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Full text of "Mémoires"

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Digitized  by  the  Internet  Archive 

in  2009  with  funding  from 

University  of  Ottawa 


http://www.archive.org/details/mmoires02richuoft 


MEMOIRES 


CARDINAL  DE  RICHELIEU 


IMPRIMERIE  DAUPELEY-GOUVERNEUR 


A    NOGENT-LE-ROTROU. 


HF.E» 


MEMOIRES 


DU 


CARDINAL  DE  RICHELIEU 


PUBLIES 

d'après  les  manuscrits  originaux 

POUR    LA    SOCIÉTÉ    DE    l'hISTOIRE    DE    FRANCE 

SOUS  LES  AUSPICES   DE 

L'ACADÉMIE   FRANÇAISE 


Vc 


340 


A  PARIS 
LIBRAIRIE    RENOUARD 

H.   LAURENS,  SUCCESSEUR 
libraire    de    la    société    de    l'histoire    de    francf^^  / 

RUE    de    TOUHKON,     N"    6  ^^    / 


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MEMOIRES 


DU 


CARDINAL  DE  RICHELIEU 


TOME  DEUXIÈME 

(1616-1619) 

PUBLIÉ    SOUS  LA   DIRECTION  DE 

M.    LE    Baron    DE    COURCEL 

MEMBRE  DE  l'iNSTITUT 
PAR 

Le  Comte  HORRIC  DE  BEAUCAIRE 

AVEC   LA   COLLABORATION  DE 

Robert    LAVOLLÉE 


M  DCCGC  IX 


EXTRAIT    DU    REGLEMENT. 

Art.  14.  —  Le  Conseil  désigne  les  ouvrag^es  à  publier, 
et  choisit  les  personnes  les  plus  capables  d'en  préparer  et 
d'en  suivre  la  publication. 

Il  nomme,  pour  chaque  ouvrage  à  publier,  un  Commis- 
saire responsable,  chargé  d'en  surveiller  l'exécution. 

Le  nom  de  l'éditeur  sera  placé  en  tête  de  chaque  volume. 

Aucun  volume  ne  pourra  paraître  sous  le  nom  de  la 
Société  sans  l'autorisation  du  Conseil,  et  s'il  n'est  accom- 
pagné d'une  déclaration  du  Commissaire  responsable,  por- 
tant que  le  travail  lui  a  paru  mériter  d'être  publié. 


Le  Directeur  de  la  publication  soussigné  déclare  que  le 
tome  II  des  Mémoires  du  Cardinal  de  Richelieu,  préparé 
par  MM.  le  Comte  Horric  de  Beaucaire  et  Robert  Lavol- 
lée,  lui  a  paru  digne  d'être  publié  par  la  Société  de 
l'Histoire  de  France. 

Fait  à  Paris,  le  P''  août  1909. 


Signé  :  Alph.  DE  COURCEL. 


Certifié  : 
Le  Secrétaire  de  la  Société  de  l'Histoire  de  France, 
NOËL    VALOIS. 


MEMOIRES 

DU 


CARDINAL  DE  RICHELIEU 


ANNEE  1616. 

Cette  année  bissextile,  qui  a  été  remarquable  parles 
mutations  extraordinaires  de  l'air,  l'a  été  davantage 
par  les  effets  prodigieux  que  nous  verrons  en  ce 
royaume  durant  son  cours,  pendant  lequel  les  cœurs 
seront  si  acharnés  à  la  rébellion  que,  nonobstant  une 
paix  en  laquelle  on  se  relâchera  jusques  au  delà  de 
leurs  désirs,  ils  conserveront  encore  leur  malignité, 
osant  se  porter  à  des  entreprises  si  pernicieuses,  que 
l'on  sera  contraint,  avec  très  grand  regret,  de  les 
mettre,  non  sans  péril,  en  état  auquel  ils  ne  les  puissent 
exécuter. 

Quelques-uns  conseilloient  au  Roi  de  poursuivre  à 

outrance  les  princes,  lui  représentant  de  la  facilité  à 

les  ruiner,  leurs  troupes  n'étant  ni  égales  en  nombre 

ni  si  bien  armées  que  celles  de  S.  M.,  outre  qu'elle 

avoit  déjà  plusieurs  fois  éprouvé  que  leur  malice  étoit 

telle,  qu'elle  s'irritoit  par  la  douceur  des  remèdes  et 

que  sa  bonté  royale  ne  servoit  qu'à  les  rendre  plus 

audacieux. 

II  1 


2  MÉMOIRES  [1616] 

Mais,  les  plus  foibles  conseils  étant  quelquefois  les 
plus  agréables,  pour  éviter  la  peine  qu'il  y  avoit  d'exé- 
cuter les  plus  forts,  ceux  qui  lui  conseillèrent  de  ne 
poursuivre  pas  les  princes  jusques  à  l'extrémité,  et 
qu'il  valoit  mieux  au  Roi,  en  ce  temps,  avoir  que  faire 
la  guerre*  contre  ses  sujets,  prévalurent,  sous  couleur 
qu'il  étoit  plus  glorieux  de  vaincre  par  équité  que 
par  sang  épandu,  et  par  justice  et  bon  droit  que  par 
armes. 

Du  côté  des  princes  aussi,  il  y  avoit  divers  senti- 
ments :  Monsieur  le  Prince,  les  ducs  de  Mayenne  et  de 
Bouillon  vouloient  la  paix,  le  premier  espérant  de 
s'établir  dans  les  conseils  de  sorte  qu'il  en  demeure- 
roit  le  chef,  et  que,  toutes  choses  passant  par  son  avis, 
il  auroit  moyen  de  faire  ses  affaires. 

Le  duc  de  Mayenne  craignoit  que  le  parti  des 
huguenots,  qui  étoit  fort  en  son  gouvernement,  prît 
trop  d'avantage  et  profitât  le  plus  de  cette  division. 

Le  troisième  se  voyoit  vieil,  vouloit  conserver  Sedan 
à  son  fils,  craignoit  de  le  mettre  en  hasard,  et  avoit 
aussi  quelque  espérance  qu'aidant  à  la  paix,  cela  obli- 
geroit  le  Roi  à  lui  donner  part  dans  les  affaires.  En 
quoi  il  montroit  la  foiblesse  de  l'esprit  de  l'homme, 
qui,  quelque  grand  et  expérimenté  qu'il  soit,  ne  se 
peut  empêcher  d'espérer  ce  qu'il  désire  ;  car  il  avoit 
eu  assez  de  sujets,  depuis  la  régence,  de  se  détromper 
de  cette  prétention . 

1.  Le  sens  de  ces  mots  est  probablement  le  suivant  :  il  vaut 
mieux  pour  le  Roi  attendre  que  la  guerre  lui  soit  faite  par  ses 
sujets  révoltés  que  de  commencer,  le  premier,  les  hostilités; 
—  à  moins  qu'un  mot  n'ait  été  passé  par  le  copiste  et  que  le 
sens  soit  :  avoir  quelque  déplaisir,  quelque  préjudice  plutôt 
que  faire  la  guerre  contre  ses  sujets. 


[1616]  DE  RICHELIEU.  3 

Le  duc  de  Longueville  étoit  d'opinion  contraire, 
parla  seule  crainte  qu'il  avoitque  le  maréchal  d'Ancre, 
en  la  paix,  lui  fît  perdre  le  crédit  qu'il  avoit  en  son 
gouvernement. 

Mais  les  ducs  de  Sully,  de  Rohan  et  de  Vendôme, 
et  tout  le  parti  huguenot,  ne  vouloient  ouïr  parler  de 
paix  en  aucune  façon,  si  ce  n'étoit  avec  des  conditions 
si  indignes,  que  nul  de  ceux  du  Conseil  n'eût  osé  pro- 
poser à  S.  M.  de  les  accepter*. 

Il  n'y  eut  artifice  dont  ils  ne  se  servissent,  ni  raisons 
qu'ils  ne  représentassent  à  Monsieur  le  Prince  pour  le 
tirer  à  leur  avis.  Us  lui  représentoient  qu'il  partageoit 
avec  le  Roi  l'autorité  en  ce  royaume  tandis  qu'il  avoit 
les  armes  en  la  main,  et  qu'il  pouvoit  facilement  conser- 
ver sa  puissance,  demeurant  dans  son  gouvernement, 
où  il  étoit  environné  de  tout  le  corps  des  huguenots.  Us 
n'oublièrent  pas  de  lui  faire  connoître  qu'il  n'y  avoit 
pas  beaucoup  de  sûreté  pour  lui  à  retourner  dans  la 
cour;  qu'à  un  homme  comme  lui,  il  ne  falloit  ou  jamais 
prendre  les  armes,  ou  jamais  les  poser  contre  son 
maitre;  et  qu'après  les  avoir  deux  fois  prises,  il  n'y 
avoit  pas  grande  apparence  de  faire  un  assuré  fonde- 
ment sur  quelques  promesses  que  lui  pussent  faire 
LL.  MM.;  qu'en  chose  de  si  grande  importance  on  ne 
faisoit  jamais  qu'une  faute,  et  qu'il  seroit  blâmé  si,  sur 
quelque  petite  espérance  de  profiter  dans  les  finances, 
il  se  désunissoit  d'avec  tous  ceux  qui  lui  étoient  asso- 
ciés, et  se  mettoit  en  danger  de  se  perdre  et  eux 
avec  lui. 

1.  Les  cinq  paragraphes  qui  précèdent  sont  évidemment 
tirés  des  Ménioires  du  maréchal  d Eswécs  (éd.  Michaud  et  Pou- 
joulat,  p.  410). 


4  MÉMOIRES  [1616] 

Mais,  si  leurs  remontrances  étoient  fortes  en  elles- 
mêmes,  sa  propre  passion  l'étoit  davantage  envers  lui, 
joint  que  ses  serviteurs,  qui  n'espéroient  pas  pouvoir 
ailleurs  si  bien  faire  leurs  affaires  qu'à  la  cour,  le  for- 
tifioient  en  son  inclination.  En  quoi  le  maréchal  de 
Bouillon,  qui  considéroit  ne  pouvoir  être  tout  à  la  fois 
en  Guyenne,  auprès  dudit  sieur  Prince,  et  à  Sedan,  dont 
son  propre  intérêt  l'obligeoit  de  s'approcher ^  l'ap- 
puyoit  par  toutes  les  raisons  que  la  fertihté  de  son 
esprit  lui  pouvoit  suggérer^. 

Ainsi  Monsieur  le  Prince,  charmé  par  les  trompeuses 
apparences  de  la  cour  et  attiré  par  sa  passion  et  par 
les  conseils  que  ses  serviteurs  et  ses  amis  lui  don- 
nèrent pour  leur  propre  utilité,  se  résolut  à  la  paix, 
à  laquelle  aussi  S.  M.,  nonobstant  les  conseils  qu'on 
lui  avoit  donnés  au  contraire,  avoit  eu  agréable  d'en- 
tendre. 

Dès  le  premier  jour  de  cette  année,  le  duc  de 
Nevers  et  Edmunds^,  ambassadeur  d'Angleterre, 
revinrent  d'auprès  de  Monsieur  le  Prince,  où  ils  étoient 
allés  avec  permission  de  S.  M.,  pour  le  convier  de 
revenir  à  son  devoir.  Ils  amenèrent  le  baron  de 
Thiange,  qui  apporta  au  Roi  une  lettre  de  lui^,  par 
laquelle,  faisant  bouclier  des  remontrances  des  États 
et  du  Parlement,  il  témoignoit  ne  désirer  sinon  que 
S.  M.  y  eût  égard  pour  le  bien  propre  de  sa  sacrée  per- 

1.  Var.  :  Où  son  propre  intérêt  Tappeloit  (M,  H). 

2.  Les  deux  derniers  paragraphes  sont  également  tirés  de 
d'Estrées,  p.  410. 

3.  Sir  Thomas  Edmunds  :  voyez  tome  I,  p.  398. 

4.  Cette  lettro  du  prince  de  Condé  a  été  imprimée  dans  le 
Mercure  françois,  t.  IV,  année  1616,  p.  3. 


[1616]  DE  RICHELIEU.  5 

sonne  et  de  son  État.  Il  supplioit  S.  M.  de  donner  la 
paix  à  ses  sujets,  puis  ensuite  qu'il  se  tînt  une  confé- 
rence en  laquelle  elle  envoyât  ses  députés  pour  traiter 
avec  lui  et  ceux  de  l'assemblée  de  Nîmes\  laquelle, 
pour  plus  de  facilité,  il  supplioit  le  Roi  de  trouver  bon 
qu'elle  s'avançât  en  quelque  lieu  plus  proche  de  la 
cour,  qu'il  daignât  lui  faire  savoir  le  nom  de  ceux 
qu'elle  y  vouloit  envoyer,  et  que  l'ambassadeur  d'An- 
gleterre y  pût  intervenir  comme  témoin^. 

S.  M.  accorda  que  l'assemblée  de  Nîmes  fût  trans- 
férée à  la  Rochelle  et  renvoya,  dès  le  lendemain 
2*  janvier,  M.  de  Nevers  pour  convenir  de  toutes  les 
circonstances  de  la  conférence^. 

Le  même  jour,  S.  M.  partit  de  la  Rochefoucauld \  et 
arriva  le  7^  à  Poitiers,  ayant  failli  une  entreprise  que 
l'on  avoit  faite  d'enlever  tous  les  princes^  à  Saint- 

1.  C'est-à-dire  les  protestants  assemblés  à  Nîmes.  Ceux-ci 
avaient  transporté  leur  assemblée  à  la  Rochelle.  Le  Roi,  on  le 
verra  plus  loin,  voulut  bien  reconnaître  le  fait  accompli. 

2.  Cette  phrase  résume  les  «  articles  présentés  au  Roi,  pour 
traiter  de  la  paix,  de  la  part  de  M.  le  prince  de  Condé  et  de 
ceux  de  l'Assemblée  de  Nîmes  »,  articles  dont  la  teneur  est 
donnée  dans  le  Mercure  français,  t.  IV,  année  1616,  p.  4. 

3.  Le  Mercure  francois,  t.  IV,  année  1616,  p.  2-18,  donne 
de  longs  détails  sur  ces  pourparlers. 

4.  Chef-lieu  de  canton  du  département  de  la  Charente. 

5.  Monsieur  le  Prince,  le  duc  du  Maine,  le  duc  de  Longueville 
et  le  duc  de  Bouillon,  qui  étaient  allés  rendre  visite  au  duc  de 
Sully  à  Saint-Maixent.  Les  Mémoires  de  Pontchartrain  (éd.  Mi- 
chaud,  p.  356)  contiennent  un  long  récit  de  cet  incident  qu'ils 
mentionnent  comme  ayant  eu  lieu  vers  le  3  ou  le  4  janvier.  Le 
Mercure  français  (t.  IV,  année  1616,  p.  18-19)  et  les  Mémoires 
de  Bassompierre  donnent  le  7  janvier  comme  date  de  cette 
rencontre. 


6  MÉMOIRES  [1616] 

Maixent^  où  ils  se  dévoient  assembler,  et,  s'ils  n'en 
eussent  été  avertis,  comme  on  croit  qu'ils  le  furent  par 
le  duc  de  Guise  même,  ils  fussent  tous  tombés  en  la  puis- 
sance du  Roi. 

Le  8%  S.  M.  renvoya  vers  ledit  sieur  le  Prince  le 
baron  de  Thiange,  qui  l'étoit  venu  trouver  de  sa  part, 
et  le  maréchal  de  Brissac  et  M.  de  Villeroy,  qui  con- 
vinrent avec  lui  de  la  ville  de  Loudun^  pour  le  lieu  de 
la  conférence,  qu'elle  commenceroit  le  10®  février,  et 
cependant  qu'il  y  auroit  suspension  d'armes  de  part 
et  d'autre  jusques  au  premier  jour  de  mars^.  L'ordon- 
nance de  S.  M.  pour  ladite  suspension  fut  publiée  le 
23®  janvier. 

LL.  MM.  arrivèrent  à  Tours  le  25%  oîi  il  survint  un 
accident  bien  étrange  et  d'un  mauvais  présage  ;  car,  le 
29  du  mois,  le  plancher  de  la  chambre  où  la  Reine 
étoit  logée,  à  l'hôtel  de  la  Bourdaisière^,  fondit,  et  la 

1.  Chef-lieu  de  canton  du  département  des  Deux-Sèvres,  à 
vingt-trois  kilomètres  nord-est  de  INiort. 

2.  Au  sujet  de  la  conférence  de  Loudun,  voyez  le  Journal 
de  la  conférence,  par  Pontchartrain  (éd.  Michaud,  p.  416  et 
suivantes),  et  le  volume  publié  par  M.  Bouchitté  dans  la  collec- 
tion des  Documents  inédits  pour  servir  à  l'histoire  de  France. 

3.  Le  texte  de  cet  arrangement,  signé  à  Fontenay-le-Comte 
le  20  janvier,  est  conservé  aux  archives  des  Affaires  étran- 
gères, France  770,  fol.  124  et  suiv.,  sous  le  titre  :  Articles 
accordés  sous  le  bon  plaisir  du  Roi  entre  Messieurs  de  Brissac, 
maréchal  de  France,  et  de  Villeroy,  conseiller  d' Etat  de  Sa 
Majesté,  ses  députés,  d'une  part,  et  Ms''  le  prince  de  Condé,  pre- 
mier prince  du  sang,  d'autre,  afin  de  parvenir  à  une  conférence 
pour  la  pacification  des  troubles  de  ce  royaume.  Il  a  été  imprimé 
dans  le  Mercure  françois,  t.  IV,  année  1616,  p.  19. 

4.  Ce  bâtiment,  construit  au  xvi^  siècle  par  Philbert  Babou, 
cardinal  de  la  Bourdaisière,  était  devenu  l'hôtel  des  gouver- 


[1616]  DE  RICHELIEU.  7 

plupart  des  grands  et  des  officiers  qui  y  étoient  tom- 
bèrent; la  Reine  seule  et  ceux  qui  étoient  proches 
d'elle  ne  furent  point  enveloppés  en  cette  ruine.  Et  à 
Paris,  la  nuit  de  ce  jour  même,  la  glace  de  la  rivière 
de  Seine,  qui  étoit  prise,  venant  à  se  rompre,  fît  périr 
plusieurs  vaisseaux  qui  étoient  chargés  de  provisions 
nécessaires  pour  la  vie,  et  emporta  une  partie  du  pont 
Saint-Michel  ;  l'autre,  qui  ne  fut  pas  emportée,  fut 
tellement  ébranlée,  qu'elle  tomba  à  quelque  temps 
delài. 

Le  duc  de  Vendôme,  qui  avoit  eu  commandement  et 
reçu  de  l'argent  du  Roi  pour  faire  des  troupes  et  les 
avoit  levées,  étant  jusques  alors  toujours  demeuré  sans 
se  venir  joindre  en  l'armée  du  Roi,  ni  aussi  se  déclarer 
contre  son  service,  faisoit,  nonobstant  la  suspension 
d'armes,  tant  d'actes  d'hostilité,  qu'on  fut  contraint 
de  lui   commander  de   désarmer^  ;   à   quoi   au   lieu 

neurs.  D'après  Bellanger  [la  Touraine  ancienne  et  moderne, 
p.  404),  le  plancher  s'effondra,  entraînant  dans  sa  chute  le 
comte  de  Soissons,  le  marquis  de  Rostaing,  les  comtes  de  Vil- 
leroy,  de  Nangis  et  de  Bassompierre,  qui  ne  reçurent  que  de 
légères  contusions.  Brandélis  de  Champagne,  marquis  de  Vil- 
laines,  fut  «  bien  blessé  »,  dit  le  Journal  cV Arnauld  d'Andilly, 
p.  137.  Voyez  également  le  Mercure  français,  t.  IV,  année  1616, 
p.  24-25. 

1.  Elle  s'écroula  au  mois  de  juillet  de  la  même  année,  de 
sorte  qu'on  fut  contraint  de  faire  un  autre  pont  de  bois 
au-dessous  tirant  vers  les  Augustins  [Mercure  françois,  t.  IV, 
année  1616,  p.  25).  On  commença  à  le  reconstruire  en  pierres 
en  1618,  et  on  le  chargea  de  maisons  comme  le  Pont-au- 
Change. 

2.  Bertrand  de  VignoUe,  dit  la  Hire,  fut  envoyé  vers  le  duc 
de  Vendôme  à  cet  effet  :  voyez  le  Journal  d' Arnauld  d'Andilly, 
p.  138. 


8  MÉMOIRES  [1616] 

d'obéir,  il  se  retira  vers  la  Bretagne,  où  le  parlement 
de  Rennes  ordonna,  par  arrêt  du  216"  janvier,  aux 
habitants  des  villes  et  bourgades  de  courir  sus  à  ses 
troupes  à  son  de  tocsin,  et  le  Roi  lui  envoya  par  un 
héraut  commander  de  poser  les  armes,  sous  peine 
d'être  déclaré^  criminel  de  lèse-majesté^. 

Lors  il  leva  le  masque  et  déclara,  le  18®  février, 
être  du  parti  de  Monsieur  le  Prince,  qu'il  vint  trou- 
ver à  Loudun^;  ce  qui  retint  S.  M.  de  le  poursuivre 
plus  avant '^. 

Les  propositions  des  princes^  furent,  à  leur  ordi- 
naire, colorées  du  spécieux  prétexte  du  service  du 
Roi  et  du  bien  de  l'État.  Ils  demandèrent  qu'il  soit  fait® 
une  recherche  exacte  de  ceux  qui  ont  participé  à  la 
mort  du  feu  Roi  et  que  S.  M.  en  veuille  faire  expédier 
une  commission  au  Parlement;  que  les  libertés  et 
autorités  de  l'Église  gaUicane  soient  maintenues;  que 

1.  Le  mot  déclaré  a  été  ajouté  en  interligne  par  Sancy  sur  le 
manuscrit  B. 

2.  Le  héraut  rencontra  le  duc  de  Vendôme  au  bourg  de 
Chantocé,  près  Ancenis.  Tout  ce  paragraphe,  relatif  au  duc  de 
Vendôme,  est  emprunté  au  Mercure  français,  t.  IV,  année  1616, 
p.  38,  42  et  43. 

3.  Les  députés  étaient  l'éunis  à  Loudun  depuis  le  13  février. 

4.  Le  Mercure  françois,  t.  IV,  p.  43,  dit  :  «  Ainsi  Mon- 
sieur de  Vendôme  se  déclara  joint  et  uni  avec  Monsieur  le 
Prince,  ce  qui  fit,  pour  un  temps,  retenir  les  troupes  du  Roi 
de  poursuivre  les  siennes  jusques  à  ce  qu'il  en  eût  été  traité  à 
la  conférence  de  Loudun.  » 

5.  Le  Mercure  français,  t.  IV,  année  1616,  p.  45  et  suiv., 
donne  le  texte  de  ces  propositions  et,  en  regard,  les  réponses 
qui  y  furent  faites. 

6.  L'emploi  du  présent  à  la  suite  du  passé  pourrait  indiquer 
que  ce  qui  va  suivre  est  la  copie  d  un  autre  document. 


[1616]  DE  RICHELIEU.  9 

le  concile  de  Trente  ne  soit  point  reçu;  que  l'autorité  et 
dignité  des  cours  souveraines  ne  soient  point  affoiblies  ; 
que  les  édits  de  pacification  soient  entièrement  obser- 
vés ;  qu'il  soit  pourvu  dans  quelque  temps  aux  remon- 
trances du  Parlement  et  aux  cahiers  des  États  ;  que  les 
anciennes  alliances  soient  conservées  ;  retrancher  l'ex- 
cès des  dons  et  pensions,  et  principalement  aux  per- 
sonnes de  nul  mérite.  Tout  cela  ne  reçut  point  de 
difficultés  à  être  admis  et  accordé  par  le  Roi.  Ils 
demandèrent  que  le  premier  article  du  cahier  du  tiers 
état  fût  accordé.  A  quoi  S.  M.  ne  put  consentir,  mais 
promit  seulement  qu'elle  y  pourvoiroit  avec  l'avis  des 
principaux  de  son  Conseil,  lorsqu'il  seroit  répondu  aux 
cahiers  des  États'. 

Ils  insistèrent  que  l'arrêt  du  Conseil  sur  le  sujet  des 
remontrances  du  Parlement  fût  révoqué.  S.  M.  fut,  par 
leur  importunité,  obligée  de  consentir  qu'il  demeurât 
sans  effet. 

Ce  qui  apporta  plus  de  préjudice  à  son  autorité 
royale  fut  que  S.  M.  accorda  que  tous  édits,  lettres 
patentes,  déclarations,  arrêts,  sentences,  jugements 
et  décrets  donnés  contre  les  princes  et  tous  ceux  qui 
les  ont  suivis,  seroient  révoqués  et  tirés  des  registres  et 
qu'ainsi  en  seroit-il  fait  de  la  déclaration  faite  à  Poi- 
tiers en  septembre  dernier 2,  sans  qu'elle  pût  être  tirée 
en  exemple  pour  l'avenir,  en  ce  qui  regarde  la  dignité 
des  princes  du  sang;  car,  par  là,  S.  M.  sembloit  avouer 
que  ladite  déclaration   donnée  à  Poitiers  avoit   été 

1.  Voyez  le  Mercure  français,  ibid.,  p.  45  et  suiv.,  que  les 
rédacteurs  des  Mémoires  ont  utilisé. 

2.  Tome  1,  p.  404. 


10  MÉMOIRES  [1616] 

contre  la  justice  et  les  formes  ordinaires.  Elle  promit 
aussi  de  faire  réparer  l'offense  que  Monsieur  le  Prince 
prétendoit  lui  avoir  été  faite  par  l'évêque  et  habitants 
de  Poitiers^  et  que  tous  ceux  qui,  pour  avoir  eu  intelli- 
gence avec  lui,  s'étoient  retirés  et  absentés  de  la  ville,  y 
seroient  rétablis,  et  toutes  les  informations  et  procé- 
dures faites  contre  eux  déclarées  de  nul  effet  et  valeur, 
et  que,  d'autre  côté,  à  l'instance  dudit  sieur  le  Prince, 
S.  M.  promît  qu'elle  seule  pourvoiroit  aux  charges  du 
régiment  des  Gardes,  ce  qui,  encore  qui  fût  juste,  ne 
devoit  néanmoins  être  accordé  à  la  requête  dudit  sieur 
Prince,  qui  sembloit  le  proposer  en  haine  du  service 
que  le  duc  d'Épernon,  en  cette  occasion,  avoit  rendu 
au  Roi  :  ce  qui  donnoit  sujet  à  leurs  partisans  de  publier 
que  ceux  qui  servoient  le  Roi  en  rece voient  du  mal  et 
ceux  qui  le  desservoient  en  servant  les  princes  en 
tiroient  récompense^. 

La  Reine  eut  peine  à  accorder  une  chose  sur  laquelle 
insistoit  Monsieur  le  Prince^,  qui  étoit  qu'il  seroit  chef 
du  conseil  de  S.  M.  et  signeroit  tous  les  arrêts  qui 
s'expédieroient.  Mais  elle  ne  voyoit  pas  tant  de  jour  à 
la  refuser  que  la  demande  qu'avec  plus  de  chaleur 
les  princes  firent  au  Roi  et  à  laquelle  ils  s'affermirent 
avec  plus  d'opiniâtreté,  qui  fut  celle  de  la  citadelle 


1.  ïome  I,  p.  290-293. 

2.  Tout  ce  paragraphe  reproduit  avec  commentaires  les 
articles  16  et  27  à  30  des  demandes  faites  par  le  prince  de 
Condé  à  la  conférence  de  Loudun  [Mercure  francois,  t.  IV, 
année  1616,  p.  52). 

3.  Var.  :  La  Reine  eut  de  la  peine  à  accorder  une  chose  que 
Monsieur  le  Prince  demandoit  instamment  (M,  H). 


[1616]  DE  RICHELIEU.  M 

d'Amiens*.  Cet  article,  longtemps  débattu,  obligea  à 
prolonger  la  trêve  jusques  au  5^  mai-. 

LL.  MM.,  sachant  qu'ils  n'en  vouloient  qu'à  la  per- 
sonne du  maréchal  d'Ancre,  aimèrent  mieux  lui  ôter 
cette  place  que  permettre  qu'elle  fût  rasée,  étant  de 
l'importance  qu'elle  est  à  l'État,  à  la  charge,  toutefois, 
que  M.  de  Longueville  demeureroit  en  sa  maison  de 
Trie^,  en  attendant  que  S.  M.  eût  pourvu  au  gouver- 
nement de  ladite  place  ^. 

M.  de  Villeroy,  ayant  eu  le  vent  cjue  la  Reine  étoit 

1.  Ce  qui  précède  est  tiré  des  Mémoires  d'Estrées  (p.  411), 
qui  donnent  plus  de  détails  que  nos  Mémoires  sur  les  négocia- 
tions engagées  et  sur  les  repi'oches  que  la  Reine  mère  adressa 
à  Villeroy  de  n'avoir  pas  assez  énergiquement  défendu  les 
intérêts  de  la  royauté.  Les  Mémoires  se  sont  encore  inspirés, 
pour  la  l'édaction  des  deux  paragraphes  suivants,  du  texte  de 
d'Estrées,  qu'ils  reproduisent  presque  mot  à  mot. 

2.  La  trêve  fut  prolongée  à  plusieurs  reprises,  d'abord  du 
23  février  au  15  mars,  ensuite  du  15  mars  au  l^""  avril,  puis 
jusqu'au  25  avril  et  enfin  jusqu'au  5  mai  [Mercure  français, 
t.  IV,  année  1616,  p.  44,  45,  76,  78).  Il  semble,  d'après  un 
document  des  Affaires  étrangères,  que  la  trêve  fut  prolongée 
du  27  mars  au  15  avril  par  acte  royal  du  27  mars,  signé  à 
Tours  (AIT.  étr.,  France  770,  fol.  129).  Il  y  aurait  donc  eu  pro- 
longations de  trêve  du  23  février  au  15  mars,  du  15  au  27  mars, 
du  27  mars  au  15  avril  et  du  15  avril  au  5  mai. 

.3.  Trie -Château,  canton  de  Chaumont,  département  de 
l'Oise.  Le  château  et  la  seigneurie  de  Trie  étaient  devenus  la 
propriété  des  Orléans-Longueville  par  suite  du  mariage  con- 
tracté en  1563  par  Marie  de  Bourbon,  duchesse  d'Estouteville 
et  dame  de  Trie,  avec  Léonor  d'Orléans,  duc  de  Longueville, 
aïeul  de  Henri,  dont  il  est  fait  ici  mention. 

4.  Cette  phrase  est  tirée  d'un  passage  des  Mémoires  d'Es- 
trées  (p.  411);  l'éditeur  de  la  collection  Michaud  a  imprimé  : 
dans  sa  maison  de   Troyes. 


12  MÉMOIRES  [1616] 

mécontente  de  lui  pour  ces  deux  derniers  articles, 
comme  s'il  n'eût  pas  fait  tout  ce  qui  étoit  en  lui  pour 
empêcher  les  princes  de  les  lui  proposer  ou  en  affoi- 
blir  leurs  poursuites,  la  vint  trouver  à  Tours ^  et,  pour 
se  justifier,  lui  représenta  qu'il  étoit  avantageux  pour 
le  service  du  Roi  de  donner  à  Monsieur  le  Prince  toute 
la  satisfaction  qui  se  pouvoit  pour  l'attirer  à  la  cour  ; 
qu'il  lui  étoit  préjudiciable  de  permettre  qu'il  demeu- 
rât éloigné  dans  son  gouvernement,  où  de  nouveaux 
boute- feux  seroient  tous  les  jours  à  l'entour  de  lui 
pour  l'exciter  à  rallumer  la  guerre  ;  qu'au  reste  l'auto- 
rité qu'on  lui  donneroit  de  signer  les  arrêts  ne  dimi- 
nueroit  en  rien  celle  de  la  Reine,  mi  que,  s'il  y  servoit 
bien,  les  choses  que  S.  M.  y  feroit  ordonner  en  seroient 
d'autant  plus  autorisées,  et,  s'il  faisoit  mal,  on  y  pouvoit 
facilement  remédier,  sa  personne  étant  en  la  puissance 
de  LL.  MM.^.  Quant  à  ce  qui  regardoit  le  maréchal 
d'Ancre,  il  lui  avoit  semblé  être  obligé,  pour  le  service 
qu'il  devoit  à  la  Reine  et  pour  la  considération  dudit 
maréchal  même,  de  ne  pas  attirer  sur  lui,  et  ensuite  sur 
elle,  cette  envie  que  l'on  crût  et  publiât  par  tout  le 
royaume  que  son  intérêt  particulier,  qui  seroit  réputé 
à  une  vanité  très  dommageable,  empêchât  la  pacifica- 
tion de  ces  troubles,  le  repos  des  peuples  et  le  bien 
public,  et  qu'à  l'extrémité,  si  la  Reine  lui  vouloit  con- 
server cette  place,  elle  la  lui  pourroit  remettre  par 
après  en  ses  mains,  quand  les  princes  seroient  sépa- 
rés et  leur  armée  licenciée,  et  ce  d'autant  plus  facile- 

1.  Bassompierre,  qui  assista  à  l'entretien,  le  rapporte  en 
termes  très  colorés  dans  ses  Mémoires,  t.  II,  p.  72. 

2.  Les  mots  de  Leurs  Majestés  ont  été  ajoutés  en  interligne, 
de  la  main  de  Charpentier,  sur  le  manuscrit  B. 


[•1616]  DE  RICHELIEU.  13 

ment  que  l'échange  seroit  aisé  à  faire  avec  M.  de 
Lonoueville  de  la  Picardie  avec  la  Normandie,  et  ledit 
duc,  hors  d'intérêt,  ne  penseroit  plus  à  la  citadelle 
d'Amiens. 

La  Reine  fut  contente  ou  feignit  de  l'être  de  ces 
raisons.  Le  Roi  s'avança  cependant  à  Blois,  où  peu  de 
jours  après  la  Reine  se  rendit,  et,  en  même  temps, 
Monsieur  le  Prince  tomba  malade  d'une  fièvi^e  conti- 
nue, ce  qui  fut  cause  que  la  paix  ne  put  être  signée 
qu'au  commencement  de  mai  ^ . 

Le  4'  de  mai,  S.  M.  fit  publier  deux  ordonnances  : 
l'une  pour  la  retraite  des  gens  de  guerre  qui  avoient 
suivi  Monsieur  le  Prince,  l'autre  pour  la  pacification 
des  troubles  présents  %  attendant  que  l'édit  qu'elle  en 
a  voit  fait  expédier  fût  publié  au  Parlement,  ce  qui 
fut  le  8^  juin  ensuivant. 

Voilà  ce  qui  fut  publié  de  l'édit  de  Loudun^;  mais 
les  articles  secrets,  qui  étoient  les  principaux  et  ceux 
auxquels  les  princes  avoient  buté\  furent  que  cha- 
cun d'eux  reçut,  en  son  particulier,  de  grands  dons  et 
récompenses  du  Roi,  au  lieu  de  la  punition  qu'il 
avoit  méritée.  Aussi  ne  livrèrent-ils  pas  à  S.  M.  la  foi 
qu'ils  lui  vendoient  si  chèrement,  ou,  s'ils  la  livrèrent, 
ce  ne  fut  pas  pour  longtemps. 

1.  Comparez  les  Mémoires  d'Estrées  (p.  411). 

2.  Voyez  dans  le  Mercure  français,  t.  IV,  année  1616, 
p.  80-82,  le  texte  de  ces  deux  ordonnances. 

3.  Le  Mercure  françois,  t.  IV,  année  1616,  p.  89  et  suiv., 
donne  le  texte  in  extenso  de  l'édit  de  Loudun  contenant  les 
conditions  de  la  paix  entre  le  Roi  et  les  princes,  en  cinquante 
articles,  plus  quinze  articles  particuliers. 

4.  Au  sens  de  prendre  pour  but. 


14  MÉMOIRES  [1616] 

On  donna  à  Monsieur  le  Prince  la  ville  et  château 
de  Chinon,  et,  pour  son  gouvernement  de  Guyenne, 
qu'en  apparence  il  offrit  pour  montrer  qu'il  se  vou- 
loit  déporter  de  toute  occasion  de  remuement,  mais 
duquel,  en  effet,  il  se  défaisoit  à  la  suscitation  de  son 
favori  qui  avoit  son  bien  éloigné  de  la  Guyenne  et  pré- 
féroit  son  intérêt  à  ceux  de  son  maître,  on  lui  donna 
celui  de  la  province  de  Berry,  de  la  tour^  et  ville  de 
Bourges,  de  plusieurs  autres  places  en  icelle,  la  plus 
grande  part  du  domaine,  et  quinze  cent  mille  livres 
d'argent  comptant,  pour  les  frais  qu'il  prétendoit 
avoir  faits  en  cette  guerre,  outre  les  levées  qu'il  avoit 
faites  en  ce  royaume  et  les  deniers  du  Roi  qu'il  avoit 
pris^. 

Tous  les  autres  princes  et  seigneurs  qui  l'avoient 
suivi  reçurent  aussi,  chacun  en  son  particulier,  des 
gratifications,  le  Roi  achetant  cette  paix  plus  de  six 
milHons  de  livres^. 

Le  Roi,  donnant  la  paix  à  son  peuple,  la  donna 
encore  à  la  cour  à  tous  ceux  qui  étoient  mécontents 
du  Chancelier;  car  il  lui  fit  rendre  les  sceaux  et  les 

1.  De  la  Touraine,  d'après  le  manuscrit  H.  Les  Mémoires  de 
Pontclmrtrain  (éd.  Michaud,  p.  362)  portent  que  l'on  accorda 
à  Monsieur  le  Prince  «  l'échange  de  son  gouvernement  de 
Guyenne  avec  celui  du  Berry  et  la  capitainerie  et  gouvernement 
de  Bourges,  et  la  grosse  tour,  qu'il  fallut  pour  cet  effet  ôter 
des  mains  de  M.  de  la  Châtre.  » 

2.  Voyez  le  Mercure  françois,  t.  IV,  année  1616,  p.  133. 

3.  Pour  le  détail  des  sommes  ainsi  attribuées,  voyez  un 
document  des  Affaires  étrangères  intitulé  :  Sommes  qui  ont  été 
accordées  par  le  traité  de  Loudun.  Etat  des  comptants  à  expé- 
dier suivant  le  traité  de  paix  de  Loudun  (France  770,  fol.  207). 


[1616]  DE  RICHELIEU.  15 

donna  au  sieur  du  Vair,  premier  président  de  Pro- 
vence, la  réputation  duquel  fit  estimer  d'un  chacun  le 
choix  que  S.  M.  en  avoit  fait^ 

Il  y  avoit  longtemps  que  M.  de  Villeroy  disoit  à  la 
Reine  et  à  la  maréchale  que,  si  S.  M.  ne  chassoit  le 
Chancelier  de  la  cour,  tout  étoit  perdu,  et  leur  avoit 
souvent  répété  ce  discours  durant  le  voyage,  en  toutes 
les  occasions  qui  se  présentoient  de  satisfaire  à  la 
mauvaise  volonté  qu'il  avoit  contre  lui,  et  lui  donner 
à  dos'.  Il  disoit  aussi  à  la  Reine  que  le  Parlement  et  le 
peuple  recevroient  grande  satisfaction  de  son  éloigne- 
ment,  étant  certain  que  ce  personnage,  ayant  beau- 
coup de  bonnes  qualités,  avoit  ce  malheur  de  n'être 
pas  bien  dans  la  réputation  publique.  Et,  sur  la  diffi- 
culté que  faisoit  la  Reine  d'éloigner  un  vieil  ministre, 
auquel  naturellement  elle  avoit  quelque  inclination, 
disant  que  c'étoit  un  bon  homme  qui  n 'avoit  point 
de  mauvais  desseins,  il  lui  avoit  mis  en  avant  le  prési- 
dent du  Vair  comme  un  homme  la  créance  de  la  vertu 
duquel  feroit  perdre  le  regret  que  quelques-uns  pour- 
roient  avoir  de  son  éloignement. 

Mais,  le  Chancelier  s'étant  aperçu  que  lesdits  sieurs 

1.  Le  chancelier  de  Sillery  l'endit  les  sceaux  au  Roi,  le  l"""  mai 
1616,  à  Blois  (Mercure  francois,  t.  IV,  année  1616,  p.  79). 
Guillaume  du  Vair  (1556-1621),  conseiller  au  parlement  de 
Paris  (1584),  maître  des  requêtes  en  1594,  puis  premier  pré- 
sident du  parlement  de  Provence,  fut  nommé  garde  des  sceaux 
en  mai  1616.  Il  remit  les  sceaux  le  25  novembre  suivant;  mais 
ils  lui  furent  rendus  le  25  avril  1617.  En  1618,  il  fut  nommé 
évêque  de  Lisieux. 

2.  Les  mots  et  lai  donner  à  dos  ont  été  ajoutés  de  la  main  de 
Charpentier  sur  le  manuscrit  B. 


10  MÉMOIRES  [1616] 

de  Villeroy  et  président  Jeannin  commençoient  à  pré- 
valoir contre  lui  en  l'esprit  de  la  Reine,  il  n'y  eut  sorte 
d'adresse  dont  il  ne  se  servît,  ni  de  soumissions  qu'il 
ne  leur  fit  pour  se  réconcilier  avec  eux  ;  ce  qui  fit  que 
ledit  sieur  de  Villeroy,  qui  avoit  une  particulière  con- 
noissance  de  M.  du  Vair,  et  sa  voit  qu'outre  que 
c'étoit  un  esprit  rude  et  moins  poli  que  la  vie  de  la 
cour  et  le  grand  rang  qu'il  y  tiendroit  ne  pouvoient 
souffrir,  il  étoit  si  présomptueux,  que,  sans  déférer 
à  l'avis  de  personne,  il  voudroit  usurper  toute  l'auto- 
rité du  gouvernement,  essaya  de  ramener  l'esprit  de 
la  Reine  et  faire  que,  continuant  à  se  servir  du  Chan- 
celier, elle  se  contentât  d'éloigner  de  la  cour  le  com- 
mandeur de  Sillery,  et  le  sieur  de  Bullion,  qui  avoit 
épousé  leur  nièce. 

La  Reine  chassa  de  Tours ^  les  deux  susdits  et  con- 
tinua toujours  en  la  volonté  de  faire  de  même  du  Chan- 
celier; à  quoi  la  maréchale  d'Ancre  la  confortoit, 
mécontente  de  voir  que  lesdits  sieurs  de  Villeroy  et 
président  Jeannin  eussent  si  tôt  changé  d'avis. 

Le  sieur  de  Villeroy,  reconnoissant  cela,  tâcha  d'ar- 
rêter ce  dessein  par  autre  moyen  et  écrivit  au  prési- 
dent du  Vair,  avec  lequel  il  avoit  une  ancienne  amitié, 
qu'il  ne  lui  conseilloit  pas  en  ce  temps  orageux, 
auquel  les  affaires  avoient  peu  de  fermeté,  d'accepter 
les  sceaux  si  on  les  lui  offroit;  qu'il  penseroit  man- 
quer à  l'affection  qu'il  lui  portoit  s'il  ne  lui  donnoit 
ce  conseil;  qu'il  y  avoit  peu  de  sûreté  dans  cet 
emploi,  grande  difficulté  à  y  bien  faire  et  plus  encore 
à  y  contenter  tout  le  monde,  grand  nombre  d'enne- 

1.  Les  manuscrits  portent  des  Tours,  par  mégarde. 


[1616]  DE  RICHELIEU.  17 

mis  à  y  acquérir,  et  peu  ou  point  de  protection  à  y 
attendre  de  ceux  qui  avoient  le  principal  crédit  dans 
le  gouvernement. 

Le  président  du  Vair,  intimidé,  refusa  l'offre  qu'on 
lui  en  fît.  La  maréchale,  étonnée  de  ce  refus  et  soup- 
çonnant qu'il  y  avoit  en  cela  quelque  tromperie, 
envoya  quérir  Ribier%  son  neveu,  qui  lui  dit  que  ce 
que  son  oncle  en  avoit  fait  étoit  sur  les  lettres  qu'il 
en  avoit  reçues  de  M.  de  Villeroy,  qui  l'en  dissuadoient, 
et  s'offrit,  si  elle  l'avoit  agréable,  de  l'aller  quérir  lui- 
même;  ce  qu'il  fît  incontinent. 

Le  partement  de  M.  du  Vair  fut  si  public,  par  le 
grand  nombre  de  personnes  de  toutes  qualités  qui 
voulurent  aller  prendre  congé  de  lui  et  l'accompa- 
gner, que  le  Chancelier  en  eut  promptement  avis  et  se 
résolut,  pour  n'être  prévenu  avec  honte  à  la  face  de 
toute  la  cour,  de  partir  de  Tours,  où  il  étoit  encore,  et 
aller  à  Blois  trouver  la  Reine  pour  lui  demander  congé 
de  se  retirer.  Le  président  du  Vair  avoit  la  même 
volonté  que  lui  et  ne  désiroit  pas,  à  son  arrivée,  le 
trouver  encore  à  la  cour,  soit  pour  le  respect  de  la 
bienveillance  qui  étoit  entre  eux  de  longtemps,  soit 
qu'il  ne  s'estimât  point  assuré  qu'il  ne  le  vît  actuelle- 
ment dépossédé,  et  avoit  fait  suppher  la  maréchale, 
par  son  neveu  Ribier,  de  lui  vouloir  procurer  cette 
satisfaction . 

Le  Chancelier,  étant  en  chemin,  communiqua  son 

1.  Jacques  Ribier,  conseiller  au  parlement  de  Paris,  puis 
conseiller  d'État,  avait  épousé  Françoise  Alleaume,  fille  de 
Nicolas  Alleaume,  conseiller  au  Parlement,  et  d'Antoinette  du 
Vair,  sœur  du  chancelier  du  Vair.  Il  était  frère  de  Guillaume 
Ribier,  député  aux  États  généraux  de  1614  :  tome  I,  p.  380. 
II  2 


18  MÉMOIRES  [1616] 

dessein  au  président  Jcannin,  et,  comme  l'espérance 
meurt  toujours  la  dernière  en  nos  esprits,  et  principa- 
lement à  la  cour,  il  pria  le  président  Jeannin  (parce 
que  M.  de  Villeroy  étoit  lors  à  Loudun  à  la  conférence) 
d'aller  devant  trouver  la  Reine  et  savoir  d'elle  si  le 
bruit  que  l'on  faisoit  courir  de  la  venue  dudit  sieur  du 
Vair  étoit  véritable,  et  lui  rendre,  en  cette  occasion, 
les  derniers  bons  offices  que  son  péril  présent,  qui 
leur  pouvoit  être  commun  bientôt  après,  lui  devoit 
faire  espérer  de  lui. 

Le  président  Jeannin  va  trouver  la  Reine  ;  elle  lui 
dit  ce  qui  en  étoit.  Il  lui  parla  de  différer  ce  chan- 
gement ;  la  Reine  se  montrant  tout  émue  de  ses 
paroles  \  il  lui  dit  que  M.  de  Villeroy  et  lui  lui  en 
avoient  autrefois  donné  le  conseil,  mais  qu'ils  ne  le 
jugeoient  plus  nécessaire  depuis  les  protestations  qu'il 
leur  avoit  faites  de  vouloir  suivre  leur  avis,  et  leur 
être  tellement  soumis  qu'il  ne  feroit  plus  rien  que  ce 
qu'ils  voudroient,  dont  ils  avoient  sujet  d'être  assu- 
rés, puisqu'il  n' avoit  plus  auprès  de  lui  le  comman- 
deur de  Sillery  et  BuUion.  A  quoi  la  Reine,  pour  toute 
réponse,  lui  demanda  si  c'étoit  ainsi  qu'il  gouvernoit 
les  affaires  du  Roi  par  ses  intérêts  particuliers,  et,  dès 
le  lendemain,  fit  faire  commandement  au  Chancelier 
de  rapporter  les  sceaux  au  Roi  ;  ce  qu'il  fît,  et  se  retira 
de  la  cour. 

L'éloignement  du  président  Jeannin  et  de  M.  de 
Villeroy  étoit  aussi  déjà  résolu  ;  mais  ce  dessein  n'écla- 
toit  pas  encore,  Barbin^,  à  qui  la  Reine  avoit  donné  la 

1.  Var.  :  Il  lui  parla  de  différer  ce  changement;  ce  qui  étonne 
la  Reine;  il  lui  dit  (M,  H). 

2.  Tome  I,  p.  269. 


[1616]  DE  RICHELIEU.  19 

charge  du  premier,  ayant  cru  devoir  différer  à  la 
recevoir  jusques  à  ce  que  LL.  MM.  fussent  de  retour 
à  Paris  et  la  paix  bien  assurée. 

LL.  MM.  y  arrivèrent  le  16  mai*  et  y  donnèrent 
les  sceaux  à  M.  du  Vair  ;  le  président  Le  Jay  fut  remis 
en  liberté  et  rentra  en  l'exercice  de  sa  charge  au  Par- 
lement ~.  Mais  une  liberté  plus  chère  et  moins  espérée 
fut  rendue,  et  plus  volontiers,  au  comte  d'Auvergne^, 
que  LL.  MM.,  ne  sachant  plus  à  qui  des  princes  avoir 
une  confiance  entière,  délivrèrent  comme  une  créa- 
ture anéantie  à  laquelle  ils  auroient  donné  l'être  de 
nouveau.  Il  avoit  été  mis  deux  fois  à  la  Bastille  par  le 
feu  Roi^,  et  pour  crime  de  rébellion  et  entreprises 
contre  S.  M.^,  au  ser\dce  de  laquelle  il  ne  s'étoit 
jamais  comporté  de  la  sorte  qu'il  étoit  obligé  par  sa 
condition.  Son  premier  arrêt ^  ne  l'ayant  rendu  sage, 
il  n'y  avoit  point  d'espérance  que  celui-ci  dût  prendre 

1.  La  Reine  mère  arriva  à  Paris  le  mercredi  11  mai,  le  Roi 
et  la  Reine  le  16.  Le  Mercure  françois,  t.  IV,  année  1616, 
p.  84-87,  donne  un  récit  détaillé  de  leur  entrée. 

2.  Le  président  Le  Jay  avait,  on  s'en  souvient,  été  arrêté  le 
17  août  1615  et  emprisonné  dans  le  château  d'Amboise  :  voyez 
tome  I,  p.  400.  La  mise  en  liberté  du  président  Le  Jay  est 
mentionnée  par  le  Mercure  françois,  t.  IV,  année  1616,  p.  87. 

3.  Charles  de  Valois  (1573-1650),  fils  naturel  de  Charles  IX 
et  de  Marie  Touchet  et  frère  de  la  marquise  de  Verneuil,  maî- 
tresse de  Henri  IV.  Il  recouvra  sa  liberté  le  26  juin  1616.  Au 
mois  de  janvier  1620,  il  reçut  de  Louis  XIII  le  duché  d'Angou- 
lême,  dont  il  prit  le  nom. 

4.  Le  comte  d'Auvergne  avait  été  emprisonné,  la  première 
fois,  pour  avoir  pris  part  à  la  conspiration  du  maréchal  de  Biron. 

5.  Les  mots  Sa  Majesté  ont  été  substitués  après  coup  par 
Sancy,  sur  le  manuscrit  B,  aux  mots  :  sa  dignité  royale. 

6.  Arrêt  veut  dire  ici  emprisonnement. 


20  MÉMOIRES  [1616] 

fin;  mais  ce  que  son  propre  mérite  lui  dénioit,  la 
malice  des  autres  le  lui  fit  obtenir,  sous  espérance 
que  la  grandeur  de  cette  obligation  dernière  surmon- 
teroit  les  mauvaises  inclinations  qui  avoient  paru  en 
lui  auparavant;  et,  afin  que  la  grâce  fût  tout  entière, 
S.  M.  lui  fît  rendre,  par  le  duc  de  Nevers,  l'état  de 
colonel  de  la  cavalerie  légère,  dont  il  étoit  honoré 
avant  sa  prison  ^ . 

LL.  MM.  récompensèrent  aussi  ceux  qui  avoient  des 
places  fortes  et  le  domaine  du  Roi  en  Berry,  afin  de 
satisfaire  à  la  promesse  qui  avoit  été  faite  à  Monsieur  le 
Prince^. 

Le  maréchal  d'Ancre  remit  la  citadelle  d'Amiens 
entre  les  mains  du  duc  de  Montbazon^,  à  qui,   en 

1.  Tout  ce  paragraphe,  depuis  les  mots  le  président  Le  Jay, 
a  été  ajouté  en  marge  du  manuscrit  B,  de  la  main  du  copiste. 

2.  Le  manuscrit  B  porte  ici  l'alinéa  suivant,  qui  y  a  été  biffé  : 
«  Et  pour  ce  que,  des  partis  divers  qui  se  font  dans  la  maison 
du  Roi  à  qui  prendra  plus  de  pied  dans  son  jeune  esprit,  la 
Reine  croit  qu'il  a  plus  d'inclination  vers  Luynes,  qui,  jusques 
alors,  l'emportoit  avec  quelque  avantage  sur  tous  les  autres, 
elle  pensa  à  le  rendre  entièrement  sien,  et,  outre  les  grandes 
pensions  dont  elle  le  favorisoit,  elle  lui  fit  encore  donner  la 
ville  et  château  d'Amboise,  qu'elle  acheta  plus  de  cent  mille 
écus  à  cette  fin,  par  une  erreur  assez  ordinaire  dans  le  com- 
merce des  hommes  d'aider  à  ceux  que  nous  voyons  mal  volon- 
tiers s'élever,  n'osant  ouvertement  nous  opposer  à  eux  et  espé- 
rant les  pouvoir  gagner  par  nos  bienfaits,  sans  prendre  garde 
que  cette  considération-là  n'aura  pas  un  jour  tant  de  force 
pour  nous  en  leur  esprit  qu'en  aura  contre  nous  le  propre 
intérêt  de  leur  ambition  démesurée  qui  ne  peut  souffrir  de 
partager  l'autorité  qu'elle  désire  avoir  seule,  ni  moins  la  pos- 
séder avec  dépendance  d'autrui.  » 

3.  Ce  changement  eut  lieu  le  l®""  août  1616.  —  Hercule  de 
Rohan  (1568-1654),  duc  de  Montbazon,  fils  de  Louis  de  Rohan, 


[1616]  DE  RICHELIEU.  21 

outre,  le  Roi  donna  la  lieutenance  en  Picardie,  au  lieu 
de  celle  de  Normandie  qu'il  avoit.  Et,  afin  que  le 
maréchal  d'Ancre  ne  perdit  point  en  cet  échange,  ains 
au  contraire  trouvât  son  élèvement  en  l'abaissement 
qu'on  lui  avoit  voulu  procurer,  on  lui  donna  la  lieu- 
tenance de  Roi  en  Normandie,  le  gouvernement  de 
la  ville  et  château  de  Gaen,  dont  on  retira  Bellefonds^ 
celui  du  Pont-de-l' Arche,  et  peu  après  Quillebœuf^. 

Les  princes,  nonobstant  que  LL.  MM.  témoignassent, 
par  ces  commencements,  vouloir  exécuter  ponctuelle- 
ment ce  qui  avoit  été  promis,  ne  se  hàtoient  point  de 
venir  à  Paris,  chacun  d'eux  désirant  laisser  écouler 
davantage  de  temps  pour  voir  plus  assurément  quel 
train  prendroient  les  affaires. 

Ils  s'étoient  néanmoins  séparés  avec  assez  mauvaise 
intelligence  les  uns  d'avec  les  autres,  ce  qui  arrive 
ordinairement  entre  personnes  desquelles  chacun  esti- 
mant plus  mériter  qu'il  ne  vaut,  nul  n'est  content  de 
la  part  qui  lui  est  donnée  en  la  récompense  com- 
mune. Ils  se  plaignoient  tous  que  Monsieur  le  Prince 
avoit  pris  tout  l'avantage  pour  lui.  Les  ducs  de  Rohan 

prince  de  Guémené,  et  de  Léonore  de  Rohan,  servit  fidèle- 
ment Henri  IV,  dont  il  reçut  la  charge  de  gouverneur  de 
Paris  et  de  l'Ile-de-France  et,  en  1602,  celle  de  grand  veneur. 
De  son  mariage  avec  Madeleine  de  Lenoncourt  naquit  Marie  de 
Rohan,  la  célèbre  duchesse  de  Chevreuse. 

1.  Bernardin  Gigault,  seigneur  de  Bellefonds,  gentilhomme 
de  la  chambre  du  Roi,  gouverneur  de  Valognes  et  des  ville  et 
château  de  Caen. 

2.  Le  manuscrit  B  contient  cette  phrase,  qui  a  été  rayée 
après  coup  :  «  Le  président  Le  Jay  fut  remis  en  liberté  et  ren- 
tra en  l'exercice  de  sa  charge  au  Parlement.  »  Les  Mémoires 
ont,  en  effet,  déjà  mentionné  un  peu  plus  haut  cet  incident. 


22  MÉMOIRES  [1616] 

et  de  Sully,  qui  prétendoient  être  [les]  seuls  qui 
avoient  joint  à  ses  armes  le  parti  des  huguenots, 
estimoient  qu'il  avoit  eu  trop  peu  d'égard  à  leurs  inté- 
rêts. M.  de  Longueville  n'étoit  pas  plus  satisfait  que 
les  autres,  se  voyant  retiré  en  sa  maison  et  n'osant 
retourner  en  Picardie,  nonobstant  que  le  maréchal 
d'Ancre  se  fût  démis  de  la  citadelle  d'Amiens,  pour  ce 
qu'il  jugeoit  bien  qu'il  n'y  auroit  pas  plus  de  crédit, 
étant  entre  les  mains  de  M.  le  duc  de  Montbazon,  qu'il 
y  en  avoit  eu,  étant  entre  les  mains  du  maréchal 
d'Ancre.  Et,  entre  M.  de  Bouillon  et  Monsieur  le 
Prince,  il  y  avoit  si  peu  de  confiance  que  le  dernier, 
qui  étoit  désiré  à  la  cour  avec  impatience  de  la  part 
de  la  Reine,  lui  faisoit  paroître  qu'il  eût  bien  sou- 
haité, quand  il  y  arriveroit,  en  trouver  le  premier 
éloigné,  tant  cette  union  si  étroite  de  ces  princes 
contre  le  Roi,  et  qui  ne  se  maintenoit  que  par  les 
avantages  que  chacun  d'eux  en  espéroit  par  la 
guerre,  fut  promptement  dissipée  par  ce  traité  de 
paix  * . 

Les  seuls  ducs  de  Mayenne  et  de  Bouillon  se  main- 
tinrent en  intelligence  l'un  avec  l'autre.  Le  dernier, 
ayant  volonté  de  s'en  aller  en  Limousin  et  à  Nègre- 
pelisse^,  que  depuis  peu  il  avoit  acquis,  changea  de 
dessein  à  la  semonce  de  la  Reine,  qui  lui  fit  l'honneur 
de  lui  écrire  de  sa  main  propre  pour  le  convier  de  se 
rendre  au  plus  tôt  auprès  de  S.  M.;  ce  qu'il  fit,  et 
amena  le  duc  de  Mayenne  avec  lui.  Mais,  encore  que  la 

1.  Le  paragraphe  précédent  n'est  que  le  développement  d'un 
passage  des  Mémoires  d'Estrées  (p.  411). 

2.  Nègrepelisse,  chef-lieu  de  canton  du  département  de  Tarn- 
et-Garonne,  à  vingt  kilomètres  nord-est  de  Montauban. 


[1616]  DE  RICHELIEU.  23 

Reine  les  reçut  très  bien,  ils  ne  furent  pas  sitôt  arri- 
vés qu'ils  se  repentirent  de  s'être  hâtés  plus  que  les 
autres,  d'autant  qu'ils  virent  un  changement  universel 
que  la  Reine  fit  bientôt  après  de  tous  les  ministres. 

MM.  de  Villeroy  et  le  président  Jeannin  étoient  déjà 
à  leur  arrivée  sans  crédit,  et  ne  se  passa  guère  de 
temps  que  le  premier  se  retira  en  sa  maison  de  Con- 
flans*;  la  charge  du  second  fut  donnée  à  Rarbin,  et 
celle  de  secrétaire  d'État,  que  M.  de  Puyzieulx  exer- 
çoit,  au  sieur  Mangot^.  La  raison  dictoit  assez 
qu'ayant  ôté  les  sceaux  à  Monsieur  le  Chancelier,  il 
n'étoit  pas  à  propos  de  laisser  son  fils  premier  secré- 
taire d'État  en  un  temps  si  orageux  que  celui  auquel 
on  étoit  lors  ;  mais  la  bonté  de  la  Reine,  qui  n'avoit 
éloigné  le  père  qu'y  étant  contrainte  par  son  mauvais 
gouvernement,  faisoit  qu'elle  avoit  difficulté  d'éloi- 
gner le  fils,  qui  n'avoit  point  commis  de  faute  particu- 
lière qui  semblât  le  mériter.  Le  sieur  du  Vair,  qui  ne 
croyoit  point  être  assuré  tandis  qu'il  verroit  une  per- 
sonne à  la  cour  si  proche  à  celui  dont  il  tenoit  la 
place,  oubliant  toute  l'obligation  qu'il  avoit  à  M.  de 
Villeroy,  qui  l'avoit  seul  proposé  au  feu  Roi  pour  être 
premier  président  de  Provence,  lui  avoit  fait  valoir  ses 

1.  Tome  I,  p.  123. 

2.  Claude  Mangot,  seigneur  de  Villarceaux,  conseiller  au  Par- 
lement, maître  des  requêtes  en  1600,  chargé  d'une  mission  en 
Suisse,  puis  premier  président  du  parlement  de  Bordeaux,  fut 
nommé  secrétaire  d'État  par  provision  du  9  août  1616  (AfT. 
étr.,  France  770,  fol.  153).  Il  appartenait  à  une  bonne  famille 
de  robe,  et  son  père  était  de  Loudun.  Au  dire  du  président 
Gramond,  il  était  «  vir  probus  et,  quod  in  aulâ  rarum,  incor- 
ruptus  »  (G.  Hanotaux,  Histoire  du  cardinal  de  Richelieu, 
t.  II,  p.  83). 


24  MÉMOIRES  [1616] 

services  et  l'avoit  maintenu  envers  et  contre  tous,  fit 
tant  d'insistances  à  la  Reine  de  le  congédier,  qu'il  lui  en 
fit  enfin  prendre  résolution,  non  toutefois  tant  à  son 
contentement  qu'il  espéroit;  car,  au  lieu  qu'il  se  pro- 
mettoit  de  faire  entrer  en  cette  charge  Ribier,  son 
neveu,  qui  s'en  étoit  déjà  vanté,  la  Reine  la  donna  au 
sieur  Mangot,  à  qui  elle  avoit,  peu  auparavant, 
accordé  la  charge  de  premier  président  de  Bordeaux. 
C'est  ainsi  que  les  honneurs  changent  les  mœurs  en 
un  moment.  Le  sieur  du  Vair  qui,  peu  de  jours  avant, 
faisoit  profession  d'être  un  philosophe  stoïque*  et  en 
écrivoit  des  livres,  n'est  pas  sitôt  à  la  cour  que,  chan- 
geant d'esprit  en  faisant  paroitre  les  qualités  qui  y 
étoient  cachées,  non  seulement  y  devient  ambitieux, 
mais  noie  dans  son  ambition  tous  les  devoirs  de  bien- 
séance et  d'amitié,  commettant  une  ingratitude  qu'un 
homme  qui  n'eût  jamais  été  courtisan  eût  eu  honte 
qu'on  lui  eût  pu  reprocher^. 

En  ce  temps,  la  Reine,  ayant  été  avertie  par  ses 
serviteurs  de  l'adresse  et  des  artifices  dont  le  sieur 
de  Luynes  usoit  auprès  du  Roi  pour  lui  rendre  sa 
conduite  odieuse,  lui  en  représentant  les  manque- 
ments plus  grands  qu'ils  n'étoient,  et  amoindrissant 
ce  qui  étoit  à  louer,   se  résolut  de  lui  offrir  de  se 

1.  Le  manuscrit  B  portait  auparavant  :  «  ...  faisoit  profes- 
sion du  philosophe  stoïque...  »  C'est  Charpentier  qui  a  cor- 
rigé et  mis  :  «  ...  faisoit  profession  d'être  un  philosophe 
stoïque...  » 

2.  Ici  se  trouvait  dans  le  manuscrit  B  un  passage  relatif  au 
duc  de  Bouillon,  qui  a  été  biffé  pour  être  reporté  plus  loin  : 
ci-après,  p.  27;  il  commence  par  ces  mots  :  «  M.  de  Bouillon, 
qui  savoit  bien  se  servir,  etc.  » 


[1616]  DE  RICHELIEU.  25 

démettre  de  l'autorité  qu'il  lui  avoit  donnée,  et  la 
consigner  en  ses  mains,  jugeant  bien  qu'il  ne  la  rece- 
vroit  pas,  et  que  cette  offre,  néanmoins,  feroit  en 
son  esprit  l'effet  qu'elle  désiroit,  qui  étoit  de  lui  ôter 
la  créance  qu'elle  eût  un  désir  démesuré  de  continuer 
son  gouvernement,  auquel  elle  étoit  portée  par  ambi- 
tion particulière,  non  pour  le  bien  de  son  service,  ni 
que  la  nécessité  publique  le  requît. 

Elle  le  supplia  pour  ce  sujet  d'avoir  agréable  de 
prendre  jour  pour  aller  au  Parlement,  où,  après  lui 
avoir  justifié  combien  elle  étoit  éloignée  de  ces  senti- 
ments, elle  désiroit  se  décharger  du  soin  de  ses 
affaires  ;  qu'il  trouveroit  que,  par  le  passé,  on  n'a  voit 
pu  conduire  les  choses  plus  heureusement,  et  qu'ayant 
fait  tout  ce  qu'elle  avoit  dû  pour  lui  assurer  la  cou- 
ronne, il  étoit  bien  raisonnable  qu'il  prît  cette  peine 
pour  lui  procurer  son  repos;  qu'il  lui  fàchoit, 
après  tant  de  glorieuses  preuves*  qu'elle  avoit  don- 
nées de  sa  passion  au  bien  de  cet  État,  de  se  voir  en 
peine  de  défendre  ses  intentions  contre  des  calomnies 
secrètes  ; 

[Que,]  comme  elle  n'avoit  rien  à  craindre  de  son 
naturel,  aussi  voyoit-elle  qu'elle  avoit  juste  sujet  de  se 
défier  de  son  âge  ;  qu'elle  prévoyoit  que,  si  on  avoit  eu 
l'audace  de  l'attaquer  en  un  lieu  si  saint,  il  pourroit 
avec  le  temps  être  emporté  par  force  et  se  laisser 
vaincre  à  la  violence  de  leurs  poursuites  ; 

Quelle  jugeoit  bien  que,  quand  l'on  est  parvenu 
par  beaucoup  de  peines  et  de  périls  au  comble  d'une 

1.  Le  mot  preuves  a  été  ajouté  en  interligne,  de  la  main  de 
Charpentier,  sur  le  manuscrit  B. 


26     ■  MÉMOIRES  [1616] 

grande  réputation,  la  prudence  veut  qu'on  pense  à 
une  favorable  retraite,  de  peur*  qu'on  ne  perde,  par 
la  révolution  des  choses  humaines,  ce  qu'on  a  si  chè- 
rement acquis  ; 

Qu'elle  savoit  que  les  offices  les  plus  mal  reconnus 
sont  ceux  qu'on  rend  au  public,  et  qu'un  mauvais 
événement  pouvoit  ternir  la  gloire  de  ses  actions 
passées. 

Mais,  quelque  instance  qu'elle  pût  faire,  le  Roi  ne 
lui  voulut  jamais  accorder  de  quitter  le  gouverne- 
ment de  ses  affaires.  En  quoi  elle  ne  fut  pas  trompée; 
car  elle  ne  le  désiroit,  ni  ne  craignoit  que  le  Roi  la 
prît  au  mot  ;  mais  les  raisons  qu'elle  lui  avoit  appor- 
tées lui  sembloient  être  si  recherchées,  qu'il  crut 
qu'elles  lui  avoient  plutôt  été  insinuées  qu'elle  ne  les 
avoit  pas  conçues  en  son  esprit,  et,  pour  ce,  ne  s'ouvrit 
pas  avec  elle  des  mécontentements  qu'il  commençoit 
à  recevoir  du  prodigieux  élèvement  du  maréchal 
d'Ancre,  ne  jugeant  pas  qu'elle  eût  volonté  d'y  remé- 
dier, mais  l'assura  qu'il  étoit  très  satisfait  de  son 
administration,  que  personne  ne  lui  parloit  d'elle  qu'en 
des  termes  convenables  à  sa  dignité. 

Le  sieur  de  Luynes  ne  lui  en  dit  pas  moins  et 
accompagna  ses  paroles  de  gestes  et  de  serments,  et 
de  toutes  autres  circonstances  qui  peuvent  servir  à 
cacher  un  cœur  double  et  qui  a  une  intention  toute 
contraire  à  ce  qu'il  promet.  Il  ne  put  néanmoins  si  bien 
se  feindre  que  la  Reine,  qui  n'étoit  pas  inexperte 
en  ces  artifices,  n'en  aperçût  quelque  chose.  Elle  ne 

1.  Les  mots  de  peur  ont  été  ajoutés  en  interligne,  de  la  main 
de  Charpentier,  sur  le  manuscrit  B. 


[1616]  DE  RICHELIEU.  27 

s'en  douta  pas  tant  qu'elle  en  prît  dessein  de  le  chas- 
ser d'auprès  la  personne  du  Roi,  ni  si  peu  aussi  qu'elle 
ne  commençât  à  penser  à  quelque  retraite  honorable, 
si  le  Roi  prenoit  quelque  jour  de  lui-même  la  résolu- 
tion qu'il  avoit  refusé  de  prendre  à  sa  requête. 
Et,  pour  ce  qu'elle  avoit  commencé  à  gouverner  ce 
royaume  avec  autorité  souveraine  en  la  minorité  du 
Roi,  ne  désirant  pas  retourner  à  vivre  sous  la  puis- 
sance d'autrui,  elle  fît  traiter  de  la  principauté  de  la 
Mirandole^  et  envoya  exprès  André  Lumague^  en 
Italie  pour  en  convenir  de  prix.  Mais  le  roi  d'Es- 
pagne traversa  l'exécution  de  ce  traité  et  ne  voulut 
plus  que  les  François  remissent  le  pied,  en  quelque 
manière  que  ce  fût,  en  un  lieu  dont  il  les  avoit  chassés 
avec  tant  de  peines,  de  périls  et  d'années. 

M.  de  Bouillon,  qui  sa  voit  bien  se  servir  de  tout  à 
son  avantage,  essaya  de  profiter  de  l'absence  de  Mon- 
sieur le  Prince  et  convertit  en  artifices  de  prudence 
la  disgrâce  en  laquelle,  par  fortune,  se  rencontroit 
alors  M.  de  Villeroy  :  car,  jugeant  que  ledit  sieur  de 
Villeroy,  pour,  par  l'appréhension  de  nouvelles  brouil- 
leries,  se  rendre  nécessaire^,  favoriseroit  toutes  les 
demandes  qu'il  pourroit  faire,  pour  peu  raisonnables 

1.  Principauté  italienne,  ayant  pour  capitale  la  ville  du  même 
nom  et  située  entre  les  duchés  de  Ferrare,  de  Modène  et  de 
Mantoue. 

2.  Jean-André  Lumaga  ou  Lumague  (1564-1637),  seigneur 
de  Villiers  et  de  Saint-Loup,  banquier  italien  auquel  Richelieu 
eut  souvent  recours  :  voyez  Avenel,  t.  I,  p.  705,  et  VIII,  p.  42. 

3.  Var.  :  Jugeant  que  Villeroy  pour,  par  appréhension,  se 
rendre  nécessaire  (M).  — Jugeant  que  Villeroy,  pour  se  rendre 
nécessaire  (H). 


28  MÉMOIRES  [1616] 

qu'elles  fussent,  et  représenteroit  que  le  refus  qu'on  lui 
en  feroit  seroit  une  infraction  au  traité  de  Loudun, 
[il]  ne  fit  point  de  difficulté  de  désirer  de  la  Reine  plu- 
sieurs choses  frivoles  et  impertinentes  et  qui,  en  vérité, 
étoient  au  delà  des  choses  qui  avoient  été  accordées 
par  ledit  traité,  mais  que  néanmoins,  il  disoit  être 
nécessaires,  tant  pour  la  sûreté  de  Monsieur  le  Prince 
que  de  ceux  qui  avoient  été  joints  avec  lui. 

Entre  autres  choses,  ils  faisoient  grande  instance 
sur  le  règlement  du  Conseil,  lequel  ils  vouloient  être 
réduit  à  un  certain  nombre  de  personnes  choisies,  le 
choix  desquelles  étoit  très  difficile  à  faire,  tant  pour 
n'encourir  l'envie  de  ceux  qu'on  rebutoit  que  pour  ce 
qu'ils  eussent  formé  difficulté  sur  beaucoup  de  ceux 
qu'on  eût  retenus,  s'ils  n'eussent  été  de  leur  intelli- 
gence. 

Gela  mettoit  la  Reine  bien  en  peine;  carie  garde  des 
sceaux  du  Vair  étoit  si  nouveau  dans  les  affaires, 
qu'elle  n'en  étoit  aucunement  assistée,  étant  étonné  en 
toutes  rencontres,  ne  sachant  se  démêler  d'aucune,  et 
M.  de  Bouillon  ayant  tel  ascendant  sur  son  esprit  qu'il 
en  faisoit  ce  qu'il  vouloit,  de  sorte  qu'il  se  laissa  aller 
jusque-là  que  de  dire  à  la  Reine,  en  présence  dudit 
sieur  de  Bouillon,  qu'elle  n'étoit  pas  bien  conseillée  de 
prendre  si  peu  de  confiance  c[u'elle  faisoit  à  lui  et  à 
M.  de  Mayenne;  ce  que  la  Reine,  qui  sur-le-champ  ne 
lui  voulut  rien  répondre,  lui  reprocha  par  après,  lui 
remontrant  les  sujets  qu'elle  avoit  de  se  méfier  d'eux, 
et  que,  quand  bien  cela  ne  seroit  pas  ainsi,  il  ne  devoit 
pas  lui  en  parler  en  leur  présence. 

Toutes  ces  choses  faisoient  désirer  à  la  Reine  d'autant 
plus  ardemment  la  venue  de  Monsieur  le  Prince,  qui 


[1616]  DE  RICHELIEU.  29 

étoit  allé  en  Berry  prendre  possession  du  gouvernement 
et  avoit  de  sa  part  bonne  volonté  de  se  rendre  à  la  cour, 
espérant  d'y  disposer  de  toutes  choses  dans  le  Conseil  ; 
mais  les  ducs  de  Bouillon  et  de  Mayenne  faisoient  tous  les 
offices  qu'ils  pouvoient  auprès  de  lui  pour  retarder  son 
partement  :  ce  qui  fit  que  la  Reine  lui  dépêcha  plusieurs 
personnes  l'une  après  l'autre,  et  lui  aussi  lui  en  dépêcha 
de  même\  chacun  desquels  se  vantoit  avoir  le  plus 
de  créance  auprès  de  lui.  Et,  de  fait^,  toutes  les  lettres 
qu'il  écrivoit  par  eux  étoient  en  une  créance  fort  parti- 
culière et  la  plupart  contraires  les  unes  aux  autres  :  ce 
qui  fit  que,  pour  démêler  ces  fusées,  la  Reine  me^ 
dépêcha  vers  lui^,  croyant  que  j'aurois  assez  de  fidé- 
lité et  d'adresse  pour  dissiper  les  nuages  de  la  défiance 
que  les  mauvais  esprits  lui  donnoient  d'elle  contre  la 
vérité  :  ce  qui  me  réussit,  non  sans  peine,  assez  heu- 
reusement, l'ayant  en  peu  de  temps  rendu  capable  de 
l'avantage  que  la  Reine  recevroit  de  sa  présence,  de 

1.  Le  manuscrit  B  portait  «  plusieurs  ».  Charpentier  a  mis 
«  de  même  ». 

2.  Substitué  par  Charpentier  aux  mots  «  à  la  vérité  ». 

3.  Notez  la  forme  personnelle  du  récit  «  me  dépêcha  ».  C'est 
là  un  des  exemples  qui  montrent  la  part  prise  par  Richelieu  à 
la  rédaction  des  Mémoires. 

4.  «  La  Reine,  afin  de  l'obliger  de  venir  plus  promptement, 
lui  envoya  deux  fois  M.  le  cardinal  de  Richelieu,  lors  son  pre- 
mier aumônier  et  qui  étoit  évêque  de  Luçon  »  [Mémoires 
d'Estrées,  éd.  Michaud,  p.  412).  Avenel  a  publié,  sous  la  date 
du  4  juin  1616,  une  lettre  adressée  par  Richelieu  au  prince  de 
Condé  pour  le  presser  de  revenir  à  la  cour.  C'est  entre  cette 
date  et  le  20  juin  qu'on  peut  placer  le  voyage  de  l'évêque  de 
Luçon  auprès  du  prince  [Lettres,  t.  VII,  p.  319).  On  remar- 
quera que  les  Mémoires  ne  font  pas  mention,  comme  d'Estrées, 
de  deux  voyages  faits  par  le  Cardinal  auprès  de  Condé. 


30  MÉMOIRES  [1616] 

l'affermissement  qu'elle  donneroit  à  la  paix,  de  l'auto- 
rité qu'elle  apporteroit  aux  résolutions  du  Conseil,  de 
l'espérance  qu'elle  ôteroit  aux  brouillons  de  voir  leurs 
mauvaises  volontés  appuyées,  et  du  repos  qu'elle  don- 
neroit à  l'esprit  de  S.  M.,  qui  ne  pouvoit  plus  davan- 
tage supporter  les  soins  et  les  craintes  perpétuelles  où 
ces  divisions  passées  l'avoient  tenue  si  longtemps  ;  pour 
toutes  lesquelles  raisons,  il  ne  pouvoit  raisonnablement 
douter  qu'elle  n'eût  sa  présence  très  agréable  et  lui 
donnât  toutes  les  satisfactions  qu'elle  pourroit  pour  le 
retenir  auprès  du  Roi  en  la  dignité  et  au  crédit  que 
sa  qualité  et  son  affection  au  service  de  S.  M.  lui  fai- 
soient  mériter,  outre  que  je  lui  donnai  assurance,  de  la 
part  de  la  maréchale,  qu'elle  emploieroit  ce  que  son  mari 
et  elle  auroient  de  pouvoir  auprès  d'elle^  pour  le  main- 
tenir en  l'honneur  de  ses  bonnes  grâces  et  que,  si  jus- 
ques  ici  ils  l'avoient  fait,  comme  il  en  pouvoit  lui-même 
être  bon  témoin,  ils  n'y  manqueroient  pas  à  l'avenir, 
après  s'y  être  obligés  par  une  solennelle  promesse. 

On  lui  avoit  donné  jalousie  du  baron  de  la  Châtre^, 
qui  étoit  à  Bourges,  lequel  on  lui  mandoit  y  avoir  été 
envoyé  pour  épier  ses  actions,  et  de  ce  qu'on  ne  lui  fai- 
soit  point  encore  de  raison  de  ce  qui  s'étoit  passé  à 
Poitiers,  ces  deux  choses  témoignant  assez  le  peu  de 
sincérité  avec  laquelle  on  désiroit  son  retour,  quoiqu'on 
fit  semblant  du  contraire. 

J'en  donnai  avis  à  la  Reine  qui  fit  venir  incontinent 

1.  C'est-à-dire  auprès  de  la  Reine. 

2.  Louis  de  la  Châtre,  fils  du  maréchal  Claude  (tome  I,  p.  106), 
avait  succédé  à  son  père,  mort  en  1614,  comme  gouverneur  de 
Berry  ;  maréchal  de  France  en  1616,  il  mourut  en  octobre 
1630. 


[1616]  DE  RICHELIEU.  31 

le  baron  de  la  Châtre  à  Paris,  auquel  elle  donna 
soixante  mille  livres  et  le  brevet  de  maréchal  de  France 
pour  sa  démission  du  gouvernement  de  Berry,  qui,  par 
ce  moyen,  demeureroit  sans  dispute  à  mondit  sieur  le 
Prince,  et  dépêcha  à  Poitiers  le  maréchal  de  Brissac 
pour  y  faire  exécuter  ce  qui  avoit  été  promis  par  le 
traité  de  Loudun^.  Il  approuva  aussi  le  changement  des 
ministres  et  l'élection  de  Mangot  et  de  Barbin,  insistant 
seulement  que  l'on  contentât  M.  de  Villeroy  s'il  avoit 
intérêt  en  la  charge  du  sieur  de  Puyzieulx.  Il  promit 
de  sa  part  que,  la  Reine  lui  faisant  l'honneur  d'avoir 
confiance  en  lui,  il  ne  communiqueroit  rien  de  ses  con- 
seils secrets  qu'à  qui  elle  voudroit  en  être  communi- 
qué, et  trouva  bon  aussi  que,  si  on  vouloit,  on  se  ser- 
vît de  son  nom  pour  avancer  ou  retarder  le  règlement 
du  Conseil  qui  étoit  poursuivi  par  les  princes. 

Ce  voyage,  que  la  Reine  me  fit  faire  au  déçu  de 
MM.  de  Mayenne  et  de  Bouillon,  les  mit  en  si  grande 
jalousie,  qu'ils  dépêchèrent  incontinent  vers  Mon- 
sieur le  Prince,  pour  savoir  ce  que  j'avois  traité  avec 
lui  et  le  détourner  de  venir  en  cour;  mais  ce  fut  en 
vain  2.  Le  maréchal  de  Bouillon  m' ayant,  soudain  après 
mon  retour,  enquis  si  j'avois  pas  trouvé  Monsieur  le 
Prince  tout  disposé  au  service  de  LL.  MM.,  je  lui 
répondis  que  non  seulement  il  protestoit  de  leur 
demeurer  inviolablement  obéissant,  mais,  en  outre, 
qu'il  leur  donnoit  la  même  assurance  pour  M.  de 
Mayenne  et  pour  lui,  afin  de  lui  donner  sujet  de  dési- 

1.  Voyez  les  Mémoires  d'Estrées  (p.  412).  Le  Mercure  fran- 
çois,  p.  147,  donne  quelques  détails  complémentaires. 

2.  Comparez  les  Mémoires  d'Estrées,  p.  412. 


32  MÉMOIRES  [1616] 

rer  aussi  son  retour,  le  croyant  en  bonne  intelligence 
avec  eux. 

Mais  il  y  avoit  un  sujet  particulier  et  bien  important 
qui,  outre  les  raisons  générales,  les  empéchoit  de  pou- 
voir avoir  agréable  qu'il  revint  si  tôt.  G'étoit  un  des- 
sein qu'ils  avoient  formé  de  se  défaire  du  maréchal 
d'Ancre,  dont  ils  craignoient  que  la  langue  ou  la  timi- 
dité de  Monsieur  le  Prince,  s'il  étoit  présent,  les  pût 
empêcher. 

Peu  après  leur  arrivée  à  Paris,  le  maréchal  d'Ancre, 
se  fondant  sur  l'ancienne  mésintelligence  de  ces  deux 
ducs  avec  les  ducs  d'Épernon  et  de  Bellegarde,  qui  fai- 
soient  un  parti  contraire  à  eux,  leur  proposa  de  les  rui- 
ner tout  à  fait  ;  mais  eux,  qui  n'avoient  pas  tant  d'aver- 
sion des  deux*  qu'ils  en  avoient  de  lui,  étranger, 
homme  de  peu,  élevé  sans  mérite  en  cette  grande  for- 
tune à  laquelle  ils  portoient  envie,  et  auquel  ils  attri- 
buoient  tous  les  mauvais  contentements  qu'ils  avoient 
ci-devant  reçus  à  la  cour  et  pour  lesquels  ils  avoient 
pris  les  armes,  prirent  de  ce  dessein  occasion  de 
faire  une  entreprise  toute  nouvelle,  et,  au  lieu  d'en- 
tendre à  la  ruine  de  ces  deux-là,  entreprendre  la  sienne 
et  délivrer  le  royaume  de  sa  personne. 

Ils  en  firent  part  à  M.  de  Guise  qui  entra  dans  ce 
dessein,  y  étant  induit  par  le  sieur  du  Perron-,  frère 
du  cardinal,  qui  étoient  de  longtemps  affectionnés  aux 
ducs  d'Épernon  et  de  Bellegarde,  et  parce  que  de  soi- 
même  il  n'aimoit  pas  le  maréchal,  qui  lui  avoit  sem- 

1.  Les  mots  des  deux  ont  été  rayés  dans  le  manuscrit  H 
et  remplacés  par  des  ducs  d' Epernon  et  de  Bellegarde. 

2.  Jean  Dav}-^  du  Perron  fut  archevêque  de  Sens  en  1618, 
après  la  mort  du  cardinal  son  frère,  et  mourut  en  1621. 


[1616]  DE  RICHELIEU.  33 

blé  ne  tenir  pas  de  lui  le  compte  qu'il  devoit.  Lors  ils 
commencèrent  à  rallier  tous  les  ennemis  du  maréchal 
d'Ancre,  non  dans  la  cour  seulement,  mais  dans  le 
Parlement  et  dans  le  peuple  même,  qui  l'avoit  en 
horreur ^ 

Il  les  aidoit  par  ses  imprudences  à  se  fortifier,  ne  se 
retenant  en  aucune  de  ses  passions,  quoi  qu'il  lui  en 
pût  arriver. 

Durant  la  conférence  de  Loudun,  ayant  été  fait  à 
Paris  une  expresse  défense  à  ceux  qui  gardoient  les 
portes  de  laisser  passer  aucun  sans  passeport,  un  cor- 
donnier, Picard-,  sergent  du  quartier  de  la  rue  de  la 
Harpe  ^,  l'arrêta  le  samedi  de  Pâques  à  la  porte  de  Bucy '^ 
dans  son  carrosse,  refusant  de  le  laisser  sortir  s'il  ne 
montroit  son  passeport,  à  faute  de  quoi  il  le  contrain- 
droit  de  rebrousser  chemin.  En  ce  contraste,  il  se 
passa  plusieurs  choses  et  se  dit  plusieurs  pai'oles 
qu'un  seigneur  françois,  né  en  un  climat  plus  bénin, 
eût  oubliées,  mais  tenoient  au  cœur  au  maréchal,  qui, 
s'en  voulant  venger,  remit  à  le  faire  quand  le  Roi  seroit 
de  retour  à  Paris,  auquel  temps  il  y  auroit  plus  de 
sûreté  pour  lui.  Pour  cet  effet,  il  commanda  à  un  de 
ses  écuyers  d'épier  l'occasion  de  rencontrer  ce  cordon- 

1.  Les  Mémoires  d'Estrées  (éd.  Michaud,  p.  411  et  412)  ont 
pu  fournir  la  matière  des  trois  paragraphes  qui  précèdent. 

2.  Cet  incident  avec  le  cordonnier  Picard  eut  lieu  le  2  avril  : 
voyez  Journal  d'Arnauld  d'Andilly,  p.  153,  et  Mercure  fran- 
çois, t.  IV,  année  1616,  p.  137. 

3.  La  rue  de  la  Harpe,  à  cette  époque,  correspondait  à  une 
partie  de  la  rue  qui  porte  actuellement  ce  nom.  Construite  en 
1247,  elle  avait  pris  son  nom  d'une  enseigne. 

4.  La  porte  de  Bucy,  à  l'extrémité  de  la  rue  de  ce  nom, 
débouchait  vers  le  faubourg  Saint-Germain. 

II  3 


34  MÉMOIRES  [1616] 

nier  hors  des  murailles  de  la  ville,  pour  le  châtier  de 
l'affront  qu'il  estimoit  avoir  reçu  de  lui.  Il  le  rencontre 
le  1 9  juin,  au  faubourg  Saint-Germain,  et  le  fait  battre 
si  outrageusement  par  deux  valets  qu'il  avoit  avec  lui, 
qu'il  le  laissa  pour  mort^. 

Cette  action  renouvela  la  mémoire  de  celle  de 
Riberpré^,  qu'il  avoit  voulu  faire  assassiner  l'année 
de  devant,  et  celle  du  sergent-major  Prouville^,  qu'il 
avoit  fait  tuer  à  Amiens  ;  de  sorte  qu'elle  fut  pour- 
suivie avec  tant  de  chaleur,  qu'il  n'osa  l'avouer;  et 
ses  valets,  par  arrêt  de  la  cour,  furent  pendus,  le 
2i^  juillet,  devant  la  maison  du  Picard,  et  son  écuyer 
se  garantit  par  sa  fuite;  mais  ces  punitions,  au  lieu 
d'apaiser  la  haine  du  peuple,  ne  faisoient  que  l'ani- 
mer davantage  contre  lui,  qu'il  eût  voulu  être  pendu 
avec  les  siens. 

En  même  temps,  M.  de  Longueville,  qui  étoit 
mécontent  en  sa  maison  de  Trie,  s'imaginant  que, 
tandis  qu'il  demeureroit  chez  lui,  on  n'avanceroit  rien 
en  ses  affaires,  se  résolut  d'aller  en  Picardie  et  y  faire 
quelque  remuement.  Il  en  donne  avis  à  MM.  de  Mayenne 
et  de  Bouillon,  qui  agréent  son  voyage  comme  faisant 
à  leur  dessein  contre  ledit  maréchal,  et  lui  offrent  leur 
assistance  et  celle  de  M.  de  Guise.  Il  part,  il  va  à  Abbe- 

1.  D'après  Arnauld  d'Andilly  [Journal,  p.  177)  cinq,  d'autres 
disaient  huit,  palefreniers  du  maréchal  d'Ancre  attaquèrent  le 
cordonnier  Picard  et  le  poursuivirent  dans  plusieurs  maisons, 
ce  qui  causa  un  très  grand  rassemblement.  Le  Mercure  fran- 
çois  (t.  IV,  année  1616,  p.  237)  accuse,  comme  les  Mémoires, 
deux  valets  de  cet  acte  de  violence. 

2.  Tome  I,  p.  336-337. 

3.  Tome  I,  p.  385-386. 


[1616]  DE  RICHELIEU.  35 

ville,  il  y  est  reçu  avec  grande  démonstration  d'amitié 
par  les  habitants*. 

Monsieur  le  Prince  cependant  s'achemine  à  la  cour. 
Passant  à  Villebon-,  chez  M.  de  Sully,  il  apprend 
quelque  chose  de  la  conspiration  qui  se  tramoit  contre 
le  mai^échal  d'Ancre,  et  ne  voulant  ni  offenser  la  Reine 
et  rentrer  en  nouvelle  brouillerie,  ni  abandonner  les 
princes,  il  fut  sur  le  point  de  prendre  quelque  prétexte 
pour  s'en  retourner  et  remettre  son  arrivée  à  quelque 
temps  de  là  ;  mais  la  crainte  qu'il  eut  de  donner  soup- 
çon à  la  Reine  fit  qu'enfin  il  passa  outre  et  arriva  à 
Paris  le  20  juillet 3,  allant  droit  descendre  au  Louvre, 
où  il  reçut  de  LL.  MM.  toute  la  bonne  chère  qu'il  eût 
su  désirer;  mais  les  Parisiens  témoignèrent  de  sa  venue 
plus  de  contentement  qu'on  n'eût  voulu  et  qu'il  n'eût 
été  à  propos  pour  lui-même*. 

Le  lendemain  de  sa  venue,  Barbin  parlant  au  mar- 
quis de  Gœuvres^  combien  il  seroit  à  désirer  que 
Monsieur  le  Prince  et  M.  de  Bouillon  fussent  en 
bonne  intelligence  avec  la  Reine  et  en  un  ferme  désir 
de  servir  l'État,  oubliant  tous  les  mécontentements  et 
prétextes  passés,  il  lui  dit  que  de  Monsieur  le  Prince 
on  ne  pouvoit  douter  qu'il  n'eût  une  intention  véritable 

1.  Voyez  les  Mémoires  d'Estrées,  p.  412. 

2.  Villebon,  Eure-et-Loir,  arr.  de  TS"ogent-le-Rotrou.  C'est 
dans  ce  château  que  s'était  retiré  le  duc  de  Sully. 

3.  Le  20  juin,  d'après  les  Mémoires  d'Estrées  (éd.  Michaud, 
p.  412);  le  20  juillet,  s'il  faut  en  croire  le  Mercure  françois, 
journal  semi-officiel  (t.  IV,  année  1616,  p.  148). 

4.  Voyez  les  Mémoires  d'Estrées,  p.  412. 

5.  Nous  rappelons  que  le  marquis  de  Cœuvres  ne  fait  qu'une 
seule  et  même  personne  avec  le  maréchal  d'Estrées,  dont  les 
Mémoires  ont  servi  à  la  rédaction  de  ceux  de  Richelieu. 


36  MÉMOIRES  [1616] 

de  complaire,  puisqu'il  étoit  venu,  et  que  c'étoit  une 
chose  certaine  qu'il  n'y  avoit  qualité,  puissance,  ni  cré- 
dit qui  pût  garantir  un  homme  qui  entroit  dans  le 
Louvre  de  faire  ce  qu'il  plairoit  à  LL.  MM.  et  d'être 
absolument  soumis  à  tout  ce  qu'elles  commanderoient. 

Quant  à  M.  de  Bouillon,  il  lui  étoit  aisé  de  recevoir 
satisfaction  et  tout  tel  traitement  qu'il  lui  plairoit, 
pourvu  qu'il  cessât  de  vouloir,  par  un  Conseil  nouveau 
dont  il  poursuivoit  l'établissement,  contrecarrer  l'au- 
torité du  Roi,  et  qu'il  lui  feroit  plaisir  de  lui  représen- 
ter ce  qu'il  lui  en  disoit. 

Le  marquis  de  Gœuvres,  qui  étoit  tout  à  ce  parti-là, 
ne  manqua  pas  de  le  lui  redire  ^  et  non  seulement  ce 
qui  le  regardoit  en  son  particulier,  mais  encore  ce  qui 
touchoit  à  Monsieur  le  Prince.  Il  fit  peu  de  réflexion 
sur  ce  qui  le  regardoit,  pour  ce  qu'il  étoit  dans  le  des- 
sein de  se  défaire  du  maréchal  d'Ancre,  ce  qui  eût 
changé  la  face  des  affaires;  mais  il  fut  étonné  de  la 
hardiesse  de  la  parole  qu'il  avoit  avancée^  sur  le 
sujet  de  Monsieur  le  Prince,  et  cela  lui  fit  croire  plus 
facilement  qu'elle  avoit  été  dite  plutôt  par  incon- 
sidération que  par  aucune  intention  qu'on  eût  de  lui 
faire  maF. 

Monsieur  le  Prince  aussi  n'en  conçut  aucune  crainte 
pour  ce  qu'il  se  tenoit  assuré  du  maréchal  et  de  la 
maréchale^,  qui,  dès  incontinent  après  la  paix  de  Lou- 

1.  Var.  :  De  le  redire  à  M.  de  Bouillon  (H). 

2.  Var.  :  De  la  parole  que  Barbin  avoit  avancée  (H). 

3.  Cette  entrevue  de  Barbin  et  du  marquis  de  Cœuvres  est 
racontée  en  termes  analogues  dans  les  mémoires  d'Estrées, 
p.  412. 

4.  Var.  :  Et  de  sa  femme  (M,  H). 


[1616]  DE  RICHELIEU.  37 

dun,  lui  avoient  témoigné  se  vouloir  lier  avec  lui  d'une 
étroite  intelligence,  qu'ils  avoient  toujours  recherchée 
auparavant,  ainsi  que  l'on  peut  voir  par  le  cours  de 
cette  histoire,  s'étant  portés,  autant  qu'ils  avoient 
pu,  à  toutes  les  choses  qui  étoient  de  son  contente- 
ment. 

Le  maréchal  et  «a  femme  l'avoient  vu  si  puissant 
en  ces  mouvements  passés,  qu'ils  croyoient  que,  l'ayant 
pour  ami,  il  ne  leur  pouvoit  mésavenir  ;  et  Monsieur  le 
Prince,  qui  savoit  que  leur  entremise  auprès  de  la 
Reine  lui  étoit  avantageuse,  feignit  les  recevoir  entre 
ses  bras  et  agréer  leur  bonne  volonté  :  ce  dont  ils 
étoient  si  transportés  d'aise,  que  non  seulement  ils 
tenoient  peu  de  compte  de  MM.  de  Guise  et  d'Épernon, 
avec  lesquels,  durant  cette  dernière  guerre,  ils  avoient 
contracté  amitié,  mais  ils  les  abandonnèrent  entièrement 
et  tous  ceux  qui  avec  eux  avoient  servi  le  Roi  en  cette 
dernière  occasion.  En  quoi  ils  agissoient  en  favoris 
aveugles,  que  la  fortune  plutôt  que  le  mérite  avoit  éle- 
vés, lesquels,  se  voyant  en  un  degré  inespéré  et  dis- 
proportionné à  ce  qu'ils  valent,  sont  si  éperdus  et  hors 
d'eux-mêmes,  qu'ils  ne  voient  pas  les  choses  les  plus 
visibles  et  palpables  qui  sont  à  l'entour  d'eux. 

Car,  premièrement,  ils  ruinoient  le  service  de 
LL.  MM.,  qui  étoit  néanmoins  le  fondement  de  toute 
leur  subsistance  ;  d'autant  que,  un  chacun  voyant  qu'on 
n'avoit  aucun  gré,  honneur,  ni  récompense  d'avoir 
servi  le  Roi,  mais,  au  contraire,  que  ceux  qui  avoient 
desservi  étoient  caressés  et  gratifiés,  l'offense  du  mau- 
vais traitement  que  l'on  recevoit,  augmentée  par 
l'exemple  du  bon  traitement  des  autres,  faisoit  perdre 
la  fidélité  à  ceux  que  l'intérêt  ni  l'espérance  des  biens 


38  MÉMOIRES  [1616J 

n'avoient  pu  jusques  alors  faire  éloigner  de  leur  devoir, 
joint  que  les  plus  prudents  ne  vouloient  plus  encourir 
pour  néant  la  mauvaise  grâce  de  ces  princes,  les- 
quels étoient  pleins  de  ressentiments  contre  ceux 
qui  n'avoient  pas  été  de  leur  parti,  et,  du  côté  du 
Roi,  on  n'avoit  point  de  soin^  de  ceux  qui  avoient 
servi. 

En  second  lieu,  ils  n'étoient  pas  bien  avisés  de 
croire  que  Monsieur  le  Prince  les  pût  aimer,  sinon  en 
tant  que  ses  affaires  et  les  occasions  qui,  en  la  cour, 
changent  tous  les  jours,  le  pourroient  requérir,  et  de 
ne  pas  considérer  que  cette  liaison  si  étroite  feroit 
qu'ils  l'auroient  continuellement  sur  leurs  épaules  en 
toutes  les  choses  qu'il  auroit,  pour  lui  et  pour  les  siens, 
à  demander  à  la  Reine,  quelque  impertinentes  qu'elles 
fussent;  et  qu'outre  que  ces  demandes  leur  pourroient 
quelquefois  causer  quelque  refroidissement  de  la  Reine ^ 
qui  s'en  sentiroit  importunée,  comme  ils  avoient  déjà 
avec  grand  péril  expérimenté,  quand  ils  lui  auroient 
aujourd'hui  obtenu  une  chose,  il  ^  leur  en  demanderoit 
demain  une  autre  ^  ;  et,  quelque  service  qu'ils  lui  eussent 
rendu  auparavant,  s'ils  manquoient  une  seule  fois  à 
faire  ce  qu'il  désireroit,  tout  seroit  oublié,  et  ils  l'au- 
roient pour  ennemi,  comme  ils  l'avoient  déjà  éprouvé 
es  affaires  du  Château-Trompette  et  de  Péronne^,  où, 

1.  Les  mots  on  n  avait  point  de  soin  ont  été  substitués,  sur  le 
manuscrit  B,  aux  mots  on  n'en  avoit point. 

2.  Le  manuscrit  B  portait  d'abord  vers  la  Reine.  La  correc- 
tion a  été  faite  par  Sancy. 

3.  //,  c'est-à-dire  Monsieur  le  Prince. 

4.  Var.  :  Quand  ils  ...  auroient  ...  obtenu  une  chose,  demain 
une  autre,  ils  leur  en  demanderoient  une  autre  (M,  H). 

5.  Voyez  tome  I,  p.  222  et  suivantes. 


[1616]  DE  RICHELIEU.  39 

n'ayant  pu  surmonter  l'opposition  des  ministres  en 
l'esprit  de  la  Reine,  Monsieur  le  Prince  s'étoit  déclaré 
leur  ennemi,  nonobstant  tous  les  bons  offices  qu'il 
avoit  reçus  d'eux  ;  outre  que  la  posture  en  laquelle  ils 
étoient  d'étrangers  et  favoris  de  la  Reine,  noms  qui 
sont  d'ordinaire  l'objet  de  la  haine  des  peuples,  les 
rendoit  à  Monsieur  le  Prince  le  plus  spécieux  et  presque 
l'unique  prétexte  de  prendre  les  armes  contre  l'auto- 
rité du  Roi,  sous  couleur  de  la  vouloir  maintenir. 

Mais,  soit  qu'ils  eussent  peu  de  jugement,  qu'ils 
fussent  prévenus,  ou  que  leur  mauvaise  fortune  les 
entraînât  dans  la  ruine,  ils  ne  s'aperçurent  point  de 
leur  faute  ;  et,  au  lieu  de  demeurer  entre  Monsieur  le 
Prince  et  l'autre  parti,  l'obligeant  en  choses  justes  sans 
desservir  les  autres,  et  demeurant  par  leur*  faveur 
comme  le  lien  de  tous  les  deux,  sans  prendre  parti  et 
s'adjoindre  ni  à  l'un  ni  à  l'autre,  ils  se  donnèrent  à 
Monsieur  le  Prince,  qui  ne  se  donna  pas  à  eux,  et  per- 
dirent les  autres  qui,  pour  leur  foiblesse  ayant  besoin 
d'eux,  s'y  désiroient  plus  fidèlement  tenir  unis.  Ils 
allèrent  même  jusques  à  cet  excès  vers  Monsieur  le 
Prince,  qu'ils  crurent  tellement  qu'il  leur  suffisoit  de 
l'avoir  ami,  qu'ils  méprisoient  même  ceux  qui  étoient 
de  son  parti  et  dédaignoient  de  les  entretenir,  dont 
le  duc  de  Bouillon  ne  se  put  tenir  de  se  plaindre  à  Bar- 
bin,  qui,  étant  homme  de  bon  jugement,  leur  en  dit 
son  avis,  mais  en  vain^. 

1.  Leur  a  été  substitué  par  Sancy  à  la  sur  le  manuscrit  B. 

2.  Les  quelques  pages  qui  précèdent,  dont  nous  n'avons 
trouvé  la  source  ni  dans  les  manuscrits,  ni  dans  les  Mémoires 
du  temps,  ont  dû  être  rédigées  par  Richelieu  lui-même  ou  sous 
ses  yeux. 


W  MÉMOIRES  [1616] 

Cependant  Monsieur  le  Prince  avoit  tout  à  souhait  : 
il  partageoit  l'autorité  que  la  Reine,  sous  le  bon  plai- 
sir du  Roi  son  fils,  avoit  aux  affaires,  et  quasi  l'en 
dépouilloit  pour  s'en  revêtir.  Le  Louvre  étoit  une  soli- 
tude ;  sa  maison  étoit  le  Louvre  ancien  *  :  on  ne  pou- 
voit  approcher  de  la  porte  pour  la  multitude  du  monde 
qui  y  abordoit.  Tous  ceux  qui  avoient  des  affaires 
s'adressoient  à  lui  ;  il  n'entroit  jamais  au  Conseil  que 
les  mains  pleines  de  requêtes  et  mémoires  qu'on  lui 
présentoit  et  qu'il  faisoit  expédier  à  sa  volonté  :  tant 
il  avoit  ou  peu  tenu  de  compte,  ou  peu  conservé  de 
mémoire  de  l'avertissement  que  je-  lui  avois  donné, 
d'user  de  modération  en  la  part  que  la  Reine,  par  sa 
facilité,  lui  avoit  donnée  au  gouvernement. 

Aussi  et  oit-il  très  content  de  sa  condition,  et,  quelque 
ambition  qu'il  eût,  il  avoit  sujet  de  l'être.  Mais  MM.  de 
Mayenne  et  de  Bouillon  ne  l'étoient  pas,  d'autant  qu'ils 
vouloient  avoir  part  aux  avantages  qu'il  recueilloit  seul 
et  étoient  marris  de  voir  que  tout  le  profit  des  mouve- 
ments derniers  fût  arrêté  en  sa  seule  personne.  Cela 
faisoit  que,  mécontents  de  l'état  présent,  ils  lui  fai- 
soient  tous  les  jours  des  propositions  nouvelles  de 
choses  qu'ils  le  pressoient  de  demander  à  la  Reine, 
comme  étant  nécessaires  pour  l'observation  du  dernier 
traité;  mais,  quand  ils  virent  qu'on  ne  leur  refusoit 
rien  de  ce  qui  pouvoit  avoir  quelque  apparence  de  leur 

1.  Var.  .Un  Louvre  ancien  (H).  L'hôtel  de  Condé  était  situé 
à  peu  près  sur  l'emplacement  actuel  du  théâtre  de  l'Odéon. 
a  L'affluence  était  toujours  la  même  chez  lui  à  ce  point  qu'on 
donnait  à  son  hôtel  le  nom  de  Nouveau-Louvre  »  (duc  d'Au- 
male,  Histoire  des  princes  de  Condé,  t.  III,  p.  8  et  74). 

2.  A  remarquer  la  reprise  du  style  direct. 


[1616]  DE  RICHELIEU.  41 

avoir  été  promis,  ils  s'arrêtèrent  à  une  demande  qu'ils 
crurent  la  plus  difficile,  qui  étoit  la  réformation  du 
Conseil  * . 

Cette  affaire  tenoit  la  Reine  en  perplexité.  Le  choix 
de  ceux  qui  dévoient  être  du  Conseil  étoit  difficile, 
et  n'étoit  pas  plus  aisé  de  le  faire  de  personnes  qui 
fussent  agréables  à  tous,  que  de  personnes  en  qui  le 
Roi  dût  avoir  une  entière  confiance,  outre  qu'il  en  fal- 
loit  rejeter  un  grand  nombre  qu'il  étoit  fâcheux  d'of- 
fenser par  ce  rebut.  Barbin  ouvrit  un  expédient  qui  ne 
fut  pas  jugé  mal  à  propos  et  dont  la  Reine  se  trouva 
bien,  qui  fut  de  remettre  à  ces  Messieurs  d'en  faire ^ 
le  choix  eux-mêmes,  et  que  la  Reine  agréeroit  ceux 
qu'ils  éliroient  ;  car,  par  ce  moyen,  ils  se  chargeroient 
de  l'envie,  chacun  jugeant  bien  que  LL.  MM.  auroient 
été  violentées  en  cette  occasion. 

Monsieur  le  Prince  et  M.  de  Mayenne  étant  assem- 
blés chez  M.  de  Bouillon,  pour  attendre  la  résolution 
de  la  Reine  sur  ce  sujet,  Barbin  même  la  leur  porta, 
dont  ils  furent  si  étonnés  qu'ils  commencèrent  à  se 
regarder  l'un  l'autre.  Monsieur  le  Prince,  selon  la 
promptitude  ordinaire  de  son  naturel,  se  leva  de  sa 
chaire^  et,  se  prenant  à  rire  et  se  frottant  les  mains, 
s'adressa  à  M.  de  Bouillon  et  lui  dit  :  «  Il  n'y  a  plus  rien 
à  dire  à  cela  :  nous  avons  sujet  d'être  contents  ;  »  par 
où  il  paroissoit  bien  que  ç'avoit  été  à  son  instigation 
qu'on  avoit  fait  cette  poursuite.  M.  de  Bouillon,  se  grat- 
tant la  tête,  ne  répondit  un  seul  mot;  mais,  Barbin 
étant  sorti,  il  dit  à  ces  Messieurs  qui  étoient  assem- 

1.  Ci-dessus,  p.  28. 

2.  Ces  trois  mots  ont  été  ajoutés  en  interligne  par  Sancy. 

3.  Forme  ancienne  du  mot  chaise. 


42  MÉMOIRES  [1616] 

blés  qu'il  voyoit  bien  que  cet  homme-là  leur  donneroit 
trente  en  trois  cartes  et  prendroit  trente-un  pour  lui^, 
c'est-à-dire  qu'il  feroit,  par  son  artifice,  qu'ils  auroient 
toutes  les  apparences  de  contentement  et  qu'il  en 
garderoit  la  réalité  pour  lui-même.  Cela  leur  faisoit 
d'autant  plus  presser  l'exécution  de  leur  dessein  contre 
le  maréchal  d'Ancre,  auquel  Monsieur  le  Prince, 
quelque  promesse  d'amitié  qu'il  eût  faite  au  maréchal, 
se  joignit,  bien  que  froidement  et  quasi  contre  sa 
volonté  ;  mais  la  crainte  de  perdre  ces  Messieurs  pour 
amis  prévalut  à  toute  autre  considération. 

Pour  arrêter  les  moyens  qu'il  falloit  tenir  pour  cela, 
ils  résolurent  de  s'assembler  et  choisir  la  nuit  pour  le 
pouvoir  faire  plus  secrètement,  bien  que  ces  assemblées 
nocturnes  ne  laissèrent  pas  d'être  remarquées  et  soup- 
çonnées^; mais  l'arrivée  à  la  cour  de  Mylord  Hay^, 
ambassadeur  extraordinaire  d'Angleterre,  leur  vint 
tout  à  propos;  car,  sous  ombre  de  lui  faire  des  festins, 
ils  s'assembloient  et  traitoient  de  cette  affaire. 

Monsieur  le  Prince,  les  ducs  de  Guise  et  de  Mayenne 
et  de  Bouillon  étoient  ceux  qui  en  avoient  le  principal 
soin.  Le  duc  de  Nevers  en  a  voit  une  générale  connois- 
sance  ;  car  ils  n'osèrent  pas  la  lui  ôter  tout  à  fait  ;  mais 

1.  Allusion  au  jeu  de  trente-et-un. 

2.  Voyez  les  Mémoires  d'Estrées,  p.  412-413.  11  semble  que 
les  Mémoires  les  aient  utilisés. 

3.  Son  entrée  à  Paris  eut  lieu  le  i*"^  août  1616.  James  Hay 
de  Sawley  fut  ambassadeur  du  roi  d'Angleterre  à  la  cour  de 
France  en  1616,  1621,  1622  et  1624.  Il  fut  créé  vicomte  de 
Duncaster  en  1618,  comte  de  Carlisle  en  1622  et  mourut  en 
1636.  Personne,  dit  Clarendon,  ne  fit  plus  de  dépenses  pour 
ses  habits  et  sa  table.  Voyez,  dans  le  Mercure  français,  t.  IV, 
année  1616,  p.  149  et  suiv.,  le  récit  de  son  entrée  solennelle. 


[1616]  DE  RICHELIEU.  43 

ils  ne  lui  faisoient  pas  néanmoins  part  des  conseils 
secrets,  d'autant  qu'ils  avoientpeur  qu'il  les  découvrit, 
sous  espérance  d'être  assisté  plus  fortement  de  l'auto- 
rité de  la  Reine  pour  faire  réussir  son  affaire  de  l'ins- 
titution des  chevaliers  du  Saint-Sépulcre,  pai^  laquelle 
il  se  promettoit  de  se  faire  empereur  de  tout  le 
Levant^. 

Il  vouloit  démembrer  de  l'ordre  de  Saint-Jean  de 
Jérusalem  celui  du  Saint-Sépulcre 2,  s'en  faire  grand 
maitre  et  espéroit,  en  ce  faisant,  aidé  de  quelques 
intelligences  qu'il  avoit  en  Grèce  et  de  l'affection  que 
tous  les  Grecs  lui  portoient  pour  ce  qu'il  disoit  être 
descendu  d'une  fille  des  Paléologues^,  mettre  un 
nombre  assez  suffisant  de  vaisseaux  sur  mer  pour 
s'emparer  de  quelques  places  fortes  dans  le  Pélopo- 
nèse  et  les  défendre  assez  longtemps  pour  attendre  le 
secours  des  chrétiens  et  pousser  avec  leur  faveur  ses 
progrès  plus  avant*. 

Bien  que  cette  entreprise  fût  mal  fondée  et  sans 

1.  Les  Mémoires  de  Richelieu  et  ceux  de  d'Estrées  ne  sont 
pas  d'accord,  sur  les  motifs  qui  tinrent  éloigné  de  ces  confé- 
rences secrètes  le  duc  de  Nevers  :  voyez  les  Mémoires  d'Fstrées, 
p.  412-413. 

2.  Cet  ordre,  fondé  en  1174  parle  roi  Henri  II  d'Angleterre, 
disparut  au  moment  du  schisme  anglican,  et  ses  biens  à 
l'étranger  furent  attribués  à  l'ordre  de  Malte  pour  compenser 
ceux  que  celui-ci  perdait  dans  la  Grande-Bretagne. 

3.  Charles  de  Gonzague,  duc  de  Nevers,  était  petit-fils  de 
Frédéric  II  de  Gonzague  (1500-1540),  duc  de  Mantoue,  qui 
avait  épousé,  en  1531,  Marguerite  Paléologue,  héritière  du 
Montferrat  et  descendante,  disait-on,  des  anciens  empereurs 
de  Constantinople. 

4.  M.  Fagniez  a  consacré  à  ce  projet  de  croisade  un  cha- 
pitre du  tome  I  de  son  ouvrage  le  Père  Joseph  et  Richelieu. 


44  MÉMOIRES  [1616] 

apparence  à  ceux  qui  étoient  tant  soit  peu  versés  en 
la  connoissance  des  affaires  du  Levant,  néanmoins, 
comme  les  choses  les  moins  raisonnables  réussissent 
quelquefois  et  par  le  peu  d'attention  qu'on  a  souvent 
dans  le  conseil  des  grands  rois  à  une  affaire  particu- 
lière, pour  la  multitude  des  autres  qui  tiennent  les 
esprits  occupés,  le  grand  maître  de  Malte  ^  eut  crainte 
qu'il  obtînt  du  Roi  ce  qu'il  désiroit,  et  envoya  une 
ambassade  solennelle  en  France  pour  remontrer  au 
Roi  l'injustice  de  cette  demande^. 

Il  représenta  à  S.  M.  que  cet  ordre  étoit  depuis 
cent  vingt  ans  annexé  au  leur;  que,  si  S.  M.  favori- 
soit  en  cela  le  duc  de  Nevers,  les  ordres  militaires 
d'Espagne  et  d'Italie  renouvelleroient  les  poursuites 
anciennes  pour  leur  ôter  semblablement  les  biens  du 
Saint-Sépulcre  qu'ils  possèdent  en  leurs  terres;  que, 
bien  que  l'offre  que  faisoit  le  duc  de  Nevers  fût  sincère, 
ce  qu'il  ne  croyoit  pas  néanmoins  qui  fût  à  l'avenir, 
qu'il  se  contentât  du  seul  titre  de  la  grande  maîtrise 
dudit  ordre,  sans  rien  prétendre  aux  biens  qui  en  sont 
unis  à  Saint-Jean  de  Jérusalem,  cela  n'étoit  pas  raison- 
nable, vu  qu'elle  fait  partie  de  la  dignité  de  leur  grand 
maître,  à  la  conservation  de  laquelle  S.  M.  a  intérêt, 
vu  que,  des  sept  langues  qui  composent  le  corps  de 
l'ordre  de  Malte,  trois  sont  françoises^,  et  la  plupart 

1.  Aloph  de  Wignacourt,  grand  maître  de  1601  à  1622. 

2.  L'ambassadeur  de  l'ordre  de  Malte  était  Don  Louis 
Mendez  Vasconcellos,  bailli  d'Acre.  Le  jour  de  son  audience,  il 
fut  au  Louvre,  accompagné  de  vingt-deux  carrosses;  le  Mer- 
cure françois,  t.  IV,  année  1616,  p.  140  et  suiv.,  donne  le 
texte  du  discours  qu'il  prononça  et  celui  de  la  réponse  du  Roi. 

3.  Var.  :  Quatre  sont  françoises  (M,  H).  —  Il  n'y  avait  que 
trois  langues  françaises  :  Provence,  Auvergne  et  France. 


[1616]  DE  RICHELIEU.  45 

des  grands  maîtres  sont  de  leur  nation;  et  que  non 
seulement  le  grand  maitre  en  recevroit  diminution  en 
sa  dignité,  mais  tout  l'ordre  y  seroit  intéressé,  en  ce 
que  la  noblesse  françoise  ayant  un  grand  maître  dans 
le  royaume,  auquel  elle  se  pourroit  engager  de  vœu, 
même  sans  exercice  de  la  guerre,  aimeroit  mieux 
prendre  cette  condition  que  d'aller  à  Malte  avec  tant 
de  difficulté  et  de  dépense  ;  dont  ils  voient  l'expérience 
en  l'ordre  Teutonique,  qui  avoit  ruiné  la  langue  d'Al- 
lemagne, autrefois  la  plus  belle  des  sept;  joint  qu'il  ne 
seroit  peut-être^  pas  expédient  au  service  du  Roi  qu'un 
prince,  son  sujet,  eût  un  si  grand  moyen  de  lier  à  lui 
et  s'obliger  un  grand  nombre  de  noblesse,  laquelle 
considération  a  fait  que  les  rois  d'Espagne,  qui  sont 
savants  en  matière  de  gouvernement,  ont  réuni  à 
leur  couronne  toutes  les  grandes  maîtrises  qu'ils  ont 
dans  leurs  États. 

S.  M.  donna  de  bonnes  paroles  à  l'ambassadeur  et 
lui  promit  de  ne  point  préjudicier  à  leur  ordre,  ains 
au  contraire  de  commander  à  son  ambassadeur  à 
Rome^  de  leur  faire  tous  bons  offices  sur  ce  sujet 
auprès  de  S.  S. 

En  ce  temps-là  arrivèrent  au  Roi  les  nouvelles  de 
la  prise  de  Péronne,  que  M.  de  Longueville  enleva  au 
maréchal  d'Ancre  sur  un  faux  donné-à-entendre  que 
ledit  maréchal  y  vouloit  mettre  garnison,  ce  qui  émut 
ce  peuple  de  telle  sorte,  qu'ils  résolurent  d'envoyer  au 
Roi  pour  supplier  S.  M.  de  leur  vouloir  entretenir  ce 

1 .  Peut-être  a  été  ajouté  en  interligne  par  Charpentier  sur  le 
manuscrit  B. 

2.  C'était  François  Jouvenel  des  Ursins  (1569-1650),  marquis 
de  Traînel. 


4fi  MÉMOIRES  [161 6j 

que  le  feu  Roi  son  père  leur  avoit*  accordé,  lorsque, 
du  temps  de  la  Ligue,  ils  se  remirent  en  son  obéis- 
sance, qu'ils  n'auroient  point  de  gouverneur  étranger. 
Tandis  qu'ils  envoyèrent  à  S.  M.  pour  cela,  M.  de 
Longueville  paroissant  aux  portes,  elles  lui  furent 
ouvertes,  et,  peu  de  temps  après,  ceux  qui  étoient 
dans  le  château  de  la  part  du  maréchal  d'Ancre  le 
remirent  en  la  puissance  dudit  duc^. 

Cette  nouvelle  affligea  la  Reine  tout  ce  qui  se  pou- 
voit,  pour  ce  qu'elle  vit  bien  que  les  princes  ne  don- 
noient  point  de  bornes  à  leur  mauvaise  volonté^,  que 
la  douceur  dont  elle  avoit  usé  jusques  alors  étoit  inu- 
tile, qu'ils  en  abusoient,  qu'ils  tiroient  avantage  d'avoir 
profité  de  leurs  brouilleries  passées,  que  l'espérance 
qu'elle  avoit  eue  que  sa  patience  les  ramèneroit  à  la 
raison  et  que  le  bon  traitement  qu'ils  recevoient  les 
gagneroit  étoit  vaine,  et  qu'enfin  elle  seroit  contrainte 
de  repousser  leurs  mauvais  desseins  par  la  force  des 
armes,  dont  la  pensée  seule  lui  faisoit  horreur^. 

Monsieur  le  Prince,  ayant  eu  avis  de  cette  affaire 

1.  Le  scribe  du  manuscrit  B  avait  mis  leur  çouloit  accorder. 
Charpentier  a  corrigé  en  leur  avoit  accordé. 

2.  Les  Péronnais  ouvrirent  leurs  portes  au  duc  de  Longue- 
ville  et  mirent  hors  leur  ville  le  sieur  de  Favols,  gentilhomme 
gascon,  lieutenant  du  maréchal  d'Ancre,  gouverneur  particu- 
lier de  Péronne,  Roye  et  Montdidier,  le  15  août  1616  [Mercure 
français,  t.  IV,  année  1616,  p.  179  et  suiv.). 

3.  On  lisait  d'abord  sur  le  manuscrit  B  :  «  ...  que  les  princes 
voulaient  pousser  leur  mauvaise  volonté  jusques  à  t extrémité.  » 
Sancy  a  corrigé  ainsi  le  passage  :  «  ...  que  les  princes  ne  don- 
noient  point  de  bornes  à  leur  mauvaise  volonté...  » 

4.  Voyez  ce  que  disent  les  Mémoires  d'Estrées  sur  l'affaire 
de  Péronne,  p.  413. 


[1616]  DE  RICHELIEU.  47 

avant  la  Reine,  d'autant  qu'elle  ne  s'étoit  pas  faite  sans 
son  consentement,  s'en  alla  à  l'heure  même  en  une 
terre  qu'il  avoit  achetée  près  de  Melun^  soit  afin  que 
son  absence  retardât  le  conseil  que  l'on  auroit  à 
prendre  en  cet  accident  et  en  fit  le  remède  plus  diffi- 
cile, soit  afin  de  laisser  évaporer^  le  premier  feu  de 
la  colère  que  la  Reine  en  auroit,  et  ne  laisser  lui- 
même  échapper  aucune  parole  qui  pût  donner  soup- 
çon qu'il  eût  part  en  cette  action  ;  mais,  la  Reine  ayant 
dépêché  vers  lui  en  diligence  pour  le  convier  de 
venir,  il  ne  s'en  put  excuser.  Toutefois,  il  ne  laissa  pas 
en  venant  de  faire  une  nouvelle  faute  ;  car,  quelqu'un 
des  siens  l'étant  venu  avertir  que  M.  de  Bouillon 
l'attendoit  chez  M.  de  Mayenne,  il  passa  par  là  avant 
que  d'aller  au  Louvre,  quoique  les  plus  sages  lui  con- 
seillassent d'aller  voir  la  Reine  auparavant. 

Les  siens  parloient  si  insolemment  de  cette  affaire 
qu'ils  témoignoient  assez  y  avoir  eu  part.  La  Reine 
crut  que,  selon  la  maxime  commune,  ceux  qui  ont 
fait  les  fautes  étant  les  plus  propres  à  les  réparer,  il 
étoit  bon  d'envoyer  à  M.  de  Longueville  M.  de  Bouil- 
lon, qui  étoit  l'oracle  du  parti,  pour  lui  faire  recon- 
noître  l'offense  qu'il  avoit  commise  et  l'obliger  à  satis- 
faire à  S.  M.  en  remettant  la  chose  en  son  entier.  Il 
sembla  partir  si  peu  volontiers  et  avec  si  peu  d'espé- 
rance de  son  voyage,  que,  quoique  LL.  MM.  lui 
dissent,  quand  il  prit  congé  d'elles,  des  paroles  qui 


1.  Ce  détail  est  également  donné  dans  le  Mercure  français, 
t.  IV,  année  1616,  p.  188. 

2,  Évaporer  a  été  rais  par  Sancy  à  la  place  de  pousser  sur  le 
manuscrit  B. 


'i8  MÉMOIRES  [1616] 

pouvoient  gagner  un  autre  cœur  que  le  sien,  ceux  qui 
le  connoissoient  ne  crurent  pas  en  devoir  attendre 
aucun  fruit,  et  ne  furent  pas  trompés  en  leur  opinion. 
Car  le  duc  de  Mayenne  y  *  ayant,  par  son  avis,  envoyé 
tambour  battant  et  enseignes  déployées,  des  gens  de 
guerre  des  garnisons  de  Soissons,  Noyon  et  Ghauny^, 
il  y  mena  aussi  des  capitaines  et  des  ingénieurs  pour 
défendre  la  place,  qui  étoit  une  action  bien  éloignée 
de  la  charge  cju'il  avoit  prise  de  la  remettre  en  l'obéis- 
sance du  Roi^  :  ce  qui  contraignit  enfin  la  Reine  d'y 
envoyer  le  comte  d'Auvergne,  avec  une  partie  du 
l'égiment  des  Gardes  et  quelques  compagnies  de  cava- 
lerie, pour  investir  cette  place. 

On  savoit  bien  que  ce  n'étoit  pas  des  forces  suffi- 
santes pour  la  prendre;  mais  on  le  faisoit  à  dessein, 
premièrement,  de  reconnoître  si  les  princes  avoient 
résolu  de  faire  la  guerre,  puis  de  leur  faire  paroître 
que  le  Roi  étoit  délibéré  de  s'y  opposer  avec  plus  de 
vigueur  que  par  le  passé,  comme  aussi  de  leur  ôter  le 
sujet  d'être  à  Paris  en  alarme  du  Roi,  lequel,  par  ce 
moyen,  étoit  destitué  d'une  bonne  partie  des  forces 
dont  il  avoit  accoutumé  d'être  accompagné,  et  de  leur 
donner  lieu  de  faire  éclore  plus  tôt  leurs  mauvais  des- 
seins, s'ils  en  avoient,  contre  lesquels  S.  M.  s'étoit 
sous  main  préparée  sans  qu'ils  s'en  donnassent  de 
garde,  d'autant  qu'ils  l'avoient  en  mépris  par  la  foi- 

1.  C'est-à-dire  dans  Péronne. 

2.  Petite  ville  forte  entre  Laon  et  Saint-Quentin. 

3.  Tout  ce  qui  précède,  depuis  Car  le  duc  de  Mayenne,  a  été 
écrit  en  marge  du  manuscrit  B  par  Sancy.  Voyez  le  fac-similé 
qui  est  donné  de  ce  passage  dans  le  tome  I  des  Rapports  et 
Notices  sur  la  présente  édition,  après  la  page  106,  planche  VI. 


[1616]  DE  RICHELIEU.  49 

blesse  qu'ils  avoient  éprouvée  en  ses  conseils  jusques 
alors. 

La  Reine,  ayant  reconnu,  es  mouvements  passés, 
qu'en  matière  de  soulèvement  de  peuples,  les  bruits 
les  plus  faux  sont  bien  souvent  plus  vraisemblables 
que  les  véritables,  et  particulièrement  que  ce  qui  se 
dit  en  faveur  des  séditieux  est  plus  facilement  cru  que 
la  vérité  qui  est^  rapportée  en  faveur  du  prince,  vou- 
loit  patienter  jusques  à  l'extrémité,  pour  ne  leur  don- 
ner aucun  jour  à  publier,  avec  la  moindre  apparence 
du  monde,  qu'ils  eussent  été  obligés,  pour  leur  défense, 
à  prendre  les  armes  contre  le  Roi. 

Si  cela  portoit  d'un  côté  quelque  préjudice  à  l'opi- 
nion qu'on  devoit  avoir  de  la  puissance  royale,  qui  en 
étoit  moins  estimée,  de  sorte  que  plusieurs  parloient 
mal  des  affaires  du  Roi  et  en  désespéroient,  cela  lui 
apportoit  d'autre  part  un  avantage  bien  plus  considé- 
rable, qui  étoit  que  les  princes  prenoient  une  telle 
assurance  en  leurs  forces,  qu'ils  ne  pensoient  plus  à 
sortir  de  la  cour  et  croyoient  pouvoir  exécuter  tout  ce 
qu'ils  voudroient  entreprendre  contre  S.  M.,  ne 
sachant  pas  ni  que  sous  main  elle  eût  mis  ordre  à  la 
sûreté  de  ses  affaires,  ni  que  ceux-là  même  d'entre 
eux  à  qui  ils  se  fioient  le  plus,  jouoient  à  la  fausse  com- 
pagnie et  l'avertissoient  d'heure  à  autre  de  tout  ce 
qu'ils  faisoient. 

La  Reine,  voyant  cette  grande  cabale  des  princes  qui 
étonnoit  tout  le  monde,  voulut  prendre  cette  occasion 
de  reparler  encore  au  Roi  comme  elle  avoit  fait  aupa- 

1.  Est  avait  été  sauté  par  le  scribe;  Sancy  l'a  ajouté  en 
interligne  sur  le  manuscrit  B. 

II  4 


50  MÉMOIRES  [1616] 

ravant\  et  dit  à  Barbin  qu'elle  voyoit  les  choses  si 
désespérées,  qu'elle  croyoit  qu'il  seroit  de  son  hon- 
neur d'en  remettre  entièrement  la  conduite  entre  les 
mains  du  Roi.  Mais  ledit  Barbin  lui  fit  toucher  au 
doigt  qu'elle  ne  devoit  pas  seulement  penser  à  sor- 
tir volontairement  des  affaires,  mais  employer  tout 
son  soin  à  empêcher  que  le  Roi  en  fût  chassé  avec 
force  et  infamie  ;  qu'elle  étoit  plus  obligée  à  mainte- 
nir la  succession  de  ses  enfants  qu'à  chercher  son 
repos;  que  toute  l'Europe  l'accuseroit  d'avoir  man- 
qué de  naturel  et  de  courage,  quittant  le  gouver- 
nement en  un  temps  où  on  prévoyoit  une  si  grande 
tempête. 

Ces  considérations  la  persuadèrent,  mais  à  condition 
qu'elle  en  parleroit  encore  une  fois  au  Roi  :  ce  qu'elle 
fit  en  présence  des  sieurs  Barbin,  Mangot  et  de 
Luynes,  où  elle  le  conjura  de  reprendre  en  main  la 
conduite  de  ses  affaires;  qu'il  étoit  déjà  grand  et 
pourvu  des  qualités  nécessaires  pour  régner  heureu- 
sement ;  qu'il  avoit  un  Conseil  composé  de  personnes 
portées  avec  passion  à  l'affermissement  de  son  auto- 
rité, ou,  en  cas  qu'il  y  désirât  apporter  quelque  chan- 
gement, un  État  abondant  en  hommes;  que  ce  lui 
seroit  une  gloire  immortelle  si,  à  la  sortie  de  son 
enfance,  il  s'occupoit  à  commander  à  des  hommes,  si, 
en  l'âge  où  les  autres  suivent  les  plaisirs  défendus,  il 
s'abstenoit  même  de  ceux  qui  sont  honnêtes  et  per- 
mis, pour  faire  valoir  sa  puissance  que  Dieu  lui  avoit 
commise. 

Luynes,  en  qui  le  Roi  avoit  déjà  une  entière  con- 

1.  Ci-dessus,  p.  24  et  suivantes. 


[1616]  DE  RICHELIEU.  51 

fiance,  la  supplia  de  laisser  ces  pensées  si  contraires 
au  bien  public  et  à  la  sûreté  de  son  maître;  qu'elle 
avoit  trop  d'intérêt  en  la  conservation  de  ces  deux 
choses  pour  en  abandonner  le  soin,  en  une  saison  où 
rien  n'empêchoit  de  faire  mal  que  le  respect  de  son 
nom  et  la  générosité  de  ses  conseils. 

Peut-être  que  les  maux  qui  sembloient  se  préparer 
dans  l'État  lui  faisoient  croire  la  subsistance^  de  la 
Reine  nécessaire,  principalement  dans  le  peu  d'expé- 
rience qu'il  avoit  des  affaires  ;  peut-être  aussi  qu'il  ne 
désiroit  pas  qu'elle  s'éloignât  de  la  sorte,  en  laquelle, 
demeurant  près  du  Roi,  elle  auroit  toujours  plus  d'au- 
torité que  son  ambition  et  ses  desseins  ne  pouvoient 
pas  souffrir  qu'elle  eût. 

A  quelque  fin  qu'il  lui  parlât,  elle  se  soumit  à  ce  que 
le  Roi  désira  d'elle  par  sa  bouche,  et  lui  dit  qu'elle  ne 
pouvoit  dissimuler  que,  bien  qu'il  y  eût  beaucoup  de 
peine  au  maniement  des  affaires,  beaucoup  d'ennemis 
à  acquérir  pour  son  service,  rien  ne  l'avoit  dégoûtée 
de  cet  emploi  que  la  jalousie  qu'on  lui  avoit  voulu 
donner  de  son  gouvernement  et  les  inventions  dont 
l'on  usoit  pour  lui  rendre  ses  actions  moins  agréables  ; 
mais  que,  s'il  vouloit  qu'elle  fît  avec  contentement  ce 
quelle  n'entreprenoit  que  par  obéissance,  elle  dési- 
roit à  l'avenir  partager  avec  lui  les  fonctions  de  la 
charge,  en  prendre  la  peine  et  lui  en  laisser  la  gloire, 
se  charger  des  refus  et  lui  donner  l'honneur  des  grâces  ; 
qu'elle  le  prioit,  à  cette  fin,  de  disposer  de  son  mouve- 

1.  Au  sens  de  «  maintien  en  fonctions  ».  Le  scribe,  inat- 
tentionné ou  peu  intelligent,  avait  écrit  sur  le  manuscrit  B 
substance  à  la  place  de  subsistance.  La  correction  a  été  faite 
probablement  par  Sancy. 


52  MÉMOIRES  [1616] 

ment  des  charges  qui  viendroient  à  vaquer,  et  d'en  gra- 
tifier les  personnes  dont  la  fidélité  et  l'affection  lui 
étoient  connues;  que  si,  entre  autres,  il  vouloit  récom- 
penser les  soins  que  M.  de  Luynes  apportoit  auprès 
de  lui  par  de  nouveaux  bienfaits,  il  n'avoit  qu'à  com- 
mander, et  ce  avec  d'autant  plus  de  liberté  que  la 
franchise  dont  il  useroit  lui  seroit  une  preuve  qu'il 
avoit  satisfaction  de  sa  conduite;  que,  quelque  opi- 
nion qu'on  lui  veuille  donner  de  ses  déportements, 
elle  ne  manquera  jamais  à  ce  que  doit  une  reine  à  ses 
sujets,  une  sujette  à  son  Roi  et  une  mère  au  bien  de 
ses  enfants. 

Luynes,  faisant  semblant  de  croire  ses*  paroles  au 
Roi  pleines  de  sincérité,  vint  en  particulier  lui  en  faire 
des  remerciements  avec  des  protestations  de  vouloir 
dépendre  absolument  de  ses  volontés,  ou,  s'il  les  crût, 
les  faveurs  qu'il  venoit  de  recevoir  ne  le  rendirent  pas 
meilleur,  mais  bien  celle  qui  les  avoit  faites  moins 
prévoyante.  Au  lieu  de  veiller  sur  ses  actions,  elle  se 
fia  sur  les  promesses  ;  elle  crut  l'avoir  gagné  par  bonté, 
au  heu  de  l'éloigner  par  prudence.  En  un  mot,  elle 
pensa  l'avoir  attaché  par  l'intérêt  à  son  devoir,  l'avoir 
rendu  homme  de  bien  par  la  maxime  des  méchants  ; 
mais  elle  n'eut  pas  le  loisir  de  vieillir  en  cette  créance, 
comme  nous  verrons  ci-après. 

Pour  revenir  aux  princes^,  ils  n'étoient  pas  d'accord 
en  leurs  opinions  dans  les  assemblées  qu'ils  faisoient 
la  nuit  contre  S.  M.^;  car,  selon  que  les  uns  et  les  autres 
étoient  plus  ou  moins  violents  en  leurs  passions  et 

1.  Ses,  c'est-à-dire  les  paroles  de  Marie  de  Médicis. 

2.  Ces  quatre  mots  ont  été  ajoutés  en  marge,  de  la  main  de 
Charpentier,  sur  le  manuscrit  B. 

3.  Ci-dessus,  p.  42. 


[1616]  DE  RICHELIEU.  53 

avoient  plus  ou  moins  perdu  la  crainte  de  Dieu  et  le 
respect  dû  à  la  majesté  royale,  les  propositions  qu'ils 
faisoient  étoient  différentes. 

Les  uns,  qui  étoient  les  plus  modérés,  étoient  d'avis 
que  l'on  se  saisît  de  la  personne  du  maréchal  d'Ancre 
pour  le  livi^er  au  Parlement,  auquel  on  présenteroit 
requête  pour  lui  faire  faire  son  procès. 

Les  autres  passoient  plus  avant,  et,  se  défiant  que, 
quelque  aversion  que  le  Parlement  eût  de  lui,  le  Roi  y 
seroit  le  plus  fort  et  le  retireroit  de  leurs  mains,  vou- 
loient  qu'étant  pris  on  l'enlevât  de  Paris,  et  qu'on  le 
mît  en  garde  en  quelqu'une  *  de  leurs  maisons  fortes 
ou  des  places  dont  ils  étoient  gouverneurs;  mais  il  y 
en  eut  qui  allèrent  jusques  là  d'opiner  qu'il  n'en  falloit 
point  faire  à  deux  fois,  qu'un  homme  mort  ne  pouvoit 
plus  leur  nuire,  et  qu'il  étoit  plus  sûr  de  s'en  défaire 
tout  d'un  coup-. 

Gela  se  traitoit  entre  eux,  nonobstant  l'assurance 
que  Monsieur  le  Prince  lui  donnoit  de  le^  défendre 
contre  tous  des  entreprises*  que  l'on  pourroit  avoir 
contre  sa  personne  :  en  quoi  se  voit  le  peu  de  foi 
qu'on  doit  avoir  à  ceux  qui  ne  sont  pas  maîtres  d'eux- 
mêmes,  mais  esclaves  de  leur  ambition.  Il  avoit  néan- 
moins raison  de  lui  avoir  promis;  car  il  l'en  garantit 
par  foiblesse,  et  par  crainte  d'exécuter  ce  qu'il  vouloit 
et  avoit  résolu^. 

1.  Le  manuscrit  B  porte  quelques-unes. 

2.  Ces  trois  paragraphes  sont  empruntés  en  partie  aux 
Mémoires  d'Estrées,  p.  4i3. 

3.  Le,  c'est-à-dire  le  maréchal  d'Ancre. 

4.  Var.  :  Que  Monsieur  le  Prince  donnoit  au  maréchal  de  le 
défendre  contre  toutes  les  entreprises  (H). 

5.  Voyez  les  Mémoires  d'Estrées  (éd.  Michaud,  p.  413]. 


54  MÉMOIRES  [1616] 

Un  jour  qu'il  fit  un  festin  solennel  à  l'ambassadeur 
extraordinaire  d'Angleterre*,  le  maréchal,  ne  se  dou- 
tant de  rien,  le  vint  visiter;  tous  ces  princes  y  étoient 
et  en  si  grande  compagnie  qu'ils  se  pouvoient  rendre 
maîtres  de  sa  personne  pour  en  faire  ce  que  bon  leur 
sembleroit.  Ils  en  pressèrent  Monsieur  le  Prince,  lui 
représentant  que  l'occasion  ne  s'offroit  pas  toujours  si 
belle;  mais  ils  ne  l'y  surent  jamais  faire  résoudre,  et 
il  remit  la  partie  à  une  autre  fois^. 

Barbin,  qui  avoit  lors  crédit  dans  l'esprit  de  la 
Reine,  voyant  cette  grande  liaison  de  tous  les  princes, 
qui  étoit  si  publique  qu'on  ne  s'en  cachoit  plus,  con- 
seilla à  la  Reine  d'essayer  à  retirer  M.  de  Guise  d'avec 
eux  et  le  conserver  au  service  du  Roi,  duquel  il  croyoit 
avoir  sujet  de  mécontentement  par  l'abandon  que  le 
maréchad  avoit  fait  de  son  amitié  pour  rechercher 
celle  de  Monsieur  le  Prince. 

Il  l'alla  trouver  de  sa  part,  lui  dit  que  S.  M.  se 
ressouvenoit  des  services  qu'il  lui  avoit  rendus  en 
l'occasion  dernière;  que,  si  elle  oublioit  les  desser- 

1.  James  Hay,  comte  de  Carlisie  en  1622.  Les  Mémoires 
(ï Estrées,  racontant  un  incident  auquel  il  fut  mêlé  en  1616, 
l'appellent  le  comte  de  Carlisie ,  ce  qui  prouve  que  ces 
Mémoires  ont  été  rédigés  après  1622;  or,  on  le  sait,  ils  le 
furent  en  partie  sur  l'ordre  de  Richelieu,  et  on  a  vu  combien 
celui-ci  y  fit  d'emprunts.  Il  est  donc  permis  d'en  conclure 
que  cette  partie  des  Mémoires  du  Cardinal  est  d'une  rédaction 
postérieure  à  1622.  Cette  remarque,  jointe  à  quelques  autres 
du  même  genre  faites  au  coui's  du  tome  I,  vient  confirmer 
l'hypothèse  émise  sur  la  date  à  laquelle  les  Mémoires  furent 
commencés  :  voyez  Rapports  et  Notices  sur  Védition  des 
Mémoires  du  cardinal  de  Richelieu,  t.  I,  p.  59. 

2.  Mémoires  d' Estrées,  p.  413. 


[1616]  DE  RICHELIEU.  55 

vices  de  ceux  qui  s'étoient  dévoyés*  du  droit  chemin 
pour  le  bien  de  la  paix  qu'elle  vouloit  conserver  à 
quelque  prix  que  ce  fût,  elle  se  souviendroit  à  jamais 
qu'il  étoit  quasi  le  seul  des  princes  qui  étoit  demeuré 
dans  le  devoir  ;  qu'elle  savoit  qu'il  avoit  des  différends 
pour  divers  sujets  avec  aucuns  d'eux  ;  qu'elle  le  prioit 
de  passer  les  choses  le  plus  doucement  qu'il  pourroit, 
mais  que,  s'il  étoit  question  d'en  venir  à  rupture,  il  fût 
assuré  qu'elle  ne  l'abandonneroit  point. 

Le  duc  de  Guise  reçut  cet  office  avec  un  grand 
témoignage  de  ressentiment,  après  avoir  fait  quelque 
plainte  de  ce  que,  les  autres  princes  ayant  pris  les 
armes  contre  le  Roi,  on  s'étoit  servi  de  lui  et,  la  paix 
faite,  on  ne  l'avoit  plus  regardé,  et  eux,  au  contraire, 
avoient  toute  autorité,  et,  ayant  différend  avec  lui  pour 
les  rangs,  lui  feroient  l'un  de  ces  jours  une  querelle 
d'Allemand  et  lui  joueroient  un  mauvais  tour.  Le  len- 
demain, il  alla  trouver  la  Reine  et  lui  fit  mille  protes- 
tations de  sa  fidélité  envers  et  contre  tous. 

Gela  ne  le  retira  pas  de  la  mauvaise  volonté  qu'il 
avoit  contre  le  maréchal  d'Ancre,  ni  peut-être  de  tout 
le  mécontentement  qu'il  avoit  de  la  Reine,  à  laquelle 
il  ne  pouvoit  attribuer  les  actions  du  maréchal  et  de 
la  maréchale,  mais  au  moins  lui  fit-il  perdre  une 
partie  de  l'aigreur  qu'il  avoit. 

Étant  assemblé,  à  quelques  jours  de  là,  avec  les 
conjurés,  Monsieur  le  Prince  proposa  qu'il  se  falloit 
hâter  de  faire  ce  qu'ils  avoient  entrepris  et  se  chargea 
de  l'exécuter  lui-même  ;  mais  il  ajouta  que,  comme 
c' étoit  une  action  qui  auroit  beaucoup  de  suites,   il 

1.  Var.  :  Déviés  (M),  déniés  (H). 


56  MÉMOIRES  [1616] 

falloit  penser  plus  avant  et  prévoir  à  ce  qu'ils  feroient 
pour  se  défendre  de  la  Reine,  laquelle  demeureroit  si 
mortellement  offensée  qu'infailliblement  elle  se  venge- 
roit  d'eux  et  le  pourroit  faire  sans  difficulté,  ayant 
toute  l'autorité  royale  en  sa  puissance,  et  ne  man- 
quant pas  de  serviteurs  qui  le  lui  conseilleroient  et 
l'enhardiroient  s'il  en  étoit  besoin  ;  que  quant  à  lui, 
qu'il  n'y  voyoit  qu'un  remède,  qui  étoit  de  l'éloigner 
d'auprès  du  Roi,  quand  ils  auroient  fait  le  coup.  Tel 
eût  bien  été  de  son  avis  qui  n'osa  pas  lâcher  la  parole 
comme  lui;  d'autres  trouvèrent  la  proposition  étrange, 
et  tous  ne  répondirent  que  du  silence  et  du  chapeau. 
Le  duc  de  Guise  seul  prit  la  parole  et  dit  qu'il  y  avoit 
grande  différence  de  se  prendre  au  maréchal  d'Ancre, 
homme  de  néant,  l'opprobre  et  la  haine  de  la  France 
et  la  ruine  des  affaires  du  Roi,  ou  perdre  le  respect 
qu'on  devoit  à  la  Reine,  mère  du  Roi,  et  faire  entre- 
prise contre  sa  personne  ;  quant  à  lui,  qu'il  haïssoit 
le  maréchal,  mais  qu'il  étoit  très  humble  serviteur 
de  S.  M. 

Cette  réponse  faisoit  assez  paroître  que  M.  de 
Guise  étoit  serviteur  de  la  Reine  ;  mais  la  haine  qu'il 
témoigna  avoir  du  maréchal  fît  que  les  autres  ne  se 
cachèrent  pas  de  lui.  Monsieur  le  Prince  seulement 
s'en  refroidit  un  peu,  craignant  que,  quand  ils  se 
seroient  défaits  du  maréchal,  le  duc  de  Guise  en 
recueillit  seul  tout  l'avantage  et  le  profit  et  entrât 
seul  dans  la  confiance  de  la  Reine,  dans  l'aversion  et 
haine  de  laquelle  ils  demeureroient  tous^.  Il  ne  laissa 

1.  Le  début  de  ce  paragraphe  et  le  précédent  sont  à  rappro- 
cher des  Mémoires  cï Estrées,  p.  413. 


[1616]  DE  RICHELIEU.  57 

pas  de  poursuivre  néanmoins'.  L'audace  de  lui  et  des 
siens  croissoit  de  jour  en  jour ,  de  sorte  que  la  Reine 
recevoit  souvent  des  paroles  trop  hardies  de  ceux  de 
son  parti,  jusques  à  lui  oser  dire  de  sa  part,  une  fois 
qu'elle  avoit  fait  bon  visage  à  quelques  seigneurs  de 
la  cour,  qu'il  ne  trouvoit  pas  bon  qu'elle  lui  débau- 
chât ses  amis;  et,  une  autre  fois,  il  lui  manda,  sur  le 
sujet  de  M.  de  Guise,  qu'il  vouloit  bien  qu'elle  sût  que 
lui  et  ses  frères  étoient  si  étroitement  liés  à  lui  qu'il 
n'étoit  pas  en  sa  puissance  de  les  en  séparer. 

Mais,  si  les  serviteurs  de  Monsieur  le  Prince  lui 
parloient  si  insolemment,  il  y  en  avoit  assez  d'autres, 
de  ceux  auxquels  il  se  fioit  le  plus,  qui  lui  venoient 
donner  avis  de  tout  ce  qui  se  passoit;  et,  entre  les 
autres,  MM.  l'archevêque  de  Bourges-  et  de  Guise 
l'en  faisoient  avertir  très  soigneusement,  et  ce  à 
heures  particulières  et  de  nuit,  afin  de  n'être  point 
reconnus.  Enfin  ils  commencèrent  à  dire  à  la  Reine 
qu'ils  jugeoient  les  affaires  en  tel  point  et  en  si  grand 
péril  pour  le  Roi,  qu'ils  ne  croy oient  plus  qu'il  fût 
possible  d'y  donner  remède. 

M.  de  Sully  demanda  audience  à  la  Reine  pour  lui 
parler  seul  d'affaires  qu'il  disoit  importer  à  la  vie  de 
LL.  MM.  Elle  avoit  pris  médecine;  mais,  sur  un  sujet 
si  important,  elle  ne  jugea  pas  devoir  différer  à  le 
voir.  Le  Roi  s'y  trouva  par  hasard  ;  les  sieurs  Mangot 
et  Barbin  y  furent  aussi.  Lors,  il  fit  un  long  discours 

1.  Var.  :  De  poursuivre  néanmoins  sa  pointe  (H). 

2.  André  Frémjot  (1573-1641),  conseiller  au  Parlement  de 
Dijon  en  1599,  archevêque  de  Bourges  de  1603  à  1621,  et 
ambassadeur  à  Rome  en  1626.  Il  était  frère  de  sainte  Jeanne  de 
Chantai. 


58  MÉMOIRES  [1616] 

des  mauvais  desseins  que  ces  princes  avoient  et  du 
mal  inévitable  qu'il  en  prévoyoit  pour  le  Roi.  Les 
sieurs  Mangot  et  Barbin  lui  dirent  que  ce  n'étoit  pas 
assez,  mais  qu'il  étoit  besoin  qu'il  dit  les  remèdes 
plus  propres  à  y  apporter;  à  quoi  il  ne  fit  autre 
réponse,  sinon  que  le  hasard  étoit  grand,  et  qu'in- 
failliblement on  en  verroit  bientôt  de  funestes  effets. 

S'étant  retiré  du  cabinet,  il  y  remit  une  jambe  avec 
la  moitié  de  son  corps,  disant  même  ces  paroles  : 
«  Sire,  et  vous.  Madame,  je  supplie  Vos  Majestés  de 
penser  à  ce  que  je  vous  viens  de  dire  ;  j'en  décharge 
ma  conscience.  Plût  à  Dieu  que  vous  fussiez  au 
milieu  de  douze  cents  chevaux!  je  n'y  vois  autre 
remède;  »  puis  s'en  alla^ 

La  Reine,  qui  ne  vouloit  venir  qu'à  l'extrémité  aux 
derniers  remèdes,  après  avoir  jeté  plusieurs  larmes 
de  s'y  voir  quasi  contrainte,  voulut  encore  auparavant 

1.  Bassompierre,  en  un  récit  qui  présente  avec  celui-ci 
beaucoup  d'analogie,  rend  compte  de  cette  audience  du  duc 
de  Sully  chez  la  Reine.  D'après  lui,  elle  eut  lieu  le  vendredi  soir 
26  août  [Mémoires,  t.  II,  p.  78-79)  :  «  M.  de  Sully...  fit  voir 
que  les  choses  ne  pouvoient  encore  subsister  huit  jours  en 
l'état  où  elles  étoient  réduites,  et  qu'au  balancement  où  elles 
étoient,  il  étoit  infaillible  que  toute  l'autorité  tomberoit  entre  les 
mains  de  Monsieur  le  Prince  ou  qu'elle  deraeureroit  aux  siennes 
si  elle  la  savoit  retenir;  que  deux  puissances  si  grandes  ne  se 
pouvoient  compatir;  que  les  grands  et  le  peuple  penchoient  du 
côté  de  Monsieur  le  Prince;  que  son  autorité  diminuoit  depuis 
l'entreprise  de  M.  de  Longueville  et  le  partement  du  maréchal 
d'Ancre  et  toute  la  puissance  à  Monsieur  le  Prince  dans  les  affaires 
et  Conseil.  Finalement,  qu'il  ne  la  tenoit  pas  assurée  dans  Paris 
et  qu'elle  seroit  mieux  avec  mille  chevaux  à  la  campagne,  avec 
ses  enfants,  que  dans  le  Louvre,  en  l'état  où  étoient  les  esprits 
des  grands  et  du  peuple;  qu'il  avoit  cru  être  de  son  devoir  et 


[1616]  DE  RICHELIEU.  59 

essayer  un  remède  de  douceur,  par  lequel  elle  fît  voir 
à  tous  les  peuples  le  désir  qu'elle  avoit  que  les  affaires 
pussent  souffrir  une  conduite  bénigne,  et  à  tous  les 
princes  qu'ils  n'en  étoient  pas  encore  où  ils  pensoient, 
et  que  la  plupart  de  ceux  qui  leur  promettoient  étoient 
en  leurs  cœurs  serviteurs  du  Roi  et  les  abandonne- 
roient  quand  ce  viendroit  au  point  d'exécuter  l'entre- 
prise qu'ils  avoient  faite. 

Elle  parla  à  tous  les  seigneurs  de  la  cour  l'un  après 
l'autre  et  leur  fît  voir  le  procédé  qu'elle  avoit  tenu 
dans  son  gouvernement  jusques  alors,  combien  elle 
avoit  relâché  de  l'autorité  du  Roi  pour  maintenir  les 
choses  en  paix,  le  mésusage  que  de  mauvais  esprits 
en  avoient  fait.  Il  n'y  en  eut  quasi  un  seul  de  tous 
ceux  à  qui  elle  parla  qui  ne  revînt  de  bon  cœur  à 
vouloir  servir  le  Roi  et  ne  l'assurât  de  sa  fidélité  envers 
et  contre  tous. 

Ces  choses,  qui  étoient  publiques,  ne  pouvoient  pas 
être  celées  à  Monsieur  le  Prince  et  aux  siens  ;  mais  les 
choses  en  étoient  venues  si  avant,  et  ils  croyoient  leur 
parti  si  fort,  qu'ils  ne  désistèrent  point  pour  cela,  et 
la  résolution  et  le  courage  que  la  Reine  montra  ne 
leur  fît  point  de  peur. 

Comme  néanmoins  la  difficulté  des  entreprises  paroît 

des  obligations  qu'il  avoit  au  feu  Roi  de  lui  remontrer  ce  que 
dessus,  ne  pouvant  y  apporter  avec  sa  vie  un  autre  remède; 
qu'il  l'emploieroit  volontiers  si,  par  sa  perte,  il  pouvoit  sauver 
le  Roi,  elle  et  l'Etat.  Et  ensuite  il  prit  congé  d'elle,  la  suppliant 
de  penser  à  ce  qu'il  lui  venoit  de  dire,  et  qu'en  cas  qu'elle  n'y 
apportât  le  remède  convenable,  il  protestoit  de  tout  le  mal  qui 
lui  en  adviendroit  et  qu'à  elle  seule  en  seroit  la  faute,  puis- 
qu'elle en  avoit  été  avertie  et  que  ce  mal  étoit  prévu.  » 


60  MÉMOIRES  .      [1616] 

plus  grande,  quand  on  est  sur  le  point  de  les  exécuter, 
qu'elle  ne  paroissoit  à  la  première  pensée  que  l'on  a 
eue,  et  d'abondant  que  l'esprit  de  Monsieur  le  Prince 
étoit  irrésolu  et  avoit  peu  de  fermeté,  il  se  trouva  en 
telle  perplexité,  quand  le  temps  arriva  de  faire  ce 
qu'il  avoit  promis  aux  siens,  que,  s'étant  retiré  à  Saint- 
Martin*  seul,  il  envoya  quérir  Barbin  et  lui  dit  qu'il 
étoit  en  la  plus  grande  peine  où  il  s'étoit  jamais  trouvé, 
et  qu'il  y  avoit  trois  heures  qu'il  ne  cessoit  d'épandre 
des  larmes,  d'autant  que  ces  princes  le  pressoient  de 
conclure  ou  le  menaçoient  de  l'abandonner;  ce  que, 
s'ils  faisoient,  il  savoit  bien  que  la  Reine  le  méprise- 
roit  incontinent  ;  qu'à  la  vérité,  il  étoit  en  un  tel  état 
qu'il  ne  lui  restoit  plus  qu'à  ôter  le  Roi  de  son  trône 
et  se  mettre  en  sa  place;  que  c'étoit  trop,  mais  aussi 
que  d'être  abaissé  jusques  au  mépris  il  ne  le  pouvoit 
souffrir,  joint  qu'il  voyoit  les  affaires  à  un  tel  point  et 
une  si  grande  conjuration  de  tous  les  princes  contre 
le  Roi,  qu'il  ne  croyoit  pas,  quand  même  il  se  mettroit 
du  parti  de  S.  M. ,  qu'il  fût  le  plus  fort. 

Barbin  lui  répondit  que  sa  qualité  et  sa  naissance 
le  garantissoient  d'être  méprisé,  que  la  Reine  lui  avoit 
témoigné  l'estime  qu'elle  faisoit  de  lui,  qu'elle  auroit 
toujours  volonté  de  lui  augmenter  plutôt  que  de 
diminuer  sa  puissance  ;  quant  au  parti  du  Roi, 
qu'il  n'étoit  point  si  foible  qu'il  s'imaginoit,  que 
tous  ceux  qu'il  pensoit  être  liés  avec  les  princes  ne 
l'étoient  pas,  que  le  seul  nom  de  roi  étoit  extrême- 
ment puissant,  que  tout  ce  qu'on  entreprendroit 
contre  son  autorité  seroit  un  feu  de  paille  qui  ne 
dureroit  point. 

1.  Au  prieuré  de  Saint-Martin-des-Champs. 


[1616]  DE  RICHELIEU.  61 

Lors  Monsieur  le  Prince,  revenant  un  peu  à  soi, 
lui  dit  que  la  Reine  chassât  M.  de  Bouillon  hors  de  la 
cour,  qu'il  le  brouilloit,  et  tourmentoit  son  esprit, 
qu'il  lui  falloit  avouer  qu'il  avoit  un  grand  ascendant 
sur  lui,  que,  lui  dehors,  il  tourneroit  les  autres  princes 
comme  bon  lui  sembleroit.  Barbin,  qui  ne  savoit  s'il 
lui  parloit  à  dessein  pour  découvrir  son  sentiment, 
lui  répondit  que  la  Reine  les  afïectionnoit  tous,  qu'elle 
désiroit  les  contenter  et  maintenir  la  paix  en  ce 
royaume.  Quant  à  M.  de  Bouillon,  s'il  y  avoit  quelque 
commission  honorable  et  digne  de  lui  donner  hors  de 
la  cour,  elle  le  feroit  volontiers,  et  qu'il  falloit  qu'en 
cela  ledit  seigneur  Prince  lui  aidât*. 

Cet  entretien  fini,  ils  se  séparèrent.  Monsieur  le 
Prince,  retournant  en  son  logis,  y  trouva  M.  de  Bouillon 
qui  l'attendoit,  et  qui  sut  si  bien  l'ensorceler  par  ses 
discours  qu'il  lui  fit  prendre  des  pensées  et  des  réso- 
lutions toutes  nouvelles  :  à  quoi  son  esprit,  en  l'état 
où  il  se  trouvoit,  n'étoit  pas  mal  disposé  ;  car  l'ordi- 
naire de  ceux  qui  sont  éperdus  de  crainte,  c'est  de 
croire  que  les  nouveaux  conseils  sont  toujours  les 
meilleurs,  qu'il  y  a  plus  d'assurance  autre  part  que 
là  où  ils  se  trouvent,  et  que  tout  ce  qu'on  leur  propose 
est  plus  assuré  que  ce  qu'ils  avoient  pensé.  Il  le  fit 
résoudre  de  pousser  les  choses  jusques  à  l'extrémité 
et,  rompant  avec  le  maréchal  d'Ancre,  lui  envoyer 
dire,  comme  une  parole  de  défi,  qu'il  ne  vouloit  plus 

1.  L'entretien  du  prince  de  Condé  et  de  Barbin  est  ainsi  rap- 
porté par  d'Estrées  [Mémoires,  p.  413)  :  «  Monsieur  le  Pinnce 
ayant  envoyé  chercher  Barbin,  il  lui  déclara  une  grande  par- 
tie de  tout  le  secret  et  lui  témoigna  qu'il  vouloit  toujours  ser- 
vir le  maréchal  d'Ancre  et  le  garantir  de  tous  les  accidents 
dont  il  étoit  menacé.  » 


62  MÉMOIRES  [1616] 

être  son  ami .  Une  des  principales  raisons  par  lesquelles 
le  duc  de  Bouillon  l'y  anima  fut  qu'il  lui  dit  que  ledit 
maréchal  s'étoit  moqué  de  lui  sur  le  sujet  du  déma- 
riage d'avec  Madame  la  Princesse,  qu'il  lui  avoit  fait 
espérer  d'obtenir  de  Rome,  et  ne  le  faisoit  pas  néan- 
moins. 

Monsieur  le  Prince  donna  cette  commission  à  M.  l'ar- 
chevêque de  Bourges,  qui,  trop  hâté  valet,  s'en  alla 
de  ce  pas  chez  le  maréchal  d'Ancre,  où  il  trouva 
Barbin,  que  ledit  maréchal  avoit  envoyé  quérir,  et 
l'abbé  d'Aumale*.  Il  dit  à  l'un  et  à  l'autre  qu'ils 
pouvoient  être  présents  à  ce  qu'il  diroit.  Dès  qu'ils 
furent  assis,  il  adressa  la  parole  au  maréchal  et  lui 
dit  qu'il  lui  venoit  dire,  de  la  part  de  Monsieur  le  Prince, 
qu'il  n'étoit  plus  son  ami,  parce  qu'il  lui  avoit  manqué 
à  ce  qu'il  lui  avoit  promis.  Il  en  dit  autant  à  Barbin, 
qui  ne  répondit,  sinon  :  «  Qu'ai-je  donc  fait  depuis 
deux  heures  qu'il  m'a  tant  assuré  du  contraire?  » 
Quant  au  maréchal,  il  lui  dit  que  ce  lui  étoit  un  grand 
malheur  d'avoir  perdu  sa  bonne  grâce,  mais  que  sa 
consolation  étoit  qu'il  ne  lui  en  avoit  point  donné  de 
sujet. 

L'abbé  d'Aumale,  prenant  lors  la  parole,  dit  aussi  à 
l'archevêque  :  «  Je  vois  bien  que  vous  voulez  dire 
que  j'ai  porté  parole  à  Monsieur  le  Prince  de  la 
part  de  Monsieur  le  Maréchal  qu'il  l'assisteroit  en  son 
démariage;  mais  tant  s'en  faut  que  cela  soit,  que 
je  lui  ai   dit  que    cela  ne  se  pouvoit  faire,  et  y  ai 

1.  Guillaume  du  Broc  du  Nozet,  abbé  d'Aumale  au  diocèse 
de  Rouen  en  1597,  fut  en  outre  archevêque  de  Séleucie  et  vice- 
légat  à  Avignon. 


[1616]  DE  RICHELIEU.  63 

toujours  insisté  contre  vos  conseils,  que   je  lui    ai 
soutenu  i/être  pas  bons.  » 

L'archevêque  demeura  tout  confus  et,  se  tournant 
vers  Barbin,  le  convia  de  venir  trouver  Monsieur  le 
Prince,  ce  qu'il  refusa  de  faire  ;  mais  il  lui  promit 
d'attendre  ledit  sieur  archevêque  le  lendemain  chez 
lui,  auparavant  que  d'aller  au  Conseil. 

Lors  le  maréchal  mena  Barbin  chez  sa  femme,  qui 
étoit  malade,  et  dit  audit  Barbin  qu'ils  étoient  déses- 
pérés, et  vouloient  l'un  et  l'autre  se  retirer  à  Gaen, 
et  de  là  par  mer  s'en  aller  en  Italie;  qu'ils  voyoient 
bien  que  tout  étoit  perdu,  et  pour  le  Roi,  et  pour  eux  ; 
que  plût  à  Dieu  fussent-ils  dans  une  barque  au  milieu 
de  la  mer  pour  retourner  à  Florence.  11^  leur  dit  que 
le  temps  étoit  bien  orageux,  mais  que  les  choses 
n'étoient  pas  si  désespérées  qu'ils  croyoient  ;  qu'il  espé- 
roit  que  l'autorité  de  LL.  MM.  seroit  bientôt  plus 
grande  qu'elle  n'a  voit  été  durant  la  régence,  mais  que 
cependant  ils  ne  prenoient  pas  un  mauvais  conseil  de 
s'absenter  pour  quelque  temps,  afin  que  les  princes 
ni  les  peuples  ne  pussent  prendre  leur  prétexte  accou- 
tumé sur  eux. 

Ils  firent  lors  mille  protestations  que,  quand  bien 
ils  reviendroient  à  la  cour,  ils  ne  se  mêleroient  jamais 
d'aucune  affaire  et  se  contenteroient  d'avoir  assez  de 
pouvoir  pour  établir  la  sûreté  de  leur  fortune,  sans 
chercher  les  apparences  d'une  autorité  si  grande,  qui 
ne  faisoit  que  leur  engendrer  la  haine  de  tout  le 
monde. 


1.  Dans  le  manuscrit  H,  le  mot  il  a  été  corrigé  et  remplacé 
par  le  mot  Barbin. 


64  MÉMOIRES  [1616] 

Ils  pensoient  partir  tous  deux  le  lendemain  matin  ; 
mais  le  mauvais  génie  qui  les  persécutoit  retint  la 
maréchale  à  son  malheur;  car,  pensant  entrer  en  sa 
litière,  elle  se  trouva  si  foible  qu'elle  s'évanouit  deux 
fois  entre  les  bras  des  siens  ^  Ne  pouvant  partir,  elle 
voulut  retenir  son  mari  à  toute  force.  Il  envoie  quérir 
Barbin  à  la  pointe  du  jour  ;  il  les  trouve  tous  deux  si 
effrayés  qu'ils  ne  savoient  ce  qu'ils  faisoient.  Le  mari 
lui  dit  qu'il  étoit  perdu  s'il  ne  persuadoit  sa  femme 
de  le  laisser  aller  ;  ce  qu'il  fit,  lui  remontrant  qu'il  n'y 
avoit  point  de  péril  pour  elle,  son  mari  étant  absent, 
et  principalement  se  faisant  porter  au  Louvre,  où  elle 
seroit  plus  assurée  que  si  elle  étoit  en  Italie . 

Le  maréchal  étant  parti,  Barbin  retourne  en  son 
logis,  où,  peu  après,  l'archevêque  de  Bourges  arrive, 
selon  qu'ils  étoient  convenus  le  jour  précédent,  et  lui 
dit,  de  la  part  de  Monsieur  le  Prince,  que  ce  qu'il 
avoit  mandé  au  maréchal  et  à  lui  avoit  été  pour  se 
dépêtrer  de  M.  de  Bouillon  qui  l'y  contraignoit,  et 
qu'il  ne  croyoit  pas  qu'il  dût  si  tôt  exécuter  ce  com- 
mandement^, qu'il  avoit  dessein  de  contremander  aussi- 
tôt qu'il  eût  été  hors  de  la  présence  dudit  duc. 

Barbin  lui  répondit  que  le  maréchal  étoit  parti  et 
que  ce  n'étoit  point  pour  ce  que  Monsieur  le  Prince 
lui  avoit  mandé,  d'autant  qu'il  en  avoit  déjà  le  dessein 
auparavant. 

Dès  qu'il  fut  retiré,  Virey^,  premier  secrétaire  de 

1.  Ces  détails  sont  donnés  en  des  termes  presque  identiques 
dans  le  Journal  inédit  d'Arnauld  d'Andilly,  p.  191-192. 

2.  Que  Monsieur  le  Prince  ne  croyait  pas  que  l'archevêque 
dût  si  tôt,  etc. 

3.  Claude-Enoch  Virey  (1566-1636)  avait  été  chargé  de  l'édu- 


[1616]  DE  RICHELIEU.  65 

Monsieur  le  Prince,  entra,  qui  lui  dit  la  même  chose 
et  beaucoup  de  mauvaises  paroles  contre  l'archevêque, 
qui  avoit  eu  si  peu  de  jugement  que  d'exécuter  si 
inconsidérément  une  chose  qui  lui  avoit  été  comman- 
dée par  Monsieur  le  Prince,  en  présence  d'un  homme 
qu'il  savoit  bien  qui  violentoit  son  esprit.  Quand  il 
lui  eut  dit  aussi  que  le  maréchal  étoit  parti,  il  fit  de 
grandes  exclamations,  soit  pour  ce  que  le  maréchal 
leur  fût  échappé,  soit  pour  ce  que  son  maître  fût  en 
effet  marri  de  l'avoir  offensé  jusques  à  ce  point;  mais* 
il  en  devoit  être  marri  pour  autre  cause  qui  étoit  plus 
essentielle  et  lui  importoit  davantage  que  celle-là,  qui 
étoit  que,  s'il  fût  demeuré  à  Paris,  on  n'eût  rien  osé 
exécuter  contre  Monsieur  le  Prince,  pour  ce  que  la 
crainte  du  péril,  auquel  il  eût  cru  ensuite  être  exposé, 
et  de  la  fureur  du  peuple  qui  eût  forcené  contre  lui, 
l'eût  empêché  d'y  consentir,  comme  il  avoua  depuis  à 
Barbin. 

Les  choses  étant  donc^  venues  en  cet  état,  l'union 
de  ces  princes  se  maintenant  et  publiant  toujours  de 
plus  en  plus^,  la  Reine  ayant  eu  avis  certain  qu'ils 

cation  du  jeune  prince  de  Condé,  puis  devint  son  secrétaire. 
Il  a  composé  diverses  poésies,  dont  plusieurs  sont  conservées 
en  manuscrit  à  la  bibliothèque  de  l'Arsenal  :  voyez  duc  d'Au- 
male,  Histoire  des  princes  de  Condé,  t.  II,  p.  266  et  suivantes. 

1.  Tout  ce  qui  suit  jusqu'à  la  fin  du  paragraphe  a  été  ajouté 
en  marge  du  manuscrit  B.  —  Les  Mémoires  d' Estrées,  p.  413, 
sont  très  brefs  sur  l'incident  qui  provoqua  le  départ  de  Concini. 

2.  Le  mot  donc  a  été  ajouté  en  interligne  sur  le  manuscrits. 

3.  Dans  le  manuscrit  B,  les  mots  en  plus  ont  été  ajoutés  de  la 
main  de  Charpentier.  Après  ces  mots  figuraient  les  lignes  sui- 
vantes, sur  lesquelles  a  été  passé  un  trait  de  plume  :  «  La  Reine, 
sachant  qu'ils  cabalent  tous  les  corps  et  tâchent  de  s'acquérir 

lî  li 


66  MÉMOIRES  [1616] 

i'aisoient  des  pratiques  par  la  ville  pour  débaucher  le 
peuple  et  pour  j^agner  les  colonels  et  capitaines  des 
quartiers  qui  y  ont  la  charge  des  armes,  qu'ils  cabalent 
tous  les  corps,  et  tâchent  de  s'acquérir  toutes  les 
compagnies  de  Paris,  qu'on  sollicite  les  curés  et  les 
prédicateurs  contre  le  Roi  et  elle,  que  déjà  tout  haut 
leurs  partisans  se  vantoient  que  rien  que  Dieu  ne  les 
pouvoit  empêcher  de  changer  le  gouvernement  ;  Mon- 
sieur le  Prince  même  lui  ayant  avoué  qu'il  s'étoit 
trouvé  en  un  de  ces  conseils-là  où  l'on  parloit  de  se 
cantonner,  et  qu'à  la  vérité  LL.  MM.  avoient  occasion 
d'avoir  soupçon  de  lui,  mais  [que]  néanmoins  elles  lui 
étoient  plus  obligées  qu'aux  pères  qui  leur  avoient 
donné  la  vie;  nonobstant  laquelle  déclaration,  qu'il  n'a 
faite  que  des  lèvres  S  il  ne  laissa  pas  d'adhérer  à  ces  mau- 
vais esprits  et  pousser  en  avant  ses  mauvais  desseins, 

toutes  les  compagnies  de  Paris,  qu'on  sollicite  les  curés  et  les 
prédicateurs  contre  le  Roi  et  elle,  que  Monsieur  le  Prince 
pousse  en  avant  ses  mauvais  desseins  et  que  le  remords  qu'il 
en  a  n'est  pas  assez  puissant  pour  l'en  faire  désister,  que  sa 
reconnoissance  n'a  été  que  des  lèvres  et  qu'il  est  résolu, 
comme  auparavant,  de  s'emparer  des  personnes  de  LL.  MM., 
jugeant  que,  si  elle  attend  davantage,  il  ne  sera  plus  temps 
d'y  apporter  le  remède  qui  est  encore  de  saison,  étant  aver- 
tie si  assurément  qu'elle  n'en  peut  douter  par  M.  de  Guise, 
M""®  de  Longueville,  les  ducs  du  Sully  et  de  Rohan  de  ce  qui 
se  machine,  l'archevêque  de  Bourges  même,  qui...  »  La  pre- 
mière partie  de  ce  passage,  jusqu'à  «  que  Monsieur  le  Prince 
pousse  en  avant  »,  a  été  utilisée  dans  le  texte.  Ce  qui  suit  n'a 
pas  été  employé  entièrement,  mais  on  retrouve  plus  loin  la  fin 
du  passage  dans  le  texte  des  Mémoires,  à  partir  des  mots 
«  jugeant  que  si  elle  attend  davantage...  ». 

1.  Voyez  le  passage  barré  que  nous  donnons  dans  la  note 
précédente. 


[1616]  DE  RICHELIEU.  67 

jusques-là  que  de  proposer  d'aller  au  Parlement,  pour- 
suivant l'arrêt  par  lequel,  en  l'année  précédente,  la 
cour  avoit  ordonné  que  les  princes,  pairs  et  officiers 
de  la  couronne  seroient  convoqués  pour  délibérer  du 
gouvernement  et  y  pourvoir,  parler  de  mettre  la 
conduite  de  l'État  entre  autres  mains  que  de  celles 
de  S.  M.i. 

Ces  choses  étoient  si  publiques  que  les  ambassa- 
deurs des  princes  étrangers  qui  étoient  à  la  cour  en 
donnoient  des  avis  signés  de  leur  main  et  que,  dans 
les  festins  publics  qui  se  faisoient,  ils  disoient  tout 
haut  pour  son  terme  d'allégresse  (sic)  :  Barre  à  bas~. 

Étant  tout  manifeste  que,  d'autre  part,  on  faisoit 
des  levées  de  gens  de  guerre  en  toutes  les  provinces, 
et  qu'enfin  ils  avoient  fait  tirer  de  Paris  des  armes 
pour  armer  trois  mille  hommes  (ce  qu'ils  ne  purent 
pas  faire  si  secrètement  que  LL.  MM.  n'en  eussent 
avis  certain),  la  Reine  jugeant  que,  si  elle  attend 
davantage,  il  ne  sera  plus  temps  d'y  apporter  le  remède 
qui  est  encore  de  saison;  étant  avertie,  si  assurément 

1.  On  remarquera  que  cette  longue  phrase  reste  en  suspens. 

2.  Quelques  Mémoires  racontent  cette  anecdote  d'une  manière 
différente  et  assez  vraisemblable.  S'il  faut  les  en  croire,  dans 
un  repas  auquel  assistait  le  prince  de  Condé  avec  ses  affidés, 
on  apporta  un  billet  de  Barbin  :  Le  Coigneux,  après  l'avoir 
lu,  donna  au  signataire  le  sobriquet  de  Barabbas  ;  et  Condé, 
trouvant  la  plaisanterie  bonne,  ajouta  :  Erat  autein  Barabbas 
latro.  Le  mot  fut  répété  plusieurs  fois  pendant  le  repas  et 
rapporté  aussitôt  après  à  Barbin.  Plusieurs  personnes  s'effor- 
cèrent de  persuader  à  la  Reine  que  c'était  un  mot  de  rallie- 
ment qui  cachait  les  intentions  les  plus  criminelles.  Voyez 
Histoire  des  princes  de  la  maison  de  Condé,  par  le  duc  d'Au- 
raale,  t.  TIT,  p.  78. 


68  MÉMOIRES  [1616] 

qu'elle  n'en  pût  douter,  par  M.  de  Guise,  M*"^  de  Lon- 
gueville,  les  ducs  de  Sully  et  de  Rohan  de  ce  qui  se 
machine;  l'archevêque  de  Bourges  même  S  qui  étoit 
le  principal  instrument  de  Monsieur  le  Prince,  lui 
avoit  déclaré  tout  ce  qu'il  en  savoit  ;  et  tous  ces  avis 
qu'elle  recevoit  de  toutes  parts  aboutissant  à  ce  point 
que  le  dessein  des  conjurés  est  de  la  mettre  en  un 
monastère,  pour,  ayant  ôté  au  Roi  sa  protection  et  sa 
défense,  s'emparer  de  son  esprit  et  de  sa  personne 
pour  la  faire  agir  à  leur  mode^  et  se  cantonner  par 
toutes  les  provinces  du  royaume,  nonobstant  toutes 
leurs  belles  paroles  qui,  ne  sonnant  autre  chose  que  le 
service  de  S.  M.  et  le  bien  de  l'État,  prétextes  accou- 
tumés en  toutes  les  guerres  civiles,  n'ont  pour  fin  que 
la  ruine  de  l'un  et  de  l'autre,  elle  crut  qu'elle  man- 
queroit  au  Roi  et  à  soi-même,  et  seroit  plus  coupable 
que  les  coupables  de  sa  perte,  si  elle  n'y  apportoit 
promptement  l'unique  remède  qui  lui  restoit  pour 
dissiper  ce  grand  corps  de  rébellion,  qui  étoit  d'arrê- 
ter Monsieur  le  Prince,  qui  en  étoit  le  chef,  et,  avec  lui, 
ceux  qu'elle  pourroit  des  principaux  d'entre  eux.  Elle 
communiqua  son  dessein  au  maréchal  de  Thémines^, 
sur  lequel  elle  jeta  les  yeux,  à  cause  de  sa  fidélité  et 
de  son  courage,  pour  l'assister  en  l'exécution  d'icelui. 
Il  n'eut  pas  plus  tôt  connoissance  du  dessein  de  la 

1.  Voyez  pour  ce  passage,  qui  commence  par  «  La  Reine 
jugeant  »,  la  note  de  la  page  66. 

2.  Les  neuf  mots  qui  vont  suivre  ont  été  ajoutés  après  coup 
par  Sancy  sur  le  manuscrit  B. 

3.  Pons  de  Lauzières  (1553-1627),  marquis  de  Thémines, 
sénéchal  du  Quercy,  maréchal  de  France  en  1616,  gouverneur 
de  Bretagne  en  1627. 


[1616]  DE  RICHELIEU.  69 

Reine  qu'il  ne  s'y  portât  fort  franchement.  S.  M.  le 
choisit  parce  que  plusieurs  fois  le  feu  Roi  son  seigneur, 
qui  prenoit  plaisir  à  l'instruire  des  diverses  humeurs 
des  seigneurs  de  son  royaume,  lui  avoit  dit  qu'il  étoit 
homme  à  ne  reconnoître  jamais  que  le  caractère  de  la 
royauté ,  ce  qu'il  témoigna  bien  en  cette  occasion  qui 
devoit  sembler  fort  périlleuse,  non  seulement  à  cause 
de  la  qualité  de  Monsieur  le  Prince,  mais  principale- 
ment à  raison  du  grand  nombre  de  princes  et  de  sei- 
gneurs qui  étoient  de  son  parti.  Mais^,  s'il  servit  bien, 
aussi  crut-il  bien  l'avoir  fait  ;  car  depuis  il  ne  put  être 
content,  quelques  récompenses  qu'il  eût  reçues  de  la 
Reine.  Elle  le  fît  maréchal  de  France,  lui  donna  comp- 
tant cent  et  tant  de  mille  écus,  fit  son  fils  aîné^  capi- 
taine de  ses  gardes,  donna  à  Lauzières^,  son  second 
fils,  la  charge  de  premier  écuyer  de  Monsieur,  et  avec 
tout  cela  il  crioit  et  se  plaignoit  encore;  tant  les 
hommes  vendent  cher  le  peu  de  bien  qui  est  en  eux 
et  font  peu  d'estime  des  bienfaits  qu'ils  reçoivent  de 
leurs  maîtres. 

Barbin,  qui  étoit  et  celui  qui  avoit  le  plus  animé  la 
Reine  à  ce  conseil  et  le  principal  conducteur  de  cette 
affaire,  lui  demanda  de  la  part  de  la  Reine  combien 
de  gens  il  avoit  dont  il  se  pût  assurer  en  un  effet  si 
important.  Il  leur  dit  qu'il  avoit  ses  deux  fils  et  sept 

1.  Toute  la  fin  de  ce  paragraphe  a  été  ajoutée  en  marge 
dans  le  manuscrit  B. 

2.  Antoine  de  Lauzières,  comte  de  Thémines,  fils  de  Pons, 
marquis  de  Thémines,  et  de  Catherine  Ebrard  de  Saint-Sulpice, 
tué  au  siège  de  Montauban  en  1621. 

3.  Charles  de  Lauzières,  tué  devant  Monheurt  le  11  décembre 
1621. 


70  MÉMOIRES  [1616] 

OU  huit  gentilshommes  des  siens,  du  courage  et  de  la 
fidélité  desquels  il  répondoit.  Et,  pour  ce  que  cela 
lui  sembloit  peu  en  cette  affaire,  qui  devoit  être  exé- 
cutée avec  un  tel  ordre  et  prévoyance  qu'il  n'y  eût 
rien  à  douter,  il  pensa  en  son  esprit  s'il  y  avoit  encore 
quelqu'un  en  qui  la  Reine  se  pût  entièrement  confier  ; 
il  se  souvint  d'Elbène^  Itahen,  et  partant  plus  assuré 
à  la  Reine  qu'aucun  autre,  et  du  courage  duquel  le  feu 
Roi  faisoit  cas.  Il  l'envoya  quérir  et  lui  demanda,  de 
la  part  de  la  Reine,  s'il  étoit  homme  à  faire  ce  qui 
lui  seroit  commandé  contre  qui  que  ce  fût.  S'en  étant 
assuré  et  lui  ayant  donné  charge  d'être,  de  là  en  avant 
pour  quelques  jours,  à  toutes  heures  auprès  de  lui 
avec  sept  ou  huit  de  ses  compagnons,  pour  recevoir 
le  commandement  qu'on  lui  voudroit  donner,  il  ne 
resta  plus  que  d'avoir  des  armes;  mais  la  difficulté 
étoit  de  les  faire  entrer  dans  le  Louvre  secrètement. 
M.  de  Thémines  se  chargea  de  l'achat  de  pertuisanes, 
qu'il  estima  les  armes  les  plus  propres,  et  les  envoya 
dans  une  caisse,  en  guise  d'étoffes  de  soie  d'Italie, 
chez  Rarbin,  qui  les  fit  le  lendemain  conduire  au  Louvre 
par  un  des  siens,  ayant  fait  tenir  à  la  porte  un  des 
valets  de  chambre  de  la  Reine,  pour  assurer  les  archers 
que  c'étoient  des  étoffes  de  soie  d'Itahe  pour  S.  M., 
pour  ce  qu'autrement  ils  eussent  voulu  savoir  ce  qui 
étoit  dedans. 

Le  jour  de  l'exécution  ayant  été  pris  au  lendemain, 

1.  D'après  le  Journal  de  Jean  Héroard  (tome  II,  p.  202),  ce 
d'Elbène  était  capitaine  des  chevau-légers  du  jeune  duc  d'Or- 
léans Gaston  ;  ce  serait  donc  Barthélémy  d'Elbène  ;  nous  le 
verrons  recevoir  bientôt  le  gouvernement  de  Chinon  :  ci-après, 
p.  103. 


[1616]  DE  RICHELIEU.  71 

qui  étoit  un  mercredi  dernier  jour  d'août  •,  toutes 
choses  étant  bien  disposées  pour  cela,  la  Reine  se 
trouva  si  étonnée  que  le  soir  elle  commanda  qu'on 
laissât  encore  écouler  cette  journée,  ce  qui  pensa  faire 
perdre  l'entreprise.  Car,  comme  ces  grandes  affaires 
ne  se  peuvent  pas  traiter  si  secrètement  qu'on  ne  fasse 
plusieurs  choses  qui  donnent  à  penser  et  à  soupçon- 
ner, bien  qu'on  ne  découvre  pas  précisément  à  beau- 
coup de  personnes  ce  qu'on  a  à  faire,  néanmoins  on 
ne  peut  que  l'on'  ne  soit  contraint  de  leur  faire  des 
commandements  et  dire  des  choses  dont  ils  infèrent 
la  fin  à  laquelle  on  tend.  D'Elbène  qui,  outre  son  ordi- 
naire, étoit  vu  depuis  quelques  jours  assidûment  au 
Louvre  avec  quelques-uns  de  ses  compagnons;  la 
compagnie  de  gendarmes  de  la  Reine,  qui  étoit  retour- 
née à  Louvres-en-Parisis^,  de  l'armée  de  Péronne  où 
elle  étoit  ;  un  nouveau  serment  de  fidélité  que  la  Reine 
avoit  fait  de  nouveau  prendre  des  sieurs  de  Cré- 
quy,  de  Rassompierre,  de  Saint-Géran,  de  la  Curée  et 
des  autres  principaux,  qu'on  appeloit  les  dix-sept 
seigneurs^,  et  plusieurs  autres  conjectures,  donnèrent 

1.  Le  manuscrit  B  portait  d'abord  :  Jeudi  premier  septembre , 
jour  de  la  naissance  dudit  seigneur  le  prince...  Sancy  a  rem- 
placé ces  mots  par  les  suivants  :  mercredi  dernier  jour  d'août. 

2.  Les  mots  on  ne  peut  que  l'on  ont  été  ajoutés  de  la  main  de 
Charpentier  sur  le  manuscrit  B. 

3.  Louvres-en-Parisis,  bourg  du  département  de  Seine-et- 
Oise,  arrondissement  de  Pontoise,  entre  Luzarches  et  Gonesse. 

4.  Henri  du  Plessis  de  Richelieu,  frère  du  Cardinal,  le 
fils  du  duc  de  Mayenne,  et  le  comte  de  Cramail  étaient  aussi 
au  nombre  des  dix-sept  seigneurs,  personnages  en  vue  à  la 
cour,  qui  donnaient  alors  le  ton  et  réglaient  la  mode. 


72  MÉMOIRES  [1616] 

une  telle  lumière  aux  plus  clairvoyants  que,  l'après- 
dinée  de  ce  jour  que  la  Reine  avoit  fait  différer, 
d'Elbène  vint  dire  à  Barbin  qu'il  ne  savoit  pas  ce  qu'il 
vouloit  faire,  mais  que  Lignier,  son  beau-fils,  lieute- 
nant de  la  compagnie  des  chevau-légers  de  M.  de 
Mayenne,  lui  étoit  venu  dire  de  sa  part  qu'il  le  tenoit 
pour  homme  de  bien  et  qu'il  le  prioit  de  ne  rien  faire 
mal  à  propos. 

Ledit  duc  de  Mayenne  étant  allé  voir  M.  de  Bouil- 
lon, qui,  quelques  jours  auparavant,  avoit  gardé  son 
logis,  soit  qu'il  s'y  trouvât  mal  ou  qu'il  s'y  estimât 
plus  assuré,  ils  résolurent  ensemble  que  ledit  duc  de 
Mayenne  prieroit  Monsieur  le  Prince  de  ne  point  aller 
au  Conseil  le  lendemain'.  Mais  sa  prière  fut  en  vain, 
pour  ce  qu'il  lui  sembloit  qu'on  n'eût  osé  entreprendre 
contre  lui  une  telle  chose,  et  croyoit  assurément  que, 
s'il  y  avoit  quelque  entreprise,  c'étoit  plutôt  contre 
M.  de  Bouillon  que  contre  lui.  La  nuit  venue,  les  sieurs 
de  Thémines,  Mangot  et  Barbin  étant  avec  la  Reine 
pour  résoudre  cette  affaire,  le  dernier,  pour  l'empê- 
cher de  la  différer  encore  une  fois,  lui  remontra  le 
péril  où  ce  premier  délai  l'avoit  mise  d'être  décou- 
verte, et  que  l'on  avoit  perdu  une  belle  occasion, 
pour  ce  que  tous  les  princes,  hormis  M.  de  Bouillon, 
étoient  le  matin  venus  au  Louvre. 

Il  lui  représenta  aussi  que,  pour  ne  se  trouver 
étonnée,  quoi  qui  arrivât  de  cette  entreprise,  elle  se 
devoit  résoudre  au  pis;  qu'il  ne  croyoit  pas  que  la 


1.  Le  début  de  ce  paragraphe  et  le  précédent  ont  été  rédigés 
à  l'aide  des  Mémoires  d'Estrées  qu'ils  reproduisent  presque 
intégralement.  Voyez  éd.  Michaud,  p.  414. 


[1616]  DE  RICHELIEU.  73 

ville  de  Paris  se  voulût  révolter  pour  Monsieur  le 
Prince;  que  M.  Miron,  prévôt  des  marchands,  et  le 
chevalier  du  guet  '  lui  avoient  apporté  l'état  des  capi- 
taines de  la  ville  ;  que  le  nombre  de  ceux  dont  l'on 
devoit  avoir  crainte  étoit  petit;  néanmoins  que, 
comme  toutes  choses  sont  possibles,  il  étoit  à  propos 
que  la  Reine  pensât  en  elle-même  lequel  elle  aimoit  le 
mieux,  ou  abandonner  son  entreprise  et  laisser  les 
affaires  dans  le  péril  dans  lequel  elles  étoient  pour  le 
Roi,  ou  arrêter  Monsieur  le  Prince  qui  ne  lui  pouvoit 
manquer,  et  l'emmener  avec  elle  hors  de  la  ville  de 
Paris  qui  se  seroit  révoltée.  Elle  prit  le  dernier  parti, 
et  le  jour  de  l'exécution  en  fut  arrêté  au  lendemain 
matin. 

Monsieur  le  Prince  arriva  de  bonne  heure  au  Louvre 
et  vint  à  un  conseil  qui  se  tenoit  trois  heures  avant  le 
conseil  des  affaires;  et,  ayant  su  que  Barbin  étoit  au 
Louvre  il  y  avoit  longtemps,  il  appela  Feydeau^  et 
lui  dit  qu'il  falloit  qu'il  y  eût  quelque  chose  puisqu'il 
y  étoit  de  si  bon  matin,  et  lui  donna  charge  d'aller 
savoir  où  il  étoit.  Barbin  lui  dit  qu'il  le  laissât  en 
paix,  qu'il  étoit  en  une  grande  peine,  pour  ce  que  la 
maréchale  rendoit  l'esprit  ;  cela  ôta  pour  lors  le  soup- 
çon à  Monsieur  le  Prince. 

LL.  MM.  envoyèrent  quérir  M.  de  Créquy,  mestre 

1.  Louis  Testu,  seigneur  de  Frouviile  et  de  Villers-en-Vexin, 
conseiller  et  maître  d'hôtel  du  Roi,  chevalier  du  guet  de  la 
ville  de  Paris  en  1613. 

2.  Antoine  Feydeau,  seigneur  de  Bois-le-Vicomte,  trésorier 
de  l'Epargne,  fut  accusé  de  malversations  dans  les  finances.  Sa 
fille  Maiùe  Feydeau,  épousa  en  1622  Timoléon  de  Daillon, 
comte  du  Lude  et  marquis  d'Illiers. 


74  MÉMOIRES  [i616] 

de  camp  du  régiment  des  Gardes,  et  M.  de  Bassom- 
pierre,  colonel  général  des  Suisses  et  mestre  de  camp 
du  régiment  des  Gardes  suisses  de  S.  M.  La  Reine 
les  ayant  avertis  du  dessein  que  le  Roi  et  elle  avoient 
pris,  afin  qu'ils  se  tinssent  à  la  porte  du  Louvre 
avec  leurs  régiments  en  bataille,  pour  empêcher  tout 
désordre  et  arrêter  Monsieur  le  Prince,  si  par  hasard 
il  vouloit  sortir,  après  avoir  fait  ce  qu'ils  purent  pour 
empêcher  la  Reine  de  son  dessein,  en  exagérant  les 
inconvénients  qui  en  pourroient  arriver,  ils  deman- 
dèrent des  lettres  patentes  scellées  du  grand  scel, 
pour  exécuter  le  commandement  qui  leur  étoit  fait*. 
Sur  quoi,  la  Reine  leur  demandant  s'il  leur  falloit 
d'autre  commandement  que  celui  de  la  propre  bouche 
du  Roi,  en  une  occasion  si  pressée  que  celle-là,  et  en 
laquelle  il  ne  leur  pouvoit  donner  l'assurance  qu'ils 
vouloient,  ils  la  supplièrent  d'envoyer  au  moins  avec 
eux  quelque  exempt  des  gardes  du  corps  du  Roi,  et 
que,  moyennant  qu'il  y  fût,  ils  feroient  ce  qu'il  leur 
commanderoit  de  la  part  de  S.  M.  Le  Roi,  après 
avoir  longtemps  pensé  qui  il  y  pourroit  nommer,  dit 
à  la  Reine  qu'il  falloit  prendre  Launay-,  qui  étoit  celui 
qui  avoit  pris  le  président  Le  Jay,  et  étoit  brave 
homme.  On  l'envoya  quérir  aussitôt.  Dès  qu'il  fut 
venu,  S.  M.  lui  commanda  d'aller  avec  lesdits  sieurs 
de  Créquy  et  Bassompierre  en  leurs  corps  de  garde  et 
que,  lorsque  les  princes  et  seigneurs  qu'il  lui  nomma 

1.  Bassompierre,  dans  ses  Mémoires,  ne  fait  aucune  allusion, 
pour  sa  part,  à  de  semblables  exigences  (éd.  Chantérac,  t.  II, 
p.  88). 

2.  Ludovic  de  Vièvres,  seigneur  de  Launay,  lieutenant  des 
gardes  du  corps  :  voyez  le  Journal  d'Arnauld  cCAndilly,  p.  104. 


flTyiej  DE  RICHELIEU.  75 

voudroient  sortir  du  Louvre,  il  fit  commandement 
auxdits  sieurs  de  Gréquy  et  de  Bassompierre  de  les  en 
empêcher.  Lors  ils  partirent  ensemble  et  s'y  en  allèrent. 

M.  de  Gréquy,  en  partant,  demanda  à  la  Reine  si  on 
empêcheroit  aussi  M.  de  Guise  de  sortir.  Elle  lui  répon- 
dit que  non  et  qu'elle  étoit  assurée  de  ses  frères  et 
de  lui. 

Les  gardes  étoient  en  bataille  devant  le  Louvre,  et, 
afin  que  ce  fût  sans  soupçon,  le  carrosse  du  Roi  étoit 
au  pied  du  degré,  comme  s'il  vouloit  sortir. 

Tout  cela  n'empêcha  pas  néanmoins  que  les  parti- 
sans des  princes,  que  leurs  consciences  accusoient, 
n'entrassent  en  quelque  peur.  Thiange,  lieutenant  de 
la  compagnie  des  gendarmes  de  M.  de  Mayenne,  dit 
à  La  Ferté*,  qui  étoit  au  duc  de  Rohan,  qu'il  y  avoit 
quelque  chose,  qu'il  avoit  vu  les  sieurs  de  Gréquy  et 
de  Bassompierre  passer  en  leurs  corps  de  garde  avec 
un  exempt  des  gardes  du  corps,  fort  pâles,  que  les 
gardes  étoient  en  bataille,  qu'il  voyoit  bien  le  carrosse 
du  Roi,  mais  qu'il  craignoit  qu'il  y  eût  quelque  mys- 
tère caché  qu'on  n'entendoit  point,  et  appela  inconti- 
nent un  gentilhomme  qui  étoit  à  lui,  et  l'envoya  avertir 
M.  de  iMayenne,  qui  étoit,  ce  matin-là,  allé  visiter  le 
nonce-.  Un  autre  entra  au  Gonseil,  qui  parla  à  Monsieur 
le  Prince,  qui  changea  un  peu  de  couleur,  et  rompit 
tout  aussitôt  le  Conseil^. 


1.  Ce  La  Ferté,  compromis  dans  des  manœuvres  contre 
Luynes,  fut,  comme  on  le  verra  plus  loin,  condamné  en  1618  à 
neuf  années  de  bannissement. 

2.  Le  cardinal  Ubaldini  :  tome  I,  p.  90. 

3.  Comparez  ce  que  les  Mémoires  d'Estrées  disent  (p.  414) 
du  rôle  de  M.  de  Thiange  dans  cette  affaire. 


76  MÉMOIRES  [1616] 

Cependant  le  Roi  et  Monsieur  étoient  avec  la  Reine 
dans  son  cabinet.  S.  M.  étoit  peu  auparavant  entrée 
dans  sa  chambre  et  avoit  parlé  aux  gentilshommes 
qui  assistoient  les  sieurs  de  Thémines  et  d'Elbène,  les 
assurant  qu'il  se  souviendroit  du  service  qu'ils  lui 
rendoient  cette  journée-là.  Saint-Géran  vint  à  deman- 
der à  parler  à  LL.  MM.,  et  leur  dit  qu'il  venoit  de 
rencontrer  sur  le  pont  Notre-Dame  M.  de  Bouillon  qui 
se  retiroit  en  grande  diligence  dans  un  carrosse  à  six 
chevaux,  avec  nombre  de  cavalerie  qui  avoient  tous  le 
pistolet,  et  que  M.  de  la  Trémoïlle^  galopoit  après 
lui.  Il  ne  l'avoit  pas  vu;  mais  on  lui  avoit  rapporté 
qu'on  l'avoit  vu  passer  :  car  le  duc  de  Bouillon,  ne 
voulant  pas  aller  au  Lou^Te  et  faire  la  faute  qu'il  voyoit 
bien  que  Monsieur  le  Prince  commettoit,  avoit  pris 
occasion  d'aller  dès  le  matin  à  Charenton,  avec  bon 
nombre  de  ses  amis  et  quelques  soldats  de  ses 
gardes  2. 

On  vint  aussi  dire  à  LL.  MM.  que  M.  de  Mayenne 
s'étoit  retiré;  ce  qui  n'étoit  toutefois  pas;  car  il  ne 
partit  de  plus  d'une  heure  après.  Néanmoins,  cela  fut 
cause  qu'on  n'attendit  pas  davantage,  croyant  qu'ils 
ne  viendroient  pas. 

Au  sortir  du  Conseil,  Thiange  se  jeta  à  l'oreille  de 
Monsieur  le  Prince  et  lui  dit  ce  qu'il  avoit  charge  de 
M.  de  Mayenne,  et  qu'il  n'avoit  pu  lui  dire  plus  tôt 

1.  Henri  de  la  Trémoïlle  (1599-1674),  duc  de  Thouars,  prince 
de  Talmont,  fils  aîné  de  Claude  et  de  Charlotte-Brabantine  de 
Nassau.  Il  était  protestant  et  se  joignit  peu  après  au  parti  des 
Princes. 

2.  Les  mêmes  détails  sont  donnés  dans  les  Mémoires  cl'Es- 
trées,  p.  414. 


[1616]  DE  RICHELIEU.  77 

parce  qu'il  n'étoit  arrivé  que  lorsque  le  Conseil  étoit 
déjà  cominencé.  Monsieur  le  Prince  pâlit  entièrement 
à  cette  nouvelle  et  lui  dit  que,  si  on  avoit  quelque  des- 
sein contre  lui,  il  n'y  avoit  plus  moyen  de  s'en  garantir, 
et  continua  son  chemin  par  la  salle  basse  des  Suisses, 
pour  gagner  le  petit  degré  et  monter  en  la  chambre 
de  la  Reine,  pour  entrer  au  conseil  des  affaires  qui  se 
tenoit  d'ordinaire  à  onze  heures.  Il  trouva  à  la  porte 
deux  gardes  du  corps,  dont  il  s'étonna,  et  crut  alors 
assurément,  mais  trop  tard,  ce  qu'il  ne  s' étoit  pas 
jusque-là  voulu  persuader'.  Dès  qu'il  fut  entré,  il 
demanda  plusieurs  fois  le  Roi  et  la  Reine,  qui  étoient  là 
auprès,  en  un  lieu  qui  pour  lors  servoit  de  cabinet  à 
la  Reine.  LL.  MM.,  sachant  qu'il  étoit  venu,  et  croyant 
que  tous  les  autres  étoient  évadés,  estimèrent  qu'il 
ne  falloit  plus  différer  davantage  et  commandèrent 
au  sieur  de  Thémines  de  l'arrêter,  ce  qu'il  fît  sans 
aucune  résistance  de  la  part  de  Monsieur  le  Prince,  qui 
étoit  tout  seul  ;  seulement  fît-il  quelque  peu  de  refus 
de  donner  son  épée  et  appela  M.  de  Rohan,  qu'il  vit 
là,  et  [qui]  demeura  muet  sans  lui  répondre. 

Gomme  on  le  menoit  en  la  chambre  qu'on  lui 
avoit  préparée,  il  aperçut  d'Elbène,  et,  le  voyant  avec 
quelques-uns  de  ses  compagnons,  tous  la  pertuisane 
en  la  main,  il  dit  qu'il  étoit  mort  ;  mais  l'autre  lui  répon- 
dit qu'ils  n'avoient  nul  commandement  de  lui  méfaire 
et  qu'ils  étoient  gentilshommes^. 

1.  Voyez  les  Mémoires  d'Estrées,  p.  414. 

2.  On  lit  dans  le  Mercure  français,  t.  IV,  année  1616,  p.  199  : 
«  Entrant  dans  la  salle  préparée  pour  le  mettre  et  voyant 
d'Elbène  (qu'il  n'airaoit  pas)  avec  tant  de  gens,  la  hallebarde 
au  poing,   il  dit  :   «  Hélas  !  je  suis  mort  !   »  Il  eut  lors  une 


78  MÉMOIRES  [1616] 

Il  ne  fut  pas  plus  tôt  arrêté  qu'il  lut  su^  par  toute  la 
ville;  car  on  fit  incontinent  sortir  tout  le  monde  du 
Louvre^.  Les  premières  nouvelles  en  furent  portées 
aux  princes  de  son  parti  par  ceux  qui  y  étoient  inté- 
ressés, dont  les  uns  se  retirèrent  chez  M.  de  Guise, 
les  autres  chez  le  duc  de  Mayenne,  qui  ne  faisoit  que 
de  retourner  de  chez  le  nonce,  qu'il  étoit  allé  visiter. 
Le  marquis  de  Gœuvres  fut  le  premier  qui  y  arriva. 
Peu  après,  Argencourt^  le  vint  trouver  de  la  part  de 
M.  de  Guise,  qui,  n'ayant  point  eu  avis  de  ce  dessein 
du  Roi,  craignoit  d'y  être  enveloppé  avec  les  autres, 
auxquels  le  péril  commun  le  sembloit  obliger  de  se 
tenir  uni,  et  lui  envoyant  demander  s'il  vouloit  qu'il 
l'allàt  trouver,  ou  s'il  lui  feroit  l'honneur  de  passer 
par  l'hôtel  de  Guise*,  pour  prendre  ensemble  une 
même  résolution.  Le  duc  de  Mayenne,  qui  avoit  avec 
lui  cent  ou  deux  cents  gentilshommes,  lui  manda  qu'il 
l'attendit  et  qu'ils  passeroient  tous  incontinent  chez  lui. 

Dès  que  le  marquis  de  Gœuvres  lui  eut  porté  la 
nouvelle,  trois  ou  quatre  gentilshommes  partirent 
pour  en  aller  avertir  le  duc  de  Bouillon,  qui  étoit  allé 
à  Gharenton,  et,  sans  perdre  temps,  reprit  droit  le 

grande  appréhension  de  mourir,  laquelle  ledit  sieur  d'Elbène 
calma  en  lui  disant  que  tous  ceux  qu'il  voyoit  étoient  gentils- 
hommes et  non  pas  des  meurtriers,  lesquels  n'avoient  autre 
commandement  du  Roi  que  de  le  veiller  et  garder.  » 

1.  Var.  :  Que  cela  fut  su  (H). 

2.  Voyez  le  Mercure  français,  t.  IV,  année  1616,  p.  200  :  «  On 
fît  aussi  sortir  tous  ceux  qui  étoient  dans  la  cour  du  Louvre.  » 

3.  Pierre  Conty,  seigneur  d'Argencourt,  fut  lieutenant  du 
gouvernement  de  Montpellier,  maréchal  de  camp  en  1637, 
lieutenant  général  en  1653  et  mourut  en  1655. 

4.  L'hôtel  de  Guise,  devenu  en  1697  l'hôtel  Soubise,  est 
actuellement  le  palais  des  Archives  nationales. 


[1616]  DE  RICHELIEU.  79 

chemin  de  la  porte  Saint- Antoine  et  envoya  Ghambray  * 
à  M.  de  Mayenne  le  prier  de  lui  vouloir  venir  dire 
un  mot  à  deux  cents  pas  de  ladite  porte  où  il  l'atten- 
doit.  M.  de  Mayenne  y  alla  tout  à  l'heure  et  lui  dit 
qu'il  avoit  prié  M.  de  Guise  de  l'attendre  chez  lui.  Ils 
se  résolurent  de  l'aller  trouver  tous  deux,  en  dessein 
d'amasser  avec  lui  tout  ce  qu'ils  pourroient  de  noblesse 
de  leurs  amis  et  se  faire  voir  par  les  rues  de  Paris, 
essayant  d'émouvoir  le  peuple  et  y  faire  des  secondes 
barricades.  Mais,  comme  ils  furent  sur  le  point  d'en- 
trer dans  la  ville,  ils  considèrent  qu'ils  ne  se  pour- 
roient facilement  rendre  maîtres  de  la  porte  Saint- 
Antoine,  pour,  si  leur  dessein  manquoit,  avoir  la 
retraite  libre,  et  que  la  porte  du  Temple^  étoit  plus 
aisée  et  à  s'en  saisir  et  à  la  garder.  S'y  étant  ache- 
minés, Argencourt  les  y  vint  trouver  de  la  part  de 
M.  de  Guise  pour  les  en  empêcher  et  leur  dire  que 
M.  de  PrasUn  l' étoit  venu  trouver  de  la  part  de 
LL.  MM.,  pour  lui  commander  de  les  venir  trouver, 
dont  néanmoins  il  s'excuseroit,  et  échapperoit,  s'il 
pouvoit,  dès  le  soir  même,  pour  les  aller  trouver  à 
Soissons,  qu'il  jugeoit  devoir  être  le  lieu  de  leur 
retraite. 

Gette  nouvelle  refroidit  toute  la  compagnie,  qui 
crut  pis  de  M.  de  Guise  qu'il  n'y  en  avoit,  et,  se  voyant 
divisés,  n'osèrent  entrer  dans  la  ville,  mais  prirent  le 

1.  Louis  de  PierrebufiBère,  seigneur  de  Chambray,  combattit 
à  Ivry  avec  Henri  IV.  Il  était  gouverneur  de  Saint- Yrieix-la- 
Perche  et  lieutenant  général  en  Limousin. 

2.  Il  était  en  effet  difficile  de  s'emparer  de  la  porte  Saint- 
Antoine  dominée  par  la  Bastille.  La  porte  du  Temple  était 
située  à  l'extrémité  de  la  rue  du  Temple,  à  peu  près  à  l'empla- 
cement actuel  de  la  caserne  du  Château-d'Eau. 


80  MÉMOIRES  [1616] 

chemin  de  Bondy,  envoyèrent  à  Paris  pour  savoir  ce 
qui  s'y  passoit,  et  particulièrement  de  M.  de  Vendôme  ; 
mandèrent  au  cordonnier  Picard  qu'ils  étoient  prêts 
d'entrer  dans  la  ville  avec  cinq  cents  chevaux,  et  que, 
de  son  côté,  il  essayât  de  les  assister,  émouvant  le 
plus  de  peuple  qu'il  pourroit*. 

Incontinent  après  que  Monsieur  le  Prince  fut  arrêté, 
une  grande  foule  de  noblesse  vint  au  Louvre  pour  se 
montrer  et  donner  assurance  de  sa  fidélité;  tel  le  fai- 
sant sincèrement,  tel  avec  intention  et  désir  tout 
contraires  ;  mais  il  n'y  en  avoit  pas  un  qui  n'approu- 
vât ce  que  S.  M.  avoit  fait;  beaucoup  même  témoi- 
gnoient  envier  la  fortune  du  sieur  de  Thémines,  qui 
avoit  eu  le  bonheur  d'être  employé  en  cette  entreprise  ; 
mais,  en  effet,  la  cour  étoit  si  corrompue  pour  lors, 
qu'à  peine  s'en  fût-il  trouvé  un  autre  capable  de  sauver 
l'État  par  sa  fidélité  et  son  courage. 

Le  duc  de  Guise,  ni  le  cardinal^  son  frère,  n'y 
osèrent  venir,  mais  y  envoyèrent  le  prince  de  Join- 
ville^,  pour  faire  bonne  mine  et  découvrir  s'ils  étoient 
ou  non  de  ceux  qu'on  devoit  arrêter.  Il  ne  manqua  de 
donner  de  grandes  assurances  à  LL.  MM.  de  ses  frères 

1.  Les  iWéwoi/'es  reproduisent  ici  assez  exactement  le  récit 
des  Mémoires  d'Estrées  qui  suit  l'arrestation  de  Condé  (éd. 
Michaud,  p.  414  et  415). 

2.  Louis  III  de  Lorraine  (1575-1621),  cardinal-diacre  en  1615, 
archevêque  de  Reims.  Il  épousa  en  secret  Charlotte  des 
Essarts,  l'une  des  maîtresses  de  Henri  IV,  et  en  laissa  cinq 
enfants.  Richelieu  donne  ce  mariage  clandestin  comme  un  fait 
certain  [Mémoires,  éd.  Petitot,  t.  II,  p.  134). 

3.  Claude  de  Lorraine  (1578-1657),  fils  de  Henri  de  Lorraine, 
duc  de  Guise,  et  de  Catherine  de  Clèves,  prince  de  Joinville,  et 
duc  de  Chevreuse  en  1612  ;  il  épousa  la  veuve  du  duc  de  Lu}  nés, 


[1616]  DE  RICHELIEU.  81 

et  de  lui.  La  Reine,  assez  grave  de  son  naturel  et  peu 
caressante,  et  alors  encore  lassée  de  la  presse  qui  étoit 
au  Louvre  et  de  la  chaleur  qu'elle  causoit,  lui  répondit 
peu  de  chose  et  lui  fit  assez  froid.  Ce  qui  lui  ayant  été 
remontré  et  que  cela  peut-être  leur  donneroit  l'alarme, 
elle  fit  appeler  M.  de  PrasUn,  qu'elle  sa  voit  être  des 
amis  pai^ticuliers  dudit  duc  de  Guise,  et  lui  commanda 
de  l'aller  trouver  et  l'assurer,  lui  et  ses  frères,  que  le 
Roi  avoit  confiance  en  eux  et  les  estimoit  ses  fidèles 
serviteurs  ^  Cet  envoi  tint  le  duc  de  Guise  en  son 
irrésolution  ordinaire  et  l'empêcha  de  prendre  déter- 
minément  parti  avec  les  autres  princes  et  les  laisser 
venir  chez  lui,  où  il  eût  fallu  lier  la  partie  avec  eux, 
qu'il  eût  bien  voulu  laisser  agir  sans  y  paroître.  Mais 
ce  qu'il  leur  manda  les  empêcha  de  pousser  plus  avant 
le  dessein  qu'ils  avoient  d'entrer  dans  Paris,  où,  s'ils 
fussent  venus,  il  y  a  beaucoup  d'apparence  qu'ils 
eussent  pu  chaudement  émouvoir  le  peuple  qui  ne 
manquoit  que  de  chef  et  de  quelqu'un  qui  osât  com- 
mencer le  premier. 

iVP"®  la  princesse  de  Condé  la  mère^  eut  bien  le 

la  favorite  d'Anne  d'Autriche,  célèbre  par  ses  intrigues  pen- 
dant le  règne  de  Louis  XIII  et  la  minorité  de  Louis  XIV.  Depuis 
1612,  il  avait  le  titre  de  duc  de  Chevreuse  ;  les  Mémoires  le 
désigneront  ainsi  dans  la  suite. 

1.  On  lit  dans  le  Mercure  français,  t.  IV,  année  1616,  p.  204, 
ces  lignes  qui  ont  dû  servir  à  la  rédaction  de  ce  passage  : 
«  Le  duc  de  Guise  envoya  M.  le  prince  de  Joinville  vers  Leurs 
Majestés  pour  en  apprendre  la  cause  [de  l'arrestation  de 
Condé].  On  vit  peu  après  le  sieur  de  Praslin  de  la  part  du  Roi 
aller  du  Louvre  à  l'hôtel  de  Guise  et  retourner  au  Louvre.  » 

2.  Charlotte-Catherine  de  la  Trémoïlle,  seconde  femme  du 
prince  Henri  I",  qui  l'avait  épousée  le  16  mars  1586;  elle  mou- 
rut en  août  1629. 

II  6 


82  MÉMOIRES  [1616] 

cœur  de  sortir  de  sa  maison  et  de  s'en  aller  jusques 
sur  le  pont  Notre-Dame,  criant  partout  aux  armes,  et 
que  le  maréchal  d'Ancre  avoit  fait  tuer  le  prince  de 
Gondé  son  fils.  Chacun  l'écoutoit  avec  étonnement  et 
pitié  ;  mais,  comme  elle  étoit  seule,  elle  ne  les  encou- 
rageoit  pas  à  ce  qu'ils  eussent  bien  désiré  s'ils  eussent 
été  assistés.  Le  cordonnier  Picard,  excité  par  ce  que 
lui  avoient  mandé  les  princes,  fit  seul  quelque  effet 
et  commença  une  émotion  en  son  quartier;  mais, 
pour  ce  qu'il  n'y  avoit  aucun  homme  de  qualité  pour 
conduire  cette  multitude  de  peuple  confuse,  l'orage 
qu'il  émut  ne  tomba  que  sur  la  maison  du  maréchal 
d'Ancre^  et  celle  de  son  secrétaire  Corbinelli-,  qui, 

1.  L'hôtel  du  maréchal  d'Ancre  était  situé  rue  de  Tournon. 
—  Il  n'est  pas  certain  que  le  pillage  fut  une  conséquence  de 
l'émeute  excitée  par  ce  Picard,  qui  habitait  rue  de  la  Harpe. 
Arnauld  d'Andilly  et  le  Mercure  françois  attribuent  l'idée  du 
pillage  à  «  quelques-uns  des  domestiques  et  de  la  suite  du 
prince  de  Condé  »  qui  avaient  animé  des  maçons  et  manœuvres 
occupés  à  construire  près  de  là  le  palais  du  Luxembourg. 
Le  Mercure  françois  rapporte,  comme  les  Mémoires^  que  la 
mère  du  prince  de  Condé  alla  jusque  sur  le  pont  Notre-Dame 
avec  l'intention  de  «  faire  émouvoir  le  peuple.  Ce  que  firent 
aussi  quelques  gentilshommes,  des  domestiques  du  dit  sieur 
Prince  qui  crioient  :  «  Aux  armes,  Messieurs  de  Paris,  le  maré- 
«  chai  d'Ancre  a  fait  tuer  M.  le  prince  de  Condé,  premier 
«  prince  du  sang!  Aux  armes,  bons  François  !  Aux  armes  !  » 

2.  Raphaël  Corbinelli,  d'origine  florentine,  était  venu  en 
France,  en  1597,  à  l'âge  de  quinze  ans.  Il  était  entré  au  service 
de  M.  d'Attichy,  intendant  de  Marie  de  Médicis,  et  resta 
quinze  ans  sous  ses  ordres;  puis  il  devint  en  1612  secrétaire 
de  Léonora  Galigaï  et  quitta  son  service  en  juin  1616,  s'il  faut  l'en 
croire.  Au  moment  où  sa  maison  fut  pillée,  il  n'était  donc  plus 
secrétaire  de  la  dame  d'atours.  Il  redeviendra  plus  tard  secré- 
taire de  la  Reine.  Sa  demeure  était  située  à  deux  maisons  près 


[1616]  DE  RICHELIEU.  83 

avec  une  extraordinaire  furie,  furent  pillées  sans  qu'il 
y  restât  que  les  pierres  et  le  bois,  le  pillage  conti- 
nuant encore  le  lendemain  tout  le  jour,  outre  que  le 
bon  ordre  qui  fut  mis  dans  Paris  modéra  le  feu  en  la 
plupart  des  esprits  judicieux;  cai\  premièrement, 
elle  [la  Reine]  fit  donner  avis  au  Parlement  de  ce  qui 
s'étoit  passé,  envoya  quelques  seigneurs  de  la  part  du 
Roi  par  les  rues  de  la  ville  pour  empêcher  le  désordre 
et  fit  désabuser  le  peuple  par  le  lieutenant  civil,  leur 
mandant  que  Monsieur  le  Prince  étoit  en  sûreté,  qu'on 
ne  lui  avoit  point  fait  de  mal  et  qu'on  s'étoit  seulement 
assuré  de  sa  personne  pour  quelques  raisons  néces- 
saires qu'ils  sauroient  par  après*. 

Mais,  nonobstant  que  M.  de  Guise  n'eût  pas  voulu 
que  MM.  de  Mayenne  et  de  Bouillon  le  fussent  venus 
trouver  en  sa  maison  pour  suivre  leur  dessein,  il  ne 
s'assura  néanmoins  pas  tant  dans  Paris  qu'il  n'en  sortît 
dès  le  jour  même  et  ne  s'en  allât  à  Soissons,  avec  telle 
diligence  qu'il  y  arriva  le  premier  d'eux  tous^. 

On  crut  à  la  cour  que  le  sieur  de  Praslin  avoit  fait 
un  office  tout  au  contraire  de  celui  qu'on  lui  avoit 
commandé,  et  l'avoit  conseillé  de  se  retirer,  au  lieu 
de  lui  donner  des  assurances  de  la  part  de  LL.  MM., 
étant  indigné  de  ce  qu'on  s'étoit  plutôt  fié  en  M.  de 

de  l'hôtel  du  maréchal  d'Ancre  [Mercure  françois,  t.  IV,  année 
1616,  p.  201  et  suivantes,  et  Journal  d'Arnauld  d'Andilly, 
p.  205). 

1.  Les  Mémoires  contiennent  plus  de  développement  sur  le 
pillage  de  l'hôtel  de  Concini  que  les  Mémoires  d'Estrées.  Mais 
on  retrouve,  éparses  çà  et  là  dans  le  récit,  des  phrases  de  ce 
dernier  :  voyez  p.  415. 

2.  Le  Journal  d'Arnauld  d'Andilly  donne  ce  même  détail, 
p.  203. 


84  MÉMOIRES  [1616] 

Thémines  pour  prendre  Monsieur  le  Prince  qu'à  lui. 
Et  ce  qui  donna  plus  de  fondement  à  cette  créance 
fut,  outre  la  malice  ordinaire  des  courtisans  où  il  y  a 
peu  de  fidélité,  que  MM.  de  Guise  partirent  inconti- 
nent après  qu'il  leur  eut  parlé  et  que  M""''  de  Guise, 
mère  et  femme,  et  la  princesse  de  Gonti,  assuroient 
qu'ils  ne  s'étoient  retirés  que  sur  la  crainte  qu'on  leur 
avoit  donnée  qu'il  y  avoit  dessein  contre  eux,  et 
quelqu'une  d'elles  dit  à  Barbin  qu'elle  lui  nommeroit 
un  jour  celui  qui  leur  avoit  donné  le  conseil  de  s'éloi- 
gner, et  qu'il  l'eût  cru  de  tout  autre  plutôt  que  de 
celui-là  ^ . 

M.  de  Vendôme  s'étoit  esquivé  dès  auparavant. 
On  dit  à  la  Reine,  dès  que  Monsieur  le  Prince  fut 
arrêté,  qu'il  étoit  chez  lui,  où  il  faisoit  quelque  assem- 
blée. Saint-Géran  étoit  un  de  ceux  qui  le  lui  dirent  et 
quelques  autres  encore  qui  étoient  de  ses  plus  confi- 
dents, lesquels-  s'offrirent  eux-mêmes  à  s'aller  saisir 
de  sa  personne.  On  leur  en  donna  la  commission; 
mais  il  les  prévint,  sortit  par  une  porte  de  derrière  et 
s'en  alla  en  diligence.  On  le  poursuivit  quelque  peu; 
mais,  l'envie  qu'il  avoit  de  se  sauver  étant  plus  grande 
que  n'étoit  pas  à  le  prendre  celle  de  ceux  qu'on  y  avoit 

1.  Le  Mercu?'e  français,  t.  IV,  année  1616,  p.  204,  dit,  en 
parlant  des  allées  et  venues  de  Praslin  du  Louvre  à  l'hôtel  de 
Guise,  qu'  «  on  ne  savoit  à  quoi  tendoient  toutes  ces  choses, 
ni  pourquoi,  sinon  que,  sur  les  quatre  heures  du  soir,  lesdits 
duc  et  prince  suivirent  leur  cousin,  le  duc  de  Mayenne, 
sortirent  de  Paris,  allèrent  passer  à  Soissons,  d'où  ils  se  ren- 
dirent en  leur  maison  de  Marchais  par  Liesse  ». 

2.  Lesquels  a  été  ajouté  par  Sancy  en  interligne  sur  le 
manuscrit  B. 


[1616]  DE  RICHELIEU.  85 

envoyés,  ils  ne  le  purent  attraper  ;  il  gagna  Verneuil- 
au-Perche^  place  qui  étoit  entre  ses  mains,  et  de  là 
passa  à  la  Fère~.  Quelques-uns  soupçonnèrent  qu'au 
même  temps  que  Saint-Géran,  qui  fut  envoyé  pour  le 
prendre,  investissoit  le  devant  de  sa  maison,  il  le  fit 
avertir  de  sortir  par  un  autre  côté^. 

Il  fut  le  seul  après  qui  la  Reine  envoya,  ayant  cru 
que  MM.  du  Maine  et  de  Bouillon  s'étoient  sauvés 
trop  tôt  pour  pouvoir  être  atteints.  Et  quant  à  M.  de 
Guise,  comme  elle  n'avoit  eu  aucun  dessein  de  le  faire 
arrêter,  elle  ne  l'eut  aussi  de  le  faire  poursuivre,  tant 
parce  qu'il  avoit  été  de  ceux  qui  avoient  découvert  le 
péril  où  étoient  LL.  MM.,  que  parce  qu'elle  ne  se  vou- 
loit  pas  attaquer  à  tant  de  gens,  et  qu'elle  et  le  Conseil 
connoissoient  bien  que,  si  la  légèreté  de  ce  prince 
l'avoit  rendu  capable  de  prêter  l'oreille  aux  mauvais 
desseins  des  autres,  cette  même  raison  empêcheroit 
qu'il  ne  pût  demeurer  dans  leur  union,  joint  que  ses 
intérêts,  dont  la  plupart  des  grands  sont  fort  curieux, 
se  trouvoient  à  servir  le  Roi. 


1.  Verneuil,  chef-lieu  de  canton  du  département  de  l'Eure, 
à  40  kil.  sud-ouest  d'E\Teux. 

2.  La  Fère,  chef-lieu  de  canton  du  département  de  l'Aisne,  à 
24  kil.  nord-ouest  de  Laon. 

3.  Voici  ce  que  rapporte  le  Mercure  françois,  t.  IV,  année 
1616,  p.  200,  de  la  fuite  du  duc  de  Vendôme  :  «  Ceux  qui 
allèrent  pour  se  saisir  de  M.  de  Vendôme  trouvèrent  qu'en 
venant  au  Louvre  il  avoit  été  averti  et  s'étoit  sauvé  par  le 
derrière  de  l'hôtel  de  Mercœur,  qui  est  au  faubourg  Saint- 
Honoré,  tenant  le  chemin  de  la  Fère  (ville  qui  lui  appartient 
comme  bien  patrimonial  de  la  maison  de  Vendôme),  et  ce  en 
telle  diligence  que  ceux  qui  le  poursuivirent  ne  purent 
l'atteindre.  » 


86  MÉMOIRES  [1616] 

Madame  la  Comtesse^  fit  aussi  sortir  son  fils-,  et 
ainsi  la  cour  se  trouva  vide  de  beaucoup  de  grands 
et  le  Roi  presque  sans  aucun  prince  auprès  de  lui. 

Rochefort,  favori  de  Monsieur  le  Prince,  s'en  alla  à 
Chinon  et  y  mena  Le  Menillet^  pour  s'y  enfermer  avec 
ceux  qu'il  pourroit  amasser  des  serviteurs  de  Mon- 
sieur le  Prince  et  défendre  cette  place  contre  le  Roi. 
Les  huguenots  de  Sancerre  prirent  cette  occasion  de  se 
saisir  de  leur  château,  dans  lequel,  depuis  quelques 
années,  le  comte  de  Sancerre^  étoit  rentré  par  le 
moyen  du  curé  et  des  catholiques,  et  le  gardèrent 
depuis  avec  permission  du  Roi,  qui  ne  leur  voulut  pas 
donner  prétexte  de  se  soulever  contre  son  service 
pour  cela.  Ceux  de  la  Rochelle  se  saisirent  de  Roche- 
fort-sur- Charente;  mais  le  duc  d'Épernon  amassa 
aussitôt  des  troupes  et  mit  garnison  dans  Surgères 
et  Tonnay  -  Charente  ^ ,  pour  arrêter  leurs  mauvais 
desseins^. 

Mais,  pour  retourner  à  Monsieur  le  Prince,  que  nous 


1.  C'est-à-dire  la  comtesse  de  Soissons. 

2.  Louis  de  Bourbon  :  tome  I,  p.  92. 

3.  Peut-être  est-ce  ce  «  gentilhomme  de  Champagne,  nommé 
Menillet,  capitaine  dans  un  régiment  de  gens  de  pied  »,  sur 
lequel  Tallemant  des  Réaux  raconte  une  anecdote  assez  verte 
(t.  V,  p.  210). 

4.  Jean  de  Bueil,  comte  de  Sancerre  et  de  Marans,  grand 
échanson  de  France,  chevalier  des  ordres  du  Roi,  mort  en 
1638. 

5.  Ce  sont  actuellement  deux  chefs-lieux  de  canton  du 
département  de  la  Charente-Inférieure,  arrondissement  de 
Rochefort. 

6.  Voyez,  au  sujet  de  ces  difficultés  entre  les  habitants  de  la 
Rochelle  et  le  duc   d'Epernon,   le    Mercure  francois,    t.    IV, 


[1616]  DE  RICHELIEU.  87 

avons  laissé  entre  les  mains  de  M.  de  Thémines,  qui 
le  mena  en  la  chambre  qui  lui  avoit  été  préparée  pour 
le  garder,  il  fît  difficulté  de  manger  quand  l'heure  de 
dîner  fut  venue,  et  demanda  que  les  siens  lui  apprê- 
tassent ses  viandes,  ce  qui  lui  fut  accordé.  Le  sieur 
de  Luynes  lui  fut  envoyé  de  la  part  du  Roi,  pour  le 
consoler  et  l'assurer  qu'il  recevroit  tout  bon  traitement  ; 
la  Reine  mère  lui  envoya  aussi  un  autre  de  sa  part*. 
Il  fit  telle  instance  de  voir  Barbin  que  la  Reine  lui 
commanda  d'y  aller.  Dès  qu'il  le  vit,  il  lui  parla  de 
plusieurs  choses  tout  à  la  fois,  tant  il  étoit  hors  de  lui 
et  transporté  de  passions  différentes,  qui  aboutissoient 
néanmoins  au  désir  de  sa  liberté.  Il  lui  demanda  si 
M.  de  Bouillon  étoit  pris;  et,  sachant  qu'il  ne  l'étoit 
pas,  il  dit  plusieurs  fois  qu'on  avoit  tort  de  ne  l'avoir 
pas  arrêté  et  qu'en  vingt-quatre  heures  il  lui  eût  fait 
trancher  la  tête;  soit  qu'ayant  été  cause  de  le  mettre 
en  cet  état,  le  regret  du  mal  qu'il  en  avoit  reçu  le 
portât  à  en  parler  ainsi  ;  soit  que  la  malice  de  la  nature 
de  l'homme  se  fît  voir  en  ses  paroles,  laquelle  fait 
que  nous  voudrions  que  tout  le  monde  pérît  pour 
nous  et  que  nous  portons  envie  à  ceux  qui  ne  sont 
pas  participants  à  notre  mal. 

Il  le  pria  en  même  temps  de  supplier  la  Reine  de 
le  mettre  en  liberté,  et  la  maréchale  de  se  jeter  à  ses 
pieds  pour  l'obtenir  :  tant  les  grands  croient  que  tout 
leur  est  dû,  quelque  mauvais  traitement  qu'ils  fassent 

année  1616,  p.  272-303,  que  les  Mémoires  ont  pu  utiliser. 
Voyez  aussi  Arcère,  Histoire  de  la  ville  de  la  Roc/ielle,  p.  143 
et  suivantes. 

1.  Le  sieur  de  la  Motte,  d'après  le  Mercure  français,  t.  IV, 
année  1616,  p.  205. 


R8  MÉMOIRES  [1616] 

aux  hommes,  et  que  leurs  offenses  ne  désobligent 
point. 

Il  lui  dit  que,  si  on  lui  pensoit  faire  son  procès,  il 
ne  répondroit  point;  et,  une  autre  fois  encore  qu'il 
désira  parler  à  lui,  il  lui  répéta  la  même  chose;  mais, 
que,  si  la  Reine  lui  vouloit  faire  donner  parole  de  sa 
délivrance  par  le  maréchal  d'Ancre  et  le  sieur  de  Thé- 
mines,  il  découvriroit  toutes  les  cabales  que  lui  et 
ceux  de  son  parti  avoient  faites  contre  le  Roi  :  ce  qui 
ne  témoignoit  pas  tant  de  générosité  et  de  courage 
qu'une  personne  de  sa  condition  devoit  avoir. 

La  Reine  fit  une  réponse  sage  et  digne  d'elle  :  qu'elle 
n'en  vouloit  pas  apprendre  davantage  qu'elle  en  savoit 
et  qu'elle  aimoit  mieux  oublier  le  passé  que  de  s'en 
rafraîchir  la  mémoire  ^ 

Il  dit  une  autre  fois  au  maréchal  de  Thémines,  qui 
le  rapporta  à  la  Reine,  qu'elle  ne  l'avoit  prévenu  que 
de  trois  jours  et  que,  si  elle  eût  attendu  davantage, 
le  Roi  n'auroit  plus  la  couronne  sur  la  tète  :  ce  qui, 
dit  en  l'état  auquel  il  se  trouvoit,  témoignoit  assez 
l'audace  qu'il  avoit  conçue  en  celui  auquel  il  étoit 
auparavant  et  les  pernicieux  desseins  qu'avoient  ceux 

1.  Le  Mercure  françois,  t.  IV,  année  1616,  p.  204  et  205,  est 
très  sobre  de  détails.  On  y  lit  :  «  Le  sieur  de  Thémines,  ses 
fils  et  d'Elbène  entretenoient  Monsieur  le  Prince.  On  lui 
demanda  s'il  vouloit  manger,  il  le  refusa,  et  enfin  dit  qu'il  ne 
mangeroit  point  si  ses  officiers  ne  lui  en  apportoient.  On  le 
contenta  sur  cela;  on  lui  fit  venir  un  des  siens  qui,  sans  sor- 
tir, le  servoit  des  viandes  que  ses  officiers  lui  apprêtoient  et 
apportoient  à  la  porte  de  la  chambre.  Le  sieur  de  Luynes  le 
fut  voir  de  la  part  du  Roi  et  le  sieur  de  la  Motte  de  la  part  de 
la  Reine  mère.  Il  demanda  si  le  maréchal  de  Bouillon  étoit  pris 
et  dit  plusieurs  choses  de  lui.  » 


[1616]  DE  RICHELIEU.  89 

de  son  parti.  Et  toutes  ces  paroles  ensemble  montroient 
les  diverses  passions  qui  agitent  l'esprit  des  grands, 
quand  ils  se  voient  réduits  en  une  extrémité  à  laquelle 
ils  ne  s'étoient  pas  attendus,  et  le  peu  de  générosité 
qu'ont  en  leur  adversité  ceux  qui  n'ont  pas  eu  la 
force  de  se  contenir,  quand  ils  ont  été  en  meilleure 
fortune. 

Le  même  jour  qu'il  fut  pris',  les  sieurs  du  Vair, 
garde  des  sceaux,  Villeroy  et  le  président  Jeannin 
vinrent  trouver  la  Reine,  où  se  trouva  M.  de  Sully, 
et  lui  dirent  que  les  choses  étoient  en  telle  extrémité, 
que  l'État  s'en  alloit  perdu  si  elle  ne  faisoit  relâcher 
Monsieur  le  Prince;  soit  qu'ils  parlassent  ainsi  par 
inexpérience,  comme  le  sieur  du  Vair,  ou  par  la  timi- 
dité naturelle  de  leur  esprit,  comme  le  sieur  de  Ville- 
roy, qui  a  voit  toujours  gouverné  de  sorte  que,  cédant 
aux  orages,  il  s'étoit  plutôt  laissé  conduire  aux  affaires 
qu'il  ne  les  avoit  conduites;  ou,  pour  ce  qu'ils  affec- 
tionnoient  les  princes,  comme  le  président  Jeannin, 
qui  espéroit  toujours  bien  d'un  chacun  et  croyoit  qu'il 
pouvoit  être  ramené  à  son  devoir.  M,  de  Sully,  violent 
et  peu  considéré,  le  feu  de  l'esprit  duquel  ne  s'appli- 
quoit  qu'au  présent,  sans  rappeler  le  passé,  ni  consi- 
dérer de  bien  loin-  l'avenir,  ajouta  à  ce  que  les  autres 
avoient  dit  que  quiconque  avoit  donné  ce  mauvais 
conseil  à  la  Reine  avoit  perdu  l'État.  La  Reine,  animée 
de  se  voir  reprise  d'une  chose  qu'elle  avoit  résolue  et 

1.  Arnauld  d'Andilly  [Journal,  p.  206-208),  qui  rapporte  ces 
mêmes  détails,  dit  que  le  Conseil  où  se  produisirent  ces  discus- 
sions eut  lieu  le  3  septembre. 

2.  Les  mots  de  bien  loin  ont  été  substitués  par  Sancy  au  mot 
beaucoup  sur  le  manuscrit  B. 


90  MÉMOIRES  [1616] 

exécutée  après  une  si  mûre  délibération,  lui  répondit 
qu'elle  s'étonnoit  qu'il  lui  osât  parler  ainsi,  et  qu'il  falloit 
bien  qu'il  eût  perdu  l'esprit,  puisqu'il  ne  se  souvenoit 
plus  de  ce  qu'il  avoit  dit  au  Roi  et  à  elle  il  n'y  avoit 
que  trois  jours^,  dont  il  resta  si  confus  qu'il  se  retira 
incontinent,  au  grand  étonnement  de  tous  les  seigneurs 
qui  étoient  là  présents.  Sa  femme-,  puis  après,  essaya 
de  l'excuser,  disant  que  le  transport  de  crainte  dans 
lequel  il  étoit  lui  avoit  fait  parler  ainsi,  d'autant  qu'on 
lui  venoit  de  dire  présentement  que  ces  princes  et 
seigneurs  du  parti  de  Monsieur  le  Prince  étoient  réso- 
lus de  le  faire  tuer,  le  croyant  être  auteur  de  l'arrêt 
dudit  sieur  le  Prince,  par  les  avis  qu'il  avoit  donnés 
de  leurs  desseins. 

La  Reine,  assurée  par  autres  de  ses  serviteurs  ès- 
quels  elle  avoit  confiance,  et  par  la  grande  foule  de 
noblesse  qu'elle  voyoit  venir  au  Louvre  faire  protes- 
tation de  leur  fidèle  service  au  Roi,  ne  pensa  pas  à 
changer  de  dessein,  mais  seulement  aux  moyens  con- 
venables pour  affermir  celui  qu'elle  avoit  pris,  et 
remédier  à  tous  les  inconvénients  qui  en  pourroient 
survenir. 

Elle  fit  changer  Monsieur  le  Prince  de  chambre  et 
le  fit  mettre  dans  une  plus  assurée  et  grillée,  dans  le 

1.  Voyez  ci-dessus,  p.  57  et  58. 

2.  Rachel  de  Cochefillet,  veuve  de  Jacques  Hurault,  seigneur 
du  Marais  et  de  Châteaupers,  maître  des  requêtes,  épousa,  en 
1592,MaxirailiendeBéthune,  duc  de  Sully,  veuf  lui-même  d'Anne 
de  Courtenay.  Elle  mourut  à  Paris  le  30  décembre  1659.  C'est 
par  erreur  que  le  tome  I  des  présents  Mémoires  (p.  52, 
note  4)  indique  comme  femme  de  Sully,  en  1610,  Anne  de 
Courtenay. 


[1616]  DE  RICHELIEU.  91 

Louvre,  le  S"  septembre ^  Le  6%  le  Roi  alla  au  Parle- 
ment pour  y  faire  vérifier  une  déclaration  qu'il  avoit 
faite  sur  la  détention  de  Monsieur  le  Prince^,  par 
laquelle  il  représentoit  que,  pour  acheter  la  paix,  il 
avoit,  par  le  traité  de  Loudun,  accordé  audit  sieur 
le  Prince  le  domaine  et  le  gouvernement  de  la  pro- 
vince et  des  places  de  Berry,  grande  somme  d'argent 
à  l'un  des  grands  qui  suivoient  son  parti,  le  taillon  à 
l'autre,  et  de  grands  et  injustes  avantages  à  tous  les 
particuliers,  sans  lesquels  on  n'eût  pu  convenir  d'aucun 
accord  avec  eux  ;  ce  qui  étoit  bien  un  évident  témoi- 
gnage qu'ils  n'avoient  pris  les  armes  qu'à  cette  fin  ; 
que,  nonobstant  toutes  ces  choses,  ils  avoient  enfreint 
ledit  traité,  et,  non  contents  d'avoir  en  toutes 
façons  foulé  son  autorité  aux  pieds,  avoient  encore 
attenté  sur  la  liberté  de  sa  royale  personne  ;  que  tous 
ces  actes  de  rébellion  ^  l'-a voient  obligé,  non  seulement 
pour  sa  conservation,  mais  pour  celle  de  l'État,  d'ar- 
rêter Monsieur  le  Prince,  pour,  par  ce  moyen'*,  le 

1.  Le  Mercure  français,  t.  IV,  année  1616,  p.  208,  mentionne 
le  fait  :  «  On  accommoda  une  chambre  treillessée  de  fer  au-des- 
sus de  la  grand'salle,  près  le  pavillon,  pour  mettre  ledit  sieur 
prince,  où  il  fut  conduit  le  3"  septembre.  » 

2.  Le  texte  de  cette  déclaration  a  été  imprimé  dans  le  Mer- 
cure  français,  t.  IV,  année  1616,  p.  217-226,  et  dans  le  iîec?<e«7 
des  lois  françaises  d'Isambert,  t.  XVI,  p.  97.  La  date  de  la 
déclaration  était  du  6  septembre;  mais  ce  n'est  que  le  7  que  le 
Roi  vint  au  Parlement.  On  trouve  le  récit  de  ce  lit  de  justice 
dans  les  Mémoires  de  Mathieu  Mole,  p.  125,  et  dans  le  Journal 
d' Arnauld  d'Andilly,  p.  210. 

3.  Les  mots  que  tous  ces  actes  de  rébellion  ont  été  substitués 
aux  mots  que  toutes  ces  actions  de  rébellion  sur  le  manuscrit  B. 

4.  Les  mots  pour  par  ce  moyen  ont  été  ajoutés  en  interligne 
par  Sancy  sur  le  manuscrit  B. 


92  MÉMOIRES  [1616] 

retirer  de  la  puissance  de  ceux  qui  l'eussent  achevé 
de  perdre  s'il  y  fût  davantage  demeuré,  ne  retranchant 
pas  tant  sa  Hberté  qu'ôtant  aux  mauvais  esprits  qui 
l'environnoient  la  commodité  d'abuser  de  sa  facilité 
et  de  son  nom. 

S.  M.  déclaroit  néanmoins  *  qu'elle  pardonnoit  à 
tous  ceux  qui  avoient  eu  part  et  adhéré  à  ses  mauvais 
desseins,  conseils  et  actions,  pourvu  qu'ils  revinssent 
dans  quinzaine  en  demander  pardon  à  S.  M.;  comme 
aussi  elle  vouloit  que,  persévérant  outre  ce  temps 
en  leur  mauvaise  volonté,  il  fût  procédé  contre  eux, 
selon  la  rigueur  de  ses  ordonnances,  comme  contre 
criminels  de  lèse-majesté.  . 

Peu  de  jours  après^,  elle  fît  publier  à  son  de  trompe 
que  tous  les  domestiques  et  suivants  desdits  princes 
eussent  à  sortir  dans  vingt-quatre  heures  de  Paris, 
s'ils  ne  venoient,  selon  sa  déclaration  susdite,  faire 
protestation  de  vivre  et  mourir  en  son  obéissance. 
Et,  pour  ne  rien  oublier  de  ce  qui  se  pouvoit  pour 
pacifier  toutes  choses,  elle  dépêcha,  au  même  temps 
qu'ils  s'étoient  assemblés  à  Soissons,  les  sieurs  de 
Champ  vallon  ^,    de    Boissise   et   le   marquis   de   Vil- 

1.  Le  mot  néanmoins  a  été  ajouté  en  interligne,  sur  le  manus- 
crit B,  par  Sancy,  qui  avait  écrit  d'abord  Néanmoins  que  Sa 
Majesté. 

2.  Le  14  septembre  :  voyez  Mercure  français,  t.  IV,  année 
1616,  p.  248. 

3.  Jacques  de  Harlay,  seigneur  de  Champvallon,  fils  de 
Louis,  seigneur  de  Césy,  et  de  Louise  de  Carre,  fut  élevé  auprès 
du  duc  d'Alençon,  nommé  grand  écuyer  de  ce  seigneur  et 
raestre  de  camp  du  régiment  de  ses  gardes,  puis  gouverneur 
de  Sens,  grand  maître  de  l'artillerie  pendant  la  Ligue,  et  che- 
valier du  Saint-Esprit  en  1602.  Il  fut  aussi  chambellan  du  duc 
de  Lorraine  et  son  intendant  en  France.  Il  mourut  en  1630. 


[1616]  DE  RICHELIEU.  93 

lars^,  beau-frère  de  M.  de  Mayenne-,  pour  traiter  avec 
eux  et  leur  offrir  tout  ce  que  l'autorité  royale  pouvoit 
souffrir  leur  être  concédé  pour  les  ramener  à  leur 
devoir^. 

Ces  princes  étoient  arrivés  à  Soissons  dès  le  2"  sep- 
tembre. MM.  de  Guise  et  de  Ghevreuse  y  étant  aiTivés 
les  premiers,  le  sieur  de  Fresnes,  gouverneur  de  la 
ville  sous  M.  de  Mayenne,  leur  refusa  les  portes  jusques 
à  l'arrivée  dudit  sieur  de  Mayenne,  et,  quoique  M.  de 
Guise  s'en  voulût  offenser,  il  en  fut  néanmoins  loué 
de  tout  le  monde*. 

Dès  le  jour  même,  ils  s'assemblèrent  et  avisèrent 
d'envoyer  vers  le  duc  de  Vendôme,  qui  étoit  à  la  Fère, 
et  celui''  de  Longue  ville,  qui  étoit  à  Péronne,  pour  les 
prier  de  se  trouver,  à  trois  jours  de  là,  à  Coucy,  où 
ils  se  rendroient  tous  pour  prendre  conseil  en  leurs 
affaires^.  Le  cai^dinal  de  Guise,  qui  arriva  à  Soissons 
le  3%  se  trouva  à  ladite  conférence  avec  les  autres. 
M.  de  Guise  y  étoit  fort  triste  et  décontenancé,  soit 
que  l'exemple  de  feu  son  père  lui  fît  peur  et  que,  sans 
y  penser,  il  se  trouvât  plus  engagé  avec  eux  qu'il 

1.  Emmanuel-Philibert  des  Prez,  marquis  de  Villars,  mort 
au  siège  de  Montauban  en  1621,  fils  de  Melchior  des  Prez,  sei- 
gneur de  Montpezat  et  du  Fou,  sénéchal  de  Poitou,  et  de 
Henriette  de  Savoie,  marquise  de  Villars,  laquelle  épousa 
en  secondes  noces,  en  juillet  1576,  Charles  de  Lori'aine,  duc 
de  Mayenne. 

2.  Ce  marquis  de  Villars  n'était  pas  beau-frère,  mais  frère 
utérin  d'Henri  de  Lorraine,  duc  de  Mayenne. 

3.  Comparez  les  Mémoires  d' Estrées,  p.  416. 

4.  Ibidem^  p.  415. 

5.  Celui  a  été  ajouté  en  interligne  par  Sancy  sur  le  manus- 
crit B. 

0.  Voyez  les  Mémoires  d'Estrées,  p.  415. 


94  MÉMOIRES  [1616] 

n'avoit  eu  désir  de  l'être;  soit  (|ue  ce  tut  la  première 
fois  qu'ouvertement  il  avoit  été  du  parti  contraire  à 
S.  M.  et  qu'il  perdoit  la  gloire,  de  laquelle  il  se  vantoit, 
d'être  toujours  demeuré  attaché  à  ses  commande- 
ments; soit  qu'il  ne  jugeât  pas  leur  ligue,  Monsieur  le 
Prince  étant  pris,  pouvoir  subsister;  soit  qu'il  regret- 
tât de  voir  qu'il  perdoit  l'honneur  de  commander  les 
armes  de  S.  M.  et  se  vît  réduit  dans  un  moindre 
parti  à  l'égalité  avec  beaucoup  d'autres  princes^  qui 
lui  contestoient  le  rang  2. 

Gela  mettoit  ces  princes  en  peine  et  les  faisoit 
méfier  de  lui.  Pour  essayer  de  le  gagner  tout  à  fait  à 
eux,  ils  lui  rendoient  tout  l'honneur  qu'ils  pouvoient 
et  lui  déféroient  davantage  qu'ils  n'eussent  fait  sans 
cela,  lui  donnant  lieu  d'espérer  qu'ils  le  reconnoi- 
troient  tous  pour  leur  chef,  fors  M.  de  Longueville, 
qui  y  montra  de  la  répugnance.  Gela  n'empêcha  pas 
qu'ils  ne  prissent  tous  ensemble  une  résolution^  com- 

1.  On  lisait  d'abord  sur  le  manuscrit  B  :  et  se  vit  réduit  à 
un  moindre  parti,  en  égalité  avec  beaucoup  d'autres  princes. 
Sancy  a  fait  la  correction. 

2.  Mémoires  d'Estrées,  p.  415. 

3.  Les  princes  et  grands  conclurent  alors  une  alliance  dont 
l'acte  est  conservé  aux  archives  des  Affaires  étrangères,  France, 
vol.  770,  fol.  188.  Sur  cette  pièce  figure  la  mention  suivante  : 
«  Articles  de  l'union  des  princes  rebelles,  après  la  détention 
de  Monsieur  le  Prince.  Cette  pièce  est  du  tout  nécessaire  pour 
l'Histoire.  »  Les  mots  en  italique  sont  de  la  main  de  Riche- 
lieu. Les  autres  sont  de  Sancy.  L'abbé  Le  Grand  qui,  au  début 
du  XVIII*  siècle,  classait  aux  Affaires  étrangères  les  papiers  de 
Richelieu,  a  ajouté  de  sa  main  ces  mots  :  «  1616.  Minutes  de 
l'acte  d'association  entre  plusieurs  princes  et  grands  seigneurs 
du  royaume,  après  que  Monsieur  le  Prince  fût  arrêté.  »  Riche- 
lieu pensait  que  cette  pièce  devait  être  utilisée  pour  I'  «  His- 
toire »,  c'est-à-dire  pour  les  Mémoires. 


[1616]  DE  RICHELIEU.  95 

mune  de  faire,  chacun  de  son  côté,  le  plus  de  levées 
qu'ils  pourroient,  pour,  dans  douze  jours  après,  se 
trouver  aux  environs  de  Noyon,  où  ils  avoient  assigné 
leur  rendez-vous  général,  en  dessein  d'aller  avec  ces 
forces,  qu'ils  n'espéroient  pas  devoir  être  moindres 
de  huit  à  neuf  mille  hommes  de  pied  et  quinze  cents 
ou  deux  mille*  chevaux,  droit  aux  portes  de  Paris, 
pour  combattre  les  troupes  du  Roi  si  elles  s'oppo- 
soient  à  leur  chemin,  et  voir  quel  mouvement  leur 
venue  pourroit  causer  dans  les  esprits  mécontents  à 
Paris-. 

Ce  conseil  si  bien  pris  n'eut  pas  le  succès  qu'ils 
espéroient;  car,  bien  qu'ils  se  fussent  tous  séparés 
pour  faire  leurs  levées,  M.  de  Guise  étant  allé  à  Guise, 
M.  de  Mayenne  à  Soissons,  M.  de  Bouillon  à  Sedan, 
M.  de  Vendôme  à  la  Fère,  M.  de  Longueville  à 
Péronne  et  le  marquis  de  Gœuvres  à  Laon,  plusieurs 
d'entre  eux  jouèrent  à  la  fausse  compagnie,  comme 
on  fait  en  toutes  ligues,  où  chacun,  pensant  à  son  inté- 
rêt particulier,  qui  ne  dépend  pas  de  celui  des  autres, 
se  détache  du  lien  commun  qui  leur  sert  de  prétexte 
plutôt  que  de  véritable  sujet  de  ce  qu'ils  font^. 

M.  de  Guise  fut  le  premier  qui  manqua  à  ce  qu'il 
avoit  promis.  Dès  qu'il  fût  arrivé  à  Guise,  il  dépêcha 
un  gentilhomme  à  M.  de  Lorraine*,  pour  le  prier  d'être 
de   la  partie,  et  un   autre   vers   MM.  d'Épernon  et 

1.  Var.  :  Et  quinze  cents  ou  douze  cents  (M,  H). 

2.  Comparez  les  Mémoires  d'Estrées,  p.  415. 

3.  Les  Mémoires  d'Estrées,  p.  415,  mentionnent  simplement 
les  villes  oîi  les  princes  allèrent  faire  des  levées. 

4.  Henri  II,  duc  de  Lorraine  (1563-1624),  marié  à  Catherine 
de  Bourbon,  sœur  de  Henri  IV,  puis,  en  1606,  à  Marguerite 
de  Gonzague,  ûlle  du  duc  de  Mantoue. 


96  MÉMOIRES  [1616] 

de  Bellegarde;  car,  quant  au  maréchal  de  Lesdi- 
guières,  il  étoit  assez  empêché  en  Italie,  sans  se  mêler 
des  affaires  de  deçà;  mais  ayant,  dans  trois  jours 
après,  avis  de  sa  femme,  par  l'abbé  de  Foix*  qu'elle 
lui  envoya,  que  le  Roi  avoit  résolu  de  leur  envoyer 
les  commissaires  que  nous  avons  dit  ci-dessus,  pour 
traiter  avec  eux,  et  qu'elle  espéroit  faire  son  accommo- 
dement à  son  avantage  et  avec  sûreté,  il  laissa  là 
toutes  ces  levées  et  s'en  alla  à  Liesse^,  où  il  manda 
au  marquis  de  Cœuvres  qu'il  le  prioit  de  faire  savoir 
à  M.  de  Mayenne  qu'il  seroit  le  lendemain  à  Soissons. 
M.  de  Mayenne  trouva  fort  mauvais  qu'il  eût  inter- 
mis^  ses  levées.  Néanmoins,  sur  l'avis  des  commis- 
saires, ils  envoyèrent  avertir  tous  les  ligués  de  se 
trouver  à  Soissons;  ce  qu'ils  firent,  hormis  M.  de  Lon- 
gueville,  qui,  par  l'entremise  du  sieur  Mangot,  qui 
avoit  été  autrefois  de  son  conseil,  traita  à  part  avec  le 
Roi,  nonobstant  qu'il  eût  été  et  le  premier  de  tous,  et 
le  plus  animé  et  intéressé  contre  le  maréchal  d'Ancre, 
et  se  détacha  d'avec  les  autres,  qui  néanmoins  s'étoient, 
presque  pour  son  seul  sujet,  engagés  dès  le  commen- 
cement en  ces  brouilleries,  et  remit,  à  peu  de  temps 
de  là,  Péronne  entre  les  mains  du  Roi  qui  en  donna  le 
gouvernement  au  sieur  de  Blérancourt*,  et  à  lui  celui 

1.  Pierre  de  Caulet,  abbé  de  Foix  en  1606,  obtint  du  parle- 
ment de  Toulouse  le  droit  de  haute  et  basse  justice  en  la  ville 
de  Foix  qu'avaient  eu  jadis  ses  prédécesseurs.  Il  mourut  en 
1617. 

2.  Liesse  ou  Notre-Dame-de-Liesse,  bourg  du  département 
de  l'Aisne,  à  13  kil.  nord-est  de  Laon. 

3.  C'est-à-dire  interrompu. 

4.  Bernard  Potier,  seigneur  de  Blérancourt,  fils  de  Louis 
Potier  de  Gesvres  et  de  Louise  Baillet,  mort  en  1662. 


[1616]  DE  RICHELIEU.  97 

de  Ham'.  Tandis  qu'ils  étoient  là,  M.  de  Termes  y 
arriva  de  la  part  de  M.  de  Bellegarde  à  M.  de  Guise ^, 
sur  le  sujet  de  ce  qu'il  lui  avoit  mandé  par  le  gentil- 
homme qu'il  lui  avoit  envoyé^. 

Il  avoit  eu  à  Liesse  réponse  de  M.  de  Lorraine  par 
le  comte  du  Boullay^  qui  l'étoit  venu  trouver  de  sa 
part,  et  le  gentilhomme  qu'il  avoit  envoyé  à  M.  d'Éper- 
non  revint  aussi  et  ne  rapporta  que  de  belles  paroles, 
étant  échappé  audit  sieur  d'Épernon  de  dire  en  sa 
présence  que,  si  M.  de  Guise  étoit  parti  promptement 
de  la  cour,  il  y  retourneroit  encore  plus  vite. 

M.  de  Guise,  soit  qu'il  ne  fût  pas  encore  résolu  de 
les  quitter  ou  qu'il  ne  voulût  pas  faire  semblant  de 
l'être,  fit  diverses  propositions,  tantôt  de  s'en  aller 
à  Joinville^,  comme  étant  un  lieu  qui  est  plus  proche 
de  Lorraine,  pour  y  faire  de  plus  grandes  levées,  et 
essayer  de  retirer  sa  femme  de  la  cour,  qui  l'assiste- 
roit  de  bagues  et  d'argent  ;  tantôt  il  proposoit  d'aller 

1.  Ham,  chef-lieu  de  canton  du  département  de  la  Somme,  à 
24  kil.  sud-est  de  Péronne. 

2.  Fa?'.  :  Y  arriva  de  la  part  de  M.  de  Bellegarde  avec  la 
réponse  à  M.  de  Guise  (H). 

3.  Tous  ces  détails  se  retrouvent  dans  les  Mémoires  d'Estrées, 
p.  415  et  416,  dont  quelques  phrases  ont  été  pour  ainsi  dire 
textuellement  transcrites  ici.  Néanmoins,  d'Estrées  entre  dans 
de  plus  grands  développements. 

4.  Louis  de  Lorraine,  fils  du  cardinal  de  Guise  (ci-dessus, 
p.  80)  et  de  Charlotte  des  Essarts,  porta  d'abord  le  titre  de 
comte  du  Boullay,  puis  celui  de  prince  de  Phalsbourg  :  voyez 
les  Mémoires  d'Estrées,  p.  415. 

5.  Joinville,  chef-lieu  de  canton  du  département  de  la  Haute- 
Marne,  à  16  kil.  sud-est  de  Vassy,  était  une  ancienne  baronnie 
qui  avait  été  érigée  en  principauté  en  1552  en  faveur  de  la  mai- 
son de  Guise. 

II  7 


98  MÉMOIRES  [1616] 

en  Provence  pour  y  faire  une  plus  puissante  diversion  ; 
mais  ces  princes,  connoissant  son  humeur  peu  arrê- 
tée en  ses  paroles  et  en  ses  pensées,  ne  faisoient  ni 
mise  ni  recette  de  tout  ce  qu'il  disoit. 

Le  cardinal  de  Guise  blâmant  la  conduite  de  son 
frère,  ils  lui  promirent  tous  de  lui  obéir,  ayant  une 
qualité  qui  les  ôtoit  de  jalousie  pour  les  rangs. 

M.  de  Nevers  n'étoit  pas  à  Paris  quand  Monsieur  le 
Prince  fut  arrêté,  ni  n'avoit  aucun  sujet  de  se  lier 
avec  eux  en  leurs  menées,  ni  eux  ne  l'espéroient  aussi, 
quand  ils  sont  étonnés  qu'un  gentilhomme  leur  arrive 
de  sa  part  pour  leur  faire  entendre  qu'il  veut  être  de 
la  partie,  tant  il  étoit  léger  et  peu  considéré. 

Il  avoit  témoigné  à  la  Reine,  après  le  traité  de 
Loudun,  être  dégoûté  des  brouilleries  qu'il  voyoit 
entre  les  grands  et  avoir  désir  de  s'employer  hors  du 
royaume  en  un  dessein  qu'il  avoit  de  longtemps  contre 
le  Turc*,  pour  lequel  il  supplia  la  Reine  d'écrire 
au  Pape  et  au  roi  d'Espagne.  Et,  pour  ce  qu'il  espé- 
roit  aussi  de  disposer  les  princes  d'Allemagne  à  y 
contribuer,  il  désira  d'aller  en  ambassade  extraordi- 
naire vers  l'Empereur,  sous  couleur  de  se  réjouir,  de 
la  part  de  S.  M. ,  de  sa  nouvelle  assomption  à  l'Empire  ; 
et,  avant  partir,  il  apporta  à  la  Reine  un  livre  où  il 
espéroit  de  faire  signer  tous  ceux  qui  voudroient  con- 
tribuer en  cette  affaire  et  la  supplia  d'y  vouloir  signer 
en  tête  pour  quatre  cent  mille  écus.  Après  avoir  reçu 
d'elle  toutes  ces  satisfactions  qu'il  avoit  désirées,  il 
partit  au  commencement  d'août  pour  son  voyage. 

Étant  sur  les  frontières  de  Champagne,  il  reçut  la 

1.  Ci-dessus,  p.  43  et  suivantes. 


[1616]  DE  RICHELIEU.  99 

nouvelle  de  la  prise  de  Monsieur  le  Prince,  et  non 
seulement  s'arrêta,  mais  eut  bien  l'audace  d'écrire  au 
Roi,  sur  ce  sujet,  des  lettres*  qui  étoient  bien  au  delà 
du  respect  que  lui  et  autres  plus  relevés  que  lui 
dévoient  à  S.  M.  La  Reine  dissimula  pour  lors  le 
mécontentement  qu'elle  en  devoit  recevoir;  mais, 
néanmoins,  voyant  sa  mauvaise  volonté,  donna  ordre 
qu'on  ne  le  reçût  en  aucune  des  villes  fortes  de  son 
gouvernement.  Ensuite  de  quoi,  voulant  entrer  dans 
Ghâlons^  avec  dessein  de  s'en  saisir,  on  lui  en  ferma 
les  portes,  dont  il  fut  tellement  outré  de  déplaisir 
que,  sans  plus  de  retenue,  il  se  déclara^  tout  ouver- 
tement et  manda  aux  princes  assemblés  à  Soissons 
qu'il  vouloit  être  des  leurs*. 

Cependant  les  députés  du  Roi  arrivèrent  à  Villers- 
Gotterets"'  et,   n'ayant  pas  charge  d'aller  jusques  à 

1.  On  trouve  dans  le  Mercure  francois,  t.  IV,  année  1616, 
p.  249  et  suiv.,  le  texte  de  la  lettre  écrite  à  cette  occasion  par 
le  duc  de  Nevers  au  Roi.  Il  y  en  a  une  copie  dans  le  volume 
770  du  fonds  France  des  archives  des  Affaires  étrangères, 
fol.  181. 

2.  Il  semble  qu'il  y  ait  ici  une  erreur.  L'entrée  de  la 
ville  de  Châlons  fut  refusée  au  duc  de  Nevers  avant  qu'il  eût 
écrit  au  Roi,  et  c'est  précisément  cette  mesure  qui  le  porta  à 
donner  un  pareil  éclat  à  son  mécontentement  :  voyez  Mercure 
francois,  t.  IV,  année  1616,  p.  249-250,  et  Journal  cV Arnauld 
d'Andilly,  p.  213-214. 

3.  La  première  version,  corrigée  après  coup  par  Sancy  sur 
le  manuscrit  B,  était  :  outré  de  déplaisir  quil  n'eut  pas  de  crainte 
de  se  déclarer. 

4.  Les  six  derniers  paragraphes  ont  certainement  été  rédi- 
gés à  l'aide  des  Mémoires  d'Estrées,  p.  416. 

5.  Villers-Cotterets,  chef-lieu  de  canton  du  département  de 
l'Aisne,  au  sud-ouest  de  Soissons. 


iOO  MÉMOIRES  [1616] 

Soissons,  convinrent,  avec  les  princes,  d'une  ferme 
nommée  Gravançon*,  distante  d'une  lieue  de  Soissons, 
où  ils  se  trouvèrent  ensemble  la  première  fois. 

Ils  commencèrent  par  essayer  de  détacher  tout  à 
fait  M.  de  Guise  d'avec  eux,  croyant  qu'ils  en  auroient 
plus  aisément  la  raison  des  autres.  Le  sieur  de  Champ- 
vallon,  comme  ayant  charge  des  affaires  et  résidant 
pour  le  service  de  M.  de  Lorraine  auprès  de  S.  M., 
avoit  beaucoup  de  crédit  en  son  esprit  ;  mais  le  secré- 
taire du  duc  de  Montéléon^,  ambassadeur  d'Espagne, 
y  en  eut  davantage  pour  le  persuader,  lui  faisant 
entendre,  de  la  part  de  son  maître,  qu'il  se  rendoit 
caution  de  la  parole  qu'on  lui  donneroit,  sachant  bien 
qu'il  lui  étoit  difficile  de  prendre  assurance  sur  celle 
du  mai^échal  d'Ancre^,  lequel  étoit  bien  averti  de  ce 
qu'avec  les  autres  il  avoit  tramé  contre  lui. 

A  toutes  ces  choses  aidoit  bien  l'armée  du  Roi  qui 
étoit  forte  et  avancée  auprès  de  Villers-Gotterets  et 
prête  à  les  mettre  en  état  de  ne  pouvoir  plus  long- 
temps contester,  ni  prétendre  de  recevoir  de  grands 
avantages.  Ils  proposèrent  néanmoins  beaucoup  d'ar- 
ticles, plus  pour  la  forme  et  faire  bonne  mine,  que 
pour  espérance  de  les  obtenir  ;  mais  ce  qu'ils  recher- 

1.  La  ferme  de  Cravançon  était  située  à  environ  deux  lieues 
au  sud-ouest  de  Soissons  sur  la  route  de  Villers-Cotterets. 
Ces  mêmes  détails  sont  donnés  dans  les  Mémoires  d'Estrées, 
p.  416  et  417. 

2.  Hector  Pignatelli  (1574-1622),  duc  de  Monteleone,  fils  de 
Camille  Pignatelli  et  de  Hiéronyme  Colonna,  grand  d'Espagne 
en  1613. 

3.  Le  scribe  du  manuscrit  B,  que  Sanc}-  a  corrigé,  avait 
mis  :  qu'il  lui  étoit  difficile  de  la  prendre  de  celle  du  maré- 
chal d'Ancre. 


[1616]  DE  RICHELIEU.  101 

chèrent  le  plus  fut  de  n'être  point  obligés  de  tout 
l'hiver  d'aller  à  la  cour  et  d'avoir  du  Roi  de  quoi 
entretenir  leurs  garnisons*. 

Ils  demandoient  que  le  traité  de  Loudun  fût  entre- 
tenu^; que  les  sièges  mis  devant  le  château  de  Chinon 
et  la  tour  de  Bourges  fussent  levés,  et  ceux  qui  com- 
mandoient  dans  lesdites  places  maintenus  en  leurs 
charges;  que  les  garnisons  des  places  du  duc  de 
Mayenne  fussent  augmentées  de  deux  cents  hommes 
de  pied;  que  le  paiement  de  ses  pensions,  garnisons, 
compagnies  de  cavalerie,  et  autres  gratifications  qu'il 
plaisoit  à  S.  M.  de  lui  accorder,  fût  assigné  sur  la 
recette  générale  de  Soissons;  qu'on  envoyât  au  duc 
de  Vendôme  la  commission  pour  tenir  les  États  en 
Bretagne;  que  sa  compagnie  de  chevau-légers  servit 
où  il  seroit  par  lui  ordonné;  qu'il  lui  fût  entretenu 
cent  hommes  de  pied  pour  tenir  garnison  à  la  Fère; 
que  S.  M.  fît  raser  les  fortifications  de  Blavet^  et  ôtàt 
les  garnisons  des  places  où  elle  en  avoit  envoyé  depuis 
la  détention  de  Monsieur  le  Prince,  et  considérât  s'il 
étoit  expédient  qu'elle  tînt  sur  pied  son  armée ^. 

M.  de  Guise,  qui  ne  désiroitplus  que  de  retourner 

1.  Voyez  les  Mémoires  d'Estrées,  p.  417. 

2.  Sancy  a  écrit  ce  membre  de  phrase  sur  le  manuscrit  B,  à 
la  place  du  suivant  :  «  Ils  demandoient  que  le  traité  de  Loudun 
fût  entretenu,  que  les  garnisons  des  places  du  duc  de  Mayenne 
fussent  augmentées  de  200  hommes  de  pied.  »  Cette  dernière 
partie  de  la  phrase  se  retrouve  plus  loin,  ajoutée  par  Sancy 
sur  le  manuscrit. 

3.  Blavet,  aujourd'hui  Port-Louis,  à  l'embouchure  du  Bla- 
vet  :  tome  I,  p.  267.  La  ville  tomba  entre  les  mains  des  Espa- 
gnols au  temps  de  la  Ligue  et  fut  restituée  à  la  paix  de  Ver- 
vins  (1598). 

4.  Le  Mercure  français,  t.  IV,  année  1616,  p.  259  et  suiv., 


102  MÉMOIRES  [1616] 

trouver  LL.  MM.,  prit  sujet  de  leur  demander  qu'ils* 
approuvassent  qu'il  y  fit  un  voyage,  sur  l'espérance 
qu'il  faciliteroit  la  concession  des  demandes  qu'ils  fai- 
soient.  11  arriva  à  la  cour  le  ^i*"  avec  ses  frères,  fut 
très  bien  reçu,  fit  encore  un  voyage  vers  eux  pour 
leur  faire  savoir  la  volonté  du  Roi  ;  et,  étant  de  retour 
le  29®,  S.  M.  accorda  les  deux  cents  hommes  de  sur- 
croît de  garnison  qu'ils  demandoient  pour  M.  de 
Mayenne  à  Soissons,  et  les  cent  hommes  pour  M.  de 
Vendôme  à  la  Fère,  mais  ne  voulut  affecter  aucunes 
recettes  au  paiement  d'icelles. 

Quant  au  traité  de  Loudun,  elle  déclara  le  vouloir 
observer  de  bonne  foi  et  n'y  contrevenir.  Pour  le 
reste,  il  ne  leur  fut  rien  accordé;  mais  S.  M.  voulut 
qu'il  demeurât  en  sa  puissance  d'en  faire  ce  qu'il  lui 
plairoit. 

Le  sieur  de  Boissise  seul  leur  porta  cette  réponse 
à  leurs  articles,  à  laquelle  ils  ne  voulurent  consentir, 
mais  seulement  signèrent,  le  6*  octobre,  qu'ils  l'avoient 
reçue  par  exprès  commandement  de  S.  M.  et  pour 
obéir  à  ses  volontés^. 

Ensuite,  S.  M.  fit  une  déclaration^,  le  16"  octobre, 
par  laquelle  elle  fit  savoir  qu'en  celle  qu'elle  avoit 
faite  sur  la  détention  de  Monsieur  le  Prince,  elle  n'en- 
tendoit  comprendre,  sous  le  nom  des  coupables  des 

donne  le  texte  des  articles  présentés  par  les  princes,  suivi  des 
décisions  du  Roi,  que  les  Mémoires  résument  un  peu  plus  loin. 

1.  C'est-à-dire  les  princes  assemblés. 

2.  Les  Mémoires  d'Estrées  (p.  417)  donnent  des  détails  plus 
précis. 

3.  Le  texte  de  cette  déclaration  a  été  imprimé  dans  le  Mer- 
cure françois,  p.  264-267.  Elle  y  porte  la  date  du  30  septembre 
et  fut  enregistrée  au  Parlement  le  25  octobre  1616. 


[1616]  DE  RICHELIEU.  103 

cas  mentionnés  en  icelle,  les  princes  et  seigneurs  ou 
autres  officiers  de  S.  M.,  qui  étoient  partis  de  Paris  le 
l®""  septembre;  mais  qu'elle  les  tenoit  tous  pour  ses 
bons  serviteurs  et  vouloit  qu'ils  jouissent  de  ses  grâces 
et  faveurs  et  exerçassent  leurs  charges  ainsi  qu'ils 
avoient  fait  auparavant.  Elle  en  fît  une  autre  particu- 
lière* sur  le  sujet  de  M.  de  Longueville,  qu'elle  dit 
être  assurée  n'avoir  eu  aucune  mauvaise  intention 
contre  son  service  et  ne  l'avoir  non  plus  entendu 
comprendre  en  sa  susdite  première  déclaration. 

Toutes  choses,  par  ce  moyen,  sembloient  être  paci- 
fiées, au  moins  pour  quelque  temps.  Les  places  que 
tenoit  Monsieur  le  Prince  en  Berry  étoient  toutes 
rendues  à  M.  de  Montigny  qui  avoit  été  fait  maréchal 
de  France  avec  M.  de  Thémines  peu  après  la  déten- 
tion de  Monsieur  le  Prince^;  Ghinon,  où  Rochefort 
étoit  allé  pour  s'enfermer,  étoit  aussi  remis  en  l'obéis- 
sance du  Roi,  ledit  Rochefort  en  étant  sorti,  non  tant 
sur  les  lettres  de  Monsieur  le  Prince  que  sur  l'appré- 
hension de  l'événement  du  siège  que  le  maréchal 
de  Souvré  avoit  mis  devant  cette  place;  le  gouver- 
nement de  laquelle    fut    donné  à  d'Elbène.    Toutes 

1.  Cette  seconde  déclaration  portait  la  date  du  16  octobre  et 
fut  enregistrée  au  Parlement  le  25  du  même  mois.  On  en 
trouve  le  texte  dans  le  Mercure  français,  t.  IV,  année  1616, 
p.  267-269. 

2.  Le  Mercure  français,  t.  IV,  année  1616,  p.  207,  mentionne 
les  nominations  de  Thémines  et  de  Montigny  comme  maré- 
chaux de  France.  —  Thémines  avait,  en  1591,  défendu  Ville- 
mur  contre  les  ligueurs,  comme  gouverneur  du  Quercy.  — 
François  de  la  Grange  d'Arquien,  seigneur  de  Montigny, 
maréchal  de  France  en  1616,  avait  servi  sous  la  Ligue,  fut 
gouverneur  de  Blois,  du  Mans  et  de  Paris  et  mourut  en  1617. 


104  MÉMOIRES  [1616] 

choses  étoienl  aussi  rétablies  en  leur  premier  état  à 
Tentour  de  la  Rochelle,  ceux  de  la  ville  ayant  remis 
entre  les  mains  d'un  exempt  du  Roi  le  château  de 
Rochefort  dont  ils  s'étoient  saisis,  et  le  duc  d'Épernon 
retiré  ses  «garnisons  de  Surerères  et  Tonnav-Charente^. 
Les  princes  et  seigneurs  unis  étoient  retenus  en  leur 
devoir,  au  moins  en  apparence,  par  ce  dernier  traité. 
M.  de  Nevers  seul  apporta  de  nouveaux  troubles,  fît 
des  levées  de  gens  de  guerre,  s'assuroit  de  ses  amis, 
alla  plusieurs  fois  consulter  à  Sedan  le  démon  ^  des 
rébellions^  et  mit  des  gens  de  guerre  dans  Mézières, 
Rethel,  la  Cassine,  Ghàteau-Porcien  *,  Richecourt^ 
et  autres  places  de  son  gouvernement^,  sans  permis- 
sion du  Roi,  dont  les  plus  sages,  qui  ne  considéroient 
pas  son  esprit,  étoient  étonnés,  attendu  les  forces  que 
le  Roi  avoit  prêtes,  auxquelles  il  ne  pouvoit  faire 
aucune  résistance  s'il  les  eut  voulu  employer  contre  lui. 

1.  Le  Mercure  français,  t.  IV,  année  1616,  p.  272-303,  donne 
de  longs  détails  sur  la  solution  de  ce  différend.  Dans  une  lettre 
à  M.  de  Traînel  en  date  du  23  décembre  1616,  Richelieu  men- 
tionnait ces  mêmes  faits.  «  Cela  met,  ajoute-t-il,  ceux  de  la 
religion  prétendue  réformée  hors  des  appréhensions  et  opi- 
nions qu'ils  avoient  qu'on  leur  en  voulût  »  (Avenel,  Lettres  et 
papiers  d'Etat  du  cardinal  de  Richelieu,  \,  p.  326). 

2.  Var.  :  Le  donjon  des  rébellions  (M).  —  Le  manuscrit  B 
portait  primitivement  l'oracle.  Sancy  a  mis  à  la  place  daimon. 

3.  C'est-à-dire  le  duc  de  Bouillon. 

4.  Chef-lieu  de  canton  du  département  des  Ardennes.  —  La 
Cassine,  Ardennes,  arrondissement  de  Mézières. 

5.  Richecourt,  ancien  château  aujourd'hui  rasé,  était  situé 
à  une  demi-lieue  à  l'ouest  de  Vouziers  en  Champagne. 

6.  Ces  différents  noms  de  localités  ont  été  ajoutés  après 
coup  par  Sancy  sur  le  manuscrit  B.  La  première  rédaction  por- 
tait simplement  :  dans  plusieurs  places  de  son  gouvernement. 


[1616]  DE  RICHELIEU.  105 

La  Reine  employa  tous  les  moyens  qu'elle  pût  pour 
lui  faire  connoitre  sa  faute;  elle  dépêcha  vers  lui 
M.  Marescot\  maître  des  requêtes,  lequel  n'ayant  rien 
avancé,  elle  me  fit  l'honneur  de  me  choisir^  pour  y 
faire  un  voyage  de  la  part  de  S.  M.,  croyant  que 
j'avois  quelque  dextérité  par  laquelle  je  pourrois 
ménager  son  esprit  et  le  ramener  à  la  raison;  mais 
tout  cela  fut  en  vain  :  car  il  n'en  étoit  pas  capable'. 
Il  continuoit  en  ses  mauvais  desseins  ;  on  en  avoit  avis 
par  les  gouverneurs  des  places  de  la  province,  qui 
demandoient  qu'on  renforçât  leurs  garnisons,  et  pro- 
testoient  qu'ils  ne  seroient  pas  responsables  de  la  perte 
desdites  places  s'il  en  mésavenoit. 

La  Reine,  pour  ne  donner  occasion  à  leur  prétexte 
ordinaire  qu'ils  étoient  opprimés  et  n'armoient  que 
pour  se  défendre,  étoit  résolue  de  le  laisser  commen- 
cer; et,  s'étant  contentée  d'envoyer  des  commissaires 
en  Champagne  pour  informer  de  ce  qui  s'y  passoit, 
elle  ne  voulut  pas  même  envoyer  renfort  de  garnisons 
dans  les  places,  mais  se  contenta  de  mander  aux  gou- 
verneurs et  aux  villes  qu'ils  se  tinssent  sur  leurs 
gardes,  afin  que,  sous  ombre  de  ce  renfort  de  garni- 
sons, on  ne  pût  dire  qu'on  eût  dessein  contre  lui. 

Il  n'en  faisoit  pas  de  même,  mais  eut  dessein  de  se 

1.  Guillaume  Marescot  (1567-1643),  avocat  général  de  la 
reine  Marie  de  Médicis  en  1604,  maître  des  requêtes  en  1611, 
fut  chargé  de  plusieurs  missions  diplomatiques  sous  le  règne 
de  Louis  XIII,  entre  autres  en  Allemagne  en  1624  et  1625. 

2.  A  remarquer  l'emploi  de  la  première  personne  dans  le  style. 

3.  Richelieu  avait  espéré  que  sa  mission  aurait  de  meilleurs 
résultats.  Voyez  dans  Avenel,  t.  VII,  p.  321  et  suiv.,  trois  notes 
de  l'évêque  de  Luçon  relatives  à  cette  négociation,  et  G.  Hano- 
taux,  Histoire  du  cardinal  de  Richelieu,  t.  II,  p.  119-120. 


106  MÉMOIRES  [1616] 

saisir  de  la  ville  de  Reims.  Le  Roi  y  envoya  le  mar- 
quis de  la  Vieu  ville,  qui  et  oit  son  lieutenant  général 
en  ce  quartier  de  Champagne,  mais  lui  commanda  de 
ne  s'accompagner  que  de  ceux  de  sa  maison.  M""®  de 
Nevers*,  à  peu  de  jours  de  là,  qui  fut  le  14^  jour  de 
novembre,  se  présenta  aux  portes  de  la  ville  pour  y 
entrer.  Le  marquis,  qui  avoit  reconnu  l'état  de  la  ville 
et  les  grandes  intelligences  qu'elle  y  avoit,  joint  que 
son  mari  étoit  proche  de  là,  lui  refusa  l'entrée  avec 
toutes  les  soumissions  qu'il  lui  fut  possible,  et  la  con- 
traignit de  se  loger,  pour  cette  nuit-là,  au  faubourg. 
Le  duc  de  Nevers,  irrité  de  ce  refus,  envoya  quantité 
de  gens  de  guerre  se  saisir  du  château  de  Sy^,  appar- 
tenant au  marquis  de  la  Vieu^ille,  situé  en  Rethelois, 
et,  peu  après,  manda  à  son  procureur  fiscal  au  duché 
de  Rethelois  qu'il  requît  une  saisie  féodale  de  ladite 
terre,  à  faute  d'homme,  droits  et  devoirs  non  faits  et 
non  payés  par  ledit  marquis  depuis  le  décès  de  son 
père. 

Le  marquis  de  la  Vieuville  s'en  étant  plaint  au  Roi, 
S.  M.  lui ^  envoya  Rarenton^,  exempt  de  ses  gardes  du 

1.  Catherine  de  Lorraine,  fille  de  Charles,  duc  de  Mayenne, 
et  de  Henriette  de  Savoie,  marquise  de  Villars,  mariée  en  1599 
à  Charles  de  Gonzague,  duc  de  devers,  morte  le  8  mars  1618. 

2.  Sy,  localité  du  département  des  Ardennes,  canton  du 
Chesne.  Le  nom  est  orthographié  Si  dans  le  Journal  d'Arnauld 
d'Andilly  qui  donne  des  renseignements  détaillés  sur  la  prise 
du  château  et  sur  les  suites  de  cet  incident  (p.  231).  L'auteur 
assure  (p.  237)  qu'il  tenait  ses  informations  de  Barbin  lui-même, 
qui  assistait  au  Conseil  où  l'on  délibéra  sur  cette  affaire. 

3.  C'est-à-dire  au  duc  de  Nevers. 

4.  Arnauld  d'Andilly,  qui  donne  un  récit  analogue,  ajoute 
qu'à  la  suite  de  cet  incident,  Barenton  «  s'étant  troublé  l'es- 
prit  par   l'appréhension   qu'il   prit  des    menaces   de   M.    de 


[1616]  DE  RICHELIEU.  107 

corps,  qui,  le  Sir  dudit  mois,  lui  fît  commandement 
de  sa  part  de  faire  sortir  du  château  dudit  marquis 
les  gens  de  guerre  qu'il  y  avoit  envoyés,  et  que  ce 
qu'il  avoit  fait  à  Reims  étoit  par  son  commandement. 
M.  de  Nevers  lui  répondit  fort  insolemment,  et,  entre 
autres  choses,  que  ceux  qui  étoient  à  la  cour  étoient 
sous  la  baguette,  mais  qu'il  n'y  étoit  plus  ;  que  dans 
trois  mois  tous  auroient  la  même  franchise,  et  qu'il 
iroit  avec  vingt  mille  hommes*  au-devant  du  sieur  de 
Praslin,  qui  commandoit  les  armes  de  S.  M.  en  la  pro- 
vince^; et,  néanmoins,  il  n 'avoit  pas  effectivement  en 
ses  troupes^  pour  garder  la  moindre  place  de  son 
gouvernement.  Barenton  en  dressa  son  procès-verbal 
qu'il  apporta  à  S.  M.,  laquelle  commanda  au  garde 
des  sceaux  que,  sur  icelui  et  sur  le  rapport  des  sieurs 
de  Gaumartin^  et  d'Ormesson^,  conseillers  d'État,  qui 
lui  avoient  été  aussi  envoyés  pour  informer  des  levées 
des  gens  de  guerre  et  entreprises  dudit  duc,  et  sur 

Nevers...  se  tua  d'un  coup  de  canif  dans  le  cœur,  le  13  dé- 
cembre »  [Journal  d'Arnauld  d'Andilly,  p.  232). 

1.  Var.  :  Avec  deux  mille  hommes  (M,  H). 

2.  Les  cinq  lignes  qui  précèdent  ont  été  substituées,  dans 
le  manuscrit  B,  par  Sancy  aux  mots  :  que  si  Leurs  Majestés 
venaient  en  Champagne,  il  iroit  au-devant  d'elles  avec  dix  mille 
hommes. 

3.  Le  sens  de  ce  membre  de  phrase  est  peut-être  :  il  n'avait 
pas  en  effectif  dans  ses  troupes  de  quoi  garder...  Il  se  peut 
aussi  que  le  copiste  du  manuscrit  B  ait  sauté  quelques  mots. 

4.  Louis  Lefèvre,  seigneur  de  Caumartin  (1552-1623),  fut 
conseiller  au  Parlement,  maître  des  requêtes,  conseiller  d'Etat, 
ambassadeur  et  garde  des  sceaux. 

5.  André  Le  Fèvre,  seigneur  d'Ormesson  (1577-1665),  fut 
successivement  conseiller  au  Parlement,  maître  des  requêtes, 
intendant  à  Lyon,  conseiller  d'Etat  et  directeur  des  finances. 


108  MÉMOIRES  [1616] 

les  avis  des  gouverneurs  des  villes  de  cette  province 
et  protestations  qu'ils  faisoient,  il  avisât,  en  son 
Conseil,  à  ce  qui  étoit  à  faire  pour  le  bien  de  son 
service  et  le  repos  de  son  État. 

La  chose  étant  mise  en  délibération,  le  garde  des 
sceaux  fut  d'avis  qu'il  falloit  renvoyer  l'affaire  au 
Parlement.  M.  de  Villeroy,  quoiqu'il  fût  soupçonné  de 
favoriser  les  princes,  dit  que  ce  n'étoit  point  une 
affaire  du  Parlement;  et,  le  président  Jeannin,  donnant 
un  conseil  moyen  de  diviser  l'affaire  et  renvoyer  au 
Parlement  la  saisie  féodale,  il  lui  repartit  courageu- 
sement que  ce  seroit  mettre  un  gentilhomme  en  procès 
avec  un  prince  pour  avoir  servi  le  Roi.  Le  sieur 
Mangot,  secrétaire  d'État,  prenant  la  parole  et  l'affir- 
mative pour  la  défense  du  marquis  de  la  Vieuville,  le 
sieur  Barbin  lui  dit  qu'il  oublioit  une  chose,  laquelle 
mettoit  tout  à  fait  M.  de  Nevers  en  son  tort,  qui  étoit 
que  la  saisie  féodale  n'avoit  été  faite  que  plusieurs 
jours  après  la  prise  de  sa  maison*. 

Le  garde  des  sceaux,  que  l'on  voyoit  bien  qui  ne 
faisoit  qu'à  regret  délibérer  de  cette  affaire  et  qui 
montroit  dans  son  visage  la  peine  de  son  esprit,  éclata 
lors  et  dit  à  Barbin  qu'il  se  trompoit  s'il  pensoit  le 
rendre  ministre  de  ses  conseils  violents.  L'autre  lui 
répondit  assez  modestement  qu'il  étoit  homme  de 
bien,  qu'il  disoit  son  avis,  qu'ils  étoient  tous  assemblés 
pour  cela,  et  qu'il  falloit  prendre  les  opinions.  A  quoi 
le  garde  des  sceaux  dit  qu'il  n'en  feroit  rien,  jusques 
à  ce   qu'il  fût  avec  des   gens   qui    entendissent  les 

1.  Le  Mercure  français,  t.  IV,  année  1616,  p.  306-309, 
donne  des  détails  semblables  sur  l'affaire  qui  mit  aux  prises  le 
duc  de  iVevers  et  le  marquis  de  la  Vieuville. 


[1616]  DE  RICHELIEU.  109 

affaires.  Barbin  se  leva  et  lui  dit  :  «  Je  suis  seul  qui 
peut-être  ne  les  entend  pas;  tous  ces  messieurs  qui 
restent  ici  les  entendent,  et  il  y  en  a  plusieurs  entre 
eux  qui  les  entendoient  très  bien  lorsque  vous  n'en 
aviez  encore  jamais  ouï  parler^.  »  Et,  cela  dit,  il 
s'en  alla  au  Louvre,  où  il  raconta  ce  qui  s'étoit  passé 
à  LL.  MM.^. 

Cependant,  l'heure  du  conseil  des  affaires  arrivant, 
le  garde  des  sceaux*^  vint  au  Louvre.  La  Reine  lui 
demande  si  on  avoit  vu  le  procès-verbal  de  l'exempt 
et  s'il  étoit  à  propos  de  le  lire  devant  tous  les  princes 
et  seigneurs  qui  étoient  là.  Ledit  garde  des  sceaux 
n'en  étant  pas  d'opinion,  Barbin  fit  instance  qu'on  le 
lût,  afin  que  chacun  connût  l'insolent  procédé  du  duc 
de  Nevers.  Étant  lu,  il  n'y  eut  personne  qui  ne  le  blâ- 
mât et  qui  n'avouât  que  LL.  MM.  en  dévoient  témoi- 
gner du  ressentiment.  La  Reine  demanda  au  garde 
des  sceaux  ce  qui  lui  en  sembloit;  il  recula  un  pas  en 
arrière  sans  rien  dire^  :  elle,  étonnée,  le  lui  redemanda 
encore  jusques  à  trois  fois,  sans  qu'il  lui  répondit  aux 
deux  suivantes  autrement  qu'à  la  première.  Ce  que  le 

1.  Var.  :  Tous  ces  messieurs  qui  restent  ici  les  entendoient 
très  bien  lorsque  vous  n'en  aviez  jamais  ouï  parler  (M,  H). 

2.  Pontchartrain,  dans  ses  Mémoires  (éd.  Michaud,  p.  376  et 
377),  rapporte  les  faits  mentionnés  par  Richelieu  aux  pages 
précédentes.  Il  paraît  improbable  que  les  Mémoires  y  aient 
puisé  des  renseignements  ;  mais  il  faut  remarquer  une  certaine 
concordance  entre  les  deux  textes  et  noter  que  Pontchartrain 
est  le  seul  avec  Richelieu  qui  soit  entré  dans  de  tels  détails 
au  sujet  de  ces  événements. 

3.  Les  mots  le  garde  des  sceaux  ont  été  écrits  par  Sancy  sur 
le  manuscrit  B  en  remplacement  du  mot  il. 

4.  Les  gens  de  robe,  sauf  le  Chancelier,  assistaient  au  Con- 
seil debout. 


no  IIÉMOIRES  [1616] 

Roi  trouva  si  mauvais,  outre  qu'il  étoit  déjà  mécon- 
tent de  la  rudesse  de  son  esprit,  de  son  peu  d'expé- 
rience dans  les  affaires,  de  voir  que  la  plus  saine 
partie  du  clergé  se  plaignoit  de  lui  et  qu'il  étoit  en 
réputation  d'être  peu  affectionné  à  la  religion,  que 
S.  M.,  de  son  propre  mouvement,  se  porta  à  dire  à 
la  Reine  qu'il  le  falloit  éloigner,  lui  envoya,  dès  le 
soir*,  redemander  les  sceaux,  et  les  donna  au  sieur 
Mangot,  et  m'honora  de  la  charge  de  secrétaire  d'État- 
que  ledit  sieur  Mangot  exerçoit  lors.  Peu  de  jours 
auparavant,  j'avois  été  nommé  pour  aller  en  Espagne 
ambassadeur  extraordinaire,  pour  terminer  plusieurs 
affaires,  auxquelles  le  comte  de  la  Rochefoucauld^  fut 
désigné  après  moi.  Par  mon  inclination,  je  désirois 
plutôt  la  continuation  de  cet  emploi,  qui  n'étoit  que 
pour  un  temps,   que  celui  la  fonction  duquel  étoit 

1.  Le  24  novembre  1616  [Mercure  françois,  t.  IV,  année  1616, 
p.  309).  Le  Roi  accorda  les  sceaux  à  Mangot  par  lettres  patentes 
du  25  novembre. 

2.  La  commission  nommant  l'évêque  de  Luçon  secrétaire 
d'État  portait  la  date  du  30  novembre  1616.  Elle  a  été  impri- 
mée dans  Aubery,  Mémoires  pour  l'histoire  du  cardinal  de  Riche- 
lieu, 1. 1,  p.  11.  Une  autre  commission,  en  date  du  même  jour  et 
imprimée  dans  le  même  recueil  (p.  15),  accordait  à  Richelieu, 
en  sa  qualité  d'évêque,  la  préséance  sur  les  autres  secrétaires 
d'État.  «  Monsieur  de  Luçon  »,  écrit  Pontchartrain  [Mémoires, 
p.  377),  «  entre  en  possession  de  cette  charge,  avec  un  grand 
mépris  qu'il  fait  de  tous  les  autres  secrétaires  d'Etat,  sur  les- 
quels même  il  se  fait  expédier  lettres  de  préséance  » . 

3.  François  V,  comte  de  la  Rochefoucauld  :  tome  I,  p.  295. 
Né  en  1588,  chevalier  des  ordres  du  Roi  en  1619,  gouverneur 
du  Poitou,  reçu  au  parlement  de  Paris  en  1637  et  mort  en 
1650;  il  avait  épousé  en  1611  Gabrielle  du  Plessis-Liancourt. 
De  cette  union  naquit  l'auteur  des  Maximes. 


[1616]  DE  RICHELIEU.  111 

ordinaire.  Mais,  outre  qu'il  ne  m'étoit  pas  honnête- 
ment permis  de  délibérer  en  cette  occasion,  où  la 
volonté  d'une  puissance  supérieure  me  paroissoit  abso- 
lue, j'avoue  qu'il  y  a  peu  de  jeunes  gens  qui  puissent 
refuser  l'éclat  d'une  charge  qui  promet  faveur  et 
emploi  tout  ensemble  ^  J'acceptai  donc  ce  qui  me  fut, 
en  ce  sujet,  proposé  par  le  maréchal  d'Ancre^  de  la 
part  de  la  Reine,  et  ce  d'autant  plus  volontiers  que  le 
sieur  Barbin,  qui  étoit  mon  ami  particulier,  me  solli- 
citoit  et  m'y  poussoit  extraordinairement. 

1.  Richelieu  ii"a  fait  jusqu'ici  aucune  allusion  à  deux  autres 
charges  qui  venaient  de  lui  être  accordées  peu  de  mois  aupa- 
ravant et  qui  ne  lui  attribuaient  d'ailleurs  aucune  autorité 
politique,  celles  de  grand  aumônier  de  la  Reine  et  de  conseil- 
ler d'Etat.  Il  avait  également  reçu  du  Roi,  par  brevet  du 
29  août  1616,  une  pension  de  six  mille  livres  [Lettres  et  papiers 
d'État,  t.  I,  p.  188-189,  et  G.  Hanotaux,  Histoire  du  cardinal 
de  Richelieu,  t.  II,  p.  90  et  suiv.).  Le  silence  gardé  dans  les 
Mémoires  de  Richelieu  sur  ces  trois  faits,  qui,  eu  1616,  durent 
avoir  cependant  une  certaine  importance  à  ses  yeux,  apporte 
une  nouvelle  preuve  que  ces  Mémoires  durent  être  rédigés 
à  une  époque  où  le  Cardinal,  déjà  comblé  d'honneurs,  jugeait 
inutile  de  mentionner  en  détail  les  premières  faveurs  qu'il  reçut. 

2.  La  part  prise  par  Concini  à  l'élévation  de  Richelieu  au 
poste  de  secrétaire  d'Etat  est  très  formellement  reconnue 
par  celui-ci  dans  une  lettre  qu'il  adressa  au  maréchal  au 
moment  même  de  sa  nomination,  le  29  novembre  1616  :  voyez 
Avenel,  t.  I,  p.  194.  Dans  le  procès  qui  fut  fait  à  la  mémoire 
du  maréchal  d'Ancre  et  à  sa  veuve  devant  le  parlement  de 
Paris,  cette  lettre  fut  alléguée  comme  une  preuve  «  de  l'usur- 
pation de  Conchine  sur  l'autorité  royale  et  de  la  destitution 
faite  par  les  menées  dudit  Conchine  et  de  sa  femme  des 
anciens  serviteurs  du  Roi  pourvus  des  plus  grandes  et  impor- 
tantes charges,  et  établissement  de  nouveaux,  contre  les 
formes  gardées  et  observées  de  tous  temps  en  cet  Etat  » 
(Bibl.  nat.,  ms.  Dupuy  92,  fol.  89). 


112  MÉMOIRES  [1616] 

Incontinent  que  je  fus  en  cette  charge,  le  maréchal 
me  pressa  fort  de  me  défaire  de  mon  évêché,  qu'il 
vouloit  donner  au  sieur  du  Vair.  Mais,  considérant  les 
changements  qui  pouvoient  arriver,  tant  par  l'humeur 
changeante  de  ce  personnage*  que  par  les  accidents 
qui  pouvoient  arriver  à  sa  fortune,  jamais  je  n'y 
voulus  condescendre,  ce  dont  il  eut  du  mécontente- 
ment, quoique  sans  raison.  Je  lui  représentois  qu'il 
étoit  bien  raisonnable  que,  quoiqu'il  arrivât,  je  me 
trouvasse  en  l'état  que  j'étois  entré  en  cette  charge, 
où,  ne  voulant  rien  profiter,  il  étoit  plus  que  juste 
que  je  ne  me  misse  en  hasard  de  perdre  tout. 

Je  lui  représentois  encore  que,  si  je  me  défaisois 
de  mon  évêché,  il  sembleroit  que  j'eusse  acheté  et 
me  fusse  acquis  l'emploi  de  la  charge  où  il  me  mettoit, 
au  prix  d'un  bénéfice,  ce  qui  ne  se  pouvoit  en  cons- 
cience, ne  seroit  pas  honorable  ni  pour  lui  ni  pour 
moi.  Mais  toutes  ces  raisons  ne  le  contentèrent  point, 
et  le  sieur  Barbin,  qui  étoit  plus  pratique  de  son 
humeur  que  moi,  me  dit  que,  quoique  je  pusse  faire, 
il  ne  seroit  pas  satisfait  s'il  ne  venoit  à  ses  fins,  parce 
que  son  intention  étoit,  en  me  dépouillant  de  ce  que 
j'avois,  me  rendre  plus  nécessairement  dépendant  de 
ses  volontés.  En  quoi  il  me  témoigna  être  véritable- 
ment mon  ami,  en  me  fortifiant  sous  main  la  résolu- 
tion que  j'avois  prise  de  ne  me  défaire  pas  de  mon 
évêché. 

Quant  au  sieur  du  Vair,  jamais  homme  ne  vint  en 
cette   charge   avec    plus    de    réputation  et   ne   s'en 

1.  Var.  :  Les  mots  de  ce  personnage  ont  été  rayés  et  rem- 
placés par  du  maréchal  (H). 


[1616]  DE  RICHELIEU.  113 

acquitta  avec  moins  d'estime;  si  bien  que  le  choix 
qu'on  fit  de  sa  personne  ne  servit  qu'à  faire  connoître 
la  différence  qu'il  y  a  entre  les  palais*  et  les  cours, 
entre  rendre  la  justice  aux  particuliers  et  la  conduite 
des  affaires  publiques.  Il  étoit  rude  en  sa  conversation, 
irrésolu  es  moindres  difficultés  et  sans  sentiment  des 
obligations  reçues. 

MM.  de  Bouillon  et  du  Maine  avoient  un  tel  pou- 
voir sur  son  esprit,  qu'il  ne  pouvoit  s'empêcher  d'en 
embrasser  ouvertement  les  intérêts.  Un  jour  il  repro- 
cha à  la  Reine,  en  leur  présence,  comme  nous  avons 
dit  ci-devant-,  le  peu  de  confiance  qu'elle  avoit  en  eux 
et  que,  si  elle  continuoit  ses  soupçons,  elle  leur  donne- 
roit  occasion  de  chercher  ailleurs  leur  appui,  sans 
considérer  les  sujets  qu'elle  avoit  de  se  défier  d'eux, 
qui  n'avoient  rien  oublié  à  faire,  durant  la  minorité, 
pour  changer  le  gouvernement  des  affaires  et  décrier 
sa  conduite;  qu'ayant  redoublé  leurs  appointements 
dès  le  commencement  de  sa  régence,  et  les  ayant  gra- 
tifiés de  pensions  excessives,  pensant  les  retenir  par 
leurs  intérêts  en  leur  devoir,  ils  s'étoient  servis  du 
bien  qu'elle  leur  avoit  fait  pour  lui  faire  mal,  avoient 
gagné  les  uns  par  argent,  les  autres  par  espérance, 
fait  cabales  dans  la  cour,  pris  les  armes  à  la  campagne, 
perdu  le  respect  qu'ils  dévoient  à  leur  souverain, 
troublé  la  tranquillité  publique;  que  tous  les  gens  de 
bien  désiroient  voir  leur  insolence  châtiée,  et  cepen- 
dant, contre  leurs  vœux,  ils  avoient  profité  de  la 
rébellion   qui    les   devoit  ruiner,    et  la   Reine  avoit 

1.  Dans  le  sens  de  Palais  de  justice. 

2.  Ci-dessus,  p.  28. 

II  8 


i\i  MÉMOIRES  [1616] 

porté  le  Roi  à  récompenser  leurs  fautes  ;  que  sa  bonté 
ne  les  avoit  pas  rendus  meilleurs,  et  la  paix  n'avoit 
pas  été  plus  tôt  conçue  qu'ils  ne  méditassent  une  nou- 
velle guerre.  On  parla  du  mariage  du  Roi,  ils  mena- 
cèrent de  s'y  opposer;  le  Roi  l'entreprit,  ils  arment 
aussitôt  pour  en  troubler  l'exécution.  Leur  crime  ayant 
donné  au  Roi  sujet  de  les  punir,  et  leur  foiblesse  le 
moyen,  la  Reine  s'étoit  contentée  de  le  pouvoir  faire. 
On  avoit  traité  avec  eux;  le  Roi  les  avoit  reçus  en 
père  au  lieu  de  les  châtier  en  maître  ;  et  qu'après  tout 
cela,  ils  n'avoient  pas  plus  tôt  été  de  retour  dans  la 
cour,  qu'ils  s'étoient  proposé  de  l'en  éloigner.  Toutes 
lesquelles  choses  étant,  c'eût  été  à  la  Reine  une  aussi 
grande  imprudence  de  s'y  fier,  que  c'étoit  à  lui  une 
grande  indiscrétion  de  le  lui  conseiller  ' . 

Cependant,  le  trouble  et  l'étonnement  de  l'arrêt  de 
Monsieur  le  Prince  ne  fut  pas  plus  tôt  cessé  que  le 
maréchal  d'Ancre  revint  à  la  cour^.  S'il  en  étoit  parti 
avec  un  grand  désespoir,  il  n'y  revint  pas  avec  une 
moindre  présomption  et  espérance  de  recommencer  à 
gouverner  pis  que  jamais.  Sa  femme  étoit  si  abattue 
de  l'effroi  où  elle  s'étoit  trouvée,  duquel  nous  avons 
parlé  ci-devant^,  et  de  son  humeur  mélancolique  que 

1.  Le  manuscrit  B  porte  ici,  de  la  main  de  Sancy,  en  marge  : 
Vide  icy,  et,  à  la  fin  de  l'alinéa,  ces  mots  rayés,  qui  servaient 
de  renvoi,  V.  f.  17,  p.  2  A.  La  lecture  de  ces  derniers  mots  ne 
nous  paraît  pas  absolument  certaine.  On  pourrait  peut-être  les 
interpréter  ainsi  :  «  Vide  feuille  17,  page  2,  A.  «  Deux  lignes 
du  texte  sont  d'ailleurs  ensuite  barrées  ;  les  voici  :  Ce  change- 
ment fut  bien  désagréable  aux  Princes  qui  crurent  que  n  ayant 
plus  personne  de  leur. 

2.  Il  revint  le  2  octobre. 

3.  Ci-dessus,  p.  64. 


[1616]  DE  RICHELIEU.  115 

cette  crainte  avoit  irritée,  qu'elle  en  étoit  en  quelque 
manière  sortie  hors  de  son  bon  sens,  ne  partant  plus  ^ 
de  sa  chambre  et  ne  voulant  voir  personne,  croyant 
que  tous  ceux  qui  la  regardoient  l'ensorceloient,  et 
elle  avoit  étendu  ce  soupçon  jusques  à  la  personne  de 
Barbin,  qu'elle  avoit  pour  ce  sujet  prié  de  ne  la  plus 
aller  voir. 

Le  maréchal,  à  son  arrivée,  demanda  audit  Barbin 
s'il  y  auroit  plus  de  danger  qu'il  se  mêlât  des  affaires^. 
L'autre,  qui  sa  voit  qu'il  étoit  déjà  résolu  de  faire  ce 
qu'il  lui  demandoit,  et  qu'il  ne  s'en  abstiendroit  pas, 
quoiqu'il  lui  conseillât,  mais  prendroit  sujet  de  croire 
que  l'ambition  le  porteroit  à  lui  donner  ce  conseil,  lui 
dit  qu'à  son  avis  il  le  pouvoit  faire,  et  qu'il  ne  voyoit 
point  de  raison  qui  l'en  dût  empêcher.  Mais  cela, 
néanmoins,  fut  l'entrée  de  sa  ruine,  le  confirma  en  la 
haine  de  tout  le  monde,  et  donna  un  des  principaux 
moyens  à  Luynes  de  médire  de  lui  et  de  la  Reine  au 
Roi,  et  préparer  l'orage  que  nous  verrons  tomber 
sur  sa  personne^  l'année  suivante.  Luynes  commença 
à  représenter  au  Roi  que  l'autorité  royale  étoit  en  la 
personne  dudit  maréchal,  qu'elle  ne  résidoit  en  S.  M. 
que  de  nom,  et  que,  pour  se  fortifier  en  ses  mauvais 
desseins,  il  éloignoit  la  Reine  sa  mère  de  la  bienveil- 
lance qu'elle  lui  devoit. 

Le  Roi  étant  tombé  malade^,  à  la  Toussaint,  d'une 

1.  Le  mot  partant  a  été  substitué  par  Sancy,  sur  le  manus- 
crit B,  au  mot  sortant. 

2.  Des  affaires  a  été  substitué  à  d'affaires  par  Sancy  sur  le 
manuscrit  B. 

3.  Les  mots  sa  personne  ont  été  substitués  par  Charpentier 
au  mot  luy  sur  le  manuscrit  B. 

4.  Ce  malaise  du  jeune  Roi  se  produisit  le  31  octobre  [Jour- 


116  MÉMOIRES  [1616] 

espèce  d'évanouissement,  la  Reine,  qui  étoit  aux 
Feuillants',  accourt  incontinent  au  Louvre,  tout 
effrayée  :  le  Roi,  qui  se  portoit  mieux,  ne  fut  néan- 
moins entièrement  guéri  que  trois  ou  quatre  jours 
après.  La  Reine  parlant  souvent  de  cette  maladie,  du 
Vair,  qui  étoit  encore  lors  garde  des  sceaux  et  soupçon- 
noit  que  ce  fût  un  autre  mal  que  ce  n'étoit,  dit  qu'il 
étoit  à  craindre  qu'il  ne  recommençât  au  printemps. 
Cela  fit  que  plusieurs  fois  la  Reine,  parlant  au  sieur 
Héroard^,  premier  médecin  du  Roi,  lui  disoit  qu'elle 
avoit  peur  que  S.  M.  ne  retombât  malade  au  prin- 
temps. Luynes  prit  occasion  de  là  de  dire  au  Roi  que 
l'on  tramoit  quelque  chose  contre  lui,  qui  devoit 
s'exécuter  au  printemps,  et  qu'on  disoit  qu'il  lui 
pourroit  bien  mésavenir  en  ce  temps-là.  Il  donnoit 
quant  et  quant  à  entendre  au  Roi  que  tous  ces  princes 
n'étoient  persécutés  que  pour  l'amour  du  maréchal 
d'Ancre,  qu'ils  étoient  passionnés  pour  S.  M.  et  qu'ils 
avoient  témoigné  un  déplaisir  indicible  de  sa  maladie^. 
Ces  choses  firent  effet  en  l'esprit  du  Roi,  et  tel  que 

nal  de  Jean  Héroard,  t.  II,  p.  203;  Journal  d'Arnauld  d'An- 
dilly^  p.  224;  Mémoires  de  Fontenay-Mareuil,  éd.  Michaud, 
p.  112,  et  Mémoires  d'Estrées,  p.  417). 

1.  Le  couvent  des  Feuillants  occupait  alors  l'emplacement 
actuel  de  la  rue  de  Castiglione  et  de  la  partie  de  la  rue  de 
Rivoli  qui  longe  les  Tuilei'ies. 

2.  Jean  Héroard,  médecin  du  Roi,  a  laissé  un  Journal  sur 
l'enfance  et  la  jeunesse  de  Louis  XIII  (1601-1628),  publié 
par  MM.  Eud.  Soulié  et  Éd.  de  Barthélémy;  Paris,  2  vol.  in-8". 

3.  Sancy,  par  scrupule  de  style,  a  corrigé  de  cette  façon  le 
manuscrit  B  qui  portait  primitivement  :  un  déplaisir  indicible 
de  la  maladie  de  Sa  Majesté.  —  Comparez  le  texte  des 
Mémoires  d'Estrées,  p.  417. 


[1616]  Dte  RICHELIEU.  117 

M.  de  Gesvres'  dépêcha  exprès  à  Soissons  à  M.  de 
Mayenne,  pour  lui  faire  savoir,  non  de  la  part  du  Roi, 
mais  comme  de  lui-même,  la  bonne  volonté  que  S.  M. 
lui  portoit,  et  qu'elle  avoit  eu  quelque  pensée  de  se 
retirer  d'avec  la  Reine  sa  mère  et  s'en  aller  à  Com- 
piègne,  où  il  savoit  bien  que  tous  les  autres  princes 
et  lui  n'auroient  pas  manqué  de  le  venir  trouver^. 

Cet  avis  encouragea  fort  les  princes  qui  donnèrent 
ordre  au  cardinal  de  Guise  de  ménager  auprès  de 
M.  de  Luynes  tout  ce  qu'ils  pourroient  en  cette  occa- 
sion. L'affaire  fut  si  bien  suivie,  que  la  Chesnaie^,  [gen- 
tilhomme] ordinaire^  du  Roi,  qui  avoit  grande  part 
auprès  dudit  sieur  de  Luynes,  leur  envoya  Geniers^, 
par  lequel  il  leur  fit  savoir  la  mauvaise  volonté  que  le 
Roi  portoit  au  maréchal  d'Ancre  et  le  mécontentement 
qu'il  avoit  de  ses  comportements,  les  conviant  tous 
de  se  maintenir  bien  unis  ensemble,  et,  quoi  qu'on  leur 
pût  dire,  n'entendre  à  aucune  réconciliation  avec  lui^. 

1.  Louis  Potier,  baron  de  Gesvres,  secrétaire  d'Etat  en  1589, 
mort  en  1630. 

2.  Voyez  les  Mémoires  d'Estrées,  p.  417. 

3.  Le  sieur  de  la  Chesnaie,  gentilhomme  ordinaire  de  la 
maison  du  Roi,  fut  chargé  en  1620  d'une  mission  auprès  des 
protestants  du  Béarn  :  Mémoires  de  Bassompierre,  t.  II,  p.  210. 

4.  Le  mot  gentilhomme  a  été  ajouté  après  coup  sur  le  manus- 
crit H.  Il  ne  figure  pas  sur  le  manuscrit  B. 

5.  Jean  de  Geniers  ou  de  Gignier,  sieur  de  Massac,  gentil- 
homme servant  de  la  maison  du  Roi,  fut  condamné  à  mort  et 
exécuté  le  4  octobre  1617  pour  avoir  fait  à  Luynes  de  fausses 
dénonciations  contre  plusieurs  seigneurs  et  notamment  contre 
le  duc  de  Vendôme  [Mémoires  de  Déageant,  éd.  1668,  p.  74- 
100;  Mémoires  de  Bassompierre,  t.  II,  p.  131,  et  Mercure 
franrois,  t.  V,  année  1617,  p.  94). 

6.  Voyez  les  Mémoires  d'Estrées,  p.  417. 


118  MÉMOIRES  [1616] 

Nonobstant  toutes  ces  choses,  le  changement  des 
ministres  les  étonnoit;  car  ils  crurent  que,  n'ayant 
plus  personne  de  leur  intelligence  dans  le  ministériat, 
leurs  actions  seroient  reconnues  pour  ce  qu'elles 
étoient  et  plusieurs  détrompés  de  ce  qu'on  en  avoit 
fait  accroire  à  leur  avantage  contre  la  vérité.  Ils  ne  se 
rapprochèrent  néanmoins  pas  de  leur  devoir,  mais, 
au  contraire,  s'affermissoient  dans  leur  rébellion,  le 
duc  de  Ne  vers  tout  ouvertement,  M.  de  Bouillon  cou- 
vertement  et  sous  main,  décriant  le  gouvernement 
aux  pays  étrangers,  et  envoyant  exprès  en  Hollande, 
au  Liège  et  en  divers  lieux  d'Allemagne  pour  en  parler 
mal;  entre  lesquels  le  sieur  du  Pescher*  étant  au 
Liège  et  se  laissant  aller,  selon  qu'il  lui  étoit  com- 
mandé, à  parler  autrement  du  Roi  qu'il  ne  devoit, 
un  gentilhomme  liégeois,  abhorrant  cette  infidélité, 
le  blâma  de  sa  trahison  et,  des  paroles  étant  venus 
aux  mains,  le  tua  sur-le-champ.  Il  faisoit  plusieurs 
autres  pratiques  au  préjudice  de  l'autorité  du  Roi, 
faisant  enlever  quantité  d'armes  et  passer  à  petites 
troupes  nombre  de  gens  de  guerre,  par  Sedan,  en 
Champagne,  où  le  duc  de  Nevers  les  recueilloit  et  les 
faisoit  couler  dans  les   places  qui  ne  lui  pouvoient 

1.  Il  s'agit  ici  d'un  membre  de  la  maison  de  Saint-Cha- 
mant,  originaire  du  Limousin,  fixée  au  commencement  du 
xvii^  siècle  dans  le  nord  de  l'Ile-de-France  par  l'acquisition  de 
la  seigneurie  de  Méry-sur-Oise,  et  dont  plusieurs  représen- 
tants, Elie,  comte  du  Pescher,  Mercure  et  Antoine,  furent, 
vers  cette  époque,  gouverneurs  de  Thérouanne,  de  Verdun, 
de  Château-Thierry  et  de  Guise.  L'auteur  des  paroles  inju- 
rieuses à  l'égard  du  Roi  fut  Mercure  de  Saint-Charaant,  baron 
de  Marigny  et  du  Pescher,  gouverneur  de  Château-Thierry. 


[1616]  DE  RICHELIEU.  H9 

faire  de  résistance.  Le  Roi,  en  étant  averti,  fut  contraint 
de  faire  avancer  des  gens  de  guerre  en  cette  province, 
sous  le  commandement  du  maréchal  de  Praslin,  tant 
pour  tenir  la  main  à  l'exécution  des  jugements  des 
commissaires  de  S.  M.,  qu'elle  avoit  envoyés  sur  les 
lieux  pour  informer  des  contraventions  à  ses  ordon- 
nances et  faire  le  procès  à  ceux  qui  se  trouveroient 
coupables,  que  pour  être  prêt  à  toute  occasion  qui  se 
pourroit  présenter  pour  son  service  ^ . 

Il  ne  passa  guère  de  temps  qu'il  n'eût  sujet  de  les 
employer  :  car  M.  de  Nevers,  de  nuit  et  par  surprise, 
entra  le  1®' jour  de  décembre^  dans  la  ville  de  Sainte- 
Menehould,  s'en  saisit  et  mit  dans  le  château  cinq 
cents  hommes  de  garnison.  Cette  ville  étoit  impor- 
tante, couvroit  Sedan  et  Mézières  et  fermoit  le  passage 
pour  aller  à  Verdun.  Le  maréchal  de  Praslin  y  alla  avec 
les  troupes  du  Roi  qu'il  avoit,  avec  lesquelles  et  la 
promesse  qu'il  fit  de  dix  mille  écus  à  Boucon ville ^, 
gouverneur  du  château,   il  se   rendit  maître   de  la 

1.  Le  récit  de  l'incident  relatif  au  baron  du  Pescher  et  les 
développements  qui  y  sont  joints  dans  les  Mémoires  se  trou- 
vent en  partie  dans  la  lettre  envoyée  par  le  Roi  au  maréchal  de 
Bouillon,  le  27  décembre  1616,  comme  réponse  à  celle  que  le 
duc  lui  avait  adressée  le  14  :  Mercure  françois,  t.  IV,  année 

1616,  p.  335  (pour  351)  et  352-358. 

2.  Les  mots  le  premier  jour  de  décembre  ont  été  ajoutés  en 
interligne  par  Sancy  sur  le  manuscrit  B. 

3.  Charles  de  Pradines,  seigneur  de  Bouconville.  —  Le  duc 
de  Nevers  lui  avait  confié  la  garde  de  la  ville.  Dès  le  1^'' janvier 

1617,  le  Roi  envoya  à  Bouconville  une  lettre  confirmant  le  don 
de  10,000  écus  promis  par  M.  de  Praslin  (Avenel,  t.  I,  p.  239; 
Journal  d' Arnauld  d'Andilly,  p.  252-253,  et  Mercure  françois, 
t.  IV,  année  1616,  p.  362). 


120  MÉMOIRES  [1616] 

place  et  en  chassa  la  garnison  du  duc  de  Nevers,  le 
26''  décembre,  et  la  fit  conduire  à  Rethel^ 

Nonobstant  tout  ce  mauvais  procédé  des  ducs  de 
Nevers  et  de  Bouillon,  le  dernier,  qui  s'étoit  tenu  un 
peu  plus  couvert,  eut  bien  la  hardiesse  d'écrire  au 
Roi^,  en  se  plaignant  de  ce  que  les  troupes  que  S.  M. 
avoit  en  Champagne  lui  donnoient  jalousie,  et  que 
l'ambassadeur  du  Roi  à  Bruxelles  empèchoit  la  liberté 
du  commerce  avec  Sedan,  duquel  il  sembloit  que  S.  M. 
ne  voulût  plus  embrasser  la  protection;  ce  qui  l'obli- 
geroit  à  s'aider  des  remèdes  que  la  nature  permet  à 
un  chacun  pour  sa  propre  défense. 

S.  M.  lui  fit  réponse^,  le  27%  avec  plus  de  vigueur 
que  l'on  n'avoit  pas  accoutumé  du  temps  des  autres 
ministres,  lui  remontra  son  mauvais  procédé,  que  la 
plainte  qu'il  lui  faisoit  n'étoit  que  pour  prévenir  celles 
que  le  Roi  avoit  sujet  de  faire  de  lui,  ou  tenir  les 
peuples  en  une  fausse  créance  qu'ils  étoient  maltrai- 
tés ;  que  ce  qu'il  disoit  du  commerce  qui  n'étoit  pas 
laissé  libre  à  Sedan  du  côté  de  la  Flandre,  n'étoit  que 
par  l'empêchement  qu'y  avoit  fait  l'ambassadeur  du 

1.  Voyez  le  récit  de  cet  incident  dans  le  Mercure  f'rancois, 
t.  IV,  année  1616,  p.  361-362. 

2.  Le  texte  original  de  cette  lettre  se  trouve  aux  archives 
des  Affaires  étrangères,  France  770,  fol.  186.  Elle  a  été 
imprimée  dans  le  Mercure  français,  t.  IV,  année  1616,  p.  335 
et  suivantes,  et  porte  la  date  du  14  décembre  1616.  Voyez  la 
note  1  de  la  page  119. 

3.  Cette  réponse  a  été  imprimée  dans  le  Mercure  français, 
t.  IV,  année  1616,  p.  354  et  suiv.  Elle  a  été  analysée  par  Ave- 
nel,  t.  VII,  p.  918,  qui  fait  remarquer,  comme  d'ailleurs  le 
P.  Griffet,  que  l'évêque  de  Luçon  devait  être  l'auteur  de  cette 
lettre.  La  satisfaction  avec  laquelle  en  parlent  ici  les  Mémoires 
ne  peut  que  confirmer  cette  supposition. 


[1616]  DE  RICHELIEU.  121 

Roi  au  passage  des  armes  qu'il  en  vouloit  faire  venir 
contre  son  service,  et  que,  s'il  étoit  sage,  au  lieu  des 
remèdes  dont  il  menaçoit  qu'il  se  serviroit  pour  sa 
juste  défense  et  c{ue  S.  M.  n'entendoit  pas^  et  seroit 
bien  aise  d'en  être^  éclaircie  par  lui,  il  n'en  recher- 
cheroit  point  d'autre  que  la  bonne  grâce  de  S.  M., 
à  laquelle  il  étoit  obligé  de  tout  le  bien  qu'il  avoit.  Ce 
procédé  vigoureux  du  Roi,  sentant  plus  sa  majesté 
royale  que  la  conduite  passée,  n'étoit  pas  néanmoins 
bien  reçu  à  cause  du  maréchal  d'Ancre,  l'audace 
duquel  et  la  haine  qu'on  lui  portoit  étoient  telles 
qu'elles  faisoient  prendre  en  mauvaise  part,  et  du 
peuple  et  des  grands  et  du  Roi,  tout  ce  qui  autrement 
étoit  de  soi  et  eût  été  reconnu  le  plus  avantageux  au 
service  de  S.  M.  et  au  bien  de  l'État^. 

Nous  avons  dit  que  Monsieur  le  Prince  fut,  trois 
jours  après  sa  détention,  changé  de  la  chambre  où  il 
étoit  et  mis  en  une  autre  plus  assurée  qu'on  lui  avoit 
fait  préparer,  en  laquelle  tandis  qu'il  demeura  il  avoit 
quelque  espérance  d'être  bientôt  mis  en  liberté  ;  mais 
les  choses  furent  changées  bientôt  après,  sur  la 
méfiance  qu'on  eut  de  lui  et  de  ceux  qui  tenoient  son 
parti  à  Paris. 

Un  de  ses  chevau-légers,  nommé  Boursier,  fut 
accusé,  sur  la  fin  d'octobre,  par  une  femme  de  mau- 
vais bruit ^,  d'avoir  dit,  en  un  heu  assez  malhonnête, 

1.  Dans  le  sens  de  ne  cornprenail  pas. 

2.  D'en  être  a  été  rais  par  Sancy  sur  le  manuscrit  B  à  la 
place  d'être. 

3.  Voyez  p.  119  la  note  1. 

4.  Cette  femme  s'appelait  Durfort.  On  trouve  des  détails 
assez  complets   sur    cet  incident   dans   le  Journal  cVArnauld 


122  MÉMOIRES  [1616] 

qu'il  eût,  quelques  jours  auparavant,  tué  la  Reine 
mère  en  son  bâtiment  de  Luxembourg  qu'elle  étoit 
allée  voir,  si  le  cardinal  de  Guise  un  jour,  et  Bassom- 
pierre  un  autre,  ne  se  fussent  mis  entre  S.  M.  et  lui. 
Barbin  fît  incontinent  envoyer  cette  femme  au  garde 
des  sceaux  du  Vair  pour  l'interroger;  le  rapport  qu'il 
en  fît  fut  que  c'étoit  une  garce,  aux  paroles  de  laquelle 
on  ne  pouvoit  pas  prendre  assurance.  Il  sembla  à  Bar- 
bin que  c'étoit  un  peu  trop  négliger  cette  affaire  qui 
importoit  à  la  vie  de  la  Reine,  et  fît  que  S.  M.  com- 
manda audit  sieur  du  Vair  de  sceller,  toutes  afïaires 
cessantes,  une  commission  adressante  au  sieur  de 
Mesmes*,  lieutenant  civil,  portant  pouvoir  à  lui  et  aux 
conseillers  du  Chàtelet  de  juger  cette  affaire  souverai- 
nement, ce  qu'il  fît,  craignant  la  diversité  des  juge- 
ments et  peut-être  des  affections  de  ceux  du  Parle- 
ment. IP  fut  condamné  quasi  d'une  voix  à  la  mort, 
le  4®  novembre^,  et  à  être  appliqué  auparavant  à  la 
question  ordinaire  et  extraordinaire  pour  savoir  ses 
complices.  Tous  les  conseillers  y  voulurent  assister, 
contre  ce  qui  a  accoutumé  d'être  fait,  soit  pour  com- 

cVAndilly,  p.  226-227,  et  dans  le  Mercure  françois,  p.  303  et 
suivantes. 

1.  Henri  de  Mesmes,  marquis  de  Moigneville,  seigneur  de 
Roissy,  lieutenant  civil  en  1603,  prévôt  des  marchands  de 
Paris  en  1618,  président  à  mortier  au  Parlement  en  1627,  mort 
en  1650. 

2.  C'est-à-dire  Boursier. 

3.  Boursier  fut  exécuté  le  jour  même  de  sa  condamnation  : 
il  fut  pendu  en  place  de  Grève,  puis  son  corps  fut  brûlé  [Mer- 
cure françois,  t.  IV,  année  1616,  p.  303).  D'après  le  Journal 
(VArnauld  d'Andilly,  p.  226,  l'exécution  eut  lieu  le  9  novembre; 
d'après  le  Mercure  françois,  le  4. 


[i6l6]  DE  RICHELIEU.  123 

plaire  et  paroître  zélés,  soit  que,  les  preuves  n'étant 
pas  si  entières  qu'elles  eussent  dû  être,  ils  désiroient 
tous  savoir  si,  à  la  question,  il  diroit  quelque  chose  qui 
confirmât  la  justice  de  leur  jugement  :  ce  que  l'on  dit 
qu'il  fit  et  reconnut  son  crime,  confessant  la  chose 
s'être  passée  selon  qu'on  l'avoit  accusé. 

Deux  autres,  qui  avoient  été  des  gardes  de  Monsieur 
le*  Prince,  furent  pris  avec  lui  pour  ce  qu'ils  le  han- 
toient,  mais,  n'ayant  été  trouvés  coupables,  furent  relâ- 
chés. Un  de  ces  deux,  nommé  Vaugré,  s'en  alla  à 
Soissons,  espérant  y  être  bien  reçu,  et  là  il  fut  prati- 
qué pour  dire  qu'on  l'y  avoit  envoyé  pour  tuer  le  duc 
de  Mayenne,  comme  nous  verrons  l'année  suivante^. 

Cette  accusation  de  Boursier^  fit  qu'on  se  défia 
davantage  de  Monsieur  le  Prince  et  que,  sur  quelque 
soupçon  que  l'on  eut  que  ses  officiers,  qui,  jusques 
alors,  lui  avoient  apprêté  son  manger  et  l'avoient  servi, 
lui  avoient  mis  quelques  lettres  dans  un  pâté,  on  les 
congédia  tous,  et  ne  fut  plus  servi  que  par  ceux  du 
Roi.  Ensuite,  le  24^  septembre^,  il  fut  mis  dans  un 

1.  Les  dix  premiers  mots  de  cette  phrase  ont  disparu 
lorsque  les  marges  du  manuscrit  B  furent  rognées  à  la  reliure. 

2.  L'autre  garde  s'appelait  Goron.  Vaugré,  de  son  vrai  nom, 
se  nommait  Claude  Gaudin  :  voyez  Mercure  français,  t.  IV, 
année  1616,  p.  304,  et  Avenel,  t.  I,  p.  255. 

3.  Les  mots  de  Boursier  ont  été  ajoutés  en  interligne  sur  le 
manuscrit  B  par  Sancy. 

4.  Les  manuscrits  portent  2'i^  novembre^  ce  qui  est  une 
erreur.  Condé  fut  transféré  à  la  Bastille  dans  la  nuit  du  24  au 
25  septembre  1616.  Bassompierre  se  vante  en  ses  Mémoires 
d'avoir  été  chargé  par  la  Reine  de  cette  délicate  opération 
[Mémoires  de  Bassompierre,  t.  II,  p.  98  et  suivantes;  Mercure 
françois,  t.  IV,  année  1616,  p.  258,  et  Journal  d'Arnauld  d'An- 
dilly,  p.  215). 


124  MÉMOIRES  [1616] 

carrosse  et  mené  à  la  Bastille,  pour  être  plus  assuré- 
ment; et,  le  19*"  décembre,  le  comte  de  Lauzières,  fils 
du  maréchal  de  Thémines,  en  la  garde  duquel  il  étoit, 
fut  changé,  et  du  Thiers^  qui  commandoit  à  la  com- 
pagnie de  chevau-légers  de  la  Reine  mère,  eut  ordre 
de  le  garder  avec  quelques-uns  de  ses  compagnons -. 

Avant  finir  cette  année,  il  est  raisonnable  que  nous 
disions  ce  qui  s'est  passé  en  Italie  depuis  le  traité  d'Ast, 
pourquoi  il  ne  fut  point  exécuté,  l'assistance  que  le 
duc  de  Savoie  eut  du  côté  de  France,  et  ce  que 
LL.  MM.  firent  pour  acheminer  les  affaires  à  un  accom- 
modement. 

Après  le  traité  d'Ast,  l'Espagne  retira  le  marquis 
d'Hinojosa  de  l'État  de  Milan  et  y  envoya  Don  Pedro 
de  Tolède^,  lequel,  fondé  sur  ce  que,  par  ledit  traité,  le 
Roi  son  maître  n'étoit  point  obligé  formellement  à 
désarmer,  non  seulement  ne  désarma  pas,  quoique  le 
duc  de  Savoie  eût  licencié  son  armée,  mais  leva  de 
nouvelles  troupes,  donnant  une  juste  jalousie  audit  duc 

1 .  Du  Thiers  était  maréchal  des  logis  de  la  compagnie  des  che- 
vau-légers de  la  Reine  mère.  En  1615,  il  avait  défendu  la  cita- 
delle d'Amiens  contre  les  entreprises  du  duc  de  Longueville. 
Le  Mercure  françois,  t.  V,  année  1617,  p.  229,  dit  qu'après  le 
départ  de  Lauzières  la  garde  du  pinnce  fut  confiée  à  Youzé. 

2.  Le  Mercure  français,  t.  IV,  année  1616,  p.  359,  donne  de 
curieux  détails  sur  les  précautions  prises  pour  effectuer  ce 
changement  sans  en  prévenir  d'avance  le  comte  de  Lauzières. 
D'après  le  Journal  d'Arnauld  d'Andilly,  p.  244-245,  ce  chan- 
gement aurait  fait  l'objet  de  pourparlers  assez  longs  avec  le 
maréchal  de  Thémines. 

3.  Don  Pedro  de  Tolède,  marquis  de  Villafranca,  duc  de 
Ferrandina,  prince  de  Montalvan,  était  fils  de  Garcias  de 
Tolède-Osorio-Pimentel  et  de  Victoire  Colonna,  fille  du  grand 
connétable  du  royaume  de  Naples. 


[1616]  DE  RICHELIEU.  125 

de  se  vouloir  prévaloir  de  ce  qu'il  étoit  sans  défense 
et  envahir  ses  États  ^. 

En  ce  même  temps,  les  Vénitiens  étoient  en  guerre 
avec  l'archiduc  Ferdinand^,  à  raison  de  quelques-uns 
de  ses  sujets  de  Croatie  qui  avoient,  sur  la  fin  de 
l'année  précédente,  fait  quelques  voleries,  pour  les- 
quelles les  Vénitiens,  n'en  pouvant  tirer  raison  dudit 
archiduc,  étoient  entrés  en  guerre  avec  lui^. 

L'armée  de  Don  Pedro  de  Tolède  pouvant  être 
employée  contre  eux  comme  contre  le  duc  de  Savoie, 
ils  entrèrent  en  traité  ensemble.  Ils  se  promirent  une 
mutuelle  assistance  contre  les  Espagnols,  ensuite  de 
laquelle  les  uns  et  les  autres  firent  nouvelles  levées  de 
gens  de  guerre. 

1.  «  Don  Pedre  de  Tolède,  successeur  du  marquis  de  la 
Hinojosa  au  gouvernement  de  Milan,  ayant  trouvé  à  son  arri- 
vée toutes  les  troupes  du  roi  d'Espagne  encore  sur  pied,  non 
seulement  ne  les  licencia  pas,  comme  il  y  étoit  obligé,  mais  y  en 
ajoutoit  tous  les  jours  de  nouvelles,  supposant  que  le  temps  de 
désarmer  n'ayant  point  été  prescrit,  il  pouvoit  attendre  tant 
qu'il  lui  plairoit,  ne  voulant  en  aucune  façon  considérer  que  le 
traité  portoit  expressément  que,  quand  M.  de  Savoie  auroit 
désarmé,  le  gouverneur  de  Milan  disposeroit  en  telle  sorte  de 
son  armée  que,  ni  par  le  temps,  ni  par  le  nombre,  M.  de 
Savoie,  ni  nul  autre  prince  n'en  pourroit  prendre  jalousie;  ce 
que  M.  de  Savoie  ayant  fait  diverses  fois  représenter  à  Don 
Pedre  et  n'en  pouvant  tirer  raison,  il  somma  enfin  le  Roi, 
celui  de  la  Grande-Bretagne  et  les  Vénitiens  que,  comme 
garants  du  traité,  ils  eussent  à  le  faire  désarmer  de  gré  ou  de 
force  »  [Mémoires  de  Fontenay-Mareuil,  éd.  Michaud,  p.  113). 

2.  Ferdinand  d'Autriche  (1578-1637) ,  couronné  roi  de  Bohême 
en  1617,  roi  de  Hongrie  on  1618  et  empereur  sous  le  nom  de 
Ferdinand  II  en  1619. 

3.  Voyez  dans  le  Mercu/'e  françois,  t.  IV,  année  1616,  p.  363- 
371,  le  récit  détaillé  de  ces  événements. 


126  MÉMOIRES  [1616J 

Le  Roi,  ayant  avis  de  ce  nouvel  embrasement  en 
Italie,  y  envoya  M.  de  Béthune  en  qualité  de  son 
ambassadeur  extraordinaire,  au  lieu  du  marquis  de 
Rambouillet,  pour  essayer  de  les  faire  venir  à  un 
accommodement . 

Les  esprits  sont  irrités  ;  l'orgueil  est  grand  du  côté 
d'Espagne  et*  la  présomption  de  ses  forces;  le  courage 
ne  manque  point  du  côté  du  duc,  ni  la  prudence  de 
faire  paroître  en  avoir  du  côté  des  Vénitiens-.  Diverses 
propositions  sont  faites;  ils  ne  peuvent  convenir, 
mais  s'arrêtent  sur  des  pointillés;  le  Roi  est  convié 
d'être  de  la  partie;  le  duc  de  Savoie  le  semond  de  le 
défendre,  selon  qu'il  y  est  obligé  par  le  traité  d'Ast, 
et  dépêche  au  maréchal  de  Lesdiguières,  afin  que,  sans 
attendre  autre  commandement  de  S.  M.,  il  lui  envoie 
des  troupes,  comme  il  lui  a  été  permis.  Le  maréchal 
de  Lesdiguières  passe  à  Turin,  fait  lever  quantité  de 
gens  de  guerre,  leur  fait  passer  les  monts,  de  sorte 
que  le  duc  de  Savoie  se  vit  avec  une  armée  de  treize 
à  quatorze  mille  hommes  de  pied,  dont  il  y  avoit  dix 
mille  François,  en  état  de  se  défendre  de  celle  de  Don 
Pedro  de  Tolède,  bien  qu'elle  fût  plus  forte  de  la 
moitié.  Ce  qui  lui  fait  plus  de  peine  est  le  duc  de 
Nemours  qui,  s'étant,  du  commencement,  chargé  de 
faire  quelques  levées  pour  son  service  dans  le  Fauci- 
gny  ^  et  le  Genevois,  tourna  ses  armes  contre  lui-même, 

1.  11  faut  lire  :  et  grande  la  présomption... 

2.  Var.  :  L'orgueil  est  grand  du  côté  d'Espagne  et  la  pré- 
somption de  ses  frères;  le  courage  ne  manque  point  du  côté 
du  duc,  ni  la  prudence  de  faire  paroître  du  côté  des  Vénitiens 
(M,  H). 

3.  Le  Faucigny,  baronnie  du  duché  de  Savoie,  était  borné  à 


[1616]  DE  RICHELIEU.  127 

non  tant  pour  quelque  nouveau  sujet  de  mécontente- 
ment qu'il  eût  reçu,  que  pour  l'ulcère  que  de  long- 
temps il  avoit  dans  le  cœur,  de  ce  qu'espérant 
hériter  de  ses  biens  il  l'avoit  premièrement,  dès  l'an- 
née 16H,  empêché  d'épouser  M"*"  d'AumaleS  puis, 
sous  une  fausse  amorce  de  lui  faire  épouser  une  de 
ses  filles,  lui  faisoit  couler  les  années  les  unes  après 
les  autres  pour  le  faire  vieillir  sans  se  marier.  Il  fit 
alliance  avec  l'Espagne,  passa  en  la  Franche-Comté  où 
il  leva  des  troupes,  demande  passage  par  la  France 
pour  entrer  en  Savoie,  ce  qu'on  ne  lui  voulut  pas 
souffrir,  sinon  que  ces^  gens  passassent  un  à  un  comme 
fai soient  ceux  qui  alloient  au  service  du  duc  de 
Savoie  ;  ce  qui  étoit  ne  rien  promettre  :  car  ceux  qui 
alloient  trouver  le  duc  de  Savoie  passoient  sûrement 
un  à  un,  d'autant  que,  partant  de  France,  ils  entroient 
immédiatement  en  Savoie  qui  étoit  terre  amie,  au 
lieu  que  les  autres  entroient  de  France  en  Savoie 
comme  en  terre  ennemie,  et  partant  n'y  pouvoient 
passer  un  à  un  sans  rencontrer  la  mort  au  même  pas- 
sage. Le  duc  de  Montéléon  fit  tant  d'instances  et  sut 
si  bien  représenter  que  les  troupes  du  duc  de  Nemours 

l'ouest  par  le  Genevois,  au  nord  par  le  Chablais,  à  l'est  par  le 
Valais,  au  sud  par  la  Tarentaise;  la  capitale  en  était  Bonne- 
ville. 

1.  Anne  de  Lorraine,  fille  et  héritière  de  Charles  de  Lor- 
raine, duc  d'Auraale,  et  de  Marie  de  Lorraine-Elbeuf.  Elle 
épousa  en  1618  ce  même  duc  de  Nemours,  et  mourut  en  1638. 
Les  détails  sur  le  mariage  manqué  en  1611  et  sur  les  décep- 
tions qui  suivirent  sont  donnés  dans  le  Mercure  français,  t.  IV, 
année  1616,  p.  391. 

2.  Ses  vaudrait  mieux.  Nous  avons  conservé  la  leçon  du 
manuscrit  B. 


128  MÉMOIRES  [1616] 

étoient  quasi  toutes  dissipées  et  que  cette  permission, 
qu'il  demandoit  au  nom  de  son  maître,  n'étoit  que 
pour  la  réputation  de  leur  alliance,  qu'enfin  il  obtint 
ce  qu'il  désiroit.  Un  nommé  Lassay*,  trésorier  de 
France  à  Bourges,  fut  choisi  pour  porter  le  comman- 
dement au  duc  de  Bellegarde  de  leur  laisser  le  pas- 
sage libre  par  la  Bresse  et  lui  dire  à  l'oreille  qu'on 
savoit  très  bien  que  cela  ne  pouvoit  porter  de  préju- 
dice au  duc  de  Savoie,  d'autant  que  ces  troupes  pré- 
tendues étoient  si  foibles  qu'elles  n'oseroient  passer. 
Mais  Lassay ,  qui  fut  gagné  par  l'ambassadeur  de  Savoie, 
ne  dit  pas  le  mot  à  l'oreille  au  duc  de  Bellegarde,  lequel, 
pour  ce  sujet,  n'obéit  pas  au  commandement  qui  lui 
étoit  fait;  ce  qui  obligea  le  duc  de  Nemours  de  tenter 
le  passage  par  la  vallée  de  Ghézery^,  où  à  peine  il  se 
présenta  que  ses  troupes  s'enfuirent  à  la  présence  du 
régiment  du  baron  de  Sancy^^  et  [de]  quelques  autres 
régiments  françois,  que  le  duc  de  Savoie  envoya  pour 
s'opposer  à  elles.  Cette  déroute  fut  suivie  d'un  traité 
entre  ledit  duc  de  Nemours   et  celui   de   Savoie   le 


1.  François  Le  Mareschal,  sieur  de  Lassay  et  de  Corbet,  con- 
seiller du  Roi  et  trésorier  général  de  France  à  Bourges,  fut 
maire  de  cette  ville  en  1597-1598  (La  ïhaumassière,  Histoire 
du  Berry,  p.  214). 

2.  Chézery  est  le  village  principal  de  la  vallée  de  la  Valsé- 
rine,  petit  affluent  du  Rhône,  dans  le  pays  de  Gex,  par  laquelle 
on  pouvait  pénétrer  dans  le  Genevois  et  la  Savoie. 

3.  Henri  de  Harlay  de  Sancy,  baron  de  Maule,  seigneur  de 
Palmart  et  de  Sancy,  mestre  de  camp  d'infanterie  et  capitaine 
de  cavalerie,  servit  aux  sièges  de  Montauban  et  de  Royan  et 
en  Italie.  Il  entra  en  1627  dans  la  congrégation  de  l'Oratoire 
et  mourut  en  1667.  Il  était  iîls  de  Nicolas  de  Harlay  et  frère 
du  «  secrétaire  des  Mémoires  ». 


[1616]  DE  RICHELIEU.  129 

14  décembre,  par  lequel  ils  convinrent  de  tous  leurs 
différends  ^ 

Le  roi  d'Espagne  cependant  faisoit  faire  plainte  en 
France  de  l'assistance  qu'on  donnoit  au  duc  de  Savoie. 
Son  ambassadeur  représente  qu'il  est  raisonnable  de 
lui  faire  reconnoître  qu'il  doit  quelque  déférence  aux 
deux  couronnes,  et  qu'il  ne  va  pas  avec  elles  du  pair; 
qu'il  est  prêt  de  lui  accorder  toutes  les  conditions  qu'il 
plaira  au  Roi,  pourvu  qu'il  paroisse  que  ce  qu'il  en  fait 
est  en  considération  de  S.  M.,  non  qu'il  y  ait  été 
contraint  par  l'audace  dudit  duc;  et  partant  qu'il 
désiroit  que  S.  M.  envoyât  à  Madrid  un  ambassadeur 
extraordinaire,  lequel  y  recevroit  incontinent  entière 
satisfaction . 

LL.  MM.  ne  trouvèrent  pas  cette  proposition  dérai- 
sonnable et  jetèrent  les  yeux  sur  moi  pour  m'y 
envoyer.  J'étois  prêt  à  partir  pour  faire  ce  voyage, 
avois  fait  provision  de  beaucoup  de  gentillesses  qui 
se  trouvent  en  France  pour  donner,  et  mon  équi- 
page étoit  déjà  emballé  lorsqu'il  plut  au  Roi  m'ap- 
peler  en  la  charge  de  secrétaire  d'État  qu'avoit 
M.  Mangot-. 

Le  comte  de  la  Rochefoucauld  fut  destiné  pour 
aller  en  ma  place;  mais  les  galanteries  de  la  cour  qui 
possèdent  l'esprit  de  ces  Messieurs-là,  l'empêchant  de 
partir  au  temps  que  la  Reine  désiroit,  d'autant  qu'il 

1.  Le  texte  de  cet  accord  a  été  imprimé  dans  le  Mercure 
français,  t.  IV,  année  1616,  p.  395  et  suivantes.  Le  duc  de 
Nemours  rentrait  en  possession  de  ses  terres  et  de  ses  pen- 
sions. De  nouveaux  avantages  pécuniaires  lui  étaient  accordés. 
Pour  toutes  ces  affaires,  voyez  le  Mercure  français,  p.  372-399. 

2.  Ci-dessus,  p.  110. 

II  y 


130  MÉMOIRES  [1616] 

ctoit  engagé  dans  un  ballet  qu'il  voulut  danser,  l'em- 
pêchèrent de  partir  du  tout;  car  les  brouilleries  de 
ces  princes  s'échauffèrent  contre  le  Roi,  et  nos  propres 
affaires  nous  firent  perdre  pour  lors  la  pensée^  de  celles 
d'autrui. 

En  cette  année,  mourut  le  premier  président  de 
Harlay^,  qui,  étant  né-^  d'une  maison  qui  est  la  pre- 
mière des  quatre  anciennes^  baronnies  de  la  Franche- 
Comté,  ne  fut  pas''  moins  illustre  par  sa  vertu,  pour 
laquelle  il  fut  premièrement  choisi  par  le  roi  Henry  IIP 
pour  aller  présider  aux  grands  jours  de  Poitiers,  puis 
tut  par  lui-même  honoré  de  la  charge  de  premier  pré- 
sident en  sa  cour  de  Parlement  à  Paris,  en  laquelle  il 
vécut  "^  de  sorte  que  son  nom  y  est  encore  en  vénéra- 
tion. Ilétoitsi  grave  que,  par  son  seul  regard^,  il  rete- 
noit  chacun  en  son  devoir.  Lorsqu'une  cause  lui  étoit 

1.  Var.  :  Pour  lors  le  soin  (M,  H). 

2.  On  remarquera  que  les  Mémoires  donnent  des  détails  cir- 
constanciés sur  le  premier  président  Achille  de  Harlay.  C'était 
l'oncle,  à  la  mode  de  Bretagne,  de  Sancy,  le  «  secrétaire  des 
Mémoires  »,  c'est-à-dire  que  leurs  pères  étaient  cousins  ger- 
mains. Voyez  tome  I,  p.  58  :  une  faute  d'impression  y  donne 
1619  comme  date  de  sa  mort,  au  lieu  de  1616. 

3.  Les  mots  qui  étant  né  ont  été  substitués  par  Sancy  au 
mot  gentilhomme  sur  le  manuscrit  B. 

4.  Anciennes  a  été  ajouté  de  la  main  de  Charpentier  sur  le 
manuscrit  B. 

5.  Ne  fut  pas  a  été  substitué  par  Sancy  aux  mots  et  non  sur 
le  manuscrit  B. 

6.  Le  scribe  du  manuscrit  B  avait  mis  il  a  vécu;  Sancy  a 
écrit  il  vesquit. 

7.  Le  texte  du  manuscrit  B  portait  d'abord  :  //  étoit  grave  et 
de  peu  de  paroles,  et  par  son  seul  regard.  Sancy  a  corrigé 
selon  la  leçon  que  nous  donnons. 


[1616]  DE  RICHELIEU.  131 

recommandée^  par  une  personne  puissante,  il  l'exa- 
minoit  plus  soigneusement,  craignant  qu'elle  fût  mau- 
vaise puisqu'on  y  apportoit  tant  de  précaution  ;  et,  dès- 
qu'en  une  visite  de  civilité  on  lui  parloit  d'une  affaire, 
il  reprenoit  son  visage  austère  et  ne  retournoit  plus 
à  parler  familièrement.  M.  de  Guise  l'étant  venu  voir 
le  jour  des  Barricades  pour  s'excuser  de  ce  qui  se  pas- 
soit,  il  lui  dit  franchement  qu'il  ne  savoit  ce  qui  en 
étoit,  mais  qu'il  étoit  bien  difficile  qu'on  en  crût  rien 
à  son  avantage  et  que  c' étoit  une  chose  déplorable  que 
le  valet  chassât  le  maître  de  sa  maison.  Quand  Le 
Clerc ^,  durant  la  confusion  de  la  Ligue,  le  mena  avec 
le  reste  de  la  cour  dans  la  Bastille,  les  uns  et  les  autres 
faisant  diverses  plaintes,  il  ne  proféra  jamais  une 
parole,  mais  s'en  alla  dans  la  prison  avec  la  même 
gravité  avec  laquelle  il  avoit  accoutumé  d'aller  au 
Parlement,  portant  les  menaces  sur  le  front,  et  une 
courageuse  fierté  en  la  tristesse  de  son  visage  qui  le 
rendoit  immobile  contre  le  mépris  et  les  injures  de  ces 
mutins. 

Entre  plusieurs  exemples  de  son  intégrité  et  de  son 
courage  inflexible  en  la  justice,  celui-là  est  remar- 
quable que,  le  Boi  ayant  envoyé  vérifier  au  Parlement 
un  édit  qui  ne  lui  sembloit  pas  juste^,  il  s'y  opposa  de 
tout  son  pouvoir,   et  le  Boi  lui  reprochant  un  don 

1.  Sancy  a  corrigé  le  manuscrit  B,  qui  portait  primitive- 
ment :  Son  intégrité  étoit  telle  que  lorsqu'une  cause... 

2.  Sancy  a  encore  ici  modifié  le  manuscrit  B,  qui  donnait, 
après  précaution  :  Et  de  peur  de  se  reldclter  quelquefois  par  la 
familiarité  en  la  moindre  chose  qu'il  ne  dût  pas  .^  dès  qu'en... 

S.  Jean  Bussy-Le  Clerc,  l'un  des  chefs  de  la  faction  des 
Seize,  gouverneur  de  la  Bastille,  mort  à  Bruxelles  vers  1635. 


132  MÉMOIRES  [1616] 

qu'il  lui  venoit  de  faire  d'une  grande  place  dans  l'ile 
du  Palais  pour  y  faire  bâtir,  il  lui  en  rendit  le  brevet, 
lequel  néanmoins  S.  M.  lui  renvoya  peu  après,  ayant 
sa  vertu  en  admiration  ^ .  A  soixante  et  quinze  ans,  étant 
devenu  aveugle,  le  Roi  lui  permit  de  se  défaire  de  sa 
charge  et  d'en  tirer  deux  cent  mille  francs  de  récom- 
pense du  président  de  Verdun^.  A  quatre-vingts  ans,  il 
mourut,  plus  plein  d'années  et  d'honneur  que  de  biens, 
que  sa  façon  de  vivre  ne  lui  avoit  pas  donné  lieu  de  lais- 
ser à  ses  enfants  beaucoup  plus  abondants  qu'il  les 
avoit  reçus  de  son  père. 

En  la  même  année  mourut  aussi  le  cardinal  de 
Gondy^,  frère  du  duc  de  Retz^  créatures  de  la  reine 
Catherine  de  Médicis,  qui  les  éleva  d'une  très  basse 
naissance  aux  premières  dignités  de  l'Église  et  de 
l'État.  Il  fut  premièrement  évêque  de  Langres,  puis  de 
Paris,  et  ensuite  cardinal  ;  homme  de  peu  de  lettres, 
mais  de  bon  sens,  qui  montra  néanmoins  combien  il 
est  difficile  qu'un  cœui*  étranger  s'unisse  avec  la  fidé- 
lité qu'il  doit  au  prince  auquel  il  est  redevable  de  tout 

1.  Var.  :  Il  lui  en  rendit  aussitôt  le  brevet;  mais  le  Roi, 
admirant  sa  vertu,  le  lui  renvoya  (M,  H). 

2.  Nicolas  de  Verdun,  conseiller  au  parlement  de  Paris  en 
1583,  premier  président  du  parlement  de  Toulouse,  puis  pre- 
mier président  à  Paris  en  1611,  mort  en  1627. 

3.  Pierre  de  Gondy  (1533-1616),  évêque  de  Langres  en  1565, 
évêque  de  Paris  en  1570,  cai'dinal  en  1587.  Il  était  fils  d'An- 
toine de  Gondy,  florentin,  qui  avait  été  amené  en  France  par 
Catherine  de  Médicis. 

4.  Albert  de  Gondy,  duc  de  Retz  (1522-1602),  pair  et  maré- 
chal de  France,  gouverneur  de  Provence,  de  Metz,  du  pays 
Messin  et  de  Nantes,  lieutenant  pour  le  Roi  au  marquisat  de 
Saluées. 


[1617]  DE  RICHELIEU.  133 

ce  qu'il  est,  en  ce  que  le  roi  Henry  Iir,  son  bienfai- 
leur,  étant  blessé  à  mort,  il  l'abandonna  à  l'heure 
même  et  se  retira  en  sa  maison  de  Noisy^  sans  l'as- 
sister en  ce  besoin,  ni  lui  rendre  les  derniers  devoirs 
auxquels  il  étoit  obligé,  quand  bien  il  n'eût  point  reçu 
de  lui  tant  de  grâces  dont  il  l'avoit  rempli  au-dessus 
de  son  mérite  ;  montrant  bien  la  vérité  de  l'ancien  pro- 
verbe, qu'il  ne  faut  pas  aimer  les  étrangers  pour  les 
éprouver,  mais,  au  contraire,  qu'il  les  faut  éprouver 
avant  que  les  aimer.  Il  décéda  âgé  de  quatre-vingt- 
quatre  ans  et  fut  enseveli  en  l'église  Notre-Dame  de 
Paris,  en  la  chapelle  où  l'on  voit  les  tombeaux  de  son 
frère  et  le  sien,  avec  des  inscriptions  plus  pleines  de 
faste  que  de  vérité. 

ANNÉE  ^6I7. 

Le  duc  de  Nevers  étoit  de  gaité  de  cœur  entré  si 
avant  dans  la  rébellion  tout  ouverte  l'année  passée, 
et  les  princes  et  seigneurs  ligués,  qui,  s'étant  éloignés 
de  la  cour,  eussent  bien  voulu  procéder  pour  quelques 
temps  avec  plus  de  déguisement,  lui  étoient  néan- 
moins si  étroitement  unis  et  l'assistoient  avec  tant  de 
passion  cju'ils  ne  se  donnèrent  pas  le  loisir  d'attendre 
le  printemps  pour  faire  la  guerre,  mais  la  commen- 
cèrent avec  l'année,  au  milieu  de  la  rigueur  de  l'hiver. 

Le  Roi,  pour  prévenir  les  maux  qui,  autrefois,  en 
semblables  occasions,  étoient  arrivés  en  ce  royaume 
par  l'assistance  que   les  rebelles   avoient  reçue  des 

1.  Celte  maison  des  Gondy  était  située  à  INoisy-Saint-Noni, 
près  Villepreux,   à  la  lisière  sud  de  la  forêt  de  Marly. 


134  MÉMOIRES  [1617] 

princes  étrangers,  par  les  fausses  impressions  qu'ils 
leur  avoient  données  contre  les  rois  ses  prédécesseurs 
qui  régnoient  lors,  envoya  en  ambassade  extraordi- 
naire le  baron  du  Tour^  vers  le  roi  de  la  Grande- 
Bretagne^,  qui  l'aimoit  très  particulièrement  pour 
avoir  été  ambassadeur  près  de  lui  lorsqu'il  étoit  roi 
d'Ecosse  et  qu'il  vint  à  recueillir  la  succession  du 
royaume  d'Angleterre;  M.  de  la  Noue^  en  Hollande, 
où  son  nom  et  sa  religion  le  rendoient  agréable  ;  et  le 
comte  de  Schonberg'  en  Allemagne,  où  son  père^,  qui 
en  étoit  et  qui  y  avoit  été  [envoyé]  en  plusieurs  ambas- 
sades par  le  feu  Roi,  lui  donnoit  plus  de  créance  et  de 
moyen  de  bien  servir  S.  M. 

Leur  commission  fut  de  dissiper  les  faux  bruits 
qu'on  faisoit  courir,  dans  les  États  et  cours  des  princes 
où  on  les  envoyoit,  contre  le  service  du  Roi,  les  infor- 
mer de  la  vérité  de  ses  actions,  de  la  justice  de  la 

1.  Charles  Cauchon,  baron  du  Tour  et  de  Maupas,  conseiller 
d'État,  ambassadeur  en  Angleterre.  Il  signe  Maupas  du  Tour. 
Son  instruction  pour  cette  mission  a  été  imprimée  dans  Avenel, 
t.  I,  p.  247.  Elle  se  trouve  en  minute  aux  Afi'aires  étrangères, 
Corr.  politique,  Angleterre  26,  fol.  58. 

2.  Jacques  V'  (1603-1625). 

3.  Odet  de  la  Noue,  ambassadeur  en  Hollande,  était  fils  de 
La  Noue  Bras-de-Fer,  célèbre  chef  huguenot,  mort  en  1590,  et 
de  Marguerite  de  Téligny.  Il  signait  Lanouë. 

4.  Henri  de  Schonberg,  comte  de  Nanteuil  (1575-1632),  gou- 
verneur de  la  Haute  et  Basse-Marche  et  maréchal  de  camp 
général  des  troupes  allemandes  pour  le  service  du  Roi  après 
son  père.  En  1608,  il  lut  nommé  lieutenant  de  Roi  en  Limousin 
et,  en  1615,  envoyé  en  ambassade  extraordinaire  en  Angleterre. 
Il  signait  Schonberg. 

5.  Gaspard  de  Schonberg,  d'origine  allemande,  d'abord  pro- 
testant, converti  au  catholicisme  sous  Charles  IX,  naturalisé 
en  1570,  mourut  en  1599. 


fl617]  DE  RICHELIEU.  135 

détention  du  prince  de  Gondé  et  de  la  patience  de 
S.  M.,  qui  avoit  été  poussée  jusques  à  l'extrémité  par 
l'opiniâtreté  et  insolence  des  grands  de  son  royaume, 
qui,  abusant  de  sa  clémence,  ne  pouvoient  recevoir 
tant  de  grâces  d'elle  qu'ils  ne  commissent  de  nouveaux 
crimes;  et,  bien  que  ces  derniers  les  rendissent 
indignes  du  pardon  qu'ils  avoient  reçu  de  leurs  fautes 
premières,  ils  prétendoient  néanmoins  être  mal  traités 
si  on  ne  les  leur  remettoit  encore,  en  sorte  qu'on 
leur  laissât  le  moyen  de  pouvoir  toujours  récidiver, 
comme  ils  en  avoient  la  volonté,  et  tenoient  à  sujet  d'of- 
fense et  de  plainte  les  précautions  dont  S.  M.,  en  leur 
pardonnant,  vouloit  user  afin  de  les  retenir  en  leur 
devoir  à  l'avenir. 

Et,  d'autant  que  l'instruction  que  je  dressai  pour  le 
comte  de  Schônberg  explique  fort  particulièrement 
l'ordre  qui  lui  fut  donné  et  justifie  le  mieux  qu'il  se 
peut  toute  la  conduite  du  gouvernement  de  l'État 
depuis  la  mort  du  feu  Roi  jusques  alors,  joint  que  les 
princes  d'Allemagne  étoient  ceux  que  principalement 
on  considéroit,  et  du  secours  desquels  le  Roi  avoit 
plus  de  sujet  de  craindre,  j'ai  cru  la  devoir  mettre, 
non  ici,  où  elle  pourroit  être  ennuyeuse,  mais  à  la  fin 
de  ce  livre,  où  on  la  pourra  voir*. 

Le  duc  de  Nevers,  cependant,  donna  des  commis- 

1.  Cette  pièce,  qui  portait  la  date  du  29  décembre  1616,  a 
été  imprimée  déjà  à  diverses  reprises  et  notamment  dans  les 
Mémoires  pour  thistoire  du  cardinal-duc  de  Richelieu,  par 
Aubery,  t.  I,  p.  17.  Avenel  en  a  donné  un  texte  soigneusement 
revu  (t.  l,  p.  209);  il  semble  donc  inutile  de  la  reproduire  en 
Appendice.  Le  texte  original  de  cette  instruction,  de  la  main 
de  Charpentier,  se  trouve  aux  Affaires  étrangères,  Corr.  poli- 
tique, Allemagne  5,  fol.  253-268. 


136  MÉMOIRES  [1617] 

sions  pour  faire  des  compagnies  de  chcvau-légers  dans 
son  gouvernement,  fait  d'autres  levées  dans  le  Niver- 
nois  ;  il  fait  entrer  des  gens  de  guerre  étrangers  dans 
le  royaume,  les  loge  dans  Mézières;  il  met  dans  Rethel 
jusques  à  mille  hommes  de  garnison,  leur  fait  faire 
montre  publiquement,  fait  travailler  par  corvées  et 
contraintes  aux  fortifications  de  Ghàteau-Porcien  *  et 
Richecourt,  fait  provisions  d'échelles,  cordages,  pics, 
pétards  et  autres  choses  nécessaires  pour  surprendre 
des  places,  fait  levées  de  pionniers;  le  tout  sans  ordre 
ni  permission  du  Roi.  Il  écrit  des  lettres  aux  villes  qui 
décrient  le  gouvernement,  fait  ruiner  un  des  faubourgs 
de  Mézières  pour  se  préparer  à  se  défendre  si  on  l'as- 
siège, fait  prendre  le  prévôt  provincial  de  Rethelois 
avec  quelques-uns  de  ses  archers  prisonniers  ;  en  fait 
autant  à  un  appelé  Chariot,  habitant  de  Mézières,  et  lui 
fait  écrire  à  son  fils^  qui  étoit  un  des  juges  de  Montde- 
jeu^,  prisonnier  pour  avoir  porté  les  armes  contre  le 
service  de  S.  M.,  qu'il  recevroit  le  même  traitement 
dans  la  citadelle  de  Mézières  qui  seroit  fait  audit  Mont- 
dejeu^. 

MM.  du  Maine  et  de  Bouillon,  pour  donner  à  con- 
noître  qu'ils  sont  unis  avec  lui,  témoignent  au  Roi 

1.  Chef-lieu  de  canton  des  Ardennes,  à  11  kil.  de  Rethel. 

2.  Le  fils  de  ce  Chariot  était  conseiller  au  présidial  de  Reims. 

3.  Ce  personnage,  dont  le  nom  est  orthographié  Mondejous 
dans  le  manuscrit  B,  doit  être  ,Tean  III  de  Schulemberg,  sei- 
gneur de  Montdejeu,  père  du  futur  maréchal  de  Schulemberg, 
qui  commandait  une  compagnie  de  chevau-légers  au  service  du 
duc  de  Bouillon. 

4.  Ce  paragraphe  est  tiré  du  Mercure  framois  (t.  IV,  année 
1617,  p.  29  et  30),  où  se  trouve  in  extenso  (p.  20  et  suivantes) 
la  déclaration  du  Roi  contre  le  duc  de  Nevers,  donnée  le  17  jan- 
vier 1617. 


[1617]  DE  RICHELIEU.  137 

leur  mécontentement  par  des  lettres  qu'ils  écrivent  à 
S.  M.^  Le  duc  de  Bouillon  fait  semblant  d'avoir  crainte 
que  S.  M.  veuille  abandonner  sa  protection  et  proteste 
d'employer  pour  sa  défense  ce  que  lui  et  ses  parents 
ont  de  bien  et  de  crédit.  Le  duc  de  Mayenne,  ayant  fait 
solliciter  Vaugré-,  dont  nous  avons  parlé  ci-devant, 
de  dire  qu'on  l'avoit  envoyé  de  Paris  exprès  pour 
attenter  à  sa  vie,  se  plaint  qu'on  envoie  des  assassins 
pour  le  faire  tuer  et  exagère  sa  misère,  disant  qu'on 
le  veut  bannir  hors  du  royaume  sous  prétexte  d'une 
charge  honorable  dont  l'on  fait  semblant  de  le  vou- 
loir honorer  en  Italie;  représente  les  services  de  son 
père,  d'avoir,  durant  les  guerres  civiles,  conservé 
l'État  en  son  entier,  et  sa  fidélité,  qu'il  veut  faire  pas- 
ser pour  être  sans  tache  et  de  ne  mériter  une  telle 
punition  qu'il  reçoit.  Le  Roi  lui  fit  réponse,  par  le 
baron    de   Linières^  qui   lui   avoit  porté  sa  lettre*, 

1.  Les  lettres  des  deux  ducs,  datées  des  6  et  il  janvier 
1617,  sont  dans  le  Mercure  francois  (t.  IV,  année  1617,  p.  2  et 
13).  Celle  du  duc  de  Bouillon  est  en  copie  aux  Affaires  étran- 
gères, France  771,  fol.  1-2.  Plusieurs  passages  en  sont  soulignés, 
et  l'on  voit  qu'ils  ont  été  utilisés  dans  les  Mémoires. 

2.  Vaugré,  de  son  vrai  nom  Claude  Gaudin,  avait  été  des 
gardes  du  prince  de  Condé.  Il  avait  été  emprisonné,  en 
novembre  1616,  ainsi  qu'un  de  ses  camarades,  nommé  Goron, 
sur  la  dénonciation  de  Boursier  (ci-dessus,  p.  121).  Relâché 
par  la  suite,  Vaugré  alla  à  Soissons,  où  il  prétendit  qu'on 
l'avait  envoyé  de  Paris  pour  tuer  le  duc  de  Mayenne. 

3.  Philippe  de  Brichanteau,  baron  de  Linières,  capitaine  de 
cinquante  hommes  d'armes  et  des  Suisses  de  Gaston  d  Or- 
léans, frère  de  Louis  XIII,  épousa  en  1613  Claude  de  Meaux 
de  Boisboudran.  Il  était  fils  d'une  la  Rochefoucauld. 

4.  La  réponse  du  Roi  au  duc  de  Mayenne  fut  rédigée  par 
Richelieu  {Journal  d'Arnauld  d'Andilly,  p.  258)  et  portait  la 
date  du  17  janvier  1617;  elle  a  été  imprimée  dans  le  Mercure 
francois,  t.  IV,  année  1617,  p.  15,  et  dans  Avenel,  t.  [,  p.  255. 


138  MÉMOIRES  [1617] 

qu'il  ne  tiendroit  qu'à  lui  qu'il  n'eût  raison  du  crime 
de  celui  qu'il  disoit  avoir  attenté  à  sa  vie,  puisqu'il 
avoit  fait  ordonner  par  son  Parlement  que  le  procès 
seroit  fait  à  Vaugré  dans  Soissons,  où  il  le  tenoit 
entre  ses  mains,  et,  par  appel,  mené  à  Paris  pour  y 
recevoir  la  peine  due  à  l'énormité  de  cet  attentat,  s'il 
en  étoit  trouvé  coupable.  Pour  la  charge  dont  il  par- 
loit,  qui  est  celle  du  général  d'armée  des  Vénitiens, 
qu'il  sait  bien,  en  sa  conscience,  que  c'est  à  son  ins- 
tante supplication  qu'il  a  employé  son  nom^  pour  la 
lui  faire  obtenir,  et  que  son  autorité  royale  est  telle 
que  personne  ne  sera  jamais  persécuté  en  son  royaume 
pour  en  sortir,  S.  M.  étant  assez  puissante  pour  empê- 
cher qu'aucun  de  ses  sujets  n'en  persécute  d'autres; 

Quant  aux  actions  de  son  père,  que  l'intégrité  de 
ses  dernières  fait  perdre  à  S.  M.  la  mémoire  des  pre- 
mières qu'il  a  souvent  condamnées  lui-même  ;  et  quant 
aux  siennes,  qu'il  ne  sait  pas  comme  il  peut  appeler 
innocente  celle  du  refus  qu'il  a  fait  au  lieutenant  géné- 
ral de  Soissons  de  le  recevoir  en  la  ville  de  sa  rési- 
dence pour  exercer  la  justice,  non  plus  que  les 
levées  de  gens  de  guerre  qu'il  a  faites  depuis  peu 
pour  grossir  ses  garnisons,  non  seulement  sans  la  per- 
mission de  S.  M.,  mais  contre  son  commandement; 
que  S.  M.  ne  sait  pas  ce  qu'il  peut  tenir  pour  crime 
s'il  appelle  ces  deux  actions  innocentes,  et  qu'il  n'y  a 
personne  dépouillé  d'intérêt  et  de  passion  qui  ne  les 
juge  du  tout  contraires  aux  lois  divines  et  humaines, 
qu'elle  sera  aussi  soigneuse  d'observer  comme  de  les 
faire  garder  aux  autres^. 

1.  Le  mot  nom  a  été  substitué  par  Sancy  au  mot  autorité  sur 
le  manuscrit  B. 

2.  La  lettre  au  duc  de  Mayenne  se  trouve  fidèlement  et  clai- 


fl617j  DE  RICHELIEU.  139 

Mais  toutes  ces  lettres  du  Roi  étant  inutiles,  pour  ce 
qu'il  n'avoit  pas  affaire  à  personnes  qui  manquassent 
de  connoissance  de  leur  faute,  mais  de  volonté  de 
s'amender,  LL.  MM.  se  résolurent  d'apporter  des 
remèdes  assez  puissants  à  ces  maux  qui  étoient  à 
l'extrémité.  Elles  considérèrent  que  celle-ci  étoit*  la 
quatrième  fois  qu'ils  se  soulevoient  et  excitoient  des 
tempêtes  en  l'État,  qu'ils  n'avoient  reçu  nul  sujet  de 
mécontentement  depuis  le  traité  de  Loudun  quand  ils 
recommencèrent  leurs  pratiques,  qu'ils  n'en  ont  eu 
non  plus  depuis  le  dernier  accommodement  de  Sois- 
sons,  qu'il  est  aisé  de  le  voir  aux  prétextes  qu'ils 
prennent,  lesquels  sont  imaginaires,  que  ses  finances 
sont  épuisées  des  grands  dons  qui  leur  ont  été  faits 
depuis  la  mort  du  feu  Roi  jusques  à  présent  ; 

Que  Monsieur  le  Prince  a  reçu  depuis  six  ans  trois 
millions  six  cent  soixante-cinq  mille  neuf  cent  quatre 
vingt-dix  livres;  M.  le  comte  de  Soissons,  et,  après 
sa  mort.  Monsieur  son  fils  et  Madame  sa  femme,  plus 
de  quinze  cent  mille  livres;  JVI.  et  M"""  la  princesse  de 
Conti,  plus  de  quatorze  cent  mille  livres  ;  M.  de  Longue- 
ville,  douze  cent  tant  de  mille  livres;  MM.  de  Mayenne 
père  et  fils,  deux  millions  tant  de  mille  livres  ;  M.  de  Ven- 
dôme, près  de  six  cent  mille  livres  ;  M.  d'Épernon  et  ses 
enfants,  près  de  sept  cent  mille  livres;  M.  de  Bouillon, 
près  d'un  million  de  livres-,  sans  y  comprendre  ce  qui 

rement  analysée  dans  ces    deux   derniers   paragraphes;    des 
phrases  en  ont  même  été  textuellement  reproduites. 

1.  Une  première  rédaction  du  manuscrit  B  portait  :  Consi- 
dérant que  celle-ci  étoit.  La  correction  a  été  faite  par  Sancy. 

2.  Le  début  de  cet  alinéa  est  la  copie  dun  passage  des 
instructions  données  à  Schonberg  à  son  départ  pour  l'Alle- 
magne. Sancy  avait  marqué  l'extrait  à  faire  :  voyez  Affaires 


140  MÉMOIRES  [1617] 

leur  a  été  payé  des  gages  et  appointements  de  leurs 
charges,  des  deniers  du  taillon  pour  leurs  compa- 
gnies de  gendarmes,  de  l'extraordinaire  des  guerres 
pour  les  garnisons  de  leurs  places,  outre  les  pen- 
sions et  autres  dons  qu'il  ont  fait  accorder  à  leurs 
amis  et  domestiques^  ; 

Que  toutes  ces  gratifications  immenses  n'ont  de  rien 
servi,  au  contraire  semblent  avoir  donné  occasion  à 
leur  malice  d'avoir  recommencé  les  mêmes  soulève- 
ments, espérant  d'en  tirer  toujours,  par  ce  moyen, 
les  mêmes  avantages;  outre  que  les  dépenses  extraor- 
dinaires qu'il  a  fallu  faire  pour  s'opposer  à  leurs  rebel- 
lions, ayant  coûté  de  compte  lait  plus  de  vingt  mil- 
lions, ils  espèrent  enfin  épuiser  tellement  les  finances 
du  Roi,  qu'il  n'ait  plus  le  moyen  de  les  empêcher  de 
partager  entre  eux  son  royaume^; 

Que  les  dissimulations  et  déguisements  de  paroles 
qu'ils  apportent  sont  pour  le  surprendre,  et  encore 
pour  faire  croire  aux  simples  que  ce  n'est  qu'à  l'extré- 
mité et  par  force  qu'ils  entrent  en  guerre;  que  S.  M., 
par  sa  prudence,  s'est  garantie  de  la  surprise;  quant 
aux  peuples 2,  qu'ils  sont  tous  détrompés,  et  n'y  a  plus 

étrangères,  corr.  politique,  Allemagne  5,  fol.  265-266;  voyez 
aussi  Avenel,  p.  232. 

1.  La  fin  de  l'alinéa  est  empruntée  aux  mêmes  instructions 
(fol.  266  v«). 

2.  Ce  paragraphe  est  tiré  de  la  réponse  faite  par  le  Roi  à  la 
«  remontrance  »  que  les  ducs  de  Vendôme  et  de  Mayenne  et  le 
maréchal  de  Bouillon  lui  envoyèrent,  le  4  février.  Cette  réponse 
est  dans  le  Mercure  français,  t.  IV,  année  1617,  p.  50  et  sui- 
vantes. Le  passage  en  question  est  à  la  page  58.  Voyez  plus 
loin  la  note  3,  p.  144. 

3.  Le  manuscrit  B  portail,  avant  la  correction  de  Sancy, 
pour  les  peuples. 


[1617]  DE  RICHELIEU.  141 

personne  en  ce  royaume  qui  ne  connoisse  que  ces 
princes,  ne  respirant  en  appai^ence  que  le  bien  de 
l'État,  par  leurs  effets  lui  procurent  tout  le  mal  qu'ils 
peuvent  ^ . 

LL.  MM.,  ayant  considéré  toutes  ces  choses,  crurent 
qu'étant  dans  un  temps  où  le  malheur  du  siècle  et  de 
la  nation  porte  les  sujets  à  mépriser  l'autorité  du 
prince  qui  ne  peut  être  assez  respectée,  et  la  pru- 
dence d'un  prince  débonnaire  l'obligeant  à  faire 
montre  de  plus  de  sévérité  qu'en  effet  il  n'en  vouloit 
exercer,  elles  dévoient,  sans  différer  davantage,  les 
déclarer,  eux  et  leurs  adhérents,  criminels  de  lèse- 
majesté^.  Le  Roi  fit  premièrement  une  déclaration  par- 
ticulière contre  M.  de  Nevers  et  tous  ceux  qui  étoient 
joints  à  lui,  les  déclai^ant  atteints  et  convaincus  dudit 
crime^,   si,    dans  quinze  jours  après  la  publication 

1.  Ce  paragraphe  est  encore  un  rësiuiié  de  quelques  passages 
de  la  réponse  du  Roi  à  la  «  remontrance  «  envoyée,  le  4  février, 
parles  ducs  de  Vendôme,  de  Mayenne  et  de  Bouillon;  voyez  le 
Mercure  français,  l.  IV,  année  1617,  p.  50  et  suivantes. 

2.  Tout  le  commencement  de  ce  paragraphe  a  été  remanié  et 
corrigé  en  interlignes,  sur  le  manuscrit  B,  de  la  main  de  Char- 
pentier. On  lisait  auparavant  :  «  Leurs  Majestés  ayant  considéré 
toutes  ces  choses  crurent  ne  devoir  pas  différer  davantage  à 
les  déclarer  publiquement  eux  et  leurs  adhérents...  »  Charpen- 
tier a  fait  à  ce  texte  les  additions  que  l'on  peut  constater 
dans  la  leçon  que  nous  donnons,  sauf  le  membre  de  phrase 
suivant  que  Sancy  a  ajouté  en  marge  :  «  et  la  prudence  dun 
prince  débonnaire  l'obligeant  à  faire  montre  de  plus  de  sévérité, 
etc..  » 

3.  Les  mots  atteints  et  convaincus  dudit  crime  ont  été  substi- 
tués par  Sancy  sur  le  manuscrit  B  aux  mots  :  tous  criminels  de 
lèse-majesté.  —  La  déclaration  contre  le  duc  de  Nevers  et  ses 
adhérents  est  datée  de  janvier  1617.  Le  texte  s'en  trouve  dans 
le  Mercure  franrois,  t.  IV,  année  1617,  p.  20  et  suivantes. 


142  MÉMOIRES  [1617] 

d'icelle,  ledit  duc,  reconnoissaiit  sa  faute,  ne  venoit 
en  personne  trouver  S.  M.  pour  lui  en  demander  par- 
don, ne  faisoit  retirer  hors  du  royaume  les  étrangers 
qu'il  y  avoit  introduits,  ne  licencioit  ses  gens  de  guerre 
qu'il  avoit  levés,  et  n'ôtoit  les  garnisons  qui  avoient 
été  établies  par  lui  et  ses  adhérents  sans  ordre  ni 
commission  de  S.  M.,  et,  pour  le  regard  de  ceux  qui 
lui  avoient  adhéré,  si,  dans  ledit  temps,  ils  ne  se  pré- 
sentoient  aux  sièges  des  bailliages  au  ressort  desquels 
ils  faisoient  leur  résidence,  pour  en  faire  protestation 
enregistrée  aux  greffes  d'iceux''. 

Cette  déclaration  fut  vérifiée  au  Parlement  le  1 7  jan- 
vier. Le  duc  de  Mayenne,  en  ayant  avis,  fit  défenses 
en  tous  les  lieux  qu'il  tenoit  qu'on  eut  à  l'avoir^, 
l'imprimer  ni  la  vendre,  et  la  fit  ôter  de  violence  des 
mains  des  officiers  du  Roi  qui  la  dévoient  publier.  Et, 
à  peu  de  jours  de  là,  les  ducs  de  Nevers,  de  Vendôme, 
de  Bouillon,  le  marquis  de  Cœuvres,  le  président 
Le  Jay  et  autres  de  leur  parti  le  vinrent  trouver  à 
Soissons,  où,  tenant  une  forme  d'assemblée^,  ils  dres- 
sèrent premièrement  une  lettre*  sous  le  nom  du  duc 

1.  Ce  paragraphe,  depuis  les  mots  :  «  Le  Roi  fit  première- 
ment une  déclaration  »,  est  tiré  presque  textuellement  de  la 
déclaration  royale  de  janvier  1617  contre  le  duc  de  Nevers  et 
ses  adhérents  :  voyez  Mercure  /rançois,  p.  31  et  32. 

2.  Le  manuscrit  B  portait  la  voir;  c'est  Sancy  qui  a  fait  la 
correction. 

3.  Cette  phrase  est  empruntée  au  Mercure  français,  p.  34. 

4.  Le  texte  de  cette  lettre  a  été  imprimé  dans  le  Mercure 
l'rançois,  t.  IV,  année  1617,  p.  36.  L'original  autographe  est  aux 
Affaires  étrangères,  France  771,  fol.  22-25.  Là  encore  des 
passages  soulignés  ont  été  utilisés  pour  les  Mémoires;  on  les 
retrouve  dans  les  phrases  qui  suivent  jusqu'à  la  fin  du  para- 
graphe. 


[1617]  DE  RICHELIEU.  143 

de  Nevers  au  Roi,  en  date  du  dernier  janvier,  par 
laquelle,  n'ayant  point  de  honte  de  soutenir  à  S.  M.  qu'il 
lui  étoit  fidèle,  il  disoit  les  causes  portées  par  la  décla- 
ration de  S.  M.  être  fausses,  le  sujet  de  son  éloigne- 
ment  être  bien  fondé  sur  la  puissance  démesurée  du 
maréchal  d'Ancre,  qui  a  chassé  les  anciens  conseillers 
d'État  et  le  garde  des  sceaux  du  Vair,  et  qu'il  étoit 
prêt  d'aller  en  personne  faire  les  protestations  à  S.  M. 
de  son  très  humble  service,  pourvu  qu'elle  lui  donnât 
pour  juges  les  princes,  ducs  et  pairs  et  anciens  offi- 
ciers de  sa  couronne,  et  les  conseillers  d'État  dont 
le  feu  Roi  son  père  s'étoit  servi  durant  son  règne. 

Ces  prétextes,  qui  avoient  quelque  apparence, 
n'avoient  point  de  solidité  devant  ceux  qui  savoient 
les  affaires;  car,  premièrement,  il  s'offroit  de  venir  et 
ne  venoit  pas  en  effet,  continuant  cependant  et  aug- 
mentant toujours  ses  hostilités  et  actes  de  rébetlion  : 
aussi  disoit-il  qu'il  ne  ti'ouvoit  pas  de  sûreté  auprès 
de  S.  M.,  ce  qui  montroit  qu'il  ne  vouloit  pas  effectuer 
ce  qu'il  promettoit.  Davantage,  il  se  plaignoit  de  l'éloi- 
gnement  des  anciens  conseillers,  contre  lesquels  il 
avoit  le  premier  fait  plainte  en  sa  première  rébellion, 
les  appellant  tyrans  et  disant  qu'ils  vouloient  régner 
dans  la  confusion.  Et,  en  troisième  lieu,  il  se  soumet  à 
la  volonté  du  Roi,  pourvu  qu'il  le  fasse  juger  par  les 
princes  qui  lui  adhèrent  et  trempent  dans  le  même 
crime  que  lui. 

Après  que  les  princes  et  autres  de  l'assemblée  eurent 
dressé  cette  lettre  pour  le  duc  de  Nevers  au  Roi,  ils 
arrêtèrent  de  faire  ouvertement  la  guerre,  se  fortifier 
en  leurs  places,  se  saisir  des  deniers  royaux;  et,  cela 
fait,  dépêchèrent  en  plusieurs  endroits,  tant  dedans 


144  MÉMOIRES  [1617] 

que  dehors  du  royaume  ^  ;  ce  qui  obligea  le  Roi  à  faire 
une  déclaration-  contre  eux,  semblable  à  celle  qu'il 
avoit  faite  contre  le  duc  de  Nevers,  laquelle  fut  vérifiée 
au  Parlement  le  1 3  février. 

Sur  cela,  ayant  fait  des  remontrances^  au  Roi,  ès- 

1.  Voici  ce  qu  on  lit  dans  le  Mercure  françois,  p.  34  :  «  Sur 
la  fin  du  mois  de  janvier,  les  ducs  de  Nevers,  de  Vendôme,  de 
Mayenne,  le  maréchal  de  Bouillon,  le  marquis  de  Cœuvres,  le 
président  Le  .Tay  et  autres  seigneurs  de  leur  parti  firent  une 
forme  d'assemblée  à  Soissons,  où  ils  délibérèrent  de  faire  la 
guerre  ouveiHe,  d'arrêter  les  deniers  royaux  et  de  se  fortifier 
aux  villes  qu'ils  tenoient  en  leurs  gouvernements  et  en  leurs 
châteaux;  ils  dépêchèrent  aussi  en  plusieurs  endroits  tant 
dedans  que  dehors  le  royaume.  » 

2.  Imprimée  dans  le  Mercure  françois,  p.  44. 

3.  Le  Mercure  françois,  p.  50  et  suivantes,  donne  «  les  prin- 
cipaux points  de  la  Remontrance  que  les  ducs  de  Vendôme,  de 
Mayenne  et  maréchal  de  Bouillon  envoyèrent  au  Roi  avec  les 
réponses  que  l'on  y  fit.  «  On  y  lit  le  passage  suivant  concer- 
nant l'évêque  de  Luçon  :  «  Celui  qui  a  été  fait  secrétaire  d  Etat 
est  un  prélat  si  plein  de  gloire  pour  l'innocence  de  sa  vie,  pour 
l'éminence  de  son  savoir  et  pour  l'excellence  de  son  esprit  que 
tous  ceux  qui  savent  quel  est  son  mérite  avoueront  aisément 
que  Dieu  l'a  destiné  pour  rendre  de  grands  et  signalés  services 
à  Leurs  Majestés  au  milieu  des  tempêtes  de  leur  Etat.  »  L'origi- 
nal de  cette  remontrance  est  aux  Affaires  étrangères,  France  771, 
fol.  26-29;  elle  est  datée  du  4  février,  et  fut  reçue  le  14,  «  sous 
la  couverture  d'un  paquet  de  M.  de  la  Vieuville  ».  Une  copie  en 
fut  faite  de  la  main  de  Le  Masle,  prieur  des  Roches  (Affaii'es 
étrangères,  France  771,  fol.  30-33).  En  marge  de  cette  copie 
se  remarquent  quelques  réflexions  intéressantes,  qui  semble- 
raient avoir  été  dictées  par  le  jeune  Roi.  En  voici  un  exemple 
(fol.  30  v°).  Les  princes  écrivaient  ceci  :  «  Vos  sujets  de 
toutes  conditions...,  se  voyant  environnés  de  craintes  et 
d'appréhensions  et  exposés  à  toutes  sortes  de  dangers  par  les 
conspirations  intestines  dressées  à  la  ruine  de  votre  état, 
implorent  votre  justice  pour  les  garantir  de  l'oppression  et 


[4617]  DE  RICHELIEU.  145 

quelles  ils  rejetoient  la  cause  de  tous  les  maux  de  l'État 
sur  le  maréchal  d'Ancre  et  sa  femme,  et  continuoient 
à  faire  les  mêmes  plaintes  imaginaires  qu'ils  avoient 
accoutumé,  S.  M.,  pour  faire  voir  à  toute  la  Chré- 
tienté son  juste  procédé,  sa  clémence  et  sa  patience 
envers  eux,  et  leur  opiniâtreté  en  leurs  crimes,  fit 
publier  une  déclaration  sur  le  sujet  des  nouveaux 
troubles  de  son  royaume,  laquelle,  étant  un  peu  longue, 
mais  contenant  par  le  menu  la  preuve  évidente  de  la 
vérité  de  ces  choses,  toutes  les  raisons  y  étant  déduites 
par  le  menu,  je  n'ai  pas  voulu  l'insérer  ici  pour  n'in- 
terrompre le  til  de  l'histoire,  mais  l'ai  ajoutée  à  la  fin 
de  ce  livre  ^. 

Mais,  pour  ce  que  les  paroles  sont  trop  foibles 
contre  la  violence  d'une  rébellion  si  elles  ne  sont 
fortifiées  des  armes,  sans  lesquelles  les  lois  et  la  jus- 
tice sont  de  vaines  menaces,  sans  puissance  et  sans 
effet,  S.  M.  voulut  accompagner  ses  raisons  de  ce  qui 

servitude  à  laquelle  on  les  veut  assujettir  et  pour  délivrer  votre 
couronne  de  tant  de  malheurs  qui  s'avancent  aujourd'hui  pour 
la  renverser.  »  On  lit  en  marge  :  «  Personne  ne  peut  douter 
que  mes  sujets  qui  sont  dans  les  villes  de  mon  obéissance 
vivent  paisiblement  sans  appréhension  d'aucun  mal  que  celui 
que  vous  leur  faites  craindre,  et  qu'au  contraire  mes  pauvres 
sujets  qui  sont  à  Soissons  et  aux  cinq  villes  où  vous  vous  êtes 
usurpé  tout  le  pouvoir  éprouvent  toute  sorte  de  misères  et 
gémissent  sous  le  joug  d'une  servitude  insupportable.  » 

1.  Un  exemplaire  imprimé  de  cette  déclaration,  datée  du 
18  février,  est  inséré  dans  le  volume  France  771,  fol.  37-55. 
Voyez  aussi  le  Mercure  françois,  p.  68,  et  Avenel,  t.  I,  p.  301. 
Richelieu  s'en  attribue  la  paternité  dans  une  lettre  au  maré- 
chal d'Ancre  du  22  février  (Avenel,  t.  l,  p.  316J.  Quoi  qu'en 
dise  Richelieu,  on  ne  trouve  point  cette  déclaration  parmi  les 
cahiers  du  manuscrit  B.  Elle  est  trop  connue  pour  que  nous  la 
donnions  en  appendice. 

II  10 


146  MÉMOIRES  [1617] 

leur  étoit  nécessaire.  Et,  pour  ce  que  le  délai  donnoit 
de  la  hardiesse  à  ses  ennemis,  et,  au  contraire,  la  dili- 
gence leur  donneroit  de  la  terreur,  elle  fît  prompte- 
ment'  lever  des  troupes  en  son  royaume,  manda  au 
comte  de  Schonberg  qu'au  lieu  d'achever  sa  commis- 
sion il  levât  quatre  cents  reitres  et  quatre  mille  lansque- 
nets, et  se  résolut  de  faire  trois  armées  pour  attaquer 
ses  ennemis,  tout  à  la  fois,  en  tous  les  lieux  où  ils 
avoient  de  la  puissance,  envoyant  l'une  en  Champagne, 
où  étoit  M.  de  Nevers,  l'autre  en  Berry  et  en  Niver- 
nois,  où  il  avoit  plusieurs  places  et  adhérents  fortifiés 
par  la  présence  de  Madame  sa  femme,  et  l'autre  en 
l'Ile-de-France  contre  M.  de  Mayenne.  11  donna  le  com- 
mandement de  celle  de  Champagne  à  M.  de  Guise,  sous 
lequel  M.  de  Thémines  commandoit,  et  le  sieur  de 
Praslin  étoit  seul  maréchal  de  camp;  celle  de  Niver- 
nois  étoit  commandée  par  le  maréchal  de  Montigny, 
ayant  pour  maréchal  de  camp  le  sieur  de  Richelieu^ 
mon  frère  ;  et  l'autre  par  le  comte  d'Auvergne,  qui  alla 
premièrement  au  Perche  et  au  Maine  pour  nettoyer 
ces  deux  provinces,  où  il  assura  au  service  du  Roi 
Senonches^,  quiappartenoit  au  duc  de  Nevers,  la  Ferté^ 
qui  étoit  au  vidame  de  Chartres^,  Verneuil,  dont  Mé- 

1.  Le  mot  promptement  a  été  substitué  par  Charpentier,  sur 
le  manuscrit  B,  aux  mots  :  en  diligence. 

2.  Henri  du  Plessis,  seigneur  de  Riciielieu,  fils  de  Fran- 
çois III  du  Plessis,  seigneur  de  Richelieu,  et  de  Suzanne  de  la 
Porte,  frère  aîné  du  Cardinal,  mestre  de  camp  au  régiment  de 
Piémont,  fut  tué  en  duel  en  1619  par  le  marquis  de  Thémines. 

3.  Chef-lieu  de  canton  du  département  d  Eure-et-Loir. 

4.  La  Ferté-Vidame,  chef-lieu  de  canton  du  département 
d'Eure-et-Loir. 

5.  Prégent  de  la  Fin,  fils  de  ce  Jacques  de  la  Fin  de  Salins, 


[1617]  DE  RICHELIEU.  147 

davy^  qui  avoit  été  de  toutes  les  rébellions,  étoit  gou- 
verneur, Nogent-le-Rotrou,  qui  étoit  à  Monsieur  le 
Prince,  la  Ferté-Bernard^,  qui  étoit  à  M.  de  Mayenne, 
et  le  Mans,  dont  le  château  étoit  à  la  discrétion  des 
princes,  lequel  il  ruina,  et  mit  garnison  dans  les  autres 
places  et  dans  les  châteaux  qui  étoient  de  quelque  con- 
sidération et  appartenoient  à  ceux  qui  favorisoient 
les  princes,  et  dans  leurs  esprits  en  mit  une  plus 
puissante  de  l'appréhension  qu'ils  eurent  des  armes  du 
Roi^ 

Les  huguenots,  qui  ne  manquoient  jamais  à  se  sou- 
lever contre  le  Roi,  quand  ils  ont  vu  naitre  quelque 
trouble  en  ce  royaume,  et  à  se  mettre  du  parti  de 
ceux  qui  levoient  les  armes  contre  S.  M.,  en  firent  de 
même  en  cette  occasion,  en  laquelle,  pratiqués  par 


qui  prit  part  en  1602  à  la  conspiration  de  Biron.  Son  père 
possédait  le  vidamé  de  Chartres,  qui  fut  mis  en  vente  par  auto- 
rité de  justice  à  sa  mort.  C'est  des  créanciers  de  son  fils  que 
le  vidamé  fut  acquis  en  1635  par  Claude  de  Saint-Simon. 

1.  Pierre  Rouxel,  baron  de  Médavy,  comte  de  Grancey, 
mestre  de  camp  d'infanterie,  capitaine  de  gendarmes,  maré- 
chal de  camp,  gouverneur  de  Verneuil  et  d'Argentan,  lieute- 
nant général  en  Normandie  en  1594  et  conseiller  d'Etat  en 
1611,  mort  le  31  décembre  1617.  Il  avait  épousé  en  1585  Char- 
lotte de  Hautemer,  comtesse  de  Grancey. 

2.  Chef-lieu  de  canton  du  département  de  la  Sarthe. 

3.  Ce  paragraphe  est  emprunté  au  Mercure  françois,  t.  IV, 
année  1617,  p.  112-116.  Il  faut  remarquer  que  les  Mémoires 
ne  suivent  pas  ici  rigoureusement  l'ordre  des  événements,  tel 
que  le  donne  avec  des  dates  précises  le  Mercure  françois,  jonv- 
nal  officiel.  Ces  erreurs  sont  assez  fréquentes  dans  les  Mémoires 
et  probablement  voulues  ;  la  suite  des  faits  prenant  ainsi  une 
apparence  de  plus  grande  logique,  contraire  d'ailleurs  à  la 
réalité. 


148  MÉMOIRES  [1617] 

M"""  de  Bouillon^  en  la  Marche  et  au  Bas-Limousin, 
ils  demandèrent  au  Roi  permission  de  s'assembler  à 
la  Rochelle,  et,  leur  étant  refusée,  ils  la  prirent  d'eux- 
mêmes  et  firent  courir  une  déclaration^  en  laquelle  ils 
déduisoient  les  prétendues  raisons  qu'ils  avoient  d'en 
user  ainsi.  Mais  le  duc  de  Rohan  et  le  Plessis-Mornay 
alentirent,  dans  ces  commencements,  la  violence  de  ces 
mauvais  desseins  et  ne  leur  laissèrent  pas  lieu  de  faire 
beaucoup  de  mal  ;  joint  que  le  maréchal  de  Lesdiguières 
demeura  fidèle  au  Roi,  demandant,  néanmoins,  en 
même  temps  quelque  gouvernement  de  province,  et 
que  ce  ne  fût  point  de  celles  qui  étoient  sous  la  charge 
d'aucun  des  princes  et  seigneurs  ligués  contre  le  ser- 
vice du  Roi,  donnant  quasi  à  connoître  qu'il  eût  bien 
désiré  la  Guyenne,  sans  la  nommer;  néanmoins,  il 
témoigna  depuis  qu'il  recevroit  la  Champagne.  Cepen- 
dant l'ombre  de  son  nom  servoit  pour  empêcher  les 
levées  qu'on  vouloit  faire  pour  les  princes  dans  les 
Gé venues,  dont  ils  en  eussent  tiré  quantité  de  bons 
hommes. 

Le  Pape  ne  s'étoit  point  ému  d'une  lettre^  que  le 
duc  de  Nevers  lui  écrivit  le  10*  mars,  par  laquelle, 
comme  s'il  eût  été  quelque  grand  prince  et  non 
simple  sujet  du  Roi,  il  lui  rendoit  un  compte  déguisé 

1.  Isabelle  de  Nassau,  fille  de  Guillaume  de  Nassau,  prince 
d'Orange,  et  de  Charlotte  de  Bourbon-Montpensier,  seconde 
femme  de  Henri  de  la  Tour,  duc  de  Bouillon,  qu'elle  avait 
épousé  en  1595;  elle  mourut  en  1642  et  fut  mère  du  futur  maré- 
chal de  Turenne. 

2.  Cette  pièce  a  été  imprimée  dans  le  Mercure  français,  t.  IV, 
année  1617,  p.  175. 

3.  Le  texte  de  cette  lettre  se  trouve  dans  le  Mercure  fran- 
rois,  t.  IV,  année  1617,  p.  118-124. 


[1617]  DE  RICHELIEU.  !49 

de  ses  actions,  où  il  lui  représeiiioit,  avec  des  fausse- 
tés artificieuses,  toutes  choses  s'être  passées  au  désa- 
vantage de  la  sincérité  de  S.  M. 

Une  déclaration'  et  protestation  de  lui  et  de  tous 
les  princes  unis,  faite  à  Rethel  le  5^  dudit  mois,  avoit 
été  inutile  dans  l'esprit  des  peuples,  par  laquelle, 
renouvelant  toutes  les  vieilles  querelles,  ils  remettoient 
en  avant  le  fantôme  des  remontrances  de  la  cour^ 
méprisées  et  réputées  à  crime,  et  le  traité  de  Loudun, 
prétendu  violé  par  la  détention,  qu'ils  qualifioient 
injuste,  de  Monsieur  le  Prince;  les  assassins, 
disoient-ils,  et  les  empoisonneurs  envoyés  pour  faire 
mourir  les  princes,  après  avoir  failli  de  les  arrêter, 
comme,  contre  tout  droit,  onvouloit  faire;  la  surprise 
qu'on  avoit  faite  de  leurs  places,  et,  entre  autres,  Sainte- 
Menehould  ;  la  déclaration  par  laquelle  ils  étoient  dénon- 
cés criminels  de  lèse-majesté,  vérifiée,  disoient-ils,  par 
un  faux  et  supposé  arrêt  de  la  cour  :  pour  toutes  les- 
quelles causes  et  autres  semblables,  frivoles  et  vaines, 
ils  appeloient  de  toutes  les  choses  faites  contre  eux 
par  injustice,  sous  le  nom  de  S.  M.,  à  sa  justice  et 
équité,  lorsqu'elle  seroit  libre  et  non  forcée  par  les 
ennemis  de  l'État^,  ainsi  appeloient-ils  les  ministres, 
qui  s'étoient  emparés  de  sa  personne  et  la  tenoient  en 
leur  puissance. 

1.  Le  Mercure  français,  t.  IV,  année  1617,  p.  124-143,  donne 
le  texte  de  cette  déclaration,  dont  quelques  passages  se 
retrouvent  dans  les  Mémoires,  brièvement  commentés. 

2.  La  cour  du  Parlement. 

3.  Les  mots  -.par  tes  ennemis  de  l  État  et  les  deux  lignes  qui 
suivent  jusqu'à  la  fin  de  l'alinéa  ont  été  substitués  par  Sancy 
sur  le  manuscrit  B  aux  mots  :  par  ceux  qui  In  tenoient  en  leur 
puissance. 


450  MÉMOIRES  [1617] 

A  raison  de  quoi  ils  prioient  tous  ceux  qui  se  trou- 
veroient  dans  les  places  occupées  par  le  maréchal 
d'Ancre  ou  ses  adhérents  ou  dans  leurs  troupes  (par 
lesquels  ils  entendoient  tous  les  serviteurs  du  Roi 
optant  dans  ses  armées  ou  dans  les  places  de  son  obéis- 
sance) de  s'en  retirer  incontinent  pour  n'être  envelop- 
pés avec  les  coupables  dans  la  punition  qu'ils  pren- 
droient  d'eux,  et  dénonçant  à  toutes  les  provinces, 
villes,  communautés  et  toutes  sortes  de  personnes 
qu'ils  eussent  à  se  retirer  de  la  communication  et 
société  avec  ledit  maréchal  d'Ancre  et  ses  adhérents, 
sinon  qu'ils  protestoient  de  tout  le  mal  qui  leur  arrive- 
roit  par  la  rigueur  de  leurs  armes  ^. 

La  connoissance  et  l'épreuve  de  leurs  actions  pas- 
sées dissipoient  les  ténèbres  de  ces  artificieuses  paHia- 
tions  de  leur  crime  et  aigrissoient  encore  les  peuples 
plutôt  qu'elles  ne  les  émouvoient  à  pitié  vers  eux.  Et 
S.  M.  fit  prononcer  contre  eux  la  dernière  condamna- 
tion, qui  jusques  alors  avoit  été  diiîérée,  de  la  réunion 
de  tous  leurs  biens  à  son  domaine-. 

Au  dehors,  la  réputation  du  Roi  ne  recevoit  aucune 
atteinte  de  leurs  impostures.  Les  étrangers,  opprimés 

1.  Tout  l'alinéa  qui  précède  a  été  ajouté  en  marge  du  manus- 
crit B  de  la  main  du  scribe  qui  a  écrit  cette  partie  du  manus- 
crit. 11  a  été  emprunté  à  la  dernière  partie  de  la  susdite  décla- 
ration des  princes,  faite  à  Rethel  le  5  mars  1617. 

2.  La  déclaration  royale  qui  prononça  cette  réunion  porte 
la  date  du  10  mars  1617.  Elle  a  été  imprimée  dans  le  Mercure 
français,  t.  IV,  p.  152-154.  Ceux  dont  les  biens  furent  confis- 
qués étaient  les  ducs  de  Nevers,  de  Vendôme,  de  Mayenne,  le 
maréchal  de  Bouillon,  le  marquis  de  Cœuvres  et  le  président 
Le  .Fay.  Le  Parlement  enregistra  cette  déclaration  le  20  mars. 
Les  Mémoires  en  reparleront  ci-après,  p.  153. 


[1617]  DE  RICHELIEU.  151 

par  la  violence  de  leurs  voisins,  avoient  recours  à 
l'abri  de  son  autorité  royale  :  le  baron  deBueil,  dont 
les  terres  étoient  situées  auprès  de  Nice  en  Provence, 
se  mit  sous  sa  protection,  et  S.  M.  lui  en  accorda 
lettres  patentes  au  mois  de  mars*. 

Le  baron  du  Tour,  que  le  Roi  avoit  envoyé  en  Angle- 
terre pour  s'assurer  de  ce  côté-là,  reçut  de  bonnes 
paroles  de  ce  roi,  et,  bien  qu'il  donnât  avis  qu'il 
armoit  quantité  de  vaisseaux,  il  ne  jugeoit  néanmoins 
pas  que  ce  fût  contre  la  France 2. 

Le  comte  de  Schonberg  assuroit  du  côté  d'Alle- 
magne que  l'Électeur  Palatin,  qui  étoit  celui  de  qui 
ils  avoient  plus  de  sujet  d'espérer  du  secours,  pro- 
mettoit  de  ne  rien  entreprendre  contre  le  service  du 
Roi». 

1.  Annibal  Grimaldi,  baron  de  Bueil  et  gouverneur  du 
comté  de  INice,  quitta  le  parti  du  duc  de  Savoie  et  obtint,  en 
mars  1617,  du  roi  Louis  XIII,  des  lettres  patentés  de  protec- 
tion qui  furent  ratifiées  le  22  mai  suivant,  et  20,000  livres  de 
pension  annuelle.  Ces  lettres  sont  imprimées  dans  le  Mercure 
françois,  t.  IV,  année  1617,  p.  100-107.  Le  baron  de  Bueil  fut 
fait  prisonnier  en  1621  par  le  duc  de  Savoie  et  rais  à  mort. 

2.  «  Le  baron  du  Tour  mande  qu'il  ne  peut  encore  découvrir 
quel  dessein  a  le  roi  d'Angleterre,  mais  qu'il  fait  un  grand 
armement,  sous  prétexte  des  Indes,  qui  est  sans  apparence.  » 
(Minute  de  lettre  de  Richelieu  au  maréchal  d'Ancre,  écrite 
par  Charpentier.)  Sancy  a  écrit  au  dos  de  la  pièce  :  «  Février. 
Baron  du  Tour  mande  que  le  roi  d'Angleterre  fait  un  grand 
armement.  Il  ne  sait  pourquoi.  »  (Affaires  étrangères,  France  771, 
fol.  278.1  La  dépêche  de  Maupas  du  Tour,  datée  de  Douvres, 
le  .3  février,  et  où  il  est  parlé  de  cette  flotte  anglaise,  est  aux 
Affaires  étrangères,  Corr.  politique,  Angleterre  26,  fol.  115. 

3.  «  Monsieur  le  comte  de  Schonberg...  écrit  qu'il  n'y  a  pas 
un  homme  pour  eux  [les  Princes].  Monsieur  le  prince  Palatin, 
<[ui  est  celui  dont  ils  se  dcvroient  prévaloir  davantage,  s'étant 


152  MÉMOIRES  [1617] 

Du  côté  du  Hollande,  tout  alloit  comme  ou  pou- 
voit  désirer  ;  de  sorte  que  le  Roi  n'avoit  affaire  qu'aux 
forces  que  ces  rebelles  pourroient'  lever  dans  son 
royaume,  lesquelles  n'étoient  pas  suffisantes  à  faire 
tête  aux  siennes. 

Le  duc  de  Guise  partit  le  M"  février,  investit  le 
château  de  Richecourt-sur-Aisne  le  premier  mars, 
y  entra  par  composition  le  15"  et  le  rasa.  De  là, 
il  alla  a  Rozoy-,  qui  est  à  trois  lieues  de  Vervins. 
Les  ducs  de  Vendôme,  de  Mayenne  et  le  marquis  de 
Gœuvres,  s'étant  mis  en  devoir  de  le^  secourir,  et 
venus  pour  cet  effet  avec  leurs  troupes  jusques  à 
Sissonne'^,  le  duc  de  Guise  et  le  maréchal  de  Thémines 
vinrent  au-devant  d'eux  et  les  firent  retirer  à  Laon,  et 
Rozoy  se  rendit  le  10^  mars^. 

Le   Roi,  ce    même  jour,    fît   une   déclaration   par 

même  engagé  à  lui  et  de  bouche  et  par  écrit  de  ne  les  assister 
en  aucune  façon  au  préjudice  de  Sa  Majesté...  »  Ce  passage 
est  extrait  d'une  copie  de  lettre  de  Richelieu  au  maréchal 
d'Ancre  (?),  écrite  par  le  «  secrétaire  de  la  main  »  (voyez,  sur 
ce  personnage,  Rapports  et  notices,  fascicule  IV,  p.  8-12). 
Charpentier  a  écrit  au  dos  de  la  pièce  :  «  Lettre  touchant  l'état 
des  affaires.  «  Sanc)  a  daté  le  document  du  commencement  de 
février  et  l'a  résumé  :  «  S.  M.  attend  quati'e  mille  hommes 
de  Hollande.  Schonberg  assure  qu'il  n'y  a  à  craindre  d'Alle- 
magne. Le  Palatin  assure  qu'il  ne  desservira...,  etc.  »  (Affaires 
étrangères,  France  771,  fol.  282-283). 

1.  Var.  :  Que  le  Roi  n'avoit  affaire  qu'à  eux  et  les  forces 
qu'ils  pourroient  lever  (M,  H). 

2.  Rozoy-sur-Serre.  chef-lieu  de  canton  de  l'Aisne. 

3.  C'est-à-dire  Rozoy. 

4.  Sissonne,  chef-lieu  de  canton  du  département  de  l'Aisne. 

5.  Les  opérations  du  duc  de  Guise  sont  données  avec  plus 
de  détails  dans  le  Mercure  francois,  p.  116  et  117. 


[1617]  DE  RICHELIEU.  153 

laquelle  il  réunit  à  son  domaine  et  confisqua  tous  les 
biens  des  rebelles  ^ . 

Le  duc  de  Guise,  poursuivant  sa  pointe,  alla  inves- 
tir Chàteau-Porcien  le  15^  mars.  M.  de  Nevers, 
qui  étoit  à  Rethel,  distant  seulement  de  là  de  deux 
lieues,  le  secourut  de  ce  qu'il  put,  mais  ne  put  empê- 
cher qu'il  n'entrât  dans  la  ville  le  39^  et  dans  le 
château  le  31'';  et,  passant  outre,  il  prit  Wasigny- 
le  3^  avriP.  Le   8%  il  assiégea  Rethel,   d'où  M.  de 

1.  Cette  déclaration  a  été  imprimée  dans  le  Mercure  f'rancois, 
t.  IV',  année  1617,  p.  152;  il  en  a  été  parlé  ci-dessus,  p.  150. 
Une  première  rédaction  du  manuscrit  B,  modifiée  par  Sancy, 
portait  :  «  Le  Roy,  offensé  de  cette  insolence,  fit  une  décla- 
ration le  10^  mars.  »  Il  y  avait  dans  le  manuscrit  un  alinéa 
sur  lequel  a  été  passé  un  trait  de  plume.  On  l'a  lu  plus  haut, 
p.  150,  assez  écourté,  dans  la  rédaction  définitive;  voici  ce 
qui  a  disparu  :  «  Les  Princes,  voyant  que  les  armes  bas- 
toient  si  mal  pour  eux,  eurent  recours  à  la  plume  et  firent 
une  nouvelle  déclaration  et  protestation  du  5"  mars,  laquelle 
ils  intitulèrent  contre  la  conjuration  et  tyrannie  du  maréchal 
d'Ancre  et  de  ses  adhérents,  en  laquelle,  parlant,  sous  de 
belles  paroles,  très  insolemment  du  Roi  et  de  sa  conduite,  ils 
disoient  que  les  ennemis  de  l'Etat  (ainsi  appeloient-ils  les 
ministres)  s'étoient  empai^és  de  sa  personne  et  leur  ôtoient  tout 
libre  et  sûr  accès  auprès  d'elle.  » 

2.  Wasigny,  département  des  Ardennes,  arrondissement  de 
Rethel.  Le  manuscrit  B  porte  Cisigny,  comme  le  Mercure 
f'rancois,  t.  IV,  année  1617,  p.  174. 

3.  Voyez,  dans  le  Mercure  fraurois,  l.  IV,  année  1617, 
p.  166-174,  tous  les  détails  de  ces  opérations.  A  noter  aussi 
une  copie  de  lettre  qui  a  été  vue  pour  les  Mémoires  et  que 
Richelieu  avait  écrite  au  maréchal  d'Ancre,  le  14  avril  1617. 
Charpentier  a  mis  au  dos  du  document  le  mot  «  Employé  », 
qui  indique  bien  qu'on  s'est  servi  de  la  pièce  pour  les 
Mémoires.  Il  en  a  fait  à  la  suite  une  sorte  de  résumé  (Affaires 
étrangères,  France  771,  fol.  285). 


154  MEMOIRES  [1617] 

Nevers,  qui  étoit  si  brave  en  paroles,  se  retira  et  alla 
à  iMézières,  fuyant  toujours  devant  les  armées  du  Roi  ; 
et,  voyant  Rethel  à  la  veille  d'être  prise  par  force  et 
pillée,  envoya  Marolles^  au  duc  de  Guise,  qui  lui  per- 
mit d'entrer  dans  la  ville  et  lui  donna  terme  jusques 
au  lendemain  midi  16®  avril,  dans  lequel  temps  il  la 
lui  fit  rendre  par  composition-. 

De  là,  le  duc  de  Guise  avoit  commandement  du  Roi 
d'aller  mettre  le  siège  devant  Mézières,  et  en  étoit 
près  quand  S.  M.,  sur  l'avis  qu'elle  reçut  que  douze 
cents  reîtres  et  huit  cents  carabins,  qui  avoient  été 
levés  en  Allemagne  pour  les  princes  sur  le  crédit  de 
M.  de  Bouillon,  étoient  entrés  dans  la  Lorraine,  lui 
commanda  de  s'aller  opposer  à  leur  entrée,  et  quant 
et  quant  favoriser  celle  des  reîtres  et  lansquenets  que 
le  comte  de  Schonberg  avoit  levés  pour  S.  M.^. 

Tandis  que  l'armée  du  Roi,  commandée  par  le  duc 
de  Guise,  étoit  si  heureusement  employée  pour  son 

1.  Claude  de  Marolles  (1564-1633),  fils  de  Claude  et  de  Fran- 
çoise d'Erian,  fut  lieutenant-colonel  des  gardes  suisses,  puis 
entra  vers  1613  dans  la  maison  de  Nevers,  où  il  fut  chargé  de 
l'éducation  du  duc  de  Rethelois,  fils  aîné  du  duc  de  Nevers. 
La  pension  de  1,200  écus  que  lui  faisait  le  Roi  lui  fut  conti- 
nuée ;  le  duc  lui  en  assura  une  égale  et  lui  promit  «  qu'il  auroit 
sa  compagnie  de  chevau-légers  entretenue  ».  Louis  XIII  le 
nomma,  en  1627,  maréchal  de  camp.  Il  fut  marié  deux  fois,  la 
première  à  Agathe  de  Châtillon,  morte  en  1630,  et  la  seconde 
à  Lucrèce  du  Hamel. 

2.  Ce  même  récit  se  trouve  avec  plus  de  détails  dans  une 
lettre  de  Richelieu  au  maréchal  d'Ancre,  en  date  du  14  avril 
1617  (Avenel,  t.  VII,  p.  381),  et  dans  le  Journal  d'Arnauld  cVAn- 
dilly,  p.  277. 

3.  Ce  paragraphe  et  le  passage  des  Mémoires  relatif  au  siège 
de  Rethel  se  trouvent  dans  le  Mercure  françois,  t.  IV,  année 
1617,  p.  183-188. 


[1617]  DE  RICHELIEU.  155 

service  contre  le  duc  de  Nevers  en  Champagne,  l'autre, 
qui  étoit  commandée  par  le  maréchal  de  Montigny  au 
Berry  et  au  Nivernois  contre  le  même,  ne  faisoit  pas 
moins  d'elFet.  Il  prit  GuffyS  puis  Glamecy,  Donzy' 
et  Entrains^,  et  en  l'une  de  ces  places  prit  pri- 
sonnier le  second  fils  du  duc  de  Nevers^,  fit  lever  le 
siège  de  devant  Saint-Pierre-le-Moutier^,  et,  passant 
jusques  à  la  ville  de  Nevers,  l'assiégea  et  la  pressa  de 
telle  sorte  que  M""^  de  Nevers,  qui  y  étoit  enfer- 
mée, avoit  commencé  à  capituler.  Le  Roi  lui  avoit 
mandé  ne  lui  vouloir  accorder  autre  capitulation,  sinon 
qu'il  lui  donnoit  la  liberté  de  le  venir  trouver  pour  lui 
demander  pardon,  auquel  cas  il  vouloit  oublier  tout 
le  passé,  se  réservant  à  user  de  sa  clémence  envers 
ceux  qui  avoient  adhéré  à  son  parti,  selon  qu'il  le 
jugeroit  équitable,  et  que  la  moindre  énormité  de  leur 
crime  le  permettroit. 

Le  comte  d'Auvergne,  qui  commandoit  l'armée  du 

1.  Bourg  du  département  de  la  Nièvre,  situé  à  deux  lieues  à 
l'ouest  de  Nevers.  Le  ms.  B  porte  Coeffy. 

2.  Chef-lieu  de  canton  du  département  de  la  Nièvre. 

3.  Bourg  du  département  de  la  Nièvre,  entre  Cosne  et  Cla- 
mecy. 

4.  C'est-à-dii'e  Charles  de  Gonzague  (1609-1631),  prince  de 
Château-Porcien,  puis  duc  de  Rethelois  après  la  mort  de  son 
frère  aîné  François,  le  13  octobre  1622,  marié  le  24  décembre 
1627  à  sa  cousine  Marie  de  Gonzague-Mantoue.  Il  fut  pris  dans 
Clamecy.  Voyez  le  Journal  d'Arnauld  d'Andiily,  p.  270.  Ce 
début  de  paragraphe  se  retrouve  dans  le  Mercure  françois, 
t.  IV,  année  1617,  p.  165  et  166. 

5.  Chef-lieu  de  canton  du  département  de  la  Nièvre.  —  On 
trouve  CCS  détails  et  d'autres  dans  une  copie  de  lettre  de  Riche- 
lieu au  maréchal  d'Ancre (?;,  écrite  par  le  «  secrétaire  de  la 
main  »  et  analysée  sommairement  par  Sancy  (Affaires  étran- 
gères, France  771,  fol.  289  et  290). 


156  MÉMOIRES  [1617] 

Roi  en  l'Ile-de-Fiance,  avoit  aussi  réduit,  de  sa  part, 
à  l'extrémité  le  duc  de  Mayenne  et  ceux  qui  lui  adhé- 
roient.  Il  assembla  ladite  armée  aux  environs  de  Grépy- 
en-Valois,  assiégea  Pierrefonds  le  24®  mars  et  le  prit 
le  2®  avril  1. 

De  là,  il  s'avança  pour  assiéger  Soissons,  s' atta- 
quant à  celle-là  la  première  comme  celle  qui  incom- 
modoit  plus  Paris,  jusques  aux  portes  de  laquelle  iF 
faisoit  des  courses,  et  comme  la  plus  forte,  et,  laquelle 
prise,  Noyon,  Goucy  et  Ghauny,  qui  étoient  les  trois 
villes  de  son  gouvernement  qu'il  tenoit  encore  au  delà 
de  la  rivière  d'Aisne,  n'eussent  pas  été  non  seulement 
suffisantes  de  se  défendre,  mais  d'attendre  les  troupes 
de  S.  M. 

Le  duc  de  Mayenne  s'enferma  dans  ladite  place  avec 
douze  cents  hommes  de  pied  et  trois  cents  chevaux. 
Elle  fut  investie  le  1 2%  saluée  du  canon  le  1 3®  et  si 
bien  assaillie  que,  quelque  défense  que  le  duc  de 
Mayenne  y  pût  faire,  il  n'avoit  plus  d'espérance  que  de 
mourir  plutôt  que  de  se  rendre^. 

Les  affaires  étant  en  cet  état,  le  parti  des  princes 
étant  si  bas  de  tous  côtés  qu'il  n'avoit  plus  moyen  de 
subsister,  elles  changèrent  toutes  en  un  instant  par  la 
mort  du  maréchal  d'Ancre,  qui  fut  tué  par  le  comman- 
dement du  Roi  le  24*  avril. 

Il  y  avoit  longtemps  que  ledit  maréchal  lui-même 
ourdissoit  sa  ruine  et  se  faisoit  plus  de  mal  que  ses 
ennemis,  s'il  ne  leur  eût  donné  les  armes,  ne  lui  en 
eussent  pu  faire. 

1.  Voyez  le  Mercure  [rançois,  t.  IV,  p.  164  et  165. 

2.  C'est-à-dire  le  duc  de  Mayenne. 

3.  Mercure  franrois,  p.  188  et  189. 


[1617]  DE  RICHELIEU.  157 

Il  étoit  si  vain  que,  ne  se  contentant  pas  de  la  faveur 
et  du  pouvoir  de  faire  ses  affaires,  il  affectoit  d'être 
maître  de  l'esprit  de  la  Reine  et  son  principal  conseil- 
ler en  toutes  ses  actions,  dont  le  roi  Henri-le-Grand 
conçut  quelque  mauvaise  volonté  contre  lui  et  eut 
dessein  de  le  renvoyer  en  Italie.  Mais  ce  fut  bien  pis 
après  sa  mort  ;  car,  comme  l'autorité  de  la  Reine  aug- 
menta, son  insolence  crut  à  même  mesure,  et  il  voulut 
que  tout  le  monde  eut  opinion  que  le  gouvernement 
universel  du  royaume  dépendoit  de  sa  volonté  ^ 

La  Reine,  qui  reconnoissoit  ce  manquement  et  qui 
néanmoins  ne  le  voulut  pas  abandonner,  soit  pour  la 
réputation  de  fermeté  en  ses  affections  envers  ses  ser- 
viteurs, soit  pour  la  considération  de  sa  femme  qui 
avoit  été  nourrie  avec  elle  en  sa  jeunesse,  l'en  repre- 
noit  souvent  et  de  paroles  et  de  visage,  le  rabrouant  et 
lui  faisant  mauvaise  chère  devant  un  chacun  quand 
il  lui  faisoit  quelque  demande  qu'elle  ne  croyoit  pas 
être  du  bien  de  l'État.  Il  est  vrai  qu'il  s'y  prenoit  de  si 
mauvaise  grâce  et  avec  si  peu  d'adresse  que-  les  pre- 
mières pensées  qui  lui  venoient  en  l'esprit  il  les  pro- 
posoit  à  la  Reine  sans  les  avoir  auparavant  digérées. 
Il  en  faisoit  tout  de  même  aux  demandes  qu'il  avoit 
à  lui  faire  pour  ses  amis,  sans  préparer  son  esprit  par 
les  moyens  ordinaires  et  connus  à  ceux  qui  ont  quelque 
prudence. 

1.  Le  maréchal  d'Estrées  donne  un  portrait  bien  plus  bien- 
veillant de  Concini.  Voyez  ses  Mémoires,  éd.  Michaud  et  Pou- 
joulat,  p.  418. 

2.  Les  mots  avec  si  peu  d'adresse  que  ont  été  substitués  de 
la  main  de  Charpentier  sur  le  manuscrit  B  aux  mots  :  sans 
adresse. 


158  MÉMOIRES  [1617] 

Mais,  quand  il  eût  fiait  autrement,  comme  il  arrivoit 
lorsque  sa  femme,  qui  étoit  plus  adroite  que  lui,  étoit  de 
la  partie,  l'esprit  de  la  Reine  néanmoins  ne  pouvoit 
jamais  être  si  préoccupé  de  leurs  conseils  qu'elle  ne  fût 
toujours  prête  de  recevoir  et  suivre  les  avis  de  ceux 
qu'elle  avoit  choisis  pour  l'assister  dans  l'administra- 
tion des  affaires. 

Le  commandeur  de  Sillery  m'a  confessé  qu'il  avoit 
reçu  plusieurs  commandements  d'elle  d'avertir  les 
grands  de  la  Cour  qu'ils  n  ajoutassent  point  de  foi  à 
ce  que  leur  diroit  ledit  maréchal  sur  les  affaires 
publiques,  mais  aux  ministres,  par  qui  elle  leur  feroit 
savoir  ses  volontés;  mais  que  M.  de  Villeroy  l'empê- 
choit*,  par  jalousie  qu'il  avoit  de  lui  et  de  son  frère-, 
aimant  mieux  partager  la  puissance  avec  un  étranger 
que  de  la  laisser  entière  à  ses  proches. 

La  créance  qu'il  vouloit  donner  de  son  pouvoir  ne 
nuisoit  pas  peu  à  sa  fortune;  elle  lui  engendroit  l'en- 
vie et  la  haine  de  tous  les  grands,  qui  le  regardoient 
comme  tenant  le  lieu  qui  leur  étoit  dû  par  leur  nais- 
sance. S'il  leur  départoit  quelques  grâces  et  faveurs, 
elles  lui  étoient  inutiles,  à  cause  qu'ils  estimoient  ce 
tort  qu'il  leur  faisoit  beaucoup  plus  grand  que  le  plai- 
sir qu'ils  recevoient  de  lui;  et,  outre  que  l'offense 
descend  bien  plus  avant  dans  le  cœur  que  n'y  fait  pas 
d'impression  le  bienfait,  l'homme  est  naturellement 
plus  enclin  à  vouloir  rendre  l'échange  de  l'injure  que 
de  la  grâce,  d'autant  que  par  l'un  il  satisfait  seulement 
à  autrui  et  par  l'autre  il  se  satisfait  à  soi-même^.  S'il 

1.  Dans  le  manuscrit  H,  la  fin  de  la  phrase  a  été  rayée  et 
remplacée  parles  mots  :  mais  que  M.  de  Villeroy  l'en  empêcha. 

2.  Le  chancelier  de  Sillery. 

3.  Ce  débutd'alinéaaétécorrigépar  Sancy  surle  manuscrit  B. 


[1617]  DE  RICHELIEU.  159 

faisoit  quelque  chose  pour  des  personnes  de  moindre 
étoffe,  elles  pensoient  qu'il  étoit  en  lui  de  rendre  leur 
condition  beaucoup  meilleure  qu'il  n'avoit  fait,  et  par- 
tant lui  en  savoient  peu  de  gré;  et  généralement  tous 
ceux  qui  n'obtenoient  pas  ce  qu'ils  désiroient,  qui 
sont  toujours  en  plus  grand  nombre  dans  les  cours  ^ , 
rejetoient  sur  lui  la  cause  du  refus  qui  étoit  fait  à  leurs 
désirs,  et  le  haïssoient. 

Mignieux^  l'avoit  prié  de  faire  donner  des  bénéfices 
à  ses  enfants;  il  y  fit  tout  ce  qu'il  put,  mais  ceux 
qu'il  demandoit,  ou  étoient  donnés,  ou  destinés  à 
d'autres,  et  ainsi  Mignieux  mourut  en  créance  qu'il 
n'avoit  rien  fait  pour  lui.  Il  sollicita  pour  le  marquis 
d'AnevaP,  plusieurs  années,  la  charge  de  premier 
écuyer  de  Monsieur;  ledit  marquis  s'en  tenoit  assuré 
à  cause  du  pouvoir  dudit  maréchal;  néanmoins,  il  ne  la 
put  jamais  obtenir,  et  la  Reine  la  donna  à  Lauzières^; 
ce  qu'ayant  su,  il  témoigna  un  extrême  regret,  disant 
à  ses  famihers  que  la  Reine  l'avoit  ruiné  et  que  d'Ane- 
val  croiroit  qu'il  l'auroit  trompé.  Autant  lui  en  pensa- 
t-il  arriver  pour  la  charge  de  premier  maître  d'hôtel 
de  la  Reine  régnante,  laquelle  il  avoit  poursuivie  avec 

1.  Cette  incidente  a  été  ajoutée  en  interligne  sur  le  manus- 
crit B  par  Sancy. 

2.  Sans  doute  Charles  des  Essarts,  seigneur  de  Meigneux, 
gouverneur  de  Montreuil,  gentilhomme  ordinaire  de  la  chambre 
du  Roi  et  lieutenant  de  la  compagnie  des  gendarmes  de  la 
Reine;  il  mourut  à  Montreuil  en  1617. 

3.  Peut-être  faut-il  lire  ici  cV Esneval.  Ce  serait  dans  ce  cas 
Charles  de  Prunelé,  baron  d'Esneval,  vidame  de  Normandie, 
gentilhomme  ordinaire  du  Roi  et  capitaine  de  cinquante 
hommes  d'armes,  ambassadeur  en  Ecosse  en  1585,  niorl  en 
1624,  et  qui  était  gendre  du  secrétaire  d'État  Pinart. 

4.  Ci-dessus,  p.  69. 


460  MÉMOIRES  [1617] 

grande  instance  pour  le  sieur  d'Uocquincourt^  ;  et, 
lorsque  l'on  alla  au  voyage  pour  le  mariage-,  il  en 
envoya  supplier  la  Reine  par  Barbin,  auquel  elle 
répondit  qu'elle  ne  le  pouvoit  faire  pour  ce  que  le 
duc  d'Épernon,  qui  lui  étoit  si  nécessaire  pour  la 
sûreté  du  Roi  en  ce  voyage,  la  lui  demandoit  pour  le 
marquis  de  Rouillac^;  enfin,  néanmoins,  Barbin  con- 
tinua tant  à  l'importuner  durant  le  voyage  qu'elle  l'ac- 
corda avec  beaucoup  de  colère.  Outre  que  bien  sou- 
vent sa  femme  l'empêchoit  d'obtenir  ce  qu'il  demandoit, 
pour  rabattre,  disoit-elle,  l'orgueil  qu'il  avoit  trop 
grand  et  lui  donner  un  frein  pour  le  retenir  et  l'em- 
pêcher de  la  mépriser,  mais  il  ne  vouloit  pas  faire 
reconnoître  qu'il  dépendit  d'autrui  en  la  puissance 
qu'il  avoit. 

Au  lieu  que  les  sages,  pour  éviter  l'envie,  se  con- 
tentent d'un  pouvoii^  modéré  ou  le  cachent  s'il  est 
extrême,  il  vouloit  pouvoir  tout  et  faire  croire  qu'il 
pouvoit  ce  qu'il  n'eût  pu  vouloir  sans  crime  ni  l'es- 
pérer sans  punition.  Il  étoit  homme  de  bon  esprit, 
mais  violent  en  ses  entreprises,  qui  prétendoit  à  toutes 
ses  fins  sans  moyens  et  passer  d'une  extrémité  à  l'autre 
sans  milieu. 

1.  Georges  de  Monchy,  seigneur  d'Hocquincourt,  capitaine 
de  chevau-légers,  devint  grand  prévôt  de  l'hôtel  le  25  février 
1630  et  fut  lieutenant  général  de  Lorraine  en  1636. 

2.  Il  s'agit  ici  du  voyage  entrepris  par  la  cour  en  août  1615 
pour  l'accomplissement  des  mariages  espagnols. 

3.  Louis  de  Goth,  marquis  de  Rouillac  (1584-1662),  avait 
fait  ses  premières  campagnes  en  Suède  ;  le  roi  de  Suède 
Charles  IX  le  nomma,  en  1610,  général  des  Français  au  service 
de  la  Suède.  Il  revint  en  France  vers  1612  et  obtint  plus  tard 
un  régiment  d'infanterie  et  un  de  cavalerie.  En  1643,  il  fut 
envoyé  comme  ambassadeur  extraordinaire  en  Portugal. 


[16171  DE  RICHELIEU.  161 

Il  étoit  soupçonneux,  léger  et  changeant,  tant  par 
son  humeur  que  sur  la  créance  qu'il  avoit  que,  quelque 
liaison  qu'on  pût  avoir  avec  un  étranger,  sa  domina- 
tion est  toujours  désagréable  ;  outre  que,  comme  il 
étoit  de  sa  nature  peu  reconnoissant  par  l'excès  de 
son  ambition  qui  lui  faisoit  avouer^  avec  déplaisir 
qu'il  fût  obhgé  à  personne,  il  croyoit  (jue,  dès  qu'il 
avoit  obtenu  quelque  chose  d'importance  pour 
quelqu'un  de  ses  amis,  ceux  pour  qui  il  l'avoit  fait 
désiroient  sa  ruine  pour  être  dégagés  de  la  reconnois- 
sance  des  services  qu'ils  lui  dévoient  pour  les  biens 
qu'ils  en  avoient  reçus.  Et  l'état  auquel  il  se  trou  voit, 
lequel  il  pensoit  être  au-dessus  de  la  condition  de  pou- 
voir recevoir  déplaisir  de  personne,  faisoit  qu'il 
cachoit  si  peu  ses  défiances  et  les  montroit  si  manifes- 
tement, qu'il  désobligeoit  entièrement  ses  amis,  ce  qui 
étoit  cause  de  grands  maux  ;  car,  les  cours  étant  pleines 
de  flatteurs,  et  la  grandeur  n'en  étant  jamais  désac- 
compagnée^,  il  ne  manquoit  point  de  personnes  qui, 
pour  lui  faire  plaisir,  lui  donnoient  des  ombrages  et 
des  défiances,  desquelles,  étant  de  son  naturel  trop 
susceptible,  il  prenoit  sujet  de  haïr  ses  amis. 

Mais  un  autre  mal  bien  grand  naissoit  de  ses  soup- 
çons, qui  consistoit  en  ce  que,  pensant  n'être  pas  aimé, 
il  vouloit  régner  par  la  crainte,  moyen  très  mauvais 
pour  retenir  cette  nation  aussi  ennemie  de  la  servitude 
qu'elle  est  portée  à  une  honnête  obéissance.  Cet  appui 
qu'il  cherchoit  à  sa  fortune  fut  la  cause  de  sa  ruine, 

1.  Ce  mot  a  été  substitué  par  Sancy  sur  le  manuscrit  B  au 
mot  reconnoître. 

2.  Var.  :  Car  les  cours  étoient  pleines  de  tlatteurs  dont  la 
grandeur  est  toujours  accompagnée  (M). 

II  n 


462  MÉMOIRES  [1617] 

rien  ne  l'ayant  pei'du  que  ce  qu'il  pensoit  devoir  aft'er- 
mir  son  autorité. 

On  peut  dire  qu'il  n'eut  jamais  intention  qui  n'eût 
pour  but  l'avantage  de  l'État  et  le  service  du  Roi,  aussi 
bien  que  l'établissement  de  sa  fortune,  mais  que,  ses 
desseins  étant  bons,  ils  étoient  tous  mal  conduits,  et 
que,  quoique  son  imprudence  fût  son  seul  crime,  ceux 
qui  n'avoient  pas  connoissance  de  ses  intentions  avoient 
lieu  de  redouter  son  pouvoir. 

Il  n'y  a  point  de  prince  qui  prenne  plaisir  de  voir 
dans  son  État  une  grande  puissance  qu'il  pense  n'avoir 
pas  élevée  et  qu'il  croit  être  indépendante  de  la  sienne  ; 
beaucoup  moins  s'il  est  jeune,  c'est-à-dire  en  âge  où 
la  foiblesse  et  le  peu  d'expérience  que  l'on  a  des 
affaires  rendent  les  moindres  établissements  suspects. 

A  la  vérité,  il  eût  été  à  désirer  que  ce  personnage 
eût  modéré  davantage  ses  désirs,  non  tant  par  son 
intérêt  que  pour  le  bien  de  sa  maîtresse  ;  car  on  peut 
dire  que,  s'il  eût  été  moins  ambitieux,  elle  eût  été  plus 
heureuse. 

Mais  Dieu  a  voulu  que  celle  qui  n'avoit  aucune  part 
dans  sa  faute  l'eût  très  grande  dans  sa  disgrâce,  pour 
nous  apprendre  que  la  vertu  a  ses  peines,  comme  le 
soleil  ses  éclipses.  Si  elle  eût  été  moins  affligée,  elle 
n'eût  pas  été  si  glorieuse  ;  car,  comme  il  y  a  des  ver- 
tus qui  ne  se  remarquent  que  dans  les  grands  emplois, 
aussi  y  en  a-t-il  qui  ne  s'exercent  que  dans  la  misère. 

Or,  bien  que  cet  homme  désirât  donner  à  un  chacun 
grande  opinion  de  sa  faveur,  si  est-ce  que  sa  fin  prin- 
cipale étoit  d'étonner  les  ministres  par  les  apparences 
de  son  crédit,  pour  disposer  absolument  de  leurs 
volontés  et  faire  qu'ils  déférassent  plus  à  ses  désirs 


[1617]  DE  RICHELIEU.  163 

qu'aux  commandements  de  la  Reine  leur  maîtresse. 
Mais  on  peut  dire  qu'en  ces  épines  ils  marchèrent  à 
pas  de  plomb,  qu'ils  cheminèrent  par  la  voie  de  leur 
conscience,  mais  avec  le  plus  grand  tempérament 
qu'ils  purent  pour  empêcher  la  connoissance  et  l'éclat 
de  ses  désordres.  S'ils  crurent  quelquefois  sa  puis- 
sance être  telle  qu'il  y  avoit  plus  à  perdre  qu'à  gagner 
à  faire  des  actions  hardies,  ils  ne  la  conçurent  jamais 
assez  grande  pour  les  contraindre  à  en  faire  de  lâches 
et  contraires  à  leur  devoir. 

Un  jour,  M.  de  Villeroy,  qui  avoit  plus  part  dans 
son  alliance,  par  le  mariage  que  l'on  projetoit  de  son 
petit-fils  avec  sa  fille,  que  dans  son  affection,  ayant 
obtenu  de  la  Reine,  qui  n'a  jamais  refusé  de  grâces  si 
elles  n'ont  été  préjudiciables  à  l'État,  une  gratifica- 
tion importante,  le  maréchal  d'Ancre  vint  trouver  le 
secrétaire  de  ses  commandements  pour  le  prier  de 
deux  choses  :  de  n'en  point  délivrer  d'expédition  et 
de  rejeter  sur  la  Reine  la  haine  du  refus. 

J'exerçois  lors  cette  charge  et  le  priai  de  m'excuser 
si  je  ne  pouvois  satisfaire  à  son  désir,  vu  que  la  Reine 
ne  pouvoit  avec  honneur  révoquer  une  grâce  qu'elle 
avoit  accordée,  ni  lui  en  sa  conscience  donner  à  sa 
maîtresse  le  blâme  d'une  faute  qu'elle  n'avoit  point 
commise. 

Le  maréchal  ne  se  voulant  point  contenter  de  ces 
raisons,  je  ne  laissai  point,  contre  les  ordres  qu'il 
m' avoit  prescrits,  d'en  délivrer  les  brevets,  aimant 
mieux  perdre  ses  bonnes  grâces  sans  honte  que  les 
conserver  avec  foiblesse  au  préjudice  de  la  Reine. 
Cette  action  de  courage  me  rendit  tellement  son  ennemi 
qu'il  ne  pensa  plus  qu'aux  moyens  de  s'en  venger.  Il 


164  MÉMOIRES  [1617J 

est  fâcheux  à  un  homme  de  cœur  d'avoir  à  répondre 
à  des  personnes  qui  veulent  des  flatteurs  et  non  pas 
des  amis,  qu'on  ne  peut  bien  servir  sans  les  tromper 
et  qui  aiment  mieux  les  choses  agréables  qu'utiles; 
mais,  si  ce  mal  est  extrême,  il  ne  laisse  point  d'être 
ordinaire  sous  le  règne  des  favoris.  Il  n'y  en  a  point  à 
(jui  la  tête  ne  tourne  en  montant  si  haut,  qui  d'un  ser- 
viteur ne  veuille  faire  un  esclave,  d'un  conseiller  d'État 
un  ministre  de  leur  passion,  et  qui  n'entreprenne  de 
disposer  aussi  bien  de  l'honneur  que  des  cœurs  de 
ceux  que  la  fortune  leur  a  soumis. 

Or,  comme  la  vengeance  se  fait  des  armes  de  tout 
ce  qui  se  présente  à  elle,  il  tâcha  de  persuader  à  la 
Reine  que  j'étois  partial  de  la  Reine  sa  fille,  ma  pre- 
mière maîtresse  S  que  j'étois  en  secrète  intelligence 
avec  les  princes,  que  je  lui  avois  dit  une  fois,  sur  le 
sujet  de  la  rébellion  des  grands  qui  s'étoient  unis  à 
Monsieur  le  Prince,  que,  le  Roi  ayant  témoigné  qu'il 
étoit  maître  en  réduisant  à  l'extrémité  ceux  qui  d'eux- 
mêmes  ne  s'étoient  pas  rangés  à  leur  devoir,  il  étoit  à 
propos  qu'il  témoignât  qu'il  étoit  père,  recevant  à 
miséricorde  ceux  qui  avoient  failli. 

Au  milieu  de  ces  mauvais  offices,  il  ne  laissa  pas  de 
se  vouloir  servir  de  Rarbin  et  de  moi  pour  demander 
en  sa  faveur  le  gouvernement  de  Soissons,  si  proche 
de  sa  perte  qu'il  l'estimoit  déjà  pris.  Ces  Messieurs ^ 
ayant  fait  pour  son  bien  quelque  difficulté,  de  crainte 
qu'on  lui  reprochât  qu'il  eût  porté  la  Reine  à  conseil- 

1.  La  jeune  reine  Anne  d'Autriche,  dont  Richelieu  avait  com- 
mencé par  être  premier  aumônier. 

2.  C'est-à-dire  Barbin  et  Richelieu;  on  remarquera  ce  chan 
gement  de  style. 


[1617]  DE  RICHELIEX-.  165 

1er  le  Roi  de  prendre  les  armes  contre  ses  sujets  pour 
l'enrichir  de  leurs  dépouilles,  pour  leur  ôter  le  moyen 
de  prévenir  LL.  MM.,  il  en  parla  précipitamment  à  la 
Reine,  qui,  jugeant  sa  demande  indiscrète,  l'en  refusa 
de  son  propre  mouvement  et  lui  parla  en  leur  pré- 
sence avec  tant  d'autorité  et  de  sentiment  du  dérè- 
glement de  ses  désirs,  qu'il  ne  put  cacher,  dans  son 
visage  et  par  ses  paroles,  qu'il  n'en  fût  extrêmement 
touché.  Mais,  pour  ne  point  celer  la  cause  de  son 
déplaisir,  il  ne  se  piqua  pas  tant  de  l'action  que  des 
circonstances;  le  refus  ne  l'offensa  pas  tant  que  les 
témoins. 

Il  lui  fàchoit  qu'on  s'aperçût  qu'il  eût  plus  de  répu- 
tation que  de  force,  qu'il  subsistoit  plutôt  par  son 
audace  que  par  une  véritable  confiance.  Pour  preuve 
de  quoi,  la  Reine  s'étant  retirée  en  colère  dans  son 
cabinet,  il  fit  mine  de  la  suivre;  et,  ressortant  inconti- 
nent, bien  qu'il  n'eût  point  parlé  de  cette  affaire,  les 
assura  qu'il  avoit  obtenu  la  gratification  qu'il  désiroit  ; 
ce  qu'ils  jugèrent  plus  mystérieux  que  véritable  et  le 
reconnurent  clairement  l'après-dînée,  la  Reine  nous 
témoignant  une  extrême  indignation  de  ses  insolentes 
procédures,  et  que,  pour  rien  du  monde,  elle  ne  lui 
accorderoit  ce  qu'il  demandoit.  Mais,  au  lieu  d'en  pro- 
fiter, il  s'atfermit  de  plus  en  plus  dans  le  dessein  de 
changer  les  ministres. 

L'unique  péché  qu'ils  avoient  commis  étoit  qu'ils 
avoient  la  réputation  de  bien  servir  le  Roi,  dont 
quelques  flatteurs  prirent  occasion  de  lui  dire  qu'on 
ne  parloit  plus  de  lui  par  la  France,  mais  qu'ils  avoient 
l'honneur  de  tout^  ce  qui  étoit  le  prendre  par  son 

1.  Les    mots   mais   qu  Us  avoient  l'honneur  de   tout  ont  été 


I6fi  MÉMOIRES  [1617] 

foible  ;  car,  comme  en  l'adversité  il  étoit  découragé  et 
protestoit  ne  se  vouloir  plus  mêler  d'affaires,  quand 
les  choses  alloient  mieux,  il  les  vouloit  faire  seul  ;  joint 
qu'il  se  fàchoit  de  n'en  pouvoir  disposer  à  sa  volonté, 
laquelle  ils  ne  prenoient  pas  pour  leur  règle  au-dessus 
de  la  raison. 

Sa  femme  étoit  si  malade  d'esprit  qu'elle  se  détioit 
de  tous,  de  sorte  qu'elle  aidoit  au  dessein  qu'il  a  voit 
de  les  changer  et  de  mettre  en  leur  place  Ruccellaï'',  de 
Mesmes  et  Barentin  ' . 

J'en  eus  le  premier  avis  par  le  moyen  d'un  homme 
d'Église  qui  étoit  à  moi,  auquel  l'abbé  de  Marmoutier^ 
dit  confîdemment  le  dessein  qu'on  a  voit  contre  Barbin  ; 
et,  par  autre  voie,  je  sus  que  M.  Mangot  étoit  de  la 
partie  et  moi  aussi.  Je  dis  à  Barbin  qu'à  la  longue  le 
maréchal  le  gagneroit  sur  l'esprit  de  LL.  MM.  par  ses 
continuels  artifices,  et  que  mon  avis  étoit  que  nous 
le  devions  prévenir  et  nous  retirer  volontairement  des 
affaires.  Nous  allâmes  ensemble  trouver  la  Reine  à 
cette  fin;  je  lui  parlai  et  lui  représentai  que,  les  affaires 
du    Roi  étant   en  tel  état  que  tous  les  princes  qui 

substitués  par  Sancy  sui'  le  manuscrit  B  aux  mots  :  et  quon  ne 
parlait  que  d'eux. 

1.  Louis  Ruccellaï,  fils  d'Annibal  Ruccellaï.  gentilhomme 
florentin  établi  en  France,  eut  en  1602,  après  son  père,  l'ab- 
baye de  Signy  en  Champagne;  il  se  mêla  à  toutes  sortes  d'in- 
trigues sous  la  minorité  de  Louis  XIII  et  mourut  en  1622. 

2.  Charles  Barentin,  seigneur  de  Villeneuve-en-Brie,  conseil- 
ler à  la  Cour  des  aides  en  1592,  reçu  maître  des  requêtes  le 
28  juin  1605,  intendant  en  Normandie  et  en  Dauphiné,  conseil- 
ler d'État  en  1620. 

3.  Sébastien  Dori  Galigaï,  frère  de  la  maréchale  d'Ancre  : 
tome  1,  p.  258. 


[1617]  DE  RICHELIEU.  167 

avoient  pris  les  armes  contre  lui  tendoient  les  bras  et 
imploroient  sa  miséricorde,  nous  ne  pouvions  être 
blâmés  de  lâcheté  de  demander  notre  congé  dans  cette 
prospérité,  qui  étoit  chose  que  nous  avions  déjà 
désiré  faire,  il  y  a  quelque  temps,  mais  que  nous  ne 
l'avions  pas  jugé  convenable  pendant  que  l'État  étoit 
en  quelque  péril. 

La  Reine  se  trouva  surprise  et  demanda  quel 
mécontentement  nous  avions  d'elle.  Barbin  lui  répon- 
dit que  le  maréchal  et  la  maréchale  n'étoient  pas  con- 
tents de  nous,  dont  elle  se  fâcha,  disant  qu'elle  ne  se 
gouvernoit  pas  par  leur  fantaisie.  Je  repris  la  parole 
et  fis  de  nouvelles  instances,  auxquelles  elle  ne  se  ren- 
dit pas  néanmoins  et  continua  à  nous  assurer  du  con- 
tentement qu'elle  recevoit  du  service  que  nous  rendions 
au  Roi. 

Le  maréchal  fut  averti  par  sa  femme  de  ce  qui 
s' étoit  passé  et  vint  incontinent  à  Paris  trouver  la 
Reine,  qui  le  gourmanda,  de  sorte  qu'au  sortir  de  là 
il  alla  prendre  Barbin  chez  lui  et  l'amena  en  mon 
logis,  où,  adressant  la  parole  à  Barbin,  il  se  plaignit 
de  ce  que,  demandant  notre  congé,  nous  faisions 
paroitre  qu'il  étoit  incompatible  et  ne  pouvoit  durer 
avec  personne.  Après  que  je  lui  eus  déduit  les  raisons 
que  nous  avions  eues  de  faire  ce  que  nous  avions  fait, 
il  ne  nous  sut  répondre  autre  chose,  sinon  qu'il  étoit 
de  nos  amis  et  qu'il  nous  prioit  de  dire  à  la  Reine 
que  nous  ne  pensions  plus  à  nous  retirer. 

Mais  il  continuoit  toujours  en  sa  mauvaise  volonté 
et  inventoit  plusieurs  calomnies,  qu'il  essayoit  de 
rendre  les  plus  vraisemblables  qu'il  pouvoit  à  la  Reine 
pour  décevoir  son  esprit;  jusques-là  (|u'il   la  voulut 


168  MÉMOIRES  [1617] 

persuader  que  M.  Mangot,  Barbin  et  moi  la  trahissions 
et  avions  envie  de  la  faire  empoisonner,  s'offrant  de 
lui  donner  des  témoins  qui  le  soutiendroient  en  notre 
présence.  Ces  méchancetés  noires  qu'il  avoit  dans  le 
cœur  le  rendoient  inquiet,  de  sorte  qu'il  paroissoit 
bien  qu'il  avoit  quelque  chose  dont  il  avoit  grand 
désir  de  venir  à  bout,  et  en  laquelle  il  rencontroit  dif- 
ficulté; il  ne  faisoit  qu'aller  et  venir  de  lieu  à  autre, 
étoit  toujours  en  voyage  de  Caen  à  Paris  et  de  Paris 
à  Caen,  ce  qui  avança  sa  mort,  comme  nous  verrons 
bientôt. 

La  dernière  fois  qu'il  revint  de  Caen,  ce  fut  sur  une 
lettre  que  la  Reine  lui  avoit  écrite,  par  laquelle  elle 
lui  défendoit  de  poursuivre  davantage  M.  de  Àlontba- 
zon,  dont  il  tenoit  une  terre  en  criée  pour  le  paiement 
de  quelques  armes  qu'il  lui  avoit  laissées  dans  la  cita- 
delle d'Amiens,  lesquelles  il  lui  avoit  vendues  pour  le 
prix  de  cinquante  mille  ccus,  sous  la  promesse  dudit  duc 
de  les  faire  payer  par  le  Roi.  Il  vint  de  Caen,  jetant  feu 
et  flamme  contre  Barbin,  qu'il  croyoit  être  cause  que  la 
Reine  lui  avoit  écrit  cette  lettre,  et  en  résolution  d'exé- 
cuter promptement  ce  qu'il  avoit  projeté  contre  lui, 
Mangot  et  moi,  auquel  il  écrivit,  arrivant  à  Paris,  en 
termes  si  étranges,  que  j'ai  cru  en  devoir  ici  rappor- 
ter une  partie.  La  lettre  commençoit  en  ces  mots  : 

«  Par  Dieu,  Monsieur,  je  me  plains  de  vous  :  vous 
me  traitez  trop  mal  ;  vous  traitez  la  paix  sans  moi  ; 
vous  avez  fait  que  la  Reine  m'a  écrit  que,  pour  l'amour 
d'elle,  je  laisse  la  poursuite  que  j'ai  commencée  contre 
M.  de  Montbazon  pour  me  faire  payer  de  ce  qu'il  me 
doit.  Que  tous  les  diables,  la  Reine  et  vous  pensez- 


[1617]  DE  RICHELIEU.  169 

VOUS  que  je  fasse?  La  rage  me  mange  jusques  aux  os.  » 
Tout  le  reste  de  la  lettre  étoit  du  même  stylet 

Il  nous  fit  néanmoins,  durant  le  peu  de  temps  qu'il 
demeura  à  Paris,  si  bon  visage  devant  le  monde  et 
dissimuloit  tellement,  que  jamais  personne  n'eût  cru 
qu'il  eût  été  l'efroidi  vers  nous.  Mais  sa  trop  bonne 
chère  ne  me  trompa  point  ;  car  je  fus  averti  qu'il  avoit 
quasi-persuadé  l'esprit  de  la  Reine  contre  nous  et  fus 
d'avis  de  demander  pour  la  dernière  fois  mon  congé, 
et,  si  la  Reine  ne  me  le  vouloit  donner,  le  prendre  de 
moi-même.  Barbin  me  vint  aussi  prier  de  demander 
congé  pour  lui,  craignant,  ce  disoit-il,  de  n'avoir  pas 
assez  de  courage  de  le  prendre  de  lui-même  si  la  Reine 
le  pressoit  de  demeurer. 

M.  Mangot  étoit  aussi  assuré  qu'on  lui  en  vouloit  et 
savoit  bien  que  le  bruit  commun  étoit  qu'on  destinoit 
Barentin  en  sa  place,  et  il  le  croyoit  véritable,  d'autant 
que,  l'ayant  voulu  envoyer  en  commission,  la  maré- 
chale l'avoit  prié  de  le  laisser  à  Paris  parce  qu'on  y 
avoit  affaire  de  lui  ;  mais  la  considération  de  ses  enfants 
et  de  sa  famille  l'empêcha  de  prendre  la  même  réso- 
lution et  le  fit  résoudre  d'attendie  ce  que  le  temps 
apporteroit. 

J'allai  au  Louvre;  je  parlai  à  la  Reine,  lui  fis  instance 
de  permettre  à  Barbin  et  à  moi  de  nous  retirer.  La 
Reine  me  répondit  qu'il  étoit  vrai  qu'elle  avoit  quelque 
chose  en  l'esprit  qu'on  lui  avoit  dite  contre  nous, 
qu'elle  me  promettoit  et  juroit  de  me  le  dire  dans 

1.  Arnauld  d'Andilly  [Journal,  p.  292)  rapporte  également 
une  partie  de  cette  lettre  en  employant  à  peu  près  les  mêmes 
expressions. 


170  MÉMOIRES  [1617] 

huit  jours  et  me  prioit  que  nous  eussions  patienee 
jusque-là.  Gela  m'arrêta  et  m'empêcha  d'aller  parler 
au  Roi  que  ces  huit  jours  ne  fussent  expirés,  avant 
lesquels  le  maréchal  fut  tué. 

En  cette  poursuite  si  envenimée  du  maréchal  contre 
les  ministres  et  aux  moyens  si  injustes  qu'il  y 
employoit  se  voit  la  malignité  de  son  esprit,  de 
laquelle  il  semble  que  la  principale  origine  soit  son 
ambition,  à  laquelle  il  n'avoit  jamais  pu  prescrire  de 
termes.  Et  la  Reine,  ou  lasse  de  ses  actions  qu'elle  ne 
pouvoit  plus  défendre,  ou  craignant  qu'il  lui  mésa- 
vînt,  lui  faisant  instance  de  s'en  aller  en  Italie,  comme 
déjà  sa  femme  étoit  résolue  d'y  aller,  il  n'y  put  jamais 
condescendre,  disant  à  cjuelqu'un  des  siens  qu'il  vou- 
loit  expérimenter  jusques  où  la  fortune  d'un  homme 
pouvoit  aller.  Il  avoit  quitté  le  gouvernement  d'Amiens 
à  la  réquisition  de  tout  le  royaume;  il  voyoit  que  les 
manifestes  des  princes  et  les  plaintes  du  peuple  étoient 
toutes  fondées  sur  lui  ;  et,  néanmoins,  quelques-uns  de 
la  citadelle  lui  ayant,  un  mois  avant  sa  mort,  donné 
espérance  qu'ils  s'en  pourroient  saisir  et  la  lui  remettre 
entre  ses  mains,  il  en  fit  incontinent  le  dessein  et  en 
parla  à  Barbin,  lequel  lui  remontra  que  cette  action 
seroit  la  ruine  entière  des  affaires  du  Roi  et  de  la 
réputation  de  la  Reine;  que  cela  seroit  justifier  les 
armes  des  princes  et  imprimer  dans  l'esprit  des  peuples 
tout  ce  qu'ils  vouloient,  et  même  dans  l'esprit  du  Roi. 
Mais,  au  heu  de  prendre  ses  raisons  en  bonne  part,  il 
les  reçut  comme  un  témoignage  de  la  mauvaise  volonté 
de  Barbin  en  son  endroit  et  continua  à  se  vouloir  pré- 
cipiter en  ce  dessein;  dont  la  Reine  étant  avertie  pai^ 


[1617]  DE  RICHELIEU.  171 

Barbin,  elle  envoya  quérir  le  duc  de  Montbazon  et  lui 
commanda  d'aller  veiller  à  la  garde  de  sa  place,  sur 
laquelle  elle  avoit  avis  qu'il  y  avoit  des  entreprises.  Ce 
seul  moyen  fut  suffisant  de  l'arrêter,  pour  ce  qu'il 
opposa  l'impossibilité  à  son  désir. 

Le  maréchal,  étant  tel  en  son  humeur  et  en  sa  con- 
duite, donna  de  grands  sujets  de  prise  contre  lui. 
Luynes,  qui  étoit  auprès  du  Roi  et  qui  étoit  ennemi, 
non  de  sa  personne,  de  laquelle  il  avoit  reçu  assis- 
tance, mais  de  sa  fortune,  lui  portoit  une  haine  d'en- 
vie, qui  est  la  plus  mahgne  et  la  plus  cruelle  de 
toutes,  et  observoit  toutes  ses  actions  pour  les  tourner 
en  crimes  auprès  du  Roi,  n'en  oublia  aucune  qu'il  ne 
lui  lit  paroitre  noire,  procéder  d'un  mauvais  principe 
et  tendre  à  une  mauvaise  fin .  Il  lui  représente  qu'il  fait 
le  roi,  a  un  pouvoir  absolu  dans  le  royaume,  se  for- 
tifie contre  l'autorité  de  S.  M.  et  ne  veut  ruiner  les 
princes  que  pour  recueillir  en  lui  seul  toute  la  puis- 
sance qu'ils  avoient  et  disposer  de  sa  couronne  à  sa 
discrétion  lorsqu'il  n'y  aura  plus  de  personnes  assez 
hardies  pour  contrevenir  à  ses  volontés;  qu'il  possède 
l'esprit  de  la  Reine  sa  mère,  qu'il  incline  son  cœur  vers 
Monsieur,  son  frère,  plus  que  vers  lui;  qu'il  consulte  sur 
sa  vie  les  astrologues  et  les  devins  ;  que  le  Conseil  est 
tout  à  sa  dévotion  et  n'a  autre  but  que  son  avance- 
ment; que,  quand  on  demande  de  l'argent  pour  les 
menus  plaisirs  du  Roi,  il  ne  s'en  trouve  point.  Il 
aposte  un  des  siens  qui  feignit  avoir  demandé  deux 
mille  écus  pour  meubler  une  maison  que  le  Roi  avoit 
achetée  sous  le  nom  de  du  Buisson,  et  qu'il  en  avoit 
été  honteusement  refusé.  Il  n'eut  même  point  de  honte 


172  MÉMOIRES  [1617] 

de  supposer  par  le  ministère  de  Déageant^  des  lettres 
de  Barbin  pleines  de  desseins  contre  sa  personne 
sacrée,  et  enfin  ajouta  qu'il  étoit  venu  en  diligence  de 
Normandie,  et  que  ce  retour  précipité  n'étoit  pas  sans 
dessein  périlleux  contre  S.  M.  et  préjudiciable  à  son 
État,  et  fait  entretenir  le  Roi  de  ces  choses,  les  nuits 
entières,  par  Tronson^  et  Marcillac^. 

En  même  temps  qu^'il  donnoit  au  Roi  de  mauvaises 
impressions  contre  le  maréchal  d'Ancre,  il  faisoit  le 

1.  Guichard  Déageant  de  Saint-Marcellin  était  venu  à  la  cour 
sous  le  règne  de  Henri  IV,  qui  l'employait  à  ses  finances  par- 
ticulières. En  1610.  il  acheta  une  charge  de  secrétaire  du  Roi, 
puis  fut  clerc  de  Barbin.  Ce  lut  Arnauld  d'Andilly  qui  le  fît 
connaître  au  dur  de  Luynes.  Il  contribua  à  la  chute  du  maré- 
chal d'Ancre.  Pour  avoir  trempé  dans  les  affaires  de  Gaston 
et  du  colonel  d'Ornano,  il  fut  disgracié  et  emprisonné  à  la 
Bastille  de  1624  à  1629.  Mis  alors  en  liberté,  il  fut  éloigné 
de  Paris  et  nommé  président  de  la  Ghambi^e  des  comptes  de 
Grenoble.  Il  mourut  dans  cette  charge  en  1639.  Il  a  laissé  des 
Métiioires,  édités  en  1668,  puis  en  1756  ivoyez  Avenel,  t.  VII, 
p.  383);  on  a  prétendu,  mais  sans  preuves  évidentes,  que  cer- 
tains passages  de  ses  Mémoires  avaient  dû  être  rédigés  par  les 
rédacteurs  de  ceux  de  Richelieu.  Peut-être  ont-ils  été  écrits, 
comme  ceux  du  maréchal  d'Estrées,  à  la  demande  du  Cardinal, 
qui  les  a  utilisés  pour  les  siens  propres. 

2.  Louis  ïronson,  sieur  du  Coudray,  secrétaire  du  cabinet 
du  Roi,  devint  par  la  suite  intendant  des  finances  et  conseiller 
d'Etat;  disgracié  en  1626,  il  mourut  dans  la  retraite  en  1643  : 
voyez  Annuaire-Bulletin  de  la  Société  de  l  histoire  de  France, 
année  1873,  p.  182  et  suivantes. 

3.  Bertrand  de  Crugy,  seigneur  de  Marcillac  (tome  1,  p.  333i, 
fut  disgracié  en  1626  comme  Tronson  et  enfermé  au  château 
d'Ancenis. 

4.  Les  quelques  mots  qui  pi'écèdent,  depuis  «  et  fait  entre- 
tenir le  Roi  )i,  ont  été  ajoutés  en  interligne  par  Sancy  sur  le 
manuscrit  B. 


[1617]  DE  RICHELIEU.  173 

même  contre  la  Reine,  donnant  jalousie  au  Roi  du  pou- 
voir absolu  qu'elle  auroit  lorsqu'elle  seroit  venue  à 
bout  des  grands  du  royaume,  qui  étoient  réduits 
jusques  à  l'extrémité.  Et,  comme  si  ce  n'eût  pas  été 
assez  pour  ce  perfide  d'arriver  au  souverain  gouverne- 
ment, il  entreprit  de  s'y  faire  chemin  et  de  s'y  élever 
par  ses  propres  ruines,  sans  entrer  en  considération 
qu'elle  avoit  jeté  les  premiers  fondements  de  sa  for- 
tune, avoit  depuis  comblé  de  biens  ses  frères  et  lui, 
et  qu'à  peine  avoient-ils  les  mains  vides  de  la  chai^ge 
de  grand  fauconnier*  qu'elle  leur  avoit  donnée-. 

Ceux  qui  ont  le  moins  de  mérite  ont  d'ordinaire  le 
plus  d'ambition,  et,  pour  ce  qu'ils  n'ont  aucune  part 
en  la  vertu,  pour  en  avoir  les  apparences,  ils  veulent 
usurper  entièrement  la  récompense  qui  lui  est  due  et 
ne  peuvent  souffrir  les  puissances  établies  ou  exer- 
cées par  ses  règles.  Or,  comme  ceux  qui  ont  écrit  de 
l'art  de  bien  tromper  nous  apprennent  que,  pour  y 
bien  réussir,  il  faut  donner  quelquefois  de  véritables 
et  salutaires  avis,  cet  infidèle  ne  manqua  point  d'ap- 
porter cette  industrie  à  la  conduite  de  son  fatal  dessein. 

Pour  prendre  ses  sûretés,  il  lui^  avoue  souvent, 
durant  qu'il  taisoit  ces  trames,  que  force  gens  por- 
toient  le  Roi  à  secouer  le  joug  de  son  obéissance, 
mais  qu'il  se  falloit  rire  de  leurs  entreprises,  parce 

1.  Luj'nes  avait  été  pourvu  de  la  charge  de  grand  fauconnier 
en  1616,  à  la  mort  d'André  de  Vivonne,  sieur  de  la  Châtaigne- 
raie; il  la  garda  jusqu'à  sa  mort. 

2.  Le  manuscrit  B  portait  encore  ce  membre  de  phrase  qui  a 
été  rayé  :  «  Qu'elle  avoit  garanti  le  Roi  de  mille  périls,  non- 
serve  la  tranquillité  publique  par  ses  veilles.  » 

3.  C'est-à-dire  :  à  la  Reine. 


m  MÉMOIRES  [1617J 

que  son  maître  avoit  trop  de  confiance  en  lui  pour  lui 
en  cacher  les  auteurs  et  qu'elle  l'avoit  trop  obligé  pour 
n'en  point  empêcher  l'effet.  Il  lui  découvrit  que 
M.  de  Lesdiguières  avoit  écrit  et  offert  au  Roi  des  forces 
pour  le  mettre  hors  de  tutelle,  pour  le  tirer  de  ses 
mains,  c'est-à-dire  pour  renverser  les  lois  de  la  piété 
naturelle  et  chrétienne.  Sur  les  bruits  qui  couroient 
que  le  Roi  n'étoit  point  satisfait  d'elle,  il  la  vint  trou- 
ver avec  Tronson  et  Marcillac  pour  l'assurer  du  con- 
traire et  lui  protester  qu'il  ne  se  passeroit  rien  auprès 
de  lui  dont  elle  ne  fût  ponctuellement  informée  ;  qu'il 
lui  amenoit  Tronson  et  Marcillac,  ses  intimes  amis, 
pour  être  cautions  de  sa  fidélité  et  lui  faire  reproche 
devant  Dieu  et  le  monde  s'il  manquoit  à  ses  pro- 
messes. 

Elle  eut  en  ces  témoins  la  croyance  que  leurs  actions 
passées  pouvoient  mériter.  L'un  d'eux  avoit  vendu  son 
maître  et  l'autre  déshonoré  sa  maison  pour  s'enrichir  ; 
l'un  portoit  sur  ses  épaules  des  marques  de  sa  trahi- 
son*, et  l'autre  en  la  prostitution  de  ses  sœurs  des 
preuves  de  son  infamie. 

Enfin,  ce  choix  de  deux  cautions  si  mauvaises  ayant 
fait  connoitre  qu'elle  étoit  trompée,  elle  se  résolut  de 
prévenir  le  mal  par  une  retraite  volontaire,  de  laisser 
à  d'autres  la  gloire  du  gouvernement. 

N'ayant  pu,  quelque  temps  auparavant,  venir  à  bout 
du  traité  de  la  Mirandole,  comme  nous  avons  dit 
ci-dessus^,  elle  voulut  essayer  d'avoir  du  pape  Paul  V 

1.  Allusion  aux  coups  de  bâton  donnés  par  le  marquis  de 
Rochefort  à  Marcillac  pour  avoir  médit  de  Monsieur  le  Prince 
(voyez  tome  I,  p.  333). 

2.  Ci-dessus,  p.  27. 


[1617]  DE  RICHELIEU.  175 

l'usufruit  du  duché  de  Ferrare  sa  vie  durant;  mais  sa 
chute  arriva  avant  que  sa  négociation  fût  achevée  ;  car 
l'ardeur  avec  laquelle  le  maréchal  d'Ancre  se  portoit 
à  ruiner  les  ministres  fut  cause  de  hâter  sa  mort  et 
peut-être  donna  la  résolution  à  Luynes  de  l'entre- 
prendre. 

Encore  que  nous  '  sussions  que  cette  inquiétude  qu'il 
avoit  étoit  pour  notre  sujet  et  pour  nous  malfaire,  nous 
usions  néanmoins  de  telle  discrétion  et  secret,  qu'étant 
résolus  de  nous  retirer,  jamais  personne  n'en  sut  rien. 
D'où  il  arriva  que  Luynes,  qui  étoit  de  son  naturel 
fort  timide  et  soupçonneux,  qui  sont  deux  conditions 
d'esprit  qui  s'accompagnent  l'une  l'autre,  fut  aisé  à 
persuader  que  c'étoit  à  lui  à  qui  le  maréchal  en  vou- 
loit  ;  et  tous  ceux  qui  espéroient  profiter  dans  ce  chan- 
gement poussoient  à  la  roue  et  augmentoient  ses  soup- 
çons et  ses  craintes. 

Il  chercha  premièrement  toutes  sortes  de  moyens 
pour  s'assurer  contre  cet  orage.  Il  fit  proposer  au 
maréchal  qu'il  lui  donnât  en  mariage  une  de  ses 
nièces-  qu'il  avoit  à  Florence  ;  mais  sa  femme ^,  qui  étoit 
bien  aise  qu'il  n'eût  pas  cet  appui  auprès  du  Roi  afin 
qu'il  dépendit  toujours  d'elle,  n'y  voulut  jamais  con- 
sentir; et  lui,  qui  savoit  bien  que  c'étoit  perdre  temps 
de  l'entreprendre  contre  son  gré  et  qui  ne  vouloit 

1.  C'est-à-dire  Barbin  et  Richelieu. 

2.  Le  frère  aîné  du  maréchal,  Barthélémy  (ci-après,  p.  192) 
eut  cinq  filles,  selon  Litta  :  Camille,  qui  épousa  un  Buondel- 
monti  et  mourut  en  1677;  Geneviève,  mariée  à  François  Orlan- 
dini;  Marie,  morte  sans  alliance;  Eléonore,  qui  épousa  un 
Ricasoli;  enfin  Hippolyte,  mariée  au  marquis  Alexandre  Cap- 
poni;  il  s'agit  sans  doute  d'une  des  aînées. 

3.  La  maréchale  d'Ancre. 


176  MÉMOIRES  [4617] 

pas  paroître  dépendre  d'elle,  témoigna  ne  le  dési- 
rer pas. 

Se  voyant  refusé,  il  se  tourna  du  côté  de  Barbin  et 
lui  fit  semblablement  demander,  par  Marcilly^,  une 
de  ses  nièces  en  mariage  pour  le  sieur  de  Brantes, 
son  frère  ;  et,  sur  ce  qu'il  répondit  qu'il  n'avoit  lûen 
pour  donner  à  sa  nièce,  il  lui  dit  qu'ils  n'avoient  que 
faire  de  bien  ni  l'un  ni  l'autre,  que  c'étoit  le  Roi  qui 
vouloit  ce  mariage  et  qu'il  leur  en  donneroit  assez  à 
tous  deux.  Barbin  le  désiroit,  et  je  le  lui  conseillois; 
mais  il  s'arrêta  sur  ce  qu'il  n'en  osoit  parler  à  la  Reine, 
s'assurant  que  le  maréchal  et  sa  femme  ne  manque- 
roient  pas  de  se  servir  incontinent  de  ce  moyen  pour 
faire  croire  à  S.  M.  qu'il  la  trompoit.  Se  voyant,  ce 
lui  sembloit,  rebuté  de  tous  côtés,  il  crut  que  c'étoit 
par  résolution  prise  de  le  chasser  et  fit  croire  au  Roi 
qu'on  en  vouloit  à  sa  personne,  que  cela  en  étoit  une 
preuve  manifeste,  qu'à  cela  tendoient  les  pensées  du 
maréchal  et  que  l'impatience  d'exécuter  bientôt  ce 
dessein  lui  donnoit  ces  inquiétudes  qu'il  avoit  si  extra- 
ordinaires. 

Il  tire  en  calomnie  une  action  de  la  Reine  et  de  son 
Conseil,  qui  avoit  été  faite  innocemment  et  prudem- 
ment sans  aucun  mauvais  dessein  contre  le  Roi,  et  avec 
une  très  bonne  raison  pour  le  bien  de  son  service.  Au 
commencement  du  remuement  des  princes  à  Soissons, 
la  Reine  envoya  toutes  les  forces  que  le  Roi  avoit 
auprès  de  sa  personne  à  l'entour  de  ladite  ville,  et, 

1.  Sans  doute  Claude  Paulet,  vicomte  de  Marcilly,  seigneur  de 
Saint-Germain,  capitaine-lieutenant  des  chevau-légers  de  la 
Reine,  mestre  de  camp  de  cavalerie  et  maréchal  des  camps  et 
armées  du  Roi.  Il  prit  part,  entre  autres,  à  la  campagne  de  1636. 


[1617]  DE  RICHELIEU.  177 

entres  autres,  ses  compagnies  de  gendarmes  et  de 
chevau-légers  ;  ce  qu'elle  faisoit  pour  empêcher  ceux 
de  Soissons  de  venir  courir  aux  portes  de  Paris  et  l'in- 
commoder, et  pour  empêcher  aussi  qu'ils  ne  pussent 
recevoir  secours  du  dehors,  cependant  que  l'armée  du 
Roi  s'assembleroit  pour  l'assiéger.  Le  Roi  n'ayant  plus 
de  cavalerie  auprès  de  lui  et  néanmoins  ne  laissant 
pas  d'aller  à  la  chasse  proche  de  Paris,  la  Reine  eut 
crainte  que  l'on  pût  faire  quelque  entreprise  sur  sa 
personne  et  arrêta  sa  compagnie  de  chevau-légers, 
qui  passoit  aux  portes  de  Paris  pour  aller  à  l'armée, 
afin  de  garder  la  personne  du  Roi  et  la  sienne,  en 
attendant  que,  l'armée  étant  arrivée  à  Soissons,  on 
pût  renvoyer  au  Roi  sesdites  compagnies.  Luynes  prit 
sujet  sur  cela  de  jeter  une  défiance  en  l'esprit  du  Roi 
contre  la  Reine,  comme  si  elle  eût  eu  dessein  de  tenir 
sa  personne  en  sa  puissance,  la  faisant  garder  par 
des  gens  qui  étoient  à  elle  et  ayant  éloigné  ceux  qui 
étoient  à  lui.  Il  ajouta  que  le  maréchal  d'Ancre  avoit 
dessein  de  s'assurer  des  personnes  de  Monsieur  et  dé 
Monsieur  le  Comte. 

Le  Roi,  dès  longtemps   mécontent    du    maréchal 
d'Ancre  S  se  résolut  sur  toutes  ces  choses  de  le  faire 

1.  «  Le  Roi,  dit  Pontchartrain,  recevoit  du  déplaisir  de  se 
voir  méprisé  et  comme  abandonné,  n'ayant  personne  à  sa  suite, 
que  deux  ou  trois  gentilshommes  ses  domestiques,  entre 
lesquels  étoit  M.  de  Luynes  et  quelques  valets  suivants...  Il  se 
voyoit  entièrement  éloigné  et  exclu  de  tous  conseils  et  de  toutes 
affaires,  et  même  faisoit-on  courir  malicieusement  des  bruits 
qu'il  en  étoit  incapable,  qu'il  avoit  l'esprit  trop  foible  et  trop 
peu  de  jugement  et  que  sa  santé  n'étoit  pas  assez  forte  pour 
prendre  ces  soins...  Quelques-uns  lui  disoient  qu'il  falloit  qu'il 
trouvât  bon  que  les  choses  allassent  ainsi,  et  que,  s'il  faisoit 
II  12 


178  MÉMOIRES  [1617] 

arrêter  prisonnier.  Luynes,  qui  ne  croit  pas  pouvoir 
trouver  sûreté  que  dans  sa  mort  et  qui  croit  que  l'ac- 
commodement entre  le  fils  et  la  mère,  le  Roi  et  la 
Reine,  seroit  facile  si  l'offense  étoit  légère,  fait  instance 
de  le  faire  tuer,  à  quoi  le  Roi  ne  voulut  point  consen- 
tir, qu'en  cas  qu'il  se  mit  en  devoir  de  résister  à  ses 
volontés. 

Pour  exécuter  ce  dessein,  Luynes  et  ceux  qui  étoient 
de  son  parti  jetèrent  les  yeux  sur  le  baron  de  Vitry' 
pour  le  rendre  ministre  et  exécuteur  de  leurs  passions. 
Pour  l'y  disposer,  ils  portèrent  le  Roi  à  lui  faire  des 
caresses  extraordinaires  ;  ensuite  Luynes  lui  témoigna 
que  S.  M.  avoit  une  grande  confiance  en  lui  et  qu'en 
son  particulier  il  vouloit  le  servir  auprès  d'elle 
comme  s'il  étoit  son  frère.  Par  après,  une  autre  fois, 
il  lui  dit  que  le  Roi  avoit  si  bonne  opinion  de  lui  qu'il 
lui  avoit  dit  en  particulier  qu'il  étoit  capable  de 
grandes  entreprises  et  qu'il  s'y  fieroit  de  sa  vie. 

Le  baron  de  Vitry,  sans  se  douter  de  ce  à  quoi  on 
le  vouloit  employer,  témoignant  se  sentir  obligé  de 

paroître  qu'il  en  usât  autrement,  sa  vie  n'étoit  pas  assurée 
parmi  ceux  qui  avoient  le  pouvoir  absolu  dans  son  royaume. 
Cependant,  toutes  choses  se  faisoient  et  délibéroient  chez  la 
Reine-mère,  en  apparence  le  matin  après  son  lever,  en  pré- 
sence des  princes  et  officiers  de  la  couronne  qui  s'y  trouvoient, 
mais  en  effet  le  soir,  quand  chacun  étoit  retiré,  avec  la  maré- 
chale d'A.ncre,  assistée  des  sieurs  Barbin,  Mangot,  garde  des 
sceaux,  et  de  l'évêque  de  Luçon,  secrétaire  d'Etat  »  (Pontchar- 
ti'ain,  Mémoires,  éd.  Michaud  et  Poujoulat,  p.  386-387). 

1.  Nicolas  de  l'Hospital,  baron,  puis  marquis  de  Vitry  (1572- 
1645),  était  alors  capitaine  des  gardes  du  corps.  Après  l'assassi- 
nat du  maréchal  d'Ancre,  il  fut  nommé  raai'échal  de  France, 
puis  gouverneur  de  Provence  en  1632.  Disgracié  en  1637,  il  fut 
enfermé  à  la  Bastille  et  y  demeura  jusqu'en  1644. 


[1617]  DE  RICHELIEU.  179 

cette  confiance,  le  pria  d'assurer  le  Roi  qu'il  ne  seroit 
pas  trompé  et  qu'en  toutes  occasions  il  sui\Toit  aveu- 
glément ses  volontés.  Par  après,  une  autre  fois, 
Luynes  lui  dit  qu'il  avoit  dit  au  Roi  les  assurances 
qu'il  lui  avoit  données  de  son  service,  ce  qu'il  avoit 
eu  si  agréable  qu'il  lui  avoit  commandé  de  lui  témoi- 
gner le  gré  qu'il  lui  en  savoit,  et  que,  pour  preuve  de 
sa  confiance,  il  lui  avoit  ordonné  de  tirer  parole  et  ser- 
ment de  lui  de  ne  parler  à  qui  que  ce  pût  être  au 
monde  d'une  affaire  qu'il  lui  vouloit  découvrir,  et 
savoir  déterminément  s'il  exécuteroit  pas  tout  ce  que 
S.  M.  lui  commanderoit. 

Le  sieur  de  Vitry  le  lui  ayant  promis,  le  sieur  de 
Luynes,  qui  appréhendoit  qu'on  prît  soupçon  si  on  les 
voyoit  souvent  parler  ensemble,  lui  donna  rendez- 
vous  pour  se  trouver  la  nuit,  avec  ordre  de  la  part 
du  Roi  de  recevoir  ce  qui  lui  seroit  dit  par  ceux  qu'il 
trouveroit  audit  lieu  comme  si  c'étoit  de  la  bouche 
du  Roi.  L'heure  de  l'assignation  étant  venue,  le  sieur 
de  Vitry  fut  étonné  que,  s'étant  trouvé  au  lieu  pres- 
crit, il  vît  le  sieur  Tronson,  Marcillae,  dont  il  recon- 
noissoit  la  réputation,  Déageant^  et  un  jai^dinier  des 
Tuileries.  Si  jamais  homme  a  été  étonné,  il  a  dit  fran- 
chement depuis  que  c'étoit  lui,  entendant  l'impor- 
tance de  la  proposition  qui  lui  fut  faite  par  des  gens 
tels  que  ceux-ci  qu'il  voyoit. 

Il  le  fut  bien  encore  davantage  quand,  par  discours, 
il  apprit  qu'ils  n'étoient  pas  seuls  qui  avoient  connois- 
sance  de  ce  dessein.  Cependant,  l'espérance  de  faire 
une  grande  fortune  et  l'engagement  auquel  il  étoit 

1.  Déageant,  dans  ses  Mémoires  (éd.  1668,  p.  47-51),  prétend 
avoir  été  très  au  courant  de  ces  secrètes  négociations. 


180  MÉMOIRES  [1617] 

déjà  le  portèrent  à  en  entreprendre  l'exécution*, 
et  Dieu  permit  qu'ainsi  que  l'expérience  fait  con- 
noitre  que  souvent  le  secret  et  la  fidélité  que  les  lar- 
rons se  gardent  surpasse  celle  que  les  gens  de  bien 
ont  aux  meilleurs  desseins,  celle  qui  fut  gardée  en 
cette  occasion  fut  si  entière  que,  bien  que  beaucoup 
de  personnes  sussent  ce  dessein,  il  fut  conservé 
secret  plus  de  trois  semaines,  en  attendant  une  heure 
propre  pour  son  exécution,  qui  arriva  le  24®  avril,  que 
ledit  sieur  de  Vitry,  accompagné  de  quelque  vingt 
gentilshommes  qui  le  suivoient  négligemment  en  appa- 
rence, aborda  le  maréchal  d'Ancre  comme  il  entroit 
dans  le  Louvre  et  étoit  encore  sur  le  pont.  Il  étoit  si 
échauffé  ou  si  étonné,  qu'il  le  passoit  sans  l'aperce- 
voir :  un  de  ceux  qui  l'accompagnoient  l'en  ayant 
averti,  il^  retourne,  et  lui  dit  qu'il  le  faisoit  prison- 
nier de  par  le  Roi;  et,  tout  en  même  temps,  l'autre 
n'ayant  eu  le  loisir  que  de  lui  dire  :  «  Moi,  prison- 
nier! »,  ils  lui  tirèrent  trois  coups  de  pistolet,  dont  il 
tomba  tout  roide  mort.  Un  des  siens  voulut  mettre 
l'épée  à  la  main;  on  lui  cria  que  c' étoit  la  volonté  du 
Roi  :  il  se  retint.  En  même  temps,  le  Roi  parut  à  la 
fenêtre  et  tout  le  Louvre  retentit  du  cri  de  :  «  Vive  le 
Roi!  » 

Le  sieur  de  Vitry  monta  en  la  chambre  de  S.  M. 
et  lui  dit  qu'il  ne  l'avoit  pu  arrêter  vif  et  avoit  été 
contraint  de  le  tuer.  Son  corps  fut  traîné  dans  la  petite 
salle  des  portiers  et  de  là  mis  dans  le  petit  jeu  de 
paume  du  Louvre  ;  et,  sur  les  neuf  heures  du  soir, 

1.  Le  manuscrit  B  portait  avant  la  correction  de  Sancy  :  à 
enlreprendre  l'exécution  de  ce  dessein  proposé. 

2.  Cet  //  se  l'apporte  à  Vitry. 


[1617]  DE  RICHELIEU.  181 

enseveli  dans  Saint-Germain-de-lWuxerrois,  sous  les 
orgues. 

Il  avoit  eu,  durant  sa  vie,  quelque  aversion  dudit 
Vitry,  et,  quand  il  fut  capitaine  des  gardes  au  lieu  de 
son  père*,  il  disoit  :  «  Per  Dio,  il  ne  me  plaît  point  que 
ce  Vitry  soit  maître  du  Louvre.  »  Vitry  aussi  ne  le 
saluoit  point  et  s'en  vantoit  ;  et,  comme  on  remarque 
que  les  loups  connoissent  et  craignent  les  lévriers  qui 
les  doivent  mordre,  il  appréhendoit  l'audace  dudit 
sieur  de  Vitry  et  disoit  souvent  qu'il  étoit  capable  d'un 
coup  hardi. 

En  même  temps,  on  fit  retirer  du  Louvre  les  gardes 
de  la  Reine  mère,  jugeant  qu'elle  seroit  aussi  bien 
gardée  par  ceux  du  Roi  que  par  les  siens  et  qu'il 
étoit  expédient  qu'il  n'y  eût  qu'une  marque  d'auto- 
rité dans  la  maison  royale.  On  lui  donna  des  gardes 
du  Roi,  et  fit-on  murer  quelques-unes  de  ses  portes 
pour  empêcher  les  diverses  avenues  de  sa  chambre'. 

Il  courut  un  bruit  par  la  ville  que  le  Roi  avoit  été 
blessé  dans  le  Louvre,  et  autres  disoient  que  ç' avoit 
été  par  le  maréchal  d'Ancre.  Sur  cette  rumeur,  on 
ferme  les  boutiques,  on  court  au  Louvre  et  au  Palais. 
Liancourt^  fut  envoyé  par  la  ville  dire  que  le  Roi  se 

1.  Louis  de  l'Hospital,  marquis  de  Vitry,  avait  été  capitaine 
des  gardes  du  corps  de  Henri  III;  Henri  IV  lui  avait  rendu 
cette  charge  lorsqu'il  se  rallia  à  lui  en  1593,  et  il  la  conserva 
jusqu'à  sa  mort. 

2.  Cette  phrase  a  été,  en  partie,  substituée  par  Sancy,  sur  le 
manuscrit  B,  à  la  phrase  suivante  :  «  On  donna  des  gardes  du 
Roi  à  la  Reine,  de  l'appartement  de  laquelle  on  mura  quelques 
portes,  afin  qu'il  y  en  eût  moins  à  garder.  » 

3.  Charles  du  Plessis,  seigneur  de  Liancourt,  comte  de  Beau- 
mont-sur-Oise,  chevalier  des  ordres  du  Roi  en  1588,  gouver- 


182  MÉMOIRES  [4617] 

portoit  bien  et  que  le  maréchal  d'Ancre  étoit  mort.  Le 
colonel  d'Ornano*  en  alla  aussi  avertir  la  cour  de  Par- 
lement, et,  afin  que  ces  taux  bruits  ne  fussent  portés 
dans  les  provinces,  le  Roi  y  écrivit  ce  qui  s'étoit 
passé  :  que  l'abus  que  l'on  faisoit  de  son  autorité, 
qu'on  avoit  toute  usurpée,  sans  lui  en  laisser  quasi 
que  le  nom,  de  sorte  qu'on  tenoit  à  crime  si  quel- 
qu'un le  voyoit  en  particulier  et  l'entretenoit  de  ses 
affaires,  l'avoit  obligé  de  s'assurer  de  la  personne  du 
maréchal  d'Ancre,  lequel,  ayant  voulu  faire  quelque 
résistance,  auroit  été  tué,  et  (jue  désormais  S.  M. 
vouloit  prendre  en  main  le  gouvernement  de  son 
État;  et,  partant,  qu'un  chacun  eût  à  s'adresser  à 
lui-même  es  demandes  et  plaintes  qu'ils  auroient  à 
faire,  et  non  à  la  Reine  sa  mère,  laquelle  il  avoit 
priée  de  le  trouver  bon  ainsi. 

Lorsque  cet  accident  arriva,  j'étois  chez  un  des 
recteurs  de  Sorbonne,  où  la  nouvelle  en  fut  apportée 
par  un  de  ses  confrères  qui  venoit  du  Palais.  J'en  fus 
d'autant  plus  surpris,  que  je  n'avois  jamais  prévu  que 
ceux  qui  étoient  auprès  du  Roi  eussent  assez  de  force 
pour  machiner  une  telle  entreprise.  Je  quittai  inconti- 
nent la  compagnie  de  ce  docteur,  célèbre  tant  pour 

neur  de  Metz  et  du  pays  Messin,  puis  gouverneur  de  Paris, 
chevalier  d'honneur  de  la  Reine  mère  en  janvier  1620,  mort  le 
20  octobre  suivant.  Sa  femme,  Anne  de  Pons,  connue  sous  le 
nom  de  M™^  de  Guercheville,  était  dame  d'honneur  de  Marie 
de  Médicis. 

1.  Jean-Baptiste  d'Ornano,  comte  de  Montlaur  (1581-1626), 
colonel  général  des  Corses,  lieutenant  général  en  Normandie, 
fut  gouverneur  de  Gaston  d'Orléans  en  1619  et  maréchal  de 
France  en  1626;  accusé  de  conspiration  et  emprisonné  au  châ- 
teau de  Vincennes,  il  y  mourut  le  2  septembre  1626. 


[1617]  DE  RICHELIEU.  183 

sa  doctrine  que  pour  sa  vertu,  qui  n'oublia  de  me 
dire  fort  à  propos  ce  que  je  devois  attendre  d'un 
homme  de  son  érudition  sur  l'inconstance  de  la  for- 
tune et  le  peu  de  sûreté  qu'il  y  a  aux  choses  qui 
semblent  être  plus  assurées  en  la  condition  humaine. 

En  m'en  venant,  comme  j'étois  sur  le  Pont-Neuf, 
je  rencontrai  Le  TremblayS  qui,  après  m'avoir  conté 
ce  qu'il  avoit  appris  au  Louvre  de  l'accident  qui  étoit 
arrivé,  me  dit  que  le  Roi  me  faisoit  chercher  et  qu'il 
s'étoit  même  chargé  de  me  le  faire  savoir  s'il  me  ren- 
controit.  Comme  je  fus  proche  du  Louvre,  je  sus  que 
les  sieurs  Mangot  et  Barbin  étoient  chez  le  sieur  de 
Bressieux-,  premier  écuyer  de  la  Reine;  je  montai  où 
ils  étoient,  où  je  sus  qu'ils  avoient  déjà  appris  ce  que 
Le  Tremblay  m' avoit  dit  et,  qui  plus  est,  qu'on  par- 
loit  de  Barbin  auprès  du  Roi  avec  une  grande  animo- 
sité,  qui  ne  lui  donnoit  pas  peu  de  crainte. 

Nous  mîmes  en  délibération  s'ils  viendroient  au 
Louvre  avec  moi,  et  tous  ceux  qui  en  venoient  nous 
confirmant  ce  qui  nous  avoit  été  dit  des  uns  et  des 
autres,  il  fut  résolu  que  nous  n'irions  au  Louvre  (jue 
les  uns  après  les  autres,  et  qu'eux,  demeurant  encore 
là  pour  quelque  temps,  je  m'en  irois  devant  pour  rece- 
voir les  commandements  du  Roi.  Continuant  mon  che- 
min, je  rencontrai  divers  visages  qui,  m'ayant  fait 
caresses  deux  heures  auparavant,  ne  me  reconnois- 
soient  plus,   plusieurs  aussi  qui  ne  me  firent  point 

1.  Charles  Le  Clerc,  seigneur  du  Tremblay,  frère  du  célèbre 
P.  Joseph,  fut  capitaine  de  chevau-légers,  puis  gouverneur 
de  la  Bastille. 

2.  Louis  de  Grolée,  baron,  puis  en  1612  marquis  de  Bres- 
sieux et  comte  de  Ribiers. 


184  MÉMOIRES  [1617] 

connoitrc    de    chan^^er    pour    le   changement  de    la 
fortune. 

D'abord  que  j'entrai  dans  la  galerie  du  Louvre,  le 
Roi  étoit  élevé  sur  un  jeu  de  billard  pour  être  mieux 
vu  de  tout  le  monde.  Il  m'appela  et  me  dit  qu'il  savoit 
bien  que  je  n'avois  pas  été  des  mauvais  conseils  du 
maréchal  d'Ancre  et  que  je  l'avois  toujours  aimé  (il 
usa  de  ces  mots)  et  été  pour  lui  aux  occasions  qui 
s'en  étoient  présentées  ;  en  considération  de  quoi  il  me 
vouloit  bien  traiter. 

Le  sieur  de  Luynes,  qui  étoit  auprès  de  lui,  prit  la 
parole  et  dit  au  Roi  qu'il  savoit  bien  que  j'avois  plu- 
sieurs fois  pressé  la  Reine  de  me  donner  mon  congé, 
et  qu'en  diverses  occasions  j'avois  eu  brouillerie  avec 
le  maréchal  sur  des  sujets  qui  concernoient  particu- 
lièrement S.  M.  11  me  fit  ensuite  beaucoup  de  protes- 
tations d'amitié.  Je  repartis  à  ce  qu'il  lui  avoit  plu  de 
me  dire  à  la  vue  de  tout  le  monde  qu'assurément  il  ne 
seroit  jamais  trompé  en  la  bonne  opinion  qu'il  avoit 
de  moi,  qui  mourrois  plutôt  que  manquer  jamais  à 
son  service;  que  je  confessois  ingénuement  avoir  tou- 
jours remarqué  peu  de  prudence  au  maréchal  d'Ancre 
et  beaucoup  d'inconsidérations  ;  mais  que  je  devois  cet 
hommage  à  la  vérité  de  dire,  en  cette  occasion,  que 
je  n'avois  jamais  connu  qu'il  eût  mauvaise  volonté 
contre  la  personne  de  S.  M.  ni  aucun  dessein  qui 
fût  directement  contre  son  service  ;  que  je  louois  Dieu, 
s'il  en  avoit  eu,  de  ce  qu'il  n'avoit  pas  eu  assez 
de  confiance  en  moi  pour  me  les  découvrir;  qu'il 
étoit  vrai  que  j'avois  plusieurs  fois  pressé  la  Reine  de 
me  donner  mon  congé,  mais  que  ce  n'étoit  point  pour 
aucun   mauvais  traitement  que  j'eusse  reçu   d'elle, 


[1617]  DE  RICHELIEU.  185 

dont,  tout  au  contraire,  j'avois  toute  occasion  de  me 
louer,  mais  bien  pour  le  peu  de  conduite  qu'avoit  le 
maréchal,  les  soupçons  perpétuels  qu'il  avoit  de  ceux 
qui  l'approchoient  et  les  mauvaises  impressions  que  je 
craignois  qu'il  donnât  de  moi  à  la  Reine.  J'ajoutai  que 
je  devois  dire  avec  la  même  vérité  que  les  sieurs 
Mangot  et  Barbin  avoient  eu  les  mêmes  sentiments 
de  s'en  retirer,  que  j'en  avois  fait  instance  pour  l'un 
et  pour  l'autre,  et  particulièrement  pour  le  dernier. 
Après  cela,  je  m'approchai  plus  près  du  sieur  de 
Luynes,  le  remerciai  en  particulier  des  bons  offices 
qu'il  m' avoit  rendus  auprès  du  Roi,  et  l'assurai  démon 
affection  et  de  mon  service. 

Ensuite,  je  lui  voulus  donner  même  assurance  du 
sieur  Barbin,  dont  je  lui  dis  tout  le  bien  qu'il  me  fut 
possible,  conformément  à  la  sincérité  que  j'avois 
reconnue  en  ses  actions.  11  me  témoigna  par  son 
visage,  son  geste  et  ses  paroles  avoir  fort  désagréable 
ce  que  je  lui  disois  sur  ce  sujet.  Lors  je  lui  dis  avec 
plus  d'adresse  qu'il  me  fut  possible  qu'il  seroit  loué 
de  tout  le  monde  s'il  ne  lui  faisoit  point  de  mal,  et 
qu'en  effet  je  pouvois  répondre  qu'il  ne  l'avoit  point 
mérité,  ni  pour  le  respect  du  Roi  ni  de  son  particu- 
lier. A  quoi  il  me  répondit  :  «  Au  nom  de  Dieu,  ne 
vous  mêlez  point  de  parler  pour  lui  ;  le  Roi  le  trou- 
veroit  très  mauvais;  mais  allez-vous-en  au  lieu  où 
sont  assemblés  tous  ces  Messieurs  du  Conseil,  afin 
qu'on  voie  la  différence  avec  laquelle  le  Roi  traite 
ceux  qui  vous  ressemblent  et  les  autres  qui  ont  été 
employés  en  même  temps.  »  11  ajouta  ensuite  :  «  Il 
faut  que  quelqu'un  vous  y  conduise,  autrement  on 
ne  vous  laisseroit  pas  entrer;    »   et  appela  le  sieur 


!86  MÉMOIRES  [1617] 

de  VignollesS  qui  étoit  là  présent,  et  lui  dit  qu'il 
m'accompagnât  au  Conseil,  et  dit  à  ces  messieurs  que 
le  Roi  m'avoit  commandé  d'y  descendre  et  vouloit 
que  j'y  eusse  entrée.  Je  balançai  en  moi-même  si  je 
devois  recevoir  cet  honneur;  mais  j'estimai  (ju'en 
cette  grande  mutation  les  marques  de  la  bonne  grâce 
du  Roi  me  dévoient  être  chères,  vu  que,  par  après, 
mes  actions  feroient  bien  connoître  que  je  les  recevois 
par  la  pure  estime  que  le  Roi  faisoit  de  moi  et  non 
par  aucune  connivence  que  j'eusse  eue  avec  ceux  qui 
avoient  machiné  la  mort  du  maréchal  d'Ancre. 

Prenant  congé  du  sieur  de  Luynes,  je  lui  demandai, 
le  plus  adroitement  qu'il  me  fut  possible  pour  ne  lui 
déplaire  pas,  s'il  ne  me  seroit  point  permis  de  voir  la 
Reine  et  que,  s'il  lui  plaisoit  me  faire  accorder  cette 
grâce,  j'en  userois  assurément,  non  pour  aigrir,  mais 
pour  adoucir  son  esprit.  Il  me  répondit  qu'il  n'étoit 
pas  temps  de  penser  à  obtenir  cette  perinission  du 
Roi;  que,  si  on  l'accordoit  à  d'autres,  il  se  souvien- 
droit  de  la  demande  que  je  lui  faisois. 

Lors  je  sortis  avec  le  sieur  de  Vignolles,  qui  n'eut 
pas  plus  tôt  fait  sa  commission  envers  ces  Messieurs 
qui  étoient  assemblés  au  Conseil,  où  étoient  MM.  du 
Vair,  Villeroy,  président  Jeannin,  Déageant,  et  les 
secrétaires  d'État,  et  plusieurs  autres  confusément, 
que  le  sieur  de  Villeroy,  que  j'avois  servi  jusques  à  ce 
point  de  n'avoir  point  fait  de  difficulté,  dans  l'emploi 
où  j'avois  été  des  affaires,  de  me  mettre  mal  à  son  occa- 

1.  Bertrand  de  Vignolles,  dit  La  Hire,  fils  de  François  de 
Vignolles  et  de  Marie  de  la  Rochebeaucourt,  maréchal  de  camp, 
mort  à  Péronne  le  5  octobre  1636. 


[1617]  DE  RICHELIEU.  187 

sion  avec  le  maréchal  d'Ancre*,  eut  dessein  de  s'op- 
poser à  mon  entrée  en  ce  lieu  et  demanda  en  quelle 
qualité  je  m'y  présentois.  M.  de  Vignolles  ne  pouvant 
répondre^  et  me  faisant  savoir  cette  difficulté,  je 
le  priai  de  lui  dire  que  je  m'y  présentois  par  pure 
obéissance,  sans  dessein  de  m'y  conserver  l'entrée 
qu'il  avoit  plu  au  Roi  de  m'y  donner,  beaucoup  moins 
l'emploi  de  sa  charge  où  j'avois  été  et  où  je  l'avois 
servi  notablement. 

Après  cette  réponse,  ces  Messieurs  continuèrent  à 
mettre  les  ordres  qu'ils  estimoient  nécessaires  pour 
faire  savoir  dans  toutes  les  provinces^  et  hors  le  royaume 
la  résolution  que  le  Roi  avoit  prise;  ce  qui  leur  fut 
fort  aisé,  vu  que,  pour  cet  effet,  ils  n'eurent  qu'à  suivre 
les  mémoires  et  les  dépêches  que  le  sieur  Déageant 
avoit  dressés,  il  y  avoit  longtemps. 

Tandis  que  je  fus  en  ce  lieu,  je  parlai  toujours  à 
diverses  personnes  qui  s'y  rencontrèrent  n'être  pas 
des  plus  empêchées,  et  ne  m'approchai  point  de  ces 
Messieurs  qui  faisoient  l'âme  du  Conseil.  Après  avoir 
été  assez  en  ce  lieu  pour  dire  que  j'y  étois  entré,  je 
me  retirai  doucement.  Je  rencontrai  dans  la  cour  le 
sieur  Mangot  qui  montoit  pour  aller  trouver  le  Roi  ; 
lui  ayant  dit  succinctement  ce  qui  s'étoit  passé,  je 
continuai  mon  voyage,   et  lui  le  sien.  Je  n'eus  pas 

1.  Var.  :  Que  le  sieur  de  Villeroy,  sans  avoir  égard  que,  dans 
l'emploi  où  j'avois  été  des  affaires,  je  fus  obligé  de  me  mettre 
mal  à  son  occasion  avec  le  maréchal  d'Ancre  (H). 

2.  Var.  :  Ne  sachant  que  répondre  (M,  H). 

3.  La  lettre  adressée  à  cet  effet,  dès  le  24  avril,  à  tous  les 
gouverneurs  de  provinces,  a  été  imprimée  dans  le  Mercure 
français,  t.  IV,  année  1617,  p.  201. 


188  MÉMOIRES  [1617] 

demeuré  demi -heure  dans  mon  logis  que  j'appris 
qu'il  avoit  été  arrêté  dans  l'antichambre  du  Roi,  qu'on 
lui  avoit  demandé  les  sceaux  et  que,  par  après,  on 
l'avoit  renvoyé  chez  lui,  sans  user  d'autre  rigueur  en 
son  endroit.  J'appris  ensuite  que  le  sieur  Barbin  avoit 
des  gardes  en  son  logis  et  que  personne  ne  parloit 
à  lui. 

Il  avoit  appris  cette  nouvelle  sur  les  onze  heures, 
comme  il  étoit  descendu  de  son  cabinet  pour  aller  au 
Louvre  au  conseil  des  affaires.  Des  Portes-Baudouin*, 
secrétaire  du  Conseil,  le  vint  trouver  là  et  lui  dit 
premièrement  qu'il  y  avoit  du  bruit  au  Louvre,  et, 
voyant  qu'il  s'avançoit  pour  y  aller,  lui  dit  que  c'étoit 
le  maréchal  d'Ancre  qui  y  avoit  été  tué  ;  puis  ajouta 
que  c'étoit  le  Roi  qui  l'avoit  fait  faire,  pensant  par 
cet  avis  le  détourner  d'y  aller.  Mais  il  lui  dit  que,  s'il 
étoit  absent  de  Paris,  il  y  viendroit  en  poste  à  cette 
nouvelle  et  qu'il  n'avoit  point  fait  d'actions  qui  deman- 
dassent les  ténèbres,  et,  en  parlant  ainsi,  s'avança 
vers  le  Louvre.  Mais,  voyant  qu'il  n'y  pou  voit  entrer 
à  cause  que  la  porte  étoit  fermée,  il  entra  chez  le  pre- 
mier écuyer  de  la  Reine,  où  j'ai  dit  que  je  l'avois 
trouvé,  et  ne  voulut  pas  retourner  chez  lui,  quoique 
ledit  Des  Portes  l'en  pressât,  pour  mettre  ordre  à  ses 
papiers;  à  quoi  il  répondit  qu'il  avoit  servi  le  Roi  de 
sorte  qu'il  vouloit  que  non  seulement  on  vît  ses 
papiers,  mais  son  cœur.  Quelqu'un  lui  vint  dire  alors 
qu'il  y  avoit  un  carrosse  à  six  chevaux  de  l'autre  côté 

1.  Pierre  Baudouin,  dit  Des  Portes-Baudouin,  secrétaire  des 
finances  en  1595,  puis  du  conseil  d  Etat  le  18  juillet  1617,  rem- 
plaça Déageant  comme  intendant  des  finances  en  mai  1618  et 
quitta  cette  place  en  1627. 


[1617]  DE  RICHELIEU.  189 

de  l'eau  qui  l'attendoit  pour  remmener  où  il  voudroit; 
mais  il  fit  réponse  qu'il  ne  vouloit  aller  autre  part  qu'au 
Louvre;  et,  se  voulant  mettre  en  état  d'y  aller  à  son 
tour,  un  exempt  des  gardes  du  corps  vint  avec  des 
archers  et  le  ramena  chez  lui^  où  il  vit  incontinent 
entrer  deux  commissaires  pour  saisir  ses  papiers, 
savoir  est  Gastille^,  intendant  des  finances,  et  Aubery, 
maître  des  requêtes  et  président  du  Grand  Conseil^, 
dont  l'un  ne  sa  voit  point  le  pouvoir  de  l'autre.  Ils 
entrèrent  en  contestation  dès  la  porte  du  logis  et  se 
donnèrent  quelques  coups  de  poing  à  qui  entreroit  le 
premier,  soit  d'affection  qu'ils  avoient  à  faire  leur 
charge  ou  par  la  vanité  de  leur  rang.  Ils  trouvèrent 
force  lettres  du  maréchal  d'Ancre,  bien  éloignées  du 
style  qu'ils  pensoient,  et  d'autres  papiers,  desquels  ils 
n'y  a  voit  aucun  qui  servît  à  leur  dessein,  mais  au  con- 
traire étoient  tous  à  l'honneur  dudit  Barbin. 

Incontinent  après  que  le  maréchal  fut  tué,  M.  de 
Vitry  alla  à  la  chambre  de  la  maréchale,  qui  étoit  proche 
de  celle  de  la  Reine,  l'arrêta  prisonnière  et  se  saisit  de 
tout  ce  qu'elle  avoit   dans  la  chambre,  or,  argent, 

1.  «  Le  capitaine  Bourgongne,  exempt  des  gardes,  vint  dire  à 
M.  Barbin  qu'il  avoit  commandement  du  Roi  de  le  mener  en 
son  logis.  Il  ne  s'est  jamais  vu  plus  grandes  insolences  que 
celles  dont  on  usa  envers  M.  Barbin  »  [Journal  d'Arnauld 
d'Andilly,  p.  293). 

2.  Pierre  Jeannin  de  Castille  (1581-1629),  sieur  de  Blanc- 
buisson,  conseiller  au  Grand  Conseil  (1601),  grand  rapporteur 
en  la  Chancellerie  (1604),  maître  des  requêtes  ordinaire  de 
l'hôtel  (1611),  ambassadeur  en  Suisse  (1611-1616),  conseiller 
d'État,  contrôleur  général  et  intendant  des  finances  (1616-1622). 

3.  Jean  Aubery,  reçu  maître  des  requêtes  le  16  février  1607, 
(ut  fait  conseiller  d'État  en  1621. 


190  MÉMOIRES  [1617] 

bagues  et  meubles.  Elle  portoit  sur  elle  les  bagues  de 
la  couronne,  tant  elle  étoit  en  crainte  perpétuelle  qu'il 
lui  arrivât  quelque  désastre,  qu'elle  ne  pensoit  pas 
être  en  sûreté  si  elle  n'avoit  sur  soi  des  trésors  pour 
se  racheter.  Elle  ne  pou  voit  porter  néanmoins  ceux-là 
sans  faute;  car,  outre  qu'elle  sembloit  se  les  vouloir 
approprier,  les  choses  de  cette  nature  doivent  tou- 
jours être  gardées  en  un  lieu  stable  et  sûr  et  non  sur 
une  personne  où  elles  couroient  plusieurs  sortes  de 
hasards. 

Le  maréchal  de  Vitry  se  saisit  desdites  bagues  et 
mena  ladite  maréchale  en  la  même  chambre  où  Mon- 
sieur le  Prince  avoit  été  mis  prisonnier.  A  l'instant 
même,  on  envoya  aussi  au  logis  dudit  maréchal  se 
saisir  de  ses  meubles  et  papiers;  mais,  le  plus  de  bien 
qu'il  avoit,  fut  trouvé  sur  sa  personne,  ayant  sur  lui 
des  promesses  pour  dix-neuf  cent  mille  livres.  Une 
partie  de  sa  maison  fut  pillée,  et  entre  les  autres  la 
chambre  du  fils^  dudit  maréchal,  que  ledit  sieur  de 
Vitry  mit  en  la  garde  de  quelques  soldats  jusques  à  ce 
que  le  Roi  en  eût  ordonné.  Son  père  le  faisoit  appeler 
comte  de  la  Pêne,  qui  est  une  bonne  maison  d'Italie, 
de  laquelle  il  disoit  être  descendu.  G'étoit  un  jeune 
garçon  de  douze  ans,  bien  nourri,  qui  promettoit 
quelque  chose  de  bon  et  qui  méritoit  une  meilleure 
fortune;  car,  quant  à  sa  fîlle^,  dont  nous  avons  tant 
parlé  es  années  précédentes,  de  laquelle  il  espéroit 
faire  une  grande  alliance,  elle  étoit  morte  quelque 
temps  auparavant^.  Dieu,  ayant  pitié  de  l'infirmité  de 

1.  Henri  Concini  :  tome  I,  p.  167. 

2.  Marie  Concini  :  tome  I,  p.  206. 

,3.  Sancy  a  écrit  en  marge  du  manuscrit  B  :  le  premier  jour 
de  janvier  de  la  présente  année. 


[1617]  DE  RICHELIEU.  191 

son  sexe,  la  voulut  soustraire  aux  désastres  qui  la 
menaçoient  si  elle  eût  vécu  jusques  alors. 

Le  baron  de  Vitry  fut  fait  à  l'instant  maréchal 
de  France  pour  récompense  de  l'exécution  qu'il  avoit 
faite.  Sa  charge  de  capitaine  des  gardes  fut  donnée 
au  sieur  du  Hallier^  son  frère,  qui,  ayant  étudié  pour 
être  homme  d'église  et  porté  l'habit  de  religieux  dans 
l'abbaye  Sainte-Geneviève,  en  espérance  de  succéder 
à  l'abbé,  qui  étoit  son  parent-,  avoit  quitté  cette  pro- 
fession à  la  mort  de  l'un  de  ses  frères'^;  et,  nonobstant 
que  cela  lui  fît  tort  en  la  vie  du  monde,  en  laquelle  il 
entroit,  néanmoins,  son  courage  et  sa  vertu,  aidés  de 
ce  qu'étoit  son  père  dans  la  cour,  et  de  son  frère,  lui 
firent  acquérir  la  réputation  de  brave  et  sage  gentil- 
homme, et  il  fut  estimé  d'un  chacun  bien  digne  de  la 
charge  importante  qui  lui  fut  confiée. 

1.  François  de  IHospital  (1583-1660),  comte  de  Rosnay,  sei- 
gneur du  Rallier.  Destiné  d'abord  à  l'état  ecclésiastique,  il 
avait  été  nommé  évêque  de  Meaux  par  Henri  IV.  Il  prit  part 
aux  expéditions  de  la  Rochelle  et  du  Pas-de-Suse  (1628  et 
1630),  servit  en  Lorraine  (1633)  et  fit  toutes  les  campagnes 
qui  suivirent  sous  le  duc  de  \V  eimar  et  dans  l'armée  du  maré- 
chal de  Châtillon.  Le  23  avril  1043,  il  fut  fait  maréchal  de 
France,  et,  en  1640,  avait  été  nommé  gouverneur  de  Cham- 
pagne et  de  Brie;  en  1649,  il  fut  pourvu  du  gouvernement  de 
Paris. 

2.  Joseph  Foulon,  abbé  de  Sainte-Geneviève  de  Paris  depuis 
1559,  avait  choisi  pour  coadjuteur  en  1604  le  jeune  François 
de  l'Hospital;  mais  la  mort  de  son  frère  l'ayant  fait  quitter 
l'état  ecclésiastique  en  1606,  Foulon  se  fit  adjoindre  Benjamin 
de  Brichanteau.  C'est  ce  dernier  qui  était  parent  de  MM.  de 
Vitry  par  leur  mère  Françoise  de  Brichanteau  de  Nangis  ; 
Richelieu  a  fait  confusion. 

3.  C'était  l'aîné;  envoyé  à  Rome  en  1600,  il  y  mourut  jeune, 
en  novembre  1606. 


192  MÉMOIRES  [1617] 

Persan,  beau-frère  de  Vitry*,  eut  la  lieutenanee- 
de  la  Bastille  et  la  charge  de  garder  Monsieur  le 
Prince  au  lieu  du  chevalier  Gonchine,  frère  du  défunt^. 

L'après-dînée  de  ce  jour,  tous  les  ordres  et  toutes 
les  compagnies  de  la  ville  vinrent  saluer  le  Roi  et 
lui  applaudirent  de  l'action  qu'il  avoit  faite.  Ils  trou- 
vèrent S.  M.  sur  un  jeu  de  billard,  où  le  sieur  de 
Luynes  l'avoit  fait  mettre  exprès  pour  être  vu  plus 
aisément  de  tout  le  monde ^.  On  lui  dit  depuis  que 
c'étoit  comme  un  renouvellement  de  la  coutume 
ancienne  des  François,  qui  portoient  leurs  rois,  à  leur 
avènement  à  la  couronne,  sur  leurs  pavois  à  l'entour 
du  camp,  pour  être  vus  et  recevoir  plus  aisément  les 
acclamations  de  joie  de  toute  son  armée,  dont  on  voit 
même  quelque  exemple  en  l'écriture  sainte  à  l'avène- 
ment d'un  des  rois  du  peuple  de  Dieu.  11  fut  bien 
aise  de  se  servir  de  cela  et  faire  accroire  qu'il  l'avoit 
fait  à  dessein.  Mais  le  Roi,  étant  au  bas  âge  qu'il  étoit, 
et  lui  n'ayant,  jusques  à  cette  dernière  journée,  faitautre 
métier  auprès  de  lui  que  de  le  servir  en  ses  passe- 
temps  et  lui  siffler  des  linottes,  il  semble  cju'il  eût  été 
à  propos  qu'il  eût  choisi  un  autre  Heu  pour  l'élever, 

1.  Henri  de  Vaudetar,  baron  de  Persan,  épousa,  en  1607, 
Louise  de  l'Hospital,  sœur  du  maréchal  de  Vitry. 

2.  Le  manuscrit  B  portait  auparavant  :  le  gouvernement.  C'est 
Sancy  qui  a  fait  la  correction. 

.3.  Barthélémy  Concini,  dit  le  chevalier  Conchine  (6  septembre 
1565-13  octobre  1629),  était  le  frère  aîné  du  maréchal  d'Ancre; 
nommé  sénateur  de  Florence  en  1615,  il  avait  dû  venir  en 
France  peu  après,  mais  sans  amener  sa  femme,  Alexandrine 
Antinori,  ni  ses  filles,  dont  il  a  été  parlé  ci-dessus,  p.  175. 

4.  Ci-dessus,  p.  184. 


[1617]  DE  RICHELIEU.  193 

principalement^  ayant  volonté  de  suivre  la  piste  du  ma- 
réchal d'Ancre  ;  l'insolence  duquel  parut  bientôt  après 
avoir  plutôt  changé  de  sujet,  passant  dudit  maréchal 
en  lui,  que  non  pas  cessé  d'être,  la  taverne,  comme 
dit  peu  après  le  maréchal  de  Bouillon,  étant  toujours 
demeurée  la  même,  n'y  ayant  eu  autre  changement 
que  de  bouchon. 

On  a  parlé  diversement  de  ce  conseil  qu'il  donna 
au  Roi  :  les  uns  le  louant  comme  un  conseil  extrême 
en  un  mal  extrême  et  l'estimant  juste,  nonobstant 
qu'il  soit  contre  les  formes,  à  cause  que  toutes  les  lois 
et  les  formes  de  la  justice  résidant  comme  en  leur 
source  en  la  personne  du  Roi,  il  les  peut  changer  et 
en  dispenser  comme  il  lui  plaît,  selon  qu'il  le  juge  à 
propos  pour  le  bien  de  l'État  et  la  sûreté  de  sa  per- 
sonne, en  laquelle  tout  le  public  est  contenu.  Mais 
cette  opinion  n'est  guère  dissemblable  à  celle  du  flat- 
teur Anaxarque^,  qui  disoit  à  Alexandre  qu'on  pei- 
gnoit  la  justice  et  l'équité  aux  deux  côtés  de  Jupiter^, 
pour  montrer  que  tout  ce  que  les  rois  vouloient  étoit 
juste,  et  à  celle  des  conseillers  de  Perse  à  leur  roi 
barbare,  auquel  ils  dirent  qu'il  n'y  avoit  point  de  lois 
qui  permissent  un  inceste  qu'il  vouloit  commettre, 
mais  bien  y  en  avoit-il  une  par  laquelle  il  étoit  permis 
aux  rois  de  faire  ce  qu'ils  vouloient.  Mais  elle  est  bien 

1.  Le  moi  principalement  a  été  ajouté  sur  le  manuscrit  B  par 
Charpentier. 

2.  Philosophe  grec,  disciple  de  Démocrite,  qui  accompagna 
Alexandre  en  Asie. 

3.  Le  copiste  du  manuscrit  B  avait  écrit  :  aux  deux  côtés  de 
justice.  Ce  non-sens  a  été  coi^igé  par  Charpentier  qui  a  rem- 
placé le  dernier  mot  par  Jupiter. 

u  13 


194  MÉMOIRES  [4617] 

éloignée  et  de  tout  ce  que  les  hommes  sages  de  l'an- 
tiquité ont  dit  que  les  actions  des  rois  ne  sont  pas 
justes  pour  ce  qu'ils  les  font,  mais  pour  ce  que  leur 
vie  étant  l'exemplaire  de  leurs  peuples,  ils  la  règlent 
selon  la  justice  et  l'équité,  et,  pour  bien  commander  aux 
hommes  qui  leur  sont  sujets,  obéissent  à  la  raison, 
qui  est  un  rayon  ou  une  impression  que  nous  avons 
de  la  divinité,  et  à  la  loi  de  Jésus-Christ,  qui  nous 
enseigne  que  Dieu  est  le  roi  primitif  et  les  rois  ne 
sont  que  les  ministres  de  son  royaume,  de  l'adminis- 
tration duquel  ils  lui  doivent  rendre  compte  et  être 
jugés  de  lui  avec  plus  de  rigueur  et  de  sévérité  que 
ne  seront  pas  les  peuples  qui  leur  sont  sujets;  joint 
qu'il  étoit  aussi  aisé  au  Roi  de  le  faire  prendre  prison- 
nier dans  le  Louvre  qu'il  lui  avoit  été  d'y  faire  arrêter 
Monsieur  le  Prince,  qui  avoit  toute  la  cour  et  tout  le 
peuple  et  tous  les  parlements  en  sa  faveur,  ce  que 
celui-ci  n'avoit  pas;  joint  que  la  Reine  sa  mère,  qui, 
de  longtemps,  avoit  volonté  de  le  renvoyer  en  Italie, 
eût  tenu  à  grande  faveur  du  Roi  qu'il  l'y  eût  renvoyé 
s'il  eût  été  arrêté  prisonnier.  Et,  partant,  ce  fut  un 
conseil  précipité,  injuste  et  de  mauvais  exemple, 
indigne  de  la  majesté  royale  et  de  la  vertu  du  Roi,  qui 
n'eut  point  aussi  de  part  en  cette  action  ;  car  il  com- 
manda simplement  qu'on  l'arrêtât  prisonnier  et  qu'on 
ne  lui  méfit  point,  si  ce  n'étoit  qu'il  mît  le  premier  la 
main  aux  armes,  de  sorte  qu'on  ne  le  pût  arrêter  qu'en 
le  blessant. 

Dès  le  jour  même,   je  fis  savoir  à  la  Reine  par 
Roger \  son  valet  de  chambre,  la  douleur  que  je  res- 

1.  Nicolas  Roger  :  tome  T,  p.  74. 


[1617]  DE  RICHELIEU.  495 

sentois  de  son  malheur,  auquel  certainement  je  la  ser- 
virois  selon  toute  l'étendue  de  mon  pouvoir. 

Le  lendemain,  le  corps  du  maréchal  d'Ancre,  qui 
avoit  été  enterré  sans  cérémonie  sous  les  orgues  de 
Saint-Germain-de-l'Auxerrois,  fut  déterré  par  la  popu- 
lace, et,  avec  grands  cris  et  paroles  insolentes,  traîné 
jusque  sur  le  Pont-Neuf  et  pendu  par  les  pieds  à  une 
potence  qu'il  y  avoit  fait  planter  pour  faire  peur  à  ceux 
qui  parloient  mal  de  lui.  Là,  ils  lui  coupèrent  le  nez, 
les  oreilles  et  les  parties  honteuses  et  jetèrent  les 
entrailles  dans  l'eau  et  fai soient  à  ce  corps  toutes 
les  indignités  qui  se  pouvoient  imaginer.  A  même 
temps,  je  passois  par  là  pour  aller  voir  Monsieur  le 
Nonce,  qui  étoit  lors  le  seigneur  Ubaldin^  et  ne  me  trou- 
vai pas  en  une  petite  peine  ;  car,  passant  par-dessus 
le  Pont-Neuf,  je  trouvai  le  peuple  assemblé  qui  avoit 
traîné  par  la  ville  quelque  partie  de  son  corps  et  qui 
s' étoit  laissé  emporter  à  de  grands  excès  d'insolence 
devant  la  statue  du  feu  Roi.  Le  Pont-Neuf  étoit  si 
plein  de  cette  populace,  et  cette  foule  si  attentive  à 
ce  qu'ils  faisoient  et  si  enivrée  de  leur  fureur,  qu'il 
n'y  avoit  pas  moyen  de  leur  faire  faire  place  pour  le 
passage  des  carrosses.  Les  cochers  étant  peu  discrets, 
le  mien  en  choqua  quelqu'un,  qui  commença  à  vou- 
loir émouvoir  noise  sur  ce  sujet;  au  même  instant,  je 
reconnus  le  péril  où  j'étois,  en  ce  que,  si  quelqu'un 
eût  crié  que  j'étois   un   des   partiaux   du   maréchal 

1.  Les  Mémoires  se  trompent  :  Robert  Ubaldini  avait  eu 
pour  successeur  à  la  nonciature  de  France,  à  la  fin  de  1616, 
Gui  Bentivoglio  (1579-1644),  archevêque  de  Rhodes  en  1607, 
et  qui  devint  cardinal  en  1621.  Ubaldini  avait  quitté  la  France 
dans  les  derniers  jours  de  décembre  1G16. 


196  MÉMOIRES  [1617] 

d'Ancre,  leur  rage  étoit  capable  de  les  porter  aussi 
bien  contre  ceux  qui,  aimant  sa  personne,  avoient 
improuvé  sa  conduite,  comme  s'ils  l'eussent  autorisée. 

Pour  me  tirer  de  ce  mauvais  pas,  je  leur  demandai, 
après  avoir  menacé  mon  cocher  extraordinairement, 
ce  qu'ils  faisoient;  et,  m'ayant  répondu  selon  leur  pas- 
sion contre  le  maréchal  d'Ancre,  je  leur  dis  :  «  Voilà 
des  gens  qui  mourroient  au  service  du  Roi;  criez 
tous  :  «  Vive  le  Roi  !  »  Je  commençai  le  premier,  et 
ainsi  j'eus  passage,  et  me  donnai  bien  garde  de  reve- 
nir par  le  même  chemin  ;  je  repassai  par  le  pont 
Notre-Dame. 

Du  Pont-Neuf,  ils  le  traînèrent  par  les  rues  jusques 
à  la  Bastille,  et  de  là,  par  toutes  les  autres  places  de 
la  ville,  jusques  à  ce  qu'ils  le  firent  brûler  devant  sa 
porte,  au  faubourg  Saint-Germain,  et  traînèrent  ce 
qui  en  restoit  encore  sur  le  Pont-Neuf,  où  ils  le  brû- 
lèrent derechef,  puis  enfin  en  jetèrent  les  os  dans  la 
rivière^. 

Ces  choses  avoient  été  prédites  au  maréchal  d'Ancre 
par  plusieurs  devins  et  astrologues  qu'il  voyoit  volon- 
tiers, mais  lui  avoient  été  prédites  par  eux  en  leur 
manière  ordinaire,  c'est-à-dire  de  sorte  qu'il  n'en  pou- 
voit  faire  son  profit;  car  les  uns  lui  disoient  qu'il 
mourroit  d'un  coup  de  pistolet,  les  autres  qu'il  seroit 
brûlé,  autres  qu'il  seroit  jeté  dans  l'eau,  les  autres 
qu'il  seroit  pendu,  et  toutes  ces  choses  furent  véri- 
tables; mais,  comme  il  ne  les  pouvoit  comprendre, 

1.  Tout  ce  récit  reproduit,  à  quelques  détails  près,  celui  du 
Mercure  français,  t.  IV,  année  1617,  p.  197  et  suivantes;  mais 
il  est  certain  que  Richelieu  y  a  ajouté  un  nombre  considérable 
de  réflexions  et  de  souvenirs  personnels. 


[1617]  DE  RICHELIEU.  197 

il  croyoit  qu'ils  se  trompassent  tous  et  les  en  avoit  à 
mépris. 

La  Reine  sut  les  excès  qui  avoient  été  commis  contre 
le  corps  mort,  et,  encore  que  cette  princesse  se  fût 
toujours  montrée  fort  constante  contre  les  médi- 
sances, si  est-ce  que  les  insolentes  paroles  qu'ils 
dirent  la  touchèrent  au  vif;  et,  à  la  vérité,  s'il  faut  une 
grande  vertu  pour  supporter  la  calomnie,  il  en  faut 
une  héroïque  et  divine  pour  la  supporter  quand  elle 
est  conjointe  avec  mépris  et  risée  publique. 

Le  même  jour,  on  fit  publier  à  son  de  trompe  que 
tous  les  serviteurs  dudit  maréchal  eussent  à  sortir 
hors  de  Paris.  Le  frère  de  la  maréchale*,  qui  étoit 
logé  au  collège  de  Marmoutier,  s'enfuit  dans  un  monas- 
tère, craignant  la  fureur  du  peuple,  et  le  comte  de 
la  Pene^  fut  mené  au  Louvre,  où  on  lui  donna  des 
gardes;  et  S.  M.  fit  expédier  des  lettres  au  Parlement 
par  lesquelles  elle  déclara  que  l'action  que  le  sieur  de 
Vitry  avoit  faite  étoit  par  son  commandement^,  et 
d'autres  qui  portoient  une  provision  d'office  de  con- 
seiller au  Parlement  pour  lui,  ce  qu'il  avoit  désiré 
afin  qu'on  ne  lui  pût  faire  son  procès  que  toutes  les 
chambres  assemblées,  ne  considérant  pas  qu'il  venoit 
de  donner  un  exemple  de  le  traiter  avec  moins  de 
cérémonie  quand  on  se  voudroit  défaire  de  lui. 

Cependant,  le  Roi  avoit  remis  en  charge  tous  les 
anciens  officiers  qui  avoient  été  chassés  par  la  Reine, 
Le  président  Jeannin  retourna  à  la  surintendance  des 

1.  Sébastien  Galigaï  :  ci-dessus,  p.  166,  et  tome  I,  p.  258. 

2.  Le  fils  de  Concini  :  ci-dessus,  p.  190. 

3.  Ces  lettres,  du  29  avril,  se  trouvent  dans  les  registres  du 
Parlement  à  la  date  du  20  mai  (Xi*8648,  fol.  383). 


198  MÉMOIRES  [16171 

finances;  Déageant,  commis  de  Barbin,  qui  l'avoit  fait 
contrôleur  générai,  fut  fait  intendant  en  récompense 
de  son  infidélité;  les  sceaux  furent  rendus  à  du  Vair 
avec  tant  d'fionneur  que  le  Roi  passa  une  déclaration 
qu'il  envoya  au  Parlement,  par  laquelle  il  fit  savoir 
qu'ils  lui  avoient  été  ôtés  contre  son  gré,  et,  partant, 
qu'il  vouloit  que  les  anciennes  lettres  de  provision 
qui  lui  avoient  été  expédiées  lui  servissent  maintenant 
pour  rentrer  dans  l'exercice  de  sa  charge,  sans  qu'il 
en  eût  besoin  d'autres,  et  M.  de  Villeroy  rentra  en  la 
fonction  de  la  sienne^  de  secrétaire  d'État,  par  indivis 
avec  M.  de  Puyzieulx. 

Les  ministres  qui  servoient  actuellement  sous  l'au- 
torité de  la  Reine  furent  tous  décrédités.  Comme  en 
ces  bâtiments  qu'on  mine  par  le  pied  rien  ne  demeure, 
ainsi,  l'autorité  de  la  Reine  étant  ruinée,  tous  ceux 
qui  subsistoient  en  elle  tombèrent  par  sa  chute.  Je 
fus  le  seul  auquel  Luynes  eut  quelque  égard  ;  car  il 
m'offrit  de  demeurer  au  Conseil  avec  tous  mes  appoin- 
tements; mais,  voyant  le  traitement  qu'on  commen- 
çoit  à  faire  à  la  Reine,  je  ne  le  voulus  jamais  et  préférai 
l'honneur  de  la  suivre  en  son  affliction  à  toute  la  for- 
tune qu'on  me  faisoit  espérer^. 

Ces  Messieurs  les  nouveaux  ministres,  ou  plutôt  le 
sieur  de  Luynes,  commencèrent  leur  gouvernement 

1.  Dans  le  manuscrit  B,  il  y  avait  d'abord  en  l'exercice  de  sa 
charge;  Charpentier  a  remplacé  ces  mots  parles  suivants  en  la 
fonction  de  la  sienne. 

2.  Il  ne  semble  pas  que  l'offre  faite  à  Richelieu  de  conser- 
ver le  pouvoir  ait  été  bien  sérieuse.  Pontchartrain  dit  en  effet  : 
«  Le  Roi  fit  défense  à  l'évêque  de  Luçon  de  plus  s'entremettre 
de  ses  affaires  »  [Mémoires,  t.  il,  p.  223).  De  son  côté,  Brienne 


[1617J  DE  RICHELIEU.  199 

par  prendre  tout  le  contrepied  de  ce  que  faisoient 
ceux  qui  avoient  gouverné  devant  eux  et  firent  des- 
sein de  rappeler  auprès  du  Roi  tous  ceux  qu'ils 
croyoient  être  ennemis  de  la  Reine.  Ils  envoyèrent 
quérir  Sauveterre  jusques  au  fond  de  la  Gascogne  ^ 
espérant  s'en  servir  comme  d'un  puissant  instrument 
pour  insinuer  dans  l'esprit  du  Roi  ce  qu'ils  voudroient, 
bien  que  ce  fût,  en  effet,  Luynes  même  qui,  par  ses  arti- 
fices secrets,  l'eût  fait  chasser^.  Mai  s  cela  n'importoit  pas 
tant  comme  ce  qu'ils  mirent  en  la  bonne  grâce  du  Roi 
tous  les  princes  qui  avoient  pris  les  armes  contre  lui 
et  étoient  à  l'extrémité,  et  dépêchèrent  au  nom  du 
Roi,  incontinent  après  la  mort  du  maréchal,  vers  le 
duc  de  Longueville  à  Amiens  et  celui  de  Vendôme 
qui  étoit  à  la  Fère,  et  à  Soissons  vers  M.  de  Mayenne, 
pour  les  venir  faire  trouver  S.  M.  incontinent,  les 
assurant  qu'ils  seroient  très  bien  vus  et  reçus  d'elle. 

M.  du  Maine  envoya  le  comte  de  Suze^,  son  beau- 
frère,  porter  les  clefs  de  Soissons  au  Roi,  qui  le 
reçut  le  27  avril,  comme  s'il  eût  tenu  son  parti,  et  le 
comte  d'Auvergne  le  parti  contraire.  Le  même  jour 
arriva  le  duc  de  Longueville,  qui  fut  reçu  de  même. 
Le  duc  de  Nevers  fit  un  peu  plus  de  cérémonie  que 

rapporte  que  «  l'évêque  de  Luçon,  ayant  paru,  eut  ordre  de 
se  retirer  »  [Mémoires^  éd.  Petitot,  t.  I,  p.  327). 

1.  Voyez  tome  I,  p.  223. 

2.  Jacques  de  Bésiade,  sieur  de  Sauveterre,  avait  été  disgra- 
cié à  la  fin  de  1615  (tome  I,  p.  417). 

3.  Rostaing  de  la  Baume,  comte  de  Suze,  épousa  en  1583 
Madeleine  des  Prez  de  Montpezat,  sœur  utérine  du  duc  du 
Maine.  Il  mourut  en  1622.  Les  manuscrits  et  les  précédentes 
éditions  des  Mémoires  semblent  commettre  une  erreur  en  appe- 
lant ce  personnage  le  comte  de  la  Suze. 


200  MÉMOIRES  fl617J 

les  autres  et  vouloit  traiter^  avec  le  Roi,  ayant  tou- 
jours eu  des  fantaisies  qui  l'ont  fait  aller  dans  les 
atïaires  par  un  chemin  particulier  à  lui  seul;  mais, 
néanmoins,  voyant  qu'on  ne  vouloit  pas  se  relâcher 
jusques-là,  il  se  rendit  en  son  devoir  et  vint  avec 
M.  du  Maine  et  le  duc  de  Vendôme  trouver  S.  M.  le 
jour  de  l'Ascension^. 

Mais  ces  Messieurs  s'aperçurent  bientôt  de  leur  faute 
et  s'en  repentirent,  M.  de  Villeroy  ayant  témoigné 
plusieurs  fois  que,  s'ils  eussent  suivi  la  pointe  de  ceux 
qui  servoient  sous  l'autorité  de  la  Reine  contre  les 
princes,  ils  eussent  établi  la  paix  en  ce  royaume  pour 
cent  ans;  que  nous  avions  été  bien  hardis  de  faire  une 
telle  entreprise  et  eux  peu  sages  de  ne  la  continuer 
pas.  Et,  en  elîet,  le  changement  dont  ils  usèrent, 
passant  du  blanc  au  noir,  n'eut  autre  fondement  que 
la  pratique  ordinaire  que  ceux  qui  changent  un  établis- 
sement ont  de  prendre  le  contrepied  de  ceux  en  la 
place  desquels  ils  se  mettent,  aimant  mieux  faire  une 
faute  signalée  pour  donner  à  penser  que  les  résolutions 
contraires  que  l'on  avoit  prises  étoient  défectueuses, 
qu'en  continuant  ce  qui  avoit  été  fait,  faire  connoître 
qu'on  avoit  bien  fait. 

Cependant,  Luynes  ayant  résolu  qu'il  falloit  éloigner 
la  Reine,  ils  confirmèrent  tous  le  Roi  en  cette  résolu- 
tion; et,  bien  qu'entre  eux  ils  fussent  de  divers  avis 
sur  le  lieu  où  ils  estimeroient  qu'elle  devoit  être 
envoyée,  ils  convinrent  enfin  que,  pour  l'heure,  elle 

1.  Le  mot  traiter  a  été  substitué  par  Sancy  au  mot  consulter, 
sur  le  manuscrit  B. 

2.  Ce  paragraphe  est  un  résumé  du  Mercure  françois,  p.  215 
et  216. 


[1617]  DE  RICHELIEU.  W\ 

n'iroit  qu'à  Blois,  la  Reine  l'ayant  songé  quelques 
jours  auparavant  sa  chute  et  dit  à  ses  chirurgiens  et 
médecins.  Ce  songe  l'y  fit  résoudre  plus  facilement 
lorsqu'ils  lui  firent  savoir  leur  dessein,  et  croire  que 
c'eût  été  se  perdre  que  vouloir  résister  à  la  furie  des 
torrents. 

Le  jour  de  son  départ  étant  arrêté  au  3®  mai, 
comme  elle  veut  partir,  on  la  conjure  de  s'arrêter 
cette  journée,  pour  éviter  un  mauvais  dessein  qui 
s'étoit  formé  et  découvert  contre  sa  personne.  Elle 
crut  au  commencement  que  cet  avis  étoit  faux  ;  mais 
elle  changea  d'opinion,  ayant  appris  par  le  sieur  de 
Bressieux*,  son  premier  écuyer,  qu'un  de  ceux  qui 
avoient  conspiré  la  mort  du  maréchal  étoit  auteur 
d'une  si  détestable  entreprise.  Cependant,  sa  première 
pensée  étoit  véritable;  il  n'y  avoit  rien  à  craindre 
pour  elle,  mais  beaucoup  pour  Luynes,  qui  avoit  violé 
sa  foi  donnée  solennellement  à  ses  complices. 

C'est  la  coutume  des  larrons  de  partager  les  choses 
qui  ne  sont  pas  encore  prises,  de  disposer  du  butin 
avant  qu'ils  aient  commis  le  vol.  Luynes,  à  leur  imita- 
tion, n'avoit  pas  encore  épandu  le  sang  du  maréchal 
qu'il  avoit  déjà  ordonné  de  la  dépouille,  où,  s'étant 
réservé  ce  qu'il  y  avoit  de  meilleur,  il  avoit  fait  espé- 
rer au  Travail^  l'archevêché  de  Tours.  Ce  malheureux, 
sur  l'attente  de  ce  bien  imaginaire,  ne  contribua  pas 
peu  à  sa  mort,  faisant  connoitre  à  ses  ennemis  le  gain 

1.  Voyez  ci-dessus,  p.  183. 

2.  Alphonse  du  Travail,  Dauphinois,  fut,  dit-on,  tour  à  tour 
soldat  et  religieux,  huguenot  et  capucin,  sous  le  nom  de  Père 
Hilaire,  et  espion  pour  le  compte  du  duc  de  Savoie. 


202  MÉMOIRES  [1617] 

c|u'ils  avoient  en  sa  perte,  le  peu  de  péril  à  l'entre- 
prendre et  les  moyens  qu'il  falloit  tenir  à  l'exécuter 
avec  succès.  Mais,  comme  il  arrive  d'ordinaire,  pour  la 
confusion  des  méchants,  que  d'autres  profitent  de  leur 
malice.  Dieu  permit  que  l'évêque  de  Bayonne*  tirât  la 
récompense  promise  à  sa  faute. 

Je  ne  veux  pas  m'étendre  sur  la  violence  dont  on 
usa  pour  arracher  cette  pièce;  il  me  suffit  de  dire 
qu'on  dépouilla  un  homme  vivant^  sans  l'accuser  d'au- 
cun crime,  qu'on  le  contraignit  par  diverses  menaces 
de  s'en  démettre,  contre  les  lois  divines  et  humaines, 
contre  tout  droit  ecclésiastique  et  civil. 

Travail  voyant  es  mains  d'autrui  le  salaire  de  son 
iniquité,  que  la  part  qu'il  avoit  eue  dans  le  crime  ne 
lui  étoit  pas  conservée  dans  la  dépouille,  que  Luynes 
avoit  payé  ses  services  d'un  parjure,  il  se  résolut  de 
passer  jusques  au  mépris  de  la  vie  pour  se  rendre 
maître  de  la  sienne.  Il  pensoit  par  cette  dernière 
action  couvrir  la  honte  que  la  première  lui  avoit  atti- 
rée ;  il  croyoit  réparer  par  la  mort  de  ce  second  tyran 
le  tort  qu'il  avoit  fait  au  public,  offensant  la  mère 
du  Roi,  une  vertu  si  éminente  et  une  puissance  si 
légitime. 

Pour  parvenir  à  ce  but,  il  se  propose  de  dissimuler 
son  juste  mécontentement,  de  lui  donner^  des  conseils 
sur  la  suite  de  son  gouvernement  avec  la  même  sincé- 
rité qu'il  avoit  fait  au  commencement  de  sa  cons- 
piration du  temps  du  maréchal,  où  les  moindres 
choses  donnoient  de  l'ombrage,  où  les  conversations 

1.  Bertrand  d'Échaux  :  tome  I,  p.  127. 

2.  Le  frère  de  la  maréchale  d'Ancre  :  tome  I,  p.  258. 

3.  Vnr.  :  De  donner  à  Liivnes  (H). 


[1617]  DE  RICHELIEU.  203 

les  moins  sérieuses  étoient  suspectes.  Il  a  voit  accou- 
tumé de  s'entretenir  avec  Luynes  chez  la  concierge 
des  Tuileries  et  dans  un  lieu  dérobé  où  eux  seuls  fai- 
soient  le  nombre  des  espions  et  des  traîtres;  il  y 
reprend  les  mêmes  assignations  avec  lui,  y  porte  le 
même  visage,  mais  un  cœur  fort  différent;  lui  donne, 
pour  augmenter  sa  confiance,  des  avis  importants  à  sa 
réputation  et  à  l'établissement  de  sa  fortune.  Gomme 
il  vit  son  esprit  assuré  et  hors  de  soupçon  qu'il  eût 
aucun  sentiment  de  l'offense  qu'il  avoit  reçue,  il  fait 
provision  d'un  cheval,  qu'il  recouvre  par  l'entremise 
de  Breauté*  et  de  Montpinçon^,  achète  une  épée,  large 
de  quatre  doigts  et  fort  courte,  pour  qu'il  la  pût  aisé- 
ment cacher  sous  la  soutane,  résolu  de  lui  ôter  la 
vie  au  lieu  même  où  la  mort  du  maréchal  avoit  été 
conclue. 

Son  dessein  étant  en  état  d'être  exécuté,  afin  que 

1.  Ce  personnage  est  peut-être  Adrien-Pierre  de  Breauté, 
seigneur  de  Neville,  vicomte  de  Hotot,  baron  de  Cany,  né  en 
1599,  premier  écuyer  de  la  reine  Marie  de  Médicis,  tué  devant 
Breda  en  octobre  1624;  ou  encore  l'oncle  de  ce  dernier,  Adrien 
de  Breauté,  qui  passa  en  Hollande  en  1600  et  mourut  en  1658. 
Il  avait  épousé  en  1603  Françoise  de  Roncherolles. 

2.  On  trouve  sur  ce  personnage  la  note  suivante  à  la  Biblio- 
thèque nationale,  Cabinet  des  titres,  Dossier  bleu  430  : 
«  Charles  Martel,  seigneur  de  Montpinçon,  Béville,  Hanouart, 
etc.,  sage  et  vaillant  et  très  savant  en  toutes  les  belles 
sciences,  mestre  de  camp  pour  Monsieur  le  Prince  au  voyage 
de  Bayonne,  négocia  la  paix  du  Pont-de-Cé  avec  l'évêque  de 
Luçon;  affectionné  de  M.  d'Orléans,  moyenna  son  premier 
mariage.  Le  cardinal  de  Richelieu  l'ayant,  par  jalousie,  fait 
mettre  à  la  Bastille,  le  roi  le  tira  quatre  mois  après.  Il  épousa, 
en  octobre  1628,  Alphonsine  de  Balsac,  dame  de  Champsemé 
et  Courfatou  en  Brie,  mourut  cinq  ans  trois  mois  après  et  gît 
à  Champsemé.  » 


204  MÉMOIRES  [1617] 

la  Reine  lui  siit  {^ré  de  ce  service,  il  désira  de  lui  faire 
entendre  qu'il  ne  s'étoit  porté  à  cette  extrémité  que 
pour  la  compassion  de  la  misère  où  elle  étoit  réduite. 
Pour  cet  effet,  il  s'adresse  et  se  découvre  au  sieur  de 
Bressieux,  premier  écuyer  de  S.  M.,  gentilhomme  de 
bonne  maison,  et  que  souvent  il  avoit  sondé  et  oui 
plaindre  son  malheur. 

Bressieux  s'engagea  de  faire  valoir  cette  action,  lui 
hausse  le  courage,  lui  promet  une  entière  assistance; 
mais,  au  lieu  de  lui  tenir  promesse,  s'imaginant  qu'il 
avoit  en  main  une  occasion  de  faire  sa  fortune,  il  en 
avertit  le  sieur  de  Luynes,  qui  lui  en  témoigna  telle 
obligation  qu'il  appréhendoit  n'avoir  pas  assez  de 
puissance  pour  reconnoître  dignement  cet  office. 

C'est  le  style  des  Provençaux  d'être  faciles  à  pro- 
mettre et  difficiles  à  tenir  ;  mais,  sur  les  preuves  que 
Luynes  a  données  de  son  infidélité,  on  peut  dire 
que  sa  personne  l'a  enchéri  au  dessus  de  sa  nation. 
Luynes  consulte  cette  affaire  avec  Déageant  et  autres 
personnes  intéressées  en  son  établissement  ;  le  résultat 
de  la  conférence  fut  de  le  faire  mourir^  en  changeant 
l'espèce  de  son  crime. 

A  même  temps,  il  est  pris  et  accusé  d'avoir  attenté 
sur  la  vie  de  la  Reine  ^,  prétexte  honorable  pour  se 
défaire  d'un  dangereux  ennemi,  pour  apaiser  le  peuple 
irrité  des  inhumanités  commises  contre  les  vivants  et 


1.  Var.  :  Fut  de  faire  mourir  Travail  (H), 

2.  Déageant,  dans  ses  Mémoires,  p.  73-74,  accuse  nettement 
Travail  d'avoir  voulu  faire  empoisonner  la  Reine  mère  et  parle 
également  du  rôle  joué  par  Bressieux  dans  cette  intrigue.  Mais 
il  ne  fait  aucune  allusion  au  projet  prêté  ici  à  Travail  d'atten- 
ter à  la  vie  de  Luynes. 


[1617]  DE  RICHELIEU.  205 

les  morts,  et  qui  donnoit  à  connoître  qu'on  n'en  vou- 
loit  pas  au  gouvernement  de  la  Reine,  mais  à  ceux  qui, 
au  préjudice  de  l'État,  avoient  abusé  de  sa  bonté  et  de 
sa  patience. 

Luynes  et  Bressieux,  contre  la  vérité  et  leur  cons- 
cience, s'offrirent  à  servir  de  témoins  contre  lui,  tous 
deux  pour  leur  intérêt,  l'un  pour  la  sûreté  de  sa  vie, 
l'autre  sur  la  croyance  qu'il  eut  que,  pour  la  perte 
d'une  personne,  il  en  acquerroit  deux,  les  bonnes 
grâces  du  favori  et  celles  de  sa  maîtresse. 

Sur  le  sang  de  ce  misérable,  à  l'exemple  des  païens 
qui  juroient  leur  alliance  sur  les  victimes,  ces  Mes- 
sieurs se  protestèrent  une  éternelle  fidélité.  Luynes 
disposoit  entièrement  de  l'esprit  du  Roi,  Bressieux 
prétendoit  se  rendre  maître  de  celui  de  sa  maîtresse, 
et  tous  deux,  par  une  commune  correspondance,  se 
jouer  de  la  fortune  de  cet  État. 

Il  seroit  difficile  d'exprimer  les  sentiments  de  cette 
princesse  affligée  quand  elle  apprit  qu'un  de  ceux  qui 
avoient  contribué  à  sa  ruine  l'avoit  voulu  délivrer; 
qu'un  de  ses  domestiques,  par  sa  perfidie,  en  avoit 
empêché  l'effet;  que  son  ennemi  capital  avoit  abusé 
du  respect  de  son  nom  pour  venger  ses  querelles 
propres  et  particulières.  On  ne  peut  douter  qu'elle 
n'eût  reçu  avec  plaisir  la  liberté  dont  elle  étoit  pri- 
vée, mais  la  recevoir  d'une  si  mauvaise  main  n'eut 
pas  peu  modéré  sa  joie  ;  elle  n'avoit  pu  voir  sans  éton- 
nement  que  trois  personnes  de  peu  eussent  été  cause 
de  sa  chute  ;  mais  qu'un  de  ses  serviteurs  l'ait  empê- 
chée de  se  relever,  elle  ne  le  put  ouir  sans  une  extrême 
douleur. 

La  mort  du  Ti^avail,  vu  le  mal  qu'il  lui  avoit  fait, 


206  MÉMOIRES  [1617] 

ne  pouvoit  être  qu'agréable  à  une  <^rande  princesse 
et  Italienne,  offensée  jusques  au  point  qu'elle  étoit; 
mais,  quand  elle  sut  qu'il  étoit  mort  pour  l'avenir  et 
non  pour  le  passé,  par  vengeance  et  non  par  justice, 
qu'elle  en  étoit  le  prétexte  et  Luynes  le  sujet,  elle  cessa 
de  s'en  réjouir  et  ne  put  souffrir  sans  regret  que  son 
nom  eût  servi  à  une  si  mauvaise  cause.  Mais  il  y  a  des 
temps  où  tout  conspire  à  augmenter  le  mal  et  diminuer 
le  plaisir  des  remèdes,  où  la  fortune  commence  et  ne 
peut  achever  son  ouvrage,  où,  si  on  donne  quelque 
espérance  de  liberté,  c'est  pour  rendre  la  prison  plus 
amère. 

Ce  misérable  avoit  fait  profession  des  armes  et  étoit 
huguenot  en  sa  jeunesse;  depuis,  s'étant  rendu  catho- 
lique, il  se  fît  capucin,  où  l'austérité  de  la  religion 
n'ayant  pas  eu  la  force  de  dompter  la  rudesse  de  son 
esprit,  que  le  feu  de  la  première  ferveur  avoit  amolli 
durant  le  temps  du  noviciat,  il  commença  à  leur  faire 
tant  de  peine  qu'ils*  furent  obligés  d'en  venir  aux 
remèdes  de  la  sévérité,  par  lesquels  effarouché  et 
aigri  encore  davantage,  il  s'en  alla  à  Rome,  l'an  1 607, 
faire  des  plaintes  de  ses  supérieurs  à  Sa  Sainteté,  où, 
ayant  le  cardinal  Monopoli ^  contraire,  pour  ce  qu'il 
aimoit  la  religion  des  capucins,  de  laquelle  il  avoit 
été  tiré  et  promu  au  cardinalat,  il  fit  des  accusations 
atroces  contre  lui-même  à  Sa  Sainteté  et  les  soutenoit 
avec  tant  d'impudence  que  ce  bon  prélat,  qui  mourut 
en  même  temps,  fut  jugé  en  être  mort  de  regret.  Il 
obtint  enfin  de  Sa  Sainteté  absolution  de  son  vœu  et 

1.  C'est-à-dire  ses  supérieurs. 

2.  Anselme  Marzati,  capucin  italien,  fait,  en  1604,  cardinal- 
prêtre  du  titre  de  Saint-Pierre-au-Mont-d'Or,  dit  le  cardinal 
Monopoli,  mort  en  1607. 


[1617]  DE  RICHELIEU.  207 

permission  de  vivre  en  prêtre  séculier;  il  prit  bien 
l'habit  de  prêtre,  mais  non  pas  l'esprit  de  la  prêtrise  ; 
ains  plutôt  celui  de  la  profession  qu'il  avoit  faite 
auparavant,  jusques  à  ce  qu'enfin  Dieu,  juste  juge, 
permît  que,  comme  par  ses  calomnies  il  avoit  procuré 
la  mort  à  un  autre,  il  fût,  par  une  fausse  accusation, 
conduit  honteusement  sur  l'échafaud,  et,  coupable 
d'autres  crimes,  rompu  vif  sur  la  roue  pour  des  péchés 
qu'il  n'avoit  pas  commis,  et  son  corps  et  son  procès 
brûlés  après  sa  mort  comme  étant  indigne  qu'il  fût 
jamais  mémoire  de  lui.  Il  mourut  repentant,  si  peu 
ému  toutefois  et  des  peines  présentes  et  du  péril  de 
celles  de  l'autre  siècle*  qu'ayant  ouï  lire  son  dicton 
dans  la  chapelle,  il  présenta  son  bras  à  quelqu'un  des 
assistants  pour  tàter  son  pouls  et  voir  s'il  n'avoit 
aucun  étonnement-. 

Mais  laissons  ce  misérable  et  venons  à  la  Reine  qui, 
après  avoir  été  enfermée  l'espace  de  neuf  jours, 
partit  de  Paris  le  4^  mai  pour  être  derechef 
enfermée  dans  une  autre  demeure,  mais  d'un  espace 
un  peu  plus  ample  que  celui  auquel  elle  avoit  été 
à  Paris.  Toute  la  matinée  se  passe  en  visites  :  les  larmes 
de  ceux  qui  la  viennent  voir  parlent  plus  que  leurs 
langues;  on  plaint  sa  condition,  on  admire  sa  pru- 
dence, qui  fut  telle  que  jamais  les  soupirs  des  princes 
ou  princesses  ne  purent  tirer  une  larme  de  ses  yeux, 
ni  autre  parole  de  sa  bouche  que  celle-ci  :  «  Si  mes 
actions  ont  déplu  au  Roi  mon  fils,  elles  me  déplaisent 
à  moi-même  ;  mais  il  connoîtra,  je  m'assure,  un  jour, 

1.  Var.  :  De  l'autre  monde  (M,  H). 

2.  Du  Travail  fut  arrêté  le  2  mai  et  exécuté  le  10  du  même 
mois.  Voyez  le  Mercure  français,  p.  217  et  218. 


208  MÉMOIRES  [4617] 

qu'elles  lui  ont  été  utiles.  Pour  ce  qui  regarde  le  maré- 
chal d'Ancre,  je  plains  son  âme  et  la  forme  qu'on  a 
fait  prendre  au  Roi  pour  l'en  délivrer.  Vous  vous 
fâchez  de  me  perdre;  en  cela,  vous  vous  cherchez^,  y 
ayant  assez  longtemps  que  j'ai  plusieurs  fois  prié  le 
Roi  de  me  décharger  du  soin  de  ses  affaires.  » 

L'après-dînée,  le  Roi  lui  vint  dire  adieu.  D'abord 
qu'elle  le  vit,  son  cœur,  qui  n'avoit  point  été  ému, 
fut  tellement  touché  qu'elle  fondit  en  larmes  ;  puis, 
avec  des  paroles  entrecoupées  de  sanglots,  lui  tint  ce 
langage  : 

«  Monsieur  mon  fils,  le  tendre  soin  avec  lequel  je 
vous  ai  élevé  en  votre  bas  âge,  les  peines  que  j'ai 
eues  pour  conserver  votre  État,  les  hasards  où  je  me 
suis  mise,  et  que  j'eusse  aisément  évités  si  j'eusse 
voulu  relâcher  quelque  chose  de  votre  autorité,  justi- 
fieront toujours,  devant  Dieu  et  les  hommes,  que  je 
n'ai  jamais  eu  autre  but  que  vos  propres  intérêts. 
Souvent  je  vous  ai  prié  de  prendre  en  main  l'adminis- 
tration et  la  conduite  de  vos  affah^es  et  de  me  déchar- 
ger de  ce  soin;  vous  avez  cru  que  mes  services  ne 
vous  étoient  pas  inutiles  et  m'avez  commandé  de  les 
continuer;  je  vous  ai  obéi  pour  le  respect  que  je  dois 
à  vos  volontés  et  pour  ce  que  c'eût  été  lâcheté  de  vous 
abandonner  dans  le  péril.  Si  vous  considérez  qu'au 
sortir  de  ce  maniement  je  me  trouve  sans  aucune  place 
où  je  puisse  honorablement  me  retirer,  vous  verrez 
que  je  n'ai  jamais  recherché  ma  sûreté  qu'en  votre 
cœur  et  en  la  gloire  de  mes  actions.  Je  vois  bien  que 
mes  ennemis  vous  ont  mal  interprété  mes  intentions 

1.  Au  sens  de  chercher  son  propre  intérêt,  ne  penser  qu'à 
soi-même;  Littré  cite  des  exemples  de  Bossuet. 


[1617]  DE  RICHELIEU.  209 

et  pensées;  mais  Dieu  veuille  qu'après  avoir  abusé 
de  votre  jeunesse  à  ma  ruine,  ils  ne  se  servent  point 
de  mon  éloignement  pour  avancer  la  vôtre.  Pourvu 
qu'ils  ne  vous  tassent  point  de  mal,  j'oublierai  toujours 
volontiers  celui  qu'ils  m'ont  fait*.  » 

Le  Roi,  qui  avoit  été  informé  autrement-  que  la 
Reine  ne  disoit  pas,  et  [avoit]  reçu  instruction  de 
Luynes  de  ce  qu'il  lui  devoit  répondre,  lui  dit  seule- 
ment qu'il  vouloit  commencer  à  gouverner  seul  son 
État,  qu'il  en  étoit  temps  et  qu'en  tous  lieux  il  lui 
témoigneroit  qu'il  étoit  bon  fils^. 

1.  Les  contemporains  ne  sont  pas  d'accord  sur  l'authenticité 
de  ce  discours.  D'après  la  Fie  de  Marie  de  Médicis,  par 
3jme  d'Arcon ville  (t.  II,  p.  382),  «  les  termes  dont  la  Reine 
mère  devait  se  servir  pour  faire  ses  adieux  à  son  fils  furent 
rédigés  par  l'évêque  de  Luçon  ;  ceux  que  Sa  Majesté  devait 
employer  pour  lui  faire  aussi  les  siens  le  furent  par  Luynes  et 
ces  discours  furent  examinés  dans  le  Conseil  ».  Bassompierre, 
témoin  de  la  scène,  rapporte  des  paroles  toutes  différentes  et 
qui  semblent  d'ailleurs  beaucoup  plus  naturelles  [Mémoires, 
t.  II,  p.  126,  127,  128).  D'après  un  autre  témoin  oculaire, 
«  le  Roi  son  fils  ne  fit  que  lui  dire  un  mot,  ensuite  de  quoi  il  se 
retira,  tant  Luynes  appréhendoit  que  ce  monarque  ne  fût 
attendri  par  les  larmes  de  cette  princesse  »  [Mémoires  de 
Brienne,  1. 1,  p.  329).  Pontchartrain  éci'it  de  son  côté  [Mémoires, 
t.  II,  p.  234)  :  «  Elle  partit  de  Paris,  n'ayant  pu  obtenir  la 
grâce  de  voir  le  Roi  son  fils,  sinon  que,  lorsqu'elle  fut  prête  à 
partir,  il  l'alla  voir  en  sa  chambre  pour  lui  dire  adieu  et  n'y  fit 
qu'entrer  et  sortir.  » 

2.  Qui  avait  été  informé  d'un  autre  discours,  que  la  Reine 
ne  disait  pas,  et  qui  avait  reçu  instruction,  etc. 

3.  Le  Mercure  français,  p.  216,  rapporte  ainsi  les  paroles 
du  Roi  :  «  Madame,  je  viens  ici  pour  vous  dire  adieu  et  vous 
assurer  que  j'auroi  soin  de  vous  comme  de  ma  mère.  J'ai  désiré 
de  vous  soulager  de  la  peine  que  vous  preniez  en  mes  affaires. 
C'est  ma  résolution  de  ne  souffrir  plus  qu'autre  que  moi  com- 

II  14 


2i0  MÉMOÎRES  [1617J 

Il  fut  lors  donné  permission  à  un  chacun  de  voir  la 
Reine  pour  prendre  congé  d'elle;  les  portes  furent 
ouvertes  à  tous  ceux  qui  la  voulurent  visiter;  le  visage 
et  la  façon  qu'avoient  tous  ceux  qui  la  virent  quand 
ils  parlèrent  à  elle  furent  remarqués.  Il  y  en  eut  peu 
néanmoins  qui,  par  bienséance,  manquassent  à  ce 
devoir  ;  tous  les  corps  de  la  ville  y  furent  :  elle  mon- 
troit  à  tous  un  même  visage,  une  constance  immobile, 
semblant  plutôt  s'aller  promener  en  une  de  ses  mai- 
sons qu'y  être  reléguée. 

Elle  part  le  4®,  accompagnée  de  Mesdames  ses  filles 
et  de  toutes  les  princesses,  qui  la  vinrent  conduire 
hors  la  ville,  sans  qu'elles  lui  fissent  jamais  répandre 
une  larme  au  dernier  adieu  qu'elles  lui  dirent.  On  en 
fit  divers  jugements,  selon  les  différentes  passions 
dont  on  étoit  porté  vers  elle  :  les  uns  l'attribuoient  à 
l'ébahissement  et  à  l'horreur  du  coup  qu'elle  avoit 
reçu,  qui  lioit  en  elle  le  sentiment  de  la  douleur  et 
tarissoit  la  source  de  ses  larmes  ;  les  autres  l'interpré- 
toient  à  dissimulation  assez  accoutumée  à  celles  de  sa 
nation  ;  ceux  qui  la  favorisoient  davantage  l'imputoient 
à  vertu  et  à  force  d'esprit. 

Quelques-uns  disoient  que  c'étoit  une  vraie  insensi- 
bilité ;  mais  Luynes  crut  qu'un  désir  si  enflammé  de 
vengeance  maîtrisoit  son  cœur  qu'elle  en  perdoit  le 
sentiment  de  pitié,  même  d'elle,  dans  le  désastre  où 
elle  se  voyoit;  ce  qui,  ainsi  qu'il  le  fortifia^  en  l'opi- 

mande  en  mon  royaume.  J'ai  donné  ordre  à  ce  qui  est  néces- 
saire pour  votre  voyage  et  commandé  à  la  Curée  de  vous  accom- 
pagner. Vous  aurez  de  mes  nouvelles  étant  arrivée  à  Blois. 
Adieu,  Madame.  » 

1.  En  même  temps  que  cela  le  fortifia. 


[1617]  DE  RICHELIEU.  2H 

nion  que  la  grandeur  de  son  offense  lui  avoit  donnée, 
que  jamais  elle  ne  lui  pardonneroit,  le  confirma  aussi 
au  dessein  qu'il  avoit  déjà  pris  d'employer  tous  les 
artifices  possibles  pour  l'empêcher  de  revenir  jamais 
auprès  de  S.  M. 

Si  elle  faisoit  semblant  de  s'en  aller  sans  regret,  la 
plupart  la  voyoient  partir  avec  un  véritable  contente- 
ment \  l'orgueil  et  les  violences  du  maréchal  d'Ancre 
ayant  rejeté  sur  elle  un  si  grand  dégoût  des  peuples, 
que,  bien  qu'il  fût  un  peu  modéré,  il  n'étoit  néan- 
moins pas  changé  par  la  misère  présente  de  sa  condi- 
tion, qui  n'étoit  guère  au-dessous  de  l'extrémité  de  l'in- 
fortune. Elle  sortoit  du  Louvre,  vêtue  simplement, 
accompagnée  de  tous  ses  domestiques  qui  portoient 
la  tristesse  peinte  en  leur  visage  ;  et  il  n'y  avoit  guère 
personne  qui  eût  si  peu  de  sentiment  des  choses 
humaines  que  la  face  de  cette  pompe  quasi  funèbre 
n'émût  à  compassion.  Voir  une  grande  princesse,  peu 
de  jours  auparavant  commandant  absolument  à  ce 
grand  royaume,  abandonner  son  trône  et  passer,  non 
secrètement  et,  à  la  faveur  des  ténèbres  de  la  nuit, 
cachant  son  désastre,  mais  publiquement,  en  plein 
jour,  à  la  vue  de  tout  son  peuple,  par  le  milieu  de  sa 
ville  capitale,  comme  en  montre  pour  sortir  de  son 
empire,  étoit  une  chose  si  étrange  qu'elle  ne  pouvoit 
être  vue  sans  étonnement.  Mais  l'aversion  qu'on 
avoit  contre  son  gouvernement  étoit  si  obstinée  que 
le  peuple  ne  s'abstint  néanmoins-  pas  de  plusieurs 

1.  Une  première  rédaction  du  manuscrit  B  portait  :  tous  la 
voyaient  partir  avec  contentement.  Sancy  a  corrigé  ainsi  que  le 
porte  notre  texte. 

2.  Cette  phrase  avait  d'abord  été  ainsi  rédigée  sur  le  manus- 


212  MÉMOIRES  [1617] 

paroles  irrespectueuses  en  la  voyant  passer,  qui  lui 
étoient  d'autant  plus  sensibles  que  c'étoient  des  traits 
qui  rouvroient  et  rensanglantoient  la  blessure  dont 
son  cœur  étoit  entamé. 

Quatre  jours  auparavant,  on  mena  la  maréchale 
d'Ancre  du  Louvre  à  la  Bastille,  et,  peu  de  jours  après 
qu'elle  fut  partie,  on  l'en  tira,  par  arrêt  du  Parlement, 
pour  la  conduire  à  la  conciergerie  du  Palais,  en  vertu 
des  lettres  patentes  du  Roi  adressées  à  la  cour  pour 
lui  faire  son  procès,  à  ses  complices  et  à  la  mémoire  de 
son  mari.  Quand  elle  entra  dans  la  Bastille  la  nuit,  ce 
fut  avec  tant  de  bruit  que  Monsieur  le  Prince  s'en 
éveilla,  et,  sachant  ce  que  c'étoit,  sentit  une  grande 
consolation  et  de  la  voir  en  ce  lieu  et  d'être  délivré 
d'une  telle  ennemie.  Mais,  quand  elle  fut  tirée  de  là* 
pour  être  exposée  au  jugement  des  hommes,  il  eut 
lieu  de  craindre  le  commencement  si  sanguinaire  de 
ce  nouveau  gouvernement-. 

crit  B  :  «  ...  ému  de  compassion  de  voir  une  grande  princesse, 
peu  de  jours  auparavant  commandant  absolument  à  ce  grand 
royaume,  abandonnant  le  trône  de  la  fortune,  passant  par  le 
milieu  du  peuple  et  de  la  ville,  comme  en  montre,  sortir  de  son 
empire,  étoit  une  chose  si  étrange  qu'elle  ne  pouvoit  être  vue 
sans  étonnement;  mais  laversion  du  peuple  contre  son  gou- 
vernement étoit  si  obstinée  qu'il  ne  s'abstint  néanmoins...  »  Le 
changement  indiqué  dans  le  texte  a  été  fait  en  marge  par  Sancy 
(voyez  Rapports  et  notices,  t.  I). 

1.  Une  première  rédaction  du  manuscrit  B  portait  le  mot 
délivrée  au  lieu  de  tirée  de  là.  C'est  Charpentier  qui  a  fait  cette 
correction  de  pur  style. 

2.  D'après  le  Mercure  françois,  p.  224,  c'est  le  2  mai  que  la 
maréchale  d'Ancre  fut  conduite  du  Louvre  à  la  Bastille.  Un 
arrêt  du  Parlement,  du  11  mai,  la  fit  transférer,  la  nuit  sui- 
vante, de  la  Bastille  à  la  Conciergerie. 


[1617]  DE  RICHELIEU.  ?13 

Le  Roi  fit,  dès  le  1 2^  mai,  publier  une  déclaration 
par  laquelle  il  étoit  bien  aisé  à  voir  que  les  iTiinistres 
qui  donnoient  ce  conseil  à  S.  M.  le  faisoient  contre 
leur  propre  conscience,  y  ayant  des  choses  qui  se  con- 
trarioient  en  elle;  car,  d'une  part,  elle  avouoit  la 
fidélité  des  princes  et  disoit  qu'ils  n'avoient  rien  fait 
que  pour  le  seul  désir  d'empêcher  la  ruine  qui  leur 
étoit  procurée  par  les  pernicieux  desseins  du  maré- 
chal d'Ancre,  qui  se  servoit  des  armes  de  S.  M.,  contre 
son  intention,  pour  les  opprimer;  et,  de  l'autre,  elle 
qualifioit  leurs  armes  avoir  été  illicites,  d'autant  qu'ils 
n'y  dévoient  pas  avoir  recours,  mais  à  la  justice 
de  S.  M. 

Par  ladite  déclaration,  S.  M.  oublioit  toutes  les 
actions  qu'ils  avoient  faites  contre  son  autorité  en 
cette  guerre,  lestenoit,  eux  et  tous  ceux  qui  les  avoient 
assistés,  pour  ses  bons  sujets,  rétractoit  toutes  les 
déclarations  qui  avoient  été  faites  contre  eux  depuis 
le  traité  de  Loudun  et  les  rétablissoit  en  leurs  charges 
et  honneurs^. 

S.  M.  manda  aussi  à  l'assemblée  de  la  Rochelle 
qu'elle  leur  pardonnoit  ce  qu'ils  avoient  fait,  et  qu'un 
chacun  d'eux  eût  à  retourner  en  sa  province. 

Les  députés  du  synode  national  de  Vitré  vinrent 
trouver  le  Roi  le  %T  mai  et  lui  témoignèrent 
la  joie  qu'ils  avoient  de  la  mort  du  maréchal 
d'Ancre  et  que  S.  M.  commençoit  à  régner^.  Mais 

1.  Cette  déclaration  est  donnée  in  extenso  dans  le  Mercure 
français,  p.  218-222. 

2.  Le  synode  national  de  Vitré  avait  délégué  le  20  mai,  vers 
le  Roi,  quatre  députés.  Pierre  Hesperieu,  pasteur  de  l'église 
de  Sainte-Foi  en  la  Basse-Guyenne,  fît  une  harangue  au  Ro 


214  MÉMOIRES  [1617] 

leur  contentement  ne  dura  guère,  car,  dès  le  2l^  juin, 
l'évèque  de  Màcon*  fit  au  Roi,  à  l'ouverture  de 
l'assemblée  générale  du  clergé  de  France,  qui  se  tenoit 
aux  Augustins,  une  remontrance  sur  les  misères  de 
l'église  de  Béarn  et  lui  représenta  que,  la  justice  et  la 
piété  ne  pouvant  subsister  l'une  sans  l'autre,  puisque 
S.  M.  avoit  commencé  son  règne  par  une  action  de 
justice  qui  lui  faisoit  mériter  le  nom  de  Juste,  elle 
de  voit  maintenant  avoir  pitié  de  cette  pauvre  pro- 
vince, en  laquelle  il  y  avoit  encore  plus  de  cent  que 
villes,  bourgades  et  paroisses,  desquelles  la  plupart  du 
peuple  étoit  catholique  et  n'avoient  néanmoins  aucuns 
prêtres  pour  leur  administrer  les  sacrements,  tous  les 
biens  ecclésiastiques  et  leurs  dîmes  étant  tenus  par 
les  huguenots  et  employés  à  la  nourriture  des  ministres 
et  à  l'entretènement  de  leurs  collèges-. 

Cette  remontrance  mit  en  peine  ceux  de  la  Religion 
prétendue,  qui  représentèrent  tout  ce  qu'ils  purent  au 
Roi  pour  le  supplier  de  laisser  les  choses  en  l'état  qu'il 
les  avoit  trouvées  et  appuyèrent  leurs  raisons  de  la 
présence  du  marcjuis  de  la  Force,  gouverneur  de 
Béarn ^.  Mais  tout  cela  n'empêcha  point  que  S.  M., 

que  le  Mercure  français  donne  intégralement  (t.  V,  p.  40-42). 
Les  Mémoires  la  résument  en  une  courte  phrase. 

1.  Gaspard  Dinet  (1559-1619),  fils  de  Jacques  Dinet  et  de 
Philippe  Euvraud,  entré  aux  Minimes  de  Vincennes  en  1586, 
était  depuis  1600  évêque  de  Mâcon. 

2.  Les  Mémoires  résument  ici  la  première  partie  de  la 
harangue  de  l'évèque  de  Mâcon,  reproduite  par  le  Mercure 
francois,  p.  60-68. 

3.  Jacques  Nompar  de  Caumont  (1559-1652),  marquis,  puis 
duc  de  la  Force  en  1637,  était  protestant.  Quoique  gouver- 
neur de  Béarn,  il  soutint  le  parti  huguenot,  notamment  au 
siège  de  Montauban  (1621).  S'étant  soumis  en  1622,  il  fut  créé 


[1617]  DE  RICHELIEU.  215 

par  un  arrêt  du  25  juin,  n'ordonnât  que  l'exercice  de 
la  religion  catholique  seroit  rétabli  en  tous  les  lieux 
de  son  pays  de  Béarn  et  ne  donnât  pleine  et  entière 
main-levée  aux  ecclésiastiques  d'icelui  de  tous  leurs 
biens,  assignant  néanmoins,  d'autre  part,  sur  le  plus 
clair  revenu  de  son  domaine,  le  paiement  de  l'entretè- 
nement  des  ministres,  régents,  écoliers,  disciplines  et 
autres  choses  qu'ils  prenoient  sur  lesdits  biens  ecclé- 
siastiques* ;  pour  l'exécution  duquel  arrêt  S.  M.  manda 
aux  églises  prétendues  de  Béarn  qu'elles^  lui  envoyas- 
sent leurs  députés  pour  voir  procéder  au  remplace- 
ment desdits  deniers. 

Ils  s'assemblèrent  à  Orthez^,  envoient  vers  le  Roi 
pour  lui  faire  remontrance  sur  ce  sujet,  mais  en  vain  ; 
car,  nonobstant  toutes  leurs  oppositions,  le  Roi  fit  un 
édit,  en  septembre  suivant,  pour  la  main-levée  des 
biens  des  ecclésiastiques  en  Béarn,  pour  l'exécution 
duquel  nous  verrons  l'année  suivante  de  si  grandes 
difficultés  qu'elles  ont  été  le  commencement  de  la  ruine 
du  parti  huguenot  en  France^. 

Si  l'évêque  de  Màcon  fit  ladite  remontrance  avec 
effet,  l'évêque  d'Aire^,  à  la  clôture  d'icelle,  en  fit  une 

maréchal  de  France  et  fut  lieutenant  général  de  Tarmée  de 
Piémont  pendant  l'année  1630;  il  rendit,  par  la  suite,  des  ser- 
vices considérables  dans  les  armées  du  Roi. 

1.  Ces  quatre  derniers  mots  ont  été  ajoutés  sur  le  manus- 
crit B  de  la  main  de  Charpentier. 

2.  Le  manuscrit  B  porte,  par  erreur,  ils. 

3.  Le  20  juillet. 

4.  Les  deux  paragraphes  précédents  résument  le  Mercure 
françois,  t.  V,  année  1617,  p.  68-73.  Le  même  recueil  donne, 
p.  326,  l'édit  du  Roi. 

5.  Philippe  Cospéan,  évéque  d'Aire  en  1607  et  qui  prononça 
l'oraison  funèbre  de  Henri  IV,  fut,  en  janvier  1621,  nommé 


216  MÉMOIRES  [Myll] 

à  S.  M.  sur  le  sujet  des  duels  avec  non  moindre  suc- 
cès; car  il  lui  sut  si  bien  remontrer  l'énormité  de  ce 
péché  et  la  vengeance  sévère  que  Dieu  en  prendroit 
de  ceux  qui  les  toléroient,  que  S.  M.  commanda  si 
efficacement  que  la  rigueur  de  ses  édits  fût  observée, 
que  les  corps  morts  de  quelques  gentilshommes  qui 
se  battirent  depuis  furent  traînés  à  Montfaucon^ 

Cependant,  on  faisoit  le  procès  à  la  maréchale 
d'Ancre,  avec  une  ferme  résolution  de  la  faire  con- 
damner en  quelque  manière  que  ce  fût.  On  eut  pre- 
mièrement volonté  de  lui  confronter  Barbin,  espérant 
en  tirer  quelque  avantage;  car,  lorsque  la  Reine,  à  son 
partement,  fit  instance  au  Roi  et  au  sieur  de  Luynes 
qu'on  le  délivrât,  ce  dernier  ne  fit  autre  réponse  sinon 
qu'il  le  falloit  encore  retenir  pour  le  confronter  avec 
ladite  maréchale.  Mais  Modène-,  l'ayant  été  visiter  à  la 
Bastille,  et,  après  force  honnêtes  paroles,  assuré  qu'on 
ne  le  retenoit  qu'à  ce  dessein,  Barbin  lui  ayant 
répondu  là-dessus  que,  quelque  mauvaise  volonté  que 
cette  dame  eût  eue  contre  lui  et  quelque  mal  qu'elle 

évêque  de  Nantes,  et,  en  1635,  évêque  de  Lisieux;  il  mourut 
le  8  mai  1646. 

1.  Cet  endroit,  où  l'on  exposait  les  corps  des  suppliciés, 
était  situé  sur  une  érainence  entre  les  faubourgs  du  Temple  et 
Saint-Martin.  —  II  n'est  parlé  des  duels  que  dans  la  pi^emière 
moitié  de  la  harangue  de  l'évêque  d'Aire,  dont  le  texte  est 
donné  en  entier  par  le  Mercure  français,  p.  74-85;  ce  para- 
graphe des  Mémoires  résume  le  Mercure  français. 

2.  François  Raymond,  baron  de  Modène  au  Comtat-Venais- 
sin,  était  lié  avec  Luynes  et  estimé  de  Louis  XIII,  qui  lui 
donna  le  gouvernement  de  Fougères  en  1617,  l'envoya  ambas- 
sadeur en  Savoie  en  1618,  et  le  nomma  conseiller  d'Etat  et 
grand  prévôt  de  France  en  1621;  disgracié  en  1626,  il  mourut 
en  1632. 


[1617]  DE  RICHELIEU.  217 

eût  voulu  lui  faire,  il  se  sentoit  si  fort  son  obligé  qu'il 
eût  voulu  par  son  sang  la  pouvoir  racheter  de  la 
peine  où  elle  étoit ,  mais  [que] ,  puisqu'ils  étoient  tous  deux 
dans  ce  malheur  qu'ils  ne  pouvoient  éviter,  il  auroit 
un  grand  désir  de  se  voir  devant  elle  pour  lui  deman- 
der quels  témoins  elle  vouloit  produire  contre  lui 
pour  soutenir  qu'il  vouloit  empoisonner  la  Reine, 
comme  nous  avons  dit  ci-dessus,  cette  réponse,  qui 
témoignoit  une  affection  sincère  de  Barbin  vers 
elle,  leur  fit  craindre  que  leur  confrontation  servit 
plutôt  à  faire  paroître  l'innocence  de  l'accusée  qu'à 
aggraver  les  crimes  qu'on  lui  mettoit  à  sus,  de  sorte 
que,  sans  en  venir  là,  ils  poursuivirent  son  procès; 
ce  que  Barbin  sachant,  il  dit  avec  beaucoup  d'aigreur 
à  Modène,  qui  le  venoit  voir  bien  souvent  pour 
essayer  à  découvrir  toujours  quelque  chose  de  ses 
discours,  qu'on  avoit  raison  de  ne  le  point  confronter 
à  elle,  d'autant  que,  hormis  les  fantaisies  qu'elle  avoit 
eues  contre  lui,  il  ne  pourroit  jamais  rendre  qu'un 
témoignage  fort  honorable  d'elle. 

Enfin,  son  sexe  et  sa  condition  ne  l'ayant  pu  garan- 
tir de  la  rage  de  ceux  qui,  pour  s'approprier  son  bien, 
se  vouloient  défaire  de  sa  personne,  par  arrêt  du 
8®  juillet,  ils  la  déclarèrent,  son  mari  et  elle, 
criminels  de  lèse-majesté  divine  et  humaine,  pour 
réparation  de  quoi  condamnèrent  la  mémoire  du 
défunt  à  perpétuité,  et  elle*  à  avoir  la  tète  tranchée 
sur  un  échafaud,  et  son  corps  et  sa  tête  brûlés  et 
réduits  en  cendres^,  leur  maison   près   du  Louvre 

1.  Le  mot  elle  a  été  substitué  par  Sancy  sur  le  manuscrit  B 
aux  mots  :  la  maréchale  sa  femme. 

2.  Dans  une  première  rédaction  du  manuscrit  B,  les  mots 


218  MÉMOIRES  [1617] 

rasée,  leurs  biens  féodaux,  tenus  et  mouvants  de  la 
couronne,  réunis  au  domaine  d'icelle  et  tous  leurs 
autres  biens  étant  dans  le  royaume  confisqués  au  Roi, 
déclarant  ceux  (ju'ils  avoient,  tant  à  Rome  qu'à  Flo- 
rence, appartenir  à  S.  M.  comme  pro venus  de  ses 
deniers;  déclarant,  en  outre,  les  étrangers  incapables 
de  dignités,  offices,  charges  et  gouvernements  en  ce 
royaume^.  Mais  cet  arrêt  ne  fut  exécuté  que  contre  la 
personne  de  la  maréchale  d'Ancre  :  car  leurs  maisons 
et  leurs  biens  passèrent  tout  à  la  fois  en  la  puissance 
de  leurs  ennemis,  qui,  pour  le  premier  degré  de  leur 
avancement,  s'élevèrent  d'un  seul  pas  sur  tous  les 
biens  que,  avec  tant  de  mécontentement  des  peuples, 
de  jalousie  des  grands,  de  désavantage  du  service  du 
Roi,  d'intérêt  de  l'honneur  de  la  Reine  et  de  plaintes 
de  Luynes  même  envers  le  Roi,  ils  avoient  amassés 
durant  les  sept  années  du  gouvernement  de  la  Reine, 
tant,  ou  l'avarice  les  aveugla  et  leur  fit  perdre  la 
mémoire  des  prétextes  qu'ils  avoient  pris  du  bien 
dudit  maréchal  pour  lui  nuire,  ou  leur  impudence  fut 
extrême,  ne  se  souciant  pas  qu'on  reconnût  leur  fourbe 
pourvu  qu'ils  en  eussent  le  profit. 

Gela  fit  voir  à  tout  le  monde  qu'ils  n'avoient  pour- 
suivi cette  pauvre  affligée  que  pour  couvrir  leur  pau- 
vreté de  ses  biens,  mais  bien  plus  aux  juges  mêmes, 
dont  plusieurs  furent  trompés  et  apprirent,  à  leur 
dam  et  au  préjudice  de  leur  conscience,  qu'il  ne  faut 
point,  sous  la  promesse  d'un  favori,  outrepasser  la 

réduits  en  cendres  étaient  suivis  des  mots  :  Quant  aux  crimes 
de  lèse-majesté  divine. 

1.  Le  Mercure  français,  p.  226,  donne  intégralement  le  texte 
de  l'arrêt. 


[1617]  DE  RICHELIEU.  519 

ligne  de  la  droiture  dans  les  jugements  ;  car  l'avocat 
général  Le  Bret^  m'a  dit  que  les  imputations  qu'on 
faisoit  à  la  défunte  étoient  si  frivoles  et  les  preuves 
si  foibles,  que  quelques  sollicitations  qu'on  lui  fit 
qu'il  étoit  nécessaire  pour  l'honneur  et  la  sûreté  de 
la  vie  du  Roi  qu'elle  mourût,  il  ne  voulut  jamais  don- 
ner ses  conclusions  à  la  mort  que  sur  l'assurance  qu'il 
eut,  parla  propre  bouche  de  Luynes,  qu'étant  condam- 
née le  Roi  lui  donneroit  sa  grâce;  et,  si  Le  Bret  a  été 
trompé  sur  cette  fausse  promesse,  il  est  bien  croyable 
que  plusieurs  autres  juges  l'ont  été  par  la  même  voie. 
Mais  le  bonhomme  Deslandes^,  qui  étoit  l'un  des 
rapporteurs,  ne  se  laissa  point  surprendre  à  ce  ramage, 
mais  demeura  dans  l'intégrité  de  la  justice  et  refusa 
même  de  s'abstenir  de  se  trouver  au  jugement, 
quelque  instance  qui  lui  en  fut  faite  de  la  part  de 
Luynes. 

Les  principaux  chefs  sur  lesquels  ils  la  condam- 
nèrent furent  qu'elle  étoit  juive  et  sorcière^,  dont  la 
principale  preuve  étoit  l'oblation  qu'ils  prétendoient 
qu'elle  avoit  faite  d'un  coq,  et  les  nativités  du  Roi  et 

1.  Cardin  Le  Bret,  seigneur  de  Flacourt  (1558-1655),  avocat 
général  à  la  cour  des  aides  de  Paris,  puis  avocat  général  au 
Parlement,  conseiller  d'État  et  premier  président  au  parlement 
de  Metz. 

2.  Guillaume  Deslandes  (1538-1630),  seigneur  de  Maigne- 
ville,  reçu  conseiller  au  parlement  de  Paris  en  1572,  était 
doyen  de  la  Grand'Chambre. 

3.  Une  première  rédaction  du  manuscrit  B  portait  :  Furent, 
quant  aux  crimes  de  lèse-majesté  divine,  le  judaïsme  et  sor- 
tilège. —  On  trouve  une  partie  des  pièces  originales  relatives 
au  procès  de  la  maréchale  d'Ancre  à  la  Bibliothèque  nationale 
dans  un  manuscrit  des  Cinq  Cents  de  Colbert. 


520  MÉMOIRES  [1617] 

dn  Messieurs  ses  frères  qu'ils  trouvèrent  dans  ses  cas- 
settes. 

Il  est  vrai  qu'elle^  se  trouve  saisie  de  la  nativité  de 
sa  maîtresse  et  de  celle  des  enfants  que  Dieu  lui  a 
donnés.  Il  se  vérifie  contre  elle  qu'au  milieu  de  ses 
douleurs  elle  a  fait  bénir  des  coqs  et  des  pigeonneaux 
et  appliquer  sur  sa  tète  pour  trouver  quelques  allége- 
ments à  ses  peines^.  On  a  raison  de  dire  qu'il  n'y  a 
point  d'innocence  assurée  en  un  temps  où  on  veut 
faire  des  coupables;  car,  quoique  de  ces  deux  choses 
la  dernière  mérite  louange,  puisqu'elle  a  son  fonde- 
ment et  ses  exemples  dans  l'Écriture,  et  la  première 
compassion  pour  être  plutôt  un  vice  de  la  nation  que 
de  sa  personne,  elle  ne  délaisse  pas  d'être  décla- 
rée criminelle  de  lèse-majesté,  d'être  convaincue  de 
sortilège. 

On  sait  assez  que  peu  de  grands  naissent  en  Italie 
dont  on  ne  tire  l'horoscope,  dont  la  vie  et  les  actions 
ne  soient  étudiées  dans  les  astres  avec  autant  de  soin 
que  si  Dieu  avoit  écrit  dans  les  cieux  les  noms  des 
personnes  sur  qui  il  veut  se  reposer  de  la  conduite 
du  monde.  Cette  doctrine,  que  nous  estimons  plus 
curieuse  que  nécessaire,  ils  ne  la  croient  pas  inutile 
ni   à  leur  fortune  ni  à  la  sûreté  des   princes;  car, 

1.  Les  mots  :  //  est  vrai  qu\  ont  été  ajoutés  sur  le  manuscrit  B 
par  Sancy. 

2.  Ces  détails  se  retrouvent  dans  différentes  pièces  manus- 
crites du  temps,  conservées  à  la  Bibliothèque  nationale  dans  la 
collection  Dupuy  et  dans  celle  des  Cinq  Cents  de  Colbert.  L'ap- 
plication sur  diverses  parties  du  corps  d'un  pigeon  fraîchement 
tué  et  fendu  en  deux  était  encore  un  remède  populaire  usité 
de  notre  temps,  et  les  livres  de  médecine  du  xyii*^  siècle  en 
prescrivaient  l'usage  pour  certaines  maladies. 


[1617]  DE  RICHELIEU.  221 

comme  ce  n'est  pas  un  mauvais  commencement  pour 
entrer  dans  les  bonnes  grâces  de  son  maître  que  d'en 
connoître  les  inclinations,  aussi  n'est-ce  pas  peu  pour 
sa  santé  que  d'en  savoir  le  tempérament  et  les 
humeurs;  la  connoissance  du  mal  est,  en  effet,  la  pre- 
mière  partie  de  la  médecine.  A  la  vérité,  il  est  défendu, 
par  les  anciennes  lois  impériales,  de  faire  des  consul- 
tations sur  la  vie  des  princes;  mais  ou  la  défense 
n'étoit  que  pour  ceux  qui  avoient  droit  à  la  succes- 
sion, ou  contre  ceux  qui,  rendant  leurs  observations 
publiques,  détachoient  les  peuples,  par  l'opinion  d'un 
changement  à  venir,  du  respect  qui  étoit  dû  aux  puis- 
sances légitimement  établies  ;  mais  quand  elles  auroient 
eu  force  indifféremment  contre  tous,  contre  ceux  qui 
les  tirent  et  les  reçoivent,  contre  ceux  qui  les  rendent 
publiques  ou  secrètes,  telles  fautes  ayant  été  com- 
munes en  notre  temps  et  sans  aucun  exemple  de  châ- 
timent, puisqu'il  y  a  prescription  contre  les  lois  les 
plus  saintes  lorsque  l'usage  ordinaire  en  autorise  les 
contraventions,  elle  ne  pouvoit  être  justement  con- 
damnée. 

Pour  les  remèdes  dont  elle  ne  s'est  voulu  servir 
qu'après  être  sanctifiés  de  la  main  du  prêtre,  je  sou- 
tiens que  c'est  plutôt  une  preuve  de  sa  piété  que  de  ses 
crimes.  Dieu  ayant  faitlemondepourl'usagedel'homme, 
il  fait  bien  de  chercher  en  la  nature  ce  qui  peut  sou- 
lager la  sienne  ;  mais  le  chrétien  ayant  appris  que  ce 
qui  est  consacré  par  la  bénédiction  est  plus  souverain 
que  ce  qui  est  formé  par  la  nature,  fait  encore  mieux 
de  rechercher  sa  guérison  dans  les  œuvres  de  la  grâce. 
Où  est  la  loi  qui  commande  aux  sains  de  bénir  les 
aliments  et  défende  aux  malades   de   consacrer  les 


222  MÉMOIRES  [1G17] 

médicaments?  On  arme  de  ce  signe  les  vaisseaux  pour 
les  rendre  plus  propres  à  combattre  les  ennemis  et  les 
orages  ;  on  bénit  les  eaux  pour  en  ôter  le  venin  ;  on 
fait  des  processions  dans  les  campagnes  pour  les  rendre 
plus  fertiles;  et  il  ne  sera  point  permis  de  fortifier  la 
vertu  des  remèdes  par  des  cérémonies  si  saintes  !  A  la 
vérité,  qui  béniroit  les  animaux  pour  les  purifier  tom- 
beroit  en  l'erreur  des  manichéens,  qui  les  estimoient 
immondes  comme  procédant  d'un  mauvais  principe; 
mais  les  sanctifier  pour  les  rendre  meilleurs,  cela 
demeure  dans  les  maximes  de  la  théologie  qui  nous 
apprend  que  la  grâce  accomplit  la  nature. 

Aussi  ne  fut-elle  recherchée  pour  ses  crimes  imagi- 
naires qu'en  apparence  ^  mais,  en  effet,  pour  n'avoir 
pas  refusé  les  libéralités  de  sa  maîtresse.  Si  elle  eût 
été  moins  riche,  elle  eût  été  plus  à  couvert  en  sa  mau- 
vaise fortune;  elle  eût  servi  plus  longtemps  si  elle  eût 
servi  une  princesse  moins  libérale;  ses  biens  lui  atti- 
rèrent pour  ennemis  et  pires  parties  des  personnes 
dont  le  pouvoir  n'étoit  pas  moindre  que  l'avarice,  qui, 
disposant  absolument  des  volontés  du  Roi,  mandèrent 
aux  juges  par  le  duc  de  Bellegarde,  qui  les  visita  tous 
les  uns  après  les  autres  pour  leur  donner  cette  impres- 
sion, qu'ils  n'estimoient  pas  que  la  Reine  pût  possé- 
der sûrement  sa  vie  si  elle  n'en  étoit  privée,  qui, 
contre  le  sentiment  des  plus  gens  de  bien,  pour  une 
faute  étrangère,  une  action  de  piété  et  la  vertu  de  sa 
maîtresse,  la  firent  condamner  à  la  mort  par  arrêt. 

Quand  on  lui  prononça  sa  sentence,  elle  fut  surprise 
et  s'écria  :  Oimè  poverettaf  car,  s'assurant  sur  son 

1.  Le  manuscrit  B  porte  en  espérance. 


[1617]  DE  RICHELIEU.  223 

innocence,  elle  n'attendoit  rien  moins  que  la  mort,  et 
ne  savoit  pas  encore  que  toute  personne  qui  est  en  la 
mauvaise  grâce  de  son  prince  est,  en  ce  point-là  seul, 
atteinte  et  convaincue  de  tous  crimes  dans  le  juge- 
ment des  hommes.  Elle  se  résolut  néanmoins  inconti- 
nent à  la  mort,  avec  une  grande  constance  et  résigna- 
tion à  la  volonté  de  Dieu. 

Dès  qu'elle  entra  en  la  prison,  son  esprit,  qui  étoit 
déjà  blessé  auparavant  de  tant  d'imaginations  mélan- 
coliques, que  non  seulement  personne  ne  pouvoit  souf- 
frir son  humeur,  mais  [qu'Jelle  étoit  insupportable  à  elle- 
même,  revint  à  soi  si  parfaitement  qu'elle  n'eut  jamais 
le  sens  meilleur  qu'elle  l'eut  alors  et  le  conserva  jus- 
ques  à  la  fin,  tant  elle  ressentit  parfaitement  véritable 
cette  parole  de  l'Écriture,  que  l'affliction  est  le  plus 
salutaire  remède  de  l'esprit.  Mais  à  ce  point  qui  fut  la 
catastrophe  de  toute  sa  mauvaise  fortune,  une  grâce 
si  particulière  de  Dieu  lui  fut  donnée  que,  surmon- 
tant l'impression  naturelle  de  l'impatience  qu'elle  avoit 
eue  toute  sa  vie,  elle  se  montra  d'un  courage  aussi 
constant  et  ferme  comme  si  la  mort  lui  eut  été  une 
récompense  agréable  et  que  la  vie  lui  eut  tenu  lieu 
d'un  supplice  cruel. 

Sortant  de  la  prison  et  voyant  une  grande  multi- 
tude de  peuple  qui  étoit  amassé  pour  la  voir  passer  : 
«  Que  de  personnes,  dit-elle,  sont  assemblées  pour 
voir  passer  une  pauvre  affligée  !  »  Et,  à  quelque  temps 
de  là,  voyant  quelqu'un  auquel  elle  avoit  fait  un  mau- 
vais office  auprès  de  la  Reine,  elle  lui  en  demanda 
pardon,  tant  la  véritable  et  humble  honte  qu'elle  avoit 
devant  Dieu  de  l'avoir  offensé  lui  ôtoit  parfaitement 
celle  des  hommes.  Aussi  y  eut-il  un  si  merveilleux 


224  MÉMOIRES  [1617] 

effet  de  bénédiction  de  Dieu  envers  elle  que,  par  un 
subit  changement,  tous  ceux  qui  assistèrent  au  triste 
spectacle  de  sa  mort  devinrent  tout  autres  hommes, 
noyèrent  leurs  yeux  de  larmes  de  pitié  de  cette  déso- 
lée, au  lieu  d'assouvir  leurs  cœurs  de  son  supplice 
qu'ils  avoient  tant  désiré;  et  au  lieu  qu'ils  étoient 
accourus  pour  la  voir  comme  une  lionne  qui,  après 
avoir  fait  beaucoup  de  carnage,  étoit  prise  dans  les  rets 
et  prête  à  subir  la  vengeance  des  maux  qu'elle  avoit 
faits,  elle  leur  parut  comme  une  brebis  qu'on  menoit 
à  la  boucherie  et  l'eussent  voulu  racheter  de  leur 
propre  sang.  M"*"  de  Nevers  même  qui,  pour  son  cou- 
rage hautain  et  pour  s'être  vue,  elle  et  son  mari,  pous- 
sés jusque  sur  le  bord  de  leur  ruine  par  elle^  avoit  le 
cœur  le  plus  envenimé,  ne  se  put  tenir  de  fondre  en 
larmes  :  de  sorte  qu'il  est  vrai  de  dire  qu'elle  fut  autant 
regrettée  à  sa  mort  qu'elle  avoit  été  enviée  durant  sa 
vie.  La  seule  vérité  m'oblige  à  faire  cette  remarque, 
et  non  aucun  désir  de  favoriser  cette  femme  aussi 
malheureuse  qu'innocente,  vu  qu'il  n'y  a  personne  si 
odieuse  qui,  finissant  ses  jours  en  public  avec  résolu- 
tion et  modestie,  ne  change  la  haine  en  pitié  et  ne  tire 
des  larmes  de  ceux  mêmes  qui  auparavant  eussent 
désiré  voir  répandre  son  sang^. 

La  part  que  son  mari  et  elle  ont  eue  aux  biens,  aux 
grandeurs,  au  gouvernement  de  l'État  et  aux  bonnes 

1.  Les  dix-huit  mots  qui  précèdent  ont  été  ajoutés  sur  le 
manuscrit  B  par  Sancy. 

2.  Tout  ce  récit  des  Mémoires  sur  la  mort  de  la  maréchale 
d'Ancre  concorde,  dans  l'ensemble,  avec  celui  du  Mercure 
français,  t.  IV,  année  1617,  p.  231-234,  et  avec  ceux  des  con- 
temporains. 


[1617]  DE  RICHELIEU.  225 

grâces  de  la  Reine,  la  montre  pompeuse  que  la  fortune 
a  faite  d'eux  sur  le  théâtre  de  ce  royaume,  la  passion- 
née et  différente  affection  des  peuples  vers  eux,  et  les 
divers  jugements  qu'en  a  faits  toute  l'Europe  nous 
obligent,  ce  me  semble,  à  dire  quelque  chose  en  bref 
de  leur  naissance,  de  leur  fortune,  de  leurs  mœurs, 
de  leurs  défauts,  de  leurs  vertus,  de  leur  vie  et  de 
leur  mort,  répétant  le  moiiis  qu'il  se  pourra  les  choses 
qui  se  trouveront  dites  d'eux  au  cours  de  cette  histoire. 
Le  mari  s'appeloit  Concino  Goncini^  étoit  gentil- 
homme des  meilleures  naissances  de  Florence,  comme 
en  fait  foi  Scipion  Ammirato-  dans  son  livre  des  Mai- 
sons illustres.  Son  père^  avoit  été  gouverneur  de  Don 

1.  On  trouve  une  première  ébauche  de  ce  portrait  du  maré- 
chal d'Ancre,  aux  Affaires  étrangères,  dans  le  volume  France  771, 
fol.  93.  Ce  fragment  est  écrit  par  Cherré  et  les  Mémoires  le 
reproduisent  presque  textuellement.  Il  porte  la  mention  sui- 
vante de  la  main  de  Richelieu  :  «  Jugement  du  maréchal 
d'Anci'e  pour  mettre  après  sa  mort.  Il  en  faudra  mettre  autant 
de  sa  femme  après  sa  mort.  «  En  marge  de  ce  document  se 
trouvent  les  lettres  A,  B  qui  fixent  les  limites  d'un  premier 
extrait  à  faire  pour  les  Mémoires.  La  lettre^  est  placée  en  face 
de  la  ligne  où  se  trouve  le  mot  gentilhomme,  qu'on  avait  sou- 
ligné, comme  étant  celui  qui  devait  commencer  l'extrait. 

2.  Scipion  Ammirato  (1531-1601),  dit  l'Ancien,  écrivit  un 
livre  intitulé  Délie  famiglie  nobili  fiorentini,  dont  la  première 
partie  parut  en  1615;  il  laissa  aussi  une  Histoire  de  Florence 
qui  va  jusqu'en  1574.  En  1551,  il  reçut  les  ordres  mineurs  et 
se  fixa  à  Florence  en  1569.  Il  adopta  un  jeune  homme  d'obs- 
cure naissance,  Christophe  Bianco,  né  vers  1582,  qui  fut  son 
secrétaire  et  à  qui  il  légua  son  nom.  Celui-ci,  dit  Scipion  Ammi- 
rato le  jeune,  représenta  le  grand-duc  de  Toscane  à  la  cour 
de  France  pendant  la  minorité  de  Louis  XIII.  Il  continua,  en 
partie,  les  ouvrages  de  son  père  d'adoption. 

3.  Jean-Baplisle  Concini,  auditeur  et  secrétaire  d'Etat  du 

n  15 


226  MÉMOIRES  [1617] 

François  de  Mcdicis^  père  de  la  Reine  mère,  et  seul 
ministre  sous  Gôme^,  estimé  pour  le  premier  homme 
d'État  d'Italie  au  rapport  de  M.  de  Thou^ 

La  jeunesse  de  Concino  fut  agitée  de  plusieurs  acci- 
dents, de  prison,  de  bannissement,  jusques  à  être 
réduit  à  être  échanson  du  cardinal  de  Lorraine. 

Peu  de  mois  avant  le  mariage  du  Roi,  il  retourna  à 
Florence,  où,  se  trouvant  peu  de  bien,  troisième  cadet 
d'une  maison  de  dix  mille  ducats  de  rente,  il  fut  aisé 
à  persuader  de  venir  avec  la  princesse  Marie.  Leonora 
Galigaï  le  regardoit  déjà  de  bon  œil  et  l'aida  de 
quelques  deniers  avant  son  partement,  dont  il  acheta 
un  cheval  qu'ils  appellent  de  rispeto'',  qui  coûta  deux 
mille  ducats,  duquel  il  fît  présent  au  Roi. 

grand-duc  de  Toscane  Côme  P"",  avait  épousé  Camille  Miniati. 
Lecteur  en  droit  canon  en  1560  à  Pise,  auditeur  de  la  rote  de 
Mantoue  en  1562,  clievalier  de  l'ordre  de  Saint-Etienne  la 
même  année,  grand  chancelier  du  Grand-Duc  en  1569,  il  fut 
envoyé  en  1571  à  la  cour  de  l'Empereur,  comme  ambassadeur. 
Maximilien  II  reconnut  alors  ses  droits  au  titre  de  comte  de  la 
Pena.  En  1576,  il  fut  élu  sénateur,  puis  auditeur  et  conseiller 
privé  du  grand-duc  François  P"";  il  tomba  ensuite  en  disgrâce 
et  mourut  en  1605. 

1.  François-Marie  de  Médicis  (1541-1587),  grand-duc  de 
Toscane. 

2.  Côme  P""  de  Médicis  (1519-1574),  cx^éé  grand-duc  de 
Toscane  par  le  pape  Paul  V  en  1569,  était  père  de  François- 
Marie  (ci-dessus)  et  grand-père  de  Marie  de  Médicis,  Il  avait 
épousé  en  1539  Eléonore  de  Tolède,  fille  du  vice-roi  espagnol 
de  Naples. 

3.  Jacques-Auguste  de  Thou  (tome  I,  p.  137).  Il  a  été  parlé 
dans  notre  tome  I,  p.  138,  note  1,  de  sa  célèbre  Histoire  uni~ 
verselle  ou  Historia  mei  temporis. 

4.  Le  document  original  des  Affaires  étrangères  porte  de 
respesto. 


[1617]  DE  RICHELIEU.  227 

Peu  après  son  arrivée,  il  épousa  la  susdite  Leonora 
Galigaï*  et,  au  même  temps,  eut  crédit  de  mari  de  la 
favorite  de  S.  M.  Il  fut  premier  maître  d'hôtel  de  la 
Reine  et  puis  son  premier  écuyer'.  Après  ^  plusieurs 
fâcheuses  rencontres,  tant  de  l'aigreur  de  l'esprit  de  sa 
femme,  qui  ne  se  pou  voit  rendre  à  parler  au  Roi  avec 
le  respect  qu'elle  devoit  sur  le  sujet  de  ses  amourettes, 
que  de  l'envie  de  Don  Jean*,  qui  essaya  de  persuader 
au  Roi  qu'il  seroit  mieux  en  Italie  que  proche  de  la 
Reine,  il  gagna  enfin  crédit  en  l'esprit  de  S.  M.,  tant 
parce  qu'il  étoit  adroit  aux  exercices,  aimoit  le  jeu, 
étoit  d'humeur  agréable,  railleur  et  divertissant,  que 
principalement  pour  ce  qu'il  le  servoit  à  déguiser  et  à 
cacher  ses  amours  à  la  Reine  et  à  divertir  et  apaiser 
les  orages  de  la  jalousie,  que  le  Roi  ne  pouvoit  sup- 
porter. 

Après  ^  la  mort  du  Roi,  sa  fortune  haussa  et  s'accrut 
avec  l'emploi;  mais  sa  faveur  commença  à  aller  de 
soi-même  et  vint  à  tel  point  que,  durant  la  dernière 
année  de  son  pouvoir,  sa  femme  y  eut  la  moindre  part. 

1.  Var.  :  Il  épousa  la  susdite  Léonora  (H). 

2.  C'est  ici  que  s'arrête  l'extrait  fait  sur  le  document  écrit 
par  Cherré.  On  y  voit,  en  marge,  la  lettre  B  et  un  crochet  après 
le  dernier  mot  devant  terminer  l'emprunt,  qui  finissait  ainsi  : 
«  Il  fut  premier  maître  d'hôtel  et  puis  premier  écuyer  de  la 
Reine.  »  Voyez  ci-dessus,  page  225,  note  1. 

3.  Ce  qui  suit,  jusqu'à  la  fin  de  l'alinéa,  fait  défaut  dans  le 
fragment  manuscrit  du  volume  France  771  des  Affaires  étran- 
gères. 

4.  Jean  de  Médicis,  oncle  de  la  Reine  :  tome  I,  p.  54. 

5.  Avec  cet  alinéa  commence  un  nouvel  emprunt  fait  au 
document  écrit  par  Cherré.  La  lettre  C,  en  face  des  mots  Api^ès 
la  mort  du  Roi,  soulignés  en  partie,  indique  le  commencement 
du  nouvel  extrait. 


228  MÉMOIRES  [1617] 

Il  étoit  naturellement  soupçonneux,  connue  Italien 
et  Florentin,  moins  charlatan  que  le  commun  de  sa 
nation  ne  porte,  entreprenant,  courageux,  quoique  la 
médisance,  qui  attaque  toujours  ceux  qui  ont  la  pre- 
mière puissance,  ait  voulu  dire.  Ceux  qui  virent  tuer 
des  gens  auprès  de  lui,  à  l'entreprise  du  Gatelet  et  au 
siège  de  Glermont',  sont  encore  en  vie  et  témoins 
dignes  de  foi  qu'il  ne  se  peut  pas  faire  meilleure  mine 
en  lieu  périlleux. 

Ses  railleries  ordinaires  de  traiter  ceux  de  sa  nation 
et  ses  domestiques  de  coglioni  donnèrent  prise  au 
monde,  qui  la  recherche  volontiers  sur  ceux  qui 
tiennent  son  poste,  pour  l'en  faire  traiter  lui-même. 

Il  avoit  pour  principal  but  d'élever  sa  fortune  aux 
plus  hautes  dignités  où  puisse  venir  un  gentilhomme, 
pour  second  désir  la  grandeur  du  Roi  et  de  l'État,  et, 
en  troisième  lieu,  l'abaissement  des  grands  du  royaume, 
et  par  sur  tout  la  maison  de  Lorraine  ;  car,  encore  que 
partie  en  fût  attachée  aux  intérêts  de  sa  maîtresse,  il 
disoit  néanmoins  souvent  à  ses  confidents  que  les 
princes  du  sang  faisoient  moins  de  mal  dans  la  rébel- 
lion ouverte  que  les  autres  dans  leurs  intrigues  de 
cour^. 

Il  avoit  reconnu  l'imbécillité  d'esprit  de  sa  femme 
deux  ans  avant  sa  mort  et  n'ignoroit  pas  ce  que  l'on 
disoit  de  ses  autres  imperfections.  Il  avoit  été  sur  le 
point    de   l'envoyer    enfermer  au   château   de   Gaen 

1.  Le  maréchal  d'Ancre  prit  Clermont-en-Beauvaisis  sur  les 
princes  le  29  octobre  1615;  quant  au  Catelet,  l'entreprise  faite 
sur  cette  place  est  un  peu  antérieure. 

2.  Voyez  le  portrait  du  mai^échal  dans  les  Mémoires  d'Es- 
îrées  (éd.  Michaud,  p.  419). 


[1617]  DE  RICHELIEU.  2^9 

comme  folle;  mais  Montalto^  le  médecin  qui  gouver- 
noit  la  santé  de  l'un  et  de  l'autre,  détourna  ce  dessein 
et  fut  plutôt  d'avis  qu'on  tâchât  de  la  ramener  par 
douceur,  en  satisfaisant  son  avarice  par  petits,  mais 
ordinaires  présents,  et  autres  soins  étudiés,  que  d'en 
venir  à  cette  extrémité. 

Il  avoit  passion  d'épouser  M"^  de  Vendôme^,  qui 
en  eut  connoissance  par  personne  confidente  du  maré- 
chal et  reçut  ses  vœux  avec  témoignage  de  singulière 
approbation. 

Les  anciens  ministres  lui  étant  en  extrême  dégoût, 
le  Chancelier,  M.  de  Villeroy  et  le  commandeur  de 
Sillery  par  sur  tous,  le  président  Jeannin  lui  eût 
agréé,  détaché  des  autres,  mais  il  n'en  put  venir  à 
bout  et  en  reçut  de  rudes  rebuffades.  Il  eût  peu  ou 
nulle  satisfaction  du  garde  des  sceaux  du  Vair  ;  il  l'ac- 
cusa d'ingratitude  et  d'ignorance  en  parlant  à  sa 
barbe  ^. 

Je  lui  gagnai -^  le  cœur,  et  il  fit  quelque  estime  de 
moi  dès  la  première  fois  qu'il  m'aboucha.  Il  dit  à 
quelqu'un   de   ses   particuliers   qu'il   avoit  un  jeune 

1.  Philotée  Montalto,  juif  portugais,  de  son  vrai  nom  Pom- 
pilio  Evangelisti,  était  également  médecin  de  la  reine  Anne  et 
de  la  Reine  mère.  Il  mourut  en  février  1616.  Lors  du  pro- 
cès de  la  maréchale  d'Ancre,  on  accusa  celle-ci  de  s'être  occu- 
pée de  magie  avec  Montalto,  qui  l'aurait,  en  outre,  instruite  de 
la  religion  hébraïque. 

2.  Catherine-Henriette,  fille  légitimée  de  Henri  IV  et  de 
Gabrielle  d'Estrées  :  tome  I,  p.  42. 

3.  L'original,  de  la  main  de  Cherré,  porte  en  parlant  à  sa 
barbe  et  de  sa  barbe. 

4.  Le  même  original  porte,  au  lieu  de  Je  lui  gagnai,  les  mots 
Monsieur  tévêque  de  Luçon  lui  gagna.  C'est  aussi  ce  qui  avait 
d'abord  été  mis  sur  le  manuscrit  B. 


230  MÉMOIRES  [1617] 

homme  en  main,  capable  de  faire  leçon  h  tutti  barboni^ . 
L'estime  dura  toujom^s;  mais  sa  bienveillance  diminua 
entièrement,  premièrement  parce  qu'il  me  trouva  avec 
des  contradictions  qu'il  n'attendoit  pas,  secondement 
parce  qu'il  remarquoH  que  la  confiance  de  la  Reine 
penchoit  toute  de  mon  côté,  troisièmement  par  les 
mauvais  offices  de  Ruccellaï,  qui  n'omettoit  aucun 
artifice  pour  m'abattre  et  Barbin. 

Il  reconnut  la  distinction  du  passé  dans  l'esprit  de 
la  Reine  par  deux  propositions  qu'il  fit  faire  à  Ruccel- 
laï, qu'il  croyoit  qu'elle  refuseroit  toutes  deux,  mais 
au  contraire  les  approuva.  La  première,  qu'il  fût 
ambassadeur  à  vie  auprès  de  Sa  Sainteté  ;  la  seconde, 
qu'il  fît  faire  pour  éluder  la  première,  qu'on  lui  pro- 
curât auprès  du  Pape  l'investiture  de  Ferrare,  moyen- 
nant grande  somme  de  deniers  délivrée  aux  neveux. 

L'acceptation  de  ces  deux  partis  l'aigrit  tout  à  fait 
contre  S.  M.  et  lui  fit  projeter  mon  éloignement  et  du 
garde  des  sceaux  Mangot,  et  Barbin^. 

L'aigreur  s'augmenta  en  ces  mêmes  temps  contre 
sa  femme,  qui  n'ayant  plus  le  juif  Montalto,  mort 
quelque  temps  auparavant^,  pour  modérer  ses  fan- 
taisies, elle  échappoit  jusques  aux  injures,  et  leurs 

1.  Les  «  Barbons  »,  expression  familière  qu'on  employait 
alors  pour  désigner  les  vieux  ministres  :  voyez  G.  Hanotaux, 
Histoire  du  cardinal  de  Richelieu,  t.  II,  p.  68-71. 

2.  L'original,  de  la  main  de  Cherré,  est  écrit  à  la  troisième 
personne,  c'est-à-dire,  par  exemple,  que  là  où  le  texte  des 
Mémoires,  faisant  parler  Richelieu,  emploie  le  pronom  «  je  », 
le  document  porte  «  M.  l'évêque  de  Luçon  »  ou  «  ledit  sei- 
gneur évêque  »,  comme  il  a  déjà  été  remarqué  ci-dessus. 

3.  Il  était  mort  en  février  1616. 


[1617]  DE  RICHELIEU.  231 

dernières  visites  eurent  besoin  de  l'intervention  de 
la  Reine  pour  empêcher  les  dernières  extrémités. 

Elle  vouloit  s'en  aller  hors  le  royaume  ;  il  n'en  vou- 
loit  point  partir,  disant  souvent  qu'après  avoir  été  ce 
qu'il  étoit  en  France  il  n'y  avoit  que  la  casa  di  Domine 
de  meilleure^  et  où  il  pût  vivre  à  son  goût.  Il  ne  fit  quasi 
aucun  bien  à  ses  parents  ni  à  ceux  de  sa  nation,  afin 
qu'on  vît  que  tous  ses  sentiments  naturels  étoient  étouf- 
fés par  ceux  qu'il  avoit  pour  la  France. 

Le  médecin  juif  avoit  préoccupé  son  esprit,  mais 
moins  que  celui  de  la  Reine  et  de  sa  femme,  qu'on  les 
vouloit  assassiner  par  la  vue  et  empoisonner  par  des 
regards.  Leur  manie  en  vint  à  tel  point  qu'ils  ne  regar- 
doient  que  peu  de  gens  et  vouloient  encore  être  regar- 
dés de  moins. 

La  passion  du  jeu  étoit  son  seul  divertissement,  les 
dernières  années  de  sa  vie;  celle  de  l'amour  n'y 
paroissoit  point;  il  étoit  rompu  par  deux  hernies,  de 
telle  façon  que  la  vertu  ne  faisoit  aucune  partie  de  sa 
chasteté.  Il  étoit  naturellement  libéral,  d'agréable 
conversation,  recevant  à  manque  d'affection  en  ses 
particuliers  amis  si  le  respect  bornoit  la  familiarité; 
ses  domestiques  ne  le  voyoient  jamais  que  maître  et 
peut-être  plus  aigre  qu'il  ne  convient  pour  en  être 
aimé;  mais  il  a  eu  cette  bonne  fortune  que  ses  gens 
l'ont  toujours  aimé  avec  grande  fidélité. 

Les  vices  de  sa  nation  n'ont  point  paru  en  lui; 
l'assassinat  de  Prouville^  fut  plutôt  toléré  que  permis, 

1.  L'original  donne  la  vraie  leçon  :  «  Il  n'y  avoit  que  la  casa 
de  Domine  Dio  meilleure.  » 

2.  Tome  T,  p.  385-386. 


^32  MÉMOIRES  [1617] 

vl  puis  ce  ne  seroit  pas  une  question  peu  probléma- 
tique de  disputer  qu'un  sergent-major  d'une  place 
comme  la  citadelle  d'Amiens,  qui  a  intelligence  avec 
les  ennemis  de  celui  qui  l'a  mis  en  charge,  peut  être 
traité  justement  du  poignard*. 

Quant^  à  la  maréchale,  elle  s'appeloit  Leonora  Gaï 
et  changea  de  surnom  pour  déguiser  la  bassesse  de  son 
extraction,  laquelle,  étant  obscure,  facilita  ce  change- 
ment sans  qu'on  s'en  aperçût.  Elle  étoit  fille  d'un 
menuisier;  sa  mère  fut  nourrice  de  la  Reine,  de 
laquelle  partant  elle  fut  sœur  de  lait,  plus  âgée  qu'elle 
de  quinze  ou  vingt  mois,  et  nourrie  dans  le  palais 
auprès  d'elle.  Avec  l'âge  crût  leur  amitié  :  la  fidélité, 
le  soin,  l'assiduité  de  Leonora  à  servir  sa  jeune  maî- 
tresse n'avoient  point  de  semblable;  la  tendresse  de 
la  reconnoissance  de  la  princesse  vers  sa  servante  en 
avoit  encore  moins;  aussi  se  rendit-elle  si  adroite  et 
si  savante  en  toutes  les  propretés  et  gentillesses  dont 
la  jeunesse  des  filles  se  pare  et  orne  ses  beautés,  qu'il 
sembloit  à  sa  maîtresse  qu'elle  étoit  seule  au  monde  et 
qu'elle  n'en  pourroit  jamais  recouvrer  une  telle  si  elle 
la  perdoit^. 

1.  Ici  se  termine  le  document  de  la  main  de  Cherré.  L'abbé 
Le  Grand,  qui  a  catalogué  les  papiers  du  cardinal  (voyez  Rap- 
ports et  notices,  1. 1,  p.  316-317),  a  écrit  au  dos  de  cette  pièce  : 
«  Portrait  et  éloge  du  maréchal  d'Ancre.  » 

2.  Dans  les  pages  qui  suivent,  consacrées  au  portrait  de  la 
Galigaï,  le  l'édacteur  des  Mémoires  s'est  inspiré  d'un  document 
qui  se  trouve  aux  Affaires  étrangères,  France  771,  fol.  95-100, 
et  qui  est  de  la  main  d'un  scribe  dont  nous  avons  rencontré 
quelquefois  l'écriture  dans  les  papiers  de  Richelieu  ;  on  le  trou- 
vera ci-après  en  appendice. 

3.  Le  Mercure  francois,   t.   IV,  année  1617,  p.  235,  porte 


[1617]  DE   RICHELIEU.  "233 

Ce  besoin  que  sa  maîtresse  ressentoit,  plutôt  qu'elle 
ne  pensoit  avoir  d'elle,  lui  fit  donner  une  telle  part 
en  sa  confiance  qu'il  n'y  avoit  point  pour  elle  de 
secret  dans  son  cœur.  Le  Grand-Duc  n'étoit  pas  marri 
qu'une  fille  de  sa  condition,  des  volontés  de  laquelle 
il  étoit  toujours  le  maître,  gouvernât  sa  nièce;  les 
réponses  de  laquelle  aux  princes  qui  la  recherchoient 
étoient  telles  que  lui  insinuoit  Leonora,  et  Leonora 
ne  manquoit  pas  à  les  lui  donner  telles  que  le  Grand- 
Duc  vouloit,  qui,  par  ce  moyen,  sans  paroître  s'en 
mêler,  gouvernoit  l'esprit  de  sa  nièce  et  en  faisoit  ce 
qu'il  vouloit.  Enfin,  après  l'avoir  beaucoup  de  temps 
gardée  comme  un  trésor  qu'il  faisoit  espérer  à  tous 
et  ne  laissoit  néanmoins  enlever  de  personne,  comme 
il  la  vit  avoir  atteint  l'âge  de  vingt-sept  ans  accomplis 
et  ne  la  pouvoir  plus  longtemps  retenir  sans  la  faire 
beaucoup  déchoir  d'estime  et,  s'offrant  l'occasion  la 
plus  avantageuse  que  la  bonne  fortune  lui  pût  offrir 
de  la  colloquer  utilement  pour  lui,  glorieusement  pour 
sa  maison,  heureusement  pour  elle,  il  l'accorda  à  la 
recherche  qu'en  fit  Henri  IV  après  avoir  donné  par  ses 
victoires  une  paix  assurée  à  son  État.  Leonora  a  part 
à  cette  grande  aventure  de  sa  maîtresse,  puisque,  si 
elle  est  élevée  à  la  haute  majesté  de  reine  de  France, 
celle-ci  l'est  à  la  dignité  de  reine  de  son  cœur  : 
pauvre  papillon,  qui  ne  savoit  pas  que  le  feu  qui  la 
consumeroit  étoit  inséparablement  uni   à   l'éclat  de 


ceci  :  «  Ledit  Vincent  Ludovici  en  son  interrogatoire  a  dit 
qu'il  croyoit  que  la  grande  faveur  que  la  maréchale  d'Ancre 
avoit  eue  de  la  Reine  mère  étoit  procédée  de  la  longue  con- 
noissance  et  grande  familiarité  que  ladite  maréchale  avoit  eue, 
dès  l'âge  de  dix  ou  douze  ans,  avec  ladite  dame  Reine  mère.  » 


234  MÉMOIRES  [1617] 

cette  vive  lumière  qu'elle  suivoit  transportée  d'aise  et 
de  contentement! 

Arrivée  qu'elle  est  en  France,  elle  est  incontinent 
reconnue  pour  la  favorite  de  la  Reine,  qui,  sans 
beaucoup  de  difficulté,  la  fait  agréer  au  Roi.  L'incli- 
nation qui  déjà  dès  Florence  étoit  née  en  son  cœur 
en  faveur  de  Conchine,  joint  à  ce  que,  naturellement 
défiante  et  se  reconnoissant  mal  partagée  de  beauté, 
elle  eut  crainte  de  n'être  pas  si  bien  traitée  d'un 
François,  la  portèrent  à  épouser  Conchine,  qui  fut  fait 
premier  maître  d'hôtel  de  la  Reine,  dont  elle  étoit 
dame  d'atour. 

Dans  les  mécontentements  que  la  Reine  reçut  par 
les  diverses  amours  du  Roi,  elle  demeura  si  insépara- 
blement unie  aux  intérêts  de  sa  maîtresse  que  jamais 
ni  le  Roi,  ni  son  mari  ne  la  purent  gagner  pour  les  lui 
pouvoir  faire  dissimuler  ou  l'empêcher  d'en  parler 
avec  l'aigreur  que  méritoit  le  ressentiment  de  l'offense 
qu'elle  prétendoit  être  faite  à  la  Reine  ;  d'où  elle  se  vit 
plusieurs  fois  en  danger  d'être  renvoyée  en  Italie,  elle 
et  son  mari.  Cela  ne  lui  nuisoit  pas  auprès  de  sa  maî- 
tresse, qui,  à  la  mort  du  feu  Roi,  étant  devenue  dame 
absolue  de  ce  grand  royaume  sous  le  titre  de  régente, 
lui  fît  telle  part  de  sa  puissance,  et,  pour  l'amour 
d'elle,  à  son  mari,  qu'ils  se  virent  élevés  au  plus  haut 
point  de  grandeur  où  jamais  étrangers  le  furent  en 
cet  État. 

Elle  se  gouvernoit  avec  cette  modestie  en  sa  faveur, 
qu'elle  ne  se  soucioit  pas  que  l'on  crût  que  le  principe 
en  fût  en  son  mari  ou  en  elle,  bien  qu'elle  en  fût 
l'àme  et  le  lien,  tant  pour  ce  que  c'étoit  elle  que  la 
Reine  aimoit  que  pour  ce  que  le  feu  de  l'ambition  de 


[1617]  DE  RICHELIEU.  235 

son  mari  le  faisoit  aller  si  vite  et  avec  si  peu  de  pré- 
caution en  sa  conduite  envers  la  Reine  qu'il  manquoit 
de  l'adresse  nécessaire  pour  en  obtenir  quelque  chose, 
où  elle,  au  contraire,  par  la  sienne,  venoit  à  bout  de 
ce  que  la  Reine  par  son  inclination  ne  vouloit  pas,  ne 
lui  parlant  jamais  d'une  affaire  qu'elle  n'y  eût  pre- 
mièrement fait  disposer  son  esprit  par  plusieurs  choses 
qu'elle  lui  faisoit  dire  de  loin  par  les  uns  et  les  autres, 
et,  après  tous  ces  préparatifs,  seulement  lui  en  parloit 
et,  d'abondant  encore,  avoit  toujours  quelqu'un  des 
ministres  de  son  côté,  et  souvent  pour  les  ruiner  les 
uns  par  les  autres  * . 

Dès  le  commencement,  mais  plutôt  par  la  bassesse 
de  son  esprit  qui  suivoit  celle  de  sa  naissance  que  pai" 
modération  de  vertu,  elle  témoigna  avoir  plus  de  désir 
de  richesses  que  d'honneurs  et  résista  quelque  temps 
aux  appétit^s  immodérés  de  la  vanité  de  son  mari, 
tant  pour  la  susdite  raison  que  pour  ce  qu'elle  crai- 
gnoit  qu'il  s'emportât  d'orgueil  envers  elle-même  et 
la  méprisât. 

Mais  la  magnificence  de  la  Reine,  qui  vouloit  que  la 
grandeur  de  ses  créatures  fût  proportionnée  à  la  puis- 
sance et  à  la  libéralité  de  celle  qui  les  élevoit  de  la 
poussière,  ou  leur  mauvaise  fortune,  qui,  pour  les 
tromper  plus  facilement,  jonchoit  de  roses  le  chemin 
qui  conduisoit  à  leur  ruine,  firent  qu'enfin  les  désirs 
de  l'un  et  de  l'autre  furent  assou\is,  les  principales 
richesses,  dignités  et  charges  de  cet  État  étant  accu- 
mulées en  eux. 

1.  Ce  dernier  membre  de  phrase,  depuis  «  et  souvent  »,  a  été 
ajouté  par  Sancy  sur  le  manuscrit  B. 


236  MÉMOIRES  [1617] 

Si  leurs  prospérités  furent  exti^ordinaircs,  leurs 
traverses  ne  le  furent  pas  moins  :  les  grands,  les 
princes,  les  ministres,  les  peuples  les  avoient  pour  but 
d'envie  ou  de  haine.  Le  courage  manqua  première- 
ment à  Leonora  :  elle  pensa  à  faire  retraite  en  Italie  ; 
son  mari  ne  le  voulut  pas  si  tôt  et  ne  se  rendit  à  ce 
désir  qu'à  l'extrémité,  quand  il  se  vit  abandonné  de 
Monsieur  le  Prince;  mais  il  le  quitta  quand  il  le  vit 
arrêté,  ce  que  sa  femme  ne  fit  pas,  qui  continua  en  ce 
dessein  et  y  disposa  ses  affaires  ^. 

Toutes  ces  traverses,  et  domestiques  avec  son  mari, 
dont  les  désirs  étoient  si  contraires  aux  siens,  et 
publiques,  donnèrent  une  telle  atteinte  à  son  corps 
qu'il  en  perdit  toute  santé,  et  à  son  esprit  qu'il  s'en 
troubla  en  quelque  manière  :  de  sorte  qu'elle  se  mit 
en  imagination  que  tous  ceux  qui  la  regardoient 
r avoient  ensorcelée;  dont  elle  devint  si  chagrine  que 
non  seulement  elle  se  tiroit  de  la  conversation  de  tout 
le  monde,  mais  même  elle  ne  voyoit  quasi  plus  sa 
bonne  maîtresse;  et,  quand  elle  la  voyoit,  ce  n'étoit 
que  paroles  d'injures,  l'appelant  despietata,  ingrata, 
et  quand  elle  parloit  d'elle,  l'épithète  la  plus  ordi- 
naire qu'elle  lui  donnoit  étoit  celle  de  balourde. 

L'opinion  qu'elle  eut  que  son  mari  eût  voulu  être 
défait  d'elle  et  pensoit  déjà  à  une  nouvelle  épouse, 
jetant  les  yeux  sur  M"®  de  Vendôme,  n'apportoit  pas 
peu  de  coup  à  tous  ces  troubles  de  son  esprit.  Il  dissi- 
muloit  néanmoins,  du  commencement,  avec  elle  le 
mieux  qu'il  lui  étoit  possible,  ne  la  voyant  que  les  soirs 
seulement,  faisant  ses  visites  de  peu  de  durée,  lui  por- 

1.  Ci-dessus,  p.  229. 


[1617]  DE  RICHELIEU.  237 

tant  toujours  quelque  petit  présent  et  permettant 
même,  à  ce  que  l'on  disoit,  qu'un  seigneur  Andréa, 
Napolitain,  qui  étoit  à  lui,  demeurât  avec  elle  pour 
la  réjouir  de  la  musique  de  sa  voix  et  de  ses  instru- 
ments ^  Mais  enfin  il  cessa  de  la  voir  plus  que  tort 
rarement,  lorsque  tant  de  fâcheuses  humeurs  de  sa 
femme  lui  donnèrent  lieu  de  prendre  crédit  de  soi- 
même  en  l'esprit  de  la  Reine,  dont  elle  pensa  déses- 
pérer et  vint  à  tel  point  de  fureur  vers  lui,  et  lui  vers 
elle,  qu'ils  ne  se  parloient  plus  qu'avec  imprécations 
mutuelles  :  pronostics  secrets  du  malheur  prochain 
qui  leur  de  voit  arriver. 

Heureux-  et  l'un  et  l'autre  s'ils  eussent  vécu  en  l'amour 
et  en  la  confiance  qu'ils  se  dévoient,  et   que  ou  le 

1.  Cet  Andréa  n'est  autre  qu'André  de  Lizza,  abbé  de 
Hautefontaine  et  de  Livry.  Né  dans  le  royaume  de  Naples 
en  1579,  il  vint  en  France  en  1608  avec  le  cardinal  du 
Perron,  dont  il  était  aumônier  depuis  Tannée  1606  environ. 
En  1612,  il  entra  au  service  de  la  Galigaï  qui  appréciait  parti- 
culièrement sa  voix  et  son  talent  de  joueur  de  luth.  Il  lui  ser- 
vait d'aumônier  et  s'entretenait  avec  elle  de  longues  heures. 
Lors  de  son  procès,  on  accusa  la  maréchale  d'avoir  employé 
ces  entretiens  à  faire  de  la  magie.  Depuis  le  début  de  l'année 
1616  environ,  Lizza  était  comme  intendant  des  biens  de  la 
maréchale.  En  juin  1616,  étant  tombé  malade,  il  se  retira  à 
son  abbaye  de  Livry.  L'année  suivante,  en  juillet,  il  fut  tra- 
duit devant  l'official  et  accusé  de  sodomie;  le  tribunal  l'acquitta. 

2.  Le  passage  est  très  abrégé  dans  les  manuscrits  M  et  H  et 
ainsi  rédigé  :  «  Heureux  et  l'un  et  l'autre  s'ils  eussent  vécu  en 
l'amour  et  en  la  confiance  qu'ils  se  dévoient  et  qu'ils  ne  se 
fussent  pas  laissé  emporter  à  la  passion  de  leur  effrénée  ambi- 
tion qui  enfin  les  a  plongés  dans  le  dernier  malheur.  On  croyoit 
voir  finir  la  persécution  avec  la  vie  de  cette  misérable,  mais 
comme  il  est  malaisé  de  modérer  une  puissance  injustement 
acquise,  etc..  » 


238  MÉMOIRES  [1617] 

mari  eût,  par  une  déférence  bienséante,  déféré  aux 
conseils  de  sa  femme  lorsqu'elle  lui  faisoit  dire  qu'il 
levoit  trop  de  voiles  pour  un  si  petit  vaisseau,  et  se  fût 
résolu  de  descendre  de  ce  haut  ciel  de  faveur  où  il 
étoit  élevé,  en  une  sphère  plus  basse  et  y  fournir  la 
carrière  de  sa  fortune  en  restreignant  sa  course  en  des 
cercles  de  moindre  grandeur,  ou  qu'elle,  de  sa  part, 
interprétant  avec  simplicité  les  désirs  de  son  mari  et 
n'y  prévoyant  pas  à  l'avenir  de  mauvais  desseins 
contre  elle,  eût  consenti  que  sa  nièce  eût  épousé 
Luynes',  attachant  par  cette  ancre  sacrée  sa  fortune 
flottante  dans  le  port  de  salut. 

Mais  Dieu,  qui  vit  qu'au  lieu  du  service  de  leur  maî- 
tresse leur  seul  intérêt  les  conduisoit  en  toutes  choses, 
voulut  que  ce  même  intérêt  d'un  chacun  d'eux  en 
particulier  fût  enfin  cause  de  la  perte  du  bien  com- 
mun et  de  la  vie  de  tous  les  deux. 

On  croyoit  que  la  persécution  devoit  finir  avec  la 
vie  de  cette  pauvre  misérable;  mais,  comme  il  est 
malaisé  de  modérer  une  puissance  injustement  acquise, 
elle  n'est  pas  si  tôt  morte  qu'elle  passe  de  la  servante 
à  la  maîtresse. 

La  nouvelle  de  sa  mort  donna  une  grande  affliction 
à  la  Reine  qui  étoit  à  Blois,  et  du  mal  qu'on  faisoit  à 
la  favorite  on  jugeoit  bien  qu'on  ne  faisoit  pas  passer 
dans  l'esprit  du  Roi  la  maîtresse  pour  exempte  de 
manquement. 

Tous  les  autres  serviteurs  qui  lui  restoient  à  la  cour, 
ou,  pour  mieux  dire,  ceux  qui  avoient  fait  profession 
de  l'être  et  qui  ne  parloient  pas  maintenant  contre  elle 

1.  Ci-dessus,  p.  175,  il  est  parlé  déjà  de  ce  projet  de  mariage. 


[1617]  DE  RICHELIEU.  239 

assez  imprudemment,  rece voient  tous,  chacun  à  leur 
condition,  peu  favorable  traitement.  De  sorte  que, 
s'il  y  avoit  autrefois  presse  à  mendier  ses  bienfaits, 
il  y  en  avoit  maintenant  davantage  à  dénier  qu'on  en 
eût  reçu;  et  si  quelqu'un,  touché  de  compassion  du 
changement  qu'on  voyoit  en  elle,  làchoit  quelque 
parole  à  son  avantage,  le  bruit  n'en  venoit  pas  si  tôt 
aux  oreilles  de  ceux  qui  la  craignoient  qu'ils  impu- 
toient  tels  sentiments  à  crime  et  l'accusoient  de  ne  pas 
approuver  les  actions  du  Roi,  donnant  ainsi  à  entendre 
qu'elle  gagnoit  par  faction  et  cabale  secrète  les  langues 
et  les  cœurs  des  personnes  qui  se  portoient  à  la 
plaindre  par  raison. 

Au  sortir  de  Paris,  je  l'accompagnai,  recevant  plus 
de  consolation  en  la  part  que  je  prenois  en  son  afflic- 
tion que  je  n'en  eusse  pu  recevoir  en  la  communication 
que  ses  ennemis  me  voulurent  faire  de  leurs  biens. 
J'en  voulus  avoir  une  permission  expresse  du  Roi 
par  écrit,  de  peur  qu'ils  me  rendissent  puis  après 
coupable  de  l'avoir  suivie  et  soutinssent  que  je  l'avois 
fait  de  mon  mouvement^.  Je  savois  bien  l'épineuse 

1.  Le  Roi  manda  à  Richelieu,  par  lettre  de  Paris,  du  6  mai 
1617,  contresignée  par  Loménie  a  que  la  Reine  sa  mère  lui 
ayant  fait  entendre  le  désir  qu'elle  a  que  ledit  sieur  de  Luçon 
l'accompagne  à  Blois,  il  sera  bien  aise  qu'il  parte  et  se  tienne 
près  d'elle,  s'assurant  tellement  en  sa  probité  et  affection  que 
là  et  partout  ailleurs  il  le  servira  en  homme  de  bien  et  comme 
un  bon  et  fidèle  sujet  et  serviteur  ».  Ce  passage  est  tiré  d'un 
«  Extrait  des  lettres  du  Roi  à  Monsieur  de  Luçon  »  écrit  par 
Charpentier  et  utilisé  par  les  Mémoires  (Aff.  étr.,  France  771, 
fol.  338).  La  lettre  originale  de  Louis  XIII  est  conservée  dans 
le  vol.  244  du  fonds  France  aux  Affaires  étrangères,  fol.  1. 
Richelieu  a  mis  au  dos  :  «  Portant  commandement  d'aller  à 
Blois.  » 


240  MÉMOIRES  [1617] 

charge  que  ce  m'étoit  de  demeurer  auprès  de  la  Reine  ; 
mais  j'espérois  me  conduire  avec  tant  de  candeur  et 
de  sincérité  que  je  dissiperois  toutes  les  ténèbres  de 
la  malice  conjurée  contre  moi;  et,  pour  m'aider  à  y 
parvenir,  je  conseillai  incontinent  à  la  Reine  d'en- 
voyer quérir  le  P.  Suffren^  personnage  de  grande 
piété  et  de  simplicité,  éloigné  de  menées  et  d'artifices, 
et  qui  n'en  laisseroit  pas  prendre  la  pensée  seulement 
à  la  Reine  jusques  à  l'extrême  nécessité.  Le  bon  Père 
néanmoins  ne  vint  pas  trop  tôt,  comme  il  avoit  été 
mandé,  mais  seulement  quelques  mois  après. 

Je  ne  manquai  point  aussi,  dès  que  nous  fûmes 
arrivés  à  Blois,  en  donnant  avis  au  sieur  de  Luynes^, 
de  lui  mander  que  je  prévoyois  assurément  qu'il  auroit 
tout  contentement  d'elle  et  que  ses  actions  n'auroient 
autre  but  que  le  bien  des  affaires  de  S.  M.;  que  la 
mémoire  des  choses  passées  n'a  plus  de  lieu  en  son 
esprit  et  que  je  n'eusse  pas  cru  que  si  peu  de  temps 
l'eût  entièrement  guérie  comme  elle  étoit^.  Puis,  de 

1.  Le  jésuite  Jean  Suffren  ou  Souffran  (1565-1641),  né  à 
Salon  (Bouches-du-Rhône),  fut,  à  partir  de  1615,  confesseur  de 
la  reine  Marie  de  Médicis,  puis  confesseur  du  Roi  et  publia  divers 
ouvrages  de  piété,  dont  le  plus  connu  est  l'Année  chrétienne 
en  six  volumes  in-4°,  imprimé  en  1641. 

2.  La  lettre  par  laquelle  Richelieu  donnait  cet  avis  à  Luynes 
était  du  8  mai  1617;  elle  a  été  analysée  par  Avenel,  t.  VU, 
p.  927. 

3.  Le  volume  771  du  fonds  France  des  Affaires  étrangères 
(fol.  385  et  386)  contient  un  document  de  la  main  de  Charpen- 
tier, au  dos  duquel  Sancy  a  écrit  le  mot  «  Employé  »  et  inti- 
tulé :  «  Extrait  des  lettres  de  Monsieur  de  Luçon  à  M.  de 
Luynes.  »  Ces  extraits  ont  été  utilisés  pour  les  Mémoires.  Ainsi, 
le  début  de  ce  paragraphe  est  emprunté  à  un  extrait  d'une 
lettre  de  Richelieu  à  Luynes,  écrite  de  Blois,  le  8  mai  :  «  Il  lui 


[1617]  DE  RICHELIEU.  241 

temps  en  temps,  je  lui  rendois  un  compte  exact  des 
actions  de  la  Reine  ^  afin  qu'il  ne  lui  pût  rester  aucun 
doute  qui  le  fit  entrer  en  soupçon. 

La  Reine,  m'ayant  fait  chef  de  son  Conseil^,  je  ne 
voulus  pas  accepter  cette  charge  sans  l'en  avertir  et 
en  avoir  permission  du  Roi,  assurant  S.  M.,  et  le 
sieur  de  Luynes  particulièrement,  que  toutes  mes 
actions  feroient  connoître  que  l'envie  et  la  rage  de 
tous  ceux  qui  me  traversoient  ne  peuvent  en  rien 
altérer  un  homme  de  bien  comme  j'étois  ;  que  si  Dieu 
m'a  donné  quelque  esprit,  il  ne  doit  pas  m'être  imputé 
à  crime,  en  usant  bien,  comme  les  bons  et  les  mé- 

donne  avis...  qu'il  prévoit  assurément  qu'il  auroit  tout  conten- 
tement d'elle  et  que  ses  actions  n'auront  autre  but  que  le  bien 
des  affaires  de  S.  M.,  que  la  mémoire  des  choses  passées  n'a 
plus  de  lieu  en  son  esprit  et  que  je  n'eusse  pas  cru  que  si  peu 
de  temps  l'eût  entièrement  guérie  comme  elle  étoit.  »  Les  cor- 
rections de  style  ont  été  faites  par  Sancy  sur  l'extrait.  On 
entrevoit  par  cet  exemple  le  mode  de  travail,  adopté  quelque- 
fois pour  la  rédaction  des  Mémoires;  dans  le  cas  présent,  il 
semble  que  Charpentier  ait  été  chargé  de  faire  des  résumés 
ou  des  extraits  des  pièces  destinées  à  être  employées  dans  les 
Mémoires.  Peut-être,  d'ailleurs,  n'a-t-il  écrit  ces  extraits  que 
sous  la  dictée.  Sancy  aurait  choisi  les  passages  intéressants  et 
y  aurait  apporté  les  modifications  nécessaires.  Il  faut  aussi 
remarquer  entre  le  document  utilisé  et  le  texte  des  Mémoires 
des  différences  d'un  autre  ordre,  que  nous  avons  déjà  signa- 
lées. Ainsi,  on  lit  sur  l'extrait  écrit  par  Charpentier  :  «  Il  lui 
donne  avis  qu'il  prévoit  ».  Les  Mémoires  disent  «  que  je  pré- 
voyois  ». 

1.  On  trouve  dans  Avenel,  t.  VII,  p.  386  et  suiv.,  plusieurs 
des  lettres  que  Richelieu  adressa  à  Luynes  à  cet  effet. 

2.  Dans  une  lettre  écrite  vers  le  10  mai  1617,  Richelieu 
témoigna  à  Luynes  sa  reconnaissance  de  ce  que  le  Roi  avait 
agréé  sa  nomination  de  chef  du  conseil  de  la  Reine  mère  (Ave- 
nel, t.  VII,  p.  386). 

II  16 


242  MÉMOIRES  [1617] 

chants  seront  contraints  par  mes  actions  de  le  recon- 
noître. 

J'appelai  M.  de  la  Curée  à  témoin  si  je  ne  lui  avois 
pas  dit  qu'ayant  à  honneur  de  servir  la  Reine,  je 
n'accepterois  aucune  charge  que  le  Roi  ne  l'agréât,  ce 
(jue  ledit  sieur  de  Luynes  voyoit  maintenant  par  effet  ; 
que,  s'il  considéroit  mon  procédé  par  lui-même  et  non 
dans  les  artifices  des  personnes  mal  affectionnées,  il 
ne  me  condamneroit  pas^  ;  que  les  actions  de  la  Reine 
étoient  toutes  si  saintes  que,  s'il  arrivoit  quelque 
mauvais  événement  en  sa  conduite,  il  le  faudroit 
attribuer,  non  à  elle,  mais  à  ceux  à  qui  elle  a  quelque 
créance;  que  j'étois  sûr  que  le  Roi  auroit  contente- 
ment de  ses  actions  et  de  ceux  qui  sont  auprès  d'elle  ; 
que,  pour  mon  particulier,  je  ne  désirois  autre  chose, 
sinon  qu'on  ne  prît  point  l'ombre  pour  le  corps,  et 
qu'ouvrant  les  yeux  pour  voir  clairement  quelles 
sont  les  actions  de  S.  M.  et  de  ceux  qui,  en  servant 
le  Roi,  la  servent,  on  ferme  l'oreille  à  tous  mauvais 
rapports^. 

Mais  toutes  ces  précautions  ne  purent  empêcher  les 

1.  Le  paragraphe  précédent  et  le  début  de  celui-ci  sont 
empruntés  au  même  «  Extrait  des  lettres  de  Monsieur  de  Luçon 
à  M.  de  Luynes  ».  Les  lettres  à  la  marge,  indiquant  le  com- 
mencement et  la  fin  d'un  passage  destiné  aux  Mémoires,  s'y 
trouvent  bien.  Sancy  a  corrigé  le  passage  emprunté. 

2.  Ce  passage  des  Mémoires,  depuis  «  que  les  actions  de  la 
Reine  »,  est  tii^é  d'un  «  Extrait  des  lettres  de  Monsieur  de 
Luçon  à  des  particuliers  »,  écrit  par  Charpentier  (Affaires 
étrangères,  France  771,  fol.  337).  Certaines  parties  en  ont  été 
corrigées  par  Sancy.  Ce  feuillet  porta,  au  temps  de  Richelieu, 
d'abord  le  n»  1  d'une  pagination  ancienne,  puis  le  n"  103. 
Avenel  a  analysé  cette  lettre  dont  Charpentier  a  écrit  l'extrait 
(t.  VII,  p.  927). 


[1617]  DE  RICHELIEU.  243 

effets  de  leur  mauvaise  volonté  contre  moi,  d'autant 
que  le  défaut  de  sincérité  n'étoit  pas  ce  qu'ils  crai- 
gnoient  en  moi  ;  ce  qui  les  travailloit  étoit  leur  propre 
crime  et  ce  qu'ils  craignoient  étoit  le  peu  d'esprit 
que  Dieu  m'avoit  donné.  Je  recevois  par  toutes  leurs 
lettres  des  nouvelles  des  avis  qu'on  donnoit,  disoient- 
ils,  au  Roi  contre  moi;  ils  me  mandoient  qu'à  toute 
heure  ils  avoient  les  oreilles  battues  de  ne  se  pouvoir 
pas  assurer  en  moi,  d'autant  que  j'étois  du  tout  porté 
à  cabaler  '  ;  que  le  sieur  de  Luynes  essayoit  de  faire  voir 
la  fausseté  de  ces  beaux  avis  et  faire  fermer  la  bouche 
aux  inventeurs  et  porteurs  de  ces  bruits,  mais  qu'il 
n'en  pouvoit  venir   à   bout^;  une  autre  fois,  qu'on 

1.  Ce  dernier  membre  de  phrase  est  tiré  de  1'  «  Extrait  des 
lettres  du  sieur  Déageant  à  Monsieur  de  Luçon  »  écrit  par  Char- 
pentier et  qui  porte  au  dos  le  mot  «  Employé  »  de  la  main  de 
Sancy  (AfF.  étr.,  France 771,  fol.  391).  La  lettre  est  de  Paris,  du 
10  mai.  Elle  est  conservée  en  original  dans  le  même  volume  du 
fonds  France,  fol.  112.  Voici  le  passage  de  1'  «  extrait  »  :  «  Je 
ne  vous  tairai  point.  Monsieur,  qu'à  toutes  les  heures  l'on  a  les 
oreilles  battues  de  ne  se  point  assurer  de  la  personne  à  laquelle 
vous  savez  que  j'ai  voué  tout  service  et  veut-on  persuader  qu'elle 
est  du  tout  portée  à  cabaler.  J'essaye  autant  qu'il  m'est  possible 
à  faire  voir  la  vanité  de  ces  beaux  avis,  en  espérance  d'en  venir 
à  bout,  quels  artifices  que  l'on  apporte  au  contraire,  pourvu  que 
vos  conseils  soient  suivis  par  delà.  »  Certaines  expressions  de 
cette  phrase  se  retrouvent,  quelques  mots  plus  loin,  dans  les 
Mémoires. 

2.  Ce  membre  de  phrase  est  emprunté  à  une  autre  lettre  de 
Déageant  à  Richelieu  (Paris,  15  mai  1617),  résumée  dans 
r  «  Extrait  »  écrit  par  Charpentier,  ci-dessus  mentionné.  L'ori- 
ginal porte  :  a  Ce  que  je  vous  ai  écrit  que  j'essaierois  à  dissi- 
per les  bruits  que  l'on  faisoit  courir  contre  Luçon,  ne  s'enten- 
doit  en  façon  quelconque  du  Roi  ni  de  Luynes  ;  car,  de  ce  côté-là, 
je  vous  assure  qu'il  n'y  reste  rien  à  désirer  pour  Luçon.  Le 
donneur  de  celle-ci  l'en  pourra  assurer  de  bouche,  suivant  la 


244  MÉMOIRES  [1617] 

a  voit  avis  des  brouilleries  et  menées  de  plusieurs, 
sous  le  nom  et  en  faveur  de  la  Reine,  dont  le  Roi  et 
Luynes  ne  croyoient  rien,  mais  qu'il  falloit  que  j'y 
veillasse,  de  peur  que,  si  cela  étoit,  il  en  arrivât  du 
malheur  ^  Rref,  toutes  leurs  lettres  ne  chantoient  autre 
chose. 

Je  leur  mandois  que  je  m'obligeois  au  Roi,  sur  ma 
tête,  d'empêcher  toutes  cabales,  menées  et  mono- 
poles, ou,  si  je  ne  pouvois,  que  je  m'engageois  non 
seulement  de  lui  en  donner  avis,  mais  du  temps  pour 
y  apporter  remède  ;  que  tout  ce  que  je  désirois  d'eux 
étoit  qu'ils  prissent  une  entière  confiance  en  moi, 
comme  je  l'avois  auprès  de  la  Reine,  afin  que  mes 

prière  que  Luynes  lui  en  a  faite.  Ce  que  j'ai  donc  entendu  par 
ma  lettre  a  été  que  je  mettrois  peine  à  faire  tout-à-fait  fermer 
la  bouche  aux  inventeurs  et  porteurs  de  ces  bruits,  à  quoi  j'es- 
père, avec  l'aide  de  Dieu,  de  parvenir,  dans  peu  de  temps,  par 
des  moyens  que  j'ai  en  main  et  qui  commencent  de  se  prati- 
quer »  (Aff.  étr.,  France  771,  fol.  118).  —  On  voit  que,  dans 
ses  Mémoires,  Richelieu  prête  à  Luynes  des  intentions  que 
Déageant  avait  seul.  Ainsi,  Déageant  dit  pouvoir  espérer  fer- 
mer la  bouche  en  peu  de  temps  à  ceux  qui  colportaient  des 
bruits  fâcheux  contre  Richelieu ,  et  les  Mémoires  laissent 
entendre  que  Luynes  s'y  efforçait  sans  y  parvenir. 

1.  Ceci  est  emprunté  à  un  autre  passage  de  I'  a  Extrait  ».  La 
lettre  était  du  19  mai  1617  ;  voici  une  partie  de  1'  «  Extrait  »  :  «  A 
toutes  heures,  l'on  a  des  avis  des  brouilleries  et  menées  de 
plusieurs  sous  le  nom  et  en  faveur  de  la  Reine.  Quoique  l'on 
die,  je  soutiens  toujours  que  c'est  au  désu  de  la  Reine;  ce  que 
le  Roi  et  Luynes  se  persuadent  sans  ajouter  foi  à  tout  ce  que 
l'on  rapporte  contre  la  bonne  opinion  qu'ils  en  ont  conçue. 
Mais  il  faut,  s'il  vous  plaît,  Monsieur,  que  Luçon  continue  à 
veiller,  parce  que  si  l'on  ne  demeuroit  dans  les  termes  que 
nous  avons  espérés,  il  n'en  pourroit  arriver  que  malheur...  » 
(AfT.  étr.,  France  771,  fol.  123). 


[1617]  DE  RICHELIEU.  245 

ennemis  ne  me  pussent  faire  aucun  mauvais  office*  ; 
que  j'étois  sûr  qu'il  ne  se  faisoit  ni  se  feroit  rien 
contre  le  Roi;  que  je  rendrois  ma  vie  caution  de  mes 
paroles;  que  je  ne  pouvois  empêcher  les  calomnies, 
mais  que  mes  actions  confirmeront  le  sieur  de  Luynes 
au  bon  jugement  qu'il  fait  de  moi  et  feront  honte 
à  ceux  qui,  contre  leur  conscience,  tiennent  des  lan- 
gages à  mon  préjudice;  que  j'étois  combattu  de  toutes 
parts,  mais  qu'armé  de  mon  innocence  je  supportois 
tout  avec  patience^;  que  j'étois  bien  empêché,  ayant 
à  me  défendre  en  divers  lieux,  présent  et  absent,  de 
diverses  personnes  foibles  et  puissantes;  qu'il  fâche 
véritablement  à  un  homme  de  bien  qui  n'a  autre  but 
devant  les  yeux  que  le  service  de  son  prince  de  voir 
qu'on  veuille  mettre  tous  les  jours  son  honneur  en 
compromis;  mais  [que]  ce  qui  me  consoloit  étoit  que  je 

1.  Le  début  de  ce  paragraphe  est  tiré  d'un  «  Extrait  des 
lettres  de  Monsieur  de  Luçon  au  sieur  Déageant  »  écrit  par 
Charpentier  et  au  dos  duquel  Sancy  a  écrit  la  mention  «  Employé  » 
(France  771,  fol.  389  et  390).  Voici  le  passage  utilisé  :  «  Qu'il 
[Richelieu]  s'oblige  au  Roi  sur  sa  tête  d'empêcher  toute  cabale, 
menée  et  monopole,  ou,  s'il  ne  le  peut,  non  seulement  il  s'oblige 
à  lui  en  donner  avis,  mais  lui  donner  temps  pour  y  apporter 
remède.  Que  tout  ce  qu'il  désire  est  que  le  Roi  et  M.  de 
Luynes  prennent  une  entière  confiance  en  lui  comme  il  l'a 
auprès  de  la  Reine,  afin  que  ses  ennemis  ne  lui  puissent  faire 
aucun  mauvais  ofiice.  «  La  minute  de  la  lettre  dont  nous  don- 
nons cet  extrait  de  Charpentier  est  au  même  volume  du  fonds 
France  des  Affaires  étrangères,  fol.  293;  elle  est  en  partie 
chiffrée. 

2.  Passage  tiré  de  1'  «  Extrait  des  lettres  de  Monsieur  de 
Luçon  à  M.  de  Luynes  »  par  Charpentier  (Ibid.,  fol.  385).  La 
lettre  est  du  8  juin.  Le  texte  établi  par  Charpentier  a  été  cor- 
rigé par  Sancy;  la  lettre  a  été  publiée  par  Avenel,  t.  VII, 
p.  399. 


546  MÉMOIRES  [1617] 

savois  l'opinion  que  S.  M.  et  le  sieur  de  Luynes  ont  de 
moi,  et  que  j'étois  sûr  que  la  fin  couronnera  l'œuvre; 
que  la  créance  qu'il  avoit  plu  à  la  Reine  prendre 
en  moi  m'avoit  donné  des  envieux  et  des  ennemis; 
que  les  intentions  qu'on  savoit  que  j'avois,  toutes 
portées  au  service  du  Roi,  m'en  donnent  d'autres,  y 
ayant  force  gens  qui  voudroient  avoir  l'honneur  que 
j'avois  par  la  confiance  de  la  Reine  pour  en  user 
autrement  que  je  ne  ferai  jamais,  quoiqu'il  leur  fût 
impossible,  l'esprit  -de  S.  M.  étant  tellement  retenu 
dans  les  bornes  du  contentement  et  du  service  du  Roi 
que  nul  ne  sauroit  le  porter  à  en  sortir'. 

La  maréchale  envoya  à  la  Reine  le  capitaine  Benche, 
qui  avoit  été  autrefois  à  son  mari  ;  mais  la  crainte  que 
l'on  eut  de  déplaire  à  ces  Messieurs  fit  que  S.  M.  ne 
fit  point  de  réponse.  Depuis,  le  duc  de  Montéléon 
désira  que  l'ambassadeur  de  l'Empereur,  qui  avoit  vu 
le  Roi,  vît  la  Reine  à  Blois,  et  en  écrivit  sur  ce  sujet; 
la  Reine,  pour  s'en  exempter,  fit  la  malade  et  ne  le 
vit  point^. 

Mais  toutes  ces  choses   ne  les  contentoient  point 

1.  Toute  cette  fin  du  paragraphe,  depuis  «  que  j'étois  bien 
empêché  »,  est  tirée  du  même  extrait  de  lettres,  corrigé  par 
Sancy  (Ibidem,  fol.  385  v°).  La  minute  de  la  lettre,  à  laquelle 
cette  fin  de  paragraphe  est  en  partie  empruntée,  a  été  écrite 
par  Le  Masle,  prieur  des  Roches,  qui  fut  employé  par  Riche- 
lieu comme  secrétaire,  surtout  pendant  les  pi^emières  années 
de  son  ministère  (Ibid.,  fol.  310).  Voir,  dans  le  fascicule  IV  des 
Rappoi'ts  et  notices^  planche  XXV,  un  fac-similé  de  l'écriture 
de  Le  Masle. 

2.  Ce  paragraphe  est  tiré  de  1'  «  Extrait  des  lettres  de  Mon- 
sieur de  Luçon  au  sieur  Déageant  »  déjà  cité  (Ibid.,  fol.  389). 
Les  passages  des  minutes  des  lettres  utilisées  sont  aux  fol.  293 
et  296  du  même  volume  771  du  fonds  France. 


[1617]  DE  RICHELIEU.  247 

encore  ;  à  quelque  prix  que  ce  fût,  ils  ne  me  vouloient 
point  voir  auprès  de  cette  princesse  :  ils  eussent  bien 
désiré  m' éloigner  d'auprès  elle;  mais  leur  timidité  et 
leur  inexpérience,  qui  leur  faisoit  tout  craindre,  les 
empêchoient  d'oser  prendre  résolution  de  me  faire 
commander  par  S.  M.  de  m'en  retirer.  Leur  ruse 
suppléa  à  leur  défaut  de  hardiesse  ;  ils  firent  que 
quelqu'un  donna  avis  à  mon  frère  qu'on  me  dépêche- 
roit  bientôt  un  courrier  pour  ce  sujet.  Incontinent  il 
me  le  mande;  je  le  crus,  et,  jugeant  qu'il  m'étoit 
mieux  séant  de  le  prévenir,  je  demandai  congé  à  la 
Reine  de  m'en  aller  pour  quelque  temps  à  Goussay*, 
qui  est  un  prieuré  que  j'ai  auprès  de  Mirebeau^,  où, 
dès  que  je  fus  arrivé,  ils  prirent  occasion  de  m' en- 
voyer une  lettre  du  Roi  du  15^  juin  par  laquelle  S.  M. 
me  témoignoit  être  bien  aise  de  la  résolution  que 
j'avois  prise  de  m'en  aller  en  mon  évéché,  et  que  j'y 
demeurasse,  ou  en  mes  bénéfices,  jusques  à  ce  que 
j'eusse  autre  commandement  d'elle^. 

1.  Coussay,  commune  du  département  de  la  Vienne,  canton 
de  Monts.  Le  prieuré  de  Coussay  valait  4,500  livres. 

2.  Mirebeau,  chef-lieu  de  canton  du  département  de  la  Vienne, 
à  vingt-six  kilomètres  nord-ouest  de  Poitiers. 

3.  Il  y  a  ici,  sur  le  manuscrit  B,  toute  une  page  barrée  qu'un 
copiste  avait  dû  transcrire  par  erreur.  On  la  retrouve  plus  loin. 
On  lit  dans  1'  «  Extrait  des  lettres  du  Roi  à  Monsieur  de  Luçon  », 
écrit  par  Charpentier,  ces  mots  :  «  Il  [le  Roi]  lui  mande  [à  Riche- 
lieu] qu'ayant  appris  qu'il  s'est  retiré  d'auprès  la  Reine  et  se  résout 
de  retourner  faire  sa  charge  en  son  évéché,  il  lui  dépêche  un  gen- 
tilhomme exprès  pour  lui  témoigner  combien  il  agrée  sa  résolu- 
tion et  qu'il  n'ait  à  partir  de  son  évéché  ou  autres  ses  maisons 
et  bénéfices  sans  autre  commandement  de  lui,  bien  qu'il  ne 
doute  nullement  qu'en  quelque  lieu  qu'il  soit  il  ne  procure  tou- 
jours le  bien  de  son  service  »  (Aff.  étr.,  France  771,  fol.  338). 
L'original  de  cette  lettre,  datée  de  Fontainebleau,  le  15  juin,  est 


248  MÉMOIRES  [1617] 

Je  fis  réponse  (|ue,  n'ayant  jamais  eu  ni  ne  pouvant 
avoir  autre  intention  que  de  servir  S.  M.  et  obéir  à 
ses  commandements,  je  n'avois  rien  à  répondre  à  la 
lettre  que  S.  M.  m'avoit  fait  l'honneur  de  m'écrire, 
sinon  que  j'observerois  religieusement  ce  qui  étoit  de 
ses  volontés;  qu'en  quelque  part  que  je  fusse,  S.  M. 
recevroit  des  preuves  de  mon  affection  et  fidélité, 
n'ayant  jamais  eu  et  ne  pouvant  avoir  autre  but  devant 
les  yeux  que  son  service;  que  je  sa  vois  bien  que 
quelques-uns  tâchoient  de  lui  persuader  le  contraire, 
mais  que,  S.  M.  daignant  considérer  mes  actions,  ils 
ne  viendroient  pas  à  bout  de  leur  dessein;  que  je 
croyois  qu'en  me  gouvernant  de  la  façon  que  j'avois 
fait,  non  seulement  je  demeurerois  exempt  de  blâme 
en  la  bouche  de  tout  le  monde,  mais  même  que  mes 
actions  seroient  approuvées  de  ceux  qui  me  voudroient 
le  moins  de  bien  ;  que,  n'ayant  pas  eu,  ce  bonheur,  je 

dans  le  volume  France  244,  fol.  2.  —  Avenel,  qui  a  recueilli  avec 
grand  soin  tous  les  renseignements  relatifs  à  cet  épisode  de  la 
vie  de  Richelieu,  donne  à  ce  sujet  de  minutieux  détails  dans  les 
Lettres  et  papiers  d'État,  t.  VU,  p.  401  et  suivantes.  Voici, 
d'après  lui,  exactement  ce  qui  était  arrivé  :  une  accusation 
de  pratiques  séditieuses  et  de  levée  de  gens  de  guerre,  impu- 
tée à  Marie  de  Médicis,  qui  aurait  obéi  aux  suggestions  de 
l'évêque  de  Luçon,  ayant  été  lue  dans  le  conseil  des  dépêches, 
il  fut  résolu  que  l'on  conseillei^ait  au  Roi  d'ordonner  à  Riche- 
lieu de  se  rendre  dans  son  diocèse.  Châteauneuf,  membre  de 
ce  conseil,  en  avisa  le  marquis  de  Richelieu,  et  celui-ci,  sans 
attendre  d'autre  éclaircissement  ou  qu'une  résolution  fût  prise, 
en  avertit  l'évêque  de  Luçon.  Celui-ci,  ne  voulant  pas  attendre 
l'effet  de  la  menace,  écrivit  immédiatement  à  Luynes  qu'il 
demandait  permission  à  la  Reine  mère  de  se  retirer  en  Poitou, 
et  il  partit  aussitôt.  Déageant  confirme  ces  indications  dans  ses 
Mémoires  (p.  104-105]. 


[16! 7]  DE  RICHELIEU.  249 

tàcherois  de  l'acquérir,  continuant  à  si  bien  faire  que 
ceux  qui  me  rendroient  de  mauvais  offices  se  ferme- 
roient  la  bouche  d'eux-mêmes,  suppliant  Dieu  ne  me 
faire  point  de  miséricorde  si  j'avois  jamais  eu  aucune 
pratique  ni  pensée  contraire  à  son  service  ^ 

Dès  que  la  Reine  en  eut  avis,  elle  dépêcha  au  Roi 
l'évêque  de  Béziers^  et  lui  manda  qu'elle  ne  pouvoit 
supporter^  ce  dessein  qu'elle  voyoit  qu'on  avoit  pris 
de  m'éloigner  d'auprès  d'elle,  pour  lui  faire  déplaisir 
et  au  préjudice  de  la  permission  qui  lui  avoit  été 
donnée  de  me  retenir,  ce  dont  elle  étoit  d'autant  plus 
étonnée  qu'elle  savoit  très  certainement  que,  depuis 
ce  temps-là,  je  ne  pou  vois  lui  en  avoir  donné  aucun 
sujet  ;  que,  soupçonnant  ceux  qui  sont  auprès  d'elle, 
c'est  vouloir  croire  qu'il  soit  possible  de  lui  mettre  en 
l'esprit  quelque  chose  contre  le  devoir  d'une  mère 
envers  son  fils;  que,  s'il  désire  faire  paroître  qu'il 
n'ajoute  point  foi  à  ces  calomnies,  elle  supplie  S.  M. 
de  ne  lui  pas  dénier  la  continuation  de  la  faveur  qui 
lui  est  faite  de  me  retenir  près  d'elle  ;  que  c'est  une 
des  plus  grandes  obligations  qu'elle  lui  puisse  avoir; 
car  aussi  il  l'assura  que,  lui  ayant  une  fois  accordé 
quelque  chose,  ses  ennemis  n'auroient  pas  le  pouvoir 

1.  Ce  paragraphe  est  tiré  d'une  minute  de  lettre  adressée  au 
Roi  par  Richelieu  le  18  juin  1617  (Aff.  étr.,  France  771,  fol.  320- 
321).  La  minute  est  de  la  main  de  Charpentier.  Elle  a  été  publiée 
par  Avenel,  t.  VII,  p.  411. 

2.  Jean  de  Bonsy  :  tome  I,  p.  214. 

3.  «  Je  mourrai,  écrivait  la  Reine  mère  à  Luynes,  plutôt 
qu'endurer  qu'avec  la  permission  que  le  Roi  Monsieur  mon  fils 
m'a  donnée  de  le  retenir  près  de  moi,  que  mes  ennemis  eussent 
le  pouvoir  de  me  faire  un  si  grand  affront  qui  me  seroit  du 
tout  insupportable  »  (Avenel,  t.  VII,  p.  404j. 


250  MÉMOIRES  [1617] 

de  lui  faire  des  affronts  qu'elle  aimeroit  mieux  mourir 
qu'endurer,  et  son  esprit  pourra  être  en  repos,  ce 
qu'elle  désire  avec  telle  passion  qu'après  le  bien  de 
son  service  elle  ne  souhaite  autre  chose  en  ce  monde ^. 
Elle  mande  quant  et  quant  au  sieur  de  Luynes  que 
cette  action  lui  fait  croire  qu'on  ne  se  méfie  pas  de 
moi,  mais  d'elle;  que  c'est  faire  tort  à  son  intégrité 
que  de  s'imaginer  qu'elle  veuille  se  servir  de  moi 
pour  brouiller,  vu  que,  quand  elle  et  moi  aurions  ce 
dessein,  mon  absence  y  seroit  plus  propre  que  ma 
présence;  que,  voulant  mettre  ordre  en  ses  affaires 
particulières,  elle  désire  se  servir  de  moi,  me  recon- 
noissant  capable  de  ce  faire  et  ne  voyant  rien  en  moi 
qui  puisse  donner  de  l'ombrage  à  ceux  qui,  poussés 
d'une  grande  animosité,  se  veulent  forger  en  l'esprit 
ces  imaginations,  quoique  en  conscience  ils  recon- 
noissent  le  contraire  ;  quand  il  seroit  vrai  que  j'aurois 
de  mauvais  desseins  étant  auprès  d'elle,  sa  personne 
répondroit  de  mes  actions,  étant  entre  les  mains  du 
Roi  quand  il  voudroit  ;  que  c'est  faire  tort  à  une  per- 
sonne de  juger  de  ses  intentions  à  l'avenir  et  de  l'en 
punir  avant  la  faute  commise  ;  qu'il  ne  doit  pas  préfé- 
rer l'animosité  de  quelques  particuliers  à  son  conten- 
tement, autrement  elle  auroit  occasion  de  croire  qu'elle 

1 .  Divers  extraits  des  lettres  de  la  Reine  mère  à  Luynes,  repro- 
duits dans  ce  passage  des  Mémoires,  se  trouvent,  écrits  par 
Charpentier,  dans  le  volume  France  771,  fol.  393.  Au  dos  du 
folio  figure  la  mention  «  Employé  »  griffonnée  par  Sanc} .  Des 
extraits  ont  été  également  publiés  par  Avenel,  t.  VII,  p.  404. 
Les  modifications  de  style  qui  n'ont  été  effectuées  ni  sur  ces 
extraits,  écrits  au  style  indirect,  ni  sur  le  manuscrit  B,  ont  dû 
être  faites  sur  un  manuscrit  intermédiaire  qui  fait  défaut  pour 
la  partie  des  Mémoires  allant  de  1600  à  1624  et  de  1631  à  1638. 


[i617]  DE  RICHELIEU.  251 

ne  pouiToit  rien  espérer  que  ce  que  la  pure  rigueur 
de  la  justice  lui  donneroit  ;  que  ce  lui  est  un  préjugé 
que,  tous  les  jours,  sous  de  faux  donnés-à-entendre, 
on  lui  donnera  de  semblables  mécontentements,  ce 
qui  la  feroit  enfin  résoudre  de  supplier  le  Roi  de  lui 
permettre  de  sortir  hors  du  royaume,  pour  ne  donner 
sujet  de  croire  qu'elle  fît  des  cabales,  comme  on  la 
vouloit  calomnier;  que,  puisque  le  Roi  lui  fait  l'hon- 
neur de  le  croire,  il  est  obligé,  en  conscience,  de  lui 
remontrer  qu'il  ne  doit  point  craindre  de  déplaire  à 
quelques  particuliers  pour  donner  du  contentement  à 
sa  mère,  qui  consiste  au  repos  et  tranquillité  d'esprit 
qu'elle  désire  par-dessus  toutes  les  choses  du  monde 
et  ne  le  peut  avoir  pendant  que  le  Roi  continuera  de 
changer  si  soudainement  ce  qu'il  lui  a  une  fois  accordé  ; 
et  qu'enfin,  s'il  ne  peut  quitter  le  doute  qu'il  a  que 
je  voulusse  brouiller,  elle  lui  répondoit  de  moi-même, 
et  que  la  réponse  d'une  reine  étoit  suffisante  pour  un 
criminel,  et  que,  cependant,  puisqu'elle  ne  m'avoit 
point  renvoyé  en  ma  maison,  comme  elle  voyoit  qu'on 
en  vouloit  prendre  le  prétexte,  mais  m'avoit  seule- 
ment donné  congé  pour  huit  jours,  elle  m'avoit  déjà 
mandé  de  la  revenir  trouver  et  que  le  lendemain  je 
serois  auprès  d'elle  ^ 

Ces  lettres  si  affectionnées  et  si  pleines  de  raisons 
ne  servirent  à  autre  chose  qu'à  faire  qu'elle  ne  reçut 

1.  Tout  ce  paragraphe  est  tiré  de  1'  «  Extrait  des  lettres  de 
la  Reine  au  Roi  et  à  M.  de  Luynes,  touchant  le  retour  de  Mon- 
sieur de  Luçon  ».  Ces  extraits  ont  été  écrits  par  Charpentier 
(France  771,  fol.  393  et  394),  et  Sancy  en  a  partiellement  pré- 
paré quelques  passages  pour  leur  entrée  dans  les  Mémoires. 
Voyez  Avenel,  t.  VII,  p.  406  et  407. 


252  MÉMOIRES  [1617] 

pas  un  refus  déterminé  de  ce  qu'elle  demandoit,  mais 
seulement  un  délai,  Luynes  lui  mandant  qu'on  avoit 
tant  dit  de  choses  au  Roi  contre  moi  qu'il  ne  pouvoit 
pas  si  tôt  lui  faire  agréer  mon  retour;  que  tous  les 
diables  étoient  déchaînés,  ce  n'étoit  que  médisances 
atroces,  chacun  pari  oit  contre  moi  ;  qu'il  n'en  croyoit 
rien,  mais  que,  néanmoins,  cela  faisoit  impression 
en  l'esprit  de  plusieurs  et  qu'il  falloit  lui  donner  loi- 
sir de  prendre  son  temps  ^ 

Il  me  payoit  de  semblable  monnoie  en  réponse  des 
lettres^  que  je  lui  écrivois,  s'avouoit  mon  obligé, 
promettoit  de  m'assister,  se  plaignoit  des  ennemis  que 
j'avois  qui  me  faisoient  tout  ce  mal,  disoit  être  marri 
de  ne  pouvoir  pas  si  tôt  dissiper  ces  nuages,  promet- 
toit  de  le  faire  et  de  m'envoyer  la  permission  du  Roi 
de  retourner.  Autant  m'en  écrivoit  Déageant  et  ceux 
de  sa  cabale,  et  que,  dès  qu'ils  verroient  le  temps  à 
propos,  iP  enverroit  vers  la  Reine  l'avertir  de  me 
demander  au  Roi;  mais  surtout  qu'il  ne  falloit  pas 
témoigner  dans  sa  maison  qu'elle  désirât  ardemment 
me  faire  retourner;  car  on  feroit  contre  moi  comme 
on  avoit  fait  jusques  alors  ^ 

1.  Ce  paragraphe  est  en  partie  tiré  de  1'  «  Extrait  des  lettres 
de  M.  de  Luynes  à  la  Reine  et  à  Monsieur  de  Luçon  »,  écrit 
par  Charpentier  (France  771,  fol.  384).  Voyez  Avenel,  t.  VII, 
p.  405. 

2.  La  plupart  de  ces  lettres  se  trouvent  aux  archives  des 
Affaires  étrangères,  France  771,  fol.  300  et  suivants. 

3.  C'est-à-dire  Luynes. 

4.  La  dernière  partie  du  paragraphe,  depuis  «  Autant  m'en 
écrivoit  Déageant  »,  est  tirée  de  l'  «  Extrait  des  lettres  de  Mon- 
sieur de  Béziers  à  la  Reine  et  à  Monsieur  de  Luçon  »,  écrit  par 
Charpentier   pour    les    Mémoires.  L'extrait  employé   est    tiré 


[1617]  DE  RICHELIEU.  253 

La  Reine,  d'autre  côté,  me  pressoit  de  la  retourner 
trouver,  d'autant  que  le  sujet  sur  lequel  étoit  fondée 
la  lettre  du  Roi  étoit  faux;  mais  je  ne  le  voulus  pas 
faire,  parce  que  je  savois  que  cela  eût  été  préjudi- 
ciable à  son  service,  et  voulus  montrer  l'exemple  d'une 
obéissance  parfaite  pour  leur  faire  juger  par  elle  la 
sincérité  de  mes  actions  précédentes. 

Les  six  mois  restants  de  l'année,  je  les  passai  en 
perpétuelles  attaques  de  calomnies  et  fausses  suppo- 
sitions contre  moi,  tant  ({u'enfin  ils  restreignirent 
mon  exil  dans  mon  évêché. 

J'espérois,  en  cette  rencontre,  recevoir  de  l'assis- 
tance du  maréchal  de  Vitry,  que  j'avois  obligé  fraî- 
chement, quinze  jours  avant  la  mort  du  maréchal 
d'Ancre,  et  il  me  l'avoit  promis.  Mais  il  arriva  que,  le 
sieur  de  Luynes  ayant  eu  volonté  d'avoir  la  capitai- 
nerie de  la  Bastille,  qui  étoit  à  la  Reine,  mais  que 
Vitry  désiroit,  comme  y  ayant  déjà  un  pied  par  la 
lieutenance  qu'il  y  avoit,  je  crus  qu'il  étoit  pour  le 
service  de  la  Reine  que,  cédant  au  temps,  elle  donnât 
contentement  à  Luynes  ^  Vitry  eut  tant  de  ressentiment 
contre  moi  de  ce  qu'il  sut  que  j'y  avois  contribué 
quelque  chose,  que  non  seulement  par  après  il  ne  fut 

d'une  lettre  de  l'évêque  de  Béziers  à  la  Reine,  écrite  de  Fon- 
tainebleau, le  23  juin  ;  quelques  lignes  de  l'Extrait  ont  été 
corrigées  au  point  de  vue  du  style  par  Sancy. 

1.  Richelieu  en  donna  par  écrit  l'assurance  à  Luynes  (lettre 
écrite  vers  le  12  mai  1617  et  publiée  par  Avenel,  t.  VII,  p.  389). 
Un  extrait  de  cette  lettre  a  été  fait  par  Charpentier  (France  771, 
fol.  385).  Dans  une  minute  de  lettre  à  Déageant  (dont  un 
extrait  a  été  donné  par  Charpentier  au  folio  399  du  volume 
France  771),  Richelieu  écrit  :  «  On  me  mande  que  M.  de  Vitry 
est  fort  animé  contre  moi  et  que  le  sujet  qu'il  prend  est  une 


254  MÉMOIRES  [1017] 

plus  mon  ami,  mais,  comme  si  je  lui  a  vois  fait  une 
grande  offense,  il  s'intéressa  dans  tous  les  moyens 
qui  s'offrirent  d'avancer  ma  ruine  ^. 

Tandis  que  j'étois  à  Goussay,  il  arriva  que,  le  P.  Ar- 
noux*  ayant  fait  un  sermon  devant  le  Roi^  contre  la 
confession  de  foi  des  huguenots,  les  quatre  ministres 
de  Charenton ^  firent  un  écrit  qu'ils  adressèrent  au  Roi, 
par  lequel,  sous  ombre  de  se  défendre  de  ce  que  le 
P.  Arnoux  avoit  dit  contre  leur  hérésie,  ils  parloient 
au  Roi  avec  des  paroles  bien  éloignées  de  ce  qu'un 
prince  catholique  peut  souffrir  de  ses  sujets,  et 
disoient  beaucoup  d'injures  et  faussetés  contre  l'Église 
de  Dieu.  La  justice  séculière  en  prit  quelque  con- 
noissance,  et  le  Roi,  par  arrêt  de  son  Conseil  du 
5®  août,  supprima  cet  écrit  et  fît  défenses  aux  ministres 
de  lui  en  adresser  jamais  aucun  à  l'avenir  sans  sa 
permission^. 

lettre  que  je  vous  ai  écrite;  je  ne  le  puis  croire,  sachant  bien 
que  mes  lettres  sont  en  bonnes  mains  étant  es  vôtres  et  que  je 
ne  vous  ai  rien  mandé  sinon  sur  le  sujet  de  la  Bastille;  ce  qui 
étoit  arrêté  entre  nous  »  (France  771,  fol.  294). 

1.  Le  souvenir  de  ces  procédés  ne  fut  peut-être  pas  étranger 
à  la  disgrâce  du  maréchal  de  Vitry,  que  le  cardinal  de  Richelieu, 
alors  devenu  tout-puissant,  fît  enfermer  à  la  Bastille  le  27  oc- 
tobre 1637. 

2.  Jean  Arnoux,  jésuite,  né  à  Riom,  confesseur  du  Roi  de 
1617  à  1621,  mort  à  Lyon  en  1636. 

3.  Après  les  mots  «  devant  le  Roi  »,  le  reste  du  verso  du 
fol.  369,  dans  le  manuscrit  B,  a  été  laissé  en  blanc.  Peut-être 
le  copiste  avait-il  ménagé  la  place  nécessaire  à  un  résumé  de 
ce  sermon  ? 

4.  Ces  quatre  ministres  s'appelaient  Montigny,  Dumoulin, 
Durand  et  Mestrezat.  Leur  écrit  était  intitulé  :  «  La  défense  de 
la  confession  des  églises  réformées  de  France.  » 

5.  Cet  incident  est  rapporté  dans  le  Mercure  français,  t.  V, 


[1617]  DE  RICHELIEU.  255 

Mais,  parce  que  je  ne  voyois  point  que  de  la  part 
de  l'Église  il  fût  apporté  aucun  remède  au  mal  qui  se 
glissoit  dans  les  âmes  par  la  lecture  de  ce  livre  perni- 
cieux, dont  les  huguenots  taisoient  leur  coryphée,  se 
vantant  que  les  catholiques  ne  s'en  pouvoient  défendre, 
j'employai  le  loisir  de  ma  solitude  à  y  répondre,  et  le 
long  temps  qu'il  y  avoit  que  j'étois  diverti  de  l'exer- 
cice de  ma  profession  m'y  fit  travailler  avec  tant 
d'ardeur  et  de  courage  que  dans  six  semaines  j'achevai 
cet  ouvrage*,  dont,  pour  ne  rien  dire  de  moi-même, 
je  laisse  le  jugement  à  ceux  entre  les  mains  desquels 
il  est  parvenu-. 

Plus  cette  action  me  donna  de  réputation,  plus  elle 
me  chargea  d'envie,  et,  bien  qu'il  fût  aisé  à  connoitre 
par  là  qu'aucuns  desseins  de  la  Reine  n'occupoient 
point  mon  esprit,  mes  ennemis  ne  laissèrent  pas 
néanmoins  de  le  craindre  et  ne  me  firent  pas  donner 
permission  de  la  retourner  trouver. 

année  1617,  p.  55-57,  et  l'arrêt  du  conseil  d'État  y  est  donné 
in  extenso,  p.  57. 

1.  Ce  livre  était  intitulé  :  Les  principaux  points  de  la  foi  de 
l'Eglise  catholique,  défendus  contre  l'écrit  adressé  au  Roi  par 
les  quatre  ministres  de  Charenton,  jouxte  la  copie  imprimée  à 
Poitiers  par  Antoine  Mesnier;  Paris,  Denys  Moreau,  1618, 
in-12;  voyez  Avenel,  t.  I,  p.  Lxxn  et  552,  et  VII,  p.  413.  Pen- 
dant son  exil,  Richelieu  écrivit  encore  un  autre  ouvrage  ayant 
pour  titre  :  Instruction  du  chrétien. 

2.  Richelieu  fait  allusion  à  ce  travail  dans  une  lettre  au  Roi 
dont  la  minute  est  dans  le  volume  France  771,  fol.  320  : 
«  Sire,  je  ne  manquerai  pas  d'observer  religieusement  les 
commandements  de  V.  M.  Je  les  ai  reçus  en  ce  lieu  [àCoussay], 
où,  ayant  mes  livres,  j'ai  été  retenu  jusques  à  présent  par  un 
travail  que  j'ai  entrepris  contre  l'hérésie  »  (voyez  Avenel,  t.  I, 
p.  552). 


256  MÉMOIRES  [1617] 

Ce  qui  étoit  plus  déplorable  en  la  misère  de  la 
Reine,  c'est  que  la  plupart  de  ceux  dont  elle  devoit 
recevoir  plus  d'assistance  pour  les  grands  biens, 
charges,  dignités  et  honneurs  qu'elle  leur  avoit  dépar- 
tis pendant  sa  puissance,  étoient  ceux  qui  se  portoient 
plus  hardiment  contre  elle,  de  peur  qu'on  ne  les  pri- 
vât de  ce  qu'ils  tenoient  de  sa  bonté,  chose  ordinaire 
aux  âmes  basses,  mais  du  tout  indignes  de  bon 
courage. 

On  la  prive  de  la  jouissance  d'une  partie  de  son 
bien  :  s'il  vaque  quelque  bénéfice,  il  ne  lui  est  pas 
permis  d'en  gratifier  un  de  ses  serviteurs  ;  si  quelque 
capitainerie  qui  dépende  de  ses  domaines  est  à  don- 
ner, celui  qu'elle  aime  le  moins  est  celui  qui  en  est 
pourvu  par  les  personnes  qui  la  haïssent  pour  l'avoir 
offensée. 

On  fit  davantage  :  on  lui  envoie  le  sieur  de  Roissy  * 
en  ma  place,  introduisant  près  d'elle  des  personnes 
dont  on  se  veut  servir  à  sa  ruine,  en  la  place  de  ses 
principaux  ministres  qu'on  avoit  chassés.  Elle  ne  le 
veut  souffrir;  on  l'établit,  contre  son  gré,  proche 
d'elle,  pour  épier  toutes  ses  actions. 

Nul  n'entre  chez  elle  qu'il  n'en  veuille  avoir  con- 
noissance;  nul  ne  lui  parle  qu'il  ne  s'enquière  du 
sujet  ;  si  elle  a  quelque  domestique  qu'elle  affectionne 
peu,  c'est  celui  qui  a  part  en  leur  faveur;  ceux  qu'on 
estime  les  plus  capables  de  faire  faux  bond  à  leur 
conscience  pour  servir  aux  passions  injustes  sont  ceux 
qu'on  trouve  les  meilleurs.  On  ne  veut  près  d'elle 
que  des  personnes  qui  en  aient  le  cœur  éloigné;  ceux 

1.  Tome  I,  p.  221. 


[1617J  DE  RICHELIEU.  257 

qui  retiennent,  dans  leur  éloignement,  l'affection  que 
par  naissance  et  par  obligation  ils  dévoient  avoir  à 
son  service  sont  criminels,  en  quelque  lieu  qu'ils 
soient.  Le  désir  que  beaucoup  ont  de  profiter,  par 
quelque  voie  que  ce  puisse  être,  porte  diverses  per- 
sonnes à  donner  des  avis  contre  elle  ;  on  reçoit  tout, 
on  fomente  tout;  on  en  invente  non  seulement  pour 
la  décrier,  mais  même  pour  la  rendre  criminelle  ;  on 
trouve  mauvais  que  ses  domestiques,  obligés  à  sa 
bonté,  satisfassent  à  ce  à  quoi  leur  honneur  et  leur 
conscience  les  obligent  ;  s'enquérir  de  ses  nouvelles, 
ne  point  quitter  une  si  bonne  et  grande  princesse, 
d'affection  comme  de  lieu,  est  un  crime  qui  ne  mérite 
pas  de  pardon;  si  un  de  ses  serviteurs  se  vouloit 
défaire  de  quelque  charge  qu'il  eût  auprès  de  sa  per- 
sonne, ils  ne  le  vouloient  pas  souffrir,  si  ce  n'étoit 
entre  les  mains  de  quelqu'un  qui  fût  à  eux. 

Le  baron  de  Thémines  eut  volonté  de  se  défaire  de 
la  charge  de  capitaine  de  ses  gardes  ;  le  baron  du 
Tour,  homme  de  cœur  et  de  fidélité,  étoit  d'accord 
avec  lui  de  la  récompense;  ils  n'osèrent  pas  lui  dire 
ouvertement  qu'ils  ne  vouloient  pas  ;  mais  ils  l'arrê- 
tèrent sur  l'incident  d'une  pension  de  deux  mille 
écus  qui  étoit  attachée  à  ladite  charge,  laquelle  ils  ne 
lui  voulurent  jamais  accorder,  et  lui  firent  dire  nette- 
ment par  le  président  Jeannin,  qui  le  pria  de  le  venir 
trouver  sur  ce  sujet,  qu'il  étoit  trop  serviteur  de  la 
Reine  mère  ;  ledit  baron  lui  répondit  courageusement 
qu'il  l'étoit  et  le  seroit  jusques  à  la  mort,  bien  qu'il 
sût  que  l'être  étoit  coupable  de  tous  les  crimes  qu'on 


eût  su  imagmer. 


17 


258  MÉMOIRES  [1617] 

On  ôte  Monsieur  d'entre  les  mains  de  M.  de  Brèves^, 
non  pour  autre  considération  que  pour  ce  qu'il 
témoignoit  affectionner  la  Reine,  qui  lui  avoit  con- 
servé l'éducation  de  Monsieur,  que  le  feu  Roi  lui  avoit 
destinée.  Le  sieur  du  Vair,  témoignant  la  volonté  du 
Roi  à  M.  de  Brèves  sur  ce  sujet,  lui  dit  qu'on  lui  ôte 
ce  dépôt  de  la  personne  de  Monsieur  non  pour  aucun 
desservice  qu'il  eût  rendu,  le  Roi  étant  très  content 
de  ses  actions,  mais  pour  des  raisons  qu'il  n'est  pas 
obligé  de  dire^. 

Il  est  vrai  que  les  rois  ne  sont  pas  toujours  obligés 
de  dire  les  causes  des  résolutions  qu'ils  prennent; 
mais  en  ce  temps  on  se  servoit  grandement  de  ce  pri- 
vilège, d'autant  qu'ils  avoient  eu  de  mauvaises  raisons 

1.  François  Savary,  comte  de  Brèves  (tome  I,  p.  175), 
avait  été  chargé  en  1614  de  l'éducation  de  Gaston  d'Orléans, 
au  retour  de  ses  deux  ambassades  de  Turquie  et  de  Rome. 
Il  eut  pour  successeur  dans  cet  emploi  François  de  Daillon, 
comte  du  Lude,  et  fut  d'ailleurs  très  bien  traité  dans  sa  dis- 
grâce. Il  raconta  lui-même  les  circonstances  de  son  renvoi 
dans  un  petit  écrit  in-4°,  intitulé  :  Discours  véritable,  fait  par 
M.  de  Brèves,  du  procédé  tenu  lorsqu'il  remit  entre  les  mains 
du  Roy  la  personne  de  Mgr  le  duc  d'Anjou,  frère  unique  de 
Sa  Majesté.  En  1622,  rentré  en  grâce,  il  devint  premier  écuyer 
de  la  Reine  et  en  1625  chevalier  du  Saint-Esprit;  il  fut  membre, 
en  1626,  de  l'Assemblée  des  notables  et  eut,  en  1627,  entrée 
au  Conseil  des  dépêches. 

2.  Les  Mémoires  de  Fontenay-Mareuil  rapportent  cet  événe- 
ment et  en  donnent  les  mêmes  motifs  (éd.  Michaud,  p.  121). 
Du  reste,  le  récit  de  Fontenay-Mareuil  pour  toute  l'année  1617 
est  semblable,  quant  au  fond,  à  celui  des  Mémoires  de  Riche- 
lieu; mais  les  détails  sont  souvent  très  différents.  Il  est  probable 
que  les  souvenirs  personnels  du  Cardinal  sont  entrés  pour 
beaucoup  dans  le  récit  de  cette  partie  de  ses  Mémoires,  tandis 
que  Fontenay-Mareuil  n'écrivit  que  bien  plus  tard. 


[1617]  DE  RICHELIEU.  259 

de  ce  qui  se  faisoit,  ou  qu'ils  n'en  avoient  point 
du  tout . 

La  Reine  apprend  ce  changement  ;  elle  juge  inconti- 
nent que  sa  considération  faisoit  éloigner  de  son  fils 
celui  que  la  prévoyance  du  feu  Roi  y  avoit  mis  ;  elle 
en  appréhende  les  conséquences  et  en  parle  néanmoins 
avec  tant  de  modération,  que  la  réponse  qu'elle  fit  au 
sieur  de  Brèves,  qui  lui  en  avoit  donné  l'avis  pour 
s'acquitter  de  son  devoir,  ne  tendoit  qu'à  lui  faire 
connoître  que  le  Roi  l'avoit  voulu  soulager  en  son  âge 
caduc  de  la  peine  et  de  la  sujétion  qui  est  nécessaire 
auprès  d'un  prince  de  cet  âge.  Mais  ce  n'est  pas  assez 
qu'elle  approuve  les  actions  des  autres  :  on  lui  veut  faire 
confesser  qu'elle  s'est  mal  gouvernée  en  l'administra- 
tion des  affaires  de  l'État,  qu'elle  a  gâté  ce  qu'elle  a 
conservé. 

Divers  ambassadeurs  vont  vers  elle  pour  la  per- 
suader d'écrire  au  Roi  des  lettres  de  cette  teneur. 
Modène  est  choisi  pour  y  employer  son  éloquence;  il 
va  trouver  Barbin  avant  que  de  partir,  et  lui  dit  pre- 
mièrement que  Luynes  a  volonté  de  se  réconcilier  avec 
la  Reine,  et,  pour  commencer  à  lui  en  donner  quelque 
témoignage,  le  veut  envoyer  de  la  part  du  Roi  vers 
elle  pour  la  visiter,  mais  qu'il  n'ose  entreprendre  ce 
voyage,  pour  ce  que,  depuis  peu,  la  Reine  avoit  dit 
qu'il  y  avoit  quatre  personnes  auxquelles  elle  ne  par- 
donneroit  jamais  :  Luynes,  Vitry,  Ornano  et  lui. 

Barbin,  croyant  qu'il  lui  dit  vérité,  l'encouragea  à 
faire  ce  voyage,  lui  représentant  la  facilité  que  la  Reine 
avoit  à  pardonner  par  l'inclination  bénigne  de  son 
naturel  et  l'obligation  que  le  sieur  de  Luynes  avoit, 
pour  son  propre  bien,  de  l'en  rechercher,  attendu  la 


260  MÉMOIRES  [1617] 

piété  du  Roi,  qui  nécessairement  le  feroit  enfin  ennuyer 
du  mauvais  traitement  que  recevoit  sa  mère,  et  qu'il 
devoit  craindre  un  changement  de  l'état  présent  de  la 
Reine,  ce  qui  pouvoit  arriver  par  plusieurs  accidents 
auxquels  les  affaires  du  monde  sont  sujettes  ;  que,  si 
cela  arrivoit  dans  le  mauvais  traitement  qu'elle  rece- 
voit, il  n'y  avoit  lieu  de  la  terre  où  il  pût  être  assuré  ; 
car,  quand  bien  lors  la  Reine  ne  seroit  pas  sensible 
aux  injures  qu'elle  avoit  reçues,  on  la  forceroit  d'en 
avoir  du  ressentiment;  ou,  au  contraire,  si  ce  change- 
ment arrivoit  après  la  réconciliation,  quand  bien  elle 
auroit  mauvaise  volonté  contre  eux,  elle  ne  leur  oseroit 
mal  faire,  de  peur  de  se  perdre  de  réputation  devant 
tout  le  monde. 

Modène  fit  semblant  de  goûter  ses  raisons.  A 
quelques  jours  de  là,  il  lui  dit  qu'il  est  résolu  de  partir, 
et  lui  demanda  une  lettre  de  recommandation  à  la 
Reine,  laquelle  il  lui  donna.  La  Reine  la  reçut  avec 
toute  sorte  de  bonne  chère,  et  de  visage  et  de  présence  ; 
en  récompense,  il  lui  débaucha  tout  le  plus  de  servi- 
teurs qu'il  pût,  et  fit  de  la  plupart  d'eux  autant  de 
pensionnaires  de  Luynes  et  d'espions  de  la  Reine, 
à  lac^uelle,  quoiqu'il  déployât  toutes  les  voiles  de  son 
bien-dire,  il  ne  put  persuader  de  faire  chose  indigne 
de  son  courage,  ni  d'avouer  avoir  failli  en  ce  qu'elle 
avoit  bien  servi  le  Roi,  estimant  trompeuse  une  récon- 
ciliation, le  commencement  de  laquelle  tendoit  à  la 
rendre  coupable  contre  la  vérité. 

Au  retour  de  cet  ambassadeur  ' ,  quelque  petit  rayon 

1.  Modène  rentra  à  Paris  le  6  août  1617.  Il  fit  un  autre 
voyage  à  Blcis  auprès  de  la  Reine  mère  au  mois  d'octobre  sui- 
vant [Journal  d  Arnauld  d'Andilly,  p.  312-320). 


[1617]  DE  RICHELIEU.  261 

d'espérance  de  liberté  parut  à  Monsieur  le  Prince, 
lequel  ils  transférèrent,  le  1 5  septembre,  de  la  Bastille 
au  Bois-de-Vincennes,  dont  il  estimoit  et  l'air  meilleur 
et  la  demeure  moins  resserrée,  et  ressentant  son  élar- 
gissement de  prison  ;  mais  son  désir  le  trompoit  :  car 
ils  n'avoient  nulle  pensée  qui  tendit  à  sa  liberté;  au 
contraire,  ils  estimoient  n'avoir  assurance  qu'en  la 
détention  de  la  Reine  et  de  lui,  et  croyoient  que,  les 
tenant  tous  deux  en  leur  puissance,  ils  ne  pourroient 
recevoir  aucune  secousse  en  l'assiette  de  leur  fortune. 
Modène  dit  un  jour  à  Barbin,  en  la  Bastille,  que 
Monsieur  le  Prince  lui  avoit  dit  que  la  Reine  l'avoit 
voulu  délivrer  peu  après  son  arrêt,  mais  avec  des  con- 
ditions si  honteuses,  qu'il  ne  les  avoit  pas  voulu  rece- 
voir*. Barbin  lui  ayant  lors  soutenu  le  contraire  et 
dit  la  réponse  généreuse  que  la  Reine  lui  fit  (et  que 
nous  avons  racontée  ci-devant^),  et  qu'encore  qu'il  pût 
maintenant  rejeter  la  prise  de  sa  personne  sur  le 
maréchal  d'Ancre  qui  étoit  mort,  il  ne  le  vouloit  pas 
faire,  sachant  qu'en  cela  il  avoit  été  rendu  un  service 
signalé,  Modène  lui  dit  franchement  qu'entre  les  choses 
qu'on  approuvoit  du  gouvernement  de  la  Reine 
celle-là  étoit  la  principale,  et  qu'on  n'avoit  nul  dessein 
de  le  laisser  aller.  Le  sujet  pour  lequel  on  le  changeoit 
maintenant  de  demeure  étoit,  au  contraire  de  ce  que 
ledit  Prince  croyoit,  pour  le  garder  avec  plus  de 
sûreté  ;  car  ce  ne  fut  que  pour  réparer  la  faute  qu'ils 
avoient  faite  au  commencement,  quand,  cheminant  avec 
grande  timidité  et  comme  n'étant  pas   encore  leur 

1.  Var.  :  Si  honteuses,  qu'illeur  avoit  préféré  la  prison  (M,  H). 

2.  Ci-dessus,  p.  88. 


26?  MÉMOIRES  [1617] 

autorité  affermie,  ils  en  donnèrent  la  garde  à  Persan, 
au  lieu  de  l'avoir  eux-mêmes. 

Ils  laissèrent  bien  encore  lors  l'apparence  de  la 
garde  de  sa  personne  audit  baron  de  Persan,  lequel  ils 
logèrent  dans  le  donjon  dudit  Bois-de-Vincennes  ;  mais, 
en  effet,  ils  l'avoient  eux-mêmes,  au  moyen  du  régi- 
ment du  sieur  [de]  Cadenet,  qui  y  tut  mis  pour  le  garder. 

Madame  la  Princesse,  qui,  avec  la  permission  du 
Roi,  s'étoit,  dès  le  commencement  de  juin,  enfermée 
avec  lui,  l'accompagna  aussi  audit  lieu,  où  elle  espéroit 
faire  ses  couches  avec  plus  de  facilité;  mais  sa  mau- 
vaise fortune  ajouta  encore  au  déplaisir  qu'elle  avoit 
de  l'état  où  il  se  trouvoit,  celui  de  se  voir  accoucher 
avant  terme*. 

En  même  temps  que  les  uns  étoient  mis  en  de  nou- 
velles prisons,  les  autres  étoient  élevés  à  contentement 
aux  dignités  et  grandeurs  nouvelles;  car,  en  ce  même 
mois,  le  sieur  de  Luynes  se  maria  avec  la  fille  du  duc 
de  Montbazon-  et  fut  pourvu  de  la  lieutenance  générale 
au  gouvernement  de  Normandie  qu'avoit  le  maréchal 
d'Ancre,  et  eut  le  don  de  tous  ses  immeubles,  la  réu- 
nion desquels  au  domaine  du  Roi  ne  servit  que  de 
passage  pour  les  faire  tomber  entre  ses  mains.  Tout 
résonnoit  d'éloges  à  sa  gloire  ;  mais,  comme  il  n'y  avoit 
rien  à  lui  dire  pour  fonder  ces  louanges,  il  se  remarqua 

1.  La  princesse  accoucha  le  20  décembre  1617  d'un  fils  qui 
mourut  en  naissant. 

2.  Marie  de  Rohan  (1600-1679),  fille  d'Hercule  de  Rohan, 
duc  de  Montbazon,  et  de  Madeleine  de  Lenoncourt,  épousa, 
par  contrat  du  11  septembre  1617,  Charles  d'Albert  de  Luynes, 
et  se  remaria  en  1622  à  Claude  de  Lorraine,  duc  de  Chevreuse; 
c'est  la  duchesse  de  Chevreuse  si  célèbre  sous  la  Fronde. 


[1617]  DE  RICHELIEU.  263 

que  tout  ce  qu'on  put  avancer  en  sa  faveur  fut  de  l'ac- 
comparer  au  roi  juif  Agrippa,  qui  fut  favori  de  l'empe- 
reur Galigula,  qui  succéda  à  Tibère,  ne  considérant  pas 
qu'il  avoit  eu  une  si  malheureuse  fin  pour  sa  vanité, 
que  Dieu  vengea  exemplairement,  qu'ils  faisoient  quasi 
un  pronostic  de  la  courte  durée  de  sa  fortune. 

Cependant  Barbin*,  qui  étoit  en  la  Bastille,  resserré 
dans  sa  chambre  sous  ombre  que,  si  on  lui  donnoit 
plus  grande  liberté.  Monsieur  le  Prince  demanderoit  le 
semblable,  demanda  lors  celle  de  se  pouvoir  prome- 
ner. On  la  lui  accorda,  et  permit-on  encore  à  son  valet 
de  chambre  de  le  venir  voir  toutes  fois  et  quantes 
qu'il  voudroit,  Persan  et  Bournonville^,  qui  comman- 
doit  en  son  absence,  le  traitant  avec  toute  douceur 
(espérant  par  ce  moyen  diminuer  quelque  chose  de 
l'aigreur  de  la  Reine,  qu'ils  croyoient  enflammée 
contre  eux  de  colère  pour  l'offense  qu'elle  en  avoit 
reçue),  ce  peu  de  courtoisie  lui^  coûta  bien  cher  et  fut 
un  piège  que  sa  mauvaise  fortune  lui  dressa  pour  le 
rendre  misérable  et  le  porter  jusque  sur  le  bord  du 
précipice,  d'où  la  seule  miséricorde  de  Dieu,  conurie 
par  miracle,  le  garantit,  ainsi  que  nous  verrons  l'année 
suivante;  car,  se  voyant  en  cette  petite  liberté,  et  ayant 
appris  que  la  Reine  faisoit  toujours  instance  vers  le 
Roi  en  sa  faveur,  il  demanda  congé  de  lui  pouvoir 


1.  Ce  paragraphe  est  évidemment  tiré  du  Mercure  français, 
t.  V,  année  1617,  p.  97. 

2.  Jean  de  Vaudetar,  seigneur  de  Bournonville ,  frère  de 
Henri  de  Vaudetar,  baron  de  Persan,  à  qui  avait  été  donnée  peu 
auparavant  la  lieutenance  de  Roi  de  la  Bastille  :  ci-dessus, 
p.  192. 

3.  C'est-à-dire  à  Barbin, 


26'i  MÉMOIRES  [1617] 

écrire  pour  lui  rendre  très  humbles  grâces  d'une  si 
signalée  bonté. 

Ils  furent  bien  aises  de  cette  demande,  et  lui  en 
donnèrent  plus  de  liberté  qu'il  ne  vouloit,  pour  trou- 
ver occasion  de  lui  ôter  ce  peu  qui  lui  en  restoit 
encore;  car  ils  eurent  soin  de  découvrir  ceux  qui 
iroient  de  sa  part  et  de  les  gagner,  et  de  se  faire 
avertir  par  ceux  qui  étoient  déjà  à  eux  auprès  de  la 
Reine,  de  ce  qui  se  passoit  à  l'arrivée  de  ses  lettres  et, 
s'il  se  pouvoit,  de  ce  qu'elle  lui  récriroit. 

Barbin  envoyoit  ses  lettres  par  son  valet  de  chambre  ; 
mais,  de  peur  qu'ils  prissent  ombrage  de  l'y  voir  aller 
trop  souvent,  il  les  lui  envoyoit  le  plus  souvent  par  un 
sien  parent  chez  qui  il  logeoit.  Ils  gagnèrent  cet 
homme;  et,  dès  qu'il  avoit  ses  lettres,  il  les  portoit  au 
sieur  de  Luynes,  qui  en  prenoit  copie,  les  fermoit  et 
les  envoyoit  à  la  Reine,  des  réponses  de  laquelle  il  fai- 
soit  le  semblable,  et  les  lui  renvoyoit  par  cet  homme 
à  la  Bastille,  par  lequel  il  savoit  aussi  beaucoup  de 
choses  dont  la  Reine  s'ouvroit  à  lui  pour  les  dire  à 
Barbin. 

La  première  lettre  qu'il  lui  envoya  fut  portée  par 
son  valet  de  chambre  même  et  rendue  avec  fidélité. 
Elle  lui  dit  en  particulier  qu'elle  ne  pouvoit  plus 
demeurer  en  la  misère  où  elle  se  trouvoit;  qu'elle 
étoit  résolue  de  supplier  le  Roi  de  la  retirer  de  là; 
mais  qu'elle  eût  bien  désiré  savoir  son  avis  aupara- 
vant; car  elle  n'avoit  plus  personne  auprès  d'elle  en 
qui  elle  se  fiât.  Mais  il  ne  lui  conseilla  pas  de  le  faire 
pour  lors,  d'autant  qu'en  ce  temps-là  ils  firent  expé- 
dier des  lettres  patentes  du  4®  octobre  pour  la  con- 
vocation  d'une  Assemblée   des   notables  au  24®  de 


[1617]  DE  RICHELIEU.  265 

novembre  à  Rouen,  en  laquelle,  bien  que  la  plupart  de 
ceux  qui  y  étoient  appelés  fussent  personnes  choisies 
par  eux,  néanmoins,  si  elle  eût  fait  en  ce  temps  quelque 
demande,  ils  auroient  dit  qu'elle  auroit  pris  exprès  la 
conjoncture  de  cette  assemblée  pour  exciter  quelque 
remuement  dans  l'État  ^ 

Tandis  que  ces  choses  se  passent  en  France,  l'empe- 
reur Mathias  fait  élire,  au  mois  de  juin,  son  beau- 
frère  l'archiduc  Ferdinand  son  successeur  au  royaume 
de  Bohême,  dont  les  protestants  d'Allemagne  entrèrent 
en  une  grande  crainte,  à  cause  que  ledit  Ferdinand 
avoit  chassé  tous  ceux  de  leur  secte  hors  de  son  État. 
Cela  fut  cause  que  tous  lesdits  princes  tinrent  une 
assemblée  à  Heilbronn,  par  laquelle  ils  se  liguèrent 
ensemble  et  se  promirent  une  mutuelle  assistance 
contre  les  catholiques,  quoique  l'empereur  Mathias 
dépêchât  vers  eux  pour  les  en  dissuader 2. 

Le  Pape  fait  publier  à  Rome  un  jubilé  pour  les 
nécessités  de  l'Église,  l'extirpation  des  hérésies,  la 
concorde  et  l'union  des  princes  chrétiens^. 

L'électeur  de  Saxe,  ou  excité  par  ce  jubilé,  ou  ayant 
déjà  eu  cette  pensée  de  longtemps,  fit  commandement 
par  tout  son  État  de  célébrer  les  cent  ans,  révolus  au 
31*"  octobre,  des  premières  thèses  que  Luther  fit  affi- 

1.  Les  lettres  patentes  convoquant  l'Assemblée  des  notables 
à  Rouen  ont  été  imprimées  dans  le  Mercure  français,  p.  230 
et  suivantes.  Sur  les  travaux  de  l'Assemblée,  voyez  le  même 
recueil,  p.  252-317. 

2.  Le  Mercure  français,  t.  V,  année  1617,  p.  129  et  sui- 
vantes, donne  de  longs  détails  sur  ces  événements. 

3.  Le  pape  Paul  V  (Camille  Borghèse).  La  traduction  fran- 
çaise de  la  bulle  relative  à  ce  jubilé  se  trouve  dans  le  Mercure 
français,  p.  236. 


266  MÉMOIRES  [1617] 

cher  à  Wittembcrg*  contre  les  indulgences  de  Sa  Sain- 
teté et  commanda  de  commencer  cette  fête  depuis  la 
veille  dudit  jour  jusques  au  %^  novembre,  et  fit  faire 
quantité  de  pièces  d'or  et  d'argent,  avec  des  inscrip- 
tions particulières,  pour  conserver  la  mémoire  de  ce 
prétendu  jubilé. 

Autant  en  firent  les  villes  luthériennes  d'Allemagne, 
et  les  calvinistes  mômes,  à  Heidelberg,  firent  aussi 
quelque  fête  particulière  ce  jour-là^. 

Mais,  tandis  que  ce  jubilé  et  ces  fêtes  se  faisoient,  la 
guerre  continuoit  très  cruelle  entre  le  roi  d'Espagne 
et  le  duc  de  Savoie  en  Italie,  et  les  Vénitiens  et  l'archi- 
duc Ferdinand  en  Dalmatie. 

Au  commencement  de  cette  année,  le  maréchal  de 
Lesdiguières  passa  en  Piémont  avec  force  troupes 3, 
quelques  défenses  qu'on  lui  eût  pu  faire  de  la  cour,  et 
son  arrivée  fut  si  heureuse  que,  du  côté  du  Montferrat, 
il  prit  d'abord  les  villes  de  Saint-Damien  et  Albe^,  et, 
de  l'autre  côté,  vers  Novare,  le  prince  de  Piémont^ 
prit  sur  le  prince  de  Masseran^,  partisan  d'Espagne, 

1.  Le  manuscrit  B  porte  Wirtemberk. 

2.  Voyez  le  Mercure  françois,  p.  243-248. 

3.  Ci-dessus,  p.  126. 

4.  Alba,  ville  du  Montferrat  à  40  kil.  sud-ouest  de  Turin,  sur 
le  Tanaro.  —  San-Damiano-d'Asti,  entre  Alba  et  Asti. 

5.  Victor-Amédée  P""  de  Savoie,  prince  de  Piémont  (1587- 
1637),  marié  en  1619  à  Christine  de  France,  sœur  de  Louis  XIIL 

6.  François-Philibert  Ferrero  (1576-1629),  prince  de  Masse- 
rano  et  marquis  de  Crevacuore,  chevalier  de  l'Annonciade  en 
1608.  S'étant  déclaré  pour  les  Espagnols,  au  moment  où  se 
posait  la  question  de  la  succession  de  Mantoue,  il  eut  ses  terres 
et  fiefs  confisqués  par  le  duc  de  Savoie.  Crevacuore  fut  prise 
le  27  janvier  1617.  A  la  fin  de  cette  même  année,  le  traité  de 


[1617]  DE  RICHELIEU.  '267 

les  villes  de  Masseran  et  de  Grèvecœur^,  dans  la 
dernière  desquelles  il  y  avoit  grand  secours  d'Espa- 
gnols; et  en  ces  rencontres  fut  tué  Don  Sancho  de 
Luna,  gouverneur  du  château  de  Milan,  et  toute  l'armée 
espagnole  fut  étonnée,  et  leurs  partisans  en  Italie  ne  le 
furent  pas  moins.  Mais  nos  troubles  de  France,  qui 
contraignirent  le  maréchal  de  Lesdiguières  de  repasser 
diligemment  en  Dauphiné,  coupèrent  les  ailes  de  cette 
bonne  fortune,  et  non  seulement  l'empêchèrent  de  se 
porter  plus  avant,  mais  réduisirent  premièrement  le 
prince  de  Piémont  à  se  mettre  sur  la  défensive,  puis 
encore  à  se  défendre  si  malheureusement  que  sa  ville 
de  Verceil,  qui  fut  assiégée  sur  la  fin  de  mai  par  Don 
Pedro  de  Tolède,  fut  contrainte  de  se  rendre  le  25*  juillet, 
ouvrant  une  porte  aux  Espagnols  pour  se  promener  à 
leur  aise  dans  le  Piémont. 

Bien  que  cette  ville  fût  bientôt  prise,  et  ne  durât  que 
deux  mois,  on  l'eût  pourtant  facilement  secourue  de 
France,  si  le  duc  de  Montéléon^  n'eût  donné  à  entendre 

Pavie  rétablissait  le  prince  dans  ses  Etats.  Accusé  par  ses 
sujets  de  nombreux  assassinats,  de  fausse  monnaie,  de  vols 
au  préjudice  des  églises  et  des  particuliers ,  Urbain  VIII 
lui  retira  en  1629  l'administration  de  son  fief,  et  la  popu- 
lation détruisit  le  palais,  saccagea  les  propriétés  du  prince. 
Celui-ci  se  retira  à  Fontaneto,  auprès  des  Visconti,  ses  parents, 
et  mourut  le  15  septembre  1629. 

1.  Le  marquisat  de  Masserano  et  le  comté  de  Crevacuore  en 
Piémont  avaient  été  érigés  le  premier  en  principauté,  le  second 
en  marquisat,  le  13  août  1598,  par  le  pape  Clément  VIII  en 
faveur  de  François-Philibert  Ferrero. 

2.  Le  duc  de  Montéléon  était  ambassadeur  d'Espagne.  Déa- 
geant  [Mémoires,  p.  114)  raconte  que,  sur  son  conseil,  certains 
ministres,  pour  retarder  l'envoi  du  secours  à  Verceil,  avaient 


268  MÉMOIRES  [1617] 

qu'il  ctoit  expédient  aux  deux  couronnes  qu'elle  fût 
prise,  afin  de  rabattre  l'orgueil  du  duc  de  Savoie  qui 
vouloit  aller  du  pair  avec  elles,  promettant  que  le 
roi  son  maître  la  rendroit  par  la  paix  à  l'intercession 
du  Roi.  Mais  quand  on  vit  qu'au  lieu  de  la  rendre  ils 
vouloient  encore  étendre  leurs  conquêtes  et  faisoient 
contenance  de  vouloir  assiéger  Ast,  le  Roi  commanda 
au  maréchal  de  Lesdiguières  de  repasser  les  monts  en 
diligence;  il  y  envoya  aussi  le  duc  de  Rohan  et  le 
comte  de  Sclionberg  avec  un  régiment  de  lansque- 
nets^ qu'il  avoit  levé  contre  les  princes,  et  quantité 
de  noblesse  Françoise  y  accoururent  de  toutes  parts, 
faisant,  avec  ce  qu'avoit  de  troupes  le  duc  de  Savoie, 
dix  mille  hommes  de  pied  et  deux  mille  chevaux. 
Dès  qu'ils  furent  passés,  ils  s'en  allèrent  à  Ast,  en 
résolution  de  déloger  l'armée  espagnole  des  postes 
qu'elle  avoit  à  l'entour. 

Le  l^""  septembre,  ils  attaquèrent  Felizan-,  oii 
deux  mille  Trentins  de  ladite  armée  étoient  logés  et, 
nonobstant  le  secours  qui  y  fut  envoyé,  le  prirent  de 
force  le  lendemain  par  le  courage  des  nôtres,  qui,  crai- 
gnant qu'on  les  voulût  recevoir  à  composition,  sans 
attendre  le  commandement  de  donner,  franchirent  le 
fossé,  montèrent  sur  le  rempart,  taillèrent  en  pièces 
ce  qui  se  rencontra  devant  eux  et  se  rendirent  maîtres 
de  la  place,  en  laquelle  ils  gagnèrent  onze  enseignes 
des  ennemis.  Le  lendemain,  ils  surprirent  un  autre 

fait  croire  au  duc  d'Angoulême,  qui  devait  commander  le  corps 
français,  que  les  fonds  nécessaires  à  l'expédition  faisaient  défaut . 

1.  Le  manuscrit  B  porte  landskenets. 

2.  Felizzano,  sur  le  Tanaro,  à  14  kil.  d'Alexandrie. 


[1617]  DE  RICHELIEU.  269 

petit  quartier  où  étoient  deux  enseignes  de  Trentins,  et, 
le  4®  septembre,  ils  assiégèrent  None^  où  les  ennemis 
avoient  logé  deux  mille  hommes,  et  le  prirent  le  7  ;  de 
sorte  qu'ils  rechassèrent  par  ce  moyen  l'armée  ennemie 
des  environs  d'Ast  jusques  au  delà  du  Tanaro. 

Tous  ces  exploits  refroidirent  un  peu  les  espérances 
hardies  de  Don  Pedro  ^  et  donnèrent  lieu  au  traité  de 
Pavie  du  9^  octobre^,  selon  les  articles  proposés  à 
Madrid  et  résolus  à  Paris  ^.  Par  ce  traité,  la  restitution 
des  prisonniers  et  places  prises  devant  et  après  le 
traité  d'Ast  étoit  promise  de  pai^t  et  d'autre,  et  le  duc 
de  Savoie  obligé  à  désarmer;  et,  ledit  duc  ayant  res- 
titué et  désarmé,  Don  Pedro  devoit^  disposer  son 
armée  dans  tout  le  mois  de  novembre,  ainsi  que  le 
vouloit  le  traité  d'Ast.  Ensuite  fut  publiée  une  suspen- 
sion d'armes  en  Piémont  et  au  Milanois;  mais  l'exécu- 
tion entière  et  pacification  de  toutes  choses  ne  s'en- 
suivit que  bien  avant  dans  l'année  suivante,  comme 
nous  dirons  en  son  lieu*". 

Le  différend  aussi  entre  les  Vénitiens  et  l'archiduc 
Ferdinand  fut  terminé,  ledit  archiduc  promettant  de 

1.  None,  petite  ville  forte  entre  Pignerol  et  Turin. 

2.  C'est-à-dire  Don  Pedro  de  Tolède. 

3.  Voyez  le  Mercure  français,  p.  214. 

4.  Une  première  rédaction  du  manuscrit  B  portait  :  «  Don- 
nèrent lieu  aux  traités  qui  se  firent  à  Paris  et  à  Pavie,  suivant 
ce  qui  en  avoit  déjà  été  convenu  à  Madrid  au  mois  de  juin.  y> 

5.  Dans  le  manuscrit  B,  le  mot  déçoit  a  été  substitué  par 
Charpentier  aux  mots  étoit  obligé. 

6.  Le  récit  de  la  guerre,  sur  les  frontières  du  Milanais,  entre 
l'Espagne  et  la  Savoie,  se  trouve  dans  le  Mercure  francois, 
p.  179-216.  On  a  visiblement  utilisé  ce  récit  pour  les  Mémoires. 


270  MÉMOIRES  [1617] 

chasser  de  ses  États  ceux  des  Uscoqiies^  qui  alloient 
en  courses  durant  ces  derniers  mouvements,  et  les 
autres  encore  qui  vivoienten  pirates,  et  [de]  mettre  dans 
Senga^,  ville  de  leur  demeure,  un  gouverneur  alle- 
mand, homme  de  qualité,  pour  les  tenir  en  devoir,  et 
que  leurs  navires  de  course^  seront  brûlés.  Il  se 
trouva  des  difficultés  à  l'exécution  de  cet  accord,  pour 
lesquelles  la  guerre  continua  encore  jusques  à  l'année 
prochaine^. 

Cependant,  le  temps  venu  de  l'Assemblée  des 
notables,  le  Roi  et  tous  les  députés  se  trouvèrent  à 
Rouen.  L'ouverture  en  fut  faite  le  4®  décembre,  et 
elle  fut  close  le  26\  Il  y  fut  fait  beaucoup  de  belles 
propositions  pour  le  bien  de  l'État  ;  mais,  comme  ce 
n'étoit  pas  la  fin  pour  laquelle  se  tenoit  l'Assemblée, 
il  n'en  fut  tiré  aucun  fruit  pour  ce  qu'on  n'en  avoit  pas 
le  dessein,  joint  que  la  façon  de  déhbérer  ne  le  souf- 
froit  pas  :  car  on  leur  envoyoit  de  la  part  du  Roi,  en 
toutes  les  séances,  lorsqu'ils  s'assembloient,  les  articles 
sur  lesquels  on  vouloit  avoir  leur  avis,  de  sorte  qu'ils 
ne  savoient  pas  le  matin  ce  dont  ils  dévoient  délibérer 
l'après-dinée,  ce  qui  n'étoit  pas  pour  faire  une  sage  et 
mûre  délibération  °. 

1.  Ce  mot,  qui  signifie  réfugié,  en  serbe,  a  été  appliqué  aux 
Serbes  et  Bosniaques  qui  s'établirent  au  xvi*  siècle  en  territoire 
hongrois  et  vénitien,  fuyant  devant  les  Turcs.  Les  Uscoques 
étaient  chargés  de  combattre  les  infidèles  et  se  livraient  à  la 
course  et  à  de  nombreux  actes  de  piraterie. 

2.  Le  manuscrit  B  porte  Segna.  Senga  ou  Zengg,  ville  du  lit- 
toral croate,  est  située  en  face  de  l'île  de  Veglia. 

3.  Il  faut  remarquer  que  le  manuscrit  B  met  toujours  «  cours  » . 

4.  Voyez  le  Mercure  français,  p.  216  et  suivantes. 

5.  Pour  tout  ce  qui  concerne  l'Assemblée  des  notables  à 
Rouen,  voyez  le  Mercure  français,  p.  252  et  suivantes. 


[1617J  DE  RICHELIEU.  271 

Le  principal  dessein  de  Luynes  étoit  de  faire  trouver 
bon  ce  qu'il  avoit  conseillé  au  Roi  sur  le  sujet  de  la 
mort  du  maréchal  d'Ancre  et  de  l'éloignement  de  la 
Reine  mère.  Gela  fait,  son  soin  ne  s'étendit  pas  plus 
avant. 

Une  chose  remarquable  se  passa  en  cette  Assemblée, 
qui  est  que  les  parlements  prétendirent  avoir  rang 
devant  la  noblesse  dans  la  compagnie  du  conseil 
d'État,  pour,  avec  les  princes,  ducs,  pairs  et  officiers 
de  la  couronne,  donner  au  Roi  les  conseils  nécessaires 
pour  le  bien  de  son  État,  et  qu'ayant  juridiction  sou- 
veraine sur  la  noblesse,  il  n'étoit  pas  raisonnable 
qu'elle  les  précédât. 

M.  de  Luynes,  qui  ne  les  vouloit  pas  offenser,  trouva 
une  voie  d'accommodement,  qui  fut  de  faire  mettre  la 
noblesse  à  l'entour  de  la  personne  du  Roi  et  de  Mon- 
sieur; ce  qui  étoit  proprement  leur  faire  céder  leurs 
places  et  donner  gagné  au  Parlement. 

Durant  cette  assemblée,  M.  de  Villeroy  mourut  âgé 
de  soixante-quatorze  ans,  que  la  fortune  plusieurs  fois 
voulut  chasser  de  la  cour  et  la  réputation  de  sa 
sagesse  y  a  toujours  rappelé,  et  que  la  piété  sur  les 
dernières  années  de  sa  vie  en  voulut  éloigner  pour  le 
faire  vaquer  à  Dieu,  mais  ne  le  put  gagner  sur  l'ambi- 
tion qui  lui  faisoit  remettre  de  jour  à  autre  l'exécution 
d'un  si  louable  dessein.  11  fut  enfin  surpris  d'une 
maladie  qui  l'emporta  en  trente  heures,  lâchant  inces- 
samment ces  pairoles  de  sa  bouche,  qui  témoignoient 
plutôt  son  erreur  que  sa  sagesse  :  «  0  monde  que  tu 
es  trompeur  !  » 

11  fut  secrétaire  d'État  en  l'an  1566,  sous  le  roi 
Charles  IX,  et  demeura  en  faveur  jusques  aux  Barri- 


272  MÉMOIRES  [1617 

cades,  après  lesquelles  le  roi  Henri  IIP  l'éloigna. 
Henri  IVMe  rappela  par  le  conseil  de  M.  de  Sancy,  qui 
lors  étoit  en  crédit  et  avoit  beaucoup  de  part  aux 
bonnes  grâces  de  S.  M.,  et,  pour  plus  d'assurance 
de  sa  fidélité,  donna  une  de  ses  filles  en  mariage  au 
sieur  d'Alincourt,  son  fils^  Il  fut  en  grande  estime 
auprès  du  Roi  jusques  à  sa  mort,  nonobstant  la  dis- 
grâce qui  lui  arriva  de  Lhoste,  un  de  ses  commis^,  à 
qui  il  confioit  le  secret  de  ses  dépêches,  lequel  se 
trouva  avoir  intelligence  avec  Espagne,  et,  le  sieur  de 
Villeroy  le  voulant  faire  prendre,  il  se  noya  dans  la 
rivière  de  Marne,  ce  qui  ôta  le  moyen  à  son  maître  de 
se  justifier  ;  mais  le  Roi  avoit  conçu  une  si  bonne  opi- 
nion de  lui  qu'il  le  consola  en  cette  affliction  et  ne 
lui  voulut  pas  permettre  de  se  retirer,  comme  il  dési- 
roit,  mais  l'obligea  à  continuer  de  prendre  le  soin  de 
ses  affaires. 

Il  approcha  du  Roi  M.  de  Sillery  et  le  président 
Jeannin  qui  vivoient  avec  lui  avec  un  grand  respect  et 
déférence.  Le  premier  y  étoit  retenu  par  l'alliance  du 
sieur  de  Puyzieulx,  son  fils,  avec  la  fille  aînée  du  sieur 
d'Alincourt^,  qui  lui  apporta  en  dot,  outre  son  bien  qui 
étoit  grand,  la  charge  de  secrétaire  d'État  qu'avoit 
M.  de  Villeroy,  laquelle  il  exerçoit  par  indivis  avec  lui. 

1.  Jacqueline  de  Harlay-Sancy  épousa,  le  11  février  1596, 
Charles  de  Neufville,  marquis  d'Alincourt  (tome  I,  p.  121). 

2.  Claude  Lhoste,  d'abord  commis  de  M.  de  Villeroy  à  la 
recette  du  marc  d'or  dès  1582,  acquit  une  charge  de  secrétaire 
ordinaire  de  la  chambre  du  Roi  et  était  un  des  premiers  com- 
mis du  même  Villeroy  devenu  secrétaire  d'Etat,  lorsqu'en  1604 
il  commit  l'acte  de  trahison  auquel  Richelieu  fait  allusion. 

3.  Tome  I,  p.  103. 


[1617]  DE  RICHELIEU.  273 

Incontinent  après  la  mort  du  Roi,  le  Chancelier  s'en 
fit  accroire  :  lors  M.  de  Villeroy,  pour  se  maintenir, 
commença  à  ployer  sous  lui.  A  ce  commencement, 
eux  deux  et  le  président  Jeannin,  demeurant  bien 
ensemble,  et  le  favori,  qui  étoit  le  maréchal  d'Ancre, 
n'osant  pas  encore  commencer  à  les  attaquer,  et  eux 
aussi  n'ayant  pas  sujet  de  faire  le  même  à  son  égard, 
ils  subsistèrent  tous  ensemble,  et  résistèrent  sans 
aucune  difficulté  aux  efforts  des  grands  du  royaume, 
qui  ne  se  soucient  pas  que  les  affaires  publiques*  aillent 
bien,  pourvu  que  les  leurs  particulières  soient  en  bon 
état.  Ils  le  firent  encore,  bien  qu'avec  beaucoup  de 
peine,  tandis  qu'il  n'y  eut  point  de  jour  contre  eux 
trois,  nonobstant  que  le  favori  et  eux  se  fussent 
déclaré  la  guerre  ;  car  ils  se  maintinrent  et  résistèrent 
aux  divers  mouvements  et  de  lui  et  des  grands,  avec 
lesquels  il  s'étoit  ligué  contre  eux.  Mais,  lorsque  le 
Chancelier  eut  perdu  le  lien  de  leur  alliance  en  la  mort 
de  sa  belle-fille,  et,  se  voyant  élevé  par  l'autorité  de  sa 
charge  et  par  celle  ^  du  commandeur  son  frère  auprès 
de  la  Reine  et  [par]  son  crédit  près  de  la  maréchale, 
ne  voulut  plus  dépendre  de  compagnon,  mais  vivre 
en  supérieur,  le  sieur  de  Villeroy  s'aigrit  aussi  de  son 
côté,  et  se  mangèrent  les  uns  les  autres,  donnant  lieu 
au  favori  de  se  venger  d'eux  et  les  disgracier  un  à 
un,  et  à  des  personnes  de  misérable  condition,  de 
médiocre  esprit  et  de  peu  de  cœur,  de  machiner  la 

1.  Le  mot  publiques  a  été  substitué  par  Charpentier  sur  le 
manuscrit  B  au  mot  d'ordinaire. 

2.  Celle  a  été  substitué,  probablement  par  Sancy,  sur  le 
manuscrit  B  aux  mots  la  charge. 

II  18 


274  MÉMOIRES  [1617] 

ruine  des  favoris  et  de  la  Reine  même,  dont  ils 
vinrent  à  bout. 

En  tous  ces  troubles  néanmoins,  M.  de  Villeroy 
demeura  toujours  en  quelque  considération  et,  à  la 
mort  du  maréchal  d'Ancre,  étant  remis  en  la  fonction 
de  sa  charge,  y  servit  jusques  à  la  fin,  bien  que  non 
plus  avec  l'autorité  qu'il  avoit  accoutumé,  ni  avec  la 
première  vigueur  de  son  esprit^. 

Il  fut  homme  de  grand  jugement,  non  aidé  d'au- 
cunes lettres,  et  ne  les  aimoit  pas  pour  ce  qu'il  n'en 
avoit  point,  et  présumoit  beaucoup  de  soi,  ne  considé- 
rant pas  qu'il  n'avoit  atteint  que  par  une  longue  expé- 
rience la  connoissance  qu'il  avoit,  que  les  lettres,  par 
un  chemin  abrégé,  lui  eussent  donnée  et  plus  parfaite 
et  plus  facilement.  Il  cachoit  néanmoins  avec  artifice 
ce  défaut  par  son  peu  de  paroles,  qui  aida  beaucoup  à 
lui  donner  la  réputation  qu'il  acquit;  car,  ne  parlant 
dans  le  Conseil  que  par  monosyllabes,  il  donnoit  plu- 
tôt lieu  de  dire  qu'il  ne  se  montroit  pas  être  savant, 
que  non  pas  qu'il  parût  être  destitué  de  savoir.  Il 
étoit  timide  de  son  naturel  et  par  la  nourriture  qu'il 
avoit  eue  dans  la  cour,  en  des  temps  èsquels  la  foi- 
blesse  de  l'autorité  royale,  dans  les  divisions  des 
troubles  de  la  religion  et  de  la  Ligue,  interrompit  le 
cours  de  la  générosité  ordinaire  des  conseils  de  cette 
monarchie.  Il  fut  estimé  sincère  et  homme  de  parole, 
laquelle  il  donnoit  aussi  très  difficilement,  plus  mémo- 
ratif  des  injures  quedesobhgations,  auxquelles  il  avoit 

1.  La  dernière  partie  de  cette  phrase,  depuis  le  mot  autorité, 
a  été  ajoutée  en  marge  du  manuscrit  B  de  la  main  de  Charpen- 
tier. Elle  tient  la  place  d'un  passage  de  quelques  lignes  que 
l'on  retrouve  plus  loin. 


[1618J  DE  RICHELIEU.  275 

peu  d'égard,  jaloux  et  soupçonneux,  mais  qui  eut  tou- 
jours les  mains  nettes,  et,  après  cinquante  et  un  ans 
de  service  et  quasi  toujours  de  faveur  envers  ses 
maîtres,  mourut  avec  le  même  bien  qu'il  avoit  eu  de  ses 
pères,  ne  l'ayant  accru  que  de  deux  mille  livres  de 
rente  ^ . 

En  la  même  année,  mourut  M.  de  Thou^,  l'Histoire 
duquel  témoigne  qu'il  étoit  plus  versé  es  bonnes  lettres 
qu'il  n'étoit  louable  pour  sa  piété  et  son  emploi  dans 
la  cour  sur  la  fin  de  sa  vie,  que  savoir  est  toute  autre 
chose  qu'agir,  et  que  la  science  spéculative  du  gouver- 
nement a  besoin  de  qualités  d'esprit  qui  ne  l'accompa- 
gnèrent pas  toujours,  M.  de  Villeroy,  sans  science,  s'y 
étant  trouvé  aussi  propre  que  lui  inhabile  avec  toute 
son  étude. 

ANNÉE   16^8. 

Nous  avons  vu,  l'année  passée,  l'indignation  qu'une 
grandeur  que  l'on  tient  d'autrui  et  qu'on  n'exerce  pas 
avec  toute  la  retenue  qu'il  se  pourroit  désirer,  mais 
en  laquelle  on  s'abandonne  à  une  licence  absolue,  a 
accoutumé  d'engendrer  dans  le  cœur  des  peuples  : 
nous  verrons  au  contraire,  en  l'année  présente,  combien 
la  même  grandeur,  humiliée  et  maltraitée  par  des 
personnes  abjectes,  change  les  cœurs  des  hommes  en 
une  commisération  plus  grande  que  n'étoit  leur  indi- 
gnation. 

1.  Le  Mercure  français  ne  consacre  qu'une  page,  la  page  317, 
à  la  mort  de  Villeroy. 

2.  Ci-dessus,  p.  226. 


276  MÉMOIRES  [1618] 

Quand  la  Reine  partit  de  Paris*,  personne  ne  com- 
patissoit  à  son  malheur  que  ceux  qui  y  étoient  inté- 
ressés ;  mais  le  mauvais  traitement  qu'elle  reçoit  à 
Blois  croît  tous  les  jours  de  telle  sorte,  qu'enfin  il 
vient  jusques  à  tel  point  de  rigueur  et  d'indignité, 
que  la  faveur  de  tout  le  monde  se  tourne  vers  elle  ; 
sa  majesté  s'accroît  par  sa  calamité,  et  les  grands  qui 
lui  avoient  été  les  plus  contraires  et  ceux-là  mêmes  qui 
touchoient  de  plus  près  le  sieur  de  Luynes,  soit  d'in- 
térêt, soit  d'alliance,  ont  pitié  d'elle,  et  font  dessein  de 
la  faire  retourner  auprès  du  Roi  pour  y  tenir  le  même 
rang  qu'elle  y  avoit  auparavant. 

J'ai  dit  au  livre  précédent^  qu'elle  avoit  eu  quelque 
dessein  de  venir  trouver  le  Roi  à  cause  des  méconten- 
tements qu'elle  recevoit  de  se  voir  assiégée  de  per- 
sonnes qu'on  envoyoit  demeurer  auprès  d'elle  contre 
sa  volonté,  épiée  en  toutes  ses  actions,  et  la  plupart 
de  ses  serviteurs  gagnés  par  argent  contre  son  propre 
service.  Barbin  le  lui  déconseilla  à  cause  de  l'Assemblée 
des  notables  ^  ne  jugeant  pas  à  propos  qu'elle  parlât 
de  venir  en  cette  rencontre,  de  peur  qu'il  semblât 
qu'elle  prît  exprès  ce  temps-là  pour  faire  éclater  ses 
plaintes  par  tout  le  royaume^.  Mais,  l'Assemblée  étant 
terminée  à  la  fin  de  l'année,  dès  le  commencement  de 
celle-ci,  elle  pensa  à  exécuter  son  dessein,  et  en  écri- 
voit  à  Barbin,  et  Barbin  à  elle. 


1.  Ci-dessus,  p.  207. 

2.  Ci-dessus,  p.  256  et  264. 

3.  On  a  vu  qu'elle  se  tint  à  Rouen,  du  4  au  26  décembre 
1617. 

4.  Ci-dessus,  p.  264. 


[1618]  DE  RICHELIEU.  277 

Elle  avoit  envie  d'attendre  quelque  temps,  soit  par 
l'irrésolution  ordinaire  aux  femmes,  que  la  peur  retient 
lorsqu'elles  sont  sur  le  point  d'exécuter  ce  qu'elles  ont 
entrepris,  soit  pour  ce  que  le  sieur  de  Luynes  parlant 
d'envoyer  le  sieur  [de]  Cadenet  pour  la  voir  au  nom 
du  Roi,  elle  espéroit  recevoir  de  lui  quelque  remède. 
Le  désir  extrême  qu'elle  en  avoit  donnoit  lieu  à  la  trom- 
perie de  cette  espérance,  quoiqu'elle  sût,  d'autre  côté, 
que  Déageant  n'avoit  point  de  honte  de  dire  qu'il  se 
perdroit  plutôt  que  de  permettre  qu'elle  revînt  auprès 
du  Roi. 

Barbin  lui  manda  qu'elle  ne  devoit  point  différer 
davantage,  ni  attendre  la  venue  de  Cadenet,  telles  gens 
faisant  parler  S.  M.  comme  ils  vouloient,  ne  lui  disant 
rien  de  la  part  du  Roi  que  ce  que  bon  leur  sembloit, 
et  ne  rapportant  rien  au  Roi  de  ce  qu'elle  leur  disoit  que 
ce  qui  faisoit  à  leurs  desseins;  que  les  lettres  qu'elle 
écriroit  à  S.  M.  ne  pourroient  pas  être  déguisées 
comme  leurs  paroles;  que  difficilement  l'empêche- 
roient-ils  de  les  lire,  et  que  ce  que  disoit  Déageant  lui 
faisoit  connoître  qu'il  étoit  temps  qu'elle  agît. 

M.  de  Rohan  la  servoit  en  cela  avec  grande 
affection,  et  communiquoit  avec  M.  de  Montbazon, 
beau-père  de  Luynes,  qui  se  chargeoit  d'ôter  de  son 
esprit  les  méfiances  qu'on  lui  avoit  données  de  la 
Reine,  et  le  porter  à  condescendre  à  se  vouloir  récon- 
cilier avec  elle,  ce  qu'il  faisoit  en  partie  parce  qu'il  étoit 
mécontent  dudit  sieur  de  Luynes,  qui  étoit  si  resserré 
en  la  propre  vue  de  soi-même,  qu'il  n'avoit  pas  l'égard 
au  bien  de  son  père  comme  il  eût  désiré,  et  l'un  et 
l'autre   donnoient   avis  à   Barbin   de   tout   ce  qu'ils 


278  MÉMOIRES  [1618] 

fkisoient.  Le  premier  le  pressoit  qu'il  sollicitât  la 
Reine  d'agir  promptement,  ou  sinon  qu'elle  étoit  en 
danger  de  demeurer  longtemps  en  son  exil . 

Le  duc  d'Épernon  et  M.  de  Bellegarde  se  montroient 
aussi  fort  affectionnés  à  la  Reine,  et  faisoient  état  de 
parler  eux-mêmes  au  Roi  pour  lui  remontrer  l'injustice 
avec  laquelle  on  la  traitoit.  Ils  avoient  été  fort  mal- 
traités d'elle,  qui  les  avoit  éloignés  par  les  menées  du 
maréchal  d'Ancre,  à  la  mort  duquel  ils  n'étoient  pas 
à  la  cour;  mais  ils  se  trouvoient  aussi  maltraités  de 
ceux-ci,  et,  l'injure  présente  étant  plus  sensible  que 
celle  qui  est  passée,  et  celle  qui  nous  est  faite  par  une 
personne  d'éminente  qualité  moins  que  celle  que  nous 
recevons  d'une  personne  plus  vile,  ils  devinrent  favo- 
rables à  la  Reine  par  la  mauvaise  volonté  qu'ils  avoient 
contre  l'état  présent. 

Ces  quatre  étoientles  principaux  qui  s'entremettoient 
pour  la  Reine,  et  les  uns  ne  savoient  rien  des  autres; 
tous  se  rapportoient  à  Barbin,  qui  donnoit  avis  à  la 
Reine  des  choses  qui  se  passoient.  Tous  ces  desseins 
étant  connus  au  sieur  de  Luynes,  à  qui  on  portoit  toutes 
les  lettres  et  les  réponses  qui  s'écrivoient,  et,  lui  sem- 
blant qu'il  y  en  avoit  assez  pour  prendre  prétexte 
contre  Barbin,  Persan  et  son  frère,  et,  d'autre  part,  ne 
voulant  pas  que  les  choses  passassent  plus  avant,  et 
étant  étonné  de  voir  les  siens  propres  inclinés  pour  la 
Reine,  il  voulut  rompre  ce  commerce  et  ôter  à  la  Reine 
toute  espérance  de  se  pouvoir  rapprocher  du  Roi. 

Il  crut  devoir  commencer  par  m'ôter  toute  commu- 
nication avec  elle;  laquelle  croyant  ne  pouvoir  me 
retrancher  qu'en  m'envoyant  bien  loin,  ils  m'adressèrent 
une  lettre  du  Roi,  du  7^  avril,  par  laquelle  il  m'écrivoit 


[1618]  DE  RICHELIEU.  279 

que,  sur  les  avis  qu'il  recevoit  des  allées  et  venues  et 
diverses  menées  qui  se  faisoient  aux  lieux  où  j'étois, 
dont  l'on  prenoit  des  ombrages  et  soupçons  qui  pour- 
roient  apporter  de  l'altération  au  repos  et  tranquillité 
de  ses  sujets  et  au  bien  de  son  service,  il  me  comman- 
doit  de  partir  au  plus  tôt,  et  me  retirer  dans  Avignon, 
pour  y  demeurer  jusques  à  ce  que  j'eusse  autre  com- 
mandement de  sa  part;  à  quoi  satisfaisant  prompte- 
ment,  je  lui  donnerois  occasion  de  demeurer  toujours 
dans  la  bonne  impression  qu'il  avoit  eue  de  moi  ;  mais, 
si  j'y  manquois,  il  seroit  obligé  d'y  pourvoir  par  autre 
voie*. 

Je  ne  fus  pas  surpris  à  la  réception  de  cette  dépêche, 
ayant  toujours  attendu  de  la  lâcheté  de  ceux  qui  gou- 
vernoient  toute  sorte  d'injuste,  barbare  et  déraison- 
nable traitement.  Mais,  quand  je  l'eusse  été,  le  temps 
auquel  je  la  reçus  m'eût  consolé,  étant  le  propre  jour 
du  mercredi  saint.  Je  mandai  à  S.  M.  que,  si  j'avois 
beaucoup  de  déplaisir  de  reconnoître  la  continuation 
des  mauvais  offices  qu'on  me  rendoit  auprès  d'elle, 
j'avois  un  extrême  contentement  d'avoir  occasion  de 
lui  témoigner  mon  obéissance  ;  que  je  partirois  dès  le 
vendredi  pour^  satisfaire  au  commandement  qu'il  lui 
plaisoit  me  faire  d'aller  en  Avignon,  où  je  serois  très 
content  si  ceux  qui  m'en  vouloient  me  laissoient  vivre 
aussi  exempt  de  soupçon  que  je  le  serois  de  coulpe. 
Cependant,  puisqu'on  m'accusoit  d'avoir  fait  des  menées 
en  ces  quartiers  contre  le  service  de  S.  M.,  je  la  sup- 

1.  La  lettre  du  Roi  se  trouve  aux  Affaires  étrangères, 
France  244,  fol.  3.  Les  Mémoires  la  reproduisent  presque  tex- 
tuellement. 

2.  Le  manuscrit  B  porte  ici  «  et  pour  ». 


280  MÉMOIRES  [1618] 

pliois  très  humblement  de  vouloir  envoyer  quelqu'un 
sur  les  lieux  qui,  dépouillé  de  passion,  pût  prendre 
connoissance  de  la  vérité,  étant  sûr  que  par  ce  moyen 
S.  M.  reconnoîtroit  mon  innocence^. 

Le  sieur  de  Richelieu,  mon  frère ^,  et  le  sieur  de 
Pont-de-Gourlay,  mon  beau-frère^,  reçurent  le  même 
commandement  et  le  même  exil  que  moi  :  encore  nous 
fut-ce  une  grande  consolation  de  ne  nous  voir  pas 
séparés,  bien  qu'ils  ne  le  fissent  pas  à  cette  fin,  mais 
afin  de  pouvoir  prendre  garde  à  nous  tous  d'une 
même  vue. 

La  Reine  se  plaignit  bien  haut  de  mon  bannisse- 
ment; mais  elle  reçut  des  réponses  absolues  de  refus, 
et  en  même  temps  tant  de  sujets  de  plaintes  pour 
elle-même,  qu'elle  eut  sujet  d'oublier  celui-là.  Je  puis 
dire  de  moi  avec  vérité,  et  sans  blesser  la  modestie, 
que,  quelque  animosité  qu'ils  me  portassent,  ils  me 
trouvèrent  aussi  j)eu  dans  les  papiers  de  ceux  qui 
manioient  les  affaires,  comme  convaincu  d'avoir  mal 

1.  La  lettre  dont  Richelieu  donne  ici  l'analyse  a  été  impri- 
mée par  Avenel,  t.  I,  p.  568.  Elle  était  datée  de  Richelieu,  le 
16  avril  1618.  Elle  est  conçue  en  termes  beaucoup  plus  humbles 
que  l'abrégé  qui  figure  ici.  L'évêque  de  Luçon  ne  fait  aucune 
allusion  aux  «  mauvais  offices  »  qu'on  lui  aurait  rendus  auprès 
du  Roi;  il  ne  parle  pas  de  l'espèce  d'enquête  sur  sa  conduite 
qu'il  suggère  en  ses  Mémoires  et  se  contente  de  faire  acte  de 
soumission. 

2.  Henri  de  Richelieu,  fils  aîné  de  François  II  du  Plessis  et 
de  Suzanne  de  la  Porte,  fut  tué  en  duel  en  1619. 

3.  René  de  Vignerot,  seigneur  du  Pont-de-Courlay,  avait 
épousé  en  1603  Françoise  du  Plessis  de  Richelieu,  veuve  d'un 
Reauvau  et  sœur  de  l'évêque  de  Luçon,  morte  en  1615.  Arnaud 
d'Andilly  {Journal,  p.  349)  dit  que  MM.  de  Richelieu  et  du 
Pont-Courlay  partirent  le  10  février. 


[1618]  DE  RICHELIEU.  281 

fait,  que  dans  la  chambre  des  comptes,  comme  ayant 
reçu  des  bienfaits  en  servant. 

J'obéis  à  la  Reine  dans  sa  régence  ;  mais  de  qui  tout 
le  monde  recevoit-il  les  volontés  du  Roi  que  de  sa 
bouche  1?  Il  n'y  a  personne  qui  ne  doive  connoître  que 
le  vrai  serviteur  doit  redresser  les  volontés  de  son 
maître  à  une  fin  avantageuse  pour  lui,  mais  que,  lors- 
qu'il ne  les  peut  conduire  où  il  veut,  il  les  doit  suivre 
où  elles  vont^.  J'ai  eu  habitude  avec  le  maréchal; 
mais  qui  a  jamais  oui  parler  que  des  civilités  fussent 
des  crimes?  Si  c'est  un  crime,  qui  en  est  exempt?  Qui 
est  celui  dans  l'état  d'éminente  condition  qui  ne  soit 
coupable  de  cette  faute?  Le  sieur  de  Villeroy  ne  refusa 
pas  d'entrer  dans  son  alliance^;  ce  personnage  n'a  eu 

1.  On  trouve  aux  Affaires  étrangères,  France  772,  fol.  55-59, 
un  brouillon  intitulé  :  Caput  apologeticum  Lusson.  Il  est  écrit 
par  plusieurs  secrétaires  du  Cardinal,  entre  autres  Le  Masle  et 
Charpentier,  et  contient  des  annotations  de  la  main  du  Cardi- 
nal lui-même.  Ce  morceau  a  été  préparé  pour  être  employé 
dans  les  Mémoires.  Il  porte  en  tête,  de  la  main  de  Charpentier, 
les  mots  suivants  que  le  Cardinal  a  dû  dicter  :  «  Faudra  insé- 
rer ce  discours  lorsqu'on  faisoit  le  procès  à  Barbin  et  que, 
l'évêque  de  Luçon  étant  en  Avignon,  on  parloit  de  le  faire 
comparoître,  ou  quand  il  fut  arrêté  prisonnier  à  Lyon,  qu'il 
écrivit  au  Roi  qu'il  ne  désiroit  rien  que  de  paroître  pour  se 
justifier.  »  —  Ce  Caput  apologeticum  a  été  imprimé  in  extenso 
par  Avenel,  t.  VII,  p.  416.  Voyez  aussi  Journal  des  Savants, 
mars  1858,  p.  171.  On  peut  constater  que  les  Mémoires  ont 
utilisé  ce  morceau  en  intervertissant  l'ordre  des  paragraphes, 
en  en  développant  ou  abrégeant  certaines  parties. 

2.  Cette  phrase  se  trouve  dans  l'original,  fol.  59;  elle  est  de 
la  main  de  Charpentier.  On  n'y  a  pas  changé  un  mot. 

3.  On  trouve  sur  l'original  (fol.  56)  :  «  Qui  a  jamais  ouï  par- 
ler que  des  civilités  fussent  crimes  ?  Si  c'est  crime,  qui  en  est 


282  MÉMOIRES  [1618] 

pour  ennemis  que  ceux  qu'il  n'a  pas  voulu  avoir  pour 
serviteurs,  ou  qui,  après  l'avoir  été,  ont  bien  voulu 
conserver  ses  bienfaits,  mais  en  perdre  la  mémoire. 

Si  on  considère  le  temps,  on  trouvera  que  celui 
auquel  il  s'est  enrichi  est  celui  où  les  sieurs  Brûlart, 
de  Villeroy  et  Jeannin  étoient  employés  aux  affaires,  et 
qu'il  n'a  eu  nulle  dignité,  ni  office,  ni  nulle  charge  depuis 
leur  éloignement.  Ceux  qui  avoient  pris  racine  du  temps 
du  feu  Roi,  qui  tenoient  le  timon  des  affaires,  pouvoient 
aucunement  empêcher  l'accroissement  de  cette  plante  ; 
il  leur  étoit  aisé,  vu  qu'ils  étoient  en  autorité  dès  long- 
temps, et  qu'il  n'y  étoit  pas  encore,  le  feu  Roi  l'ayant 
contenu  dans  la  simplicité  de  sa  condition*. 

Si  c'est  un  crime  que  d'être  appelé  de  son  temps 
aux  affaires,  où  est  l'innocence  du  sieur  du  Vair?  Si 
être  sorti  de  charge  contre  son  gré  lui  donne  cet  avan- 
tage d'être  innocent,  avoir  voulu  sortir  par  cinq  fois 

exempt?  Quel  seigneur,  quel  officier,  quel  prince  n'est  point 
tombé  en  cette  faute?  »  Et  plus  loin  :  «  Est-ce  crime  d'avoir 
habitude  avec  lui  [Concini],  si  cela  n'a  point  été  à  un  person- 
nage de  mérite  et  de  sagesse,  y  contractant  une  étroite  alliance, 
mariant  ses  enfants  avec  les  siens  ?  »  Tout  ce  passage  est  de  la 
main  de  Le  Masle. 

1.  «  Si  on  considère  les  temps,  on  trouvera  que  celui  auquel 
il  s'est  enrichi  est  celui  des  vieux  ministres  et  qu'il  n'a  eu  nulle 
dignité,  nul  office,  nulle  charge  depuis  qu'ils  ont  été  ôtés.  De 
leur  temps,  il  avoit  Amiens  qui  a  donné  lieu  à  tant  de  brouil- 
leries;  depuis,  il  l'a  quitté.  Eux  qui  avoient  pris  racine  du 
temps  du  feu  Roi,  qui  tenoient  le  timon  des  affaires,  pouvoient 
aisément  empêcher  l'accroissement  de  cette  plante.  Il  leur 
étoit  aisé,  vu  qu'ils  étoient  en  autorité  de  longtemps  et  qu'il 
n'y  étoit  pas  encore,  le  feu  Roi  l'ayant  toujours  tenu  bas  » 
(Affaires  étrangères,  Ibid.,  fol.  56). 


[1618]  DE  RICHELIEU.  283 

avec  instance  et  de  mon  propre  mouvement,  ne  me 
doit-il  pas  donner  la  même  qualité*? 

Si  c'a  été  une  violence  que  de  prendre  les  armes 
pour  empêcher  les  mauvais  desseins  des  princes  qui 
s'étoient  unis  contre  l'État,  pourquoi  ceux  qui  les  ont 
conseillés  au  dernier  mouvement  n'en  sont-ils  pas  taxés? 
N'est-ce  pas  le  garde  des  sceaux  du  Vair  qui  a  fait  la 
première  déclaration  sur  l'emprisonnement  de  Mon- 
sieur le  Prince,  contre  lui  et  ses  adhérents-? 

M.  de  Villeroy  [n']a-[t-]il  pas  dit  souvent  à  la  Reine, 
sur  le  progrès  des  armes  du  Roi,  qu'il  ne  restoit  autre 
chose  qu'à  les  poursuivre,  qu'il  ne  manquoit  à  ses  con- 
seils que  de  les  faire  exécuter?  Depuis  la  chute  même 
de  la  Reine,  il  n'a  pu  dissimuler  qu'on  lui  avoit  cette 
obligation,  et  à  ses  nouveaux  ministres,  d'avoir  ouvert 
le  chemin  de  conserver  l'État,  et  empêcher  les 
troubles,  ne  trouvant  rien  à  redire  en  leur  conduite, 

1.  On  lit  [Fbid.,  fol.  56  v°)  le  passage  suivant,  écrit  de  la 
main  de  Le  Masle  :  «  Si  être  venu  en  charge  de  son  temps  c'est 
un  crime,  qu'a  fait  le  sieur  du  Vair  qui  l'en  exempte?  Si  être 
sorti  de  sa  charge,  en  étant  ôté  contre  son  gré,  lui  donne  cet 
avantage,  en  avoir  voulu  sortir  par  cinq  fois  avec  instance,  de 
son  propre  mouvement,  ne  doit-il  point  donner  le  même  à 
juste  titre?  »  On  remarquera,  pour  ce  passage  comme  pour  les 
précédents,  combien  ils  ont  été  remaniés  avec  soin  au  point 
de  vue  du  style. 

2.  Voici  ce  que  porte  le  Caput  apologeticum  [Ibid.,  fol.  58  v")  : 
«  Si  c'est  violence  que  de  prendre  les  armes,  pourquoi  ceux 
qui  les  ont  fait  prendre  aux  premiers  mouvements  n'en  sont-ils 
pas  taxés? N'est-ce  pas  M.  le  garde  des  sceaux  qui  a  fait  la  pre- 
mière déclaration  sur  l'emprisonnement  de  Monsieur  le  Prince, 
contre  lui  et  les  autres  princes  ?  »  Ce  passage  a  été  écrit,  sur 
l'original,  par  Le  Masle. 


284  MÉMOIRES  [1618] 

mais  seulement  en  l'introduction,  n'estimant  pas  leur 
autorité  légitime  pource  qu'elle  lui  étoit  préjudiciable^. 

De  m'accuser  moi  et  mes  compagnons  d'être  espa- 
gnols, pour  ce  que  nous  avons  ménagé  l'intelligence, 
comment  le  peut-on  sans  en  convaincre  ceux  qui  en 
ont  fait  et  conseillé  l'alliance;  qui,  aux  oppositions  des 
princes  contre  ce  dessein,  ont  toujours  répondu  qu'elle 
étoit  nécessaire  au  bien  de  cet  État  et  au  repos  de  nos 
voisins^? 

Mais  avec  quelle  franchise  ai-je  dit  mes  sentiments 
au  maréchal  quand  le  service  du  Roi  l'a  requis?  Lors 
même  qu'il  s'agissoit  des  Espagnols,  ne  trouva-t-on 
pas  une  de  mes  lettres  dans  les  papiers  du  maréchal 
d'Ancre,  par  laquelle,  ledit  maréchal  m'ayant  écrit,  sur 
l'occasion  de  l'union  que  les  princes  firent  à  Soissons^, 
qu'il  étoit  d'avis,  puisqu'il  se  trouvoit  tant  de  mauvais 

1.  Comparez  encore  ce  paragraphe  avec  ce  morceau  du  Caput 
apologeticum,  écrit  par  Le  Masle,  et  par  Charpentier  à  partir 
des  mots  «  Et  depuis  la  Reine  »  :  «  M.  de  Villeroy  n'a-il  pas 
dit  plusieurs  fois  à  la  Reine  sur  le  progrès  des  armes  du  Roi 
qu'il  ne  restoit  autre  chose  qu'à  poursuivre,  qu'il  ne  manquoit 
rien  en  ses  conseils,  qu'il  étoit  seulement  question  de  les  exé- 
cuter. Et,  depuis  la  Reine  être  à  Blois,  il  a  dit  qu'il  falloit  con- 
fesser qu'on  avoit  cette  obligation  à  la  Reine  et  à  ses  nouveaux 
ministres  d'avoir  ouvert  le  chemin  de  conserver  l'Etat  et  empê- 
cher les  troubles,  ne  trouvant  rien  à  redire  en  leurs  conseils  et 
en  leur  conduite,  mais  seulement  en  l'introduction,  n'estimant 
pas  leur  autorité  légitime,  parce  qu'elle  lui  étoit  préjudiciable.  » 

2.  Ce  paragraphe  et  le  suivant  sont  probablement  le  déve- 
loppement de  cette  phrase  du  Caput  apologeticum,  écrit  par 
Charpentier  [Ibid.,  fol.  58)  :  «  Les  ministres  sont-ils  Espagnols 
qui  suivent  les  pas  tracés  par  d'autres  qui  sont  réputés  bons 
François?  » 

3.  Voyez  ci-dessus,  p.  93  et  suivantes. 


[1618]  DE  RICHELIEU.  285 

François,  qu'on  eût  recours  aux  étrangers  pour  main- 
tenir l'autorité  du  Roi,  et  qu'il  étoit  temps  à  ces  fins 
de  se  servir  des  Espagnols,  qui  seroient  bien  aises  en 
cela  de  nous  faire  ressentir  un  effet  avantageux  de  l'al- 
liance de  ces  deux  couronnes,  je  lui  répondis  qu'il  se 
falloit  bien  donner  de  garde  de  se  servir  de  cet  expé- 
dient, qui  le  rendroit  odieux  à  tous  les  François,  qui 
prendroient  ce  prétexte  pour  dire  qu'étant  étranger  il 
en  voudroit  introduire  en  France  pour  se  rendre  maître 
de  l'autorité  et  de  la  personne  du  Roi;  que  les  bons 
François  étoient  en  assez  bon  nombre  pour  résister  à 
ceux  qui  s'étoient  éloignés  de  leur  devoir;  qu'au  reste 
tous  les  secours  d'Espagne  étoient  toujours  plus  en 
apparence  qu'en  eîîet,  ce  qui  faisoit  que,  outre  qu'il 
n'étoit  point  nécessaire  et  qu'il  n' étoit  pas  à  propos 
pour  s'en  servir,  quand  on  le  feroit,  on  n'en  tireroit  pas 
grand  fruit? 

Le  sieur  Servin  ^ ,  animé  de  la  passion  du  temps  et 
de  ce  que  je  n'avois  pu  satisfaire  à  quelques  intérêts 
qu'il  avoit  prétendus  pendant  que  j'étois  au  maniement 
des  affaires,  n'oublia  rien  de  ce  qu'il  put  pour  faire 
prendre  cette  lettre  et  quelques  autres  en  mauvais  sens. 
Mais  l'équité  de  Messieurs  de  la  cour,  qui  trouvèrent 
fort  mauvais  qu'il  requît,  en  ces  occasions,  un  ajourne- 
ment personnel  contre  moi,  et  qui  se  moquèrent-  de 
ses  conclusions,  me  fut  un  authentique  témoignage  de 
l'approbation  qu'ils  voulurent  donner  à  ma  conduite. 
Qui  ne  sait  la  querelle  que  j'eus  avec  lui,  pour  le 

1.  Louis  Servin,  conseiller  d'État,  fut  avocat  général  au  par- 
lement de  Paris  de  1589  à  sa  mort,  en  1626. 

2.  Le  manuscrit  B  porte  se  moqua. 


286  MÉMOIRES  [1618] 

détourner  de  la  résolution  qu'il  avoit  prise  d'envoyer 
les  gardes  à  Soissons,  et  laisser  le  Roi  désarmé  en  un 
temps  si  difficile,  lui  représentant  que  ce  procédé 
pourroit  irriter  le  Roi  contre  lui,  et  donner  pensée  au 
peuple  qu'il  le  vouloit  avoir  absolument  entre  ses 
mains,  ce  qui  pourroit  lui  apporter  beaucoup  de  pré- 
judice? Comme  les  princes  furent  réduits  à  l'extrémité, 
je  maintins  toujours,  contre  ses  avis,  que  le  Roi  les 
avoit  assez  châtiés  en  faisant  voir  qu'il  le  pouvoit  faire. 

Quels  conseils  donnai-je  à  la  Reine  depuis  que  je  fus 
hors  de  la  cour,  si  ce  n'est  qu'elle  ne  devoit  avoir 
aucun  sentiment  des  choses  passées,  et  que  le  maréchal 
et  sa  femme  s'étoient  attiré  leurs  malheurs  et  leurs 
peines  par  leur  mauvaise  conduite,  bien  que  non  par 
leur  crime  ;  que  tout  ce  qu'elle  avoit  à  faire  étoit  de  se 
gouverner  si  modérément  que  ses  actions  présentes 
justifiassent  celles  du  passé,  faisant  paroître  une  si 
grande  différence  entre  elle,  possédée  par  la  maréchale 
d'Ancre,  et  non  possédée,  qu'on  jugeât  clairement  que 
tout  ce  qu'on  pourroit  remarquer  d'odieux  au  passé 
venoit  de  ses  conseils  *  ? 

Mais  tout  cela  n'empêcha  pas  que,  par  une  haine 

1.  Paragraphe  tiré  de  ce  passage  du  Caput  apologeticum 
(France  772,  fol.  58  v"),  écrit  par  Le  Masle  :  a  Tout  le  conseil 
qu'il  a  donné  à  la  Reine  depuis  qu'il  est  hors  de  la  cour  est  de 
n'avoir  nul  sentiment  de  ce  qui  s'étoit  passé,  que  ces  misé- 
rables s'étoient  attiré,  par  leurs  mauvais  comportements,  leur 
peine;  que  tout  ce  que  S.  M.  avoit  à  faire  étoit  à  se  gouverner 
si  modérément  que  ses  actions  présentes  justifiassent  celles  du 
passé,  faisant  paroître  une  totale  différence  entre  elle,  possédée 
par  la  maréchale  d'Ancre,  et  non  possédée,  qu'on  jugeât  clai- 
rement que  tout  ce  qu'on  pouvoit  remarquer  d'odieux  au  passé 
venoit  de  la  maréchale.  » 


[1618]  DE  RICHELIEU.  287 

qui  est  toujours  aveugle,  et  partant,  à  l'égard  de  laquelle 
toutes  les  raisons  sont  inutiles,  et  pour  s'assurer  dans 
l'anxiété  de  la  crainte  en  laquelle  ils  vivoient,  ils  ne 
voulussent,  à  quelque  prix  que  ce  fût,  me  voir  hors 
du  royaume,  au  préjudice  du  service  que  j'étois  obligé 
de  rendre  au  peuple  que  Dieu  m'avoit  commis,  comme 
ils  m'empêchoient  déjà  de  rendre  au  Roi  celui  auquel 
j'étois  tenu. 

Je  passai  toute  l'année  en  cet  exil,  quoique,  mon 
frère  étant  devenu  veuf  durant  ce  temps  i,  je  les  sup- 
pliasse de  lui  permettre  de  faire  un  petit  voyage  en 
sa  maison  pour  mettre  ordre  à  ses  affaires,  et  de  me 
prescrire  un  lieu  proche  d'eux  tel  qu'ils  voudroient, 
n'en  exceptant  aucun,  où  je  pusse  demeurer  pour  cau- 
tion de  ses  actions  et  des  miennes,  me  soumettant 
encore,  outre  cette  assurance,  de  recevoir  de  la  part 
de  S.  M.  telle  personne  qu'elle  auroit  agréable,  pour 
avoir  égard  à  nos  comportements.  Mais  cela  fut  en  vain  ^. 

En  même  temps  qu'ils  m'envoyèrent  en  Avignon, 
ils  resserrèrent  Barbin  et  lui  ôtèrent  cette  ombre  de 
liberté  qu'ils  lui  avoient  donnée  dans  la  Bastille,  disant 
qu'il  en  abusoit,  et,  au  lieu  d'écrire  des  lettres  de 
simple  compliment  à  la  Reine,  tramoit  avec  elle  des 
menées  préjudiciables  au  service  du  Roi.  Dès  le  len- 

1.  Henri  du  Plessis  de  Richelieu  avait  épousé  Marguerite 
Guyotdes  Charmeaux,  dame  d'Ansac,  morte  le  15  octobre  1618. 
Elle  avait  été  désignée,  au  moment  du  mariage  de  Marie  de 
Médicis,  pour  être  dame  d'honneur  de  la  nouvelle  reine  de 
France  et  fut  évincée  de  cet  emploi  par  une  intrigue  des 
Concini. 

2.  Ce  paragraphe  est  la  reproduction  partielle  d'une  minute 
de  lettre  de  Richelieu  au  Roi,  écrite  dans  la  seconde  quinzaine 
d'octobre  (Avenel,  t.  VII,  p.  423). 


288  MÉMOIRES  [1618] 

demain  qu'ils  l'eurent  resserré,  ils  lui  envoyèrent  le 
sieur  de  Bailleul^  et  un  autre  conseiller  d'État^  pour 
l'interroger.  Il  refusa  de  répondre,  pour  ce  qu'il  croyoit 
que  Le  Bailleul  étoit  encore  maître  des  requêtes,  et  se 
déficit  que  les  commissaires  alloient  bien  vite  en  des 
procès  criminels;  mais,  lui  ayant  dit  qu'ils  étoient 
conseillers  d'État,  lesquels  ne  font  le  procès  à  personne, 
et  qu'ils  étoient  seulement  venus  pour  ouïr  et  faire 
écrire  par  le  sieur  d'Andilly  ^,  qui  étoit  commis  pour  cet 
effet,  ce  qu'il  auroit  à  dire  sur  quelques  lettres  et 
mémoires  qu'ils  lui  présenteroient,  et  que  ce  n'étoit 
qu'une  affaire  domestique  dont  le  Roi  vouloit  avoir  la 
connoissance,  il  consentit  de  répondre. 

Lors  ils  lui  représentèrent  les  copies  des  lettres  qu'il 
avoit  écrites  à  la  Reine  et  celles  que  la  Reine  lui  avoit 
envoyées,  et  le  vouloient  rendre  grandement  criminel 
par  ces  lettres,  les  prenant  en  sens  qu'ils  vouloient, 
non  au  sens  des  paroles  auquel  elles  étoient  conçues  ; 

1.  Nicolas  Le  Bailleul  ou  de  Bailleul,  marquis  de  Château- 
Gontier,  maître  des  requêtes  en  1616,  conseiller  d'Etat,  pré- 
sident à  mortier  au  parlement  de  Paris  en  1627,  chancelier  de 
la  reine  Anne  d'Autriche,  surintendant  des  finances  en  1643, 
mort  le  20  août  1652. 

2.  Cet  autre  conseiller  s'appelait  L'Avocat,  d'après  les 
Mémoires  (V Arnauld  d'Ândilly,  p.  376,  ou  plutôt  Ladvocat. 

3.  Robert  Arnauld  (1589-1674),  sieur  d'Andilly,  obtint  en 
1619  la  place  de  premier  commis  du  surintendant  des  finances 
Schônberg,  devint  conseiller  d'Etat  et  intendant  de  l'armée 
d'Allemagne  en  1634.  Il  se  retira  à  Port-Royal-des-Champs 
vers  1642.  Entre  autres  ouvrages,  il  a  laissé  des  Mémoires,  et 
un  Journal  inédit,  qui  a  été  publié,  ces  dernières  années,  par 
M.  Eug.  Halphen.  Au  sujet  de  cet  interrogatoire  de  Barbin, 
voyez  les  Mémoires  d' Arnauld  d'Andilly,  p.  375-376,  et  son 
Journal,  p.  358-359. 


[1618]  DE  RICHELIEU.  289 

et,  entre  autres  choses,  interprétoient  ce  que  nous 
avons  dit  qu'il  lui  avoit  mandé  que  ce  qu'elle  savoit 
qu'avoit  dit  Déageant  lui  montroit  qu'il  étoit  temps 
qu'elle  agit,  qu'ils  vouloient  entendre  par  là  qu'il  fal- 
loit  qu'elle  fît  tuer  Déageant,  comme  s'il  n'y  avoit  point 
d'autre  agir  que  de  tuer  Déageant,  et  que  sa  mort 
servît  beaucoup  aux  affaires  de  la  Reine.  Enfin,  quand 
il  eut  expliqué  cette  affaire,  il  les  éclaircit  de  ce  doute, 
comme  il  fit  de  tous  autres,  leur  remontrant  que  le 
dessein  de  la  Reine  étoit  de  voir  le  Roi  par  le  moyen  et 
les  bonnes  grâces  de  Luynes,  et  que,  pour  ce  sujet,  elle 
y  employoit  M.  de  Montbazon  son  beau-père  et  M.  de 
Rohan  son  parent. 

Ils  vinrent  plusieurs  jours  de  suite  l'interroger,  et, 
au  sortir  d'avec  lui,  s'en  alloient  chez  le  Chancelier  et 
le  garde  des  sceaux  du  Vair,  où  quelques-uns  choisis 
du  Conseil  les  attendoient  et  délibéroient  sur  sa  dépo- 
sition. Les  accusations  étoient  frivoles  ;  les  défenses 
étoient  fort  solides.  Le  Chancelier  et  le  garde  des 
sceaux,  quoiqu'ils  fussent  ses  ennemis,  ne  furent  pas 
d'avis,  non  plus  que  le  président  Jeannin,  qu'on  passât 
plus  outre  en  cette  affaire,  laquelle  ils  jugeoient  ne 
pouvoir  réussir  qu'à  son  honneur.  Luynes,  qui  espé- 
roit  avoir  des  moyens  de  la  faire  passer  pour  bonne, 
et  venir  à  bout  de  faire  porter  le  jugement  selon  sa 
passion,  voulut  que  l'on  continuât  le  procès.  Il  est 
vrai  qu'il  le  pressoit  quand  il  pensoit  avoir  assez  de 
juges  gagnés,  et  l'arrêtoit  quand  le  jugement  luiparois- 
soit  incertain. 

Tandis  qu'il  se  comportoit  si  violemment  en  sa  con- 
duite, il  essayoit  de  gagner  une  bonne  réputation  par 
autre  moyen.  Il  fit  révoquer  la  paulette,  par  arrêt  du 
II  19 


290  MÉMOIRES  [1618] 

conseil  du  Roi,  dès  le  commencement  de  l'année^  con- 
tinuant néanmoins  la  vénalité,  pour  gratifier,  disoit-il, 
les  officiers  et  leur  donner  le  moyen  d'accommoder  leurs 
affaires. 

Et,  en  février,  il  fit  donner  un  autre  arrêt^  au  Conseil 
en  faveur  des  Pères  Jésuites,  par  lequel  il  leur  fut 
permis  d'ouvrir  leurs  écoles  au  collège  de  Clermont, 
selon  le  désir  qu'ils  en  avoient  depuis  leur  rétablisse- 
ment, et  la  poursuite  que,  depuis  la  mort  du  feu  Roi, 
ils  en  avoient  continuellement  faite,  sans  avoir  néan- 
moins pu  jusqu'alors  surmonter  les  grandes  difficultés 
qui  s'y  étoient  rencontrées,  et  principalement  l'oppo- 
sition de  l'Université,  laquelle  encore  en  cette  occasion 
ne  se  rendit  pas,  et,  voyant  que  c'étoit  une  résolution 
prise,  et  qu'ils  ne  gagneroient  rien  au  Conseil,  fit  deux 
décrets^,  par  lesquels  elle  empêchoit  qu'aucuns  éco- 
liers ne  pussent  aller  en  leur  collège.  Mais,  les  Jésuites 
en  ayant  fait  plainte,  par  un  autre  arrêt  du  26"  avril 
lesdits  décrets  furent  cassés*. 

Le  Roi,  d'autre  côté,  demeura  ferme  pour  l'exécu- 
tion de  l'arrêt  qu'il  avoit  donné  en  son  Conseil  en 
faveur  des  ecclésiastiques  de  Béarn,  les  rétablissant  en 
leurs  bénéfices,  et  remplaçant  aux  ministres  le  revenu 
d'iceux  sur  son  domaine  du  pays,  de  proche  en  proche  ; 
car  ceux  de  la  Religion  prétendue  réformée,  qui 
avoient  reçu  commandement  d'envoyer  des  députés 

1.  Cet  arrêt  portait  la  date  du  16  janvier  1618  [Mercure  fran- 
çais, t.  V,  année  1618,  p.  5-6). 

2.  Cet  arrêt  est  du  15  février  1618.  On  en  trouve  le  texte 
dans  le  Mercure  français,  p.  6  et  suivantes. 

3.  En  date  des  l^""  et  24  mars  [Mercure  français,  p.  12). 

4.  Ibidem,  p.  16. 


[1618]  DE  RICHELIEU.  291 

pour  voir  procéder  au  remplacement  desdits  biens 
ecclésiastiques,  ne  pouvant  goûter  de  se  voir  dessaisir 
du  bien  réel  qu'ils  avoient,  et  être  remis  sur  la  bourse 
du  Roi,  voulurent  tenir  en  Béarn  une  assemblée  pour 
cela,  composée  des  trois  États  dudit  pays  et  des  dépu- 
tés des  églises  prétendues  du  Haut-Languedoc  et  de  la 
Basse-Guyenne,  afin  d'intéresser  tout  le  parti  hugue- 
not en  cette  affaire.  Ce  que  S.  M.  sachant,  elle  com- 
manda à  Lescun  * ,  qui  étoit  venu  vers  elle  pour  la  lui 
faire  agréer,  de  se  retirer,  et  leur  dire  qu'il  la  leur 
défendoit-  :  ce  qui  fit  qu'ils  résolurent  de  la  faire  en  la 
ville  de  Gasteljaloux^  au  1""  mai.  Mais,  le  Roi  ayant 
donné  commandement  au  parlement  de  Bordeaux  et 
chambre  de  l'édit  à  Nérac  de  procéder  contre  ceux 
qui  y  assisteroient,  comme  contre  perturbateurs  du 
repos  public,  les  consuls  de  ladite  ville  et  ceux  qui 
avoient  charge  des  autres  places  de  la  Guyenne  tenues 
par  les  huguenots  refusèrent  de  l'y  recevoir;  autant 
en  firent  ceux  de  la  ville  de  Tonneins*,  où,  au  refus 
de  ceux  de  Gasteljaloux,  ils  pensoient  aller.  De  sorte 
qu'ils  furent  contraints  de  retourner  en  Béarn  pour 

1.  Jean-Paul  de  Lescun,  conseiller  à  la  cour  souveraine  de 
Béarn  et  conseiller  d'État  de  Navarre,  exposa,  en  1618,  les 
réclamations  des  Béarnais  dans  une  brochui-e  publiée  à  Orthez. 
Obligé  de  se  réfugier  à  Montauban,  il  prit  les  armes  avec  ses 
coreligionnaires  et  fut  fait  prisonnier;  condamné  à  mort  par 
le  parlement  de  Bordeaux,  il  fut  exécuté  en  1622. 

2.  L'ordre  du  Roi  fut  donné  à  Lescun  le  14  février  1618 
[Mercure  français,  t.  V,  année  1618,  p.  210). 

3.  Chef-lieu  de  canton  de  Lot-et-Garonne,  arrondissement 
de  Nérac. 

4.  Tonneins,  chef-lieu  de  canton  du  département  de  Lot-et- 
Garonne. 


292  MÉMOIRES  [1618] 

être  hors  du  ressort  de  Bordeaux,  et  choisirent  Orthez 
pour  leur  assemblée,  qu'ils  convoquèrent  au  15®  mai. 

Le  Roi  fit  une  déclaration  ^  par  laquelle  il  déclaroit 
criminels  de  lèse-majesté  tous  ceux  qui  s'y  trouveroient  ; 
mais,  nonobstant  cela,  ils  ne  laissèrent  pas  de  la  tenir, 
parce  qu'ils  avoient  le  parlement  du  pays  à  leur 
dévotion. 

Le  commissaire  du  Roi^  y  arriva  pour  l'exécution 
dudit  édit  de  la  main  levée  et  remplacement.  Il  y  fut 
traité  comme  en  terre  ennemie  ;  il  reçut  mille  outrages 
de  paroles  par  les  écoliers  d'Orthez  qu'on  suscita  contre 
lui,  sans  que  le  parlement  ni  le  sieur  de  la  Force,  gou- 
verneur, y  missent  aucun  ordre  ;  et  ledit  parlement,  par 
arrêt  du  29  juin^,  refusa  de  procéder  à  la  vérification 
dudit  édit,  et  ordonna  que  très  humbles  remontrances 
seroient^  faites  à  S.  M.,  pour  la  supplier  de  laisser  les 
choses  en  l'état  qu'elles  étoient.  Le  Roi,  en  ayant  eu 
avis,  envoya  une  jussion^  audit  parlement,  sur  laquelle 
ils  donnèrent  seulement  un  arrêt  interlocutoire,  sup- 
pliant S.  M.  de  pourvoir  à  la  conservation  des  droits 
de  ses  sujets  de  la  Religion  prétendue  réformée. 

1.  Vérifiée  au  parlement  de  Paris  le  25  mai  [Mercure  fran- 
çois,  t.  V,  année  1618,  p.  212). 

2.  C'était  Jacques  Regnard,  conseiller  au  Grand  Conseil  et 
maître  des  requêtes  depuis  1608;  il  arriva  à  Pau  le  9  juin 
[Mercure  françois,  p.  213,  et  Histoire  des  guerres  de  Louys  XIII, 
roy  de  France  et  de  Navarre,  contre  les  religionnaires  rebelles  de 
son  Estai,  par  Ch.  Bernard,  p.  63). 

3.  Le  texte  de  cet  arrêt  du  parlement  de  Pau  a  été  imprimé 
dans  le  Mercure  français,  p.  214. 

4.  Le  manuscrit  B  porte  soient  faites. 

5.  Cette  jussion,  en  date  du  25  juillet,  fut  apportée  à  Pau  le 
7  août  par  le  sieur  de  Squille,  «  conseiller  du  Roi  en  sa  chan- 
cellerie de  Navarre  »  [Mercure  françois,  p.  219-225). 


[1618]  DE  RICHELIEU.  293 

Il  *  prit  soin  aussi  des  affaires  d'Italie,  de  peur  que 
l'accusation  qu'il  faisoit  contre  la  Reine  et  les  ministres 
qui  avoient  gouverné  sous  son  autorité,  d'avoir  trop 
incliné  vers  l'Espagne,  ne  fût  rétorquée  contre  lui- 
même.  Il  envoya  Modène  pour  aider  à  M.  de  Béthune 
à  poursuivre  l'exécution  des  traités  de  Pavie  et  d'Ast-  ; 
et  pour  ce  qu'il  fàchoit  aux  Espagnols  de  rendre  Ver- 
ceil  contre  leur  coutume,  et  que  Don  Pedro ^  retardoit 
de  jour  en  jour,  le  Roi  fut  contraint  de  parler  haute- 
ment à  l'ambassadeur  d'Espagne '^,  et  lui  dire  que, 
quelques  troubles  qu'il  eût  en  son  royaume,  il  ne  lair- 
roit^  pas  de  passer  les  monts  pour  faire  tenir  la  parole 
qui  lui  avoit  été  donnée  :  ce  qui  fit  tel  effet,  que  le 
15  juin  Verceil  fut  rendu,  et  les  choses  promises  exé- 
cutées de  part  et  d'autre. 

Semblablement  aussi  furent  exécutées  toutes  les 
choses  promises  par  le  traité  qui  avoit  été  fait  entre 
les  Vénitiens  et  l'archiduc  Ferdinand,  pour  la  pacifica- 
tion des  troubles  qui  avoient  été  entre  eux^. 

Toutes  ces  choses,  qui  témoignoient  un  soin  et  du 
zèle  pour  la  justice  et  la  religion  et  la  gloire  du  Roi, 
donnoient  au  peuple,  et  à  ceux  qui  ne  savoient  pas  le 

1.  C'est  sans  doute  du  Roi  qu'il  s'agit.  Comme  ce  para- 
graphe n'a  aucune  liaison  avec  ce  qui  précède,  on  pourrait 
presque  supposer  que  le  copiste  du  manuscrit  B  a  fait  ici 
quelque  omission  involontaire. 

2.  Voyez  tome  I,  p.  .389,  et  ci-dessus,  p.  269. 

3.  C'est-à-dire  Don  Pedro  de  Tolède. 

4.  Le  duc  de  Monteleone.  Le  Mercure  français,  p.  40,  donne 
tous  ces  mêmes  détails  et  rapporte  les  paroles  que  le  Roi  aui'ait 
prononcées  devant  l'ambassadeur  d'Espagne. 

5.  Forme  ancienne  pour  laisserait;  on  en  trouve  un  exemple 
dans  les  Fables  de  la  Fontaine. 

6.  Voyez  ci-dessus,  p.  269  et  270. 


294  MÉMOIRES  [1618] 

secret  du  cabinet,  bonne  estime  du  gouvernement,  et 
leur  faisoient  désirer  qu'il  demeurât  en  la  main  de  ceux 
qui  l'avoient. 

Luynes  ne  perdoit  pas  ce  temps  favorable  à  l'avan- 
cement de  sa  grandeur  et  à  l'établissement  de  sa  mai- 
son. Il  échangea  la  lieutenance  générale  du  gouverne- 
ment de  Normandie,  qu'il  n'avoit  prise,  l'année  passée  *, 
que  pour  être  avec  plus  d'autorité  en  l'Assemblée 
des  notables  à  Rouen,  pour  le  gouvernement  de  l'Ile- 
de-France  et  des  villes  de  Soissons,  Noyon,  Ghauny, 
Goucy  et  autres,  qu'a  voit  le  duc  de  Mayenne,  auquel  il 
fit  donner  le  gouvernement  de  Guyenne  avec  celui  du 
Ghàteau-Trompette,  et  de  quelques  autres  places  dans 
le  Bordelois  que  le  colonel  d'Ornano  tenoit,  lequel  on 
récompensa  d'une  charge  de  maréchal  de  France  et  de 
ladite  lieutenance  générale  de  Normandie^. 

Il  eut  encore  La  Fère  et  Laon,  par  la  remise  que  lui 
en  firent  le  duc  de  Vendôme  et  le  marquis  de  Gœuvres, 
qui  en  étoient  gouverneurs. 

Gomme  il  s'élevoit  et  se  fortifioit  d'un  côté,  il  para- 
chevoit  de  ruiner,  tant  qu'il  pouvoit,  le  parti  qui  lui 
étoit  contraire,  et  à  opprimer  Barbin  et  lui  faire  con- 
damner toute  la  conduite  de  la  Reine.  Ge  procès  fai- 
soit  un  grand  bruit  à  la  cour,  et  sembloit  qu'il  y  eût 
eu  des  menées  capables  de  renverser  toute  la  France  : 
on  sollicitoit,  de  la  part  du  Roi,  les  juges  avec  ins- 
tance, comme   on   avoit   fait  ceux  de  la   maréchale 

1.  Voyez  ci-dessus,  p.  262. 

2.  D'Ornano  reçut  aussi  le  gouvernement  particulier  de 
Pont-de-l'Arche.  Ces  échanges  de  gouvernements  sont  men- 
tionnés dans  le  Mercure  français,  t.  V,  p.  259.  D'Ornano  n'ob- 
tint la  charge  de  maréchal  de  France  qu'en  1626;  mais  il  en  eut 
dès  lors  la  promesse. 


[16181  DE  RICHELIEU.  295 

d'Ancre;  on  demandoit  gain  de  cause  et  non  justice. 
On  mêle  en  cette  affaire  quelques  personnes  qui,  par 
leur  imprudence,  avoient  fait  quelque  écrit  mal  digéré 
sur  le  sujet  de  Luynes  et  des  affaires  du  temps.  Durand  * 
fut  mis  prisonnier  pour  ce  sujet,  et  un  nommé  Siti^, 
florentin,  qui  avoit  été  secrétaire  de  l'archevêque  de 
Tours,  frère  de  la  maréchale  d'Ancre^.  Un  même  livre 
fut  imputé  à  tous  deux,  et  même  peine  leur  fut 
ordonnée  d'être  rompus  et  brûlés  avec  leurs  écrits  en 
la  Grève,  et  un  frère  dudit  Siti,  qui  n'avoit  fait  simple- 
ment qu'en  transcrire  une  copie,  fut  pendu.  Ils 
essayoient,  par  ces  condamnations,  de  souiller  Barbin 
et  quelques  autres  particuliers  qu'ils  mêloient  avec  lui 
par  leur  sang^,  confondant  leurs  accusations  qui  sont 
entièrement  différentes.  Plusieurs  autres  sont  pris  pri- 
sonniers ;  les  uns  sont  mis  à  la  Bastille,  les  autres  au 
For-l'Évêque^,  et  tous  à  dessein  d'être  conduits  à  la 
mort^. 

1.  Etienne  Durand,  «  l'un  des  gentils  poètes  de  son  temps, 
inventif  à  dresser  des  ballets  »  [Mercure  français,  t.  V,  année 
1618,  p.  268),  fut  condamné  par  arrêt  du  Grand  Conseil  du 
19  juillet  1618  et  exécuté  le  même  jour. 

2.  François  Siti  et  son  frère  André,  dont  il  est  question 
quelques  lignes  plus  loin,  furent  condamnés  en  même  temps 
qu'Etienne  Durand  (voyez  le  volume  France  772,  fol,  16).  Sui- 
vant les  Mémoires  de  Déageant  (p.  116),  les  Siti,  dévoués  aux 
Concini,  étaient  des  agents  du  grand-duc  de  Toscane,  qui  caba- 
lait  en  faveur  de  la  Reine  mère. 

3.  Sébastien  Galigaï  :  voyez  tome  I,  p.  258. 

4.  Par  leur  parenté  avec  lui. 

5.  C'était  la  prison  où  l'évêque  de  Paris  avait  sa  cour  de  jus- 
tice; elle  fut  transformée  en  1674,  lors  de  la  suppression  de  la 
juridiction  épiscopale,  en  prison  royale,  destinée  aux  détenus 
pour  dettes,  et  devint  plus  tard  la  «  Bastille  des  comédiens  ». 

6.  Comparez  le  Mercure  français,  t.  V,  p.  268-269, 


296  MÉMOIRES  [1618] 

Bournon ville  '  et  Persan  sont  du  nombre,  et  au  lieu 
de  geôliers  qu'ils  étoient  gardant  les  autres,  ils 
deviennent  prisonniers  eux-mêmes.  Les  Luynes  avoient 
un  vieil  dessein  d'ôter  Bournonville  de  la  Bastille,  et  à 
Persan  la  garde  de  Monsieur  le  Prince.  Depuis,  ils 
avoient  conçu  quelque  mauvaise  volonté  contre  eux, 
parce  qu'ils  avoient  vu  des  lettres  de  Barbin  et  de  la 
Reine,  par  lesquelles  il  paroissoit  que  Bournonville  lui 
étoit  favorable,  et  que  la  Reine  en  avoit  du  ressenti- 
ment de  bonne  volonté  vers  lui. 

Ils  essayèrent  premièrement  de  tirer  de  gré  Persan 
du  Bois-de-Vincennes  et  lui  firent  offrir  de  l'argent  pour 
cela,  lui  représentant  qu'y  ayant  apparence  qu'il  fût 
coupable  de  toute  la  menée  de  Barbin,  ils  ne  vouloient 
pas  enfoncer  cette  alVaire,  mais  qu'ayant  soupçon  de 
lui,  il  n'étoit  pas  raisonnable  aussi  qu'ils  lui  confiassent 
la  garde  de  Monsieur  le  Prince.  Il  répondit  des  paroles 
assez  hautaines,  sur  lesquelles  ils  le  firent  mettre  à  la 
Bastille,  et  Bournonville  aussi,  et  établirent  en  sa  place 
le  sieur  du  Vernet^,  parent  de  M.  de  Luynes.  On  feint 
qu'ils  ont  voulu  mettre  en  liberté  Monsieur  le  Prince, 
et,  par  ce  moyen,  renverser  l'État,  tenant  sa  sortie  la 
perte  du  royaume.  Quoiqu'ils  n'eussent  pas  peu  con- 
tribué à  la  chute  de  la  Reine,  on  les  accuse  de  désirer 

1.  Jean  de  \  audetar,  sieur  de  Bournonville,  était  gouver- 
neur de  la  Bastille.  Son  frère  Persan  commandait  le  château 
du  Bois-de-Vincennes  (ci-dessus,  p.  192). 

2.  Barthélémy  de  Monts,  seigneur  du  Vernet,  marié  en  1605 
à  Antoinette  dAlhert,  sœur  du  connétable  de  Luynes,  eut 
plus  tard  le  gouvernement  de  Calais.  Sa  femme  fut,  en  1619, 
nommée  dame  d'atour  de  la  Reine,  et,  devenue  veuve,  se 
remaria  en  1628  avec  Henri-Robert  de  la  Marck,  comte  de 
Braine, 


[1618]  DE  RICHELIEU.  297 

son  établissement  auprès  du  Roi,  et  les  traite-t-on 
comme  criminels  ^ 

L'on  arrête  M"^  du  Tillet^,  femme  de  condition,  sur 
de  simples  soupçons  ;  on  mène  des  religieux  à  la  Bastille 
aussi  librement  qu'en  leur  couvent;  on  la  remplit  de 
toutes  sortes  de  personnes,  nulle  condition  ni  qualité 
n'étant  capable  de  mettre  à  couvert  ceux  qui  étoient 
jugés  avoir  quelque  empreinte  d'aftection  pour  la 
Reine  dans  le  cœur;  on  s'attaque  à  tout  le  monde. 
Ceux  de  la  faveur  soupçonnent  le  duc  de  Montbazon, 
beau-père  du  sieur  de  Luynes,  et  avec  raison,  si  la 
plupart  de  ceux  qui  sont  maltraités  sont  coupables, 
puisqu'ils  ne  sont  chargés  d'autre  crime. que  d'avoir 
discouru  avec  lui  des  moyens  de  faire  faire,  par  l'in- 
tervention de  son  gendre,  une  action  glorieuse  au  Roi, 
en  rappelant  sa  mère  au  grand  avantage  de  son  État 
et  de  ses  favoris. 

Déageant  prit  toutes  les  réponses  que  Barbin,  Bour- 

1.  On  lit  dans  le  Mercure  français,  p.  268  et  269,  que  Bour- 
nonville,  «  accusé  d'avoir  eu  les  yeux  éblouis  d'un  diamant 
pour  laisser  recevoir  à  Barbin,  prisonnier  dans  la  Bastille,  des 
lettres  et  en  écrire,  fut  cause  que  son  frère  le  baron  de  Persan, 
qui  avoit  la  garde  de  M.  le  prince  de  Condé,  étant  venu  du 
château  de  Vincennes  à  Paris,  sur  quelques  mots  assez  hauts 
qu'il  dit,  fut  arrêté  prisonnier  et,  en  sa  place,  pour  garder 
ledit  sieur  prince,  le  Roi  y  mit  le  sieur  du  Vernet,  beau-frère 
de  M.  de  Luynes.  « 

2.  Charlotte  du  Tillet,  dame  d  honneur  de  la  Reine  mère, 
était  fille  de  Jean  du  Tillet,  greffier  civil  de  la  cour  du  parle- 
ment de  Paris,  et  de  Jeanne  Brinon,  et  mourut  en  1635  ou 
1636.  «  Elle  avoit  fort  bon  sens,  étoit  fort  adroite  et  fort  née 
pour  la  Cour.  Elle  étoit  de  toutes  les  intrigues,  soit  d'amour, 
soit  d'autre  chose  »  (Tallemant  des  Réaux,  Historiettes,  t.  I, 
p.  187). 


298  MÉMOIRES  [1618] 

iionville,  La  Ferté^  qui  étoit  au  duc  de  Rohan,  les 
deux  hommes  de  Barbin^  et  un  sergent  de  la  Bastille^ 
avoient  faites,  et  tes  communiqua  au  sieur  Lanier'*, 
conseiller  au  Grand  Conseil,  qui^,  après  les  avoir  vues 
et  communiquées  à  quelques-uns  de  ses  amis,  lui  pro- 
mit qu'il  feroit  donner  un  arrêt  de  mort  contre  eux. 
Luynes,  ayant  su  cette  bonne  volonté,  fît  adresser  une 
commission  au  Grand  Conseil  pour  leur  faire  leur  pro- 
cès. Lanier  et  La  Grelière^  sont  les  rapporteurs  de 
cette  affaire.  Barbin  demande,  comme  secrétaire  du 
Roi,  d'être  renvoyé  au  Parlement;  il  en  est  débouté, 
et  est  ordonné  qu'il  procédera  devant  le  Grand  Conseil. 
Luynes  en  envoie  quérir  tous  les  juges  l'un  après 
l'autre,  et  leur  recommande  cette  affaire.  Lanier,  tous 
les  soirs,  alloit  chez  lui  lui  rendre  raison  de  ce  qui  se 
passoit  et,  pour  s'acquitter  promptement  de  sa  pro- 
messe en  laquelle  il  s'étoit  engagé,  il  le  vouloit  juger 
sur  les  réponses  qu'il  avoit  faites  aux  conseillers  d'État 
dont  nous  avons  parlé  ci-devant,  quelques  protesta- 
tions qu'il  fît  qu'il  leur  avoit  répondu  comme  devant 
personnes  qui  ne  venoient  point  là  pour  lui  faire  son 
procès,  et  partant  qu'il  ne  s'étoit  pas  expliqué  autant 
qu'il  devoit  faire  quand  il  étoit  question  de  le  juger. 
Mais  il  insista  si  fort  à  ce  que  la  demande  qu'il  faisoit 

1.  Peut-être  Michel  Le  Roy,  sieui'  de  la  Ferté. 

2.  Nicolas  Levesque  et  Nicolas  Huilleaume,  dit  la  Roze,  tous 
deux  serviteurs  de  Barbin. 

3.  Salomon  Marcou,  dit  le  sergent  Lizy. 

4.  Guillaume  Lanier,  seigneur  de  Leffretière,  conseiller  au 
parlement  de  Bretagne,  puis  au  Grand  Conseil,  le  23  décembre 
i608,  conseiller  d'État  en  1643,  mort  le  9  mai  1646,  doyen 
des  conseillers  d'Etat. 

5.  La  Grilliere  peut-être? 


[1618]  DE  RICHELIEU.  299 

d'être  ouï  plus  amplement  là-dessus  tut  rapportée  au 
Grand  Conseil,  qu'ils  le  firent,  et  on  lui  accorda  ce 
qu'il  désiroit. 

Il  se  plaignoit  incessamment  de  ce  qu'on  ne  lui  par- 
loit  point  du  sujet  pour  lequel  on  l'avoit  mis  prison- 
nier; qu'il  avoit  été  dans  le  conseil  du  Roi  sous  le 
gouvernement  de  la  Reine  et  avoit  eu  la  charge  des 
finances,  dont  il  avoit  disposé  absolument  ;  qu'on  l'ac- 
cusât là-dessus  et  qu'on  l'interrogeât,  s'il  y  avoit  délin- 
qué;  que  c'étoit  une  grande  honte  de  l'avoir  empri- 
sonné et  ne  lui  parler  pas  du  sujet  pour  lequel  on  lui 
avoit  fait  ce  traitement,  mais  lui  faire  son  procès  seu- 
lement pour  ce  qu'il  avoit  fait  depuis  qu'il  étoit  détenu 
en  la  Bastille,  qui  n'étoit  que  ce  que  le  plus  religieux 
capucin  eût  pu  faire,  de  moyenner  la  réconciliation 
du  Roi  et  de  la  Reine,  laquelle  il  ne  savoit  pas  avec 
quelle  conscience  on  lui  pouvoit  imputer  à  crime  de 
lèse-majesté. 

Cependant  on  donnoit,  d'autre  côté,  ajournement 
personnel  à  plusieurs  domestiques  de  la  Reine,  à  Chan- 
teloube*,  à  Codoni,  à  Selvage^,  dont  les  deux  derniers 

1.  Jacques  d'Apchon,  seigneur  de  Chanteloube,  embrassa 
d'abord  la  carrière  militaire  et  s'attacha  à  Marie  de  Médicis, 
qui  lui  donna  le  gouvernement  de  Chinon.  Entré  dans  l'ordre 
de  l'Oratoire  en  1621,  il  prit  très  activement  en  1630  le  parti 
de  la  Reine  mère  contre  Richelieu  et  suivit  cette  princesse  dans 
les  Pays-Ras.  Il  y  mourut  en  1641.  Il  signait  Chantelouve. 

2.  Antoine  Codoni,  florentin,  apothicaire  de  la  Reine,  épousa, 
le  3  février  1603,  Selvage  Vincenti,  de  Sienne,  femme  de 
chambre  de  la  Reine  (Archives  nationales,  Y  141,  fol.  372); 
tous  deux  étaient  encore  en  fonctions  en  1624  (Y  164,  fol.  195). 
Selvage  Vincenti,  qu'on  appelait  communément  Selvage 
[Mémoires  de  Bassompierre,  t.  I,  p.  327  et  332,  et  t.  II,  p.  60; 


300  MÉMOIRES  [1618] 

étoient  des  plus  nécessaires  auprès  de  sa  personne*. 
Il  est  vrai  que  la  cour,  ayant  honte  du  peu  de  fonde- 
ment avec  lequel  on  les  avoit  accusés,  les  renvoya 
absous.  Ils  venoient  néanmoins  aux  fins  qu'ils  préten- 
doient,  puisqu'ils  ne  vouloient  qu'étourdir  le  peuple  et 
lui  donner  une  impression  apparente  de  quelque  grand 
crime,  puisque  tant  de  gens  de  condition,  et  ceux 
mêmes  qui  approchoient  le  plus  près  de  la  Reine,  y 
étoient  embarrassés. 

On  ne  châtie  pas  seulement  les  actions  :  on  examine 
les  paroles,  on  devine  les  pensées,  on  suppose  des 
desseins.  Si  on  parle,  on  prend  pied  sur  des  mots 
innocents,  on  donne  un  sens  préfix  à  des  paroles 
indifférentes.  Si  on  se  tait,  on  impute  le  silence  à 
crime,  estimant  qu'on  couvre  quelque  chose  qui  ne 
se  dit  point.  Temps  déplorable  où  il  y  a  égal  péril  à 
parler  et  à  se  taire!  Si  on  va,  tout  voyage  est  mal 
interprété,  et  on  suscite  des  traîtres  et  des  espions 
qui  suivent  à  la  piste  pour  découvrir  des  nouvelles. 
Tous  ceux  qui  sont  pris  sont  interrogés,  et,  ce  qui  est 
une  chose  inouïe  et  qui  fait  horreur  à  y  penser  seule- 
ment, on  force  les  dépositions  le  plus  qu'on  peut  pour 
mettre  le  nom  de  la  Reine  en  des  procès,  ayant  pour 
but  de  l'envelopper  dans  la  perte  des  autres. 

A  la  contenance  des  juges,  il  est  aisé  à  voir  qu'ils 
sont  assis,  non  pour  ouïr  ceux  qui  comparoissent 
devant  eux,  mais  pour  les  condamner,  non  pour  ins- 
truire leur  procès,  mais  pour  ordonner  de  leur  sup- 

Avenel,  t.  IV,  p.  468),  figure  sur  les  états  de  la  maison  de 
Marie  de  Médicis  dès  1601,  aux  gages  de  cent  vingt  livres. 

1.  Tous  trois  furent  décrétés  de  prise  de  corps  par  arrêt  du 
Grand  Conseil  du  23  juillet  1618. 


[1618]  DE  RICHELIEU.  301 

plice^  Enfin  ils  sont  tous  jugés.  Ceux  qui  avoient  écrit 
des  choses  qui  leur  déplaisoient  sont  condamnés^, 
comme  nous  avons  dit  des  autres  qui  sont  accusés 
pour  être  serviteurs  de  la  Reine;  ceux  à  qui  ils  en 
veulent  le  moins  sont  déclarés  innocents  et  remis  en 
liberté;  les  autres  passent  pour  coupables. 

Le  fait  de  Barbin  est  remarquable.  Ils  lui  en  vou- 
loient  avec  une  grande  animosité,  à  cause  de  la  pas- 
sion qu'ils  voyoient  qu'il  avoit  au  service  de  la  Reine 
et  sa  fidélité  qu'ils  n'avoient  jamais  su  ébranler.  Ils 
firent  tout  ce  qu'ils  purent  pour  le  faire  condamner  : 
il  n'y  eut  juge  à  qui  ils  ne  parlassent;  mais  Dieu  fut  le 
plus  fort  :  les  plus  gens  de  bien  de  la  compagnie, 
reconnoissant  son  innocence  et  le  désirant  délivrer,  ne 
crurent  pas  en  avoir  un  meilleur  moyen  que  de  le  con- 
damner à  un  simple  bannissement,  craignant  quelque 
autre  violence  plus  grande  de  la  part  de  Luynes.  Mais 
le  nombre  des  autres  qui  étoient  gagnés  étoit  si  grand, 
qu'il  ne  laissoit  pas  de  passer  d'une  voix  à  la  mort,  si 
un  des  juges  qui  opinoient  ne  se  fût  évanoui;  car  on 
l'emporta  hors  de  l'assemblée,  et  on  attendit  que  ses 
esprits  fussent  revenus.  Peut-être  avoient-ils  opinion 
que  celui-là  dût  opiner  contre  lui;  revenu  qu'il  fut  et 
rentré  en  la  compagnie,  il  commença  à  opiner  en  ces 
mots  :  «  Messieurs,  vous  voyez  en  quel  état  j'ai  été. 
Dieu  m'a  fait  voir  la  mort,  qui  est  une  chose  si  ter- 
rible et  effroyable  que  je  ne  me  puis  porter  à  con- 

1.  Il  est  curieux  de  voir  cette  phi^ase  sous  la  plume  du  Car- 
dinal qui  fit  condamner  par  des  tribunaux  d'exception,  que 
l'on  a  toujours  dit  avoir  été  à  sa  dévotion,  Marillac,  Cinq- 
Mars  et  de  Thou. 

2.  Ci-après,  p.  302. 


302  MÉMOIRES  [1618J 

damner  un  innocent,  comme  celui-ci  de  qui  il  s'agit. 
J'ai  ouï  quelques  opinions  qui  vont  au  bannissement; 
s'il  y  en  a  quelqu'une  plus  douce,  je  prie  le  conseil  de 
me  le  dire,  afin  que  j'en  sois.  »  Et  à  l'heure  même 
quasi  tous  les  jeunes  conseillers  furent  d'avis  de  son 
bannissement.  Tous  les  présidents,  hormis  le  sieur  de 
Bercy ^,  et  quasi  tous  les  anciens  conseillers  à  qui  on 
avoit  parlé  et  que  l'on  avoit  mandés  au  Louvre  pour 
cet  effet,  se  portèrent  à  la  passion  de  ses  ennemis. 

Par  le  même  arrêt,  qui  fut  du  30®  août,  Bournon- 
ville  fut  condamné,  comme  criminel  de  lèse-majesté, 
à  avoir  la  tête  tranchée  ;  Persan  et  M"®  du  Tillet  à  s'abs- 
tenir de  la  suite  de  la  cour  et  de  la  prévôté  de  Paris 
pour  l'espace  de  cinq  ans.  On  bannit  hors  du  royaume, 
pour  le  même  temps,  le  sieur  de  la  Ferté  et  un  des 
serviteurs  de  Barbin^,  l'autre  étant  renvoyé  absous^,  et 
le  sergent  de  la  Bastille^,  qui  avoit  servi  Barbin  à 
faire  porter  ses  lettres,  fut  condamné  à  être  pendu  ^. 
Ils  ne  tirèrent  cet  arrêt  à  conséquence  que  pour  Bar- 
bin, faisant  donner  grâces  aux  autres,  d'autant  qu'ils 
avoient  ce  qu'ils  vouloient,  qui  étoit  la  Bastille,  la 

1.  Charles  Malon,  sieur  de  Bercy  (1568-1638),  conseiller 
à  la  cour  des  aides  de  Paris  en  1595,  conseiller  au  Parlement 
en  1598,  maître  des  requêtes  en  1608,  puis  président  au  Grand 
Conseil  en  1610,  conseiller  d'Etat  en  1613  et  conseiller  au 
conseil  des  finances  en  1635. 

2.  ÎS'icolas  Levesque. 

3.  C'était  Nicolas  Huilleaume,  dit  la  Roze. 

4.  C'est-à-dire  Marcou,  dit  Lizy. 

5.  Une  copie  de  cet  arrêt  se  trouve  dans  le  volume  772  du 
fonds  France  des  Affaires  étrangères,  fol.  16  et  17.  Il  faut  ajou- 
ter, d'après  cet  arrêt,  que  Persan  fut  condamné  à  une  amende 
de  4,000  livres  tournois,  applicables  à  des  œuvres  pies,  et  le 
reste  de  ses  biens  confisqué.  Les  autres  condamnés  se  virent 


[1618]  DE  RICHELIEU.  303 

y-arde  de  Monsieur  le  Prince  et  la  condamnation  de 
Barbin,  par  laquelle  ils  prétendoient  justifier  sa  pri- 
son et  couvrir  les  injustices  et  violences  avec  lesquelles 
ils  avoient  procédé  contre  lui. 

Néanmoins,  sa  condamnation  leur  sembla  trop  douce. 
Il  fut  banni  par  ses  juges,  plus  pour  l'ôter  de  la  main 
de  ses  ennemis  qu'en  intention  de  leur  plaire.  Mais 
cette  peine  ne  satisfait  pas  leur  passion;  la  crainte 
qu'ils  ont  de  ce  pauvre  infortuné  fait  qu'ils  lui  com- 
muent son  bannissement  en  une  prison  rigoureuse  : 
chose  du  tout  contraire  à  la  nature  des  grâces  qui 
remettent  de  la  peine  au  lieu  de  l'augmenter. 

Ce  bruit  venant  aux  oreilles  de  la  Reine  lui  perça 
le  cœur  d'une  douleur  très  sensible;  joint  qu'elle  sut 
que,  comme  on  étoit  sur  le  jugement  de  ce  procès,  le 
Chancelier,  le  garde  des  sceaux  et  le  président  Jean- 
nin  s'étant  accordés  à  témoigner  qu'il  falloit  étouffer 
cette  affaire  et  ne  la  pas  poursuivre  à  l'extrémité 
comme  on  faisoit,  Luynes  dit  qu'il  n'eut  jamais  cru 
que  Monsieur  le  Chancelier,  premier  ministre  de  l'État, 
eût  favorisé  une  personne  qu'on  pouvoit  dire  l'unique 
ennemi  de  l'État.  L'autre  lui  répliquant  qu'il  désiroit 
savoir  de  quelle  personne  il  parloit,  il  dit  qu'il  étoit 
bien  aise  de  l'entendre,  et  qu'il  parloit  de  la  Reine  mère, 
qui  devoit  être  considérée  comme  la  plus  puissante, 
voire  la  seule  cause  des  désordres. 

Ces  injures  atroces  qui  blessoient  S.  M.,  et  tant  d'in- 
fâmes artifices  desquels  on  se  servoit  pour  divertir 

infliger  diverses  amendes  et  quelques-uns  furent  condamnés  à 
la  confiscation  de  leurs  biens.  —  Au  dos  de  cette  copie  de  l'arrêt 
du  Grand  Conseil  se  trouve  écrit,  de  la  main  de  Charpentier  : 
«  Arrêt  de  M.  Barbin  du  30^  août.  »  Le  mot  «  Employé  »  figure 
au-dessous,  ainsi  que  le  chiffre  2. 


304  MÉMOIRES  [1618] 

d'elle  l'affection  du  Roi,  lui  redoublèrent  l'ennui  qu'elle 
ressentoit  de  son  absence,  et  l'obligèrent  de  se  ser- 
vir des  copies  de  lettres  que  Barbin  lui  avoit  envoyées, 
il  y  avoit  longtemps,  pour  le  Roi,  M.  de  Luynes  et  le 
duc  de  Montbazon,  par  lesquelles,  se  plaignant  à 
S.  M.  des  déplaisirs  qu'elle  recevoit,  elle  la  sup- 
plioit  qu'elle  pût  aller  à  Paris  pour,  étant  plus  proche 
d'elle,  lui  rendre  plus  facilement  compte  de  ses 
actions,  et  prioit  Luynes  de  l'assister  en  ce  juste  désir 
et  la  délivrer  de  servitude,  et  le  duc  de  Montbazon 
d'y  porter  l'esprit  de  son  beau-fils.  Le  Roi  fut  touché 
de  ses  lettres;  mais  ils  le  détournèrent  de  lui  donner 
contentement  par  mille  artifices,  ne  lui  représen- 
tant pas  seulement  que,  si  elle  vient,  il  n'aura  plus 
d'autorité,  mais  qu'ils  appréhendent  même  que  sa  vie 
ne  soit  pas  en  sûreté,  le  désir  de  régner  étant  tel  en 
eux,  qu'il  n'y  a  lien  de  sang,  de  raison  ni  de  justice 
qui  puisse  arrêter  leur  fureur. 

D'un  côté,  ils  mesurent  le  péril  qui  leur  pourroit 
arriver  de  la  présence  de  la  Reine,  à  l'atrocité  des 
injures  qu'ils  lui  avoient  faites,  et  ne  peuvent  prendre 
d'elle  aucune  assurance,  quelque  promesse  qu'elle 
leur  fit;  d'autre  part,  demeurant  leur  ennemie,  ils 
vouloient  avoir  lieu  de  la  faire  paroître  tout  autre 
qu'elle  n'étoit  et,  pour  ce  sujet,  essayoient  de  la  tenir 
éloignée,  d'autant  que  les  objets  sont  peu  souvent  et 
difficilement  vus  de  loin  tels  qu'ils  sont  en  effet.  Ainsi 
ils  représentent  au  Roi  important  à  sa  vie,  à  sa  gloire  et 
au  bien  de  son  État,  ce  qui  ne  l'est  qu'à  leur  fortune, 
et  lui  font  passer  leurs  propres  intérêts  pour  siens  ;  et 
d'abondant  encore,  craignant  que  tous  leurs  artifices 
ne  fussent  pas  assez  forts  pour  arrêter  les  vrais  senti- 


[1618]  DE  RICHELIEU.  305 

ments  de  la  nature,  et  que  la  Reine,  assurée  du  bon 
naturel  du  Roi,  ne  vînt  à  l'impourvu,  ils  envoyèrent 
des  troupes  à  l'entour  de  Blois  pour  lui  boucher  le 
passage. 

Davantage,  on  lui  défendit  de  plus  sortir  de  Blois. 
Les  promenades  lui  sont  désormais  limitées,  les  con- 
versations bornées  à  certaines  personnes  qu'ils  tenoient 
tout  à  eux;  nul  ne  la  peut  voir,  quoique  son  chemin 
soit  au  lieu  de  son  séjour,  sans  permission  expresse  ; 
celui  qui  la  demande  se  rend  suspect  de  crime;  celui 
qui  fait  gloire  de  ne  la  voir  pas,  quoiqu'en  passant, 
est  estimé  d'une  fidélité  éprouvée,  digne  de  récom- 
pense. 

On  envoie  diverses  personnes  vers  elle  pour  lui 
détacher  de  l'esprit  la  pensée  qu'elle  avoit  de  voir  le 
Roi  et  ainsi  l'en  empêcher  non  seulement  par  force, 
mais  encore  volontairement.  Modène  et  le  P.  Arnoux* 
lui  sont  envoyés  pour  cet  effet,  tous  deux  séparément  ; 
ils  y  travaillent  puissamment,  à  divers  voyages  qu'ils 
y  font  :  comme  l'un  met  en  avant  les  considérations 
d'État  pour  l'en  détourner,  l'autre  lui  propose  qu'elle 
ne  le  pouvoit  entreprendre  avec  conscience,  vu  le  mal 
qui  en  arriveroit  au  public.  Entre  autres  raisons,  on 
ne  craignoit  point  de  lui  dire  que,  si  cela  arrivoit,  la 
France  étoit  perdue,  parce  que  son  arrivée  contrain- 
droit  de  mettre  Monsieur  le  Prince  en  liberté  pour  la 
contrecarrer,  et  que  de  cette  opposition  naitroit  la 
ruine  de  l'État.  Ils  la  menacent  de  pire  traitement  :  on 
parle  de  la  chasser  hors  de  France;  enfin  on  l'inti- 

1.  Voyez  ci-dessus,  p.  254.  Le  P.  Arnoux  était  confesseur 
du  Roi  depuis  l'année  précédente. 

II  20 


306  MÉMOIRES  [1618] 

mide  de  sorte  que  sa  bouche  fut  contrainte  de  profé- 
rer ce  dont  son  cœur  étoit  bien  éloigné,  et  de  pro- 
mettre par  serment  sur  les  saints  évangiles,  qui,  à  cet 
effet,  lui  furent  présentés  par  le  P.  Arnoux,  qu'elle 
n'iroit  jamais  voir  le  Roi  si  on  ne  l'envoyoit  quérir 
premièrement,  et,  en  cas  qu'elle  y  vînt,  ne  lui  donue- 
roit  point  de  conseils,  ni  ne  se  mèleroit  d'aucune  affaire. 

Bien  que  ces  choses  outrepassassent  tout  devoir  et 
tout  exemple,  et  que  ces  assurances  fussent  telles 
que,  jointes  à  la  force  qu'ils  a  voient  en  main,  il  sem- 
blât qu'il  fût  superflu  d'en  demander  davantage, 
néanmoins  la  connoissance  de  leur  crime,  qui  est  tou- 
jours craintive  et  ne  peut  trouver  de  sûreté,  les  fit 
passer  plus  avant,  et  désirer  d'elle  la  déclaration  sui- 
vante, qu'elle  donna  au  P.  Arnoux,  écrite  et  signée 
de  sa  main,  en  un  autre  voyage  qu'il  y  fit  exprès  pour 
ce  sujet ^  : 

«  Marie,  par  la  grâce  de  Dieu,  reine  de  France  et  de 
Navarre,  mère  du  Roi.  Dieu,  qui  sait  l'intérieur  de  nos 
pensées,  ayant  par  sa  divine  providence  voulu,  pour 
faire  voir  à  un  chacun  la  pureté  des  nôtres,  et  pour 
nous  relever  du  doute  auquel  nous  étions  que  des  gens 
mal  affectionnés  n'eussent  rendu  par  leurs  calomnies 
ordinaires  le  Roi  mal  satisfait  de  nous,  qu'il  plût  au 

1.  D'après  le  Journal  d'Arnauld  d'Andilly^  p.  382,  ce  serait 
Modène  qui  serait  allé  à  Blois  pour  en  rapporter  cette  déclara- 
tion. Il  paraît  plus  vraisemblable  de  s'en  tenir  à  l'indication 
donnée  par  Richelieu.  —  La  lettre  de  la  Reine  mère,  signée 
Marie  et  contresignée  Phélypeaux,  se  trouve  en  original  aux 
Affaires  étrangères  i France  772,  fol.  19  et  20i.  —  >~ous  avons 
collationné  le  texte  original  de  cette  déclaration  avec  celui 
donné  par  le  manuscrit  B,  et,  là  où  il  y  avait  divergence,  nous 
avons  suivi  la  leçon  de  l'original. 


[1618]  DE  RICHELIEU.  307 

Roi,  notredit  sieur ^  et  fils,  touché  de  son  bon  naturel, 
nous  faire  pleinement  entendre  et  confirmer  par  ses 
lettres,  et  de  la  bouche  du  Révérend  Père  Arnoux,  de 
la  Compagnie  de  Jésus,  et  son  coni'esseur  ordinaire, 
la  pureté  de  son  âme,  sa  prudente  conduite  au  gou- 
vernement de  son  État,  et  son  amour  singulière  en 
notre  endroit,  nous,  qui,  conformément  à  nos  souhaits, 
avons  ressenti,  par  sa  venue,  des  preuves  de  cette 
affection  qui  nous  fait  espérer  toute  sorte  de  bon  trai- 
tement, le  Roi  notre  sieur  et  fils  étant  inviolable  en 
ses  promesses,  pour  reconnoissance  de  la  joie  que 
nous  en  avons,  et  pour  en  rendre  un  chacun  bien 
informé,  et  de  nos  bonnes  et  sincères  intentions  à  y 
correspondre  par  une  bonne  conscience  et  union  de 
volonté,  avons  fait  et  faisons  au  Roi,  notredit  sieur  et 
fils,  devant  Dieu  et  ses  anges,  les  soumissions,  pro- 
testations et  promesses  ci-après  déclarées  :  de  n'avoir 
pour  maintenant  ni  à^  l'avenir,  non  plus  que  j'ai  eu 
par  le  passé,  désir  ni  pensée  qui  ne  tendent  à  la  pros- 
périté et  avancement  de  ses  affaires,  au  bien,  repos 
et  grandeur  de  son  État,  et  de  lui  vouloir  rendre  les 
devoirs  et  obéissance  qui  lui  sont  dus  comme  à  notre 
roi  et  souverain  seigneur,  résignant  toutes  nos  volon- 
tés entre ^  ses  mains;  de  n'avoir  aucune  correspon- 
dance dedans  ni  dehors  le  royaume,  en  chose  quel- 
conque qui  puisse  préjudicier  à  son  service,  désavouant 
toutes  personnes,  de  quelque  état  et  qualité  qu'ils^ 

1.  Le  manuscrit  B  porte  seigneur,  ainsi  que  dans  toutes  les 
autres  formules  similaires  qui  se  trouvent  contenues  dans  la 
suite  de  cette  déclaration. 

2.  Le  manuscrit  B  porte /jour. 

3.  Le  manuscrit  B  porte  en. 

4.  Nous  respectons  le  texte  original  qui  porte  qu'ils. 


308  MÉMOIRES  [1618] 

soient,  qui,  sous  notre  nom  et  autorité,  se  voudroient 
ingérer  d'aucunes  pratiques  et  menées,  ou  feroient 
aucune  chose  contre  la  volonté  du  Roi,  notredit  sieur 
et  fils,  et  la  nôtre;  d'avertir  aussitôt  le  Roi,  notre 
sieur  et  fils,  des  rapports  et  ouvertures  contre*  son 
service,  et  de  ceux  qui  nous  les  auroient  faits,  au  cas 
qu'il  y  en  eût  de  si  téméraires;  de  déférer  et  faire 
connoître  ceux  qui  seront  ainsi  mal  affectionnés, 
même  de  se  joindre,  si  besoin  est,  à  la  poursuite  qui 
sera  faite  contre  eux,  pour  en  ordonner  en  justice^  la 
punition  exemplaire;  de  n'avoir  aucune  volonté  de 
retourner  à  la  cour,  que  lorsque  le  Roi,  notredit  sieur 
et  fils,  nous  l'ordonnera,  désirant,  non  seulement  en 
cela,  mais  en  toutes  autres  choses,  observer  religieu- 
sement ses  commandements;  que,  si  nous  avons  sou- 
haité avec  passion  ce  voyage,  c'a  été  pour  avoir  l'hon- 
neur de  le  voir  et  pour  lui  faire  connoître,  par  nos 
déportements  pleins  de  respect  et  d'obéissance,  que 
l'on  nous  avoit  blâmée  sans  sujet,  n'ayant  eu  aucun 
désir  de  nous  mêler  d'affaires,  comme  l'on  l'avoit 
voulu  faire  accroire  au  Roi,  notre  sieur  et  fils,  qui 
doit  régner  seul  et  qui  peut,  par  sa  prudence  mieux 
que  par  l'entremise  de  qui  que  ce  soit,  gouverner  son 
État  avec  la  justice  et  réputation  qui  y  est  requise, 
reconnoissant  que  les  bonnes  qualités  et  inclinations 
qu'il  y  avoit  de  son  jeune  âge  nous  avoient  été  autant 
de  promesses  des  effets  qu'il  y  fait  reluire  de  sa  pru- 
dente conduite.  Nous  finirons  par  une  vérité  tirée  de 
notre  cœur,  qui  est  que,  si  la  conservation  du  Roi. 

1.  L'original  porte  contre  à  son  service;  le  manuscrit  B  avait 
corrigé  en  contraires . 

2.  Le  manuscrit  B  porte,  par  erreur,  ensuite. 


[1618]  DE  RICHELIEU.  309 

notredit  sieur  et  fils,  dépendoit  de  notre  perte,  nous 
y  consentirions,  pour  lui  témoigner  que  nous  l'hono- 
rons plus  que  nous  ne  nous  aimons  nous-même.  Et, 
afin  que  cette  déclaration  puisse  être  notoire  à  un  cha- 
cun, nous  avons  consenti  •  qu'il  en  soit  expédié  plu- 
sieurs copies,  pour  être  publiées  si  notredit  sieur  et 
fils^  le  désire.  Fait  à  Blois,  le  3®  jour  de  novembre 
1618.  » 

Tout  cela  ne  suffit  pas  encore  ;  ils  la  veulent  resser- 
rer davantage  et  font  dessein  de  la  mettre  dans  le  châ- 
teau d'Amboise.  Ils  le  demandent  ou^  le  gouvernement 
de  Normandie  dont  elle  étoit  pourvue^.  On  parle  même 
de  la  faire  entrer  dans  un  monastère,  et  le  sieur  de 
Villesavin^,  qui  étoit  l'un  des  siens,  mais  affidé  à  la 
faveur,  lui  propose  d'y  entrer  de  son  mouvement. 

Tant  de  mauvais  traitements  qu'elle  n'eût  jamais 
pensés  lui  en  font  encore  attendre  d'autres  pires  qu'elle 
ne  se  pouvoit  imaginer,  croyant  que  leur  malice  trou- 
veroit  tous  les  jours  de  nouveaux  moyens  de  lui  faire 
du  mal,  puisqu'ils  lui  en  avoient  déjà  tant  fait,  dont  il 
n'y  en  avoit  point  d'exemple  en  personne  devant  elle. 
En  ces  tristes  attentes,  sans  espoir  de  mieux,  elle  passa 
le  reste  de  l'année,  sans  autre  compagnie  que  de  ses 
larmes  et  soupirs. 

1.  Le  manuscrit  B  porte  convenu. 

2.  Notredit  fils,  d'après  le  manuscrit  B. 

3.  Le  mot  ou  semble  barré  sur  le  manuscrit  B. 

4.  Cette  phrase  signifie  :  Ils  demandent  qu'elle  soit  enfermée 
dans  le  château  d'Amboise,  ou  qu'elle  cède  le  gouvernement  de 
Normandie. 

5.  Jean  Phélypeaux,  seigneur  de  Villesavin,  secrétaire  des 
commandements  de  Marie  de  Médicis,  devint  dans  la  suite 
maître  des  comptes,  conseiller  d'Etat  et  comte  de  Buzançais; 
il  mourut  en  novembre  1660. 


310  MÉMOIRES  [1618] 

Sur  la  fin  de  l'année,  le  cardinal  de  Savoie ^  vint  en 
France  pour  remercier  le  Roi  de  l'assistance  royale  que 
le  duc  son  père  avoit  reçue  de  S.  M.  et  lui  demander 
Madame-,  sa  seconde  sœur,  en  mariage  pour  le  prince 
de  Piémont,  laquelle  lui  fut  accordée  sans  qu'on  en 
envoyât  demander  le  consentement  à  la  Reine  sa  mère, 
qui  tint  ce  traitement  le  plus  cruel  qu'aucun  qu'elle 
eût  reçu  jusqu'alors,  lui  étant  fait  en  une  chose  si 
intime  comme  lui  étoit  Madame  sa  fille  ^. 

Durant  cette  année,  l'empereur  Mathias,  qui  avoit, 
il  y  avoit  un  an,  fait  élire  l'archiduc  Ferdinand  roi  de 
Bohême,  à  la  charge  qu'il  ne  se  mèleroit  des  affaires 
du  royaume  qu'après  sa  mort,  fit  le  même  du  royaume 
de  Hongrie  en  sa  faveur^.  Mais,  incontinent  après ^, 
ledit  Ferdinand  se  saisit  de  la  personne  du  cardinal 
Klessel^,  chef  du  conseil  dudit  Empereur,  en  haine, 
ce  disoit-on,  de  ce  qu'il  s'étoit  opposé  tant  qu'il  avoit 

1.  Maurice  de  Savoie  (1593-1657),  fils  de  Charles-Emma- 
nuel I",  duc  de  Savoie,  et  de  Catherine  d'Autriche,  nommé 
cardinal  en  1607,  quitta  la  pourpre  en  1642  pour  épouser  sa 
nièce  la  princesse  Louise-Marie  de  Savoie.  Lors  de  son  ambas- 
sade en  France  en  1618,  le  cardinal  de  Savoie  était  accompa- 
gné, entre  autres  personnes,  de  François  de  Sales,  évêque  de 
Genève,  de  Philibert  Scaglia,  comte  de  Verrue,  et  d'Antoine 
Faure,  premier  président  de  Savoie. 

2.  Marie-Christine  de  France  (1606-1663). 

3.  Voyez  pour  plus  de  détails  le  Mercure  français,  t.  V, 
année  1618,  p.  277-280. 

4.  Le  Mercure  français,  t.  V,  année  1618,  p.  115  et  suivantes, 
a  donné  le  récit  de  ces  négociations.  —  Avant  l'élection,  une 
assemblée  des  Etats  fut  convoquée  à  Presbourg,  le  14  mars,  et 
l'élection  eut  lieu  dans  cette  ville,  le  1*""  juillet. 

5.  Le  20  juillet  1618. 

6.  Melchior  Klessel,  évêque  de  Vienne  en  Autriche,  cardi- 
nal en  1615,  mort  en  1630. 


[1618]  DE  RICHELIEU.  311 

pu  aux  susdites  démissions  de  l'Empereur,  mais  sous 
prétexte  qu'il  fomentoit  un  soulèvement  très  grand 
qui  étoit  survenu  en  Bohème,  où  tout  le  peuple  s'étoit 
révolté  contre  l'Empereur,  sous  la  conduite  du  comte 
de  la  Tour^,  à  raison  de  quelques  temples  que  ceux 
qu'ils  appellent  évangéliques,  c'est-à-dire  communiant 
sous  les  deux  espèces,  avoient  voulu  faire  bâtir  en 
quelques  terres  ecclésiastiques,  qui  ne  les  avoient  pas 
voulu  souffrir  et  avoient  été  soutenues  de  l'Empereur. 

Ce  soulèvement  vint  si  avant  qu'ils  tinrent  en  mai 
les  États  contre  la  volonté  de  S.  M.  I.,  jetèrent  ses 
conseillers  par  les  fenêtres  du  haut  en  bas  du  château 
de  Prague-,  ensuite  prirent  les  armes,  firent  une 
armée,  se  défendirent  contre  celle  que  l'Empereur 
envoya  contre  eux,  se  rendirent  maîtres  de  la  Bohême, 
Silésie  et  Moravie,  et  reçurent  promesse  d'assistance 
des  protestants  d'Allemagne  et  des  États  de  Hollande^. 

Le  roi  Ferdinand  et  l'archiduc  Maximilien^,  suppo- 
sant que  le  cardinal  Klessel,  comme  nous  avons  dit^, 
connivoit  avec   eux,  le  firent  arrêter  à  Vienne,   le 

1.  Henri-Mathias,  comte  de  Thui'n  ou  de  la  Tour  (1580-1640), 
fut  un  des  chefs  du  parti  national  bohémien  dans  la  révolte  de 
1618;  plus  tard,  il  fut  un  des  compagnons  d'armes  de  Bethlen 
Gabor  et  prit  part  à  la  guerre  de  Trente  ans  sous  Gustave- 
Adolphe  et  sous  Wallenstein.  Il  y  a.  de  la  Thurn  dans  le  ms.  B. 

2.  Cet  événement,  connu  sous  le  nom  de  Défenestration  de 
Prague,  eut  lieu  le  23  mai  1618. 

3.  De  copieux  détails  sur  ces  événements  sont  donnés  dans 
le  Mercure  français,  p.  129-209. 

4.  Maximilien,  archiduc  d'Autriche,  fils  de  l'empereur  Maxi- 
milien  II  et  de  Marie  d'Autriche,  grand  maître  de  l'Ordre  Teu- 
tonique,  mort  en  1618. 

5.  Les  quatre  derniers  mots  ont  été  ajoutés  en  interligne,  de 
la  main  de  Charpentier,  sur  le  manuscrit  B. 


312  MÉMOIRES  [1618] 

2)0"  juillet,  au  retour  de  Presbourg,  où  il  avoit  servi 
ledit  Roi  en  son  assomption  au  royaume  de  Hongrie. 
Et,  afin  de  conserver,  au  moins  en  apparence,  selon 
ce  qui  se  pouvoit  en  telles  rencontres,  l'honneur  dû  à 
sa  dignité  en  l'arrêtant,  ils  lui  firent  prendre  un  bon- 
net et  un  vêtement  noir,  le  firent  monter  en  un  car- 
rosse et  l'envoyèrent  par  relais  de  carrosses  jusqu'en 
Tyrol*.  De  ce  pas  ils  allèrent  trouver  l'Empereur,  qui 
ne  savoit  rien  de  ce  dessein,  et  aimoit  uniquement 
ledit  cardinal,  et  lui  dirent  qu'ils  l'avoient  fait  arrêter 
pour  ce  qu'il  vouloit  troubler  l'union  qui  étoit  entre 
eux,  ce  qu'il  reçut  avec  autant  de  déplaisir  que  la  foi- 
blesse  et  la  maladie  en  laquelle  il  se  trouvoit  l'obli- 
gèrent à  témoigner  le  contraire.  Ce  lui  fut  un  bien 
petit  échange  des  maux  qu'il  avoit  faits  à  l'empereur 
Rodolphe,  son  frère,  du  ressentiment  desquels  il  étoit 
mort. 

La  mort  du  cardinal  du  Perron,  qui  arriva  en  sep- 
tembre^, est  bien  digne  de  clore  cette  année,  et  sa  vie 
et  sa  mort  méritent  d'être  remarquées.  Il  étoit  d'une 
maison  noble  de  la  Basse-Normandie,  né  toutefois  en 
Suisse^,  dont  il  se  glorifioit  à  cause  de  la  fidélité  de  la 
nation.  Son  père^  fut  ministre  et  mourut  le  laissant 
jeune.  Il  vint  à  la  connoissance  de  la  vérité  peu  de 
temps  après  et  eut  cette  bénédiction  de  ramener  sa 
mère  au  giron  de  l'Église.  Dès  l'âge  de  vingt  ans,  il 

1.  Tout  ce  récit  reproduit  presque  dans  les  mêmes  termes  la 
narration  du  Mercure  français,  p.  128. 

2.  Le  5  septembre  1618. 

3.  Le  25  novembre  1556. 

4.  Julien  Davy  du  Perron,  né  vers  1528,  professa  à  Genève 
et  fut  ministre  de  la  religion  réformée  à  Dieppe.  Il  avait  épousé 
une  fille  de  la  maison  de  Languerville. 


[1618]  DE  RICHELIEU.  313 

parut  comme  un  prodige  d'esprit  et  de  science,  et  fut 
choisi  par  le  roi  Henri  III®  pour  un  de  ses  lecteurs^,  et 
de  ceux  qui  faisoient  devant  lui  des  discours  sur  les 
matières  qu'il  leur  proposoit,  où  il  excella  tellement 
qu'il  n'y  avoit  personne  qui  osât  se  comparer  à  lui. 
Après  sa  mort,  le  roi  Henri  IV®  venant  à  la  couronne, 
et  l'hérésie  tenant  le  dessus,  il  la  confondit  en  une 
conférence  qu'il  eut  à  Mantes,  l'an  1593,  avec  le 
ministre  Rotan-,  qui  étoit  un  homme  insigne  entre  les 
hérétiques  ;  depuis  lequel  temps  ils  fuirent  toujours  la 
lice  avec  lui  et  n'osèrent  comparoitre  où  il  étoit  :  ce 
qui  ne  donna  pas  peu  de  branle  à  l'esprit  du  Roi  pour 
l'incliner  à  se  ranger  à  la  religion  catholique.  Il  fut 
depuis  envoyé  à  Rome  par  S.  M.  pour  obtenir  de 
Sa  Sainteté  l'absolution  de  son  hérésie.  A  son  retour, 
il  fut  fait  évéque  d'Évreux^;  l'an  1600,  fit  la  célèbre 
conférence  de  Fontainebleau'^,  en  laquelle  il  emporta 
une  telle  victoire  contre  l'hérésie  que  le  Roi,  qui 
jusques  alors  étoit  chancelant,  se  confirma  en  la  foi, 
et  le  pernicieux  livre  de  du  Plessis-Mornay  contre  la 
messe  perdit  toute  créance,  même  envers  les  héré- 
tiques. Peu  après,  il  fut  fait  cardinal^  et  envoyé  à 
Rome  pour  y  servir  le  Roi,  où  étant  il  fut  fait  arche- 
vêque de  Sens^  et  grand  aumônier  de  France.  De  là, 

1.  Il  touchait  pour  cette  charge  1,200  écus  de  pension. 

2.  Jean-Baptiste  Rotan,  originaire  du  pays  des  Grisons,  fut 
successivement  pasteur  à  Vandœuvres,  la  Rochelle  et  Castres, 
assista  à  l'assemblée  de  Mantes  en  1593,  fut  délégué  aux  synodes 
de  Montauban  et  de  Saumur  et  mourut  le  28  avx'il  1598. 

3.  En  1595,  comme  successeur  de  Claude  de  Saintes. 

4.  Cette  célèbre  conférence  eut  lieu  le  4  mai  1600  et  non  pas 
en  1601  comme  le  porte  le  manuscrit  B. 

5.  En  1606. 

6.  En  1606,  à  la  place  de  René  de  Beaune. 


314  MÉMOIRES  [1619] 

revenant  en  France,  l'an  1607,  il  composa  les  œuvres 
que  depuis  sa  mort  nous  avons  vues  en  lumière.  G'étoit 
un  homme  doux  et  sans  fiel,  facile,  bienfaisant  et 
libéral,  froid  de  son  naturel  et  difficile  de  mettre  en 
train  de  parler;  mais,  quand  il  étoit  échauffé,  il  ne 
pou  voit  être  épuisé  ni  se  taire,  tenant  en  cela,  ce 
semble,  et  de  la  France  de  laquelle  il  avoit  tiré  sa  pre- 
mière origine,  et  de  la  Suisse  en  laquelle  il  étoit  né. 
Il  mourut  très  chrétiennement,  d'une  suppression 
d'urine,  assisté  de  l'évêque  de  Nantes^  et  du  P.  [de] 
Bérulle'^,  supérieur  général  des  prêtres  de  l'Oratoire, 
n'ayant  autre  regret  en  sa  mort  que  de  n'avoir  pas 
résidé  en  son  archevêché^. 

ANNÉE  \^\9. 

La  continuation  des  maux,  qui,  non  seulement 
rompt  les  chaînes  les  plus  ibrtes  de  la  patience,  mais 
donne  du  sentiment  aux  plus  insensibles,  força  enfin 
la  Reine,  nonobstant  la  résolution  qu'elle  avoit  prise 
de  supprimer  ses  maux  par  la  souffrance,  à  chercher 

1.  Henri  de  Bourgneuf,  évêque  de  Nantes  en  1617,  mort  en 
janvier  1621. 

2.  Pierre  de  Bérulle  (1575-1629),  fils  de  Claude,  conseiller 
au  parlement  de  Paris,  et  de  Louise  Séguier,  fut  fondateur  en 
France  et  supérieur  général  de  la  congrégation  de  l'Oratoire; 
il  fut  élevé  au  cardinalat  en  1627. 

3.  Tallemant  des  Réaux,  dans  V Historiette  qu'il  consacre  au 
cardinal  du  Perron  (t.  I,  p.  105-106),  donne  sur  sa  mort  des 
détails  beaucoup  moins  édifiants,  de  même  que  Guy  Patin,  dans 
une  lettre  à  Spon  en  date  du  3  novembre  1649.  L'éloge  funèbre 
inséré  dans  le  Mercure  français,  p.  269,  se  rapproche  par  plus 
d'un  point  de  celui  qui  figure  ici. 


[1619]  DE  RICHELIEU.  315 

les  moyens  les  plus  puissants  de  sortir  hors  de  la  ser- 
vitude en  laquelle  elle  étoit  injustement  détenue,  après 
avoir  tenté  en  vain  tous  les  autres  plus  doux. 

Elle  ne  vouloit  pas  croire,  au  commencement,  toutes 
les  menaces  qui  lui  étoient  faites  de  l'envoyer  hors 
du  royaume,  ou  l'enserrer  dans  un  monastère,  croyant 
que  son  éloignement  étoit  un  assez  fâcheux  exil,  et  le 
château  de  Blois,  dans  lequel  elle  étoit  arrêtée  non 
seulement  au  milieu  des  gens  de  guerre  qui  étoient 
autour  d'elle,  mais  de  ceux  qui  se  disoient  être  ses 
serviteurs  et  étoient  ses  ennemis,  une  prison  assez 
étroite  pour  assouvir  la  mauvaise  volonté  de  ceux  qui 
la  haïssoient.  Mais  enfin,  considérant  par  l'expérience 
du  passé  que  ceux  qui  lui  en  vouloient  ne  trouvoient 
aucune  violence  difficile  pour  se  maintenir  en  l'état  où 
ils  s'étoient  établis  par  la  même  voie,  elle  n'en  fait 
plus  de  doute  et  se  résout  de  sortir  de  Blois*  et  se 
délivrer  de  la  misère  en  laquelle  elle  étoit,  qu'elle  eût 
volontiers  supportée,  selon  que  je  lui  ai  ouï  dire  plu- 

1.  Avec  ces  mots  commence  un  premier  emprunt  fait  à 
un  document  écrit  par  Cherré  en  vue  de  la  rédaction  des 
Mémoires  et  relatant  des  faits  dans  lesquels  Richelieu  joua  un 
rôle  particulièrement  délicat.  Il  se  trouve,  en  manuscrit,  aux 
archives  des  Affaires  étrangères,  dans  le  volume  France  772, 
fol.  243  et  suivants,  au  milieu  de  papiers  provenant  du  cabinet 
du  Cardinal.  En  mar^e  de  ce  récit  on  lit  la  mention  suivante  : 
L'affaire  arriva  ainsi.  Faut  voir  le  mémoire  de  M.  le  cardinal 
de  la  Valette.  On  trouve  dans  les  Mémoires  pour  l'histoire  du 
cardinal-duc  de  Richelieu,  par  Aubery,  Cologne,  1667,  t.  I, 
p.  273,  une  Relation  de  la  sortie  de  la  Reine  mère  de  Blois, 
dont  la  plupart  des  détails  concordent  avec  ceux  du  récit  inséré 
ici.  Cette  relation,  extraite  du  cabinet  de  Talon,  doit  être  la 
même  que  le  Mémoire  de  M.  le  cardinal  de  la  Valette,  cité  plus 
haut.  Talon  était  en  effet  secrétaire  de  ce  cardinal. 


316  MÉMOIRES  [1619] 

sieurs  fois,  si  elle  n'en  eût  appréhendé  une  plus  grande. 

Chanteloube,  qui  étoit  venu  auprès  d'elle  quinze 
jours  après  que  je  fus  parti  de  Blois,  commença  à  tra- 
vailler à  cette  fin.  Tous  les  grands  de  la  cour  qui 
étoient  mécontents  ne  manquoient  pas  de  faire  diverses 
propositions  à  ces  fins  :  tous  parloient  selon  leur  pas- 
sion et  peu  faisoient  des  ouvertures  raisonnables; 
beaucoup  échauffoient  l'esprit  de  la  Reine  et  des  siens 
et  peu  lui  donnoient  des  remèdes.  Enfin,  après  que 
l'on  eut  longtemps  écouté  ceux  qui  parloient  sur  ce 
sujet,  entre  autres  les  duc  de  Mayenne,  prince  de 
Joinville,  cardinal  de  Guise*,  duc  de  Bellegarde  et 
autres  particuliers,  après  même  qu'on  eut  consulté 
le  duc  de  Bouillon,  qui  étoit  tenu  pour  un  oracle  en 
telles  affaii'es,  on  estima  que  le  plus  propre  à  servir  la 
Reine  en  cette  occasion  étoit  le  duc  d'Épernon,  tant  à 
cause  de  son  gouvernement  qui  étoit  ^  en  lieu  où  il  la 
pou  voit  retirer  aisément  qu'à  cause  de  son  humeur 
audacieuse,  plus  tenante  que  celle  de  tous  les  autres. 

Chanteloube  faisoit  de  Blois  à  Paris  plusieurs  voyages, 
inconnu,  pour  conférer  avec  tous  ceux  qui  étoient  plus 
propres  à  animer  la  Reine  qu'à  la  secourir.  Ruccellaï, 
qui,  quelque  temps  après  la  mort  du  maréchal  d'Ancre, 
avoit  obtenu  permission  de  demeurer  à  la  cour,  sur 
la  découverte  qu'il  fit  au  sieur  de  Luynes  des  deniers 
que  le  feu  maréchal  avoit  à  Rome  sous  son  nom  et 
le  service  qu'il  promit  lui  rendre  pour  les  lui  faire 
toucher,  travailloit  aussi  de  son  côté,  quoique  sans 
commission  et  sans  aveu,  et  avec  si  peu  de  discrétion 

1.  Ci-dessus,  p.  80. 

2.  Le  document  de  la  main  de  CheiTé  porte,  avec  plus  de 
raison  :  tant  à  cause  que  son  gouvernement  était... 


[1619]  DE  RICHELIEU.  317 

que  les  favoris,  outrés  de  son  insolence,  le  firent 
chasser  de  la  cour;  ce  qui  l'anima,  non  seulement  à 
travailler  plus  que  jamais  à  cette  fin,  mais  lui  donna 
commodité  de  ce  faire,  vu  qu'il  se  retira  dans  une 
abbaye  qu'il  avoit  en  Champagne^,  assez  proche  des 
ducs  d'Épernon,  qui  étoit  à  Metz,  et  de  Bouillon,  qui 
étoit  à  Sedan,  pour  avoir  communication  avec  eux. 

Le  duc  de  Bouillon  estima  toujours  que  personne 
ne  pouvoit  mieux  servir  la  Reine  en  cette  occasion 
que  le  duc  d'Épernon;  que,  comme  il  pouvoit  plus 
commodément  que  personne  la  retirer  de  Blois  pour 
la  recevoir  à  Loches,  qui  n'en  est  qu'à  treize  lieues, 
et  de  là  la  conduire  à  Angoulème,  personne  ne  pou- 
voit aussi  mieux  que  lui  faire  une  puissante  diversion 
du  côté  de  Champagne,  à  cause  de  l'excellente  place 
qu'il  avoit  et  la  commodité  qu'il  avoit  d'avoir-  des 
étrangers,  soit  de  Hollande,  soit  d'Allemagne,  où  il 
avoit  l'alliance  qu'on  sait  qu'il  a  avec  l'Électeur  pala- 
tin^ et  le  prince  d'Orange^,  soit  du  Liège,  dont  les 
terres  étoient  contiguës  à  celles  de  sa  principauté. 

Mais^  il  se  rencontroit  de  grands  obstacles  en  ce*" 
projet  qui  se  faisoit  pour  la  liberté  de  la  Reine.  Les 

1.  L'abbaye  de  Signy,  de  l'ordre  de  Cîteaux^ 

2.  Le  document  de  la  main  de  Cherré  porte  :  la  commodité 
d'avoir. 

3.  Frédéric  V  (1596-1632)  :  tome  I,  p.  128. 

4.  Frédéric-Henri  de  Nassau,  prince  d'Orange  (1584-1647), 
stathouder  des  Provinces-Unies  en  1625. 

5.  Ce  mot  a  peut-être  été  écrit  en  marge  du  manuscrit  B  par 
Richelieu  ou  encore  par  le  «  secrétaire  de  la  main  »  :  voyez  sur 
ce  personnage  les  Rapports  et  notices  sur  les  présents  Mémoires , 
fasc.  IV. 

6.  Ces  deux  mots  ont  peut-éti*e  été  mis,  sur  le  manuscrit  B, 


318  MÉMOIRES  [1619] 

ducs  d'Épernon  et  de  Bouillon  étoient  si  mal  ensemble 
qu'ils  ne  pouvoient  prendre  confiance  l'un  à  l'autre; 
ils  avoient  si  mauvaise  opinion  de  Ruccellaï,  tant  parce 
qu'il  étoit  étranger  qu'à  cause  de  la  légèreté,  vanité 
et  mauvaise  conduite  qu'il  avoit  témoignées  en  tous 
les  lieux  et  en  toutes  sortes  d'occasions,  qu'ils  ne  vou- 
loient  prendre  aucune  confiance  en  lui.  D'autre  part, 
le  duc  de  Bouillon  ne  faisoit  jamais  rien  sans  argent, 
et,  qui  plus  est,  le  duc  d'Épernon  et  lui  en  avoient 
besoin  pour  une  telle  entreprise  ;  la  Reine  n'en  avoit 
point,  tant  parce  que  pendant  sa  régence  elle  n'avoit 
pas  été  fort  soigneuse  d'en  amasser,  que  pour  ce  qu'elle 
avoit  confié  ce  qu'elle  en  avoit  mis  à  part,  entre  les 
mains  de  la  grande-duchesse  de  Florence^,  qui  gou- 
vernoit  lors  l'État  de  son  fils^,  qui  étoit  mineur; 
qu'elle  %  bien  éloignée  de  la  secourir  du  sien  en  une 
telle  occasion,  ne  voulut  jamais  lui  rendre  deux  cent 
mille  écus  qu'elle  lui  gardoit  pour  s'en  servir  à  temps. 
Si  les  ducs  de  Bouillon  et  d'Épernon  étoient  en 
défiance  de  Ruccellaï,  la  Reine  l'étoit  encore  davan- 
tage :  ce  qui  l'obligea  à  les  faire  avertir  qu'ils  n'eussent 
aucune  créance  en  ce  personnage.  S.  M.  en  usa  ainsi, 
non  seulement  pour  éviter  le  dégoût  de  ces  seigneurs, 
mais  en  out|?.e  parce  que  le  duc  de  Bellegarde,  qui 
étoit  à  la  cour,  lui  avoit  écrit  que  cet  homme  se  gou- 

par  Richelieu  ou  par  le  «  secrétaire  de  la  main  »,  à  la  place  de 
au,  qui  est  également  la  leçon  donnée  par  le  document  de  la 
main  de  Cherré. 

1.  Christine  de  Lorraine,  veuve  de  Ferdinand  P'"de  Médicis, 
grand-duc  de  Toscane  (tome  I,  p.  14). 

2.  Côme  II  de  Médicis  (1590-1621),  grand-duc  de  Toscane. 

3.  C'est-à-dire  la  grande-duchesse  de  Toscane. 


[1619]  DE  RICHELIEU.  319 

vernoit  si  imprudemment  dans  la  cour  et  se  faisoit 
de  fête  si  indiscrètement  es  affaires  de  la  Reine  que, 
s'il  continuoit,  il  les  perdroit  tous*  :  ce  qui  donna  lieu 
à  S.  M.  de  faire  dire  au  prince  de  Joinville,  et  à  ceux 
à  qui  elle  avoit  confiance  dans  Paris,  de  n'en  prendre 
aucune  en  cet  esprit  chaud  et  bouillant. 

Nonobstant  l'aversion  que  le  duc  d'Épernon  avoit 
de  cet  esprit  et  les  a\-is  qu'il  avoit  reçus  de  la  Reine, 
il  n'eut  pas  plus  tôt  vu  ce  personnage  dans  ^letz,  où  il 
l'alla  trouver  de  son  mouvement,  que,  passant  d'une 
extrémité  à  l'autre,  il  s'ouvrit  entièrement  à  lui 
du  dessein  qu'il  avoit  de  ser\ir  la  Reine  au  désir 
qu'elle  avoit  de  sortir  de  Blois.  Au  bout  de  quelques 
jours,  il  fit  un  voyage  en  secret  à  Sedan,  avec  aussi 
peu  de  commission  que  celle  qu'il  avoit  quand  il  fut  à 
Metz,  où  il  gagna  aussi,  sinon  la  confiance  du  duc  de 
Bouillon  qui  n'étoit  pas  aisée  à  avoir,  au  moins  la 
souffrance  qu'il  s'entremît  en  toutes  ces  affaires,  qui, 
enfin,  par  d'autres  négociations,  et  entre  autres  d'un 
nommé  Vincenze*,  secrétaire  du  feu  maréchal  d'Ancre, 
que  la  Reine  envoya  au  duc  d'Épernon,  réussirent  au 
contentement  de  S.  M. 

Il  arriva  beaucoup  de  traverses  en  cette  négociation. 
Ce  Vincenze,  allant  trouver  ledit  duc  d'Épernon, 
chargé  d'une  lettre  qu'il  avoit  désirée,  par  laquelle  la 
Reine  le  conjuroit,  par  la  mémoire  du  feu  Roi,  de  l'as- 
sister en  sa  sortie,  lettre  qui  contenoit  tous  les  motifs 

1.  Le  manuscrit  B  portait  primitivement  toutes.  Sancv  a  cor- 
rigé et  mis  tous. 

2.  Vincenzo  Ludovici  (appelé  Vincenze),  chargé  de  diverses 
missions  par  Marie  de  Médicis,  fut,  de  1622  à  1627,  maîti'e 
de  sa  garde-robe  aux  appointements  de  trois  cents  livres. 


320  MÉMOIRES  [1619] 

qu'on  pouvoit  prendre  pour  colorer  son  action,  fut 
arrêté  à  Troyes,  et,  étant  reconnu,  fouillé  si  exacte- 
ment qu'on  décousit  tout  son  habit,  hormis  au  lieu  où 
il  l'avoit  cachée;  après  n'avoir  rien  trouvé,  la  fermeté 
avec  laquelle  il  soutint  qu'il  s'en  alloit  en  Allemagne 
par  les  Grisons  fît  qu'en  lui  donnant  liberté  on  lui  donna 
lieu  d'achever  son  voyage. 

Il  arriva  ensuite  que,  lorsque^  le  duc  d'Épernon  fut 
résolu  à  partir  de  Metz  pour  aller  trouver  la  Reine, 
Ruccellaï  fut  si  imprudent^  que  de  dépêcher  un  page 
qu'il  avoit^,  au  comte  de  Braine^  qui  étoit  à  Blois, 
pour  lui  donner  avis,  par  une  lettre,  du  jour  du  par- 
tement  du  duc  d'Épernon,  et  assurer  la  Reine  de  la 
résolution  qu'il  avoit  de  la  tirer  du  lieu  où  elle  étoit. 
Ce  page  infidèle  et  traître,  sachant  bien  qu'il  portoit 
(juelque  chose  d'important,  fut  expressément  à  Paris 
pour  vendre  sa  dépêche  au  duc  de  Luynes;  mais  le 
sieur  011ier\  conseiller  de  la  cour,  qui  étoit  serviteur 
de  la  Reine,  étant  averti  de  son  arrivée  et  lui  ayant 
tiré  les  vers  du  nez,  lui  donna  trois  cents  écus  pour 
tirer  sa  dépêche  et  le  tint  quelque  temps  à  couvert 
chez  lui^. 

1.  Lorsque  a  été  ajouté  en  interligne  sur  le  manuscrit  B. 

2.  On  lit  sur  le  document  de  la  main  de  Cherré  :  Imprudent. 
C'est,  semble-t-il,  la  bonne  leçon,  quoique  le  manuscrit  B 
donne  impudent. 

3.  Il  s'appelait  Lorme.  Voyez  Y  Histoire  de  la  vie  du  duc 
d'Épernon,  par  Girard,  éd.  1663,  t.  II,  p.  343. 

4.  Anne  de  la  Marck,  comte  de  Braine,  premier  écuyer  de 
la  reine  Marie  de  Médicis  de  1619  à  1620. 

5.  Jacques  Ollier,  conseiller  au  Parlement  en  1595,  maître 
des  requêtes  en  1617,  entra  au  conseil  de  la  Reine  mère  en 
1625  et  devint  conseiller  d'État  en  1629. 

6.  Fontenay-Mareuil    [Mémoires,  p.  434-435)    raconte   ces 


[1619]  DE  RICHELIEU.  321 

Le  duc  de  Bellegarde,  sachant  obscurément  qu'il  se 
faisoit  quelque  dessein  pour  la  sortie  de  la  Reine  et 
que  le  duc  d'Épernon  y  étoit  mêlé,  écrivit  une  lettre 
de  six  feuilles  à  S.  M.,  par  laquelle,  après  avoir  dépeint 
le  duc  d'Épernon  de  vives  couleurs,  il  concluoit  que, 
si  elle  se  mettoit  entre  ses  mains,  elle  seroit  plus  pri- 
sonnière qu'elle  n'étoit  aux  lieux  où  elle  étoit;  que  son 
humeur  tyrannique  lui  devoit  assez  faire  connoître  la 
vérité  de  son  avis,  sans  qu'il  fallût  de  grandes  raisons 
pour  lui  prouver.  Pour  la  détourner  même  de  ce  des- 
sein, il  lui  offroit  de  la  retirer  en  Bourgogne,  dont 
S.  M.  ne  fît  pas  de  cas  :  elle  connoissoit  trop  la  jalou- 
sie en  laquelle  ce  personnage  s'est  nourri  toute  sa  vie, 
et  l'envie  qu'il  a  de  la  gloire  d'autrui,  voire  même  de 
celle  à  laquelle  il  n'est  pas  capable  d'aspirer,  pour 
ajouter  foi  à  ses  avis.  Il  est  bien  vrai  qu'elle  appré- 
hendoit  l'humeur  du  duc  d'Épernon;  mais  elle  étoit  en 
un  tel  état  qu'elle  savoit  bien  que  tout  autre  ^  lui  seroit 
meilleur;  elle  savoit,  en  outre,  très  bien  qu'encore  que 
le  duc  de  Bellegarde  fût  capable  de  lui  offrir  retraite,  il 
ne  l'étoit  pas  de  se  résoudre  à  la  lui  donner,  beaucoup 

mêmes  faits  assez  difiFéremment  :  «  Un  des  gens  de  M.  du  Buis- 
son, conseiller  au  Parlement,  qui  avoit  le  secret  de  la  Reine 
mère  dans  Paris,  le  rencontra  (l'envoyé  de  Ruccellaï)  par 
hasard  dans  les  rues  et  en  avertit  son  maître,  lequel,  ne  dou- 
tant point  de  la  trahison,  puisqu'il  n'étoit  point  allé  chez  lui 
comme  il  avoit  accoutumé,  fit  une  telle  perquisition  qu'il  trouva 
enfin  son  logis  ;  et,  lui  ayant  hardiment  fait  demander  son  paquet 
au  nom  de  M.  de  Luynes  et  donner  au  même  temps  cinq  cents 
écus,  le  retira  et  le  fît  tenir  à  la  Reine;  mais  il  n'arriva  que 
comme  elle  étoit  sur  le  point  de  partir.  » 
i.  Tout  autre  état. 

II  21 


322  MÉMOIRES  [1619] 

moins  de  soutenir  une  telle  action,  quand  même  il  la 
voudroit  faire. 

Gomme  rien  ne  la  détourna  du  traité  qu'elle  avoit 
fait  pour  se  retirer  à  Angoulême,  rien  ne  put  divertir 
aussi  le  duc  d'Épernon  de  partir  de  Metz  pour  la  venir 
servir  en  cette  occasion  ^  Il  y  étoit  allé^  dès  l'année 
précédente  sur  des  mécontentements  imaginaires,  mais 
en  effet  par  la  seule  inquiétude  de  son  naturel,  qui  ne 
peut  supporter  de  voir  personne  au-dessus  de  lui, 
comme  il  témoigna  assez,  en  ce  que,  peu  auparavant 
son  partement,  rencontrant  Luynes  sur  le  degré  du 
Louvre,  il  lui  dit  :  «  Vous  autres,  Messieurs,  vous 
montez,  et  nous  descendons.  » 

Il  ne  fut  pas  si  tôt  à  Metz  qu'il  y  fit  des  siennes  et 
se  comporta  si  violemment  envers  la  justice  que  le 
président  même  fut  contraint  de  s'en  absenter.  Le 
sieur  Favier,  maître  des  requêtes^,  fut  envoyé  pour 
remédier  à  ces  désordres,  et  quant  et  quant  porter 
commandement  au  duc  d'Épernon^  de  ne  point  partir 
de  Metz  jusqu'à  ce  qu'il  eût  eu  ordre  exprès  de  S.  M., 
qui  prenoit  le  sujet  des  mouvements  de  Bohême  pour 

1.  C'est  ici  que  se  termine  l'emprunt  fait  au  document  écrit 
par  Cherré  (France  772,  fol.  243-246  v°).  Comme  il  est  d'usage 
pour  tout  extrait  devant  entrer  dans  les  Mémoires,  le  début  et 
la  fin  en  sont  marqués  respectivement  par  des  lettres  (en  l'es- 
pèce A  et  B)  ;  les  premiers  mots  à  copier  sont  soulignés,  les  der- 
niers sont  isolés  du  reste  du  texte  par  un  crochet. 

2.  A  Metz. 

3.  Jacques  Favier,  conseiller  au  Parlement  en  1595,  devint 
maître  des  requêtes  en  1605,  démissionna  en  1626  et  mourut 
le  2  janvier  1654. 

4.  Le  Mercure  français,  t.  V,  année  1619,  p.  127,  donne  ces 
mêmes  détails,  ainsi  que  le  texte  de  la  lettre  écrite  par  le  Roi  au 
duc  d'Épernon  à  ce  sujet  et  qui  était  datée  du  11  janvier  1619. 


[1619]  DE  RICHELIEU.  323 

prétexte  d'avoir  besoin  de  sa  présence  sur  cette  fron- 
tière pour  son  service. 

Ledit  duc  écrivit ^  à  S.  M.  et  la  supplia  de  trouver 
bon  qu'il  s'en  allât  chez  lui,  où  la  nécessité  de  ses 
affaires  le  rappeloit,  disant  qu'il  ne  s'estimoit  pas  être 
si  misérable  ni  si  peu  estimé  de  S.  M.,  qu'elle  voulût 
se  servir  de  lui  en  son  âge  pour  faire  passer  plus  sûre- 
ment des  paquets  en  Allemagne.  D'abord,  on  lui 
accorda  sa  demande,  puis  on  la  lui  refusa,  puis  après 
il  obtint,  par  l'entremise  de  quelqu'un  de  ses  amis 
puissants  à  la  cour,  qu'on  le  lui  accorderoit  après  un 
mois  de  délai. 

Ce  temps  expiré,  après  avoir  pourvu  la  citadelle  de 
Metz  de  tout  ce  qui  y  étoit  nécessaire,  il  y  laissa  le  duc 
de  la  Valette^  en  sa  place,  et  en  partit,  ayant  fait 
tenir  quelques  jours  auparavant  les  portes  de  la  ville 
fermées,  et  semblablement  aussi,  quelques  jours  après 
qu'il  en  fut  parti  ;  de  sorte  qu'on  n'en  eut  point  avis  à 
la  cour,  que  par  la  lettre  qu'il  en  écrivit  au  Roi  du 
pont  de  Vichy  le  T  février,  ayant  déjà  traversé  la  Lor- 
raine et  la  Bourgogne,  passé  Loire  entre  Decize^  et 
Roanne,  et  la  rivière  d'Allier  audit  pont  de  Vichy ^. 

1.  Cette  lettre  a  été  imprimée  dans  le  Mercure  français, 
p.  129  et  suivantes.  Elle  porte  la  date  du  17  janvier  1619. 

2.  Bernard  de  Nogaret  (1592-1661),  marquis,  puis  duc  de 
la  Valette  à  partir  de  1622,  fils  de  Jean-Louis  de  Nogaret,  duc 
d'Epernon,  et  de  Marguerite  de  Foix-Candale,  fut  colonel  géné- 
ral de  l'infanterie;  condamné  à  mort  par  contumace  pour  crime 
de  haute  trahison,  à  la  suite  d'un  échec  au  siège  de  Fontarabie 
(1639),  il  fut  réhabilité  après  la  mort  de  Louis  XIIL 

3.  Chef-lieu  de  canton  du  département  de  la  Nièvre,  à  trente- 
quatre  kilomètres  sud-est  de  Nevers. 

4.  Ce  paragraphe  semble  avoir  été  tiré  du  Mercure  français, 


324  MÉMOIRES  [1019] 

Son*  parlement  de  Metz  étonna  grandement  les 
favoris  qui  se  rassurèrent  aucunement  quand  ils  surent 
qu'au  lieu  d'aller  à  Blois,  comme  ils  le  croyoient,  il 
tira  droit  à  Angoulême  :  ce  que  le  duc  fit  expressément 
pour  leur  ôter  l'imagination  de  ce  qu'il  vouloit  faire  et 
l'exécuter  plus  sûrement,  ainsi  qu'il  fit,  en  ce  que, 
comme  il  fut  à  l'entrée  de  l'Angoumois,  il  retourna 
droit  à  Loches  pour  y  recevoir  la  Reine,  que  Mon- 
sieur de  Toulouse^,  maintenant  cardinal  de  la  Valette, 
et  le  sieur  du  Plessis^,  sergent  de  bataille,  domestique 
et  confident  du  duc  d'Épernon,  étoient  allés  quérir  à 
Blois  pour  la  rendre  à  Loches  au  même  temps  que 
ledit  duc  y  arriveroit^. 

t.  V,  année  1619,  p.  133  et  suiv.  La  lettre  écrite  par  le  duc 
d'Epernon  au  Roi,  du  pont  de  Vichy,  y  a  été  imprimée  p.  133. 

1.  Avec  cet  alinéa  commence  un  nouvel  emprunt  au  document 
écrit  par  Cherré  (France  772,  fol.  246  v°). 

2.  Louis  de  Nogaret,  troisième  fils  du  duc  d'Epernon,  né 
en  1593,  archevêque  de  Toulouse  en  1614,  cardinal  en  1621, 
fut  chargé  par  Richelieu  d'importants  commandements  mili- 
taires et  mourut  le  28  septembre  1639.  Il  a  laissé  une  Relation 
de  la  sortie  de  la  Reine  mère  de  Blois;  voyez  ci -dessus, 
p.  315. 

3.  Girard,  dans  V Histoire  de  la  vie  du  duc  d'Epernon,  t.  II, 
p.  227,  appelle  ce  personnage  le  sieur  du  Plessis-Baussonnière 
et  en  donne  le  portrait  suivant  :  «  Ce  gentilhomme  s'étoit  atta- 
ché à  son  service  [du  duc  d'Epernon]  dès  ses  plus  jeunes  années 
et...  l'avoit  suivi  et  servi  en  Provence,  commandant,  durant 
tout  le  temps  que  le  duc  y  fit  la  guerre,  le  régiment  de  Pernes, 
son  beau-frère.  On  l'a  vu  depuis,  durant  la  longue  vie  du  duc, 
toujours  employé  dans  les  plus  grandes  et  les  plus  importantes 
affaires  qu'il  ait  eues.  Sa  bonne  conduite  y  a  paru  également 
avec  sa  fidélité.  » 

4.  Ici  s'arrête  le  second  emprunt  fait  au  document  écrit  par 
Cherré. 


[1619]  DE  RICHELIEU.  325 

Étant  résolue  à  sa  sortie  et  considérant  que,  d'un 
côté,  on  avoit  mis  des  forces  à  l'entour  de  Blois,  qui 
servoient  de  ceps  *  à  sa  liberté  ;  que  le  comte  de  Ghe- 
verny^,  gouverneur  du  Blaisois,  avoit  promis  de  s'op- 
poser à  tous  ses  justes  desseins;  que  quelques-uns 
même  de  ses  domestiques  étoient  gagnés  à  cet  effet, 
elle  se  trouve  contrainte  de  se  servir  de  la  nuit  pour 
couvrir  sa  retraite  et  de  ne  point  rechercher  d'autres 
portes  que  des  fenêtres,  d'autres  degrés  qu'une 
échelle^.  Elle  descend  donc  de  la  hauteur  de  plus  de 
six-vingts  pieds  et,  passant  seule  avec  une  de  ses 
femmes,  le  comte  de  Braîne,  son  premier  écuyer, 
deux  exempts  de  ses  gardes^,  elle  gagne  un  carrosse 
qui  étoit  au  delà  du  pont,  avec  lequel,  accompagnée 
de  huit  personnes,  elle  se  rendit  à  Montrichard^,  à  six 
grandes  Heues  de  là,  où  elle  rencontra  le  cardinal  de 
la  Valette,  lors  archevêque  de  Toulouse,  avec  trente 
ou  quarante  gentilshommes  qui  l'accompagnèrent 
jusques  à  Loches,  sur  le  chemin  duquel  elle  fut  reçue 
du  duc  d'Épernon,  assisté  de  deux  cents  chevaux^. 

Le  sieur  de  Luynes,  après  avoir  reçu  les  lettres  du 

1.  Dans  le  sens  de  liens,  chaînes,  fers. 

2.  Henri  Hurault,  comte  de  Cheverny,  capitaine  de  cent 
hommes  d'armes,  gouverneur  de  Chartres  et  du  pays  Char- 
train,  bailli  de  Blois,  fils  du  chancelier  de  Cheverny,  mourut 
en  1648. 

3.  L'évasion  eut  lieu  dans  la  nuit  du  21  au  22  février. 

4.  Ces  exempts  s'appelaient  La  Masure  et  Merçay  et  la  femme 
de  chambre  la  «  signora  »  Catherine  [Mémoires  de  Fontenay- 
Mareuil,  p.  435). 

5.  Montrichard,  chef-lieu  de  canton  du  département  du 
Loir-et-Cher. 

6.  Voyez  le  Mercure  françois,  t.  V,  année  1619,  p.  136  et  137. 


326  MÉMOIRES  [1619] 

duc  d'Épernon,  par  lesquelles  il  sut  son  partement  de 
Metz,  ne  tarda  guère  à  recevoir  celles  que  la  Reine  lui 
écrivit  de  Loches,  par  lesquelles  il  apprit  la  sortie  de 
S.  M.  hors  de  Blois;  ce  qui  lui  fut  une  nouvelle  qui 
tempéra  bien  la  joie  qu'il  recevoit  du  mariage  du 
prince  de  Piémont,  qui  avoit  été  accompli  le  1 0®  février 
avec  Madame  Chrétienne  ^  et  lequel  il  avoit  traité 
sans  en  donner  aucune  part  à  la  Reine-mère,  espérant 
par  cette  alliance  se  fortifier  contre  elle^. 

La  lettre^  que  la  Reine  écrivit  au  Roi  étoit  datée  de 
Loches  du  23  février,  par  laquelle  elle  lui  représen- 
toit  premièrement  la  nécessité  qui  l'avoit  obligée  à  ce 
qu'elle  avoit  fait,  laquelle  elle  disoit  être  la  longue 
oppression  de  son  honneur  et  de  sa  liberté,  et  la  rai- 
sonnable appréhension  de  sa  vie,  mais  plus  que  tout 
encore  la  mauvaise  conduite  de  ses  affaires,  et  le  péril 
auquel  se  retrouvoit  son  État,  dont  elle  le  vouloit 
informer,  se  mettant  premièrement  en  lieu  sûr  afin 
d'en  avoir  plus  de  liberté,  le  péril  étant  si  présent 
que  le  délai  eût  apporté  de  l'impossibilité  aux  remèdes 
qui  étoient  encore  lors  sûrs  et  honorables.  En  quoi 
elle  avoit  choisi  le  duc  d'Épernon  pour  l'assister,  sui- 
vant ce  que  le  feu  Roi  sur  ses  derniers  jours  lui  avoit 
commandé,  de  se  confier  entièrement  en  sa  probité 

1.  Christine  de  France  (tome  I,  p.  6)  épousa  à  Paris,  le 
10  février  1619,  Victoi'-âmédée,  prince  de  Piémont. 

2.  Le  Roi  apprit  d'un  gentilhomme,  le  23  février,  alors  qu'il 
était  à  la  chasse  près  de  Saint-Germain-en-Laye,  la  nouvelle  de 
la  fuite  de  la  Reine  mère  hors  de  Blois  [Mercure  français,  t.  V, 
année  1619,  p.  136). 

3.  Cette  lettre  a  été  imprimée  dans  le  Mercure  françois,  t.  V, 
année  1619,  p.  137;  ce  paragraphe  en  est  le  résumé. 


[1619J  DE  RICHELIEU.  327 

ès  plus  importantes  affaires;  suppliant  S.  M.  de  lui 
prescrire  le  moyen  et  la  forme  qu'il  lui  plaît  qu'elle 
tienne  pour  l'informer  des  choses  dont  elle  a  à  l'aver- 
tir; ce  qu'elle  veut  faire  sans  haine  et  sans  ambition, 
protestant  ne  vouloir  prendre  aucune  part  au  gouver- 
nement, auquel  elle  a  éprouvé  trop  de  péril  et  de 
déplaisir,  lorsqu'en  son  bas  âge  elle  s'en  est  mêlée 
selon  l'obligation  qu'elle  y  avoit,  et  n'en  désiroit 
aucune  autre  que  la  gloire  de  le  bien  voir  gouverner 
son  royaume  par  lui-même  et  entendre  un  chacun, 
content  de  son  règne,  louer  ses  vertus  en  tel  lieu  qu'il 
voudra  qu'elle  achève  ses  jours. 

Elle  en  écrivit  une  autre  à  peu  près  de  pareil  style 
au  prince  de  Piémont*. 

Le^  duc  de  Luynes  et  ses  adhérents  surent  par  ces 
lettres  la  sortie  de  la  Reine  avec  un  grand  étonnement, 
sur  les  divers  avis  que  l'on  leur  avoit  donnés  de  ce 
dont  ils  virent  l'événement^. 

Ils  avoient  pris  résolution,  à  ce  que  le  duc  de 
Ghaulnes^  m'a  dit  plusieurs  fois  depuis,  de  mener  le 
Roi  à  Blois,  sous  prétexte  de  visiter  la  Reine,  pour  en 
effet  la  mener  honnêtement  au  château  d'Amboise,  où 

1.  Le  texte  de  cette  lettre  se  trouve  dans  le  Mercure  fran- 
çois,  p.  144.  Elle  portait  également  la  date  du  23  février.  Le 
prince  de  Piémont  était  resté  à  Paris  depuis  son  mariage. 

2.  Ici  commence  un  troisième  emprunt  fait  au  document 
écrit  par  Cherré  (AfF.  étr.,  France  772,  fol.  247). 

3.  Déageant  se  vante  en  ses  Mémoires  (p.  188)  d'avoir  averti 
Luynes,  dix  jours  avant  l'événement,  du  prochain  départ  de  la 
Reine  mère  de  Blois.  Mais  Luynes  méprisa  cet  avis,  «  disant 
que  c'étoil  une  vision  et  une  chimère  ». 

4.  Frère  de  M.  de  Luynes  :  tome  I,  p.  20(5. 


328  MÉMOIRES  [1619] 

il  étoit  arrêté  qu'elle  demeureroit  à  l'avenir,  sous  bonne 
et  sûre  garde,  ou  l'envoyer  à  Moulins  s'ils  n'eussent 
pu  se  garantir  des  jalousies  que  Loches  et  l'Angoumois 
leur  donnoient,  quelque  soin  qu'ils  pussent  avoir  de 
sa  personne. 

La  Reine  ne  fut  pas  si  tôt^  sortie  de  Blois  que  le 
conseil  du  Roi,  étonné^,  ne  songeât  à  tous  les  expé- 
dients par  lesquels  ils  pourroient  se  garantir  de  l'orage 
qu'ils  prévoyoient  devoir  être  beaucoup  plus  grand 
qu'il  ne  fut  pas.  Dès  lors,  les  favoris  commencèrent  à 
jeter  feu  et  flamme  contre  Ruccellaï,  qu'ils  estimèrent 
auteur  de  la  négociation  qui  avoit  produit  la  délivrance 
de  la  Reine 2,  envoyèrent,  sous  le  nom  du  Roi,  par 
toutes  les  provinces,  commander  aux  gouverneurs  et 
aux  villes  de  se  tenir  sur  leurs  gardes,  donnèrent 
force  commissions  pour  lever  des  gens  de  guerre  et 
se  résolurent  de  terminer  cette  affaire  par  la  voie  des 
armes. 

Le  Roi,  cependant,  pour  découvrir  les  sentiments 
du  duc  de  Bouillon  et  l'obliger  en  quelque  façon,  lui 
écrivit  pour  lui  demander  son  conseil  en  cette  occur- 
rence, lequel,  avec  dextérité,  il  lui  donna^  d'assoupir 
ce  mécontentement  par  remèdes  doux  et  bénins,  et 
ne  troubler  la  paix  de  son  royaume  en  un  temps  où 
elle  étoit  si  bien  établie  et  si  chérie  de  ses  sujets, 

1.  Plus  tôt,  d'après  le  document  écrit  par  Cherré. 

2.  Se  trouvant  étonné,  d'après  le  document  de  la  main  de 
Cherré. 

3.  Ici  prend  fin  le  troisième  emprunt  fait  au  document  écrit 
par  Cherré. 

4.  La  lettre  que  le  duc  de  Bouillon  adressa  à  cette  occasion 
au  Roi,  et  qui  a  servi  certainement  aux  Mémoires,  a  été  impri- 
mée dans  le  Mercure  français,  p.  149. 


[1619]  DE  RICHELIEU.  329 

sachant  qu'il  y  en  a  beaucoup  qui  offrent  leur  service 
pour  avoir  de  quoi  desservir  ;  qu'il  vît  paisiblement  ce 
que  la  Reine  a  à  lui  remontrer  pour  le  bien  de  son 
État  ;  qu'il  seroit  juge  et  de  la  sincérité  et  de  l'impor- 
tance de  ses  avis,  et  départiroit  la  récompense  ou  la 
punition  selon  qu'un  chacun  l'auroit  méritée. 

Après  avoir  gardé  la  lettre  de  la  Reine  quinze  jours 
entiers,  pour  la  tenir  d'autant  plus  longtemps  en  sus- 
pens et  en  incertitude  de  la  volonté  du  Roi,  et  bien 
concerté  ce  qui  étoit  à  propos  d'y  répondre,  le  Roi 
lui  manda,  le  12i®  mars  S  qu'il  étoit  sur  le  point  de  par- 
tir pour  l'aller  voir  quand  ses  lettres  lui  arrivèrent; 
qu'il  chàtieroit  l'injure  qui  avoit  été  faite  à  LL.  MM. 
en  l'action  de  son  enlèvement  de  Blois  par  ceux  qui 
cherchent  leur  avantage  dans  la  ruine  du  peuple  et 
dans  la  diminution  de  son  autorité  ;  qu'il  voit  bien  que 
la  lettre  qu'elle  lui  a  écrite  lui  a  été  dictée  par  le  duc 
d'Épernon,  et  que  ce-  qu'elle  lui  mande  de  l'opinion 
en  laquelle  l'avoit  le  feu  Roi  est  tout  contraire  à  ce 
qu'elle  lui  en  avoit  dit  plusieurs  fois  et  qu'elle  avoit 
souvent  éprouvé  elle-même;  au  reste,  que  blâmer 
ceux  qui  sont  auprès  de  lui  c'est  le  blâmer  lui-même, 
pour  ce  que  les  résolutions  de  son  Conseil  partent  de 
son  jugement,  après  avoir  ouï  ceux-là  mêmes  qui  con- 
seilloient  le  feu  Roi;  qu'aussi  lui  avoit-elle  souvent 
mandé  qu'elle  louoit  Dieu  de  la  sage  et  heureuse 
conduite  de  son  État,  et  qu'elle  étoit  même  contente 
du  traitement  qu'elle  recevoit;  que  si,  pour  quelque 
occasion  que  ce  fût,  elle  n'avoit  point  la  demeure  de 

1.  Le  texte  de  cette  lettre  se  trouve  dans  le  Mercure  fran~ 
cois,  p.  140.  Les  Mémoires  s'en  sont  fortement  inspirés. 

2.  Ces  deux  mots  ont  été  ajoutés  entre  les  lignes  par  Sancy. 


330  MÉMOIRES  [1619] 

Blois  agréable,  elle  choisît  quelque  autre  de  ses  mai- 
sons ou  de  celles  de  S.  M.  qu'il  lui  plairoit,  et  que  de 
là  tous  les  avis  qu'elle  lui  voudroit  donner  seroient 
bien  reçus,  mais  non  du  lieu  où  elle  étoit,  qui  lui  étoit 
suspect.  Le  sieur  de  Béthune*  fut  porteur  de  cette 
lettre,  avec  charge  d'adoucir  son  esprit  et  essayer  de 
la  ramener  à  la  volonté  du  Boi. 

Le  prince  de  Piémont  lui  écrivit  le  même  jour-,  du 
même  style,  ajoutant  que  le  duc  son  père  et  lui  ser- 
viroient  le  Roi  de  toutes  leurs  forces,  pour  ranger  à 
la  raison  les  ennemis  du  repos  de  sa  couronne  et 
redonner  à  S.  M.  la  liberté  qu'on  lui  avoit  ôtée  en  la 
retirant  de  Blois. 

Auparavant  que  ces  lettres  lui  fussent  arrivées,  elle 
écrivit  du  lO''  mars  au  Roi^,  se  plaignant  de  l'incer- 
titude en  laquelle  on  la  tenoit  si  longtemps  de  sa 
volonté  et  protestant  qu'elle  feroit  retentir  ses  plaintes 
par  toute  l'Europe;  qu'elle  n'avoit  commis  aucune 
action  qui  pût  être  blâmée,  n'y  ayant  loi  au  monde 
qui  défende  aux  prisonniers  de  chercher  la  liberté  et 
d'assurer  leur  vie,  et  principalement  encore  n'ayant 
fait  cette  action  que  pour  le  bien  de  l'État,  et  pour 
faire  entendre  au  Roi  des  choses  qu'il  étoit  nécessaire 
qu'il  sût;  néanmoins,  qu'elle  voyoit  de  toutes  parts 
des  préparatifs  de  gens  de  guerre  contre  elle  et  qu'elle 
étoit  marrie  de  se  voir  réduite  à  la  nécessité  de  la 
défense. 

1.  Tome  I,  p.  174. 

2.  CeUe  lettre  se  trouve  dans  le  Mercure  français,  p.  145. 
C'était  une  réponse  à  la  lettre  de  la  Reine  mère,  datée  de 
Loches,  le  23  février,  dont  il  a  été  parlé  ci-dessus,  p.  326. 

3.  Voyez  le  texte  de  cette  lettre  dans  le  Mercure  françois, 
p.  161. 


[1619]  DE  RICHELIEU.  331 

Cette  lettre  fut  accompagnée  de  trois  autres'  aux 
Chancelier,  Gai^de  des  sceaux  et  président  Jeannin.  Le 
Roi  lui  répondit  le  1 6®  que,  comme  il  avoit  mandé  par 
sa  précédente,  elle  n'étoit  pas  en  lieu  d'où  elle  lui  pût 
écrire  les  vrais  sentiments  de  son  âme  touchant  le 
gouvernement  de  son  État,  qu'on  ne  peut  accuser  que 
le  blâme  n'en  tombe  principalement  sur  lui^;  qu'on 
ne  s'est  pas  contenté  d'avoir  tâché  de  lui  imprimer 
une  mauvaise  créance  de  ses  affaires,  on  s'efforce 
même  de  lui  donner  appréhension  de  ses  armes,  qu'il 
ne  veut  employer  que  pour  maintenir  son  autorité  et 
la  tranquillité  publique  et  pour  s'opposer  aux  desseins 
de  ceux  qui,  sous  le  nom  de  la  Reine,  ont  levé  des 
gens  de  guerre,  tant  dedans  que  dehors  le  royaume; 
qu'il  saura  toujours  distinguer  l'intérêt  de  la  Reine 
d'avec  le  leur,  n'ayant  autre  résolution  que  de  l'aimer 
et  honorer  comme  sa  mère,  et  de  les  punir  coimne 
sujets  rebelles  et  ennemis  de  son  État;  que  les  ser- 
vices que  ceux  qui  approchent  de  sa  personne  lui  ont 
rendus  et  continuent  de  lui  rendre  sont  [si]  signalés 
qu'ils  l'obligent  de  les  protéger  avec  raison  et  justice  ; 
que,  si  elle  croit  qu'il  y  ait  quelque  chose  à  désirer 
en  son  royaume,  elle  lui  peut  dire  quand  elle  voudra 
ce  qu'elle  en  croit  en  son  âme,  sans  en  faire  éclater 
les  plaintes  en  public,  parce  que  cette  voie  n'a  jamais 
été  pratiquée  que  par  ceux  qui  ont  plus  désiré  décrier 
le  gouvernement  que  d'en  procurer  la  réformation; 
qu'il  lui  a  écrit  et  fait  dire  par  le  sieur  de  Béthune 

1.  Ces  trois  lettres  ont  été  imprimées  dans  le  Mercure  fran- 
çais, p.  164,  166  et  169. 

2.  Le  sens   est  :  on  ne  peut  accuser  le  gouvernement  de 
l'Etat  sans  que  le  blâme  en  tombe  sur  le  Roi. 


332  MÉMOIRES  [1619] 

qu'elle  peut  choisir  telle  qu'il  lui  plaira  de  ses  mai- 
sons ou  celles  du  Roi,  pour  y  vivre  avec  une  entière 
liberté  ^ 

1.  Une  copie  de  la  lettre  du  Roi,  dont  les  Mémoires  donnent 
ici  un  assez  bref  résumé,  se  trouve  aux  Affaires  étrangères, 
France  772,  fol.  75.  La  voici  intégralement  :  «  Madame,  vos 
dernières  lettres  me  témoignent  comme  les  premières  qu'il 
n'est  plus  en  votre  puissance  de  m'écrire  les  vrais  sentiments 
de  votre  âme  touchant  le  gouvernement  de  mon  Etat.  Vous 
savez  qu'on  ne  le  peut  accuser  que  le  blâme  n'en  tombe  prin- 
cipalement sur  moi.  C'est  pourquoi  je  ne  dois  point  croire  que 
vous  me  voulussiez  ôter  la  gloire  de  mon  règne  en  me  donnant 
la  réputation  de  n'agir  que  par  les  mouvements  d'autrui.  On  ne 
s'est  point  contenté  d'avoir  tâché  de  vous  imprimer  une  mau- 
vaise créance  de  mes  affaires,  on  s'efforce  même  de  vous  don- 
ner des  appx'éhensions  de  mes  armes,  comme  s'il  étoit  croyable 
que  je  les  voulusse  tourner  contre  vous.  Mais,  bien  que  la  qua- 
lité de  Roi  me  dispense  de  rendre  compte  de  mes  actions  à 
autre  qu'à  Dieu,  je  veux  bien  néanmoins  que  tout  le  monde 
sache  que  ma  résolution  est  de  ne  les  employer  que  pour  main- 
tenir mon  autorité  et  la  tranquillité  publique  de  mon  royaume 
et  empêcher  tous  les  mouvements  qui  la  pourroienl  troubler, 
à  la  ruine  et  désolation  de  mes  peuples,  comme  aussi  pour 
m'opposer  aux  pernicieux  desseins  de  ceux  qui,  sous  votre 
nom,  ont  levé  des  gens  de  guerre  tant  dans  le  royaume  que 
dehors;  ce  que  je  n'eusse  jamais  cru  si  je  n'avois  vu  les  lettres 
que  l'on  vous  a  fait  écrire,  tant  sur  ce  sujet  que  pour  donner 
mauvaise  impression  de  l'administration  de  mes  affaires  à  plu- 
sieurs princes,  seigneurs  et  autres,  tant  mes  sujets  que  étran- 
gers, qui  n'y  ont  ajouté  foi.  La  connoissance  que  les  perturba- 
teurs du  repos  public  ont  toujours  eue  de  l'affection  et  honneur 
que  je  vous  porte  leur  a  fait  espérer  que  ma  clémence  pardon- 
nera indifféremment  tous  les  attentats  qu'ils  veulent  faire  sous 
votre  nom  contre  mon  autorité.  Mais  je  saurai  toujours  distin- 
guer votre  intérêt  d'avec  le  leur,  n'ayant  autre  résolution  que 
de  vous  aimer  et  honorer  comme  ma  mère  et  de  les  punir 
comme  sujets  rebelles  et  ennemis  de  mon  Etat.  La  natui'e  m'at- 
tache si  puissamment  à  tout  ce  qui  regarde  votre  bien  et  votre 


[1619J  DE  RICHELIEU.  333 

MM.  le  Chancelier,  Garde  des  sceaux  et  président 

mal  que  je  suis  tenu  d'employer  pour  votre  délivrance  tout  le 
pouvoir  que  Dieu  m'a  donné.  Ceux  qui  approchent  de  ma  per- 
sonne ont  tant  de  témoignages  du  respect  que  j'ai  toujours  eu 
en  votre  endroit  que  vous  devez  croire  qu'ils  sont  désireux  de 
votre  contentement,  par  la  même  raison  qu'ils  sont  affection- 
nés à  tout  ce  qui  est  de  mon  service.  Ceux  qu'ils  m'ont  rendus 
et  continuent  de  me  rendre  sont  si  signalés  qu'ils  m'obligent 
de  les  maintenir  et  protéger  avec  raison  et  justice.  Assurez- 
vous,  Madame,  qu'il  n'y  a  homme  si  hardi  que  d'entreprendre 
de  me  faire  aucune  proposition  contre  l'honneur  et  le  respect 
qui  vous  est  dû.  Si  d'aventure  vous  pensiez  qu'il  y  ait  quelque 
chose  à  désirer  en  un  royaume  où  la  justice  et  la  paix  ont  éga- 
lement fleuri  depuis  que  j'en  ai  pris  le  soin,  vous  me  pourrez 
dire,  quand  vous  voudrez,  ce  que  vous  en  croyez  en  votre  âme, 
sans  en  faire  éclater  les  plaintes  en  public.  Outre  que  cette 
forme  seroit  contre  mon  intention,  elle  feroit  sinistrement  juger 
de  la  vôtre,  parce  que  cette  voie  n'a  jamais  été  pratiquée  que 
par  ceux  qui  ont  plus  désiré  décrier  le  gouvernement  que  d'en 
procurer  la  réformation.  Je  vous  ai  mandé  par  mes  dernières 
lettres  et  vous  ai  fait  entendre  par  le  sieur  de  Béthune,  que  je 
vous  ai  dépêché,  que  vous  pouvez  choisir  telle  qu'il  vous  plaira 
de  vos  maisons  ou  des  miennes  pour  y  vivre  avec  une  entière 
liberté  et  comme  il  vous  plaira,  tellement  qu'il  ne  tiendra  qu'à 
vous  que  vous  ne  soyez  heureuse.  Aidez  seulement  à  mon  bon 
naturel  par  une  vraie  correspondance  de  volontés  et  me  faites 
paroître  des  témoignages  aussi  dignes  d'une  bonne  mère  que 
ceux  que  vous  recevrez  de  moi  seront  dignes  d'un  bon  fils  qui 
est.  Madame,  etc..  »  On  remarquera  combien  la  lettre  du  Roi 
est  plus  significative  que  le  résumé  qu'en  donnent  les  Mémoires. 
Le  style  à  la  troisième  personne  est  substitué,  dans  ceux-ci, 
au  style  à  la  première  personne.  Ce  n'est,  certes,  pas  le  scribe 
du  manuscrit  B,  simple  copiste,  qui  a  fait  ces  modifications  de 
fond  et  de  forme.  L'existence  d'un  manuscrit  plus  ancien,  où 
ces  transformations  auraient  été  élaborées,  s'impose  donc 
comme  indiscutable  pour  la  partie  des  Mémoires  s'étendant  de 
1600  à  1623.  On  sait  que  pour  les  années  1624-1630  on  pos- 
sède ce  manuscrit  de  première  rédaction  appelé  le  manuscrit  A. 


334  MÉMOIRES  [1619] 

Jeannin  accompagnèrent  cette  lettre  des  leurs  *  ten- 
dantes à  même  fin  et  lui  conseillèrent  de  se  remettre 
entre  les  mains  de  S.  M.  et  qu'elle  recevroit  tout  le 
bon  traitement  qu'elle  pourroit  désirer^. 

Pendant  ces  allées  et  venues,  un^  des  Bouthilliers'^, 
simple  ecclésiastique  pour  lors,  qui  est  depuis  mort 
évêque  d'Aire^,  homme  de  cœur  et  d'esprit  tout 
ensemble,  dont  l'adresse  et  fidélité^  étoient  égales,  et 
le  P.  Joseph^,  capucin,  qui  avoient  et  beaucoup  de 
déplaisir  de  mon  exil  et  grande  passion  au  rétablisse- 
ment de  mes  affaires  dans  le  service  de  la  Reine,  par- 
lant avec  Déageant^  de  tous  les  maux  qui  étoient  arri- 

1.  Ces  trois  lettres  ont  été  imprimées  dans  le  Mercure  fran- 
çois,  p.  165,  166  et  169. 

2.  Des  copies  de  ces  lettres  du  Chancelier  et  du  président 
Jeannin  sont  conservées  dans  le  volume  France  772,  fol.  77-78. 

3.  C'est  ici  que  commence  un  nouvel  et  important  emprunt 
au  document  précité,  écrit  par  Cherré  (France  772,  fol.  247- 
253). 

4.  Sébastien  Bouthillier,  second  fils  de  Denis  Bouthillier, 
abbé  de  la  Cochère,  doyen  du  chapitre  de  Luçon  en  1614, 
évêque  d'Aire  en  1623,  mort  le  17  janvier  1625.  L'abbé  de 
la  Cochère  rendit  à  cette  époque  de  grands  services  à  l'évêque 
de  Luçon  (G.  Hanotaux,  Histoire  du  cardiQ,al  de  Richelieu,  t.  I, 
p.  115). 

5.  Sébastien  Bouthillier  étant  mort  évêque  d'Aire  en  janvier 
1625,  cette  partie  des  Mémoires,  ainsi  qu'il  ressort,  d'ailleurs, 
de  remarques  analogues  précédemment  faites,  n'a  donc  pas  été 
rédigée  avant  cette  époque. 

6.  Et  la  fidélité,  dans  le  document  de  la  main  de  Cherré. 

7.  François  Leclerc  du  Tremblay  (1577-1638),  en  religion  le 
P.  Joseph,  fut  plus  tard  l'un  des  pi'incipaux  agents  politiques 
du  cardinal  de  Richelieu,  ce  qui  lui  valut  le  surnom  d'Éminence 
grise.  Sa  biographie  a  été  faite  à  diverses  reprises  et  en  der- 
nier lieu  (1894)  par  M.  Fagniez. 

8.  Déageant  prétend  avoir  été  en  cette  circonstance  l'objet 


[1619]  DE  RICHELIEU.  335 

vés,  firent  en  sorte  que  tous,  d'un  commun  accord, 
estimèrent  qu'un  des  meilleurs  moyens  que  le  Roi 
pourroit  pratiquer,  ce  seroit  de  m'envoyer  vers  S.  M. 
pour  adoucir  son  esprit  et  la  retirer  des  violences  où 
ils  craignoientque  celui  de  Ruccellaï  et  quelques  autres 
ne  la  portassent. 

Cet  avis  étant  goûté  du  sieur  de  Luynes  et  de  S.  M., 
le  sieur  du  Tremblay  '  me  fut  dépêché  avec  ordre  de 
Sadite  Majesté  d'aller  trouver  la  Reine,  sur  l'assurance 
qu'elle  prenoit  qu'en  la  servant  fidèlement  je  ne  lui 
voudrois  pas  donner  aucun  conseil  contre  le  bien  public 
et  son  service  particulier. 

Aussitôt  que  j'eus  reçu  la  dépêche  de  S.  M.,  bien 
que  le  temps  fût  extraordinairement  mauvais,  que  les 
neiges  fussent  grandes  et  le  h^oid  extrême,  je  partis 
en  poste  d'Avignon,  pour  obéir  à  ce  qui  m'étoit  pres- 
crit et  à  ce  à  quoi  j'étois  porté  par  mon  inclination  et 
mon  devoir.  Mais  ma  diligence  fut  bientôt  interrom- 
pue, en  ce  qu'étant  auprès  de  Vienne  je  trouvai  dans 
un  petit  bois  trente  gardes  du  sieur  d'Alincourt^, 
conduits  par  son  capitaine  des  gardes,  qui  vinrent^  à 
moi  les  armes  basses  et  me  dirent  avoir  commande- 
ment de  m' arrêter.  Je  priai  ce  capitaine  de  me  faire 
voir  le  pouvoir  qu'il  en  avoit,  ce  dont  il  se  trouva 


de  la  confiance  particulière  du  Roi,  qui  l'aurait  chargé  seul  de 
rédiger  la  lettre  rappelant  Richelieu  de  son  exil  d'Avignon,  et 
qui  fut  confiée  à  du  Tremblay  [Mémoires  de  Déageant,  p.  209). 
D'après  le  Journal  d'Arnauld  d'Andilly,  p.  408,  Luynes  écrivit 
la  lettre  et  le  Roi  y  ajouta  quelques  lignes  de  sa  main. 

1.  Frère  du  P.  Joseph  :  ci-dessus,  p.  183. 

2.  Tome  I,  p.  120. 

3.  Viennent,  dans  le  manuscrit  R. 


336  MÉMOIRES  [1619] 

dégarni.  Il  me  répondit  qu'il  exécutoit  les  ordres  du 
sieur  d'Alincourt,  qui  avoit  ceux  du  Roi;  je  lui  dis 
que  j'obéissois  volontiers  parce  qu'ils  avoient  la  force 
en  main  et  non  par  aucune  connoissance  que  j'eusse 
qu'il  eût  juste  pouvoir  d'entreprendre  ce  que  son 
maître  lui  avoit  commandé. 

Au  même  temps,  le  sieur  du  Tremblay  partit  pour 
aller  trouver  le  sieur  d'Alincourt  et  lui  justifier  qu'il 
étoit  venu  par  l'ordre  de  S.  M.  pour  me  quérir,  voir 
ceux  qu'il  disoit  avoir  reçus  de  la  cour  pour  m'arrê- 
ter  et  voir  ceux  qui  étoient  les  plus  récents.  Il  se  trouva 
en  effet  que  ledit  sieur  d'Alincourt  n'en  avoit  aucun, 
mais  que  son  fils^  lui  avoit  mandé,  au  premier  instant 
que  la  nouvelle  de  la  sortie  de  la  Reine  arriva  à  Paris, 
que  le  sieur  de  Luynes,  étant  auprès  du  Roi,  lui  avoit 
dit  :  «  Si  votre  père  pou  voit  arrêter  l'évêque  de 
Luçon,  il  nous  feroit  grand  plaisir.  »  Et  sur  cette 
parole,  il  avoit  envoyé  dans  Avignon  des  espions  pour 
savoir  quand  j'en  partirois  et  faire  une  entreprise  qui 
n'étoit  pas  fort  difficile,  puisqu'il  n'étoit  question  que 
d'arrêter  un  homme  qui  venoit  seul  en  poste. 

Aussitôt  que  ledit  sieur  d'Alincourt  eût  vu  les  ordres 
du  Roi  que  ledit  sieur  du  Tremblay  m' avoit  apportés, 
il  changea  ses  rigueurs  en  civilités  et  fut  bien  fâché 
de  s'être  trop  hâté  en  cette  occasion,  où  sa  passion 
avoit  bien  plus  paru  que  son  obéissance,  puisqu'il 
n'avoit  point  d'ordre.  Il  m'envoya  un  carrosse  qui  me 
rencontra  à  trois  lieues  de  Lyon,  écrivant  à  son  capi- 


1.  Nicolas  de  Neufville-Villeroy  (tome  I,  p.  236),  qui  avait 
depuis  1615  la  survivance  du  gouvernement  de  Lyon;  il  devint 
maréchal  de  France  le  20  octobre  1646. 


[1619]  DE  RICHELIEU.  337 

taine  des  gardes,  qui  fut  bien  honteux  de  la  façon 
avec  laquelle  il  m'avoit  traité  dans  Vienne,  faisant  voir 
à  tout  le  monde,  et  la  mauvaise  volonté  de  son  maître 
et  sa  malice  et  son  peu  d'esprit  tout  ensemble,  en  ce 
que,  non  content  de  m'avoir  fait  entrer  dans  Vienne 
comme  un  criminel,  avec  autant  d'apparat  qu'il  le 
devoit  éviter  s'il  eût  été  habile  homme,  je  vis,  sur  les 
dix  heures  du  soir,  étant  à  l'hôtellerie  prêt  à  me  cou- 
cher, l'effet  d'une  partie  qu'il  avoit  dressée  en  passant 
lorsqu'il  me  vint  arrêter. 

Vingt  ou  trente  hommes  apostés  vinrent  devant  ma 
porte,  où  ils  mirent  l'épée  à  la  main,  et  firent  sem- 
blant de  se  battre  contre  les  gardes  dudit  sieur  d'Alin- 
court;  le  chamaillis  des  épées  étoit  si  grand  et  le 
nombre  des  coups  de  carabines  que  tirèrent  lesdits 
gardes  tel,  que  je  croyois  qu'il  y  en  eût  vingt  ou  trente 
morts  sur  la  place.  Je  fis  appeler  le  capitaine  et  le 
priai  de  me  dire  ce  que  c'étoit;  à  quoi  d'abord  il  me 
répondit  que  je  le  devois  mieux  savoir  que  lui-même, 
et  que  c'étoient  des  gens  qui  me  vouloient  sauver.  Je 
lui  dis  qu'il  en  auroit  bien  aisément  connoissance, 
puisque,  dans  une  ville  obéissante  au  Roi  comme  étoit 
celle  où  j'étois,  il  ne  se  pouvoit  que  tous  ceux  qui 
restoient  d'un  si  grand  combat  ne  fussent  pris;  que 
je  le  priois  d'envoyer  promptement  quérir  les  chefs  de 
la  justice  pour  informer  d'une  telle  action,  en  laquelle 
moi-môme  je  merendois  partie  contre  qui  la  pût  entre- 
prendre. Il  me  dit  qu'il  n'étoit  point  besoin  de  faire 
cette  information,  qu'il  lui  suffisoit  de  connoître  le 
dessein  qu'on  avoit  eu  et  l'avoir  empêché.  Je  le  priai 
alors  qu'au  moins,  en  sa  présence,  je  pusse  parler  aux 
blessés,  afin  que  tous  deux  ensemble  nous  découvris- 
II  22 


338  MÉMOIRES  [1619] 

sions  l'origine  de  cette  affaire.  Il  me  répondit  qu'il  n'y 
a  voit  personne  de  blessé,  parce  que  ses  compagnons 
avoient  [eu]  cette  discrétion^  qu'ils  avoient  tiré  haut 
pour  faire  peur  seulement.  Je  répliquai  :  «  Et  tant  de 
coups  d'épée  que  nous  avons  entendus  ont-ils  été  sans 
effet?  »  Il  me  dit  que,  par  la  grâce  de  Dieu,  il  n'y  avoit 
personne  de  blessé.  Alors  je  confesse  que  l'état  auquel 
j'étois  ne  me  put  empêcher  de  lui  dire  :  «  Je  pensois, 
lorsque  vous  m'avez  arrêté  sans  pouvoir,  que  vous 
fissiez  votre  charge  avec  ignorance  ;  mais  je  reconnois 
maintenant  qu'il  y  a  bien  autant  de  malice  pour  le 
moins.  » 

La  nuit  se  passa,  et,  le  lendemain,  cet  honnête  homme 
fut  bien  étonné  quand  il  vit  que  son  maître  s'étoit 
mécompte.  Lors,  au  lieu  de  recevoir  de  moi  des 
paroles  qui  lui  pussent  déplaire,  je  lui  parlai  avec 
toute  la  civilité  qu'il  me  fut  possible  et  ne  pensai  qu'à 
me  tirer  de  ses  mains  et  de  celles  de  son  maître. 

Le  sieur  d'Alincourt  me  fît  force  excuses,  que  je 
reçus  en  paiement  et,  aussitôt  que  j'eus  dîné  avec  lui, 
je  partis  pour  continuer  mon  voyage  en  poste  comme 
j'avois  commencé.  J'allai  jusques  à  Limoges  avec  toute 
liberté;  mais,  le  sieur  de  Schonberg-  y  arrivant  le 
même  jour  que  j'y  passai,  j'eusse  été  au  hasard  d'un 
pareil  accident,  si  l'appréhension  que  j'en  eus  ne  m'eût 
fait  changer  mon  chemin  :  ce  qui  fut  si  à  propos,  que 
ledit  sieur  de  Schonberg  m'a  dit  plusieurs  fois  depuis 

1.  Le  document  de  la  main  de  Cherré  porte  :  avoient  été  si 
discrets. 

2.  Le  comte  de  Schonberg  était  alors  lieutenant  du  Roi  en 
Limousin.  Voyez  Mercure  français,  p.  173. 


[1619]  DE  RICHELIEU.  339 

qu'il  m'avoit  fait  courre  toute  la  nuit,  pensant  que  je 
tusse  Monsieur  de  Toulouse  * . 

J'arrivai  le  lendemain  à  Angoulême,  le  mercredi  de 
la  semaine  sainte^.  Gomme  je  pensois  être  arrivé  à  bon 
port,  c'est  là  où  je  trouvai  plus  de  tempête;  le  duc 
d'Épernon,  Ruccellaï,  Ghanteloube  et  plusieurs  autres, 
peu  unis,  s'accordèrent  tous  en  ce  point  de  s'opposer 
à  moi.  Je  ne  trouvai  quasi  personne  en  la  maison  qui 
m'osât  regarder  de  bon  œil  que  M"^®  de  Guercheville^. 

1.  Louis  de  Nogaret  :  ci-dessus,  p.  324. 

2.  Richelieu  arriva  à  Angoulême  le  27  mars  (Avenel,  t.  I, 
p.  584).  Voici  ce  qu'en  dit  Fontenay-Mareuil  [Mémoires,  p.  442)  : 
«  Monsieur  de  Luçon  fut  si  heureux  que  tout  ce  qu'on  avoit  fait 
contre  lui  auprès  de  M.  de  Luynes  ayant  retardé  de  quelques 
jours  son  voyage,  le  fitjustement  arriver  quand  les  choses  étoient 
à  la  dernière  extrémité,  la  Reine  ne  sachant  plus  que  faire,  ni 
entre  les  bras  de  qui  se  jeter,  craignant  également  de  dépendre 
de  M.  d'Epernon  à  cause  de  son  humeur  fière  et  mal  propre 
pour  vivre  avec  les  dames,  et  de  M.  de  Ruccellaï,  dont  elle 
connoissoit  les  défauts  et  qu'il  n'étoit  pas  bon  pour  gouverner, 
comme  en  effet  un  étranger,  quel  qu'il  soit,  ne  le  peut  jamais 
être;  de  sorte  qu'elle  reçut  Monsieur  de  Luçon  comme  un 
envoyé  du  ciel,  lui  donna  dès  le  premier  jour  tout  pouvoir  dans 
ses  affaires  et  n'eut  plus  de  confiance  qu'en  lui.  Etant  donc  entré 
de  cette  sorte  auprès  de  la  Reine  mère,  il  avoit  l'esprit  si  élevé 
pai'-dessus  tout  ce  qu'il  y  trouva  que  rien  ne  lui  fît  obstacle.  » 

3.  Antoinette  de  Pons,  marquise  de  Guercheville  par  sa 
mère,  fille  d'Antoine  de  Pons,  comte  de  Marennes,  était  dame 
d'honneur  de  la  Reine  mère.  Elle  épousa  d'abord  Henri  de 
Silly,  comte  de  la  Rocheguyon,  puis  Charles  du  Plessis,  sei- 
gneur de  Liancourt,  premier  écuyer  de  Henri  IV;  elle  mourut  le 
16  janvier  1632.  Lorsqu'elle  épousa  M.  de  Liancourt  en  1594, 
au  fort  de  la  liaison  de  Henri  IV  et  de  Gabrielle  d'Estrées,  qui 
s'appelait  alors  M""'  de  Liancourt,  elle  stipula  qu'elle  ne  porte- 
rait jamais  le  nom  de  son  mari  pour  ne  pas  être  confondue 


340  MÉMOIRES  [1619] 

D'abord  je  trouvai  la  Reine  en  conseil,  où,  bien 
qu'elle  sût  que  je  fusse  en  sa  chambre,  elle  étoit  tel- 
lement obsédée  des  esprits  qui  étoient  lors  auprès 
d'elle,  qu'elle  n'osa  me  faire  entrer.  Ces  Messieurs 
enfin  avertirent  la  Reine  de  mon  arrivée,  qu'elle  savoit 
mieux  qu'eux,  lui  donnèrent  avis  que  j'étois  venu  par 
l'ordre  du  Roi,  sur  des  lettres  du  sieur  de  Luynes; 
ce  qu'elle  n'ignoroit  pas  aussi,  vu  que  le  sieur  Bou- 
tliillier^  étoit  parti  de  Paris  pour  la  venir  trouver,  au 
même  temps  que  les  ordres  du  Roi  me  furent  envoyés 
par  le  sieur  du  Tremblay,  pour  lui  rendre  compte  de 
tout  ce  qui  s'étoit  passé.  Ils  tâchèrent  de^  découvrir 
en  quel  état  j'étois  en  l'esprit  de  S.  M.,  mais  sans 
effet,  sachant  parfaitement  dissimuler  quand  elle  croit 
qu'il  y  va  de  son  service. 

La  retenue  avec  laquelle  elle  agissoit  sur  mon  sujet, 
leur  faisant  croire  que  je  n'avois  pas  grande  part  en 
sa  bienveillance,  leur  donna  l'audace  de  lui  dire  qu'elle 
devoit  se  garder  de  moi  :  ce  qu'elle  écouta  sans  les 
croire.  Ils  ajoutèrent  qu'il  seroit  très  dangereux  que 
j'entrasse  dans  son  conseil  présentement,  parce  que, 
s'il  s'y  faisoit  quelque  accommodement,  ceux  de  la 
cour  croiroient  que  j'en  serois  auteur. 

A  cette  proposition,  S.  M.  témoigna  de  la  répu- 
gnance, jusqu'à  ce  que,  m'ayant  fait  l'honneur  de  me 
dire  tout  ce  qui  s'étoit  passé,  je  la  suppliai  de  leur 
dire  le  lendemain  qu'en  me  demandant  la  façon  avec 

avec  la  maîtresse   du  Roi   et  qu'elle  ne   serait  nommée  que 
M""^  de  Guercheville. 

1.  L'abbé  de  la  Cochère  (ci-dessus,  p.  334). 

2.  Ils  tâchèrent  par  toutes  voies  de  découvrir,  d'après  le 
document  de  la  main  de  Cherré. 


[1619]  DE  RICHELIEU.  341 

laquelle  je  désirois  la  servir,  je  lui  avois  témoigné  que 
je  n'avois  autre  volonté  que  les  siennes,  mais  [que] ,  si  elle 
me  permettoit  de  lui  dire  mes  pensées,  je  ne  devois 
point  me  mêler  des  affaires  qui  étoient  lors  sur  le  tapis, 
parce  qu'il  étoit  raisonnable  que  ceux  qui  les  avoient 
commencées  les  missent  en  leur  perfection. 

Aussitôt  que  cette  cabale  entendit  cette  réponse, 
jamais  gens  ne  furent  si  étonnés.  Après  avoir  tenu 
conseil  entre  eux,  ils  dirent  à  la  Reine  qu'il  paroissoit 
bien  que  j'avois  mauvaise  opinion  de  ses  affaires, 
puisque  je  n'avois  pas  désir  d'entrer  dans  leurs  con- 
seils. S.  M.  repartit  1  qu'ils  se  trompoient,  que  je  ferois 
volontiers  ce  qu'elle  désireroit,  mais  qu'elle  avoit 
connu  que  je  ne  voulois  donner  ombrage  à  personne. 
Lors  ils  supplièrent  la  Reine  de  me  donner  le  lende- 
main entrée  en  son  conseil  et  me  commander  de  dire 
mon  avis  sur  les  affaires  ;  ils  estimoient  que  la  crainte 
de  lacourm'empêcheroit  de  parler  hardiment  à  l'avan- 
tage de  la  Reine  et  qu'ainsi  ils  me  décréditeroient 
d'auprès  d'elle^. 

La  Reine  m'ayant  fait  l'honneur  de  m'avertir  du 
changement  de  leur  désir,  je  résolus  avec  elle  de  suivre 
le  lendemain  leur  intention.  Je  parle  ainsi,  parce  que, 
comme  lors  j'avois  l'honneur  de  servir  la  Reine  en  ses 
affaires,  elle  prenoit  telle  part  en  mes  intérêts  qu'elle 
trouvoit  bon  de  m'y  donner  conseil. 

Le  lendemain,  l'heure  du  conseil  étant  venue,  j'y 
entrai  comme  les  autres  et,  pour  montrer  ma  modes- 
tie, je  faisois  état  d'y  parler  fort  peu.  Enfin,  ces  Mes- 

1.  Le  document  écrit  par  Cherré  donne  la  vraie  leçon  :  d'en- 
trer dans  ses  conseils.  Sa  Majesté  leur  repartit. 

2.  Auprès  d'elle,  d'après  le  document  que  Cherré  a  écrit. 


342  MÉMOIRES  [If3l9] 

sieurs  faisant  trop  connoître  l'extrême  désir  qu'ils 
avoient  de  savoir  mes  sentiments  sur  les  affaires  qui 
étoient  sur  le  bureau,  je  pris  la  parole  et  leur  dis 
qu'ils  ne  dévoient  pas  trouver  étrange  si  j'opinois  mal 
en  l'affaire  présente,  parce  que  je  ne  savois  ni  les  par- 
ticularités de  ce  qui  s'étoit  passé,  ni  quelles  intelli- 
gences S.  M.  avoit  au  dedans  et  au  dehors  du  royaume, 
mais  que  je  leur  ferois  voir  ingénument  ma  franchise 
en  leur  disant  que  je  pensois  avoir  assez  de  connois- 
sance  pour  leur  dire  que,  pour  bien  faire  aller  les 
affaires  de  S.  M.,  je  voudrois  faire  tout  le  contraire  de 
ce  qu'ils  avoient  fait  jusques  alors;  que  j'avois  vu 
diverses  lettres  que  la  Reine  avoit  écrites  à  la  cour, 
fort  piquantes  et  fort  aigres,  et  que  je  voyois  autour 
d'elle  fort  peu  de  gens  de  guerre  pour  la  défendre,  et 
apprenois  qu'on  n'avoit  pas  fait  grands  préparatifs 
pour  en  avoir  davantage  ;  qu'à  mon  avis  il  falloit  écrire 
civilement,  sans  bassesse,  pour  adoucir  les  esprits  de 
la  cour,  et  s'armer  puissamment  pour  se  mettre  en 
état  de  se  garantir  de  quelque  mauvaise  humeur 
qu'ils  pussent  prendre. 

Cet  avis,  qu'ils  ne  pouvoient  condamner  avec  raison, 
leur  ôta  tout  moyen  de  me  contredire,  mais  non  pas 
la  volonté  de  me  mal  faire. 

Deux  jours  après,  le  duc  d'Épernon  vint  trouver  la 
Reine  pour  lui  dire  que  Ruccellaï,  ayant  su  que  S.  M. 
m'avoit  donné  ses  sceaux  (ce  qui  n'étoit  pas  vrai,  bien 
qu'elle  me  les  eût  destinés  dès  Blois),  étoit  résolu  de 
la  quitter  si  elle  continuoit  en  cette  volonté.  La  Reine 
lui  répondit  que  cette  pensée  qu'elle  avoit  eue  n'étoit 
point  nouvelle,  puisqu'elle  avoit  pris  cette  résolution 
dès  Blois,  à  laquelle  Ruccellaï  n'avoit  aucun  intérêt, 


[1619]  DE  RICHELIEU.  343 

parce  que  aussi  bien  ne  vouloit-elle  pas  les  lui  donner. 
Sachant  ce  qui  s'étoit  passé  en  ce  sujet,  je  suppliai  la 
Reine  de  ne  découvrir  pas  encore  tant  la  bonne  volonté 
qu'il  lui  plaisoit  avoir  pour  moi  et  dire  à  ces  Mes- 
sieurs qu'ayant  su  ce  qui  s'étoit  passé  sur  le  sujet  des 
sceaux,  je  l'avois  suppliée  de  n'en  disposer  point  en  ma 
faveur. 

Aussitôt  qu'ils  surent  cette  réponse,  ils  crurent  que 
j'avois  quelque  appréhension,  et  le  duc  d'Épernon, 
par  personnes  interposées,  me  fît  dire  que  je  serois 
bien  mieux  en  mon  évêché  que  de  demeurer  auprès 
de  la  Reine,  pour  m'y  attirer  tant  d'ennemis  comme 
je  ferois. 

Je  répondis  à  celui  qui  me  fit  ce  discours,  avec 
autant  de  civilité  comme  en  apparence  il  en  avoit 
assaisonné  le  sien,  que  je  croyois  qu'en  quelque  lieu 
que  seroit  la  Reine,  qu'elle  seroit  la  maîtresse;  qu'il 
étoit  important  au  duc  d'Épernon  de  le  faire  voir  ;  que 
j'étois  venu  la  trouver  à  Angoulême  sans  y  désirer 
autre  aveu  que  le  sien  ;  que  je  prétendois  y  demeurer 
de  la  sorte,  si  elle  l'avoit  agréable,  sans  vouloir  con- 
traindre ceux  qui  ne  me  voudroient  pas  aimer  à  forcer 
leur  humeur;  que  j'estimois  pouvoir  n'être  pas  inutile 
à  ceux  qui  me  départiroient  leur  bienveillance. 

Deux  jours  se  passent  sans  que  j'entendisse  aucune 
nouvelle  des  nouveaux  complots  qui  se  faisoient  ;  mais 
le  troisième  ne  s'écoula  pas  sans  que  la  Reine  reçût 
une  nouvelle  proposition  de  m'exclure  de  son  conseil. 
Elle  s'en  défendit  fortement,  témoignant  trouver  d'au- 
tant plus  mauvais  cette  ouverture,  que  je  n'y  étois 
entré  qu'à  leur  prière;  mais  j'estimai  qu'il  falloit 
encore  suivre  le  nouveau  changement  de  leur  humeur, 


3U  MÉMOIRES  [1619] 

à  quoi  S.  M.  condescendit  enfin,  quoiqu'avec  grande 
peine  * . 

Pendant  ces  divisions  de  cabinet,  le  comte  de 
Schonbcrg  qui  étoit  arrivé,  comme  j'ai  dit  ci-dessus, 
à  Limoges,  se  préparoit  puissamment,  assemblant  tout 
ce  qu'il  pou  voit  de  gens  de  guerre  pour  aller  attacjuer 
Uzerche-,  où  le  duc  d'Épernon  avoit  mis  garnison.  Il 
estimoit  lui-même  que  ce  poste  étoit  si  nécessaire  à 
Angoulême  qu'il  le  falloit  conserver  assurément^.  Il 
conseilla  à  la  Reine  d'écrire  au  Roi,  ce  qu'elle  fit^, 
pour  le  supplier  de  ne  point  faire  attaquer  cette  place 
qui  lui  étoit  nécessaire  pour  sa  sûreté,  jusqu'à  ce 
qu'elle  lui  eût  pu  faire  entendre  les  choses  qu'elle  avoit 
à  lui  présenter,  ainsi  qu'elle  lui  avoit  mandé  aupara- 
vant^. 

Le    Breuil*^,   capitaine  du   régiment   de  Piémont, 

1.  Sur  toutes  les  difficultés  que  rencontra  Richelieu  à  son 
arrivée  à  Angoulême,  voyez  Avenel,  t.  I,  p.  584. 

2.  Aujourd'hui  chef-lieu  du  canton  de  l'arrondissement  de 
Tulle,  département  de  la  Corrèze,  Uzerche,  en  Limousin,  était 
«  terre  d'église,  l'abbé  d'Uzerche  étant  seigneur  de  la  ville. 
L'abbaye  est  sur  une  petite  montagne  entourée  d'une  rivière, 
fors  une  étroite  avenue  qui  se  peut  facilement  retrancher;  tel- 
lement qu'elle  est  une  citadelle  naturelle  qui  commande  à  la 
ville  :  et  celui  qui  tient  cette  abbaye  est  gouverneur  »  [Mercure 
français,  p.  172-173). 

3.  Ici  prend  fin  l'emprunt  de  douze  pages  fait  au  document 
de  la  main  de  Cherré  (France  772,  fol.  253). 

4.  Voyez  cette  lettre  dans  le  Mercure  français,  t.  V,  année  1619, 
p.  174.  Elle  est  du  4  avril  1619. 

5.  Avec  le  paragraphe  suivant  commence  un  nouvel  emprunt 
au  même  document  écrit  par  Cherré  (fol.  253-254). 

6.  Henri  du  Breuil,  capitaine  au  régiment  de  Piémont  depuis 
l'année  1594,  fut  tué  au  siège  de  Montauban  le  22  août  1621, 
d'après  les  Mémoires  de  Bassampierre. 


[1619]  DE  RICHELIEU.  345 

homme  de  grand  cœur  et  de  fidélité  égale,  étoit  dans 
l'abbaye  qui  tient  lieu  de  château,  avec  trente  ou  qua- 
rante hommes  seulement.  Plusieurs  s'offrirent  à  se 
jeter  dans  la  ville.  Ghambray',  entre  autres,  huguenot, 
assez  connu  par  les  bonnes  actions  qu'il  avoit  faites  du 
temps  du  feu  Roi,  homme  déterminé,  et  (jui  savoit  le 
métier  de  la  guerre  parfaitement,  demande  cinq  cents 
hommes  de  pied  et  cent  chevaux,  pour  se  jeter  dans 
cette  place  et  la  garder  contre  de  bien  plus  grands 
efforts  que  ceux  du  comte  de  Schonberg. 

Le  duc  d'Épernon,  aussi  jaloux  qu'irrésolu  en  ce 
qu'il  vouloit  faire,  ne  peut  se  résoudre,  ni  à  laisser  faire 
cette  action  à  autrui,  ni  aussi  à  y  aller  lui-même  assez 
à  temps  pour  faire  l'effet  qui  étoit  désiré.  Il  différa 
tant,  que  le  jour  qu'il  partit  avec  cinq  cents  chevaux 
et  deux  mille  hommes  de  pied,  en  résolution  de  com- 
battre le  comte  de  Schonberg,  le  même  jour  ledit  sieur 
de  Schonberg  étoit  arrivé  à  Uzerche,  avoit  emporté  la 
ville  par  l'intelligence  des  habitants,  et  l'abbaye  par  la 
hardiesse  d'un  curé  voisin,  qui  lui  donna  l'invention  de 
l'écheller  par  un  côté  par  où  ledit  curé  passa  lui-même, 
et  faire  jouer  une  mine  par  un  autre,  qui  fit  ouverture 
dans  une  cave,  de  laquelle  trois  hommes  de  front 
entroient  dans  la  cour. 

Le  Breuil  fit  merveille  en  cette  occasion  et  se  défen- 
dit jusques  à  ce  point  que,  tous  les  ennemis  étant  dans 
la  place,  il  se  retira  dans  une  petite  voûte  avec  onze 
de  ses  compagnons,  où,  sans  autres  armes  que  des 

1.  Louis  de  Pierrebiiffière,  seigneur  de  Ghambray  (ci-dessus, 
p.  79),  né  vers  1556,  avait  épousé,  en  1611,  la  fille  de  La  Noue; 
il  dut  mourir  peu  après  1619. 


346  MÉMOIRES  [161 9J 

piques  et  leurs  épées,  ils  firent  leur  capitulation,  la  vie 
sauve,  le  11®  avriP. 

Par  ce  moyen  le  duc  d'Épernon,  s' approchant 
d'Uzerche,  n'eut  autre  conseil  à  prendre  que  de  s'en 
revenir  et  ramener  Le  Breuil  avec  autant  d'honneur 
comme  il  avoit  de  déplaisir  d'avoir  manqué  son  entre- 
prise^. 

En  même  temps,  on  reçut  la  nouvelle  de  la  réduc- 
tion de  la  haute  ville  de  Boulogne^  en  l'obéissance  du 
Roi,  ceux  de  la  basse  ville  ayant  contraint  le  lieute- 
nant de  M.  d'Épernon*  et  les  gens  de  guerre  qui  y 
étoient  de  se  retirer,  dont  ils  firent  encore  écrire  à  la 
Reine  le  1 1®  avril  pour  se  plaindre  de  ce  que,  pendant 
que  M.  de  Béthune  lui  donnoit  de  bonnes  paroles,  on 
procédoit  par  voie  de  fait  contre  les  villes  qu'elle  tenoit  ^. 

1.  Sancy  a  ajouté  l'onzième  avril  sur  le  document  écrit  par 
Cherré,  Schônberg  donne  la  date  du  12  (note  suivante). 

2.  C'est  ici  que  se  termine  l'emprunt  fait  au  document  de  la 
main  de  Cherré.  —  Voici  la  lettre  que  Schônberg  écrivit  au 
Roi  à  la  suite  de  la  prise  d'Uzerche  [Mercure  français,  p.  177- 
178)  :  «  Sire,  voyant  M.  d'Epernon  à  deux  lieues  d'Uzerche 
avec  son  armée  volante,  je  me  suis  résolu  d'essayer  de  faire 
prendre  l'abbaye.  Et  cela  m'a  si  heureusement  réussi  que, 
l'ayant  attaquée  par  cinq  ou  six  endroits,  nous  l'avons  forcée  le 
douzième  de  ce  mois.  A  la  prise  de  laquelle  ont  été  tués 
quelques-uns  de  ceux  qui  étoient  dedans,  et  fait  composition 
aux  autres,  qui  étoient  enfermés  dans  une  tour,  de  les  laisser 
sortir  avec  la  liberté  entière.  Je  crois  que  jamais  M.  d'Epernon, 
qui  en  étoit  si  proche,  ne  reçut  un  tel  déplaisir,  et,  s'il  entre- 
prend d'attaquer  la  place,  il  trouvera  à  qui  parler.  Je  suis  à  la 
campagne  avec  tous  mes  amis,  au  nombre,  jusques  à  cette 
heure,  de  cinq  cents  maîtres,  et  verrai  venir  les  ennemis...  » 

3.  Le  duc  d'Epernon  était  gouverneur  de  Boulogne-sur-Mer. 

4.  Le  sieur  de  Meuze  :  Journal  d'Arnauld  dAndilly,  p.  415. 

5.  Cette  lettre  a  été  imprimée  dans  le  Mercure  français, 
p.  176,  et  la  prise  de  Boulogne  y  est  rapportée  p.  175. 


[1619]  DE  RICHELIEU.  Ml 

Le  Roi  répondit  à  l'une  et  à  l'autre  de  ses  lettres  le 
%3^  avril,  lui  mandant  qu'il  reconnoissoit  bien  que  ce 
qu'elle  écrivoit  n'étoit  pas  d'elle,  à  la  sincérité  et  vérité 
qu'il  savoit  bien  être  en  elle  et  qui  n'étoient  pas  dans 
ses  lettres,  attendu  qu'elles  étoient  pleines  d'assurances 
de  son  afifection  au  bien  de  son  État  et  conservation 
de  son  autorité,  et  qu'elle  vouloit  être  la  première  à 
recevoir  et  observer  ses  volontés  ;  et  [que]  néanmoins 
on  avoit,  sous  son  nom,  dès  longtemps  auparavant 
son  partement  de  Blois,  commencé  et  continuoit[-on] 
encore  à  faire  soulever  tout  ce  que  l'on  pouvoit  contre 
lui,  tant  dedans  que  dehors  le  royaume,  y  ayant  non 
seulement  armé  et  levé  force  gens  de  guerre,  mais 
mis  la  main  sur  ses  finances,  imposé  sur  ses  sujets, 
fait  entreprises  sur  ses  places  pour  courir  sus  au  comte 
de  Schonberg,  son  lieutenant  général  en  Limousin; 
que  la  ville  d'Uzerche  n'appartenoit  point  au  duc 
d'Épernon  ;  qu'il  s'en  étoit  emparé  sur  l'Église  et  les 
habitants,  contre  son  autorité  et  la  justice;  pour  le 
regard  de  la  ville  de  Boulogne,  que  les  habitants, 
voyant  qu'il  y  appeloit  nombre  de  gens  de  guerre,  s'y 
étoient  justement  opposés,  et  que  ces  places  ni  aucune 
autre  n'avoient  été  destinées  pour  sa  sûreté,  n'en 
ayant  point  besoin  dans  son  État  où  elle  seroit  tou- 
jours assurée;  qu'au  reste,  il  étoit  prêt  d'entendre  les 
avis  qu'elle  lui  vouloit  donner  ;  que  le  sieur  de  Béthune 
étoit  tout  exprès  auprès  d'elle  pour  les  recevoir  et  les 
lui  mander*,  mais  qu'il  n'en  avoit  pu  tirer  un  seul 
mot,  quelque  soin  qu'il  y  eût  apporté,  ce  qui  lui  étoit 

1.  On  a  vu  que  Béthune  avait  été  envoyé  auprès  de  la  Reine. 
Au  début  d'avril,  le  P.  de  Bérulle  et  le  cardinal  de  la  Roche- 
foucauld furent  également  envoyés  à  Angoulêrae,  avec  mission 
de  réconcilier  le  Roi  et  sa  mère,  comme  il  va  être  dit  plus  loin. 


348  MÉMOIRES  [1619] 

une  assez  évidente  preuve  du  mauvais  dessein  de  ceux 
qui  lui  dictoient  les  lettres  qu'elle  lui  envoyoit^ 

Cependant  la  Reine  est  avertie  d'une  entreprise  sur 
la  citadelle  d'Angoulcmc,  où  le  sieur  Danton,  qui  y 
commandoit,  avoit  ouvert  les  oreilles  à  quelque  pour- 
parler  de  la  part  du  comte  de  la  Rochefoucauld,  sans 
toutefois  avoir  dessein  de  rien  exécuter. 

On  évente  encore  une  conspiration  formée  par  le 
comte  de  Schônberg,  qui  gagna  le  poudrier  d'Angou- 
lême  pour  faire  sauter  les  poudres  de  la  citadelle  d' An- 
goulême^,  ce  qui  lui  étoit  fort  aisé,  parce  qu'il  entroit 
quand  il  vouloit  dans  les  magasins  pour  voir  si  les 
poudres  étoient  en  bon  état  :  ce  qui  ne  se  pouvoit 
exécuter  sans  la  perte  de  sa  personne,  pour  la  proxi- 
mité du  lieu  de  sa  demeure. 

La  Reine  se  plaint  de  ce  procédé,  demande,  mais 
en  vain,  avec  quelle  justice,  lorsqu'on  traite  ouverte- 
ment d'accord  avec  elle,  on  agit  par  force,  à  couvert, 
contre  la  foi  des  paroles  qui  lui  sont  données. 

D'autre  part,  le  duc  d'Épernon  n'avoit  été  plus  tôt 
de  retour  d'Uzerche  à  Angoulême  qu'il  apprit^  que, 

1.  Ce  paragraphe  est  composé  d'extraits  de  la  lettre  du  Roi 
à  la  Reine  mère  écrite  le  23  avril  et  imprimée  dans  le  Mercure 
françois,  p.  180-185. 

2.  Celui  qui  tenta  de  faire  sauter  la  citadelle  d'Angouléme  était 
un  papetier  établi  dans  cette  ville,  nommé  Jean  Poussi  et  nati( 
des  environs  de  Limoges.  Etant  lié  avec  le  garde  des  munitions 
de  guerre,  il  entrait  librement  dans  l'arsenal  et  avait  établi  une 
traînée  de  poudre  communiquant  avec  le  magasin.  On  l'arrêta 
au  moment  où  il  allait  y  mettre  le  feu  [Procès-verbal  de  la  con- 
juration faite  à  Angoulême,  Poitiers,  1619,  et  Mercure  fran- 
çois, p.  199). 

3.  Avec  ce  paragraphe  commence  un  i^ouvel  emprunt  au  docu- 
ment écrit  par  Gherré  (France  772,  fol.  254).  Ce  document  por- 


[1619]  DE  RICHELIEU.  349 

du  côté  de  la  Guyenne,  le  duc  de  Mayenne  étoit  arrivé 
à  Ghâteauneuf^,  gros  bourg  à  trois  lieues  d'Angou- 
lême,  qu'au  commencement  ledit  duc  avoit  fait  dessein 
de  défendre. 

Ainsi  le  traité  de  la  Reine  n'étant  point  fait  avec  le 
Roi,  chacun  commençoit  à  reconnoître  que  les  affaires 
de  la  Reine  étoient  fort  mal  conduites.  Ruccellaï  par- 
loit  ouvertement  contre  le  duc,  ce  qui  émut  tellement 
de  nouveau  la  bile  dudit  duc,  qu'ils  vinrent  à  telles 
extrémités  que  Ruccellaï,  un  jour,  mettant  la  main  sur 
le  côté,  lui  présenta  le  coude  comme  il  entroit  dans  le 
cabinet  de  la  Reine.  Je  ne  croirois  pas  cette  insolence 
si  le  duc  ne  me  l'avoit  dit,  n'y  ayant  personne  qui  pût 
entreprendre  une  telle  effronterie  sans  être  fol  ou  se 
vouloir  perdre  au  même  temps,  vu  que  ledit  duc  étoit 
dans  son  gouvernement,  avoit  la  plus  grande  partie 
des  forces  qui  étoient  [dans  la  ville]  à  sa  dévotion 2,  et 
que  toute  sa  vie  étoit  une  preuve  bien  authentique 
qu'il  n'étoit  pas  bien  endurant. 

Cependant  cet  étranger  étoit  si  présomptueux  qu'il 
se  fondoit^  en  ce  que  la  principale  noblesse  qui  accom- 

tait  primitivement  :  Le  duc  ne  fut  pas  plus  tôt  de  retour  à 
Angoulême  quil  n'apprit  que...  Sancy  a  corrigé  ces  quelques 
mots  sur  le  document  même  et  nous  donnons  cette  nouvelle 
leçon  conformément  au  manuscrit  B.  Plus  correctement,  cepen- 
dant, Sancy  avait  mis  :  quil  avoit  appris  que;  le  copiste  a 
négligé  cette  correction. 

1.  Châteauneuf-sur-Charente,  chef-lieu  de  canton  du  dépar- 
tement de  la  Charente,  arrondissement  de  Cognac. 

2.  Nous  rétablissons  la  vraie  leçon  d'après  le  document 
écrit  par  Cherré. 

3.  Que  se  fondant,  d'après  le  document  de  la  main  de  Cherré, 
ce  qui  est  meilleur. 


350  MÉMOIRES  [1619J 

pagnoit  la  Reine'  pour  l'amour  d'elle  étoit  de  son 
parti,  et  en  ce  que  le  marquis  de  Mauny^,  son  ami 
intime,  commandoit  le  régiment  de  la  Reine,  dont 
quelques  compagnies  étoient  dans  la  ville ^.  Il  est  vrai, 
soit  qu'il  fît  cette  action  ou  non,  qu'il  tenoit  des  dis- 
cours fort  offensants  contre  ledit  duc  d'Épernon. 

Cette  division  et  la  connoissance  qu'un  chacun  avoit 
que  les  affaires  de  la  Reine  alloient  fort  mal  firent  que 
le  duc  d'Épernon  proposa  de  nouveau  à  la  Reine  de 
me  rappeler  dans  ses  conseils  et  prendre  confiance  en 
moi  en  ses  affaires,  disant  que,  quand  on  verroit  qu'un 
homme  qui  avoit  réputation  en  prendroit  le  soin  au 
lieu  de  Ruccellaï,  homme  peu  avisé,  qui  les  avoit 
conduites  jusques  alors,  on  croiroit  qu'elles  change- 
roient  de  face. 

Lors  M.  le  cardinal  de  la  Rochefoucauld^,  qui  étoit 
arrivé  quelques  jours  auparavant  à  Angoulême  pour 
voir  s'il  pourroit  conclure  un  accommodement  que  le 
sieur  de  Béthune  avoit  commencé  auparavant,  trouva 
plus  de  facilité  en  cette  affaire  qu'il  n'avoit  fait  jusques 
alors  ;  ce  qui  fit  qu'en  trois  jours  on  conclut  le  traité 
pour  lequel  le  sieur  de  BéruUe  avoit  iait  divers  voyages 

1.  D'après  le  document  écrit  par  Cherré  :  la  personne  de  la 
Reine. 

2.  Louis  de  la  Marck,  marquis  de  Mauny,  premier  écuyer  de 
la  reine  Anne  d'Autriche  et  gouverneur  de  Caen,  mort  en  1626. 

3.  Ici,  au  lieu  d'un  point,  le  document  écrit  par  Cherré  porte 
une  virgule,  ce  qui  donnerait  un  sens  un  peu  différent. 

4.  François  de  la  Rochefoucauld  (1555-1645),  fils  de  Charles 
de  la  Rochefoucauld,  comte  de  Randan,  et  de  Fulvia  Pic  de 
la  Mirandole,  fut  successivement  évêque  de  Glermont  et  de 
Senlis  et  devint  cardinal  en  1607. 


[1619]  DE  RICHELIEU.  351 

en  poste  sur  les  difficultés  qui  se  présentoient  de  part 
et  d'autre''. 

La  substance  de  ce  traité  consistoit  premièrement 
en  l'oubli  de  tout  le  passé,  à  la  sûreté  que  le  Roi  don- 
noit  et  pour  les  personnes  et  pour  les  charges  de  ceux 
qui  avoient  servi  la  Reine,  en  cinquante  mille  écus 
de  récompense  qui  furent  accordés  au  duc  d'Épernon 
pour  Boulogne,  en  l'échange  du  gouvernement  de 
Normandie,  que  la  Reine  avoit,  en  celui  d'Anjou-, 
château  d'Angers,  le  Pont-de-Gé^  et  Ghinon,  et  en  six 
cent  mille  écus  qui  furent  accordés  à  S.  M.  pour  les 
frais  qu'elle  avoit  faits  en  cette  occasion^. 

Ge  traité  fut  conclu  le  dernier  avril.  Le  Roi  le  reçut 
à  Saint-Germain-en-Laye,  le  %^  mai,  et,  cinq  jours 
après,  partit  pour  aller  en  Touraine,  afin  d'être  plus 
proche  d'Angoulême  et  faciliter  l'exécution  de  ce  qui 
avoit  été  promis^. 

Le  gouvernement  de  Normandie,  qu'avoit  la  Reine, 

1.  Voyez  ci-dessus,  p.  314,  note  2,  et  le  Mercure  françois, 
t.  V,  p.  180. 

2.  Avenel,  dans  les  Lettres  et  papiers  d'État  (t.  I,  p.  587),  a 
publié,  sous  la  date  du  mois  d'avril  1619  et  sous  le  titre  :  Dis- 
cours et  raisons  sur  le  choix  des  gouvernements  d^ Angers  et  de 
Nantes,  un  mémoire  qu'il  attribue  à  Richelieu  et  qui  dut  être 
composé  à  l'occasion  des  négociations  poursuivies  à  cette  époque 
dans  l'intérêt  de  la  Reine  mère. 

3.  Les  Ponts-de-Cé,  chef-lieu  de  canton  du  département  de 
Maine-et-Loire,  à  sept  kilomètres  sud-est  d'Angers. 

4.  Ici  se  termine  l'emprunt  de  deux  pages  et  demie  fait  au 
document  écrit  par  Cherré  (France  772,  fol.  255). 

5.  Les  deux  paragraphes  précédents  sont  un  abrégé  du  Mer- 
cure françois,  t.  V,  année  1619,  p.  200-202.  Un  résumé  des 
articles  de  ce  traité  se  trouve  aux  Affaires  étrangères,  France  772, 


352  MÉMOIRES  [1619] 

fut  absolument  désiré,  parce  que  le  sieur  de  Luynes 
avoit  dessein  de  le  faire  donner  au  duc  de  Guise  pour 
celui  de  Provence;  mais,  ne  le  pouvant,  il  tâcha  de 
l'échanger  pour  celui  de  Bretagne,  dont  ne  pouvant 
encore  venir  à  bout,  enfin  il  en  eut  la  Picardie,  où  il 
avoit  déjà  quantité  de  places;  et  ce  grand  établisse- 
ment ne  semblera  étrange,  quand  on  saura  qu'en 
même  temps  il  offrit  de  tirer  plus  d'un  million  et  demi 
de  livres  des  coflres  du  Roi,  pour  avoir  certaines  places, 
de  telle  considération  qu'on  les  peut  dire  les  portes  de 
la  France  à  tous  les  étrangers. 

Jamais*  accord  ne  fut  conclu  plus  à  propos,  car 
Annibal  étoit  aux  portes,  puisque  les  troupes  du  Roi 
étoient  déjà  proche  d'elle-  et  que,  s'il  eût  passé  outre, 
la  Reine  eût  été  contrainte,  pour  éviter  de  s'enfermer 
dans  une  ville  dont  on  devoit  prévoir  le  siège,  de  se 
retirer  à  Saintes,  ou  pour  y  demeurer,  ou  au  moins 
pour  passer  de  là  en  Brouage  :  ce  qui  eût  causé  sa 
perte  indubitable,  ayant  su  depuis  certainement  qu'un 
avis,  qui  dès  lors  lui  fut  donné  de  l'infidélité  du  gou- 
verneur de  ladite  ville  de  Saintes,  étoit  très  véritable. 


fol.  183-184.  Le  Masle,  prieur  des  Roches,  secrétaire  de 
Richelieu,  a  écrit  sur  le  dernier  feuillet  de  cette  pièce  :  «  1619. 
Articles  de  la  paix.  La  Reine  a  l'original.  «  Et  Sancy  y  a  grif- 
fonné le  mot  «  Employé  ». 

1.  Avec  ce  paragraphe  commence  un  nouvel  emprunt  au 
document  de  la  main  de  Cherré  (fol.  255).  Ce  document  portait 
primitivement  :  «  Jamais  accord  ne  fut  conclu  plus  à  propos, 
car  Annibal  étoit  aux  portes,  puisque  le  Roi  étoit  à  Tours,  et 
que  s'il  eût  passé  outre...  »  La  leçon  que  nous  donnons  dans  le 
texte,  et  qui  est  celle  du  manuscrit  R,  a  été  établie  par  Sancy 
sur  le  document  écrit  par  Cherré. 

2.  C'est-à-dire  de  la  Reine  ou  de  la  ville  de  Tours. 


[1619]  DE  RICHELIEU.  353 

Il  y  avoit  si  peu  d'apparence  de  le  croire,  vu  que  ledit 
gouverneur  avoit  été  nourri  du  duc  d'Épernon,  qu'il 
étoit  neveu^  du  sieur  du  Plessis  son  confident,  que, 
par  sa  seule  faveur,  il  avoit  trouvé  un  mariage  très 
avantageux;  qu'il  n'étoit  dans  cette  place,  au  respect 
dudit  duc  d'Épernon,  que  comme  une  créature  pour 
son  maître  ;  que,  quelque  avis  qu'on  eût  pu  avoir,  on 
n'eût  pas  évité  ce  piège,  lequel  cependant  étoit  si  cer- 
tain, que  ledit  sieur  de  Béthune  avoit  les  ordres  néces- 
saires pour  lui  faire  exécuter  la  promesse  qu'il  avoit 
faite  d'arrêter  la  Reine  et  ledit  duc  d'Épernon  s'ils 
alloient  à  Saintes,  moyennant  ce  dont  on  étoit  convenu 
avec  lui  pour  son  intérêt,  et  que  les  adhérents  du 
sieur  de  Luynes,  qui  avoient  machiné  ce  complot,  ne 
me  l'ont  pas  nié  depuis. 

Pendant  cette  négociation,  Ruccellaï  traversoit,  en 
ce  qui  lui  étoit  possible,  le  traité  qui  se  faisoit;  mais, 
comme  il  étoit  sans  crédit,  ses  efforts  étoient  vains.  Il 
fit  diverses  propositions  à  la  Reine,  fort  extravagantes, 
et  qui  n'avoient  autre  fin  que  sa  vengeance  et  sa  pas- 
sion. Un  jour,  après  lui  avoir  ~  fort  exagéré  ses  ser- 
vices et  exigé  d'elle  plusieurs  serments  de  secret,  il 
lui  dit  qu'il  savoit  un  moyen  de  la  tirer  fort  avanta- 
geusement du  mauvais  état  où  elle  étoit;  ensuite,  il 
lui  représenta  qu'elle  n'étoit  pas  trop  contente  du  duc 
d'Épernon  et  que  la  haine  que  le  Roi  et  les  favoris 
lui  portoient  étoit  telle  que,  si  elle  vouloit  leur  donner 

1.  Était-ce  Baussonnière,  neveu  du  sieur  du  Plessis,  que 
mentionne  Girard  dans  son  Histoire  de  la  vie  du  duc  d'Eper- 
non, éd.  de  1663,  t.  II,  p.  354? 

2.  «  Après  lui  avoir,  en  particulier,  fort  exagéré...  »,  d'après 
le  document  écrit  par  Cherré. 

II  23 


354  MÉMOIRES  [1619] 

lieu  de  se  venger  de  lui,  il  n'y  a  rien  qu'ils  ne  fissent 
en  sa  faveur;  qu'il  lui  seroit  déshonorable  de  le  faire 
en  sorte  qu'on  pût  apercevoir  qu'elle  contribuât  à  son 
malheur,  mais  qu'il  lui  donneroit  un  expédient  où  les 
plus  clairvoyants  ne  verroient  goutte  et  où  elle  trou- 
veroit  son  compte. 

Cet  expédient  étoit  que  la  Reine  fît  semblant  de 
vouloir  aller  voir  faire  la  montre,  à  une  lieue  d'Angou- 
lème,  au  régiment  de  ses  gardes  qui  étoit  commandé 
par  le  marquis  de  Mauny.  Là  se  trouveroient  trois  ou 
quatre  compagnies  de  chevau-légers,  qui  étoient  assu- 
rées à  Ruccellaï,  pour  être  vues  de  la  Reine,  qui,  au 
même  temps,  prieroit  le  duc  d'Épernon  de  ne  trouver 
point  mauvais  si  elle  se  retiroit  d'Angoulême  pour  s'en 
aller  à  Brouage,  où  le  sieur  de  Saint-Luc^  la  devoit 
retirer;  qu'incontinent  après  la  retraite  de  la  Reine,  le 
Roi  s'avanceroit  avec  ses  forces  et  déposséderoit  sans 
difficulté  le  duc  d'Épernon  d'Angoulême  et  de  Saintes, 
et  traiteroit  d'autant  mieux  la  Reine,  qu'il  sauroit 
qu'elle  auroit  favorisé  le  châtiment  d'une  personne  qui 
avoit  desservi  S.  M. 

Cette  proposition  sembla  non  seulement  si  extrava- 
gante, mais  si  méchante  à  la  Reine,  qu'elle  la  rejeta 
de  son  propre  mouvement  :  ce  en  quoi  je  la  fortifiai 
autant  qu'il  me  fut  possible,  après  qu'elle  m'eut  fait 
l'honneur  de  me  la  communiquer,  lui  faisant  voir  que 
toute  la  malice  d'enfer  n'eût  su  lui  en  suggérer  une 
plus  propre    de   la  perdre    en    toutes    façons.    Cet 

1.  Timoléon  d'Espinay  (1580-1644),  seigneur  de  Saint-Luc, 
gouverneur  de  Brouage  et  des  îles  de  Saintonge,  combattit 
victorieusement  les  Rochelais  en  1622,  fut  créé  maréchal  de 
France  en  1628  et  nommé  lieutenant  général  en  Guyenne. 


[1619]  DE  RICHELIEU.  355 

esprit  désespéré,  se  voyant  débouté  de  ses  préten- 
tions, corrigea  sa  proposition,  suppliant  seulement  la 
Reine  de  se  tirer  des  mains  du  duc  d'Épernon,  avec 
son  consentement,  pour  se  mettre  à  Brouage.  La  Reine 
prit  temps  de  penser  à  cette  ouverture,  laquelle  on 
lui  fit  voir  très  mauvaise  :  premièrement,  pour  ce  que 
Brouage  étoit  lors  en  si  mauvais  état  que  la  place  n'eût 
su  soutenir  quinze  jours  l'effort  de  la  puissance  du 
Roi;  secondement,  parce  que  la  fidélité  du  sieur  de 
Saint-Luc  lui  étoit  fort  peu  assurée,  Cominges^  étant 
déjà  venu  divers  voyages  de  Paris  vers  lui  pour  le 
regagner  pour  la  faveur,  ce  qui  fit  telle  impression 
dans  son  esprit  que,  peu  de  temps  après,  il  fit  son 
accord  sans  la  Reine,  moyennant  vingt  mille  écus  et 
quelques  autres  conditions,  qui,  à  mon  avis,  n'eussent 
produit  autre  effet  que  de  lui  faire  éviter  de  recevoir 
la  Reine  en  sa  place,  mais  non  pas  la  tromper  au  cas 
qu'elle  y  eût  été;  en  troisième  lieu,  parce  que,  si  la 
Reine  entendoit  à  ce  conseil,  quoiqu'elle  ne  fût  pas 
d'accord  avec  les  favoris  de  la  perte  du  duc  d'Éper- 
non, ainsi  que  Ruccellaï  la  désiroit  par  sa  première 
proposition,  elle  s'ensuivroit  indubitablement,  étant 
certain  que  la^  personne  et  le  respect  de  la  Reine  ne 
seroient  pas  plus  tôt  séparés  d'Angoulême,  que  la  ville 
ne  fût  en  proie  et  prise  dans  quinze  jours;  enfin,  parce 
que,  si  elle  étoit  pressée  dans  Brouage,  il  ne  lui  reste- 
roit  plus  que  de  se  mettre  à  la  merci  des  vents  dans 

1.  Pierre  de  Cominges,  lieutenant  au  gouvernement  de 
Brouage  depuis  1604,  et  gentilhomme  ordinaire  de  la  chambre 
du  Roi  en  1611. 

2.  Le  manuscrit  B  porte  sa  personne  ;  mais  le  document  écrit 
par  Cherré  porte  avec  raison  la  personne. 


356  MÉMOIRES  [1619] 

quelque  méchante  barque,  n'ayant  point  de  vaisseau  de 
considération. 

S.  M.  goûta  tout  à  fait  ces  raisons;  et,  représentant 
à  Ruccellaï  la  dernière  ci-dessus  exprimée,  il  fut  si 
impudent  que  de  dire  que  Rome  lui  resteroit  pour 
retraite  et  qu'il  se  tiendroit  fort  heureux  de  la  loger 
dans  le  palais  qu'il  y  avoit. 

Ces  extravagances,  qui  faisoient  de  plus  en  plus 
connoître  et  la  folie  de  cet  esprit  et  sa  malice  tout 
ensemble,  furent  suivies  d'une  autre  non  moins  imper- 
tinente. Il  proposa  à  la  Reine  d'épouser  le  roi  d'An- 
gleterre *  ;  qu'il  feroit  la  négociation  de  ce  mariage 
pendant  qu'elle  seroit  à  Rrouage;  que,  de  là,  on  pour- 
roit  faire  venir  des  vaisseaux  propres  à  la  faire  passer 
sans  péril  le  trajet  qu'il  falloit  faire;  qu'il  savoit  bien 
qu'il  y  avoit  quelque  chose  à  dire  pour  la  religion; 
mais  qu'en  matière  si  importante  il  ne  falloit  pas 
regarder  de  si  près,  vu  principalement  qu'elle  ne  seroit 
point  forcée  en  sa  créance  et  auroit  la  liberté  de  la 
religion  catholique  en  son  particulier. 

Par  cette  dernière  proposition,  la  Reine  se  trouve  si 
importunée  des  impertinences  de  cet  homme,  que,  lui 
étant  insupportable,  elle  se  résolut  de  le  chasser,  ce 
dont  je  la  détournai,  non  sans  peine. 

Je  lui  représentai  qu'elle  savoit  bien  que  je  n'ai- 
mois  pas  Ruccellaï,  que  je  connoissois  son  extra- 
vagance et  le  préjudice  qu'elle  pouvoit  recevoir  de 
l'avoir  auprès  d'elle,  qu'il  n'étoit  pas  question  de 
savoir  s'il  l'en  falloit  ôter,  mais  seulement  des  moyens 
qu'il   falloit  tenir  pour   parvenir   à    cette    fin;    que 

1.  Jacques  P"-  (1603-1625). 


[1619]  DE  RICHELIEU.  357 

si  elle  le  chassoit,  beaucoup  blàmeroient  S.  M.  et 
l'accuseroient  d'ingratitude,  parce  qu'au  lieu  qu'il 
l'avoit  desservie,  les  apparences  feroient  croire  qu'il 
lui  avoit  rendu  des  services  fort  signalés;  que  cet 
homme  étoit  en  des  termes  où  il  ne  pouvoit  demeurer  ; 
qu'il  étoit  si  immodéré  qu'il  ne  demeureroit  jamais 
auprès  d'elle  s'il  ne  croyoit  y  avoir  la  principale  con- 
fiance, et  que,  partant,  si  la  Reine  contiiYuoit  à  lui 
témoigner  qu'elle  se  méfioit  de  lui,  indubitablement  il 
s'en  iroit  de  lui-même  ;  auquel  cas  mon  avis  étoit  qu'il 
lui  falloit  faire  un  pont  d'or,  lui  donnant  récompense 
de  ses  services  prétendus,  afin  que  S.  M.  eût  autant 
les  apparences  d'un  bon  procédé  de  son  côté  comme 
elle  en  avoit  l'effet. 

Le  duc  d'Épernon  étoit  fort  contraire  à  cet  avis,  qui 
disoit  souvent  à  la  Reine  qu'il  ne  falloit  point  nourrir 
un  serpent  dans  son  sein  et  qu'il  n'y  avoit  rien  tel  que 
de  s'en  défaire  le  plus  promptement  qu'on  pourroit. 
Au  même  temps,  il  s'anime  jusqu'à  ce  point  qu'il  veut 
battre  Ruccellaï.  Je  l'en  détournai  autant  qu'il  me  fut 
possible  ;  mais  enfin  les  langages  que  Ruccellaï  tenoit  de 
lui  étoient  si  insolents  qu'un  jour  il  m'envoya  Monsieur 
de  Toulouse  pour  me  dire  qu'il  ne  demandoit  plus  que 
j'approuvasse  l'action  qu'il  vouloit  faire  contre  Ruccellaï, 
mais  seulement  qu'après  qu'elle  seroit  faite,  j'adoucisse 
la  Reine  et  portasse  son  esprit  à  ne  le  condamner  pas. 

Je  représentai  audit  sieur  de  Toulouse  que,  si  le  duc 
d'Épernon  commettoit  cette  violence,  il  étoit  perdu; 
que  les  favoris,  qui  le  haïssoient  au  dernier  point,  ne 
demandoient*  pas  mieux  que  de  prendre  ce  prétexte 

1.  Le  document  écrit  par  Cherré  porte  demander  oient. 


358  MÉMOIRES  [1619] 

de  le  maltraiter,  faisant  croire  au  monde  que  les  inté- 
rêts de  la  Reine  les  y  porteroient  autant  que  ceux  du 
Roi  ;  qu'ils  publieroient  qu'elle  ne  seroit  pas  libre  entre 
ses  mains  et  le  prouveroient,  en  l'imagination  de  ceux 
qui  ne  sauroient  pas  l'état  auquel  Ruccellaï  étoit 
auprès  d'elle,  par  la  violence  dont  il  auroit  usé  en  son 
endroit  contre  son  gré;  qu'ils  refuseroient  peut-être, 
sur  ce  sujet,  d'achever  le  traité  qui  étoit  commencé, 
ou  au  moins  de  l'y  comprendre;  qu'il  acquerroit  la 
réputation  d'incompatible,  avec  d'autant  plus  de  faci- 
lité que  déjà  beaucoup  croyoient  sa  société  un  peu 
épineuse;  qu'ainsi  il  perdroit  les  affaires  de  la  Reine  et 
les  siennes  tout  ensemble,  sans  autre  fruit  que  de  pré- 
cipiter la  sortie  de  Ruccellaï,  qui  arriveroit  indubita- 
blement dans  peu  de  jours. 

Ces  raisons  furent  si  bien  représentées  au  duc  par 
le  sieur  archevêque  de  Toulouse,  son  fils,  qu'il  y  déféra 
par  son  avis  et  celui  du  sieur  du  Plessis,  en  qui  il 
n'avoit  pas  peu  de  créance.  Cependant  Ruccellaï  con- 
tinuoit  toujours  à  parler,  non  seulement  mal  à  propos 
dudit  duc,  mais  de  la  Reine.  Il  veut  pratiquer  une  de 
ses  femmes  plus  confidentes  contre  son  service.  Il  lui 
offre  dix  mille  écus  pour  être  averti  par  elle  de  toutes 
les  paroles  et  actions  de  la  Reine  qu'elle  jugeroit  dignes 
de  remarque.  Il  l'accuse  d'ingratitude  en  son  endroit, 
représente  que  sans  lui  elle  seroit  encore  à  Blois;  que 
le  duc  de  Bouillon,  le  cardinal  de  Guise,  le  prince  de 
Joinville  n'étoient  ses  serviteurs  qu'en  sa  considéra- 
tion. Il  se  laissa  aller  jusqu'à  cet  excès  d'insolence, 
parlant  à  Ghanteloube,  que  de  lui  dire  qu'autre- 
fois le  domaine  de  Toscane,   possédé  par  ceux  de 


[1619]  DE  RICHELIEU.  359 

la  maison  de  la  Reine,  étoit  à  ses  prédécesseurs i. 

Ghanteloube  fait  ce  rapport  à  la  Reine  ;  les  mécon- 
tentements croissent  de  toutes  parts;  enfin,  Ruccellaï 
étant  assuré  d'être  bien  reçu  à  la  cour  par  les  négo- 
ciations qu'il  y  avoit  fait  faire,  un  jour,  comme  j'étois 
à  une  lieue  d'Angoulême,  on  me  vint  dire  que  Ruccel- 
laï avoit  demandé  son  congé  et  que  la  Reine  lui  avoit 
accordé.  Je  vins  aussitôt  à  Angoulême  et  n'y  fus  pas 
plus  tôt  arrivé  que  je  trouvai  Sardini^  en  mon  logis, 
qui  me  vint  proposer  de  raccommoder  Ruccellaï  avec 
la  Reine,  par  le  moyen  de  quoi  je  l'acquerrois  ami  pour 
jamais,  au  lieu  que  jusqu'à  présent  il  avoit  été  mon 
ennemi.  Je  lui  répondis  que  je  tiendrois  à  faveur  de 
le  servir,  mais  non  pas  aux  dépens  de  mon  maître; 
que,  pour  son  amitié,  j'avois  bien  connu  que  je  n'étois 
pas  assez  heureux  pour  la  pouvoir  avoir  à  conditions 
raisonnables,  et  que  je  n'étois  pas  aussi  assez  fol  pour 
la  vouloir  acheter  à  un  prix  injuste^,  comme  celui  de 
la  perte  des  bonnes  grâces  de  la  Reine;  mais  que  je 
m'emploierois  auprès  d'elle  pour  qu'elle  le  traitât  en 
sorte  que  chacun  reconnût  qu'il  auroit  sujet  de  se 
louer  d'elle. 

Et  de  fait,  je  m'en  allai  de  ce  pas  proposer  à  la  Reine 
de  lui  donner  cent  mille  francs  pour  reconnoissance 
de  ce  qu'il  pensoit  avoir  contribué  à  son  service  :  ce 

1.  Aux  ancêtres  de  Ruccellaï. 

2.  Alexandre  Sardini,  vicomte  de  Buzançais,  fils  du  financier 
Scipion  Sardini;  il  mourut  le  l'""  octobre  1645,  âgé  de  soixante 
et  onze  ans. 

3.  A  un  prix  bien  injuste,  d'après  le  document  de  la  main  de 
Cherré. 


360  MÉMOIRES  [1619] 

que  S.  M.  trouva  bon  et  lui  envoya  le  sieur  de  Sardini 
pour  l'assurer  qu'à  Paris  il  les  toucheroit.  Ruccellaï  se 
trouva  si  surpris  de  cette  libéralité,  qu'il  n'attendoit 
pas,  que  sur-le-champ  il  ne  put  se  résoudre  ni  à  l'ac- 
cepter, ni  à  la  refuser  ;  mais  il  pria  Sardini  et  quelques 
autres  qui  lui  en  parlèrent,  qu'il  lui  fût  libre  de  faire 
l'un  ou  l'autre,  quand  il  seroit  à  Paris. 

Incontinent  que  sa  réponse  fut  sue,  nous  jugeâmes 
bien  qu'il  en  usoit  ainsi  pour  ne  rien  faire  que  ce  qui 
lui  seroit  conseillé  en  ce  sujet  par  le  sieur  de  Luynes, 
vers  lequel  il  appréhendoit  que  cette  gratification  de 
la  Reine  ne  lui  pût  nuire.  Ainsi  Ruccellaï  se  sépara  de 
la  Reine  et,  au  lieu  de  se  retirer  chez  lui,  ce  qu'il 
devoit  faire  s'il  eût  eu  de  l'honneur,  il  se  retira  à  la  cour, 
comme  s'il  eût  voulu  justifier  à  tout  le  monde  l'intelli- 
gence qu'il  avoit  eue  de  tout  temps  avec  Luynes,  qui 
lors  étoit  ennemi  de  la  Reine. 

Sa  retraite,  qui  avoit  été  précédée  du  marquis^  de 
Mauny  qui,  quinze  jours  auparavant,  s'étoit  retiré^ 
par  complot  fait  avec  lui,  sous  prétexte  du  refus  que 
la  Reine  lui  fit  du  gouvernement  d'Angers,  fut  suivie 
de  quelques  autres  personnes  de  peu  de  considération. 

Jamais  esprit  n'eut  tant  de  divers  desseins,  tous  mal 
fondés,  dans  la  tête,  que  ce  pauvre  homme  témoigna 

1.  Var.  :  Précédée  de  celle  du  marquis  (H). 

2.  Le  marquis  de  Mauny  rentra  à  la  cour  le  30  juin,  après 
avoir  essa3'é  d'obtenir  le  gouvernement  d'Angers,  que  la  Reine 
mère  voulait  donner  au  marquis  de  Richelieu  [Journal  d  Ar- 
nauld  d'Andilly,  p.  430).  Fontenay-Mareuil  [Mémoires,  p.  445) 
attribue  le  choix  du  gouverneur  d'Angers  à  «  Monsieur  de  Luçon, 
qui  savoit  que  qui  seroit  maître  des  places  le  seroit  aussi  de  la 
fortune  de  la  Reine  nière,  et  qui  ne  vouloit  pas  dépendre  d'au- 
trui.  » 


[1619]  DE  RICHELIEU.  361 

en  cette  occasion.  Il  exerça  la  charge  de  secrétaire  de 
la  Reine;  il  eut  dessein  d'être  son  chancelier;  depuis, 
convertissant  sa  plume  en  une  épée,  il  voulut  être  son 
chevalier  d'honneur,  ce  qui  l'exposa  à  la  risée  de  tous 
ceux  qui  en  eurent  connoissance.  Il  n'oublia  rien  de  ce 
qu'il  put  pour  faire  que  la  ville  et  gouvernement  d'An- 
gers tombassent  entre  les  mains  du  marquis  de  Mauny, 
qui  étoit  un  corps  dont  il  étoit  l'àme,  afin  que,  la  Reine 
y  faisant  son  séjour,  il  eût  les  principales  forces  du 
lieu  de  sa  demeure  pour  s'autoriser  davantage  en  sa 
maison  et  disposer  de  la  conduite  de  cette  princesse, 
en  sorte  qu'en  lui  faisant  faire  tout  ce  que  désireroient 
les  favoris,  il  pût  recevoir  d'eux  ce  qu'il  désireroit  de 
leur  puissance. 

La  Reine  connut  trop  clairement  son  dessein  pour 
le  pouvoir  souffrir  davantage,  et,  en  effet,  s'il  n'eût 
pris  son  congé  comme  il  fit,  on  n'eût  pu  l'empêcher 
en  aucune  façon  ni*  la  divertir  davantage  de  le  lui 
donner. 

Gomme  Ruccellai  emmena  quelques-uns  de  ceux  qui 
étoient  de  sa  cabale,  pour  nuire  à  la  Reine  en  lui 
soustrayant  des  serviteurs,  il  en  laissa  d'autres  à 
Angoulême  pour  la  même  fin,  pour  nuire  à  S.  M., 
comme  serpents  dans  son  sein.  Entre  autres,  la  con- 
fiance qu'il  avoit  en  la  dame  de  Montendre^,  et  à  un 
certain  abbé  de  Moreilles^  qui,  dans  la  confusion  des 
occasions  passées,  s'étoit  donné  à  la  Reine  sans  qu'on 
le  reçût,  lui  donna  heu  d'établir  entre  eux  une  corres- 

1.  Il  y  a  É^e  dans  le  manuscrit  B. 

2.  Il  s'agit  probablement  d'Hélène  de  Fonsèque,  mariée  le 
2  août  1600  à  Isaac  de  la  Rochefoucauld,  baron  de  Montendre. 

3.  Labbaye  de  Moreilles,  de  l'ordre  de  Cîteaux,  était  située 


362  MÉMOIRES  [1619] 

pondance  pour  découvrir  tout  ce  qu'ils  pourroient  et 
[le]  lui  faire  savoir  soigneusement  :  ce  qu'ils  firent, 
mais  non  pas  longtemps  sans  être  découverts  par  la 
surprise  de  quelques  lettres  de  cet  abbé,  si  détestables, 
qu'outre  qu'elles  étoient  pleines  de  médisances  de  la 
Reine,  elles  contenoient  des  paroles  qui  violoient^  au 
moins  le  respect  dû  aux  sacrements,  si  elles  ne  conte- 
noient un  manifeste  abus  de  celui  de  la  confession,  vu 
que  ce  personnage  étoit  si  effronté  qu'il  lui  écrivoit 
qu'il  ne  pouvoit  qu'il  ne  lui  donnât  beaucoup  de  nou- 
velles, puisqu'il  confessoit  la  plupart  des  femmes  de 
la  Reine. 

Le  marquis  de  Thémines^,  capitaine  des  gardes  de 
la  Reine,  imbu  des  humeurs  et  des  impressions  de 
Ruccellaï,  ne  vit  pas  plus  tôt  le  marquis  de  Mauny,  qui 
s'en  étoit  allé  hors  de  la  prétention  du  gouvernement 
d'Angers,  qu'il  ne  se  le  mît  en  tête.  Ce  qui  fit  que,  la 
Reine  ayant  donné  ledit  gouvernement  à  feu  mon 
frère,  celui  de  Ghinon  à  Chanteloube,  celui  du  Pont- 
de-Cé  à  Béthencourt^,  la  passion  lui  fit  mal  parler  de 
ce  choix  et  dire  qu'il  [le]"^  méritoit  mieux  que  ceux 

dans  le  Marais  vendéen  et  dépendait  du  diocèse  de  la  Rochelle. 
L'abbé  était,  depuis  1586,  Jean  Ferret,  qui  mourut  en  1622,  et 
qui  fut  également  chantre  du  chapitre  de  Luçon. 

1.  Le  manuscrit  B  porte  violant. 

2.  Au  lieu  de  comte  de  Thémines,  il  faut  lire  marquis,  dans 
la  note  de  la  page  69,  ci-dessus. 

3.  Ce  personnage,  que  Richelieu  mentionne  encore  l'année 
suivante,  devait  être  François  de  Béthencourt,  seigneur  de 
Toutpré  et  vicomte  de  Gaillefontaine  en  Normandie.  D'après  le 
Nouveau  d'Hozier,  t.  XLI,  il  aurait  été  lieutenant  d'une  compa- 
gnie du  régiment  de  Rambures,  et  dans  des  lettres  de  cachet  des 
4  juillet  1621  et  20  avril  1622  le  Roi  le  qualifia  de  «  capitaine  ». 

4.  Nous  rétablissons  ce  mot  d'après  le  document  de  Cherré. 


[1619]  DE  RICHELIEU.  363 

qui  l'avoient  eu;  ce  qui  produisit  plusieurs  querelles. 
La  première  fut  de  Chanteloube,  qui  fit  appeler  ledit 
marquis,  et  furent  séparés  sur  le  pré.  Cette  querelle 
ayant  appris  à  mon  frère  les  mauvais  discours  dudit 
marquis,  il  lui  fît  savoir  qu'il  le  vouloit  voir^  l'épée  à 
la  main.  Ils  sortirent  tous  deux^  hors  la  ville  à  cette 
fin,  mais  sans  effet,  à  cause  de  la  pluralité  des  seconds 
qui  se  trouvèrent  de  part  et  d'autre,  qui  donna  lieu 
de  remettre  la  partie  à  une  autre  fois^. 

La  Reine,  ayant  su  ce  qui  s'étoit  passé,  prit  grand 
soin  de  les  faire  accorder;  mais,  comme  il  y  a  peu  de 
maladies  dont  on  sorte  bien  nettement,  l'accord  de 
cette  querelle  ne  fut  pas  si  net  qu'il  n'en  restât  des 
semences  qui  donnèrent  lieu  à  mon  frère  de  le  cher- 
cher autant  qu'il  put.  Il  alloit,  pour  cet  effet,  toujours 
seul  avec  un  petit  page,  avec  lequel  trois  jours  ne  se 
passèrent  pas  qu'il  ne  le*  rencontrât  devant  la  cita- 
delle. Aussitôt  qu'ils  se  virent,  ils  mirent  pied  à  terre ^ 
et,  après  s'être  tiré  trois  ou  quatre  estocades,  le  mar- 
quis de  Thémines  recula  jusqu'à  ce  que,  se  couvrant 
de  son  cheval,  il  en  avança  une  qui.  coupant  le  nœud 
de  la  queue  de  sondit  cheval ,  lui  ^  donna  dans  le 

1.  Le  manuscrit  B  porte  par  erreur  :  le  vouloit  vouloir. 

2.  Dans  le  manuscrit  B,  il  y  a  :  Ils  se  retirent  tous  deux. 

3.  Ces  seconds  étaient  La  Roche,  du  Carbon,  Nadaillac  et 
Saint-Julien.  Cette  première  rencontre  du  marquis  de  Riche- 
lieu avec  le  marquis  de  Thémines  eut  lieu  le  6  juillet  1619, 
d'après  le  Journal  d'Arnauld  d'Andilly,  p.  435,  qui  donne  de 
longs  détails  sur  cet  incident. 

4.  Le  manusci'it  B  porte  se. 

5.  Cette  seconde  rencontre  eut  lieu  le  8  juillet  (/oMrna/c^'^r- 
nauld  d'Andilly,  p.  435  et  436). 

6.  C'est-à-dire  au  frère  du  Cardinal. 


364  MÉMOIRES  [m9] 

cœur  ;  ce  qui  n'empêcha  pas  qu'avec  le  reste  de  la  vie 
qui  demeure  à  un  homme  blessé  à  mort,  il  ne  se  jetât 
à  son  collet,  d'où  il  fut  dépris  et  par  quelques  per- 
sonnes qui  y  arrivèrent  et  par  la  mort  qui  le  surprit, 
mais  non  si  subitement  que  le  sieur  de  BéruUe,  qui  se 
trouva  par  cas  fortuit  en  cette  occasion,  n'eût  loisir 
de  lui  donner  l'absolution  sur  les  signes  de  douleur 
qu'il  put  tirer  de  lui. 

Je  ne  voudrois  ni  ne  saurois  dire  que  ce  combat  se 
fût  passé  avec  aucune  supercherie  et  ne  crois  pas,  en 
vérité,  que  Thémines  en  eût  voulu  user  ainsi;  mais  il 
est  vrai  que,  tandis  que  mon  frère  et  lui  furent  aux 
mains,  deux  gentilshommes  qui  le  suivoient  eurent 
toujours  l'épée  haute  dans  le  fourreau,  ce  qui  ne  laisse 
pas  d'être  un  très  grand  avantage. 

Je  ne  saurois  représenter  l'état  auquel  me  mit  cet 
accident  et  l'extrême  affliction  que  j'en  reçus,  qui  fut 
tel  qu'il*  surpasse  la  portée  de  ma  plume  et  que  dès 
lors  j'eusse  quitté  la  partie,  si  je  n'eusse  autant  consi- 
déré les  intérêts  de  la  Reine  que  les  miens  m'étoient 
indifférents. 

Ceux  qui  restoient  dans  la  maison  de  la  Reine  de 
plus  grande  considération,  voyant  mon  frère  mort  et 
le  marquis  de  Thémines  éloigné  de  S.  M.  par  cet  acci- 
dent, se  mirent  en  tête  d'avoir  le  gouvernement  d'An- 
gers. Mais,  la  Reine  jugeant  bien  que,  si  dans  la  malice 
du  siècle  elle  ne  m'autorisoit  auprès  d'elle  non  seule- 
ment par  son  crédit,  mais  par  la  force  du  lieu  de  sa 
demeure  et  par  celle  qu'elle  pouvoit  donner  en  sa 
maison,  je  ne  pouvois  lui  rendre  le  service  que  je 

1.  Se  rapportant  à  état  et  non  à  affliction. 


[1619]  DE  RICHELIEU.  365 

devois*,  elle  voulut,  de  son  mouvement,  donner  le 
gouvernement  d'Ansjers  à  mon  oncle  le  commandeur 
de  la  Porte -et,  quelque  temps  après,  la  charge  de  capi- 
taine de  ses  gardes  au  marquis  de  Brezé^,  mon  beau- 
frère,  moyennant  trente  mille  écus  que  je  payai 
au  marquis  de  Thémines,  qui  avoit  été  fort  bien  reçu 
du  côté  du  Roi. 

Tous  ces  malheurs  passés,  la  Reine  m'envoya  à 
Tours  pour  préparer  son  entrevue  avec  le  Roi*.  Elle 
n'eut  pas  peu  de  peine  à  se  résoudre  à  ce  voyage;  le 
traitement  qu'elle  avoit  reçu,  la  continuation  qu'il  lui 
sembloit  voir  de  mauvaise  volonté  envers  elle,  la 
crainte  de  s'aller  mettre  dans  les  ceps  ^  et  en  la  puis- 
sance de  ses  ennemis  la  tenoient  en  une  grande  irré- 
solution si  elle  devoit  aller  trouver  le  Roi. 

Luynes,  incontinent  que  le  Roi  fut  arrivé  à  Tours, 
lui  écrivit *"  par  le  prince  de  Piémont,  qui  l'alloit  trou- 

1.  Les  mots  :  je  ne  pouvais  lui  rendre  le  service  que  je  devois, 
ont  été  écrits  en  marge  du  manuscrit  B  par  Charpentier.  Ils 
avaient  déjà  été  ajoutés  en  interligne,  par  Sancy,  sur  le  docu- 
ment de  la  main  de  Cherré;  Sancy  avait  mis  :  je  ne  lui  pouvais 
rendre. 

2.  Amador  de  la  Porte,  fils  de  François  de  la  Porte,  était 
commandeur  de  l'ordre  de  Malte  et  grand  prieur  de  France. 
Nommé  gouverneur  d'Angers  en  1619  et  du  Havre  en  1626,  il 
fut  envoyé  en  1633  comme  lieutenant  de  Roi  en  Aunis  et  mou- 
rut le  31  octobre  1644. 

3.  Urbain  de  Maillé,  marquis  de  Brezé,  épousa  en  1617 
Nicole  du  Plessis-Pvichelieu,  sœur  du  Cardinal,  devint  maréchal 
de  France  en  1632  et  mourut  en  1650. 

4.  Ici  s'arrête  l'emprunt  de  dix-sept  pages  et  demie  fait  au 
document  écrit  par  Cherré  (Aff.  étr.,  France  772,  fol.  263). 

5.  C'est-à-dire  dans  les  chaînes  de  ses  ennemis  (ci-dessus, 
p.  325). 

C.  Ecrivit  à  la  Reine  mère.  —  Une  analyse  de  cette  lettre, 


3GC)  MÉMOIRES  [1619] 

ver  à  Angoulême,  que,  sur  la  parole  du  P.  de  Bérulle, 
il  hasardoit  la  très  humble  supplication  qu'il  lui  faisoit 
de  vouloir  prendre  assurance  en  son  très  humble  ser- 
vice et  en  recevoir  les  oftres  qui  lui  ctoient  dues, 
et  que  le  Roi  lui  avoit  non  seulement  permis,  mais 
commandé  de  lui  faire  ;  et  que,  si  elle  les  avoit 
agréables,  il  exposeroit  sa  vie  pour  elle,  tant  à  raison 
de  ce  qu'elle  est  que  pour  avoir  commencé  et  beau- 
coup avancé  sa  fortune,  qui  l'obligent  à  ne  l'oublier 
jamais,  laissant  le  plus  important  à  ce  bon  Père  pour 
le  lui  faire  entendre  ^ . 

La  Reine  ne  manqua  pas  de  correspondre  à  ses  hon- 
nêtes offres,  lui  mandant  qu'elle  recevoit  d'autant  plus 
volontiers  les  assurances  qu'il  lui  donnoit  de  son 
affection  qu'il  les  lui  faisoit  en  intention  de  les  confir- 
mer par  effet  auprès  du  Roi^;  qu'elle  étoit  bien  aise 

ainsi  que  de  quelques-unes  de  celles  qui  sont  mentionnées  plus 
loin,  se  trouve  aux  Affaires  étrangères,  France  772,  fol.  186. 
Le  document,  de  la  main  de  Charpentier,  porte  des  renvois 
indiquant  qu'il  a  servi  à  la  composition  des  Mémoires.  Ces 
analyses  de  lettres  sont  désignées  ainsi  par  Sancy  sur  un  des 
feuillets  :  «  Extrait  des  lettres  écrites  à  Angoulême  depuis  le 
traité.  1619.  »  Sancy  ajouta  ces  mots  :  «  Pour  la  feuille  seconde. 
1619.  » 

1.  Cette  lettre  est  du  31  mai.  Charpentier  en  a  écrit  l'analyse 
suivante,  qui  n'est  pas  exactement  reproduite  par  les  Mémoires  : 
«  Il  lui  demande  permission  que  tout  ce  qu'il  a  omis,  crainte 
de  lui  déplaire,  il  lui  puisse  offrir,  croyant  lui  agréer;  qu'il  a 
hasardé  cette  supplication  sur  la  parole  du  sieur  de  Bérulle  et 
sur  l'assurance  qu'elle  ne  doit  refuser  les  offres  qui  lui  sont 
dues  et  que  le  Roi  ne  lui  a  seulement  permis,  mais  expressé- 
ment commandé;  que  s'il  reconnoît  que  S.  M.  ne  soit  impor- 
tuné de  ses  lettres,  il  exposera  sa  vie  pour  elle...  »  Le  reste  de 
l'analyse  a  été  textuellement  donné  par  les  Mémoires. 

2.  Les  Mémoires  reproduisent  ici  1'  «  Extrait  »  précité  de 


[1619]  DE  RICHELIEU.  3G7 

qu'il  reconnût  l'inclination  qu'elle  avoit  eue  de  long- 
temps à  son  bien,  de  laquelle  il  se  pouvoit  promettre 
la  continuation  et  faire  état  de  sa  bienveillance,  qu'elle 
lui  promettoit  de  nouveau  ;  qu'il  devoit  vi\Te  en  cette 
créance  très  véritable,  puisqu'elle  lui  étoit  assurée 
par  une  princesse,  dont  la  parole  est  inviolable,  et 
qu'elle  faisoit  état  d'aimer  toujours  ce  que  le  Roi  hono- 
rera de  son  affection*. 

Quelque  temps  après,  le  Roi  lui  écrivit-,  la  priant 
de  le  venir  voir,  et  lui  envoie  le  duc  de  Montbazon 
pour  ce  sujet.  Le  sieur  de  Luynes  l'assure  qu'elle  sera 
très  bien  traitée.  Elle  remercie  le  Roi  de  la  faveur 
qu'il  lui  plait  lui  faire  de  désirer  la  voir  et  lui  mande 
le  désir  qu'elle  a  aussi  de  jouir  de  sa  vue,  mais  le 
supplie  trouver  bonne  la  prière  qu'elle  a  faite  à  M.  de 
Montbazon,  qu'auparavant  que  de  penser  à  ses  conten- 
tements, elle  procure  qu'il  plaise  au  Roi  pourvoir  à  ce 
qui  concerne  ceux  qui  l'ont  assistée,  ainsi  qu'il  lui  a 
plu  lui  promettre  et  que  sa  conscience  et  son  hon- 
neur l'y  obligent^. 

Charpentier  (Aff.  étr.,  France  772,  fol.  186).  Il  est  à  remarquer 
que  le  texte  des  Mémoires  et  celui  de  V  «  Extrait  »  diffèrent 
seulement  par  le  style;  les  Mémoii'es  parlent  au  passé, 
r  «  Extrait  »  au  présent. 

1.  Cette  fin  de  paragraphe  est  tirée  de  la  suite  du  même 
«  Extrait  ».  Sancy  a  mis  les  phrases  de  ce  document  au  passé, 
faisant  les  corrections  sur  la  pièce  même  et  indiquant,  par 
les  signes  habituels,  que  le  passage  ainsi  corrigé  devait  entrer 
dans  les  Mémoires,  ce  qui  n'avait  pas  été  fait  pour  la  première 
partie  de  F  «  Extrait  ». 

2.  La  lettre  du  Roi,  portée  par  le  duc  de  Montbazon  à  la 
Reine  mère,  était  du  17  juillet.  Elle  a  été  imprimée  dans  le 
Mercure  françois,  t.  VI,  année  1619,  p.  299. 

3.  Cette  dernière  phrase  est  le  résumé  de  la  lettre  adressée 


368  MÉMOIRES  [1619] 

Cette  réponse  est  non  seulement  jugée  équitable, 
mais  louée  d'un  chacun.  Le  sieur  de  Luyneslui  témoigne 
l'extrême  contentement  qu'il  a  d'avoir  reçu  par  M.  de 
Montbazon  nouvelles  assurances  de  la  confiance  qu'elle 
veut  avoir  en  lui  et  de  l'honneur  qu'elle  lui  fait 
de  prendre  créance  aux  protestations  qu'il  lui  a  faites 
de  la  servir,  la  joie  que  lui  apporte  la  résolution 
qu'elle  a  prise  d'aller  à  la  cour  sur  la  parole  qu'il  lui 
a  donnée  qu'elle  y  recevi^a  toute  satisfaction  ;  qu'outre 
l'aise  du  Roi  et  le  bien  général,  il  y  considère  encore 
le  sien  particulier,  en  l'honneur  qu'il  se  promet  de  la 
bienveillance  de  S.  M.  et  en  celui  qu'il  aura  de  la  ser- 
vir fidèlement,  ce  (ju'il  fera  en  l'exécution  de  ce  qui 
lui  a  été  promis  par  l'intervention  de  MM.  le  cardinal 
de  la  Rochefoucauld  et  de  Béthune  touchant  le  bon 
traitement  de  ceux  qui  l'ont  servie  en  ces  dernières 
occasions;  la  libre  disposition  de  sa  maison  et  de  sa 
demeure  qui  lui  sera  conservée,  sachant  si  bien  les 
intentions  du  Roi  qu'il  ne  craint  point  de  l'assurer,  au 
péril  de  son  honneur,  de  tout  ce  que  dessus;  et  que, 
tant  au  voyage  qu'elle  vient  faire  à  la  cour  qu'aux 
autres  qu'elle  y  pourra  faire  à  l'avenir,  elle  n'y 
demeurera  que  tant  et  si  peu  qu'elle  voudra  ;  qu'il  lui 
en  donne  sa  parole,  comme  aussi  de  la  servir  en  toute 
autre  occurrence;  qu'elle  n'appréhende  point,  comme 
M.  de  Montbazon  lui  a  dit  qu'elle  faisoit,  qu'on  lui 

par  la  Reine  mère  au  Roi  et  qu'Avenel  considérait  comme  ayant 
été  rédigée  par  Richelieu  (t.  VII,  p.  468).  Elle  n'est  aussi  que 
la  copie  textuelle  d'un  passage  de  1'  «  Extrait  »  de  Charpen- 
tier, que  Sancy  avait  corrigé  au  point  de  vue  du  style.  On 
retrouve  en  marge  et  dans  le  corps  du  texte  les  signes  gra- 
phiques habituels. 


[1619]  DE  RICHELIEU.  369 

puisse  rendre  de  mauvais  offices  auprès  du  Roi,  lui 
jurant  que,  si  quelqu'un  lui  fait  quelque  mauvais  rap- 
port, il  en  avérera  la  fausseté  avec  elle^ 

Et,  afin  de  lui  faire  avoir  davantage  de  foi  à  ses 
paroles,  il  lui  fait  confirmer  par  le  P.  Arnoux  tout  ce 
qu'il  lui  avoit  mandé  ^  et  la  convier  efficacement  d'al- 
ler à  la  cour,  l'assurant  qu'elle  y  recevra  tout  conten- 
tement et^  qu'il  lui  donne  d'autant  plus  volontiers 

1.  Ce  paragraphe  est  tiré  d'une  suite  d'analyses  de  lettres, 
écrite  par  Charpentier,  et  au  dos  de  laquelle  Sancy  a  mis  : 
«  Extrait  des  lettres  du  connétable  de  Luynes  et  sieur  Arnoux 
à  la  Reine.  1619.  Pour  la  feuille  troisième.  1619.  »  La  première 
fois  que  Sancy  avait  eu  à  écrire  1619  il  s'était  trompé  et  avait 
mis  1631.  On  peut  supposer  que  cette  étourderie  était  due  à 
ce  fait  qu'il  travaillait,  en  1631,  à  la  rédaction  de  l'année  1619, 
ce  qui  concorderait  avec  des  remarques  faites  précédemment  à 
diverses  reprises.  Cet  «  Extrait  »  de  lettres  a  été  utilisé  pour 
les  Mémoires;  on  y  trouve,  d'ailleurs,  les  renvois  et  signes  gra- 
phiques habituels  (A£P.  étr.,  France  771,  fol.  318).  La  lettre  de 
Luynes  est  du  16  août  1619.  On  en  trouve  une  copie  dans  le 
volume  France  772,  fol.  114. 

2.  Richelieu  lui-même,  sans  l'avouer  ici,  avait,  d'accord 
avec  M.  de  Luynes,  envoyé  la  substance  de  la  lettre  que  le 
P.  Arnoux  devait  écrire  à  la  Reine  mère.  Avenel  a  publié 
(tome  VII,  p.  468-469)  ce  canevas  (qui  se  trouve  dans  le  volume 
France  772,  fol.  199)  sous  le  titre  :  Points  de  la  lettre  du  P.  Ar- 
noux à  la  Reine.  L'original  de  la  lettre  est  dans  le  même  volume, 
fol.  121;  il  est  daté  du  Plessis-les-ïours,  le  22  août  1619.  Sancy 
a  griffonné  au  dos  :  «  Veu  ». 

3.  Le  mot  et  a  été  ajouté  par  Sancy;  il  sert  de  liaison  avec 
la  phrase  précédente,  qui,  primitivement,  sur  le  manuscrit  B, 
se  trouvait  suivie  de  trois  paragraphes,  biffés  ensuite  par 
Sancy.  Les  voici  :  «  Qu'il  répond  que  M.  d'Épernon  et  ceux 
qui  l'ont  servie  en  ces  dernières  occasions  seront  très  bien 
traités;  que  la  libre  disposition  de  sa  maison  et  de  sa  demeure 
lui  sera  conservée  inviolablement  et  qu'elle  ne  sera  à  la  cour 

II  2^ 


370  MÉMOIRES  [1619] 

cette  assurance  qu'il  reconnoît  qu'on  ne  sauroit  man- 
quer à  ce  qui  lui  a  été  promis  en  tout  cela,  et  à 
ce  qu'elle  désire,  sans  un  notable  préjudice  de  cons- 
cience, et  engage  sa  foi,  son  honneur  et  son  âme, 
qu'en  cela  et  en  toute  autre  chose  elle  aura  conten- 
tement * . 

Enfin,  ils  s'obligèrent  à  toutes  ces  choses  par  toutes 
sortes  de  serments  et  le  donnèrent  même  par  écrit-. 
Sur  cela,  la  Reine  leur  promet  son  amitié  inviolable; 
elle  dépose  cette  parole  entre  les  mains  de  M.  de 
Montbazon . 

On  ne  laisse  pas,  nonobstant  tout  cela,  de  traiter 
pour  surprendre  les  places  qui  sont  en  la  puissance 
des  serviteurs  de  la  Reine.  On  voit  à  Metz  du  jour 
pour  en  chasser  le  marquis  de  la  Valette  par  la  mau- 
vaise volonté  des  habitants,  qui  ont  bien  le  courage 
d'oser  entreprendre  de  se  rendre  maîtres  de  lui.  On 

que  tant  et  si  peu  que  bon  lui  semblera;  qu'elle  ne  doit  point 
appréhender  qu'on  prenne  des  jalousies  et  des  ombrages  d'elle 
et  que  les  calomnies  lui  puissent  nuire.  »  Ces  paragraphes  fai- 
saient partie  de  1'  «  Extrait  »  écrit  par  Charpentier  et  cité  à  la 
page  précédente  (France  771,  fol.  318).  Us  figurent  à  peu  près 
dans  les  mêmes  termes  dans  le  canevas  publié  par  Avenel. 

1.  La  lettre  du  P.  Arnoux,  résumée  dans  ces  quelques  lignes, 
a  deux  pages  et  demie.  Elle  diffère  sensiblement,  tant  au  point 
de  vue  du  style  qu'au  point  de  vue  de  la  précision  plus  grande 
des  idées,  et  du  canevas  intitulé  Points  de  la  lettre  du  P.  Ar- 
noux à  la  Reine ^  publié  par  Avenel,  et  de  1'  «  Extrait  »  dû  à 
Charpentier.  Ce  paragraphe  est  la  copie  presque  textuelle  d'un 
passage  de  cet  «  Extrait  »  de  Charpentier. 

2.  Il  y  a  en  effet  dans  le  volume  France  772,  fol.  115,  une 
promesse  au  nom  du  Roi,  signée  du  duc  de  Montbazon,  d'exé- 
cuter ce  qui  a  été  accordé  à  la  Reine  mère.  Cette  pièce  porte 
au  dos  le  mot  «  Employé  »,  de  la  main  de  Sancy. 


[1619]  DE  RICHELIEU.  371 

agrée  leur  entreprise,  quoique  de  mauvais  exemple, 
et  on  fait  acheminer  quekjues  troupes  vers  eux  *  pour 
leur  prêter  main-forte  ;  mais  le  marquis  de  la  Valette 
les  prévient,  fait  entrer  dans  la  ville  des  gens  de 
guerre  qui  sont  à  la  dévotion  de  son  père,  désarme  les 
habitants  et  les  met  en  état  de  ne  lui  pouvoir  faire 
de  mal^. 

On  sollicite  le  gouverneur  de  Saintes;  on  fait  des 
offres  à  celui  de  Loches  ;  on  trame  des  menées  pour 
Angers,  avant  même  qu'on  Tait  livré;  on  donne  abso- 
lution de  plusieurs  crimes  aux  huguenots  en  récom- 
pense d'une  fidélité  imaginaire,  en  vertu  de  laquelle 
on  supposoit  qu'ils  avoient  refusé  de  servir  la  Reine, 
qui,  bien  loin  de  les  en  avoir  sollicités,  avoit  aussi 
généreusement  refusé  l'office  qu'ils  lui  avoient  faite  de 
l'assister  qu'infidèlement,  et  pour  s'avantager  au  désa- 
vantage du  service  du  Roi,  ils  lui  avoient  faite  sans 
en  être  requis.  Il  ne  fut  pas  même  jusques  à  Déageant, 
qui  étoit  un  de  leurs  plus  affidés  ministres,  qui  ne 
ressentit  les  effets  de  la  mauvaise  volonté  qu'ils  con- 
voient encore  contre  la  Reine  :  car  ils  l'éloignèrent, 
.sur  l'imagination  qu'ils  eurent  qu'il  se  repentoit  de  sa 
faute  ^. 

Tandis  qu'ils  étoient  si  attentifs  à  ôter  à  la  Reine 
toute  l'autorité  auprès  du  Roi  que  la  qualité  qu'elle 

1.  Sous  les  ordres  de  M.  de  Praslin  [Journal  cVArnauld 
d'Andilly,  p.  418). 

2.  Voyez  plus  loin,  p.  393. 

3.  Dans  ses  Mémoires  (p.  225),  Déageant  dit  que  le  P.  Arnoux, 
confesseur  du  Roi,  fut  l'un  des  plus  acharnés  pour  le  faire 
éloigner  de  la  cour.  Pour  sauver  les  apparences,  on  l'envoya 
en  mission  en  Dauphiné  auprès  du  duc  de  Lesdiguières. 


372  MÉMOIRES  [1619] 

avoit  lui  donne,  ils  avoient  peu  de  souci  ou  peu 
de  moyens  de  maintenir  l'autorité  royale  envers  ses 
alliés. 

Barneveldt^,  le  plus  ancien  officier  des  États  des 
Provinces-Unies,  celui  qui  avoit  le  plus  travaillé  à 
l'établissement  de  leur  république,  et  qui,  avec  plus 
d'affection,  s'étoit  toujours  porté  à  maintenir  la  bonne 
intelligence  entre  S.  M.  Très  Chrétienne  et  lesdits 
États,  tut  condamné  à  mort  et  exécuté  au  mépris  des 
offices  que  S.  M.  fit  plusieurs  fois  par  ses  ambassa- 
deurs pour  le  sauver.  La  première  cause  apparente 
de  sa  disgrâce  fut  une  division  qui  commença  à  écla- 
ter, l'an  1 61 1 ,  en  Hollande,  entre  les  ministres,  sur  le 
fait  de  la  prédestination,  de  laquelle  un  ministre, 
nommé  Arminius^,  qui  étoit  mort  quelques  années 
auparavant,  avoit  commencé  à  prêcher  une  doctrine 
qui  n'étoit  pas  conforme  à  ce  que  Luther  et  Calvin  en 
avoient  tenu  et  approchoit  davantage  de  la  vérité  qui 
est  enseignée  en  l'Église  catholique. 

Un  ministre,  nommé  Vorstius^,  commença,  ladite 

1.  Jean-Olden  Barneveldt  (1547-1619),  l'un  des  principaux 
chefs  du  parti  républicain  en  Hollande,  conclut  en  1609  une 
trêve  qui  assurait  l'indépendance  de  sa  patrie. 

2.  Jacques  Harmensen  dit  Arminius  (1560-1609),  célèbre 
théologien  hollandais,  étudia  à  Genève  sous  Théodore  de  Bèze, 
devint  pasteur  à  Amsterdam  en  1588,  professeur  à  Leyde 
en  1603  et  mourut  dans  cette  ville  en  1609.  Il  enseignait  la 
doctrine  du  pardon  divin  pour  tous  les  repentants  contraire- 
ment à  la  doctrine  de  la  prédestination  des  élus  et  des  réprou- 
vés soutenue  par  Calvin  et  par  Gomar,  autre  professeur  de 
Leyde. 

3.  Conrad  Vorstius  (1569-1622)  fut  aussi  élève  de  Théodore 
de  Bèze;  nommé  en  1610  professeur  de  théologie  à  l'Université 
de  Leyde  pour  occuper  la  chaire  vacante  par  la  mort  d'Armi- 


[1619]  DE  RICHELIEU.  373 

année  1611,  de  prêcher  suivant  cette  nouvelle  doc- 
trine avec  grande  chaleur.  La  nouveauté,  qui  est  amie* 
des  peuples,  fit  qu'il  eut  dans  peu  de  temps  grand 
nombre  de  sectateurs.  Le  roi  d'Angleterre,  qui  pré- 
tend, par  le  titre  de  Défenseur  de  la  foi  et  par  celui 
qu'il  se  donne  de  chef  de  l'Église  anghcane,  devoir  être 
comme  une  sentinelle  qui  donne  avis  des  erreurs 
naissantes  parmi  les  protestants,  écrivit  incontinent  à 
Messieurs  des  États,  leur  remontre  l'importance  de 
cette  nouveauté,  qui  séparera  les  cœurs  de  leurs 
peuples  aussi  bien  que  leur  créance.  Mais,  nonobs- 
tant tous  ses  efforts,  la  négligence  que  Messieurs  des 
États  apportèrent  en  ce  sujet  fit  que  cette  opinion 
gagna  en  peu  de  temps  presque  toute  la  Hollande, 
Utrecht,  West-Frise  et  Over-Yssel,  et  ce,  par  l'autorité 
de  Barneveldt,  avocat  général  des  États  de  Hollande 
et  West-Frise,  qui  avoit  été  imbu  de  cette  opinion  à 
Heidelberg,  il  y  avoit  plus  de  trente  ans.  Sous  son 
autorité  ils  prirent  tel  courage  qu'ils  levèrent  des 
gens  de  guerre  dans  les  villes  pour  leur  sûreté,  les- 
quels ils  appelèrent  Attendants,  comme  étant  en 
attente  pour  les  défendre  si  on  les  vouloit  attaquer. 

Leurs  ennemis^  firent  trouver  cette  action  mau- 
vaise, particulièrement  au  comte  Maurice^,  comme 
étant  un  attentat  contre  son  autorité,  qui  devoit  être 

nius,  il  fut  ensuite  banni  des  Provinces-Unies  et  se  retira  dans 
les  Etats  du  duc  de  Holstein. 

1.  Il  faudrait  plutôt  aimée,  quoique  le  manuscrit  porte  bien 
amie. 

2.  Les  pages  consacrées  à  Barneveldt  semblent  tirées  du 
Mercure  français,  t.  V,  année  1618,  p.  43-114,  et  année  1619, 
p.  1-63. 

3.  Maurice  de  Nassau,  prince  d'Orange,  mort  en  1625. 


374  MÉMOIRES  [1619] 

absolue  au  fait  des  armes,  prenant  un  de  leurs  pré- 
textes sur  ce  qu'ils  ne  portoient  pas  ses  livrées,  qui 
étoient  l'orangé.  Le  comte  Maurice,  qui  jusqu'alors 
n'avoit  point  eu  la  puissance  de  Barneveldt  suspecte 
ni  n'en  avoit  eu  jalousie,  d'autant  qu'il  l'employoit 
toute  à  maintenir  et  à  augmenter  son  crédit  et  auto- 
rité dans  les  États,  commença  à  l'envier  dès  qu'il  vit 
qu'elle  se  soustrayoit  de  sa  dépendance  et  agissoit  à 
part,  non  seulement  sans  son  avis,  mais  contre  sa 
volonté. 

Des  libelles  commencèrent  à  courir  parmi  le  peuple 
contre  Barneveldt,  qu'on  accusoit  d'être  étranger  de 
la  province  de  Hollande  et  de  s'être  enrichi  dans  sa 
charge,  ce  qui  ne  pouvoit  être  que  par  mauvais 
moyen.  Il  fait  son  apologie,  mais  elle  n'est  pas  reçue 
avec  la  même  grâce  que  son  accusation,  tant  la  faveur 
du  peuple  est  prompte  à  changer  envers  celui  qu'il  a 
plus  estimé,  dès  que  la  fortune  commence  à  lui  être 
moins  favorable.  Les  États-Généraux  et  le  comte  Mau- 
rice commandent  aux  villes  de  casser  ces  gens  de 
guerre  qu'elles  appellent  Attendants  ;  elles  refusent  de 
le  faire.  Le  comte  y  va  courageusement  en  personne, 
non  sans  péril,  parle  aux  soldats,  les  gagne,  leur  fait 
poser  les  armes  et  dépose  tous  les  magistrats.  Les 
Arminiens  se  plaignent,  présentent  requête  pour  vider 
devant  les  magistrats  le  différend  de  leur  religion; 
les  autres  demandent  un  synode  et  soutiennent  que  le 
magistrat  ne  se  doit  mêler  de  ce  fait. 

Barneveldt,  déchu  d'autorité  avec  son  parti,  est 
averti  qu'on  veut  mettre  la  main  sur  sa  personne;  il 
ne  se  retire  pas  néanmoins,  mais,  assuré  sur  ses  longs 
services  et  sur   son  innocence,   paroît  toujours  en 


[1619]  DE  RICHELIEU.  375 

public  et  va  au  Conseil  comme  il  a  accoutumé.  Enfin, 
on  l'arrête,  le  24  août  1618,  et  on  le  met  en  prison. 
On  convoque  un  synode  qui  se  termina  sans  qu'ils 
prissent  aucune  résolution  sur  le  fait  de  leur  créance, 
et,  tôt  après,  ils  donnèrent  des  juges  à  Barneveldt  pour 
lui  faire  son  procès. 

G'étoit  une  chose  pitoyable  de  voir  un  vieillard  de 
septante  et  un  ans,  le  plus  ancien  ministre  de  leur 
république,  qui  avoit  été  trente-trois  ans  avocat 
général  de  leurs  principales  provinces,  avoit  la  prin- 
cipale part  à  leur  établissement,  et,  ce  qui  est  le  plus 
à  remarquer,  avoit  par  son  adresse  renvoyé  en  Angle- 
terre le  comte  de  Leicester*,  établi  en  1585  i^ouver- 
neur  général  des  Provinces-Unies,  et  avoit  mis  en 
avant  le  prince  Maurice  et  été  la  principale  cause  de 
sa  grandeur,  le  maintenant  toujours  bien  avec  Mes- 
sieurs des  États  en  toutes  les  rencontres  èsquelles  il 
y  avoit  eu  entre  eux  quelque  mésintelligence,  ayant 
été  jusqu'à  trente-deux  fois  député  de  leur  part  vers 
lui  dans  leurs  armées,  après  tant  de  services  rendus, 
et  y  avoir  employé  tout  le  temps  de  sa  \ie,  être,  pour 
récompense,  mis  prisonnier  par  celui  qui  lui  étoit 
plus  redevable,  au  milieu  de  l'État  qui  lui  étoit  obligé 
de  la  meilleure  partie  de  sa  prospérité. 

Le  Roi  s'y  intéressa,  et  pour  l'honneur  des  États,  et 
pour  l'amour  de  Barneveldt,  et  pour  ce  aussi  qu'entre 

1.  Robert  Dudley  (1531-1588),  comte  de  Leicester,  comman- 
dant en  chef  des  troupes  anglaises  envoyées  en  1585  dans  les 
Pays-Bas  révoltés  pour  soutenir  les  protestants  contre  l'Es- 
pagne. Ayant  accepté  le  titre  de  gouverneur  général  que  lui 
offraient  les  Hollandais,  il  fut  désavoué  par  son  gouvernement 
et  ne  conserva  ces  fonctions  qu'à  grand'peine. 


37H  MÉMOIRES  [I6I9] 

les  crimes  qu'on  lui  mettoit  à  sus,  celui  d'avoir  eu 
quelque  intelligence  avec  les  ambassadeurs  de  S.  M. 
en  étoit  un.  Le  sieur  de  Boissise  fut  envoyé  ambassa- 
deur extraordinaire  pour  ce  sujet  et  exposa  *  aux 
États,  le  12*^  de  décembre,  le  motifs  et  les  raisons  de 
son  envoi,  leur  représentant  que,  si  Barneveldt  et  les 
autres  prisonniers  étoient  véritablement  coupables  du 
crime  de  trahison  et  d'intelligence  avec  les  ennemis, 
il  étoit  raisonnable  qu'ils  fussent  punis  selon  la 
rigueur  des  lois,  mais  qu'il  étoit  juste  aussi  de  consi- 
dérer que  ces  crimes  étoient  si  atroces  en  eux-mêmes 
que  les  États  bien  policés  les  jugeoient  réduits  à  cer- 
tains faits,  outre  lesquels  on  ne  les  devoit  pas  étendre, 
ni  les  tirer  par  des  conséquences  à  d'autres  actes  qui 
ne  sont  pas  de  cette  qualité-là,  et,  partant,  que  les 
contentions,  les  jalousies  et  l'ambition  entre  les  per- 
sonnes d'autorité,  desquelles  naissent  souvent  plu- 
sieurs inconvénients  aux  États,  ne  sont  néanmoins 
pas  imputés  à  crime  de  trahison  contre  l'État,  pour 
ce  qu'on  la  doit  juger  par  la  volonté,  non  par  l'évé- 
nement; que  Barneveldt  avoit  rendu  tant  de  témoi- 
gnages de  sa  fidélité  qu'il  étoit  difficile  de  croire 
qu'après  cela  il  eût  conspiré  la  ruine  de  sa  patrie; 
qu'il  étoit  important  qu'on  lui  donnât  des  juges  non 
suspects  et  qu'ils  ne  le  jugeassent  pas  sur  de  simples 

1.  Le  mémoire  remis  à  cette  occasion  aux  Etats-Généraux 
portait  la  date  du  12  décembre  1618  et  les  signatures  de  Jean 
de  Thumery  de  Boissise  et  de  Benjamin  Aubery  du  Maurier, 
ambassadeur  du  Roi.  Il  a  été  imprimé  dans  le  Mercure  fran- 
çais, t.  V,  année  1619,  p.  2. 

2.  Par  scrupule  de  style,  Charpentier  a  mis,  sur  le  manus- 
crit B,  motif  âu  lieu  de  sujet. 


[1619]  DE  RICHELIEU.  377 

conjectures,  étant  chose  certaine  qu'il  y  a  beaucoup 
de  choses  apparentes  qui  ne  sont  pas  véritables  et 
beaucoup  de  véritables  qui  n'ont  pas  de  vraisem- 
blance; enfin,  que  le  conseil  de  S.  M.  étoit  qu'on  le 
traitât  favorablement,  selon  la  bonne  coutume  des 
républiques  libres,  qui,  même  es  plus  grands  méfaits, 
ont  fait  difficulté  d'épandre  le  sang  des  citoyens,  con- 
servant pour  une  des  principales  marques  de  liberté 
de  ne  toucher  pas  facilement  à  leur  vie  ;  que,  si  les 
États  choisissoient  la  voie  de  la  douceur  en  ce  fait-ci, 
S.  M.  leur  en  sauront  un  gré  particulier,  comme  elle 
tiendroit  à  offense  le  peu  de  respect  qu'ils  lui  auroient 
rendu  s'ils  faisoient  le  contraire. 

Les  États  firent  réponse \  le  \9^  décembre,  qu'ils 
suivroient  en  ce  jugement  la  voie  de  la  douceur  et  de 
la  clémence,  à  laquelle  la  condition  de  leur  république 
les  porte,  tant  que  la  sûreté  de  leur  État  leur  pourra 
permettre,  ne  croyant  pas  néanmoins  que,  quel  que 
pût  être  l'événement  de  ce  procès,  S.  M.  en  puisse 
être  offensée,  préférant  les  sollicitations  de  quelques 
particuliers  à  la  conservation  de  leurs  provinces.  Ils  y 
ajoutèrent  une  plainte  non  légère,  que  S.  M.  avoit 
défendu  aux  huguenots  de  son  État^  de  se  trouver  au 
synode  qu'ils  avoient  assemblé.  Et,  sans  perdre 
temps,  ils  continuèrent,  à  la  Haye,  à  faire  le  procès 
dudit  Barneveldt  et  des  autres  prisonniers  qui  étoient 
avec  lui,  et  ce  par  vingt-six  jugeg  qu'ils  choisirent 

1.  Cette  réponse  a  été  imprimée  dans  le  Mercure  françois, 
t.  V,  année  1619,  p.  7. 

2.  Le  manuscrit  B  porte  leur  État,  ce  qui  est  contraire  au 
bon  sens  et  au  texte  mêmes  de  la  réponse  des  Hollandais  insé- 
rée dans  le  Mercure  françois. 


378  MÉMOIRES  [1619] 

dans  les  sept  Provinces-Unies,  et  le  condamnèrent  à 
mort  au  commencement  de  mai  de  la  présente  année, 
par  la  plus  signalée  ingratitude  qui  fut  jamais  com- 
mise ;  car  ils  n'eussent  osé  penser  autrefois  à  le  perdre  ; 
mais,  après  que  par  ses  sages  conseils  il  les  eut  mis 
en  état  de  n'avoir  plus  besoin  de  lui  et  eut  ouvert  un 
chemin  si  ample  et  si  large  à  la  prospérité  de  leurs 
affaires,  qu'ils  n'avoient  point  affaire  ni  nécessité  de 
guide  pour  les  conduire,  au  lieu  de  récompense  qu'il 
méritoit,  ils  le  payèrent  d'envie  et  lui  donnèrent 
la  mort. 

L'ambassadeur  du  Roi^,  ayant  eu  avis  de  ce  juge- 
ment, et  qu'il  devoit  être  exécuté  le  13,  demanda 
audience  aux  États  et,  ne  l'ayant  pu  obtenir,  leur 
manda,  par  écrit ^,  qu'il  avoit  charge  de  S.  M.  de  leur 
représenter  que  Sadite  Majesté,  sans  entrer  plus  avant 
en  connoissance  des  causes  motives  de  ce  jugement, 
persistoit  à  les  exhorter  encore,  pour  le  lieu  qu'elle 
tenoit  entre  leurs  amis  et  alliés,  d'épargner  la  vie 
du  plus  ancien  officier  de  leur  république,  attendu 
que,  s'il  défaut  quelque  chose  à  la  sûreté  de  leur 
État,  il  ne  sera  pas  suppléé  par  le  peu  de  sang  qui 
reste  à  un  pauvre  vieillard  qui,  sans  violence,  ne  peut 
éviter  de  mourir  bientôt  par  le  cours  de  la  nature, 
et  ils  recevroient  de  l'honneur  d'user  de  clémence 

1.  Benjamin  Aubery,  sieur  du  Maurier,  secrétaire  ordinaire 
de  Henri  IV  (1590),  conseiller  d'État  en  1615  et  ambassadeur 
à  la  Haye  de  septembre  1613  à  octobre  1623. 

2.  Cette  lettre  est  datée  du  13  mai  1619.  Elle  a  été  imprimée 
dans  le  Mercure  français,  t.  V,  année  1619,  p.  37.  Fontenay- 
Mareuil  [Mémoires,  p.  421)  blâme  très  vivement  Louis  XHI 
d'être  ainsi  intervenu  en  faveur  de  Barneveldt,  «  comme  s'il 
eût  été  payé  des  Espagnols  pour  faire  leurs  affaires  ». 


[1619]  DE  RICHELIEU.  379 

pour  celui  qui  a  usé  sa  vie  en  les  servant;  que,  s'ils 
ont  volonté  de  lui  faire  souffrir  quelque  sorte  de 
peine,  il  leur  est  aisé  de  lui  commuer  celle  de  la  vie 
en  une  moindre,  le  confinant  à  demeurer  le  reste  de 
ses  jours  en  une  de  ses  maisons. 

Ces  remontrances  ne  servirent  de  rien*,  tant  ce 
peuple  étoit  animé  contre  lui,  donnant  une  preuve 
certaine  que,  dans  les  États  qui  sont  sujets  aux  lois 
populaires,  la  grandeur  et  l'autorité  est  le  plus  sou- 
vent dommageable  à  celui  qui  la  possède  et  nourrit 
d'ordinaire  son  propre  malheur,  d'autant  que,  comme 
ils  ne  reçoivent  leurs  charges  qu'en  faisant  la  cour 
au  peuple,  l'envie  de  ceux  qui  les  ont  données  les 
soulève  contre  eux,  et  ce  avec  tant  d'iniquité  qu'ils 
ne  sont  pas  contents  de  les  abaisser  et  les  remettre 
dans  l'état  auquel  ils  étoient  quand  ils  les  ont  élevés 
en  la  magistrature,  mais,  usant  cruellement  de  la 
puissance  qu'ils  ont,  ils  les  condamnent  aux  peines 
les  plus  grièves  qu'ils  peuvent,  dès  que  la  mauvaise 
fortune  leur  en  présente  l'occasion. 

Les  obligations  qu'ils  avoient  au  Roi  furent  peu 
considérées  par  eux,  dont  le  prince  Maurice  fut  la 
principale  cause,  d'autant  que  cette  querelle  étant, 
en  quelque  manière,  particulière  entre  lui  et  Barne- 
veldt,  il  se  sentit  offensé  que  le  Roi  entreprît  sa  défense. 

MM.  de  Luynes,  qui  gouvernoient ,  eurent  peu 
d'égard  à  ce  mauvais  procédé,  ne  pensant  qu'à  se 
conserver  en  leur  particulier  et  tenir,  par  tous  les 
artifices  qu'ils  pouvoient,  la  Reine  éloignée,  de  peur 


k  Barneveldt  fut  décapité  à  la  Haye  le  13  mai  1619,  à  neuf 
heures  du  matin. 


380  MÉMOIRES  [1619] 

que    la   splendeur  de    S.    M.    n'obscurcît    la   fausse 
lumière  dont  ils  éclatoient  à  la  cour  ^ 

Quoique  toutes  leurs  actions  lui  donnassent  lieu  de 
douter  de  la  sincérité  des  promesses  qu'ils  lui  fai- 
soient,  elle  ferme  les  yeux  à  ses  justes  pensées  et 
attribue  la  chaleur  de  ses  cendres  au  feu  qui  y  avoit 
été  un  peu  auparavant  et  qu'elle  veut  croire  (jui  n'y 
est  plus,  et  ainsi  elle  me  commande  de  m 'avancer  à 
Tours^  pour  préparer  son  entrevue  avec  le  Roi,  où  je 
ne  manquai  pas  d'assurer  le  sieur  de  Luynes  que^, 
pour  conserver  la  bienveillance  de  la  Reine,  qu'il 
trouvera  sincère  en  son  endroit,  il  n'étoit  question 
qu'à  lui  donner  des  effets  de  son  affection  aux  occa- 
sions qui  s'en  présenteront;  que  je  savois  certaine- 
ment ses  intentions  être  entières  pour  le  Roi  et  que 
ses  désirs  n'avoient  autre  but  que  la  paix  et  le  repos 

1.  Il  est  piquant  de  remarquer,  à  propos  de  ce  sévère  juge- 
ment sur  les  Luynes,  que  Richelieu  prodiguait  ses  bons  offices 
à  tous  les  partis.  On  a  vu  qu'il  avait  préparé  la  lettre  écrite 
parle  P.  Arnoux  à  la  Reine  mère,  le  22  août  1619;  c'est  encore 
lui  qui  rédigea  les  lettres  de  Marie  de  Médicis,  et  celles  de 
Luynes  à  la  Reine  mère  :  il  y  a  entre  autres  une  minute  de 
lettre  de  Luynes  à  Marie  de  Médicis  où  Richelieu  lui-même  a 
pris  la  plume  pour  écrire  une  phrase  sur  la  marge  (Aff.  étr., 
France  772,  fol.  206). 

2.  Richelieu  arriva  à  Tours  le  30  août  [Journal  (TArnauld 
d'Andilly^  p.  445). 

3.  D'ici  à  la  fin  du  paragraphe,  les  Mémoires  reproduisent 
textuellement  un  passage  de  1'  «  Extrait  des  lettres  écrites  à 
Angoulême  depuis  le  traité  »,  de  la  main  de  Charpentier.  Ce 
passage  a  été  corrigé  sur  le  document  même  par  Sancy  (Aff. 
étr.,  France  772,  fol.  186  v").  C'est  l'analyse  d'une  lettre 
de  Richelieu  à  Luynes,  du  28  juillet  1619. 


[1619]  DE  RICHELIEU.  381 

de  cet  État;  qu'il  pouvoit  être  certain  d'avoir  une 
vraie  part  en  son  affection  et  que,  si  d'autres  lui  per- 
suadoient  le  contraire,  c'étoient  artifices  de  personnes 
qui,  sous  couleur  de  l'aimer,  lui  vouloient  porter  pré- 
judice. 

Cinq  jours  après  que  je  fus  parti,  la  Reine  suivit  et 
vint  trouver  le  Roi.  Toute  la  France  est  ravie  de  voir 
la  réunion  de  deux  personnes  qui,  unies  par  nature, 
ne  peuvent  être  séparées  que  par  des  horribles  arti- 
fices. Couziers*  ôte  à  Tours  le  bonheur  de  cette 
entrevue.  La  Reine  y  étant  arrivée  le  soir,  le  Roi  s'y 
rendit  le  matin;  si  grande  affluence  de  peuple  s'y  ren- 
contre que,  le  logis  ne  la  pouvant  contenir,  le  jardin 
fut  le  lieu  de  cette  première  vue.  Une  joie  paroît  très 
grande  au  visage  du  Roi;  les  larmes  de  la  Reine 
parlent  à  son  fils;  elle  l'embrasse  tant  de  fois  qu'elle 
lui  baigna  tout  le  visage.  Peu  de  personnes  purent 
contraindre  les  leurs;  tout  est  en  allégresse,  vraie 
cause  de  ces  larmes.  La  Reine  arrive  peu  après  avec 
les  princesses  vers  la  Reine  sa  mère.  L'après-dînée, 
on  va  à  Tours,  où  quelques  jours  se  passent  avec 
grands  témoignages  d'amour  entre  la  mère  et  le  fils. 
Gela  ne  plaît  pas  trop  aux  favoris  qui,  pour  leur  inté- 
rêt particulier,  estiment  à  propos  de  rompre  cette 
intelligence  nécessaire  au  bien  de  l'État.  Ils  ont  l'œil 
au  Roi  autant  qu'ils  peuvent  :  s'il  va  chez  la  Reine,  un 
d'entre  eux  y  est  toujours  présent;  s'il  s'approche 

1.  Couziers,  près  de  Tours,  était  une  habitation  du  duc  de 
Montbazon,  beau-père  du  duc  de  Luynes.  La  Reine  arriva 
à  Couziers  le  4  septembre  1619  et  y  coucha;  le  Roi  y 
arriva  le  5.  Il  y  a  Couzières  dans  le  manuscrit. 


382  MÉMOIRES  [i619] 

d'elle,  ils  y  accourent  incontinent,  sous  quelque  pré- 
texte qu'ils  forment  sur-le-champ.  Toute  la  cour 
remarque  cette  procédure,  s'en  offense  et  la  blâme, 
chacun  connoissant  bien  qu'elle  n'avoit  autre  but  que 
d'empêcher  les  effets  de  la  nature.  On  tâche  de  la 
séparer  des  intérêts  du  duc  d'Épernon  ;  on  lui  propose 
force  conditions  avantageuses  à  cette  fin  ;  mais  l'inté- 
rêt de  l'honneur  l'arrête  et  les  lui  fait  rejeter  avec 
courage. 

LL.  MM.  se  séparent.  Le  Roi  va  à  Compiègne,  et  la 
Reine  sa  mère  va  passer  à  Ghinon  pour,  de  là,  aller  à 
Angers  prendre  possession  de  son  gouvernement, 
avec  intention  de  rejoindre  le  Roi  à  son  arrivée'' 
à  Paris.  Mais  elle  n'est  pas  si  tôt  éloignée  qu'elle  voit  de 
nouveaux  effets  de  mauvaise  volonté  contre  elle  :  ceux 
qui  l'ont  assistée  et  servie  ne  sont  point  remis  dans 
les  charges  dont  ils  avoient  été  dépossédés  à  son 
sujet  ;  et,  davantage,  le  comte  du  Lude  étant  mort  de 
pourpre  à  Tours,  incontinent  après  son  départ,  on 
donne  la  charge  qu'il  avoit  de  gouverneur  de  Monsieur 
au  maréchal  d'Ornano^,  sans  lui  en  donner  avis.  Elle 
se  tient  offensée  et  du  choix  de  la  personne  et  de 
la  forme  qu'on  y  a  tenue  ^  ;  mais  ce  qui  la  fâche  davan- 

1.  Le  scribe  du  manuscrit  B  avait  mis  armée;  Charpentier  a 
corrigé  en  écrivant  arrivée. 

2.  Jean-Baptiste  d'Ornano  (ci-dessus,  p.  182)  n'était  alors 
que  colonel  général  des  Corses  ;  il  ne  fut  fait  maréchal  de 
France  que  le  7  avril  1626. 

3.  Dans  une  lettre  à  Luynes,  qu'Avenel  a  datée  de  la  seconde 
quinzaine  d'octobre  1619,  Richelieu,  obligé  sans  doute  à  faire 
contre  mauvaise  fortune  bon  visage,  s'exprimait  tout  différem- 
ment. La  Reine,  disait-il,  «  a  grandement  approuvé  le  choix 


[1619]  DE  RICHELIEU.  383 

tage  est  qu'on  résout  de  la  délivrance  de  Monsieur  le 
Prince  \  dont  on  lui  avoit  parlé  de  loin  comme  d'une 
chose  non  arrêtée. 

Toutes  ces  choses  l'arrêtent  à  Chinon  et  lui  donnent 
sujet  d'écrire  au  Roi  pour  se  plaindre.  On  la  presse 
d'aller  à  Angers,  ne  s'assurant  pas  que  les  troubles 
dont  on  venoit  de  sortir  soient  pacifiés  si  elle  ne 
prend  possession  de  son  gouvernement.  Elle  s'excuse, 
et,  n'osant  mettre  en  avant  les  causes  qui  l'offensent 
le  plus,  elle  dit  que  la  principale  raison  qui  l'arrête 
est  que  ceux  qui  l'ont  servie  ne  sont  point  rétablis 
dans  leurs  charges  et  que  son  honneur  et  sa  conscience 
l'obhgent  de  ne  partir  du  lieu  où  elle  est  jusques  à  ce 
que  cela  soit,  étant  obligée  de  penser  à  leur  repos 
premièrement  qu'au  sien 2.  Néanmoins,  enfin,  le  sieur 
de  Brantes  l'étant  venu  trouver  de  la  part  du  Roi,  elle 
se  résolut  de  partir,  ce  qu'elle  fit  le  14^,  et  arriva  le 
\6^  à  Angers^,  non  contente  des  raisons  que  ledit 
Brantes  lui  avoit  apportées  de  la  liberté  qu'ils  avoient 

qu'il  a  plu  au  Roi  de  faire  de  M.  le  Colonel  [d'Ornano]  pour 
avoir  la  charge  de  Monseigneur  son  frère  »  (t.  VII,  p.  931). 

1.  Monsieur  le  Prince  reçut  avis  de  sa  mise  en  liberté 
le  17  octobre  1619  [Mercure  français,  t.  VI,  année  1619, 
p.  334).  Il  sortit  du  château  de  Vincennes  le  20  [Journal  d'Ar- 
nauld  d' Andilly ,  1^ .  452). 

2.  Cette  phrase  est  tirée  de  1'  «  Extrait  »  de  Charpentier 
cité  plus  haut  (France  772,  fol.  186).  C'est  l'analyse  d'une 
minute  de  lettre  de  la  Reine  mère  à  Victor-Amédée,  prince  de 
Piémont,  son  gendre  ;  cette  minute,  rédigée  dans  le  cabinet  de 
Richelieu,  contient  à  la  fin  quelques  lignes  de  la  main  même 
du  Cardinal  (France  772,  fol.  198). 

3.  Le  14  octobre. 

4.  Le  Mercure   français,    t.   VI,    année    1619,   p.   313-334, 


384  MÉMOIRES  [1619] 

résolu  de  donner  à  Monsieur  le  Prince  ;  car  elle  savoit 
bien  qu'ils  ne  la  lui  rendoient  que  pour  lui  opposer,  et 
que  leur  premier  dessein  avoit  été  de  les  arrêter  tous 
deux,  espérant  que,  les  tenant  l'un  et  l'autre  en  leur 
puissance,  il  n'y  avoit  personne  dans  le  royaume  qui 
osât  entreprendre  quelque  chose  dans  le  royaume 
contre  leur  contentement.  Et,  dès  qu'ils  eurent  nou- 
velle de  sa  sortie  de  Blois  et  qu'ils  perdirent  espé- 
rance de  la  pouvoir  tenir  arrêtée,  ainsi  qu'ils  eussent 
désiré,  lors,  craignant  que  les  partisans  de  Monsieur 
le  Prince  se  missent  du  côté  d'elle,  pour  éviter  ce 
péril  ils  l'envoyèrent  incontinent  assurer  qu'aussitôt 
que  les  affaires  seroient  accommodées  avec  elle,  ils 
l'ôteroient  de  prison,  et  firent  publier  ce  dessein  par 
tout  le  royaume  ^  ;  ce  qui  étoit  proprement  armer  Mon- 
sieur le  Prince  de  haine  contre  elle  et  sembler  l'obli- 
ger non  seulement  à  les  aimer,  mais  à  les  servir  avec 
animosité  en  tous  leurs  injustes  intérêts  contre  elle. 
Elle  ne  témoigna  néanmoins  pas  avoir  désagréable 
cette  action-là,  mais  se  remit  à  eux  et  au  Conseil  qui 
étoit  auprès  du  Roi  à  juger  de  cette  affaire,  reconnois- 
sant  que  ce  n'étoit  pas  aux  personnes  éloignées 
comme  elle  étoit  à  donner   son  avis  en  une  chose 

donne  un  long  récit  des  solennités  qui  eurent  lieu  à  Angers 
pour  fêter  l'entrée  de  la  Reine  mère. 

1.  Déageant,  dans  ses  Mémoires,  donne  ce  même  renseigne- 
ment dans  les  termes  suivants  :  «  S.  M.  fit  entendre  à  Mon- 
sieur le  Prince  qu'elle  désiroit  de  la  contenter,  mais  que,  pour 
le  bien  de  ses  affaires,  il  étoit  nécessaire  qu'il  patientât  jusques 
à  l'accomplissement  du  traité  qui  se  faisoit  avec  la  Reine  sa 
mère  et  que  sa  liberté  s'obtînt  par  son  entremise,  parce  que 
S.  M.  désiroit  les  réconcilier.  » 


[1619]  DE  RICHELIEU.  385 

si  importante,  pour  laquelle  délibérer  il  falloit  être 
averti  ponctuellement  de  l'état  de  toutes  les  affaires 
du  dedans  et  du  dehors,  ce  qu'elle  n'étoit  pas;  au 
reste,  qu'elle  ne  fait  point  de  doute  qu'on  ne  puisse, 
en  un  temps,  avec  prudence  changer  les  conseils 
qu'on  a  pris,  en  un  autre,  avec  juste  considération. 

Monsieur  le  Prince  est  ensuite  délivré  le  210^  oc- 
tobre et  vint  saluer  le  Roi  à  Chantilly.  Si  MM.  de 
Luynes  lui  procurèrent  avec  affection  la  liberté,  la 
Reine  la  sollicita  non  moins  justement  pour  Barbin, 
que,  depuis  un  an,  ils  avoient  resserré  dans  la  Bas- 
tille avec  des  rigueurs  incroyables,  nonobstant  l'arrêt 
donné  contre  lui,  un  an  auparavant,  à  leur  poursuite, 
par  lequel  il  avoit  été  condamné  à  être  bannie  Ils 
reconnoissoient  en  cet  homme  une  si  forte  passion  au 
service  de  la  Reine,  une  si  grande  intégrité  en  son 
procédé  durant  le  temps  de  son  administration,  un 
courage  si  ferme  et  une  si  grande  liberté  de  parler, 
avec  un  si  vif  ressentiment  des  injustices  qu'ils  lui 
avoient  faites,  qu'ils  avoient  résolu  de  le  laisser  mou- 
rir en  la  Bastille.  Mais  la  Reine  fit  tant  d'instances  pour 
lui  qu'ils  ne  s'en  purent  enfin  dégager  et  comman- 
dèrent qu'après  lui  avoir  encore  une  fois  lu  son  arrêt, 
on  lui  ouvrît  les  portes  de  la  Bastille. 

Barbin  se  plaignant  du  mauvais  traitement  qu'il 
avoit  reçu,  Maillac,  lieutenant  de  la  Bastille,  lui  mon- 
trant une  lettre  du  sieur  de  Brantes,  par  laquelle  il  lui 
donnoit  charge  de  lui  faire  ses  recommandations  et 
lui  dire  que  c'étoit  tout  ce  que  le  sieur  de  Luynes  et 

1.  Voyez  ci-dessus,  p.  301. 

II  25 


386  MÉMOIRES  [1619] 

lui  avoient  pu  faire  jusqu'alors  en  sa  faveur  et  que 
bientôt  il  ressentiroit  les  effets  de  leur  amitié,  cette 
lâcheté  emporta  Barbin  à  lui  dire,  sans  considération 
du  lieu  où  il  étoit  encore,  que,  quelque  misérable 
qu'il  fût,  il  renonçoit  à  leur  amitié,  qui  ne  pouvoit  être 
guère  grande  en  une  cruauté  si  barbare  qu' étoit  la  leur  ; 
que  c' étoit  agir  avec  bien  peu  de  courage  de  flatter  de 
paroles  celui  dont  ils  machinoient  la  mort;  qu'ils 
l'avoient  ainsi  traité,  et  que,  tandis  qu'ils  faisoient  sol- 
licitertous  les  juges  contre  lui,  ledit  Brantes  lui  disoit  plu- 
sieurs fois  qu'il  n'auroit  point  de  mal  et  qu'on  ne 
l'interrogeoit  et  faisoit  son  procès  que  pour  avoir  des 
lumières  pour  les  procès  qu'on  vouloit  parfaire  aux 
autres  ^ . 

On  le  mena  dès  le  jour  même  chez  le  chevalier  du 
guet^,  chez  lequel  il  demeura  deux  jours  seulement, 
durant  lesquels  il  reçut  plusieurs  courriers  du  sieur 
de  Luynes  qui  le  pressoient  de  le  faire  sortir  sans 
délai  hors  du  royaume,  tant  ils  étoient  et  de  peu  de 
courage  et  de  peu  de  connoissance  qu'ils  avoient  peur 
de  lui  en  ce  misérable  état  où  il  étoit.  J'avois  donné 
ordre  à  un  homme  de  lui  bailler  de  la  part  de  la  Reine 
l'argent  qui  lui  étoit  nécessaire  pour  faire  son  voyage  ; 
mais  son  départ  fut  si  pressé  qu'il  fut  contraint 
d'emprunter  de  l'argent,  lequel  fut  rendu  incontinent 
après  ^. 

1.  Barbin  sortit  de  la  Bastille  le  23  septembre  [Mémoires  de 
Mathieu  Mole,  t.  I,  p.  224). 

2.  Louis  Testu  :  ci-dessus,  p.  73. 

3.  L'homme  chargé  de  porter  de  l'argent  à  Barbin  était 
M.  d'Argouges,  trésorier  de  l'Epargne.  Néanmoins  Barbin  se 


[1619]  DE  RICHELIEU.  387 

La  Reine  cependant  se  prépare  à  satisfaire  au  désir 
qu'elle  avoit  de  longtemps  de  se  voir  avec  le  Roi  son 
fils^  :  elle  l'avertit  du  dessein  de  son  voyage  et  con- 
vie le  sieur  de  Montbazon,  qui  la  devoit  venir  quérir, 
de  s'avancer.  Luynes,  de  sa  part,  la  sollicite  en  appa- 
rence de  venir  et  lui  dépêche,  au  nom  du  Roi,  le  sieur 
de  Marossan^  pour  la  prier  de  se  trouver  à  Paris,  au 
retour  du  voyage  du  Roi  à  Compiègne,  pour  renouer 
une  étroite  et  entière  intelligence.  Mais  ce  n'étoit  rien 
au  prix  de  la  croyance  et  des  lettres  que  le  sieur 
évéque  d'Aire^  lui  portoit,  pleines  d'amour  et  d'im- 
patience de  la  voir.  Ces  deux  ambassadeurs,  aussi 
différents  dans  le  cœur  que  semblables  en  langage,  et 
dont  l'un  trompoit  autant  que  l'autre  étoit  trompé, 
firent  ce  qu'ils  purent,  l'un  en  apparence  et  l'autre  en 
effet,  pour  y  disposer  son  esprit. 

L'évêque  de  Luçon^,  prévoyant  bien  que  Luynes 

serait  plaint  de  ce  que  Richelieu  ne  lui  avait  rien  envoyé  à  sa 
sortie  de  la  Bastille.  Mais,  dans  une  minute  de  lettre  qu'il  écri- 
vait à  Barbin  (Aff.  étr.,  France  772,  fol.  147),  minute  dont  nous 
tirons  ces  détails,  Richelieu  proteste  de  son  amitié  pour  Bar- 
bin et  affirme  que  d'Argouges  fut  chargé  de  lui  remettre  quelque 
somme  de  la  part  de  la  Reine. 

1.  Dans  une  lettre  au  P.  Arnoux,  qu'Avenel  date  de  la  fin  de 
décembre  1619,  Richelieu  assurait  qu'il  avait  fait,  avec  le 
P.  Suffren,  a  tout  ce  qu'il  avait  pu  et  dû  sur  ce  sujet  »  (Ave- 
nel,  t.  VII,  p.  478). 

2.  Le  sieur  de  Marossan  était  une  créature  du  duc  de  Luynes 
dont  Richelieu  parle  deux  ou  trois  fois  dans  ses  Mémoires. 
Voyez  aussi  Avenel,  t.  VII,  p.  473.  Arnauld  d'Andilly  [Jour- 
nal, p.  442)  l'appelle  M.  de  Marousan. 

3.  Sébastien  Bouthillier  :  ci-dessus,  p.  334. 

4.  A  remarquer  ce  changement  de  style.  Ici,  on  lit  :  «  L'évêque 


388  MÉMOIRES  [1619] 

promettoit  et  qu'il  ne  vouloit  pas  tenir  et  que,  sur  le 
refus,  il  vouloit  tirer  avantage  de  ses  offres,  porta  la 
Reine  à  recevoir  les  prières  de  son  fils  pour  de  très 
agréables  commandements.  Mais,  comme  elle  s'y  dis- 
posoit,  on  lui  témoigne  sous  main  qu'elle  feroit 
chose  désagréable  au  Roi  et  qu'elle  en  devoit  perdre 
le  désir. 

Mais,  en  même  temps,  Monsieur  le  Prince,  délivré, 
tient  des  langages  qui  lui  sont  désavantageux,  lui  écrit 
c|uelques  lettres  dont  les  termes  sont  du  tout  éloignés 
du  respect  qu'il  doit  au  Roi  et  à  elle.  Il  fait  passer 
une  déclaration  du  9"  novembre,  aussi  avantageuse 
pour  lui  comme  elle  étoit  contraire  à  l'honneur  de 
ceux  qui  ont  conseillé  son  emprisonnement  et  désa- 
vantageuse à  l'honneur  et  au  service  de  S.  M.  :  car, 
par  icelle,  le  Roi  attribuoit  la  détention  faite  dudit 
sieur  le  Prince  à  ceux  lesquels,  pour  l'honneur  qu'ils 
avoient  lors  d'approcher  S.  M.  et  de  tenir  de  grandes 
charges  et  pouvoirs  en  son  royaume,  avoient  telle- 
ment abusé  de  son  nom  et  autorité  que,  si  Dieu  ne 
lui  eût  donné  la  force  et  le  courage  de  les  châtier,  ils 
eussent  enfin  porté  toutes  choses  en  une  grande  et 
déplorable  confusion.  Et  S.  M.  disoit  que,  s'étant  soi- 
gneusement informée  des  raisons  sur  lesquelles  on 
avoit  prétexté  sadite  détention,  elle  avoit  trouvé  qu'il 
n'y  en  avoit  eu  autre  que  les  mauvais  desseins  de 
ceux  qui  vouloient  joindre  à  la  ruine  de  cet  État  celle 
dudit  sieur  Prince,  les  actions  et  déportements  duquel 
avoient   toujours    tendu   à  l'affermissement    de    son 

de  Luçon,  »  et,  plus  haut,  Richelieu  parle  à  la  première  per- 
sonne. 


[1619]  DE  RICHELIEU.  389 

autorité  et  sa  grandeur.  Pour  raison  de  quoi,  S.  M.  le 
déclaroit  innocent  des  choses  qu'on  lui  avoit  imposées^ 
et  dont  on  avoit  voulu  charger  son  honneur  et  sa 
réputation,  et  sur  lesquelles  on  avoit  pris  prétexte  de 
le  faire  arrêter.  Et  S.  M.,  ce  faisant,  cassoit,  révo- 
quoit  et  annuloit  toutes  lettres,  déclarations,  édits, 
arrêts,  sentences  et  jugements,  si  aucuns  se  trou- 
voient  à  son  préjudice,  depuis  sa  détention  jus- 
qu'alors^. 

Cette  déclaration  n'est  pas  plus  tôt  expédiée  que, 
par  surprise,  on  la  fait  vérifier  au  Parlement^,  les 
chambres  non  assemblées.  On  l'envoie  par  les  pro- 
vinces. 

La  Reine  en  écrit  au  Roi,  lui  représentant  avec 
modestie  le  préjudice  qu'il  recevoit  de  cette  déclara- 
tion, non  seulement  par  la  part  qu'il  prend  dans  ses 
intérêts  par  son  bon  naturel,  mais  principalement  en 
ce  que  la  continuation  de  la  détention  de  Monsieur  le 
Prince,  qu'il  avoit  fait  faire  par  l'espace  de  deux  ans, 
ne  pouvoit  être  qu'injuste  si  le  premier  arrêt  de  sa 
personne  étoit  digne  de  blâme  ;  que  même  on  ne  pou- 
voit condamner  cette  action  sans  le  condamner  lui- 
même,  puisqu'elle  avoit  été  faite  avec  sa  connois- 
sance,  peu  auparavant  qu'il  prit  le  maniement  de  ses 
affaires. 


1.  Au  sens  à' imputées. 

2.  Ce  paragraphe  est  emprunté  à  la  déclaration  royale  du 
9  novembre,  imprimée  dans  le  Mercure  français,  t.  VI, 
année  1619,  p.  337-340. 

3.  La  déclaration  fut  vérifiée  au  Parlement  le  26  novembre 
[Mercure  français,  p.  340). 


390  MÉMOIRES  [1619] 

Le  Roi  lui  mande  qu'il  est  fâché  du  déplaisir  qu'elle 
a  reçu  des  termes  qui  lui  ont  déplu  dans  ladite  décla- 
ration; qu'elle  doit  être  fort  éloignée  de  s'en  croire 
offensée,  puisque,  lui  étant  obligé,  comme  il  est,  du 
soin  et  des  peines  qu'elle  a  prises  en  l'administration 
de  ses  affaires  et,  en  faisant  profession  publique  de  le 
reconnoitre,  l'ayant  toujours  louée  et  la  louant  encore 
aux  occasions  de  son  affection  au  bien  de  son  État,  il 
est  certain  qu'il  n'y  a  personne  en  ce  royaume  qui  en 
puisse  avoir  autre  impression  ;  ce  qui  lui  donne  juste 
sujet  de  croire  que  Monsieur  le  Prince  n'a  nul  dessein 
de  lui  déplaire;  qu'il  sait  trop  bien  l'honneur  et  le 
respect  qui  lui  est  dû  et  combien  il  aura  toujours 
agréable  de  le  voir  dans  les  mêmes  sentiments  que 
les  siens. 

En  cette  réponse,  les  intentions  du  Roi  lui  sont  si 
favorablement  représentées  qu'il  ne  lui  restoit  rien  à 
souhaiter,  sinon  qu'elles  fussent  aussi  publiques  qu'elles 
lui  étoient  particulières;  mais,  bien  que  la  réparation 
ne  fût  pas  égale  à  l'offense,  elle  ne  laisse  de  voir  que 
le  cœur  du  Roi  est  bon  pour  elle. 

De  ce  déplaisir  je  pris  occasion  de  lui  faire  con- 
noître  combien  sa  présence  étoit  nécessaire  dans  la 
cour,  les  avantages  que  tiroient  ses  ennemis  de  son 
éloignement,  et  que,  les  inclinations  du  Roi  étant  bonnes 
pour  elle,  si  elle  avoit  liberté  de  le  voir,  ceux  qui  lui 
veulent  mal  seroient  contraints  de  céder  aux  efforts 
de  la  nature.  Mais,  bien  que  cette  opinion  fût  la  meil- 
leure, elle  fut  peu  suivie. 

Ghaiiteloube,  qui  ne  m'étoit  point  ami  et  qui  étoit 
ennemi  découvert  de  ce  conseil,  ne  perdit  point  de 
temps  à  me  donner  de  l'exercice.  Chez  lui  étoit  le 


[1619]  DE  RICHELIEU.  391 

bureau  des  nouvelles,  dont  les  moindres  figuroient  à 
la  Reine  le  Roi  irréconciliable,  mettoient  sa  liberté  en 
compromis  et  ne  lui  faisoient  voir  que  mépris  pour 
elle  dans  sa  cour  et  salut  dans  les  armes. 

Ces  raisons,  qui  ne  manquoient  pas  d'apparence, 
n'eurent  pas  faute  d'appui  *  ;  elles  furent  soutenues  des 
grands,  qui  espéroient  de  profiter  des  divisions 
publiques,  et  de  mes  ennemis,  qui  pensoient,  par 
ce  iiikoyen,  me  dérober  la  confiance  de  ma  maîtresse, 
si  bien  que  je  fus,  par  prudence,  contraint  de  revenir 
à  leurs  pensées,  et,  à  l'imitation  des  sages  pilotes, 
de  céder  à  la  tempête. 

N'y  ayant  point  de  conseil  si  judicieux  qui  ne  puisse 
avoir  une  mauvaise  issue,  on  est  souvent  obligé  de 
suivre  les  opinions  qu'on  approuve  le  moins  ^.  Je 
voyois  bien  qu'il  y  avoit  beaucoup  à  espérer  pour  la 
Reine  dans  la  cour,  et  rien  dehors  ;  mais,  parce  qu'il  y 
avoit  beaucoup  à  craindre  dans  la  puissance  des  favo- 
ris, j'aimai  mieux  suivre  les  sentiments  de  ceux  qui  la 

1.  C'est-à-dire  ne  manquèrent  pas  d'appui. 

2,  La  répugnance  marquée  ici  par  Richelieu  à  laisser  la 
Reine  mère  s'engager  dans  la  voie  qui  devait  aboutir  à  la 
«  drôlerie  »  des  Ponts-de-Cé  est  confirmée  par  la  lettre  suivante 
qu'il  écrivait,  le  2  août  1620,  la  veille  de  la  bataille,  à  l'un  de 
ses  confidents,  l'archevêque  de  Toulouse,  depuis  cardinal  de  la 
Valette  :  «  Le  Roi  est  au  Mans  avec  ses  troupes  et  fait  état  de 
nous  venir  épousseter  comme  il  faut.  Toute  l'espérance  de  trai- 
ter est  rompue;  ces  Messieurs  n'en  veulent  point  ouïr  parler. 
En  cette  extrémité,  nous  sommes  résolus  de  faire  ce  que 
doivent  faire  des  gens  à  qui  la  nécessité  apprend  à  se  défendre  » 
(Avenel,  t.  I,  p.  653).  Certains  contemporains,  et  notamment 
le  duc  de  Luynes,  accusaient  au  contraire  Richelieu  d'entrete- 
nir les  dissentiments  qui  existaient  entre  le  Roi  et  sa  mère  et 
de  pousser  celle-ci  aux  violences. 


392  MÉMOIRES  [1619] 

détournoient  d'aller  trouver  le  Roi  que  de  faire  valoir 
mes  raisons  ;  ce  que  je  fis  cependant  avec  ce  tempéra- 
ment que  je  suppliai  la  Reine  d'envoyer  recevoir  les 
avis  des  personnes  affectionnées  à  son  service  avant 
que  prendre  une  dernière  résolution. 

Au  même  temps,  on  fait  des  chevaliers  du  Saint- 
Esprit  sans  lui  en  donner  aucune  communication  que 
le  nombre  n'en  soit  arrêté*;  on  lui  envoie  M.  de 
Tarajet,  le  T  décembre,  pour  lui  en  porter  les  noms; 
non  seulement  n'en  reçoit-on  aucun  à  sa  recomman- 
dation, mais  ceux  qui  n'ont  pas  perdu  entièrement  le 
respect  dû  à  la  mère  de  leur  maître  en  sont  éloignés. 
On  en  rejette  même  qui  ont  été  nommés  du  feu  Roi, 
parce  qu'on  ne  les  croit  pas  ses  ennemis  :  avoir  juré 
sa  ruine,  c'est  la  meilleure  preuve  de  noblesse,  c'est 
avoir  les  conditions  requises. 

A  l'instant  qu'on  a  commis  cette  action  de  mépris, 
on  lui  en  fait  des  excuses;  mais  il  parut  incontinent 
qu'elles  étoient  faites  avec  plus  d'artifice  que  de 
regret;  car  deux  de  ceux  qui  étoient  nommés  s' étant 
trouvés  malades,  on  en  choisit  deux  autres,  savoir 
est  le  sieur  de  Valençay-  et  le  sieur  de  Saint-Cha- 
mond^,  sans  lui  en  donner  avis  ni  liberté  de  remplir 
leurs  places*. 


1.  La  nomination  avait  été  faite  au  chapitre  de  l'ordre,  tenu 
le  5  décembre  1619  à  Saint-Germain-en-Laye.  La  reine  reçut 
cette  communication  avec  dédain,  dit  Vittorio  Siri  [Memorie 
recondite,  t.  V,  p.  70). 

2.  Tome  I,  p.  96. 

3.  Tome  I,  p.  120. 

4.  Les  cérémonies  de  réception  des   chevaliers  du  Saint- 


[1619]  DE  RICHELIEU.  393 

Elle  se  plaint  de  ce  traitement  à  ceux  qui  ont  la 
meilleure  part  au  maniement  des  affaires,  se  fâche 
qu'après  leur  avoir  promis  amitié  ils  ne  lui  donnent 
pas  sujet  de  la  continuer.  Elle  leur  représente  par 
diverses  fois  ses  mécontentements,  afin  qu'ils  y 
apportent  des  remèdes.  Elle  leur  remontre  qu'on  ne 
se  souvient  point  de  l'argent  qui  lui  a  été  promis 
pour  le  paiement  de  ses  dettes;  que,  pour  vivre,  elle 
est  réduite  aux  emprunts;  que  ceux  qui  l'ont  suivie 
sont  maltraités  ;  que  Mignieux^  est  dépouillé  de  la  place 
de  Montreuil  pour  être  affectionné  à  son  service  ;  que 
le  marquis  de  la  Valette  est  troublé  ès^  fonctions  de 
son  gouvernement,  sa  place  investie  de  gens  de 
guerre  ^  ;  que  l'on  n'effectue  point  ce  qu'on  lui  a  pro- 
mis en  sa  faveur,  qui  ne  consiste  qu'au  rétablisse- 
ment de  sa  charge  et  au  paiement  de  ses  états  et 
pensions  ;  qu'il  suffit  de  l'avoir  mal  en  la  bouche  pour 
être  bien  en  leur  cœur  et  en  ses  affaires  ;  qu'on  a 
donné  un  gouverneur  à  son  fils  à  son  désu^;  qu'elle 
approuve  la  personne,  mais  improuve  la  forme  de  son 
établissement  ;  que  la  déclaration  faite  pour  l'élargis- 
sement de  Monsieur  le  Prince  lui  est  d'autant  plus 
sensible  que  l'honneur  du  Roi  y  est  intéressé;  qu'il  est 
en  ses  mains  de  lui  faire  donner  contentement  par 


Esprit  eurent  lieu,  comme  toujours,  en  l'église  des  Grands- 
Auguslins  de  Paris,  les  1'^''  et  2  janvier  1620. 

1.  Ci-dessus,  p.  159. 

2.  Ces  trois  mots,  que  le  copiste  du  manuscrit  B  avait  sau- 
tés, ont  été  rétablis  par  Charpentier. 

3.  Voir  ci-dessus,  p.  371. 

4.  A  son  insu. 


394  MÉMOIRES  fl619] 

une  déclaration  nouvelle  qui,  sans  préjudicier  à  per- 
sonne, fasse  connoître  à  tout  le  monde  que,  par  la 
déclaration  faite  en  faveur  de  Monsieur  le  Prince,  le 
Roi  n'avoit  pas  entendu  donner  lieu  de  blâmer  ses 
actions  en  l'administration  de  ses  affaires,  en  étant 
très  content  et  reconnoissant  combien  elle  lui  avoit 
été  utile  et  avantageuse. 

Au  lieu  de  pourvoir  à  son  contentement  par  ce 
moyen  si  raisonnable,  on  lui  fait  connoître  clairement, 
par  le  refus,  qu'on  veut  agrandir  pour  sa  ruine  celui 
qu'elle  avoit  abaissé  pour  la  grandeur  de  l'État.  On 
lui  envoie  le  sieur  de  Brantes  pour  l'avertir  que  le 
Roi  veut  achever  le  mariage  de  Monsieur  avec  M"^  de 
Montpensier^  et  faire  celui  de  Madame  Henriette^ 
avec  M.  le  comte  de  Soissons. 

La  Reine  répond  qu'elle  n'avoit  rien  à  dire  aux 
volontés  du  Roi,  mais  que,  puisqu'il  étoit  question  du 
mariage  de  ses  enfants,  où  la  nature  lui  donnoit  un 
notable  intérêt,  elle  savoit  qu'il  ne  voudroit  rien  con- 
clure qu'elle  ne  fût  présente. 

Il  l'avertit  encore  de  trois  mariages  qu'on  pro- 
pose :  de  M"®  de  Bourbon^  avec  le  fils  aîné  du  duc  de 

1.  Marie  de  Bourbon  (tome  I,  p.  36)  épousa,  le  6  août  1626, 
Gaston  d'Orléans,  frère  de  Louis  XIII,  et  mourut  peu  de 
temps  après  avoir  donné  naissance  à  la  «  Grande  Mademoi- 
selle ». 

2.  Henriette-Marie  de  France  épousa,  en  mai  1625,  le  roi 
Charles  P""  d'Angleterre. 

3.  Marie  de  Bourbon,  fille  de  Charles,  comte  de  Soissons,  et 
d'Anne  de  Montafié,  née  le  3  mars  1606,  épousa  le  prince  Tho- 
mas de  Savoie-Carignan  le  6  janvier  1625  et  mourut  le  3  juin 
1692. 


[1619]  DE  RICHELIEU.  395 

Guise ^;  de  M"®  de  Luynes-  avec  son  second^,  et  de 
M.  de  Mercœur'^,  fils  du  duc  de  Vendôme,  avec  la  fille ^ 
dudit  duc  de  Guise. 

La  Reine  écoute  toutes  ces  propositions  avec  patience 
et  se  porte  volontairement  à  souffrir  ce  qu'elle  ne  peut 
empêcher. 

Elle  le  prie,  à  son  retour,  de  tenir  la  main  à  ce 
qu'elle  touche  le  paiement  des  deniers  qui  lui  ont  été 
prenais,  à  ce  que  les  pensions  que  le  Roi  a  accordées, 
à  sa  recommandation,  à  ses  domestiques  soient  acquit- 
tées, à  ce  qu'au  gouvernement  de  Metz  il  ne  soit  rien 
innové  au  préjudice  du  marquis  de  la  Valette  en  la 
création  de  la  justice'',  mais  surtout  à  ce  qu'on  lui 
accorde  une  déclaration  qui  fasse  voir  que,  pour  celle 
qui  a  été  faite  sur  la  délivrance  de  Monsieur  le  Prince, 
on  n'a  point  entendu  blâmer  sa  conduite. 

1.  François  de  Lorraine,  prince  de  Joinville,  né  en  1612, 
mort  sans  alliance,  le  7  novembre  1639,  à  Florence. 

2.  Anne-Marie  d'Albert,  promise  en  mariage  au  duc  de 
Joyeuse  en  1620,  mourut  sans  alliance  le  21  septembre  1646. 

3.  Henri  de  Lorraine,  duc  de  Guise  (1614-1664),  fut  arche- 
vêque de  Reims  en  1629  ;  ayant  pris  part  en  1641  à  la  conspira- 
tion du  comte  de  Soissons,  il  fut  condamné  par  contumace  et 
résigna  ses  bénéfices.  En  1643,  il  obtint  des  lettres  d'abolition 
et  il  alla  en  1647  faire  à  Naples  une  expédition  militaire  pour 
enlever  ce  royaume  à  l'Espagne  et  s'y  créer  un  établissement. 

4.  Louis,  duc  de  Mercœur  (1612-1669),  fils  aîné  de  César, 
duc  de  Vendôme,  porta  le  titre  de  duc  de  Vendôme  après  la 
mort  de  son  père.  Il  épousa  Laure  Mancini,  nièce  de  Mazarin, 
et,  en  1657,  à  la  mort  de  sa  femme,  embrassa  l'état  ecclésias- 
tique; il  fut  nommé  cai'dinal  en  1667. 

5.  Marie  de  Lorraine,  née  le  15  août  1615,  morte  le  3  mars 
1688  sans  alliance. 

6.  Ci-dessus,  p.  322. 


396  MÉMOIRES  [1619] 

Parmi  tant  de  preuves  de  mauvaises  volontés, 
M.  de  Luynes  ne  laisse  pas  de  lui  continuer  ses  ser- 
ments de  fidélité  et  protestations  de  service. 

En  ce  temps,  arriva^  à  Paris  le  comte  de  Fiirsten- 
berg^,  ambassadeur  extraordinaire  de  l'empereur 
Ferdinand,  de  nouveau  élu  à  cette  dignité,  pour  sup- 
plier S.  M.  de  l'assister  au  soulèvement  de  la  plupart 
de  ses  sujets,  non  tant  contre  lui  que  contre  la  religion 
catholique^. 

Après  le  décès  de  l'empereur  Mathias,  qui  mourut 
le  1 0"  mars,  ledit  Ferdinand  prit  l'administration  des 
deux  royaumes  de  Bohème  et  de  Hongrie,  dont  il 
avoit  été,  les  deux  années  précédentes,  élu  roi,  et 
semblablement  aussi  de  l'Autriche,  au  nom  et  sous 
l'autorité  de  l'archiduc  Albert,  qui  en  étoit  héritier  et 
lui  en  donna  le  pouvoir'^. 

Incontinent,  pour  apaiser  les  mouvements  qui 
étoient  en  Bohême,  il  fit  publier  une  suspension 
d'armes  en  son  armée,  commandée  par  le  comte  de 
Bucquoy^,  et,  tôt  après,  leur  envoya  la  confirmation 

1.  Le  manuscrit  B  porte,  par  erreur,  arrivèrent. 

2.  Egon,  comte  de  Fûrstenberg,  né  en  1588,  mort  en  1635, 
commanda  sous  Tilly  à  la  bataille  de  Leipzig  et  devint  lieute- 
nant du  cercle  de  Souabe. 

3.  Voyez  le  Mercure  français,  t.  VI,  année  1619,  p.  341. 

4.  L'archiduc  Albert,  frère  de  l'empereur  Mathias,  donna  le 
gouvernement  de  l'Autriche  au  prince  Ferdinand  par  lettres 
du  2  février  1619.  Voyez  le  Mercure  français  (t.  VI,  année 
1619,  p.  3-282)  pour  les  passages  des  Mémoires  relatifs  aux 
troubles  d'Allemagne. 

5.  Charles-Bonaventure  de  Longueval  (1551-1621),  comte  de 
Bucquoy,  général  des  armées  impériales,  défit  les  révoltés  de 
Bohême  à  la  Montagne-Blanche  en  1620. 


[1619]  DE  RICHELIEU.  397 

de  leurs  privilèges,  promettant  de  faire  observer 
tous  les  édits  qui  avoient  été  faits  en  Bohême  tou- 
chant la  rehgion.  Mais  tout  cela  n'adoucit  point  leurs 
esprits  ni  ne  les  persuada  de  se  mettre  à  la  raison  ; 
mais  au  contraire,  continuant  toujours  à  lui  faire  la 
guerre,  ils  envoyèrent  solliciter  le  duc  de  Saxe^  et  le 
marquis  de  Brandebourg^  de  les  assister.  Ceux  de  la 
Haute-Autriche  s'y  mirent  avec  eux  ;  autant  en  firent 
les  États  de  Silésie  et  de  Moravie,  qui  prirent  prison- 
nier le  cardinal  Dietrichstein^,  qui  en  étoit  gouver- 
neur, et  en  chassèrent  tous  les  jésuites,  pillèrent  les 
biens  des  ecclésiastiques  et  maltraitèrent  tous  les 
catholiques. 

Le  comte  de  la  Tour^  fut  si  hardi  qu'il  ^dnt  jusques 
à  Vienne,  le  %^  juin,  pour  donner  courage  aux  Luthé- 
riens, qui  y  sont  en  grand  nombre,  de  se  révolter;  à 
quoi  l'Empereur  remédia,  les  désarmant;  et,  peu  de 
jours  après,  le  comte  de  la  Tour  fut  contraint  de  se 
retirer  et  s'en  retourner  à  Prague,  sur  la  nouvelle 
qu'il  eut  de  la  défaite  de  quelques  troupes  de  cavalerie 
que  conduisoit  ^lansfeld^. 

Cependant,  l'électeur  de  Mayence*"  convoqua  l'as- 

1.  Jean-Geoi'ges,  électeur  de  Saxe  (1611-1656). 

2.  Jean-Sigismond  (1608-décembre  1619)  :  tome  I,  p.  24. 

3.  François  de  Dietrichstein,  évêque  d'Olmutz,  cardinal  en 
1598,  mort  en  1636. 

4.  Ci-dessus,  p.  311. 

5.  Ernest,  comte  de  Mansfeld  (1585-1626),  entra  d'abord 
au  service  de  l'Autriche,  puis  embrassa  la  Réforme  et  fut  élu 
général  des  révoltés  de  Bohême.  Le  Mercure  français  l'appelle 
le  bâtard  de  Mansfeld.  —  Cette  défaite  eut  lieu  le  8  juin  1619. 

6.  Jean  de  Cronberg  (1553-1626),  archevêque-électeur  de 
Mayence  depuis  1604. 


398  MÉMOIRES  [1619] 

semblée  des  électeurs  à  Francfort,  au  213°  juillet,  pour 
élire  un  empereur.  Les  Bohèmes  y  envoyèrent  des 
ambassadeurs^  pour  empêcher  que  le  roi  Ferdinand 
fût  élu,  se  plaignant  de  ce  qu'on  l'avoit  cité  à  l'assem- 
blée, attendu  qu'il  n'y  avoit  point  de  droit,  vu  qu'il 
n'étoit  pas  en  l'actuelle  possession  de  l'électorat  de 
Bohême.  Mais,  nonobstant  ^toutes  leurs  oppositions, 
il  fut  élu  le  8"  août,  selon  le  style  ancien,  et  couronné 
le  30^^,  nonobstant  que  d'autres,  pour  les  États  de 
Bohême,  eussent  conclu,  le  19''  août,  de  ne  le  recon- 
noître  jamais  et  de  procéder  à  l'élection  d'un  nouveau 
roi,  et,  ensuite,  le  26%  élurent  l'Électeur  palatin  Fré- 
déric V®. 

En  ces  entrefaites,  Gabriel  Bethlen,  prince  de  Tran- 
sylvanie, voyant  le  jeu  trop  beau  pour  n'en  être 
point,  se  rendit  maître  de  tout  ce  que  la  maison 
d'Autriche  possédoit  en  la  Hongrie,  depuis  la  rivière 
de  la  Theiss-^  jusques  à  Presbourg,  qu'il  prit  le 
216"  octobre^. 

1.  Le  Mercure  français,  t.  VI,  année  1619,  p.  44,  mentionne 
les  noms  de  ces  ambassadeurs  et  donne  la  traduction  de  leur 
protestation. 

2.  D'après  le  Mercure  francois,  l'élection  eut  lieu  le  18  août 
(nouveau  style)  à  Francfort  [Mercure,  t.  VI,  année  1619,  p.  71). 
Le  couronnement  eut  lieu  le  30  août  (ancien  style),  soit  le 
9  septembre  (nouveau  style)  [Ibid.,  p.  73).  L'ancien  style  était 
celui  du  calendrier  julien,  que  suivaient  encore  plusieurs 
Etats  qui  n'avaient  pas  adopté  la  réforme  grégorienne.  Il  y 
avait  alors  dix  jours  d'écart  entre  les  deux  computs. 

3.  Le  manuscrit  B  porte  :  la  rivière  du  Tibisque.  C'est  la 
Theiss,  affluent  du  Danube,  en  latin  Tibiscus. 

4.  Le  20  octobre,  d'après  le  Mercure  français,  t.  VI,  année 
1619,  p.  135. 


[1619]  DE  RICHELIEU.  399 

L'Électeur  Palatin  ayant  été  élu  roi  de  Bohême, 
comme  nous  avons  dit,  ne  voulut  pas  accepter  la 
dignité  qui  lui  étoit  offerte,  sans  en  prendre  l'avis  des 
princes  et  États  protestants  d'Allemagne,  qu'il  pria  de 
se  rendre,  pour  ce  sujet,  en  personne,  ou  par  leurs 
ambassadeurs,  à  Rothenbourg^  où  il  en  délibéreroit 
avec  eux^.  Saxe^  lui  déconseilla  cette  entreprise;  mais 
il  crut  les  autres,  qui  le  lui  conseillèrent  tous,  et  partit 
de  Heidelberg  avec  sa  femme*  le  \T  octobre,  fît  son 
entrée  à  Prague  le  31^  et  fut  couronné  le  4®  novembre. 

Le  nouveau  roi  de  Bohême  et  les  princes  et  États 
protestants  d'Allemagne  tinrent  en  ce  mois  une  assem- 
blée à  Nuremberg,  en  laquelle  ils  lièrent  une  plus 
étroite  union  entre  eux,  renvoyèrent  le  comte  de 
Hohenzollern  ^  que  l'Empereur  leur  avoit  député,  avec 
peu  de  satisfaction,  et  députèrent^  au  duc  de  Bavière''^, 

1.  Ville  de  la  Hesse,  à  45  kilomètres  sud-est  de  Cassel. 

2.  L'assemblée  de  Rothenbourg  se  réunit  le  12  août  1619. 

3.  Le  Mercure  français,  t.  VI,  année  1619,  p.  138,  expose 
tous  les  arguments  que  fît  valoir  l'électeur  Jean-Georges  de 
Saxe  pour  dissuader  le  Palatin. 

4.  Elisabeth  Stuart,  fille  du  roi  Jacques  P""  d'Angleterre, 
avait  épousé  l'électeur  palatin  Frédéric  V  en  1613  ;  elle  mou- 
rut en  1632  :  tome  I,  p.  216. 

5.  Jean-Georges,  comte  de  HohenzoUern,  chambellan  et  con- 
seiller d'Etat  de  l'empereur  Rodolphe  II,  fut  nommé  par  l'em- 
pereur Mathias  président  du  Conseil  aulique. 

6.  Le  Mercure  françois,  t.  VI,  année  1619,  p.  237  et  sui- 
vantes, donne  les  noms  des  ambassadeurs,  la  traduction  du 
mémoire  où  étaient  exposées  les  demandes  des  envoyés  des 
protestants  et  la  réponse  du  duc  de  Bavière. 

7.  Maximilien  \",  duc  de  Bavière  en  1596,  électeur  en  1623, 
régna  jusqu'en  1651. 


400  MÉMOIRES  [1619] 

le  prièrent  de  désarmer  et  faire  faire  le  semblable  aux 
princes  et  États  catholiques,  de  faire  qu'on  leur  accor- 
dât une  chambre  mi-partie  en  l'Empire  et  plusieurs 
autres  choses  déraisonnables  qu'ils  mêloient  avec  des 
menaces,  auxquelles  ledit  duc  de  Bavière  répondit 
courageusement  et  leur  manda  qu'ils  s'adressassent  à 
l'assemblée  des  princes  catholiques  qui  se  tenoit  au 
même  temps  à  Wùrzbourg. 

L'Empereur,  se  trouvant  en  ces  altères  ^  envoya  au 
Roi  le  comte  de  Fiirstenberg,  susnommé,  en  ambassade 
extraordinaire,  lui  demander  assistance  contre  tant 
d'ennemis-. 

Le  duc  de  Bouillon,  qui  étoit  intéressé  en  cette 
affaire,  et  par  les  conseils  trop  hâtés  qu'il  avoit  donnés 
au  Palatin,  et  par  l'alliance  qui  étoit  entre  eux,  écri- 
vit^ incontinent  à  S.  M.  que,  selon  qu'elle  lui  avoit 
commandé  de  lui  donner  ses  avis  sur  les  affaires 
importantes  qui  se  présenteroient  en  son  royaume,  il 
se  sentoit  obligé  de  la  supplier  de  ne  pas  ajouter  foi 
à  ce  que  lui  diroit  l'ambassadeur  de  l'Empereur  qui 
voudroit  bien  convertir  l'intérêt  particulier  de  son 
maître  en  une  cause  publique  de  religion,  pour  obliger 
S.  M.  à  l'assister  contre  le  bien  de  son  État,  qui  a  tou- 
jours été  et  est  encore  de  maintenir  tous  ceux  que  la 
maison  d'Autriche  veut  opprimer,  comme  elle  veut 
faire  maintenant  les  États  de  Bohême  et  le  roi  Frédé- 


1.  La  première  édition  du  Dictionnaire  de  V Académie  fran- 
çaise donne  ce  mot  au  sens  de  trouble  et  d'inquiétude  d'esprit. 

2.  Voyez  ci-dessus,  p.  396. 

3.  Le  texte  de  cette  lettre  du  duc  de  Bouillon  au  Roi  a  été 
imprimé  dans  le  Mercure  français^  p.  371  et  suivantes. 


[1619]  DE  RICHELIEU.  401 

rie,  et  que  S.  M.  prendra  un  sage  conseil  s'il  lui  plaît 
moyenner  la  tenue  d'une  diète,  où  les  rois  et  Etats  non 
intéressés  soient  conviés  d'intervenir  par  leurs  ambas- 
sadeurs, pour,  d'un  commun  consentement,  juger  les 
moyens  qui  seront  les  plus  convenables  pour  ôter  tous 
les  prétextes  des  armes. 

Mais  S.  M.,  ayant  pitié  de  la  religion  qui  couroit 
fortune  de  se  perdre  en  toute  l'Allemagne,  ne  jugea 
pas  à  propos  d'user  d'un  si  long  circuit  en  cette 
affaire,  mais  trouva  bon  d'envoyer  promptement  une 
ambassade  solennelle*,  pour,  par  son  entremise  et 
autorité  envers  les  princes  et  États  intéressés,  achemi- 
ner plus  facilement  toutes  choses  à  un  juste  accommo- 
dement. 

En  cette  année  mourut  la  reine  de  la  Grande-Bre- 
tagne^, qui  faisoit  profession  secrète  de  la  religion 
catholique,  entendoit  souvent  la  messe  et  fréquentoit 
les  sacrements,  sans  que  le  roi  son  mari,  qui  en  étoit 
bien  averti,  y  apportât  aucun  empêchement.  Dieu  ne 
lui  fit  pas  néanmoins  la  grâce  d'avoir  un  prêtre  pour 
se  réconcilier  avec  lui  en  cette  heure  dernière,  bien 
qu'elle  en  fût  avertie  et  en  eût  la  commodité;  mais, 
s'estimant  assez  forte  pour  aller  dans  quelques  jours 

1.  Cette  ambassade  partit  le  6  mai  1620.  Elle  était  composée 
du  duc  d'Angoulême  et  des  sieurs  de  Béthune  et  de  l'Aubespine, 
abbé  de  Préaux  [Mercure  français,  t.  VI,  année  1620,  p.  139 
et  suivantes). 

2.  Anne  de  Danemark,  femme  de  Jacques  P'  d'Angleterre, 
mourut  au  mois  de  mars  1619  [Mercure  français,  p.  244  et  sui- 
vantes). On  a  vu,  ci-dessus,  p.  356,  qu'on  avait  conseillé  à 
Marie  de  Médicis  de  négocier  son  propre  mariage  avec  le 
monarque  veuf. 

II  .  26 


402  MÉMOIRES  DE  RICHELIEU.  [1619] 

à  Londres,  de  Greenwich  où  elle  étoit,  la  mort  la  pré- 
vint. Elle  étoit  princesse  courageuse,  qui,  si  elle  eût 
vécu,  eût  reçu  avec  grand  contentement  la  nouvelle 
de  l'assomptiçn  de  sa  tille*  à  la  dignité  royale,  mais 
avec  un  bien  plus  vif  ressentiment  de  douleur  celle  de 
la  mauvaise  issue  de  sa  prétendue  royauté^. 

1.  L'Electrice  palatine  :  ci-dessus,  p.  399. 

2.  Allusion  à  la  défaite  subie  par  Frédéric  V  à  la  Montagne- 
Blanche  (1620)  et  qui  anéantit  ses  espérances  de  royauté  effec- 
tive en  Bohême. 


APPENDICE 


I. 

Notice  sur  les  Concini  écrite  pour  servir  à  la  rédaction 
des  «  Mémoires  de  Richelieu  »  * . 

Léonora  Gai  prit  le  surnom  de  Galigai  quand  elle  fut 
montée  à  un  plus  haut  deg^ré  de  fortune,  ayant  facilement 
caché  son  nom  dans  l'obscurité  de  sa  naissance.  Elle  étoit 
fille  d'un  menuisier;  sa  mère  fut  nourrice  de  la  princesse 
Marie,  et,  par  conséquent,  Nora,  sa  sœur  de  lait,  élevée 
dans  le  palais  auprès  de  la  petite  princesse,  qu'elle  passoit 
d'environ  vingt  mois.  L'amitié,  la  familiarité  et  la  con- 
fiance augmentèrent  avec  l'âge,  si  bien  que,  depuis  que 
Marie  fut  arrivée  aux  premières  années  de  l'adolescence, 
les  habillements,  les  propretés,  les  ornements  et  les  secrets 
de  la  jeune  princesse  orpheline  furent  entièrement  commis 
à  la  disposition  de  Nora,  qui  s'étoit  rendue  si  adroite  en 
toutes  ces  gentillesses  féminines  que,  si  la  princesse  n'eût 
donné  cette  direction  à  la  bienveillance  qu'elle  porloit  h 
sa  sœur  de  lait,  elle  la  devoit  à  son  intelligence.  La  répu- 
tation de  la  beauté  et  bonne  grâce  de  la  fille  du  duc  Fran- 
cesco  fit  bientôt  impression  dans  les  cœurs  de  la  plus 
illustre  et  plus  grande  partie  des  princes  de  l'Europe. 
L'Empereur,  les  rois  de  France  et  d'Espagne,  les  ducs  de 
Bavière  et  de  Savoie,  et  Ranuccio,  fils  aîné  d'Alexandre, 

1.  Archives  du  ministère  des  Affaires  étrangères,  France, 
vol.  771,  fol.  95-100.  Voyez  ci-dessus,  p.  232. 


404  APPENDICE. 

prince  de  Parme,  déclarèrent  en  divers  temps  les  senti- 
ments qu'ils  avoient  pour  cette  beauté  toscane.  Léonora 
menoit  avec  dextérité  les  humeurs  de  sa  maîtresse  et  faisoit 
comme  il  lui  plaisoit  le  chaud  et  le  froid  dans  les  réponses 
de  Marie  ;  car  le  grand-duc  Ferdinand  vouloit  très  judi- 
cieusement qu'une  personne  de  basse  qualité,  mise  de  sa 
main,  eût  l'entière  confiance  de  sa  nièce  et  la  portt\t  insen- 
siblement à  vouloir  ce  qui  lui  plairoit,  faisant  force  prin- 
cipalement à  lui  modérer  les  désirs  d'un  prompt  mariage, 
afin  qu'en  retardant,  il  se  servît,  comme  autrefois  le  duc 
de  Bourgogne,  des  bonnes  volontés  de  plusieurs  rivaux, 
sans  en  contenter  ni  mécontenter  aucun.  Et,  de  fait,  il  y 
réussit  si  bien  que  vingt-sept  ans  complets  attrapèrent 
cette  princesse  florentine  avant  que  Ferdinand  conclût  à 
tirer  sa  belle  et  chère  nièce  de  son  palais.  Enfin,  il  ajouta 
aux  liaisons  d'Etat  qu'il  avoit  entretenues  depuis  plusieurs 
années  avec  Henri  IV,  celles  de  l'alliance,  recevant  à 
grand  honneur  que  le  plus  noble  et  le  plus  belliqueux 
roi  de  la  Chrétienté  mêlât  les  fleurs  de  lys  blanches  avec  les 
rouges.  Marie,  épousée  dans  Pitti*,  fit  voir  à  Florence  une 
fille  de  grand-duc  reine  de  France.  Ferdinand  fait  les  noces 
à  la  royale,  lui  donne  des  instructions  conformes  au  bien 
de  ses  affaires  et  de  la  sûreté  de  l'Etat  où  elle  alloit  en- 
trer, l'embarque  et  l'envoie  en  France,  lui  recommandant 
sur  toutes  choses  de  continuer  sa  confiance  privative  à 
Léonora  Gai,  et  à  Léonora  de  se  souvenir  de  sa  patrie, 
de  son  prince  naturel  et  des  obligations  qu'elle  lui  avoit. 
La  Reine  arrive  en  France,  trouve  le  Roi  à  Lyon,  qui  lui 
rendit  fort  peu  d'heures  les  devoirs  de  serviteur,  tant  il  eut 
hâte  de  lui  rendre  ceux  de  mari.  On  a  toujours  cru  que, 
dès  les  premiers  jours  que  le  Roi  et  la  Reine  furent 
ensemble,  S.  M.  eut  aversion  contre  cette  grande  confiance 
de  la  Reine  avec  Nora,  et  qu'il  témoigna  à  sa  femme  qu'elle 

1.  Le  palais  Pilti,  alors  résidence  des  grands-ducs. 


APPENDICE.  *05 

entroit   en   une   nation   qui   n'aime   pas  que   ses   princes 
soient  gouvernés  par  les  étrangers.  Mais  les  charmes  et  les 
caresses  de  la  nouvelle  épouse  vainquirent  bientôt  ces  fan- 
taisies de  mari,   et  la  prompte  grossesse  de  S.  M.  la  mit 
incontinent  au-dessus  de  ces  petites  disputes  domestiques, 
si  bien  que  Nora  fut  non  seulement  confirmée  avec  la  bonne 
volonté  du  Roi  dans  les  bonnes  grâces  de  sa  maîtresse, 
mais  mariée  à  Concino  Concini,  qui  fut  fait  premier  maître 
d'hôtel,  et  sa  femme  dame  d'atour  de  la  Reine.  La  cour 
ne  fut  pas  plus  tôt  de   retour  à  Paris  que  les  légitimes 
amours  du  Roi  furent  surmontées  par  les  illégitimes;  et 
M""  d'Entraigues  donnant  un  fils  naturel  au  Roi,  au  même 
temps  que  la  Reine  donnoit   au  Roi  et  à  la  France  un 
dauphin,  il  se  mêla  beaucoup  d'amertume  dans  les  joies 
qu'elle  recevoit  de  ses  heureuses  couches.  Sa  jalousie  parut 
avec  éclat  sitôt  qu'elle  fut  relevée,  et  les  aigreurs  furent 
telles  dans  la  famille  royale  que  le  Roi  menaça  de  renvoyer 
Concino  et  sa  femme  en  Italie  s'il  ne  trouvoit  la  paix  en 
sa  maison  et,  dehors,  la  liberté  de  vivre  comme  il  avoit 
accoutumé  avant  que   d'être  marié.  La  crainte  de  l'exé- 
cution de  cette  menace  n'adoucit  pas  le  dépit  de  la  Reine; 
mais  elle  en  fit  dissimuler  les  témoignages.  Cette  fièvre, 
néanmoins,  faisoit  paroître  de  temps  en  temps  de  nouveaux 
accès,  et  bien  souvent  la  Reine  sembloit  en  être  sortie  que 
sa   dame   d'atour  parloit  encore  bien  aigrement  au  Roi. 
Et,  à  dire  vérité,  jamais  femme  ne  fut  si  difficile  h  vaincre 
dans  les  intérêts  d'autrui  que  la  signora  Concina  dans  ceux 
de  sa  maîtresse.  Le  maréchal  d'Ancre  a  souvent  dit,  depuis 
la  mort  du  Roi,  qu'il  avoit  été  plusieurs  fois  sur  le  bord  de 
sa  ruine  par  la  téméraire  opiniâtreté   de  sa  femme,   de 
laquelle  tant  s'en  falloit  qu'il  pût  obtenir  des  paroles  de 
douceur  au  Roi  qu'il  ne  pouvoit  empêcher  qu'elle  ne  lui 
en  dît  de  piquantes  et  pleines  d'aigreur.  Enfin,  le  Roi, 
qui  avoit  été  élevé  dans  les  défiances  huguenoies,  dans  la 
cour  de  sa  belle-mère,  parmi  ses  beaux-frères  et  la  reine 


406  APPENDICE. 

de  Navarre  sa  femme,  qui  avoienl  pour  maximes  fonda- 
mentales la  nourriture  des  divisions  dans  le  cabinet,  s'avisa 
de  vouloir  abattre  les  Florentins  par  les  Florentins  et  sus- 
cita Don  Jean  de  Médicis,  bâtard  de  Florence,  du  même 
sang  que  la  Reine,  puissant  en  sens  et  en  qualité  par-des- 
sus les  Conclues,  pour  les  ruiner  dans  l'esprit  de  sa  femme. 
La  faveur  l'emporta  sur  toutes  ces  considérations,  et  ces 
intrigues  ne  firent  autre  chose  qu'engendrer  une  querelle 
formée  entre  Don  Jean  et  Concino,  que  l'on  accorda  à  la 
françoise;  mais  les  parties  en  gardèrent  les  sentiments  à 
l'italienne,  si  bien  que  la  Reine  n'eut  jamais  patience  que 
Don  Jean  ne  fût  retourné  en  Italie.  Les  Concines,  victo- 
rieux d'un  si  puissant  ennemi,  voire  de  la  propre  haine 
du  Roi,  commencèrent  à  le  porter  plus  haut  et,  se  ser- 
vant de  l'autorité  d'une  Reine,  mère  de  plusieurs  enfants, 
se  rendirent  considérables;  joint  que  Concine  se  laissa 
aucunement  gagner  par  le  Roi  et  le  servit  à  déguiser  et 
cacher  ses  furtives  amours,  employant  sa  faveur  auprès  de 
la  Reine  et  modérant  les  aigreurs  de  l'esprit  de  sa  femme 
par  les  satisfactions  qu'il  donnoit  à  son  corps.  Il  se  mit  en 
fort  bonne  intelligence  avec  le  Roi,  qui  pria  la  Reine  de  le 
faire  son  premier  écuyer,  ce  qu'il  obtint  facilement.  Con- 
cine, d'autre  part,  étoit  très  propre  pour  l'humeur  du  Roi; 
il  étoit  joueur,  railleur,  adroit  aux  exercices,  goinfre,  diver- 
tissant et  d'aussi  aimable  humeur  que  cavalier  qui  soit 
jamais  venu  de  pays  étrange  (sic)  en  ce  rovaume.  Le  reste 
de  la  vie  du  Roi  se  passa  plus  doucement  dans  sa  famille 
depuis  qu'il  eut  gagné  Concine,  et  bien  que,  durant  les 
deux  dernières  années,  il  se  fût  allumé  de  nouvelles 
amours  dans  son  cœur,  si  vives  et  si  ardentes  qu'on  crai- 
gnoit  qu'elles  ne  portassent  les  choses  à  des  extrémités 
qui  n'étoient  pas  imaginables,  si  est-ce  que  Concine  sut 
si  dextrement  ménager  les  différentes  passions  de  son 
maître  et  de  sa  maîtresse  que,  s'il  n'empêcha  la  foudre,  il 
empêcha  le  tonnerre.  L'assiette  des  affaires  du  cabinet  fut 


APPENDICE.  407 

agitée  par  ces  furieuses  passions  d'amour  et  de  jalousie  qui 
régnoient  sur  LL.  MM.  jusques  à  la  mort  de  Henri,  qui 
mit  fin  à  ces  troubles  domestiques  et  rehaussa  la  fortune 
de  la  Reine  et  de  ses  favoris  à  tel  point  que  l'on  peut  assu- 
rer avec  certitude  que  la  Reine  jouit,  durant  l'espace  de 
sept  années,  de  tous  les  revenus,  grandeur  et  autorité  de 
cette  couronne,  non  comme  d'une  puissance  dépendante, 
mais  comme  légitime  et  véritable  dame  de  ce  royaume. 
La  Concine  et  son  mari  régnèrent  sans  contestation  sur 
celle  qui  régnoit  sur  toute  la  France,  avec  puissance  si  abso- 
lue que  l'on  ne   disputoit  rien  de  leur  pouvoir  en  com- 
mun, mais  les  plus  délicats  contestoient  sur  le  particulier, 
les  uns  voulant  que  ce  fût  la  femme,  les  autres  le  mari  qui 
possédât  la  faveur.  Les  jugements  des  courtisans,  qui  sont 
quasi  toujours  attachés  au  bien  ou  au  mal  qu'ils  reçoivent 
du  gouvernement,  décidoient  ces  choses,  selon  que  leurs 
affaires  alloient  bien  ou   mal.  La   Concine,  d'esprit  plus 
modéré  que  son  mari,  ne  témoignoit  point  se  soucier  à  qui 
des  deux  l'on  donnât  la  préférence  dans  les  bonnes  grâces 
de  la  Reine.  Le  mari,  plus  altier  et  plus  vain,  ne  querel- 
loit  personne  de  ceux  qui  la  lui  donnoient.  La  femme, 
avare  par-dessus  le  commun  de  celles  de  son  sexe,  tour- 
noit  toutes  ses  pensées  vers  les  moyens  de  tirer  de  l'argent; 
Concine  ne  donnoit  que  le  second  lieu  à  cette  passion, 
voulant  que  l'ambition  tînt  le  premier  dans  le  cours  de 
sa  vie.  Et,  de  fait,  leurs  amis  et  serviteurs  particuliers  trou- 
vèrent des  milieux  qui  réglèrent  tous  leurs  troubles  domes- 
tiques; mais  il  n'y  eut  jamais  moyen  de  les  accorder  sur  le 
point  de  la  grandeur,  qui  chatouilloit  par  sur  tout  l'esprit 
du  marquis  d'Ancre.  Les  discours  que  la  marquise  avoit 
les  plus  agréables  dans  la  conversation  de  ses  plus  affidés 
étoient  ceux  qui  la  flattoient  d'un  prompt  retour  en  Italie, 
où  elle  porteroit  ses  richesses  et  établiroit  une  maison  qui 
surpasseroit  en  biens  toutes  celles  de  son  pays.  Lui,  au 
contraire,  n'en  vouloit  point  ouïr  parler,  ne  haïssant  pas 


408  APPENDICE. 

seulement  sa  patrie,  mais  ne  voulant  jamais  faire  bien  à 
ses  compatriotes.  Le  gouvernement  du  cabinet  étoit  entière- 
ment en  la  puissance  du  marquis  et  de  la  marquise.  Les 
affaires  s'agitoient  parmi  les  Barbons,  qu'il  appeloit  vieil- 
lards timides,  qui  achetoient  à  force  d'argent  les  suffrages 
des  grands,  lesquels  n'avoient  pas  plus  tôt  été  payés  d'un 
mécontentement  ou  d'un  caprice  qu'ils  faisoient  renaître 
occasion  de  pareille  nature  pour  recevoir  paiement  pareil. 
Les  trésors  du  feu  Roi  sortirent  de  la  Bastille  pour  faire 
du  bien  à  des  personnes  qui  méritoient  d'y  entrer,  et  sans 
doute  les  affaires  fussent  tombées  en  entière  décadence 
sans  que  les  Concine  firent  voir  à  la  Reine  que  l'argent 
qu'elle  donnoit  si  largement ^et  de  si  bonne  volonté  aux 
grands  ne  servoit  qu'à  les  mettre  en  état  de  s'en  faire  bail- 
ler par  force.  Le  remède  qu'ils  y  apportèrent  fut  d'ôter  la 
connoissance  des  affaires  à  ces  vieux  malins  qui,  jaloux  du 
pouvoir  du  maréchal  et  de  la  maréchale  d'Ancre,  faisoient 
ce  qu'ils  pouvoient  pour  les  ruiner  par  les  princes  et 
grands  seigneurs  auxquels  ils  révéloient  tous  les  secrets 
de  l'Etat.  Les  premiers  mouvements  après  la  majorité 
furent  inspirés  dans  l'esprit  des  princes  par  ces  vieux 
traîtres,  qui,  au  lieu  d'être  les  chiens  qui  gardent  les  trou- 
peaux, se  firent  loups  pour  les  dévorer.  Leur  place  fut 
occupée  par  de  plus  gens  de  bien,  mais  peu  intelligents, 
un  ou  deux  exceptés.  Barbin,  partisan,  qui,  auparavant 
que  d'entrer  dans  les  affaires,  avoit  eu  la  direction  des 
deniers  de  la  maréchale,  fut  dépositaire  du  secret  de  l'Etat 
et  fort  porté  à  l'abaissement  des  grands.  Il  étoit  homme 
d'assez  bon  jugement,  de  peu  de  connoissance  des  affaires 
du  royaume,  de  nulle  des  étrangers,  mais  secret,  fidèle  à 
ses  bienfaiteurs  et  net  des  mains  au  suprême  degré. 
Dolet,  qui  menoit  leurs  affaires  du  Palais,  entra  en  quelque 
part  dans  la  connoissance  des  publiques  où  il  parut  pédant 
et  simplement  homme  de  chicane.  Mangot  exerça  quelques 
mois  la  charge  de  M.  de  Villeroy,  où  il   parut  ridicule. 


APPENDICE.  409 

Les  sceaux  lui  réussirent  mieux,  et  sa  charge  fut  remplie 
de  M.  l'évêque  de  Luçon,  où  il  fit  paroître,  dès  son 
orient,  quel  devoit  être  le  reste  de  sa  journée.  Peu  aupa- 
ravant ces  changements,  les  différentes  agitations  des 
affaires  troublèrent  l'entendement  de  la  maréchale  d'Ancre 
et  la  portèrent  dans  des  défiances  pour  sa  maîtresse  et 
pour  elle  qui  mirent  en  confusion  tous  les  esprits  de  la 
cour.  Elle  commit  la  santé  de  la  Reine  à  un  juif  portu- 
gais, nommé  Monlalto,  qui  régentoit  en  médecine  à  Pise. 
Cet  homme,  assez  savant,  mais  beaucoup  plus  matois,  se 
servit  de  la  disposition  où  il  trouva  les  esprits  de  la  Reine 
et  de  sa  favorite  et  leur  imprima  dans  la  tête  que  tout  étoit 
plein  de  sorciers,  principalement  de  fascinateurs,  qu'il 
étoit  nécessaire  qu'elles  se  communiquassent  moins  et 
qu'il  savoit  des  remèdes  pour  empêcher  l'effet  de  tous  ces 
maléfices.  Le  maréchal  demeure  en  ses  gouvernements;  la 
maréchale,  chagrine  d'autre  part,  se  rend  tout  à  fait  incom- 
municable, et  la  Reine  change  de  forme  de  vie,  tant  en  sa 
table  qu'en  ses  médicaments  et  hantises  ordinaires.  La 
maréchale  emploie  tout  son  pouvoir  pour  persuader  son 
mari  à  la  retraite  en  Italie,  lui  faisant  souvent  dire  qu'il 
levoit  trop  de  voiles  pour  un  si  petit  vaisseau.  Le  maréchal, 
ennuyé  de  sa  femme,  qui  avoit  le  corps  laid  et  l'esprit 
fâcheux,  ne  la  désiroit  pas  seulement  en  Italie,  mais  dans 
l'autre  monde,  si  bien  que,  l'espace  de  deux  ans,  les  par- 
ticuliers amis  et  serviteurs  n'avoient  autre  affaire  dans  la 
maison  qu'à  régler  les  humeurs  de  ces  favoris,  que  leur 
propre  bonne  fortune  ennuyoit.  Le  mari,  plus  discret,  ne 
la  voyoit  que  les  soirs  et  peu  de  temps,  portant  toujours 
quelque  petit  présent  en  argent  ou  en  bijoux,  et  n'en  sor- 
toit  jamais  qu'elle  ne  lui  chantât  pouilles.  La  Reine  mon- 
toit  souvent  à  la  chambre  de  la  maréchale,  tâchant  en  vain 
de  tempérer  la  bile  échauffée  de  cette  enragée;  mais  elle 
y  réussissoit  aussi  peu  que  les  autres  et  n'en  sortoit  guère 
souvent  sans  être  appelée  ingrata,  despietata,  qui  étoient 


410  APPENDICE. 

les  titros  qu'elle  lui  donnoil  en  colère;  mais,  de  sens  froid, 
elle  ne  la  nommoil  à  ses  familiers  que  du  nom  de  balourde. 
Ces  tumultes  domestiques  reçurent  quelque  modération 
par  les  divertissements  que  lui  donnoit  un  certain  signor 
Andréa,  napolitain  de  nation,  musicien,  bon  joueur  d'ins- 
truments, qui  sut  si  bien  la  gouverner  qu'il  prit  la  première 
place  dans  ses  bonnes  grâces,  avec  l'applaudissement  du 
maréchal,  qui  n'eut  point  désagréable  que  cette  pauvre 
mélancolique  trouvât  du  contentement  dans  la  musique  et 
dans  les  instruments  du  signor  Andréa.  Montalto  et  Dolet 
étoient  morts  h  Tours,  au  retour  du  voyage  de  Guyenne, 
si  bien  que  Barbin  et  Andréa  gouvernoient  tout  seuls  les 
affaires  et  les  plaisirs  de  la  maréchale,  qui  se  rendoit  tou- 
jours plus  particulière  et  pressoit  son  mari  d'en  faire  de 
même;  mais  il  avoit  telle  répugnance  à  tout  ce  qui  venoit 
de  cette  femme  qu'il  ôtoit  de  sa  fantaisie  les  choses  mêmes 
qu'il  désiroit,  quand  elle  lui  témoignoit  avoir  la  même 
volonté.  Elle  envoyoit  souvent  quérir  les  plus  familiers  de 
son  mari  pour  leur  en  dire  toutes  sortes  d'injures  et  d'op- 
probres, détestant  son  ambition  et  son  ingratitude,  lui 
reprochant  qu'il  y  avoit  plusieurs  années  qu'il  ne  lui  avoit 
rendu  les  devoirs  conjugaux.  Que  si  on  lui  repartoit  que 
ses  maladies  l'en  empêchoient,  elle  répondoit  qu'elles  ne 
l'empêchoient  pas  pour  d'autres.  La  mort  de  leur  fille, 
arrivée  le  premier  jour  de  janvier  1617,  les  mit  encore 
en  plus  mauvais  ménage.  Et,  de  fait,  les  derniers  mois 
de  leur  vie  furent  si  pleins  d'aigreur  et  de  colère  l'un 
contre  l'autre  qu'ils  ne  se  voyoient  quasi  plus  et  ne  se 
parloient  qu'avec  des  souhaits  prophétiques  de  leur 
prochaine  infortune.  Ces  mauvaises  humeurs  redou- 
blèrent, sans  pouvoir  être  adoucies  même  par  le  signor 
Andréa,  quand  elle  reconnut  qu'elle  ne  tenoit  plus  par 
elle-même  à  la  bonne  volonté  de  la  Reine  et  que  les  affaires 
passoient  par  où  vouloit  son  mari.  Ce  fut  alors  que  ceux 
qu'elle  avoit  agréables  auprès  de  la  personne  du  maréchal 


APPENDICE.  411 

lui  devinrent  odieux  et  suspects  et  que  la  Reine  même 
l'importunoit  lorsqu'elle  la  visitoit.  Le  24^  avril  termina 
ces  différents  en  finissant  le  pouvoir  de  la  Reine,  la  vie 
de  son  mari  et  sa  liberté,  qui  lui  fut  rendue,  au  mois  de 
juillet,  par  la  perte  de  sa  vie,  qu'un  injuste  et  sinistre 
arrêt  lui  ôta,  mais  non  la  gloire  d'être  morte  avec  toutes 
les  vertus  chrétiennes,  voire  avec  les  héroïques. 


II. 

Liste  des  documents  manuscrits  utilisés  pour  la  rédaction 
du  tome  II  des  Mémoires'. 

Dépôt  des  Affaires  étrangères. 

Allemagne  (Corr.  pol.)  5. 

Pages 

1616.  —  29  décembre.  Instructions  données  au 
comte  de  Schônberg,  ambassadeur  en  Alle- 
magne      134,  135,  139,  140 

Angleterre  (Corr.  pol.)  26. 

1617.  —  3  février.  Lettre  du  baron  du  Tour     .      .        151 

1.  Cette  liste  a  pour  objet  de  faire  connaître  la  place  occupée, 
dans  le  texte  des  Mémoires,  par  les  documents  manuscrits, 
inédits  ou  non,  qui  ont  servi  d'une  façon  certaine  à  sa  rédac- 
tion. Les  documents  sont  rangés,  pour  chaque  volume,  en 
général,  par  ordre  chronologique,  soit  d'après  leur  date,  soit 
d'après  celle  des  événements  auxquels  ils  se  rapportent.  Les 
documents  non  datés,  auxquels  une  date  précise  n'a  pu  être 
assignée,  ou  relatifs  à  une  longue  série  de  faits  d'ordre  différent, 
sont  classés  à  la  fin  de  chaque  année.  Nous  appelons  a  Extraits  » 
les  résumés  de  documents  faits  par  les  secrétaires  du  Cardinal, 
en  vue  de  leur  emploi  dans  les  Mémoires. 


412  APPENDICE. 

France  244. 

P&BTGS 

1617.  —  6  mai.  Lettre  de  Louis  XIII  à  Richelieu  .       239 
—  15  juin.  Lettre  de  Louis  XIII  à  Richelieu.      .        247 

1618.  —  7  avril.  Lettre  de  Louis  XIII  à  Riche- 
lieu  278,279 

France  770. 

1616.  —  «  Sommes  qui  ont  été  accordées  par  le 
traité  de  Loudun.  Etat  des  comptants  à  expédier 
suivant  le  traité  de  paix  de  Loudun.  ».      .      .      .  14 

—  «  Articles  de  l'union  des  princes  rebelles,  après 

la  détention  de  Monsieur  le  Prince.  »  .      .      .      .  94 

—  Copie  de  lettre  du  duc  de  Nevers  à  Louis  XIII .  99 

—  14  décembre.  Lettre  du  duc  de  Bouillon  h 
Louis  XIII 120 

France  771. 

1617.  —  11  janvier.  Copie  de  lettre  du  duc  de 
Bouillon  à  Louis  XIII 137 

—  31  janvier.  Lettre  du  duc  de  Nevers  à  Louis  XIII.        143 

—  4  février,  «  Remontrance  que  les  ducs  de  Ven- 
dôme, de  Mayenne  et  maréchal  de  Bouillon 
envovèrent  à  Louis  XIII  avec  les  réponses  que 

l'on  y  fit.  )) 144,  145 

—  Février.  Minute  et  copie  de  deux  lettres  de 
Richelieu  au  maréchal  d'Ancre 151 

—  14  avril.  Copie  de  lettre  de  Richelieu  au  maré- 
chal d'Ancre 153 

—  Avril  (?).  Copie  de  lettre  de  Richelieu  au  maré- 
chal d'Ancre  (?) 155 

—  6  mai.  «  Extrait  »  de  lettre  de  Louis  XIII  à 
Richelieu 239 


APPENDICE.  413 

Pages 

1617.  — Mai-juin.  «  Extrait»  de  lettres  de  Richelieu 
àLuynes 240-242,245,246,253 

—  a  Extrait  »  des  lettres  de  Richelieu  h  «  des  par- 
ticuliers » 242 

—  10,  15  et  19  mai.  «  Extrait  »  de  lettres  de  Déa- 
geant  à  Richelieu 243, 244 

—  «    Extrait   »   de    lettre    de    Richelieu    à    Déa- 
geant 244-246 

—  15  juin.  «  Extrait  »  de  lettre  de  Louis  XIII  à 
Richelieu 247 

—  23  juin.  «  Extrait  »  de  lettre  de  Jean  de  Bonsy, 
évêque  de  Béziers,  h  Marie  de  Médicis.      .      .      .        252 

—  «  Extrait  »  de   lettres  de  Marie  de  Médicis  h 
Luynes  et  à  Louis  XIII 250,251 

—  «  Extrait  »   de  lettres  de  Luynes   à  Marie  de 
Médicis  et  à  Richelieu 252 

—  «  Jugement  du  maréchal  d'Ancre.  »...     225-232 

—  Notice  sur  les  Concini 232-238 

1618.  —  «  Caput  apologeticum.  »      .     .     .      .     281-286 

—  Octobre.    Minute    de     lettre    de    Richelieu    à 
Louis  XIII 287 

1619.  —  16  août.  «  Extrait  »  de  lettre  de  Luynes 

à  Marie  de  Médicis 368, 369 

—  22  août.  «  Extrait  »  de  lettre  du  P.  Arnoux  à 
Marie  de  Médicis 369,370 

France  772. 

1618.  —  30  août.  Copie  d'arrêt  du  Grand  Conseil.        302 

—  3  novembre.  Déclaration  de  Marie  de  Médicis,  à 

Blois 306-309 

1619.  —  Mémoire  écrit  par  Cherré.       315-322,  324,  327, 

328,  334-346, 348-352 

—  16  mars.  Lettre  de  Louis  XIII  à  Marie  de  Mé- 
dicis      331,332 


414  APPENDICE. 

Pages 

1619.  — Mars.  Lettres  du  chancelier  de  Sillery  et 

du  président  Jeannin  à  Marie  de  Médicis  .      .      .        334 

—  30  avril.  Résumé  des  articles  du  traité  d'Axi- 
goulême 351 

—  31  mai.  «  Extrait  »  de  lettre  de  Luynes  à  Marie 

de  Médicis 365-367 

—  28  juillet.  «  Extrait  »  de  lettre  de  Richelieu  à 
Luynes 380,381 

—  16  août.  Copie  de  lettre  de  Luynes  à  Marie  de 
Médicis 368,369 

—  22  août.  Lettre  du  P.  Arnoux  à  Marie  de  Médi- 
cis (brouillon  et  original) 369 

—  «  Extrait  »  d'une  minute  de  lettre  de  Marie  de 
Médicis  h  Victor-Amédée,  prince  de  Piémont     .        383 

—  Promesses  faites  par  le   duc   de  Montbazon  à 
Marie  de  Médicis,  au  nom  du  Roi 370 


SOMMAIRES  DU  TOME  DEUXIÈME 


AîorÉE  1616. 


La  situation  des  partis,  au  début  de  l'année,  p.  1-3.  —  Le 
prince  de  Condé  se  résout  à  la  paix,  p.  4.  —  Le  Roi  accorde 
que  l'assemblée  des  protestants  soit  transférée  de  Nîmes  à 
la  Rochelle,  p.  5.  —  Arrivée  du  Roi  à  Poitiers,  le  7  janvier, 
p.  5.  —  Suspension  d'armes  et  projet  de  conférence  à  Lou- 
dun,  p.  6.  —  Le  duc  de  Vendôme  reçoit  l'ordre  de  désarmer, 
p.  7.  —  Il  se  déclare  pour  les  princes,  p.  8.  —  Conférences 
deLoudun;  demandes  des  princes;  réponses  du  Roi;  accords 
intervenus,  p.  8-14.  —  Intrigues  nouées  autour  de  la  nomi- 
nation de  du  Vair,  premier  président  du  parlement  de  Pro- 
vence, comme  garde  des  sceaux  (16  mai),  p.  15-18.  —  Le 
président  Le  Jay  est  remis  en  liberté,  ainsi  que  le  comte 
d'Auvergne,  p.  19.  —  Le  maréchal  d'Ancre  cède  au  duc  de 
Montbazon  la  citadelle  d'Amiens,  p.  20.  —  Il  reçoit,  en 
échange,  la  lieutenance  de  Roi  en  Normandie  et  d'autres 
gouvernements,  p.  21.  —  Les  princes  en  dissentiment,  p.  22. 
-^Changement  de  ministres  :  Barbin  et  Mangot,  p.  23.  — 
Du  Vair  fait  congédier  Villeroy,  p.  24.  —  La  Reine  offre  au 
Roi  de  lui  laisser  toute  l'autorité;  le  Roi  s'y  refuse,  p.  25-27. 

—  Nouvelles  intrigues  des  princes,  p.  28.  —  La  Reine 
envoie  l'évêque  de  Luçon  vers  le  prince  de  Condé,  p.  29.  — 
Richelieu  négocie  avec  lui,  p.  30-31.  —  Les  ducs  de 
Mayenne  et  de  Bouillon,  repoussant  les  avances  de  Concini, 
décident  sa  perte;  le  duc  de  Guise  se  joint  à  eux,  p.  32.  — 
Imprudences  du  maréchal  d'Ancre;  affaire  du  cordonnier 
Picard,  p.  33-34.  —  Arrivée  du  prince  de  Condé  à  la  cour, 
p.  35.  —  Barbin  fait  campagne  en  sa  faveur,  p.  36.  —  Les 
Concini  se  livrent  entièrement  au  prince  de  Condé,  p.  37-39. 

—  Monsieur  le  Prince  devient  tout-puissant,  p.  40-42.  — 
11  projette,  avec  les  ducs  de  Mayenne,  de  Guise  et  de  Bouil- 
lon, la  ruine  du  maréchal  d'Ancre  et  en  fait  part  au  duc  de 


416  SOMMAIRES  DU  TOME  DEUXIÈME. 

Nevers,  tout  à  son  institution  des  chevaliers  du  Saint- 
Sépulcre,  p.  42-45.  —  Prise  de  Péronne,  enlevée  au  maré- 
chal d'Ancre  par  le  duc  de  Longueville,  p.  45-49.  —  Marie 
de  Médicis  s'offre  à  remettre  toute  l'autorité  entre  les 
mains  du  Roi  qui,  conseillé  par  Luynes,  s'y  refuse,  p.  50-52. 
—  Les  princes  conspirent  contre  le  maréchal  d'Ancre;  la 
Reine  inquiète  s'efforce  de  ramener  à  la  cause  royale  le  'duc 
de  Guise,  p.  53-57.  —  Leduc  de  Sully  donne  son  avis  sur  la 
situation  politique,  p.  58. —  Intrigues  de  cour  et  projets  de 
départ  de  Concini,  p.  59-64.  —  Eclairée  sur  les  menées 
des  princes,  la  Reine  se  résout  à  faire  arrêter  leur  chef,  le 
prince  de  Condé,  par  M.  de  Thémines,  au  sortir  du  Conseil, 
p.  65-77.  —  Les  princes  décident  de  se  réunir  à  Soissons 
et  quelques-uns  d'entre  eux  cherchent  à  connaître  les  sen- 
timents de  la  cour  à  leur  égard,  p.  78-81.  —  Pillage  de 
l'hôtel  de  Concini  au  faubourg  Saint-Germain,  p.  82.  — 
Départs  successifs  de  Paris  des  ducs  de  Guise  et  de  Ven- 
dôme, p.  83-85.  —  L'insurrection  fomentée  par  les  princes 
se  propage  en  province;  quelques  villes  se  déclarent  pour 
eux,  p.  86.  —  Le  pi'ince  de  Condé  en  prison,  p.  87-88.  — 
Piètre  attitude  des  sieurs  Du  Vair,  Villeroy  et  président 
Jeannin,  p.  89-90.  —  Déclaration  du  Roi  sur  l'arrestation 
du  prince  de  Condé,  p.  91.  —  Louis  XIII  députe  aux  princes 
assemblés  à  Soissons  les  sieurs  de  Champvallon,  de  Rois- 
sisse  et  le  marquis  de  Villars  pour  traiter  avec  eux,  p.  92- 
93.  —  Délibérations  des  princes  à  Soissons,  p.  93-95.  —  Ils 
semblent  d'accord  mais,  en  réalité,  se  jalousent  mutuelle- 
ment, p.  96-98.  —  Le  duc  de  Nevers  écrit  des  lettres  irres- 
pectueuses au  Roi  et  s'unit  aux  pi'inces  révoltés,  p.  99.  — 
Conférences  de  Cravançon  entre  les  princes  et  les  députés 
du  Roi,  et  réponses  du  Roi  aux  prétentions  des  princes, 
p.  100-103.  —  Le  duc  de  Nevers  refuse  de  se  soumettre, 
p.  104-105.  —  Incident  de  Reims,  où  commandait  le  mar- 
quis de  la  Vieuville,  p.  106-109.  -*—  Du  Vair  destitué;  Man- 
got  reçoit  les  sceaux  à  sa  place;  Richelieu  est  nommé  secré- 
taire d'État,  p.  109-112.  --Jugement  porté  par  Richelieu 
sur  du  Vair,  p.  113.  —  Retour  du  maréchal  d'Ancre  à  la 
cour,  p.  114.  —  Maladie  du  Roi,  p.  115-116.  —  Intrigues 
de  Luynes  contre  le  maréchal  d'Ancre;  menées  des  princes 
à  l'étranger,  p.  117-118.  —  Le  duc  de  Nevers  est  battu  par 


SOMMAIRES  DU  TOME  DEUXIÈME.  417 

les  troupes  rovales  commandées  par  le  maréchal  de  Praslin, 
p  119  —  Lettre  du  duc  de  Bouillon  et  réponse  du  Roi, 
p  190-121.  -  Affaire  Boursier,,  p.  121-123.  -  Le  prince 
de  Condé  est  transféré  à  la  Bastille,  p.  124.  -  Affaires  de 
Savoie;  accord  conclu  entre  le  duc  de  Savoie  et  le  duc  de 
Nemours,  p.  124-129.  —  Le  comte  de  la  Rochefoucauld  est 
désigné  à  la  place  de  Richelieu  comme  ambassadeur  extraor- 
dinaire en  Espagne;  il  ne  peut  partir,  p.  129.  -  Mort  et 
éloge  du  premier  président  de  Harlay,  p.  130-133. 

AîTXÉE  1617. 

Ambassadeurs  envovés  en  Angleterre,  en  Hollande  et  en  Alle- 
magne pour   éclairer  ces  puissances    sur  la   conduite    des 
princes,   p.   133-135.   -  Le  duc  de  Nevers    se  prépare  à 
entrer  en  campagne;  les  ducs  de  Mayenne  et  de  Bouillon 
se   plaignent,    par   lettres,    au    Roi    de   l'inexécution    du 
traité  de  Loudun;  le  Roi  se  justifie  et  fait  une  déclaration 
contre  le  duc  de  Nevers  et  ses  adhérents,  p.  136-142.  —  Les 
princes,  réunis  à  Soissons,  ripostent  à  cette  déclaration  par 
une  lettre  signée   du  duc  de  Nevers  et  adressée  au  Roi, 
p.  143.  —  Réponse  du  Roi  par  deux  nouvelles  déclarations, 
p     144-145    —  Envoi  d'armées  en  Champagne,   en  Berry 
et  Nivernais  et  dans  l'Ile-de-France,  p.  146.  -  Premières 
hostilités  dans  le  Maine,  p.   146-147.   -  Les  protestants 
essaient  de  troubler  les  provinces  du  sud-ouest,  p.  14b.  — 
Le  duc  de  Nevers  écrit  au  Pape  une  lettre  de  justification, 
p    148-149.  —  Les  princes  font  une  déclaration  à  Rethel, 
le  5  mars  p.  149-150. '^La  situation  politique  de  la  France  à 
1-étranger  n'est  pas  amoindrie  par  les  troubles  du  royaume, 
p  151-152.  — Succès  de  l'armée  de  Champagne,  commandée 
par  le  duc  de  Guise,  qui  pousse  jusqu'à  Mézières,  p.  152-154. 
_  Le  maréchal  de  Montigny  en  Berry  et  Nivernais,  et  le  comte 
d'Auvergne,  dans  lIle-de-France,  s'emparent,  l'un  des  prin- 
cipales places  du  Nivernais,   l'autre  de   Soissons,  p.   lo-i- 
i56    _^  Portrait  et  caractère   du   maréchal   d'Ancre;    ses 
fautes   p    157-166.  ^11  combat  sourdement  Mangot,  Barbin 
et  Richelieu,  p.  167-169.  --^Richelieu  et  Barbin  demandent 
à  se  retirer;  ils  restent  au  pouvoir  sur  les  instances  de  la 


il 8  SOMMAIRES  DU  TOME  DEUXIEME. 

Reine,  p.  169-170.  —  Lu)'nes  et  Concini,  p.  170-172.  — 
Luynes  dessert  la  Reine  mère  auprès  du  Roi,  p.  173-174.  — 
Intrigues  de  Luynes,  qui  veut  renverser  le  maréchal  d'Ancre, 
p.  175-177.  —  Préparatifs  du  coup  d'État,  p.  178-179.  —  Son 
exécution;  assassinat  du  maréchal  d'Ancre;  la  Reine  mère 
prisonnière  au  Louvi^e,  p.  180-182.  —  Attitude  et  démarches 
de  Richelieu  après  la  chute  de  Concini  ;  il  est  bien  accueilli 
par  le  Roi,  mais  froidement  dans  le  Conseil,  p.  183-187.  — 
Barbin  est  surveillé;  son  logis  est  fouillé,  p.  188-189.  — 
Arrestation  de  la  maréchale  d'Ancre;  son  fils,  Henri 
Concini,  p.  189-190.  —  Vitry  est  fait  maréchal  de  France, 
p.  191.  —  Réflexions  de  Richelieu  sur  le  rôle  de  Luynes 
auprès  du  Roi  avant  la  chute  de  Concini,  p.  192-194.  — 
Le  corps  du  maréchal  d'Anci'e,  enterré  à  Saint-Germain- 
l'Auxerrois,  est  déterré  et  mutilé,  p.  195-197.  —  Le  Roi 
déclai'e,  par  lettres  expédiées  au  Parlement,  que  Vitry  a  agi 
par  son  ordre,  p.  197.  —  Les  anciens  minisires,  Jeannin, 
du  Vair,  Villeroy  et  Puyzieulx  rentrent  en  fonctions,  p.  198. 

—  Premiers  actes  de  Luynes,  p.  199-200.  —  Conspiration 
et  exécution  de  Travail,  p.  201-207.  —  Départ  de  la  Reine, 
le  4  mai,  p.  208-211.  —  La  maréchale  d'Ancre  est  empri- 
sonnée à  la  Bastille,  p.  212.  —  Le  Roi  publie,  le  12  mai, 
une  déclaration  d'amnistie  en  faveur  des  princes,  p.   213. 

—  Les  protestants  en  Béarn;  harangue  de  Gaspard  Dinet, 
évêque  de  Mâcon,  à  l'assemblée  générale  du  clergé,  p.  214. 

—  Le  Roi  ordonne  le  rétablissement  de  la  religion  catho- 
lique en  Béarn;  les  protestants  de  cette  province  s'assemblent 
à  Orthez,  p.  215.  —  Harangue  de  l'évêque  d'Aire,  Philippe 
Cospéan,  contre  les  duels,  p.  215-216.  —  Procès  de  la 
maréchale  d'Ancre,  p.  216-224.  —  Portrait  de  Concini, 
p.  225-232.  —  Portrait  de  la  maréchale  d'Ancre,  p.  232-238. 

—  Richelieu  accompagne  la  Reine  mère  à  Blois,  p.  239.  — 
Il  est  nommé  chef  de  son  Conseil,  p.  241.  —  Intrigues  dont 
il  est  l'objet  à  Paris  pendant  son  absence,  p.  242-246.  —  Il 
se  retire  à  Coussay,  cédant  aux  menées  de  Luynes  et  de  ses 
ennemis  qui  voulaient  l'éloigner  de  la  Reine  mère,  malgré 
les  protestations  de  celle-ci,  p.  247-254.  —  Il  écrit  un  livre 
contre  les  protestants,  p.  255.  —  Persécutions  dont  la 
Reine  est  l'objet,  p.  256-258.  —  Négociations  de  Modène 
auprès  de  la  Reine  mère,  p.  259-261.  —  Monsieur  le  Prince 


SOMMAIRES  DU  TOME  DEUXIÈME.  419 

est  transféré  de  la  Bastille  au  Bois-de-Vincennes,  p.  2G1-262. 

—  Barbin  écrit  de  la  Bastille  à  Marie  de  Médicis,  p.  263-264. 

—  Affaires  d'Allemagne;  assemblée  d'Heilbronn;  manifesta- 
tions protestantes  allemandes  à  l'occasion  du  jubilé,  p.  265- 
266.  —  En  Piémont,  les  hostilités  continuent  contre  l'Es- 
pagne et  ses  alliés,  p.  266-269.  —  Traité  de  Pavie,  du 
9  octobre,  p.  269.  —  Le  différend  entre  les  Vénitiens  et 
l'archiduc  Ferdinand  est  terminé,  p.  269.  —  Assemblée 
des  notables  de  Rouen,  p.  270-271.  —  Mort  de  Villeroy, 
p.  271-275.  —  Mort  de  Jacques-Auguste  de  Thou,  p.  275. 

Année  1618. 

La  Reine  mère  pense  à  aller  retrouver  le  Roi,  p.  276-278.  — 
Richelieu,  soupçonné  d'intrigues,  est  exilé  à  Avignon,  ainsi 
que  son  frère  et  le  sieur  du  Pont-Courlay,  son  beau-frère, 
p.  279-280.  —  Richelieu  se  justifie,  dans  ses  Mémoires^  de 
sa  conduite  passée,  p.  281-287.  —  Barbin  est  interrogé  sur 
la  correspondance  qu'il  avait  avec  la  Reine  mère,  p.  288- 
289.  —  Luynes  fait  révoquer  la  Paulette,  p.  290.  —  Il  fait 
donner,  en  conseil  d'État,  un  arrêt  favorable  aux  Jésuites, 
p.  290.  —  Les  protestants  du  Béarn  cherchent  vainement  à 
s'assembler  malgré  la  défense  du  Roi,  p.  291.  —  Le  com- 
missaire royal  envoyé  en  Béarn  est  injurié,  et  le  parlement 
de  la  province  adresse  une  supplique  au  Roi  en  faveur  des 
protestants,  p.  292.  —  L'altitude  énergique  de  la  France  en 
Italie  amène  l'Espagne  à  rendre  Verceil,  comme  elle  l'avait 
prorais  par  traité,  p.  293.  —  Exécution  du  traité  conclu 
entre  l'archiduc  Ferdinand  et  les  Vénitiens,  p.  293.  — 
Luynes  se  fait  donner  le  gouvernement  de  l'Ile-de-France  et 
de  quelques  villes  de  Champagne;  le  colonel  d'Ornano  reçoit 
promesse  d'être  nommé  maréchal  de  France,  p.  294.  — 
Procès  intenté  à  Barbin,  Durand,  Siti,  Bournonville,  Persan, 
M"''  du  Tillet  et  quelques  serviteurs  de  Barbin,  p.  295-301. 

—  Arrêt  du  Grand  Conseil  prononcé  contre  eux,  le  30  août, 
p.  302.  —  Persécutions  dont  la  Reine  est  l'objet  à 
Blois,  p.  303-305.  —  On  veut  l'empêcher  d'aller  voir 
le  Roi;  Modène  et  le  P.  Arnoux  lui  sont  envoyés  à  cet 
effet,  p.  305.  —  Déclaration  de  la  Reine  mère  abdiquant 
toute  autorité  p.  306-309.  —  La  main  de  Christine  de  France 


A20  SOMMAIRES  DU  TOME  DEUXIEME. 

est  accordée  au  prince  de  Piémont,  à  l'insu  de  la  Reine 
mère,  p.  310.  —  L'archiduc  Ferdinand  est  élu  roi  de  Hon- 
grie, p.  310.  —  Révolte  en  Bohème  dirigée  par  le  comte 
de  la  Tour,  p.  311.  —  Le  cardinal  Klessel  est  fait  prisonnier 
par  ordre  de  l'archiduc  Ferdinand,  p.  312.  —  Mort  du  car- 
dinal du  Perron  et  jugement  que  Richelieu  porte  sur  lui, 
p.  312-314. 

Année  1619. 

La  Reine  mère  forme  le  projet  de  sortir  de  Blois,  p.  314-315. 

—  Chanteloube  y  travaille  avec  elle,  p.  316.  —  Les  ducs  de 
Bouillon  et  d'Epernon  s'engagent  à  la  délivrer,  p.  317.  — 
Ruccellaï  se  mêle  des  négociations  préliminaires  avec  les  deux 
ducs,  p.  318-321.  —  Le  duc  d'Epernon,  obtenant  enfin  du 
Roi  l'autorisation  de  quitter  Metz,  se  porte  à  Loches  au- 
devant  de  la  Reine  mère ,  qui ,  assistée  du  cardinal  de 
la  Valette,  s'était  enfuie,  dans  la  nuit  du  22  février,  du  châ- 
teau de  Blois,  p.  322-325.  —  Lettre  de  Marie  de  Médicis  au 
Roi  sur  ce  sujet,  p.  326-327.  —  Le  Roi  écrit  au  duc  de 
Bouillon  pour  lui  demander  conseil,  p.  328.  —  Il  répond  à 
la  Reine,  p.  329.  —  Nouvelle  lettre  de  Marie  de  Médicis,  du 
10  mars,  p.  330.  —  Réponse  du  Roi,  p.  331-332.  —  Riche- 
lieu reçoit  l'ordre  du  Roi  d'aller  trouver  la  Reine  mère  et  de 
calmer  son  esprit,  p.  335.  —  Il  part,  est  arrêté  à  Vienne, 
puis  relâché  et  arrive  à  Angoulême,  p.  336-339.  —  Il  y  est 
vu  de  mauvais  œil  par  l'entoui-age  de  la  Reine  mère,  p.  340- 
341.  —  Il  entre  néanmoins  au  Conseil  de  la  Reine,  p.  342. 

—  Une  opposition  violente  lui  est  faite,  p.  343.  —  Le  comte 
de  SchOnberg  s'empare  d'Uzerche,  où  le  duc  d'Epernon 
avait  mis  garnison,  p.  344-345.  —  Boulogne-sur-Mer  capi- 
tule, p.  346.  —  La  Reine  se  plaint  de  la  prise  de  ces  deux 
villes  et  en  écrit  au  Roi,  p.  346.  —  Réponse  du  Roi,  p.  347.  — 
Conspiration  pour  s'emparer  de  la  citadelle  d'Angoulême, 
p.  348.  —  Menées  de  Ruccellaï,  p.  349-350.  —  Traité  d'An- 
goulême (30  avril),  p.  351-352.  —  Extravagances  de  Ruccel- 
laï qui  provoquent  sa  disgrâce,  p.  353-362.  —  Le  frère  de 
Richelieu  est  tué  en  duel  par  le  marquis  de  Théraines, 
p.  362-364.  —  Le  gouvernement  d'Angers  est  donné  au 
commandeur  de  la  Porte,  oncle  de  Richelieu,  p.  365.  — 


SOMMAIRES  DU  TOME  DEUXIÈME.  421 

Luynes  écrit  à  la  Reine  pour  l'assurer  de  sa  fidélité,  p.  366. 

—  La  Reine  lui  promet  sa  bienveillance,  p.  367.  —  Le  Roi 
écrit  à  la  Reine  pour  la  prier  de  le  venir  voir;  réponse  de 
la  Reine,  p.  367.  —  Nouvelles  lettres  à  la  Reine  et  protes- 
tations de  dévouement  de  Luynes,  p.  368-369.  —  Néan- 
moins, il  s'efforce  de  surprendre  les  places  qui  sont  entre  les 
mains  des  partisans  de  la  Reine,  p.  370-371.  —  Récit  des  évé- 
nements qui  provoquèrent  en  Hollande  la  mort  de  Rar- 
neveldt;  intervention  du  Roi,  p.  371-379.  —  Richelieu  est 
envoyé  à  Tours  pour  préparer  l'entrevue  du  Roi  et  de  la 
Reine  mère,  p.  380.  —  Elle  a  lieu  à  Couziers,  p.  381.  — 
Après  quelques  jours  passés  à  Tours,  la  Reine  va  à  Chinon 
et  le  Roi  gagne  Compiègne,  p.  382.  —  Le  colonel  d'Ornano 
est  nommé  gouverneur  du  duc  d'Anjou  et  la  mise  en  liberté 
du  prince  de  Condé  décidée,  à  l'insu  de  la  Reine  mère,  qui 
s'en  plaint  au  Roi,  et  gagne  Angers,  p.  382-383.  —  Mon- 
sieur le  Prince  sort  de  prison  le  20  octobre,  p.  385.  — 
Barbin  sort  de  la  Bastille  et  est  exilé,  p.  386.  —  Déclaration 
du  Roi  en  faveur  de  Monsieur  le  Prince,  p.  388.  —  La  Reine 
s'en  plaint  par  lettre  au  Roi,  p.  389.  —  Réponse  du  Roi, 
p.  390.  —  Conseils  de  Richelieu  à  Marie  de  Médicis,  p.  391. 

—  Nominations  dans  l'ordre  du  Saint-Esprit  faites  sans  avoir 
pris  l'avis  de  la  Reine,  p.  392.  —  Protestations  de  Marie  de 
Médicis  sur  l'inexécution  du  traité  d'Angoulême,  p.  393- 
394.  —  Projets  de  mariage,  p.  394-395.  —  Affaires  d'Alle- 
magne et  de  Bohême;  le  roi  Ferdinand  élu  empereur;  l'Elec- 
teur palatin  couronné  roi  de  Bohême,  p.  396-401.  —  Mort 
de  la  i-eine  d'Angleterre,  p.  401-402. 


TABLE  ALPHABÉTIQUE 


Abbeville  (la  ville  d'),  34,  35. 

Agrippa  (Marcus),  263. 

Aire  (l'évêque  d').  Voy.   Gos- 

péan    (Philippe),    Bouthillier 

(Sébastien). 
Aisne  (1'),  rivière,  156. 
Albe  (la  ville  d'),  en  Italie,  266. 
Albert  (l'archiduc),  *396. 
Alexandre-le-Grand,  193. 
Alincourt  (Charles  de Neufville- 

Villeroy,    marquis    d'),    272, 

335-338. 

—  (Jacqueline  de  Harlay-Saucy, 
marquise  d'),  *272. 

Allemagne  (1'),  45,  118,  134, 
135,  151,  154,  266,  317,  320, 
323,  401. 

—  (les  princes  d'),  98. 

—  (les  princes  et  états  catholi- 
ques d'),  400. 

—  (les  princes  et  états  protes- 
tants d'),  399. 

Allier  (1'),  rivière,  323. 
Amboise  (le  château  d'),  309, 

327. 
Amiens  (la  citadelle  d'),  20,  22, 

168,  232. 

—  (la  ville  d'),  11-13,  34,  170, 
171,  199. 

Ammirato  (Scipion),  dit  l'An- 
cien, *225. 

Anaxarque,  philosophe  grec, 
193. 

Ancre  (Concinu  Concini,  mar- 
quis et  maréchal  d'),  3,  11, 
12,  20-22,  26,  30,  32-37,  42, 
45,  46,  53-56,  61-65,  82,  88, 
96,  100,  111,  112,  114-117, 
121,  143,  145,  150.  156-172, 
175-178,    180-18'Z,    184-190, 


192-197,  199,   201-203,   208, 

211,  213,  224-231,  234-238, 
246,  253,  261,  262,  271,  273, 
274,  278,  281,  282,  284,  316, 
319. 

Ancre  (Léonora  Dori  Galigaï, 
marquise  et  maréchale  d'),  15- 
17,  30,  36-39,  55,  63,  64,  87, 
114,  145,  158,  160,  166,  167, 
169,  170,  175,  176,  189,  190, 

212,  216-238,  246,  273,  286, 
295. 

—  (l'hôtel  du  maréchal  d'),  à 
Paris,  82,  83. 

Andilly  (Robert  Arnauld,  sieur 

d'),  *288. 
AneA'al  (le  marquis   d').   Voy. 

Esneval  (Charles  de  Prunelé, 

baron  d'). 
Angers  (la  ville  d'),  351,  361, 

371,  382,  383. 

—  (le  gouvernement  de  la  ville 
d'),  360-362,  364,  365. 

Angleterre  (1'),  134,  151,  375. 

—  (l'ambassadeur  d'),  à  Paris. 
Voy.  Edmunds  (Th.),  Hay 
(James). 

—  (la  reine  d').  Voy.  Anne  de 
Danemark. 

—  (le  roi  d').  Voy.  Jacques  I*"". 

Angoulême  (la  ville  et  la  cita- 
delle d'),  317,  322,  324,  339, 
343,  344,  348-351,  354,  355, 
359,  363,  366. 

—  (le  traite  d'),  350-352. 
Angoumois  (1'),  324,  328. 
Anjou  (1'),  351. 

Anne     d'Autriche,    reine     de 

France,  159,  164,  381. 
Anne    de     Danemark,     reine 

d'Angleterre,  *401,  402. 


TABLE  ALPHABÉTIQUE. 


423 


Argencourt  (Pierre  Gonty,  sei- 
gneur d'),  *78,  79. 

Arminiens  (les),  374. 

Arrninius  (Jacques  Harmensen, 
dit),  *372. 

Arnauld.  Voy.  Andilly. 

Arnoux  (le  P.  Jean),  *254,  305- 
307.  369. 

Ast  (la  ville  d'),  en  Italie,  268, 
269. 

—  (le  traité  d'),  124,  269,  293. 
Attendants  (les),  373,  374. 
Aubery  (Jean).  *189. 
Auherv  du  Maurier  (Benjamin), 

*378. 
Augustins     (  le     couvent    des 

Grands-',  à  Paris,  214. 
Aumale    (Anne    de    Lorraine, 

dite  Mlle  d'),  *127. 

—  (l'abbé  d').  Voy.  Nozet  (Guil- 
laume du  Broc  de). 

Autriche  (!'),  396,  397. 

—  (la  maison  d'),  398,  400. 
Auvergne  (Charles  de  Valois, 

comte  d'),  *19,  20,  48,  146, 
147,  155,  156,  199. 
Avignon  (la  ville  d'i,  279,  287, 
335,  336. 


B 


Bailleul    (Nicolas    le,   ou    de). 

Bambin  (Claude),  18,23,  31,  35, 
39,  41,  42,  50,  54,  57,  58,  60- 
65,  69,  70,  72,  73,  84,  87,88, 
108,  109,  111,  112,  115,  122, 
160,  164,  166-172,  175,  176, 
183,  185,  188,  189,  198,  216, 
217,  230,  259,  261,  263,  264, 
276-278,  287-289,  294-299, 
301-304,  385,  386. 

Barentin  (Charles),  *166,  169. 

Barenton  (le  sieur),  106,  *107, 
109. 

Barneveldt  (Jean-Olden),  *372- 
379. 

Barricades  (la  journée  des),  131. 

Bassompierre  (François,  maré- 
chal de),  71,  74.  75,  122. 

Bastille  lia),  à  Paris,  19,  124, 
131,  192,  196,  212,  216,  253, 


261,  263,  264,  287,  295-299, 

302,  385. 
Baudouin  (Pierre)  dit  Des  Por- 
tes-Baudouin, *188. 
Bavière   (Maximilien   I^"",    duc 

de),  *399,  400. 
Bayonne    (l'évêque    de).    Voy. 

Èchaux  (Bertrand  d'). 
Béarn  (le),  214,  215,  290. 
Bellefonds  (Bernardin  Gigault, 

seigneur  de),  *2l. 
Bellegarde   (Roger   de    Saint- 

Lary,  duc   de),  32,    96,  97, 

128,  222,  278,  316,  318,  321, 

322. 
Benche  (le  capitaine),  246. 
Bentivoglio    (Gui),    nonce    du 

pape,  *195. 
Bercy  (Charles  Malon,  sieur  de), 

*302. 
Berry  (le),  29.  103.  146,  155. 
—  (le  gouvernement  de),  14,  20, 

29,  31,  91. 
BéruUe   (Pierre  de),  fondateur 

de     l'Oratoire    et     cardinal, 

*314,  3.50,  364,  366. 
Béthencourt  (le  sieur  de),  *362. 
Bethlen    (Gabriel),    prince    de 

Transylvanie,  398. 
Béthune  (Philippe,  comte  de), 

126,  293,  330,  331,  346,  347, 

350,  353,  368. 
Béziers    (l'évêque    de).    Voy. 

Bonsy  (Jean,  cardinal  de). 
Blaisois  (le),  325. 
Blavet  (le  village  de),  101. 
Blérancourt   (Bernard    Potier, 

seigneur  de),  *96. 
Blois  (la  ville  et  le  château  de), 

13,   17,  201,   238,  240,  246, 

276,  305,  309,  315-317,  319, 

320,  324-330,  342,  347,  358, 

384. 
Bohème  (le  royaume  de),  265, 

310,  311,  322,396-398. 
Bois-de-Vincennes  (le  château 

du),  261,  262,  296. 
Boissise    (Jean    de   Thumery, 

sieur  de).  92,  102,  376. 
Bondy  (le  village  de),  80. 
Bonsy  (Jean,  cardinal  de),  évé- 

que  de  Béziers,  249. 


124 


TABLE  ALI'IIABETIQUE. 


Bordeaux  (la  ville  de),  292. 

Bordelais  (le),  294. 

Bouconville  (  Charles  de  Pra- 
dines,  seigneur  de),  *119. 

Bouillon  (Henri  de  la  Tour, 
vicomte  de  Turenne,  puis 
duc  et  maréchal  de),  2,  4,  6. 
22,  23,  27-29,  31,  32,  34-36, 
39-43,  47,  48,  61,  62,  64,  72, 
76,  78-81,  83,  85,  87,95,113, 
118,  120,  136,  139,  142,  154, 
192,  316-319,  328,  358,  400. 

—  (Isabelle  de  Nassau,  duchesse 
de),  M48. 

BouUay    (  Louis    de   Lorraine, 

comte  du),  *97. 
Boulogne  (la  ville  de),  346,  351. 
Bourbon  (M'^e  de).  Voy.  Cari- 

gnan  (la  princesse  de). 
Bourdaisière  (l'hôtel  de  la),  6. 
Bourges  (l'archevêque  de).  Voy. 

Frémyot  (André). 

—  (la  ville  de),  14,30,101,128. 
Bourgneuf  (Henri  de),  évêque 

de  Nantes,  *314. 
Bourgogne  (la),  321,  323. 
Bournonville  (Jean  de  Yaude- 

tar,  seigneur  de),  *263,  278, 

296,  298,  302. 
Boursier  (le  sieur),  *121-123. 
Bouthillier  (Sébastien),  abbé  de 

laCochère,puisévêqued'Aire, 

*334,  340,  387. 
Braine  (Anne  de  la  Marck .  comte 

de),  *320,  325. 
Brandebourg  (Jean-Sigismond, 

marquis  de),  397. 
Branles    (Léon    d'Albert,    sei- 
gneur de),  173,  176,  379,  380, 

383,  385,  394,  395. 
Breauté  (le  sieur  de),  *203. 
Bresse  (la),  128. 
Bressieux    (Louis    de    Grolée, 

marquis  de),  *183,  188,  201, 

204,  205. 
Bretagne  (la),  8. 

—  (le  gouvernement  de),  352. 

—  (les  États  de),  101. 
Breuil  (Henri  du),  *344-346. 
Brèves  (François  Savary,  comte 

de),  *258. 


Brezé  (Urbain  de  Maillé,  mar- 
quis de),  *365. 

Brissac  (Charles  de  Cossé,  duc 
et  maréchal  de),  6,  31. 

Brouage  (la  ville  de),  352,  354- 
356. 

Brùlart  (Nicolas),  chancelier  de 
Sillery.  Voy.  Sillery. 

Bruxelles  (la  ville  de),  120. 

Bucquoy  (Charles-Bonaventure 
de  Longueval,  comte  de) ,  *396. 

Bucy  (la  porte  de),  à  Paris,  33. 

Bueil  (Annibal  Grimaldi,  ba- 
ron de),  *151. 

Buisson  (le  sieur  du),  171. 

Bullion  (Claude  de),  16,  18. 

Bussy-Le  Clerc  (Jean),  *131. 


Gadenet  (Honoré  d'Albert,  sei- 
gneur de).  Voy.  Chaulnes  (le 
duc  de). 

Caen  (la  ville  de),  63,  168,  228. 

—  (le  gouvernement  de  la  ville 
et  du  château  de),  21. 

Caligula  (l'empereur),  263. 

Calvin  (Jean),  372. 

Carignan  (Marie  de  Bourbon, 
princesse  de),  *394. 

Carlisle  (le  comte  de).  Voy. 
Hay  (James). 

Gassine  (le  village  de  la),  *104. 

Gastel-Jaloux  (la  ville  de),  *291. 

Gastille  (Pierre  Jeannin  de), 
M89. 

Catelet  (le  village  du),  228. 

Catherine  de  Médicis,  reine  de 
France,  132. 

Gaulet  (Pierre  de),  abbé  de 
Foix,  *96. 

Gaumartin  (Louis  Lefèvre,  sei- 
gneur de),  *107. 

Gévennes  (les),  148. 

Ghàlons-sur-Marne  (la  ville  de), 
99. 

Ghambray  (Louis  de  Pierre- 
buffière,  seigneur  de),  *79, 
345. 

Champagne  (la),  98,  106,  118, 
120,  146,  148,  155,  317. 


TABLE  ALPHABETIQUE. 


425 


Champvallon  (Jacques  de  Har- 

lay,  seigneur  de).  *92,  100. 
Chancelier   (le).   Voy.    Sillery 

(Nicolas  Brùlart  de). 
Ghanleloube     (Jacques     d'Ap- 

chon,  seigneur  de),  *299,  300, 

316,  339,  358,  359,  362,  363, 

390. 
Chantilly  (la  ville  de),  385. 
Charenton  (les  quatre  ministres 

de).  Voy.  Dumoulin,  Durand, 

Mestrezat,  Montignv. 

—  (le  village  de),  76,  78,  254. 
Charles  IX,  roi  de  France,  271. 
Chariot  (le  sieur),  136. 
Châteauneuf-sur-Charente    (le 

bourg  de),  *349. 
Château  -  Porcien    (  Charles   de 
Gonzague,   prince   de),    puis 
duc  de  Rethelois,  *155. 

—  (le  bourg  dei,  104,  136,  153. 
Château-Trompette  (le),  à  Bor- 
deaux, 38,  294. 

Châtelet  (le),  à  Paris,  122. 

Châtre  (Louis  de  la),  *30,  31. 

Chaulnes  (Honoré  d'Albert,  sei- 
gneur de  Cadenet,  duc  de), 
173,  262,  277,  327,  379,  380, 
385. 

Chauny  (le  village  de),  48,  156, 
294. 

Chesnaie  (le  sieur  de  la),  *117. 

Chevalier  du  guet  (le).  Voy. 
Testu  (L.|. 

Cheverny  (Henri  Hurault,  comte 
de),  *325. 

Chevreuse  (Claude  de  Lorraine, 
prince  de  Joinville  et  duc  de), 
*80,  93,  102,  316,  319,  358. 

—  (Marie  de  Rohan,  duchesse 
de  Luynes,  puis  de),  *262. 

Chézery  (le  village  de),  *128. 
Chinon  (la  ville  et  le  château 

de),   14,  86,   101,    103,    351, 

362,  382,  383. 
Clamecy  ila  ville  de),  155. 
Clerraont-en-Beauvaisis  (la  ville 

de),  228,  290. 
Cochère   (l'abbé  de  la).   Voy. 

Bouthillier  (S.). 
Codoni  (Antoine),  *299,  300. 
Gœuvres      (  François -Annibal 


d'Estrées,    marquis   de),    35, 

36,  78,  95,  96,  142,  152,  294. 
Cominges  (Pierre  de),  *355. 
Compiègne    (la  ville   de),   117, 

382,  387. 
Comtesse    (Madame    la).    Voy. 

Soissons  (la  comtesse  de). 
Gonchine  (le  chevalier).   Voy. 

Concini  (Barthélémy). 
Goncini    (Barthélémy) ,    dit    le 

chevalier  Gonchine,  *192. 

—  (Concino) .  Voy.  Ancre  (le  ma- 
réchal d'). 

—  (Henri),  comte  de  la  Pena, 
190,  197. 

—  (Jean-Baptiste),  *225,  226. 

—  (Marie),  163,  190,  191. 
Condé  (Henri  11,  prince  de),  dit 

Monsieur  le  Prince,  2,  3,  4, 6, 
8,  10,  12-14,  20-22,  27-32,  35- 
42,  46,  47,  53-57,  59-66,  68, 
69,  72-78,  80,  82-84,  86-92, 
94,  98,  99,  101-103,  114,  121, 
123,  124,  135,  139,  147,  149, 
164,  190,  192,  194,  212,  236, 
261-263,  283,  296,  303,  305, 
383-385,  388-390,  393-395. 

—  Charlotte -Catherine  de  la 
TrémoïUe,  princesse  de),*81, 
82. 

—  (Charlotte -Marguerite  de 
Montmorency,  princesse  de), 
dite  Madame  la  Princesse, 
62,  262. 

Gonflans-rArchevéque  (le  vil- 

la^e  de),  23. 
Conseil  d'Etat  (le),  3,  9,  10,  28- 

31,  .36,  40,  41,  44,  50,  63,71, 

75-77,  85,  108,  109,  171,185- 

188,  198,  254,  271,  274,  289, 

290,  328,  329,  384. 
Conseil  de  Marie  de  Médicis  (le), 

176,  241,  340,  341. 
Conti    (François    de   Bourbon, 

prince  de),"l39. 

—  (Louise-Marguerite  de  Lor- 
raine-Guise, princesse  de), 
84   139. 

Corb'inelli  (Raçhaël),  *82. 
Cospéan     (Philippe),    évéque 
d'Aire,  *215. 


426 


TABLE  ALPHABÉTIQUE. 


Coucy  (le  château  de),  93,  156, 

294. 
Goussay  (le  prieuré  de),  *247, 

254. 
Couziers  (le  château  de),  *381. 
Gravançon  (la  ferme  de),  100. 
Crépy-en-\'alois  (le  bourg  de), 

156. 
Créquy  (Charles,  duc  de),  71, 

73-75. 
Grevacuore    (la   ville    de),    ou 

Grèvecœur,  *267. 
Grèvecœur  (la  ville  de).    Voy. 

Grevacuore. 
Croatie  (la),  125. 
GufFy  (le  village  de),  M55. 
Curée  (Gilbert  Filhet  de  la),  71, 

242. 


D 


Dalmatie  (la),  266. 

Danton  (le  sieur),  commandant 
la  citadelle  d'Angoulême,  348. 

Dauphiné  (le),  267. 

Déageant  (Guichard)  de  Saint- 
Marcellin,  *172,  179,  186, 
187,  198,  252,  277,  289,  297, 
334,  371. 

Decize  (la  ville  de),  *323. 

Deslandes  (Guillaume),  *219. 

Dietrichsteiu  (François,  cardi- 
nal de),  *397. 

Dinet  (Gaspard),  évêque  de 
Mâcon,  *214,  215. 

Donzy  (le  bourg  de),  155. 

Dumoulin  (le  ministre  protes- 
tant), 254. 

Durand  (Etienne),  poète,  *295. 

—  (le  ministre  protestant),  254. 


E 


Échaux  (Bertrand  d'),  évêque 
de  Bayonne,  puis  archevêque 

,  de  Tours,  202. 

Ecosse  (le  roi  d').  Voy.  Jac- 
ques I^»". 

Edmunds  (Thomas),  ambassa- 
deur d'Angleterre,  4,  5. 

Église  gallicane  (r),  8. 


Elbène  (Barthélémy  d'),  *70-72, 
76,  103. 

Elbeuf  (Catherine -Henriette, 
légitimée  de  France,  duchesse 

,  d'),  229,  236. 

Elisabeth  de  France,  reine  d'Es- 
pagne, 210. 

Empereur  (l'ambassadeur  de  1'). 
Voy.  Fiirstenberg  (  Égon, 
comte  de). 

Empereurs  d'Allemagne  (les). 
Voy.  Mathias,  Ferdinand  II. 

Empire  d'Allemagne  (1'),  98. 

Entrains  (le  village  d'),  155. 

Épernon  (Jean-Louis  de  Noga- 
ret  de  la  Valette,  duc  d'),  10, 
32,  37,  86,  95,  1)7,  104,  139, 
160,  278,  316-326,  339,  342- 
351,  353-355,  357,  358,  382. 

Esneval  (Charles  de  Prunelé, 
baron  d'),  dit  le  marquis 
d'Aneval,  *159. 

Espagne  (!'),  110,  124,  126,127, 
266,  272,  285,  293. 

—  (le  roi  d').  Voy.  Philippe  IV. 

—  (l'ambassadeur  d').  Voy. 
Monteleone  (Hector  Pigna- 
telli,  duc  de). 

—  (les  rois  d'),  45. 

—  (les  ordres  militaires  d'),  44. 
Espagnols  (les),  125,  267,  284, 

,  293. 
États  généraux  (les),  en  France, 

4,9. 
Europe  (l'),  50,  225,  330. 
Évreux  (la  ville  d'),  313. 


Faucigny  (le),  126. 
Favier  (Jacques),  *322. 
Felizzano  (la  ville  de),  *268.     ■ 
Ferdinand    (l'archiduc).    Voy 

Ferdinand  II,  empereur  d'Aï 

lemagne. 
Ferdinand  II,  empereur  d'Aile 

magne,  *125,  265,  266,  269 

293,  310-312,  396-400. 
Fère  (la  ville  de  la),  85,  93,  95 

101,  102,  199,  294. 
Ferrare  (le  duché  de),  175,  230 


TABLE  ALPHABETIQUE. 


427 


Ferret    (Jean),    abbé    de    Mo- 

reilles,  *361,  362.     . 
Ferté  (Michel  Le  Roy,  sieur  de 

la),  75,  *Î98,  302. 
Fertp-Bernard  (la  ville  de  la), 

147. 
Ferté-Vidame(lavilledela),146. 
Feuillants  (le  couvent  des),   à 

Paris,  116. 
Feydeau  (Antoine),  *73. 
Fin  (Prégent  de  la),  *146. 
Flandre  (la),  120. 
Florence  (la  ville  de),  63,  175, 

218,  225,  226,  234. 
Foix   (l'abbé  de).  Voy.   Caulet 

(Pierre  de). 
Fontainebleau     (la    conférence 

de),  en  1600,  313. 
Force  (Jacques  Nompar  de  Cau- 

mont,  marquis,  puis  duc  de 

la),  *214,  292. 
For-1'Évêque  (la  prison  du),  à 

Paris,  *295. 
Foulon  (Joseph),  abbé  de  Sainte- 
Geneviève  de  Paris,  *191. 
Français  (les),  27,  126,  285. 
France  (la),   44,  124,  127-129, 

151,  165,  215,  231,  233,  234, 

265,  267,  285,  294,  305,  310, 

314,  352,  381. 
Francfort  (la  ville  de),  398. 
Franche-Comté  (la),  127,  130. 
Frédéric  V,  électeur  palatin  et 

roi,  de  Bohême.  Voy.  Palatin 

(l'Électeur). 
Frémvot    (André),   archevêque 

de  Bourges,  *57,  62-65,  68. 
Fresnes  (le  sieur  de),  93. 
Frise  (la).  Voy..  West-Frise. 
Fùrstenberg  (Égon,  comte  de), 

*396,  400. 


G 


Galigai  (Sébastien  Dori),  arche- 
vêque de  Tours,  166,  197. 
202,  295. 

—  (Léonora  Dorii.  Voy.  Ancre 
(la  maréchale  d'). 

Gardes  françaises  (le  régiment 
des),  10,  48,  74. 


Gardes  suisses  de  la  Reine  (le 

régiment  des),  74. 
Gascogne  (la),  199. 
Gaston    d'Orléans ,     frère    de 

Louis  XIII.  Voy.  Orléans  (le 

duc  d'). 
Gendarmes    de   la   Reine    (la 

compagnie  des),  71. 
Genevois  (le),  126. 
Geniers  (Jean  de),  ou  de  Gi- 

gnier,  *117. 
Gesvres    (Louis    Potier,    baron 

de),  117. 
Gignier  (J.  de).  Voy.  Geniers 

(Jean  de). 
Gondy    (Pierre,    cardinal    de), 

*132,  133. 
Goron  (le  sieur),  123. 
Grand   Conseil   (le),   189,  298, 

299. 
Grèce  (la),  43. 
Grecs  (les),  43. 
Greenwich  (la  ville  de),  402. 
Grève  (la  place   de),  à    Paris, 

295. 
Grisons  (le  pays  des),  320. 
Guercheville     (Antoinette     de 

Pons,  marquise  de),  *339. 
Guise  (Louis  de  Lorraine,  car- 
dinal de),  *80,  93,  98,   102, 

117,  122,  316,  358. 

—  (Charles  de  Lorraine,  duc 
de),  6,  32,  34,  37,  42,  43,  54- 
57,  68,  75,  78-85,  93-98,  101, 
102,  146,  152-154,  316,  352. 

—  (Henri  I*""  de  Lorraine,  duc 
de),  131. 

—  (Henri  de  Lorraine,  duc  de), 
archevêque  de  Reims,  *395. 

—  (Catherine  de  Clèves,  du- 
chesse de),  84. 

—  (  Henriette  -  Catherine  de 
Joyeuse,  duchesse  de  Mont- 
pensier,  puis  duchesse  de), 
84,  97. 

—  (Marie  de  Lorraine,  demoi- 
selle de),  *395. 

—  lia  ville  dei,  95. 

—  (l'hôtel  de),  *78. 
Guyenne  (la),  4,  148,  291,  349. 

—  (le  gouvernement  de),  14, 
294. 


428 


TABLE  ALPHABETIQUE. 


H 


Hallier  (François    de    l'Hospi- 

tal,  seigneur  du),  *191. 
Ham  (la  ville  de),  97. 
Harlay  (Aciiille  ^--de),  130-132. 
Harpe  (la  rue  de  la),  à  Paris,  33. 
Hay  (James),  seigneur  de  Saw- 

ley,   puis   vicomte   de   Dun- 

caster  et  comte  de  Carlisle, 

ambassadeur      d'Angleterre, 

*42,  54. 
Haye  (la  ville  de  la),  377. 
Heidelberg    (la   ville   d'),   266, 

373   399. 
Heilbronn  (la  ville  d'),  265. 
Henri  HI,  roi  de  France,  130, 

133,  272,  313. 
Henri  IV,  roi  de  France,  8,  19, 

46,  134,  135,  139,  143,  157, 

195,  226,  227,  233,  234,  258, 

272,  273,  282,  290,  313,  319, 

326,  329,  345,  392. 
Henriette    de    France ,    reine 

d'Angleterre,  210,  381,  394. 
Héroard    (Jean) ,    médecin    de 

Louis  Xm,  *116. 
Hinojosa    (Juan   de    Mendoza, 

marquis  de),  124. 
Hocquincourt  (Georges  de  Mon- 

chy,  seigneur  d'),  *160. 
Hohenzollern    (Jean -Georges, 

comte  de),  *399. 
Hollande    (la),    118,  134,    152, 

311,  317,  372,  374. 
—  (les  États  de),  373. 
Hongrie  (le  royaume  de),  310, 

312,  396,  398. 


1 


Ile-de-France  (F),  146, 156,  294. 

Italie  (V),  27,  63,  64,  96,  124, 
126,  137,  157,  170,  190,  194, 
220,  226,  227,  234,  236,  266, 
267,  293. 


Jacques   le"",  roi   d'Angleterre, 

134.  151,  356,  373. 
Jeannin  (Pierre),  président  du 


parlement  de  Paris,  16,  18, 
19,  23,  89,  108,186,  198,229, 
257,  272,  273,  282,  289,  303, 
331,  333,  334. 

Jésuites  (les),  290. 

Joinville  (le  prince  de).  Voy. 
Guise  (Charles  de  Lorraine, 
duc  de). 

—  (Claude  de  Lorraine,  prince 
de),  puis  duc  de  Chevreuse. 
Voy.  Chevreuse  (le  duc  de). 

—  (François  de  Lorraine,  prince 
del,  *395. 

—  (le  village  de),  97. 

Joseph  (le   P.).  Voy.  Tremblay 

(F.  Le  Clerc  du). 
Jupiter  (le  dieu),  193. 


K 


Klessel  (le  cardinal  Melchior), 
*310-312. 


L 


La  Grélière  (le  sieur),  298. 
Langres  (la  ville  de),  132. 
Languedoc  (le),  291. 
Laon  (la  ville  de),  95,  152,  294. 
Lasnier  (Guillaume),  *298. 
Lassay  (François  Le  Mareschal, 

sieur  de),  *128. 
Launay  (Ludovic   de  Vièvres, 

seigneur  de),  *74,  75. 
Lauzières  (Charles  de),  *69, 159. 
—  (le  comte  de).  Voy.  Thémines 

(Antoine  de  Lauzières,  comte 

de). 
L'Avocat  (le  sieur),  conseiller 

d'État,  *288. 
Le  Bret  (Cardin),  *219. 
Le  Breuil.  Voy.  Breuil  (Henri 

du). 
Le  Clerc  (Jean  Bussy-),  *131. 
Leicester  (Robert  Dud  ley,  comte 

de),  *375. 
Le  Jay  (Nicolas),  19,  74,  142. 
Lescun  (Jean-Paul  de),  *291. 
Lesdiguières  (François  de  Bon- 
ne, maréchal,  puis  connétable 

et  duc  de),  96,  126,  148,  174, 

266-268. 


TABLE  ALPHABÉTIQUE. 


429 


Lesdiguières  (Marie  Vigûon,  du- 
chesse de),  96. 

Le  Tremblay.  Voy.  Tremblay 
(Charles  Le  Clerc,  seigneur 
du). 

Levant  (le),  44. 

Lhoste  (Claude),  *272. 

Liancourt  (Charles  du  Plessis, 
seigneur  de),  *i8'l. 

Liège  (la  ville  de),  118,  317. 

Liesse  (le  village  de),  *96,  97. 

Lignier  (le  sieur),  72. 

Ligue  (la),  46,  131,  274. 

Limoges  (la  ville  de),  338,  344. 

Limousin  (le),  22,  148. 

Linières  (Philippe  de  Brichan- 
teau,  baron  de),  *137. 

Lizy.  Voy.  Marcou  (le  sergent). 

Lizza  (André  de),  *237. 

Loches  (la  ville  de),  317,  324- 
326,  328,  371. 

Loire  (la),  fleuve,  323. 

Londres  (la  ville  de),  402. 

Longueville  (Henri  II  d'Or- 
léans, duc  de),  2,  3,  6,  11,  13, 
22,  34,  45-47,93-96,  103,139, 
199. 

—  (Catherine  de  Gonzague- 
Nevers,  duchesse  de),  68. 

Lorme,  page  de  Ruccellaï,  *320. 
Lorraine  (Charles,  cardinal  de), 
226. 

—  (Heuri  II,  duc  de),  *95,  97, 
100. 

—  (Marie  de),  tille  de  Charles 
de  Lorraine,  duc  de  Guise, 
*395. 

—  (la),' 97,  154,  323. 

—  (la  maison  de),  228. 
Loudun  (la  conférence  de),  5, 

6,  18,  33. 

—  (la  ville  de),  6,  8. 

—  (le  traité  de  paix  de),  22,  28, 
31,  36,  40,  91,  98,  101,  102, 
139,  149,  213. 

—  (l'édit  de),  13. 

Louis  XIII,  roi  de  France,  1-15, 
18-22,  24-27,  30,  31,  33-41, 
44-60,  63,  66-68,  70,  73-81, 
83,  85-88,  90-92.  94-96,  98- 
110,  114-124,  126,  129,  130, 
132-156,  162,   164-168,   170- 


188,  190,  192-194,  196-200, 
205,  207-216,  218,  219,  228, 
229,  238-254,  258-260,  262- 
264,  268,  270,  271,  276-281, 
283-294,  297-299,  304-31U, 
323,  326-332,  334-337,  340, 
344,  346,  347,  349,  351-354, 
358,  365-372,  375-385,  387- 
396,  400,  401. 

Louvre  (le  palais  du),  35,  36, 
40,  47,  64,  70-76,  78,  80,  81, 
90,  91,  109,  116,  169,  180, 
181,  183,  184,  188,  189,  194, 
197,  211,  212,  217,  302,  322. 

Louvres-en-Parisis  (  le  village 
de),  *71. 

Lude  (François  de  Daillon, 
comte  du),  382. 

Ludovici  (Vincent),  appelé 
Vincenze  et  Vicenze,  319. 

Lumague  (André),  ou  Luraaga, 
*27. 

Luna  (Don  Sanche  de),  267. 

Luther,  266,  372. 

Luthériens  (les),  397. 

Luxembourg  (le  palais  du),  122. 

Luvnes  (Charles  d'Albert,  duc 
e^  connétable  de),  24,  26,  27, 
50-52,  87,  115-117,  171-179, 
184-186,  192,  193,  198-206, 
209-211,  216,  218,  219,  238, 
240-246,  250-253,  259,  260, 
262-264,  271,  276-278,  289, 
290,  293-298,  301,  303,  304, 
316,  320,  322,  325-327,  335, 
336,  340,  352,  367-370,  379- 
381,  385-388,  394-396. 

—  (Anne-Marie  d'Albert,  ap- 
pelée Mi'«  de),  *395. 

—  (Marie  de  Rohan,  duchesse 
de),  puis  duchesse  de  Che- 
vreuse.  Voy.  Chevreuse  (Ma- 
rie de  Rohan,  duchesse  de). 

Lyon  (la  ville  de),  336. 


M 


Màcon  (l'évèque  de).  Voy.  Di- 

net  (Gaspard). 
Madrid  (la  ville  de),  129,  269. 
Maillac  (le  sieur),  lieutenant  de 

la  Bastille,  385,  386. 


430 


TABLE  ALPHABETIQUE. 


Maine(le  duc  du)  .Voy.  Mayenne. 

—  (le),  146. 

Malte  (l'ambassadeur  de  l'ordre 
de).  Voy.  Mendez  Vascon- 
cellos  (Don  Louis). 

—  (le  grand  maître  de  l'ordre 
de).  Voy.  Wignacourt  (A.  de). 

—  (les  grands  maîtres  de  l'or- 
dre de),  45. 

—  (l'ordre  de),  44,  45. 

—  (la  ville  de),  45. 

Mangot  (Claude),  seigneur  de 
Viilarceaux,  garde  des  sceaux , 
*23,  24,  31,  50,  57,  58,  72, 
96,  108,  110,  129,  166,  168, 
169,  183,  185,  187,  188,  230. 

Mans  (la  ville  du),  147. 

Mansfeld  (Ernest,  comte  de), 
*397. 

Mantes  (la  ville  de),  313. 

Marche  (la),  148. 

iNIarcillac  (Bertrand  de  Grugy, 
seigneur  de),  172,  174,  179." 

Marcilly  (le  sieur  de),  *176. 

Marcou  (le  sergent),  dit  Lizy, 
302. 

Maréchaux  de  France  (les),  31. 

Marescot  (Guillaume),  *105. 

Marie  de  Médicis ,  reine  de 
France,  3,  6,  7,  10-13,  15- 
31,  35-41,  43,  46-52,  54-61, 
63,  65-77,  79-81,  83-85,  87- 
90,98,  99,  102,  105,  109-111, 
dl3-117,  122,  124,  129,  139, 
141,  1,57-160,  162-171,  173- 
178,  182-186,  188,  189,  194, 
195,  197-202,  204-212,  216- 
218,  220,  223,  225-228,  230- 
242,  244,  246,  247,  249-253, 
255-261,  263-265,  271,  273, 
274,  276-278,  280,  281,  283, 
286-289,  293,  294,  296,  297, 
299-301,  303-310,  314-322, 
324-332,  334-336,  340-344, 
346-372,  379-396. 

Marmoutier  (l'abbé  de).  Voy. 
Galigaï  (Sébastien  Dori). 

—  (le  monastère  de),  197. 
Marne  (la),  rivière,  272. 
Marolles  (Claude  de),  *154. 
Marossan  (le  sieur  de),  387. 


Marzati  (le  cardinal  Anselme), 

*206. 
Masserano    (François-Philibert 

Ferrero,  prince  de),  *266. 

—  (la  ville  de),  *267. 

Mathias,  empereur  d'Allema- 
gne, 98,  246,  265,  310-312, 
396. 

Maunv  (Louis  de  la  Marck, 
marquis  de),  *350,  354,  360- 
362. 

Maurice  (le  comte).  Voy.  Nas- 
sau (le  comte  Maurice  de). 

Maurier  (  Benjamin  Aubery, 
sieur  du),  *378. 

Maximilien,  archiduc  d'Autri- 
che, *311. 

Mayence  (Jean  de  Cronbers, 
archevêque-éiecteurde),*397. 

Mayenne  (Charles  de  Lorraine, 
duc  de^,  ou  du  Maine,  139. 

—  (Henri  de  Lorraine,  duc  de), 
ou  du  Maine,  2,  6,  22,  23, 
28,  29,  31,  32,  34,  40-43,  47, 
48,  72,  75,  76,  78-81.  83,  85, 
93-96,  101,102,113,117,123, 
136-139,  142,  146,  147,  152, 
156,  199,  200,  294,  316,  349. 

Médavv  (Pierre  Rouxel,  baron 
de),  *147. 

Medicis  (Jean  de),  227. 

Meigneux  (Charles  des  Essarts, 
seigneur  de),  *159,  393. 

Melun  (la  ville  de),  47. 

Mendez  Vasconcellos  (  Don 
Louis),  ambassadeur  de  l'or- 
dre de  Malte,  44,  45. 

Menillet  (le  sieur  du),  *86. 

Mercœur  (Louis  de  Bourbon- 
Vendôme,  duc  de),  *395. 

Mesmes  (Henri  de),  *122,  166. 

Mestrezat  (le  ministre  protes- 
tant), 254. 

Metz  (la  ville  et  le  gouverne- 
ment de),  317,  319,  320,  322- 
324,  326,  370,  395. 

Meuze  (le  sieur  de),  346. 

Mezières  (la  ville  de),  104,  119, 
136,  154. 

Mignieux.  Voy.  Meigneux. 

Milan  (le  château  de),  267. 

Milanais  (le),  269. 


TABLE  ALPHABETIQUE. 


431 


Miraadûle  (!a  principauté  de  la), 

27,  174. 
Mirebeau  (le  village  de),  247. 
Mirua  (Robert),  73. 
Modèae    (François    Raymond, 

baron  de),  *216,  217,  259-261, 

293,  305. 
Monopoli    (le    cardinal).    Voy. 

Marzati  (le  cardinal  Anselme). 
Monsieur.    Voy.    Orléans    (  le 

duc  d'). 
.Montalio    (Philotée),   médecin, 

*229,  230. 
Montbazon  (Hercule  de  Rohan, 

duc  de),*20-22, 168, 171,262, 

277,  289,  297,  304,  367,  368, 

370,  387. 
Montdejeu  (Jean  III  de  Schu- 

lemberg,  seigneur  de),  *136. 
Monteleone  (Hector  Pignateili, 

duc  de),  *100,  127,  129,  246, 

267,  293. 
Montendre  (Hélène  de  Fonsè- 

que,  dame  de),  *361,  362. 
Monlfaucon  (les  gibets  de),  216. 
Montferrat  (le),  266. 
Montigny  (François  de  la  Grange 

d'Arquin,  seigneur  de),  maré- 
chal deFrance,*lÛ3,146,155. 
—  (le  ministre  protestant),  254. 
Montpensier  (Marie   de  Bour- 
bon, dite  Mn«  de),  394. 
Montpinçon    (Charles    Martel, 

seigneur  de),  *203. 
Montreuil-sur-Mer  (la  ville  de), 

393. 
Montrichard  (le  bourg  de),  325. 
Moravie  (la),  311,  397. 
Moreilles  (l'abbé  de).  Voy.  Fer- 

ret  (Jean). 
Moulins  (la  ville  de),  328. 


N 


Nantes    (  l  evêque    de).    Voy. 

Bourgneuf  (Henri  de). 
Nassau  (le  comte  Maurice  de), 

dit   le   comte    ou    le    prince 

xMaurice,  '373-375,  379. 
Nègrepelisse  (la  ville  de),  22. 
Nemours  (Henri  I*""  de  Savoie, 

duc  de),  126-129. 


Nemours  (Anne  de  Lorraine, 
demoiselle  d'Aumale ,  du- 
chesse del,  *127. 

Nérac  (la  ville  de),  291. 

Nevers  (Charles  de  Gonzague- 
Clèves,  duc  de),  4,  5,  20,  42- 
44,  98,  99,  104-108,  118-120, 
133,  135,  136,  142-144,  146, 
148-150,  153-155,  199,  200, 
224. 

—  (Catherine  de  Lorraine,  du- 
chesse de),  *106,  146,  155, 
224. 

—  Nevers  (la  ville  de),  155. 
Nice  (la  ville  de),  en  Provence, 

151. 

Nîmes  (l'assemblée  des  protes- 
tants à),  5. 

Nivernais  (le),  136,  146,  155. 

Nogent-le-Rotrou  (la  ville  de), 
147. 

Noisv-Saint-Nom  (le  village  de), 
*133. 

None  (la  ville  del,  269. 

Normandie  (la),  13,  172,  312. 

—  (la  lieutenance  de  Roi  en), 
21,  262,  294. 

—  (le  gouvernement  de),  309, 
351,  352. 

Notre-Dame  (la  cathédrale  de), 

à  Paris,  133. 
Noue  (Odet  de  la),  *134. 
Novare  (la  ville  de),  266. 
Noyon  (la  ville  de),  48,  95, 156, 

294. 
Nozet  (Guillaume  du  Broc  du), 

abbé  d'Aumale,  *62,  63. 
Nuremberg  (l'assembléede), 399. 


0 


Ollier  (Jacques),  *320. 

Orange  (Frédéric-Henri  de  Nas- 
sau, prince  d'),  *317. 

Oratoire  (l'ordre  de  1"),  314. 

Orléans  (Gaston  de  France,  duc 
d'i,  dit  Monsieur,  69,  76, 159, 
171,  177,  220,  258,  271,  382, 
394. 

Ormesson  (André  Le  Fèvre, 
seigneur  d'),  *107. 

Ornano  (Jean-Baptiste  d'),  ma- 


432 


TABLE  ALPHABÉTIQUE. 


réchal  de  France,  *182,  259, 

294    382. 
Orthez  (la'ville  d'),  215,  292. 
Uver-Yssel  (la  province  d'),  373. 


Palais  d'île  du),  à  Paris,  132. 

—  (le),  à  Paris,  181,  182,  212. 
Palatin  (Frédéric  V,  électeur), 

roi  de  Bohême,  151,  317,  398- 

401. 
Palatine  (Elisabeth  Stuart,  élec- 

trice),  *399,  402. 
Paléologues  (la  maison  des),  43. 
Pape  (le).  Voy.  Paul  V. 
Paris  (la  prévôté  de),  302. 

—  (la  ville  de),  7, 19,21,33.  35, 
48,53,65,66,73,79-81,83,95, 
98,  121,  132,  137,  138,  156, 
167-169,  177,  181,  188,  192, 

197,  207,  210,  211,  239,  269, 
276,  319,  3-20,  340,  355,  360, 
382,  387,  396. 

Parlement  de  Bordeaux  (le),  24, 
291. 

Parlement  de  Paris  (le),  4,  8,  9, 
13,  15,  19,  25,  33,  34,  53,  67, 
83,  91,  108,  122,  130,  131, 
138,  142,  144,  149,  182,  197, 

198,  212,  271,  285,  298,  300, 
389. 

Parlement  de  Pau  (le),  292. 

Parlement  de  Rennes  (le),  8. 

Parlements  (les),  271. 

Paul  V,  pape,  45,  98,  148,  149, 
174,  206,  230,  265,  266. 

Pavie  (le  traité  de),  269,  293. 

Péloponèse  (le),  43. 

Pena  ou  Pêne  (le  comte  de  la). 
Voy.  Goncini  (Henri). 

Perche  (le),  146. 

Péronne  (la  ville  de),  38,  45, 
46,  48,  71,  93,  95,  96. 

Perron  (Jean  Davy,  sieur  du), 
archevêque  de  Sens  et  cardi- 
nal. *32,  313. 

—  (Julien  Davy  du),  *312. 

Persan  (Henri  de  Vaudetar,  ba- 
ron de),  *192,  262,  263,  278, 
296,  302. 

Perse  (la),  193. 


Pescher   (Mercure    de    Saint- 

Ghamant,  baron  de  Marigny 

et  du),  *118. 
Philippe  IV,  roi  d'Espagne,  27, 

98,  124,  128,  129,  266. 
Picard  (le  cordonnier),  33,  34, 

80,  82. 
Picardie  (la),  13,  22,  34,  352. 

—  (la  lieutenance  de  Roi  de), 
20. 

Piémont  (le),  266,  267,  269. 

—  (le  prince  de).  Voy.  Savoie 
(Victor-Amédée  I^f,  duc  de). 

—  (le  régiment  de),  344. 
Pierrefonds  (la  ville  de),  156. 
Plessis  (le  sieur  du),  *324,  353, 

358. 
Plessis- Mornay    (Philippe  de 

Mornay,  dit  du),  148,  313. 
Poitiers  (les  grands  jours  de), 

1.30. 

—  (la  ville  de),  5,  9,  10,  30,  31. 
Pont-de-Gourlay ,    ou    Pont- 

Gourlay  (René  de  Vignerot, 

seigneur  du),  *280. 
Pont-de-l'Arche  (la  ville  de),21 . 
Pont-Neuf   (le),   à   Paris,  183, 

195,  196. 
Pont-Notre-Dame  (le),  à  Paris, 

76,  196. 
Pont-Saint-Michel  (le),  à  Pa- 
ris, 7. 
Ponts- de -Gé  (le  bourg   et  le 

gouvernement  des),  *3.51, 362. 
Porte    (Amador  de  la),  dit  le 

commandeurde  laPorte,*365. 
Prague  (le  château  et  la  ville 

de),  311,  397,  399. 
Praslin   (Gharles   de  Choiseul, 

marquis  de),  79,  83,  84,  107, 

119,  146. 
Presbourg  (la  ville  de),  312,  398. 
Prince  (Monsieur  le). Voy. Gondé 

(le  prince  de). 
Protestants  (les),  3,  5,  22,  86, 

147,  148,  214,  215,  254,  255, 

290-292,  313,  371,  372. 
Protestants   d'Allemagne   (les), 

265   311. 
Prouville  (Pierre  de),  34,  231. 
Provence  (la),  15,  98. 

—  (le  gouvernement  de),  352. 


TABLE  ALPHABÉTIQUE. 


433 


Provinces-Unies  (les),  375,  378. 

—  (les  États  des),  372-379. 
Puyzieulx  (Pierre-Brùlart,  vi- 
comte de),  23,  31,  198,  272. 

—  (Madeleine  de  Neufville-Vil- 
leroy,  vicomtesse  de),  272, 
273. 

Q 

Quillebœuf  (la  ville  de),  21 . 
R 

Rambouillet  (Charles  d'An- 
gennes,  marquis  de),  126. 

Regnard  (Jacques),  commis- 
saire du  Roi  en  Béarn,  *292. 

Reims  (la  ville  de),  106,  107. 

Rethel  (la  ville  de),  104,  120, 
136,  149,  153,  154. 

Rethelois  (le),  106,  136. 

—  Charles  de  Gonzague,  duc 
de),  *155. 

Retz  (Albert  de  Gondy,  duc  de), 
*132,  133. 

Riberpré  (Nicolas  de  Moy,  sieur 
de),  34. 

Ribier  (Jacques),  *17,  24. 

Richecourt  (le  château  de),  *104, 
136,  152. 

Richelieu  (Armand  du  Plessis, 
cardinal  de),  29-31,  105,  110- 
112,  129,  135,  145,  163-170, 
175,176,182-188,198,229,230, 
239-255,  278-281,  283-287, 
289,  327,  334-343,  349,  356, 
357,  359,  360,  364,  365,  380, 
381,  386,  390-392. 

—  (Henri  du  Plessis,  seigneur 
de),  *146,  247,  280,  287,  362- 
364. 

—  (Marguerite  Guyot  des  Char- 
meaux,  dame  de),  *287. 

Roanne  (la  ville  de),  323. 
Rochefort    (Louis    d'Alloigny, 

marquis  de|,  86,  103. 
Rocheiort-sur-Charente  (la  ville 

et  le  château  de),  *86,  104. 
Rochefoucauld     (  François    V, 

comte  de  la),  110,  r29,  130, 

348. 

II 


Rochefoucauld  (François,  car- 
dinal de  la),  *350,  368. 

—  (la  ville  de  la),  5. 
Rochelle  (l'assemblée  des  pro- 
testants à  la),  213. 

—  (la  ville  de  la),  5,  86,  104, 
148. 

Rodolphe  II,  empereur  d'Alle- 
magne, 312. 

Roger  (Nicolas),  194. 

Rohan  (Henri,  duc  de),  3,  4,  21, 
68,  75,  77,  148,268,277,289, 
298. 

Rome  (la  cour  de),  62. 

—  (l'ambassadeur  de  France  à). 
Voy.  Ursins  (Fr.  Jouvenel 
des). 

—  (la  ville  de),  45,  206,  218, 
265,  313,  316,  356. 

Rotan  (Jean-Baptiste),  ministre 

protestant,  *313. 
Rothenbourg  (la  ville  de),  *399. 
Rouen  (l'assemblée  des  notables 

de),  264,  265.  270,  271,  276, 

294. 
Rouillac  (Louis  de  Goth,  mar- 
quis de),  *160. 
Rozoy-sur-Serre  (le  village  de), 

152 
Ruccellaï  (Louis),  *166,230, 316- 

320,  339,  342,  343,  349,  350, 

353-362. 


S 


Saint- Antoine  (la  porte),  à  Pa- 
ris, 79. 
Saint-Chamond  (Melchior  Mitte 

de  Miolans,  marquis  de),  392. 
Saint- Damien  (la  ville  de),  266. 
Saint-Géran  (Jean-François  de 

la  Guiche,  seigneur  de),  71, 

76,  84,  85. 
Sainte-Geneviève  (l'abbaye),  à 

Paris,  191. 
Saint-Germain   (le   faubourg), 

à  Paris,  34,  196. 
Saint-Germain-l'Auxerrois  (l'é- 

Çlise),  181,  195. 
Saint -Germain- en  -  Laye    (la 

ville  de),  351. 

28 


434 


TABLE  ALPHABÉTIQUE. 


Saint-Jean  de  Jérusalem  (l'ordre 

de),  43,  44. 
Saint-Luc  (Timoléon  d'Espinay, 

seigneur  de),  *354,  355. 
Saint-Maixent  (la  ville  de),  6. 
Sainte-Menehould  (la  ville  de), 

119,  149. 
Saint-Pierre-le-Moutier  (la  ville 

de),  155. 
Saint-Sépulcre  (l'ordre  du),  43, 

44. 
Saintes  (la  ville  de),  352-354, 

371. 
Sancerre  (Jean  de  Bueil,  comte 

de  Marans  et  de),  *86. 

—  (la  ville  de),  86. 

Sancy  (Henry  de  Harlay,  baron 
de  Maule  et  de),  *128. 

—  (Nicolas  de  Harlay,  baron  de), 
272. 

Sardini  (Alexandre,  vicomte  de), 

*359,  360. 
Sauveterre  (Jacques  de  Bésiade, 

sieur  de),  199. 
Savoie  (Charles-Emmanuel  le"", 

duc  de),   124-129,   266,  268, 

269,  310,  330. 

—  (Victor-Amédée  I",  prince 
de  Piémont,  puis  duc  de), 
266,  267,  310,  326,  327,  330, 
365. 

—  (  Chrétienne  ou  Christine 
de  France,  duchesse  de),  210, 
310,  326,  381. 

—  (Maurice  de),  dit  le  cardinal 
de  Savoie,  *310. 

—  (la),  125,  127,  129. 

—  (l'ambassadeur  de),  128. 
Saxe   (Jean -Georges,    duc   et 

électeur  de),  265,  *397.  399. 
Schônberg  (Gaspard  de),  *134. 

—  (Henri  de),  *134,  135,  146, 
151,  154,  268,  338,  339,  344, 
345,  347,  348. 

Sedan  (la  ville  de),  2,  4,  95, 104, 

118-120,  317,  319. 
Seine  (la),  fleuve,  7. 
Selvage.   Voy.  Yincenti   (Sel- 

vage). 
Senga  (la  ville  de),  ou  Zengg, 

*270. 
Senonches  (le  village  de),  146. 


Sens  (l'archevêquede).  Voy.  Per- 
ron (Jean  Davy,  sieur  du). 

Servin  (Louis),  *285,  286. 

Silésie  (la),  311,  397. 

Sillery  (Nicolas  Brûlart,  chan- 
celier de),  14,  15-18,  23,  158, 
229,  272,  273,  282,  289,  303, 
331,333,  334. 

—  (Noël  Brûlart,  commandeur 
de),  16,  18,  158,  229,  273. 

Sissonne  (le  village  de),  *152. 
Siti  (André),  *295. 

—  (François),  *295. 
Soissons*  (Charles  de  Bourbon, 

comte  de),  139. 

—  (Louis  de  Bourbon,  comte 
de),  appelé  Monsieur  le  Comte , 
86,  139,  394. 

—  (Anne  de  Montafié,  comtesse 
de),  appelée  Madame  la  Com- 
tesse, 86,  139. 

—  (la  ville  de),  48,  79,  83,  92, 
93,  95,  96,  99-102,  117,  123, 
138,  139,  142,  156,  164,  176, 
177,  199,  284,  286,  294. 

Sorbonne  (la),  182. 

Souvré  (Gilles  de),  marquis  de 
Gourtenvaux  et  maréchal  de 
France,  103. 

Suffren,  ou  Souffran  (le  P.  Jé- 
suite Jean),  *240. 

Suisse  (la),  312,  314. 

Suisses  (les  régiments),  au  ser- 
vice de  France,  74. 

Sully  (Maximilien  de  Béthune, 
duc  de),  3,  4,  22,  35,  57,  68, 
89,  90. 

—  (Rachel  de  CochefiUet,  du- 
chesse de),  *90. 

Surgères  (le  village  de), *86,  104. 
Suze  (Rostaing  de  la  Baume, 

comte  de),  *199. 
Sy  (le  village  et  le  château  de), 

M06. 


Tanaro  (le),  rivière,  269. 
Tarajet  (le  sieur  de),  *392. 
Temple  (la  porte  du),  à  Paris, 
79. 


TABLE  ALPHABÉTIQUE. 


435 


Termes  (César  de  Saint-Lary, 

baron  de),  97. 
Testu  (Louis),  chevalier  du  guet, 

*73,  386. 
Teutonique  (l'Ordre),  45. 
Theiss  (la),  rivière,  *398. 
Thémines    (Antoine    de    Lau- 

zières,  marquis  de),  *69,  72, 

124,  257,  362-365. 
—  (Pons  de  Lauzières,  marquis 

de),  maréchal  de  France,  *68- 

70,  72,  76,  77,  80,  84,  87,  88, 

103,  124,  146,  152. 
Thiange  (Charles  Damas^  baron, 

puis  comte  de),  4,  6,  75-77. 
Thiers  (le  sieur  du),  *124. 
Thou  (Jacques- Auguste  de) ,  226, 

275. 
Thurn   (Henri-Mathias,  comte 

de),  *311,  397. 
Tibère  (l'empereur),  263. 
Tillet  (Charlotte  du),  *297,  302. 
Tolède  (Don  Pedro  de),  *124-1 26, 

267,  269,  293. 
Tonnay-Charente  (la  ville  de), 

*86,  104. 
Tonneins  (la  ville  de),  *29i. 
Toscane  (Côme  I"  de  Médicis, 

grand-duc  de),  *266. 

—  (Côme  II  de  Médicis,  grand- 
duc  de),  *318. 

—  (Ferdinand  I"  de  Médicis, 
grand-duc  de),  233. 

—  (François-Marie  de  Médicis, 
grand-'duc  de),  *226. 

—  (Christine  de  Lorraine,  gran- 
de-duchesse de),  318. 

Toulouse  (rarchevêquede).Voy. 

Valette   (Louis   de  Nogaret, 

cardinal  de  la). 
Tour  (le  comte  de   la).    Voy. 

Thurn  (le  comte  de). 
Tour  (Charles  Cauchon,  baron 

du),  M34,  151,257. 
Touraine  (la),  351. 
Tours  (l'archevêché  de),  201. 
_  (la  ville  dei,  6,  12,  16,  17, 

365.  380-382. 
Travail  (Alphonse  du),  *201-207. 
Tremblay    (Charjes   Le   Clerc, 

seigneur  du),  *183,  335,  336, 

340. 


Tremblay  (François   Le   Clerc 

du),  dit  le  Père  Joseph,  *334. 
TrémoïUe  (Henri  duc  de  la),  *76. 
Trente  (le  concile  de),  9. 
Treniins  (les),  268,  269. 
Trie-Château  (la  ville  de),  11, 

34. 
Tronson  (Louis),  sieur  du  Cou- 

dray,  M72,  174,  179. 
Troyes  (la  ville  de),  320. 
Tuileries  Ile  palais  des),  203. 
Turcs  (les),  98. 
Turenne  (François  de  la  Tour, 

vicomte  de),  137,  138. 
Turin  (la  ville  de),  126. 
Tyrol  (le),  312. 

U 

Ubaldini  (Robert),   nonce    du 

pape,  75,  195. 
Université  de  Paris  (1'),  290. 
Ursins  (François  Jouvenel  des), 

45. 
Uscoques  (les),  *270. 
Utrecht  (la  province  d'),  373. 
Uzerche  (la  ville  d'),  *344-348. 


Vair  (Guillaiime  du),  garde  des 
sceaux  de  France, *15-19,  23, 
24,  28,  89,  107-110,  112,113, 
116,  122,  143,  186,  198,  229, 
258;  282,  283,  289,  303,  331, 
333,  334. 

Valençay  (Jacques  d'Etampes, 
seigneur  de),  392. 

Valette  (Bernard  de  Nogaret, 
marquis,  puis  duc  de  la),  *323, 
370,  371,  393,  395. 

—  (Louis  de  Nogaret,  cardinal 
de  la),  archevêque  de  Tou- 
louse, *324,  339,  357,  358. 

Vaugré  (Claude  Gandin,  dit), 
M23,137,  138. 

Vendôme  (César,  duc  de),  3,  4, 
7,  8,  80,  84,  85,  93,  95,  101, 
139,  142,  152,  199,  200,  294, 
395. 

—  (M""  de).  Voy.  Elbeuf  (Cathe- 
rine-Henriette, duchesse  d'). 


436 


TABLE  ALPHABETIQUE. 


Vénitiens  (les),  125,  126,  138, 

266  269  293. 
Verceifda  ville  de),  267,  293. 
Verdun  (la  ville  de),  119. 

—  (Nicolas  de),  M32. 
Vernet  (Barthélémy  de  Monts), 

seigneur  du),  *296. 
Verneuil-au-Perche  (la  ville  de), 

*85,  146. 
Vervins  (la  ville  de),  152. 
Vichy  (le  pont  de),  *323. 
Vienne  (la  ville  de),  en  France, 

335,  337,  397. 
Vieuville  (Charles,  marquis  de 

la),  106-108. 
VignoUes  (Bertrand  de),  dit  La 

Hire,  M86,  187. 
Villars    (  Emmanuel  -  Philibert 

des  Prez,  marquis  de),  *93. 
Villebon  (le  village  de),  *35. 
Villeroy  (Nicolas  IV  de  Neuf- 

ville,  seigneur  de),  6,  11,  12, 

15-18,  23,  24,  27,  28,  31,  89, 

108,  158,  163.  18G,  187,  198, 

200,229,  271-275,  281-284. 

—  (Nicolas  V  de  Neufville,  duc 
de),  *163,  336. 


Villers-Cotterets  (le  village  de), 
99,  100. 

Villesavin  (Jean  -  Phélypeaux , 
seigneur  de),  puis  comte  de 
Buzançais,  *309. 

Vincennês.  Voy.  Bois-de-Vin- 
cennes. 

Vincenti  (SeIvage),diteSeIvage, 
*299,  300. 

Vincenze.  Voy.  Ludovici  (Vin- 
cent). 

Virey  (Claude-Enoch),  *64,  65. 

Vitré  (le  synode  protestant  de), 
213. 

Vitry  (Louis  de  l'Hospital,  mar- 
quis de),  *181,  197. 

—  (Nicolas  de  l'Hospital,  maré- 
chal de),  M78-181,  189-192, 
253   254   259. 

Vorstius  (Conrad),  *372,  373. 

W 

Wasigny  (le  village  de),  *153. 
West-Frise  (la  province  de),  373. 

—  (les  États  de),  373. 
Wittemberg  (la  ville  de),  266. 
Wùrzbourg(rassembléede),400. 


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