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Full text of "Mémoire présenté à Son Altesse Royale Mgr. le duc d'Orléans, régent de France : concernant la précieuse plante du gin-seng de Tartarie découverte en Amérique"

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: en ET par le Père 


… JOSEPHFRANCOIS LAFITAU, 


DE ++: OMPASNTE DE JESUS, ee 


|  . DES IROQUOIS 


e biogiaäphique. par M. Hospice Verreau, 
e PEcoe Normale Jacques-Cartier - 
uw se du Père Lafitau., d’un fac 
mile de antographe et 

ue DE ee le gin-seng, 


FR le LA "AA 
: L EN 


MÉMOTRE 


PRÉSENTÉ A SON ALTESSE ROYALE MGR. 


LE DUC D'ORLEANS 


RÉGENT DE FRANCE, 


CONCERNANT LA PRECIEUSE PLANTE DU GIN-SENG DE TARTARITE, 
Découverte en Amérique par le Père 


JOSEPH-FRANCOIS/LAFITAU, 


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DE LA COMPAGNIE D£'JESU>, 


MISSIONNAIRE DES iROQUOTE 


DU SAULT ST. LOUIS. 
L 
—2+— 


NOUVELLE EDITION, 


Précédée d’une notice biographiqne, pa: M. Hospice Verreau,, , 
{ Principal de l Ecole Normale Jacques-Cartier 
et accompagné d'un portrait du Père Lañtau, d’un fac 
simile de son autographe et | 
de la planche représentant le gin-seng. } 


a 
n 
| 32054, 
3 £ ! LÉ: 
[O. 
MONTRÉAL 


TYPOGRAPHIE DE SENECAL, DANIEL ET COMPAGNIE, 


No. 4, Rue Saint Vincent, 


1858. 


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sut), 


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LE PERE LAFITAU 


ET LE GIN-SENC. 


4 


L’ancien gouvernement du Canada ne fut, on commence à en 
convenir aujourd’aui, ni si indifférent au développement des res- 
sources du pays, ni si ignorant de ses richesses géologiques et 
botaniques, qu’on avait paru le croire. Il est au contraire bien 
constaté que, tandis que l’expioration géographique de toute 1’Amé- 
rique du Nord était alors beaucoup plus complète qu’elle ne l’a été 
jusqu’à ces dernières années, tout ce qu’il y avait d’important au point 
de vue géologique avait été indiqué et presque toutes les exploitations 
du territoire et de ses produits commencées avec succès. Le gouver- 
nement avait même créé ou tavorisé diverses branches d’industrie qui 
ont été, depuis, complètement abandonnées, comme on pourra s’en 
convaincre en parcourant lHistoire du Canada de M. Garneau, et le 
Tableau des Progrès Inteilectuels et Matériels du Canada, par M. 
Bibaud, jeune. 

L’histoire naturelle du pays avait été étudiée par des hommes 
spéciaux ; et la Flore canadienne avait été décrite non seulement 
dans excellent ouvrage de Charlevoix, dont les gravures ne le 
cèdent en rien à ce qui peut étre fait de mieux de nos jours; mais 
encore dans plusieurs mémoires publiés dans les recueils des aca- 
démies ou dans des lettres et relations que l’on se disputait avec 
avidité. Autant le Canada est aujourd’hui profondément ignoré de 
la France, autant alors il excitait d’intérét. 

Les Jésuites, qui ont joué un si grand rôle dans la colonisation de 
PAmérique, ont aussi pris une place distinguée parmi les historiens 
et les naturalistes du nouveau monde. Leurs curieuses relations, 
qui se réimpriment actuellement à Québec, abondent en rensei- 
gnements et en descriptions de tout genre, et sont d’autant plus 
précieuses que, non seulement chaque père jésuite a profité de ses 
propres observations, mais a de plus réuni et et fait valoir celles de 
ses confrères. Dans une communauté, dans un ordre religieux, rien 
west perdu ; Pobservateur attentif, mais qui serait peut-être inca- 


Er 


pable de faire part de ses découvertes à la postérité, trouve à côté de 
lui Pécrivain habile, qui se hâte de recueillir et de transmettre ses 
récits. 

Après Charlevoix, le Père Lafitau est un des jésuites qui se sont le 
plus distingués comme historiens et comme naturalistes. Le Jour- 
nal de l’Instruction Publique, dont les rédacteurs s’eflorcent de 
réunir dans leur collection tout ce qui peut intéresser les amis sin- 
cères de la gloire de notre pays, commence aujourd’hui la repro- 
duction du Mémoire que ce savant missionnaire présenta au Duc 
d’Orléans, régeni de France, “ sur la précieuse plante du gin-seng,? 
qu’il venait de découvrir dans les forêts du Canada, mémoire fort 
rare maintenant et qui, accompagné comme il l’est, d’un fac-simile 
de la planche qui se trouve dans le volume publié à Paris , et d’un 
portrait avec autographe de l’auteur, sera pour les amateurs des 
souvenirs historiques du pays une véritable bonne fortune. Nous 
eussions aimé à joindre à ce mémoire une notice biographique quei- 
que peu étendue ; mais, malheureusement pour nous, le Père Lafitau 
était du nombre de ces apôtres zélés, dont la vie se résume dans 
leurs travaux et dans leurs écrits, où l’homme a toujours le soin de 
s’effacer derrière les grandes choses qu’il accomplit. 


C’est avec beaucoup de peine et grâce à l’obligeance du K. P. 
Martin et de M. le Commandeur Viger, que nous avons pu réumr 
quelques détails que nos lecteurs jugeront, sans-doute, bien insui- 
fisants. 


Joseph François Lafitau, naquit à Bordeaux, vers la fin du 17e 
siècle. Le Père Martin lui-même n’a pu uous donner l’année de sa 
naissance. De quelques notes qu’il vient de recueillir en Europe 
et qu’il a bien voulu nous communiquer, nous pouvons conclure que 
Lafitau étudiait la théologie à Paris, en 1710, et qu’il avait demandé 
au Père-Général la faveur d’être destiné aux missions du Canada. 
Un passage de son grand ouvrage, Moœurs des Sauvages, nous 
avait fait penser qu’il n’était venu dans ce pays que vers 1712 et 
non en 1700, comme on l’a écrit, et nous voyons aujourd’hui, qu’en 
effet, il arriva en Canada en 1712 et qu’il fut immédiatement 
envoyé à l’ancienne mission du Sault St. Louis. Cette mission, a 
cette époque, offrait encore beaucoup de fatigues et certains dangers, 
exposée comme elle l’était, aux premiers coups de l’ennemi ; mais 
aussi elle avait des charmes qui semblent n’avoir pas échappé au 
missionnaire lui-même. La vie sauvage avec sa rude poésie, les 
cris de guerre, l’alarme continuelle, le cliquetis des armes presque 
toujours retentissant ; et puis le grand fleuve tourbillonnant et allant 
se briser sur les écueils, les blanches maisons, les rares clochers 
qui commençaient à briller dans le lointain, au milieu de la forêt 
éclaircie et au-dessus de l’écume des flots ; tout ce paysage, si 
noüveau et si saisissant pour eux, devait frapper vivement l’imagi- 
nation des étrangers. Disons-le à notre grande honte, le Sault St. 
Louis est un de ces endroits trop inconnus, ou plutôt, trop méconnus 
de nos jours, où, à des beautés naturelles du premier ordre se rat- 
tachent des souvenirs historiques du pius vif intérêt. Tandis que 
les touristes européens, comme M. Marmier et M. Ampère, viennent 


pe R— 


serrer la main au pauvre prêtre de Caughnawaga (1), heureux d’ap- 
prendre quelque chose de sa bouche, nous n’allons, nous, dans ce 
lieu célèbre, que pour y prendre le chemin de fer et nous éloigner, 
à toute vapeur, de l’ancien théâtre de la foi et du courage. Cepen- 
dant, si nous entrions à la mission, on nous y montrerait peut-être 


_ encore le fauteuil qui a servi à Lafitau et la modeste chambre où 


Charlevoix vint plus tard prier, méditer et travailler. 

Ce fut dans l’ancienne mission du Sault, que le premier s’occupa 
surtout à préparer les matériaux de son grand ouvrage, intitulé : “ Les 
Mœurs des Sauvages Américains comparés aux Mœurs des premiers 
temps ;” comme il nous l’apprend lui-même : “ Pendant cinq ans, 
(2) dit-il, que j’ai passés dans une mission des sauvages du Canada, 
j’ai voulu m’instruire à fond du génie et des usages de ces peuples, 
et jy ai surtout profité des lumières et des connaissances d’un ancien 
missionnaire jésuite, le Père Julien Garnier,etc. Je ne me suis pas 
contenté de connaître le caractère des sauvages et de m’informer de 
leurs coutumes et de leurs pratiques ; j’ai cherché dans ces pratiques 
et ce scoutumes comme des vestiges de l’antiquité la plus reculée.” 

Au milieu de ce travail et au moment peut-être où il y pensait 
le moins, il eut le bonheur, qu’il avait longtemps ambitionné, de 
trouver, à quelques pas de sa demeure, cette célèbre plante du 
gin-sens dont on commençait à parler alors en Europe (3). Tous les 
détails de cette découverte sont rapportés avec une simplicité char- 
mante dans le mémoire auquel nous renvoyons les lecteurs: ïls y 
verront, en même temps, la description de la plante, ses vertus et 
les opinions qui partageaient les savants à son sujet. Il suffira de 
dire 1ci que le gin-seng, panar, est un genre de la famille des 
araliacées. Les Chinois, les Japonais et les Tartares, le préco- 
nisaient comme un remède universel, ce qui justifie le nom (pana- 
cée) que les savants lui ont donné (4). En Chine, il se vendait au 
poids de l’argent ; trois onces de ce métal pour une once de gin- 
seng. Aussi, la découverte qu’on en fit dans nos forêts produisit 
presque autant d’émotion, excita presqu’autant la cupidité que le 
fait aujourd’hui la découverte des plus riches mines de la Californie, 
de l'Australie ou de la Nouvelle Calédonie. Nous citerons, à ce 


(1) On écrit Caughnawaga et Cahnawaga ; mais la meilleure ortho- 
graphe pour la prononciation française est Kahnuwaké. D’après feu M. 
Marcoux et le M. de Lorimier, descendant des Iroquois par sa mère, ce 
nom signifie rapides. 


(2) Comme le Père Lafitau dit qu’il resta cinq ans missionnaire, et 
comme il est prouvé qu’il repassa en France en 1717, il est constant qu’il 
vint en Canada en 1712. Du reste, nous l’avons dit en commençant, 
cette remarque s’accorde avec les notes du Père Martin, 


(3) Bouillet place cette découverte vers 1712 : la Société Historique de 


Québec en 1720 ; mais Lafitau nous dit qu’il trouva le gin-seng en 1716, 
lorsque le fruit était dans sa maturité, c’est-à-dire, dans l'automne. 


(4) Du grec pan tout et anekomaï guérir. 


4 Pb 


sujet, notre historien M. Garneau : ‘ Le gin-seng que les Chinois 
tiraient à grand frais du nord de l’Asie, fut porté des bords du St. 
Laurent à Canton. Il fut trouvé excellent et vendu très cher; de 
sorte que bientôt une livre, qui ne valait à Québec que deux francs, 
y monta jusqu’à vingt-cing francs. Il en fut exporté, une année, 
pour 500,000 francs. Le haut prix que cette racine avait atteint, 
excita une aveugle cupidité. On la cueillit au mois de mai au lieu 
du mois de septembre, et on la fit sècher au four au lieu de la faire 
sècher lentement et à l’ombre : elle ne valut plus rien aux yeux 
des Chinois, qui cessèrent d’en acheter. Ainsi, un commerce qui 
promettait de devenir une source de richesse, tomba et s’éteignit 
complètement en peu d’années.””’ Ceci prouve que nos pères méri- 
taient un peu le reproche qu’on nous adresse aujourd’hui, de vou- 
loir recueillir presqu’avant d’avoir semé. Toujours est-il qu’en 1754 
on n’en exporta que pour 33,000 francs, et de ce grand commerce, 
il n’est resté qu’un dicton populaire que nous avons entendu plu- 
sieurs fois répéter à des vieillards dans nos campagnes: ‘ C’est 
tombé, ou ça tombera comme le gin-seng.” 

Le commerce du gin-seng a cependant continué à se faire de 
PAmérique à la Chine, e:, chose étrange que nous apprend le Dic- 
tionnaire de McCulloch, les marchands anglais l’ont, pendant long- 
temps, acheté des négociants des Etats-Unis, l’important en transit 
en Angleterre et l’exsortant à la Chine tandis qu’on aurait pu l’ex- 
porter du Canada. Aujourd’hui, les Américains l’exportent direc- 
tement eux-mêmes à la Chine. Depuis quarante ans une forte pro- 
portion de ce qui s’en consomme est exportée des Etats-Unis. La 
Chine et le Japon sont, du reste, les seuls pays où l’on paraisse croire 
aux vertus de cette plante et c’est, par conséquent, le seul marché 
qu’on lui conraisse. Le gin-seng s’exporte tantôt cru, tantôt préparé. 
[l en a été découvert dans les monts Himalaya, mais son expor- 
tation à la Chine ne paraît pas avoir réussi. Cependant, la concur- 
rence du commerce américain en a fait baisser le prix, et il ne se 
vend pas aussi cher que lorsque tout l’approvisionnement se faisait 
en Tartarie. Le sin-seug cru se vend à Canton de 60 à 70 piastres 
par picul (poids chinois équivalent à 1332 livres avoir du poids), et 
préparé il se vend de 70 à 80 piastres. En 1852, il en a été exporté 
des Eta‘s-Unis à la Chine 158,455 livres, équivalent à 102,703 
piastres. Ii ne paraît point que le gin-seng de |’Amérique du Nord 
soit en rien inférieur à celui de la Tartarie, et sa dépréciation pen- 
dant un certain temps, a été dû uniquement aux causes que men- 
tionne M. Garneau. On ne voit point que celui des Etats-Unis se 
vende moins cher que celui de la Tartarie ou du Thibet, et, dans 
tous les cas, celui du Canada bien préparé doit valoir au moins 
celui des Etats-Unis. (C’est donc une branche de commerce assez 
importante encore aujourd’hui que nous avons perdue uniquement 
par notre faute, et qu’il ne tiendrait qu’à nous de reconquérir, puis- 
que le gin-seng croît encore dans nos forêts aujourd’hui comme au 
temps de Lafitau. La plante existe encore dans les environs même 
du Sault St. Louis, et M. St.-Germain, curé de St. Laurent, en a 
trouvé dans les bois du comté de Terrebonne. 

Dans son mémoire, le Père Lafitau s’occupe surtout d’établir 


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LUNN 70 


l’identité de la plante qu’il avait découverte avec celle qui était si 
fameuse à la Chine. On a nié depuis cette identité et aujourd’hui 
même, dans tous les dictionnaires (1), on attribue à tort au gin-sens 
d'Amérique une grande infériorité. Le passage suivant, d’un des 
mémoires publiés par la Société Littéraire et Historique de Québec, 
attribué à M. Querdisien Trémais par notre savant bibliosraphe, 
M. Faribault, corrobore ce que nous avons déjà dit, d’après M. Gar- 
neau, sur lunique cause de la dépréciation de notre gin-seng à la 
Chine (2): “ C’est ici, écrit l’auteur de ce mémoire, le lieu de dire 
qu’il eût peut-être été à souhaiter que la Compagnie des Indes eût eu 
le commerce du gin-seng. On n’en fait usage qu’à la Chine où la 
Compagnie seule a le privilége d’envoyer des vaisseaux. Autrefois 
ce commerce était presqu’inconnu en Europe, les Chinois tiraient 
le gin-seng de la Tartarie ; ce n’est que depuis quelques années 
qu’on l’a découvert en Canada. Dans le commencement, il ne vr'ait 
que trente à quarante sols la livre, séché et trié, et la Coiupagtie 
ne regardant point cet objet, permit aux officiers et supercargues 
de ses vaisseaux de la porter à la Chine en pacotille; mais, er 
1751, s’étant aperçue que le commerce du gin-seng devenait consi- 
dérable, elle défendit aux officiers et supercargues de ses vaisseaux 


(1) On lit dans le Dictionnaire des Sciences et des Lettres de Bouiilet 
(1857) :—" En Asie, où on lui fait subir une préparation à cet effet, 
cette racine est livrée au commerce transparente. £a saveur en est aro- 
matique, d’abord sucrée, ensuite âcre et amère. Elle est tonique, stimu- 
jante et réparatrice. Les Chinois, les Japonais et les Tartares la préco- 
misent comme un remède universel, et l’empereur de la Chine s'en réserve 
le monopole. On la vendait encore, au siècle dernier, deux à trois fois son 
poids eu argent en Chine même. On ne la trouvait alors, dit-on, qu'en 
Tartarie, entre les 10e et 20e degrés de latitude est, à partir de Pékin, et 
les 39e et 47e degrés de latitude nord. Elle ne fut apportée en Europe 
qu’en 1606. Le Père Lafitau vers 1712 la trouva en Canada; mais /v 
gin-seng d.Amérique passe pour être inférieur. Du reste, il s’en faut de beau- 
coup que cette plante produise dans nos climats les merveilleux effets 
dont parlent les asiatiques. Peut-être la dessication, la vétusté, la ver- 
moulure sont-elles pour beaucoup dans cette infériorité. On cultive mais 
een le gin-seng dans nos jardins botaniques ; il s’y multiplie diffei- 
ement. 


(2). Considérations sur l’état présent du Cunada, octobre 1758, dans la 
# Collection de mémoires et de relations sur l'histoire ancienne du Ca- 
nada, d'après des manuscrits récemment obtenus des archives et bureaux 
publics en France, publiés sous la direction de la société littéraire et 
historique de Québec.”—Québec, W. Cowan et fils, 1840. On remarque 
que l’auteur écrit gin-sing. Lafitau et Charlevoix écrivent gin-seng, d'au- 
tres, ging-seng, d'autres enfin geng-seng. McCulloch dit que les Chinois 
appellent cette plante yan-sam et que les Tartares l’appellent orhota. En 
hollandais, en allemand et en italien c’est gin-seng ; dans cette dernière 
langue aussi gin-sem, On verra que Lafitau insiste beaucoup sur la signi- 
fication du mot chinois, qui veut dire les cuisses de l’homme, et sur celle du 
nom iroquois garent-oguen, qui a le même sens. La biographie universelle 
dit que le nom chinois se prononce gin-chen et que le nom Alandchou est 
orkhoda. 


PAS TR 


de s’en charger. Il valait alors douze francs en Canada, et la 
Compagnie l’acheta jusqu’à trente-trois francs la livre. A la Ro- 
-chelle, alors, les négociants de cette place donnèrent ordre à leurs 
correspondants à Québec, d’en acheier à tout prix; on en fit cher- 
cher partout sans avoir égard à la saison de le cueillir, et au terns 
de sécher à propos: on le mettait, au sortir de la terre, dans des 
fours ou à côté des poëles; ce gin-seng ainsi cueilli à contretems 
et mal séché, valut jusqu’à vingt-cinq francs la livre à Québec, et 
il en sortit, en 1752, pour environ 500,000 francs. Dans ce même 
temps, la Compagnie des Indes, qui pouvait se rendre ce commer 
exclusif, ne voulut point en demander le privilége ; elle on- 
tenta de ne point acheter des pu‘iculiers le gin-seng-mäl condi- 


tionné, et de prendre des mesures rour en faire-ueillir dans la 


saison convenable et le faire sécher à propos, en le gardant à 
Montréal une année entière, Le parti considérable qui avait passé 
à la Rochelle resta invendu. A force de sollicitations, la Compa- 
gnie des Indes en a acheté une partie; une autre a passé en Hol- 
lande, en Angleterre et en Espagne, et ce qui en reste à la Rochelle 
tombera en pure perte. Il est arrivé de là, que; malgré les défenses 
de la Compagnie, on en a chargé en contrebande dans ses vaisseaux, 
qu’il en est parvenu à la Chine par la voye de l’étranger, et que la 
quantité et la mauvaise qualité de ce gin-seng y a décrié totalement 
le sin-seng du Canada. La Compagnie des Indes vient de donner 
ordre de cesser d’en faire cueillir. 

‘ Le gin-seng est plus on moins bon, suivant la qualité du ter- 
rein et le temps qu’il y a qu’il est en terre; mais tout le monde 
convient qu’il faut le cueillir en septembre et le faire sécher dans 
des greniers, sans feu. ÆEn 1752, on le cueillait en may; on le 
séchat au four pour pouvoir le faire passer la même année ; les 
habitants, trouvant plus de profit à chercher du gin-seng qu’à semer 
du blé, abandonnoïent leurs terres pour courir dans les bois, qui se 
sont trouvés incendiés, en plusieurs endroits, par le peu de précau- 
tions qu’ils prenoient en faisant du feu. | 

‘ Si la Compagnie des Indes eût eu ce commerce exclusivement, 
elle n’auroit reçu que le gin-seng ‘séché à propos et cueilli en sep- 
tembre ; tems auquel les travaux de la Compagnie sont presque 
finis, et par ce moyen le gin-seng du Canada ne seroit point décrié 
aujonrd’hui en Chine. Observons que cette branche de commerce 
est de la nature de celles qu’il faut rechercher, parce qu’elle donne 
des profits réels à l’état: le gin-seng en Canada ne coûte que la 
peme de le cueillir, et la concommation s’en fait à la Chine. Obser- 
vons de plus, que ce privilége exclusif accordé à la Compagnie 
des Indes était analogue à celui qu’elle a déjà, et qu’il ne portoit 
aucun préjudice au commerce général.” 

On peut conciure de ce passage que nous n’exagérons point en 
disant que le gin-seng excita au Canada, chez nos pères (car il y 
a de cela un siècle seulement}, une fièvre assez semblable à celle 
que cause l’or de la Californie et des nouvelles régions aurifères de 
la rivière Frazer , dans ce moment. On négligeait l’agriculture et 
la perturbation amenée dans le pays par la chute de ce commerce, 
est bien indiquée , par le proverbe ou dicton que nous avons men- 


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tionné. Dans l’état actuel des choses il n°y aurait rien de semblable 
à craindre. 

Ne paraît-il point, du reste,étonnant que les populations asia- 
tiques aient trouvé et trouvent encore , à cette racine , des propriétés 
médicales si puissantes , et, qu’en Amérique et en Europe, on ne 
lui reconnaisse aucune de ces vertus? Il est vrai que l’énergie des 
substances chimiques généralement employées dans la pharmacie 
moderne a fait tomber dans l’insignifiance la plupart des simples ; 
mais comment se fait-il, cependant , que la droguerie américaine , 
qui fait encore ou prétend faire un si grand usage des végétaux, n’aît 
pas exploité davantage une plante dont les asiatiques disent tant de 
merveilles ? Ne serait-il pas intéressant de constater avec soin 
l’effet qu’elle peut avoir dans nos climats ; aussi de déterminer 
l'influence qu’exercerait sur elle la culture , qui modifie quelquefois 
d’une si singulière manière ies propriétés des végétaux ? (1) 

Quoiqu'il en soit , la découverte du gin-seng en Canada a suffi- 
samment marqué dans notre histoire pour rendre mémorable le nom 
de Lafitau, illustré, du reste, par d’autres travaux. En 1717, ïl 
repassa en France pour les affaires de la mission du Sault St. 
Louis, comme il le dit dans une de ses lettres. Il s'agissait, en 
effet, d’obtenir de la Cour la permission de transporter le village 
Iroquois du Sault à endroit où 1l se trouve aujourd’hui. Les prin- 
cipales raisons alléguées étaient la supériorité du terrain sous le 
rapport de l’agriculture et les avantages que présentait le site pro- 
posé au point de vue stratégique. Il parait qu’il plaida si bien sa 
cause que le terrain nécessaire au nouvel établissement fut accordé 
Pannée suivante. Il présenta aussi un autre mémoire, qui se trouve 
traduit en anglais et imprimé dans le neuvième volume de la 
splendide collection de documents historiques que l'Etat de New- 
York fait publier actuellement sous la direction du Dr. O’Cellaghan. 
Ce document a rapport à la traite de l’eau-de-vie et signale les 
excès et les malheurs qu’elle cause parmi les peuples sauvages. 


(1) On lit ce qui suit dans un dictionnaire pharmaceutique américain 
à l’article gin-seng : According to the Chinese this root nourrishes and 
strengthens the body, checks vomiting, removes hypochondriasis, and 
all other nervous affections, and in short is capable of giving a vigorous 
tone to the system, even in old age and is a panacea for all corporal ills. 
It is administered in a variety of forms and the only ill result arising 
from overdoses they state to be a tendency to hemorrage. Several of the 
Jesuits who have used the Chinese root are of opinion that many of the 
properties attributed to it are real and that it is a truly valuable remedy. 
On the other hand, the trials made in the United States and in Europe 
with the american kind prove that it is merely a gentle stimulant with 
some slight antispasmodic qualities. No extended observations however 
have becn made on it, and as regard the Chinese variety it is dificult to 
come to any just conclusion for it can scarcely be possible that an article 
so long in use and so highly prized, can be wholly worthless, and yet 
there is every reason to believe that its beneficial effects should be 
attributed rather to the effects of imagination than to any extraordinary 
power in the root. ”’— Grifiith’s american edition of Christison’s dispensatory 
—Philadelphia 1848. ’ 


10 — 


Une des remarques peut-être les plus habiles qu’il contient est 
cette réflexion que, malgré la pzssion qu’éprouvent les sauvages 
“pour l’eau de feu, comme ils l’appellent, eux-mêmes demandent à 
ètre délivrés de ce fléau, et que refuser une demande aussi héroïque 
de leur part c’est s’exposer à s’aliéner ces nations : lo. parce que 
les sauvages savent très bien que l’eau-de-vie détruit leurs nations 
eta déjà presque détruit celle des Algonquins, et parce que les 
coureurs de bois et les sauvages démoralisés par l’ivrognerie et 
chargés de dettes, prennent refuge chez les colons anglais et tra- 
vaillent ensuite à debaucher les autres sauvages et à leur montrer 
le chemin de Manhatte. Il cite , de plus , exemple des autorités 
de la Nouvelle-Angleterre elle-même, qui, sur la demande du Père 
Pierron, missionnaire dans les cantons [roquois, avaient promis de 
réprimer les abus de la vente des spiritueux. La lettre suivante du 
gouverneur de Manhatte (aujourd’hui New-York) nous parait telle- 
ment intéressante que nous croyons devoir la traduire. Elle était 
adressée au Pere Pierron, et Lafitau la citait à l’appui de sou 
zssertion : 


Fort James, 18 novembre 1618. 
“« Mox P£EreE, 


“ Votre dernière lettre me fait connaitre votre plainte secondée 
par celle des Chefs des Capitaines Iroquois, comme il parait plus 
amplement par leur requête incluse dans ja vôtre, concernant la trés 
grande quantité de liqueurs que certaines gens d’Albany se per- 
mettent de vendre aux sauvages, ce qui leur fait commettre de 
très grands excès et désordres, qui ne peuvent qu’augmenter si 
rien n’est fait pour les prévenir. En réponse, vous apprendrez que 
j'ai pris toutes les précautions possibles, et que je continuerai, par 
des amendes très rigoureusement prélevées, à empécher qu’on ne 
fournisse aux sauvages l’eau-de-vie en trop grande quantité, et je 
suis très heureux d’apprendre que d’aussi vertueuses suggestions 
nous viennent des païens à la grande hote de beaucoup de chré- 
tiens; mais ceci doit être attribué à vos pieuses instructions et à ce 
qu’étant vous-même formé à la plus stricte discipline, vous leur 
avez prêché la mortification autant par vos exemples que par vos 
préceptes. 


& Francis LovELACE.” 


Cette citation, dans l’état des relations de la France avec l’An- 
gleterre, n’était point ce que le Père Lafitau pouvait mettre de plus 
maladroit dans son mémoire qui, d’ailleurs, outre les motifs de 
religion et d’humanité, faisait valoir habilement les intérêts même 
du commerce et de la colonisation. Son succès cependant ne fut 
que partiel, comme le fait voir la note suivante : “ Divers mémoires 
ont êté envoyés au Conseil sur ce sujet, par MM. de Vaudreuil, 
Begon et Ramezay. Tous s’accordent sur les inconvénients du 
commerce de l’eau-de-vie ; mais le donnent comme nécessaire ; 
et M. de Vaudreuil ayant suggéié qu’il était indispensable d’allouer 
deux ou trois pots d’eau-de-vie, par tête, aux sauvages des pays 
d’en haut qui visitent la colonie, et même de les traiter modérément 


and. si. 


LE 


il 


au fort Frontenac ; ce sur quoi il fut délibéré en conseil le 31 mars 
1716, qu’il était nécessaire de maintenir les défenses générales qui 
ont déja été faites ; mais en même temps de permettre le transport 
de l’eau-de-vie, en petites quantités, aux endroits proposés par M. 
de Vaudreuil. S’il juge à propos de renouveler les anciennes 
défenses, il devra le faire sans en changer la teneur. Observations. 
—La traite de l’eau-de-vie dont se plaint le Père Lafitau est évi- 
demment celie qui se fait dans les villes de la colonie, laquelle il 
est toujours nécessaire de supprimer. Fait et arrêté, le ler juin 1715 
—Signé L. A. de Bourbon. Le maréchal d’Estrées—Par le Conseil, 
La Chapelle. Et plus bas: Faire savoir à MM. de Vaudreuil et 
Béson, que le Conseil a appris qu’un grand nombre de permis ont 
été délivrés en sus de ceux que l’on avait alloués. Défendre l'octroi 
d'aucun permis de ce genre sous quelque prétexte que ce soit. 
Accorder, une autre année, le nombre ordinaire de permis; et 
déclarer ensuite qu’il n’en sera plus octroyé. Les porteurs de ces 
permis devront en informer les sauvages afin qu’ils apportent leurs 
effets. Défendre d’inclure dans les permis qui seront donnés eu 
dernier lieu, la permission d’emporter de l’eau-de-vie même pour 
Pusage des voyageurs.” 

Tel fut, pour le moment, le résultat des efforts de notre mission- 
naire; mais les intérêts de son cher troupeau n’étaient pas les seuls 
qui le préoccupaient. La découverte qu’il avait faite devait trop 
influer sur le commerce et la prospérité du Canada, pour qu’il ne 
cherchât pas à la faire apprécier du gouvernement. Il présenta donc 
lui-même sa précieuse racine au Régent dont on a dû remarquer la 
signature au bas de l’arrêté du conseil. En l’honneur de ce prince, 
il appela le gin-seng du Canada :  l’auréliane du Canada ?” (Aure- 
liana Canadensis) (1). 

Peu de temps après, il publiait le mémoire que nous reprodui- 
sons. Les exemplaires, nous l’avons déjà dit, en sont devenus tres 
rares. Il en existe un à la bibliothèque du Parlement (le second ou 
le troisième peut-être: on sait que notre bibliothèque nationale 
brûle périodiquement), et Sir L. H. Lafontaine en possède un autre, 
qu’il a bien voulu nous prêter et d’après lequel a lieu la réimpression 
actuelle (2). Cette complaisance mérite d’autant plus notre recon- 
naissance et celle du public, que ce livre est doublement précieux 
à celui qui le possède, par le fait assez singulier que c’est l’exem- 
plaire même offert par le Père Lafitau au Marquis de Vaudreuil, 
alors gouverneur de la Nouvelle-France. On lit, en effet, sur la 
première page, ces mots en écriture très fine: “ A M. le Marquis 


(1) Le Régent était, comme on sait, le Duc d'Orléans, et le nom latin 
d'Orléans, devenu cité sous l’empereur Aurélien, était Aurelianum. 


(2) Les recherches et les généreux efforts de notre Juge-en-Chef ont 
déjà enrichi nos annales de précieux documents. Sans parler de ceux 
qu’il a obtenus en France et de ses Observations, publiées dans les Ques- 
tions Seigneuriales, les motifs de son jugement, dans la cause de Wilcox 
et Wilcox, méritent d’être lus par tous ceux qui s’intéressent à la partie 
de netre histoire qui suit immédiatement la conquête. 


De". Vo 


de Vaudreuil :* et M. le commandeur Viger, qui possède plusieurs 
autographes de Lafitau, entr’autres celui dont nous publions un fac- 
simile, ne doute pas que ces mots n’aient été tracés de la main 
de missionnaire. 

Il semble étrange qu’après avoir pris tant d’intérêt au Canada le 
Père Lafitau n°y soit point revenu finir ses jours ; mais il resta en 
Europe quoiqu’il fut ardemment réclamé par le Supérieur de Qué- 
bec, le vénérable Père Julien Garnier (1). Bien que sur la liste 
des missionnaires de 1718 à 1719, il soit encore porté comme attaché 
à la mission du Sault St. Louis, une note, nunc Romæ, indique 
qu’il devait se trouver alors dans la ville éternelle, où il pouvait 
complèter ses études sur l’antiquité mieux que partout ailleurs. Plus 
tard il devint professeur de belles-lettres, poste comparativement 
hnmble si l’on considère la grande réputation qu’il s’était acquise ; 
mais qu’il rechercha sans doute par modestie et aussi pour pouvoir 
travailler plus facilement à son grand ouvrage. Les Mœurs des 
Sauvages, elc., terminés au mois de mai 1722, ne parurent qu’en 
1724 On ne sait ce qu’il faut y admirer davantage, ou de l’exac- 
titude de Pobservateur ou de l’érudition du savant. Les conjectures 
du Père Lafitau se sont depuis changées en certitude ; personne ne 
doute aujourd’hui que Amérique n’aît. été peuplée par l’Asie, 
comme 1l le prétendait. Quant aux races particulières d’où il fai- 
sait descendre nos sauvages, rien dans les découvertes et les 
observations postérieures ne contredit victorieusement ses opinions, 
qui paraissent d’ailleurs si fondées, entourées qu’elles sont non 
seulement du prestige de l’érudition du texte ; mais de celui que 
produisent les admirables gravures dont ses deux volumes sont 
ornés. % Il cherche à prouver, dit la Biographie Universelle, que 
la plupart des peuples de l'Amérique viennent originairement de 
ces barbares qui occupèrent d’abord le continent de la Grèce et ses 
isles, d’où ayant envoyé de tous côtés diverses colonies pendant 
plusieurs siècles, ils furent obligés, enfin, d’en sortir, ayant été 
chassés en dernier lieu par les Cadméens. Ceux, ajoute Lafitau, 
qui connaîtront bien les peuples barbares de l’Amérique Septentrio- 
nale, y trouveront le caractère de ces Helléniens et de ces Peslas- 
giens. On ne peut nier que plusieurs des aperçus du Père Lafitau 
ne soient ingénieux, et que ce livre n’annonce une grande connais- 
sance de l’antiquité.?” 

Les types des diverses divinités, les cérémonies religieuses et les 
instruments même du culte chez tous les peuples dont il a seruté si 
savamment les mœurs, les monuments et les coutumes, établissent, 
du reste, cette identité des traditions humaines que Lamennais 
avait pris pour base de son système philosophique et théologique, et 
que, dans son aveuglement, Dupuis avait exploitée en sens contraire 
dans son Origine de tous les Cultes. Lafitau a fait parler cette 
ressemblance aux yeux de son lecteur dans ses belles gravures, 


(1) Le Père Garnier est un de ces vétérans de la foi dont la vie méri- 
terait d’être mieux connue. Il mourut, à Québec, à l’âge de 87 ans; il 
en avait passé 68 en Canada. 


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dont les dessins paraissent avoir été tracés par lui-même, ce qui en so: 
serait déjà un mérite qu’il ne faudrait pas dédaigner. L'ouvrage dédié 
au Duc d'Orléans est digne, sous ce rapport, du goût artistique de 
ce prince. Ilcontient 41 planches, contenant chacune d’elles un 
grand nombre de &ravures. Le frontispice représente le Temps 
dictant à l’histoire les admirables récits de l’Ancien et du Nouveau 
Testament (1). 

Un Dictionnaire Historique attribue au Père Lafitau une ‘ Vie de 
Jean de Brienne, empereur de Constantinople,” laquelle aurait 
vu le jour en 1727; mais il nous a été impossible de nous assurer 
de exactitude de cette assertion. En 1733, il publia ‘ PHistoire 
des Découvertes et des Conquêtes des Portugais dans le Nouveau 
Monde,” 4 vols. in-12. Le titre de cet ouvrage est incorrect, puisque 
lPauteur y décrit les conquêtes des Portugais en Asie et en Afrique 
plutôt que celles qu’ils ont faites en Amérique. À partir de cette 
publication on ne trouve plus le nom du Père Lafitau que dans une 
lettre qu’il écrivit de Paris en 1738. Ses derniers instants ne nous 
sont guères plus connus que les commencements de sa vie: l’année 
même de sa mort n’est pas très certaine ; toutefois on la place géne- 
ralement en 1740. Nous avions espéré trouver sur lui quelques ren- 
seignements précis, quelques détails dans les régistres du Sault St. 
Louis ; mais la perte de ces intéressantes annales, brûlées dans Pin- 
cendie de l’église de St. Rézis, où elles avaient éte transportées par 
le Père Gordon, est d’autant plus irréparable qu’il n’en existe pas 
même de copie au grefle. 

D’un.autre côté, les dictionnaires biographiques de PEurope 
disent peu de chose de l’historien des vieilles races de Amérique ; 
mais, en revanche, ils sont très explicites et tout particulièrement 
renseignés à l’égard d’un de ses cousins, évêque de Sisteron, qui, 
aux yeux de l’histoire, a le tort d’avoir été l’ami sinon la créature 
du cardinal Dubois (2). 


(1) Les exemplaires de cet ouvrage sont devenus assez rares et dispen- 
dieux. Il en existe plusieurs dans le pays. Celui du commandeur Viger 
est enrichi des notes précieuses de M. Joseph Marcoux, missionnaire des 
Iroquois de St. Régis, puis du Sault St. Louis, de 1813 à 1855, c'est-à- 
dire pendant 42 ans. Savant philologue, il composa une grammaire et un 
dictionnaire de la langue iroquoise, et plusieurs autres ouvrages encore 
inédits. Voir les Lettres sur l'Amérique de M. Marmier, et la Promenade 
en Amérique de M. Ampère. 


(2) Pierre François Lafitau, évêque de Sisteron, naquit à Bordeaux 
en 1685, d’un courtier de vin, et dut sa fortune à son esprit. Il entra 
fort jeune chez les jésuites et s’y distingua par son talent pour la chaire. 
Ayant été envoyé à Rome au sujet des disputes élevées par les jansé- 
nistes contre la bulle Unigenitus, il plut à Clément XI. Devenu évêque, 
il prit une part très active à la lutte prolongée entre Port-Royal et les 
jésuites. Il publia plusieurs ouvrages de polémique et plusieurs mande- 
ments. Ses ouvrages sont : “ Histoire de la Constitution Unigenitus,” 
1757 et 1758, 2 vols. in-12 ; “ Réfutation des anecdotes ou mémoires 
secrets sur l’acceptation de la bulle Unigenitus par Villefort,” 3 vols. 
in-12 ; “ Histoire de Clément XI,” 2 vols. in-12 ; ‘ Sermons,” 4 vols. in- 


AE 


Grâce, cependant, à un portrait qu’un homme, qu’ii faut toujours 
nommer quand il s’agit d’antiquités canadiennes, M. Viger, a tiré 
de loubli, nous pouvons donner à nos lecteurs une idée assez pré- 
cise de la personne du célèbre missionnaire qui fait l’objet de cette. 
notice. (1) | | 

Le Père Lafitau était de taille ordinaire, il avait les traits de la 
figure fins et délicats, le teint blanc et coloré. Son front, ses 
yeux et toute l’expression de sa physionomie, indiquaient une vive 
et pénétrante intelligence. Sa contenance devait être pleine de 
noblesse et d’une douce fermeté. En un mot, il nous apparait 
comme un de ces hommes d’élite qui peuvent renoncer à la gloire 
humaine ; mais que eette gloire va couronner partout, dans la ca- 
bane du sauvage, dans le désert, tout aussi bien que sur un théâtre 
plus élevé. 


Hospice VERREAU. 


12; “ La Vie et les Mystères de la Ste. Vierge,” 2 vols in-12, et plusieurs 
petits ouvrages ascétiques. Il mournt en 1764, à 70 ans, au château de 
Lurs, qui appartenait aux évêques de Sisteron.—Dict. Hist.'de Feller. 


(1) Le portrait que nous offrons à nos lecteurs était, ainsi que celui 
de Charlevoix, à la mission du Sault St. Louis, où personne, sauf M. Mar- 
coux, m'aurait pu les identifier, ce qu’il lui était facile de faire par la tra- 
dition transmise de missionnaire en missionnaire. Le commandeur 
Viger les fit restaurer et copier, par M. Duncan, pour son riche album. 
Le portrait de Charlevoix a été aussi reproduit par le pinceau de M. 
Antoine Plamondon, pour la cabine du vapeur qui portait le nom de 
l'historien de la Nouvelle-France. Cette toile a dà périr avee le vais- 
seau, brülé il y a quelques années, 


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MÉMOIRE 


PRÉSENTÉ A SON ALTESSE ROYALE MGR. 


LE DUC D'ORLEANS, 


RÉGENT DE FRANCE, 


CONCERNANT LA PRECIEUSE PLANTE DU GIN-SEXG DE TARTYARIE, 
DECOUVERTE EN AMERIQUE PAR 
LE PERE JOSEPH-FRANCOIS LAFITAU DE LA COMPAGNIE 
DE JESUS, MISSIONNAIRE DU SAULT ST. LOUIS. 


MOoxSEIGNEUR, 


Les ordres que Votre Altesse Royale envoya à M. Begon, (1) 
intendant du Canada, dès qu’Elle commença a prendre le soin 
du royaume, qu’il eut à contribuer à enrichir la botanique, et à 
favoriser ceux qui s’y occuperaient, ont été, ce semble, secondés 
du ciel par une découverte utile. Dans ce temps-là même, je 
trouvai dans ies forêts de la Nouvelle-France le Gin-seng des 
Yartares , si estimé à la Chine. Je regardai un évènement si heu- 
reux, comme une récompense de ce zèle que Votre Altesse Royale 
eut dès l’enfance pour perfectionner et pour faire fleurir les arts. 

A la Chine, Monseigneur, il n’est point de plante qu’on puisse 
comparer au Gin-seng. J’avoue que je me sentis agréablement 
flatté de cette idée quand j’en eus découvert en Canada. Ma joie 
fut plus grande encore lorsque je réfléchis que ma découverte ne 
serait pas tout-à-fait indifférente à un prince également attentif à 
proeurer l’avancement des lettres et l’avantage des peuples. 

A la vérité, j’ai longtemps appréhendé d’interrompre les soin: 
importants, que donne à V. À. R. le gouvernement d’un grand 
royaume , et de détourner son attention sur de petits objets. Enfin, 
j’ai cru qu’un esprit, supérieur comme le vôtre, n’est Jamais assez 
fatigué des affaires sérieuses, pour négliger entièrement les minuties 
même de littérature qui peuvent produire de Putilité au public. 


(2) M. Begon (Michel) fut intendant du Canada le 31 mars 1710 ; mais 
il ne vint au pays qu'en 1712. Il fut remplacé le 2 septembre 1726 par 
M. C. T. Dupuy et partit de Québec, le 19 octobre suivant. (M. S, du 
Commandeur Viger.) 


RE 


Dans cette persuasion, j’ai pris d’abord la liberté de lui faire 
présenter la plante que j’avais découverte. L’honneur que j’ai eu 
de la lui présenter moi-même , et la bonté qu’Elle a eue de ne pas 
dédaigner ce fruit de mes recherches, me donne aujourd’hui la 
hardiesse de rendre publiques mes remarques sur cette plante sous ’ 
les auspices et sous la protection de V. A. R. 4 

Je n’avais jamais entendu parler du Gin-seng étant en France. 
Cependant cette fameuse racine était déjà connue en Europe depuis 
plusieurs années, par les relations des Pères de notre compagnie, à 
qui ont été les premiers à en parler. C’est ce qu’on peut voir dans | 

! 
| 


Patlas chinois du Père Martini, dans l’histoire naturelle du Père 
Eusèbe de Nieremberg , et dans la Chine illustrée du.célèbre Père 
Kirker. Les vaisseaux français et hollandais qui nous l’ont apportée 
depuis, en ont rendu la connaissance plus certaine. 

Ce fut done par un pur hazard , que je commençai pour la pre- 
mière fois de connaître le Gin-seng. J’étais descendu à Québec - 
pour les affaires de notre mission, au mois d’octobre de l’année 
1715. | 

On a coutume de nous envoyer toutes les années un recueil des 
lettres édifiantes des missionnaires de notre compagnie , qui travail- 
lent en divers lieux du monde au salut du prochain. Ces lettres 
sont pour nous, qui nous trouvons dans les mêmes fonctions de 
zèle , un puissant motif de soutenir avec constance les travaux 
pénibles de nos missions. Rien en effet n’est plus capable d’adoueir 
nos peines, et de nous animer, que l’exemple de ceux de nos 
Pères qui, se trouvant dans la même situation que nous, paraissent 
compter pour rien toutes leurs fatigues, et s’estiment heureux, 
quand il a plu au Seigneur de donner quelque succès à PEvangile | 
qu’ils prêchent , ou les consoler des obstacles et des traverses qui | 
rendent leurs travaux stériles. Parmi ces lettres il y en a aussi de 
curieuses qui concernent les diverses matières qui ont rapport aux 
sciences et aux beaux arts, et qui souvent sont des découvertes utiles 
pour le bien de l’état et des colonies. Etant donc à Québec, le 
dixième recueil de ces lettres me tomba entre les mains; J’y lus 
avec plaisir celles du Père Jartoux. J’y trouvai une description 
exacte de la plante du Gin-seng , qu’il avait eu lieu d’examiner 
dans un voyage qu’il avait fait en Tartarie , l’an 1709. 

L’empereur de la Chine l’y avait envoyé pour y faire la carte du 
pays. Îl arriva qu’au même temps un corps de dix mille Tartares 
était occupé à chercher le Gin-seng par l’ordre du même prince, 
qui par tribut en retire deux onces de chaque Tartare, et qui 
achète d’eux le reste au poids de l’argent fin. Cependant ce qu’il 
en paye n’est que la quatrième partie de ce qu’il le fait valoir dans 
son empire , où il est vendu en son nom. 

Pour annoncer les vérités de notre religion à des peuples barba- 
res, et leur faire goûter une morale bien opposée à la corruption de 
leurs cœurs , il faut auparavant les gagner et s’insinuer dans leurs 
esprits en leur devenant nécessaire. Plusieurs de nos missionnaires 
ont réussi en différents endroits par quelque teinture qu’ils avaient | 
de la médecine. Je savais qu’en travaillant à guérir les maladies 
du corps ils avaient été assez heureux pour ouvrir à plusieurs les 


UL 
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JOUE — 


yeux de l’âme. Ils se sont souvent servi de ce moyen pour baptiser 
plusieurs enfants moribonds , sous prétexte de leur donner quelque 
remède. Je m’appliquois done d’autant plus sérieusement à la 
médecine , que les sauvages en sont très curieux, que quoiqu’ils 
aient de très bons remèdes, ils se servent encore plus volontiers 
des nôtres, et les employent préférablement aux leurs. Je me 
sentais en particulier du goût pour la connaissance des plantes , 
c’est ce qui me fit lire la lettre du Père Jartoux , par préférence aux 
autres lettres du même recueil. En parcourant cette lettre, et tom- 
bant sur endroit où ce Père dit, en parlaut de la nature du sol où 
croît le Gin-seng , que s’il s’en trouve quelqu’autre part du monde, 
ce doit être principalement en Canada , dont les forêts et les monta- 
gnes , au rapport de ceux qui y ont demeuré , sont assez semblables 
à celles de la Tartarie. Je sentis ma curiosité encore plus piquée 
par {espérance de le découvrir dans la Nouvelle France. 

Cette espérance était pourtant assez faible, et fit peu d’impression 
surmoi. Je ne retirai même de la lettre qu’une idée confuse et très 
imparfaite de la plante. Les occupations que j’eus pendant Phyver, 
qui est fort long et fort rude en Canada, achevèreut presque de 
effacer. Ce ne fut qu’au printemps qu’étant obligé de passer sou- 
vent par les bois, je sentis renaître en moi l’envie de faire cette 
découverte , à la vue d’une multitude prodigieuse d’herbes dont ces 
forêts sont remplies , et qui attiraient alors toute mon attention. Je 
tâchai donc de rappeler les idées que je m’en étais formé. Je parlai 
à plusieurs sauvages. Je leur dépeignis la plante de la manière que 
je pus. Ils me firent espérer que je pourrais en effet la découvrir. 

La nécessité a rendu les sauvages médecins et herboristes ; ils 
recherchent les plantes avec curiosité , et les éprouvent toutes ; de 
sorte que sans le secours d’une physique bien raisonnée, ils ont 
trouvé par un long usage, qui leur tient lieu de science, bien des 
remèdes nécessaires à leurs maux. Outre les remèdes généraux ;, 
chacun a les siens en particulier, dont il est fort jaloux. En 
eflet, rien n’est plus capable de les accréditer parmi eux que Ja 
qualité de bons médecins. [1 faut avouer qu’ils ont des forêts admi- 
rables, pour des maladies dont notre médecine ne guérit point. ls 
se traitent à la vérité un peu rudement , et dosent leurs purgatifs et 
leurs vomitifs comme pour des chevaux ; mais ils excellent dans la 
guérison de toute sorte de plaies et de fractures, qu’ils traitent avec 
une patience extrême, et avec une délicatesse d’autant plus mer- 
veilleuse que jamais ils n’y employent le fer. Ils guérisent leurs 
malades en peu de temps, par la propreté qu’ils entretiennent dans 
une plaie , elle parait toujours fraîche , et les remèdes qu’ils y appli- 
quent sont simples , naturels et de peu d’apprêts. 

Les Français, dans ce pays-là, conviennent qu’ils Pemportent sur 
nous en cette matiére. J’ai vu moi-même des cures surprenantes. 
Les missionnaires qui sont toujours avec les sauvages , qui ont toute 
leur confiance , et qui parlent communément leur langue comme 
eux-mêmes , sont presque les seuls en état de tirer d’eux des secrets 
dont le publie pourrait profiter. Cependant, ils ne paraissent pas y 
avoir pensé jusqu’à présent. Aussi, n’ont-ils pas été aussi heureux 
en découvertes que nos missionnaires du Pérou et du Brésil. Je 


2 


SR 


m’imagine qu’ils ont été détournés par la crainte de paraître approu- 
ver par leurs recherches , les superstitions des jongleurs ou des 
médecins , qui dans les commencements de l’établissement de la 
colonie , étaient le plus grand obstacle qu’ils trouvaient à la prédi- 
cation de l'Evangile. 

Les questions que j’avais faites aux sauvages sur le Gin-seng ne 
m’avancèrent pas beaucoup. Je puis dire qu’elles ne me profitèrent 
qu’autant qu’elles me donnèrent lieu de faire d’autres découvertes 
que j’espère perfectionner quand je serai de retour à ma mission. 
J’ose me flatter que je pourrai donner dans la suite des connaissan- 
ces au publie , qui feront plaisir à ceux qui aiment la botanique , et 
dont notre médecine pourra tirer quelque secours. (1) 

Ayant passé près de trois mois à chercher le Gin-seng inutile- 
ment , le hazard me le montra quand j’y pensais le moins , assez 
près d’une maison que je faisais bâtir. [Il était alors dans sa matu- 
nté ; la couleur vermeille de son fruit arrêta ma vue. Je ne le con- 
sidérai pas longtemps sans soupçonner que ce pouvait être la plante 
que je cherchais. L’ayant arrachée avec empressement , je la portai 
plein de joie à une sauvagesse que j’avais employée pour la cher- 
cher de son côté. Elle la reconnut d’abord pour l’un de leurs remè- 
des ordinaires , dont elle me dit sur le champ l’usage que les sau- 
vages en faisaient. Sur le rapport que je lui fis de l’estime qu’on 
en faisait à la Chine, elle se guérit dès le lendemain d’une fièvre 
intermittente qui la tourmentait depuis quelques mois. Elle n’y fit 
point d’autre préparation que de boire l’eau froide où avaient trempé 
quelques-unes de ces racines brisées entre deuxépierres. Ælle fit 
depuis deux fois la même chose, et se guérit chaque fois dès le 
même jour. 

Quelque présomption que j’eusse que la plante était du Gin-seng, 
je n’osais pourtant rien assurer n’ayant que des idées confuses de 
la lettre du Père Jartoux , que je n’avais pas en main, et dont l’ex- 
emplaire était à Québec. Je pris donc le paiti de faire une descrip- 
tion exacte de la plante trouvée en Canada ; je lenvoyai à Québec 
à un homme intelligent (2), afin qu’il la confrontât avec la lettre et 
avec la planche gravée , qui représente le Gin-seng de la Chine. 

On n’eut pas plutôt reçu ma lettre, qu’on partit pour Montréal et 
qu’on se rendit à notre mission, qui n’en est qu’à trois lieues. La 
personne habile et moi parcourûmes les bois, où je lui laissai le 
plaisir de la découvrir elle-même. Nos recherches ne furent pas 
longues. Quand nous en eûmes ramassé divers pieds, nous allâmes 
les confronter avec le livre dans une cabanne. 

À la vue seule de 11 planche, les sauvages reconnurent leur 
plante du Canada. Et comme nous en avions en mains les diffé- 


(1) On voit par ce passage que le Père conservait l’espoir de revenir 
au Canada. Comme il demeura en France, nous ne devons pas être sur- 
pris s’il ne s’est plus occupé de ces découvertes. 


(2) Cet homme intelligent, que le Père ne nomme pas, ne serait-il pas 
Michel Sarrazin, médecin du Roi et membre correspondant de l Académie 
des Sciences, célèbre en Canada par ses connaissances et par ses travaux ? 


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19 — 


rentes espèces, nous eûmes le plaisir de voir une description si 
exacte et une si juste proportion avec la plante , qu’il ny manquait 
pas la moindre circonstance dont nous n’eussions la preuve devant 
les yeux. 

Ma surprise fut extrême, quand sur la fin de la lettre du Père 
Jartoux, entendant explication du mot chinois qui signifie ressem- 
blance de l’homme, ou comme lPexplique le traducteur du Père 
Kirker, cuisses de l’homme , je m’apperçus que le mot iroquois 
garent-oguen (1) avait la même signification. En eflet, garent-oguen 
est un mot composé d’orenta , qui signifie les cuises et les jambes, 
et d’oguen, qui veut dire deux choses séparées. Faisant alors la 
même réflexion que le Père Jartoux sur la bizarrerie de ce nom, qui 
n’a été donné que sur une ressemblance fort imparfaite , qui ne se 
trouve point dans plusieurs plantes de cette espèce , et qui se ren- 
contre dans plusieurs autres d’espèces fort différentes , je ne pus 
m'empêcher de conclure que la même signification n’avait pu être 
appliquée au mot chinois et au mot iroquois sans une communica- 
tion d’idées, et par conséquent de personnes. Par là je fus confirmé 
dans lopinion que j'avais déjà et qui est fondée sur d’autres préju- 
gés, que l’Amérique ne faisait qu’un même continent avec lAsie, 
à qui elle s’unit par la Tartarie au nord de la Chine. (2) 

Quoique le Père Jartoux ait donné , comme je Pai dit, une des- 
sription exacte et fort détaillée de cette plante, je ne laisserai pas 
de la donner ici pour y ajouter les observations que j’y ai faites. La 
grande quantité qui m’en a, passé par les mains , donnera de Ia 
créance à mon récit. 

La racine a deux choses qu’il faut observer : une espèce de navet 
qui en fait le corps, et le collet du navet même. 

Le navet qui fait le corps de la racine est peu différent de nos 
navets ordinaires. Quand on Pa lavé il paraît blanchâtre en dehors 
et un peu raboteux. Quand on l’a coupé en travers, on voit un cerele 
formé par la première écorce qui est assez épaisse, et un corps 
ligneux fort blanc, qui représente un soleil par plusieurs lignes 
droites tirées du ceñtre au parenchyme , lequel en fait la circonfe- 
rence. La racine en séchant jaunit un peu, mais le dedans de ia 
racine coupée en long ou en travers conserve toujours parfaitement 
sa blancheur. 

Ces navets sont différens les uns des autres. 11 y en a qui ont 
beaucoup de fibres et d’autres qui n’en ont point ou presque point. 
Quelques-uns sont simples , longs et unis sans se diviser ; d’autres 


M. Dufrène pense que le véritable nom iroquois du gin-seng est Te karent- 
eicen. La particule Te indique la dualité et doit toujours s’employer lors- 
qu’elle parle de deux choses ; mais dans une bouche iroquoise, la pronon- 
ciation de ce mot est très douce F°Karent-oken. Quand au changement 
du g en #, on le trouve assez souvent dans les différentes dialectes iro- 
quois. 


(2) EH y a sans doute plas qu’une simple consonrance enfre l'iroquois 
orenta et les mots orhota, orkhoda, employés, le premier par les Tartares, 
le second par les Mantchoux pour désigner le gin-seng. 


CRE 


au contraire se distribuent en deux ou trois branches. Alors ils ne 
représentent pas mal le corps d’un homme depuis la ceinture en 
bas, ce qui lui a fait donner le nom de Gin-seng ou de Garent- 
ogüen. 

Le collet de la racine est un tissu tortueux de nœuds où sont 
imprimés obliquement et alternativement tantôt d’un côté tantôt de 
Pautre , les vestiges des différentes tiges qu’elle a eues , et qui mar- 
quent ainsi l’âge de cette plante , qui ne produit qu’une tige par ar: 


J’ai trouvé dans plusieurs le reste des tiges des deux ou trois années 
précédentes au-dessous de celles de l’année qui court , et au-dessus 
de celle-ci on voit se former en automne celle qui doit pousser le 
printemps d’après. En comptant les nœuds j’ai vu des racines qui 
marquaient près de cent ans. 

On voit souvent sortir du collet d’espace en espace deux ou trois 
de ces navets simples, aussi bien que quelques fibres, ce qui peut 
étre l’effet d’une trop grande abondance de sève , qui trouvant une 
issue par le collet, forme une nouvelle racine , ne pouvant se répan- 
dre et circuler toute entière dans la tige. On voit quelquefois sortir 


21 ; 


un nouveau collet à côté du premier, qui devient alors stérile, cette 
plante n’ayant jamais qu’une seule tige. 

La tige sort du collet environ deux ou trois pouces avant dans la 
terre. La difficulté qu’elle trouve à la percer et à se faire jour la 
gauchit (1) un peu ; mais dès qu’elle en est sortie , elle s’élève à la 
hauteur d’un pied ou même de plus d’un pied. Elle est ordmaire- 
ment fort droite et assez unie. 

Tandis qu’elle est dans la terre, la terre la blanchit ; mais dès 
qu’elle arrive au grand air, elle se colore d’un beau vert glacé d’un 
rouge amarante qui se confond et se perd aussi bien que ce vert 
foncé, à mesure qu’elle approche du nœud. 

Ce nœud se forme au sommet de la tige, et il est le centre de 
trois ou quatre branches , que je nomme ainsi, pour me conformer 
à la manière de parler du Père Jartoux, qui appelle branches ce 
qui n’est proprement que les queues des feuilles. Ces branches 
s’étendant horizontalement et s’écartant également les unes des 
autres, forment avec leurs feuilles une espèce de parasol renversé 
et assez arrondi. La couleur d’amarante et de vert se renouvelle au 
nœud , et se dégrade insensiblement en approchant des feuilles. 

Quelques-unes de ces tiges n’ont que deux branches. Il s’en 
trouve , au rapport du Père Jartoux , qui en ont cinq ou même sept. 
Je n’en ai point vu de si touffues en Canada. Les plus communes 
sont de trois ou quatre branches. Celles qui en portent quatre sont 
les plus belles et les plus agréables à œil. 

Chaque branche contient cinq feuilles inégales, et qui partent toutes 
d’un même centre, elles s’étendent en forme d’une main ouverte. La 
feuille du milieu est plus grande que les deux voisines , et celles-ci 
sont plus grandes que les deux plus basses. Le Père Jartoux dit 
qu’on ne voit jamais moins de einq feuilles à chaque branche ; j’en 
ai vu qui n’en avaient que quatre ou même que trois. Îl est cepen- 
dant facile de voir que c’est alors un dérangement produit par une 
cause étrangère ou par la faiblesse de la plante, qui n’a pas eu 
assez de suc pour se développer toute entière, et qui est devenue 
monstrueuse faute d’aliment. 

Les feuilles de la nouvelle plante sont oblongues, dentelées, et 
d’une finesse extrême ; elles se retrécissent et s’allongent vers la 
pointe. Le dessus de la feuille est d’un vert foncé , le revers en est 
plus blanchâtre , plus: uni et fort transparent. Les fibres qui se 
répandent sur toute sa superficie sont plus saillantes sur ce revers, 
eton y distingue de petits poils blancs et droits qui s’élèvent de 
distance en distance. Il faut cependant beaucoup d’attention pour 
les obServer , et on ne les apperçois bien qu’en les plaçant horizon- 
talement entre l’œil et la lumière. | 

Les couleurs de la tige et des branches s’éclaircissent à mesure 
que la plante approche de sa maturité; le vert se change en un 
blanc terne , le rouge n’est plus si foncé , et dans lautomne les 
feuilles en séchant prennent ou la couleur ordinaire de la feuille 
morte , ou une couleur vineuse pareille à celle des feuilles de la 
vigne rampante. 


(1) La force à se courber. 


SUR 


L. 4 


Au centre du nœud où se forment les branches , s’élève un pédi- 
cule d’environ cinq à six pouces, qui paraît être la continuation de 
la première tige, et soutient un bouquet de petites fleurs. En son 
temps, de très beaux fruits leur succèdent. Ils sont entés par leur 
base sur autant de petits filets ou pédicules particuliers de la lon- 
gueur d’un pouce et déliés à proportion, écartés à égale distance les 
uns des autres en forme sphérique. Ils composent une ombrelle à 
peu pres semblable par sa figure à celle du lierre , mais bien diffé- 
rente par la beauté de son fruit. Ces pédicules sont d’une couleur 
plus vineuse que le reste. | 

Je ne pus examiner la fleur du garent-oguen en 1716, que je le 
découvris ; le fruit était alors dans sa maturité. Ainsi, quand je 
Penvoyai en France, je n’en pus pas bien rendre raison. Je me 
trompai même, en prenant pour la fleur de petits fruits avortés ; 
mais l’ayant examinée au printemps passé, voici ce que je crois ÿ 
avoir observé. Quand le bouquet commence à s’épanouir , on voit 8e 
développer une fleur fort petite, mais bien ouverte et bien distincte. 
Elle a cinq feuilles blanchâtres en forme d’étoile, comme le font 
communément les fleurs des plantes en parasol ou en ombrelle. 
Elles sont soutenues par un calice, au centre duquel on voit un pis- 
til recourbé en deux petits filaments , et environné de cinq étamines 
couvertes d’une farine gruméleuse extrêmement blanche. Je ne 
puis rien dire de l’odeur ayant oublié d’y faire attention ; du moins 
elle n’avait pas d’odeur forte, puisque je ne m’en suis pas apperçu. 
Ces étamines sont bientôt desséchées , et cette poussière farineuse 
s’évopore en peu de temps. 

Le pistil de la fleur en s’unissant au calice devient un fruit, 
prend la figure d’un rein. Il se voûte par son sommet, où le calice 
de la fleur lui fait une couronne à cinq rayons, au centre de laquelle 
paraît la pointe du pistil ; à ses extrémités il s’arrondit en onillon, 
et s’applatit par ses côtés, où il se distingue par des lignes épaisses 
de bas en haut , en manière de côtes de melon ; mais à mesure que 
ce fruit se remplit, ces lignes s’effacent et paraissent peu sensibles ; 
la peau se rafine , devient plus mince , plus délicate , et couvre ure 
pulpe en chair spongieuse un peu jaunâtre , d’où sort un suc vineux 
et qui est à peu près du goût de la racine et des feuilles. Ce fruit 
est d’abord d’une couleur vert foncé, il blanchit en approchant de 
sa maturité ; quand il est mür, il est d’un beau rouge carmin, et il 
noircit en séchant à mesure que la peau se colle sur les noyaux. 

Quand le fruit est parfait , 1l renferme deux de ces noyaux sépa- 
rés en deux cellules, et posés sur le même plan. Il y a de ces fruits 
qui n’en ont qu’un et semblent un rein coupé par le milieu. J’en 
ai trouvé un disposé en forme triangulaire et qui avait trois noyaux. 
Ces noyaux ont aussi la figure d’un rein, ils sont durs, distingués 
en côtes de melon comme le fruit ; l’amande en est blancke , et 
d’un goût un peu amer, ainsi que le reste de la plarite. 

Outre ce bouquet on remarque souvent un ou deux de ces fruits 
portés sur des pédicules séparés et attachés au pédicule commun à 
deux pouces au-dessous de l’ombelle. Quelquefois il en naît plu- 
sieurs qui partent du nœud d’où sortent les branches. J'ai vu une 
de ces plantes qui me parut plus extraordinaire, elle avait un second, 


de it osé à 


RTE 
«&, 
# 


UT |: 


bouquet bien formé qu’elle portait sur un second pédicule commun , 
qui s’élevait à côté du premier. (1) e 

- Le Père Jartoux dit que c’est alors un signe qu’on en doit trouver 
d’autres en suivant le rumb de vent que ces fruits indiquent. Je 
n’ai point remarqué, au pays où j'étais, que cette observation fut 
juste. Je crois qu’on n’en peut rien conclure si ce n’est que ces 
plantes ont plus de force, qu’elles sont mieux nourries , et que peut- 
être elles sont dans un terrain ou dans une situation plus avanta- 
geuse à leur accroissement. 

On devrait, ce semble , porter le même jugement des tiges qui 
ont plus ou moins de branches. Il serait natuiel de croire qu’elles 
les produisent ou plus hautes ou en plus grand nombre, à propor- 
tion de leur force , et d’ailleurs que leurs racines devraient être 
plus grosses et mieux nourries, à mesure qu’elles vieillissent. 
Après tout , ce ne sont point là des règles sur quoi l’on doive comp- 
ter. On voit des tiges très hautes qui n’ont que deux branches, &t 
d’autres qui en ont quatre qui sont fort basses et fort petites. Il se 
trouve des racines fort vieilles qui sont très-maigres , d’autres au 
contraire qui n’ont que sept ou huit ans , et qui sont singulières par 
leur grosseur. La même racine est peut-être plus charnue une 
année , et plus maigre l’année d’ensuite , du moins est-il certain 
qu’elles souffrent diverses altérations selon les saisons. Au prin- 
temps elles sont très spongieuses et leur suc n’a point de consis- 
tence. J’en ai vu l’expérience dans celles qui ont été cueillies en 
ce temps-là. Elles ont diminué considérablement, au lieu que 
celles qu’on cueille en automne sont plus fermes, plus solides , et 
ne dépérissent pas , comme ayant atteint le point de leur maturité. 

Il y a des tiges particulières qui ne portent jamais de bouquet. 
Alors ce gin-seng ne ressemble pas mal de loin à la salsepareille , 
qu’on appelie en Canada par corruption chassepareille. Ce nest 
point la çarça pariila des Espagnols, qui est une espèce de smilax : 
mais une autre plante qui jette une tige d’un pied ou d’un pied et 
demi de haut, terminée par trois ou quatre branches, qui d’ordinaire 
produisent chacune cinq feuilles, c’est là ce qui de loin la fait res- 
sembler au gin-sens. Je dis de loin , car à l’examiner de près on y 
trouvera une différence essentielle et presque totale. Celle-ci jette 
une racine grêle , également unie, fibrée de distance en distance et 
tres longue , ce qui lui a fait donner le nom de T'sioterese ou de 
longue racine. Elle marque son âge par des anneaux entassés les 
uns sur les autres , et les tiges qui se renouvellent toutes les années, 


(1) Toute cette description est d'une exactitude vraiment admirable, 
Un de nos amis nous écrit qu’après l’avoir lue attentivement, il a pu recon- 
naître la présenee du gin-seng dans le bois de St Joseph du Lac des 
Deux-Montagnes. Nous même, avec M. le Commandeur Viger, et M. 
Bellemsre, nous en avons cueilli plusieurs pieds des plus beaux. et encore 
chargés de leur fruits près de l’.Abord à Ploufe, et tous ceux à qui nous 
les avons montrés nous ont témoigné à peu près la même surprise que les 
sauvages témoignèrent au P. Lafitau en reconnaissant “leur plante du 
Canada ”— C’est là le gin-seng : mais il y en a partout! Toutefois nous 
verrons plus loin qu’il y en a peu dans le district de Québec. 


NT "Ve 


sortent du centre de ces anneaux à fleur de terre, où elles commen- 
cent par un gros bouton. Une seule racine de cette plante produit 
jusqu’à trois collets , d’où s’élèvent autant de tiges. Le fruit ne soit 
point de la tige qui porte les brancies et les feuilles ; mais il s’élève 
de la racine même sur un pédicule d'environ cinq ou six pouces; 
d’où maussent une , deux, ou même trois ombelles ou bouquets sem- 
blables à ceux du lierre. Son fruit est petit, noir, pentagone cou- 
ronné , et renferme de petites semences. Les feuilles s’étendenr 
comme celles du gin-seng , elles ne naissent point du même point 
central, mais d’espace en espace , le long des branches qui n’en 
ont quelquefois que trois , assez souvent sept , mais plus ordinaire- 
ment cinq. Les Français en foi.i une grande estime, et les sauvages 
la mettent au rang de leurs vulnéraires , mais élle n’est que dela 
troisième espèce. Quand jenvoyai le gin-seng en France dans 
Pesprit de vin , une personne qui avait eu ordre de le chercher, y 
apporta cette salseparelle ; elle ne s’y serait pas méprise si elle 
avait fait toutes ces observations. Ii est d’autant plus surprenant 
qu’elle ne les ait pas faites qu’elle avait le livre en mam. 

Etant en Canada je n’avais garde de m’imaginer qu’en France 
on put révoquer en doute si la plante que javais découverte était le 
véritable gin-seng. Je ne le connaissais que par la lettre du Père 
Jaïrtoux , je n’en avais jugé que par la conformité que je trouvais 
entre cette plante et la planche qu est gravée dans la lettre du Père 
Jartoux , et par l’exacte description qu’il en fait. Je me persuadais 
que la comparaison qu’on ferait de cette planche et de cette lettre 
avec la plante entière que j’envoyais dans l’esprit de vin sufhrait pour 
en convaincre d’un seul coup d’æil. Cette plante se conserve en- 
core dans le cabinet de monsieur de Jussieu, docteur en médecine 
de la Faculté de Paris, qui remplit aujourd’hui avec beaucoup d’éclat 
et de réputation le poste de professeur royal des plantes au jardin 
du roi , dans lequel 1! a succédé à monsieur Fagon et à monsieur de 
Tournefort, deux des plus habiles hommes que ia France ait eu dans 
la médecine.et dans la botanique. 

Il me semble même qu’on devrait en être convaincu par la com- 
paraison seule qu’on ferait des racines venues du Canada avec celles 
qu’on apporte de la Chine. Je les ai en eflet examinées et confron- 
tées depuis que je suis à Paris. Il faut convenir que plusieurs sont 
si ressemblantes, qu’on ne pourrait les discerner si elles étaient 
confondues. Cependant celles de la Chine , à parier en général , se 
distinguent par une couleur un peu plus jaune , que les Chinois 
aiment , et qu’ils lui donnent par artifice de la manière dont Je le 
dirai ci-après. Elles ont de plus une certaine transparence ; qu’elles 
acquièrent en vieillissant , les pores de la racine étant alors plus 
droits , et les fibres plus pressées et plus unies; Peau bouillante 
dans laquelle on les fait macérer peut encore y contribuer. 

Cependant j’ai appris que monsieur Dauti d’Isnard , docteur en 
médecine , ancien professeur royal des plantes au jardin du roi, 
avait fait naître des doutes à l’Académie Royale des Sciences, et 
qu’ils avaient paru très-bien fondés à quelques personues de cet 
illustre corps. 

Toute la difficulté roulait sur l’autorité qu’on devait donner au 


EL" 


Père Jartoux. On lui opposait celle de M. Kæmpier , auteur alle- 
mand , qui a imprimé en 1712, un livre intitulé: Amænitglum 
Exoticarum Politico-Phisico-Medicarum. ... Fasciculi V. &c. En 
parlant du gin-seng il nous donne une figure de cette plante entie- 
rement diflérente de celle du Père Jartoux. Ainsi, autorité pour au- 
torité, 1} paraissait qu’il y avait raisonnablement lieu de douter. Le 
mérite de celui qui proposait le doute en pouvait fonder un plus que 
suffisant. 

Monsieur Kæmpier n’est pas le seul qu’on puisse opposer au Père 
Jartoux. Monsieur Jean-Philippe Breynius a fait imprimer à Leyde 
en 1700 , une dissertation sur cette racine , et a fait graver une figure 
de la même plante , qui n’a nui rapport avec celle de M. Kæmpfer, 
et à celle du Père Jartoux. Il est vrai qu’il ne fait, ce semble , que 
la hasarder , ne sachant quel parti prendre , tant les auteurs varient 
sur ce point. Il en cite plusieurs , et surtout Mentzelius, qui en 
donne sept ou huit figures d’un genre tout différent. Il rapporte 
ensuite la raison de cette variété , qu’il attribue aux divers noms 
qu’on lui donne. Il est probable que ces différents noms sont les 
noms de diverses plantes qu’on aura, mal à propos , confondues 
avec une seule. 

Il est facile à des gens qui se trouvent dans un pays étranger de 
tomber dans cette forte erreur par rapport à plusieurs choses, mais 
surtout par rapport à une plante qui est étrangère elle-même au 
pays où ils se trouvent. On raisonne avec des peuples dont on n’en- 
tend point la langue et dont on n’est point entendu. On comprend 
une partie des choses qui se disent par gestes et par signes, on 
croit comprendre le reste , et de là naït ordinairement une confusion 
qui divertit ceux qui sont au fait. J’ai souvent eu ce plaisir en 
voyant les Français jargoner avec nos sauvages , et je suis tombé 
souvent moi-même dans le cas avant que je susse leur langue. 

Il paraît donc vraisemblable que tous les auteurs qui nous ont 
donné des figures différentes de cette plante , ue nous les ont don- 
nées que sur des mémoires infidèles , trompés eux-mêmes par d’au- 
tres qui l’avaient été avant eux. Il paraît naturel au contraire de 
croire que le Père Jartoux qui a vu la plante en Tartarie , endroit 
où tout le monde convient qu’on ia recueille , et qui s’y est trouvé 
avec ceîte armée de Tartares que l'Empereur de ia Chine employait 
à Ja ramasser , nous en a donné une figure et une idée plus juste 
que M. Kæmpfer et les autres auteurs qui n’y ont jamais été. 

La figure que le Père Jartoux a dessinée lui-même doit paraître 
d’autant moins suspecte , qu’elle se trouve très-parfaitement con- 
forme à la plante découverte en Canada. On peut dire même que 
celle-ci ne la été qu’à la faveur de cette figure et sur les conjec- 
tures de ce Père. Ïi a raisonné juste en jugeant sur l’idée qu’on lui 
avait donnée du Canada, que cette plante y devait croître plutôt 
qu'ailleurs , à cause de la ressemblance de climat et de terroir qu’a 
cette partie de lAmérique septentrionale avec les forêts de la 
grande Tartarie. 

C’est sur ces raisons que M. de Jussieu et M. Vaillant m'ont fait 
Phonneur de me dire qu’ils ne doutaient point que la plante du 
Père Jartoux et celle qui vient du Canada ne fussent le véritable 


MN) | 2e 


gin-seng. L’un des deux m’a ajouté qu’il ne croyait pas que déso+- 
mais on en püt douter. 

Ce qu’on pourrait dire pour justifier M. Kæmpfer, qu’on ne croit 
pas avoir voulu imposer au public de gaieté de cœur, c’est qu’il se 
peut faire qu’il croisse au Japon une plante doïit la racine a quelque 
rapport au gin-seng, mais dont la tige et les propriétés sont bien 
différentes. [l semble l’avoir voulu insinuer lorsqu'il dit qu’il est 
défendu au Japon, par une loi expresse, de la vendre pour de véri- 
table gin-seng ou Misi. Cet auteur s’est trompé en croyant que 
c’est le vrai gin-seng transplanté au Japon, où il a, dit-il, dégénéré 
de sa vertu. Les Japonais n’ont du véritable gin-seng que les 
racines qu’ils achètent des Chinois avec qui ils font commerce. 

Ma conjecture sur cela est fondée sur celle de M. Breynius. Cei 
auteur ayant observé une différence assez considérable entre les 
racines venues de Ja Chine et d’autres qui avaient été envoyées du 
Japon, établit deux espèces de gin-seng ou de Nisi. Il appelle Pun 
Nisi de Corée ou de la Chine, et l’autre Nisi du Japon: il prononce 
ensuite sur celui du Japon en ces termes: Je soupçonne que la 
plante de la racine Nisi qui croît au Japon, est de tout un autre 
genre que celui de la Chine, quoique je ne puisse dire quel il est. 
Cet auteur ajoute que celui du Japon a bien moins de vertu que 
celui qui vient de la Chine. 

Ce qui aura encore pu contribuer à l’erreur de M. Kæmpfer et de 
quelques autres auteurs, c’est qu’on donne probablement au Ja 
le nom de Nisi à des plantes de différent genre, mais dont les raci- 
nes ont quelque rapport avec la signification du mot. Je suppose ici 
que le mot Nisi qui est le nom japonais, a la même signification 
que les mots gin-seng et garent-oguen, qui veulent dire la ressem- 
blance de l’homme. 

Monsieur Kæmpfer, dit lui-même, qu’on donne dans le Japon le 
même nom de Nindsin aux panais des jardins et aux panais sauva- 
ges, comme on le donne à la plante qu’il croit être le vrai a1r-seng 
transplanté au Japon. 

Guillaume Pison dit la même chose, c’est peut-être pour cela 
qu’il donne sur la foi d’autrui, une figure du gin-seng qui approche 
de celle des panais. Mais il dit en même temps qu’aucun des Hol- 
Jlandais n’a vu la plante, qui ne +e trouve que dans le Katay et dans 
la Péninsule de Corée, dans la profondeur des terres, et à plus de 
deux cent lieues de la mer. 
$,Un auteur de bonne foi pourrait tomber dans le même inconvé- 
nient en Canada par rapport à cette plante-là même, si quelqu’un 
qui ne connut pas le gin-seng, allait le demander à un Iroquois sous 
le nom de garent-oguen, que nos sauvages lui donnent, on pourrait 
lui présenter une autre plante qui a le même nom de garent-oguen, 
et dont la racine ressemble encore plus parfaitement au corps de 
Phomme  J’y ai distingué communément les bras et les cuisses, 
ce qui n’est pas si ordinaire aux racines du gin-seng. Cet homme, 
dis-je, ainsi trompé, se croirait bien autorisé à nous donner cette 
plante pour le vrai gin-seng, cependant il y a une différence entière. 
Celle-là n’a qu’une seule feuille dentelée, épaisse, longue d’environ 
sept ou huit pouces, large par sa base à proportion, et terminée en 


LED — 


pointe ; elle n’a point de tige. Les sauvages disent qu’elle ne 
pousse ni fleur ni fruit; et c’est peut-être la raison pour quoi ils 
ajoutent au nom de yarent-oguen celui de Tsiohontati qui signifie 
qui n’a qu’ure feuille. Les sauvages mangent la racine de cette 
plante au printemps, aussi bien que d’autres racines et des pommes 


_ de terre, ils s’en servent aussi comme d’un remède topique, pour 


les genoux et les autres parties du corps, lorsqu’elles sont enflées. 

J’ai appris à Paris que M. de Sarrazin, conseiller au conseil supé- 
rieur de Québec, médecin et botaniste du roi, correspondant de 
l’Académie Royale des Sciences, qui certainement est très-habile 
dans son art, dont il parle avec beaucoup de grâce, et qui l’exerce 
avec beaucoup de capacité et de succès, avait autrefois envoyé du 
Canada entre plusieurs plantesde ce pays-là , celle que j’ai décou- 
vert pour être le vrai gin-seng, et qu’il l’avait envoyé sous le nom 
dAratia. Il ne pouvait pas alors la connaître pour ce qu’elle est, 
la fettre du Père Jartoux n’ayant pas encore paru dans ce temps-là. 
Il en avait aussi envoyé une autre espèce beaucoup plus petite 
sous le même nom d’Aralia, je l’ai vue dans l’herbier du célèbre 
M. Vaillant. 

Tous les auteurs qui parlent du gin-seng, s’accordent à lui don- 
ner de très grandes vertus. 

Les Chinois et les Japonais, dit M. Kæmpfer, rapportent diverses 
propriétés de ces racines. Les principales sont, qu’elles fortifient, 
qu’elles engraissent, qu’elles sont utiles pour les maux de reins. 1l 
n’est presque point de médecines et il n’est point de cordiaux où ils 
ne les fassent entrer après les avoir réduites en poudre. 

Elle augmente les esprits vitaux, dit le Père Martini, quoi qu’on 
“’en prenne que la douzième partie d’une once. Quand on aug- 
mente la dose elle sert à rétablir les forces perdues, et à fortifier les 
faibles et Les débiles. Elle échauffe agréablement et doucement le 
corps, lorsqu’on la fait bouillir au bain-marie. Quand elle est cuite 
elle exhale une odeur aromatique ; ceux qui sont d’un tempérament 
fort et robuste, et qui ont une grande chaleur naturelle, courent ris- 
que de perdre la vie s’ils en mangent, parce qu’elle augmente trop 
leurs esprits et leur chaleur. Il n’en est pas ainsi des malades ou des 
personnes affaiblies par une longue maladie, elle fait sur eux des 
espèces de miracles. Les mourants même trouvent quelquefois du 
soulagement a en user, par là leurs forces s’augmentent, et ils se 
trouvent en état de prendre les remèdes qui leur sont nécessaires 
pour le recouvrement de leur santé. Les Chinois racontent mille 
autres merveilles de cette racine, aussi la vend-on très cher, et l’on 
en donne trois fois autant d’argent qu’elle pèse. 

Nous pouvons dire avec assurance, ajoute le Père Kirker, que 
sette herbe est merveilleuse, qu’elle a le pouvoir de rétablir la cha- 
leur naturelle et les forces perdues, c’est ce que l’expérience nous 
en a appris. 

Les plus habiles médecins de !a Chine, écrit le Père Jartoux, ont 
fait des volumes entiers sur les propriétés du gin-seng. Ils le font 
entrer dans presque tous les remèdes qu’ils vendent aux grands sei- 

eurs, car il est d’un trop grand prix pour le peuple. Ils préten- 

ent que c’est un remède souverain pour les épuisements causés 


par des travaux excessifs du corps ou de esprit, qu’il dissout les 
phlegmes, qu’il guérit la faiblesse du poumon et la pleurésie, qui 
arrête les vomissements, qu’il fortifie l’estomac et ouvre appétit, 
qu’il dissipe les vapeurs, qu’il remédie à la respiration faiblezet 
précipitée en fortifiant la poitrine, qu’il augmente les esprits vitaux 
et produit de la Iymphe dans le sang ; enfin qu’il est bon pour les 
vertiges et les éblouissements, et qu’il prolonge la vie aux vieillards. 

En lisant dans la lettre du Père Jartoux tous ces admirables effets, 
je doutais presque si ce n’était point là un de ces panacécs univer- 
sels, et de ces remèdes à tous maux, que l’on vante au delà de leur 
mérite. Quoiqu’il assure en avoir fait expérience dans une occa- 
sion où il était si fatigué et epuisé, qu’il ne pouvait se tenir à che- 
val, je n’étais pas tout à fait bien convaincu. 

J’ai trouvé cependant le Père Jartoux bien modéré, quand jai lu 
dans M. Breynius le détail des proprietés du gin-seng, tel qu’il 
avait été envoyé du Japon. Ce détail est magnifique. Il paraît outré 
à la vérité, et M. Breynius en convient ; mais il en rapporte lui- 
même de belles expériences, qui ont rapport à presque toutes les 
maladies dont il est fait mention dans les relations du Japon. Il 
assure que ces épreuves ont été faites à Leyde, et qu’elles ont été 
recueillies par M. Frédéric Dekkers, recteur et professeur du collége 
de médecine de cette ville. Sur ces expériences on peut juger 
qu’on ne saurait trop vanter une racine aussi précieuse et aussi sou- 
veraine que l’est celle-ci. 

Ce qu’on pourrait peut-être objecter de plus plausible, en avouant 
que la plante du Canada est la même que celle de Tartarie, c’est 
qu’il se pourrait faire qu’elles n’eussent pas les mêmes propriétés ; 
mais si cette difficulté avait lieu, ce serait infirmer la vertu de toutes 
les plantes ; aussi voyons-nous que les médecins n’y ont pas beau- 
coup d’égard, puisqu’ils employent communément les herbes qui se 
cueillent dans.le pays où ils se trouvent, quelque autre part du 
monde qu’on ait reconnu en premier lieu leur efficacité. Les plantes 
sont à peu près partout les mêmes. Celle-ci vient naturellement en 
Canada comme en Tartarie ; c’est à peu près le même terrain et le 
l’autre pays, il est donc naturel même climat dans l’un et dans de 
conclure que le gin-seng qui croit en Canada est aussi semblable 
par sa vertu à celui qui croît en Tartarie, qu’il lui est semblable 
par la figure; mais les expériences qu’on en a faites, et celles 
qu’on en fera dans la suite, décideront plus efficacement cette 
difficuité. 

Je demandai d’abord à nos sauvages quel usage ils en faisaient. 
On en use, me répondirent-ils, pour purger les enfants au berceau. 
Ils disent qu’elle n’est pas assez forte pour purger des person- 
nes plus âgées ; c’est là sans doute ce qui la fait appeler par quel- 
ques-uns Ja médecine des enfants. Les sauvages s’en servent 
aussi pour réveiller l’appétit, quoique le dégoût soit une maladie peu 
ordinaire parmi eux. Un Huron et un Abenaqui, tous deux habiles à 
leur maniere, me dirent qu’ils Pemployaient pour la dissenterie, mais 
qu’ils le mélaient avec d’autres plantes. Ces réponses et j’expé- 
rience de la sauvagesse dont j’ai déjà parlé, qui s’était guérie trois 
fois de la fièvre, était tout ce que j’en savais quand j’envoyai le gin- 


? 
à 
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; 


+ métihots eh: es. +. ps sf ie SR 


| 


LEURS 


seng du Canada à Paris, et que le Père le Blanc (1) eut l’honneur de 
le présenter, Monseigneur, à V. A. R. J’en avais fait l’épreuve 
sur moi-même, et je m'étais persuadé que par son usage je m'étais 
guéri d’un reste de rhumatisme dont j'étais très fatigué, et dont je 
wai plus rien ressenti. Je m’en suis servi depuis pour un flux de 
sang commencé que j’emportai d’une seule prise. 

Je n’envoyai que peu de gin-seng à Paris,'et je n’en envoyai que 
pour le faire voir. Je ne laissai pas d’en adresser une petite boîte 
en province, à une personne incommodée pour laquelle je m’inté- 
ressais, elle était malade depuis dix-neuf mois. Le principe de son 
mal était un dérangement d’estomac qui avait si fort empiré qu’il s’y 
était joint une fièvre intermittente, avec une insomnie perpétuelle, 
et un très grand dégoût. Le quinquina dont elle usait ne lui ôtait 
la fièvre que pour peu de jours, il lui causait même une grande ar- 
deur dans le sosier et l’échauffait considérablement. Ceux qui m’é- 
cñvaient à son sujet m’en parlaient comme d’une personne de qui 
il n’y avait plus rien à espérer. 

Dès qu’elle eut reçu ces racines, elle en usa durant sept jours de 
suite. Dés les premiers jours elle recouvra lappétitet le sommeil : 
mais la fièvre lui augmenta si considérablement sur la fin, qu’elle 
en serait morte, dit-elle, si elle eut eu un troisième accès semblable 
aux deuxäpremiers qu’elle avait eu. Elle crut devoir interrompre 
lPusage du gin-seng. Son médecin lui fit entendre que cette augmen- 
tation de fièvre pourait plutôt venir de ce qu’elle avait usé de quel- 

ues-unes de ces racines moisies, que de la nature même du remède. 

Île en reprit et guérit. Il y a un mois, écrit-eile, que je n’ai plus de 
fièvre, et de tout mon mal, il ne me reste plus que de la maigreur. 

Je n’ai point fait mystère en Canada de ma découverte. A pré- 
sent tout le monde y connaît le gin-seng, surtout à Montréal, où tout 
cet été les sauvages le sont venu vendre au marché, et l’ont même 
vendu assez chèrement. L’abondance qu’on en a eue a donné lieu 
à plusieurs expériences. 

Monsieur de Louvigny (2), lieutenant du roi de Québec, et l’un des 
plus sages et des plus braves ofliciers qu’ait Sa Majesté, en connaît 
lusage et la bonté. Après avoir terminé heureusement et glornieu- 
sement, en 1716, la guerre que nous avions contre une nation de sau- 
vages qu’on nomme les Outagamis ou les Renards, il est remonté à 
Müissilimakinak, en 1717, pour les obliger à tenir les conditions 
qu’il les avait forcé d’accepter en leur donnant la paix. Il m’a fait 
lhonneur de m'écrire de ce pays-là, qu’il y avait trouvé le gin-seng, 
qu’il l’avait conseillé aux sauvages, chez qui la petite vérole eou- 


(1) Le Père le Blanc (Augustin) arriva dans ce pays en 1697; en 
1698 il fut envoyé à St. François de Sales, avec le P. Bigot ; en 1699 il 
était Père Spirituel au Collége de Québec ; enfin il repassa en France en 
1700 (MS. du R. P. Martin). La Lisie de M. Noiseux fait venir ce Père 
en 1690, et marque son départ en 1715. 


(2) M. de la Porte Louvigny fut une des nombreuses victimes qui pé- 
rirent dans le naufrage du Chameau, le 25 août 1725. Il venait d’être 
nommé Gouverneur des Trois-Rivières. 


PC (VE 


rait pour lors, et que ces sauvages s’en sont servis avec succès. 
C’est en effet un excellent cordial. 

Une personne de caractère et de distinction, mais réduite presque 
toutes les années à l’extrémité par un asthme, résolut de s’en servir. 
Dès les premières prises elle y reconnut un effet si prompt, qu’elle 
avouait qu’on lui ôtait, ce semble, le mal avec la main. 

Des personnes âgées en ayant fait asage pour des fluxions et des 
rhumatismes, qui les rendaient comme impotentes, depuis quelques 
années, en ont été délivrées par une espèce de prodige. 

Cette racine est véritablement amie de lestomac, en remet les 
levains, dissipe les humeurs froides, pituiteuses et serophuleuses, 
subtilise le sang, lui Ôte sa grossièreté, et est un spécifique pour y 
rendre fluide la lymphe. Elle ouvre les conduits des reins et pousse 
au dehors les sables et les matières glaireuses. Eiïle excite sensi- 
blement l’appétit, et fortifie véritablement. La chaleur qu’elle ex- 
cite est douce, proportionnée à la chaleur naturelle, et propre à faire 
une bonne action et par là à remédier à presque tous les maux qui 
sont produits par les défauts de digestion. 

C’est en particulier un excellent fébrituge : Je connais äu moins 
trois où quatre personnes qui ont été guéries de-fièvre lentes de deux 
ans, en très peu de jours. Monsieur Breynius dit que quand on en 
a pris, la fièvre diminue de moment en moment. La sauvagesse 
dont J'ai déjà parlé, m’assura qu’elle avait expérimenté la même 
chose. Cependant quelques personnes en Canada ont éprouvé un 
effet contraire, et fait les mêmes plaintes que celle à qui je l’avais 
envoyé en France. Peut-être que ces différences viennent de 
la variété des tempéraments, de la disposition où l’on se trouve, 
ou de la manière de le prendre. Sur quoi les épreuves qu’on en fera 
dans la suite achèveront de nous instruire. Pour moi j’ai de la peine 
à croire que son usage puisse être nuisible, tant sa chaleur me paraît 
douce. Il me semble pourtant qu’il est meilieur pour les fièvres 
chroniques et lentes que pour les fiévres aiguës. Je ne voudrais pas 
non plus le donner dans lacces de la fièvre. Les personnes même 
d’un tempérament trop vif doivent en user avec précaution ; mais 
on le conseille aux personnes âgées et languissantes. (1) 

La manière de prendre le gin-seng, selon M Kæmpfer, est de le 
réduire en poudre. La dose est d’une dragme et demie, infusée 
apparemment dans quelque liqueur. 

On peut s’en servir de cette manière, selon le Père Jartoux. On 


(1) On aimera peut être à comparer le passage précédent avee ce que 
dit ailleurs le P. Lafitau. 

“ Le gin-seng, dont il est probable que Théophraste a voulu parler, et 
dont les Tartares, qui sont les véritables Scythes, font un si grand usage, 
a la vertu de soutenir, de fortifier et de rappeler les forces épuiseés. Ils 

-a aussi un petit gout de réglisse, ainsi que je l’ai dit dans l’écrit que jai 
composé au sujet de celui que j'ai découvert en Canada, et qu’il est facile 
de s’en assurer bar l'essai de la plante même. Théophraste ne donne 
point d'autre nom a la plante dont il parle, et a laquelle il attribue une 
si grande vertu, que celui de Scythica.” 


(Meurs des Sauvages etc. t. 2 p. 141.) 


—31— 

coupe la racine par tranches. Il en conseiile aux personnes mala- 
des la cinquième partie d’une once, et la dixième partie à ceux qui 
n’en prennent que pour se conserver dans leur embonpoint, encore 
ne croit-il pas qu’on doive en faire un usage journalier. On met cette 
dose dans un vaisseau de terre bien bouché, sur un demi septier 
d’eau qu’on laisse bouillir jusqu’à ce qu’il soit réduit à une bonne 
tasse. On le prend aussi chaud qu’on peut, et on le mêle avec un 
peu de sucre pour en corriger le goût, qui paraît d’abord un peu dé- 
sagréable. Ce goût consiste dans un sentiment de jus de réglisse, 
mais qui à un peu plus d’amertume. Quand on y est accoutumé il 
fait plaisir, et on sent en même temps une chaleur douce dans la 
bouche et dans l’estomac qui déclare sa force et sa vertu. On peut 
remettre pareille quantité d’eau sur la même dose, et il est bon même 
la seconde fois. C’est ainsi qu’on en use pour le thé. Je croirais 
qu’il serait meilleur infusé dans le vin blanc. On en pourrait faire 
même une eau comme l’eau de genièvre, qui aurait pour le moins 
autant d'efficacité, et qui aurait les mêmes usages. 

On peut le prendre à jeun, ou mieux encore, après avoir mangé, 
car il aide la digestion, et guérit même l’indigestion. Une personne 
digne de foi m’a assuré en avoir été guérie subitement. 

Les Chinois ne se servent que de la racine du gin-seng. Le fruit 
n’est bon à rien. Le Père Jartoux assure que les feuilles prises en 

ise de thé, sont aussi bonnes ou meilleures que le thé même. 
pes personnes ont fumé de ces feuilles en Canada, Le goût 
et l’odeur selon leur rapport en sont agréables, et leur fumée abbat 
les vapeurs. 

Personne que je sache n’a encore fait l’analyse du gin-seng. Le 
frère apotiquaire des Jésuites de Québec, très bon pharmacien, se 

ropose de travailler l’an prochain à découvrir l’usage qu’on en peut 
aire par la chimie. J’en ai mis au feu, il n’y brûle point, ce qui 
me fait juger qu’il a peu de résine; il ne pétille point aussi, ce qui 
marque qu’il a peu de sels fixes. On peut présumer que sa vertu 
consiste dans un alcali mêlé de quelques sels volatiles. M. Brey- 
nius rapporte dans la dissertation les expériences qu’on en a fait et 
qui ont réussi. Il rapporte aussi les diverses manières dont il a été 
dosé et mêlé avec d’autre remèdes proportionnés aux maladies pour 
lesquelles on le donnait. Messieurs de l’Académie Royale des 
sciences, par les expériences qu’ils seront en état de f-ire quand ils 
auront une suflisante quantité de ces racines, mieux conditionnées 
que celles qui viennent de la Chine, poussant plus loin leurs con- 
naissances, nous mettront en état de profiter encore mieux des ver- 
tus.de cette plante. Il faut avouer que nous ne la connaissons pas 
encere assez bien, parceque nous ne la connaissons que par des sau- 
vages, des Chinois et des Japonais, qui dans le fonds sont de mau- 
vais médecins, peu instruits des principes de l’anatomie et des rè- 
gles de Part. Cependant, il faut avouer aussi qu’elle ne serait pas 
si constamment et si universellement estimée à la Chine et au Japon, 
si elle n’avait en soi de grandes propriétés. 

Mais quoique des peuples qui composent des royaumes très vastes, 
éprouvent tous les jours de bons eflets de cette racine, il se pourra 
bien faire que lorsqu’on la voudra mettre en usage en France, dif- 


EU. LD 


férentes personnes s/y opposeront comme on a fait autrefois au sujet 
du tartre émétique et du Quinquina. C’est assez le sort des bons re- 
. méèdes, mais dès qu’ils sont tels, ils s’accréditent bientôt par eux- 
raêmes et prennent le dessus malgré la prévention. 

Pour moi qui ne suis pas médecin et qui ne me pique pas d’écrire 
comme un docteur en médecine, je ne me suis attaché qu’à rappor- 
ter ce que j’ai appris de mes sauvages, à transcrire ce que m’en ont 
dit les personnes à qui j’ai communiqué cette racine pour en faire 
usage contre leurs infirmités. (C’est le zèle pour le bien public qui 
a engagé le Père Jartoux à nous donner la connaissance de cette 
plante, et c’est à lui en effet qu’on en a la première obligation. 

Le même zèle m’a engagé de la chercher en Canada sur conjecture 
du Père Jartoux. Il a été le principal motif qui ma obligé de rendre 
un fidèle compte aux savants, aux médecins et au peuple, de tout 
ce qui regardait la découverte de cette plante et les utilités qu’on 
en doit espérer. Messieurs les médecins, ainsi que j’ai déjà dit, en 
tireront des conséquences plus justes que je re pourrais faire, et ils 
jugeront par le récit que leur feront leurs malades du temps et des 
précautions qu’il faudra garder lorsqu'on le voudra employer. Le 
gin-seng ne croît point à la Chine, mais en Tartarie. On l’y trouve 
entre les 39 et 47 degrés de latitude, boréale, le 10 et le 20 de 
longitude, en comptant depuis le méridien de Pékin. Il croît sur 
le penchant des montagnes, dans d’épaisses forêts, sur le bord des 
ravines, autour des rochers, au pied des arbres, et au milieu de 
toutes sortes d’herbes : mais on ne le trouve point dans les plaines, 
dans les marécages ni dans des lieux découverts. Si le feu court 
dans les forêts, il ne reparaît que trois ans après lincendie, ce qui 
prouve, dit le Père Jartoux, qu’il est ennemi Ge ia chaleur. Aussi, 
ajoute-t-il, il se cache du soleil autau qu’il peut. 

Je l’ai fait chercher et je j’a' cherché moi-même en Canada. I 
s’en trouve point à Québec, et moins du côté du nord de la rivière 
que du côté du sud. On en trouve davantage en avançant vers le 
midi, comme à Montréal (1), aux Outaouais, et vers le lac Huron. Ii 
en croît en grande quantité, dit-on au pays des cinq nations iroquei- 
ses : si cela est, les Flamands de la Nouvelle-York en feront bien 
leur profit. Quelques-uns qui l’ont vu vendre à Montréal par les 
sauvages, en auront sans doute envoyé dès cette année en Angle- 
terre. 

On n’en recueille pas dans toutes sortes de bois. Je l’ai cherché 
inutilement dans les forêts touffues et embarrassées de broussailles. 
Ce n’est proprement que dans les bois de haute futaye, où les arbres 
droits et hauts sont engagés par le bas et paraissent naturellement 
allignés comme pour le plaisir de la promenade, qw’on le trouve au 
milieu d’une variété admirable d’herbes médicinales, qui naissent 
au pied des arbres, entre les racines et les pierres, d’où 1l est très 
difficile de l’arracher. 

Un sauvage me dit que le gin-seng ne croissait que dans de 


(1) “ Gin-seng has never been found far north of Montreal,” dit Kalm, 
qui se trouvait en Canada, dans le temps même où l’on cueïllait le gin- 
seng avec le plus d'empressement. 


ESS 


mauvaises terres ; mais il se trompe, car quand ces bois francs sont 
abbattus on peut dire que ce sont les meilleures terres du Canada. 
La terre en est noire, le grain un peu sabloneux, et le blé y vient 
à plaisir. 

Le gin-seng aime lombre, aussi bien que les plantes dont ces 
bois sont remplis. Quand les terres sont nouvellement défrichées il 
y en reparait encore quelques racines qu’on n’avait pas arrachées 
en défrichant, mais il ne s’y en reproduit jamais d’autres. Je ne le 
crois pas pour cela ennemi de la chaleur, car cette racine est chaude. 
D’ailleurs en été, il fait une chaleur encore plus forte et plus étout- 
fante dans ces bois qu’en plein air. J’aimerais mieux dire que ces 
plantes à qui l’ombre est si favorable, étant trop agitées par l’action 
immédiate du soleil et d’un air trop ouvert, y sont renfermées dans 
la terre comme dans un sein stérile, tandis que d’autres à qui ce 
grand air et l’action immédiate du soleil sont plus propices, se dé- 
veloppent et croissent à plaisir ; ce qu’elles ne pourraient faire à 
Pabri des forêts. J'ai vu moi-même cette expéricnce dans le cours 
d’une année ; ayant fait abbatre durant l’hiver un ou deux arpents 
de bois, le printemps suivant au lieu de ces herbes amères qui y 
étaient il n’y vint que du chiendent, du treffle, du cure, et d’an- 
tres herbes semblabies qui ne croissent qu’en plein cha::p. 

Je doutais, Monseigneur, si ces racines transplantées en France, 
réussiraient et conserveraient leur vertu. J’en ai apporté pour qu’on 
put s’en assurer. Je les ai levées en mottes, et sans qu’elles aient 
été séparées de leur propre terre et j’ai eu l’honneur de les présenter 
à V. A. R. Monsieur de Jussieu à qui £lle a fait la grâce de lui en 
donner une partie, les a visitées. 1! les a trouvées bien fraîches et 
eu bon état; 1l ne doute pas qu’elles n2 fassent merveilles cette 
année au jardin royal, où il les a portées par l’ordre de V. A. R. (1) 

Je crains que les graines ne réussissent pas si bien. Comme on 
a eu beau semer la graine, dit le Père Jartoux, sans que jamais on 
Pait vu pousser, il est probable que c’est ce qui a donné lieu à la 
fable qui a cours parmi les Tartares. Ils disent qu'un oiseau la 
menge dès qu'elle est tombée à terre, et que ne pouvant la digérer, 
il la purifie dans son estomac, et qu’elle pousse ensuite où il la 
laisse tomber avec la fiente. 

Ce qu’il y a de certain c’est que cette plante vient avec peine. J’en 
ai trouvé qui avaient près de cent ans. Ces racines produisent une 
tige qui tombe et se renouvelle toutes les années. Les plus belles 
tiges portent jusqu’à 34 fruits, dont la plupart sont doubles, si l’on 
supputait tous les germes suivant les années de la racine, le nom- 
bre des nouvelles plantes qui doivent se former à côté, et le nom- 
bre des germes et des années de celles-ci, le tout irait à l’infini. 

Cependant il ne s’y trouve jamais plus de sept ou huit racines 
dans les divers cantons où elles naissent les unes auprès des autres, 


er 


(1) On nous assure qu’au séminaire de Nicolet on avait transplanté, 
avec beaucoup de soin, un pied de gin-seng (le seul qu’on eût pu trouver 
dans les bois environnants) ; il avait poussé des feuilles et des fleurs et 
paraissait vigoureux, quand il commença à se faner, et bientôt il fat com- 
plètement desséché, 

3 


de.‘ ei 


ainsi la plante sera bientôt détruite auprès des habitations françaises, 
et il faudra l’aller chercher au loin dans les bois, ce qui la rendra 
rare et d’un très-grand prix. | 

Le temps de la cueillir est celui de la maturité, c’est-à-dire de- 
puis le mois de septembre jusqu’aux neiges. Ceux qui veulent en 
faire sècher la feuille doivent la prendre sur la fin d’août, avant 
qu’elle jaunisse. La racine devient à rien quand on la cueille avant : 
ce temps-là, ainsi que je l’ai déjà dit. Quand on l’a arrachée de 
terre il faut la laver soigneusement, couper Ja racine par rouelles 
en loug pour qu’elle sèche plus aisément. Il vaut mieux la faire 
sècher à l’ombre qu’au soleil et au feu, et la conserver en lieu sec. 


La racine vaut mieux étant sèche, que lorsqu'on la tire de la 
terre, alors elle est imprégnée d’une humeur qui lui ôte de sa bonté, 
- et qui s’évapore à mesure qu’elle se desseche. On y trouve en effet 
une différence considérable au goût, qui est bien plus fort quand elle 
est sèche que quand elle est nouvelle. D’ailleurs elle ne fait 
point vomir étant nouvelle, ainsi que l'écrit M. Breynius sur le 
rapport qui lui en a été fait. 

Cette plante est très délicate et se gâte aisément. Elle moisit 
d’abord dans un lieu humide, et les vers s’y mettent quand elle 
vieillit. Celles qu’on apporte de la Chine en passant deux fois la 
ligne doivent fermenter considérablement, et par conséquent perdre 
beeucoup de leurs sels volatils, en quoi consiste leur vertu. De là 
vient qu’ordinairement elles sont toutes vermoulues. (Celles qui 
viendront du Canada seront incomparablement meilleures, puis- 
qu’elles seront plus fraîches et mieux conditionnées. 


Le Père Jartoux dit que ceux qui cueillent le gin-seng n’en con- 
servent que la racine, qu’ils enterrent dans un même endroit, ce 
qu’ils peuvent en amasser durant dix où quinze jours, qu’ils ont soin 
de la bien laver et de la nettoyer avec des brosses pour en ôter toute 
la matière étrangère ; qu’ils la trempent ensuite un instant dans de 
Peau presque bouillante, et qu’ils la fort sècher à la fumée d’un 
millet jaune, qui lui communique un peu de sa couleur. Le millet 
renfermé dans un vase avec un peu d’eau se cuit à un petit feu. 
Les racines couchées sur de petites traverses de bois au-dessus du 
vase, se sèchent peu à peu sous un jinge, ou sous un autre yase qui 
les couvre. 


M. Kæmfer rapporte la chose un peu différemment, Quand 

les racines sont fraîchement arrachées, dit-il ; ou les fait macérer 
trois jours dans de l’eau douce, ou ce qui est mieux encore, dans la 
seconde eau où l’on a fait cuire une espèce de ris où de millet, eton 
les y met tremper quand cette eau est froide. Ainsi macérées dans 
un vaisseau d’ajrain et couvert, or les suspend à la vapeur de cette 
eau sur le feu. Alors étant desséchées depuis le bas jusques vers 
le milieu, ces racines acquièrent une couleur rousse, résineuse et 
presque transparente. C’est la marque de leur bonté. Commeje 
ne crois point que cette couleur et cetie transparence ajoutent rien à 
leur vertu, je crois cette préparation peu nécessaire. Si on souhai- 
tait néanmoins qu’elle le fut pour la conservation du gin-seng, et 
qu’on voulut le porter à la Chine pour le trafiquer, on pourrait y 


EE 


. 
faire la même préparation en Canada avec les mais ou blé-d’inde + 


dont usent nos sauvages. 

Quand j’eus découvert le gin-seng, il me vint en pensée que ce 
pouvait être une espèce de mandragore. J’eus le plaisir de voir 
que je m’étais rencontré sur cela avec le Père Martini, qui, dans 
Pendroit que j’ai cité, et qui est rapporté par le Père Kirker, parle 
en ces termes : Je ne saurais mieux représenter cette racine, qu’en 
disant qu’elle est presque semblable à notre mandragore, hormis 
que celle-là est un peu plus petite, quoiqu’elle soit de quelqu’une 
de ses espèces. Pour moi, ajoute-t-il, je ne doute point du tout 
qu’elle n’ait les mêmes qualités et une paraille vertu puisqu’elle 
li ressemble si fort, et qu’elles ont toutes deux la même figure. 

Si le Père Martini a eu raison de l’appeler une espece de man- 
dragore à cause de sa figure, il a eu tort de appeler ainsi à cause 
de ses propriétés. Nos especes de mandragore sont narcotiques, 
rafraîchissantes et stupéfantes. Ces qualités ne conviennent point 
du tout au sin-seng. Cependant l’idée du Père Martini, que j’ai vue 
justifiée ailleurs, m’a donné envie de pousser plus loin ma recher- 
che. En eñfet, ayant trouvé que notre mandragore d’aujourd’hui, 
d’un commun sentiment, n’était pas la mandragore des anciens, 
jai cru qu’en cherchant un peu, et qu’en comparant le gin-seng 
avec ce que les anciens ont dit de leur mandragore, on pourrait sou- 
tenir que c’est l’anthropomorphos (1) de Pythagore, et la man- 
dragore de Théophraste. Ce que j’en dis pourtant est moins pour 
donner mes conjectures pour des certitudes, que pour les soumettre 
aux savants et leur donner lieu de pousser plus loin leurs recherches. 

Voici donc comme je raisonne. Théophraste est le premier des 
auteurs anciens qui aient écrit des plantes. Théophraste nous fait 
la description d’une mandragore, qui ne nous est point connue ; il 
est évident aussi qu’il ne connaissait point celles que nous connais- 
sous aujourd’hui, du moins sous ce nom-là, de là on pourrait con- 
clure que celle de Théophraste s’est perdue et qu’on lui en a subs- 
titué une autre. 

Il est facile d’expliquer comment la mandragore des anciens a pu 
s’être perdue. Premièrement. Elle aura êté sans doute d’une grande 
recherche dans les premiers temps, à cause de ses eflets singuliers, 
dont on peut voir des exemples dans lantiquité. Secondement. 
La difficulté que cette plante avait à se multiplier l’aura rendue rare, 
et il est probable qu’elle ne se trouvait que dans les forêts. Le 
pays s’étant dans la suite découvert et les racines en ayant été ar- 
rachées avant ja maturité de leurs fruits, la plante aura été en peu 
de temps épuisée. On peut conjecturer avant l’évènement, qu’il 
en sera ainsi du gin-sens. Cette racine étant fort précieuse, pro- 
duisant peu, et ne croissant qu’à l’ombre des forêts. 

La mandragore des anciens étant ainsi perdue, on lui en aura 
substitué une autre à raison de quelque rapport commun à l’une et à 
Pautre. Nos mandragores ont des racines qui ont quelque ressem- 
bance avec le corps de l'honme depuis la ceinture en bas, leurs 
semences sont blanches et ont la figure d’un petit rein, c’est sans 


(1) De forme humaine. 


Éd 


CORG 2 


doute ce qu’elles ont de commun avec la maudragore et cela se 
‘trouve parfaitement dans le gin-seng ; le fruit du gin-seng a de sur- 
plus la même figure que les semences ; il reste maintenant à voir 
ce que la mandagore de Théophraste a de particulier, et à examiner 
s’il convient au gin-seng, pour cela recueillons tout ce qu’en dit 
Théophreste. 

En premier lieu, Théophraste reconnaît une tige à la mandragore, 
et établit une ressemblance par la tige entre elle et la féruie. Voici 
ce qu’il dit au chapitre second du livre six : “ Entre les autres 
‘ (plantes) il y en a quelques-unes qui approchent plus de celle-ci 
+ (la férule) par leur tige, telles sont la mandragore, la cigüe lel- 
& lebore, etc.” 

Cette ressemblance doit être prise de celle qu’il établit lui-même 
ailleurs, entre les plantes qu’il range en diverses classes, selon la 
diversité de leurs tiges, c’est au chapitre 8 du livre 7 qu’il parle 
ainsi: “ Entre toutes les plantes, "il y a une différence établie et re- 
“ connue de tout le monde, elle se prend de la variété des tiges, 
“ car il y à des tiges droites, des tiges nerveuses, des tiges qui tom- 
bent et ne durent qu’une année, des tiges qui Paccrochent, des 
‘ tiges qui rampent à terre, il y en a qui n’ont qu’une seule tige, 
‘ quelques-unes en ont beaucoup, et quelques autres peu.” Ce que 
je mets ici en précis, est étendu plus au long dans tont ce chapitre 
8 du livre septième. 

Cette différence générique étant ainsi établie, cherchons en quoi 
consiste la ressemblance particulière entre la férule et la mandra- 
gore. C’est ce qu’on peut voir dans la description de la férule, au même 
chapitre du livre six, il lui donne ces deux qualités : “ Elle ne pro- 
“ duit qu’une seule tige, et cette tige tombe et renaît toutes les 
‘ années ;? or, ce que : *éophraste dit de la mandragore et de la 
férule, se trouve vrai du gin-seng, qui ne pousse qu’une seule tige, 
que la même année voit se former et se détruire, et ne peut absolu- 
ment convenir aux deux espèces de solanuwm furiosum ou lethale qui 
produisent dix ou douze tiges sur un seul pied, ainsi Popinion de 
presque tous Îes botanistes, qui croyent que ces espèces de solanum 
et en particulier celui à qui les Italiens ont donné le nom de Bella- 
dona, sont la mandragore de Théophraste, se trouve ici renversée 
par Théophraste même. 

Il paraît manifestement que cette ressemblance de la féruie et de la 
mandragore est fondée sur ces deux qualités de leurs tiges, puis- 
qu'immédiatement après avoir fait cette comparaison il établit une 
nouvelle ressemblance par les tiges entre d’autres plantes, et comme 
une nouvelle classe. 4 Quelques-unes ont dit-il, des tiges nerveuses. 
é Tels sont le fenouil, etc.” 

En second lieu, Théophraste s'exprime ainsi au même chapitre 
second du sixième livre. “Le fruit de la mandragore a cela de 
‘ particulier, qu’il est noir, qu’il naît en grappe, ete. qu'il a un goût 
« yineux.” Examinons ces trois qualités. 

A la vérité le fruit du gin-seng est d’un très beau rouge dans sa 
maturité, mais en séchant sur pied il devient si noir qu’à peine ap- 
perçoit-on en quelques-uns qu'il ait été rouge. IÎl-en est de même 
de quelques autres plantes et en particulier de lApalachine, qui 


RC 


a 


_ nous est venue récemment de la Louisiane, on peut dire que son 


fruit est noir quoiqu’on assure qu’il y a un temps où il est rouge. 
Communément le fruit de ces sortes de plantes à successivement 
différentes couleurs. Ceux qui ont commenté Théophraste et qui 
ont prétendu avoir trouvé sa mandragore ont expliqué différemment 
le mot grec ragodès. Quelques-uns l’expliquent d’une grappe et 
d’autres d’un grain, de quelque manière qu’on l’entende, si l’on 
considere le fruit du gin-seng ou l’ombelle qui porte les fruits, cela 
lui convient parfaitement et aussi bien qu’aux fruits des deux espè- 
ces de solanum, dont l’un, tel que la morelie, produit une ombelle, 
ou grappe semblable à celle du lierre, et l’autre ne produit qu'un 
grain qu on appelle faba inversa. 

La troisième qualité, qui est d’avoir un goût vineux, est propre à 
plusieurs plantes qui portent des bayes; le gin-seng en est une, 
Peau qui se répand dans la bouche, quand on presse le fruit du gin- 
seng, tient du goût de ses racines et de ses feuilles. 

En troisième lieu, Théophraste au chapitre neuvième du neu- 
vième livre, décrit les superstitions des anciens en cueillant la mar- 
dragore : les sauvages qui ne sont pas encore chrétiens, haranguent 
aussi leurs herbes médicinales et pratiquent autant de vaines céré- 
monies que faisaient autrefois les payens. Comme je n'ai lu Théo- 
phraste que depuis mon arrivée à Paris, je ne puis savoir si les 
sauvages employent les mêmes superstitions que Théophraste rap- 
porte, 1l serait assez singulier que ce fussent absolument les mêmes, 
mais quand bien même elles seraient différentes, ce ne serait pas un 
préjugé contre le gin-seng, depuis un si long intervalle de temps, 
il s’est pu faire bien des changements qui ne tirent point à consé- 
quence. 

En quatrième lieu, Théophraste décrit les propriétés de sa man- 
dragore, au chapitre dixieme du même livre neuvième —“ La feuille 
“ de la mandragore, dit-il, pétrie avec de la farine est bonne à ce 
* qu'on assure pour les ulcères, sa racine raciée et macérée dans le 
“ vinaigre sert pour l’érésipèle, pour toutes les fluxions de goute, 
‘“ pour concilier le sommeil, etc. On la donne dans le vinaigre ou 
“ dans le vin.” 

Théophraste dit ensuite que la manière de la conserver est de la 
couper par tranches, qu'on enfile et qu’on suspend à la fumée. Ces 
eflets de la mardragore de Théophraste se rapportent mieux à ceux 
qu’on attribue au gin-seng qu’à ceux des deux espèces de so/anum, 
dont j’ai déjà parlé, qui sont de véritables poisons qui feraient mou- 
rx si on ne les dosait avec beaucoup de précaution. 

Quand Théophraste dit que la mandragore est bonne pour faire 
dormir, il ne dit rien qui ne soit conforme aux expériences qu’on 2 
fait du gin-seng, mais le gin-seng ne produit pas cet effet par une 
qualité narcotique, froide et stupéfiante, qui serait dangereuse, mais 
par accident, en ôtant les causes de l’insomnie. 

Je nai point lu dans Théophraste que la mandragore fit mourir, si 
on en prenait avec excès. J’ai cependant cherché avec exactitude 
tout ce qu’en dit cet ancien auteur, et je l’ai rapporté fidèlement. Il 
est vrai que le Père Martini dit du gin-seng, que si les personnes 
robustes et vigoureuses en mangent, elles courent risque de perdre 


On 


ja vie, parce qu’elle augmente trop leurs esprits vitaux et leur cha- 
leur naturelle. Je crois pour moi qu’il eu faudrait pour cela un long 
et indiscret usage, tel qu'on en pourrait faire des meilleures choses, 
qui ne conviennent pas également à tous les tempéraments. 

La seconde espèce de garent-oguen tsiohontati dont j’ai déja 
parlé, et qui selon le rapport des sauvages ne produit qu’une seule 
feuille sans tige, sans fleur et sans fruit, est une autre espèce de 
mandragore, je ne sache pas que personne en ait encore parlé: elle 
peut faire une troisième espèce avec les deux mandragores de Dios- 
coride qu’il nomme akaulos. 

Les sauvages se servent d’une autre plante pour rétablir les forces 
perdues, ils lanomment T'sioterese-sôa, ou la grande longue racine, 
pour la distinguer de la salsepareille, qu’ils nomment simplement 
T'sioterese où la longue racine. Les Français la connaissent sous le 
nom d’anis sauvage. Les sauvages sont les plus grands mangeurs du 
monde, mais 1ls savent aussi parfaitement supporter la faim ; quand 
leurs provisions leur manquent ils se ceignent fortement le ventre, 
et fatiguent doublement à courir pour chercher de quoi vivre et à 
souffrir leur disette, alors quand leurs genoux chancellent et que 
leurs yeux commencent à doubler les objets, ils prennent une poi- 
gnée de la poudre de cette racine qu’ils délayent dans de l’eau 
qu’ils boivent, et leurs forces sont sur le champ rétablies. 

Ils font le méme remède avec succès et avec la même prépara- 
tion pour se guérir du coup de soleil, cette racine est d’ailleurs un 
des plus excellents vulnéraires qu’on puisse trouver ; jen ai apporté 
un peu, et il n’est personne qui ne juge de sa vertu par son goût 
aromatique. Je lai vu dars l’herbier de M. de Jussieu et dans 
celui de M. Vaillant. 

Il ne me reste plus qu’à souhaiter que les expériences qu’on fera 
en France du gin-seng, venu du Canada, puissent répondre à celles 
qu'on a déjà faites ‘en ce pays là et se trouvent telles qu’on paraît 
les promettre. M. de Jussieu m'a fait l’honneur de me dire qu’il 
F’en était déjà servi avec succès, et qu’il avait arrêté un vomisse- 
ment qui n'avait pu céder au remèdes ordinaires. Mais le comble 
de mes souhaits serait que l’usage de cette plante servit, Monsei- 
gueur, à prolonger jusqu’à une extrême vieillesse, des jours aussi 
nécessaires et aussi précieux que ceux de V. A. R. 

Ces vœux ardents que je forme pour la conservation de V. A. K. 
par reconnaissance pour les obligations qui me sont particulières, 
et par la gratitude qui m’est commune avec la compagnie dont j’ai 
l’honneur d’être, regardent e::core le public qui est intéressé à la 
vie d’un prince, dont les proje: : tendent tous à la félicité des peuples, 
d’un prince dont les premie:< soins ont été d’envoyer des ordres 
jusques aux extrémités de la serre, pour attirer de par tout dans le 
cœur de la France, tout ce qui peut contribuer à la rendre floris- 
sante, d’un prince qui n’a approuvé les soins que je me suis donné 
pour découvrir cette plante, et n’a paru content de ma découverte 
qu’autant qu’il a été flatté que puisqu’elle est d’une très grande 
utilité pour la guérison de plusieurs maladies chez des nations très 
reculées, elle peut aussi devenir utile à un peuple qui l’aime, et dont 
par reconnaissance, il doit être les délices. 


EURE. ,. En 


Ce n’est pas assez, Monseigneur, que le public fasse des vœux 
pour la conservation de V. À. R., tous les arts qu’elle honore si 
particulièrement de sa protection, doivent travailler à immortaliser 
son nom et sa gloire. Ce n’est pas seulement l’histoire ou la poésie, 
le pinceau ou le burin qui transmettent les souvenirs des grands 


hommes à la postérité, de tous temps, les botanistes ont prétendu 


avoir ce droit et ont célébré la mémoire des princes qui ont favorisé 
cette science en leur consacrant de nouvelles plantes. Ces plantes 
portent encore leurs noms, ils ont passé jusqu’à nous et nous les 
conservons avec respect. En conséquence de cette possession où 
sont les botanistes, puisque V. A. KR, a eu la bonté de me permettre 
de lui présenter ce mémoire et de lui offrir cette plante, je me flatte 
qu’Elle ne désaprouvera pas que je prenne encore la liberté de li 
donner le nom de Votre Altesse Royale, et de ja nommer Aureliana 
Canadensis, Sinensibus-(rin-seng, Irogœis Garent-oguen(1). On ia 
verra fleurir cette année pour la première fois en France, et 1l n’est 
personne qui ne la voye croître volontiers et qui ne se fasse un plai- 
sir de la connaître sous un nom si auguste. 

Quoique j’aie découvert cette plante en Canada, et que par cette 
raison je puisse la regarder comme un bien qui m’appartient, ce 
serait cependant aux maîtres de l’art qu’il conviendrait de donner 
ce nom avec autorité plutôt qu’à moi, mais ce que V. À. R. a fait 
depuis peu avec une magnificence royale en faveur de la botanique, 


envoyant des personnes intelligentes dans les Indes, dans PAméri- 


que et dans les royaumes voisins, pour y faire de nouvelles décou- 
vertes, les intéresse à approuver ma hardiesse, et à conserver un 
nom qui est pour eux une marque de la protection dont V. A. R. les 
honore, et qui en est une pour moi du profond respect avec lequel 
je suis, 

Monseigneur, 


De Votre Altesse Royale. 
Le très humble, très obéissant, 
Et très soumis serviteur, 
JOSEPH-FRANÇOIS LAFITAU, 
De la Compagnie de Jésus, 
Missionnaire des froquois du Sault St. Louis dans la Nlle. France. 


(1) Les botanistes aujourd'hui ne désignent le gin-seng que sous le 
nom de panax-quinque-folium. 


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NOTE. 


Nous nous sommes procurés des documents qui nous permetteu 
d'ajouter quelques nouveaux détails à ce que nous avons dit du 
Père Lafitau et du gin-seng. On voudra bien nous permettre de les 
citer ici tels que nous les avons, sans aucune transition : 


Une lettre que le marquis de Beauharnais (1) écivait le 13 octobre 
727, au ministre de la marine, le comte de Maurepas, nous parle de cer- 
tains mémoires, que le Père Lafitau aurait composés sur une question poli- 
tique des plus importantes et des plus délicates. “J'ai l'honneur, dit M. 
de Beauharnais, de vous envoyer ci-joint, un mémoire que m'a donné ie 
révére:d Père Lafitau, au sujet des différends entre les deux couronnes, 
sur les prétentions des uns et des autres. Comme ce mémoire peut servir, 
Mgr., à celui auquel il me dit avoir travaillé avec M. Begon, j'ai cru devoir 
vous l'envoyer.” 

Ces écrits sont probablement encore conservés aux archives du gou- 
xernement français ; leur publication ne pourrait qu'ajouter à la gloire 
du savant Père, car nous ne doutons pas qu’il n’ait traité cette ques- 
tion des frontières avec toute la supériorité dont il a fait preuve dans ses 
autres ouvrages, et il nous semble qu’il serait assez curieux de rappro- 
cher ses preuves et ses arguments de ceux des hommes d'état et du 
diplomates de cette époque. 


On nous a obligeamment communiqué le passage suivant de Kalm, dont 
l'ouvrage est très rare. Ce savant Suédois, se trouvait en Canada en 
1749, au moment où le commerce du gin-seng était en grande activité. 
Voici ce qu’il dit : 

“ During my stay in Canada, all the merchants at Quebec and Mon- 
treal, received orders from their correspondents in France, to send over 
a quantity of gin-seng, there being an uncommon demand for it in this 
summer. The roots were accordingly coilected in Canada with all pos- 
sible diligence ; the Indians especially travelled about the country, in 
order to collect as much as they could together, and to sell it to the 
merchants at Montreal. The Indians in the neighbourhood of this Town 
were likewise so much taken up with this business, that the French 
farmers were not able, during that time, to hire a single Indian, as they 
commonly do to help them in the harvest. Many people feared lest by 
coutinuing, for several successive years, to collect these plants without 
leavins one or two in each place, to propagate their species, there would 
soon be very few of them left, which I think is very likely to happen, for 
by all accounts they formerly grew in abundance round Montreal ; but, 
at present, there is not a single plant of it to be found, so effectually 
have they been rooted out. This obliged the Indians, this summer, to go 
far within the English boundaries, to collect these roots. After 1he 
Indians have sold the fresh roots to the merchants, the latter must take 
a great deal of pains with them. They are spread on the floor to dry, 
which commonly requires two months and upwards, according as the 
season is wet or dry. During that time, they must be turned over once 
or twice every day, lest they should putrify or moulder. The superior of 
the clergy here and several other people, assured me that the Chinese 
value the Canada gin-seng as much as the Tartarian, and that no one 
bas ever been entirely acquainted with the Chinese method of preparing 


Ii. L2 D .. .. 


(1) Charles de Beauharnais fut gouverneur du Canada de 1726 à 1747. Sa famille, 
originaire de la Bretagne, a produit Alexandre, vicomte de Beauharnais, qui épouse 
Joséphine, depuis impératrice. 


COHMIOTI 


"6 


md 


_. Voici ce que Mgr. Verroles, vicaire aspostolique de la Mant- 
chourie, disait du gin-seng en 1843.—(Ann. de Prop. de la Foi, 
No. XVI, pages 142, 143.) | 

# Il en est de même pour le Jensen, cette plante fameuse, ce toxique 
si excellent, le premier sans contredit de l’univers. Lorsque les forces 
vitales manquent, totalement épuisées, et que le moribond va trépassef 
donnez-lui le poids de quelques grains de Jensen, il revient à la vie; 
continuez chaque jour et sa vigueur renaît aussitôt, et vous pouvez le 
soutenir encore plusieurs mois. Le prix dn Jensen est exhorbitant, c’est 
presque incroyable, près de cinquante mille francs la livre ! ” 

Ii faut avouer que s’il n°y a pas là une erreur de chiffre, un pareil 
prix est vraiment fabuleux. La seule montagne de Montréal pour- 
rait fournir du gin-seng pour des millions. 

Ce qui suit semble moins extraordinaire. 


“ Le bon, l'excellent Jensen, disent les Chinois, est le plus vieux : 
il doit être sauvage : aussi celui de Corée qui vient par la culture, est-il 
extrèmement inférieur en qualité. A la foire annuelle de Corée, on le 
vend en fraude, au su des mandarins qui ferment les yeux. Bien que fort 
élevé, le prix du Jensen coréen est pourtant raisonnable : environ deux 
cents francs la livre. Je vais tâcher de m'en procurer de la graine, et 
en ce cas, l’Europe pourra posséder cette plante admirable. 

“ Elle ne croît point dans le nord de la Mantchourie, sans doute à 
cause de sa température glacée.” 

Dans la livraison précédente il s'était gli_sé quelques erreurs que nous 
tenons à corriger. 

Le mot Kanahwuake ne signifie pas rapides ; mais u rapide. Le véné- 
rable M. Dufresne du séminaire de St. Sulpice, nous apprend que ce mot 
se compose de onawa, rapide, et de ké particule qui indique la localité, au : 
l'usage permettant de changer © initial en ku, on a enfin Kunawaite. 
(Pron : Kanawaké l'iroquois, n'ayant pas d’e muet.) 

D'après ce Monsieur, le mot Tsiohontati (page 27) peut se trouver chez 
quelques peuplades iroquoises avec cette signification ; mais 1l ne semble 
pas formé régulièrement : les règles de la grammaire demandent 


-Tsiohonlat : ati placé à la fin de certains substantifs, auxquels il est joint, 


signifie ordinairement d’un côté, lorsque ces substantifs sont précédés de 
ska ou de tsi, qui alors deviennent les initiales de ces substantifs, et ne 
forment qu’un seul mot avec eux, de sorte qu'on ne pourrait pas les re- 


L . . : 
trancher, sans changer le sens—ainsi par exemple— Ohonte, vert, tsiohontat 


une plante verte ; Tsiohontati, d'un côté de la plante, etc. 

De même pour Tiioterese, (pages 23, 38): Olera, racine; Tsioterat, une 
racine ; si l’on veut exprimer une longue racine, il faut retrancher les deux 
dernières lettres de Tsioterat, et mettre à la place es, pour le singulier, et 
eshons pour le pluriel, qui expriment la longueur: ainsi on dira Tsioteres, 
ou suivant l'usage de plusieurs, Tsioterese quisiguifie une longue racine. Le 
mot ési n’a pas par lui même la signification de l’unité, il ne l’a que quand 
ilest l'initiale de certains substantifs dans lesquels l’usage permet de l'em- 
ployer ; (hors de là il aurait une signification toute différente), et dan ce cas 
le substantif dont ‘lest l’initiale doit se terminer par at ou é, suivant que 


Jl'usage le demande, à moins que ls subtantif ne soit joint à un adjectif, qui 


ne permettrait pas cette terminaison, comme on le voit dans les exemples 
précédents. A 
Page 15, note, lère ligne après fut, lisez nommé. 
Page 19, note, lère ligne lisez Dufresne. 


situe. 2.42 ‘Cibé 


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TÉLÉS: } #40 


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Le Pere LAFITAU ET LE GIN-SENG,. ........... rensesssesenere.e 3 
Agriculture négligée pour le gin-SEN,.. rose ESPATTO SITE 

* Américains, leur origine... ... nu, Societe ga dis 26 das se Se PF 
| Beauharnais, gourverneur du Canada,.....,.................... 41 
F Garnier (le P. Julien),.........,................sssssssesssssse 12 


Gin-seug—Son prix en Chine, 5, 6; en Mantchourie, 42 ; à Québec, 6, 7. 
—Il est déprécié et pourquoi, 6, 8.—Il existe encore, 6, 23 (note). 
—Le commerce s’en fait encore, 6. 

Lafitau (le P.J. F.)—Sa naissance, son arrivée en Canada, 4.—Il dé- 
couvre le gin-seng, 5.—Il retourne en France, 9; va à Rome, 12. 
—$Ses écrits, 9, 11, 12, 13, 41.—Sa mort, 13.—Son portrait, 14. 


Ru, 


Lafitau (le P. P. F.) ; note,.................,......ssssssss.use 13 
Lafontaine (Sir L. H.),.......................e.sssssssesensses 11 
Lovelace, gouverneur de New-York,................... JA dd ee + 10 
Marcoux (J.) Prêtre Missionnaire,.........................s...e 13 
Martin (le P.);, ........................csoss s RANGS FE ES PT Æ 
Pierron (le P.),............4.....csssssosesss scores eee PR à À 
BAISE DONS, .-........:0.00....... uses rose sons . 4, 42 
Traite de l'eau-de-vie, ..................esese.sesseensese ML AE 
Viger (le Commandeur),......................... ES à DE sise VONT 
MEMOIRE SUR LE GIN-SENG, .......ssssesseseeneesoessssessone RE 
Begon, intendant,.......................... de Ou DA RE ss PU 
EE 6).........../220....... Lente 29 
con cos note ocone ses sets Meteo 25, 28, 30, 34 
D disnard,............:00 4.2.0 ns nn 24 ë 
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Mn (eP.),.......::....00...:...0t000. 16, 19, 25, 27, 31 
CL EE ES so... 24, 25, 33, 38 
SE RO ss ÉLIRE 
RE)... 20... iogrs RER SR ER | 19, 27 
men eo à de nistas se A9 ee 25, 26, 27, 30, 34 
nn. on ee co same ss die mille Re ER és CONTES 
UE), 2 Re . - «50 eu nie Ann oO RE à 
Mandragore (la),............ D. le T0 AR es Rs LACET 2 
Nisi, ou Gin-seng du Japon,................................... . 26 
nd en es ee à odle eee 20 ee ES .. 41 
Gin-sens —Les PP.JJ le font connaître en Europe,.............. 16 
: —Le P. Jartoux le décrit, ............................. 16 
—Le P. Lafitau le découvre en Canada,..... ....... 18, 22 
—Nom du Gin-seng en Iroquois,............... Taie de 2 RUES 
: _— — en Tartare, en Mantchoux (note), .... 19 
+ —Nom que lui donne le P. Lafitau,..................... 39 
—Description de la plante,...................... 19, 33, 36 
—Différentes espèces, ..................s.se..es..e 23, 38 
2: À —Le Gin-seng du Canada est le même que"celui dela Chine 24 
4 —Ses propriétés,. ...s.csnnosseesenss CLR RE | | PACE 
ARS —Manière de le prendre, ..,..,...........s.sss.esssese 89 
Le 
ANT RS 


KE AE 


—Analyse de cette plante, ..... AE CRETE MAN SET 


—Dans quels endroits elle se trouve,............, KV FO 
—Temys de la cueillir, ..............:...........s ses. SE 
—Manière de la préparer,.........................4 34, 42 
—Sa ressemblance avec la Salsepareille, ...............: 23 
"ee _ — Maudragore, ............. +. 35 
TA AM, ses, so lens ne RU 26 
Re en net e es code doses ve see al 00 
US SE PRE M. versie 18 (note), 27 
HhéOphrASte,............. 4e course seneees ee 20e 35, 36, 37 
Maïllant,:--:...... 4 RARE REX 295 a RS En és coco ce OA 
Merroles/ Mgr............. senc cesosesnr ess 5 de STORES 


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