat).
Habay, Joseph-Marie, 15 août 1898, Liège.
Delagnes, Lucien-Benjamin, 15 août 1898, Liège.
Bruno, Elie-Raphaël, 15 août 1898, Notre-Dame de
rOsier.
Laffoxt, Adolphe-Régis, 15 août 189S, Rome.
Planet, Edouard-Henri, 13 août 1898, Rome.
Deslandes, Victor, 15 août 1898, Liège.
Lauffs, Henri-Hubert, 15 août 1898, Saint-Boniface
(Hunfeld).
BoYON, Joseph-Marie, 15 août 1898, Liège.
HiLLAND, Paul, 15 août 1898, Saint-Boniface (Hiinfeld).
CoN.NOLLY, Ernest-William, 15 août 1898, Liège.
Weisgerber, Jean-Gustave, 15 août 1898, Saint-Boniface
(Hiinfeld).
MûLHAUs, Aloys-Ignace, 15 août 1898, Saint-Boniface
(Hunfeld).
Egenolf, Joseph, 15 août 1898, Saint-Boniface (Hiin-
feld).
Tosquinet, Joseph, 15 août 1898, Saint-Boniface (Hiin-
feld).
Strîjber, Bernard-Philippe, 15 août 1898, Saint-Boni-
face (Hunfeld).
Lauer, François-Aloys-Nicolas, 15 août 1898, Saint-Bo-
niface (Hunfeld).
KuLAWY, Pierre-Paul, 15 août 1898, Saint-Boniface (Hiin-
feld).
Krein, Joseph, 15 août 1898, Saint-Boniface (Hunfeld).
Muller, Nicolas, 15 août 1898, Saint-Boniface (Hunfeld).
Herbach, Gérard-Joseph, 15 août 1898, Saint-Boniface
(Hunfeld).
Nandzik, Théophile, 15 août 1898, Rome.
— 475 —
SoRMANY, Léon-Joseph, 15 août 1898, Rome.
Hermès, Hubert, 15 août 1898, Rome.
Dauber, Joseph, 15 août 1898, Saint-Boniface (Hiin-
feld).
CoRDEL, Nicolas (F. G.), 8 septembre 1898, Ottawa.
Mac GuRTHY, Charles, 8 septembre 1898, Ottawa.
Paillé, Joseph-Eugène, 8 septembre 1898, Ottawa.
RoBiLLARD, Omer, 8 septembre 1898, Ottawa.
Portier, Adolphe-Gervais, 8 septembre 1898, Ottawa.
Priour, Julien-Louis-Marie, 8 septembre 1898, Ottawa.
Heimbîjcher, Antoine, 8 septembre 1898, Saint-Boniface
(Hunfeld).
Fallon, James-Patrick, 8 septembre 1898, Ottawa.
Graton, Joseph-Augustin, 8 septembre 1898, Ottawa.
Lambot, Ernest-Edmond, 8 septembre 1898, Rome.
Laurent, Pierre-Joseph, 2 octobre 1898, Liège.
Garrigou, Justin -Pierre, 2 octobre 1898, Liège.
Deheere, André-Charles, 2 octobre 1898, Liège.
Ryan, Nicolas-Joseph, 2 octobre 1898, Liège.
O'Brien, John-Francis, 2 octobre 1898, Liège.
MoLLOY, John-Joseph, 2 octobre 1898, Liège.
Gubbins, William-Peters, 2 octobre 1898, Liège.
Phelan, Stewart-Joseph-Marie, 2 octobre 1898, Liège.
Séchet, Pierre- Joseph, 2 octobre 1898, Liège.
Guenneuguès, Jean-François-Marie, 2 octobre 1898,
Liège.
Gourbis, Edouard-Marie (F. C), 9 octobre 1898, Prince-
Albert.
Guillaume, Alexandre, 24 octobre 1898, Colombo.
Soubry, Charles-Joseph-Marie, 1" novembre 1898, Ot-
tawa.
NÉCROLOGE DE L'ANNÉE 1898.
466. Le P. GouRDON, Boniface, décédé à JafFna, le
28 décembre 1897. Il était né à Fayence (Fréjus) le
25 mars 1833 ; il avait fait son oblation le 4 août 1857.
467. Le P. Mac-Grath, James, décédé à Buffalo le
13 janvier 1898. Il était né à Holy-Cross (Cashel) le
juin 1835 ; il avait fait son oblation le 22 août 1855.
468. Le P. Kéryvel, Louis-Ambroise, décédé à Nice
le 31 janvier 1898. Il était né à Landévennec (Quimper)
le 22 décembre 1867 ; il avait fait son oblation le 8 dé-
cembre 1888.
469. Le F. convers Coleman, Patrick, décédé à Glen-
cree le 3 février 1898. Il était né à Dundalk (Armagh) en
janvier 1832 ; il avait fait son oblation le 8 mai 1870.
470. Le F. convers Scheuer.n, Jacques, décédé à Saint-
Charles (Fauquemont) le 3 mars 1898. Il était né en Alle-
magne en 1871 ; il avait fait des vœux de cinq ans.
471. Le F. scolastique Valayer, Auguste, décédé à
Notre-Dame des Lumières le 28 mars 1898. 11 était né
à Rieupeyroux (Rodez) le 30 août 1877 ; il avait fait son
oblation le 17 février 1896.
472. Le F. convers Nigros, Henri, décédé à Aix le
2 avril 1898. Il était né à Aubenas (Viviers) le 18 mars
1834 ; il avait fait son oblation le 17 février 1860.
473. Le P. ScHOCH, Aloysius, décédé sur mer en ve-
nant au Chapitre général le 12 avril 1898. Il était né à
Kircheim (Strasbourg) le 4 juin 1853: il avait fait son
oblation le i" novembre 1875.
— 477 —
474. Le P. Petit, Louis-Victor, décédé h Plattsburg
(États-Unis) le 23 avril 1898. II était né à Sainte-Anne-
de-Varennes (Montréal) le 17 novembre 1853; il avait
fait son oblation le 8 septembre 1878.
475. Le P. VoiRiN, Alfred-François, décédé à Paris le
7 mai 1898. Il étaitné à Namur(Namur) le 1"août 1836;
il avait fait son oblation le 27 mai 186f).
476. Le P. Allaert, Charles, décédé à Estcourt (Na-
ral) le 8 juin 1898. Il était né à Elveringham (Bruges) le
1 \ octobre 1 867 ; il avait fait son oblation le 25 mai 1890.
477. Le F. convers Hourdier, Victor, décédé à Paris
le 23 juillet 1898. il était né à Ranée (Rennes) le
13 décembre 1846; il avait fait son oblation le 1°'' no-
vembre 1872,
478. Le P. Sardou, Marc-Antoine, décédé à Paris le
29 juillet 1898. Il était né à Marseille le 12 août 1828; il
avait fait son oblation le 8 décembre 1850.
479. Le P. Chatel, Antoine, décédé à Notre-Dame de
l'Osier le 19 août 1898. Il était né à Chartres (Rennes)
le n octobre 1839; il avait fait son oblation le 17 fé-
vrier 1862.
480. Le F. scolastique Le Gac, Gabriel, décédé à
Liège le 23 août 1898. Il était né à Plouzané (Quimper)
le 18 avril 1872; il avait fait son oblation le 17 fé-
vrier 1898.
48 L Le P. Thévenon, Joseph-Marie, décédé à Saint-
Andelain le 25 août 1898. Il était né à Brest (Quimper)
le 19 avril 1831 ; il avait fait son oblation le 19 jan-
vier 1859.
482. Le F. convers Ravier, François, décédé à Notre-
Dame de l'Osier le 13 septembre 1898. Il était né à Saint-
Michel (Grenoble) le 3 avril 1812; il avait fait son obla-
tion le 1" novembre 1872.
483. Le P. Beuf, Marcellin, décédé à Notre-Dame-de
— 478 —
rOsior le 1" octobre 1898. Il était né à Barjols (Fréjus)
le 6 avril 1820; il avait fait son oblation le 4*' novem-
bre 1848.
484. Le P. Leroy, Jean-Charles, décédé à Notre-Dame
de Talence le 4 octobre 1898, 11 était né à Saint-Laurent
(Saint-Dié) le 28 juin 1813; il avait fait son oblation le
19 juillet 1863.
485. Le P. Loos, Victor, décédé à Saint-Ulrich, le
9 octobre 1898. 11 était né à Hiittenheim (Strasbourg) le
23 septembre 18(39 ; il avait fait son oblation le 29 sep-
tembre 1894.
486. Le P. Henry, Alphonse-Charles, décédé à Co-
lombo le 20 octobre 1898. Il était né à Dijon (Dijon) le
13 juin 1853 ; il avait fait son oblation le 15 août 1875.
487. Le F. convers Scumitz, Guillaume, décédé à Liège
le 26 octobre 1898. Il était né en Allemagne en ; il
avait fait des vœux de cinq ans.
488. Le F. convers Deschênes, Louis, décédé à Hull,
le 8 novembre 1898. Il était né à Escoumains (Chi-
coutimi) le 24 avril 1868 ; il avait fait son oblation le
15 août 1894.
TABLE DES MATIÈRES
MARS 1898.
Pages.
Missions étrangères. — Vicariat de la Saskatchewan. —
Lettre du R. P. Bonnald au directeur des annales 5
Maisons de France. — Maison de Saint-Andelain. Lettre du
R. P. lUNGBLUTH 27
Province d'Allemagne. — Maison du scolasticat de Saint-
Boniface, Hûnfeld. — Lettre du R. P. Scharsgh, provin-
cial, au R. P. Tatin , l'ô
Variétés. — La réunion des jeunes Pères de la province du
Nord en 1897, à Saint-Andelain 89
L'école industrielle de Glendalough à Subiaco.près Perth.en
Australie , 94
Aux étudiants canadiens de Paris. — Une allocution de
S. Gr. Msr Bruchesi, archevêque de Montréal 98
Fondation de nos œuvres de Bordeaux. — Relation du Père
DE L'Hermite 102
Actes du Saint-Siège 1 30
JUIN 1898.
Le Chapitre général de 1898 133
Élection du T. R. Père général 144
Rapports présentés au Chapitre général 153
Rapport du vicariat de la Saskatchewan 153
Rapport du vicariat d'Athabaska-Mackenzie 177
Rapport du vicariat de Saint-Albert 193
Rapport du vicariat de la Colombie Britannique 245
Nouvelles diverses 258
SEPTEMBRE 1898.
Rapports présentés au Chapitre général de 1898 {Suite) :
Rapport du vicariat de Saint-Boniface 261
Rapport de la province du Canada 296
Rapport de la province des États-Unis 312
Rapport de la province du Nord 318
Rapport de la province Britannique 335
Rapport de la province d'Allemagne 340
~ 480 —
Pages
Variétés 345
Nécrologie. — Le R. P. Sardou 351
Nouvelles diverses 355
DÉCEMBRE 1898.
Rapports présentés au Chapitre général de 1898 {Suite) ;
Rapport du vicariat de Colombo 357
Rapport du vicariat de Jafîna 379
Rapport du vicariat de Natal 393
Rapport du vicariat de l'État libre d'Orange 398
Rapport de la préfecture apostolique du Basutoland 407
Rapport de la préfecture aposioljque de la Cimbébasie infé-
rieure (Damaraland) 413
Rapport de la province du Midi 424
Variétés. — Une audience pontificale 436
La fête de Notre-Dame de la Prière à Pontmain 442
Vingt-cinquième anniversaire du couronnement de Notre-
Dame de Sion 444
La réception du R. P. Lefebvre à Lowell 4'i9
Mb' Coudert 453
Nouvelles diverses 456
Bibliographie 466
Oblations 470
Nécrologe 476
Paris. — Typographie A. IIennuveb, rue Darcet, 7,
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