^-^ï
'*?$"^.
Jh-irf.
m^
Digitized by the Internet Archive
in 2009 with funding from
University of Ottawa
http://www.archive.org/details/mmoires02richuoft
MEMOIRES
CARDINAL DE RICHELIEU
IMPRIMERIE DAUPELEY-GOUVERNEUR
A NOGENT-LE-ROTROU.
HF.E»
MEMOIRES
DU
CARDINAL DE RICHELIEU
PUBLIES
d'après les manuscrits originaux
POUR LA SOCIÉTÉ DE l'hISTOIRE DE FRANCE
SOUS LES AUSPICES DE
L'ACADÉMIE FRANÇAISE
Vc
340
A PARIS
LIBRAIRIE RENOUARD
H. LAURENS, SUCCESSEUR
libraire de la société de l'histoire de francf^^ /
RUE de TOUHKON, N" 6 ^^ /
N^
.-1 . n
é
MEMOIRES
DU
CARDINAL DE RICHELIEU
TOME DEUXIÈME
(1616-1619)
PUBLIÉ SOUS LA DIRECTION DE
M. LE Baron DE COURCEL
MEMBRE DE l'iNSTITUT
PAR
Le Comte HORRIC DE BEAUCAIRE
AVEC LA COLLABORATION DE
Robert LAVOLLÉE
M DCCGC IX
EXTRAIT DU REGLEMENT.
Art. 14. — Le Conseil désigne les ouvrag^es à publier,
et choisit les personnes les plus capables d'en préparer et
d'en suivre la publication.
Il nomme, pour chaque ouvrage à publier, un Commis-
saire responsable, chargé d'en surveiller l'exécution.
Le nom de l'éditeur sera placé en tête de chaque volume.
Aucun volume ne pourra paraître sous le nom de la
Société sans l'autorisation du Conseil, et s'il n'est accom-
pagné d'une déclaration du Commissaire responsable, por-
tant que le travail lui a paru mériter d'être publié.
Le Directeur de la publication soussigné déclare que le
tome II des Mémoires du Cardinal de Richelieu, préparé
par MM. le Comte Horric de Beaucaire et Robert Lavol-
lée, lui a paru digne d'être publié par la Société de
l'Histoire de France.
Fait à Paris, le P'' août 1909.
Signé : Alph. DE COURCEL.
Certifié :
Le Secrétaire de la Société de l'Histoire de France,
NOËL VALOIS.
MEMOIRES
DU
CARDINAL DE RICHELIEU
ANNEE 1616.
Cette année bissextile, qui a été remarquable parles
mutations extraordinaires de l'air, l'a été davantage
par les effets prodigieux que nous verrons en ce
royaume durant son cours, pendant lequel les cœurs
seront si acharnés à la rébellion que, nonobstant une
paix en laquelle on se relâchera jusques au delà de
leurs désirs, ils conserveront encore leur malignité,
osant se porter à des entreprises si pernicieuses, que
l'on sera contraint, avec très grand regret, de les
mettre, non sans péril, en état auquel ils ne les puissent
exécuter.
Quelques-uns conseilloient au Roi de poursuivre à
outrance les princes, lui représentant de la facilité à
les ruiner, leurs troupes n'étant ni égales en nombre
ni si bien armées que celles de S. M., outre qu'elle
avoit déjà plusieurs fois éprouvé que leur malice étoit
telle, qu'elle s'irritoit par la douceur des remèdes et
que sa bonté royale ne servoit qu'à les rendre plus
audacieux.
II 1
2 MÉMOIRES [1616]
Mais, les plus foibles conseils étant quelquefois les
plus agréables, pour éviter la peine qu'il y avoit d'exé-
cuter les plus forts, ceux qui lui conseillèrent de ne
poursuivre pas les princes jusques à l'extrémité, et
qu'il valoit mieux au Roi, en ce temps, avoir que faire
la guerre* contre ses sujets, prévalurent, sous couleur
qu'il étoit plus glorieux de vaincre par équité que
par sang épandu, et par justice et bon droit que par
armes.
Du côté des princes aussi, il y avoit divers senti-
ments : Monsieur le Prince, les ducs de Mayenne et de
Bouillon vouloient la paix, le premier espérant de
s'établir dans les conseils de sorte qu'il en demeure-
roit le chef, et que, toutes choses passant par son avis,
il auroit moyen de faire ses affaires.
Le duc de Mayenne craignoit que le parti des
huguenots, qui étoit fort en son gouvernement, prît
trop d'avantage et profitât le plus de cette division.
Le troisième se voyoit vieil, vouloit conserver Sedan
à son fils, craignoit de le mettre en hasard, et avoit
aussi quelque espérance qu'aidant à la paix, cela obli-
geroit le Roi à lui donner part dans les affaires. En
quoi il montroit la foiblesse de l'esprit de l'homme,
qui, quelque grand et expérimenté qu'il soit, ne se
peut empêcher d'espérer ce qu'il désire ; car il avoit
eu assez de sujets, depuis la régence, de se détromper
de cette prétention .
1. Le sens de ces mots est probablement le suivant : il vaut
mieux pour le Roi attendre que la guerre lui soit faite par ses
sujets révoltés que de commencer, le premier, les hostilités;
— à moins qu'un mot n'ait été passé par le copiste et que le
sens soit : avoir quelque déplaisir, quelque préjudice plutôt
que faire la guerre contre ses sujets.
[1616] DE RICHELIEU. 3
Le duc de Longueville étoit d'opinion contraire,
parla seule crainte qu'il avoitque le maréchal d'Ancre,
en la paix, lui fît perdre le crédit qu'il avoit en son
gouvernement.
Mais les ducs de Sully, de Rohan et de Vendôme,
et tout le parti huguenot, ne vouloient ouïr parler de
paix en aucune façon, si ce n'étoit avec des conditions
si indignes, que nul de ceux du Conseil n'eût osé pro-
poser à S. M. de les accepter*.
Il n'y eut artifice dont ils ne se servissent, ni raisons
qu'ils ne représentassent à Monsieur le Prince pour le
tirer à leur avis. Us lui représentoient qu'il partageoit
avec le Roi l'autorité en ce royaume tandis qu'il avoit
les armes en la main, et qu'il pouvoit facilement conser-
ver sa puissance, demeurant dans son gouvernement,
où il étoit environné de tout le corps des huguenots. Us
n'oublièrent pas de lui faire connoître qu'il n'y avoit
pas beaucoup de sûreté pour lui à retourner dans la
cour; qu'à un homme comme lui, il ne falloit ou jamais
prendre les armes, ou jamais les poser contre son
maitre; et qu'après les avoir deux fois prises, il n'y
avoit pas grande apparence de faire un assuré fonde-
ment sur quelques promesses que lui pussent faire
LL. MM.; qu'en chose de si grande importance on ne
faisoit jamais qu'une faute, et qu'il seroit blâmé si, sur
quelque petite espérance de profiter dans les finances,
il se désunissoit d'avec tous ceux qui lui étoient asso-
ciés, et se mettoit en danger de se perdre et eux
avec lui.
1. Les cinq paragraphes qui précèdent sont évidemment
tirés des Ménioires du maréchal d Eswécs (éd. Michaud et Pou-
joulat, p. 410).
4 MÉMOIRES [1616]
Mais, si leurs remontrances étoient fortes en elles-
mêmes, sa propre passion l'étoit davantage envers lui,
joint que ses serviteurs, qui n'espéroient pas pouvoir
ailleurs si bien faire leurs affaires qu'à la cour, le for-
tifioient en son inclination. En quoi le maréchal de
Bouillon, qui considéroit ne pouvoir être tout à la fois
en Guyenne, auprès dudit sieur Prince, et à Sedan, dont
son propre intérêt l'obligeoit de s'approcher ^ l'ap-
puyoit par toutes les raisons que la fertihté de son
esprit lui pouvoit suggérer^.
Ainsi Monsieur le Prince, charmé par les trompeuses
apparences de la cour et attiré par sa passion et par
les conseils que ses serviteurs et ses amis lui don-
nèrent pour leur propre utilité, se résolut à la paix,
à laquelle aussi S. M., nonobstant les conseils qu'on
lui avoit donnés au contraire, avoit eu agréable d'en-
tendre.
Dès le premier jour de cette année, le duc de
Nevers et Edmunds^, ambassadeur d'Angleterre,
revinrent d'auprès de Monsieur le Prince, où ils étoient
allés avec permission de S. M., pour le convier de
revenir à son devoir. Ils amenèrent le baron de
Thiange, qui apporta au Roi une lettre de lui^, par
laquelle, faisant bouclier des remontrances des États
et du Parlement, il témoignoit ne désirer sinon que
S. M. y eût égard pour le bien propre de sa sacrée per-
1. Var. : Où son propre intérêt Tappeloit (M, H).
2. Les deux derniers paragraphes sont également tirés de
d'Estrées, p. 410.
3. Sir Thomas Edmunds : voyez tome I, p. 398.
4. Cette lettro du prince de Condé a été imprimée dans le
Mercure françois, t. IV, année 1616, p. 3.
[1616] DE RICHELIEU. 5
sonne et de son État. Il supplioit S. M. de donner la
paix à ses sujets, puis ensuite qu'il se tînt une confé-
rence en laquelle elle envoyât ses députés pour traiter
avec lui et ceux de l'assemblée de Nîmes\ laquelle,
pour plus de facilité, il supplioit le Roi de trouver bon
qu'elle s'avançât en quelque lieu plus proche de la
cour, qu'il daignât lui faire savoir le nom de ceux
qu'elle y vouloit envoyer, et que l'ambassadeur d'An-
gleterre y pût intervenir comme témoin^.
S. M. accorda que l'assemblée de Nîmes fût trans-
férée à la Rochelle et renvoya, dès le lendemain
2* janvier, M. de Nevers pour convenir de toutes les
circonstances de la conférence^.
Le même jour, S. M. partit de la Rochefoucauld \ et
arriva le 7^ à Poitiers, ayant failli une entreprise que
l'on avoit faite d'enlever tous les princes^ à Saint-
1. C'est-à-dire les protestants assemblés à Nîmes. Ceux-ci
avaient transporté leur assemblée à la Rochelle. Le Roi, on le
verra plus loin, voulut bien reconnaître le fait accompli.
2. Cette phrase résume les « articles présentés au Roi, pour
traiter de la paix, de la part de M. le prince de Condé et de
ceux de l'Assemblée de Nîmes », articles dont la teneur est
donnée dans le Mercure français, t. IV, année 1616, p. 4.
3. Le Mercure francois, t. IV, année 1616, p. 2-18, donne
de longs détails sur ces pourparlers.
4. Chef-lieu de canton du département de la Charente.
5. Monsieur le Prince, le duc du Maine, le duc de Longueville
et le duc de Bouillon, qui étaient allés rendre visite au duc de
Sully à Saint-Maixent. Les Mémoires de Pontchartrain (éd. Mi-
chaud, p. 356) contiennent un long récit de cet incident qu'ils
mentionnent comme ayant eu lieu vers le 3 ou le 4 janvier. Le
Mercure français (t. IV, année 1616, p. 18-19) et les Mémoires
de Bassompierre donnent le 7 janvier comme date de cette
rencontre.
6 MÉMOIRES [1616]
Maixent^ où ils se dévoient assembler, et, s'ils n'en
eussent été avertis, comme on croit qu'ils le furent par
le duc de Guise même, ils fussent tous tombés en la puis-
sance du Roi.
Le 8% S. M. renvoya vers ledit sieur le Prince le
baron de Thiange, qui l'étoit venu trouver de sa part,
et le maréchal de Brissac et M. de Villeroy, qui con-
vinrent avec lui de la ville de Loudun^ pour le lieu de
la conférence, qu'elle commenceroit le 10® février, et
cependant qu'il y auroit suspension d'armes de part
et d'autre jusques au premier jour de mars^. L'ordon-
nance de S. M. pour ladite suspension fut publiée le
23® janvier.
LL. MM. arrivèrent à Tours le 25% oîi il survint un
accident bien étrange et d'un mauvais présage ; car, le
29 du mois, le plancher de la chambre où la Reine
étoit logée, à l'hôtel de la Bourdaisière^, fondit, et la
1. Chef-lieu de canton du département des Deux-Sèvres, à
vingt-trois kilomètres nord-est de INiort.
2. Au sujet de la conférence de Loudun, voyez le Journal
de la conférence, par Pontchartrain (éd. Michaud, p. 416 et
suivantes), et le volume publié par M. Bouchitté dans la collec-
tion des Documents inédits pour servir à l'histoire de France.
3. Le texte de cet arrangement, signé à Fontenay-le-Comte
le 20 janvier, est conservé aux archives des Affaires étran-
gères, France 770, fol. 124 et suiv., sous le titre : Articles
accordés sous le bon plaisir du Roi entre Messieurs de Brissac,
maréchal de France, et de Villeroy, conseiller d' Etat de Sa
Majesté, ses députés, d'une part, et Ms'' le prince de Condé, pre-
mier prince du sang, d'autre, afin de parvenir à une conférence
pour la pacification des troubles de ce royaume. Il a été imprimé
dans le Mercure françois, t. IV, année 1616, p. 19.
4. Ce bâtiment, construit au xvi^ siècle par Philbert Babou,
cardinal de la Bourdaisière, était devenu l'hôtel des gouver-
[1616] DE RICHELIEU. 7
plupart des grands et des officiers qui y étoient tom-
bèrent; la Reine seule et ceux qui étoient proches
d'elle ne furent point enveloppés en cette ruine. Et à
Paris, la nuit de ce jour même, la glace de la rivière
de Seine, qui étoit prise, venant à se rompre, fît périr
plusieurs vaisseaux qui étoient chargés de provisions
nécessaires pour la vie, et emporta une partie du pont
Saint-Michel ; l'autre, qui ne fut pas emportée, fut
tellement ébranlée, qu'elle tomba à quelque temps
delài.
Le duc de Vendôme, qui avoit eu commandement et
reçu de l'argent du Roi pour faire des troupes et les
avoit levées, étant jusques alors toujours demeuré sans
se venir joindre en l'armée du Roi, ni aussi se déclarer
contre son service, faisoit, nonobstant la suspension
d'armes, tant d'actes d'hostilité, qu'on fut contraint
de lui commander de désarmer^ ; à quoi au lieu
neurs. D'après Bellanger [la Touraine ancienne et moderne,
p. 404), le plancher s'effondra, entraînant dans sa chute le
comte de Soissons, le marquis de Rostaing, les comtes de Vil-
leroy, de Nangis et de Bassompierre, qui ne reçurent que de
légères contusions. Brandélis de Champagne, marquis de Vil-
laines, fut « bien blessé », dit le Journal cV Arnauld d'Andilly,
p. 137. Voyez également le Mercure français, t. IV, année 1616,
p. 24-25.
1. Elle s'écroula au mois de juillet de la même année, de
sorte qu'on fut contraint de faire un autre pont de bois
au-dessous tirant vers les Augustins [Mercure françois, t. IV,
année 1616, p. 25). On commença à le reconstruire en pierres
en 1618, et on le chargea de maisons comme le Pont-au-
Change.
2. Bertrand de VignoUe, dit la Hire, fut envoyé vers le duc
de Vendôme à cet effet : voyez le Journal d' Arnauld d'Andilly,
p. 138.
8 MÉMOIRES [1616]
d'obéir, il se retira vers la Bretagne, où le parlement
de Rennes ordonna, par arrêt du 216" janvier, aux
habitants des villes et bourgades de courir sus à ses
troupes à son de tocsin, et le Roi lui envoya par un
héraut commander de poser les armes, sous peine
d'être déclaré^ criminel de lèse-majesté^.
Lors il leva le masque et déclara, le 18® février,
être du parti de Monsieur le Prince, qu'il vint trou-
ver à Loudun^; ce qui retint S. M. de le poursuivre
plus avant '^.
Les propositions des princes^ furent, à leur ordi-
naire, colorées du spécieux prétexte du service du
Roi et du bien de l'État. Ils demandèrent qu'il soit fait®
une recherche exacte de ceux qui ont participé à la
mort du feu Roi et que S. M. en veuille faire expédier
une commission au Parlement; que les libertés et
autorités de l'Église gaUicane soient maintenues; que
1. Le mot déclaré a été ajouté en interligne par Sancy sur le
manuscrit B.
2. Le héraut rencontra le duc de Vendôme au bourg de
Chantocé, près Ancenis. Tout ce paragraphe, relatif au duc de
Vendôme, est emprunté au Mercure français, t. IV, année 1616,
p. 38, 42 et 43.
3. Les députés étaient l'éunis à Loudun depuis le 13 février.
4. Le Mercure françois, t. IV, p. 43, dit : « Ainsi Mon-
sieur de Vendôme se déclara joint et uni avec Monsieur le
Prince, ce qui fit, pour un temps, retenir les troupes du Roi
de poursuivre les siennes jusques à ce qu'il en eût été traité à
la conférence de Loudun. »
5. Le Mercure français, t. IV, année 1616, p. 45 et suiv.,
donne le texte de ces propositions et, en regard, les réponses
qui y furent faites.
6. L'emploi du présent à la suite du passé pourrait indiquer
que ce qui va suivre est la copie d un autre document.
[1616] DE RICHELIEU. 9
le concile de Trente ne soit point reçu; que l'autorité et
dignité des cours souveraines ne soient point affoiblies ;
que les édits de pacification soient entièrement obser-
vés ; qu'il soit pourvu dans quelque temps aux remon-
trances du Parlement et aux cahiers des États ; que les
anciennes alliances soient conservées ; retrancher l'ex-
cès des dons et pensions, et principalement aux per-
sonnes de nul mérite. Tout cela ne reçut point de
difficultés à être admis et accordé par le Roi. Ils
demandèrent que le premier article du cahier du tiers
état fût accordé. A quoi S. M. ne put consentir, mais
promit seulement qu'elle y pourvoiroit avec l'avis des
principaux de son Conseil, lorsqu'il seroit répondu aux
cahiers des États'.
Ils insistèrent que l'arrêt du Conseil sur le sujet des
remontrances du Parlement fût révoqué. S. M. fut, par
leur importunité, obligée de consentir qu'il demeurât
sans effet.
Ce qui apporta plus de préjudice à son autorité
royale fut que S. M. accorda que tous édits, lettres
patentes, déclarations, arrêts, sentences, jugements
et décrets donnés contre les princes et tous ceux qui
les ont suivis, seroient révoqués et tirés des registres et
qu'ainsi en seroit-il fait de la déclaration faite à Poi-
tiers en septembre dernier 2, sans qu'elle pût être tirée
en exemple pour l'avenir, en ce qui regarde la dignité
des princes du sang; car, par là, S. M. sembloit avouer
que ladite déclaration donnée à Poitiers avoit été
1. Voyez le Mercure français, ibid., p. 45 et suiv., que les
rédacteurs des Mémoires ont utilisé.
2. Tome 1, p. 404.
10 MÉMOIRES [1616]
contre la justice et les formes ordinaires. Elle promit
aussi de faire réparer l'offense que Monsieur le Prince
prétendoit lui avoir été faite par l'évêque et habitants
de Poitiers^ et que tous ceux qui, pour avoir eu intelli-
gence avec lui, s'étoient retirés et absentés de la ville, y
seroient rétablis, et toutes les informations et procé-
dures faites contre eux déclarées de nul effet et valeur,
et que, d'autre côté, à l'instance dudit sieur le Prince,
S. M. promît qu'elle seule pourvoiroit aux charges du
régiment des Gardes, ce qui, encore qui fût juste, ne
devoit néanmoins être accordé à la requête dudit sieur
Prince, qui sembloit le proposer en haine du service
que le duc d'Épernon, en cette occasion, avoit rendu
au Roi : ce qui donnoit sujet à leurs partisans de publier
que ceux qui servoient le Roi en rece voient du mal et
ceux qui le desservoient en servant les princes en
tiroient récompense^.
La Reine eut peine à accorder une chose sur laquelle
insistoit Monsieur le Prince^, qui étoit qu'il seroit chef
du conseil de S. M. et signeroit tous les arrêts qui
s'expédieroient. Mais elle ne voyoit pas tant de jour à
la refuser que la demande qu'avec plus de chaleur
les princes firent au Roi et à laquelle ils s'affermirent
avec plus d'opiniâtreté, qui fut celle de la citadelle
1. ïome I, p. 290-293.
2. Tout ce paragraphe reproduit avec commentaires les
articles 16 et 27 à 30 des demandes faites par le prince de
Condé à la conférence de Loudun [Mercure francois, t. IV,
année 1616, p. 52).
3. Var. : La Reine eut de la peine à accorder une chose que
Monsieur le Prince demandoit instamment (M, H).
[1616] DE RICHELIEU. M
d'Amiens*. Cet article, longtemps débattu, obligea à
prolonger la trêve jusques au 5^ mai-.
LL. MM., sachant qu'ils n'en vouloient qu'à la per-
sonne du maréchal d'Ancre, aimèrent mieux lui ôter
cette place que permettre qu'elle fût rasée, étant de
l'importance qu'elle est à l'État, à la charge, toutefois,
que M. de Longueville demeureroit en sa maison de
Trie^, en attendant que S. M. eût pourvu au gouver-
nement de ladite place ^.
M. de Villeroy, ayant eu le vent cjue la Reine étoit
1. Ce qui précède est tiré des Mémoires d'Estrées (p. 411),
qui donnent plus de détails que nos Mémoires sur les négocia-
tions engagées et sur les repi'oches que la Reine mère adressa
à Villeroy de n'avoir pas assez énergiquement défendu les
intérêts de la royauté. Les Mémoires se sont encore inspirés,
pour la l'édaction des deux paragraphes suivants, du texte de
d'Estrées, qu'ils reproduisent presque mot à mot.
2. La trêve fut prolongée à plusieurs reprises, d'abord du
23 février au 15 mars, ensuite du 15 mars au l^"" avril, puis
jusqu'au 25 avril et enfin jusqu'au 5 mai [Mercure français,
t. IV, année 1616, p. 44, 45, 76, 78). Il semble, d'après un
document des Affaires étrangères, que la trêve fut prolongée
du 27 mars au 15 avril par acte royal du 27 mars, signé à
Tours (AIT. étr., France 770, fol. 129). Il y aurait donc eu pro-
longations de trêve du 23 février au 15 mars, du 15 au 27 mars,
du 27 mars au 15 avril et du 15 avril au 5 mai.
.3. Trie -Château, canton de Chaumont, département de
l'Oise. Le château et la seigneurie de Trie étaient devenus la
propriété des Orléans-Longueville par suite du mariage con-
tracté en 1563 par Marie de Bourbon, duchesse d'Estouteville
et dame de Trie, avec Léonor d'Orléans, duc de Longueville,
aïeul de Henri, dont il est fait ici mention.
4. Cette phrase est tirée d'un passage des Mémoires d'Es-
trées (p. 411); l'éditeur de la collection Michaud a imprimé :
dans sa maison de Troyes.
12 MÉMOIRES [1616]
mécontente de lui pour ces deux derniers articles,
comme s'il n'eût pas fait tout ce qui étoit en lui pour
empêcher les princes de les lui proposer ou en affoi-
blir leurs poursuites, la vint trouver à Tours ^ et, pour
se justifier, lui représenta qu'il étoit avantageux pour
le service du Roi de donner à Monsieur le Prince toute
la satisfaction qui se pouvoit pour l'attirer à la cour ;
qu'il lui étoit préjudiciable de permettre qu'il demeu-
rât éloigné dans son gouvernement, où de nouveaux
boute- feux seroient tous les jours à l'entour de lui
pour l'exciter à rallumer la guerre ; qu'au reste l'auto-
rité qu'on lui donneroit de signer les arrêts ne dimi-
nueroit en rien celle de la Reine, mi que, s'il y servoit
bien, les choses que S. M. y feroit ordonner en seroient
d'autant plus autorisées, et, s'il faisoit mal, on y pouvoit
facilement remédier, sa personne étant en la puissance
de LL. MM.^. Quant à ce qui regardoit le maréchal
d'Ancre, il lui avoit semblé être obligé, pour le service
qu'il devoit à la Reine et pour la considération dudit
maréchal même, de ne pas attirer sur lui, et ensuite sur
elle, cette envie que l'on crût et publiât par tout le
royaume que son intérêt particulier, qui seroit réputé
à une vanité très dommageable, empêchât la pacifica-
tion de ces troubles, le repos des peuples et le bien
public, et qu'à l'extrémité, si la Reine lui vouloit con-
server cette place, elle la lui pourroit remettre par
après en ses mains, quand les princes seroient sépa-
rés et leur armée licenciée, et ce d'autant plus facile-
1. Bassompierre, qui assista à l'entretien, le rapporte en
termes très colorés dans ses Mémoires, t. II, p. 72.
2. Les mots de Leurs Majestés ont été ajoutés en interligne,
de la main de Charpentier, sur le manuscrit B.
[•1616] DE RICHELIEU. 13
ment que l'échange seroit aisé à faire avec M. de
Lonoueville de la Picardie avec la Normandie, et ledit
duc, hors d'intérêt, ne penseroit plus à la citadelle
d'Amiens.
La Reine fut contente ou feignit de l'être de ces
raisons. Le Roi s'avança cependant à Blois, où peu de
jours après la Reine se rendit, et, en même temps,
Monsieur le Prince tomba malade d'une fièvi^e conti-
nue, ce qui fut cause que la paix ne put être signée
qu'au commencement de mai ^ .
Le 4' de mai, S. M. fit publier deux ordonnances :
l'une pour la retraite des gens de guerre qui avoient
suivi Monsieur le Prince, l'autre pour la pacification
des troubles présents % attendant que l'édit qu'elle en
a voit fait expédier fût publié au Parlement, ce qui
fut le 8^ juin ensuivant.
Voilà ce qui fut publié de l'édit de Loudun^; mais
les articles secrets, qui étoient les principaux et ceux
auxquels les princes avoient buté\ furent que cha-
cun d'eux reçut, en son particulier, de grands dons et
récompenses du Roi, au lieu de la punition qu'il
avoit méritée. Aussi ne livrèrent-ils pas à S. M. la foi
qu'ils lui vendoient si chèrement, ou, s'ils la livrèrent,
ce ne fut pas pour longtemps.
1. Comparez les Mémoires d'Estrées (p. 411).
2. Voyez dans le Mercure français, t. IV, année 1616,
p. 80-82, le texte de ces deux ordonnances.
3. Le Mercure françois, t. IV, année 1616, p. 89 et suiv.,
donne le texte in extenso de l'édit de Loudun contenant les
conditions de la paix entre le Roi et les princes, en cinquante
articles, plus quinze articles particuliers.
4. Au sens de prendre pour but.
14 MÉMOIRES [1616]
On donna à Monsieur le Prince la ville et château
de Chinon, et, pour son gouvernement de Guyenne,
qu'en apparence il offrit pour montrer qu'il se vou-
loit déporter de toute occasion de remuement, mais
duquel, en effet, il se défaisoit à la suscitation de son
favori qui avoit son bien éloigné de la Guyenne et pré-
féroit son intérêt à ceux de son maître, on lui donna
celui de la province de Berry, de la tour^ et ville de
Bourges, de plusieurs autres places en icelle, la plus
grande part du domaine, et quinze cent mille livres
d'argent comptant, pour les frais qu'il prétendoit
avoir faits en cette guerre, outre les levées qu'il avoit
faites en ce royaume et les deniers du Roi qu'il avoit
pris^.
Tous les autres princes et seigneurs qui l'avoient
suivi reçurent aussi, chacun en son particulier, des
gratifications, le Roi achetant cette paix plus de six
milHons de livres^.
Le Roi, donnant la paix à son peuple, la donna
encore à la cour à tous ceux qui étoient mécontents
du Chancelier; car il lui fit rendre les sceaux et les
1. De la Touraine, d'après le manuscrit H. Les Mémoires de
Pontclmrtrain (éd. Michaud, p. 362) portent que l'on accorda
à Monsieur le Prince « l'échange de son gouvernement de
Guyenne avec celui du Berry et la capitainerie et gouvernement
de Bourges, et la grosse tour, qu'il fallut pour cet effet ôter
des mains de M. de la Châtre. »
2. Voyez le Mercure françois, t. IV, année 1616, p. 133.
3. Pour le détail des sommes ainsi attribuées, voyez un
document des Affaires étrangères intitulé : Sommes qui ont été
accordées par le traité de Loudun. Etat des comptants à expé-
dier suivant le traité de paix de Loudun (France 770, fol. 207).
[1616] DE RICHELIEU. 15
donna au sieur du Vair, premier président de Pro-
vence, la réputation duquel fit estimer d'un chacun le
choix que S. M. en avoit fait^
Il y avoit longtemps que M. de Villeroy disoit à la
Reine et à la maréchale que, si S. M. ne chassoit le
Chancelier de la cour, tout étoit perdu, et leur avoit
souvent répété ce discours durant le voyage, en toutes
les occasions qui se présentoient de satisfaire à la
mauvaise volonté qu'il avoit contre lui, et lui donner
à dos'. Il disoit aussi à la Reine que le Parlement et le
peuple recevroient grande satisfaction de son éloigne-
ment, étant certain que ce personnage, ayant beau-
coup de bonnes qualités, avoit ce malheur de n'être
pas bien dans la réputation publique. Et, sur la diffi-
culté que faisoit la Reine d'éloigner un vieil ministre,
auquel naturellement elle avoit quelque inclination,
disant que c'étoit un bon homme qui n 'avoit point
de mauvais desseins, il lui avoit mis en avant le prési-
dent du Vair comme un homme la créance de la vertu
duquel feroit perdre le regret que quelques-uns pour-
roient avoir de son éloignement.
Mais, le Chancelier s'étant aperçu que lesdits sieurs
1. Le chancelier de Sillery l'endit les sceaux au Roi, le l""" mai
1616, à Blois (Mercure francois, t. IV, année 1616, p. 79).
Guillaume du Vair (1556-1621), conseiller au parlement de
Paris (1584), maître des requêtes en 1594, puis premier pré-
sident du parlement de Provence, fut nommé garde des sceaux
en mai 1616. Il remit les sceaux le 25 novembre suivant; mais
ils lui furent rendus le 25 avril 1617. En 1618, il fut nommé
évêque de Lisieux.
2. Les mots et lai donner à dos ont été ajoutés de la main de
Charpentier sur le manuscrit B.
10 MÉMOIRES [1616]
de Villeroy et président Jeannin commençoient à pré-
valoir contre lui en l'esprit de la Reine, il n'y eut sorte
d'adresse dont il ne se servît, ni de soumissions qu'il
ne leur fit pour se réconcilier avec eux ; ce qui fit que
ledit sieur de Villeroy, qui avoit une particulière con-
noissance de M. du Vair, et sa voit qu'outre que
c'étoit un esprit rude et moins poli que la vie de la
cour et le grand rang qu'il y tiendroit ne pouvoient
souffrir, il étoit si présomptueux, que, sans déférer
à l'avis de personne, il voudroit usurper toute l'auto-
rité du gouvernement, essaya de ramener l'esprit de
la Reine et faire que, continuant à se servir du Chan-
celier, elle se contentât d'éloigner de la cour le com-
mandeur de Sillery, et le sieur de Bullion, qui avoit
épousé leur nièce.
La Reine chassa de Tours ^ les deux susdits et con-
tinua toujours en la volonté de faire de même du Chan-
celier; à quoi la maréchale d'Ancre la confortoit,
mécontente de voir que lesdits sieurs de Villeroy et
président Jeannin eussent si tôt changé d'avis.
Le sieur de Villeroy, reconnoissant cela, tâcha d'ar-
rêter ce dessein par autre moyen et écrivit au prési-
dent du Vair, avec lequel il avoit une ancienne amitié,
qu'il ne lui conseilloit pas en ce temps orageux,
auquel les affaires avoient peu de fermeté, d'accepter
les sceaux si on les lui offroit; qu'il penseroit man-
quer à l'affection qu'il lui portoit s'il ne lui donnoit
ce conseil; qu'il y avoit peu de sûreté dans cet
emploi, grande difficulté à y bien faire et plus encore
à y contenter tout le monde, grand nombre d'enne-
1. Les manuscrits portent des Tours, par mégarde.
[1616] DE RICHELIEU. 17
mis à y acquérir, et peu ou point de protection à y
attendre de ceux qui avoient le principal crédit dans
le gouvernement.
Le président du Vair, intimidé, refusa l'offre qu'on
lui en fît. La maréchale, étonnée de ce refus et soup-
çonnant qu'il y avoit en cela quelque tromperie,
envoya quérir Ribier% son neveu, qui lui dit que ce
que son oncle en avoit fait étoit sur les lettres qu'il
en avoit reçues de M. de Villeroy, qui l'en dissuadoient,
et s'offrit, si elle l'avoit agréable, de l'aller quérir lui-
même; ce qu'il fît incontinent.
Le partement de M. du Vair fut si public, par le
grand nombre de personnes de toutes qualités qui
voulurent aller prendre congé de lui et l'accompa-
gner, que le Chancelier en eut promptement avis et se
résolut, pour n'être prévenu avec honte à la face de
toute la cour, de partir de Tours, où il étoit encore, et
aller à Blois trouver la Reine pour lui demander congé
de se retirer. Le président du Vair avoit la même
volonté que lui et ne désiroit pas, à son arrivée, le
trouver encore à la cour, soit pour le respect de la
bienveillance qui étoit entre eux de longtemps, soit
qu'il ne s'estimât point assuré qu'il ne le vît actuelle-
ment dépossédé, et avoit fait suppher la maréchale,
par son neveu Ribier, de lui vouloir procurer cette
satisfaction .
Le Chancelier, étant en chemin, communiqua son
1. Jacques Ribier, conseiller au parlement de Paris, puis
conseiller d'État, avait épousé Françoise Alleaume, fille de
Nicolas Alleaume, conseiller au Parlement, et d'Antoinette du
Vair, sœur du chancelier du Vair. Il était frère de Guillaume
Ribier, député aux États généraux de 1614 : tome I, p. 380.
II 2
18 MÉMOIRES [1616]
dessein au président Jcannin, et, comme l'espérance
meurt toujours la dernière en nos esprits, et principa-
lement à la cour, il pria le président Jeannin (parce
que M. de Villeroy étoit lors à Loudun à la conférence)
d'aller devant trouver la Reine et savoir d'elle si le
bruit que l'on faisoit courir de la venue dudit sieur du
Vair étoit véritable, et lui rendre, en cette occasion,
les derniers bons offices que son péril présent, qui
leur pouvoit être commun bientôt après, lui devoit
faire espérer de lui.
Le président Jeannin va trouver la Reine ; elle lui
dit ce qui en étoit. Il lui parla de différer ce chan-
gement ; la Reine se montrant tout émue de ses
paroles \ il lui dit que M. de Villeroy et lui lui en
avoient autrefois donné le conseil, mais qu'ils ne le
jugeoient plus nécessaire depuis les protestations qu'il
leur avoit faites de vouloir suivre leur avis, et leur
être tellement soumis qu'il ne feroit plus rien que ce
qu'ils voudroient, dont ils avoient sujet d'être assu-
rés, puisqu'il n' avoit plus auprès de lui le comman-
deur de Sillery et BuUion. A quoi la Reine, pour toute
réponse, lui demanda si c'étoit ainsi qu'il gouvernoit
les affaires du Roi par ses intérêts particuliers, et, dès
le lendemain, fit faire commandement au Chancelier
de rapporter les sceaux au Roi ; ce qu'il fît, et se retira
de la cour.
L'éloignement du président Jeannin et de M. de
Villeroy étoit aussi déjà résolu ; mais ce dessein n'écla-
toit pas encore, Barbin^, à qui la Reine avoit donné la
1. Var. : Il lui parla de différer ce changement; ce qui étonne
la Reine; il lui dit (M, H).
2. Tome I, p. 269.
[1616] DE RICHELIEU. 19
charge du premier, ayant cru devoir différer à la
recevoir jusques à ce que LL. MM. fussent de retour
à Paris et la paix bien assurée.
LL. MM. y arrivèrent le 16 mai* et y donnèrent
les sceaux à M. du Vair ; le président Le Jay fut remis
en liberté et rentra en l'exercice de sa charge au Par-
lement ~. Mais une liberté plus chère et moins espérée
fut rendue, et plus volontiers, au comte d'Auvergne^,
que LL. MM., ne sachant plus à qui des princes avoir
une confiance entière, délivrèrent comme une créa-
ture anéantie à laquelle ils auroient donné l'être de
nouveau. Il avoit été mis deux fois à la Bastille par le
feu Roi^, et pour crime de rébellion et entreprises
contre S. M.^, au ser\dce de laquelle il ne s'étoit
jamais comporté de la sorte qu'il étoit obligé par sa
condition. Son premier arrêt ^ ne l'ayant rendu sage,
il n'y avoit point d'espérance que celui-ci dût prendre
1. La Reine mère arriva à Paris le mercredi 11 mai, le Roi
et la Reine le 16. Le Mercure françois, t. IV, année 1616,
p. 84-87, donne un récit détaillé de leur entrée.
2. Le président Le Jay avait, on s'en souvient, été arrêté le
17 août 1615 et emprisonné dans le château d'Amboise : voyez
tome I, p. 400. La mise en liberté du président Le Jay est
mentionnée par le Mercure françois, t. IV, année 1616, p. 87.
3. Charles de Valois (1573-1650), fils naturel de Charles IX
et de Marie Touchet et frère de la marquise de Verneuil, maî-
tresse de Henri IV. Il recouvra sa liberté le 26 juin 1616. Au
mois de janvier 1620, il reçut de Louis XIII le duché d'Angou-
lême, dont il prit le nom.
4. Le comte d'Auvergne avait été emprisonné, la première
fois, pour avoir pris part à la conspiration du maréchal de Biron.
5. Les mots Sa Majesté ont été substitués après coup par
Sancy, sur le manuscrit B, aux mots : sa dignité royale.
6. Arrêt veut dire ici emprisonnement.
20 MÉMOIRES [1616]
fin; mais ce que son propre mérite lui dénioit, la
malice des autres le lui fit obtenir, sous espérance
que la grandeur de cette obligation dernière surmon-
teroit les mauvaises inclinations qui avoient paru en
lui auparavant; et, afin que la grâce fût tout entière,
S. M. lui fît rendre, par le duc de Nevers, l'état de
colonel de la cavalerie légère, dont il étoit honoré
avant sa prison ^ .
LL. MM. récompensèrent aussi ceux qui avoient des
places fortes et le domaine du Roi en Berry, afin de
satisfaire à la promesse qui avoit été faite à Monsieur le
Prince^.
Le maréchal d'Ancre remit la citadelle d'Amiens
entre les mains du duc de Montbazon^, à qui, en
1. Tout ce paragraphe, depuis les mots le président Le Jay,
a été ajouté en marge du manuscrit B, de la main du copiste.
2. Le manuscrit B porte ici l'alinéa suivant, qui y a été biffé :
« Et pour ce que, des partis divers qui se font dans la maison
du Roi à qui prendra plus de pied dans son jeune esprit, la
Reine croit qu'il a plus d'inclination vers Luynes, qui, jusques
alors, l'emportoit avec quelque avantage sur tous les autres,
elle pensa à le rendre entièrement sien, et, outre les grandes
pensions dont elle le favorisoit, elle lui fit encore donner la
ville et château d'Amboise, qu'elle acheta plus de cent mille
écus à cette fin, par une erreur assez ordinaire dans le com-
merce des hommes d'aider à ceux que nous voyons mal volon-
tiers s'élever, n'osant ouvertement nous opposer à eux et espé-
rant les pouvoir gagner par nos bienfaits, sans prendre garde
que cette considération-là n'aura pas un jour tant de force
pour nous en leur esprit qu'en aura contre nous le propre
intérêt de leur ambition démesurée qui ne peut souffrir de
partager l'autorité qu'elle désire avoir seule, ni moins la pos-
séder avec dépendance d'autrui. »
3. Ce changement eut lieu le l®"" août 1616. — Hercule de
Rohan (1568-1654), duc de Montbazon, fils de Louis de Rohan,
[1616] DE RICHELIEU. 21
outre, le Roi donna la lieutenance en Picardie, au lieu
de celle de Normandie qu'il avoit. Et, afin que le
maréchal d'Ancre ne perdit point en cet échange, ains
au contraire trouvât son élèvement en l'abaissement
qu'on lui avoit voulu procurer, on lui donna la lieu-
tenance de Roi en Normandie, le gouvernement de
la ville et château de Gaen, dont on retira Bellefonds^
celui du Pont-de-l' Arche, et peu après Quillebœuf^.
Les princes, nonobstant que LL. MM. témoignassent,
par ces commencements, vouloir exécuter ponctuelle-
ment ce qui avoit été promis, ne se hàtoient point de
venir à Paris, chacun d'eux désirant laisser écouler
davantage de temps pour voir plus assurément quel
train prendroient les affaires.
Ils s'étoient néanmoins séparés avec assez mauvaise
intelligence les uns d'avec les autres, ce qui arrive
ordinairement entre personnes desquelles chacun esti-
mant plus mériter qu'il ne vaut, nul n'est content de
la part qui lui est donnée en la récompense com-
mune. Ils se plaignoient tous que Monsieur le Prince
avoit pris tout l'avantage pour lui. Les ducs de Rohan
prince de Guémené, et de Léonore de Rohan, servit fidèle-
ment Henri IV, dont il reçut la charge de gouverneur de
Paris et de l'Ile-de-France et, en 1602, celle de grand veneur.
De son mariage avec Madeleine de Lenoncourt naquit Marie de
Rohan, la célèbre duchesse de Chevreuse.
1. Bernardin Gigault, seigneur de Bellefonds, gentilhomme
de la chambre du Roi, gouverneur de Valognes et des ville et
château de Caen.
2. Le manuscrit B contient cette phrase, qui a été rayée
après coup : « Le président Le Jay fut remis en liberté et ren-
tra en l'exercice de sa charge au Parlement. » Les Mémoires
ont, en effet, déjà mentionné un peu plus haut cet incident.
22 MÉMOIRES [1616]
et de Sully, qui prétendoient être [les] seuls qui
avoient joint à ses armes le parti des huguenots,
estimoient qu'il avoit eu trop peu d'égard à leurs inté-
rêts. M. de Longueville n'étoit pas plus satisfait que
les autres, se voyant retiré en sa maison et n'osant
retourner en Picardie, nonobstant que le maréchal
d'Ancre se fût démis de la citadelle d'Amiens, pour ce
qu'il jugeoit bien qu'il n'y auroit pas plus de crédit,
étant entre les mains de M. le duc de Montbazon, qu'il
y en avoit eu, étant entre les mains du maréchal
d'Ancre. Et, entre M. de Bouillon et Monsieur le
Prince, il y avoit si peu de confiance que le dernier,
qui étoit désiré à la cour avec impatience de la part
de la Reine, lui faisoit paroître qu'il eût bien sou-
haité, quand il y arriveroit, en trouver le premier
éloigné, tant cette union si étroite de ces princes
contre le Roi, et qui ne se maintenoit que par les
avantages que chacun d'eux en espéroit par la
guerre, fut promptement dissipée par ce traité de
paix * .
Les seuls ducs de Mayenne et de Bouillon se main-
tinrent en intelligence l'un avec l'autre. Le dernier,
ayant volonté de s'en aller en Limousin et à Nègre-
pelisse^, que depuis peu il avoit acquis, changea de
dessein à la semonce de la Reine, qui lui fit l'honneur
de lui écrire de sa main propre pour le convier de se
rendre au plus tôt auprès de S. M.; ce qu'il fit, et
amena le duc de Mayenne avec lui. Mais, encore que la
1. Le paragraphe précédent n'est que le développement d'un
passage des Mémoires d'Estrées (p. 411).
2. Nègrepelisse, chef-lieu de canton du département de Tarn-
et-Garonne, à vingt kilomètres nord-est de Montauban.
[1616] DE RICHELIEU. 23
Reine les reçut très bien, ils ne furent pas sitôt arri-
vés qu'ils se repentirent de s'être hâtés plus que les
autres, d'autant qu'ils virent un changement universel
que la Reine fit bientôt après de tous les ministres.
MM. de Villeroy et le président Jeannin étoient déjà
à leur arrivée sans crédit, et ne se passa guère de
temps que le premier se retira en sa maison de Con-
flans*; la charge du second fut donnée à Rarbin, et
celle de secrétaire d'État, que M. de Puyzieulx exer-
çoit, au sieur Mangot^. La raison dictoit assez
qu'ayant ôté les sceaux à Monsieur le Chancelier, il
n'étoit pas à propos de laisser son fils premier secré-
taire d'État en un temps si orageux que celui auquel
on étoit lors ; mais la bonté de la Reine, qui n'avoit
éloigné le père qu'y étant contrainte par son mauvais
gouvernement, faisoit qu'elle avoit difficulté d'éloi-
gner le fils, qui n'avoit point commis de faute particu-
lière qui semblât le mériter. Le sieur du Vair, qui ne
croyoit point être assuré tandis qu'il verroit une per-
sonne à la cour si proche à celui dont il tenoit la
place, oubliant toute l'obligation qu'il avoit à M. de
Villeroy, qui l'avoit seul proposé au feu Roi pour être
premier président de Provence, lui avoit fait valoir ses
1. Tome I, p. 123.
2. Claude Mangot, seigneur de Villarceaux, conseiller au Par-
lement, maître des requêtes en 1600, chargé d'une mission en
Suisse, puis premier président du parlement de Bordeaux, fut
nommé secrétaire d'État par provision du 9 août 1616 (AfT.
étr., France 770, fol. 153). Il appartenait à une bonne famille
de robe, et son père était de Loudun. Au dire du président
Gramond, il était « vir probus et, quod in aulâ rarum, incor-
ruptus » (G. Hanotaux, Histoire du cardinal de Richelieu,
t. II, p. 83).
24 MÉMOIRES [1616]
services et l'avoit maintenu envers et contre tous, fit
tant d'insistances à la Reine de le congédier, qu'il lui en
fit enfin prendre résolution, non toutefois tant à son
contentement qu'il espéroit; car, au lieu qu'il se pro-
mettoit de faire entrer en cette charge Ribier, son
neveu, qui s'en étoit déjà vanté, la Reine la donna au
sieur Mangot, à qui elle avoit, peu auparavant,
accordé la charge de premier président de Bordeaux.
C'est ainsi que les honneurs changent les mœurs en
un moment. Le sieur du Vair qui, peu de jours avant,
faisoit profession d'être un philosophe stoïque* et en
écrivoit des livres, n'est pas sitôt à la cour que, chan-
geant d'esprit en faisant paroitre les qualités qui y
étoient cachées, non seulement y devient ambitieux,
mais noie dans son ambition tous les devoirs de bien-
séance et d'amitié, commettant une ingratitude qu'un
homme qui n'eût jamais été courtisan eût eu honte
qu'on lui eût pu reprocher^.
En ce temps, la Reine, ayant été avertie par ses
serviteurs de l'adresse et des artifices dont le sieur
de Luynes usoit auprès du Roi pour lui rendre sa
conduite odieuse, lui en représentant les manque-
ments plus grands qu'ils n'étoient, et amoindrissant
ce qui étoit à louer, se résolut de lui offrir de se
1. Le manuscrit B portait auparavant : « ... faisoit profes-
sion du philosophe stoïque... » C'est Charpentier qui a cor-
rigé et mis : « ... faisoit profession d'être un philosophe
stoïque... »
2. Ici se trouvait dans le manuscrit B un passage relatif au
duc de Bouillon, qui a été biffé pour être reporté plus loin :
ci-après, p. 27; il commence par ces mots : « M. de Bouillon,
qui savoit bien se servir, etc. »
[1616] DE RICHELIEU. 25
démettre de l'autorité qu'il lui avoit donnée, et la
consigner en ses mains, jugeant bien qu'il ne la rece-
vroit pas, et que cette offre, néanmoins, feroit en
son esprit l'effet qu'elle désiroit, qui étoit de lui ôter
la créance qu'elle eût un désir démesuré de continuer
son gouvernement, auquel elle étoit portée par ambi-
tion particulière, non pour le bien de son service, ni
que la nécessité publique le requît.
Elle le supplia pour ce sujet d'avoir agréable de
prendre jour pour aller au Parlement, où, après lui
avoir justifié combien elle étoit éloignée de ces senti-
ments, elle désiroit se décharger du soin de ses
affaires ; qu'il trouveroit que, par le passé, on n'a voit
pu conduire les choses plus heureusement, et qu'ayant
fait tout ce qu'elle avoit dû pour lui assurer la cou-
ronne, il étoit bien raisonnable qu'il prît cette peine
pour lui procurer son repos; qu'il lui fàchoit,
après tant de glorieuses preuves* qu'elle avoit don-
nées de sa passion au bien de cet État, de se voir en
peine de défendre ses intentions contre des calomnies
secrètes ;
[Que,] comme elle n'avoit rien à craindre de son
naturel, aussi voyoit-elle qu'elle avoit juste sujet de se
défier de son âge ; qu'elle prévoyoit que, si on avoit eu
l'audace de l'attaquer en un lieu si saint, il pourroit
avec le temps être emporté par force et se laisser
vaincre à la violence de leurs poursuites ;
Quelle jugeoit bien que, quand l'on est parvenu
par beaucoup de peines et de périls au comble d'une
1. Le mot preuves a été ajouté en interligne, de la main de
Charpentier, sur le manuscrit B.
26 ■ MÉMOIRES [1616]
grande réputation, la prudence veut qu'on pense à
une favorable retraite, de peur* qu'on ne perde, par
la révolution des choses humaines, ce qu'on a si chè-
rement acquis ;
Qu'elle savoit que les offices les plus mal reconnus
sont ceux qu'on rend au public, et qu'un mauvais
événement pouvoit ternir la gloire de ses actions
passées.
Mais, quelque instance qu'elle pût faire, le Roi ne
lui voulut jamais accorder de quitter le gouverne-
ment de ses affaires. En quoi elle ne fut pas trompée;
car elle ne le désiroit, ni ne craignoit que le Roi la
prît au mot ; mais les raisons qu'elle lui avoit appor-
tées lui sembloient être si recherchées, qu'il crut
qu'elles lui avoient plutôt été insinuées qu'elle ne les
avoit pas conçues en son esprit, et, pour ce, ne s'ouvrit
pas avec elle des mécontentements qu'il commençoit
à recevoir du prodigieux élèvement du maréchal
d'Ancre, ne jugeant pas qu'elle eût volonté d'y remé-
dier, mais l'assura qu'il étoit très satisfait de son
administration, que personne ne lui parloit d'elle qu'en
des termes convenables à sa dignité.
Le sieur de Luynes ne lui en dit pas moins et
accompagna ses paroles de gestes et de serments, et
de toutes autres circonstances qui peuvent servir à
cacher un cœur double et qui a une intention toute
contraire à ce qu'il promet. Il ne put néanmoins si bien
se feindre que la Reine, qui n'étoit pas inexperte
en ces artifices, n'en aperçût quelque chose. Elle ne
1. Les mots de peur ont été ajoutés en interligne, de la main
de Charpentier, sur le manuscrit B.
[1616] DE RICHELIEU. 27
s'en douta pas tant qu'elle en prît dessein de le chas-
ser d'auprès la personne du Roi, ni si peu aussi qu'elle
ne commençât à penser à quelque retraite honorable,
si le Roi prenoit quelque jour de lui-même la résolu-
tion qu'il avoit refusé de prendre à sa requête.
Et, pour ce qu'elle avoit commencé à gouverner ce
royaume avec autorité souveraine en la minorité du
Roi, ne désirant pas retourner à vivre sous la puis-
sance d'autrui, elle fît traiter de la principauté de la
Mirandole^ et envoya exprès André Lumague^ en
Italie pour en convenir de prix. Mais le roi d'Es-
pagne traversa l'exécution de ce traité et ne voulut
plus que les François remissent le pied, en quelque
manière que ce fût, en un lieu dont il les avoit chassés
avec tant de peines, de périls et d'années.
M. de Bouillon, qui sa voit bien se servir de tout à
son avantage, essaya de profiter de l'absence de Mon-
sieur le Prince et convertit en artifices de prudence
la disgrâce en laquelle, par fortune, se rencontroit
alors M. de Villeroy : car, jugeant que ledit sieur de
Villeroy, pour, par l'appréhension de nouvelles brouil-
leries, se rendre nécessaire^, favoriseroit toutes les
demandes qu'il pourroit faire, pour peu raisonnables
1. Principauté italienne, ayant pour capitale la ville du même
nom et située entre les duchés de Ferrare, de Modène et de
Mantoue.
2. Jean-André Lumaga ou Lumague (1564-1637), seigneur
de Villiers et de Saint-Loup, banquier italien auquel Richelieu
eut souvent recours : voyez Avenel, t. I, p. 705, et VIII, p. 42.
3. Var. : Jugeant que Villeroy pour, par appréhension, se
rendre nécessaire (M). — Jugeant que Villeroy, pour se rendre
nécessaire (H).
28 MÉMOIRES [1616]
qu'elles fussent, et représenteroit que le refus qu'on lui
en feroit seroit une infraction au traité de Loudun,
[il] ne fit point de difficulté de désirer de la Reine plu-
sieurs choses frivoles et impertinentes et qui, en vérité,
étoient au delà des choses qui avoient été accordées
par ledit traité, mais que néanmoins, il disoit être
nécessaires, tant pour la sûreté de Monsieur le Prince
que de ceux qui avoient été joints avec lui.
Entre autres choses, ils faisoient grande instance
sur le règlement du Conseil, lequel ils vouloient être
réduit à un certain nombre de personnes choisies, le
choix desquelles étoit très difficile à faire, tant pour
n'encourir l'envie de ceux qu'on rebutoit que pour ce
qu'ils eussent formé difficulté sur beaucoup de ceux
qu'on eût retenus, s'ils n'eussent été de leur intelli-
gence.
Gela mettoit la Reine bien en peine; carie garde des
sceaux du Vair étoit si nouveau dans les affaires,
qu'elle n'en étoit aucunement assistée, étant étonné en
toutes rencontres, ne sachant se démêler d'aucune, et
M. de Bouillon ayant tel ascendant sur son esprit qu'il
en faisoit ce qu'il vouloit, de sorte qu'il se laissa aller
jusque-là que de dire à la Reine, en présence dudit
sieur de Bouillon, qu'elle n'étoit pas bien conseillée de
prendre si peu de confiance c[u'elle faisoit à lui et à
M. de Mayenne; ce que la Reine, qui sur-le-champ ne
lui voulut rien répondre, lui reprocha par après, lui
remontrant les sujets qu'elle avoit de se méfier d'eux,
et que, quand bien cela ne seroit pas ainsi, il ne devoit
pas lui en parler en leur présence.
Toutes ces choses faisoient désirer à la Reine d'autant
plus ardemment la venue de Monsieur le Prince, qui
[1616] DE RICHELIEU. 29
étoit allé en Berry prendre possession du gouvernement
et avoit de sa part bonne volonté de se rendre à la cour,
espérant d'y disposer de toutes choses dans le Conseil ;
mais les ducs de Bouillon et de Mayenne faisoient tous les
offices qu'ils pouvoient auprès de lui pour retarder son
partement : ce qui fit que la Reine lui dépêcha plusieurs
personnes l'une après l'autre, et lui aussi lui en dépêcha
de même\ chacun desquels se vantoit avoir le plus
de créance auprès de lui. Et, de fait^, toutes les lettres
qu'il écrivoit par eux étoient en une créance fort parti-
culière et la plupart contraires les unes aux autres : ce
qui fit que, pour démêler ces fusées, la Reine me^
dépêcha vers lui^, croyant que j'aurois assez de fidé-
lité et d'adresse pour dissiper les nuages de la défiance
que les mauvais esprits lui donnoient d'elle contre la
vérité : ce qui me réussit, non sans peine, assez heu-
reusement, l'ayant en peu de temps rendu capable de
l'avantage que la Reine recevroit de sa présence, de
1. Le manuscrit B portait « plusieurs ». Charpentier a mis
« de même ».
2. Substitué par Charpentier aux mots « à la vérité ».
3. Notez la forme personnelle du récit « me dépêcha ». C'est
là un des exemples qui montrent la part prise par Richelieu à
la rédaction des Mémoires.
4. « La Reine, afin de l'obliger de venir plus promptement,
lui envoya deux fois M. le cardinal de Richelieu, lors son pre-
mier aumônier et qui étoit évêque de Luçon » [Mémoires
d'Estrées, éd. Michaud, p. 412). Avenel a publié, sous la date
du 4 juin 1616, une lettre adressée par Richelieu au prince de
Condé pour le presser de revenir à la cour. C'est entre cette
date et le 20 juin qu'on peut placer le voyage de l'évêque de
Luçon auprès du prince [Lettres, t. VII, p. 319). On remar-
quera que les Mémoires ne font pas mention, comme d'Estrées,
de deux voyages faits par le Cardinal auprès de Condé.
30 MÉMOIRES [1616]
l'affermissement qu'elle donneroit à la paix, de l'auto-
rité qu'elle apporteroit aux résolutions du Conseil, de
l'espérance qu'elle ôteroit aux brouillons de voir leurs
mauvaises volontés appuyées, et du repos qu'elle don-
neroit à l'esprit de S. M., qui ne pouvoit plus davan-
tage supporter les soins et les craintes perpétuelles où
ces divisions passées l'avoient tenue si longtemps ; pour
toutes lesquelles raisons, il ne pouvoit raisonnablement
douter qu'elle n'eût sa présence très agréable et lui
donnât toutes les satisfactions qu'elle pourroit pour le
retenir auprès du Roi en la dignité et au crédit que
sa qualité et son affection au service de S. M. lui fai-
soient mériter, outre que je lui donnai assurance, de la
part de la maréchale, qu'elle emploieroit ce que son mari
et elle auroient de pouvoir auprès d'elle^ pour le main-
tenir en l'honneur de ses bonnes grâces et que, si jus-
ques ici ils l'avoient fait, comme il en pouvoit lui-même
être bon témoin, ils n'y manqueroient pas à l'avenir,
après s'y être obligés par une solennelle promesse.
On lui avoit donné jalousie du baron de la Châtre^,
qui étoit à Bourges, lequel on lui mandoit y avoir été
envoyé pour épier ses actions, et de ce qu'on ne lui fai-
soit point encore de raison de ce qui s'étoit passé à
Poitiers, ces deux choses témoignant assez le peu de
sincérité avec laquelle on désiroit son retour, quoiqu'on
fit semblant du contraire.
J'en donnai avis à la Reine qui fit venir incontinent
1. C'est-à-dire auprès de la Reine.
2. Louis de la Châtre, fils du maréchal Claude (tome I, p. 106),
avait succédé à son père, mort en 1614, comme gouverneur de
Berry ; maréchal de France en 1616, il mourut en octobre
1630.
[1616] DE RICHELIEU. 31
le baron de la Châtre à Paris, auquel elle donna
soixante mille livres et le brevet de maréchal de France
pour sa démission du gouvernement de Berry, qui, par
ce moyen, demeureroit sans dispute à mondit sieur le
Prince, et dépêcha à Poitiers le maréchal de Brissac
pour y faire exécuter ce qui avoit été promis par le
traité de Loudun^. Il approuva aussi le changement des
ministres et l'élection de Mangot et de Barbin, insistant
seulement que l'on contentât M. de Villeroy s'il avoit
intérêt en la charge du sieur de Puyzieulx. Il promit
de sa part que, la Reine lui faisant l'honneur d'avoir
confiance en lui, il ne communiqueroit rien de ses con-
seils secrets qu'à qui elle voudroit en être communi-
qué, et trouva bon aussi que, si on vouloit, on se ser-
vît de son nom pour avancer ou retarder le règlement
du Conseil qui étoit poursuivi par les princes.
Ce voyage, que la Reine me fit faire au déçu de
MM. de Mayenne et de Bouillon, les mit en si grande
jalousie, qu'ils dépêchèrent incontinent vers Mon-
sieur le Prince, pour savoir ce que j'avois traité avec
lui et le détourner de venir en cour; mais ce fut en
vain 2. Le maréchal de Bouillon m' ayant, soudain après
mon retour, enquis si j'avois pas trouvé Monsieur le
Prince tout disposé au service de LL. MM., je lui
répondis que non seulement il protestoit de leur
demeurer inviolablement obéissant, mais, en outre,
qu'il leur donnoit la même assurance pour M. de
Mayenne et pour lui, afin de lui donner sujet de dési-
1. Voyez les Mémoires d'Estrées (p. 412). Le Mercure fran-
çois, p. 147, donne quelques détails complémentaires.
2. Comparez les Mémoires d'Estrées, p. 412.
32 MÉMOIRES [1616]
rer aussi son retour, le croyant en bonne intelligence
avec eux.
Mais il y avoit un sujet particulier et bien important
qui, outre les raisons générales, les empéchoit de pou-
voir avoir agréable qu'il revint si tôt. G'étoit un des-
sein qu'ils avoient formé de se défaire du maréchal
d'Ancre, dont ils craignoient que la langue ou la timi-
dité de Monsieur le Prince, s'il étoit présent, les pût
empêcher.
Peu après leur arrivée à Paris, le maréchal d'Ancre,
se fondant sur l'ancienne mésintelligence de ces deux
ducs avec les ducs d'Épernon et de Bellegarde, qui fai-
soient un parti contraire à eux, leur proposa de les rui-
ner tout à fait ; mais eux, qui n'avoient pas tant d'aver-
sion des deux* qu'ils en avoient de lui, étranger,
homme de peu, élevé sans mérite en cette grande for-
tune à laquelle ils portoient envie, et auquel ils attri-
buoient tous les mauvais contentements qu'ils avoient
ci-devant reçus à la cour et pour lesquels ils avoient
pris les armes, prirent de ce dessein occasion de
faire une entreprise toute nouvelle, et, au lieu d'en-
tendre à la ruine de ces deux-là, entreprendre la sienne
et délivrer le royaume de sa personne.
Ils en firent part à M. de Guise qui entra dans ce
dessein, y étant induit par le sieur du Perron-, frère
du cardinal, qui étoient de longtemps affectionnés aux
ducs d'Épernon et de Bellegarde, et parce que de soi-
même il n'aimoit pas le maréchal, qui lui avoit sem-
1. Les mots des deux ont été rayés dans le manuscrit H
et remplacés par des ducs d' Epernon et de Bellegarde.
2. Jean Dav}-^ du Perron fut archevêque de Sens en 1618,
après la mort du cardinal son frère, et mourut en 1621.
[1616] DE RICHELIEU. 33
blé ne tenir pas de lui le compte qu'il devoit. Lors ils
commencèrent à rallier tous les ennemis du maréchal
d'Ancre, non dans la cour seulement, mais dans le
Parlement et dans le peuple même, qui l'avoit en
horreur ^
Il les aidoit par ses imprudences à se fortifier, ne se
retenant en aucune de ses passions, quoi qu'il lui en
pût arriver.
Durant la conférence de Loudun, ayant été fait à
Paris une expresse défense à ceux qui gardoient les
portes de laisser passer aucun sans passeport, un cor-
donnier, Picard-, sergent du quartier de la rue de la
Harpe ^, l'arrêta le samedi de Pâques à la porte de Bucy '^
dans son carrosse, refusant de le laisser sortir s'il ne
montroit son passeport, à faute de quoi il le contrain-
droit de rebrousser chemin. En ce contraste, il se
passa plusieurs choses et se dit plusieurs pai'oles
qu'un seigneur françois, né en un climat plus bénin,
eût oubliées, mais tenoient au cœur au maréchal, qui,
s'en voulant venger, remit à le faire quand le Roi seroit
de retour à Paris, auquel temps il y auroit plus de
sûreté pour lui. Pour cet effet, il commanda à un de
ses écuyers d'épier l'occasion de rencontrer ce cordon-
1. Les Mémoires d'Estrées (éd. Michaud, p. 411 et 412) ont
pu fournir la matière des trois paragraphes qui précèdent.
2. Cet incident avec le cordonnier Picard eut lieu le 2 avril :
voyez Journal d'Arnauld d'Andilly, p. 153, et Mercure fran-
çois, t. IV, année 1616, p. 137.
3. La rue de la Harpe, à cette époque, correspondait à une
partie de la rue qui porte actuellement ce nom. Construite en
1247, elle avait pris son nom d'une enseigne.
4. La porte de Bucy, à l'extrémité de la rue de ce nom,
débouchait vers le faubourg Saint-Germain.
II 3
34 MÉMOIRES [1616]
nier hors des murailles de la ville, pour le châtier de
l'affront qu'il estimoit avoir reçu de lui. Il le rencontre
le 1 9 juin, au faubourg Saint-Germain, et le fait battre
si outrageusement par deux valets qu'il avoit avec lui,
qu'il le laissa pour mort^.
Cette action renouvela la mémoire de celle de
Riberpré^, qu'il avoit voulu faire assassiner l'année
de devant, et celle du sergent-major Prouville^, qu'il
avoit fait tuer à Amiens ; de sorte qu'elle fut pour-
suivie avec tant de chaleur, qu'il n'osa l'avouer; et
ses valets, par arrêt de la cour, furent pendus, le
2i^ juillet, devant la maison du Picard, et son écuyer
se garantit par sa fuite; mais ces punitions, au lieu
d'apaiser la haine du peuple, ne faisoient que l'ani-
mer davantage contre lui, qu'il eût voulu être pendu
avec les siens.
En même temps, M. de Longueville, qui étoit
mécontent en sa maison de Trie, s'imaginant que,
tandis qu'il demeureroit chez lui, on n'avanceroit rien
en ses affaires, se résolut d'aller en Picardie et y faire
quelque remuement. Il en donne avis à MM. de Mayenne
et de Bouillon, qui agréent son voyage comme faisant
à leur dessein contre ledit maréchal, et lui offrent leur
assistance et celle de M. de Guise. Il part, il va à Abbe-
1. D'après Arnauld d'Andilly [Journal, p. 177) cinq, d'autres
disaient huit, palefreniers du maréchal d'Ancre attaquèrent le
cordonnier Picard et le poursuivirent dans plusieurs maisons,
ce qui causa un très grand rassemblement. Le Mercure fran-
çois (t. IV, année 1616, p. 237) accuse, comme les Mémoires,
deux valets de cet acte de violence.
2. Tome I, p. 336-337.
3. Tome I, p. 385-386.
[1616] DE RICHELIEU. 35
ville, il y est reçu avec grande démonstration d'amitié
par les habitants*.
Monsieur le Prince cependant s'achemine à la cour.
Passant à Villebon-, chez M. de Sully, il apprend
quelque chose de la conspiration qui se tramoit contre
le mai^échal d'Ancre, et ne voulant ni offenser la Reine
et rentrer en nouvelle brouillerie, ni abandonner les
princes, il fut sur le point de prendre quelque prétexte
pour s'en retourner et remettre son arrivée à quelque
temps de là ; mais la crainte qu'il eut de donner soup-
çon à la Reine fit qu'enfin il passa outre et arriva à
Paris le 20 juillet 3, allant droit descendre au Louvre,
où il reçut de LL. MM. toute la bonne chère qu'il eût
su désirer; mais les Parisiens témoignèrent de sa venue
plus de contentement qu'on n'eût voulu et qu'il n'eût
été à propos pour lui-même*.
Le lendemain de sa venue, Barbin parlant au mar-
quis de Gœuvres^ combien il seroit à désirer que
Monsieur le Prince et M. de Bouillon fussent en
bonne intelligence avec la Reine et en un ferme désir
de servir l'État, oubliant tous les mécontentements et
prétextes passés, il lui dit que de Monsieur le Prince
on ne pouvoit douter qu'il n'eût une intention véritable
1. Voyez les Mémoires d'Estrées, p. 412.
2. Villebon, Eure-et-Loir, arr. de TS"ogent-le-Rotrou. C'est
dans ce château que s'était retiré le duc de Sully.
3. Le 20 juin, d'après les Mémoires d'Estrées (éd. Michaud,
p. 412); le 20 juillet, s'il faut en croire le Mercure françois,
journal semi-officiel (t. IV, année 1616, p. 148).
4. Voyez les Mémoires d'Estrées, p. 412.
5. Nous rappelons que le marquis de Cœuvres ne fait qu'une
seule et même personne avec le maréchal d'Estrées, dont les
Mémoires ont servi à la rédaction de ceux de Richelieu.
36 MÉMOIRES [1616]
de complaire, puisqu'il étoit venu, et que c'étoit une
chose certaine qu'il n'y avoit qualité, puissance, ni cré-
dit qui pût garantir un homme qui entroit dans le
Louvre de faire ce qu'il plairoit à LL. MM. et d'être
absolument soumis à tout ce qu'elles commanderoient.
Quant à M. de Bouillon, il lui étoit aisé de recevoir
satisfaction et tout tel traitement qu'il lui plairoit,
pourvu qu'il cessât de vouloir, par un Conseil nouveau
dont il poursuivoit l'établissement, contrecarrer l'au-
torité du Roi, et qu'il lui feroit plaisir de lui représen-
ter ce qu'il lui en disoit.
Le marquis de Gœuvres, qui étoit tout à ce parti-là,
ne manqua pas de le lui redire ^ et non seulement ce
qui le regardoit en son particulier, mais encore ce qui
touchoit à Monsieur le Prince. Il fit peu de réflexion
sur ce qui le regardoit, pour ce qu'il étoit dans le des-
sein de se défaire du maréchal d'Ancre, ce qui eût
changé la face des affaires; mais il fut étonné de la
hardiesse de la parole qu'il avoit avancée^ sur le
sujet de Monsieur le Prince, et cela lui fit croire plus
facilement qu'elle avoit été dite plutôt par incon-
sidération que par aucune intention qu'on eût de lui
faire maF.
Monsieur le Prince aussi n'en conçut aucune crainte
pour ce qu'il se tenoit assuré du maréchal et de la
maréchale^, qui, dès incontinent après la paix de Lou-
1. Var. : De le redire à M. de Bouillon (H).
2. Var. : De la parole que Barbin avoit avancée (H).
3. Cette entrevue de Barbin et du marquis de Cœuvres est
racontée en termes analogues dans les mémoires d'Estrées,
p. 412.
4. Var. : Et de sa femme (M, H).
[1616] DE RICHELIEU. 37
dun, lui avoient témoigné se vouloir lier avec lui d'une
étroite intelligence, qu'ils avoient toujours recherchée
auparavant, ainsi que l'on peut voir par le cours de
cette histoire, s'étant portés, autant qu'ils avoient
pu, à toutes les choses qui étoient de son contente-
ment.
Le maréchal et «a femme l'avoient vu si puissant
en ces mouvements passés, qu'ils croyoient que, l'ayant
pour ami, il ne leur pouvoit mésavenir ; et Monsieur le
Prince, qui savoit que leur entremise auprès de la
Reine lui étoit avantageuse, feignit les recevoir entre
ses bras et agréer leur bonne volonté : ce dont ils
étoient si transportés d'aise, que non seulement ils
tenoient peu de compte de MM. de Guise et d'Épernon,
avec lesquels, durant cette dernière guerre, ils avoient
contracté amitié, mais ils les abandonnèrent entièrement
et tous ceux qui avec eux avoient servi le Roi en cette
dernière occasion. En quoi ils agissoient en favoris
aveugles, que la fortune plutôt que le mérite avoit éle-
vés, lesquels, se voyant en un degré inespéré et dis-
proportionné à ce qu'ils valent, sont si éperdus et hors
d'eux-mêmes, qu'ils ne voient pas les choses les plus
visibles et palpables qui sont à l'entour d'eux.
Car, premièrement, ils ruinoient le service de
LL. MM., qui étoit néanmoins le fondement de toute
leur subsistance ; d'autant que, un chacun voyant qu'on
n'avoit aucun gré, honneur, ni récompense d'avoir
servi le Roi, mais, au contraire, que ceux qui avoient
desservi étoient caressés et gratifiés, l'offense du mau-
vais traitement que l'on recevoit, augmentée par
l'exemple du bon traitement des autres, faisoit perdre
la fidélité à ceux que l'intérêt ni l'espérance des biens
38 MÉMOIRES [1616J
n'avoient pu jusques alors faire éloigner de leur devoir,
joint que les plus prudents ne vouloient plus encourir
pour néant la mauvaise grâce de ces princes, les-
quels étoient pleins de ressentiments contre ceux
qui n'avoient pas été de leur parti, et, du côté du
Roi, on n'avoit point de soin^ de ceux qui avoient
servi.
En second lieu, ils n'étoient pas bien avisés de
croire que Monsieur le Prince les pût aimer, sinon en
tant que ses affaires et les occasions qui, en la cour,
changent tous les jours, le pourroient requérir, et de
ne pas considérer que cette liaison si étroite feroit
qu'ils l'auroient continuellement sur leurs épaules en
toutes les choses qu'il auroit, pour lui et pour les siens,
à demander à la Reine, quelque impertinentes qu'elles
fussent; et qu'outre que ces demandes leur pourroient
quelquefois causer quelque refroidissement de la Reine ^
qui s'en sentiroit importunée, comme ils avoient déjà
avec grand péril expérimenté, quand ils lui auroient
aujourd'hui obtenu une chose, il ^ leur en demanderoit
demain une autre ^ ; et, quelque service qu'ils lui eussent
rendu auparavant, s'ils manquoient une seule fois à
faire ce qu'il désireroit, tout seroit oublié, et ils l'au-
roient pour ennemi, comme ils l'avoient déjà éprouvé
es affaires du Château-Trompette et de Péronne^, où,
1. Les mots on n avait point de soin ont été substitués, sur le
manuscrit B, aux mots on n'en avoit point.
2. Le manuscrit B portait d'abord vers la Reine. La correc-
tion a été faite par Sancy.
3. //, c'est-à-dire Monsieur le Prince.
4. Var. : Quand ils ... auroient ... obtenu une chose, demain
une autre, ils leur en demanderoient une autre (M, H).
5. Voyez tome I, p. 222 et suivantes.
[1616] DE RICHELIEU. 39
n'ayant pu surmonter l'opposition des ministres en
l'esprit de la Reine, Monsieur le Prince s'étoit déclaré
leur ennemi, nonobstant tous les bons offices qu'il
avoit reçus d'eux ; outre que la posture en laquelle ils
étoient d'étrangers et favoris de la Reine, noms qui
sont d'ordinaire l'objet de la haine des peuples, les
rendoit à Monsieur le Prince le plus spécieux et presque
l'unique prétexte de prendre les armes contre l'auto-
rité du Roi, sous couleur de la vouloir maintenir.
Mais, soit qu'ils eussent peu de jugement, qu'ils
fussent prévenus, ou que leur mauvaise fortune les
entraînât dans la ruine, ils ne s'aperçurent point de
leur faute ; et, au lieu de demeurer entre Monsieur le
Prince et l'autre parti, l'obligeant en choses justes sans
desservir les autres, et demeurant par leur* faveur
comme le lien de tous les deux, sans prendre parti et
s'adjoindre ni à l'un ni à l'autre, ils se donnèrent à
Monsieur le Prince, qui ne se donna pas à eux, et per-
dirent les autres qui, pour leur foiblesse ayant besoin
d'eux, s'y désiroient plus fidèlement tenir unis. Ils
allèrent même jusques à cet excès vers Monsieur le
Prince, qu'ils crurent tellement qu'il leur suffisoit de
l'avoir ami, qu'ils méprisoient même ceux qui étoient
de son parti et dédaignoient de les entretenir, dont
le duc de Bouillon ne se put tenir de se plaindre à Bar-
bin, qui, étant homme de bon jugement, leur en dit
son avis, mais en vain^.
1. Leur a été substitué par Sancy à la sur le manuscrit B.
2. Les quelques pages qui précèdent, dont nous n'avons
trouvé la source ni dans les manuscrits, ni dans les Mémoires
du temps, ont dû être rédigées par Richelieu lui-même ou sous
ses yeux.
W MÉMOIRES [1616]
Cependant Monsieur le Prince avoit tout à souhait :
il partageoit l'autorité que la Reine, sous le bon plai-
sir du Roi son fils, avoit aux affaires, et quasi l'en
dépouilloit pour s'en revêtir. Le Louvre étoit une soli-
tude ; sa maison étoit le Louvre ancien * : on ne pou-
voit approcher de la porte pour la multitude du monde
qui y abordoit. Tous ceux qui avoient des affaires
s'adressoient à lui ; il n'entroit jamais au Conseil que
les mains pleines de requêtes et mémoires qu'on lui
présentoit et qu'il faisoit expédier à sa volonté : tant
il avoit ou peu tenu de compte, ou peu conservé de
mémoire de l'avertissement que je- lui avois donné,
d'user de modération en la part que la Reine, par sa
facilité, lui avoit donnée au gouvernement.
Aussi et oit-il très content de sa condition, et, quelque
ambition qu'il eût, il avoit sujet de l'être. Mais MM. de
Mayenne et de Bouillon ne l'étoient pas, d'autant qu'ils
vouloient avoir part aux avantages qu'il recueilloit seul
et étoient marris de voir que tout le profit des mouve-
ments derniers fût arrêté en sa seule personne. Cela
faisoit que, mécontents de l'état présent, ils lui fai-
soient tous les jours des propositions nouvelles de
choses qu'ils le pressoient de demander à la Reine,
comme étant nécessaires pour l'observation du dernier
traité; mais, quand ils virent qu'on ne leur refusoit
rien de ce qui pouvoit avoir quelque apparence de leur
1. Var. .Un Louvre ancien (H). L'hôtel de Condé était situé
à peu près sur l'emplacement actuel du théâtre de l'Odéon.
a L'affluence était toujours la même chez lui à ce point qu'on
donnait à son hôtel le nom de Nouveau-Louvre » (duc d'Au-
male, Histoire des princes de Condé, t. III, p. 8 et 74).
2. A remarquer la reprise du style direct.
[1616] DE RICHELIEU. 41
avoir été promis, ils s'arrêtèrent à une demande qu'ils
crurent la plus difficile, qui étoit la réformation du
Conseil * .
Cette affaire tenoit la Reine en perplexité. Le choix
de ceux qui dévoient être du Conseil étoit difficile,
et n'étoit pas plus aisé de le faire de personnes qui
fussent agréables à tous, que de personnes en qui le
Roi dût avoir une entière confiance, outre qu'il en fal-
loit rejeter un grand nombre qu'il étoit fâcheux d'of-
fenser par ce rebut. Barbin ouvrit un expédient qui ne
fut pas jugé mal à propos et dont la Reine se trouva
bien, qui fut de remettre à ces Messieurs d'en faire ^
le choix eux-mêmes, et que la Reine agréeroit ceux
qu'ils éliroient ; car, par ce moyen, ils se chargeroient
de l'envie, chacun jugeant bien que LL. MM. auroient
été violentées en cette occasion.
Monsieur le Prince et M. de Mayenne étant assem-
blés chez M. de Bouillon, pour attendre la résolution
de la Reine sur ce sujet, Barbin même la leur porta,
dont ils furent si étonnés qu'ils commencèrent à se
regarder l'un l'autre. Monsieur le Prince, selon la
promptitude ordinaire de son naturel, se leva de sa
chaire^ et, se prenant à rire et se frottant les mains,
s'adressa à M. de Bouillon et lui dit : « Il n'y a plus rien
à dire à cela : nous avons sujet d'être contents ; » par
où il paroissoit bien que ç'avoit été à son instigation
qu'on avoit fait cette poursuite. M. de Bouillon, se grat-
tant la tête, ne répondit un seul mot; mais, Barbin
étant sorti, il dit à ces Messieurs qui étoient assem-
1. Ci-dessus, p. 28.
2. Ces trois mots ont été ajoutés en interligne par Sancy.
3. Forme ancienne du mot chaise.
42 MÉMOIRES [1616]
blés qu'il voyoit bien que cet homme-là leur donneroit
trente en trois cartes et prendroit trente-un pour lui^,
c'est-à-dire qu'il feroit, par son artifice, qu'ils auroient
toutes les apparences de contentement et qu'il en
garderoit la réalité pour lui-même. Cela leur faisoit
d'autant plus presser l'exécution de leur dessein contre
le maréchal d'Ancre, auquel Monsieur le Prince,
quelque promesse d'amitié qu'il eût faite au maréchal,
se joignit, bien que froidement et quasi contre sa
volonté ; mais la crainte de perdre ces Messieurs pour
amis prévalut à toute autre considération.
Pour arrêter les moyens qu'il falloit tenir pour cela,
ils résolurent de s'assembler et choisir la nuit pour le
pouvoir faire plus secrètement, bien que ces assemblées
nocturnes ne laissèrent pas d'être remarquées et soup-
çonnées^; mais l'arrivée à la cour de Mylord Hay^,
ambassadeur extraordinaire d'Angleterre, leur vint
tout à propos; car, sous ombre de lui faire des festins,
ils s'assembloient et traitoient de cette affaire.
Monsieur le Prince, les ducs de Guise et de Mayenne
et de Bouillon étoient ceux qui en avoient le principal
soin. Le duc de Nevers en a voit une générale connois-
sance ; car ils n'osèrent pas la lui ôter tout à fait ; mais
1. Allusion au jeu de trente-et-un.
2. Voyez les Mémoires d'Estrées, p. 412-413. 11 semble que
les Mémoires les aient utilisés.
3. Son entrée à Paris eut lieu le i*"^ août 1616. James Hay
de Sawley fut ambassadeur du roi d'Angleterre à la cour de
France en 1616, 1621, 1622 et 1624. Il fut créé vicomte de
Duncaster en 1618, comte de Carlisle en 1622 et mourut en
1636. Personne, dit Clarendon, ne fit plus de dépenses pour
ses habits et sa table. Voyez, dans le Mercure français, t. IV,
année 1616, p. 149 et suiv., le récit de son entrée solennelle.
[1616] DE RICHELIEU. 43
ils ne lui faisoient pas néanmoins part des conseils
secrets, d'autant qu'ils avoientpeur qu'il les découvrit,
sous espérance d'être assisté plus fortement de l'auto-
rité de la Reine pour faire réussir son affaire de l'ins-
titution des chevaliers du Saint-Sépulcre, pai^ laquelle
il se promettoit de se faire empereur de tout le
Levant^.
Il vouloit démembrer de l'ordre de Saint-Jean de
Jérusalem celui du Saint-Sépulcre 2, s'en faire grand
maitre et espéroit, en ce faisant, aidé de quelques
intelligences qu'il avoit en Grèce et de l'affection que
tous les Grecs lui portoient pour ce qu'il disoit être
descendu d'une fille des Paléologues^, mettre un
nombre assez suffisant de vaisseaux sur mer pour
s'emparer de quelques places fortes dans le Pélopo-
nèse et les défendre assez longtemps pour attendre le
secours des chrétiens et pousser avec leur faveur ses
progrès plus avant*.
Bien que cette entreprise fût mal fondée et sans
1. Les Mémoires de Richelieu et ceux de d'Estrées ne sont
pas d'accord, sur les motifs qui tinrent éloigné de ces confé-
rences secrètes le duc de Nevers : voyez les Mémoires d'Fstrées,
p. 412-413.
2. Cet ordre, fondé en 1174 parle roi Henri II d'Angleterre,
disparut au moment du schisme anglican, et ses biens à
l'étranger furent attribués à l'ordre de Malte pour compenser
ceux que celui-ci perdait dans la Grande-Bretagne.
3. Charles de Gonzague, duc de Nevers, était petit-fils de
Frédéric II de Gonzague (1500-1540), duc de Mantoue, qui
avait épousé, en 1531, Marguerite Paléologue, héritière du
Montferrat et descendante, disait-on, des anciens empereurs
de Constantinople.
4. M. Fagniez a consacré à ce projet de croisade un cha-
pitre du tome I de son ouvrage le Père Joseph et Richelieu.
44 MÉMOIRES [1616]
apparence à ceux qui étoient tant soit peu versés en
la connoissance des affaires du Levant, néanmoins,
comme les choses les moins raisonnables réussissent
quelquefois et par le peu d'attention qu'on a souvent
dans le conseil des grands rois à une affaire particu-
lière, pour la multitude des autres qui tiennent les
esprits occupés, le grand maître de Malte ^ eut crainte
qu'il obtînt du Roi ce qu'il désiroit, et envoya une
ambassade solennelle en France pour remontrer au
Roi l'injustice de cette demande^.
Il représenta à S. M. que cet ordre étoit depuis
cent vingt ans annexé au leur; que, si S. M. favori-
soit en cela le duc de Nevers, les ordres militaires
d'Espagne et d'Italie renouvelleroient les poursuites
anciennes pour leur ôter semblablement les biens du
Saint-Sépulcre qu'ils possèdent en leurs terres; que,
bien que l'offre que faisoit le duc de Nevers fût sincère,
ce qu'il ne croyoit pas néanmoins qui fût à l'avenir,
qu'il se contentât du seul titre de la grande maîtrise
dudit ordre, sans rien prétendre aux biens qui en sont
unis à Saint-Jean de Jérusalem, cela n'étoit pas raison-
nable, vu qu'elle fait partie de la dignité de leur grand
maître, à la conservation de laquelle S. M. a intérêt,
vu que, des sept langues qui composent le corps de
l'ordre de Malte, trois sont françoises^, et la plupart
1. Aloph de Wignacourt, grand maître de 1601 à 1622.
2. L'ambassadeur de l'ordre de Malte était Don Louis
Mendez Vasconcellos, bailli d'Acre. Le jour de son audience, il
fut au Louvre, accompagné de vingt-deux carrosses; le Mer-
cure françois, t. IV, année 1616, p. 140 et suiv., donne le
texte du discours qu'il prononça et celui de la réponse du Roi.
3. Var. : Quatre sont françoises (M, H). — Il n'y avait que
trois langues françaises : Provence, Auvergne et France.
[1616] DE RICHELIEU. 45
des grands maîtres sont de leur nation; et que non
seulement le grand maitre en recevroit diminution en
sa dignité, mais tout l'ordre y seroit intéressé, en ce
que la noblesse françoise ayant un grand maître dans
le royaume, auquel elle se pourroit engager de vœu,
même sans exercice de la guerre, aimeroit mieux
prendre cette condition que d'aller à Malte avec tant
de difficulté et de dépense ; dont ils voient l'expérience
en l'ordre Teutonique, qui avoit ruiné la langue d'Al-
lemagne, autrefois la plus belle des sept; joint qu'il ne
seroit peut-être^ pas expédient au service du Roi qu'un
prince, son sujet, eût un si grand moyen de lier à lui
et s'obliger un grand nombre de noblesse, laquelle
considération a fait que les rois d'Espagne, qui sont
savants en matière de gouvernement, ont réuni à
leur couronne toutes les grandes maîtrises qu'ils ont
dans leurs États.
S. M. donna de bonnes paroles à l'ambassadeur et
lui promit de ne point préjudicier à leur ordre, ains
au contraire de commander à son ambassadeur à
Rome^ de leur faire tous bons offices sur ce sujet
auprès de S. S.
En ce temps-là arrivèrent au Roi les nouvelles de
la prise de Péronne, que M. de Longueville enleva au
maréchal d'Ancre sur un faux donné-à-entendre que
ledit maréchal y vouloit mettre garnison, ce qui émut
ce peuple de telle sorte, qu'ils résolurent d'envoyer au
Roi pour supplier S. M. de leur vouloir entretenir ce
1 . Peut-être a été ajouté en interligne par Charpentier sur le
manuscrit B.
2. C'était François Jouvenel des Ursins (1569-1650), marquis
de Traînel.
4fi MÉMOIRES [161 6j
que le feu Roi son père leur avoit* accordé, lorsque,
du temps de la Ligue, ils se remirent en son obéis-
sance, qu'ils n'auroient point de gouverneur étranger.
Tandis qu'ils envoyèrent à S. M. pour cela, M. de
Longueville paroissant aux portes, elles lui furent
ouvertes, et, peu de temps après, ceux qui étoient
dans le château de la part du maréchal d'Ancre le
remirent en la puissance dudit duc^.
Cette nouvelle affligea la Reine tout ce qui se pou-
voit, pour ce qu'elle vit bien que les princes ne don-
noient point de bornes à leur mauvaise volonté^, que
la douceur dont elle avoit usé jusques alors étoit inu-
tile, qu'ils en abusoient, qu'ils tiroient avantage d'avoir
profité de leurs brouilleries passées, que l'espérance
qu'elle avoit eue que sa patience les ramèneroit à la
raison et que le bon traitement qu'ils recevoient les
gagneroit étoit vaine, et qu'enfin elle seroit contrainte
de repousser leurs mauvais desseins par la force des
armes, dont la pensée seule lui faisoit horreur^.
Monsieur le Prince, ayant eu avis de cette affaire
1. Le scribe du manuscrit B avait mis leur çouloit accorder.
Charpentier a corrigé en leur avoit accordé.
2. Les Péronnais ouvrirent leurs portes au duc de Longue-
ville et mirent hors leur ville le sieur de Favols, gentilhomme
gascon, lieutenant du maréchal d'Ancre, gouverneur particu-
lier de Péronne, Roye et Montdidier, le 15 août 1616 [Mercure
français, t. IV, année 1616, p. 179 et suiv.).
3. On lisait d'abord sur le manuscrit B : « ... que les princes
voulaient pousser leur mauvaise volonté jusques à t extrémité. »
Sancy a corrigé ainsi le passage : « ... que les princes ne don-
noient point de bornes à leur mauvaise volonté... »
4. Voyez ce que disent les Mémoires d'Estrées sur l'affaire
de Péronne, p. 413.
[1616] DE RICHELIEU. 47
avant la Reine, d'autant qu'elle ne s'étoit pas faite sans
son consentement, s'en alla à l'heure même en une
terre qu'il avoit achetée près de Melun^ soit afin que
son absence retardât le conseil que l'on auroit à
prendre en cet accident et en fit le remède plus diffi-
cile, soit afin de laisser évaporer^ le premier feu de
la colère que la Reine en auroit, et ne laisser lui-
même échapper aucune parole qui pût donner soup-
çon qu'il eût part en cette action ; mais, la Reine ayant
dépêché vers lui en diligence pour le convier de
venir, il ne s'en put excuser. Toutefois, il ne laissa pas
en venant de faire une nouvelle faute ; car, quelqu'un
des siens l'étant venu avertir que M. de Bouillon
l'attendoit chez M. de Mayenne, il passa par là avant
que d'aller au Louvre, quoique les plus sages lui con-
seillassent d'aller voir la Reine auparavant.
Les siens parloient si insolemment de cette affaire
qu'ils témoignoient assez y avoir eu part. La Reine
crut que, selon la maxime commune, ceux qui ont
fait les fautes étant les plus propres à les réparer, il
étoit bon d'envoyer à M. de Longueville M. de Bouil-
lon, qui étoit l'oracle du parti, pour lui faire recon-
noître l'offense qu'il avoit commise et l'obliger à satis-
faire à S. M. en remettant la chose en son entier. Il
sembla partir si peu volontiers et avec si peu d'espé-
rance de son voyage, que, quoique LL. MM. lui
dissent, quand il prit congé d'elles, des paroles qui
1. Ce détail est également donné dans le Mercure français,
t. IV, année 1616, p. 188.
2, Évaporer a été rais par Sancy à la place de pousser sur le
manuscrit B.
'i8 MÉMOIRES [1616]
pouvoient gagner un autre cœur que le sien, ceux qui
le connoissoient ne crurent pas en devoir attendre
aucun fruit, et ne furent pas trompés en leur opinion.
Car le duc de Mayenne y * ayant, par son avis, envoyé
tambour battant et enseignes déployées, des gens de
guerre des garnisons de Soissons, Noyon et Ghauny^,
il y mena aussi des capitaines et des ingénieurs pour
défendre la place, qui étoit une action bien éloignée
de la charge cju'il avoit prise de la remettre en l'obéis-
sance du Roi^ : ce qui contraignit enfin la Reine d'y
envoyer le comte d'Auvergne, avec une partie du
l'égiment des Gardes et quelques compagnies de cava-
lerie, pour investir cette place.
On savoit bien que ce n'étoit pas des forces suffi-
santes pour la prendre; mais on le faisoit à dessein,
premièrement, de reconnoître si les princes avoient
résolu de faire la guerre, puis de leur faire paroître
que le Roi étoit délibéré de s'y opposer avec plus de
vigueur que par le passé, comme aussi de leur ôter le
sujet d'être à Paris en alarme du Roi, lequel, par ce
moyen, étoit destitué d'une bonne partie des forces
dont il avoit accoutumé d'être accompagné, et de leur
donner lieu de faire éclore plus tôt leurs mauvais des-
seins, s'ils en avoient, contre lesquels S. M. s'étoit
sous main préparée sans qu'ils s'en donnassent de
garde, d'autant qu'ils l'avoient en mépris par la foi-
1. C'est-à-dire dans Péronne.
2. Petite ville forte entre Laon et Saint-Quentin.
3. Tout ce qui précède, depuis Car le duc de Mayenne, a été
écrit en marge du manuscrit B par Sancy. Voyez le fac-similé
qui est donné de ce passage dans le tome I des Rapports et
Notices sur la présente édition, après la page 106, planche VI.
[1616] DE RICHELIEU. 49
blesse qu'ils avoient éprouvée en ses conseils jusques
alors.
La Reine, ayant reconnu, es mouvements passés,
qu'en matière de soulèvement de peuples, les bruits
les plus faux sont bien souvent plus vraisemblables
que les véritables, et particulièrement que ce qui se
dit en faveur des séditieux est plus facilement cru que
la vérité qui est^ rapportée en faveur du prince, vou-
loit patienter jusques à l'extrémité, pour ne leur don-
ner aucun jour à publier, avec la moindre apparence
du monde, qu'ils eussent été obligés, pour leur défense,
à prendre les armes contre le Roi.
Si cela portoit d'un côté quelque préjudice à l'opi-
nion qu'on devoit avoir de la puissance royale, qui en
étoit moins estimée, de sorte que plusieurs parloient
mal des affaires du Roi et en désespéroient, cela lui
apportoit d'autre part un avantage bien plus considé-
rable, qui étoit que les princes prenoient une telle
assurance en leurs forces, qu'ils ne pensoient plus à
sortir de la cour et croyoient pouvoir exécuter tout ce
qu'ils voudroient entreprendre contre S. M., ne
sachant pas ni que sous main elle eût mis ordre à la
sûreté de ses affaires, ni que ceux-là même d'entre
eux à qui ils se fioient le plus, jouoient à la fausse com-
pagnie et l'avertissoient d'heure à autre de tout ce
qu'ils faisoient.
La Reine, voyant cette grande cabale des princes qui
étonnoit tout le monde, voulut prendre cette occasion
de reparler encore au Roi comme elle avoit fait aupa-
1. Est avait été sauté par le scribe; Sancy l'a ajouté en
interligne sur le manuscrit B.
II 4
50 MÉMOIRES [1616]
ravant\ et dit à Barbin qu'elle voyoit les choses si
désespérées, qu'elle croyoit qu'il seroit de son hon-
neur d'en remettre entièrement la conduite entre les
mains du Roi. Mais ledit Barbin lui fit toucher au
doigt qu'elle ne devoit pas seulement penser à sor-
tir volontairement des affaires, mais employer tout
son soin à empêcher que le Roi en fût chassé avec
force et infamie ; qu'elle étoit plus obligée à mainte-
nir la succession de ses enfants qu'à chercher son
repos; que toute l'Europe l'accuseroit d'avoir man-
qué de naturel et de courage, quittant le gouver-
nement en un temps où on prévoyoit une si grande
tempête.
Ces considérations la persuadèrent, mais à condition
qu'elle en parleroit encore une fois au Roi : ce qu'elle
fit en présence des sieurs Barbin, Mangot et de
Luynes, où elle le conjura de reprendre en main la
conduite de ses affaires; qu'il étoit déjà grand et
pourvu des qualités nécessaires pour régner heureu-
sement ; qu'il avoit un Conseil composé de personnes
portées avec passion à l'affermissement de son auto-
rité, ou, en cas qu'il y désirât apporter quelque chan-
gement, un État abondant en hommes; que ce lui
seroit une gloire immortelle si, à la sortie de son
enfance, il s'occupoit à commander à des hommes, si,
en l'âge où les autres suivent les plaisirs défendus, il
s'abstenoit même de ceux qui sont honnêtes et per-
mis, pour faire valoir sa puissance que Dieu lui avoit
commise.
Luynes, en qui le Roi avoit déjà une entière con-
1. Ci-dessus, p. 24 et suivantes.
[1616] DE RICHELIEU. 51
fiance, la supplia de laisser ces pensées si contraires
au bien public et à la sûreté de son maître; qu'elle
avoit trop d'intérêt en la conservation de ces deux
choses pour en abandonner le soin, en une saison où
rien n'empêchoit de faire mal que le respect de son
nom et la générosité de ses conseils.
Peut-être que les maux qui sembloient se préparer
dans l'État lui faisoient croire la subsistance^ de la
Reine nécessaire, principalement dans le peu d'expé-
rience qu'il avoit des affaires ; peut-être aussi qu'il ne
désiroit pas qu'elle s'éloignât de la sorte, en laquelle,
demeurant près du Roi, elle auroit toujours plus d'au-
torité que son ambition et ses desseins ne pouvoient
pas souffrir qu'elle eût.
A quelque fin qu'il lui parlât, elle se soumit à ce que
le Roi désira d'elle par sa bouche, et lui dit qu'elle ne
pouvoit dissimuler que, bien qu'il y eût beaucoup de
peine au maniement des affaires, beaucoup d'ennemis
à acquérir pour son service, rien ne l'avoit dégoûtée
de cet emploi que la jalousie qu'on lui avoit voulu
donner de son gouvernement et les inventions dont
l'on usoit pour lui rendre ses actions moins agréables ;
mais que, s'il vouloit qu'elle fît avec contentement ce
quelle n'entreprenoit que par obéissance, elle dési-
roit à l'avenir partager avec lui les fonctions de la
charge, en prendre la peine et lui en laisser la gloire,
se charger des refus et lui donner l'honneur des grâces ;
qu'elle le prioit, à cette fin, de disposer de son mouve-
1. Au sens de « maintien en fonctions ». Le scribe, inat-
tentionné ou peu intelligent, avait écrit sur le manuscrit B
substance à la place de subsistance. La correction a été faite
probablement par Sancy.
52 MÉMOIRES [1616]
ment des charges qui viendroient à vaquer, et d'en gra-
tifier les personnes dont la fidélité et l'affection lui
étoient connues; que si, entre autres, il vouloit récom-
penser les soins que M. de Luynes apportoit auprès
de lui par de nouveaux bienfaits, il n'avoit qu'à com-
mander, et ce avec d'autant plus de liberté que la
franchise dont il useroit lui seroit une preuve qu'il
avoit satisfaction de sa conduite; que, quelque opi-
nion qu'on lui veuille donner de ses déportements,
elle ne manquera jamais à ce que doit une reine à ses
sujets, une sujette à son Roi et une mère au bien de
ses enfants.
Luynes, faisant semblant de croire ses* paroles au
Roi pleines de sincérité, vint en particulier lui en faire
des remerciements avec des protestations de vouloir
dépendre absolument de ses volontés, ou, s'il les crût,
les faveurs qu'il venoit de recevoir ne le rendirent pas
meilleur, mais bien celle qui les avoit faites moins
prévoyante. Au lieu de veiller sur ses actions, elle se
fia sur les promesses ; elle crut l'avoir gagné par bonté,
au heu de l'éloigner par prudence. En un mot, elle
pensa l'avoir attaché par l'intérêt à son devoir, l'avoir
rendu homme de bien par la maxime des méchants ;
mais elle n'eut pas le loisir de vieillir en cette créance,
comme nous verrons ci-après.
Pour revenir aux princes^, ils n'étoient pas d'accord
en leurs opinions dans les assemblées qu'ils faisoient
la nuit contre S. M.^; car, selon que les uns et les autres
étoient plus ou moins violents en leurs passions et
1. Ses, c'est-à-dire les paroles de Marie de Médicis.
2. Ces quatre mots ont été ajoutés en marge, de la main de
Charpentier, sur le manuscrit B.
3. Ci-dessus, p. 42.
[1616] DE RICHELIEU. 53
avoient plus ou moins perdu la crainte de Dieu et le
respect dû à la majesté royale, les propositions qu'ils
faisoient étoient différentes.
Les uns, qui étoient les plus modérés, étoient d'avis
que l'on se saisît de la personne du maréchal d'Ancre
pour le livi^er au Parlement, auquel on présenteroit
requête pour lui faire faire son procès.
Les autres passoient plus avant, et, se défiant que,
quelque aversion que le Parlement eût de lui, le Roi y
seroit le plus fort et le retireroit de leurs mains, vou-
loient qu'étant pris on l'enlevât de Paris, et qu'on le
mît en garde en quelqu'une * de leurs maisons fortes
ou des places dont ils étoient gouverneurs; mais il y
en eut qui allèrent jusques là d'opiner qu'il n'en falloit
point faire à deux fois, qu'un homme mort ne pouvoit
plus leur nuire, et qu'il étoit plus sûr de s'en défaire
tout d'un coup-.
Gela se traitoit entre eux, nonobstant l'assurance
que Monsieur le Prince lui donnoit de le^ défendre
contre tous des entreprises* que l'on pourroit avoir
contre sa personne : en quoi se voit le peu de foi
qu'on doit avoir à ceux qui ne sont pas maîtres d'eux-
mêmes, mais esclaves de leur ambition. Il avoit néan-
moins raison de lui avoir promis; car il l'en garantit
par foiblesse, et par crainte d'exécuter ce qu'il vouloit
et avoit résolu^.
1. Le manuscrit B porte quelques-unes.
2. Ces trois paragraphes sont empruntés en partie aux
Mémoires d'Estrées, p. 4i3.
3. Le, c'est-à-dire le maréchal d'Ancre.
4. Var. : Que Monsieur le Prince donnoit au maréchal de le
défendre contre toutes les entreprises (H).
5. Voyez les Mémoires d'Estrées (éd. Michaud, p. 413].
54 MÉMOIRES [1616]
Un jour qu'il fit un festin solennel à l'ambassadeur
extraordinaire d'Angleterre*, le maréchal, ne se dou-
tant de rien, le vint visiter; tous ces princes y étoient
et en si grande compagnie qu'ils se pouvoient rendre
maîtres de sa personne pour en faire ce que bon leur
sembleroit. Ils en pressèrent Monsieur le Prince, lui
représentant que l'occasion ne s'offroit pas toujours si
belle; mais ils ne l'y surent jamais faire résoudre, et
il remit la partie à une autre fois^.
Barbin, qui avoit lors crédit dans l'esprit de la
Reine, voyant cette grande liaison de tous les princes,
qui étoit si publique qu'on ne s'en cachoit plus, con-
seilla à la Reine d'essayer à retirer M. de Guise d'avec
eux et le conserver au service du Roi, duquel il croyoit
avoir sujet de mécontentement par l'abandon que le
maréchad avoit fait de son amitié pour rechercher
celle de Monsieur le Prince.
Il l'alla trouver de sa part, lui dit que S. M. se
ressouvenoit des services qu'il lui avoit rendus en
l'occasion dernière; que, si elle oublioit les desser-
1. James Hay, comte de Carlisie en 1622. Les Mémoires
(ï Estrées, racontant un incident auquel il fut mêlé en 1616,
l'appellent le comte de Carlisie , ce qui prouve que ces
Mémoires ont été rédigés après 1622; or, on le sait, ils le
furent en partie sur l'ordre de Richelieu, et on a vu combien
celui-ci y fit d'emprunts. Il est donc permis d'en conclure
que cette partie des Mémoires du Cardinal est d'une rédaction
postérieure à 1622. Cette remarque, jointe à quelques autres
du même genre faites au coui's du tome I, vient confirmer
l'hypothèse émise sur la date à laquelle les Mémoires furent
commencés : voyez Rapports et Notices sur Védition des
Mémoires du cardinal de Richelieu, t. I, p. 59.
2. Mémoires d' Estrées, p. 413.
[1616] DE RICHELIEU. 55
vices de ceux qui s'étoient dévoyés* du droit chemin
pour le bien de la paix qu'elle vouloit conserver à
quelque prix que ce fût, elle se souviendroit à jamais
qu'il étoit quasi le seul des princes qui étoit demeuré
dans le devoir ; qu'elle savoit qu'il avoit des différends
pour divers sujets avec aucuns d'eux ; qu'elle le prioit
de passer les choses le plus doucement qu'il pourroit,
mais que, s'il étoit question d'en venir à rupture, il fût
assuré qu'elle ne l'abandonneroit point.
Le duc de Guise reçut cet office avec un grand
témoignage de ressentiment, après avoir fait quelque
plainte de ce que, les autres princes ayant pris les
armes contre le Roi, on s'étoit servi de lui et, la paix
faite, on ne l'avoit plus regardé, et eux, au contraire,
avoient toute autorité, et, ayant différend avec lui pour
les rangs, lui feroient l'un de ces jours une querelle
d'Allemand et lui joueroient un mauvais tour. Le len-
demain, il alla trouver la Reine et lui fit mille protes-
tations de sa fidélité envers et contre tous.
Gela ne le retira pas de la mauvaise volonté qu'il
avoit contre le maréchal d'Ancre, ni peut-être de tout
le mécontentement qu'il avoit de la Reine, à laquelle
il ne pouvoit attribuer les actions du maréchal et de
la maréchale, mais au moins lui fit-il perdre une
partie de l'aigreur qu'il avoit.
Étant assemblé, à quelques jours de là, avec les
conjurés, Monsieur le Prince proposa qu'il se falloit
hâter de faire ce qu'ils avoient entrepris et se chargea
de l'exécuter lui-même ; mais il ajouta que, comme
c' étoit une action qui auroit beaucoup de suites, il
1. Var. : Déviés (M), déniés (H).
56 MÉMOIRES [1616]
falloit penser plus avant et prévoir à ce qu'ils feroient
pour se défendre de la Reine, laquelle demeureroit si
mortellement offensée qu'infailliblement elle se venge-
roit d'eux et le pourroit faire sans difficulté, ayant
toute l'autorité royale en sa puissance, et ne man-
quant pas de serviteurs qui le lui conseilleroient et
l'enhardiroient s'il en étoit besoin ; que quant à lui,
qu'il n'y voyoit qu'un remède, qui étoit de l'éloigner
d'auprès du Roi, quand ils auroient fait le coup. Tel
eût bien été de son avis qui n'osa pas lâcher la parole
comme lui; d'autres trouvèrent la proposition étrange,
et tous ne répondirent que du silence et du chapeau.
Le duc de Guise seul prit la parole et dit qu'il y avoit
grande différence de se prendre au maréchal d'Ancre,
homme de néant, l'opprobre et la haine de la France
et la ruine des affaires du Roi, ou perdre le respect
qu'on devoit à la Reine, mère du Roi, et faire entre-
prise contre sa personne ; quant à lui, qu'il haïssoit
le maréchal, mais qu'il étoit très humble serviteur
de S. M.
Cette réponse faisoit assez paroître que M. de
Guise étoit serviteur de la Reine ; mais la haine qu'il
témoigna avoir du maréchal fît que les autres ne se
cachèrent pas de lui. Monsieur le Prince seulement
s'en refroidit un peu, craignant que, quand ils se
seroient défaits du maréchal, le duc de Guise en
recueillit seul tout l'avantage et le profit et entrât
seul dans la confiance de la Reine, dans l'aversion et
haine de laquelle ils demeureroient tous^. Il ne laissa
1. Le début de ce paragraphe et le précédent sont à rappro-
cher des Mémoires cï Estrées, p. 413.
[1616] DE RICHELIEU. 57
pas de poursuivre néanmoins'. L'audace de lui et des
siens croissoit de jour en jour , de sorte que la Reine
recevoit souvent des paroles trop hardies de ceux de
son parti, jusques à lui oser dire de sa part, une fois
qu'elle avoit fait bon visage à quelques seigneurs de
la cour, qu'il ne trouvoit pas bon qu'elle lui débau-
chât ses amis; et, une autre fois, il lui manda, sur le
sujet de M. de Guise, qu'il vouloit bien qu'elle sût que
lui et ses frères étoient si étroitement liés à lui qu'il
n'étoit pas en sa puissance de les en séparer.
Mais, si les serviteurs de Monsieur le Prince lui
parloient si insolemment, il y en avoit assez d'autres,
de ceux auxquels il se fioit le plus, qui lui venoient
donner avis de tout ce qui se passoit; et, entre les
autres, MM. l'archevêque de Bourges- et de Guise
l'en faisoient avertir très soigneusement, et ce à
heures particulières et de nuit, afin de n'être point
reconnus. Enfin ils commencèrent à dire à la Reine
qu'ils jugeoient les affaires en tel point et en si grand
péril pour le Roi, qu'ils ne croy oient plus qu'il fût
possible d'y donner remède.
M. de Sully demanda audience à la Reine pour lui
parler seul d'affaires qu'il disoit importer à la vie de
LL. MM. Elle avoit pris médecine; mais, sur un sujet
si important, elle ne jugea pas devoir différer à le
voir. Le Roi s'y trouva par hasard ; les sieurs Mangot
et Barbin y furent aussi. Lors, il fit un long discours
1. Var. : De poursuivre néanmoins sa pointe (H).
2. André Frémjot (1573-1641), conseiller au Parlement de
Dijon en 1599, archevêque de Bourges de 1603 à 1621, et
ambassadeur à Rome en 1626. Il était frère de sainte Jeanne de
Chantai.
58 MÉMOIRES [1616]
des mauvais desseins que ces princes avoient et du
mal inévitable qu'il en prévoyoit pour le Roi. Les
sieurs Mangot et Barbin lui dirent que ce n'étoit pas
assez, mais qu'il étoit besoin qu'il dit les remèdes
plus propres à y apporter; à quoi il ne fit autre
réponse, sinon que le hasard étoit grand, et qu'in-
failliblement on en verroit bientôt de funestes effets.
S'étant retiré du cabinet, il y remit une jambe avec
la moitié de son corps, disant même ces paroles :
« Sire, et vous. Madame, je supplie Vos Majestés de
penser à ce que je vous viens de dire ; j'en décharge
ma conscience. Plût à Dieu que vous fussiez au
milieu de douze cents chevaux! je n'y vois autre
remède; » puis s'en alla^
La Reine, qui ne vouloit venir qu'à l'extrémité aux
derniers remèdes, après avoir jeté plusieurs larmes
de s'y voir quasi contrainte, voulut encore auparavant
1. Bassompierre, en un récit qui présente avec celui-ci
beaucoup d'analogie, rend compte de cette audience du duc
de Sully chez la Reine. D'après lui, elle eut lieu le vendredi soir
26 août [Mémoires, t. II, p. 78-79) : « M. de Sully... fit voir
que les choses ne pouvoient encore subsister huit jours en
l'état où elles étoient réduites, et qu'au balancement où elles
étoient, il étoit infaillible que toute l'autorité tomberoit entre les
mains de Monsieur le Prince ou qu'elle deraeureroit aux siennes
si elle la savoit retenir; que deux puissances si grandes ne se
pouvoient compatir; que les grands et le peuple penchoient du
côté de Monsieur le Prince; que son autorité diminuoit depuis
l'entreprise de M. de Longueville et le partement du maréchal
d'Ancre et toute la puissance à Monsieur le Prince dans les affaires
et Conseil. Finalement, qu'il ne la tenoit pas assurée dans Paris
et qu'elle seroit mieux avec mille chevaux à la campagne, avec
ses enfants, que dans le Louvre, en l'état où étoient les esprits
des grands et du peuple; qu'il avoit cru être de son devoir et
[1616] DE RICHELIEU. 59
essayer un remède de douceur, par lequel elle fît voir
à tous les peuples le désir qu'elle avoit que les affaires
pussent souffrir une conduite bénigne, et à tous les
princes qu'ils n'en étoient pas encore où ils pensoient,
et que la plupart de ceux qui leur promettoient étoient
en leurs cœurs serviteurs du Roi et les abandonne-
roient quand ce viendroit au point d'exécuter l'entre-
prise qu'ils avoient faite.
Elle parla à tous les seigneurs de la cour l'un après
l'autre et leur fît voir le procédé qu'elle avoit tenu
dans son gouvernement jusques alors, combien elle
avoit relâché de l'autorité du Roi pour maintenir les
choses en paix, le mésusage que de mauvais esprits
en avoient fait. Il n'y en eut quasi un seul de tous
ceux à qui elle parla qui ne revînt de bon cœur à
vouloir servir le Roi et ne l'assurât de sa fidélité envers
et contre tous.
Ces choses, qui étoient publiques, ne pouvoient pas
être celées à Monsieur le Prince et aux siens ; mais les
choses en étoient venues si avant, et ils croyoient leur
parti si fort, qu'ils ne désistèrent point pour cela, et
la résolution et le courage que la Reine montra ne
leur fît point de peur.
Comme néanmoins la difficulté des entreprises paroît
des obligations qu'il avoit au feu Roi de lui remontrer ce que
dessus, ne pouvant y apporter avec sa vie un autre remède;
qu'il l'emploieroit volontiers si, par sa perte, il pouvoit sauver
le Roi, elle et l'Etat. Et ensuite il prit congé d'elle, la suppliant
de penser à ce qu'il lui venoit de dire, et qu'en cas qu'elle n'y
apportât le remède convenable, il protestoit de tout le mal qui
lui en adviendroit et qu'à elle seule en seroit la faute, puis-
qu'elle en avoit été avertie et que ce mal étoit prévu. »
60 MÉMOIRES . [1616]
plus grande, quand on est sur le point de les exécuter,
qu'elle ne paroissoit à la première pensée que l'on a
eue, et d'abondant que l'esprit de Monsieur le Prince
étoit irrésolu et avoit peu de fermeté, il se trouva en
telle perplexité, quand le temps arriva de faire ce
qu'il avoit promis aux siens, que, s'étant retiré à Saint-
Martin* seul, il envoya quérir Barbin et lui dit qu'il
étoit en la plus grande peine où il s'étoit jamais trouvé,
et qu'il y avoit trois heures qu'il ne cessoit d'épandre
des larmes, d'autant que ces princes le pressoient de
conclure ou le menaçoient de l'abandonner; ce que,
s'ils faisoient, il savoit bien que la Reine le méprise-
roit incontinent ; qu'à la vérité, il étoit en un tel état
qu'il ne lui restoit plus qu'à ôter le Roi de son trône
et se mettre en sa place; que c'étoit trop, mais aussi
que d'être abaissé jusques au mépris il ne le pouvoit
souffrir, joint qu'il voyoit les affaires à un tel point et
une si grande conjuration de tous les princes contre
le Roi, qu'il ne croyoit pas, quand même il se mettroit
du parti de S. M. , qu'il fût le plus fort.
Barbin lui répondit que sa qualité et sa naissance
le garantissoient d'être méprisé, que la Reine lui avoit
témoigné l'estime qu'elle faisoit de lui, qu'elle auroit
toujours volonté de lui augmenter plutôt que de
diminuer sa puissance ; quant au parti du Roi,
qu'il n'étoit point si foible qu'il s'imaginoit, que
tous ceux qu'il pensoit être liés avec les princes ne
l'étoient pas, que le seul nom de roi étoit extrême-
ment puissant, que tout ce qu'on entreprendroit
contre son autorité seroit un feu de paille qui ne
dureroit point.
1. Au prieuré de Saint-Martin-des-Champs.
[1616] DE RICHELIEU. 61
Lors Monsieur le Prince, revenant un peu à soi,
lui dit que la Reine chassât M. de Bouillon hors de la
cour, qu'il le brouilloit, et tourmentoit son esprit,
qu'il lui falloit avouer qu'il avoit un grand ascendant
sur lui, que, lui dehors, il tourneroit les autres princes
comme bon lui sembleroit. Barbin, qui ne savoit s'il
lui parloit à dessein pour découvrir son sentiment,
lui répondit que la Reine les afïectionnoit tous, qu'elle
désiroit les contenter et maintenir la paix en ce
royaume. Quant à M. de Bouillon, s'il y avoit quelque
commission honorable et digne de lui donner hors de
la cour, elle le feroit volontiers, et qu'il falloit qu'en
cela ledit seigneur Prince lui aidât*.
Cet entretien fini, ils se séparèrent. Monsieur le
Prince, retournant en son logis, y trouva M. de Bouillon
qui l'attendoit, et qui sut si bien l'ensorceler par ses
discours qu'il lui fit prendre des pensées et des réso-
lutions toutes nouvelles : à quoi son esprit, en l'état
où il se trouvoit, n'étoit pas mal disposé ; car l'ordi-
naire de ceux qui sont éperdus de crainte, c'est de
croire que les nouveaux conseils sont toujours les
meilleurs, qu'il y a plus d'assurance autre part que
là où ils se trouvent, et que tout ce qu'on leur propose
est plus assuré que ce qu'ils avoient pensé. Il le fit
résoudre de pousser les choses jusques à l'extrémité
et, rompant avec le maréchal d'Ancre, lui envoyer
dire, comme une parole de défi, qu'il ne vouloit plus
1. L'entretien du prince de Condé et de Barbin est ainsi rap-
porté par d'Estrées [Mémoires, p. 413) : « Monsieur le Pinnce
ayant envoyé chercher Barbin, il lui déclara une grande par-
tie de tout le secret et lui témoigna qu'il vouloit toujours ser-
vir le maréchal d'Ancre et le garantir de tous les accidents
dont il étoit menacé. »
62 MÉMOIRES [1616]
être son ami . Une des principales raisons par lesquelles
le duc de Bouillon l'y anima fut qu'il lui dit que ledit
maréchal s'étoit moqué de lui sur le sujet du déma-
riage d'avec Madame la Princesse, qu'il lui avoit fait
espérer d'obtenir de Rome, et ne le faisoit pas néan-
moins.
Monsieur le Prince donna cette commission à M. l'ar-
chevêque de Bourges, qui, trop hâté valet, s'en alla
de ce pas chez le maréchal d'Ancre, où il trouva
Barbin, que ledit maréchal avoit envoyé quérir, et
l'abbé d'Aumale*. Il dit à l'un et à l'autre qu'ils
pouvoient être présents à ce qu'il diroit. Dès qu'ils
furent assis, il adressa la parole au maréchal et lui
dit qu'il lui venoit dire, de la part de Monsieur le Prince,
qu'il n'étoit plus son ami, parce qu'il lui avoit manqué
à ce qu'il lui avoit promis. Il en dit autant à Barbin,
qui ne répondit, sinon : « Qu'ai-je donc fait depuis
deux heures qu'il m'a tant assuré du contraire? »
Quant au maréchal, il lui dit que ce lui étoit un grand
malheur d'avoir perdu sa bonne grâce, mais que sa
consolation étoit qu'il ne lui en avoit point donné de
sujet.
L'abbé d'Aumale, prenant lors la parole, dit aussi à
l'archevêque : « Je vois bien que vous voulez dire
que j'ai porté parole à Monsieur le Prince de la
part de Monsieur le Maréchal qu'il l'assisteroit en son
démariage; mais tant s'en faut que cela soit, que
je lui ai dit que cela ne se pouvoit faire, et y ai
1. Guillaume du Broc du Nozet, abbé d'Aumale au diocèse
de Rouen en 1597, fut en outre archevêque de Séleucie et vice-
légat à Avignon.
[1616] DE RICHELIEU. 63
toujours insisté contre vos conseils, que je lui ai
soutenu i/être pas bons. »
L'archevêque demeura tout confus et, se tournant
vers Barbin, le convia de venir trouver Monsieur le
Prince, ce qu'il refusa de faire ; mais il lui promit
d'attendre ledit sieur archevêque le lendemain chez
lui, auparavant que d'aller au Conseil.
Lors le maréchal mena Barbin chez sa femme, qui
étoit malade, et dit audit Barbin qu'ils étoient déses-
pérés, et vouloient l'un et l'autre se retirer à Gaen,
et de là par mer s'en aller en Italie; qu'ils voyoient
bien que tout étoit perdu, et pour le Roi, et pour eux ;
que plût à Dieu fussent-ils dans une barque au milieu
de la mer pour retourner à Florence. 11^ leur dit que
le temps étoit bien orageux, mais que les choses
n'étoient pas si désespérées qu'ils croyoient ; qu'il espé-
roit que l'autorité de LL. MM. seroit bientôt plus
grande qu'elle n'a voit été durant la régence, mais que
cependant ils ne prenoient pas un mauvais conseil de
s'absenter pour quelque temps, afin que les princes
ni les peuples ne pussent prendre leur prétexte accou-
tumé sur eux.
Ils firent lors mille protestations que, quand bien
ils reviendroient à la cour, ils ne se mêleroient jamais
d'aucune affaire et se contenteroient d'avoir assez de
pouvoir pour établir la sûreté de leur fortune, sans
chercher les apparences d'une autorité si grande, qui
ne faisoit que leur engendrer la haine de tout le
monde.
1. Dans le manuscrit H, le mot il a été corrigé et remplacé
par le mot Barbin.
64 MÉMOIRES [1616]
Ils pensoient partir tous deux le lendemain matin ;
mais le mauvais génie qui les persécutoit retint la
maréchale à son malheur; car, pensant entrer en sa
litière, elle se trouva si foible qu'elle s'évanouit deux
fois entre les bras des siens ^ Ne pouvant partir, elle
voulut retenir son mari à toute force. Il envoie quérir
Barbin à la pointe du jour ; il les trouve tous deux si
effrayés qu'ils ne savoient ce qu'ils faisoient. Le mari
lui dit qu'il étoit perdu s'il ne persuadoit sa femme
de le laisser aller ; ce qu'il fit, lui remontrant qu'il n'y
avoit point de péril pour elle, son mari étant absent,
et principalement se faisant porter au Louvre, où elle
seroit plus assurée que si elle étoit en Italie .
Le maréchal étant parti, Barbin retourne en son
logis, où, peu après, l'archevêque de Bourges arrive,
selon qu'ils étoient convenus le jour précédent, et lui
dit, de la part de Monsieur le Prince, que ce qu'il
avoit mandé au maréchal et à lui avoit été pour se
dépêtrer de M. de Bouillon qui l'y contraignoit, et
qu'il ne croyoit pas qu'il dût si tôt exécuter ce com-
mandement^, qu'il avoit dessein de contremander aussi-
tôt qu'il eût été hors de la présence dudit duc.
Barbin lui répondit que le maréchal étoit parti et
que ce n'étoit point pour ce que Monsieur le Prince
lui avoit mandé, d'autant qu'il en avoit déjà le dessein
auparavant.
Dès qu'il fut retiré, Virey^, premier secrétaire de
1. Ces détails sont donnés en des termes presque identiques
dans le Journal inédit d'Arnauld d'Andilly, p. 191-192.
2. Que Monsieur le Prince ne croyait pas que l'archevêque
dût si tôt, etc.
3. Claude-Enoch Virey (1566-1636) avait été chargé de l'édu-
[1616] DE RICHELIEU. 65
Monsieur le Prince, entra, qui lui dit la même chose
et beaucoup de mauvaises paroles contre l'archevêque,
qui avoit eu si peu de jugement que d'exécuter si
inconsidérément une chose qui lui avoit été comman-
dée par Monsieur le Prince, en présence d'un homme
qu'il savoit bien qui violentoit son esprit. Quand il
lui eut dit aussi que le maréchal étoit parti, il fit de
grandes exclamations, soit pour ce que le maréchal
leur fût échappé, soit pour ce que son maître fût en
effet marri de l'avoir offensé jusques à ce point; mais*
il en devoit être marri pour autre cause qui étoit plus
essentielle et lui importoit davantage que celle-là, qui
étoit que, s'il fût demeuré à Paris, on n'eût rien osé
exécuter contre Monsieur le Prince, pour ce que la
crainte du péril, auquel il eût cru ensuite être exposé,
et de la fureur du peuple qui eût forcené contre lui,
l'eût empêché d'y consentir, comme il avoua depuis à
Barbin.
Les choses étant donc^ venues en cet état, l'union
de ces princes se maintenant et publiant toujours de
plus en plus^, la Reine ayant eu avis certain qu'ils
cation du jeune prince de Condé, puis devint son secrétaire.
Il a composé diverses poésies, dont plusieurs sont conservées
en manuscrit à la bibliothèque de l'Arsenal : voyez duc d'Au-
male, Histoire des princes de Condé, t. II, p. 266 et suivantes.
1. Tout ce qui suit jusqu'à la fin du paragraphe a été ajouté
en marge du manuscrit B. — Les Mémoires d' Estrées, p. 413,
sont très brefs sur l'incident qui provoqua le départ de Concini.
2. Le mot donc a été ajouté en interligne sur le manuscrits.
3. Dans le manuscrit B, les mots en plus ont été ajoutés de la
main de Charpentier. Après ces mots figuraient les lignes sui-
vantes, sur lesquelles a été passé un trait de plume : « La Reine,
sachant qu'ils cabalent tous les corps et tâchent de s'acquérir
lî li
66 MÉMOIRES [1616]
i'aisoient des pratiques par la ville pour débaucher le
peuple et pour j^agner les colonels et capitaines des
quartiers qui y ont la charge des armes, qu'ils cabalent
tous les corps, et tâchent de s'acquérir toutes les
compagnies de Paris, qu'on sollicite les curés et les
prédicateurs contre le Roi et elle, que déjà tout haut
leurs partisans se vantoient que rien que Dieu ne les
pouvoit empêcher de changer le gouvernement ; Mon-
sieur le Prince même lui ayant avoué qu'il s'étoit
trouvé en un de ces conseils-là où l'on parloit de se
cantonner, et qu'à la vérité LL. MM. avoient occasion
d'avoir soupçon de lui, mais [que] néanmoins elles lui
étoient plus obligées qu'aux pères qui leur avoient
donné la vie; nonobstant laquelle déclaration, qu'il n'a
faite que des lèvres S il ne laissa pas d'adhérer à ces mau-
vais esprits et pousser en avant ses mauvais desseins,
toutes les compagnies de Paris, qu'on sollicite les curés et les
prédicateurs contre le Roi et elle, que Monsieur le Prince
pousse en avant ses mauvais desseins et que le remords qu'il
en a n'est pas assez puissant pour l'en faire désister, que sa
reconnoissance n'a été que des lèvres et qu'il est résolu,
comme auparavant, de s'emparer des personnes de LL. MM.,
jugeant que, si elle attend davantage, il ne sera plus temps
d'y apporter le remède qui est encore de saison, étant aver-
tie si assurément qu'elle n'en peut douter par M. de Guise,
M""® de Longueville, les ducs du Sully et de Rohan de ce qui
se machine, l'archevêque de Bourges même, qui... » La pre-
mière partie de ce passage, jusqu'à « que Monsieur le Prince
pousse en avant », a été utilisée dans le texte. Ce qui suit n'a
pas été employé entièrement, mais on retrouve plus loin la fin
du passage dans le texte des Mémoires, à partir des mots
« jugeant que si elle attend davantage... ».
1. Voyez le passage barré que nous donnons dans la note
précédente.
[1616] DE RICHELIEU. 67
jusques-là que de proposer d'aller au Parlement, pour-
suivant l'arrêt par lequel, en l'année précédente, la
cour avoit ordonné que les princes, pairs et officiers
de la couronne seroient convoqués pour délibérer du
gouvernement et y pourvoir, parler de mettre la
conduite de l'État entre autres mains que de celles
de S. M.i.
Ces choses étoient si publiques que les ambassa-
deurs des princes étrangers qui étoient à la cour en
donnoient des avis signés de leur main et que, dans
les festins publics qui se faisoient, ils disoient tout
haut pour son terme d'allégresse (sic) : Barre à bas~.
Étant tout manifeste que, d'autre part, on faisoit
des levées de gens de guerre en toutes les provinces,
et qu'enfin ils avoient fait tirer de Paris des armes
pour armer trois mille hommes (ce qu'ils ne purent
pas faire si secrètement que LL. MM. n'en eussent
avis certain), la Reine jugeant que, si elle attend
davantage, il ne sera plus temps d'y apporter le remède
qui est encore de saison; étant avertie, si assurément
1. On remarquera que cette longue phrase reste en suspens.
2. Quelques Mémoires racontent cette anecdote d'une manière
différente et assez vraisemblable. S'il faut les en croire, dans
un repas auquel assistait le prince de Condé avec ses affidés,
on apporta un billet de Barbin : Le Coigneux, après l'avoir
lu, donna au signataire le sobriquet de Barabbas ; et Condé,
trouvant la plaisanterie bonne, ajouta : Erat autein Barabbas
latro. Le mot fut répété plusieurs fois pendant le repas et
rapporté aussitôt après à Barbin. Plusieurs personnes s'effor-
cèrent de persuader à la Reine que c'était un mot de rallie-
ment qui cachait les intentions les plus criminelles. Voyez
Histoire des princes de la maison de Condé, par le duc d'Au-
raale, t. TIT, p. 78.
68 MÉMOIRES [1616]
qu'elle n'en pût douter, par M. de Guise, M*"^ de Lon-
gueville, les ducs de Sully et de Rohan de ce qui se
machine; l'archevêque de Bourges même S qui étoit
le principal instrument de Monsieur le Prince, lui
avoit déclaré tout ce qu'il en savoit ; et tous ces avis
qu'elle recevoit de toutes parts aboutissant à ce point
que le dessein des conjurés est de la mettre en un
monastère, pour, ayant ôté au Roi sa protection et sa
défense, s'emparer de son esprit et de sa personne
pour la faire agir à leur mode^ et se cantonner par
toutes les provinces du royaume, nonobstant toutes
leurs belles paroles qui, ne sonnant autre chose que le
service de S. M. et le bien de l'État, prétextes accou-
tumés en toutes les guerres civiles, n'ont pour fin que
la ruine de l'un et de l'autre, elle crut qu'elle man-
queroit au Roi et à soi-même, et seroit plus coupable
que les coupables de sa perte, si elle n'y apportoit
promptement l'unique remède qui lui restoit pour
dissiper ce grand corps de rébellion, qui étoit d'arrê-
ter Monsieur le Prince, qui en étoit le chef, et, avec lui,
ceux qu'elle pourroit des principaux d'entre eux. Elle
communiqua son dessein au maréchal de Thémines^,
sur lequel elle jeta les yeux, à cause de sa fidélité et
de son courage, pour l'assister en l'exécution d'icelui.
Il n'eut pas plus tôt connoissance du dessein de la
1. Voyez pour ce passage, qui commence par « La Reine
jugeant », la note de la page 66.
2. Les neuf mots qui vont suivre ont été ajoutés après coup
par Sancy sur le manuscrit B.
3. Pons de Lauzières (1553-1627), marquis de Thémines,
sénéchal du Quercy, maréchal de France en 1616, gouverneur
de Bretagne en 1627.
[1616] DE RICHELIEU. 69
Reine qu'il ne s'y portât fort franchement. S. M. le
choisit parce que plusieurs fois le feu Roi son seigneur,
qui prenoit plaisir à l'instruire des diverses humeurs
des seigneurs de son royaume, lui avoit dit qu'il étoit
homme à ne reconnoître jamais que le caractère de la
royauté , ce qu'il témoigna bien en cette occasion qui
devoit sembler fort périlleuse, non seulement à cause
de la qualité de Monsieur le Prince, mais principale-
ment à raison du grand nombre de princes et de sei-
gneurs qui étoient de son parti. Mais^, s'il servit bien,
aussi crut-il bien l'avoir fait ; car depuis il ne put être
content, quelques récompenses qu'il eût reçues de la
Reine. Elle le fît maréchal de France, lui donna comp-
tant cent et tant de mille écus, fit son fils aîné^ capi-
taine de ses gardes, donna à Lauzières^, son second
fils, la charge de premier écuyer de Monsieur, et avec
tout cela il crioit et se plaignoit encore; tant les
hommes vendent cher le peu de bien qui est en eux
et font peu d'estime des bienfaits qu'ils reçoivent de
leurs maîtres.
Barbin, qui étoit et celui qui avoit le plus animé la
Reine à ce conseil et le principal conducteur de cette
affaire, lui demanda de la part de la Reine combien
de gens il avoit dont il se pût assurer en un effet si
important. Il leur dit qu'il avoit ses deux fils et sept
1. Toute la fin de ce paragraphe a été ajoutée en marge
dans le manuscrit B.
2. Antoine de Lauzières, comte de Thémines, fils de Pons,
marquis de Thémines, et de Catherine Ebrard de Saint-Sulpice,
tué au siège de Montauban en 1621.
3. Charles de Lauzières, tué devant Monheurt le 11 décembre
1621.
70 MÉMOIRES [1616]
OU huit gentilshommes des siens, du courage et de la
fidélité desquels il répondoit. Et, pour ce que cela
lui sembloit peu en cette affaire, qui devoit être exé-
cutée avec un tel ordre et prévoyance qu'il n'y eût
rien à douter, il pensa en son esprit s'il y avoit encore
quelqu'un en qui la Reine se pût entièrement confier ;
il se souvint d'Elbène^ Itahen, et partant plus assuré
à la Reine qu'aucun autre, et du courage duquel le feu
Roi faisoit cas. Il l'envoya quérir et lui demanda, de
la part de la Reine, s'il étoit homme à faire ce qui
lui seroit commandé contre qui que ce fût. S'en étant
assuré et lui ayant donné charge d'être, de là en avant
pour quelques jours, à toutes heures auprès de lui
avec sept ou huit de ses compagnons, pour recevoir
le commandement qu'on lui voudroit donner, il ne
resta plus que d'avoir des armes; mais la difficulté
étoit de les faire entrer dans le Louvre secrètement.
M. de Thémines se chargea de l'achat de pertuisanes,
qu'il estima les armes les plus propres, et les envoya
dans une caisse, en guise d'étoffes de soie d'Italie,
chez Rarbin, qui les fit le lendemain conduire au Louvre
par un des siens, ayant fait tenir à la porte un des
valets de chambre de la Reine, pour assurer les archers
que c'étoient des étoffes de soie d'Itahe pour S. M.,
pour ce qu'autrement ils eussent voulu savoir ce qui
étoit dedans.
Le jour de l'exécution ayant été pris au lendemain,
1. D'après le Journal de Jean Héroard (tome II, p. 202), ce
d'Elbène était capitaine des chevau-légers du jeune duc d'Or-
léans Gaston ; ce serait donc Barthélémy d'Elbène ; nous le
verrons recevoir bientôt le gouvernement de Chinon : ci-après,
p. 103.
[1616] DE RICHELIEU. 71
qui étoit un mercredi dernier jour d'août •, toutes
choses étant bien disposées pour cela, la Reine se
trouva si étonnée que le soir elle commanda qu'on
laissât encore écouler cette journée, ce qui pensa faire
perdre l'entreprise. Car, comme ces grandes affaires
ne se peuvent pas traiter si secrètement qu'on ne fasse
plusieurs choses qui donnent à penser et à soupçon-
ner, bien qu'on ne découvre pas précisément à beau-
coup de personnes ce qu'on a à faire, néanmoins on
ne peut que l'on' ne soit contraint de leur faire des
commandements et dire des choses dont ils infèrent
la fin à laquelle on tend. D'Elbène qui, outre son ordi-
naire, étoit vu depuis quelques jours assidûment au
Louvre avec quelques-uns de ses compagnons; la
compagnie de gendarmes de la Reine, qui étoit retour-
née à Louvres-en-Parisis^, de l'armée de Péronne où
elle étoit ; un nouveau serment de fidélité que la Reine
avoit fait de nouveau prendre des sieurs de Cré-
quy, de Rassompierre, de Saint-Géran, de la Curée et
des autres principaux, qu'on appeloit les dix-sept
seigneurs^, et plusieurs autres conjectures, donnèrent
1. Le manuscrit B portait d'abord : Jeudi premier septembre ,
jour de la naissance dudit seigneur le prince... Sancy a rem-
placé ces mots par les suivants : mercredi dernier jour d'août.
2. Les mots on ne peut que l'on ont été ajoutés de la main de
Charpentier sur le manuscrit B.
3. Louvres-en-Parisis, bourg du département de Seine-et-
Oise, arrondissement de Pontoise, entre Luzarches et Gonesse.
4. Henri du Plessis de Richelieu, frère du Cardinal, le
fils du duc de Mayenne, et le comte de Cramail étaient aussi
au nombre des dix-sept seigneurs, personnages en vue à la
cour, qui donnaient alors le ton et réglaient la mode.
72 MÉMOIRES [1616]
une telle lumière aux plus clairvoyants que, l'après-
dinée de ce jour que la Reine avoit fait différer,
d'Elbène vint dire à Barbin qu'il ne savoit pas ce qu'il
vouloit faire, mais que Lignier, son beau-fils, lieute-
nant de la compagnie des chevau-légers de M. de
Mayenne, lui étoit venu dire de sa part qu'il le tenoit
pour homme de bien et qu'il le prioit de ne rien faire
mal à propos.
Ledit duc de Mayenne étant allé voir M. de Bouil-
lon, qui, quelques jours auparavant, avoit gardé son
logis, soit qu'il s'y trouvât mal ou qu'il s'y estimât
plus assuré, ils résolurent ensemble que ledit duc de
Mayenne prieroit Monsieur le Prince de ne point aller
au Conseil le lendemain'. Mais sa prière fut en vain,
pour ce qu'il lui sembloit qu'on n'eût osé entreprendre
contre lui une telle chose, et croyoit assurément que,
s'il y avoit quelque entreprise, c'étoit plutôt contre
M. de Bouillon que contre lui. La nuit venue, les sieurs
de Thémines, Mangot et Barbin étant avec la Reine
pour résoudre cette affaire, le dernier, pour l'empê-
cher de la différer encore une fois, lui remontra le
péril où ce premier délai l'avoit mise d'être décou-
verte, et que l'on avoit perdu une belle occasion,
pour ce que tous les princes, hormis M. de Bouillon,
étoient le matin venus au Louvre.
Il lui représenta aussi que, pour ne se trouver
étonnée, quoi qui arrivât de cette entreprise, elle se
devoit résoudre au pis; qu'il ne croyoit pas que la
1. Le début de ce paragraphe et le précédent ont été rédigés
à l'aide des Mémoires d'Estrées qu'ils reproduisent presque
intégralement. Voyez éd. Michaud, p. 414.
[1616] DE RICHELIEU. 73
ville de Paris se voulût révolter pour Monsieur le
Prince; que M. Miron, prévôt des marchands, et le
chevalier du guet ' lui avoient apporté l'état des capi-
taines de la ville ; que le nombre de ceux dont l'on
devoit avoir crainte étoit petit; néanmoins que,
comme toutes choses sont possibles, il étoit à propos
que la Reine pensât en elle-même lequel elle aimoit le
mieux, ou abandonner son entreprise et laisser les
affaires dans le péril dans lequel elles étoient pour le
Roi, ou arrêter Monsieur le Prince qui ne lui pouvoit
manquer, et l'emmener avec elle hors de la ville de
Paris qui se seroit révoltée. Elle prit le dernier parti,
et le jour de l'exécution en fut arrêté au lendemain
matin.
Monsieur le Prince arriva de bonne heure au Louvre
et vint à un conseil qui se tenoit trois heures avant le
conseil des affaires; et, ayant su que Barbin étoit au
Louvre il y avoit longtemps, il appela Feydeau^ et
lui dit qu'il falloit qu'il y eût quelque chose puisqu'il
y étoit de si bon matin, et lui donna charge d'aller
savoir où il étoit. Barbin lui dit qu'il le laissât en
paix, qu'il étoit en une grande peine, pour ce que la
maréchale rendoit l'esprit ; cela ôta pour lors le soup-
çon à Monsieur le Prince.
LL. MM. envoyèrent quérir M. de Créquy, mestre
1. Louis Testu, seigneur de Frouviile et de Villers-en-Vexin,
conseiller et maître d'hôtel du Roi, chevalier du guet de la
ville de Paris en 1613.
2. Antoine Feydeau, seigneur de Bois-le-Vicomte, trésorier
de l'Epargne, fut accusé de malversations dans les finances. Sa
fille Maiùe Feydeau, épousa en 1622 Timoléon de Daillon,
comte du Lude et marquis d'Illiers.
74 MÉMOIRES [i616]
de camp du régiment des Gardes, et M. de Bassom-
pierre, colonel général des Suisses et mestre de camp
du régiment des Gardes suisses de S. M. La Reine
les ayant avertis du dessein que le Roi et elle avoient
pris, afin qu'ils se tinssent à la porte du Louvre
avec leurs régiments en bataille, pour empêcher tout
désordre et arrêter Monsieur le Prince, si par hasard
il vouloit sortir, après avoir fait ce qu'ils purent pour
empêcher la Reine de son dessein, en exagérant les
inconvénients qui en pourroient arriver, ils deman-
dèrent des lettres patentes scellées du grand scel,
pour exécuter le commandement qui leur étoit fait*.
Sur quoi, la Reine leur demandant s'il leur falloit
d'autre commandement que celui de la propre bouche
du Roi, en une occasion si pressée que celle-là, et en
laquelle il ne leur pouvoit donner l'assurance qu'ils
vouloient, ils la supplièrent d'envoyer au moins avec
eux quelque exempt des gardes du corps du Roi, et
que, moyennant qu'il y fût, ils feroient ce qu'il leur
commanderoit de la part de S. M. Le Roi, après
avoir longtemps pensé qui il y pourroit nommer, dit
à la Reine qu'il falloit prendre Launay-, qui étoit celui
qui avoit pris le président Le Jay, et étoit brave
homme. On l'envoya quérir aussitôt. Dès qu'il fut
venu, S. M. lui commanda d'aller avec lesdits sieurs
de Créquy et Bassompierre en leurs corps de garde et
que, lorsque les princes et seigneurs qu'il lui nomma
1. Bassompierre, dans ses Mémoires, ne fait aucune allusion,
pour sa part, à de semblables exigences (éd. Chantérac, t. II,
p. 88).
2. Ludovic de Vièvres, seigneur de Launay, lieutenant des
gardes du corps : voyez le Journal d'Arnauld cCAndilly, p. 104.
flTyiej DE RICHELIEU. 75
voudroient sortir du Louvre, il fit commandement
auxdits sieurs de Gréquy et de Bassompierre de les en
empêcher. Lors ils partirent ensemble et s'y en allèrent.
M. de Gréquy, en partant, demanda à la Reine si on
empêcheroit aussi M. de Guise de sortir. Elle lui répon-
dit que non et qu'elle étoit assurée de ses frères et
de lui.
Les gardes étoient en bataille devant le Louvre, et,
afin que ce fût sans soupçon, le carrosse du Roi étoit
au pied du degré, comme s'il vouloit sortir.
Tout cela n'empêcha pas néanmoins que les parti-
sans des princes, que leurs consciences accusoient,
n'entrassent en quelque peur. Thiange, lieutenant de
la compagnie des gendarmes de M. de Mayenne, dit
à La Ferté*, qui étoit au duc de Rohan, qu'il y avoit
quelque chose, qu'il avoit vu les sieurs de Gréquy et
de Bassompierre passer en leurs corps de garde avec
un exempt des gardes du corps, fort pâles, que les
gardes étoient en bataille, qu'il voyoit bien le carrosse
du Roi, mais qu'il craignoit qu'il y eût quelque mys-
tère caché qu'on n'entendoit point, et appela inconti-
nent un gentilhomme qui étoit à lui, et l'envoya avertir
M. de iMayenne, qui étoit, ce matin-là, allé visiter le
nonce-. Un autre entra au Gonseil, qui parla à Monsieur
le Prince, qui changea un peu de couleur, et rompit
tout aussitôt le Conseil^.
1. Ce La Ferté, compromis dans des manœuvres contre
Luynes, fut, comme on le verra plus loin, condamné en 1618 à
neuf années de bannissement.
2. Le cardinal Ubaldini : tome I, p. 90.
3. Comparez ce que les Mémoires d'Estrées disent (p. 414)
du rôle de M. de Thiange dans cette affaire.
76 MÉMOIRES [1616]
Cependant le Roi et Monsieur étoient avec la Reine
dans son cabinet. S. M. étoit peu auparavant entrée
dans sa chambre et avoit parlé aux gentilshommes
qui assistoient les sieurs de Thémines et d'Elbène, les
assurant qu'il se souviendroit du service qu'ils lui
rendoient cette journée-là. Saint-Géran vint à deman-
der à parler à LL. MM., et leur dit qu'il venoit de
rencontrer sur le pont Notre-Dame M. de Bouillon qui
se retiroit en grande diligence dans un carrosse à six
chevaux, avec nombre de cavalerie qui avoient tous le
pistolet, et que M. de la Trémoïlle^ galopoit après
lui. Il ne l'avoit pas vu; mais on lui avoit rapporté
qu'on l'avoit vu passer : car le duc de Bouillon, ne
voulant pas aller au Lou^Te et faire la faute qu'il voyoit
bien que Monsieur le Prince commettoit, avoit pris
occasion d'aller dès le matin à Charenton, avec bon
nombre de ses amis et quelques soldats de ses
gardes 2.
On vint aussi dire à LL. MM. que M. de Mayenne
s'étoit retiré; ce qui n'étoit toutefois pas; car il ne
partit de plus d'une heure après. Néanmoins, cela fut
cause qu'on n'attendit pas davantage, croyant qu'ils
ne viendroient pas.
Au sortir du Conseil, Thiange se jeta à l'oreille de
Monsieur le Prince et lui dit ce qu'il avoit charge de
M. de Mayenne, et qu'il n'avoit pu lui dire plus tôt
1. Henri de la Trémoïlle (1599-1674), duc de Thouars, prince
de Talmont, fils aîné de Claude et de Charlotte-Brabantine de
Nassau. Il était protestant et se joignit peu après au parti des
Princes.
2. Les mêmes détails sont donnés dans les Mémoires cl'Es-
trées, p. 414.
[1616] DE RICHELIEU. 77
parce qu'il n'étoit arrivé que lorsque le Conseil étoit
déjà cominencé. Monsieur le Prince pâlit entièrement
à cette nouvelle et lui dit que, si on avoit quelque des-
sein contre lui, il n'y avoit plus moyen de s'en garantir,
et continua son chemin par la salle basse des Suisses,
pour gagner le petit degré et monter en la chambre
de la Reine, pour entrer au conseil des affaires qui se
tenoit d'ordinaire à onze heures. Il trouva à la porte
deux gardes du corps, dont il s'étonna, et crut alors
assurément, mais trop tard, ce qu'il ne s' étoit pas
jusque-là voulu persuader'. Dès qu'il fut entré, il
demanda plusieurs fois le Roi et la Reine, qui étoient là
auprès, en un lieu qui pour lors servoit de cabinet à
la Reine. LL. MM., sachant qu'il étoit venu, et croyant
que tous les autres étoient évadés, estimèrent qu'il
ne falloit plus différer davantage et commandèrent
au sieur de Thémines de l'arrêter, ce qu'il fît sans
aucune résistance de la part de Monsieur le Prince, qui
étoit tout seul ; seulement fît-il quelque peu de refus
de donner son épée et appela M. de Rohan, qu'il vit
là, et [qui] demeura muet sans lui répondre.
Gomme on le menoit en la chambre qu'on lui
avoit préparée, il aperçut d'Elbène, et, le voyant avec
quelques-uns de ses compagnons, tous la pertuisane
en la main, il dit qu'il étoit mort ; mais l'autre lui répon-
dit qu'ils n'avoient nul commandement de lui méfaire
et qu'ils étoient gentilshommes^.
1. Voyez les Mémoires d'Estrées, p. 414.
2. On lit dans le Mercure français, t. IV, année 1616, p. 199 :
« Entrant dans la salle préparée pour le mettre et voyant
d'Elbène (qu'il n'airaoit pas) avec tant de gens, la hallebarde
au poing, il dit : « Hélas ! je suis mort ! » Il eut lors une
78 MÉMOIRES [1616]
Il ne fut pas plus tôt arrêté qu'il lut su^ par toute la
ville; car on fit incontinent sortir tout le monde du
Louvre^. Les premières nouvelles en furent portées
aux princes de son parti par ceux qui y étoient inté-
ressés, dont les uns se retirèrent chez M. de Guise,
les autres chez le duc de Mayenne, qui ne faisoit que
de retourner de chez le nonce, qu'il étoit allé visiter.
Le marquis de Gœuvres fut le premier qui y arriva.
Peu après, Argencourt^ le vint trouver de la part de
M. de Guise, qui, n'ayant point eu avis de ce dessein
du Roi, craignoit d'y être enveloppé avec les autres,
auxquels le péril commun le sembloit obliger de se
tenir uni, et lui envoyant demander s'il vouloit qu'il
l'allàt trouver, ou s'il lui feroit l'honneur de passer
par l'hôtel de Guise*, pour prendre ensemble une
même résolution. Le duc de Mayenne, qui avoit avec
lui cent ou deux cents gentilshommes, lui manda qu'il
l'attendit et qu'ils passeroient tous incontinent chez lui.
Dès que le marquis de Gœuvres lui eut porté la
nouvelle, trois ou quatre gentilshommes partirent
pour en aller avertir le duc de Bouillon, qui étoit allé
à Gharenton, et, sans perdre temps, reprit droit le
grande appréhension de mourir, laquelle ledit sieur d'Elbène
calma en lui disant que tous ceux qu'il voyoit étoient gentils-
hommes et non pas des meurtriers, lesquels n'avoient autre
commandement du Roi que de le veiller et garder. »
1. Var. : Que cela fut su (H).
2. Voyez le Mercure français, t. IV, année 1616, p. 200 : « On
fît aussi sortir tous ceux qui étoient dans la cour du Louvre. »
3. Pierre Conty, seigneur d'Argencourt, fut lieutenant du
gouvernement de Montpellier, maréchal de camp en 1637,
lieutenant général en 1653 et mourut en 1655.
4. L'hôtel de Guise, devenu en 1697 l'hôtel Soubise, est
actuellement le palais des Archives nationales.
[1616] DE RICHELIEU. 79
chemin de la porte Saint- Antoine et envoya Ghambray *
à M. de Mayenne le prier de lui vouloir venir dire
un mot à deux cents pas de ladite porte où il l'atten-
doit. M. de Mayenne y alla tout à l'heure et lui dit
qu'il avoit prié M. de Guise de l'attendre chez lui. Ils
se résolurent de l'aller trouver tous deux, en dessein
d'amasser avec lui tout ce qu'ils pourroient de noblesse
de leurs amis et se faire voir par les rues de Paris,
essayant d'émouvoir le peuple et y faire des secondes
barricades. Mais, comme ils furent sur le point d'en-
trer dans la ville, ils considèrent qu'ils ne se pour-
roient facilement rendre maîtres de la porte Saint-
Antoine, pour, si leur dessein manquoit, avoir la
retraite libre, et que la porte du Temple^ étoit plus
aisée et à s'en saisir et à la garder. S'y étant ache-
minés, Argencourt les y vint trouver de la part de
M. de Guise pour les en empêcher et leur dire que
M. de PrasUn l' étoit venu trouver de la part de
LL. MM., pour lui commander de les venir trouver,
dont néanmoins il s'excuseroit, et échapperoit, s'il
pouvoit, dès le soir même, pour les aller trouver à
Soissons, qu'il jugeoit devoir être le lieu de leur
retraite.
Gette nouvelle refroidit toute la compagnie, qui
crut pis de M. de Guise qu'il n'y en avoit, et, se voyant
divisés, n'osèrent entrer dans la ville, mais prirent le
1. Louis de PierrebufiBère, seigneur de Chambray, combattit
à Ivry avec Henri IV. Il était gouverneur de Saint- Yrieix-la-
Perche et lieutenant général en Limousin.
2. Il était en effet difficile de s'emparer de la porte Saint-
Antoine dominée par la Bastille. La porte du Temple était
située à l'extrémité de la rue du Temple, à peu près à l'empla-
cement actuel de la caserne du Château-d'Eau.
80 MÉMOIRES [1616]
chemin de Bondy, envoyèrent à Paris pour savoir ce
qui s'y passoit, et particulièrement de M. de Vendôme ;
mandèrent au cordonnier Picard qu'ils étoient prêts
d'entrer dans la ville avec cinq cents chevaux, et que,
de son côté, il essayât de les assister, émouvant le
plus de peuple qu'il pourroit*.
Incontinent après que Monsieur le Prince fut arrêté,
une grande foule de noblesse vint au Louvre pour se
montrer et donner assurance de sa fidélité; tel le fai-
sant sincèrement, tel avec intention et désir tout
contraires ; mais il n'y en avoit pas un qui n'approu-
vât ce que S. M. avoit fait; beaucoup même témoi-
gnoient envier la fortune du sieur de Thémines, qui
avoit eu le bonheur d'être employé en cette entreprise ;
mais, en effet, la cour étoit si corrompue pour lors,
qu'à peine s'en fût-il trouvé un autre capable de sauver
l'État par sa fidélité et son courage.
Le duc de Guise, ni le cardinal^ son frère, n'y
osèrent venir, mais y envoyèrent le prince de Join-
ville^, pour faire bonne mine et découvrir s'ils étoient
ou non de ceux qu'on devoit arrêter. Il ne manqua de
donner de grandes assurances à LL. MM. de ses frères
1. Les iWéwoi/'es reproduisent ici assez exactement le récit
des Mémoires d'Estrées qui suit l'arrestation de Condé (éd.
Michaud, p. 414 et 415).
2. Louis III de Lorraine (1575-1621), cardinal-diacre en 1615,
archevêque de Reims. Il épousa en secret Charlotte des
Essarts, l'une des maîtresses de Henri IV, et en laissa cinq
enfants. Richelieu donne ce mariage clandestin comme un fait
certain [Mémoires, éd. Petitot, t. II, p. 134).
3. Claude de Lorraine (1578-1657), fils de Henri de Lorraine,
duc de Guise, et de Catherine de Clèves, prince de Joinville, et
duc de Chevreuse en 1612 ; il épousa la veuve du duc de Lu} nés,
[1616] DE RICHELIEU. 81
et de lui. La Reine, assez grave de son naturel et peu
caressante, et alors encore lassée de la presse qui étoit
au Louvre et de la chaleur qu'elle causoit, lui répondit
peu de chose et lui fit assez froid. Ce qui lui ayant été
remontré et que cela peut-être leur donneroit l'alarme,
elle fit appeler M. de PrasUn, qu'elle sa voit être des
amis pai^ticuliers dudit duc de Guise, et lui commanda
de l'aller trouver et l'assurer, lui et ses frères, que le
Roi avoit confiance en eux et les estimoit ses fidèles
serviteurs ^ Cet envoi tint le duc de Guise en son
irrésolution ordinaire et l'empêcha de prendre déter-
minément parti avec les autres princes et les laisser
venir chez lui, où il eût fallu lier la partie avec eux,
qu'il eût bien voulu laisser agir sans y paroître. Mais
ce qu'il leur manda les empêcha de pousser plus avant
le dessein qu'ils avoient d'entrer dans Paris, où, s'ils
fussent venus, il y a beaucoup d'apparence qu'ils
eussent pu chaudement émouvoir le peuple qui ne
manquoit que de chef et de quelqu'un qui osât com-
mencer le premier.
iVP"® la princesse de Condé la mère^ eut bien le
la favorite d'Anne d'Autriche, célèbre par ses intrigues pen-
dant le règne de Louis XIII et la minorité de Louis XIV. Depuis
1612, il avait le titre de duc de Chevreuse ; les Mémoires le
désigneront ainsi dans la suite.
1. On lit dans le Mercure français, t. IV, année 1616, p. 204,
ces lignes qui ont dû servir à la rédaction de ce passage :
« Le duc de Guise envoya M. le prince de Joinville vers Leurs
Majestés pour en apprendre la cause [de l'arrestation de
Condé]. On vit peu après le sieur de Praslin de la part du Roi
aller du Louvre à l'hôtel de Guise et retourner au Louvre. »
2. Charlotte-Catherine de la Trémoïlle, seconde femme du
prince Henri I", qui l'avait épousée le 16 mars 1586; elle mou-
rut en août 1629.
II 6
82 MÉMOIRES [1616]
cœur de sortir de sa maison et de s'en aller jusques
sur le pont Notre-Dame, criant partout aux armes, et
que le maréchal d'Ancre avoit fait tuer le prince de
Gondé son fils. Chacun l'écoutoit avec étonnement et
pitié ; mais, comme elle étoit seule, elle ne les encou-
rageoit pas à ce qu'ils eussent bien désiré s'ils eussent
été assistés. Le cordonnier Picard, excité par ce que
lui avoient mandé les princes, fit seul quelque effet
et commença une émotion en son quartier; mais,
pour ce qu'il n'y avoit aucun homme de qualité pour
conduire cette multitude de peuple confuse, l'orage
qu'il émut ne tomba que sur la maison du maréchal
d'Ancre^ et celle de son secrétaire Corbinelli-, qui,
1. L'hôtel du maréchal d'Ancre était situé rue de Tournon.
— Il n'est pas certain que le pillage fut une conséquence de
l'émeute excitée par ce Picard, qui habitait rue de la Harpe.
Arnauld d'Andilly et le Mercure françois attribuent l'idée du
pillage à « quelques-uns des domestiques et de la suite du
prince de Condé » qui avaient animé des maçons et manœuvres
occupés à construire près de là le palais du Luxembourg.
Le Mercure françois rapporte, comme les Mémoires^ que la
mère du prince de Condé alla jusque sur le pont Notre-Dame
avec l'intention de « faire émouvoir le peuple. Ce que firent
aussi quelques gentilshommes, des domestiques du dit sieur
Prince qui crioient : « Aux armes, Messieurs de Paris, le maré-
« chai d'Ancre a fait tuer M. le prince de Condé, premier
« prince du sang! Aux armes, bons François ! Aux armes ! »
2. Raphaël Corbinelli, d'origine florentine, était venu en
France, en 1597, à l'âge de quinze ans. Il était entré au service
de M. d'Attichy, intendant de Marie de Médicis, et resta
quinze ans sous ses ordres; puis il devint en 1612 secrétaire
de Léonora Galigaï et quitta son service en juin 1616, s'il faut l'en
croire. Au moment où sa maison fut pillée, il n'était donc plus
secrétaire de la dame d'atours. Il redeviendra plus tard secré-
taire de la Reine. Sa demeure était située à deux maisons près
[1616] DE RICHELIEU. 83
avec une extraordinaire furie, furent pillées sans qu'il
y restât que les pierres et le bois, le pillage conti-
nuant encore le lendemain tout le jour, outre que le
bon ordre qui fut mis dans Paris modéra le feu en la
plupart des esprits judicieux; cai\ premièrement,
elle [la Reine] fit donner avis au Parlement de ce qui
s'étoit passé, envoya quelques seigneurs de la part du
Roi par les rues de la ville pour empêcher le désordre
et fit désabuser le peuple par le lieutenant civil, leur
mandant que Monsieur le Prince étoit en sûreté, qu'on
ne lui avoit point fait de mal et qu'on s'étoit seulement
assuré de sa personne pour quelques raisons néces-
saires qu'ils sauroient par après*.
Mais, nonobstant que M. de Guise n'eût pas voulu
que MM. de Mayenne et de Bouillon le fussent venus
trouver en sa maison pour suivre leur dessein, il ne
s'assura néanmoins pas tant dans Paris qu'il n'en sortît
dès le jour même et ne s'en allât à Soissons, avec telle
diligence qu'il y arriva le premier d'eux tous^.
On crut à la cour que le sieur de Praslin avoit fait
un office tout au contraire de celui qu'on lui avoit
commandé, et l'avoit conseillé de se retirer, au lieu
de lui donner des assurances de la part de LL. MM.,
étant indigné de ce qu'on s'étoit plutôt fié en M. de
de l'hôtel du maréchal d'Ancre [Mercure françois, t. IV, année
1616, p. 201 et suivantes, et Journal d'Arnauld d'Andilly,
p. 205).
1. Les Mémoires contiennent plus de développement sur le
pillage de l'hôtel de Concini que les Mémoires d'Estrées. Mais
on retrouve, éparses çà et là dans le récit, des phrases de ce
dernier : voyez p. 415.
2. Le Journal d'Arnauld d'Andilly donne ce même détail,
p. 203.
84 MÉMOIRES [1616]
Thémines pour prendre Monsieur le Prince qu'à lui.
Et ce qui donna plus de fondement à cette créance
fut, outre la malice ordinaire des courtisans où il y a
peu de fidélité, que MM. de Guise partirent inconti-
nent après qu'il leur eut parlé et que M""'' de Guise,
mère et femme, et la princesse de Gonti, assuroient
qu'ils ne s'étoient retirés que sur la crainte qu'on leur
avoit donnée qu'il y avoit dessein contre eux, et
quelqu'une d'elles dit à Barbin qu'elle lui nommeroit
un jour celui qui leur avoit donné le conseil de s'éloi-
gner, et qu'il l'eût cru de tout autre plutôt que de
celui-là ^ .
M. de Vendôme s'étoit esquivé dès auparavant.
On dit à la Reine, dès que Monsieur le Prince fut
arrêté, qu'il étoit chez lui, où il faisoit quelque assem-
blée. Saint-Géran étoit un de ceux qui le lui dirent et
quelques autres encore qui étoient de ses plus confi-
dents, lesquels- s'offrirent eux-mêmes à s'aller saisir
de sa personne. On leur en donna la commission;
mais il les prévint, sortit par une porte de derrière et
s'en alla en diligence. On le poursuivit quelque peu;
mais, l'envie qu'il avoit de se sauver étant plus grande
que n'étoit pas à le prendre celle de ceux qu'on y avoit
1. Le Mercu?'e français, t. IV, année 1616, p. 204, dit, en
parlant des allées et venues de Praslin du Louvre à l'hôtel de
Guise, qu' « on ne savoit à quoi tendoient toutes ces choses,
ni pourquoi, sinon que, sur les quatre heures du soir, lesdits
duc et prince suivirent leur cousin, le duc de Mayenne,
sortirent de Paris, allèrent passer à Soissons, d'où ils se ren-
dirent en leur maison de Marchais par Liesse ».
2. Lesquels a été ajouté par Sancy en interligne sur le
manuscrit B.
[1616] DE RICHELIEU. 85
envoyés, ils ne le purent attraper ; il gagna Verneuil-
au-Perche^ place qui étoit entre ses mains, et de là
passa à la Fère~. Quelques-uns soupçonnèrent qu'au
même temps que Saint-Géran, qui fut envoyé pour le
prendre, investissoit le devant de sa maison, il le fit
avertir de sortir par un autre côté^.
Il fut le seul après qui la Reine envoya, ayant cru
que MM. du Maine et de Bouillon s'étoient sauvés
trop tôt pour pouvoir être atteints. Et quant à M. de
Guise, comme elle n'avoit eu aucun dessein de le faire
arrêter, elle ne l'eut aussi de le faire poursuivre, tant
parce qu'il avoit été de ceux qui avoient découvert le
péril où étoient LL. MM., que parce qu'elle ne se vou-
loit pas attaquer à tant de gens, et qu'elle et le Conseil
connoissoient bien que, si la légèreté de ce prince
l'avoit rendu capable de prêter l'oreille aux mauvais
desseins des autres, cette même raison empêcheroit
qu'il ne pût demeurer dans leur union, joint que ses
intérêts, dont la plupart des grands sont fort curieux,
se trouvoient à servir le Roi.
1. Verneuil, chef-lieu de canton du département de l'Eure,
à 40 kil. sud-ouest d'E\Teux.
2. La Fère, chef-lieu de canton du département de l'Aisne, à
24 kil. nord-ouest de Laon.
3. Voici ce que rapporte le Mercure françois, t. IV, année
1616, p. 200, de la fuite du duc de Vendôme : « Ceux qui
allèrent pour se saisir de M. de Vendôme trouvèrent qu'en
venant au Louvre il avoit été averti et s'étoit sauvé par le
derrière de l'hôtel de Mercœur, qui est au faubourg Saint-
Honoré, tenant le chemin de la Fère (ville qui lui appartient
comme bien patrimonial de la maison de Vendôme), et ce en
telle diligence que ceux qui le poursuivirent ne purent
l'atteindre. »
86 MÉMOIRES [1616]
Madame la Comtesse^ fit aussi sortir son fils-, et
ainsi la cour se trouva vide de beaucoup de grands
et le Roi presque sans aucun prince auprès de lui.
Rochefort, favori de Monsieur le Prince, s'en alla à
Chinon et y mena Le Menillet^ pour s'y enfermer avec
ceux qu'il pourroit amasser des serviteurs de Mon-
sieur le Prince et défendre cette place contre le Roi.
Les huguenots de Sancerre prirent cette occasion de se
saisir de leur château, dans lequel, depuis quelques
années, le comte de Sancerre^ étoit rentré par le
moyen du curé et des catholiques, et le gardèrent
depuis avec permission du Roi, qui ne leur voulut pas
donner prétexte de se soulever contre son service
pour cela. Ceux de la Rochelle se saisirent de Roche-
fort-sur- Charente; mais le duc d'Épernon amassa
aussitôt des troupes et mit garnison dans Surgères
et Tonnay - Charente ^ , pour arrêter leurs mauvais
desseins^.
Mais, pour retourner à Monsieur le Prince, que nous
1. C'est-à-dire la comtesse de Soissons.
2. Louis de Bourbon : tome I, p. 92.
3. Peut-être est-ce ce « gentilhomme de Champagne, nommé
Menillet, capitaine dans un régiment de gens de pied », sur
lequel Tallemant des Réaux raconte une anecdote assez verte
(t. V, p. 210).
4. Jean de Bueil, comte de Sancerre et de Marans, grand
échanson de France, chevalier des ordres du Roi, mort en
1638.
5. Ce sont actuellement deux chefs-lieux de canton du
département de la Charente-Inférieure, arrondissement de
Rochefort.
6. Voyez, au sujet de ces difficultés entre les habitants de la
Rochelle et le duc d'Epernon, le Mercure francois, t. IV,
[1616] DE RICHELIEU. 87
avons laissé entre les mains de M. de Thémines, qui
le mena en la chambre qui lui avoit été préparée pour
le garder, il fît difficulté de manger quand l'heure de
dîner fut venue, et demanda que les siens lui apprê-
tassent ses viandes, ce qui lui fut accordé. Le sieur
de Luynes lui fut envoyé de la part du Roi, pour le
consoler et l'assurer qu'il recevroit tout bon traitement ;
la Reine mère lui envoya aussi un autre de sa part*.
Il fit telle instance de voir Barbin que la Reine lui
commanda d'y aller. Dès qu'il le vit, il lui parla de
plusieurs choses tout à la fois, tant il étoit hors de lui
et transporté de passions différentes, qui aboutissoient
néanmoins au désir de sa liberté. Il lui demanda si
M. de Bouillon étoit pris; et, sachant qu'il ne l'étoit
pas, il dit plusieurs fois qu'on avoit tort de ne l'avoir
pas arrêté et qu'en vingt-quatre heures il lui eût fait
trancher la tête; soit qu'ayant été cause de le mettre
en cet état, le regret du mal qu'il en avoit reçu le
portât à en parler ainsi ; soit que la malice de la nature
de l'homme se fît voir en ses paroles, laquelle fait
que nous voudrions que tout le monde pérît pour
nous et que nous portons envie à ceux qui ne sont
pas participants à notre mal.
Il le pria en même temps de supplier la Reine de
le mettre en liberté, et la maréchale de se jeter à ses
pieds pour l'obtenir : tant les grands croient que tout
leur est dû, quelque mauvais traitement qu'ils fassent
année 1616, p. 272-303, que les Mémoires ont pu utiliser.
Voyez aussi Arcère, Histoire de la ville de la Roc/ielle, p. 143
et suivantes.
1. Le sieur de la Motte, d'après le Mercure français, t. IV,
année 1616, p. 205.
R8 MÉMOIRES [1616]
aux hommes, et que leurs offenses ne désobligent
point.
Il lui dit que, si on lui pensoit faire son procès, il
ne répondroit point; et, une autre fois encore qu'il
désira parler à lui, il lui répéta la même chose; mais,
que, si la Reine lui vouloit faire donner parole de sa
délivrance par le maréchal d'Ancre et le sieur de Thé-
mines, il découvriroit toutes les cabales que lui et
ceux de son parti avoient faites contre le Roi : ce qui
ne témoignoit pas tant de générosité et de courage
qu'une personne de sa condition devoit avoir.
La Reine fit une réponse sage et digne d'elle : qu'elle
n'en vouloit pas apprendre davantage qu'elle en savoit
et qu'elle aimoit mieux oublier le passé que de s'en
rafraîchir la mémoire ^
Il dit une autre fois au maréchal de Thémines, qui
le rapporta à la Reine, qu'elle ne l'avoit prévenu que
de trois jours et que, si elle eût attendu davantage,
le Roi n'auroit plus la couronne sur la tète : ce qui,
dit en l'état auquel il se trouvoit, témoignoit assez
l'audace qu'il avoit conçue en celui auquel il étoit
auparavant et les pernicieux desseins qu'avoient ceux
1. Le Mercure françois, t. IV, année 1616, p. 204 et 205, est
très sobre de détails. On y lit : « Le sieur de Thémines, ses
fils et d'Elbène entretenoient Monsieur le Prince. On lui
demanda s'il vouloit manger, il le refusa, et enfin dit qu'il ne
mangeroit point si ses officiers ne lui en apportoient. On le
contenta sur cela; on lui fit venir un des siens qui, sans sor-
tir, le servoit des viandes que ses officiers lui apprêtoient et
apportoient à la porte de la chambre. Le sieur de Luynes le
fut voir de la part du Roi et le sieur de la Motte de la part de
la Reine mère. Il demanda si le maréchal de Bouillon étoit pris
et dit plusieurs choses de lui. »
[1616] DE RICHELIEU. 89
de son parti. Et toutes ces paroles ensemble montroient
les diverses passions qui agitent l'esprit des grands,
quand ils se voient réduits en une extrémité à laquelle
ils ne s'étoient pas attendus, et le peu de générosité
qu'ont en leur adversité ceux qui n'ont pas eu la
force de se contenir, quand ils ont été en meilleure
fortune.
Le même jour qu'il fut pris', les sieurs du Vair,
garde des sceaux, Villeroy et le président Jeannin
vinrent trouver la Reine, où se trouva M. de Sully,
et lui dirent que les choses étoient en telle extrémité,
que l'État s'en alloit perdu si elle ne faisoit relâcher
Monsieur le Prince; soit qu'ils parlassent ainsi par
inexpérience, comme le sieur du Vair, ou par la timi-
dité naturelle de leur esprit, comme le sieur de Ville-
roy, qui a voit toujours gouverné de sorte que, cédant
aux orages, il s'étoit plutôt laissé conduire aux affaires
qu'il ne les avoit conduites; ou, pour ce qu'ils affec-
tionnoient les princes, comme le président Jeannin,
qui espéroit toujours bien d'un chacun et croyoit qu'il
pouvoit être ramené à son devoir. M, de Sully, violent
et peu considéré, le feu de l'esprit duquel ne s'appli-
quoit qu'au présent, sans rappeler le passé, ni consi-
dérer de bien loin- l'avenir, ajouta à ce que les autres
avoient dit que quiconque avoit donné ce mauvais
conseil à la Reine avoit perdu l'État. La Reine, animée
de se voir reprise d'une chose qu'elle avoit résolue et
1. Arnauld d'Andilly [Journal, p. 206-208), qui rapporte ces
mêmes détails, dit que le Conseil où se produisirent ces discus-
sions eut lieu le 3 septembre.
2. Les mots de bien loin ont été substitués par Sancy au mot
beaucoup sur le manuscrit B.
90 MÉMOIRES [1616]
exécutée après une si mûre délibération, lui répondit
qu'elle s'étonnoit qu'il lui osât parler ainsi, et qu'il falloit
bien qu'il eût perdu l'esprit, puisqu'il ne se souvenoit
plus de ce qu'il avoit dit au Roi et à elle il n'y avoit
que trois jours^, dont il resta si confus qu'il se retira
incontinent, au grand étonnement de tous les seigneurs
qui étoient là présents. Sa femme-, puis après, essaya
de l'excuser, disant que le transport de crainte dans
lequel il étoit lui avoit fait parler ainsi, d'autant qu'on
lui venoit de dire présentement que ces princes et
seigneurs du parti de Monsieur le Prince étoient réso-
lus de le faire tuer, le croyant être auteur de l'arrêt
dudit sieur le Prince, par les avis qu'il avoit donnés
de leurs desseins.
La Reine, assurée par autres de ses serviteurs ès-
quels elle avoit confiance, et par la grande foule de
noblesse qu'elle voyoit venir au Louvre faire protes-
tation de leur fidèle service au Roi, ne pensa pas à
changer de dessein, mais seulement aux moyens con-
venables pour affermir celui qu'elle avoit pris, et
remédier à tous les inconvénients qui en pourroient
survenir.
Elle fit changer Monsieur le Prince de chambre et
le fit mettre dans une plus assurée et grillée, dans le
1. Voyez ci-dessus, p. 57 et 58.
2. Rachel de Cochefillet, veuve de Jacques Hurault, seigneur
du Marais et de Châteaupers, maître des requêtes, épousa, en
1592,MaxirailiendeBéthune, duc de Sully, veuf lui-même d'Anne
de Courtenay. Elle mourut à Paris le 30 décembre 1659. C'est
par erreur que le tome I des présents Mémoires (p. 52,
note 4) indique comme femme de Sully, en 1610, Anne de
Courtenay.
[1616] DE RICHELIEU. 91
Louvre, le S" septembre ^ Le 6% le Roi alla au Parle-
ment pour y faire vérifier une déclaration qu'il avoit
faite sur la détention de Monsieur le Prince^, par
laquelle il représentoit que, pour acheter la paix, il
avoit, par le traité de Loudun, accordé audit sieur
le Prince le domaine et le gouvernement de la pro-
vince et des places de Berry, grande somme d'argent
à l'un des grands qui suivoient son parti, le taillon à
l'autre, et de grands et injustes avantages à tous les
particuliers, sans lesquels on n'eût pu convenir d'aucun
accord avec eux ; ce qui étoit bien un évident témoi-
gnage qu'ils n'avoient pris les armes qu'à cette fin ;
que, nonobstant toutes ces choses, ils avoient enfreint
ledit traité, et, non contents d'avoir en toutes
façons foulé son autorité aux pieds, avoient encore
attenté sur la liberté de sa royale personne ; que tous
ces actes de rébellion ^ l'-a voient obligé, non seulement
pour sa conservation, mais pour celle de l'État, d'ar-
rêter Monsieur le Prince, pour, par ce moyen'*, le
1. Le Mercure français, t. IV, année 1616, p. 208, mentionne
le fait : « On accommoda une chambre treillessée de fer au-des-
sus de la grand'salle, près le pavillon, pour mettre ledit sieur
prince, où il fut conduit le 3" septembre. »
2. Le texte de cette déclaration a été imprimé dans le Mer-
cure français, t. IV, année 1616, p. 217-226, et dans le iîec?<e«7
des lois françaises d'Isambert, t. XVI, p. 97. La date de la
déclaration était du 6 septembre; mais ce n'est que le 7 que le
Roi vint au Parlement. On trouve le récit de ce lit de justice
dans les Mémoires de Mathieu Mole, p. 125, et dans le Journal
d' Arnauld d'Andilly, p. 210.
3. Les mots que tous ces actes de rébellion ont été substitués
aux mots que toutes ces actions de rébellion sur le manuscrit B.
4. Les mots pour par ce moyen ont été ajoutés en interligne
par Sancy sur le manuscrit B.
92 MÉMOIRES [1616]
retirer de la puissance de ceux qui l'eussent achevé
de perdre s'il y fût davantage demeuré, ne retranchant
pas tant sa Hberté qu'ôtant aux mauvais esprits qui
l'environnoient la commodité d'abuser de sa facilité
et de son nom.
S. M. déclaroit néanmoins * qu'elle pardonnoit à
tous ceux qui avoient eu part et adhéré à ses mauvais
desseins, conseils et actions, pourvu qu'ils revinssent
dans quinzaine en demander pardon à S. M.; comme
aussi elle vouloit que, persévérant outre ce temps
en leur mauvaise volonté, il fût procédé contre eux,
selon la rigueur de ses ordonnances, comme contre
criminels de lèse-majesté. .
Peu de jours après^, elle fît publier à son de trompe
que tous les domestiques et suivants desdits princes
eussent à sortir dans vingt-quatre heures de Paris,
s'ils ne venoient, selon sa déclaration susdite, faire
protestation de vivre et mourir en son obéissance.
Et, pour ne rien oublier de ce qui se pouvoit pour
pacifier toutes choses, elle dépêcha, au même temps
qu'ils s'étoient assemblés à Soissons, les sieurs de
Champ vallon ^, de Boissise et le marquis de Vil-
1. Le mot néanmoins a été ajouté en interligne, sur le manus-
crit B, par Sancy, qui avait écrit d'abord Néanmoins que Sa
Majesté.
2. Le 14 septembre : voyez Mercure français, t. IV, année
1616, p. 248.
3. Jacques de Harlay, seigneur de Champvallon, fils de
Louis, seigneur de Césy, et de Louise de Carre, fut élevé auprès
du duc d'Alençon, nommé grand écuyer de ce seigneur et
raestre de camp du régiment de ses gardes, puis gouverneur
de Sens, grand maître de l'artillerie pendant la Ligue, et che-
valier du Saint-Esprit en 1602. Il fut aussi chambellan du duc
de Lorraine et son intendant en France. Il mourut en 1630.
[1616] DE RICHELIEU. 93
lars^, beau-frère de M. de Mayenne-, pour traiter avec
eux et leur offrir tout ce que l'autorité royale pouvoit
souffrir leur être concédé pour les ramener à leur
devoir^.
Ces princes étoient arrivés à Soissons dès le 2" sep-
tembre. MM. de Guise et de Ghevreuse y étant aiTivés
les premiers, le sieur de Fresnes, gouverneur de la
ville sous M. de Mayenne, leur refusa les portes jusques
à l'arrivée dudit sieur de Mayenne, et, quoique M. de
Guise s'en voulût offenser, il en fut néanmoins loué
de tout le monde*.
Dès le jour même, ils s'assemblèrent et avisèrent
d'envoyer vers le duc de Vendôme, qui étoit à la Fère,
et celui'' de Longue ville, qui étoit à Péronne, pour les
prier de se trouver, à trois jours de là, à Coucy, où
ils se rendroient tous pour prendre conseil en leurs
affaires^. Le cai^dinal de Guise, qui arriva à Soissons
le 3% se trouva à ladite conférence avec les autres.
M. de Guise y étoit fort triste et décontenancé, soit
que l'exemple de feu son père lui fît peur et que, sans
y penser, il se trouvât plus engagé avec eux qu'il
1. Emmanuel-Philibert des Prez, marquis de Villars, mort
au siège de Montauban en 1621, fils de Melchior des Prez, sei-
gneur de Montpezat et du Fou, sénéchal de Poitou, et de
Henriette de Savoie, marquise de Villars, laquelle épousa
en secondes noces, en juillet 1576, Charles de Lori'aine, duc
de Mayenne.
2. Ce marquis de Villars n'était pas beau-frère, mais frère
utérin d'Henri de Lorraine, duc de Mayenne.
3. Comparez les Mémoires d' Estrées, p. 416.
4. Ibidem^ p. 415.
5. Celui a été ajouté en interligne par Sancy sur le manus-
crit B.
0. Voyez les Mémoires d'Estrées, p. 415.
94 MÉMOIRES [1616]
n'avoit eu désir de l'être; soit (|ue ce tut la première
fois qu'ouvertement il avoit été du parti contraire à
S. M. et qu'il perdoit la gloire, de laquelle il se vantoit,
d'être toujours demeuré attaché à ses commande-
ments; soit qu'il ne jugeât pas leur ligue, Monsieur le
Prince étant pris, pouvoir subsister; soit qu'il regret-
tât de voir qu'il perdoit l'honneur de commander les
armes de S. M. et se vît réduit dans un moindre
parti à l'égalité avec beaucoup d'autres princes^ qui
lui contestoient le rang 2.
Gela mettoit ces princes en peine et les faisoit
méfier de lui. Pour essayer de le gagner tout à fait à
eux, ils lui rendoient tout l'honneur qu'ils pouvoient
et lui déféroient davantage qu'ils n'eussent fait sans
cela, lui donnant lieu d'espérer qu'ils le reconnoi-
troient tous pour leur chef, fors M. de Longueville,
qui y montra de la répugnance. Gela n'empêcha pas
qu'ils ne prissent tous ensemble une résolution^ com-
1. On lisait d'abord sur le manuscrit B : et se vit réduit à
un moindre parti, en égalité avec beaucoup d'autres princes.
Sancy a fait la correction.
2. Mémoires d'Estrées, p. 415.
3. Les princes et grands conclurent alors une alliance dont
l'acte est conservé aux archives des Affaires étrangères, France,
vol. 770, fol. 188. Sur cette pièce figure la mention suivante :
« Articles de l'union des princes rebelles, après la détention
de Monsieur le Prince. Cette pièce est du tout nécessaire pour
l'Histoire. » Les mots en italique sont de la main de Riche-
lieu. Les autres sont de Sancy. L'abbé Le Grand qui, au début
du XVIII* siècle, classait aux Affaires étrangères les papiers de
Richelieu, a ajouté de sa main ces mots : « 1616. Minutes de
l'acte d'association entre plusieurs princes et grands seigneurs
du royaume, après que Monsieur le Prince fût arrêté. » Riche-
lieu pensait que cette pièce devait être utilisée pour I' « His-
toire », c'est-à-dire pour les Mémoires.
[1616] DE RICHELIEU. 95
mune de faire, chacun de son côté, le plus de levées
qu'ils pourroient, pour, dans douze jours après, se
trouver aux environs de Noyon, où ils avoient assigné
leur rendez-vous général, en dessein d'aller avec ces
forces, qu'ils n'espéroient pas devoir être moindres
de huit à neuf mille hommes de pied et quinze cents
ou deux mille* chevaux, droit aux portes de Paris,
pour combattre les troupes du Roi si elles s'oppo-
soient à leur chemin, et voir quel mouvement leur
venue pourroit causer dans les esprits mécontents à
Paris-.
Ce conseil si bien pris n'eut pas le succès qu'ils
espéroient; car, bien qu'ils se fussent tous séparés
pour faire leurs levées, M. de Guise étant allé à Guise,
M. de Mayenne à Soissons, M. de Bouillon à Sedan,
M. de Vendôme à la Fère, M. de Longueville à
Péronne et le marquis de Gœuvres à Laon, plusieurs
d'entre eux jouèrent à la fausse compagnie, comme
on fait en toutes ligues, où chacun, pensant à son inté-
rêt particulier, qui ne dépend pas de celui des autres,
se détache du lien commun qui leur sert de prétexte
plutôt que de véritable sujet de ce qu'ils font^.
M. de Guise fut le premier qui manqua à ce qu'il
avoit promis. Dès qu'il fût arrivé à Guise, il dépêcha
un gentilhomme à M. de Lorraine*, pour le prier d'être
de la partie, et un autre vers MM. d'Épernon et
1. Var. : Et quinze cents ou douze cents (M, H).
2. Comparez les Mémoires d'Estrées, p. 415.
3. Les Mémoires d'Estrées, p. 415, mentionnent simplement
les villes oîi les princes allèrent faire des levées.
4. Henri II, duc de Lorraine (1563-1624), marié à Catherine
de Bourbon, sœur de Henri IV, puis, en 1606, à Marguerite
de Gonzague, ûlle du duc de Mantoue.
96 MÉMOIRES [1616]
de Bellegarde; car, quant au maréchal de Lesdi-
guières, il étoit assez empêché en Italie, sans se mêler
des affaires de deçà; mais ayant, dans trois jours
après, avis de sa femme, par l'abbé de Foix* qu'elle
lui envoya, que le Roi avoit résolu de leur envoyer
les commissaires que nous avons dit ci-dessus, pour
traiter avec eux, et qu'elle espéroit faire son accommo-
dement à son avantage et avec sûreté, il laissa là
toutes ces levées et s'en alla à Liesse^, où il manda
au marquis de Cœuvres qu'il le prioit de faire savoir
à M. de Mayenne qu'il seroit le lendemain à Soissons.
M. de Mayenne trouva fort mauvais qu'il eût inter-
mis^ ses levées. Néanmoins, sur l'avis des commis-
saires, ils envoyèrent avertir tous les ligués de se
trouver à Soissons; ce qu'ils firent, hormis M. de Lon-
gueville, qui, par l'entremise du sieur Mangot, qui
avoit été autrefois de son conseil, traita à part avec le
Roi, nonobstant qu'il eût été et le premier de tous, et
le plus animé et intéressé contre le maréchal d'Ancre,
et se détacha d'avec les autres, qui néanmoins s'étoient,
presque pour son seul sujet, engagés dès le commen-
cement en ces brouilleries, et remit, à peu de temps
de là, Péronne entre les mains du Roi qui en donna le
gouvernement au sieur de Blérancourt*, et à lui celui
1. Pierre de Caulet, abbé de Foix en 1606, obtint du parle-
ment de Toulouse le droit de haute et basse justice en la ville
de Foix qu'avaient eu jadis ses prédécesseurs. Il mourut en
1617.
2. Liesse ou Notre-Dame-de-Liesse, bourg du département
de l'Aisne, à 13 kil. nord-est de Laon.
3. C'est-à-dire interrompu.
4. Bernard Potier, seigneur de Blérancourt, fils de Louis
Potier de Gesvres et de Louise Baillet, mort en 1662.
[1616] DE RICHELIEU. 97
de Ham'. Tandis qu'ils étoient là, M. de Termes y
arriva de la part de M. de Bellegarde à M. de Guise ^,
sur le sujet de ce qu'il lui avoit mandé par le gentil-
homme qu'il lui avoit envoyé^.
Il avoit eu à Liesse réponse de M. de Lorraine par
le comte du Boullay^ qui l'étoit venu trouver de sa
part, et le gentilhomme qu'il avoit envoyé à M. d'Éper-
non revint aussi et ne rapporta que de belles paroles,
étant échappé audit sieur d'Épernon de dire en sa
présence que, si M. de Guise étoit parti promptement
de la cour, il y retourneroit encore plus vite.
M. de Guise, soit qu'il ne fût pas encore résolu de
les quitter ou qu'il ne voulût pas faire semblant de
l'être, fit diverses propositions, tantôt de s'en aller
à Joinville^, comme étant un lieu qui est plus proche
de Lorraine, pour y faire de plus grandes levées, et
essayer de retirer sa femme de la cour, qui l'assiste-
roit de bagues et d'argent ; tantôt il proposoit d'aller
1. Ham, chef-lieu de canton du département de la Somme, à
24 kil. sud-est de Péronne.
2. Fa?'. : Y arriva de la part de M. de Bellegarde avec la
réponse à M. de Guise (H).
3. Tous ces détails se retrouvent dans les Mémoires d'Estrées,
p. 415 et 416, dont quelques phrases ont été pour ainsi dire
textuellement transcrites ici. Néanmoins, d'Estrées entre dans
de plus grands développements.
4. Louis de Lorraine, fils du cardinal de Guise (ci-dessus,
p. 80) et de Charlotte des Essarts, porta d'abord le titre de
comte du Boullay, puis celui de prince de Phalsbourg : voyez
les Mémoires d'Estrées, p. 415.
5. Joinville, chef-lieu de canton du département de la Haute-
Marne, à 16 kil. sud-est de Vassy, était une ancienne baronnie
qui avait été érigée en principauté en 1552 en faveur de la mai-
son de Guise.
II 7
98 MÉMOIRES [1616]
en Provence pour y faire une plus puissante diversion ;
mais ces princes, connoissant son humeur peu arrê-
tée en ses paroles et en ses pensées, ne faisoient ni
mise ni recette de tout ce qu'il disoit.
Le cardinal de Guise blâmant la conduite de son
frère, ils lui promirent tous de lui obéir, ayant une
qualité qui les ôtoit de jalousie pour les rangs.
M. de Nevers n'étoit pas à Paris quand Monsieur le
Prince fut arrêté, ni n'avoit aucun sujet de se lier
avec eux en leurs menées, ni eux ne l'espéroient aussi,
quand ils sont étonnés qu'un gentilhomme leur arrive
de sa part pour leur faire entendre qu'il veut être de
la partie, tant il étoit léger et peu considéré.
Il avoit témoigné à la Reine, après le traité de
Loudun, être dégoûté des brouilleries qu'il voyoit
entre les grands et avoir désir de s'employer hors du
royaume en un dessein qu'il avoit de longtemps contre
le Turc*, pour lequel il supplia la Reine d'écrire
au Pape et au roi d'Espagne. Et, pour ce qu'il espé-
roit aussi de disposer les princes d'Allemagne à y
contribuer, il désira d'aller en ambassade extraordi-
naire vers l'Empereur, sous couleur de se réjouir, de
la part de S. M. , de sa nouvelle assomption à l'Empire ;
et, avant partir, il apporta à la Reine un livre où il
espéroit de faire signer tous ceux qui voudroient con-
tribuer en cette affaire et la supplia d'y vouloir signer
en tête pour quatre cent mille écus. Après avoir reçu
d'elle toutes ces satisfactions qu'il avoit désirées, il
partit au commencement d'août pour son voyage.
Étant sur les frontières de Champagne, il reçut la
1. Ci-dessus, p. 43 et suivantes.
[1616] DE RICHELIEU. 99
nouvelle de la prise de Monsieur le Prince, et non
seulement s'arrêta, mais eut bien l'audace d'écrire au
Roi, sur ce sujet, des lettres* qui étoient bien au delà
du respect que lui et autres plus relevés que lui
dévoient à S. M. La Reine dissimula pour lors le
mécontentement qu'elle en devoit recevoir; mais,
néanmoins, voyant sa mauvaise volonté, donna ordre
qu'on ne le reçût en aucune des villes fortes de son
gouvernement. Ensuite de quoi, voulant entrer dans
Ghâlons^ avec dessein de s'en saisir, on lui en ferma
les portes, dont il fut tellement outré de déplaisir
que, sans plus de retenue, il se déclara^ tout ouver-
tement et manda aux princes assemblés à Soissons
qu'il vouloit être des leurs*.
Cependant les députés du Roi arrivèrent à Villers-
Gotterets"' et, n'ayant pas charge d'aller jusques à
1. On trouve dans le Mercure francois, t. IV, année 1616,
p. 249 et suiv., le texte de la lettre écrite à cette occasion par
le duc de Nevers au Roi. Il y en a une copie dans le volume
770 du fonds France des archives des Affaires étrangères,
fol. 181.
2. Il semble qu'il y ait ici une erreur. L'entrée de la
ville de Châlons fut refusée au duc de Nevers avant qu'il eût
écrit au Roi, et c'est précisément cette mesure qui le porta à
donner un pareil éclat à son mécontentement : voyez Mercure
francois, t. IV, année 1616, p. 249-250, et Journal cV Arnauld
d'Andilly, p. 213-214.
3. La première version, corrigée après coup par Sancy sur
le manuscrit B, était : outré de déplaisir quil n'eut pas de crainte
de se déclarer.
4. Les six derniers paragraphes ont certainement été rédi-
gés à l'aide des Mémoires d'Estrées, p. 416.
5. Villers-Cotterets, chef-lieu de canton du département de
l'Aisne, au sud-ouest de Soissons.
iOO MÉMOIRES [1616]
Soissons, convinrent, avec les princes, d'une ferme
nommée Gravançon*, distante d'une lieue de Soissons,
où ils se trouvèrent ensemble la première fois.
Ils commencèrent par essayer de détacher tout à
fait M. de Guise d'avec eux, croyant qu'ils en auroient
plus aisément la raison des autres. Le sieur de Champ-
vallon, comme ayant charge des affaires et résidant
pour le service de M. de Lorraine auprès de S. M.,
avoit beaucoup de crédit en son esprit ; mais le secré-
taire du duc de Montéléon^, ambassadeur d'Espagne,
y en eut davantage pour le persuader, lui faisant
entendre, de la part de son maître, qu'il se rendoit
caution de la parole qu'on lui donneroit, sachant bien
qu'il lui étoit difficile de prendre assurance sur celle
du mai^échal d'Ancre^, lequel étoit bien averti de ce
qu'avec les autres il avoit tramé contre lui.
A toutes ces choses aidoit bien l'armée du Roi qui
étoit forte et avancée auprès de Villers-Gotterets et
prête à les mettre en état de ne pouvoir plus long-
temps contester, ni prétendre de recevoir de grands
avantages. Ils proposèrent néanmoins beaucoup d'ar-
ticles, plus pour la forme et faire bonne mine, que
pour espérance de les obtenir ; mais ce qu'ils recher-
1. La ferme de Cravançon était située à environ deux lieues
au sud-ouest de Soissons sur la route de Villers-Cotterets.
Ces mêmes détails sont donnés dans les Mémoires d'Estrées,
p. 416 et 417.
2. Hector Pignatelli (1574-1622), duc de Monteleone, fils de
Camille Pignatelli et de Hiéronyme Colonna, grand d'Espagne
en 1613.
3. Le scribe du manuscrit B, que Sanc}- a corrigé, avait
mis : qu'il lui étoit difficile de la prendre de celle du maré-
chal d'Ancre.
[1616] DE RICHELIEU. 101
chèrent le plus fut de n'être point obligés de tout
l'hiver d'aller à la cour et d'avoir du Roi de quoi
entretenir leurs garnisons*.
Ils demandoient que le traité de Loudun fût entre-
tenu^; que les sièges mis devant le château de Chinon
et la tour de Bourges fussent levés, et ceux qui com-
mandoient dans lesdites places maintenus en leurs
charges; que les garnisons des places du duc de
Mayenne fussent augmentées de deux cents hommes
de pied; que le paiement de ses pensions, garnisons,
compagnies de cavalerie, et autres gratifications qu'il
plaisoit à S. M. de lui accorder, fût assigné sur la
recette générale de Soissons; qu'on envoyât au duc
de Vendôme la commission pour tenir les États en
Bretagne; que sa compagnie de chevau-légers servit
où il seroit par lui ordonné; qu'il lui fût entretenu
cent hommes de pied pour tenir garnison à la Fère;
que S. M. fît raser les fortifications de Blavet^ et ôtàt
les garnisons des places où elle en avoit envoyé depuis
la détention de Monsieur le Prince, et considérât s'il
étoit expédient qu'elle tînt sur pied son armée ^.
M. de Guise, qui ne désiroitplus que de retourner
1. Voyez les Mémoires d'Estrées, p. 417.
2. Sancy a écrit ce membre de phrase sur le manuscrit B, à
la place du suivant : « Ils demandoient que le traité de Loudun
fût entretenu, que les garnisons des places du duc de Mayenne
fussent augmentées de 200 hommes de pied. » Cette dernière
partie de la phrase se retrouve plus loin, ajoutée par Sancy
sur le manuscrit.
3. Blavet, aujourd'hui Port-Louis, à l'embouchure du Bla-
vet : tome I, p. 267. La ville tomba entre les mains des Espa-
gnols au temps de la Ligue et fut restituée à la paix de Ver-
vins (1598).
4. Le Mercure français, t. IV, année 1616, p. 259 et suiv.,
102 MÉMOIRES [1616]
trouver LL. MM., prit sujet de leur demander qu'ils*
approuvassent qu'il y fit un voyage, sur l'espérance
qu'il faciliteroit la concession des demandes qu'ils fai-
soient. 11 arriva à la cour le ^i*" avec ses frères, fut
très bien reçu, fit encore un voyage vers eux pour
leur faire savoir la volonté du Roi ; et, étant de retour
le 29®, S. M. accorda les deux cents hommes de sur-
croît de garnison qu'ils demandoient pour M. de
Mayenne à Soissons, et les cent hommes pour M. de
Vendôme à la Fère, mais ne voulut affecter aucunes
recettes au paiement d'icelles.
Quant au traité de Loudun, elle déclara le vouloir
observer de bonne foi et n'y contrevenir. Pour le
reste, il ne leur fut rien accordé; mais S. M. voulut
qu'il demeurât en sa puissance d'en faire ce qu'il lui
plairoit.
Le sieur de Boissise seul leur porta cette réponse
à leurs articles, à laquelle ils ne voulurent consentir,
mais seulement signèrent, le 6* octobre, qu'ils l'avoient
reçue par exprès commandement de S. M. et pour
obéir à ses volontés^.
Ensuite, S. M. fit une déclaration^, le 16" octobre,
par laquelle elle fit savoir qu'en celle qu'elle avoit
faite sur la détention de Monsieur le Prince, elle n'en-
tendoit comprendre, sous le nom des coupables des
donne le texte des articles présentés par les princes, suivi des
décisions du Roi, que les Mémoires résument un peu plus loin.
1. C'est-à-dire les princes assemblés.
2. Les Mémoires d'Estrées (p. 417) donnent des détails plus
précis.
3. Le texte de cette déclaration a été imprimé dans le Mer-
cure françois, p. 264-267. Elle y porte la date du 30 septembre
et fut enregistrée au Parlement le 25 octobre 1616.
[1616] DE RICHELIEU. 103
cas mentionnés en icelle, les princes et seigneurs ou
autres officiers de S. M., qui étoient partis de Paris le
l®"" septembre; mais qu'elle les tenoit tous pour ses
bons serviteurs et vouloit qu'ils jouissent de ses grâces
et faveurs et exerçassent leurs charges ainsi qu'ils
avoient fait auparavant. Elle en fît une autre particu-
lière* sur le sujet de M. de Longueville, qu'elle dit
être assurée n'avoir eu aucune mauvaise intention
contre son service et ne l'avoir non plus entendu
comprendre en sa susdite première déclaration.
Toutes choses, par ce moyen, sembloient être paci-
fiées, au moins pour quelque temps. Les places que
tenoit Monsieur le Prince en Berry étoient toutes
rendues à M. de Montigny qui avoit été fait maréchal
de France avec M. de Thémines peu après la déten-
tion de Monsieur le Prince^; Ghinon, où Rochefort
étoit allé pour s'enfermer, étoit aussi remis en l'obéis-
sance du Roi, ledit Rochefort en étant sorti, non tant
sur les lettres de Monsieur le Prince que sur l'appré-
hension de l'événement du siège que le maréchal
de Souvré avoit mis devant cette place; le gouver-
nement de laquelle fut donné à d'Elbène. Toutes
1. Cette seconde déclaration portait la date du 16 octobre et
fut enregistrée au Parlement le 25 du même mois. On en
trouve le texte dans le Mercure français, t. IV, année 1616,
p. 267-269.
2. Le Mercure français, t. IV, année 1616, p. 207, mentionne
les nominations de Thémines et de Montigny comme maré-
chaux de France. — Thémines avait, en 1591, défendu Ville-
mur contre les ligueurs, comme gouverneur du Quercy. —
François de la Grange d'Arquien, seigneur de Montigny,
maréchal de France en 1616, avait servi sous la Ligue, fut
gouverneur de Blois, du Mans et de Paris et mourut en 1617.
104 MÉMOIRES [1616]
choses étoienl aussi rétablies en leur premier état à
Tentour de la Rochelle, ceux de la ville ayant remis
entre les mains d'un exempt du Roi le château de
Rochefort dont ils s'étoient saisis, et le duc d'Épernon
retiré ses «garnisons de Surerères et Tonnav-Charente^.
Les princes et seigneurs unis étoient retenus en leur
devoir, au moins en apparence, par ce dernier traité.
M. de Nevers seul apporta de nouveaux troubles, fît
des levées de gens de guerre, s'assuroit de ses amis,
alla plusieurs fois consulter à Sedan le démon ^ des
rébellions^ et mit des gens de guerre dans Mézières,
Rethel, la Cassine, Ghàteau-Porcien *, Richecourt^
et autres places de son gouvernement^, sans permis-
sion du Roi, dont les plus sages, qui ne considéroient
pas son esprit, étoient étonnés, attendu les forces que
le Roi avoit prêtes, auxquelles il ne pouvoit faire
aucune résistance s'il les eut voulu employer contre lui.
1. Le Mercure français, t. IV, année 1616, p. 272-303, donne
de longs détails sur la solution de ce différend. Dans une lettre
à M. de Traînel en date du 23 décembre 1616, Richelieu men-
tionnait ces mêmes faits. « Cela met, ajoute-t-il, ceux de la
religion prétendue réformée hors des appréhensions et opi-
nions qu'ils avoient qu'on leur en voulût » (Avenel, Lettres et
papiers d'Etat du cardinal de Richelieu, \, p. 326).
2. Var. : Le donjon des rébellions (M). — Le manuscrit B
portait primitivement l'oracle. Sancy a mis à la place daimon.
3. C'est-à-dire le duc de Bouillon.
4. Chef-lieu de canton du département des Ardennes. — La
Cassine, Ardennes, arrondissement de Mézières.
5. Richecourt, ancien château aujourd'hui rasé, était situé
à une demi-lieue à l'ouest de Vouziers en Champagne.
6. Ces différents noms de localités ont été ajoutés après
coup par Sancy sur le manuscrit B. La première rédaction por-
tait simplement : dans plusieurs places de son gouvernement.
[1616] DE RICHELIEU. 105
La Reine employa tous les moyens qu'elle pût pour
lui faire connoitre sa faute; elle dépêcha vers lui
M. Marescot\ maître des requêtes, lequel n'ayant rien
avancé, elle me fit l'honneur de me choisir^ pour y
faire un voyage de la part de S. M., croyant que
j'avois quelque dextérité par laquelle je pourrois
ménager son esprit et le ramener à la raison; mais
tout cela fut en vain : car il n'en étoit pas capable'.
Il continuoit en ses mauvais desseins ; on en avoit avis
par les gouverneurs des places de la province, qui
demandoient qu'on renforçât leurs garnisons, et pro-
testoient qu'ils ne seroient pas responsables de la perte
desdites places s'il en mésavenoit.
La Reine, pour ne donner occasion à leur prétexte
ordinaire qu'ils étoient opprimés et n'armoient que
pour se défendre, étoit résolue de le laisser commen-
cer; et, s'étant contentée d'envoyer des commissaires
en Champagne pour informer de ce qui s'y passoit,
elle ne voulut pas même envoyer renfort de garnisons
dans les places, mais se contenta de mander aux gou-
verneurs et aux villes qu'ils se tinssent sur leurs
gardes, afin que, sous ombre de ce renfort de garni-
sons, on ne pût dire qu'on eût dessein contre lui.
Il n'en faisoit pas de même, mais eut dessein de se
1. Guillaume Marescot (1567-1643), avocat général de la
reine Marie de Médicis en 1604, maître des requêtes en 1611,
fut chargé de plusieurs missions diplomatiques sous le règne
de Louis XIII, entre autres en Allemagne en 1624 et 1625.
2. A remarquer l'emploi de la première personne dans le style.
3. Richelieu avait espéré que sa mission aurait de meilleurs
résultats. Voyez dans Avenel, t. VII, p. 321 et suiv., trois notes
de l'évêque de Luçon relatives à cette négociation, et G. Hano-
taux, Histoire du cardinal de Richelieu, t. II, p. 119-120.
106 MÉMOIRES [1616]
saisir de la ville de Reims. Le Roi y envoya le mar-
quis de la Vieu ville, qui et oit son lieutenant général
en ce quartier de Champagne, mais lui commanda de
ne s'accompagner que de ceux de sa maison. M""® de
Nevers*, à peu de jours de là, qui fut le 14^ jour de
novembre, se présenta aux portes de la ville pour y
entrer. Le marquis, qui avoit reconnu l'état de la ville
et les grandes intelligences qu'elle y avoit, joint que
son mari étoit proche de là, lui refusa l'entrée avec
toutes les soumissions qu'il lui fut possible, et la con-
traignit de se loger, pour cette nuit-là, au faubourg.
Le duc de Nevers, irrité de ce refus, envoya quantité
de gens de guerre se saisir du château de Sy^, appar-
tenant au marquis de la Vieu^ille, situé en Rethelois,
et, peu après, manda à son procureur fiscal au duché
de Rethelois qu'il requît une saisie féodale de ladite
terre, à faute d'homme, droits et devoirs non faits et
non payés par ledit marquis depuis le décès de son
père.
Le marquis de la Vieuville s'en étant plaint au Roi,
S. M. lui ^ envoya Rarenton^, exempt de ses gardes du
1. Catherine de Lorraine, fille de Charles, duc de Mayenne,
et de Henriette de Savoie, marquise de Villars, mariée en 1599
à Charles de Gonzague, duc de devers, morte le 8 mars 1618.
2. Sy, localité du département des Ardennes, canton du
Chesne. Le nom est orthographié Si dans le Journal d'Arnauld
d'Andilly qui donne des renseignements détaillés sur la prise
du château et sur les suites de cet incident (p. 231). L'auteur
assure (p. 237) qu'il tenait ses informations de Barbin lui-même,
qui assistait au Conseil où l'on délibéra sur cette affaire.
3. C'est-à-dire au duc de Nevers.
4. Arnauld d'Andilly, qui donne un récit analogue, ajoute
qu'à la suite de cet incident, Barenton « s'étant troublé l'es-
prit par l'appréhension qu'il prit des menaces de M. de
[1616] DE RICHELIEU. 107
corps, qui, le Sir dudit mois, lui fît commandement
de sa part de faire sortir du château dudit marquis
les gens de guerre qu'il y avoit envoyés, et que ce
qu'il avoit fait à Reims étoit par son commandement.
M. de Nevers lui répondit fort insolemment, et, entre
autres choses, que ceux qui étoient à la cour étoient
sous la baguette, mais qu'il n'y étoit plus ; que dans
trois mois tous auroient la même franchise, et qu'il
iroit avec vingt mille hommes* au-devant du sieur de
Praslin, qui commandoit les armes de S. M. en la pro-
vince^; et, néanmoins, il n 'avoit pas effectivement en
ses troupes^ pour garder la moindre place de son
gouvernement. Barenton en dressa son procès-verbal
qu'il apporta à S. M., laquelle commanda au garde
des sceaux que, sur icelui et sur le rapport des sieurs
de Gaumartin^ et d'Ormesson^, conseillers d'État, qui
lui avoient été aussi envoyés pour informer des levées
des gens de guerre et entreprises dudit duc, et sur
Nevers... se tua d'un coup de canif dans le cœur, le 13 dé-
cembre » [Journal d'Arnauld d'Andilly, p. 232).
1. Var. : Avec deux mille hommes (M, H).
2. Les cinq lignes qui précèdent ont été substituées, dans
le manuscrit B, par Sancy aux mots : que si Leurs Majestés
venaient en Champagne, il iroit au-devant d'elles avec dix mille
hommes.
3. Le sens de ce membre de phrase est peut-être : il n'avait
pas en effectif dans ses troupes de quoi garder... Il se peut
aussi que le copiste du manuscrit B ait sauté quelques mots.
4. Louis Lefèvre, seigneur de Caumartin (1552-1623), fut
conseiller au Parlement, maître des requêtes, conseiller d'Etat,
ambassadeur et garde des sceaux.
5. André Le Fèvre, seigneur d'Ormesson (1577-1665), fut
successivement conseiller au Parlement, maître des requêtes,
intendant à Lyon, conseiller d'Etat et directeur des finances.
108 MÉMOIRES [1616]
les avis des gouverneurs des villes de cette province
et protestations qu'ils faisoient, il avisât, en son
Conseil, à ce qui étoit à faire pour le bien de son
service et le repos de son État.
La chose étant mise en délibération, le garde des
sceaux fut d'avis qu'il falloit renvoyer l'affaire au
Parlement. M. de Villeroy, quoiqu'il fût soupçonné de
favoriser les princes, dit que ce n'étoit point une
affaire du Parlement; et, le président Jeannin, donnant
un conseil moyen de diviser l'affaire et renvoyer au
Parlement la saisie féodale, il lui repartit courageu-
sement que ce seroit mettre un gentilhomme en procès
avec un prince pour avoir servi le Roi. Le sieur
Mangot, secrétaire d'État, prenant la parole et l'affir-
mative pour la défense du marquis de la Vieuville, le
sieur Barbin lui dit qu'il oublioit une chose, laquelle
mettoit tout à fait M. de Nevers en son tort, qui étoit
que la saisie féodale n'avoit été faite que plusieurs
jours après la prise de sa maison*.
Le garde des sceaux, que l'on voyoit bien qui ne
faisoit qu'à regret délibérer de cette affaire et qui
montroit dans son visage la peine de son esprit, éclata
lors et dit à Barbin qu'il se trompoit s'il pensoit le
rendre ministre de ses conseils violents. L'autre lui
répondit assez modestement qu'il étoit homme de
bien, qu'il disoit son avis, qu'ils étoient tous assemblés
pour cela, et qu'il falloit prendre les opinions. A quoi
le garde des sceaux dit qu'il n'en feroit rien, jusques
à ce qu'il fût avec des gens qui entendissent les
1. Le Mercure français, t. IV, année 1616, p. 306-309,
donne des détails semblables sur l'affaire qui mit aux prises le
duc de iVevers et le marquis de la Vieuville.
[1616] DE RICHELIEU. 109
affaires. Barbin se leva et lui dit : « Je suis seul qui
peut-être ne les entend pas; tous ces messieurs qui
restent ici les entendent, et il y en a plusieurs entre
eux qui les entendoient très bien lorsque vous n'en
aviez encore jamais ouï parler^. » Et, cela dit, il
s'en alla au Louvre, où il raconta ce qui s'étoit passé
à LL. MM.^.
Cependant, l'heure du conseil des affaires arrivant,
le garde des sceaux*^ vint au Louvre. La Reine lui
demande si on avoit vu le procès-verbal de l'exempt
et s'il étoit à propos de le lire devant tous les princes
et seigneurs qui étoient là. Ledit garde des sceaux
n'en étant pas d'opinion, Barbin fit instance qu'on le
lût, afin que chacun connût l'insolent procédé du duc
de Nevers. Étant lu, il n'y eut personne qui ne le blâ-
mât et qui n'avouât que LL. MM. en dévoient témoi-
gner du ressentiment. La Reine demanda au garde
des sceaux ce qui lui en sembloit; il recula un pas en
arrière sans rien dire^ : elle, étonnée, le lui redemanda
encore jusques à trois fois, sans qu'il lui répondit aux
deux suivantes autrement qu'à la première. Ce que le
1. Var. : Tous ces messieurs qui restent ici les entendoient
très bien lorsque vous n'en aviez jamais ouï parler (M, H).
2. Pontchartrain, dans ses Mémoires (éd. Michaud, p. 376 et
377), rapporte les faits mentionnés par Richelieu aux pages
précédentes. Il paraît improbable que les Mémoires y aient
puisé des renseignements ; mais il faut remarquer une certaine
concordance entre les deux textes et noter que Pontchartrain
est le seul avec Richelieu qui soit entré dans de tels détails
au sujet de ces événements.
3. Les mots le garde des sceaux ont été écrits par Sancy sur
le manuscrit B en remplacement du mot il.
4. Les gens de robe, sauf le Chancelier, assistaient au Con-
seil debout.
no IIÉMOIRES [1616]
Roi trouva si mauvais, outre qu'il étoit déjà mécon-
tent de la rudesse de son esprit, de son peu d'expé-
rience dans les affaires, de voir que la plus saine
partie du clergé se plaignoit de lui et qu'il étoit en
réputation d'être peu affectionné à la religion, que
S. M., de son propre mouvement, se porta à dire à
la Reine qu'il le falloit éloigner, lui envoya, dès le
soir*, redemander les sceaux, et les donna au sieur
Mangot, et m'honora de la charge de secrétaire d'État-
que ledit sieur Mangot exerçoit lors. Peu de jours
auparavant, j'avois été nommé pour aller en Espagne
ambassadeur extraordinaire, pour terminer plusieurs
affaires, auxquelles le comte de la Rochefoucauld^ fut
désigné après moi. Par mon inclination, je désirois
plutôt la continuation de cet emploi, qui n'étoit que
pour un temps, que celui la fonction duquel étoit
1. Le 24 novembre 1616 [Mercure françois, t. IV, année 1616,
p. 309). Le Roi accorda les sceaux à Mangot par lettres patentes
du 25 novembre.
2. La commission nommant l'évêque de Luçon secrétaire
d'État portait la date du 30 novembre 1616. Elle a été impri-
mée dans Aubery, Mémoires pour l'histoire du cardinal de Riche-
lieu, 1. 1, p. 11. Une autre commission, en date du même jour et
imprimée dans le même recueil (p. 15), accordait à Richelieu,
en sa qualité d'évêque, la préséance sur les autres secrétaires
d'État. « Monsieur de Luçon », écrit Pontchartrain [Mémoires,
p. 377), « entre en possession de cette charge, avec un grand
mépris qu'il fait de tous les autres secrétaires d'Etat, sur les-
quels même il se fait expédier lettres de préséance » .
3. François V, comte de la Rochefoucauld : tome I, p. 295.
Né en 1588, chevalier des ordres du Roi en 1619, gouverneur
du Poitou, reçu au parlement de Paris en 1637 et mort en
1650; il avait épousé en 1611 Gabrielle du Plessis-Liancourt.
De cette union naquit l'auteur des Maximes.
[1616] DE RICHELIEU. 111
ordinaire. Mais, outre qu'il ne m'étoit pas honnête-
ment permis de délibérer en cette occasion, où la
volonté d'une puissance supérieure me paroissoit abso-
lue, j'avoue qu'il y a peu de jeunes gens qui puissent
refuser l'éclat d'une charge qui promet faveur et
emploi tout ensemble ^ J'acceptai donc ce qui me fut,
en ce sujet, proposé par le maréchal d'Ancre^ de la
part de la Reine, et ce d'autant plus volontiers que le
sieur Barbin, qui étoit mon ami particulier, me solli-
citoit et m'y poussoit extraordinairement.
1. Richelieu ii"a fait jusqu'ici aucune allusion à deux autres
charges qui venaient de lui être accordées peu de mois aupa-
ravant et qui ne lui attribuaient d'ailleurs aucune autorité
politique, celles de grand aumônier de la Reine et de conseil-
ler d'Etat. Il avait également reçu du Roi, par brevet du
29 août 1616, une pension de six mille livres [Lettres et papiers
d'État, t. I, p. 188-189, et G. Hanotaux, Histoire du cardinal
de Richelieu, t. II, p. 90 et suiv.). Le silence gardé dans les
Mémoires de Richelieu sur ces trois faits, qui, eu 1616, durent
avoir cependant une certaine importance à ses yeux, apporte
une nouvelle preuve que ces Mémoires durent être rédigés
à une époque où le Cardinal, déjà comblé d'honneurs, jugeait
inutile de mentionner en détail les premières faveurs qu'il reçut.
2. La part prise par Concini à l'élévation de Richelieu au
poste de secrétaire d'Etat est très formellement reconnue
par celui-ci dans une lettre qu'il adressa au maréchal au
moment même de sa nomination, le 29 novembre 1616 : voyez
Avenel, t. I, p. 194. Dans le procès qui fut fait à la mémoire
du maréchal d'Ancre et à sa veuve devant le parlement de
Paris, cette lettre fut alléguée comme une preuve « de l'usur-
pation de Conchine sur l'autorité royale et de la destitution
faite par les menées dudit Conchine et de sa femme des
anciens serviteurs du Roi pourvus des plus grandes et impor-
tantes charges, et établissement de nouveaux, contre les
formes gardées et observées de tous temps en cet Etat »
(Bibl. nat., ms. Dupuy 92, fol. 89).
112 MÉMOIRES [1616]
Incontinent que je fus en cette charge, le maréchal
me pressa fort de me défaire de mon évêché, qu'il
vouloit donner au sieur du Vair. Mais, considérant les
changements qui pouvoient arriver, tant par l'humeur
changeante de ce personnage* que par les accidents
qui pouvoient arriver à sa fortune, jamais je n'y
voulus condescendre, ce dont il eut du mécontente-
ment, quoique sans raison. Je lui représentois qu'il
étoit bien raisonnable que, quoiqu'il arrivât, je me
trouvasse en l'état que j'étois entré en cette charge,
où, ne voulant rien profiter, il étoit plus que juste
que je ne me misse en hasard de perdre tout.
Je lui représentois encore que, si je me défaisois
de mon évêché, il sembleroit que j'eusse acheté et
me fusse acquis l'emploi de la charge où il me mettoit,
au prix d'un bénéfice, ce qui ne se pouvoit en cons-
cience, ne seroit pas honorable ni pour lui ni pour
moi. Mais toutes ces raisons ne le contentèrent point,
et le sieur Barbin, qui étoit plus pratique de son
humeur que moi, me dit que, quoique je pusse faire,
il ne seroit pas satisfait s'il ne venoit à ses fins, parce
que son intention étoit, en me dépouillant de ce que
j'avois, me rendre plus nécessairement dépendant de
ses volontés. En quoi il me témoigna être véritable-
ment mon ami, en me fortifiant sous main la résolu-
tion que j'avois prise de ne me défaire pas de mon
évêché.
Quant au sieur du Vair, jamais homme ne vint en
cette charge avec plus de réputation et ne s'en
1. Var. : Les mots de ce personnage ont été rayés et rem-
placés par du maréchal (H).
[1616] DE RICHELIEU. 113
acquitta avec moins d'estime; si bien que le choix
qu'on fit de sa personne ne servit qu'à faire connoître
la différence qu'il y a entre les palais* et les cours,
entre rendre la justice aux particuliers et la conduite
des affaires publiques. Il étoit rude en sa conversation,
irrésolu es moindres difficultés et sans sentiment des
obligations reçues.
MM. de Bouillon et du Maine avoient un tel pou-
voir sur son esprit, qu'il ne pouvoit s'empêcher d'en
embrasser ouvertement les intérêts. Un jour il repro-
cha à la Reine, en leur présence, comme nous avons
dit ci-devant-, le peu de confiance qu'elle avoit en eux
et que, si elle continuoit ses soupçons, elle leur donne-
roit occasion de chercher ailleurs leur appui, sans
considérer les sujets qu'elle avoit de se défier d'eux,
qui n'avoient rien oublié à faire, durant la minorité,
pour changer le gouvernement des affaires et décrier
sa conduite; qu'ayant redoublé leurs appointements
dès le commencement de sa régence, et les ayant gra-
tifiés de pensions excessives, pensant les retenir par
leurs intérêts en leur devoir, ils s'étoient servis du
bien qu'elle leur avoit fait pour lui faire mal, avoient
gagné les uns par argent, les autres par espérance,
fait cabales dans la cour, pris les armes à la campagne,
perdu le respect qu'ils dévoient à leur souverain,
troublé la tranquillité publique; que tous les gens de
bien désiroient voir leur insolence châtiée, et cepen-
dant, contre leurs vœux, ils avoient profité de la
rébellion qui les devoit ruiner, et la Reine avoit
1. Dans le sens de Palais de justice.
2. Ci-dessus, p. 28.
II 8
i\i MÉMOIRES [1616]
porté le Roi à récompenser leurs fautes ; que sa bonté
ne les avoit pas rendus meilleurs, et la paix n'avoit
pas été plus tôt conçue qu'ils ne méditassent une nou-
velle guerre. On parla du mariage du Roi, ils mena-
cèrent de s'y opposer; le Roi l'entreprit, ils arment
aussitôt pour en troubler l'exécution. Leur crime ayant
donné au Roi sujet de les punir, et leur foiblesse le
moyen, la Reine s'étoit contentée de le pouvoir faire.
On avoit traité avec eux; le Roi les avoit reçus en
père au lieu de les châtier en maître ; et qu'après tout
cela, ils n'avoient pas plus tôt été de retour dans la
cour, qu'ils s'étoient proposé de l'en éloigner. Toutes
lesquelles choses étant, c'eût été à la Reine une aussi
grande imprudence de s'y fier, que c'étoit à lui une
grande indiscrétion de le lui conseiller ' .
Cependant, le trouble et l'étonnement de l'arrêt de
Monsieur le Prince ne fut pas plus tôt cessé que le
maréchal d'Ancre revint à la cour^. S'il en étoit parti
avec un grand désespoir, il n'y revint pas avec une
moindre présomption et espérance de recommencer à
gouverner pis que jamais. Sa femme étoit si abattue
de l'effroi où elle s'étoit trouvée, duquel nous avons
parlé ci-devant^, et de son humeur mélancolique que
1. Le manuscrit B porte ici, de la main de Sancy, en marge :
Vide icy, et, à la fin de l'alinéa, ces mots rayés, qui servaient
de renvoi, V. f. 17, p. 2 A. La lecture de ces derniers mots ne
nous paraît pas absolument certaine. On pourrait peut-être les
interpréter ainsi : « Vide feuille 17, page 2, A. « Deux lignes
du texte sont d'ailleurs ensuite barrées ; les voici : Ce change-
ment fut bien désagréable aux Princes qui crurent que n ayant
plus personne de leur.
2. Il revint le 2 octobre.
3. Ci-dessus, p. 64.
[1616] DE RICHELIEU. 115
cette crainte avoit irritée, qu'elle en étoit en quelque
manière sortie hors de son bon sens, ne partant plus ^
de sa chambre et ne voulant voir personne, croyant
que tous ceux qui la regardoient l'ensorceloient, et
elle avoit étendu ce soupçon jusques à la personne de
Barbin, qu'elle avoit pour ce sujet prié de ne la plus
aller voir.
Le maréchal, à son arrivée, demanda audit Barbin
s'il y auroit plus de danger qu'il se mêlât des affaires^.
L'autre, qui sa voit qu'il étoit déjà résolu de faire ce
qu'il lui demandoit, et qu'il ne s'en abstiendroit pas,
quoiqu'il lui conseillât, mais prendroit sujet de croire
que l'ambition le porteroit à lui donner ce conseil, lui
dit qu'à son avis il le pouvoit faire, et qu'il ne voyoit
point de raison qui l'en dût empêcher. Mais cela,
néanmoins, fut l'entrée de sa ruine, le confirma en la
haine de tout le monde, et donna un des principaux
moyens à Luynes de médire de lui et de la Reine au
Roi, et préparer l'orage que nous verrons tomber
sur sa personne^ l'année suivante. Luynes commença
à représenter au Roi que l'autorité royale étoit en la
personne dudit maréchal, qu'elle ne résidoit en S. M.
que de nom, et que, pour se fortifier en ses mauvais
desseins, il éloignoit la Reine sa mère de la bienveil-
lance qu'elle lui devoit.
Le Roi étant tombé malade^, à la Toussaint, d'une
1. Le mot partant a été substitué par Sancy, sur le manus-
crit B, au mot sortant.
2. Des affaires a été substitué à d'affaires par Sancy sur le
manuscrit B.
3. Les mots sa personne ont été substitués par Charpentier
au mot luy sur le manuscrit B.
4. Ce malaise du jeune Roi se produisit le 31 octobre [Jour-
116 MÉMOIRES [1616]
espèce d'évanouissement, la Reine, qui étoit aux
Feuillants', accourt incontinent au Louvre, tout
effrayée : le Roi, qui se portoit mieux, ne fut néan-
moins entièrement guéri que trois ou quatre jours
après. La Reine parlant souvent de cette maladie, du
Vair, qui étoit encore lors garde des sceaux et soupçon-
noit que ce fût un autre mal que ce n'étoit, dit qu'il
étoit à craindre qu'il ne recommençât au printemps.
Cela fit que plusieurs fois la Reine, parlant au sieur
Héroard^, premier médecin du Roi, lui disoit qu'elle
avoit peur que S. M. ne retombât malade au prin-
temps. Luynes prit occasion de là de dire au Roi que
l'on tramoit quelque chose contre lui, qui devoit
s'exécuter au printemps, et qu'on disoit qu'il lui
pourroit bien mésavenir en ce temps-là. Il donnoit
quant et quant à entendre au Roi que tous ces princes
n'étoient persécutés que pour l'amour du maréchal
d'Ancre, qu'ils étoient passionnés pour S. M. et qu'ils
avoient témoigné un déplaisir indicible de sa maladie^.
Ces choses firent effet en l'esprit du Roi, et tel que
nal de Jean Héroard, t. II, p. 203; Journal d'Arnauld d'An-
dilly^ p. 224; Mémoires de Fontenay-Mareuil, éd. Michaud,
p. 112, et Mémoires d'Estrées, p. 417).
1. Le couvent des Feuillants occupait alors l'emplacement
actuel de la rue de Castiglione et de la partie de la rue de
Rivoli qui longe les Tuilei'ies.
2. Jean Héroard, médecin du Roi, a laissé un Journal sur
l'enfance et la jeunesse de Louis XIII (1601-1628), publié
par MM. Eud. Soulié et Éd. de Barthélémy; Paris, 2 vol. in-8".
3. Sancy, par scrupule de style, a corrigé de cette façon le
manuscrit B qui portait primitivement : un déplaisir indicible
de la maladie de Sa Majesté. — Comparez le texte des
Mémoires d'Estrées, p. 417.
[1616] Dte RICHELIEU. 117
M. de Gesvres' dépêcha exprès à Soissons à M. de
Mayenne, pour lui faire savoir, non de la part du Roi,
mais comme de lui-même, la bonne volonté que S. M.
lui portoit, et qu'elle avoit eu quelque pensée de se
retirer d'avec la Reine sa mère et s'en aller à Com-
piègne, où il savoit bien que tous les autres princes
et lui n'auroient pas manqué de le venir trouver^.
Cet avis encouragea fort les princes qui donnèrent
ordre au cardinal de Guise de ménager auprès de
M. de Luynes tout ce qu'ils pourroient en cette occa-
sion. L'affaire fut si bien suivie, que la Chesnaie^, [gen-
tilhomme] ordinaire^ du Roi, qui avoit grande part
auprès dudit sieur de Luynes, leur envoya Geniers^,
par lequel il leur fit savoir la mauvaise volonté que le
Roi portoit au maréchal d'Ancre et le mécontentement
qu'il avoit de ses comportements, les conviant tous
de se maintenir bien unis ensemble, et, quoi qu'on leur
pût dire, n'entendre à aucune réconciliation avec lui^.
1. Louis Potier, baron de Gesvres, secrétaire d'Etat en 1589,
mort en 1630.
2. Voyez les Mémoires d'Estrées, p. 417.
3. Le sieur de la Chesnaie, gentilhomme ordinaire de la
maison du Roi, fut chargé en 1620 d'une mission auprès des
protestants du Béarn : Mémoires de Bassompierre, t. II, p. 210.
4. Le mot gentilhomme a été ajouté après coup sur le manus-
crit H. Il ne figure pas sur le manuscrit B.
5. Jean de Geniers ou de Gignier, sieur de Massac, gentil-
homme servant de la maison du Roi, fut condamné à mort et
exécuté le 4 octobre 1617 pour avoir fait à Luynes de fausses
dénonciations contre plusieurs seigneurs et notamment contre
le duc de Vendôme [Mémoires de Déageant, éd. 1668, p. 74-
100; Mémoires de Bassompierre, t. II, p. 131, et Mercure
franrois, t. V, année 1617, p. 94).
6. Voyez les Mémoires d'Estrées, p. 417.
118 MÉMOIRES [1616]
Nonobstant toutes ces choses, le changement des
ministres les étonnoit; car ils crurent que, n'ayant
plus personne de leur intelligence dans le ministériat,
leurs actions seroient reconnues pour ce qu'elles
étoient et plusieurs détrompés de ce qu'on en avoit
fait accroire à leur avantage contre la vérité. Ils ne se
rapprochèrent néanmoins pas de leur devoir, mais,
au contraire, s'affermissoient dans leur rébellion, le
duc de Ne vers tout ouvertement, M. de Bouillon cou-
vertement et sous main, décriant le gouvernement
aux pays étrangers, et envoyant exprès en Hollande,
au Liège et en divers lieux d'Allemagne pour en parler
mal; entre lesquels le sieur du Pescher* étant au
Liège et se laissant aller, selon qu'il lui étoit com-
mandé, à parler autrement du Roi qu'il ne devoit,
un gentilhomme liégeois, abhorrant cette infidélité,
le blâma de sa trahison et, des paroles étant venus
aux mains, le tua sur-le-champ. Il faisoit plusieurs
autres pratiques au préjudice de l'autorité du Roi,
faisant enlever quantité d'armes et passer à petites
troupes nombre de gens de guerre, par Sedan, en
Champagne, où le duc de Nevers les recueilloit et les
faisoit couler dans les places qui ne lui pouvoient
1. Il s'agit ici d'un membre de la maison de Saint-Cha-
mant, originaire du Limousin, fixée au commencement du
xvii^ siècle dans le nord de l'Ile-de-France par l'acquisition de
la seigneurie de Méry-sur-Oise, et dont plusieurs représen-
tants, Elie, comte du Pescher, Mercure et Antoine, furent,
vers cette époque, gouverneurs de Thérouanne, de Verdun,
de Château-Thierry et de Guise. L'auteur des paroles inju-
rieuses à l'égard du Roi fut Mercure de Saint-Charaant, baron
de Marigny et du Pescher, gouverneur de Château-Thierry.
[1616] DE RICHELIEU. H9
faire de résistance. Le Roi, en étant averti, fut contraint
de faire avancer des gens de guerre en cette province,
sous le commandement du maréchal de Praslin, tant
pour tenir la main à l'exécution des jugements des
commissaires de S. M., qu'elle avoit envoyés sur les
lieux pour informer des contraventions à ses ordon-
nances et faire le procès à ceux qui se trouveroient
coupables, que pour être prêt à toute occasion qui se
pourroit présenter pour son service ^ .
Il ne passa guère de temps qu'il n'eût sujet de les
employer : car M. de Nevers, de nuit et par surprise,
entra le 1®' jour de décembre^ dans la ville de Sainte-
Menehould, s'en saisit et mit dans le château cinq
cents hommes de garnison. Cette ville étoit impor-
tante, couvroit Sedan et Mézières et fermoit le passage
pour aller à Verdun. Le maréchal de Praslin y alla avec
les troupes du Roi qu'il avoit, avec lesquelles et la
promesse qu'il fit de dix mille écus à Boucon ville ^,
gouverneur du château, il se rendit maître de la
1. Le récit de l'incident relatif au baron du Pescher et les
développements qui y sont joints dans les Mémoires se trou-
vent en partie dans la lettre envoyée par le Roi au maréchal de
Bouillon, le 27 décembre 1616, comme réponse à celle que le
duc lui avait adressée le 14 : Mercure françois, t. IV, année
1616, p. 335 (pour 351) et 352-358.
2. Les mots le premier jour de décembre ont été ajoutés en
interligne par Sancy sur le manuscrit B.
3. Charles de Pradines, seigneur de Bouconville. — Le duc
de Nevers lui avait confié la garde de la ville. Dès le 1^'' janvier
1617, le Roi envoya à Bouconville une lettre confirmant le don
de 10,000 écus promis par M. de Praslin (Avenel, t. I, p. 239;
Journal d' Arnauld d'Andilly, p. 252-253, et Mercure françois,
t. IV, année 1616, p. 362).
120 MÉMOIRES [1616]
place et en chassa la garnison du duc de Nevers, le
26'' décembre, et la fit conduire à Rethel^
Nonobstant tout ce mauvais procédé des ducs de
Nevers et de Bouillon, le dernier, qui s'étoit tenu un
peu plus couvert, eut bien la hardiesse d'écrire au
Roi^, en se plaignant de ce que les troupes que S. M.
avoit en Champagne lui donnoient jalousie, et que
l'ambassadeur du Roi à Bruxelles empèchoit la liberté
du commerce avec Sedan, duquel il sembloit que S. M.
ne voulût plus embrasser la protection; ce qui l'obli-
geroit à s'aider des remèdes que la nature permet à
un chacun pour sa propre défense.
S. M. lui fit réponse^, le 27% avec plus de vigueur
que l'on n'avoit pas accoutumé du temps des autres
ministres, lui remontra son mauvais procédé, que la
plainte qu'il lui faisoit n'étoit que pour prévenir celles
que le Roi avoit sujet de faire de lui, ou tenir les
peuples en une fausse créance qu'ils étoient maltrai-
tés ; que ce qu'il disoit du commerce qui n'étoit pas
laissé libre à Sedan du côté de la Flandre, n'étoit que
par l'empêchement qu'y avoit fait l'ambassadeur du
1. Voyez le récit de cet incident dans le Mercure f'rancois,
t. IV, année 1616, p. 361-362.
2. Le texte original de cette lettre se trouve aux archives
des Affaires étrangères, France 770, fol. 186. Elle a été
imprimée dans le Mercure français, t. IV, année 1616, p. 335
et suivantes, et porte la date du 14 décembre 1616. Voyez la
note 1 de la page 119.
3. Cette réponse a été imprimée dans le Mercure français,
t. IV, année 1616, p. 354 et suiv. Elle a été analysée par Ave-
nel, t. VII, p. 918, qui fait remarquer, comme d'ailleurs le
P. Griffet, que l'évêque de Luçon devait être l'auteur de cette
lettre. La satisfaction avec laquelle en parlent ici les Mémoires
ne peut que confirmer cette supposition.
[1616] DE RICHELIEU. 121
Roi au passage des armes qu'il en vouloit faire venir
contre son service, et que, s'il étoit sage, au lieu des
remèdes dont il menaçoit qu'il se serviroit pour sa
juste défense et c{ue S. M. n'entendoit pas^ et seroit
bien aise d'en être^ éclaircie par lui, il n'en recher-
cheroit point d'autre que la bonne grâce de S. M.,
à laquelle il étoit obligé de tout le bien qu'il avoit. Ce
procédé vigoureux du Roi, sentant plus sa majesté
royale que la conduite passée, n'étoit pas néanmoins
bien reçu à cause du maréchal d'Ancre, l'audace
duquel et la haine qu'on lui portoit étoient telles
qu'elles faisoient prendre en mauvaise part, et du
peuple et des grands et du Roi, tout ce qui autrement
étoit de soi et eût été reconnu le plus avantageux au
service de S. M. et au bien de l'État^.
Nous avons dit que Monsieur le Prince fut, trois
jours après sa détention, changé de la chambre où il
étoit et mis en une autre plus assurée qu'on lui avoit
fait préparer, en laquelle tandis qu'il demeura il avoit
quelque espérance d'être bientôt mis en liberté ; mais
les choses furent changées bientôt après, sur la
méfiance qu'on eut de lui et de ceux qui tenoient son
parti à Paris.
Un de ses chevau-légers, nommé Boursier, fut
accusé, sur la fin d'octobre, par une femme de mau-
vais bruit ^, d'avoir dit, en un heu assez malhonnête,
1. Dans le sens de ne cornprenail pas.
2. D'en être a été rais par Sancy sur le manuscrit B à la
place d'être.
3. Voyez p. 119 la note 1.
4. Cette femme s'appelait Durfort. On trouve des détails
assez complets sur cet incident dans le Journal cVArnauld
122 MÉMOIRES [1616]
qu'il eût, quelques jours auparavant, tué la Reine
mère en son bâtiment de Luxembourg qu'elle étoit
allée voir, si le cardinal de Guise un jour, et Bassom-
pierre un autre, ne se fussent mis entre S. M. et lui.
Barbin fît incontinent envoyer cette femme au garde
des sceaux du Vair pour l'interroger; le rapport qu'il
en fît fut que c'étoit une garce, aux paroles de laquelle
on ne pouvoit pas prendre assurance. Il sembla à Bar-
bin que c'étoit un peu trop négliger cette affaire qui
importoit à la vie de la Reine, et fît que S. M. com-
manda audit sieur du Vair de sceller, toutes afïaires
cessantes, une commission adressante au sieur de
Mesmes*, lieutenant civil, portant pouvoir à lui et aux
conseillers du Chàtelet de juger cette affaire souverai-
nement, ce qu'il fît, craignant la diversité des juge-
ments et peut-être des affections de ceux du Parle-
ment. IP fut condamné quasi d'une voix à la mort,
le 4® novembre^, et à être appliqué auparavant à la
question ordinaire et extraordinaire pour savoir ses
complices. Tous les conseillers y voulurent assister,
contre ce qui a accoutumé d'être fait, soit pour com-
cVAndilly, p. 226-227, et dans le Mercure françois, p. 303 et
suivantes.
1. Henri de Mesmes, marquis de Moigneville, seigneur de
Roissy, lieutenant civil en 1603, prévôt des marchands de
Paris en 1618, président à mortier au Parlement en 1627, mort
en 1650.
2. C'est-à-dire Boursier.
3. Boursier fut exécuté le jour même de sa condamnation :
il fut pendu en place de Grève, puis son corps fut brûlé [Mer-
cure françois, t. IV, année 1616, p. 303). D'après le Journal
(VArnauld d'Andilly, p. 226, l'exécution eut lieu le 9 novembre;
d'après le Mercure françois, le 4.
[i6l6] DE RICHELIEU. 123
plaire et paroître zélés, soit que, les preuves n'étant
pas si entières qu'elles eussent dû être, ils désiroient
tous savoir si, à la question, il diroit quelque chose qui
confirmât la justice de leur jugement : ce que l'on dit
qu'il fit et reconnut son crime, confessant la chose
s'être passée selon qu'on l'avoit accusé.
Deux autres, qui avoient été des gardes de Monsieur
le* Prince, furent pris avec lui pour ce qu'ils le han-
toient, mais, n'ayant été trouvés coupables, furent relâ-
chés. Un de ces deux, nommé Vaugré, s'en alla à
Soissons, espérant y être bien reçu, et là il fut prati-
qué pour dire qu'on l'y avoit envoyé pour tuer le duc
de Mayenne, comme nous verrons l'année suivante^.
Cette accusation de Boursier^ fit qu'on se défia
davantage de Monsieur le Prince et que, sur quelque
soupçon que l'on eut que ses officiers, qui, jusques
alors, lui avoient apprêté son manger et l'avoient servi,
lui avoient mis quelques lettres dans un pâté, on les
congédia tous, et ne fut plus servi que par ceux du
Roi. Ensuite, le 24^ septembre^, il fut mis dans un
1. Les dix premiers mots de cette phrase ont disparu
lorsque les marges du manuscrit B furent rognées à la reliure.
2. L'autre garde s'appelait Goron. Vaugré, de son vrai nom,
se nommait Claude Gaudin : voyez Mercure français, t. IV,
année 1616, p. 304, et Avenel, t. I, p. 255.
3. Les mots de Boursier ont été ajoutés en interligne sur le
manuscrit B par Sancy.
4. Les manuscrits portent 2'i^ novembre^ ce qui est une
erreur. Condé fut transféré à la Bastille dans la nuit du 24 au
25 septembre 1616. Bassompierre se vante en ses Mémoires
d'avoir été chargé par la Reine de cette délicate opération
[Mémoires de Bassompierre, t. II, p. 98 et suivantes; Mercure
françois, t. IV, année 1616, p. 258, et Journal d'Arnauld d'An-
dilly, p. 215).
124 MÉMOIRES [1616]
carrosse et mené à la Bastille, pour être plus assuré-
ment; et, le 19*" décembre, le comte de Lauzières, fils
du maréchal de Thémines, en la garde duquel il étoit,
fut changé, et du Thiers^ qui commandoit à la com-
pagnie de chevau-légers de la Reine mère, eut ordre
de le garder avec quelques-uns de ses compagnons -.
Avant finir cette année, il est raisonnable que nous
disions ce qui s'est passé en Italie depuis le traité d'Ast,
pourquoi il ne fut point exécuté, l'assistance que le
duc de Savoie eut du côté de France, et ce que
LL. MM. firent pour acheminer les affaires à un accom-
modement.
Après le traité d'Ast, l'Espagne retira le marquis
d'Hinojosa de l'État de Milan et y envoya Don Pedro
de Tolède^, lequel, fondé sur ce que, par ledit traité, le
Roi son maître n'étoit point obligé formellement à
désarmer, non seulement ne désarma pas, quoique le
duc de Savoie eût licencié son armée, mais leva de
nouvelles troupes, donnant une juste jalousie audit duc
1 . Du Thiers était maréchal des logis de la compagnie des che-
vau-légers de la Reine mère. En 1615, il avait défendu la cita-
delle d'Amiens contre les entreprises du duc de Longueville.
Le Mercure françois, t. V, année 1617, p. 229, dit qu'après le
départ de Lauzières la garde du pinnce fut confiée à Youzé.
2. Le Mercure français, t. IV, année 1616, p. 359, donne de
curieux détails sur les précautions prises pour effectuer ce
changement sans en prévenir d'avance le comte de Lauzières.
D'après le Journal d'Arnauld d'Andilly, p. 244-245, ce chan-
gement aurait fait l'objet de pourparlers assez longs avec le
maréchal de Thémines.
3. Don Pedro de Tolède, marquis de Villafranca, duc de
Ferrandina, prince de Montalvan, était fils de Garcias de
Tolède-Osorio-Pimentel et de Victoire Colonna, fille du grand
connétable du royaume de Naples.
[1616] DE RICHELIEU. 125
de se vouloir prévaloir de ce qu'il étoit sans défense
et envahir ses États ^.
En ce même temps, les Vénitiens étoient en guerre
avec l'archiduc Ferdinand^, à raison de quelques-uns
de ses sujets de Croatie qui avoient, sur la fin de
l'année précédente, fait quelques voleries, pour les-
quelles les Vénitiens, n'en pouvant tirer raison dudit
archiduc, étoient entrés en guerre avec lui^.
L'armée de Don Pedro de Tolède pouvant être
employée contre eux comme contre le duc de Savoie,
ils entrèrent en traité ensemble. Ils se promirent une
mutuelle assistance contre les Espagnols, ensuite de
laquelle les uns et les autres firent nouvelles levées de
gens de guerre.
1. « Don Pedre de Tolède, successeur du marquis de la
Hinojosa au gouvernement de Milan, ayant trouvé à son arri-
vée toutes les troupes du roi d'Espagne encore sur pied, non
seulement ne les licencia pas, comme il y étoit obligé, mais y en
ajoutoit tous les jours de nouvelles, supposant que le temps de
désarmer n'ayant point été prescrit, il pouvoit attendre tant
qu'il lui plairoit, ne voulant en aucune façon considérer que le
traité portoit expressément que, quand M. de Savoie auroit
désarmé, le gouverneur de Milan disposeroit en telle sorte de
son armée que, ni par le temps, ni par le nombre, M. de
Savoie, ni nul autre prince n'en pourroit prendre jalousie; ce
que M. de Savoie ayant fait diverses fois représenter à Don
Pedre et n'en pouvant tirer raison, il somma enfin le Roi,
celui de la Grande-Bretagne et les Vénitiens que, comme
garants du traité, ils eussent à le faire désarmer de gré ou de
force » [Mémoires de Fontenay-Mareuil, éd. Michaud, p. 113).
2. Ferdinand d'Autriche (1578-1637) , couronné roi de Bohême
en 1617, roi de Hongrie on 1618 et empereur sous le nom de
Ferdinand II en 1619.
3. Voyez dans le Mercu/'e françois, t. IV, année 1616, p. 363-
371, le récit détaillé de ces événements.
126 MÉMOIRES [1616J
Le Roi, ayant avis de ce nouvel embrasement en
Italie, y envoya M. de Béthune en qualité de son
ambassadeur extraordinaire, au lieu du marquis de
Rambouillet, pour essayer de les faire venir à un
accommodement .
Les esprits sont irrités ; l'orgueil est grand du côté
d'Espagne et* la présomption de ses forces; le courage
ne manque point du côté du duc, ni la prudence de
faire paroître en avoir du côté des Vénitiens-. Diverses
propositions sont faites; ils ne peuvent convenir,
mais s'arrêtent sur des pointillés; le Roi est convié
d'être de la partie; le duc de Savoie le semond de le
défendre, selon qu'il y est obligé par le traité d'Ast,
et dépêche au maréchal de Lesdiguières, afin que, sans
attendre autre commandement de S. M., il lui envoie
des troupes, comme il lui a été permis. Le maréchal
de Lesdiguières passe à Turin, fait lever quantité de
gens de guerre, leur fait passer les monts, de sorte
que le duc de Savoie se vit avec une armée de treize
à quatorze mille hommes de pied, dont il y avoit dix
mille François, en état de se défendre de celle de Don
Pedro de Tolède, bien qu'elle fût plus forte de la
moitié. Ce qui lui fait plus de peine est le duc de
Nemours qui, s'étant, du commencement, chargé de
faire quelques levées pour son service dans le Fauci-
gny ^ et le Genevois, tourna ses armes contre lui-même,
1. 11 faut lire : et grande la présomption...
2. Var. : L'orgueil est grand du côté d'Espagne et la pré-
somption de ses frères; le courage ne manque point du côté
du duc, ni la prudence de faire paroître du côté des Vénitiens
(M, H).
3. Le Faucigny, baronnie du duché de Savoie, était borné à
[1616] DE RICHELIEU. 127
non tant pour quelque nouveau sujet de mécontente-
ment qu'il eût reçu, que pour l'ulcère que de long-
temps il avoit dans le cœur, de ce qu'espérant
hériter de ses biens il l'avoit premièrement, dès l'an-
née 16H, empêché d'épouser M"*" d'AumaleS puis,
sous une fausse amorce de lui faire épouser une de
ses filles, lui faisoit couler les années les unes après
les autres pour le faire vieillir sans se marier. Il fit
alliance avec l'Espagne, passa en la Franche-Comté où
il leva des troupes, demande passage par la France
pour entrer en Savoie, ce qu'on ne lui voulut pas
souffrir, sinon que ces^ gens passassent un à un comme
fai soient ceux qui alloient au service du duc de
Savoie ; ce qui étoit ne rien promettre : car ceux qui
alloient trouver le duc de Savoie passoient sûrement
un à un, d'autant que, partant de France, ils entroient
immédiatement en Savoie qui étoit terre amie, au
lieu que les autres entroient de France en Savoie
comme en terre ennemie, et partant n'y pouvoient
passer un à un sans rencontrer la mort au même pas-
sage. Le duc de Montéléon fit tant d'instances et sut
si bien représenter que les troupes du duc de Nemours
l'ouest par le Genevois, au nord par le Chablais, à l'est par le
Valais, au sud par la Tarentaise; la capitale en était Bonne-
ville.
1. Anne de Lorraine, fille et héritière de Charles de Lor-
raine, duc d'Auraale, et de Marie de Lorraine-Elbeuf. Elle
épousa en 1618 ce même duc de Nemours, et mourut en 1638.
Les détails sur le mariage manqué en 1611 et sur les décep-
tions qui suivirent sont donnés dans le Mercure français, t. IV,
année 1616, p. 391.
2. Ses vaudrait mieux. Nous avons conservé la leçon du
manuscrit B.
128 MÉMOIRES [1616]
étoient quasi toutes dissipées et que cette permission,
qu'il demandoit au nom de son maître, n'étoit que
pour la réputation de leur alliance, qu'enfin il obtint
ce qu'il désiroit. Un nommé Lassay*, trésorier de
France à Bourges, fut choisi pour porter le comman-
dement au duc de Bellegarde de leur laisser le pas-
sage libre par la Bresse et lui dire à l'oreille qu'on
savoit très bien que cela ne pouvoit porter de préju-
dice au duc de Savoie, d'autant que ces troupes pré-
tendues étoient si foibles qu'elles n'oseroient passer.
Mais Lassay , qui fut gagné par l'ambassadeur de Savoie,
ne dit pas le mot à l'oreille au duc de Bellegarde, lequel,
pour ce sujet, n'obéit pas au commandement qui lui
étoit fait; ce qui obligea le duc de Nemours de tenter
le passage par la vallée de Ghézery^, où à peine il se
présenta que ses troupes s'enfuirent à la présence du
régiment du baron de Sancy^^ et [de] quelques autres
régiments françois, que le duc de Savoie envoya pour
s'opposer à elles. Cette déroute fut suivie d'un traité
entre ledit duc de Nemours et celui de Savoie le
1. François Le Mareschal, sieur de Lassay et de Corbet, con-
seiller du Roi et trésorier général de France à Bourges, fut
maire de cette ville en 1597-1598 (La ïhaumassière, Histoire
du Berry, p. 214).
2. Chézery est le village principal de la vallée de la Valsé-
rine, petit affluent du Rhône, dans le pays de Gex, par laquelle
on pouvait pénétrer dans le Genevois et la Savoie.
3. Henri de Harlay de Sancy, baron de Maule, seigneur de
Palmart et de Sancy, mestre de camp d'infanterie et capitaine
de cavalerie, servit aux sièges de Montauban et de Royan et
en Italie. Il entra en 1627 dans la congrégation de l'Oratoire
et mourut en 1667. Il était iîls de Nicolas de Harlay et frère
du « secrétaire des Mémoires ».
[1616] DE RICHELIEU. 129
14 décembre, par lequel ils convinrent de tous leurs
différends ^
Le roi d'Espagne cependant faisoit faire plainte en
France de l'assistance qu'on donnoit au duc de Savoie.
Son ambassadeur représente qu'il est raisonnable de
lui faire reconnoître qu'il doit quelque déférence aux
deux couronnes, et qu'il ne va pas avec elles du pair;
qu'il est prêt de lui accorder toutes les conditions qu'il
plaira au Roi, pourvu qu'il paroisse que ce qu'il en fait
est en considération de S. M., non qu'il y ait été
contraint par l'audace dudit duc; et partant qu'il
désiroit que S. M. envoyât à Madrid un ambassadeur
extraordinaire, lequel y recevroit incontinent entière
satisfaction .
LL. MM. ne trouvèrent pas cette proposition dérai-
sonnable et jetèrent les yeux sur moi pour m'y
envoyer. J'étois prêt à partir pour faire ce voyage,
avois fait provision de beaucoup de gentillesses qui
se trouvent en France pour donner, et mon équi-
page étoit déjà emballé lorsqu'il plut au Roi m'ap-
peler en la charge de secrétaire d'État qu'avoit
M. Mangot-.
Le comte de la Rochefoucauld fut destiné pour
aller en ma place; mais les galanteries de la cour qui
possèdent l'esprit de ces Messieurs-là, l'empêchant de
partir au temps que la Reine désiroit, d'autant qu'il
1. Le texte de cet accord a été imprimé dans le Mercure
français, t. IV, année 1616, p. 395 et suivantes. Le duc de
Nemours rentrait en possession de ses terres et de ses pen-
sions. De nouveaux avantages pécuniaires lui étaient accordés.
Pour toutes ces affaires, voyez le Mercure français, p. 372-399.
2. Ci-dessus, p. 110.
II y
130 MÉMOIRES [1616]
ctoit engagé dans un ballet qu'il voulut danser, l'em-
pêchèrent de partir du tout; car les brouilleries de
ces princes s'échauffèrent contre le Roi, et nos propres
affaires nous firent perdre pour lors la pensée^ de celles
d'autrui.
En cette année, mourut le premier président de
Harlay^, qui, étant né-^ d'une maison qui est la pre-
mière des quatre anciennes^ baronnies de la Franche-
Comté, ne fut pas'' moins illustre par sa vertu, pour
laquelle il fut premièrement choisi par le roi Henry IIP
pour aller présider aux grands jours de Poitiers, puis
tut par lui-même honoré de la charge de premier pré-
sident en sa cour de Parlement à Paris, en laquelle il
vécut "^ de sorte que son nom y est encore en vénéra-
tion. Ilétoitsi grave que, par son seul regard^, il rete-
noit chacun en son devoir. Lorsqu'une cause lui étoit
1. Var. : Pour lors le soin (M, H).
2. On remarquera que les Mémoires donnent des détails cir-
constanciés sur le premier président Achille de Harlay. C'était
l'oncle, à la mode de Bretagne, de Sancy, le « secrétaire des
Mémoires », c'est-à-dire que leurs pères étaient cousins ger-
mains. Voyez tome I, p. 58 : une faute d'impression y donne
1619 comme date de sa mort, au lieu de 1616.
3. Les mots qui étant né ont été substitués par Sancy au
mot gentilhomme sur le manuscrit B.
4. Anciennes a été ajouté de la main de Charpentier sur le
manuscrit B.
5. Ne fut pas a été substitué par Sancy aux mots et non sur
le manuscrit B.
6. Le scribe du manuscrit B avait mis il a vécu; Sancy a
écrit il vesquit.
7. Le texte du manuscrit B portait d'abord : // étoit grave et
de peu de paroles, et par son seul regard. Sancy a corrigé
selon la leçon que nous donnons.
[1616] DE RICHELIEU. 131
recommandée^ par une personne puissante, il l'exa-
minoit plus soigneusement, craignant qu'elle fût mau-
vaise puisqu'on y apportoit tant de précaution ; et, dès-
qu'en une visite de civilité on lui parloit d'une affaire,
il reprenoit son visage austère et ne retournoit plus
à parler familièrement. M. de Guise l'étant venu voir
le jour des Barricades pour s'excuser de ce qui se pas-
soit, il lui dit franchement qu'il ne savoit ce qui en
étoit, mais qu'il étoit bien difficile qu'on en crût rien
à son avantage et que c' étoit une chose déplorable que
le valet chassât le maître de sa maison. Quand Le
Clerc ^, durant la confusion de la Ligue, le mena avec
le reste de la cour dans la Bastille, les uns et les autres
faisant diverses plaintes, il ne proféra jamais une
parole, mais s'en alla dans la prison avec la même
gravité avec laquelle il avoit accoutumé d'aller au
Parlement, portant les menaces sur le front, et une
courageuse fierté en la tristesse de son visage qui le
rendoit immobile contre le mépris et les injures de ces
mutins.
Entre plusieurs exemples de son intégrité et de son
courage inflexible en la justice, celui-là est remar-
quable que, le Boi ayant envoyé vérifier au Parlement
un édit qui ne lui sembloit pas juste^, il s'y opposa de
tout son pouvoir, et le Boi lui reprochant un don
1. Sancy a corrigé le manuscrit B, qui portait primitive-
ment : Son intégrité étoit telle que lorsqu'une cause...
2. Sancy a encore ici modifié le manuscrit B, qui donnait,
après précaution : Et de peur de se reldclter quelquefois par la
familiarité en la moindre chose qu'il ne dût pas .^ dès qu'en...
S. Jean Bussy-Le Clerc, l'un des chefs de la faction des
Seize, gouverneur de la Bastille, mort à Bruxelles vers 1635.
132 MÉMOIRES [1616]
qu'il lui venoit de faire d'une grande place dans l'ile
du Palais pour y faire bâtir, il lui en rendit le brevet,
lequel néanmoins S. M. lui renvoya peu après, ayant
sa vertu en admiration ^ . A soixante et quinze ans, étant
devenu aveugle, le Roi lui permit de se défaire de sa
charge et d'en tirer deux cent mille francs de récom-
pense du président de Verdun^. A quatre-vingts ans, il
mourut, plus plein d'années et d'honneur que de biens,
que sa façon de vivre ne lui avoit pas donné lieu de lais-
ser à ses enfants beaucoup plus abondants qu'il les
avoit reçus de son père.
En la même année mourut aussi le cardinal de
Gondy^, frère du duc de Retz^ créatures de la reine
Catherine de Médicis, qui les éleva d'une très basse
naissance aux premières dignités de l'Église et de
l'État. Il fut premièrement évêque de Langres, puis de
Paris, et ensuite cardinal ; homme de peu de lettres,
mais de bon sens, qui montra néanmoins combien il
est difficile qu'un cœui* étranger s'unisse avec la fidé-
lité qu'il doit au prince auquel il est redevable de tout
1. Var. : Il lui en rendit aussitôt le brevet; mais le Roi,
admirant sa vertu, le lui renvoya (M, H).
2. Nicolas de Verdun, conseiller au parlement de Paris en
1583, premier président du parlement de Toulouse, puis pre-
mier président à Paris en 1611, mort en 1627.
3. Pierre de Gondy (1533-1616), évêque de Langres en 1565,
évêque de Paris en 1570, cai'dinal en 1587. Il était fils d'An-
toine de Gondy, florentin, qui avait été amené en France par
Catherine de Médicis.
4. Albert de Gondy, duc de Retz (1522-1602), pair et maré-
chal de France, gouverneur de Provence, de Metz, du pays
Messin et de Nantes, lieutenant pour le Roi au marquisat de
Saluées.
[1617] DE RICHELIEU. 133
ce qu'il est, en ce que le roi Henry Iir, son bienfai-
leur, étant blessé à mort, il l'abandonna à l'heure
même et se retira en sa maison de Noisy^ sans l'as-
sister en ce besoin, ni lui rendre les derniers devoirs
auxquels il étoit obligé, quand bien il n'eût point reçu
de lui tant de grâces dont il l'avoit rempli au-dessus
de son mérite ; montrant bien la vérité de l'ancien pro-
verbe, qu'il ne faut pas aimer les étrangers pour les
éprouver, mais, au contraire, qu'il les faut éprouver
avant que les aimer. Il décéda âgé de quatre-vingt-
quatre ans et fut enseveli en l'église Notre-Dame de
Paris, en la chapelle où l'on voit les tombeaux de son
frère et le sien, avec des inscriptions plus pleines de
faste que de vérité.
ANNÉE ^6I7.
Le duc de Nevers étoit de gaité de cœur entré si
avant dans la rébellion tout ouverte l'année passée,
et les princes et seigneurs ligués, qui, s'étant éloignés
de la cour, eussent bien voulu procéder pour quelques
temps avec plus de déguisement, lui étoient néan-
moins si étroitement unis et l'assistoient avec tant de
passion cju'ils ne se donnèrent pas le loisir d'attendre
le printemps pour faire la guerre, mais la commen-
cèrent avec l'année, au milieu de la rigueur de l'hiver.
Le Roi, pour prévenir les maux qui, autrefois, en
semblables occasions, étoient arrivés en ce royaume
par l'assistance que les rebelles avoient reçue des
1. Celte maison des Gondy était située à INoisy-Saint-Noni,
près Villepreux, à la lisière sud de la forêt de Marly.
134 MÉMOIRES [1617]
princes étrangers, par les fausses impressions qu'ils
leur avoient données contre les rois ses prédécesseurs
qui régnoient lors, envoya en ambassade extraordi-
naire le baron du Tour^ vers le roi de la Grande-
Bretagne^, qui l'aimoit très particulièrement pour
avoir été ambassadeur près de lui lorsqu'il étoit roi
d'Ecosse et qu'il vint à recueillir la succession du
royaume d'Angleterre; M. de la Noue^ en Hollande,
où son nom et sa religion le rendoient agréable ; et le
comte de Schonberg' en Allemagne, où son père^, qui
en étoit et qui y avoit été [envoyé] en plusieurs ambas-
sades par le feu Roi, lui donnoit plus de créance et de
moyen de bien servir S. M.
Leur commission fut de dissiper les faux bruits
qu'on faisoit courir, dans les États et cours des princes
où on les envoyoit, contre le service du Roi, les infor-
mer de la vérité de ses actions, de la justice de la
1. Charles Cauchon, baron du Tour et de Maupas, conseiller
d'État, ambassadeur en Angleterre. Il signe Maupas du Tour.
Son instruction pour cette mission a été imprimée dans Avenel,
t. I, p. 247. Elle se trouve en minute aux Afi'aires étrangères,
Corr. politique, Angleterre 26, fol. 58.
2. Jacques V' (1603-1625).
3. Odet de la Noue, ambassadeur en Hollande, était fils de
La Noue Bras-de-Fer, célèbre chef huguenot, mort en 1590, et
de Marguerite de Téligny. Il signait Lanouë.
4. Henri de Schonberg, comte de Nanteuil (1575-1632), gou-
verneur de la Haute et Basse-Marche et maréchal de camp
général des troupes allemandes pour le service du Roi après
son père. En 1608, il lut nommé lieutenant de Roi en Limousin
et, en 1615, envoyé en ambassade extraordinaire en Angleterre.
Il signait Schonberg.
5. Gaspard de Schonberg, d'origine allemande, d'abord pro-
testant, converti au catholicisme sous Charles IX, naturalisé
en 1570, mourut en 1599.
fl617] DE RICHELIEU. 135
détention du prince de Gondé et de la patience de
S. M., qui avoit été poussée jusques à l'extrémité par
l'opiniâtreté et insolence des grands de son royaume,
qui, abusant de sa clémence, ne pouvoient recevoir
tant de grâces d'elle qu'ils ne commissent de nouveaux
crimes; et, bien que ces derniers les rendissent
indignes du pardon qu'ils avoient reçu de leurs fautes
premières, ils prétendoient néanmoins être mal traités
si on ne les leur remettoit encore, en sorte qu'on
leur laissât le moyen de pouvoir toujours récidiver,
comme ils en avoient la volonté, et tenoient à sujet d'of-
fense et de plainte les précautions dont S. M., en leur
pardonnant, vouloit user afin de les retenir en leur
devoir à l'avenir.
Et, d'autant que l'instruction que je dressai pour le
comte de Schônberg explique fort particulièrement
l'ordre qui lui fut donné et justifie le mieux qu'il se
peut toute la conduite du gouvernement de l'État
depuis la mort du feu Roi jusques alors, joint que les
princes d'Allemagne étoient ceux que principalement
on considéroit, et du secours desquels le Roi avoit
plus de sujet de craindre, j'ai cru la devoir mettre,
non ici, où elle pourroit être ennuyeuse, mais à la fin
de ce livre, où on la pourra voir*.
Le duc de Nevers, cependant, donna des commis-
1. Cette pièce, qui portait la date du 29 décembre 1616, a
été imprimée déjà à diverses reprises et notamment dans les
Mémoires pour thistoire du cardinal-duc de Richelieu, par
Aubery, t. I, p. 17. Avenel en a donné un texte soigneusement
revu (t. l, p. 209); il semble donc inutile de la reproduire en
Appendice. Le texte original de cette instruction, de la main
de Charpentier, se trouve aux Affaires étrangères, Corr. poli-
tique, Allemagne 5, fol. 253-268.
136 MÉMOIRES [1617]
sions pour faire des compagnies de chcvau-légers dans
son gouvernement, fait d'autres levées dans le Niver-
nois ; il fait entrer des gens de guerre étrangers dans
le royaume, les loge dans Mézières; il met dans Rethel
jusques à mille hommes de garnison, leur fait faire
montre publiquement, fait travailler par corvées et
contraintes aux fortifications de Ghàteau-Porcien * et
Richecourt, fait provisions d'échelles, cordages, pics,
pétards et autres choses nécessaires pour surprendre
des places, fait levées de pionniers; le tout sans ordre
ni permission du Roi. Il écrit des lettres aux villes qui
décrient le gouvernement, fait ruiner un des faubourgs
de Mézières pour se préparer à se défendre si on l'as-
siège, fait prendre le prévôt provincial de Rethelois
avec quelques-uns de ses archers prisonniers ; en fait
autant à un appelé Chariot, habitant de Mézières, et lui
fait écrire à son fils^ qui étoit un des juges de Montde-
jeu^, prisonnier pour avoir porté les armes contre le
service de S. M., qu'il recevroit le même traitement
dans la citadelle de Mézières qui seroit fait audit Mont-
dejeu^.
MM. du Maine et de Bouillon, pour donner à con-
noître qu'ils sont unis avec lui, témoignent au Roi
1. Chef-lieu de canton des Ardennes, à 11 kil. de Rethel.
2. Le fils de ce Chariot était conseiller au présidial de Reims.
3. Ce personnage, dont le nom est orthographié Mondejous
dans le manuscrit B, doit être ,Tean III de Schulemberg, sei-
gneur de Montdejeu, père du futur maréchal de Schulemberg,
qui commandait une compagnie de chevau-légers au service du
duc de Bouillon.
4. Ce paragraphe est tiré du Mercure framois (t. IV, année
1617, p. 29 et 30), où se trouve in extenso (p. 20 et suivantes)
la déclaration du Roi contre le duc de Nevers, donnée le 17 jan-
vier 1617.
[1617] DE RICHELIEU. 137
leur mécontentement par des lettres qu'ils écrivent à
S. M.^ Le duc de Bouillon fait semblant d'avoir crainte
que S. M. veuille abandonner sa protection et proteste
d'employer pour sa défense ce que lui et ses parents
ont de bien et de crédit. Le duc de Mayenne, ayant fait
solliciter Vaugré-, dont nous avons parlé ci-devant,
de dire qu'on l'avoit envoyé de Paris exprès pour
attenter à sa vie, se plaint qu'on envoie des assassins
pour le faire tuer et exagère sa misère, disant qu'on
le veut bannir hors du royaume sous prétexte d'une
charge honorable dont l'on fait semblant de le vou-
loir honorer en Italie; représente les services de son
père, d'avoir, durant les guerres civiles, conservé
l'État en son entier, et sa fidélité, qu'il veut faire pas-
ser pour être sans tache et de ne mériter une telle
punition qu'il reçoit. Le Roi lui fit réponse, par le
baron de Linières^ qui lui avoit porté sa lettre*,
1. Les lettres des deux ducs, datées des 6 et il janvier
1617, sont dans le Mercure francois (t. IV, année 1617, p. 2 et
13). Celle du duc de Bouillon est en copie aux Affaires étran-
gères, France 771, fol. 1-2. Plusieurs passages en sont soulignés,
et l'on voit qu'ils ont été utilisés dans les Mémoires.
2. Vaugré, de son vrai nom Claude Gaudin, avait été des
gardes du prince de Condé. Il avait été emprisonné, en
novembre 1616, ainsi qu'un de ses camarades, nommé Goron,
sur la dénonciation de Boursier (ci-dessus, p. 121). Relâché
par la suite, Vaugré alla à Soissons, où il prétendit qu'on
l'avait envoyé de Paris pour tuer le duc de Mayenne.
3. Philippe de Brichanteau, baron de Linières, capitaine de
cinquante hommes d'armes et des Suisses de Gaston d Or-
léans, frère de Louis XIII, épousa en 1613 Claude de Meaux
de Boisboudran. Il était fils d'une la Rochefoucauld.
4. La réponse du Roi au duc de Mayenne fut rédigée par
Richelieu {Journal d'Arnauld d'Andilly, p. 258) et portait la
date du 17 janvier 1617; elle a été imprimée dans le Mercure
francois, t. IV, année 1617, p. 15, et dans Avenel, t. [, p. 255.
138 MÉMOIRES [1617]
qu'il ne tiendroit qu'à lui qu'il n'eût raison du crime
de celui qu'il disoit avoir attenté à sa vie, puisqu'il
avoit fait ordonner par son Parlement que le procès
seroit fait à Vaugré dans Soissons, où il le tenoit
entre ses mains, et, par appel, mené à Paris pour y
recevoir la peine due à l'énormité de cet attentat, s'il
en étoit trouvé coupable. Pour la charge dont il par-
loit, qui est celle du général d'armée des Vénitiens,
qu'il sait bien, en sa conscience, que c'est à son ins-
tante supplication qu'il a employé son nom^ pour la
lui faire obtenir, et que son autorité royale est telle
que personne ne sera jamais persécuté en son royaume
pour en sortir, S. M. étant assez puissante pour empê-
cher qu'aucun de ses sujets n'en persécute d'autres;
Quant aux actions de son père, que l'intégrité de
ses dernières fait perdre à S. M. la mémoire des pre-
mières qu'il a souvent condamnées lui-même ; et quant
aux siennes, qu'il ne sait pas comme il peut appeler
innocente celle du refus qu'il a fait au lieutenant géné-
ral de Soissons de le recevoir en la ville de sa rési-
dence pour exercer la justice, non plus que les
levées de gens de guerre qu'il a faites depuis peu
pour grossir ses garnisons, non seulement sans la per-
mission de S. M., mais contre son commandement;
que S. M. ne sait pas ce qu'il peut tenir pour crime
s'il appelle ces deux actions innocentes, et qu'il n'y a
personne dépouillé d'intérêt et de passion qui ne les
juge du tout contraires aux lois divines et humaines,
qu'elle sera aussi soigneuse d'observer comme de les
faire garder aux autres^.
1. Le mot nom a été substitué par Sancy au mot autorité sur
le manuscrit B.
2. La lettre au duc de Mayenne se trouve fidèlement et clai-
fl617j DE RICHELIEU. 139
Mais toutes ces lettres du Roi étant inutiles, pour ce
qu'il n'avoit pas affaire à personnes qui manquassent
de connoissance de leur faute, mais de volonté de
s'amender, LL. MM. se résolurent d'apporter des
remèdes assez puissants à ces maux qui étoient à
l'extrémité. Elles considérèrent que celle-ci étoit* la
quatrième fois qu'ils se soulevoient et excitoient des
tempêtes en l'État, qu'ils n'avoient reçu nul sujet de
mécontentement depuis le traité de Loudun quand ils
recommencèrent leurs pratiques, qu'ils n'en ont eu
non plus depuis le dernier accommodement de Sois-
sons, qu'il est aisé de le voir aux prétextes qu'ils
prennent, lesquels sont imaginaires, que ses finances
sont épuisées des grands dons qui leur ont été faits
depuis la mort du feu Roi jusques à présent ;
Que Monsieur le Prince a reçu depuis six ans trois
millions six cent soixante-cinq mille neuf cent quatre
vingt-dix livres; M. le comte de Soissons, et, après
sa mort. Monsieur son fils et Madame sa femme, plus
de quinze cent mille livres; JVI. et M""" la princesse de
Conti, plus de quatorze cent mille livres ; M. de Longue-
ville, douze cent tant de mille livres; MM. de Mayenne
père et fils, deux millions tant de mille livres ; M. de Ven-
dôme, près de six cent mille livres ; M. d'Épernon et ses
enfants, près de sept cent mille livres; M. de Bouillon,
près d'un million de livres-, sans y comprendre ce qui
rement analysée dans ces deux derniers paragraphes; des
phrases en ont même été textuellement reproduites.
1. Une première rédaction du manuscrit B portait : Consi-
dérant que celle-ci étoit. La correction a été faite par Sancy.
2. Le début de cet alinéa est la copie dun passage des
instructions données à Schonberg à son départ pour l'Alle-
magne. Sancy avait marqué l'extrait à faire : voyez Affaires
140 MÉMOIRES [1617]
leur a été payé des gages et appointements de leurs
charges, des deniers du taillon pour leurs compa-
gnies de gendarmes, de l'extraordinaire des guerres
pour les garnisons de leurs places, outre les pen-
sions et autres dons qu'il ont fait accorder à leurs
amis et domestiques^ ;
Que toutes ces gratifications immenses n'ont de rien
servi, au contraire semblent avoir donné occasion à
leur malice d'avoir recommencé les mêmes soulève-
ments, espérant d'en tirer toujours, par ce moyen,
les mêmes avantages; outre que les dépenses extraor-
dinaires qu'il a fallu faire pour s'opposer à leurs rebel-
lions, ayant coûté de compte lait plus de vingt mil-
lions, ils espèrent enfin épuiser tellement les finances
du Roi, qu'il n'ait plus le moyen de les empêcher de
partager entre eux son royaume^;
Que les dissimulations et déguisements de paroles
qu'ils apportent sont pour le surprendre, et encore
pour faire croire aux simples que ce n'est qu'à l'extré-
mité et par force qu'ils entrent en guerre; que S. M.,
par sa prudence, s'est garantie de la surprise; quant
aux peuples 2, qu'ils sont tous détrompés, et n'y a plus
étrangères, corr. politique, Allemagne 5, fol. 265-266; voyez
aussi Avenel, p. 232.
1. La fin de l'alinéa est empruntée aux mêmes instructions
(fol. 266 v«).
2. Ce paragraphe est tiré de la réponse faite par le Roi à la
« remontrance » que les ducs de Vendôme et de Mayenne et le
maréchal de Bouillon lui envoyèrent, le 4 février. Cette réponse
est dans le Mercure français, t. IV, année 1617, p. 50 et sui-
vantes. Le passage en question est à la page 58. Voyez plus
loin la note 3, p. 144.
3. Le manuscrit B portail, avant la correction de Sancy,
pour les peuples.
[1617] DE RICHELIEU. 141
personne en ce royaume qui ne connoisse que ces
princes, ne respirant en appai^ence que le bien de
l'État, par leurs effets lui procurent tout le mal qu'ils
peuvent ^ .
LL. MM., ayant considéré toutes ces choses, crurent
qu'étant dans un temps où le malheur du siècle et de
la nation porte les sujets à mépriser l'autorité du
prince qui ne peut être assez respectée, et la pru-
dence d'un prince débonnaire l'obligeant à faire
montre de plus de sévérité qu'en effet il n'en vouloit
exercer, elles dévoient, sans différer davantage, les
déclarer, eux et leurs adhérents, criminels de lèse-
majesté^. Le Roi fit premièrement une déclaration par-
ticulière contre M. de Nevers et tous ceux qui étoient
joints à lui, les déclai^ant atteints et convaincus dudit
crime^, si, dans quinze jours après la publication
1. Ce paragraphe est encore un rësiuiié de quelques passages
de la réponse du Roi à la « remontrance « envoyée, le 4 février,
parles ducs de Vendôme, de Mayenne et de Bouillon; voyez le
Mercure français, l. IV, année 1617, p. 50 et suivantes.
2. Tout le commencement de ce paragraphe a été remanié et
corrigé en interlignes, sur le manuscrit B, de la main de Char-
pentier. On lisait auparavant : « Leurs Majestés ayant considéré
toutes ces choses crurent ne devoir pas différer davantage à
les déclarer publiquement eux et leurs adhérents... » Charpen-
tier a fait à ce texte les additions que l'on peut constater
dans la leçon que nous donnons, sauf le membre de phrase
suivant que Sancy a ajouté en marge : « et la prudence dun
prince débonnaire l'obligeant à faire montre de plus de sévérité,
etc.. »
3. Les mots atteints et convaincus dudit crime ont été substi-
tués par Sancy sur le manuscrit B aux mots : tous criminels de
lèse-majesté. — La déclaration contre le duc de Nevers et ses
adhérents est datée de janvier 1617. Le texte s'en trouve dans
le Mercure franrois, t. IV, année 1617, p. 20 et suivantes.
142 MÉMOIRES [1617]
d'icelle, ledit duc, reconnoissaiit sa faute, ne venoit
en personne trouver S. M. pour lui en demander par-
don, ne faisoit retirer hors du royaume les étrangers
qu'il y avoit introduits, ne licencioit ses gens de guerre
qu'il avoit levés, et n'ôtoit les garnisons qui avoient
été établies par lui et ses adhérents sans ordre ni
commission de S. M., et, pour le regard de ceux qui
lui avoient adhéré, si, dans ledit temps, ils ne se pré-
sentoient aux sièges des bailliages au ressort desquels
ils faisoient leur résidence, pour en faire protestation
enregistrée aux greffes d'iceux''.
Cette déclaration fut vérifiée au Parlement le 1 7 jan-
vier. Le duc de Mayenne, en ayant avis, fit défenses
en tous les lieux qu'il tenoit qu'on eut à l'avoir^,
l'imprimer ni la vendre, et la fit ôter de violence des
mains des officiers du Roi qui la dévoient publier. Et,
à peu de jours de là, les ducs de Nevers, de Vendôme,
de Bouillon, le marquis de Cœuvres, le président
Le Jay et autres de leur parti le vinrent trouver à
Soissons, où, tenant une forme d'assemblée^, ils dres-
sèrent premièrement une lettre* sous le nom du duc
1. Ce paragraphe, depuis les mots : « Le Roi fit première-
ment une déclaration », est tiré presque textuellement de la
déclaration royale de janvier 1617 contre le duc de Nevers et
ses adhérents : voyez Mercure /rançois, p. 31 et 32.
2. Le manuscrit B portait la voir; c'est Sancy qui a fait la
correction.
3. Cette phrase est empruntée au Mercure français, p. 34.
4. Le texte de cette lettre a été imprimé dans le Mercure
l'rançois, t. IV, année 1617, p. 36. L'original autographe est aux
Affaires étrangères, France 771, fol. 22-25. Là encore des
passages soulignés ont été utilisés pour les Mémoires; on les
retrouve dans les phrases qui suivent jusqu'à la fin du para-
graphe.
[1617] DE RICHELIEU. 143
de Nevers au Roi, en date du dernier janvier, par
laquelle, n'ayant point de honte de soutenir à S. M. qu'il
lui étoit fidèle, il disoit les causes portées par la décla-
ration de S. M. être fausses, le sujet de son éloigne-
ment être bien fondé sur la puissance démesurée du
maréchal d'Ancre, qui a chassé les anciens conseillers
d'État et le garde des sceaux du Vair, et qu'il étoit
prêt d'aller en personne faire les protestations à S. M.
de son très humble service, pourvu qu'elle lui donnât
pour juges les princes, ducs et pairs et anciens offi-
ciers de sa couronne, et les conseillers d'État dont
le feu Roi son père s'étoit servi durant son règne.
Ces prétextes, qui avoient quelque apparence,
n'avoient point de solidité devant ceux qui savoient
les affaires; car, premièrement, il s'offroit de venir et
ne venoit pas en effet, continuant cependant et aug-
mentant toujours ses hostilités et actes de rébetlion :
aussi disoit-il qu'il ne ti'ouvoit pas de sûreté auprès
de S. M., ce qui montroit qu'il ne vouloit pas effectuer
ce qu'il promettoit. Davantage, il se plaignoit de l'éloi-
gnement des anciens conseillers, contre lesquels il
avoit le premier fait plainte en sa première rébellion,
les appellant tyrans et disant qu'ils vouloient régner
dans la confusion. Et, en troisième lieu, il se soumet à
la volonté du Roi, pourvu qu'il le fasse juger par les
princes qui lui adhèrent et trempent dans le même
crime que lui.
Après que les princes et autres de l'assemblée eurent
dressé cette lettre pour le duc de Nevers au Roi, ils
arrêtèrent de faire ouvertement la guerre, se fortifier
en leurs places, se saisir des deniers royaux; et, cela
fait, dépêchèrent en plusieurs endroits, tant dedans
144 MÉMOIRES [1617]
que dehors du royaume ^ ; ce qui obligea le Roi à faire
une déclaration- contre eux, semblable à celle qu'il
avoit faite contre le duc de Nevers, laquelle fut vérifiée
au Parlement le 1 3 février.
Sur cela, ayant fait des remontrances^ au Roi, ès-
1. Voici ce qu on lit dans le Mercure françois, p. 34 : « Sur
la fin du mois de janvier, les ducs de Nevers, de Vendôme, de
Mayenne, le maréchal de Bouillon, le marquis de Cœuvres, le
président Le .Tay et autres seigneurs de leur parti firent une
forme d'assemblée à Soissons, où ils délibérèrent de faire la
guerre ouveiHe, d'arrêter les deniers royaux et de se fortifier
aux villes qu'ils tenoient en leurs gouvernements et en leurs
châteaux; ils dépêchèrent aussi en plusieurs endroits tant
dedans que dehors le royaume. »
2. Imprimée dans le Mercure françois, p. 44.
3. Le Mercure françois, p. 50 et suivantes, donne « les prin-
cipaux points de la Remontrance que les ducs de Vendôme, de
Mayenne et maréchal de Bouillon envoyèrent au Roi avec les
réponses que l'on y fit. « On y lit le passage suivant concer-
nant l'évêque de Luçon : « Celui qui a été fait secrétaire d Etat
est un prélat si plein de gloire pour l'innocence de sa vie, pour
l'éminence de son savoir et pour l'excellence de son esprit que
tous ceux qui savent quel est son mérite avoueront aisément
que Dieu l'a destiné pour rendre de grands et signalés services
à Leurs Majestés au milieu des tempêtes de leur Etat. » L'origi-
nal de cette remontrance est aux Affaires étrangères, France 771,
fol. 26-29; elle est datée du 4 février, et fut reçue le 14, « sous
la couverture d'un paquet de M. de la Vieuville ». Une copie en
fut faite de la main de Le Masle, prieur des Roches (Affaii'es
étrangères, France 771, fol. 30-33). En marge de cette copie
se remarquent quelques réflexions intéressantes, qui semble-
raient avoir été dictées par le jeune Roi. En voici un exemple
(fol. 30 v°). Les princes écrivaient ceci : « Vos sujets de
toutes conditions..., se voyant environnés de craintes et
d'appréhensions et exposés à toutes sortes de dangers par les
conspirations intestines dressées à la ruine de votre état,
implorent votre justice pour les garantir de l'oppression et
[4617] DE RICHELIEU. 145
quelles ils rejetoient la cause de tous les maux de l'État
sur le maréchal d'Ancre et sa femme, et continuoient
à faire les mêmes plaintes imaginaires qu'ils avoient
accoutumé, S. M., pour faire voir à toute la Chré-
tienté son juste procédé, sa clémence et sa patience
envers eux, et leur opiniâtreté en leurs crimes, fit
publier une déclaration sur le sujet des nouveaux
troubles de son royaume, laquelle, étant un peu longue,
mais contenant par le menu la preuve évidente de la
vérité de ces choses, toutes les raisons y étant déduites
par le menu, je n'ai pas voulu l'insérer ici pour n'in-
terrompre le til de l'histoire, mais l'ai ajoutée à la fin
de ce livre ^.
Mais, pour ce que les paroles sont trop foibles
contre la violence d'une rébellion si elles ne sont
fortifiées des armes, sans lesquelles les lois et la jus-
tice sont de vaines menaces, sans puissance et sans
effet, S. M. voulut accompagner ses raisons de ce qui
servitude à laquelle on les veut assujettir et pour délivrer votre
couronne de tant de malheurs qui s'avancent aujourd'hui pour
la renverser. » On lit en marge : « Personne ne peut douter
que mes sujets qui sont dans les villes de mon obéissance
vivent paisiblement sans appréhension d'aucun mal que celui
que vous leur faites craindre, et qu'au contraire mes pauvres
sujets qui sont à Soissons et aux cinq villes où vous vous êtes
usurpé tout le pouvoir éprouvent toute sorte de misères et
gémissent sous le joug d'une servitude insupportable. »
1. Un exemplaire imprimé de cette déclaration, datée du
18 février, est inséré dans le volume France 771, fol. 37-55.
Voyez aussi le Mercure françois, p. 68, et Avenel, t. I, p. 301.
Richelieu s'en attribue la paternité dans une lettre au maré-
chal d'Ancre du 22 février (Avenel, t. l, p. 316J. Quoi qu'en
dise Richelieu, on ne trouve point cette déclaration parmi les
cahiers du manuscrit B. Elle est trop connue pour que nous la
donnions en appendice.
II 10
146 MÉMOIRES [1617]
leur étoit nécessaire. Et, pour ce que le délai donnoit
de la hardiesse à ses ennemis, et, au contraire, la dili-
gence leur donneroit de la terreur, elle fît prompte-
ment' lever des troupes en son royaume, manda au
comte de Schonberg qu'au lieu d'achever sa commis-
sion il levât quatre cents reitres et quatre mille lansque-
nets, et se résolut de faire trois armées pour attaquer
ses ennemis, tout à la fois, en tous les lieux où ils
avoient de la puissance, envoyant l'une en Champagne,
où étoit M. de Nevers, l'autre en Berry et en Niver-
nois, où il avoit plusieurs places et adhérents fortifiés
par la présence de Madame sa femme, et l'autre en
l'Ile-de-France contre M. de Mayenne. 11 donna le com-
mandement de celle de Champagne à M. de Guise, sous
lequel M. de Thémines commandoit, et le sieur de
Praslin étoit seul maréchal de camp; celle de Niver-
nois étoit commandée par le maréchal de Montigny,
ayant pour maréchal de camp le sieur de Richelieu^
mon frère ; et l'autre par le comte d'Auvergne, qui alla
premièrement au Perche et au Maine pour nettoyer
ces deux provinces, où il assura au service du Roi
Senonches^, quiappartenoit au duc de Nevers, la Ferté^
qui étoit au vidame de Chartres^, Verneuil, dont Mé-
1. Le mot promptement a été substitué par Charpentier, sur
le manuscrit B, aux mots : en diligence.
2. Henri du Plessis, seigneur de Riciielieu, fils de Fran-
çois III du Plessis, seigneur de Richelieu, et de Suzanne de la
Porte, frère aîné du Cardinal, mestre de camp au régiment de
Piémont, fut tué en duel en 1619 par le marquis de Thémines.
3. Chef-lieu de canton du département d Eure-et-Loir.
4. La Ferté-Vidame, chef-lieu de canton du département
d'Eure-et-Loir.
5. Prégent de la Fin, fils de ce Jacques de la Fin de Salins,
[1617] DE RICHELIEU. 147
davy^ qui avoit été de toutes les rébellions, étoit gou-
verneur, Nogent-le-Rotrou, qui étoit à Monsieur le
Prince, la Ferté-Bernard^, qui étoit à M. de Mayenne,
et le Mans, dont le château étoit à la discrétion des
princes, lequel il ruina, et mit garnison dans les autres
places et dans les châteaux qui étoient de quelque con-
sidération et appartenoient à ceux qui favorisoient
les princes, et dans leurs esprits en mit une plus
puissante de l'appréhension qu'ils eurent des armes du
Roi^
Les huguenots, qui ne manquoient jamais à se sou-
lever contre le Roi, quand ils ont vu naitre quelque
trouble en ce royaume, et à se mettre du parti de
ceux qui levoient les armes contre S. M., en firent de
même en cette occasion, en laquelle, pratiqués par
qui prit part en 1602 à la conspiration de Biron. Son père
possédait le vidamé de Chartres, qui fut mis en vente par auto-
rité de justice à sa mort. C'est des créanciers de son fils que
le vidamé fut acquis en 1635 par Claude de Saint-Simon.
1. Pierre Rouxel, baron de Médavy, comte de Grancey,
mestre de camp d'infanterie, capitaine de gendarmes, maré-
chal de camp, gouverneur de Verneuil et d'Argentan, lieute-
nant général en Normandie en 1594 et conseiller d'Etat en
1611, mort le 31 décembre 1617. Il avait épousé en 1585 Char-
lotte de Hautemer, comtesse de Grancey.
2. Chef-lieu de canton du département de la Sarthe.
3. Ce paragraphe est emprunté au Mercure françois, t. IV,
année 1617, p. 112-116. Il faut remarquer que les Mémoires
ne suivent pas ici rigoureusement l'ordre des événements, tel
que le donne avec des dates précises le Mercure françois, jonv-
nal officiel. Ces erreurs sont assez fréquentes dans les Mémoires
et probablement voulues ; la suite des faits prenant ainsi une
apparence de plus grande logique, contraire d'ailleurs à la
réalité.
148 MÉMOIRES [1617]
M""" de Bouillon^ en la Marche et au Bas-Limousin,
ils demandèrent au Roi permission de s'assembler à
la Rochelle, et, leur étant refusée, ils la prirent d'eux-
mêmes et firent courir une déclaration^ en laquelle ils
déduisoient les prétendues raisons qu'ils avoient d'en
user ainsi. Mais le duc de Rohan et le Plessis-Mornay
alentirent, dans ces commencements, la violence de ces
mauvais desseins et ne leur laissèrent pas lieu de faire
beaucoup de mal ; joint que le maréchal de Lesdiguières
demeura fidèle au Roi, demandant, néanmoins, en
même temps quelque gouvernement de province, et
que ce ne fût point de celles qui étoient sous la charge
d'aucun des princes et seigneurs ligués contre le ser-
vice du Roi, donnant quasi à connoître qu'il eût bien
désiré la Guyenne, sans la nommer; néanmoins, il
témoigna depuis qu'il recevroit la Champagne. Cepen-
dant l'ombre de son nom servoit pour empêcher les
levées qu'on vouloit faire pour les princes dans les
Gé venues, dont ils en eussent tiré quantité de bons
hommes.
Le Pape ne s'étoit point ému d'une lettre^ que le
duc de Nevers lui écrivit le 10* mars, par laquelle,
comme s'il eût été quelque grand prince et non
simple sujet du Roi, il lui rendoit un compte déguisé
1. Isabelle de Nassau, fille de Guillaume de Nassau, prince
d'Orange, et de Charlotte de Bourbon-Montpensier, seconde
femme de Henri de la Tour, duc de Bouillon, qu'elle avait
épousé en 1595; elle mourut en 1642 et fut mère du futur maré-
chal de Turenne.
2. Cette pièce a été imprimée dans le Mercure français, t. IV,
année 1617, p. 175.
3. Le texte de cette lettre se trouve dans le Mercure fran-
rois, t. IV, année 1617, p. 118-124.
[1617] DE RICHELIEU. !49
de ses actions, où il lui représeiiioit, avec des fausse-
tés artificieuses, toutes choses s'être passées au désa-
vantage de la sincérité de S. M.
Une déclaration' et protestation de lui et de tous
les princes unis, faite à Rethel le 5^ dudit mois, avoit
été inutile dans l'esprit des peuples, par laquelle,
renouvelant toutes les vieilles querelles, ils remettoient
en avant le fantôme des remontrances de la cour^
méprisées et réputées à crime, et le traité de Loudun,
prétendu violé par la détention, qu'ils qualifioient
injuste, de Monsieur le Prince; les assassins,
disoient-ils, et les empoisonneurs envoyés pour faire
mourir les princes, après avoir failli de les arrêter,
comme, contre tout droit, onvouloit faire; la surprise
qu'on avoit faite de leurs places, et, entre autres, Sainte-
Menehould ; la déclaration par laquelle ils étoient dénon-
cés criminels de lèse-majesté, vérifiée, disoient-ils, par
un faux et supposé arrêt de la cour : pour toutes les-
quelles causes et autres semblables, frivoles et vaines,
ils appeloient de toutes les choses faites contre eux
par injustice, sous le nom de S. M., à sa justice et
équité, lorsqu'elle seroit libre et non forcée par les
ennemis de l'État^, ainsi appeloient-ils les ministres,
qui s'étoient emparés de sa personne et la tenoient en
leur puissance.
1. Le Mercure français, t. IV, année 1617, p. 124-143, donne
le texte de cette déclaration, dont quelques passages se
retrouvent dans les Mémoires, brièvement commentés.
2. La cour du Parlement.
3. Les mots -.par tes ennemis de l État et les deux lignes qui
suivent jusqu'à la fin de l'alinéa ont été substitués par Sancy
sur le manuscrit B aux mots : par ceux qui In tenoient en leur
puissance.
450 MÉMOIRES [1617]
A raison de quoi ils prioient tous ceux qui se trou-
veroient dans les places occupées par le maréchal
d'Ancre ou ses adhérents ou dans leurs troupes (par
lesquels ils entendoient tous les serviteurs du Roi
optant dans ses armées ou dans les places de son obéis-
sance) de s'en retirer incontinent pour n'être envelop-
pés avec les coupables dans la punition qu'ils pren-
droient d'eux, et dénonçant à toutes les provinces,
villes, communautés et toutes sortes de personnes
qu'ils eussent à se retirer de la communication et
société avec ledit maréchal d'Ancre et ses adhérents,
sinon qu'ils protestoient de tout le mal qui leur arrive-
roit par la rigueur de leurs armes ^.
La connoissance et l'épreuve de leurs actions pas-
sées dissipoient les ténèbres de ces artificieuses paHia-
tions de leur crime et aigrissoient encore les peuples
plutôt qu'elles ne les émouvoient à pitié vers eux. Et
S. M. fit prononcer contre eux la dernière condamna-
tion, qui jusques alors avoit été diiîérée, de la réunion
de tous leurs biens à son domaine-.
Au dehors, la réputation du Roi ne recevoit aucune
atteinte de leurs impostures. Les étrangers, opprimés
1. Tout l'alinéa qui précède a été ajouté en marge du manus-
crit B de la main du scribe qui a écrit cette partie du manus-
crit. 11 a été emprunté à la dernière partie de la susdite décla-
ration des princes, faite à Rethel le 5 mars 1617.
2. La déclaration royale qui prononça cette réunion porte
la date du 10 mars 1617. Elle a été imprimée dans le Mercure
français, t. IV, p. 152-154. Ceux dont les biens furent confis-
qués étaient les ducs de Nevers, de Vendôme, de Mayenne, le
maréchal de Bouillon, le marquis de Cœuvres et le président
Le .Fay. Le Parlement enregistra cette déclaration le 20 mars.
Les Mémoires en reparleront ci-après, p. 153.
[1617] DE RICHELIEU. 151
par la violence de leurs voisins, avoient recours à
l'abri de son autorité royale : le baron deBueil, dont
les terres étoient situées auprès de Nice en Provence,
se mit sous sa protection, et S. M. lui en accorda
lettres patentes au mois de mars*.
Le baron du Tour, que le Roi avoit envoyé en Angle-
terre pour s'assurer de ce côté-là, reçut de bonnes
paroles de ce roi, et, bien qu'il donnât avis qu'il
armoit quantité de vaisseaux, il ne jugeoit néanmoins
pas que ce fût contre la France 2.
Le comte de Schonberg assuroit du côté d'Alle-
magne que l'Électeur Palatin, qui étoit celui de qui
ils avoient plus de sujet d'espérer du secours, pro-
mettoit de ne rien entreprendre contre le service du
Roi».
1. Annibal Grimaldi, baron de Bueil et gouverneur du
comté de INice, quitta le parti du duc de Savoie et obtint, en
mars 1617, du roi Louis XIII, des lettres patentés de protec-
tion qui furent ratifiées le 22 mai suivant, et 20,000 livres de
pension annuelle. Ces lettres sont imprimées dans le Mercure
françois, t. IV, année 1617, p. 100-107. Le baron de Bueil fut
fait prisonnier en 1621 par le duc de Savoie et rais à mort.
2. « Le baron du Tour mande qu'il ne peut encore découvrir
quel dessein a le roi d'Angleterre, mais qu'il fait un grand
armement, sous prétexte des Indes, qui est sans apparence. »
(Minute de lettre de Richelieu au maréchal d'Ancre, écrite
par Charpentier.) Sancy a écrit au dos de la pièce : « Février.
Baron du Tour mande que le roi d'Angleterre fait un grand
armement. Il ne sait pourquoi. » (Affaires étrangères, France 771,
fol. 278.1 La dépêche de Maupas du Tour, datée de Douvres,
le .3 février, et où il est parlé de cette flotte anglaise, est aux
Affaires étrangères, Corr. politique, Angleterre 26, fol. 115.
3. « Monsieur le comte de Schonberg... écrit qu'il n'y a pas
un homme pour eux [les Princes]. Monsieur le prince Palatin,
<[ui est celui dont ils se dcvroient prévaloir davantage, s'étant
152 MÉMOIRES [1617]
Du côté du Hollande, tout alloit comme ou pou-
voit désirer ; de sorte que le Roi n'avoit affaire qu'aux
forces que ces rebelles pourroient' lever dans son
royaume, lesquelles n'étoient pas suffisantes à faire
tête aux siennes.
Le duc de Guise partit le M" février, investit le
château de Richecourt-sur-Aisne le premier mars,
y entra par composition le 15" et le rasa. De là,
il alla a Rozoy-, qui est à trois lieues de Vervins.
Les ducs de Vendôme, de Mayenne et le marquis de
Gœuvres, s'étant mis en devoir de le^ secourir, et
venus pour cet effet avec leurs troupes jusques à
Sissonne'^, le duc de Guise et le maréchal de Thémines
vinrent au-devant d'eux et les firent retirer à Laon, et
Rozoy se rendit le 10^ mars^.
Le Roi, ce même jour, fît une déclaration par
même engagé à lui et de bouche et par écrit de ne les assister
en aucune façon au préjudice de Sa Majesté... » Ce passage
est extrait d'une copie de lettre de Richelieu au maréchal
d'Ancre (?), écrite par le « secrétaire de la main » (voyez, sur
ce personnage, Rapports et notices, fascicule IV, p. 8-12).
Charpentier a écrit au dos de la pièce : « Lettre touchant l'état
des affaires. « Sanc) a daté le document du commencement de
février et l'a résumé : « S. M. attend quati'e mille hommes
de Hollande. Schonberg assure qu'il n'y a à craindre d'Alle-
magne. Le Palatin assure qu'il ne desservira..., etc. » (Affaires
étrangères, France 771, fol. 282-283).
1. Var. : Que le Roi n'avoit affaire qu'à eux et les forces
qu'ils pourroient lever (M, H).
2. Rozoy-sur-Serre. chef-lieu de canton de l'Aisne.
3. C'est-à-dire Rozoy.
4. Sissonne, chef-lieu de canton du département de l'Aisne.
5. Les opérations du duc de Guise sont données avec plus
de détails dans le Mercure francois, p. 116 et 117.
[1617] DE RICHELIEU. 153
laquelle il réunit à son domaine et confisqua tous les
biens des rebelles ^ .
Le duc de Guise, poursuivant sa pointe, alla inves-
tir Chàteau-Porcien le 15^ mars. M. de Nevers,
qui étoit à Rethel, distant seulement de là de deux
lieues, le secourut de ce qu'il put, mais ne put empê-
cher qu'il n'entrât dans la ville le 39^ et dans le
château le 31''; et, passant outre, il prit Wasigny-
le 3^ avriP. Le 8% il assiégea Rethel, d'où M. de
1. Cette déclaration a été imprimée dans le Mercure f'rancois,
t. IV', année 1617, p. 152; il en a été parlé ci-dessus, p. 150.
Une première rédaction du manuscrit B, modifiée par Sancy,
portait : « Le Roy, offensé de cette insolence, fit une décla-
ration le 10^ mars. » Il y avait dans le manuscrit un alinéa
sur lequel a été passé un trait de plume. On l'a lu plus haut,
p. 150, assez écourté, dans la rédaction définitive; voici ce
qui a disparu : « Les Princes, voyant que les armes bas-
toient si mal pour eux, eurent recours à la plume et firent
une nouvelle déclaration et protestation du 5" mars, laquelle
ils intitulèrent contre la conjuration et tyrannie du maréchal
d'Ancre et de ses adhérents, en laquelle, parlant, sous de
belles paroles, très insolemment du Roi et de sa conduite, ils
disoient que les ennemis de l'Etat (ainsi appeloient-ils les
ministres) s'étoient empai^és de sa personne et leur ôtoient tout
libre et sûr accès auprès d'elle. »
2. Wasigny, département des Ardennes, arrondissement de
Rethel. Le manuscrit B porte Cisigny, comme le Mercure
f'rancois, t. IV, année 1617, p. 174.
3. Voyez, dans le Mercure fraurois, l. IV, année 1617,
p. 166-174, tous les détails de ces opérations. A noter aussi
une copie de lettre qui a été vue pour les Mémoires et que
Richelieu avait écrite au maréchal d'Ancre, le 14 avril 1617.
Charpentier a mis au dos du document le mot « Employé »,
qui indique bien qu'on s'est servi de la pièce pour les
Mémoires. Il en a fait à la suite une sorte de résumé (Affaires
étrangères, France 771, fol. 285).
154 MEMOIRES [1617]
Nevers, qui étoit si brave en paroles, se retira et alla
à iMézières, fuyant toujours devant les armées du Roi ;
et, voyant Rethel à la veille d'être prise par force et
pillée, envoya Marolles^ au duc de Guise, qui lui per-
mit d'entrer dans la ville et lui donna terme jusques
au lendemain midi 16® avril, dans lequel temps il la
lui fit rendre par composition-.
De là, le duc de Guise avoit commandement du Roi
d'aller mettre le siège devant Mézières, et en étoit
près quand S. M., sur l'avis qu'elle reçut que douze
cents reîtres et huit cents carabins, qui avoient été
levés en Allemagne pour les princes sur le crédit de
M. de Bouillon, étoient entrés dans la Lorraine, lui
commanda de s'aller opposer à leur entrée, et quant
et quant favoriser celle des reîtres et lansquenets que
le comte de Schonberg avoit levés pour S. M.^.
Tandis que l'armée du Roi, commandée par le duc
de Guise, étoit si heureusement employée pour son
1. Claude de Marolles (1564-1633), fils de Claude et de Fran-
çoise d'Erian, fut lieutenant-colonel des gardes suisses, puis
entra vers 1613 dans la maison de Nevers, où il fut chargé de
l'éducation du duc de Rethelois, fils aîné du duc de Nevers.
La pension de 1,200 écus que lui faisait le Roi lui fut conti-
nuée ; le duc lui en assura une égale et lui promit « qu'il auroit
sa compagnie de chevau-légers entretenue ». Louis XIII le
nomma, en 1627, maréchal de camp. Il fut marié deux fois, la
première à Agathe de Châtillon, morte en 1630, et la seconde
à Lucrèce du Hamel.
2. Ce même récit se trouve avec plus de détails dans une
lettre de Richelieu au maréchal d'Ancre, en date du 14 avril
1617 (Avenel, t. VII, p. 381), et dans le Journal d'Arnauld cVAn-
dilly, p. 277.
3. Ce paragraphe et le passage des Mémoires relatif au siège
de Rethel se trouvent dans le Mercure françois, t. IV, année
1617, p. 183-188.
[1617] DE RICHELIEU. 155
service contre le duc de Nevers en Champagne, l'autre,
qui étoit commandée par le maréchal de Montigny au
Berry et au Nivernois contre le même, ne faisoit pas
moins d'elFet. Il prit GuffyS puis Glamecy, Donzy'
et Entrains^, et en l'une de ces places prit pri-
sonnier le second fils du duc de Nevers^, fit lever le
siège de devant Saint-Pierre-le-Moutier^, et, passant
jusques à la ville de Nevers, l'assiégea et la pressa de
telle sorte que M""^ de Nevers, qui y étoit enfer-
mée, avoit commencé à capituler. Le Roi lui avoit
mandé ne lui vouloir accorder autre capitulation, sinon
qu'il lui donnoit la liberté de le venir trouver pour lui
demander pardon, auquel cas il vouloit oublier tout
le passé, se réservant à user de sa clémence envers
ceux qui avoient adhéré à son parti, selon qu'il le
jugeroit équitable, et que la moindre énormité de leur
crime le permettroit.
Le comte d'Auvergne, qui commandoit l'armée du
1. Bourg du département de la Nièvre, situé à deux lieues à
l'ouest de Nevers. Le ms. B porte Coeffy.
2. Chef-lieu de canton du département de la Nièvre.
3. Bourg du département de la Nièvre, entre Cosne et Cla-
mecy.
4. C'est-à-dii'e Charles de Gonzague (1609-1631), prince de
Château-Porcien, puis duc de Rethelois après la mort de son
frère aîné François, le 13 octobre 1622, marié le 24 décembre
1627 à sa cousine Marie de Gonzague-Mantoue. Il fut pris dans
Clamecy. Voyez le Journal d'Arnauld d'Andiily, p. 270. Ce
début de paragraphe se retrouve dans le Mercure françois,
t. IV, année 1617, p. 165 et 166.
5. Chef-lieu de canton du département de la Nièvre. — On
trouve CCS détails et d'autres dans une copie de lettre de Riche-
lieu au maréchal d'Ancre (?;, écrite par le « secrétaire de la
main » et analysée sommairement par Sancy (Affaires étran-
gères, France 771, fol. 289 et 290).
156 MÉMOIRES [1617]
Roi en l'Ile-de-Fiance, avoit aussi réduit, de sa part,
à l'extrémité le duc de Mayenne et ceux qui lui adhé-
roient. Il assembla ladite armée aux environs de Grépy-
en-Valois, assiégea Pierrefonds le 24® mars et le prit
le 2® avril 1.
De là, il s'avança pour assiéger Soissons, s' atta-
quant à celle-là la première comme celle qui incom-
modoit plus Paris, jusques aux portes de laquelle iF
faisoit des courses, et comme la plus forte, et, laquelle
prise, Noyon, Goucy et Ghauny, qui étoient les trois
villes de son gouvernement qu'il tenoit encore au delà
de la rivière d'Aisne, n'eussent pas été non seulement
suffisantes de se défendre, mais d'attendre les troupes
de S. M.
Le duc de Mayenne s'enferma dans ladite place avec
douze cents hommes de pied et trois cents chevaux.
Elle fut investie le 1 2% saluée du canon le 1 3® et si
bien assaillie que, quelque défense que le duc de
Mayenne y pût faire, il n'avoit plus d'espérance que de
mourir plutôt que de se rendre^.
Les affaires étant en cet état, le parti des princes
étant si bas de tous côtés qu'il n'avoit plus moyen de
subsister, elles changèrent toutes en un instant par la
mort du maréchal d'Ancre, qui fut tué par le comman-
dement du Roi le 24* avril.
Il y avoit longtemps que ledit maréchal lui-même
ourdissoit sa ruine et se faisoit plus de mal que ses
ennemis, s'il ne leur eût donné les armes, ne lui en
eussent pu faire.
1. Voyez le Mercure [rançois, t. IV, p. 164 et 165.
2. C'est-à-dire le duc de Mayenne.
3. Mercure franrois, p. 188 et 189.
[1617] DE RICHELIEU. 157
Il étoit si vain que, ne se contentant pas de la faveur
et du pouvoir de faire ses affaires, il affectoit d'être
maître de l'esprit de la Reine et son principal conseil-
ler en toutes ses actions, dont le roi Henri-le-Grand
conçut quelque mauvaise volonté contre lui et eut
dessein de le renvoyer en Italie. Mais ce fut bien pis
après sa mort ; car, comme l'autorité de la Reine aug-
menta, son insolence crut à même mesure, et il voulut
que tout le monde eut opinion que le gouvernement
universel du royaume dépendoit de sa volonté ^
La Reine, qui reconnoissoit ce manquement et qui
néanmoins ne le voulut pas abandonner, soit pour la
réputation de fermeté en ses affections envers ses ser-
viteurs, soit pour la considération de sa femme qui
avoit été nourrie avec elle en sa jeunesse, l'en repre-
noit souvent et de paroles et de visage, le rabrouant et
lui faisant mauvaise chère devant un chacun quand
il lui faisoit quelque demande qu'elle ne croyoit pas
être du bien de l'État. Il est vrai qu'il s'y prenoit de si
mauvaise grâce et avec si peu d'adresse que- les pre-
mières pensées qui lui venoient en l'esprit il les pro-
posoit à la Reine sans les avoir auparavant digérées.
Il en faisoit tout de même aux demandes qu'il avoit
à lui faire pour ses amis, sans préparer son esprit par
les moyens ordinaires et connus à ceux qui ont quelque
prudence.
1. Le maréchal d'Estrées donne un portrait bien plus bien-
veillant de Concini. Voyez ses Mémoires, éd. Michaud et Pou-
joulat, p. 418.
2. Les mots avec si peu d'adresse que ont été substitués de
la main de Charpentier sur le manuscrit B aux mots : sans
adresse.
158 MÉMOIRES [1617]
Mais, quand il eût fiait autrement, comme il arrivoit
lorsque sa femme, qui étoit plus adroite que lui, étoit de
la partie, l'esprit de la Reine néanmoins ne pouvoit
jamais être si préoccupé de leurs conseils qu'elle ne fût
toujours prête de recevoir et suivre les avis de ceux
qu'elle avoit choisis pour l'assister dans l'administra-
tion des affaires.
Le commandeur de Sillery m'a confessé qu'il avoit
reçu plusieurs commandements d'elle d'avertir les
grands de la Cour qu'ils n ajoutassent point de foi à
ce que leur diroit ledit maréchal sur les affaires
publiques, mais aux ministres, par qui elle leur feroit
savoir ses volontés; mais que M. de Villeroy l'empê-
choit*, par jalousie qu'il avoit de lui et de son frère-,
aimant mieux partager la puissance avec un étranger
que de la laisser entière à ses proches.
La créance qu'il vouloit donner de son pouvoir ne
nuisoit pas peu à sa fortune; elle lui engendroit l'en-
vie et la haine de tous les grands, qui le regardoient
comme tenant le lieu qui leur étoit dû par leur nais-
sance. S'il leur départoit quelques grâces et faveurs,
elles lui étoient inutiles, à cause qu'ils estimoient ce
tort qu'il leur faisoit beaucoup plus grand que le plai-
sir qu'ils recevoient de lui; et, outre que l'offense
descend bien plus avant dans le cœur que n'y fait pas
d'impression le bienfait, l'homme est naturellement
plus enclin à vouloir rendre l'échange de l'injure que
de la grâce, d'autant que par l'un il satisfait seulement
à autrui et par l'autre il se satisfait à soi-même^. S'il
1. Dans le manuscrit H, la fin de la phrase a été rayée et
remplacée parles mots : mais que M. de Villeroy l'en empêcha.
2. Le chancelier de Sillery.
3. Ce débutd'alinéaaétécorrigépar Sancy surle manuscrit B.
[1617] DE RICHELIEU. 159
faisoit quelque chose pour des personnes de moindre
étoffe, elles pensoient qu'il étoit en lui de rendre leur
condition beaucoup meilleure qu'il n'avoit fait, et par-
tant lui en savoient peu de gré; et généralement tous
ceux qui n'obtenoient pas ce qu'ils désiroient, qui
sont toujours en plus grand nombre dans les cours ^ ,
rejetoient sur lui la cause du refus qui étoit fait à leurs
désirs, et le haïssoient.
Mignieux^ l'avoit prié de faire donner des bénéfices
à ses enfants; il y fit tout ce qu'il put, mais ceux
qu'il demandoit, ou étoient donnés, ou destinés à
d'autres, et ainsi Mignieux mourut en créance qu'il
n'avoit rien fait pour lui. Il sollicita pour le marquis
d'AnevaP, plusieurs années, la charge de premier
écuyer de Monsieur; ledit marquis s'en tenoit assuré
à cause du pouvoir dudit maréchal; néanmoins, il ne la
put jamais obtenir, et la Reine la donna à Lauzières^;
ce qu'ayant su, il témoigna un extrême regret, disant
à ses famihers que la Reine l'avoit ruiné et que d'Ane-
val croiroit qu'il l'auroit trompé. Autant lui en pensa-
t-il arriver pour la charge de premier maître d'hôtel
de la Reine régnante, laquelle il avoit poursuivie avec
1. Cette incidente a été ajoutée en interligne sur le manus-
crit B par Sancy.
2. Sans doute Charles des Essarts, seigneur de Meigneux,
gouverneur de Montreuil, gentilhomme ordinaire de la chambre
du Roi et lieutenant de la compagnie des gendarmes de la
Reine; il mourut à Montreuil en 1617.
3. Peut-être faut-il lire ici cV Esneval. Ce serait dans ce cas
Charles de Prunelé, baron d'Esneval, vidame de Normandie,
gentilhomme ordinaire du Roi et capitaine de cinquante
hommes d'armes, ambassadeur en Ecosse en 1585, niorl en
1624, et qui était gendre du secrétaire d'État Pinart.
4. Ci-dessus, p. 69.
460 MÉMOIRES [1617]
grande instance pour le sieur d'Uocquincourt^ ; et,
lorsque l'on alla au voyage pour le mariage-, il en
envoya supplier la Reine par Barbin, auquel elle
répondit qu'elle ne le pouvoit faire pour ce que le
duc d'Épernon, qui lui étoit si nécessaire pour la
sûreté du Roi en ce voyage, la lui demandoit pour le
marquis de Rouillac^; enfin, néanmoins, Barbin con-
tinua tant à l'importuner durant le voyage qu'elle l'ac-
corda avec beaucoup de colère. Outre que bien sou-
vent sa femme l'empêchoit d'obtenir ce qu'il demandoit,
pour rabattre, disoit-elle, l'orgueil qu'il avoit trop
grand et lui donner un frein pour le retenir et l'em-
pêcher de la mépriser, mais il ne vouloit pas faire
reconnoître qu'il dépendit d'autrui en la puissance
qu'il avoit.
Au lieu que les sages, pour éviter l'envie, se con-
tentent d'un pouvoii^ modéré ou le cachent s'il est
extrême, il vouloit pouvoir tout et faire croire qu'il
pouvoit ce qu'il n'eût pu vouloir sans crime ni l'es-
pérer sans punition. Il étoit homme de bon esprit,
mais violent en ses entreprises, qui prétendoit à toutes
ses fins sans moyens et passer d'une extrémité à l'autre
sans milieu.
1. Georges de Monchy, seigneur d'Hocquincourt, capitaine
de chevau-légers, devint grand prévôt de l'hôtel le 25 février
1630 et fut lieutenant général de Lorraine en 1636.
2. Il s'agit ici du voyage entrepris par la cour en août 1615
pour l'accomplissement des mariages espagnols.
3. Louis de Goth, marquis de Rouillac (1584-1662), avait
fait ses premières campagnes en Suède ; le roi de Suède
Charles IX le nomma, en 1610, général des Français au service
de la Suède. Il revint en France vers 1612 et obtint plus tard
un régiment d'infanterie et un de cavalerie. En 1643, il fut
envoyé comme ambassadeur extraordinaire en Portugal.
[16171 DE RICHELIEU. 161
Il étoit soupçonneux, léger et changeant, tant par
son humeur que sur la créance qu'il avoit que, quelque
liaison qu'on pût avoir avec un étranger, sa domina-
tion est toujours désagréable ; outre que, comme il
étoit de sa nature peu reconnoissant par l'excès de
son ambition qui lui faisoit avouer^ avec déplaisir
qu'il fût obhgé à personne, il croyoit (jue, dès qu'il
avoit obtenu quelque chose d'importance pour
quelqu'un de ses amis, ceux pour qui il l'avoit fait
désiroient sa ruine pour être dégagés de la reconnois-
sance des services qu'ils lui dévoient pour les biens
qu'ils en avoient reçus. Et l'état auquel il se trou voit,
lequel il pensoit être au-dessus de la condition de pou-
voir recevoir déplaisir de personne, faisoit qu'il
cachoit si peu ses défiances et les montroit si manifes-
tement, qu'il désobligeoit entièrement ses amis, ce qui
étoit cause de grands maux ; car, les cours étant pleines
de flatteurs, et la grandeur n'en étant jamais désac-
compagnée^, il ne manquoit point de personnes qui,
pour lui faire plaisir, lui donnoient des ombrages et
des défiances, desquelles, étant de son naturel trop
susceptible, il prenoit sujet de haïr ses amis.
Mais un autre mal bien grand naissoit de ses soup-
çons, qui consistoit en ce que, pensant n'être pas aimé,
il vouloit régner par la crainte, moyen très mauvais
pour retenir cette nation aussi ennemie de la servitude
qu'elle est portée à une honnête obéissance. Cet appui
qu'il cherchoit à sa fortune fut la cause de sa ruine,
1. Ce mot a été substitué par Sancy sur le manuscrit B au
mot reconnoître.
2. Var. : Car les cours étoient pleines de tlatteurs dont la
grandeur est toujours accompagnée (M).
II n
462 MÉMOIRES [1617]
rien ne l'ayant pei'du que ce qu'il pensoit devoir aft'er-
mir son autorité.
On peut dire qu'il n'eut jamais intention qui n'eût
pour but l'avantage de l'État et le service du Roi, aussi
bien que l'établissement de sa fortune, mais que, ses
desseins étant bons, ils étoient tous mal conduits, et
que, quoique son imprudence fût son seul crime, ceux
qui n'avoient pas connoissance de ses intentions avoient
lieu de redouter son pouvoir.
Il n'y a point de prince qui prenne plaisir de voir
dans son État une grande puissance qu'il pense n'avoir
pas élevée et qu'il croit être indépendante de la sienne ;
beaucoup moins s'il est jeune, c'est-à-dire en âge où
la foiblesse et le peu d'expérience que l'on a des
affaires rendent les moindres établissements suspects.
A la vérité, il eût été à désirer que ce personnage
eût modéré davantage ses désirs, non tant par son
intérêt que pour le bien de sa maîtresse ; car on peut
dire que, s'il eût été moins ambitieux, elle eût été plus
heureuse.
Mais Dieu a voulu que celle qui n'avoit aucune part
dans sa faute l'eût très grande dans sa disgrâce, pour
nous apprendre que la vertu a ses peines, comme le
soleil ses éclipses. Si elle eût été moins affligée, elle
n'eût pas été si glorieuse ; car, comme il y a des ver-
tus qui ne se remarquent que dans les grands emplois,
aussi y en a-t-il qui ne s'exercent que dans la misère.
Or, bien que cet homme désirât donner à un chacun
grande opinion de sa faveur, si est-ce que sa fin prin-
cipale étoit d'étonner les ministres par les apparences
de son crédit, pour disposer absolument de leurs
volontés et faire qu'ils déférassent plus à ses désirs
[1617] DE RICHELIEU. 163
qu'aux commandements de la Reine leur maîtresse.
Mais on peut dire qu'en ces épines ils marchèrent à
pas de plomb, qu'ils cheminèrent par la voie de leur
conscience, mais avec le plus grand tempérament
qu'ils purent pour empêcher la connoissance et l'éclat
de ses désordres. S'ils crurent quelquefois sa puis-
sance être telle qu'il y avoit plus à perdre qu'à gagner
à faire des actions hardies, ils ne la conçurent jamais
assez grande pour les contraindre à en faire de lâches
et contraires à leur devoir.
Un jour, M. de Villeroy, qui avoit plus part dans
son alliance, par le mariage que l'on projetoit de son
petit-fils avec sa fille, que dans son affection, ayant
obtenu de la Reine, qui n'a jamais refusé de grâces si
elles n'ont été préjudiciables à l'État, une gratifica-
tion importante, le maréchal d'Ancre vint trouver le
secrétaire de ses commandements pour le prier de
deux choses : de n'en point délivrer d'expédition et
de rejeter sur la Reine la haine du refus.
J'exerçois lors cette charge et le priai de m'excuser
si je ne pouvois satisfaire à son désir, vu que la Reine
ne pouvoit avec honneur révoquer une grâce qu'elle
avoit accordée, ni lui en sa conscience donner à sa
maîtresse le blâme d'une faute qu'elle n'avoit point
commise.
Le maréchal ne se voulant point contenter de ces
raisons, je ne laissai point, contre les ordres qu'il
m' avoit prescrits, d'en délivrer les brevets, aimant
mieux perdre ses bonnes grâces sans honte que les
conserver avec foiblesse au préjudice de la Reine.
Cette action de courage me rendit tellement son ennemi
qu'il ne pensa plus qu'aux moyens de s'en venger. Il
164 MÉMOIRES [1617J
est fâcheux à un homme de cœur d'avoir à répondre
à des personnes qui veulent des flatteurs et non pas
des amis, qu'on ne peut bien servir sans les tromper
et qui aiment mieux les choses agréables qu'utiles;
mais, si ce mal est extrême, il ne laisse point d'être
ordinaire sous le règne des favoris. Il n'y en a point à
(jui la tête ne tourne en montant si haut, qui d'un ser-
viteur ne veuille faire un esclave, d'un conseiller d'État
un ministre de leur passion, et qui n'entreprenne de
disposer aussi bien de l'honneur que des cœurs de
ceux que la fortune leur a soumis.
Or, comme la vengeance se fait des armes de tout
ce qui se présente à elle, il tâcha de persuader à la
Reine que j'étois partial de la Reine sa fille, ma pre-
mière maîtresse S que j'étois en secrète intelligence
avec les princes, que je lui avois dit une fois, sur le
sujet de la rébellion des grands qui s'étoient unis à
Monsieur le Prince, que, le Roi ayant témoigné qu'il
étoit maître en réduisant à l'extrémité ceux qui d'eux-
mêmes ne s'étoient pas rangés à leur devoir, il étoit à
propos qu'il témoignât qu'il étoit père, recevant à
miséricorde ceux qui avoient failli.
Au milieu de ces mauvais offices, il ne laissa pas de
se vouloir servir de Rarbin et de moi pour demander
en sa faveur le gouvernement de Soissons, si proche
de sa perte qu'il l'estimoit déjà pris. Ces Messieurs ^
ayant fait pour son bien quelque difficulté, de crainte
qu'on lui reprochât qu'il eût porté la Reine à conseil-
1. La jeune reine Anne d'Autriche, dont Richelieu avait com-
mencé par être premier aumônier.
2. C'est-à-dire Barbin et Richelieu; on remarquera ce chan
gement de style.
[1617] DE RICHELIEX-. 165
1er le Roi de prendre les armes contre ses sujets pour
l'enrichir de leurs dépouilles, pour leur ôter le moyen
de prévenir LL. MM., il en parla précipitamment à la
Reine, qui, jugeant sa demande indiscrète, l'en refusa
de son propre mouvement et lui parla en leur pré-
sence avec tant d'autorité et de sentiment du dérè-
glement de ses désirs, qu'il ne put cacher, dans son
visage et par ses paroles, qu'il n'en fût extrêmement
touché. Mais, pour ne point celer la cause de son
déplaisir, il ne se piqua pas tant de l'action que des
circonstances; le refus ne l'offensa pas tant que les
témoins.
Il lui fàchoit qu'on s'aperçût qu'il eût plus de répu-
tation que de force, qu'il subsistoit plutôt par son
audace que par une véritable confiance. Pour preuve
de quoi, la Reine s'étant retirée en colère dans son
cabinet, il fit mine de la suivre; et, ressortant inconti-
nent, bien qu'il n'eût point parlé de cette affaire, les
assura qu'il avoit obtenu la gratification qu'il désiroit ;
ce qu'ils jugèrent plus mystérieux que véritable et le
reconnurent clairement l'après-dînée, la Reine nous
témoignant une extrême indignation de ses insolentes
procédures, et que, pour rien du monde, elle ne lui
accorderoit ce qu'il demandoit. Mais, au lieu d'en pro-
fiter, il s'atfermit de plus en plus dans le dessein de
changer les ministres.
L'unique péché qu'ils avoient commis étoit qu'ils
avoient la réputation de bien servir le Roi, dont
quelques flatteurs prirent occasion de lui dire qu'on
ne parloit plus de lui par la France, mais qu'ils avoient
l'honneur de tout^ ce qui étoit le prendre par son
1. Les mots mais qu Us avoient l'honneur de tout ont été
I6fi MÉMOIRES [1617]
foible ; car, comme en l'adversité il étoit découragé et
protestoit ne se vouloir plus mêler d'affaires, quand
les choses alloient mieux, il les vouloit faire seul ; joint
qu'il se fàchoit de n'en pouvoir disposer à sa volonté,
laquelle ils ne prenoient pas pour leur règle au-dessus
de la raison.
Sa femme étoit si malade d'esprit qu'elle se détioit
de tous, de sorte qu'elle aidoit au dessein qu'il a voit
de les changer et de mettre en leur place Ruccellaï'', de
Mesmes et Barentin ' .
J'en eus le premier avis par le moyen d'un homme
d'Église qui étoit à moi, auquel l'abbé de Marmoutier^
dit confîdemment le dessein qu'on a voit contre Barbin ;
et, par autre voie, je sus que M. Mangot étoit de la
partie et moi aussi. Je dis à Barbin qu'à la longue le
maréchal le gagneroit sur l'esprit de LL. MM. par ses
continuels artifices, et que mon avis étoit que nous
le devions prévenir et nous retirer volontairement des
affaires. Nous allâmes ensemble trouver la Reine à
cette fin; je lui parlai et lui représentai que, les affaires
du Roi étant en tel état que tous les princes qui
substitués par Sancy sui' le manuscrit B aux mots : et quon ne
parlait que d'eux.
1. Louis Ruccellaï, fils d'Annibal Ruccellaï. gentilhomme
florentin établi en France, eut en 1602, après son père, l'ab-
baye de Signy en Champagne; il se mêla à toutes sortes d'in-
trigues sous la minorité de Louis XIII et mourut en 1622.
2. Charles Barentin, seigneur de Villeneuve-en-Brie, conseil-
ler à la Cour des aides en 1592, reçu maître des requêtes le
28 juin 1605, intendant en Normandie et en Dauphiné, conseil-
ler d'État en 1620.
3. Sébastien Dori Galigaï, frère de la maréchale d'Ancre :
tome 1, p. 258.
[1617] DE RICHELIEU. 167
avoient pris les armes contre lui tendoient les bras et
imploroient sa miséricorde, nous ne pouvions être
blâmés de lâcheté de demander notre congé dans cette
prospérité, qui étoit chose que nous avions déjà
désiré faire, il y a quelque temps, mais que nous ne
l'avions pas jugé convenable pendant que l'État étoit
en quelque péril.
La Reine se trouva surprise et demanda quel
mécontentement nous avions d'elle. Barbin lui répon-
dit que le maréchal et la maréchale n'étoient pas con-
tents de nous, dont elle se fâcha, disant qu'elle ne se
gouvernoit pas par leur fantaisie. Je repris la parole
et fis de nouvelles instances, auxquelles elle ne se ren-
dit pas néanmoins et continua à nous assurer du con-
tentement qu'elle recevoit du service que nous rendions
au Roi.
Le maréchal fut averti par sa femme de ce qui
s' étoit passé et vint incontinent à Paris trouver la
Reine, qui le gourmanda, de sorte qu'au sortir de là
il alla prendre Barbin chez lui et l'amena en mon
logis, où, adressant la parole à Barbin, il se plaignit
de ce que, demandant notre congé, nous faisions
paroitre qu'il étoit incompatible et ne pouvoit durer
avec personne. Après que je lui eus déduit les raisons
que nous avions eues de faire ce que nous avions fait,
il ne nous sut répondre autre chose, sinon qu'il étoit
de nos amis et qu'il nous prioit de dire à la Reine
que nous ne pensions plus à nous retirer.
Mais il continuoit toujours en sa mauvaise volonté
et inventoit plusieurs calomnies, qu'il essayoit de
rendre les plus vraisemblables qu'il pouvoit à la Reine
pour décevoir son esprit; jusques-là (|u'il la voulut
168 MÉMOIRES [1617]
persuader que M. Mangot, Barbin et moi la trahissions
et avions envie de la faire empoisonner, s'offrant de
lui donner des témoins qui le soutiendroient en notre
présence. Ces méchancetés noires qu'il avoit dans le
cœur le rendoient inquiet, de sorte qu'il paroissoit
bien qu'il avoit quelque chose dont il avoit grand
désir de venir à bout, et en laquelle il rencontroit dif-
ficulté; il ne faisoit qu'aller et venir de lieu à autre,
étoit toujours en voyage de Caen à Paris et de Paris
à Caen, ce qui avança sa mort, comme nous verrons
bientôt.
La dernière fois qu'il revint de Caen, ce fut sur une
lettre que la Reine lui avoit écrite, par laquelle elle
lui défendoit de poursuivre davantage M. de Àlontba-
zon, dont il tenoit une terre en criée pour le paiement
de quelques armes qu'il lui avoit laissées dans la cita-
delle d'Amiens, lesquelles il lui avoit vendues pour le
prix de cinquante mille ccus, sous la promesse dudit duc
de les faire payer par le Roi. Il vint de Caen, jetant feu
et flamme contre Barbin, qu'il croyoit être cause que la
Reine lui avoit écrit cette lettre, et en résolution d'exé-
cuter promptement ce qu'il avoit projeté contre lui,
Mangot et moi, auquel il écrivit, arrivant à Paris, en
termes si étranges, que j'ai cru en devoir ici rappor-
ter une partie. La lettre commençoit en ces mots :
« Par Dieu, Monsieur, je me plains de vous : vous
me traitez trop mal ; vous traitez la paix sans moi ;
vous avez fait que la Reine m'a écrit que, pour l'amour
d'elle, je laisse la poursuite que j'ai commencée contre
M. de Montbazon pour me faire payer de ce qu'il me
doit. Que tous les diables, la Reine et vous pensez-
[1617] DE RICHELIEU. 169
VOUS que je fasse? La rage me mange jusques aux os. »
Tout le reste de la lettre étoit du même stylet
Il nous fit néanmoins, durant le peu de temps qu'il
demeura à Paris, si bon visage devant le monde et
dissimuloit tellement, que jamais personne n'eût cru
qu'il eût été l'efroidi vers nous. Mais sa trop bonne
chère ne me trompa point ; car je fus averti qu'il avoit
quasi-persuadé l'esprit de la Reine contre nous et fus
d'avis de demander pour la dernière fois mon congé,
et, si la Reine ne me le vouloit donner, le prendre de
moi-même. Barbin me vint aussi prier de demander
congé pour lui, craignant, ce disoit-il, de n'avoir pas
assez de courage de le prendre de lui-même si la Reine
le pressoit de demeurer.
M. Mangot étoit aussi assuré qu'on lui en vouloit et
savoit bien que le bruit commun étoit qu'on destinoit
Barentin en sa place, et il le croyoit véritable, d'autant
que, l'ayant voulu envoyer en commission, la maré-
chale l'avoit prié de le laisser à Paris parce qu'on y
avoit affaire de lui ; mais la considération de ses enfants
et de sa famille l'empêcha de prendre la même réso-
lution et le fit résoudre d'attendie ce que le temps
apporteroit.
J'allai au Louvre; je parlai à la Reine, lui fis instance
de permettre à Barbin et à moi de nous retirer. La
Reine me répondit qu'il étoit vrai qu'elle avoit quelque
chose en l'esprit qu'on lui avoit dite contre nous,
qu'elle me promettoit et juroit de me le dire dans
1. Arnauld d'Andilly [Journal, p. 292) rapporte également
une partie de cette lettre en employant à peu près les mêmes
expressions.
170 MÉMOIRES [1617]
huit jours et me prioit que nous eussions patienee
jusque-là. Gela m'arrêta et m'empêcha d'aller parler
au Roi que ces huit jours ne fussent expirés, avant
lesquels le maréchal fut tué.
En cette poursuite si envenimée du maréchal contre
les ministres et aux moyens si injustes qu'il y
employoit se voit la malignité de son esprit, de
laquelle il semble que la principale origine soit son
ambition, à laquelle il n'avoit jamais pu prescrire de
termes. Et la Reine, ou lasse de ses actions qu'elle ne
pouvoit plus défendre, ou craignant qu'il lui mésa-
vînt, lui faisant instance de s'en aller en Italie, comme
déjà sa femme étoit résolue d'y aller, il n'y put jamais
condescendre, disant à cjuelqu'un des siens qu'il vou-
loit expérimenter jusques où la fortune d'un homme
pouvoit aller. Il avoit quitté le gouvernement d'Amiens
à la réquisition de tout le royaume; il voyoit que les
manifestes des princes et les plaintes du peuple étoient
toutes fondées sur lui ; et, néanmoins, quelques-uns de
la citadelle lui ayant, un mois avant sa mort, donné
espérance qu'ils s'en pourroient saisir et la lui remettre
entre ses mains, il en fit incontinent le dessein et en
parla à Barbin, lequel lui remontra que cette action
seroit la ruine entière des affaires du Roi et de la
réputation de la Reine; que cela seroit justifier les
armes des princes et imprimer dans l'esprit des peuples
tout ce qu'ils vouloient, et même dans l'esprit du Roi.
Mais, au heu de prendre ses raisons en bonne part, il
les reçut comme un témoignage de la mauvaise volonté
de Barbin en son endroit et continua à se vouloir pré-
cipiter en ce dessein; dont la Reine étant avertie pai^
[1617] DE RICHELIEU. 171
Barbin, elle envoya quérir le duc de Montbazon et lui
commanda d'aller veiller à la garde de sa place, sur
laquelle elle avoit avis qu'il y avoit des entreprises. Ce
seul moyen fut suffisant de l'arrêter, pour ce qu'il
opposa l'impossibilité à son désir.
Le maréchal, étant tel en son humeur et en sa con-
duite, donna de grands sujets de prise contre lui.
Luynes, qui étoit auprès du Roi et qui étoit ennemi,
non de sa personne, de laquelle il avoit reçu assis-
tance, mais de sa fortune, lui portoit une haine d'en-
vie, qui est la plus mahgne et la plus cruelle de
toutes, et observoit toutes ses actions pour les tourner
en crimes auprès du Roi, n'en oublia aucune qu'il ne
lui lit paroitre noire, procéder d'un mauvais principe
et tendre à une mauvaise fin . Il lui représente qu'il fait
le roi, a un pouvoir absolu dans le royaume, se for-
tifie contre l'autorité de S. M. et ne veut ruiner les
princes que pour recueillir en lui seul toute la puis-
sance qu'ils avoient et disposer de sa couronne à sa
discrétion lorsqu'il n'y aura plus de personnes assez
hardies pour contrevenir à ses volontés; qu'il possède
l'esprit de la Reine sa mère, qu'il incline son cœur vers
Monsieur, son frère, plus que vers lui; qu'il consulte sur
sa vie les astrologues et les devins ; que le Conseil est
tout à sa dévotion et n'a autre but que son avance-
ment; que, quand on demande de l'argent pour les
menus plaisirs du Roi, il ne s'en trouve point. Il
aposte un des siens qui feignit avoir demandé deux
mille écus pour meubler une maison que le Roi avoit
achetée sous le nom de du Buisson, et qu'il en avoit
été honteusement refusé. Il n'eut même point de honte
172 MÉMOIRES [1617]
de supposer par le ministère de Déageant^ des lettres
de Barbin pleines de desseins contre sa personne
sacrée, et enfin ajouta qu'il étoit venu en diligence de
Normandie, et que ce retour précipité n'étoit pas sans
dessein périlleux contre S. M. et préjudiciable à son
État, et fait entretenir le Roi de ces choses, les nuits
entières, par Tronson^ et Marcillac^.
En même temps qu^'il donnoit au Roi de mauvaises
impressions contre le maréchal d'Ancre, il faisoit le
1. Guichard Déageant de Saint-Marcellin était venu à la cour
sous le règne de Henri IV, qui l'employait à ses finances par-
ticulières. En 1610. il acheta une charge de secrétaire du Roi,
puis fut clerc de Barbin. Ce lut Arnauld d'Andilly qui le fît
connaître au dur de Luynes. Il contribua à la chute du maré-
chal d'Ancre. Pour avoir trempé dans les affaires de Gaston
et du colonel d'Ornano, il fut disgracié et emprisonné à la
Bastille de 1624 à 1629. Mis alors en liberté, il fut éloigné
de Paris et nommé président de la Ghambi^e des comptes de
Grenoble. Il mourut dans cette charge en 1639. Il a laissé des
Métiioires, édités en 1668, puis en 1756 ivoyez Avenel, t. VII,
p. 383); on a prétendu, mais sans preuves évidentes, que cer-
tains passages de ses Mémoires avaient dû être rédigés par les
rédacteurs de ceux de Richelieu. Peut-être ont-ils été écrits,
comme ceux du maréchal d'Estrées, à la demande du Cardinal,
qui les a utilisés pour les siens propres.
2. Louis ïronson, sieur du Coudray, secrétaire du cabinet
du Roi, devint par la suite intendant des finances et conseiller
d'Etat; disgracié en 1626, il mourut dans la retraite en 1643 :
voyez Annuaire-Bulletin de la Société de l histoire de France,
année 1873, p. 182 et suivantes.
3. Bertrand de Crugy, seigneur de Marcillac (tome 1, p. 333i,
fut disgracié en 1626 comme Tronson et enfermé au château
d'Ancenis.
4. Les quelques mots qui pi'écèdent, depuis « et fait entre-
tenir le Roi )i, ont été ajoutés en interligne par Sancy sur le
manuscrit B.
[1617] DE RICHELIEU. 173
même contre la Reine, donnant jalousie au Roi du pou-
voir absolu qu'elle auroit lorsqu'elle seroit venue à
bout des grands du royaume, qui étoient réduits
jusques à l'extrémité. Et, comme si ce n'eût pas été
assez pour ce perfide d'arriver au souverain gouverne-
ment, il entreprit de s'y faire chemin et de s'y élever
par ses propres ruines, sans entrer en considération
qu'elle avoit jeté les premiers fondements de sa for-
tune, avoit depuis comblé de biens ses frères et lui,
et qu'à peine avoient-ils les mains vides de la chai^ge
de grand fauconnier* qu'elle leur avoit donnée-.
Ceux qui ont le moins de mérite ont d'ordinaire le
plus d'ambition, et, pour ce qu'ils n'ont aucune part
en la vertu, pour en avoir les apparences, ils veulent
usurper entièrement la récompense qui lui est due et
ne peuvent souffrir les puissances établies ou exer-
cées par ses règles. Or, comme ceux qui ont écrit de
l'art de bien tromper nous apprennent que, pour y
bien réussir, il faut donner quelquefois de véritables
et salutaires avis, cet infidèle ne manqua point d'ap-
porter cette industrie à la conduite de son fatal dessein.
Pour prendre ses sûretés, il lui^ avoue souvent,
durant qu'il taisoit ces trames, que force gens por-
toient le Roi à secouer le joug de son obéissance,
mais qu'il se falloit rire de leurs entreprises, parce
1. Luj'nes avait été pourvu de la charge de grand fauconnier
en 1616, à la mort d'André de Vivonne, sieur de la Châtaigne-
raie; il la garda jusqu'à sa mort.
2. Le manuscrit B portait encore ce membre de phrase qui a
été rayé : « Qu'elle avoit garanti le Roi de mille périls, non-
serve la tranquillité publique par ses veilles. »
3. C'est-à-dire : à la Reine.
m MÉMOIRES [1617J
que son maître avoit trop de confiance en lui pour lui
en cacher les auteurs et qu'elle l'avoit trop obligé pour
n'en point empêcher l'effet. Il lui découvrit que
M. de Lesdiguières avoit écrit et offert au Roi des forces
pour le mettre hors de tutelle, pour le tirer de ses
mains, c'est-à-dire pour renverser les lois de la piété
naturelle et chrétienne. Sur les bruits qui couroient
que le Roi n'étoit point satisfait d'elle, il la vint trou-
ver avec Tronson et Marcillac pour l'assurer du con-
traire et lui protester qu'il ne se passeroit rien auprès
de lui dont elle ne fût ponctuellement informée ; qu'il
lui amenoit Tronson et Marcillac, ses intimes amis,
pour être cautions de sa fidélité et lui faire reproche
devant Dieu et le monde s'il manquoit à ses pro-
messes.
Elle eut en ces témoins la croyance que leurs actions
passées pouvoient mériter. L'un d'eux avoit vendu son
maître et l'autre déshonoré sa maison pour s'enrichir ;
l'un portoit sur ses épaules des marques de sa trahi-
son*, et l'autre en la prostitution de ses sœurs des
preuves de son infamie.
Enfin, ce choix de deux cautions si mauvaises ayant
fait connoitre qu'elle étoit trompée, elle se résolut de
prévenir le mal par une retraite volontaire, de laisser
à d'autres la gloire du gouvernement.
N'ayant pu, quelque temps auparavant, venir à bout
du traité de la Mirandole, comme nous avons dit
ci-dessus^, elle voulut essayer d'avoir du pape Paul V
1. Allusion aux coups de bâton donnés par le marquis de
Rochefort à Marcillac pour avoir médit de Monsieur le Prince
(voyez tome I, p. 333).
2. Ci-dessus, p. 27.
[1617] DE RICHELIEU. 175
l'usufruit du duché de Ferrare sa vie durant; mais sa
chute arriva avant que sa négociation fût achevée ; car
l'ardeur avec laquelle le maréchal d'Ancre se portoit
à ruiner les ministres fut cause de hâter sa mort et
peut-être donna la résolution à Luynes de l'entre-
prendre.
Encore que nous ' sussions que cette inquiétude qu'il
avoit étoit pour notre sujet et pour nous malfaire, nous
usions néanmoins de telle discrétion et secret, qu'étant
résolus de nous retirer, jamais personne n'en sut rien.
D'où il arriva que Luynes, qui étoit de son naturel
fort timide et soupçonneux, qui sont deux conditions
d'esprit qui s'accompagnent l'une l'autre, fut aisé à
persuader que c'étoit à lui à qui le maréchal en vou-
loit ; et tous ceux qui espéroient profiter dans ce chan-
gement poussoient à la roue et augmentoient ses soup-
çons et ses craintes.
Il chercha premièrement toutes sortes de moyens
pour s'assurer contre cet orage. Il fit proposer au
maréchal qu'il lui donnât en mariage une de ses
nièces- qu'il avoit à Florence ; mais sa femme ^, qui étoit
bien aise qu'il n'eût pas cet appui auprès du Roi afin
qu'il dépendit toujours d'elle, n'y voulut jamais con-
sentir; et lui, qui savoit bien que c'étoit perdre temps
de l'entreprendre contre son gré et qui ne vouloit
1. C'est-à-dire Barbin et Richelieu.
2. Le frère aîné du maréchal, Barthélémy (ci-après, p. 192)
eut cinq filles, selon Litta : Camille, qui épousa un Buondel-
monti et mourut en 1677; Geneviève, mariée à François Orlan-
dini; Marie, morte sans alliance; Eléonore, qui épousa un
Ricasoli; enfin Hippolyte, mariée au marquis Alexandre Cap-
poni; il s'agit sans doute d'une des aînées.
3. La maréchale d'Ancre.
176 MÉMOIRES [4617]
pas paroître dépendre d'elle, témoigna ne le dési-
rer pas.
Se voyant refusé, il se tourna du côté de Barbin et
lui fit semblablement demander, par Marcilly^, une
de ses nièces en mariage pour le sieur de Brantes,
son frère ; et, sur ce qu'il répondit qu'il n'avoit lûen
pour donner à sa nièce, il lui dit qu'ils n'avoient que
faire de bien ni l'un ni l'autre, que c'étoit le Roi qui
vouloit ce mariage et qu'il leur en donneroit assez à
tous deux. Barbin le désiroit, et je le lui conseillois;
mais il s'arrêta sur ce qu'il n'en osoit parler à la Reine,
s'assurant que le maréchal et sa femme ne manque-
roient pas de se servir incontinent de ce moyen pour
faire croire à S. M. qu'il la trompoit. Se voyant, ce
lui sembloit, rebuté de tous côtés, il crut que c'étoit
par résolution prise de le chasser et fit croire au Roi
qu'on en vouloit à sa personne, que cela en étoit une
preuve manifeste, qu'à cela tendoient les pensées du
maréchal et que l'impatience d'exécuter bientôt ce
dessein lui donnoit ces inquiétudes qu'il avoit si extra-
ordinaires.
Il tire en calomnie une action de la Reine et de son
Conseil, qui avoit été faite innocemment et prudem-
ment sans aucun mauvais dessein contre le Roi, et avec
une très bonne raison pour le bien de son service. Au
commencement du remuement des princes à Soissons,
la Reine envoya toutes les forces que le Roi avoit
auprès de sa personne à l'entour de ladite ville, et,
1. Sans doute Claude Paulet, vicomte de Marcilly, seigneur de
Saint-Germain, capitaine-lieutenant des chevau-légers de la
Reine, mestre de camp de cavalerie et maréchal des camps et
armées du Roi. Il prit part, entre autres, à la campagne de 1636.
[1617] DE RICHELIEU. 177
entres autres, ses compagnies de gendarmes et de
chevau-légers ; ce qu'elle faisoit pour empêcher ceux
de Soissons de venir courir aux portes de Paris et l'in-
commoder, et pour empêcher aussi qu'ils ne pussent
recevoir secours du dehors, cependant que l'armée du
Roi s'assembleroit pour l'assiéger. Le Roi n'ayant plus
de cavalerie auprès de lui et néanmoins ne laissant
pas d'aller à la chasse proche de Paris, la Reine eut
crainte que l'on pût faire quelque entreprise sur sa
personne et arrêta sa compagnie de chevau-légers,
qui passoit aux portes de Paris pour aller à l'armée,
afin de garder la personne du Roi et la sienne, en
attendant que, l'armée étant arrivée à Soissons, on
pût renvoyer au Roi sesdites compagnies. Luynes prit
sujet sur cela de jeter une défiance en l'esprit du Roi
contre la Reine, comme si elle eût eu dessein de tenir
sa personne en sa puissance, la faisant garder par
des gens qui étoient à elle et ayant éloigné ceux qui
étoient à lui. Il ajouta que le maréchal d'Ancre avoit
dessein de s'assurer des personnes de Monsieur et dé
Monsieur le Comte.
Le Roi, dès longtemps mécontent du maréchal
d'Ancre S se résolut sur toutes ces choses de le faire
1. « Le Roi, dit Pontchartrain, recevoit du déplaisir de se
voir méprisé et comme abandonné, n'ayant personne à sa suite,
que deux ou trois gentilshommes ses domestiques, entre
lesquels étoit M. de Luynes et quelques valets suivants... Il se
voyoit entièrement éloigné et exclu de tous conseils et de toutes
affaires, et même faisoit-on courir malicieusement des bruits
qu'il en étoit incapable, qu'il avoit l'esprit trop foible et trop
peu de jugement et que sa santé n'étoit pas assez forte pour
prendre ces soins... Quelques-uns lui disoient qu'il falloit qu'il
trouvât bon que les choses allassent ainsi, et que, s'il faisoit
II 12
178 MÉMOIRES [1617]
arrêter prisonnier. Luynes, qui ne croit pas pouvoir
trouver sûreté que dans sa mort et qui croit que l'ac-
commodement entre le fils et la mère, le Roi et la
Reine, seroit facile si l'offense étoit légère, fait instance
de le faire tuer, à quoi le Roi ne voulut point consen-
tir, qu'en cas qu'il se mit en devoir de résister à ses
volontés.
Pour exécuter ce dessein, Luynes et ceux qui étoient
de son parti jetèrent les yeux sur le baron de Vitry'
pour le rendre ministre et exécuteur de leurs passions.
Pour l'y disposer, ils portèrent le Roi à lui faire des
caresses extraordinaires ; ensuite Luynes lui témoigna
que S. M. avoit une grande confiance en lui et qu'en
son particulier il vouloit le servir auprès d'elle
comme s'il étoit son frère. Par après, une autre fois,
il lui dit que le Roi avoit si bonne opinion de lui qu'il
lui avoit dit en particulier qu'il étoit capable de
grandes entreprises et qu'il s'y fieroit de sa vie.
Le baron de Vitry, sans se douter de ce à quoi on
le vouloit employer, témoignant se sentir obligé de
paroître qu'il en usât autrement, sa vie n'étoit pas assurée
parmi ceux qui avoient le pouvoir absolu dans son royaume.
Cependant, toutes choses se faisoient et délibéroient chez la
Reine-mère, en apparence le matin après son lever, en pré-
sence des princes et officiers de la couronne qui s'y trouvoient,
mais en effet le soir, quand chacun étoit retiré, avec la maré-
chale d'A.ncre, assistée des sieurs Barbin, Mangot, garde des
sceaux, et de l'évêque de Luçon, secrétaire d'Etat » (Pontchar-
ti'ain, Mémoires, éd. Michaud et Poujoulat, p. 386-387).
1. Nicolas de l'Hospital, baron, puis marquis de Vitry (1572-
1645), était alors capitaine des gardes du corps. Après l'assassi-
nat du maréchal d'Ancre, il fut nommé raai'échal de France,
puis gouverneur de Provence en 1632. Disgracié en 1637, il fut
enfermé à la Bastille et y demeura jusqu'en 1644.
[1617] DE RICHELIEU. 179
cette confiance, le pria d'assurer le Roi qu'il ne seroit
pas trompé et qu'en toutes occasions il sui\Toit aveu-
glément ses volontés. Par après, une autre fois,
Luynes lui dit qu'il avoit dit au Roi les assurances
qu'il lui avoit données de son service, ce qu'il avoit
eu si agréable qu'il lui avoit commandé de lui témoi-
gner le gré qu'il lui en savoit, et que, pour preuve de
sa confiance, il lui avoit ordonné de tirer parole et ser-
ment de lui de ne parler à qui que ce pût être au
monde d'une affaire qu'il lui vouloit découvrir, et
savoir déterminément s'il exécuteroit pas tout ce que
S. M. lui commanderoit.
Le sieur de Vitry le lui ayant promis, le sieur de
Luynes, qui appréhendoit qu'on prît soupçon si on les
voyoit souvent parler ensemble, lui donna rendez-
vous pour se trouver la nuit, avec ordre de la part
du Roi de recevoir ce qui lui seroit dit par ceux qu'il
trouveroit audit lieu comme si c'étoit de la bouche
du Roi. L'heure de l'assignation étant venue, le sieur
de Vitry fut étonné que, s'étant trouvé au lieu pres-
crit, il vît le sieur Tronson, Marcillae, dont il recon-
noissoit la réputation, Déageant^ et un jai^dinier des
Tuileries. Si jamais homme a été étonné, il a dit fran-
chement depuis que c'étoit lui, entendant l'impor-
tance de la proposition qui lui fut faite par des gens
tels que ceux-ci qu'il voyoit.
Il le fut bien encore davantage quand, par discours,
il apprit qu'ils n'étoient pas seuls qui avoient connois-
sance de ce dessein. Cependant, l'espérance de faire
une grande fortune et l'engagement auquel il étoit
1. Déageant, dans ses Mémoires (éd. 1668, p. 47-51), prétend
avoir été très au courant de ces secrètes négociations.
180 MÉMOIRES [1617]
déjà le portèrent à en entreprendre l'exécution*,
et Dieu permit qu'ainsi que l'expérience fait con-
noitre que souvent le secret et la fidélité que les lar-
rons se gardent surpasse celle que les gens de bien
ont aux meilleurs desseins, celle qui fut gardée en
cette occasion fut si entière que, bien que beaucoup
de personnes sussent ce dessein, il fut conservé
secret plus de trois semaines, en attendant une heure
propre pour son exécution, qui arriva le 24® avril, que
ledit sieur de Vitry, accompagné de quelque vingt
gentilshommes qui le suivoient négligemment en appa-
rence, aborda le maréchal d'Ancre comme il entroit
dans le Louvre et étoit encore sur le pont. Il étoit si
échauffé ou si étonné, qu'il le passoit sans l'aperce-
voir : un de ceux qui l'accompagnoient l'en ayant
averti, il^ retourne, et lui dit qu'il le faisoit prison-
nier de par le Roi; et, tout en même temps, l'autre
n'ayant eu le loisir que de lui dire : « Moi, prison-
nier! », ils lui tirèrent trois coups de pistolet, dont il
tomba tout roide mort. Un des siens voulut mettre
l'épée à la main; on lui cria que c' étoit la volonté du
Roi : il se retint. En même temps, le Roi parut à la
fenêtre et tout le Louvre retentit du cri de : « Vive le
Roi! »
Le sieur de Vitry monta en la chambre de S. M.
et lui dit qu'il ne l'avoit pu arrêter vif et avoit été
contraint de le tuer. Son corps fut traîné dans la petite
salle des portiers et de là mis dans le petit jeu de
paume du Louvre ; et, sur les neuf heures du soir,
1. Le manuscrit B portait avant la correction de Sancy : à
enlreprendre l'exécution de ce dessein proposé.
2. Cet // se l'apporte à Vitry.
[1617] DE RICHELIEU. 181
enseveli dans Saint-Germain-de-lWuxerrois, sous les
orgues.
Il avoit eu, durant sa vie, quelque aversion dudit
Vitry, et, quand il fut capitaine des gardes au lieu de
son père*, il disoit : « Per Dio, il ne me plaît point que
ce Vitry soit maître du Louvre. » Vitry aussi ne le
saluoit point et s'en vantoit ; et, comme on remarque
que les loups connoissent et craignent les lévriers qui
les doivent mordre, il appréhendoit l'audace dudit
sieur de Vitry et disoit souvent qu'il étoit capable d'un
coup hardi.
En même temps, on fit retirer du Louvre les gardes
de la Reine mère, jugeant qu'elle seroit aussi bien
gardée par ceux du Roi que par les siens et qu'il
étoit expédient qu'il n'y eût qu'une marque d'auto-
rité dans la maison royale. On lui donna des gardes
du Roi, et fit-on murer quelques-unes de ses portes
pour empêcher les diverses avenues de sa chambre'.
Il courut un bruit par la ville que le Roi avoit été
blessé dans le Louvre, et autres disoient que ç' avoit
été par le maréchal d'Ancre. Sur cette rumeur, on
ferme les boutiques, on court au Louvre et au Palais.
Liancourt^ fut envoyé par la ville dire que le Roi se
1. Louis de l'Hospital, marquis de Vitry, avait été capitaine
des gardes du corps de Henri III; Henri IV lui avait rendu
cette charge lorsqu'il se rallia à lui en 1593, et il la conserva
jusqu'à sa mort.
2. Cette phrase a été, en partie, substituée par Sancy, sur le
manuscrit B, à la phrase suivante : « On donna des gardes du
Roi à la Reine, de l'appartement de laquelle on mura quelques
portes, afin qu'il y en eût moins à garder. »
3. Charles du Plessis, seigneur de Liancourt, comte de Beau-
mont-sur-Oise, chevalier des ordres du Roi en 1588, gouver-
182 MÉMOIRES [4617]
portoit bien et que le maréchal d'Ancre étoit mort. Le
colonel d'Ornano* en alla aussi avertir la cour de Par-
lement, et, afin que ces taux bruits ne fussent portés
dans les provinces, le Roi y écrivit ce qui s'étoit
passé : que l'abus que l'on faisoit de son autorité,
qu'on avoit toute usurpée, sans lui en laisser quasi
que le nom, de sorte qu'on tenoit à crime si quel-
qu'un le voyoit en particulier et l'entretenoit de ses
affaires, l'avoit obligé de s'assurer de la personne du
maréchal d'Ancre, lequel, ayant voulu faire quelque
résistance, auroit été tué, et (jue désormais S. M.
vouloit prendre en main le gouvernement de son
État; et, partant, qu'un chacun eût à s'adresser à
lui-même es demandes et plaintes qu'ils auroient à
faire, et non à la Reine sa mère, laquelle il avoit
priée de le trouver bon ainsi.
Lorsque cet accident arriva, j'étois chez un des
recteurs de Sorbonne, où la nouvelle en fut apportée
par un de ses confrères qui venoit du Palais. J'en fus
d'autant plus surpris, que je n'avois jamais prévu que
ceux qui étoient auprès du Roi eussent assez de force
pour machiner une telle entreprise. Je quittai inconti-
nent la compagnie de ce docteur, célèbre tant pour
neur de Metz et du pays Messin, puis gouverneur de Paris,
chevalier d'honneur de la Reine mère en janvier 1620, mort le
20 octobre suivant. Sa femme, Anne de Pons, connue sous le
nom de M™^ de Guercheville, était dame d'honneur de Marie
de Médicis.
1. Jean-Baptiste d'Ornano, comte de Montlaur (1581-1626),
colonel général des Corses, lieutenant général en Normandie,
fut gouverneur de Gaston d'Orléans en 1619 et maréchal de
France en 1626; accusé de conspiration et emprisonné au châ-
teau de Vincennes, il y mourut le 2 septembre 1626.
[1617] DE RICHELIEU. 183
sa doctrine que pour sa vertu, qui n'oublia de me
dire fort à propos ce que je devois attendre d'un
homme de son érudition sur l'inconstance de la for-
tune et le peu de sûreté qu'il y a aux choses qui
semblent être plus assurées en la condition humaine.
En m'en venant, comme j'étois sur le Pont-Neuf,
je rencontrai Le TremblayS qui, après m'avoir conté
ce qu'il avoit appris au Louvre de l'accident qui étoit
arrivé, me dit que le Roi me faisoit chercher et qu'il
s'étoit même chargé de me le faire savoir s'il me ren-
controit. Comme je fus proche du Louvre, je sus que
les sieurs Mangot et Barbin étoient chez le sieur de
Bressieux-, premier écuyer de la Reine; je montai où
ils étoient, où je sus qu'ils avoient déjà appris ce que
Le Tremblay m' avoit dit et, qui plus est, qu'on par-
loit de Barbin auprès du Roi avec une grande animo-
sité, qui ne lui donnoit pas peu de crainte.
Nous mîmes en délibération s'ils viendroient au
Louvre avec moi, et tous ceux qui en venoient nous
confirmant ce qui nous avoit été dit des uns et des
autres, il fut résolu que nous n'irions au Louvre (jue
les uns après les autres, et qu'eux, demeurant encore
là pour quelque temps, je m'en irois devant pour rece-
voir les commandements du Roi. Continuant mon che-
min, je rencontrai divers visages qui, m'ayant fait
caresses deux heures auparavant, ne me reconnois-
soient plus, plusieurs aussi qui ne me firent point
1. Charles Le Clerc, seigneur du Tremblay, frère du célèbre
P. Joseph, fut capitaine de chevau-légers, puis gouverneur
de la Bastille.
2. Louis de Grolée, baron, puis en 1612 marquis de Bres-
sieux et comte de Ribiers.
184 MÉMOIRES [1617]
connoitrc de chan^^er pour le changement de la
fortune.
D'abord que j'entrai dans la galerie du Louvre, le
Roi étoit élevé sur un jeu de billard pour être mieux
vu de tout le monde. Il m'appela et me dit qu'il savoit
bien que je n'avois pas été des mauvais conseils du
maréchal d'Ancre et que je l'avois toujours aimé (il
usa de ces mots) et été pour lui aux occasions qui
s'en étoient présentées ; en considération de quoi il me
vouloit bien traiter.
Le sieur de Luynes, qui étoit auprès de lui, prit la
parole et dit au Roi qu'il savoit bien que j'avois plu-
sieurs fois pressé la Reine de me donner mon congé,
et qu'en diverses occasions j'avois eu brouillerie avec
le maréchal sur des sujets qui concernoient particu-
lièrement S. M. 11 me fit ensuite beaucoup de protes-
tations d'amitié. Je repartis à ce qu'il lui avoit plu de
me dire à la vue de tout le monde qu'assurément il ne
seroit jamais trompé en la bonne opinion qu'il avoit
de moi, qui mourrois plutôt que manquer jamais à
son service; que je confessois ingénuement avoir tou-
jours remarqué peu de prudence au maréchal d'Ancre
et beaucoup d'inconsidérations ; mais que je devois cet
hommage à la vérité de dire, en cette occasion, que
je n'avois jamais connu qu'il eût mauvaise volonté
contre la personne de S. M. ni aucun dessein qui
fût directement contre son service ; que je louois Dieu,
s'il en avoit eu, de ce qu'il n'avoit pas eu assez
de confiance en moi pour me les découvrir; qu'il
étoit vrai que j'avois plusieurs fois pressé la Reine de
me donner mon congé, mais que ce n'étoit point pour
aucun mauvais traitement que j'eusse reçu d'elle,
[1617] DE RICHELIEU. 185
dont, tout au contraire, j'avois toute occasion de me
louer, mais bien pour le peu de conduite qu'avoit le
maréchal, les soupçons perpétuels qu'il avoit de ceux
qui l'approchoient et les mauvaises impressions que je
craignois qu'il donnât de moi à la Reine. J'ajoutai que
je devois dire avec la même vérité que les sieurs
Mangot et Barbin avoient eu les mêmes sentiments
de s'en retirer, que j'en avois fait instance pour l'un
et pour l'autre, et particulièrement pour le dernier.
Après cela, je m'approchai plus près du sieur de
Luynes, le remerciai en particulier des bons offices
qu'il m' avoit rendus auprès du Roi, et l'assurai démon
affection et de mon service.
Ensuite, je lui voulus donner même assurance du
sieur Barbin, dont je lui dis tout le bien qu'il me fut
possible, conformément à la sincérité que j'avois
reconnue en ses actions. 11 me témoigna par son
visage, son geste et ses paroles avoir fort désagréable
ce que je lui disois sur ce sujet. Lors je lui dis avec
plus d'adresse qu'il me fut possible qu'il seroit loué
de tout le monde s'il ne lui faisoit point de mal, et
qu'en effet je pouvois répondre qu'il ne l'avoit point
mérité, ni pour le respect du Roi ni de son particu-
lier. A quoi il me répondit : « Au nom de Dieu, ne
vous mêlez point de parler pour lui ; le Roi le trou-
veroit très mauvais; mais allez-vous-en au lieu où
sont assemblés tous ces Messieurs du Conseil, afin
qu'on voie la différence avec laquelle le Roi traite
ceux qui vous ressemblent et les autres qui ont été
employés en même temps. » 11 ajouta ensuite : « Il
faut que quelqu'un vous y conduise, autrement on
ne vous laisseroit pas entrer; » et appela le sieur
!86 MÉMOIRES [1617]
de VignollesS qui étoit là présent, et lui dit qu'il
m'accompagnât au Conseil, et dit à ces messieurs que
le Roi m'avoit commandé d'y descendre et vouloit
que j'y eusse entrée. Je balançai en moi-même si je
devois recevoir cet honneur; mais j'estimai (ju'en
cette grande mutation les marques de la bonne grâce
du Roi me dévoient être chères, vu que, par après,
mes actions feroient bien connoître que je les recevois
par la pure estime que le Roi faisoit de moi et non
par aucune connivence que j'eusse eue avec ceux qui
avoient machiné la mort du maréchal d'Ancre.
Prenant congé du sieur de Luynes, je lui demandai,
le plus adroitement qu'il me fut possible pour ne lui
déplaire pas, s'il ne me seroit point permis de voir la
Reine et que, s'il lui plaisoit me faire accorder cette
grâce, j'en userois assurément, non pour aigrir, mais
pour adoucir son esprit. Il me répondit qu'il n'étoit
pas temps de penser à obtenir cette perinission du
Roi; que, si on l'accordoit à d'autres, il se souvien-
droit de la demande que je lui faisois.
Lors je sortis avec le sieur de Vignolles, qui n'eut
pas plus tôt fait sa commission envers ces Messieurs
qui étoient assemblés au Conseil, où étoient MM. du
Vair, Villeroy, président Jeannin, Déageant, et les
secrétaires d'État, et plusieurs autres confusément,
que le sieur de Villeroy, que j'avois servi jusques à ce
point de n'avoir point fait de difficulté, dans l'emploi
où j'avois été des affaires, de me mettre mal à son occa-
1. Bertrand de Vignolles, dit La Hire, fils de François de
Vignolles et de Marie de la Rochebeaucourt, maréchal de camp,
mort à Péronne le 5 octobre 1636.
[1617] DE RICHELIEU. 187
sion avec le maréchal d'Ancre*, eut dessein de s'op-
poser à mon entrée en ce lieu et demanda en quelle
qualité je m'y présentois. M. de Vignolles ne pouvant
répondre^ et me faisant savoir cette difficulté, je
le priai de lui dire que je m'y présentois par pure
obéissance, sans dessein de m'y conserver l'entrée
qu'il avoit plu au Roi de m'y donner, beaucoup moins
l'emploi de sa charge où j'avois été et où je l'avois
servi notablement.
Après cette réponse, ces Messieurs continuèrent à
mettre les ordres qu'ils estimoient nécessaires pour
faire savoir dans toutes les provinces^ et hors le royaume
la résolution que le Roi avoit prise; ce qui leur fut
fort aisé, vu que, pour cet effet, ils n'eurent qu'à suivre
les mémoires et les dépêches que le sieur Déageant
avoit dressés, il y avoit longtemps.
Tandis que je fus en ce lieu, je parlai toujours à
diverses personnes qui s'y rencontrèrent n'être pas
des plus empêchées, et ne m'approchai point de ces
Messieurs qui faisoient l'âme du Conseil. Après avoir
été assez en ce lieu pour dire que j'y étois entré, je
me retirai doucement. Je rencontrai dans la cour le
sieur Mangot qui montoit pour aller trouver le Roi ;
lui ayant dit succinctement ce qui s'étoit passé, je
continuai mon voyage, et lui le sien. Je n'eus pas
1. Var. : Que le sieur de Villeroy, sans avoir égard que, dans
l'emploi où j'avois été des affaires, je fus obligé de me mettre
mal à son occasion avec le maréchal d'Ancre (H).
2. Var. : Ne sachant que répondre (M, H).
3. La lettre adressée à cet effet, dès le 24 avril, à tous les
gouverneurs de provinces, a été imprimée dans le Mercure
français, t. IV, année 1617, p. 201.
188 MÉMOIRES [1617]
demeuré demi -heure dans mon logis que j'appris
qu'il avoit été arrêté dans l'antichambre du Roi, qu'on
lui avoit demandé les sceaux et que, par après, on
l'avoit renvoyé chez lui, sans user d'autre rigueur en
son endroit. J'appris ensuite que le sieur Barbin avoit
des gardes en son logis et que personne ne parloit
à lui.
Il avoit appris cette nouvelle sur les onze heures,
comme il étoit descendu de son cabinet pour aller au
Louvre au conseil des affaires. Des Portes-Baudouin*,
secrétaire du Conseil, le vint trouver là et lui dit
premièrement qu'il y avoit du bruit au Louvre, et,
voyant qu'il s'avançoit pour y aller, lui dit que c'étoit
le maréchal d'Ancre qui y avoit été tué ; puis ajouta
que c'étoit le Roi qui l'avoit fait faire, pensant par
cet avis le détourner d'y aller. Mais il lui dit que, s'il
étoit absent de Paris, il y viendroit en poste à cette
nouvelle et qu'il n'avoit point fait d'actions qui deman-
dassent les ténèbres, et, en parlant ainsi, s'avança
vers le Louvre. Mais, voyant qu'il n'y pou voit entrer
à cause que la porte étoit fermée, il entra chez le pre-
mier écuyer de la Reine, où j'ai dit que je l'avois
trouvé, et ne voulut pas retourner chez lui, quoique
ledit Des Portes l'en pressât, pour mettre ordre à ses
papiers; à quoi il répondit qu'il avoit servi le Roi de
sorte qu'il vouloit que non seulement on vît ses
papiers, mais son cœur. Quelqu'un lui vint dire alors
qu'il y avoit un carrosse à six chevaux de l'autre côté
1. Pierre Baudouin, dit Des Portes-Baudouin, secrétaire des
finances en 1595, puis du conseil d Etat le 18 juillet 1617, rem-
plaça Déageant comme intendant des finances en mai 1618 et
quitta cette place en 1627.
[1617] DE RICHELIEU. 189
de l'eau qui l'attendoit pour remmener où il voudroit;
mais il fit réponse qu'il ne vouloit aller autre part qu'au
Louvre; et, se voulant mettre en état d'y aller à son
tour, un exempt des gardes du corps vint avec des
archers et le ramena chez lui^ où il vit incontinent
entrer deux commissaires pour saisir ses papiers,
savoir est Gastille^, intendant des finances, et Aubery,
maître des requêtes et président du Grand Conseil^,
dont l'un ne sa voit point le pouvoir de l'autre. Ils
entrèrent en contestation dès la porte du logis et se
donnèrent quelques coups de poing à qui entreroit le
premier, soit d'affection qu'ils avoient à faire leur
charge ou par la vanité de leur rang. Ils trouvèrent
force lettres du maréchal d'Ancre, bien éloignées du
style qu'ils pensoient, et d'autres papiers, desquels ils
n'y a voit aucun qui servît à leur dessein, mais au con-
traire étoient tous à l'honneur dudit Barbin.
Incontinent après que le maréchal fut tué, M. de
Vitry alla à la chambre de la maréchale, qui étoit proche
de celle de la Reine, l'arrêta prisonnière et se saisit de
tout ce qu'elle avoit dans la chambre, or, argent,
1. « Le capitaine Bourgongne, exempt des gardes, vint dire à
M. Barbin qu'il avoit commandement du Roi de le mener en
son logis. Il ne s'est jamais vu plus grandes insolences que
celles dont on usa envers M. Barbin » [Journal d'Arnauld
d'Andilly, p. 293).
2. Pierre Jeannin de Castille (1581-1629), sieur de Blanc-
buisson, conseiller au Grand Conseil (1601), grand rapporteur
en la Chancellerie (1604), maître des requêtes ordinaire de
l'hôtel (1611), ambassadeur en Suisse (1611-1616), conseiller
d'État, contrôleur général et intendant des finances (1616-1622).
3. Jean Aubery, reçu maître des requêtes le 16 février 1607,
(ut fait conseiller d'État en 1621.
190 MÉMOIRES [1617]
bagues et meubles. Elle portoit sur elle les bagues de
la couronne, tant elle étoit en crainte perpétuelle qu'il
lui arrivât quelque désastre, qu'elle ne pensoit pas
être en sûreté si elle n'avoit sur soi des trésors pour
se racheter. Elle ne pou voit porter néanmoins ceux-là
sans faute; car, outre qu'elle sembloit se les vouloir
approprier, les choses de cette nature doivent tou-
jours être gardées en un lieu stable et sûr et non sur
une personne où elles couroient plusieurs sortes de
hasards.
Le maréchal de Vitry se saisit desdites bagues et
mena ladite maréchale en la même chambre où Mon-
sieur le Prince avoit été mis prisonnier. A l'instant
même, on envoya aussi au logis dudit maréchal se
saisir de ses meubles et papiers; mais, le plus de bien
qu'il avoit, fut trouvé sur sa personne, ayant sur lui
des promesses pour dix-neuf cent mille livres. Une
partie de sa maison fut pillée, et entre les autres la
chambre du fils^ dudit maréchal, que ledit sieur de
Vitry mit en la garde de quelques soldats jusques à ce
que le Roi en eût ordonné. Son père le faisoit appeler
comte de la Pêne, qui est une bonne maison d'Italie,
de laquelle il disoit être descendu. G'étoit un jeune
garçon de douze ans, bien nourri, qui promettoit
quelque chose de bon et qui méritoit une meilleure
fortune; car, quant à sa fîlle^, dont nous avons tant
parlé es années précédentes, de laquelle il espéroit
faire une grande alliance, elle étoit morte quelque
temps auparavant^. Dieu, ayant pitié de l'infirmité de
1. Henri Concini : tome I, p. 167.
2. Marie Concini : tome I, p. 206.
,3. Sancy a écrit en marge du manuscrit B : le premier jour
de janvier de la présente année.
[1617] DE RICHELIEU. 191
son sexe, la voulut soustraire aux désastres qui la
menaçoient si elle eût vécu jusques alors.
Le baron de Vitry fut fait à l'instant maréchal
de France pour récompense de l'exécution qu'il avoit
faite. Sa charge de capitaine des gardes fut donnée
au sieur du Hallier^ son frère, qui, ayant étudié pour
être homme d'église et porté l'habit de religieux dans
l'abbaye Sainte-Geneviève, en espérance de succéder
à l'abbé, qui étoit son parent-, avoit quitté cette pro-
fession à la mort de l'un de ses frères'^; et, nonobstant
que cela lui fît tort en la vie du monde, en laquelle il
entroit, néanmoins, son courage et sa vertu, aidés de
ce qu'étoit son père dans la cour, et de son frère, lui
firent acquérir la réputation de brave et sage gentil-
homme, et il fut estimé d'un chacun bien digne de la
charge importante qui lui fut confiée.
1. François de IHospital (1583-1660), comte de Rosnay, sei-
gneur du Rallier. Destiné d'abord à l'état ecclésiastique, il
avait été nommé évêque de Meaux par Henri IV. Il prit part
aux expéditions de la Rochelle et du Pas-de-Suse (1628 et
1630), servit en Lorraine (1633) et fit toutes les campagnes
qui suivirent sous le duc de \V eimar et dans l'armée du maré-
chal de Châtillon. Le 23 avril 1043, il fut fait maréchal de
France, et, en 1640, avait été nommé gouverneur de Cham-
pagne et de Brie; en 1649, il fut pourvu du gouvernement de
Paris.
2. Joseph Foulon, abbé de Sainte-Geneviève de Paris depuis
1559, avait choisi pour coadjuteur en 1604 le jeune François
de l'Hospital; mais la mort de son frère l'ayant fait quitter
l'état ecclésiastique en 1606, Foulon se fit adjoindre Benjamin
de Brichanteau. C'est ce dernier qui était parent de MM. de
Vitry par leur mère Françoise de Brichanteau de Nangis ;
Richelieu a fait confusion.
3. C'était l'aîné; envoyé à Rome en 1600, il y mourut jeune,
en novembre 1606.
192 MÉMOIRES [1617]
Persan, beau-frère de Vitry*, eut la lieutenanee-
de la Bastille et la charge de garder Monsieur le
Prince au lieu du chevalier Gonchine, frère du défunt^.
L'après-dînée de ce jour, tous les ordres et toutes
les compagnies de la ville vinrent saluer le Roi et
lui applaudirent de l'action qu'il avoit faite. Ils trou-
vèrent S. M. sur un jeu de billard, où le sieur de
Luynes l'avoit fait mettre exprès pour être vu plus
aisément de tout le monde ^. On lui dit depuis que
c'étoit comme un renouvellement de la coutume
ancienne des François, qui portoient leurs rois, à leur
avènement à la couronne, sur leurs pavois à l'entour
du camp, pour être vus et recevoir plus aisément les
acclamations de joie de toute son armée, dont on voit
même quelque exemple en l'écriture sainte à l'avène-
ment d'un des rois du peuple de Dieu. 11 fut bien
aise de se servir de cela et faire accroire qu'il l'avoit
fait à dessein. Mais le Roi, étant au bas âge qu'il étoit,
et lui n'ayant, jusques à cette dernière journée, faitautre
métier auprès de lui que de le servir en ses passe-
temps et lui siffler des linottes, il semble cju'il eût été
à propos qu'il eût choisi un autre Heu pour l'élever,
1. Henri de Vaudetar, baron de Persan, épousa, en 1607,
Louise de l'Hospital, sœur du maréchal de Vitry.
2. Le manuscrit B portait auparavant : le gouvernement. C'est
Sancy qui a fait la correction.
.3. Barthélémy Concini, dit le chevalier Conchine (6 septembre
1565-13 octobre 1629), était le frère aîné du maréchal d'Ancre;
nommé sénateur de Florence en 1615, il avait dû venir en
France peu après, mais sans amener sa femme, Alexandrine
Antinori, ni ses filles, dont il a été parlé ci-dessus, p. 175.
4. Ci-dessus, p. 184.
[1617] DE RICHELIEU. 193
principalement^ ayant volonté de suivre la piste du ma-
réchal d'Ancre ; l'insolence duquel parut bientôt après
avoir plutôt changé de sujet, passant dudit maréchal
en lui, que non pas cessé d'être, la taverne, comme
dit peu après le maréchal de Bouillon, étant toujours
demeurée la même, n'y ayant eu autre changement
que de bouchon.
On a parlé diversement de ce conseil qu'il donna
au Roi : les uns le louant comme un conseil extrême
en un mal extrême et l'estimant juste, nonobstant
qu'il soit contre les formes, à cause que toutes les lois
et les formes de la justice résidant comme en leur
source en la personne du Roi, il les peut changer et
en dispenser comme il lui plaît, selon qu'il le juge à
propos pour le bien de l'État et la sûreté de sa per-
sonne, en laquelle tout le public est contenu. Mais
cette opinion n'est guère dissemblable à celle du flat-
teur Anaxarque^, qui disoit à Alexandre qu'on pei-
gnoit la justice et l'équité aux deux côtés de Jupiter^,
pour montrer que tout ce que les rois vouloient étoit
juste, et à celle des conseillers de Perse à leur roi
barbare, auquel ils dirent qu'il n'y avoit point de lois
qui permissent un inceste qu'il vouloit commettre,
mais bien y en avoit-il une par laquelle il étoit permis
aux rois de faire ce qu'ils vouloient. Mais elle est bien
1. Le moi principalement a été ajouté sur le manuscrit B par
Charpentier.
2. Philosophe grec, disciple de Démocrite, qui accompagna
Alexandre en Asie.
3. Le copiste du manuscrit B avait écrit : aux deux côtés de
justice. Ce non-sens a été coi^igé par Charpentier qui a rem-
placé le dernier mot par Jupiter.
u 13
194 MÉMOIRES [4617]
éloignée et de tout ce que les hommes sages de l'an-
tiquité ont dit que les actions des rois ne sont pas
justes pour ce qu'ils les font, mais pour ce que leur
vie étant l'exemplaire de leurs peuples, ils la règlent
selon la justice et l'équité, et, pour bien commander aux
hommes qui leur sont sujets, obéissent à la raison,
qui est un rayon ou une impression que nous avons
de la divinité, et à la loi de Jésus-Christ, qui nous
enseigne que Dieu est le roi primitif et les rois ne
sont que les ministres de son royaume, de l'adminis-
tration duquel ils lui doivent rendre compte et être
jugés de lui avec plus de rigueur et de sévérité que
ne seront pas les peuples qui leur sont sujets; joint
qu'il étoit aussi aisé au Roi de le faire prendre prison-
nier dans le Louvre qu'il lui avoit été d'y faire arrêter
Monsieur le Prince, qui avoit toute la cour et tout le
peuple et tous les parlements en sa faveur, ce que
celui-ci n'avoit pas; joint que la Reine sa mère, qui,
de longtemps, avoit volonté de le renvoyer en Italie,
eût tenu à grande faveur du Roi qu'il l'y eût renvoyé
s'il eût été arrêté prisonnier. Et, partant, ce fut un
conseil précipité, injuste et de mauvais exemple,
indigne de la majesté royale et de la vertu du Roi, qui
n'eut point aussi de part en cette action ; car il com-
manda simplement qu'on l'arrêtât prisonnier et qu'on
ne lui méfit point, si ce n'étoit qu'il mît le premier la
main aux armes, de sorte qu'on ne le pût arrêter qu'en
le blessant.
Dès le jour même, je fis savoir à la Reine par
Roger \ son valet de chambre, la douleur que je res-
1. Nicolas Roger : tome T, p. 74.
[1617] DE RICHELIEU. 495
sentois de son malheur, auquel certainement je la ser-
virois selon toute l'étendue de mon pouvoir.
Le lendemain, le corps du maréchal d'Ancre, qui
avoit été enterré sans cérémonie sous les orgues de
Saint-Germain-de-l'Auxerrois, fut déterré par la popu-
lace, et, avec grands cris et paroles insolentes, traîné
jusque sur le Pont-Neuf et pendu par les pieds à une
potence qu'il y avoit fait planter pour faire peur à ceux
qui parloient mal de lui. Là, ils lui coupèrent le nez,
les oreilles et les parties honteuses et jetèrent les
entrailles dans l'eau et fai soient à ce corps toutes
les indignités qui se pouvoient imaginer. A même
temps, je passois par là pour aller voir Monsieur le
Nonce, qui étoit lors le seigneur Ubaldin^ et ne me trou-
vai pas en une petite peine ; car, passant par-dessus
le Pont-Neuf, je trouvai le peuple assemblé qui avoit
traîné par la ville quelque partie de son corps et qui
s' étoit laissé emporter à de grands excès d'insolence
devant la statue du feu Roi. Le Pont-Neuf étoit si
plein de cette populace, et cette foule si attentive à
ce qu'ils faisoient et si enivrée de leur fureur, qu'il
n'y avoit pas moyen de leur faire faire place pour le
passage des carrosses. Les cochers étant peu discrets,
le mien en choqua quelqu'un, qui commença à vou-
loir émouvoir noise sur ce sujet; au même instant, je
reconnus le péril où j'étois, en ce que, si quelqu'un
eût crié que j'étois un des partiaux du maréchal
1. Les Mémoires se trompent : Robert Ubaldini avait eu
pour successeur à la nonciature de France, à la fin de 1616,
Gui Bentivoglio (1579-1644), archevêque de Rhodes en 1607,
et qui devint cardinal en 1621. Ubaldini avait quitté la France
dans les derniers jours de décembre 1G16.
196 MÉMOIRES [1617]
d'Ancre, leur rage étoit capable de les porter aussi
bien contre ceux qui, aimant sa personne, avoient
improuvé sa conduite, comme s'ils l'eussent autorisée.
Pour me tirer de ce mauvais pas, je leur demandai,
après avoir menacé mon cocher extraordinairement,
ce qu'ils faisoient; et, m'ayant répondu selon leur pas-
sion contre le maréchal d'Ancre, je leur dis : « Voilà
des gens qui mourroient au service du Roi; criez
tous : « Vive le Roi ! » Je commençai le premier, et
ainsi j'eus passage, et me donnai bien garde de reve-
nir par le même chemin ; je repassai par le pont
Notre-Dame.
Du Pont-Neuf, ils le traînèrent par les rues jusques
à la Bastille, et de là, par toutes les autres places de
la ville, jusques à ce qu'ils le firent brûler devant sa
porte, au faubourg Saint-Germain, et traînèrent ce
qui en restoit encore sur le Pont-Neuf, où ils le brû-
lèrent derechef, puis enfin en jetèrent les os dans la
rivière^.
Ces choses avoient été prédites au maréchal d'Ancre
par plusieurs devins et astrologues qu'il voyoit volon-
tiers, mais lui avoient été prédites par eux en leur
manière ordinaire, c'est-à-dire de sorte qu'il n'en pou-
voit faire son profit; car les uns lui disoient qu'il
mourroit d'un coup de pistolet, les autres qu'il seroit
brûlé, autres qu'il seroit jeté dans l'eau, les autres
qu'il seroit pendu, et toutes ces choses furent véri-
tables; mais, comme il ne les pouvoit comprendre,
1. Tout ce récit reproduit, à quelques détails près, celui du
Mercure français, t. IV, année 1617, p. 197 et suivantes; mais
il est certain que Richelieu y a ajouté un nombre considérable
de réflexions et de souvenirs personnels.
[1617] DE RICHELIEU. 197
il croyoit qu'ils se trompassent tous et les en avoit à
mépris.
La Reine sut les excès qui avoient été commis contre
le corps mort, et, encore que cette princesse se fût
toujours montrée fort constante contre les médi-
sances, si est-ce que les insolentes paroles qu'ils
dirent la touchèrent au vif; et, à la vérité, s'il faut une
grande vertu pour supporter la calomnie, il en faut
une héroïque et divine pour la supporter quand elle
est conjointe avec mépris et risée publique.
Le même jour, on fit publier à son de trompe que
tous les serviteurs dudit maréchal eussent à sortir
hors de Paris. Le frère de la maréchale*, qui étoit
logé au collège de Marmoutier, s'enfuit dans un monas-
tère, craignant la fureur du peuple, et le comte de
la Pene^ fut mené au Louvre, où on lui donna des
gardes; et S. M. fit expédier des lettres au Parlement
par lesquelles elle déclara que l'action que le sieur de
Vitry avoit faite étoit par son commandement^, et
d'autres qui portoient une provision d'office de con-
seiller au Parlement pour lui, ce qu'il avoit désiré
afin qu'on ne lui pût faire son procès que toutes les
chambres assemblées, ne considérant pas qu'il venoit
de donner un exemple de le traiter avec moins de
cérémonie quand on se voudroit défaire de lui.
Cependant, le Roi avoit remis en charge tous les
anciens officiers qui avoient été chassés par la Reine,
Le président Jeannin retourna à la surintendance des
1. Sébastien Galigaï : ci-dessus, p. 166, et tome I, p. 258.
2. Le fils de Concini : ci-dessus, p. 190.
3. Ces lettres, du 29 avril, se trouvent dans les registres du
Parlement à la date du 20 mai (Xi*8648, fol. 383).
198 MÉMOIRES [16171
finances; Déageant, commis de Barbin, qui l'avoit fait
contrôleur générai, fut fait intendant en récompense
de son infidélité; les sceaux furent rendus à du Vair
avec tant d'fionneur que le Roi passa une déclaration
qu'il envoya au Parlement, par laquelle il fit savoir
qu'ils lui avoient été ôtés contre son gré, et, partant,
qu'il vouloit que les anciennes lettres de provision
qui lui avoient été expédiées lui servissent maintenant
pour rentrer dans l'exercice de sa charge, sans qu'il
en eût besoin d'autres, et M. de Villeroy rentra en la
fonction de la sienne^ de secrétaire d'État, par indivis
avec M. de Puyzieulx.
Les ministres qui servoient actuellement sous l'au-
torité de la Reine furent tous décrédités. Comme en
ces bâtiments qu'on mine par le pied rien ne demeure,
ainsi, l'autorité de la Reine étant ruinée, tous ceux
qui subsistoient en elle tombèrent par sa chute. Je
fus le seul auquel Luynes eut quelque égard ; car il
m'offrit de demeurer au Conseil avec tous mes appoin-
tements; mais, voyant le traitement qu'on commen-
çoit à faire à la Reine, je ne le voulus jamais et préférai
l'honneur de la suivre en son affliction à toute la for-
tune qu'on me faisoit espérer^.
Ces Messieurs les nouveaux ministres, ou plutôt le
sieur de Luynes, commencèrent leur gouvernement
1. Dans le manuscrit B, il y avait d'abord en l'exercice de sa
charge; Charpentier a remplacé ces mots parles suivants en la
fonction de la sienne.
2. Il ne semble pas que l'offre faite à Richelieu de conser-
ver le pouvoir ait été bien sérieuse. Pontchartrain dit en effet :
« Le Roi fit défense à l'évêque de Luçon de plus s'entremettre
de ses affaires » [Mémoires, t. il, p. 223). De son côté, Brienne
[1617J DE RICHELIEU. 199
par prendre tout le contrepied de ce que faisoient
ceux qui avoient gouverné devant eux et firent des-
sein de rappeler auprès du Roi tous ceux qu'ils
croyoient être ennemis de la Reine. Ils envoyèrent
quérir Sauveterre jusques au fond de la Gascogne ^
espérant s'en servir comme d'un puissant instrument
pour insinuer dans l'esprit du Roi ce qu'ils voudroient,
bien que ce fût, en effet, Luynes même qui, par ses arti-
fices secrets, l'eût fait chasser^. Mai s cela n'importoit pas
tant comme ce qu'ils mirent en la bonne grâce du Roi
tous les princes qui avoient pris les armes contre lui
et étoient à l'extrémité, et dépêchèrent au nom du
Roi, incontinent après la mort du maréchal, vers le
duc de Longueville à Amiens et celui de Vendôme
qui étoit à la Fère, et à Soissons vers M. de Mayenne,
pour les venir faire trouver S. M. incontinent, les
assurant qu'ils seroient très bien vus et reçus d'elle.
M. du Maine envoya le comte de Suze^, son beau-
frère, porter les clefs de Soissons au Roi, qui le
reçut le 27 avril, comme s'il eût tenu son parti, et le
comte d'Auvergne le parti contraire. Le même jour
arriva le duc de Longueville, qui fut reçu de même.
Le duc de Nevers fit un peu plus de cérémonie que
rapporte que « l'évêque de Luçon, ayant paru, eut ordre de
se retirer » [Mémoires^ éd. Petitot, t. I, p. 327).
1. Voyez tome I, p. 223.
2. Jacques de Bésiade, sieur de Sauveterre, avait été disgra-
cié à la fin de 1615 (tome I, p. 417).
3. Rostaing de la Baume, comte de Suze, épousa en 1583
Madeleine des Prez de Montpezat, sœur utérine du duc du
Maine. Il mourut en 1622. Les manuscrits et les précédentes
éditions des Mémoires semblent commettre une erreur en appe-
lant ce personnage le comte de la Suze.
200 MÉMOIRES fl617J
les autres et vouloit traiter^ avec le Roi, ayant tou-
jours eu des fantaisies qui l'ont fait aller dans les
atïaires par un chemin particulier à lui seul; mais,
néanmoins, voyant qu'on ne vouloit pas se relâcher
jusques-là, il se rendit en son devoir et vint avec
M. du Maine et le duc de Vendôme trouver S. M. le
jour de l'Ascension^.
Mais ces Messieurs s'aperçurent bientôt de leur faute
et s'en repentirent, M. de Villeroy ayant témoigné
plusieurs fois que, s'ils eussent suivi la pointe de ceux
qui servoient sous l'autorité de la Reine contre les
princes, ils eussent établi la paix en ce royaume pour
cent ans; que nous avions été bien hardis de faire une
telle entreprise et eux peu sages de ne la continuer
pas. Et, en elîet, le changement dont ils usèrent,
passant du blanc au noir, n'eut autre fondement que
la pratique ordinaire que ceux qui changent un établis-
sement ont de prendre le contrepied de ceux en la
place desquels ils se mettent, aimant mieux faire une
faute signalée pour donner à penser que les résolutions
contraires que l'on avoit prises étoient défectueuses,
qu'en continuant ce qui avoit été fait, faire connoître
qu'on avoit bien fait.
Cependant, Luynes ayant résolu qu'il falloit éloigner
la Reine, ils confirmèrent tous le Roi en cette résolu-
tion; et, bien qu'entre eux ils fussent de divers avis
sur le lieu où ils estimeroient qu'elle devoit être
envoyée, ils convinrent enfin que, pour l'heure, elle
1. Le mot traiter a été substitué par Sancy au mot consulter,
sur le manuscrit B.
2. Ce paragraphe est un résumé du Mercure françois, p. 215
et 216.
[1617] DE RICHELIEU. W\
n'iroit qu'à Blois, la Reine l'ayant songé quelques
jours auparavant sa chute et dit à ses chirurgiens et
médecins. Ce songe l'y fit résoudre plus facilement
lorsqu'ils lui firent savoir leur dessein, et croire que
c'eût été se perdre que vouloir résister à la furie des
torrents.
Le jour de son départ étant arrêté au 3® mai,
comme elle veut partir, on la conjure de s'arrêter
cette journée, pour éviter un mauvais dessein qui
s'étoit formé et découvert contre sa personne. Elle
crut au commencement que cet avis étoit faux ; mais
elle changea d'opinion, ayant appris par le sieur de
Bressieux*, son premier écuyer, qu'un de ceux qui
avoient conspiré la mort du maréchal étoit auteur
d'une si détestable entreprise. Cependant, sa première
pensée étoit véritable; il n'y avoit rien à craindre
pour elle, mais beaucoup pour Luynes, qui avoit violé
sa foi donnée solennellement à ses complices.
C'est la coutume des larrons de partager les choses
qui ne sont pas encore prises, de disposer du butin
avant qu'ils aient commis le vol. Luynes, à leur imita-
tion, n'avoit pas encore épandu le sang du maréchal
qu'il avoit déjà ordonné de la dépouille, où, s'étant
réservé ce qu'il y avoit de meilleur, il avoit fait espé-
rer au Travail^ l'archevêché de Tours. Ce malheureux,
sur l'attente de ce bien imaginaire, ne contribua pas
peu à sa mort, faisant connoitre à ses ennemis le gain
1. Voyez ci-dessus, p. 183.
2. Alphonse du Travail, Dauphinois, fut, dit-on, tour à tour
soldat et religieux, huguenot et capucin, sous le nom de Père
Hilaire, et espion pour le compte du duc de Savoie.
202 MÉMOIRES [1617]
c|u'ils avoient en sa perte, le peu de péril à l'entre-
prendre et les moyens qu'il falloit tenir à l'exécuter
avec succès. Mais, comme il arrive d'ordinaire, pour la
confusion des méchants, que d'autres profitent de leur
malice. Dieu permit que l'évêque de Bayonne* tirât la
récompense promise à sa faute.
Je ne veux pas m'étendre sur la violence dont on
usa pour arracher cette pièce; il me suffit de dire
qu'on dépouilla un homme vivant^ sans l'accuser d'au-
cun crime, qu'on le contraignit par diverses menaces
de s'en démettre, contre les lois divines et humaines,
contre tout droit ecclésiastique et civil.
Travail voyant es mains d'autrui le salaire de son
iniquité, que la part qu'il avoit eue dans le crime ne
lui étoit pas conservée dans la dépouille, que Luynes
avoit payé ses services d'un parjure, il se résolut de
passer jusques au mépris de la vie pour se rendre
maître de la sienne. Il pensoit par cette dernière
action couvrir la honte que la première lui avoit atti-
rée ; il croyoit réparer par la mort de ce second tyran
le tort qu'il avoit fait au public, offensant la mère
du Roi, une vertu si éminente et une puissance si
légitime.
Pour parvenir à ce but, il se propose de dissimuler
son juste mécontentement, de lui donner^ des conseils
sur la suite de son gouvernement avec la même sincé-
rité qu'il avoit fait au commencement de sa cons-
piration du temps du maréchal, où les moindres
choses donnoient de l'ombrage, où les conversations
1. Bertrand d'Échaux : tome I, p. 127.
2. Le frère de la maréchale d'Ancre : tome I, p. 258.
3. Vnr. : De donner à Liivnes (H).
[1617] DE RICHELIEU. 203
les moins sérieuses étoient suspectes. Il a voit accou-
tumé de s'entretenir avec Luynes chez la concierge
des Tuileries et dans un lieu dérobé où eux seuls fai-
soient le nombre des espions et des traîtres; il y
reprend les mêmes assignations avec lui, y porte le
même visage, mais un cœur fort différent; lui donne,
pour augmenter sa confiance, des avis importants à sa
réputation et à l'établissement de sa fortune. Gomme
il vit son esprit assuré et hors de soupçon qu'il eût
aucun sentiment de l'offense qu'il avoit reçue, il fait
provision d'un cheval, qu'il recouvre par l'entremise
de Breauté* et de Montpinçon^, achète une épée, large
de quatre doigts et fort courte, pour qu'il la pût aisé-
ment cacher sous la soutane, résolu de lui ôter la
vie au lieu même où la mort du maréchal avoit été
conclue.
Son dessein étant en état d'être exécuté, afin que
1. Ce personnage est peut-être Adrien-Pierre de Breauté,
seigneur de Neville, vicomte de Hotot, baron de Cany, né en
1599, premier écuyer de la reine Marie de Médicis, tué devant
Breda en octobre 1624; ou encore l'oncle de ce dernier, Adrien
de Breauté, qui passa en Hollande en 1600 et mourut en 1658.
Il avait épousé en 1603 Françoise de Roncherolles.
2. On trouve sur ce personnage la note suivante à la Biblio-
thèque nationale, Cabinet des titres, Dossier bleu 430 :
« Charles Martel, seigneur de Montpinçon, Béville, Hanouart,
etc., sage et vaillant et très savant en toutes les belles
sciences, mestre de camp pour Monsieur le Prince au voyage
de Bayonne, négocia la paix du Pont-de-Cé avec l'évêque de
Luçon; affectionné de M. d'Orléans, moyenna son premier
mariage. Le cardinal de Richelieu l'ayant, par jalousie, fait
mettre à la Bastille, le roi le tira quatre mois après. Il épousa,
en octobre 1628, Alphonsine de Balsac, dame de Champsemé
et Courfatou en Brie, mourut cinq ans trois mois après et gît
à Champsemé. »
204 MÉMOIRES [1617]
la Reine lui siit {^ré de ce service, il désira de lui faire
entendre qu'il ne s'étoit porté à cette extrémité que
pour la compassion de la misère où elle étoit réduite.
Pour cet effet, il s'adresse et se découvre au sieur de
Bressieux, premier écuyer de S. M., gentilhomme de
bonne maison, et que souvent il avoit sondé et oui
plaindre son malheur.
Bressieux s'engagea de faire valoir cette action, lui
hausse le courage, lui promet une entière assistance;
mais, au lieu de lui tenir promesse, s'imaginant qu'il
avoit en main une occasion de faire sa fortune, il en
avertit le sieur de Luynes, qui lui en témoigna telle
obligation qu'il appréhendoit n'avoir pas assez de
puissance pour reconnoître dignement cet office.
C'est le style des Provençaux d'être faciles à pro-
mettre et difficiles à tenir ; mais, sur les preuves que
Luynes a données de son infidélité, on peut dire
que sa personne l'a enchéri au dessus de sa nation.
Luynes consulte cette affaire avec Déageant et autres
personnes intéressées en son établissement ; le résultat
de la conférence fut de le faire mourir^ en changeant
l'espèce de son crime.
A même temps, il est pris et accusé d'avoir attenté
sur la vie de la Reine ^, prétexte honorable pour se
défaire d'un dangereux ennemi, pour apaiser le peuple
irrité des inhumanités commises contre les vivants et
1. Var. : Fut de faire mourir Travail (H),
2. Déageant, dans ses Mémoires, p. 73-74, accuse nettement
Travail d'avoir voulu faire empoisonner la Reine mère et parle
également du rôle joué par Bressieux dans cette intrigue. Mais
il ne fait aucune allusion au projet prêté ici à Travail d'atten-
ter à la vie de Luynes.
[1617] DE RICHELIEU. 205
les morts, et qui donnoit à connoître qu'on n'en vou-
loit pas au gouvernement de la Reine, mais à ceux qui,
au préjudice de l'État, avoient abusé de sa bonté et de
sa patience.
Luynes et Bressieux, contre la vérité et leur cons-
cience, s'offrirent à servir de témoins contre lui, tous
deux pour leur intérêt, l'un pour la sûreté de sa vie,
l'autre sur la croyance qu'il eut que, pour la perte
d'une personne, il en acquerroit deux, les bonnes
grâces du favori et celles de sa maîtresse.
Sur le sang de ce misérable, à l'exemple des païens
qui juroient leur alliance sur les victimes, ces Mes-
sieurs se protestèrent une éternelle fidélité. Luynes
disposoit entièrement de l'esprit du Roi, Bressieux
prétendoit se rendre maître de celui de sa maîtresse,
et tous deux, par une commune correspondance, se
jouer de la fortune de cet État.
Il seroit difficile d'exprimer les sentiments de cette
princesse affligée quand elle apprit qu'un de ceux qui
avoient contribué à sa ruine l'avoit voulu délivrer;
qu'un de ses domestiques, par sa perfidie, en avoit
empêché l'effet; que son ennemi capital avoit abusé
du respect de son nom pour venger ses querelles
propres et particulières. On ne peut douter qu'elle
n'eût reçu avec plaisir la liberté dont elle étoit pri-
vée, mais la recevoir d'une si mauvaise main n'eut
pas peu modéré sa joie ; elle n'avoit pu voir sans éton-
nement que trois personnes de peu eussent été cause
de sa chute ; mais qu'un de ses serviteurs l'ait empê-
chée de se relever, elle ne le put ouir sans une extrême
douleur.
La mort du Ti^avail, vu le mal qu'il lui avoit fait,
206 MÉMOIRES [1617]
ne pouvoit être qu'agréable à une <^rande princesse
et Italienne, offensée jusques au point qu'elle étoit;
mais, quand elle sut qu'il étoit mort pour l'avenir et
non pour le passé, par vengeance et non par justice,
qu'elle en étoit le prétexte et Luynes le sujet, elle cessa
de s'en réjouir et ne put souffrir sans regret que son
nom eût servi à une si mauvaise cause. Mais il y a des
temps où tout conspire à augmenter le mal et diminuer
le plaisir des remèdes, où la fortune commence et ne
peut achever son ouvrage, où, si on donne quelque
espérance de liberté, c'est pour rendre la prison plus
amère.
Ce misérable avoit fait profession des armes et étoit
huguenot en sa jeunesse; depuis, s'étant rendu catho-
lique, il se fît capucin, où l'austérité de la religion
n'ayant pas eu la force de dompter la rudesse de son
esprit, que le feu de la première ferveur avoit amolli
durant le temps du noviciat, il commença à leur faire
tant de peine qu'ils* furent obligés d'en venir aux
remèdes de la sévérité, par lesquels effarouché et
aigri encore davantage, il s'en alla à Rome, l'an 1 607,
faire des plaintes de ses supérieurs à Sa Sainteté, où,
ayant le cardinal Monopoli ^ contraire, pour ce qu'il
aimoit la religion des capucins, de laquelle il avoit
été tiré et promu au cardinalat, il fit des accusations
atroces contre lui-même à Sa Sainteté et les soutenoit
avec tant d'impudence que ce bon prélat, qui mourut
en même temps, fut jugé en être mort de regret. Il
obtint enfin de Sa Sainteté absolution de son vœu et
1. C'est-à-dire ses supérieurs.
2. Anselme Marzati, capucin italien, fait, en 1604, cardinal-
prêtre du titre de Saint-Pierre-au-Mont-d'Or, dit le cardinal
Monopoli, mort en 1607.
[1617] DE RICHELIEU. 207
permission de vivre en prêtre séculier; il prit bien
l'habit de prêtre, mais non pas l'esprit de la prêtrise ;
ains plutôt celui de la profession qu'il avoit faite
auparavant, jusques à ce qu'enfin Dieu, juste juge,
permît que, comme par ses calomnies il avoit procuré
la mort à un autre, il fût, par une fausse accusation,
conduit honteusement sur l'échafaud, et, coupable
d'autres crimes, rompu vif sur la roue pour des péchés
qu'il n'avoit pas commis, et son corps et son procès
brûlés après sa mort comme étant indigne qu'il fût
jamais mémoire de lui. Il mourut repentant, si peu
ému toutefois et des peines présentes et du péril de
celles de l'autre siècle* qu'ayant ouï lire son dicton
dans la chapelle, il présenta son bras à quelqu'un des
assistants pour tàter son pouls et voir s'il n'avoit
aucun étonnement-.
Mais laissons ce misérable et venons à la Reine qui,
après avoir été enfermée l'espace de neuf jours,
partit de Paris le 4^ mai pour être derechef
enfermée dans une autre demeure, mais d'un espace
un peu plus ample que celui auquel elle avoit été
à Paris. Toute la matinée se passe en visites : les larmes
de ceux qui la viennent voir parlent plus que leurs
langues; on plaint sa condition, on admire sa pru-
dence, qui fut telle que jamais les soupirs des princes
ou princesses ne purent tirer une larme de ses yeux,
ni autre parole de sa bouche que celle-ci : « Si mes
actions ont déplu au Roi mon fils, elles me déplaisent
à moi-même ; mais il connoîtra, je m'assure, un jour,
1. Var. : De l'autre monde (M, H).
2. Du Travail fut arrêté le 2 mai et exécuté le 10 du même
mois. Voyez le Mercure français, p. 217 et 218.
208 MÉMOIRES [4617]
qu'elles lui ont été utiles. Pour ce qui regarde le maré-
chal d'Ancre, je plains son âme et la forme qu'on a
fait prendre au Roi pour l'en délivrer. Vous vous
fâchez de me perdre; en cela, vous vous cherchez^, y
ayant assez longtemps que j'ai plusieurs fois prié le
Roi de me décharger du soin de ses affaires. »
L'après-dînée, le Roi lui vint dire adieu. D'abord
qu'elle le vit, son cœur, qui n'avoit point été ému,
fut tellement touché qu'elle fondit en larmes ; puis,
avec des paroles entrecoupées de sanglots, lui tint ce
langage :
« Monsieur mon fils, le tendre soin avec lequel je
vous ai élevé en votre bas âge, les peines que j'ai
eues pour conserver votre État, les hasards où je me
suis mise, et que j'eusse aisément évités si j'eusse
voulu relâcher quelque chose de votre autorité, justi-
fieront toujours, devant Dieu et les hommes, que je
n'ai jamais eu autre but que vos propres intérêts.
Souvent je vous ai prié de prendre en main l'adminis-
tration et la conduite de vos affah^es et de me déchar-
ger de ce soin; vous avez cru que mes services ne
vous étoient pas inutiles et m'avez commandé de les
continuer; je vous ai obéi pour le respect que je dois
à vos volontés et pour ce que c'eût été lâcheté de vous
abandonner dans le péril. Si vous considérez qu'au
sortir de ce maniement je me trouve sans aucune place
où je puisse honorablement me retirer, vous verrez
que je n'ai jamais recherché ma sûreté qu'en votre
cœur et en la gloire de mes actions. Je vois bien que
mes ennemis vous ont mal interprété mes intentions
1. Au sens de chercher son propre intérêt, ne penser qu'à
soi-même; Littré cite des exemples de Bossuet.
[1617] DE RICHELIEU. 209
et pensées; mais Dieu veuille qu'après avoir abusé
de votre jeunesse à ma ruine, ils ne se servent point
de mon éloignement pour avancer la vôtre. Pourvu
qu'ils ne vous tassent point de mal, j'oublierai toujours
volontiers celui qu'ils m'ont fait*. »
Le Roi, qui avoit été informé autrement- que la
Reine ne disoit pas, et [avoit] reçu instruction de
Luynes de ce qu'il lui devoit répondre, lui dit seule-
ment qu'il vouloit commencer à gouverner seul son
État, qu'il en étoit temps et qu'en tous lieux il lui
témoigneroit qu'il étoit bon fils^.
1. Les contemporains ne sont pas d'accord sur l'authenticité
de ce discours. D'après la Fie de Marie de Médicis, par
3jme d'Arcon ville (t. II, p. 382), « les termes dont la Reine
mère devait se servir pour faire ses adieux à son fils furent
rédigés par l'évêque de Luçon ; ceux que Sa Majesté devait
employer pour lui faire aussi les siens le furent par Luynes et
ces discours furent examinés dans le Conseil ». Bassompierre,
témoin de la scène, rapporte des paroles toutes différentes et
qui semblent d'ailleurs beaucoup plus naturelles [Mémoires,
t. II, p. 126, 127, 128). D'après un autre témoin oculaire,
« le Roi son fils ne fit que lui dire un mot, ensuite de quoi il se
retira, tant Luynes appréhendoit que ce monarque ne fût
attendri par les larmes de cette princesse » [Mémoires de
Brienne, 1. 1, p. 329). Pontchartrain éci'it de son côté [Mémoires,
t. II, p. 234) : « Elle partit de Paris, n'ayant pu obtenir la
grâce de voir le Roi son fils, sinon que, lorsqu'elle fut prête à
partir, il l'alla voir en sa chambre pour lui dire adieu et n'y fit
qu'entrer et sortir. »
2. Qui avait été informé d'un autre discours, que la Reine
ne disait pas, et qui avait reçu instruction, etc.
3. Le Mercure français, p. 216, rapporte ainsi les paroles
du Roi : « Madame, je viens ici pour vous dire adieu et vous
assurer que j'auroi soin de vous comme de ma mère. J'ai désiré
de vous soulager de la peine que vous preniez en mes affaires.
C'est ma résolution de ne souffrir plus qu'autre que moi com-
II 14
2i0 MÉMOÎRES [1617J
Il fut lors donné permission à un chacun de voir la
Reine pour prendre congé d'elle; les portes furent
ouvertes à tous ceux qui la voulurent visiter; le visage
et la façon qu'avoient tous ceux qui la virent quand
ils parlèrent à elle furent remarqués. Il y en eut peu
néanmoins qui, par bienséance, manquassent à ce
devoir ; tous les corps de la ville y furent : elle mon-
troit à tous un même visage, une constance immobile,
semblant plutôt s'aller promener en une de ses mai-
sons qu'y être reléguée.
Elle part le 4®, accompagnée de Mesdames ses filles
et de toutes les princesses, qui la vinrent conduire
hors la ville, sans qu'elles lui fissent jamais répandre
une larme au dernier adieu qu'elles lui dirent. On en
fit divers jugements, selon les différentes passions
dont on étoit porté vers elle : les uns l'attribuoient à
l'ébahissement et à l'horreur du coup qu'elle avoit
reçu, qui lioit en elle le sentiment de la douleur et
tarissoit la source de ses larmes ; les autres l'interpré-
toient à dissimulation assez accoutumée à celles de sa
nation ; ceux qui la favorisoient davantage l'imputoient
à vertu et à force d'esprit.
Quelques-uns disoient que c'étoit une vraie insensi-
bilité ; mais Luynes crut qu'un désir si enflammé de
vengeance maîtrisoit son cœur qu'elle en perdoit le
sentiment de pitié, même d'elle, dans le désastre où
elle se voyoit; ce qui, ainsi qu'il le fortifia^ en l'opi-
mande en mon royaume. J'ai donné ordre à ce qui est néces-
saire pour votre voyage et commandé à la Curée de vous accom-
pagner. Vous aurez de mes nouvelles étant arrivée à Blois.
Adieu, Madame. »
1. En même temps que cela le fortifia.
[1617] DE RICHELIEU. 2H
nion que la grandeur de son offense lui avoit donnée,
que jamais elle ne lui pardonneroit, le confirma aussi
au dessein qu'il avoit déjà pris d'employer tous les
artifices possibles pour l'empêcher de revenir jamais
auprès de S. M.
Si elle faisoit semblant de s'en aller sans regret, la
plupart la voyoient partir avec un véritable contente-
ment \ l'orgueil et les violences du maréchal d'Ancre
ayant rejeté sur elle un si grand dégoût des peuples,
que, bien qu'il fût un peu modéré, il n'étoit néan-
moins pas changé par la misère présente de sa condi-
tion, qui n'étoit guère au-dessous de l'extrémité de l'in-
fortune. Elle sortoit du Louvre, vêtue simplement,
accompagnée de tous ses domestiques qui portoient
la tristesse peinte en leur visage ; et il n'y avoit guère
personne qui eût si peu de sentiment des choses
humaines que la face de cette pompe quasi funèbre
n'émût à compassion. Voir une grande princesse, peu
de jours auparavant commandant absolument à ce
grand royaume, abandonner son trône et passer, non
secrètement et, à la faveur des ténèbres de la nuit,
cachant son désastre, mais publiquement, en plein
jour, à la vue de tout son peuple, par le milieu de sa
ville capitale, comme en montre pour sortir de son
empire, étoit une chose si étrange qu'elle ne pouvoit
être vue sans étonnement. Mais l'aversion qu'on
avoit contre son gouvernement étoit si obstinée que
le peuple ne s'abstint néanmoins- pas de plusieurs
1. Une première rédaction du manuscrit B portait : tous la
voyaient partir avec contentement. Sancy a corrigé ainsi que le
porte notre texte.
2. Cette phrase avait d'abord été ainsi rédigée sur le manus-
212 MÉMOIRES [1617]
paroles irrespectueuses en la voyant passer, qui lui
étoient d'autant plus sensibles que c'étoient des traits
qui rouvroient et rensanglantoient la blessure dont
son cœur étoit entamé.
Quatre jours auparavant, on mena la maréchale
d'Ancre du Louvre à la Bastille, et, peu de jours après
qu'elle fut partie, on l'en tira, par arrêt du Parlement,
pour la conduire à la conciergerie du Palais, en vertu
des lettres patentes du Roi adressées à la cour pour
lui faire son procès, à ses complices et à la mémoire de
son mari. Quand elle entra dans la Bastille la nuit, ce
fut avec tant de bruit que Monsieur le Prince s'en
éveilla, et, sachant ce que c'étoit, sentit une grande
consolation et de la voir en ce lieu et d'être délivré
d'une telle ennemie. Mais, quand elle fut tirée de là*
pour être exposée au jugement des hommes, il eut
lieu de craindre le commencement si sanguinaire de
ce nouveau gouvernement-.
crit B : « ... ému de compassion de voir une grande princesse,
peu de jours auparavant commandant absolument à ce grand
royaume, abandonnant le trône de la fortune, passant par le
milieu du peuple et de la ville, comme en montre, sortir de son
empire, étoit une chose si étrange qu'elle ne pouvoit être vue
sans étonnement; mais laversion du peuple contre son gou-
vernement étoit si obstinée qu'il ne s'abstint néanmoins... » Le
changement indiqué dans le texte a été fait en marge par Sancy
(voyez Rapports et notices, t. I).
1. Une première rédaction du manuscrit B portait le mot
délivrée au lieu de tirée de là. C'est Charpentier qui a fait cette
correction de pur style.
2. D'après le Mercure françois, p. 224, c'est le 2 mai que la
maréchale d'Ancre fut conduite du Louvre à la Bastille. Un
arrêt du Parlement, du 11 mai, la fit transférer, la nuit sui-
vante, de la Bastille à la Conciergerie.
[1617] DE RICHELIEU. ?13
Le Roi fit, dès le 1 2^ mai, publier une déclaration
par laquelle il étoit bien aisé à voir que les iTiinistres
qui donnoient ce conseil à S. M. le faisoient contre
leur propre conscience, y ayant des choses qui se con-
trarioient en elle; car, d'une part, elle avouoit la
fidélité des princes et disoit qu'ils n'avoient rien fait
que pour le seul désir d'empêcher la ruine qui leur
étoit procurée par les pernicieux desseins du maré-
chal d'Ancre, qui se servoit des armes de S. M., contre
son intention, pour les opprimer; et, de l'autre, elle
qualifioit leurs armes avoir été illicites, d'autant qu'ils
n'y dévoient pas avoir recours, mais à la justice
de S. M.
Par ladite déclaration, S. M. oublioit toutes les
actions qu'ils avoient faites contre son autorité en
cette guerre, lestenoit, eux et tous ceux qui les avoient
assistés, pour ses bons sujets, rétractoit toutes les
déclarations qui avoient été faites contre eux depuis
le traité de Loudun et les rétablissoit en leurs charges
et honneurs^.
S. M. manda aussi à l'assemblée de la Rochelle
qu'elle leur pardonnoit ce qu'ils avoient fait, et qu'un
chacun d'eux eût à retourner en sa province.
Les députés du synode national de Vitré vinrent
trouver le Roi le %T mai et lui témoignèrent
la joie qu'ils avoient de la mort du maréchal
d'Ancre et que S. M. commençoit à régner^. Mais
1. Cette déclaration est donnée in extenso dans le Mercure
français, p. 218-222.
2. Le synode national de Vitré avait délégué le 20 mai, vers
le Roi, quatre députés. Pierre Hesperieu, pasteur de l'église
de Sainte-Foi en la Basse-Guyenne, fît une harangue au Ro
214 MÉMOIRES [1617]
leur contentement ne dura guère, car, dès le 2l^ juin,
l'évèque de Màcon* fit au Roi, à l'ouverture de
l'assemblée générale du clergé de France, qui se tenoit
aux Augustins, une remontrance sur les misères de
l'église de Béarn et lui représenta que, la justice et la
piété ne pouvant subsister l'une sans l'autre, puisque
S. M. avoit commencé son règne par une action de
justice qui lui faisoit mériter le nom de Juste, elle
de voit maintenant avoir pitié de cette pauvre pro-
vince, en laquelle il y avoit encore plus de cent que
villes, bourgades et paroisses, desquelles la plupart du
peuple étoit catholique et n'avoient néanmoins aucuns
prêtres pour leur administrer les sacrements, tous les
biens ecclésiastiques et leurs dîmes étant tenus par
les huguenots et employés à la nourriture des ministres
et à l'entretènement de leurs collèges-.
Cette remontrance mit en peine ceux de la Religion
prétendue, qui représentèrent tout ce qu'ils purent au
Roi pour le supplier de laisser les choses en l'état qu'il
les avoit trouvées et appuyèrent leurs raisons de la
présence du marcjuis de la Force, gouverneur de
Béarn ^. Mais tout cela n'empêcha point que S. M.,
que le Mercure français donne intégralement (t. V, p. 40-42).
Les Mémoires la résument en une courte phrase.
1. Gaspard Dinet (1559-1619), fils de Jacques Dinet et de
Philippe Euvraud, entré aux Minimes de Vincennes en 1586,
était depuis 1600 évêque de Mâcon.
2. Les Mémoires résument ici la première partie de la
harangue de l'évèque de Mâcon, reproduite par le Mercure
francois, p. 60-68.
3. Jacques Nompar de Caumont (1559-1652), marquis, puis
duc de la Force en 1637, était protestant. Quoique gouver-
neur de Béarn, il soutint le parti huguenot, notamment au
siège de Montauban (1621). S'étant soumis en 1622, il fut créé
[1617] DE RICHELIEU. 215
par un arrêt du 25 juin, n'ordonnât que l'exercice de
la religion catholique seroit rétabli en tous les lieux
de son pays de Béarn et ne donnât pleine et entière
main-levée aux ecclésiastiques d'icelui de tous leurs
biens, assignant néanmoins, d'autre part, sur le plus
clair revenu de son domaine, le paiement de l'entretè-
nement des ministres, régents, écoliers, disciplines et
autres choses qu'ils prenoient sur lesdits biens ecclé-
siastiques* ; pour l'exécution duquel arrêt S. M. manda
aux églises prétendues de Béarn qu'elles^ lui envoyas-
sent leurs députés pour voir procéder au remplace-
ment desdits deniers.
Ils s'assemblèrent à Orthez^, envoient vers le Roi
pour lui faire remontrance sur ce sujet, mais en vain ;
car, nonobstant toutes leurs oppositions, le Roi fit un
édit, en septembre suivant, pour la main-levée des
biens des ecclésiastiques en Béarn, pour l'exécution
duquel nous verrons l'année suivante de si grandes
difficultés qu'elles ont été le commencement de la ruine
du parti huguenot en France^.
Si l'évêque de Màcon fit ladite remontrance avec
effet, l'évêque d'Aire^, à la clôture d'icelle, en fit une
maréchal de France et fut lieutenant général de Tarmée de
Piémont pendant l'année 1630; il rendit, par la suite, des ser-
vices considérables dans les armées du Roi.
1. Ces quatre derniers mots ont été ajoutés sur le manus-
crit B de la main de Charpentier.
2. Le manuscrit B porte, par erreur, ils.
3. Le 20 juillet.
4. Les deux paragraphes précédents résument le Mercure
françois, t. V, année 1617, p. 68-73. Le même recueil donne,
p. 326, l'édit du Roi.
5. Philippe Cospéan, évéque d'Aire en 1607 et qui prononça
l'oraison funèbre de Henri IV, fut, en janvier 1621, nommé
216 MÉMOIRES [Myll]
à S. M. sur le sujet des duels avec non moindre suc-
cès; car il lui sut si bien remontrer l'énormité de ce
péché et la vengeance sévère que Dieu en prendroit
de ceux qui les toléroient, que S. M. commanda si
efficacement que la rigueur de ses édits fût observée,
que les corps morts de quelques gentilshommes qui
se battirent depuis furent traînés à Montfaucon^
Cependant, on faisoit le procès à la maréchale
d'Ancre, avec une ferme résolution de la faire con-
damner en quelque manière que ce fût. On eut pre-
mièrement volonté de lui confronter Barbin, espérant
en tirer quelque avantage; car, lorsque la Reine, à son
partement, fit instance au Roi et au sieur de Luynes
qu'on le délivrât, ce dernier ne fit autre réponse sinon
qu'il le falloit encore retenir pour le confronter avec
ladite maréchale. Mais Modène-, l'ayant été visiter à la
Bastille, et, après force honnêtes paroles, assuré qu'on
ne le retenoit qu'à ce dessein, Barbin lui ayant
répondu là-dessus que, quelque mauvaise volonté que
cette dame eût eue contre lui et quelque mal qu'elle
évêque de Nantes, et, en 1635, évêque de Lisieux; il mourut
le 8 mai 1646.
1. Cet endroit, où l'on exposait les corps des suppliciés,
était situé sur une érainence entre les faubourgs du Temple et
Saint-Martin. — II n'est parlé des duels que dans la pi^emière
moitié de la harangue de l'évêque d'Aire, dont le texte est
donné en entier par le Mercure français, p. 74-85; ce para-
graphe des Mémoires résume le Mercure français.
2. François Raymond, baron de Modène au Comtat-Venais-
sin, était lié avec Luynes et estimé de Louis XIII, qui lui
donna le gouvernement de Fougères en 1617, l'envoya ambas-
sadeur en Savoie en 1618, et le nomma conseiller d'Etat et
grand prévôt de France en 1621; disgracié en 1626, il mourut
en 1632.
[1617] DE RICHELIEU. 217
eût voulu lui faire, il se sentoit si fort son obligé qu'il
eût voulu par son sang la pouvoir racheter de la
peine où elle étoit , mais [que] , puisqu'ils étoient tous deux
dans ce malheur qu'ils ne pouvoient éviter, il auroit
un grand désir de se voir devant elle pour lui deman-
der quels témoins elle vouloit produire contre lui
pour soutenir qu'il vouloit empoisonner la Reine,
comme nous avons dit ci-dessus, cette réponse, qui
témoignoit une affection sincère de Barbin vers
elle, leur fit craindre que leur confrontation servit
plutôt à faire paroître l'innocence de l'accusée qu'à
aggraver les crimes qu'on lui mettoit à sus, de sorte
que, sans en venir là, ils poursuivirent son procès;
ce que Barbin sachant, il dit avec beaucoup d'aigreur
à Modène, qui le venoit voir bien souvent pour
essayer à découvrir toujours quelque chose de ses
discours, qu'on avoit raison de ne le point confronter
à elle, d'autant que, hormis les fantaisies qu'elle avoit
eues contre lui, il ne pourroit jamais rendre qu'un
témoignage fort honorable d'elle.
Enfin, son sexe et sa condition ne l'ayant pu garan-
tir de la rage de ceux qui, pour s'approprier son bien,
se vouloient défaire de sa personne, par arrêt du
8® juillet, ils la déclarèrent, son mari et elle,
criminels de lèse-majesté divine et humaine, pour
réparation de quoi condamnèrent la mémoire du
défunt à perpétuité, et elle* à avoir la tète tranchée
sur un échafaud, et son corps et sa tête brûlés et
réduits en cendres^, leur maison près du Louvre
1. Le mot elle a été substitué par Sancy sur le manuscrit B
aux mots : la maréchale sa femme.
2. Dans une première rédaction du manuscrit B, les mots
218 MÉMOIRES [1617]
rasée, leurs biens féodaux, tenus et mouvants de la
couronne, réunis au domaine d'icelle et tous leurs
autres biens étant dans le royaume confisqués au Roi,
déclarant ceux (ju'ils avoient, tant à Rome qu'à Flo-
rence, appartenir à S. M. comme pro venus de ses
deniers; déclarant, en outre, les étrangers incapables
de dignités, offices, charges et gouvernements en ce
royaume^. Mais cet arrêt ne fut exécuté que contre la
personne de la maréchale d'Ancre : car leurs maisons
et leurs biens passèrent tout à la fois en la puissance
de leurs ennemis, qui, pour le premier degré de leur
avancement, s'élevèrent d'un seul pas sur tous les
biens que, avec tant de mécontentement des peuples,
de jalousie des grands, de désavantage du service du
Roi, d'intérêt de l'honneur de la Reine et de plaintes
de Luynes même envers le Roi, ils avoient amassés
durant les sept années du gouvernement de la Reine,
tant, ou l'avarice les aveugla et leur fit perdre la
mémoire des prétextes qu'ils avoient pris du bien
dudit maréchal pour lui nuire, ou leur impudence fut
extrême, ne se souciant pas qu'on reconnût leur fourbe
pourvu qu'ils en eussent le profit.
Gela fit voir à tout le monde qu'ils n'avoient pour-
suivi cette pauvre affligée que pour couvrir leur pau-
vreté de ses biens, mais bien plus aux juges mêmes,
dont plusieurs furent trompés et apprirent, à leur
dam et au préjudice de leur conscience, qu'il ne faut
point, sous la promesse d'un favori, outrepasser la
réduits en cendres étaient suivis des mots : Quant aux crimes
de lèse-majesté divine.
1. Le Mercure français, p. 226, donne intégralement le texte
de l'arrêt.
[1617] DE RICHELIEU. 519
ligne de la droiture dans les jugements ; car l'avocat
général Le Bret^ m'a dit que les imputations qu'on
faisoit à la défunte étoient si frivoles et les preuves
si foibles, que quelques sollicitations qu'on lui fit
qu'il étoit nécessaire pour l'honneur et la sûreté de
la vie du Roi qu'elle mourût, il ne voulut jamais don-
ner ses conclusions à la mort que sur l'assurance qu'il
eut, parla propre bouche de Luynes, qu'étant condam-
née le Roi lui donneroit sa grâce; et, si Le Bret a été
trompé sur cette fausse promesse, il est bien croyable
que plusieurs autres juges l'ont été par la même voie.
Mais le bonhomme Deslandes^, qui étoit l'un des
rapporteurs, ne se laissa point surprendre à ce ramage,
mais demeura dans l'intégrité de la justice et refusa
même de s'abstenir de se trouver au jugement,
quelque instance qui lui en fut faite de la part de
Luynes.
Les principaux chefs sur lesquels ils la condam-
nèrent furent qu'elle étoit juive et sorcière^, dont la
principale preuve étoit l'oblation qu'ils prétendoient
qu'elle avoit faite d'un coq, et les nativités du Roi et
1. Cardin Le Bret, seigneur de Flacourt (1558-1655), avocat
général à la cour des aides de Paris, puis avocat général au
Parlement, conseiller d'État et premier président au parlement
de Metz.
2. Guillaume Deslandes (1538-1630), seigneur de Maigne-
ville, reçu conseiller au parlement de Paris en 1572, était
doyen de la Grand'Chambre.
3. Une première rédaction du manuscrit B portait : Furent,
quant aux crimes de lèse-majesté divine, le judaïsme et sor-
tilège. — On trouve une partie des pièces originales relatives
au procès de la maréchale d'Ancre à la Bibliothèque nationale
dans un manuscrit des Cinq Cents de Colbert.
520 MÉMOIRES [1617]
dn Messieurs ses frères qu'ils trouvèrent dans ses cas-
settes.
Il est vrai qu'elle^ se trouve saisie de la nativité de
sa maîtresse et de celle des enfants que Dieu lui a
donnés. Il se vérifie contre elle qu'au milieu de ses
douleurs elle a fait bénir des coqs et des pigeonneaux
et appliquer sur sa tète pour trouver quelques allége-
ments à ses peines^. On a raison de dire qu'il n'y a
point d'innocence assurée en un temps où on veut
faire des coupables; car, quoique de ces deux choses
la dernière mérite louange, puisqu'elle a son fonde-
ment et ses exemples dans l'Écriture, et la première
compassion pour être plutôt un vice de la nation que
de sa personne, elle ne délaisse pas d'être décla-
rée criminelle de lèse-majesté, d'être convaincue de
sortilège.
On sait assez que peu de grands naissent en Italie
dont on ne tire l'horoscope, dont la vie et les actions
ne soient étudiées dans les astres avec autant de soin
que si Dieu avoit écrit dans les cieux les noms des
personnes sur qui il veut se reposer de la conduite
du monde. Cette doctrine, que nous estimons plus
curieuse que nécessaire, ils ne la croient pas inutile
ni à leur fortune ni à la sûreté des princes; car,
1. Les mots : // est vrai qu\ ont été ajoutés sur le manuscrit B
par Sancy.
2. Ces détails se retrouvent dans différentes pièces manus-
crites du temps, conservées à la Bibliothèque nationale dans la
collection Dupuy et dans celle des Cinq Cents de Colbert. L'ap-
plication sur diverses parties du corps d'un pigeon fraîchement
tué et fendu en deux était encore un remède populaire usité
de notre temps, et les livres de médecine du xyii*^ siècle en
prescrivaient l'usage pour certaines maladies.
[1617] DE RICHELIEU. 221
comme ce n'est pas un mauvais commencement pour
entrer dans les bonnes grâces de son maître que d'en
connoître les inclinations, aussi n'est-ce pas peu pour
sa santé que d'en savoir le tempérament et les
humeurs; la connoissance du mal est, en effet, la pre-
mière partie de la médecine. A la vérité, il est défendu,
par les anciennes lois impériales, de faire des consul-
tations sur la vie des princes; mais ou la défense
n'étoit que pour ceux qui avoient droit à la succes-
sion, ou contre ceux qui, rendant leurs observations
publiques, détachoient les peuples, par l'opinion d'un
changement à venir, du respect qui étoit dû aux puis-
sances légitimement établies ; mais quand elles auroient
eu force indifféremment contre tous, contre ceux qui
les tirent et les reçoivent, contre ceux qui les rendent
publiques ou secrètes, telles fautes ayant été com-
munes en notre temps et sans aucun exemple de châ-
timent, puisqu'il y a prescription contre les lois les
plus saintes lorsque l'usage ordinaire en autorise les
contraventions, elle ne pouvoit être justement con-
damnée.
Pour les remèdes dont elle ne s'est voulu servir
qu'après être sanctifiés de la main du prêtre, je sou-
tiens que c'est plutôt une preuve de sa piété que de ses
crimes. Dieu ayant faitlemondepourl'usagedel'homme,
il fait bien de chercher en la nature ce qui peut sou-
lager la sienne ; mais le chrétien ayant appris que ce
qui est consacré par la bénédiction est plus souverain
que ce qui est formé par la nature, fait encore mieux
de rechercher sa guérison dans les œuvres de la grâce.
Où est la loi qui commande aux sains de bénir les
aliments et défende aux malades de consacrer les
222 MÉMOIRES [1G17]
médicaments? On arme de ce signe les vaisseaux pour
les rendre plus propres à combattre les ennemis et les
orages ; on bénit les eaux pour en ôter le venin ; on
fait des processions dans les campagnes pour les rendre
plus fertiles; et il ne sera point permis de fortifier la
vertu des remèdes par des cérémonies si saintes ! A la
vérité, qui béniroit les animaux pour les purifier tom-
beroit en l'erreur des manichéens, qui les estimoient
immondes comme procédant d'un mauvais principe;
mais les sanctifier pour les rendre meilleurs, cela
demeure dans les maximes de la théologie qui nous
apprend que la grâce accomplit la nature.
Aussi ne fut-elle recherchée pour ses crimes imagi-
naires qu'en apparence ^ mais, en effet, pour n'avoir
pas refusé les libéralités de sa maîtresse. Si elle eût
été moins riche, elle eût été plus à couvert en sa mau-
vaise fortune; elle eût servi plus longtemps si elle eût
servi une princesse moins libérale; ses biens lui atti-
rèrent pour ennemis et pires parties des personnes
dont le pouvoir n'étoit pas moindre que l'avarice, qui,
disposant absolument des volontés du Roi, mandèrent
aux juges par le duc de Bellegarde, qui les visita tous
les uns après les autres pour leur donner cette impres-
sion, qu'ils n'estimoient pas que la Reine pût possé-
der sûrement sa vie si elle n'en étoit privée, qui,
contre le sentiment des plus gens de bien, pour une
faute étrangère, une action de piété et la vertu de sa
maîtresse, la firent condamner à la mort par arrêt.
Quand on lui prononça sa sentence, elle fut surprise
et s'écria : Oimè poverettaf car, s'assurant sur son
1. Le manuscrit B porte en espérance.
[1617] DE RICHELIEU. 223
innocence, elle n'attendoit rien moins que la mort, et
ne savoit pas encore que toute personne qui est en la
mauvaise grâce de son prince est, en ce point-là seul,
atteinte et convaincue de tous crimes dans le juge-
ment des hommes. Elle se résolut néanmoins inconti-
nent à la mort, avec une grande constance et résigna-
tion à la volonté de Dieu.
Dès qu'elle entra en la prison, son esprit, qui étoit
déjà blessé auparavant de tant d'imaginations mélan-
coliques, que non seulement personne ne pouvoit souf-
frir son humeur, mais [qu'Jelle étoit insupportable à elle-
même, revint à soi si parfaitement qu'elle n'eut jamais
le sens meilleur qu'elle l'eut alors et le conserva jus-
ques à la fin, tant elle ressentit parfaitement véritable
cette parole de l'Écriture, que l'affliction est le plus
salutaire remède de l'esprit. Mais à ce point qui fut la
catastrophe de toute sa mauvaise fortune, une grâce
si particulière de Dieu lui fut donnée que, surmon-
tant l'impression naturelle de l'impatience qu'elle avoit
eue toute sa vie, elle se montra d'un courage aussi
constant et ferme comme si la mort lui eut été une
récompense agréable et que la vie lui eut tenu lieu
d'un supplice cruel.
Sortant de la prison et voyant une grande multi-
tude de peuple qui étoit amassé pour la voir passer :
« Que de personnes, dit-elle, sont assemblées pour
voir passer une pauvre affligée ! » Et, à quelque temps
de là, voyant quelqu'un auquel elle avoit fait un mau-
vais office auprès de la Reine, elle lui en demanda
pardon, tant la véritable et humble honte qu'elle avoit
devant Dieu de l'avoir offensé lui ôtoit parfaitement
celle des hommes. Aussi y eut-il un si merveilleux
224 MÉMOIRES [1617]
effet de bénédiction de Dieu envers elle que, par un
subit changement, tous ceux qui assistèrent au triste
spectacle de sa mort devinrent tout autres hommes,
noyèrent leurs yeux de larmes de pitié de cette déso-
lée, au lieu d'assouvir leurs cœurs de son supplice
qu'ils avoient tant désiré; et au lieu qu'ils étoient
accourus pour la voir comme une lionne qui, après
avoir fait beaucoup de carnage, étoit prise dans les rets
et prête à subir la vengeance des maux qu'elle avoit
faits, elle leur parut comme une brebis qu'on menoit
à la boucherie et l'eussent voulu racheter de leur
propre sang. M"*" de Nevers même qui, pour son cou-
rage hautain et pour s'être vue, elle et son mari, pous-
sés jusque sur le bord de leur ruine par elle^ avoit le
cœur le plus envenimé, ne se put tenir de fondre en
larmes : de sorte qu'il est vrai de dire qu'elle fut autant
regrettée à sa mort qu'elle avoit été enviée durant sa
vie. La seule vérité m'oblige à faire cette remarque,
et non aucun désir de favoriser cette femme aussi
malheureuse qu'innocente, vu qu'il n'y a personne si
odieuse qui, finissant ses jours en public avec résolu-
tion et modestie, ne change la haine en pitié et ne tire
des larmes de ceux mêmes qui auparavant eussent
désiré voir répandre son sang^.
La part que son mari et elle ont eue aux biens, aux
grandeurs, au gouvernement de l'État et aux bonnes
1. Les dix-huit mots qui précèdent ont été ajoutés sur le
manuscrit B par Sancy.
2. Tout ce récit des Mémoires sur la mort de la maréchale
d'Ancre concorde, dans l'ensemble, avec celui du Mercure
français, t. IV, année 1617, p. 231-234, et avec ceux des con-
temporains.
[1617] DE RICHELIEU. 225
grâces de la Reine, la montre pompeuse que la fortune
a faite d'eux sur le théâtre de ce royaume, la passion-
née et différente affection des peuples vers eux, et les
divers jugements qu'en a faits toute l'Europe nous
obligent, ce me semble, à dire quelque chose en bref
de leur naissance, de leur fortune, de leurs mœurs,
de leurs défauts, de leurs vertus, de leur vie et de
leur mort, répétant le moiiis qu'il se pourra les choses
qui se trouveront dites d'eux au cours de cette histoire.
Le mari s'appeloit Concino Goncini^ étoit gentil-
homme des meilleures naissances de Florence, comme
en fait foi Scipion Ammirato- dans son livre des Mai-
sons illustres. Son père^ avoit été gouverneur de Don
1. On trouve une première ébauche de ce portrait du maré-
chal d'Ancre, aux Affaires étrangères, dans le volume France 771,
fol. 93. Ce fragment est écrit par Cherré et les Mémoires le
reproduisent presque textuellement. Il porte la mention sui-
vante de la main de Richelieu : « Jugement du maréchal
d'Anci'e pour mettre après sa mort. Il en faudra mettre autant
de sa femme après sa mort. « En marge de ce document se
trouvent les lettres A, B qui fixent les limites d'un premier
extrait à faire pour les Mémoires. La lettre^ est placée en face
de la ligne où se trouve le mot gentilhomme, qu'on avait sou-
ligné, comme étant celui qui devait commencer l'extrait.
2. Scipion Ammirato (1531-1601), dit l'Ancien, écrivit un
livre intitulé Délie famiglie nobili fiorentini, dont la première
partie parut en 1615; il laissa aussi une Histoire de Florence
qui va jusqu'en 1574. En 1551, il reçut les ordres mineurs et
se fixa à Florence en 1569. Il adopta un jeune homme d'obs-
cure naissance, Christophe Bianco, né vers 1582, qui fut son
secrétaire et à qui il légua son nom. Celui-ci, dit Scipion Ammi-
rato le jeune, représenta le grand-duc de Toscane à la cour
de France pendant la minorité de Louis XIII. Il continua, en
partie, les ouvrages de son père d'adoption.
3. Jean-Baplisle Concini, auditeur et secrétaire d'Etat du
n 15
226 MÉMOIRES [1617]
François de Mcdicis^ père de la Reine mère, et seul
ministre sous Gôme^, estimé pour le premier homme
d'État d'Italie au rapport de M. de Thou^
La jeunesse de Concino fut agitée de plusieurs acci-
dents, de prison, de bannissement, jusques à être
réduit à être échanson du cardinal de Lorraine.
Peu de mois avant le mariage du Roi, il retourna à
Florence, où, se trouvant peu de bien, troisième cadet
d'une maison de dix mille ducats de rente, il fut aisé
à persuader de venir avec la princesse Marie. Leonora
Galigaï le regardoit déjà de bon œil et l'aida de
quelques deniers avant son partement, dont il acheta
un cheval qu'ils appellent de rispeto'', qui coûta deux
mille ducats, duquel il fît présent au Roi.
grand-duc de Toscane Côme P"", avait épousé Camille Miniati.
Lecteur en droit canon en 1560 à Pise, auditeur de la rote de
Mantoue en 1562, clievalier de l'ordre de Saint-Etienne la
même année, grand chancelier du Grand-Duc en 1569, il fut
envoyé en 1571 à la cour de l'Empereur, comme ambassadeur.
Maximilien II reconnut alors ses droits au titre de comte de la
Pena. En 1576, il fut élu sénateur, puis auditeur et conseiller
privé du grand-duc François P""; il tomba ensuite en disgrâce
et mourut en 1605.
1. François-Marie de Médicis (1541-1587), grand-duc de
Toscane.
2. Côme P"" de Médicis (1519-1574), cx^éé grand-duc de
Toscane par le pape Paul V en 1569, était père de François-
Marie (ci-dessus) et grand-père de Marie de Médicis, Il avait
épousé en 1539 Eléonore de Tolède, fille du vice-roi espagnol
de Naples.
3. Jacques-Auguste de Thou (tome I, p. 137). Il a été parlé
dans notre tome I, p. 138, note 1, de sa célèbre Histoire uni~
verselle ou Historia mei temporis.
4. Le document original des Affaires étrangères porte de
respesto.
[1617] DE RICHELIEU. 227
Peu après son arrivée, il épousa la susdite Leonora
Galigaï* et, au même temps, eut crédit de mari de la
favorite de S. M. Il fut premier maître d'hôtel de la
Reine et puis son premier écuyer'. Après ^ plusieurs
fâcheuses rencontres, tant de l'aigreur de l'esprit de sa
femme, qui ne se pou voit rendre à parler au Roi avec
le respect qu'elle devoit sur le sujet de ses amourettes,
que de l'envie de Don Jean*, qui essaya de persuader
au Roi qu'il seroit mieux en Italie que proche de la
Reine, il gagna enfin crédit en l'esprit de S. M., tant
parce qu'il étoit adroit aux exercices, aimoit le jeu,
étoit d'humeur agréable, railleur et divertissant, que
principalement pour ce qu'il le servoit à déguiser et à
cacher ses amours à la Reine et à divertir et apaiser
les orages de la jalousie, que le Roi ne pouvoit sup-
porter.
Après ^ la mort du Roi, sa fortune haussa et s'accrut
avec l'emploi; mais sa faveur commença à aller de
soi-même et vint à tel point que, durant la dernière
année de son pouvoir, sa femme y eut la moindre part.
1. Var. : Il épousa la susdite Léonora (H).
2. C'est ici que s'arrête l'extrait fait sur le document écrit
par Cherré. On y voit, en marge, la lettre B et un crochet après
le dernier mot devant terminer l'emprunt, qui finissait ainsi :
« Il fut premier maître d'hôtel et puis premier écuyer de la
Reine. » Voyez ci-dessus, page 225, note 1.
3. Ce qui suit, jusqu'à la fin de l'alinéa, fait défaut dans le
fragment manuscrit du volume France 771 des Affaires étran-
gères.
4. Jean de Médicis, oncle de la Reine : tome I, p. 54.
5. Avec cet alinéa commence un nouvel emprunt fait au
document écrit par Cherré. La lettre C, en face des mots Api^ès
la mort du Roi, soulignés en partie, indique le commencement
du nouvel extrait.
228 MÉMOIRES [1617]
Il étoit naturellement soupçonneux, connue Italien
et Florentin, moins charlatan que le commun de sa
nation ne porte, entreprenant, courageux, quoique la
médisance, qui attaque toujours ceux qui ont la pre-
mière puissance, ait voulu dire. Ceux qui virent tuer
des gens auprès de lui, à l'entreprise du Gatelet et au
siège de Glermont', sont encore en vie et témoins
dignes de foi qu'il ne se peut pas faire meilleure mine
en lieu périlleux.
Ses railleries ordinaires de traiter ceux de sa nation
et ses domestiques de coglioni donnèrent prise au
monde, qui la recherche volontiers sur ceux qui
tiennent son poste, pour l'en faire traiter lui-même.
Il avoit pour principal but d'élever sa fortune aux
plus hautes dignités où puisse venir un gentilhomme,
pour second désir la grandeur du Roi et de l'État, et,
en troisième lieu, l'abaissement des grands du royaume,
et par sur tout la maison de Lorraine ; car, encore que
partie en fût attachée aux intérêts de sa maîtresse, il
disoit néanmoins souvent à ses confidents que les
princes du sang faisoient moins de mal dans la rébel-
lion ouverte que les autres dans leurs intrigues de
cour^.
Il avoit reconnu l'imbécillité d'esprit de sa femme
deux ans avant sa mort et n'ignoroit pas ce que l'on
disoit de ses autres imperfections. Il avoit été sur le
point de l'envoyer enfermer au château de Gaen
1. Le maréchal d'Ancre prit Clermont-en-Beauvaisis sur les
princes le 29 octobre 1615; quant au Catelet, l'entreprise faite
sur cette place est un peu antérieure.
2. Voyez le portrait du mai^échal dans les Mémoires d'Es-
îrées (éd. Michaud, p. 419).
[1617] DE RICHELIEU. 2^9
comme folle; mais Montalto^ le médecin qui gouver-
noit la santé de l'un et de l'autre, détourna ce dessein
et fut plutôt d'avis qu'on tâchât de la ramener par
douceur, en satisfaisant son avarice par petits, mais
ordinaires présents, et autres soins étudiés, que d'en
venir à cette extrémité.
Il avoit passion d'épouser M"^ de Vendôme^, qui
en eut connoissance par personne confidente du maré-
chal et reçut ses vœux avec témoignage de singulière
approbation.
Les anciens ministres lui étant en extrême dégoût,
le Chancelier, M. de Villeroy et le commandeur de
Sillery par sur tous, le président Jeannin lui eût
agréé, détaché des autres, mais il n'en put venir à
bout et en reçut de rudes rebuffades. Il eût peu ou
nulle satisfaction du garde des sceaux du Vair ; il l'ac-
cusa d'ingratitude et d'ignorance en parlant à sa
barbe ^.
Je lui gagnai -^ le cœur, et il fit quelque estime de
moi dès la première fois qu'il m'aboucha. Il dit à
quelqu'un de ses particuliers qu'il avoit un jeune
1. Philotée Montalto, juif portugais, de son vrai nom Pom-
pilio Evangelisti, était également médecin de la reine Anne et
de la Reine mère. Il mourut en février 1616. Lors du pro-
cès de la maréchale d'Ancre, on accusa celle-ci de s'être occu-
pée de magie avec Montalto, qui l'aurait, en outre, instruite de
la religion hébraïque.
2. Catherine-Henriette, fille légitimée de Henri IV et de
Gabrielle d'Estrées : tome I, p. 42.
3. L'original, de la main de Cherré, porte en parlant à sa
barbe et de sa barbe.
4. Le même original porte, au lieu de Je lui gagnai, les mots
Monsieur tévêque de Luçon lui gagna. C'est aussi ce qui avait
d'abord été mis sur le manuscrit B.
230 MÉMOIRES [1617]
homme en main, capable de faire leçon h tutti barboni^ .
L'estime dura toujom^s; mais sa bienveillance diminua
entièrement, premièrement parce qu'il me trouva avec
des contradictions qu'il n'attendoit pas, secondement
parce qu'il remarquoH que la confiance de la Reine
penchoit toute de mon côté, troisièmement par les
mauvais offices de Ruccellaï, qui n'omettoit aucun
artifice pour m'abattre et Barbin.
Il reconnut la distinction du passé dans l'esprit de
la Reine par deux propositions qu'il fit faire à Ruccel-
laï, qu'il croyoit qu'elle refuseroit toutes deux, mais
au contraire les approuva. La première, qu'il fût
ambassadeur à vie auprès de Sa Sainteté ; la seconde,
qu'il fît faire pour éluder la première, qu'on lui pro-
curât auprès du Pape l'investiture de Ferrare, moyen-
nant grande somme de deniers délivrée aux neveux.
L'acceptation de ces deux partis l'aigrit tout à fait
contre S. M. et lui fit projeter mon éloignement et du
garde des sceaux Mangot, et Barbin^.
L'aigreur s'augmenta en ces mêmes temps contre
sa femme, qui n'ayant plus le juif Montalto, mort
quelque temps auparavant^, pour modérer ses fan-
taisies, elle échappoit jusques aux injures, et leurs
1. Les « Barbons », expression familière qu'on employait
alors pour désigner les vieux ministres : voyez G. Hanotaux,
Histoire du cardinal de Richelieu, t. II, p. 68-71.
2. L'original, de la main de Cherré, est écrit à la troisième
personne, c'est-à-dire, par exemple, que là où le texte des
Mémoires, faisant parler Richelieu, emploie le pronom « je »,
le document porte « M. l'évêque de Luçon » ou « ledit sei-
gneur évêque », comme il a déjà été remarqué ci-dessus.
3. Il était mort en février 1616.
[1617] DE RICHELIEU. 231
dernières visites eurent besoin de l'intervention de
la Reine pour empêcher les dernières extrémités.
Elle vouloit s'en aller hors le royaume ; il n'en vou-
loit point partir, disant souvent qu'après avoir été ce
qu'il étoit en France il n'y avoit que la casa di Domine
de meilleure^ et où il pût vivre à son goût. Il ne fit quasi
aucun bien à ses parents ni à ceux de sa nation, afin
qu'on vît que tous ses sentiments naturels étoient étouf-
fés par ceux qu'il avoit pour la France.
Le médecin juif avoit préoccupé son esprit, mais
moins que celui de la Reine et de sa femme, qu'on les
vouloit assassiner par la vue et empoisonner par des
regards. Leur manie en vint à tel point qu'ils ne regar-
doient que peu de gens et vouloient encore être regar-
dés de moins.
La passion du jeu étoit son seul divertissement, les
dernières années de sa vie; celle de l'amour n'y
paroissoit point; il étoit rompu par deux hernies, de
telle façon que la vertu ne faisoit aucune partie de sa
chasteté. Il étoit naturellement libéral, d'agréable
conversation, recevant à manque d'affection en ses
particuliers amis si le respect bornoit la familiarité;
ses domestiques ne le voyoient jamais que maître et
peut-être plus aigre qu'il ne convient pour en être
aimé; mais il a eu cette bonne fortune que ses gens
l'ont toujours aimé avec grande fidélité.
Les vices de sa nation n'ont point paru en lui;
l'assassinat de Prouville^ fut plutôt toléré que permis,
1. L'original donne la vraie leçon : « Il n'y avoit que la casa
de Domine Dio meilleure. »
2. Tome T, p. 385-386.
^32 MÉMOIRES [1617]
vl puis ce ne seroit pas une question peu probléma-
tique de disputer qu'un sergent-major d'une place
comme la citadelle d'Amiens, qui a intelligence avec
les ennemis de celui qui l'a mis en charge, peut être
traité justement du poignard*.
Quant^ à la maréchale, elle s'appeloit Leonora Gaï
et changea de surnom pour déguiser la bassesse de son
extraction, laquelle, étant obscure, facilita ce change-
ment sans qu'on s'en aperçût. Elle étoit fille d'un
menuisier; sa mère fut nourrice de la Reine, de
laquelle partant elle fut sœur de lait, plus âgée qu'elle
de quinze ou vingt mois, et nourrie dans le palais
auprès d'elle. Avec l'âge crût leur amitié : la fidélité,
le soin, l'assiduité de Leonora à servir sa jeune maî-
tresse n'avoient point de semblable; la tendresse de
la reconnoissance de la princesse vers sa servante en
avoit encore moins; aussi se rendit-elle si adroite et
si savante en toutes les propretés et gentillesses dont
la jeunesse des filles se pare et orne ses beautés, qu'il
sembloit à sa maîtresse qu'elle étoit seule au monde et
qu'elle n'en pourroit jamais recouvrer une telle si elle
la perdoit^.
1. Ici se termine le document de la main de Cherré. L'abbé
Le Grand, qui a catalogué les papiers du cardinal (voyez Rap-
ports et notices, 1. 1, p. 316-317), a écrit au dos de cette pièce :
« Portrait et éloge du maréchal d'Ancre. »
2. Dans les pages qui suivent, consacrées au portrait de la
Galigaï, le l'édacteur des Mémoires s'est inspiré d'un document
qui se trouve aux Affaires étrangères, France 771, fol. 95-100,
et qui est de la main d'un scribe dont nous avons rencontré
quelquefois l'écriture dans les papiers de Richelieu ; on le trou-
vera ci-après en appendice.
3. Le Mercure francois, t. IV, année 1617, p. 235, porte
[1617] DE RICHELIEU. "233
Ce besoin que sa maîtresse ressentoit, plutôt qu'elle
ne pensoit avoir d'elle, lui fit donner une telle part
en sa confiance qu'il n'y avoit point pour elle de
secret dans son cœur. Le Grand-Duc n'étoit pas marri
qu'une fille de sa condition, des volontés de laquelle
il étoit toujours le maître, gouvernât sa nièce; les
réponses de laquelle aux princes qui la recherchoient
étoient telles que lui insinuoit Leonora, et Leonora
ne manquoit pas à les lui donner telles que le Grand-
Duc vouloit, qui, par ce moyen, sans paroître s'en
mêler, gouvernoit l'esprit de sa nièce et en faisoit ce
qu'il vouloit. Enfin, après l'avoir beaucoup de temps
gardée comme un trésor qu'il faisoit espérer à tous
et ne laissoit néanmoins enlever de personne, comme
il la vit avoir atteint l'âge de vingt-sept ans accomplis
et ne la pouvoir plus longtemps retenir sans la faire
beaucoup déchoir d'estime et, s'offrant l'occasion la
plus avantageuse que la bonne fortune lui pût offrir
de la colloquer utilement pour lui, glorieusement pour
sa maison, heureusement pour elle, il l'accorda à la
recherche qu'en fit Henri IV après avoir donné par ses
victoires une paix assurée à son État. Leonora a part
à cette grande aventure de sa maîtresse, puisque, si
elle est élevée à la haute majesté de reine de France,
celle-ci l'est à la dignité de reine de son cœur :
pauvre papillon, qui ne savoit pas que le feu qui la
consumeroit étoit inséparablement uni à l'éclat de
ceci : « Ledit Vincent Ludovici en son interrogatoire a dit
qu'il croyoit que la grande faveur que la maréchale d'Ancre
avoit eue de la Reine mère étoit procédée de la longue con-
noissance et grande familiarité que ladite maréchale avoit eue,
dès l'âge de dix ou douze ans, avec ladite dame Reine mère. »
234 MÉMOIRES [1617]
cette vive lumière qu'elle suivoit transportée d'aise et
de contentement!
Arrivée qu'elle est en France, elle est incontinent
reconnue pour la favorite de la Reine, qui, sans
beaucoup de difficulté, la fait agréer au Roi. L'incli-
nation qui déjà dès Florence étoit née en son cœur
en faveur de Conchine, joint à ce que, naturellement
défiante et se reconnoissant mal partagée de beauté,
elle eut crainte de n'être pas si bien traitée d'un
François, la portèrent à épouser Conchine, qui fut fait
premier maître d'hôtel de la Reine, dont elle étoit
dame d'atour.
Dans les mécontentements que la Reine reçut par
les diverses amours du Roi, elle demeura si insépara-
blement unie aux intérêts de sa maîtresse que jamais
ni le Roi, ni son mari ne la purent gagner pour les lui
pouvoir faire dissimuler ou l'empêcher d'en parler
avec l'aigreur que méritoit le ressentiment de l'offense
qu'elle prétendoit être faite à la Reine ; d'où elle se vit
plusieurs fois en danger d'être renvoyée en Italie, elle
et son mari. Cela ne lui nuisoit pas auprès de sa maî-
tresse, qui, à la mort du feu Roi, étant devenue dame
absolue de ce grand royaume sous le titre de régente,
lui fît telle part de sa puissance, et, pour l'amour
d'elle, à son mari, qu'ils se virent élevés au plus haut
point de grandeur où jamais étrangers le furent en
cet État.
Elle se gouvernoit avec cette modestie en sa faveur,
qu'elle ne se soucioit pas que l'on crût que le principe
en fût en son mari ou en elle, bien qu'elle en fût
l'àme et le lien, tant pour ce que c'étoit elle que la
Reine aimoit que pour ce que le feu de l'ambition de
[1617] DE RICHELIEU. 235
son mari le faisoit aller si vite et avec si peu de pré-
caution en sa conduite envers la Reine qu'il manquoit
de l'adresse nécessaire pour en obtenir quelque chose,
où elle, au contraire, par la sienne, venoit à bout de
ce que la Reine par son inclination ne vouloit pas, ne
lui parlant jamais d'une affaire qu'elle n'y eût pre-
mièrement fait disposer son esprit par plusieurs choses
qu'elle lui faisoit dire de loin par les uns et les autres,
et, après tous ces préparatifs, seulement lui en parloit
et, d'abondant encore, avoit toujours quelqu'un des
ministres de son côté, et souvent pour les ruiner les
uns par les autres * .
Dès le commencement, mais plutôt par la bassesse
de son esprit qui suivoit celle de sa naissance que pai"
modération de vertu, elle témoigna avoir plus de désir
de richesses que d'honneurs et résista quelque temps
aux appétit^s immodérés de la vanité de son mari,
tant pour la susdite raison que pour ce qu'elle crai-
gnoit qu'il s'emportât d'orgueil envers elle-même et
la méprisât.
Mais la magnificence de la Reine, qui vouloit que la
grandeur de ses créatures fût proportionnée à la puis-
sance et à la libéralité de celle qui les élevoit de la
poussière, ou leur mauvaise fortune, qui, pour les
tromper plus facilement, jonchoit de roses le chemin
qui conduisoit à leur ruine, firent qu'enfin les désirs
de l'un et de l'autre furent assou\is, les principales
richesses, dignités et charges de cet État étant accu-
mulées en eux.
1. Ce dernier membre de phrase, depuis « et souvent », a été
ajouté par Sancy sur le manuscrit B.
236 MÉMOIRES [1617]
Si leurs prospérités furent exti^ordinaircs, leurs
traverses ne le furent pas moins : les grands, les
princes, les ministres, les peuples les avoient pour but
d'envie ou de haine. Le courage manqua première-
ment à Leonora : elle pensa à faire retraite en Italie ;
son mari ne le voulut pas si tôt et ne se rendit à ce
désir qu'à l'extrémité, quand il se vit abandonné de
Monsieur le Prince; mais il le quitta quand il le vit
arrêté, ce que sa femme ne fit pas, qui continua en ce
dessein et y disposa ses affaires ^.
Toutes ces traverses, et domestiques avec son mari,
dont les désirs étoient si contraires aux siens, et
publiques, donnèrent une telle atteinte à son corps
qu'il en perdit toute santé, et à son esprit qu'il s'en
troubla en quelque manière : de sorte qu'elle se mit
en imagination que tous ceux qui la regardoient
r avoient ensorcelée; dont elle devint si chagrine que
non seulement elle se tiroit de la conversation de tout
le monde, mais même elle ne voyoit quasi plus sa
bonne maîtresse; et, quand elle la voyoit, ce n'étoit
que paroles d'injures, l'appelant despietata, ingrata,
et quand elle parloit d'elle, l'épithète la plus ordi-
naire qu'elle lui donnoit étoit celle de balourde.
L'opinion qu'elle eut que son mari eût voulu être
défait d'elle et pensoit déjà à une nouvelle épouse,
jetant les yeux sur M"® de Vendôme, n'apportoit pas
peu de coup à tous ces troubles de son esprit. Il dissi-
muloit néanmoins, du commencement, avec elle le
mieux qu'il lui étoit possible, ne la voyant que les soirs
seulement, faisant ses visites de peu de durée, lui por-
1. Ci-dessus, p. 229.
[1617] DE RICHELIEU. 237
tant toujours quelque petit présent et permettant
même, à ce que l'on disoit, qu'un seigneur Andréa,
Napolitain, qui étoit à lui, demeurât avec elle pour
la réjouir de la musique de sa voix et de ses instru-
ments ^ Mais enfin il cessa de la voir plus que tort
rarement, lorsque tant de fâcheuses humeurs de sa
femme lui donnèrent lieu de prendre crédit de soi-
même en l'esprit de la Reine, dont elle pensa déses-
pérer et vint à tel point de fureur vers lui, et lui vers
elle, qu'ils ne se parloient plus qu'avec imprécations
mutuelles : pronostics secrets du malheur prochain
qui leur de voit arriver.
Heureux- et l'un et l'autre s'ils eussent vécu en l'amour
et en la confiance qu'ils se dévoient, et que ou le
1. Cet Andréa n'est autre qu'André de Lizza, abbé de
Hautefontaine et de Livry. Né dans le royaume de Naples
en 1579, il vint en France en 1608 avec le cardinal du
Perron, dont il était aumônier depuis Tannée 1606 environ.
En 1612, il entra au service de la Galigaï qui appréciait parti-
culièrement sa voix et son talent de joueur de luth. Il lui ser-
vait d'aumônier et s'entretenait avec elle de longues heures.
Lors de son procès, on accusa la maréchale d'avoir employé
ces entretiens à faire de la magie. Depuis le début de l'année
1616 environ, Lizza était comme intendant des biens de la
maréchale. En juin 1616, étant tombé malade, il se retira à
son abbaye de Livry. L'année suivante, en juillet, il fut tra-
duit devant l'official et accusé de sodomie; le tribunal l'acquitta.
2. Le passage est très abrégé dans les manuscrits M et H et
ainsi rédigé : « Heureux et l'un et l'autre s'ils eussent vécu en
l'amour et en la confiance qu'ils se dévoient et qu'ils ne se
fussent pas laissé emporter à la passion de leur effrénée ambi-
tion qui enfin les a plongés dans le dernier malheur. On croyoit
voir finir la persécution avec la vie de cette misérable, mais
comme il est malaisé de modérer une puissance injustement
acquise, etc.. »
238 MÉMOIRES [1617]
mari eût, par une déférence bienséante, déféré aux
conseils de sa femme lorsqu'elle lui faisoit dire qu'il
levoit trop de voiles pour un si petit vaisseau, et se fût
résolu de descendre de ce haut ciel de faveur où il
étoit élevé, en une sphère plus basse et y fournir la
carrière de sa fortune en restreignant sa course en des
cercles de moindre grandeur, ou qu'elle, de sa part,
interprétant avec simplicité les désirs de son mari et
n'y prévoyant pas à l'avenir de mauvais desseins
contre elle, eût consenti que sa nièce eût épousé
Luynes', attachant par cette ancre sacrée sa fortune
flottante dans le port de salut.
Mais Dieu, qui vit qu'au lieu du service de leur maî-
tresse leur seul intérêt les conduisoit en toutes choses,
voulut que ce même intérêt d'un chacun d'eux en
particulier fût enfin cause de la perte du bien com-
mun et de la vie de tous les deux.
On croyoit que la persécution devoit finir avec la
vie de cette pauvre misérable; mais, comme il est
malaisé de modérer une puissance injustement acquise,
elle n'est pas si tôt morte qu'elle passe de la servante
à la maîtresse.
La nouvelle de sa mort donna une grande affliction
à la Reine qui étoit à Blois, et du mal qu'on faisoit à
la favorite on jugeoit bien qu'on ne faisoit pas passer
dans l'esprit du Roi la maîtresse pour exempte de
manquement.
Tous les autres serviteurs qui lui restoient à la cour,
ou, pour mieux dire, ceux qui avoient fait profession
de l'être et qui ne parloient pas maintenant contre elle
1. Ci-dessus, p. 175, il est parlé déjà de ce projet de mariage.
[1617] DE RICHELIEU. 239
assez imprudemment, rece voient tous, chacun à leur
condition, peu favorable traitement. De sorte que,
s'il y avoit autrefois presse à mendier ses bienfaits,
il y en avoit maintenant davantage à dénier qu'on en
eût reçu; et si quelqu'un, touché de compassion du
changement qu'on voyoit en elle, làchoit quelque
parole à son avantage, le bruit n'en venoit pas si tôt
aux oreilles de ceux qui la craignoient qu'ils impu-
toient tels sentiments à crime et l'accusoient de ne pas
approuver les actions du Roi, donnant ainsi à entendre
qu'elle gagnoit par faction et cabale secrète les langues
et les cœurs des personnes qui se portoient à la
plaindre par raison.
Au sortir de Paris, je l'accompagnai, recevant plus
de consolation en la part que je prenois en son afflic-
tion que je n'en eusse pu recevoir en la communication
que ses ennemis me voulurent faire de leurs biens.
J'en voulus avoir une permission expresse du Roi
par écrit, de peur qu'ils me rendissent puis après
coupable de l'avoir suivie et soutinssent que je l'avois
fait de mon mouvement^. Je savois bien l'épineuse
1. Le Roi manda à Richelieu, par lettre de Paris, du 6 mai
1617, contresignée par Loménie a que la Reine sa mère lui
ayant fait entendre le désir qu'elle a que ledit sieur de Luçon
l'accompagne à Blois, il sera bien aise qu'il parte et se tienne
près d'elle, s'assurant tellement en sa probité et affection que
là et partout ailleurs il le servira en homme de bien et comme
un bon et fidèle sujet et serviteur ». Ce passage est tiré d'un
« Extrait des lettres du Roi à Monsieur de Luçon » écrit par
Charpentier et utilisé par les Mémoires (Aff. étr., France 771,
fol. 338). La lettre originale de Louis XIII est conservée dans
le vol. 244 du fonds France aux Affaires étrangères, fol. 1.
Richelieu a mis au dos : « Portant commandement d'aller à
Blois. »
240 MÉMOIRES [1617]
charge que ce m'étoit de demeurer auprès de la Reine ;
mais j'espérois me conduire avec tant de candeur et
de sincérité que je dissiperois toutes les ténèbres de
la malice conjurée contre moi; et, pour m'aider à y
parvenir, je conseillai incontinent à la Reine d'en-
voyer quérir le P. Suffren^ personnage de grande
piété et de simplicité, éloigné de menées et d'artifices,
et qui n'en laisseroit pas prendre la pensée seulement
à la Reine jusques à l'extrême nécessité. Le bon Père
néanmoins ne vint pas trop tôt, comme il avoit été
mandé, mais seulement quelques mois après.
Je ne manquai point aussi, dès que nous fûmes
arrivés à Blois, en donnant avis au sieur de Luynes^,
de lui mander que je prévoyois assurément qu'il auroit
tout contentement d'elle et que ses actions n'auroient
autre but que le bien des affaires de S. M.; que la
mémoire des choses passées n'a plus de lieu en son
esprit et que je n'eusse pas cru que si peu de temps
l'eût entièrement guérie comme elle étoit^. Puis, de
1. Le jésuite Jean Suffren ou Souffran (1565-1641), né à
Salon (Bouches-du-Rhône), fut, à partir de 1615, confesseur de
la reine Marie de Médicis, puis confesseur du Roi et publia divers
ouvrages de piété, dont le plus connu est l'Année chrétienne
en six volumes in-4°, imprimé en 1641.
2. La lettre par laquelle Richelieu donnait cet avis à Luynes
était du 8 mai 1617; elle a été analysée par Avenel, t. VU,
p. 927.
3. Le volume 771 du fonds France des Affaires étrangères
(fol. 385 et 386) contient un document de la main de Charpen-
tier, au dos duquel Sancy a écrit le mot « Employé » et inti-
tulé : « Extrait des lettres de Monsieur de Luçon à M. de
Luynes. » Ces extraits ont été utilisés pour les Mémoires. Ainsi,
le début de ce paragraphe est emprunté à un extrait d'une
lettre de Richelieu à Luynes, écrite de Blois, le 8 mai : « Il lui
[1617] DE RICHELIEU. 241
temps en temps, je lui rendois un compte exact des
actions de la Reine ^ afin qu'il ne lui pût rester aucun
doute qui le fit entrer en soupçon.
La Reine, m'ayant fait chef de son Conseil^, je ne
voulus pas accepter cette charge sans l'en avertir et
en avoir permission du Roi, assurant S. M., et le
sieur de Luynes particulièrement, que toutes mes
actions feroient connoître que l'envie et la rage de
tous ceux qui me traversoient ne peuvent en rien
altérer un homme de bien comme j'étois ; que si Dieu
m'a donné quelque esprit, il ne doit pas m'être imputé
à crime, en usant bien, comme les bons et les mé-
donne avis... qu'il prévoit assurément qu'il auroit tout conten-
tement d'elle et que ses actions n'auront autre but que le bien
des affaires de S. M., que la mémoire des choses passées n'a
plus de lieu en son esprit et que je n'eusse pas cru que si peu
de temps l'eût entièrement guérie comme elle étoit. » Les cor-
rections de style ont été faites par Sancy sur l'extrait. On
entrevoit par cet exemple le mode de travail, adopté quelque-
fois pour la rédaction des Mémoires; dans le cas présent, il
semble que Charpentier ait été chargé de faire des résumés
ou des extraits des pièces destinées à être employées dans les
Mémoires. Peut-être, d'ailleurs, n'a-t-il écrit ces extraits que
sous la dictée. Sancy aurait choisi les passages intéressants et
y aurait apporté les modifications nécessaires. Il faut aussi
remarquer entre le document utilisé et le texte des Mémoires
des différences d'un autre ordre, que nous avons déjà signa-
lées. Ainsi, on lit sur l'extrait écrit par Charpentier : « Il lui
donne avis qu'il prévoit ». Les Mémoires disent « que je pré-
voyois ».
1. On trouve dans Avenel, t. VII, p. 386 et suiv., plusieurs
des lettres que Richelieu adressa à Luynes à cet effet.
2. Dans une lettre écrite vers le 10 mai 1617, Richelieu
témoigna à Luynes sa reconnaissance de ce que le Roi avait
agréé sa nomination de chef du conseil de la Reine mère (Ave-
nel, t. VII, p. 386).
II 16
242 MÉMOIRES [1617]
chants seront contraints par mes actions de le recon-
noître.
J'appelai M. de la Curée à témoin si je ne lui avois
pas dit qu'ayant à honneur de servir la Reine, je
n'accepterois aucune charge que le Roi ne l'agréât, ce
(jue ledit sieur de Luynes voyoit maintenant par effet ;
que, s'il considéroit mon procédé par lui-même et non
dans les artifices des personnes mal affectionnées, il
ne me condamneroit pas^ ; que les actions de la Reine
étoient toutes si saintes que, s'il arrivoit quelque
mauvais événement en sa conduite, il le faudroit
attribuer, non à elle, mais à ceux à qui elle a quelque
créance; que j'étois sûr que le Roi auroit contente-
ment de ses actions et de ceux qui sont auprès d'elle ;
que, pour mon particulier, je ne désirois autre chose,
sinon qu'on ne prît point l'ombre pour le corps, et
qu'ouvrant les yeux pour voir clairement quelles
sont les actions de S. M. et de ceux qui, en servant
le Roi, la servent, on ferme l'oreille à tous mauvais
rapports^.
Mais toutes ces précautions ne purent empêcher les
1. Le paragraphe précédent et le début de celui-ci sont
empruntés au même « Extrait des lettres de Monsieur de Luçon
à M. de Luynes ». Les lettres à la marge, indiquant le com-
mencement et la fin d'un passage destiné aux Mémoires, s'y
trouvent bien. Sancy a corrigé le passage emprunté.
2. Ce passage des Mémoires, depuis « que les actions de la
Reine », est tii^é d'un « Extrait des lettres de Monsieur de
Luçon à des particuliers », écrit par Charpentier (Affaires
étrangères, France 771, fol. 337). Certaines parties en ont été
corrigées par Sancy. Ce feuillet porta, au temps de Richelieu,
d'abord le n» 1 d'une pagination ancienne, puis le n" 103.
Avenel a analysé cette lettre dont Charpentier a écrit l'extrait
(t. VII, p. 927).
[1617] DE RICHELIEU. 243
effets de leur mauvaise volonté contre moi, d'autant
que le défaut de sincérité n'étoit pas ce qu'ils crai-
gnoient en moi ; ce qui les travailloit étoit leur propre
crime et ce qu'ils craignoient étoit le peu d'esprit
que Dieu m'avoit donné. Je recevois par toutes leurs
lettres des nouvelles des avis qu'on donnoit, disoient-
ils, au Roi contre moi; ils me mandoient qu'à toute
heure ils avoient les oreilles battues de ne se pouvoir
pas assurer en moi, d'autant que j'étois du tout porté
à cabaler ' ; que le sieur de Luynes essayoit de faire voir
la fausseté de ces beaux avis et faire fermer la bouche
aux inventeurs et porteurs de ces bruits, mais qu'il
n'en pouvoit venir à bout^; une autre fois, qu'on
1. Ce dernier membre de phrase est tiré de 1' « Extrait des
lettres du sieur Déageant à Monsieur de Luçon » écrit par Char-
pentier et qui porte au dos le mot « Employé » de la main de
Sancy (AfF. étr., France 771, fol. 391). La lettre est de Paris, du
10 mai. Elle est conservée en original dans le même volume du
fonds France, fol. 112. Voici le passage de 1' « extrait » : « Je
ne vous tairai point. Monsieur, qu'à toutes les heures l'on a les
oreilles battues de ne se point assurer de la personne à laquelle
vous savez que j'ai voué tout service et veut-on persuader qu'elle
est du tout portée à cabaler. J'essaye autant qu'il m'est possible
à faire voir la vanité de ces beaux avis, en espérance d'en venir
à bout, quels artifices que l'on apporte au contraire, pourvu que
vos conseils soient suivis par delà. » Certaines expressions de
cette phrase se retrouvent, quelques mots plus loin, dans les
Mémoires.
2. Ce membre de phrase est emprunté à une autre lettre de
Déageant à Richelieu (Paris, 15 mai 1617), résumée dans
r « Extrait » écrit par Charpentier, ci-dessus mentionné. L'ori-
ginal porte : a Ce que je vous ai écrit que j'essaierois à dissi-
per les bruits que l'on faisoit courir contre Luçon, ne s'enten-
doit en façon quelconque du Roi ni de Luynes ; car, de ce côté-là,
je vous assure qu'il n'y reste rien à désirer pour Luçon. Le
donneur de celle-ci l'en pourra assurer de bouche, suivant la
244 MÉMOIRES [1617]
a voit avis des brouilleries et menées de plusieurs,
sous le nom et en faveur de la Reine, dont le Roi et
Luynes ne croyoient rien, mais qu'il falloit que j'y
veillasse, de peur que, si cela étoit, il en arrivât du
malheur ^ Rref, toutes leurs lettres ne chantoient autre
chose.
Je leur mandois que je m'obligeois au Roi, sur ma
tête, d'empêcher toutes cabales, menées et mono-
poles, ou, si je ne pouvois, que je m'engageois non
seulement de lui en donner avis, mais du temps pour
y apporter remède ; que tout ce que je désirois d'eux
étoit qu'ils prissent une entière confiance en moi,
comme je l'avois auprès de la Reine, afin que mes
prière que Luynes lui en a faite. Ce que j'ai donc entendu par
ma lettre a été que je mettrois peine à faire tout-à-fait fermer
la bouche aux inventeurs et porteurs de ces bruits, à quoi j'es-
père, avec l'aide de Dieu, de parvenir, dans peu de temps, par
des moyens que j'ai en main et qui commencent de se prati-
quer » (Aff. étr., France 771, fol. 118). — On voit que, dans
ses Mémoires, Richelieu prête à Luynes des intentions que
Déageant avait seul. Ainsi, Déageant dit pouvoir espérer fer-
mer la bouche en peu de temps à ceux qui colportaient des
bruits fâcheux contre Richelieu , et les Mémoires laissent
entendre que Luynes s'y efforçait sans y parvenir.
1. Ceci est emprunté à un autre passage de I' a Extrait ». La
lettre était du 19 mai 1617 ; voici une partie de 1' « Extrait » : « A
toutes heures, l'on a des avis des brouilleries et menées de
plusieurs sous le nom et en faveur de la Reine. Quoique l'on
die, je soutiens toujours que c'est au désu de la Reine; ce que
le Roi et Luynes se persuadent sans ajouter foi à tout ce que
l'on rapporte contre la bonne opinion qu'ils en ont conçue.
Mais il faut, s'il vous plaît, Monsieur, que Luçon continue à
veiller, parce que si l'on ne demeuroit dans les termes que
nous avons espérés, il n'en pourroit arriver que malheur... »
(AfT. étr., France 771, fol. 123).
[1617] DE RICHELIEU. 245
ennemis ne me pussent faire aucun mauvais office* ;
que j'étois sûr qu'il ne se faisoit ni se feroit rien
contre le Roi; que je rendrois ma vie caution de mes
paroles; que je ne pouvois empêcher les calomnies,
mais que mes actions confirmeront le sieur de Luynes
au bon jugement qu'il fait de moi et feront honte
à ceux qui, contre leur conscience, tiennent des lan-
gages à mon préjudice; que j'étois combattu de toutes
parts, mais qu'armé de mon innocence je supportois
tout avec patience^; que j'étois bien empêché, ayant
à me défendre en divers lieux, présent et absent, de
diverses personnes foibles et puissantes; qu'il fâche
véritablement à un homme de bien qui n'a autre but
devant les yeux que le service de son prince de voir
qu'on veuille mettre tous les jours son honneur en
compromis; mais [que] ce qui me consoloit étoit que je
1. Le début de ce paragraphe est tiré d'un « Extrait des
lettres de Monsieur de Luçon au sieur Déageant » écrit par
Charpentier et au dos duquel Sancy a écrit la mention « Employé »
(France 771, fol. 389 et 390). Voici le passage utilisé : « Qu'il
[Richelieu] s'oblige au Roi sur sa tête d'empêcher toute cabale,
menée et monopole, ou, s'il ne le peut, non seulement il s'oblige
à lui en donner avis, mais lui donner temps pour y apporter
remède. Que tout ce qu'il désire est que le Roi et M. de
Luynes prennent une entière confiance en lui comme il l'a
auprès de la Reine, afin que ses ennemis ne lui puissent faire
aucun mauvais ofiice. « La minute de la lettre dont nous don-
nons cet extrait de Charpentier est au même volume du fonds
France des Affaires étrangères, fol. 293; elle est en partie
chiffrée.
2. Passage tiré de 1' « Extrait des lettres de Monsieur de
Luçon à M. de Luynes » par Charpentier (Ibid., fol. 385). La
lettre est du 8 juin. Le texte établi par Charpentier a été cor-
rigé par Sancy; la lettre a été publiée par Avenel, t. VII,
p. 399.
546 MÉMOIRES [1617]
savois l'opinion que S. M. et le sieur de Luynes ont de
moi, et que j'étois sûr que la fin couronnera l'œuvre;
que la créance qu'il avoit plu à la Reine prendre
en moi m'avoit donné des envieux et des ennemis;
que les intentions qu'on savoit que j'avois, toutes
portées au service du Roi, m'en donnent d'autres, y
ayant force gens qui voudroient avoir l'honneur que
j'avois par la confiance de la Reine pour en user
autrement que je ne ferai jamais, quoiqu'il leur fût
impossible, l'esprit -de S. M. étant tellement retenu
dans les bornes du contentement et du service du Roi
que nul ne sauroit le porter à en sortir'.
La maréchale envoya à la Reine le capitaine Benche,
qui avoit été autrefois à son mari ; mais la crainte que
l'on eut de déplaire à ces Messieurs fit que S. M. ne
fit point de réponse. Depuis, le duc de Montéléon
désira que l'ambassadeur de l'Empereur, qui avoit vu
le Roi, vît la Reine à Blois, et en écrivit sur ce sujet;
la Reine, pour s'en exempter, fit la malade et ne le
vit point^.
Mais toutes ces choses ne les contentoient point
1. Toute cette fin du paragraphe, depuis « que j'étois bien
empêché », est tirée du même extrait de lettres, corrigé par
Sancy (Ibidem, fol. 385 v°). La minute de la lettre, à laquelle
cette fin de paragraphe est en partie empruntée, a été écrite
par Le Masle, prieur des Roches, qui fut employé par Riche-
lieu comme secrétaire, surtout pendant les pi^emières années
de son ministère (Ibid., fol. 310). Voir, dans le fascicule IV des
Rappoi'ts et notices^ planche XXV, un fac-similé de l'écriture
de Le Masle.
2. Ce paragraphe est tiré de 1' « Extrait des lettres de Mon-
sieur de Luçon au sieur Déageant » déjà cité (Ibid., fol. 389).
Les passages des minutes des lettres utilisées sont aux fol. 293
et 296 du même volume 771 du fonds France.
[1617] DE RICHELIEU. 247
encore ; à quelque prix que ce fût, ils ne me vouloient
point voir auprès de cette princesse : ils eussent bien
désiré m' éloigner d'auprès elle; mais leur timidité et
leur inexpérience, qui leur faisoit tout craindre, les
empêchoient d'oser prendre résolution de me faire
commander par S. M. de m'en retirer. Leur ruse
suppléa à leur défaut de hardiesse ; ils firent que
quelqu'un donna avis à mon frère qu'on me dépêche-
roit bientôt un courrier pour ce sujet. Incontinent il
me le mande; je le crus, et, jugeant qu'il m'étoit
mieux séant de le prévenir, je demandai congé à la
Reine de m'en aller pour quelque temps à Goussay*,
qui est un prieuré que j'ai auprès de Mirebeau^, où,
dès que je fus arrivé, ils prirent occasion de m' en-
voyer une lettre du Roi du 15^ juin par laquelle S. M.
me témoignoit être bien aise de la résolution que
j'avois prise de m'en aller en mon évéché, et que j'y
demeurasse, ou en mes bénéfices, jusques à ce que
j'eusse autre commandement d'elle^.
1. Coussay, commune du département de la Vienne, canton
de Monts. Le prieuré de Coussay valait 4,500 livres.
2. Mirebeau, chef-lieu de canton du département de la Vienne,
à vingt-six kilomètres nord-ouest de Poitiers.
3. Il y a ici, sur le manuscrit B, toute une page barrée qu'un
copiste avait dû transcrire par erreur. On la retrouve plus loin.
On lit dans 1' « Extrait des lettres du Roi à Monsieur de Luçon »,
écrit par Charpentier, ces mots : « Il [le Roi] lui mande [à Riche-
lieu] qu'ayant appris qu'il s'est retiré d'auprès la Reine et se résout
de retourner faire sa charge en son évéché, il lui dépêche un gen-
tilhomme exprès pour lui témoigner combien il agrée sa résolu-
tion et qu'il n'ait à partir de son évéché ou autres ses maisons
et bénéfices sans autre commandement de lui, bien qu'il ne
doute nullement qu'en quelque lieu qu'il soit il ne procure tou-
jours le bien de son service » (Aff. étr., France 771, fol. 338).
L'original de cette lettre, datée de Fontainebleau, le 15 juin, est
248 MÉMOIRES [1617]
Je fis réponse (|ue, n'ayant jamais eu ni ne pouvant
avoir autre intention que de servir S. M. et obéir à
ses commandements, je n'avois rien à répondre à la
lettre que S. M. m'avoit fait l'honneur de m'écrire,
sinon que j'observerois religieusement ce qui étoit de
ses volontés; qu'en quelque part que je fusse, S. M.
recevroit des preuves de mon affection et fidélité,
n'ayant jamais eu et ne pouvant avoir autre but devant
les yeux que son service; que je sa vois bien que
quelques-uns tâchoient de lui persuader le contraire,
mais que, S. M. daignant considérer mes actions, ils
ne viendroient pas à bout de leur dessein; que je
croyois qu'en me gouvernant de la façon que j'avois
fait, non seulement je demeurerois exempt de blâme
en la bouche de tout le monde, mais même que mes
actions seroient approuvées de ceux qui me voudroient
le moins de bien ; que, n'ayant pas eu, ce bonheur, je
dans le volume France 244, fol. 2. — Avenel, qui a recueilli avec
grand soin tous les renseignements relatifs à cet épisode de la
vie de Richelieu, donne à ce sujet de minutieux détails dans les
Lettres et papiers d'État, t. VU, p. 401 et suivantes. Voici,
d'après lui, exactement ce qui était arrivé : une accusation
de pratiques séditieuses et de levée de gens de guerre, impu-
tée à Marie de Médicis, qui aurait obéi aux suggestions de
l'évêque de Luçon, ayant été lue dans le conseil des dépêches,
il fut résolu que l'on conseillei^ait au Roi d'ordonner à Riche-
lieu de se rendre dans son diocèse. Châteauneuf, membre de
ce conseil, en avisa le marquis de Richelieu, et celui-ci, sans
attendre d'autre éclaircissement ou qu'une résolution fût prise,
en avertit l'évêque de Luçon. Celui-ci, ne voulant pas attendre
l'effet de la menace, écrivit immédiatement à Luynes qu'il
demandait permission à la Reine mère de se retirer en Poitou,
et il partit aussitôt. Déageant confirme ces indications dans ses
Mémoires (p. 104-105].
[16! 7] DE RICHELIEU. 249
tàcherois de l'acquérir, continuant à si bien faire que
ceux qui me rendroient de mauvais offices se ferme-
roient la bouche d'eux-mêmes, suppliant Dieu ne me
faire point de miséricorde si j'avois jamais eu aucune
pratique ni pensée contraire à son service ^
Dès que la Reine en eut avis, elle dépêcha au Roi
l'évêque de Béziers^ et lui manda qu'elle ne pouvoit
supporter^ ce dessein qu'elle voyoit qu'on avoit pris
de m'éloigner d'auprès d'elle, pour lui faire déplaisir
et au préjudice de la permission qui lui avoit été
donnée de me retenir, ce dont elle étoit d'autant plus
étonnée qu'elle savoit très certainement que, depuis
ce temps-là, je ne pou vois lui en avoir donné aucun
sujet ; que, soupçonnant ceux qui sont auprès d'elle,
c'est vouloir croire qu'il soit possible de lui mettre en
l'esprit quelque chose contre le devoir d'une mère
envers son fils; que, s'il désire faire paroître qu'il
n'ajoute point foi à ces calomnies, elle supplie S. M.
de ne lui pas dénier la continuation de la faveur qui
lui est faite de me retenir près d'elle ; que c'est une
des plus grandes obligations qu'elle lui puisse avoir;
car aussi il l'assura que, lui ayant une fois accordé
quelque chose, ses ennemis n'auroient pas le pouvoir
1. Ce paragraphe est tiré d'une minute de lettre adressée au
Roi par Richelieu le 18 juin 1617 (Aff. étr., France 771, fol. 320-
321). La minute est de la main de Charpentier. Elle a été publiée
par Avenel, t. VII, p. 411.
2. Jean de Bonsy : tome I, p. 214.
3. « Je mourrai, écrivait la Reine mère à Luynes, plutôt
qu'endurer qu'avec la permission que le Roi Monsieur mon fils
m'a donnée de le retenir près de moi, que mes ennemis eussent
le pouvoir de me faire un si grand affront qui me seroit du
tout insupportable » (Avenel, t. VII, p. 404j.
250 MÉMOIRES [1617]
de lui faire des affronts qu'elle aimeroit mieux mourir
qu'endurer, et son esprit pourra être en repos, ce
qu'elle désire avec telle passion qu'après le bien de
son service elle ne souhaite autre chose en ce monde ^.
Elle mande quant et quant au sieur de Luynes que
cette action lui fait croire qu'on ne se méfie pas de
moi, mais d'elle; que c'est faire tort à son intégrité
que de s'imaginer qu'elle veuille se servir de moi
pour brouiller, vu que, quand elle et moi aurions ce
dessein, mon absence y seroit plus propre que ma
présence; que, voulant mettre ordre en ses affaires
particulières, elle désire se servir de moi, me recon-
noissant capable de ce faire et ne voyant rien en moi
qui puisse donner de l'ombrage à ceux qui, poussés
d'une grande animosité, se veulent forger en l'esprit
ces imaginations, quoique en conscience ils recon-
noissent le contraire ; quand il seroit vrai que j'aurois
de mauvais desseins étant auprès d'elle, sa personne
répondroit de mes actions, étant entre les mains du
Roi quand il voudroit ; que c'est faire tort à une per-
sonne de juger de ses intentions à l'avenir et de l'en
punir avant la faute commise ; qu'il ne doit pas préfé-
rer l'animosité de quelques particuliers à son conten-
tement, autrement elle auroit occasion de croire qu'elle
1 . Divers extraits des lettres de la Reine mère à Luynes, repro-
duits dans ce passage des Mémoires, se trouvent, écrits par
Charpentier, dans le volume France 771, fol. 393. Au dos du
folio figure la mention « Employé » griffonnée par Sanc} . Des
extraits ont été également publiés par Avenel, t. VII, p. 404.
Les modifications de style qui n'ont été effectuées ni sur ces
extraits, écrits au style indirect, ni sur le manuscrit B, ont dû
être faites sur un manuscrit intermédiaire qui fait défaut pour
la partie des Mémoires allant de 1600 à 1624 et de 1631 à 1638.
[i617] DE RICHELIEU. 251
ne pouiToit rien espérer que ce que la pure rigueur
de la justice lui donneroit ; que ce lui est un préjugé
que, tous les jours, sous de faux donnés-à-entendre,
on lui donnera de semblables mécontentements, ce
qui la feroit enfin résoudre de supplier le Roi de lui
permettre de sortir hors du royaume, pour ne donner
sujet de croire qu'elle fît des cabales, comme on la
vouloit calomnier; que, puisque le Roi lui fait l'hon-
neur de le croire, il est obligé, en conscience, de lui
remontrer qu'il ne doit point craindre de déplaire à
quelques particuliers pour donner du contentement à
sa mère, qui consiste au repos et tranquillité d'esprit
qu'elle désire par-dessus toutes les choses du monde
et ne le peut avoir pendant que le Roi continuera de
changer si soudainement ce qu'il lui a une fois accordé ;
et qu'enfin, s'il ne peut quitter le doute qu'il a que
je voulusse brouiller, elle lui répondoit de moi-même,
et que la réponse d'une reine étoit suffisante pour un
criminel, et que, cependant, puisqu'elle ne m'avoit
point renvoyé en ma maison, comme elle voyoit qu'on
en vouloit prendre le prétexte, mais m'avoit seule-
ment donné congé pour huit jours, elle m'avoit déjà
mandé de la revenir trouver et que le lendemain je
serois auprès d'elle ^
Ces lettres si affectionnées et si pleines de raisons
ne servirent à autre chose qu'à faire qu'elle ne reçut
1. Tout ce paragraphe est tiré de 1' « Extrait des lettres de
la Reine au Roi et à M. de Luynes, touchant le retour de Mon-
sieur de Luçon ». Ces extraits ont été écrits par Charpentier
(France 771, fol. 393 et 394), et Sancy en a partiellement pré-
paré quelques passages pour leur entrée dans les Mémoires.
Voyez Avenel, t. VII, p. 406 et 407.
252 MÉMOIRES [1617]
pas un refus déterminé de ce qu'elle demandoit, mais
seulement un délai, Luynes lui mandant qu'on avoit
tant dit de choses au Roi contre moi qu'il ne pouvoit
pas si tôt lui faire agréer mon retour; que tous les
diables étoient déchaînés, ce n'étoit que médisances
atroces, chacun pari oit contre moi ; qu'il n'en croyoit
rien, mais que, néanmoins, cela faisoit impression
en l'esprit de plusieurs et qu'il falloit lui donner loi-
sir de prendre son temps ^
Il me payoit de semblable monnoie en réponse des
lettres^ que je lui écrivois, s'avouoit mon obligé,
promettoit de m'assister, se plaignoit des ennemis que
j'avois qui me faisoient tout ce mal, disoit être marri
de ne pouvoir pas si tôt dissiper ces nuages, promet-
toit de le faire et de m'envoyer la permission du Roi
de retourner. Autant m'en écrivoit Déageant et ceux
de sa cabale, et que, dès qu'ils verroient le temps à
propos, iP enverroit vers la Reine l'avertir de me
demander au Roi; mais surtout qu'il ne falloit pas
témoigner dans sa maison qu'elle désirât ardemment
me faire retourner; car on feroit contre moi comme
on avoit fait jusques alors ^
1. Ce paragraphe est en partie tiré de 1' « Extrait des lettres
de M. de Luynes à la Reine et à Monsieur de Luçon », écrit
par Charpentier (France 771, fol. 384). Voyez Avenel, t. VII,
p. 405.
2. La plupart de ces lettres se trouvent aux archives des
Affaires étrangères, France 771, fol. 300 et suivants.
3. C'est-à-dire Luynes.
4. La dernière partie du paragraphe, depuis « Autant m'en
écrivoit Déageant », est tirée de l' « Extrait des lettres de Mon-
sieur de Béziers à la Reine et à Monsieur de Luçon », écrit par
Charpentier pour les Mémoires. L'extrait employé est tiré
[1617] DE RICHELIEU. 253
La Reine, d'autre côté, me pressoit de la retourner
trouver, d'autant que le sujet sur lequel étoit fondée
la lettre du Roi étoit faux; mais je ne le voulus pas
faire, parce que je savois que cela eût été préjudi-
ciable à son service, et voulus montrer l'exemple d'une
obéissance parfaite pour leur faire juger par elle la
sincérité de mes actions précédentes.
Les six mois restants de l'année, je les passai en
perpétuelles attaques de calomnies et fausses suppo-
sitions contre moi, tant ({u'enfin ils restreignirent
mon exil dans mon évêché.
J'espérois, en cette rencontre, recevoir de l'assis-
tance du maréchal de Vitry, que j'avois obligé fraî-
chement, quinze jours avant la mort du maréchal
d'Ancre, et il me l'avoit promis. Mais il arriva que, le
sieur de Luynes ayant eu volonté d'avoir la capitai-
nerie de la Bastille, qui étoit à la Reine, mais que
Vitry désiroit, comme y ayant déjà un pied par la
lieutenance qu'il y avoit, je crus qu'il étoit pour le
service de la Reine que, cédant au temps, elle donnât
contentement à Luynes ^ Vitry eut tant de ressentiment
contre moi de ce qu'il sut que j'y avois contribué
quelque chose, que non seulement par après il ne fut
d'une lettre de l'évêque de Béziers à la Reine, écrite de Fon-
tainebleau, le 23 juin ; quelques lignes de l'Extrait ont été
corrigées au point de vue du style par Sancy.
1. Richelieu en donna par écrit l'assurance à Luynes (lettre
écrite vers le 12 mai 1617 et publiée par Avenel, t. VII, p. 389).
Un extrait de cette lettre a été fait par Charpentier (France 771,
fol. 385). Dans une minute de lettre à Déageant (dont un
extrait a été donné par Charpentier au folio 399 du volume
France 771), Richelieu écrit : « On me mande que M. de Vitry
est fort animé contre moi et que le sujet qu'il prend est une
254 MÉMOIRES [1017]
plus mon ami, mais, comme si je lui a vois fait une
grande offense, il s'intéressa dans tous les moyens
qui s'offrirent d'avancer ma ruine ^.
Tandis que j'étois à Goussay, il arriva que, le P. Ar-
noux* ayant fait un sermon devant le Roi^ contre la
confession de foi des huguenots, les quatre ministres
de Charenton ^ firent un écrit qu'ils adressèrent au Roi,
par lequel, sous ombre de se défendre de ce que le
P. Arnoux avoit dit contre leur hérésie, ils parloient
au Roi avec des paroles bien éloignées de ce qu'un
prince catholique peut souffrir de ses sujets, et
disoient beaucoup d'injures et faussetés contre l'Église
de Dieu. La justice séculière en prit quelque con-
noissance, et le Roi, par arrêt de son Conseil du
5® août, supprima cet écrit et fît défenses aux ministres
de lui en adresser jamais aucun à l'avenir sans sa
permission^.
lettre que je vous ai écrite; je ne le puis croire, sachant bien
que mes lettres sont en bonnes mains étant es vôtres et que je
ne vous ai rien mandé sinon sur le sujet de la Bastille; ce qui
étoit arrêté entre nous » (France 771, fol. 294).
1. Le souvenir de ces procédés ne fut peut-être pas étranger
à la disgrâce du maréchal de Vitry, que le cardinal de Richelieu,
alors devenu tout-puissant, fît enfermer à la Bastille le 27 oc-
tobre 1637.
2. Jean Arnoux, jésuite, né à Riom, confesseur du Roi de
1617 à 1621, mort à Lyon en 1636.
3. Après les mots « devant le Roi », le reste du verso du
fol. 369, dans le manuscrit B, a été laissé en blanc. Peut-être
le copiste avait-il ménagé la place nécessaire à un résumé de
ce sermon ?
4. Ces quatre ministres s'appelaient Montigny, Dumoulin,
Durand et Mestrezat. Leur écrit était intitulé : « La défense de
la confession des églises réformées de France. »
5. Cet incident est rapporté dans le Mercure français, t. V,
[1617] DE RICHELIEU. 255
Mais, parce que je ne voyois point que de la part
de l'Église il fût apporté aucun remède au mal qui se
glissoit dans les âmes par la lecture de ce livre perni-
cieux, dont les huguenots taisoient leur coryphée, se
vantant que les catholiques ne s'en pouvoient défendre,
j'employai le loisir de ma solitude à y répondre, et le
long temps qu'il y avoit que j'étois diverti de l'exer-
cice de ma profession m'y fit travailler avec tant
d'ardeur et de courage que dans six semaines j'achevai
cet ouvrage*, dont, pour ne rien dire de moi-même,
je laisse le jugement à ceux entre les mains desquels
il est parvenu-.
Plus cette action me donna de réputation, plus elle
me chargea d'envie, et, bien qu'il fût aisé à connoitre
par là qu'aucuns desseins de la Reine n'occupoient
point mon esprit, mes ennemis ne laissèrent pas
néanmoins de le craindre et ne me firent pas donner
permission de la retourner trouver.
année 1617, p. 55-57, et l'arrêt du conseil d'État y est donné
in extenso, p. 57.
1. Ce livre était intitulé : Les principaux points de la foi de
l'Eglise catholique, défendus contre l'écrit adressé au Roi par
les quatre ministres de Charenton, jouxte la copie imprimée à
Poitiers par Antoine Mesnier; Paris, Denys Moreau, 1618,
in-12; voyez Avenel, t. I, p. Lxxn et 552, et VII, p. 413. Pen-
dant son exil, Richelieu écrivit encore un autre ouvrage ayant
pour titre : Instruction du chrétien.
2. Richelieu fait allusion à ce travail dans une lettre au Roi
dont la minute est dans le volume France 771, fol. 320 :
« Sire, je ne manquerai pas d'observer religieusement les
commandements de V. M. Je les ai reçus en ce lieu [àCoussay],
où, ayant mes livres, j'ai été retenu jusques à présent par un
travail que j'ai entrepris contre l'hérésie » (voyez Avenel, t. I,
p. 552).
256 MÉMOIRES [1617]
Ce qui étoit plus déplorable en la misère de la
Reine, c'est que la plupart de ceux dont elle devoit
recevoir plus d'assistance pour les grands biens,
charges, dignités et honneurs qu'elle leur avoit dépar-
tis pendant sa puissance, étoient ceux qui se portoient
plus hardiment contre elle, de peur qu'on ne les pri-
vât de ce qu'ils tenoient de sa bonté, chose ordinaire
aux âmes basses, mais du tout indignes de bon
courage.
On la prive de la jouissance d'une partie de son
bien : s'il vaque quelque bénéfice, il ne lui est pas
permis d'en gratifier un de ses serviteurs ; si quelque
capitainerie qui dépende de ses domaines est à don-
ner, celui qu'elle aime le moins est celui qui en est
pourvu par les personnes qui la haïssent pour l'avoir
offensée.
On fit davantage : on lui envoie le sieur de Roissy *
en ma place, introduisant près d'elle des personnes
dont on se veut servir à sa ruine, en la place de ses
principaux ministres qu'on avoit chassés. Elle ne le
veut souffrir; on l'établit, contre son gré, proche
d'elle, pour épier toutes ses actions.
Nul n'entre chez elle qu'il n'en veuille avoir con-
noissance; nul ne lui parle qu'il ne s'enquière du
sujet ; si elle a quelque domestique qu'elle affectionne
peu, c'est celui qui a part en leur faveur; ceux qu'on
estime les plus capables de faire faux bond à leur
conscience pour servir aux passions injustes sont ceux
qu'on trouve les meilleurs. On ne veut près d'elle
que des personnes qui en aient le cœur éloigné; ceux
1. Tome I, p. 221.
[1617J DE RICHELIEU. 257
qui retiennent, dans leur éloignement, l'affection que
par naissance et par obligation ils dévoient avoir à
son service sont criminels, en quelque lieu qu'ils
soient. Le désir que beaucoup ont de profiter, par
quelque voie que ce puisse être, porte diverses per-
sonnes à donner des avis contre elle ; on reçoit tout,
on fomente tout; on en invente non seulement pour
la décrier, mais même pour la rendre criminelle ; on
trouve mauvais que ses domestiques, obligés à sa
bonté, satisfassent à ce à quoi leur honneur et leur
conscience les obligent ; s'enquérir de ses nouvelles,
ne point quitter une si bonne et grande princesse,
d'affection comme de lieu, est un crime qui ne mérite
pas de pardon; si un de ses serviteurs se vouloit
défaire de quelque charge qu'il eût auprès de sa per-
sonne, ils ne le vouloient pas souffrir, si ce n'étoit
entre les mains de quelqu'un qui fût à eux.
Le baron de Thémines eut volonté de se défaire de
la charge de capitaine de ses gardes ; le baron du
Tour, homme de cœur et de fidélité, étoit d'accord
avec lui de la récompense; ils n'osèrent pas lui dire
ouvertement qu'ils ne vouloient pas ; mais ils l'arrê-
tèrent sur l'incident d'une pension de deux mille
écus qui étoit attachée à ladite charge, laquelle ils ne
lui voulurent jamais accorder, et lui firent dire nette-
ment par le président Jeannin, qui le pria de le venir
trouver sur ce sujet, qu'il étoit trop serviteur de la
Reine mère ; ledit baron lui répondit courageusement
qu'il l'étoit et le seroit jusques à la mort, bien qu'il
sût que l'être étoit coupable de tous les crimes qu'on
eût su imagmer.
17
258 MÉMOIRES [1617]
On ôte Monsieur d'entre les mains de M. de Brèves^,
non pour autre considération que pour ce qu'il
témoignoit affectionner la Reine, qui lui avoit con-
servé l'éducation de Monsieur, que le feu Roi lui avoit
destinée. Le sieur du Vair, témoignant la volonté du
Roi à M. de Brèves sur ce sujet, lui dit qu'on lui ôte
ce dépôt de la personne de Monsieur non pour aucun
desservice qu'il eût rendu, le Roi étant très content
de ses actions, mais pour des raisons qu'il n'est pas
obligé de dire^.
Il est vrai que les rois ne sont pas toujours obligés
de dire les causes des résolutions qu'ils prennent;
mais en ce temps on se servoit grandement de ce pri-
vilège, d'autant qu'ils avoient eu de mauvaises raisons
1. François Savary, comte de Brèves (tome I, p. 175),
avait été chargé en 1614 de l'éducation de Gaston d'Orléans,
au retour de ses deux ambassades de Turquie et de Rome.
Il eut pour successeur dans cet emploi François de Daillon,
comte du Lude, et fut d'ailleurs très bien traité dans sa dis-
grâce. Il raconta lui-même les circonstances de son renvoi
dans un petit écrit in-4°, intitulé : Discours véritable, fait par
M. de Brèves, du procédé tenu lorsqu'il remit entre les mains
du Roy la personne de Mgr le duc d'Anjou, frère unique de
Sa Majesté. En 1622, rentré en grâce, il devint premier écuyer
de la Reine et en 1625 chevalier du Saint-Esprit; il fut membre,
en 1626, de l'Assemblée des notables et eut, en 1627, entrée
au Conseil des dépêches.
2. Les Mémoires de Fontenay-Mareuil rapportent cet événe-
ment et en donnent les mêmes motifs (éd. Michaud, p. 121).
Du reste, le récit de Fontenay-Mareuil pour toute l'année 1617
est semblable, quant au fond, à celui des Mémoires de Riche-
lieu; mais les détails sont souvent très différents. Il est probable
que les souvenirs personnels du Cardinal sont entrés pour
beaucoup dans le récit de cette partie de ses Mémoires, tandis
que Fontenay-Mareuil n'écrivit que bien plus tard.
[1617] DE RICHELIEU. 259
de ce qui se faisoit, ou qu'ils n'en avoient point
du tout .
La Reine apprend ce changement ; elle juge inconti-
nent que sa considération faisoit éloigner de son fils
celui que la prévoyance du feu Roi y avoit mis ; elle
en appréhende les conséquences et en parle néanmoins
avec tant de modération, que la réponse qu'elle fit au
sieur de Brèves, qui lui en avoit donné l'avis pour
s'acquitter de son devoir, ne tendoit qu'à lui faire
connoître que le Roi l'avoit voulu soulager en son âge
caduc de la peine et de la sujétion qui est nécessaire
auprès d'un prince de cet âge. Mais ce n'est pas assez
qu'elle approuve les actions des autres : on lui veut faire
confesser qu'elle s'est mal gouvernée en l'administra-
tion des affaires de l'État, qu'elle a gâté ce qu'elle a
conservé.
Divers ambassadeurs vont vers elle pour la per-
suader d'écrire au Roi des lettres de cette teneur.
Modène est choisi pour y employer son éloquence; il
va trouver Barbin avant que de partir, et lui dit pre-
mièrement que Luynes a volonté de se réconcilier avec
la Reine, et, pour commencer à lui en donner quelque
témoignage, le veut envoyer de la part du Roi vers
elle pour la visiter, mais qu'il n'ose entreprendre ce
voyage, pour ce que, depuis peu, la Reine avoit dit
qu'il y avoit quatre personnes auxquelles elle ne par-
donneroit jamais : Luynes, Vitry, Ornano et lui.
Barbin, croyant qu'il lui dit vérité, l'encouragea à
faire ce voyage, lui représentant la facilité que la Reine
avoit à pardonner par l'inclination bénigne de son
naturel et l'obligation que le sieur de Luynes avoit,
pour son propre bien, de l'en rechercher, attendu la
260 MÉMOIRES [1617]
piété du Roi, qui nécessairement le feroit enfin ennuyer
du mauvais traitement que recevoit sa mère, et qu'il
devoit craindre un changement de l'état présent de la
Reine, ce qui pouvoit arriver par plusieurs accidents
auxquels les affaires du monde sont sujettes ; que, si
cela arrivoit dans le mauvais traitement qu'elle rece-
voit, il n'y avoit lieu de la terre où il pût être assuré ;
car, quand bien lors la Reine ne seroit pas sensible
aux injures qu'elle avoit reçues, on la forceroit d'en
avoir du ressentiment; ou, au contraire, si ce change-
ment arrivoit après la réconciliation, quand bien elle
auroit mauvaise volonté contre eux, elle ne leur oseroit
mal faire, de peur de se perdre de réputation devant
tout le monde.
Modène fit semblant de goûter ses raisons. A
quelques jours de là, il lui dit qu'il est résolu de partir,
et lui demanda une lettre de recommandation à la
Reine, laquelle il lui donna. La Reine la reçut avec
toute sorte de bonne chère, et de visage et de présence ;
en récompense, il lui débaucha tout le plus de servi-
teurs qu'il pût, et fit de la plupart d'eux autant de
pensionnaires de Luynes et d'espions de la Reine,
à lac^uelle, quoiqu'il déployât toutes les voiles de son
bien-dire, il ne put persuader de faire chose indigne
de son courage, ni d'avouer avoir failli en ce qu'elle
avoit bien servi le Roi, estimant trompeuse une récon-
ciliation, le commencement de laquelle tendoit à la
rendre coupable contre la vérité.
Au retour de cet ambassadeur ' , quelque petit rayon
1. Modène rentra à Paris le 6 août 1617. Il fit un autre
voyage à Blcis auprès de la Reine mère au mois d'octobre sui-
vant [Journal d Arnauld d'Andilly, p. 312-320).
[1617] DE RICHELIEU. 261
d'espérance de liberté parut à Monsieur le Prince,
lequel ils transférèrent, le 1 5 septembre, de la Bastille
au Bois-de-Vincennes, dont il estimoit et l'air meilleur
et la demeure moins resserrée, et ressentant son élar-
gissement de prison ; mais son désir le trompoit : car
ils n'avoient nulle pensée qui tendit à sa liberté; au
contraire, ils estimoient n'avoir assurance qu'en la
détention de la Reine et de lui, et croyoient que, les
tenant tous deux en leur puissance, ils ne pourroient
recevoir aucune secousse en l'assiette de leur fortune.
Modène dit un jour à Barbin, en la Bastille, que
Monsieur le Prince lui avoit dit que la Reine l'avoit
voulu délivrer peu après son arrêt, mais avec des con-
ditions si honteuses, qu'il ne les avoit pas voulu rece-
voir*. Barbin lui ayant lors soutenu le contraire et
dit la réponse généreuse que la Reine lui fit (et que
nous avons racontée ci-devant^), et qu'encore qu'il pût
maintenant rejeter la prise de sa personne sur le
maréchal d'Ancre qui étoit mort, il ne le vouloit pas
faire, sachant qu'en cela il avoit été rendu un service
signalé, Modène lui dit franchement qu'entre les choses
qu'on approuvoit du gouvernement de la Reine
celle-là étoit la principale, et qu'on n'avoit nul dessein
de le laisser aller. Le sujet pour lequel on le changeoit
maintenant de demeure étoit, au contraire de ce que
ledit Prince croyoit, pour le garder avec plus de
sûreté ; car ce ne fut que pour réparer la faute qu'ils
avoient faite au commencement, quand, cheminant avec
grande timidité et comme n'étant pas encore leur
1. Var. : Si honteuses, qu'illeur avoit préféré la prison (M, H).
2. Ci-dessus, p. 88.
26? MÉMOIRES [1617]
autorité affermie, ils en donnèrent la garde à Persan,
au lieu de l'avoir eux-mêmes.
Ils laissèrent bien encore lors l'apparence de la
garde de sa personne audit baron de Persan, lequel ils
logèrent dans le donjon dudit Bois-de-Vincennes ; mais,
en effet, ils l'avoient eux-mêmes, au moyen du régi-
ment du sieur [de] Cadenet, qui y tut mis pour le garder.
Madame la Princesse, qui, avec la permission du
Roi, s'étoit, dès le commencement de juin, enfermée
avec lui, l'accompagna aussi audit lieu, où elle espéroit
faire ses couches avec plus de facilité; mais sa mau-
vaise fortune ajouta encore au déplaisir qu'elle avoit
de l'état où il se trouvoit, celui de se voir accoucher
avant terme*.
En même temps que les uns étoient mis en de nou-
velles prisons, les autres étoient élevés à contentement
aux dignités et grandeurs nouvelles; car, en ce même
mois, le sieur de Luynes se maria avec la fille du duc
de Montbazon- et fut pourvu de la lieutenance générale
au gouvernement de Normandie qu'avoit le maréchal
d'Ancre, et eut le don de tous ses immeubles, la réu-
nion desquels au domaine du Roi ne servit que de
passage pour les faire tomber entre ses mains. Tout
résonnoit d'éloges à sa gloire ; mais, comme il n'y avoit
rien à lui dire pour fonder ces louanges, il se remarqua
1. La princesse accoucha le 20 décembre 1617 d'un fils qui
mourut en naissant.
2. Marie de Rohan (1600-1679), fille d'Hercule de Rohan,
duc de Montbazon, et de Madeleine de Lenoncourt, épousa,
par contrat du 11 septembre 1617, Charles d'Albert de Luynes,
et se remaria en 1622 à Claude de Lorraine, duc de Chevreuse;
c'est la duchesse de Chevreuse si célèbre sous la Fronde.
[1617] DE RICHELIEU. 263
que tout ce qu'on put avancer en sa faveur fut de l'ac-
comparer au roi juif Agrippa, qui fut favori de l'empe-
reur Galigula, qui succéda à Tibère, ne considérant pas
qu'il avoit eu une si malheureuse fin pour sa vanité,
que Dieu vengea exemplairement, qu'ils faisoient quasi
un pronostic de la courte durée de sa fortune.
Cependant Barbin*, qui étoit en la Bastille, resserré
dans sa chambre sous ombre que, si on lui donnoit
plus grande liberté. Monsieur le Prince demanderoit le
semblable, demanda lors celle de se pouvoir prome-
ner. On la lui accorda, et permit-on encore à son valet
de chambre de le venir voir toutes fois et quantes
qu'il voudroit, Persan et Bournonville^, qui comman-
doit en son absence, le traitant avec toute douceur
(espérant par ce moyen diminuer quelque chose de
l'aigreur de la Reine, qu'ils croyoient enflammée
contre eux de colère pour l'offense qu'elle en avoit
reçue), ce peu de courtoisie lui^ coûta bien cher et fut
un piège que sa mauvaise fortune lui dressa pour le
rendre misérable et le porter jusque sur le bord du
précipice, d'où la seule miséricorde de Dieu, conurie
par miracle, le garantit, ainsi que nous verrons l'année
suivante; car, se voyant en cette petite liberté, et ayant
appris que la Reine faisoit toujours instance vers le
Roi en sa faveur, il demanda congé de lui pouvoir
1. Ce paragraphe est évidemment tiré du Mercure français,
t. V, année 1617, p. 97.
2. Jean de Vaudetar, seigneur de Bournonville , frère de
Henri de Vaudetar, baron de Persan, à qui avait été donnée peu
auparavant la lieutenance de Roi de la Bastille : ci-dessus,
p. 192.
3. C'est-à-dire à Barbin,
26'i MÉMOIRES [1617]
écrire pour lui rendre très humbles grâces d'une si
signalée bonté.
Ils furent bien aises de cette demande, et lui en
donnèrent plus de liberté qu'il ne vouloit, pour trou-
ver occasion de lui ôter ce peu qui lui en restoit
encore; car ils eurent soin de découvrir ceux qui
iroient de sa part et de les gagner, et de se faire
avertir par ceux qui étoient déjà à eux auprès de la
Reine, de ce qui se passoit à l'arrivée de ses lettres et,
s'il se pouvoit, de ce qu'elle lui récriroit.
Barbin envoyoit ses lettres par son valet de chambre ;
mais, de peur qu'ils prissent ombrage de l'y voir aller
trop souvent, il les lui envoyoit le plus souvent par un
sien parent chez qui il logeoit. Ils gagnèrent cet
homme; et, dès qu'il avoit ses lettres, il les portoit au
sieur de Luynes, qui en prenoit copie, les fermoit et
les envoyoit à la Reine, des réponses de laquelle il fai-
soit le semblable, et les lui renvoyoit par cet homme
à la Bastille, par lequel il savoit aussi beaucoup de
choses dont la Reine s'ouvroit à lui pour les dire à
Barbin.
La première lettre qu'il lui envoya fut portée par
son valet de chambre même et rendue avec fidélité.
Elle lui dit en particulier qu'elle ne pouvoit plus
demeurer en la misère où elle se trouvoit; qu'elle
étoit résolue de supplier le Roi de la retirer de là;
mais qu'elle eût bien désiré savoir son avis aupara-
vant; car elle n'avoit plus personne auprès d'elle en
qui elle se fiât. Mais il ne lui conseilla pas de le faire
pour lors, d'autant qu'en ce temps-là ils firent expé-
dier des lettres patentes du 4® octobre pour la con-
vocation d'une Assemblée des notables au 24® de
[1617] DE RICHELIEU. 265
novembre à Rouen, en laquelle, bien que la plupart de
ceux qui y étoient appelés fussent personnes choisies
par eux, néanmoins, si elle eût fait en ce temps quelque
demande, ils auroient dit qu'elle auroit pris exprès la
conjoncture de cette assemblée pour exciter quelque
remuement dans l'État ^
Tandis que ces choses se passent en France, l'empe-
reur Mathias fait élire, au mois de juin, son beau-
frère l'archiduc Ferdinand son successeur au royaume
de Bohême, dont les protestants d'Allemagne entrèrent
en une grande crainte, à cause que ledit Ferdinand
avoit chassé tous ceux de leur secte hors de son État.
Cela fut cause que tous lesdits princes tinrent une
assemblée à Heilbronn, par laquelle ils se liguèrent
ensemble et se promirent une mutuelle assistance
contre les catholiques, quoique l'empereur Mathias
dépêchât vers eux pour les en dissuader 2.
Le Pape fait publier à Rome un jubilé pour les
nécessités de l'Église, l'extirpation des hérésies, la
concorde et l'union des princes chrétiens^.
L'électeur de Saxe, ou excité par ce jubilé, ou ayant
déjà eu cette pensée de longtemps, fit commandement
par tout son État de célébrer les cent ans, révolus au
31*" octobre, des premières thèses que Luther fit affi-
1. Les lettres patentes convoquant l'Assemblée des notables
à Rouen ont été imprimées dans le Mercure français, p. 230
et suivantes. Sur les travaux de l'Assemblée, voyez le même
recueil, p. 252-317.
2. Le Mercure français, t. V, année 1617, p. 129 et sui-
vantes, donne de longs détails sur ces événements.
3. Le pape Paul V (Camille Borghèse). La traduction fran-
çaise de la bulle relative à ce jubilé se trouve dans le Mercure
français, p. 236.
266 MÉMOIRES [1617]
cher à Wittembcrg* contre les indulgences de Sa Sain-
teté et commanda de commencer cette fête depuis la
veille dudit jour jusques au %^ novembre, et fit faire
quantité de pièces d'or et d'argent, avec des inscrip-
tions particulières, pour conserver la mémoire de ce
prétendu jubilé.
Autant en firent les villes luthériennes d'Allemagne,
et les calvinistes mômes, à Heidelberg, firent aussi
quelque fête particulière ce jour-là^.
Mais, tandis que ce jubilé et ces fêtes se faisoient, la
guerre continuoit très cruelle entre le roi d'Espagne
et le duc de Savoie en Italie, et les Vénitiens et l'archi-
duc Ferdinand en Dalmatie.
Au commencement de cette année, le maréchal de
Lesdiguières passa en Piémont avec force troupes 3,
quelques défenses qu'on lui eût pu faire de la cour, et
son arrivée fut si heureuse que, du côté du Montferrat,
il prit d'abord les villes de Saint-Damien et Albe^, et,
de l'autre côté, vers Novare, le prince de Piémont^
prit sur le prince de Masseran^, partisan d'Espagne,
1. Le manuscrit B porte Wirtemberk.
2. Voyez le Mercure françois, p. 243-248.
3. Ci-dessus, p. 126.
4. Alba, ville du Montferrat à 40 kil. sud-ouest de Turin, sur
le Tanaro. — San-Damiano-d'Asti, entre Alba et Asti.
5. Victor-Amédée P"" de Savoie, prince de Piémont (1587-
1637), marié en 1619 à Christine de France, sœur de Louis XIIL
6. François-Philibert Ferrero (1576-1629), prince de Masse-
rano et marquis de Crevacuore, chevalier de l'Annonciade en
1608. S'étant déclaré pour les Espagnols, au moment où se
posait la question de la succession de Mantoue, il eut ses terres
et fiefs confisqués par le duc de Savoie. Crevacuore fut prise
le 27 janvier 1617. A la fin de cette même année, le traité de
[1617] DE RICHELIEU. '267
les villes de Masseran et de Grèvecœur^, dans la
dernière desquelles il y avoit grand secours d'Espa-
gnols; et en ces rencontres fut tué Don Sancho de
Luna, gouverneur du château de Milan, et toute l'armée
espagnole fut étonnée, et leurs partisans en Italie ne le
furent pas moins. Mais nos troubles de France, qui
contraignirent le maréchal de Lesdiguières de repasser
diligemment en Dauphiné, coupèrent les ailes de cette
bonne fortune, et non seulement l'empêchèrent de se
porter plus avant, mais réduisirent premièrement le
prince de Piémont à se mettre sur la défensive, puis
encore à se défendre si malheureusement que sa ville
de Verceil, qui fut assiégée sur la fin de mai par Don
Pedro de Tolède, fut contrainte de se rendre le 25* juillet,
ouvrant une porte aux Espagnols pour se promener à
leur aise dans le Piémont.
Bien que cette ville fût bientôt prise, et ne durât que
deux mois, on l'eût pourtant facilement secourue de
France, si le duc de Montéléon^ n'eût donné à entendre
Pavie rétablissait le prince dans ses Etats. Accusé par ses
sujets de nombreux assassinats, de fausse monnaie, de vols
au préjudice des églises et des particuliers , Urbain VIII
lui retira en 1629 l'administration de son fief, et la popu-
lation détruisit le palais, saccagea les propriétés du prince.
Celui-ci se retira à Fontaneto, auprès des Visconti, ses parents,
et mourut le 15 septembre 1629.
1. Le marquisat de Masserano et le comté de Crevacuore en
Piémont avaient été érigés le premier en principauté, le second
en marquisat, le 13 août 1598, par le pape Clément VIII en
faveur de François-Philibert Ferrero.
2. Le duc de Montéléon était ambassadeur d'Espagne. Déa-
geant [Mémoires, p. 114) raconte que, sur son conseil, certains
ministres, pour retarder l'envoi du secours à Verceil, avaient
268 MÉMOIRES [1617]
qu'il ctoit expédient aux deux couronnes qu'elle fût
prise, afin de rabattre l'orgueil du duc de Savoie qui
vouloit aller du pair avec elles, promettant que le
roi son maître la rendroit par la paix à l'intercession
du Roi. Mais quand on vit qu'au lieu de la rendre ils
vouloient encore étendre leurs conquêtes et faisoient
contenance de vouloir assiéger Ast, le Roi commanda
au maréchal de Lesdiguières de repasser les monts en
diligence; il y envoya aussi le duc de Rohan et le
comte de Sclionberg avec un régiment de lansque-
nets^ qu'il avoit levé contre les princes, et quantité
de noblesse Françoise y accoururent de toutes parts,
faisant, avec ce qu'avoit de troupes le duc de Savoie,
dix mille hommes de pied et deux mille chevaux.
Dès qu'ils furent passés, ils s'en allèrent à Ast, en
résolution de déloger l'armée espagnole des postes
qu'elle avoit à l'entour.
Le l^"" septembre, ils attaquèrent Felizan-, oii
deux mille Trentins de ladite armée étoient logés et,
nonobstant le secours qui y fut envoyé, le prirent de
force le lendemain par le courage des nôtres, qui, crai-
gnant qu'on les voulût recevoir à composition, sans
attendre le commandement de donner, franchirent le
fossé, montèrent sur le rempart, taillèrent en pièces
ce qui se rencontra devant eux et se rendirent maîtres
de la place, en laquelle ils gagnèrent onze enseignes
des ennemis. Le lendemain, ils surprirent un autre
fait croire au duc d'Angoulême, qui devait commander le corps
français, que les fonds nécessaires à l'expédition faisaient défaut .
1. Le manuscrit B porte landskenets.
2. Felizzano, sur le Tanaro, à 14 kil. d'Alexandrie.
[1617] DE RICHELIEU. 269
petit quartier où étoient deux enseignes de Trentins, et,
le 4® septembre, ils assiégèrent None^ où les ennemis
avoient logé deux mille hommes, et le prirent le 7 ; de
sorte qu'ils rechassèrent par ce moyen l'armée ennemie
des environs d'Ast jusques au delà du Tanaro.
Tous ces exploits refroidirent un peu les espérances
hardies de Don Pedro ^ et donnèrent lieu au traité de
Pavie du 9^ octobre^, selon les articles proposés à
Madrid et résolus à Paris ^. Par ce traité, la restitution
des prisonniers et places prises devant et après le
traité d'Ast étoit promise de pai^t et d'autre, et le duc
de Savoie obligé à désarmer; et, ledit duc ayant res-
titué et désarmé, Don Pedro devoit^ disposer son
armée dans tout le mois de novembre, ainsi que le
vouloit le traité d'Ast. Ensuite fut publiée une suspen-
sion d'armes en Piémont et au Milanois; mais l'exécu-
tion entière et pacification de toutes choses ne s'en-
suivit que bien avant dans l'année suivante, comme
nous dirons en son lieu*".
Le différend aussi entre les Vénitiens et l'archiduc
Ferdinand fut terminé, ledit archiduc promettant de
1. None, petite ville forte entre Pignerol et Turin.
2. C'est-à-dire Don Pedro de Tolède.
3. Voyez le Mercure français, p. 214.
4. Une première rédaction du manuscrit B portait : « Don-
nèrent lieu aux traités qui se firent à Paris et à Pavie, suivant
ce qui en avoit déjà été convenu à Madrid au mois de juin. y>
5. Dans le manuscrit B, le mot déçoit a été substitué par
Charpentier aux mots étoit obligé.
6. Le récit de la guerre, sur les frontières du Milanais, entre
l'Espagne et la Savoie, se trouve dans le Mercure francois,
p. 179-216. On a visiblement utilisé ce récit pour les Mémoires.
270 MÉMOIRES [1617]
chasser de ses États ceux des Uscoqiies^ qui alloient
en courses durant ces derniers mouvements, et les
autres encore qui vivoienten pirates, et [de] mettre dans
Senga^, ville de leur demeure, un gouverneur alle-
mand, homme de qualité, pour les tenir en devoir, et
que leurs navires de course^ seront brûlés. Il se
trouva des difficultés à l'exécution de cet accord, pour
lesquelles la guerre continua encore jusques à l'année
prochaine^.
Cependant, le temps venu de l'Assemblée des
notables, le Roi et tous les députés se trouvèrent à
Rouen. L'ouverture en fut faite le 4® décembre, et
elle fut close le 26\ Il y fut fait beaucoup de belles
propositions pour le bien de l'État ; mais, comme ce
n'étoit pas la fin pour laquelle se tenoit l'Assemblée,
il n'en fut tiré aucun fruit pour ce qu'on n'en avoit pas
le dessein, joint que la façon de déhbérer ne le souf-
froit pas : car on leur envoyoit de la part du Roi, en
toutes les séances, lorsqu'ils s'assembloient, les articles
sur lesquels on vouloit avoir leur avis, de sorte qu'ils
ne savoient pas le matin ce dont ils dévoient délibérer
l'après-dinée, ce qui n'étoit pas pour faire une sage et
mûre délibération °.
1. Ce mot, qui signifie réfugié, en serbe, a été appliqué aux
Serbes et Bosniaques qui s'établirent au xvi* siècle en territoire
hongrois et vénitien, fuyant devant les Turcs. Les Uscoques
étaient chargés de combattre les infidèles et se livraient à la
course et à de nombreux actes de piraterie.
2. Le manuscrit B porte Segna. Senga ou Zengg, ville du lit-
toral croate, est située en face de l'île de Veglia.
3. Il faut remarquer que le manuscrit B met toujours « cours » .
4. Voyez le Mercure français, p. 216 et suivantes.
5. Pour tout ce qui concerne l'Assemblée des notables à
Rouen, voyez le Mercure français, p. 252 et suivantes.
[1617J DE RICHELIEU. 271
Le principal dessein de Luynes étoit de faire trouver
bon ce qu'il avoit conseillé au Roi sur le sujet de la
mort du maréchal d'Ancre et de l'éloignement de la
Reine mère. Gela fait, son soin ne s'étendit pas plus
avant.
Une chose remarquable se passa en cette Assemblée,
qui est que les parlements prétendirent avoir rang
devant la noblesse dans la compagnie du conseil
d'État, pour, avec les princes, ducs, pairs et officiers
de la couronne, donner au Roi les conseils nécessaires
pour le bien de son État, et qu'ayant juridiction sou-
veraine sur la noblesse, il n'étoit pas raisonnable
qu'elle les précédât.
M. de Luynes, qui ne les vouloit pas offenser, trouva
une voie d'accommodement, qui fut de faire mettre la
noblesse à l'entour de la personne du Roi et de Mon-
sieur; ce qui étoit proprement leur faire céder leurs
places et donner gagné au Parlement.
Durant cette assemblée, M. de Villeroy mourut âgé
de soixante-quatorze ans, que la fortune plusieurs fois
voulut chasser de la cour et la réputation de sa
sagesse y a toujours rappelé, et que la piété sur les
dernières années de sa vie en voulut éloigner pour le
faire vaquer à Dieu, mais ne le put gagner sur l'ambi-
tion qui lui faisoit remettre de jour à autre l'exécution
d'un si louable dessein. 11 fut enfin surpris d'une
maladie qui l'emporta en trente heures, lâchant inces-
samment ces pairoles de sa bouche, qui témoignoient
plutôt son erreur que sa sagesse : « 0 monde que tu
es trompeur ! »
11 fut secrétaire d'État en l'an 1566, sous le roi
Charles IX, et demeura en faveur jusques aux Barri-
272 MÉMOIRES [1617
cades, après lesquelles le roi Henri IIP l'éloigna.
Henri IVMe rappela par le conseil de M. de Sancy, qui
lors étoit en crédit et avoit beaucoup de part aux
bonnes grâces de S. M., et, pour plus d'assurance
de sa fidélité, donna une de ses filles en mariage au
sieur d'Alincourt, son fils^ Il fut en grande estime
auprès du Roi jusques à sa mort, nonobstant la dis-
grâce qui lui arriva de Lhoste, un de ses commis^, à
qui il confioit le secret de ses dépêches, lequel se
trouva avoir intelligence avec Espagne, et, le sieur de
Villeroy le voulant faire prendre, il se noya dans la
rivière de Marne, ce qui ôta le moyen à son maître de
se justifier ; mais le Roi avoit conçu une si bonne opi-
nion de lui qu'il le consola en cette affliction et ne
lui voulut pas permettre de se retirer, comme il dési-
roit, mais l'obligea à continuer de prendre le soin de
ses affaires.
Il approcha du Roi M. de Sillery et le président
Jeannin qui vivoient avec lui avec un grand respect et
déférence. Le premier y étoit retenu par l'alliance du
sieur de Puyzieulx, son fils, avec la fille aînée du sieur
d'Alincourt^, qui lui apporta en dot, outre son bien qui
étoit grand, la charge de secrétaire d'État qu'avoit
M. de Villeroy, laquelle il exerçoit par indivis avec lui.
1. Jacqueline de Harlay-Sancy épousa, le 11 février 1596,
Charles de Neufville, marquis d'Alincourt (tome I, p. 121).
2. Claude Lhoste, d'abord commis de M. de Villeroy à la
recette du marc d'or dès 1582, acquit une charge de secrétaire
ordinaire de la chambre du Roi et était un des premiers com-
mis du même Villeroy devenu secrétaire d'Etat, lorsqu'en 1604
il commit l'acte de trahison auquel Richelieu fait allusion.
3. Tome I, p. 103.
[1617] DE RICHELIEU. 273
Incontinent après la mort du Roi, le Chancelier s'en
fit accroire : lors M. de Villeroy, pour se maintenir,
commença à ployer sous lui. A ce commencement,
eux deux et le président Jeannin, demeurant bien
ensemble, et le favori, qui étoit le maréchal d'Ancre,
n'osant pas encore commencer à les attaquer, et eux
aussi n'ayant pas sujet de faire le même à son égard,
ils subsistèrent tous ensemble, et résistèrent sans
aucune difficulté aux efforts des grands du royaume,
qui ne se soucient pas que les affaires publiques* aillent
bien, pourvu que les leurs particulières soient en bon
état. Ils le firent encore, bien qu'avec beaucoup de
peine, tandis qu'il n'y eut point de jour contre eux
trois, nonobstant que le favori et eux se fussent
déclaré la guerre ; car ils se maintinrent et résistèrent
aux divers mouvements et de lui et des grands, avec
lesquels il s'étoit ligué contre eux. Mais, lorsque le
Chancelier eut perdu le lien de leur alliance en la mort
de sa belle-fille, et, se voyant élevé par l'autorité de sa
charge et par celle ^ du commandeur son frère auprès
de la Reine et [par] son crédit près de la maréchale,
ne voulut plus dépendre de compagnon, mais vivre
en supérieur, le sieur de Villeroy s'aigrit aussi de son
côté, et se mangèrent les uns les autres, donnant lieu
au favori de se venger d'eux et les disgracier un à
un, et à des personnes de misérable condition, de
médiocre esprit et de peu de cœur, de machiner la
1. Le mot publiques a été substitué par Charpentier sur le
manuscrit B au mot d'ordinaire.
2. Celle a été substitué, probablement par Sancy, sur le
manuscrit B aux mots la charge.
II 18
274 MÉMOIRES [1617]
ruine des favoris et de la Reine même, dont ils
vinrent à bout.
En tous ces troubles néanmoins, M. de Villeroy
demeura toujours en quelque considération et, à la
mort du maréchal d'Ancre, étant remis en la fonction
de sa charge, y servit jusques à la fin, bien que non
plus avec l'autorité qu'il avoit accoutumé, ni avec la
première vigueur de son esprit^.
Il fut homme de grand jugement, non aidé d'au-
cunes lettres, et ne les aimoit pas pour ce qu'il n'en
avoit point, et présumoit beaucoup de soi, ne considé-
rant pas qu'il n'avoit atteint que par une longue expé-
rience la connoissance qu'il avoit, que les lettres, par
un chemin abrégé, lui eussent donnée et plus parfaite
et plus facilement. Il cachoit néanmoins avec artifice
ce défaut par son peu de paroles, qui aida beaucoup à
lui donner la réputation qu'il acquit; car, ne parlant
dans le Conseil que par monosyllabes, il donnoit plu-
tôt lieu de dire qu'il ne se montroit pas être savant,
que non pas qu'il parût être destitué de savoir. Il
étoit timide de son naturel et par la nourriture qu'il
avoit eue dans la cour, en des temps èsquels la foi-
blesse de l'autorité royale, dans les divisions des
troubles de la religion et de la Ligue, interrompit le
cours de la générosité ordinaire des conseils de cette
monarchie. Il fut estimé sincère et homme de parole,
laquelle il donnoit aussi très difficilement, plus mémo-
ratif des injures quedesobhgations, auxquelles il avoit
1. La dernière partie de cette phrase, depuis le mot autorité,
a été ajoutée en marge du manuscrit B de la main de Charpen-
tier. Elle tient la place d'un passage de quelques lignes que
l'on retrouve plus loin.
[1618J DE RICHELIEU. 275
peu d'égard, jaloux et soupçonneux, mais qui eut tou-
jours les mains nettes, et, après cinquante et un ans
de service et quasi toujours de faveur envers ses
maîtres, mourut avec le même bien qu'il avoit eu de ses
pères, ne l'ayant accru que de deux mille livres de
rente ^ .
En la même année, mourut M. de Thou^, l'Histoire
duquel témoigne qu'il étoit plus versé es bonnes lettres
qu'il n'étoit louable pour sa piété et son emploi dans
la cour sur la fin de sa vie, que savoir est toute autre
chose qu'agir, et que la science spéculative du gouver-
nement a besoin de qualités d'esprit qui ne l'accompa-
gnèrent pas toujours, M. de Villeroy, sans science, s'y
étant trouvé aussi propre que lui inhabile avec toute
son étude.
ANNÉE 16^8.
Nous avons vu, l'année passée, l'indignation qu'une
grandeur que l'on tient d'autrui et qu'on n'exerce pas
avec toute la retenue qu'il se pourroit désirer, mais
en laquelle on s'abandonne à une licence absolue, a
accoutumé d'engendrer dans le cœur des peuples :
nous verrons au contraire, en l'année présente, combien
la même grandeur, humiliée et maltraitée par des
personnes abjectes, change les cœurs des hommes en
une commisération plus grande que n'étoit leur indi-
gnation.
1. Le Mercure français ne consacre qu'une page, la page 317,
à la mort de Villeroy.
2. Ci-dessus, p. 226.
276 MÉMOIRES [1618]
Quand la Reine partit de Paris*, personne ne com-
patissoit à son malheur que ceux qui y étoient inté-
ressés ; mais le mauvais traitement qu'elle reçoit à
Blois croît tous les jours de telle sorte, qu'enfin il
vient jusques à tel point de rigueur et d'indignité,
que la faveur de tout le monde se tourne vers elle ;
sa majesté s'accroît par sa calamité, et les grands qui
lui avoient été les plus contraires et ceux-là mêmes qui
touchoient de plus près le sieur de Luynes, soit d'in-
térêt, soit d'alliance, ont pitié d'elle, et font dessein de
la faire retourner auprès du Roi pour y tenir le même
rang qu'elle y avoit auparavant.
J'ai dit au livre précédent^ qu'elle avoit eu quelque
dessein de venir trouver le Roi à cause des méconten-
tements qu'elle recevoit de se voir assiégée de per-
sonnes qu'on envoyoit demeurer auprès d'elle contre
sa volonté, épiée en toutes ses actions, et la plupart
de ses serviteurs gagnés par argent contre son propre
service. Barbin le lui déconseilla à cause de l'Assemblée
des notables ^ ne jugeant pas à propos qu'elle parlât
de venir en cette rencontre, de peur qu'il semblât
qu'elle prît exprès ce temps-là pour faire éclater ses
plaintes par tout le royaume^. Mais, l'Assemblée étant
terminée à la fin de l'année, dès le commencement de
celle-ci, elle pensa à exécuter son dessein, et en écri-
voit à Barbin, et Barbin à elle.
1. Ci-dessus, p. 207.
2. Ci-dessus, p. 256 et 264.
3. On a vu qu'elle se tint à Rouen, du 4 au 26 décembre
1617.
4. Ci-dessus, p. 264.
[1618] DE RICHELIEU. 277
Elle avoit envie d'attendre quelque temps, soit par
l'irrésolution ordinaire aux femmes, que la peur retient
lorsqu'elles sont sur le point d'exécuter ce qu'elles ont
entrepris, soit pour ce que le sieur de Luynes parlant
d'envoyer le sieur [de] Cadenet pour la voir au nom
du Roi, elle espéroit recevoir de lui quelque remède.
Le désir extrême qu'elle en avoit donnoit lieu à la trom-
perie de cette espérance, quoiqu'elle sût, d'autre côté,
que Déageant n'avoit point de honte de dire qu'il se
perdroit plutôt que de permettre qu'elle revînt auprès
du Roi.
Barbin lui manda qu'elle ne devoit point différer
davantage, ni attendre la venue de Cadenet, telles gens
faisant parler S. M. comme ils vouloient, ne lui disant
rien de la part du Roi que ce que bon leur sembloit,
et ne rapportant rien au Roi de ce qu'elle leur disoit que
ce qui faisoit à leurs desseins; que les lettres qu'elle
écriroit à S. M. ne pourroient pas être déguisées
comme leurs paroles; que difficilement l'empêche-
roient-ils de les lire, et que ce que disoit Déageant lui
faisoit connoître qu'il étoit temps qu'elle agît.
M. de Rohan la servoit en cela avec grande
affection, et communiquoit avec M. de Montbazon,
beau-père de Luynes, qui se chargeoit d'ôter de son
esprit les méfiances qu'on lui avoit données de la
Reine, et le porter à condescendre à se vouloir récon-
cilier avec elle, ce qu'il faisoit en partie parce qu'il étoit
mécontent dudit sieur de Luynes, qui étoit si resserré
en la propre vue de soi-même, qu'il n'avoit pas l'égard
au bien de son père comme il eût désiré, et l'un et
l'autre donnoient avis à Barbin de tout ce qu'ils
278 MÉMOIRES [1618]
fkisoient. Le premier le pressoit qu'il sollicitât la
Reine d'agir promptement, ou sinon qu'elle étoit en
danger de demeurer longtemps en son exil .
Le duc d'Épernon et M. de Bellegarde se montroient
aussi fort affectionnés à la Reine, et faisoient état de
parler eux-mêmes au Roi pour lui remontrer l'injustice
avec laquelle on la traitoit. Ils avoient été fort mal-
traités d'elle, qui les avoit éloignés par les menées du
maréchal d'Ancre, à la mort duquel ils n'étoient pas
à la cour; mais ils se trouvoient aussi maltraités de
ceux-ci, et, l'injure présente étant plus sensible que
celle qui est passée, et celle qui nous est faite par une
personne d'éminente qualité moins que celle que nous
recevons d'une personne plus vile, ils devinrent favo-
rables à la Reine par la mauvaise volonté qu'ils avoient
contre l'état présent.
Ces quatre étoientles principaux qui s'entremettoient
pour la Reine, et les uns ne savoient rien des autres;
tous se rapportoient à Barbin, qui donnoit avis à la
Reine des choses qui se passoient. Tous ces desseins
étant connus au sieur de Luynes, à qui on portoit toutes
les lettres et les réponses qui s'écrivoient, et, lui sem-
blant qu'il y en avoit assez pour prendre prétexte
contre Barbin, Persan et son frère, et, d'autre part, ne
voulant pas que les choses passassent plus avant, et
étant étonné de voir les siens propres inclinés pour la
Reine, il voulut rompre ce commerce et ôter à la Reine
toute espérance de se pouvoir rapprocher du Roi.
Il crut devoir commencer par m'ôter toute commu-
nication avec elle; laquelle croyant ne pouvoir me
retrancher qu'en m'envoyant bien loin, ils m'adressèrent
une lettre du Roi, du 7^ avril, par laquelle il m'écrivoit
[1618] DE RICHELIEU. 279
que, sur les avis qu'il recevoit des allées et venues et
diverses menées qui se faisoient aux lieux où j'étois,
dont l'on prenoit des ombrages et soupçons qui pour-
roient apporter de l'altération au repos et tranquillité
de ses sujets et au bien de son service, il me comman-
doit de partir au plus tôt, et me retirer dans Avignon,
pour y demeurer jusques à ce que j'eusse autre com-
mandement de sa part; à quoi satisfaisant prompte-
ment, je lui donnerois occasion de demeurer toujours
dans la bonne impression qu'il avoit eue de moi ; mais,
si j'y manquois, il seroit obligé d'y pourvoir par autre
voie*.
Je ne fus pas surpris à la réception de cette dépêche,
ayant toujours attendu de la lâcheté de ceux qui gou-
vernoient toute sorte d'injuste, barbare et déraison-
nable traitement. Mais, quand je l'eusse été, le temps
auquel je la reçus m'eût consolé, étant le propre jour
du mercredi saint. Je mandai à S. M. que, si j'avois
beaucoup de déplaisir de reconnoître la continuation
des mauvais offices qu'on me rendoit auprès d'elle,
j'avois un extrême contentement d'avoir occasion de
lui témoigner mon obéissance ; que je partirois dès le
vendredi pour^ satisfaire au commandement qu'il lui
plaisoit me faire d'aller en Avignon, où je serois très
content si ceux qui m'en vouloient me laissoient vivre
aussi exempt de soupçon que je le serois de coulpe.
Cependant, puisqu'on m'accusoit d'avoir fait des menées
en ces quartiers contre le service de S. M., je la sup-
1. La lettre du Roi se trouve aux Affaires étrangères,
France 244, fol. 3. Les Mémoires la reproduisent presque tex-
tuellement.
2. Le manuscrit B porte ici « et pour ».
280 MÉMOIRES [1618]
pliois très humblement de vouloir envoyer quelqu'un
sur les lieux qui, dépouillé de passion, pût prendre
connoissance de la vérité, étant sûr que par ce moyen
S. M. reconnoîtroit mon innocence^.
Le sieur de Richelieu, mon frère ^, et le sieur de
Pont-de-Gourlay, mon beau-frère^, reçurent le même
commandement et le même exil que moi : encore nous
fut-ce une grande consolation de ne nous voir pas
séparés, bien qu'ils ne le fissent pas à cette fin, mais
afin de pouvoir prendre garde à nous tous d'une
même vue.
La Reine se plaignit bien haut de mon bannisse-
ment; mais elle reçut des réponses absolues de refus,
et en même temps tant de sujets de plaintes pour
elle-même, qu'elle eut sujet d'oublier celui-là. Je puis
dire de moi avec vérité, et sans blesser la modestie,
que, quelque animosité qu'ils me portassent, ils me
trouvèrent aussi j)eu dans les papiers de ceux qui
manioient les affaires, comme convaincu d'avoir mal
1. La lettre dont Richelieu donne ici l'analyse a été impri-
mée par Avenel, t. I, p. 568. Elle était datée de Richelieu, le
16 avril 1618. Elle est conçue en termes beaucoup plus humbles
que l'abrégé qui figure ici. L'évêque de Luçon ne fait aucune
allusion aux « mauvais offices » qu'on lui aurait rendus auprès
du Roi; il ne parle pas de l'espèce d'enquête sur sa conduite
qu'il suggère en ses Mémoires et se contente de faire acte de
soumission.
2. Henri de Richelieu, fils aîné de François II du Plessis et
de Suzanne de la Porte, fut tué en duel en 1619.
3. René de Vignerot, seigneur du Pont-de-Courlay, avait
épousé en 1603 Françoise du Plessis de Richelieu, veuve d'un
Reauvau et sœur de l'évêque de Luçon, morte en 1615. Arnaud
d'Andilly {Journal, p. 349) dit que MM. de Richelieu et du
Pont-Courlay partirent le 10 février.
[1618] DE RICHELIEU. 281
fait, que dans la chambre des comptes, comme ayant
reçu des bienfaits en servant.
J'obéis à la Reine dans sa régence ; mais de qui tout
le monde recevoit-il les volontés du Roi que de sa
bouche 1? Il n'y a personne qui ne doive connoître que
le vrai serviteur doit redresser les volontés de son
maître à une fin avantageuse pour lui, mais que, lors-
qu'il ne les peut conduire où il veut, il les doit suivre
où elles vont^. J'ai eu habitude avec le maréchal;
mais qui a jamais oui parler que des civilités fussent
des crimes? Si c'est un crime, qui en est exempt? Qui
est celui dans l'état d'éminente condition qui ne soit
coupable de cette faute? Le sieur de Villeroy ne refusa
pas d'entrer dans son alliance^; ce personnage n'a eu
1. On trouve aux Affaires étrangères, France 772, fol. 55-59,
un brouillon intitulé : Caput apologeticum Lusson. Il est écrit
par plusieurs secrétaires du Cardinal, entre autres Le Masle et
Charpentier, et contient des annotations de la main du Cardi-
nal lui-même. Ce morceau a été préparé pour être employé
dans les Mémoires. Il porte en tête, de la main de Charpentier,
les mots suivants que le Cardinal a dû dicter : « Faudra insé-
rer ce discours lorsqu'on faisoit le procès à Barbin et que,
l'évêque de Luçon étant en Avignon, on parloit de le faire
comparoître, ou quand il fut arrêté prisonnier à Lyon, qu'il
écrivit au Roi qu'il ne désiroit rien que de paroître pour se
justifier. » — Ce Caput apologeticum a été imprimé in extenso
par Avenel, t. VII, p. 416. Voyez aussi Journal des Savants,
mars 1858, p. 171. On peut constater que les Mémoires ont
utilisé ce morceau en intervertissant l'ordre des paragraphes,
en en développant ou abrégeant certaines parties.
2. Cette phrase se trouve dans l'original, fol. 59; elle est de
la main de Charpentier. On n'y a pas changé un mot.
3. On trouve sur l'original (fol. 56) : « Qui a jamais ouï par-
ler que des civilités fussent crimes ? Si c'est crime, qui en est
282 MÉMOIRES [1618]
pour ennemis que ceux qu'il n'a pas voulu avoir pour
serviteurs, ou qui, après l'avoir été, ont bien voulu
conserver ses bienfaits, mais en perdre la mémoire.
Si on considère le temps, on trouvera que celui
auquel il s'est enrichi est celui où les sieurs Brûlart,
de Villeroy et Jeannin étoient employés aux affaires, et
qu'il n'a eu nulle dignité, ni office, ni nulle charge depuis
leur éloignement. Ceux qui avoient pris racine du temps
du feu Roi, qui tenoient le timon des affaires, pouvoient
aucunement empêcher l'accroissement de cette plante ;
il leur étoit aisé, vu qu'ils étoient en autorité dès long-
temps, et qu'il n'y étoit pas encore, le feu Roi l'ayant
contenu dans la simplicité de sa condition*.
Si c'est un crime que d'être appelé de son temps
aux affaires, où est l'innocence du sieur du Vair? Si
être sorti de charge contre son gré lui donne cet avan-
tage d'être innocent, avoir voulu sortir par cinq fois
exempt? Quel seigneur, quel officier, quel prince n'est point
tombé en cette faute? » Et plus loin : « Est-ce crime d'avoir
habitude avec lui [Concini], si cela n'a point été à un person-
nage de mérite et de sagesse, y contractant une étroite alliance,
mariant ses enfants avec les siens ? » Tout ce passage est de la
main de Le Masle.
1. « Si on considère les temps, on trouvera que celui auquel
il s'est enrichi est celui des vieux ministres et qu'il n'a eu nulle
dignité, nul office, nulle charge depuis qu'ils ont été ôtés. De
leur temps, il avoit Amiens qui a donné lieu à tant de brouil-
leries; depuis, il l'a quitté. Eux qui avoient pris racine du
temps du feu Roi, qui tenoient le timon des affaires, pouvoient
aisément empêcher l'accroissement de cette plante. Il leur
étoit aisé, vu qu'ils étoient en autorité de longtemps et qu'il
n'y étoit pas encore, le feu Roi l'ayant toujours tenu bas »
(Affaires étrangères, Ibid., fol. 56).
[1618] DE RICHELIEU. 283
avec instance et de mon propre mouvement, ne me
doit-il pas donner la même qualité*?
Si c'a été une violence que de prendre les armes
pour empêcher les mauvais desseins des princes qui
s'étoient unis contre l'État, pourquoi ceux qui les ont
conseillés au dernier mouvement n'en sont-ils pas taxés?
N'est-ce pas le garde des sceaux du Vair qui a fait la
première déclaration sur l'emprisonnement de Mon-
sieur le Prince, contre lui et ses adhérents-?
M. de Villeroy [n']a-[t-]il pas dit souvent à la Reine,
sur le progrès des armes du Roi, qu'il ne restoit autre
chose qu'à les poursuivre, qu'il ne manquoit à ses con-
seils que de les faire exécuter? Depuis la chute même
de la Reine, il n'a pu dissimuler qu'on lui avoit cette
obligation, et à ses nouveaux ministres, d'avoir ouvert
le chemin de conserver l'État, et empêcher les
troubles, ne trouvant rien à redire en leur conduite,
1. On lit [Fbid., fol. 56 v°) le passage suivant, écrit de la
main de Le Masle : « Si être venu en charge de son temps c'est
un crime, qu'a fait le sieur du Vair qui l'en exempte? Si être
sorti de sa charge, en étant ôté contre son gré, lui donne cet
avantage, en avoir voulu sortir par cinq fois avec instance, de
son propre mouvement, ne doit-il point donner le même à
juste titre? » On remarquera, pour ce passage comme pour les
précédents, combien ils ont été remaniés avec soin au point
de vue du style.
2. Voici ce que porte le Caput apologeticum [Ibid., fol. 58 v") :
« Si c'est violence que de prendre les armes, pourquoi ceux
qui les ont fait prendre aux premiers mouvements n'en sont-ils
pas taxés? N'est-ce pas M. le garde des sceaux qui a fait la pre-
mière déclaration sur l'emprisonnement de Monsieur le Prince,
contre lui et les autres princes ? » Ce passage a été écrit, sur
l'original, par Le Masle.
284 MÉMOIRES [1618]
mais seulement en l'introduction, n'estimant pas leur
autorité légitime pource qu'elle lui étoit préjudiciable^.
De m'accuser moi et mes compagnons d'être espa-
gnols, pour ce que nous avons ménagé l'intelligence,
comment le peut-on sans en convaincre ceux qui en
ont fait et conseillé l'alliance; qui, aux oppositions des
princes contre ce dessein, ont toujours répondu qu'elle
étoit nécessaire au bien de cet État et au repos de nos
voisins^?
Mais avec quelle franchise ai-je dit mes sentiments
au maréchal quand le service du Roi l'a requis? Lors
même qu'il s'agissoit des Espagnols, ne trouva-t-on
pas une de mes lettres dans les papiers du maréchal
d'Ancre, par laquelle, ledit maréchal m'ayant écrit, sur
l'occasion de l'union que les princes firent à Soissons^,
qu'il étoit d'avis, puisqu'il se trouvoit tant de mauvais
1. Comparez encore ce paragraphe avec ce morceau du Caput
apologeticum, écrit par Le Masle, et par Charpentier à partir
des mots « Et depuis la Reine » : « M. de Villeroy n'a-il pas
dit plusieurs fois à la Reine sur le progrès des armes du Roi
qu'il ne restoit autre chose qu'à poursuivre, qu'il ne manquoit
rien en ses conseils, qu'il étoit seulement question de les exé-
cuter. Et, depuis la Reine être à Blois, il a dit qu'il falloit con-
fesser qu'on avoit cette obligation à la Reine et à ses nouveaux
ministres d'avoir ouvert le chemin de conserver l'Etat et empê-
cher les troubles, ne trouvant rien à redire en leurs conseils et
en leur conduite, mais seulement en l'introduction, n'estimant
pas leur autorité légitime, parce qu'elle lui étoit préjudiciable. »
2. Ce paragraphe et le suivant sont probablement le déve-
loppement de cette phrase du Caput apologeticum, écrit par
Charpentier [Ibid., fol. 58) : « Les ministres sont-ils Espagnols
qui suivent les pas tracés par d'autres qui sont réputés bons
François? »
3. Voyez ci-dessus, p. 93 et suivantes.
[1618] DE RICHELIEU. 285
François, qu'on eût recours aux étrangers pour main-
tenir l'autorité du Roi, et qu'il étoit temps à ces fins
de se servir des Espagnols, qui seroient bien aises en
cela de nous faire ressentir un effet avantageux de l'al-
liance de ces deux couronnes, je lui répondis qu'il se
falloit bien donner de garde de se servir de cet expé-
dient, qui le rendroit odieux à tous les François, qui
prendroient ce prétexte pour dire qu'étant étranger il
en voudroit introduire en France pour se rendre maître
de l'autorité et de la personne du Roi; que les bons
François étoient en assez bon nombre pour résister à
ceux qui s'étoient éloignés de leur devoir; qu'au reste
tous les secours d'Espagne étoient toujours plus en
apparence qu'en eîîet, ce qui faisoit que, outre qu'il
n'étoit point nécessaire et qu'il n' étoit pas à propos
pour s'en servir, quand on le feroit, on n'en tireroit pas
grand fruit?
Le sieur Servin ^ , animé de la passion du temps et
de ce que je n'avois pu satisfaire à quelques intérêts
qu'il avoit prétendus pendant que j'étois au maniement
des affaires, n'oublia rien de ce qu'il put pour faire
prendre cette lettre et quelques autres en mauvais sens.
Mais l'équité de Messieurs de la cour, qui trouvèrent
fort mauvais qu'il requît, en ces occasions, un ajourne-
ment personnel contre moi, et qui se moquèrent- de
ses conclusions, me fut un authentique témoignage de
l'approbation qu'ils voulurent donner à ma conduite.
Qui ne sait la querelle que j'eus avec lui, pour le
1. Louis Servin, conseiller d'État, fut avocat général au par-
lement de Paris de 1589 à sa mort, en 1626.
2. Le manuscrit B porte se moqua.
286 MÉMOIRES [1618]
détourner de la résolution qu'il avoit prise d'envoyer
les gardes à Soissons, et laisser le Roi désarmé en un
temps si difficile, lui représentant que ce procédé
pourroit irriter le Roi contre lui, et donner pensée au
peuple qu'il le vouloit avoir absolument entre ses
mains, ce qui pourroit lui apporter beaucoup de pré-
judice? Comme les princes furent réduits à l'extrémité,
je maintins toujours, contre ses avis, que le Roi les
avoit assez châtiés en faisant voir qu'il le pouvoit faire.
Quels conseils donnai-je à la Reine depuis que je fus
hors de la cour, si ce n'est qu'elle ne devoit avoir
aucun sentiment des choses passées, et que le maréchal
et sa femme s'étoient attiré leurs malheurs et leurs
peines par leur mauvaise conduite, bien que non par
leur crime ; que tout ce qu'elle avoit à faire étoit de se
gouverner si modérément que ses actions présentes
justifiassent celles du passé, faisant paroître une si
grande différence entre elle, possédée par la maréchale
d'Ancre, et non possédée, qu'on jugeât clairement que
tout ce qu'on pourroit remarquer d'odieux au passé
venoit de ses conseils * ?
Mais tout cela n'empêcha pas que, par une haine
1. Paragraphe tiré de ce passage du Caput apologeticum
(France 772, fol. 58 v"), écrit par Le Masle : a Tout le conseil
qu'il a donné à la Reine depuis qu'il est hors de la cour est de
n'avoir nul sentiment de ce qui s'étoit passé, que ces misé-
rables s'étoient attiré, par leurs mauvais comportements, leur
peine; que tout ce que S. M. avoit à faire étoit à se gouverner
si modérément que ses actions présentes justifiassent celles du
passé, faisant paroître une totale différence entre elle, possédée
par la maréchale d'Ancre, et non possédée, qu'on jugeât clai-
rement que tout ce qu'on pouvoit remarquer d'odieux au passé
venoit de la maréchale. »
[1618] DE RICHELIEU. 287
qui est toujours aveugle, et partant, à l'égard de laquelle
toutes les raisons sont inutiles, et pour s'assurer dans
l'anxiété de la crainte en laquelle ils vivoient, ils ne
voulussent, à quelque prix que ce fût, me voir hors
du royaume, au préjudice du service que j'étois obligé
de rendre au peuple que Dieu m'avoit commis, comme
ils m'empêchoient déjà de rendre au Roi celui auquel
j'étois tenu.
Je passai toute l'année en cet exil, quoique, mon
frère étant devenu veuf durant ce temps i, je les sup-
pliasse de lui permettre de faire un petit voyage en
sa maison pour mettre ordre à ses affaires, et de me
prescrire un lieu proche d'eux tel qu'ils voudroient,
n'en exceptant aucun, où je pusse demeurer pour cau-
tion de ses actions et des miennes, me soumettant
encore, outre cette assurance, de recevoir de la part
de S. M. telle personne qu'elle auroit agréable, pour
avoir égard à nos comportements. Mais cela fut en vain ^.
En même temps qu'ils m'envoyèrent en Avignon,
ils resserrèrent Barbin et lui ôtèrent cette ombre de
liberté qu'ils lui avoient donnée dans la Bastille, disant
qu'il en abusoit, et, au lieu d'écrire des lettres de
simple compliment à la Reine, tramoit avec elle des
menées préjudiciables au service du Roi. Dès le len-
1. Henri du Plessis de Richelieu avait épousé Marguerite
Guyotdes Charmeaux, dame d'Ansac, morte le 15 octobre 1618.
Elle avait été désignée, au moment du mariage de Marie de
Médicis, pour être dame d'honneur de la nouvelle reine de
France et fut évincée de cet emploi par une intrigue des
Concini.
2. Ce paragraphe est la reproduction partielle d'une minute
de lettre de Richelieu au Roi, écrite dans la seconde quinzaine
d'octobre (Avenel, t. VII, p. 423).
288 MÉMOIRES [1618]
demain qu'ils l'eurent resserré, ils lui envoyèrent le
sieur de Bailleul^ et un autre conseiller d'État^ pour
l'interroger. Il refusa de répondre, pour ce qu'il croyoit
que Le Bailleul étoit encore maître des requêtes, et se
déficit que les commissaires alloient bien vite en des
procès criminels; mais, lui ayant dit qu'ils étoient
conseillers d'État, lesquels ne font le procès à personne,
et qu'ils étoient seulement venus pour ouïr et faire
écrire par le sieur d'Andilly ^, qui étoit commis pour cet
effet, ce qu'il auroit à dire sur quelques lettres et
mémoires qu'ils lui présenteroient, et que ce n'étoit
qu'une affaire domestique dont le Roi vouloit avoir la
connoissance, il consentit de répondre.
Lors ils lui représentèrent les copies des lettres qu'il
avoit écrites à la Reine et celles que la Reine lui avoit
envoyées, et le vouloient rendre grandement criminel
par ces lettres, les prenant en sens qu'ils vouloient,
non au sens des paroles auquel elles étoient conçues ;
1. Nicolas Le Bailleul ou de Bailleul, marquis de Château-
Gontier, maître des requêtes en 1616, conseiller d'Etat, pré-
sident à mortier au parlement de Paris en 1627, chancelier de
la reine Anne d'Autriche, surintendant des finances en 1643,
mort le 20 août 1652.
2. Cet autre conseiller s'appelait L'Avocat, d'après les
Mémoires (V Arnauld d'Ândilly, p. 376, ou plutôt Ladvocat.
3. Robert Arnauld (1589-1674), sieur d'Andilly, obtint en
1619 la place de premier commis du surintendant des finances
Schônberg, devint conseiller d'Etat et intendant de l'armée
d'Allemagne en 1634. Il se retira à Port-Royal-des-Champs
vers 1642. Entre autres ouvrages, il a laissé des Mémoires, et
un Journal inédit, qui a été publié, ces dernières années, par
M. Eug. Halphen. Au sujet de cet interrogatoire de Barbin,
voyez les Mémoires d' Arnauld d'Andilly, p. 375-376, et son
Journal, p. 358-359.
[1618] DE RICHELIEU. 289
et, entre autres choses, interprétoient ce que nous
avons dit qu'il lui avoit mandé que ce qu'elle savoit
qu'avoit dit Déageant lui montroit qu'il étoit temps
qu'elle agit, qu'ils vouloient entendre par là qu'il fal-
loit qu'elle fît tuer Déageant, comme s'il n'y avoit point
d'autre agir que de tuer Déageant, et que sa mort
servît beaucoup aux affaires de la Reine. Enfin, quand
il eut expliqué cette affaire, il les éclaircit de ce doute,
comme il fit de tous autres, leur remontrant que le
dessein de la Reine étoit de voir le Roi par le moyen et
les bonnes grâces de Luynes, et que, pour ce sujet, elle
y employoit M. de Montbazon son beau-père et M. de
Rohan son parent.
Ils vinrent plusieurs jours de suite l'interroger, et,
au sortir d'avec lui, s'en alloient chez le Chancelier et
le garde des sceaux du Vair, où quelques-uns choisis
du Conseil les attendoient et délibéroient sur sa dépo-
sition. Les accusations étoient frivoles ; les défenses
étoient fort solides. Le Chancelier et le garde des
sceaux, quoiqu'ils fussent ses ennemis, ne furent pas
d'avis, non plus que le président Jeannin, qu'on passât
plus outre en cette affaire, laquelle ils jugeoient ne
pouvoir réussir qu'à son honneur. Luynes, qui espé-
roit avoir des moyens de la faire passer pour bonne,
et venir à bout de faire porter le jugement selon sa
passion, voulut que l'on continuât le procès. Il est
vrai qu'il le pressoit quand il pensoit avoir assez de
juges gagnés, et l'arrêtoit quand le jugement luiparois-
soit incertain.
Tandis qu'il se comportoit si violemment en sa con-
duite, il essayoit de gagner une bonne réputation par
autre moyen. Il fit révoquer la paulette, par arrêt du
II 19
290 MÉMOIRES [1618]
conseil du Roi, dès le commencement de l'année^ con-
tinuant néanmoins la vénalité, pour gratifier, disoit-il,
les officiers et leur donner le moyen d'accommoder leurs
affaires.
Et, en février, il fit donner un autre arrêt^ au Conseil
en faveur des Pères Jésuites, par lequel il leur fut
permis d'ouvrir leurs écoles au collège de Clermont,
selon le désir qu'ils en avoient depuis leur rétablisse-
ment, et la poursuite que, depuis la mort du feu Roi,
ils en avoient continuellement faite, sans avoir néan-
moins pu jusqu'alors surmonter les grandes difficultés
qui s'y étoient rencontrées, et principalement l'oppo-
sition de l'Université, laquelle encore en cette occasion
ne se rendit pas, et, voyant que c'étoit une résolution
prise, et qu'ils ne gagneroient rien au Conseil, fit deux
décrets^, par lesquels elle empêchoit qu'aucuns éco-
liers ne pussent aller en leur collège. Mais, les Jésuites
en ayant fait plainte, par un autre arrêt du 26" avril
lesdits décrets furent cassés*.
Le Roi, d'autre côté, demeura ferme pour l'exécu-
tion de l'arrêt qu'il avoit donné en son Conseil en
faveur des ecclésiastiques de Béarn, les rétablissant en
leurs bénéfices, et remplaçant aux ministres le revenu
d'iceux sur son domaine du pays, de proche en proche ;
car ceux de la Religion prétendue réformée, qui
avoient reçu commandement d'envoyer des députés
1. Cet arrêt portait la date du 16 janvier 1618 [Mercure fran-
çais, t. V, année 1618, p. 5-6).
2. Cet arrêt est du 15 février 1618. On en trouve le texte
dans le Mercure français, p. 6 et suivantes.
3. En date des l^"" et 24 mars [Mercure français, p. 12).
4. Ibidem, p. 16.
[1618] DE RICHELIEU. 291
pour voir procéder au remplacement desdits biens
ecclésiastiques, ne pouvant goûter de se voir dessaisir
du bien réel qu'ils avoient, et être remis sur la bourse
du Roi, voulurent tenir en Béarn une assemblée pour
cela, composée des trois États dudit pays et des dépu-
tés des églises prétendues du Haut-Languedoc et de la
Basse-Guyenne, afin d'intéresser tout le parti hugue-
not en cette affaire. Ce que S. M. sachant, elle com-
manda à Lescun * , qui étoit venu vers elle pour la lui
faire agréer, de se retirer, et leur dire qu'il la leur
défendoit- : ce qui fit qu'ils résolurent de la faire en la
ville de Gasteljaloux^ au 1"" mai. Mais, le Roi ayant
donné commandement au parlement de Bordeaux et
chambre de l'édit à Nérac de procéder contre ceux
qui y assisteroient, comme contre perturbateurs du
repos public, les consuls de ladite ville et ceux qui
avoient charge des autres places de la Guyenne tenues
par les huguenots refusèrent de l'y recevoir; autant
en firent ceux de la ville de Tonneins*, où, au refus
de ceux de Gasteljaloux, ils pensoient aller. De sorte
qu'ils furent contraints de retourner en Béarn pour
1. Jean-Paul de Lescun, conseiller à la cour souveraine de
Béarn et conseiller d'État de Navarre, exposa, en 1618, les
réclamations des Béarnais dans une brochui-e publiée à Orthez.
Obligé de se réfugier à Montauban, il prit les armes avec ses
coreligionnaires et fut fait prisonnier; condamné à mort par
le parlement de Bordeaux, il fut exécuté en 1622.
2. L'ordre du Roi fut donné à Lescun le 14 février 1618
[Mercure français, t. V, année 1618, p. 210).
3. Chef-lieu de canton de Lot-et-Garonne, arrondissement
de Nérac.
4. Tonneins, chef-lieu de canton du département de Lot-et-
Garonne.
292 MÉMOIRES [1618]
être hors du ressort de Bordeaux, et choisirent Orthez
pour leur assemblée, qu'ils convoquèrent au 15® mai.
Le Roi fit une déclaration ^ par laquelle il déclaroit
criminels de lèse-majesté tous ceux qui s'y trouveroient ;
mais, nonobstant cela, ils ne laissèrent pas de la tenir,
parce qu'ils avoient le parlement du pays à leur
dévotion.
Le commissaire du Roi^ y arriva pour l'exécution
dudit édit de la main levée et remplacement. Il y fut
traité comme en terre ennemie ; il reçut mille outrages
de paroles par les écoliers d'Orthez qu'on suscita contre
lui, sans que le parlement ni le sieur de la Force, gou-
verneur, y missent aucun ordre ; et ledit parlement, par
arrêt du 29 juin^, refusa de procéder à la vérification
dudit édit, et ordonna que très humbles remontrances
seroient^ faites à S. M., pour la supplier de laisser les
choses en l'état qu'elles étoient. Le Roi, en ayant eu
avis, envoya une jussion^ audit parlement, sur laquelle
ils donnèrent seulement un arrêt interlocutoire, sup-
pliant S. M. de pourvoir à la conservation des droits
de ses sujets de la Religion prétendue réformée.
1. Vérifiée au parlement de Paris le 25 mai [Mercure fran-
çois, t. V, année 1618, p. 212).
2. C'était Jacques Regnard, conseiller au Grand Conseil et
maître des requêtes depuis 1608; il arriva à Pau le 9 juin
[Mercure françois, p. 213, et Histoire des guerres de Louys XIII,
roy de France et de Navarre, contre les religionnaires rebelles de
son Estai, par Ch. Bernard, p. 63).
3. Le texte de cet arrêt du parlement de Pau a été imprimé
dans le Mercure français, p. 214.
4. Le manuscrit B porte soient faites.
5. Cette jussion, en date du 25 juillet, fut apportée à Pau le
7 août par le sieur de Squille, « conseiller du Roi en sa chan-
cellerie de Navarre » [Mercure françois, p. 219-225).
[1618] DE RICHELIEU. 293
Il * prit soin aussi des affaires d'Italie, de peur que
l'accusation qu'il faisoit contre la Reine et les ministres
qui avoient gouverné sous son autorité, d'avoir trop
incliné vers l'Espagne, ne fût rétorquée contre lui-
même. Il envoya Modène pour aider à M. de Béthune
à poursuivre l'exécution des traités de Pavie et d'Ast- ;
et pour ce qu'il fàchoit aux Espagnols de rendre Ver-
ceil contre leur coutume, et que Don Pedro ^ retardoit
de jour en jour, le Roi fut contraint de parler haute-
ment à l'ambassadeur d'Espagne '^, et lui dire que,
quelques troubles qu'il eût en son royaume, il ne lair-
roit^ pas de passer les monts pour faire tenir la parole
qui lui avoit été donnée : ce qui fit tel effet, que le
15 juin Verceil fut rendu, et les choses promises exé-
cutées de part et d'autre.
Semblablement aussi furent exécutées toutes les
choses promises par le traité qui avoit été fait entre
les Vénitiens et l'archiduc Ferdinand, pour la pacifica-
tion des troubles qui avoient été entre eux^.
Toutes ces choses, qui témoignoient un soin et du
zèle pour la justice et la religion et la gloire du Roi,
donnoient au peuple, et à ceux qui ne savoient pas le
1. C'est sans doute du Roi qu'il s'agit. Comme ce para-
graphe n'a aucune liaison avec ce qui précède, on pourrait
presque supposer que le copiste du manuscrit B a fait ici
quelque omission involontaire.
2. Voyez tome I, p. .389, et ci-dessus, p. 269.
3. C'est-à-dire Don Pedro de Tolède.
4. Le duc de Monteleone. Le Mercure français, p. 40, donne
tous ces mêmes détails et rapporte les paroles que le Roi aui'ait
prononcées devant l'ambassadeur d'Espagne.
5. Forme ancienne pour laisserait; on en trouve un exemple
dans les Fables de la Fontaine.
6. Voyez ci-dessus, p. 269 et 270.
294 MÉMOIRES [1618]
secret du cabinet, bonne estime du gouvernement, et
leur faisoient désirer qu'il demeurât en la main de ceux
qui l'avoient.
Luynes ne perdoit pas ce temps favorable à l'avan-
cement de sa grandeur et à l'établissement de sa mai-
son. Il échangea la lieutenance générale du gouverne-
ment de Normandie, qu'il n'avoit prise, l'année passée *,
que pour être avec plus d'autorité en l'Assemblée
des notables à Rouen, pour le gouvernement de l'Ile-
de-France et des villes de Soissons, Noyon, Ghauny,
Goucy et autres, qu'a voit le duc de Mayenne, auquel il
fit donner le gouvernement de Guyenne avec celui du
Ghàteau-Trompette, et de quelques autres places dans
le Bordelois que le colonel d'Ornano tenoit, lequel on
récompensa d'une charge de maréchal de France et de
ladite lieutenance générale de Normandie^.
Il eut encore La Fère et Laon, par la remise que lui
en firent le duc de Vendôme et le marquis de Gœuvres,
qui en étoient gouverneurs.
Gomme il s'élevoit et se fortifioit d'un côté, il para-
chevoit de ruiner, tant qu'il pouvoit, le parti qui lui
étoit contraire, et à opprimer Barbin et lui faire con-
damner toute la conduite de la Reine. Ge procès fai-
soit un grand bruit à la cour, et sembloit qu'il y eût
eu des menées capables de renverser toute la France :
on sollicitoit, de la part du Roi, les juges avec ins-
tance, comme on avoit fait ceux de la maréchale
1. Voyez ci-dessus, p. 262.
2. D'Ornano reçut aussi le gouvernement particulier de
Pont-de-l'Arche. Ces échanges de gouvernements sont men-
tionnés dans le Mercure français, t. V, p. 259. D'Ornano n'ob-
tint la charge de maréchal de France qu'en 1626; mais il en eut
dès lors la promesse.
[16181 DE RICHELIEU. 295
d'Ancre; on demandoit gain de cause et non justice.
On mêle en cette affaire quelques personnes qui, par
leur imprudence, avoient fait quelque écrit mal digéré
sur le sujet de Luynes et des affaires du temps. Durand *
fut mis prisonnier pour ce sujet, et un nommé Siti^,
florentin, qui avoit été secrétaire de l'archevêque de
Tours, frère de la maréchale d'Ancre^. Un même livre
fut imputé à tous deux, et même peine leur fut
ordonnée d'être rompus et brûlés avec leurs écrits en
la Grève, et un frère dudit Siti, qui n'avoit fait simple-
ment qu'en transcrire une copie, fut pendu. Ils
essayoient, par ces condamnations, de souiller Barbin
et quelques autres particuliers qu'ils mêloient avec lui
par leur sang^, confondant leurs accusations qui sont
entièrement différentes. Plusieurs autres sont pris pri-
sonniers ; les uns sont mis à la Bastille, les autres au
For-l'Évêque^, et tous à dessein d'être conduits à la
mort^.
1. Etienne Durand, « l'un des gentils poètes de son temps,
inventif à dresser des ballets » [Mercure français, t. V, année
1618, p. 268), fut condamné par arrêt du Grand Conseil du
19 juillet 1618 et exécuté le même jour.
2. François Siti et son frère André, dont il est question
quelques lignes plus loin, furent condamnés en même temps
qu'Etienne Durand (voyez le volume France 772, fol, 16). Sui-
vant les Mémoires de Déageant (p. 116), les Siti, dévoués aux
Concini, étaient des agents du grand-duc de Toscane, qui caba-
lait en faveur de la Reine mère.
3. Sébastien Galigaï : voyez tome I, p. 258.
4. Par leur parenté avec lui.
5. C'était la prison où l'évêque de Paris avait sa cour de jus-
tice; elle fut transformée en 1674, lors de la suppression de la
juridiction épiscopale, en prison royale, destinée aux détenus
pour dettes, et devint plus tard la « Bastille des comédiens ».
6. Comparez le Mercure français, t. V, p. 268-269,
296 MÉMOIRES [1618]
Bournon ville ' et Persan sont du nombre, et au lieu
de geôliers qu'ils étoient gardant les autres, ils
deviennent prisonniers eux-mêmes. Les Luynes avoient
un vieil dessein d'ôter Bournonville de la Bastille, et à
Persan la garde de Monsieur le Prince. Depuis, ils
avoient conçu quelque mauvaise volonté contre eux,
parce qu'ils avoient vu des lettres de Barbin et de la
Reine, par lesquelles il paroissoit que Bournonville lui
étoit favorable, et que la Reine en avoit du ressenti-
ment de bonne volonté vers lui.
Ils essayèrent premièrement de tirer de gré Persan
du Bois-de-Vincennes et lui firent offrir de l'argent pour
cela, lui représentant qu'y ayant apparence qu'il fût
coupable de toute la menée de Barbin, ils ne vouloient
pas enfoncer cette alVaire, mais qu'ayant soupçon de
lui, il n'étoit pas raisonnable aussi qu'ils lui confiassent
la garde de Monsieur le Prince. Il répondit des paroles
assez hautaines, sur lesquelles ils le firent mettre à la
Bastille, et Bournonville aussi, et établirent en sa place
le sieur du Vernet^, parent de M. de Luynes. On feint
qu'ils ont voulu mettre en liberté Monsieur le Prince,
et, par ce moyen, renverser l'État, tenant sa sortie la
perte du royaume. Quoiqu'ils n'eussent pas peu con-
tribué à la chute de la Reine, on les accuse de désirer
1. Jean de \ audetar, sieur de Bournonville, était gouver-
neur de la Bastille. Son frère Persan commandait le château
du Bois-de-Vincennes (ci-dessus, p. 192).
2. Barthélémy de Monts, seigneur du Vernet, marié en 1605
à Antoinette dAlhert, sœur du connétable de Luynes, eut
plus tard le gouvernement de Calais. Sa femme fut, en 1619,
nommée dame d'atour de la Reine, et, devenue veuve, se
remaria en 1628 avec Henri-Robert de la Marck, comte de
Braine,
[1618] DE RICHELIEU. 297
son établissement auprès du Roi, et les traite-t-on
comme criminels ^
L'on arrête M"^ du Tillet^, femme de condition, sur
de simples soupçons ; on mène des religieux à la Bastille
aussi librement qu'en leur couvent; on la remplit de
toutes sortes de personnes, nulle condition ni qualité
n'étant capable de mettre à couvert ceux qui étoient
jugés avoir quelque empreinte d'aftection pour la
Reine dans le cœur; on s'attaque à tout le monde.
Ceux de la faveur soupçonnent le duc de Montbazon,
beau-père du sieur de Luynes, et avec raison, si la
plupart de ceux qui sont maltraités sont coupables,
puisqu'ils ne sont chargés d'autre crime. que d'avoir
discouru avec lui des moyens de faire faire, par l'in-
tervention de son gendre, une action glorieuse au Roi,
en rappelant sa mère au grand avantage de son État
et de ses favoris.
Déageant prit toutes les réponses que Barbin, Bour-
1. On lit dans le Mercure français, p. 268 et 269, que Bour-
nonville, « accusé d'avoir eu les yeux éblouis d'un diamant
pour laisser recevoir à Barbin, prisonnier dans la Bastille, des
lettres et en écrire, fut cause que son frère le baron de Persan,
qui avoit la garde de M. le prince de Condé, étant venu du
château de Vincennes à Paris, sur quelques mots assez hauts
qu'il dit, fut arrêté prisonnier et, en sa place, pour garder
ledit sieur prince, le Roi y mit le sieur du Vernet, beau-frère
de M. de Luynes. «
2. Charlotte du Tillet, dame d honneur de la Reine mère,
était fille de Jean du Tillet, greffier civil de la cour du parle-
ment de Paris, et de Jeanne Brinon, et mourut en 1635 ou
1636. « Elle avoit fort bon sens, étoit fort adroite et fort née
pour la Cour. Elle étoit de toutes les intrigues, soit d'amour,
soit d'autre chose » (Tallemant des Réaux, Historiettes, t. I,
p. 187).
298 MÉMOIRES [1618]
iionville, La Ferté^ qui étoit au duc de Rohan, les
deux hommes de Barbin^ et un sergent de la Bastille^
avoient faites, et tes communiqua au sieur Lanier'*,
conseiller au Grand Conseil, qui^, après les avoir vues
et communiquées à quelques-uns de ses amis, lui pro-
mit qu'il feroit donner un arrêt de mort contre eux.
Luynes, ayant su cette bonne volonté, fît adresser une
commission au Grand Conseil pour leur faire leur pro-
cès. Lanier et La Grelière^ sont les rapporteurs de
cette affaire. Barbin demande, comme secrétaire du
Roi, d'être renvoyé au Parlement; il en est débouté,
et est ordonné qu'il procédera devant le Grand Conseil.
Luynes en envoie quérir tous les juges l'un après
l'autre, et leur recommande cette affaire. Lanier, tous
les soirs, alloit chez lui lui rendre raison de ce qui se
passoit et, pour s'acquitter promptement de sa pro-
messe en laquelle il s'étoit engagé, il le vouloit juger
sur les réponses qu'il avoit faites aux conseillers d'État
dont nous avons parlé ci-devant, quelques protesta-
tions qu'il fît qu'il leur avoit répondu comme devant
personnes qui ne venoient point là pour lui faire son
procès, et partant qu'il ne s'étoit pas expliqué autant
qu'il devoit faire quand il étoit question de le juger.
Mais il insista si fort à ce que la demande qu'il faisoit
1. Peut-être Michel Le Roy, sieui' de la Ferté.
2. Nicolas Levesque et Nicolas Huilleaume, dit la Roze, tous
deux serviteurs de Barbin.
3. Salomon Marcou, dit le sergent Lizy.
4. Guillaume Lanier, seigneur de Leffretière, conseiller au
parlement de Bretagne, puis au Grand Conseil, le 23 décembre
i608, conseiller d'État en 1643, mort le 9 mai 1646, doyen
des conseillers d'Etat.
5. La Grilliere peut-être?
[1618] DE RICHELIEU. 299
d'être ouï plus amplement là-dessus tut rapportée au
Grand Conseil, qu'ils le firent, et on lui accorda ce
qu'il désiroit.
Il se plaignoit incessamment de ce qu'on ne lui par-
loit point du sujet pour lequel on l'avoit mis prison-
nier; qu'il avoit été dans le conseil du Roi sous le
gouvernement de la Reine et avoit eu la charge des
finances, dont il avoit disposé absolument ; qu'on l'ac-
cusât là-dessus et qu'on l'interrogeât, s'il y avoit délin-
qué; que c'étoit une grande honte de l'avoir empri-
sonné et ne lui parler pas du sujet pour lequel on lui
avoit fait ce traitement, mais lui faire son procès seu-
lement pour ce qu'il avoit fait depuis qu'il étoit détenu
en la Bastille, qui n'étoit que ce que le plus religieux
capucin eût pu faire, de moyenner la réconciliation
du Roi et de la Reine, laquelle il ne savoit pas avec
quelle conscience on lui pouvoit imputer à crime de
lèse-majesté.
Cependant on donnoit, d'autre côté, ajournement
personnel à plusieurs domestiques de la Reine, à Chan-
teloube*, à Codoni, à Selvage^, dont les deux derniers
1. Jacques d'Apchon, seigneur de Chanteloube, embrassa
d'abord la carrière militaire et s'attacha à Marie de Médicis,
qui lui donna le gouvernement de Chinon. Entré dans l'ordre
de l'Oratoire en 1621, il prit très activement en 1630 le parti
de la Reine mère contre Richelieu et suivit cette princesse dans
les Pays-Ras. Il y mourut en 1641. Il signait Chantelouve.
2. Antoine Codoni, florentin, apothicaire de la Reine, épousa,
le 3 février 1603, Selvage Vincenti, de Sienne, femme de
chambre de la Reine (Archives nationales, Y 141, fol. 372);
tous deux étaient encore en fonctions en 1624 (Y 164, fol. 195).
Selvage Vincenti, qu'on appelait communément Selvage
[Mémoires de Bassompierre, t. I, p. 327 et 332, et t. II, p. 60;
300 MÉMOIRES [1618]
étoient des plus nécessaires auprès de sa personne*.
Il est vrai que la cour, ayant honte du peu de fonde-
ment avec lequel on les avoit accusés, les renvoya
absous. Ils venoient néanmoins aux fins qu'ils préten-
doient, puisqu'ils ne vouloient qu'étourdir le peuple et
lui donner une impression apparente de quelque grand
crime, puisque tant de gens de condition, et ceux
mêmes qui approchoient le plus près de la Reine, y
étoient embarrassés.
On ne châtie pas seulement les actions : on examine
les paroles, on devine les pensées, on suppose des
desseins. Si on parle, on prend pied sur des mots
innocents, on donne un sens préfix à des paroles
indifférentes. Si on se tait, on impute le silence à
crime, estimant qu'on couvre quelque chose qui ne
se dit point. Temps déplorable où il y a égal péril à
parler et à se taire! Si on va, tout voyage est mal
interprété, et on suscite des traîtres et des espions
qui suivent à la piste pour découvrir des nouvelles.
Tous ceux qui sont pris sont interrogés, et, ce qui est
une chose inouïe et qui fait horreur à y penser seule-
ment, on force les dépositions le plus qu'on peut pour
mettre le nom de la Reine en des procès, ayant pour
but de l'envelopper dans la perte des autres.
A la contenance des juges, il est aisé à voir qu'ils
sont assis, non pour ouïr ceux qui comparoissent
devant eux, mais pour les condamner, non pour ins-
truire leur procès, mais pour ordonner de leur sup-
Avenel, t. IV, p. 468), figure sur les états de la maison de
Marie de Médicis dès 1601, aux gages de cent vingt livres.
1. Tous trois furent décrétés de prise de corps par arrêt du
Grand Conseil du 23 juillet 1618.
[1618] DE RICHELIEU. 301
plice^ Enfin ils sont tous jugés. Ceux qui avoient écrit
des choses qui leur déplaisoient sont condamnés^,
comme nous avons dit des autres qui sont accusés
pour être serviteurs de la Reine; ceux à qui ils en
veulent le moins sont déclarés innocents et remis en
liberté; les autres passent pour coupables.
Le fait de Barbin est remarquable. Ils lui en vou-
loient avec une grande animosité, à cause de la pas-
sion qu'ils voyoient qu'il avoit au service de la Reine
et sa fidélité qu'ils n'avoient jamais su ébranler. Ils
firent tout ce qu'ils purent pour le faire condamner :
il n'y eut juge à qui ils ne parlassent; mais Dieu fut le
plus fort : les plus gens de bien de la compagnie,
reconnoissant son innocence et le désirant délivrer, ne
crurent pas en avoir un meilleur moyen que de le con-
damner à un simple bannissement, craignant quelque
autre violence plus grande de la part de Luynes. Mais
le nombre des autres qui étoient gagnés étoit si grand,
qu'il ne laissoit pas de passer d'une voix à la mort, si
un des juges qui opinoient ne se fût évanoui; car on
l'emporta hors de l'assemblée, et on attendit que ses
esprits fussent revenus. Peut-être avoient-ils opinion
que celui-là dût opiner contre lui; revenu qu'il fut et
rentré en la compagnie, il commença à opiner en ces
mots : « Messieurs, vous voyez en quel état j'ai été.
Dieu m'a fait voir la mort, qui est une chose si ter-
rible et effroyable que je ne me puis porter à con-
1. Il est curieux de voir cette phi^ase sous la plume du Car-
dinal qui fit condamner par des tribunaux d'exception, que
l'on a toujours dit avoir été à sa dévotion, Marillac, Cinq-
Mars et de Thou.
2. Ci-après, p. 302.
302 MÉMOIRES [1618J
damner un innocent, comme celui-ci de qui il s'agit.
J'ai ouï quelques opinions qui vont au bannissement;
s'il y en a quelqu'une plus douce, je prie le conseil de
me le dire, afin que j'en sois. » Et à l'heure même
quasi tous les jeunes conseillers furent d'avis de son
bannissement. Tous les présidents, hormis le sieur de
Bercy ^, et quasi tous les anciens conseillers à qui on
avoit parlé et que l'on avoit mandés au Louvre pour
cet effet, se portèrent à la passion de ses ennemis.
Par le même arrêt, qui fut du 30® août, Bournon-
ville fut condamné, comme criminel de lèse-majesté,
à avoir la tête tranchée ; Persan et M"® du Tillet à s'abs-
tenir de la suite de la cour et de la prévôté de Paris
pour l'espace de cinq ans. On bannit hors du royaume,
pour le même temps, le sieur de la Ferté et un des
serviteurs de Barbin^, l'autre étant renvoyé absous^, et
le sergent de la Bastille^, qui avoit servi Barbin à
faire porter ses lettres, fut condamné à être pendu ^.
Ils ne tirèrent cet arrêt à conséquence que pour Bar-
bin, faisant donner grâces aux autres, d'autant qu'ils
avoient ce qu'ils vouloient, qui étoit la Bastille, la
1. Charles Malon, sieur de Bercy (1568-1638), conseiller
à la cour des aides de Paris en 1595, conseiller au Parlement
en 1598, maître des requêtes en 1608, puis président au Grand
Conseil en 1610, conseiller d'Etat en 1613 et conseiller au
conseil des finances en 1635.
2. ÎS'icolas Levesque.
3. C'était Nicolas Huilleaume, dit la Roze.
4. C'est-à-dire Marcou, dit Lizy.
5. Une copie de cet arrêt se trouve dans le volume 772 du
fonds France des Affaires étrangères, fol. 16 et 17. Il faut ajou-
ter, d'après cet arrêt, que Persan fut condamné à une amende
de 4,000 livres tournois, applicables à des œuvres pies, et le
reste de ses biens confisqué. Les autres condamnés se virent
[1618] DE RICHELIEU. 303
y-arde de Monsieur le Prince et la condamnation de
Barbin, par laquelle ils prétendoient justifier sa pri-
son et couvrir les injustices et violences avec lesquelles
ils avoient procédé contre lui.
Néanmoins, sa condamnation leur sembla trop douce.
Il fut banni par ses juges, plus pour l'ôter de la main
de ses ennemis qu'en intention de leur plaire. Mais
cette peine ne satisfait pas leur passion; la crainte
qu'ils ont de ce pauvre infortuné fait qu'ils lui com-
muent son bannissement en une prison rigoureuse :
chose du tout contraire à la nature des grâces qui
remettent de la peine au lieu de l'augmenter.
Ce bruit venant aux oreilles de la Reine lui perça
le cœur d'une douleur très sensible; joint qu'elle sut
que, comme on étoit sur le jugement de ce procès, le
Chancelier, le garde des sceaux et le président Jean-
nin s'étant accordés à témoigner qu'il falloit étouffer
cette affaire et ne la pas poursuivre à l'extrémité
comme on faisoit, Luynes dit qu'il n'eut jamais cru
que Monsieur le Chancelier, premier ministre de l'État,
eût favorisé une personne qu'on pouvoit dire l'unique
ennemi de l'État. L'autre lui répliquant qu'il désiroit
savoir de quelle personne il parloit, il dit qu'il étoit
bien aise de l'entendre, et qu'il parloit de la Reine mère,
qui devoit être considérée comme la plus puissante,
voire la seule cause des désordres.
Ces injures atroces qui blessoient S. M., et tant d'in-
fâmes artifices desquels on se servoit pour divertir
infliger diverses amendes et quelques-uns furent condamnés à
la confiscation de leurs biens. — Au dos de cette copie de l'arrêt
du Grand Conseil se trouve écrit, de la main de Charpentier :
« Arrêt de M. Barbin du 30^ août. » Le mot « Employé » figure
au-dessous, ainsi que le chiffre 2.
304 MÉMOIRES [1618]
d'elle l'affection du Roi, lui redoublèrent l'ennui qu'elle
ressentoit de son absence, et l'obligèrent de se ser-
vir des copies de lettres que Barbin lui avoit envoyées,
il y avoit longtemps, pour le Roi, M. de Luynes et le
duc de Montbazon, par lesquelles, se plaignant à
S. M. des déplaisirs qu'elle recevoit, elle la sup-
plioit qu'elle pût aller à Paris pour, étant plus proche
d'elle, lui rendre plus facilement compte de ses
actions, et prioit Luynes de l'assister en ce juste désir
et la délivrer de servitude, et le duc de Montbazon
d'y porter l'esprit de son beau-fils. Le Roi fut touché
de ses lettres; mais ils le détournèrent de lui donner
contentement par mille artifices, ne lui représen-
tant pas seulement que, si elle vient, il n'aura plus
d'autorité, mais qu'ils appréhendent même que sa vie
ne soit pas en sûreté, le désir de régner étant tel en
eux, qu'il n'y a lien de sang, de raison ni de justice
qui puisse arrêter leur fureur.
D'un côté, ils mesurent le péril qui leur pourroit
arriver de la présence de la Reine, à l'atrocité des
injures qu'ils lui avoient faites, et ne peuvent prendre
d'elle aucune assurance, quelque promesse qu'elle
leur fit; d'autre part, demeurant leur ennemie, ils
vouloient avoir lieu de la faire paroître tout autre
qu'elle n'étoit et, pour ce sujet, essayoient de la tenir
éloignée, d'autant que les objets sont peu souvent et
difficilement vus de loin tels qu'ils sont en effet. Ainsi
ils représentent au Roi important à sa vie, à sa gloire et
au bien de son État, ce qui ne l'est qu'à leur fortune,
et lui font passer leurs propres intérêts pour siens ; et
d'abondant encore, craignant que tous leurs artifices
ne fussent pas assez forts pour arrêter les vrais senti-
[1618] DE RICHELIEU. 305
ments de la nature, et que la Reine, assurée du bon
naturel du Roi, ne vînt à l'impourvu, ils envoyèrent
des troupes à l'entour de Blois pour lui boucher le
passage.
Davantage, on lui défendit de plus sortir de Blois.
Les promenades lui sont désormais limitées, les con-
versations bornées à certaines personnes qu'ils tenoient
tout à eux; nul ne la peut voir, quoique son chemin
soit au lieu de son séjour, sans permission expresse ;
celui qui la demande se rend suspect de crime; celui
qui fait gloire de ne la voir pas, quoiqu'en passant,
est estimé d'une fidélité éprouvée, digne de récom-
pense.
On envoie diverses personnes vers elle pour lui
détacher de l'esprit la pensée qu'elle avoit de voir le
Roi et ainsi l'en empêcher non seulement par force,
mais encore volontairement. Modène et le P. Arnoux*
lui sont envoyés pour cet effet, tous deux séparément ;
ils y travaillent puissamment, à divers voyages qu'ils
y font : comme l'un met en avant les considérations
d'État pour l'en détourner, l'autre lui propose qu'elle
ne le pouvoit entreprendre avec conscience, vu le mal
qui en arriveroit au public. Entre autres raisons, on
ne craignoit point de lui dire que, si cela arrivoit, la
France étoit perdue, parce que son arrivée contrain-
droit de mettre Monsieur le Prince en liberté pour la
contrecarrer, et que de cette opposition naitroit la
ruine de l'État. Ils la menacent de pire traitement : on
parle de la chasser hors de France; enfin on l'inti-
1. Voyez ci-dessus, p. 254. Le P. Arnoux était confesseur
du Roi depuis l'année précédente.
II 20
306 MÉMOIRES [1618]
mide de sorte que sa bouche fut contrainte de profé-
rer ce dont son cœur étoit bien éloigné, et de pro-
mettre par serment sur les saints évangiles, qui, à cet
effet, lui furent présentés par le P. Arnoux, qu'elle
n'iroit jamais voir le Roi si on ne l'envoyoit quérir
premièrement, et, en cas qu'elle y vînt, ne lui donue-
roit point de conseils, ni ne se mèleroit d'aucune affaire.
Bien que ces choses outrepassassent tout devoir et
tout exemple, et que ces assurances fussent telles
que, jointes à la force qu'ils a voient en main, il sem-
blât qu'il fût superflu d'en demander davantage,
néanmoins la connoissance de leur crime, qui est tou-
jours craintive et ne peut trouver de sûreté, les fit
passer plus avant, et désirer d'elle la déclaration sui-
vante, qu'elle donna au P. Arnoux, écrite et signée
de sa main, en un autre voyage qu'il y fit exprès pour
ce sujet ^ :
« Marie, par la grâce de Dieu, reine de France et de
Navarre, mère du Roi. Dieu, qui sait l'intérieur de nos
pensées, ayant par sa divine providence voulu, pour
faire voir à un chacun la pureté des nôtres, et pour
nous relever du doute auquel nous étions que des gens
mal affectionnés n'eussent rendu par leurs calomnies
ordinaires le Roi mal satisfait de nous, qu'il plût au
1. D'après le Journal d'Arnauld d'Andilly^ p. 382, ce serait
Modène qui serait allé à Blois pour en rapporter cette déclara-
tion. Il paraît plus vraisemblable de s'en tenir à l'indication
donnée par Richelieu. — La lettre de la Reine mère, signée
Marie et contresignée Phélypeaux, se trouve en original aux
Affaires étrangères i France 772, fol. 19 et 20i. — >~ous avons
collationné le texte original de cette déclaration avec celui
donné par le manuscrit B, et, là où il y avait divergence, nous
avons suivi la leçon de l'original.
[1618] DE RICHELIEU. 307
Roi, notredit sieur ^ et fils, touché de son bon naturel,
nous faire pleinement entendre et confirmer par ses
lettres, et de la bouche du Révérend Père Arnoux, de
la Compagnie de Jésus, et son coni'esseur ordinaire,
la pureté de son âme, sa prudente conduite au gou-
vernement de son État, et son amour singulière en
notre endroit, nous, qui, conformément à nos souhaits,
avons ressenti, par sa venue, des preuves de cette
affection qui nous fait espérer toute sorte de bon trai-
tement, le Roi notre sieur et fils étant inviolable en
ses promesses, pour reconnoissance de la joie que
nous en avons, et pour en rendre un chacun bien
informé, et de nos bonnes et sincères intentions à y
correspondre par une bonne conscience et union de
volonté, avons fait et faisons au Roi, notredit sieur et
fils, devant Dieu et ses anges, les soumissions, pro-
testations et promesses ci-après déclarées : de n'avoir
pour maintenant ni à^ l'avenir, non plus que j'ai eu
par le passé, désir ni pensée qui ne tendent à la pros-
périté et avancement de ses affaires, au bien, repos
et grandeur de son État, et de lui vouloir rendre les
devoirs et obéissance qui lui sont dus comme à notre
roi et souverain seigneur, résignant toutes nos volon-
tés entre ^ ses mains; de n'avoir aucune correspon-
dance dedans ni dehors le royaume, en chose quel-
conque qui puisse préjudicier à son service, désavouant
toutes personnes, de quelque état et qualité qu'ils^
1. Le manuscrit B porte seigneur, ainsi que dans toutes les
autres formules similaires qui se trouvent contenues dans la
suite de cette déclaration.
2. Le manuscrit B porte /jour.
3. Le manuscrit B porte en.
4. Nous respectons le texte original qui porte qu'ils.
308 MÉMOIRES [1618]
soient, qui, sous notre nom et autorité, se voudroient
ingérer d'aucunes pratiques et menées, ou feroient
aucune chose contre la volonté du Roi, notredit sieur
et fils, et la nôtre; d'avertir aussitôt le Roi, notre
sieur et fils, des rapports et ouvertures contre* son
service, et de ceux qui nous les auroient faits, au cas
qu'il y en eût de si téméraires; de déférer et faire
connoître ceux qui seront ainsi mal affectionnés,
même de se joindre, si besoin est, à la poursuite qui
sera faite contre eux, pour en ordonner en justice^ la
punition exemplaire; de n'avoir aucune volonté de
retourner à la cour, que lorsque le Roi, notredit sieur
et fils, nous l'ordonnera, désirant, non seulement en
cela, mais en toutes autres choses, observer religieu-
sement ses commandements; que, si nous avons sou-
haité avec passion ce voyage, c'a été pour avoir l'hon-
neur de le voir et pour lui faire connoître, par nos
déportements pleins de respect et d'obéissance, que
l'on nous avoit blâmée sans sujet, n'ayant eu aucun
désir de nous mêler d'affaires, comme l'on l'avoit
voulu faire accroire au Roi, notre sieur et fils, qui
doit régner seul et qui peut, par sa prudence mieux
que par l'entremise de qui que ce soit, gouverner son
État avec la justice et réputation qui y est requise,
reconnoissant que les bonnes qualités et inclinations
qu'il y avoit de son jeune âge nous avoient été autant
de promesses des effets qu'il y fait reluire de sa pru-
dente conduite. Nous finirons par une vérité tirée de
notre cœur, qui est que, si la conservation du Roi.
1. L'original porte contre à son service; le manuscrit B avait
corrigé en contraires .
2. Le manuscrit B porte, par erreur, ensuite.
[1618] DE RICHELIEU. 309
notredit sieur et fils, dépendoit de notre perte, nous
y consentirions, pour lui témoigner que nous l'hono-
rons plus que nous ne nous aimons nous-même. Et,
afin que cette déclaration puisse être notoire à un cha-
cun, nous avons consenti • qu'il en soit expédié plu-
sieurs copies, pour être publiées si notredit sieur et
fils^ le désire. Fait à Blois, le 3® jour de novembre
1618. »
Tout cela ne suffit pas encore ; ils la veulent resser-
rer davantage et font dessein de la mettre dans le châ-
teau d'Amboise. Ils le demandent ou^ le gouvernement
de Normandie dont elle étoit pourvue^. On parle même
de la faire entrer dans un monastère, et le sieur de
Villesavin^, qui étoit l'un des siens, mais affidé à la
faveur, lui propose d'y entrer de son mouvement.
Tant de mauvais traitements qu'elle n'eût jamais
pensés lui en font encore attendre d'autres pires qu'elle
ne se pouvoit imaginer, croyant que leur malice trou-
veroit tous les jours de nouveaux moyens de lui faire
du mal, puisqu'ils lui en avoient déjà tant fait, dont il
n'y en avoit point d'exemple en personne devant elle.
En ces tristes attentes, sans espoir de mieux, elle passa
le reste de l'année, sans autre compagnie que de ses
larmes et soupirs.
1. Le manuscrit B porte convenu.
2. Notredit fils, d'après le manuscrit B.
3. Le mot ou semble barré sur le manuscrit B.
4. Cette phrase signifie : Ils demandent qu'elle soit enfermée
dans le château d'Amboise, ou qu'elle cède le gouvernement de
Normandie.
5. Jean Phélypeaux, seigneur de Villesavin, secrétaire des
commandements de Marie de Médicis, devint dans la suite
maître des comptes, conseiller d'Etat et comte de Buzançais;
il mourut en novembre 1660.
310 MÉMOIRES [1618]
Sur la fin de l'année, le cardinal de Savoie ^ vint en
France pour remercier le Roi de l'assistance royale que
le duc son père avoit reçue de S. M. et lui demander
Madame-, sa seconde sœur, en mariage pour le prince
de Piémont, laquelle lui fut accordée sans qu'on en
envoyât demander le consentement à la Reine sa mère,
qui tint ce traitement le plus cruel qu'aucun qu'elle
eût reçu jusqu'alors, lui étant fait en une chose si
intime comme lui étoit Madame sa fille ^.
Durant cette année, l'empereur Mathias, qui avoit,
il y avoit un an, fait élire l'archiduc Ferdinand roi de
Bohême, à la charge qu'il ne se mèleroit des affaires
du royaume qu'après sa mort, fit le même du royaume
de Hongrie en sa faveur^. Mais, incontinent après ^,
ledit Ferdinand se saisit de la personne du cardinal
Klessel^, chef du conseil dudit Empereur, en haine,
ce disoit-on, de ce qu'il s'étoit opposé tant qu'il avoit
1. Maurice de Savoie (1593-1657), fils de Charles-Emma-
nuel I", duc de Savoie, et de Catherine d'Autriche, nommé
cardinal en 1607, quitta la pourpre en 1642 pour épouser sa
nièce la princesse Louise-Marie de Savoie. Lors de son ambas-
sade en France en 1618, le cardinal de Savoie était accompa-
gné, entre autres personnes, de François de Sales, évêque de
Genève, de Philibert Scaglia, comte de Verrue, et d'Antoine
Faure, premier président de Savoie.
2. Marie-Christine de France (1606-1663).
3. Voyez pour plus de détails le Mercure français, t. V,
année 1618, p. 277-280.
4. Le Mercure français, t. V, année 1618, p. 115 et suivantes,
a donné le récit de ces négociations. — Avant l'élection, une
assemblée des Etats fut convoquée à Presbourg, le 14 mars, et
l'élection eut lieu dans cette ville, le 1*"" juillet.
5. Le 20 juillet 1618.
6. Melchior Klessel, évêque de Vienne en Autriche, cardi-
nal en 1615, mort en 1630.
[1618] DE RICHELIEU. 311
pu aux susdites démissions de l'Empereur, mais sous
prétexte qu'il fomentoit un soulèvement très grand
qui étoit survenu en Bohème, où tout le peuple s'étoit
révolté contre l'Empereur, sous la conduite du comte
de la Tour^, à raison de quelques temples que ceux
qu'ils appellent évangéliques, c'est-à-dire communiant
sous les deux espèces, avoient voulu faire bâtir en
quelques terres ecclésiastiques, qui ne les avoient pas
voulu souffrir et avoient été soutenues de l'Empereur.
Ce soulèvement vint si avant qu'ils tinrent en mai
les États contre la volonté de S. M. I., jetèrent ses
conseillers par les fenêtres du haut en bas du château
de Prague-, ensuite prirent les armes, firent une
armée, se défendirent contre celle que l'Empereur
envoya contre eux, se rendirent maîtres de la Bohême,
Silésie et Moravie, et reçurent promesse d'assistance
des protestants d'Allemagne et des États de Hollande^.
Le roi Ferdinand et l'archiduc Maximilien^, suppo-
sant que le cardinal Klessel, comme nous avons dit^,
connivoit avec eux, le firent arrêter à Vienne, le
1. Henri-Mathias, comte de Thui'n ou de la Tour (1580-1640),
fut un des chefs du parti national bohémien dans la révolte de
1618; plus tard, il fut un des compagnons d'armes de Bethlen
Gabor et prit part à la guerre de Trente ans sous Gustave-
Adolphe et sous Wallenstein. Il y a. de la Thurn dans le ms. B.
2. Cet événement, connu sous le nom de Défenestration de
Prague, eut lieu le 23 mai 1618.
3. De copieux détails sur ces événements sont donnés dans
le Mercure français, p. 129-209.
4. Maximilien, archiduc d'Autriche, fils de l'empereur Maxi-
milien II et de Marie d'Autriche, grand maître de l'Ordre Teu-
tonique, mort en 1618.
5. Les quatre derniers mots ont été ajoutés en interligne, de
la main de Charpentier, sur le manuscrit B.
312 MÉMOIRES [1618]
2)0" juillet, au retour de Presbourg, où il avoit servi
ledit Roi en son assomption au royaume de Hongrie.
Et, afin de conserver, au moins en apparence, selon
ce qui se pouvoit en telles rencontres, l'honneur dû à
sa dignité en l'arrêtant, ils lui firent prendre un bon-
net et un vêtement noir, le firent monter en un car-
rosse et l'envoyèrent par relais de carrosses jusqu'en
Tyrol*. De ce pas ils allèrent trouver l'Empereur, qui
ne savoit rien de ce dessein, et aimoit uniquement
ledit cardinal, et lui dirent qu'ils l'avoient fait arrêter
pour ce qu'il vouloit troubler l'union qui étoit entre
eux, ce qu'il reçut avec autant de déplaisir que la foi-
blesse et la maladie en laquelle il se trouvoit l'obli-
gèrent à témoigner le contraire. Ce lui fut un bien
petit échange des maux qu'il avoit faits à l'empereur
Rodolphe, son frère, du ressentiment desquels il étoit
mort.
La mort du cardinal du Perron, qui arriva en sep-
tembre^, est bien digne de clore cette année, et sa vie
et sa mort méritent d'être remarquées. Il étoit d'une
maison noble de la Basse-Normandie, né toutefois en
Suisse^, dont il se glorifioit à cause de la fidélité de la
nation. Son père^ fut ministre et mourut le laissant
jeune. Il vint à la connoissance de la vérité peu de
temps après et eut cette bénédiction de ramener sa
mère au giron de l'Église. Dès l'âge de vingt ans, il
1. Tout ce récit reproduit presque dans les mêmes termes la
narration du Mercure français, p. 128.
2. Le 5 septembre 1618.
3. Le 25 novembre 1556.
4. Julien Davy du Perron, né vers 1528, professa à Genève
et fut ministre de la religion réformée à Dieppe. Il avait épousé
une fille de la maison de Languerville.
[1618] DE RICHELIEU. 313
parut comme un prodige d'esprit et de science, et fut
choisi par le roi Henri III® pour un de ses lecteurs^, et
de ceux qui faisoient devant lui des discours sur les
matières qu'il leur proposoit, où il excella tellement
qu'il n'y avoit personne qui osât se comparer à lui.
Après sa mort, le roi Henri IV® venant à la couronne,
et l'hérésie tenant le dessus, il la confondit en une
conférence qu'il eut à Mantes, l'an 1593, avec le
ministre Rotan-, qui étoit un homme insigne entre les
hérétiques ; depuis lequel temps ils fuirent toujours la
lice avec lui et n'osèrent comparoitre où il étoit : ce
qui ne donna pas peu de branle à l'esprit du Roi pour
l'incliner à se ranger à la religion catholique. Il fut
depuis envoyé à Rome par S. M. pour obtenir de
Sa Sainteté l'absolution de son hérésie. A son retour,
il fut fait évéque d'Évreux^; l'an 1600, fit la célèbre
conférence de Fontainebleau'^, en laquelle il emporta
une telle victoire contre l'hérésie que le Roi, qui
jusques alors étoit chancelant, se confirma en la foi,
et le pernicieux livre de du Plessis-Mornay contre la
messe perdit toute créance, même envers les héré-
tiques. Peu après, il fut fait cardinal^ et envoyé à
Rome pour y servir le Roi, où étant il fut fait arche-
vêque de Sens^ et grand aumônier de France. De là,
1. Il touchait pour cette charge 1,200 écus de pension.
2. Jean-Baptiste Rotan, originaire du pays des Grisons, fut
successivement pasteur à Vandœuvres, la Rochelle et Castres,
assista à l'assemblée de Mantes en 1593, fut délégué aux synodes
de Montauban et de Saumur et mourut le 28 avx'il 1598.
3. En 1595, comme successeur de Claude de Saintes.
4. Cette célèbre conférence eut lieu le 4 mai 1600 et non pas
en 1601 comme le porte le manuscrit B.
5. En 1606.
6. En 1606, à la place de René de Beaune.
314 MÉMOIRES [1619]
revenant en France, l'an 1607, il composa les œuvres
que depuis sa mort nous avons vues en lumière. G'étoit
un homme doux et sans fiel, facile, bienfaisant et
libéral, froid de son naturel et difficile de mettre en
train de parler; mais, quand il étoit échauffé, il ne
pou voit être épuisé ni se taire, tenant en cela, ce
semble, et de la France de laquelle il avoit tiré sa pre-
mière origine, et de la Suisse en laquelle il étoit né.
Il mourut très chrétiennement, d'une suppression
d'urine, assisté de l'évêque de Nantes^ et du P. [de]
Bérulle'^, supérieur général des prêtres de l'Oratoire,
n'ayant autre regret en sa mort que de n'avoir pas
résidé en son archevêché^.
ANNÉE \^\9.
La continuation des maux, qui, non seulement
rompt les chaînes les plus ibrtes de la patience, mais
donne du sentiment aux plus insensibles, força enfin
la Reine, nonobstant la résolution qu'elle avoit prise
de supprimer ses maux par la souffrance, à chercher
1. Henri de Bourgneuf, évêque de Nantes en 1617, mort en
janvier 1621.
2. Pierre de Bérulle (1575-1629), fils de Claude, conseiller
au parlement de Paris, et de Louise Séguier, fut fondateur en
France et supérieur général de la congrégation de l'Oratoire;
il fut élevé au cardinalat en 1627.
3. Tallemant des Réaux, dans V Historiette qu'il consacre au
cardinal du Perron (t. I, p. 105-106), donne sur sa mort des
détails beaucoup moins édifiants, de même que Guy Patin, dans
une lettre à Spon en date du 3 novembre 1649. L'éloge funèbre
inséré dans le Mercure français, p. 269, se rapproche par plus
d'un point de celui qui figure ici.
[1619] DE RICHELIEU. 315
les moyens les plus puissants de sortir hors de la ser-
vitude en laquelle elle étoit injustement détenue, après
avoir tenté en vain tous les autres plus doux.
Elle ne vouloit pas croire, au commencement, toutes
les menaces qui lui étoient faites de l'envoyer hors
du royaume, ou l'enserrer dans un monastère, croyant
que son éloignement étoit un assez fâcheux exil, et le
château de Blois, dans lequel elle étoit arrêtée non
seulement au milieu des gens de guerre qui étoient
autour d'elle, mais de ceux qui se disoient être ses
serviteurs et étoient ses ennemis, une prison assez
étroite pour assouvir la mauvaise volonté de ceux qui
la haïssoient. Mais enfin, considérant par l'expérience
du passé que ceux qui lui en vouloient ne trouvoient
aucune violence difficile pour se maintenir en l'état où
ils s'étoient établis par la même voie, elle n'en fait
plus de doute et se résout de sortir de Blois* et se
délivrer de la misère en laquelle elle étoit, qu'elle eût
volontiers supportée, selon que je lui ai ouï dire plu-
1. Avec ces mots commence un premier emprunt fait à
un document écrit par Cherré en vue de la rédaction des
Mémoires et relatant des faits dans lesquels Richelieu joua un
rôle particulièrement délicat. Il se trouve, en manuscrit, aux
archives des Affaires étrangères, dans le volume France 772,
fol. 243 et suivants, au milieu de papiers provenant du cabinet
du Cardinal. En mar^e de ce récit on lit la mention suivante :
L'affaire arriva ainsi. Faut voir le mémoire de M. le cardinal
de la Valette. On trouve dans les Mémoires pour l'histoire du
cardinal-duc de Richelieu, par Aubery, Cologne, 1667, t. I,
p. 273, une Relation de la sortie de la Reine mère de Blois,
dont la plupart des détails concordent avec ceux du récit inséré
ici. Cette relation, extraite du cabinet de Talon, doit être la
même que le Mémoire de M. le cardinal de la Valette, cité plus
haut. Talon était en effet secrétaire de ce cardinal.
316 MÉMOIRES [1619]
sieurs fois, si elle n'en eût appréhendé une plus grande.
Chanteloube, qui étoit venu auprès d'elle quinze
jours après que je fus parti de Blois, commença à tra-
vailler à cette fin. Tous les grands de la cour qui
étoient mécontents ne manquoient pas de faire diverses
propositions à ces fins : tous parloient selon leur pas-
sion et peu faisoient des ouvertures raisonnables;
beaucoup échauffoient l'esprit de la Reine et des siens
et peu lui donnoient des remèdes. Enfin, après que
l'on eut longtemps écouté ceux qui parloient sur ce
sujet, entre autres les duc de Mayenne, prince de
Joinville, cardinal de Guise*, duc de Bellegarde et
autres particuliers, après même qu'on eut consulté
le duc de Bouillon, qui étoit tenu pour un oracle en
telles affaii'es, on estima que le plus propre à servir la
Reine en cette occasion étoit le duc d'Épernon, tant à
cause de son gouvernement qui étoit ^ en lieu où il la
pou voit retirer aisément qu'à cause de son humeur
audacieuse, plus tenante que celle de tous les autres.
Chanteloube faisoit de Blois à Paris plusieurs voyages,
inconnu, pour conférer avec tous ceux qui étoient plus
propres à animer la Reine qu'à la secourir. Ruccellaï,
qui, quelque temps après la mort du maréchal d'Ancre,
avoit obtenu permission de demeurer à la cour, sur
la découverte qu'il fit au sieur de Luynes des deniers
que le feu maréchal avoit à Rome sous son nom et
le service qu'il promit lui rendre pour les lui faire
toucher, travailloit aussi de son côté, quoique sans
commission et sans aveu, et avec si peu de discrétion
1. Ci-dessus, p. 80.
2. Le document de la main de CheiTé porte, avec plus de
raison : tant à cause que son gouvernement était...
[1619] DE RICHELIEU. 317
que les favoris, outrés de son insolence, le firent
chasser de la cour; ce qui l'anima, non seulement à
travailler plus que jamais à cette fin, mais lui donna
commodité de ce faire, vu qu'il se retira dans une
abbaye qu'il avoit en Champagne^, assez proche des
ducs d'Épernon, qui étoit à Metz, et de Bouillon, qui
étoit à Sedan, pour avoir communication avec eux.
Le duc de Bouillon estima toujours que personne
ne pouvoit mieux servir la Reine en cette occasion
que le duc d'Épernon; que, comme il pouvoit plus
commodément que personne la retirer de Blois pour
la recevoir à Loches, qui n'en est qu'à treize lieues,
et de là la conduire à Angoulème, personne ne pou-
voit aussi mieux que lui faire une puissante diversion
du côté de Champagne, à cause de l'excellente place
qu'il avoit et la commodité qu'il avoit d'avoir- des
étrangers, soit de Hollande, soit d'Allemagne, où il
avoit l'alliance qu'on sait qu'il a avec l'Électeur pala-
tin^ et le prince d'Orange^, soit du Liège, dont les
terres étoient contiguës à celles de sa principauté.
Mais^ il se rencontroit de grands obstacles en ce*"
projet qui se faisoit pour la liberté de la Reine. Les
1. L'abbaye de Signy, de l'ordre de Cîteaux^
2. Le document de la main de Cherré porte : la commodité
d'avoir.
3. Frédéric V (1596-1632) : tome I, p. 128.
4. Frédéric-Henri de Nassau, prince d'Orange (1584-1647),
stathouder des Provinces-Unies en 1625.
5. Ce mot a peut-être été écrit en marge du manuscrit B par
Richelieu ou encore par le « secrétaire de la main » : voyez sur
ce personnage les Rapports et notices sur les présents Mémoires ,
fasc. IV.
6. Ces deux mots ont peut-éti*e été mis, sur le manuscrit B,
318 MÉMOIRES [1619]
ducs d'Épernon et de Bouillon étoient si mal ensemble
qu'ils ne pouvoient prendre confiance l'un à l'autre;
ils avoient si mauvaise opinion de Ruccellaï, tant parce
qu'il étoit étranger qu'à cause de la légèreté, vanité
et mauvaise conduite qu'il avoit témoignées en tous
les lieux et en toutes sortes d'occasions, qu'ils ne vou-
loient prendre aucune confiance en lui. D'autre part,
le duc de Bouillon ne faisoit jamais rien sans argent,
et, qui plus est, le duc d'Épernon et lui en avoient
besoin pour une telle entreprise ; la Reine n'en avoit
point, tant parce que pendant sa régence elle n'avoit
pas été fort soigneuse d'en amasser, que pour ce qu'elle
avoit confié ce qu'elle en avoit mis à part, entre les
mains de la grande-duchesse de Florence^, qui gou-
vernoit lors l'État de son fils^, qui étoit mineur;
qu'elle % bien éloignée de la secourir du sien en une
telle occasion, ne voulut jamais lui rendre deux cent
mille écus qu'elle lui gardoit pour s'en servir à temps.
Si les ducs de Bouillon et d'Épernon étoient en
défiance de Ruccellaï, la Reine l'étoit encore davan-
tage : ce qui l'obligea à les faire avertir qu'ils n'eussent
aucune créance en ce personnage. S. M. en usa ainsi,
non seulement pour éviter le dégoût de ces seigneurs,
mais en out|?.e parce que le duc de Bellegarde, qui
étoit à la cour, lui avoit écrit que cet homme se gou-
par Richelieu ou par le « secrétaire de la main », à la place de
au, qui est également la leçon donnée par le document de la
main de Cherré.
1. Christine de Lorraine, veuve de Ferdinand P'"de Médicis,
grand-duc de Toscane (tome I, p. 14).
2. Côme II de Médicis (1590-1621), grand-duc de Toscane.
3. C'est-à-dire la grande-duchesse de Toscane.
[1619] DE RICHELIEU. 319
vernoit si imprudemment dans la cour et se faisoit
de fête si indiscrètement es affaires de la Reine que,
s'il continuoit, il les perdroit tous* : ce qui donna lieu
à S. M. de faire dire au prince de Joinville, et à ceux
à qui elle avoit confiance dans Paris, de n'en prendre
aucune en cet esprit chaud et bouillant.
Nonobstant l'aversion que le duc d'Épernon avoit
de cet esprit et les a\-is qu'il avoit reçus de la Reine,
il n'eut pas plus tôt vu ce personnage dans ^letz, où il
l'alla trouver de son mouvement, que, passant d'une
extrémité à l'autre, il s'ouvrit entièrement à lui
du dessein qu'il avoit de ser\ir la Reine au désir
qu'elle avoit de sortir de Blois. Au bout de quelques
jours, il fit un voyage en secret à Sedan, avec aussi
peu de commission que celle qu'il avoit quand il fut à
Metz, où il gagna aussi, sinon la confiance du duc de
Bouillon qui n'étoit pas aisée à avoir, au moins la
souffrance qu'il s'entremît en toutes ces affaires, qui,
enfin, par d'autres négociations, et entre autres d'un
nommé Vincenze*, secrétaire du feu maréchal d'Ancre,
que la Reine envoya au duc d'Épernon, réussirent au
contentement de S. M.
Il arriva beaucoup de traverses en cette négociation.
Ce Vincenze, allant trouver ledit duc d'Épernon,
chargé d'une lettre qu'il avoit désirée, par laquelle la
Reine le conjuroit, par la mémoire du feu Roi, de l'as-
sister en sa sortie, lettre qui contenoit tous les motifs
1. Le manuscrit B portait primitivement toutes. Sancv a cor-
rigé et mis tous.
2. Vincenzo Ludovici (appelé Vincenze), chargé de diverses
missions par Marie de Médicis, fut, de 1622 à 1627, maîti'e
de sa garde-robe aux appointements de trois cents livres.
320 MÉMOIRES [1619]
qu'on pouvoit prendre pour colorer son action, fut
arrêté à Troyes, et, étant reconnu, fouillé si exacte-
ment qu'on décousit tout son habit, hormis au lieu où
il l'avoit cachée; après n'avoir rien trouvé, la fermeté
avec laquelle il soutint qu'il s'en alloit en Allemagne
par les Grisons fît qu'en lui donnant liberté on lui donna
lieu d'achever son voyage.
Il arriva ensuite que, lorsque^ le duc d'Épernon fut
résolu à partir de Metz pour aller trouver la Reine,
Ruccellaï fut si imprudent^ que de dépêcher un page
qu'il avoit^, au comte de Braine^ qui étoit à Blois,
pour lui donner avis, par une lettre, du jour du par-
tement du duc d'Épernon, et assurer la Reine de la
résolution qu'il avoit de la tirer du lieu où elle étoit.
Ce page infidèle et traître, sachant bien qu'il portoit
(juelque chose d'important, fut expressément à Paris
pour vendre sa dépêche au duc de Luynes; mais le
sieur 011ier\ conseiller de la cour, qui étoit serviteur
de la Reine, étant averti de son arrivée et lui ayant
tiré les vers du nez, lui donna trois cents écus pour
tirer sa dépêche et le tint quelque temps à couvert
chez lui^.
1. Lorsque a été ajouté en interligne sur le manuscrit B.
2. On lit sur le document de la main de Cherré : Imprudent.
C'est, semble-t-il, la bonne leçon, quoique le manuscrit B
donne impudent.
3. Il s'appelait Lorme. Voyez Y Histoire de la vie du duc
d'Épernon, par Girard, éd. 1663, t. II, p. 343.
4. Anne de la Marck, comte de Braine, premier écuyer de
la reine Marie de Médicis de 1619 à 1620.
5. Jacques Ollier, conseiller au Parlement en 1595, maître
des requêtes en 1617, entra au conseil de la Reine mère en
1625 et devint conseiller d'État en 1629.
6. Fontenay-Mareuil [Mémoires, p. 434-435) raconte ces
[1619] DE RICHELIEU. 321
Le duc de Bellegarde, sachant obscurément qu'il se
faisoit quelque dessein pour la sortie de la Reine et
que le duc d'Épernon y étoit mêlé, écrivit une lettre
de six feuilles à S. M., par laquelle, après avoir dépeint
le duc d'Épernon de vives couleurs, il concluoit que,
si elle se mettoit entre ses mains, elle seroit plus pri-
sonnière qu'elle n'étoit aux lieux où elle étoit; que son
humeur tyrannique lui devoit assez faire connoître la
vérité de son avis, sans qu'il fallût de grandes raisons
pour lui prouver. Pour la détourner même de ce des-
sein, il lui offroit de la retirer en Bourgogne, dont
S. M. ne fît pas de cas : elle connoissoit trop la jalou-
sie en laquelle ce personnage s'est nourri toute sa vie,
et l'envie qu'il a de la gloire d'autrui, voire même de
celle à laquelle il n'est pas capable d'aspirer, pour
ajouter foi à ses avis. Il est bien vrai qu'elle appré-
hendoit l'humeur du duc d'Épernon; mais elle étoit en
un tel état qu'elle savoit bien que tout autre ^ lui seroit
meilleur; elle savoit, en outre, très bien qu'encore que
le duc de Bellegarde fût capable de lui offrir retraite, il
ne l'étoit pas de se résoudre à la lui donner, beaucoup
mêmes faits assez difiFéremment : « Un des gens de M. du Buis-
son, conseiller au Parlement, qui avoit le secret de la Reine
mère dans Paris, le rencontra (l'envoyé de Ruccellaï) par
hasard dans les rues et en avertit son maître, lequel, ne dou-
tant point de la trahison, puisqu'il n'étoit point allé chez lui
comme il avoit accoutumé, fit une telle perquisition qu'il trouva
enfin son logis ; et, lui ayant hardiment fait demander son paquet
au nom de M. de Luynes et donner au même temps cinq cents
écus, le retira et le fît tenir à la Reine; mais il n'arriva que
comme elle étoit sur le point de partir. »
i. Tout autre état.
II 21
322 MÉMOIRES [1619]
moins de soutenir une telle action, quand même il la
voudroit faire.
Gomme rien ne la détourna du traité qu'elle avoit
fait pour se retirer à Angoulême, rien ne put divertir
aussi le duc d'Épernon de partir de Metz pour la venir
servir en cette occasion ^ Il y étoit allé^ dès l'année
précédente sur des mécontentements imaginaires, mais
en effet par la seule inquiétude de son naturel, qui ne
peut supporter de voir personne au-dessus de lui,
comme il témoigna assez, en ce que, peu auparavant
son partement, rencontrant Luynes sur le degré du
Louvre, il lui dit : « Vous autres, Messieurs, vous
montez, et nous descendons. »
Il ne fut pas si tôt à Metz qu'il y fit des siennes et
se comporta si violemment envers la justice que le
président même fut contraint de s'en absenter. Le
sieur Favier, maître des requêtes^, fut envoyé pour
remédier à ces désordres, et quant et quant porter
commandement au duc d'Épernon^ de ne point partir
de Metz jusqu'à ce qu'il eût eu ordre exprès de S. M.,
qui prenoit le sujet des mouvements de Bohême pour
1. C'est ici que se termine l'emprunt fait au document écrit
par Cherré (France 772, fol. 243-246 v°). Comme il est d'usage
pour tout extrait devant entrer dans les Mémoires, le début et
la fin en sont marqués respectivement par des lettres (en l'es-
pèce A et B) ; les premiers mots à copier sont soulignés, les der-
niers sont isolés du reste du texte par un crochet.
2. A Metz.
3. Jacques Favier, conseiller au Parlement en 1595, devint
maître des requêtes en 1605, démissionna en 1626 et mourut
le 2 janvier 1654.
4. Le Mercure français, t. V, année 1619, p. 127, donne ces
mêmes détails, ainsi que le texte de la lettre écrite par le Roi au
duc d'Épernon à ce sujet et qui était datée du 11 janvier 1619.
[1619] DE RICHELIEU. 323
prétexte d'avoir besoin de sa présence sur cette fron-
tière pour son service.
Ledit duc écrivit ^ à S. M. et la supplia de trouver
bon qu'il s'en allât chez lui, où la nécessité de ses
affaires le rappeloit, disant qu'il ne s'estimoit pas être
si misérable ni si peu estimé de S. M., qu'elle voulût
se servir de lui en son âge pour faire passer plus sûre-
ment des paquets en Allemagne. D'abord, on lui
accorda sa demande, puis on la lui refusa, puis après
il obtint, par l'entremise de quelqu'un de ses amis
puissants à la cour, qu'on le lui accorderoit après un
mois de délai.
Ce temps expiré, après avoir pourvu la citadelle de
Metz de tout ce qui y étoit nécessaire, il y laissa le duc
de la Valette^ en sa place, et en partit, ayant fait
tenir quelques jours auparavant les portes de la ville
fermées, et semblablement aussi, quelques jours après
qu'il en fut parti ; de sorte qu'on n'en eut point avis à
la cour, que par la lettre qu'il en écrivit au Roi du
pont de Vichy le T février, ayant déjà traversé la Lor-
raine et la Bourgogne, passé Loire entre Decize^ et
Roanne, et la rivière d'Allier audit pont de Vichy ^.
1. Cette lettre a été imprimée dans le Mercure français,
p. 129 et suivantes. Elle porte la date du 17 janvier 1619.
2. Bernard de Nogaret (1592-1661), marquis, puis duc de
la Valette à partir de 1622, fils de Jean-Louis de Nogaret, duc
d'Epernon, et de Marguerite de Foix-Candale, fut colonel géné-
ral de l'infanterie; condamné à mort par contumace pour crime
de haute trahison, à la suite d'un échec au siège de Fontarabie
(1639), il fut réhabilité après la mort de Louis XIIL
3. Chef-lieu de canton du département de la Nièvre, à trente-
quatre kilomètres sud-est de Nevers.
4. Ce paragraphe semble avoir été tiré du Mercure français,
324 MÉMOIRES [1019]
Son* parlement de Metz étonna grandement les
favoris qui se rassurèrent aucunement quand ils surent
qu'au lieu d'aller à Blois, comme ils le croyoient, il
tira droit à Angoulême : ce que le duc fit expressément
pour leur ôter l'imagination de ce qu'il vouloit faire et
l'exécuter plus sûrement, ainsi qu'il fit, en ce que,
comme il fut à l'entrée de l'Angoumois, il retourna
droit à Loches pour y recevoir la Reine, que Mon-
sieur de Toulouse^, maintenant cardinal de la Valette,
et le sieur du Plessis^, sergent de bataille, domestique
et confident du duc d'Épernon, étoient allés quérir à
Blois pour la rendre à Loches au même temps que
ledit duc y arriveroit^.
t. V, année 1619, p. 133 et suiv. La lettre écrite par le duc
d'Epernon au Roi, du pont de Vichy, y a été imprimée p. 133.
1. Avec cet alinéa commence un nouvel emprunt au document
écrit par Cherré (France 772, fol. 246 v°).
2. Louis de Nogaret, troisième fils du duc d'Epernon, né
en 1593, archevêque de Toulouse en 1614, cardinal en 1621,
fut chargé par Richelieu d'importants commandements mili-
taires et mourut le 28 septembre 1639. Il a laissé une Relation
de la sortie de la Reine mère de Blois; voyez ci -dessus,
p. 315.
3. Girard, dans V Histoire de la vie du duc d'Epernon, t. II,
p. 227, appelle ce personnage le sieur du Plessis-Baussonnière
et en donne le portrait suivant : « Ce gentilhomme s'étoit atta-
ché à son service [du duc d'Epernon] dès ses plus jeunes années
et... l'avoit suivi et servi en Provence, commandant, durant
tout le temps que le duc y fit la guerre, le régiment de Pernes,
son beau-frère. On l'a vu depuis, durant la longue vie du duc,
toujours employé dans les plus grandes et les plus importantes
affaires qu'il ait eues. Sa bonne conduite y a paru également
avec sa fidélité. »
4. Ici s'arrête le second emprunt fait au document écrit par
Cherré.
[1619] DE RICHELIEU. 325
Étant résolue à sa sortie et considérant que, d'un
côté, on avoit mis des forces à l'entour de Blois, qui
servoient de ceps * à sa liberté ; que le comte de Ghe-
verny^, gouverneur du Blaisois, avoit promis de s'op-
poser à tous ses justes desseins; que quelques-uns
même de ses domestiques étoient gagnés à cet effet,
elle se trouve contrainte de se servir de la nuit pour
couvrir sa retraite et de ne point rechercher d'autres
portes que des fenêtres, d'autres degrés qu'une
échelle^. Elle descend donc de la hauteur de plus de
six-vingts pieds et, passant seule avec une de ses
femmes, le comte de Braîne, son premier écuyer,
deux exempts de ses gardes^, elle gagne un carrosse
qui étoit au delà du pont, avec lequel, accompagnée
de huit personnes, elle se rendit à Montrichard^, à six
grandes Heues de là, où elle rencontra le cardinal de
la Valette, lors archevêque de Toulouse, avec trente
ou quarante gentilshommes qui l'accompagnèrent
jusques à Loches, sur le chemin duquel elle fut reçue
du duc d'Épernon, assisté de deux cents chevaux^.
Le sieur de Luynes, après avoir reçu les lettres du
1. Dans le sens de liens, chaînes, fers.
2. Henri Hurault, comte de Cheverny, capitaine de cent
hommes d'armes, gouverneur de Chartres et du pays Char-
train, bailli de Blois, fils du chancelier de Cheverny, mourut
en 1648.
3. L'évasion eut lieu dans la nuit du 21 au 22 février.
4. Ces exempts s'appelaient La Masure et Merçay et la femme
de chambre la « signora » Catherine [Mémoires de Fontenay-
Mareuil, p. 435).
5. Montrichard, chef-lieu de canton du département du
Loir-et-Cher.
6. Voyez le Mercure françois, t. V, année 1619, p. 136 et 137.
326 MÉMOIRES [1619]
duc d'Épernon, par lesquelles il sut son partement de
Metz, ne tarda guère à recevoir celles que la Reine lui
écrivit de Loches, par lesquelles il apprit la sortie de
S. M. hors de Blois; ce qui lui fut une nouvelle qui
tempéra bien la joie qu'il recevoit du mariage du
prince de Piémont, qui avoit été accompli le 1 0® février
avec Madame Chrétienne ^ et lequel il avoit traité
sans en donner aucune part à la Reine-mère, espérant
par cette alliance se fortifier contre elle^.
La lettre^ que la Reine écrivit au Roi étoit datée de
Loches du 23 février, par laquelle elle lui représen-
toit premièrement la nécessité qui l'avoit obligée à ce
qu'elle avoit fait, laquelle elle disoit être la longue
oppression de son honneur et de sa liberté, et la rai-
sonnable appréhension de sa vie, mais plus que tout
encore la mauvaise conduite de ses affaires, et le péril
auquel se retrouvoit son État, dont elle le vouloit
informer, se mettant premièrement en lieu sûr afin
d'en avoir plus de liberté, le péril étant si présent
que le délai eût apporté de l'impossibilité aux remèdes
qui étoient encore lors sûrs et honorables. En quoi
elle avoit choisi le duc d'Épernon pour l'assister, sui-
vant ce que le feu Roi sur ses derniers jours lui avoit
commandé, de se confier entièrement en sa probité
1. Christine de France (tome I, p. 6) épousa à Paris, le
10 février 1619, Victoi'-âmédée, prince de Piémont.
2. Le Roi apprit d'un gentilhomme, le 23 février, alors qu'il
était à la chasse près de Saint-Germain-en-Laye, la nouvelle de
la fuite de la Reine mère hors de Blois [Mercure français, t. V,
année 1619, p. 136).
3. Cette lettre a été imprimée dans le Mercure françois, t. V,
année 1619, p. 137; ce paragraphe en est le résumé.
[1619J DE RICHELIEU. 327
ès plus importantes affaires; suppliant S. M. de lui
prescrire le moyen et la forme qu'il lui plaît qu'elle
tienne pour l'informer des choses dont elle a à l'aver-
tir; ce qu'elle veut faire sans haine et sans ambition,
protestant ne vouloir prendre aucune part au gouver-
nement, auquel elle a éprouvé trop de péril et de
déplaisir, lorsqu'en son bas âge elle s'en est mêlée
selon l'obligation qu'elle y avoit, et n'en désiroit
aucune autre que la gloire de le bien voir gouverner
son royaume par lui-même et entendre un chacun,
content de son règne, louer ses vertus en tel lieu qu'il
voudra qu'elle achève ses jours.
Elle en écrivit une autre à peu près de pareil style
au prince de Piémont*.
Le^ duc de Luynes et ses adhérents surent par ces
lettres la sortie de la Reine avec un grand étonnement,
sur les divers avis que l'on leur avoit donnés de ce
dont ils virent l'événement^.
Ils avoient pris résolution, à ce que le duc de
Ghaulnes^ m'a dit plusieurs fois depuis, de mener le
Roi à Blois, sous prétexte de visiter la Reine, pour en
effet la mener honnêtement au château d'Amboise, où
1. Le texte de cette lettre se trouve dans le Mercure fran-
çois, p. 144. Elle portait également la date du 23 février. Le
prince de Piémont était resté à Paris depuis son mariage.
2. Ici commence un troisième emprunt fait au document
écrit par Cherré (AfF. étr., France 772, fol. 247).
3. Déageant se vante en ses Mémoires (p. 188) d'avoir averti
Luynes, dix jours avant l'événement, du prochain départ de la
Reine mère de Blois. Mais Luynes méprisa cet avis, « disant
que c'étoil une vision et une chimère ».
4. Frère de M. de Luynes : tome I, p. 20(5.
328 MÉMOIRES [1619]
il étoit arrêté qu'elle demeureroit à l'avenir, sous bonne
et sûre garde, ou l'envoyer à Moulins s'ils n'eussent
pu se garantir des jalousies que Loches et l'Angoumois
leur donnoient, quelque soin qu'ils pussent avoir de
sa personne.
La Reine ne fut pas si tôt^ sortie de Blois que le
conseil du Roi, étonné^, ne songeât à tous les expé-
dients par lesquels ils pourroient se garantir de l'orage
qu'ils prévoyoient devoir être beaucoup plus grand
qu'il ne fut pas. Dès lors, les favoris commencèrent à
jeter feu et flamme contre Ruccellaï, qu'ils estimèrent
auteur de la négociation qui avoit produit la délivrance
de la Reine 2, envoyèrent, sous le nom du Roi, par
toutes les provinces, commander aux gouverneurs et
aux villes de se tenir sur leurs gardes, donnèrent
force commissions pour lever des gens de guerre et
se résolurent de terminer cette affaire par la voie des
armes.
Le Roi, cependant, pour découvrir les sentiments
du duc de Bouillon et l'obliger en quelque façon, lui
écrivit pour lui demander son conseil en cette occur-
rence, lequel, avec dextérité, il lui donna^ d'assoupir
ce mécontentement par remèdes doux et bénins, et
ne troubler la paix de son royaume en un temps où
elle étoit si bien établie et si chérie de ses sujets,
1. Plus tôt, d'après le document écrit par Cherré.
2. Se trouvant étonné, d'après le document de la main de
Cherré.
3. Ici prend fin le troisième emprunt fait au document écrit
par Cherré.
4. La lettre que le duc de Bouillon adressa à cette occasion
au Roi, et qui a servi certainement aux Mémoires, a été impri-
mée dans le Mercure français, p. 149.
[1619] DE RICHELIEU. 329
sachant qu'il y en a beaucoup qui offrent leur service
pour avoir de quoi desservir ; qu'il vît paisiblement ce
que la Reine a à lui remontrer pour le bien de son
État ; qu'il seroit juge et de la sincérité et de l'impor-
tance de ses avis, et départiroit la récompense ou la
punition selon qu'un chacun l'auroit méritée.
Après avoir gardé la lettre de la Reine quinze jours
entiers, pour la tenir d'autant plus longtemps en sus-
pens et en incertitude de la volonté du Roi, et bien
concerté ce qui étoit à propos d'y répondre, le Roi
lui manda, le 12i® mars S qu'il étoit sur le point de par-
tir pour l'aller voir quand ses lettres lui arrivèrent;
qu'il chàtieroit l'injure qui avoit été faite à LL. MM.
en l'action de son enlèvement de Blois par ceux qui
cherchent leur avantage dans la ruine du peuple et
dans la diminution de son autorité ; qu'il voit bien que
la lettre qu'elle lui a écrite lui a été dictée par le duc
d'Épernon, et que ce- qu'elle lui mande de l'opinion
en laquelle l'avoit le feu Roi est tout contraire à ce
qu'elle lui en avoit dit plusieurs fois et qu'elle avoit
souvent éprouvé elle-même; au reste, que blâmer
ceux qui sont auprès de lui c'est le blâmer lui-même,
pour ce que les résolutions de son Conseil partent de
son jugement, après avoir ouï ceux-là mêmes qui con-
seilloient le feu Roi; qu'aussi lui avoit-elle souvent
mandé qu'elle louoit Dieu de la sage et heureuse
conduite de son État, et qu'elle étoit même contente
du traitement qu'elle recevoit; que si, pour quelque
occasion que ce fût, elle n'avoit point la demeure de
1. Le texte de cette lettre se trouve dans le Mercure fran~
cois, p. 140. Les Mémoires s'en sont fortement inspirés.
2. Ces deux mots ont été ajoutés entre les lignes par Sancy.
330 MÉMOIRES [1619]
Blois agréable, elle choisît quelque autre de ses mai-
sons ou de celles de S. M. qu'il lui plairoit, et que de
là tous les avis qu'elle lui voudroit donner seroient
bien reçus, mais non du lieu où elle étoit, qui lui étoit
suspect. Le sieur de Béthune* fut porteur de cette
lettre, avec charge d'adoucir son esprit et essayer de
la ramener à la volonté du Boi.
Le prince de Piémont lui écrivit le même jour-, du
même style, ajoutant que le duc son père et lui ser-
viroient le Roi de toutes leurs forces, pour ranger à
la raison les ennemis du repos de sa couronne et
redonner à S. M. la liberté qu'on lui avoit ôtée en la
retirant de Blois.
Auparavant que ces lettres lui fussent arrivées, elle
écrivit du lO'' mars au Roi^, se plaignant de l'incer-
titude en laquelle on la tenoit si longtemps de sa
volonté et protestant qu'elle feroit retentir ses plaintes
par toute l'Europe; qu'elle n'avoit commis aucune
action qui pût être blâmée, n'y ayant loi au monde
qui défende aux prisonniers de chercher la liberté et
d'assurer leur vie, et principalement encore n'ayant
fait cette action que pour le bien de l'État, et pour
faire entendre au Roi des choses qu'il étoit nécessaire
qu'il sût; néanmoins, qu'elle voyoit de toutes parts
des préparatifs de gens de guerre contre elle et qu'elle
étoit marrie de se voir réduite à la nécessité de la
défense.
1. Tome I, p. 174.
2. CeUe lettre se trouve dans le Mercure français, p. 145.
C'était une réponse à la lettre de la Reine mère, datée de
Loches, le 23 février, dont il a été parlé ci-dessus, p. 326.
3. Voyez le texte de cette lettre dans le Mercure françois,
p. 161.
[1619] DE RICHELIEU. 331
Cette lettre fut accompagnée de trois autres' aux
Chancelier, Gai^de des sceaux et président Jeannin. Le
Roi lui répondit le 1 6® que, comme il avoit mandé par
sa précédente, elle n'étoit pas en lieu d'où elle lui pût
écrire les vrais sentiments de son âme touchant le
gouvernement de son État, qu'on ne peut accuser que
le blâme n'en tombe principalement sur lui^; qu'on
ne s'est pas contenté d'avoir tâché de lui imprimer
une mauvaise créance de ses affaires, on s'efforce
même de lui donner appréhension de ses armes, qu'il
ne veut employer que pour maintenir son autorité et
la tranquillité publique et pour s'opposer aux desseins
de ceux qui, sous le nom de la Reine, ont levé des
gens de guerre, tant dedans que dehors le royaume;
qu'il saura toujours distinguer l'intérêt de la Reine
d'avec le leur, n'ayant autre résolution que de l'aimer
et honorer comme sa mère, et de les punir coimne
sujets rebelles et ennemis de son État; que les ser-
vices que ceux qui approchent de sa personne lui ont
rendus et continuent de lui rendre sont [si] signalés
qu'ils l'obligent de les protéger avec raison et justice ;
que, si elle croit qu'il y ait quelque chose à désirer
en son royaume, elle lui peut dire quand elle voudra
ce qu'elle en croit en son âme, sans en faire éclater
les plaintes en public, parce que cette voie n'a jamais
été pratiquée que par ceux qui ont plus désiré décrier
le gouvernement que d'en procurer la réformation;
qu'il lui a écrit et fait dire par le sieur de Béthune
1. Ces trois lettres ont été imprimées dans le Mercure fran-
çais, p. 164, 166 et 169.
2. Le sens est : on ne peut accuser le gouvernement de
l'Etat sans que le blâme en tombe sur le Roi.
332 MÉMOIRES [1619]
qu'elle peut choisir telle qu'il lui plaira de ses mai-
sons ou celles du Roi, pour y vivre avec une entière
liberté ^
1. Une copie de la lettre du Roi, dont les Mémoires donnent
ici un assez bref résumé, se trouve aux Affaires étrangères,
France 772, fol. 75. La voici intégralement : « Madame, vos
dernières lettres me témoignent comme les premières qu'il
n'est plus en votre puissance de m'écrire les vrais sentiments
de votre âme touchant le gouvernement de mon Etat. Vous
savez qu'on ne le peut accuser que le blâme n'en tombe prin-
cipalement sur moi. C'est pourquoi je ne dois point croire que
vous me voulussiez ôter la gloire de mon règne en me donnant
la réputation de n'agir que par les mouvements d'autrui. On ne
s'est point contenté d'avoir tâché de vous imprimer une mau-
vaise créance de mes affaires, on s'efforce même de vous don-
ner des appx'éhensions de mes armes, comme s'il étoit croyable
que je les voulusse tourner contre vous. Mais, bien que la qua-
lité de Roi me dispense de rendre compte de mes actions à
autre qu'à Dieu, je veux bien néanmoins que tout le monde
sache que ma résolution est de ne les employer que pour main-
tenir mon autorité et la tranquillité publique de mon royaume
et empêcher tous les mouvements qui la pourroienl troubler,
à la ruine et désolation de mes peuples, comme aussi pour
m'opposer aux pernicieux desseins de ceux qui, sous votre
nom, ont levé des gens de guerre tant dans le royaume que
dehors; ce que je n'eusse jamais cru si je n'avois vu les lettres
que l'on vous a fait écrire, tant sur ce sujet que pour donner
mauvaise impression de l'administration de mes affaires à plu-
sieurs princes, seigneurs et autres, tant mes sujets que étran-
gers, qui n'y ont ajouté foi. La connoissance que les perturba-
teurs du repos public ont toujours eue de l'affection et honneur
que je vous porte leur a fait espérer que ma clémence pardon-
nera indifféremment tous les attentats qu'ils veulent faire sous
votre nom contre mon autorité. Mais je saurai toujours distin-
guer votre intérêt d'avec le leur, n'ayant autre résolution que
de vous aimer et honorer comme ma mère et de les punir
comme sujets rebelles et ennemis de mon Etat. La natui'e m'at-
tache si puissamment à tout ce qui regarde votre bien et votre
[1619J DE RICHELIEU. 333
MM. le Chancelier, Garde des sceaux et président
mal que je suis tenu d'employer pour votre délivrance tout le
pouvoir que Dieu m'a donné. Ceux qui approchent de ma per-
sonne ont tant de témoignages du respect que j'ai toujours eu
en votre endroit que vous devez croire qu'ils sont désireux de
votre contentement, par la même raison qu'ils sont affection-
nés à tout ce qui est de mon service. Ceux qu'ils m'ont rendus
et continuent de me rendre sont si signalés qu'ils m'obligent
de les maintenir et protéger avec raison et justice. Assurez-
vous, Madame, qu'il n'y a homme si hardi que d'entreprendre
de me faire aucune proposition contre l'honneur et le respect
qui vous est dû. Si d'aventure vous pensiez qu'il y ait quelque
chose à désirer en un royaume où la justice et la paix ont éga-
lement fleuri depuis que j'en ai pris le soin, vous me pourrez
dire, quand vous voudrez, ce que vous en croyez en votre âme,
sans en faire éclater les plaintes en public. Outre que cette
forme seroit contre mon intention, elle feroit sinistrement juger
de la vôtre, parce que cette voie n'a jamais été pratiquée que
par ceux qui ont plus désiré décrier le gouvernement que d'en
procurer la réformation. Je vous ai mandé par mes dernières
lettres et vous ai fait entendre par le sieur de Béthune, que je
vous ai dépêché, que vous pouvez choisir telle qu'il vous plaira
de vos maisons ou des miennes pour y vivre avec une entière
liberté et comme il vous plaira, tellement qu'il ne tiendra qu'à
vous que vous ne soyez heureuse. Aidez seulement à mon bon
naturel par une vraie correspondance de volontés et me faites
paroître des témoignages aussi dignes d'une bonne mère que
ceux que vous recevrez de moi seront dignes d'un bon fils qui
est. Madame, etc.. » On remarquera combien la lettre du Roi
est plus significative que le résumé qu'en donnent les Mémoires.
Le style à la troisième personne est substitué, dans ceux-ci,
au style à la première personne. Ce n'est, certes, pas le scribe
du manuscrit B, simple copiste, qui a fait ces modifications de
fond et de forme. L'existence d'un manuscrit plus ancien, où
ces transformations auraient été élaborées, s'impose donc
comme indiscutable pour la partie des Mémoires s'étendant de
1600 à 1623. On sait que pour les années 1624-1630 on pos-
sède ce manuscrit de première rédaction appelé le manuscrit A.
334 MÉMOIRES [1619]
Jeannin accompagnèrent cette lettre des leurs * ten-
dantes à même fin et lui conseillèrent de se remettre
entre les mains de S. M. et qu'elle recevroit tout le
bon traitement qu'elle pourroit désirer^.
Pendant ces allées et venues, un^ des Bouthilliers'^,
simple ecclésiastique pour lors, qui est depuis mort
évêque d'Aire^, homme de cœur et d'esprit tout
ensemble, dont l'adresse et fidélité^ étoient égales, et
le P. Joseph^, capucin, qui avoient et beaucoup de
déplaisir de mon exil et grande passion au rétablisse-
ment de mes affaires dans le service de la Reine, par-
lant avec Déageant^ de tous les maux qui étoient arri-
1. Ces trois lettres ont été imprimées dans le Mercure fran-
çois, p. 165, 166 et 169.
2. Des copies de ces lettres du Chancelier et du président
Jeannin sont conservées dans le volume France 772, fol. 77-78.
3. C'est ici que commence un nouvel et important emprunt
au document précité, écrit par Cherré (France 772, fol. 247-
253).
4. Sébastien Bouthillier, second fils de Denis Bouthillier,
abbé de la Cochère, doyen du chapitre de Luçon en 1614,
évêque d'Aire en 1623, mort le 17 janvier 1625. L'abbé de
la Cochère rendit à cette époque de grands services à l'évêque
de Luçon (G. Hanotaux, Histoire du cardiQ,al de Richelieu, t. I,
p. 115).
5. Sébastien Bouthillier étant mort évêque d'Aire en janvier
1625, cette partie des Mémoires, ainsi qu'il ressort, d'ailleurs,
de remarques analogues précédemment faites, n'a donc pas été
rédigée avant cette époque.
6. Et la fidélité, dans le document de la main de Cherré.
7. François Leclerc du Tremblay (1577-1638), en religion le
P. Joseph, fut plus tard l'un des pi'incipaux agents politiques
du cardinal de Richelieu, ce qui lui valut le surnom d'Éminence
grise. Sa biographie a été faite à diverses reprises et en der-
nier lieu (1894) par M. Fagniez.
8. Déageant prétend avoir été en cette circonstance l'objet
[1619] DE RICHELIEU. 335
vés, firent en sorte que tous, d'un commun accord,
estimèrent qu'un des meilleurs moyens que le Roi
pourroit pratiquer, ce seroit de m'envoyer vers S. M.
pour adoucir son esprit et la retirer des violences où
ils craignoientque celui de Ruccellaï et quelques autres
ne la portassent.
Cet avis étant goûté du sieur de Luynes et de S. M.,
le sieur du Tremblay ' me fut dépêché avec ordre de
Sadite Majesté d'aller trouver la Reine, sur l'assurance
qu'elle prenoit qu'en la servant fidèlement je ne lui
voudrois pas donner aucun conseil contre le bien public
et son service particulier.
Aussitôt que j'eus reçu la dépêche de S. M., bien
que le temps fût extraordinairement mauvais, que les
neiges fussent grandes et le h^oid extrême, je partis
en poste d'Avignon, pour obéir à ce qui m'étoit pres-
crit et à ce à quoi j'étois porté par mon inclination et
mon devoir. Mais ma diligence fut bientôt interrom-
pue, en ce qu'étant auprès de Vienne je trouvai dans
un petit bois trente gardes du sieur d'Alincourt^,
conduits par son capitaine des gardes, qui vinrent^ à
moi les armes basses et me dirent avoir commande-
ment de m' arrêter. Je priai ce capitaine de me faire
voir le pouvoir qu'il en avoit, ce dont il se trouva
de la confiance particulière du Roi, qui l'aurait chargé seul de
rédiger la lettre rappelant Richelieu de son exil d'Avignon, et
qui fut confiée à du Tremblay [Mémoires de Déageant, p. 209).
D'après le Journal d'Arnauld d'Andilly, p. 408, Luynes écrivit
la lettre et le Roi y ajouta quelques lignes de sa main.
1. Frère du P. Joseph : ci-dessus, p. 183.
2. Tome I, p. 120.
3. Viennent, dans le manuscrit R.
336 MÉMOIRES [1619]
dégarni. Il me répondit qu'il exécutoit les ordres du
sieur d'Alincourt, qui avoit ceux du Roi; je lui dis
que j'obéissois volontiers parce qu'ils avoient la force
en main et non par aucune connoissance que j'eusse
qu'il eût juste pouvoir d'entreprendre ce que son
maître lui avoit commandé.
Au même temps, le sieur du Tremblay partit pour
aller trouver le sieur d'Alincourt et lui justifier qu'il
étoit venu par l'ordre de S. M. pour me quérir, voir
ceux qu'il disoit avoir reçus de la cour pour m'arrê-
ter et voir ceux qui étoient les plus récents. Il se trouva
en effet que ledit sieur d'Alincourt n'en avoit aucun,
mais que son fils^ lui avoit mandé, au premier instant
que la nouvelle de la sortie de la Reine arriva à Paris,
que le sieur de Luynes, étant auprès du Roi, lui avoit
dit : « Si votre père pou voit arrêter l'évêque de
Luçon, il nous feroit grand plaisir. » Et sur cette
parole, il avoit envoyé dans Avignon des espions pour
savoir quand j'en partirois et faire une entreprise qui
n'étoit pas fort difficile, puisqu'il n'étoit question que
d'arrêter un homme qui venoit seul en poste.
Aussitôt que ledit sieur d'Alincourt eût vu les ordres
du Roi que ledit sieur du Tremblay m' avoit apportés,
il changea ses rigueurs en civilités et fut bien fâché
de s'être trop hâté en cette occasion, où sa passion
avoit bien plus paru que son obéissance, puisqu'il
n'avoit point d'ordre. Il m'envoya un carrosse qui me
rencontra à trois lieues de Lyon, écrivant à son capi-
1. Nicolas de Neufville-Villeroy (tome I, p. 236), qui avait
depuis 1615 la survivance du gouvernement de Lyon; il devint
maréchal de France le 20 octobre 1646.
[1619] DE RICHELIEU. 337
taine des gardes, qui fut bien honteux de la façon
avec laquelle il m'avoit traité dans Vienne, faisant voir
à tout le monde, et la mauvaise volonté de son maître
et sa malice et son peu d'esprit tout ensemble, en ce
que, non content de m'avoir fait entrer dans Vienne
comme un criminel, avec autant d'apparat qu'il le
devoit éviter s'il eût été habile homme, je vis, sur les
dix heures du soir, étant à l'hôtellerie prêt à me cou-
cher, l'effet d'une partie qu'il avoit dressée en passant
lorsqu'il me vint arrêter.
Vingt ou trente hommes apostés vinrent devant ma
porte, où ils mirent l'épée à la main, et firent sem-
blant de se battre contre les gardes dudit sieur d'Alin-
court; le chamaillis des épées étoit si grand et le
nombre des coups de carabines que tirèrent lesdits
gardes tel, que je croyois qu'il y en eût vingt ou trente
morts sur la place. Je fis appeler le capitaine et le
priai de me dire ce que c'étoit; à quoi d'abord il me
répondit que je le devois mieux savoir que lui-même,
et que c'étoient des gens qui me vouloient sauver. Je
lui dis qu'il en auroit bien aisément connoissance,
puisque, dans une ville obéissante au Roi comme étoit
celle où j'étois, il ne se pouvoit que tous ceux qui
restoient d'un si grand combat ne fussent pris; que
je le priois d'envoyer promptement quérir les chefs de
la justice pour informer d'une telle action, en laquelle
moi-môme je merendois partie contre qui la pût entre-
prendre. Il me dit qu'il n'étoit point besoin de faire
cette information, qu'il lui suffisoit de connoître le
dessein qu'on avoit eu et l'avoir empêché. Je le priai
alors qu'au moins, en sa présence, je pusse parler aux
blessés, afin que tous deux ensemble nous découvris-
II 22
338 MÉMOIRES [1619]
sions l'origine de cette affaire. Il me répondit qu'il n'y
a voit personne de blessé, parce que ses compagnons
avoient [eu] cette discrétion^ qu'ils avoient tiré haut
pour faire peur seulement. Je répliquai : « Et tant de
coups d'épée que nous avons entendus ont-ils été sans
effet? » Il me dit que, par la grâce de Dieu, il n'y avoit
personne de blessé. Alors je confesse que l'état auquel
j'étois ne me put empêcher de lui dire : « Je pensois,
lorsque vous m'avez arrêté sans pouvoir, que vous
fissiez votre charge avec ignorance ; mais je reconnois
maintenant qu'il y a bien autant de malice pour le
moins. »
La nuit se passa, et, le lendemain, cet honnête homme
fut bien étonné quand il vit que son maître s'étoit
mécompte. Lors, au lieu de recevoir de moi des
paroles qui lui pussent déplaire, je lui parlai avec
toute la civilité qu'il me fut possible et ne pensai qu'à
me tirer de ses mains et de celles de son maître.
Le sieur d'Alincourt me fît force excuses, que je
reçus en paiement et, aussitôt que j'eus dîné avec lui,
je partis pour continuer mon voyage en poste comme
j'avois commencé. J'allai jusques à Limoges avec toute
liberté; mais, le sieur de Schonberg- y arrivant le
même jour que j'y passai, j'eusse été au hasard d'un
pareil accident, si l'appréhension que j'en eus ne m'eût
fait changer mon chemin : ce qui fut si à propos, que
ledit sieur de Schonberg m'a dit plusieurs fois depuis
1. Le document de la main de Cherré porte : avoient été si
discrets.
2. Le comte de Schonberg était alors lieutenant du Roi en
Limousin. Voyez Mercure français, p. 173.
[1619] DE RICHELIEU. 339
qu'il m'avoit fait courre toute la nuit, pensant que je
tusse Monsieur de Toulouse * .
J'arrivai le lendemain à Angoulême, le mercredi de
la semaine sainte^. Gomme je pensois être arrivé à bon
port, c'est là où je trouvai plus de tempête; le duc
d'Épernon, Ruccellaï, Ghanteloube et plusieurs autres,
peu unis, s'accordèrent tous en ce point de s'opposer
à moi. Je ne trouvai quasi personne en la maison qui
m'osât regarder de bon œil que M"^® de Guercheville^.
1. Louis de Nogaret : ci-dessus, p. 324.
2. Richelieu arriva à Angoulême le 27 mars (Avenel, t. I,
p. 584). Voici ce qu'en dit Fontenay-Mareuil [Mémoires, p. 442) :
« Monsieur de Luçon fut si heureux que tout ce qu'on avoit fait
contre lui auprès de M. de Luynes ayant retardé de quelques
jours son voyage, le fitjustement arriver quand les choses étoient
à la dernière extrémité, la Reine ne sachant plus que faire, ni
entre les bras de qui se jeter, craignant également de dépendre
de M. d'Epernon à cause de son humeur fière et mal propre
pour vivre avec les dames, et de M. de Ruccellaï, dont elle
connoissoit les défauts et qu'il n'étoit pas bon pour gouverner,
comme en effet un étranger, quel qu'il soit, ne le peut jamais
être; de sorte qu'elle reçut Monsieur de Luçon comme un
envoyé du ciel, lui donna dès le premier jour tout pouvoir dans
ses affaires et n'eut plus de confiance qu'en lui. Etant donc entré
de cette sorte auprès de la Reine mère, il avoit l'esprit si élevé
pai'-dessus tout ce qu'il y trouva que rien ne lui fît obstacle. »
3. Antoinette de Pons, marquise de Guercheville par sa
mère, fille d'Antoine de Pons, comte de Marennes, était dame
d'honneur de la Reine mère. Elle épousa d'abord Henri de
Silly, comte de la Rocheguyon, puis Charles du Plessis, sei-
gneur de Liancourt, premier écuyer de Henri IV; elle mourut le
16 janvier 1632. Lorsqu'elle épousa M. de Liancourt en 1594,
au fort de la liaison de Henri IV et de Gabrielle d'Estrées, qui
s'appelait alors M""' de Liancourt, elle stipula qu'elle ne porte-
rait jamais le nom de son mari pour ne pas être confondue
340 MÉMOIRES [1619]
D'abord je trouvai la Reine en conseil, où, bien
qu'elle sût que je fusse en sa chambre, elle étoit tel-
lement obsédée des esprits qui étoient lors auprès
d'elle, qu'elle n'osa me faire entrer. Ces Messieurs
enfin avertirent la Reine de mon arrivée, qu'elle savoit
mieux qu'eux, lui donnèrent avis que j'étois venu par
l'ordre du Roi, sur des lettres du sieur de Luynes;
ce qu'elle n'ignoroit pas aussi, vu que le sieur Bou-
tliillier^ étoit parti de Paris pour la venir trouver, au
même temps que les ordres du Roi me furent envoyés
par le sieur du Tremblay, pour lui rendre compte de
tout ce qui s'étoit passé. Ils tâchèrent de^ découvrir
en quel état j'étois en l'esprit de S. M., mais sans
effet, sachant parfaitement dissimuler quand elle croit
qu'il y va de son service.
La retenue avec laquelle elle agissoit sur mon sujet,
leur faisant croire que je n'avois pas grande part en
sa bienveillance, leur donna l'audace de lui dire qu'elle
devoit se garder de moi : ce qu'elle écouta sans les
croire. Ils ajoutèrent qu'il seroit très dangereux que
j'entrasse dans son conseil présentement, parce que,
s'il s'y faisoit quelque accommodement, ceux de la
cour croiroient que j'en serois auteur.
A cette proposition, S. M. témoigna de la répu-
gnance, jusqu'à ce que, m'ayant fait l'honneur de me
dire tout ce qui s'étoit passé, je la suppliai de leur
dire le lendemain qu'en me demandant la façon avec
avec la maîtresse du Roi et qu'elle ne serait nommée que
M""^ de Guercheville.
1. L'abbé de la Cochère (ci-dessus, p. 334).
2. Ils tâchèrent par toutes voies de découvrir, d'après le
document de la main de Cherré.
[1619] DE RICHELIEU. 341
laquelle je désirois la servir, je lui avois témoigné que
je n'avois autre volonté que les siennes, mais [que] , si elle
me permettoit de lui dire mes pensées, je ne devois
point me mêler des affaires qui étoient lors sur le tapis,
parce qu'il étoit raisonnable que ceux qui les avoient
commencées les missent en leur perfection.
Aussitôt que cette cabale entendit cette réponse,
jamais gens ne furent si étonnés. Après avoir tenu
conseil entre eux, ils dirent à la Reine qu'il paroissoit
bien que j'avois mauvaise opinion de ses affaires,
puisque je n'avois pas désir d'entrer dans leurs con-
seils. S. M. repartit 1 qu'ils se trompoient, que je ferois
volontiers ce qu'elle désireroit, mais qu'elle avoit
connu que je ne voulois donner ombrage à personne.
Lors ils supplièrent la Reine de me donner le lende-
main entrée en son conseil et me commander de dire
mon avis sur les affaires ; ils estimoient que la crainte
de lacourm'empêcheroit de parler hardiment à l'avan-
tage de la Reine et qu'ainsi ils me décréditeroient
d'auprès d'elle^.
La Reine m'ayant fait l'honneur de m'avertir du
changement de leur désir, je résolus avec elle de suivre
le lendemain leur intention. Je parle ainsi, parce que,
comme lors j'avois l'honneur de servir la Reine en ses
affaires, elle prenoit telle part en mes intérêts qu'elle
trouvoit bon de m'y donner conseil.
Le lendemain, l'heure du conseil étant venue, j'y
entrai comme les autres et, pour montrer ma modes-
tie, je faisois état d'y parler fort peu. Enfin, ces Mes-
1. Le document écrit par Cherré donne la vraie leçon : d'en-
trer dans ses conseils. Sa Majesté leur repartit.
2. Auprès d'elle, d'après le document que Cherré a écrit.
342 MÉMOIRES [If3l9]
sieurs faisant trop connoître l'extrême désir qu'ils
avoient de savoir mes sentiments sur les affaires qui
étoient sur le bureau, je pris la parole et leur dis
qu'ils ne dévoient pas trouver étrange si j'opinois mal
en l'affaire présente, parce que je ne savois ni les par-
ticularités de ce qui s'étoit passé, ni quelles intelli-
gences S. M. avoit au dedans et au dehors du royaume,
mais que je leur ferois voir ingénument ma franchise
en leur disant que je pensois avoir assez de connois-
sance pour leur dire que, pour bien faire aller les
affaires de S. M., je voudrois faire tout le contraire de
ce qu'ils avoient fait jusques alors; que j'avois vu
diverses lettres que la Reine avoit écrites à la cour,
fort piquantes et fort aigres, et que je voyois autour
d'elle fort peu de gens de guerre pour la défendre, et
apprenois qu'on n'avoit pas fait grands préparatifs
pour en avoir davantage ; qu'à mon avis il falloit écrire
civilement, sans bassesse, pour adoucir les esprits de
la cour, et s'armer puissamment pour se mettre en
état de se garantir de quelque mauvaise humeur
qu'ils pussent prendre.
Cet avis, qu'ils ne pouvoient condamner avec raison,
leur ôta tout moyen de me contredire, mais non pas
la volonté de me mal faire.
Deux jours après, le duc d'Épernon vint trouver la
Reine pour lui dire que Ruccellaï, ayant su que S. M.
m'avoit donné ses sceaux (ce qui n'étoit pas vrai, bien
qu'elle me les eût destinés dès Blois), étoit résolu de
la quitter si elle continuoit en cette volonté. La Reine
lui répondit que cette pensée qu'elle avoit eue n'étoit
point nouvelle, puisqu'elle avoit pris cette résolution
dès Blois, à laquelle Ruccellaï n'avoit aucun intérêt,
[1619] DE RICHELIEU. 343
parce que aussi bien ne vouloit-elle pas les lui donner.
Sachant ce qui s'étoit passé en ce sujet, je suppliai la
Reine de ne découvrir pas encore tant la bonne volonté
qu'il lui plaisoit avoir pour moi et dire à ces Mes-
sieurs qu'ayant su ce qui s'étoit passé sur le sujet des
sceaux, je l'avois suppliée de n'en disposer point en ma
faveur.
Aussitôt qu'ils surent cette réponse, ils crurent que
j'avois quelque appréhension, et le duc d'Épernon,
par personnes interposées, me fît dire que je serois
bien mieux en mon évêché que de demeurer auprès
de la Reine, pour m'y attirer tant d'ennemis comme
je ferois.
Je répondis à celui qui me fit ce discours, avec
autant de civilité comme en apparence il en avoit
assaisonné le sien, que je croyois qu'en quelque lieu
que seroit la Reine, qu'elle seroit la maîtresse; qu'il
étoit important au duc d'Épernon de le faire voir ; que
j'étois venu la trouver à Angoulême sans y désirer
autre aveu que le sien ; que je prétendois y demeurer
de la sorte, si elle l'avoit agréable, sans vouloir con-
traindre ceux qui ne me voudroient pas aimer à forcer
leur humeur; que j'estimois pouvoir n'être pas inutile
à ceux qui me départiroient leur bienveillance.
Deux jours se passent sans que j'entendisse aucune
nouvelle des nouveaux complots qui se faisoient ; mais
le troisième ne s'écoula pas sans que la Reine reçût
une nouvelle proposition de m'exclure de son conseil.
Elle s'en défendit fortement, témoignant trouver d'au-
tant plus mauvais cette ouverture, que je n'y étois
entré qu'à leur prière; mais j'estimai qu'il falloit
encore suivre le nouveau changement de leur humeur,
3U MÉMOIRES [1619]
à quoi S. M. condescendit enfin, quoiqu'avec grande
peine * .
Pendant ces divisions de cabinet, le comte de
Schonbcrg qui étoit arrivé, comme j'ai dit ci-dessus,
à Limoges, se préparoit puissamment, assemblant tout
ce qu'il pou voit de gens de guerre pour aller attacjuer
Uzerche-, où le duc d'Épernon avoit mis garnison. Il
estimoit lui-même que ce poste étoit si nécessaire à
Angoulême qu'il le falloit conserver assurément^. Il
conseilla à la Reine d'écrire au Roi, ce qu'elle fit^,
pour le supplier de ne point faire attaquer cette place
qui lui étoit nécessaire pour sa sûreté, jusqu'à ce
qu'elle lui eût pu faire entendre les choses qu'elle avoit
à lui présenter, ainsi qu'elle lui avoit mandé aupara-
vant^.
Le Breuil*^, capitaine du régiment de Piémont,
1. Sur toutes les difficultés que rencontra Richelieu à son
arrivée à Angoulême, voyez Avenel, t. I, p. 584.
2. Aujourd'hui chef-lieu du canton de l'arrondissement de
Tulle, département de la Corrèze, Uzerche, en Limousin, était
« terre d'église, l'abbé d'Uzerche étant seigneur de la ville.
L'abbaye est sur une petite montagne entourée d'une rivière,
fors une étroite avenue qui se peut facilement retrancher; tel-
lement qu'elle est une citadelle naturelle qui commande à la
ville : et celui qui tient cette abbaye est gouverneur » [Mercure
français, p. 172-173).
3. Ici prend fin l'emprunt de douze pages fait au document
de la main de Cherré (France 772, fol. 253).
4. Voyez cette lettre dans le Mercure français, t. V, année 1619,
p. 174. Elle est du 4 avril 1619.
5. Avec le paragraphe suivant commence un nouvel emprunt
au même document écrit par Cherré (fol. 253-254).
6. Henri du Breuil, capitaine au régiment de Piémont depuis
l'année 1594, fut tué au siège de Montauban le 22 août 1621,
d'après les Mémoires de Bassampierre.
[1619] DE RICHELIEU. 345
homme de grand cœur et de fidélité égale, étoit dans
l'abbaye qui tient lieu de château, avec trente ou qua-
rante hommes seulement. Plusieurs s'offrirent à se
jeter dans la ville. Ghambray', entre autres, huguenot,
assez connu par les bonnes actions qu'il avoit faites du
temps du feu Roi, homme déterminé, et (jui savoit le
métier de la guerre parfaitement, demande cinq cents
hommes de pied et cent chevaux, pour se jeter dans
cette place et la garder contre de bien plus grands
efforts que ceux du comte de Schonberg.
Le duc d'Épernon, aussi jaloux qu'irrésolu en ce
qu'il vouloit faire, ne peut se résoudre, ni à laisser faire
cette action à autrui, ni aussi à y aller lui-même assez
à temps pour faire l'effet qui étoit désiré. Il différa
tant, que le jour qu'il partit avec cinq cents chevaux
et deux mille hommes de pied, en résolution de com-
battre le comte de Schonberg, le même jour ledit sieur
de Schonberg étoit arrivé à Uzerche, avoit emporté la
ville par l'intelligence des habitants, et l'abbaye par la
hardiesse d'un curé voisin, qui lui donna l'invention de
l'écheller par un côté par où ledit curé passa lui-même,
et faire jouer une mine par un autre, qui fit ouverture
dans une cave, de laquelle trois hommes de front
entroient dans la cour.
Le Breuil fit merveille en cette occasion et se défen-
dit jusques à ce point que, tous les ennemis étant dans
la place, il se retira dans une petite voûte avec onze
de ses compagnons, où, sans autres armes que des
1. Louis de Pierrebiiffière, seigneur de Ghambray (ci-dessus,
p. 79), né vers 1556, avait épousé, en 1611, la fille de La Noue;
il dut mourir peu après 1619.
346 MÉMOIRES [161 9J
piques et leurs épées, ils firent leur capitulation, la vie
sauve, le 11® avriP.
Par ce moyen le duc d'Épernon, s' approchant
d'Uzerche, n'eut autre conseil à prendre que de s'en
revenir et ramener Le Breuil avec autant d'honneur
comme il avoit de déplaisir d'avoir manqué son entre-
prise^.
En même temps, on reçut la nouvelle de la réduc-
tion de la haute ville de Boulogne^ en l'obéissance du
Roi, ceux de la basse ville ayant contraint le lieute-
nant de M. d'Épernon* et les gens de guerre qui y
étoient de se retirer, dont ils firent encore écrire à la
Reine le 1 1® avril pour se plaindre de ce que, pendant
que M. de Béthune lui donnoit de bonnes paroles, on
procédoit par voie de fait contre les villes qu'elle tenoit ^.
1. Sancy a ajouté l'onzième avril sur le document écrit par
Cherré, Schônberg donne la date du 12 (note suivante).
2. C'est ici que se termine l'emprunt fait au document de la
main de Cherré. — Voici la lettre que Schônberg écrivit au
Roi à la suite de la prise d'Uzerche [Mercure français, p. 177-
178) : « Sire, voyant M. d'Epernon à deux lieues d'Uzerche
avec son armée volante, je me suis résolu d'essayer de faire
prendre l'abbaye. Et cela m'a si heureusement réussi que,
l'ayant attaquée par cinq ou six endroits, nous l'avons forcée le
douzième de ce mois. A la prise de laquelle ont été tués
quelques-uns de ceux qui étoient dedans, et fait composition
aux autres, qui étoient enfermés dans une tour, de les laisser
sortir avec la liberté entière. Je crois que jamais M. d'Epernon,
qui en étoit si proche, ne reçut un tel déplaisir, et, s'il entre-
prend d'attaquer la place, il trouvera à qui parler. Je suis à la
campagne avec tous mes amis, au nombre, jusques à cette
heure, de cinq cents maîtres, et verrai venir les ennemis... »
3. Le duc d'Epernon était gouverneur de Boulogne-sur-Mer.
4. Le sieur de Meuze : Journal d'Arnauld dAndilly, p. 415.
5. Cette lettre a été imprimée dans le Mercure français,
p. 176, et la prise de Boulogne y est rapportée p. 175.
[1619] DE RICHELIEU. Ml
Le Roi répondit à l'une et à l'autre de ses lettres le
%3^ avril, lui mandant qu'il reconnoissoit bien que ce
qu'elle écrivoit n'étoit pas d'elle, à la sincérité et vérité
qu'il savoit bien être en elle et qui n'étoient pas dans
ses lettres, attendu qu'elles étoient pleines d'assurances
de son afifection au bien de son État et conservation
de son autorité, et qu'elle vouloit être la première à
recevoir et observer ses volontés ; et [que] néanmoins
on avoit, sous son nom, dès longtemps auparavant
son partement de Blois, commencé et continuoit[-on]
encore à faire soulever tout ce que l'on pouvoit contre
lui, tant dedans que dehors le royaume, y ayant non
seulement armé et levé force gens de guerre, mais
mis la main sur ses finances, imposé sur ses sujets,
fait entreprises sur ses places pour courir sus au comte
de Schonberg, son lieutenant général en Limousin;
que la ville d'Uzerche n'appartenoit point au duc
d'Épernon ; qu'il s'en étoit emparé sur l'Église et les
habitants, contre son autorité et la justice; pour le
regard de la ville de Boulogne, que les habitants,
voyant qu'il y appeloit nombre de gens de guerre, s'y
étoient justement opposés, et que ces places ni aucune
autre n'avoient été destinées pour sa sûreté, n'en
ayant point besoin dans son État où elle seroit tou-
jours assurée; qu'au reste, il étoit prêt d'entendre les
avis qu'elle lui vouloit donner ; que le sieur de Béthune
étoit tout exprès auprès d'elle pour les recevoir et les
lui mander*, mais qu'il n'en avoit pu tirer un seul
mot, quelque soin qu'il y eût apporté, ce qui lui étoit
1. On a vu que Béthune avait été envoyé auprès de la Reine.
Au début d'avril, le P. de Bérulle et le cardinal de la Roche-
foucauld furent également envoyés à Angoulêrae, avec mission
de réconcilier le Roi et sa mère, comme il va être dit plus loin.
348 MÉMOIRES [1619]
une assez évidente preuve du mauvais dessein de ceux
qui lui dictoient les lettres qu'elle lui envoyoit^
Cependant la Reine est avertie d'une entreprise sur
la citadelle d'Angoulcmc, où le sieur Danton, qui y
commandoit, avoit ouvert les oreilles à quelque pour-
parler de la part du comte de la Rochefoucauld, sans
toutefois avoir dessein de rien exécuter.
On évente encore une conspiration formée par le
comte de Schônberg, qui gagna le poudrier d'Angou-
lême pour faire sauter les poudres de la citadelle d' An-
goulême^, ce qui lui étoit fort aisé, parce qu'il entroit
quand il vouloit dans les magasins pour voir si les
poudres étoient en bon état : ce qui ne se pouvoit
exécuter sans la perte de sa personne, pour la proxi-
mité du lieu de sa demeure.
La Reine se plaint de ce procédé, demande, mais
en vain, avec quelle justice, lorsqu'on traite ouverte-
ment d'accord avec elle, on agit par force, à couvert,
contre la foi des paroles qui lui sont données.
D'autre part, le duc d'Épernon n'avoit été plus tôt
de retour d'Uzerche à Angoulême qu'il apprit^ que,
1. Ce paragraphe est composé d'extraits de la lettre du Roi
à la Reine mère écrite le 23 avril et imprimée dans le Mercure
françois, p. 180-185.
2. Celui qui tenta de faire sauter la citadelle d'Angouléme était
un papetier établi dans cette ville, nommé Jean Poussi et nati(
des environs de Limoges. Etant lié avec le garde des munitions
de guerre, il entrait librement dans l'arsenal et avait établi une
traînée de poudre communiquant avec le magasin. On l'arrêta
au moment où il allait y mettre le feu [Procès-verbal de la con-
juration faite à Angoulême, Poitiers, 1619, et Mercure fran-
çois, p. 199).
3. Avec ce paragraphe commence un i^ouvel emprunt au docu-
ment écrit par Gherré (France 772, fol. 254). Ce document por-
[1619] DE RICHELIEU. 349
du côté de la Guyenne, le duc de Mayenne étoit arrivé
à Ghâteauneuf^, gros bourg à trois lieues d'Angou-
lême, qu'au commencement ledit duc avoit fait dessein
de défendre.
Ainsi le traité de la Reine n'étant point fait avec le
Roi, chacun commençoit à reconnoître que les affaires
de la Reine étoient fort mal conduites. Ruccellaï par-
loit ouvertement contre le duc, ce qui émut tellement
de nouveau la bile dudit duc, qu'ils vinrent à telles
extrémités que Ruccellaï, un jour, mettant la main sur
le côté, lui présenta le coude comme il entroit dans le
cabinet de la Reine. Je ne croirois pas cette insolence
si le duc ne me l'avoit dit, n'y ayant personne qui pût
entreprendre une telle effronterie sans être fol ou se
vouloir perdre au même temps, vu que ledit duc étoit
dans son gouvernement, avoit la plus grande partie
des forces qui étoient [dans la ville] à sa dévotion 2, et
que toute sa vie étoit une preuve bien authentique
qu'il n'étoit pas bien endurant.
Cependant cet étranger étoit si présomptueux qu'il
se fondoit^ en ce que la principale noblesse qui accom-
tait primitivement : Le duc ne fut pas plus tôt de retour à
Angoulême quil n'apprit que... Sancy a corrigé ces quelques
mots sur le document même et nous donnons cette nouvelle
leçon conformément au manuscrit B. Plus correctement, cepen-
dant, Sancy avait mis : quil avoit appris que; le copiste a
négligé cette correction.
1. Châteauneuf-sur-Charente, chef-lieu de canton du dépar-
tement de la Charente, arrondissement de Cognac.
2. Nous rétablissons la vraie leçon d'après le document
écrit par Cherré.
3. Que se fondant, d'après le document de la main de Cherré,
ce qui est meilleur.
350 MÉMOIRES [1619J
pagnoit la Reine' pour l'amour d'elle étoit de son
parti, et en ce que le marquis de Mauny^, son ami
intime, commandoit le régiment de la Reine, dont
quelques compagnies étoient dans la ville ^. Il est vrai,
soit qu'il fît cette action ou non, qu'il tenoit des dis-
cours fort offensants contre ledit duc d'Épernon.
Cette division et la connoissance qu'un chacun avoit
que les affaires de la Reine alloient fort mal firent que
le duc d'Épernon proposa de nouveau à la Reine de
me rappeler dans ses conseils et prendre confiance en
moi en ses affaires, disant que, quand on verroit qu'un
homme qui avoit réputation en prendroit le soin au
lieu de Ruccellaï, homme peu avisé, qui les avoit
conduites jusques alors, on croiroit qu'elles change-
roient de face.
Lors M. le cardinal de la Rochefoucauld^, qui étoit
arrivé quelques jours auparavant à Angoulême pour
voir s'il pourroit conclure un accommodement que le
sieur de Béthune avoit commencé auparavant, trouva
plus de facilité en cette affaire qu'il n'avoit fait jusques
alors ; ce qui fit qu'en trois jours on conclut le traité
pour lequel le sieur de BéruUe avoit iait divers voyages
1. D'après le document écrit par Cherré : la personne de la
Reine.
2. Louis de la Marck, marquis de Mauny, premier écuyer de
la reine Anne d'Autriche et gouverneur de Caen, mort en 1626.
3. Ici, au lieu d'un point, le document écrit par Cherré porte
une virgule, ce qui donnerait un sens un peu différent.
4. François de la Rochefoucauld (1555-1645), fils de Charles
de la Rochefoucauld, comte de Randan, et de Fulvia Pic de
la Mirandole, fut successivement évêque de Glermont et de
Senlis et devint cardinal en 1607.
[1619] DE RICHELIEU. 351
en poste sur les difficultés qui se présentoient de part
et d'autre''.
La substance de ce traité consistoit premièrement
en l'oubli de tout le passé, à la sûreté que le Roi don-
noit et pour les personnes et pour les charges de ceux
qui avoient servi la Reine, en cinquante mille écus
de récompense qui furent accordés au duc d'Épernon
pour Boulogne, en l'échange du gouvernement de
Normandie, que la Reine avoit, en celui d'Anjou-,
château d'Angers, le Pont-de-Gé^ et Ghinon, et en six
cent mille écus qui furent accordés à S. M. pour les
frais qu'elle avoit faits en cette occasion^.
Ge traité fut conclu le dernier avril. Le Roi le reçut
à Saint-Germain-en-Laye, le %^ mai, et, cinq jours
après, partit pour aller en Touraine, afin d'être plus
proche d'Angoulême et faciliter l'exécution de ce qui
avoit été promis^.
Le gouvernement de Normandie, qu'avoit la Reine,
1. Voyez ci-dessus, p. 314, note 2, et le Mercure françois,
t. V, p. 180.
2. Avenel, dans les Lettres et papiers d'État (t. I, p. 587), a
publié, sous la date du mois d'avril 1619 et sous le titre : Dis-
cours et raisons sur le choix des gouvernements d^ Angers et de
Nantes, un mémoire qu'il attribue à Richelieu et qui dut être
composé à l'occasion des négociations poursuivies à cette époque
dans l'intérêt de la Reine mère.
3. Les Ponts-de-Cé, chef-lieu de canton du département de
Maine-et-Loire, à sept kilomètres sud-est d'Angers.
4. Ici se termine l'emprunt de deux pages et demie fait au
document écrit par Cherré (France 772, fol. 255).
5. Les deux paragraphes précédents sont un abrégé du Mer-
cure françois, t. V, année 1619, p. 200-202. Un résumé des
articles de ce traité se trouve aux Affaires étrangères, France 772,
352 MÉMOIRES [1619]
fut absolument désiré, parce que le sieur de Luynes
avoit dessein de le faire donner au duc de Guise pour
celui de Provence; mais, ne le pouvant, il tâcha de
l'échanger pour celui de Bretagne, dont ne pouvant
encore venir à bout, enfin il en eut la Picardie, où il
avoit déjà quantité de places; et ce grand établisse-
ment ne semblera étrange, quand on saura qu'en
même temps il offrit de tirer plus d'un million et demi
de livres des coflres du Roi, pour avoir certaines places,
de telle considération qu'on les peut dire les portes de
la France à tous les étrangers.
Jamais* accord ne fut conclu plus à propos, car
Annibal étoit aux portes, puisque les troupes du Roi
étoient déjà proche d'elle- et que, s'il eût passé outre,
la Reine eût été contrainte, pour éviter de s'enfermer
dans une ville dont on devoit prévoir le siège, de se
retirer à Saintes, ou pour y demeurer, ou au moins
pour passer de là en Brouage : ce qui eût causé sa
perte indubitable, ayant su depuis certainement qu'un
avis, qui dès lors lui fut donné de l'infidélité du gou-
verneur de ladite ville de Saintes, étoit très véritable.
fol. 183-184. Le Masle, prieur des Roches, secrétaire de
Richelieu, a écrit sur le dernier feuillet de cette pièce : « 1619.
Articles de la paix. La Reine a l'original. « Et Sancy y a grif-
fonné le mot « Employé ».
1. Avec ce paragraphe commence un nouvel emprunt au
document de la main de Cherré (fol. 255). Ce document portait
primitivement : « Jamais accord ne fut conclu plus à propos,
car Annibal étoit aux portes, puisque le Roi étoit à Tours, et
que s'il eût passé outre... » La leçon que nous donnons dans le
texte, et qui est celle du manuscrit R, a été établie par Sancy
sur le document écrit par Cherré.
2. C'est-à-dire de la Reine ou de la ville de Tours.
[1619] DE RICHELIEU. 353
Il y avoit si peu d'apparence de le croire, vu que ledit
gouverneur avoit été nourri du duc d'Épernon, qu'il
étoit neveu^ du sieur du Plessis son confident, que,
par sa seule faveur, il avoit trouvé un mariage très
avantageux; qu'il n'étoit dans cette place, au respect
dudit duc d'Épernon, que comme une créature pour
son maître ; que, quelque avis qu'on eût pu avoir, on
n'eût pas évité ce piège, lequel cependant étoit si cer-
tain, que ledit sieur de Béthune avoit les ordres néces-
saires pour lui faire exécuter la promesse qu'il avoit
faite d'arrêter la Reine et ledit duc d'Épernon s'ils
alloient à Saintes, moyennant ce dont on étoit convenu
avec lui pour son intérêt, et que les adhérents du
sieur de Luynes, qui avoient machiné ce complot, ne
me l'ont pas nié depuis.
Pendant cette négociation, Ruccellaï traversoit, en
ce qui lui étoit possible, le traité qui se faisoit; mais,
comme il étoit sans crédit, ses efforts étoient vains. Il
fit diverses propositions à la Reine, fort extravagantes,
et qui n'avoient autre fin que sa vengeance et sa pas-
sion. Un jour, après lui avoir ~ fort exagéré ses ser-
vices et exigé d'elle plusieurs serments de secret, il
lui dit qu'il savoit un moyen de la tirer fort avanta-
geusement du mauvais état où elle étoit; ensuite, il
lui représenta qu'elle n'étoit pas trop contente du duc
d'Épernon et que la haine que le Roi et les favoris
lui portoient étoit telle que, si elle vouloit leur donner
1. Était-ce Baussonnière, neveu du sieur du Plessis, que
mentionne Girard dans son Histoire de la vie du duc d'Eper-
non, éd. de 1663, t. II, p. 354?
2. « Après lui avoir, en particulier, fort exagéré... », d'après
le document écrit par Cherré.
II 23
354 MÉMOIRES [1619]
lieu de se venger de lui, il n'y a rien qu'ils ne fissent
en sa faveur; qu'il lui seroit déshonorable de le faire
en sorte qu'on pût apercevoir qu'elle contribuât à son
malheur, mais qu'il lui donneroit un expédient où les
plus clairvoyants ne verroient goutte et où elle trou-
veroit son compte.
Cet expédient étoit que la Reine fît semblant de
vouloir aller voir faire la montre, à une lieue d'Angou-
lème, au régiment de ses gardes qui étoit commandé
par le marquis de Mauny. Là se trouveroient trois ou
quatre compagnies de chevau-légers, qui étoient assu-
rées à Ruccellaï, pour être vues de la Reine, qui, au
même temps, prieroit le duc d'Épernon de ne trouver
point mauvais si elle se retiroit d'Angoulême pour s'en
aller à Brouage, où le sieur de Saint-Luc^ la devoit
retirer; qu'incontinent après la retraite de la Reine, le
Roi s'avanceroit avec ses forces et déposséderoit sans
difficulté le duc d'Épernon d'Angoulême et de Saintes,
et traiteroit d'autant mieux la Reine, qu'il sauroit
qu'elle auroit favorisé le châtiment d'une personne qui
avoit desservi S. M.
Cette proposition sembla non seulement si extrava-
gante, mais si méchante à la Reine, qu'elle la rejeta
de son propre mouvement : ce en quoi je la fortifiai
autant qu'il me fut possible, après qu'elle m'eut fait
l'honneur de me la communiquer, lui faisant voir que
toute la malice d'enfer n'eût su lui en suggérer une
plus propre de la perdre en toutes façons. Cet
1. Timoléon d'Espinay (1580-1644), seigneur de Saint-Luc,
gouverneur de Brouage et des îles de Saintonge, combattit
victorieusement les Rochelais en 1622, fut créé maréchal de
France en 1628 et nommé lieutenant général en Guyenne.
[1619] DE RICHELIEU. 355
esprit désespéré, se voyant débouté de ses préten-
tions, corrigea sa proposition, suppliant seulement la
Reine de se tirer des mains du duc d'Épernon, avec
son consentement, pour se mettre à Brouage. La Reine
prit temps de penser à cette ouverture, laquelle on
lui fit voir très mauvaise : premièrement, pour ce que
Brouage étoit lors en si mauvais état que la place n'eût
su soutenir quinze jours l'effort de la puissance du
Roi; secondement, parce que la fidélité du sieur de
Saint-Luc lui étoit fort peu assurée, Cominges^ étant
déjà venu divers voyages de Paris vers lui pour le
regagner pour la faveur, ce qui fit telle impression
dans son esprit que, peu de temps après, il fit son
accord sans la Reine, moyennant vingt mille écus et
quelques autres conditions, qui, à mon avis, n'eussent
produit autre effet que de lui faire éviter de recevoir
la Reine en sa place, mais non pas la tromper au cas
qu'elle y eût été; en troisième lieu, parce que, si la
Reine entendoit à ce conseil, quoiqu'elle ne fût pas
d'accord avec les favoris de la perte du duc d'Éper-
non, ainsi que Ruccellaï la désiroit par sa première
proposition, elle s'ensuivroit indubitablement, étant
certain que la^ personne et le respect de la Reine ne
seroient pas plus tôt séparés d'Angoulême, que la ville
ne fût en proie et prise dans quinze jours; enfin, parce
que, si elle étoit pressée dans Brouage, il ne lui reste-
roit plus que de se mettre à la merci des vents dans
1. Pierre de Cominges, lieutenant au gouvernement de
Brouage depuis 1604, et gentilhomme ordinaire de la chambre
du Roi en 1611.
2. Le manuscrit B porte sa personne ; mais le document écrit
par Cherré porte avec raison la personne.
356 MÉMOIRES [1619]
quelque méchante barque, n'ayant point de vaisseau de
considération.
S. M. goûta tout à fait ces raisons; et, représentant
à Ruccellaï la dernière ci-dessus exprimée, il fut si
impudent que de dire que Rome lui resteroit pour
retraite et qu'il se tiendroit fort heureux de la loger
dans le palais qu'il y avoit.
Ces extravagances, qui faisoient de plus en plus
connoître et la folie de cet esprit et sa malice tout
ensemble, furent suivies d'une autre non moins imper-
tinente. Il proposa à la Reine d'épouser le roi d'An-
gleterre * ; qu'il feroit la négociation de ce mariage
pendant qu'elle seroit à Rrouage; que, de là, on pour-
roit faire venir des vaisseaux propres à la faire passer
sans péril le trajet qu'il falloit faire; qu'il savoit bien
qu'il y avoit quelque chose à dire pour la religion;
mais qu'en matière si importante il ne falloit pas
regarder de si près, vu principalement qu'elle ne seroit
point forcée en sa créance et auroit la liberté de la
religion catholique en son particulier.
Par cette dernière proposition, la Reine se trouve si
importunée des impertinences de cet homme, que, lui
étant insupportable, elle se résolut de le chasser, ce
dont je la détournai, non sans peine.
Je lui représentai qu'elle savoit bien que je n'ai-
mois pas Ruccellaï, que je connoissois son extra-
vagance et le préjudice qu'elle pouvoit recevoir de
l'avoir auprès d'elle, qu'il n'étoit pas question de
savoir s'il l'en falloit ôter, mais seulement des moyens
qu'il falloit tenir pour parvenir à cette fin; que
1. Jacques P"- (1603-1625).
[1619] DE RICHELIEU. 357
si elle le chassoit, beaucoup blàmeroient S. M. et
l'accuseroient d'ingratitude, parce qu'au lieu qu'il
l'avoit desservie, les apparences feroient croire qu'il
lui avoit rendu des services fort signalés; que cet
homme étoit en des termes où il ne pouvoit demeurer ;
qu'il étoit si immodéré qu'il ne demeureroit jamais
auprès d'elle s'il ne croyoit y avoir la principale con-
fiance, et que, partant, si la Reine contiiYuoit à lui
témoigner qu'elle se méfioit de lui, indubitablement il
s'en iroit de lui-même ; auquel cas mon avis étoit qu'il
lui falloit faire un pont d'or, lui donnant récompense
de ses services prétendus, afin que S. M. eût autant
les apparences d'un bon procédé de son côté comme
elle en avoit l'effet.
Le duc d'Épernon étoit fort contraire à cet avis, qui
disoit souvent à la Reine qu'il ne falloit point nourrir
un serpent dans son sein et qu'il n'y avoit rien tel que
de s'en défaire le plus promptement qu'on pourroit.
Au même temps, il s'anime jusqu'à ce point qu'il veut
battre Ruccellaï. Je l'en détournai autant qu'il me fut
possible ; mais enfin les langages que Ruccellaï tenoit de
lui étoient si insolents qu'un jour il m'envoya Monsieur
de Toulouse pour me dire qu'il ne demandoit plus que
j'approuvasse l'action qu'il vouloit faire contre Ruccellaï,
mais seulement qu'après qu'elle seroit faite, j'adoucisse
la Reine et portasse son esprit à ne le condamner pas.
Je représentai audit sieur de Toulouse que, si le duc
d'Épernon commettoit cette violence, il étoit perdu;
que les favoris, qui le haïssoient au dernier point, ne
demandoient* pas mieux que de prendre ce prétexte
1. Le document écrit par Cherré porte demander oient.
358 MÉMOIRES [1619]
de le maltraiter, faisant croire au monde que les inté-
rêts de la Reine les y porteroient autant que ceux du
Roi ; qu'ils publieroient qu'elle ne seroit pas libre entre
ses mains et le prouveroient, en l'imagination de ceux
qui ne sauroient pas l'état auquel Ruccellaï étoit
auprès d'elle, par la violence dont il auroit usé en son
endroit contre son gré; qu'ils refuseroient peut-être,
sur ce sujet, d'achever le traité qui étoit commencé,
ou au moins de l'y comprendre; qu'il acquerroit la
réputation d'incompatible, avec d'autant plus de faci-
lité que déjà beaucoup croyoient sa société un peu
épineuse; qu'ainsi il perdroit les affaires de la Reine et
les siennes tout ensemble, sans autre fruit que de pré-
cipiter la sortie de Ruccellaï, qui arriveroit indubita-
blement dans peu de jours.
Ces raisons furent si bien représentées au duc par
le sieur archevêque de Toulouse, son fils, qu'il y déféra
par son avis et celui du sieur du Plessis, en qui il
n'avoit pas peu de créance. Cependant Ruccellaï con-
tinuoit toujours à parler, non seulement mal à propos
dudit duc, mais de la Reine. Il veut pratiquer une de
ses femmes plus confidentes contre son service. Il lui
offre dix mille écus pour être averti par elle de toutes
les paroles et actions de la Reine qu'elle jugeroit dignes
de remarque. Il l'accuse d'ingratitude en son endroit,
représente que sans lui elle seroit encore à Blois; que
le duc de Bouillon, le cardinal de Guise, le prince de
Joinville n'étoient ses serviteurs qu'en sa considéra-
tion. Il se laissa aller jusqu'à cet excès d'insolence,
parlant à Ghanteloube, que de lui dire qu'autre-
fois le domaine de Toscane, possédé par ceux de
[1619] DE RICHELIEU. 359
la maison de la Reine, étoit à ses prédécesseurs i.
Ghanteloube fait ce rapport à la Reine ; les mécon-
tentements croissent de toutes parts; enfin, Ruccellaï
étant assuré d'être bien reçu à la cour par les négo-
ciations qu'il y avoit fait faire, un jour, comme j'étois
à une lieue d'Angoulême, on me vint dire que Ruccel-
laï avoit demandé son congé et que la Reine lui avoit
accordé. Je vins aussitôt à Angoulême et n'y fus pas
plus tôt arrivé que je trouvai Sardini^ en mon logis,
qui me vint proposer de raccommoder Ruccellaï avec
la Reine, par le moyen de quoi je l'acquerrois ami pour
jamais, au lieu que jusqu'à présent il avoit été mon
ennemi. Je lui répondis que je tiendrois à faveur de
le servir, mais non pas aux dépens de mon maître;
que, pour son amitié, j'avois bien connu que je n'étois
pas assez heureux pour la pouvoir avoir à conditions
raisonnables, et que je n'étois pas aussi assez fol pour
la vouloir acheter à un prix injuste^, comme celui de
la perte des bonnes grâces de la Reine; mais que je
m'emploierois auprès d'elle pour qu'elle le traitât en
sorte que chacun reconnût qu'il auroit sujet de se
louer d'elle.
Et de fait, je m'en allai de ce pas proposer à la Reine
de lui donner cent mille francs pour reconnoissance
de ce qu'il pensoit avoir contribué à son service : ce
1. Aux ancêtres de Ruccellaï.
2. Alexandre Sardini, vicomte de Buzançais, fils du financier
Scipion Sardini; il mourut le l'"" octobre 1645, âgé de soixante
et onze ans.
3. A un prix bien injuste, d'après le document de la main de
Cherré.
360 MÉMOIRES [1619]
que S. M. trouva bon et lui envoya le sieur de Sardini
pour l'assurer qu'à Paris il les toucheroit. Ruccellaï se
trouva si surpris de cette libéralité, qu'il n'attendoit
pas, que sur-le-champ il ne put se résoudre ni à l'ac-
cepter, ni à la refuser ; mais il pria Sardini et quelques
autres qui lui en parlèrent, qu'il lui fût libre de faire
l'un ou l'autre, quand il seroit à Paris.
Incontinent que sa réponse fut sue, nous jugeâmes
bien qu'il en usoit ainsi pour ne rien faire que ce qui
lui seroit conseillé en ce sujet par le sieur de Luynes,
vers lequel il appréhendoit que cette gratification de
la Reine ne lui pût nuire. Ainsi Ruccellaï se sépara de
la Reine et, au lieu de se retirer chez lui, ce qu'il
devoit faire s'il eût eu de l'honneur, il se retira à la cour,
comme s'il eût voulu justifier à tout le monde l'intelli-
gence qu'il avoit eue de tout temps avec Luynes, qui
lors étoit ennemi de la Reine.
Sa retraite, qui avoit été précédée du marquis^ de
Mauny qui, quinze jours auparavant, s'étoit retiré^
par complot fait avec lui, sous prétexte du refus que
la Reine lui fit du gouvernement d'Angers, fut suivie
de quelques autres personnes de peu de considération.
Jamais esprit n'eut tant de divers desseins, tous mal
fondés, dans la tête, que ce pauvre homme témoigna
1. Var. : Précédée de celle du marquis (H).
2. Le marquis de Mauny rentra à la cour le 30 juin, après
avoir essa3'é d'obtenir le gouvernement d'Angers, que la Reine
mère voulait donner au marquis de Richelieu [Journal d Ar-
nauld d'Andilly, p. 430). Fontenay-Mareuil [Mémoires, p. 445)
attribue le choix du gouverneur d'Angers à « Monsieur de Luçon,
qui savoit que qui seroit maître des places le seroit aussi de la
fortune de la Reine nière, et qui ne vouloit pas dépendre d'au-
trui. »
[1619] DE RICHELIEU. 361
en cette occasion. Il exerça la charge de secrétaire de
la Reine; il eut dessein d'être son chancelier; depuis,
convertissant sa plume en une épée, il voulut être son
chevalier d'honneur, ce qui l'exposa à la risée de tous
ceux qui en eurent connoissance. Il n'oublia rien de ce
qu'il put pour faire que la ville et gouvernement d'An-
gers tombassent entre les mains du marquis de Mauny,
qui étoit un corps dont il étoit l'àme, afin que, la Reine
y faisant son séjour, il eût les principales forces du
lieu de sa demeure pour s'autoriser davantage en sa
maison et disposer de la conduite de cette princesse,
en sorte qu'en lui faisant faire tout ce que désireroient
les favoris, il pût recevoir d'eux ce qu'il désireroit de
leur puissance.
La Reine connut trop clairement son dessein pour
le pouvoir souffrir davantage, et, en effet, s'il n'eût
pris son congé comme il fit, on n'eût pu l'empêcher
en aucune façon ni* la divertir davantage de le lui
donner.
Gomme Ruccellai emmena quelques-uns de ceux qui
étoient de sa cabale, pour nuire à la Reine en lui
soustrayant des serviteurs, il en laissa d'autres à
Angoulême pour la même fin, pour nuire à S. M.,
comme serpents dans son sein. Entre autres, la con-
fiance qu'il avoit en la dame de Montendre^, et à un
certain abbé de Moreilles^ qui, dans la confusion des
occasions passées, s'étoit donné à la Reine sans qu'on
le reçût, lui donna heu d'établir entre eux une corres-
1. Il y a É^e dans le manuscrit B.
2. Il s'agit probablement d'Hélène de Fonsèque, mariée le
2 août 1600 à Isaac de la Rochefoucauld, baron de Montendre.
3. Labbaye de Moreilles, de l'ordre de Cîteaux, était située
362 MÉMOIRES [1619]
pondance pour découvrir tout ce qu'ils pourroient et
[le] lui faire savoir soigneusement : ce qu'ils firent,
mais non pas longtemps sans être découverts par la
surprise de quelques lettres de cet abbé, si détestables,
qu'outre qu'elles étoient pleines de médisances de la
Reine, elles contenoient des paroles qui violoient^ au
moins le respect dû aux sacrements, si elles ne conte-
noient un manifeste abus de celui de la confession, vu
que ce personnage étoit si effronté qu'il lui écrivoit
qu'il ne pouvoit qu'il ne lui donnât beaucoup de nou-
velles, puisqu'il confessoit la plupart des femmes de
la Reine.
Le marquis de Thémines^, capitaine des gardes de
la Reine, imbu des humeurs et des impressions de
Ruccellaï, ne vit pas plus tôt le marquis de Mauny, qui
s'en étoit allé hors de la prétention du gouvernement
d'Angers, qu'il ne se le mît en tête. Ce qui fit que, la
Reine ayant donné ledit gouvernement à feu mon
frère, celui de Ghinon à Chanteloube, celui du Pont-
de-Cé à Béthencourt^, la passion lui fit mal parler de
ce choix et dire qu'il [le]"^ méritoit mieux que ceux
dans le Marais vendéen et dépendait du diocèse de la Rochelle.
L'abbé était, depuis 1586, Jean Ferret, qui mourut en 1622, et
qui fut également chantre du chapitre de Luçon.
1. Le manuscrit B porte violant.
2. Au lieu de comte de Thémines, il faut lire marquis, dans
la note de la page 69, ci-dessus.
3. Ce personnage, que Richelieu mentionne encore l'année
suivante, devait être François de Béthencourt, seigneur de
Toutpré et vicomte de Gaillefontaine en Normandie. D'après le
Nouveau d'Hozier, t. XLI, il aurait été lieutenant d'une compa-
gnie du régiment de Rambures, et dans des lettres de cachet des
4 juillet 1621 et 20 avril 1622 le Roi le qualifia de « capitaine ».
4. Nous rétablissons ce mot d'après le document de Cherré.
[1619] DE RICHELIEU. 363
qui l'avoient eu; ce qui produisit plusieurs querelles.
La première fut de Chanteloube, qui fit appeler ledit
marquis, et furent séparés sur le pré. Cette querelle
ayant appris à mon frère les mauvais discours dudit
marquis, il lui fît savoir qu'il le vouloit voir^ l'épée à
la main. Ils sortirent tous deux^ hors la ville à cette
fin, mais sans effet, à cause de la pluralité des seconds
qui se trouvèrent de part et d'autre, qui donna lieu
de remettre la partie à une autre fois^.
La Reine, ayant su ce qui s'étoit passé, prit grand
soin de les faire accorder; mais, comme il y a peu de
maladies dont on sorte bien nettement, l'accord de
cette querelle ne fut pas si net qu'il n'en restât des
semences qui donnèrent lieu à mon frère de le cher-
cher autant qu'il put. Il alloit, pour cet effet, toujours
seul avec un petit page, avec lequel trois jours ne se
passèrent pas qu'il ne le* rencontrât devant la cita-
delle. Aussitôt qu'ils se virent, ils mirent pied à terre ^
et, après s'être tiré trois ou quatre estocades, le mar-
quis de Thémines recula jusqu'à ce que, se couvrant
de son cheval, il en avança une qui. coupant le nœud
de la queue de sondit cheval , lui ^ donna dans le
1. Le manuscrit B porte par erreur : le vouloit vouloir.
2. Dans le manuscrit B, il y a : Ils se retirent tous deux.
3. Ces seconds étaient La Roche, du Carbon, Nadaillac et
Saint-Julien. Cette première rencontre du marquis de Riche-
lieu avec le marquis de Thémines eut lieu le 6 juillet 1619,
d'après le Journal d'Arnauld d'Andilly, p. 435, qui donne de
longs détails sur cet incident.
4. Le manusci'it B porte se.
5. Cette seconde rencontre eut lieu le 8 juillet (/oMrna/c^'^r-
nauld d'Andilly, p. 435 et 436).
6. C'est-à-dire au frère du Cardinal.
364 MÉMOIRES [m9]
cœur ; ce qui n'empêcha pas qu'avec le reste de la vie
qui demeure à un homme blessé à mort, il ne se jetât
à son collet, d'où il fut dépris et par quelques per-
sonnes qui y arrivèrent et par la mort qui le surprit,
mais non si subitement que le sieur de BéruUe, qui se
trouva par cas fortuit en cette occasion, n'eût loisir
de lui donner l'absolution sur les signes de douleur
qu'il put tirer de lui.
Je ne voudrois ni ne saurois dire que ce combat se
fût passé avec aucune supercherie et ne crois pas, en
vérité, que Thémines en eût voulu user ainsi; mais il
est vrai que, tandis que mon frère et lui furent aux
mains, deux gentilshommes qui le suivoient eurent
toujours l'épée haute dans le fourreau, ce qui ne laisse
pas d'être un très grand avantage.
Je ne saurois représenter l'état auquel me mit cet
accident et l'extrême affliction que j'en reçus, qui fut
tel qu'il* surpasse la portée de ma plume et que dès
lors j'eusse quitté la partie, si je n'eusse autant consi-
déré les intérêts de la Reine que les miens m'étoient
indifférents.
Ceux qui restoient dans la maison de la Reine de
plus grande considération, voyant mon frère mort et
le marquis de Thémines éloigné de S. M. par cet acci-
dent, se mirent en tête d'avoir le gouvernement d'An-
gers. Mais, la Reine jugeant bien que, si dans la malice
du siècle elle ne m'autorisoit auprès d'elle non seule-
ment par son crédit, mais par la force du lieu de sa
demeure et par celle qu'elle pouvoit donner en sa
maison, je ne pouvois lui rendre le service que je
1. Se rapportant à état et non à affliction.
[1619] DE RICHELIEU. 365
devois*, elle voulut, de son mouvement, donner le
gouvernement d'Ansjers à mon oncle le commandeur
de la Porte -et, quelque temps après, la charge de capi-
taine de ses gardes au marquis de Brezé^, mon beau-
frère, moyennant trente mille écus que je payai
au marquis de Thémines, qui avoit été fort bien reçu
du côté du Roi.
Tous ces malheurs passés, la Reine m'envoya à
Tours pour préparer son entrevue avec le Roi*. Elle
n'eut pas peu de peine à se résoudre à ce voyage; le
traitement qu'elle avoit reçu, la continuation qu'il lui
sembloit voir de mauvaise volonté envers elle, la
crainte de s'aller mettre dans les ceps ^ et en la puis-
sance de ses ennemis la tenoient en une grande irré-
solution si elle devoit aller trouver le Roi.
Luynes, incontinent que le Roi fut arrivé à Tours,
lui écrivit *" par le prince de Piémont, qui l'alloit trou-
1. Les mots : je ne pouvais lui rendre le service que je devois,
ont été écrits en marge du manuscrit B par Charpentier. Ils
avaient déjà été ajoutés en interligne, par Sancy, sur le docu-
ment de la main de Cherré; Sancy avait mis : je ne lui pouvais
rendre.
2. Amador de la Porte, fils de François de la Porte, était
commandeur de l'ordre de Malte et grand prieur de France.
Nommé gouverneur d'Angers en 1619 et du Havre en 1626, il
fut envoyé en 1633 comme lieutenant de Roi en Aunis et mou-
rut le 31 octobre 1644.
3. Urbain de Maillé, marquis de Brezé, épousa en 1617
Nicole du Plessis-Pvichelieu, sœur du Cardinal, devint maréchal
de France en 1632 et mourut en 1650.
4. Ici s'arrête l'emprunt de dix-sept pages et demie fait au
document écrit par Cherré (Aff. étr., France 772, fol. 263).
5. C'est-à-dire dans les chaînes de ses ennemis (ci-dessus,
p. 325).
C. Ecrivit à la Reine mère. — Une analyse de cette lettre,
3GC) MÉMOIRES [1619]
ver à Angoulême, que, sur la parole du P. de Bérulle,
il hasardoit la très humble supplication qu'il lui faisoit
de vouloir prendre assurance en son très humble ser-
vice et en recevoir les oftres qui lui ctoient dues,
et que le Roi lui avoit non seulement permis, mais
commandé de lui faire ; et que, si elle les avoit
agréables, il exposeroit sa vie pour elle, tant à raison
de ce qu'elle est que pour avoir commencé et beau-
coup avancé sa fortune, qui l'obligent à ne l'oublier
jamais, laissant le plus important à ce bon Père pour
le lui faire entendre ^ .
La Reine ne manqua pas de correspondre à ses hon-
nêtes offres, lui mandant qu'elle recevoit d'autant plus
volontiers les assurances qu'il lui donnoit de son
affection qu'il les lui faisoit en intention de les confir-
mer par effet auprès du Roi^; qu'elle étoit bien aise
ainsi que de quelques-unes de celles qui sont mentionnées plus
loin, se trouve aux Affaires étrangères, France 772, fol. 186.
Le document, de la main de Charpentier, porte des renvois
indiquant qu'il a servi à la composition des Mémoires. Ces
analyses de lettres sont désignées ainsi par Sancy sur un des
feuillets : « Extrait des lettres écrites à Angoulême depuis le
traité. 1619. » Sancy ajouta ces mots : « Pour la feuille seconde.
1619. »
1. Cette lettre est du 31 mai. Charpentier en a écrit l'analyse
suivante, qui n'est pas exactement reproduite par les Mémoires :
« Il lui demande permission que tout ce qu'il a omis, crainte
de lui déplaire, il lui puisse offrir, croyant lui agréer; qu'il a
hasardé cette supplication sur la parole du sieur de Bérulle et
sur l'assurance qu'elle ne doit refuser les offres qui lui sont
dues et que le Roi ne lui a seulement permis, mais expressé-
ment commandé; que s'il reconnoît que S. M. ne soit impor-
tuné de ses lettres, il exposera sa vie pour elle... » Le reste de
l'analyse a été textuellement donné par les Mémoires.
2. Les Mémoires reproduisent ici 1' « Extrait » précité de
[1619] DE RICHELIEU. 3G7
qu'il reconnût l'inclination qu'elle avoit eue de long-
temps à son bien, de laquelle il se pouvoit promettre
la continuation et faire état de sa bienveillance, qu'elle
lui promettoit de nouveau ; qu'il devoit vi\Te en cette
créance très véritable, puisqu'elle lui étoit assurée
par une princesse, dont la parole est inviolable, et
qu'elle faisoit état d'aimer toujours ce que le Roi hono-
rera de son affection*.
Quelque temps après, le Roi lui écrivit-, la priant
de le venir voir, et lui envoie le duc de Montbazon
pour ce sujet. Le sieur de Luynes l'assure qu'elle sera
très bien traitée. Elle remercie le Roi de la faveur
qu'il lui plait lui faire de désirer la voir et lui mande
le désir qu'elle a aussi de jouir de sa vue, mais le
supplie trouver bonne la prière qu'elle a faite à M. de
Montbazon, qu'auparavant que de penser à ses conten-
tements, elle procure qu'il plaise au Roi pourvoir à ce
qui concerne ceux qui l'ont assistée, ainsi qu'il lui a
plu lui promettre et que sa conscience et son hon-
neur l'y obligent^.
Charpentier (Aff. étr., France 772, fol. 186). Il est à remarquer
que le texte des Mémoires et celui de V « Extrait » diffèrent
seulement par le style; les Mémoii'es parlent au passé,
r « Extrait » au présent.
1. Cette fin de paragraphe est tirée de la suite du même
« Extrait ». Sancy a mis les phrases de ce document au passé,
faisant les corrections sur la pièce même et indiquant, par
les signes habituels, que le passage ainsi corrigé devait entrer
dans les Mémoires, ce qui n'avait pas été fait pour la première
partie de F « Extrait ».
2. La lettre du Roi, portée par le duc de Montbazon à la
Reine mère, était du 17 juillet. Elle a été imprimée dans le
Mercure françois, t. VI, année 1619, p. 299.
3. Cette dernière phrase est le résumé de la lettre adressée
368 MÉMOIRES [1619]
Cette réponse est non seulement jugée équitable,
mais louée d'un chacun. Le sieur de Luyneslui témoigne
l'extrême contentement qu'il a d'avoir reçu par M. de
Montbazon nouvelles assurances de la confiance qu'elle
veut avoir en lui et de l'honneur qu'elle lui fait
de prendre créance aux protestations qu'il lui a faites
de la servir, la joie que lui apporte la résolution
qu'elle a prise d'aller à la cour sur la parole qu'il lui
a donnée qu'elle y recevi^a toute satisfaction ; qu'outre
l'aise du Roi et le bien général, il y considère encore
le sien particulier, en l'honneur qu'il se promet de la
bienveillance de S. M. et en celui qu'il aura de la ser-
vir fidèlement, ce (ju'il fera en l'exécution de ce qui
lui a été promis par l'intervention de MM. le cardinal
de la Rochefoucauld et de Béthune touchant le bon
traitement de ceux qui l'ont servie en ces dernières
occasions; la libre disposition de sa maison et de sa
demeure qui lui sera conservée, sachant si bien les
intentions du Roi qu'il ne craint point de l'assurer, au
péril de son honneur, de tout ce que dessus; et que,
tant au voyage qu'elle vient faire à la cour qu'aux
autres qu'elle y pourra faire à l'avenir, elle n'y
demeurera que tant et si peu qu'elle voudra ; qu'il lui
en donne sa parole, comme aussi de la servir en toute
autre occurrence; qu'elle n'appréhende point, comme
M. de Montbazon lui a dit qu'elle faisoit, qu'on lui
par la Reine mère au Roi et qu'Avenel considérait comme ayant
été rédigée par Richelieu (t. VII, p. 468). Elle n'est aussi que
la copie textuelle d'un passage de 1' « Extrait » de Charpen-
tier, que Sancy avait corrigé au point de vue du style. On
retrouve en marge et dans le corps du texte les signes gra-
phiques habituels.
[1619] DE RICHELIEU. 369
puisse rendre de mauvais offices auprès du Roi, lui
jurant que, si quelqu'un lui fait quelque mauvais rap-
port, il en avérera la fausseté avec elle^
Et, afin de lui faire avoir davantage de foi à ses
paroles, il lui fait confirmer par le P. Arnoux tout ce
qu'il lui avoit mandé ^ et la convier efficacement d'al-
ler à la cour, l'assurant qu'elle y recevra tout conten-
tement et^ qu'il lui donne d'autant plus volontiers
1. Ce paragraphe est tiré d'une suite d'analyses de lettres,
écrite par Charpentier, et au dos de laquelle Sancy a mis :
« Extrait des lettres du connétable de Luynes et sieur Arnoux
à la Reine. 1619. Pour la feuille troisième. 1619. » La première
fois que Sancy avait eu à écrire 1619 il s'était trompé et avait
mis 1631. On peut supposer que cette étourderie était due à
ce fait qu'il travaillait, en 1631, à la rédaction de l'année 1619,
ce qui concorderait avec des remarques faites précédemment à
diverses reprises. Cet « Extrait » de lettres a été utilisé pour
les Mémoires; on y trouve, d'ailleurs, les renvois et signes gra-
phiques habituels (A£P. étr., France 771, fol. 318). La lettre de
Luynes est du 16 août 1619. On en trouve une copie dans le
volume France 772, fol. 114.
2. Richelieu lui-même, sans l'avouer ici, avait, d'accord
avec M. de Luynes, envoyé la substance de la lettre que le
P. Arnoux devait écrire à la Reine mère. Avenel a publié
(tome VII, p. 468-469) ce canevas (qui se trouve dans le volume
France 772, fol. 199) sous le titre : Points de la lettre du P. Ar-
noux à la Reine. L'original de la lettre est dans le même volume,
fol. 121; il est daté du Plessis-les-ïours, le 22 août 1619. Sancy
a griffonné au dos : « Veu ».
3. Le mot et a été ajouté par Sancy; il sert de liaison avec
la phrase précédente, qui, primitivement, sur le manuscrit B,
se trouvait suivie de trois paragraphes, biffés ensuite par
Sancy. Les voici : « Qu'il répond que M. d'Épernon et ceux
qui l'ont servie en ces dernières occasions seront très bien
traités; que la libre disposition de sa maison et de sa demeure
lui sera conservée inviolablement et qu'elle ne sera à la cour
II 2^
370 MÉMOIRES [1619]
cette assurance qu'il reconnoît qu'on ne sauroit man-
quer à ce qui lui a été promis en tout cela, et à
ce qu'elle désire, sans un notable préjudice de cons-
cience, et engage sa foi, son honneur et son âme,
qu'en cela et en toute autre chose elle aura conten-
tement * .
Enfin, ils s'obligèrent à toutes ces choses par toutes
sortes de serments et le donnèrent même par écrit-.
Sur cela, la Reine leur promet son amitié inviolable;
elle dépose cette parole entre les mains de M. de
Montbazon .
On ne laisse pas, nonobstant tout cela, de traiter
pour surprendre les places qui sont en la puissance
des serviteurs de la Reine. On voit à Metz du jour
pour en chasser le marquis de la Valette par la mau-
vaise volonté des habitants, qui ont bien le courage
d'oser entreprendre de se rendre maîtres de lui. On
que tant et si peu que bon lui semblera; qu'elle ne doit point
appréhender qu'on prenne des jalousies et des ombrages d'elle
et que les calomnies lui puissent nuire. » Ces paragraphes fai-
saient partie de 1' « Extrait » écrit par Charpentier et cité à la
page précédente (France 771, fol. 318). Us figurent à peu près
dans les mêmes termes dans le canevas publié par Avenel.
1. La lettre du P. Arnoux, résumée dans ces quelques lignes,
a deux pages et demie. Elle diffère sensiblement, tant au point
de vue du style qu'au point de vue de la précision plus grande
des idées, et du canevas intitulé Points de la lettre du P. Ar-
noux à la Reine ^ publié par Avenel, et de 1' « Extrait » dû à
Charpentier. Ce paragraphe est la copie presque textuelle d'un
passage de cet « Extrait » de Charpentier.
2. Il y a en effet dans le volume France 772, fol. 115, une
promesse au nom du Roi, signée du duc de Montbazon, d'exé-
cuter ce qui a été accordé à la Reine mère. Cette pièce porte
au dos le mot « Employé », de la main de Sancy.
[1619] DE RICHELIEU. 371
agrée leur entreprise, quoique de mauvais exemple,
et on fait acheminer quekjues troupes vers eux * pour
leur prêter main-forte ; mais le marquis de la Valette
les prévient, fait entrer dans la ville des gens de
guerre qui sont à la dévotion de son père, désarme les
habitants et les met en état de ne lui pouvoir faire
de mal^.
On sollicite le gouverneur de Saintes; on fait des
offres à celui de Loches ; on trame des menées pour
Angers, avant même qu'on Tait livré; on donne abso-
lution de plusieurs crimes aux huguenots en récom-
pense d'une fidélité imaginaire, en vertu de laquelle
on supposoit qu'ils avoient refusé de servir la Reine,
qui, bien loin de les en avoir sollicités, avoit aussi
généreusement refusé l'office qu'ils lui avoient faite de
l'assister qu'infidèlement, et pour s'avantager au désa-
vantage du service du Roi, ils lui avoient faite sans
en être requis. Il ne fut pas même jusques à Déageant,
qui étoit un de leurs plus affidés ministres, qui ne
ressentit les effets de la mauvaise volonté qu'ils con-
voient encore contre la Reine : car ils l'éloignèrent,
.sur l'imagination qu'ils eurent qu'il se repentoit de sa
faute ^.
Tandis qu'ils étoient si attentifs à ôter à la Reine
toute l'autorité auprès du Roi que la qualité qu'elle
1. Sous les ordres de M. de Praslin [Journal cVArnauld
d'Andilly, p. 418).
2. Voyez plus loin, p. 393.
3. Dans ses Mémoires (p. 225), Déageant dit que le P. Arnoux,
confesseur du Roi, fut l'un des plus acharnés pour le faire
éloigner de la cour. Pour sauver les apparences, on l'envoya
en mission en Dauphiné auprès du duc de Lesdiguières.
372 MÉMOIRES [1619]
avoit lui donne, ils avoient peu de souci ou peu
de moyens de maintenir l'autorité royale envers ses
alliés.
Barneveldt^, le plus ancien officier des États des
Provinces-Unies, celui qui avoit le plus travaillé à
l'établissement de leur république, et qui, avec plus
d'affection, s'étoit toujours porté à maintenir la bonne
intelligence entre S. M. Très Chrétienne et lesdits
États, tut condamné à mort et exécuté au mépris des
offices que S. M. fit plusieurs fois par ses ambassa-
deurs pour le sauver. La première cause apparente
de sa disgrâce fut une division qui commença à écla-
ter, l'an 1 61 1 , en Hollande, entre les ministres, sur le
fait de la prédestination, de laquelle un ministre,
nommé Arminius^, qui étoit mort quelques années
auparavant, avoit commencé à prêcher une doctrine
qui n'étoit pas conforme à ce que Luther et Calvin en
avoient tenu et approchoit davantage de la vérité qui
est enseignée en l'Église catholique.
Un ministre, nommé Vorstius^, commença, ladite
1. Jean-Olden Barneveldt (1547-1619), l'un des principaux
chefs du parti républicain en Hollande, conclut en 1609 une
trêve qui assurait l'indépendance de sa patrie.
2. Jacques Harmensen dit Arminius (1560-1609), célèbre
théologien hollandais, étudia à Genève sous Théodore de Bèze,
devint pasteur à Amsterdam en 1588, professeur à Leyde
en 1603 et mourut dans cette ville en 1609. Il enseignait la
doctrine du pardon divin pour tous les repentants contraire-
ment à la doctrine de la prédestination des élus et des réprou-
vés soutenue par Calvin et par Gomar, autre professeur de
Leyde.
3. Conrad Vorstius (1569-1622) fut aussi élève de Théodore
de Bèze; nommé en 1610 professeur de théologie à l'Université
de Leyde pour occuper la chaire vacante par la mort d'Armi-
[1619] DE RICHELIEU. 373
année 1611, de prêcher suivant cette nouvelle doc-
trine avec grande chaleur. La nouveauté, qui est amie*
des peuples, fit qu'il eut dans peu de temps grand
nombre de sectateurs. Le roi d'Angleterre, qui pré-
tend, par le titre de Défenseur de la foi et par celui
qu'il se donne de chef de l'Église anghcane, devoir être
comme une sentinelle qui donne avis des erreurs
naissantes parmi les protestants, écrivit incontinent à
Messieurs des États, leur remontre l'importance de
cette nouveauté, qui séparera les cœurs de leurs
peuples aussi bien que leur créance. Mais, nonobs-
tant tous ses efforts, la négligence que Messieurs des
États apportèrent en ce sujet fit que cette opinion
gagna en peu de temps presque toute la Hollande,
Utrecht, West-Frise et Over-Yssel, et ce, par l'autorité
de Barneveldt, avocat général des États de Hollande
et West-Frise, qui avoit été imbu de cette opinion à
Heidelberg, il y avoit plus de trente ans. Sous son
autorité ils prirent tel courage qu'ils levèrent des
gens de guerre dans les villes pour leur sûreté, les-
quels ils appelèrent Attendants, comme étant en
attente pour les défendre si on les vouloit attaquer.
Leurs ennemis^ firent trouver cette action mau-
vaise, particulièrement au comte Maurice^, comme
étant un attentat contre son autorité, qui devoit être
nius, il fut ensuite banni des Provinces-Unies et se retira dans
les Etats du duc de Holstein.
1. Il faudrait plutôt aimée, quoique le manuscrit porte bien
amie.
2. Les pages consacrées à Barneveldt semblent tirées du
Mercure français, t. V, année 1618, p. 43-114, et année 1619,
p. 1-63.
3. Maurice de Nassau, prince d'Orange, mort en 1625.
374 MÉMOIRES [1619]
absolue au fait des armes, prenant un de leurs pré-
textes sur ce qu'ils ne portoient pas ses livrées, qui
étoient l'orangé. Le comte Maurice, qui jusqu'alors
n'avoit point eu la puissance de Barneveldt suspecte
ni n'en avoit eu jalousie, d'autant qu'il l'employoit
toute à maintenir et à augmenter son crédit et auto-
rité dans les États, commença à l'envier dès qu'il vit
qu'elle se soustrayoit de sa dépendance et agissoit à
part, non seulement sans son avis, mais contre sa
volonté.
Des libelles commencèrent à courir parmi le peuple
contre Barneveldt, qu'on accusoit d'être étranger de
la province de Hollande et de s'être enrichi dans sa
charge, ce qui ne pouvoit être que par mauvais
moyen. Il fait son apologie, mais elle n'est pas reçue
avec la même grâce que son accusation, tant la faveur
du peuple est prompte à changer envers celui qu'il a
plus estimé, dès que la fortune commence à lui être
moins favorable. Les États-Généraux et le comte Mau-
rice commandent aux villes de casser ces gens de
guerre qu'elles appellent Attendants ; elles refusent de
le faire. Le comte y va courageusement en personne,
non sans péril, parle aux soldats, les gagne, leur fait
poser les armes et dépose tous les magistrats. Les
Arminiens se plaignent, présentent requête pour vider
devant les magistrats le différend de leur religion;
les autres demandent un synode et soutiennent que le
magistrat ne se doit mêler de ce fait.
Barneveldt, déchu d'autorité avec son parti, est
averti qu'on veut mettre la main sur sa personne; il
ne se retire pas néanmoins, mais, assuré sur ses longs
services et sur son innocence, paroît toujours en
[1619] DE RICHELIEU. 375
public et va au Conseil comme il a accoutumé. Enfin,
on l'arrête, le 24 août 1618, et on le met en prison.
On convoque un synode qui se termina sans qu'ils
prissent aucune résolution sur le fait de leur créance,
et, tôt après, ils donnèrent des juges à Barneveldt pour
lui faire son procès.
G'étoit une chose pitoyable de voir un vieillard de
septante et un ans, le plus ancien ministre de leur
république, qui avoit été trente-trois ans avocat
général de leurs principales provinces, avoit la prin-
cipale part à leur établissement, et, ce qui est le plus
à remarquer, avoit par son adresse renvoyé en Angle-
terre le comte de Leicester*, établi en 1585 i^ouver-
neur général des Provinces-Unies, et avoit mis en
avant le prince Maurice et été la principale cause de
sa grandeur, le maintenant toujours bien avec Mes-
sieurs des États en toutes les rencontres èsquelles il
y avoit eu entre eux quelque mésintelligence, ayant
été jusqu'à trente-deux fois député de leur part vers
lui dans leurs armées, après tant de services rendus,
et y avoir employé tout le temps de sa \ie, être, pour
récompense, mis prisonnier par celui qui lui étoit
plus redevable, au milieu de l'État qui lui étoit obligé
de la meilleure partie de sa prospérité.
Le Roi s'y intéressa, et pour l'honneur des États, et
pour l'amour de Barneveldt, et pour ce aussi qu'entre
1. Robert Dudley (1531-1588), comte de Leicester, comman-
dant en chef des troupes anglaises envoyées en 1585 dans les
Pays-Bas révoltés pour soutenir les protestants contre l'Es-
pagne. Ayant accepté le titre de gouverneur général que lui
offraient les Hollandais, il fut désavoué par son gouvernement
et ne conserva ces fonctions qu'à grand'peine.
37H MÉMOIRES [I6I9]
les crimes qu'on lui mettoit à sus, celui d'avoir eu
quelque intelligence avec les ambassadeurs de S. M.
en étoit un. Le sieur de Boissise fut envoyé ambassa-
deur extraordinaire pour ce sujet et exposa * aux
États, le 12*^ de décembre, le motifs et les raisons de
son envoi, leur représentant que, si Barneveldt et les
autres prisonniers étoient véritablement coupables du
crime de trahison et d'intelligence avec les ennemis,
il étoit raisonnable qu'ils fussent punis selon la
rigueur des lois, mais qu'il étoit juste aussi de consi-
dérer que ces crimes étoient si atroces en eux-mêmes
que les États bien policés les jugeoient réduits à cer-
tains faits, outre lesquels on ne les devoit pas étendre,
ni les tirer par des conséquences à d'autres actes qui
ne sont pas de cette qualité-là, et, partant, que les
contentions, les jalousies et l'ambition entre les per-
sonnes d'autorité, desquelles naissent souvent plu-
sieurs inconvénients aux États, ne sont néanmoins
pas imputés à crime de trahison contre l'État, pour
ce qu'on la doit juger par la volonté, non par l'évé-
nement; que Barneveldt avoit rendu tant de témoi-
gnages de sa fidélité qu'il étoit difficile de croire
qu'après cela il eût conspiré la ruine de sa patrie;
qu'il étoit important qu'on lui donnât des juges non
suspects et qu'ils ne le jugeassent pas sur de simples
1. Le mémoire remis à cette occasion aux Etats-Généraux
portait la date du 12 décembre 1618 et les signatures de Jean
de Thumery de Boissise et de Benjamin Aubery du Maurier,
ambassadeur du Roi. Il a été imprimé dans le Mercure fran-
çais, t. V, année 1619, p. 2.
2. Par scrupule de style, Charpentier a mis, sur le manus-
crit B, motif âu lieu de sujet.
[1619] DE RICHELIEU. 377
conjectures, étant chose certaine qu'il y a beaucoup
de choses apparentes qui ne sont pas véritables et
beaucoup de véritables qui n'ont pas de vraisem-
blance; enfin, que le conseil de S. M. étoit qu'on le
traitât favorablement, selon la bonne coutume des
républiques libres, qui, même es plus grands méfaits,
ont fait difficulté d'épandre le sang des citoyens, con-
servant pour une des principales marques de liberté
de ne toucher pas facilement à leur vie ; que, si les
États choisissoient la voie de la douceur en ce fait-ci,
S. M. leur en sauront un gré particulier, comme elle
tiendroit à offense le peu de respect qu'ils lui auroient
rendu s'ils faisoient le contraire.
Les États firent réponse \ le \9^ décembre, qu'ils
suivroient en ce jugement la voie de la douceur et de
la clémence, à laquelle la condition de leur république
les porte, tant que la sûreté de leur État leur pourra
permettre, ne croyant pas néanmoins que, quel que
pût être l'événement de ce procès, S. M. en puisse
être offensée, préférant les sollicitations de quelques
particuliers à la conservation de leurs provinces. Ils y
ajoutèrent une plainte non légère, que S. M. avoit
défendu aux huguenots de son État^ de se trouver au
synode qu'ils avoient assemblé. Et, sans perdre
temps, ils continuèrent, à la Haye, à faire le procès
dudit Barneveldt et des autres prisonniers qui étoient
avec lui, et ce par vingt-six jugeg qu'ils choisirent
1. Cette réponse a été imprimée dans le Mercure françois,
t. V, année 1619, p. 7.
2. Le manuscrit B porte leur État, ce qui est contraire au
bon sens et au texte mêmes de la réponse des Hollandais insé-
rée dans le Mercure françois.
378 MÉMOIRES [1619]
dans les sept Provinces-Unies, et le condamnèrent à
mort au commencement de mai de la présente année,
par la plus signalée ingratitude qui fut jamais com-
mise ; car ils n'eussent osé penser autrefois à le perdre ;
mais, après que par ses sages conseils il les eut mis
en état de n'avoir plus besoin de lui et eut ouvert un
chemin si ample et si large à la prospérité de leurs
affaires, qu'ils n'avoient point affaire ni nécessité de
guide pour les conduire, au lieu de récompense qu'il
méritoit, ils le payèrent d'envie et lui donnèrent
la mort.
L'ambassadeur du Roi^, ayant eu avis de ce juge-
ment, et qu'il devoit être exécuté le 13, demanda
audience aux États et, ne l'ayant pu obtenir, leur
manda, par écrit ^, qu'il avoit charge de S. M. de leur
représenter que Sadite Majesté, sans entrer plus avant
en connoissance des causes motives de ce jugement,
persistoit à les exhorter encore, pour le lieu qu'elle
tenoit entre leurs amis et alliés, d'épargner la vie
du plus ancien officier de leur république, attendu
que, s'il défaut quelque chose à la sûreté de leur
État, il ne sera pas suppléé par le peu de sang qui
reste à un pauvre vieillard qui, sans violence, ne peut
éviter de mourir bientôt par le cours de la nature,
et ils recevroient de l'honneur d'user de clémence
1. Benjamin Aubery, sieur du Maurier, secrétaire ordinaire
de Henri IV (1590), conseiller d'État en 1615 et ambassadeur
à la Haye de septembre 1613 à octobre 1623.
2. Cette lettre est datée du 13 mai 1619. Elle a été imprimée
dans le Mercure français, t. V, année 1619, p. 37. Fontenay-
Mareuil [Mémoires, p. 421) blâme très vivement Louis XHI
d'être ainsi intervenu en faveur de Barneveldt, « comme s'il
eût été payé des Espagnols pour faire leurs affaires ».
[1619] DE RICHELIEU. 379
pour celui qui a usé sa vie en les servant; que, s'ils
ont volonté de lui faire souffrir quelque sorte de
peine, il leur est aisé de lui commuer celle de la vie
en une moindre, le confinant à demeurer le reste de
ses jours en une de ses maisons.
Ces remontrances ne servirent de rien*, tant ce
peuple étoit animé contre lui, donnant une preuve
certaine que, dans les États qui sont sujets aux lois
populaires, la grandeur et l'autorité est le plus sou-
vent dommageable à celui qui la possède et nourrit
d'ordinaire son propre malheur, d'autant que, comme
ils ne reçoivent leurs charges qu'en faisant la cour
au peuple, l'envie de ceux qui les ont données les
soulève contre eux, et ce avec tant d'iniquité qu'ils
ne sont pas contents de les abaisser et les remettre
dans l'état auquel ils étoient quand ils les ont élevés
en la magistrature, mais, usant cruellement de la
puissance qu'ils ont, ils les condamnent aux peines
les plus grièves qu'ils peuvent, dès que la mauvaise
fortune leur en présente l'occasion.
Les obligations qu'ils avoient au Roi furent peu
considérées par eux, dont le prince Maurice fut la
principale cause, d'autant que cette querelle étant,
en quelque manière, particulière entre lui et Barne-
veldt, il se sentit offensé que le Roi entreprît sa défense.
MM. de Luynes, qui gouvernoient , eurent peu
d'égard à ce mauvais procédé, ne pensant qu'à se
conserver en leur particulier et tenir, par tous les
artifices qu'ils pouvoient, la Reine éloignée, de peur
k Barneveldt fut décapité à la Haye le 13 mai 1619, à neuf
heures du matin.
380 MÉMOIRES [1619]
que la splendeur de S. M. n'obscurcît la fausse
lumière dont ils éclatoient à la cour ^
Quoique toutes leurs actions lui donnassent lieu de
douter de la sincérité des promesses qu'ils lui fai-
soient, elle ferme les yeux à ses justes pensées et
attribue la chaleur de ses cendres au feu qui y avoit
été un peu auparavant et qu'elle veut croire (jui n'y
est plus, et ainsi elle me commande de m 'avancer à
Tours^ pour préparer son entrevue avec le Roi, où je
ne manquai pas d'assurer le sieur de Luynes que^,
pour conserver la bienveillance de la Reine, qu'il
trouvera sincère en son endroit, il n'étoit question
qu'à lui donner des effets de son affection aux occa-
sions qui s'en présenteront; que je savois certaine-
ment ses intentions être entières pour le Roi et que
ses désirs n'avoient autre but que la paix et le repos
1. Il est piquant de remarquer, à propos de ce sévère juge-
ment sur les Luynes, que Richelieu prodiguait ses bons offices
à tous les partis. On a vu qu'il avait préparé la lettre écrite
parle P. Arnoux à la Reine mère, le 22 août 1619; c'est encore
lui qui rédigea les lettres de Marie de Médicis, et celles de
Luynes à la Reine mère : il y a entre autres une minute de
lettre de Luynes à Marie de Médicis où Richelieu lui-même a
pris la plume pour écrire une phrase sur la marge (Aff. étr.,
France 772, fol. 206).
2. Richelieu arriva à Tours le 30 août [Journal (TArnauld
d'Andilly^ p. 445).
3. D'ici à la fin du paragraphe, les Mémoires reproduisent
textuellement un passage de 1' « Extrait des lettres écrites à
Angoulême depuis le traité », de la main de Charpentier. Ce
passage a été corrigé sur le document même par Sancy (Aff.
étr., France 772, fol. 186 v"). C'est l'analyse d'une lettre
de Richelieu à Luynes, du 28 juillet 1619.
[1619] DE RICHELIEU. 381
de cet État; qu'il pouvoit être certain d'avoir une
vraie part en son affection et que, si d'autres lui per-
suadoient le contraire, c'étoient artifices de personnes
qui, sous couleur de l'aimer, lui vouloient porter pré-
judice.
Cinq jours après que je fus parti, la Reine suivit et
vint trouver le Roi. Toute la France est ravie de voir
la réunion de deux personnes qui, unies par nature,
ne peuvent être séparées que par des horribles arti-
fices. Couziers* ôte à Tours le bonheur de cette
entrevue. La Reine y étant arrivée le soir, le Roi s'y
rendit le matin; si grande affluence de peuple s'y ren-
contre que, le logis ne la pouvant contenir, le jardin
fut le lieu de cette première vue. Une joie paroît très
grande au visage du Roi; les larmes de la Reine
parlent à son fils; elle l'embrasse tant de fois qu'elle
lui baigna tout le visage. Peu de personnes purent
contraindre les leurs; tout est en allégresse, vraie
cause de ces larmes. La Reine arrive peu après avec
les princesses vers la Reine sa mère. L'après-dînée,
on va à Tours, où quelques jours se passent avec
grands témoignages d'amour entre la mère et le fils.
Gela ne plaît pas trop aux favoris qui, pour leur inté-
rêt particulier, estiment à propos de rompre cette
intelligence nécessaire au bien de l'État. Ils ont l'œil
au Roi autant qu'ils peuvent : s'il va chez la Reine, un
d'entre eux y est toujours présent; s'il s'approche
1. Couziers, près de Tours, était une habitation du duc de
Montbazon, beau-père du duc de Luynes. La Reine arriva
à Couziers le 4 septembre 1619 et y coucha; le Roi y
arriva le 5. Il y a Couzières dans le manuscrit.
382 MÉMOIRES [i619]
d'elle, ils y accourent incontinent, sous quelque pré-
texte qu'ils forment sur-le-champ. Toute la cour
remarque cette procédure, s'en offense et la blâme,
chacun connoissant bien qu'elle n'avoit autre but que
d'empêcher les effets de la nature. On tâche de la
séparer des intérêts du duc d'Épernon ; on lui propose
force conditions avantageuses à cette fin ; mais l'inté-
rêt de l'honneur l'arrête et les lui fait rejeter avec
courage.
LL. MM. se séparent. Le Roi va à Compiègne, et la
Reine sa mère va passer à Ghinon pour, de là, aller à
Angers prendre possession de son gouvernement,
avec intention de rejoindre le Roi à son arrivée''
à Paris. Mais elle n'est pas si tôt éloignée qu'elle voit de
nouveaux effets de mauvaise volonté contre elle : ceux
qui l'ont assistée et servie ne sont point remis dans
les charges dont ils avoient été dépossédés à son
sujet ; et, davantage, le comte du Lude étant mort de
pourpre à Tours, incontinent après son départ, on
donne la charge qu'il avoit de gouverneur de Monsieur
au maréchal d'Ornano^, sans lui en donner avis. Elle
se tient offensée et du choix de la personne et de
la forme qu'on y a tenue ^ ; mais ce qui la fâche davan-
1. Le scribe du manuscrit B avait mis armée; Charpentier a
corrigé en écrivant arrivée.
2. Jean-Baptiste d'Ornano (ci-dessus, p. 182) n'était alors
que colonel général des Corses ; il ne fut fait maréchal de
France que le 7 avril 1626.
3. Dans une lettre à Luynes, qu'Avenel a datée de la seconde
quinzaine d'octobre 1619, Richelieu, obligé sans doute à faire
contre mauvaise fortune bon visage, s'exprimait tout différem-
ment. La Reine, disait-il, « a grandement approuvé le choix
[1619] DE RICHELIEU. 383
tage est qu'on résout de la délivrance de Monsieur le
Prince \ dont on lui avoit parlé de loin comme d'une
chose non arrêtée.
Toutes ces choses l'arrêtent à Chinon et lui donnent
sujet d'écrire au Roi pour se plaindre. On la presse
d'aller à Angers, ne s'assurant pas que les troubles
dont on venoit de sortir soient pacifiés si elle ne
prend possession de son gouvernement. Elle s'excuse,
et, n'osant mettre en avant les causes qui l'offensent
le plus, elle dit que la principale raison qui l'arrête
est que ceux qui l'ont servie ne sont point rétablis
dans leurs charges et que son honneur et sa conscience
l'obhgent de ne partir du lieu où elle est jusques à ce
que cela soit, étant obligée de penser à leur repos
premièrement qu'au sien 2. Néanmoins, enfin, le sieur
de Brantes l'étant venu trouver de la part du Roi, elle
se résolut de partir, ce qu'elle fit le 14^, et arriva le
\6^ à Angers^, non contente des raisons que ledit
Brantes lui avoit apportées de la liberté qu'ils avoient
qu'il a plu au Roi de faire de M. le Colonel [d'Ornano] pour
avoir la charge de Monseigneur son frère » (t. VII, p. 931).
1. Monsieur le Prince reçut avis de sa mise en liberté
le 17 octobre 1619 [Mercure français, t. VI, année 1619,
p. 334). Il sortit du château de Vincennes le 20 [Journal d'Ar-
nauld d' Andilly , 1^ . 452).
2. Cette phrase est tirée de 1' « Extrait » de Charpentier
cité plus haut (France 772, fol. 186). C'est l'analyse d'une
minute de lettre de la Reine mère à Victor-Amédée, prince de
Piémont, son gendre ; cette minute, rédigée dans le cabinet de
Richelieu, contient à la fin quelques lignes de la main même
du Cardinal (France 772, fol. 198).
3. Le 14 octobre.
4. Le Mercure français, t. VI, année 1619, p. 313-334,
384 MÉMOIRES [1619]
résolu de donner à Monsieur le Prince ; car elle savoit
bien qu'ils ne la lui rendoient que pour lui opposer, et
que leur premier dessein avoit été de les arrêter tous
deux, espérant que, les tenant l'un et l'autre en leur
puissance, il n'y avoit personne dans le royaume qui
osât entreprendre quelque chose dans le royaume
contre leur contentement. Et, dès qu'ils eurent nou-
velle de sa sortie de Blois et qu'ils perdirent espé-
rance de la pouvoir tenir arrêtée, ainsi qu'ils eussent
désiré, lors, craignant que les partisans de Monsieur
le Prince se missent du côté d'elle, pour éviter ce
péril ils l'envoyèrent incontinent assurer qu'aussitôt
que les affaires seroient accommodées avec elle, ils
l'ôteroient de prison, et firent publier ce dessein par
tout le royaume ^ ; ce qui étoit proprement armer Mon-
sieur le Prince de haine contre elle et sembler l'obli-
ger non seulement à les aimer, mais à les servir avec
animosité en tous leurs injustes intérêts contre elle.
Elle ne témoigna néanmoins pas avoir désagréable
cette action-là, mais se remit à eux et au Conseil qui
étoit auprès du Roi à juger de cette affaire, reconnois-
sant que ce n'étoit pas aux personnes éloignées
comme elle étoit à donner son avis en une chose
donne un long récit des solennités qui eurent lieu à Angers
pour fêter l'entrée de la Reine mère.
1. Déageant, dans ses Mémoires, donne ce même renseigne-
ment dans les termes suivants : « S. M. fit entendre à Mon-
sieur le Prince qu'elle désiroit de la contenter, mais que, pour
le bien de ses affaires, il étoit nécessaire qu'il patientât jusques
à l'accomplissement du traité qui se faisoit avec la Reine sa
mère et que sa liberté s'obtînt par son entremise, parce que
S. M. désiroit les réconcilier. »
[1619] DE RICHELIEU. 385
si importante, pour laquelle délibérer il falloit être
averti ponctuellement de l'état de toutes les affaires
du dedans et du dehors, ce qu'elle n'étoit pas; au
reste, qu'elle ne fait point de doute qu'on ne puisse,
en un temps, avec prudence changer les conseils
qu'on a pris, en un autre, avec juste considération.
Monsieur le Prince est ensuite délivré le 210^ oc-
tobre et vint saluer le Roi à Chantilly. Si MM. de
Luynes lui procurèrent avec affection la liberté, la
Reine la sollicita non moins justement pour Barbin,
que, depuis un an, ils avoient resserré dans la Bas-
tille avec des rigueurs incroyables, nonobstant l'arrêt
donné contre lui, un an auparavant, à leur poursuite,
par lequel il avoit été condamné à être bannie Ils
reconnoissoient en cet homme une si forte passion au
service de la Reine, une si grande intégrité en son
procédé durant le temps de son administration, un
courage si ferme et une si grande liberté de parler,
avec un si vif ressentiment des injustices qu'ils lui
avoient faites, qu'ils avoient résolu de le laisser mou-
rir en la Bastille. Mais la Reine fit tant d'instances pour
lui qu'ils ne s'en purent enfin dégager et comman-
dèrent qu'après lui avoir encore une fois lu son arrêt,
on lui ouvrît les portes de la Bastille.
Barbin se plaignant du mauvais traitement qu'il
avoit reçu, Maillac, lieutenant de la Bastille, lui mon-
trant une lettre du sieur de Brantes, par laquelle il lui
donnoit charge de lui faire ses recommandations et
lui dire que c'étoit tout ce que le sieur de Luynes et
1. Voyez ci-dessus, p. 301.
II 25
386 MÉMOIRES [1619]
lui avoient pu faire jusqu'alors en sa faveur et que
bientôt il ressentiroit les effets de leur amitié, cette
lâcheté emporta Barbin à lui dire, sans considération
du lieu où il étoit encore, que, quelque misérable
qu'il fût, il renonçoit à leur amitié, qui ne pouvoit être
guère grande en une cruauté si barbare qu' étoit la leur ;
que c' étoit agir avec bien peu de courage de flatter de
paroles celui dont ils machinoient la mort; qu'ils
l'avoient ainsi traité, et que, tandis qu'ils faisoient sol-
licitertous les juges contre lui, ledit Brantes lui disoit plu-
sieurs fois qu'il n'auroit point de mal et qu'on ne
l'interrogeoit et faisoit son procès que pour avoir des
lumières pour les procès qu'on vouloit parfaire aux
autres ^ .
On le mena dès le jour même chez le chevalier du
guet^, chez lequel il demeura deux jours seulement,
durant lesquels il reçut plusieurs courriers du sieur
de Luynes qui le pressoient de le faire sortir sans
délai hors du royaume, tant ils étoient et de peu de
courage et de peu de connoissance qu'ils avoient peur
de lui en ce misérable état où il étoit. J'avois donné
ordre à un homme de lui bailler de la part de la Reine
l'argent qui lui étoit nécessaire pour faire son voyage ;
mais son départ fut si pressé qu'il fut contraint
d'emprunter de l'argent, lequel fut rendu incontinent
après ^.
1. Barbin sortit de la Bastille le 23 septembre [Mémoires de
Mathieu Mole, t. I, p. 224).
2. Louis Testu : ci-dessus, p. 73.
3. L'homme chargé de porter de l'argent à Barbin était
M. d'Argouges, trésorier de l'Epargne. Néanmoins Barbin se
[1619] DE RICHELIEU. 387
La Reine cependant se prépare à satisfaire au désir
qu'elle avoit de longtemps de se voir avec le Roi son
fils^ : elle l'avertit du dessein de son voyage et con-
vie le sieur de Montbazon, qui la devoit venir quérir,
de s'avancer. Luynes, de sa part, la sollicite en appa-
rence de venir et lui dépêche, au nom du Roi, le sieur
de Marossan^ pour la prier de se trouver à Paris, au
retour du voyage du Roi à Compiègne, pour renouer
une étroite et entière intelligence. Mais ce n'étoit rien
au prix de la croyance et des lettres que le sieur
évéque d'Aire^ lui portoit, pleines d'amour et d'im-
patience de la voir. Ces deux ambassadeurs, aussi
différents dans le cœur que semblables en langage, et
dont l'un trompoit autant que l'autre étoit trompé,
firent ce qu'ils purent, l'un en apparence et l'autre en
effet, pour y disposer son esprit.
L'évêque de Luçon^, prévoyant bien que Luynes
serait plaint de ce que Richelieu ne lui avait rien envoyé à sa
sortie de la Bastille. Mais, dans une minute de lettre qu'il écri-
vait à Barbin (Aff. étr., France 772, fol. 147), minute dont nous
tirons ces détails, Richelieu proteste de son amitié pour Bar-
bin et affirme que d'Argouges fut chargé de lui remettre quelque
somme de la part de la Reine.
1. Dans une lettre au P. Arnoux, qu'Avenel date de la fin de
décembre 1619, Richelieu assurait qu'il avait fait, avec le
P. Suffren, a tout ce qu'il avait pu et dû sur ce sujet » (Ave-
nel, t. VII, p. 478).
2. Le sieur de Marossan était une créature du duc de Luynes
dont Richelieu parle deux ou trois fois dans ses Mémoires.
Voyez aussi Avenel, t. VII, p. 473. Arnauld d'Andilly [Jour-
nal, p. 442) l'appelle M. de Marousan.
3. Sébastien Bouthillier : ci-dessus, p. 334.
4. A remarquer ce changement de style. Ici, on lit : « L'évêque
388 MÉMOIRES [1619]
promettoit et qu'il ne vouloit pas tenir et que, sur le
refus, il vouloit tirer avantage de ses offres, porta la
Reine à recevoir les prières de son fils pour de très
agréables commandements. Mais, comme elle s'y dis-
posoit, on lui témoigne sous main qu'elle feroit
chose désagréable au Roi et qu'elle en devoit perdre
le désir.
Mais, en même temps, Monsieur le Prince, délivré,
tient des langages qui lui sont désavantageux, lui écrit
c|uelques lettres dont les termes sont du tout éloignés
du respect qu'il doit au Roi et à elle. Il fait passer
une déclaration du 9" novembre, aussi avantageuse
pour lui comme elle étoit contraire à l'honneur de
ceux qui ont conseillé son emprisonnement et désa-
vantageuse à l'honneur et au service de S. M. : car,
par icelle, le Roi attribuoit la détention faite dudit
sieur le Prince à ceux lesquels, pour l'honneur qu'ils
avoient lors d'approcher S. M. et de tenir de grandes
charges et pouvoirs en son royaume, avoient telle-
ment abusé de son nom et autorité que, si Dieu ne
lui eût donné la force et le courage de les châtier, ils
eussent enfin porté toutes choses en une grande et
déplorable confusion. Et S. M. disoit que, s'étant soi-
gneusement informée des raisons sur lesquelles on
avoit prétexté sadite détention, elle avoit trouvé qu'il
n'y en avoit eu autre que les mauvais desseins de
ceux qui vouloient joindre à la ruine de cet État celle
dudit sieur Prince, les actions et déportements duquel
avoient toujours tendu à l'affermissement de son
de Luçon, » et, plus haut, Richelieu parle à la première per-
sonne.
[1619] DE RICHELIEU. 389
autorité et sa grandeur. Pour raison de quoi, S. M. le
déclaroit innocent des choses qu'on lui avoit imposées^
et dont on avoit voulu charger son honneur et sa
réputation, et sur lesquelles on avoit pris prétexte de
le faire arrêter. Et S. M., ce faisant, cassoit, révo-
quoit et annuloit toutes lettres, déclarations, édits,
arrêts, sentences et jugements, si aucuns se trou-
voient à son préjudice, depuis sa détention jus-
qu'alors^.
Cette déclaration n'est pas plus tôt expédiée que,
par surprise, on la fait vérifier au Parlement^, les
chambres non assemblées. On l'envoie par les pro-
vinces.
La Reine en écrit au Roi, lui représentant avec
modestie le préjudice qu'il recevoit de cette déclara-
tion, non seulement par la part qu'il prend dans ses
intérêts par son bon naturel, mais principalement en
ce que la continuation de la détention de Monsieur le
Prince, qu'il avoit fait faire par l'espace de deux ans,
ne pouvoit être qu'injuste si le premier arrêt de sa
personne étoit digne de blâme ; que même on ne pou-
voit condamner cette action sans le condamner lui-
même, puisqu'elle avoit été faite avec sa connois-
sance, peu auparavant qu'il prit le maniement de ses
affaires.
1. Au sens à' imputées.
2. Ce paragraphe est emprunté à la déclaration royale du
9 novembre, imprimée dans le Mercure français, t. VI,
année 1619, p. 337-340.
3. La déclaration fut vérifiée au Parlement le 26 novembre
[Mercure français, p. 340).
390 MÉMOIRES [1619]
Le Roi lui mande qu'il est fâché du déplaisir qu'elle
a reçu des termes qui lui ont déplu dans ladite décla-
ration; qu'elle doit être fort éloignée de s'en croire
offensée, puisque, lui étant obligé, comme il est, du
soin et des peines qu'elle a prises en l'administration
de ses affaires et, en faisant profession publique de le
reconnoitre, l'ayant toujours louée et la louant encore
aux occasions de son affection au bien de son État, il
est certain qu'il n'y a personne en ce royaume qui en
puisse avoir autre impression ; ce qui lui donne juste
sujet de croire que Monsieur le Prince n'a nul dessein
de lui déplaire; qu'il sait trop bien l'honneur et le
respect qui lui est dû et combien il aura toujours
agréable de le voir dans les mêmes sentiments que
les siens.
En cette réponse, les intentions du Roi lui sont si
favorablement représentées qu'il ne lui restoit rien à
souhaiter, sinon qu'elles fussent aussi publiques qu'elles
lui étoient particulières; mais, bien que la réparation
ne fût pas égale à l'offense, elle ne laisse de voir que
le cœur du Roi est bon pour elle.
De ce déplaisir je pris occasion de lui faire con-
noître combien sa présence étoit nécessaire dans la
cour, les avantages que tiroient ses ennemis de son
éloignement, et que, les inclinations du Roi étant bonnes
pour elle, si elle avoit liberté de le voir, ceux qui lui
veulent mal seroient contraints de céder aux efforts
de la nature. Mais, bien que cette opinion fût la meil-
leure, elle fut peu suivie.
Ghaiiteloube, qui ne m'étoit point ami et qui étoit
ennemi découvert de ce conseil, ne perdit point de
temps à me donner de l'exercice. Chez lui étoit le
[1619] DE RICHELIEU. 391
bureau des nouvelles, dont les moindres figuroient à
la Reine le Roi irréconciliable, mettoient sa liberté en
compromis et ne lui faisoient voir que mépris pour
elle dans sa cour et salut dans les armes.
Ces raisons, qui ne manquoient pas d'apparence,
n'eurent pas faute d'appui * ; elles furent soutenues des
grands, qui espéroient de profiter des divisions
publiques, et de mes ennemis, qui pensoient, par
ce iiikoyen, me dérober la confiance de ma maîtresse,
si bien que je fus, par prudence, contraint de revenir
à leurs pensées, et, à l'imitation des sages pilotes,
de céder à la tempête.
N'y ayant point de conseil si judicieux qui ne puisse
avoir une mauvaise issue, on est souvent obligé de
suivre les opinions qu'on approuve le moins ^. Je
voyois bien qu'il y avoit beaucoup à espérer pour la
Reine dans la cour, et rien dehors ; mais, parce qu'il y
avoit beaucoup à craindre dans la puissance des favo-
ris, j'aimai mieux suivre les sentiments de ceux qui la
1. C'est-à-dire ne manquèrent pas d'appui.
2, La répugnance marquée ici par Richelieu à laisser la
Reine mère s'engager dans la voie qui devait aboutir à la
« drôlerie » des Ponts-de-Cé est confirmée par la lettre suivante
qu'il écrivait, le 2 août 1620, la veille de la bataille, à l'un de
ses confidents, l'archevêque de Toulouse, depuis cardinal de la
Valette : « Le Roi est au Mans avec ses troupes et fait état de
nous venir épousseter comme il faut. Toute l'espérance de trai-
ter est rompue; ces Messieurs n'en veulent point ouïr parler.
En cette extrémité, nous sommes résolus de faire ce que
doivent faire des gens à qui la nécessité apprend à se défendre »
(Avenel, t. I, p. 653). Certains contemporains, et notamment
le duc de Luynes, accusaient au contraire Richelieu d'entrete-
nir les dissentiments qui existaient entre le Roi et sa mère et
de pousser celle-ci aux violences.
392 MÉMOIRES [1619]
détournoient d'aller trouver le Roi que de faire valoir
mes raisons ; ce que je fis cependant avec ce tempéra-
ment que je suppliai la Reine d'envoyer recevoir les
avis des personnes affectionnées à son service avant
que prendre une dernière résolution.
Au même temps, on fait des chevaliers du Saint-
Esprit sans lui en donner aucune communication que
le nombre n'en soit arrêté*; on lui envoie M. de
Tarajet, le T décembre, pour lui en porter les noms;
non seulement n'en reçoit-on aucun à sa recomman-
dation, mais ceux qui n'ont pas perdu entièrement le
respect dû à la mère de leur maître en sont éloignés.
On en rejette même qui ont été nommés du feu Roi,
parce qu'on ne les croit pas ses ennemis : avoir juré
sa ruine, c'est la meilleure preuve de noblesse, c'est
avoir les conditions requises.
A l'instant qu'on a commis cette action de mépris,
on lui en fait des excuses; mais il parut incontinent
qu'elles étoient faites avec plus d'artifice que de
regret; car deux de ceux qui étoient nommés s' étant
trouvés malades, on en choisit deux autres, savoir
est le sieur de Valençay- et le sieur de Saint-Cha-
mond^, sans lui en donner avis ni liberté de remplir
leurs places*.
1. La nomination avait été faite au chapitre de l'ordre, tenu
le 5 décembre 1619 à Saint-Germain-en-Laye. La reine reçut
cette communication avec dédain, dit Vittorio Siri [Memorie
recondite, t. V, p. 70).
2. Tome I, p. 96.
3. Tome I, p. 120.
4. Les cérémonies de réception des chevaliers du Saint-
[1619] DE RICHELIEU. 393
Elle se plaint de ce traitement à ceux qui ont la
meilleure part au maniement des affaires, se fâche
qu'après leur avoir promis amitié ils ne lui donnent
pas sujet de la continuer. Elle leur représente par
diverses fois ses mécontentements, afin qu'ils y
apportent des remèdes. Elle leur remontre qu'on ne
se souvient point de l'argent qui lui a été promis
pour le paiement de ses dettes; que, pour vivre, elle
est réduite aux emprunts; que ceux qui l'ont suivie
sont maltraités ; que Mignieux^ est dépouillé de la place
de Montreuil pour être affectionné à son service ; que
le marquis de la Valette est troublé ès^ fonctions de
son gouvernement, sa place investie de gens de
guerre ^ ; que l'on n'effectue point ce qu'on lui a pro-
mis en sa faveur, qui ne consiste qu'au rétablisse-
ment de sa charge et au paiement de ses états et
pensions ; qu'il suffit de l'avoir mal en la bouche pour
être bien en leur cœur et en ses affaires ; qu'on a
donné un gouverneur à son fils à son désu^; qu'elle
approuve la personne, mais improuve la forme de son
établissement ; que la déclaration faite pour l'élargis-
sement de Monsieur le Prince lui est d'autant plus
sensible que l'honneur du Roi y est intéressé; qu'il est
en ses mains de lui faire donner contentement par
Esprit eurent lieu, comme toujours, en l'église des Grands-
Auguslins de Paris, les 1'^'' et 2 janvier 1620.
1. Ci-dessus, p. 159.
2. Ces trois mots, que le copiste du manuscrit B avait sau-
tés, ont été rétablis par Charpentier.
3. Voir ci-dessus, p. 371.
4. A son insu.
394 MÉMOIRES fl619]
une déclaration nouvelle qui, sans préjudicier à per-
sonne, fasse connoître à tout le monde que, par la
déclaration faite en faveur de Monsieur le Prince, le
Roi n'avoit pas entendu donner lieu de blâmer ses
actions en l'administration de ses affaires, en étant
très content et reconnoissant combien elle lui avoit
été utile et avantageuse.
Au lieu de pourvoir à son contentement par ce
moyen si raisonnable, on lui fait connoître clairement,
par le refus, qu'on veut agrandir pour sa ruine celui
qu'elle avoit abaissé pour la grandeur de l'État. On
lui envoie le sieur de Brantes pour l'avertir que le
Roi veut achever le mariage de Monsieur avec M"^ de
Montpensier^ et faire celui de Madame Henriette^
avec M. le comte de Soissons.
La Reine répond qu'elle n'avoit rien à dire aux
volontés du Roi, mais que, puisqu'il étoit question du
mariage de ses enfants, où la nature lui donnoit un
notable intérêt, elle savoit qu'il ne voudroit rien con-
clure qu'elle ne fût présente.
Il l'avertit encore de trois mariages qu'on pro-
pose : de M"® de Bourbon^ avec le fils aîné du duc de
1. Marie de Bourbon (tome I, p. 36) épousa, le 6 août 1626,
Gaston d'Orléans, frère de Louis XIII, et mourut peu de
temps après avoir donné naissance à la « Grande Mademoi-
selle ».
2. Henriette-Marie de France épousa, en mai 1625, le roi
Charles P"" d'Angleterre.
3. Marie de Bourbon, fille de Charles, comte de Soissons, et
d'Anne de Montafié, née le 3 mars 1606, épousa le prince Tho-
mas de Savoie-Carignan le 6 janvier 1625 et mourut le 3 juin
1692.
[1619] DE RICHELIEU. 395
Guise ^; de M"® de Luynes- avec son second^, et de
M. de Mercœur'^, fils du duc de Vendôme, avec la fille ^
dudit duc de Guise.
La Reine écoute toutes ces propositions avec patience
et se porte volontairement à souffrir ce qu'elle ne peut
empêcher.
Elle le prie, à son retour, de tenir la main à ce
qu'elle touche le paiement des deniers qui lui ont été
prenais, à ce que les pensions que le Roi a accordées,
à sa recommandation, à ses domestiques soient acquit-
tées, à ce qu'au gouvernement de Metz il ne soit rien
innové au préjudice du marquis de la Valette en la
création de la justice'', mais surtout à ce qu'on lui
accorde une déclaration qui fasse voir que, pour celle
qui a été faite sur la délivrance de Monsieur le Prince,
on n'a point entendu blâmer sa conduite.
1. François de Lorraine, prince de Joinville, né en 1612,
mort sans alliance, le 7 novembre 1639, à Florence.
2. Anne-Marie d'Albert, promise en mariage au duc de
Joyeuse en 1620, mourut sans alliance le 21 septembre 1646.
3. Henri de Lorraine, duc de Guise (1614-1664), fut arche-
vêque de Reims en 1629 ; ayant pris part en 1641 à la conspira-
tion du comte de Soissons, il fut condamné par contumace et
résigna ses bénéfices. En 1643, il obtint des lettres d'abolition
et il alla en 1647 faire à Naples une expédition militaire pour
enlever ce royaume à l'Espagne et s'y créer un établissement.
4. Louis, duc de Mercœur (1612-1669), fils aîné de César,
duc de Vendôme, porta le titre de duc de Vendôme après la
mort de son père. Il épousa Laure Mancini, nièce de Mazarin,
et, en 1657, à la mort de sa femme, embrassa l'état ecclésias-
tique; il fut nommé cai'dinal en 1667.
5. Marie de Lorraine, née le 15 août 1615, morte le 3 mars
1688 sans alliance.
6. Ci-dessus, p. 322.
396 MÉMOIRES [1619]
Parmi tant de preuves de mauvaises volontés,
M. de Luynes ne laisse pas de lui continuer ses ser-
ments de fidélité et protestations de service.
En ce temps, arriva^ à Paris le comte de Fiirsten-
berg^, ambassadeur extraordinaire de l'empereur
Ferdinand, de nouveau élu à cette dignité, pour sup-
plier S. M. de l'assister au soulèvement de la plupart
de ses sujets, non tant contre lui que contre la religion
catholique^.
Après le décès de l'empereur Mathias, qui mourut
le 1 0" mars, ledit Ferdinand prit l'administration des
deux royaumes de Bohème et de Hongrie, dont il
avoit été, les deux années précédentes, élu roi, et
semblablement aussi de l'Autriche, au nom et sous
l'autorité de l'archiduc Albert, qui en étoit héritier et
lui en donna le pouvoir'^.
Incontinent, pour apaiser les mouvements qui
étoient en Bohême, il fit publier une suspension
d'armes en son armée, commandée par le comte de
Bucquoy^, et, tôt après, leur envoya la confirmation
1. Le manuscrit B porte, par erreur, arrivèrent.
2. Egon, comte de Fûrstenberg, né en 1588, mort en 1635,
commanda sous Tilly à la bataille de Leipzig et devint lieute-
nant du cercle de Souabe.
3. Voyez le Mercure français, t. VI, année 1619, p. 341.
4. L'archiduc Albert, frère de l'empereur Mathias, donna le
gouvernement de l'Autriche au prince Ferdinand par lettres
du 2 février 1619. Voyez le Mercure français (t. VI, année
1619, p. 3-282) pour les passages des Mémoires relatifs aux
troubles d'Allemagne.
5. Charles-Bonaventure de Longueval (1551-1621), comte de
Bucquoy, général des armées impériales, défit les révoltés de
Bohême à la Montagne-Blanche en 1620.
[1619] DE RICHELIEU. 397
de leurs privilèges, promettant de faire observer
tous les édits qui avoient été faits en Bohême tou-
chant la rehgion. Mais tout cela n'adoucit point leurs
esprits ni ne les persuada de se mettre à la raison ;
mais au contraire, continuant toujours à lui faire la
guerre, ils envoyèrent solliciter le duc de Saxe^ et le
marquis de Brandebourg^ de les assister. Ceux de la
Haute-Autriche s'y mirent avec eux ; autant en firent
les États de Silésie et de Moravie, qui prirent prison-
nier le cardinal Dietrichstein^, qui en étoit gouver-
neur, et en chassèrent tous les jésuites, pillèrent les
biens des ecclésiastiques et maltraitèrent tous les
catholiques.
Le comte de la Tour^ fut si hardi qu'il ^dnt jusques
à Vienne, le %^ juin, pour donner courage aux Luthé-
riens, qui y sont en grand nombre, de se révolter; à
quoi l'Empereur remédia, les désarmant; et, peu de
jours après, le comte de la Tour fut contraint de se
retirer et s'en retourner à Prague, sur la nouvelle
qu'il eut de la défaite de quelques troupes de cavalerie
que conduisoit ^lansfeld^.
Cependant, l'électeur de Mayence*" convoqua l'as-
1. Jean-Geoi'ges, électeur de Saxe (1611-1656).
2. Jean-Sigismond (1608-décembre 1619) : tome I, p. 24.
3. François de Dietrichstein, évêque d'Olmutz, cardinal en
1598, mort en 1636.
4. Ci-dessus, p. 311.
5. Ernest, comte de Mansfeld (1585-1626), entra d'abord
au service de l'Autriche, puis embrassa la Réforme et fut élu
général des révoltés de Bohême. Le Mercure français l'appelle
le bâtard de Mansfeld. — Cette défaite eut lieu le 8 juin 1619.
6. Jean de Cronberg (1553-1626), archevêque-électeur de
Mayence depuis 1604.
398 MÉMOIRES [1619]
semblée des électeurs à Francfort, au 213° juillet, pour
élire un empereur. Les Bohèmes y envoyèrent des
ambassadeurs^ pour empêcher que le roi Ferdinand
fût élu, se plaignant de ce qu'on l'avoit cité à l'assem-
blée, attendu qu'il n'y avoit point de droit, vu qu'il
n'étoit pas en l'actuelle possession de l'électorat de
Bohême. Mais, nonobstant ^toutes leurs oppositions,
il fut élu le 8" août, selon le style ancien, et couronné
le 30^^, nonobstant que d'autres, pour les États de
Bohême, eussent conclu, le 19'' août, de ne le recon-
noître jamais et de procéder à l'élection d'un nouveau
roi, et, ensuite, le 26% élurent l'Électeur palatin Fré-
déric V®.
En ces entrefaites, Gabriel Bethlen, prince de Tran-
sylvanie, voyant le jeu trop beau pour n'en être
point, se rendit maître de tout ce que la maison
d'Autriche possédoit en la Hongrie, depuis la rivière
de la Theiss-^ jusques à Presbourg, qu'il prit le
216" octobre^.
1. Le Mercure français, t. VI, année 1619, p. 44, mentionne
les noms de ces ambassadeurs et donne la traduction de leur
protestation.
2. D'après le Mercure francois, l'élection eut lieu le 18 août
(nouveau style) à Francfort [Mercure, t. VI, année 1619, p. 71).
Le couronnement eut lieu le 30 août (ancien style), soit le
9 septembre (nouveau style) [Ibid., p. 73). L'ancien style était
celui du calendrier julien, que suivaient encore plusieurs
Etats qui n'avaient pas adopté la réforme grégorienne. Il y
avait alors dix jours d'écart entre les deux computs.
3. Le manuscrit B porte : la rivière du Tibisque. C'est la
Theiss, affluent du Danube, en latin Tibiscus.
4. Le 20 octobre, d'après le Mercure français, t. VI, année
1619, p. 135.
[1619] DE RICHELIEU. 399
L'Électeur Palatin ayant été élu roi de Bohême,
comme nous avons dit, ne voulut pas accepter la
dignité qui lui étoit offerte, sans en prendre l'avis des
princes et États protestants d'Allemagne, qu'il pria de
se rendre, pour ce sujet, en personne, ou par leurs
ambassadeurs, à Rothenbourg^ où il en délibéreroit
avec eux^. Saxe^ lui déconseilla cette entreprise; mais
il crut les autres, qui le lui conseillèrent tous, et partit
de Heidelberg avec sa femme* le \T octobre, fît son
entrée à Prague le 31^ et fut couronné le 4® novembre.
Le nouveau roi de Bohême et les princes et États
protestants d'Allemagne tinrent en ce mois une assem-
blée à Nuremberg, en laquelle ils lièrent une plus
étroite union entre eux, renvoyèrent le comte de
Hohenzollern ^ que l'Empereur leur avoit député, avec
peu de satisfaction, et députèrent^ au duc de Bavière''^,
1. Ville de la Hesse, à 45 kilomètres sud-est de Cassel.
2. L'assemblée de Rothenbourg se réunit le 12 août 1619.
3. Le Mercure français, t. VI, année 1619, p. 138, expose
tous les arguments que fît valoir l'électeur Jean-Georges de
Saxe pour dissuader le Palatin.
4. Elisabeth Stuart, fille du roi Jacques P"" d'Angleterre,
avait épousé l'électeur palatin Frédéric V en 1613 ; elle mou-
rut en 1632 : tome I, p. 216.
5. Jean-Georges, comte de HohenzoUern, chambellan et con-
seiller d'Etat de l'empereur Rodolphe II, fut nommé par l'em-
pereur Mathias président du Conseil aulique.
6. Le Mercure françois, t. VI, année 1619, p. 237 et sui-
vantes, donne les noms des ambassadeurs, la traduction du
mémoire où étaient exposées les demandes des envoyés des
protestants et la réponse du duc de Bavière.
7. Maximilien \", duc de Bavière en 1596, électeur en 1623,
régna jusqu'en 1651.
400 MÉMOIRES [1619]
le prièrent de désarmer et faire faire le semblable aux
princes et États catholiques, de faire qu'on leur accor-
dât une chambre mi-partie en l'Empire et plusieurs
autres choses déraisonnables qu'ils mêloient avec des
menaces, auxquelles ledit duc de Bavière répondit
courageusement et leur manda qu'ils s'adressassent à
l'assemblée des princes catholiques qui se tenoit au
même temps à Wùrzbourg.
L'Empereur, se trouvant en ces altères ^ envoya au
Roi le comte de Fiirstenberg, susnommé, en ambassade
extraordinaire, lui demander assistance contre tant
d'ennemis-.
Le duc de Bouillon, qui étoit intéressé en cette
affaire, et par les conseils trop hâtés qu'il avoit donnés
au Palatin, et par l'alliance qui étoit entre eux, écri-
vit^ incontinent à S. M. que, selon qu'elle lui avoit
commandé de lui donner ses avis sur les affaires
importantes qui se présenteroient en son royaume, il
se sentoit obligé de la supplier de ne pas ajouter foi
à ce que lui diroit l'ambassadeur de l'Empereur qui
voudroit bien convertir l'intérêt particulier de son
maître en une cause publique de religion, pour obliger
S. M. à l'assister contre le bien de son État, qui a tou-
jours été et est encore de maintenir tous ceux que la
maison d'Autriche veut opprimer, comme elle veut
faire maintenant les États de Bohême et le roi Frédé-
1. La première édition du Dictionnaire de V Académie fran-
çaise donne ce mot au sens de trouble et d'inquiétude d'esprit.
2. Voyez ci-dessus, p. 396.
3. Le texte de cette lettre du duc de Bouillon au Roi a été
imprimé dans le Mercure français^ p. 371 et suivantes.
[1619] DE RICHELIEU. 401
rie, et que S. M. prendra un sage conseil s'il lui plaît
moyenner la tenue d'une diète, où les rois et Etats non
intéressés soient conviés d'intervenir par leurs ambas-
sadeurs, pour, d'un commun consentement, juger les
moyens qui seront les plus convenables pour ôter tous
les prétextes des armes.
Mais S. M., ayant pitié de la religion qui couroit
fortune de se perdre en toute l'Allemagne, ne jugea
pas à propos d'user d'un si long circuit en cette
affaire, mais trouva bon d'envoyer promptement une
ambassade solennelle*, pour, par son entremise et
autorité envers les princes et États intéressés, achemi-
ner plus facilement toutes choses à un juste accommo-
dement.
En cette année mourut la reine de la Grande-Bre-
tagne^, qui faisoit profession secrète de la religion
catholique, entendoit souvent la messe et fréquentoit
les sacrements, sans que le roi son mari, qui en étoit
bien averti, y apportât aucun empêchement. Dieu ne
lui fit pas néanmoins la grâce d'avoir un prêtre pour
se réconcilier avec lui en cette heure dernière, bien
qu'elle en fût avertie et en eût la commodité; mais,
s'estimant assez forte pour aller dans quelques jours
1. Cette ambassade partit le 6 mai 1620. Elle était composée
du duc d'Angoulême et des sieurs de Béthune et de l'Aubespine,
abbé de Préaux [Mercure français, t. VI, année 1620, p. 139
et suivantes).
2. Anne de Danemark, femme de Jacques P' d'Angleterre,
mourut au mois de mars 1619 [Mercure français, p. 244 et sui-
vantes). On a vu, ci-dessus, p. 356, qu'on avait conseillé à
Marie de Médicis de négocier son propre mariage avec le
monarque veuf.
II . 26
402 MÉMOIRES DE RICHELIEU. [1619]
à Londres, de Greenwich où elle étoit, la mort la pré-
vint. Elle étoit princesse courageuse, qui, si elle eût
vécu, eût reçu avec grand contentement la nouvelle
de l'assomptiçn de sa tille* à la dignité royale, mais
avec un bien plus vif ressentiment de douleur celle de
la mauvaise issue de sa prétendue royauté^.
1. L'Electrice palatine : ci-dessus, p. 399.
2. Allusion à la défaite subie par Frédéric V à la Montagne-
Blanche (1620) et qui anéantit ses espérances de royauté effec-
tive en Bohême.
APPENDICE
I.
Notice sur les Concini écrite pour servir à la rédaction
des « Mémoires de Richelieu » * .
Léonora Gai prit le surnom de Galigai quand elle fut
montée à un plus haut deg^ré de fortune, ayant facilement
caché son nom dans l'obscurité de sa naissance. Elle étoit
fille d'un menuisier; sa mère fut nourrice de la princesse
Marie, et, par conséquent, Nora, sa sœur de lait, élevée
dans le palais auprès de la petite princesse, qu'elle passoit
d'environ vingt mois. L'amitié, la familiarité et la con-
fiance augmentèrent avec l'âge, si bien que, depuis que
Marie fut arrivée aux premières années de l'adolescence,
les habillements, les propretés, les ornements et les secrets
de la jeune princesse orpheline furent entièrement commis
à la disposition de Nora, qui s'étoit rendue si adroite en
toutes ces gentillesses féminines que, si la princesse n'eût
donné cette direction à la bienveillance qu'elle porloit h
sa sœur de lait, elle la devoit à son intelligence. La répu-
tation de la beauté et bonne grâce de la fille du duc Fran-
cesco fit bientôt impression dans les cœurs de la plus
illustre et plus grande partie des princes de l'Europe.
L'Empereur, les rois de France et d'Espagne, les ducs de
Bavière et de Savoie, et Ranuccio, fils aîné d'Alexandre,
1. Archives du ministère des Affaires étrangères, France,
vol. 771, fol. 95-100. Voyez ci-dessus, p. 232.
404 APPENDICE.
prince de Parme, déclarèrent en divers temps les senti-
ments qu'ils avoient pour cette beauté toscane. Léonora
menoit avec dextérité les humeurs de sa maîtresse et faisoit
comme il lui plaisoit le chaud et le froid dans les réponses
de Marie ; car le grand-duc Ferdinand vouloit très judi-
cieusement qu'une personne de basse qualité, mise de sa
main, eût l'entière confiance de sa nièce et la portt\t insen-
siblement à vouloir ce qui lui plairoit, faisant force prin-
cipalement à lui modérer les désirs d'un prompt mariage,
afin qu'en retardant, il se servît, comme autrefois le duc
de Bourgogne, des bonnes volontés de plusieurs rivaux,
sans en contenter ni mécontenter aucun. Et, de fait, il y
réussit si bien que vingt-sept ans complets attrapèrent
cette princesse florentine avant que Ferdinand conclût à
tirer sa belle et chère nièce de son palais. Enfin, il ajouta
aux liaisons d'Etat qu'il avoit entretenues depuis plusieurs
années avec Henri IV, celles de l'alliance, recevant à
grand honneur que le plus noble et le plus belliqueux
roi de la Chrétienté mêlât les fleurs de lys blanches avec les
rouges. Marie, épousée dans Pitti*, fit voir à Florence une
fille de grand-duc reine de France. Ferdinand fait les noces
à la royale, lui donne des instructions conformes au bien
de ses affaires et de la sûreté de l'Etat où elle alloit en-
trer, l'embarque et l'envoie en France, lui recommandant
sur toutes choses de continuer sa confiance privative à
Léonora Gai, et à Léonora de se souvenir de sa patrie,
de son prince naturel et des obligations qu'elle lui avoit.
La Reine arrive en France, trouve le Roi à Lyon, qui lui
rendit fort peu d'heures les devoirs de serviteur, tant il eut
hâte de lui rendre ceux de mari. On a toujours cru que,
dès les premiers jours que le Roi et la Reine furent
ensemble, S. M. eut aversion contre cette grande confiance
de la Reine avec Nora, et qu'il témoigna à sa femme qu'elle
1. Le palais Pilti, alors résidence des grands-ducs.
APPENDICE. *05
entroit en une nation qui n'aime pas que ses princes
soient gouvernés par les étrangers. Mais les charmes et les
caresses de la nouvelle épouse vainquirent bientôt ces fan-
taisies de mari, et la prompte grossesse de S. M. la mit
incontinent au-dessus de ces petites disputes domestiques,
si bien que Nora fut non seulement confirmée avec la bonne
volonté du Roi dans les bonnes grâces de sa maîtresse,
mais mariée à Concino Concini, qui fut fait premier maître
d'hôtel, et sa femme dame d'atour de la Reine. La cour
ne fut pas plus tôt de retour à Paris que les légitimes
amours du Roi furent surmontées par les illégitimes; et
M"" d'Entraigues donnant un fils naturel au Roi, au même
temps que la Reine donnoit au Roi et à la France un
dauphin, il se mêla beaucoup d'amertume dans les joies
qu'elle recevoit de ses heureuses couches. Sa jalousie parut
avec éclat sitôt qu'elle fut relevée, et les aigreurs furent
telles dans la famille royale que le Roi menaça de renvoyer
Concino et sa femme en Italie s'il ne trouvoit la paix en
sa maison et, dehors, la liberté de vivre comme il avoit
accoutumé avant que d'être marié. La crainte de l'exé-
cution de cette menace n'adoucit pas le dépit de la Reine;
mais elle en fit dissimuler les témoignages. Cette fièvre,
néanmoins, faisoit paroître de temps en temps de nouveaux
accès, et bien souvent la Reine sembloit en être sortie que
sa dame d'atour parloit encore bien aigrement au Roi.
Et, à dire vérité, jamais femme ne fut si difficile h vaincre
dans les intérêts d'autrui que la signora Concina dans ceux
de sa maîtresse. Le maréchal d'Ancre a souvent dit, depuis
la mort du Roi, qu'il avoit été plusieurs fois sur le bord de
sa ruine par la téméraire opiniâtreté de sa femme, de
laquelle tant s'en falloit qu'il pût obtenir des paroles de
douceur au Roi qu'il ne pouvoit empêcher qu'elle ne lui
en dît de piquantes et pleines d'aigreur. Enfin, le Roi,
qui avoit été élevé dans les défiances huguenoies, dans la
cour de sa belle-mère, parmi ses beaux-frères et la reine
406 APPENDICE.
de Navarre sa femme, qui avoienl pour maximes fonda-
mentales la nourriture des divisions dans le cabinet, s'avisa
de vouloir abattre les Florentins par les Florentins et sus-
cita Don Jean de Médicis, bâtard de Florence, du même
sang que la Reine, puissant en sens et en qualité par-des-
sus les Conclues, pour les ruiner dans l'esprit de sa femme.
La faveur l'emporta sur toutes ces considérations, et ces
intrigues ne firent autre chose qu'engendrer une querelle
formée entre Don Jean et Concino, que l'on accorda à la
françoise; mais les parties en gardèrent les sentiments à
l'italienne, si bien que la Reine n'eut jamais patience que
Don Jean ne fût retourné en Italie. Les Concines, victo-
rieux d'un si puissant ennemi, voire de la propre haine
du Roi, commencèrent à le porter plus haut et, se ser-
vant de l'autorité d'une Reine, mère de plusieurs enfants,
se rendirent considérables; joint que Concine se laissa
aucunement gagner par le Roi et le servit à déguiser et
cacher ses furtives amours, employant sa faveur auprès de
la Reine et modérant les aigreurs de l'esprit de sa femme
par les satisfactions qu'il donnoit à son corps. Il se mit en
fort bonne intelligence avec le Roi, qui pria la Reine de le
faire son premier écuyer, ce qu'il obtint facilement. Con-
cine, d'autre part, étoit très propre pour l'humeur du Roi;
il étoit joueur, railleur, adroit aux exercices, goinfre, diver-
tissant et d'aussi aimable humeur que cavalier qui soit
jamais venu de pays étrange (sic) en ce rovaume. Le reste
de la vie du Roi se passa plus doucement dans sa famille
depuis qu'il eut gagné Concine, et bien que, durant les
deux dernières années, il se fût allumé de nouvelles
amours dans son cœur, si vives et si ardentes qu'on crai-
gnoit qu'elles ne portassent les choses à des extrémités
qui n'étoient pas imaginables, si est-ce que Concine sut
si dextrement ménager les différentes passions de son
maître et de sa maîtresse que, s'il n'empêcha la foudre, il
empêcha le tonnerre. L'assiette des affaires du cabinet fut
APPENDICE. 407
agitée par ces furieuses passions d'amour et de jalousie qui
régnoient sur LL. MM. jusques à la mort de Henri, qui
mit fin à ces troubles domestiques et rehaussa la fortune
de la Reine et de ses favoris à tel point que l'on peut assu-
rer avec certitude que la Reine jouit, durant l'espace de
sept années, de tous les revenus, grandeur et autorité de
cette couronne, non comme d'une puissance dépendante,
mais comme légitime et véritable dame de ce royaume.
La Concine et son mari régnèrent sans contestation sur
celle qui régnoit sur toute la France, avec puissance si abso-
lue que l'on ne disputoit rien de leur pouvoir en com-
mun, mais les plus délicats contestoient sur le particulier,
les uns voulant que ce fût la femme, les autres le mari qui
possédât la faveur. Les jugements des courtisans, qui sont
quasi toujours attachés au bien ou au mal qu'ils reçoivent
du gouvernement, décidoient ces choses, selon que leurs
affaires alloient bien ou mal. La Concine, d'esprit plus
modéré que son mari, ne témoignoit point se soucier à qui
des deux l'on donnât la préférence dans les bonnes grâces
de la Reine. Le mari, plus altier et plus vain, ne querel-
loit personne de ceux qui la lui donnoient. La femme,
avare par-dessus le commun de celles de son sexe, tour-
noit toutes ses pensées vers les moyens de tirer de l'argent;
Concine ne donnoit que le second lieu à cette passion,
voulant que l'ambition tînt le premier dans le cours de
sa vie. Et, de fait, leurs amis et serviteurs particuliers trou-
vèrent des milieux qui réglèrent tous leurs troubles domes-
tiques; mais il n'y eut jamais moyen de les accorder sur le
point de la grandeur, qui chatouilloit par sur tout l'esprit
du marquis d'Ancre. Les discours que la marquise avoit
les plus agréables dans la conversation de ses plus affidés
étoient ceux qui la flattoient d'un prompt retour en Italie,
où elle porteroit ses richesses et établiroit une maison qui
surpasseroit en biens toutes celles de son pays. Lui, au
contraire, n'en vouloit point ouïr parler, ne haïssant pas
408 APPENDICE.
seulement sa patrie, mais ne voulant jamais faire bien à
ses compatriotes. Le gouvernement du cabinet étoit entière-
ment en la puissance du marquis et de la marquise. Les
affaires s'agitoient parmi les Barbons, qu'il appeloit vieil-
lards timides, qui achetoient à force d'argent les suffrages
des grands, lesquels n'avoient pas plus tôt été payés d'un
mécontentement ou d'un caprice qu'ils faisoient renaître
occasion de pareille nature pour recevoir paiement pareil.
Les trésors du feu Roi sortirent de la Bastille pour faire
du bien à des personnes qui méritoient d'y entrer, et sans
doute les affaires fussent tombées en entière décadence
sans que les Concine firent voir à la Reine que l'argent
qu'elle donnoit si largement ^et de si bonne volonté aux
grands ne servoit qu'à les mettre en état de s'en faire bail-
ler par force. Le remède qu'ils y apportèrent fut d'ôter la
connoissance des affaires à ces vieux malins qui, jaloux du
pouvoir du maréchal et de la maréchale d'Ancre, faisoient
ce qu'ils pouvoient pour les ruiner par les princes et
grands seigneurs auxquels ils révéloient tous les secrets
de l'Etat. Les premiers mouvements après la majorité
furent inspirés dans l'esprit des princes par ces vieux
traîtres, qui, au lieu d'être les chiens qui gardent les trou-
peaux, se firent loups pour les dévorer. Leur place fut
occupée par de plus gens de bien, mais peu intelligents,
un ou deux exceptés. Barbin, partisan, qui, auparavant
que d'entrer dans les affaires, avoit eu la direction des
deniers de la maréchale, fut dépositaire du secret de l'Etat
et fort porté à l'abaissement des grands. Il étoit homme
d'assez bon jugement, de peu de connoissance des affaires
du royaume, de nulle des étrangers, mais secret, fidèle à
ses bienfaiteurs et net des mains au suprême degré.
Dolet, qui menoit leurs affaires du Palais, entra en quelque
part dans la connoissance des publiques où il parut pédant
et simplement homme de chicane. Mangot exerça quelques
mois la charge de M. de Villeroy, où il parut ridicule.
APPENDICE. 409
Les sceaux lui réussirent mieux, et sa charge fut remplie
de M. l'évêque de Luçon, où il fit paroître, dès son
orient, quel devoit être le reste de sa journée. Peu aupa-
ravant ces changements, les différentes agitations des
affaires troublèrent l'entendement de la maréchale d'Ancre
et la portèrent dans des défiances pour sa maîtresse et
pour elle qui mirent en confusion tous les esprits de la
cour. Elle commit la santé de la Reine à un juif portu-
gais, nommé Monlalto, qui régentoit en médecine à Pise.
Cet homme, assez savant, mais beaucoup plus matois, se
servit de la disposition où il trouva les esprits de la Reine
et de sa favorite et leur imprima dans la tête que tout étoit
plein de sorciers, principalement de fascinateurs, qu'il
étoit nécessaire qu'elles se communiquassent moins et
qu'il savoit des remèdes pour empêcher l'effet de tous ces
maléfices. Le maréchal demeure en ses gouvernements; la
maréchale, chagrine d'autre part, se rend tout à fait incom-
municable, et la Reine change de forme de vie, tant en sa
table qu'en ses médicaments et hantises ordinaires. La
maréchale emploie tout son pouvoir pour persuader son
mari à la retraite en Italie, lui faisant souvent dire qu'il
levoit trop de voiles pour un si petit vaisseau. Le maréchal,
ennuyé de sa femme, qui avoit le corps laid et l'esprit
fâcheux, ne la désiroit pas seulement en Italie, mais dans
l'autre monde, si bien que, l'espace de deux ans, les par-
ticuliers amis et serviteurs n'avoient autre affaire dans la
maison qu'à régler les humeurs de ces favoris, que leur
propre bonne fortune ennuyoit. Le mari, plus discret, ne
la voyoit que les soirs et peu de temps, portant toujours
quelque petit présent en argent ou en bijoux, et n'en sor-
toit jamais qu'elle ne lui chantât pouilles. La Reine mon-
toit souvent à la chambre de la maréchale, tâchant en vain
de tempérer la bile échauffée de cette enragée; mais elle
y réussissoit aussi peu que les autres et n'en sortoit guère
souvent sans être appelée ingrata, despietata, qui étoient
410 APPENDICE.
les titros qu'elle lui donnoil en colère; mais, de sens froid,
elle ne la nommoil à ses familiers que du nom de balourde.
Ces tumultes domestiques reçurent quelque modération
par les divertissements que lui donnoit un certain signor
Andréa, napolitain de nation, musicien, bon joueur d'ins-
truments, qui sut si bien la gouverner qu'il prit la première
place dans ses bonnes grâces, avec l'applaudissement du
maréchal, qui n'eut point désagréable que cette pauvre
mélancolique trouvât du contentement dans la musique et
dans les instruments du signor Andréa. Montalto et Dolet
étoient morts h Tours, au retour du voyage de Guyenne,
si bien que Barbin et Andréa gouvernoient tout seuls les
affaires et les plaisirs de la maréchale, qui se rendoit tou-
jours plus particulière et pressoit son mari d'en faire de
même; mais il avoit telle répugnance à tout ce qui venoit
de cette femme qu'il ôtoit de sa fantaisie les choses mêmes
qu'il désiroit, quand elle lui témoignoit avoir la même
volonté. Elle envoyoit souvent quérir les plus familiers de
son mari pour leur en dire toutes sortes d'injures et d'op-
probres, détestant son ambition et son ingratitude, lui
reprochant qu'il y avoit plusieurs années qu'il ne lui avoit
rendu les devoirs conjugaux. Que si on lui repartoit que
ses maladies l'en empêchoient, elle répondoit qu'elles ne
l'empêchoient pas pour d'autres. La mort de leur fille,
arrivée le premier jour de janvier 1617, les mit encore
en plus mauvais ménage. Et, de fait, les derniers mois
de leur vie furent si pleins d'aigreur et de colère l'un
contre l'autre qu'ils ne se voyoient quasi plus et ne se
parloient qu'avec des souhaits prophétiques de leur
prochaine infortune. Ces mauvaises humeurs redou-
blèrent, sans pouvoir être adoucies même par le signor
Andréa, quand elle reconnut qu'elle ne tenoit plus par
elle-même à la bonne volonté de la Reine et que les affaires
passoient par où vouloit son mari. Ce fut alors que ceux
qu'elle avoit agréables auprès de la personne du maréchal
APPENDICE. 411
lui devinrent odieux et suspects et que la Reine même
l'importunoit lorsqu'elle la visitoit. Le 24^ avril termina
ces différents en finissant le pouvoir de la Reine, la vie
de son mari et sa liberté, qui lui fut rendue, au mois de
juillet, par la perte de sa vie, qu'un injuste et sinistre
arrêt lui ôta, mais non la gloire d'être morte avec toutes
les vertus chrétiennes, voire avec les héroïques.
II.
Liste des documents manuscrits utilisés pour la rédaction
du tome II des Mémoires'.
Dépôt des Affaires étrangères.
Allemagne (Corr. pol.) 5.
Pages
1616. — 29 décembre. Instructions données au
comte de Schônberg, ambassadeur en Alle-
magne 134, 135, 139, 140
Angleterre (Corr. pol.) 26.
1617. — 3 février. Lettre du baron du Tour . . 151
1. Cette liste a pour objet de faire connaître la place occupée,
dans le texte des Mémoires, par les documents manuscrits,
inédits ou non, qui ont servi d'une façon certaine à sa rédac-
tion. Les documents sont rangés, pour chaque volume, en
général, par ordre chronologique, soit d'après leur date, soit
d'après celle des événements auxquels ils se rapportent. Les
documents non datés, auxquels une date précise n'a pu être
assignée, ou relatifs à une longue série de faits d'ordre différent,
sont classés à la fin de chaque année. Nous appelons a Extraits »
les résumés de documents faits par les secrétaires du Cardinal,
en vue de leur emploi dans les Mémoires.
412 APPENDICE.
France 244.
P&BTGS
1617. — 6 mai. Lettre de Louis XIII à Richelieu . 239
— 15 juin. Lettre de Louis XIII à Richelieu. . 247
1618. — 7 avril. Lettre de Louis XIII à Riche-
lieu 278,279
France 770.
1616. — « Sommes qui ont été accordées par le
traité de Loudun. Etat des comptants à expédier
suivant le traité de paix de Loudun. ». . . . 14
— « Articles de l'union des princes rebelles, après
la détention de Monsieur le Prince. » . . . . 94
— Copie de lettre du duc de Nevers à Louis XIII . 99
— 14 décembre. Lettre du duc de Bouillon h
Louis XIII 120
France 771.
1617. — 11 janvier. Copie de lettre du duc de
Bouillon à Louis XIII 137
— 31 janvier. Lettre du duc de Nevers à Louis XIII. 143
— 4 février, « Remontrance que les ducs de Ven-
dôme, de Mayenne et maréchal de Bouillon
envovèrent à Louis XIII avec les réponses que
l'on y fit. )) 144, 145
— Février. Minute et copie de deux lettres de
Richelieu au maréchal d'Ancre 151
— 14 avril. Copie de lettre de Richelieu au maré-
chal d'Ancre 153
— Avril (?). Copie de lettre de Richelieu au maré-
chal d'Ancre (?) 155
— 6 mai. « Extrait » de lettre de Louis XIII à
Richelieu 239
APPENDICE. 413
Pages
1617. — Mai-juin. « Extrait» de lettres de Richelieu
àLuynes 240-242,245,246,253
— a Extrait » des lettres de Richelieu h « des par-
ticuliers » 242
— 10, 15 et 19 mai. « Extrait » de lettres de Déa-
geant à Richelieu 243, 244
— « Extrait » de lettre de Richelieu à Déa-
geant 244-246
— 15 juin. « Extrait » de lettre de Louis XIII à
Richelieu 247
— 23 juin. « Extrait » de lettre de Jean de Bonsy,
évêque de Béziers, h Marie de Médicis. . . . 252
— « Extrait » de lettres de Marie de Médicis h
Luynes et à Louis XIII 250,251
— « Extrait » de lettres de Luynes à Marie de
Médicis et à Richelieu 252
— « Jugement du maréchal d'Ancre. »... 225-232
— Notice sur les Concini 232-238
1618. — « Caput apologeticum. » . . . . 281-286
— Octobre. Minute de lettre de Richelieu à
Louis XIII 287
1619. — 16 août. « Extrait » de lettre de Luynes
à Marie de Médicis 368, 369
— 22 août. « Extrait » de lettre du P. Arnoux à
Marie de Médicis 369,370
France 772.
1618. — 30 août. Copie d'arrêt du Grand Conseil. 302
— 3 novembre. Déclaration de Marie de Médicis, à
Blois 306-309
1619. — Mémoire écrit par Cherré. 315-322, 324, 327,
328, 334-346, 348-352
— 16 mars. Lettre de Louis XIII à Marie de Mé-
dicis 331,332
414 APPENDICE.
Pages
1619. — Mars. Lettres du chancelier de Sillery et
du président Jeannin à Marie de Médicis . . . 334
— 30 avril. Résumé des articles du traité d'Axi-
goulême 351
— 31 mai. « Extrait » de lettre de Luynes à Marie
de Médicis 365-367
— 28 juillet. « Extrait » de lettre de Richelieu à
Luynes 380,381
— 16 août. Copie de lettre de Luynes à Marie de
Médicis 368,369
— 22 août. Lettre du P. Arnoux à Marie de Médi-
cis (brouillon et original) 369
— « Extrait » d'une minute de lettre de Marie de
Médicis h Victor-Amédée, prince de Piémont . 383
— Promesses faites par le duc de Montbazon à
Marie de Médicis, au nom du Roi 370
SOMMAIRES DU TOME DEUXIÈME
AîorÉE 1616.
La situation des partis, au début de l'année, p. 1-3. — Le
prince de Condé se résout à la paix, p. 4. — Le Roi accorde
que l'assemblée des protestants soit transférée de Nîmes à
la Rochelle, p. 5. — Arrivée du Roi à Poitiers, le 7 janvier,
p. 5. — Suspension d'armes et projet de conférence à Lou-
dun, p. 6. — Le duc de Vendôme reçoit l'ordre de désarmer,
p. 7. — Il se déclare pour les princes, p. 8. — Conférences
deLoudun; demandes des princes; réponses du Roi; accords
intervenus, p. 8-14. — Intrigues nouées autour de la nomi-
nation de du Vair, premier président du parlement de Pro-
vence, comme garde des sceaux (16 mai), p. 15-18. — Le
président Le Jay est remis en liberté, ainsi que le comte
d'Auvergne, p. 19. — Le maréchal d'Ancre cède au duc de
Montbazon la citadelle d'Amiens, p. 20. — Il reçoit, en
échange, la lieutenance de Roi en Normandie et d'autres
gouvernements, p. 21. — Les princes en dissentiment, p. 22.
-^Changement de ministres : Barbin et Mangot, p. 23. —
Du Vair fait congédier Villeroy, p. 24. — La Reine offre au
Roi de lui laisser toute l'autorité; le Roi s'y refuse, p. 25-27.
— Nouvelles intrigues des princes, p. 28. — La Reine
envoie l'évêque de Luçon vers le prince de Condé, p. 29. —
Richelieu négocie avec lui, p. 30-31. — Les ducs de
Mayenne et de Bouillon, repoussant les avances de Concini,
décident sa perte; le duc de Guise se joint à eux, p. 32. —
Imprudences du maréchal d'Ancre; affaire du cordonnier
Picard, p. 33-34. — Arrivée du prince de Condé à la cour,
p. 35. — Barbin fait campagne en sa faveur, p. 36. — Les
Concini se livrent entièrement au prince de Condé, p. 37-39.
— Monsieur le Prince devient tout-puissant, p. 40-42. —
11 projette, avec les ducs de Mayenne, de Guise et de Bouil-
lon, la ruine du maréchal d'Ancre et en fait part au duc de
416 SOMMAIRES DU TOME DEUXIÈME.
Nevers, tout à son institution des chevaliers du Saint-
Sépulcre, p. 42-45. — Prise de Péronne, enlevée au maré-
chal d'Ancre par le duc de Longueville, p. 45-49. — Marie
de Médicis s'offre à remettre toute l'autorité entre les
mains du Roi qui, conseillé par Luynes, s'y refuse, p. 50-52.
— Les princes conspirent contre le maréchal d'Ancre; la
Reine inquiète s'efforce de ramener à la cause royale le 'duc
de Guise, p. 53-57. — Leduc de Sully donne son avis sur la
situation politique, p. 58. — Intrigues de cour et projets de
départ de Concini, p. 59-64. — Eclairée sur les menées
des princes, la Reine se résout à faire arrêter leur chef, le
prince de Condé, par M. de Thémines, au sortir du Conseil,
p. 65-77. — Les princes décident de se réunir à Soissons
et quelques-uns d'entre eux cherchent à connaître les sen-
timents de la cour à leur égard, p. 78-81. — Pillage de
l'hôtel de Concini au faubourg Saint-Germain, p. 82. —
Départs successifs de Paris des ducs de Guise et de Ven-
dôme, p. 83-85. — L'insurrection fomentée par les princes
se propage en province; quelques villes se déclarent pour
eux, p. 86. — Le pi'ince de Condé en prison, p. 87-88. —
Piètre attitude des sieurs Du Vair, Villeroy et président
Jeannin, p. 89-90. — Déclaration du Roi sur l'arrestation
du prince de Condé, p. 91. — Louis XIII députe aux princes
assemblés à Soissons les sieurs de Champvallon, de Rois-
sisse et le marquis de Villars pour traiter avec eux, p. 92-
93. — Délibérations des princes à Soissons, p. 93-95. — Ils
semblent d'accord mais, en réalité, se jalousent mutuelle-
ment, p. 96-98. — Le duc de Nevers écrit des lettres irres-
pectueuses au Roi et s'unit aux pi'inces révoltés, p. 99. —
Conférences de Cravançon entre les princes et les députés
du Roi, et réponses du Roi aux prétentions des princes,
p. 100-103. — Le duc de Nevers refuse de se soumettre,
p. 104-105. — Incident de Reims, où commandait le mar-
quis de la Vieuville, p. 106-109. -*— Du Vair destitué; Man-
got reçoit les sceaux à sa place; Richelieu est nommé secré-
taire d'État, p. 109-112. --Jugement porté par Richelieu
sur du Vair, p. 113. — Retour du maréchal d'Ancre à la
cour, p. 114. — Maladie du Roi, p. 115-116. — Intrigues
de Luynes contre le maréchal d'Ancre; menées des princes
à l'étranger, p. 117-118. — Le duc de Nevers est battu par
SOMMAIRES DU TOME DEUXIÈME. 417
les troupes rovales commandées par le maréchal de Praslin,
p 119 — Lettre du duc de Bouillon et réponse du Roi,
p 190-121. - Affaire Boursier,, p. 121-123. - Le prince
de Condé est transféré à la Bastille, p. 124. - Affaires de
Savoie; accord conclu entre le duc de Savoie et le duc de
Nemours, p. 124-129. — Le comte de la Rochefoucauld est
désigné à la place de Richelieu comme ambassadeur extraor-
dinaire en Espagne; il ne peut partir, p. 129. - Mort et
éloge du premier président de Harlay, p. 130-133.
AîTXÉE 1617.
Ambassadeurs envovés en Angleterre, en Hollande et en Alle-
magne pour éclairer ces puissances sur la conduite des
princes, p. 133-135. - Le duc de Nevers se prépare à
entrer en campagne; les ducs de Mayenne et de Bouillon
se plaignent, par lettres, au Roi de l'inexécution du
traité de Loudun; le Roi se justifie et fait une déclaration
contre le duc de Nevers et ses adhérents, p. 136-142. — Les
princes, réunis à Soissons, ripostent à cette déclaration par
une lettre signée du duc de Nevers et adressée au Roi,
p. 143. — Réponse du Roi par deux nouvelles déclarations,
p 144-145 — Envoi d'armées en Champagne, en Berry
et Nivernais et dans l'Ile-de-France, p. 146. - Premières
hostilités dans le Maine, p. 146-147. - Les protestants
essaient de troubler les provinces du sud-ouest, p. 14b. —
Le duc de Nevers écrit au Pape une lettre de justification,
p 148-149. — Les princes font une déclaration à Rethel,
le 5 mars p. 149-150. '^La situation politique de la France à
1-étranger n'est pas amoindrie par les troubles du royaume,
p 151-152. — Succès de l'armée de Champagne, commandée
par le duc de Guise, qui pousse jusqu'à Mézières, p. 152-154.
_ Le maréchal de Montigny en Berry et Nivernais, et le comte
d'Auvergne, dans lIle-de-France, s'emparent, l'un des prin-
cipales places du Nivernais, l'autre de Soissons, p. lo-i-
i56 _^ Portrait et caractère du maréchal d'Ancre; ses
fautes p 157-166. ^11 combat sourdement Mangot, Barbin
et Richelieu, p. 167-169. --^Richelieu et Barbin demandent
à se retirer; ils restent au pouvoir sur les instances de la
il 8 SOMMAIRES DU TOME DEUXIEME.
Reine, p. 169-170. — Lu)'nes et Concini, p. 170-172. —
Luynes dessert la Reine mère auprès du Roi, p. 173-174. —
Intrigues de Luynes, qui veut renverser le maréchal d'Ancre,
p. 175-177. — Préparatifs du coup d'État, p. 178-179. — Son
exécution; assassinat du maréchal d'Ancre; la Reine mère
prisonnière au Louvi^e, p. 180-182. — Attitude et démarches
de Richelieu après la chute de Concini ; il est bien accueilli
par le Roi, mais froidement dans le Conseil, p. 183-187. —
Barbin est surveillé; son logis est fouillé, p. 188-189. —
Arrestation de la maréchale d'Ancre; son fils, Henri
Concini, p. 189-190. — Vitry est fait maréchal de France,
p. 191. — Réflexions de Richelieu sur le rôle de Luynes
auprès du Roi avant la chute de Concini, p. 192-194. —
Le corps du maréchal d'Anci'e, enterré à Saint-Germain-
l'Auxerrois, est déterré et mutilé, p. 195-197. — Le Roi
déclai'e, par lettres expédiées au Parlement, que Vitry a agi
par son ordre, p. 197. — Les anciens minisires, Jeannin,
du Vair, Villeroy et Puyzieulx rentrent en fonctions, p. 198.
— Premiers actes de Luynes, p. 199-200. — Conspiration
et exécution de Travail, p. 201-207. — Départ de la Reine,
le 4 mai, p. 208-211. — La maréchale d'Ancre est empri-
sonnée à la Bastille, p. 212. — Le Roi publie, le 12 mai,
une déclaration d'amnistie en faveur des princes, p. 213.
— Les protestants en Béarn; harangue de Gaspard Dinet,
évêque de Mâcon, à l'assemblée générale du clergé, p. 214.
— Le Roi ordonne le rétablissement de la religion catho-
lique en Béarn; les protestants de cette province s'assemblent
à Orthez, p. 215. — Harangue de l'évêque d'Aire, Philippe
Cospéan, contre les duels, p. 215-216. — Procès de la
maréchale d'Ancre, p. 216-224. — Portrait de Concini,
p. 225-232. — Portrait de la maréchale d'Ancre, p. 232-238.
— Richelieu accompagne la Reine mère à Blois, p. 239. —
Il est nommé chef de son Conseil, p. 241. — Intrigues dont
il est l'objet à Paris pendant son absence, p. 242-246. — Il
se retire à Coussay, cédant aux menées de Luynes et de ses
ennemis qui voulaient l'éloigner de la Reine mère, malgré
les protestations de celle-ci, p. 247-254. — Il écrit un livre
contre les protestants, p. 255. — Persécutions dont la
Reine est l'objet, p. 256-258. — Négociations de Modène
auprès de la Reine mère, p. 259-261. — Monsieur le Prince
SOMMAIRES DU TOME DEUXIÈME. 419
est transféré de la Bastille au Bois-de-Vincennes, p. 2G1-262.
— Barbin écrit de la Bastille à Marie de Médicis, p. 263-264.
— Affaires d'Allemagne; assemblée d'Heilbronn; manifesta-
tions protestantes allemandes à l'occasion du jubilé, p. 265-
266. — En Piémont, les hostilités continuent contre l'Es-
pagne et ses alliés, p. 266-269. — Traité de Pavie, du
9 octobre, p. 269. — Le différend entre les Vénitiens et
l'archiduc Ferdinand est terminé, p. 269. — Assemblée
des notables de Rouen, p. 270-271. — Mort de Villeroy,
p. 271-275. — Mort de Jacques-Auguste de Thou, p. 275.
Année 1618.
La Reine mère pense à aller retrouver le Roi, p. 276-278. —
Richelieu, soupçonné d'intrigues, est exilé à Avignon, ainsi
que son frère et le sieur du Pont-Courlay, son beau-frère,
p. 279-280. — Richelieu se justifie, dans ses Mémoires^ de
sa conduite passée, p. 281-287. — Barbin est interrogé sur
la correspondance qu'il avait avec la Reine mère, p. 288-
289. — Luynes fait révoquer la Paulette, p. 290. — Il fait
donner, en conseil d'État, un arrêt favorable aux Jésuites,
p. 290. — Les protestants du Béarn cherchent vainement à
s'assembler malgré la défense du Roi, p. 291. — Le com-
missaire royal envoyé en Béarn est injurié, et le parlement
de la province adresse une supplique au Roi en faveur des
protestants, p. 292. — L'altitude énergique de la France en
Italie amène l'Espagne à rendre Verceil, comme elle l'avait
prorais par traité, p. 293. — Exécution du traité conclu
entre l'archiduc Ferdinand et les Vénitiens, p. 293. —
Luynes se fait donner le gouvernement de l'Ile-de-France et
de quelques villes de Champagne; le colonel d'Ornano reçoit
promesse d'être nommé maréchal de France, p. 294. —
Procès intenté à Barbin, Durand, Siti, Bournonville, Persan,
M"'' du Tillet et quelques serviteurs de Barbin, p. 295-301.
— Arrêt du Grand Conseil prononcé contre eux, le 30 août,
p. 302. — Persécutions dont la Reine est l'objet à
Blois, p. 303-305. — On veut l'empêcher d'aller voir
le Roi; Modène et le P. Arnoux lui sont envoyés à cet
effet, p. 305. — Déclaration de la Reine mère abdiquant
toute autorité p. 306-309. — La main de Christine de France
A20 SOMMAIRES DU TOME DEUXIEME.
est accordée au prince de Piémont, à l'insu de la Reine
mère, p. 310. — L'archiduc Ferdinand est élu roi de Hon-
grie, p. 310. — Révolte en Bohème dirigée par le comte
de la Tour, p. 311. — Le cardinal Klessel est fait prisonnier
par ordre de l'archiduc Ferdinand, p. 312. — Mort du car-
dinal du Perron et jugement que Richelieu porte sur lui,
p. 312-314.
Année 1619.
La Reine mère forme le projet de sortir de Blois, p. 314-315.
— Chanteloube y travaille avec elle, p. 316. — Les ducs de
Bouillon et d'Epernon s'engagent à la délivrer, p. 317. —
Ruccellaï se mêle des négociations préliminaires avec les deux
ducs, p. 318-321. — Le duc d'Epernon, obtenant enfin du
Roi l'autorisation de quitter Metz, se porte à Loches au-
devant de la Reine mère , qui , assistée du cardinal de
la Valette, s'était enfuie, dans la nuit du 22 février, du châ-
teau de Blois, p. 322-325. — Lettre de Marie de Médicis au
Roi sur ce sujet, p. 326-327. — Le Roi écrit au duc de
Bouillon pour lui demander conseil, p. 328. — Il répond à
la Reine, p. 329. — Nouvelle lettre de Marie de Médicis, du
10 mars, p. 330. — Réponse du Roi, p. 331-332. — Riche-
lieu reçoit l'ordre du Roi d'aller trouver la Reine mère et de
calmer son esprit, p. 335. — Il part, est arrêté à Vienne,
puis relâché et arrive à Angoulême, p. 336-339. — Il y est
vu de mauvais œil par l'entoui-age de la Reine mère, p. 340-
341. — Il entre néanmoins au Conseil de la Reine, p. 342.
— Une opposition violente lui est faite, p. 343. — Le comte
de SchOnberg s'empare d'Uzerche, où le duc d'Epernon
avait mis garnison, p. 344-345. — Boulogne-sur-Mer capi-
tule, p. 346. — La Reine se plaint de la prise de ces deux
villes et en écrit au Roi, p. 346. — Réponse du Roi, p. 347. —
Conspiration pour s'emparer de la citadelle d'Angoulême,
p. 348. — Menées de Ruccellaï, p. 349-350. — Traité d'An-
goulême (30 avril), p. 351-352. — Extravagances de Ruccel-
laï qui provoquent sa disgrâce, p. 353-362. — Le frère de
Richelieu est tué en duel par le marquis de Théraines,
p. 362-364. — Le gouvernement d'Angers est donné au
commandeur de la Porte, oncle de Richelieu, p. 365. —
SOMMAIRES DU TOME DEUXIÈME. 421
Luynes écrit à la Reine pour l'assurer de sa fidélité, p. 366.
— La Reine lui promet sa bienveillance, p. 367. — Le Roi
écrit à la Reine pour la prier de le venir voir; réponse de
la Reine, p. 367. — Nouvelles lettres à la Reine et protes-
tations de dévouement de Luynes, p. 368-369. — Néan-
moins, il s'efforce de surprendre les places qui sont entre les
mains des partisans de la Reine, p. 370-371. — Récit des évé-
nements qui provoquèrent en Hollande la mort de Rar-
neveldt; intervention du Roi, p. 371-379. — Richelieu est
envoyé à Tours pour préparer l'entrevue du Roi et de la
Reine mère, p. 380. — Elle a lieu à Couziers, p. 381. —
Après quelques jours passés à Tours, la Reine va à Chinon
et le Roi gagne Compiègne, p. 382. — Le colonel d'Ornano
est nommé gouverneur du duc d'Anjou et la mise en liberté
du prince de Condé décidée, à l'insu de la Reine mère, qui
s'en plaint au Roi, et gagne Angers, p. 382-383. — Mon-
sieur le Prince sort de prison le 20 octobre, p. 385. —
Barbin sort de la Bastille et est exilé, p. 386. — Déclaration
du Roi en faveur de Monsieur le Prince, p. 388. — La Reine
s'en plaint par lettre au Roi, p. 389. — Réponse du Roi,
p. 390. — Conseils de Richelieu à Marie de Médicis, p. 391.
— Nominations dans l'ordre du Saint-Esprit faites sans avoir
pris l'avis de la Reine, p. 392. — Protestations de Marie de
Médicis sur l'inexécution du traité d'Angoulême, p. 393-
394. — Projets de mariage, p. 394-395. — Affaires d'Alle-
magne et de Bohême; le roi Ferdinand élu empereur; l'Elec-
teur palatin couronné roi de Bohême, p. 396-401. — Mort
de la i-eine d'Angleterre, p. 401-402.
TABLE ALPHABÉTIQUE
Abbeville (la ville d'), 34, 35.
Agrippa (Marcus), 263.
Aire (l'évêque d'). Voy. Gos-
péan (Philippe), Bouthillier
(Sébastien).
Aisne (1'), rivière, 156.
Albe (la ville d'), en Italie, 266.
Albert (l'archiduc), *396.
Alexandre-le-Grand, 193.
Alincourt (Charles de Neufville-
Villeroy, marquis d'), 272,
335-338.
— (Jacqueline de Harlay-Saucy,
marquise d'), *272.
Allemagne (1'), 45, 118, 134,
135, 151, 154, 266, 317, 320,
323, 401.
— (les princes d'), 98.
— (les princes et états catholi-
ques d'), 400.
— (les princes et états protes-
tants d'), 399.
Allier (1'), rivière, 323.
Amboise (le château d'), 309,
327.
Amiens (la citadelle d'), 20, 22,
168, 232.
— (la ville d'), 11-13, 34, 170,
171, 199.
Ammirato (Scipion), dit l'An-
cien, *225.
Anaxarque, philosophe grec,
193.
Ancre (Concinu Concini, mar-
quis et maréchal d'), 3, 11,
12, 20-22, 26, 30, 32-37, 42,
45, 46, 53-56, 61-65, 82, 88,
96, 100, 111, 112, 114-117,
121, 143, 145, 150. 156-172,
175-178, 180-18'Z, 184-190,
192-197, 199, 201-203, 208,
211, 213, 224-231, 234-238,
246, 253, 261, 262, 271, 273,
274, 278, 281, 282, 284, 316,
319.
Ancre (Léonora Dori Galigaï,
marquise et maréchale d'), 15-
17, 30, 36-39, 55, 63, 64, 87,
114, 145, 158, 160, 166, 167,
169, 170, 175, 176, 189, 190,
212, 216-238, 246, 273, 286,
295.
— (l'hôtel du maréchal d'), à
Paris, 82, 83.
Andilly (Robert Arnauld, sieur
d'), *288.
AneA'al (le marquis d'). Voy.
Esneval (Charles de Prunelé,
baron d').
Angers (la ville d'), 351, 361,
371, 382, 383.
— (le gouvernement de la ville
d'), 360-362, 364, 365.
Angleterre (1'), 134, 151, 375.
— (l'ambassadeur d'), à Paris.
Voy. Edmunds (Th.), Hay
(James).
— (la reine d'). Voy. Anne de
Danemark.
— (le roi d'). Voy. Jacques I*"".
Angoulême (la ville et la cita-
delle d'), 317, 322, 324, 339,
343, 344, 348-351, 354, 355,
359, 363, 366.
— (le traite d'), 350-352.
Angoumois (1'), 324, 328.
Anjou (1'), 351.
Anne d'Autriche, reine de
France, 159, 164, 381.
Anne de Danemark, reine
d'Angleterre, *401, 402.
TABLE ALPHABÉTIQUE.
423
Argencourt (Pierre Gonty, sei-
gneur d'), *78, 79.
Arminiens (les), 374.
Arrninius (Jacques Harmensen,
dit), *372.
Arnauld. Voy. Andilly.
Arnoux (le P. Jean), *254, 305-
307. 369.
Ast (la ville d'), en Italie, 268,
269.
— (le traité d'), 124, 269, 293.
Attendants (les), 373, 374.
Aubery (Jean). *189.
Auherv du Maurier (Benjamin),
*378.
Augustins ( le couvent des
Grands-', à Paris, 214.
Aumale (Anne de Lorraine,
dite Mlle d'), *127.
— (l'abbé d'). Voy. Nozet (Guil-
laume du Broc de).
Autriche (!'), 396, 397.
— (la maison d'), 398, 400.
Auvergne (Charles de Valois,
comte d'), *19, 20, 48, 146,
147, 155, 156, 199.
Avignon (la ville d'i, 279, 287,
335, 336.
B
Bailleul (Nicolas le, ou de).
Bambin (Claude), 18,23, 31, 35,
39, 41, 42, 50, 54, 57, 58, 60-
65, 69, 70, 72, 73, 84, 87,88,
108, 109, 111, 112, 115, 122,
160, 164, 166-172, 175, 176,
183, 185, 188, 189, 198, 216,
217, 230, 259, 261, 263, 264,
276-278, 287-289, 294-299,
301-304, 385, 386.
Barentin (Charles), *166, 169.
Barenton (le sieur), 106, *107,
109.
Barneveldt (Jean-Olden), *372-
379.
Barricades (la journée des), 131.
Bassompierre (François, maré-
chal de), 71, 74. 75, 122.
Bastille lia), à Paris, 19, 124,
131, 192, 196, 212, 216, 253,
261, 263, 264, 287, 295-299,
302, 385.
Baudouin (Pierre) dit Des Por-
tes-Baudouin, *188.
Bavière (Maximilien I^"", duc
de), *399, 400.
Bayonne (l'évêque de). Voy.
Èchaux (Bertrand d').
Béarn (le), 214, 215, 290.
Bellefonds (Bernardin Gigault,
seigneur de), *2l.
Bellegarde (Roger de Saint-
Lary, duc de), 32, 96, 97,
128, 222, 278, 316, 318, 321,
322.
Benche (le capitaine), 246.
Bentivoglio (Gui), nonce du
pape, *195.
Bercy (Charles Malon, sieur de),
*302.
Berry (le), 29. 103. 146, 155.
— (le gouvernement de), 14, 20,
29, 31, 91.
BéruUe (Pierre de), fondateur
de l'Oratoire et cardinal,
*314, 3.50, 364, 366.
Béthencourt (le sieur de), *362.
Bethlen (Gabriel), prince de
Transylvanie, 398.
Béthune (Philippe, comte de),
126, 293, 330, 331, 346, 347,
350, 353, 368.
Béziers (l'évêque de). Voy.
Bonsy (Jean, cardinal de).
Blaisois (le), 325.
Blavet (le village de), 101.
Blérancourt (Bernard Potier,
seigneur de), *96.
Blois (la ville et le château de),
13, 17, 201, 238, 240, 246,
276, 305, 309, 315-317, 319,
320, 324-330, 342, 347, 358,
384.
Bohème (le royaume de), 265,
310, 311, 322,396-398.
Bois-de-Vincennes (le château
du), 261, 262, 296.
Boissise (Jean de Thumery,
sieur de). 92, 102, 376.
Bondy (le village de), 80.
Bonsy (Jean, cardinal de), évé-
que de Béziers, 249.
124
TABLE ALI'IIABETIQUE.
Bordeaux (la ville de), 292.
Bordelais (le), 294.
Bouconville ( Charles de Pra-
dines, seigneur de), *119.
Bouillon (Henri de la Tour,
vicomte de Turenne, puis
duc et maréchal de), 2, 4, 6.
22, 23, 27-29, 31, 32, 34-36,
39-43, 47, 48, 61, 62, 64, 72,
76, 78-81, 83, 85, 87,95,113,
118, 120, 136, 139, 142, 154,
192, 316-319, 328, 358, 400.
— (Isabelle de Nassau, duchesse
de), M48.
BouUay ( Louis de Lorraine,
comte du), *97.
Boulogne (la ville de), 346, 351.
Bourbon (M'^e de). Voy. Cari-
gnan (la princesse de).
Bourdaisière (l'hôtel de la), 6.
Bourges (l'archevêque de). Voy.
Frémyot (André).
— (la ville de), 14,30,101,128.
Bourgneuf (Henri de), évêque
de Nantes, *314.
Bourgogne (la), 321, 323.
Bournonville (Jean de Yaude-
tar, seigneur de), *263, 278,
296, 298, 302.
Boursier (le sieur), *121-123.
Bouthillier (Sébastien), abbé de
laCochère,puisévêqued'Aire,
*334, 340, 387.
Braine (Anne de la Marck . comte
de), *320, 325.
Brandebourg (Jean-Sigismond,
marquis de), 397.
Branles (Léon d'Albert, sei-
gneur de), 173, 176, 379, 380,
383, 385, 394, 395.
Breauté (le sieur de), *203.
Bresse (la), 128.
Bressieux (Louis de Grolée,
marquis de), *183, 188, 201,
204, 205.
Bretagne (la), 8.
— (le gouvernement de), 352.
— (les États de), 101.
Breuil (Henri du), *344-346.
Brèves (François Savary, comte
de), *258.
Brezé (Urbain de Maillé, mar-
quis de), *365.
Brissac (Charles de Cossé, duc
et maréchal de), 6, 31.
Brouage (la ville de), 352, 354-
356.
Brùlart (Nicolas), chancelier de
Sillery. Voy. Sillery.
Bruxelles (la ville de), 120.
Bucquoy (Charles-Bonaventure
de Longueval, comte de) , *396.
Bucy (la porte de), à Paris, 33.
Bueil (Annibal Grimaldi, ba-
ron de), *151.
Buisson (le sieur du), 171.
Bullion (Claude de), 16, 18.
Bussy-Le Clerc (Jean), *131.
Gadenet (Honoré d'Albert, sei-
gneur de). Voy. Chaulnes (le
duc de).
Caen (la ville de), 63, 168, 228.
— (le gouvernement de la ville
et du château de), 21.
Caligula (l'empereur), 263.
Calvin (Jean), 372.
Carignan (Marie de Bourbon,
princesse de), *394.
Carlisle (le comte de). Voy.
Hay (James).
Gassine (le village de la), *104.
Gastel-Jaloux (la ville de), *291.
Gastille (Pierre Jeannin de),
M89.
Catelet (le village du), 228.
Catherine de Médicis, reine de
France, 132.
Gaulet (Pierre de), abbé de
Foix, *96.
Gaumartin (Louis Lefèvre, sei-
gneur de), *107.
Gévennes (les), 148.
Ghàlons-sur-Marne (la ville de),
99.
Ghambray (Louis de Pierre-
buffière, seigneur de), *79,
345.
Champagne (la), 98, 106, 118,
120, 146, 148, 155, 317.
TABLE ALPHABETIQUE.
425
Champvallon (Jacques de Har-
lay, seigneur de). *92, 100.
Chancelier (le). Voy. Sillery
(Nicolas Brùlart de).
Ghanleloube (Jacques d'Ap-
chon, seigneur de), *299, 300,
316, 339, 358, 359, 362, 363,
390.
Chantilly (la ville de), 385.
Charenton (les quatre ministres
de). Voy. Dumoulin, Durand,
Mestrezat, Montignv.
— (le village de), 76, 78, 254.
Charles IX, roi de France, 271.
Chariot (le sieur), 136.
Châteauneuf-sur-Charente (le
bourg de), *349.
Château - Porcien ( Charles de
Gonzague, prince de), puis
duc de Rethelois, *155.
— (le bourg dei, 104, 136, 153.
Château-Trompette (le), à Bor-
deaux, 38, 294.
Châtelet (le), à Paris, 122.
Châtre (Louis de la), *30, 31.
Chaulnes (Honoré d'Albert, sei-
gneur de Cadenet, duc de),
173, 262, 277, 327, 379, 380,
385.
Chauny (le village de), 48, 156,
294.
Chesnaie (le sieur de la), *117.
Chevalier du guet (le). Voy.
Testu (L.|.
Cheverny (Henri Hurault, comte
de), *325.
Chevreuse (Claude de Lorraine,
prince de Joinville et duc de),
*80, 93, 102, 316, 319, 358.
— (Marie de Rohan, duchesse
de Luynes, puis de), *262.
Chézery (le village de), *128.
Chinon (la ville et le château
de), 14, 86, 101, 103, 351,
362, 382, 383.
Clamecy ila ville de), 155.
Clerraont-en-Beauvaisis (la ville
de), 228, 290.
Cochère (l'abbé de la). Voy.
Bouthillier (S.).
Codoni (Antoine), *299, 300.
Gœuvres ( François -Annibal
d'Estrées, marquis de), 35,
36, 78, 95, 96, 142, 152, 294.
Cominges (Pierre de), *355.
Compiègne (la ville de), 117,
382, 387.
Comtesse (Madame la). Voy.
Soissons (la comtesse de).
Gonchine (le chevalier). Voy.
Concini (Barthélémy).
Goncini (Barthélémy) , dit le
chevalier Gonchine, *192.
— (Concino) . Voy. Ancre (le ma-
réchal d').
— (Henri), comte de la Pena,
190, 197.
— (Jean-Baptiste), *225, 226.
— (Marie), 163, 190, 191.
Condé (Henri 11, prince de), dit
Monsieur le Prince, 2, 3, 4, 6,
8, 10, 12-14, 20-22, 27-32, 35-
42, 46, 47, 53-57, 59-66, 68,
69, 72-78, 80, 82-84, 86-92,
94, 98, 99, 101-103, 114, 121,
123, 124, 135, 139, 147, 149,
164, 190, 192, 194, 212, 236,
261-263, 283, 296, 303, 305,
383-385, 388-390, 393-395.
— Charlotte -Catherine de la
TrémoïUe, princesse de),*81,
82.
— (Charlotte -Marguerite de
Montmorency, princesse de),
dite Madame la Princesse,
62, 262.
Gonflans-rArchevéque (le vil-
la^e de), 23.
Conseil d'Etat (le), 3, 9, 10, 28-
31, .36, 40, 41, 44, 50, 63,71,
75-77, 85, 108, 109, 171,185-
188, 198, 254, 271, 274, 289,
290, 328, 329, 384.
Conseil de Marie de Médicis (le),
176, 241, 340, 341.
Conti (François de Bourbon,
prince de),"l39.
— (Louise-Marguerite de Lor-
raine-Guise, princesse de),
84 139.
Corb'inelli (Raçhaël), *82.
Cospéan (Philippe), évéque
d'Aire, *215.
426
TABLE ALPHABÉTIQUE.
Coucy (le château de), 93, 156,
294.
Goussay (le prieuré de), *247,
254.
Couziers (le château de), *381.
Gravançon (la ferme de), 100.
Crépy-en-\'alois (le bourg de),
156.
Créquy (Charles, duc de), 71,
73-75.
Grevacuore (la ville de), ou
Grèvecœur, *267.
Grèvecœur (la ville de). Voy.
Grevacuore.
Croatie (la), 125.
GufFy (le village de), M55.
Curée (Gilbert Filhet de la), 71,
242.
D
Dalmatie (la), 266.
Danton (le sieur), commandant
la citadelle d'Angoulême, 348.
Dauphiné (le), 267.
Déageant (Guichard) de Saint-
Marcellin, *172, 179, 186,
187, 198, 252, 277, 289, 297,
334, 371.
Decize (la ville de), *323.
Deslandes (Guillaume), *219.
Dietrichsteiu (François, cardi-
nal de), *397.
Dinet (Gaspard), évêque de
Mâcon, *214, 215.
Donzy (le bourg de), 155.
Dumoulin (le ministre protes-
tant), 254.
Durand (Etienne), poète, *295.
— (le ministre protestant), 254.
E
Échaux (Bertrand d'), évêque
de Bayonne, puis archevêque
, de Tours, 202.
Ecosse (le roi d'). Voy. Jac-
ques I^»".
Edmunds (Thomas), ambassa-
deur d'Angleterre, 4, 5.
Église gallicane (r), 8.
Elbène (Barthélémy d'), *70-72,
76, 103.
Elbeuf (Catherine -Henriette,
légitimée de France, duchesse
, d'), 229, 236.
Elisabeth de France, reine d'Es-
pagne, 210.
Empereur (l'ambassadeur de 1').
Voy. Fiirstenberg ( Égon,
comte de).
Empereurs d'Allemagne (les).
Voy. Mathias, Ferdinand II.
Empire d'Allemagne (1'), 98.
Entrains (le village d'), 155.
Épernon (Jean-Louis de Noga-
ret de la Valette, duc d'), 10,
32, 37, 86, 95, 1)7, 104, 139,
160, 278, 316-326, 339, 342-
351, 353-355, 357, 358, 382.
Esneval (Charles de Prunelé,
baron d'), dit le marquis
d'Aneval, *159.
Espagne (!'), 110, 124, 126,127,
266, 272, 285, 293.
— (le roi d'). Voy. Philippe IV.
— (l'ambassadeur d'). Voy.
Monteleone (Hector Pigna-
telli, duc de).
— (les rois d'), 45.
— (les ordres militaires d'), 44.
Espagnols (les), 125, 267, 284,
, 293.
États généraux (les), en France,
4,9.
Europe (l'), 50, 225, 330.
Évreux (la ville d'), 313.
Faucigny (le), 126.
Favier (Jacques), *322.
Felizzano (la ville de), *268. ■
Ferdinand (l'archiduc). Voy
Ferdinand II, empereur d'Aï
lemagne.
Ferdinand II, empereur d'Aile
magne, *125, 265, 266, 269
293, 310-312, 396-400.
Fère (la ville de la), 85, 93, 95
101, 102, 199, 294.
Ferrare (le duché de), 175, 230
TABLE ALPHABETIQUE.
427
Ferret (Jean), abbé de Mo-
reilles, *361, 362. .
Ferté (Michel Le Roy, sieur de
la), 75, *Î98, 302.
Fertp-Bernard (la ville de la),
147.
Ferté-Vidame(lavilledela),146.
Feuillants (le couvent des), à
Paris, 116.
Feydeau (Antoine), *73.
Fin (Prégent de la), *146.
Flandre (la), 120.
Florence (la ville de), 63, 175,
218, 225, 226, 234.
Foix (l'abbé de). Voy. Caulet
(Pierre de).
Fontainebleau (la conférence
de), en 1600, 313.
Force (Jacques Nompar de Cau-
mont, marquis, puis duc de
la), *214, 292.
For-1'Évêque (la prison du), à
Paris, *295.
Foulon (Joseph), abbé de Sainte-
Geneviève de Paris, *191.
Français (les), 27, 126, 285.
France (la), 44, 124, 127-129,
151, 165, 215, 231, 233, 234,
265, 267, 285, 294, 305, 310,
314, 352, 381.
Francfort (la ville de), 398.
Franche-Comté (la), 127, 130.
Frédéric V, électeur palatin et
roi, de Bohême. Voy. Palatin
(l'Électeur).
Frémvot (André), archevêque
de Bourges, *57, 62-65, 68.
Fresnes (le sieur de), 93.
Frise (la). Voy.. West-Frise.
Fùrstenberg (Égon, comte de),
*396, 400.
G
Galigai (Sébastien Dori), arche-
vêque de Tours, 166, 197.
202, 295.
— (Léonora Dorii. Voy. Ancre
(la maréchale d').
Gardes françaises (le régiment
des), 10, 48, 74.
Gardes suisses de la Reine (le
régiment des), 74.
Gascogne (la), 199.
Gaston d'Orléans , frère de
Louis XIII. Voy. Orléans (le
duc d').
Gendarmes de la Reine (la
compagnie des), 71.
Genevois (le), 126.
Geniers (Jean de), ou de Gi-
gnier, *117.
Gesvres (Louis Potier, baron
de), 117.
Gignier (J. de). Voy. Geniers
(Jean de).
Gondy (Pierre, cardinal de),
*132, 133.
Goron (le sieur), 123.
Grand Conseil (le), 189, 298,
299.
Grèce (la), 43.
Grecs (les), 43.
Greenwich (la ville de), 402.
Grève (la place de), à Paris,
295.
Grisons (le pays des), 320.
Guercheville (Antoinette de
Pons, marquise de), *339.
Guise (Louis de Lorraine, car-
dinal de), *80, 93, 98, 102,
117, 122, 316, 358.
— (Charles de Lorraine, duc
de), 6, 32, 34, 37, 42, 43, 54-
57, 68, 75, 78-85, 93-98, 101,
102, 146, 152-154, 316, 352.
— (Henri I*"" de Lorraine, duc
de), 131.
— (Henri de Lorraine, duc de),
archevêque de Reims, *395.
— (Catherine de Clèves, du-
chesse de), 84.
— ( Henriette - Catherine de
Joyeuse, duchesse de Mont-
pensier, puis duchesse de),
84, 97.
— (Marie de Lorraine, demoi-
selle de), *395.
— lia ville dei, 95.
— (l'hôtel de), *78.
Guyenne (la), 4, 148, 291, 349.
— (le gouvernement de), 14,
294.
428
TABLE ALPHABETIQUE.
H
Hallier (François de l'Hospi-
tal, seigneur du), *191.
Ham (la ville de), 97.
Harlay (Aciiille ^--de), 130-132.
Harpe (la rue de la), à Paris, 33.
Hay (James), seigneur de Saw-
ley, puis vicomte de Dun-
caster et comte de Carlisle,
ambassadeur d'Angleterre,
*42, 54.
Haye (la ville de la), 377.
Heidelberg (la ville d'), 266,
373 399.
Heilbronn (la ville d'), 265.
Henri HI, roi de France, 130,
133, 272, 313.
Henri IV, roi de France, 8, 19,
46, 134, 135, 139, 143, 157,
195, 226, 227, 233, 234, 258,
272, 273, 282, 290, 313, 319,
326, 329, 345, 392.
Henriette de France , reine
d'Angleterre, 210, 381, 394.
Héroard (Jean) , médecin de
Louis Xm, *116.
Hinojosa (Juan de Mendoza,
marquis de), 124.
Hocquincourt (Georges de Mon-
chy, seigneur d'), *160.
Hohenzollern (Jean -Georges,
comte de), *399.
Hollande (la), 118, 134, 152,
311, 317, 372, 374.
— (les États de), 373.
Hongrie (le royaume de), 310,
312, 396, 398.
1
Ile-de-France (F), 146, 156, 294.
Italie (V), 27, 63, 64, 96, 124,
126, 137, 157, 170, 190, 194,
220, 226, 227, 234, 236, 266,
267, 293.
Jacques le"", roi d'Angleterre,
134. 151, 356, 373.
Jeannin (Pierre), président du
parlement de Paris, 16, 18,
19, 23, 89, 108,186, 198,229,
257, 272, 273, 282, 289, 303,
331, 333, 334.
Jésuites (les), 290.
Joinville (le prince de). Voy.
Guise (Charles de Lorraine,
duc de).
— (Claude de Lorraine, prince
de), puis duc de Chevreuse.
Voy. Chevreuse (le duc de).
— (François de Lorraine, prince
del, *395.
— (le village de), 97.
Joseph (le P.). Voy. Tremblay
(F. Le Clerc du).
Jupiter (le dieu), 193.
K
Klessel (le cardinal Melchior),
*310-312.
L
La Grélière (le sieur), 298.
Langres (la ville de), 132.
Languedoc (le), 291.
Laon (la ville de), 95, 152, 294.
Lasnier (Guillaume), *298.
Lassay (François Le Mareschal,
sieur de), *128.
Launay (Ludovic de Vièvres,
seigneur de), *74, 75.
Lauzières (Charles de), *69, 159.
— (le comte de). Voy. Thémines
(Antoine de Lauzières, comte
de).
L'Avocat (le sieur), conseiller
d'État, *288.
Le Bret (Cardin), *219.
Le Breuil. Voy. Breuil (Henri
du).
Le Clerc (Jean Bussy-), *131.
Leicester (Robert Dud ley, comte
de), *375.
Le Jay (Nicolas), 19, 74, 142.
Lescun (Jean-Paul de), *291.
Lesdiguières (François de Bon-
ne, maréchal, puis connétable
et duc de), 96, 126, 148, 174,
266-268.
TABLE ALPHABÉTIQUE.
429
Lesdiguières (Marie Vigûon, du-
chesse de), 96.
Le Tremblay. Voy. Tremblay
(Charles Le Clerc, seigneur
du).
Levant (le), 44.
Lhoste (Claude), *272.
Liancourt (Charles du Plessis,
seigneur de), *i8'l.
Liège (la ville de), 118, 317.
Liesse (le village de), *96, 97.
Lignier (le sieur), 72.
Ligue (la), 46, 131, 274.
Limoges (la ville de), 338, 344.
Limousin (le), 22, 148.
Linières (Philippe de Brichan-
teau, baron de), *137.
Lizy. Voy. Marcou (le sergent).
Lizza (André de), *237.
Loches (la ville de), 317, 324-
326, 328, 371.
Loire (la), fleuve, 323.
Londres (la ville de), 402.
Longueville (Henri II d'Or-
léans, duc de), 2, 3, 6, 11, 13,
22, 34, 45-47,93-96, 103,139,
199.
— (Catherine de Gonzague-
Nevers, duchesse de), 68.
Lorme, page de Ruccellaï, *320.
Lorraine (Charles, cardinal de),
226.
— (Heuri II, duc de), *95, 97,
100.
— (Marie de), tille de Charles
de Lorraine, duc de Guise,
*395.
— (la),' 97, 154, 323.
— (la maison de), 228.
Loudun (la conférence de), 5,
6, 18, 33.
— (la ville de), 6, 8.
— (le traité de paix de), 22, 28,
31, 36, 40, 91, 98, 101, 102,
139, 149, 213.
— (l'édit de), 13.
Louis XIII, roi de France, 1-15,
18-22, 24-27, 30, 31, 33-41,
44-60, 63, 66-68, 70, 73-81,
83, 85-88, 90-92. 94-96, 98-
110, 114-124, 126, 129, 130,
132-156, 162, 164-168, 170-
188, 190, 192-194, 196-200,
205, 207-216, 218, 219, 228,
229, 238-254, 258-260, 262-
264, 268, 270, 271, 276-281,
283-294, 297-299, 304-31U,
323, 326-332, 334-337, 340,
344, 346, 347, 349, 351-354,
358, 365-372, 375-385, 387-
396, 400, 401.
Louvre (le palais du), 35, 36,
40, 47, 64, 70-76, 78, 80, 81,
90, 91, 109, 116, 169, 180,
181, 183, 184, 188, 189, 194,
197, 211, 212, 217, 302, 322.
Louvres-en-Parisis ( le village
de), *71.
Lude (François de Daillon,
comte du), 382.
Ludovici (Vincent), appelé
Vincenze et Vicenze, 319.
Lumague (André), ou Luraaga,
*27.
Luna (Don Sanche de), 267.
Luther, 266, 372.
Luthériens (les), 397.
Luxembourg (le palais du), 122.
Luvnes (Charles d'Albert, duc
e^ connétable de), 24, 26, 27,
50-52, 87, 115-117, 171-179,
184-186, 192, 193, 198-206,
209-211, 216, 218, 219, 238,
240-246, 250-253, 259, 260,
262-264, 271, 276-278, 289,
290, 293-298, 301, 303, 304,
316, 320, 322, 325-327, 335,
336, 340, 352, 367-370, 379-
381, 385-388, 394-396.
— (Anne-Marie d'Albert, ap-
pelée Mi'« de), *395.
— (Marie de Rohan, duchesse
de), puis duchesse de Che-
vreuse. Voy. Chevreuse (Ma-
rie de Rohan, duchesse de).
Lyon (la ville de), 336.
M
Màcon (l'évèque de). Voy. Di-
net (Gaspard).
Madrid (la ville de), 129, 269.
Maillac (le sieur), lieutenant de
la Bastille, 385, 386.
430
TABLE ALPHABETIQUE.
Maine(le duc du) .Voy. Mayenne.
— (le), 146.
Malte (l'ambassadeur de l'ordre
de). Voy. Mendez Vascon-
cellos (Don Louis).
— (le grand maître de l'ordre
de). Voy. Wignacourt (A. de).
— (les grands maîtres de l'or-
dre de), 45.
— (l'ordre de), 44, 45.
— (la ville de), 45.
Mangot (Claude), seigneur de
Viilarceaux, garde des sceaux ,
*23, 24, 31, 50, 57, 58, 72,
96, 108, 110, 129, 166, 168,
169, 183, 185, 187, 188, 230.
Mans (la ville du), 147.
Mansfeld (Ernest, comte de),
*397.
Mantes (la ville de), 313.
Marche (la), 148.
iNIarcillac (Bertrand de Grugy,
seigneur de), 172, 174, 179."
Marcilly (le sieur de), *176.
Marcou (le sergent), dit Lizy,
302.
Maréchaux de France (les), 31.
Marescot (Guillaume), *105.
Marie de Médicis , reine de
France, 3, 6, 7, 10-13, 15-
31, 35-41, 43, 46-52, 54-61,
63, 65-77, 79-81, 83-85, 87-
90,98, 99, 102, 105, 109-111,
dl3-117, 122, 124, 129, 139,
141, 1,57-160, 162-171, 173-
178, 182-186, 188, 189, 194,
195, 197-202, 204-212, 216-
218, 220, 223, 225-228, 230-
242, 244, 246, 247, 249-253,
255-261, 263-265, 271, 273,
274, 276-278, 280, 281, 283,
286-289, 293, 294, 296, 297,
299-301, 303-310, 314-322,
324-332, 334-336, 340-344,
346-372, 379-396.
Marmoutier (l'abbé de). Voy.
Galigaï (Sébastien Dori).
— (le monastère de), 197.
Marne (la), rivière, 272.
Marolles (Claude de), *154.
Marossan (le sieur de), 387.
Marzati (le cardinal Anselme),
*206.
Masserano (François-Philibert
Ferrero, prince de), *266.
— (la ville de), *267.
Mathias, empereur d'Allema-
gne, 98, 246, 265, 310-312,
396.
Maunv (Louis de la Marck,
marquis de), *350, 354, 360-
362.
Maurice (le comte). Voy. Nas-
sau (le comte Maurice de).
Maurier ( Benjamin Aubery,
sieur du), *378.
Maximilien, archiduc d'Autri-
che, *311.
Mayence (Jean de Cronbers,
archevêque-éiecteurde),*397.
Mayenne (Charles de Lorraine,
duc de^, ou du Maine, 139.
— (Henri de Lorraine, duc de),
ou du Maine, 2, 6, 22, 23,
28, 29, 31, 32, 34, 40-43, 47,
48, 72, 75, 76, 78-81. 83, 85,
93-96, 101,102,113,117,123,
136-139, 142, 146, 147, 152,
156, 199, 200, 294, 316, 349.
Médavv (Pierre Rouxel, baron
de), *147.
Medicis (Jean de), 227.
Meigneux (Charles des Essarts,
seigneur de), *159, 393.
Melun (la ville de), 47.
Mendez Vasconcellos ( Don
Louis), ambassadeur de l'or-
dre de Malte, 44, 45.
Menillet (le sieur du), *86.
Mercœur (Louis de Bourbon-
Vendôme, duc de), *395.
Mesmes (Henri de), *122, 166.
Mestrezat (le ministre protes-
tant), 254.
Metz (la ville et le gouverne-
ment de), 317, 319, 320, 322-
324, 326, 370, 395.
Meuze (le sieur de), 346.
Mezières (la ville de), 104, 119,
136, 154.
Mignieux. Voy. Meigneux.
Milan (le château de), 267.
Milanais (le), 269.
TABLE ALPHABETIQUE.
431
Miraadûle (!a principauté de la),
27, 174.
Mirebeau (le village de), 247.
Mirua (Robert), 73.
Modèae (François Raymond,
baron de), *216, 217, 259-261,
293, 305.
Monopoli (le cardinal). Voy.
Marzati (le cardinal Anselme).
Monsieur. Voy. Orléans ( le
duc d').
.Montalio (Philotée), médecin,
*229, 230.
Montbazon (Hercule de Rohan,
duc de),*20-22, 168, 171,262,
277, 289, 297, 304, 367, 368,
370, 387.
Montdejeu (Jean III de Schu-
lemberg, seigneur de), *136.
Monteleone (Hector Pignateili,
duc de), *100, 127, 129, 246,
267, 293.
Montendre (Hélène de Fonsè-
que, dame de), *361, 362.
Monlfaucon (les gibets de), 216.
Montferrat (le), 266.
Montigny (François de la Grange
d'Arquin, seigneur de), maré-
chal deFrance,*lÛ3,146,155.
— (le ministre protestant), 254.
Montpensier (Marie de Bour-
bon, dite Mn« de), 394.
Montpinçon (Charles Martel,
seigneur de), *203.
Montreuil-sur-Mer (la ville de),
393.
Montrichard (le bourg de), 325.
Moravie (la), 311, 397.
Moreilles (l'abbé de). Voy. Fer-
ret (Jean).
Moulins (la ville de), 328.
N
Nantes ( l evêque de). Voy.
Bourgneuf (Henri de).
Nassau (le comte Maurice de),
dit le comte ou le prince
xMaurice, '373-375, 379.
Nègrepelisse (la ville de), 22.
Nemours (Henri I*"" de Savoie,
duc de), 126-129.
Nemours (Anne de Lorraine,
demoiselle d'Aumale , du-
chesse del, *127.
Nérac (la ville de), 291.
Nevers (Charles de Gonzague-
Clèves, duc de), 4, 5, 20, 42-
44, 98, 99, 104-108, 118-120,
133, 135, 136, 142-144, 146,
148-150, 153-155, 199, 200,
224.
— (Catherine de Lorraine, du-
chesse de), *106, 146, 155,
224.
— Nevers (la ville de), 155.
Nice (la ville de), en Provence,
151.
Nîmes (l'assemblée des protes-
tants à), 5.
Nivernais (le), 136, 146, 155.
Nogent-le-Rotrou (la ville de),
147.
Noisv-Saint-Nom (le village de),
*133.
None (la ville del, 269.
Normandie (la), 13, 172, 312.
— (la lieutenance de Roi en),
21, 262, 294.
— (le gouvernement de), 309,
351, 352.
Notre-Dame (la cathédrale de),
à Paris, 133.
Noue (Odet de la), *134.
Novare (la ville de), 266.
Noyon (la ville de), 48, 95, 156,
294.
Nozet (Guillaume du Broc du),
abbé d'Aumale, *62, 63.
Nuremberg (l'assembléede), 399.
0
Ollier (Jacques), *320.
Orange (Frédéric-Henri de Nas-
sau, prince d'), *317.
Oratoire (l'ordre de 1"), 314.
Orléans (Gaston de France, duc
d'i, dit Monsieur, 69, 76, 159,
171, 177, 220, 258, 271, 382,
394.
Ormesson (André Le Fèvre,
seigneur d'), *107.
Ornano (Jean-Baptiste d'), ma-
432
TABLE ALPHABÉTIQUE.
réchal de France, *182, 259,
294 382.
Orthez (la'ville d'), 215, 292.
Uver-Yssel (la province d'), 373.
Palais d'île du), à Paris, 132.
— (le), à Paris, 181, 182, 212.
Palatin (Frédéric V, électeur),
roi de Bohême, 151, 317, 398-
401.
Palatine (Elisabeth Stuart, élec-
trice), *399, 402.
Paléologues (la maison des), 43.
Pape (le). Voy. Paul V.
Paris (la prévôté de), 302.
— (la ville de), 7, 19,21,33. 35,
48,53,65,66,73,79-81,83,95,
98, 121, 132, 137, 138, 156,
167-169, 177, 181, 188, 192,
197, 207, 210, 211, 239, 269,
276, 319, 3-20, 340, 355, 360,
382, 387, 396.
Parlement de Bordeaux (le), 24,
291.
Parlement de Paris (le), 4, 8, 9,
13, 15, 19, 25, 33, 34, 53, 67,
83, 91, 108, 122, 130, 131,
138, 142, 144, 149, 182, 197,
198, 212, 271, 285, 298, 300,
389.
Parlement de Pau (le), 292.
Parlement de Rennes (le), 8.
Parlements (les), 271.
Paul V, pape, 45, 98, 148, 149,
174, 206, 230, 265, 266.
Pavie (le traité de), 269, 293.
Péloponèse (le), 43.
Pena ou Pêne (le comte de la).
Voy. Goncini (Henri).
Perche (le), 146.
Péronne (la ville de), 38, 45,
46, 48, 71, 93, 95, 96.
Perron (Jean Davy, sieur du),
archevêque de Sens et cardi-
nal. *32, 313.
— (Julien Davy du), *312.
Persan (Henri de Vaudetar, ba-
ron de), *192, 262, 263, 278,
296, 302.
Perse (la), 193.
Pescher (Mercure de Saint-
Ghamant, baron de Marigny
et du), *118.
Philippe IV, roi d'Espagne, 27,
98, 124, 128, 129, 266.
Picard (le cordonnier), 33, 34,
80, 82.
Picardie (la), 13, 22, 34, 352.
— (la lieutenance de Roi de),
20.
Piémont (le), 266, 267, 269.
— (le prince de). Voy. Savoie
(Victor-Amédée I^f, duc de).
— (le régiment de), 344.
Pierrefonds (la ville de), 156.
Plessis (le sieur du), *324, 353,
358.
Plessis- Mornay (Philippe de
Mornay, dit du), 148, 313.
Poitiers (les grands jours de),
1.30.
— (la ville de), 5, 9, 10, 30, 31.
Pont-de-Gourlay , ou Pont-
Gourlay (René de Vignerot,
seigneur du), *280.
Pont-de-l'Arche (la ville de),21 .
Pont-Neuf (le), à Paris, 183,
195, 196.
Pont-Notre-Dame (le), à Paris,
76, 196.
Pont-Saint-Michel (le), à Pa-
ris, 7.
Ponts- de -Gé (le bourg et le
gouvernement des), *3.51, 362.
Porte (Amador de la), dit le
commandeurde laPorte,*365.
Prague (le château et la ville
de), 311, 397, 399.
Praslin (Gharles de Choiseul,
marquis de), 79, 83, 84, 107,
119, 146.
Presbourg (la ville de), 312, 398.
Prince (Monsieur le). Voy. Gondé
(le prince de).
Protestants (les), 3, 5, 22, 86,
147, 148, 214, 215, 254, 255,
290-292, 313, 371, 372.
Protestants d'Allemagne (les),
265 311.
Prouville (Pierre de), 34, 231.
Provence (la), 15, 98.
— (le gouvernement de), 352.
TABLE ALPHABÉTIQUE.
433
Provinces-Unies (les), 375, 378.
— (les États des), 372-379.
Puyzieulx (Pierre-Brùlart, vi-
comte de), 23, 31, 198, 272.
— (Madeleine de Neufville-Vil-
leroy, vicomtesse de), 272,
273.
Q
Quillebœuf (la ville de), 21 .
R
Rambouillet (Charles d'An-
gennes, marquis de), 126.
Regnard (Jacques), commis-
saire du Roi en Béarn, *292.
Reims (la ville de), 106, 107.
Rethel (la ville de), 104, 120,
136, 149, 153, 154.
Rethelois (le), 106, 136.
— Charles de Gonzague, duc
de), *155.
Retz (Albert de Gondy, duc de),
*132, 133.
Riberpré (Nicolas de Moy, sieur
de), 34.
Ribier (Jacques), *17, 24.
Richecourt (le château de), *104,
136, 152.
Richelieu (Armand du Plessis,
cardinal de), 29-31, 105, 110-
112, 129, 135, 145, 163-170,
175,176,182-188,198,229,230,
239-255, 278-281, 283-287,
289, 327, 334-343, 349, 356,
357, 359, 360, 364, 365, 380,
381, 386, 390-392.
— (Henri du Plessis, seigneur
de), *146, 247, 280, 287, 362-
364.
— (Marguerite Guyot des Char-
meaux, dame de), *287.
Roanne (la ville de), 323.
Rochefort (Louis d'Alloigny,
marquis de|, 86, 103.
Rocheiort-sur-Charente (la ville
et le château de), *86, 104.
Rochefoucauld ( François V,
comte de la), 110, r29, 130,
348.
II
Rochefoucauld (François, car-
dinal de la), *350, 368.
— (la ville de la), 5.
Rochelle (l'assemblée des pro-
testants à la), 213.
— (la ville de la), 5, 86, 104,
148.
Rodolphe II, empereur d'Alle-
magne, 312.
Roger (Nicolas), 194.
Rohan (Henri, duc de), 3, 4, 21,
68, 75, 77, 148,268,277,289,
298.
Rome (la cour de), 62.
— (l'ambassadeur de France à).
Voy. Ursins (Fr. Jouvenel
des).
— (la ville de), 45, 206, 218,
265, 313, 316, 356.
Rotan (Jean-Baptiste), ministre
protestant, *313.
Rothenbourg (la ville de), *399.
Rouen (l'assemblée des notables
de), 264, 265. 270, 271, 276,
294.
Rouillac (Louis de Goth, mar-
quis de), *160.
Rozoy-sur-Serre (le village de),
152
Ruccellaï (Louis), *166,230, 316-
320, 339, 342, 343, 349, 350,
353-362.
S
Saint- Antoine (la porte), à Pa-
ris, 79.
Saint-Chamond (Melchior Mitte
de Miolans, marquis de), 392.
Saint- Damien (la ville de), 266.
Saint-Géran (Jean-François de
la Guiche, seigneur de), 71,
76, 84, 85.
Sainte-Geneviève (l'abbaye), à
Paris, 191.
Saint-Germain (le faubourg),
à Paris, 34, 196.
Saint-Germain-l'Auxerrois (l'é-
Çlise), 181, 195.
Saint -Germain- en - Laye (la
ville de), 351.
28
434
TABLE ALPHABÉTIQUE.
Saint-Jean de Jérusalem (l'ordre
de), 43, 44.
Saint-Luc (Timoléon d'Espinay,
seigneur de), *354, 355.
Saint-Maixent (la ville de), 6.
Sainte-Menehould (la ville de),
119, 149.
Saint-Pierre-le-Moutier (la ville
de), 155.
Saint-Sépulcre (l'ordre du), 43,
44.
Saintes (la ville de), 352-354,
371.
Sancerre (Jean de Bueil, comte
de Marans et de), *86.
— (la ville de), 86.
Sancy (Henry de Harlay, baron
de Maule et de), *128.
— (Nicolas de Harlay, baron de),
272.
Sardini (Alexandre, vicomte de),
*359, 360.
Sauveterre (Jacques de Bésiade,
sieur de), 199.
Savoie (Charles-Emmanuel le"",
duc de), 124-129, 266, 268,
269, 310, 330.
— (Victor-Amédée I", prince
de Piémont, puis duc de),
266, 267, 310, 326, 327, 330,
365.
— ( Chrétienne ou Christine
de France, duchesse de), 210,
310, 326, 381.
— (Maurice de), dit le cardinal
de Savoie, *310.
— (la), 125, 127, 129.
— (l'ambassadeur de), 128.
Saxe (Jean -Georges, duc et
électeur de), 265, *397. 399.
Schônberg (Gaspard de), *134.
— (Henri de), *134, 135, 146,
151, 154, 268, 338, 339, 344,
345, 347, 348.
Sedan (la ville de), 2, 4, 95, 104,
118-120, 317, 319.
Seine (la), fleuve, 7.
Selvage. Voy. Yincenti (Sel-
vage).
Senga (la ville de), ou Zengg,
*270.
Senonches (le village de), 146.
Sens (l'archevêquede). Voy. Per-
ron (Jean Davy, sieur du).
Servin (Louis), *285, 286.
Silésie (la), 311, 397.
Sillery (Nicolas Brûlart, chan-
celier de), 14, 15-18, 23, 158,
229, 272, 273, 282, 289, 303,
331,333, 334.
— (Noël Brûlart, commandeur
de), 16, 18, 158, 229, 273.
Sissonne (le village de), *152.
Siti (André), *295.
— (François), *295.
Soissons* (Charles de Bourbon,
comte de), 139.
— (Louis de Bourbon, comte
de), appelé Monsieur le Comte ,
86, 139, 394.
— (Anne de Montafié, comtesse
de), appelée Madame la Com-
tesse, 86, 139.
— (la ville de), 48, 79, 83, 92,
93, 95, 96, 99-102, 117, 123,
138, 139, 142, 156, 164, 176,
177, 199, 284, 286, 294.
Sorbonne (la), 182.
Souvré (Gilles de), marquis de
Gourtenvaux et maréchal de
France, 103.
Suffren, ou Souffran (le P. Jé-
suite Jean), *240.
Suisse (la), 312, 314.
Suisses (les régiments), au ser-
vice de France, 74.
Sully (Maximilien de Béthune,
duc de), 3, 4, 22, 35, 57, 68,
89, 90.
— (Rachel de CochefiUet, du-
chesse de), *90.
Surgères (le village de), *86, 104.
Suze (Rostaing de la Baume,
comte de), *199.
Sy (le village et le château de),
M06.
Tanaro (le), rivière, 269.
Tarajet (le sieur de), *392.
Temple (la porte du), à Paris,
79.
TABLE ALPHABÉTIQUE.
435
Termes (César de Saint-Lary,
baron de), 97.
Testu (Louis), chevalier du guet,
*73, 386.
Teutonique (l'Ordre), 45.
Theiss (la), rivière, *398.
Thémines (Antoine de Lau-
zières, marquis de), *69, 72,
124, 257, 362-365.
— (Pons de Lauzières, marquis
de), maréchal de France, *68-
70, 72, 76, 77, 80, 84, 87, 88,
103, 124, 146, 152.
Thiange (Charles Damas^ baron,
puis comte de), 4, 6, 75-77.
Thiers (le sieur du), *124.
Thou (Jacques- Auguste de) , 226,
275.
Thurn (Henri-Mathias, comte
de), *311, 397.
Tibère (l'empereur), 263.
Tillet (Charlotte du), *297, 302.
Tolède (Don Pedro de), *124-1 26,
267, 269, 293.
Tonnay-Charente (la ville de),
*86, 104.
Tonneins (la ville de), *29i.
Toscane (Côme I" de Médicis,
grand-duc de), *266.
— (Côme II de Médicis, grand-
duc de), *318.
— (Ferdinand I" de Médicis,
grand-duc de), 233.
— (François-Marie de Médicis,
grand-'duc de), *226.
— (Christine de Lorraine, gran-
de-duchesse de), 318.
Toulouse (rarchevêquede).Voy.
Valette (Louis de Nogaret,
cardinal de la).
Tour (le comte de la). Voy.
Thurn (le comte de).
Tour (Charles Cauchon, baron
du), M34, 151,257.
Touraine (la), 351.
Tours (l'archevêché de), 201.
_ (la ville dei, 6, 12, 16, 17,
365. 380-382.
Travail (Alphonse du), *201-207.
Tremblay (Charjes Le Clerc,
seigneur du), *183, 335, 336,
340.
Tremblay (François Le Clerc
du), dit le Père Joseph, *334.
TrémoïUe (Henri duc de la), *76.
Trente (le concile de), 9.
Treniins (les), 268, 269.
Trie-Château (la ville de), 11,
34.
Tronson (Louis), sieur du Cou-
dray, M72, 174, 179.
Troyes (la ville de), 320.
Tuileries Ile palais des), 203.
Turcs (les), 98.
Turenne (François de la Tour,
vicomte de), 137, 138.
Turin (la ville de), 126.
Tyrol (le), 312.
U
Ubaldini (Robert), nonce du
pape, 75, 195.
Université de Paris (1'), 290.
Ursins (François Jouvenel des),
45.
Uscoques (les), *270.
Utrecht (la province d'), 373.
Uzerche (la ville d'), *344-348.
Vair (Guillaiime du), garde des
sceaux de France, *15-19, 23,
24, 28, 89, 107-110, 112,113,
116, 122, 143, 186, 198, 229,
258; 282, 283, 289, 303, 331,
333, 334.
Valençay (Jacques d'Etampes,
seigneur de), 392.
Valette (Bernard de Nogaret,
marquis, puis duc de la), *323,
370, 371, 393, 395.
— (Louis de Nogaret, cardinal
de la), archevêque de Tou-
louse, *324, 339, 357, 358.
Vaugré (Claude Gandin, dit),
M23,137, 138.
Vendôme (César, duc de), 3, 4,
7, 8, 80, 84, 85, 93, 95, 101,
139, 142, 152, 199, 200, 294,
395.
— (M"" de). Voy. Elbeuf (Cathe-
rine-Henriette, duchesse d').
436
TABLE ALPHABETIQUE.
Vénitiens (les), 125, 126, 138,
266 269 293.
Verceifda ville de), 267, 293.
Verdun (la ville de), 119.
— (Nicolas de), M32.
Vernet (Barthélémy de Monts),
seigneur du), *296.
Verneuil-au-Perche (la ville de),
*85, 146.
Vervins (la ville de), 152.
Vichy (le pont de), *323.
Vienne (la ville de), en France,
335, 337, 397.
Vieuville (Charles, marquis de
la), 106-108.
VignoUes (Bertrand de), dit La
Hire, M86, 187.
Villars ( Emmanuel - Philibert
des Prez, marquis de), *93.
Villebon (le village de), *35.
Villeroy (Nicolas IV de Neuf-
ville, seigneur de), 6, 11, 12,
15-18, 23, 24, 27, 28, 31, 89,
108, 158, 163. 18G, 187, 198,
200,229, 271-275, 281-284.
— (Nicolas V de Neufville, duc
de), *163, 336.
Villers-Cotterets (le village de),
99, 100.
Villesavin (Jean - Phélypeaux ,
seigneur de), puis comte de
Buzançais, *309.
Vincennês. Voy. Bois-de-Vin-
cennes.
Vincenti (SeIvage),diteSeIvage,
*299, 300.
Vincenze. Voy. Ludovici (Vin-
cent).
Virey (Claude-Enoch), *64, 65.
Vitré (le synode protestant de),
213.
Vitry (Louis de l'Hospital, mar-
quis de), *181, 197.
— (Nicolas de l'Hospital, maré-
chal de), M78-181, 189-192,
253 254 259.
Vorstius (Conrad), *372, 373.
W
Wasigny (le village de), *153.
West-Frise (la province de), 373.
— (les États de), 373.
Wittemberg (la ville de), 266.
Wùrzbourg(rassembléede),400.
Nogent-le-Rotrou, imprimerie Daupeley-Gouverneur.
i.
University of Toronto
Library
DO NOT
REMOVE
THE
CARD
FROM
THIS
POCKET
Acme Library Card Pocket
LOWE-MARTIN CO. Limited