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Sa- 0.. V
SOCIÉTÉ
DES
ANCIENS TEXTES FRANÇAIS
MÉLIADOR
II
Le Puy, imprimerie de R. Marchcstou, boulevard Carnot, a3.
MÉLIADOR
JEAN FROISSART
ROMAN COKPRENANT LES POÉSIES LYRIQUES
DE
WENCESLAS DE BOHÊME, DUC DE LUXEMBOURG ET DE URABANT,
PUBLIÉ POUR LA PREMIÈRE FOIS
AUGUSTE LONGNON
TOME II
PARIS
LIBRAIRIE DE FIRMIN DIDOT ET C'
RUE JACOB, 56
H DCCC XCV
Publication proposée à la Société le 20 juin 1894.
Approuvée par le Conseil dans sa séance du 21 novembre 1894,
sur le rapport d'une Commission composée de MM. Gaston Paris,
Raynaud et Roy.
Commissaire responsable :
M. G. Raynaud.
MELIADOR
9365 |rS€e Mclyador laisserons /. 6$ h
fl ^wS A parler, car bien nous savons
%^S3 Qu''[l] ne se poet ores armer.
Entrues poons nous bien parler
D'autres aventures nouvelles
9370 Qui avinrent d'armes moult belles
Ou pays de Northombrelande.
Et toutes fois une moult grande
Aventure y avint ce terme
Que Melyador ens ou ferme
9375 De Montgriès illuec reposoit,
Et me semble que ce fu droit
A .ini. liewes dou chatiel
Dessus dit, et fu de nouviel
Quatre jours après ce, pour voir,
9380 Que Melyador son devoir
Eut fait, ensi c'on puet escrire.
De ce dit Camel desconfîre.
Vous sflvés que tout chevalier,
2 MELIADOR
Qui se voloient avanchier,
9385 Les armes partout demandoient
Et Tun l'autre point n'atendoietit,
Mais estoient moult désirant
De travillîer. Et en errant
Toutdis, au renom de proece,
9390 Doy frère plain de gentillece,
Vaillant homme, preu et honneste,
Se furent bouté en le queste
Et avoient a leur partir
De Tostel pour yaus mieus couvrir
9395 Eu colation ensamble
Que nulz de ces .11., ce me samble,
Ne se devoit faire cognoistre f. 6g c
Pour son pris amenrir ne croistre,
Et de blasons si differroient,
9400 Et nouviaus variés prenderoient
Conques il n'aroient veti,
Ne pour l'un l'autre cogneù.
Il eurent moult bien ce couvent
Qu'il jurèrent, ch'ai je en couvent,
9405 Et que vous en sachiés les noms
Tantost nous vous les nommerons.
Li uns fu Savare nommés
Et Feughins estoit li mainsnés.
Messire Savare et Feughins
9410 Prisent ou partir .11. chemins,
Et ne savoient .1. ne el,
Quant il partirent de l'ostel,
L*un de Tautre dont il s*armoient,
Ne quels parures il portoient.
941 5 Savare s'armoit tout premiers,
Qui fu moult vaillans chevaliers.
De blanch et de vert mi parti ;
Et sus son blason, tout en mi,
Avoit une harpe vermeille.
MELIADOR 3
9420 Et Feughins, dont point n'ay merveille,
De blanch et de bleu cilz s'armoit,
Mais dessus sa targe il portoit
.1. capelet de rouges roses.
Or dirai pour quoi de telz coses
9425 Commencié en ay a parler. •
Cil doy frère peurent aler
Tant que sus les camps se trouvèrent,
Et d'aventure s'encontrerent
Ou pays de Northombrelande,
943o Au département d'une lande
Et d'un bois moult grant et plenier. f, 6g d
Ensi comme bon chevalier
Et qui acquitter se voloient,
De si très lonch comme il se voient,
9435 Cescuns demande ou prent sa lance.
Si se mettent en ordenance
Pour jouster, et puis esporonnent
Les chevaus qui grans saus lor donnent.
Car il estoient viste et fort.
9440 Cil doi frerc, plain de confort,
Et de grande chevalerie
Et de bonne bachelerie.
Des lances as bons fers agus
Se fièrent dessus les escus
9445 Telement et si roidement
Que il samble, tout proprement.
Qu'il doivent en l'un l'autre entrer.
De ce cop se vont arrestcr
Et jetterent leurs lances jus.
9450 Point ne se sont retrait en sus,
Mais tirent errant les espées
Qui d'achier sont envolepées,
Et vienent l'un l'autre requerre
Pour faire mortel fait de guerre.
MELIADOR
9455 T^N cel estât se combatirent
n Longhement, ne onques ne dirent
A l'un l'autre nulle parolle.
Messires Feughins, qui escole
Peuist tenir de bien jouster,
9460 Va son escuier appeller
Et dist bas : « Cor me rent ma lance. »
Quant Savare en vit la samblance,
A son varlet dist : a Ça, le mienne. »
Cescuns d'yaus .11. reprist le sienne
9465 Et se joindent en leurs escus. /*. yo a
Or se doublera leurs agus,
Car il sont forment escauffé.
Li cheval, ensi que maufié,
S'en viennent fort arandonnant.
9470 La se vont si grans cops donnant
Li doi chevalier, ce me samble,
Car, quant les lances sont ensamble,
Proprement ce samble .1. tempeste.
Messires Feughins en la teste
9475 Consieui Savare, son frère;
La pointe de la lance clere
Li bouta parmi en cousant.
Et Tabati jus en passant
Par la force de bien bouter.
9480 Peut la la glave tronçonner :
Se li demora ou hyaume.
Chilz chiet jus, qui pot une psaume
Recorder assés mervilleuse,
Car la plaie est moult périlleuse.
9485 Ses escuiers est la venus,
Qui sault lors de son cheval jus
Et tire le tronçon, pour voir ;
Aultrement ne peuist ravoir
Le hyaume hors de son chief.
MSLIADOR 5
9490 Sachiés qu'il le trest a meschief ;
Tant fist tomes fois qu'il le reut.
Messires Feughins ne se veult
Astenir qu'il ne venist la.
Quant venus fii, il s'abaissa
9495 Et li sambla a son avis,
Quant il regarda ens ou vis
Le chevalier qui la gisoit,
Que Savare ses frères soit :
Adont li est li sans cangiés. 1-7^ ^
9500 Tantost est jus sallis en pies
Et vient erranment sus Savare,
Sans querre empeschement ne bare.
Et voit clerement que c'est il.
Et que navrés est en péril :
95o5 Lors cuide moult bien foursener.
Son hyaume fait lors oster,
Et puis dist : « Savare, biau frère,
c Geste cose m'est moult amere,
c Quant je vous voi en ce parti. »>
9510 Et quant Savare devant li
Voit son mainsnet frère Feughin,
Si paroUe et li dist, a fin
Que il ne soit trop destourbés :
€ Feughin, Feughin, ne vous doubtés,
95 1 5 € Je croi que garde n'ai de mon
€ Et, se je moroie, a mon tort
€ Est, voir, quant a vous jousté ay
c Et vostre nom ne demandai.
« Se je muir, je le vous pardonne. »
9520 A ces parlers, Feughins ordonne
Comment il en sera portés.
Et s'est .1. peu reconfonés
De ce qu'il l'a oy parler.
Bien dist qu'il l'en convient aler
9525 A .1. chastiel bien priés de la.
b MELIADOR
A ces cops illuecques passa
La litière, parmi les bois,
Qui revenoit droit de Camois
Ou on avoit porté Camel,
9530 Et s'en raloit a son hostel,
Le droit chemin, droit a Montgriès;
Et quant Feughins les voit la priés,
Si les appella doucement /. ^o.c
Et leur pria courtoisement,
9535 Pour bien desservir et paiier,
Qu'il ponaissent ce chevalier :
Jamais refusé ne Teuissent.
Adonques Savare la misent
En la litière incontinent,
9540 Et l'aponerent doucement
A Montgriès; Feughins vint avoec.
Quant il furent venu illuech.
Forment en fu esmervillie
Florée, a la première fie ;
9545 Mais, a ce que Feughins compta,
Elle dou tout se rapaisa,
Et furent, dedens le chastiel,
Receû moult bien et moult biel
Li chevalier, il n'est pas doubte,
9550 Et le fuissent avoech leur route
Et euissent .111. tant de gens,
Car li affaires biaus et gens
Estoit lors tels, et li usages.
Que les dames vaillans et sages
9555 Faisoient a estragniiers
Honneur et a tous chevaliers.
Et plus en .1. pays qu*en aultre;
Et principaulment ne voel d'aultre
Pays parler que d'Engleterre.
9560 Car, qui en vorroit bien enquerre,
La sont les dames gracieuses,
MELIADOR
Lies, plaisans et amoureuses,
Et qui sevent gens honnourer
Trop mieulz c'ailleurs, au vrai parler ;
9565 En ce point sont elles nouries,
Escolées et ensegnies.
FLORÉE, la pucelle gente, /. ^o d
Mist adont grandement s'entente
A honourer tous chevaliers.
9570 Savare, ossi ses frères chiers,
Demorerent ens ou chastiel
De Montgriès, la ou bien et biel
On leur fist ce qu'il demandoient
Et plus avant, car cil estoient
9575 De laiens si très bien nourri,
Si vaillant et si signouri
Qu'il faisoient sans demander.
Assés bien se prist a saner
Messire Savare, pour voir,
9580 Car grant cure en pooit avoir
Feughins, qui avoit grant désir
Qu'en bon point le peuist velr.
Lansonnès ossi, d'autre part,
Avoech Florée, que Diex gart,
9585 A Melyador entendirent
Grandement, car forment désirent
Qu'il soit garis bien et a point,
Par quoi il ne séjourne point.
Tant fu poursongniés sagement
9590 Et médecines doucement.
Qu'il fu gari bien et a droit,
Et dist certes qu'il soufferoit
Bien ses parures a poner.
Et souffera bien le jouster,
9595 Le combatre et le tournoiier.
8 MELIADOR
Moult s'en poeent esleecier
De ces paroUes, ou chastiel.
Quant Melyador bien et biel
Fu sanés, si va congiet prendre
9600 Et dist qu'il ne voet plus attendre
Ne la demorer en prison, f, ji a
Mais voelt emploiier sa saison
Et chevaucier dessus la lande.
Quant ceste de Northombrelande
9605 Voit que cilz de la partir volt,
.1. aniel que pourveti ot
Et fait faire ens ou nom de li,
A carnieres biel et joli,
C'on ouvroit moult soutieuement,
9610 Mais elle ne dist pas comment
A Melyador on Touvroit.
Dedens Taniel escript avoit :
« Ciz sui qui le soleil d'or porte,
« Par qui Oultrecuidance est morte » ;
9615 Ensi y eut ne plus ne mains.
Elle le prist entre ses mains,
Et se s'en vint au chevalier,
Qui se pooit apparillier
Pour monter et aler sa voie.
9620 Florée s'est mise en sa voie
Et dist : « Sire, parlés a moy. »
— « Volentiers, belle, par ma foy.
ce Or me dittes que volés dire. »
— a Au partir je vous pri, chier sire,
9625 « Que vous prendés cest anelet,
« Il n'i a mies jeuelet
c Si grant qu'il apanient a vous,
« Mais je vous pri, chiers sires doulz,
c Que vous le ponés, pour m'amour
9630 « Et en mon nom, jusques au jour
« Que bien le pores emploiier. »
MELIADOR 9
Chilz le prîst, ne s'en fist priîer,
Car il li souvint d'Ermondine
A qui Florée estoit cousine,
9635 Et dist : « Belle, très grant mercis. /. ti h
<K Pour vostre amour le voel toutdis
<K Porter, car moult bien le valés. »
Adont est li preus avalés
Les degrés dou chastiel d'amont :
9640 La damoiselle et ses gens Tont
Convoiiet tout jusques a la.
Ses chevaus fu près, il monta :
A Dieu, a Dieu les recommande
Au partir. Mies ne demande
9645 Quel chemin tendra, ne quel voie.
La damoiselle le convoie
De ses yex, et sachiés, pour voir,
Si lonc qu'elle le peut veoir,
Et, quant veoir ne le peut plus,
9650 Des degrés qui sont bas la jus.
Elle monte hault ou chastiel
Et si s'apoie a .1. crestiel.
Si le voit encor chevaucier
Et une valée approcier
9655 Par quoi tantos le perdera.
Et adonques s'en retourna
Par dedens sa cambre Florée,
Qui s'est a par soy avisée
Que la mon monsigneur Camel,
9660 Et de Testât de son hostel,
Escrira devers sa cousine
D'Escoce, ma dame Hermondine.
Si escrisi ne plus ne mains,
Si con ci s'ensieut, de ses mains :
I O MELIADOR
9665 « rpRES chiere et amée cousine,
^ 1 Vraie amour, qui toutdis m*encline
« A \ous amer et honnourer,
« Voet que je vous voelle moustrer
« De mon estât trestout le voir. f* 7^ c
9670 tt Cousine, vous devés savoir
M Que fortune et bonne aventure,
« Par la proece et la grant^cure
« Dou chevalier au soleil d*or,
a Que pas ne sçai nommer encor,
9673 « Nous ont de Camel apaisié,
« Dont j'en senc mon coer mieus aisié,
« Plus liet et en plus grant reviel.
a Ossi font cil de mon chastiel,
« Et pour tant le vous segnefie,
9680 « Ma chiere cousine et amie,
« Que j'ai espoir que ces nouvelles
« Vous seront voir plaisans et belles,
« Et ensi en est avenu
« Que pluiseurs fois en ay tenu
9685 tf Parlement a vous et a moy.
« Cousine, sachiés par ma foy,
« Cilz chevaliers qui conquis Ta,
« C'est cil qui a la Garde ala
« Et qui y conquist l'esprivier,
9690 « Pour avoir corps de chevalier,
<c Si preu que onques n'i eut tel.
« Chiere cousine, en mon hostel,
« L'ai eU environ .1. mois,
« Car Camelz c'on dist de Camois
9693 « Le navra moult grief par bataille,
« Mais onques je ne vi, sans faille,
« Nul chevalier de tel arroi.
« Certes, ma cousine, je croi
«( Qu'il passera des aultres route.
Il
9705
9710
9715
9720
9725
coatHMot et
En SCS csas mr tome fiens
Je le recommende et booneore, J. ji â
Et crot^ qojnt soo esm nTeiire.
Qoll soit de bon ostd issus.
CoosiDe, jje n'en escripc pins;
Je m^en passe oKMih sobrement.
Mais je tous Tcrai temprement.
S'il plaist Dieo, a très grant loisir :
Si TOUS en dirai mon désir
Et tout ce, de Toir, qu*il m*en samble.
La Sainte Trinités ensemble
Vous ait en garde et tous maintiegne
En toute joie qui tous viegne.
Escript ou castiel de Montgriès,
Douse jours en may, ou la priés.
Et pour ce, ma chiere cousine.
Que vous estes de coer encline
A lire joieuses cançons
M Et toutes coses de telz noms,
« Je vous tramée présentement,
<c Fait de mon rude sentement,
« Une balade. A vous en soit
« Dou jugier dou ton et dou droit;
« Vous me dires, quant vous verai,
« S'il vous plcst, comment ouvré ay.
Balade.
9730
l^ui voet avoir joie se viegne a moy,
Car je n'ai doel, tristrece ne dolour,
Mais j'ai plaisance et solas sans anoi,
Joie et lîece en mon coer nuit et jour
1 2 MELIADOR
Qui me tiennent compaignie,
Sans riens penser fors a joieuse vie,
Car mes amis aime Tonneur de mi,
Dont je le doi bien tenir pour ami.
9735 btT si fai jou, et l'ainme en bonne foy,
De coer loyal, sans penser nul faus tour /.72 a
Et plus que tout le monde, je le croi
Certainnement, et aim de boine amour.
Sans faire ja départie, '
9740 Se li serai ferme et loyal amie.
Faire le doy, car tout bien sont en li.
Dont je le doy bien tenir pour ami.
lE me fait vivre en lïece et en foy,
Ce me fait vivre en joie et en baudour,
9745 Ce me fait vivre en espoir sans anoi,
Dont je fais en plaisance mon demour,
Par doulz voloir qui me lie
De bien amer, voir, coi que nulz en die,
Mon doulz ami qui m'a toutdis servi,
9750 Dont je le doi bien tenir pour ami.
q:.
,uànt Florée la damoiselle
Eut escript caste baladelle,
Elle le ploia en biaus plois
Et en la lettre, ce fu drois,
9755 Le mist, et laiens Tencloy,
Et puis si le perça parmi,
Et frema tout a son devoir
Et seela, sans lui mouvoir
De sa cambre, bien et a point.
9760 Quant la lettre fu en ce point,
9738 aim, B aint. — gybo bien tenir, B bien pour tenir,
MEUADOR l3
Elle appella .i. escuier
Et dist : « Il te fault chevauder
« En Escoce, vers ma cousine,
« Et li poneras cesti signe,
9765 « Geste lettre avoec .c. salus. »
Cilz respont : « Ma dame, au sourplus,
<c Ferai vostre commandement. »
Adont se parti erranment
De Montgriès et s'est mis a voie
9770 Viers Escoce. Diex le convoie ! ' /. 72 *
De li tant qu'en présent lairons,
Et au chevalier revenrons
Que j'appelle Melyador.
Vous n'avés point de li encor
9775 Oy nulle cançon nouvelle,
Depuis que de la damoiselle
De Montgriès ilz s'estoit partis.
Il chevauce plains et lairis
Ou pays de Northombrelande.
9780 II a traversé une lande
Et s'adrece devers .1. bois.
Adont s'esmut a haute vois
De chanter .1. seul rondelet,
Et croi qu'il le fist tout a fet
9785 Qu'il le canta, car il fu cours,
Mais uns grans sentemens d'amours
Estoit ou rondelet entés.
Ce sera bien li volentés
Dou chevalier de Cornuaille,
9790 Que vous l'oiiés, vaille que vaille.
Toutes fois, il vault bien c'on Toe
Et qu'en escoutant on le loe.
1 4 MELIÂDOR
Rondel.
Mais que m'aiiës en vostre souvenance.
Certes, dame, trestous bien m^avenra ;
Q795 JDe ce sui je et serai sans doubtance,
Mais que m'aiiés, etc.
C^AR en VOU9 est ma parfaite fiance,
Dont, je sai bien, riens ne me grèvera,
Mais que m'aiiéi, etc.
9800 rpouT ensi s*esbat au chanter
1 Melyador, qui hauU et cler,
Avoit chanté son rondelet.
Et puis demande a son varUt : f- 7^ c
m Lansonnet, di moy, que fen samble ?
9805 « Ces parolles que je rassamble,
« Qui ne sont mies de grant coust,
« Te vienent elles bien a goust ?
« C'est tout pour Tamour de ma dame. %
Et Lansonnès respont : « Par m'ame,
98 1 o « Sire, oïl, haro, et quoi dont ?
« Toutes ytelz coses me font
« Resjolr bien et grandement. »
Adonques li conte erranment
Melyador, de mot a mot,
98 1 3 Comment Tautrier jalousie ot
Dou chevalier qu'il desconfi^
Et dist : « Lansonnet, je t'aii,
« Je le conchieu, ne sai comment
« Par olr parler seulement.
MELIADOR 1 5
9830 « Florée, qui taot le prisoit
« En li honnouranty bien disoit
« Que cilz chevaliers Tamoit tant
« De coer, d'esperit, de samblant,
« Qu'elle n'en savoit par raison
9835 « Faire nulle comparison.
K Et me disoit bien que la feste
« Estoit emprise et ceste queste
« Par ce Camel et par ses fais.
« Quant ce oy, telz et si fais
9830 « En fuiy et si très fort jalons,
« Et si très merancolious,
« Si pensieus et si debatus :
« Se je me fuisse combatus
c< Ce soir, je n'euisse riens fait
9835 « Et tant seulement pour ce fait.
<c Est dont jalousie tel cose? »
Et Lansonnet, qui moult bien ose /. 71 d
Parler a son mestre a son gré,
S'arreste tous quois sus .1. pré
9840 Ou il chevaucoient andoi
Et dist : « Sire, oll, par ma foy.
« Jalousie est un mauvais visces,
« Et toutes fois c'est un offisces
« En vraie amours grans et entiers,
9845 « Et qui enflame volentiers
« Les amans qui sur lui s'arrestent,
« Et qui tant li donnent et prestent
« Dou leur qu'il le loent et croient ;
« Siques bien ressongner le dolent
9850 « Tout amoureus vrai et entier,
« Car, puis qu'il voet acompagnier
« .1. coer, il gist en grant péril.
« Mais vous l'avés noble et gentil,
« Et chevauciés par les contrées,
9855 « Siques j'espoir que telz pensées
1 6 MELIADOR
« Ne VOUS poeent longes durer.
« Voelliés ent vostre coer oster,
« Et pensés toutdis tant a faire
«( Que la belle et la débonnaire,
9860 a La fille au roy Hermont d'Escoce,
« Bonnes nouvelles de vous ot ce.
« Ou cas qu'a li volés entendre,
« Ne vous ne devés a el tendre
a Ne aultres pensées avoir. »
9865 Dist Melyador : « Tu dis voir. »
ENsi chevaucent tout parlant
Li doi, et chevaucierent tant
Qu'il sont venu a la Saverne,
Une rivière qui gouverne
9870 Tout le royaume de Norgalles.
Melyador, qui en ses gales f, ^3 a
Estoit la grignour part dou }our,
S'en chevauce sanz nul séjour.
Tout encontremont la rivière,
9875 Jusques a basse remontiere
Chevaucierent, je le vous di.
Il regardent devers midi :
Une nef voient, non pas grande;
Tout quoi se tiennent sus la lande
9880 Pour savoir se la nef vient la.
Elle venoit, ce leur sambla,
Aval vent, et fu la tantos.
C'estoit uns petis hokebos
Qui menoit une damoiselle
9885 Gente de corps, plaisans et belle,
Qui de Galles estoit issue.
Tost sarés par quele avenue
9868 Qu'il, JB Qui. j^
MELlADOft 1 7
Elle voloit terre et port prendre,
Ensi que je l'oy reprendre,
9890 Et pour quoi estoit messagiere
A une damoiselle chiere
Qui n'avoit mies ses solas
En Galles ; mes estoit es las
D'une fone guerre accueillie,
9895 Et sa terre toute essillie.
M
KLTADOR, qui dou cheval
Estoit et descendus aval,
Par les resnes errant le baille
A son varlet, et dist sans faille :
9900 « En cel estât chi demorrai
« Jusques a tant que jou orrai
« Nouvelles. » Lors vient sus le rive.
Es venu la nef qui arrive
Coiteusement, ne plus ne tarde.
99o5 Melyador adont regarde : f- 7^ h
Si voist ens une damoisselle.
Pensa lors que quelque nouvelle
Aroit lors, si tost que le voit.
Par dedens ceste nef avoit
9910 Palefrois amblans et sommiers,
Et variés assés coustumiers
De telz hamois mener par terre.
Soit en temps de pais ou de guerre,
Et tout ordonné comme sage
991 5 Pour bien esploitier .1. message.
Tant s'est la tenus sus le place
Melyador, qui se solace
A considérer Tordenance,
Que la damoiselle s'avance.
9890 Et pour quoi, B Et pour qui.
Tome II s
1 8 MELIADOR
9920 Jusques a la rive est venue
Et sus la terre descendue.
Melyador contre li vint,
Qui mies trop mus ne se tint :
Si le salua en venant
9925 Et ceste, par bon convenant,
Ne fu mies trop esbahie
Dou salu rendre a ceste fie :
Viers Melyador s'enclina.
Adont aultre cose dit n'a,
9930 Fors : a Tant pleuist a Dieu, biau sire,
« Que, de ce que mon coer désire,
« Vous me peuissiés apaisier. »
Melyador s'ala baissier
Et respondi a ce parler :
9935 « Belle, vous poés commander
« Sur moy, si com sur vo servant.
(( Je sui uns chevaliers errant
« Et ne demande c'aventures.
« Pour ce porte mes armeiires /". 7J c
9940 « Et chevauce ensi que veés ;
« Si vous pri, ne vous effreés.
« Mais dittes moy, sans couroucier,
« Dont je vous poroie adrecier
« Et de cuer y entenderai,
9945 « Et, si avant que je porai,
« Conseil y metterai, par m'ame. »
— « Lors », dist elle, « j'ai une dame,
« Qui me nourist et me gouverne,
« Qui d'autre part ceste Saverne
9950 « Tient grant terre et grant hyretagc.
« Elle est auques de mon eage,
« Elle n'a ne père ne mère,
€ Ne nul confort tant fors .1. frère,
c Qui est encores moult petit,
9955 « Quoiqu'il soit ables et fetis,
MELIADOR 19
« Pour furnir une tel besongne
« C'a ma chiere dame besongne. »
Melyador, qui dou savoir
Fu engrans, n'en cuida avoir
9960 Jamais le fin pour demander;
Si dist : ce Belle, voelliés oster
« Vostre coer de merancolie,
« Et me dittes, je vous en prie,
a La besongne qui vous empece
9965 « Et qui si vostre coer courece. »
Et la damoiselle li conte,
Si com vous en orés le conte.
« ^<^HEVALiERs, VOUS devés savoir
« v>< Que ma très chiere dame, voir,
9970 « Grant terre a delà le rivière,
« Dont elle se tient hiretiere.
« Mais, de son chastel de Montrose,
« Nullement partir elle n'ose, f. y3 d
« Tant li est destrois li dangiers,
9975 « Pour .nii. frères chevaliers
« Qui l'ont accueilliet a la guerre
ce Et tous les hommes de sa terre,
« Et claiment droit et avantage
« Sus lui et sus son hyretage,
9980 ce Et se n'i scevent raison dire,
« Fors tant par orgueil et par ire
c Li font il ce tort a plains bras.
« Elle n'a homme de ses draps
« Qui s'ose contre chiaus bougier,
9985 a Et pour ce qu'en si grant dangier
ce Ma dame maintenant se voit,
c( Ensi com celle qui devoit
9883 Elle, B EUa.
20
MELIADOR
« Deviers le roy Artus aler
<K Pour ses besongnes remoustrer.
9990 « Ja en fu toute appareillie.
« Mais de nouviel est conseillie
« Que présentement m'i envoie,
« Car on l'en a mis a le voie
« Que la sont li homme vaillant,
9995 « Li preu et li bien travillant,
«( Li quel, quant ma requeste oront,
« Je croy qu'il s'i enclineront
« Et qu'il venront sur ce parti ;
« Pour quoi, hersoir, je me parti
10000 a De ma dame gentil et chiere.
« Ançois que je retourne arrière,
« Se je puis elle ara conseil ;
« Si ne plains mies mon traveil,
ff Se je vois ores jusc'a la. »
lOOoS Adont Melyador parla
Comme sages et avisés,
Et respondi : « Je croi assés,
« Ma damoiselle, par ma foy,
« Que toute adrece ares ou roy
100 10 « Et que vous le trouvères tel,
c Ossi tous chiaus de son hostel.
« A ce est enclines sa cours ;
« Point n'en partirés sans secours,
« Car la sont tout notorement
looi 5 c Li preu et vaillant durement.
« Mais je vous di : je suis uns homs
« Qui ne me tieng mies des bons,
« Des preus, ne des entreprendans,
« Fors que les armes aprendans
10020 « Ensi que j'ay toutdis esté;
« Qui suis de bonne volenté
« D'onnourer et servir vo dame
c Si avant que porai, par m'ame,
/• 74 tf
MELIADOR 2 1
« Quoique fortune m'en envoie,
10025 « Mais que vous m'ensegniés la voie. »
Et quant la damoiselle entent
Melyador si faitement
Parler, s'en est toute esjoye.
Si respondi a chiere lie
ioo3o Et dist : « Simple seroie
c Et ma dame peu ameroie,
« Sen honneur et son avantage,
c Quant vous volés son hyretage
« Aidier de bon coer a deffendre,
ioo35 c S^a ce je ne voloie entendre,
c Et par li je vous en merci,
« Chiers sires. Ceste nef droit ci,
« Sans entrer en aultre batiel,
« Nous menra desous le chastiel,
10040 « Ou ma dame prent son séjour,
« Ains que demain voions le jour, n /. 74 6
I
L n'i ot plus dit ne plus fait,
Mais sont arresté sur ce fait
Et sont entré la de recief,
10045 Dedens la nef, tout a nu chief,
Melyador et la pucelle,
Qui moult estoit courtoise et belle,
Et Lansohnès et leur harnois.
La n'estoit courous ne anois
ioo5o En Melyador le vassal,
Mais estoit par especial
Reconfortés et plains de joie.
Ewireus se tient sus la voie
De la belle et bonne avenue,
ioo55 Qui li est en le main venue;
Ne ressongne péril ne painne.
Si com li maronniers les mainne
22 MELIADOR
Et que son gouvrenal gouverne,
Singlent contremont la Saverne,
10060 Une rivière grosse et bonne,
Qui départ, ensi c'une bonne
Est sus la marce d'une terre,
Départ Galles et Engleterre.
Ce soir furent en .1. isliel,
10065 Vert, gracleus, joli et biel.
Séant droit en mi la rivière.
La souperent a lie chiere
Et jusqu'adont s4 esbatirent
Que la mers revint. Lors partirent ;
10070 Si rentrèrent en leur vaissiel.
La estoient cil doulz oisiel.
En ces isliaus sus ce rivage,
Qui n'estoient pas trop ramage
De chanter moult joieusement,
10075 Ensi que coustumierement f. y 4 c
Il cantent sans avoir esmay
Ou doulz mois et joli de may.
Et ce resjolssoit trop fort
Melyador en son confort
10080 Et y prendoit tant de déduit.
Onques il n'eut en celle nuit
Nulle affection de dormir.
Mais maint biel et bon souvenir
A ses amours qu'il ne vit onques.
ioo85 Melyador une heure adonques
Demanda a la damoiselle,
Et dist ensi : « Par ma foy, belle,
« Trop volentiers vous prieroie
« D'une cose, voir, se j'osoie. »
10090 Et la damoiselle respont :
« De quoi ? » Meliador adont
Li dist : « D'avoir sus no chemin
«Une cançonnete, a le fin
MBLIADOR 23
« Que mains nous anuie la voie,
10095 « Et je vous di : se j'en savoie
« Nulle, sans moi faire priier,
« Le diroie sans detriier. »
Adont la pucelle s'avise,
Qui prestement a la devise
loioo De Melyador voet entendre.
D'une vois joliete et tendre
Au chanter illuech s'avança,
Et dist quant elle commença :
Virelay.
1 ouTE ma vie sans partir
loioS Vous amerai,
Ne pour aultre ne vous lairai,
Je vous le jure sans mentir.
CfAR mieus ne puis, a mon plaisir, /. 74 à
Mon coer avoir mis, sans faillir
ICI 10 Que ou je l'ay.
JDoNT je vous voel sans repentir
Toutdis aimer, c'est mon désir
De voloir vrai.
^ E ja ne m'en quier départir,
loi 1 5 Tant com vivrai,
Tous jours loyauté vous tenrai,
Viegne ce qu'il en poet venir,
Toute ma vie,
JuT me vodrai toute esjoîr,
loiao Mon doulz amis, ou souvenir
Que je vous ay,
24 MELIADOR
Ën mon coer de vous bien tenir
Entière foy, sans alentir,
Ja n'en faurai.
ICI 35 i1t se ne me poés veir,
N'aiiés esmay,
En compagnie vous metrai
Mon coer, sans jamais retollir,
Toute ma vie, etc.
I G 1 3o TY ARC ! com fort se resjoy
Jn Melyador, quant il oy
Chanter d'une vois clere et douce,
Et issir de si belle bouce
Comme ponoit la damoiselle,
loi 35 Le virelay. « Lors », dist il, « belle,
« Je ne vous adiroie pas
c Le grant bien et le grant solas,
« Que vostre cançon m'a ci fait.
« Li parler en sont très parfait,
10140 «Et dame, qui ensi s*avance
c A parler, par bonne ordenance,
« Reconforte moult son ami. /. t5 a
« Jamais je ne cuidaisse en mi
« Qu'en ce divers pays de Galles,
10145 c On y euist solas ne galles,
« Ne sentemens de cançons faire. »
Et ceste qui fu deboinaire,
Li respondi tout en riant :
« Pourquoi, sire, saciés ent tant,
101 5o « Que nous avons assés pays
« Ou il y a des resjoys
c Et des resjoies souvent,
« Par le très doulz commandement
MELIADOR
25
I0155
IO160
ioi65
10170
10175
10180
ioi85
Qui vient et qui descent d'Amours.
Li chastiaus ma dame, et sa cours,
Fu joieuse et nous tous joieus,
Se ce ne fust ciiz anoieus
Fais, qui nous touce sus le cuer^
Et dont ne poons a nul fuer
Avoir fin ne apaisement,
Se ce n'est par le hardement
D'un chevalier tel que vous estes.
Mais il y a voir .iiii. tiestes
Et se sont tout bon chevalier
Qui font forment a ressongnier.
Ne sçai comment on les poroit
Mettre a fin, car qui les oroit
Parler, il samble a leur la[n]gage
Qu'il aient partout avantage.
Car tant sont de fier couvenance
Qu'il ne criement homme vivant;
Contre yaus ne s'ose mettre nulz. »
La damoiselle ne dist plus,
Mais Melyador, qui parolle,
Reprent erranment le parolle.
Et dist : « Belle, plus n'i pensés. /. jS b
c Diex a encores plus assés
a De tous biens qu'il ne vous couviegne.
« Des bons chevaliers vous souviegne
« Qui issent de la court dou roy.
« Il y en a de telz, je croi,
« Qui s'oseroient bien aherdre
« A yaus, et deuissent tout perdre.
« Je ne sçai qu'il m'en avenra,
« Mais, voir, mon corps s'esprouvera
«r A yaus, au fer et a la lance.
« Or issons de ceste ordenance,
« Damoiselle, je vous en pri,
« Et voelliés encores droit ci
26 MELIADOR
10190 « Ganter aucune cançonnete.
<c Cest la cose qui plus me hete
« Et qui le plus me resjolst. »
Et la pucelle, qui pas n'ist
De faire au chevalier a gré,
10 195 Li dist : ce Sire, j^ai en secré
a Lonch temps eti une balade.
«c Or ay je le coer ferme et sade
« De recorder a vo plaisir,
« Mais que le voelliés olr. »
10200 — « Jou », ce respont Melyador,
« Jamais je n'en venrai a cor •
« D'estre tanés par nulle voie.
« Or le dittes, que Diex vous voie ! »
Et la damoiselle erranment
1 22o5 Le commença moult doucement
A canter et par belle vois.
Et entrues s'en aloit envois
Li hokebos ou il estoient,
Ne mies pour ce il s'arrestoient,
102 10 Que la damoiselle en chantant /. tS c
Les alast illuech esbatant.
Balade.
r Kk sou£Bssance sont riche mainte gent.
Car qui qui Tait il a joieuse vie,
Et je Tay avoecques moy, vraiement,
1021 5 Et dou tout Tay mis en ma compagnie
Pour les biens qu'en mon ami voi,
C'amer je voel bonnement et en foy,
Toute ma vie, sans ja faire retour,
Quant des très bons il est tout le millour.
MELIADOR 27
10220 l5iEN le poet dire par tout, seUrement»
Car en li est honneur et courtoisie
Et toute grasce si entérinement
Qu'il ne poroit penser a villonnie,
Et, pour ce, chier tenir le doy.
I0225 Car se je Faim loyaument, et il moy,
Avoir n'i puis blasme ne deshonnour,
Quant des très bons il est tout le millour.
Amours m'a bien enrichi poissamment,
Et sou£Bssance et poissance la lie;
io23o Si les en mercie très purement
Et voel estre a celi loyal amie,
Por cui sui hors de toute anoi :
Porter li voel tous jours très bonne foy.
Avoir i puis bons los et toute honnour,
I0235 Quant des très bons il est tout le millour.
o
R mettons chi .1. peu de pause.
Par ma foy, il y a bien cause
Se Melyador s^esjoist.
Quant de bouche d'une dame ist
10240 Parlers si doulz et si trettables,
Li cuers ne seroit pas estables,
Ne a bonne Amours bien entiers,
S'il ne les ooit volentiers. f, 7 5 d
Ensi en tel esbatement,
10245 Et en tous joieus parlement,
Nagierent la rivière amont
Et tant esploitierent adont
Que, environ soleil levant,
Il vinrent droitement devant
io25o Le chastiel ou estre il voloiem.
Les gardes, qui lors entendoient
A leur forterece garder,
28 MELIADOR
Prendent en bas a regarder,
Et voient leur nef revenue
I0255 Et au piet dou pont descendue.
Celle part viennent sans attente
Et mettent dou tout lor entente
A conjolr et recueillier
La pucelle et le chevalier,
10260 La quele demande entreset
Quel cose la dedens on fet
Et se le dame est descoucie.
On li respont, a ceste fie :
a Nenil, mais tost se lèvera. »
1 0265 Entre ces parolles on a
Le vaissiel qui estoit a port
Atachiet as cordes au bort ;
Si en sont bellement issu
Chil qui la furent descendu.
10270 La fu Melyador moult biel
RecheUs de chiaus dou chastiel,
Et menés jusques la dedens.
Lors revinrent nouvelles gens
Qui de rechief le con jolrent.
10275 De sa venue s'esjolrent
Cil de Montrose a ceste fois.
Melyador qui fu courtois /. j6 a
S*acointa d'yaus, et biel et bien,
Tantost; n'i couvint nul moiiçn.
10280 Dedens une cambre parée,
Freschement joncie et arrée,
En est Melyador menés
Et illuecques s'est ordenés,
Ensi qu'il li vient a plaisance.
10285 Entrues qu'il reprist ordenance,
La damoiselle s'en ala
Vers sa dame, et le salua
Humlement et de bon afaire,
MELIADOR 2g
Ensi que moult bien le sceut faire.
10290 A ceste heure elle se levoit :
Si s'esmerveille quant ja voit
Sa damoiselle revenue,
Mais celle, qui ne fu pas mue,
Li recorda sans nulle ensongne
1 0295 L'ordenance de la besongne ;
Comment elle avoit esploitié.
Pas n'en a conté la moitié
Quant sa dame fu toute preste :
c Alons », dit elle, a trop arreste,
io3oo « Quant ne voi vers le chevalier
« Qui tant se voet or travillier,
« Quant pour moy aidier et debatre
« Mon droit, se voet ceens embatre. »
L'
I hyretiere de Montrose
io3o5 1^ Se part tantost, c'est vraie cose,
Et s'en vient vers Melyador
Qui estoit en sa cambre encor ;
Moult liement sur li s'en vint.
Or vous di que pas ne convint
io3io Aler ailleurs pour emprunter
Honneurs, pour la bien honnourer f, -jô h
Le chevalier de Cornuaille.
Cascune et cascuns la li baille,
De tous lieus et de tous costés,
io3 1 5 Salus, honneur et amistés ;
Et ils, qui tout ce bien conçoit ,
Liement les rent et reçoit,
Et très sagement au voir dire.
La dame dou chastiel qui tire
io32o A compter a Melyador
Sa besongne de cief en cor,
Et en quel parti gist et est,
3o MELIADOR
Si tost qu'elle voit qu'il se test,
Elle li revient par devant,
io325 Et puis se li remet avant
Ses complaintes présentement
De si gracleus sentemens.
Que Melyador d'otel cuer
Les entent con ce fust sa suer,
io33o Et dist : « Dame, ci sui venus,
« Et en vostre hostel descendus,
« Pour vous reconforter, sans doubte.
« De ce ferai ma painne toute;
« Et, se faire ne le volsisse,
io335 ce Si avant parlé n'en euisse.
« Escus vous serai et amis
« Encontre vos .iiii. ennemis.
« C'est bon que on leur laist savoir
« A quel title il voelent avoir
10340 <( Calenge susvo signourie
a Et le lieu ou estes nourie :
« Il ne sont pas bien avisé.
« Or leur soit ensi devisé
« Qu'il se traient tout .un. avant ;
10345 « Il trouveront qui au devant f, y6 c
« Leur ira, quoi qu'il en aviegne
« Et soit que mourir l'en conviegne. »
E
iT quant la dame dou chastiel
Ot ensi parler bien et biel
io35o Melyador, si s'en contente.
Et met moult grandement s'entente
A li en tous cas d'onnourer.
On fist tantost, a brief parler,
.1. des variés la traire avant,
io355 Qui emprist par bon couvenant
A trop bien faire ce message,
MELIADOR 3 1
Car il avoit assés usage
De soutieuetnent langagier.
On li va moult bien encargier
io36o Qu'il dira a ces chevaliers :
Il leur dira ensi premiers
Qu'il traient avant sans attendre
Et qu'il doient, pour voir entendre,
Sans faulte, il seront combatu.'
io365 Enfourmés dessus tel argu,
Se part li messagiers errant.
En Galles a esploitié tant
Qu'il est venus jusques a chiaus
C'on tient pour hardis jovenciaus.
10370 Entre yaus .1111., tout frère estoient
Et chevaliers que moult doubtoient
Chil qui manoient la entour.
Il estoient en une tour
Grande, et forte et bien batillie,
10375 Et vivoient de pillerie
Qu'il prendoient sus le pays.
Dont cascuns estoit tant hays
C'on volsist qu'il fuissent pendu.
Il demandèrent : a Que dis tu? », f,y6d
io38o Au varlet qui leur aportoit
Les nouvelles et qui venoit
Dou castiel c'on dist de Montrose.
« Signeur », dist il, « c'est vraie cose,
« Ma damoiselle est pourvetie
io385 « D'un chevalier qui vous salue,
« Et dist c'a vous se voet combatre
« Et vos grans ponées abatre,
« Ou il demorra en le painne. »
— « Et es çou dont cose certainne ? »
icSço Respondirent li chevalier.
io369 jovenciaus, B jonenciaus.
32 MELIADOR
— « Oîl, signeur, mentir n'en quier.
« Hui a ce matin est venus
ce Et a Montrose descendus.
« De H je ne sçai plus avant,
10395 ce Fors tant qu'il est de couvenance
« Bel et bon, a ce c'on y voit. »
Cilz respondirent . « Or, telz soit.
ce II seracombatus demain.
« Di a ta dame, pour certain,
10400 « Que nous nous trairons sus la place. »
Li variés se parti a ce
Darrain parler qu'il respondirent.
Je ne sçai pas quel cose il dirent
Depuis, mes li variés revint
10405 A Montrose, et bien li souvint
Des parolles qu'il ot oyes.
Si les a toutes publiies
A sa dame, sans plus d'arrest,
Et li dist bien qu'il sont tout prest
10410 A combattre demain matin.
La dame, qui ot ce latin.
Se tient moult bien assegurée
Qu'il venront a le matinée, f^ 17 ^
Et tout ce dist elle, sans faille,
1041 5 Au fil le duch de Cornuaille
Qui s'en conforte bellement.
Or vous nommerai voirement
Le nom des .iiii. chevaliers :
Madrigais eut nom li premiers,
10420 Et l'autre appeloit on Balastre
Et le tierch monsigneur Cobastre ;
Griffamons eut a nom li quars,
Qui ne fu mies trop cowars.
Mais hardis et entreprendans.
10425 Li plus ainnés n'a que .xx. ans.
Si sont il fort et de grant taille
MELIADOR 33
Pour bien furnir une bataille
A ce gist leur affection^
Pour avoir le perfection
1 0430 D*armes et de bacelerie,
Et le nom de chevalerie.
CEPSTO est uns chastiaus en Galles,
Ou moult y a cambres et salles;
Julles César le fist fonder
10435 Et moult voet le lieu amender.
Il siet sus .1. brach de Saverne,
Qui de bons saumons le gouverne,
Et l'appella, c*est vraie cose,
Jules César adont Montrose.
10440 De puis li fu cilz noms mués :
Cepsto est cilz chastiaus nommés.
Laiens estoit Melyador,
Qui porte le biau soleil d*or,
Par differense en ses parures.
10445 Or li faudra ses armeUres
Qu'elles soient teles trouvées,
Que très bonnes et esprouvées ; f 77 ^
Durent seront, par ma semblance,
Se pointe d'espée ou de lance
10450 Ne les poet rompre ou empirier.
De tant m*i ose jou fiier,
Que elles sont dures et rices,
Et Melyador preus et frices,
De bon affaire et de bon tour
10455 Pour bien maintenir .1. estour.
La dame, qui est hiretiere
Dou chastel, li fait bonne chiere
Et ossi font cil de Tostel.
On li porte laiens los tel
10460 C'on doit porter a chevalier.
Tome II 3
34 MELIADOR
Ou quel il se couvient iiier.
Li .iiii. frère plus n'atendent^
Mais au bon matinet entendent
A yaus armer et mettre a point,
10465 Et se sont parti sus ce point
Que pour venir devant Montrose.
La sont venu, c*est vraie cose;
La s'arrestent devant le porte
Dou chastiel, qui est bonne et forte,
10470 Et la demainnent grans posnés,
En disant : « Or tos sus levés,
« Dans chevaliers, et issiés hors,
« Qui vous vantés et faites fors
« De vous combatre contre nous!
10475 « Issiés hors, nous disons a vous
« Et a vo damoiselle ossi
« Que, comme nous soions, droit ci,
« Venu tout .1111. en mi la place,
« Ja au dieu d'armes il ne place
10480 « C'a une heure nous nous mettons
« Contre vous, ne nous combatons. f. jj c
« Nennil. Pas ne seroit proece,
« Ne nostre honneur, ne gentillece,
« Et pour tant en ares vous hui
10485 « L'un de nous; n'aiiés cure qui.
« Et se vous le poés conquerre,
« Par bataille et par fait de guerre,
« Demain rares vous le secont;
« Et se vostres proeces sont
10490 « Teles que vous le conquerés,
« Au tierch jour le tierch vous ares,
« Et ensi l'autre au jour quatrime.
« Siques, chevaliers, on vous rime
« Et taille on a point vos journées;
10495 « Teles les avons aournées,
« A fin que n'en n'aions reproce
MELIADOlt 35
« Et que nouvelles en Escoce
« En voisent, ne dedens Bretagne.
« Or issiés hors, on vous ensengne
loSoo a Le lieu ou vous devés campir;
« Vous ne nous poés escampir,
« Puis que vous estes la enclos. »
Adont retournent les galos
Et se traient moult lonc arrière
io5o5 Dou chastiel et de la rivière
Sus .1. camp, et, droit ou moilon,
Ont fait la tendre .i. pavillon.
Si se sont li .ni. desarmé
Et le quart ont laissié armé :
loSio Ce fu messires GrifTamons,
Qui estoit grans, et fors et Ions ;
Plus fier de lui on ne savoit.
A ses frères priiet avoit
Que devant se peuist combatre ;
io5i 5 Siques li troi, pour lui esbatre, f* 77 ^
Li avoient ce acordé.
Or ot on dit et recordé.
Au chevalier de Cornuaille,
Comment cil, par devant le baille,
io520 Avoient moustré leur emprise.
Melyador, qui peu les prise,
S^armoit entrues. Lors c*armés fu,
A cheval et au col Tescu,
S'en est issus hors de le porte :
io525 Lansonnès sa lance li porte.
Qui mies ne le siert envis.
Venu s'en sont, par droit devis,
La ou la bataille doit estre.
Ce dist Lansonnès a son mestre :
io53o « Monsigneur, or vous souviegne hui
« De la belle et bonne pour qui
« Vous estes entrés en la queste ;
36 MBLIADOR
« Car voir, le hyaume en la tieste,
« Il vous en doit bien souvenir
io535 « S'a bon coron volés venir. »
Et Melyador li fait signe
Que sa lance, sans nul termine,
Li baille, car jouster vorra :
Or en soit ce qu'estre pora.
10540 Et Lansonnès li baille errant;
Cilz le prent par bon convenant,
Qui le vodra au chevalier,
Ce pense il, tantost emploiier.
OR sont li chevalier armé.
Au dehors d*un vert bois ramé
Qui leur fait grant aise et grant ombre.
Nulles riens n*est qui les encombre,
Ne les grieve, ne ensonnie.
La place estoit belle et onnie, y. 7^ a
io55o Ossi plainne c*un parchemin.
Espouronnant tout le chemin
S'en viennent li un dessus Tautre,
En portant leurs lances sus fautre.
Et quant encontrer il se deurent,
io555 Ce sentement entre yaus bien eurent
De Tabaissier et tenir roides.
Les pointes agues et froides
Font prendre dedens les escus :
Pour ce ne fu mies vaincus
io56o GrifTamons. Se lors il chey,
Je croi bien qu'il li meschey ;
Mais toutes fois, au voir enquerre,
Il li couvint baisier le terre.
Melyador passa tout oultre
io565 En faisant bellement son monstre;
Onques ne s'en dagna bougier.
MBLIADOR ij
Les resnes va entrecangier
De son cheval et le retourne.
Pour faire quoi que soit s'atoume
loS/o Et voit le chevalier gisant ;
Sur li s*arreste et en disant :
« O, qui estes mon adversaire,
« Je vous voel courtoisie faire.
« Levés vous, montés a cheval! »
10575 Et cilz qui avoit encor mal
Ou chief, car tous fu estonnés,
S*est bien a la grasce adonnés
Que Melyador li faisoit,
Qui tous cois droit la se taisoit.
io58o Cilz est remontés a grant painne.
Et quant il eut repris s^alainne,
Il trait Tespée dou fouriel
Et esporonne le moriel /. yg b
Qui li respont de saus menus.
io585 Arreement s'en est venus
Dessus Melyador en Teure;
Et cilz qui sagement s*aheure
Pour le péril qui poet venir.
Ne le lait mies convenir
10590 Mais fait .1. tour de Cournuaille,
Et se lance en tournant, sans faille,
Dessus le chevalier galois.
Son brach li lace a ceste fois
Ou hateriel, par tel manière
10595 Qu'il le fait, dessus le crupiere
De son cheval, coucier souvin.
En cel estât, moult lonch termin.
Le tint tant, et en touellant
Et si durement travillant,
10600 Que priés il li rompoit Teskine;
Avoech tout ce, en le poitrine.
Le fiert dou pumiel de s'espée.
38 MBLIADOR
Ensif par très forte mellée
Et par luitier. Ta il conquis.
io6o5 Messires Griffamons de puis
Ne se pot nullement aidier,
Ançois se laisse manoiier
Ensi que Melyador voet.
Quant plus deffendre ne se poet,
10610 II couvient que il die voir,
Voires, s'il voet souffrance avoir.
Au bleu chevalier a la dit :
« Sire, laissiés moy .1. petit
« Ravoir mon alainne et aler. »
1 06 1 5 Et M elyador a parler
Commença et dist : c Bien vous oy.
€ Jusc'a tant que j'aroy vo foy /. j8 c
« Que vous serés mes prisonniers,
« N'isterés vous de mes dangiers. »
10620 Et cilz qui sent c*on le défroisse,
A paour que ses maulz n^acroisse ;
Si dist : c Sire, a vous je me rens.
« Tenés m*espée. » — « Et je le prens »,
Ce respondi Melyador.
10625 L'espée prist et, plus encor,
La foy de ce dit Griffamont.
Moult bien le voient cil d'amont
Dou chastiel, qui sont as crestiaus.
Si en parolent la, entre yaus,
io63o Et dient : « Nostre chevalier
« Nous amenra .1. prisonnier,
« Car il le tient en sa merci.
« Ouvrés la porte, veleci ;
« Il revient a la descouverte. »
10635 Adonques fu la porte ouverte,
Et contre Melyador issent
Chil et celles qui s'esjoissent
MELIADOR 39
Que il le voient revenant,
En si biel et bon couvenant.
10640 /^^ o"^ entre yaus moult bien matere
kJ De couroucier tout li .111. frère,
Quant Griffamont mener en voient.
Ou quel grant espérance avoient
Que celi deuist desconfire.
10645 II n'en scevent entre yaus que dire ;
A moult grant tiennent ce damage.
Entre les .m. y eut .1. sage
Qui dist : a Signeur, c'est nos pourfis
« Que nos frères est desconfis ;
io65o c Car cilz nous a apris le tour
« De la bataille et de Testour. /. jS i
c II n*est pris, fors par barterie
« Et par soutieue luiterie,
« Car, si corn nous poons compter,
10655 c Pour ce le fist il remonter;
c Car jamais ne Feuist eU
« A piet. Or nous a pourveU
« De son tour et de son malisce.
« Jewé nous a d'un vilain visce :
10660 « Si nous en garderons demain
c Ou apriès, s'ensi chiet a main.
« La cose pour nous est moult belle ;
(C Car, en combatant no querelle,
« S'il en y avoit pris de nous
lo665 « Jusques a .111., si les poet tous
« Délivrer et remettre arrière
« Li uns de nous, par le manière
« Et Tordenance qui est faite
« Entre nous, jurée et pourtraite.
10670 « Or regardons li quels demain
c Prendera la lance en la main
40 MELIADOR
« Pour nostre frère délivrer. »
Adonques s'ala présenter
Cobastres, et dist qu*il iroit,
10675 Ne nulz devant lui ne feroit
La bataille, et on li acorde.
Adonc ce jour on li recorde
Comment il se gouvernera,
Et comment le mieus il pora
10680 Ce bleu chevalier desconfire^
Qui leur fait rechevoir grant ire
De leur frère qu'il a conquis.
Qui si bien estoit d'armes duis.
MELYADOR est revenus,
Qui ne s*est mies quois tenus : /. jg a
Ou chastiel grans nouvelles porte.
Contre lui ist hors de le porte
La damoiselle de Montrose,
Qui le rechut, c'est vraie cose,
10690 Moult liement et a bon droit.
Melyador, qui se vodroit
Acquitter a lui et a toutes,
Dist : « Ma dame, ostés vous de doubte,
« Je vous amaine .1. prisonnier. »
10695 — « Sire », dist elle au chevalier,
« De ce remerciier vous doi.
« Pleuist a Dieu que tous li troi
« Fuissent au point que cilz chi est. »
Et Melyador lors se test,
10700 Mais, pour ce, ne pense il point mains.
Adonc délivra, ens es mains
De Florence, ce Griffamont.
On le fist lors monter amont
.L degrés et puis un retour.
10705 Enfremés fu en une tour;
MELIADOR 41
Ne sçai quant il en istera.
Jus€*a tant que Ten ostera
Ses frères, il n'en poet partir.
Tout ce jour furent sans mentir
107 10 Ou chastiel moult esleechié;
De riens ne [se] sentent blechié.
A Tendemain, environ prime,
Melyador, qui bien exprime
La journée qu*il doit avoir,
1071 5 Pour faire en tous cas son devoir,
S*est armés bien et fricement.
Pas ne volt issir nicement.
Ne mies n'apertient a li :
De terre ens ou cheval salli /. /p b
10720 — Onques n*en seut gré as estriers — ;
Si estoit ce .1. moult biaus destriers
C'on li avoit laiens bailliet.
Le hyaume a son point tailliet
Li mist Lansonnès en la tieste.
10725 De son mestre fait cilz grant feste
De ce qu'en bon estât le voit;
De quanqu'il li fault le pourvoit.
Lors se départent dou chastiel.
La dame ala a .1. crestiel,
10730 Pour mieus veoir la contenance,
La bataille avoec Tordenance
Qui se fera des .11. vassaus.
Si com acors va et consaulz.
UNE espasse s'est la tenus,
Celi attendans qui venus
N'estoit pas sus le place encor,
Li chevaliers au soleil d'or ;
Mais il vint tout a galopant
Et vent a son cheval hapant,
42 MELIADOR
1 0740 Par quoi il l'ait mieus a son gré.
Quant il furent tout doi ou pré,
Cescuns si a son glave pris.
Les cuers de grant corage espris,
Li .1. dessus l'autre s'en vienent,
10745 Et de ce cop si bien se tienent
Que onques estriers n'en perdirent.
Nompourquant cil et celles dirent,
Qui en joustant les avisèrent
Et qui .1. peu en devisèrent,
10750 Que la jouste fu forte et rade.
Et se li cheval fuissent fade,
Malagrené et mal nouri.
Si com cil estalon pouri /• 7P c
Sur quoi uns alemans tournoie,
10755 II feussent cheti en la voie,
Tant furent li cop bien bouté.
Cil qui n'ont l'un l'autre douté
Nulle riens, pour yaus mies requerre.
Ont jette leurs lances a terre
10760 Et traient les espées nues.
Si les ont en hault estendues
Et s'en donnent grans hatiplas.
Melyador qui fu des bras
Grans et fors, et bien enfourciés,
10765 S'est dessus Cobastre adreciés,
Qui jette li avoit d'estoc
Par dessus son escu .1. cop;
Siques, ains qu'il peuist ravoir
Sen espée, sachiés pour voir,
10770 Melyador si s'avança
Qui son brac ou col li lança.
Regardés com grant apertise
Et comment hardemens l'atise!
La l'estraint et si fort le tire
1 0775 Qu'il li fait souffrir grant martire,
MELIADOR 43
Car desous son brach tient sa tieste,
Dont Cobastres n'a point de fieste,
Et Testraint si fort par manière
Que le hyaume et le baiviere
10780 Li embare si priés des joes
Qu'il fist la dedens bien .c. moes,
Ne ravoir ne poet son alainne.
« Est donc bataille si villainne »,
Ce poet il la dire a par soy ;
10785 « S'autre remède je n'i vol,
« Il me faurra, voelle ou non, rendre. »
Melyador, qui voet entendre f. y g d
A furnir ce qu'il a empris,
Le pumiel de s'espée a pris
10790 A l'autre main. Si en ordonne
A celi si grans cops et donne,
Qu'il samble c'assommer le doie^
Et cilz qui la dedens ardoie,
Qui ne poet parler ne riens dire,
10795 Se lait tout ensi desconfire^
Comme il fust mors ne plus ne mains,
Il tent encontrement ses mains
Et fait signe qu'il se voet rendre.
Lors li laissa .1. peu reprendre
10800 Li bleus chevaliers sen alainne.
Qui sent bien comment il le mainne
Et en quel dangier il le tient;
A tel ou nulz ne s'apertient.
Se poet on bien penser et croire,
io8o5 Quant cilz peut .1. peu de l'air boire.
Si n'en fu mies si adis ;
Mais li samble qu'en Paradys
Fust rentrés et issus d'Infier.
Et cilz qui le corage ot fier
108 10 Et qui trop dur l'a atasté,
En parlant a lui l'a hasté,
44 MELIADOR
Et dist ensi : « Que voes tu dire?
« Rendre te fault, sans contredire,
« Ou tu seras mors en présent. »
io8i5 Cobastre, qui Tanguisse sent
Et avoit senti en devant,
Estent la droite main avant
Et dist : « Sire, je me renc pris. »
Melyador a la foy pris,
10820 Et le hyaume li deslace.
Moult très grandement s*en solace /. 80 a
La damoiselle de Montrose;
En soy imagine et suppose
Que ses chevaliers vaintera
1 08 a 5 Les aultres et les mettera
Tous desconfis en sa prison.
Moult sont de coer en grant friçon
Ly doy frère de ce Cobastre,
Madrigais et ossi Balastre.
io83o D*iaus esjoir n'ont nul talent,
Ançois sont en grant mautalent,
Quant leur frère mener en voient;
Il samble que marvoiier doient,
Tant sont il en coer airé.
io835 Arrière se sont retiré
Vers leur logels et leur tente.
Gourous si les enflamme et tempte
Que il ne s'en poeent ravoir,
Et dient : « Nulz ne poet savoir
10840 « Les tours que cilz chevaliers scet.
« Par lui ont estet enchantet
« No doi frère; il n'est mies doubte.
« Pas n'est sages qui ne redoubte
« Au voir dire ses divers tours,
10845 « Quant conquis a par .11. estours
« Nos .11. frères, bons chevaliers. »
Dist Balastres : « Tous li premiers
MBLIADOR 45
ff A qui il se combatera,
c Vraiement mes corps ce sera.
io85o « Je me voel a lui esprouver,
« Se tel je le porai trouver
« Que je Tai veU au combatre. »
Ensi se poeent la debatre
Li doi frère en yaus lamentant,
io855 Et Melyador a fait tant f*8o b
Qu'il est rentrés ens ou chastiel.
La damoiselle en grant reviel
L*a recheû, il n'est pas doubte ;
Ossi a sa mesnie toute.
10860 /^^ o^^ ou chastiel de Montrose
v^ .11. prisonniers, c'est vraie cosc;
La damoiselle tous ensamble
Les fist mettre, si com me samble.
Melyador se desarma,
io865 Qui dedens une cambre entra
Et puis se jetta sus son lit.
Car somillier volt .1. petit.
La s'endormi a son voloir,
Et fu proprement jusc'au soir
X0870 Dedens sa cambre sans partir.
Ens ou terme qu'il peut dormir
Et qu'il fu en la cambre enclos,
Avint une aultre cose ou clos,
Car il convint la porte arrière
10875 Ouvrir et ossi la barrière;
Car sus la vesprée y sourvint
Uns chevaliers errans et vint,
Li quelz avoit moult travilliet
Et maint chevalier resvilliet
1 0880 Et porté de la jouste a terre.
Tous propres estoit pour la guerre ;
46 MBLIÀDOK
Mais, puis .un. jours en devant
Et dedens Galles chevaucant,
Estoit fourvoiiés telement
1088 5 Que il ne pooit nullement
Trouver ne voie ne adrece,
Jusc'a tant que la forterece
De Montrose vit devant li.
A la barrière descendi, f. 80
10890 Par dalés lui son escuier,
Et prisent laiens a buschier,
Tant qu'il furent bien entendu;
Il n'ont gaires la attendu.
Quant il furent mis en le porte,
10895 La dame grant solas leur porte,
Car elle les vint conjolr
Et, sans enquerre ne olr
Dou chevalier nom ne sournom,
Entre lui et son compagnon,
10900 En une cambre les amainne.
Messires Tangis, qui grant painne
Avoit puis .1111. jours e(l.
Si tos qu'il en la cambre fu,
Ils se desarma sans attendre.
10905 La damoiselle fait entendre
A lui moult bien et de tous poins
Se li compte, quant il est poins.
De Melyador tout le fait,
Et quel cose il avoit ja fait
1 09 1 o Et avoit entrepris a faire.
Quant compté en ot tout Tafaire,
Se li dist : « Sire, vous qui estes
« Li uns des chevaliers des questes,
c Savés vous comment on l'appelle? »
10915 Cilz respondi : « Ma damoiselle,
c Nennil voir, ne pas n'est raisons
c Que nullement nous cognissons,
MBUADOR
47
10930
10935
10930
10935
10940
« Fors seulement que par parures;
« Onques ne vi ses armeûres^
« Se droit chi ne les me nommés. »
— c Sire» » dist la dame, c il est telx
« Qu^il s^arme de bleu, ce me samble;
c Mais sa targe si se dessamble /• So i
« D'un soleil d^or, dont il se brise. »
Lors messires Tangis li prise
Le chevalier sur toute riens.
Et dist : « Dame, c^est uns grans biens.
Quant il est ceens descendus.
Encontre lui ne s*affien nuls
De proece et chevalerie.
C'est cilz, ne vous en doubtés mie,
Qui ot le pris devant la Garde,
Le quel pris li rois Artus garde,
A ce que j'ay oy compter;
Car onques ne Ten volt porter.
Quant au toumoy en fist conqueste.
Et sachiés qu*en toute no queste.
Vous ne trouveriés le parel,
Pour vous pourvelr de conseil
A ce que vous avés a faire.
Si com je voi en vostre afaire. »
ET quant la damoiselle entent
Le chevalier qui telement
Li prise le bleu chevalier,
10945 Se li dist pour resleecier :
« Sire, le volés vous veoîr? »
Et cilz li respont : « Nennil, voir,
« Car je senc tant de son secré
c Qu'il ne vous en saroit ja gré.
10950 c Si ne me voel jou partir point
« De vous, retenés y ce point
48 MELIADOR
« Jusc'a tant que veû Tarai
« Combatant, et que je sarai
« Comment il fera la besongne. »
10955 Et la damoiselle, qui songne
A ses gens qu'il soit bien servis,
Se part de lui sus tel avis, f.8i a
Et dist bien que il le vera,
Et qu*en tel lieu le mettera
10960 Que ja riens ne sara de li.
Ensi sus cel estât pani
Et le lait o son escuier.
Or parlons dou bleu chevalier,
Qui estoit en sa chambre enclos
10965 Et avoit tenu les esclos
De dormir une grant espasse
Tant c'a la vesprée bien basse.
Et adoncques se resvilla.
Son varlet tantost appella;
10970 Cilz respondi : « Que vous fault, sire? »
— « Vien avant, je le te voel dire.
c Entrues que j'ay espasse et heure,
« Mon esperit otant labeure
« En dormant qu'il fait en villant. »
10975 — « En quoi? », ce respondi errant
Son varlet, qui voloit savoir
De cette paroUe le voir.
Et Melyador prist a rire,
Qui li ala erranment dire :
10980 « En pensant a mes amouretes,
c Je faisoie ore cançonnetes,
« Car j*en sui si fort abuvrés
« Que mes cuers en est aouvrés
« Toutdis; c'est une cose fiere. »
10985 Et Lansonnès, qui la manière
De son maistre bien cognissoit,
Li dist : « Sire, et qui le vodroit
MELIÂDOR 4^
a Oïr, le sariés vous arrière
« Recorder en tele manière
109^90 a Que vous Tavés fait en dormant? »
Respont Melyador errant : fSib
ce Oïl, mais il faut que g'i pense
ft .1. peu. Or te met en Fabsense
« De moy, et t'apoie a ccl huis.
10995 a Tantost y viserai. » De puis
Que Lansonnès y fu aies,
Il n'i est gaires séjournes,
Quant Melyador dist : « Vieng ça ;
« Je te le dirai. » Adont la
1 1000 Li commença Melyador
A recorder, de cief en cor.
C'estoit une balade belle
Qui leur sembla assés nouvelle.
Et otant bien fait elle moy.
I ioo5 En lisant, vous orés de quoi.
Balade.
Il n'est nulle cose que j*oie,
Ne qui me face tant avoir
De tous biens, d'eUr et de joie
Que ma douce dame a veoir.
I loio Je le désire plus c'avoir
Nul ou monde, car par ce point
En moy n'aroit de dolour point.
Four nulle riens ne m'osteroie
De faire vers li mon devoir,
I ioi5 Ançois a li dou tout m'otroie,
Et ce sace elle bien, de voir :
Je li doi bien, par droit devoir.
11017 doi, B doit.
Tome II 4
5o MELIADOR
Se désirs n'estoit qui me point,
En moy n'aroit de dolour point.
1 1020 1 REs bonne amour mon coer convoie
A lui servir sans décevoir,
Et pour ce voel jou bien c'on voie
Que je di, certes, de ce voir.
Si je pooie, de ce, voir f 9^ c
1 102 5 Que toutdis feîsse a son point.
En moy n'aroit de dolour point.
APAiNNEs peut avoir pardit
Melyador oultre son dit,
Quant evous escuiers qui vienent,
I io3o Qui grans tortis en leurs mains tienent,
Desquelz resplent lumière et feus,
La dame dou chastiel o eulz.
A l'uis de la cambre elle fait
Touchier et tout devant se met.
I io35 Melyador voit la lumière;
Lors saut sus, et piert la manière
Et le sieute de son pourpos.
Lansonnès li jette en son dos
.1. mantel et puis keurt avant;
1 1040 L'uis de la cambre oevre il errant.
La dame y entre avoech ses gens
Et, si tost que elle fut ens,
Elle dist a Melyador :
« Sire, s'il vous plaisoit, des or
« 1 1045 « Il est heure d'aler souper. »
Et cilz qui li volt acorder
Li dist : « Dame, tout a vostre aise. 3>
Je croi c'est bon que je me taise
De ce souper, car il fu biaus.
1 io5o D'escuiers et de damoisiaus
MBLIÂDOR 5 1
Estoit Melyador servis.
Apriès souper, il m'est avis,
On parla d'aler reposer.
Melyador s*en puet entrer
I io55 En sa cambre ; la s'enfrema
O son varlet qui moult Tama,
Et se tinrent la celle nuit,
Sans avoir cose qui anuit. /. 8i d
Au matin s'en vint a la porte
Uns hiraus qui nouvelles porte.
Il fu liement recheùs,
Et Melyador pourveûs
De respondre a ce qu'il demande.
Il fait la requeste et demande,
I io65 Et dist ensi, sus ceste voie :
a Messires Balastres m'envoie
a Pour parler au bleu chevalier,
« Et se li fait segnefiier
« Que .III. lances vorra jouster
1 1070 « — Ce dist pour li mieus ragouster —
« Et, tant que les lances durront,
« Li .1. contre l'autre courront,
<( Sans combatre d'aultre armetire. »
Melyador li assegure,
1 1075 Qui onques ne fu anoiiés
Pour ravoiier les desvoiiés.
Et dist : « Compains, je sui tous près
« A ce qu'il voet par mos exprès,
« Ne ja je n'en irai arrière. »
1 1080 Lors fu ouverte la barrière;
Melyador errant s'en part.
La damoiselle que Diex gart,
Quant Melyador voit parti,
Est alée sans nul detri
52 MELIÂDOR
I io85 Quérir, fendant parmi la sale,
Monsignor Tangis de Sormale,
Et la en .i. tel lieu le mainne,
Ou moult bien veront et sans painne
La jouste des .11. chevaliers.
1 1090 Messires Tangis volentiers
Le vera, ce dist il, sur s'ame,
Et otant bien fera la dame, f 82 a
Qui a toute sen espérance
En celi a la blewe lance.
1 1095 m jtessires Balastre, sans doubte,
iVi D'el le bleu chevalier ne doubte,
Fors de la luite de ses bras
Qu'il n'a mies pesans ne cras,
Mais bien tailliés et bien fourmes.
1 1 100 Pour ce est il tous enfourmés
Que point ne s'en laisse approcier,
Fors que dou lonch dou fer d'acier
En .1. plançon de .xii. pies.
PourveUs avoit .m. espiés,
1 1 io5 Fors et durs et trop bien tournés ;
Il les a pour lui atournés
Et bouté en cescun, sans faille,
.1. fier. N'en y a nul ne vaille
.C. florins pour courre une jouste.
1 1 1 10 Melyador ossi ajouste
Grant segurté en ses .111. lances ;
Car, pour furnir ces ordenances,
La damoiselle de Montrose
Li avoit fait, c'cstvraie cose,
1 1 1 1 5 Pluiseurs fiers de glave assaiier,
De quoi il se laissa paiier
De .III. très bons oultre l'ensengne,
Et encores on li ensengne
MELIADOR 53
Li quelz vault mieulz, a ce qu'il dient,
1 1 120 Et Melyador en affient,
Qui s'est ja pour jouster offers.
Il estoit fricemens couvers
Ossi bleus qu'une violette.
Ensi s'en vient la voielette
1 1 125 Jusc'au lieu ou il doit courir.
Cilz qui pas ne le volt nourir, / S2 b
Mais occire s'il puet, par force,
De lui bien fort armer s'efforce,
De quoi il soit mieus assegur.
1 1 1 3o Sus .1. cheval poissant et dur,
Et bien affrenet en le main,
Monta sans painne et sans mehain.
Ses parures, par mes samblances,
Estoient ce jour toutes blances,
I X i35 Semées de bleues parselles.
Certes, ce sont coses moult belles
A veoir gens en tel affaire :
Cascuns savoit ce qu'il doit faire.
Ja vodront jouster assés tos,
1 1 140 Sans deviser plenté de mos.
Q'
^UANT .1. peu furent avisé,
Riens n'ont parlé ne devisé
Li doi chevalier, je vous di .
Cescuns se restraint et joindi
1 1 145 Dedens sa targe en lui couvrant;
Puis vont des esporons brocant,
Et quant li cheval le fier sentent
Au courir radement s'assentent.
Il n'ont mies les entrelais,
1 1 1 5o Mais s'en viennent les plains eslais.
La se consieuirent des lances,
Par si vertueuses samblances
54 MELIADOR
Et par si hardi couvenant,
Que de ce cop, en leur venant,
1 1 1 5 5 Les dittes targes pertuisierent ;
Mais d'autres riens ne se nuisierent,
Ne ne blecierent ne grevèrent.
Les lances en trons tronçonnèrent.
Li chevalier passèrent oultre,
1 1 i6o Frichement, en faisant leur monstre. /. 82 c
Leur doy varlet avant sallirent,
Qui doy plançon leur pourvcïrent.
Lors se prendent a escauffer.
On ne se doit mies truffer
1 1 165 De chevaliers qui ensi keurent.
Sitretost que les lances eurent,
A fiers acérés et agus,
Si se redoubla leur vertus :
Pour yaus aconsieuir s'avisent.
1 1 170 Les damoiselles en devisent,
Qui s'apoient sus les crestiaus
Et dient : « C'est uns solas biaus
a De ces chevaliers regarder.
a Diex voelle le nostre garder,
1 1 175 « Car faiticement se maintient! »
Messires Tangis si se tient
Assés priés de la damoiselle
De Montrose, jolie et belle,
Et prise moult le convenant
1 1 180 De Melyador en venant,
Son affaire et tout son arroy ;
Et la sont sur la place andoy
Li chevalier qui pas ne tardent,
Qui bien pensent que les regardent
1 1 185 Chil du chastiel et cil des champs.
Pour ce dient il : <k II est tamps
«r Que nous faisons bien la besongne. »
Adonques, sans plenté d'ensongne,
MELIADOR 55
Cescuns le cheval esporonne,
1 1 1 90 Et s'en viennent a l'eure bonne
Et se fièrent sus les escus.
Mais de ce cop ne chei nulz,
Ançois passèrent francement.
Leurs .11. lances secondement /. 82 d
1 1 195 S'en volèrent en .m. tronçons
Et les fiers fisent il tous crons.
o
R fu Melyador irés ;
Il s'est arrière retirés.
De mautalent li cuers li flame,
1 1 200 Car il li samble c'on le blasme,
Pour .11. lances qu'il a brisies
Qui tant li estoient prisies,
Et si n'a noient esploitié.
Son escuier a moult quoitié
1 1 2o5 Et dist : ce Vieng avant, si me baille
m Ce tierch plançon. Il fault sans faille
« Qu'il s'acquitte mieulz que li autre. »
Et cilz, qui le portoit sus fautre,
Li a errant ens ou poing mis.
1 1210 Or se garde ses anemis,
Car il vorra jouster acertes,
A qui que en soient les pertes.
Il se restraint et met a point,
Et dedens sa targe se joint
1 1 2 1 5 Et s'estrice sus ses estriers ;
Ses coers li croist qui est moult fiers
Ou cas qu'il a la tieste armée.
Messires Balastres s'arrée
D'autre part pour jouster a li.
1 1220 Or sont ensi que rafreschi,
113 12 A qui que, B A qui qui.
56 MELIADOR
En reprendant la tierce lance.
De bien jouster font grant samblance.
Et je croi que point n'en faurront
Les chevaus esporonnés ont,
1 1 225 Qui eurent recouvré alainne.
Cescuns feri a lance plainne
Son compagnon en mi Tescu,
Par tel force et par tel vertu, f, 83 a
Sans Tun l'autre point espargnier,
1 1 23o Mais en désir d'yaus mehagnier .
Il samble quUl doivent entrer
Dedens l'un l'autre a rencontrer.
M
ELYADOR, qui fu de corps
Bien joustans et de membres fors,
1 1 235 Ables, legiers et remuans,
Tout ensi com ce fust uns vans,
Fent la targe a son adversaire.
Li haubregons ne H peut faire
Nul garant qu'il ne le perçast,
1 1 240 Et qu'en char il ne l'atouchast
Telement, que, dedens .m. mois,
Ne sera sains de ses anois.
Car la pointe acérée et froide,
Avoech la lance qui fu roide,
1 1 245 En Tespaule li met tout ens,
Et le boute par si grant sens
Et par ordenance si belle
Qu'il le fait partir de la selle.
Jus l'abat dessus la terrée :
1 1 25o La lance a la pointe acérée
N'est point brisie de ce cop.
Mes messires Balastres trop .
11933 Tautre, B Tautrer.
MELIADOR 57
Malement est illuech cheùs.
Au cheoir est moult esperdus,
1 1 255 Car li sans, qui ist de la plaie
Et qui aval partout li raie,
Sa cote et son haubert li souUe
Et jusques a ses pies le mouUe.
Melyador prent son retour
1 1 260 Sus monsigneur Balastre, pour
Veoir comment il se maintient.
Si le regarde qu'il se tient /. 83 b
Tout quois et est de sanch couvers.
Il ne fu mies trop divers,
1 1265 Mais appelle son escuier
Et dist : « Prent garde au chevalier
(c Qui la gist, et le met a point. »
Lansonnès lors n'arresta point,
Mais vint droit la, sans nulle atarge;
1 1 270 Se li a desbouclé sa targe
Et son hyaume après osté,
Et .1. petit Ta esventé.
Adont Melyador vint la,
Qui moult courtoisement parla,
1 1 275 Et dist : « Comment vous va, biau sire ? »
Et cilz, qui a painnes peut dire
.1. seul mot, respondi en bas :
« Par Dieu, chevaliers, je suis mas
« Et desconfis par men outrage,
1 1 280 « Et conquis par vo vasselage.
a Je croi bien que vous m'avés mort. »
— a De ce me desplairoit trop fort, »
Ce dist Melyador, a par m'ame!
a Je vous menrai devant la dame,
1 1285 « Que lonch temps avés heriiet
« Et sans ocquison guerriiet ;
« Elle vous sera humle et douce. »
Et cils, qui vot bien c'on le couce,
58 MELIADOR
N'a cure u mais qu'il soit garis ;
1 1 290 Respont : « Je sui ses ennemis,
« A vous me renc et non a li. »
Dist Meiyador : « Tout ensi
a Vous reçoî, c'est bien men entente. »
Adonques fu sans plus d'attente
1 1 295 Messires Balastres levés,
Car ses variés a l'autre lés f. 83 c
Vint la, et doy aultre escuier,
Les quelz y pooit envoiier
Madrigais, il n'est mies doubte.
1 1 3oo Par ces .m. en fu, en le route
Dou dit bleu chevalier menés,
Jusc'au chastiel qui ordonnés
Estoit que pour lui recevoir.
Vous devés bien savoir de voir
1 1 3o5 Que la dame fu resjoye,
Quant elle vit, la tierce fie,
Son chevalier avoir vaincu
Celi que, dessus son escu,
On aportoit mat et navré.
1 1 3 1 o Toutes ses gens keurent ou pré
Encontre le bleu chevalier,
Et le vont ensi recueillier
Con ce fust Diex de paradys.
Li chevaliers, qui moult adis
1 1 3 1 5 Estoit et pour se navreûre,
En une cambre clere et pure
En fu portés incontinent.
Et la y fait moult bellement
Li bleus chevaliers garde prendre.
1 1 320 De ce n'est il pas a aprendre
Com chevaliers courtois et sages,
En tous cas«et en tous usages.
F
MELIADOR 59
T quant Madrigais considère
L'aventure, comment si frère
1 1 325 Sont tout troi mené ou chastiel,
Se ne li vient mies a biel
Encor de monsigneur Balastre,
Auquel il fault .1. grant cmplastre
Mettre sus Tespaule navrée.
1 1 33o Moult grandement de li s'effrée. /. 83 d
Point ne scet comment il li va,
Se il morra ou garira.
Il n'en scet qu'il die ne face.
Quant on le regarde en le face,
1 1 335 II samble bien plains de courous
Et dist ensi : « Je me courous
« Sur moi; j'ai droit, car mon conseil
<( Mis et donnai trop en frefel,
« Quant j'acordaî, par ignorance,
1 1 340 « Devant hier ytele ordenance.
« Chils chevaliers, qui nous traveille
<f Et qui a fait Ja grant merveille,
« Desconfit yaus .111. en .m. jours.
« Comment scet il de vaillans tours
1 1345 « En armes, par bachelerie
tf Et par sa grant chevalerie?
« Nous deuissions avoir esté
« Contre lui tout .nii. arresté ;
« Ja n'en fust issus hors d'acort.
I i35o « Plus sont yaus .111. ou .iiii. fort,
« Et de reconfort pourveii,
a D'avis, de conseil et d'argu
« Pour leur ennemi desconfire,
<( C'uns homs tous seulz; ce puis je dire.
1 1 355 « Or me couvient demain combatre
1 1 343 Desconfit, B Desconfis.
6o MELIADOR
a Contre li. M'y porai je embatre
« Quant je voy, et s'en sui tous fis,
a Qu'il a mes frères desconfis ?
« Il faut bien que conseil en aie,
1 1 36o « Se la irai ou le délaie.
« Vérités est, se je demeure
« Que grandement me deshonneure;
« Et, se g'i voi oultre mon coer,
— « Cela ne ferai je a nul fuer — f. 84 a
1 1 365 « Trop plus deshonnourés seroie,
<c Se mors ou prisons demoroie.
a Or faut il donc que je m'avise,
(K Car ensement va li devise
« Que me combate ou que me rende. »
1 1 370 Adonc trop son conseil amende
Cilz Madrigais, a ceste fois ;
Il dist ensi, a basse vois :
a Se faire pooie une cause
« Devers la dame de Montrose
1 1 375 a Et devers le bleu chevalier,
« Que si bien peùsse trettier
« Que pii trois frère revenissent,
<c Par mi tant que il le tenissent
« Et moy a pais, a tous jours mes,
1 1 38o <r Ce seroit li plus cortois fes,
<c Et assés li plus honnourables
« Pour nous, et li plus amiables
« Pour elle, c'on y puist taillier. »
Sus ce pourpos va abillier
1 1 385 .1. chevalier et .1. hiraut,
Et de tout ce que dire fault
Pour esploitier en tel besongne
Les carge, sans point de mençongne.
Il se partent de Madrigai,
1 1390 Qui n'a mies le coer trop gai,
Et chevauchent vers le chastiel.
MELIADOR 6 1
Tant ont esploitié c'a l'estiel
Des barrières s'en sont venu
Et tout doi, illuec descendu,
1 1 395 As gardes disent, comme sage,
Que la venoient en message.
Sus cel estât furent mis ens
Et amené par bonnes gens /. 84 h
Jusc'a la dame de Montrose.
1 1400 Adonques li chevaliers glose
Ses paroUes moult sagement
Et la dame tout erranment,
Quant elle Tôt bien entendu,
Respondi — riens n'a attendu —
1 1405 Que de ce ne fera ja riens,
Soit ses damages u ses biens,
Sans le sceii son chevalier.
Et cil qui sont la pour priier
Venu, ne mies pour combatre,
1 1410 Ne li voellent mies^debatre,
Mais respondent : ce Diez y ait part ! »
Adont d'yaus Florence se part
Et viers Melyador s'en vient,
Qui dedens sa cambre se tient.
1 141 5 Se li recorde bellement
La besongne, tout telement,
Que par devers li on trettie.
Melyador, a ceste fie,
Li dist : « Ma dame, en bonne pais
1 1420 <c Ne gist, fors uns bien legiers fais.
« Pour moy n'en faites tant ne quant,
« Fors ce qui vous est mieus séant,
« Car je sui, Dieu merci et nostre,
a Tous près pour garder le droit vostre.
1 1425 d Mais, quant a pais poés venir
'( Et a vo plaisir avenir
« Ossi bien ores comme après,
62 MELIADOR
« Tant vous en di par mos exprès :
« C'est bon c'a la pais entendes
1 1430 <t Et que ses frères li rendes,
tt Parmi ce qu'il iront tous .mi.
— « De ce ne poront riens abatre — f. 84 c
« En la court dou bon roi Artu,
« Et la, si com la cose fu
1 1435 « Et chiaus qui oir les poront,
« Service vous cognisteront,
« Hommage et foy a tous jours mes*
« Vous n'en ferés riens el huimès. »
Dist Florence : « Vous dittes voir. »
1 1440 Lors s'en revint par estavoir
La dame vers les trettieurs,
Et dist tout, si com li teneurs
De Melyador contenoit.
Li chevaliers, qui demenoit
1 1445 La paroUe a ce Madrigay,
Respondit et dist : « Je ferai
« Relation de vo response. »
La dame pas ne li esconse
Et dist : « Bien me plaist. » A tant partent.
1 1450 Si chevaucent, point ne se tardent ;
Si sont venu au logeis
De Madrigal, ce m'est avis :
Si le trouvèrent moult pensieu.
Adont li comptèrent dou lieu
1 1455 Ou il avoient chevauciet.
Comment il en ont esploitiet.
Sur ce s'avise et considère.
Car il faut que ilz et si frère,
S'il voelent issir de dangier,
1 1460 S'en voisent sans point atargier
En la court dou bon roy Artu,
Et la moustrent par quel argu
Il ont guerriiet sans raison
MSUADOR 63
La dame qui Florence a Dom ;
1 1465 De quoy, en nom d*amendement.
Il feront la présentement /l 84 d
Hommage, et juiront a tenir
A la dame et de lui serrir
En tous estas, s*il li besongne,
1 1470 Et dient que sus la besongne
Il n'ont poût £dre aultre cose.
Messires Madrig^is qui n'ose
Combatre ne ne Toet, ce dist.
De ce pourpos nullement n'ist,
1 1475 Car il Toet ses frères ravoir.
De rechief le fait a savoir.
Ou chastiel, par les dessus dis.
En remoustrant que bons amis
A la dame voet demorer
1 1480 Et li en tous cas honnourer.
ENsi fu la cose afinée.
Melyador Ta ordenée :
Tenir le fault, puis qu*il le voet.
Nuls des .lui. ne le remuet,
1 1485 Mais se sont mis en Tordenance
De le dame courtoise et france,
Car Madrigais s'est trais avant.
Ilz et si frère, tout devant
Melyador^ ont cogneii
1 1490 Que sans arrest, tout pourveii,
Il iront en le court dou rov
Artus a Carlyon tout troi,
Et l'afaire li compteront,
Et de recief s'obligeront
1 1495 A tenir esta blés et fermes
Toutes ces coses mis en termes.
Trop volentiers tout ce jurèrent,
64 MELIADOR
Car parmi tant il escaperent
Et issirent de grant dangier.
1 1 5oo Sans plus riens muer ne cangier, f, 85 a
Geste ordenance ensi ala.
Sus le soir se parti de la
Messires Tangis de Sormale,
Qui avoit oy en la sale
1 1 5o5 Ces paroles présentement
Et oy compter proprement
Au bleu chevalier dessus dit.
Sitretost que la fin en vit,
Il entra en une nacelle
1 1 5 10 C'on li apresta bonne et belle;
Son harnois mist ens tel qu'il Ta.
Congiet prist a la dame la,
Qui bellement l'eut recueilliet ;
Il ont leur voiage acueilliet,
1 1 5 1 5 Ils et ses escuiers errant.
Maronnier ont a leur commant,
Qui les conduist en la Saverne
Et qui telement les gouyerne,
Sans ce que noient les fourmainne ;
1 1520 Droit par devers Bristo les mainne.
Une aultre nef la prenderont,
Par quoi mieus il esploiteront
Et plus segurement ossi
Pour estre ou il désirent si,
1 1 52 5 A ce biau tournoy de Tarbonne.
Bien arriva a Feure bonne
Messires Tangis a Montrose,
Car par terre, c'est vraie cose,
Jamais ne fust venus a temps ;
1 1 53o Et, pour ce qu'il estoit sentans
Tout ce et n'i pooit venir.
Volt les dangiers de mer souffrir.
o:
65
M parions de Melyidor,
Le cheralier au soleil d^or, f. êS à
1 1 535 Qui estoh encore a Montrose,
Quant ordonnée fu la cose
Bien et biel, dou tout a son gré;
Il traist son varlet en secré
Et dist : c Frère, )e voel partir
1 1 540 c Car aler m'en fiiult, sans mentir,
« A ce toumoy qui se tenra
« Devant Tarbonne et y sera ;
c Ten defaurroie trop envis.
c Pour ce te di jou mon avis,
1 1 545 c Que tu t'ordonnes sus ceste oevre. »
Et Lansonnès lors li descueuvre
Et dist : c Sire, je loeroie
c Et si le vous consilleroie
« Qu'en .1. vaissiel vous mesissiés,
1 1 55o c Puis que tous vos ahatissiés
c D'aler la, par le roy celestre.
c Autrement vous n'i poés estre. »
Melyador bien s'i acorde.
Adonc cilz Lansonnès recorde
1 1 555 A la dame tout leur afaire ;
Et ceste, qui en voelt bien faire
En tous estas sa diligense,
Ne le met point en negligense,
Mais une nef leur pourvel,
I i56o Et si bien adont Ten chel
Qu'il en y avoit une preste,
La quele de coer on li preste
Et met en son commandement.
Melyador tout erranment,
1 1 565 Qui ne voelt la plus séjourner,
Fait chevaus et harnas entrer
En la nef et s'i met premiers.
Tome II b
66 MELIADOR
En ceste nef ot maronniers f. 85 c
Bons, et segurs et avisés,
1 1 570 Et qui scevent de mer assés
Pour aler jusques en Cartage.
Melyador, de bon corage,
Prist congiet a la jone dame,
Et li dist au partir : «c Par m'ame !
1 1575 « Dame, veci vo chevalier.
« Se besongne vous croist arrier,
ce Soit d'empecement ou de guerre,
ce Si m'envoiiés, ou que soit, querre.
ce Je vous venrai très liement
1 1 58o « Servir et aparlliement :
ce De ce ne vous convient doubter. »
Et Florence prist a plorer
Et dist ce Sire, .v^. mercis.
« Je pri au vrai corps Jhesucris,
1 1 585 « Qu'il vous gouverne et qu'il vous ait
a En garant, m A ces cops le lait
Et s'en retourne tout plorant,
Et Melyador part errant
Dou rivage sans atargier,
1 1 590 Et desancrent li maronnier;
Si se mettent lors aval vent.
Ce premier jour, a leur talent,
Eurent le vent et la marée,
Dont la Saverne grande et lée
1 1 595 Passèrent et en mer se misent.
Entrues que maronnier devisent
Entre yaus et c'a leur nef entendent,
Et que cordes tirent ou tendent,
Melyador ailleurs entent
1 1600 A faire de bon sentement
Quelque cançon bonne et nouvelle,
— A ce faire nullui n'appelle. — /. 85 d
Ce fu uns rondelès jolis :
Tantost fu fais et tantost dis.
XEUABOK 67
I i6o5 De si très booae rolesté
Sers ma ÔMme folîe,
1 ouR œ c^a hd me soi donse
De si très boone, etc^
a
J7E fa )e n en quier estre oste.
1 1610 Dou tout a lui m^otrie
De si très bonne, etc.
E
>T quant Meljador eut dit
Son rondelet, par grant délit*
Il volt .1. aultre conunencier.
1 161 5 Mais il Fen convint atargier.
Car vens commença a lever
Et ces ondes a escumer.
Et maronnier a estre en doubte.
Car li vens telement les boute
1 1620 Qu^il samble que tout rompre doie.
Adont se veureni sus le voie
Ancrer, pour plus a segur estre.
Mais uns vens revint a senestre.
Qui les prist moult a hustiner,
1 1625 Et n'osèrent adont ancrer
Pour le péril dou vent contraire.
Adont se vont aval vent traire,
Ne faire il n'en osèrent el;
Bien vosissent estre a Tostel
I i63o Dont au matin parti estoient.
De ce vent noient n'arrestoient.
Mais s'en aloient fort ridant;
68 MELIADOR
Toute la nuit les bouta tant
Que droit au jour, quant il ancrèrent,
1 1635 Dedens Escoce se trouvèrent. /. 86 a
Adont disent li maronnier :
« Nous ne nos poons ravoiier,
a Se nous n'avons le vent pour nous. »
— « Et, monsigneur, qu'en dittes vous ? »
1 1 640 A Melyador on demande.
Et 11 chevaliers leur commande
Qu'il se traient errant a terre,
Car il ne voelt plus avoir guerre
A la mer qui Ta tempesté.
1 1645 Et cil ont fait sa volenté;
Terre ont pris, pas lonc n'en estoient.
Entrues c'a la terre arrestoient,
Lansonnès qui ne savoit u
Il estoient, dont irascu
I i65o Avoit le coer, monte a cheval.
Par tout keurt amont et aval,
Ensi c*aventure l'avoie,
Sans point trouver sentier ne voie,
Maisons, ne logeis ne estres,
1 1655 Fors que grans bruisis et genestres.
Quant il eut aie tout au tour
Et ja priés c'a lewet le jour,
Sans trouver ne femme ne homme,
Ne riens fors ce que je vous nomme,
1 1660 II retourna sus la bruiere
Et s'en est revenus arrière
Ens ou lieu dont il fu partis.
Si recorde par grant avis
Ce qu'il a trouvé et veU.
1 1665 Li maronnier n*ont riens sceii
A consillier sus ceste entente,
Mais dient ensi sans attente :
« C'est bon que nous séjournons chi,
«< Tarn qoc cSz ^ens. qui nous âdfi Ji ff6 b
1 1670 » ATsmiiier, soos reriepie arrière,
• Amremcm. par nnUe minière
« Ne poons doi2s vecnr e^^loit,
« Qi23 pcôm ponrôtable iious sait. »
Cn^ isles, qoe tous le sachiés,
, On Mebîklor cooroQoés
Estoit arrivés eo ce îour^
On rappelle la^ cm contonr,
Uisle del Men, qni ranlt otant
A dire et expondre en rommant
I r68o Uisle de PHomme^ et ce fù dlz,
Ensi que nous dist li escris.
Ou li rois des .C. Chevaliers
Se tint qui tant fù preus et fiers.
Mais encor de ceste ordenance
1 1685 N'avoit on nulle cognissance.
Cela avint depuis, ou tamps
Que Lancelos li combatans,
Messire Yewains et Perchevaus,
Tristrans, Durmans et Gallehaus
1 1 690 Cerkoient partout aventures ;
De quoi ailleurs les escriptures
ParoUent trop plus plainnement
Qu'en ce livre présentement,
Car il avint et fu escris
1 1695 En devant de ces dessus dis.
Point n'estoit habités cilz isles
Et puis y eut maisons et villes;
Mais cilz qui Tabita premiers.
Il fu rois des .C. Chevaliers.
1 1700 La ancrèrent et prirent terre
Li maronnier, au voir enquerre.
Qui estoient parti de Galles ;
70 MELIADOR
Maïs entre yaus nU eut nulles galles, /. 86 c
Quant il ne sceùrent bien a dire
1 1705 En quel lieu il pooient gire.
o
R n'a ens ou bleu chevalier,
Tant en sachiés, que courecier,
Quant il voit que li jour en vont
Et nul esploit par yaus ne font .
1 1710 La furent .1111. jours entiers,
Ou fust envis ou volentiers,
Que onques li dit maronnier,
Pour cose c'on en puist priier,
Ne se porent en mer retraire,
1 1 7 1 5 Car il avoient vent contraire,
Mais il n'estoit mies trop fors.
Quant li quatrimes jours fu hors,
Et ce vint sus .1. venredi.
Une barge illuech descendi
1 1 720 De pescheours apriès herens.
Melyador, qui trop dolens
Estoit de ce que la estoient,
Et qu'ensi entre yaus arrestoient
Et ne cognissoient le lieu,
1 1725 Tant parlèrent, non en ebrieu,
Mais en breton biel et a point.
Que cil pescheour sour ce point
Vinrent la, avoeques lor barge.
Melyador adont leur carge
1 1730 Qu'il li cognoissent vérité
Et en quel lieu sont arresté.
Et cil erranment li recordent,
Qui de voir dire ne se tordent.
Et quant Melyador ot ce
1 17? 5 Qu'il sont entre Irlande et Escoce,
Si est plus pensieus que devant.
MELIADOR 71
Nonpourqaant il s'est trais avant, f. 86 d
Et moult bellement leur demande.
Se Tille y a petite a grande
1 1740 Qoi soit priés de la^ on li die :
c OU, sire, a Tautre partie
c De la mer, y a ferme terre.
c Puis que tant en volés enquerre,
c La y sont villes et chastiaus,
1 1 745 c Pays grans et manoirs moult biaus ;
c Car on y labeure et ahane,
c Et si y trueve on Abredane,
c Qui siet en cest[e] aultre partie»
c Et de la sommes nous parti
1 1750 « Et retourrons demain ou jour,
c Se Diex nous gard [de] deshonnour. »
— c QiGNECR », disent li maronnier,
^ € Vous aies et pour gaegnier
« Parmi la mer, si com créons.
1 1755 « Avoecques nous est uns frans homs
c Qui vous paiera largement
« Assés, de milleur paiement
« Que tout li poisson ne vaurront,
« Qui de vous pris estre poront
1 1760 c En .iiii. jours, bien le sachiés.
« Si vous prions que Tadredés
« Geste part que vous dites chi. »
Et adonques leur respondi
Li uns et dist : « C'est bien nos grés,
1 1765 « En ceste barge o nous entrés,
« Chevaliers, puis que c'est pour vous. »
Melyador, qui estoit tous
Anoieus, entra en la barge.
Tout son harnois la on descarge
1 1 770 Et le remet on ou vaissiel.
72 MELIADOR
Quant tout fu fait et bien et biel, /. 8^ a
Li .1. a Tautre congiet prisent.
Puis se desancrent et si brisent
Les ondes de la mer parfonde.
1 1 775 Jusc*a la journée seconde
Ne partirent li maronnier
De Montrose pour traire arrier;
Mais li pescheour lors partirent,
Qui devers Abredane tirent.
1 1 780 Toutdis vont costiant la terre.
Melyador leur va enquerre
Se il sont loncb de Cornuaille,
Et chil li respondent, sans faille,
Qu'il y a bien ou environ
1 1785 Trois .0. liewes au naviron.
Geste response ne plaist pas
A Melyador qui tout bas
En paroUe a son escuier
Et dist : « Bien me doit anoiier,
1 1790 <c Quant Fortune m'est si contraire,
« Que je ne puis estre ne traire
« Pour aventure qui m'aviegne,
« Ne com bons que 11 temps me viegne
« A ce tournoy, devant Tarbonne.
1 1795 « Pas ne parti a heure bonne
a De Montrose l'autre sepmainne. »
Lansonnès, qui point ne demaine
Geste paroUe longement,
Li respont assés doucement :
1 1 800 « Sire, il convient tout en gré prendre
«c Ge que temps voet saisir et rendre. »
TANT ont singlet li maronnier
Aval vent, sans yaus fourvoiier,
Qu'il sont venu a Abredane,
MBLIADOR 73
I i8o5 Et dalés .i. grant pont de frasne /. 8^ h
Ancrèrent et se tinrent quoi.
Li pescheour, savés vous quoi,
Furent paiiet moult largement.
La prisent leur atargement
1 1810 En la ville li maronnier,
Avoech leur maistre et chevalier
Qui ont congiet de li sans doubte,
La nef et leur mesnie toute.
Melyador s'est trais errant,
I i8i5 A .1. hostel assés manant,
Entre lui et son escuier.
Durement pooit anoiier
Au chevalier au soleil d'or;
Il n'a mies passet encor
1 1820 Son mautalent, saciés pour voir,
Quant nullement ne poet veoir
Qu'il puist au jour a Tarbonne estre.
Dont toute honneur li pooit nestre.
Souvent infortunés se claimme,
1 1 825 Mais ses escuiers qui moult l'aimme
Le reconforte sans attente.
De bon coer et de bonne entente.
u
NE heure Lansonnès li dist,
Qui d'un lés a conseil le mist :
I i83o a Sire, vous vos plaindés moult fort
« De Fortune; vous avés tort
€ A ce c'on me donne a entendre. »
Et ses mestres va lors reprendre
Ce parler et dist : c Comment dont ?
1 1835 « Tu sces bien que nos voies sont
€ Toutes ensus de mon désir,
« Ne tu ne poes, je croi, olr
« Nouvelle qui me resjolsse.
74 MELIADOR
« Car, se ossî priés me veïsse /. 8^ c
1 1 840 « De Tarbonne que j'en sui loing,
« Je seroie issus de grant soing;
« Mais, nennil, il va au contraire. »
Lors se va Lansons avant traire
Et dist : « Sire, c'or vous taisiés;
1 1845 « C'est drois que vous vos apaisiés.
« Bonne fortune vous est née :
« A mains estes d'une journée
« Dou cliastiel ou ceste demeure,
« Pour qui vous avés a toute lieure
I i85o « Poné tant de maulz et de painnes.
« Ce ne sont mies coses plainnes
« De courons, quant ensi vous cliiet.
« Se vous osiés mettre le piet
« Celle part, par la vertu digne,
1 1855 « Ou se tient ma dame Hermondine,
« Tant que vous Peuissiés vett,
« Je tenroie a bien pourveti
« Vostre eûr et vostre fortune.
« Si esçou cose moult commune?
1 1860 « Car bien y poriiés aler
c Et tout couvertement parler,
c Mais que vous euissiés avis. »
Melyador ot ces devis
Que Lansonnès illuec li baille ;
1 1 865 Si dist ensi : « Vaille que vaille
« Cilz parlers, tu m*as resjoy.
« Plus a de .x. jours que n'oy
c Parolle qui si bien m'agrée
« Et, ou cas que je m'i recrée,
1 1870 c Si me di ci présentement,
c De tout ton meilleur sentement,
« Se tu dis voir u tu mençonges
c Pour moy oster de telz ensonges. » f.Sjd
— « Sire », dist Lansons, « je di voir.
MELIADOR
1 1875 « Mais que confort voelliés avoir»
« Vous verés dedens .1111. jours
« Geste pour qui ii maulz d'amours
« Vous a duret, puis que partistes
« De Carlyon, ou vous veîstes
1 1 880 « Figuré l'image en la targe. y>
Adont Melyador se carge
De grant joie, et dist en riant :
<c Compains, or ne va detriant.
« Pense comment ce se fera
1 1885 « Que mes corps la belle vera.
« Se tu le poes ou le sces faire,
« Tu ne me poes en riens complaire
« De cose qui tant me conforte,
a Adonc sera ma dolour morte. »
75
1 1890 — « ]|^yrONSEiGN£tJR », ce dist Lansonnès,
IVl a J'ai entendu par mos exprès
a Que ma damoiselle Hermondine
« Demeure et tient, et soupe et dine
« En .1. chastiel moult priés de chi.
1 1895 « Montsegur a nom, je vous di.
u La tient la belle son hostel,
« Ses mesnies et son tinel;
« Mais^ tant que d'aler jusc'a la,
« A vous trop bien manière y a
1 1900 « Et grant sens ossî y convient.
« Car je croi moult bien c'on le tient
« Et garde en ce chastiel de priés.
« La damoiselle de Montgriès,
« Qui est sa cousine germainne,
1 1905 « Vouâ'en dist auques le demainne,
« S'il vous en voloit souvenir.
« Mais, la aler et revenir, /. 88 a
« Bien y ara manière et art,
76 MELIADOR
« Car il y a trop grant regan.
1 1910 « Pensés vous qu'e[lle] soit au large?
« Nennil, voir; mais, se je l'encarge,
« Vous y parlerés temprement.
« G'i cuide tel attemprement
« Mettre et si très bonne ordenance,
1 191 5 « Que vous irés sans cognissance
c Ou manoir ou elle demeure,
« Et ares et loisir et heure
« De li veoir bien et en pais,
« Com pesans que vous soit li fais. »
1 1 920 Et quant Melyador l'entent.
Si demande : c Et, compains, comment
« Se pora ce par raison faire ? »
— « Bien », dist dlz, a il est nécessaire
« C'on sace des tours a le fois.
1 1925 « J'en sçai des bons et des courtois
« Qui vous venront moult bien a point, i»
Dist Melyador : « Sus ce point
« Voel je très volentiers entendre ;
« Or le me di lors sans attendre. »
1 1930 Et Lansonnès la li devise
La manière de la devise :
« Sire », dist il, « premièrement,
a II nous fault cangier voirement
« Nostre abit, il n'est mies doubte,
1 1935 « Et prendre une ordenance toute
c Et l'estat de .ii. marcheans,
<c Cotes a plois larges et grans. »
Et Melyador li demande,
Qui de ce a joie trop grande
1 1940 Et qui en voelt savoir la gise :
« Lansonnet, de quel marchandise f. 88 b
« Nous verrons nous dont entremettre? »
Et cilz, qui bien entent la lettre,
Respont : « Ensi que jeuelier
MEUADOR
77
1 1945 « Qui se voelent ensonniier
c De porter ces biaus anelès,
« Ces affikès, ces fremillès,
« Par ces chastiaus et ces manoirs^
€ Car vous savés, et c'est tous voirs,
1 1950 « Que ces dames et damoisellesy
« As queles vienent telz nouvelles,
« Sont par nature moult engrans
« De veoir tous telz marcheans,
«r Et pour les jeuelès qu'il ponent
1 1955 <c Apriès quoi elles se déponent.
« Vous en avés, et s'en querrons,
« Car or en une cité sons
« Ou gens y a de tel affaire,
« Qui au besoing les scevent faire.
1 1960 « Et quant pourveii en arons,
« Devers Montsegur nous trairons;
<c Lors prenderons nouviel conseil. »
Melyador, qui en frefel
Soudainnement se resjoy,
1 1965 Dist ensi : « Je t'ai voir oy
« Ossi très volentiers parler
ce C'on poroit dire ne penser,
« Et, pour l'amour de ton langage,
« Tant y ay jou bon avantage.
1 1970 « Amours m'a mis et met en voie,
« Et chi le sentement m'envoie
a De faire .1. rondelet joli,
<c Et tout pour l'amour de cell,
« Que tu me dis et si m'afferme
1 1 975 « Que je verai dedens brief terme. f. 88 c
« Le rondelet te canterai,
« De coer liet, amoureus et gay. »
II 949 c'est, Bs'est.
78 MELIADOR
Bondel
Par pensée aucun bien reçoi
De la dure dolour que j'ai. '
II 980 v^'est tout le bien qui est en moi;
Par pensée, etc.,
JVIa dame, quant je ne vous voi,
Et pour ce a vous penserai.
Par pensée, etc.
II 985 CNSi en Abredane sont
1- Li doy, qui une pensée ont
Qui leur tourne a très grant plaisance.
Lansonnès erranment s'avance,
Qui d'orfèvre en orfèvre va,
1 1 990 Ou moult de jeuelès leva.
Et les acata bien et chier ;
De tous chiaus qu'il avoit plus chier
Moult en cueilla parmi la ville,
Et tant fist qu'il ot une pille
1 1 995 D'anelès bons et bien dorés.
A son signeur est retournés :
Se li moustre sa marchandise,
Des anelès que forment prise
Et des fremillès ne sai quans,
1 2000 Et dist : « Vous serés marcheans
« Et je serai vostres variés. »
Lors 11 baille les anelès
Et les met en une laiette
De blanch bois, qui bien estoit faite,
MELIADOR 79
i20o5 Et les fremillès a par yaus.
Or s'avise li damoisiaus
Sus Taniel qui li fu donnés ;
Adont le regarda assés
Et lî sembla encor plus riches, f.88d
I20I0 Mieulz ouvrés, plus gais et plus frices
Que nul qu'il en euist encor.
Tant fust ouvrés d'asur ne d'or.
L'aniel a mis hors de son doy
Et dist a Lansonnet : « Je croy
i2oi5 <c Que je vodrai donner celi,
<x Pour le milleur et plus joli,
« Le mieulz fait et le mieulz ouvré,
« Que nous aions encor trouvé.
« Premiers le donrai a Testrine
1 2020 « A ma souveraine Hermondine. »
Dist Lansonnès : « Vous ferés bien.
« Ce que vous avés c'est tout sien. »
Respont Melyador : « C'est voirs. »
Deux abis desgisés et noirs
12025 Pourvel Lansonnès errant.
Quant il les eut, je vous créant
Qu'il est retournés a l'ostel.
A son signeur dist : c II n'a el.
« Il vous fault assaiier cesti. »
i2o3o Adont Melyador vesti
L'abit qui estoit pour son corps.
Lansonnès li a .i. peu tors
Sus Tespaule par desghisance
Et, quant il en voit l'ordenance,
i2o35 Si dist : « Bien samblés marcheans.
« Vous escourcerés hault vos pans,
<c Et vous chainderés par manière
« Pour mieulz bocîier par derrière.
« Mais vous avés trop blances mains,
1 2040 « Point ne sont teles de villains ;
80 MELIADOR
« Demain les vous faudra noircir
« Pour mieulz vostre cose esciarcir
a Et moustrer que villains soiiés, f'8g a
« Et si vous faudra en vos pies
1 2045 « Mettre ces sorlers a noiiaus. »
Adont respont li damoisiaus :
<K Je ferai ce que tu vodras. »
Au matin ont laissiet leurs draps
Melyador et ses variés.
i2o5o Si ont pris chiaus que Lansonnès
Eut pourveû le jour devant;
Vesti les ont par convenant
Que trop bien se sont desgisé.
Tout ensi qu'il ont devisé
i2o55 Ont fait ce jour, ne plus ne mains,
Et ont bien noircies leurs mains;
De faire le villain se painnent.
.1. garçonnet o yaus en mainnent,
Qui trop bien y savoit le voie
1 2060 Et qui dist, se Diex le convoie.
Que bien les menrà ali chastiel
De Montsegûr. En grant reviel
Se sont mis tous troy au chemin,
Et se partirent bien matin
1 2o65 D'Abredane et de leur hostel,
Sans yaus descouvrir d'uii ne d'el.
ENsi en tt\ estât s'en vont
Li troi, et tant cheminé ont
Qu'il sont a Montsegûr venu.
12070 A .1. hostel, bien pourveû
De tout ce qu'il leur fait mestier,
S'en vont errahment hebergier;
Ce fu assés priés dou chastiel.
Laiens s^aisierent bien et biel
MELIADOR 8 1
1 2075 De tout ce que il ont trouvé,
Et tout bellement ont rouvé
A leur bostesse qu'elle voie f. 8g b
Au matin la plus droite voie
Que elle pora au cbastiel,
1 2080 Et elle ara .1 . bon jeuiel
Se elle poet tant esploitier
Qu'il puissent moustrer leur mestier
A la fille dou roy Hermont.
Et li bostesse leur respont
i2o85 Qu'elle en fera la diligense.
Adont, sans nulle negligense,
L'endemain, a heure de prime,
Elle s'ordonne et si s'esprime
Pour aler au cbastiel la sus.
12090 On ne li fait point de refus :
Par tout poet venir et aler,
Sans noient priier ne parler,
Car tous les jours y fust venue
Si com celle qui cognetie
12095 Est laiens, il n'est mie doubte.
A .1. buis vient, .1. peu le boute ;
S'i trouva une camberiere,
Qui le recbut a lie cbiere.
Geste camberiere le mainne
12 100 Parler a tout la plus proçainne
Qui soit a ma dame Hermondine,
Qui encor fu en sa courdine.
Geste mist la besongne avant
Et dist a sa dame, en levant,
i2io5 Que la eut .1. marcheant tel.
Qui estoit venus a l'ostel
De dame Fromonde la Grise,
Le quel marcheant elle prise,
Gar il a des biaus jeuelès,
1 2 1 1 o Des fremaus et des anelès
Tome II 6
82 MELIADOR
Bien dorés et de bonne taille : /> 8g c
a Si voroit volentiers, sans faille,
(( Ma dame, que les veissiés
« Et que vous en acatissiés.
1 2 1 1 5 « Il vous en feront grant marcbiet. »
Hermondine n'a point targiet
De respondre, mes dist errant :
« On le fera venir avant
« Assés tost, quant serai levée. »
1 2 1 20 Geste damoiselle secrée
Respondi tout ce a Fromonde,
Et li dist que en tout le monde
Il n'amainne nuUuy o soy :
« Fors vous, Fromonde, ou, par ma foy,
1 2 1 25 « Il n'enteroit point ou chastiel. d
Dist ceste : « Par saint Daniel,
« Je croi que ja li aie dit. »
— « Aies, n'atargiés c'un petit,
(c Car lors se lèvera no dame. »
I a 1 3o — « Je m'en vois. » — « Adieu, bonne famé !
« Quant arrière reteurnerés,
a Droitement chi me trouvères. ^
o
R est Fromonde retournée,
Qui gagnera bien sa journée
1 2 1 35 A ce que je puis percevoir.
Car ja a bien fait son devoir
A parler pour le marcheant.
Melyador trouva séant
Et sen varlet d'encoste li :
12140 « Mestres », dist elle, <x je vous dl,
« Vous laisserés chi vo varlet ;
« Je croi bien que vo jeuelet
13113 voroit, B veroit.
MELIADOR 83
o Seront vendut ains vo retour. »
Dist cilz : a Diex vous doinst bui bon jour,
1 2145 « Belle bostesse, par saint François ! /> Sgd
« Tenés ; vous en ares, ançois
a Que je les vende, vostre part. »
Adonques largement l'en part
Et l'en voloit encores rendre,
i2i5o Mais Fromonde n'en volt plus prendre.
Entre yaus .11. se sont mis a voie;
Homme ne femme ne les convoie,
Car moult bien y scet le cbemin
Fromonde, qui tamaint matin
1 2 1 5 5 Et maint soir y avoit esté.
Il n'ont nulle part arresté ;
Venu s'en sont jusc'au cbastiel.
Li portiers les a bien et biel
Recueillies et mis en le porte :
1 2 1 60 Ce fu drois, puis c'on lor aporie.
Encores donna en entrant
Melyador, droit la errant,
Au portier .1. biel anelet.
Se dist cilz : « Veci vo varlet,
I2i65 « Biaus maistres, et très grans mercis. »
Melyador, qui fu noircis
D'abit ossi noir c'une aronde.
Va ensi que dame Fromonde
Le mainne laiens et pourmainne.
1 2 1 70 Dame Fromonde si le mainne
A l'uis de la cambre Argentine
Et la demanda s'Ermondine
Estoit encore appareillie.
Et ceste, con\ bien consillie,
121 75 Li dist : « Oïl, je vois vers li. »
Adonques de sa chambre issi,
. Si s'est trette devers sa dame.
Et li dist tout ei^si : « Par m'ame,
84 MELIADOR
« Dame, veci le marcheant. f 90 a
12 180 « Le ferai je venir avant ? »
— « Oïl, ce respont Hermondine,
« Je voel veoir, ançois c'on dine
<t Quels jeuelès il nous aporte.
« Dites c^on le laist en le porte. »
I2i85 Dist Argentine : a II y est ja. »
Adont Argentine s'en va
Viers Fromonde et li dist : Avant
« Faites venir le marcheant. »
Et Fromonde se traist arrière,
1 2 1 90 Car Melyador fu derrière,
Et dist : « Maistres, avant venés,
« Je vous pri. Point ne vous tenés,
« Mais vendes bien legierement. »
Dist Melyador : « Vraiement.
12 195 « Ossi ferai je, sans fallir. »
Adonques volt avant sallir,
Mais se bostesse le retint.
Qui tout quoi dalés li le tint.
La vinrent .ni. jones pucelles,
1 2200 Moult gratieuses et moult belles,
Qui li disent ensi : « Biau mestre,
« Monstres nous, voires, s'il poet estre,
c Quel marchandise vous portés. »
Et cilz, qui est tous enhortés
i22o5 De par son bostesse Fromonde,
Dist c'a homme ne femme ou monde
Il ne moustera riens qu'il ait,
Jusques adont que tout son hait
Et plainnement a son voloir,
122 10 En ara leur dame eu voir.
Ensi s'apaisent les pucelles.
Entrues qu'il devisoit a celles,
Evous la venue Argentine, /. go b
Qui l'acene et li fait .1. signe
HELIADOR 85
i22i5 Qu'il se traie avant, de par Dieu.
Tout troi s'en vont ou propre lieu
Ou Hermondine les attent.
Sitos que Melyador sent
Qu'il veoit devant li sa dame,
122 20 Li sans li trescange, par m'ame,
Si fort qu'il fu tous esbahis.
En regardant en mi le vis
Hermondine, la très parfaite.
Adont a ouvert sa laiette
1 2225 Et prent Tanelet tout dessus,
Ou nulle ne pensoit, ne nulz,
Ne ilz ossi, fors que grant bien,
Et riens ne savoit dou moiien.
Ne des mos qui sont ens escris.
1 223o Sitost qu'il eut l'anelet pris,
Qui fu fais par bonne ordenance,
Dessus le pavement s'avance :
« Tenés », dist il a Hermondine,
« Cesti vous donne a bonne estrine ;
12235 « Li aultre le recateront.
« Tel usage en nostre terre ont
« Li jeuelier, certes, ma dame,
« C'a le première qui entame
« Les jeuiaus d'un marchant a vendre,
12240 a II l'en faut .1. donner et prendre.
« Si ares cesti a Testrine. »
Adonques le prist Hermondine
Et dist : a Veci biel anelet. »
En son doy le met; la le let.
12245 Ciunc fois le regarda ou .vi.
Et dist : « Mestres, moult grant mercis.
« Ce vous sera li mieus vendus. » /. qo c
Adont ne s'est pas trette ensus
Hermondine, saciés pour voir;
i22 5o Mais voelt la laiette veoir
86 MELIADOR
Entre ses mains, et cilz li donne,
Qui moult douchement i'araisonne
En disant : « Souffres .i. petit.
« Cil fremillet sont moult jolit;
12255 « Prendés des quelz que vous volés.
« Il en y a a l'autre lés,
« Qui ne sont mies de ce tour;
« Je ne les porte fors que pour
« Jones fillettes de .xii. ans;
1 2260 « Et s^en y a de plus pesans,
« Et qui sont de plus grant argent.
« Vous les manoiiés si très gent,
« Et par si courtoise manière,
a Que pucelle ne camberiere
12265 a N'i saroit avenir vers vous.
« Tout ce ou il git miulz vos gous,
« Si le me tournés d'une part.
« Je crois assés, ains mon départ,
« Que nous en serons bien d'acort. »
12270 Dist Hermondine : « A mon grant tort
« Seroit voir, se je n'acatoie ;
« Car pour quoi vous estes en voie
« De vendre et avés esté hui? »
Respont Melyador : « Ce sui
1 2275 « Certes, dame, et m'est grant mestier
(c Que je vende, car en dangier
« Sui d'argent et vous en avés,
a Par quoi mes jeuelès ares.
« Or me dittes, par vo merci,
12280 « S'il vous plaist cose qui soit ci. »
— « Oïl, mestres, sachiés de voir. f. go d
« Je voel ces fremillès avoir
K Et ces anelès d'une pille.
« Foy que vous devés a vo ville,
12285 « M étés y fuer ou vo raisons
« Y soit gardée, et nous aions
MELIADOR 87
« La denrée pour .1. dénier. »
Et ciiz qui se fesist priier,
Ançois dou laissier que dou prendre,
12290 Donner les volsist et non vendre,
Respondi : « Dame, volentiers. »
Ce qui bien vaioit .vi. deniers,
Et loyaument sans riens rabatre.
Il ne fist a fuer fait que .iiii.,
1 2295 Tant que les damoiselles dient,
La entr'elles qui s'en derient :
« Mestres, mestres, avisés vous.
a Certes, vous fériés trop pour nous,
« Se les avions pour ce pris. »
i23oo Melyador les a repris
Et dist : <c Dames, je suis si frans,
« Soit li conques petis u grans,
a J'ay tantost fait et marchandé.
« Vostre dame m'a chi mandé,
i23o5 « C'est raisons que son voloir face,
« Et que de riens ne li sourface,
« Mes jeuiaus fors encores mains.
« Espoir que tamainte et tamains
« Ne les vorroient acater. »
1 23 1 o Elles prendent a regarder
Leur dame et dient : « Prendés tout.
(c II n'a mies chiere d'estout,
(c Ne de villain ne de bregier.
« Espoir vodra il remploiier
i23i5 « Ses deniers dou tout a sa guise f, gi a
a En aucune autre marchandise,
<c Ançois que de ce pays wide. x>
Hermondine, qui moult bien cuide
Qu'il soit ensiy ne plus ne mains,
12320 Que ses pucelles a leurs mains
Taillent illuech a bonne entente,
Respondi tantost sans attente :
88 MELIADOR
a Je retîeng tout vaille que vaille. » ,
A Argenté dist : a On li baille
12325 a Tout présentement ses deniers. »
Parçonnieres et parçonniers
Eut la Hermondine en présent,
Car cascune et cascuns le sent
Large, et courtoise et deboinaire.
i233o Si dient : « Dame, il vous fault faire
« Vo grâce a nous qui vous servons,
« Entrues qu'en ce point vous veons;
« Car vous avés moult bien de quoi. »
Et elle respont : a Par ma foy,
12335 « Vous en ares moult volen tiers. »
Adont ses jolis cors entiers
Ses jeuelès illuec départ
Melyador est trais a part,
Qui en regarde la manière
1 1 340 Et Hermondine en mi la chiere,
Qu'elle ot si belle et si joieuse
Conques cose si amoureuse
Ne fu, ce dist il, la, sur s*ame,
Que ceste est qu'il tient pour sa di^me.
1 2345 La le voit venir et aler,
Et a ses pucelles parler
Et a ses chevaliers ossi.
Sa contenance li plaist si
Qu'il ne vorroit aultre part estre, /. p/ t
1 23 5o Ce dist, n'en paradys terrestre,
Pour veoir nulle aultre figure.
Et dist bien, quant a le figure
Que sen sieuant point en la targe,
Assés priés de ceste se carge,
12355 Et qu'elle fu loyaument faite,
Bien figurée et bien pourtrette.
ia332 quant a le, B quant il le.
MELIADOR 89
Cil et celles qui la estoient
En la cambre, et qui s'esbatoient
A regarder leurs anelès,
1 236o Leurs fremaulz et leurs jeuelès
Que donné leur avoit leur dame,
Ne cuidassent jamais, par m*ame.
Que ce fust la Melyador
Le chevalier au soleil d'or,
12365 Ne nul compaignon de la queste.
Il n'euissent point si grant feste
Demenet que il demenoient ;
Car tel commandement avoient,
De par le noble roy Hermont,
1 2370 Que ne fust homs en tout le mont
C'on laiast entrer en la porte.
Mais cilz, qui le soleil d'or porte,
I entra par tele manière
Que dit ay, et a lie chîere
1 2375 Fu il la dedens recheUs ;
Car il y vint bien pourvetis
De coses que dames désirent
Et des queles entre elles rirent
Assés de son courtois vendage.
i238o On li dist que point de damage
N'aroit apriès son paiement,
Et il respondi bellement
A cesti qui en fu cargie : f. gx c
« Damôiselle, se Diex m'aye,
12385 « Je n'i pense fors que tous biens
« Ne je ne m'en esmaie en riens. »
E
NSI Melyador se tient,
Qui si bellement se maintient.
Si sagement et si a point,
12390 Que decheûs il n'i est point.
90 MELIADOR
Tout cuîdent, prîvet et estragne,
Qu'il soit la venus de Bretagne
Pour montepliier son catel.
Dit li fu dou mestre d'ostel^
1 2395 Que de la point ne partiroit,
Jusc'a tant que diné aroit.
Ces parlers oy volentiers,
Car ses cuers estoit si entiers
A Hermondine regarder,
1 2400 Que il ne s'en pooit soeler
Et, quant il poet ce doulz samblant
Regarder ensi qu'en emblant.
Vis li est qu'en Paradys soit.
Et encores il ne s'osoit
1 2405 Tant confiier au regarder
Pour celles qui l'ont a garder^
Qu'en aucun cas on ne perçoive
Son fait et c'on ne l'en déçoive.
Melyador illuech disna,
124 10 Qui mies en oubli mis n'a
De faire le courtois a table,
Quant il est en lieu si notable
Que il voit devant lui, as ieulz,
Celle pour qui en tant de lieus
1 241 5 II a estet et travilliet,
Et maint chevalier resvilliet.
Assis fu avoech les pucelles, y. gi d
Qui se tienent moult bien pour celles
Qui sont femmes a Hermondine,
12420 La quele a une table disne
Et .11. dames par desous li.
Cilz estas forment abelli
A Melyador, ce saciés.
La ne fu boutés ne saciés,
12425 Mais servis bien et bellement
De tous mes assés largement,
MELIADOR gi
Otant qu'il eut a la grant table,
Et de vin bon et delitable.
Quant on et disné, on lava
1 2430 Et puis tantost on se leva.
Lor fu Melyador paiiés,
Qui ne s'est noient esmaiiés
De prendre congiet bien et biel
A toutes celles dou chastel.
1 2435 Au partir dist en soi melsmes :
« Las ! pour quoi ci aval venismes ?
« Je cuidoie avoir tout conquis,
« Mais que je fuisse entrés en l'uis
« De ceens pour veoir ma dame,
1 2440 « Mais bien sarai dire, par m'ame,
A mon varlet que non arai.
« Haro ! comment me maintenrai
« D'or en avant, — je ne sçai voir —
« Quant je desirrai a avoir
1 2445 « Le regard de la bonne et belle,
« Et point n'en verai, las ? Se elle
« Pooit savoir que je sui cilz
« Qui ai souffers tant de perilz
« Pour s'amour, et ferai encor
12450 «c Ançois que venir puisse au cor
« Des anées que je poursieu, f. g2 a
« J'en regracieroie Dieu ! »
T
lOUT ensi se va lamentant
Melyador, qui a fait tant
1 2455 C'a l'ostel est venus arrière.
Lansonnet trueve en la chariere,
Son escuier, qui l'attendoit.
Si tost que ses mestres le voit
Se li dist : « Compains, alons ent,
12460 « Car j'ai acompli mon talent.
92 MELIÂDOR
« J'ai vendu tous mes anelès,
« Mes fremaus et mes jeuelès,
« Et me fu dit que je reviegne ;
« C'est bien raisons qu'il m'en souviegne. »
12465 Lansonnès regarde son mestre :
Si le voit trop fort pensieu estre,
SiqueSy pour lui servir a gré
Et pour savoir de son secré
Comment li va et comment gist,
1 2470 A l'ostesse de laiens dist,
A dame Fromonde la Grise,
Qui riens sus leur estât ne vise :
« Venés, dame, prendés argent.
a Que devons nous ?» — « Non pas gramment, »
12475 Dist Fromonde, a mon ami chier.
« Vous venistes or primes hier.
« Paiiés tout ce que vous volés. »
Lansonnès est avant aies,
Qui tire argent, et si le paie
1 2480 Si largement qu'elle dist : « J'aie
« Souvent de telz hostes ceens I
« Se j'en avoie ja .11. cens
« L'anée, je seroie riche. »
Et Lansonnès, qui fait le nice^
12485 Prent congiet ; ossi fait son mestre. /. p2 b
Si tiennent le chemin sus destre
Pour revenir vers Abredane.
Li preus, qui mies ne se tane
De parler a sen escuier,
1 2490 Par quoi mains li puist anuier.
Fait devant aler le garçon,
Qui portoit .1. biau grant plançon
C'a leur hostel avoient pris.
Lors renouvelle ses escris
12495 Melyador, en cheminant;
A son varlet en compte tant
MELIÂDOR 93
Qu'il meîsmes y prent plaisance.
Toute lî a dit Tordenance,
Comment a estet receiis
1 25oo Et de doulz regars pourveiis,
Qui li font savourer grant painne.
Dist Lansonnès, qui moult se painne
De son mestre reconfoner :
« Or deverîés vous raponer,
i25o5 « De ces regars qui sont si biel,
« Aucune cose de nouviel,
« Mieux c'onques mais, ce m*est avis. »
Et cilz, qui est si fors ravis
En pensées qu'il ne poet plus,
125 10 Dist : « Compains, li retraire en sus
« De ly me fait trop grant anoy,
« Et, par la foy que je te doy,
(( J'estoie avanthier plus joieus,
a Mains pensieus et mains anoieus,
1 25 1 5 a Que je ne soie maintenant.
« Or me lay ens ou convenant
« Ou je sui, je le te commande
« Et riens ne me di ne demande,
« Car grandement m'i plaist a estre. » f,g2c
12520 Et cilz qui voelt faire a son mestre
Tous ses bons, car c'est bien raisons,
Dist : « Or soit et alons, alons.
« Vous partirés de ces anuis,
" <( Se Dieu plaist, ançois qu'il soit nuis. »
1 2525 Ensi en cel estât le laisse,
Bien saciés, une grande laisse
Que Lansonnès riens ne li dist.
Et Melyador, qui pas n'ist
De son penser, pense et repense,
i2 53o En pensant illuec il s'apense
Qu'il fera la une balade.
De coer tout pesant et malade,
94 MELIADOR
Pour ce qu'il n'a mies espoir
De sa dame plus reveoir,
12535 Se ce n'est fortune trop grande.
Adont quoi qu'il euist pesande
L'intention, il le commence
Et si bien persévère en ce
Que la balade il acompli;
12540 Et pas ne le mist en oubli,
Mais le recorda biel et bien
Par grant sens et par ^nuit engien.
Quant revenus fu a l'ostel.
De la balade sont tout tel
1 2545 Li parler que je vous dirai,
Ne ja ne vous en mentirai.
Balade
J E ne sçai voir li quelz eut plus d'anoi
En ce monde, ou Narcissus ou moy ;
Car Narcissus si morut pour amer,
i255o Dont 11 couvint sa dolour definer.
Et je languis pour ce que ne voi mie
Celle qui est et ma dame et m'amie. f, g2 d
IN ARCissus aussi veoit devant soi
L'ombre de li, dont il disoit, je croi :
12555 a Que cesti ci me voelle conforter. »
Tel joie avoit adont en son penser.
Dont je n'ai point, car trop m'est eslongie
Celle qui est et ma dame et m'amie.
\Jk soufferai tout quanque je reçoi
12560 Pour bien amer loyaument et en foy.
Car Amours poet trestout gerredonner
Dont ne vorraî jamais jour oublier,
MELIADOR 95
Comment que soie ne tant que soit en vie.
Celle qui est et ma dame et m^amie.
1 2565 T-v E commencement jusqu'en fin,
lJ Tout en aiant sus le chemin,
Fist Melyador la ballade.
Quant il Tôt fait, si ot plus sade
Le cuer qu'il n*euist en devant.
1 2570 A Tostel sont venu a tant
En Abredane, dont il partirent ;
En leur cambre erranment se tinrent
Tout doi, par très bonne ordenance.
Melyador, qui en plaisance
1 2575 Sa balade encores avoit
Et qui tout par cuer le savoit,
Tant Tavoit en soy recordé,
A son varlet, par le corps Dé,
L'a recordé incontinent.
1 258o Et Lansonnès, qui bien l'entent,
Li loe et dist qu'elle est bien faite,
Et puis li dist : « Se la parfaite
« Hermondine que tant amés,
« Pour qui dolereus vous clamés,
12585 a Savoit or que ses jeueliers
« Fust uns si friches chevaliers /. g3 a
« Qui, pour s'amour, fesist cançons,
« Certes ce seroit bien raisons
« Que elle en euîst grant merveille. »
12590 Et Melyador, qui s'esveille
Sitost que son varlet oy,
De ce parler se resjoy ;
Atant laissierent le parler.
Melyador s'en volt râler,
1 2595 Ce dist il, au bon matinet.
Largement paient le varlet,
g6 MELIADOR
Qui moustret leur avoit le voie
Au chastiel ; se Diex me doinst joie,
Par tout ont complet et paiiet.
1 2600 , Au matin n'ont plus detriiet :
Congiet ont pris et on lor donne ;
Il se partent a l'eure bonne
Et se mettent lors sus les camps,
Tout ensi qu'il ont fait tous tamps.
12605 Mais bien chevaucierent .v. jours
Et fisent moult de divers tours,
Ne onques dedens ce termine.
Si com li livres détermine.
Ne trouvèrent nulle aventure,
126 10 Quele que fust, ou douce ou sure,
Qui point face a ramentevoir,
Dont trop fort en anoioit voir
A Melyador le vassal.
S'estoit il le plus a cheval
1 26 1 5 Pour les aventures trouver
Ou son corps volsist esprouver.
N
ous lairons de Melyador
A parler, voires, tant c'a or,
Car temprement en parlerons ;
1 2620 Mais ossi pas n'oublierons f, g3 b
Le tournoy de devant Tarbonne.
I. joedi, a heure de nonne,
S'en revinrent, c'est vraie cose,
Li dit maronnier a Montrose
12625 Qui dévoient, si com savés
Et que compter oy avés,
Melyador en Cornuaille
Mener; or ne peurent, sans faille.
Pour le vent mauvais et contraire.
i263o A leur dame vont tout retraire
MELIADOR 97
Leur voiage, et le grant péril
En quoi il furent et tout cil
Qu'il avoient en gouvrenance,
Et ossi par quele ordonnance,
12635 Et quant il eurent tant waucré,
Il se trouvèrent tout ancré
En .1. isle dedens Escoce.
Et quant la damoiselle ot ce,
Si en fu forment couroucie
1 2640 Et encores s'est radrecie
De demander as maronniers :
« Dittes moy, li dis chevaliers,
« Ou est il et ou demora ?
tt Est il en liu ou il pora
1 2645 <K Estre au tournoy que tant désire ? »
— « Cela ne vous savons a dire,
(( Dame, mais nous laiiet l'avons
« En Escoce, et si n'en savons
« Plus avant; fors tant qu'il moustroit
i265o « Qu'il avoit le cuer moult destroit.
(c Ne savons qu'il a fait de puis. »
Dîst Florence : « Veoir ne puis,
« Puis qu'il a tel empecement,
« Qu'il soit au tournoy nullement, f' 93 c
12655 <( Ou tant desiroit a aler. d
Lors en laissierent le parler,
Ne plus la ne s'en démenèrent
Et en aultre pourpos entrèrent.
N
ous lairons ci, c'est vraie cose,
1 2660 1^ De l'iretiere de Montrose,
Et parlerons en bonne foy
De l'ordenance et de l'arroi
Dou tournoy, comment il se tint.
Quant li jours approça, on vint
Tome II
98 MELIADOR
12665 De tous pays la ou contour.
Si se logierent tout au tour
De Tarbonne lî chevalier.
Li rois Artus, pour consillier
Le duch Patris mieus a sen aise
1 2670 Et faire cose qui li plaise,
Eut la envoiiés de ses gens,
Sages, songneus et diligens,
Pour ordonner d'un tel afaire
Qu'il apertenoit la a faire.
1 2675 Moult y eut de chevalerie
Et de bonne bacelerie,
Tant par dedens comme dehors,
Car lonch eut courut li recors
Dou tournoy qui devoit la estre
1 2680 Par tout, a destre et a senestre.
As camps chevalier se logoient,
A le mesure qu'il venoient,
Priés d'un bois, dalés une lande
Qui regarde devers Irlande
1 2685 La estoient li chevalier
Qui s'appelloient estragnier.
Mais il ne s'amoustroient point
Dedens la ville ; de ce point /. g3 d
Estoient il tout consilliet.
1 2690 Quant il furent appareilliet
Le jour que on deut tournoiier.
Et c'on leur ala envoiier
Dire et noncier tout clerement.
De par les dames ensement :
12695 « O chevalier, traiiés as camps,
<K Car il en est saisons et tamps
a Dou traire, et que cascuns s'acquitte,
« Tant as cops des mains c'a le luitte. »
Dont s'appareillent chevalier,
1 2700 Qui ne voelent plus detriier.
MELIADOR 99
Tout armé sus les chevaus montent,
A leurs vies noient n'acontent,
Mais qu'il puissent, par bien combatre,
Pris avoir et leurs corps esbatre.
1 2705 /^N ot au dehors la cité
V-^ De Tarbonne, pour vérité,
Fait carpenter sus estançons
Cambres, logels et maisons,
Et toutes couvertes d'aisselles.
1 27 1 o La sont dames et damoiselles ,
Des queles y a grant fuison ;
Et la devant et environ,
Sus la place qui est moult lée.
Ou il n'a tertre ne vallée,
1 27 1 5 Tournieront li chevalier.
Nulz n'a o soy son escuier :
Ensi qu'il voelt si se gouverne.
La en y [ot] de chiaus d'Iberne,
De Nor[t]hombrelande et de Galles,
1 2 720 Et dou royaume de Norgalles,
Ou moult a de bons chevaliers.
Quant on deubt assambler premiers, /*. g4 a
Pour donner a tous cognissance
Qu'il se mettent en ordenance,
1 2725 On sonna .1. grant cor d'ivore :
Tout cil qui en ont la memore,
Sevent bien que ce segnefie.
Lors veïssiés a une fie
Chevaliers partir des arrois,
12730 Chi .vu., chi .viii., chi .v, chî .111.,
Et s'en viennent l'un contre l'autre.
En portant espées sus fautre.
Et sitretost comme il s'approcent,
Avoech ce que de grant coer brocent,
I OO MELIADOR
1 2735 II se donnent grans horions.
Ne sai pas comment porîons
Telz coses bien considérer,
Car la veïssiés reverser
Chevaliers et guerpir les selles.
1 2740 La sont les ordenances belles
De veoir comment il se cachent,
Et ossi comment il s'atachent
L'un a l'autre par vasselage.
Agamanor, qui par usage,
1 2745 Voet estre toutdis des premiers, 'U
Tant est corageus chevaliers.
Va .1. chevalier encontrer.
.1. tel cop li ala fraper
De l'espée sus le hyaume,
1 2750 Que cilz, s'il deuist .1. royaume
Gaegnier, ne se fust tenus
. Qu'il ne soit a terre chetis ;
Ne say se puis se releva.
Ensi Agamanor s'en va,
1 2753 Fendant les presses devant soy .
Dist Phenonée : « Voir, je voi /. g4 b
« Che chevalier biel tournoiier
« Et li gentement manoiier.
« Nulz ne dure devant ses cops. »
1 2760 S'Agamanor oist les mos
Que la belle de soi devise,
Et comment a son bienfait vise,
Il en fust encor plus vaillans
Et plus volentiers travillans.
1 2765 m yr ouLT fu cilz toumois biaus et gens
aVI Et moult y eut de vaillans gens,
Car on y compta des premiers
Jusques a^.cc. chevaliers :
MELIADOR I O I
La y ot fait devant les dames
1 2770 Tamaint bîel et grant esploit d'armes.
Agamanor trop bien tournoie ;
De i'espée que biel manoie
Hyaumes et guafifes desront.
Toutes ses ententions sont
12775 Que le pris ara pour le jour.
Il ne prent mies son séjour
En .1. lieu, mes toutdis chevauce.
Chevaliers abat et encauce,
Et les porte tous jus a terre.
1 2780 Ses bras sont tel qu'il font bien guerre ;
Li plus le fuient et ressongnent.
Les dames entre elles tesmongnent
Que c'est voir li mieulz travillans,
Li plus preus et li plus vaillans,
12785 Qui point soit vêtis sus le place.
Il a encontre face a face
.1. chevalier d'oultre Saverne;
Mais telement il le gouverne
Que puis ne tournoia ce jour.
1 2790 II n'ara pas tous seulz l'onnotir, f, g4 ^
Car Gratiiens est d'autre part.
Qui donne les coups et départ
Par tout, a diestre et a seniestre,
Ensi que cilz que vodroit estre
1 2795 Li uns des bons de la journée.
La cose est moult bien ordonnée :
La sont cil de Northombrelande
Contre les chevaliers d'Irlande.
Messires Tangis de Sormale
1 2800 Par le tournoy chevauce et baie,
Et fait merveille de son corps.
Car il est chevaliers moult fors
Et moult bien seans a cheval.
Evôus, descendant tout aval, ;
102 ' MELIADOR
1 2805 Dagoriset atout se route.
Qui ou fort dou tournoy se boute.
Il iiert et frape autour de li
Tamaint chevalier maubelli.
Car il estoit chevaliers grans,
1 2810 Moult hardis et entreprendans
Et si a ordenance bonne.
La sont les dames de Tarbonne
Qui furent en . i . escaffaut,
Ou riens a ordonner ne fault ;
1 28 1 5 Joliement fu carpentés,
Et tout environ fenestrés
De fenestrés bonnes et belles.
La sont dames et damoiselles,
Vesties de biaus draps a or.
1 2820 La fu ma dame Alyenor,
La ducoise de Cornuaille ;
Sa fille dalés lui, sans faille,
Qui bien estoit acompagnie
De belle et bonne compagnie. /. g4 d
1 2825 Plus de .VI". furent en compte
Celles qui bien scevent que monte
Honneur, car de droite lignie
En viennent ; se n'i fallent mie.
Vous devés savoir qu'entre celles
Qui la sont, dames et pucelles.
Nature a mis trop plus de grasce
A celle qui toutes les passe,
Ma damoiselle Phenonée,
Qui la y estoit ordonnée
12835 En si friche et si noble arroy,
Comme elle fust la fille au roy
D'Escoce ou encor .1. plus grant.
Et bien savoit, je vous créant.
^dELIADOR 1 03
Que belle estoit, et grande assés,
1 2840 Et pas n'estoit ses temps passés
D'amer, mes commençoit or primes.
Encor fera faire des rimes
Et des cançons pour sen amour.
Ses pères qui amoit honnour,
1 2845 Li vaillans dus de Cornuailley
Estoit en Tescaffaut, sans faille,
Et non pas trop lonch de sa fille.
Entre yaus .11. tiennent leur concile
Des preus chevaliers que la voient
i285o Et li quel vaillamment tournoient,
Dont c'est grant plaisance au veoir.
Li dus fait moult bien son devoir
Dou regarder et dou jugier.
Et quant il voit .1. chevalier
12855 Passer qui li plaist en regart,
Si dist ensi : « Se Diex me gart,
o Vêla .1. chevalier adroit.
a Ne sai se ma fille vodroit /. g5 a
a Amer par amours .1. tel corps.
1 2860 <K C'est bien mes gous et mes acors,
« D'or en avant, qu'elle commence ;
a Car elle en vient de le semence
a Et par amours pris jou sa mère,
« Qui n'est ne dure ne amere,
1 2865 ce Et encor nous amons otant
a De l'un l'autre, savons bien tant,
« Que le premier jour que ce fu . »
Lors demande a Phenonée : « U
« Avés vous or, ma fille, assis
12870 « Vostre coer? J'en voi ci telz .vi.
a Qui sont bien tailliet c'on les aime. »
Et ceste, qui jone se claime,
S'escuse et dist que point n'i pense.
Et s'elle met sa diligcnse
1 04 MELIADOR
1 2875 A jetter ses yex hault et bas,
C'est tant seulement ses esbas
Pour savoir se jamais veroit
Son frère, ne cognisteroit.
Ensi Phenonée s'escuse,
1 2880 Mais ses cuers d'aultre façon use ;
Elle en a plus chier .1. que cent,
Car elle au regarder entent
La ou gist ses cuers et ses gous.
Elle en a plus chier .1. que tous,
1 2885 Ce dist elle en soi, tout en bas :
« C'est cilz qui a les rouges draps
« Et qui porte une blance dame. »
La se tient ses regars, par m'ame,
Et aroit plus chier qu'il euist
12890 L'onneur, et plus ne le velst,
Que nulz autres qui soit en place.
Ensi a par soy se solace, /. gS b
Et li chevalier s'esbanoient
Qui se lassent et qui tournoient
1 2895 As espées moult radement,
Espris de très grant hardement.
ENSI cilz tournois se poursieut ;
Mais, cui c'Aghamanor consieut,
A plain cop il le met a terre.
12900 Monsigneur Tangis va requerre
De l'espée moult aigrement,
Et cils qui fu joliement
Armés et montés a cheval
L'attent a chiere de vassal,
1 2905 Car il estoit et durs et fors,
Bien fait de membres et de corps ;
Sur son cheval est enfourciés,
Ce samble qu'il y soit forgiés.
MELIÂDOR I05
Quant cil doi Tun a Tautre viennent,
129 10 Des bonnes espées qu'il tiennent
Se donnent moult grans horions.
Agamanor fu drois et Ions,
Et chevaliers de belle taille
Et si bien tournlans, sans faille,
1 2g 1 5 Qu'il n*i avoit riens c'amender.
Bien scet qu'on le poet regarder
Des fenestres qui sont lassus,
Et qu'il n'est mies trop ensus
Des dames et des damoiselles.
12920 Au travers prent par les asselles
Monsigneur Tangis et l'estraint
Telement que point ne remaint
A cheval, mes jus il le porte.
Au relever fu la moult forte
12925 La bataille, de toutes pars.
Phenonée, qui ses espars /. g5 c
Avoit de tous sens ou tournoy,
A veii celi devant soy
Qui si faiticement tournie
12930 Et qui les chevaliers manie,
Telement et si durement
Que nulz volentiers ne se prent
A lui, qui eschiever le puist.
Ses affaires pas ne le nuist,
1 2935 Et dist qu'il est drois chevaliers,
Telz qu'il doit estre, fors et fiers.
Bien tournians oultre l'ensengne.
Ne scet se de la Grant Bretagne
Est issus ou d'aultre pays,
1 2940 Mais il li vient en son avis
Certainnement que c'est ses Ireres.
Moult recommende les materes
De li et tout ce que cilz fait,
Car il tournoie bien au het
I o6 MELIÂDOR
1 2945 De lui et des aultres pucelles,
Des dames et des damoiselles,
Et y fait d'apertises plus
Et des armes ne face nulz.
ENSi Phenonée en son cuer,
. _^. _ Qui cuidoit bien estre la suer
De ce chevalier tournoiant,
S'en va tout merancoliant,
Mais voir ceste merancolie
Est amoureuse et moult jplie ;
12955 Assés legierement s'en passe.
Agamanor n'a pas la grasce
De Phenonée seulement,
Mais Ta de tous chiaus proprement
Qui tournoient et qui le voient.
1 2960 Li bon chevalier qui savoient f, gS d
La les dames qui les regardent.
Saciés que pas ne se retardent
De ferir et frapper avant.
Or est revenus, au devant
12965 D'Agamanor, Droomedès^
Li quel avoech Dagorisès,
Estoit partis pour la journée,
Et vous di que la ajournée
Est bataille de grant affaire.
1 2970 Cascuns scet bien ce qu'il doit faire :
De l'espée biel manoiier.
Dames les voient tournoiier
Moult fricement, car ou regart
Droit d'elles sont, se Diex me gart;
12975 Si en prisent moult l'ordenance.
Aghamanor .1. peu s'avance,
Qui voelt c'on parolle de li,
Et fiert de l'espée celi
MELIADOR 1 07
Qui fu Dreomedès nommés
12980 .1. tel cop que tous estonnés
Chel le chevalier a terre,
Et adonques, pour reconquerre
Son cheval et li remonter,
Veîssiés chevaliers bouter,
1 2985 Presser, ferir, lever les bras.
La n'avoit mestier nul homs cras,
Ne qui bien ne portoit alainne,
Car la presse y est si villainne,
Que on ne voit el que fumiere.
1 2990 Dagorisès en la lumière
Dou hyaume fu la férus,
Mais dou cop ne chel pas jus,
Ains se tint bien et fricement.
Moult se maintienent richement f^ 96 a
12995 Chevalier, il n'est pas double.
Nulz les horions ne redoubte
Mais chevaucent toutdis avant,
En ferant et en tournoiant,
Et en faisant plusieurs merveilles
1 3ooo A qui nulles n'ont les pareilles.
M
EssiREs Tangis de Sormale
Le cheval esperonne et a le
Entente qu'il voelt tournoiier.
Encontre a .1. chevalier
1 3oo5 Grant et fort, et de belle taille.
De l'espée tel cop li baille
Qu'il le porte jus dou cheval.
La n'avoit ne terme ne val,
Mais fu la terre toute onnie.
1 3oio Messires Tangis biel tournie
Devant les dames de Tarbonne,
Et le bon cheval esporonne
I o8 MELIÂDOR
Qui dessous lui bien se remue.
Pas ne se tienent trop en mue
1 3oi 5 Li bon chevalier d'autre part ;
Li aucun sevent moult bien Part
De tournoiier biel et a point.
Agamanor a ces cops point
Le cheval, et par ordenance
i3o20 Dessus .i. chevalier s'avance,
Qui estoit nommé Agrapars.
Doubtés estoit de toutes pars
Pour les horions qu'il donnoit,
Mais chilz qui moult bien s'ordonnoit,
i3o25 Li quelz Agamanor s'appelle,
D'un cop li fit guerpir la selle
Et ceoir jus en mi la prée.
Geste jouste forment agrée /. g6 b
A Phenonée, ce saciés.
1 3o3o La dist que cilz venra a chiés
Dou tournoy, qui si biaus cops baille :
A ce n*i ara point de faille.
L'
I dus Patriz a sa fenestre,
Ensi c'uns grans sires doit estre,
i3o35 Estoit et droit la s'apoioit.
Le tournoy devant lui veoit,
Qui estoit fors oultre l'ensengne ;
A ciés de fois monstre et ensengne
Le mieulz tournlans a sa fille.
1 3040 Ossi en tiennent leur concilie
Les dames et les damoiselles.
La fu pris dessous les aisselles
Uns chevaliers de Normendie
Dou preu Gratiien d'Ytalie,
1 3045 Qui savoit moult bien tourniier :
Telement le va maniier
MELI ADOR 1 09
Que jus a la terre le porte.
En Gratiien n'est mies morte
Proece. A ce qu'il se demainne,
i3o5o Bien moustre qu'il a bonne alainne
Et qu'il poet bien .1. fais porter ;
Car, sans li en riens déporter,
Tous jours en la presse se tient
Et moult gentement se maintient,
1 3o55 Tant qu'il en a et grasce et vois.
Daghorisès, a ceste fois,
L'a encontre tout en venant,
Et la eut par bon couvenant
Belle bataille de ces deus.
i3o6o Moult estoit vaillans li mains preus :
Par force les fist on partir
Et as espées départir ; J^ 96 c
Car si fort s'estoient ahen,
Ensi que cil qui sont couvert
1 3o65 De proece et de grant vaillance,
Que jamais de ceste ordenance
Ne fuissent parti nullement
Sans yaus grever trop malement.
Se ne fuissent et .1. et aultre,
1 3070 Qui portent espées sus fautre,
Les départirent a plains cops.
Ce jour n'est donnés nulz estos ;
Mais tournient moult vaillamment,
En maniant moult gentement
1 3075 Les espées, ensi c'on doit,
Pour ferir amont a leur droit
Dessus les hyaumes d'acier :
Ensi s'esbatent chevalier,
Qui sont amoureus et joli.
1 3o8o Phenonée voit devant li
Agamanor qui fait merveilles,
Et dist : « Ces parures vermeilles
I I O MELIÂDOR
« Passeront au jour d^ui la route. »
La est mise s'entente toute
1 3o85 Au regarder parfaitement,
Et le prise moult durement
Plus que nul chevalier qui soit
Sus le place et voit. On le doit
Bien recommender pour ce jour,
1 3090 Car onques ne iist nul séjour
Qu'il ne fust toutdis tournlans
Entre les plus fors et plus grans.
T
lOUT ensi se continua
Cilz tournois, qui pas n'anoia
1 3095 As dames et as damoiselles.
Maint chevalier fist on les selles /, g6 d
Vuidier et cheoir entre pies.
La en y eut de mehagniés,
De batus et de fourmenés,
1 3 100 Des plus grans et des plus sénés,
Et estains par faute d'alaine.
Ensi furent en celle painne
La grignour partie dou jour.
Quant ce vint, sus fin de Pestour,
1 3 io5 Que li vespres fort approçoit,
En la loge ou li dus estoit
Et la ducoise avoech leur fiUe^
Phenonée la très gentille,
On sonna le cor de retraitte.
1 3 1 10 Depuis n'i ot espée traitte,
Ferut, ne batut, ne lanciet ;
Mais se sont retrait piet à piet
Li chevalier des logeis,
Et adont se sont entremis
1 3o83 Passeront, B Paseront.
MELIADOR 1 I I
1 3 1 1 5 Li varlet qui les vienent querre.
Si en truevent pluiseurs a terre
Mors, navrés et en petit point,
Mais la il ne les laissent point :
Les blechiés ont mis en litière
1 3 1 2o Et puis les reportent arrière
Dedens la cité pour garir,
Et les mors vont ilz enfouir.
Ensi se debatent pour lors.
Que fist li preus Agamanors,
1 3 1 25 Quant il vit que cescuns partoit ?
Encores sus le place estoit ;
Ilz se part tout secrètement.
Au devant li vint prestement
Bertoulès, ses bons escuiers.
1 3i3o Ensi as aultres chevaliers /. g'j a
Tout leur escuiers revenoient
Et leurs mestres en remenoient
Ou lieu dont il furent parti.
Agamanor en ce parti
1 3i 35 D^armes, si com vous ai conté,
A tant avalé et monté
Qu'il revint a son logeîs,
Qui fais estoit de foelleîs,
Car c'estoit ens au mois de jule.
i3i4o Li dus Patris sus une mule
Est montés, et sa femme atent
Et sa fille ossi au corps gent,
Les dames et les damoiselles.
Palefrois et moult bonnes selles,
1 3 145 Si com la coustume estoit lors,
Ot on ordené pour leurs corps.
Si montèrent sans detriier.
Et chevalier et escuier,
A plus de .cccc. chevaus.
1 3 1 5o Sans menestrelz et sans hiraus
I 1 2 MELIADOR
I
Est li dus rentrés en Tarbonne ;
Adonques dou tout on ordonne
Pour souper dedens le chastiel.
Damoiselles et damoisiel
1 3 1 5 5 Se remettent tantost a point,
En draps que il n'avoient point
Vestit, quant au tournoy alerent.
Les dames entre elles parlèrent,
Cui par avis pour le milleur
i3i6o On tient qui en ara Tonneur
De ce pris et de ce tournoy.
Li plus s'acordent a Totroy
Du chevalier armé vermeil,
Mais on y retient le conseil f* 97 ^
1 3 1 65 Encores dou bon duch Patris.
Ou chastiel fu li souper pris,
Qui fu grans et bien estoffés.
Or vous dirai, se vous volés,
D'Agamanor quel cose il fist.
i3i70 A Bertoulet son varlet dist :
« Compains, trop volentiers iroie
« Lassus ou chastiel, et veroie
« Les festes que on y tenra.
a Je te di : nulz ne m*y verra,
i3i75 « Qui ja m'i doie recognoistre. »
Et cilz, qui li voloit accroistre
Son pourpos et non pas brisier,
Li va moult grandement prisier
Et dist : « Sire, vous ferés bien,
i3i8o « Mais je vous pri, sur toute rien,
« Cas danses point ne vous prendés.
a Se le faisiés, or m'entendes,
« Vous y sériés recognetis
« Et par cel estât deceûs.
1 3 185 « Tenés vous toutdis en la presse. »
Dist Agamanor : « Or te cesse.
MELIÂDOR I 1 3
a Et de moy n'aies plus de songne.
a Je ferai moult bien la besongne
« Espoir mieulz que je ne savoie
i3i90 « Deviser, ne sens n'en aroie. »
AGAMANOR atant se part
Et si s'en va de celle part,
Viers la cité, la droite voie.
Ses variés .i. peu le convoie
1 3 195 Et puis si s'est retrais arrière,
Car il avoit laissiet derrière
Ses chevaus qu'il couvient garder.
Agamanor, sans retarder, /. 57 c
S'en est venu a la cité.
i320o On ne lui a riens demandé
Ou il va, car tout trueuve ouvert.
On avoit ou chastiel couvert
Pour souper, quant il y entra.
Adont a l'un lés se bouta,
1 32o5 Tant que dames et damoiselles,
Par ces tables bonnes et belles,
Furent assises au souper.
La les pûoit bien regarder :
Si fist il, saciés vraiement,
1 32 1 o Tantost, sans nul delaiement.
Quant on ot soupe, on lava.
Agamanor adont s'en va
O les dames en une cambre
Qui estoit listellée d'ambre.
1 32 1 5 Toutdis se tenoit en le presse :
Sitost c'on le presse, il represse ;
Il en scet moult bien l'ordenance.
La entent toute Tattemprance
i32ii lava^ B leva.
Tome II. 8
1 1 4 MELIÂDOR
Dou pris donner ; comment on dist
1 3 220 Et sus lequel dou tout il gist.
C'est li consaus et li acors
Que, de tous chevaliers dehors
Et qui tournoiiet a le mieus,
Point n'est nommés, si m'ayt Diex,
1 3225 Fors que cilz as armes vermeilles ;
Car pour le jour a fait merveilles.
C'est cilz qui ne poet avoir blasme,
Qui brise d'une blance dame
Ses armes, ensi c'on le crie.
1 323o Adont n'a pas talent qu'il die :
« Vemecî, que demandés vous? »
Nennil ! mais lait toutes et tous f. gj d
Passer, et de la cambre issir
Et en la sale revenir.
1 3235 Fenonée le faucon porte.
Et hiraut crient a vois forte :
« Le pris au rouge chevalier,
« On ne le puet miulz emploiier ;
« Tournoiiet a oultre mesure.
1 3240 « C'est cilz qui, par bonne aventure,
« A hui fait d'armes plus que nulz.
c( Il faut que li bons rois Artus
<c En soit temprement enfourmés.
« Le pris ! Le pris ! Nommés ! Nommés !
1 3245 « C'est voir le chevalier c'on prise,
« Qui ses rouges parures brise
« Seulement d'une dame blance.
<c II a hui passet ordenance
« De tournoy, par son hardi corps.
1 325o « C'est li assens et li acors
« Des dames et des damoiselles,
« Des chevaliers et des pucelles^
<c Que li faucons li demorra ;
« Mais, pour ce c'on ne le pora
MELIÂDOR 1 1 5
i3255 « Avoir, ne ossî on ne scet
« S*il se tient es bois ou en prêt,
« Il sera portés temprement,
« Dit est par bon attemprement,
« En la court dou très noble roy,
i326o a Et la contera on Tarroi
« Dou chevalier au quel li pris
« Est de droit donnés et escris. »
0°
UANT on ot ensi démené
Le pris, et venu et aie,
i3265 En la salle et ens ou chastiel.
On remist a perce l'oisiel, f. g8 a
Et puis pipent li ménestrel.
Si s'esjoîssent en l'ostel
Cil et celles qui ont déduit,
1 3270 Et la ont le plus de la nuit
Dansé signeur et dames toutes,
Par compagnies et par routes,
Ensi qu'il leur venoit a point.
Et saciés qu'il n'ont cessé point
13275 Toute la nuit de solas faire.
Agamanor prent en Tafaire
De Phenonée grant plaisance :
Il regarde sa contenance,
Son joli corps et sa façon.
13280 Si dist ensi, sans quisençon :
« Par Dieu, dame, vous valés bien
« C'on vous aime sur toute rien ;
«c Car plus belle de vous ne sçai.
« Avis m'est que pour vous assai
13285 « D'amours .1. dart et tel assaut.
« Ne sçai ci je pense trop haut,
« Mais pour vostre amour vodrai estre
« Bons chevaliers, pour mon corps mettre
I 1 6 MELI ADOR
a En aventure d*estre occis,
13290 a Et si en rent .v^. mercis
<K Au dieu d'Amours, quant il me fait
« Penser a vous, qui très parfait
<K Cors et maintien avés sur toutes. »
Adont se desrompent ces routes
1 3295 Et commencent a caroler :
'La velssiés moult bien aler,
A ces caroles qui sont belles,
Signeurs avoecques damoiselles.
Agamanor, qui en la presse
1 33oo Estoit, voit c'une dame presse f*9Sb
Au canter, de bon sentement,
.1. rondelet présentement.
Qui fist les aultres resjoïr.
Le rondelet pores oïr.
Rondel.
i33o5 Ou que je soie, doulz amis,
N'aies ja doubte de moi.
Mes coers n'iert ja de vous partis,
Ou que je soie, etc.
J E vous seray loyaus toutdis,
i33io Et vous jure par ma foy.
Ou que je soie, etc.
TANTOST reprist uns chevaliers
Au chanter, qui fu biaus parliers,
Frices, gracieus et courtois,
1 33 1 5 Et canta a jolie vois
Qui fu moult volontiers oye.
MELIADOR I 1 7
Et lors se taist la compagnie,
Quant cilz commença a canter,
Jusques a tant qu'il pot cesser.
i3320 Tous en est au coer resjois
Agamanor, quant a oys
Parlers si doulz, et dist sus s'ame.
En regardant dessus ma dame
Phenonée, qui tant est belle :
i3325 Au coer me point une estincelle
« D'Amours, qui point ne me faudra.
« Las ! cilz maus souvent m'assaudra,
« Et si n'en sarai ou avoir
« Confort. Certes, je di tout voir,
i333o « Car, par le monde travillant,
« Je m'irai moult esmervillant,
« En pensant a la belle et bonne,
« Que j'arai veti a Tarbonne, /, g8 c
a La fille au vaillant dus Patris.
1 3335 « Mes cuers y sera tous espris
« Et point ne le porai veoir,
« Ne ensieuant faire a savoir
« Comment espris sui par s'amour.
a Ensi sui entrés en labour,
13340 « Plus grande encor que je ne pense. »
Li chevaliers, qui en présence
Est et qui cante bien et biel
.L jolit et plaisant rondiel,
D'Aghamanor ne se prent garde
1 3345 Que ce soit cilz qui de la darde
D'Amours est férus et atains.
Et qui a esté souverains
Des chevaliers de ce tournoy.
S'il le seuist en tel arroy
1 335o Et si priés de li, je me vant.
Il l'euist fait passer avant.
Mais Agamanor, sachiés bien^
1 1 8 MELIADOR
Ne le volsist pour nulle rien,
Ançois se cuevre et si se boute
1 3355 Toutdis ou plus fort de le route,
Et entent ce c'on dist et came.
Bien a retenu, je m'en vante,
Le rondelet dou chevalier.
Il ne fait pas a oubliier,
i336o Car il est jolis et courtois
Et chantés d'une belle vois.
Bondel.
iVloN coer est lié plus c'onques mes.
De ce, dame, je vous merci.
C>AR c'est pour vous qu'il est en pais.
i3365 Mon coer est lié, etc.
(comment qu'il soit en dis^ en fais, /. 9^ d
Vostre demeure, et pour ce di :
Mon coer est lié, etc.
LORS que li chevaliers ot dit,
^ _ On se cessa .1. bien petit
Et ménestrel saillent avant.
Qui reprendent ce que devant
Avoient laissiet, ce m'est vis.
Adont sallent chevalier .vi.,
13375 Qui les danses lors recommencent
Et les presses en alant fendent :
Ensi s'esbatent toute nuit.
Agamanor en ce déduit
S'est oubliiés jusqucs au jour,
i338o Car tant se plaist en ce séjour
MELIADOR I 1 9
Que jamais n'en volsist partir.
Sus le jour il aia issir
De la presse, et se trest arrière ;
Si a râpasse la barrière
1 3385 De la presce qui fu ouverte.
Ensi s'en vint a le couverte,
Ens ou bois, a son logels.
Bertoulès en fu resjoîs,
Lors que il le vit revenu.
13390 La ont grant parlement tenu
De la feste et de l'esbanoi.
Ce dist Agamanor : « Par foy,
« Bertoulet, j'ai trop bien ouvré,
« Et si m'as bien servi a gré,
13395 a Quant tu t'accordas a la voie
« Ou j'ai pris et solas et joie. »
Et adonques il li raconte.
De mot a mot, trestout le conte :
Comment dedens la cambre il fu
1 3400 Avoecques les dames, et u f* 99 ^
Li pris fu jugiés et donnés.
Et puis en la sale apportés
Des dames et des damoiselles,
A trompes, et a canemelles
1 3405 Et a toutes menestraudies :
« Mais je voel que tu estudies
« Sur ce que te dirai encor,
« Car j'ai moult grant mestier desor
« Que je soie bien consilliés,
1 3410 « Car tout près et apparilliés
« M'est uns assaus qui me tenra
« Tant que ceste queste durra. »
— « Quelz est il ? » ce dist Bertoulès,
— « Certes, compains, il est si fès
13415 « C'uns drois amans le doit entendre.
a J'ai veU la belle et la tendre.
1 20 MELIADOR
a La fille au noble duch Patris.
« Mais ou coer m'est ses cors escris,
a Ses biaus maintiens, sa contenance,
1 3420 « Et pris y ai si grant plaisance
« Que j'en sui partis tous navrés. »
Ce dist Bertoulz : « Sire, souffres.
« Grant temps a que j'ai oy dire
C'on ne poroit en .1. empire
1 3425 « Point trouver plus belle de li.
(c Et quant votre oel sont la salli,
« Vous en devés moult joieus estre ;
« Car par ce en ferés vous nestre
« Doubles proeces en vo corps.
1 3430 « Or faites, tant que li recors
« De bien faire et de vasselage
<c Voist jusques a la belle et sage,
« Pour quoi estes énamourés.
« Si en serés plus honnourés; /, gg b
1 3435 « Car riens ne vault en gentillece
« Chevaliers, s'il n'a grant noblece. »
Et Agamanor li respont
Que toutes ses pensées sont
A ce qu'il puist telz devenir
13440 C'on le puist pour .1. prcu tenir;
Telz fera, c'est cose certaine
Ou il demorra en le painne.
ENSi se tient, a celle fois,
Aghamanor dedens le bois,
1 3445 Qui parolle a son escuier.
Pour lui .1. peu esbanoiier,
Dou grant travel qu'il a empris,
Qui si li est ou coer escrips
Qu'il ne s'en partira jamais.
1 3450 Et li solaz telz et si fais
122 MELIAÛOR
Li consente tout ce a faire.
Phenonée, sus cest affaire,
S'en est a son père venue
1 3490 Et moult doucement le salue,
Et li dus Patris, qui bien Taime
Et qui belle fille le claime.
Voit tantost qu'elle voet priier.
Se li a dit, sans detriier :
1 3495 « Que vous plaist il, ma belle fille ? »
— a Certes, monsigneur, je sui cille
a Qui vous prie, de très bon coer,
« Que je puisse, ensi que la soer
tt De Melyador mon chier frère,
i35oo «. Poursieuir de tant sa matere
Que de sa devise porter ;
« En ce me vodrai déporter. » f» 99 à
Adont respont li dus Patris,
Qui en joie a ce parler pris :
1 35o5 « Ma fille, et quele devise esce?
« Encor ne le cognois point je ;
a Si le saroie volent ier s. »
Dist Phenonée : « Sire chiers,
<K Cilz chevaliers armés de rouge,
1 35 10 <c Qui n'a mies fait le harouge
« Au tournoy, mais moult le vaillant,
« Le porte^ selonch mon samblant.
« Nulz ne m'en diroit le contraire.
« Point ne Tay veû ou viaire,
1 35 1 5 « Mais il est de la propre taille
« Melyador de Cornuaille,
« Dou grant, dou fait et de l'emprise.
« Certes, monsigneur, je le prise
« Ensi c'on doit prisier son frère,
i352o « Et pour tel je le considère
a Et c'est ce qui le coer m'entame,
« Car il porte une blanche dame
MELIADOR 123
« Pour Tamour ma dame Hermondine. »
Li dus, a ces mots, imagine
i3525 Les parlers de sa fille belle;
Si prent en gré ceste nouvelle,
Et dist : « Fille, a vo gré en soit.
« Ne sai se tort avés u droit,
« Mais ja ne le vous quier debatre,
i353o a Pour vo corps en tous biens esbatre. »
ENsi se part a ceste fie
Phenoné[e], toute esjoye.
De son père le duch Patris.
Or a ceste devise pris,
1 3535 La quele Agamanor si porte.
Ses coers li semont et enhorte f. looa
Que c'est ses frères vraiement :
De ce ne voelt aucunement
Issir, ne de ce bon pourpos.
1 3540 Elle fist ordener tantos
Une cambre apriès la devise :
En .1. camp vermeil, quant g'i vise,
A fait mettre une blance dame.
Encores a mis sus, par m'ame,
13545 .L chevalier jone et joli,
Moult corageus et moult hardi.
Par sen nom Tappella Lyone,
Pour ce que elle le vit ydone
En armes et en gentillece,
i355o Et tailliet d'acquerre proece.
Elle li dist : « Vous en irés,
« Lyone, et de ci partirés,
« Gerçant par tout les aventures
« Et porterés teles parures,
1 3555 « De quoy j'ay la devise empris.
« Dittes par tout, pour avoir pris,
1 24 . MELIADOR
« Que VOUS estes, sans avoir blasme,
« Chevaliers a la blanche dame.
« Et se vous venés ja en place,
i356o « Ou vous puissiés veoir en face
« Le chevalier a descouvert,
« Au quel ceste devise sert,
a Si l'examinés ci avant
« Que vous sachiés son convenant,
i3565 « Se c'est Melyador mes frères,
« Et li recordés les materes
« De mon fait, et par quel argu
« Jou ay encargiet son escu. »
Et Lyones respont : « Ma dame,
13570 « Tout ce que me cargiés, par m'ame,/. 100 b
« A mon pooir je le ferai
« Ou en la place demorrai. »
D
EPUis ne demora granment
Que Phenonée vraiement,
1 3575 Pour acomplir son desirier,
Fist armer le blanc chevalier,
Monter et partir de Tarbonne.
Ce puist ore estre a l'eure bonne
Que messires Lyones part !
i358o II s'en chevauce celle part
Ou li aultre chevalier vont
Devers Nonhombrelande. Adont
Moult estoit gentement armés;
Le premier jour qu'il est sevrés
1 3585 De Tarbonne, saciés pour voir,
Jousta il au chevalier noir.
Et le porta moult dur a terre
Et le conquist de belle guerre,
Tant que bien en ot cognissance
1 3590 De puis la jone dame blanche;
MELIÂDOR 125
Car li chevaliers se vint rendre
A lui pour ses armes reprendre,
Ne il ne se pooit armer
Se Phenonée, c'est tout cler
1 3595 Ne Ten donnoit grasce et congiet.
Ensi a moult bien commenciet
Li chevaliers a Phenonée,
Quant en la seconde journée,
Que par dedens la queste entra,
i36oo Le noir chevalier encontra;
Il le mata et desconfi,
Ce devons nous savoir de fi.
o
R recordons d'Agamanor,
Car mies n'avons nous dit encor/l 100 c
i36o5 Comment il issi dou biau bois,
Le secont jour que 11 tournois
Eut esté par devant Tarbonne.
Il parti a heure de nonne
Entre lui et son escuier,
i36io Et peurent en ce jour puier
Une montagne, moult très roide
Et qui est en temps d'ivier froide.
Qui leur fist au monter grant painne.
Au piet avoit une fontainne,
1 36i 5 Ou il vinrent ce soir jesir,
Ne il ne sceurent ou dormir
Fors entre bruissis et genestres ;
. Ensi li variés et li mestres
Passèrent la nuit jusc'au jour.
1 3620 Adont montèrent sans séjour
Et prisent .1. aultre chemin.
Chevauciet ont tout ce matin
En une lande grande et lée.
Droitement sus une vallée
126 MELIÂDOR
1 3625 Ont îl trouvé .i. chevalier
, Que on appelloit Corbilier;
Grandement faisoit le harouge.
De blanc a .i. quartier de rouge
S'armoit de targe et de parures;
1 363o Moult bien fu en ses armeûres
Aprestés et de bonne taille.
Bertoulès a son mestre baille
Sa lance, sitost qu'il le voit;
Messires Corbiliers avoit
i3635 Ja pris la sienne, ce me samble.
Tantos vodront jouster ensamble,
Car il esporonnent tout doy
Et s'en viennent par bon arroi f, loo d
Moult fièrement l'un contre l'autre,
1 3640 En portant les lances sus fautre.
Férus se sont sus les escus,
Sans mètre detri ne refus.
Des lances a bons fers trencans.
Li chevaliers, qui estoit grans,
1 3645 Biaus de fourme et de fier encontre,
Agamanor si roit encontre
Que sa lance brise en tronçons.
Onques n'en perdi les arçons
Agamanor, mes bien se tint ;
1 365o Dessus le chevalier s'en vînt,
Et le feri par tel manière
Qu'il le porta jus par derrière.
Si roit chel dessus la lance,
Par dalés une pierre grande
1 3655 Qu'il ne peut ravoir sen alainne.
Demorés fust en celle painne
.1. jour; mes Bertoulès vint la,
Qui le chevalier appella
Et li dist, illuech en gisant :
1 366o a Chevaliers, .1. cop moult pesant
MELIÂDOR
137
ff Avés vous donné a mon mestre.
« Mais, dittes, comment vous poet estre ?
« Estes vous navrés ne bleciés? »
Et cilz, qui estoit tous cangiés
1 3665 Dou dur cop qu'il ot receù,
Repondi lors qu'il Ta veu,
Et dist : c Compains, il me va mal.
« Voelliés moi rendre mon cheval ;
« Si ferés courtoisie grande.
1 3670 « Tout souef irai cesie lande
« Tant que trouverai .1. manoir,
c Et la vodrai jou remanoîr f. 101 a
c Jusc'a tant que garis serai. »
Bertoulès dist : « Je le ferai
13675 c Volentiers, par Tame mon père! »
Lors se part sus ceste matere
Et chevauce apriès le cheval
De Corbilier qui en .1. val
Paissoit et estoit arrestés.
i368o Bertoulès, com tous aprestés,
Prent le cheval et le ramainne
Et fait monter a moult grant painne
Le chevalier qui bleciés fu ;
Et puis se li rent son escu,
12685 Et son hyaume li deslace.
Agamanor, qui se solace
A regarder la contenance,
Vient droit la, par bonne ordenance^
Pour faire encor une escremie,
1 3690 Mais ses escuiers li escrie
Et dist : « Vous n'avés chi que faire.
« Bien voi, c'est cose nécessaire,
« Ce chevalier faut reposer
« Avant qu'il puist jamais jouster,
1 3695 a Tout ce vous di jou pour certain. »
Agamanor depuis la main
1 28 MELIADOR
N*i euîst mis, pour nul avoir.
La ne vorrent plus rémanoir,
Mais sont rentré en une voie,
1 3700 Qui devers .1. bois les avoie ;
Et messires Corbiliers part
Qui s'en va ossi, aultre part,
Chiés soi ou en aultre maison
Pour penser de sa garison.
13705 Et Agamanor, ce saciés,
Lors que de li fu eslongiés, f. loi b
Désirs et sentemens li vinrent,
Qui en .1. tel pourpos le tinrent,
Dou quel onques ne se parti,
13710 Si ot .1. virelai joli,
Fait et chanté par grant plaisance.
Je vous en dirai Tordenance.
Virelay.
J 'ai en mon coer si fort enté.
Dame, vostre très grant biauté,
i37i5 Qu'il m'en souvient, et jour et nuit,
Et a bon droit, car tout mon bien
Me vient de vous, sans faillir rien.
C'est ma plaisance et mon déduit,
C'est tout mon eur en vérité.
13720 r ouR ce ne poet en moi venir
Anui, tristrece ne tourment.
Ne nulle riens de desplaisir.
Dont je voel vivre liement.
Oi doit ce jour estre prisé,
13725 Que premiers a vous me donné.
S'en lo Amours qui m'a conduit
MELIÂDOR 1 29
Dou tout en tout au voloir mien.
De ce, pour voir, eureus me tien,
Car certes tout anui me fuit :
i373o Ce me vient de vo grant bonté.
J^ai en mon coer, etc.
\Jr vous voel je toutdis servir
De parfaite foy, loyaument.
Et ferai voir vostre plaisir
13735 De très bon coer entièrement,
C^UE je m'ai a ce ordonné
Que jamais jour ne le 1ère ;
Car bonne amour a ce me duit,
Qui me lie d'un tel liien /. /o/ c
13740 Que vostres sui sans nul moiien :
Si n'en sai fors que a vous gré.
J'ai en mon coer, etc.
ENsi chevauce Agamanor
Sus .1. cheval, .1. petit sor,
1 3745 — N'a point de hyaume en la tîeste —
En désir de sieuir sa queste.
De puis qu'il ot le chevalier
Abatu, ce jour tout entier
Et Tendemain il chevauca,
13750 Que nulle cose il ne trouva
Qui point face a ramentevoir.
Au tierch jour, si com je Tespoir,
Chevaucoit au dehors d'un bois,
Et avoit lâissiet les herbois,
1 3755 Qui sus la lande les menoit.
-agamanor regarde et voit
Au dehors dou bois en .1. ombre,
En .1. lieu ou pas ne fait sombre,
.1. pavillon biel et joli.
Tome II 9
r3o MELIAOOR
1 3760 Adonques noient n'attendi,
Mais la s'en vint et si s'arreste.
Par devant, sans mettre ens sa teste,
Regarde ens : si y voit des dames,
Chevaliers, escuiers et famés.
1 3765 Dit li fu errant : « Descendes
« Et une soupe en vin prendés
« Chi dalés nous ; si ferés bien,
« Car nous devons sur toute rien
« Faire a vous boine compagnie,
1 3770 « En Tonneur de chevalerie
« Et d'un chevalier gratïeus,
<c Qui est vaillans, hardis et preus. »
Et quant Agamanor entent f. loi d
C'on le prie, errant il descent
1 3775 Et se met ens ou pavillon :
.1. lit voit illuech ou moilon
Et .1. homme gisant dessus.
Il ne s'est mies trais ensus,
Mais demande : <( Qui est cilz la
1 3780 « Qui gist? » Et adonques parla
La damoiselle de Montrose
Et dist : a Sire, c'est vraie cose.
« Chi sont .iiii. chevalier frère,
« Que j'enmainne, c'est cose clere,
1 3785 <c Parler au noble roy Artu.
« Li chevaliers au bleu escu,
a Qui se brise dou soleil d'or,
« Les a mis en ce point. Encor
« Faut il que hommage me facent
13790 « Ou trop grandement se mesfacent;
« Mais pas ne sont entalenté
oc De faire nulle lasqueté,
« Car il l'ont juré sus leur fois. »
Lors li recorde a ceste fois
1 3795 Comment cils qui le soleil porte
MEUADOft l3l
Les descmiâ derant sa porte,
Et mist Ftin en péril de mon.
Agimanor de ce recort
A giant joie cenainnement,
1 38oo Et puis parolle doucement
Et dist : « Dame, il n'est mie doabte
« Que dlz voir passera le roate
« De tons les chevaliers errans.
« J*ay bien veûs ses couvenans
1 38o5 « Au toumoy et a la bataille.
c CheTalier ne scai qui le vaille. >
D
KPCis n'ont parlé c'un petit. /. i02 a
On estendi devant le lit
Dou chevalier une touelle,
i38io Et cilz qui dou disner se melle
L'aporta'; si ont la mengié
Et beû ossi par congié
Selonch l'usage qu'il avoient.
Quant mengier ont, entre yaus bien voient
i38i5 Que il les convient départir.
Agamanor ala issir
Dou pavillon et congiet prent.
Et la damoiselle, qui tent
A tout honneur, errant li donne.
1 3820 Ja estoit priés heure de nonne,
Quant il monta sus son cheval.
Errant sont entré en .1. val
Bel etombru, vert et joli.
Agamanor avoit en li
1 3825 Le sentement gay et plaisant.
Si dist ensi en chevaucant
A son escuier Bertoulet :
« Compains, bonne amour me tramet
« .1. souvenir qui voelt que face
l32 MELIAOOR
1 38 3o « Aucun biau motet sus la place,
« Pour l'amour de la bien amée, •
ce Qui est Phenonée clamée.
« L'oserai jou dire ne faire? »
Et Bertoulès, qui le viaire
1 3835 Par deviers son signeur retourne,
Li respont que plus ne séjourne :
« Sire, oïl voir, se vous faisiés
« Le contraire, trop mal fériés,
« Puis que la plaisance y avés,
1 3840 « Et que de certain vous savés
« Ou bien le poés emploiier. » f, 102 b
A ces mos se va avoiier
Agamanor, sans plus d'attente,
A faire une balade gente
1 3845 Selonch l'avis qu'il l'en promuet
Et Tardant désir qui le muet.
Elle fu de bon sentement;
Vous Forés tout présentement.
Balade.
J E me voel toutdis conforter
i385o Et prendre certes mon confort
En ce que je senc enforser
L'amour de jour en jour plus fort
Viers vous, dame douce plaisant,
Car je y prenc si grant plaisance
i3855 Qu'il m'est avis, en droit samblant.
Que je voie vostre samblance.
JuT ensi me voel déporter,
Car je n'ai voir aultre déport.
S'en porrai plus aise porter
i386o L'anui que j'ai et que je port.
MELIADOR l33
Et c*est drois, car en souvenant
J'ai vostre douce souvenance,
Qu'il m'est avis, en droit samblant,
Que je voie vostre samblance.
i3865 11 ne me fault plus enhorter.
La vostre bonté si m'amort
De vous servir et acorder
M'i voel, et j'en sui ja d'acort.
C'est mon bien, mon avancement,
1 3870 Et, en ce pensant, si m'avance.
Qu'il m'est avis, en droit samblant.
Que je voie vostre samblance.
ENSi de coer joieus et sade
Fist Agamanor la balade, f. 102 c
1 3875 Et la canta et recorda
Plus d'une fois, car le coer a
Gai, amoureus et envoîsié.
Moult grandement li a prisié
Ses escuiers sur toutes riens
1 388o Et dist : « Sire, c'est uns grans biens
« D'estre ensi jolis et joieus.
« Point ne prise ces anoieus,
« Qui ne font toutdis que muser.
« Amours voelent bien d'el user,
1 3885 « Ganter, jouster et tournoiier.
« Trop bien affiert a chevalier
« D'estre ou parti ou je vous voi,
ce Et ossi dire le vous doi
« Puis que je sui de vo conseil ;
1 3890 « Sîques, sire, je vous conseil
(( Que toutdis tends cel argu,
« Par quoi devant le roy Artu
a Viennent de vous bonnes nouvelles. »
Agamanor tient a moult belles
1 34 MELIADOR
1 3895 Et moult bonnes ycés réponses.
Uns chevaliers, qui ot nom Conses,
Jousta ce soir encontre li ;
Mais Aghamanor Tabati,
Et puis si s'en passa atant
1 3900 Et chevauca toutdis avant,
[En] approchans Northombrelande,
Et la mainte aventure grande
Y trouva en celle saison,
Des queles ne puis par raison
1 3905 Toutes parler ; ^i m'en tairai
Jusc'a tant que g'i revenrai.
N
ous lairons ci d'Agamanor
A parler et dirons des or f. 102 d
Dou chevalier de Cornuaille.
139 10 Ne sçai chevalier qui le vaille
De sens, d'onneur et de proece
Et de très haute gentillece.
Il chevauce plains et lairis.
Souvent est voir en coer marris
1 39 1 5 De ce qu'il a perdu le jour
D'avoir esté au grant estour
Et au tournoi devant Tarbonne.
Pas n'en tient a belle et a bonne
La Fortune, mes trop perverse.
13920 .1. grant temps chevauce et converse
Ou pays de Northombrelande.
.1. jour estoit en une lande
Et avoit estet moult pensieus ;
Si jetta contremont ses yeus
13925 Et voit une grant chevaucie
Venir vers yaus. A ceste fie,
Son escuier errant appelle
Et dist : « Lansonnet, vois tu celle
MELIADOR l35
«c Chcvaucie vers nous venant.
iBqBo « Je pense et croi par convenant
« Que c'est li faucons dou toumoy
a Que on porte en la court dou roy
c< Artus, ensi c'on a d'usage.
a Esconser te fault ton visage,
1 3935 « Par quoi pas ravisés ne soies,
« Et t'en va entre .11. ces voies
« Veoir de loing se je di voir. »
Et cilz, qui scet bien le devoir
De son mestre faire en tous cas,
13940 S'en chevauce plus que le pas
En costiant la compagnie,
Qui bien estoit acompagnie. /. io3 a
Bien fu veiis de chiaus et celles,
Dames, chevaliers et pucelles,
1 3945 Li quel font partir de leur route
.1. escuier qui se desroute
Pour venir parler a celi.
Quant Lansonnès le vit vers li
Approcier, si en fu joians ;
13950 Tous quois se tient dessus les camps.
Cilz est venus vers li en l'eure.
Lansonnès se met au deseure
Et le salue bêlement,
Et li demande telement :
13955 « Amis, dont partes vous, sans faille ? »
Et cilz respont : a De Cornuaille
« Et de Tarbonne la cité.
c< Si en alons, pour vérité,
« En la court dou bon roy Artus. p
1 3960 — « Que ferés vous la ? Est il nuU,
a Amis, qui le peuist sçavoir? »
Et cilz li respont : « OU, voir.
« Nous y portons .1. sor faucon. i>
— « Et pour quele condition ? »
1 36 MELIADOR
13965 — « Pour ce c'uns chevaliers vaillans
« I f u Tautrier si travillans,
« Et si bien faisans la besongne
ce Au tournoy que je vous tesmongne.
« Le pris en conquîst et Ponnour,
1 3970 < Mais il se pani de Testour
a Si quoiement et si en pais,
c Quant il ot tout porté ce fais
a Et tournoiiet jusques au soir,
o Qu'on ne petit onques savoir
13975 « Son nom, ne comment on l'appelle;
a Mais, par bonne ordenance et belle,/. io3 b
« Le pris li donna on pour soy
« De la journée et dou tournoy.
<i Et pour ce que point n'enporta
13980 « Le faucon que vous veés la,
« En la court du roy on le porte,
c La ou toute honneur se déporte. »
Lors dist Lansonnès : a Grans mercis
« De ce que dit m'avés, amis.
13985 « Mais dittes moy encor .i, peu
o De quoy cilz s'arme ? A Dieu le veu. »
Dist li escuiers : o Vous l'orés,
« Par quoy vous le raviserés,
a Quant faire li verés merveilles.
1 3990 « D'unes armes toutes vermeilles
ce S'arme il, mais de tant il se brise,
« En sa targe que moult je prise,
a D'une dame trestoute blance. »
Dist Lansonnès : « Par la samblance
13995 « Que vous dittes, bien le cognois.
« C'est uns chevaliers moult courtois,
o Preu, hardi et bien travillant. »
Lansonnès prist congiet a tant ;
A son signeur revint arrière
14000 Qui Tattendoit sus la bruierc,
MELIADOR \Sy
Au quel il recorda sans doubte
L'aventure priés que trestoute
De l'escuier et dou faucon.
Melyador de l'esporon
14005 Quoîta, et se feri ou bois,
En chantant hault, a clere vois,
.1. rondelet bel et joli,
Qu'il ot fait ou non de celi
Qui séjourne dedens Escoce.
140 10 Ou rondiel n'a nulle reproce f, io3 c
Qu'il ne soit bien fait, ce me samble,
Chant et dit ordené ensamble.
Si com il fu je le dirai.
Ne ja ne vous en mentirai.
Roadd.
I40i5 Je pri a Dieu c'a très grant joie,
Je vous puisse briefment revoir,
Ma douce amie, ma chiere dame.
*AR par ma foy, ou que je soie.
C'est mon désir et main et soir.
14020 Je pri a Dieu, etc.
C>E doulz espoir me met en voie
D'avoir joie plus c'onques voir.
Se dirai de bon coer, par m'ame :
Je pri a Dieu, etc.
14025 ^yfELYADOR eusl s'esbat,
Qui cevauce sus cel estât,
M
Que volentiers enconteroit
Chevalier a qui il poroit
l38 MELIAOOR
Faire d'armes aucune emprise.
i4o3o De ce pourpos trop mieulxle prise
S'il se désire a avancier.
.1. jour trouva .i. chevalier,
Qui s'armoit de blanch et de noir,
Sans aultre differense avoir ;
14035 Le hyaume avoit en la tieste.
Il estoit chevaliers de queste
Des marces de Northombrelande
Et, se son nom on me demande,
Il estoit appelés Gerpins.
14040 A Florée estoit drois cousins^
La damoiselle de Montgriès.
Quant il s'avisierent de près
Entre li et Melyador, f, io3 d
Cescuns point le bon cheval sor
14045 Et abaisse erranment son glave.
Melyador, qui ne s'emblave
De nulle riens fors de jouster.
Va le chevalier encontrer
Si fièrement a plainne lance,
i4o5o Que jus de son cheval le lance
Et moult le bleça au cheoir.
Lansonnès vint cesti veoir
Qui illuec gisoit entre pies ;
Se li dist : a Chevaliers, oies.
14055 « Estes vous ens el corps navrés?
a Veci vostre cheval ; montés,
« Car mon mestre si vous attent. »
Et li chevaliers matement
Respondi et dist : « Biaus compains.
14060 « Je sui par roit jouster attains
« A meschief et trop fort blechiés.
« Je vous pri que chi me laissiés
« Reposer et jesir a terre;
« Car assés tos me venra querre
ICEUADOE
l39
14065
14070
14075
14080
14085
14090
Mes variés^ il n^est mies doabte.
Il perdi hui matin le route
De mon cheral pour aultres gens.
Dittes To signeur, qui est gens
Et moult prisiés de renommée.
Que je sui cousins a Florée,
Ceste qui de Montgriès est dame.
Et qu^U ne poet avoir nul blasme
De moy laissier en ce parti.
Et quant Tautre fois il parti
Dou chastiel que laiens estoie.
Et le vi, se Diex me doinst joie.
Comment il desconfi Camel,
En tous estas le cognois tel
Que on doit chevalier cognoistre;
Mais je seul, pour mon pris accroistre.
Ai hui encontre lui jousté
Et, s'il me couste ou a cousté,
« Je ne m'en prise mies mains.
« Et quant de ce cop serai sains,
« Se je rencontre une aultre fois,
« Trop envis me tenroie quois
a Que je ne m'esprouvasse a li. »
Et quant Lansonnès entendi
Le chevalier ensi parler.
Si s'en va errant retourner
Viers son signeur, et se li conte
Ce dont oy avés le conte.
/ 104 a
OR vint Melyador tantos
Au chevalier, tous les galos,
14095 Qui la gisoit dessus l'erbier.
Lors descendi de son coursier
Et puis doucement l'araisonne :
« Sire », dist il, « se Dex me donne
1 40 MELI ADOR
Ne envoie bonne aventure,
141 00 a Trop me desplaîst la blecetire
« Dont vous estes attaîns, ce dittes ;
a Et me seroît uns grans mérites
a Se pardonner le me voliés.
« Ne sçai pour quoi vous vous metiés
14105 a Sitost au devant de ma lance,
« Quant vous aviés la cognlssance
a De moy qui riens el ne désire
a Fors que je puisse desconfire
« Chevaliers et par terre abatre.
141 10 « En tout ce me puis jou esbatre
« Et, pour telz aventures querre,
« Chevauce jou parmi la terre. » /. 104 b
— a Sire », ce li respont Gerpins,
ce Je sçai moult bien que li chemins,
141 1 5 « Li frontière, et ossi li marce,
« En ceste terre droit ci marce,
a Et pour ce que je sui a faire
« Et que j'avoie oy retraire
« Que, par dedens Northombrelande,
141 20 a Mainte aventure belle et grande
a Y sont puis .11. ans avenues,
a Entre les grans et les menues,
« J'en voloie ma part avoir ;
« Or en avés fait vo devoir.
141 25 « Vous partirés. Je garirai
ce Au plus trestos que je porai,
« Car jou irai chiés ma cousine,
«r Qui sera grandement encline
« Au penser de moy et remettre
141 3o « En bon point, ce vous puis prommettre,
a Pour moy armer, il n'est point doute.
« Sire, vous sieurés une route
a D'un grant froais que vous verés,
« Et je croi que vous trouvères
MELIADOR 141
14J 35 a Temprement aventures grandes,
« Car la se tiennent sus les landes
« Li cousin monsigneur Camel,
« Qui ne désirent voir riens el
a Qu'il vous puissent prendre et occire.
141 40 a Tout ce leur ay jouoy dire,
« Promettre et jurer, pour certain,
« Et se vous volés a le main
« Senestre tourner vo chemin,
« Vous ne trouvères ja cousin
14 145 (c Qui a ce Camel apertiegne. »
Dist Melyador : « Or en aviegne /. 104 c
a Tout ce qui en poet avenir,
<c Je n'en pense ja a issir
a De mon chemin pour leurs manaces.
141 5o CL Trouvés me sui en pluiseurs places,
<c Dont je sui partis. Dieu merci!
« Encor espoire jou ensi
« Que j'en partirai sans dangier;
« Ja n'en vodrai chemin cangier,
141 55 a Viegne ce qu'il poet avenir !
« Mais il vous voelle souvenir
« De moy, quant vou5 verés Florée ;
« Comment, de coer et de pensée,
«( Dou tout a li me recommans,
141 60 « Et se li dittes telz rommans
« Qu'encor volentiers le veroie
« Une fois, se Dix me doinst joie. »
— « Sire », respont le chevaliers,
« Tout ce li dirai volentiers. »
141 65 A ces mos Melyador prent
Congiet, et Gerpins se li tent
La droite main au départir.
Melyador, sans alentir.
Monta et se parti de la,
141 70 Et dedens le grant bois entra
r
142 MELIADOR
Que on dist de Northombrelande.
C'est bien raisons c'on me demande
De monsigneur Gerpin qu'il fist.
Assés tost au chemin se mist,
141 75 Car ses variés le vint requerre,
Qui le trouva gisant a terre
Et blecié a ce qu'il moustroit.
De li ouvra si bien & droit
C'a painnes le fist remonter.
14180 Disliewes avoit aaler; y. 104 d
Il y vinrent tout plain le pas.
Moult fu messires Gerpins mas.
Au soir, quant il vint a Montgriès.
Florée le tasta de priés,
141 85 Pour mieulz sentir sa bleceUre,
Et cilz li conta l'aventure
Dou chevalier au soleil d'or.
Riens n'en failli de chief en cor
Qu'il ne li ait dit et conté,
141 90 Et la belle l'a escouté
Moult volentiers, il n'est pas doubte.
De puis mist son entente toute
A medeciner son cousin,
C'on disoit monsigneur Gerpin.
141 95 Tant en pensa qu'il fu garis,
Et ossi fu Pheugins li Gris,
Qui gisoit laiens ou chastiel,
Que ses frères, par bon chembiel,
Ignoramment navré avoit,
14200 Cilz qui Savare se nommoit,
Qui moult estoit bons chevaliers '.
Florée, qui moult volentiers,
Aidoit tous chevaliers errans,
I. Froissart intervertit ici les râles qu*il avait précédenunent
assignés à Feugin et à Savare.
M£LIÂDOt( 1 4^
Fu dou bien penser si engrans,
14205 Que dou tout revint en bon point,
Et quant cilz cui proece point
Se senti en estât d'armer,
Ses armes ala demander ;
On li bailla incontinent.
1 42 1 o Adont s'arma moult frichement
Et monta dessus son cheval.
Au partir, par especial,
Prisent congiet par bon arroi
A la damoiselle tout doy f, loS a
14215 Messire Savare et Pheugins,
Et entrèrent en .11. chemins
Si com aultre fois fait avoient.
Je croi assés bien qu41 savoient
Comment il se doient déduire.
14220 De ce ne les fault introduire,
Car il sont chevalier moult preu.
Des .11. frères lairons un peu
Et parlerons d'aultre matere,
De Florée qui a son père
14225 A dit qu'elle s'en voelt aler
En Escoce, pour viseter
Et veoir sa belle cousine ;
Car il a ja trop lonch termine
Que elle n'en oy nouvelles.
14230 Messires Los jamais rebelles
N'euist esté a ce pourpos,
Mais li acorda ossi tos
Que Florée en parla a li,
Dont elle ot le coer moult joli.
14235 T A damoiselle adont s'ordonne
JL Et ses livrées errant donne
A celles qui o li iront
144 MELIÂDOR
Et qui de Montgriès partiront.
Quant prestes furent, si montèrent
14240 Et en bon arroi cheminèrent
Deviers le royaume d'Escoce ;
Florée grandement Tapproce.
Bien est voirs que, sus son chemin,
Elle trouva par .1. matin
14245 La damoiselle de Montrose
Qui revenoit, c'est vraie cose,
De Carlyon, et s'en raloit
Ou pays dont partie estoît. /. io5 b
Si se fisent en ces istances
14250 Entre elles grans recognissances
Et furent .1. disner ensamble,
Et la parlèrent, ce me samble,
Desproeces Melyador;
Comment il se portoit encor
14255 Et dou grant tournoy de Tarbonne.
Cascune d'elles l'onneur donne
De pris, d'armes et de proece,
De vaillance et de gentillece
Au dit chevalier bleu armé.
14260 Durement l'ont la renommé
Entre elles les .11. damoiselles.
Florée dist que ces nouvelles
Portera elle a Hermondine.
Jusques apriès Teure c'on disne
14265 Furent toutdis en ce pourpos;
Puis prisent congiet a briés mos,
Et tint cascune son chemin.
Florence, dedens brief termin,
S'en retourna a son chastiel
14270 Et Florée, en très grant reviel,
S'en chevauca vers Montsegur.
De ce me fai je tout segur
Que moult bien y trouva le voie;
MELIADOR 145
Car elle a bîen qui le convoie
14275 Et qui y scevent le chemin,
Car esté y ont maint matin
— Ce sont varlet et messagier
Qui ne sont mies en dangier
De toutes adreces trouver :
14280 Ce puis legierement prouver.
T
lANT esploita la damoiselle,
Avoech sa compagnie belle, /. loS c
Que elle vint a Abredane
Et, dalés .1. grant pont de frasne,
14285 Chiés .1. hoste se herbega.
Seulement la nuit y targa
Et puis monta au matinet.
Si escuier et si varlet.
Et ses pucelles au corps fin,
14290 Se misent o soy au chemin
Et ont cevauciet sans séjour.
Ja estoit bîen nonne de. jour,
Quant il vinrent a Montsegur.
La garde estoit dessus le mur
14295 Dou chastiel qui fait a prisîer ;
Si ala erranment noncier
A Tostel la venue d'elles.
Lors vinrent varlet et pucelles
A la porte, sans plus attendre,
14300 Et, quant on peut de voir entendre
Que la dehors estoit Florée,
Tantost fu la porte avalée.
Si entrèrent en grant revel
Florée et ses gens ou chastel.
i43o5 Remoustré fu a Hermondine
Comment venue est sa cousine,
La damoiselle de Montgriès,
Tome II 10
146 MELIADOR
Et celle, qui le voelt de priés
Conjoïr, est vers li venue ;
143 10 Si le recueille et le salue
Moult doucement en encontrant,
Et sachiés qu'en la cambre entrant
Font des honneurs moult grant fuison.
Hermondine a mis a raison
14315 Florée, et premiers li demande :
« Que fait on en Northombrelande, f, io5 d
« Belle cousine, dittes moy ? »
Et Florée respont : « Par foy,
ce Chiere cousine, moult très bien.
14320 « Si me loe sur toute rien
« Dou chevalier au soleil d'or.
a En avés vous oy encor
« Nulles nouvelles, ma cousine? »
— « Mes, Dieu, non I » respont Hermondine.
14325 « Quelz nouvelles en doi je oîr? »
— « Cousine, pour vous resjoîr;
« Car messires Camelz est mors,
« Qui estoit si grans et si fors
« Qu'il ne doubtoit nul chevalier.
14330 « Mais trouvé a, au darrenier,
<c Qui l'a desconfi par bataille,
« Uns chevaliers de mendre taille
« Qu?il ne fust, mais il est si gens
« Et si amés de toutes gens^
14335 « Que par tout est il renommés. »
— ce Ma cousine, or le me nommés.
— « Certes, cousine, ne le sçaî
« Nommer, ne onques en Tassai
« Ne m'en mis. Si fu il .1. mois
14340 « O moy en mon chastiel tous quois,
(c Car Camelz le navra sans faille
« Ou propre jour de leur bataille,
ce Mais chilz dont je paroUe chi
MELIADOR 147
a Moult vaillamment le desconfi.
14345 « Mors est Camelz, îl n'est pas doubte.
a Pour sa mort sui je voir trestoute
a Resjoîe et cil de ma terre,
a Car a tort nous fist jadis guerre
« Et porta virgongne et damage.
14350 « N'estoit îl plains de grant outrage, f, 106 a
« D'orguel et de presumption,
« Quant mis avoit s'entention
« A vous amer et vous voloit
« Avoir, fust a tort ou a droit,
14355 « Si com par manière de force? »
Et quant la fille au roy d'Escoce
Hermondine, qui moult fu piue,
Ot ce, si fu .1. peu pensieue.
Tant que Florée s'en prent garde,
14360 Et voit quant elle le regarde
C'un petit a mué coulour.
Si Taraisonne en nom d'amour,
Et dist : « Cousine, je vous voi
« Penser; s'ai merveilles pourquoi.
14365 « M'en vodriés vous la raison rendre? »
Et Hermondine, sans attendre,
Li respont : « Oïl, volentiers.
a II m'est vis que cilz chevaliers
« Qui mors est, c'est ou nom de moy.
14370 « C'est une raison ou je doy
a Bien penser, qui sui une femme;
« Car, en conscience et en ame,
« Je m'en tieng grandement cargie
a Et si plaing la chevalerie
14375 « De ce Camel, qui fu si grande. »
Dist Florée : « Je vous demande,
«c Cousine, dont se le plaindés,
« Quant vous savés qu'il estoit telz
« Qu'il vous voloit par force avoir,
148 MELIADOR
14380 « Et euist vostre oncle occîs voir,
« Mon père, et tolut ma contrée,
<c Et plainnement deshiretée
« Par son orguel et son oultrage,
« Se je n'i euîsse avantage f, 106 h
14385 « Considéré sur son pourpos.
« Certes, cousine, il fu moult os,
« Oultrageus et fist grant folie,
« Quant onques en jour de sa vie
« Pensa a vous par nulle voie.
14390 « Car, bien sçai et si le savoie,
<( Que pas n'estoit cose pareille
a De vous a li, et m'esmerveille
a Comment tant vous en poés dire;
« Mais conscience vous y tire.
14395 « Ceste escusance avés pour vous,
« Car je pense que vos coers doulz
« A li amer ne pensa onques. »
Hermondine se taist adonques,
Et tout a par li s'esbanoie
14400 A ce que Tanelet manoie,
Que Melyador li donna;
En son doy .111. tours le tourna,
Car au veoir prendoit plaisance.
Quant Florée en vit Tordenance,
14405 L'anelet recogneut tantos.
Car elle l'eut a ce pourpos
Fait forgier pour Melyador.
Li anelès estoit tous d^or
Et ouvrés de bonne manière.
144 10 Pas n'en osta a la première
Fois, n'a la seconde, ses yeulz;
Moult y pensa, si m'ayt Diex,
Comment il pooit la venir.
Hermondine, sans li tenir
1441 5 En pais, tourniolt l'anelet,
MELIADOR 149
Et voit que sa cousine met
Grant entente au regarder sus;
Adont ne le manoie plus. f, 106 c
Et Florée pas ne le let,
14420 Mais demande, de Tanelet,
Qui li donna et dont li vint.
a Pour quoi? » dist celle qui le tint
Encores par dedens son doy.
« Uns merceniers, en bonne foy,
14425 « Qui l'autre jour passoit par ci,
a Le me donna et me vendi
« Des jeuelès qui ceens sont. »
Et Florée le prent adont
Par le main, et dist : « Ma cousine,
14430 « Cest anelet, se Diex m'estrine,
« Fis je faire, ouvrer et forgier,
« Et le donnai au chevalier,
« Quant il parti de mon hostel,
« Qui occist monsigneur Camel
14435 « Par sa grande chevalerie.
« Et pour ce je merancolie
« Sus cel aniel, j'ai bien raison,
« Car il n'a pas longe saison
« Que cilz se parti de Mpntgriès. »
14440 Lors le regarda de plus priés
Et dist : a C'est il, pas n'en fai doubte. »
Et Hermondine, qui est toute
Esmervillie dou parler.
De son doy lait Taniel aler
14445 Et a sa cousine le baille.
Quant Florée le tint sans faille,
Elle demanda a Hermondine :
« Or me dittes, chiere cousine,
« Veïstes vous onques dedens? »
14450 Et celle respont, par grant sens:
« Certes, nennil. Pour quoi ce dittes? »
1 5o MELIADOR
— a Pour ce qu*il y sont ens escriptes/. io6 d
« Lettres, les queles je fis faire
a Pour mîeulz recommender l'afaire
14455 « Dou chevalier cui le donnai.
a Tous telz qu'il est, je l'ordonnai
a Et vous en verés la manière. »
Lors le prent sus une carniere,
Qui estoit justement saudée;
14460 La verge est en .11. pars alée.
Hermondine s'en esmerveille,
Qui voit en cascune pareilles
Lettres d'azur, faites petites.
Ce li dist : « Florée, or me dittes,
14465 a Cousine, quel cose y a ci. »
Hermondine, qui s'esjoy
De Taniel et pour la nouvelle
Façon qui li sambla moult belle.
Les .11. pars de Tanelet prist;
14470 Tout clerement y voit escrit :
CiLZ SUI QUI LE SOLEIL d'oR PORTE,
Par qui oultrecuidance est morte.
Hermondine, pour li esbatre.
Le lisi des fois jusc'a .iiii.,
14475 Et puis dist : a Or le recloés,
(( Ma cousine, et le renoés
« Tout ensi qu41 estoit devant. »
Et Florée le prent errant,
Qui le remet a son devoir,
14480 Et Hermondine, pour savoir
Dou dit aniel mieulz la manière.
Tourne et retourne le ca[r]niere,
Et si fort sen entente y met
Que clore et ouvrir Tanelet
14485 Scet ossi bien que fait Florée,
La quele cose moult li agrée. /- loj a
MELIADOR I 5 I
CESTE cose ensi demora.
Hermondine en grant gré pris a
La venue de sa cousine.
14490 Elle mengùe, et soupe et disne
Tous les jours en sa compagnie.
Elle est moult bien acompagnie,
Car c'est sa cousine germaine
Et une damoiselle plainne
14495 De toute honneur, au dire voir.
Et sachiés que bien son devoir
Fait Florée, sans retarder,
De nuit et jour recommender
Le chevalier au soleil d'or.
14500 Bien dit qu'elle n'a point encor
Oy parler, comment qu'il aille,
Qui le ressemble ne le vaille
De proece et de grant renom;
Ne scet comment il a a nom,
14505 Mais c'est cilz qui, par bon arroy,
Eut le pris dou très grant tournoy
Qui fut fait par devant la Garde;
Et dist bien, quant elle regarde
A ce qu'elle en a oy dire,
145 10 Que sa pensée toute tire
Qu'il passera route des preus :
(( Il est frices et amoureus
a Et sont en li, au voir entendre,
« Toutes les vertus c'on poet prendre
145 1 5 « Ne conter au chevalier jone.
« Cousine, je le voi ydone
« Droitement d'avenir a vous ;
« Et s'est ci a dire entre nous,
« Avoech les nobles meurs qu'il a,
14520 « Je croî que haus homs l'engenra. /. loy b
« Quant je vins ci, c'est vraie cose,
l52 MELIADOR
« Nostre cousine de Montrose
« Trouvai Je dessus mon chemin ;
« Mais elle me tint a le fin
14525 « Que pour parler dou chevalier,
a Et tout voir dou jour .1. quartier,
« Il li fist .1. trop grant service.
« Comment qu'elle soit noble et rice,
« Elle ne pooit recouvrer
14530 « De chevalier pour résister
« Encontre .1111. chevaliers,
« Tous frères, orgilleus et fiers,
« Qui deshireter le voloient, .
« Et qui si de priés li aloient
14535 « Qu'il li occioient ses gens.
« Mais cilz chevaliers frans et gens
c Le délivra de ceste guerre,
« Et mist tout en segur sa terre ;
(( Car tous les conquist par bataille,
14540 a Et se leur fist jurer, sans faille,
« C'a tous jours mes le serviroient
« Et qu'en la court dou roy iroient
« Recognoistre et donner service :
« Ensi fist une povre, rice
14545 *< D'onneur, de pais et d'iretage,
« Par son grant et preu vasselage.
c Pluiseurs grant fais de haute emprise,
« Puis l'ordenance qui fu prise,
« A ilz fait tous seulz par son corps
14550 « Et des queles li vrais recors
« Est mieus sceti, en bonne foy,
a A Carlyon devers le roy,
« Qu'il ne soient en aultre part.
« Ma cousine, se Diex me gard, f, loj c
14555 « Il vault trop miex que je ne die
« De très bonne chevalerie. »
XEUADOK
i53
HEJucoxDixE entent la paroUe
De sa cousine qui paroUe,
En loant le bleu cheTalier.
14560 Se ne Ten a mies mains chier.
Car ses parlers trop bien saveure;
En parlant toute s^enamoure.
Unes fois dist, par grant solas :
Cousine, je ne le voel pas
14565 « Trop prisîer ne blasmer ossi.
Car onques jour je ne le vi :
Bien me tieng a ce que vous dittes.
Ce li seroit uns grans mérites
Se Ta voie ossi bien veû,
14570 c Et tout a loisir pourveû.
Que je vi monsigneur Camel
A Montgriès, dedens vostre hostel.
Il me sambla biaus chevaliers;
« Voî rement estoit U moult fiers,
14575 « Et si sçai bien (>ar nesun fuer
Que onques ne vous fist en coer.
Poroit il aucunement estre
Que nous sceuissiens faire nestre
« Aucune cose de nouviel,
14580 « A tele fin qu'en ce chastiel
« Nous le velssiens a loisir ;
« J'en ai assés bien le désir,
« Voires, se bien li consilliés.
« Mais point n'est si appareilliés
14585 « Qu'il chevauce en celle contrée.
« Ossi, d'aultre part, je m'effrée
« Comment il vendroit jusq'a ci.
« Il vault miulz qu'il demeure ensî f. loj d
a Que j'entreprende riens, par m'ame,
1436 1 Car ses parlers, B Car ces parlers.
1 54 MELIADOR
14590 « Dont je puisse rechevoir blasme. »
Dist Florée : ce Vous dittes bien ;
« Mais trouvé y ai un moiîen,
« Par quoi au mains vous le verés
« Tournoiier et Taprenderés
14595 « A cognoistre en ses armeiires.
« Toutdis keurt en bleues parures,
« Et se brise d'un soleil d'or. »
Et celle, qui en voet encor
Bien parler, respont par grant joie :
14600 « Cousine, or m'en montrés la voie,
« Car vos sens nous sera mestiers. »
Et celle respont : « Volentiers. »
T
lANTOST Florée s'avisa
A parler de tel avis c'a,
14605 Et dist : « Se vous volés, cousine,
a Li bleus chevaliers, qui chemine
« Et travelle pour vostre amour,
« Sera chi devant en brief jour,
a Vous ferés noncier .1. tournoy :
14610 « Le terme y meterés par quoy
a Tout chevalier qui en bien sentent
Œ Et qui celle marce fréquentent,
« Y venront, il n'est mies doubte.
<x Li bleus chevalier en le route
1461 5 « Se mettera, comment qu'il aille ;
« Trop envis y feroit il faille.
« Adont le verés tournoiier :
« Vous vous pores esbanoiier
a A ce que vous li verés faire.
14620 « Que dittes vous sus ceste affaire ?
« Ai je bien dit ? » — « Oïl, par m'ame, »
14594 et Taprenderés, B et la prenderés.
ll£LIAI>OR l55
Ce respondî la jone dame^ f.ioSa
La fille au roy Hermont d^Escoce ;
c Je n'i voi nulle doubte, fors ce
14625 c Que moQsigneur ne le descorde. 1»
Dist Florée qui le recorde
Comment elle dira au roy
Pour impetrer le dit toumoy :
u Cousine, vous dires ensi^
14630 c Quant vostres pères vendra chi :
« C'on vous tient trop en une mue,
(c Et c'on ne s'esbat ne ne jue
« Devant vous, dont trop vous anoie.
a Adont le meterés en voie
14635 « D'avoir grasce, quele que soit.
a Si le pores, et de vo droit,
« Priier que .1. tournoy aiiés ;
« Et en parlant li avoiiés,
<c Afin que mieulz y prende garde,
14640 « Comment la dame de la Garde
« En a eu moult bien sa part.
« Secondement, a Taultre part,
« La fille du duch de Cornuaille,
(C Se H remousterés sans faille,
14645 « En a eii .1., puis brief terme.
« Ma cousine, je vous afferme
« Que se bien tenés ce pourpos,
« Il le vous accordera tos;
ce Puis ares Tavis dou sourplus. y^
14650 Dist Hermondine : ce Certes, nuls
« Ne se saroit ensonniier
« De moy telement consillier,
« Ne par si très bonne manière
« Que vous faites, cousine chiere,
14655 « Et je le ferai par tel guise
« Dont bailliet m'avés la devise. *> /. 108 b
1 56 MELIÀDOR
D
EPtJis ne demora granment
Que li rois Hermons vraîement
Vint veoir sa fille Hermondine
14660 Et Florée ossi, sa cousine,
Qu'il conjoy moult volentiers.
La fu, par .1111. jours entiers,
En déduit et en esbanoi,
On n'i parla onques d'anoi,
14665 Fors que de joie et de revîel.
Hermondine au corps frice et biel,
Quant elle vit que heure fu,
Elle s'en vint vers son père u
Il estoit en très grant solas,
14670 Li quelz rois ne fu mies las
De sa fille biel recueillier.
Elle se va agenillier
Devant li,' car li rois seoit.
Li rois Tembrace, qui le voit,
14675 Par le brach et li dist : « Ma fille. »
Et celle, qui fu très gentille.
Sans lever se tint toute ferme
Et paroUe par moult biau terme,
Disant : « Monsigneur, voelliés moy
14680 « Acorder que j'aie .1. tournoy
« D'aucuns chevaliers qui venront
« Et qui ci se recueilleront,
« Qui se tiennent dessus la lande,
« Entre Escoce et Northombrelande.
14685 « Plus ne le ferai lonc savoir.
a Ossi bien en puis .1. avoir
a Que la fille de Cornuaille
« Et ma cosine ossi, sans faille,
« La damoiselle de la Garde.
14690 « Tout ensi ychi on me garde /. 108 c
« C'on fait .1. oiselet en mue.
MELIADOR 1 57
« Ne on ne s'esbat ne ne jue
« Devant moy ; ne point n'ay de joie !
« Ne pensés vous pas qu'il m'anoîe
14695 « Chî toute seule, entre mes gens?
« Certes, oïl ! car je m'en sens
(( Plus pesans et plus rude assés.
« Il y a ja .11. ans passés
« Que je n'ai veu chevalier
14700 « Jewer, jouster ne tournoiier,
« Qui tout travellent pour m'amour :
« En ce me portent grant honnour.
« Siques, monsigneur, je vous pri
« Que j'ou aie .1. tournoi droit ci,
14705 « Ou ou que soit, dedens Escoce. »
Et quant li rois Hermons ot ce,
Si s'en resjolst grandement
Et respondi tout erranment :
« Ma fille, je le vous acorde.
147 10 « Levés sus. » Adont la recorde
Li rois en sa fille levant,
Qui parloit en agenillant :
a On face avant hiraus venir.
« Je voel une feste tenir,
147 1 5 a Et .1. tournoi courtois et bon,
a En le marce de Signandon,
« Et fera d'ui en .v. sepmainnes. »
De ce parler furent moult plainnes
Les cambres de très grant reviel,
14720 Parmi Montsegur le chastiel.
Hiraut furent tantost tout prest ;
Au roy viennent, qui sans arrest
Leur dist : « Signeur, partes de ci,
« Et si annoncés, de par mi /. 108 d
14725 « .1. tournoi devant Signandon,
« Et d'armes .1. très grant pardon.
« Et s'on vous demande le pris,
1 58 MELIADOR
<c Dittes qu'il est fais et escris :
« Li mieus tournlans la journée
14730 « Conquerra une blanche espée
a Que les dames deliveront,
« Qui avoech ma fille seront.
« Mais je vous enjoinc et commande
« Que point, oultre Northombrelande^
14735 « Ne recordés cestes nouvelles. »
Et cil, qui ont ja mis leurs selles,
Respondent : « Sire, volentiers
<c Nous le dirons as chevaliers,
« Que d'aventure encontrerons :
14740 « Vostre plaisir très bien ferons. »
A'
DONT se sont sus ce parti
Hiraut de Monsegur parti,
Et s'espendent par le pays
Pour anoncier, j'en suis tous fis,
14745 Le tournoy la ou [il] doit estre.
Partout, a droite et a senestre,
Chevaucent et leur chemin tîenent.
En ce terme les dames vienent
Avoech le roi a Signandon.
14750 Li rois donne la .1. biau don
A sa fille et a sa cousine :
N'i a chambre ne offecine.
Que on n'ait remis en bon point.
Cilz tournois voir ne faudra point
14755 Qu'il ne se tiegne et ne se face
Devant Signandon, en la place
Ou de ce temps on tournioit
Et les dames esbanioit. f. lop a
MELIADOR 1 59
SiGNANDON si cst uii chasûaus
__^, __ Dedens Escoce, fors et biaus.
S'adont le fu, il est encores :
Estruvelin est nommés ores.
La a marce pour tournoy faire
Belle et grande, et qui doit moult plaire
14765 As chevaliers de la contrée,
Et je croi que bien leur agrée.
La se tenoit li rois Hermons
Le plus du temps ; car li maisons
Dou chastiel si estoit moult gente.
14770 On met moult grandement s'entente
A ce chastiel bien joliier,
Et moult très bien appareillier,
Pour les dames qui y venront
Dou pays, qui regarderont
14775 Les tourniians sus la campagne.
La y ara belle compagne
De chevaliers, si com j'espoir.
Avoecques Hermondine est voir
Florée qui très bien s'acquitte,
14780 Comme de ce bien introduite,
A parler de Melyador,
Le chevalier au soleil d'or.
Elle en ot volentiers parler
Et ses proeces recorder,
14785 Dou quel ossi je parlerai
Ens ou cas que le lieu en ay.
Melyador li damoisiaus,
Qui tant est friches et isniaus,
Chevaucoit en Northombrelande
14790 Et estoit dessus une lande
Belle, et verde et très bien ombrue.
14762 Estruvelins, B Struvelins.
1 6o MELIADOR
Amours, qui a le fois Targue, f, logh
Li fait canter .i. rondelet.
Je conseille moult bien [c'on] Tet
14795 Et oe pour Tamour de li,
Car je le sench friche, et joli
Et fait j)ar moult bonne ordenance,
De ce que j'ai de cognissance.
Rondel
'E me seroit la plus grant joie,
14800 Certes, qui me peust avenir,
De vous veoir, ma douce amour.
iViAL ne dolour je n'averoie
Et ne m'en poroie souvenir.
Ce me seroit, etc.
14803 LfiECE et eUr recouveroie,
Et tout mon bien, pour ce désir.
Dessus toutes riens, ce bon jour.
Ce me seroit, etc.
Tous en fu en coer resjoys
-_r Lansonnès, quant il a oys
Ces doulz mos chanter a son mestre.
.1. petit entendent sus destre,
Et oent .1. cor hault sonner
Et, en ce sonnant, raisonner
14815 Que ce sont quelques aventures.
Melyador ses armetires
14805 Liece san% lettre ornée B,
MELIADOR 1 6 1
Prent errant, et s'arme en grant haste.
Quant il est armés, il se taste,
Et se sent en point et de taille,
14820 Ce dist, pour faire la bataille ;
Présentement n'a cure a cui.
A son varlet dist : « J'ai moult hui
a Desiret a trouver sus place
« .1. chevalier d'encontre. Or place
14825 a A Dieu que si bien m'en aviegne f» log c
« Que combatre a lui me couviegne ;
a Car j'ay fait .1. trop lonch séjour,
« Ne saroie dire le jour,
« Qu'il me couvenist traire espée. »
14830 Ensi cilz, qui point ne s'effrée,
Parolle a par lui et devise.
Or vous dirai de la devise
Dou chevalier qui vient vers li :
C'est chilz qui le corps a joli
1 4835 Que sa sereur a mis en voie,
Et en ce nom elle l'envoie
Pour savoir s'on veroit son frère.
Cilz chevaliers, c'est cose clere,
Estoit tous blans, par ma sambla[n]ce;
14840 Mais dessus sa senestre mance
Une targe vermeille porte.
En la targe y qui n'est pas forte,
Mais d'argent ouvrée, par m'ame,
A escript une blanche dame :
14845 Nous dirons le blanch chevalier.
Cilz chevaucoit sans escuier.
Car point n'est chevaliers de queste.
Laciet le hyaume en la teste,
La targe au col, ou poing la lance,
14850 S'en vient par très bonne ordenance
Par dessus le chevalier bleu,
Qui ne l'a ressongniet c'un peu.
Tome II 1 1
102 MELIADOR
Des lances se sont encontre,
Et par dedens l'un l'autre entré,
14855 Moult fièrement et très a point.
Messires Lyones a point
Melyador dedens sa targe,
Mais de nul péril ne le carge,
Car sa lance vole en tronçons. f, log d
14860 Moult bien se tint sus les arçons
Melyador, point ne cheî.
Mais le blanch chevalier feri
Si fièrement, au dire voir,
Que onques cilz, pour son pooir
14865 Ne se peut tenir es estriers,
Mais cheî ; et lors li destriers
S'en ala fuiant en la lande.
Melyador adont commande
A Lansonnet qu'il voist après ;
14870 Car li chevaliers n'est pas près
Dou ravoir, s'on ne li ramainne.
Lansonnès en ot moult grant painne,
Ançois qu'il le peuist ravoir,
Et quant il l'eut, il s'en vint voir
14875 Au chevalier, qui la estoit
Et qui sus l'erbier s'arrestoit.
« Tenés », ce li dist Lansonnès,
« Et me dittes ou vos variés
« Est demorés, se vous volés. »
14880 Li chevaliers, bien emparlés,
Respont que de valet n'a point,
Et Lansonnès, qui lors se joint
Dalés lui pour tenir Testrier,
Li ala bellement priier
14885 Que, par amours, li voelle dire
Quel cose il pense et ou il tire
A aler, quant tout seulz chevauce.
Et li blans chevaliers, sauf ce
MELIADOR l63
Qu'il dist : « Point ne me nommerai ;
14890 « Volontiers je le vous dirai.
« •^OMPAINS, une dame moult frice,
« \^ Fille de signeur grant et riche,
« M*a mis sus pour son chevalier, /. 1 10 a
« Car elle fist faire avant hier
14895 « .1. toumoy par devant Tarbonne,
a Et la eut ordenance bonne
« Et moult de chevaliers armés.
« Toutes fois li pris fu donnés
« A .1. chevalier moult vaillant,
14900 « Li quelz en très bien travillant
« Le conquist en bonne manière ;
«c Mais onques ne fu en le chiere
(( Li gentilz chevaliers veiis,
« Dont il puist estre cognetis.
14905 a Et, pour l'amour de son abit,
« Ma dame a et juret et dit
« Que, toute la queste durant,
« Elle portera abit blanc
(( Et, dessus sa senestre mance,
149 10 «c Une targete a le samblance
« Que ceste est que ores je porte,
« Et prie et voet c'on se déporte
« A lui nommer la blanche dame.
«. Et tout ce a empris, par m'ame,
149 1 5 « Pour .1. sien frère chevalier,
« Le quel elle a grandement cier,
« Et cuide bien que cilz ce soit,
« Qui au jour dou tournoy s'armoît
c( De rouge a une dame blance.
14920 « Je vous en ay dit Tordenance;
« Or me dittes, se tant vous plest,
« Dou chevalier qui droit la est,
1 64 MELIADOR
« Qui c'est et si point a veû
« Le chevalier au rouge escu,
14925 « Une blance dame en mi lieu. »
Et Lansonnès respont : « Par Dieu,
« Oll; mais trop lonch temps y a. f, tio b
« Ains que cilz tournois commença
ce Dont vous me parlés maintenant,
14930 « Moi et mon mestre fisent tant
« Qu'il se combatirent ensamble.
ce Très bons chevaliers cilz me samble,
« Dont vo dame est énamourée.
« Nommés le moy, s'il vous agrée,
14935 « Geste dame : s'en vaudrai mieulz. »
« Et cilz respont : « Si m'ayt Diex,
« Phenonée a a nom, sans faille.
« Fille est au duch de Cornuaille
a Et s'a, ou elle doit avoir,
14940 « .1. frère que tant aime voir,
« Que elle ne s'en poet partir.
«c Au nom de celi, sans mentir,
« Fist elle la feste ordonner,
« Dont vous avés oy parler.
14945 « Au partir de li je juray
« Que jamais ne retourneray
« Devers li, si l'arai veû
« Et, se je puis, si cognett
« Que elle sara, au retour,
14950 « Se bien a assis son amour
« Ou se c'est uns aultres de li. »
— Dist Lansonnès : « Je vous affi
« Que vous estes entrés en painne. »
Adont le chevalier enmainne,
14955 Tout bellement, devers son mestre,
Qui esmervilliés devoit estre,
14939 parlés, B parliés.
MELTADOR l65
Quant il veoît son escuier
Ensi parler au chevalier.
QUANT Lansonnès eut amené
Le chevalier de blanch armé,
Qui portoit une blanche dame, /. no c
Adont premièrement entame
La parole, et se li raconte
Si com oy avés ou conte.
14965 Et quant Melyador Tentent,
Com cilz qui a tout honneur tent,
Se tourne vers le chevalier,
Et dist ensi : « Mon sire chier,
« Se Diex en toute honneur m'avance
14970 « Pour l'amour de la dame blanche,
« De la quele vous renommés,
« Que Phenonée vous nommés,
a Je vous feroie volentiers
a Service, ensi c'uns chevaliers
14975 « Errans doit a .1. aultre faire.
« Et grandement me poet desplaire
« Quant ensi vous ai abatu ;
« Et s'ensengnier vous savoie u
a Vous trouveriés le chevalier,
14980 « Pour qui vous poés chevaucier,
« Volentiers je le vous diroie. »
— « Sire », dist cilz, « Dieux vous doinst joie!
a De ce parler moult bien vous croy.
« Je me trairai viers .1. tournoy,
14985 « Qui doit estre proçainnement
« En Escoce certainnement;
« Mais encores ne sçai jou mies
« Ou les marces seront baillies
« Dou dit tournoy. Mes tant y a
14990 « Que on m'a dit qu'il se tenra. d
1 66 MELIADOR
Et quant Melyador ot ce,
Qu'il doit avoir dedens Escoce
.1. tournoy, si lieve la tieste
Et sus la paroUe s'arrieste
14995 En disant : «c Et es çou dont voir f, no d
« Qu'il doit la .1. tournoy avoir ? »
— « OU, voir, de ce ne doubtés. »
— « Et comment, sire, le savés ? »
Ce dist Melyador li frans.
i5ooo Ce respontli chevaliers blans :
« Ce que j'en sai, c'est puis hersoir.
ce On le me dist en .1. manoir,
« Ou d'aventure me logai.
<K Mais mies bien retenu n'ai
i5oo5 fc Le lieu ou li tournois doit estre. »
Ce dist Lansonnès a son mestre :
« Sire, prendés congiet a li.
« Vous en orés ailleurs que ci
« Parler ens ou cas que c'est voirs. »
1 5oio — « C'est moult grandement mes espoirs, »
Ce li respont Melyador.
« Je me vodrai traire desor,
« Par devers la marce d'Escoce. »
Adont le chevalier approce
I Soi 5 Et demande son bon congié,
Et de ce qu'il l'avoit blechié
L'en demande il tout le pardon.
Et cilz qui Lyones ot nom
Se part de li moult bellement,
1 5o2o Et dist : « Sire, ja nullement
<c De ce pardon ne requerés ;
<c Car, ou cas que je sui armés
« Et que je voel jouster a tous,
« Se par la jouste m'avés vous
1 5 02 5 « Abatu, ce n'est pas vo coupe ;
« Nul aultre, fors moy, n'en encoupe.
MELIADOR 1 67
a Aies a Dieu qui vous convoie. »
Adont prist cescuns une voie
Et chevaucent devers .1. bois f, m a
i5o3o Ou grant fuison avoit d'erbois.
o
R dist li contes que ce jour
Li blans chevaliers, sans séjour,
De puis Melyador parti,
Chevauca tous seulz a par li,
1 5o35 Armés desous la blanche gonne.
.1. chemin prent a Teure bonne,
Qui se tournoit devers la lande.
Grandement je le recommande,
Car il savoit moult bien chanter,
1 5040 Sans usage de li vanter.
Il estoit chevaliers moult friches
Et de toutes vertus moult riches,
Et pour ce esleu Tavoit
Phenonée, qui bien savoit
1 5045 Qu'il estoit très bien adreciés.
Messires Lyones, sachiés,
Chanta adont .1. rondelet :
C'est bien men entente c'on Pet
Et c'on Poe, si comme en chant
1 5o5o II le mist par bon convenant.
Bondel
JVIa douce dame, quant je scé
Que vous avés joie et santé,
Nulle rien ne me poet grever,
v>AR adont est de moy osté
i5o35 Tout mon anui et eslongé,
Ma douce dame, etc.
1 68 MELIADOR
Mon bien, ^lon coer m'en est doublé
Et j'en sui si bien amendé,
C'on ne poroit mieus amender.
1 5o6o Ma douce dame, etc.
A
l'eure que 11 chevaliers
Chantoit ensi sus ces sentiers, f. ii i b
Chevaucoit li chevaliers rouges
Qui n'estoit mies trop harouges,
i5o65 De qui nous parlerons des or :
C'est messires Agamanor.
Ensi qu'il estoit ens ou bois,
De lonch a entendu la vois
Dou chevalier qui chanté ot.
1 5070 A Bertoulet a dit .1. mot,
Son escuier : « Or va avant,
« Et si regarde chi devant
a Quel cose c'est que j'ay oy. »
Et Bertoulès, sans nul detri,
1 5075 Chevauce ensi c'on li ot dit.
Il n'a chevauciet c'un petit.
Quant il a celi perceû
Qui point ne Ta aperceti,
Car il avoit mis son hyaume.
i5o8o Biertoulès, qui vault .1. royaume
Pour bien servir .1. chevalier,
Esperonne le bon coursier
Et vient au chevalier errant.
Quant il en voit le convenant,
1 5o85 Si en fu moult esmerveilliés,
Pour ce qu'il est appareillés
De la devise de son mestre.
Adont s'en retourne sus destre
Et a Agamanor revint,
1 5090 Qui sus la lande quois se tint.
MELIADOR 1 69
Quant îl voit Bertoulet venir,
Com cilz qui a très grant désir
De savoir quel cose a trouvé,
Errannent li a demandé
1 5095 Comment se porte li afaires,
Et cilz ne se detria gaires /. me
Dou compter bien et sagement :
« Sire, j'ay veû vraiement
« .1. chevalier qui par chi passe.
1 5 100 « Or ne sçai se li ferés grasce,
« Car il porte vostre devise,
« Voires, sire, par une guise
(( Que, dessus sa senestre mance,
« La porte il une dame blanche
1 5 1 o5 « Et une targette petite,
<K De vermeil, assez bien escrite. »
Et quant cilz entent ces raisons,
Si dist ensi : « Alons, alons.
a Je voel savoir qu'il se demande,
1 5 1 10 « Ne a qui porter li commande
a La devise que j'ai empris. »
A ces mos, a sa lance pris
Et esporonne les galos
Par mi le bois, a tel pourpos
1 5 1 1 5 Que pour le chevalier combatre
Et la blanche dame debatre.
M'
ESSiRES Lyones estoit
Arrestés, et si busioit
Sus .III. chemins que trouvés ot,
1 5 1 20 Et si ne sonnoit nesun mot ;
Mais pensoit le quel pour ce jour
Il tenroit. Evous sans séjour
Messire Agamanor qui vient
Devant lui, et sa lance tient
/^
1 70 MELIADOR
1 5 1 2 5 En samblance que pour jouster.
Lyones se va arrester,
Qui encor n'avoît point de lance,
Car, bien en savés l'ordenance,
Qu'il Tôt .II. jours avant brisie
1 5 i3o Contre celi dont la prisie f. m d
Est moult grande, c'est bien raisons,
De qui tous bleus est li blasons.
Si dist ensi a ce premiers :
<c O, sire, rouges chevaliers,
1 5 1 35 c( Maintenés vous par ordenance.
« Se j'euisse ossi une lance,
« Si com vous avés pour certain,
« A la jouste ne faudriés grain ;
« Mais point n'en ay, bien le veés,
1 5 140 « Ef pour ce si priés me venés. »
Et quant Agamanor l'entent.
Si est tous honteus et si sent
Assés bien que cilz a raison.
Adont jette sur le sablon
1 5 145 Sa lance, si com par courons.
Et dist : a Sire, qui estes vous,
« Qui vous armés de ma devise ?
a Dittes le moy. Ma lance est mise
« A terre, vous n'en avés garde.
1 5 1 5o a Espée avés, je le regarde,
« Et jou une; c'est pareçons.
« Assés tost les esprouverons ;
« Mais je voel savoir, en devant
« Que ce se face, qui avant
1 5 1 55 « Vous a mis en ceste ordenance
tt De porter ceste dame blance. »
Messires Lyones s'avise,
Et pense adont sus la devise
i3i39 avant, B avoit.
MELIADOR 171
Dou chevalier qui la estoit
1 5 1 60 Et qui devant lui s'arrestoit,
Et ossi a sa gentilz dame,
Qui li faisoit porter. « Par m'ame, »
Ce dist Lyones en son cuer,
« Veci celi de qui la suer f. 112 a
i5i65 « M'a mis sus, ensi m'i adonne,
« Qui ot le pris devant Tarbonne
« Dou tournoy, il n'a pas .11. mois.
« Elle me dist bien toutes fois,
« Au partir, se je le trouvoie,
1 5 1 70 tt Fust en bois, en lande ou en voie,
(( Que cognissable me fesisse
a A li et que je li desisse
« L'enclavure de son pourpos. »
Adont Lyones, a ces mos,
1 5 1 75 De son cheval descent a terre :
Che n'est mies signe de guerre.
Agamanor s'en esmerveille,
Qui tient a grant ceste merveille.
QUANT Lyones fu descepdus.
Si dist : « Sire, ne me puis plus
« Combatre par nulle manière.
« Ce me commanda ma très chiere
« Dame, quant je parti de li,
a Jusques a tant, je le vous di,
1 5 1 85 « Que j'avérai parlé a vous. »
Et Agamanor, qui est tous
Esmervilliés de cest afaire,
Li respont : « Et que doi je faire,
« Biaus sire ? Dittes moy errant. »
1 5 190 Et Lyones, tout en riant,
Qui avoit osté son hyaume,
Li recorde ensi une psaume :
172 MELIADOR
« Sire, descendes dalés moy,
a Et je vos dirai, par ma foy,
1 5 1 95 a Tout ce que je quier et demande,
« Et pour quoi en Northombrelande
(( Sui entrés puis .11. mois en ça.
« Et se la cose aultrement va f. ti2 b
« Que je n'espoir, je vous créant
1 5200 a Que je remonterai errant
« Et m'esprouverai a l'espée
« Contre vous. De ce ne m'eflfrée. »
Dist Agamanor : « Je.rotri. »
Adont descent, sans nul detri,
i52o5 De son cheval dessus Terbier,
Et le baille a son escuier.
Et son hyaume apriès deslace.
Empur la coiffe, a mie face,
Se met par dalés Lyonniel.
1 5 2 1 o Bertoulet en a grant reviel.
Qui s'est a Teure trais en sus.
Ce dist Agamanor : « Or sus,
« Chevaliers, dittes vostre entente.
<K Saciés que grant désir me tempte :
1 52 1 5 « Que je sace par quel raison
« Vous me faites chi la saison
« Emploiier en teles huiseuses.
a Ce me sont coses mervilleuses. »
— « Q IRE », dist li blans chevaliers,
i522o ^ Voirement me couvient premiers
« Parler, pour ouvrir la matere.
« Une dame, c'est cose clere,
« Fille du duch de Cornuaille,
« M'a mis sus ce chemin sans faille.
1 5225 « Ceste est suer a Melyador,
« Dont elle n'a oy encor
MELIADOR 173
« Nulles nouvelles vraiement.
(( Se les désire elle forment
« A oîr, d'amont et d'aval.
1 523o a Pas ne me nomme on Perceval,
« Fors le chevalier a la dame,
« Cui bonne amour le cuer entame f. 112 c
« Apriès Melyador son frère,
m Sans dire a père ne a mère
i52 35 a Nulle cose de son pourpos,
« Fors a moy. Et se vous pourpos
(( Que se vous estes cilz, sans faille,
« Qui a Tarbonne en Cornuaille
« Eûstes le pris dou tournoy,
1 3240 « Elle vous tient en bonne foy
« Pour son frère et pour son ami.
« Car elle ens ou nom de celi
(( Qui si vaillamment tournoia,
ce Geste devise encargié a
1 5245 « Que je porte et que vous portés.
« Se vous pri, se vous estes telz
« Que Melyador, si le dittes ;
« Ce me seront joies escriptes
« Moult très grandes a mon retour,
i525o « Car Phenonée, en nom d'amour,
ce Le me carga et enjoindi
« Au partir, et bien je le di :
« Que se le chevalier veoie,
a Pour le quel je sui mis a voie,
1 5255 « J'en saroie la vérité.
« Or vous ay je dit et conté
« Quel cose par les camps me mainne.
« Si m'osterés de ceste painne,
« Se vous volés et cilz soiiés,
i526o « Et se bien me sui avoiiés,
ce Mon chemin irai com devant.
« Mais quant je pense au convenant
1 74 MELIADOR
« Dou chevalier, qui a Tarbonne
« Fu, il avoît toute tel gonne
1 5265 « Que vous portés ne plus ne mains.
« Je n'en vi viaire ne mains, f. j 12 d
« Mais il estoit ensi armés.
« Estes vous cîlz? Parlés, parlés. »
Et messires Agamanors
15270 Moult doucement parolle lors
Et dist : « Je sui cîlz voîrement
« Qui fui au tournoy telement
« Que vous avés recordé ci,
« Mais je ne sui pas, je vous di,
15275 « Li frères a la vostre dame.
« Si vodroi jou estre, par m'ame,
« Si bons que li apertenisse
« Ou c'a son plaisir avenissc,
<c Car en tous cas elle vault bien
i528o « D'onneur, de francise et de bien,
« Et de recommendation,
« Que de très bonne affection
« Elle soit amée et servie,
a Et quant par sa grant courtoisie,
1 5285 ce Elle a ma devise encargié,
a Je vous en donne bon congié
« Dou porter, et li sçai grant gré
« Quant elle m'a tant honnoré
« Qu'elle le porte, et vous ossi
15290 « Qui estes chevaliers a li.
« Ce li dires, a vo retour,
« Que Diex vous otroist hui bon jour,
« Très bon an et très bonne estrine. »
Et quant Lyonniaus imagine
1 5295 La parolle dou chevalier,
Qui si biel le poet recueillier
Et s'a falli a sa demande,
Car ce n'est pas cilz qu'il demande,
MELIADOR 175
Si est plus pensieus que devant.
1 5 3oo Agamanor le couvenant /. 1 13 a
Dou chevalier moult bien regarde,
Qui sa parolle li retarde.
ENTRUES qu'en cel estât estoient,-
Et que tout doy la s'arrestoient
1 53o5 Sans dire parolle ne mot,
Evous la venu .1. escot :
Hiraut estoit, il le me samble.
Les chevaliers trouva ensamble ;
Adont s'est sus yaus arrestés,
1 5 3 1 o Et les a moult hault salués,
Et dist ensi : a Mi chier signeur,
« Qui devés entendre a honneur
« Et as fais d'armes plainnement,
« Je vous anonce vraiement
1 53 1 5 « .1 . tournoy et .1. grant pardon
a D'armes, qui devant Signandon
« Sera d'ui en .xiiii. Jours.
« La sera la joieuse cours
« Dou roy Hermont, avoech sa fille,
i532o « Hermondine la très gentille,
« Qui ara a très grant plenté
« De dames dalés son costé
« Et de damoiselles ossi.
« A celle fin je le vous di
1 5325 « Que vous y soiiés, s'il vous plaist. »
Encores mies ne se taist
Li hiraut, mais parolle avant
Et dist : « Signeur, je vous créant
« Que cilz qui le pris conquerra,
i533o « Avoecques l'onneur qu'il ara,
a Une espée ara pour le pris,
« Et puis que vous avés empris
î 76 MELIADOR
« A poursieuir la ditte queste,
« Je vous pri, soiiés a la feste. » f.n3b
i5335 Cil respondent tout d'un acort :
(( Gentilz hiraus, a ton recort,
« Irons a la feste, sans faille.
« Car bien vault ceste qui le baille
a C'on y voîst pour li honnorer. »
1 5340 Et li hiraus, sus ce parler,
Prent congiet et d'iluec se part,
Et s'en chevauce d'aultre part ;
Les chevaliers lait la séant.
Plus ne voelt de leur couvenant
15345 Savoir, ne aultrement enquerre;
Ne s'il sont de pais ou de guerre.
AGHAMANOR et Lyonniaus,
Dont li afaires est moult biaus
De ce qu'il eut illuech oy,
1 535o Sont moult grandement resjoy.
Et dient c' a ceste journée,
Il ne faudroient pour riensnée.
Adonques reprist la paroUe
Li blans chevaliers, qui paroUe
1 3355 Et dist : a Je partirai
a Et en cel estât vous lairai
« Que je vous verai au tournoy,
« Par devant Signandon, je croy.
« Trop bien ay retenu, par m'ame,
1 536o « Que vous n'estes point a ma dame
o Frères, ne parens, ne cousins ;
« Mais vous estes ses bons voisins,
a Et ses chevaliers volés estre. »
Agamanor, qui au senestre
1 5 365 Dou chevalier estoit assis,
Respondi par moult grant avis :
MELIADOR 177
« Sire, je croi bien vraiement
« Que vous li dires sagement f, ii3 c
« Tout ce que vous avés trouvé ;
15370 « Mais dittes li, de vérité,
« Que, pour mettre tout jusc'a Tame,
« Pour Tamour de la Blanche Dame,
a Je vodroi mon corps travillier
« Et, se tant pooie esploitier
1 5375 a Que mes services li pleuist
w Et qu'en plaisance li venist,
a J'en seroie très ewireus,
« Plus liés et plus chevalereus. »
Sus cel estât se sont adont
i538o Parti, et .11. chemins pris ont.
Agamanor errant remonte,
Et puis en chevaucant raconte
L'ordenance dou chevalier
A Bertoulet son escuier,
1 5385 Li quelz moult volentiers l'entent,
Et a l'oîr plaisance y prent.
Ce soir vinrent sus .1. manoir.
Ou quel il peurent remanoir
Deus nuis et .1. jour tout entiers,
1 5390 Et pour tant que li forestiers,
Li sires de celle maison,
Leur avoit compté tel raison
Que, depuis .11. mois en esça.
Tous les jours passoient par la
1 5400 Chevalier tous près pour combatre.
Qui volsist leur chemin debatre ;
Mais onques dedens ce séjour
Ne cheï, de nuit ne de jour,
C'aventure leur avenist,
1 5405 Ne que nulz chevaliers tenist
Par la son chemin ne sa voie.
De quoi Agamanor mains joie f, ii3 d
T. II 12
I yS MELIADOR
Avoit, ce devés vous savoir,
Car tous les jours volsist avoir
1 54 1 o Des armes aucune aventure.
Tout ce desiroit par nature,
Ne onques ne s'en refraindi
Tant c'au chevaucier entendi.
Nous lairons ci d'Agamanor
_ _ ^ _ _ Et au vaillant Melyador
Retourneront, car c'est bien drois.
Et conterons a ceste fois
Qu'il li avint de puissedi
Que dou chevalier se parti,
1 5420 Monsigneur Gerpin qu'il bleça.
Melyador si s*adreça
Parmi .1. bois sus une lande.
.1. forestier voit; si demande :
« Compains, or me di vérité.
1 5425 « Depuis que tu as ci esté,
a As tu veU nul chevalier
« Par ci passer ne chevaucier? »
Et cilz li respondi en l'eure :
<c Sire, oll, par droit ci deseure
1 5430 « S'en passe uns chevaliers errans,
« Qui, comme gratleus et frans,
« Moult bellement m'araisonna,
« Et ossi il me demanda
« Se hui veû nullui avoie. »
15435 Respont Melyador : « Quel voie
« Tient li chevaliers, par avis? »
Dist li forestiers : « Il m'est vis,
<c Sire, qu'il va toute la lande. »
Melyador plus n'en demande,
1 5440 Mais se part et chevauce fort,
Com cilz qui est plains de confort. /. 214 a
MELIADOR
Dou chevaliers les froais trueve :
Moult grant desîr a qu'il s'esprueve
A quel chevalier que ce soit.
1 5445 Tant chevauce que il perçoit
Par devant lui le chevalier,
D'encoste li son escuier.
Adonques dist a son varlet :
a Tost mon hyaume met. Ça met. »
1 5450 Et cilz apenement li baille.
Melyador se joint sans faille
En son escu et prent sa lance.
Ja y ara grant ordenance,
Et croi moult bien qu'il coustera
15455 A celi a qui joustera.
179
L'
I chevaliers qui chevaucoit
Messires Tangis se nommoit.
Moult estoit doulz et gratleus
Et grandement chevalereus.
1 5460 Norois estoit de nation
Et de moult haute estration.
Mies ne faisoit le harouge.
En une targe toute rouge
Portoit il une dame blanche.
1 5465 Melyador, par ma samblance,
Fist tant qu'il est venus a li,
Et puis se li dist tout ensi :
« Chevalier, il nous fault jouster.
a N'ai cure au quel il puist couster. »
1 5470 — « C'est voirs, » respondi cilz en l'eure.
Sus cel estât plus ne demeure,
Mais prent sa lance incontinent
Et s'appareille frichement
Pour Jouster, et lors esporonne.
15475 Melyador ossi s'ordonne, f, ii4h
1 8o MELIADOR
Qui bien en voit le couvenant
Et proprement vers lui venant
En soi melsme moult le prise.
Son glave a b son devoir mise,
1 5480 Et puis se joint dedens sa targe.
De nul autre soing ne se carge,
Fofs dou chevalier aviser,
Sans plus dire ne deviser.
En espouronnant fort et roit,
1 5485 L'un sus l'autre s'en viennent droit ;
Si se fièrent, sus les escus,
Des lances as bons fers agus.
Par la force de leurs chevaus
Et l'emprise des bons vassaus,
1 5490 Les lances volent en tronçons.
Moult fricement sus les arçons
Se tiennent li doy chevalier ;
Ce ne fu mies hui ne hier
Que on velst jouste si belle.
1 5495 Cescuns son escuier rappelle,
Et voelent par bonne ordenance
Encor recouvrer une lance ;
Ensi l'ont acordé entre yaus,
Qui que soit li jeus, lait ou biaus.
1 55oo ▲ u retour que cescuns a fait
xi^ Li escuiers s'en vint de fait
A celi qui le harpe pone
Et telz nouvelles li aporte :
c Sire, sire, sour toute rien,
1 55o5 « Vous di que vous vous gardés bien,
« Car vous joustés au chevalier
a Qui si belles les scet baillier,
« Qui desconfi, c'est vraie cose,
« Les .ni. chevaliers a Montrose f. 114 c
MELI ADOR 1 8 1
i55io « Et qui porte le soleil d'or.
« Je le vous ramentoi encor,
« Afin que mieulz vous en souviegne
« Et que point ne vous en mesviegne. »
Messires Tangis bien entent
1 55 1 5 Son escuier, et assés sent
Qu'il li dist voie de raison ;
Mais, quoi que droit Ta li prison,
Tout est ens ou fier escaufés.
Que soit angles ou soit maufés,
1 5520 II dist c'a lui il joustera,
Ne scet combien li coustera,
Car trop aroit reproce et honte,
Ce dist en soy, quant tout bien conte.
S'il refusoit sur ce parti.
i5525 Adont de ses rens se pani
Et le bon coursier esporonne.
Melyador ossi s'ordonne
De venir vers li, par manière
Que jouste y ara moult pleniere.
1 553o Les chevaus des esporons fièrent,
Et si droitement se requièrent
A ce qu'il se sont encontre.
Il sont l'un dedens l'autre entré,
Telement que les lances roides,
1 5535 A pointes agues et froides,
Font par dedens leurs targes prendre.
La plus entière convint fendre :
Onques pour cuir ne pour nervures,
Se sont ces coses assés dures,
1 5540 Ne remest que li traus n'i fust ;
Le fier et bien .v. pos dou fust
Mist li vassaus de Cornuaille
En Tespaule cesti sans faille, f, 114 d
Qui messires Tangis s'appelle.
1 5545 Ce fu une jouste moult belle ;
l82 MELIADOR
La glave vole en .11. tronçons.
Moult bien se tint sus les arçons
Messires Tangis sans cheoir.
Melyador, qui son devoir
1 555o Fait en armes et aultre part,
De la jouste biel se depan,
Et, au retour qu'il fait arrière,
Il voit c'on ostoit la baiviere
De celui a cui jousté ot.
1 5 5 5 5 Droit la s'en vint sans dire mot
Et perçoit qu'il estoit navrés.
Ses variés dist : « Souffres, souffres,
« Sire; vous avés mort mon mestre.
« Tout ensi voir qu'il devoit estre
i556o « En est avenu sans desdit.
« Je li avoie orains bien dit
« Que point ne se presist a vous. »
Melyador, qui fu a tous
Deboinaires, doulz et courtois,
i5565 Sus son cheval se tient tous cois,
Et celi a desarmer aide
Et .1. bon surgiien souhaide,
Qui bien le sace apparillier.
Bendeler le vont et loiier,
1 5570 Ensi que bien le scevent faire.
Melyador, pour mieus complaire
Au chevalier que bleciet a,
Li offre et 11 présente la
Son escuier .11. jours ou .m.,
1 5575 Et li prie qu'il ne soit frois
Dou prendre, se c'est sa besongne.
Et cilz dist qu'il ne li besongne f. iiS a
Nul aultre que le sien pour l'eure.
Li bleus chevaliers la demeure
1 558o Tant qu'il fu bien appareillîés,
Et apriès fu pris li congiés.
MELIADOR 1 83
Messires Tangis vint ce soir
Logîer ens, ou propre manoir
Dont Melyador au matin
1 5585 Se parti, dont sus son chemin
Il eut trouvé ceste aventure.
Ses escuiers grandement cure
Qu*il soit garis hastéement,
Pour estre a ce tournoiement
1 5590 Qui sera devant Signandon,
Et Melyador d'abandon
Chevauca ce jour sans arrest,
Et entra en une forest.
La le convint entre .11. landes,
1 5595 Sous un arbre qui porte glandes,
Reposer, et a Pendemain
Prist la voie a la droite main,
Et chevauca ceste journée
Sans veoir ne trouver riensnée
1 5 600 Qui point face a ramentevoir.
Le soir vinrent sus .1. manoir.
Ou il y avoit une dame,
Veve estoît et moult gentilz femme.
Qui mist grant paine a recueillier
1 56o5 Liement le dit chevalier,
Et ossi sa mesnie toute;
De ce ne devés faire doubte.
c
E soir avint, apriès souper,
Que il alerent demander,
1 5 6 1 o Entre If et son escuier,
A le dame, qui le mestier /. 1 15 b
Savoit d'onneur oultre Tensengne,
Se de nulle nouvelle estragne
Elle avoit point oy parler.
1 56i 5 Et celle qui ne voelt celer.
1 84 MELIADOR
Ne ne doit selon leur requeste,
A nesun chevalier de queste,
Cose qu'elle sace de voir,
Qu'elle n'en face son devoir,
1 5620 Respont lor assés doucement :
<f OU, il n'a pas longement
« C'uns chevaliers si com vous estes,
a Je croi qu'il poursieuoit vos questes,
a Jones, amoureus et faitis,
1 5625 « De blanc et de vert mi partis
« Fu ceens .1. soir a hostel.
« Se noUs dist, sans demander el,
« Qu'il doit moult temprement avoir,
« Ensi le fait on a savoir,
1 563o « Tout parmi le Nonhombrelande,
<c .1. tournoy pardessus la lande
<c D'Escoce, devant Signandon,
« Et sera ens, ou propre nom
a D'Ermondine, la fille au roy. »
1 5635 Et quant ce oîrent li doy,
Li chevaliers et ses variés,
Cescuns fu lors telz et si fes
Que durement, et fon pensieu.
a Dame, » dist Lansonnès, « pour Dieu,
1 5640 a Dittes nous dont a bonne entente
c Se longe sera li attente
a Qu'il faura ceste pan aler. »
Et la dame prist a parler
Et dist : « Si com je suis sentans,
1 5645 « Bien y venrés encor a temps, ,/. ii5 c
« Mais que vous aies celle part% »
— « Dame, » dist Lansons, « Diex vous gard,
a Quant ce nous avés anoncié. »
Ce soir sont ou manoir coucié,
i565o Et l'endemain, au matinet,
Lansonnès lors les selles met.
MELIADOR l85
Quant Melyador fu levés,
Il s'est apartement armés ;
Congîet prent et d'illuech se part.
1 5655 Bien a demandé de quel part
Li chemins est vers Signandon,
Et cil qui sont de le maison,
Ou hostel avoit signouri.
Et de le marce ensi nouri
1 566o Li ensengnent très volentiers.
Or chevauce tous les sentiers
Melyador devers Escoce ;
La terre grandement approce,
Et sachiés qu'il est vraiement
1 5665 En cuer resjoîs grandement
Des nouvelles qu'il a oyes.
Melyador fist a deus fies.
Sus le chemin qu'il chevaucoit,
Une balade qui bien doit
1 5670 Par droit estre ramentetie ;
Car vis m'est, quant je l'ay vetie,
Qu'elle soit belle et gratîeuse,
Et moult grandement amoureuse.
Telle comme elle est, vous l'or^s
1 5675 Et puis vostre entente en dires.
Balade.
O'a men voloir ne puis veoir,
Ma très douce dame d*onnour,
S'ay je toutdis, et main et soir, /. 1 15 d
" En mon coer sa très grant valeur,
1 568o Sa bonté, sa fine douceur
Et son très doulz contentement :
Pour ce voel vivre liement.
1 86 MBLIADOR
J E me puis bien apercevoir
Qu'en joie ferai mon demour,
i5685 Dont ne puis certes mieus avoir.
Quant celle ou sont tout mi retour
Est dessus toutes la millour
Qui soit ou monde vraiement :
Pour ce voel vivre liement.
Ma joie doubleroit pour voir,
Se je veoie par nul tour
Celle que j'aim sans décevoir
Et qui est ma très douce amour.
Se n'ay pensée nuit ne jour
15695 Qu'a reveoir son doulz corps gent :
Pour ce voel vivre liement.
ENsi en faisant la balade
De coer liet, amoureus et sade,
Chevauca li dis chevaliers,
1 5700 Ce m*est avis, .11. jours entiers,
Sans trouver nesune aventure.
Au tierch jour, en une pasture
Voient .1. chevalier venant
En très biel et bon couvenant,
iSjoS Armé moult bien a sa devise.
Li chevaliers, quant je m'avise,
Estoit Sansorins appelles.
De blanc et de bleu fu parés,
Tous semés de roses vermeilles.
15710 Dist Melyador : « Me conseilles
<K Tu, Lansonnet, que je m'avance
« Pour jouster drojt ci une lance /. 116 a
o A ce chevalier que je voî ?
« Se il me bleçoit ou je soi,
MELIADOR 187
1 57 1 5 « Perdu arions l'aventure
« D'estre au tournoy dont je faî cure,
« Ou je faudroie trop envis. »
Respont Lansonnès : « Il m'est vis
« Qu'il s'ordonne tous pour jouster.
1 5720 « Volés vous que voise parler
« A lui et son entente sace? »
Melyador respont a ce
Et dist : « Oyl, va celle part. »>
Atant Lansonnès se départ
1 5725 Et galope tout le chemin ;
Venus s'en est a Sansorin
Qui ot le hyaume en la teste,
Car il fu chevaliers de queste.
« Sire », ce li dist Lansonnès,
1 5730 « Vis m'est que vous soiiés tous près
« Pour jouster se mes mestres voelt;
<c Mais il dist que bien on se poet
« Par honneur targier de ce faire,
« Et est grandement nécessaire
1 5735 « Que vous et ilz soiiés en point;
a C'au tournoy vous ne fallés point,
« Qui sera dedens .iiii. jours
« Devant Signandon ou li cours
« Dou roy Hermon se tient pour lors. »
1 5740 Et quant Sansorins, qui ot corps
Fourme pour faire une bataille,
Ot les paroUes c'on li baille^
Si s'arreste et puis si s'apoie
Sus sa lance, et dist : « Je vodroie
1 5745 « Croire conseil tout par raison ;
« Mais j'ay moult en ceste saison f, 116 b
« Desiret que jou encontrasse
« Le chevalier ou le trouvasse,
« Qui se brise dou soleil d'or. »
15750 — « Pour quoi? » ce li demande lor
1 88 MELIADOR
Lansonnès, qui estoit droit la.
— « Pour ce c'un mien cousin tua,
<c Messire Camel de Camois. »
Et Lansonnès a celle fois
15755 Respont et dist : « Trouvé Tavés.
« Or me dittes se vous savés
« De ses fais, ne sceuistes onques. »
Et Sansorins respont adonques :
« Cènes, nennil, pour ce le voel
1 5760 « Assaiier, non pas par orguel,
« Fors tant seulement par vaillance. »
Et Lansonnès a Tordenance
Dou chevalier respondi lors :
« Chevaliers, je me fay bien fors
1 5765 « Que vous Tassairés voirement,
« Puis que vous volés telement
V Parler, mes c'a lui je reviegne.
« Mais, s'il avient qu'il vous couviegne
« Séjourner a ce dit tournoy,
1 5770 « Si ne le tenés a anoi. »
Dist Sansorins : « Si ne ferai. »
Adont retourne sans délai
Lansonnès devers son signour.
Et li recorde a son retour
1 5775 Ce qu'il a trouvé et veù.
Evous erranment pourveti
Melyador que pour jouster,
Quel cose qu'il doie couster.
LI chevalier estoient près
. _ , Pour jouster, et estoient très /. 1 16 c
Fort armé pour celle journée.
Melyador, de randonnée,
13781 Celle journée, Bla journée.
MËLIÂDOR 1 89
Point le cheval vers Sansorin,
Qui vient ossi tout le chemin ;
15785 Tost y ara jouste moult belle.
N'i a lance que la Icmelle
D'acier n'ait bien d'un piet entier.
• Bien savoient le plain mestier
De jouster si com il l'ensengnent.
15790 Ne sçai comment ne se mehaignent,
Car trop dur se sont encontre
A ce que leur cop sont entré
L'un en l'autre, par grand aïr.
Melyador, qui grant désir
15795 Avoit de bien son esploit faire,
Porte a Sansorin grant contraire ;
Car sa lance, qui fu moult roide,
Tout le fier a la pointe froide
Li passe parmi son escu ;
i58oo Ens ou costet li a fondu
Plaine paume et la le reverse.
Sansorins cheï teste enverse,
Si roit c'a paines fu il mors.
Ses variés vint la sus le corps
1 58o5 Et mist errant piet jus a terre,
Et voit que sa targe li serre
Au costé et est pertuisie,
Et que li sans a une fie
En sort a force et a randon.
1 58 10 Lors le desboucle en abandon
Et le jette dessus l'erbier,
Et puis le hyaume d'acier,
Le quaffe, et tout au nu le met.
Ensi li variés s'entremet f. ii6 d
1 58 1 5 De donner a son mestre alainne.
Sansorins gist la en grant painne,
1 3807 pertuisie, B petruisie.
1 90 MELIÂDOR
Car il est durement navrés.
Melyador li aloses
S'en est venus de celle part;
i582o Piet a terre met, et a part
S'est trais par devers Sansorin.
Se li demande en son latin :
a Chevaliers, dittes, comment va ? »
Et adont Sansorins parla,
1 5825 Car pas n'estoit a mors férus,
Et dist : « Je sui droit si cheUs
ce Tout bleciés, si com vous veés.
« J'ai esté trop mal enfourmés,
« Quant onques je joustai a vous ;
1 583o ce Mais ensi se portoit mes gous,
« Se le me couvient comparer.
« A ce tournoy poés aler
« Sans moy, ne point vous n'avés garde
c( Que le pris qu'Ermondine garde,
i5835 « Je le vous doie calengier.
« J'en ay assés pour ce quartier
« De l'an, et tout au mieulz venir. x>
Et quant ensi le peut oir
Melyador, se li respont :
15840 « Chevalier, ensi li fait vont
« Et les guerres, il n'est pas doubte.
« Or, metés vostre entente toute
« A vous garir, je vous en pri ;
« Car, pour vérité je vous di,
15845 <c Je seroie moult courouciés
« Se de ce mehain vous moriés,
a Et me dittes a ceste fie
« Se vous volés avoir aye. /. nj a
« S'ensi est, je vous presterai
1 585o « Mon varlet, saciés le pour vrai. »
Respont Sansorins : « Grans mercis!
« Nennil. Mes variés, ce m'est vis.
MELI ADOk 1 9 1
ce Fera assés bien la besongne.
ce Veoir poés comment il songne
1 5855 a De moy appareillier a point. »
Melyador lors, sus ce point,
S'est partis dou dit chevalier,
D'encoste li son escuier,
Lansonnet, qui bien le servi,
i586o Ne onques jour ne le falli.
ENsi fu Sansorins navrés.
Il est erranment desarmés
Et croi qu'il ait moult grande plaie.
Nullement il ne s'en esmaie ;
1 5865 Tantée Tont et a point mise,
Vis m'est dou pan d'une chemise ;
Et, quant loiié fu bien [et] fort,
Sus la place noient ne dort
Sansorins, mais se met a voie.
15870 Par devers .1. manoir s'avoie
Qui n'estoit mies lonch de la;
Tant fist qu'ens ou manoir entra.
La dedens fu biel recueillies
Et a son droit appareilliés.
1 5875 De Sansorin lairons atant.
Et si parlerons maintenant
De Melyador le vassal.
Qui chemine tout a cheval,
Au lés, par devers Signandon.
1 588o Souvent pense au corps et au nom
D'Ermondine, bien le sachiés,
Com cilz qui est pris et laciés f, i ij h
Des las d'amours, et si estrains
Qu'il poet bien dire : « Certes, j'ains
1 5885 « Ardanment la bonne et la belle,
« Pour qui mainte cose nouvelle
I g2 MELlÂDÔft
a Ay fait et si ferai encor. »
Or s'avise Melyador,
Tout en chevaucant, qu'il fera
15890 Une cançon et chantera.
Adonques li preus le commence,
Et met fort son entente en ce
Que la cançons soit très bien faite,
Car il dist : a C'est pour la parfaite
1 5895 a Ma dame, que je tieng a dame,
a Se ne vodroie pas, par m'ame,
« Ou cas que pour l'amour de li
<c Le fay, que g'i eusse falli. »
Et adonques, sans nul delay,
15900 Fist il .1. joli virelay,
Qui se commençoit par tel fourme
Que l'escripture nous enfourme.
Virelay
Joie me croîst, si pers dolour,
En pensant a vous nuit et jour,
1 5905 Ma douce dame souverainne ;
Car c'est voir ma joie mondainne
Que j'en sui ostés de tristour.
Mais plus me seroit grant joie,
Cent mille fois, de vous veoir,
159 10 Car se souhaidier pooie.
Je ne vodroie mieus avoir.
OE saciés, ma très douce amour.
Que se j'ai solas ou baudour,
1 5899 ^^ i^y* ^ ^^ i^y*
MELIÂDOR 193
De vous me vient, soiiés certainne.
i59i5 Vous estes de tous biens si plainne /. nj c
Que vostres vrais servans demour.
Joie me croist, etc.
1 AR ma foy, ou que je soie,
Envers vous ferai mon devoir,
15920 Et cui qu'anuiier en doie
Servir vous voel sans décevoir
1 REs loyaument en toute honnour.
Car je vous crieng, sers et aour
Dessus toute rien terriainne,
15925 Dont tous jours, en vostre demainne,
Je me sui mis sans nul retour.
Joie me croist, etc.
ENsi s'esbat en chevaucant
Melyador au corps plaisant,
I SgSo Et tant fait qu'il est en Escoce
Entrés, et que moult priés approce
Le lieu ou 11 tournois sera.
De haute heure ou bois se loga
De foellies moult fricement.
1 5935 Li chevalier certainnement,
Qui oy parler en avoîent
Et qui la journée savoîent,
Se tenoient de ceste part.
Cescuns d'yaus s'est logiés a part,
15940 Par moult gratieuse ordenance.
La cose grandement s'avance
A manière d'un escaffaut,
Ou nulle cose ne défaut
D'estre proprement carpentés.
1 5945 Lons et larges comme uns hostés
Tome II i3
194 MELIÂDOR
Est li lieus ensi c'on destine,
Ou sera ma dame Hermondine,
A compagnies de pucelles
Friches, jones, gentes et belles, f. nj d
iSgSo Et si en y a grant fuison.
Il n'a ne haie ne buisson.
En le place ou li chevalier
Doient pour le jour tournoiier.
Les dames sont illuec venues,
1 5955 Et de leurs chevaus descendues
Et montées dessus la loge ;
Li rois avoech elles se loge.
Quant heure fu de l'assambler,
On ala .1. grant cor sonner,
15960 Et li sons moult lonch s'espandi.
Adonques cescuns entendi
A mettre le hyaume en teste.
La sont li chevalier de queste
Plus de cent, qui se tiennent prest.
1 5965 Tout se partent de le forest
Montés par dessus leurs chevaus.
Li bleus chevaliers, com vassaus,
Fu auques que des premerains ;
Car segurs se tient et certains
15970 Que tout premiers assamblera.
Agamanor, d'autre part, ra
Pris les camps, par bonne ordenance.
Florée adonques si s'avance,
Qui estoit dalés Hermondine,
1 5975 Et dist ensi : « Belle cousine,
« Veci .11. vaillans chevaliers.
« Cilz qui chevauce tout premiers,
« C'est cilz qui desconfi Camel ;
« Et li secons sans vous dire el,
15980 a Qui porte ceste rouge gonne,
« C'est cilz qui eut devant Tarbonne
MELIADOR ig5
« Le pris, si com j'ay oy dire.
« II n'y en a nul qui ne tire /. n8 a
« A vostre amour, saciés, pour voir.
1 5985 « Vous pores au jour d'ui veoîr
« Faire mainte grant apertise. »
Et si com Florée devise
Ses paroUes, evous venant,
En très biel et bon convenant,
1 5990 Chevaliers qui hors dou bois sallent,
Et ensi qu'il viennent assallent
L'un l'autre, a bien trencans espées.
Lors se commencent les meslées.
De toutes pars, devant les dames.
1 5995 Ce seroit et virgongne et blasmes
A Melyador le vassal,
Puis qu'il est armés a cheval,
Se la ne se faisoit cognoistre
Pour son pris encor plus accroistre.
1 6000 . 1 . chevalier a encontre ;
De l'espée Ta si frapé
Qu'il le fait jus cheoir a terre.
Ensi se commence la guerre.
Tout se sont priés mis en .1. mont
i6oo5 Et la des bras merveilles font;
Il fièrent, f râpent et martellent,
Tant que li oel leur estincellent.
Qui la est cheiis entre pies,
A grant dur poet il estre aidiés,
160 10 Car nul n'i a qui ait varlet.
Melyador merveilles fet :
De l'espée si grans cops donne,
Avoecques ce qu'il s'abandonne
De fait et de très grant corage,
i6oi5 Qu'il en porte a pluiseurs damage.
16008 pies, B priés.
1 96 MELIADOR
Il les abat, il les reverse,
Ceoir les fait la tîeste enverse. /. ii8 b
Hermondine moult bien le voit,
Qui as fenestres s'apoioit ;
16020 Si en parole a sa cousine :
<c Florée, » ce dist Hermondine,
« Vêla le vostre chevalier ;
« Je le voi moult biel tournoiier.
« Il n'i a nul qui le ressamble.
16025 « Or me dites qu'il vous en samble? »
— « Ma cousine, vous dittes voir,
« Telz chevaliers doit bien avoir
ce Belle amie certainnement. »
En dementrues que telement
i6o3o Les .11. damoiselles parloient,
Elles regardent et si voient
Le bleu chevalier et le rouge,
Qui forment faisoit le harouge,
Qu*il se sont encontre de fait.
i6o35 Je vous di que cescuns d'yaus fait
Grans apertises de son corps ;
Mais Melyador fu plus fors
Et mieulz savoit de la meslée.
Gentement manoie Pespée
1 6040 Agamanor ; tel cop en donne
Sus le hyaume qu'il Festonne ;
Bien bas le fait plonkier aval,
Sus la grigne de son cheval.
Ja se fust entre yaus départie,
16045 Par mautalent, li ahatie ;
Mais chevaliers de toutes pars
Les ont, tant que pour l'eure, espars.
Ensi s'entreprent li tournois,
Li behours et li esbanois.
i6o5o Bien y a .ce. chevaliers
Tous tournoians, ace premier. /. u8c
B
MELIADOR 1 97
lEN se maintient Melyador.
Ensengniés fu d'un soleil d'or;
C'est ce dont ses parures se brise.
i6o55 La ot .i. chevalier de Frise,
Grant et fort, et moult bien monté.
Melyador l'a encontre,
Devant les dames, sus sa voie ;
De l'espée, qui pas ne ploie,
16060 Le fiert sus son hyaume amont.
Melyador senti adont
Moult bien le cop dou chevalier,
Mais tele li ala baillier
Que jus a terre l'abati.
16065 Quant cilz a terre se senti,
Tantost fu relevés en pies,
Mais il ne fu mies trop liés
De ce qu'il fu ensi cheiis.
Ses chevaus li fu la rendus ;
1 6070 Car varlet estoient sus place
Tout a piet, ce voel jou c'on face,
Qui mainte courtoisie grande
Fisent ce jour, dessus la lande,
As chevaliers qui la cheoient.
16075 Car quant avenir y pooient,
Il leur rendoient leurs chevaus.
La pooit on oïr hiraus
Criier et anoncier les preus,
Et disoient as amoureus :
16080 « Signeur, Hermondine vous voit,
a Par la quele cilz pris ci doit
« Estre donnés, il n'est pas doute.
« Or metés vostre entente toute
« A estre vaillant et hardi ;
i6o85 « Car s'on y voit acouardi ; f, 1 18 d
c( Chevalier nul, comment qu'il aille*
1 98 MELIADOR
« C'est bien drois c'a l'amour il faille
« De la belle qui vous regarde. »
Ensi nulz hiraus ne se tarde
16090 De parler, et encores plus.
Cilz, dont tous bleus est li escus
Au soleil d'or, bien les entent ;
Adont le brac lieve et estent,
Et dedens la presse se boute.
16095 Venus est en une grant route
De chevaliers qui se batoient,
Et qui moult dur se combatoient,
Et se donnoient grans colées,
De leurs nues trencans espées.
16 100 Mais quant Melyador vint la,
Je vous di que bien on parla
Des apertises qu'il y fist ;
Car tantost .111. chevaliers mist
A le terre par bien ferir
i6io5 Et par vassaument requérir.
Et tout ce veoit Hermondine,
Car grandement estoit encline
Au dit chevalier regarder.
Et par tout venir et aler.
161 10 Si l'en prise moult grandement
Et dist bien en son sentement
Que, se Florée bien le prise.
Droit a, car ossi a sa guise
Il le vault en toutes manières,
161 1 5 Car n'i a, desous les banieres.
Chevalier qui tant face d'armes ;
Ce dient bien les aultres dames.
ELYADOR, bien le saciés.
Est ensi grandement prisiés f. iig a
16120 D'Ermondine. Bien le doit estre,
M
MELI ADOR 1 99
Car, et a senestre et a destre,
Par tout se combat bien et bîel.
La y avoit .i. damoisiel,
Qui estoit Gratiiens nommés
1 6 1 25 Et en armes moult renommés.
C'est ciiz qui issi d'Italie.
Melyador a ceste fie
L'encontre dessus son chemin ;
Si le feri a tele fin
i6i3o Que tout bas il le fist bronchier.
Dist Gratîens au chevalier :
« Sire, sire, vo cop sont grant.
« Vous avés puis .i. an fait tant
« Pour moy, que je m'en doy souÉfrir.
i6i35 « Ne vous endurroie a ferir,
« Se Diex m'ayt, comment qu'il aille. »
Adont entre ou tournoy sans faille
Et lait Melyador droit la.
A ce que Gratiiens s'en va,
16140 II encontre .1. chevalier aultre,
Qui portoit l'espée sus fautre ;
Nommés fu messires Feughins.
Gratiiens qui fu bons et fins
Le feri dessus le hyaume ;
16 145 Li aciers vali .1. royaume
Contre le cop bien estendu,
Autrement Teuist pourfendu.
Messires Gratiiens passe oultre
Frichement, en faisant son monstre.
1 6 1 5o Es Dagoriset et Savare,
— Entre yaus n'i avoit point de bare ; —
Des espées sont encontre,
Et li uns dedens l'autre entré f. iig h
Et se donnent grans hatiplas,
161 55 En levant contremont les bras.
Ja se fuissent adamagié,
200 MELIADOR
Car moult furent encoragié
L'un sus l'autre, par grant a!r
De cascun moustrer le désir
16160 Qu'il avoient du dit tournoy,
Quant evous, en très bon arroy,
Le chevalier de Cornuaille
Qui leur desrompi la bataille,
Parmi tant qu'il vint sus leur place
i6i65 Ou tantost il entra en cace
Apriès .11. aultres chevaliers.
Moult le veoient volentiers
Les damoiselles de la loge,
Car Melyador pas ne loge
1 6 1 70 En une place longement,
Mais se remoustre telement
Sus et jus, aval la besongne,
Qu*il n'i a nul qui ne ressongne
Les grans horions qu'il départ,
161 75 Se ce n'est cilz qui a grant part
Dou tournoy et a sen honnour,
Agamanor, qui ens ou jour
Y fist moult d'apertises d'armes,
Devant les loges et les dames.
16180 Pas ne sçai s'il avoit envie
Sus la bonne chevalerie
Dont Melyador estoit plains,
Mais moult desiroit c'a ses mains
Il li peuist porter damage.
16185 Une heure sus son avantage
Le trouva, si com il m'est vis.
Adonques fu la li devis f, ng c
Des damoiselles qui le voient.
En disant : « Cil doi estre doient
1 6 1 90 « Moult grandement recommendé.
c< Or regardons, pour le corps Dé,
t Comment entre yaus se maintenront,
MELIADOR 20 ï
« Car huî .11. fois trouvé se sont
« Et combatu moult fièrement. »
161 95 Et cil qui ont grant hardement,
Et moult de vertu en leurs bras
Qu*il n*ont mies pesans ne cras,
Mais fort, et drois et aligniés,
Fièrent et frapent, ce saciés,
16200 Desus les hyaumes amont.
Hardemens ensi les semont,
Ce poet on loyaument bien dire,
De Tun Tautre la desconfire.
«
CHiL doi chevalier dessus dit
Ne se combatent pas petit,
Mais longement et a leur aise,
Ce n'est pas drois que je m'en taise,
Car il font d'armes grans merveilles.
Et toutesvoies les vermeilles,
162 10 A une blanche dame en mi,
N'ont pas les blewes desconfi,
Car li place la li demeure,
Et me samble que pour ceste heure
Agamanor chei a terre.
1 62 1 5 Et tantost le vinrent requerre
Li homme qui au tour estoient,
Qui au relever les aidoient.
Car autrement par vérité
Point ne se fuissent relevé.
16220 Tantost fu a cheval remis.
Or est il, ce dist, ennemis, /. iig d
Au chevalier au soleil d'or.
Quant bien batu l'a et encor
Fait jus aler de son cheval.
16225 Agamanor parmi .1. val
S'en est venus, car on l'ensengne,
202 MELIADOR
Sus .1. chevalier de Bretagne^
Qui nommés estoit Agoris.
Il l'a a l'avantage pris,
i623o Car illuecques le fist cheoir.
Geste empainte peut bien veoir
Li rois Hermons de sa fenestre,
Car, fust a senestre ou a destre,
Il veoit aval et amont.
16235 A ce pourpos a dit adont :
« Cilz rouges chevaliers, voiiés,
« S'est moult grandement revengiés,
« Car il en a .1. abatu,
a Qui avoit trop bien combatu
1 6240 « Tout le jour et sans cheoir point,
ce Regardés encores : il point
« Devers le plus fort de l'estour ;
« Par armes poroit en ce jour
(c Avoir le pris c'on li calenge.
1 6245 « Mais cilz est de plus grant loengc,
a Ce m'est vis, qui le soleil porte,
« Car très vaillamment se déporte
« A aler et venir par tout.
« Hui, ens ou jour, l'ai veti moult
16250 « De très grans apertises faire.
« S'en loe trop mieulz son afaire. »
A
CES parolles deviser.
Que si vous m'oés recenser,
Estoient a très bonne estrine
16255 Florée et ma dame Hermondine. /. 120 a
Si leur vienent a grant plaisance,
Quant cils, par sa bonne ordenance,
Sa gouvrenance et son arroi
Se fait recommender dou roy.
1 6260 Adonques respondi Florée :
MELIÂDOR 203
a Certes, monsigneur, sus la prée
« N'i a chevalier qui le vaille,
a Ne qui mieus se tiegne en bataille,
o Ne qui tant face d'apertises. »
16265 Tout ensî font la leurs devises,
Et Melyador en la pain ne
Est, qui moult bien tient sen alainne.
Point ne va devers les plus foibles,
Ne les lassés, ne les endoibles,
1 6270 Mais chevauce contre les fors.
Il est bien voirs c'Agamanors
Se combati très vaillamment,
Et abati certainnement
Plus de .X. chevaliers ce jour.
16275 Mais toutes fois, tant c'a Tonnour
Et a le loenge de tous.
Non pas acordée au rebous
Mais ensi qu'elle devoit estre,
Melyador fait de lui nestre
16280 De proeces oultre mesure.
Tout ce jour en son armetire
Se tint sans recouvrer alainne.
Qui estoit as aultres grant painne ;
Mais point n'en moustra dou contraire.
16285 D'une coursée s'ala traire
Devers la fenestre Hermondine;
La ramena a bonne estrine ^
Le tournoy, ferant, et frapant
Et as chevaliers abatans, f. 120 h
16290 Tant que les dames en disoient
Ensi de li et devisoient :
« Cîlz chevaliers nous vient esbatre.
« Veés, il met painne a abatre
<( Chevaliers. Il fait de son corps
16295 « D'armes grans fais et grans recors. »
Hiraut ne sont mies trop loing,
204 MELIADOR
Qui ont grant entente et grant soing
Qu'il soit très bien recommendés,
Et dient en hauit : a Regardés
i63oo « Dou chevalier au soleil d'or,
« Comment il se maintient encor.
« Il est en armes ossi frès
« Et en ses coses ossi près,
a Comme il fust en Teure venus.
i63o5 a II est très franchement tenus
« A cheval, car hui ne cheî,
« Ne onques ne li meschei
« Chi ne ailleurs, dont il vault mieux.
a La renommée a en tous li[e]us
i63io « De grant proece et de vaillance. »
Tout ensi, par bonne ordenance,
Hiraut dient la et recordent,
Qui a Tun Tautre bien s'acordent,
Et puis crient a haute vois :
i63i5 « Le pris, le pris, Ponneur, c'est drois,
a A celi qui le soleil porte,
u Qui ci et ailleurs se déporte
« A estre si bons chevaliers.
« C'on en parole volentiers. »
i632o m jr ouLT fu cilz tournois biaus et gens,
IVi Et moult prisiés de toutes gens
Qui le regardent environ.
Ce jour maint pesant horion f, 120 c
Y donna et rechut ossi
i6325 Li chevaliers c'on prise si.
Qui se brise dou soleil d'or.
Florée ne s'en poet encor
Ravoir de dire a sa cousine :
« Regardés, très douce Hermondine,
i633o « Comment nos chevaliers s'esprueve.
MELIÂDOR 205
« Tout ce qu'il encontre et qu'il trueve
« Est abatu, voiant nos y eus.
« Tout ensî me voelle aidier Diex,
a Se onques vi tel chevalier.
i6335 « Comment poet il tant travillier,
« Ne durer, ne souffrir la painne,
« Ne demorer en sen alainne,
« Car si cop noient n'afoiblissent?
« Je voi des chevaliers qui issent
16340 ce Et qui sont durement lassé,
« Batu, fourmené et pressé,
« Pour .1. peuVafreschir leurs corps;
« Mais cilz ne se traist point la hors,
« Ançois se boute toutdis ens. »
16345 Hermondine, qui a bon sens,
Le prise ossi en son corage ;
Dist qu'il passe de vasselage
Tous les aultres certainnement,
Et que selonc son jugement
i635o Nulz ne li torra la Tespée,
Car moult bien sera acatée
Par proece et par haute emprise ;
Ensi Melyador on prise
Et il l'acquiert par son bien fait.
i6355 Li hiraut qui doient dou fait
Jugier, et qui sont la au tour,
Et qui poursieuent tout le jour /. 120 d
Le mieulz faisant a lor manière,
Dient : a Ceste journée chiere
i636o « A ce chevalier demorra,
« Qui ou bleu le soleil d'or a. »
Adont s'en viennent, ce me samble.
Vers li et puis dient ensamble :
« Or avant, sire chevaliers.
i6365 « Certes en vous est li mestiers
« D'armes tout plainnement entés.
2o6 MËLIADOR
« On trueve en vous les volentés
(c Si grandes pour a honneur tendre,
(c C'on ne vous ose as coups attendre. x>
16370 Meiyador, qui les caroles
Ronty des plus fors de ces paroles
N'est point vraiement courouciés :
Car il scet bien que ii grans chiés
Ou toute sa pensée gist
16375 Est la, et ot ce c'on en dist.
Pour ce se met ii a i'esprueve
Contre tous et son corps esprueve.
Agàmanor moult honteus fu
Dou chevalier au bleu escu,
i638o Qui Tavoit ce jour fait cheoir,
Car au matin cuidoit pour voir
Que on ne le peuist abatre
Et qu'il deuist, par bien combatre,
Avoir le pris de ce tournoy.
i6385 Et quoi qu'il euist grant anoi
Et qu'il fu honteus pour les dames,
Si dist il : « Ce n'est mies blâmes
<c De cheoir quant uns chevaus chiet.
a A milleur de moy bien meschiet;
16390 ce Mais c'est blasmes se ne me venge,
c Et a Tespée ne calenge f, 121 a
« La journée au chevalier d'or. »
Dont qui veist Agàmanor
Poindre le cheval par irour
16395 Et Ii ferir dedens l'estour,
Bien desist : « Vêla chevalier
« Qui scet grandement tourniier
« Et qui se porte vaillanment. »
Bien est sieuis certainnement
16400 Et de hiraus et de piétaille.
MELIADOR 207
Qui environnent la bataille,
Et dist on : « Avant, chevaliers !
a Vous estes moult bien coustumiers
« De vous maintenir par arroi,
16405 « Sus les camps, en .1. tel tournoy
a Comme cilz ou encor plus grant. »
Evous Agamanor entrant
En une route grande et fiere
Ou nul n'en y a qui ne fiere
164 10 De Tespée a tout son pooir.
Agamanor, qui grant voloir
A qu'il se puist contrevengier,
Va encontrer .1. chevalier
De blanc a une noire bende.
16415 Sus li son marnaient amende,
Car telement le porte a terre,
Que li hyaumes tout jus serre
En terre et les pies contremont,
Ens ou regart dou roy Hermont
1 6420 Qui le cop grandement prisa.
Agamanor son tour pris a
En [s'en] venant vers Hermondine,
Qui le remoustre a sa cousine
Et dist : « Veci le chevalier,
16425 (( Qui devant Tarbonne avanthier^ f, 121 h
« Eut le pris, ensi que vous dittes.
<c Ce sont coses toutes escriptes
« Qu'il est biaus chevaliers de corps,
« Bien tournîans, hardis et fors,
16430 « Et croi qu'il le conquist de droit. »
Florée qui pas n'en vodroit,
1 6407-1 6451. Le premier fragment de A débute par le vers
final d'une strophe, auquel succède une strophe de 56 vers, relative
à l'épisode qui suit et oii l'on ne retrouve que quatre vers donnés
ici par B {les vers 16414-16416 et 1461g). Nous reproduisons
cette strophe à la fin du présent volume.
2o8 MELIÂDOR
Fors a point, parler, respondi :
« Bêle cousine, je vous di
« Qu'il est chevaliers voirement
16435 ce Preus et hardis, mes nullement
(c II ne poroit durer en place
a A celui que je voi en face,
« Pas ne sçai comment on l'appelle,
« Mais il slet moult bien en sa selle
1 6440 « Et se porte ce soleil d'or ;
« Vous ne Pavés veti encor
n Cheoir et cilz la est chetis. »
Ensi est la ramenteûs
Li chevaliers, par son bien fait,
16445 Et li dis tournois se parfait
Qui jusqu'à la vesprée dure.
Et la mainte belle aventure
Y eut faite pour celi jour
En painne, en traveil, en suour ;
16450 Ne sçai comment il petirent tant
Tournoiier tout en .1. estant.
T
lOUT ensi se continua
Cilz tournois, qui point n'anoia
As danxes qui le regardoient,
16455 Mais li chevalier qui estoient
Sus les camps, en haire, et en painne
Et priés jusqu'à la grosse alainne,
Li pluiseur caciet, et menet,
Vosissent estre ramenet f. 121 c
16460 Ens el bois, a leur logels.
Ensi dura cilz caplels
16453 Cilz, A Chilz. — 16458 pluiseur, A pluisour. — 16459
estre ramenet, A iestre remcnet. — 16460 el bois, A es bois. —
16461 Ensi dura cilz capleîs, A Tant dura chils fors caplefs.
MELIADOR 209
•
Jusques au soir sans nul séjour.
Quant on vit décliner le jour,
On sonna, dedens le chastiel
16465 De Signandon, .1. son moult biel :
Ce fu un cor a longe alainne.
Cilz sons les chevaliers remainne
Incontinent devers le bois ;
Lors qu'il en oïrent la vois,
16470 II cessèrent de toutes pars.
Tantos fu li tournois espars,
Et s'en vont ens el bois rembatre,
Chi .V., chi .VI., chi .111., chi quatre,
Dont devant estoient parti.
16475 La sont en moult très dur parti,
Li varlet qui n'ont point de mestre :
Les camps a senestre et a destre
Gercent et font tant de tous lés.
Que leurs mestres ont retrouvés.
16480 Chiaus qui sont mort pleurent et crient,
Et des aultres tout hors les trient ;
Les mehagniés a point remettent.
Ensi, sus les camps, s'entremettent
Li escuier de mettre a point
16485 Tout ce qui leur touce et leur point;
Et cilz, qui sen signeur retrueve
En santé, il li prie et rueve
Qu'il s'en retourne vers le bois.
1 6462-1 6471 Ces dix vers sont représentés dans X {i*^ frag-
ment par vingt-huit vers entièrement différents qu'on trouvera à
V Appendice. — 16472- 16473 Ces deux vers sont transposés dans A
qui les reproduit ainsi : Chi .v., chi .vi., chi .111., chi quatre H Et
s'en vont ens el bois rabatre. — 16477 ^ senestre et a destre, A a
diestre et a senestre. — 16481 Et des aultres tout hors, A Et de
Tun l'autre hors. — 16482 Les mehagniés, A Et les blechiés. —
16485 qui leur touce, A qu'il leur touche. — 16486 cilz, A chilz.
— 16487 En santé, A en bon point; — rueve, B trueve. — 16488
vers, A viers.
Tome II 14
2 1 MELIADOR
Agamanor, a ceste fois,
1 6490 O Bertoulet s'en est raies,
Et Melyador d'autre lés.
Cescuns va ou il est logiés,
Desarmés est et refroidies, f. 121 d
Et boivent cescuns .1. petit
16495 Sus l'erbe; il n'ont la aultre lit.
o
R vous dirai dou roy Hermont
Et de sa fille, qui amont
S'en sont râlé ens ou chastiel.
Damoiselles et damoisel
1 65oo Les convoient en grant arroy ;
La ont maint joli palefroy
Et tamaint cheval ensellé.
En grant reviel s'en sont râlé
De trestoutes menestraudies.
i65o5 Li rois et les dames prisies
Sont rentré dedens le chastiel.
Et la s'ordonnent bien et biel
De reprendre nouviaus abis.
Ce sera uns très grant delis
1 65 10 Que des dames veoir en face.
Melyador voelt bien c'on sace,
Voires li et ses escuiers^
Ailleurs ne baille ses cuidiers,
Qu'il ira veoir Hermondine.
1 65 1 5 A Lansonnet en détermine
16490 Bertoulet, A Biertoulet. — 16493 Desarmés est, B Et
desarmés. — 16495-16496 A remplace ces deux vers par les «11-
vants : Et esventés ens ou biel umbre II Dou bois qui biaus estoit
sans nombre. — 16498 chastiel, A castiel. — 16499 <ianioi8el, A
damoisiel. — i65o2 cheval, A ceval. — i65o3-i65o4 A remplace
ces deux vers par les suivants : Et a che qu'ils s'en sont râlé II Et
ensi rentré en le porte.
MELIÂDOR 2 1 1
Son pourpos pour avoir conseil,
Et cîlz respont : « Je m'esmerveîl
a Comment tout ce se pora faire. »
Et Melyador tout l'afaire
i6520 Li conte et dist : « Bien se fera,
« On ira par tout et venra ;
« J^a n'i ara porte fremée.
« Pas ne seroit de moy amer
« Parfaitement belle Hermondine,
i6525 a Se li et sa bonne cousine
a Ne veoie avant mon retour
« Et, se je puis venir a tour, f. 122 a
a A tout le mains je parlerai
a A Florée, et li conterai
i653o « La grignour part de mon entente.
« Elle est bien si france et si gente
a Qu'en tous cas me fera adrece. »
Adont Melyador se drece.
Qui estoit vestis et parés,
16535 Et dist : « Lansonnet, demorés.
« Je m'en vois, car il est droite heure. »
A ces mos, la plus ne demeure,
Mais se part et se met a voie.
Lansonnès rien ne le convoie,
16540 Car point ne le voelt cilz soufifrir.
Tout a piet et de grant désir,
Parmi uns prés ou moult fist biel,
S'en est venus jusc'au chastiel.
La porte trueve toute ouverte,
16545 II se boute ens, a le couverte.
De nullui ne fu cognetis,
Car la de grans et de menus
Estoit la voie toute plainne.
Ensi c'aventure le mainne,
i655o II s'en est entrés en la sale
Ou on carole ja et baie,
2 I 2 MELIÂDOR
Et s'ensonnient de piper
Li ménestrel pour le souper.
EN demetrues que la estoit
Melyador, qui s'arrestoit
En la sale avoech yaus .ce,
Evous venues o leurs gens
Les dames et les damoiselles.
Par ordenances, grans et belles.
i656o Tout premiers estoit Hermondine^
Et puis Florée sa cousine y. 122 b
Et des aultres moult grant fuison.
Toute estoit plalnne la meson
De jeuSy de solas et de joie,
i6565 Ne on ne veoit el sur voie.
On a lavé; assises sont.
La fille au gentil roy Hermont
Est assise a la haute table,
En lieu moult biel et moult notable
16570 Qui estoit ordonnés pour li.
Sa cousine s'assist ossi,
.1. moult petit par desous soy.
Et trois dames après, ce croy.
De Northombrelande et d^Escoce.
16575 II n'est riens que laiens on ot ce.
Fors menestrelz qui se demainent.
Adont li chevalier enmainnent
Seoir dames et damoiselles
As aultres tables moult très belles.
i658o Tout fu de tele compagnie
La sale a ce dont raemplie.
Li rois Hermons, dedens sa cambre
Qui estoit listelée d'ambre,
Avecques pluiseurs chevaliers
1 6585 Les quelz il veoit volentiers,
MELIADOR 2 1 3
S'assist en yaus moult honnourant
Et le roy Artu coulourant,
Car il venoîent de sa court.
On ne le fist mies trop court
16590 Ce souper, saciés le pour voir,
Mais fisent moult bien leur devoir
Li chevalier de bien servir;
C'est plaisans cose dou veîr.
Melyador par tout se boute.
16595 Quant il veoit une grande route f. 122 c
De gens par devant Hermondine,
Il fait d'yaus verrière et gourdine
Pour mieuiz regarder a sen aise
Ceste qui bien vault qu'il li plaise,
16600 Car il l'aime sur toutes riens.
Haro 1 que ce li est grans biens,
Quant bien le poet imaginer
Et .1. regart en priesse embier,
Et, quant ensi qu'en emblant Ta
i66o5 Regardé, il se traist de la
Pour les mestres d'ostel qui vienent,
Et qui cerges en leurs mains tienent
Dont il resclarcissent par tout.
Melyador, a un debout
166 10 De la sale s'en est venus,
Et la ne se tient mies mus
Pour une cançonnete faire ;
Car vis li est que nécessaire
Li soit, c'a se s'ordonne et pense,
i66i5 Quant il voit priés qu'en sa presense
Celle qui est dame de soy.
Adont commence en bonne foy
Une balade incontinent.
Lors qu'il y entra erranment
16620 Le fist ains c'on euist soupe,
Et, pour ce que j'en ay hapé
214 MELIADOR
La matere ensi qu'il le fist,
Vous Forés, car cilz le me dist
Qui le trouva de puis escrite
16625 En une cedule petite.
Balade.
Aucun dient c'amant ont trop grant painne^
Pour bien amer et loyauté tenir;
Pource^ s'il ont .1. bien une sepmainne^ /. 122 d
Encontre ce leur fault .c. maus souffrir.
x663o Mais a ce point ne me voel acorder,
Car Amours poet tout ce bien amender.
Par .1. seul eur c'on en poet recevoir,
Convient il dont tout l'anoî oublier
C'on ot onques ou puist jamais avoir.
X 663 5 Oi doucement Amours ses servans mainne
C'on doit tous jours son voloir acomplir,
Mais pour ce voir dou tout en son demainne
Je me sui mis sans jamais repentir.
En ce pourpos voel fermes demorer,
16640 Si ne m'en poet jamais nuUui oster;
Car, pour certain sçai, a son doulz voloir,
Convient il dont, etc.
Or li pri dont que de ma souverainne
Puisse, en brief temps, par sen honneur joîr ;
16645 Car c'est tout voir et bien cose certainne
Que tout mon bien me poet de ce venir.
Par ce puis jou ma joie recouvrer ;
Si l'en lairai de ce tout ordener,
Que je sçai bien par son très grant pooir,
i665o Convient il dont, etc.
MELIÂDOR 2 1 5
ENSi, par soy esbanoiant,
A une fenestre apoiant,
Fist Melyador la balade
De coer haitiet, non pas malade,
i6655 Mais joieus et très envoisiet.
Et quant il l'eut metrefiiet
Et recordé, si dist pour vrai :
a Jamais jour ne l'oublierai. »
Et ensi qu'il revînt arrière,
1 6660 II y avoit moult grant lumière
Par devant la table a sa dame;
Car on estoit sus Tain, par m'ame, /. i23 a
De lever et oster les tables.
Cilz en qui le coers est estables
i6665 De bien amer, il n'est pas doubte.
S'est tantost remis en le route
Des chevaliers qui la estoient,
Et qui en estant s'arrestoient
Par devant la table Hermondine.
1 6670 Si le regarde et sa cousine,
Que veti avoit aultre fois ;
Moult li est ce regart courtois,
Doulz, gratleus et très plaisans.
On se leva, car il fu temps,
16675 Dont commencierent a piper
Ménestrel, et hault a tromper,
Et a ouvrer de leur mestier.
Signeur, dames et chevalier
Se prendent errant par le doy,
1 6680 Et commencent par esbanoy
A caroler .1. seul petit;
Et puis tantost, sans contredit,
Sont de ce rentré ens es danses.
Et la furent ces ordenances
i6685 Bien demi heure maintenues.
2 1 6 MELIADOR
Evous la piuîseurs vois venues,
En disant : « Dames, c'or partes
a Et dou pris ordonner venés,
a Car ii rois lassus vous attent. »
16690 Et quant Meiyador entent
Ce parler, si dist qu'il ira
La ou le pris se jugera,
Car toutes gens de bien iront.
Les dames se partent adont
16695 Et li chevalier tout en Teure;
Nulz en la sale ne demeure f. i23 h
Qui soit tailliés de donner pris.
Le chemin d'une cambre ont pris
Ou li rois estoit proprement,
1 6700 Qui ne voelt mies sobrement
La dou bleu chevalier parler.
Mais en tous cas recommender.
Li pris valoit que tous jugiés.
Car si fort estoit entechiés
16705 De proeces, de chief en cor,
Li chevaliers au soleil d*or,
C*on li donne a plainne huée
Le pris dou tournoy et Tespée. .
Adonques ceste voie s'espant.
167 10 Chevaliers et dames errant
Devers la sale s'en retournent.
Et hiraut, qui point ne séjournent
De hault criier a clere vois,
Dient en cheminant envois :
16715 « Le pris, le pris au vaillant homme,
« Que le bleu chevalier on nomme,
« Celi qui le soleil d'or porte,
16693 Ici commence le second fragment de Â. — 16703 Mais en
tout cas recommander, A Mais grandement recoumender. —
16705 proeces, Bproeches. — 16707 donne a plainne, A doune a
plaine. •— 16713 criier^ A crier. ^ 167 16 nomme, A noume*
MELIADOR 2 1 7
« En qui proece se déporte !
a Conquis a i'espée et de droit
16720 « Nulz n'est qui tollir li vodroit,
« Car il Ta très bien acaté.
« Hui ne le veîsmes maté,
« Ne faire samblant de guerpir
« Le tournoy, mais toutdis ferir
16725 a Et chevaucier sus les plus fors. »
Chil hiraut salent errant hors
Dou chastiel, et tout ensî crient
En la place, et en criant dient :
« Le pris, le pris au chevalier
16730 « Qui a hui volut tournoiier, f. i23 c
« Si vaillamment et si a point,
« Que nulz n'est trouvés ens ou point
« De lui, ne en sa grant vaillance !
« On ne le poet a la samblance
16735 a Des dames voir emploiier mieuls.
<c Conquis Ta, si nous ayt Dieus,
« Si vaillanment et si a droit,
« Que, qui retollir li vodroit,
« On li feroit grandement tort.
1 6740 « C^est cilz qui mies ne se tort
M De proece dont on le prise
« Et qui d'un soleil d'or se brise. »
16718 qui, A cui. — 1672 1 acaté, A achaté. — - 16722 Hui ne le
Tcismes, A Hui ne le vismes nous. — 16724 Le tournoy, A La sele.
— 16725 chevaucier, A cevaucier. — 16727 chastiel, A castiel. —
16728 En la place, A En le plache. — 16780 Qui a hui, A Qui
hui a. — 16733 vaillance, A vaillanche. — 16784 poet a la sam-
blance, A puet a la samblanche. — 16735 voir emploiier mieuls,
A point emploiier mieus. — 16740 cilz, A chils. — 16741 proece,
A proeche.
2 1 8 MELIADOR
ENSi la vois s^espant par tout.
Melyador, a .i. debout
16745 De la cambre ou dit on avoit
Le pris, a ce dont se tenoit
Et ne visoit a aultre cose
Que Florée a qui moult bien ose
Parler, ce li vient en samblance,
16750 Passe par la, en ordenance,
Ensi que passer li convient;
Au dehors de Puis il se tient.
Tortis passent a grant randon
Et chevalier en abandon^
16755 Qui par devant les dames vont.
Hermondine passa adont,
Et tantos apriès sa cousine.
Melyador .1. peu l'encline,
Par manière de contenance,
1 6760 Et le trait a li par le mance
Et puis tantost le lait aler.
Mais il adreça son parler
Tout en bas, en disant ensi :
<K Damoiselle, je vous suppli /. i23 d
16765 « Que dou chevalier vous souviegne,
(( S'il est ensi c'a tour aviegne^
« Qui se combati l'autre fois
« Encontre Camel de Camois
« Et cui donnastes l'anelet. »
16747 cose, A coze. — 16748 qui, A cui. — 16749 sam-
blance, A samblanche. — 16750 ordenance, A ordenanche. —
16754 abandon, B abandan. — 16759 contenance, A contenanche.
— 16760 mance, A manche. ^ 16762 Mais il adreça son, A Mais
pas n'en laissa a. — 16763 Tout en bas» en disant ensi, A A loi,
enchois li dist enssi. — 16765 souviegne, A souvigne. — 16766
S'il est ensi, c'a tour aviegne, A S'il est enssi, c'a tour il vigne. —
16769- 16774 Voir, à V Appendice de ce volume, les dix vers qui,
dans Â, prennent la place des six vers que donne B.
MELIÂDOR 2 1 9
16770 Florée cuida d'un varlet
Estre aresnie vraiement ;
Si passa outre incontinent ;
Mais, tout en alant ses sentiers,
Elle dist : « Compains, volentiers.
16775 a Veci voir le pris qu'on li porte.
« Ou est il? Est il a le porte? »
Et cilz respont, tournant son sens :
« Damoiselle, il est hors ou ens. »
Plus n'i eut dît a ceste fois.
1 6780 Melyador se tint tous quois.
Et Floré[e] vint en la sale.
Saciés que pas ne tint a gale
Li bleus chevaliers la response,
Ançois tous courouciés s'esconse
16785 Et se met en un angelet.
Les danses et Florée let,
Et se repent qu'il est venus.
A par soy dist : « Bien sui tenus
<' Quant on m*a respondu ensi.
16790 « Et ceste que j'amoie si
« S'est de moy si briefment passée;
« Ensi c'une femme lassée,
ce Qui n'a mies trop grant désir
« De nulles nouvelles oîr,
16795 « M'a respondu et m'a fait signe.
« Las! pourquoi vous ains, Hermondine,
« Car vis m'est que je pers ma painne.
« Espoir telz mies ne se painne /*. 124 a
« A la vostre amour que je fai
16800 a Et jusques a ores fait ay,
16775 Veci, A Vechi; — qu*on, B c*on. — 16777 cilz, il chils. —
16779- 1682 5 ^^^ quarante-sept vers sont représentés dans A, par
sept vers qu'on trouvera reproduits dans V Appendice, — 16790
que, B qui.
220 MELIADOR
« Si fort ne si destroitement,
« Ce sai je tout certainnement^
« Et si n'en ay fors que les haires,
a Car vous a moy ne pensés gaires
i68o5 a Et ossi ne fait vo cousine,
« Si com j'en ay veû le signe.
« Tost sont femmes en brief muées ;
« Ensi que vens vont leurs pensées.
« Creû n'euisse point orains,
16810 <c Pour tout l'avoir qui est a Rains,
« Que Florée m'euist ce fait. »
Adont sus cel estât le lait
Melyador tout courouciés,
Et s'en est venus de reciés^
i68i5 La ou il vit la grignour presse,
Et a veoir les danses presse,
Qui estoient ja commencies
A tel son de menestraudies,
C'on ne pooit la oîr goûte.
16820 Or est Florée entrée en doubtc
Qu'elle n'ait trop mal respondu.
Trop se repent quant attendu
N'a plus et parlé a cel homme.
Si pensieue est en fin de somme,
16825 Que elle en piert la contenance,
Et s'en met en tele ordenance
Que sa cousine s'en perçoit.
Vers lî vint ou elle le voit
Et li dist : « Que vous fault, cousine? »
i683o Et ceste, qui fu toute estrine,
16817 commencies, A coumcnchies. — 16819 goule, B goûtes.
— 16820 doubte, A doupte, B doubles. — 16823 cel, A cest. —
16824 en fin, AB la fin. — 16826 la contenance, B moult conte-
nance. — 16826 Et s'en met en tele ordenance, A Et se met la
telle ordenanche. — 16827 perçoit, A perchoit. — 16828 Vers li
vient, A Viers lui vint. — i683o ceste, A celle.
MELIADOR 221
Li dist : « Pour quoi le dittes vous ? »
— « Pour ce quMl samble tant qu'a vous/". 124b
« Que vous soiiés .1. peu malade. »
Dist ceste : « J'ay le coer tout fade
16835 « D'une pointure, Dieu merci,
« Qui m'est sourvenue droit ci ;
« C'est une cose mervilleuse.
« Je ne sçai s'elle est périlleuse ;
a Mais volentiers .1. peu iroie
16840 (( En ma cambre, et la me tenroie
« Tant qu'en point fuisse revenue. »
Et ceste, qui pas ne Targue,
Li acorde legierement.
Adonques tout secrètement
1 6845 Se part Florée a quelque painne
Que ce soit, et o lui n'enmainne
Que une seule pucelete.
Espoir que de .xii. ans jonete.
Et se departoit sus l'entente
i685o Que ses sens tout ensi le tente,
Et li fait proprement a croire
Que se ceste matere est voire,
Que Melyador est en place
Entrues c'on déduit et solace.
i6855 A ce qu'elle a oy devant,
11 se traira tantost avant;
A tout le mains en ora elle
Aucune certainne nouvelle .
i6832 vous, A nous. — 16834 ceste, A celle; fade, A sade.
— 1 683 5- 16837 Ces vers sont sensiblement différents dans A :
Et en bon estât. Dieu merchi; (| Mais une pointure m*est
chi I) Avenue, moult mervilleuse. — 16848 de .xii. ans, A de
.VI. ans.
22 ^ MELIADOR
m jrELYADOR, si m'ayt Diex,
1 6860 lyi Avoît veti devant ses yex
La contenance d'Ermondine
Et de Florée sa cousine,
Car il n'avoit ailleurs regart.
Et si tost qu'il voit qu'elle part,
i6865 II tourne d'autre part sa teste;
Si voit qu'elle vuide la feste. f. 124 c
A ce premiers le sieut de loing.
On n'avoit laiens aultre soing
Que d'esbatre et solatiier.
1 6870 Pluiseurs dames et chevalier
Virent bien Florée partir;
Mais tout et toutes, sans mentir,
Cuidierent bien a celle fois
Que leur dame a baissete vois
16875 Li euist quelque cose dit
Qu'il li fausist sus son abit,
Se l'alast secrètement querre.
Pour ce n'en volt on plus enquerre.
Et Florée, qui bien el pense,
1 6880 Voit revenir en sa presense
L'omme qui ot parlé a li.
Ce grandement li abelli
Et li dist : « Traiiés vous avant.
« N'estes vous cilz qui au devant
i6885 « Telz parlers ores me mesistes,
« Et qui si me ramentesistes
a Le chevalier au soleil d'or ? »
— « Oïl, voir, et le fay encor. »
Dist Florée : « Et qui estes vous ? »
1 6890 Respont cilz : « C'est ci entre nous
« A dire. Et ne me cognissiés ? »
— « Non voir ; mais moult m'esjoïssiés
« Quant dou chevalier me parlés.
MELIADOR 223
« Dîttes quel cose vous volés
16895 « Et je le ferai vraiement,
a A mon pooîr tout prestement. »
— a Damoiselle, je sui cilz voir,
« Puis que tant vous en fault savoir,
« Qui fu anten en vo chastiel,
16900 « A cui vous donnastes l'aniel. » f. i24d
— « Et ou est il? » — « Il est ou doy
a De celle pour qui je le doi
« Mieus amer, assés que pour mi :
« Pas n'a granment que je li vi. »
16905 Adont Florée se reprent,
Qui par ses paroUes aprent
Que c'est la li bleus chevaliers :
« A ! » dist elle, « doulz sires chiers.
« Aventure ci vous amainne,
169 10 « Et s'avés hui eii tel painne
« De tournoiier trestout le jour,
« Sans avoir noient de séjour.
« Comment le poés vous porter? »
— « Dame », dist il, « au déporter,
1 69 1 5 a Avoech vous et vostre cousine,
« Porteroiie bien a l'estrine
« Plus grant painne que ne soit ceste. »
Florée adont baisse le teste
Et dist tout bas : « Alons, alons.
16920 « Longement droit ci ne parlons.
« Nous arons bien ailleurs matere
« De parler en cambre plus clere
« Que ne soit ceste voie sombre ;
« Mais tout de gret ay pris cel ombre
16925 « Pour parler a vous en requoi. »
Dist Melyador : « Bien le croi.
« Vous estes sage et bien couverte,
« Et au besoing assés ouverte
« Pour faire toutes riens a point.
16930 « Sur tout ce, je ne pense point. »
224 MËLIÂDOtl
E
N une cambre belle et gente,
Qui en la garde estoit d'Argenté,
La plus secrée de leur dame,
En mena Florée, par m'ame, f, i25 a
16935 Melyador son chevalier.
Quant ens fu Puis cloy arrier,
Ce dist : « Argenté, douce amie,
« Veci cesti, n'en doubtés mie,
« Qui fu a Montsegur Tau trier,
16940 « En estât que d'un mercenier.
« Di je voir? Regardés le bien. »
Et ceste, qui sur toute rien,
Fu dou parler esmervillie,
.1. petit y merancolie
16945 Et respont : « Certes, je ne sçai.
<c Le marcheant bien avisai,
« Mais point ne ressamble cesti.
« Je le vi aultrement vesti
« En gise d'un droit paisant,
16950 « Et cesti a le corps plaisant,
« Bien tailliet et de belle fourme.
« Espoir mies ne vous enfourme
« De vérité a sa parole ;
cf Vous poriés bien estre trop mole
16955 a De lui trop legierement croire. »
Dist Florée : « C'est cose voire. »
— « Pensés vous dont c'uns merceniers
(( Fust cilz, qui ot de vos djcniers ? m
— « Certes, nennil, pas ne le taille
16960 « Que tel cose faire li faille.
<( C'est li bleus chevaliers sans doubte,
« Qui a hui passée la route
« Dou tournoy et conquis le pris.
16937 Ce dist, B Et dist.
MELIÂDOR 225
« Plus le regart, mieulz Tay apris ;
16965 « Car je Teuch ja en mon chastiel,
a Bien .1. mois, et me fist .1. biel
« Et très grant service, par m'ame,
« Et ossi fist il a vo dame, f, i25 b
« Ma cousine, et tout en .1. mois :
16970 « Monsigneur Camel de Camois
« Occist par sa chevalerie.
« Argenté, ma suer, je vous prie,
« Que vous li faites bonne chiere ;
« Car, pour l'amour de ma très chiere
16975 « Cousine, est il droit ci venus,
« Et ne ri scet nulle ne nulz,
« Fors vous et moy, dont je vaulz mi[e]ulz.
« Vous avés esté ens es lieus
« Pluiseurs, ou parlé en avons
16980 « Et souhediet plus c'onques homs
a Ne fust désirés ; je le croy.
« N'en aiiés doubte ne effroy ;
a Car, se nul contraire y sceuisse,
« Ci point amené ne Teuisse. »
16985 lyyrELYADOR estoit a part
IVl Trais, et n'ot mies quel départ
De biens Florée la ordonne,
Et quoiement les semé et donne
Pour li, afin que mieulz en vaille
16990 Et que la pucelle, sans faille,
Qui estoit de sa garde dame,
Amoureusement le regarde.
Bien en avoit oy parler
Sa dame, et si savoit tout cler
16995 Que cilz tournois estoit empris
Pour veoir s'il avoit le pris
Et la grande chevalerie
T. II i5
220 li£LIADOR
Que Florée, sa bonne amie,
Recordoit de lui et disoit ;
1 7000 Mais toutes fois elle visoit
Que sen honneur y fust gardée.
Pour ce s'est encor retardée f. 12S c
De Melyador festiier;
Mais se va moult ensonniier
1 7005 Au parler et dist : « Las ! Florée,
« Vous savés comment m'est donnée
« Et mise vo cousine en garde.
« C'est ci uns poins ou je regarde,
« Car je crieng trop blasme et reproce.
170 10 « Que diroit ja li rois d'Escoce
« Nos sires, se ceens venoit
« Et .1. seul chevalier trouvoit,
« Soit de Gales ou de Bretagne,
« Parlant a moy par voie estragne
1 701 5 « Ou a sa fille nostre dame ?
a Je seroie morte, par m'ame,
(' Ou virgondée a tous jours mes.
« Trop bien me faut garder ma pais
« Se je voel demorer ceens,
1 7020 « Pour Tenvie de toutes gens
« Qui sont dedens ceste maison.
« Encor y a aultre raison
« Qui m'est revenue au devant,
« Que je vous dirai maintenant.
17025 « Ma dame et la vostre cousine
« Seroit ja certes moult estrine
« Et grandement esmervillie,
« Se ci entroit a chiere lie
« Et elle trouvast sans savoir
1 7o3o « Ce chevalier avoec moy, voir.
« Elle m'en saroit trop mal gré,
« Tant cognoi je de son secré. »
«
MELIADOR 227
« T^T que ferons dont, douce amie ?
X^ Aultre conseil n'i perçoi mie,
17035 « Il couvient que ceens demeure. »
Et Argenté respont en Peurc : f, i25 d
« Je le vous dirai volentiers,
« Ou cas que c'est li chevaliers
« Dont vous recordés si grant bien ;
17040 « Car je ne voel sur toute rien
« Faire chose ou reprise soie.
« Je le metterai hors de voie,
« En une cambre tout par li,
« En lieu gratîeus et joli,
1 7045 « Ou il sera tout a sen aise.
(( Mais, belle dame, qu'il vous plaise
« Et vous me dires au sourplus
« Que je ferai, et sans refus
« Je le ferai, s'il se poet faire. »
17050 Florée, qui perçoit Tafaire
D'Argentine, et trop bien le sent,
A ceste paroUe s'assent,
Et fu en l'eure consillie
De respondre et appareillie
17055 De donner conseil a son gré.
Adont li recorde en secré
Comment des danses se parti,
Pour ce que elle avoit oy
Ce chevalier ensi parler,
1 7060 Quant en sale s'en peut aler.
<( Je vous dirai que je ferai.
« Sus ce lit je me metterai,
« Et ferai moult fort le malade,
« Le pesant de corps et le fade ;
17065 « Et lors que je serai couchie,
« Vous îrés toute couroucie
(( A ma cousine et li dires,
228 MELIADOR
« Coiement ou vous le verés,
« Ma maladie a bonne entente.
17070 « Je le sench bien vers moy si gente, /". 126 a
« Si appareillie et si propre,
<c Que ja n'ara le coer si sobre
« Que tantost ne viegne vers moy;
«( Et quant ci sera, par ma foy,
17075 « Je le cuide si biel attraire
a Et par mes paroles tant faire
« Qu'en riens n'en serés demandée,
ce Mais tout plainnement escusée.
a Que vous semble? Ay ge bien visé? »
1 7080 Et celle n'a riens devisé,
Car la paroUe bien li plaist.
Elle dist : « OU. » Lors se taist.
Et Florée s'en vient arrière
Tout en riant, a lie chiere,
17085 Viers Melyador le courtois,
Qui se tenoit illuech tous quois.
Si s'escuse moult doucement.
Sans parler ja trop longemem,
De ce c'on li fait tant de painne,
1 7090 Qu'il ne poet a sa souverainne
Parler, sitos comme il vodroit ;
La monstre le tort et le droit
De la damoiselle, sa dame.
Melyador respont : « Par m'ame,
17095 « Florée, Je l'escuse bien,
« Car il li fault sour toute rien
<( Garder sa pais ; c'est vraie cose.
« Elle ne poet faire ne ose,
« Fors tout ce qu'elle a d'ordenance. »
1 7 1 00 Adont Argentine s'avance
Et dist au chevalier : « Alons.
« Li chemins n'est mies trop Ions,
(( Biaus sire, je vous voel mener;
MELIADOR 229
« Mais hui vous lairés gouvrener /. 126 b
17105 « Par moy. » Et a ces cops desfrume
Une cambre et feu y alume.
La lait Melyador, et dist
Tout ensi quant de la cambre ist :
« Sire, ci vous couvient attendre
171 10 « L'eure c'on pora bonne prendre.
« Ne le poons aultrement faire. »
— « Bielle, » dist cilz, « sus vostre afaire
« Ne voel je noient deviser. »
La le va laiens enfremer
1 7 1 1 5 Argenté, puis revient arrière,
Et trueve ja en sa manière
Florée gisant sus .1. lit,
Qui incontinent li a dit :
« Douce Argentine, aies ent la,
17120 « Car la nuit grandement en va,
a Qui nous sera courte ains le jour. »
Et Argentine, sans séjour.
S'en part et en la sale vient,
Et regarde, et voit c'on se tient
171 25 Tout en carolant par le doy,
Et que ménestrel sont tout quoi.
Et cantoient cil baceler
Et ces damoiselles moult cler.
Si vint la si a point Argenté
1 7 1 3o C'une pucelle jone et gente
Avoit, comme lie et doucete,
Commencié une cançonnete,
Que sa dame ooit volentiers ;
Car moult li plaisoit li mestiers
17135 Dou canter, il n'est mies doubte.
Argenté se taist et escoute
Que c'estoit uns rondelès gens,
Qui doit bien plaire a jones gens /. 126 c
Qui ont la pensée amoureuse.
23o MELIADOR
1 7 1 40 Ensi disoit la gratleuse
Que vous orés recorder ci^
Pour Tamour de son doulz ami.
Rondel.
OK plus parfaitement pooic
Amer mon douls loyal ami,
17 145 Par ma foy, je Tameroie.
JLrT bien faire le deveroie
Pour la grant loyauté de H,
Se plus^ etc.
De bon voloir je le feroie,
171 5o Dont je mach en garde de li
Mon coer, quel part que je soie,
Se plus, etc.
CESTE cançon ditte et finie,
Argenté fu appareillie
1 7 1 55 De traire la dame a .1. lés,
Et dist : a Dame, venés, venés.
« Vostre cousine est en grant painne
« D'une fièvre qui le fourmainne,
c( Et si ne demande fors vous.
1 7 1 60 Prendés a toutes et a tous
a Congiet, et dittes qu'il s'esbatent
« Et ja pour ce il ne s'abatent;
<c Assés en avés pour meshui. »
Et celle qui n'amoit autrui
17165 A painnes, fors que sa cousine,
Prent errant congiet sus ce signe.
MELIADOR 23 1
Dont elle se tient enfermée.
Pour ce n'en fu en riens tourblée
La feste, mais pria a toutes
1 7 1 70 Et a tous, pour oster les doubtes,
Qu'il persévérassent en joie. f, 126 d
Puis se part et se met en voie
Entre lui et sa camberîere.
Cilz qui portoient la lumière
1 7 1 75 Par devant vinrent jusc'a Puis.
Plus avant n'alerent de puis
Qu'il furent venu jusque la,
A la cambre ou on leur donna
Congiet. Adont s'en retournèrent,
1 7 1 80 Et elles en la cambre entrèrent ;
Si fu fremée bien et fort.
Hermondine, pour reconfort
Donner a sa cousine errant,
S'en vient doucement par devant
171 85 Le lit, et illecques s'apoie.
Florée ne se tient pas coie,
Mais se plaint, quant la sent venue
Sa cousine et vers H se rue
Et dist : « Cousine, je sui morte.
17 190 « J'ai voir une fièvre si forte,
« Que j'en ay trop mal en la teste.
« 1res vous meshui a la feste ?
« Est li rois vos pères couciés ?
« Pour Dieu, que point ne m'eslongiés!
17 195 « Si me ferés trop grant solas. »
Et la belle respont en bas
Et dist : « Cousine, volentîers.
« Mais dittes moy dont cilz dangiers
« De la fièvre vous est venus.
17200 a C'est uns maulz pesans et agus,
17177 jusque la, B jusqu'ala.
232 MELIADOR
« Et qui fait moult a ressongnier.
« Voelliés de vo santé songnier,
« Je vous en prî, chiere cousine. »
Et Florée .i. petit se cline,
1 7205 Et dist : « Cousine, grant mercis. f 127 a
ce Mais ciiz maulz seroit tost garis
a Se vous voliés ja, au certain. »
Lors mist Hermondine sa main
Sus son cief et dist : « OU, voir.
172 10 a Puis que santé poés avoir
« Par moy, je voel que vous Taiiés.
« Vous est il par moy envoiiés? »
— a Nennii. » — « Et de quoi vient il dont? »
Et Florée adont li respont,
1 72 1 5 Qui .1. peu le voir li eskiewe :
a D'une paour assés hastiewe,
« Que j'ai eu apriès souper. »
« Paour? » — « Voire, et esçou tout cler
« C'on conçoit fièvre par paour. »
17220 — a Oïl, voir. f> Et lors sans demour,
Hermondine, com esbahie
Et qui bien cuide estre trahie
Quant on a tourblé sa cousine,
Dist, et prie et li monstre signe
17225 D'amours, trop plus grant que devant,
En disant : « Cousine, or avant.
a Dittes qui vous a couroucie. »
— (c II ne m'a point esleecie,
« Mais irée, saciés de voir. »
17230 — « Briefment il le me fault savoir.
« Si en serés mieus apaisie. »
Et Florée, qui est aisie
De dire tout ce qu'elle voelt,
Dist : a Cousine, estre ce ne poet
17235 « Que vous le saciés. » — a Si ferai.
« Au mains conseil y metterai
MELIADOR 233
« Ou ferai mettre par nos gens. »
Dist ceste : « Il n'est point voir ceens,
« De qui celle doubte me vient. » /./27 e
j 7240 — « Dont est il? savoir le convient.
« Trop y faites refus dou dire. »
— « Je ne vous en ose desdire, »
Dist Florée, « puis qu'ensi est.
« Ceste fièvre a présent me nest
17245 « Pour cesti qui tout a vaincu,
a Le chevalier au bleu escu
« En qui proece se déporte ;
« Cesti qui le soleil d'or porte,
« Qui ocist Camel de Camois,
17250 « Et par qui dou tout li tournois
« A hui esté autorisiés,
(( Et qui a esté si prisiés ;
« Qui de droit a le pris conquis.
« Orains il estoit toute nuis;
17255 « A moy envoia .1. varlet
« Et me dist qu'il voloit de fet
« Venir par dedens ce chastiel,
(( A cui que fust ou lait ou biel,
« Pour vous veoir, c'est la substance,
1 7260 « Et feroit ce en men istance.
« Il le me manda tout ensi
« Et, lors que le varlet oy,
« Je fui esbahie forment
« Car ne vodroie nullement
17265 a Qu'il venist ceens sur nous deus.
« S'est il bien si chevalereus
« Qu'il n'i meteroit que le faire. »
— « Adonques », dist la débonnaire
Hermondine, comme courtoise,
1 7270 a Cousine, il me desplaist et poise
« Que pour ce estes couroucie,
« Car je le veroie une fie,
234 MELIADOR
a Ossi volentiers a mon gré /. 12^0
« Désarmé, que je Tay armé
17275 « Hui veû très bien toumoiier.
m S'il fust venus esbanoiier
« Ceens, et vous le sceuissiés
a Et moy, quel mal en euissiés?
« Ostés vostre merancolie,
17280 m Car j'en seroie plus jolie,
« Certes, se vett je l'avoie. »
Et quant ceste entent qu'en la voie
Est sa couâine et amoureuse,
Si en fu grandement joieuse,
17285 Et puis .1. bien petit souspire
Et dist : « Lasse ! je n'ose dire
ce Tout ce qui sus le coer me gist. »
— « Pour quoi? » Hermondine li dist.
<c Ceens poés faire a vostre aise.
17290 « Riens ne dires qui me desplaise,
« Non plus qu'en la vostre maison »
Et quant Florée ot tel raison.
Si dist ! « Cousine, grant mercis.
« Je vous di vraiement que cilz,
1 7295 « Qui a hui vaincu le tournoy
« Et dont nous avons, vous et moy,
« Tant parlé puis .1. mois en ça,
« Est ceens. » Adont li compta
De mot en mot comment 11 vint,
1 7300 Et comment aler le couvint
En une cambre pour Argenté,
'< Qui en fist trop fort la dolente,
(( Quant jusc'a ceens l'amenay.
<t Certes, cousine, veti n'ay
17305 « Ne ne verai en mon vivant
« Chevalier de tel convenant,
« Plus gratleus ne plus joli, /. 127 d
a Ne a qui mieulz aviegne a li
MELIADOR 235
a Uns grans biens, et il Tara voir.
173 10 « Il a hardement et voloir,
« Corps, proece et grant renommée,
« Et si estes de li amée
« Sur toutes riens, je vous créante ;
« Car pour vostre amour recréante
1 73 1 5 « Tous chevaliers et lait aler,
« Sitost que il les ot parler
a De vous et de la questc ou sont
« Et que pour vostre amour il font,
« Et les envoie au roi Artu. *
17320 « Je ne vi onques tel argu
« Avoir a chevalier qu'il a.
<c Se vous volés il vous vcra
« Et, se vous le volés os$i,
«c II s'en rira, cousine, ensi
17325 « Que ceens est venus, sans doute.
« Car voir si fort il vous redoute
« Qu'il n'oseroit nullement faire
« Cose qui vous deuist desplaire.
« Or, m'en respondés liement
17330 « Vostre entente et legierement. »
c
E ne fu mies grant merveille
Se cremeurs, qui souvent resveille
Mainte dame frice et jolie,
Fu en la place appareillie
1 7335 Pour esmervillier Hermondine.
Elle le fu et bien le signe
En moustra, vous orés comment.
Car elle dist : <r Je me repent,
« Cousine, de ce que j'ai dit.
17340 « Que feroiie, se Diex m'ayt,
« Se cîlz chevaliers chi vcnoit f, 128 a
a El ja par le doy me tenoit?
236 MELIADOR
« Je seroie trop esbahie.
a II vault trop mieulz, quoi que je die
1 7345 « Ne aie dit a le bonne heure,
<c Qu'il s'en voist que droit ci demeure.
« Car je ne sui pas coustumiere
« De parler, ne point la manière
« Ne sçai comment je parleroie,
1 7350 « Se devant moy je le veoie.
a J'en commence ja a frémir
« Et lui grandement a cremir.
<c Laiiésle aler, Diex le conduise
a Et n'ait nulle riens qui li nuise.
17355 « Je vodroie sur toute rien
a Que Diex lui envoiast grant bien,
« Tout ensi qu'il en est mérites. »
Respont Florée : « Et vous que dittes?
« Cousine, vous vous fourvoiiés.
17360 a Pensés vous que assés n'aiiés
« De sens, d'avis et d'attemprance,
« De manière et de cognissance
« Pour parler a .1. chevalier?
(c Vous le sarés mieulz recueillier,
17365 « Et par parole plus mettre,
« De ce sui je toute segure
« Qu'il ne vous osera parler,
« Laissiés Argenté avant aler. -
« Il est heure c'on le voist querre.
17370 « Chi n'affiert ne courons ne guerre,
« Fors que paroles gratleuses
a Et ossi aucunes huiseuses.
« Il est bien si doulz et si frans,
«c Si preus et si entreprendans,
17375 « Et si garnis de grant prudense, f, 128 b
« Que ja n'arés de li, g'i pense^
« Fors que parlers doulz et courtois,
<x Et si serons droit chi nous trois
MELIADOR 237
(( Et il sera tous seulz, cousine.
17380 « Vous ne serés ja si estrine
« Qu'il sera cstrins, je m'en vant,
a Car nous saudrons tantos avant
« Et parlerons bien au besoing
« Pour vous, de tout ce n'aiiés soing,
17385 a Car aussi le cognois je assés,
« Et si sera tantost passés
« Vo parlement, sans detriance,
« Car mettre y vodrai attemprance.
« Je li dirai qu'il s'en retourne
17390 « Et qu'il s'en voist, ains qu'il ajourne. »
A ces mos, se test Hermondine,
Et fait a Argentine .1. signe
Qu'elle voist le chevalier querre
En la cambre qui si bien serre.
17395 Et Argentine devant salli
Sitos que sa dame entendi ;
La clef met en l'uis et si l'uevre.
En l'uis ouvrant perdi son oevre
Melyador qui la ouvroit,
1 7400 Je vous dirai sur quel endroit.
Q"
|UANT Argenté la camberiere
Ot laiiens mis a la priiere
De Florée Melyador,
Le chevalier au soleil d'or,
17405 II fu qu'en alant, qu'en venant,
Ensi que j'ay dit ci devant,
Moult longement, saciés pour voir.
Entrues li couvint il avoir
Aucune pensée jolie /. jj8 c
17410 Ou espoir grant merancolic,
Car mies ne savoit encor
Comment il venroit jusc'au cor
238 MEUAÛOR
De ce pour quoi est la tenus.
Et se li estoit revenus
1 741 5 Li pourpos ou il eut esté
En devant une quantité,
Quant Florée parti de li,
Qui a ce dont le recuelli
Diversement, ce li sambla,
1 7420 Comment que bien s'en escusa,
Quant il se fu fais cognissables.
Siques Melyador, comme ables
En ces imaginations,
Avoit dit ensi : « Il n'est homs,
17425 « C'est une cose moult commune,
ce N'ait tous les jours quelque fortune
ce Ou mole, ou dure ou périlleuse,
«c Veci cose moult mervilleuse ;
« On me tient ci ensi qu'en mue.
1 7430 « Fortune grandement m'argUe,
« Et pour ce qu'elle est si perverse,
« Et avoech moy elle converse
<c Et a ja conversé maint jour,
« Entrues que j'ai ci bon séjour
17435 «( Et loisir, selonc ma samblance,
« Je vodrai mettre en ordenance
a Une balade incontinent,
a Et le ferai de sentement,
« Car j'en ay grandement matere. v
1 7440 En ces parlers, c'est cose clere,
Melyador fist la balade.
Moyennement lié et malade.
Balada. J.i28d
Oe fortune la très fausse et perverse
Est contre moy, je voel a ce penser.
MELIADOR 239
17445 A maint homme a esté dure et averse,
Et puis apriès on Ta veu retourner,
Et pour ce voir je me voel conforter
Sur cest espoir, que je sai tout de fi.
Que le temps n'est mies toutdis onni.
17450 C>AR quant li plaist, je sçay bien qu'elle excersre
Gui qu'elle voelt, et fait en hault monter
Et puis apriès en brief temps jus le verse.
Si en haste fait sa roe tourner,
Siques en li nulz ne se poet fier.
17455 Aussi, certes, point je ne m'i affi
Que le temps n'est mies toutdis onni.
Jbr comment dont c'avoecques li converse.
Je doi toutdis le milleur espérer,
Car s'elle estoit .m. fois plus diverse,
17460 Si voel je bien son pooir endurer.
Car bon espoir me voet confort donner,
Et si me fait souvenir de checi
Que le temps n'est mies toutdis onni.
CESTB balade moult bien siert
, , A Melyador, qui la iert
Par dedens la cambre enfremés.
Vis li est qu'il y a remés
Et séjourné .1. lonch termine.
A ces cops evous Argentine,
1 7470 Qui deffrume Fuis en soudain ;
A son caperon met le main
Et le dit chevalier salue,
Et li dist, ou a la value :
« Sire, or avant, on vous demande. »
17475 De ce parler ot joie grande
Melyador, bien le saciés. f, 12g a
240 MELIADOR
Il est .1. petit avanciés,
Et se part et s'en va avant,
Et la damoiselle devant,
1 7480 Qui Talume et entre en sa cambre,
Qui estoit listelée d'ambre.
Floréc et Hermondine estoient
Dalés le lit; la s'arrestoient.
Or fu Melyador souspris
17485 Et de langage mus et pris^
Quant il vit sa dame en la chiere.
Toutes fois pas n'est trais arrière,
Mais s'avance moult doucement,
Et salue benignement
17490 Hermondine et sa compagnie.
Et celle, qui fu esbahie
Quant le chevalier vit venant,
S'est retrette et non mise avant.
Adonques Florée s'avance,
17495 Qui bien en vit la contenance
Que pris estoit et elle prise ;
C'est une cose que moult prise.
Si respondi pour sa cousine,
Et tant sachiés c'a Hermondine
17500 Fist la response trop grant bien.
Car matere y prist et engien
De parler puissedi assés.
Et dist : « Sire, en avant passés.
« Vous soiiés li très bien venus.
17505 « Vous avés esté la tenus
« En une cambre longement.
« Ne vous anuist, car vraiement
« Toutes coses ont leur saison.
« Il nous couvenoit par raison
175 10 « Ouvrer, et pour chiaus apaisier f, 12g b
« Qui nous poroient mesaisier
<c De langage ou de jalousie ;
MELlÂDOft 241
« Mais tant y a de courtoisie
« En vous, et si bien le savés,
1 75 1 5 « Que escusées nous avés, »
— « p\AME, » ce dist li chevaliers,
« LJ Mais me rench tous ens es dangiers
« De vous, et especialment
« De ma dame certainnement,
17520 « Que je voi ci en ma présence.
« Mais je croi que trop hault je pense
« Et de ce fait voir j'en encoupe
« Amours, et di qu'il est en coupe ;
« Car, en espoir d'avoir merci,
17525 « Penser m'i a fait jusqu'à ci
« Et fera tant com jou vivrai,
a Ne aultre penser je n'avrai. »
Hermondine adont le regarde
Et son parler plus ne retarde,
17530 Que tout pourveû elle avoit,
Je le croi, car trop bien servoit
Et servi a leur ordenance.
Car elle dist de pourveance :
(c Sire, mieulz samblés chevaliers
17535 « Que vous ne faites merceniers,
« Qui vous a veU au tournoy.
« Pas ne moustriés la, par ma foy,
« Que sceulssiés anelès vendre,
« Car j'ai hui veti hault estendre
1 7540 « Vos bras et donner horions
« Si grans, que je croi qu'il n'est homs
(( Qui a vous se peuist attaindre.
« Trop bien fesistes vos mains taindre,
« Quant le mercenier vous fesistes /. I2gc
17545 c( Et a Montsegur vous venistes.
« Cognissiés vous cest anelet ? »
Tome II 16
242 MELIADOR
Adont hors de son doy le met
Et Melyador le regarde.
Qui encor .1. peu se retarde
17550 De parler, qar tous souspris fu •
Et atains de Tampureus fu
Qui le fist taire et hontoiier.
Et adont pour lui ravoiier
S'est Florée lors traitte avant,
17555 Qui moult doucement en riant
Dist : « Cousine, oïl, par ma foy,
« Car anten le mis en son doy
« Et le fis faire ou nom de li ;
« Mais de puis vous a il servi. »
17560 Adoncques Florée le prent
Et le deffrume incontinent,
Ensi qu'elle ot fait aultre fois.
En .11. parties mist les plois,
Car moult bien en seut l'ordenance.
1 7565 Melyador adont s'avance,
Qui moult pensa sus cest affaire,
Ne quel cose elle voloit faire.
« Sire, lisiés, » ce dist Florée,
« Car en vo nom fu ci jettée
17570 « Ceste escripture, ce saciés. »
Melyador s'est avanciés
Et voit, en lettres moult petites,
Paroles en son nom escrites.
Ou onques n'avoit [pas] pris garde.
17575 Quant leu les ot, si regarde
Que Florée si le rassamble
Et remet les pièces ensamble ;
Si l'en prise mieulz que devant. /. I2p d
Florée sus ce convenant %
17580 Mist fin, car Tanelet rendi
A sa cousine et dist ensi :
« Belle cousine, reprendé»-
MELIADOR 243
« Vostre aniel, et si entendes
« Que lî chevaliers, qui ci est,
17685 « A veoir trop mieulz il li plest
« Cest anelet en vostre doy
« Qu'il ne face ens ou sien, je croi.
— « Damoiselle, vérité dittes.
« Encor m/esçou uns grans mérites
17590 « Quant elle le daigne porter. »
< Et la belle, sans plus parler,
Moult doucement Tanelet prist
Et dedens son doy le remist.
E
N cel estât se trest arrière
175^5 Cf Florée, et a la camberiere
S'ensonnie tout volentiers.
Lors s'avance li chevaliers
Et li samble c'on li fait voie.
Et doucement ses yeulz convoie
1 7600 Ver* sa dame d'un doulz regard.
Et par le doy le trait a part.
Tout basset dist : « Ma chiere dame,
« Il vous plaise a savoir, sur m'ame,
« Que veci vostre chevalier,
17605 « Qui en abit de mercenier
(( Et de marcheant se mist lors,
« Pour veoir le vostre gent corps
« Que onques veU je n'avoîe.
« Si vous pri, metés moy en voie
176 10 « Qu'encores pourfiter je puisse ;
« Car il n'est riens, se le sceuisse
« Faire, pour vous je le feroie, f. i3o a
« Car vous estes toute ma joie,
et Mon réconfort et ma vaillance,
17615 « Et tout ce que j'ai d'ordenance
a Empris, c'est pour vostre amour, dame.
244 MELlADOfi
« Le corps tout entier jusc'a Tame
« Vous renc et mac en vo service,
« Car Amours voelt que j'obéisse
17620 « A vous et je le voel, sans doubte,
« Car ossi le valés sur toutes
« De celles qui sont ens ou mond. »
Adonques francise semont
Hermondine de biel respondre,
17625 Pour ces paroUes miex expondre,
Et dist : « Sire, je croi assés
« Que vous avés des fais passés
« Grans et durs, pour l'amour de moy,
« Et ferés encor, je le croy,
1 7630 ff Ains que la queste soit finie.
a Si devés en grant courtoisie
a Tenir ce quant ci je vous sueffre,
<c Je ne vous prommet ne vous oeffre
« Cose petite ne trop grande,
17635 « Mais je vous enjoins et commande
« Que telement persévères
« Et si bien tous considérés
« Les affaires de ceste queste,
« Que, par loenge et par conqueste,
1 7640 « Vous soiiés sans nul entre deus
« De tous les aultres li plus preus,
« Et, saciés, se Diex me doinst joie,
« Que, volentiers je le veroie. »
— « Ma dame, » ce respondi cilz,
1 7645 « De vos parlers mille mercis.
« Tant avés fait pour moy, sans doubte,/. j3o b
« Que painne ne péril ne doubte
« Qui me puist avenir ne croistre.
« Or, primes ferai recognoistre
17650 « Mon nom par tout pour vostre amour,
a Puis que je tire a tele honnour
« C'a vo gent corps, ma souverainne,
« Ou je demorrai en le painne. »
MELIADOR 245
ENSi fu droit la une espasse
. ^ . , . Cilz a qui on a fait grant grasce,
Quant il est aies si avant,
Et par sage et bon couvenant
Parolle a la belle Hermondine,
Qui si garnie est de doctrine
1 7660 Et de grant sens, au dire voir,
Que dame n'en poet plus avoir ;
Car, a fin que cilz mieulz en vaille
Qui ses sers chevaliers se baille,
Elle li moustre doucement
17665 Parolles de grant sentement,
Et li dist que c'est cilz, sans doubte,
En qui elle a s'entente toute
Mise plus que nul chevalier
Qui puisse errer ne travillier,
17670 Pour les grans proeces de li.
En devisant furent ensi
Que tout droit sus le point dou jour,
Mais tant leur plaisoit le séjour
C'au jour ne prendoient point garde.
17675 Argentine lors se regarde
Que li jours venoit durement ;
Si dist a sa dame erranment :
« Dame, li jours vient grans et biaus.
« Tous plains en sera cilz chastiaus
17680 « Assés tost, il n'est mies doubte. f, i3o c
« Pour tant le vous di que je doubte
« Que cilz chevaliers qui est ci
a Ne soit vêtis, je vous affi.
a J'en ay grant soing oultre l'ensegne.
17685 « Ceens a de chiaus de Bretagne
« Qui le poroient recognoistre
« Et, en ce, son nom peu accroistre. »
Dist sa dame : « Vous dittes voir.
246 MELIADOR
« Toutes coses ont leur devoir
17690 « De faire a point et a raison. »
Moult bien de ceste souspeçon
S'en est Melyador pris garde;
Hermondine adont le regarde
Et li dist : <K II vous fault partir
17695 « Et s'est sans plus ci revenir,
« Car bien croy qu'en aultre contrée
« Serai temprement remenée.
« Or pensés dou bien travillier.
« Je vous tieng pour mon chevalier
1 7700 « Et vorroie, se Diex me vaille,
« Que faire ne peuissiés faille
« A ce que vous avés empris. »
Melyador, qui fu tous pris
De respondre et voit que partir
17705 Le couvient, ne plus n'a loisir
De demorer, car on li donne
Congiet, ensi comme on l'ordonne,
Dist : « Ma dame, a Dieu vous commant.
a Pour vous me vodrai en avant
177 10 « Mettre en toutes painnes de corps;
a Ou en la queste serai mors
« Ou je venrai a mon entente.
(( Mais dittes moy, ma dame gente,
« Se de vous arai plus nouvelles. /. i3o d
1 77 1 5 « Ce me seroient moult très belles
« Aventures, se j'en ooie
« Aucunes, se Diex me doinst joie. »
Et Hermondine li respont,
Qui un petit y vise adont :
1 7720 « Je ne sçai comment ce seroit,
« Ne faire ossi ce se poroie ;
« Car vous irés par les contrées
a Querre aventures et meslées,
« Et je demorrai a l'ostel
MEUADOK 147
1 7725 € Et si ne sçai mies le quel. »
Adoat Florée avant sallî«
Qui ceste paroUe entendi.
Et dist pour plaire a sa cousine
Et faire a Melyador signe
17730 Qu'elle Tamoit de tout son cocr :
** Belle cousine et douce suer«
c Et vous, biaus sire chevaliers^
c J'ai regardé, il est mestiers,
c Sus Tordenance que vous dities ;
17735 c Mais, par lettres moult bien escrites^
c Et amoureusement dinées,
c De vos plus entières pensées,
« Pores vous point, n>n fault doubler^
«c L'un l'autre moult reconforter ? »
17740 — « Et comment, » respont Hermondine,
c Se poroit tout ce, ma cousine^
« Acomplir par aucune voie ?
c Moult volentiers je le saroie. »
— « Très bien, » ce respondi Florée^
1 7745 « J'ai amené de ma contrée
(C .1. jone escuier a mon gré,
« Que je tieng a sage et secré,
c Enlangagiet bien et a point. f. i3i «
« Ycilz si ne vous faudra point
17750 « De porter lettres, s'il besongne. »
Dist Hermondine qui ressongne
Le jour que elle voit venant :
« Cousine, sus vo convenant,
« Me vodrai je voir ordonner :
17755 « Laissiés le chevalier aler;
« Il est heure que de ci parte.
(( Mieus vault petit gains que grant perte. »
— « Dame », dist cilz, a vous dittes voir.
« Je partirai par vo voloir ;
17760 « Bien voi qu'il le me couvient faire. ■
■* ^ N - . Tl - V » * M
248 MELIADOR
Adont parti sus cest afaire
Melyador dou dit castiel.
On le mist hors par .1. praiiel
Qui regardoit devers le bois.
1 7765 Tant fist li chevaliers courtois
Que, sans estre recognetis,
Au logels est revenus
Dont il estoit le soir partis.
Grandement en fu resjois
17770 Ses escuiers quant il le vit.
Melyador li a tout dit
Quanqu^il a veU et trouvé.
Jamais ne li eulst celé,
Car en lui avoit grant fiance,
1 7775 Et cilz, qui ot grant cognissance,
Li dist : a Sire, bien va la cose.
« Or me dittes a la parclose
« Se vous avés a vo retour,
« En considérant la valour
17780 « D'Ermondine et son gent maintien,
« Fait aucune cose de bien,
a Rondelet, balade ou cançon, /. i3i b
a Pour mieulz emploiier vo saison,
o Qui en estes très grans ouvriers. »
17785 — « Oïl, » respont li chevaliers,
a J'ai fait .1. petit rondelet,
« Et le commençai de grant het
« A faire, sitos que parti
« De ma dame et que jou issi
17790 « Dou dit chastiel, saciés pour voir. »
Dist cilz : • Il le nous fault savoir.
« Si en dirai ce qu'en samblance
« M'en venra et sans detriance. »
Et Melyador li respont :
17795 a Tu Foras. » A ces mos adont
A le rondelet commencié,
De coer gay, amoureus et lié.
MELIADOR 24g
Sondel.
OANS départir de vous me part,
Ma très douce dame chiere.
17800 1 RESTOUT vous demeure sans part,
Sans départir, etc.
C^AR ou je sui ne quelque part,
Vostrcs sui a lie chiere.
Sans départir, etc.
17805 « x^AR ma foy, » ce dist Lansonnès,
Moult bien me plaist il rondelés,
p
« Car il est de bon sentement,
« Et assés amoureusement
« L'avés fait selonc vo matere.
178 10 « Or le couvient, c'est cose clere,
« Mettre en chant sans nul remanoir, »
Dist Melyador : « Tu dis voir,
a Mais ce ne sera pas meshui,
« Car droitement tous pesans sui.
17815 « Il me couvient aler dormir /. j3i c
« Et, en apriès, de ci partir,
« Car rentrer m'en vodrai en queste,
(c Lachiet le hyaume en la tieste,
a Pour cerchier toutes aventures. »
17820 Or nous dient les escriptures
Que quant Melyador parti,
Vous savés bien sus quel parti,
Dou chastiel chi dessus nommé,
Hermondine pour vérité,
17825 Qui en estoît d'amours attainte
25o MELIÂDOR
Et très amoureusement chainte,
Se départi de sa cousine,
Et li dist ensi Hermondine :
« Cousine, je sui moult pesans,
1 7830 « Car li jours est ja biaus et grans,
« Et si n'ay encores dormi,
« Dont je vous di en droit de mi
« Que dormir irai un petit. »
Adont se jetta sus un lit,
17835 Et Argentine d'un mantiel
Le couvri, d'ermine moult biel;
Et de sa cambre se partirent
Celles qui assés bien sentirent
C'un petit estoit travillie.
17840 Hermondine tost consillie
Fu a ce qu'elle s'endormi
Et, si tost qu'elle s'esclemi
Ymaginations li vinrent.
Qui en .1. tel pourpos le tinrent
1 7845 Que chi vous m'orés regarder.
Elle prist a considérer
L'arroy, le maintien, la samblance
Et la jolie contenance
De Melyador le vassal, /. i3i d
1 7850 Et comment il est a cheval
Et a piet gratleus et frices.
Ces pensers [li] furent si riches
Que la belle adont s'eslargi,
A tout ce que elle entendi,
17855 A faire .1. petit rondelet
Et, de corage joliet.
Elle en entra en ordenance.
Et prist ens es mos tel plaisance
Qu'elle les recorda .111. fois ;
17860 Puis le canta a clere vois
En la cambre toute seulete.
MELIADOR 25 1
Si fu tele la cançonnete
Et faite de bon sentement
Que vous orés présentement.
Rondel
17865 Amis, en vostre compagnie
Ay mis mon coer, gardés le bien,
1 ouR demorer toute la vie,
Amis, etc.
Oi entière, n'en doubtés mie,
17870 Qu'a li n'a nulz fors que vous rijen.
Amis, etc.
E
N ce propre jour a la feste
Belle Hermondine, et sans requeste,
Canta ce rondelet joli,
17875 Et la estoit d'encoste li
Florée, sa chiere cousine.
Qui retint ce a bonne estrine,
Et dist bien c'amours ouveroient
En li, car si parler moustroient
1 7880 Comment a le fois y pensoit.
Or esçou bien raison c'on doit
Recorder dou bleu chevalier. /. i32 a
Sitost qu'il se peut esvillier,
Il s'arma et apparilla,
1 7885 Et a Lansonnet consilla
Qu'il chevaucassent sans séjour.
Si chevaucierent tout ce jour
Sans nulle aventure trouver,
252 MELIÂDOR
Et rendemain jusc'au diner,
1 7890 Dont trop esmervillîet estoient.
Tout ensi comme il chevaucoient
Au lés devers Norchombrelande,
Au travers d'une grande lande.
Il voient devers yaus venir
17895 Et leur chemin tout droit tenir
Deus variés et .11. damoiselles.
c Assés tost arons nous nouvelles »,
Ce dîst Melyador en Teure.
De puis ce granment ne demeure
17900 Que cil .1111. moult approcierent,
Et premièrement s'adrecierent
Viers Melyador li vassal,
Li quelz estans sus son cheval
Le[s] salua courtoisement
17905 Et leur demanda ensement :
« Damoiselles, ou aies vous? »
Elles disent : a Biaus sires doulz,
'( Nous alons devers Signandon.
« Besongne et aultre cose non
179 10 «c Nous y mainne, bien le.saciés.
« S'il vous plaist, se nous radreciés
« Se noient sommes fourvoiies,
« Car. nous y sommes envoiies
a En cause de messagerie. 1»
1 79 1 5 Adont Melyador leur prie
Qu'elles voelent dire pour quoi : /. i32 b
c Et saciés, belles, par ma foy,
« Que se je vous puis consillier,
« Pour mon corps assés travillier,
17920 « Je le ferai de grant corage. »
Adont respondi li plus saige
Et dist : « Sire, vous dittes bien.
a Enjoint nous fu, sur toute rien,
« Au partir de nostre maison
MELIÂDOft 253
1792$ « C*a tous chevaliers no raison
a Remoustrissions voirement,
« Car en yaus en tient grandement
fc Dou consillier et mettre a point,
a Tantost vous orés sur quel point.
17930 « ^^>HiERS sires, dessus la Saverne
« v^ Siet li biaus chastiaus de Valerne,
« Dont ma dame et cousine chiere,
« Yvore, est dame et hiretiere.
« Or est seans a l'autre part,
1 7935 « La rivière seule le départ,
a Uns chastiaus c'on dist Orgilleus,
a Ou dedens demeure uns très preus
« Chevaliers et de grant emprise,
« Et c'on ressongne moult et prise
17940 a Dessus les marces de Norgalles.
c( Et ne tenés mies a gales
(f Les parolles que je vous baille,
«t Car cilz preus chevaliers sans faille
« Nul autre chevalier ne doubte.
1 7945 « Et pour ce que on le redoute,
« Soit a la lance ou a Tespée,
« Ma dame, qui est aseulée
u Et voisine moult près de li,
« En est en .1. trop dur parti ;
17950 « Car cilz chevaliers le herie f, j32 c
« Et couvertement le guerrie,
<( Et li voelt, si com par hansage,
« Tollir chastiel et hiretage,
« Ne nulz ne l'en va au devant.
1 7955 « Or fu mis a ma dame avant
(c C'a Signandon devoit avoir
« Une assamblée tout pour voir
« De chevaliers preus et hardis;
254 MELIÂDOR
« Mais li jours ne fu mies dis
1 7960 « A ma dame, que ce doit estre.
« Toutes fois nous avons a destre,
« Ensi c'on nous ensengne a fin,
« Pris de Signandon le cKemin
« Pour venir a celle journée.
17965 « Et se la estoit ajournée
(( Proece en quelque chevalier,
oc Qui tant se volsist travillier
« Que pour venir aidier ma dame,
« Je retieng et le di sur m^ame
17970 a Qu'il feroit courtoisie grande;
a Car cilz ne scet qu'il li demande
« Qui li fait présentement guerre,
ff Siques, chiers sires, se la terre -
« De ce Signandon nous moustrés,
17975 « Grant courtoisie vous ferés. »
L'
ORS respondi Melyador,
Li chevaliers au soleil d'or,
Et dist : « Belle, je vous dirai.
« De ci a Signandon, pour vrai,
17980 « A bien .11. journées moult grandes,
« Divers chemins, et bois et landes
<c Qui sont moult fortes a tenir.
a Encor quant la pores venir,
« Vous trouvères la feste esparse, f. i32 d
17985 « Et l'un ou norch et l'autre en Tarse,
« Ensi que chevalier cheminent,
« Qui ne cessent point ne ne finent
« Des aventures demander.
« Mais tant vous oc recommander
1 7990 « Vostre dame et le droit qu'elle a,
«c Que cilz moult bien le consilla
« Qui li dist que ci venissiés ;
MELIADOR 255
« Car point ne fault que vous issiés
« De vo chemin, par nulle voie,
17995 « Sus la cause ou on vous envoie,
« Car je serai 11 chevaliers
« A vostre dame volentiers,
« Et ne désire riens el, voir,
« Fors que de prestement mouvoir
1 8000 « Pour aler tantost celle part. »
— « Sire, » dist ceste, « Diex vous gart !
« Vous nous offres grant courtoisie. »
Dont retournent a chiere lie
Les damoi[se]lles de Valerne,
i8oo5 Et laissent le chemin d'Iberne
Et prendent celi de Norgales.
Melyador, en disant gales
Et faisant cançons et motès,
S'en chevauce avec les variés
180 10 Des damoiselles qui le mainnent,
Et les queles forment se painnent
Dou dit chevalier honnourer
Et leurs besongnes colourer
A le fin que mfeulz s'i encline.
1801 5 Et cilz est si plains de doctrine
Qu'il les conforte grandement
De coer et de grant sentement.
N
ous lairons de Melyador /, i33 a
A parler, voires, tant c'a or,
18020 Car la matere le désire,
Et parlerons sans contredire
Dou chevalier qui ne peut estre
Au tournoy, ne faire y fenestre.
De Signandon, dessus les prés;
18025 Car a ce jour estoit navrés
Messire Tangis de Sormale
256 MSLIADOR
Dont Taventure tint a maie,
Coi c'amender ne le peuist
Moult bien vosist qu'il li euist
i8o3o Cousté mille florins et plus,
Et il y fust a temps venus.
Sitost comme il se peut armer,
Il ne volt la plus séjourner
Ou on li ot fait bonne chiere.
i8o35 La dame qui fu hiretiere
Dou Brun Manoir, ou jeu ot.
Remercia de quanqu*il pot,
Ensi que bien le sçavoit faire,
Et puis, pour mon compte parfaire,
18040 II monta et d'iluech parti
A l'entente et sur tel parti
Que pour aventures trouver.
Une heure li ala rouver
Ses varlèd, qui trop bien chantoit,
18045 Qu'il chantast, puis qu'en point estoit,
.1. virelay qu'il avoit fait;
Et je vous dirai de quel fait.
CiLZ chevaliers avoit eu,
En dementi*ues qu'il ot jeu
1 8o5o Au Brun Manoir dit par arrière,
Dalés lui une camberiere
Qui moult estoit courtoise et sage. /. i33 b
La damoiselle avoit d'usage
De dire en son parler, pour vrai :
i8o55 « Sans doubte ensi je le ferai. »
Briefment^ en sa paroUe toute,
Toutdis mettoit devant : « Sans doubte. »
Messires Tangis, qui oy
L'avoit souvent, s'en resjoy,
18060 Entrues que sus son lit gisoit.
MELIADOR 267
Et a le fois ce mot disoit,
Tant l'avoît il énamouré
Et en son coer encorporé,
Et y prendoit si grant plaisir
i8o65 C'a painnes en pooit issir.
Dont il li avint, ce termine
Qu'il gisoit dedens la courtine
Dou Brun Manoir, ou .11. mois fu,
.Qu'il ot ordenance et argu
18070 De faire .1. jolit virelay
Sus le matere que dit ay.
Quant il l'eut fait, bien li plaisi
Tant que ses vallès l'escrisi
Et se li aida a chanter.
18075 Or se pooient bien vanter,
Quant il estoient entre yaus .11.,
Que leurs cans estoit gratieus.
« Et pour .1. tant, » dist li variés,
« Mon signeur, que vos virelès
1 8080 « Soit chî chantés a clere vois,
« Entrues que nous sons en ce bois. »
Messires Tangis, sans detri,
Respondi : « Certes, je l'otri. »
Adont entre yaus .11. s'adrecierent
i8o85 Et le virelai commencierent.
Par tel manière et par tel fourme /. i33 c
Que li contre escrîps nous enfourme.
Virelay.
Oans double vostres serai,
Sans double tant coin vivrai,
Virelay. Dans l'impossibilité de mettre sur ses pieds cette bizarre
pièce, nous nous sommes contenté de distinguer les vers d'après
le nombre de syllabes que leur donne le manuscrit.
Tome II 17
25S HEUADOK
18090 Sans double dame entièrement,
Sans double tous jours loyaumeut,
Sans double vous servirai.
Sans doubte je le ferai.
Sans double 1res Item en i,
1809S Sans doubte de bon coer vrai,
Sans doubte joieusement.
Sans Joubte ie ne le lairai.
Sans double je me tairai,
Sans doubte a vo commandement,
18100 Sans doubte de très bon talent.
Sans doubte l'acomplirai.
Sans double, etc.
OANs doubte je u'ay esmay,
Sans doubte oe nul tourment,
Sans double pour ce que je sçai.
Sans doubte que vraîcmeni,
Sans doubte m'asservirai,
Sans doubte nVn partirai,
Sans doubte, de vous nullement.
Sans doubte crées fermement.
Sans doubte, que c'est tout vrai.
Sans doubte, etc.
ENSi pour soi solatiier
Tangis, avoech son escuîer,
Chanta son virelay adont,
El quant ensi canté il l'ont.
Si chevauctni tous les galos.
A l'issue d'un biau vert bos,
Oni encontrii en une route /. i33 d
Daines et chevaliers, sans doubte,
Qui venoient de Signandon;
Des queles ne sçay pas le nom
MELIADOR 25g
Des dames ne des chevaliers.
Mais cilz qui chevaucoit premiers
18125 Demanda a cesti Tan gis :
a Or me dittes, par vostre avis,
« Sire chevaliers, dont vous estes
a Et se vous poursiewés les questes. »
— « Oïl, » respont cilz erranment.
1 8 1 3o « Mais dont je sui certainnement
« Ne poés vous ores savoir.
« J'en poroie trop mains valoir
« Si mon nom sa vies et ma terre.
a Si ne m'en voelliés plus enquerre,
1 8 1 3 5 « Mais dittes moy dont vous venés,
u Et se cilz tournois est passés
(( Qui fu a Signandon nonciés. »
— « Oïl, » dist cilz, « et bien saciés
« C'on y tournïa ossi bien
18 140 « Que, de puis le temps Uriien,
(( On oy parler de tournoy. »
Respont Tangis : « Moult bien le croî.
<c Et a qui fu donnés li pris ? »
— a Par ma foy, sire, il est escris
18 145 « A .1. chevalier très vaillant
« Et moult grandement travillant
« La et ailleurs, il n'est pas doubte. »
Adont mist sen entente toute,
Messire Tangis, dou savoir
1 8 1 5o De quoi cilz s'arme au dire voir.
On li dist tout incontinent :
« De bleu sont tout si parement
« Et tant y a, dont on le prise, f. i34a
« D'un biel soleil d'or il se brise. »
181 55 Messires Tangis dist adont :
« C'est li chevaliers ens ou mont
181 56 ou mont, B ou mond.
200 MELIADOR
« De qui j'aie la cognissance,
« Ens ou quel j'ay plus grant fiance
« Qu'il venra a s'entention
18160 « De la queste; car de renom
« D'armes et de chevalerie
« Passe tous aultres, quoi c'on die.
« Et, biau sire, très grans mercis,
« Quant en tel point vous estes mis
181 65 « Que vous m'avés dit et conté
a Dou chevalier la vérité. »
A ces parlers la congiet prent,
Et puis au chevalier entent
Le chemin de Norchombrelande.
18170 Or esçou drois c'on me demande
De monsigneur Melyador ;
Comment il chevauce des or
Avoecques les .11. damoiselles,
Qui sont Jones, frices et belles,
18 175 Le chemin par devers Norcgalles.
Faire ne vous voel intervalles.
Tant ont chevaucié et erré
Qu'il sont en Norgales entré
Et venu jusques ou chastiel
18180 De Valerne, ou ot maint crestiel.
Arresté se sont a la porte ;
Lî forestiers qui les clés porte
Oevre la pone toute arrière,
Sus le conduit et le manière
1 8 1 8 5 Des damoiselles de laiens.
Evous tantost que sallent gens
De tous lés, qui moult biel recueillent/. i34b
Melyador et si l'accueillent
A fester et a conjoir.
1 8 1 90 Et quant la dame peut oir
Que cilz laiens estoit venus,
De cui tous bleus est li escus
MELIADOR 261
A .1. soleil d^or de brisure,
Si en fait par samblant grant cure
18 195 Et s'en tient a moult confortée.
De noient ne s'est arrestée,
Mais s'en vient aMelyador,
Li quelz n'estoit mies encor
En sa cambre, mais en la court,
18200 Ou cascuns contre li acourt
Pour li conjoïr et veoir.
Yvore, sans plus remanoir,
En saluant moult bas s'encline,
Et cilz, qui fu plains de doctrine,
18205 Son salu errant li rendi
Et a sa parole entendi ;
Car lydame moult doucement
Li remoustre courtoisement
Dou chevalier qui le herie
182 10 Et qui sa terre li guerrie,
Et si n'a title de raison.
Melyador, qui sa saison
Voelt emploiier de biel parler,
Respont : « Dame, laiiésle aler ;
1 82 1 5 « Nous Taprenderons a cognoistre.
« Nous vodrions moult bien accroistre
(( Nostre honneur, se Dix le consent,
« Et, pour le droit que mes cuers sent
« Que vous avés en la querelle,
18220 (c Sui je avoech vostre damoiselle
« Chi venus pour cesti combatre f, 134 c
« Et vo droit aidier a debatre. »
— « Sire, » dist elle, a grant mercis. »
Adonques l'a par le main pris
18225 Et en une cambre l'enmainne,
Qui ordenée estoit et plainne
De vers jons pour li rafrescir.
Tost poront nouvelles oïr,
262 MELIÂDOR
Car evous venu a le porte
18280 Le chevalier qui se déporte
A heriier chiaus dou chastiel,
Qui se gouverne bien et biel>
A gise de bon combatant,
Et dist : « Ou est il ?» en estant
18235 Sus son cheval, moult bien armés.
« Vous de laiens, se vous avés
«c L'onneur de vo dame a garder,
<c Si me venés a regarder ;
« Si vous combaterés a moy.
18240 « Se peu en y a, par ma foy,
a D'un ; j'en voel .11. ou .111. ou .1111.,
« Et se tous ne les puis abatre
a Je soie vostres prisonniers. »
Ensi disoit li chevaliers
18245 Qui Buins estoit appelles.
Encores a il dit : « Aies,
a Aies querre vo campion.
a Ne sçai comment il a a nom,
« Mais tantos combatus sera.
18250 « Mes corps au sien s'esprouvera,
« Ançois que jamais m'en retourne. »
Ensi le chevalier s'aourne
Devant la porte en rampronant
Chiaus de Valerne, et en disant
1 8255 Qu'il est de combatre tous près. /. i34 d
Ces nouvelles, par mos exprès,
S'en vinrent a Melyador
Et a la dame qui encor
Dedens la cambre se tenoit,
18260 Ou elle la menet Tavoit.
ET quant Melyador oy
De ce Buln parler ensi,
Qui s'ahatissoit de combatre
MELIADOR 263
A .II., OU a .III. OU a quatre
18265 Et ne demandoit aultre cose,
Incontinent plus ne repose
Et dist qu'il s'en voelt hors issir,
Ne point ne Ten poet rastenir
La dame par nesune voie.
18270 Car jamais, ce dist, n'aroit joie
Se on li pooit reprocier
Que la euist .1. chevalier
Qui les armes li demandast,
Et tantost contre li n^alast.
18275 Sa brongne viest incontinent ;
Bien s'est armés a son talent.
En la court vint, que plus n'arreste :
Sa lance li fu toute preste.
Sitost c'ou cheval montés fu,
18280 Lansonnès li mist son escu
A son devoir bien et a point,
Et puis li lace et se li joint
Li hyaume près de la teste.
Cil de laiens en font grant feste,
18285 Quant en si grant désir le voient;
Jusc'a la porte le convoient.
Qui fu incontinent ouverte.
Au dehors fu a la couverte
Messires Buins qui Tattent, /. i35 a
18290 Et si tost que venu le sent,
Ensi comme bons chevaliers
Très oultrageus, hardis et fiers.
Sa lance met a son devoir
Et dist que il vodra savoir
18295 Comment la dame est pourveiie
De chevalier. Adont argtie
Le cheval pour aler avant.
Melyador, qui au] devant
De li se met par ordenance.
264 MELIÂDOR
i83oo Point ossi et baisse la lance.
Ja y ara j ouste moult belle.
Cescuns vient dessus la praelle,
Acourant par moult grant randon,
Et se fièrent en abandon
1 83o5 Des lances dessus les escus .
Li plus fors des .11. est fendus,
Car li fier furent acéré.
Melyador a encontre
Monsigneur Buin par tel voie
i83io Que jus a terre le convoie.
Li chevaus fuit ; Buln demeure,
Qui lors est relevés en Teure
Et trait Tespée incontinent.
Melyador, qui son tour prent,
1 83 1 5 Perçoit ensi qu'il se retourne
Ledit chevalier qui s'atourue
Pour venir a piet, contre li.
Lors se doubta, je vous affi,
Melyador de son cheval
i832o Que cilz ne li porta grant mal ;
Si descendi tantost a terre.
L'espée trette vint requerre
Le chevalier qui grant samblant /. i3S b
Fait que de la venir avant.
i8325 é^^ sont tout doi li chevalier
y^ Devant le porte en mi Terbier
Et tiennent les espées nues.
Evous de premières venues
Qu'il se donnent grans horions.
i833o Cilz Buins estoit grans et Ions
Et chevaliers de bonne taille ;
Mais plus savoit de la bataille
Melyador que tel quarante.
MELIADOR 265
La dame de Valeme chante
i8335 Et fait ses priieres a Dieu
De coer dévot, et humle et pieu.
Afin que ses chevaliers ait
Victore ; car pour li se met
En ce parti bien perilleus.
18340 Melyador, qui amoureus
Estoit et plain de grant avis,
Li jette .1. cop,ce m'est avis,
Par dessus le hyaume amont.
Tel cop, se Diex m'ayt, bien sont
1 8345 Grandement a recommender,
Car li espée ala entrer
Ou hyaume et le pourfend!,
La quaffe et la teste autressi ;
Merveilles fu qu'il ne fu mors.
i835o Melyador, qui fu moult fors
De ses bras, de ce cop Tempaint,
Ce veîrent maintes et maint.
Et jus a terre le reverse.
Buins chey la teste enverse
18355 Et Melyador dessus li.
Qui dit li a tantost ensi :
a Chevaliers, se tu ne te rens /. i35 c
<c Et jure ci devant ses gens
« Foy et hommage a ceste dame,
] 836o a La tieste te todrai, par m'ame,
c Car il est bien en ma puissance. »
Li chevaliers, qui en doubtance
Se voit et en très grant péril,
Dist : ce Sire, je ferai, oll,
i8365 c Tout ce que faire vous vodrés.
a Je vous pri que vous vos ostés
« De moy, car je sanne trop fort
« Et bien croi que vous m'avés mort.
« Ostés moy, pour Dieu, mon hyaume. »
266 MELIADOR
18370 Melyador ot celle psaume;
Adont le hyaume li oste,
Et le met bellement d'encoste
Le chevalier, qui senglens fu
Et qui li dist : <c J'ai trop beU
18375 « De mon sanc. Metés moy arrière,
« Tant que je soie en la barrière
c Dou dit chastiel dont vous issiés. »
Et Melyador, qui tous liés
Est de ce que cilz li recorde,
i838o A ceste ordenance s'acorde.
Adonques l'aide il a lever.
Qui adont velst avaler
Gens dou chastiel et la venir,
Assés s'en peuist resjolr.
i8385 La damoiselle proprement
Est la venue incontinent
Et si demande des nouvelles :
« Dame, y> dist Melyador, « belles
« Sont les nouvelles hui pour vous.
18390 « Cilz chevaliers est vostres tous,
« Pour entrer en vostre ordenance; /. j35 d
« Venus est a obéissance.
« Il m'a dit et tenir li faut,
« Car se point y a de défaut
18395 a Je Tocirai ains mon départ,
u Qu'il vous jurra en quelque part
a Que vous vodrés loyal service,
« Et vous prie que s'aucun visce
a Sont en li que li pardonnes.
1 8400 « Par ensi vous est il donnés. »
Ce dist la dame de Valerne :
« Sire, il fault que je me gouverne
« Par vous et par vostre ordenance.
c J'en ferai dou tout sans doubtance
18405 « Qu'il vous soufHra par raison. »
MELIÂDOR 267
Lors entrèrent en le maison
Et y misent le chevalier,
Le quel tiennent a prisonnier.
ENSi messires Bulns fu
_ __^. ^ Desconfis, vous savés bien u,
Devant le chastiel de Valerne.
Ce jour estoit par la Saverne
Venus et avoit la pris terre :
Or trouva, et par bonne guerre,
1 84 1 5 Qui vaillanment le combati.
Et qui la tieste li fendi
Jusques au tiès et plus avant.
Melyador, ou convenant
Que je vous ay devant compté, -
18420 En a le chevalier mené
Ou chastiel, et par gentillece
Li fist en ce jour grant adrece.
Car il melsmes li cousi
Sa tieste, et se li recloy,
18425 Et bendela et mist a point, f, i36 a
Et a la dame, sus tel point
Que vous avés oy devant,
Le délivra par convenant
Qu'elle le doit a merci prendre ;
18430 Et celle, qui bien volt comprendre
A ce que Melyador fait,
Li acorde de coer parfait.
Tantost fu heure de souper;
De ce ne convient point parler.
18435 Bien fu Melyador servis :
La dame y met tout son avis
A festiier oultre mesure.
Or nous compte li escripture
Que Melyador, au matin,
268 MELIADOR
1 8440 De recief se mist ou chemin
Entre li et son escuier,
Et commencierent a puier
Devers Galles une montagne
En pays divers et estragnes.
1 8445 Au chevalier vint en presense
Un rondelès a quoi il pense,
Et dist : « C'est bien cose certainne.
« Pour l'amour de ma souverainne,
« La fille au gentil roy d'Escoce
1 8450 « Amours voelt que droit ci j'approce
« A faire .1. rondelet joli,
« Et je voir, pour l'amour de li,
« Li ferai tout présentement
« Et canterai de sentement. »
1 845 5 Adont Melyador le fist
Et le chanta, et ensi dist :
Rondel.
J E voel avoir très bon confort,
Ma douce dame, et estre en joie. f, i36 h
r ouR vous, cui j'aime de cuer fort,
18460 Je voel avoir, etc.
C>AR de vous me vient mon déport
Et tout mon bien, ou que je soie.
Je voel avoir, etc.
Nous lairons de Melyador
_ _^._ A parler voires, tant c'a or.
Car temprement en parlerons
MELIADOR 269
Et au chevalier revêtirons
Que sa serour, cui Dîex doinst joie,
A mis en ceste année en voie
18470 Pour oïr nouvelles de li.
Le chevalier friche et joli,
Monsigneur Lyone on l'appelle,
Tous seulz chevaucoit sus sa selle,
Sans varlet et sans escuier;
18475 Nous dirons le Blanc Chevalier,
Car ensi se faisoit nommer.
Cilz s'ala en soi aviser.
Pour le tournoi de Signandon
Ou veti ot donner le don
1 8480 Dou pris, Tespée, au mieulz faisant,
Que, vers sa dame au corps plaisant,
A Tarbonne retourneroit.
Et bellement li conteroit
L'aventure de la journée
18485 Et ossi tout ce qu'en l'anée
Avoit veti, puis qu'il parti.
Li chevaliers, sus ce parti,
S'est prestement mis au retour.
Tant fîst et tant ala c'un jour
1 8490 E[s]t a Tarbonne revenus.
Il fu grandement bien venus
De sa dame, ce fu raison. f. i36 c
Lors qu'il entra en la maison.
Ce fu .1. venredi moult main,
18495 Sa dame le prist par la main
Et li demanda des nouvelles :
« Ma dame, s'en sçai moult de belles,
<( Mais que de toutes me souviegne.
a Et, afin que mieux y aviegne,
i85oo a Vous savés bien sur quel parti
« Une fois de vous me parti,
<c Pour aler en cesti voiage,
270 MELIADOR
« Voires, ma douce dame sage,
« Que je chevaucai .1. tempore
i85o5 <c Sans trouver riens dont ja hystore
a Puist ne [vous] doie estre ensonniie.
« Et toutes fois sus une fie
« Je trouvai le bleu chevalier,
« Au quel je me veus assaiier.
1 85 10 ce A li joustai et il a moy,
« Mais, par la foy que je vous doi,
« Je brisai contre li ma lance,
« Et tant y eut bonne ordenance
« Qu'il m^abati très durement;
i85 1 3 « Au ceoir, je fui malement
« Blechiés par dedens mon costé.
c De puis me vint par amisté
a Veoir, ilz et ses escuiers,
« Et quant bien sceut li chevaliers
i8520 « Que j'estoie a la dame blanche,
« Et que je li euch Pordenance
a Recordé de tout mon voiage,
a Si doulz le trouvai, et si sage
c Et de si arrée raison
i8525 « Que de puis, par nulle façon,
« Il n*euist jousté contre mi, /. i36 d
a Mais me dist ensi : « Mon ami,
« Pour Tamour de la vostre dame
« Qui vous met sus, saciés, par m'ame,
i853o a Tous services je vous feroie. »
« De ce parler eut trop grant joie,
« Car je cuidai avoir trouvé
« Vostre frère, pour vérité.
<( Si ne sçai jou pas se c'est il ;
i8535 a Car onques oll ne nennil
a Ne m'en dist par nulle manière.
« De moy parti a lie chiere
« Et jou ossî sus cel estât;
MELI ADOR 2 7 I
« Plus nU eut fait de ce débat.
18540 « Tantost nous fumes eslongié.
« Ce propre jour, par vo congié,
« Dame, mes que le puisse dire,
<c Chevaucoie sans avoir ire,
a Parmi .1. bois sus une lande
18545 « Ou pays de Norchombrelande,
« Et ensi c'arrestés estoie
« Moult priés d'une fourcie voie,
c( Et que je pensoie au chemin,
« Moult bien montés sus .1. roncin
i855o a Vint uns variés d'encoste mi,
a Ne pour ennemi ne ami,
« Ne sçai le quel me fu en l'eure.
« Mais tantost me vint courir seure
« Ses mestres, uns frans chevaliers,
i8555 « Et me dist ensi de premiers :
<c Compains, qui vous fait ma devise
« Porter; il faut, quant je m'avise,
« Que vous m'en moustrés la raison,
« Ou a Tespée et au baston
i856o a Le calengerai maintenant. » f, i3y a
« Et je respondi en riant :
« Certes, sire, je jousteroie
« A vous, s'une lancd j'avoie ;
« Et croi bien, que pour ce que vous
i8565 « Veés que j'en sui a rebous,
« Me quoitiés vous de tel façon. »
« Lors s'arresta sus son blason
« Li chevaliers qui m'eut oy
« Et si jetta sa lance en mi
18570 « L'erbier, et dist que droit avoie.
« Si m'assaia d'une aultre voie
« Et tant que le voir li comptai ;
« Et, quant il m'ot oy, bien sçai
« Que il m'entendi volentiers.
272 MELIADOR
18575 tt Adont me dist li chevaliers
a Que c'estoit cilz certainnement
a Pour qui vous avés proprement
<c Geste blance dame encargie.
« Lors li priai par courtoisie
i858o « Qu'il me volsist dire le voir,
« Se c'estoit cilz, par estavoir,
a Qui fu au tournoy de Tarbonne,
« Et qui ot fortune si bonne
« Que le pris et Tonneur ce jour.
i8585 « Il me respondi sans demour :
c Oïl, certes, cilz sui pour vrai. »
« Et adonques li demandai,
(c Par moult gratleuses materes,
a Se c'estoit li vostres biaus frères.
18590 « Il respondi incontinent :
« Ses frères ne sui nullement,
« Mais je sui tous ses chevaliers,
« Et me recommendés, très chiers
« Amis, a lui, je vous en prie; /. /J7 b
18595 tt Et li dittes que courtoisie
« Me fait en tous estas très grande,
a Et que moult je Ten recommande
« De ce que ma devise porte. »
« Chiere dame, je me déporte
18600 « A vous dire en estât deU
« Ce que j'ay oy et veU.
(c De che chevalier me parti
« Moult telement sus le parti
« Que je vous ay devant conté.
i86o5 « Depuis le vi, pour vérité,
i< Et des aultres plus de .ce.
« Très amoureus, friches et gens,
« Tournoiier devant Signandon.
« De tous n'i cognois voir nuLnom,
18610 a Mais la fu li bleus chevaliers
MELIADOR 273
« Dont je vous ay parlé premiers,
a Qui se brise dou soleil d'or.
« Onques Acilles ne Hector
« Ne fïsent en leurs temps tant d'armes
i86i5 « Qu'il en fist la devant les dames.
« Otretant bien, ma dame chiere,
<c Li chevaliers qui la manière
« A de porter vostre devise,
« Qui d'une blanche dame brise
18620 « Sa rouge brongne et son escu,
(( En bonne ordenance la fu
« Et tournoia très vaillanment.
« Sus ces .11. fu tout vraiement
« Li pris dou tournoy acordés,
18625 « Mais par hiraus bien recordés,
« Et de droit ossi et calenge,
« Li bleus si en ot la loenge ;
« L'espée eut au mieulz tournoiant. /. iSy c
« De ces .11. ne sçai plus avant,
i863o « Car je me parti au tierc jour
<c Pour faire viers vous mon retour
« Et recorder men aventure.
a Ma chiere dame, je vous jure
« Que cil doi chevalier tout sont
186 3 5 a En vo commandement, et ont
« Grant désir qu'il vous puissent faire
« Services qui vous puissent plaire. »
o
R a Phenonée a penser
Plus c'onques mes et a viser
18640 Comment maintenir se pora.
Grans nouvelles oyes a;
Point ne s'en scet sus consillier.
18620 escu, B escri.
Tome IK 18
274 MELIADOR
« Frères, » dist elle au chevalier,
(( Dou chevalier au soleil d'or,
18645 a Je vous prî, parlés moy encor.
a Quelz homs est il, ne de quel taille? >
Et Lyones errant li baille
Telz responses et dist : a Ma dame,
« Très biaus chevaliers est, par m*ame,
i865o « De tous membres et de bon corps.
« Mais onques je ne le vi hors
« Dou hyaume ne de sa selle ;
« Mais bien le vi, desous Tasselle,
« Tenir sa lance frichement,
18655 « Et assambla moult vaillanment
« A moy et me porta par terre.
« Quant je veuch de son nom enquerre,
« Je vous recorde pour certain,
a De moy se parti en soudain ;
18660 « Mais il dist au département :
« Chevaliers, saciés vraiement
« Que je suî tous en Tordenance /. / J7 d
« Et me mach de la dame blanche. »
« Dou rouge chevalier après
i8665 « Vous conterai par mos exprès.
« Puis c'aler volés a le taille,
<f Certes, il est biaus homs sans faille,
ce Et ossi le vi je a cheval
« Tout armé par especial.
1 8670 « Le hyaume avoit en la teste
« Et est des chevaliers de queste.
a Ne sçai comment il est nommés,
« Mais grandement est renommés
« Par tous les lieus ou il converse,
18675 « Et plus cilz a la brongne perse.
« Saciés, ma dame, il sont tout doi
a Très bon chevalier, par ma foy ;
« Mais en tant que de cognissance.
MELIADOR 275
« Par viaire ne par samblance,
18680 « Ne par membres grans ou moiiens,
« Je ne vous en saroie en riens
« Certifiier; de ce me crés. »
Phenonée entent ces secrés
Que ses chevaliers li recorde,
i8685 Adonques ses coers se descorde
A s'entention premerainne,
Et dist : et Je ne sui pas certainne
« De mon frère, je le voi bien.
« Se je folie par l'engien
18690 « D'Amours, certes, je n'en puis mains;
« Mais mon coer est bien si certains,
« De tout ce me fay je assés forte,
« Que, pour cose c'on me raporte,
« Je ne poroie autrui amer,
18695 « Ne ne me vodroie entamer,
« Fors que de Tamour de mon frère, /. i38 a
« Or ay je donc cause et matere
« De laissier ceste cose en pais,
« Et je li lairai voir huimais,
18700 (( Et demain et mes de semainne.
« Je n'ai pensée qui me mainne
« Plus avant en ceste ordenance,
« Puis que je fail a m'esperance.
u T YONEL, » ce dist Phenonée,
18705 « i-r Pour moy avés vous ceste année
« Eu grant painne et grant travel,
« Et vous estes de mon conseil
« Et uns chevaliers pour mon corps,
a Si vous pri : point ne metés hors
187 10 « Ceste aventure aucunement. »
Et Lyones, tout erranment,
Respondi et li dist : « Je, dame,
276 MELIADOR
« Je me feroie plus grant blasme
a Cent fois que ne feroie a vous.
1 871 5 « Vous savés que je sui voir tous
c( Nouris de la vostre substance;
ce Si doi très bonne obéissance
« A vous, et si le voel devoir
« D'ent[ent]ion et de voloir,
18720 « Pour morir, s'il le besongnoit.
« Maudis soit qui ressongneroit
« Pour vous mort, painne ne perilz. »
Et celle respont : « Grans mercis ;
« Pour tel vous tieng. Vous demorrés
18725 a Dalés moy et aprenderés
« Tous les jours aucunes nouvelles.
« Toutes voies je tieng a belles
« Les vostres, selonch mon pourpos. »
A tant misent la en repos
18730 Lors parolles, si com, pour Teure. /. i38b
Li chevaliers ensi demeure
Avoecques sa dame en Tarbonne,
Et moult courtoisement s'ordonne
A tout ce que elle voelt faire.
18735 Nous cesserons de cest aÊTaire
A parlers, voires, .1. petit,
Car j'ai droitement apetit
A parler de Melyador,
Qui mies n'est venus encor
18740 A rent[ent]ion qu'il demande.
Cilz livres forment recommande
Ses proeces, et c'est bien drois ;
Car il fu hardis et courtois,
Doulz, amoureus, frices, et gens,
18745 Et bien amés de toutes gens.
18736 petit, B petite.
u
MELIADOR 277
N jour jetta au lonc ses yex
Melyador, li très gentieulz ;
Regarde et voit vers li venant,
En moult simple et bas couvenant
18750 .1. escuier moult mal monté,
Li quelz menoit pour vérité
D'encoste li une littiere.
Melyador onques la chiere
N'en osta, ne les yex ossi.
18755 Si fu venus jusqu'à cesti,
Le quel moult bel il salua;
Et en apriès li demanda
Ou il aloit et dont venoit,
Et quel cose estoit qu'il tenoit.
18760 Et cilz, qui faisoit mate ciere,
Li dist : « Sire, en ceste litière
<c Gist mon signeur très fort navrés.
« Jamais ne sera recouvrés
« Pour ses amis cilz grant meschiés, /. j38 c
18765 « Et vous di que vous approciés
« Durement chiaus qui ce ont fait, a
Adont li recorde le fait
De point en point; comment il va
De son signeur qui arriva
18770 Sus les Irois a povre estrine.
Et li dist moult bien qu41 chemine
Ou cil sont qui ont en leur garde
Le passage c'on dist la Garde,
Sur la rivière de Clarense.
18775 Quant Melyador Tôt, si pense
.1. petit, et puis li demande
S'on entre par la en Irlande,
Et cilz respont : « Oïl, sans doubte;
« Mais au passage c'on redoubte
18780 « Sont doi chevalier grant et fort.
278 MELIADOR
« Et pourveti de grant confort,
«c Et se nomment en leurs escris
« Messires Housagre et Panfrîs.
a Sire, » ce dist li escuiers,
18785 a On doit vous enfourmer premiers.
a Se Diex vous avoit tant donné
« D'eiir et a ce ordonné
« Que vous les peuissiés conquerra
« Et par la entrer en leur terre,
18790 « Ce seroit pour vous honneur haute. »
Melyador respont sans faute :
« Amis, j'en ferai mon pooir,
« Car j'en voel cognissance avoir.
« J'ai ja par .11. fois ou par .m.
18795 « Oy parler de ces Irois,
« Et dist on que si rude sont
« Que nul compte de nous ne font,
« Mais, a men espée et ma lance, /. i38 d
(( J'en vodrai avoir cognissance,
18800 « Ou je demorrai en la painne,
« Ou leur nature très villainne
« Ferai je muer en honneur.
« Moult m'anoie de ten signeur,
« Quant je le voi en ce parti. »
i88o5 A ces mos, d'illuec se parti
Melyador sans plus attendre,
Qui voelt d'ore en avant entendre
A chevaucer devers Irlande.
Ce soir jut il sus une lende
188 10 Et desous .1. biau vert buisson.
Je ne sçai mies la muison
Comprendre, mes moult estoît biaus.
Et entent le chant des oisiaus
Qui chantoient toute la nuit ;
18783 Housagre, B Honsagre.
MELIADOR 279
i88i5 En ce prendent it grant déduit,
Plaisance, solas et déport.
Ja estoit assés priés d'un port
Sus la rivière de Clarense ;
La lî revienent en presense
18820 Li doulz souvenirs de sa dame,
A la quele il a jusc*a Tame
Tout donné sans rien retollir.
Pour ses pensées mieulz pollir
Commença la .1. rondelet
18825 A faire, et ançois que fait Tet
Eut mainte imagination.
Toutes fois en l'impression
Dou rondelet prist tel plaisance,
Qu'il le fîst par bonne ordenance
i883o Et le chanta tout en basset.
Si com il fu, c'est droit c'on l'et.
Rondel.
Ma dame, a vous me complaindrai /. i3g a
De ma très amere dolour.
JLe plus tost que je vous verrai,
i8835 Ma dame, etc.
Ajlleurs complaindre ne me sçai
C'a vous, ou sont tout mi retour.
Ma dame, etc.
CESTE nuit passa liement
_ _ ^ _ Melyador certainnement,
Au|matin s'arma biel et bien,
28o MELIADOR
Tant que sur li ne falli rien,
De ce dont on s'armoit adont ;
Les armeiires ores sont
18845 Plus chieres et de grignour pris.
Puis ont errant lor chemin pris
Li sires et ses escuiers
Pour venir vers les passagiers
De la rivière de Clarense ;
i885o Pas ne mettent en negligense
Des chevaliers que trouver doient.
Un tierne par devant yaus voient :
Tout le montèrent a cheval
Et puis ont regardé aval
1 8855 Et voient le pas de la Garde.
Adont Lansonnès le regarde ;
A son signeur dist : « Or metés
« Vo hyaume et vous remetés
« A point, car il vous fault combatre
18860 « Et a .11. chevaliers debatre
a Le passage ; soiiés en fis. »
Dist Melyador : a Je Tai mis. »
Adont le lace incontinent
Et approce moult vistement
18865 Le passage, ou il doit passer. /. i3g b
Cil qui le virent avaler
L'envoient incontinent querre
D*un passagier a Tautre terre
N'i avoit, selonc la manière,
1 8870 Fors a trescoper la rivière ;
Ensi sont entré en Irlande.
Li chevalier ont joie grande
Quant vers yaus il voient venu
Le chevalier au bleu escu :
1 8875 Bien voient que jouster les fault.
Melyador, sans nul défaut,
Est lors ou cheval remontés.
MELIADOR 281
Dedens son escu est plantés ;
La lance apuigne qui fu roide,
18880 A la pointe acérée et froide.
M essire Housagre et Panfris
Ont errant leurs .11. lances pris,
Et se mettent en bon arroi.
Lors esporonnent tout li troi,
i8885 Li uns sur les .11., ce me samble.
Tantost se trouvèrent ensamble,
Car il viennent de grant randon.
Melyador en abandon
Se met, pour l'un d'yaus consieuir ;
18890 De plains eslais s'en peut venir
Sus monsigneur Panfris adont.
Je vous di bien que si cop font
Moult grandement a ressongnier.
Encores pour mieulz besongnier,
18895 Afin que li secons s'avise,
Melyador dont je devise
Le consieui de tel façon,
Droit ens, ou mi leu dou blason^
Qu'il li fendi comme une osiere. f. i3g c
18900 Le fier li fist passer derrière
Le dos, bien une grant puignie.
Il Tempaint par chevalerie ;
Jus le reverse, il chiet la mors.
Melyador li trait dou corps
18905 La lance qui estoit sanglente.
Or en fait chiere moult dolente.
Et moult bien en a les materes
Housagres qui estoit ses frères.
18881 Housagre, B Honsagre.
282 MELIÂDOR
QUANT messires Housagres voit,
Qui la combatre se devoit,
Que ses biaus frères gisoit mors,
Se ii falii force et confors.
Il ne scet quMl die ne face
Et, a fin quMl ne se mesface
18915 A le jouste, il descent a terre.
L'espée ou poing s'en vient requerre
Melyador moult asprement.
Cilz, qui le voit apertement
Venir, est descendus ossi
18920 Et puis s'est mis encontre li.
Tost y ara bonne meslée.
Housagres, qui tenoit l'espée
Grande et longe et de bonne taille.
Au chevalier de Cornuaille
18925 Le jette pour porter damage.
Melyador a l'avantage
Est trais, quant voit le cop venant ;
De sa targe par couvenant
S'est couvers par bonne façon :
18930 Se fiert Housagre ens ou moilon
Dou hyaume moult roidement.
De ce cop Teuist malement
Appareilliet, il n'est pas doubte ; /. i3g d
Mais l'espée, qui estoit toute
18935 D'acier, li tourna ens ou poing.
Or a Housagres moult grant soing
Que il se puist contrevengier
Et le passage calengier
Que Melyador leur devée.
18940 .1. cop a jette de l'espée
Sus Melyador tout amont ;
Mais cilz si se targa adont
De l'escu. L'espée y entra,
MELIADOR 283
Qui une nervure encontra,
1 8945 Par quoi elle ne peut riens faire,
Damage porter ne contraire
Au chevalier au soleil d'or.
Et quant ce voit Melyador
Que ses ennemis si le quoite,
1 8950 Jeuer le voelt d'une aultre emploite,
Sus le costé s'est trais vers li,
Et Housagres se descouvri
Quant il le vit vers soi venant.
Melyador ou couvenant
18955 Bel et bien Tala embracier
Parmi le col, sans espargnier ;
La y ara luite moult forte,
Car jus a la terre le porte.
Les las dou hyaume li trence.
1 8960 Ne li voelt faire longe crence ;
Il dist qu'il li todra la teste
S'il n'obelst a sa requeste.
Messires Housagres se voit
En péril, et si ne savoit
18965 Que Melyador li voelt faire;
Siques pour eschiewer contraire,
Il dist : a Chevaliers, je me rens /*. 140 a
Et vous jure dessus ces rens
« A tenir ce que vous dires. »
1 8970 Adont est arrier retirés
Melyador, qui prent l'espée
Dou chevalier sans demorée
Et dist : « Chevaliers, je t'ordonne
« A ci demorer en ta gonne,
18975 « Sans armelires, ne cheval,
« A garder ce passage aval
« Pour tous chevaliers qui venront
« Et qui par ci passer vorront.
« Tu leur seras apparilliés
284 MELIÂDOR
1 8980 « Et les recueillera tous liés,
« Et leur fera feste et honneur,
ce Ne jamais painne ne doleur
« Ne leur consentiras a faire. »
Et Housagres^ par bon afaire,
18985 Li acorde tout son voloir
Et li dist : « Sire, jamais voir
a Ne contredirai chevalier
« Qui se vodra apparillier
« Pour entrer dedens no contrée ;
1 8990 « Et ensi, par foi creantée,
tt Le vous créante com preudons.
« Mais saciés, sire, vaillans homs,
a Que se ce pas avés conquis
ce Ce vous est uns petis déduis ;
18995 a Car vous ares trop plus a faire,
« Voires, se vous volés parfaire
« Vostre emprise ditte devant.
o Car vous trouvères chi avant,
« Et sus ceste propre rivière,
19000 « Mainte grant aventure fiere
« De chevaliers preus et hardis, /. 140 b
« Qui demoret y ont toutdis,
« Car pas ne sont tout desconfis
« Li chevalier, je vous affi.
19005 « Encor en y a quatre vins
ce Qui gardent les divers chemins,
ce A cui bien vous faudra parler,
« Se jusc'a yaus volés aler. »
— a Oll, » respont Melyador,
190 10 ce Je Tay empris que jusqu'au cor
« De la contrée passerai,
« Ou en la painne demorrai.
« Si vous di, sire chevaliers,
a Ens ou cas que je sui premiers,
1901 5 « Je le vous ordonne et commande
MELIADOR 285
« Que, se nulz de moy vous demande,
« Si dittes que je sui passés
« El pour yaus vous ferés assés,
« Car autre chevalier venront,
19020 « Qui nos routes poursieueront,
« Qui se sont mis o nous en queste.
« N'en faites point plenté d'enqueste. »
Dist Housagres : « Je le ferai,
« Ne ja jour ne me parjurrai
19025 « De tout ce que vous ay prommis;
« Car je voel estre vos amis,
« Vos chevaliers et vos servans
« Pour obeîr a vos commans.
« Car vous le valés, ce m'est vis,
19030 « De sens, de proece et d'avis. »
A ces mos d'iluec se parti
Melyador sus ce parti,
Et puis se prent a chevaucier
Le droit chemin au Brun Rocier,
19035 Le quel pas .111. chevalier gardent, /. 140 c
Et saciés que pas ne retardent
Qu'il n'en soient très bien sogneus.
Melyador comme amoureus.
Lors qu'il fu partis de Housagre,
1 9040 De coer resjoy et halagre
Commança .1. doulz rondelet
A canter ; c'est raisons c'on Tet,
Car il fu amoureus et gens.
Si doit bien plaire a toutes gens,
19045 Qui ont les biens d'Amours senti.
Le dit rondelet veleci.
286 MELIÂDOR
Rondd.
J E ne désir nulle riens tant
Que de veoir ma douce dame.
A liece et a joie grant
igoSo Je ne désir, etc.
r ouR ce pri Dieu que bien briefment
Ce puist estre, car, par m'ame,
Je ne désir, etc.
ENsi s'esbat Melyador
. ^ Au canter. Il n'a pas encor
Vett le pas dou Brun Rocier,
Mais il le prent a apprécier.
Il chevauce parmi bruieres,
Et traverse landes moult fieres
1 9060 Et pays durement estragne,
Trop plus qu'il ne soit en Bretagne.
Celle nuit jut sus une lande
Ou il n'a pas ce qu'il demande,
Mais passe trestout liement.
19065 Au matinet certainnement
S'est il armés et mis a point.
Ou cheval monte et si se joint
Sus ses estriers, par mignotise ; /. 140 d
Ensi chevauce il a sa guise.
19070 Assés tost .1. hault mont montèrent;
Ou fons desous il encontrerent
.1. irois qui au bois aloit,
Qui s'enfuit sitos qu'il les voit.
Mais Lansonnès ala après.
MELIADOR 287
1 9075 Et li pria par mos exprès
Que il les vosist adrecier.
Pour aler a ce Brun Rocier ;
Et cilz leur ensengna errant
Et ala avoech yaus courant
19080 Plus d'une grant liewe pleniere.
Si leur moustra de la bruiere
Le Brun Rocier et le passage.
Bien leur dist : ce Vous n'estes pas sage,
« Qui volés ceste part aler. »
19085 On le laissa assés parler.
Pour ce ne s'en abstinrent mie
Li doi ; mais ont a ceste fie
Tant chevauciet qu'il sont venu,
Ou le dit passage ont veU
19090 Et la loge ou li chevalier
Pooient tout le jour logier,
Qui ne desiroient riens el,
Fors de trouver en camp mortel
.1. chevalier ou .11. ou trois,
19095 Pour yaus combatre a ceste fois.
Tele estoit li affection
D'yaus tous, selonch m'entention.
B
lEN avoient ja oy dire,
Dont il estoient en grant ire,
19 100 C'uns chevaliers estoit passés,
Qui estoit corageus assés
Et avoit le pas de la Garde f, 141 a
Conquis, et occis de sa darde
Monsigneur Panfris le vaillant ;
19105 De quoy yaus en esmervillant
L'attendoient tout ce matin,
Et estoient prest leur ronchin
Et tout armé devant leur tente.
288 MELIADOR
Quant cilz vint qui grans désirs tempte,
191 10 Qu'il se peuist a yaus combatre
Et leur mauvais usage abatre,
Car il ne vault voiremens riens.
Li premiers ot nom Mansiiens,
Et li secons Frotaus li Gris
1 9 1 1 5 Et li tiers Trabors des Lairis ;
Cescuns ot possession grande,
Selonch la coustume d'Irlande.
Tout troi ont regardé sus destre
Et voyent Melyador nestre,
191 20 Qui descendoit de la bruicre
Et son escuier par derrière.
Il Tout tantost recogneU,
Car il estoient pourveù
Qu'il devoit venir ce matin.
191 25 Cescuns monte lors ou roncin,
Et prent sa targe et puis sa lance,
Et se mettent en ordenance
Pour jouster tout troi d'un randon.
Melyador le sabelon
1 9 1 3o Chevaucoit tous apparilliés.
Il ne s'est pas esmervilliés
Des .111. , quant il les voit venir.
Noient ne se volt abstenir,
Mais se joint dedens son escu,
191 35 Et la lance au bon fer agu
Met en arrest desous Faisselle. /. 141 b
Ja y ara jouste moult belle.
Car il viennent l'un contre Taultre
En portant les lances sus fautre.
19 140 Melyador des esporons
Fiert le cheval qui fu moult bons.
Entre yaus se fiert a plains eslais.
L'un consiui qui fu moult gais
Et chevaliers de grant afaire ;
MELIADOR 28g
19145 Mais, qui quMl doie ores desplaire,
Teiement le porta a terre
Que ses hyaumes si fort serre
Ou pré, et est si mal menés
Que dou cop est si estonnés
191 5o Que point ne se poet redrecier.
Meiyador, pour adrecier
Son cop, s'en est oultre passés,
Et n'est pas encor si lassés
Que les aultres .11. n'envalsse.
1 9 1 5 5 La fait d'armes le droit offisse,
Ensi que li preu scevent faire.
Et se garde de trop mesfaire
Et d'entrer en yaus, fors a point.
Li uns de ces .11. si le point
19160 De son glave dessus sa targe,
Mais cilz cops noient ne le carge ;
Tantost en fu dessonniiés
Et dessus cesti avoiiés,
Qui le cop li avoit donné.
1 9 1 65 II Ta teiement estonné
Que jus a terre le reverse
A ce qu'il cheî teste enverse ;
Li espaule li desnoa.
Cilz fais grandement agréa
19 170 A Lansonnet, bien le saciés. f, 141 c
Meiyador a bras hauciés,
S'en vient dessus Frotaus li Gris ;
Par le col l'a teiement pris
Que Frotaus ne s'en poet ravoir.
19175 Meiyador, sans remanoir,
Par force de bras tel le mainne
Que jusques a le grosse alainne.
S'espée li chiet en l'erbier.
Meiyador au chevalier
19180 Dist ensi : « Il te couvient rendre,
Tome II 19
290 BIELIADOR
« Voires, s'a merci te voel prendra. 3i
— « Sires, » dist Frotaua, « je me rtns
« Et vous jurrai derant ces gens
« A faire ce que vous vodrés ;
1 9 1 85 « Et vous pri que voua me prendés
<c A merci et ces deua ossi^
a Qui la sont chetk par ensi,
« Que nous ferons voatre voloir. »
Dist Meiyador : « Tu dis voir.
1 9 1 90 « Voirement le vous couvient faire. »
Meiyador, sus cest afaire,
Li fait son hyaume roster.
A nu chief li fait la jurer
Qu'il gardera le dit passage,
1 9 1 95 Sans villonnie et sans Tusage
Tenir qu'il ont tenu devant.
Encores dist il plus avant,
Et une cose moult estragne,
Que contre nuUui de Bretagne
19200 Ne se poeent jamais armer.
Tous ces poins leur a fait jurer
Meiyador li damoisiaus,
Et puissedi s'est panis d'yaus^
Et chevauce sur la rivière /. 141 d
19205 De Clarense, qui est moult fiere :
La ou il est, a cel endroit,
.II. liewes a au plus estroit.
o
R revenons a Phenonée,
Qui fort estoit énamourée
192 10 Dou chevalier bien toumoiant.
Souvent va merencoliant
Sus ces .11. dont elle a nouvelles,
Et quoi qu'elle ait des damoiselles,
A nulle son cuer ne descuevre.
MELIÂDOR 291
1921 5 Elle a empris une forte oevre,
Car elle voelt ses maulz celer.
Elle en a laissiet le parler
A Lyonniel son chevalier,
Et dist que pour son coer brisier,
19220 Autrement ne poet avoir pais,
Qu^elle n'i pensera jamais.
Mais en cel estât ne demeure,
Entre jour et nuit, pas une heure.
Que elle y pense, ou voelle ou non.
19225 « A ! » dist elle, <' se je le nom
« De ce bleu chevalier savoie,
« Trop grandement mieulz en vaurroîe.
« Lyonnel m'a dît qu'il est telz,
« Si frices et si confortés,
19230 « Que c'est de ses fais grans merveilles.
« Et cilz a ces armes vermeilles
« Me samble .1. chevalier de bien ;
« Car, en arroi et en maintien,
'« Je le vi si bien tournîier
19235 « Et sen espée maniier,
« Conques puis ne m'issi dou coer.
ce Or ne sui je mies sa suer,
« Ce que je cuidoie avant hier, f. 142 a
« Car il dist a mon chevalier,
19240 « A cui il parla voirement,
« Que tous en mon commandement
« Estoit, mais riens ne m'atenoit,
« Et que pour mi se maintenoit
« Frichement, querant aventures.
1 9245 (( Las ! ces nouvelles me sont dures,
« Car je cuidoie avoir assis
« Mon coer, dou tout donné et mis,
« A Melyador, mon chier frère.
« Mais diverse m'est la matere :
19250 « Non ai, selonch ce que fevoy.
2Ç)2 MÊLIADOR
« S*en ay tristrece et grant anoy,
<c Quant ne le puis a mon talent
a Retraire a ce commencement,
a C'est cose faée et nouvelle. »
19255 Phenonée en tele estincelle
D'amours, qui est vive et certainne
Est demorée une sepmainne.
Telement nuit et jour y pense
Que toutdis li est en prcsense
19260 Li souvenirs dou chevalier,
Qui conquist par bien tourniier
Le faucon, par devant Tarbonne;
Elle telement s'i adonne
Que nullement n'en poet partir.
19265 A Narcissus, le vrai martir,
Le nous couvenra comparer,
Ou a Hero qui en le mer
Moru pourTenfant Leander;
Car quoi qu'elle se nomme suer
19270 A Melyador, bien saciés,'
Ses cuers est si fort ataciés
A bonne amour, que toute en art. /. 142 b
Or en a la belle sa part,
Qui onques mais n'avoit senti
19275 Le dart amoureus dedens li.
Se s'en voelt elle délivrer,
Mais le chemin n'i scet trouver.
Elle s'asseule ce que poet,
Pour ce que celer ses maulz voet ;
19280 Com plus le fait, plus s'en cnflame.
A damoiselle ne a femme
Ne dist riens de sa maladie :
Ensi en périlleuse vie,
Pour sa santé est elle entrée.
19285 Sa mère, qui moult est senée.
Se perçoit moult bien que la belle
MELIADOR 293
N'est pas en bon point, ce dist elle;
S'en est triste, c'est bien raison.
Adont l'a mis a question
19290 Pour savoir de li le certain.
Mais celle ne li conte grain
La vérité dont li maulz vient,
Qui entours son joli coer tient;
Mais li dist tout a la reverse.
19295 N'a femme qui o lui converse
A cui elle en die noient.
Si se mourdrist certainnement.
Mais saciés que elle aultre cose
Pour sen honneur faire n'en ose.
19300 ^E n'est pas cose moult courtoise
v^ Au dit duc et a la ducoise,
Quant elles voient en tel point
Leur fille, qui les nuis nul point
Ne poet dormir ne reposer ;
19305 Et se ne scevent sus gloser,
Ne dont li vient ceste matere. /. 142 c
Saciés, au père et a la mère
Desplaist forment li ordenance.
Car leur fille tendreté et blance
1 93 1 o Voient amenrir de santé.
A celles qui plus l'ont hanté
Demandent tout secrètement
De sa vie, mais nullement
Elles n'en scevent mais que dire,
193 1 5 Fors tant qu'elles Pont veii rire
A le fois et tant dire encore :
« Ha, biau frere^Melyador,
« Pour vous reçoi grant penitancc!
tt Trop mieulz me vausist l'espérance
igSao (T A avoir c'avamicr avoîe<
294 MELIADOR
« Quant je mis Lyonniel a voie,
tt Que celle que j'ay maintenant. »
— « De li ne savons plus avant.
a Demandés ent a Lyonniel. »
19325 Ce parler tinrent a moult biel
Li dus et la ducoise ossi.
Adont fu mandés sans detri
Lyonniaus; il vint la en Teure.
Son signeur et sa dame honneure,
19330 Quant il les voit ; c*est bien raisons.
Li dus, qui fu moult sages homs,
Li demande de la besongne,
Et cilz, qui trop fort le ressongne
A courecier et a bon droit,
19335 Leur dist quant ce vint au destroit
Commencement, moiien et fin,
Et comment fu mis au chemin
De leur fille et sur quel parti
Liement de 11 se parti.
19340 Qu'il trouva et c'a rapporté, /. /^^ d
Tout leur a Lyonniaus compté,
Qui n'osa nullement mentir.
Et quant li dus peut ce sentir.
Si en fu demi confortés.
19345 A sa femme dist : ce Or souffres
« Et n'en soiiés en nulle doubte.
« Ma fille sera briefment toute
<K Reconfortée et alegie,
« Puis que je sçai sa maladie. »
19350 T I dus cuida moult bien adont,
Par les parlers que oy ont
Mon signeur Lyon recorder,
Que, pour parfaitement amer
Son chier frère Melyador,
MELIADOR 295
19355 Phenonée de chief en cor
Euist compris sa maladie.
Adont s'en vint a chiere lie
Viers sa fille et li dist ensi :
« Ma bielle fille, je vous di
19360 a Que Melyador vous salue.
« J'en ay vraie nouvelle etie
« Par .1. bon chevalier de queste,
« De la quele je fac grant feste.
(( A nous tous, il se recommande
19365 « Et s'est dedens Norchombrelande ;
« Celle part le poet on trouver
« Et se vous me voliés prester
« Lyonniel, vostre chevalier,
« La je le vodroie envoiier.
19370 « Si nous raporteroit nouvelles
« De li moult vraies et moult belles,
« Dont vous sériés reconfortée, n
— « Monsigneur, » ce dist Phenonée,
« Oïl, quoi dont! Il est tout près, /. 143 a
19375 « Et li dittes par mos exprès
« Que jamais de ça ne reviegne,
<c Pour cose que il li aviegne,
« Si ara trouve mon biau frère. »
— « Ma fille, telle est ma matere.
19380 « Voirement li dirai je bien,
(c Et enjoindrai sur toute rien
« Que jamais vers nous ne retourne,
« Tant lonc termine qu'il séjourne,
a Si Tara veti et esté
19385 « Avoecques li et arresté,
tf Et par quoi ossi, au retour,
c( Vraies ensengnes dou séjour
<( Et de li il le nous raporte. »
19383 Tant lonc, B Con loncà
296 MELIADOR
Phenonée .1. pau se conforte
1 9390 Sus ces raisons, tant que pour Teure ;
Et adonques plus ne demeure
Li dus, mes la Lyonniel mande
Et tout ensi li recommande :
<c T YONNiEL, je vous ay nourri
19395 «c 'Lr Dalés ma fille et dalés mi,
« Et je vous tieng bon et fiable,
« Et de corps assés preu et able
« Pour bien porter une besongne.
«c Savoir devés qu'il nous besongne
19400 « Que vous vos metés au chemin
« Et chevauchiés tant, a tel fin
a Que point ne revenés vers nous,
« Pour demorer les termes tous
« De la queste que vous savés,
19405 « Se vraies nouvelles n'avés
ce De Melyador, mon biau fil.
a A ce que j'ay entendu, il
« Se tient devers Norchombrelande. f. 143 h
« Dittes li que je li commande
194 10 « Qu'il viegne veoir sa suer,
« Qui l'aime de très loyal cuer.
« Vous savés bien sa maladie ;
« Il ne fault pas que le vous di.
« Or esploitiés, biaus filz, si bien,
1941 5 « Par tel art et par tel engien
« C'au retour vous en sace gré. »
— « Sire, » dist cilz, « pour vérité.
« J'en ferai dou tout mon pooir. »
A ces ordenances pour voir
1 9420 Estoit la ossi Phenonée.
Ce propre jour, a relevée.
Parti Lyonniel, de Tarbonne^
MELIADOR 297
Bien armés et en blance gonne,
Ensi qu'il ot aie devant.
19425 Phenonée en ce convenant
Le vit trop volentiers partir,
Et cuida moult bien son désir
Rafrener, et mettre en bon point
Dou mal qui Targue et le point,
19430 A son départ. Mes non fera,
Ançois plus malade sera
Temprement que elle n'ait esté,
Coi qu'on regarde a sa santé.
o
OR s'en va messires Lyones,
^ , Qui est chevaliers bien ydones,
Pour faire ce qu'il a empris.
A son départ li dus Patris
Se tient pour tous reconfortés
De sa fille, et est moult bien telz
19440 Qu'il cuide qu'elle ait la dolour
Pour la pensée et pour Tamour
Qu'elle a apriès Melyador; f, 143 c
Mais il n'est pas au fons encor
De la racine qu'elle porte.
1 9445 Ce premiers elle se déporte
.1. peu mieulz assés que devant,
Et puis li revient au devant
Li chevaliers as rouges armes.
Qui li fait plorer pluiseurs larmes
19450 Et faire lamentations.
Mais point de ces ententions
A ses femmes ne se descuevre,
Et Amours toutdis avant oevre ;
Qui ne le voelt mies laiier.
1 9455 Comment qu'on ait .1. chevalier
Envoiiet pour li sus les landes,
298 MELIADOR
Se li sont fortes et pesandes
Les pensées de fine amour ;
Souvent dist^ entre nuit et jour,
1 9460 Quant les pensées vont au cor :
« Ha, biau frère Melyador,
« Mar vous vi si bien tournoiier,
« Ne vostre espée menoiierl »
Tout ce record' on a son père
1 9465 Et a la ducoise sa mère,
Et il sallent tantost avant
Qui li remettent au devant :
« Ma bielle fille, apaisiés vous.
« Vous savés comment entre nous
1 9470 ft Est or une ordenance prise,
« La quele grandement je prise,
a Car temprement orons nouvelles
« Qui nous seront bonnes et belles. »
— « Diex y ait part! » dist Phenonée.
19475 La demeure en celle pensée,
Qui est moult merancolieuse y. 143 d
Et trop durement périlleuse.
Ce dient tout cil qui le voient.
Qui encores pas ne savoient
1 9480 Les dolours qui sont dedentrainnes ;
Mais il voient bien les foraines,
Comment Phenonée amagrist
Et de sa couleur amenrist,
Qui soloit estre de bon taint,
19485 Et maintenant elle s'estaint.
Ce sont coses moult desplaisans
A signeur qui aiment enfant
Et qui n'ont o yaus c'une fille
Jone, gratieuse et gentille,
1 9490 Dont tout resjoy estre doientf
Quant ensi amenrir le voient
Et languir en si dure painnt
MELIADOR 29g
Que souvent li fault li alainne,
Et n'est nulz qui aidier le face,
19495 Ne qui bien se cognoisse a ce.
o
R s'avisa li dus ensi
Que il metteroit dalés li
Une sienne sage parente.
Fille d'un conte, jone et gente.
19600 Cilz contes ses neveus estoit
Et .1. grant pays gouvrenoit
Sus les isles de Cornuaille.
Lussiiens eut nom cis, sans faille,
Et sa fille eut nom Lussiienne.
1 95o5 Moult estoit bonne crestiienne,
Belle, et sage et de douch afaire.
Tantost manda ce qu'il voet faire
A son cousin, cesti des isles,
Et comment il voelt ces .11. filles
195 10 Mettre ensamble en .1. biau manoir /. 144 a
Dehors Tarbonne et la manoir.
Cilz contes, c'on dist Luciien,
A tout ce s'acorda moult bien
Et envoia a l'eure bonne
19515 Luciienne devant Tarbonne.
On fu moult liet de sa venue.
La maisons estoit pourveùe
En .1. biau bois vert et joli.
Ou Phenonée et celle o li,
19520 Qui est sa cousine nommée.
Feront .1. temps lor demorée.
Cilz manoirs seoit proprement
Ens ou bois ou premièrement
Melyador ses armeiires
19525 Prist pour çerchier les aventures.
Pour ce 1§ fist en cestt iatance
3 00 MELIADOR
Li dus, et par bonne ordenance,
Que sa fille a le fois disoit,
Quant assés lamenté avoit :
19530 « Melyador, Melyador,
« Biau frère, je n'ai point encor
<c Esté ou bois ou vous venistes,
« Quant de ce pays partesistes.
<c Mar vous vi tournoiier si bien ! )»
19535 Sus cel art et sus cel engien
Fu la Phenonée envoiie,
Avoecques li toute mesnie
Apparillie pour servir.
Tous les jours le viennent veïr,
19540 Par affection très courtoise,
Li dus Patris et la ducoise.
Et Luciiene sa cousine,
Comme gracieuse et bénigne
Li aministre doucement f, 144 b
1 9545 Ce qu'il li fault certainnement,
Et bien perchoit, c'est ci consaulz,
Que Phenonée a ces assaus
Par bien amer oultre mesure.
Et adonques la li mesure
19550 Luciienne trestout son tamps,
Et dist : « Voir j'ay esté sentans
« Tel mal que vous avés, cousine.
« Si n'en soiiés noient estrine
« De moy dire dont il vous vient,
19555 « Car je sçai moult bien qu'il vous tient
a Au coer, et ja n'en garirés
a Jusc'a tant que dit le m'arés.
<t DitteSy dittesy hardiement,
a Et je vous prommech loyaument
19560 « Que ja, a père ne a mère
tt Que vous aiiés, c'est cose clerc,
« Je n'en parlerai sans vo gré*
MELIADOR 3ol
tt Bîen me poés tout vo secré
« Dire chi en confession ;
19565 « Car je n'ay aultre affection,
« Fors que de Toir et d'entendre
« Pour vostre joîe et santé rendre,
a Dont vous estes .1. pau arrière.
« Je cognois bien a vo manière
19570 « Que vous estes sur Tain dou dire.
« Pas ne me devés escondire
« Telz coses que je vous demande ;
w Ce vous sera joie trop grande
« Mille fois apriès que devant. »
1 9575 Phenonée le convenant
Voit et entent de sa cousine,
Et comment elle Tendoctrine
Et s'i asseure dou tout. /. 144 c
Et adont jusques au debout
1 9580 Li recorde sans riens celer
Et, quant elle lait le parler,
Si dist : « Cousine, or vous taisiés
a Et vo coer .1. peu miex aisiés
« Qu'il n*a été jusques a ci.
19585 « Car puis c'Amours, par sa merci,
« Vous a lachiet de sa chainture,
« J'en prise trop mieulz l'aventure
je Que je ne faisoie en avant.
« Moi et vous ferons, je m'en vant,
19590 « Des rondelès, et des cançons
« Et des jolies pareçons
« Pour nous resjoîr et esbatre.
« Encores en sai jou tels .ini.
« Des rondelès biaus et jolis
19595 « C'anten amoureusement fis. »
Et Phenonée lors respont.
Qui moult doucement le semont.
Que elle en voelle la .1. dire;
302 MELIÂDOR
Et Luciienne, qui désire
19600 A faire cose qui li plaise,
Li respont : a C'est très bien meA aise
« Que je le die, ma cousine. »
Et adonques la très bénigne
Commença ,1. douls rondelet,
1 9605 Femininement dit et fet.
BondeL
OouvENiR me fait avoir joie.
Plaisance me fait avoir bien ;
Dont mon anui n'oublierai.
I AR ma foy, en quel lieu que soie,
19610 Car bien sçai qu'il est très tout mien,
Souvenirs, etc. f. t44d
II soit certain, point ne m'anoie,
Que ferme loyauté li tien
Et ferai tant com [je] vivrai.
19615 Souvenirs, etc.
c( /^UE vous en semble il, ma cousine,
« V^ Se poet il, selonch la racine,
c( Dou joli mal que vous portés,
« Passer? Dittes, c'est chi secrés. »
19620 — « Oïl, voir », ce dist Phenonée.
(c Vous estes moult bien ordonnée.
« Mais comment savés vous ce faire?
19612 U, B il.
MBLIADOR 3o3
« Jamais ne vous deveriés taire,
« Mais toutdis dire telz paroles
1 9625 « Ou a danses ou a caroles.
« Or m'en dittes chi encor un. »
Et ceste qui n'est pas en jun
D'estre en solas et en leece^
Afin que la belle y adrece,
19630 Qui d'estre aidie a grant mestier,
Commence .1. peu a busiier
Et s'en vient sus une fenestre.
Phenonée li est sus destre.
Qui joieusement le regarde.
19635 Luciienne point ne se tarde
C'un rondelet ne mette avant,
Qui revenus li est devant.
Le rondelet, je le dirai
Au mieuk que porai ne sarai.
Rondel.
19640 Plaisance en toute douçour
A mon coer en sa baillie ;
Cest pour la très grant valour
Que cils a a cui m'otrie.
Or m'i tenrai nuit et jour; f, 145 a
19645 Repentir ne m'en tocI) mia.
Plaisance, etc.
J E ne puis faire demour
Mieulz qu'en li, quoi que nulz die.
Si s'afiBe de m'amour
19650 Qu'il ara toute ma vie.
Plaisance, etc^
3 04 MELtAbOK
o
R se resjoy Phenonée
Et dist : cr Cousine, cilz tn^agrée
(( Assés mieus que cilz de devant.
19635 (( J'en prise mieulz le couvenant,
<( Les paroles et la façon. »
— a Cousine, vous avés raison,
<i Car il est trop plus amoureus,
(( Trop mieus fais et plus gratleus.
19660 (( En telz et en aultres assés.
« Ançois que li ans soit passés,
« Nous esbaterons vous et moy.
« Ostés vo cuer de tout anoy
oc Et de grosse merancolie.
19665 « Vous devés estre gaie et lie,
«c Nulle aultre riens ne vous besongne,
« Et lorsque vous ares besongne
(( De confort, si parlés a mi ;
« Vous Tarés tout prest, ce vous di. »
19670 — c Grans mercis », respont Phenonée.
Ensi se tient reconfortée
La fille au duc de Cornuaille.
Non obstant tout ce se li baille
Amours pluiseurs de ses assaus,
19675 Mais ses retours et ses consauls
Est dou tout devers Luciienne,
Qui doucement li amoiienne
Les pensées qui le visetent, /. 14S b
Et qui en dur parti le mettent
19680 Entre nuit et jour bien .v. fois.
Nous lairons Phenonée ou bois,
Ens ou manoir, avoech ses gens,
Et parlerons, il en est temps,
D'Agamanor le bon vassal,
19667 ares, B avés. — 19683, Et parlcron$s^ Ot parlerons.
MELIADOR 3o5
1 9685 Qui chevauce amont et aval
Le pays de Norchombrelande.
.1. soir, par aventure'grande,
De Phenonée oy nouvelles.
Les raisons si en sont moult belles
1 9690 A oïr comment ce avint,
Et pour quoi savoir li couvint.
I
L est voirs que H chevaliers
Et Bertoulès, ses escuiers,
Avoient chevauciet .1. jour.
1 9695 Si prisent au soir leur séjour
Chiés .1. forestier en .1. bois.
Li forestiers fu moult courtois,
Car il les coucha en .11. lis,
De quoi li uns fu moult petis.
1 9700 Agamanor volt la jesir ;
Bertoulès li fist son plaisir,
Li forestiers n'en avoit plus.
Quant couchiet furent, d'yaus ensus
Se traist li forestiers par soy
19705 Et dist : « Signeur, ce poise moy,
« Que je ne vous puis mieus aidier. »
Et cil disent sans atargier :
« Nous sommes bien, biaus doulz compains.
(c Moult bonne est ta char et tes pains,
197 10 « Et la chiere que fais nous as,
« Ne tu ne le perderas pas;
« Encores te sera rendu. » f. 14S c
A ces mos evous descendu
Monsigneur Lyonniel a Puis
1971 5 Qui dist : « Forestier, se la puis
« Que tu me herberges meshuî ? »
— « Sire, » respont cilz, « voir je sui
« Cargiés d'un chevalier errant,
Tome II 20
3o6 MELIÂDOR
a Et n'a cheens, je vous créant,
19720 « Que .11. lis, les quels il ont pris. »
Ce dist Lyones : « Biaus amis,
« Or demandés au chevalier
c( Se ci me lalra herbegier. »
Et li forestiers li demande.
1 9725 Agamanor a la demande
Respont : « Oïl, compains, par foy.
« Fait le cha venir dalés moy ;
« Il gira o mon escuier. »
Evous venu le forestier
19730 A Tuis, qui dist : « Entrés, entrés;
K Car c'est li plaisirs et li grés
« Dou chevalier qui ceens loge,
(( C'avoech lui soiiés en sa loge. »
Adont Lyonniaus ens entra,
19735 Qui son cheval bien ostela
Et .1. petit menga et but.
Et puis ala la ou cilz jut
Qui estoit Bertoulès nommés,
Qui se voloit, c'est vérités,
19740 Relever et laissier le lit.
Mais messires Lyons a dit
Que non fera aucunement :
Puis qu'il l'a pris premièrement,
C'est bien raisons qu'il y demeure.
19745 Messires Lyones en l'eure
Se coucha, car ja estoit tart. /. 145 d
Bertoulès y fist bonne part
Dou dit lit, qui point n'estoit grans.
Trop ne dormi li mieulz dormant,
19750 Car li linçuel estoient gros
Et li lis ossi si peu mos
Que sus gisoient en grant painne.
19737 ala la, B a la la.
MEUADOR 307
Cilz, le quel aventure mainne
Par le pays, si com savés,
19755 S'est en travillant avisés
Qu'il demandera au varlet,
Qui dalés lui gist, tout le fet
De son mestre, et quelz homs se dist.
Adont en parole le mist
19760 .1. petit apriès mienuit :
« Compains, » dist il, a ne vous anuit
« S'un petïot a vous je bourde?
« Voirs est que volentiers m'alourde
« A toutes coses de nouviel.
19765 « J'ai veti, sachiés, maint reviel,
« Mainte feste et maint esbanoy;
« Mais, par ce pays, ores voy
« Pour oîr et savoir nouvelles.
« Et se nulles en savés belles,
19770 « Si les dittes, je vous en pri. »
Et lors Bertoulès respondi,
Qui dist : a Sire, se vous me dittes
« Sur quoi vos voies sont escriptes,
« Tant vous en puis je bien prommettre.
19775 « Espoir me pores vous bien mettre
« En matere que de vous dire
« Tout ce que vostre coer désire ;
« Car monsigneur premièrement,
« Et je avoech H vraiement,
19780 « En plusieurs lieus nous embatons, f, 146 a
« De quoy des nouvelles savons
« Plusieurs fois, alant et venant. »
Lyones ot le couvenant
De Bertoulet et sa paroUe ;
19785 Si dist ensi quant il parolle :
(( Certes, compains, vous dittes bien,
« Et je vous voel, sans mal enghien,
« Dire tout ce que je requier ;
3o8 MELIADOR
<( Car pour ce me fist chevalier
19790 « Ma dame, et sus ytel parti.
« L'autre jour de li me parti. »
A'
DONT Lyoniaus li recorde,
Ossi droit c'on ligne une corde,
L'entention de son pourpos
19795 Et ne le compte pas en gros,
Mais tout par poins moult sagement,
Comment sa dame vraiement,
La fille au duch de Cornuaille,
S'énamoura premiers, sans faille,
1 9800 Dou chevalier as rouges armes,
Qui si bien par devant les dames
Tournïa et se combati,
Et tant c'on ordonna a li
Le faucon, le pris dou tournoy.
19805 « Mais, compains, pour cel esbanoy
« Qui fu fais par devant Tarbonne,
« La dame dont je vous ordonne
ce En est depuis en dur parti ;
« Car quant de li je me parti
198 10 ce La première fois, ce sachiés,
« Ses coers, comme pris et laciés
« En bonne amour, c'est cose clere,
<( Li fist entendant que son frère
« Avoit veti et que c'estoît /. 146 b
1 98 1 5 « Cilz, au quel li pris s'arrestoit
« Et li vois dou tournoy le jour.
« Dont de puis a peu de séjour
« Travillai amont et aval,
a Par che pays, sus mon cheval,
19820 « Pour enquérir la vérité
« Dou rouge chevalier armé ;
« Se c'cstoit ses frères ou non.
MELIADOR Sog
« Je chevaucai tant en ce nom
« Que je trouvai le chevalier.
19825 « Je m'alay de li acointier
« Moult bêlement, et se li dis
« M'entention, et se li fis
« Cognoistre voir moult liement ;
« Car il me dist tout quoiement
19830 « Que mies ce n'estoit li frères
« De ma dame. Sur ces materes
« Je chevaucai encor avant,
« Car trouvé avoie en devant,
« Par dedens .1. grant bois ramé,
19835 « .1. chevalier de bleu armé,
« Au quel ossi jousté avoie ;
« Mais il m'abati sus la voie
« Et me bleça au cheoir jus.
« Depuis a moy ne se prist plus
19840 « Qu'il sceut que j'estoie a la fille
a Dou duch Patris, jone et gentille,
« Et adont je 11 demandai
(( Son nom, mes mies je ne l'ay ;
« Soudainnement parti de moy.
19845 « De puis le vi jou au tournoy,
« Qui fu fais devant Signandon,
« En arroy si grant et si bon
« Qu'il conquist le pris et Tonnour. /. 146 c
« Adonques me mis au retour
19850 « Et, quant revenus fui arrière,
« Je recordai a lie chiere
« A ma dame tout mon voiage.
« Elle y entendi comme sage
« Et me rechut moult volentiers ;
19855 « Et bien sachiés c'a ce premiers,
« Par samblant, elle n'en fist compte.
« Mais de puis, si com je vous compte,
« Est entrés en abusions
3 I O MELIADOR
« Et en imaginations,
1 9860 « Sus son frère et sus mes paroles,
« Que pour reviaus ne pour caroles,
a Pour danses ne pour esbanois,
« C'on fist devant li bien .1. mois,
c< Elle ne se pooit partir
19865 « De ce pourpos, sans nul mentir;
« Mais fu en péril d'estre morte,
« Et est encor, pas n'est trop forte
« Qu'elle ne soit toute pesans.
« Ses pères, qui n'a plus d'enfans
1 9870 « Dalés li et qui forment Taimme,
« Car sa belle fille le claime,
<t En est durement esbahis.
« Par conseil, ma dame on a mis
« En .1. manoir, dehors Tarbonne,
19875 « Avoecques li une très bonne
« Damoiselle de son parage,
c< Qui est de plus meUr eage
a Qu'elle ne soit, qui le conseille,
<c Et qui l'ordonne et appareille
19880 c( Moult doucement en tous estas.
« Siques, chiers compains, sur ce cas
« Que vous m'oés chi recorder, /. 146 d
« Puis ensi venir et aler,
« Et irai aval et amont,
19885 c< Car ensi fait jurer le m'ont
« Li dus et ses consaulz ossi,
a Que retourner ne doi vers li
« Se li raporterai nouvelles
« Toutes vraies, bonnes et belles,
1 9890 « De son frère Melyador.
« Remoustré le vous ay desor
« Pour savoir s'en aucune adrece
« Vous m'en fériés. » Et lors se drece
Bertoulès, et si jure s'ame
MELIADOR 3 I I
19895 Que, moult volentiers pour la dame
Conforter, se riens en savoit.
Incontinent il li diroit.
Mais, nennil, il n'en scet riensnée.
Geste response point n'agrée
19900 A Lyonnel, bien le sachiés,
Et dist : a Amis, or vous couciés
« Et me dittes a tout le mains
« Par ou chî venîstes orains,
« Et me nommés le chevalier
1 9905 « Qui la gist ; je le vous requier. »
— « Certes, sire », dist Bertoulès,
Qui dit ne li euist jamès,
« C'est uns chevaliers de Norgales,
« Qui saroit trop mieus dire gales,
199 10 « Que porter espée ne lance.
« Son nom, par nesune ordenance,
« Ne puis jou nommer, ne je n'ose,
(( Et otant bien a la parclose
a Dou savoir n'avés vous que faire,
1991 5 « Car il est hors de vostre afaire.
« Je li di, et se me di blasme, /. 14J a
a Mais je ne sçai pour quoi, par m'ame,
u Onques il se mist sus les camps.
« Or dormons .1. peu, il est tamps,
1 9920 « Car tantos venrons sus le jour. »
Messires Lyones qui, pour
Bertoulet en paroUes traire,
Avoit volu ses recors faire,
Respont qu'il ne poroit dormir
19925 Et qu'il avoit plus grand désir
Au lever et au chevaucîer,
Que sus .1. tîel lit travillier.
Le forestier errant appelle ;
Cilz saut sus, qui ot le nouvelle,
19930 Et alume le feu errant.
3 I 2 MELIADOR
Lyones, en ce couvenant,
S'est levés et apparilliés ;
Ses chevaus fu tost estrilliés,
Car li forestier li aida.
19935 Ançois que li solaus leva
Parti Lyone[s] dou manoir.
Encor peurent la remanoir
Agamanor et ses variés,
Et sachiés bien que Bertoulès
1 9940 Eut bien noté et retenu
Tout le reçoit tel que tenu
Li a li chevaliers la nuit.
Aucunement y prist déduit,
Car il scet bien c'a ce premiers
1 9945 Ses mestres Fora volentiers.
o
^R se sont parti dou manoir
Le forestier, sans remanoir,
Agamanor et Bertoulès,
Quant leurs afaires fû tous près,
19950 Et si prendent a cevaucier /. 747 b
En costiant .1. bois plenier.
Ce dist Bertoulès a son mestre,
Qui s'en vînt sus le lés senestre :
« Sire, dittes moy se savés
19955 « Comment la nuit dormi avés. »
Et cilz li respondi : c Moult bien.
« Toute la nuit n'ai villîet rien,
« Mais en dormant m'estoit avis
« C'on recordoit aucun devis ;
19960 « Nompourquant, dont merveilles ay,
« Onques je ne m'en resvillai.
« Entre toi et ce chevalier
a Quel cose aviés a consillier?
« Maintenant je le te demande. 7>
fj
MELIADOR 3 1 3
19965 Et Bertoulès, qui a moult grande
Retient voirement Taventure,
Com il l'euist en escripture,
Li recorde de point en point,
Sans ce que falli y ait point,
1 9970 Tout ce que Lyones eut dit,
Entrues qu'il furent en leur lit.
Et cilz a la targe vermeille
Trop durement s'en esmerveille ;
A painnes le voet ne poet croire.
1 9975 Toutes fois, par parolle voire,
Bertoulès si bien le recorde
Que fînablement il Tacorde
Et dist que ce poet trop bien estre.
Car Amours font bien souvent nestre
1 9980 Plus fortes coses que ne soient
Celles qu'en leur présent il voient.
Adont s'arreste Agamanor
Et dist : a Or me recorde encor
Geste cose, si com tu l'as /. l4^ c
19985 Recordé, et si n'en fault pas.
Je preng a Toïr grant plaisance,
Car je voel aucune ordenance
Mettre sus, quant oy Tarai;
Vis m'est que mieulz le sentirai
1 9990 A celle fois c'a la première.
Et Bertoulès, en tel manière
Que recordé devant li ot,
Li dist ; onques n'en falli mot.
Tout retint bien li chevaliers.
19995 « Or, » dist il, « ce m'est chi uns fiers
« Encontres et uns durs recors,
« Quant la damoiselle au gent corps,
« Pour qui énamourés je sui,
« Sueffre et endure tel anui,
20000 « Et s« m'est dure la matere^
3 14 MELIADOR
« Quant elle dist que pour son frère
« Elle est de Tardant dart attainte.
« J'ay oy paroUe tamainte,
« Mais onques n'oy la parelle
2ooo5 « Et fault bien que je me conseille
a Comment je m'en porai chevir ;
« Car a ce que je puis veïr
« Ce n'est pas pour l'amour de moy,
« Quoi que preus je fuisse au tournoy,
20010 « Qu'elle est entrée en tel matere;
« Ce n'est que pour l'amour son frère
« Qu'elle cuida adont veoir ;
« En moy ne puis apercevoir
« Nulle raison qui m^esjolsse,
2001 5 « Car se j'entendoie et velsse
a Que Phenonée, pour m'amour,
a Euist tel painne et tel dolour,
« J'en seroie moult courouciés /. i4j d
« Et aucunement radreciés,
20020 « Car je viveroie en espoir
« Que ce me poroit moult valoir ;
a Siques briefment sus cest afaire,
« Bertoulès, je n'en sçai que faire.
« Se tu y vois de moy plus cler,
20025 a Se le me voelles remoustrcr. »
A'
DONT s'avisa Bertoulès
Et respondi, par mos exprès :
« Mon signeur, par saint Symeon,
« Vous y metés assés raison,
20o3o « Et se vous faisiés une cose
« Voires, se dire le vous ose. »
— « Quel cose? oïl, hardiement,
a Ne m'espargne nesunement
« Que tu ne me dies tout voir. »
MELIADOR 3 I 5
2oo35 — « Sire, que vous Talés veoir,
« Et vous metés en tel parti
« Que vous puissiés parler a lî. »
— « A li parler, et par quel voie ?
« Se nullement je le savoie
20040 « Faire, trouver ne aviser,
« Pour tout profondement viser,
« Je le feroie trop volentiers. »
Lors respondi li escuiers :
« Nous y viserons, vous et moy,
20045 « Et regarderons, par ma foy,
« Comment tout ce se pora faire ;
« Car il ne fault en vostre afaire,
« Ce me samble, nulle aultre cose.
« Fols est li homs qui moustrer n'ose
20o5o « A sa dame tout son penser.
« Or, prendés en vous a penser,
« Car je pense, saciés pour voir, f, 148 a
« Et cilz qui en voet son devoir,
<( Faire dou penser grandement,
2oo55 « Pense et s'ordonne telement
« Qu'il ne met ailleurs s'estudie. »
Saciés, mainte merancolie
Pensèrent ce jour entre yaus .11.
Agamanor comme amoureus
20060 Pensoit a coses moult hautainnes,
Et ne ressongnoit nulles painnes,
Ne nulz perilz, que pour la dame
Il peuist recevoir, par m'ame.
Et quant il avoit ce pensé,
20065 II descouvroit tout son pensé
A Bertoulet son escuier,
Et cilz, pour li esbanoier,
L'arguoit et le corrigoit
Et puis doucement li disoit :
20070 « Sire, ce n'est point li chemins
3 1 6 ' MELIÂDOR
« Que vous aies, coi que très fins
a Amans et chevaliers soiiés.
« Il fault que vous vous avoiiés
ce Par aultre adrece au dit manoir;
20075 « Plus grant sens y couvient avoir
« De premiers que chevalerie. »
Et lors en sa merancolie
Aghamanor si se reboute,
Et y met sen entente toute
20080 D^estudiier pour le millour
Comment, par pais et par honnour,
Il puist parler a Phenonée.
Tant a sa besongne ordonnée
Et tant visé par mos exprès
20085 Que briefment il en est moult près.
Et quant a son varlet l'a dit, /. 14JS b
De noient ne li contredit.
Mais dist : a Vous estes en la voie
« Et, se mieulz dire vous savoie,
20090 « Je le feroie volentiers. »
Che que li rouges chevaliers
Avisa, je le vous dirai.
Ne ja mot je n*en mentirai.
IL est bien voirs c'Agamanors,
-,. Qui en grant pensée estoit lors,
Vous savés bien sur quel adrece^
Avoit eu en sa jonece
Imagination moult grande.
Vous Tores, s'on le me demande,
20100 A pourtraire et faire figures,
Si bien, si belle[s], et si pures
Et de si très bonne façon.
Que on n4 seuist par raison
Apriès li noient c'amender.
MELIADOR 3 I 7
2oio5 De ce le voel recommender
Plus que chevalier de son temps.
Quoi qu'il fust gratïeus et gens,
Fiers et hardis oultre mesure,
S'estoit il enclins par nature
201 10 Au pourtraire, et imaginer
Tout ce qu'on peuist deviser;
Et ne li coustoit ce plus rien
Tant avoit il en li de bien,
Que dont qu'il fesist une lettre,
201 1 5 La ou cas qu'il si vosist mettre.
Mais il l'avoit entrelaiiet
Puis le temps qu'il ot chevauciet
En la queste que vous savés,
Et se merveilles en avés
20120 C'est uns argus tous pourveiis. f, 148 c
J'ai bien des chevaliers veiis,
Frans, gentilz, et vaillans, et preus
Et as armes moult corageus.
Qui estoient en tel ouvrage
20125 Enclin de sens et de corage,
Et en grant chierté le tenoient,
Et vraiement bon droit avoient.
Car c'est une science noble
Et en poet de Constantinoble
201 3o Le filz de l'empereur ouvrer.
Sans li ja noient reprouver.
AGAMANOR, sus cel estat,
Mist son avis et son restât :
c( Compains, » dist il a Bertoulet,
201 35 a Je t'ai dit et moustré de fet
<c Plusieurs coses sus nostre avis
« Et de toutes il t'est avis
c Qu'elles ne facent point a prendre.
3 I 8 MELIADOR
« Tu me poes moustrer et reprendre,
20140 a A ton voloir, si com tu voes,
c Car toutdis consillier me sues.
a Briefment g'iraî vers Phenonée
« Sus une manière ordenée,
<( Que je te dirai maintenant.
20145 « J'ai Tengien et le couvenant,
« Ensi que tu scés, de pourtraire.
« Se vodrai une cose faire
« De cel art, tel que je dirai :
« En une toile pourtrairai,
201 5o « De blanc et de noir assé[s] bien,
« L'ordenance et tout le maintien
c( Dou toumoy, qui fu biaus et gens,
« Et ou moult ot de vaillans gens,
« Devant Tarbonne, sus la place, /. 14S à
201 55 « Et, tout ensi c'on se solace
« Et solaça ossi le nuit,
« L'esbatement et le déduit
« Que les dames ou chastiel fisent,
« Et des cançons que elles disent
20160 ce Dont j'ai bien retenu aucunes,
« Et ossi comment les fortunes
« Furent pour le chevalier rouge,
a Et que sans faire le harouge
« Il ala dedens le chastiel
201 65 a Et vel donner bien et biel
« Le pris dou faucon qui fu la;
« Mais a nulle ame ne parla,
« Ançois retourna sagement.
ce Encore ferai certainnement
20170 «c Comment il chevauce ens ou bois,
tt Et ou poursieut pour une fois
« Le chevalier as armes blances.
« Ce seront bonnes ordenances
« Et qui donront moult a penser
MELIADOR 3 1 9
20175 « A Phenonée, il est tout cler.
« Quant fait Tarai, je t'ai couvent,
« Je li porterai bellement
« Et li dirai tout de premiers
« Que dou faire ay esté ouvriers.
20180 « Tost verai a sa contenance
« Se point y prendera plaisance.
« S'elle le prent, c'est bon pour moy,
a Car, avant que parte de soy,
« Je li compterai men entente. »
201 85 — « Certes, ceste ordenance est gente, »
Ce li dist Bertoulès en Teure.
Ensi Agamanor demore
Sur ce pourpos, sans point partir, /. 14g a
Ne nulz ne li peuist tollir,
20190 Tant li est entrés ens ou cuer.
Adonques chevaucent sur ce fuer
Que pour venir devers Tarbonne.
En ce chemin trop bien s'ordonne
Bertoulès sus cesti afaîre,
20195 Et dist : « Voir, je n'ai la que faire
« D'aler a Tarbonne avoech vous,
« Siques avisons entre nous
« La ou je porai demorer
« Et ou vous me pores trouver. »
20200 Y7^ chevaucant tout leur chemin
-C Ont tant viset qu'il ont fait fin
A une journée petite
De Tarbonne, plus n'est escripte.
En .1. bois avoit .1. manoir
202o5 Ou une veve dame, voir, ,
Demoroit avoech ses mesnics.
La avoit belles praieries,
Estans et esbanois assés^
320 MELIADOR
Oultre est Agamanor passés,
20210 Mais ses harnois droit la demeure
Et Bertoulès, qui a toute heure,
Le vodroit a point consillier.
La dame le peut recueillier
Moult liement et doucement,
202 1 5 Et mist a son commandement
L'ordenance de son hostel.
Messire Agamanor fist el,
Car onques ou manoir n'entra :
Homme ne femme n'encontra
20220 Qui recognoistre le peuissent,
Ne qui de son estât sceuissent.
Venus s'en est dedens Tarbonne f. 14g b
Et la moult sagement s'ordonne,
Et fait a .1. preudomme a croire
20225 Qui li livre et mengier et boire,
Que c'est uns ouvriers trespassans
Et qu'il y a plus de .v, ans
Qu'il ne fu dedens son pays.
Li preudons li dist : a Biaus amis,
2023o <K Vous estes li très bien venus. »
En cel estât s'est la tenus
Melyador couvertement
Et fait quérir tout bellement
Ce qu'il li fault, par le preudomme,
20235 Couleurs et a oile et a gomme
Et ce c'au mestier apertient.
Agamanor droit la se tient,
Tant qu'il ot plainnement ouvré
En .1. drap non mies trop lé,
20240 Mais environ de .v. quartiers.
Comment li rouges chevaliers
Tournfa par devers Tarbonne.
20233 quérir, B cuerir.
MELIADOR 321
Le tournoy bellement ordonne
Et tout ensi qu'il se porta
20245 Et comment le pris enporta
Par très bonne chevalerie,
Et comment il vint la nuitie
Veoir les dames ou chastiel.
Tout oevre si bien et si biel
2025o Que c'est plaisance au regarder,
Et puis le va enrondeler
Moult bellement en .1. baston.
Au preudomme dist en bas ton :
(( Biaus hostes, g'irai au manoir
20255 « Veoir Phenonée et savoir
(( S'acater vodroit mon ouvrage. f. 14g c
« Au retour ares bon buvrage,
« Car j'aporterai des deniers. »
Et li hostes dist : « Biaus ouvriers,
20260 « Aies par tout ou il vous plest,
« Car moy et mes hostelz si est
« Dou tout a la vostre ordenance. »
Adont Agamanor s'avance,
Qui en Tostel plus ne demeure,
20265 Et se part de Tarbonne en l'eure,
Car pas n'estoit lonch de le porte ;
Son ouvrage avoech li emporte.
Tant a aie qu'il est venus
La ou li hostelz fu tenus
30270 De Phenonée, ens ou biau bois,
Ou jeuer aloit a le fois
O Luciienne, sa cousine.
Encores a la bonne estrine
Y estoit elle, quant la vint
20275 Agamanor, qui quois se tint
Tant qu'il en ot oy nouvelles.
30260 et mes hostelz, B et vos hostelz.
Tome II 31
322
MELIADOR
Phenonéc o ses damoiselles
Estoit entrée en .i, vregié
D'esglantiers et rosiers vergié ;
20280 La faisoit bel et déduisant.
Agamanor, qui moult plaisant
Avoit le corps et la personne,
Pour parler sagement s'ordonne
A la belle quant vera Teure,
20285 La quele gaires ne demeure,
Car elle est dou vregiet issue
En une gonnielle tissue
De soies de plusieurs couleurs.
Agamanor, qui les doleurs
20290 De bonne amour prent et encarge, f* 149 d
S'en vient, et noient ne s'atarge
Et par devant li s'agenelle
Et puis .1. petit appareille
Le rôle ou les pointures sont.
20295 .1. peu le desploie et adont
Dist ensi : « Ma très chicre dame,
« J'ai ordonné et fait par m'amc
« Ce biel ouvrage ou nom de vous. »
Phenonée, qui en gcnous
2o3oo Voit l'ouvrier, si dist : « Levés sus
« Et ne vous traiiés point en sus,
« Car nous le volons regarder. »
Lors le prent a desvoleper
Agamanor par petis plois,
2o3o5 Et la belle l'atouce as dois,
Qui grandement prise Touvrage,
Et dist : « Haro ! en mon eage,
« Point n'ai veii cose si bonne.
« Ou fu ce fait? » — « Dame, a Tarbonne. »
2o3io — « En Tarbonne! » — « Voire, ma dame .
« La Tai jou ordené, par m'ame,
« Ma chicre dame, au nom de vous. »
MELIADOR 323
— « Pourmoy?» — « Voires. » — « Biaus mestres dous,
« Si vous en doi bon gré savoir
2o3i 5 « Et bien la cognissance avoir
« Que vous avés moult fait pour mi.
(( Or le remetés, mon ami,
« Nous le verrons ja a loisir. »
Luciienne, qui grant désir
2o320 Avoit de lire .i. rondelet
Qui la estoit, dist ; « Or le let
« Encor .i. petit a reclore.
« C'est une bien nouvelle hystore:
« Elle est avenue en cel an. f, i5o a
2o325 « Foy que tu dois a saint Jehan,
« Or me lait ce rondelet lire
« Que je voi celle dame dire.
c< Esce une dame qui le tient? »
Adont Luciienne s'en vient
2o33o Sus Touvrage, et si le regarde
Et le list que point ne retarde.
Li rondelès fu féminins
Et dis au soir, quant li chemins
D'Agamanor fu la tenus
2o335 Ou chastiel de Tarbonne, ou nulz
Ne Tavoit poUt recognoistre.
Encores pour mon livre acroistre,
En tous solas et tous reviaus,
Ens ou cas que cilz est nouviaus,
20340 Je le dirai sans nul detri.
Or Tentendés, je vous en pri.
Bondel.
Amis, or gardés loyaument
Mon coer que je vous ay donné
En vo garde, de bon talent.
324
MELIADOR
20345 11 est tout vostre enti rement
De très parfaite volenté ;
Amis, etc.
2o35o
A tous jours mes certainement
Estre en poés asseguré,
Que ja ne sera aultrement.
Amis, etc.
« /^R reploîîés, » dist Luciienne
« v-/ Geste parole n'est pas mienne,
(c Car onques n^amai par tel art.
2o355 « Et me dîttes, se Dîex vous gart,
<c Biaus mestres, se ce vous felstes,
« Ou se la feste vous veïstes,
« Qui fu ens ou chastiel adont,
a Ou cil qui y furent vous ont
2o36o « Recordé comment elle ala. »
Onques .1. seul mot ne parla
Agamanor a celle fois,
Mais remist sa cose ens es plois,
Ensi comme elle estoit devant.
2o365 Or vous dirai le couvenant
De Phenonée la pucelle.
Le mestre doucement appelle
En retournant vers le manoir
Et dist : c( Mestres, cognissiés voir;
20370 « Avés vous ouvré cel ouvrage? »
— « Certes, ma douce dame sage.
« Oïl, je Tay fait voirement
« Et, s'il y fault amendement,
« Je le vodroie corrigier,
20375 « Ou encontre tous calengier
« Que la besongne fu ensi. »
/. i5o b
MELIADOR 325
— « Or, me dittes donc, je vous pri,
« Mestres, se je suî la première
a Qui i*a veû. » — « Ma dame chiere,
2o38o « Oïl, et si l'ai fait pour vous. »
— « Par ensi le retenons nous,
« Mestres, et voel qu'il nous demeure. »
Phenonée le fait en Teure
Prendre par une aultre pucelle,
2o385 Et puis Agamanor appelle.
En disant : « Vo cose est vendue.
« Sieués ceste, par sen ayewe
« Ares vous toute délivrance . »
Agamanor en Tordenance
20390 De Phenonée si s'arreste.
Et s'en va tout baissant la tieste /. i5o c
Ensi que merancolieus
Et trop grandement anoieus,
Quant il vit c'on entre en le porte
20395 Et la besongne ensi se porte,
Que sa très douce dame chiere
S'en va, et une camberiere
Li dist : « Mestres, venés, venés,
« Et tantost serés délivrés. »
20400 Or est courouciés oultre bort
Et se repent, ce dist, trop fort.
Quant sus cel estât est venus
Jusqu'à la et si maintenus
C'on ne sara quel cose il voelt.
20405 A painnes ordener se poet
Pour sieuir ceste damoiselle.
Qui va devant et si l'appelle
A le fois, et dist : « Mon biau mestre,
« Venés avant. Vous devés estre
20410 « Moult liés de vostre délivrance.
« Ma dame a pris trop grant plaisance
« A tel ouvrage, ce saciés.
326
MELIÂDOR
« Ne VOUS tenés pour escacîés
a De ceens ; mes y revenés
20415 « Encor, et de moy retenus
« Que vous en devenrés tous riches.
« Vous estes uns Jones homs riches
« De bon corps et de bonne taille,
« Pour estre au duch de Cornuaille,
20420 « Ses poinderes et ses ouvriers. »
Certes li rouges chevaliers
Estoit si mas de ces paroles
Et les retenoit pour si folles
Contre li, et non aultrement,
20425 Qu'il vosist bien certainnement
Qu'il lui euist cousté grant cose
Et il n'euist ce qu'il suppose
A avoir perdu onques fait.
La damoiselle errant le met
20430 En une cambre belle et coînte,
Séant dou manoir en le pointe,
Et li dist : « Droit ci demorés,
<c Car saciés vous n'en partirés,
« Si serés dinés et servis
20435 « De quanqu'il vous fault, ce m'est vis;
« Car tout ensi le voelt ma dame
« Qui le m'a commandé, par m'ame. »
/. i5o d
POUR cose que ceste li die,
Point ne pert sa merancolie
20440 Agamanor li damoisiaus.
Quoi qu'il aime chiens et oisiaus,
Et qu'il soit d'armes pourveii.
Si se tient il pour deceus.
Et bien le sent ses coers qui art
20445 En marnaient. Adont se part
La camberiere incontinent,
MELIADOK 327
Qui veoit bien qu'en mautalent
Estoit ciiz que mestre elle nomme.
Au partir dist : « Ne sçay quel somme
20450 « De florins vous raporterai,
« Mais pour voir je vous paierai ;
« J'en ay ja veû la manière. »
Adont se part la camberiere
Et s'en vient ou sa dame estoit,
20455 Qui devant sa dame arrestoit,
Car elle Tavoit pour disner.
A la fllle ala demander :
« Quel cose as tu fait de ton homme ? »
— «Madame, » dist celle, « quel somme y. i5i a
20460 « Volés vous que je li délivre ?
« Il muse aultre part qu'en .1. livre.
« Je ne sçai quel cose il li fault.
« Une heure puis bas, et dont haut,
« Tient la tieste comme uns buinars. »
20465 — « Délivre li quarante mars,
u Et li di au département
« Qu'il reviegne proçainnement
« Et qu'il m'aporte aucune cose,
« Et que vraiement je propose :
20470 « Je parlerai a monsigneur
« Mon père et a très haute honneur
« Sera mis dedens brief termine. »
La camberiere rachemine
Et s'en vient au mestre d'ostel
20475 Et dist : « Garoul, il ne faut el
« Fors que vous aportés viande,
« Car ma dame le vous commande. »
— « Pour qui? » Garoulz li respondi.
— « Pour .1. homme que j'ai o mi,
20480 « Que ma dame voelt festoiier. »
— « Belle, or ne vous voelle anoiier.
c( Aies et faites bonne chiere.
328 MELIÂDOR
« Il sera bien a vo manière
« Servis, et de ce n'aiiés soing. »
20485 Et cestc, qui pas n'estoit loing
De sa cambre, y est lors rentrée.
Cestui trueve, a qui pas n'agrée
Li ordenance que la voit,
Et disoit que point ne savoit
20490 Quel cose il doit de cela faire.
Il le reprueve a grant contraire.
Bien dist qu'il n'en sara issir.
La camberiere a grant désir f. iSi b
Que de li festoiier très bien,
20495 Servir le fait sur toute rien
De tout le bien c'on poet avoir,
Et li a dit ensi, pour voir :
« Maistres, vous revenrés briefment.
« Ouvrés, ouvrés hardiement,
2o5oo « Car ma dame m'a dit ensi
« Que quant monsigneur devers li,
<c Ses pères, le venra veoir,
<c Elle fera bien son devoir
<c Et tant, car la gist ses argus,
2o5o5 « Que de li serés retenus,
« Et avérés sa pension
« Et retour en celle maison. »
Et Agamanor le regarde,
Qui a trop grant dur se retarde
2o5io De li descouvrir sa pensée;
Mais toutes fois en sa visée
Point n'i voit de bonne ordenance.
Ce li fait avoir attemprance,
Voelle ou non; mais c'est a malaise;
2o5 1 5 Car il ne voit riens qui li plaise.
Q"
MELIADOR 329
,UANT Aghamanor ot disnc
.1. petit et a petit gré,
Car Tl se veoit la envis,
La camberîere, ce m*est vis,
2o52o Li aporta son paiement
Et li dist sans delaiement :
ce Maistres, prendés quarante mars
a Que ma dame, dont li regars
« Vault mieulz ne fait li dons d'une aultre,
2o52 5 « Vous envoie lance sus fautre. »
Agamanor se resjoy
D'une parolle qu'il oy : /. i5i c
Ce fu du rcgart seulement
Que ceste mist la en présent
2o53o Et rompi sa merancolie.
Dont respondi a chiere lie :
« Pucelle, tant c'a ceste fois,
« Je n'en manierai ja crois.
« Vous dittes que Je revenrai
2o535 « Et c'a vostre dame ouverai.
a Ce ferai voir, j'en ay désir.
« Or laissiés la les mars jesir
« Ou vous les retends pour vous,
« Car nulz n'en retenrons pour nous. »
20540 La camberierc fu lors toute
Esbahie, et dist : « Je n'oy goûte.
« Il vous en fault l'argent porter. »
— « Belle, » dist cilz, « au retourner
« Le prenderai; chi le laissiés.
20545 (c Dieu merci! je sui bien aisiés
D'encores paiier mon escot. »
Et adont se lieve en ce mot
Agamanor tout a .1. fais.
La camberiere dist : « Pais, pais,
2o55o « Certes, l'argent vous fault avoir;
33o MELIADOR
« Autrement ma dame, pour voir,
« S'en tenroit a trop mal paiie. »
— « Point n'en arai a ceste fie, »
Respont Agamanor briefment.
2o555 « Je revenrai proçainnement,
« Si serai paiiés tout ensamble. »
La camberiere, ce me samble,
Ne le voelt adont plus presser ;
Bellement le laia aler
2o56o Et Taconvoia hors de Tuis.
Agamanor revint de puis f. i5i d
Tout a piet par devers Tarbonne,
Et saciés que bien il s'ordonne
Qu'il revenra une aultre fois.
2o565 De la camberiere, c'est drois^
Et des dames nous parlerons.
Quant Agamanor, cilz frans homs,
Fu partis, que point ne cognoisscnt.
Les .II. damoiselles s'aquoisent,
20570 Phenonée, ossi Luciienne,
Sans avoir moiien ne moiienne.
En une cambre sont encloses;
Cascune ot .1. capiel de roses
Sus son chief moult liement mis.
20575 La fu li draps, dont je devis,
Desploiiés et bien regardés.
Luciienne, c'or m'entendes,
L'imaginoit d'aultre façon
De Phenonée, et en quel non
2o58o On l'avoit apporté droit la.
Luciienne adont en parla
A sa cousine et dist ensi :
« Certes, cousine, cilz draps chi
« Est gentement fais et ouvrés ;
2o585 « Mais Je vous pri, considérés
« Les afaires de vo gcnt corps.
MELIADOR
33l
« Je vous di que lonch va recors :
« J'espoir ci une grant nouvelle
« A oïr. » Et adont la belle
20590 Tressaut et en bas H demande :
« Cousine, je me sench pesande
« Pour les parolles que vous dittes.
a Je voi chi des coses escriptes
« Voirement ou je pense fort.
20595 <c Je ne sçai se j*ai droit ou tort,
(( Mais or me dittes vostre avis. »
Respont Luciienne : « Il m'est vis,
« Par Tordenance que je voi,
« Que cilz qui fu a ce tournoy
20600 « Dont fait mention ceste hystore,
<( Et qui eut le pris et le glore
« De ce tournoy pour la journée,
« C'est cose trop bien ordenée,
<( A bien oy parler de vous,
2o6o5 « Que vos coers qui est frans et doulz
« S'enclina a lui pour ce jour,
« Et s'a bien oy de Tamour
« Parler et par quele matere
« Vous Tenvoiastes a vo frère
20610 i< Par regard, non par aultre cose.
« Certes, cousine, je suppose
« Que cils chevaliers ait trouvé
« Aucun ouvrier bien esprouvé;
« Si Ta fait par deçà venir,
2061 5 « Pour vous remoustrer et offrir
« De sa vie une grant partie,
a A le fin qu'en vo maladie
« Vous en soiiés reconfortée.
« Siques, très douce Phenonée,
20620 <c Mandons droit ci vo camberiere,
« Et li une de nous enquiere
« Comment il va de cest afaire,
/. i52 a
332 MELIÀDOR
« Ne quel samblant cilz homs peut faire,
« Quant on li délivra deniers. »
20625 Et ceste respont volentiers :
« Mandée soit. » Lors fu mandée
La camberiere, qui senée
Fu de respondre a ses .11. dames,
Car la ne li touchoit nulz blasmes. /. i52 b
2o63o T uciiENNE moult doucement
i^ Le mist a paroUe en présent
Et dist : <c Valiienne, entendes.
(( Cilz mestres, qui s'en est raies,
« Quel cose dist il au partir?
20635 « Par samblant li peut bien souffir
'( Ce c'on li donna a Testrine. »
— « Ma dame, » diste ceste, « .1. grant signe
« Vi en li que, dedens brief jour,
« Il se mettera au retour,
20640 <c Car de vos deniers ne fist compte. »
Et quant Luciienne ot ce compte,
Si respondi sus : « Et comment?
« Ne prist il donques point d'argent? »
— « Par Dieu, non », respont Valiienne.
20645 — a Or me dittes, » respont Luciienne,
« Quel samblant il faisoit a Teure
<c C'avoecques vous fist son demeure? »
— « Certes, ma dame, il estoit mas
ce Et regardoit dont hault, puis bas,
2o65o « Ensi qu'une personne foie.
o Ja n'en euisse eii parole
« Se vers li me volsisse taire,
« Et disoit qu'il n'avoit que faire
« Ne de boire, ne de mangier.
206 5 5 « En cel estât sans li bougier
« Li vi jou bien heure et demie. »
MELIADOR 333
— « Or me dittes, très douce amie,
« Disoit il riens, quant il estoit
« En ce point ou il s'arrestoit? »
20660 — « Certes, nennil, tant qu'il fu la,
« Moult petit, sachiés, il parla.
« Et toutes voies, au partir,
« Je n'en vodroie point mentir, /. i52 c
« Il voloit que je retenisse
20665 a Les deniers et que les euisse
« A mon pourfit; c'estoît s'entente. »
Luciienne assés se contente
De cel estât, et dist en Teure
A sa cousine : « Je saveure
20670 « Plusieurs imaginations
tt Sus ces fais et sus ces raisons.
« Et vous di que c'est mon pourpos :
<c Ou il est gentilz homs ou folz.
dc Si le faudra a son retour
20675 « Aviser de nuit ou de jour,
a Et telement examiner
« C'on sace a quoi il voet penser. »
Plus n'i eut la ne dit ne fait,
Aresté se sont sus ce fait.
20680 Mais Phenonée forment prise
Le drap, c'est drois que j'en escrise.
Priés que tout le jour le regarde;
En regardant vis est qu'elle arde,
Tant est d'amours énamourée.
2068 5 Pas ne dist toute sa pensée
Ses coers, qui est d'amours laciés,
A sa cousine, ce saciés,
Quoi qu'elle li die a le fie
Ses secrés, car bien s'î confie.
334 MELIÂDOk
20690 /^R VOUS dirons d'Agamanor.
kJ II s'en est retournés des lor
Qu'il se fut partis dou dit bois
A son hostel a ceste fois.
En sa cambre s'est enfermés ;
20695 La s'est longement démenés
En plusieurs lamentations,
Et dist : a C'est men ententions. f. 1S2 d
« J'ai tout perdu par ma folie
« Et desciré chevalerie
20700 « Laidement, de quoi je vail mains.
« A painnes que je n'ars les mains
« Qui scevent telz coses ouvrer,
« Qui me font ensi abuser
« Et penser c'une tele dame
20705 « Comme est Phenonée, par m'ame,
« S'enamourast pour mon ouvrage.
« Elle a bien plus hautain corage
« Que de mettre en .1. ménestrel,
(c Et s'a bien dedens son hostel
20710 (( Grant conseil, il n'est mies doubte.
« A ! Bertoulet, ma painne est toute ,
« Perdue, a ce que je puis veoir.
a Je deuisse bien au mouvoir
« Estre avisés, par tel manière,
207 1 5 « Comment a une camberîere
« Je seroie recommendés.
« Je cuidoie bien estre telz
« Que Phenonée me deuist
« Conjoïr, et qu'elle volsist
20720 « Savoir de moy mieulz le certain,
« Et quelle m'euist par le main
« Pris et menet par tout esbatre;
(c Et adonques, sans rien rabatre,
« Quant j'euisse veti le temps,
MELIADOR 335
20725 « Ensi com cilz qui sui sentans
« Pour s'amour mainte cose amere,
« Je li euisse ma matere
« Dit et moustré tout quoiement
« Par douce parole, et comment
20730 « J'avoie erret et travilliet,
« Et nuit et jour a ce villiet ; /. i53 a
« Que laiens ne savoie entrer
« Pour mes besongnes remoustrer.
« Fors par Testât que fait avoie
20733 « Et que voirement je savoie
« Bien ouvrer ensi de jonece,
« Et pour plus la secrée adrece
« J'avoie cel avis eii.
« Tantost j'euisse en li veù
20740 « S'a moy a nulle affection,
« Quant ensi men entention
« Li euisse moustré et dit.
« Or m'a on dou tout contredit,
« Car laiens je ne sui nommés
20745 « Fors uns pointres bien renommés.
a Ce me desplaist trop fort, par m'ame !
« Quant entrés y sui a tel blasme,
« C'est bon que plus ci ne séjourne,
« Mais vers Bertoulet m'en retourne
20750 « Si reprende nouvel conseil. »
Agamanor en ce frefeil
Compte a son hoste et si le paie,
Et dist ensi : « C'est cose vraie.
<( Au matin je me partirai,
20755 « Biaus hostes, et si m'en irai.
« Je me lo moult de vostre hostel. »
Mais Agamanor fera el.
Car quant il fu le soir couciés,
Il s'est grandement empeciés
20760 A penser apriès Phenonée,
336
MELIADOR
20/65
Et toute la cose ordenée
Qu'il avoit ditte par devant
Remet en nouviel couvenant,
La quele ordenance mieulz prise
Que ceste de devant qu'il brise.
/ i53 b
«
tt
PAR ma foy, » dist Agamanor
Se j'ay perdu le temps, encor
« Le voel je par aventurer.
« Car je me vodrai figurer
20770 « En une toilette petite,
« Devant moy Phenonée escripte,
« .1. faucon tenant sus mon poing;
« Encores a ce grant besoing
« En l'autre main .1. rondelet
20775 « Vodrai tenir en .1. rolet.
« Et quant j'arai ensi ouvré,
« Se je n'ay le temps recouvré
tt Que j'ay perdu, je m'en irai
« Tous desconfis, et se dirai
20780 « Que j'ai failli a mon espoir
« Et que cuidier ne sont point voir. »
Agamanor, sus ce propos.
Ne mist ne terme ne repos ;
Si com il le dist, il le fist,
20785 Environ .ini. jours y mist.
.1. ymage bel et propisce,
Fait au samblant et en l'espisce
De Phenonée pourtraiy,
Et puis si se fist devant li
20790 Au mieulz qu'il peut certainnement ;
Et s'enclinoit moult humlement
Devant Phenonée en figure.
Moult gente fu li pourtraiture,
Car sus une main il tenoit
MELIADOR
20795 .1. faucon qui lî avenoit
Gratïeusement a tenir;
EaTautrc main sans point mentir
Tenoit en .1. petit roliel
.1. moult très amoureus rondiel,
20800 Le quel rondel je vous lirai,
Car moult grant plaisance y arai.
337
/. i53 c
2o8o5
Rondelet
Ln pensant a vous me conforte,
Ma très douce dame, toutdis.
JJe ma dolour qui est trop forte
En pensant, etc.
v>E doulz penser si me déporte
De tout anui, et pour ce dis :
En pensant à vous, etc.
LORS c'assouvi ot son ouvrage,
Agamanor prist son voiage
Pour aler devers le manoir.
Ou bois s'en vint sans remanoir;
Si ne s'arreste ça ne la.
Ne a personne ne parla
2081 5 Jusques a tant qu'il vint a Fuis
Dont il estoit partis; de puis
Ne fu il en celle maison,
Ou Valiienne, a grant raison
L'avoit mis, qui fu camberiere.
20820 Agamanor a la barrière
De Tuis s'en vint, et d'aventure
T. II
32
338
MELIADOR
Regarde ens par une crevure;
Si voit Valiienne seoir.
.1. petit busce, et celle voir
20825 Se lieve et si s*est trette avant;
L'uis oevre. Agamanor devant
Li s'est mis, et dist : « Damoiselle,
(( Diex vous doinst hui bon jour! » Et celle
Li respondi : « Et vos, biau sire ! »
2o83o Lors prist Agamanor a dire :
« Damoiselle, chi sui venus,
<c Et si ne me scet ceens nulz f, i53 d
« Ne nulle quel cose je cace.
« Si voel jou moult bien c^on le sace,
208 3 5 a Voires vous et la vostre dame,
« Et nulle aultre fors vous, par m'ame.
« J'ay aporté moult belle cose,
« Mais cnsi que je vous propose,
« A nullui ne le moustrerai,
20840 « Ne ja ne le desploierai,
« Fors a seul vostre dame chiere. »
Dont respondi la camberiere :
« Je vous entens bien, sire ouvriers.
« A ma dame irai volentiers
20845 ce Et li dirai ce que vous dittes;
« Le[s] voies y sont moult petites,
(( Car elle est assés priés de chi. »
Adont Valiienne parti
Et en une cambre s'en vint
208 5o Ou sa damoiselle se tint
Et Luciiennc, sa cousine;
A Phenonée fist .1. signe
Qu'elle voloit parler a li.
La pucelle di : a Vemeci.
20855 « Que voes tu dire, Valiienne? »
Ce fu ensus de Luciiennc :
« Dame, ceens est revenus
MELIADOR 339
« Li peintres, et se dist que nulz
« Ne nulle, tant soit de parage,
20860 « Ne vera fors vous son ouvrage.
a Se dist il que c^est bonne cose. »
Et Phenonée, qui point n*ose
Tenir la parole en secré,
Pour servir sa cousine a gré,
20865 Dist ensi : « Or va, et Pamainne. »
Celle se part, et sa germainne f, i54a
Fait Phenonée a brief parler
Dedens une gourdine aler,
Et li dist : « Tenés vous droit la,
20870 <c Car cilz de Pautrier revenra;
« Ja est il en ceste maison. »
Adont li dist sus quel raison
Sa camberiere estoit venue.
Luciienne qui se remue
20875 De son pas, sans point de response.
En une gourdine s'esconse.
Evous Agamanor qui vient
Et ce qu41 porte en sa main tient.
Si salue biel Phenonée
20880 Et celle, com bien ordenée,
Son salut li rent doucement.
A Valiienne dist : « Va t'ent.
« Laisse nous ci, moy et ce mestre. »
Elle se part ; au lés senestre
2o885 S'est trais. Aghamanor, en l'eure,
En parlant grandement honneure
Phenonée la et Tencline
Et dist : (( Ma dame, a bonne estrine,
a Je vous rapporte .1. peu d'ouvrage,
20890 « Le quel j'ai fait de bon corage,
« Car voir il me touche moult fort. »
Phenonée, qui oultre bort
Estoit courtoise et gratïeuse,
340
meliâdor
Tourna ce parler a huiseuse^
20895 Car point ne sentoit la matere,
Et dist ensi : « Or^ça, bîau frère,
« Vous serés paiiés largement
« Pour l'un et l'autre vraiement,
(( Car je sçai moult bien c'on vous doie. »
20900 Lors tent la main et cilz, qui voit /. i54 b
De Phenonée l'ordenance,
Doucement en le main li lance,
Et celle erranment le desploie.
Si le regarde et a grant joie
20905 Des .11. images qui ens sont
Et des contenances que font.
Si dist : <c Mestres, c'est bien ouvré ;
oc Mais voelliés me dire en secré :
c Cognissiés vous ce chevalier,
20910 a Pour qui droit ci et avant hier,
<c Sus son estât et son afaire,
(( Vous avés petit tout ce faire ? »
— « Oll, ma dame, pour certain.
« Otretant que mon corps je l'aim. »
20915 Et quant Phenonée ot ce mot,
.1. peu d'esbahissement ot,
Et li souvint de sa cousine
Qui li ot dit par grant doctrine,
En considérant les raisons,
20920 Que cilz estoit folz ou frans homs,
Qui avoit pourtrait cel ouvrage.
Adonques la douce et la sage.
Pour mieulz Agamanor attraire,
Dist ensi : oc Et que voet cilz faire,
20925 « Qui telement se représente
« Par ceste figure présente.
« Bien sçai qu'il vainqui le tournoy,
« Et cuidai de puis, par ma foy,
« Qu'il fust Melyador, mon frcre ;
MELIADOR 341
20930 « Mais non est, car bien la matere
« En ay de puis sceù sans doubte. »
Agamanor, qui se redouble
A avancier et a parler,
Commença .1. peu a penser f. i54 c
20935 Et a transmuer sa coulour.
Phenonée, en qui toute honnour
Estoit, dist : « Mestres, que vous fault?
« Avés vous trop froit ne trop chaut ?
« Je vous voi .1. peu fourvoiier. »
20940 Adont se prist a ravoiier
Agamanor par la parole
De Phenonée, qui parolle
Et qui doucement li demande :
c( Cilz chevaliers est il d'Irlande,
20945 (f Qui conquist le pris dou tournoy?
« Biaus doulz mestres, nommés le moy,
« Et je vous en sarai grant gré
« Et si le tenrai en secré.
« Tout ce vous ay jou en couvent. »
20950 Agamanor moult matement
Respondi et dist : « Chiere dame,
« Je ne Tose nommer, par m'ame,
<( Mais je sui de lui cargiés tant
« Que je vous die maintenant
20955 « En quel painne il est nuit et jour,
« Pour avenir a vostre amour.
« C'est li plus grans désirs qu'il ait ;
« Car, s'il pooit par droit souhait
« Avoir tous biens a son cuidier,
20960 « Il ne vodroit mieulz souhaidier
« Que d'avoir la vostre amour, dame,
« Et tout ce retieng jou, sur m'ame. »
20941 Agamanor, B Melyador.
342 MELIADOR
M
ODLT fu Phenonée esbahie,
Et si se tenîst pour trahie,
20965 S'en la cambre ne sentesist
Sa cousine ou liu ou le mist.
C'est uns poins qui le reconforte,
Et qui le fait et sage et fone /. i54 d
En responses et en parler.
20970 Adont, pour mieulz examiner
Cesti; qui la paroUe a li,
Li dist : « Biaus mestres, je vous pri
a Que vous nommés che chevalier,
a Qui ensi se poet travillier
20975 « Pour men amour, ce dittes vous.
« Je croi bien qu'il soit frans et doulz,
a De biau corps et de bonne taille.
« Vous Tavés moult bien mis, sans faille
ce En ces figures gentement;
20980 « Mais savoir devés vraiement
a Que jamais ne m'assentiroie,
« Par parler ne par nulle voie,
« A amer nul homme vivant,
« Se ne le cognissoie avant.
20985 « Nommés le moy, s'en vaudra mieulz. »
Adonques rabaissa ses yex
Agamanor et dist : « Par m'ame,
« Je ne l'ose nommer, ma dame,
« Car il est chevaliers de queste ;
20990 « Mais, se vous voliés sa requeste
« Obeïr en tele manière,
« Que vous fussiés sa dame ciere
« Et desur toutes souverainne,
« Je vous en feroie certainne,
20995 « De tant en ose jou bien dire. »
Et Phenoné[e], qui désire
A savoir encore plus avant.
MELIADOR 343
Respont par trop bon couvenant :
« Certes, mestres, pas n'estes fols.
21000 « Bien voet mon coer estre si mois
« Que il vous ora volentiers,
« Afin que li dis chevaliers f, i55 a
« Nous soit .1. petit esclarcis,
c( Et si en dirai grans mercis
2ioo5 « Envers vous et a desservir. »
Adonques s*ala pourveîr
Agamanor de biel parler
Et ala tout enventurer.
A .1. genoul la s'engenelle,
21010 Et dist : « Dame, j'ay grant merveille
« Comment tant me sui astenus,
« Quant si avant je sui venus
(( Et si ne me suis descouvers,
« Ne a vous encores ouvers.
2ioi5 « Saciés, ma douce dame chiere,
« Que vous veés devant vo chiere
« Li chevalier qui ot le pris
« Dou tournoy ; et si me renc pris
« A vous, comme vostre prison.
21020 « Vous me tenés en vo prison;
« Si poés de moy vo bon faire,
« Mais je vous sens si deboinaire,
« Si courtoise, et si gratïeuse
a Et si grandement amoureuse,
21025 « Que vous ares pité de moy.
« Et je vous jur, en bonne foy,
« Et de ce vous ferai certainne,
« Que traveil, ne péril ne painne
« Que endurer pora mes corps
2io3o « En toutes places, ens ou hors,
« Nulles n'en vodray ressongnier,
« Mais que pour vostre chevalier,
« Ma dame, vous me retenés.
344 MELIADOR
(c Certes, dame, ci me tenés
2io35 c( Ensi c'un oiselet en gage.
(( Si ne me laissiés mon langage /. jS5 b
« Perdre, car tous li cuers y est
<c Et, se plus avant il vous plest
« Ces paroles prouver en voir,
2 1 040 a Vous devés, ma dame, savoir
<c Que, soit ou a .1. ou a .11.
« Chevaliers bien enventureus,
« Je moustrerai ce que sçai faire. »
Lors s'ala Agamanor taire,
21045 Et Phenonée le regarde.
Qui ossi .1. peu se retarde.
CE n'est mies trop grant merveille
Se Phenonée s'esmerveille.
Quant elle ensi se voit priie
2io5o En signe de grant courtoisie
Pour s'amour avoir, et d'un homme.
Tout ce li samble .1. grant fantomme,
Et ne scet mies que respondre.
Toutes fois sens Tala semondre
2io55 Pour parler; si dist en basset :
c Vostre parole voir me met
« En doubtance, et ne sçai pour quoi.
« Vous partirés .1. peu de moy
« Et irés en la cambre arrière,
2 1 060 « Par devers nostre camberiere ;
« Sempres vous ferai rappeller. »
Cilz n'osa dire, c'est tout cler,
Dou non; mais dist : « Ma chiere dame,
« A vo commandement, par m'ame. »
21065 A ces parolles s'est retrais
Et ot la camberiere trais.
Qui moult bellement le recueille.
MELIÂDOR 345
Or esçou raison que je voelle
Persévérer de Phenonée.
21070 Sa cousine, toute ordenée, /. i55 c
Est hors de le courtine issue
Et a la fenestre venue
Ou Phenonée s'apoioit,
Qui li dist ensi quant le voit :
21075 « Cousine, vous avés oy,
« Ensi que j*ay, cest homme ci,
a Qui dist que c'est li chevaliers
« Que je veî si volentiers
(( Tournoiier par devant Tarbonne,
21080 « Et adonques a Teure bonne
« Je cuidai que ce fust mes frères.
« Mais non fu, car puis les materes
« En seuch moult bien par Lyonniel,
« Mon chevalier au corps isniel,
21085 « Qui m'en raporta le certain.
« Qu'en dittes vous ? M'i puis jou grain
« Apoiier, que ce soit li rouges
a Chevaliers, qui n'est mies harouges,
« A che que je sui enfourmée,
2 1 090 « Mais homs de très grant renommée,
« De hardiement et de proece?
(( J'ai moult bien mestier c'on m'adrece
« Ou chemin de moy consillier. »
Adont s'ala apparillier
21095 Luciienne de dire ensi :
« Certes, cousine, j'en sui si
« Esmervillie, au dire voir,
« C'a painnes m'en puis jou ravoir.
« Et toutes fois, je mac en place :
21 100 ce II n'est cose qui ne se face.
« Cilz chevaliers poroit moult bien,
a Par son sens et son grant engien,
« Avoech Amours qui le conseille,
346 MELIADOR
« Fait ceste cose non pareille /. i55 d
2 1 io5 « A nulle autre dont parler doie.
« S'il est ensi, il a pris voie
« Moult soubtieue pour vous veoir ;
« Et que, pour vous faire a savoir
« Comment li est de vostre amour,
21 1 10 oc Je suppose ensi c'a nul jour
(c Nulz povres homs de bas afaire
« N'euist osé tel cose faire.
« Toutes fois encor le verons
ce Et si bien examinerons
2 1 1 1 5 « Que nous en serons a segur.
« Se je le trueve ossi metir
« C'on doit trouver .1. chevalier,
« Qui ensi se voet avancier
« Comme il le monstre maintenant,
2 1 1 20 « Ma cousine, je vous créant
« Qu'il ne fait pas a refuser
« Et foy y vodrai adjouster.
« Je vous dirai qu'il faurra faire,
a Pour la besongne en bien parfaire.
21 125 « Je rirai querre, ou nom de vous,
<c Et puis 11 dires par mos doulz,
« Présent moy, sans estre seulete,
Que vous estes encor jonete
« De savoir, d'avis et d'eagc
2 1 1 3o « Pour entrer en pèlerinage
(( D'Amours, sans avoir .1. moiien.
« De tout ce vous crera il bien
« Et vous me lairés dou sourplus
« Convenir, ains qu'il traie ensus.
2 1 1 35 « Je sarai sen entention
« Par bonne imagination. »
21 104 Fait; le sens voudrait Avoir fait. — 21 135 sen intention,
B se entention.
MELIADOR 347
Et ceste respont sans detrî :
« Chiere cousine, je Totri. » /. i56 a
A tant Luciienne se part
r- Et si s'en vient a celle part
La ou li dis chevalier fu.
Se li dist : « Venés, venés. » — « U
« Volés vous, dame, que je voie ? »
Celle respont : « Sieués ma voie.
2 1 145 « La vous menrai ou vos cuers tent. »
Et quant Agamanor entent
Que c'est en la cambre sa dame,
S'en est tous resjols, par m'ame.
De la se part, plus ne demeure:
2 1 1 5o En la cambre viennent en l'eure.
Or est Agamanor venus,
Qui s'est la en présent tenus.
Sans parolle mouvoir ne dire.
Phenonée prist a sourire
2 1 1 55 En regardant vers sa cousine,
Et celle qui fu moult bénigne
Commença ensi a parler :
« Se vous me voliés enfourmer,
« Biau sire, de vostre querelle,
21 160 « Vostre cose en seroit plus belle;
« Car ma cousine qui ci est
« Ne fera riens, s'il ne me plest.
« Elle est mise en ma gouvrenance. »
Agamanor ot l'ordenance
21 165 Des dames et voit la manière;
Lors parolle et dist : « Ma très chiere
« Damoiselle, pour Dieu merci,
« Se je sui venus jusqu'à ci,
« Saciés loyauté m'i amainne,
2 1 1 70 « Pour Famour de vostre germainne,
348 MELIADOR
a Dont je sui espris telement
« Que je ne m'en puis nullement, /. i56 b
« Ne ne sçai cènes, consillier.
(( On ne se doit esmervillier
2 1 1 75 « Se je me sui mis en tel ploy
« Pour lui veoir; car, par ma foy,
« Penser nuit et jour me travellent
« Pour s'amour, qui si me resvellent
« Que je ne puis a el entendre
2 1 1 80 « Et telz painnes mon coer engendre
« Conques teles ne souffri nulz. »
— « Encor en soufferés vous plus, »
Ce li respondi Luciienne.
— « Ça pour quoi ?» — « Saciés que la mienne
21 185 a Cousine se doie entremettre
« De tost donner son coer et mettre
« En lieu que elle ne cognoist.
« Il fault que la besongne voist
a Par ordenance et par avis.
2 1 1 90 « Chi estes venus, ce m'est vis,
« Comme uns pointres et uns ouvriers,
« Et puis vous nommés chevaliers.
a Ne savons se c'est voir ou non.
<c Or prendons que aiiés le nom
2 1 1 95 «Et Testât de chevalerie ;
« S'en vous n'est la bachelerie,
m De ce nom ne donroie pas
« Le jeu c'on nomme des escas.
« Et ce trop fort nous esmerveille
2 1 200 c( Comment, qui la cote vermeille
« Portés, si com li chevaliers
« Portoit qui fu preus et legiers
(( Au tournoy par devant Tarbonne,
31 181 ne souffri, B ne le souffri. ~ 21300 qui la, B que la.
MELIADOR 349
a Vous estes com une personne
2i2o5 a Poinderes ceens embatus.
« Ne le creroit nulle ne nulz, f. i56 c
« Ne le vorroit oïr ne croire
« Que ceste parolle fust voire.
« Si seroit foie ma cousine,
21 210 a Quant ceste ordenance imagine,
« S'elle asseoit si bas son coer,
« Qui est a Melyador suer,
« Le fille au duch de Cornuaille.
« Ne sçai nul chevalier qui vaille
? 1 2 1 5 « Pour li, de ce soiiés certains.
<c Si vous prie, biaus chiers compains,
« Se vous estes mal enfourmés,
« Que bellement vous retournés
« Et en pais hors de ce manoir;
21220 « Car s'on pooit tout ce savoir,
a En Tarbonne, que ci fussiés,
« Que décevoir nous vosissiés,
« Sans ordenance retarder
oc Nous ne vos porions garder
21225 « Que vous ne fuissiés pris et mors,
« A qui que fust, ne droit ne tors.
o
R est Agamanor tous mas.
Quant il se voit jeter si bas
Et rebouter par tel parolle.
2 1 23o Adont moult doucement parolle,
Et dist : « Dame, je vous créant,
« Je n'arai le corps recréant
« Que je n'esprueve bien en voir
« Tout ce que je vous fai savoir.
31232 décevoir^ Bde cevoir.
35o MELIADOR
21235 « Je ne di mies que je soie
« Tous li mieudres qui voist sur voie ;
<c Mais je sui li uns de la queste
« Qui feroie .i. moult biau conqueste,
« Se par proece et bien servir
2 1 240 « A Tamour pooie avenir f, iS6 d
« De Phenonée, qui ci est.
« Et, ma très chiere, s'il vous plest
« A entendre et oïr raison,
« Quoi que je soie en vo maison,
21245 « Je vous conterai mot a mot
« Mon estât. » Et celle qui Tôt
Respont : « Oïl, moult volentiers. »
Lors commence li chevaliers :
« TN. AME, je sui d'estragnes terres,
D
2i25o « ^ Poursieuans et tournois et gerres,
(( Si com la queste nous ensengne,
« Ne mies de la Grant Bretagne
« Dont tout li bon chevalier sont,
« Mais d'un pays pour quoi cil vont,
21255 « Qui en sont hors, aventurer
« Pour leur gentillece amonter.
« Vous n'en poés plus savoir ores,
(( Mais remoustrer vous voel encores
« Que mes pères qui est frans homs^
21260 « Chevaliers, et fu ses taions
(( Et ossi tout nostre ancisseur;
« Revenir voel a mon signcur
« De père, et vous en parlerai.
« En ma jonece, com bien sçai,
21265 « Il avoit dedens son manoir,
« Ou moult plaisant faisoit manoir
« Cambres belles et galleries.
(( La faisoit les baccleries
MELIADOR 35 1
a
2 I 270 «
« Des preus chevaliers de jadis,
a Des Troiiens preus et hardis,
a De Hector et de tous ses frères,
« Et des Grius faire les materes ;
21275 « Comment vaillanment il régnèrent,
« Et comment sus yaus s'esprouverent/. i5j a
« Li Grigois et cil de leur sortes,
« Les batailles grandes et fortes
« Qui furent en ce temps entre yaulz.
21280 <c Et j'estoie uns jones tousiaus,
« En Teage espoir de .ix. ans,
« Se enclins et si entendans
« A ce que leur veoie faire,
« Tous les jours ouvrer et pourtraire,
21285 « Que je ne voloie ailleurs estre,
a Fors tout dis ou clos ou en l'estre
« Ou il ouvroient en mi yaus ;
« Et, si prendoie leurs pinciaus,
« Si en pourtraioie a par mi.
2 1 290 a Tant y fui, tant y pourtray
« Et tant y pris jou de plaisance,
(c Voires, avoecques Tordenance
« Des ouvriers qui m'i ajettoient
« Et qui de cuer le m'ensegnoient,
21295 « Conques puis je n'en peus issir.
« Moult y prendoient grant plaisir
a Mon père et ma dame de mère.
« Tant poursieui ceste matere,
(c Dont .m. ans je fui a Tescole,
2 1 269-2 1 27 1 . Il y a ici quelques mots oubliés ^ formant sans doute
deux vers et exprimant que le père d'Agamanor employait alors
des peintres à représenter des scènes chevaleresques sur les murs
intérieurs de son manoir.
352 MELIADOR
2i3oo « Que je pourtraioie en .i. rôle
a De toutes couleurs, ossi bien
tt Et par ossi très grant engicn,
« Si com li ouvrier le disoient,
« Que li propres mestre faisoient.
2i3o5 « Ensi me demora d'enfance,
a Chiere dame, ceste ordenance
a Que je ne tieng pas a villainne,
a Non se vous et ma souverainne
« Ne le me tournés a reproce.
2i3io « Ensi, dame, je vous approce /. j5j b
a La matere dont parler voel,
a Comment il n'en poet a mon voel
« Aler, fors a vostre plaisir.
« Quant je peus de jonece issir
2 1 3 1 5 tt Je me commençai a armer,
« A jouster, et a behourder,
tt Et a faire toutes antises
tt D'armes et grandes apertises
« Pour mon corps mieulz bouter avant.
21 320 « Chiere dame, en ce convenant,
« Poursieui ou .v. ans ou .vi.
tt .1. jour estoit en mon pays
<c Et dalés mon signeur mon père,
« Si oy la, c'est cose clere,
21 325 a Recorder comment une dame,
tt Qui haute honneur le coer entame,
u Avoit une queste mis sus.
<c De puis ne m'euist tenu nulz
« Que brief je ne m'i fuisse mis.
2i33o « Si me parti de mon pays
« Secrètement, sans congiet prendre,
a Ne sçai se j'en fay a reprendre
« A pcre et a mère que j'aye,
31 339 je ne m*i, B je ne me.
MELIADOR 353
« En espérance bonne et gaîe
21 335 « D'avenir a ceste Hermondine,
« Pour qui mains chevaliers chemine.
« S'ay poursieui a mon pooir
a Tout le temps les armes, pour voir,
« Et fui au tournoy de la Garde.
21340 « Mais, ma dame, quant je regarde
« As mieulz faisans, il y ot la
« .1. chevalier qui s'esprouva
« A moy, et jou a li, .111. fois ;
« Dont par chiaus de qui le tournois f, iS'j c
2 1 345 « Fu vêtis, savoir vous poés
« De nos apertises assés.
oc Mais je falli la a Tonneur
« De Tesprivier pour le milleur;
c( Cilz Tôt qui le soleil d'or porte,
2i35o « En qui proece se déporte
« Et, qui demander m'en vodroit,
« Il le conquist certes de droit.
« De puis ce tournoy de la Garde,
« Ma dame, a mon temps je regarde
21 355 « Et comment je Tay alewé,
« Mais pas ne Tay si empriemé
, « Que de tout me puist souvenir.
« De puis peuimes nous venir,
« Moi et cilz dont ores parloie,
2i36o « Tout d'encontre et sus une voie,
« Et jou qui avoie en mon cuer
<K Le mautalent, qui a nul fuer
a N'en estoit encores partis,
« De ce qu'il m'ot tolus le pris,
21 365 « L'envay d'un cours de la lance,
« Et la fumes a l'ordenance
u De jouste et de bataille assés,
« Et euist voir estes outrés
« Li uns de nous, il n'est pas doubte.
T. II 23
354 MELIADOR
2 1 370 « La cstoit nostre entente toute,
« Quant no doy varlet s'en meslerent,
« Qui maugré nous nos dessevrerent
<c Et nous donnèrent la grant tort,
« Disans : « Vous volés vous a mort
21375 « Chi mettre, par vo vasselage?
« Et vous savés, sus vo voiage,
a Gist une journée très bonne;
« Car il doit par devant Tarbonne f, 1S7 d
« Temprement .1. tournoy avoir. »
2i38o « Dame, ceste paroUe voir
« Nous apaisa de plus combatre.
« La nous departesins tout .1111.
« Au tournoy fui, il n'i fu pas;
(( Je ne sçai mies quelz li cas
21 385 « Fu ou est, qu'il en defalli.
« Le jour dou tournoy m'assalli
« Amours, je le vous jur, par m'ame,
« Damoiselle, pour vostre dame,
a Et tant c'au soir veoir l'alay,
21390 « Mais onques a li ne parlay.
« Si ravisai je bien de priés,
« Et se vous di, par mos exprès,
« Que par imagination
« Si m'entra li impression
21395 (( De sa douce phisonomie
« Ou cuer, que n'en partira mie,
« Tant que l'ame me soit au corps.
« Et, a fin que justes recors
« Soit ci de moy comptés et fès,
21400 « J'oy la pluiseurs rondelès
« Chanter moult gratïeusement ;
« Mais, vis m'est especialment,
« Phenonée en canta la .11.
« Moult plaisans et moult amoureus,
21405 « Les quels je retins en chantant,
MELIADOR 355
« Et que ce soit voirs, Je m'en vant,
(c Que bien vous dirai quels il sont. »
Et Luciienne dist adont :
« Oïl, nous les volons oïr
21410 a Pour vos parolles averir. »
Adont cil, par bonne science,
Le premier rondelet commence. /. i5S a
Bondel.
Le jour de Tan, par ce bon jour,
En estrine vous voel donner
2 141 5 Mon coer, ma pensée et m'amour,
Très doulz amis, sans ja roster.
OoiiÉs certains que, sans faulz tour,
Tout men vivant vous voel amer.
Le jour de Pan, etc.
21420 v>AR j'en reçoi tele douçour,
Seulement par le doulz penser,
Qu'il n*est ne painne ne dolour
Qu'en mon coer puisse demorer.
Le jour, etc.
21425 « çiQUEs, ma douce dame ciere,
« "^ Quant je regardoie en la ciere
Celle a la quele amour tendoie
Et si doulz parlers entendoie,
Qui îssoient hors de son cuer,
21430 « Comment que pas ne fust ma suer
Et qu'elle tenist pour son frère
Le chevalier, c'est cose ciere.
«
«
«
356 MELIADOR
a Qui le pris avoit dou tournoy,
« Tele fortune avoit en moy
21435 tt Et espérance si jolie,
« Puis qu'il faut que je le vous die,
« Qu'il me couvenoit a lui tendre,
« Car espoir me faisoit entendre
« C'un temps venroit qu'elle saroit
21440 « Celi qui conquesté avoit
« Le pris dou tournoy, pour ce jour.
a Ensi, damoiselle, ou séjour
« Que je fis a aler vers li,
« Pris fui, mais mies ne failli,
21445 « Car je ne sçai voir en ce monde, /. t58 b
« Si grans qu'il est a la reonde,
« Dame pour qui avoir vodroie
« Pais, souffisance, honneur et joie,
« Fors que de li tant seulement ;
21450 « Mais je sçai bien que folement
« Ay mis mon coer a ce que voî,
« Car nul compte ne fait de moy. »
— « Y^us ne savés, » dist Luciienne,
c( Vous estes vos, et elle est sienne.
21455 « Et se nous nous esmervillons
« De ce que vous estes uns homs
« Aventureus, a vo samblance,
u Qui portés une dame blance,
<c La devise que cilz portoit,
21460 « Qui si bons chevaliers estoit
V Au tournoy par devant Tarbonnc,
« Et li quelz ce jour en sa gonne
« Eut le pris pour le mieulz faisant,
« Et nous vous 00ns ce disant
21465 <c Et nommer le dit chevalier,
a Ne vous devés esmervîUier.
« Au tournoy, se Diex me doinst joie,
tt Ne au dit souper pas n'estoie;
MELIADOR 357
« Si n'en sçai dire, de ma part,
21470 « Se cilz rondelès, qui se part
« De vo bouche, fu la chantés. »
Respont Phenonée : « Entendes.
« Oil, cousine, il a raison,
« Car je Tavoie en la saison
21475 « Devant apris, si m'ayt Diex. »
Ce dist Luciienne : « Or vault mieulz. »
Adont moult bellement regarde
Sus le chevalier, qui la darde
D'amours dedens le coer portoit; /. i58 c
21480 Si dist : « Biau sire, et se c'estoit
« Vostre aise et la vostre ordenance,
« Nous vodrions a vo plaisance
a Oîr le rondelet second,
(( Car saciés que telz coses sont
21485 « Moult plaisans, tant c'a l'escouter,
« Et poeent forment pourfiter. »
Lors respondi li chevaliers :
« Certes, dame, moult volentiers
« Le dirai, car bien le retins
2 1 490 (( Et assés tost apriès revins
<c Ens ou bois, ou logiés estoie. »
Adont Agamanor en joie
Recorda la le rondelet.
Telz qu'il est, c'est raisons c'on l'et.
Rondel.
21495 1 DUR quoi avés vous nulle doubte
De moy, mon chier ami très doulz?
J 'ay mis en vous m'entente toute,
Pour quoi, etc.
358 MELIADOR
CHERTES en mer ne sera goute^
2i5oo Quant j'amerai aultre de vous.
Pour quoi, etc.
<« T ou qui estoie en bon parti,
« J Sus ces doulz mos je me parti,
« Damoiselle, et revins arrière
2i5o5 « Et rapassai par la barrière
« Par ou laiiens estoie entrés.
« De puis me sui aventurés
a Par le monde, comme amourcus,
a Une heure liés, Tautre anoieus,
2 1 5 1 o « Ensi c'uns amans a le fois
« Porte lïece et puis anois.
« Bien est voirs que sus mon chemin /. i58 d
« .1. jour trouvai a un recin
« .1. chevalier, qui ma devise
2 1 5 1 5 « Portoit, et quant a cesti vise
« Je vous en conterai le voir.
« Je voel apertement savoir
« Pour quoi il le portoit ensi,
« Ou jus le mesist sans detri,
21 520 « Ou a moy aroit la bataille.
« Adont me respondi, sans faille,
« Paroles ou je pris plaisance,
« Car adont n'avoit point de lance,
« Et me dist : « Se j'avoie espoir
21 525 « Une lance pour mon devoir
« Faire a vous, vous sériés en pais. »
<( Je ne cremoie pas le fais,
« Mais respondi : « Raison avés. »
« Damoiselle, savoir devés
21 .Soi Pour quoi, B Pour coi.
((
({
MELIADOR 359
2i53o « Que je jettai ma lance jus,
« Et renouvelay au sourplus
« Les paroUes dites devant :
« Chevaliers, en ce couvenant,
« Fault que vous moustrés a Tespée,
21 535 « Pour quoi ne sur quele pensée,
« Vous portés ceste blance dame,
« Ou je ou vous y arons blasmc. »
« Et cilz me respondi en Teure,
« Quant ses paroUes je saveure,
2 1 540 « Qu'il le me diroit volentiers,
« Non com recreans chevaliers,
tt Mais si com cargiés en estoit.
Adonc me conta la endroit
Comment ma dame, qui ci est
2 1 545 « Et de qui toute honneur me nest,
« L'avoit mis sus en ceste istance. /. i5p a
« Briefment il m'en dist Tordenance
Si très bien et si sagement
Que n'i seuisse amendement
2i55o « Mettre, ne ne saroie encor,
« Et, quant il fu venus au cor
« De son conte, je fui moult liés
« Et de respondre appareilliés.
« Se li dis : « Chevaliers très doulz,
2 1 555 « Honneur très haute porte a nous
« Vostre dame et vous autressi
M Qui portés ma devise ci ;
« Gré vous en sçai et li trop plus.
« Or ne le metés jamais jus
2i56o « Pour homme nul qui le calenge,
« Et si m'en rendes grant loenge
« A vo dame, quant le verés;
« Et par tout ou la vous serés
« Et serai, saciés pour certain,
21 565 « Soit lance ou espée en ma main
((
«
36o * MELIADOR
a Je VOUS serai bons campions. »
« Ensi la nous départions.
« Onques ne le vi puisscdi ;
<f Mais n'a pas .n. mois qu'il chel
21570 « Que j'estoie chiés .1. manoir
u Logiés pour la nuit remanoir,
tt Par d'encoste moy mon varlet.
<( Cilz chevaliers vint la de fet,
« Sans ce que de nous presist garde;
21575 (c Et me samble quant g'i regarde,
tt Que de nuit, com par escripture,
tt II nous compta quele aventure
tt Le menoit parmi la contrée.
tt Quant ce vint a la matinée,
2i58o « Il se parti le bon matin; f, i5g h
tt Devant nous se mist au chemin
« Et jou apriès environ prime.
tt Chiere dame, je vous exprime
tt L'ordenance ensi qu'elle va,
21 585 tt Selonch les paroUes que la
tt Nous conta li dis chevaliers.
« Je chevaucai .11. jours entiers
X tt Et estoie si fors pensieus,
« Que mes variés qui n'est pas viulz
2 1 590 tt En estoit durement irés,
tt Et tant fu de lui detirés
tt Que je li contai mon pourpos.
« De puis eue .1. peu de repos,
(( Car nous nous mesimes a voie
21595 « Pour venir, se Diex me doinst joie,
« En ce propre lieu ou je sui.
« Mais saciés que pas je ne fui
tt Si trestos avisé adont,
« Le premier jour ne le secont,
2 1 600 tt Comment je poroîe venir
tt Ceens, ne a vous avenir
MELIÂDOR 36 1
« Qui estes tout ce que jou aîns,
c( Damoiselle, par ces .11. mains.
« Des pourpos y eut plus de .xx. ;
2 1 6o5 « Finablement il me souvint
« De mon art et de Tordenance
« Que je avoie apris d'enfance.
a Si m'avisai que sus cesti
« J'ouveroie, et Tai fait ensi
21 610 « Que vous savés, c'est cose clere.
« Je vous ay conté la matere,
« Tout ensi qu'elle se demainne. »
Luciienne lors li ramainne
.1. pourpos, et dist : « Voire, voire. /. i5g c
2 1 6 1 5 « Et comment porions nous croire
« Que vous feussiés li chevalier
<( Si preus, si hardis et si fiers
« Qui desconfi le dit conroi?
« Ne le crerai ja, se ne voy
21620 « En vous la matere parelle;
M Mais je voel c'on vous appareille
« Des armes aucune ordenance,
a Par quoi hors soions de doubtance. »
Dist Agamanor : « Je le voel,
21625 a Car il me convient sus vo voel
« Ordener, et le voel ossi. »
— « Or vous partes donques de ci, »
Dist Luciienne, « et si rentrés
a En la cambre ; c'est bien nos grés.
2i63o « Assés tost vous irai requerre. »
Agamanor ajamba terre
Et dedens la cambre revint,
La ou Valiienne se tint.
OR est partis Agamanor
Et les .11. dames sont au cor
302 MELIADOR
De leur cambre, en très grant conseil.
u Ma cousine, je me conseil
« Tout par vous », ce dist Phenonée.
a Or soiiés si bien ordenée
21640 « Que nous rendons bonne raisons
« A ce damoisiel qui est homs,
« Ce me samble, de bonne afaire,
« Car il nous fault response faire,
« Sur ce qu'il nous a chi bailliet,
2 1 645 « Et ensi li avés tailliet ;
« Partir ne s'en poet sans response. »
Luciienne se voit semonse
De sa cousine; si respont /. i5g d
Et dist : <c Ma cousine, amours vont
2i65o « Par pluiseurs manières avant.
« Pour ce le vous ay mis devant.
a De cest homme que vous en samble?
« Il nous a ci remis ensamble
a Pluiseurs coses faites et nées.
21655 « Comment s'en portent vos pensées?
a Quel cose en vodriés vous jugier?
« Le tenriés vous a chevalier,
c< S'il en aloit par vostre avis ? »
Respont Phenonée : « Il m'est vis
21660 « Qu'il soit chevaliers voirement,
« Car il a de grant sentement
« Parlé, et si voet c'on Tesproeve.
« De tout ce qu'il dit et qu'il rueve
a La nous poons bien afRier.
21 665 « Encor, pour vous certifiier,
« Lyoniaus me dist tout ensi,
« Le jour qu'il revint devers mi,
« Comme il nous a ci recordé.
« Ne le vi en riens descordé
21670 « Que compté ne nous ait tout voir.
« Cousine, vous devés savoir
MELIADOR
363
« Que nous le poons couroucier.
a On ne doit pas .i. chevalier
« Ensi mener que le menons.
21675 « Je vous pri que le rappelions
a Et li disons en vérité
« Que s'il a chevaliers esté,
a Bons et preus, qu'il le soit encores,
« A ceste fin que les memores
21680 « En puissent venir devant nous. »
— « Phenonée et fins coers très doulz, »
Ce dist Luciienne, « attendes f. 160 a
« Et mies si tost n'estendés
« Vos grasces ; ce seroit folie.
21685 « Saciés que je sui consillic
« Comment je li responderai,
« Et sur ce quérir je Tirai. »
— « Or aies. » Luciienne part
Et si s'en vient de celle part
2 1 690 Ou Agamanor se tenoit.
Si Tacene et, quant cilz le voit,
Il est tantost sallis avant,
Ou point ou il estoit devant.
AGAMANOR est rcveuus
-, _ Entre les dames, dont tenus
Est longement, bien le veés;
Mais c'est trop grandement ses grés,
Car il ne vosist ailleurs estre.
Luciienne au costé senestre
2 1 700 Se tient et li paroUe ensi :
a Biau sire, vous serés pour mi
« Hui ce jour nommés chevaliers,
« Et aultres jours se li mestiers
« Est trouvés de chevalerie,
21705 « En vous, de ce ne doubtés mie,
364 MELIADOR
« Et a fin que veons en voir
« Ce que vous faites a savoir,
« Que, soit ou a .1. ou a deus
<c Chevaliers bien chevalercus,
2 1 7 10 « Vous vodrés vo corps esprouver,
a A fin c'on vous puist tel trouver
« Que ci nous avés mis avant,
« Nous retenons ce convenant :
(c Ma cousine premièrement
2 1 7 1 5 a Et jou apriès secondement,
<c Vous ferés ce que nous dirons. f.iGob
a Dedens .vi. jours nous pourverons
« De .H. chevaliers par samblance ;
<c Cescuns ara espée et lance
2 1 720 « Et sera armés a cheval,
a Comme on doit armer .1. vassal
u Qui se voelt armer en bataille,
u Et droitement devant la baille
« De ce manoir les trouvères,
21725 a Au jour que droit ci revenrés.
« Et se ce vous ne volés faire,
« Il vous convient en avant traire
a A jamais retourner vers nous. »
Agamanor lors en genouls
21730 Se jetta devant Luciienne
Et dist : u Ha I très bonne moiienne,
« Vous m'avés a gré bien servi.
« Onques mieus dire je ne vi,
« Et je revenrai volentiers
21735 « Et mousterai que chevaliers
« Sui je voirement, a l'espée. »
— « Or aies, » ce dist Phenonée,
« Et si vous souviegne dou jour,
<( Car nous ferons ci no séjour;
21727 traire, B taire.
MELIADOR 365
21740 « Vous nous retrouverés droit ci. »
Agamanor atant parti,
Qui prist congiet moult bellement,
Et les dames moult doucement
Li donnèrent entre elles .11.
2 1 745 Li chevaliers revint tous seulz,
Au manoir ou Bertoulès fu,
Qui demande : « Monsigneur, u
« Avés vous esté tel termin?
« A painnes me sui je au chemin
21750 « Mis pour encontre vous aler. » J', 160 c
Adont commença a parler
Agamanor sans detriance,
Et li recorde Tordenance
De li et des dames ossi;
21755 De cief en cor li dist ensi
Que portée estoit la besongne :
« Or fault il, compains, que je songne
« Que je soie la au dit jour,
« Se jamais voel avoir honnour. »
2 1 760 — a Vous y serés, » dist Bertoulès,
« Sus vo cheval, armés tous près,
« Pour a .11. chevaliers combatre.
(c Se vous ne les poés abatre
« Sus le camp, par devant les dames,
21765 « Ce vous sera uns trop grans blasmes. »
Et cilz respont, a longe alainne :
« Je m'en meterai voir en painne. »
o
R vous dirons des damoiselles
Qui sont Jones, frices et belles,
21770 De Luciienne et Phenonée,
Qui ont ceste cose ordenée
Qu'il faut c' Agamanor s'esprueve
A yaus .u., c'est assés esprueve.
366 MELIADOR
Ce propre jour que partis fu
21775 Li chevaliers, bien savés d'u,
Dou manoir c'on appelle au Bois,
Phenonée a basseie vois
Dist ensi : ce Or ça, ma cousine,
« Vous avés ordonné .1. signe.
21780 ft II fault ce rouge chevalier
« Temprement si appareillier
i( Qu'a yaus .11. se combatera.
« Je croi moult bien qu'il revenra;
« Il ne le lairoit nullement. /. 160 d
21785 « Mais or me dittes loyaument
a Ou .11. chevaliers prenderons
« En qui affiler nous porons.
« Point ne sera en ceste terre ;
« Peu en y a qui sachent guerre.
21790 « Ossi jamais ne le feroie,
« Car trop fort blasmée en seroic
« De mon signeur et de ma dame.
« Ensi donc receverons blasme,
« Ou de l'un costet ou de l'autre,
21795 « Voires, se ne mettons sus fautrc
« Aucune ordenance nouvelle. »
Ce dist Luciienne : « Ma belle
« Cousine et ma très chiere amie,
« De ce ne me soussiiés mie,
2 1 800 « Car je les ay tous pourvetls,
« De moy grandement cognetis
M Bons chevaliers, preus et hardis,
« Et qui me vodroient toutdis
« Chi et ailleurs servir a gré.
2i8o5 « Je les ay ja tout en secré,
« Chiere cousine, cnvoiiés querre ;
« Il ne sont point de ceste terre
« Ne ossi de vo cognissance,
« Ne cuidiés ja qu'en ignorance
MELIADOR 367
2 18 10 « Je doic la journée mettre.
« Trop mal me vodroie entremettre
« Que de vous consillier a point,
« Se je defalloie dou point
« Que j'ay ordené et emprîs.
2 181 5 « .II. chevaliers verés de pris
« Chi venir au jour que dit ay ;
« De ce segure je vous fay,
a Ensi sera que je parole. » /, 161 a
Phenonée ceste parole
21820 Ne releva onques de puis.
Toutes fois moult de ses déduis
Prendoit as .11. draps regarder
C'Agamanor li peut donner.
En sa cambre les avoit mis
21825 Et contre une paroit assis;
La les regardoit a le fois
Et mettoit encontre ses dois,
Et disoit qu'il estoieni bien
Fait, par sens, et par grant engien
2i83o Et par moult jolie ordenance,
Et qu'elle y prendoit grant plaisance.
APPENDICE
Page 207. — Le premier fragment de A débute par un
vers :
Contre tous ses
auquel succède cette strophe, relative à l'épisode contenu
dans les vers 1 6407-1 6451 de notre édition et où l'on ne
retrouve que quatre des vers donnés par B (les vers chiffrés
ici II à i3 et 18).
Moult fu Âgham[anor]
Qui cuida moult
Que on ne le peuist
Or vodra il au bien,
5 Ce dist, contrevengier son honte.
Sus son ceval tantost remonte,
Car point ne parti de le priesse
L'espée ou poing, l'entente espresse
Qu'il puist faire aukun bon esploit.
10 Un chevalier devant lui voit,
Le blanch a une noire bende ;
Sus lui son mautalent amende,
Car telement le porte a terre
Qu'il le couvint venir requerre
i5 Son escuier, ens ou tournoy.
Près que mort, dont il ot anoy.
Apprès resbati le secont,
Ens ou regart dou roy Hermont
Qui le prise moult grandement
T. II 24
370 APPENDICE
20 Et dist que de grant hardement
Est il et de haute entreprise.
Mais encores trop mieus il prise
Le chevalier de bleu armé :
Autrement il ne l'a clamé
2 5 En chevauchant de chief en cor,
Fors le bleu au cler soleil d'or.
Bien est son entension toute
Que il passera d'iaus le route
Et ara le pris dou tournoy.
3o II n'est mies seus, par ma foy,
Qui le prisent et recoumandent
[anjdent
ient
ent
35 Hier
illier
Entre lui et Âghamanor :
Il n'est nus qui les passe encor
De faire la trop plus que nus.
40 Messires Feughins et Caulus, ;
Desramez et Dreomedès,
Et li vaillans Pollicenès,
Par desous la baniere blanche
Se tienent en bonne ordenanche ;
45 Mais chil de le bleue baniere
Les reboutent de forche arrière,
Et conquerent et metent jus
Par Temprise et les grans viertus
De Melyador le vassal.
5o N'en i a nul especial,
Deseure lui, sachiés pour voir,
Ne qui si bien se sache avoir
En l'estour et en la mellée.
Ou on voit mainte clere espée
55 Ensonniie de ferir.
On doit bien tel tournoy cerir.
Page 209. — Les dix vers 16462-16471 de notre texte sont
représentés dans A par les vingt-huit vers que nous repro-
APPENDICE 371
duisons ci-après, en les faisant précéder du vers initial de la
première phrase, répondant au vers 16461 de la présente
édition :
Tant dura chils fort capleïs.
Que li pluiseur telement furent
Lasset de faire ce qu'il dubrent,
60 Qu'il estoient si affoibli
Que leur cop a mains c*au demi
De forche estoient revenu.
Adont li hiraut sont venu
Sus les elles dou dit tournoy,
65 Et dient en haut cel envoy
En chevauchant près tout autour :
« Or sus, chevalier, au retour !
a Moult bien a esté la journée
« Hui par vo fait continuée. »
70 Ensi se départ li tournois.
Mais Melyador li courtois
Demora darainiers de tous,
Qui ce jour a les siens rescous
Et fait honneur oultre Tensengne.
75 On le moustre au doi et ensagne.
Des chevaliers mors et estains
En y a vint et deus dou mains,
Et de navrés et de blechiés
Moult grant fuison, bien le sachiés.
80 Encores ne sont point ostées
Les banieres ne raportées.
On les lait ester sus le plache.
Melyador n'a qui le cache.
Ne qui le poursiue au retour,
85 Car tous sont parti de l'estour
Page 218. — Les six vers 16769- 16774 de notre texte sont
remplacés, dans A, par dix vers différents que nous repro-
duisons en les accompagnant des cinq qui les précèdent et
qui sont ici nécessaires au sens :
« Damoiselle, je vous suppli
« Que dou chevalier vous souvigne,
372 APPENDICE
a Qu'il est enssi c'a tour il vigne,
c Qui se combati l'autre fois
90 « Encontre Camel de Camois
« Pour vous et pour vostre cousine
a Qui chi est, ma dame Hermondine. »
Florée respondi en l'eure,
Qui point la granment ne demeure,
95 Car mies ne sçavoit encor
Que ce fust la Melyador,
Ne jamais pensé ne l'euist,
Ne croire adont ne le peuist,
Et dist : « Moult volentiers, par m'ame.
100 a Au gré dou roy et de ma dame
Page 219. — Les quarante-sept vers numérotés 16779-
16825 en notre édition sont remplacés, dans A, par les trois
vers suivants (et non sept, comme nous l'avons dit plus
haut, par erreur) :
Et Florée adont le regarde,
Et Melyador se retarde,
Qui se remet dedens la presse.
Publications de la Société des Anciens Textes français
(En vente à la librairie Firmin Didot et C*«, 56, rue
Jacob, à Paris.)
Bulletin de la Société des Anciens Textes français (ann^s 1875 à 1896).
N'est vendu au'aux membres de la Sociëte au prix de 3 fr. par année, en
papier de Hollande, et de 6 fr. en papier Whatman.
Chansons françaises du xv siècle publiées d'après le manuscrit de la Biblio-
thèque nationale de Paris par Gaston Paris, et accompagnées de la musi-
que transcrite en notation moderne par Auguste Gevaert( 1875). Epuisé.
Les plus anciens Monuments de la langue française (a*, x* siècles) pu-
bliés par Gaston Paris. Album de neuf planches exécutées par la pooto-
gravure (iSyS) 3o fr.
Brun de la Montaigne^ roman d'aventure publié pour la crémière fois» d'a-
près le manuscrit unique de Paris, par Paul Nieyer (1073) 3 fr.
Miracles de Nostre Dame par personnages publiés d'après le manuscrit de
la Bibliothèque nationale par Gaston Paris et Ulysse Robert; texte com-
plet t. I à Vil (1876, 1877, 1878, 1879, 1880, 1881, i883), le vol. . 10 fr.
Le t. VIII, dû à M. François Bonnardot, comprend le vocabulaire, la
table des noms et celle des citations bibliques (1893) i3 fr.
Le t. IX et dernier contiendra l'introduction et les notes.
Guillaume de Paleme publié d'après le manuscrit de la bibliothèqne de TAr-
senal à Paris, par Henri Michelant (1876) 10 fr.
Deux Rédactions du Roman des Sept Sages de Rome publiées par Gaston
Paris (1876) 8 fr.
Aiol, chanson de geste publiée d'après le manuscrit unique de Paris par
Jacques Normand et Gaston Raynaud (1877) la fr.
Le Débat des Hérauts de France et d'Angleterre^ suivi de The Debate be-
tween the Heralds ofEngland and France, by John Cokb, édition commen-
cée par L. Paknier et achevée par Paul Meybr (1877) 10 fr.
Œuvres complètes d'Eustache Deschamps publiées d'après le manuscrit de
la Bibliothèque nationale par le marquis de Queux de Saint-Hilairi,
t. I à VI, et par Gaston Raynaud, t. VU à IX (1878, 1880, 1883, 1884,
1887, 1889, 1Ô91, 1893, 1894), le vol 12 fr.
Le Saint Voyage de Jherusalem du seigneur d'Anglure publié par François
Bonnardot et Auguste Longnon (1878) 10 fr.
Chronique du Mont-Saint-Michel (i 343- 1468) publiée avec notes et pièces
diverses par Siméon Lucb, t. I et II (1879, ioS3), le vol la fr.
E lie de Saint-aile^ chanson de geste publiée avec introduction, glossaire
et index, par Gaston Ratnaud, accompagnée de la rédaction norvégienne
traduite par Eugène Koelbino (1879) 8 fr.